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Full text of "Le Ménestrel"

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LE 


MÉNESTREL 


JOURlSrAL 


MONDE    MUSICAL 


MUSIQUE     ET    THÉATEES 


62°  ANNEE  —  1896 


BUREAUX  DU   MÉNESTREL  :   2   bis,  RUE    VIVIENNE,   PARIS 
HEUGEL   et  C'^  Éditeurs 


TABLE 

DU 

JOUENAL    LE    MAîTESTEEL 


62'=  ANNÉE  —  1896 


TEXTE     ET     MUSIQUE 


X»  1.  —  5  janvier  1896.  —  Pages  1  à  8. 

I.    La   chanson  ;    Est-ce   Mars,   ce  grand  Dieu  des 

alarmes  (2-  et  dernier  article),  Julien   Tiersot.    — 

II.,  Semaine  théâtrale   :   première    représentation 

d'Evangéline  au  théâtrede  la  Monnaie,  Lucien Solvay; 

première  représentation  des  Dessous  de  l'année,  au 

Nouveau-Théâtre,   Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  La 

Pierre,  musicien-chorégraphe  (6e  et  dernier  article), 

A.  Ball'ffe.  —  IV.  Revue  des  grands   concerts.  — 

V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Antonin  Slarmontel. 

Arabesque. 

X°  2.  —  12  janvier  1896.  —  Pages  9  à  16. 

I.  Une  chanson  du  seizième  siècle,  Julien  Tiersoi.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  Le  Théâtre-Lyrique,  infor- 
mations, impressions,  opinions  (10'  article),  Louis 
Gallet.  —  III.  Molière  et  la  trompette  marine,  E.  de 
Beicqueville.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Robert  Fischhof. 
Égtiintines. 

m»  3.  —  19  janvier  1896.  —  Pages  17  à 24. 

I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de 
Delphes  (1"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  première  représentation  de  Jean-Marie, 
au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  Lucien  Sol- 
vay. —  III.  L'art  français  sur  les  scènes  lyriques 
allemandes,  0.  En.  —  IV.  Revue  des  grands  con- 
certs.— V.  Correspondance  de  Barcelone  :  premières 
représentations  des  opéras  Pépita  Gimenezet  Aurcrra, 
A. -G.  Bert.al.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Cesare  Oaleotti. 
Par  le  sentier  fleuri, 

W  4.  —  26  janvier  1896.  —  Pages  25  i  32. 

I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de 
Delphes  (2»  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Bulletin 
théâtral  ;  La  résurrection  des  Folies-Marigny, 
Arthur  Pougin.  —  III.  Ce  que  m"a  dit  la  viole  d'a- 
mour, Charles  Grandmougin.  —  IV.  La  nouvelle  loi 
autrichienne  sur  les  droits  d'auteurs  (1"  article). 
Oscar  Berggruen.  —  V.  Revue  des  grands  concerts. 

—  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Eruest  Reyer. 
Le  Dernier  Rendez-vous. 

iX"  5.-2  février  1896.  —  Pages  33  à  40. 

I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de 
Delphes  (3°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Première  représentation  du  Modèle,  à 
rOdéon,  Athur  Pougin  ;  premières  représentations 
i'une  Semaine  à  Paris,  aux  Variétés,  et  de  Coco, 
pantomime  au  Nouveau-Cirque,  Paul-Emile  Cheva- 
lier. —  III.  La  nouvelle  loi  autrichienne  (suite  et 
fin),  0.  Berggruen.  —  V.  Revue  des  grands  concerts. 

—  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts   et  nécrologie. 

Piano.  —  Philippe  l<'ahrbach. 
Brises  du  cœur,  valse. 

!«•  6.  —  9  février  1896.  —  Pages  41  à  48. 

I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de 
Delphes  (4°  article),  Julien  Tiersot.  —  il.  Le 
Théâtre-Lyrique,  informations,  impressions,  opi- 
nions (11'  article),  Louis  Gallet.  —  III.  Bulletin 
théâtral  :  reprises  de  la  Favorite  et  de  Coppélia  à 
l'Opéra,  H.  M.;  premières  représentations  d'Inno- 
centl  au  théâtre  des  Nouveautés.  Paul-Ésiile  Cheva- 
lier. —  IV.  L'orchestre  de  Lully  (l"  article),  Arthur 
Pougin.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI. 
Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Cbant.  —  Ch.-.M.  Widor. 
La  Nuit. 

TK'  î.  —  16  février  1896.  —  Pages  49  à  56. 

I.  La  mort  d'Arnbroise  Thomas,  Henri  Heugel.  — 
II.  Ambroiso.  Thomas,  notes  et  souvenirs,  Arthur 
Pougin.  —111.  Semaine  théâtrale  :  Débuts  deM'''Gar- 
nier  dans  Lahmc  à  l'Opéra-Comique,  .\.  P.;  pre- 
mières riprésenlations  du  Dindon,  au  Palais-Royal 
et  de  II  Fiancée  en  loterie,  aux  Folies-Dramatiques, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  IV.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Le  Joyeux  L</ron,  quadrille. 


IV"  8.  —  23  février  1896.  —  Pages  57  à  64. 

I.  Les  obsèques  d'Arnbroise  Thomas  :  Discours  de 
MM.  Bourgault-Ducoudray,  Théodore  Dubois  et 
J.  Massenet,  H.  M.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  la 
Cendrillon  de  Nicole  à  la  Galerie-Vivienne,  .Arthur 
Pougin  ;  premières  représentations  de  Grosse  Fortune, 
à  la  Comédie-Française,  Paul-Éjiile  Chevalier.  — 
III.  L'orchestre  de  Lully  (2°  article),  Arthur  Poogin. 
—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  l^éon  Relafosse. 


A'  9. 


■  1"  mars  1896.  —  Pages  65  à  72. 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de 
Delphes  (5*  article),  Julien  Tiersot.  —  II,  Bulletin 
théâtral  :  Premières  représentations  du  Voyage  à 
Venise,  au  théâtre  Déjazet,  du  Royaume  des  femmes,  à 
l'Eldorado,  et  de  Ninotte,  aux  Bouffes-Parisiens, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  L'orchestre  de  Lully 
(3'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Piano.  —  Philippe  Fahrbach. 
Fine  Mouebe,  polka. 


i\'  10. 


8  mars  1896.  —  Pages  73  ; 


I.  Orphée  de  Gluck,  à  l'Opéra-Comique,  JulienTiersot. 
—  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations 
de  Manette  Salomon,  au  Vaudeville,  et  de  la  Figu- 
rante, à  la  Renaissance;  reprises  de  Thermidor,  à  la 
Porte-Saint-Martin,  et  des  Danicheff,  à  l'Odéon, 
P-iul-Émile  Chevalier.  —  III.  L'orchestre  de  Lully 
(4' article),  Arthur  Pougin.—  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Robert  Fischhof. 

Sur  le  Danube. 

ï«°  11.  —  15  mars  1896.  —  Pages  81  à  88. 

I.  Musique  antique  (6"  article),  Julien  Tiersot.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  Thaïs  au  théâtre  de  la  Mon- 
naie de  Bruxelles,  Lucien  Solvaï;  premières  repré- 
sentations de  la  Tortue,  aux  Nouveautés,  et  d'Ariette, 
à  l'Olympia,  Paul-Émile  Chev.iuer.—  III.  L'orchestre 
de  Lully  (5°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Et  la 
direction  du  Conservatoire'?  H.Moreno.  —  V.  Revue 
des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  IV.  Celeg;a. 

Le  Réveil,  n°  1  des  Heures  de  rêve  et  de  joie. 

I»I°  13,  —  22  mars  1893.  —  Pages  89  à  96. 

I.  Musique  antique  (7' article),  Julien  Tiersot. —  IL  Le 
Théâtre-Lyrique,  informations,  impressions,  opi- 
nions (12"  article),  Louis  Gallet.  —  III.  L'orchestre 
de  Lully  (6»  article),  .-Vrthor  Pougin.  —  IV.  Le  monu- 
ment de  M"'  Carvalho.  —  V.  Revue  des  grands 
concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Xavier  I>eroux. 

Surla  tombed'un  enfant,  n'3  des  Poèmes  de  Bretagne. 


X'  13. 


29  mars  1896.  —  Pages  97  à  104. 


I.  .Musique  antique  (8"  et  dernier  article),  Julien 
Tiersot.  —II.  Semaine  théâtrale  :  premières  repré- 
sentations de  Disparu,  au  Gymnase,  d'Amoureuse, 
au  Vaudeville,  de  la  Gnin  Via,  à  l'Olympia  et  de 
Hùlons-nousd'eii  rire,  aux  Folies-Marigny.  Paul-Émile 
Chevalier.  —  III.  L'orchestre  de  Lully  (7"  et  dernier 
article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  monument  de 
M"'  Carvalho.—  V.  Revue  des  grands  concerts.  — 
VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Antonin  Alarmoniel. 

Balancclle,  valse  de  concert. 


A'  11. 


5  avril  1 


Pages  105  à  112. 


I.    La    Danse    grecque    antique,   Julien  Tiersot.    — 

II.  Musique  et  prison  (1"  article!,  Paul  d'Estrée.  — 

III.  Le  monument  de  M°°  Carvalho.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 

Chant.  —  l^con  Delafosse. 

Veux-tu  ? 


X'  15.-12  avril  1896.  —  Pages  113  à  120. 

I.  Une  œuvre  contestée  de  Palestrina   et   ses  deux 

messes  de  l'Homme  armé  (1"  article),  Julien  Tiersot. 

—  H.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
de  Ghiselle  au  théâtre  de  Monte-Carlo,  Julien  'Tiersot. 

—  m.  Musique  et  prison  (2'  article)  :  captivités  rovales 
et  princières,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Le  concert  du 
vendredi  saint  au  Châtelet,  A.  Boutarel.  — 
V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  E/con  Delafosse. 
Nocturne. 
!%•  16.  —  19  avril  1898.  —  Pages  121  à  128. 
I.  Une  œuvre  contestée  de   Palestrina  et  ses  deux 
messes  de   l'Homme   armé  (2«   et  dernier  article), 
Julien,  Tiersot.  —  IL    Semaine  théâtrale  :  reprise 
de   VEpreuve  villageoise,    au  théâtre    de  la   Galerie 
Vivienne,    Arthur  Pougin;   premières  représenta- 
tions de  laMeute,  àla  Renaissance,  du  Grand  Galeoto, 
auThéâtre  des  Poètes, etdu  PelitMoujik,  aux  Bouffes- 
Parisiens,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Musique  et 
prison  (3=  article)  :  prisons  militaires,  Paul  d'Estrée. 

—  IV.  Le  monument  de  M"=  Carvalho.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Raynaido  Rahn. 
Cantique  sur  le  bonheur  desjmtes  et  le  malheur  des  réprouvés. 

I\'  lï,  —  26  avril  1896.  —  Pages  129  à  136. 
I.  Musique  antique;  une  lettre  de  M.  Th.  Reinach, 
Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première 
représentation  d'Hellé  à  l'Opéra,  la  centième  de  la 
Korrigane,  Arthur  Pougin  ;  première  représentation 
de  la  Falote,  aux  Folies-Dramatiques,  reprise  de 
l'Œil  crevé,   aux  Variétés,  Paul-Émile  Chevalier.  — 

III.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  i\.  Cclega. 
Contemplation,  n"  4  de  Matinée  aux  Alpes. 
J*'  18.  —  3  mai  1896.  —  Pages  137  à  144. 
I.   La   première   Salle    Pavart   et    l'Opéra-Comique, 
3"  partie  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  Semaine 
théâtrale;  premières  représentations  de  Deux  Sœurs 
et  de   Ruse   de  femme,  à  l'Odéon,  et  de  Catherine  de 
Russie,  au    Châtel.et;    reprise    du  Prince  d'Auree,  au 
Gymnase,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  La  musique 
et  le  théâtre  au  Salon  du  Champ-de-Mars  (1"  arti- 
cle),   Camille  Le    Senne.   —    IV.  Le  monument  de 
M»'  Carvalho.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Xavier  l^eronx. 
La  Légende  des  trois  petils  mousses. 
X'  1».  —  10  mai  1896.  —  Pages  145  à  152. 
I.   Le   nouveau    directeur  et  la    réorganisation    du 
Conservatoire,  H   Mobeno.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
Première   représentation  du  Chevalier  d'Harmental, 
à  l'Opéra-Comique,  .\rthur  Pougin;  première  repré- 
sentation de  Manon  Rolund,  à  la  Comédie-Française, 
reprise  de  Lysistrala,  au  Vaudeville,  Paul-Éwile  Che- 
valier. —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  du 
Champ-de-Mars  (2°  article),  Camille  Le    Senne.    — 

IV.  Le  monument  d'Ambroise  Thomas.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Edouard  Slranss. 
Le  Cœur  et  la  Dot,  polka-mazurka. 
X°  30.  —  17  mai  1896.  —  Pages  153  à  160. 
I.    La  première   salle    Favart   et    l'Opéra-Comique, 
3'  partie   (2"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  Bulletin 
théâtral  :  reprise  du  Roman  d'unjeune  homme  pauvre, 
à  l'Odéon,  et  première  représentation  de  Nuit  d'a- 
mour, aux   Bou Iles-Parisiens,  Paul-Émile  Chevalier. 

—  III.  La  musique  et  le  Ihéâtre  au  Salon  du  Champ- 
de-Mars  (3"  article),  Camille  Le  Senne. —  IV.  Musique 
et  prison  (4°  article)  :  prisonniers  politiques,  Paul 
d'Estrée.  —  V.  Le  monument  de  M""  Carvalho.  — 
VI.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Chant.  —  A.  Périlhou. 

Muselle  du  X  VII'  siècle. 

i\'  a  1 .  —  24  mal  1896.  —  Pages  161  à  168. 

I.   La  première  salle    Favart    et    l'Opéra-Comique, 

3'  partie  (3"   article),  Arthur  Pougin.  —  H   Semaine 

théâtrale  :  répétition   générale  d'IIamlet   à  l'Opéra, 

souvenirs,  H.  Moheno;  première  représentation  du 

Grand  Galeoto,  au  Théâtre-Internalional,  Paul-Emile 

Chevalier.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon 

des  Champs-Elysées  (4"  article),  C.wiille  Le  Senne. 

—  IV.  Musique  et  prison  (5'  article):  prisonniers 
politiques,  Paul  d'Estrèi;.  —  V.  Le  monument  de 
M""  Carvalho.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Piano.  —  A.  l<audry. 
Printemps  nouveau. 


K"  •£•£.  —  31  mai  1896.  —  Pages  169  à  176. 
I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique, 
2»  partie  (4°  article),  Artbur  Pougin.  —  II.  La  musique 
et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (5"  ar- 
ticle ),  Camille  Le  Senne.  —  III.  Musique  et  prison 
(6"  article)  :  prisonniers  politiques,  Paul  d'Estrée. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Liéoa  Ikelufossc. 
Près  de  Veau,  n°  2  des  Soirs  d'amour. 
X"  23.  —  7  juin  1896.  —  Pages  177  à  184. 
I.  La   première    salle    Favart    et   l'Opéra-Comique, 
3"  partie  (5"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  Bulletin 
théâtral  .  premières  représentations  de  Au  bonheur 
des  dames,  au  Gymn  ase,  et  de  la  Demoiselle  de  magasin, 
à  l'Olympia,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  La  musique 
el  le  théAtre  au  Salon  des  Champs-Elysées   (6°  ar- 
ticle), Camille  Le  Senne.  —  IV.  Musique  antique  :  une 
nouvelle  communication  de  M.  Th.  Reinach,  Julien 
TiERSOT.  ^  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  I.  Pliilipi». 
En  dansant,  extrait  des  Pasttls. 
tu-  34.  —  14  juin  1896.  —  Pages  185  à  192. 
I.  La    première    salle   Favart   et    l'Opéra-Comique, 
3^  partie  (6"  article),  .Arthur  Pougin.  —  II.  Semaine 
théi\trale  :  reprise  du  Pardon  de  Ploërmel  à  l'Opéra-- 
Comique,  .A  -P.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  an 
Salon  des   Champs-Elysées  (7°  article),  Camille  Le 
Senne.  —  IV.  Musique  ej  prison  (7»  article)  :  La  Bas- 
tille et  les   prisons   d'Étal  sous   l'ancien  régime. 
Paul  d'Estuée.  —  V.  Correspondance  :  une  lettre  de 
M.  Th.  Reinach.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Chant.  —  Ernest  Moret. 
Si  je  ne  f  aimais  pas. 
K'  35.  —  21  juin  1896.  —  Pages  193  à  200. 
l.    La  première    salle    Favart    et   l'Opéra-Comique, 
3°  partie  (7'  article),  Arthur  Pougin.  —  il.  Semaine 
théâtrale:   Débuis  de  M"°  Kutscherra  et  du  ténor 
Dufiant  dans  ^ï  Wallcifrie,  répétition  du  Jeu  de  Robin 
et  Marion  à  l'Opéra-Comique,   .A.  P.  —   III.   Sur  le 
Jeu  deRobin  et  Marion  d'Adam  de  la  ?Ialle(l"  article), 
Julien  Tiersot.  —  IV.  La  musique  et  le  théâtre  au 
Salon  des  Champs-Elysées   (8°    et  dernier  article), 
Camille   Le  Senne.   —  V.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 

Piano.  —  Cesare  Cialeotti. 
Maluiina. 
X"  36.  —  28  juin  1896.  —  Pages  201  à  208. 
I.  La  première    salle   Favart   et    l'Opéra-Comique, 
3'  partie  (8°  article),  .\rthur  Pougin.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :    première  représentation   de    la  Femme 
de  Claude  et  reprise  de  Don  Pasquale,  à  l'Opéra-Co- 
mique, .\rthur  Pougin.  —  III.  Sur  le  Jeu  de  Robin  et 
Marion  d'Adam  de  la  Halle  (2°  article),  Julien  Tiersot. 

—  IV.  Musique  et  prison  (8»  article)  :  La  Bastille  et 
les  prisons  d'État  sous  l'ancien  régime,  Paul  d'Es- 
trée. —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Chant.  —  E'aiil  l^aooiiibe. 
Aubade  printanière. 
X'  27.  —  5  juillet  1896.  —  Pages  209  à  216. 
I.  La  première  salle  Favartetropéra-Comique,  3" par- 
tie (9°  article),  Arthur  Pougin.   —  II.  Sur  le  Jeu  de 
Bobin  et  Marion  d'.\dam  de  la  Halle  (3"  article),  Julien 
Tiersot.  —  III.  Musique  et  prison  (9°  article)  :    La 
Bastille  et  les  prisons  d'État  sous  l'ancien  régime, 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Piano.  —  l'aul  Wachs. 
Danse  japonaise. 
i\"°  38.  —  12  juillet  1896.  —  Pages  217  à  22i. 
I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  4°  par- 
tie (lO»  article),  Arthur  hougin.  —  II.  Bulletin  théâ- 
tral; Première  représentation  del'Outrageà  laPorte- 
Saint-Martin,  A.  P.  —  III.  M""  Desbordes-Valmore 
comédienne,   Arthur   Pougin.  —  IV.  Sur   le  Jeu  de 
Robin  et  Marion  d'Adam  de  la  Halle,  (4°  article).  Julien 
Tiersot.  —  V.  Musique  pt  prison  (10"  article)  :    La 
Bastille  et  les  prisons  d'État   sous  l'ancien  régime, 
Paul  d'Estrée.   —  VL  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Ch.\nt.  —  tiiicien  l^aïubert. 
Au  bord  du  ruisseau. 
i\°  39.  —  19  juillet  1896.  —  Pages  225  à  232. 
I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  4°  uar- 
tie  (11"  article),  Arthur  Pougin.  —   II.  Le  Théâtre- 
Lyrique,  inl'ormations,  impressions,  opinions  (13" 
article),  Louis  Gallet  —  111.  Sur  le  Jeu  de  Robin   el 
Marion  d'.Adam  de  la  Halle  (4°    et  dernier  artio  le, 
Julien  Tiebsot.  —  IV.  Musique  et  prison  (Usarticie)  : 
prisons  révolutionnaires,  Paul  d'Estrée.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerta  et  nécrologie. 

Piano.  —  Marmoiitel. 
Valse  mélancolique,  tirée  des  Impressions  et  Souvenirs. 
X'  30.  —  26  juillet  1896.  —  Pages  233  à  2i0. 
l.  La  première  salle  Favartet  l'Opéra-Comique,  4"  par- 
tie (12"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  A  Bayreuth, 
JhlienTiehsot.  —  III.  Les  concours  du  Conservatoire, 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Chant.  —  Ijouîs  Diénier. 
Si  je  savais. 
1V°  31.  —  2  aoiit  1896.  —  Pages  241  à  248. 
1.  La  première  salle  Favartet  l'Opéra-Comique,  4" par- 
tie (1.3"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  Les  Concours 
du  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 

PlA\o.  —  I»aul  Waclis. 
Bras  dessus,  bras  dessous. 


X"  32.  —  9  aoiit  1896.  —  Pages  249  à  256. 
I.  La  distribution  des  prix  au  Conservatoire,  Arthur 
Pougin.   —    H.   Musique   et  prison    (12"   article): 
Prisons  révolutionnaires,  Paul  d'Estrée.  —  III.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 
Chant.  —  Oepret. 
Si  vous  étiez  fleur. 
A'°  33.  —  16  août  1896.—  Pages  257  à  264. 
I.  La  première  salle  Favartet  l'Opéra-Comique, 4° par- 
tie (14"  article),  Arthur  Pougin.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  Le  mois  d'août  et  la  musique,  Arthur  Pougin 
—  III. Musique  et  prison  (13"  article);  Prisons  révo- 
lutionnaires, Paul  d'Estrée. —IV.  Journal  d'un  musi- 
cien (1°'  article),  A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Cli.  A'custedt. 
Un  Rêve. 
iV"  34.  —  23  août  1896.  —  Pages  26?  à  272. 
I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  4" par- 
tie (15"  etdernier  article),  ArïhurPougin.— II.  Semaine 
théâtrale  :  Autour  d'une  traduction,  H.  M.  —  III. 
Musique  et   prison  (14"  article)  :  Prisons    révolu- 
tionnaires, Paul  d'Estrée.  —  IV.  Journal  d'un  musi- 
cien (2"  article),  A.  MoNT,vux.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Ernest  lloret. 
Sérénade  florentine. 
S'  35.  —  30  août  1896  —  Pages  273  à  280. 
I.  Étude  sur  Orpltée  de  Gluck  (1"'  ariicle),  Julien  Tier- 
sot. —  II.  Semaine  théâtrale  :  L'auteur  de  la  Sonate 
du  Diable,  Arthur  Pougin.  —  III.  Musique  et  prison 
(15"  article)  :    Prisons    politiques   modernes,    P.4UL 
d'Estrée.  —  IV.  Journal  d'un   musicien  (-3"  article) 
A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Piano.  —  C'h.  fiirisart. 
Pastorale. 
X"  3(J.  —  6  septembre  1896.  —  Pages  281  à  288. 
I.  Étude  sur  Orphée  (i'  article),  Julien  Tiersot.  —  II. 
Semaine  théâtrale  :  La  prochaine  saison  théâtrale, 
Paul-Emile    Chev.\lier.  —    III.  Musique  et  prison 
(16"    article)  ;    Prisons   politiques   modernes,    Paul 
d'Estrée.  —  IV.  Journal  d'un  musicien  (4"  article), 
A.   Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Cesare  C<aleotti. 
Attente. 
M"  3ï.  —  13  septembre  1896.  —  Pages  289  à  296. 
1.  Étude  sur  Orphée  (3"  article),  Julien  Tiebsot.  —  II. 
Bulletin  théâtral  :  Don  Juan  à  Munich,  S.  M.  —  III. 
Musique  et  prison  (17"  article)  :   Prisons   politiques 
modernes,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Journal  d'un  musi- 
cien (5" article),  A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  l»anl  Waclis. 
Femmes  et  Fleurs. 
TK'  38.  —  20  septembre  1896.  —  Pages  297  à  304. 
I.  Étude  sur  Orphée  (4"  article),  Julien  Tiersot.  —  II. 
Semaine    Ihéâlrale  :   Première   représentation    de 
Jacqu-s  Callot,  à  la  Porte-Saint-Mari  in;  réouverture 
de  l'Opéra-Comique;  reprise  de  la  Vie  parisienne  aux 
Variétés,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Le  Théâtre- 
Lyrique  :  Informations,  impressions,  opinions  (14° 
article),  Louis  Gallet.  —  IV.  Musique    et  prison 
(18'  article):   Prisons    politiques    modernes,   P.aul 
d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  etnécro- 
logie. 

Chant.  —  Charles  IjCTaiIé. 
Jows  d'automne. 
X'  39.  —  27  septembre  1896.  —  Pages  305  à  312. 
I.  Étude  sur  Orphée  (5"  article),  Julien  Tiersot.  —  II. 
Bulletin  théâtral  :  reprise  de  la  Famille  Pont-Biquet 
au  Gymnase  ;  Paris-Péhin  au  Nouveau-Cirque,  P.uil- 
Émile  Chevalier.  —  Itl.   Gilbert    Duprez,    notes   et 
souvenirs,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Musique  et  prison 
(19'  arlicle);    l'risons   politiques    modernes,   P.iul 
d'Estrée.  — V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  Cesare  Cialeottî. 
Chanson  d'automne. 
X'  40.  —  4  octobre  1896.  —  Pages  313  à  320. 
I.  Étude   sur  Orphée  (6"  article),   Julien    Tiersot.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  la  Dame  aux  camélias,  à  la 
Renaissance,  et  Montjoije,  à  la  Comedie-Française, 
Paul-Émile  Chevalier.   —  III.  Musique   et  prison 
(20"   article)  :   Religions,  Paul    d'Estrée.   —   IV.  Le 
Conseil  supérieur    d'enseignement   au    Conserva- 
toire. —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Chant.  —  Ij.  Delaquerrîére. 
Sérénade  d'automne. 
X'  41.  —  11  octobre  1896.  —  Pages  321  à  328. 
I.   Étude   sur   Orphée  (7"   article),   Julien   Tiersot.  — 
II.  Ssmaine  théâtrale:  Les  galas  de  l'Opéra  et  delà 
Comédie-Française;  supplique  au  tsar,  H.  Morbno; 
première  représentation  de  Mignonnette,  au  thfâtie 
des  Nouveautés,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  L'Ex- 
position du  théâtre  et  de  la  musique  au  palais  de 
l'Industrie  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Musique 
et  prison  (21"  article)  ;  Prisons    pour  dettey,   Paul 
d'Estrée.  —  V.  Jnunal  d'un  musicien   (6"  article), 
A.  MoNT.AUx.  —  VI.  Nouvelles  divers,  s,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Rejnaldo  llalin. 
Alljert  Cuijp,  n"  1  des  Portraits  de  peintres. 
X'  43.  —  18  octobre  1896.  —  Pages  32'J  à  336. 
l.   Étude   sur   Orphée  [8"    article),   Julien    Tiersot.   — 
II.  Semaine  théâtrale  :  les  Deux  Chasseurs  et  la  Laitière 
de  Dunl,  t'Irato  de  Méhul,  la  Perruc  e,  de  Clapisson 
au  Théâtre-Lyrique  de  la  Galerle-Vivienne,  Arthur 
Pougin  ;  premières  représentations  du  Capitaine  Fra- 
casse l\,  rOdéon  et  de  la  Reine  des  Reines  à  l'Eldorado, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Journal  d'un  musicien 
17"   article),    A.   Montaux.   —  IV.    L'Exposition    du 
théâtre  et  de  la  musique  au  palais  de  l'Industrie 
(2°  article),  Arthur  Pougin.  —  V.  Antoine  Bruckner, 
0.   BerggrueiN.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Chant.  —  Ijéon  Delafosse. 
Si  j'ai  parlé. 


X'  43.  —  25  octobre  1896.  —  Pages  33?  à  344. 
I.  Étude  sur  Orphée  (9"  article),  Julien  Tiersot.  — 
II.  Semaine  théâtrale;  première  représentation  de 
la  Vie  pour  le  Tsar  à  l'Opéra  russe,  Arthur  Pougin; 
premières  représentations  de  la  Poupée  à  la  Gsîié, 
des  Bienfaiteurs  à  la  Porte-Saint-Martin  et  de  la  Villa 
Gaby  au  Gymnase,  H.  Moreno.  —  III.  L'Exposition 
du  théâtre  et  de  la  musique  (3"  article),  Arthur  Pougin. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  -t  nécrologie. 

Piano.  —  Rcynaldo  llabn. 
Antoine  Watleau,  n°  4  des  Portraits  de  peintres.  ' 
X'  44.  —  1"'  novembre  1896.  —  Pages  345  à  352. 
I.  Étude  sur   Orphée  (10"  article),  Julien  Tiebsot.  — 
H.  Semaine  théâtrale;  reprise  de  flore  J«fm  à  l'Opéra, 
.Vrthur  Pougin  ;  premières  rporésentations  du  Par- 
tage an  Vaudeville  et  de  Rivoli  aux  Folies-Dramati- 
ques, H.  MoRENO.  —  III.  L'Exposition  du  théâtre  et 
de  la  musique  (4"  article),  Arthur  Pougin.—  IV.  Mu- 
sique et  prison   (22"  article):  Prisons  d'artistes, 
Paul  d'Estrée.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  — 
VI.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Chant.  —  P.  Alascagni. 

Il  m'aime,  m'aime  pas. 

X'  45.-8  novembre  1896.  —  Pages  353  à  360. 

I.  Étude  sur  Orphée   (11"   article),   Julien    Tiersot.   — 

II.  Semaine  théâtrale  ;  première  représentation  du 
Papa    de   Francinc    au    Théâtre   Cluny,     H.    M.    — 

III.  L'Espofition  du  théâtre  et  de  la  musique 
(5"  artlclf),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Journal  d'un  mu- 
sicien (8°  article),  A.  Montaux.  —  V.  Un  théâtre- 
lyrique  populaire,  H.  M.  —  VI.  Revue  des  grands 
concerts.  —  VII.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  U.  Giorilano. 

Pastorale  et  Gavotte,  extraites  d'And'-é  Ckénier. 

X'  4«.  —  15  novembre  1896.  —  Pages  361  à  .368. 

I.  Étude   sur  Orphée  (12"   article),    Julien   Tiebsot.  — 

II.  Semaine  théâtrale  :  Le  Bijou  perdu,  au  théâtre 
de  la  Galerle-Vivienne,  Arthur  i-ougin  ;  première 
représentation  de  Erreurs  du  mariage  aux  iSlouveau- 
tés, Paul-Émile  Chevalier  ;  reprise  de  Don  César  de 
Bazan  à  la  Porte-Saint-Marlln  ;  première  repré- 
sentation  du   Carillon  aux  Variétés,  H.  Moreno.  — 

III.  Le  Théâtre-Lyrique  ;  Inl'ormations,  Impressions, 
opinions  (15'  article),  Louis  Gallet.  —  IV.  L'Exposi- 
tion du  théâtre  et  de  la  musii|ue  (6°  arlicle).  Arthur 
Pougin.  —V.  Revue  des  grands  concerts.— VI.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  — •  Kenée  Eldèse. 
Prélude. 
X'  4Î.  —  22  novembre  1896.  —  Pases  369  à  376. 
I.  Étude   sur    Orphée  (13"  article),   Julien    Tiersot.  r- 
II.  Semaine  théâtrale:  Don  Juan  k  l'Opéra-Comique; 
Aude  et  Roland  (concours  Rnssinl)  au  Conservatoire, 
Arthur  I'ougin  ;  la  Biche  au  Bois  au  Châtelet,  P.-É.  C. 

—  III.  L'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique 
(7°  et  dernier  arlicle),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et 
concerts. 

Piano.  —  Eiouis  Diémer. 

Les  Révérences  nuptiales,  n°  1  des  Vieux  Maîtres. 

X'  48.  —  29  novembre  1896.  —  Pages  377  à  384. 

I.  Étude   sur  Orphée  (14"   article),  Julien   Tiersot.  — 

II.  Musique  et  prison  (23"  arlicle)  :  Crimes  de  droit 
commun,  Paul  d'Estrée.  —  III.  Jo'imal  d'un  musi- 
cien i9"  article),  A.  Mont.aux.  —  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  U.  Giordano. 

Improvisation  de  Chénier,  extrait.-,  \i'André  Ghénier. 

'X'  49.  —  6  décembre  1896.  —  Pages  385  à  392. 
I.  Étude  sur  Orphée  (15"  et  dernier  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  Rentrée  de 
M""  Van  Zandt  à  l'Opéra-Comique  ;  Lorenzaccio  à 
la  Renaissance,  H.  Moreno;  premières  repr'senta- 
tlons  de  Monsieur  J^ohengrin  aux  Bouffes-Parisiens, 
des  Yeux  clos,  du  Danger  et  de  la  Révolte  k  l'Odi^on  ; 
le  Feu  au  moulin  au  Nouveau-Cirque.  Paul-Émile 
Chevalier.  —  III.  Musique  et  prison  (24'  article)  : 
Grimes  de  droit  commun,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  La 
.Messe  de  saint  François  d'Assise,  de  Paladlihe.  — 
V.  Revue  des  grands  con.eris.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  U.  Giordano. 

Muscadins  et  Mmcadines,  extrait  d'André  Chénier. 

X'  50.  —  13  décembre  1896.  —  Pages  393  à  400. 
I.  Étude  sur  Don  Juan  (1"  article),  Julien  Tiersot.  — 
H.  Semaine  theâirale  :   premières   rep'-éseniations 
de  l'évasion  à  la  Comédif-,  rançaise  et  de  Ferdinand 
le  noceur  an  Palais-Royal,  Paul-Émile  Chevalier.  — 

III.  Journal  d'un  musii-len  (10"  article-),  A.  Montaux. 

—  W .he  chœur  la  Charité,  df  Rosslni,  J.-B.Weceerlin. 

—  V.  Revue  des  gra..ds  conceris.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologip. 

Chant.  —  U.  Giordano. 
Cantabile  de  Madeleine,  extrait  d'André  Chénier. 
X'  51.  —  20  décembre  1896.  —  Pages  401  à  408. 
I.  Élude  sur  Don  Juan  (2"  urticlf),  Julien  Tiersot.  — 
II.  Snmaine  théâtrale  :  audition  dfS  envols  de  Rome 
au    Conservai oire,   Fiaria    de   M.    BHcnelet,    Arthur 
Pougin;  premiè'^e  repiésentalinn  du  Sursis  aux  Nou- 
veautés,  Paul-Émile  Chevalier.   —    111.  Musique  et 
prison  |25°  article)  :  Crimes  de  droit  commun,  Paul 
d'Estrée.   —   IV.   Revue    'les    grands    concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  ei  cmcrif. 

Piano.  —  l^ouis  Diénier. 

Gavotte  pour  les  Heures  et  les  Zéphyrs,  de  Rameau. 

.\"°  53.  —  27  décembre  1896.  —  Pages  409  à  416. 

I.  Etude  sur  Don  Juan  (3°  srticli  ),  Julien  Tiersot.       II. 

Semaine  théâlrale;  Première  repn  si-ntatii'n  d'7d»/lte 

tragique,  au  Gymnase,  et  ou  Truc  de  Séraphin,  aux 

Variétés,  H.  Moreno;  premières  leprési-ntations  du 

Colonel  Roquebrune,    à    la    Porte    S«int-Martin,  des 

Vacances  de  Toto  ft  de  Paris  pour  le  Tsar,  au  theâlre 

Deiazel;  reprise  deX)tOTr(;ons,au  Vaudeville,  Paul-Emile 

Chevalier.  —  m.  Journal  d'un  muslilen  (ll°article), 

A.  Montaux.  —  IV.  Re  ne  des  grands  conceris.  —  V. 

Nouvelles  diverses,  ••once-rls  et  -léi-rologie. 

Chant.  —  II.  de  Eontcnaillcs. 

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Soixante-troisième    année     de    pixlbllcatlon 


PRIMES   1897  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  luiit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  renseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanclie,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHAl^T  ou  pour  le  PIA.\0,  de  moyenne  difficullé,  et  offrant 

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supplément  d'U!«  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'F.trangrer,  I  cnTol  franco 
des  primes  se  ré^le  selon  les  frais  de  Poste.) 

les  abonnés  aiiChant  peuvenl  prendre  la  primePiano  el  îice  versa-  Cent  au  Piano  el  au  Cbanl  réunis  onl  seuls  droil  à  la  grande  Prime.-  Les  abonnés  au  leile  seul  n'ont  droit  h  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNENIENT  AU  »  MÉNESTREL  »  PIANO 

1"  Moded-abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  chamt  :  1  2"  Moded'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  piano 
Scènes,  Mélodies,  Komarices,    paraissant    de   quinzaine  en  quinzaine;  1    Recueil-  fantaisies.     Transcriptions,    Danses,  de    quinzaine    en    quinzaine;     1    Reouell- 

Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Krais  de  poste  en  sus.  |  Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Etranger  :   brais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3-  Mode  d'abonnemeni  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano, les  2  RecueUs-Primes  ou  une  Grande  Prime.  -Un  an:  30  francs,  Paris 

et  Province;  Ètr.mger:  Poste  en  sus. 

i'  Mode.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an:  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  'i  bis,  rue  Vivienne. 


IMPnniERIE  CEMTBALE   DES   CIIEMinS   DE   FER.   —  IMPRIMERIE  CHAIX,    RDE   BERGÈRE,   20,  PARIS.  —   (IncH  lonllcos). 


3380.  —  62™=  mîl  —  ^"1. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  S  Janvier  1896. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
',Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  MÉNESTnEt..  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  M'jsique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Etranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  La  chanson  :  Est-ce  Mars,  ce  grand  Dieu  des  alarmes  {%'  et  dernier  article), 
Julien  Tiersot.— IL  Semaine  tliéâtrale  :  première  représentation  d'Évangélinc  au 
théâtre  de  la  Monnaie,  Lucien  Solvay;  première  représentation  des  Dessous  de 
l'année,  au  Nouveau-ThéiUre,  Paul-Émile  Chevalier.—  III.  La  Pierre,  musicien- 
chorégraphe  (61!  et  dernier  article),  A.  Baluffe.  —  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 
ARABESQUE 
d'ANTO.MN  Marmontel.    —  Suivra  immédiatement  :    Par  le  sentier  fleuri,   de 
Cesare  GALEorxi. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CH.4NT  :  Églantines,  nouveau  lied  de  Robert  Fischhof.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Le  Dernier  Rendez-tious,  sonnet  de  CiMiLLE  DD  LocLE,  musique  de 
Ernest  Reyer. 


PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1896 

(  Voir  à  la  8'  pig'^  de  ce  niiine'ro.J 


Tx 


Dans  l'impossibilité  de  répondre  à  l'obligeant  envoi  de  toutes  les  caries 
de  nouvelle  année  qui  nous  parviennent  au  Ménestrel,  de  France  et  de 
l'Étranger,  nous  venons  prier  nos  lecteurs,  amis  et  correspondants,  de 
vouloir  bien  considérer  cet  avis  comme  la  carte  du  Directeur  et  des  Colla- 
borateurs  semainiers  du  Ménestrel. 


LA   CHANSON: 

«  Est-ce  Mars,  ce  grand  Dieu  des  alarmes. 

(Suite) 


Dans  le  même  temps,  la  mélodie  française,  devenue  chanson 
populaire  flamande,  était  également  connue  en  Allemagne, 
où  un  organiste  célèbre,  un  prédécesseur  de  Bach,  Samuel 
Scheidt,  la  prenait  pour  thème  de  dix  variations,  qui  parurent 
en  J(J24  dans  sa  Tahulaiura  nova.  Afln  de  la  montrer  sous  une 
autre  forme,  et  aussi  pour  ne  pas  me  borner  à  reproduire 
les  seuls  éléments  contenus  dans  l'intéressante  étude  de 
M.  Van  Duyse,  je  la  transcris  ici  telle  qu'elle  est  e.xposée 
dans  l'œuvre  de  l'organiste  allemand. 


Mais  c'est  surtout  comme  cantique  qu'elle  eut  du  succès. 
Nous  avons  vu  que  la  première  notation  imprimée  se  trouvait 
dans  un  chansonnier  pieux;  voici  Ltn  autre  livre,  célèbre 
dans  son  genre,  et  vraiment  digne  de  l'être,  qui  va  la  repro- 
duire sans  tarder.  Il  a  pour  titre,  et  ce  titre  dit  tout  :  La 
Pieuse  Alouette  avec  son  tire  lire.  Les  petits  cors  et  plumes  de  notre 
Alouette  sont  chansons  spirituelles,  qui  toutes  lui  font  prendre  le  vol  et 
aspirer  aux  choses  célestes  et  éternelles  (Valenciennes,  1621).  L'on 
a  très  fort  blâmé  les  vieux  maîtres  de  l'école  polyphonique 
d'avoir  composé  des  messes  sur  des  thèmes  profanes,  et  l'on 
a  eu  bien  tort,  car  ces  maîtres,  qui  étaient  des  esprits 
croyants,  religieux  et  austères,  loin  d'avoir  les  intentions 
irrévérencieuses  qu'on  leur  a  prêtées,  ne  traitaient  ces  thèmes 
que  comme  une  matière  musicale  indifférente,  destinée 
uniquement  à  servir  de  base,  de  soutien  à  l'échafaudage 
harmonique,  mais  en  même  temps  complètement  étouffée, 
absorbée,  et,  en  réalité,  absolument  méconnaissable.  Mais 
que  dire  de  l'usage  postérieur  —  peut-être  non  aboli  partout 
aujourd'hui  même — de  faire  chanter  des  cantiques  sur  des 
airs  profanes  connus  de  tout  le  monde  et  n'ayant  rien  perdu 
de  leur  caractère  mondain?  Les  paroles  appropriées  sont,  en 
général,  parfaitement  dignes  de  l'air  qu'elles  accompagnent. 
C'est  sous  l'influence  de  l'esprit  des  Jésuites  que  cette  forme 
regrettable  de  l'art  religieux  a  été  inaugurée,  et  Pascal  a  flétri 
avec  force  ces  pratiques  si  contraires  à  la  véritable  dévo- 
tion (1).  Il  aurait  eu  beau  jeu  s'il  avait  connu  l'adaptation  de 
la  chanson  «Est-ce  Mars»  au  martyre  de  saint  Sébastien,  telle 
qu'elle  est  chantée  dans  la  Pieuse  a/o«eMe.  Comparez  au  couplet 
original,  et  il  sera  facile  de  reconnaître  que,  loin  de  tendre 
à  faire  oublier  le  souvenir  de  la  chanson  profane,  le  poète, 
tout  au  contraire,  s'efforce  d'en  imiter  la  forme  et  le  mouve- 
ment. C'est  sainte  Irène  qui,  apercevant  Sébastien  «  couvert 
et  hérissonné  de  sagettes  »,  s'écriait: 

Est-ce  là  ce  grand  foudre  de  guerre, 

Sébastien? 
Si  de  piès  bien  je  le  considère, 

Je  le  tien. 
Toutefois,  dardé  de  la  façon 
Plutôt  il  semble  un  hérisson  ! 

(Il  Pascal  n'a  eu  qu'à  citer  un  couplet  d'une  des  poésies  de  ce  genre  pour  en 
faire  ressortir  le  ridicule  et  l'inconvenance.  Voici  les  premiers  vers  de  son  ex- 
trait d'une  ode  du  P.  Le  Moine  (onzième  Provinciale).  Il  s'agit  d'une  description 
des  anges  : 

Les  chérubins,  ces  glorieux,  I       Et  qu'il  éclaire  de  ses  yeus; 

Composés  de  tète  et  de  plume,  1      Ces  illustres  laces  volantes 

Que  Dieu  de  son  esprit  allume  |.     Sontloujour3rouse3etbrûlantes,etc. 


LE  MENESTREL 


La  mélodie  était  mieux  à  sa  place  au  carillon  du  beffroi  de 
Gand,  où,  arrangée  de  deux  manières  différentes,  elle  servait 
successivement  à  sonner  les  demi-heures  et  les  quarts  d'heure. 
Le  carillonneur  lui-même  en  a  témoigné  sa  satisfaction  en 
inscrivant,  sous  le  tableau  qui  donne  la  notation  de  l'arran- 
gement spécial  (reproduite  par  M.  Van  Duyse),  ces  simples 
mots  :  Seer  goet  !  «  Très  bien  !   » 

Il  en  est  encore  question  une  fois  ou  deux,  au  commence- 
ment du  dix-huitième  siècle  ;  puis  la  mélodie  fut  oubliée  peu 
à  peu,  et  il  n'en  aurait  plus  jamais  été  question  si  M.  Gevaert 
ne  l'eût  déterrée  dans  quelque  vieux  bouquin  et  ne  lui  eût 
donné  un  nouvel  éclat. 

Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  l'histoire  de  cette  mé- 
lodie française,  si  bien  acclimatée  sur  la  terre  flamande 
qu'elle  a  fini  par  y  devenir  presque  un  chant  national.  Avec 
tout  cela,  nous  n'en  avons  pas  encore  pénétré  l'origine,  les 
premiers  documents  qui  nous  l'ont  transmise  nous  la  mon- 
trant sous  une  forme  secondaire. 

Je  crois  pouvoir  soulever  en  partie  le  voile  qui  cachait 
ce  secrec.  On  a  vu  que  la  première  notation  musicale 
portait  en  titre:  «  Sur  l'air  du  ballet  français  ».  C'était 
là  une  indication  précise  et  qu'il  ne  fallait  pas  négliger  si 
l'on  voulait  remonter  à  la  source.  A  la  vérité,  la  musique 
des  airs  de  danse  antérieurs  à  Louis  XIV  n'abonde  pas  dans 
les  anciennes  collections.  Il  n'y  avait  guère  que  deux  sortes 
d'ouvrages  où  l'on  pouvait  espérer  trouver  quelque  trace  du  vieil 
air  de  ballet  :  l'un  est  VOrchésographie,  dans  laquelle  se  trouve 
un  autre  air  à  danser  devenu,  lui  aussi,  populaire  et  presque 
national:  le  branle  coupé  nommé  C'assanrfre,  qui  n'est  autre  que 
le  chant  de  Vive  Henri IV!  L'autre  source  est  la  collection  Phili- 
dor,  que  possède  la  Bibliothèque  du  Conservatoire,  et  dont 
les  premiers  volumes  renferment  des  danses  de  cour  depuis 
François  P'  jusqu'à  la  jeunesse  de  Louis  XIV. 

Or,  le  deuxième  volume  de  cette  collection  nous  a  transmis 
la  musique  d'un  Ballet  des  nègres  dansé  en  1601,  dans  lequel  j'ai 
remarqué  le  thème  ci-dessous  : 


A  quelques  notes  près,  la  première  reprise  est  semblable  à 
la  portion  correspondante  de  la  première  mélodie  notée.  Le 
passage  en  croches  de  l'avant-dernière  mesure,  dans  celle- 
ci,  n'était  en  effet  qu'une  variation  des  deux  blanches  montant 
diatoniquement,  lesquelles  se  retrouvent  dans  toutes  les  ver- 
sions et  sont  originales;  les  deux  croches  initiales,  qui  ont 
disparu  dans  la  plupart  des  versions  postérieures,  sont  com- 
munes à  la  mélodie  de  danse  et  à  cette  première  notation 
vocale,  par  conséquent  originales  aussi;  il  ne  reste  que  la 
deuxième  mesure,  dans  laquelle  un  dessin  nouveau,  d'un 
rythme  d'ailleurs  identique,  a  été  introduit.  Quant  à  la  deu- 
xième reprise,  elle  est  tout  autre,  jusqu'à  la  cadence  finale 
qui  se  termine  encore  sur  les  mêmes  notes. 

Malgré  ces  différences,  il  y  a  tout  lieu  de  supposer  que 
nous  sommes  là  en  présence  de  la  mélodie  originale:  la  date, 
conforme  aux  inductions  de  M.  Van  Duyse,  la  nature  de 
l'œuvre,  mentionnée  par  la  première  notation,  tout  concorde 
à  faire  adopter  cette  conclusion.  Quant  aux  paroles:  «  Est-ce 
Mars,  etc.  »,  nous  ne  pouvons  être  étonnés  de  ne  pas  les 
trouver  là  :  il  est  évident  qu'elles  sont  postérieures,  et  furent 
composées  sur  l'air  instrumental,  qui  sans  doute,  grâce  à  son 
allure  crâne  et  franche,  avait  obtenu  du  succès  tout  d'abord. 
Il  est  même  probable  que  c'est  l'adaptation  des  paroles  qui 
fit  modifier  l'air,  le  rythme  des  vers  étant  accordé  maladroi- 
tement avec  la  forme  première  de  la  mélodie. 

Si  pou  que  soit  cette  petite  trouvaille,  je  n'ai  pas  voulu 
négliger  d'en  faire  part  à  ceux  qui  s'étaient  préoccupés  les 
premiers  du  sujet,  heureux  si  j'ai  réussi  à  apporter  une 
contribution  efficace  à  leurs  intéressantes  recherches. 

JCLIEN    TiERSOT. 


SEMAINE    THEATRALE 


THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE 


ÉVANGÉLINE 

Lëgemle  acadienne  en   'i    actes,  paroles  de   MM.  Louis  de  Gramont, 
G.  Hartmann  et  A.  Alexandre  ;  musique  de  M.  Xavier  Leroux. 

Bruxelles,  2  janvier  1896. 
Dans  une  réunion  cordiale  qui  a  eu  lieu  samedi,  après  la  repré- 
sentation d'ICvani/éline,  M.  Stoumon,  portant  un  loast  aux  auteurs, 
a  spirituellement  baptisé  la  Monnaie  :  «  le  théâtre  des  impatients  ». 
Que  de  patiences,  en  ellet,  — de  patiences  françaises  —  ont  lassées 
les  deux  uniques  scènes  lyriques  de  Paris  !  Que  de  partitions  moi- 
sissent dans  les  cartons  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Gomique,  après 
avoir  moisi  dans  ceux  de  leurs  auteurs!  La  Monnaie  s'est  trouvée 
heureusement  là,  juste  à  point,  pour  ouvrir  les  bras  à  quelques-uns, 
parmi  les  plus  pressés,  de  ces  dédaignés  et  de  ces  oubliés,  las  d'at- 
tendre, et  empêcher  la  moisissure  de  s'étendre  à  des  ouvrages  qui 
certainement  ne  la  méritaient  pas.  Bruxelles  est  à  deux  pas  de  Paris, 
et  l'on  y  est  mieux  qu'en  province,  —  même  qu'en  province  fran- 
çaise ;  c'est  un  petit  Paris,  comme  la  Monnaie  s'est  trouvée  être 
souvent  le  véritable  Théâtre-Lyrique  si  longtemps  souhaité.  Grâce  à 
elle  —  et  elle  peut  s'en  faire  gloire  !  —  nous  avons  pu  applaudir  des 
œuvres  maîtresses  comme  Hérodiade.  Sigwd,  Salammbô,  grâce  à  elle 
aussi  (car  elle  n'a  pas  servi  de  refuge  seulement  aux  vieux  impa- 
tients, mais  aux  jeunes),  nous  avons  pu  aider  à  Téclosion,  dans  la 
carrière  lyrique,  de  compositeurs  tels  que  Ghabrier  avec  Gweitdoline, 
et  MM.  Hillemaclier  avec  Saint-Mégrin .  Après  une  certaine  accalmie, 
la  voici,  celte  année,  qui  voit  les  impatients  revenir  à  elle  ;  ou  plutôt  ^ 
(car  il  n'en  a  jamais  manqué  qui  sont  venus  frapper  à  sa  porte  !)■ 
la  voici  qui  leur  redevient  accueillante.  Et  c'est  à  de  vrais  débutants 
qu'elle  accorde  l'hospitalité.  M.  Xavier  Leroux  est  de  ceux-là,  et  son 
Èvangéline  est  sa  première  oeuvre  jouée  sur  la  scène.  Elève,  un  des 
meilleurs,  de  M.  Massenet,  auteur  de  mélodies  charmantes,  applaudi 
dans  les  concerts  pour  quelques  fragments  symphoniques  de  par- 
titions sur  le  métier,  il  n'était  guère  connu  cependant  du  grand  public. 
L'accueil  que  lui  a  fait  la  direction  de  la  Monnaie  n'en  est  que  plus 
louable  et  courageux,  et  le  succès  à.'Evangéline  —  car  la  réussite  a 
été  complète  et  fort  brillante  —  n'en  est  que  plus  flatteur. 

Le  libretto  d'Éoangéline  a  été  tiré  du  poème  célèbre  de  l'Américain- 
Longfellow.  C'est  l'éternelle  histoire,  toujours  aimable  et  toujours 
touchante,  de  l'amour  rendu  malheureux  par  la  séparation.  Deux 
jeunes  gens  s'adorent,  Èvangéline  et  Gabriel,  deux  cœurs  purs  et 
innocents;  les  circonstances  les  éloignent  l'un  de  l'autre;  ils  souf- 
frent, et  la  mort  seule  les  réunit.  Le  poème  de  Longfellow  est  le 
digne  pendant  de  Paul  et  Virginie;  il  analyse  les  mêmes  sentiments, 
dans  une  atmosphère  psychologique  et  pittoresque  à  peu  près  sem- 
blable. La  portée  seule  diffère.  Le  drame  qui  encadre  et  assombrit 
l'idylle  caractéiise  la  douleur  d'un  peuple  opprimé,  d'une  patrie 
avilie  par  des  tyrans,  de  toute  une  race  chassée  de  ses  foyers  pour 
n'avoir  pas  voulu  subir  le  despotisme  du  conquérant.  Il  faudrait  peu 
de  chose,  un  simple  changement  de  noms,  pour  modifier  la  légende 
et  en  faire  de  l'histoire  contemporaine — 

Tout  là-bas,  à  l'extrémité  du  Canada,  dans  une  contrée  qui  s'ap- 
pelle aujourd'hui  la  Nouvelle-Ecosse  et  s'appelait  jadis  l'Acadie,  les 
Français  du  dix-septième  siècle  avaient  foudé  une  colonie,  —  une 
seconde  patrie.  Mais,  un  jour,  l'Acadie  devint  possession  anglaise,  et 
les  soldats  de  Georges  II  se  mirent  en  devoir  de  s'y  implanter  par 
l'incendie,  le  massacre,  la  confiscation  des  biens  et  l'exil.  Ce  fut 
une  date  douloureuse,  rendue  plus  cruelle  par  l'anfagonisme  des 
deux  religions,  catholique  et  protestante,  greffé  sur  l'antagonisme 
des  races. 

Tel  est  le  décor  réel  sur  lequel  se  détachent  les  amours  légen- 
daires d'Évangéline  et  de  Gabriel,  très  adroitement  découpées  on 
quatre  actes  par  les  librettistes  et  que  M.  Xavier  Leroux  a  musicalement 
illustrées,  décrivaot  et  exprimant  les  nuances,  l'atmosphère  ambiante, 
les  «  états  d'âme  »  exprimés  en  langage  littéraire  par  Longfellovsr, 
nécessairement  disparus  dans  la  sécheresse  d'un  libretto  et  que  le 
compositeur  avait  pour  tâche  de  «  transposer  »  dans  son  langage  à 
lui. 

Un  court  prologue  évoque  «  la  forêt  primitive,  »  dont  la  voix 
mystérieuse  planera  tout  le  temps  sur  le  drame,  et  annonce,  comme 
le  prologue  de  Roméo  et  Juliette,  les  événements  qui  vont  se  dérou- 
ler. Puis,  le  premier    acte    nous  transporte  aussitôt  en  pleine  paix 


LE  MÉNESTREL 


familiale,  dans  le  cadre  rustique  des  vertus  champêtres,  où  naît  et 
se  développe,  parmi  les  chansons  rappelant  la  terre  française,  la 
naïve  affection  des  deux  héros.  La  couleur  de  cet  acte  est  discrète, 
et  aboutit  à  une  scène  d'amour  entre  Évangéline  et  Gabriel  ;  sous 
les  clartés  des  étoiles,  les  jeunes  gens  se  disent  leurs  premières 
émotions  ;  et  rien  n'est  plus  délicieux  que  la  façjn  dont  le  composi- 
teur les  a  traduites,  avec  un  charme  et  une  poésie  qui  font  de  cette 
jolie  page  la  plus  réussie,  la  plus  complèle  peut-être  de  la  par- 
tition. 

A  ces  scènes  charmantes  succède  un  deuxième  acie,  tout  de  mou- 
vement. On  célèbre  les  noces  des  fiancés;  un  alléluia  d'allégresse, 
d'un  rythme  plein  de  fraîcheur,  chante  la  joie  générale,  lorsque  tout 
à  coup  les  vainqueurs  apparaissent,  changeant  le  bonheur  en  déso- 
lation ;  en  vain  les  Français  essaient  de  lutter;  l'Anglais  est  le  plus 
fort,  et  déclare  proscrits  et  séparés  à  jamais,  les  hommes  d'une 
part,  les  femmes  de  l'autre.  C'est  l'épisode  fameux  de  l'église  de 
Grand-Pré,  longuement  décrit  par  Longfello-n'  dans  son  poème. 

Au  troisième  acte,  nous  sommes  dans  la  Louisiane,  sur  les  bords 
arides  de  la  Tèche.  La  nature  semble  participer  à  la  tristesse  des 
proscrits,  qui  errent,  cherchant  un  abri.  C'est  là  qu'Évangeline  arrive, 
soutenue  par  sa  fidèle  servante  Dahra,  aux  accents  de  laquelle  se 
mêlent  ceux  d'un  pâtre  hospitalier.  Toute  cette  scène  est  d'une 
poésie  pénétrante.  Mais,  soudain,  la  voix  de  Gabriel  a  retenti  au 
loin...  C'est  lui,  en  effet,  qu'emporte,  avec  d'autres  proscrits,  une 
barque  rapide.  Il  appelle,  il  pleure  son  Evangéline;  trop  tard,  hélas! 
celle-ci  le  voit  disparaître  à  l'horizon,  sans  que  sa  voix  suppliante 
ait  pu  rejoindre  la  sienne...  El  la  pauvrette  tombe  inanimée,  après 
une  scène  pathétique,  d'une  superbe  vigueur,  montrant  le  jeune 
compositeur  aussi  apte  à  exprimer  les  sentiments  dramatiques  les 
plus  intenses  que  les  accents  de  la  rêverie  la  plus  caressante. 

Le  quatrième  acte  nous  conduit  d'ans  une  maison  de  refuge  de  la 
Pensylvanie;  Évangéline  s'est  consacrée  à  Dieu;  des  chants  reli- 
gieux s'élèvent  vers  le  ciel...  Mais  voici  qu'un  voyageur,  exténué, 
à  demi  mort,  vient  implorer  la  protection  des  saintes  femmes  :  c'est 
Gabriel...  Au  seuil  de  l'éternité,  les  amoureux  sont  réunis;  leur 
amour,  qu'ils  expriment  dans  une  longue  scène  très  passionnée, 
très  développée,  où  les  différents  thèmes  de  l'ouvrage  interviennent, 
fleurira  dans  la  mort,  à  jamais...  Et  peu  à  peu  le  décor  change,  ei  l'on 
revoit  le  tableau  du  prologue,  la  forêt  primitive,  exhalant  «ses  longs 
-regrets  »  parmi  les  murmures  et  les  soupirs  des  amants. 

Le  principal  mérite  de  cette  partition,  c'est  la  sincérité,  la  sponta- 
néité de  l'inspiration,  la  séduction  enveloppante  de  la  forme.  Assu- 
rément, elle  n'est  pas  d'un  bout  à  l'autre  personnelle.  M.  Leroux  a 
gardé  encore  çà  et  là,  non  pas  tant  dans  les  idées,  mais  surtout  dans 
la  couleur  de  l'instrumentation,  dans  certains  dessins  de  phrases 
et  certains  procédés,  la  marque  de  son  origine  éducatrice.  On  est 
toujours  fils  de  quelqu'un  ;  il  n'y  a  pas  à  rougir  d'avoir  pour  père 
un  maître  comme  Massenet  et  d'en  avoir  conservé  quelques  traits  de 
famille.  Et  ce  ne  sont  que  des  traits  de  famille;  la  ressemblance  ne 
va  pas  jusqu'à  une  imitation  qui,  chez  d'autres,  trahirait  la  faiblesse 
d'invention.  Quels  sont  les  jeunes  qui  ne  procèdent  de  personne? 
Mieux  vaut  cent  fois,  étant  Français,  procéder  de  maîtres  incarnant 
les  qualités  de  la  race  française,  la  clarté,  la  grâce  et  la  distinction, 
que  de  maîtres  qui  les  méconnaissent,  ou  en  sont  l'antipode. 

M.  Xavier  Leroux  est  Français  jusqu'au  bout  des  ongles,  il  a 
raison  ;  et  cela  ne  l'empêche  point  d'être,  raisonnablement,  «  dans  le 
mouvement  o,  de  chercher,  avec  les  plus  avancés,  l'expression  juste, 
la  vraisemblance  théâtrale,  en  dehors  des  moules  anciens  et  surannés, 
de  donner  à  l'orchestre  une  importance  qu'il  n'avait  pas  jadis,  et  d'y 
trouver  des  moyens  d'action  et  de  coloration  nombreux  et  nouveaux. 
Et  justement,  à  cet  égard,  cette  partition  d'ÉtangéUne  est  heureuse, 
parce  qu'elle  vient  nous  prouver  qu'il  n'est  point  du  tout  impossible 
de  faire  de  «  l'art  neuf  »  sans  cesser  d'être  clair,  sans  tomber  dans 
l'obscur  et  le  quintessencié,  sous  le  vain  prétexte  de  profondeur, 
qui  déguise  trop  souvent  un  vide  complet  d'idées  et  d'imagination. 

Des  idées,  de  l'imagination,  M.  Leroux  en  paraît  avoir,  avec  abon- 
dance. Ses  idées  sont  d'une  distinction  raffinée,  d'une  santé  élégante 
et  robuste  tout  ensemble,  d'une  éloquence  communicative  souvent 
pleine  d'émotion,  le  tout  habillé  de  vêtements  harmoniques  exquis, 
d'une  richesse  peu  commune.  Et  c'est  un  homme  de  théâtre,  dans  la 
bonne  acception  du  mot.  Avec  un  sujet  presque  na'if,  il  est  parvenu  à 
faire  une  œuvre  vivante  et  colorée,  dépeignant  par  une  simplicité  de 
lignes  voulue  des  caractères  simples  dans  la  gamme  même  de  sen- 
timents doux  et  tendres  où  ce  sujet  le  forçait  à  se  maintenir.  Sa  mu- 
sique rend  bien  l'atmosphère  pittoresque  et  psychologique  qu'il 
fallait  obtenir,  qui  concourt  au  but  poursuivi  et  à  l'effet  h  atteindre, 
et  qui  pouvait  facilement  risquer  d'être  méconnue,  dans  la  succession 


d'épisodes  langoureux  ou  plaintifs  dont  la  monotonie  ne   constituait 
pas   le  moindre  danger. 

Si  celte  œuvre  de  début,  écrite  à  27  ans,  ne  marque  pas  déjà  (il 
serait  cruel  de  l'exiger  !)  comme  une  œuvre  entièrement  originale 
dans  le  fond  comme  dans  la  forme,  l'originalilé  s'y  indique  cependant 
d'une  manière  très  nette,  très  caractéristique,  par  la  chaleur,  la 
franchise  et  la  jeunesse,  en  même  temps  que  par  une  étonnante 
sûreté  de  main.  Ils  ne  sont  pas  communs,  par  le  temps  qui  court, 
les  jeunes  compositeurs  qui  ont  quelque  chose  à  dire,  qui  osent 
le  dire,  comme  ils  le  pensent  et  comme  ils  le  sentent,  —  et  qui 
le  dire  aussi  bien. 

Voilà  pourquoi  Évangéline  me  semble  particulièrement  digne  d'être 
louée,  et  voilà  ce  qui  a  décidé  surtout  de  son  succès  auprès  du 
public  bruxellois,  pourtant  bien  méfiant  et  bien  difficile  pour  tout 
ce  qui  n'est  pas  «  du  dernier  bateau  »,  du  bateau  qui  nous  vient  de 
la  Sprée... 

C'est  une  victoire  pour  la  musique  française,  sans  aucun  doute. 
Et  je  crois  qu'on  peut  compter  sur  M.  Leroux  pour  la  rendre  féconde, 
dans  la  suite,  avec  les  autres  œuvres,  plus  fortes,  plus  personnelles, 
qu'on  attend  de  lui.  Les  acclamations  dont  sa  partition  a  été  l'objet 
pendant  tout  le  cours  de  la  représentation  et  les  ovations  auxquelles 
il  a  dû  lui-même  se  prêter  à  la  fin  de  la  soirée,  de  la  part  de  la 
salle  très  enthousiaste,  lui  seront  le  plus  utile  des  encouragements 
à  tenir  toutes  ses  promesses. 

Ajoutons  que  l'interprétation  d' Évangéline  a  été  excellente.  L'intel- 
ligence de  M.  Bonnard,  la  jolie  voix  et  la  grâce  émue  de  M"»  Merey, 
un  peu  faible  dans  les  passages  dramatiques,  mais  remarquable  dans 
les  pages  de  finesse  et  de  poésie,  l'admirable  autorité  de  M"»  Ar- 
mand et  le  talent  de  M.  Gilibert  et  de  M'"'  Mileamps  dans  des  rôles 
secondaires,  ont  servi  l'œuvre  à  souhait.  La  direction  de  la  Monnaie 
n'a  épargné  ni  études,  ni  soins  ;  elle  avait  fait  brosser  des  décors 
presque  neufs  ;  et  l'on  a  pu  remarquer,  dans  la  mise  en  scène, 
d'heureusbs  innovations,  que  jusqu'à  présent  la  sainte  Routine  n'avait 
pu  faire  admettre.  L'influence  bienfaisante  des  auteurs  y  serait-elle 
pour  quelque  chose  ?  Ce  serait  alors  un  bon  exemple  à  suivre.  N'ou- 
blions pas  l'orchestre,  qui  a  rempli  sa  tâche,  très  difficile  et  très 
délicate,  comme  il  sait  le  faire  le  jour  des  grandes  batailles. 

Lucien  Solvay. 

Nouveau-Théâtre.  Les  Dessous  de  l'année,  revue  en  3  actes  et  8  tableaux, 
de  MM.  Clairville,  Vély  etValin. 
Lâcher  ses  administrés  accablés  par  plus  de  40°  de  chaleur  et 
complètement  ruinés  par  le  fameux  Charlatan  prometteur  de  fas- 
tueux dividendes  aux  actionnaires  des  mines  d'or,  et  courir  Paris 
en  pénétrant  partout,  grâce  à  la  baguette  magique  de  dame  Vérité, 
telle  est  la  conduite  de  M.  Lustueru,  maire  d'un  Fouilly-les-Oies 
quelconque.  Ce  que  peut  voir  notre  homme  à  l'écharpe,  vous  vous  en 
doutez  bien  un  peu  ;  c'est  le  défilé  habituel  des  revues  annuelles, 
mais  cette  fois,  présenté  avec  beaucoup  de  bonne  humeur  et  de 
»aîté'.  L'omnibus  nocturne,  la  demi-mondaine  actrice  par  occasion, 
fa  politesse  dans  l'armée,  le  Gaulois  grand  format,  les  chanteurs, 
danseurs  et  peintres  des  cours  au  profit  des  pauvres,  les  aboyeurs- 
gentlemen  pris  pour  des  princes  en  déplacement,  sont  autant  de 
scènes  à  succès  très  lestement  enlevées  parM"«  Laporle,  la  triompha- 
trice de  la  soirée,  Aimée  Eymard.  une  commère  de  belle  allure, 
Sidlev  Andrhée  Viviane.  Debary,  MM.  Regnard,  très  boule  en-train 
en  m"aire  Lustueru,  Hurleaus,  Modot,  Maurice  Lamy,  Herissier, 
Dorlé,  Waller.  Jolie  mise  en  scène  qui  contribuera,  pour  sa  part,  à 

la  réussite  des  Dessous  de  l'année.  r.       -r.         n 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  PIERRE,  MUSICIEN-CHORÉGRAPHE 

Ei«ir     x.Aisrc3^xjE:E>c»G    -     is-^o-issx 

(Suite  et  fin) 


VII 
A  certaine  période,  vers  l'exact  milieu  duXVIP  siècle,  il  règne  dans 
tout  le  Midi,  et  surtout  en  Languedoc,  une  irrésistible  et  umverselle 
voo-ue  en  matière  de  ballets,  bals  et  danses  en  tous  genres.  On  y 
déployait  un  luxe  de  costumes  et  de  mises  en  scène  inoui.  Les  grandes 
damesen prenaient  prétexte  pour  l'exhibition  de  leursplus  somptueuses 
toilettes  et  de  leurs  bijoux  les  plus  étincelants.  Tel  intendant  richis- 
sime donnait  des  soirées  plus  que  princières,  royales.  Et  du  pet.t  au 
o-rand  la  mode   était  souveraine.  Sur  les  théâtres  aussi  les  danses 


LE  MENESTREL 


devinrent  une  nécessité;  et  à  côté  de  |la  tragédie  ou  de  la  comédie, 
il  fallut  méQager  pour  la  satisfaction  du  public,  même  du  parterre, 
des  intermèdes  chorégraphiques  combinés  avec  un  art  ré'el.  Les  ama- 
teurs n'étaient  pas  toujours  faciles  à  contenter.  Toutes  les  pièces  du 
Théâtre  de  Béziers  se  terminaient  invariablement  par  des  danses  où 
les  personnages  de  l'action  se  constituaient  allègrement  en  corps  de 
ballet  en  apparence  improvisé,  mais  pour  lequel  ils  n'étaient  pas, 
certes,  pris  à  l'improviste.  On  sait  que  dès  ses  tournées  en  Languedoc. 
M"*  Du  Parc  se  fit  applaudir  dans  les  représentations  de  Molière  par 
des  morceaux  choisis  de  chant  et  de  danse.  Elle  dut  même,  à  l'in- 
vention d'un  maillot  excitant  les  désirs,  des  succès  de  plastique 
extraordinaires.  Et  il  fallait  bien  inaugurer  de  piquantes  nouveautés 
pour  rompre  avec  la  routine  et  captiver  les  spectateurs  ! 

M"'  Du  Parc  chantait  à  l'occasion,  mais  exceptionnellement.  Ce 
n'était  pas  sou  affaire,  et  une  règle  alors  rehue  interdisait,  en  effet, 
le  chant  aux  acteurs  comiques. 

Le  bon  comédien  ne  doit  jamais  clianter 
dit  La  Fontaine  dans  sa  célèbre  Epitre  sur  l'Opéra  à  M.  de  Aierl  (1), 
où  il  formule  quelques  préceptes  de  l'art  contemporain  sur  l'emploi 
des  instruments  dans  les  ballets.  On  raffinait  déjà  en  ces  questions 
d'esthétique  élémentaire.  Il  fallait  se  garder  des  hérésies.  A  Toulouse, 
par  exemple,  où  l'on  raffolait  de  danse,  on  n'eût  pas  admis  de  trop 
criantes  fautes  par  omission  ou  ignorance  contre  les  théories  imposées. 
Pas  de  ville  au  monde  peut-être,  soit  dit  en  passant,  où  la  chorégra- 
phie eût  alors  de  plus  fervents  amateurs  et  disciples.  Voilà  juste- 
ment pourquoi  il  importait  d'avoir  des  artistes  irréprochables, 
d'experts  chefs  de  ballets.  Molière  savait  ses  devoirs  et  il  n'était  pas 
homme  à  compromettre  la  position  acquise  de  sa  troupe  — la  pre- 
mière de  la  province  —  faute  d'un  maître  de  danse  à  la  hauteur  des 
exigences  publiques.  La  Pierre  était  là. 

L'alternance  des  parties  de  chant,  de  musique  et  de  déclamation 
(les  récits  incombaient  à  des  acteurs  de  la  troupe  tragi-comique)  ré- 
clamait un  homme  du  métier  dès  que  la  composition  des  ballets  fut 
plus  compliquée.  Quand  La  Fontaine,  à  l'enfance  de  l'art,  dit  que 

Le  ballet  fat  toujours  une  action  muette; 
quand  il  proscrit  (selon  les  doctrines  du  P.  Ménestrier)    le  théorbe  et 
la  viole,  n'admettant  que  la  trompette  et  le  tambour. 
Car  la  viole,  propre  aux  plus  tendres  amours, 
N'a  jamais  jusqu'ici  pu  se  joindre  aux  tambours  ; 

en  s'exprimant  ainsi,  La  Fontaine  a  peut-être  fait  la  part  trop  petite 
à  l'initiative  combinée  d'un  Dassoucy,  joueur  de  luth,  et  d'un 
La  Pierre,  aussi  habile  maître  de  musique  et  de  chant  que  de  danse. 
Le  P.  Ménestrier  a  beau  décréter  que  le  théorbe  et  le  luth  «  sont  trop 
graves  »,  il  n'y  a  pas  d'instrument  grave  avec  Dassoucy;  et  les  foli- 
chonneries  grivoises  qu'il  exécutait  sur  son  luth,  comme  il  lui  arri- 
va à  la  cour  de  Savoie  (ce  qui  causa  sa  disgrâce  finale),  n'étaient  pas 
incompatibles  avec  «  la  vigueur  de  la  danse  ».  S'il  donnait  «  l'âme 
aux  vers  de  Corneille  »,  comme  il  s'en  vantait  à  propos  d'Andromède, 
il  savait  aussi,  suivant  un  mot  de  Mascarille,  donner  «  l'âme  aux 
pieds  »  des  danseurs.  Il  tirait  de  son  luth  des  effets  réjouissants.  Entre 
ses  mains,  ce  n'était  pas  «  un  instrument  de  repos  destiné  aux  plai- 
sirs sérieux  et  tranquilles  et  dont  la  languissante  harmonie  est  en- 
nemie de  toute  action  et  ne  demande  que  des  auditeurs  sédentaires  ». 
Pas  plus  que  Dassoucy  lui-même,  avec  lui,  on  ne  tenait  guère  en 
place.  Tout  est  permis  aux  maîtres;  les  lois,  si  elles  sont  faites  pour 
eux,  c'est  avec  la  faculté  de  les  transgresser. 

A  Toulouse,  où  Dassoucy  séjournait  souvent,  il  était  accepté;  on  ne 
trouvait  rien  d'incorrect,  rien  à  reprendre  à  ses  fantaisies.  En  fait  de 
musique  et  de  danse,  ce  que  Guez  de  Balzac  appelle  «  l'humeur  du 
Languedoc  »,  en  ajoutant  «  qu'il  faut  s'y  faire  »,  c'est,  comme  tou- 
jours et  en  tout,  une  certaine  indépendance  de  goûts  et  d'impressions 
qui  ont  force  d'opinion  légale.  On  ne  dansait  pas  gravement,  on  ne 
chantait  pas  trislemeat  dans  le  Midi.  On  voulait  «  s'amuser  et  rire  ». 
Et  tout  le  monde,  au  besoin,  s'en  mêlait.  Les  ballets  étaient  laits 
pour  tout  le  mo.lde;  et  les  ballets  de  cour  eux-mêmes,  plus  fermés, 
plus  exclusifs,  englobaient  dans  leur  organisation  toute  une  foule  de 
figurants  et  figurantes,  jaloux  d'y  avoir  leur  part  de  plaisir.  ' 

11  fallait  bien  compter  sur  la  vanité  aussi.  En  province,  les  jolies 
femmes  n'ont  jamais  eu  trop  d'occasions  de  faire  montre  de  leur 
beauté.  Un  ballet  était  un  grand  événement  pour  elles.  Leur  coquet- 
terie mettait  toutes  voiles  dehors,  et  parfois  tous  les  voiles  aussi  de 
côté  pour  ne  point  perdre  un  coup  d'œil  de  ceux  dont  elles  avaient  à 

(1)  Nyert  était  un  des  amis  et  maîtres  de  Dassoucy,  et  ce  «  gentilhomme  de 
maison  noble  »  avait  été  parfois  salué  —  à  «  Grenoble»  —  par  la  troupe  de 
La  Pierre  allant  en  Italie  par  le  col  de  Tende. 


cœur  de  se  faire  admirer.  Les  ballets  étaient  dos  numières  do  rendez- 
vous.  Sous  le  couvert  d'allégories  poétiques,  le  librettiste  interprétait 
eomplaisemment  de  véritables  déclarations  d'amour,  transparentes  et 
non  douteuses  pour  les  dostinalaires  averties.  Coniracnl  n'auraient-elles 
pas  fait  des  miracles  pour  être  là  avec  tous  leurs  avantages!  Avec  la 
licence  habituelle  des  mœurs,  surtout  en  carnaval,  les  bals  tournaient 
aux  «  saturnales  »,  (1)  elles  ballets  se  prêtaient  à  tous  les  jeux  et 
à  toutes  les  joies  de  l'amour  et  du  hasard.  Les  grandes  dames  «  folles 
de  leurs  corps  »  y  faisaient  feu  de  leurs  prunelles  et  de  leurs  dia- 
mants, au  risque  d'aventurer  ceux-ci  dans  le  scabreux  tumulte  d'une 
fin  de  soirée  pareille  au  dénouement  de  certain  bal  donné  chez  un 
gentilhomme  des  environs  de  Béziers,  qui  se  termina,  raconte  M'"'  de 
Scudéry,  par  l'extinction  des  lumières  et  par  la  mise  au  pillage  de 
leurs  parures.  Agréablement  trompées,  tout  d'abord,  sur  les  intentions 
des  auteurs  de  ces  subites  téuèbres,  elles  furent  volées  comme  dans 
un  bois  et  détroussées.  D'audacieux  valets,  scapins  férus  du  seul 
amour  de  la  bijouterie,  les  avaient,  dans  l'ombre,  outrageusement 
dégrafées  de  leurs  diamants. 

Parfois  donc,  par  galanterie  comme  par  intérêt  bien  entendu,  La 
Pierre  fut  obligé  de  faire  la  partie  belle  aux  dames.  Dans  le  Baltet  des 
Incompatibles,  si  elles  ne  sont  pas  en  grand  nombre,  elles  parlent  du 
moins  pour  toutes,  et  le  dernier  mot  leur  reste  pour  bien  finir.  On  ne 
parle  guère  que  de  séduction  amoureuse,  dans  ce  ballet.  Il  en  appert 
qu'ici  l'amour  de  cour  a  singulièrement  succédé  aux  cours  d'amour 
de  jadis.  Je  n'ose  pas  dire  que  bien  des  jolies  femmes  de  Montpellier, 
de  celles  qui  faillirent  faire  brûler  vif  Dassoucy,  étaient  capables  de 
regretter  qu'on  ne  s'habillât  pas  pour  une  entrée  de  ballet  comme  à 
l'entrée  de  Gharles-Quint  à  Anvers.  Mais  le  fait  est  que  plus  d'une 
eût  volontiers  joué  jusqu'au  bout  le  rôle  de  cette  aimable  et  belle 
demoiselle  de  Béziers  qui,  le  soir  de  l'arrivée  du  jeune  Charles  IX 
dans  cette  ville,  représentait  en  costume  plus  que  succinct  Diane  chas- 
seresse sortant  d'un  bois,  et  qui,  moins  vierge  peut-être  que  la  déesse, 
ne  fut  en  tout  cas  farouche  que  jusqu'à  la  nuit! 

Le  Ba/let  des  Incompatibles,  qui  peut  donner  une  idée  de  ce  qu'étaient 
les  fêtes  chorégraphiques  organisées  pendant  la  tenue  des  États,  dont 
tant  de  membres  étaient  aptes  à  composer  eux-mêmes  des  livrets 
selon  les  galanteries  à  la  mode,  ce  ballet  monté,  arrangé,  dirigé  par 
La  Pierre,  par  la  seule  présence  de  certains  gentilshommes  de  haute 
lignée  et  de  générosité  chevaleresque,  comme  le  «  baron  deFerrals,  » 
partenaire  de  Molière  dans  une  même  entrée,  réveille  des  souvenirs 
légendaires  de  la  somptuosité  languedocienne.  Un  ancêtre  de  ce  baron 
au  siècle  dernier,  pour  fêter  au  château  de  Ferrais,  près  de  Carcas- 
sonne,  le  roi  Charles  IX  encore,  avait  machiné  sa  vaste  salle  de  récep- 
tion comme  un  féerique  décor  d'opéra.  Après  un  festin  où  le^  mets 
les  plus  fantastiquement  rares  et  exquis  avaient  défilé  à  profusion, 
l'immense  table  où  ont  pris  rang  les  plus  illustres  convives  est 
enlevée  comme  par  un  coup  de  baguette  magique;  à  la  place  du  pla- 
fond, disparu  par  enchantement,  flotte  une  nuée  orageuse,  traversée 
de  fulgurants  éclairs  et  qui,  soudain,  crevant  sous  l'explosion  d'un 
tonnerre  fabuleux  à  faire  honneur  aux  carreaux  mythologiques  de 
Jupiter  lui-même,  laisse  tomber  une  véritable  grêle  de  dragées  non 
fictives,  mêlées  à  une  pluie  torrentielle  de  senteurs  suaves. 

Ces  prestigieux  souvenirs  où  s'évoque,  grâce  aux  prodiges  de  l'art 
et  de  l'argent,  une  vision  du  céleste  palais  des  dieux  antiques,  ne  sont 
pas  les  seules  réminiscences  que  ravive  ce  ballet.  Le  baron  df  Ferrais, 
qui  semble  appartenir  à  la  fable,  a  un  frère  ici-même  :  c'est  le  baron 
d'Angerville,  officier  brillant  et  poète  à  ses  heures  (2),  et  qui,  lui, 
touche  au  domaine  de  l'Histoire  littéraire;  car  il  faillit  épouser  la  fille 
de  M'""  de  Sévigaé.  Et,  sans  le  compter,  que  de  futurs  héros  sont  là, 
réunis  autour  de  La  Pierre  et  de  Molière,  comme  si  le  grand  siècle  en 
formation  voulait  donner  à  celui  qui  sera  le  plus  grand  de  ses  poètes 
l'escorte  d'une  incomparable  compagnie  d'honneur,  à  son  point  de 
départ  pour  la  gloire  !  Des  maréchaux  de  France,  Villars,  Bellefonds; 
des  diplomates,  Guillerague  (•'>),  Créqui-Canaples,  d'antre.s  encore, 
après  avoir  été  dans  ce  ballet  les  satellites  de  Molière,  deviendront  les 
satellites  de  Louis  XIV;  et  Versailles  les  reverra  tous  à  l'œuvre  — 
môme  La  Pierre,  que  l'estime  de  Molière  n'y  jugera  pas  déplacé  ! 

Aur.usïiî  BaluI'Fe. 

(1)  Le  mot  est  du  Père  Ménestrier  en  son  livre  des  Devises,  ballets,  etc. 

(2)  Dans  les  Allaitions  aux  Mémoires  de  l'abbé  de  Marolles,  on  lit,  page  438  :  — 
«  Pour  la  poésie,  outre  ceux  que  j'ai  marqués  avec  honneur  dans  le  corps  de  ces 
Mémoires,  nous  avons  MM.  de  Corneille,  de  Boisrobert,  de  Uensei'ade,  de  Bertaut, 
de  Segrais  et  le  baron  d'Angeroitle,  ce  dernier  si  digne  des  faveurs  de  M.  le 
prince  de  Conti,  qui  l'honora  de  son  estime  et  de  son  amitié.  » 

(3i  Voir  nos  articles  ?ur  Guillerague  et  Molière  dans  le  Ménestrel  de  juillet  et 
août  1894. 


LE  MÉNESTREL 


REVUE   DES   GRANDS  CONCERTS 


Le  dernier  concert  de  l'Opéra  s'ouvrait  par  une  composition  de  M.  Fer- 
nand  Le  Borne,  «  Temps  de  guerre,  tableaux  symphoniques  pour  orchestre, 
orgue  et  double  chœur  ».  Il  serait  superflu  de  dire  que  c'est  là  de  la  mu- 
sique descriptive,  de  la  musique  à  programme,  programme  qui  se  résume 
dans  les  titres  de  ces  cinq  morceaux:  l.  Choral  de  l'armée;  2.  Au  village  ; 
3.  AUeiile  de  la  fiancée  ;  4.  Carillon;  5.  Marche  triomphale.  Cela  m'a  paru  sur- 
tout un  peu  long.  Des  cinq  morceaux  ainsi  indiqués,  un  seul  me  semble 
vraiment  original  et  bien  venu,  te  Carillon;  son  rythme  à  cinq  temps  est 
curieux,  curieux  aussi  le  dessin  obstiné  des  cors  imitant  les  cloches,  tan- 
dis que  celui  des  flûtes  est  allègre  et  joyeux.  Ici,  l'effet  produit  est  fort 
agréable,  et  le  public  l'a  prouvé  en  demandant  bis.  Après  un  bel  air  de 
Vlphigcnieeii  Tauride  de  Piccinni,  nous  avons  entendu  un  fragment  du  second 
acte  du  Duc  de  Ferrare,  opéra  inédit  écrit  par  M.  Georges  Marty  sur  des 
paroles  de  M.  Paul  Milliet.  IMalgré  la  très  réelle  sympathie  que  j'éprouve 
pour  le  talent  de  M.  Marty,  je  dois  confesser  que  ceci  m'a  laissé  absolu- 
ment froid.  Dans  ce  fragment  important  j'ai  cherché  vainement^  la  trace 
d'une  idée  vraiment  musicale,  la  trace  d'une  émotion,  d'un  sentiment  dra- 
matique quelconque,  rien  ne  m'a  fiappé,  rien  ne  m'a  touché.  Est-ce  ma 
faute?  Je  ne  saurais  le  dire,  et  j'aime  mieux  ne  pas  insister.  Je  passe  sur 
les  Danses  anciennes,  en  signalant  seulement  la  jolie  musique  d'une  jolie 
Pavane  de  M.  Gabriel  Fauré,  et  j'arrive  à  la  Nuit  de  Noël  IS70  de  M.  Gabriel 
Pierné,  qui  a  été,  on  peut  bien  le  dire,  le  triomphe  de  la  journée,  car  son 
succès  a  été  colossal  et  s'est  traduit  par  un  triple  rappel  à  l'adresse  de 
l'auteur.  C'est  encore  là  de  la  musique  descriptive,  ou  plutôt,  si  l'on  peut 
ainsi  parler,  de  la  musique  accompagnante,  car  elle  souligne  des  vers  réci- 
tés. L'œuvre  est  qualifiée  d'«  épisode  lyrique  »,  et  les  vers  sont  de  M.  Eugène 
Morand.  Ce  o  fragment  de  lettre  »  en  explique  le  sujet  :  «  Cette  nuit,  nos 
avant-postes  étaient  près  des  leurs.  On  échangeait,  sans  se  voir,  de  rares 
coups  de  feu,  quand  une  cloche  au  loin  ayant  sonné  la  messe  de  minuit,  il 
revint  au  souvenir  de  l'un  des  nôtres  un  vieux  Noël  de  chez  nous.  Et  voilà 
que  tout  à  coup,  là-bas,  les  autres  chantent  aussi  Noël.  Les  voix  se  répon- 
dent :  Noël  !  Noël  !  Et  c'est  pendant  un  instant,  entre  eux  et  nous,  comme 
un  apaisement  fraternel,  comme  une  trêve  de  Dieu...  »  Très  dilEcile  à  trai- 
ter, un  tel  sujet,  parce  que,  au  pur  point  de  vue  musical,  il  semble  un  peu 
bizarre,  un  peu  incohérent.  M.  Pierné  en  a  saisi  la  signification  avec  une 
intuition  merveilleuse,  et  il  lui  a  donné  une  existence  sonore  d'une  inten- 
sité prodigieuse.  Cela  ne  s'analyse  pas,  parce  que  cela  n'a  point  de  plan 
rutionnel,  point  de  suite  naturelle,  point  de  régularité.  C'est  une  série 
d'impressions,  de  sensations,  d'oppositions  qui  semblent  n'avoir  pas  de 
liens  entre  elles,  et  qui  cependant  s'accordent  et  s'enchainent  de  façon  à 
former  un  tableau  plein  de  couleur,  de  poésie  et  d'animation.  Il  y  a  de  tout 
là-dedans,  du  pittoresque,  de  la  chaleur,  de  l'émotion,  du  pathétique,  de  la 
grandeur,  et  l'auditeur,  quoi  qu'il  en  ait,  est  pris,  comme  disaient  nos 
pères,  par  les  entrailles,  et  tellement  secoué  par  son  émotion  personnelle 
qu'il  éclate  en  d'inévitables  applaudissements.  En  réalité,  M.  Pierné  a 
écrit  une  œuvre  étrange,  puissante,  et  dont  l'effet  sur  la  masse  du  public 
est  absolument  infaillible.  Le  concert  s'est  terminé  par  le  beau  finale  du 
second  acte  de  la  Vestale,  de  Spontini,  qui  a  valu  à  M°"=  Caron,  toujours 
admirable,  et  à  M.  Delmas,  toujours  remarquable,  un   succès  bien  mérité. 

A.  P. 

—  Concert  Pister.Parmi  les  œuvres  que  M.  Pister  a  fait  entendre  dans  ses 
derniers  concerts,  il  faut  citer  un  beau  fragment  de  Rédemption  de  César 
Franck,  la  Rapsodie  et  l'Aubade  si  charmante  de  Lalo,  Béatrice,  le  très  inté- 
ressant poème  symphonique  d'Emile  Bernard,  dit  d'une  façon  extrême- 
ment remarquable,  une  symphonie  de  M.  Le  Borne,  une  suite  de  Massenet 
et  la  Danse  macabre,  dont  le  solo  était  interprété  par  le  distingué  violo- 
niste Fernandez. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  Relâche. 

Concert  Colonne  :  Relâche. 

Concert  Lamoureux  :  Relâche. 

Opérj:  Temps  de  guerre  (Le  Borne),  tableaux  symphoniques  dirigés  par  l'au- 
teur.—  Récitatif  et  air  d'/p/jijénie  m  rawricte  (Piccinni)  :  M.  Delmas  jOreste)  et 
M.  Gandubert  (Pylade).  —  Le  Dite  de  Ferrare  (Mariy),  drame  lyrique  de  M.  Paul 
Milliet,  fragments  du  deuxième  acte,  dirigé  par  l'auteur;  M""  Caron  (Reginella). 
M""  Beauvais  (Cinlia),  M.  Vaguet  (Alfonse),  M.  Douaillier  (Marsile).  —  Danses 
anciennes,  réglées  par  M.  Hansen,  exécutées  par  M""  Mauri,  Subra  et  le  corps 
de  ballei.  —  jV(rt(  de  Noël  tSTO  (Pierné),  épisode  lyrique  dirigé  par  l'auteur; 
poème  de  M.  Morand:  M.  Brémond  (le  récitant),  W  Laoombe  (une  voix), 
M.  Barlet  (un  soldat).  —  Finale  du  deuxième  acte  do  la  Vestale  (Spontini); 
M"°  Caron  (Julie),  M.  Delmas  (le  grand  pontife).  Le  concert  sera  dirigé  par 
M.Vidal. 

Concerts  d'hlSircourt:  Symphonie  rotnanlirjue  (V.  Joncières).  —  Air  d'£^/c  (Men- 
delssohn),  par  M.  Muratet.  —  Ouverture  du  Vaisseau- Faniùme  (R.  Wagner).  — 
Le  Rouet  d'Omphale  (Saint-Saëns).  —  Waltlier's  Preislied,  des  Maîtres  chanteurs 
(R.  Wagner).— Symphonie  en  si  bémol  (n"  4,  Beethoven). 

Concert  du  Jardin  d'Acclimatation.  Chef  d'orchestre  :  Louis  Pister. 

L'Etoile  du  Xord,  ouverture  (Meyerbeer);  Ar/uso,  de  Haendel;  Sérénade  (Glazou- 
Tiow);  Phaëlon,  poème  symphonique  (Saint-Saëns)  ;  Jleformatim,  andante  (Men- 
delssohn);  La  Zamaoueca  (Th.  Ritter);  La  Farandole,  adagio,  valse  des  olivettes, 
cloches  et  violoneux,  valsedes  infidèles  (Th.  Dubois). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ETRANGER 

Nouvelle  liste  d'œuvres  françaises  jouées  en  Allemagne  et  en  Au- 
triche pendant  les  dernières  semaines  de  189b.  A  Vienne  :  Faust,  le  Petit 
Chaperon  rouge,  Carmen,  Mignon,  Roméo  et  Juliette,  la  Navarraise,  Fra  Diavolo, 
Manon,  la  Fille  du  Régiment,  Werther,  la  Juive  ;  à  Berlin  :  le  Postillon  de 
Lonjumeau,  Mignon,  la  Fille  du  Régiment  ;  à  Dresde  :  la  Part  du  diable,  Car- 
men, les  Dragons  de  Villars,  la  Fille  du  Régiment,  le  Domino  noir  ;  à  Munich  : 
Mignon  ;  à  Mannheim  :  Guillaume  Tell,  Joseph,  Orphée  aux  Enfers  ;  à  Stutt- 
gart :  Zaïre,  les  Huguenots,  les  Dragons  de  Villars,  le  Postillon  de  Lonjumeau  ; 
à  WiESBADEN  :  Fra  Diavolo,  le  Prophète,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  la  Muette 
de  Portici,  Carmen,  Migimi,  Faust,  les  Huguenots;  à  Carlsruhe  :  Guillaume  Tell, 
Carmen,  Fra  Diavolo,  les  Deux  Savoyards,  la  Poupée  de  Nuremberg,  le  Domino 
noir  ;  à  Brème  :  Mignon,  le  Pardon  de  Ploêrmel,  Faust,  Fra  Diavolo,  la  Part 
du  diable,  le  Domino  noir  ;  à  Cologne  :  Carmen,  la  Fille  du  Régiment,  les  Hugue- 
nots, Faust,  Guillaume  Tell;  à  Breslac  :  l'Attaque  du  moulin,  Fra  Diavolo, 
Carmen,  les  Dragons  de  Villars  ;  à  Hanovre  :  Carmen,  Faust,  Guillaume  Tell  ; 
à  Cassel  :  Robert  le  Diable,  Faust,  les  Dragons  de  Villars,  le  Cheval  de  bronze  ; 
à  Budapest  :  Sylvia,  Coppélia,  Roméo  et  Juliette,  l'Étoile  du  Nord,  Guillaume  Tell, 
les  Huguenots,  Mignon,  la  Fille  du  Régiment. 

—  A  l'Opéra  de  Vienne,  commenceront  prochainement  les  répétitions  de 
deux  ouvrages  importants  :  Walther  von  der  Vogelweide,  de  M.  Kauders,  et 
le  Grillon  du  foyer,  de  M.  Goldmark.  L'opéra  de  M.  Kauders  a  déjà  été  joué 
avec  succès  à  Prague. 

—  Un  nom  célèbre  dans  la  musique  se  trouve  mêlé  à  un  duel  sérieux 
qui  vient  d'avoir  lieu  à  Thionville  enire  deux  officiers  allemands  et  qui  a 
été  fatal  à  l'un  des  combattants.  L'arme  choisie  était  le  pistolet,  et  le 
terrain  était  le  champ  de  manœuvre  situé  derrière  le  fort  de  Jeutz.  Au 
premier  échange  de  balles,  le  lieutenant  Khun,  du  6«  dragons,  atteint 
mortellement,  est  tombé  pour  ne  plus  se  relever.  Son  adversaire,  le  lieu- 
tenant Joachim,  du  IZo"  d'infanterie,  n'est  autre  que  le  fils  du  grand 
violoniste  Joachim. 

—  A  Bayreuth  on  se  prépare  déjà  activement  pour  les  représentations 
de  cette  année.  Dernièrement,  M"»  Cosima  Wagner  a  fait  jouer  le  premier 
acte  de  Siegfried  dans  une  salle  de  Bayreuth  —  pas  au  théâtre  même,  ni  à 
l'ancien  Opéra  des  margraves  devant  quelques  invités.  L'orchestre  était 
remplacé  par  deux  pianos,  mais  les  décors  qui  doivent  servir  au  théâtre 
de  "Wagner  ont  été  plantés.  Siegfried  Wagner,  le  fils  du  maître,  dirigeait 
cette  représentation.  Les  deux  autres  actes  de  Siegfried  seront  répétés  de 
la  même  manière.  On  assure  que  l'affluence  à  Bayreuth  sera  cette  année-ci 
plu?  grande  que  jamais. 

—  Le  théâtre  de  Coblentz  va  donner,  le  12  janvier  prochain,  la  première 
représentation  en  langue  allemande  du  Winkelried  de  Louis  Lacombe,  dont 
le  théâtre  de  Genève  eut  la  primeur.  Les  principaux  interprètes  sont 
MM.  Demuth,  Leffler,  Krauss,  M"==  Holtzenstein  et  Neiseh  M"=  V»  Louis 
Lacombe  quitte  Paris  ces  jours-ci  pour  aller  surveiller  les  dernières 
répétitions. 

—  On  vient  d'exécuter  pour  la  première  fois  dans  son  intégralité,  au 
Gewandhaus  de  Leipzig,  la  Dammdion  de  Faust  de  Berlioz,  dont  jusqu'ici  on 
n'avait  entendu  que  des  fragments.  Cette  exécution,  qui  était  dirigée  par 
M.  Nikisch,  le  nouveau  chef  d'orchestre,  a  obtenu  un  succès  d'enthousiasme 
et  tel,  dit  un  journal,  qu'il  serait  impossible  de  le  décrire.  Les  rôles 
étaient  tenus  par  M"«  Marcella  Pregi  (Marguerite),  M.  Brandowsky  (Faust) 
et  M.  Schelper  (Méphistophélès),  qui  ont  été  couverts  d'applaudissements. 

—  D'après  les  journaux  italiens,  l'Hennj  VIII  de  M.  Saint-Saëns  ne 
parait  pas  avoir  très  bien  réussi  à  la  Scala  de  Milan.  Cela  n'ôte  rien  à  la 
très  grande  valeur  de  cette  belle  partition,  la  plus  belle  peut-être  de  son 
auteur. 

—  Nous  avons  sous  les  yeux  un  télégramme  de  Naples  d'après  lequel  la 
première  représentation  de  la  Yalkyrie,  au  San  Carlo  de  Naples,  a  donné  lieu 
à  des  scènes,  scandaleuses.  Le  public  était  resté  assez  tranquille  jusqu'à 
la  seconde  moitié  du  deuxième  acte;  mais  alors  il  devint  impatient,  se 
moquant  de  tout  ce  qu'on  chantait  sur  la  scène.  Pendant  le  troisième 
acte,  les  démonstrations  devinrent  tumultueusbs  ;  on  entendait  à  peine  la 
musique.  A  la  fin  le  public  se  mit  à  crier:  «  Ev  viva  Verdit  »  —  «  Abasso 
Wagner  l  »  et  quitta  la  salle  en  sifflant  et  en  hurlant.  L'imprésario  n'ose 
pas  représenter  la  Valkyrie  une  seconde  fois.  Il  devra  donc  faire  son  deuil 
des  frais  assez  importants  qu'il  avait  faits  pour  la  mise  en  scène. 

—  Le  théâtre  Mercadante,  de  Naples,  adonné,  non  sans  quelque  succès, 
la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau,  Onore,  paroles  de  M.  Fré- 
déric Verdinois,  musique  de  M.  Consiglio.  Les  détails  nous  manquent 
encore,  mais  l'accueil  fait  à  l'œuvre  et  aux  artistes  parait  avoir  été  très 
favorable. 

—  La  société  orchestrale  romaine  a  ouvert  à  la  salle  Dante  une  série 
do  quatre  concerts  dont  le  premier  a  eu  lieu  le  âs  décembre  et  dont  les 
autres  sont  fixés   aux  11    et  2o  janvier  et  8  février  prochains.    Parmi  les 


LE  MENESTREL 


œuvres  qui  seront  exécutées  dans  ces  intéressantes  séances,  on  signale  la 
Béformation-Symphonie  de  Mendelssohn,  la  symphonie  en  ré  de, Brahms, 
celle  de  M.  Guilmant  pour  orgue  et  orchestre,  le  Rouet  d'Omphale  de  Saint- 
Saêns,  les  ouvertures  de  rilaliana  in  Londra  de  Gimarosa,  de  Phèdre  de 
Massenet,  de  la  Fiancée  vendue  de  Smatana,  des  mélodies  de  Grieg,  etc. 

—  Lé  Cercle  philharmonique-artistique  de  Padous  a  donnée  dans  sa  pre- 
mière séance  de  la  saison  d'hiver,  la  première  représentation  d'un  gentil 
opéra  en  trois  actes,  yUo,  dont  la  musique  est  due  à  l'un  de  ses  membres, 
le  marquis  Francesco  Dandi  Dall'Orologio,  et  qui  parait  avoir  été  accueilli 
avec  beaucoup  de  faveur.  Un  journal  italien  dit  que  c'est  un  ouvrage  qui, 
sans  manifester  de  grandes  prétentions,  "  fait  très  bien  augurer  de  l'avenir 
de  son  jeune  auteur  ». 

—  On  écrit  de  Genève  :  «  W"  C.  Ketten,  la  fille  du  remarquable  profes- 
seur du  Conservatoire,  vient  de  débuter  dans  Mignon.  La  jeune  artiste  a  eu 
le  plus  grand  et  le  plus  mérité  des  succès.  Le  public  l'a  littéralement 
couverte  de  fleurs.  » 

—  Les  Hollandais  aiment  la  musique,  et  ils  le  prouvent  intelligemment. 
La  municipalité  d'une  petite  ville  comme  Arnheim  vient  de  voter,  par 
16  voix  contre  11,  une  subvention  de  10.000  florins  (un  peu  plus  de 
21.000  francs)  pour  l'année  1S96  en  faveur  de  VOrkcslvereeniging.  Si  les  mo- 
destes villes  de  nos  départements  en  faisaient  autant,  elles  offriraient  à 
leurs  administrés  des  jouissances  artistiques  plus  relevées  que  celles  des 
ignobles  cafés-concerts  qui  sont  souvent  leur  unique  distraction. 

—  Voici  le  tableau  complet  de  la  nouvelle  troupe  du  théâtre  San  Carlos, 
de  Lisbonne.  Soprani,  M^'^  Bonaplata-Bau,  Dardée,  Fausta-Labia,  Strom- 
feld-Klamsiska  et  Lina  Bignardi  ;  mezzo-soprani,  Santarelli  et  Pagnoni  ; 
ténors,  MM.  Marconi,  "Werner-Alberti  et  Perez  ;  barytons,  Blanchart  et 
Modesti;  basses,  Lanzoni,  De  Grazia,  Dubois  et  Rinaldi.  Les  chefs  d'or- 
chestre sont  MM.  Juan  Goula  et  Vicenzo  Pintorno. 

—  Un  petit  lot  de  nouvelles  espagnoles.  La  Société  des  concerts  de  Ma- 
drid prépare  la  prochaine  audition  de  deux  poèmes  symphoniques:  l'un, 
la  Corza  blanca,  de  M.  Saco  del  Valle,  l'autre,  las  Cruzadas,  de  M.  Steger 
Taboada.  —  A  Valence,  à  l'occasion  de  la  Sainte-Cécile,  le  Conservatoire 
a  donné  une  grande  fête  musicale  dans  laquelle  il  a  fait  exécuter  deux 
compositions  dues  à  deux  élèves  de  l'établissement:  un  Prélude  pour 
orchestre  de  M.  Palanca,  et  un  poème  symphonique,  intitulé  :  Orfeo  en  et 
Averno,  de  M.  Fayos.  Le  public  a  fort  bien  accueilli  ces  deux  essais.  — 
A  l'Eldorado  de  Barcelone,  apparition  heureuse  de  deux  zarzuelas  nou- 
velles :  el  SeTior  Baron,  en  un  acte,  paroles  de  M.  Jaques,  musique  de 
M.  Zabala,  et  el  Estudiante  endiabtado,  musique  de  M.  Vidal  y  Llimona.  — 
Au  Tivoli  de  la  même  ville,  autre  zarzuela  ;  Carazon  de  fuego,  musique  de 
M.  Nicoalau.  —  A  Almeria,  première  représentation  d'un  "  jeu  oomico- 
lyrique  »  en  un  acte,  l'erdon,  tio  !  dont  la  musique  a  pour  auteur  M""'  Car- 
men L.  de  Brocca.  —  Ce  n'est  pas  tout  encore.  A  Santander,  grand  succès 
pour  une  zarzuela  iutiiulée  el  Duque  de  Gandia,  paroles  de  M.  Diceuta,  mu- 
sique de  MM.  Llanus  et  Chapi,  et  à  Saint-Sébastien,  bon  accueil  pour  une 
pochade  musicale,  el  Husar,  dont  on  ne  nous  fait  pas  connaître  les  auteurs. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  de  Christmas,  le  théâtre  Drary-Lane  a  donné 
sa  grande  pantomime  annuelle,  qui  a  obtenu  son  grand  succès  annuel. 
Celle-ci  s'appelle  Cinderella  (Cendrillon).  Les  auteurs  sont  MM.  Augustus 
Hairis  et  Raleigh  pour  le  scénario,  Glover  pour  la  musique,  Goppi  pour 
les  danses,  Gomelli  et  Alias  pour  les  costumes,  X...  pour  les  décors,  etc., 
etc.  Tous  ont  droit  à  être  nommés,  car  tous  concourent  également  au 
succès. 

—  On  nous  annonce  de  Londres  que  M.  Luigi  Arditi,  le  compositeur  et 
chef  d'orchestre  bien  connu,  aécritsesmémoires,  qui  serontbientôtpubliés. 
La  carrière  du  compositeur  de  la  valse  //  Bacio  est  longue  et  bien  remplie. 
Dès  18S0  il  dirigeait  l'Opéra  italien  de  Castle-Garden,  à  New-York,  et  y 
faisait  la  connaissance  de  la  famille  Patti.Il  devint  ensuite  chef  d'orchestre 
à  Covent-Garden,  et  en  18.59  il  assista,  en  cette  qualité,  aux  débuts  de  la 
Patti  à  Londres.  Maurice  Strakosch,  le  beau-frère  et  l'imprésario  de  cette 
artiste,  l'engagea  alors  pour  sa  troupe  d'opéra,  et  en  1862  il  eut  pour  la 
première  fois  beaucoup  de  succès  à  Vienne,  avec  sa  valse  il  Bacio,  que 
la  Patti  n'a  cessé  de  chanter  à  la  fin  du  Buriner  de  Seville.  M.  Arditi  a  connu 
presque  tous  les  grands  artistes  de  ces  cinquante  dernières  années  et  a 
parcouru  tous  les  pays  civilisés  et  mi-civilisés  du  monde.  Ses  mémoires 
offriront  sans  doute  un  grand  intérêt. 

—  h'Écho  musical  de  Bruxelles  nous  apprend  qu'un  clown  actuellement 
en  représentation  à  Londres  montre  un  cheval  qu'il  a  dressé  à  jouer  l'hymne 
national  anglais  sur  un  harmonium  à  pédales  spécialement  construit  à  cet 
effet.  C'est  peut-être  très  lort,  mais  en  tout  cas  pas  très  respectueux  envers 
l'auguste  mélodie. 

—  Les  mémoires  de  Charles  Halle,  dont  nous  avons  déjà  annoncé  l'appa- 
rition, occupent  la  presse  anglaise,  et  nous  y  trouvons  une  jolie  anecdote 
qui  se  rattache  plutôt  à  son  fils,  M.  Clifford  Halle,  qui  est  un  chanteur 
distingué.  Celui-ci  avait,  un  jour,  donné  un  concert  dans  une  ville  de  la 
colonie  du  Cap,  dont  le  théâtre  est  relégué  dans  un  quartier  excentrique 
où  les  animaux  domestiques  abondent.  Comme  la  soirée  était  très  chaude, 
la  porte  du  vestibule  du  théâtre  était  restée  ouverte.  M.  Clifford  Ilallé 


avait  déjà  terminé  la  première  partie  de  son  programme  lorsqu'il  eut  l'idée 
de  chanter,  à  la  suite  d'applaudissements  bien  nourris,  un  lied  allemand 
dont  la  dernière  phrase  est  ainsi  conçue  :  Bruder,  sage  :  la  !  (frère,  dis  :  oui  1). 
Le  chanteur  venait  de  lancer  une  belle  note  aigui'  sur  le  mot  final  la, 
lorsqu'un  âne,  montrant  sa  tête  à  la  porte  entr'ouverte  de  la  salie,  se  mit  à 
pousser  des  Yali  !  Yah  !  frénétiques  avec  une  forte  voix  de  baryton.  Cette 
réponse  à  l'appel  poétique  du  chanteur  provoqua  une  scène  des  plus  déso- 
pilantes. La  femme  du  commandant  de  la  garnison  anglaise  fut  prise  d'un 
accès  de  fou  rire,  les  ollJciers  applaudissaient  à  tout  rompre  et  le  comman- 
dant adressa  à  l'artiste  tout  ébaubi  ce  compliment  :  i.  Mon  cher  monsieur, 
c'est  le  plus  beau  de  vos  jours,  et  vous  n'aurez  plus  jamais  un  succès 
pareil;  maisje  ne  vous  conseille  pas  d'emmener  votre  «  frère  »  quand  vous 
rentrerez  à  Londres.  » 

—  Un  juge  londonien  a  dernièrement  prononcé  un  arrêté  digne  du  roi 
Salomon.  Le  directeur  d'un  grand  Music  Hall  de  Londres  avait  renvoyé  un 
flûtiste  parce  que  celui-ci  était  arr'ivé  ivre  à  une  représentation.  Le  chef 
d'orchestre,  cité  comme  témoin  par  le  musicien,  qui  réclamait  une  indem- 
nité, alDrma  que  le  flûtiste  était  sinon  complètement  ivre,  au  moins 
légèrement  pompette,  pour  employer  un  mot  de  notre  langue  verte  cor- 
respondant à  celui  de  la  langue  anglaise.  Le  juge  adressa  alors  deux  ques- 
tions au  chef  d'orchestre:  d'abord,  le  flûtiste  avait-il  fait  son  service  à 
l'orchestre  ?  ensuite,  avait-il  fait  plus  de  fautes  qu'à  l'ordinaire  ?  Le  chef 
d'orchestre  ne  pouvait  nier  que,  dans  cette  mémorable  soiiée,  le 
flûtiste  n'eût  joué  comme  d'habitude.  «  Dans  ces  conditions,  déclara  alors 
le  juge,  il  a  été  renvoyé  sans  motif  valable;  l'indemnité  lui  est  due.  »  Le 
chef  d'orchestre  fut  consterné.  «  Est-ce  que  Votre  Honneur  appliquerait 
la  même  théorie  à  celui  de  mes  musiciens  qui  joue  de  la  grosse  caisse  ?  » 
demanda-t-il  ironiquement.  «  Attendez  qu'il  vous  arrive  pompette,  comme 
vous  dites,  et  alors  envoyez-le  moi;   vous  verrez   alors,  »  répliqua  le  juge. 

—  Une  anecdote  relative  à  M.  Sims  Reeves,  le  fameux  ténor  anglais,  qui 
était  engagé  récemment  pour  un  concert  à  la  cour  de  sa  Gracieuse  Majesté 
la  reine  Victoria.  Au  programme,  qu'on  avait  dressé  d'avance,  se  trou- 
vaient deux  morceaux  que  l'artiste  jugea  en  dehors  de  sa  voix.  11  en 
référa  au  prince  de  Galles,  qui  alla  vers  la  reine  pour  lui  soumettre  les 
observations  de  l'artiste.  Pour  toute  réponse,  la  souveraine  montra  du 
doigt  les  deux  initiales  Y.  B.  (Victoria  Rcgina)  que  portait  le  programme. 
Le  prince  de  Galles  comprit  aussitôt,  et  retourna  vers  l'artiste  pour  lui 
dire  qu'il  n'y  avait  rien  à  faire,  qu'il  fallait  s'exécuter...  Reeves  s'exécuta 
en  elïet  et  chanta  les  deux  airs,  mais  le  second  un  demi-ton  plus  bas  que 
l'original.  La  reine  s'en  aperçut  aussitôt,  et  le  fit  comprendre  à  l'artiste 
en  s'abstenant  de  donner  le  signal  des  applaudissements,  de  manière  que 
le  malheureux  chanteur  quitta  l'estrade  au  milieu  d'un  silence  glacial. 
Nous  ne  mettrons  pas  en  doute  ce  fait,  que  nous  rapporte  un  de  nos  con- 
frères de  l'étranger  ;  nous  constaterons  seulement  l'extrême  habileté  mu- 
sicale et  la  finesse  d'oreille  de  la  reine,  qui,  sans  hésiter,  s'aperçoit  de  la 
différence  d'un  demi-ton  dans  un  morceau  chanté  devant  elle,  alors  que 
certains  professionnels  seraient  incapables  de  saisir  cette  différence!  Qui 
donc  prétendait  que  sa  Gracieuse  Majesté  avait  aujourd'hui  l'oreille  un 
peu  dure  ? 

PARIS  ET   DÉPARTEMENTS 

Dès  dimanche  dernier,  nous  avons  annoncé  la  nomination  au 
grade  de  grand-olllcier  de  la  Légion  d'honneur  de  M.  Ernest  Legouvé, 
l'illustre  doyen  de  l'Académie,  qui  plusieurs  fois  a  bien  voulu  apporter  au 
Ménestrel  le  concours  de  sa  glorieuse  collaboration,  celle  aussi  de  M.  Mas- 
senet au  grade  de  commandeur  et  celle  de  M.  Théodore  Dubois  au  grade 
d'ollicier,  tous  les  deux  aussi  nos  collaborateurs  accoutumés  pour  la  partie 
musicale  de  ce  journal.  Complétons  aujourd'hui  la  liste  de  ces  nominations 
faites  a  l'occasion  du  centenaire  de  l'Institut,  en  en  prenant  seulement  ce 
qui  regarde  directement  les  lettres  et  les  arts.  Nous  trouvons  encore  l'élé- 
vation au  grade  de  grand-oiïïcier  de  M.  Charles  Garnier,  l'éminent  archi- 
tecte de  l'Opéra.  Dans  la  section  des  commandeurs,  nous  devons  citer 
MM.  Jules  Claretie,  l'administrateur  général  de  la  Comédie-Française, 
Frémiet,  le  remarquable  statuaire,  et  SuUy-Prudhomme,  le  délicat  poète; 
parmi  les  officiers  enfin,  M.  Henri  Houssaye,  le  dernier  élu  de  l'Académie 
française. 

—  Gomme  nous  l'avions  annoncé,  M.  Théodore  Gouvy,  le  très  apprécié 
symphoniste,  devait  aussi  figurer  sur  cette  liste  en  qualité  de  membre 
correspondant  de  l'Institut.  Mais  au  dernier  moment,  on  s'est  trouvé  arrêté 
par  des  questions  de  formalité.  On  ne  savait  où  prendre  M.  Gouvy,  qui 
n'habite  pas  la  France,  et  on  n'a  pu  avoir  de  lui  les  renseignements  néces- 
saires. C'est  donc  partie  remise. 

—  Mais  la  musique  n'aura  pas  chùmé  pour  cela.  Et  à  défaut  de  M.  Gouvy, 
nous  trouvons  parmi  les  chevaliers  de  la  Légion  d'honneur  du  ["janvier, 
M.  Josset,  compositeur  de  musique,  parait-il.  Les  mérites  de  M.  Josset  ne 
sont  peut-être  pas  très  connus,  mais  ils  n'en  sont  pas  moins  certains 
puisqu'un  ministre  aussi  éclairé  que  M.  Combes  a  su  les  découvrir.  De  son 
coté,  la  chancellerie  de  la  Légion  d'honneur  a  fait  chevalier  M.  Golomer, 
qui  professe  dans  les  maisons  d'éducation  de  ladite  Légion  d'honneur,  et 
qui  est  d'ailleurs  un  musicien  délicat. 

—  A  signaler  encore,  parmi  les  heureux  élus  du  l"  janvier,  M.  Bernheim, 
l'aimable  commissaire  du  gouvernement  près  les  théâtres  subventionnés, 
des  artistes  comme  M.  Cornu,  statuaire,  et  Chigot,  peintre,  des  hommes  de 


LE  MENESTREL 


lettres  comme  MM.  Belon,  Case  et  Ferrari,  enfla  le  charmant  desinateur 
Fraipont,  bien  connu  des  anciens  abonnés  du  Ménestrel,  car,  de  son  gracieux 
crayon,  il  illustra  nombre  de  titres  de  nos  morceaux  de  musique. 

—  Cette  semaine,  à  l'Opéra-Comique,  le  jeune  ténor  Leprestre  a  pris 
possession  du  rôle  d'Araquil  dans  la  Navarraise  et  y  a  très  bien  réussi.  En 
même  temps,  le  baryton  Karloni  remplaçait  M.  Bouvet  dans  le  rôle  du 
général;  belle  voix  et  comédien  intelligent.  Tous  les  deux  ont  été  très 
applaudis.  Anita,  c'est  toujours  M'"^  de  Nuovina,  farouche  et  superbe 
d'énergie. 

—  M.  Carvalho  aurait,  dit-on,  quelque  velléité  de  reprendre  Bon  Juan 
avec  M.  Bouvet.  M"'=  de  Nuovina  chanterait  donna  Anna  et  M""=  Bréjean- 
Gravière  donna  Elvire. 

—  Les  dates  des  concours  pour  les  grands  prix  de  Bome  en  189ti  vien- 
nent d'être  fixées  par  l'Académie  des  Beaux-Arts,  ainsi  que  celles  des 
opérations  du  jury.  En  ce  qui  concerne  le  concours  de  composition  musi- 
cale, le  concours  d'essai  est  fixé  au  samedi  2  mai,  et  le  jugement  définitif 
au  samedi  27  juin.  Los  cantates  (poésie)  devront  être  déposées  au  plus  tard 
le  m  mai. 

—  Parmi  les  nouveautés  qui  seront  données  aux  prochains  concerts  de 
l'Opéra,  on  cite,  une  Sulamile  de  M.  Audigier,  une  Saiide  Cécile  de  Charles 
Lefebvre,  une  suite  de  ta  Belle  au  bois  dormanl,  de  M.  Georges  Hue,  le  Saint 
Georges,  de  M.  Paul  Vidal  et  des  suites  d'orchestre  de  MM.  Busser  et  Hirsch- 
mann. 

—  La  matinée  organisée  par  le  comité  du  monument  de  Florian  pour  le 
samedi  11  janvier,  au  théâtre  de  la  Gaité,  sera  certainement  une  des  grosses 
attractions  de  la  saison.  Voici,  entre  autres  numéros  du  programme,  la 
distribution  presque  complète  de  la  pantomime  il//r/,o  l'Enchanteresse, 
de  M.  Georges  Boyer,  musique  de  M.  André  PoUonais,  dans  laquelle 
M"»»  Adelina  Patti  reparaîtra  devant  le  public  parisien  : 

Mirka  M""  Adelina  Patti 

Frida,  sœur  de  Mirka  Sibyl  Sanderson 

Hedwige,  mère  de  Mirka  X... 

Une  Vivandière  croate  Simon-Girard  (Bouffes) 

Un  Génie  Robin  (Opéra) 

Carlomir  MM.  .\lbert  Lambert 

Un  Vieillard  '  Paul  Mounet 

Zug  Taillade 

Le  Chef  croate  Taskin 

Le  rôle  de  la  mère  de  Mirka  reste  à  distribuer.  II  sera  fort  probablement 
joué  par  une  personnalité  dramatique  très  en  vue.  Au  premier  acte,  grand 
divertissement  des  fiançailles,  réglé  par  M»"^  Mariquita  et  dansé  par 
M°"^  Adelina  Patti,  M"^  Lamotte  et  le  corps  de  ballet  de  la  Gaité.  Au 
deuxième  acte,  M™"  Patti  chantera.  Voilà  une  distribution  de  pantomime 
comme  on  n'en  a  jamais  vu.  Le  bureau  de  location  de  la  Gaité  ne  va  pas 
désemplir. 

—  M.  Ed.  Colonne  est  de  retour  à  Paris,  venant  de  Moscou,  où  ses 
concerts  ont  eu,  comme  toujours,  le  plus  grand  succès.  A  signaler  particu- 
lièrement trois  airs  du  ballet  du  tjid  (Massenet),  qui  tous  ont  été  bissés 
d'acclamation. 

—  Parmi  les  ouvrages  publiés  ces  temps-ci  pour  les  enfants  de  12  à 
15  ans,  il  en  est  peu  d'aussi  amusants  en  même  temps  qu'aussi  instructifs 
que  celui  d'Oscar  Comettant,  notre  confrère.  Le  brillant  écrivain  a  su, 
dans  l'Homme  et  les  Bétes,  se  mettre  à  la  portée  des  jeunes  intelligences 
auxquelles  il  s'adresse  ;  il  leur  parle  en  véritable  père  de  famille,  leur 
montre  tous  les  bienfaits  rendus  par  les  meilleurs  serviteurs  de  l'homme 
et  malheureusement  aussi  toute  l'ingratitude  que  nous  professons  si  sou- 
vent à  leur  égard.  De  charmants  dessins,  très  nombreux,  illustrent  ce 
gracieux  volume,  qu'un  père  de  famille  peut  donner  à  son  enfant,  garçon 
ou  fille,  avec  la  certitude  de  l'instruire  en  l'amusant.  Cet  ouvrage  de 
notre  excellent  collaborateur,  dont  le  nom  est  bien  connu  des  lecteurs  du 
Ménestrel,  est  publié  à  la  librairie  Garnier  frères. 

—  La  Femme  compositeur,  par  Eugène  de  Solenière.  C'est  le  titre  d'une  bro- 
chure qui  contient  une  dizaine  de  notices  sur  divers  compositeurs  fémi- 
nins, suivies  d'une  liste  de  femmes  qui  se  sont  produites  sous  ce  rapport 
avec  plus  ou  moins  d'abondance  et  de  succès.  Bien  que  cette  liste  soit 
assez  nombreuse,  on  est  étonné  d'y  constater  l'absence  de  certains  noms, 
dont  plusieurs  fameux,  qui  avaient  droit  à  y  trouver  place.  Pour  n'en  citer 
que  quelques-uns,  nous  rappellerons  ceux  de  M"""  Jacquet  de  Laguerre, 
de  M"«  Duval,  de  M"»  Beaumesnil,  de  M""^  de  Vismes,  qui  toutes  quatre 
se  sont  produites  à  l'Opéra,  de  Lucile  Grétry,  de  Florine  Dézèdes,  de  ,Tulie 
GandeiUe,  qui  se  sont  tait  jouer  à  la  Comédie-Italienne  ou  àl'Opéra-Gomique, 
puis  ceux  de  M"'=  de  Montgeroult,  de  la  reine  Hortense,  de  M""'  Damoreau, 
et  encore  ceux  de  M^'^  Pauline  Viardot,  Ugalde,  Zélie  CoUinet,  Renaud- 
Maury,  etc.,  etc.  Il  manque  encore  à  notre  littérature  musicale  un  travail 
complet,  exact  et  bien  fait,  sur  ce  sujet  qui  est  loin  de  manquer  d'intérêt. 

A.  P. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  l'orchestre  Colonne  donnera  à  Lille  un  grand 
concert  au  profit  d'une  œuvre  de  bienfaisance,  avec  le  concours  d'un  jeune 
virtuose  violoncelliste  de  grand  talent,  M.  Marix  Laêvensohn,  que  de 
récents  succès  à  Londres  ont  mis  tout  à  fait  en  lumière. 


De  Lyon  :  La  Vivandière,  de  M.  Gain  et  Benjamin  Godard,  a  obtenu  au 

Grand-Théiitre  un  très  réel  succès.  Le  sujet,  rapide,  bien  conçu,  remar- 
quable même  au  point  de  vue  scénique  avec  ses  alternances  de  comique  et 
de  pathétique,  a  beaucoup  plu.  La  musique  de  Benjamin  Godard  n'offre 
rien  de  particulièrement  transcendant;  mais  elle  a  l'avantage  de  s'adapter 
admirablement  à  l'action.  La  partition  abonde  en  motifs  aimables,  mélo- 
diques, bien  venus  sinon  toujours  très  originaux.  Plusieurs  pages,  comme 
le  finale  du  ^'  acte  et  l'amusante  Fricassée,  qui  ont  été  bissés,  la  partie 
symphonique  du  3'=  acte,  sont  du  meilleur  filon.  L'orchestration,  due, 
ainsi  qu'on  sait,  à  la  plume  habile  de  M.  Paul  Vidal,  est  remarquablement 
pondérée,  sonore  sans  tomber  dans  l'excès.  M.  Vizentini  a  monté /a  Vivan- 
dière avec  un  grand  luxe  de  décors  et  de  costumes.  L'interprétation  est  de 
tout  premier  ordre.  M°"'  Deschamps-Jéhin  prête  au  rôle  de  Marion  l'éclat 
de  sa  magnifique  voix  et  l'intérêt  d'un  personnage  fouillé  jusqu'à  ses 
moindres  détails.  Son  succès  a  été  considérable.  A  côté  de  l'éminente 
artiste  il  convient  de  louer  M.  Gluck  (Georges  de  Rieul)  ;  M.  Ghalmin, 
très  amusant  dans  le  sergent  La  Balafre  ;  M.  Huguet  (le  capitaine  Bernard)  ; 
M"=  Duperret,  une  touchante  Jeanne  ;  enfin  MM.  Romieu,  Larbaudière, 
Thomérieu  et  Garret.  La  Vivandière  va  certainement  fournir  une  fructueuse  ' 
carrière,  qui  permettra  à  la  direction  de  préparer  à  loisir  le  Rêve  de 
M.  Bruneau,  et  la  Statue  de  M.  Reyer,  encore  inédite  ici.        J.  Jemain. 

—  A  Pau,  toujours  grande  allluence  aux  beaux  concerts  symphoniques 
si  artistement  dirigés  par  M.  Ed.  Brunet.  Sur  les  deux  derniers  programmes, 
nous  relevons  les  noms  de  Em.  Bernard,  B.  Godard,  Cherubini,  Glinka, 
Massenet  (Nocturne  de  la  Navarraise),  Meyerbeer,  Léo  Delibes  (Suite  de 
Sylvki),  Saint-Saëns,  Berlioz,  Goldmark,  Borodine,  Franck,  Wagner  et 
Lalo  (ouverture  du  Boi  d'Ys). 

—  On  nous  écrit  de  Bordeaux  :  Après  le  grand  succès  remporté  au  der- 
nier concert  du  Cercle  philharmonique,  M"'  Clotilde  Kleeberg  a  donné  un 
récital.  Plusieurs  des  morceaux  de  son  programme,  qui  comprenait  du 
Bach,  Beethoven,  Schumann,  Brahms,  Th.  Dubois  (les  Poèmes  sylvestres  en 
entier),  G.  Fauré,  E.  Redon,  etc.,  ont  été  bissés,  et,  de  plus,  la  gracieuse 
artiste  a  dû  ajouter  trois  études  de  Chopin  à  la  fin  de  la  séance.  Dimanche 
dernier  elle  faisait  ses  adieux  au  public  bordelais  en  se  faisant  entendre 
au  3''  concert  populaire  de  la  Société  de  Sainte-Cécile,  et  là  encore,  sous 
la  direction  de  l'excellent  chef  d'orchestre  M.  Gabriel-Marie,  le  succès  de 
l'éminente  virtuose  a  été  vraiment  étourdissant. 

—  La  société  d'Art  vient  de  donner  sa  21=  audition.  M.  Mimart,  secondé 
par  un  jeune  pianste,  M.  Wurmser,  y  a  mis  en  lumière  une  sonate  pour 
piano  et  clarinette  de  M.  Anselme  Vinée.  L'œuvre  nouvelle,  inédite  encore, 
est  fort  intéressante.  On  y  a  apprécié  aussi  des  mélodies  vocales  et  sédui- 
santes de  M.Camille  Andrès,  dites  par  M"«  Éléonore  Blanc  avec  le  plus 
délicieux  talent,  et  des  morceaux  de  piano  de  MM.  Emile  Bernard 
(impromptu)  I.  Philipp  (Barcarolle)  Edmond  Laurens  (Papillon),  une  pièce  de 
concert  d'un  brillant  effet,  remarquablement  joués  par  M™  Carembat,  des 
jolies  valses  à  quatre  mains  de  M.  Charles  René,  un  andarite  pour  violon 
de  M.  Boëllman,  bien  dit  par  M.  Tracol.  La  séance  avait  commencé  par 
un  trio  de  M.  Boëllmann. 

—  Soirées  et  concerts.  —  M"'  Vieuxtemps  vient  de  faire  entendre  ses  élèves. 
On  a  surtout  remarqué  M""  Salomon,  Ferrand,  de  Fleurelle  (/es  trois  Belles  Demoi- 
selles, Pauline  Viardot)  et  Quainon  (air  deJeande  Nivelle,  Léo  Delibes).  —  M»' Mars 
chaud  a  donné  une  audition  d'élèves  dont  toute  une  partie  était  consacrée  aui 
œuvres  de  Diémer.  Succès  pour  l'auteur  et  les  charmantes  interprètes,  et  aussi 
pour  M""  Rose  Delaunay,  qui  prêtait  son  gracieux  concours  et  a  fort  bien  chanté 
la  Fauvette.  —  M"°  Duranton  a  donné,  salle  Érard,  une  audition  des  œuvres  de 
Gabriel  Fauré  et  de  A.  Périlhou.  Dans  la  première  partie,  à  signaler  quelques 
élèves  de  l'excellent  professeur:  M""  Panny  d'.A.,  .Antoinette  B.,  Marie-Thérèse  B. 
et  M"°  G.  L.  Dans  la  deuxième  partie,  la  Fantaisie,  de  Périlhou,  exécutée  par 
M"°  Duranton  et  l'auteur,  a  eu  un  immense  succès,  après  une  exécution 
magistrale;  M"°  Duranton,  seule,  a  tenu  l'auditoire  sous  le  charme  en  jouant 
avec  une  délicatesse  exquise  Werther,  paraphrase  de  A.  Périlhou.  —  M.  Bernard 
a  donné  une  soirée  au  cours  de  laquelle  on  a  tout  particulièrement  applaudi 
M.  Manoury  et  M""  Bernard  dans  le  duo  d'Hamlel  et  M"°  Bernard,  seule,  dans 
l'air  du  Mysoli  de-  la  Perle  du  Brésitet  dans  l'Ave  Maria  de  Gounod,  accompagné 
par  M»°  Dreyfus  et  Verdie  de  Saula. 

NÉCROLOGIE 
On  annonce  de  Bruxelles  la  mort,  à  l'âge  de  34  ans  seulement,  de  Frantz 
De  Mol,  compositeur,  maître  de  chapelle  et  organiste  aux  églises  de 
Notre-Dame-de-la-Chapelle  et  de  Notre-Dame-de-Bon-Secoun.  Ce  jeune 
artiste  appartenait  à  une  famille  qui  semblait  vouée  au  culte  de  la 
musique,  en  même  temps  qu'elle  est  éprouvée  d'une  façon  singulièrement 
douloureuse.  Il  était  frère  de  Guillaume  De  Mol,  ancien  prix  de  Rome, 
de  F. -M.  De  Mol,  auteur  d'un  opéra,  le  Chanteur  de  Médine,  représenté 
naguère  à  la  Monnaie  ("tous  deux  morts  à  l'heure  présente),  et  de  M.  Joost 
De  Mol,  ancien  chef  d'orchestre  au  Théâtre  flamand,  et  neveu  de  M.  P. 
De  Mol,  ancien  prix  de  Rome,  directeur  de  l'École  de  musique  d'Alost 

—  A  Cologne  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  32  ans,  Gustave  Jensen,  artiste 
distingué  qui  depuis  de  longues  années  était  professeur  de  théorie  musi- 
cale au  Conservatoire  de  cette  ville.  Sans  atteindre  à  la  haute  renommée 
de  son  frère,  le  compositeur  Adolphe  Jensen,  il  s'était  fait  pourtant  une 
notoriété  de  compositeur  de  lieder  et  de  musique  symphonique. 

Henbi  Heugei,,  directeur-gérant. 


LE  MENESTREL 


Soixaïite-d-euxlèrrie    axinée    d©    publication 

PRIMES  1896  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 
,     les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  prolesseurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  ch.ique  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  ClIA^T  ou  pour  le  PIAIVO,  de  moyenne  dilBculié,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CIIA\T  et  PIAiWO. 


C  xi  A.  JN   T    d"  MODE  D'ABOMEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  MÂSSENET 

LA  NAVARRAISE 

ÉPISODE    LYRIQUE    2  ACTES 

Poème  de 
J.  CLARETIE    et    ET.   CAl^V 


AUGUSTÂ  HOLMES 

LA  VISION  DE  LA  REINE 

GRANDE  SCÈNE   POUD   VOIX   DE   FEMMES 

(So/i  et  chœurs) 

Acc  piaxxo,  violoxicelle,  liarpe 


ÉDODARD  6RIEG 

CHANSONS  D'ENFANTS   (7  N-) 

ANDRÉ  GEDÂLGE 

VAUX  DE  VIRE  (8  N-) 

(Les  deux  recueils  pour  une  seule  prime.) 


J.  MASSENET 

POÈME  D'UN  SOIR  (3  N°») 

C.  RLANC  &  L.  DAUPHIN 

CHANSONS  D'ECOSSE  (lo  N-) 

(Les  deux  recueils  pour  une  seule  prime.) 


Ou  à  l'un  des  trois  Recueils  de  Mélodies  de  J. 
ou   à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n"'),  un  volume  relié  in-8",  avec  illustrations  en  couleur  d'ADHIEN  IflARIE 

X^  JL  A.  JN    O    (£=  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT    à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  MÂSSENET 

LA  NAVARRAISE 

ÉPISODE  LYRIQUE  2  ACTES 

Partition,  piano  solo. 


LEON  DELAFOSSE 

VALSES-PRÉLUDES 

POUR   PIANO   (12  ?i") 
"Un  recueil  grand  in.-S° 


MARIE  JÂÉLL 

LES  BEAUX  JOURS 

ET 

LES  JOURS  PLUVIEUX 

34  petites  pièces  pour  piar 


THEODORE  DUBOIS 

SUITE  VILLAGEOISE 

ET 

OUVERTURE  DE  FRITHIOF 

R^diictioiis  pf  piano  à -4  main: 


OU  à  l'un  des  volumes  in-S»  des  CLASSIQUES-MARMONTEL:  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE -LECTEUR,  reproduction  des  manuscrilp  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  du  répertoire  de 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne,  ou  STRAUSS,  de  Paris. 


Um  ET  DE  CHANT 


A  L' 


{i'  Mode)  : 


PARTITION 

POUR 

PIANO  &  CHANT 


XAVIERE 

Iciylle      ca.r"Ei,in.Êit;±cï:-u.^      erx      S      ^.cti 

POEME  DE  LOUIS  GALLET  (PROSE  ET  VERS) 
d'après   le   roman   de    FERDINAND    FABRE 


THÉÂTRE 


L'OPÉRA-COMIQUE 


MUSIQUE 

DE 

THÉor>ortE]    i>xj^ois 

Avec  un  dessin  inédit  de  Jules  Lefebvre. 

NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  «lélivrées  sratuitpnMut  iliiiis  nos  bnre:iux,  3  bis.  Pue  Vivieune,  à  partir  ilu  15  Héccmbi-e  lgt).>,à  tout  ancien 
ou  nourel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  an  IIBiXESTRBli  pour  l'année  I89G.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'l].\  ou  de  DEUX  francs  pour  l'euToi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Utranger,  l'cnTOi  franco 
des  primes  se  rè^le  selon  les  frais  de  Poste.) 

Ifs  abonnés  auChanl  peuvent  prendre  la  primePiimo  el  ïice  versa.-  Ceux  au  Piano  et  au  Clianl  réunis  ool  seuls  droit  à  la  grande  Prime.-  Les  abonnés  au  le Jlc  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 

2"  Moded'abonnemenl:  .louraal-Texta,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  piano 
K.intaUies,  Tnan5nri|itioiis,  Danses,  da  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prima.  Paris  et  Pruvinne,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :  l-'rais  de  posie  en  sus. 


CHANT 

1"  iloded'aboniKmenl:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;2S  morceaux  de  cm\T  : 
Scènes,  Mélodies,  llomances,    paraissant    de   quinzaine  en  quinziine;  i    Recueil- 


Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Etranger,  i''i 


poiLe  en 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 


Afoie  d^abunneinenl  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  loi  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Primo.  -  Un  an  :  30  Irancs,  Paris 

el  Province;  Étranger  ;  Poste  en  sus. 

i"  fJcie.  TE.ÏTE  SEUL,  sTns  droit  îiux  primes,  un  an:  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  32  numéros  de  chaque  année  forment  collecti,in. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  iH.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


X,  HUE  QEitcÈnE,  20,  PARIS.  —   iiicre  '.oriUeni; 


Diinaiiche  12  Janvier  1896. 


3381.  —  62"^  ANNÉE  —  i\">  2.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texto,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Une  chanson  du  seizième  siècle,  Julien  Tieiisoi.  —  II.  Semaine  tliéâlrale  :  Le 
Tliéâtre-Lyrique,  informations,  impressions,  opinions  (10"  article),  Louis 
Gallet.  —  III.  Molière  etia  trompette  marine,  E.  de  Bricqueville.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour  : 

ÉGLANTINES 

nouveau  lied  de  Robert  Fischhof.  —  Suivra  immédiatement  :   Le    Dernier 
Reiidcz-vous,  sonnet  de  Camille  du  Locle,  musique  de  Ehnest  Reyer. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Par  le  sentier  fleuri,  de  Cesare  Galeotti.  —  Suivra  immédiatement  : 
Brises  du  cœur,  valse  de  Philippe  Farbach. 


PRIMES  POUR  L'ANNEE  1896 

{  Voir  à  la  8°  page  du  précédent  numéro.  ) 


UNE  CHANSON  DU  SEIZIÈME  SIÈCLE 

RESTÉE     DANS    LA    TRADITION     POPULAIRE 


Dans  un  précédent  article,  expliquant  les  différences  caracté- 
ristiques entre  les  chansons  populaires  et  semi-populaires, 
j'énonçais  l'opinion  que  ces  dernières,  non  sorties  du  peuple 
mais  simplement  adoptées  par  lui,  avaient  chance  d'être 
oubliées  bien  plus  toi,  et  qu'il  était  rare  de  voir  ces  chansons, 
même  celles  qui  avaient  eu  la  plus  grande  vogue  en  leur 
temps,  traverser  les  siècles  en  se  transmettant  oralement, 
comme  les  premières. 

Mais  il  n'est  pas  de  règles  si  rigides  qui  n'aient  leurs 
exceptions;  et  précisément  aujourd'hui  je  viens  signaler  une 
chanson  semi-populaire  qui  a  pu  être  retrouvée  de  notre 
temps,  cette  année  même,  dans  les  souvenirs  des  chanteurs 
populaires,  mais  qui,  à  l'origine,  il  y  a  au  moins  trois 
siècles  et  demi,  avait  existé  sous  une  forme  artistique 
éminemment  distinguée,  car,  sous  cette  forme  première, 
elle  n'est  autre  qu'une  composition  polyphonique  du  plus 
grand  mailre  de  la  musique  profane  au  XVP  siècle  :  Rolmd 
de  Lassus. 

Les  Lecteurs  modernes  ont  pu,  tout  récemment,  refaire 
connaissance  avec  celte  chanson,  car  elle  ouvre  le  livre  de 


Meslanges  d'Orlamle  de  Lassus  par  lequel  M.  Henry  Expert  a 
inauguré  sa  belle  collection  des  Maîtres  musiciens  de  la 
Renaissance  française.  Encore  ce  livre,  dont  l'original  parut  en 
JS76,  n'esl-il  pas  le  premier  dans  lequel  la  chanson  ait 
été  imprimée,  mais  elle  figurait  déjà,  vingt  et  un  ans  aupara- 
vant, dans  une  des  premières  publications  musicales  du 
maître  montois,  le  Primo  libro  dovesi  contengono  Madrigali,  Villa- 
nesche,  Canson  francesi,  Molleti  a  qmUlro  voci,  imprimé  à  Anvers 
en  1853. 
Voici  le  texte  de  cette  chanson  : 

Las  !  voûlez-vous  qu'une  personne  chante, 
A  qui  le  cœur  no  fait  que  souspirer  ? 
Laissez  chanter  celui  qui  se  contente. 
Et  me  laissez  mon  seul  mal  endurer. 

Là  s'arrête  le  texte  chanté  sur  la  musique  de  Roland  de 
Lassus.  Mais  nous  savons  par  de  nombreux  exemples  que 
les  chansons  en  parties  de  ce  temps-là  n'étaient  le  plus  sou- 
vent composées  que  sur  les  premiers  couplels  de  leurs  poésies, 
ce  qui  n'empêchait  pas  celles-ci  d'avoir  un  développement 
beaucoup  plus  considérable. 

Or,  en  parcourant  récemment  un  des  meilleurs  livres  de 
chansons  populaires  recueillies  de  nos  jours  d'après  la  tradition 
orale  (livre  dont  le  seul  tort  est  de  ne  donner  presque  jamais 
de  musique  et  de  se  borner  aux  seules  poésies  des  chansons), 
les  Chants  populaires  recueillis  dans  le  pays  messin,  par  M.  le  comte 
de  Puymaigre,  j'ai  été  frappé  au  passage  par  la  similitude  du 
début  avec  celui  do  la  chanson  savante  du  seizième  siècle.  Et 
voici  le  texte  complet  de  cette  poésie,  telle  qu'elle  fut. chantée, 
il  y  a  quelques  années  seulement,  à  l'auteur  du  recueil  par 
un  paysan  de  Luttange,  village  de  la  Lorraine  annexée  : 

Pourquoi  vouloir  qu'une  personne  chante 
Lorsqu'ell'  n'a  pas  le  cœur  en  liberté? 
Laissez  chanter  ceux  que  l'amour  contente. 
Et  laissez-moi  dans  mon  malheur  pleurer. 

Pleurez,  mes  yeux,  pleurez  mon  sort  funeste, 
J'ai  tout  perdu  en  perdant  mon  Iris. 
Ne  cess'rez-vous  de  dire,  ma  maîtresse. 
Ah  !  rendez-moi  ce  que  vous  m'avez  pris. 
Que  faut-il  donc,  belle  Iris,  pour  vous  plaire? 
Faut-il  mon  sang?  Il  est  prêt  à  couler. 
Mais  si  mon  sang  ne  peut  vous  satisfaire. 
Faut-il  ma  mort?  Vous  n'avez  qu'à  parler. 

Après  ma  mort  vous  pleurerez,  je  l'jure  ; 

Vous  gémirez,  il  ne  sera  plus  temps. 

Vous  pleurere''.  dessus  ma  sépulture 

En  regrettant  le  plus  funeste  amant. 

Prenez  mon  cœur  et  n'en  prenez  point  d'autre; 

Il  est  à  vous,  je  n'y  prétends  plus  rien. 

Mais  si  j'apprends  que  vous  en  aimez  d'autres. 

Tout  aussitôt  je  reprendrai  le  mien. 

L'i  comparaison    du  premier  couplet  de   cette   poosie   iivec 


10 


LE  MÉNESTREL 


les  quatre  vers  de  la  chanson  de  Roland  de  Lassus  ne  peut 
laisser  aucun  doute  sur  l'identité  des  deux  textes  :  l'on  ne 
peut  même  qu'admirer  la  sûreté  de  la  mémoire  populaire, 
quand  on  songe  qu'elle  a  su  garder  fidèlement  ces  vers  pen- 
dant si  longtemps,  —  car  les  différences  entre  les  deux  stro- 
phes sont  insignifiantes,  procédant  seulement  de  la  nécessité 
instinctive  éprouvée  par  les  chanteurs  de  rajeunir  par  endroits 
les  expressions  d'une  langue  devenue  archaïque;  mais  chaque 
vers  a  conservé  son  sens,  sa  forme  et  ses  rimes,  et  le  mouve- 
ment général  de  la  strophe  est,  dans  les  deux  cas,  identique. 

L'on  ne  peut  douter,  de  même,  que  la  série  des  couplets 
suivants  appartienne  à  la  chanson  ancienne,  et  qu'on  ait 
chanté  sur  ces  vers  mêmes,  au  seizième  siècle,  les  reprises 
successives  de  la  musique  de  Lassus. 

Mais  de  toutes  ces  observations  résulte  évidemment  cette 
conclusion  imprévue:  que  ni  l'écriture  ni  l'impression  n'ont 
su  nous  conserver  ce  morceau,  pourtant  d'origine  essentielle- 
ment littéraire  et  savante,  et  que  seule  la  mémoire  du  peuple 
l'a  apporté  jusqu'à  nous. 

Je  regrettais  vivement,  au  moment  oii  j'ai  été  amené  à 
faire  cette  première  confrontation,  que  le  recueil  moderne 
n'eût  pas  donné  la  mélodie  sur  laquelle  la  chanson  est  res- 
tée populaire  en  Lorraine  :  il  n'eût  pas  été  moins  curieux  de 
constater  s'il  y  restait  aussi  quelques  traits  communs  avec  la 
musique  contrepointée  de  Roland  de  Lassus. 

Par  un  heureux  hasard,  j'ai  été  amené  moi-même  à  remplir 
cette  lacune.  Au  cours  de  mon  récent  voyage  dans  les  Alpes 
françaises,  accompli  sous  les  auspices  du  ministère  de  l'instruc- 
tion publique  dans  le  but  de  recueillir  les  chansons  popu- 
laires conservées  dans  cette  région  jusqu'alors  inexplorée  à 
ce  point  de  vue,  j'ai  en  effet  retrouvé  la  chanson  de  la  «  belle 
Iris  »  :  même  la  version  qui  m'en  fut  chantée  dans  le  Brian- 
çonnais,  outre  que  j'en  pus  noter  l'air,  était,  au  point  de  vue 
des  paroles,  plus  développée  que  la  version  lorraine  :  elle 
avait  en  effet  quatre  couplets  de  plus.  J'ai  tout  lieu  de  sup- 
poser, d'ailleurs,  que  les  trois  derniers  appartiennent  à  une 
autre  chanson,  et  sont  venus  artificieltement  se  souder  à 
la  suite  de  la  précédente,  cas  fréquent  dans  la  chanson 
populaire  :  la  forme  des  vers  et  des  couplets  est  la  même  ; 
mais  le  sentiment  est  tout  autre,  et  le  caractère  de  ces  trois 
couplets  est  d'une  inspiration  bien  plus  franchement  popu- 
laire : 

Dedans  Paris,  il  y-a-t-il  une  fontaine, 
Toute  entourée  de  lauriers  alentour. 


Dans  mon  jardin,  le  rossignol  y  chante,  etc. 

Le  principal  intérêt  de  la  trouvaille  —  indépendamment  du 
fait  inattendu  que  la  galante  chanson  de  cour  du  XVP  siècle 
s'est  conservée  dans  la  mémoire  des  habitants  d'un  pays  si 
éloigné  de  tout  centre  de  civilisation,  —  réside  donc  dans 
la  notation  de  la  mélodie.  La  voici  : 


Assez  leut. 


Quand  eU' n'a    pas    son  cœur  en  ti.ber.  té? Laissez  chiin. 


moi,        et      lais.sez        moi  dans  mon  malheur  pieu  .  rer. 

Et  maintenant,   comparons  avec   la  musique  de  Roland  de 
assus. 
On  sait  quels  étaient  les  procédés  de  composition  les  plus 


familiers  aux  musiciens  du  XV"  et  du  XVI^  siècle.  Les  plus 
anciens  avaient  coutume  d'emprunter  à  un  répertoire  spécial 
une  mélodie  préexistante  et  de  la  faire  chanter  plus  ou  moins 
textuellement  par  une  voix  qu'accompagnaient  les  contre- 
points des  autres  parties.  L'usage  original  était  de  mettre  ce 
«  chant  donné  »  au  ténor;  puis  peu  à  peu  la  partie  de  Supe- 
rius  tendit  à  l'emporter  et  prit  le  chant:  pourtant,  il  resta  tou- 
jours quelque  chose  au  ténor  de  son  ancienne  prépondérance. 
Peu  à  peu,  l'importance  du  chant  antérieur  diminua  ;  au 
temps  de  Lassus,  bien  que  l'usage  n'en  eût  pas  absolument 
cessé,  il  arrivait  souvent  qu'aucun  élément  étranger  ne  s'in- 
troduisait dans  la  composition  harmonique,  dont  l'invention 
appartenait  dès  lors  entièrement  au  compositeur. 

En  est-il  ainsi  pour  la  chanson  qui  nous  iatéresse?  Eq  tout 
cas,  dès  la  première  inspection,  il  faut  écarter  l'hypothèse 
que  la  musique  écrite  par  Roland  de  Lassus  ait  pu  devenir 
populaire  :  elle  est  trop  savante  pour  cela,  et  je  tiens  pour 
certain  qu'aucun  esprit  inculte,  comme  est  celui  des  chan- 
teurs populaires,  n'en  put  jamais  dégager  aucune  mélodie 
précise.  Si  donc  nous  parvenions  à  déterminer  une  aaalogie 
quelconque  entre  cette  musique  et  la  mélodie  notée  dans 
les  Alpes,  il  faudrait  en  conclure  que  c'est  Roland  de  Lassus 
qui  a  emprunté  le  thème  de  la  chanson  à  la  mélodie  même 
sur  laquelle  se  chantaient  antérieurement  les  paroles. 

La  composition  est  d'un  style  essentiellement  polyphonique, 
et  l'on  ne  peut  guère,  tout  d'abord,  reconnaître  une  partie 
pour  être  plus  mélodique  que  les  autres.  En  observant  avec 
soin,  cependant,  on  voit  un  chant  se  préciser  peu  à  peu,  cela 
tout  justement  dans  la  traditionnelle  partie  de  ténor.  Éla- 
guant les  notes  parasites,  mélismes,  répétitions,  etc.  et  donnant 
à  la  notation,  par  l'emploi  de  valeurs  plus  brèves,  uq  aspect 
plus  moderne,  voici  quelle  mélodie  j'ai  pu  extraire  de  cette 
partie  : 


seul  mal  eu  -  du  ,    tet,  mon  seul  mal 


L'on  ne  saurait  dire  évidemment  qu'il  y  ait  identité  entre 
les  deux  formes  de  mélodies.  Et  cependant,  malgré  les  diffé- 
rences considérables,  il  existe  entre  elles  de  grandes  analo- 
gies. La  tonalité  est  la  même;  les  cadences  finales  de  chaque 
vers  tombent  presque  toujours  sur  les  mêmes  notes  ou  sur 
des  notes  appelant  harmoniquement  le  même  accord  (cela  est 
très  important,  car  si,  dans  la  transmission  des  chants  popu- 
laires, les  altérations  portent  presque  toujours  sur  les  des- 
sins purement  mélodiques,  par  contre  le  sentiment  harmo- 
nique latent,  virtuellement  contenu  en  quelque  sorte  dans 
le  chant,  est  toujours  fidèlement  respecté);  même  il  est  cer- 
tains mouvements  mélodiques  qui,  sans  être  absolument 
semblables,  présentent  néanmoins  de  frappantes  analogies: 
je  citerai  notamment  le  dernier  vers:  «  Et  laissez  moi  dans 
mon  malheur  pleurer  »,  comme  comportant  de  notables  res- 
semblances, surtout  au  commencement  et  à  la  cadence  finale. 

Au   reste,  il  est   plus  que  probable   que    les  paysans    des 
Hautes-Alpes  ne  chantent  plus  la  chanson  exactement  comme 


LE  MENESTREL 


dd 


on  la  disait  à  la  cour  d'Henri  II  :  nul  doute  qu'ils  y  aient 
introduit  des  intonations  qui  correspondent  mieux  à  la  rus- 
ticité de  leur  nature;  il  se  pourrait  donc  que  leur  mélodie 
dérivât  elle-même  d'un  autre  chant  plus  conforme  à  celui  de 
Roland  de  Lassus.  Et  pour  ce  dernier  il  n'est  pas  douteux 
que,  loin  de  reproduire  exactement  l'air  antérieur,  il  en  soit, 
en  passant  dans  l'œuvre  polyphonique,  devenu  en  quelque 
sorte  la  variation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'ancienneté  de  la  chanson ,  paroles 
et  musique,  est  bien  établie,  et  cet  exemple,  fùt-il  unique 
dans  son  genre,  est  suffisant  pour  démontrer  combien  est 
reculée  l'origine  des  chansons  exclusivement  conservées  par 
la  mémoire  populaire.  Car  si  cette  mémoire  a  pu  garder  si 
longtemps  et  fidèlement  un  chant  tout  artificiel,  littéraire  et 
nullement  destiné  à  la  transmission  orale,  combien  ne  doivent 
pas  être  plus  anciens  ceux  qui,  sortis  du  peuple,  conçus 
pour  lui  et  par  lui,  nous  sont  parvenus  parfois  en  si  mauvais 
état,  incomplets,  altérés,  —  en  ruines,  en  quelque  sorte,  — 
conservant  toutefois  cette  forte  saveur  qui  reste  toujours  à 
ce  que  la  nature  a  produit  directement? 

Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


LE  THEATRE-LYRIQUE 

INFOBMATIONS  —    IMPBESSIONS   —   OPINIONS 


La  clôture  de  l'exercice  1893  va  donner  très  probablement,  au 
conseil  municipal,  l'occasion  toute  neuve  de  reprendre  l'étude 
de  la  création  du  Théâtre-Lyrique.  On  m'affirme  que  le  rapport  sur 
cette  affaire  émanera  très  prochainement  de  M.  Deville.  La  grosse 
question  financière  y  sera  certainement  traitée,  et  les  membres  de 
la  grande  assemblée  municipale  pourront  prendre  une  résolution  et 
en  réaliser  les  effets,  avec  cette  promptitude  qu'ils  savent  mettre  aux 
choses  qu'ils  ont  vraiment  à  cœur;  et  celle-ci  est  du  nombre,  il  n'en 
faut  pas  douter. 

Trop  de  sympathies  l'entourent,  trop  d'encouragements  d'en  hant 
lui  viennent,  pour  que  nous  n'ayons  pas,  cette  année,  ce  Théâtre- 
Lyrique  dont  la  nécessité  s'impose,  de  plus  en  plus  impérieuse,  en 
présence  du  flot  montant  des  œuvres  nouvelles,  de  la  diffusion  de 
plus  en  plus  grande  du  goût  musical. 

Au  théâtre,  la  musique  est  partout  chez  elle  maintenant.  Le  drame 
l'a  épousée;  il  n'est  pas  à  la  Comédie-Française,  par  exemple, 
d'œuvre  un  peu  marquante  qui  se  passe  de  sa  compagnie.  D'autre 
part,  le  nombre  des  concerts  se  mulliplie  et  on  s'ingénie  a  y  pré- 
senter, dans  les  meilleures  conditions  possibles,  à  l'état  fragmen- 
taire, certains  onvrages  dramatiques  inédits. 

Les  concerts  de  l'Opéra,  notamment,  ont  affirmé  cette  tendance 
louable  à  la  vulgarisation  des  œuvres  de  la  nouvelle  génération  de 
compositeurs  qui,  encore  un  peu,  va  devenir,  comme  celle  des  jeunes 
médecins,  comparable  à  la  postérité  d'Abraham.  Les  uns  fatalement 
vont  manquer  de  malades  et  les  autres  de  théâtres,  dût-on  inventer 
de  nouveaux  microbes  ou  fonder  dix  théâtres  lyriques  au  lieu   d'un. 

Si  brillants  et  réussis  que  soient  ces  concerts  de  notre  Académie 
nationale  de  musique,  quelque  considérable  succès  qu'ils  aient  ob- 
tenu, ils  ont  été,  il  faut  bien  le  dire,  en  ce  qui  touche  la  musique 
dramatique,  un  excitant  plutôt  qu'une  satisfaction.  Ils  ont  fait  voir 
plus  clairement  l'absolue  nécessité  de  la  création  d'un  troisième 
grand  théâtre  musical,  car,  mettant  en  lumière  quelques  jeunes 
symphonistes,  ils  ont,  en  quelque  sorte,  d'autre  part  amoindri  les 
compositeurs  de  pure  essence  dramatique. 

Les  œuvres  conçues  pour  le  concert  seul  y  ont,  en  effet,  éclaté  de 
toutes  leurs  qualités  réunies.  Rien  de  ce  que  leurs  auteurs  y  ont 
voulu  mettre  ne  leur  a  fait  défaut.  Il  n'en  a  pas  été  malheureusement 
de  même  des  pages  choisies  dans  les  partitions  destinées  au  théâtre. 
A  l'audition  de  ces  fragments,  on  a  sans  doute  pu  constater  la  valeur 
professionnelle  des  compositeurs,  mais  il  y  a  manqué  le  principal 
agent  du  succès  :  la  vie,  le  mouvement  dramatique,  l'action,  en  un 
mot,  sans  laquelle  un  opéra,  un  drame  lyrique,  ne  peut  se  faire  juger 
,  en  son  inlégrité  absolue.  Il  y  a  des  Irons,  des  vides,  ce  qu'on  appelle 


à  la  scène  «  des  loups  ».  L'attention  s'y  fatigue,  et  l'œuvre  y  perd 
considérablement. 

Il  est  à  croire  que  les  jeunes  essayistes,  d'abord  pleins  d'ardeur 
pour  ces  expériences  qui  allaient  les  mettre  face  à  face  avec  le 
public,  y  regarderont  à  deux  fois  maintenant  avant  de  monnayer  au 
concert  un  ouvrage  dramatique,  à  moins  que  ce  soit  seulement  pour 
en  détacher  une  grande  page  instrumentale,  comme  cela  fut  fait  pour 
l'ouverture  du  Roi  d'Ys  et  pour  celle  de  Sigurd.  S'ils  sont  prudents 
et  ménagers  de  leur  avenir,  ils  se  garderont  comme  du  feu  de  risquer 
une  scène  comme  celle  de  Fervaal  ou  celle  du  Duc  de  Ferrare  ;  ils  ne 
peuvent  sortir  que  diminués  d'une  telle  épreuve. 

Mais  un  vaste  champ  reste  aux  organisateurs  de  ces  beaux  concerts, 
comme  aux  musiciens  appelés  à  en  défrayer  les  programmes.  A  côté 
de  fragments  d'ouvrages  dramatiques  classiques  ou  bien  connus,  et 
qui,  eux,  ne  risquent  rien  à  cette  réédition,  au  contraire,  puisqu'elle 
évoque  parfois  1res  heureusement  le  souvenir  d'une  exécution  drama- 
tique intégrale  et  en  prépare  la  reprise,  comme  cela  s'est  passé  poui 
certains  fragments  du  Roi  de  Lahore  et  plus  récemment  de  Prose?'pine, 
on  entendra,  avec  un  intérêt  de  plus  en  plus  vif,  des  œuvres  poly- 
phoniques écrites  sans  préoccupation  de  la  scène,  etparoîi  cependant 
des  tempéraments  dramatiques  se  peuvent  révéler. 

Les  concerts  de  l'Opéra  concourront  donc  ainsi  à  l'argumentation  en 
faveur  du  Théâtre- Lyrique,  non  par  le  débit  imprudent  des  ouvra- 
ges inédils  destinés  au  théâtre,  mais  par  la  mise  en  relief  de  person- 
nalités armées  pour  la  conquête  du  théâtre. 

Maintenant,  si  tout  nous  dit  et  concourt  à  nous  prouver  que  nous 
aurons,  cette  année,  le  Théâtre-Lyrique,  rien  ne  nous  dit  de  quelle 
façon  nous  l'aurons,  sous  quelle  forme,  et  oh. 

On  parle  de  combinaisons  qui  mettraient  les  trois  grands  théâtres 
de  musique  enlre  les  mêmes  mains.  Il  faut  réserver  l'examen  des 
avantages  et  des  inconvénients  de  cette  problématique  Triplice  pour 
le  moment  oîi  elle  se  produirait. 

Il  y  a  encore  la  conception  que  nous  appellerons  celle  des  étoiles 
doubles,  dont  l'une  brillerait  à  la  place  Favart,  et  l'autre  à  la  place 
du  Châtelet,  sous  l'œil  d'un  unique  dieu. 

Il  y  a  le  projet  Morlet,  plus  modeste,  qui  par&it  en  passe  d'aboutir. 
Il  a  au  moins  la  valeur  de  l'indépendance,  se  présentant  affranchi 
de  toute  servitude  née  de  la  poursuite  d'une  subvention. 

11  y  a  enfin  d'autres  idées  ;  des  nébuleuses,  qui  vont  se  condenser 
certainement,  dès  que  se  sera  ouverte  une  voie  propre  à  leur  évolution. 

Ce  qu'il  y  a  par-dessus  tout,  non  de  tangible  encore,  malbeureuse- 
m  ent,  c'est  une  bonne  et  ferme  intention  de  bien  faire,  intention 
affirmée  dans  les  sphères  officielles,  qu'on  les  explore  dans  la  région 
de  l'Hôtel  de  Ville  ou  dans  celles  du  Corps  législatif  et  delà  direction 
des  Beaux-Arts. 

«  Bien  insuffisante,  dit  notamment  M.  Maurice  Faure,  rapporteur 
de  la  Commission  du  budget  pour  les  Beaux-Arts,  bien  insuffisante 
est  une  seule  scène  pour  l'opéra-comique,  où  excellent  particulière- 
ment nos  auteurs,  et  très  désirable  serait  la  fondation  d'un  Théâtre- 
Lyrique.  Il  conviendrait  de  hâter,  pour  la  faciliter,  la  construction 
du  nouvel  Opéra-Comique,  en  activant  les  travaux,  dont  la  lenteur 
est  vraiment  déplorable.  On  donnerait  ainsi  au  conseil  municipal  de 
Paris,  qui  a  mis  à  l'étude  la  création  d'un  Opéra  Populairejle 
moyen  de  réaliser  ce  projet  dans  la  vaste  et  belle  salle,  devenue 
libre,  de  la  place  du  Châtelet.  » 

Pour  .aujourd'hui  nous  resterons  sur  ces  bonnes  paroles,  qui  asso- 
cient très  heureusemant  la  Ville  et  l'État  dans  une  commune  pen- 
sée très  favorable  à  notre  renaissance  musicale. 

Louis  Gallet. 


MOLIÈRE  ET  LA  TROMPETTE  MARINE 


Peu  de  personnes,  même  parmi  les  musiciens,  savent  au  juste  en 
quoi  consiste  une  trompette  marine.  Mais,  silôt  le  nom  prononcé,  tout 
le   monde  est  prêt  à  citer  le  Bourgeois  gentilhomme  : 

LE  MAITRE   DE    MUSIQUE 

!'   Il  nous  faudra   trois   voix...   qui   seront  accompagnées   d'une  basse  de 
viole  et  d'un  clavecin  pour  les  basses  continues. 

M.    JOURDAIN 

Il  y  faudra  mettre  aussi  une  trompette  marine.  La  trompette  marine  est 
un  instrument  qui  me  plaît  et  qui  est  harmonieux. 

g_  Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  pour  vouer  l'instrument  à  un  ridicule 
éternel.  Ouvrez  par  exemple,   le  catalogue  du   Musée  du  Conserva- 


12 


LE  MENESTREL 


toire,  dressé  par  Gustave  Chouqiiel.  Vous  y  lirez  ceci  :  «  la  trompette 
marine,  dont  Molière  s'est  spiritucUemeiil  moqué  ».  H  est  probable 
que  si  l'illustre  comique  n'avait  jamais  trouvé  de  trait  plus  spirituel, 
sa  gloire  eût  été  un  peu  amoindrie. 

Kastner  lui-même,  le  docte  Kastner,  si  bien  documenté  d'ordinaire, 
tombe  dans  l'erreur  commune  :  «  C'était,  —  dit-il  dans  sa  Parémio- 
logie  mw^icale,  —  c'était  l'instrument  de  M.  de  Pourceaugnac  (le 
lapsus  est  un  peu  fort,  mais  passons),  ce  qui  prouve  que  du  temps 
de  Molière,  la  trompette  marine  était  déjà  tournée  en  ridicule.  » 

Or,  est-il  vrai  que  Molière  se  soit  à  ce  point  moqué  de  la  trom- 
pette marine  ?  Assurément,  si  l'on  se  représente  l'instrument  comme 
une  conque,  un  coquillage  en  spirale,  tel  qu'en  emboucbent  les 
dieux  de  plomb  des  bassins  de  Versailles,  le  choix  de  M.  Jourdain 
parait  au  moins  bizarre. 

Mais  tout  autre  est  l'appareil.  Figurez-vous  la  caisse  d'une  harpe, 
surmontée  d'un  maache  fluel,  qui,  lui-même,  se  termine  en  une 
tète  on  crosse,  le  tout  mesurant  de  ■[",80  à  2  mètres  et  quelquefois 
plus  de  hauteur. 

A  vrai  dire,  la  construction  de  l'appareil  sonore  est  généralement 
très  simple.  Le  fond  se  compose  de  trois,  cinq  ou  sept  pans  de  bois 
d'érable,  passé  au  même  vernis  que  les  violons  ou  les  violoncelles; 
la  table  est  de  sapin  ou  de  cèdre,  quelquefois  ornée  d'une  rosace 
découpée  ;  enfin,  il  n'est  pas  rare  qu'une  tête  d'homme  ou  un  masque 
de  lion  décore  l'extrémité  du  cheviller.  Il  n'y  a  rien  là.  ou  l'avouera, 
de  plus  grotesque,  quant  à  l'aspect,  que  ce  qu'on  voit  en  une  contre- 
basse, un  basson,  un  serpent  ou  un  trombone. 

Le  long  de  la  pyramide  que  nous  avons  décrite,  une  seule  corde  est 
tendue  :  elle  porte,  vers  son  extrémité  inférieure,  sur  un  chevalet  en 
forme  d'arc  surbaissé,  dont  les  deux  pieds  sont  de  hauteur  inégale  : 
l'un  adhère  à  la  table  d'harmonie  ;  mais  l'autre,  plus  court  d'une 
ligne  ou  deux,  tremblote  sur  une  petite  plaque  d'ivoire,  de  corne  ou 
de  verre. 

L'exécutant,  étendant  l'instrument  devant  lui  de  manière  que  la 
crosse  porte  à  peu  près  au-dessus  du  sein  gauche,  attaque  la  corde 
avec  un  archet  do  forte  dimension,  non  pas  à  hauteur  du  chevalet, 
mais  immédiatement  au-dessous  du  sillet,  et  le  pouce  de  la  main  gauche 
eflleure  la  corde  aux  endroits  précis  où.  celle-ci  peut  donner  ses 
harmoniques  naturels.  Il  ne  s'agit  donc  plus  ici  de  monocorde 
proprement  dit,  simple  appareil  de  physique  à  l'aide  duquel  les 
théoriciens  du  moyen  âge  étudiaient  la  hauteur  mathématique  des 
sons,  mais  d'un  véritable  instrument  de  musique. 

Donc,  de  ces  trois  artifices  : 

i"  Frottement  de  la  corde  vers  son  extrémité  supérieure, 

2°  Production  systématique  des  aliquotes  du  son  principal, 

3°  Frémissement  du  chevalet  sur  une  plaque  de  matière  dure  qui 
en  renforce  l'intensité, 

résulte  une  sonorité  spéciale  qui  imite  à  s'y  méprendre  celle  d'une 
trompette  ordinaire. 

Nous  en  avons  pour  garant,  outre  notre  propre  expérience,  le 
témoignage  de  tous  les  autours  anciens  qui  ont  traite  de  l'organo- 
graphie,  en  particulier  de  La  Hire,  le  savant  physicien  qui  consacre  à 
l'étude  de  la  trompette  vingt  pages  grand  in-4°  des  Mémoires  de  l'Aca- 
démie des  Sciences  (t.  IX  1699)  et,  plus  récemment,  de  l'Encyclopédie. 
Le  rédacteur  de  l'article  inséré  dans  ce  recueil  n'a  point  du  tout  l'air 
de  trouver  dans  la  phrase  de  Molière  une  «  plaisanterie  spirituelle  ». 

Toutefois,  la  construction  de  l'appareil  présentait  d'assez  grosses 
difficultés.  Le  point  délicat,  c'était  de  régler  exactement  le  chevalet. 

Pour  peu  que  le  pied  destiné  à  trembler  touchât  à  la  table,  l'elfet 
ne  se  produisait  pas  et  l'on  ne  percevait  plus  que  le  grincement  de  la 
corde.  L'intervalle,  au  contraire,  était-il  trop  grand,  dans  ce  cas  la 
série  des  chocs  n'étant  plus  assez  rapide  pour  constituer  un  sou 
musical,  il  ne  résultait  do  l'ébranlement  du  chevalet  qu'un  bruit 
rauque,  discontinu,  épouvantable. 

La  plupart  des  trom;^)ette3  marines  qui  sont  arrivées  jusqu'à  nous 
ont  perdu  leur  chevalet.  Si  cet  accessoire  indispensable  n'a  pas  élé 
replacé  selon  toutes  les  règles,  il  est  certain  que  le  résultat  obtenu 
justifie  l'opinion  do  ceux  qui  voient,  dans  la  phrase  de  Molière,  une 
désignation  au  ridicule. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  chevalet  bien  ajusic,  il  fallait  encore  déter- 
miner le  point  précis  oîi  il  devait  recevoir  l'encoche  pour  la  corde.  El 
cette  corde,  il  était  nécessaire,  en  la  choisissant,  d'en  bien  calculer 
la  force  en  vue  des  harmoniques  qu'elle  devait  produire.  Le  Père 
Merscnne  conseille  «  d'user  de  grosses  corJos  de  raquettes  qui  sont 
faites  de  douze  boyaux  de  mouton  ». 

On  devine  que  toutes  ces  opérations  prélimioaiies  exigeaient  du 
temps,  de  la  patience  et  surtout  une  main  expérimentée.  Il  fallait 
alors    fdire   sonner  l'instrument,   ol   ici,    d'après    tous    les    auteurs 


anciens,  la  difficulté  était  telle  que  l'on  rencontrait  peu  de  musiciens 
capables  de  la  surmonter  à  l'entière  satisfaction  des  auditeurs. 

Nous  ne  jugerions  pas  de  la  qualité  d'un  violon,  fùt-il  de  Stradi- 
varius, en  l'entendant  racler  par  un  ménétrier.  Pouvons-nous  avoir 
une  idée  juste  de  la  valeur  musicale  d'un  instrument  qui  nous  arrive, 
après  deux  siècles  d'abandon,  tout  désemparé,  monté  d'une  corde 
de  hasard,  d'un  chevalet  grossier  et  joué  en  dehors  des  principes 
élémentaires? 

Il  est  certain  que  la  trompette  marine  fut,  en  son  temps,  appréciée 
surtout  dans  les  couvents  de  femmes  oîi  se  donnaient  fréquemment 
des  auditions  musicales.  Il  était  plus  facile  aux  nonnes  de  frotter 
une  corde  que  d'emboucher  un  tube  de  cuivre.  Nous  ne  connaissons, 
en  fait  de  musique  spécialement  composée  pour  l'instrument,  que 
trente-six  petits  morceaux  insérés  par  un  auteur  a Uemand.J.  M.  GetHe, 
d'Augsbourg,  dans  un  recueil  intitulé  :  Musica  genialis  germanico 
lalino.  4674. 

Le  compositeur  italien  Cavalli  avait  déjà  introduit  dans  son  opéra 
do  Serse  une  entrée  de  matelots  jouant  de  la  trompette  marine.  L'ouvrage 
fut  représenté  devant  la  cour  de  Fiance,  au  Louvre,  le  29  novem- 
bre 1660. 

Celte  idée  d'armer  des  matelots  d'une  trompette  marine  implique 
une  pétition  de  principe.  On  n'a  jamais  su  pourquoi  la  trompette 
monocorde  s'était  décorée  de  cette  épithète,  et  aucune  des  explica- 
tions qu'on  a  voulu  donner  n'est  admissible.  Quelques-uns  y  ont  vu 
une  altération  du  mot  mariana,  la  trompette  en  question  étant 
employée  surtout  dans  les  couvents  à  accompagner  les  hymnes  en 
l'honneur  de  la  Vierge  Marie.  Nous  donnons  l'étymologie  pour  ce 
qu'elle  vaut...  et  elle  ne  parait  pas  valoir  grand'chose.  En  Allemagne, 
on  l'appelle  encore  aujourd'hui  Trummscheit,  Nonnenbass,  NonnentrompetI 
ou  mieux  Nonnengeige,  «  violon  de  religieuse  »,  d'après  son  affectation 
la  plus  usuelle  ;  le  terme  primitif  était  Timpanischiza.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'art  des  constructions  navales  n'a  rien  à  voir  là-dedans. 

Saisit-on  maintenant  les  raisons  qui  engageaient  Molière  à  tourner 
on  ridicule  la  trompette  marine,  plutôt  que  la  basse  de  viole,  le 
ihéorbe  ou  le  clavecin  ? 

Trouvait-il  dans  ce  mot  quoi  que  ce  soit  qui  pût  exciter  le  rire 
parmi  un  public  familiarisé  de  longue  date  avec  l'aspect  et  le  son  de 
l'instrument?  Ce  qui  est  comique,  c'est  la  prétention  du  bourgeois 
gentilhomme  de  vouloir  introduire  dans  sa  musique  de  chambre, 
parmi  les  violons,  les  théorbes  et  les  clavecins,  cet  instrument 
bruyant  destiné  à  sonner  en  plein  air  ou  à  faire  sa  partie  dans  un 
orchestre  complet.  C'est  comme  si  l'on  engageait  un  trombone  à 
venir  concerter  avec  des  violons  et  des  mandolines.  L'idée  serait 
saugrenue,  sans  que  le  trombone  perdît  pour  cela  la  considération 
qu'il  mérite. 

Et  encore,  qui  pourrait  affirmer  que,  du  temps  de  Molière,  il  ne  se 
trouvait  pas  un  virtuose  capable  de  se  faire  applaudir  sur  la  trompette 
marine,  même  dans  un  salon,  comme  ont  su  le  faire,  de  nos  jours, 
Vivier  sur  le  cor  et  Bottesini  sur  la  contrebasse? 

En  somme,  il  n'y  a  pas  d'instruments  ridicules. 

Il  n'y  a  que  de  sots  musiciens. 

EUG.    DE  BftICQUEVILLE. 


:t^OUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (0  janvier)  : 

Une  nouvelle,  tout  d'abord.  A  la  suite  du  succès  à'Evangéline,  la  direc- 
tion de  la  Monnaie  a  immédiatement  reçu  le  drame  lyrique,  nouvellement 
terminé,  de  M.  Xavier  Leroux,  William  Ratctiff,  dont  les  concerts  Colonne 
ont  exécuté  naguère  des  fragments.  L'ouvrage,  tiré  du  poème  de  Henri 
Heine,  est  en  trois  actes  et  quatre  tableaux  ;  il  fera  partie  du  programme 
de  la  prochaine  saison  théâtrale  et  aura  pour  principaue  interprètes, 
choisis  dès  à  présent,  M.  Seguin  et  M""  Georgette  Leblanc,  —  si  M""  Le- 
blanc, comme  on  l'espère,  fait  encore  partie  l'an  prochain  de  la  troupe  de 
la  Monnaie. 

Hier  on  a  i épris  le  Roi  d'Ys  pour  M'""  Landouzy,  qui  nous  quitte  mal- 
beureusement  à  la  fin  du  mois.  On  saitque  c'est  elle  qui  créa  à  Bruxelles, 
il  y  a  quelques  années,  le  rôle  de  Rozenn  dans  le  charmant  et  savoureux 
ouvrage  de  Lalo.  Elle  y  a  été,  hier  comme  alors,  pleine  de  gentillesse  et 
de  grâce,  dessinant  avec  une  finesse  élégante  les  pittoresques  mélodies 
bretonnes  qui  donnent  tantde  pittoresque  et  de  couleur  à  cette  belle  par- 
tition. On  a  applaudi,  à  coté  d'elle,  M.  Seguin,  un  superbe  Karnac,  et 
M""  Armand,  pleine  d'autorité  et  d'expression  dans  le  rôle  de  Margared. 
Celui  de  Mylio  convient  peu  à  M.  Gibert.  L'orchestre  a  été  remarquable, 
et  l'exécution  très  brillante. 

En    attendant  le    Tannhailser,  —  qui    sera,  avant   Tlidïs,  que  Ton  répète 


Lt;  MÉNESTREL 


13 


régulièrement,  la  prochaine  grande  «  première  »  attendue,  —  nous  aurons, 
ce  mois-ci  encore,  une  reprise  de  la  Fille  du  Régiment  avec  M'"»  Landouzy, 
la  reprise  du  ballet  de  M.  Flon,  Myosotis,  et  l'acte  inédit  de  feu  Rag- 
ghianti,  Jean-Marie  (orchestré  par  M.  Paul  Gilson),  d'après  le  drame  de 
M.  André  Theuriet.  Enfin,  j'apprends  à  l'instant  que,  le  mois  prochain, 
M"'  Van  Zandt  viendra  nous  donner  quelques  représentations.  Ce  sera 
pour  la  Monnaie  une  attraction  spéciale,  la  créatrice  de  Lakmc  n'étant 
jamais  venue  à  Bruxelles. 

Nous  avons  eu,  en  ces  temps  derniers,  deux  concerts  particulièrement 
intéressants.  Au  Conservatoire,  l'exécution  de  la  grand'messe  de  Bach  a 
été  admirable,  et  l'impression  en  a  été  profonde.  M.  Gevaert  avait  préparé 
longuement,  laborieusement,  cette  séance  importante  et  en  avait  fait  une 
solennité.  Le  chef-d'œuvre  du  vieux  maître  a  été  rendu  dans  tout  son 
caractère,  l'ampleur  de  son  style  et  la  grandeur  de  ses  belles  lignes, 
sobres  et  imposantes.  Le  Conservatoire  de  Bruxelles,  outillé  comme  il  est, 
et  dans  les  conditions  où  se  donnent  ses  concerts,  est  véritablement  seul 
capable  aujourd'hui  de  pareils  tours  de  force,  —  seul  capable  surtout  d'y 
apporter  une  pareille  perfection,  rappelant  les  belles  solennités  d'autre- 
fois, aux  festivals  rhénans.  Et  c'est  d'ailleurs  la  gloire,  —  et  c'est,  pour- 
rait-on dire  aussi,  la  récompense,  —  du  grand  artiste  qui  lo  dirige,  et  qui 
y  met  à  la  fois  tant  de  science  et  tant  d'ardeur. 

Au  Cirque  royal,  enfin,  ont  été  inaugurés,  dimanche,  les  concerts  de  la 
Société  symphonique  de  M.  Eugène  Ysaye.  L'orchestre,  composé  de  musi- 
ciens pris  en  m-ijeure  partie  en  dehors  de  l'orche.atre  de  la  Monnaie,  a 
exécuté  d'une  façon  très  vivante  et  très  correcte  en  même  temps,  et  un 
peu  dans  les  traditions  nouvelles  allemandes,  plus  simples  que  les  tradi- 
tions ordinaires,  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven,  un  pittoresque 
poème  de  M.  Henri  Du-parc,  Lénore,  la  Marche  joyeuse  de  Ghabrier  et  des 
fragments  symphoniques  de  notre  compatriote  M.  Gustave  Huberti.  Dans 
tout  cela,  M.  Eugène  Ysaye  a  fait  preuve  d'autant  d'intelligence  comme 
chef  d'orchestre  qu'il  montre  habituellembnt  de  talent  comme  violoniste. 
On  a  fait  également  un  très  grand  succès  à  -M"*  Kleeberg,  la  pianiste 
soliste  de  ce  premier  concert.  Avec  l'élégance,  le  brio  et  le  syle  qui  ont 
fait  d'elle  depuis  longtemps  une  des  reines  du  clavier.  M"'  Kleeberg  a 
joué  le  concerto  en  ta  mineur  de  Schumann,  des  morceaux  de  Schubert 
et  de  Saint-Saëns  et  un  délicieux  fragment  des  Poèmes  sylvestres  de 
Théodore  Dubois,  qui  lui  ont  valu  des  rappels  aussi  nombreux  qu'enthou- 
siastes. 

Les  théâtres  de  province  ont  fait,  jusqu'à  présent,  assez  peu  de  bruit. 
Mais  voici  le  Grand-Théâtre  de  Gand  qui  sonne  le  réveil  en  représen- 
tant, pour  la  première  fois  en  Belgique,  le  grand  opéra  de  M.  Henri  Maré- 
chal, Calendal,  qui  parut  à  Rouen  l'année  dernière.  L'œuvre,  gracieuse, 
charmante,  par  moments  très  dramatique,  —  et  que  je  n'ai  plus  à  analyser 
ici,  où  elle  le  fut  excellemment,  —  de  l'aimable  compositeur  français,  a 
obtenu  jeudi,  à  Gand,  un  réel  succès.  L'accueil  fait  aux  deux  premiers 
actes  avait  été  assez  froid;  on  avait  goûté  toutefois  le  madrigal,  l'air  des 
joueurs  et  le  finale  du  premier  acte,  ainsi  que  le  duo  du  deuxième.  Mais 
le  troisième,  avec  le  grand  air  de  Calendal,  celui  de  Severan,  la  scène 
d'orgie,  le  ballet,  et  surtout  le  quatrième,  dont  le  ravissant  duo  a  été 
acclamé,  ont  échauiïé  le  public  et  achevé  la  soirée  victorieusement.  L'in- 
terprétation est  très  satisfaisante.  M"=  Levering  et  la  ténor,  M.  Gauthier, 
se  sont  spécialement  distingués.  Et  le  compositeur  qui  assistait  à  la  pre- 
mière de  son  œuvre  en  Belgique  et  en  avait  surveillé  les  dernières  répé- 
titions, s'est  vu  décerner  par  le  public  les  honneurs  du  triomphe.  L.  S. 

—  La  famille  royale  anglaise  va  donner  des  concerts  dont  le  produit  est 
destiné  à  acheter  de  nouveaux  instruments  à  vent  pour  les  nombreuses 
bandes  de  musiciens  allemands  (Germon  bandsj  qui  infestent  Londres  et  les 
autres  villes  du  Royaume-Uni,  comme  le  sait  quiconque  a  jamais  mis  le 
pied  en  Angleterre.  Le  prince  de  Galles  a  suivi  l'exemple  de  son  neveu, 
le  compositeur  de  l'Hymne  à  Aegir,  et  a  composé  une  cantate  pour  soli, 
chœur  et  orchestre  qui  sera  exécutée  dans  un  de  ces  concerts.  Son  fils,  le 
duc  d'York,  donnera  un  récital  de  piano,  et  sa  femme,  la  duchesse  May 
d'York,  se  fera  entendre  sur  le  banjo,  instrument  des  nègres  américains 
qui  est  devenu  très  populaire  dans  les  salons  du  grand  monde  anglais.  La 
princesse  Christian  chantera  enfin  un  solo  de  soprano  dans  le  Messie  de 
Hœndel,  qu'une  société  chorale  va  produire  à  Slough.  Ces  princes  et  prin- 
cesses ne  sont  pas  les  seuls  membres  de  la  famille  royale  d'Angleterre  qui 
pourraient  débuter  ainsi  dans  les  concerts,  sans  parler  de  la  re'ine  Victoria 
elle-même,  qui  est  une  excellente  pianiste.  Son  professeur  Félix  Mendels- 
sohn  en  était  fort  content,  il  y  a  soixante  ans, 

—  Le  tabac,  au  théâtre...  a  Londres.  Sir  Augustus  Harris,  directeur  de 
Covent-Garden,  dans  une  interview  récente,  s'est  prononcé  carrément 
pour  le  droit  de  fumer  au  théâtre.  «  Ce  n'est  que  le  jour  où  l'on  pourra 
fumer,  manger  et  boire  dans  nos  théâtres,  a-t-il  dit,  que  nous  souffrirons 
moins  de  la  concurrence  des  cafés-concerts  et  des  théâtres  de  variétés.  Je 
voudrais  que  le  prince  de  Galles,  qui  s'est  fait  récemment  servir  un  sou- 
per dans  sa  loge,  trouvât  beaucoup  d'imitateurs.  Combien  de  gens  ne  vont 
pas  au  théâtre,  une  fois  leur  besogne  finie,  que  parce  qu'il  n'y  trouvent 
rien  à  manger.  C'est  parmi  ces  gens-là  que  se  recrutent  la  plus  grande 
partie  des  habitués  des  cafés-concerts.  .Je  comprends  qu'il  ce  soit  pas 
permis  de  fumer  partout:  le  parterre  et  l'orchestre  pourraient  être  réser- 
vés aux  non-fumeurs,  mais  je  ne  vois  aucun  inconvénient  à  ce  qu'on 
fume  dans  les  galeries  et  dans  les  loges.  »  Ce  sera  du  propre!  Musique, 
art,  rosbeef  et  tabagie  mélangés  !  Conception  bien  anglaise. 


—  La  production  musicale  en  Italie  prend  des  proportions  quasi  fabu- 
leuses, et  nos  confrères  d'outre-monts  n'enregistrent  pas  moins  de  78  ou- 
vrages dramatiques  au  compte  de  l'année  1895.  Il  est  vrai  que,  d'une 
part,  l'opérette  sévit  chez  nos  voisins  avec  une  fureur  que  nous  avons 
nous-mêmes  à  peine  connue,  et  que  sur  c'est  total  de  78,  on  en  compte  envi- 
ron une  cinquantaine,  et  que,  d'autre  part,  les  journaux  enregistrent 
tout  :  les  petits  ouvrages  représentés  par  des  amateurs,  ceux  exécutés  dans 
les  Conservatoires  et  dus  aux  élèves  de  ces  établissements,  etc.  En  fait, 
la  production  sérieuse  ne  dépasse  guère  Je  chifîre  d'une  vingtaine  d'ou- 
vrages. Voici  d'ailleurs  la  liste  complète  des  œuvres  nouvellement  repré- 
sentées en  189S,  telle  que  nous  la  résumons  d'après  nos  confrères  italiens: 
1.  El  Sogn  de  Milan,  opérette  en  un  acte,  en  dialecte  milanais,  de  M.  Buzzi- 
Pescia,  Milan,  th.  Garcano.  —  2.  Santuzza,  opéra  en  un  acte,  de  M.  Oreste 
Bimboni,  Palerme,  Politeama  Garibaldi.  —  3.  L'Agenzia  del  Commendalore, 
scherzo-comique  en  un  acte,  de  M.  Castellani,  Mantoue,  th.  Andreani.  — 
4.  La  Topaledda,  vaudeville-opérette,  de  M.  Giuseppe  Ferri,  Campoligure. 
—  S.  L'Ispezione  scolaslica,  opérette  en  2  actes,  de  M.  Giuseppe  Berrini, 
Varese.  —  6.  Il  Sindaco  innamorato,  id.,  de  M.  Icilio  Monti,  Fiesole.  — 
7.  Le  Baruffe  Chiozzotte,  opéra-boufl'e  en  2  actes,  en  dialecte  vénitien,  de 
M.  E.  Benvenuti,  Florence,  th.  Pagliano.  —  8.  A  mesura,  vaudeville-opé- 
rette en  un  acte,  en  dialecte  napolitain,  de  M.  Giuseppe  Tinto,  Naples, 
th.  Parthénope.  —  9.  Il  Maggiore  Crénom,  opérette  en  deux  actes,  de 
M.  Bracco,  Gènes,  th.  ApoUo.  —  10.  La  Banda  rossa,  «  bizarrerie  comi- 
que »,  de  M.  V.  Cunzo,  Naples,  th.  Rossini.  —  II.  Una  Nolla  nel  deserlo, 
opéra  sérieux  en  2  actes,  de  M.  Nicola  Urien,  Milan,  Alhambra.  — 12.  Ei-a, 
«  bizarrerie  comique  »  en  3  actes,  de  divers  compositeurs  (?),  Naples, 
th.  de  la  Fenice.  —  13.  I  Roumakal,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  Fede- 
rico Rossi  (posthume),  Vercelli,  th.  Civique.  —  14.  Fragolina  e  Peripicchio, 
"  fable-ballet  »,  paroles  et  musique  de  M.  Camenis,  Colle  Val  d'Eisa.  — 
lo.  Il  Suggerilore,  vaudeville-opérette  en  un  acte,  paroles  et  musique  de 
M.  Copcevich,  Padoue,  th.   Verdi.   —   16.  Vendetta  Sarda,  opéra  sérieux  en 

2  actes,  de  M.  Cellini,  Naples,  th.  Mercadante.  —  17.  Il  Sindaco  del  villagio, 
opérette  de  M.  Virgili,  Pontedera.  —  18.  Rébus,  revue  en  4  tableaux,  de 
M.  Giovanni  Bossa,  Rome,   th.    Quirino.  —  19.   Sopra  i  tetli,  opérette  en 

3  actes,  de  M.  Oscar  Floridio,  Padoue,  th.  Garibaldi.  —20.  Guglielmo  Ral- 
clif,  opéra  sérieux  en  4  actes,  de  M.  Mascagni,  Milan,  Scala.  —  21.  Il 
Maestro  di  cavallara,  scherzo  comique  en  un  acte,  de  M.  Alessandro 
Peroni,  Pérouse.  —  22.  Luna  di  miele,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Paolo 
Lanzini,  Venise,  th.  Malibran.  —  23.  La  Fata  azzurra,  fable-opérette,  de 
M.  Pizzetli,  Reggio  d'Emilie.  —  24.  Don  Cardillo,  opérette  en  2  actes, 
de  M.  Tantaripe,  Note,  th.  Victor-Emmanuel.  —  25  Tui-Ko,  id.  en 
3  actes,  de  M.  Manganelli,  Todi,  th.  Communal.  —  26.  La  vera  Gran  Via, 
«  zarzuela  génoise  »  en  2  actes,  de  M.  Zambelli,  Gênes,  Politeama 
Margherita.  —  27.  Rita,  «  idylle  »  en  3  actes,  de  M.  Dondi  DalfOrologio, 
(paroles  et  musique),  Padoue.  —  28.  Nonna,  opérette,  de  M.  D'Echens, 
Volterra.  —  29.  Rvgantino,  id.  en  un  acte,  de  M.  De  Gregorio,  Venise, 
th.  Rossini.  —  30  Tarass  Bulba,  opéra  sérieux  en  4  actes,  de  M.  .Arturo 
Berutti,  Turin,  tb.  Regio.  —  31  Silvano,  id.  en  2  actes,  de  M.  Mascagni, 
Milan,  Scala.  —  32.  Nozze  Istriane,  id.  en  3  actes,  de  M.  Antonio  Smare- 
glia,  Trieste,  th.  communal.  —  33.  /  Due  Sordi,  vaudeville-opérette  en 
un  acte,  de  M.  Emilie  Muratori,  Modène.  —  34.  Vede  Napoli  e  po...,  revue 
en  3  actes,  en  dialecte  napolitain,  de  M.  Giuseppe  Tinto,  Naples,  th. 
Parthénope.  —  35.  Il  Fiorentino  in  mare,  opérette,  de  M.  Gilardetti,  Empoli. 

—  36.  Mitsica  ed  amore,  id.  en  3  actes,  de  M.  F.  Martini,  Prato.  —  37.  /  Cava- 
lieri  délia  leva,  id.,de  M.  Enrico  La  Rosa,  Gênes,  Jardin  d'Italie.  —  38.  Ruis 
Hora,  opéra  sérieux  en  2  actes,  de  M,  Ettore  Ricci,  Pise,  tb,  Nuovo.  — 
39.  Al  Campo,  id.  en  un  acte,  paroles  et  musique  de  M.  R.Romanini,  Brescia, 
th.  Guillaume.  —  40.  La  Sagra  di  Valaperta,  id.,  de  M.  Filippo  Brunetto, 
Milan,  th.  Lyrique.  —  41.  Ettore  Fieramosca,  id.  en  i  actes,  de  M.  0.  Cer- 
quetelli.  Terni,  th.  Communal.  —  42.  Fortunio,  id.  en  3  actes,  de  M.  Nicolo 
van  Westerhout,  Milan,  th.  Lyrique.  —  43.  Eros,  id.  en  4  actes,  de  Nicolo 
Massa  (posthume),  Florence,  th.  Pagliano.  —  44.  Emma  Liona,  id.  en 
3  actes,  paroles  et  musique  de  M.  Antonio  Lozzi,  Venise,  th.  de  la  F'enice. 

—  43.  Musica  e  Pazzia,  opérette  en  un  acte,  paroles  et  musique  de  M.  Giu- 
seppe   Ferri,    Campoligure.    —   46.    Gran  Piazza,  id.,    id.  du   même,   id. 

—  47.  Mariedda,  opéra  sérieux  en  2  actes,  de  M.  Giovanni  Bucceri, 
Catane,  Ib,  National.  --  48.  Reciproci  Inganni,  opérette,  de  M.  Luigi  Dali' 
Argine,  Milan,  th.  Fossati.  —  49.  El  sogn  del  Tecoppa,  vaudeville  opérette 
en  un  acte,  en  dialecte  milanais,  de  M.  Giuseppe  Vigoni,  Milan,  th.  Pez- 
zana.  —  50.  Don  Alonzo,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Prosperi,  Civitavecchia. 

—  51.  Atala,   scène  lyrique,   de  M.  Arturo  Luzzati,  Milan,   Conservatoire. 

—  52.  La  Vedovella,  opérette  en  un  acte,  paroles  et  musique  de  M.  Giuseppe 
Ferri,  Campoligure.  —  53.  Ermengarda,  scène  dramatique,  de  M.  Renato 
Brogi,  Milan,  Conservatoire. —  54.Per  l'erede,  opérette,  de  M.  Diego  Vitrioli, 
Reggio  de  Calabre.  —  oo.  L'Aspitlato  Candidalo  di  Terranova,  id.  en  un  acte, 
paroles  et  musique  de  M.  Giovanni  Zobel,  Vérone,  th.  Manzoni.  —  .50.  La 
Serca  del  prête,  id.,  de  M.  Americo  Giucci,  Navacchio.  —  57.  Manda,  opéra 
sérieux  en  un   acte,  paroles  et  musique  de  M.  Mario   Grablovitz,  Ronchi. 

—  58.  Don  Asdrubale,  opérette,  de  M.  Guido  Savori,  Palazzuolo.  —  59.  Maria 
Sanz,  opéra  sérieux  en  2  actes,  paroles  et  musique  de  M.  Giovanni  Rossi, 
Bergame,  th.  Riccardi.  —  CO.  La  Breccia  di  Porta  Pia,  scènes,  de  M.  Albino 
Agrara,  Padoue,  th.  Garibaldi.  —  61.  Paron  Giovanni,  opéra  sérieux  en  un 
acte,  de  M.  A.  Castracanc,  Osimo.  —  G2.  Un  Sogno,  opérette  en  un  acte, 
de  M.  Nino  Alberti,  Cagliari.  —  63.  Los  lijalcineros,  id.  en  3  actes,  de 
M.  Achille  Adorni,  Milan,  th.   Pezzana.  —  Ci.  //  Ventaglio  magico,  opérette. 


u 


LE  MENESTREL 


de  M.  Gioacchimo  Morra,  Messine,  th.  Goldoni.  —  65.  —  Evaldo,  scène 
pour  baryton  et  chœurs,  de  M.  Alfredo  Terri,  Pise,  th.  Ernesto  Rossi.  — 
66.  Claudia,  opéra  sérieux  en  2  actes,  de  M.  Gellio  Goronaro,  Milan,  th. 
Lyrique.  —  67.  La  Furia  domata,  comédie  lyrique  en  3  actes,  de  M.  Spire 
Samara,  Milan,  th.  Lyrique. —  68.  —  Tarcisio,  esquisse  musicale  en  un  acte, 
paroles  et  musique  de  M.  Alfredo  Soffredini,  Milan,  th.  Garcano.  —  69.  La 
Trecciaiuola  di  Firenze,  opérette  en  3  actes,  de  M"'  Gisella  Dalle  Grazie, 
Trieste,  th.  Philodramatique.  —  70.  Dm  Tiburzio,  opérette,  paroles  et 
musique  de  M.  Bernardo  Trigona,  Catane,  th.  du  Prince  de  Naples.  — 
71.  Consiielo,  opéra  sérieux  en  3  actes,  paroles  et  musique  de  M.  Giacomo 
Orefîce,  Bologne,  th.  Communal.  —  72.  Nozze  /...,  opéra  sérieux  en  2  actes, 
de  M.  Enrico  Loschi,  Bologne,  th.  du  Corso. —  73.  Un  Giorno  di  nozze,  opé- 
rette, de  M.  Giuseppe  Righetti,  Melilli.  —  74.  Levais  l'ancora,  id.  en  un  acte, 
de  M.Faggi,  Colonnata.  —  'o.Ninon  de  Lenclos,  comédie  lyrique  en  3  actes,  de 
M.  Gaetano  Cipollini,  Milan,  th.  Lyrique. —  76.  Frine,  opérette  en  3  actes, 
de  M.  Gustave  Tofano,  Palerme,  Politeama.  —  77.  Eva,  id.,  de  M.  Giovanni 
Mascetti,  Rome.  th.  Quirino.  —  78.  La  Caccia  allô  stivale,  «  bizarrerie 
comique  »,  de  M.  Giovanni  Bossa,  Naples,  Politeama. 

—  Voici  qu'on  parle,  à  Rome,  d'une  solennité  musicale  assez  prochaine 
et  d'un  genre  particulier.  Il  s'agirait  d'un  festival  de  musique  moderne 
anglaise,  organisé  dans  des  proportions  grandioses  et  pour  lequel  les 
compositeurs  eux-mêmes  viendraient  diriger  leurs  œuvres.  Déjà,  pour 
prendre  les  premières  dispositions,  on  a  eu  à  Rome  la  visite  d'un  des 
professeurs  du  Collège  royal  de  musique  de  Londres,  M.  Visetti,  dont  le 
nom  sonne  d'ailleurs  d'une  façon  tout  italienne.  On  attache  à  ce  projet 
une  grande  importance  internationale.  Il  est  vrai  que  l'Angleterre  a  à 
s'occuper  en  ce  moment  d'une  musique  d'un  caractère  plus  grave,  et  que 
sa  partie  dans  le  concert  européen  ne  parait  pas  absolument  un  allegro 
brillante. 

—  Parmi  les  cités  italiennes  qui  font  les  plus  grands  sacrifices  pour 
l'art,  la  ville  de  Turin  est  assurément  à  signaler  en  première  ligne.  Le 
municipe  de  l'ancienne  capitale  du  Piémont  dépense  en  effet,  annuelle- 
ment, 42.000  francs  pour  son  Lycée  musical,  42.000  francs  pour  l'orchestre 
du  Théàtre-Royal,  43.000  francs  pour  la  subvention  attribuée  à  ce  théâtre, 
et  enfin  47.000  francs  pour  la  bande  musicale  civique. 

—  La  basilique  de  Saint-Marc,  à  Venise,  est  l'une  des  églises  d'Italie 
où  l'on  couseive  le  plus  le  sentiment  du  grand  art  religieux,  et  où  les 
exécutions  musicales  se  distinguent  par  leur  rare  valeur.  La  veille  de 
Noël,  le  maître  de  chapelle  de  cette  église,  don  Lorenzo  Perosi,  y  a  fait 
entendre,  à  la  fonction  pontificale,  une  Missa  Marciana  de  sa  composition, 
pour  quatre  voix  et  orgue,  à  l'exécution  de  laquelle  prenaient  part 
70  chanteurs;  après  l'Offertoire,  on  a  entendu  aussi  une  «  chanson  latine 
antique  »,  dite  par  cent  voix  partagées  en  deux  chœurs.  Dans  l'église  de 
Santa  Maria  Gloriosa  dei  Frari  a  eu  lieu  aussi  une  excellente  exécution  de 
diverses  compositions  religieuses  de  MM.  Perosi,  Ravanello  et  Tomadini, 
exécution  confiée  aux  élèves  de  la  nouvelle  école  de  Sainte-Cécile,  fondée 
depuis  peu  de  mois,  et  auxquels  s'étaient  joints  les  chanteurs  de  la  Sclwla 
Cantorum  de  Saint-Marc. 

—  On  nous  écrit  de  Budapest  que  les  éditeurs  de  musique  Roszavôlgyi 
et  G'=  ont  entrepris  d'organiser  des  concerts  gratuits  dans  lesquels  ils  feront 
connaître  les  œuvres  des  jeunes  compositeurs  hongrois.  Le  programme  du 
premier  concert  ne  comprenait  pas  moins  de  trente  morceaux;  il  n'avait 
cependant  pas  effrayé  le  public,  qui  remplissait  la  grande  salle  de  la 
redoute  jusqu'au  dernier  strapontin  et  est  resté  jusqu'à  la  dernière  note.  Un 
prélude  de  Mihalovich  pour  un  nouveau  drame  musical,  une  sonate  pour 
violoncelle  de  Bator  et  plusieurs  mélodies  de  Jambor,  Engel,  Moor,  Zimay, 
Kun,  Lanyi  et  Tarnay,  ont  été  fortement  applaudis.  Cette  tentative  intelli- 
gente de  la  maison  Roszavôlgyi,  qui  est  actuellement  dirigée  par  M.  Dunkel, 
a  procuré  à  plusieurs  jeunes  compositeurs  l'avantage  d'être  rapidement 
connus  du  public.  Parmi  les  exécutants  se  trouvaient  quelques  artistes  de 
l'Opéra  royal  de  Budapest,  entre  autres  la  célèbre,  basse  chantante  M.Ney, 
et  les  excellentes  cantatrices  Mac-Abranyi  et  M""^  Komaromi,  ce  qui  n'a 
pas  peu  contribué  au  succès  de  la  soirée. 

—  De  Budapest:  Il  y  a  quelques  jours,  une  scène  conjugale  s'est  pro- 
duite dans  les  couloirs  du  théâtre  lyrique  de  Budapest,  entre  une  actrice 
et  son  mari,  un  membre  de  la  société  hongroise.  Cette  scène  intempes- 
tive avait  retardé  d'une  demi- heure  le  lever  du  rideau,  au  grand  mécon- 
tentement du  public.  A  la  suite  de  cet  incident,  le  baron  Nopcsa,  inten- 
dant des  théâtres  de  la  Cour,  vient  d'adresser  la  circulaire  suivante  aux 
maris  des  pensionnaires  de  l'Opéra  : 

Monsieur, 
Par  suite  des  récents  incidents,  que  vous  devez  d'ailleurs  connaître,  je  me 
vois  contraint  d'adopter  les  mesures  suivantes  : 

Les  maris  des  chanteuses  de  l'Opéra  de  Budapest  ne  pourront  désormais 
accompagner  leurs  femmes  jusqu'à  leur  loge  qu'avant  le  commencement  du 
spectacle  et  ne  pourront  venir  les  reprendre  qu'après  la  fm  de  la  représentation. 
Au  cours  du  spectacle  et  pendant  les  entr'actes,  les  maris  ne  seront  pas 
davantage  admis  à  séjourner  dans  la  loge  de  leurs  femmes,  ni  même  autorisés 
à  stationner  dans  les  couloirs  donnant  accès  à  la  scène. 

-Dans  l'espoir  que  vous  voudrez  bien  avoir  la  bonté  de  tenir  strictement  compte 
de  ce  règlement,  j'ai  l'honneur  d'être  votre  dévoué. 

Baron  Nopcsa. 
Commissaire  du  gouvernement 
Inspecteur    des    théâtres    nationaux. 


Le  même  règlement  existe  déjà  depuis  longtemps  dans  les  autres  théâtres 
nationaux  de  Budapest,  mais  la  consigne  y  est  encore  plus  sévère,  car  on 
interdit  aux  acteurs  mêmes  de  stationner  sur  la  scène  quand  on  y  joue  des 
pièces  ou  qu'on  y  donne  des  répétitions  où  ils  ne  figurent  pas. 

—  Le  Garltheater  de  Vienne  va  jouer  une  nouvelle  opérette,  Satatiiel, 
dont  la  musique  est  due  à  M.  Adolphe  Perron,  chef  d'orchestre  à  ce  théâtre, 

—  De  la  pudeur  au  théâtre  ou  de  la  jalousie  des  époux  d'actrices. 
M'^"  Marie  Ottmann,  qui  vient  de  débuter  dans  Waldmeisler,  la  dernière 
opérette  de  Strauss,  a  déclaré  à  la  directrice  du  Théâtre  an  der  Wien, 
M""'  Schoenerer,  que,  pour  des  raisons  de  moralité,  il  lui  est  impossible 
de  continuer  à  jouer  le  rôle  qu'elle  remplissait  jusqu'à  présent.  Le  mari 
de  M™'  Ottmann  ne  veut  pas  que  sa  femme  joue  ce  rôle,  «  parce  qu'on  l'y 
force  à  montrer  ses  mollets  au  public.  » 

—  On  lit  dans  l'Éventail,  de  Bruxelles  :  c  Tandis  que  la  Monnaie  donne 
asile  aux  productions  des  compositeurs  français,  le  drame  lyrique  de  Franz 
Servais,  l'Appollonide,  va  enfin  être  exécuté  au  Théâtre  Grand-Ducal  de 
Galsruhe,  sous  la  direction  de  M.  Félis  Mottl.  Bizarrerie  du  sort  des  livrets 
d'opéras  :  les  vers  de  Leconte  de  Lisle,  sur  lesquels  l'auteur  a  composé  sa 
musique,  et  sur  l'amplitude  et  la  sonorité  desquels  il  comptait  assurément 
pour  le  succès  de  son  œuvre,  devront  être  traduits  en  allemand  pour  cette 
première  exécution.  Le  traducteur  parviendra-t-il  à  donner  une  traduction 
suffisante  des  vers  parnassiens?  Nous  le  désirons,  tout  en  en  doutant 
quelque  peu  ». 

—  Le  théâtre  royal  d'Oporto,  en  Portugal,  a  joué  pour  la  première  fois, 
la  semaine  dernière,  Lakmé,  et  l'œuvre  charmante  de  Léo  Delibes  a  de  suite 
conquis  tous  les  suffrages.  Le  succès  a  été  des  plus  grands  et  une  grande 
part  en  revient  àM""!Huguet  Arnold,  qui  a  été  une  exquise  Lakmé.  Il  faut 
aussi  mentionner  tout  particulièrement  M.  Francesco  Nicoletti,  un  superbe 
Nilakhanta,  et  louer  la  mise  eu  scène  et  l'interprétation  musicale. 

—  De  Madrid  :  Les  événements  de  Cuba  font  déserter  les  théâtres  aux 
Madrilènes.  Aussi,  l'imprésario  du  Théàtre-Royal  vient-il  de  faire  faillite 
et  l'Opéra  a-t-il  dû  fermer  ses  portes.  On  cherche  un  nouveau  directeur  et 
un  concours  est  ouvert  à  cet  effet,  par  le  ministère  du  Tomento  (instruc- 
tion publique),  dont  dépend  le  théâtre. 

PARIS   ET    DÉPARTEIÏIENTS 
Bilan  des  pièces  jouées  à  l'Opéra,  du  i"  janvier  au  3i  décembre  1895: 

COJlPOSITEDnS  FRANÇAIS 

Faust 32  exécutions. 

Montagne  noire  ...  12         — 

Roméo  et  Juliette   .   .  16  — 

Salammbô 3         — 


15  - 


4  — 


COMPOSITEURS   ETRANGERS 

12  exécutions. 


87  exécutions. 


Résumé: 

Wagner 54  exécutions. 

Verdi 33  — 

87 


Thais 

Samson  et  Dalila 
Frèdégonde .... 

Total 101  exécutions. 

Résumé  : 

Gounod ^8  exécutions. 

Reyer 18  — 

Holmes 12  — 

Saint-Saëns  ....      11  — 

Massenet 8  — 

Guiraud ^  — 

101 

Auteurs  français:  8  pièces,  101  exécutions. 
Auteurs  étrangers  6—87         — 

Non  compris  dans  ce  tableau  les  ballets,  qui  n'ont  été  que  des  complé- 
ments de  spectacles  pour  Samsm  et  Dalila,  Thais  et  Rigoletio.  Donc,  101  soi- 
rées françaises  contre  87  soirées  étrangères.  Subvention  des  contribuables 
français:' 900.000  francs.  Subvention  des  contribuables  étrangers:  0.  A 
chacun  de  tirer  de  là  les  déductions  qui  lui  conviendront.  Pour  nous, 
nous  nous  bornerons  à  demander  encore  et  toujours  la  création  immédiate 
d'un  bon  théâtre  lyrique,  fermement  soutenu  par  l'Etat,  avec  une  subven- 
tion importante  qu'  on  pourrait  prendre  au  besoin  sur  celle  de  l'Opéra, 
puisque  notre  Académie  nationale  de  musique  a  trouvé  d'autres  ressources 
dans  l'importation  chez  nous  des  œuvres  étrangères,  ce  dont  nous  som- 
mes loin  de  la  blâmer,  du  moment  qu'elle  y  trouve  son  compte.  Mais 
alors  portons  ailleurs  les  finances  françaises  pour  le  soutien  d'œuvres 
françaises.  Ceci  serait  assez  logique  et  contenterait  tout  le  monde. 

—  Voici,  pour  Paris,  le  bilan  des  nouveautés  musicales  en  ce  qui  con- 
cerne les  théâtres  durant  l'année  189.'3  : 

Opéra.  —La  Montagne  noire,  4  actes,  paroles  et  musique  de  M"=  Augusta 
Holmes  (8  février).  —  Tannhiimer,  de  Richard  'Wagner  (reprise,  le  13  mai). 
—  Frèdégonde,  S  actes,  paroles  de  M.  Louis  Gallet,  musique  d'Ernest  Gui- 
raud et  M.  Camille  Saint  Saëns  (18  décembre). 

Opéra-Comique.  Ninon  de  Lenclos,  opéra-comique  en  4  actes  et  5  tableaux, 
paroles  de  MM.  André  Lénéka  et  Arthur  Bernède,  musique  de  M.  Edmond 
Missa  (19  Février).  —  La  Vifandi&e,  opéra-comique  en  3  actes,  paroles  de 
M.  Henri  Gain,  musique  de  Benjamin  Godard  (l"^'  avril).  —  Pris  au  piège, 
opéra-comique  en  un  acte,  paroles  de  M.  Michel  Carré,  musique  de  M.  André 
Gedalge  (7  juin).  —  Guernica,  drame  lyrique  en  3  actes,  paroles  de  MM.  P. 


LE  MENESTREL 


15 


Gailhard  et  P.  B.  Gheusi,  musique  de  M.  Paul  Vidal  (7  juin). —  La  Navar- 
raise,  épisode  lyrique  en  "2  actes,  paroles  de  MM.  Jules  Glaretie  et  He  nri 
Gain,  musique  de  M.  J.  Massenet  (octobre).  —  Xavière,  opéra-comique  en 
3  actes,  paroles  de  M.  Louis  Gallet,  musique  de  M.  Théodore  Dubois 
(26  novembre).  —  La  Jacquerie,  opéra  en  4  actes,  paroles  de  M.  Edouard 
Blau  ot  M'"<!  Simone  Ariiaud,  musique  d'Edouard  Lalo]  et  M.  Arthur 
Coquard  (23  décembre). 

Variétés. —  Le  Carnet  du  Diable,  pièce  fantastique  en  3  actes  et  S  tableaux  , 
de  MM.  Erne.st  Blum  et  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  Gaston  Serpette 
(Octobre). 

Bouffes-Parisiens,  ia  DiKhesse  de  Fen are,  vaasiqae  de  M.  Edmond  Audran 
(janvier).  —  La  Saint-Yalenlin,  3  actes  et  4  tableaux,  paroles  de  MM.  Mau- 
rice Ordonneau  et  Fernand  Beissier,  musique  de  M.  Frédéric  Toulmouche 
(mars).  —  La  Doi  de  Brigitte,  3  actes,  paroles  de  MM.  PaulFerrier  et  Antony 
Mars,  musique  de  MM.  Serpette  et  Victor  Roger  (mai).  —  La  Belle  Épicière, 
3  actes,  paroles  de  MM.  Paul  Decourcelle  et  Henri  Kéroul,  musique  de 
M.  Louis  Varney  (novembre). 

Folies-Dramatiques.  —  Nicol-Nick,  i  actes,  paroles  de  MM.  Hippolyte 
Raymond  et  Antony  Mars,  musique  de  M.  Victor  Roger  (janvier).  —  La 
Perle  du  Cantal,  3  actes,  paroles  de  M.  Ordonneau,  musique  de  M.  Fré- 
déric Toulmouche  (mars).  —  Le  Roi  Frelon,  3  actes,  musique  de  M.  Antoine 
Banès  (avril).  —  Le  Baron  Tzigane,  3  actes  et  4  tableaux,  paroles  de  M.  Ar- 
mand Lafrique,  musique  de  M.  Johann  Strauss  (décembre). 

Ghatelet.  —  Don  Quichotte,  pièce  fantastique  en  3  actes  et  20  tableaux, 
de  M.  Victorien Sardou,  musique  de  M.  Albert  Renaud  (février). 

Théâtre  Glunï.  —  Les  Petites  Brebis,  opérette  en  2  actes,  paroles  de 
M.  Boucheron,  musique  de  M.  Louis  Varney  (juin). 

Nouveau-Théâtre.  —  Le  Dragon  verl,  fantaisie  en  3  actes  et  S  tableaux  , 
paroles  de  M.  Michel  Carré,  musique  de  M.  André  Wormser  (février). 

Théâtre-Lyrique  de  la  Galerie  Vivienne.  —  La  Mare  au  diable,  opéra  en 
3  actes,  paroles  de  M.  André  Lénéka,  musique  de.M.  N.  T.  Ravera  (avril)  . 

Thévtre-Mondain.  —  La  Redingote  grise,  opéra-comique  en  un  acte,  pa- 
roles de  MM.  Lénéka  et  Bernède,  musique  de  M.  F.  Le  Rey.  —  L'Ermite, 
épisode  lyrique  en  un  acte,  paroles  de  M.  Durocher,  musique  de  M.  Le 
Tourneux.  —  Le  Capitaine  Roland,  opéra-comique  en  2  actes,  paroles  de 
M.  Armand  Lafrique,  musique  de  M.  Louis  Gregh(mars). 

—  Les  décorations  données  à  l'occasion  du  centenaire  de  l'Institut 
n'avaient  pas  encore  décroché  leur  dernier  ruban.  Voici  à  présent  la 
fournée  des  membres  étrangers,  des  «  correspondants  »  comme  on  dit,  qui 
paraît  au  Journal  officiel.  Détachons  de  la  liste  deux  musiciens  seulement,  mais 
qui  sont  de  marque.  Il  y  a  d'abord  le  compositeur  délicat  de  la  Norvège, 
Edouard  Grieg,  qui  est  fait  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  ensuite  le 
général  César  Gui,  élevé  au  grade  de  commandeur.  C'est  •un  artiste  d'inspi- 
ration très  élevée  que  le  général.  On  ne  le  connaît  guère  parmi  nous  que 
par  sa  partition  du  Flibustier,  une  œuvre  peu  ordinaire  et  non  coulée  dans 
le  moule  banal,  ce  qui  explique  peut-être  sa  non-réussite.  Mais  de  ces 
oeuvres-là,  on  en  a  vu  revenir. 

—  Parmi  les  nominations  d'officiers  de  l'Instruction  publique  et  d'Aca- 
démie parues  dans  les  numéros  des  7  et  8  janvier  du  Journal  officiel,  voici 
celles  qui  ontplus  particulièrement  trait  à  la  musique  et  au  théâtre  : 

Sont  nommés  officiers  de  l'Instruction  publique  :  MM.  André  Antoine, 
artiste  dramatique,  ancien  directeur  du  Théâtre-Libre  ;  E.  Baillât,  auteur 
dramatique  à  Paris;  J.-V.  Bertain,  professeur  de  musique  à  Paris;  Colin, 
chef  de  musique  des  Canonniers  sédentaires  de  Lille;  E.  Deplaix,  éditeur 
de  musique  à  Paris  ;  L.-P.  d'Herdt,  professeur  de  chant  dans  les  écoles 
communales  de  Viucennes;  M^s  Ducasse,  M.  A.  Duchesne,  professeurs  de 
chant  à  Paris;  MM.  G.  Fragerolles,  compositeur  de  musique  à  Paris; 
Lucien  Fugère,  artiste  lyrique  à  l'Opéra-Gomique  ;  Pierre  Gailhard,  directeur 
de  l'Opéra  ;  Laurent  Grillet,  compositeur  de  musique,  rédacteur  du  Ménestrel, 
à  Paris;  P.  Hugounet,  auteur  dramatique,  secrétaire  du  Cercle  Funam- 
bulesque; J.-N.  Karren,  compositeur  de  musique  à  Paris;  Albert  Lambert 
père,  artiste  dramatique  de  l'Odéon;  Ch.  Le  Brun,  secrétaire  du  comité  de 
l'Association  des  artistes  musiciens,  à  Paris;  M""*  Le  Grix,  directrice  de 
cours  de  musique  à  Paris;  MM.  Lénéka,  auteur  dramatique  à  Paris  ;  Ch.  Mal- 
herbe, compositeur  de  musique,  rédacteur  du  Ménestrel,  à  Paris;  Edmond 
Missa,  compositeur  de  musique  à  Paris;  M"»  Marie  MoU,  professeur  de 
musique  à  Paris;  MM.  Mouliérat,  artiste  lyrique  à  l'Opéra-Comique;  A.  Ray- 
naud,  chef  d'orchestre  au  théâtre  du  Gapitole  à  Toulouse  ;  P.  Renard,  dit 
Lemaitre,  professeur  de  musique  à  Paris  ;  J.  Ritz,  compositeur  de  musique 
à  Annecy  ;J.  Sermet,  inspecteur  des  théâtres;  R.  Torchet,  compositeur  de 
musique,  à  Paris;  Julien  Torchet,  critique  musical  à  Paris;  M'^'^  Vasseur, 
professeur  de  musique  à  Versailles;  Vincent-Garol,  et  M.  E.  Wartel,  pro- 
fesseurs  de  musique  à  Paris. 

Sont  nommés  officiers  d'Académie  :  M""»  Abadie,  née  Moisset,  ancienne 
artiste  lyrique  ;  MM.  Ed.  Adenis,  auteur  dramatique  à  Paris;  Alvarez,  artiste 
lyrique  à,  l'Opéra;  Audigé,  médecin  de  l'Opéra  ;  M"»  H.  Auguez,  profes- 
seur de  chant  à  Paris;  M^^iAvisse,  professeur  de  piano  à  Orléans  ; 
MM.  Bachimont,  dit  Brémont,  artiste  dramatique  à  Paris  ;  L.  Badart,  com- 
positeur de  musique  à  Paris  :  M""-  Ballay  (Nina  Pack),  artiste  lyrique  à 
l'Opéra-Comique  ;  MM.  L.  Bally,  Baretti,  M"«  Beetz, professeurs  de  muai  que 
à  Paris  ;  MM.  F.  Benêt,  auteur  dramatique  à  Marseille  ;  Bergeret,  directeur 
de  la  Fanfare  «  le  Réveil  de  Pavilly  »  à  Rouen  :  M"=  A.  Bertrand,  professeu  r 


de  chant  à  Paris;  MM.  Maurice  Bouchor,  auteur  dramatique  à  Paris;  Bou- 
lard,  directeur  de  l'École  nationale  de  musique  à  Moulins  ;  P.  Braud,  pro- 
fesseur de  musique  à  Paris  ;  Brouca,  dit  Broca,  professeur  de  musique  à 
Bayonne  ;  BruneL,  artiste  musicien  à  Saint-Donat;  G.-BuatoiSj  directeur 
de  l'Harmonie  de  Javel  à  Paris;  Ed.  Cacan,  compositeur  de  musique  à 
Marseille  ;  M°"=^  Cadot-Laffite,  Cartelier,  professeurs  de  musique  à  Paris  ; 
MM.  Henri  Carvalho,  administrateur  de  l'Opéra-Comique  ;  Ch.  Gaspar, 
compositeur  de  musique  à  Lunéville;  Gastex,  ancien  directeur  des  théâtres 
de  Nantes;  M"°  Chrétien,  professeur  de  musique  à  Paris  ;  MM.  N.  dé- 
menti, professeur  de  musique  à  Marseille;  L.  Cordier,  directeur  do  la 
Société  chorale  des  Quinze-Vingts  à  Paris  ;  M.  Coste,  ex-professeur  au 
Conservatoire  à  Marseille;  P.  Costecal,  directeur  de  l'Orphéon  «l'Avenir» 
à  Milhau  ;  J.  Darcq,  professeur  à  l'École  de  musique  à  Lille;  A.  Dariès, 
professeur  de  musique  à  Pau  ;  Debray,  directeur  des  Sociétés  musicales  à 
Poissy  ;  DeCfaux,  artiste  musicien  à  Reims  ;  M""  Marie  Delna,  artiste  lyrique 
à  l'Opéra-Comique;  MM.  Démarquez, professeur  de  musique  à  Poitiers; 
Desachy,  secrétaire  du  Théâtre- Libre  ;  A.  Docquois,  professeur  de  chant  à 
Boulogne-sur-Mer  ;  E.  Domergue,  chef  d'orchestre  au  théâtre  du  Palais- 
Royal  ;  E.  Dorion,  contrôleur  en  chef  au  théâtre  de  l'Ambigu  ;  H.  Drapier, 
professeur  de  musique  à  Paris;  E.  Duard,  artiste  dramatique  à  l'Odéon  : 
Fr.  Dubois,  compositeur  de  musique  à  Tourcoing;  Dufour,  correspondant 
de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  de  musique  à  Vichy;  d'Estrée, 
publiciste,  rédacteur  du  Ménestrel,  à  Paris:  H.  Eymard,  professeur  de 
musique  à  Paris;  E.  Eymond,  président  de  la  musique  municipale  du 
18"  arrondissement  à  Paris;  Floquet,  directeur  de  l'Harmonie  de  Grenelle 
à  Paris  ;  Fonlaine,  professeur  de  déclamation  à  Arras;  Fraiture,  profes- 
seur de  musiqueà  Paiis  ;  L.  Garnier,  auteur  dramatique  à  Paris  ;  A. Casser, 
chef  de  la  Fanfare  «l'Espérance»  à  Grenoble;  Giraud,  professeur  de  mu- 
sique à  la  Mure  ;  G.  Goublier-Gouiu,  compositeur  de  musique  à  Paris  ; 
jimc  Grammaccini-Soubre,  professeur  de  chant  à  Paris  ;  MM.  A.  Grare,  chef 
de  l'Harmonie  à  Abbeville;  E.  Gruyer,  professeur  de  musique  à  Paris; 
J.  Guérin,  directeur  de  la  Société  chorale  à  Nogent-Ie-Rotrou:  M"'^^  J.Gué- 
roult,  G.  Herbault,  professeurs  de  musique  à  Paris  ;  MM.  Georges  Hesse  , 
H.  Hirschmann,  compositeurs  de  musique  à  Paris;  Holmières,  directeur 
de  la  «LyreMeldoise»  à  Meaux  ;  Jacob,  dit  Janoey,  professeur  de  diction 
à  Paris  ;  Cb.  Jaunet,  vice-président  de  l'Union  musicale  républicaine  à 
Olivet  :  Jérôme,  artiste  lyrique  à  l'Opéra-Comique;  A.  Jolie t,  pensionnaire 
de  la  Comédie-Française  ;  M""*  Joubert,  M"«  Kryzanowska,  professeurs  de 
musique  à  Paris. 

MM.  Labbé,  secrétaire-trésorier  des  Orphéonistes  à  Arras;  E.  L^ch- 
mann,  professeur  de  musique  à  Montbrison;  L.  Lafon,  chef  de  musique  à 
Cadillac;  A.  Laidet,  professeur  de  chant  au  Conservatoire  à  Versailles; 
G.  Lambert,  chef  de  musique  à  Montesson;  J.  Lambert,  directeur  delà  ' 
Société  mixte  d'harmonie  et  d'orphéon  «  l'Avenir  musical  »  à  Saint-Ju- 
nien  ;  M""^  H.  Landolff,  dessinateur-industriel  i.  Paris;  MM.  J.  Leitner, 
pensionnaire  de  la  Comédie-Française  ;  Leroy,  chef  de  la  Fanfare  muni- 
cipale à  Gentilly;  M""  J.  Ludwig,  sociétaire  de  la  Comédie-Française  ; 
MM.  Mansson,  professeur  de  musique  à  Paris;  Th.  Mathieu,  directeur  de 
la  Société  chorale  à  Meaux;  G.  Mathieu,  professeur  de  musique  à  Cler- 
mont-Ferrand;  P.  Monteux,  chef  d'orchestre  à  Paris;  Muuch,  directeur 
de  la  Fanfare  municipal  à  Rambouillet;  G.  Nast,  professeur  de  musique  à 
Hénin;  M^'^  A.  Nathan,  R.  Orange,  professeurs  de  musiqueà  Paris  ; 
MM.  Paumier,  artiste  dramatique  à  l'Odéon  ;  Rayonne,  professeur  de  mu- 
sique à  Bourg-du-Péage  ;  E.  Petit,  professeur  de  musique  à  Perpignan; 
A.  Philippe,  directeur  de  la  musique  municipale  des  Sapeurs-Pompiers 
à  Béthune  ;  Picard,  chef  de  musique  à  Montrouge  ;  A.  Piccaluja,  artiste 
lyrique  à  Paris  ;  F.  Pons,  président  de  l'Orphéon  «  les  Moissonneurs  »  à 
Marseille;  E.  Rebstock,  professeur  de  musique  à  Compiègne  ;  Reghéere  , 
chef  de  la  musique  des  Sapeurs-Pompiers  àBar-le-Duc;  E.  Régnier,  pro- 
fesseur de  musique  à  Amiens  ;  Renaud,  artiste  lyrique  à  l'Opéra;  E.  Ri- 
chard, chef  delà  Fanfare  «les  Amis  réunis  »  à  Château-Thierry;  Ch.  Riche, 
président  de  la  Société  chorale  «  l'Abeille  »  à  Paris  ;  M""=  C.  Ritter-Ciampi, 
professeur  de  musique  à  Paris;  MM.  Rivière,  chef  de  la  musique  muni- 
cipals  à  Vic-Bigorre  ;  M™  Victor  Roger,  professeur  de  diction  à  Paris; 
M.  A.  Rossel,  compositeur  de  musique  à  Cherbourg  ;  M™  Marie  Ro  ze, 
M.  G.  Sailland,  professeur  de  musique  à  Paris  ;  M. -F.  Sali,  compositeur  de 
musique  à  Paris  ;  M"'=  J.  Séguin,  professeur  de  chant  à  Paris  ;  MM.  E  . 
Spencer,  compositeur  de  musique  à  Paris;  A.  Tarride,  artiste  dramatique 
à  Paris;  M™"  Tempviré,  professeur  à  l'Ecole  de  musique  à  Angoulème  ; 
MM.  A.  Thévenin,  directeur  de  l'Harmonie  «  la  Grayloise  »  à  Gray;  L  . 
Toussaint,  artiste  musicien  à  l'Opéra;  Tracol,  professeur  de  musique  à 
Paris  ;  E.  Tréfeu,  auteur  dramatique  à  Paris  ;  A.  Trojelli,  compositeur  d  e 
musique  à  Paris  ;  M"''  Turpin  et  Ch.  Vormèse,  professeurs  de  musique 
à  Paris. 

—  Au  Conservatoire.  Par  arrêté  du  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts,  MM.  Victorien  Sardou  et  Jules  Lemaitre,  membres  de 
l'Académie  française,  ont  été  nommés  membres  du  comité  d'enseignement 
pour  la  déclamation  dramatique  au  Conservatoire,  en  remplacement  de 
MM.  Camille  Doucet  et  Alexandre  Dumas.  M.  Henri  Lavedan  a  été  nommé 
membre  du  comité  d'examen  des  classes  et  du  jury  d'admission. 

—  Depuis  quelques  semaines  les  travaux  de  reconstruction  de  l'Opéra- 
Comique  à  la  place  Favart  ont  pris  une  activité  à  laquelle  nous  n'étions 
pas  habitués.  Des  foyers  lumineux  ont  été  installés  sur  le  chantier  et  on 
travaille  jusqu'à  sept   heures  du  soir.    Il   résulte  de  nos   renseignements 


16 


LE  MENESTREL 


que  plus  de  cent  ouvriers  sont  actuellement  occupés  à  tailler  et  à  poser  les 
pierres.  L'entresol  sur  la  rue  Marivaux  est  achevé  et  on  est  en  train  de 
poser  les  balcons.  La  façade  Boieldieu  est  moins  avancée,  mais  on  peut 
cependant  déjà  se  rendre  compte  de  l'effet  général  de  l'architecture  du 
rez-de-chaussée.  Espérons  que  cette  activité,  surtout  parce  qu'elle  est 
tardive,  ne  se  ralentira  plus,  et  qu'il  nous  sera  bienliit  donné  d'assister  à 
l'achèvement  de  ce  monument  si  impatiemment  attendu.  Nous  ne  pouvons 
que  féliciter  l'architecle  et  l'entrepreneur  de  cette  activité  donnée  au 
chantier,  et  surtout  les  engager  à  persévérer. 

—  Notre  confrère  le  Malin  croit  pouvoir  nous  donner  dès  à  présent  les 
dates  C-ces  des  prochaines  solennités  de  l'Opéra  :  selon  lui,  c'est  le  lundi 
10  février  que  nous  aurions  l'heureuse  reprise  de  la  Favorite  «it  celle  de 
Coppi'lia;  mercredi  11  mars,  ce  serait  le  tour  d'Hellc,  l'opéra  de  M.  Alphonse 
Duvernoy;  enfin,  il  porte  au  2)  mai  la  rentrée  de  M"»  Melba  dans  Hamiet, 
en  compagnie  du  baryton  Renaud.  Mais  il  y  a  tant  d'imprévu  au  théâtre  ! 
Ce  qui  paraît  plus  certain,  c'est  le  début  du  ténor  Courtois  dans  Sigurd, 
pour  demain  lundi. 

Tout  bonheur  que  la  main  n'atteint  pas  est  un  rùve. 

Et  encore  il  suffirait  d'un  bon  rhume!  11  n'y  a  pas  si  loin  entre  le 
coryza  et  la  gorge  d'un  ténor! 

—  Demain  lundi  aussi  nous  aurons  à  l'Opéra-Comique  les  débuts  de 
M'"  Marie  Garnier  dans  Lakmé. 

—  Dimanche  prochain  nous  parlerons  en  détail  de  la  nouvelle  loi  de 
protection  pour  la  propriété  artistique  en  Autriche,  qui  vient  d'être  votée 
à  Vienne  par  la  Chambre  des  seigneurs.  Ce  n'est  pas  encore  tout  ce  qu'on 
pouvait  rêver,  mais  il  y  a  là  toutefois  des  améliorations  importantes  sur 
la  législation  précédente. 

—  M"=  Pdtti  est  arrivée  mercredi  à  Paris.  Elle  a  été  la  proie  dos  coutu- 
rières pendant  toute  la  journée  de  jeudi.  Vendredi  elle  a  répété  à  la  Gaîté 
la  pantomime  Mirka  l'Enchanteresse  et  hier  samedi  elle  a  joué  cette  char-- 
minte  fantaisie,  au  bénéfice  du  monument  de  l<'lorian,  devant  une  salle 
pâmée  et  enthousiaste.  Patti,  Patti  for  everl 

—  Nous  pouvons  confirmer  la  nouvelle  que  donne  d'autre  part  notre 
collaborateur  Solvay  dans  sa  correspondance  de  Belgique:  dans  la  pre- 
mière quinzaine  de  février,  M"«  Van  Zandt  donnera  au  théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxelles  plusieurs  représentations  de  Mignon  et  de  Lakmé. 
Bru.xelles  n'est  pas  si  loin  de  Paris  que  M.  Carvalho  ne  puisse,  tout  au 
moins  à  l'aide  d'un  bon  téléphone,  se  rendre  compte  de  l'action  que  peut 
toujours  avoir  sur  le  public  son  ancienne  pensionnaire.  Et  alors...  il  pour- 
rait y  avoir  encore  de  beaux  soirs  pour  la  scène  du  Châtelet. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conserva'oire:  Symphonie  en  ré  (Beethoven).  —  La  Mer  (Joncières),  solo: 
M—Landi.  —  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven).—  Deuxième  acte  d'Orphée 
Gluck),  soli:  M""  Landi  et  Rieu.  —  Polonaise  de  Stniensée  (Meyerbeer). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  75'  audition  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  soli: 
M"'  Marcella  Pregi,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  Nivette. 

Cirqu;  des  Champs-Elysées,  concerts  Lamoureux  (festival  en  dehors  de 
l'abonnement):  Ouverture  de  Manfred  (Schumann).  —  Symphonie  avec  orgue 
(Saint-Saëns).  —  Défi  de  Phœbus  et  àe  Pan  (J.-S.  Bach),  soli:  M"°  Lovano, 
M"'  Remy,  MM.  Lafarge,  Charles  Morel,  Bailly.  —  Variations  sympho- 
niques,  pour  piano  et  orchestre  (César  Franck),  exécutées  parM»"Henry  Jossic. 

—  Chœur  des  Pileuses  in  Vaisseau-Fantôme  (R.  Wagner).  —  Espafia  {Emm.  Cha- 
brier). 

Concerts  d'Hircourt:  Symphonie  en  «(mineur,  n»  5  (Beethoven).  —  a.  Mélopée 
duPâtre,!).  Entrée  d'Elisabeth,  de  ranîiftûusîr  (Wagner),  par  M"' Ééonore  Blanc. 

—  Dames  slaves  (Dvorak).  —  Ouverture  des  Maîtres  chanteurs  (R.  Wagner).  —  .\ir 
de  Fidelio  (Beethoven),  par  M"'  Éléonore  Blanc.  —  Symphonie  romantique  (V.  Jon- 
cières). 

Concert  du  Jardin  d'Acclimatation  :  Chef  d'orchestre,  Louis  Pisler.  — /îu»/  Blas, 
ouverture  (Mendelssobn;.  —  Chant  sans  paroles  (Tschaïkowsky).  —  Romance 
(Saint-Saëns).  —  Namoiina,  suite  d'orchestre  (Lîlo).  —  Léonore,  n"  3,  ouverture 
(Beethoven).  —  La  Korrigane,  suile  d'orchestre  (Widor)  :  Mazurka,  Scher 
zando,  Valse  lent;,  Finale.  —  Marche  (Borodine). 

—  C'est  le  16  janvier  que  l'on  entendra  pour  la  première  fois  la  nouvelle 
sonate  pour  piano  et  violoncelle  de  M.  Emile  Bernard,  à  la  quatrième  séance 
de  MM.  Philipp,  Berthelier  et  Loeb.  Deux  autres  œuvres  importantes  figu- 
rent au  programme  :  le  quatuor  de  Rubinstein,  op.  6B,  et  le  quintette  de 
César  Franck. 

—  La  prochaine  représentation  du  théâtre  des  Poètes,  qui  aura  lieu  du 
13  au  20  janvier  à  la  Comédie-Parisienne,  comprendra  Pa-Hos  et  Zuclla, 
légende  en  vers  en  trois  tableaux  de  M.  Gabriel  Martin,  musique  de 
MM.  Ch.-M.  Widor  et  F.  Thomé,  et  la  Jeunesse  de  Luther,  drame  en  deux 
a:tes  de  M.  Albert  Fua. 

—  L'Eldorado,  qui  semblait  le  foyer  et  l'âme  de  l'abject  café-conceit,  va 
abjurer  ses  anciennes  erreurs  et  brûler  ses  faux  dieux  d'immondice  et 
d'imbécillité.  On  transforme  la  salle  et  la  scène  en  un  véiitable  théâtre, 
non  pour  y  représenter  encore  les  drames  lyriques  de  Richard  Wagner  (cela 
viendra  plus  tard),  mais  pour  y  commencer  modestement  nar  l'opérette. 
Spectacle  d'inauguration  -.le  Royaume  des  femmes  des  frères  Cogniard,  remanié 


par  MM.  Paul  Ferrier  et  Clairville,  mis  en  musique  par  M.  Serpette.  Chef 
d'orchestre    :  M.  Thibaut. 

—  Un  de  nos  confrères,  en  donnant  une  liste  des  pseudonymes  adoptés 
au  théâtre  par  certains  artistes,  et  en  mettant  en  regard  de  ces  pseudonymes 
leurs  noms  véritables,  croit  pouvoir  avancer  que  la  cantatrice  M"'  Cécile 
Mézeray  s'appelle  réellement  M"=  Coslard,  et  que  le  premier  nom  n'est 
justement  qu'un  pseudonyme.  Notre  confrère  se  trompe,  et  l'artiste  en 
question  a  un  droit  égal  —  et  légal  —  à  ces  deux  noms.  Son  père,  l'un  des 
plus  fameux  chefs  d'orchestre  de  province,  et  célèbre  à  Bordeaux  pendant 
trente  ans  sous  ce  rapport,  s'appelait,  en  effet,  Louis-Charles-Lazare 
Costard  de  Mézeray. 

—  Quand  les  ministres  se  dérangent,  on  leur  donne  des  «  galas  ».  C'est 
ce  qui  est  arrivé  à  M.  Doumer,  qui  dirige  nos  finances,  à  ce  qu'il  paraît, 
et  qui  avait  porté  ses  pas  du  côté  de  la  «  Côte  d'azur  ».  Il  a  passé  par  Nice, 
et  tout  aussitôt  on  l'a  régalé  d'une  belle  représentation  d'Hérodiade,  avec 
«  abonnements  et  entrées  de  faveur  suspendus  »,  disait  l'affiche;  ce  qui 
fait  que  M.  le  ministre  semble  bien  avoir  été  le  principal  artisan  de  la 
recette  pour  ce  soir-là,  et,  comme  elle  était  fort  belle,  l'habile  directeur 
du  théâtre  a  fort  bien  compris  l'utilité  d'un  ministre  des  finances,  ce  qui 
n'est  pas  donné  à  tous  les  contribuables. 

—  A  signaler  encore  à  Nice,  cette  fois  au  Casino  municipal,  un  fort 
beau  festival  donné  en  l'honneur  de  M.  Massenet.  Au  programme,  l'ouver- 
ture de  Phèdre,  les  Scènes  alsaciennes,  le  prélude  de  Werther  et  des  fragments 
du  Roi  de  Lahore,  à'Esclarmondt;  de  Don  César,  du  Cid,  de  Manon,  etc.,  etc.  ; 
le  tout  acclamé. 

—  Les  nouvelles  de  Rouen  signalent  la  réussite  au  théâtre  des  Arts  de 
la  Mégère  apprivoisée,  la  nouvelle  comédie  lyrique  du  jeune  musicien  M.  Le 
Rey.  Parmi  les  interprètes,  on  cite  surtout  miss  Maud-Roude  (Catherina) 
et  M""  de  Graponne.  Encore  une  bonne  soirée  à  l'actif  artistique  de  l'in- 
telligent directeur,  M.  d'Albert. 

—  M.  Paul  Viardot  vient  de  rentrer  à  Paris,  après  une  très  brillante 
tournée  en  France,  Suisse  et  Belgique,  et  reprend  ses  cours  et  ses  leçons 
de  violon. 

—  Vendredi  prochain,  chez  M"'=  Marie  Rueff,  aura  lieu  une  intéressante 
audition  de  ses  élèves.  Le  programme  est  entièrement  composé  des  œuvres 
de  M.  Paul  Vidal. 

—  Soirées  et  concerts.  — M""  Laure  Taconnet_  vient  de  donner,  à  Versailles, 
une  très  réussie  matinée  musicale,  à  laquelle  M.  Léon  Dela^osse  a  prêté  le  con- 
cours de  son  talent  exquis.  Le  jeune  pianiste  a  non  seulement  triomphé  comme 
virtuose,  mais  encore  comme  compositeur  en  exécutant  une  de  ses  jolies  Yalses- 
prétudes.  Sérénade,  et  en  accompagnant  àM"°  Laure  Taconnet,  qui  les  a  fort  bien 
dites,  deux  de  ses  dernières  mélodies,  Chanson  et  l'Étang  mystérieux.  On  a  beau- 
coup applauli  aussi  les  élèves  de  l'excellent  professeur  dans  un  chœur  récem- 
ment paru  de  Massenet,  Noël.  —  Au  3'  concert  de  la  Société  philharmonique, 
fondée  par  M.  L.  Breitner,  et  auquel  prenaient  part  M""  Breitner,  MM.  Dup'îyron, 
Luzzato,  Remy,  ïracol,  Bailly,  Abbiate  et  Alary,  on  a  surtout  applaudi  M""  S. 
Kerrion  qui  a  fort  bien  chanté  le  grand  air  d'Hérodiade,  de  Massenet.  —  Bonne 
audition  d'élèves  de  M""  Lafaix-Gontié.  A  signaler  M""  B.  (le  Soir,  Ambroise 
Thomas),  M""  Hélène  P.  (Mélodie  sentimentale  de  Xavière,  Théodore  Dubois), 
Louise  B.  (Barcurolle  Massenet),  Hortense  D.  ((Chanson  dn  bouvreuil,  de  Xaviére, 
Théodore  Dubois)  et  Hélène  P.  et  Marguerite  D.  (duo  de  Jea)i  de  Nivelle,  Léo  De- 
libes),  qui  font  particulièrement  honneur  à  renseignement  de  leur  excellent 
professeur.  — M.  Charles  Grandmougin  a  repris  ses  mercredis  à  l'Institut  Rudy, 
interrompus  par  les  fêtes  du  l"de  l'an.  La  huitième  séance  a  été  aussi  brillante 
que  les  autres.  Signalons,  entre  autres  pièces  de  vers,  les  Sirènes,  petit  poème 
exquis,  remarquablement  interprété  par  M"°  Verlain,  des  Variétés,  et  l'auteur; 
M.  Truffter  s'est  fait  vivement  applaudir  dans  les  Fantassitis  de  marine. 

NÉCROLOGIE 
Une    messe    de    bout  de   l'an    sera  dite  mardi    prochain  14   janvier,     à 
dix  heures  et  demie    très  précises,  en  l'église  de  la  Trinité,  pour  le  repos 
de  l'âme  de  Benjamin  Godard. 

—  Le  chef  d'orchestre  militaire  Jean  Népomucène  Kràl  est  mort  à  TuUn, 
près  Vienne,  à  l'âge  de  69  ans.  Pendant  bon  nombre  d'années  le  défunt 
fut  très  populaire  à  Vienne,  et  sa  musique  de  danse,  ainsi  que  ses  marches 
et  ses  arrangements  pour  musique  militaire,  étaient  fort  répandus.  Sa 
marche  :  Vive  Habsbourg,  est  restée  une  des  plus  populaires  de  l'armée 
autrichienne,  et  plusieurs  valses  de  Kràl  sont  encore  souvent  jouées  en 
Autriche. 

—  A  Vienne  s'est  éteinte,  à  l'âge  de  7'J  ans.  M}""  Streicher,  veuve  du 
célèbre  facteur  de  pianos  J.-B.  Streicher,  (|ui  était  fils  d'André  et  JeNanette 
Streicher.  André  Streicher  avait  été  un  ami  de  jeunesse  du  poète  Frédéric 
Schiller,  et  sa  femme  pouvait  se  vanter  de  l'amitié  de  Beethoven.  Tous 
deux  avaient  fondé  à  Vienne  une  manufacture  de  pianos  qui  est  encore 
aujourd'hui  très  florissante. 


Henri  IIeugei.,  directeur-gérant . 


A 


■VENDRE    œuvres     complètes    Paleslrina     pour     orchestre.     Trente 
volumes  reliés.  S'adresser  à  M.  Gaston  Roux.  57,   rue   Pierie   Charron. 


3382.  —  62-^  ANNÉE  —  N"  3.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  19  JaDvier  1896. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directe  ur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HELJGKL,  directeur  du  MÉiNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'aboniiemenL 

Un  on,  Texte  seul  :  10  fr.incs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,    les  Trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de  Delphes  (1"  article),  Julien 
TiERSOT.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  première  représentation  de  Jean-Marie,  au 
théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  Ldciem  Solvaï.  —  III.  L'art  français  sur 
les  scènes  lyriques  allemandes,  0.  Bn.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Correspondance  de  Barcelone  :  premières  représentations  des  opéras 
Pépita  Gimenez  et  Aurora,  A. -G.  Beutal.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

PAR  LE  SENTIER   FLEURI 

de  Cesare   Galeotti.  —  Suivra  immédiatement  :   Brises  du   cœur,   valse    de 

Philippe  Fahrbach. 

MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
Le   Dernier  Rendez-vous,  sonnet  de  Camille  du  Locle,  musique   d'En- 


CHANT 

NESi  Beyee..   —  Suivra   immédiatement 
Ch.-M.  Widor,  poésie  de  Paul  Bourget. 


La  Nuit,    nouvelle    mélodie    de 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 


L'on  n'a  pas  oublié  tout  le  bruit  qui  fut  fait,  il  y  a  un  peu 
plus  d'une  année,  à  propos  de  l'exécution  d'un  hymne  grec 
antique  trouvé  dans  les  fouilles  de  Delphes.  Le  monde  en  fut 
étonné,  —  tout  au  moins  le  monde  musical.  De  nombreuses 
exécutions  de  ce  vénérable  débris  d'un  autre  âge  furent  don- 
nées devant  les  publics  les  plus  divers,  et  des  discussions 
non  moins  variées  s'ensuivirent.  S'il  m'était  permis  d'em- 
prunter à  notre  renommé  confrère  Francisque  Sarcey  les 
familiarités  coutumières  de  ses  discours,  je  m'écrierais  :  «  En 
a-t-on  dit,  des  bêtises I  En  a-l-on  dit!  »  Dans  de  pareilles 
dispositions  de  l'esprit  public,  le  moment  eût  été  mal  choisi 
pour  parler  sérieusement;  il  fallait  attendre  que  la  curiosité 
indiscj'ète  des  foules  se  fût  calmée,  —  ce  qui  ne  pouvait  pas  être 
long,  d'ailleurs.  En  effet,  personne  n'y  songe  plus  maintenant. 
Les  précieuses  découvertes  de  notre  Ecole  française  d'Athènes 
redevisnnent  donc  le  domaine  des  archéologues, —  ce  qu'elles 
n'auraient  jamais  dû  cesser  d'être,  car  il  est  évident  que  le 
public  manque  actuellement  de  l'iniiiation  nécessaire  pour 
les  apprécier  à  leur  juste  valeur.  Mais,  désormais,  il  nous 
est  permis  de  les  étudier  dans  le  calme  et  le  recueillement 
favorables. 

Et  précisément  le  feu  de  paille  des  premiers  jours  est  si 
complètement   éteint   qu'il   vient  de    paraître  récemment  la 


notation  d'un  nouvel  hymne  delphique  (I)  sans  que  personne 
en  ait  dit  un  mot,  —  ce  qui  est  peut-être  un  excès  contraire. 
Je  vais  tâcher  de  réparer  cette  injustice  en  étudiant  avec 
quelque  détail  ce  nouveau  document,  et  en  le  prenant  pour 
point  de  départ  de  quelques  observations  sur  la  musique 
antique  qui,  sans  doute,  pourront  intéresser  le  public  musical, 
auquel  des  notions  claires  et  exactes  sur  la  matière  font  trop 
généralement  défaut. 

Il  faut  avouer,  cependant,  que  cette  découverte  a  moins 
d'importance  que  la  précédente,  car  le  premier  hymne  à 
Apollon  nous  était  parvenu  en  bien  meilleur  état  de  conser- 
vation. Les  deux  morceaux  ont  été  retrouvés  dans  le  trésor 
des  Athéniens,  gravés  sur  des  plaques  de  marbre;  mais  tandis 
que  le  premier  renfermait  des  parties  parfaitement  intactes, 
le  nouveau  est  très  mutilé  :  la  partie  droite  de  la  plaque, 
notamment,  est  brisée  en  neuf  morceaux,  qu'il  a  fallu  assem- 
bler àgrand'peine.  La  patience  et  l'érudition,  de  MM.  HomoUe, 
directeur  de  l'École  d'Athènes,  et  Bourguet,  sont  parvenues  à 
restituer  à  chaque  fragment  sa  place  primitive;  mais  une 
grande  lacune  est  restée,  formant  une  sorte  de  bande  qui 
tient  toute  la  hauteur  du  marbre,  de  sorte  qu'il  n'est  pas 
une  seule  ligne  complète,  et  qu'à  chaque  vers  il  manque 
quelques  mots,  tout  au  moins  quelques  syllabes,  ainsi  que 
les  notes  musicales  correspondantes. 

Grâce  aux  doctes  intuitions  de  M.  Henri  "Weil,  les  lacunes 
de  la  poésie  ont  été  remplies.  De  son  côté,  M.  Théodore  Rei- 
nach,  qui  a  transcrit  la  musique  en  notation  moderne,  a  voulu 
tenter  une  restitution  analogue  :  s'appuyant  sur  les  règles 
concernant  la  correspondance  entre  l'accent  et  la  mélodie,  il 
a  comblé  les  interruptions  de  la  ligne  mélodique  par  des  notes 
hypothétiques  qui,  peut-être,  aident  à  avoir  une  idée  plus 
complète  de  l'ensemble  du  morceau.  Je  n'en  retiens  pas  moins 
cet  aveu,  émanant  de  lui-même: 

«  Aidée  par  le  sens  et  le  mètre,  la  science  divinatoire  de 
M.  H.  Weil  a  pu  restituer  tantôt  avec  certitude,  tantôt  avec 
une  haute  vraisemblance  le  texte  poétique  de  notre  hymne;  il 
serait  imprudent  de  prétendre  aborder  la  reconstitution  de  la 
mélodie  avec  les  mêmes  chances  de  succès.  Notre  connais- 
sance de  l'art  musical  des  Grecs  fùt-elle  beaucoup  plus  avan- 
cée qu'elle  ne  l'est,  il  reste  évident  que  la  mélopée  est  plus 
libre  et  plus  variée  dans  ses  combinaisons  que  la  versifi- 
cation, soumise  au.x  règles  précises  de  la  syntaxe  et  du  mètre.  » 

C'est  pourquoi,  dans  les  citations  qui  vont  suivre,  nous  no 
reproduirons  que  les  fragments  transcrits  expressément  d'après 
la  pierre  (sauf  dans  de  rares  cas,  où  quelques  notes  ajoutées 
donneront  une  idée  plus  complète  de  l'ensemble  d'une  période 
ou  d'un   rythme  cdractéristiques).  La  composition    musicale 

^1)  Bulletin  de  Correspondance  hellénique,  1895,  pp.  345  et  suiv.  -  -  Tirage  à  part. 


18 


LE  MENESTREL 


nous  est  arrivée  en  ruines,  si  l'on  peut_ain^parler  :  prenons- 
la  pour  ce  qu'elle  est,  el  montrons-la  telle  quelle.  Aussi  bien7 
n'est-il  pas  de  certaines  mines  qui  sont  beaucoup  plus  signi- 
ficatives dans  leur  état  de  ruines  qu'après  que  la  main  des 
restaurateurs  y  a  passé  ? 

I 

Le  nouveau  morceau  est,  comme  le  précédent,  un  hymne 
à  Apollon.  Il  se  divise  en  sept  périodes  ou  couplets  d'inégale 
longueur,  et  tous  chantés  sur  une  musique  différente  :  l'une 
de  ces  périodes,  très  développée,  peut  être  divisée  musicale- 
ment elle-même  en  trois  parties  parfaitement  distinctes.  La 
dernière  période,  qui  est  une  prière  destinée  à  servir  de  con- 
clusion religieuse,  est  dans  un  mètre  différent  des  précé- 
dentes, composées  toutes  les  six  dans  le  même  rythme.  Nous 
déterminerons  plus  tard  la  nature  de  ces  rythmes,  ainsi  que 
plusieurs  autres  particularités  musicales  ;  pour  l'instant,  il 
importe  bien  plutôt  de  faire  connaître  l'œuvre  dans  ses  parties 
essentielles. 

Dans  la  première  strophe,  l'aède  invoque  les  Muses  et  ra- 
conte la  naissance  d'Apollon  : 

Venez  sur  ces  hauteurs  qui  regardent  au  loin,  d'oii  surgissent  les 
deux  cimes  du  Parnasse,  et  présidez  à  mes  chants,  ô  Muses,  qui 
habitez  les  roches  neigeuses  de  rHélicon.  Venez  chanter  le  Pythien, 
le  dieu  aux  cheveux  d'or,  le  maître  de  l'arc  et  de  la  lyre,  Phébus. 
qu'enfanta  l'heureuse  Latone  près  du  fameux  lac,  quant,  dans  les 
luttes  de  l'enfantement,  elle  eut  touché  de  ses  mains  une  branche 
verdoyante  du  glauque  olivier. 

La  musique  du  commencement  de  la  strophe  est  détruite  ; 
puis  quelques  fragments  incomplets  apparaissent,  formant 
plutôt  une  série  d'inflexions  musicales  qu'une  mélodie  com- 
plète, se  succédant,  toutefois,  dans  un  ordre  assez  harmonieux 
pour  qu'on  en  puisse  deviner  la  progression  naturelle  : 


La  fin  de  la  période  est  mieux  conservée  :  en  remplissant 
quelques  vides  de  peu  d'importance,  on  en  peut  avoir  une 
idée  complète  jusqu'à  la  cadence  finale.  Les  premières  mesures 
semblent  répondre  au  fragment  précédent  (1)  : 


La  seconde  strophe  décrit  la  joie  de  la  nature  après  la  nais- 
sance du  dieu  : 

Le  ciel  était  tout  en  joie,  sans  nuages,  radieux  ;  dans  l'accalmie  des 
airs,  les  vents  avaient  arrêté  leur  vol  impétueux  ;  Nérée  apaisa  la 
fureur  de  ses  Hots  mugissants  ;  ainsi  fit  le  grand  Océan,  qui  en- 
toure la  terre  de  ses  bras  humides. 

Ici,  la  musique  est  en  très  mauvais  état.  Par  quelques  dé- 
bris épars  nous  voyons  que  la  mélopée  se  tient  toujo.urs  de 
préférence  sur  les  notes  n',  mi,  fa,  ce  que  l'on  avait  pu  ob- 
server déjà  par  les  fragments  initia  ix.  Cependant  un  chan- 
gement parait  s'introduire  dans  la  tonalité  :  le  mi  prend  une 
importance  qu'il  n'avait  pas  dans  la  première  strophe  ;  on  re- 
marque -un  saut  d'octave  caractéristique  sur  ce  degré  ;  enfin 
le  Si  naturel  se  substitue  au  si  bémol.    Pour  parler   le   langage 


(1)  Les  notes  restituées  sont  indiquées  par  de  petites  notes. 


moderne.il  semble  que  l'on  module  à  la  quinte;  et,  en  effet, 
alors  que  la  période  précédente  s'était  achevée  sur  un  la, 
celle-ci  va  conclure  par  la  note  mi  : 


La  troisième  période  se  divise  musicalement  en  trois  sec- 
tions. La  poésie  raconte  le  voyage  d'Apollon  au  pays  des 
Athéniens  : 

Alors,  quittant  l'ile  du  Gynthe,  le  dieu  gagna  la  patrie  du  fruit  de 
Déméter,  la  noble  terre  attique,  près  de  la  colline  de  Pallas. 

La  phrase  musicale,  bien  conservée,  mérite  d'être  repro- 
duite en  entier  : 


On  voit  que  les  particularités  tonales  signalées  dans  la 
strophe  précédente  s'accusent,  et  que  les  notes  mi  si  t;  pren- 
nent une  importance  de  plus  en  plus  grande  dans  la  gamme. 
Mais,  dans  la  période  suivante,  le  chrom'atique  va  faire  son 
entrée.  La  poésie  évoque  une  voix  mystérieuse  accompagnant 
le  dieu  de  ses  acclamations  : 

Le  souflfle  suave  de  la  flûte  de  Lybie  se  mêlait  aux  doux  accents  de 
la  lyre  en  accords  modulés  pour  accompagner  sa  marche,  et,  tout  à 
la  fois,  la  voix  qui  réside  dans  le  roc  fit  à  trois  reprises  entendre  le 
cri  :  lé  Péàii  ! 


Malheureusement  l'inscription  est  effacée  après  ce  court 
début,  et  ne  comprend  plus,  jusqu'à  la  fin  de  la  période,  que 
deux  groupes  de  notes,  séparés  par  une  autre  lacune  et  aux- 
quels manque  la  conclusion.  Leur  principal  intérêt  consiste 
dans  l'emploi  alternatif  du  sib  et  du  si  ij  : 


La  fin  de  la  période  décrit  la  joie  d'Apollon  après  son  arrivée 
dans  l'Attique  : 

Le  dieu  se  réjouit:  confident  de  la  pensée  de  son  frère,  il  reconnut 
l'immortel  dessein  de  Zeus.  C'est  pourquoi,  depuis  lors,  Péan  est  in- 
voqué par  tout  le  peuple  autochtone  et  par  les  artistes  qui  habitent  la 
ville  de  Gécrops,  sainte  troupe  que  Bacehus  frappa  de  son  thyrse. 

La  musique  revient  au  genre  diatonique,  et  la  quinte  inisi\ 
reprend  son  importance  antérieure.  Parmi  les  fragments  épars 
que  l'inscription  a  conservés,  on  rencontre  parfois  quelques 
mesures  formant  une  ligne  élégante  et  pure,  bien  en  rapport 
avec  l'idée  que  nous  nous  faisons  de  l'art  grec  : 


Ou  bien  une  progression  de  notes  se  répondant  avec  une 
harmonieuse  symétrie  : 


La  période  finale   de    la  strophe    est  complète,    à    quatre 
notes  près  : 


(A  suivre.) 


Julien  Tiersot. 


LE  MÉNESTREL 


19 


SEMAINE    THEATRALE 


THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE 


'  Drame  lyrique  en  un  acte,  de  M.  Mortier,   musique  d'Ippolito  Raggtiianti, 
d'après  le  drame  de  M.  André  Theuriet. 

Bruxelles,  16  janvier. 
La  Monnaie  a  donné   mardi   la  «  première  »  de  Jean-Marie,  dranae 
lyrique  en  un  acte  d'Ippolito  Ragghianti. 

Cette  œuvre  inédite  et  posthume  a  toute  une  histoire,  assez  tou- 
chante. Ragghianti  était  né  à  Viareggio,  près  de  Pise,  de  parents 
pauvres,  vingt  ans  après  le  dernier  de  ses  frères.  D'une  santé  ex- 
trêmement débile,  il  avait  montré  tout  jeune  de  vives  dispositions 
pour  la  musique.  Gela  commence,  vous  le  voyez,  comme  toutes  les 
biographies  de  compositeurs.  A  sept  ans,  il  faillit  mourir  d'une  ménin- 
gite, conséquence  de  son  travail  précoce  ;  mais  contre  sa  faiblesse  _ 
de  constitution  luttait  son  esprit  toujours  en  éveil.  A  quinze  ans,  il 
remportait  à  l'Académie  de  Florence  un  prix  de  composition. 

Peu  de  temps  après,  à  Milan,  il  entendait  un  jour,  dans  un  concert, 
notre  compatriote,  le  violoniste  César  Thomson,  se  passionnait  pour 
son  art  avec  l'exaltation  dont  son  âme  enthousiaste  et  ardente  était 
capable,  et  partait  avec  lui  pour  Liège,  malgré  les  supplications  de 
ses  parents,  qui  craignaient  justement  pour  sa  santé  chancelante  les 
agitations  et  les  émotions  de  la  vie  artistique. 

Dans  la  classe  de  M.  Thomson,  il  perfectionne  ses  dons  naturels, 
devient  un  virtuose  accompli,  remporte  au  Conservatoire  toutes  les 
distinctions,  et,  après  s'être  fait  acclamer  maintes  fois  dans  sa  ville 
d'adoption,  où  il  s'était  créé  autant  d'amis  que  d'admirateurs,  se  met 
à  voyager  et  part  pour  Londres,  où  commence  pour  lui  une  série 
de  succès,  interrompus  hélas!  par  la  maladie. 

Il  va  à  Nice,  demander  au  soleil  un  peu  de  forces,  revient  vers  le 
Nord,  miné  de  plus  en  plus  par  la  tuberculose,  retourne  à  Viareggio 
près  de  ses  vieux  parents  et,  après  nne  lente  agonie,  meurt  dans 
leurs  bra."!,  à  la  fin  de  l'année  i894,  à  peine  âgé  de  vingt-huit  ans... 
Tout  en  travaillant  le  violon,  Ragghianti  s'était,  à  Liège,  adonné 
à  la  composition  avec  l'ardeur  qu'il  apportait  dans  toutes  choses  et 
n'y  montrait  pas  moins  de  dispositions.  On  connaît  de  lui  un  con- 
certo, un  quatuor,  des  mélodies  très  remarqués.  Son  activité  céré- 
brale est  incessante. 

Et  c'est  ainsi  que,  même  malade,  étant  à  Nice,  il  est  frappé  du 
caraelère  émouvant  —  et  musical  —  de  la  petite  pièce  de  M.  André 
Theuriet,  Jean-Marie,  qui  lui  tombe  sous  la  main,  et  aussitôt  il  rêve 
de  la  mettre  en  musique  ;  l'auteur  lui  accorde  l'autorisation  néces- 
saire ;  un  ami,  un  poète  niçois,  M.  Mortier,  se  charge  de  transformer 
le  drame  pour  la  scène  lyrique  ;  et  alors  il  se  met  au  travail  avec 
acharnement  et  écrit  sa  partition,  comme  dans  une  fièvre... 

Il  n'eut  pas  le  temps  d'aller  jusqu'au  bout...  L'œuvre  resta  inachevée, 
c'est-à-dire  non  instrumentée;  et  même  le  manuscrit  n'était-il  guère 
qu'un  simple  brouillon,  plein  de  notes  contradictoires,  de  surcharges, 
qui  durent  être  photographiées,  examinées  à  la  loupe,  déchiffrées  à 
grand'peine,  —  sans  compter  une  foule  de  détails  incomplets,  hàlifs, 
que  l'auteur  eût  certainement  revus  et  corrigés,  et  qui  ont  dû  exercer 
longuement  la  patience  et  la  sagacité  de  M.  Paul  Gilson,  à  qui  la 
famille  —  l'œuvie  ayant  été  présentée  et  reçue  à  la  Monnaie  — ■  confia 
le  soin  de  l'orchestrer  et  de  la  mettre  au  point. 

Grâce  à  l'intérêt  très  réel  que  cette  partition  présentait  en  elle- 
même,  ajouté  à  celui  de  ce  travail  de  collaboration,  la  direction  de  la 
Monnaie  a  bien  fait  de  jouer  celte  œuvre  d'un  mort.  L'entreprise 
n'était  point  banale;  et  elle  a  eu  un  cachet  de  manifestation  artis- 
tique qui  en  a  assuré  le  succès. 

On  connaît  le  sujet  de  Jean-Marie.  C'est  l'histoire  souvent  racontée 
d'un  disparu  qu'on  regrette,  qui  revient  et  qui,  trouvant  la  place  prise, 
s'en  retourne.  C'est  la  chanson  saintongeoise  de  la  Femme  du  marin; 
c'esl  Jacques  Damour:  c'est  même,  avec  d'autres  héros,  le  Flibustier. 
Ce  petit  drame,  développant  des  passions  et  des  sentimenis  peu 
compliqués,  bien  humains,  plutôt  que  des  événements,  se  prêtait  par- 
faitement à  une  illustration  musicale.  Le  jeune  compositeur  parait  eu 
avoir  saisi  exactement  la  portée  en  lui  donnant  son  expression  juste 
et  sa  couleur. 

Mais  ce  qui  est  tout  à  fait  surprenant,  c'est  la  façon  dont  il  s'y  est 
pris,  très  différente  de  celle  que  l'on  attendait  d'un  compositeur 
italien,  aidé  surtout  d'un  sujet  qui  pàr-aissait  prêter  plutôt  à  des  can- 
lilènes  mélancoliques  et  à  des  mélodies  simples,  aimables  et  tendres... 
Cette  partition  d'un  Italien  est  tout  ce  qu'il  y  a  de  moins...  italien! 
Wagner  chantant  les  amours  d'un  autre  Tristan  et  d'une  autre  Yseult 


ou  traduisant  les  souffrances  et  les  jalousies  des  dieux  de  la  Wahalla 
ne  s'y  fût  pas  pris  autrement  que  feu  Ragghianti  pour  dépeindre  les 
joies  et  les  tristesses  de  Jean  et  de  Thérèse... 

Cet  Italien  renie  du  premier  coup  ses  ancêtres  et  ses  prédécesseurs; 
il  se  lance  à  corps  perdu  dans  le  chromatisme,  dans  la  mélodie  con- 
tinue, dans  le  récitatif,  avec  le  drame  dans  l'orchestre  et,  à  peu  de 
chose  près,  l'accompagnement  sur  la  scène.  C'est  d'un  modernisme  à 
faire  bondir  dans  sa  tombe  Bellini  et  à  donner  des  crispations  ner- 
veuses à  M.  Leoncavallo...  Finis  Italiœ! 

La  chose  s'explique  par  l'éducation  du  jeune  auteur,  par  son  «  em- 
ballement »  pour  des  œuvres  et  un  système  dont  la  nouveauté  et  l'in- 
térêt agirent  puissamment  sur  lui,  au  point  de  contre-balancer  les 
influences  de  son  instruction  première  et  de  l'hérédité. 

Certes,  en  cette  première  œuvre,  toutes  ces  études,  tout  ce  wagné- 
risme,  n'avaient  pas  eu  le  temps  d'être  complètement  «  digérés  »  ;  il 
en  résulte  une  assimilation  encore  trop  servile  des  formes  du  «  Maître  », 
un  manque  de  liberté  et  de  spontanéité  qui  nuit  à  l'inspiration  per- 
sonnelle de  l'auteur,  —  en  dehors  de  la  prolixité,  des  longueurs,  du 
manque  de  plan  dans  la  construction  générale,  qui  sont  l'apanage 
habituel  des  débutants. 

Mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  s'agisse  ici  d'un  simple  décalque 
plus  ou  moins  habile  ;  —  loin  de  là.  Le  sentiment  instinctif  de  l'au- 
teur, la  mélodie  de  race,  pourrait-on  dire,  abondent,  malgré  tout, 
généreusement  dans  la  trame  de  l'œuvre,  et  cela  d'une  manière  si 
curieuse  déjà  que  l'on  pressent  ce  que  cette  union  d'une  vive  person- 
nalité et  d'une  éducation  musicale  formée  à  des  sources  nouvelles 
aurait  pu  produire  dans  la  suite.  Le  cas,  à  cet  égard,  est  des  plus 
intéressants,  et  il  est  unique  jusqu'à  présent. 

Et  ce  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  le  rendre  séduisant,  c'est  l'appui 
qu'est  venue  prêter  à  cette  tentative  si  audacieuse  la  collaboration 
de  M.  Paul  Gilson.  Avec  une  sûreté  de  main  merveilleuse,  M.  Gilson 
a,  pour  ainsi  dire,  dissimulé  les  faiblesses  et  l'iaexpérience  de  l'au- 
teur, dirigé  ses  pas,  fixé  son  langage,  fait  la  toilette  de  l'œuvre,  en 
la  parant  d'un  vêtement  harmonique  prestigieux,  d'une  couleur, 
d'une  vie,  d'une  diversité  d'accents  absolument  remarquables.  A  cet 
égard,  étant  donnés  surtout  le  système  et  l'importance  ici  tout  à  fait 
primordiale  de  l'orchestre,  M.  Gilson  a  fait  œuvre,  non  de  simple  col- 
laborateur, mais  de  véritable  créateur.  On  peut  dire,  sans  faire  honte 
à  la  mémoire  de  feu  Ragghianti,  que  le  succès  de  celui-ci  a  été  dû 
en  grande  partie  à  celui-là...  Cela  s'est  déjà  vu  en  d'autres  œuvres, 
—  non  certes  lointaines  de  nous  ! 

Jean-Marie,  interprété  par  M"=  Mastio,  MM.  Isouard  et  Cadio,  et 
surtout  par  l'orchestre,  a  donc  réussi  beaucoup,  —  moins  peut-être 
assurément  auprès  du  gros  public  que  des  artistes,  comme  toute 
œuvre  qui  dépasse  la  moyenne  portée  ;  il  y  avait  assez  longtemps, 
en  tout  cas,  qu'on  ne  nous  avait  rien  donné  de  plus  sérieusement 
digne  d'attention.  Ce  début  n'aura  malheureusement   pas   de   suite 

si  ce  n'est  cependant  pour  l'un  des  collaborateurs,  le  plus  effacé, 

mais  non  le  moins  victorieux,  M.  Paul  Gilson,  qu'on  attend  main- 
tenant avec  plus  d'impatience  que  jamais,  au  théâtre,  avec  une  œuvre 

à  lui. 

Lucien  Solvay. 


L'ART  FRANÇAIS 

SUR 

LES  SCÈNES  LYRIQUES  ALLEMANDES 

Nos  lecteurs  savent,  par  les  notes  que  nous  publions  chaque  mois  parmi 
nos  nouvelles  de  l'étranger,  que  les  œuvres  lyriques  françaises  contribuent 
pour  une  large  part  à  la  formation  du  répertoire  courant  des  scènes  lyriques 
allemandes.  On  aura  remarqué  que  des  œuvres  qui,  chez  nous,  sont  vouées 
depuis  longtemps  au  dédain  de  nos  deux  théâtres  lyriques  subventionnées, 
VArmide  de  Gluck,  par  exemple,  et  ses  deux  Iphigénies,  Joseph  de  Mébul, 
tes  Deitx  Journées  de  Gherubini  et,  dans  un  ordre  moins  élevé,  le  Postillon 
de  Lonjumeau  d'Adam  ou  Fra  Diavolo  d'Auber,  n'ont  pas  cessé,  depuis  leur 
création  chez  nous,  d'être  jouées  de  l'autre  côté  duRhin.  Plusieurs  vieilles 
partitions  françaises  qui  y  avaient  été  négligées  pendant  quelque  temps 
ont  été  récemment  reprises  avec  plus  ou  moins  de  succès,  comme  Vtlial  de 
Méhul,  le  Clwval  de  bronze  d'Auber,  le  Petit  Chaperon  rouge  de  Boieldieu, 
voire  les  Deux  Petits  Savoyards  de  Dalayrac  et  les  Deux  Avares  de  Grétry. 
Certes,  la  part  que  les  scènes  allemandes  donnent  à  l'art  français  n'est 
pas  partout  la  même.  Parmi  les  grands  théâtres  subventionnés  par  les 
souverains.  Vienne  lui  accorde  l'hospitalité  la  plus  large,  Munich  la  plus 
restreinte;  mais  il  n'existe  pas  une  scène  allemande,  pas  une  seule,  qui 
ne  tablerait  sur  plusieurs  opéras  français,  surtout  des  opéras-comiques, 
pour   varier    agréablement    son    répertoire.    Un    opuscule   (1)  publié  par 

(1)  Opern-SlatKlik  der  dmlschm  Biwhnen,  von   Max  Friedlrnnder,  Leipzig,  Bre:t- 
kopf  und  Ilœrtel,  1895. 


20 


LE  MENESTREL 


M.  Max  Friedlœnder,  de  Berlin,  chez  MM.  Breitkopf  et  Haertel  à  Leipzig, 
sous  le  titre  Statistique  de  l'opéra  sur  les  scènes  allemandes  en  'IS94,  nous  donne 
sous  ce  rapport  des  indications  presque  complètes  qui  ne  manquent  pas 
d'un  grand  intérêt. 

L'auteur  s'est  donné  la  peine  de  se  renseigner  sur  toutes  les  représenta- 
tions lyriques  qui  ont  eu  lieu  en  1894  sur  les  scènes  européennes  où  l'on 
clianteen  langue  allemande,  même  en  Russie  et  en  Suisse,  de  les  grouper 
d'après  les  noms  des  compositeurs  et  d'indiquer  dans  cet  ordre,  pour  chaque 
œuvre  du  même  compositeur,  combien  de  fois  elle  a  été  jouée  sur  toutes 
les  scènes  de  langue  allemande  pendant  l'année  en  question.  Celte  statis- 
tique n'est  pas  absolument  complète,  comme  M.  Friedlœnder  l'explique 
lui-même,  et  nous  avons,  par  exemple,  trouvé,  à  l'aide  de  la  comptabilité 
du  Ménestrel  au  sujet  des  droits  d'auteur,  que  Mignon  a  été  jouée  sur  deux 
petits  théâtres  allemands  que  M.  Friedlaînder  ne  mentionne  pas.  Mais 
malgré  ces  lacunes,  que  l'auteur  comblera  sans  doute  quand  il  publiera  sa 
statistique  pour  ISOd,  son  petit  ouvrage  nous  offre  des  données  fort  signi- 
ficatives sur  la  popularité  dont  certaines  œuvres  françaises  jouissent  de 
l'autre  côté  du  Rhin. 

Nous  apprenons  par  la  statistique  de  M.  Friedlaender  que  Faust  n'a  pas 
perdu  sa  grande  popularité  en  Allemagne  ;  on  l'a  joué,  en  tout,  204  fois, 
dont  10  à  Berlin.  La  collaboration  de  Goethe  semble  y  être  pour  quelque 
chose,  car  Pliilémon  et  Baucis  n'a  eu  en  tout  que  15  représentations,  Roméo  et 
Juliette  9  seulement,  et  Mireille  aucune.  Après  Faust  il  faut  citer  Carmen 
avec  180  et  Mignon  avec  107  représentations.  Ces  trois  partitions  sont  res- 
tées les  plus  populaires  en  Allemagne.  Meyerbeer  est  en  baisse.  Les  Hugue- 
nots avec  96  représentations  et  l'Africaine  avec  7i  font  encore  assez  bonne 
figure  ;  mais  le  Prophète  est  tombé  à  48  représentations,  Bobert  le  Diable  à  23, 
et  le  Pardon  de  Pioërmel  à  8,  tandis  que  l'Etoile  du  Nord  a  complètement 
disparu.  La  Juive  avec  S"  représentations  et  Guillaume  Tell  avec  b"2,  se 
maintiennent  fort  bien.  Parmi  les  compositeurs  d'opéra-comique,  Adam 
compte  en  tout  134  représentations  avec  le  Postillon  de  Lonjumeau  et  la  Pou- 
pée de  Nuremberg.  Auber  arrive  à  149  représentations,  dont  96  de  Fra-Diavolo, 
Boieldieu  à  52  représentations  dont  4i  de  la  Dame  blanche.  C'est  peu  quand 
on  pense  qu'on  a  joué  103  fois  la  Fille  du  Bégiment  et  72  fois  les  Dragons  de 
Villars.  En  1894,  Manon  et  Werther  avaient  à  peine  commencé  leur  carrière 
sur  les  scènes  allemandes,  et  nous  ne  trouvons  enregistrées  que  leurs 
premières  représentations  à  Vienne  avec  celles  d'Hérodiade  à  Breslau. 

Le  rôle  de  l'art  frarçais  dans  le  répertoire  des  scènes  allemandes  nous 
paraît  d'autant  plus  important  que  Richard  Wagner  n'a  pas  cessé  de 
dominer  l'art  lyrique  en  Allemagne.  Dans  certaines  grandes  villes  comme 
Berlin,  Munich  et  Leipzig,  on  joue  du  Wagner  deux  et  trois  fois  par 
semaine.  Le  maître  de  Bayreuth  arrive  cependant  seulement  à  1.037  re- 
présentations, malgré  l'appoint  du  théâtre  de  Bayreuth  qui,  comme  on  sait, 
a  donné  des  représentations  en  1894.  Les  œuvres  françaises  comptent,  en 
totalité  1 .496  représentations  ;  ils  dépassent  donc,  et  de  beaucoup,  le  réper- 
toire de  Richard  Wagner. 

Il  ne  nous  paraît  pas  superflu  d'emprunter  à  l'opuscule  de  M.  Fried- 
laender encore  quelques  chiffres  significatifs.  Mozart,  avec  huit  ouvrages, 
com.pte  449  représentations,  Weber  409,  Lortzing  490,  Beethoven,  avec 
l'unique  Fidelio,  149  représentations.  Voilà  les  seuls  compositeurs  d'opéras 
allemands,  en  dehors  de  Richard  Wagner,  qui  soient  restés  debout.  Le 
répertoire  italien,  qui  dominait  tout  en  Allemagne  il  y  a  un  quart  de 
siècle  à  peine,  est  fortement  en  baisse.  On  a  joué  neuf  ouvrages  de  Verdi, 
qui  ont  fourni  572  représentations.  Bellini  est  tombé  à  39  représentations 
etDonizetti,  avec  sept  ouvrages,  à  51.  Nous  avons  naturellement,  excepté 
la  Fille  du  Régiment,  qui  appartient  à  l'opéra-comique  français.  CauaKeria 
rusticana  compte  bien  515  représentations  et  i  Pagliacci  467,  mais  c'était 
justement  l'année  de  leur  vogue  extraordinaire,  et  la  statistique  pour  1895 
nous  fera  voir  déjà  de  ce  côté  une  diminution  importante.  0.  Bn. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


■  Le  programme  de  la  sixième  séance  de  la  Société  des  concerts  s'ouvrait 
par  la  symphonie  en  ré  de  Beethoven,  la  seconde  dans  l'ordre  adopté, 
celle  que  le  maître  dédia  au  prince  Lobkowîtz  et  qui  fut  exécutée  pour  la 
première  fois  à  Vienne  en  1800  selon  les  uns,  selon  d'autres  le  ."j  avril  1803. 
Dire  que  dès  lors  l'immortel  créateur  se  trouvait  en  proie  au  mal  qui 
devait  empoisonner  son  existence,  qu'il  était  atteint  de  cette  surdité  par 
laquelle  sa  vie  fut  transformée  en  un  long  supplice  et  qui  ne  l'empêcha 
pourtant  pas  d'enfanter  tant  et  de  si  incomparables  chefs-d'œuvre .'  Celte 
seconde  symphonie  revêt  un  caractère  tout  particulier  parmi  toutes  celles 
de  Beethoven.  A  par'  l'admirable  et  pathétique  adagio,  par  lequel  elle 
s'ouvre,  tout  y  semble  souriant,  aimable  et  plein  d'une  grâce  joyeuse. 
L'œuvre  est  d'une  jeunesse  et  d'un  chariïie  vraiment  entraînants.  Elle  a 
été  dite  par  l'orchestre  avec  sa  verve,  son  feu  et  son  éclat  habituels.  Venait 
ensuite  la  Mer,  l'ode-symphonie  bien  connue  de  M.  Joncières,  que  le 
Conservatoire  avait  fait  entendre  pour  la  première  fois  voici  quinze  ans 
déjà,  le  9  janvier  1881.  Le  solo  en  était  chanté  par  M"«  Landi,  qui  s'en 
est  fort  bien  acquittée  et  qui  a  partagé  les  applaudissements  adressés  à 
l'œuvre  elle-même.  Nous  retrouvions  alors  jiour  la  seconde  fois  le  nom  de 
Beethoven  avec  l'ouverture  si  étonnamment  puissante  et  si  prodigieusement 
dramatique  de  Coriolan,  dont  le  début  seul  serait  un  trait  de  génie,  puis 
nous  avions  le  second  acte  de  l'Orphée  de  Gluck,  ce  chef-d'œuvre  d'un  autre 
genre.  Ici,  on  est  tenté  d'établir  une  comparaison  et   de  se  demander  ce 


qu'aurait  fait  Wagner,  l'artiste  à  la  complication  effrénée,  en  présence 
d'un  pareil  poème  et  avec  les  moyens  simples  à  l'aide  desquels  Gluck  est 
parvenu  à  inspirer  à  ses  auditeurs  une  émotion  si  profonde,  si  intense  et 
parfois  si  profondément  douloureuse.  L'auteur  à'Orphér  n'emploie  pour 
ainsi  dire  jamais  son  orchestre  au  complet.  Peu  ou  point  de  cuivres;  avec 
le  quatuor,  sur  lequel  il  s'appuie  résolument,  les  bassons  et  les  flûtes  jouent 
un  rôle  important,  tandis  que  le  hautbois  et  la  clarinette  n'interviennent 
que  par  instants  pour  obtenir  un  effet  particulier.  Et  pourtant  cet  orchestre 
est  parfois  saisissant,  et  il  arrive  à  des  effets  d'une  couleur  enchanteresse. 
M"°  Landi  a  chanté  le  rôle  d'Orphée  d'une  voix  pénétrante  et  sûre,  avec 
un  style  excellent  et  sobre,  qui  lui  ont  valu  un  succès  brillant,  légitime  et 
de  très  bon  aloi.  Elle  a  été  très  heureusement  secondée  par  M™  Gabrielle 
Rieu,  qui  a  su  justement  aussi  se  faire  applaudir.  Il  serait  injuste  de  ne 
pas  adresser  en  même  temps  les  éloges  qu'il  mériireà  M.  Hennebains,  dont 
la  ffùte  s'est  tout  particulièrement  distinguée  dans  les  délicieux  airs  de 
ballet  des  Champs-Elysées.  Ce  programme  magnifique  se  terminait  par  la 
superbe  et  fulgurante  polonaise  de  Strucnsér.  de  Meyerbeer,  que  l'orchestre 
a  enlevée,  selon  sa  coutume,  avec  une  verve,  une  crânerie  et  une  fougue 
merveilleuses.  A.  P. 

—  Concerts  du  Chàtelet.  —  La  musique  de  la  Damnation  de  Faust  semble 
posséder  le  don  de  l'éternelle  jeunesse,  don  précieux  que  la  fée  Mélodie 
a  rarement  laissé  tomber  sur  une  œuvre  naisssante  avec  une  telle  pléni- 
tude. Que  sont  devenues,  en  effet,  les  œuvres  contemporaines  de  celle  de 
Berlioz,  à  deux  ou  trois  exceptions  près?  Ecrite  avant  1846,  la  Damnation 
de  Faust  conserve  encore  toute  son  originalité,  toute  sa  fraîcheur.  On  n'a 
pas  eu  le  temps  de  s'en  lasser,  pourrait-on  dire  ;  mais  ce  n'est  pas  le  nom- 
bre des  auditions  qui  vieillit  un  ouvrage  ;  ce  sont  les  formules  trop  in- 
dulgentes, les  pauvretés  instrumentales,  la  débilité  des  mélodies,  toutes 
choses  qui  finissent  par  causer  l'anémie  de  l'œuvre  et  nécessiter  sa  mise 
en  réforme.  Les  temps  sont  loin,  sans  doute,  où  la  Damnation  de  Faust  per- 
dra sa  place  d'honneur  aux  programmes  des  concerts,  mais  alors  même, 
elle  apparaîtra  de  loin  en  loin  à  titre  d'œuvre  typique  ayant  rempli  toute 
une  époque  de  sa  célébrité;  elle  reviendra,  comme  revient  parfois  la  Pas- 
sion de  Bach,  toujours  acclamée  comme  géniale,  toujours  impressionnante 
et  toujours  goûtée  d'une  élite.  Les  séances  consacrées  à  la  Damnation  se 
ressemblent  toutes  :  mêmes  applaudissements,  même  bis  aux  mêmes  en- 
droits, et  ces  bis  sont  tellement  d'usage  que  le  public  s'abstient  quelquefois 
de  les  demander,  mais  se  fâche  et  interrompt  violemment  si  M.  Colonne 
fait  mine  de  passer  outre.  En  ce  cas,  les  protestations  nous  arrivent  des 
hautes  régions  de  la  salle,  ce  qui  faisait  dire  à  un  habitué  des  fauteuils 
qu'exaspérait  la  froideur  de  ses  voisins,  que  l'enthousiasme  vient  du  ciel. 
L'interprétation  est  en  partie  renouvelée.  M.  Cazeneuve  n'est  pas  arrivé  à 
cette  pureté  d'émission,  à  cette  épuration  du  style  qui  agissent  plus  effica- 
cement qu'une  sonorité  forte,  mais  peu  maîtrisée. Ses  intentions  se  feront  réa- 
lité après  quelques  efforts  nouveaux,  car  il  est  en  bonne  voie  pour  réussir. 
M.  Auguez  n'est  jamais  médiocre.  Le  voici  excellent  dans  la  chanson  de 
la  Puce  et  dans  la  sérénade,  qui  ne  semblaient  pas  lui  convenir,  et  su- 
perbe dans  l'air  des  Roses.  M.  Nivette  conduit  avec  entrain  YAmen.  Quant 
à  M"'=  Marcella  Pregi,  elle  est  la  perle  de  cette  interprétation.  La  musique, 
parée  d'attraits  exquis,  grâce  à  sa  délicieuse  méthode,  nous  donne  la  vision 
même  de  cette  poétique  image  que  Berlioz  a  dessinée  avec  une  prédilec- 
tion toute  particulière  et  aux  traits  si  habilement  modelés. 

Amédée  Boutarel.' 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Opéra:  A  la  Villa  Médicis  (Biisser),  suite  symphonique,  dirigée  par  l'auteur.  — 
Fragment  du  deuxième  acte  d'CEdipeà  Colone  (Saochini),  chanté  par  M"°Lafargue 
et  M.  Delmas.  —  Le  Songe  de  /a  Sutamiie  (Bachelet),  chanté  par  M"°  Bosman  et 
M.  Affre,  sous  la  direction  de  l'auteur.  —  Danses  anciennes,  par  M""  Mauri, 
Subra  et  le  corps  de  ballet,  —  Prologue  de  Françoise  de  Rimini  (Amb.  Thomas), 
chanté  par  M""  Heglon  et  Lafargue,  MM.  Renaud  et  AtTre.  —  Suite  d'orchestre 
(Hirschmann),  dirigée  par  l'auteur 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  76'  audition  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  soli  : 
M"'  Marcella  Pregi,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  .Xivêtte. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux:  Ouverture  de  la  Flûte  en- 
chantée (Mozart).  —  Symphonie  en  ut  mineur  (Beethoven).  —  Stella  (Lutz),  chanté 
par  M"°  Passama.  —  Concerto  en  sol  mineur  pour  piano  (Saint-Saëns),  exécuté 
parM.  Louis  Livon.—  S(ey/n:ed/di///(  Wagner).— Ouverture  de  7'a)inftSuser(  Wagner) 

Concert  du  Jardin  d'accUmatation,  chef  d'orchestre  :  Louis  Pister.  Programme  : 
Oberon .  ouverture  (Weber);  Le  Roman  d'Arlequin  (Massenet);  a.  Rêverie  de 
Golombine,  B.  Sérénade  d'Arlequin  ;  fiî/mne  iiupliw/  (ïh.  Dubois);  Suite  pour 
violon  et  orchestre  (P.  Chabeaux);  violon,  M.  A.  Lefort;  Symphonie  en  sol 
mineur  (Mozart,  andante,  menuet  ;  Chanson  de  Printemps  (Mendeissohn)  ;  Benri  VIII 
suite  d'orchestre  (Saint-Saëns)  ;  Jocelyn,  carillon  (B.  Godard). 

Jeudi  dernier,  quatrième  et  fort  belle  séance  de  la  société  de  musique 

de  chambre  moderne  de  MM.  I.  Philipp,  Berthelier,  Loeb  et  Balbreck, 
avec  le  concours  de  M.  Lammers.  Elle  s'ouvrait  par  le  quintette  pour 
piano  et  cordes  de  César  Franck,  œuvre  bien  longue  et  bien  inégale,  dans 
laquelle  l'intérêt  est  émoussé  par  des  développements  arides  et  qui  ne 
paraissent  pas  avoir  leur  raison  d'être.  Le  meilleur  morceau  est  certaine- 
ment le  lento,  dont  la  couleur  générale  est  tondue  et  harmonieuse.  Le  pro- 
gramme comprenait  ensuite  la  première  audition  d'une  fort  belle  sonate 
pour  piano  et  violoncelle  de  M.'  Emile  Bernard,  dont  l'e.'ccellente  exécu- 
,tion  de  MM.  Philipp  et  Loeb  a  fait  ressortir,  avec  sa  rare  distinction, 
toutes  les  nobles  qualités.  J'en  citerai  tout  particulièrement  l'adagio,  qui 
est  d'une  mélancolie,  voire  d'une  tristesse  parfois  poignante,  et  l'allégro 


LE  MENESTREL 


21 


final,  qui,  tout  au  contraire,  se  distingue  par  le  mouvement,  la  grâce  et 
une  vivacité  pleine  d'élégance.  Le  quatuor  op.  66  de  Rubinstein  est, 
comme  toutes  les  productions  de  ce  maitre,  l'œuvre  inégale  d'un  homme 
de  génie,  qui,  en  regard  de  quelques  faiblesses,  étonne  par  sa  puissance 
et  certains  éclairs  admirables.  Surtout  l'allégro  con  fuoco  qui  le  termine  est 
très  crâne,  très  coloré,  très  original  et  d'un  effet  infaillible.  A.  P. 

—  MM.  Carembat,  Bailly,  Papin,  Lafleurance,  Paradis,  Couppas,Pénable 
et  Soyer.  de  l'Opéra  et  de  la  Société  des  Concerts,  viennent  de  donner, 
avec  le  concours  de  M.  I.  Pbilipp,  le  premier  des  trois  concerts  annoncés 
par  eux.  Un  nonetto  de  Maumann,  une  œuvre  tout  à  fait  réussie,  d'une 
jolie  sonorité,  était  d'abord  inscrit  au  programme.  Puis  l'on  a  entendu  et 
très  vivement  applaudi  les  Veillées  de  Schumann,  pour  piano,  clarinette  et 
alto,  remarquablement  interprétées  par  MM.  I.  Philipp,  Paradis  et  Bailly, 
et  l'octuor  pour  piano,  cordes,  flûte,  clarinette  et  cor  de  Rubinstein,  dont 
l'exécution  a  été  très  brillante.  Rarement  joué,  cet  octuor  renferme  cepen- 
dant des  parties  exquises,   notamment  un  scherzo  du  plus  charmant  effet. 

CHRONIQUE    DE    BARCELONE 


Barcelone,  10  janvier  1896. 

Après  l'audition  accoutumée  des  ouvrages  plus  ou  moins  réputés  du  ré- 
pertoire ordinaire,  la  direction  de  notre  Gran  Teatro  dei,  Liceo  nous  a  enfin 
donné  une  œuvre  complètement  nouvelle,  depuis  longtemps  annoncée  : 
Pépita  Gimenez,  comédie  lyrique  en  7  tableaux,  rie  M.  Isaac  Albéniz. 

Le  récent  succès  de  M.  Albéniz',  —  succès  du  meilleur  aloi  et  qui  faisait 
concevoir  les  plus  belles  espérances  —  avec  son  opéra  HeJiri  CHIford,  avait 
attiré  l'attention  sur  lui. 

Aussi  l'eslreno  (étrenne)  de  Pépita  Gimenez  avait  attiré  au  Liceo  tout  ce  que 
Barcelone  compte  d'aficionados  du  divin  arte  de  la  musica. 

Le  livret  de  Pépita  Gimenez  est  tiré  d'un  petit  volume  portant  le  même 
titre,  œuvre  justement  célèbre  de  M.  Valera,mais  qui,  tout  exquise  qu'elle 
soit  dans  sa  formé,  n'est  guère  qu'une  espèce  d'idylle,  dépourvue  d'action, 
de  mouvement,  de  passion,  et  ne  renferme  aucunement  les  éléments  scé- 
niques  d'un  drame,  d'une  comédie,  et  encore  moins  d'un  opéra. 

Or,  s'identifiaut  avec  beaucoup  de  talent  d'ailleurs  à  son  livret,  le  jeune 
compositeur  n'a  pu  le  traduire  musicalement  que  d'une  façon...  poétique, 
certes,  mais  naturellement  un  peu  terne  et  grise. 

M.  Albéniz  s'efforce  tant  qu'il  peut  de  se  montrer  wagnérien.  Mais,  en 
musique,  pour  faire  du  Wagner,  il  faut  être  'Wagner  lui-même.  C'est  un 
genre,  à  notre  avis,  impossible  à  s'assimjler.  Hélas!  c'est  précisément  cet 
engouement  irréfléchi,  cette  manie  à  la  mode  inconsidérée  qui  ont  fait 
dévoyer,  qui  ont  perdu  tant  de  charmants  talents  !  Et  nous  craignons  fort 
que  le  compositeur  d'Henri  CUfford  et  de  Pépita  Gimenez,  qui  est  avant  tout 
un  mélodiste,  ne  se  laisse  entraîner  par  le  symphonisme  à  outrance,  et 
n'arrive  à  s'y  noyer. 

Ce  serait  grand  dommage. 

La  nouvelle  œuvre  n'est,  en  efi'et,  qu'un  long  enchainoment  de  phrases 
entrecoupées,  inachevées,  sans  suite,  reliées  entre  elles  par  une  harmonie 
bien  ordonnée,  parfois  élégante,  mais  le.  plus  souvent  sans  chaleur,  sans 
spontanéité. 

C'est  une  revanche  à  prendre.  M.  Albéniz  est  solvable  ;  s'il  ne  gaspille 
pas  trop  sa  belle  monnaie  d'art,  il  ne  nous  la  fera  pas  attendre.  C'est  ce 
que  nous  désirons  et  enregistrerons  avec  grand  plaisir.  Mais,  pour  Dieu  ! 
qu'il  ne  cherche  pas  à  wagnériser  ;  qu'il  albénize  tout  simplement,  et  tout 
le  monde  sera  content. 

L'interprétation  de  Pejjifa  Gimenez  n'a  été  que  médiocre  :  le  défaut  d'études 
et  de  répétitions  se  faisait  par  trop  sentir.  Sauf  M"'=  Zilly,  une  Pépita  cor- 
recte, et  le  baryton  Tissi;yre,  excellent  dans  un  rôle  trop  court,  personne 
n'est  à  citer. 

Presque  en  même  temps  que  le  Liceo,  le  théâtre  populaire  d'El  Tivoli  nOMS 
offrait  également  une  nouveauté  —  et  un  opéra  en  3  actes,  s.  v.  p.  —  inti- 
tulée Aurora,  du  maestro  fsicj  Espi,  ouvrage  «  étrenné  »  à  Madrid  au  cours 
de  la  saison  dernière,  avec  un  colossal  succès,  disent  modestement  les 
afSches.  Au  contraire  de  celle  de  M.  Albéniz,  la  partition  de  M.  Espi  n'est 
qu'une  en01ade  de  morceaux  détachés,  plus  ou  moins  coulés  dans  les  vieux 
moules  du  bon  vieux  temps.  La  mélodie,  sans  être  d'une  bien  grande  ori- 
ginalité, est  cependant  parfois  d'assez  bonne  venue,  et  se  laisse  écouter 
sans  fatigue  ni  ennui.  Mais  quelle  singulière  orchestration  que  celle  du 
maestro  Espi,  et  quelle  bizarre  entente  des  sonorités!  Ah!  celui-ci  ne 
cherche  pas  à  faire  du  Wagner  !  Nous  n'avons  point  le  courage  de  lui  en 
trop  vouloir  ;  mais  c'est  égal,  il  devrait  bien  prier  son  confrère  du  Liceo  de 
lui  repasser  un  peu  de  ses  tendances  ultra-modernistes. 

Aurora  est  montée  avec  soin,  bien  jouée,  et  très  convenablement  chantée. 

A.-G.  Bertal. 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ETRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  janvier)  : 

M.  Vincent  d'Indy,  n'entendant  plus  parler  de  son  Fervaal,  est  venu  ces 
jours  derniers  à  Bruxelles,  et  il  a  appris  que  l'œuvre  était  remise  à  l'an 
prochain,  ce  à  quoi  il  a  accédé,  après  que  les  directeurs  lui  eurent  démon- 


tré l'impossibilité  matérielle  qu'il  y  avait  à  étudier  une  partition  aussi  dif- 
ficile que  la  sienne  à  la  fin  de  l'année  théâtrale,  encombrée  de  reprises  et 
de  représentations  extraordinaires.  Plutôt  que  d'être  «  étranglé  »  ou  mal 
soigné,  M.  Vincent  d'Indy  a  préféré  naturellement  attendre  quelques  mois 
encore,  la  vie  de  compositeur  dramatique  étant  faite  de  patience  et  de 
longanimité.  Frrvaal  (MM.  Stoumon  et  Calabresi  s'y  sont  formellement 
engagés),  sera  la  première  nouveauté  de  la  prochaine  saison,  ce  qui  nous 
annonce  en  même  temps  qu'il  nous  faudra  attendre  jusqu'au  mois  de  dé- 
cembre pour  avoir  autre  chose  que  des  reprises  ou  du  répertoire. 

En  fait  de  concerts,  j'espérais  avoir  à  vous  signaler  avec  joie  celui  qu'est 
venu  diriger  dimanche  dernier,  à  la  Grande-Harmonie,  M.  Borch,  un  jeune 
chef  d'orchestre  de  Christiania,  et  qui  était  consacré  exclusivement  à  Svend- 
sen,  à  Grieg...  et  à  M.  Borch  lui-même;  malheureusement,  ce  concert  a 
été  compromis  par  une  exécution  vraiment  par  trop  sommaire.  Les  œuvres 
de  Svendsen  (une  symphonie  et  un  Andanie  funèbre),  et  celle  de  Grieg  (la 
Suite-Holberg),  inscrites  au  programme,  ne  comptent  pas  parmi  les  meil- 
leures de  ces  délicieux  compositeurs  ;  et  celles  de  M.  Borch  (des  fragments 
de  Féerie  et  un  concerto  pour  piano),  n'ont  point  paru  assez  originales  pour 
éompenser  l'insuffisance  de  l'interprétation.  Lucien  Solvay. 

—  Est-ce  que  la  saison  de  carnaval  va  ramener  une  série  de  désastres 
pour  les  théâtres  italiens  ?  Voici  qu'on  annonce  déjà  la  déconfiture,  à 
Venise,  du  théâtre  Rossiui.  qui  a  fermé  prématurément  ses  portes  et  dont 
la  troupe  reste  sur  le  pavé. 

—  Pour  cette  saison  de  carnaval,  voici  le  nombre  des  théâtres  ouverts 
dans  les  principales  villes  d'Italie  :  8  à  Rome,  dont  deux  consacrés  à  l'opéra, 
le  Nazionale  et  l'Argentina;  10  à  Milan,  dont  3  avec  opéra,  Scala,  Dal 
Verme  et  Philodramatique;  8  à  Turin,  dont  deux  avec  opéra  et  ballet 
Rbgio  et  Vittorio-Emanuele;  8  seulement  à  Naples  (600,000  habitants), 
dont  deux  avec  opéra,  San-Carlo  et  Mercadante  ;  11  à  Gênes,  dont  un  seul 
avec  opéra  et  ballet,  le  Garlo-Felice;  6  à  Florence,  dont  un  seul  aussi  avec 
opéra,  le  Pagliano;  2  seuls  à  Livourne,  dont  un  avec  opéra,  le  Goldoni  ; 
enfin  3  seulement  à  Venise,  dont  deux  avec  opéra,  le  Goldoni  et  le  Rossini; 
encore  ce  dernier  vient-il  de  fermer,  â  peine  ouvert.  En  somme,  comme 
on  le  voit,  les  scènes  lyriques  sont  peu  nombreuses  dans  les  grandes  villes. 

—  Les  wagnériens  convaincus  vont  crier  raca  sur  les  dilettantes  romains, 
indignes  d'apprécierdans  les  conditions  qui  conviennent  les  chefs-d'œuvre 
du  maitre.  Il  parait  en  effet  qu'un  certain  nombre  d'abonnés  et  d'amateurs 
du  théâtre  Argentina,  où  l'on  joue  en  ce  moment  la  Valkyrie,  ont  exprimé, 
par  une  lettre  adressée  au  Don  Chisciotte,  le  désir  de  voir  mettre  un  terme 
à  l'obscurité  qui  règne  au  théâtre  pendant  les  représentations  de  l'ouvrage. 
Ces  philistins  prétendent  que,  «  d'après  les  lois  mêmes  de  la  nature,  les 
ténèbres,  loin  de  réveiller  l'intelligence,  la  poussent  à  s'endormir  ».  Ils 
demandent  donc  avec  instance  un  po'  di  luce.  A.-t-on  idée  de  pareille  sot- 
tise? —  Pendant  ce  temps,  on  annonce  que  les  étudiants  de  l'Association 
universitaire  de  Turin,  où  l'on  joue  d'autre  part  le  Crépuscule  des  Dieux, 
préparent  une  parodie  tant  du  poème  que  de  la  musique  de  cet  ouvrage, 
parodie  qu'ils  représenteront  devant  le  public  qui  visite  l'exposition  de 
photographie  ouverte  par  eux  dans  leur  salle  de  réunion.  «  Comme  avec 
irrévérence  parlent  des  dieux  ces  marauds  I  » 

—  A  Naples,  où  il  s'est  rendu  en  quittant  Milan,  M.  Saint-Saëns  a  assisté 
à  un  concert  symphonique  donné  dans  la  salle  Romaniello  sous  la  direc- 
tion de  M.  Rossomandi.  Après  l'exécution  de  la  Danse  macabre,  qui  était 
inscrite  au  programme,  le  compositeur  a  été  l'objet  d'une  grande  démons- 
tration de  la  part  du  public,  qui  l'a  acclamé  et  qu'il  a  dû  venir  saluer  sur 
l'estrade. 

—  Au  Théâtre-Royal  de  Turin  aura  prochainement  lieu  la  première 
représentation  de  Saivitri,  drame  lyrique  de  M.  Ganti.  M"»  d'Ehrenstein, 
de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  a  été  invitée  à  créer  le  rôle  de  Sawitri, 
une  Eurydice  indienne  qui  obtient  de  Brahma  la  vie  de  son  époux  défunt. 
La  direction  de  l'Opéra  de  Vienne  a  accordé  un  congé  à  sa  pensionnaire 
pour  qu'elle  puisse  chanter  à  Turin. 

—  On'  organise  à  Pesaro,  pour  le  29  février,  anniversaire  de  la  naissance 
de  Rossini  (qu'on  ne  peut  célébrer  exactement  que  dans  les  années  bis- 
sextiles), une  grande  solennité  musicale.  M-.  Mascagni,  directeur  du  Lycée 
Rossini,  fera  entendre  une  de  ses  compositions,  et  il  est  probable  qu'on 
exécutera  la  «  petite  messe  solennelle  »  du  maître,  qui  serait  chantée  par 
quelques-uns  des  artistes  les  plus  célèbres  de  l'Italie. 

—  On  vient  d'ouvrir  à  Naples,  entre  les  musiciens  italiens,  un  concours 
de  composition  pour  le  prix  Bellini  fondé  par  Francesco  Florimo.  Ce  con- 
cours comprend  :  1°  une  cantate  «  pour  chœurs,  voix  seules,  dialogues  et 
orchestre  »,  sur  les  vers  du  poème  de  Giovanni  Prati  :  Convegm  degli  spirili; 
2°  un  poème  symphonique,  du  troisième  au  quatrième  acte  de  VAdclchi  de 
Manzoni.  Le  concours  est  circonscrit  entre  les  artistes  qui  n'ont  pas  dépassé 
leur  trentième  année. 

—  On  vient  d'instituer,  au  Lycée  musical  de  Turin,  une  chaire  d'histoire 
et  d'esthétique  musicales.  Cet  enseignement  est  confié  à  un  jeune  écrivain 
que  l'on  dit  fort  instruit,  M.  L.  A.  Villanis,  avocat,  critique  musical  de 
la  Gazzetta  di  Torino, 

—  Au  théâtre  Mercadante,  de  Naples,  première  représentation  d'un  opéra 
nouveau  intitulé  Onore,  paroles  de  M.  F,  Verdinois,  musique  de  M.  Gon- 
siglio.  L'ouvrage  a  été  bien  accueilli. 


LE  MlDNESTREL 


—  Un  comité  s'est  formé,  à  Vienne,  pour  faire  représenter  une  grande 
œuvre  lyrique,  la  Terre  (Gaea),  du  compositeur  Adalbert  de  Goldschmidt, 
l'auteur,  des  Sept  Péchés  capitauœ  qu'on  connaît  à  Paris.  Cette  société  vient 
de  publier,  en  vue  de  réunir  les  fonds  nécessaires,  un  appel  aux  amateurs 
du  grand  art  qui  porte,  entre  autres,  les  signatures  de  MM.  Massenet,  La- 
moureux.  Zola,  Alphonse  Daudet,  Maîterlinck,  Johann  Strauss  et  du  ténor 
Van  Dyck,  qui  fait  aussi  partie  du  comité  en  question. 

—  Une  collection  remarquable  d'instruments  musicaux  îst  mise  en 
vente  à  Vienne.  Elle  appartient  à  M.  Charles  Zach,  facteur  d'instruments 
à  archet,  et  a  figuré  à  l'exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  à  Vienne, 
il  y  a  quelques  années.  On  y  trouve  le  piano  à  queue  dont  Beethoven  s'est 
servi  pendant  longtemps  et  dont  il  fit  cadeau  à  un  de  ses  élèves  ;  le  pro- 
priétaire en  demande  vingt  mille  francs.  Un  comité  est  en  train  de  se 
former  à  Vienne  pour  faire  l'acquisition  de  cette  collection  au  complet, 
que  convoite  aussi  un  musée  étranger. 

—  Le  compositeur  et  chef  d'orchestre  militaire  Charles  Komzàk  quitte 
l'armée  autrichienne,  où  il  est  fort  populaire,  pour  se  consacrer  au  théâtre 
et  à  la  composition  musicale.  A  cette  occasion,  trois  de  ses  collègues  ont 
organisé  à  Vienne  une  soirée  d'adieu,  à  laquelle  assistait  un  public  fort 
nombreux.  Les  musiques  militaires  de  quatre  différents  régiments,  en  tout 
près  de  trois  cents  musiciens,  ont  exécuté  sous  la  direction  successive  de 
Komzàk  et  de  ses  collègues  plusieurs  morceaux,  surtout  des  compositions 
de  Komzàk.  L'exécution  était  irréprochable,  malgré  le  grand  nombre  de 
musiciens  appartenant  à  quatre  régiments  différents  qui  n'avaient  jamais 
eu  l'occasion  de  jouer  ensemble.  La  presse  viennoise  remarque  que  la 
vieille  réputation  des  musiques  militaires  autrichiennes  n'est  pas  moins 
méritée  de  nos  jours  qu'autrefois. 

—  Une  nouvelle  opérette,  le  Major  de  table  d'hôte,  paroles  tirées  de  la 
célèbre  pièce  de  Gogol,  le  Reviseur,  musique  d'Alexandre  Neumann,  a  été 
jouée  avec  beaucoup  de  succès  au  théâtre  de  la  Joseftadt  à  Vienne. 

—  Un  fait  sans  précédent  est  arrivé  à  la  chapelle  royale  de  Berlin  :  son 
dernier  concert  a  dû  être  dirigé  par  le  premier  violon,  M.  Halir,  le  chef 
d'orchestre  "Weingartner,  s'étant  blessé  à  la  main,  son  collègue  M.  Sucher 
étant  la  victime  de  l'influenza,  et  le  troisième  chef  d'orchestre,  M.  Muck, 
ayant  obtenu  un  congé  pour  donner  un  concert  à  Budapest.  Les  deux  chefs 
d'orchestre  pour  les  petits  opéras  et  le  ballet  ne  voulaient  pas  risquer 
l'entreprise,  et  le  premiir  violon  s'est  bravement  offert.  Tout  a  marché, 
du  reste,  à  souhait,  mais  l'affaire  a  fait  beaucoup  de  bruit  parmi  les 
abonnés  et  les  autres  amateurs  de  Berli  n. 

—  Grand  succès  pour  VHamlet  d'Ambroise  Thomas  à  l'Opéra  royal  de 
Budapest,  avec  le  célèbre  chanteur  italien  Fumagalli  dans  le  rôle  principal. 
Cette  reprise  brillante  d'Hamlet  fait  beaucoup  d'honneur  au  théâtre,  et  les 
journaux  de  la  capitale  hongroise  s'expriment  dans  des  termes  enthou- 
siastes sur  cette  belle  soirée. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Nuremberg  prépare  la  première  représen- 
tation d'un  nouveau  drame  lyrique,  une  Expédition  de  Viking,  musique  de 
M.  Félix  Woyrsch. 

—  Richard  Strauss  est  en  train  de  terminer  un  opéra-comique,  la  Sor- 
cière de  Scharfenberg,  sur  des  paroles  de  M.  0.  J.  Bierbaum. 

—  Le  Musikverein  de  Ma  nheim  a  eu  l'idée  d'exécuter,  presque  en  entier 
et  sous  forme  de  concert,  dans  sa  dernière  séance,  un  des  opéras  les  moins 
connus  aujourd'hui  de  Mozart,  Idomeneo,  re  di  Creta.  Il  paraît  que,  en 
dépit  de  la  valeur  de  l'exécution,  cet  essai  n'a  obtenu  aucun  succès.  On 
sait  qu'/doménée  fut  représenté  pour  la  première  fois  à  Munich  le  26  jan- 
vier 1781.  alors  que  Mozart  venait,  depuis  deux  jours,  d'accomplir  sa  vingt- 
cinquième  année.  Ce  qu'on  sait  moins,  c'est  que  le  livret  de  cet  ouvrage, 
dû  au  poète  Varesco,  n'était  qu'une  traduction  presque  exacte  d'un  de  nos 
opéras,  Idoménée,  que  Danchet,  membre  de  l'Académie  française,  avait  écrit 
pour  l'excellent  compositeur  Campra,  et  qui  fut  représenté  à  notre  Opéra 
le  12  janvier  1712. 

—  Un  nouvel  opéra,  Dans  une  grande  époque,  paroles  de  M.  Hausmann, 
musique  de  M.  Ernest  Heuser,  vient  d'être  joué  avec  un  certain  succès  au 
théâtre  municipal  d'Elberfeld. 

—  Un  nouvel  opéra-comique,  le  Trésor  de  Rliampsinit ,  musique  de 
M.  Albert  Gorter,  a  été  joué  avec  succès  au  théâtre  grand-ducal  de  Carls- 
ruhe. 

—  M.  Hermann  Levi,  le  célèbre  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Munich, 
qu'une  grave  maladie  nerveuse  empêchait  depuis  quelques  mois  d'exercer 
ses  fonctions,  vient  d'obtenir  un  congé  illimité  pour  rétablir  sa  santé. 
M.  Levi  n'ira  donc  pas  cet  été  à  Bayreuth. 

—  Le  ministre  de  la  justice  de  Suède  ayant  consulté  plusieurs  associa- 
tions sur  l'opportunité  d'une  révision  de  la  législation  intérieure  en  vue 
de  l'adhésion  de  la  Suède  à  la  convention  de  Berne,  concernant  le  droit 
d'auteur,  les  directeurs  des  deux  théâtres  royaux  et  les  sociétés  d'éditeurs 
ont  successivement  déconseillé  toute  démarche  tendant  à  signer  ladite 
convention.  Ces  intéressantes  associations  préfèrent  naturellement  pouvoir 
s'approprier  en  toute  tranquillité  le  mouchoir  du  voisin.  D'ailleurs,  nos 
bons  alliés  les  Russes  sont  du  même  avis  et  pratiquent  aussi  avec  succès 
le  maniement  de  l'art  à  la  tire.  Alors,  qu'aurions-nous  à  dire  aux  Suédois, 
qui  ne  sont  pas  nos  alliés  ? 


—  Un  riche  dilettante  russe,  M.  le  baron  Paul  von  der  Wies,  vient,  dit-on, 
de  faire  don  au  Conservatoire  de  Moscou,  pour  sa  nouvelle  salle  de  con- 
certs, d'un  grand  orgue  du  prix  de  30.000  roubles  (environ  120.000  francs). 

—  L'un  des  concerts  donnés  à  Saint-Pétersbourg  par  le  jeune  pianiste 
Hofman,  a  rapporté  la  somme  de  7.300  francs.  Pour  exprimer  la  vénéra- 
tion qu'il  porte  à  la  mémoire  de  son  maître,  Antoine  Rubinstein,  le  jeune 
artiste  a  versé  toute  cette  somme  à  l'œuvre  du  Fonds-Rubinstein. 

—  Très  remarqué  à  Pétersbourg,  le  jeune  violoncelliste  belge,  M.  Jean 
Gérardy,  qui  s'est  fait  entendre  avec  grand  succès  aux  concerts  du  Conser- 
vatoire. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  la  direction  du  Théâtre-Royal  de 
Madrid  estdéclarée  en  faillite,  ce  théâtre  est  fermé  et  la  troupe  se  débande. 
Il  nous  semble  que  la  cause  de  ce  sinistre  doit  être,plus  sérieuse  que  celle 
que  le  Trovatore  nous  raconte  en  ces  termes  :  «  Les  artistes  qui  composaient 
la  compagnie  du  Théâtre  Royal  de  Madrid  doivent  vraiment  une  grande 
reconnaissance  à  la  sottise  d'une  blanchisseuse  qui,  pour  n'avoir  pas  été 
payée  de  deux  blanchissages,  a  causé  la  fermeture  du  théâtre.  Ainsi,  cette 
blanchisseuse  a  porté  un  dommage  énorme  à  tous  les  artistes,  a  ruiné  le 
pauvre  directeur  et  a  fait  rester  sans  théâtre  le  public  madrilène.  Il  faut 
lui  élever  promptement  un  monument...  » 

—  La  Société  pour  madrigaux  d'Eton  s'est  fait  entendre  avec  un  succès 
énorme  devant  la  reine  Victoria,  au  château  de  Windsor.  Parmi  les  exécu- 
tants se  trouvait  la  princesse  Victoire  de  Sleswig-Holstein.  On  a  forte- 
ment applaudi  un  charmant  madrigal  du  roi  Henri  VIII.  Ce  terrible 
Barbebleue  fut,  comme  on  sait,  un  des  meilleurs  compositeurs  anglais 
qui  précédèrent  Henry  Purcell,  et  ses  madrigaux  ont  une  tournure  senti- 
mentale qui  surprend  doublement  quand  on  pense  au  sort  qu'il  réservait 
aux  reines  qui  avaient  cessé  de  lui  plaire. 

—  A  Londres  existe  un  théâtre  juif  connu  sous  le  litre  pompeux  de  Tlw 
Hebrew  Opéra  Company.,  Cette  compagnie  d'opérahébreu  a  quelque  tempspar- 
couru  l'Amérique,  où  se  trouvent  beaucoup  d'émigrants  juifs  venus  de  la 
Russie  et  delà  Pologne,  et  s'est  fixée  à  l'East  End  de  Londres,  qui  est,  comme 
on  sait,  le  quartier  des  pauvres,  quelque  chose  comme  notre  ancienne  rue 
Mouffetard.  Le  théâtre  juif  joue  des  pièces  tirées  de  la  Bible,  de  la  légende 
et  de  l'histoire  des  Juifs,  et  aussi  des  farces  modernes  d'un  naturalisme 
outrancier.  Ces  pièces  rappellent,  par  la  simplicité  de  leur  charpente  et 
la  naïveté  du  dialogue,  le  théâtre  du  moyen  âge;  celles  qui  sont  tirées  de 
l'histoire  sainte  ressemblent,  sous  plus  d'un  rapport,  aux  poésies  naïves 
des  maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  dont  Richard  Wagner  s'est  moqué 
avec  humour  dans  son  célèbre  opéra.  Toutes  sont  jouées  dans  ce  jargon 
juif  que  les  Israélites  russes  et  polonais  parlent  entre  eux  et  qui  est,  en 
somme,  le  vieux  dialecte  allemand  de  l'Alsace  émaillé  de  mots  russe  et 
polonais.  Ils  appellent  ce  mélange  de  langues  Yiddisch.  La  musique  ne 
manque  pas  non  plus  au  théâtre  hébreu;  elle  est  intercalée  dans  toutes  les 
pièces  du  répertoire  et  contient  non  seulement  des  cantiques  et  des  chants 
liturgiques  hébreux,  qui  remontent  au  temps  du  temple  de  Jérusalem, 
mais  aussi  des  compositions  très  modernes.  Nous  y  avons  constaté  la 
présence  de  plusieurs  airs  de  la  Juive,  ce  qui  n'a  rien  d'étonnant  puisque 
Halévy  s'est  servi,  dans  cet  opéra,  de  plusieurs  mélodies  fort  anciennes  de 
sa  race;  mais  Meyerbeer  n'y  manque  pas  non  plus.  Los  Juifs  polonais  et 
russes  ont  une  grande  prédilection  pour  les  «  cocottes,  »  et  Bellini  etRossini 
ont  été  mis  aussi  à  contribution  pour  la  musique  de  leur  opéra  hébreu; 
à  notre  grande  stupéfaction,  nous  y  avons  enfin  rencontré,  sous  un  dégui- 
sement léger,  l'air  de  Philine  de  ilignon  et  un  air  du  t-'àid,  d'Ambroise 
Thomas,  qui  ne  se  doute  guère  de  sa  popularité  dans  un  milieu  pareil. 
L'Opéra  hébreu  ne  pèche  pas  par  un  grand  luxe  de  mise  en  scène;  les 
costumes  n'ont  aucune  prétention  à  ce  vérisine  que  les  Italiens  adorent 
actuellament,  et  les  décors  sont  d'une  naïveté  presque  ridicule.  Moïso  est 
tiré  d'un  bassin  de  Hyde  Park;  la  belle  Ruth  se  promène  sous  les  .irbres 
de  Bushy  Park  et  le  roi  Salomon  fait  sa  joyeuse  entrée  dans  une  rue  de 
Jérusalem  qui  n'est  autre  que  le  Strand  de  Londres,  avec  ses  lanternes 
multicolores  et  des  maisons  dépourvues  de  toute  architecture.  Mais,  sous 
un  certain  rapport,  l'Opéra  hébreu  ressemble  à  celui  de  Bayreuth  :  dès  que 
le  rideau  se  lève,  tous  les  becs  de  gaz  cessent  de  fonctionner  et,  entre  les 
acteurs  et  le  public,  s'ouvre  «  l'abîme  mystique  »  dont  parle  Richard 
Wagner.  Nous  croyons  que  le  brave  régisseur  de  l'Opéra  hébreu  n'a  pas 
pensé  â  la  théorie  du  maître  de  Bayreuth  en  créant  son  «abîme  mystique», 
mais  plutôt  à  la  note  de  la  compagnie  du  gaz.  Si  ce  public  manque 
furieusement  de  snobisme,  il  ne  laisse  rien  à  désirer  au  point  de  vue  de 
l'enthousiasme.  Impossible  de  trouver  des  amateurs  plus  passionnés  et 
plus  faciles  à  émouvoir  que  ces  pauvres  artisans  juifs,  pour  la  plupart 
tailleurs  et  cordonniers,  qui  travaillent  pendant  douze  heures  par  jour 
pour  pouvoir  se  payer,  une  fois  par  semaine,  le  luxe  d'une  soirée  d'opéra. 
Comme  il  y  a  plus  de  quarante  mille  Juifs  russes  et  polonais  à  Londres, 
l'Opéra  hébreu  au  Standard-Théâtre  fait  de  bonnes  affaires;  il  attire  même 
quelques  amateurs  du  Westend,  qui  désirent  connaître  ce  théâtre  excen- 
trique. 

—  Dépêche  de  New-York  :  «  La  représentation  du  Mcphistopliélh  de  Boito 
a  été  un  triomphe  pour  M""  Emma  Calvé,  qui  a  interprété  le  rôle  de  Mar- 
guerite en  grande  cantatrice  et  en  grande  comédienne.  Au  cours  de  cette 
belle  soirée,  elle  n'a  pas  été  rappelée  moins  de  dix  fois  par  une  salle  en- 
thousiaste qui,  à  la  fin  du  spectacle,  lui  a  fait  une  véritable  ovation.  » 


Lt  MÉNESTREL 


23 


—  On  ne  s'ennuyait  pas  à  Johannesburg  lorsque  l'invasion  du  capitaine 
Jameson  est  venue  apporter  quelque  trouble  dans- les  coutumes  de  la  vie 
quotidienne.  Il  paraît  que  les  concerts  faisaient  rage  (dans  le  Sud-Afrique  !) 
et  que,  entre  autres,  on  entendait  chaque  soir,  à  l'Amphithéâtre,  un  petit 
orchestre  de  dames  viennoises  dont  le  succès  était  complet.  Cette  petite 
phalange  symphonique  était  fort  bien  dirigée  par  une  jeune  fille,  M"°  Clara 
Kirclimayer,  vaillante  violoniste,  qui  se  faisait  personnellement  et  vive- 
ment applaudir  en  exécutant  des  solos,  particulièrement  dans  une  fantaisie 
sur  Fausl  qui  lui  valait  de  réelles  ovations. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Nous  recevons  communication  de  la  note  suivante  : 

MM.  les  compositeurs  de  musique  qui  prennent  part  au  concours  musical 
ouvert,  en  1894-1896,  par  la  ville  de  Paris  entre  les  musiciens  français,  pour 
la  composition  d'une  œuvre  musicale  avec  soli,  chœurs  et  orchestre,  sous  la 
forme  symphonique  ou  dramatique,  sont  prévenus  qu'ils  devront,  aux  termes 
du  programme  de  ce  concours,  déposer  leurs  manuscrits  à  la  Préfecture  de  la 
Seine,  Bureau  des  beaux-Arts  (Escalier  D),  du  1"  au  16  mars  prochain,  de  midi 
à4  heures  (le  dimanche  excepté). 

Les  concurrents  qui  désireront  garder  l'anonyme  devront  revêtir  leurs  manus- 
crits d'une  épigraphe  reproduite  dans  un  pli  cacheté. 

Dans  ce  cas,  ils  devront  : 

Soit  en  faire  elTectuer  le  dépôt  par  un  représentant  parisien  dont  l'adresse 
sera  connue;  soit,  s'ils  envoient  leurs  manuscrits  par  la  poste,  se  faire  connaître 
confidentiellement  k  l'Inspecteur  des  Beaux-.\rts  de  la  Ville  de  Paris. 

Chaque  partition  devra  être  complètement  orchestrée.  Une  réduction  au  piano 
et  chant  sera  fournie  en  un  cahier  séparé,  ainsi  qu'un  exemplaire  du  livret  sur 
lequel  la  partition  aura  été  écrite. 

—  Encore  un  lauréat  du  Conservatoire  qui  vient  de  faire  d'excellents 
débuts  à  l'Opéra.  Décidément,  cette  Ecole  (nous  parlons  du  Conservatoire, 
l'Opéra  est,  on  le  sait,  une  académie)  semble  avoir  entrepris  de  se  moquer 
des  critiques  influents  qui  la  décrient  tant  chaque  année  à  l'époque  des 
concours  et  prétendent  qu'elle  ne  produit  plus  rien'.  Voilà  encore  un  de  ses 
produits  cependant,  et  cette  fois  un  ténor,  rara  avis,  qui  n'a  pas  la  voix 
dans  sa  poche.  Elle  est  claire,  assouplie,  forte  quan.d  il  le  faut,  émue  par  ici, 
énergique  par  là,  colorée  toujours.  M.  Courtois,  c'est  son  nom,  qui  est  par 
surcroît  un  élégant  cavalier  et  un  comédien  non  maladroit,  a  donc  rem- 
porté un  véritable  succès  dans  le  rôle  fort  important  de  Sigurd.  C'est  tou- 
jours bon  à  enregistrer. 

—  Nous  donnons  ci-dessous  l'état  des  recettes  réalisées  durant  l'année  1896 
pour  les  théâtres  de  Paris. 

Nous  mettons  en  regard  le  bilan  de  l'année  1894  : 


Opéra •.  .   . 

Comédie-Française . 
Opéra-Comique.   .   . 

Odéon 

Renaissance  .  .   .   . 

Vaudeville 

Variétés 

Gymnase 

Palais-Royal  .... 

Nouveautés 

Châtelet 

Gaîté 

Pbrte-Saint-Martin  . 

Arribigu 

Bouffes 

Folies-Dramatiques. 
Menus- Plaisirs  .  .  . 
Château-d'Eau  .   .   . 

Cluny 

Déjazet 

Bou£fes-du-Nord  .  . 


1894 


3.146.670 
2.009.773 
1.545.267 
428.609 
1.305.551 
1.487.984 
930.144 
578.390 
778.349 
494.486 
953.391 
715.328 
766.531 
604.644 
521.644 
493.176 
143.741 
301.044 
330.775 
1.33.322 
150.952 


1895 

DIFFÉRENCE 

3.183.895 

-r    37.225 

2.126.295 

+  116.522 

1.448.669 

—    96.698 

612.201 

+  183.592 

873.052 

—  432.499 

1.198.447 

—  289.537 

1.189.332 

+  259.188 

987. OH 

+  408.654 

710.836 

-    67.513 

803.647 

+  309.161 

905.260 

—    48.131 

1,109.467 

+  394.139 

1.040.370 

-f  273.839 

518.706 

-    85.938 

453.915 

—    67.729 

425.157 

—    68.019 

94.103 

—    49.638 

289.913 

—    11.131 

388.669 

—    22.106 

100.075 

—    33.247 

133.771 

—    17.181 

Total  de  1894:  17.819.771  francs. 

—        1895:  18.S12.624       - 
Soit,  en  plus,  au  profit  de  1893  :  692.853  francs. 

—  Le  Figaro  raconte  cette  anecdote  peut-être  piquante  : 

On  racontait  l'autrejour,  dans  un  bureau  de  l'administration  des  Beaux-Arts, 
un  mot  bien  amusant  du  directeur  d'une  de  nos  scènes  lyriques.  Un  jeune  mu- 
sicien de  talent,  déjà  connu,  était  venu  lui  apporter  un  ouvrage  qui  mettait  en 
scène  des  ouvriers  en  costume  de  travail  : 

—  Comment  voulez-vous,  lui  objecta  le  directeur,  qui  passe  pourtant  pour  un 
homme  d'esprit,  comment  voulez-vous  faire  accepter  qu'un  liomme  habillé  en 
plombier  soit  un  personnage  lyrique,  et  qu'il  chante  au  lieu  de  parler  argot  ? 

L'auteur,  un  pince-sans-rire  remarquable,  ne  répondait  rien,  hocliait  la  tète, 
voulant  voir  jusiju'où  iraient  les  théories  esthétiques  de  son  interlocuteur. 
Et  tout  à  coup,  comme  illuminé  d'une  idée  imprévue,  le  directeur  dit,  en  effet  : 

—  Si  vous  habilliez  vos  ouvriers  en  costume  Louis  XIII  ou  Louis  XIV,  ou 
Louis  XV  n'importe  !  Hein?...  Il  y  avait  aussi  des  plombiers  dans  ce  temps-là... 
Comme  cela,  tout  s'arrangerait  I... 

Le  jeune  musicien  ne  rit  pas,  et  continua  à  hocher  vaguement  la  tête. 

Eh  !  mon  Dieu,  ce  directeur  n'était  peut-être  pas  si  mal  avisé.  Jusqu'à 
plus  ample  informé,  nous  estimons  aussi  que  la  blouse  de  «  l'ouverrier  » 
de  nos  jours  contient  dans  ses  plis  bien  peu  de  musicalité. 


^  Les  personnes  qui,  sur  la  foi  des  programmes  et  des  affiches,  se  ren- 
daient, dimanche  dernier,  aux  concerts  d'Harcourt,  se  sont  heurtées  à  une 
clôture  inattendue  des  portes  de  l'établissement.  Le  concert,  en  effet, 
n'avait  pas  lieu,  par  suite  de  difficultés  intérieures,  les  artistes  de  l'or- 
chestre ayant,  au  dernier  moment,  refusé  de  continuer  leur  service.  Voici 
la  note  que  l'administration  des  concerts  a  fait  parvenir  à  ce  sujet  à  la 
presse  :  «  Par  suite  de  la  grève  d'une  partie  de  l'orchestre,  les  concerts 
sont  momentanément  suspendus.  Le  remboursement  proportionnel  des 
abonnements  est  elîectué  tous  les  jours,  de  deux  heures  à  six  heures,  salle 
d'Harcourt,  40,  rue  Rochechouart.  » 

—  M.  Massenet  vient  d'arriver  à  Milan  pour  les  dernières  répétitions  de 
la  Navarraise  au  théâtre  de  la  Scala.  La  première  représentation  aura  lieu 
mardi  prochain.  Auparavant  M.  Massenet  s'était  arrêté  à  Gènes,  où  il  a  pu 
surveiller  les  études  de  W'rt/ier,  qui  sera  représenté  aussi  au  courant  de 
cette  semaine. 

—  M.  Raoul  Pugno  n'a  fait  que  traverser  Paris  cette  semaine,  venant  de 
jouer  à  Marseille  et  à  Nimes,  où  ses  succès  ont  été  de  plus  en  plus  écla- 
tants. Après  le  concerto  de  Schumann  avec  orchestre,  les  rappels  et  les  bis 
ont  été  tels  qu'il  a  dû  jouer  encore  son  Air  à  danser  et  sa  Sèrinade  à  la  lune, 
demandée  par  le  public.  M.  Pugno  a  été  réengagé  pour  un  nouveau  récital 
qu'il  doit  donner  aujourd'liui  à  Marseille.  De  là,  il  se  rendra  à  Montpellier. 

—  L'éloquent  poète  parisien  M.  Georges  Vanor  est  allé  donner  sur  la 
scène  de  l'Opéra  de  Genève  une  conférence  sur  Sigurd  dans  la  légende  Scan- 
dinave, dans  l'épopée  germanique  et  dans  la  musique  française.  Notre  spirituel 
confrère  a  instruit  le  procès  de  la  musique  actuellement  composée  en 
France  :  il  a  montré  l'assaut  germanique  emportant  les  bastions  italiens  et 
ne  laissant  debout  à  l'Opéra  de  Paris  que  les  forteresses  françaises  édifices 
par  Reyer,  Saint-Saëns,  Massenet.  Puis  il  a  comparé  les  mythes  dans  toutes 
les  nations  et  dans  toutes  les  époques,  équivalant  Sigurd  et  Brunehîlde  à 
Persée  et  Andromède,  etc.  Enfin,  il  a  signalé  les  leitmotive  de  Sigurd, 
qu'un  pianiste  indiquait,  et  encadré  de  commentaires  analytiques  les  prin- 
cipales mélodies,  chantées  par  les  artistes  de  l'Opéra  de  Genève.  Grand 
succès  pour  le  conférencier  et  les  interprètes,  et  bel  exemple  pour  les 
directeurs  des  théâtres  de  province. 

—  M.  Julien  Tiersot,  continuant  la  série  de  ses  travaux  sur  la  chaTison 
populaire  française,  vient  de  publier  dans  le  dernier  numéro  des  deux 
périodiques  spéciaux  :  Méiusine  et  la  Reoue  des  tradilitms  populaires,  des  ar- 
ticles sur  l'histoire  et  les  formes  musicales  de  deux  chansons  des  plus 
répandues,  soit  anciennement,  soit  encore  de  nos  jours  :  la  Péronnelle,  uni- 
versellement populaire  au  XV  siècle,  et  la  belle  complainte  du  Roi  Loys, 
qui  a  reçu  de  notre  temps  de  nouvelles  et  nombreuses  consécrations.  En 
rapprochant  ces  études  de  celles  que  te  Ménestrel  a  publiées  dans  ses  der- 
niers numéros,  l'on  voit  que  M.  J.  Tiersot  tient  à  considérer  le  sujet  sous 
tous  ses  aspects.  Il  faut  espérer  qu'en  multipliant  ainsi  les  recherches  de 
détail,  l'on  arrivera  quelque  jour  à  élucider  la  question,  toujours  si  obscure, 
de  l'origine  de  nos  chansons  populaires. 

—  La  Société  des  instruments  à  vent  va  revivre,  à  la  grande  joie  des  ama- 
teurs. Fondée  par  M.  Taffanel  et  dissoute  lorsque,  coup  sur  coup,  l'éminent 
virtuose  fut  nommé  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  et  au  Conservatoire,  elle  va 
se  reconstituer.  MM.  G.  Gillet,  Turban,  Hennebains,  Reine  et  Letellier,  ses 
anciens  collaborateurs,  viennent  en  effet  de  s'associer  avec  MM.  I.  Philipp, 
Berthelier,  Loëb  et  Balbreck,  dont  les  séances  de  musique  de  chambre  ont 
eu  un  succès  si  brillant  et  si  mérité,  et  annoncent  à  la  salle  Erard  une 
série  de  trois  concerts  de  musique  ancienne  et  moderne. 

—  Le  Barde,  opéra  en  quatre  actes  et  six  tableaux,  poème  et  musique  de 
M.  Léon  Gastinel,  sera  représenté  du  l""'  au  .5  février  sur  le  grand  théâtre 
municipal  de  Nice.  Les  répétitions  d'ensemble  sont  commencées. 

—  Dimanche  dernier  12  janvier,  aux  Concerts  Lamoureux,  M"""  Henry 
Jossic,  la  très  remarquable  pianiste,  a  exécuté  fort  brillamment  les  Varia- 
tions symphoniques  pour  piano  et  orchestre  deCésar  Franck.  L'œuvre  si  belle 
du  regretté  maître  a  trouvé  en  M""  Jossic  une  interprète  de  choix,  qui, 
avecautant  de  netteté  que  de  charme,  a  su  jouer  en  musicienne  consommée. 

—  La  librairie  Fischbacher  vient  de  faire  paraître  sous  ce  titre  ;  La 
Musique  à  Paris(tS94-9a),  un  volume  de  M.  Gustave  Robert,  qui  rend  compte 
du  mouvement  des  concerts  pendant  la  dernière  saison. 

—  L'École  classique  de  la  rue  de  Berlin,  dirigée  par  M.  Ed.  Chavagnat, 
mettra  au  concours  le  jeudi  23  janvier  courant  :  deux  bourses  supplémen- 
taires pour  le  piano  supérieur  1™  division  (femmes)  et  deux  pour  le  piano 
(hommes).  Le  morceau  d'exécution,  laissé  au  choix  du  candidat,  devra  cor- 
respondre comme  difficulté  au  concerto  en  fa  mineur  de  Chopin.  Pour 
renseignements  complémentaires  s'adresser  à  l'administration,  20,  rue  de 
Berlin,  où  l'on  s'inscrit. 

—  Très  grand  succès,  à  la  Société  des  concerts  populaires  de  Lille,  pour 
Louis  Diémer  dans  le  concerto  de  Schumann,  et  pour  le  jeune  violoniste 
Boucherit,  qui  a  dit  d'abord  le  concert-stûck  de  Diémer,  avec  orchestre, 
puis  la  jolie  Page  d'amour,  de  Fischhoff,  qu'il  lui  a  fallu  bisser  d'acclama- 
tion. Ce  jeune  artiste,  dont  le  talent  est  si  plein  de  charme,  sera  un  grand 
virtuose  avant  qu'il  soit  longtemps. 

—  Vendredi  dernier  a  eu  lieu,  chez  M""'  Anna  Fabre,  la  deuxième  séance 
des  Causeries  qu'elle  a  créées  avec  le  concours  de  M.  Charles  Grandmougin 
sur  l'esthétique   et  l'histoire   de  la  musique.  A   l'appui  de  cette  causerie 


24 


LE  MENESTREL 


qui  comprenait  la  période  de  Scarlatti,  Rameau,  Couperin  et  Hœndel, 
différents  morceaux  ont  été  ciiantés  avec  un  grand  sentiment  d'art  par 
M"'  de  Francmesnil,  M"'  Mary  Ador,  M.  Challet  et  les  chœurs,  dirigés  par 
M.  Weckerlin.  Enfin,  MM.  Van  "Waefelghem  et  Lucien  Wurmser,  avec  un 
goût  vraiment  exquis,  ont  pour  ainsi  dire  transporté  l'élégant  auditoire  en 
se  faisant  entendre  sur  la  viole  d'amour  et  sur  le  clavecin.  Ces  deux  très 
intéressants  instruments  avaient  d'ailleurs  inspiré  à  M.  Ch.  Grandmougin 
deux  poésies  charmantes  qui  lui  ont  valu  de  nomhreux  applaudissements. 

—  Voici  le  programme  de  la  10=  séance  des  œuvres  de  Ch.  Grandmou- 
gin (22  janvier,  à  3  heures).  Institut  Rudy,  4,  rue  Caumartin  :  Scène  de 
Jeanne  d'Arc  et  ses  voix,  dite  par  M""  Gerfaut,  de  l'Odéon,  avec  le  concours 
de  M""^  Lannes,  Duhamel  et  de  M.  Gallia,  pour  les  voix  (musique  de  Ca- 
rissimi,  XVII" siècle)  ;  Orf'' ri  Den/fT^.  dite  par  l'auteur;  Berceuse  alsacienne, 
dite  par  M"'^  Gerfaut  ;  et  la  Marseillaise,  poésie,  dite  par  M.  Falconnier. 

—  Vendredi  dernier,  intéressant  concert  donné  à  la  salle  Pleyel  par 
M"=  Luranah  Aldridge,  dont  la  belle  voix  de  contralto  a  fait  merveille. 
M"«  Luranah  Aldridge,  qui  travaille  depuis  quelque  temps  sous  la  savante 
direction  de  M"'  Yveliug  RamBaud,  vient  d'être  engagée  par  M"'  Cosima 
Wagner  pour  chanter  cette  année,  au  théâtre  de  Bayreuth,  plusieurs  dos 
œuvres  du  cycle  wagnérien. 

—  Au  Grand-Théâtre  de  Nantes,  vif  succès  pour  la  Proserpine  de  M.  Saint- 
Saêns,  grâce  au  mérite  de  l'œuvre  et  à  une  interprétation  de  choix,  fré- 
quemment applaudie  :  M.""^'  Vaillant-Couturier  et  Buhl,  MM.  Scaremberg, 
Grimaud  et  Artus.  Particulièrement  remarquée  M"=  Buhl,  dans  le  rôle 
gracieux  d'Angiola. 

—  Jeudi  dernier,  salle  Pleyel,  première  séance  de  la  Société  de  quatuors 
del'éminentvioloniste  A.Weingaertner.  Au  programme,  entre  autres  œuvres 
intéressantes,  la  belle  sonate  en  ut  mineur  de  Grieg. 

—  On  nous  annonce  le  départ  de  M.  Jean  Rondeau  pour  la  côte  d'Azur, 
où  l'appelle  une  série  d'engagements. 

—  On  nous  écrit  pour  nous  signaler  les  succès  qui  ont  accueilli  MM.  René 
et  Henri  Schidenhelm,  violoncelliste  et  pianiste,  dans  la  tournée  qu'ils 
viennent  de  faire  à  Besançon,  Dijon,  Belfort,  Montbéliard,  Dôle,  Vesoul, 
etc.  Partout  la  déjà  célèbre  Méditation  de  Thais  a  été  redemandée  au  jeune 
violoncelliste.  A  côté  des  deux  excellents  virtuoses,  on  a  aussi  beaucoup 
applaudi  M°"  Magdanel  dans  le  grand  air  de  Sigurd. 

—  M.  A.  Lefort,  professeur  au  Conservatoire,  qui  doit  se  faire  entendre 
le  19  janvier  aux  concerts  Pister  dans  une  suite  pour  violon  et  orchestre 
de  M.  Paul  Chabeaux,  reprend  ses  concerts  de  musique  de  chambre  le  ven- 
dredi 17  janvier,  à  la  Salle  de  géographie. 

—  Soirées  et  concerts.  —  M""  Marie  Rnefl'  vient  de  donner,  suivant  son  habi- 
tude, une  séance  d'élèves  dont  la  seconde  partie  était  uniquement  composée 
des  œuvres  de  M.  Paul  Vidal.  Après  le  grand  succès  obtenu,  le  mois  dernier, 
par  l'audition  Massenet,  l'audition  Vidal  n'a  pas  moins  bien  réussi.  Parmi  les 
mélodies  qui  ont  produit  le  plus  d'effet,  citons  les  Baisers,  des  fragments  d'Eros, 
Gardénias,  Oublions  les  jours  moroses,  les  Toutes  Petites,  k  Chant  de  l'arquebusier, 
Ariette  et  le  Chant  de  Noël,  dit  par  toutes  les  élèves.  Dans  la  première  partie, 
M"°  Renée  Bonheur  (airs  de  Paul  et  Virginie  et  de  Lakmé]  et  M""°Blad  {Pensée  d'au- 
tomne, 3.  Massenet),  se  sont  surtout  fait  remarquer.  Le  5  février,  M"'  Rueff  fera 
entendre  les  compositions  de  Ch.  Lefebvre.  —  M""  Querrion  s'est  fait  entendre 
avec  un  vif  succès  à  la  Société  académique,  musicale  et  littéraire  de  France, 
où  elle  a  exécuté,  avec  son  élégance. coutumière,  une  Ballade  de  Chopin,  une 
Improvisation  de  Massenet  et  la  valse-caprice  de  Schubert-Liszt. 


NÉCROLOGIE 
Triste  fin!  M.  Henri  Jahyer,  un  fort  aimable  garçon,  qui  avait  fait 
dans  plusieurs  journaux  du  reportage  théâtral  et  qui  fut  durant  trois  ans 
le  secrétaire  du  théâtre  de  l'Opéra-Comique,  s'est  tiré  dans  la  nuit  du 
mercredi  un  coup  de  revolver  dans  la  tête.  Il  avait  pris,  cet  hiver,  la  direc- 
tion difficile  des  théâtres  de  Nantes,  où  les  dilettantes  prétendent  avoir 
beaucoup  en  donnant  peu.  Sont-ce  les  soucis  qu'il  eut  de  ce  côté,  des 
embarras  d'argent  ou  des  chagrins  de  cœur  qui  l'ont  réduit  à  cette  funeste 
détermination  ?  Toujours  est-il  que  M.  Henri  Jahyer  s'en  va  avec  les  sym 
pathies  de  tous  ceux  qui  l'ont  connu,  très  attristés  qu'un  jeune  homme 
comme  lui  ait  désespéré  si  vite  de  la  vie  et  n'ait  pas  cherché  davantage 
autour  de  lui  des  soutiens  qu'il  eût  certainement  trouvés. 

—  Nous  apprenons  la  mort  d'une  ancienne  artiste  fort  estimable  qui  avait 
eu  son  heure  d'agréables  succès,  M™  veuve  Sainte-Foy,  née  Clarisse 
Henri,  qui  vient  de  s'éteindre  à  Barbizon,  à  l'âge  de  79  ans.  M""-'  Cla- 
risse Henri  avait  débuté  à  l'Opéra-Comique  aux  environs  de  1840, 
et  y  avait  été  fort  bien  accueillie,  ses  qualités  d'artiste  étant  doublées  d'une 
beauté  rare.  Devenue  l'épouse  de  son  camarade  Sainte-Foy,  dont  les  an- 
nales du  théâtre  n'ont  pas  perdu  le  souvenir,  elle  crut  devoir  quitter  la 
scène,  mais  continua  son  service  à  la  Société  des  concerts,  où  elle  resta 
jusqu'en  1870.  Elle  se  retira  alors  à  Barbizon  avec  sa  sœur  qui,  comme 
elle,  appartenait  aux  concerts  du  Conservatoire.  A  la  suite  de  son  mariage, 
M""  Sainte-Foy  s'était  consacrée  sans  réserve  à  l'enseignement. 

—  La  seconde  fille  de  Meyerbeer,  M"'=  la  baronne  Blanche  de  Korff,  est 
morte  à  Rome,  à  l'âge  de  64  ans.  Son  mari  est  général  de  brigade  dans 
l'armée  prussienne  et  fait  actuellement  un  voyage  autour  du  monde.  Son 
fils  unique  est  chef  d'escadron  dans  la  cavalerie  allemande,  à  Metz. 

—  De  Rome  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  60  ans,  d'un  artiste  nommé 
Ercole  Ovidi,  qui  fut  tour  à  tour  journaliste,  compositeur,  et...  spéculateur. 
On  lui  doit  la  musique  de  plusieurs  opérettes  :  Befana,  Re  Maccarone,  etc., 
qui  ne  furent  pas  sans  avoir  quelque  succès.  Ce  personnage,  qui  s'était 
enrichi  jusqu'à  devenir  millionnaire  dans  la  transformation  édilitaire  de 
Rome,  se  vit  complètement  ruiné  lorsqu'arriva  l'inévitable  débâcle,  et  est 
mort  dans  la  plus  profonde  misère. 

—  A  Budapest  est  mort,  à  l'âge  de  57  ans,  le  pianiste  Willy  Deutsch, 
qui  commença  sa  carrière  comme  enfant  prodige,  mais  qui  plus  tard  devint 
néanmoins  un  pianiste  distingué  et  un  excellent  professeur.  Deutsch  jouait 
souvent  aux  concerts  philharmoniques  de  Budapest,  et  s'est  aussi  produit 
avec  succès  à  Vienne,  où  il  était  bien  connu. 

—  A  Vienne  est  morte,  à  l'âge  de  71  ans,  M°"=  Sophie  Wlezek,  profes- 
seur de  chant  au  Conservatoire  de  cette  ville,  qui  dans  sa  jeunesse  fut 
une  excellente  cantatrice  et  fournit  une  carrière  de  plus  de  trente  ans  au 
théâtre  de  la  cour  de  Bade. 

Henri  IIeugel,  directeur-gérant. 

THÉÂTRE  ROYAl  D'ANVERS 

LA  CONCESSION  POUR  LA  CAMPAGNE  1896-97  EST  VACANTE 

Le  cahier  des  charges  est  envoyé  aux  intéressés  sur  simple  demande 
adressée  au  Bourgmestre.  Les  demandes  pour  la  concession  doivent  être 
reçues  à  l'Hôtel  de  Ville  d'Anvers  au  plus  tard  le  23  janvier  courant. 


En  l'ente  au  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivieniie. 

CONCERTS   LAMOUREUX 

ciBQUÇ  d'Été 
Dimanche   J g  janvier  iSg6 


Ouverture  de  la    FLUTE  ENCHANTÉE 

Parties  d'orchestre,  net:  8     ».  — Chaque  partie  supplémentaire,  cet:  2 
Piano,  disposé  pour  la  conduite  de  l'orchestre  :  7  50. 


L.  DIÉMER,  transcrip lion  de  concert  7  SO  |  G.  MATHIAS,  transcription  .    .     7  oO 
G.  MATHIAS.  transcription  pour  piano  à  4  mains  :  9     » 

LA  MORT  DE  TMÏS 

SUR  L'OPÉRA  DE 

J.    MASSENET 


PRIX  : 
9  Irancs 


9  francs 


C.    SAINT-SAENS 


En  Tenlo  AU  MÉNESTREL,  2  bis, 


HEUGEL  &  C'«,  ■'■dilcnrs-propiiéljirts. 


CONCERTS    DE   L'OPERA 

Dimanche  i g  janvier  iSgO 


AMBROISE  THOMAS 

FRANÇOISE  DE  RIMINI 

Op6ra    en     4    actes,   avec    prologue    et    *:'i>ilOjp.'ue 

PROLOGUE 

AlRDEVlRGlLE:Pri«éd<;(ot((cai*'('cj6  »  |  DUO  DES  AMES:  4m(com;ja((SsaH(  (Sel  1)6  ^ 

Partition  complète  piano  et  chant,  prix  net  :  20     » 

Partition  pour  piano  seul,  prix  net;  12     » 

J.    MASSENET 


POÈME  D'UN  SOIR 

Extrait  des  Gloses  orphiques,  de  George  VAN  OR 
Un  recueil  in-o°.  —  Prix  net  :  3  francs. 

III.  Defuncta  nascuntnr. 


li.  Fleuramye. 


QEUGERE,   20,    1 


Dimanche  26  Janvier  1896. 


3383.  —  62™^  mm  —  S"  4.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis^  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  MÉrtESTREL.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  :20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Gliant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de  Delphes  (2"  article),  Julien 
TiERsOT.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  La  résurrection  des  Folies-Marigny,  Arthur 
PouGiN.  —  III.  Ce  que  m'a  dit  la  viole  d'amour,  Charles  Granbmoogin.  —  IV.  La 
nouvelle  loi  autrichienne  sur  les  droits  d'auteurs  (l"'  article),  Oscar  Berggruen. 
—  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  DERNIER  RENDEZ-VOUS 

sonnet  de  Camille  du  Locle,  musique  d'ERNESi  Reyer.  —  Suivra  immédia- 
tement :   La  Nuit,    nouvelle  mélodie    de  Gn.-M.  Widor,  poésie  de  Padl 

BOURGET. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Brises  du  cœur,  valse  de  ï^ilippe  Fahrbaoh.   —  Suivra  immédiate- 
ment :  Le  Joyeux  Luron,  quadrille  du  même  auteur. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 


I 

(Suite)  . 

Les  trois  strophes  suivantes,  en  très  mauvais  état,  retracent 
l'arrivée  d'Apollon  à  Delphes,  la  fondation  de  son  temple, 
son  combat  avec  le  serpent  Python,  enfin  la  protection  dont 
il  couvre  le  pays. 

Mais,  ô  maître  du  trépied  fatidique,  marche  vers  la  crête  du  Far- 
dasse, foulée  par  les  immortels,  amie  des  saintes  extases. 

Là,  ô  Seigneur,  tes  blondes  boucles  ceintes  d'un  rameau  d'olivier, 
tu  traînais  de  ta  main  immortelle  d'immenses  blocs,  fondements  de 
ton  temple,  quand  tu  te  vis  en  face  de  la  monstrueuse  fille  de  la 
Terre. 

Mais,  ô  fils  de  Latone,  dieu  à  l'aimable  regard,  tu  affrontas  le 
dragon,  et  l'inabordable  enfant  de  Géa  expira  sous  les  traits  de  ton 
arc...  Et  tu  veillais  près  du  saint  ombilic  de  la  terre,  ô  Seigneur, 
quand  la  horde  barbare,  profanant  le  siège  de  ton  oracle  pour  en 
piller  les  trésors,  périt  dans  une  tourmente  de  neige. 

La  musique  de  la  première  de  ces  trois  strophes  est  si  mal 
cûûservée  que  nous  n'en  reproduirons  rien  :  bornons-nous  à 
indiquer  qu'on  y  retrouve  des  traces  de  la  formule  mélodique, 
déjà  signalée,  roulant  sur  les  notes  aiguës  :  ré  mi  fa,  et  que 
la  cadence  finale  s'opère  sur  le  mouvement  d'octave  descen- 
dante :  mi  mi,  avec  lequel  les  phrases  précédentes  nous  ont 
aussi  familiarisés. 


De  la  strophe  qui  suit,   où  reparait  le  genre  chromatique, 
nous  citerons  ces  deux  fragments  : 


La  fin  est  effacée,  sauf  les  deux  dernières  notes,  qui  mon- 
trent la  cadence  finale  s'achevant  sur  un  sol. 

Enfin  l'octave  mi  mi  reparaît  dès  le  début  de  la  dernière 
strophe,  oii  l'échelle  redevient  diatonique  : 


Mais  la  suite  est  de  plus  en  plus  mutilée.  Par  places  on 
retrouve  la  formule  ré  mi  fd  mi,  qui  semble  former  la  base 
de  la  mélopée.  A  la  fin,  le  ton  s'élève,  et  la  voix  monte  jus- 
qu'aux dernières  notes  du  registre  aigu  : 


La  fin  manque.  M.  Reinach  croit  que  la  cadence  s'opère 
sur  le  la  du  médium,  comme  dans  la  première  strophe  de 
l'hymne  :  cela  est  probable  en  effet.  Comme  dans  cette  même 
strophe,  le  si  est  constamment  bémol.  Nous  voilà  donc  reve- 
nus à  la  tonalité  initiale. 
Le  récit  est  fini  ;  l'hymne  se  termine  par  une  prière  : 
Mais,  ô  Pbébus,  protège  la  ville  fondée  par  Pallas  et  son  noble 
peuple,  et  toi  aussi,  ô  reine  des  arcs  et  des  chiens  de  Crète,  Artémis 
chasseresse,  et  loi,  ô  vénérable  Latone.  Prenez  soin  des  habitants 
de  Delphes,  afin  qu'eux,  leurs  enfants,  leurs  femmes,  leurs  maisons 
soient  à  l'abri  de  tout  revers.  Soyez  propices  aux  serviteurs  de  Bac- 
chus,  couronnés  aux  jeux  sacrés  de  la  Grèce.  Qu'avec  votre  aide  le 
glorieux  empire  des  belliqueux  Romains,  toujours  fort  et  Jeune  et 
florissant,   puisse  croître  en  marchant  de  victoire  en  victoire  (1). 

Pour  ce  dernier  épisode,  le  rythme  a  changé  :  il  a  pris  un 
aspect  plus  lyrique.  Comme,  pour  en  faire  sentir  exactement 
l'impression  musicale,  il  importe  que  les  valeurs  rythmiques 
soient  représentées  par  des  notes,  j'adopterai  ici  la  restitu- 
tion de  M.  Th.  Reinach,  en  donnant  entièrement  les  quatre 
premiers   et  les  quatre  derniers  vers  de  la  prière,  et  en  sup- 

(1)  La  traduction  française  de  l'hymne,  comme  la  restitution  des  vers  grecs 
(qu'il  ne  nous  a  pas  sembléopporlun  de  reproduire  dans  ce  journal),  est  due  à 
M.  Henri  Weil. 


26 


LE  MÉNESTREL 


primant  le  milieu,  dont  il  ne  reste  que  quelques  notes  épar- 
pillées çà  et  là  : 


Ainsi  s'achève  cet  hymne  en  l'honneur  des  dieux  d'autre- 
fois: relique  vénérable  et  précieuse,  à  laquelle  il  semble  que 
son  délabrement  même  ajoute  un  charme  imprévu.  C'est 
comme  un  chant  très  lointain,  dont  les  vibrations  subtiles 
nous  seraient  apportées  du  fond  d'une  vaste  plaine.  Parfois 
on  dirait  que  la  voix  s'arrête,  emportée  par  le  vent  :  cepen- 
dant, prétons  l'oreille,  et,  de  la  mélopée  indécise  et  incomplète, 
nous  saurons  bien  dégager  une  impression  générale,  qui  se 
précisera  par  l'analyse,  et  grâce  à  laquelle  il  nous  sera  permis 
enfin  de  pénétrer  le  sens  de  cette  antique  inspiration. 

II 

Pour  cela,  il  nous  faut  considérer  les  questions  diverses 
que  soulève  la  découverte  et  la  transcription  de  ce  chant. 

Tout  d'abord,  quelle  en  est  la  véritable  ancienneté?  Nous 
pouvons  le  savoir,  du  moins  d'une  façon  approximative,  sans 
chercher  d'autre  document  que  le  texte  même.  D'une  part, 
il  est  parlé  à  la  fin  de  la  poésie  du  «  glorieux  empire 
des  belliqueux  Romains  »,  en  faveur  de  qui  le  poète  invoque 
la  protection  d'Apollon  :  c'est  donc  que  le  morceau  est  posté- 
rieur à  l'établissement  du  protector'at  de  Rome  sur  les  villes 
grecques,  proclamé  aux  jeux  isthmiques  en  196.  D'autre  part, 
en  une  autre  partie  de  l'hymne,  il  est  fait  mention  d'une 
horde  barbare  qui  envahit  l'Hellade  pour  piller  les  trésors 
de  Delphes,  et  que  le  dieu  fit  périr  dans  une  tourmente  de 
neige:  ces  barbares,  c'étaient  nos  propres  ancêtres,  —  sans 
nulle  vanité,  —  lesquels  firent  leur  incursion  en  Grèce  en  278. 
Les  fâcheux  souvenirs  qu'avait  laissés  le  passage  des  Gaulois 
n'étaient  pas  oubliés,  on  le  voit,  au  bout  d'un  siècle,  puis- 
qu'il estmanifeste  qu'on  chantait  encore  à  Delphes  des  chants 
de  triomphe  sur  leur  déroute  après  196.  Il  est  probable,  cepen- 
dant, que  l'hymne  n'est  pas  de  beaucoup  postérieur  à  cette 
dernière  date,  et  qu'il  fut  composé  dans  le  courant  du 
deuxième  siècle  avant  Jésus-Christ. 

L'auteur,  maintenant.  Ici,  le  champ  est  ouvert  à  toutes  les 
conjectures.  N'a-t-on  pas  vu,  après  l'audition  du  premier 
hymne,  un  journaliste  déclarer  gravement  que  l'auteur  n'était 
autre  que...  Socrate?  Car  il  avait  lu  dans  un  dialogue  de  Pla- 
ton (ces  journalistes  savent  toutI)que  Socrate,  —  lequel  avait 
coutume  de  dire  de  son  illustre  disciple  :  «  Combien  ce  jeune 
homme  me  fait  dire  de  choses  auxquelles  je  n'ai  jamais 
pensé!  »  —  avait  composé  une  poésie  en  l'honneur  d'Apollon, 
dont  les  idées  principales  se  retrouvaient,  approximatives, 
dans  l'hymne  de  Delphes.  C'était  assurément  une  conclusion 
qui  s'imposait. 

Une  hypothèse  plus  digne  d'attention  a  été  émise  par  un 
des  membres  de  l'École  d'Athènes,  M.  Couve,  dans  un  article 
consacré  à  l'étude  des  inscriptions  découvertes  à  Delphes  (1). 
Parmi  ces  inscriptions,  M.  Couve  avait  remarqué  un  décret 
en  l'honneur  d'un  certain  Cléocharès,  fils  de  Bion,  Athénien, 
foètede  chants (poiètèsmélôa),  et  auteur  couronné  de  trois  hymnes 
en  l'honneur  d'Apollon,  savoir  :  un  prosodion,  un  péan  et  un 
hymne,  destinés  à  être  chantés  par  un  chœur  d'enfants  à  la 
fête  des  Théoxénies.  Cette  inscription  ayant  été  trouvée  dans 
le  Trésor   des    Athéniens,    à  l'endroit   même    où   étaient   les 


(1)  Bulletin  de  corr 


nce  hdténirjue,  1894,  p.  70  et  suiv. 


fragments  musicaux,  et  présentant  avec  ceux-ci  les  mêmes 
caractères  paléographiques,  le  rapprochement  s'opérait  natu- 
rellement: M.  Couve  concluait  que  Cléocharès,  fils  de  Bion, 
Athénien,  était  l'auteur  même  des  hymnes. 

Les  observations  postérieures  ont  établi,  cependant,  que 
cette  conjecture,  tout  ingénieuse  qu'elle  fût,  n'était  pas  fondée. 
Tout  d'abord,  les  fragments  musicaux  trouvés  ne  constituent 
par  trois  morceaux  distincts,  mais  deux  seulement.  Aucun 
de  ces  morceaux  n'est  ni  un  prosodion,  ni  un  péan,  ni  un 
hymne  proprement  dit,  mais  l'un  comme  l'autre  semblent  de- 
voir être  classés  dans  le  genre  de  l'hyporchème.  Enfin  l'examen 
de  la  mélodie  témoigne  surabondamment  qu'elle  n'a  pas  pu 
être  composée  pour  un  chœur  d'enfants. 

Une  phrase  de  la  strophe  finale  du  second  hymne  peut 
seule  jeter  quelque  lumière  sur  ce  point:  c'est  la  prière  en 
faveur  des  «  serviteurs  de  Bacchus  couronnés  aux  jeux  sacrés 
de  la  Grèce.  »  Ces  serviteurs  de  Bacchus  étaient  les  chan- 
teurs, musiciens  et  danseurs,  auxquels  avait  été  confié  le  soin 
d'exécuter  l'hymne  dans  le  temple  d'Apollon  :  ils  appar- 
tenaient au  synode  des  artistes  dramatiques  et  lyriques 
d'Athènes,  et  M.  Weil  dit  qu'  «  on  peut  se  tenir  assuré  que 
l'auteur  de  l'hymne  était  membre  de  la  même  association. 
Beaucoup  de  documents  prouvent  que  les  synodes  dionysia- 
ques avaient  des  poètes  à  eux;  et  qui  donc  aurait  fait  figurer 
les  artistes  dans  son  œuvre  à  deux  reprises  et  avec  tant  de 
sympathie,  si  ce  n'est  un  sociétaire  qui  parlait  de  ses  cama- 
rades? »  (1). 

La  conclusion  est  que  l'auteur  de  l'hymne  était  Athénien, 
mais  que  son  nom  ne  nous  est  pas  connu.  Aussi  bien  nous 
est-il  indifférent  qu'il  s'appelle  Cléocharès  ou  de  toute  autre 
manière,  du  moment  que  ce  nom  n'est  que  celui  d'un  obs- 
cur poète  lyrique  d'une  époque  de  décadence.  Je  ne  voudrais 
pas,  certes,  déprécier  le  résultat  de  recherches  dont  l'impor- 
tance est,  malgré  tout,  considérable  pour  l'histoire  de  la 
musique  ;  cependant,  il  faut  bien  avouer  que  les  deux  hymnes 
à  Apollon,  infiniment  précieux  parce  qu'ils  sont  les  plus 
anciens  monuments  musicaux  venus  jusqu'à  nous,  ne  sont 
que  des  œuvres  d'une  valeur  secondaire,  produites  par  des 
artistes  sans  génie  et  sans  gloire:  morceaux  de  concours 
couronnés  aux  jeux  publics,  fabriqués  dans  le  moule  con- 
venu, composés  selon  les  règles,  mais  sans  personnalité  et 
sans  essor  :  de  simples  cantates  de  prix  de  Rome  1  Combien  plus 
précieux  serait  pour  nous  un  simple  fragment  d'un  nome  de 
Terpandre,  ou  d'une  mélodie  de  flûte  d'Olympe,  ou  bien 
encore  une  ode  de  Damon,  le  maître  de  Périclès,  ou  quelque 
mélodieux  chant  de  ce  Phrynis,  qui  semble  avoir  été  le 
Mozart  de  l'antiquité  I 

Pour  le  genre  auquel  appartiennent  les  deux  hymnes  (on 
peut  les  réunir  dans  la  même  étude,  car  leurs  analogies  sont 
manifestes),  il  se  détermine  par  le  rythme  et  la  structure 
générale  :  ce  sont,  nous  l'avons  déjà  dit  incidemment,  des 
■  hyporchèmes,  sortes  de  compositions  lyriques  d'un  caractère 
religieux,  où  la  poésie,  la  musique  et  la  danse  se  combi- 
naient harmonieusement.  L'ensemble  des  genres  dans  les- 
quels ce  triple  élément  s'associait  était  l'orchestique,  forme 
essentiellement  propre  au  génie  grec,  et  contenant,  en  une 
intime  union,  l'ensemble  le  plus  complet  possible  des  élé- 
ments de  l'art  lyrique. 

Quelques  auteurs  ont  pensé  que  ces  hyporchèmes  étaient 
destinés  à  accompagner  la  procession  des  fidèles  pendant  sa 
marche  vers  le  temple  d'Apollon.  Mais  la  mesure  à  cinq 
temps,  qui  est  celle  du  premier  hymne  et  de  la  plus  grande 
partie  du  second,  est  peu  favorable  à  la  marche  ;  d'autre  part, 
la  grande  étendue  du  chant  et  l'acuité  de  certaines  notes 
semblent  indiquer  que  la  mélodie  était  chantée  par  une  seule 
voix  (d'homme)  accompagnée  par  les  instruments  (cithare  et 
peut-être  wdos)  ainsi  que  par  une  danse  collective  :  telle  est 
l'opinion  exprimée  par  M.  Gevaert  dans  l'appendice  de  son 
livre  récent:  la  Mélopée  anlùjue  dans   le  chant  de   Féglise  latine,  et 

(1)  Bulletin  de  correspondance  hellénique,  1895,  p.  348. 


LE  MÉNESTREL 


27 


M.  Th.  Reinach  la  juge  «  très  défendable.  »  Une  combinai- 
son de  ce  genre  est  mentionnée  au  18'=  chant  de  VJliade,  au 
cours  de  la  description  du  bouclier  d'Achille: 

«  Hèphaistos  représenta  un  chœur  de  danse  semblable  à  ceux 
que  jadis  Dédale  forma  pour  Ariadnèàla  belle  chevelure.  Des 
adolescents  et  des  vierges  attrayantes,  se  tenant  par  la  main, 
frappent  du  pied  la  terre.  De  longs  -vêtements  d'un  lin  fin 
et  léger  et  des  couronnes  de  fleurs  parent  les  jeunes  filles. 
Les  danseurs  ont  revêtu  des  tuniques  d'un  tissu  riche  et  brillant 
comme  de  l'huile  ;  leurs  épées  d'or  sont  suspendues  à  des 
baudriers  d'argent.  Tantôt  le  chœur  entier  tourne  rapidement, 
semblable  à  la  roue  d'un  potier;  tantôt  les  danseurs  se  sépa- 
rent et  forment  de  gracieuses  lignes  qui  s'avancent  l'une  au- 
devant  de  l'autre.  Un  divin  aède,  en  s'accompagaant  de  la 
lyre,  les  anime  par  ses  chants.  Deux  agiles  danseurs,  dès 
qu'il  commence,  répondent  à  sa  voix  en  pirouettant  au  milieu 
du  chœur.  » 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


BULLETIN   THEATRAL 


LA.  RÉSURRECTION  DES  FOLIES-MARIGNY 
Oh  !  ces  Folies-Marigny  !  Quelle  histoire  !  et  quels  souvenirs  ! 
Quels  trésors  reeèlenl  dans  leur  sein  les  annales  de  cet  ancien  et 
mignon  théàtricule  qui  renaît  aujourd'hui  de-ses  cendres,  agrandi  et 
transformé,  et  quel  chroniqueur,  nouveau  Eroissart,  voudra  entre- 
prendre d'écrire  son  histoire  héroï-comique"? 

Les  souvenirs  abondent  el  les  noms  se  présentent  en  foule  au 
sujet  de  ce  petit  théâtre  qui,  tout  modeste  qu'il  était,  altira  tout 
Paris,  el  qui  avait  été  construit  d'abord,  sous  le  nom  de  salle  Lacaze, 
pour  les  séances  d'un  prestidigitateur  habile.  Puis,  c'est  Otfenbaoh 
qui  s'en  empara  pour  y  fonder  ses  Bouffes-Parisiens,  on  sait  avec 
quel  succès  !  Il  y  crée  tes  Deux  Aveugles  avec  Pradeau  et  Léonce,  le 
Violoneux  avec  Darcier,  il  y  fait  défiler  Berlhelier,  Désiré,  Hortense 
Schneider,  Gorahe  Guffroy  et  tant  d'autres.  Après  lui,  c'est  Charles 
Deburau,  qui  donne  son  nom  au  théâtre,  qui  y  relève  la  pantomime 
et  qui  fait  jouer  les  premières  pièces  de  Charles  Lecocq  :  te  Baiser  à 
la  porte,  Ondines  au  Champagne,  Liline  et  Yalenlin,  le  Cabaret  de  Ramjjon- 
neau  Vient  ensuite  la  comtesse  de  Ghabrillan,  alias  Céleste  Mogador, 
qui  produit  et  joue  elle-même  ses  prétendues  comédies,  avec  de  mer- 
veilleux effets  de  jambes. 

Après  elle,  quoi?  Audray-Deshorties,  puis  le  photographe  Numa, 
puis  le  vaudevilliste  Amédée  de  Jallais,  puis  le  compositeur  Eugène 
Moniot,  connu  jusqu'alors  comme  simple  auteur  de  romances,  st  qui 
déballe  là  une  demi-douzaine  d'opérettes  sans  grande  conséquence, 
tout  en  faisant  jouer  celles  de  ses  confrères  :  J.  Nargeot,  chef  d'or- 
chestre des  Variétés,  Robillard,  chef  d'orchestre  du  Palais-Royal, 
Oray,  chef  d'orchestre  des  Folies-Dramatiques,  Kriesel,  chef  d'or- 
chestre des  Délassements-Comiques,  Auguste  l'Eveillé,  chef  d'or- 
chestre... de  la  maison.  Us  y  passent  tous. 

Arrive  Moatrouge,  qui  rend  à  la  noble  entreprise  tout  son  lustre 
et  toute  sa  splendeur.  Vaudeville,  opérette,  revue,  parodie,  fantaisie, 
tout  lui  est  bon.  Il  engage  tout  un  bataillon  de  jolies  femmes,  dont 
quelques-unes,  par  surcroît,  étaient  comédiennes  (on  peut  citer  Cé- 
line Chaumont  et  Constance  Bade),  et  il  commence  la  série  de  ses 
innombrables  succès  :  les  Virtuoses  du  pavé  (à  toi,  Busnach  !),  En 
classe,  mesdemoiselles,  les  Gammes  d'Oscar,  l'Orphéon  de-Fouillg-les-Oies, 
le  Sire  de  Barbe-Bleue,  et  combien  d'antres  chefs-d'œuvre. 

Nous  ne  sommes  pas  au  bout.  On  voit  encore  défiler  là,  comme 
directeurs,  le  «  citoyen  «  Garnier,  qui  fut  directeur  de  l'Opéra  sous 
la  Commune,  puis  l'infortuné  Gaspari,  ancien  directeur  du  théâtre 
Beaumarchais,  puis...  jusqu'au  chanteur  Montaubry,  l'ancien  Fra 
Diavolo,  l'ancien  Shakespeare  de  l'Opéra-Comique,  qui,  se  souvenant 
qu'il  avait  joué  aussi  à  ce  théâtre  Horace  du  Domino  noir,  découvre 
tout  à  coup  en  lui  la  verve  du  compositeur  et  écrit  une  opérette 
intitulée  Horace,  qu'il  joue  lui-même,  avec  un  succès  médiocre  d'ail- 
leurs. A  ce  moment,  le  beau  temps  des  Folies-Marigoy  était  passé, 
leur  astre  était  complètement  obscurci,  Montaubry  s'éclipsa  bientôt 
pour  aller  jouer  Orpliée  aux  enfers  à  la  Gaîté,  le  théâtre  passa  de  main  en 
main  — jusqu'au  plus  vilain,  c'est-à-dire  jusqu'à  celui  qui,  après  une 
série  ininterrompue  de  fermetures  et  de  réouvertures,  finit  par  le  fer- 
mer définitivement.  Je  ne  saurais,  je  l'avoue,  révéler  le  nom  de  cet 
illustre  inconnu.   Toujours   est-il   qu'un   beau  jour  l'ancienne  salle 


Lacaze,  devenue  les  Bouffes-Parisiens,  devenue  le  théâtre  Deburau, 
devenue  les  Folies-Marigny,  disparut,  comme  on  disait  sous  le  règne 
édilitaire  du  baron  Haussmann,  sous  la  pioche  des  démolisseurs, 
et  que  Paris  perdit  un  des  plus  beaux  fleurons  de  sa  couronne  artis- 
tique. 

■  Une  telle  situation  ne  pouvait  durer.  La  disparition  d'un  établisse- 
ment aussi  essentiellement  parisien  créait  un  vide  dans  la  Ville- 
Lumière.  Les  chevaux  du  Cirque  se  sentaient  isolés,  et  les  Champs- 
Elysées,  veufs  de  leur  plus  bel  ornement,  faisaient  entendre  de 
plaintives  doléances.  Vint  un  homme  audacieux  qui  jura  de  rendre 
aux  premiers  leur  aimable  voisinage,  aux  seconds  la  noble  institution 
dont  ils  regrettaient  si  amèrement  l'existence  féconde  en  triomphes 
et  en  péripéties.  Ce  brave  homme  et  cet  homme  brave  se  promit  à 
lui-même  de  relever  les  Folies-Marigny  de  leurs  ruines  et  de  les 
rendre  au  public  idolâtre.  Mais  comme  ce  siècle  est  l'ami  du  progrès, 
au  lieu  de  la  salle  exiguë  et  mignonne  à  laquelle  nous  étions 
naguère  accoutumés,  il  fit  construire  une  salle  vaste  sans 
exagération,  d'une  forme  élégante,  décorée  de  la  façon  la  plus 
délicieuse,  en  des  tons  doux  et  harmonieux,  dont  le  fondu 
plein  de  délicatesse  est  pour  charmer  le  regard  le  plus  difficile. 
Il  commanda  à  deux  auteurs,  MM.  Michel  Carré  et  Collas,  un 
«  à-propos-revue  »  en  quatre  actes  et  cinq  tableaux  auquel  on  donna 
pour  titre  le  Dernier  des  Marigntj  et  qu'on  accompagna,  avec  quelques 
bons  vieux  ponts-neufs,  d'une  musique  écrite  par  M.  Edmond  Missa, 
il  encadra  le  tout  dans  de  jolis  décors,  avec  des  costumes  tout  bat- 
tant neufs  et  d'une  élégance  pleine  de  goût,  et  enfin,  le  mercredi 
22  janvier  de  l'an  de  serai-froidure  1896,  il  convia  le  bon  peuple  de 
Paris  à  l'inauguration  des  Folies-Marigny  deuxième  manière. 

Du  Dernier  des  Marigny  considéré  en  lui-même,  je  ne  dirai  pss 
grand'chose,  parce  qu'il  me  semble,  à  parler  franc,  que  cela  ne  vaut 
pas  grand'chose.  U  y  a  des  revues  meilleures  assurément,  et  je  crois 
en  avoir  vu  de  préférables.  Mais  la  mise  en  scène  est  très  soignée, 
mais  il  y  a  là  nombre  de  minois  aimables,  et  l'on  rencontre  quelques 
artistes  qui  ne  sont  pas  à  dédaigner.  Deux  entre  autres,  ceux  qui 
mènent  la  revue,  le  compère  et  la  commère,  M.  Pierre  Achard  et 
M"'^  Marguerite  Deval,  méritent  de  sincères  éloges.  Il  y  a  aussi 
M"'=  Ferai,  fort  agréable,  une  Anglaise  authentique,  miss  Halton, 
d'une  fantaisie  un  peu  cherchée,  mais  douée  d'une  voie  assez  jolie, 
puis  encore  MM.  Angély,  Vandenne,  Lagarde,  etc.,  et  un  petit  pelo- 
ton de  danseuses  qui  ne  sont  pas  pour  déplaire  aux  yeux.  Le  tout 
est  précédé  d'un  prologue  en  vers  de  M.  Armand  Silvestre,  dit  par 
M"'=  Marianne  Chassaing  et  souligné  d'une  discrète  musique  de 
M.  Francis  Thomé.  Enfin,  il  faut  mentionner  un  bon  petit  orchestre 
qui  marche  avec  entrain,  et  dont  le  chef  paraît  bien  connaître 
son  métier.  Le  malheur,  c'est  que  si  la  salle  est  charmante,  elle  est 
exécrable  au  point  de  vue  de  l'acoustique,  et  que  malgré  les  efforts 
des  artistes,  on  n'y  entend  pas  la  moitié  de  ce  qui  se  dit  sur  la 
scène. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  souhaite  au  nouveau  théâtre  tout  le  succès 
qu'il  peut  désirer.  Les  Folies-Marigny  sont  mortes,  vivent  les  Folies- 
Marigny  ! 

Arthur  Pougin. 


CE  QUE  M'A  DIT  LA  VIOLE  D'AMOUR  C) 

A  Van  Waeffelghem. 

Du  Lido  de  Venise  aux  brumes  d'Angleterre 
.T'ai  frissonné  longtemps  sous  des  doigts  enchantés, 
J'ai  pleuré  de  tendresse  et  vu  des  cœurs  domptés 
Par  ma  sonorité  fine  au  léger  mystère. 

J'ai  rythmé  pour  le  bal  des  menuets  charmants 
Jusqu'à  l'heure  où  la  nuit  enivrante  s'achève. 
J'ai  su  dire  sans  mots  la  douleur  des  amants 
Et  traduit  en  accords  l'infini  d'un  beau  rêve; 

Sept  cordes  de  métal  vibrent  célestement 
Sous  le  premier  réseau  de  mes  cordes  tendues; 
Tel,  derrière  les  bois  aux  sombres  étendues 
Vibre  un  doux  crépuscule  au  fin  rayonnement  ; 

J'ai  frémi  longuement  comme  frémit  une  âme 

Devant  des  yeux  de  fée  à  présent  endormis  ; 

Oîi  sont  ils,  les  regards  qui  me  furent  amis  ? 

Doux  astres  morts,  où  brûle  à  présent  votre  flamme'? 

(l)  Cette  poésie  a  été  dite  à  la  deuxième  séance  de  M.  Cliarles  Orandmougin 
(Estliétique  musicale,  cours  Fabre). 


28 


LE  MENESTREL 


Tout  un  passé  sommeille  en  moi,  mystérieux, 
Passé  vaste  où  l'ivresse  à  l'angoisse  est  unie; 
Quand  je  devins  l'écho  palpitant  d'un   génie 
Sur  la  terre  un  moment  j'ai  fait  briller  les  eieux. 

Par  de  pieuses  mains  soudain  ressuscitée 
J'exhale  avec  bonheur  les  doux  chants  d'autrefois  ; 
Aux  modernes  amours  je  puis  prêter  ma  voix 
Et  devenir  la  plainte  en  pleurant  écoutée. 

Ainsi  que  les  forêts  sous  l'azur  radieux 
Dorment  sans  mouvement,  taisant  leur  harmonie, 
Et  lorsque  passe  un  souffle  en  leur  voûte  infinie 
Éveillent  leurs  sanglots  longs  et  mélodieux. 

Ainsi  dans  sa  prison,  mon  àme  ensommeillée 
Attendait  de  chanter,  sous  un  archet  vainqueur, 
Et  rêvait  de  répondre  aux  grands  appels  d'un  cce'ir 
Comme  répond  au  vent  l'ondoyante  feuillée  . 

J'étais  dans  mon  oubli  la  Belle  au  bois  dormant 
Que  tant  de  beaux  seigneurs,  jadis,  avaient  servie, 
Mais  un  bon  chevalier  brise  l'enchantement 
Et  me  rend,  jeune  et  belle,  au  charme  de  la  vie. 

Charles  Grandmougin. 


LA  NOUVELLE  LOI  AUTRICHIENNE 

SXJR,    I_iBS     IDR,OITS     D'-A-XJTBXJR, 


La  loi  du  26  décembre  1893  sur  les  droits  d'auLeur,  qui  vient 
d'être  promulguée  en  Autriche,  est  vraiment  en  grand  progrès  sur 
celle  de  1846  dont  les  iniquités  ont  fait  tant  de  tort  aux  auteurs  et 
compositeurs.  Cependant,  la  nouvelle  loi  ne  reconnaît  pas  encore 
complètement  le  droit  absolu  de  l'auteur  sur  son  œuvre  au  même 
degré  que  la  loi  française,  ou  même  que  les  nouvelles  lois  actuelle- 
ment en  vigueur  dans  l'empire  allemand  et  dans  le  royaume  hongrois. 

Dans  l'examen  que  nous  allons  en  faire,  nous  nous  occuperons 
spécialement  des  œuvres  dramatiques  et  de  la  composition  musicale; 
à  cet  effet,  et  en  raison  de  l'importance  des  intérêts  qui  sont  en  jeu, 
nous  croyons  devoir,  tout  d'abord,  donner  à  nos  lecteurs  un  aperçu 
général  du  texte  de  la  loi  au  point  de  vue  qui  nous  intéresse  : 

DISPOSITIONS  GÉNÉRALES 

Le  droit  d'auteur  s'étend  sur  l'œuvre  considérée  dans  sa  totalité  et  dans 
fontes  ses  parties . 

La  protection  des  œuvres  des  auteurs  étrangers  est  réglée  par  les  traités 
conclus  avec  les  Etats  respectifs. 

Parmi  les  œuvres  de  littérature  et  d'art  auxquelles  s'applique  la  nouvelle 
loi,  figurent  les  œuvres  dramatiques  lyriques  (dramatico-musicales)  et 
chorégraphiques,  et  enfin  toutes  les  œuvres  scéniques  et  œuvres  musicales 
avec  ou  sans  paroles. 

Est  considéré  comme  date  de  l'apparition  d'une  œuvre  le  jour  où  elle  a 
été  éditée  licitement,  c'est-à-dire  où  elle  a  été  répandue  avec  le  consente- 
ment de  l'ayant  droit. 

Pour  les  œuvres  musicales  et  pour  les  œuvres  scéniques,  ce  jour  sera 
eelui  de  la  première  représentation  publique  licite. 

Le  droit  d'auteur,  en  ce  qui  concerne  une  œuvre  composée  en  commun 
par  plusieurs  personnes,  appartient  à  tous  les  collaborateurs  collective- 
ment et  par  indivis.  Ils  ne  pourront  disposer  de  l'œuvre,  en  particulier 
pour  l'éditer,  la  reproduire,  la  représenter,  qu'en  vertu  de  leur  consente- 
ment réciproque,  mais  chacun  d'eux  est  autorisé  à  poursuivre  judiciaire- 
ment les  atteintes  portées  au  droit  commun  à  tous. 

Jusqu'à  preuve  contraire,  est  considéré  comme  auteur  d'une  œuvre  pu- 
bliée celui  dont  le  vrai  nom  est  indiqué  comme  nom  d'auteur  lors  de  l'ap- 
parition de  l'œuvre.  Quand  l'œuvre  paraît  en  plusieurs  exemplaires  ou 
reproductions,  il  faut  que  tous  portent  le  nom  inscrit  soit  sur  la  feuille 
de  titre,  soit  sous  la  dédicace,  soit  sous  la  préface,  soit  à  la  fin  de  l'œuvre. 

Lorsque  l'apparition  d'une  œuvre  a  lieu  sous  la  forme  de  représenta- 
tion publique,  la  publication  du  nom  doit  être  faite  lors  de  l'annonce  de 
la  première  représentation. 

Les  œuvres  n'ayant  pas  paru  avec  indication  du  vrai  nom  de  l'auteur 
sont  réputées  anonymes  ou  pseudonymes.  A  leur  égard,  l'éditeur,  et,  s'il 
n'est  pas  indiqué,  le  libraire-éditeur  est  autorisé  à  exercer  les  droits 
appartenant  à  l'auteur. 

Aussi  longtemps  que  le  droit  d'auteur  appartient  à  l'auteur  ou  à  ses 
héritiers,  il  ne  pourra  donner  lieu  à  des  mesures  de  saisie-exécution  ou  de 
saisie-gagerie.  Mais  ces  mesures  pourront  atteindre,  même  vis-à-vis  de 
l'auteur  et  de  ses  héritiers,  les  exemplaires  et  reproductions  d'une  œuvre 
déjà  publiée  et  tous  les  droits  matériels  acquis  en  vertu  du  droit  d'auteur  . 

Le  droit  de  l'auteur  passe  à  ses  héritiers;  la  déshérence  ne  profite  pas  à 
l'État. 


L'auteur,  ou  son  héritier,  peut  transmettre  l'exercice  du  droit  d'auteur  à 
des  tiers,  avec  ou  sans  restrictions,  par  contrat  ou  par  disposition  testa- 
mentaire. 

On  peut  disposer  licitement  d'avance  d'une  œuvre  déterminée  non  encore 
créée. 

Toutefois,  en  vertu  de  la  présente  loi,  le  contrat  par  lequel  un  auteur 
s'engage  à  transmettre  ses  droits  sur  toutes  ses  œuvres  futures  ou  sur 
toute  une  catégorie  de  ces  œuvres,  peut  être  résilié  en  tout  temps.  Le  droit 
de  résiliation  appartient  aux  deux  parties,  qui  ne  peuvent  y  renoncer;  il 
devra  être  exercé  dans  le  délai  d'une  année,  à  moins  qu'un  délai  plus 
court  n'ait  été  stipulé. 

Lorsque  la  propriété  d'une  œuvre  de  littérature  ou  d'art  musical  est  cédée 
sans  rétribution  à  un  tiers,  cette  cession  n'implique  pas,  sauf  stipulation 
spéciale,  la  transmission  du  droit  d'auteur;  mais  celle-ci  est  présumée 
lorsque  la  cession  a  lieu  contre  rétribution,  a  moins  que  les  circonstances 
du  transfert  n'indiquent  manifestement  le  contraire. 

Lorsque  l'auteur  a  transmis  son  œuvre  à  un  tiers  en  vue  de  la  faire 
éditer  ou  représenter  publiquement  et  que,  dans  le  délai  de  trois  ans, 
l'édition  ou  la  représentation  n'a  pas  eu  lieu,  contre  le  gré  et  sans  la  faute 
de  l'auteur,  celui-ci  rentre  dans  son  droit  primitif  de  disposer  de  l'œuvre, 
et  il  sera  libre  soit  d'exiger  l'exécution  du  contrat  ou  des  dommages-  inté- 
rêts, soit  de  disposer  autrement  de  l'œuvre  sans  être  tenu  de  restituer  la 
rétribution  déjà  reçue.  Il  n'est  pas  permis  de  stipuler  d'avance,  par  des 
conventions,  ni  la  renonciation  à  ce  droit  de  libre  disposition,  ni  la  pro- 
rogation du  délai  fixé  ci-dessus.  Ces  dispositions  sont  également  appli- 
cables lorsqu'une  œuvre  de  littérature  ou  d'art  musical  épuisée  n'a  pas 
été  rééditée,  contre  le  gré  et  sans  faute  de  l'auteur,  pendant  un  délai  de 
trois  ans,  à  moins  que,  lors  de  la  conclusion  du  contrat  d'édition,  on  n'ait 
entendu  exclure  la  faculté  de  faire  une  nouvelle  édition. 

Quiconque  s'arroge  illicitement,  c'est-à-dire  sans  le  consentement  de 
l'auteur,  de  son  ayant  droit  ou  de  la  personne  autorisée  à  exercer  les  droits 
de  l'auteur,  un  des  droits  réservés  exclusivement  à  l'auteur,  commet  une 
atteinte  à  ce  droit  et  en  sera  responsable  conformément  aux  prescriptions 
générales  existantes  et  aux  dispositions  particulières  contenues  dans  la 
présente  loi. 

Quand  une  œuvre  reçoit  la  dénomination,  surtout  le  titre,  ou  la  form  e 
extérieure  d'une  œuvre  parue  auparavant,  sans  que  ce  fait  se  justifie  par 
la  nature  même  de  la  chose,  et  qu  il  est,  au  contraire,  propre  à  induire  le 
public  en  erreur  au  sujet  de  l'identité  de  l'œuvre,  l'auteur  de  celle  qui  a 
été  publiée  antérieurement  a  droit  à  une  indemnité  . 

Il  en  est  de  même  quand  la  dénomination  ou  la  forme  extérieure  de 
l'œuvre  parue  auparavant  sont  imitées  avec  des  modifications  si  minimes 
ou  si  peu  distinctes  que  le  public  ne  peut  saisir  la  différence  qu'en  y  appli- 
quant une  attention  particulière. 

ÉTENDUE  DU   DROIT  D' AUTEUR 

Le  droit  d'auteur  comprend  le  droit  exclusif  de  publier  l'œuvre,  de  la 
reproduire,  de  la  mettre  en  vente  et  de  la  traduire.  Pour  les  œuvres  scé- 
niques, le  droit  d'auteur  comprend  en  outre  le  droit  exclusif  de  représen- 
tation publique. 

Les  traductions  licites  sont  protégées  comme  les  ouvrages  originaux. 

Constituent,  en  particulier,  une  atteinte  au  droit  d'auteur  (contrefaçon)  : 

La  publication  d'une  œuvre  non  encore  parue  ; 

L'édition  d'un  recueil  de  lettres  sans  le  consentement  de  leur  auteur  ou 
de  ses  héritiers  ; 

L'édition  d'un  extrait  ou  d'une  transformation  (Bearbeitung)  qui  ne  fait 
que  reproduire  l'œuvre  étrangère  en  tout  ou  en  partie,  sans  présenter  le 
caractère  d'une  œuvre  originale  ; 

La  réimpression  d'un  ouvrage  par  l'auteur  ou  par  l'éditeur,  contraire- 
ment aux  stipulations  du  contrat  d'édition. 

La  confection,  par  l'éditeur,  d'un  nombre  d'exemplaires  supérieur  au 
nombre  convenu. 

N'est  pas  considéré  comme  contrefaçon  la  confection  de  reproductions 
isolées,  qui  ne  sont  pas  destinées  à  la  vente  ;  ni  la  réimpression  de  paroles 
déjà  publiées  auparavant,  accompagnant  comme  texte  une  œuvre  musi- 
cale, pourvu  que  la  réimpression  comprenne  aussi  cette  dernière  ou  qu'elle 
soit  faite  seulement  en  vue  d'être  utilisée  lors  de  l'exécution  de  l'œuvre 
musicale  avec  indication  de  ce  but.  Sont  exceptés,  toutefois,  les  textes  des 
oratorios,  opéras,  opérettes  et  vaudevilles. 

En  règle  générale,  le  droit  exclusif  d'éditer  une  traduction  d'un  ouvrage 
paru  licitement  n'appartient  à  l'auteur  que  quand  il  s'est  réservé  expres- 
sément ce  droit  par  rapport  à  toutes  les  langues  ou  à  certaines  langues 
déterminées.  Cette  réserve  doit  être  visiblement  apposée  sur  tous  les 
exemplaires,  soit  sur  la  feuille  de  titre,  soit  dans  la  préface,  soit  en  tête 
de  l'ouvrage";  à  l'expiration  de  trois  ans  à  partir  de  la  publication  de  l'ou- 
vrage, elle  devient  sans  effet  par  rapport  aux  langues  dans  lesquelles  la 
traduction  réservée  n'a  pas  été  publiée  complètement. 

La  représentation  publique  d'une  œuvre  scénique  constitue  une  atteinte 
au  droit  d'auteur,  bien  que,  lors  de  l'apparition  de  l'œuvre,  aucune  ré- 
serve n'ait  été  faite  du  droit  de  représentation  publique.  Il  y  a  également 
atteinte  quand  un  remaniement  ou  une  traduction  illicites  sont  repré- 
sentés. 

LES  OEUVRES  MUSICALES 

Le  droit  d'auteur  sur  des  œuvres  musicales  comprend  le  droit  exclusif 


LE  MÉNESTREL 


29 


de  publier  l'œuvre,  de  la  multiplier,  de  la  mettre  en  vente  et  de  l'exécuter 
publiquement. 

En  particulier,  constituent  une  atteinte  au  droit  d'auteur  :  l'édition 
d'extraits,  de  pots-pourris  et  d'arrangements,  etles exécutions  illicites. 

Ne  constituent  pas  une  atteinte  au  droit  d'auteur  :  l'édition  de  varia- 
tions, transcriptions,  fantaisies,  études  et  orchestrations,  pourvu  que  ces 
travaux  se  présentent  comme  compositions  originales  (eigenthûmliche  Werke); 
la  citation  de  passages  isolés  d'une  œuvre  musicale  publiée  ;  l'insertion 
de  compositions  détachées,  déjà  publiées,  ne  dépassant  pas  une  limite 
justifiée  par  le  but  poursuivi,  dans  le  corps  d'une  œuvre  qui,  prise  en 
elle-même,  représente  une  œuvre  originale  de  science,  ainsi  que  dans  le 
corps  de  recueils  d'œuvres  de  divers  compositeurs,  destinés  à  l'usage  des 
écoles,  sauf  les  recueils  destinés  aux  écoles  de  musique.  Toutefois,  le  nom 
de  l'auteur  ou  la  source  mise  à  contribution  doivent  être  indiqués;  enfin 
la  confection  de  reproductions  isolées,   non  destinées  à  la  vente. 

Le  droit  exclusif  d'exécuter  publiquement  une  œuvre  scénique  appar- 
tient à  l'auteur  sans  restriction.  Pour  les  autres  œuvres  musicales,  ce  droit 
n'appartient  sans  restriction  à  l'auteur  qu'aussi  longtemps  que  l'œuvre  n'a  pas 
été  publiée  licitement;  dès  qu'elle  l'aura  été,  ce  droit  ne  lui  appartiendra 
que  dans  le  cas  où  il  l'aura  réservé  expressément  lors  de  l'édition.  La 
réserve  doit  être  visiblement  apposée  sur  tous  les  exemplaires,  soit  sur  la 
feuille  de  titre,  soit  en  tête  de  l'œuvre. 

Le  droit  d'exécution  s'étend  également  à  toutes  les  transformations 
IBearbeitungen)  d'une  œuvre  musicale  dont  l'édition  est  réservée  à  l'auteur 
et  qu'il  a  créées  ou  fait  créer  et  qui,  dans  le  cas  où  elles  ont  été  publiées 
licitement,  portent  la  mention  de  réserve  du  droit  d'exécution.  Les  trans- 
formations que  l'auteur  n'a  ni  créées  ni  fait  créer,  pourront  être  librement 
exécutées  lorsque  l'œuvre  musicale  ou  une  transformation  licite  de  celle-ci 
aura  été  publiée. 

La  fabrication  et  l'utilisation  publique  d'instruments  destinés  à  repro- 
duire mécaniquement  les  œuvres  musicales  ne  constituent  aucune  atteinte 
au  droit  d'auteur  sur  ces  œuvres. 

DURÉE   DU   DROIT  d'aUTEUR 

En  règle  générale,  le  droit  d'auteur  sur  les  œuvres  de  littérature  et 
d'art  expire  trente  ans  après  la  mort  de  l'auteur.  Pour  les  œuvres  pos- 
thumes parues  dans  les  derniers  cinq  ans  du  délai  de  protection,  le  droit 
d'auteur  ne  prend  fin  que  cinq  ans  après  la  publication.  Pour  une  œuvre 
due  à  la  collaboration  de  plusieurs  auteurs,  le  droit  expire  trente  ans 
après  la  mort  du  dernier  survivant  des  collaborateurs.  Lorsque  le  droit 
d'un  de  ceux-ci  expire  plus  tôt,  sa  part  dans  le  droit  d'auteur  passe  aux 
autres  collaborateurs. 

Le  droit  d'auteur  sur  les  œuvres  littéraires  et  artistiques  anonymes  et 
pseudonymes  prend  fin  trente  ans  après  leur  publication.  Toutefois,  l'au- 
teur, et,  avec  le  consentement  de  celui-ci,  son  ayant  cause,  sont  autorisés 
à  notifier,  dans  ce  délai,  le  vrai  nom  de  l'auteur,  pour  inscription  dans  un 
registre  public  des  auteurs,  qui  sera  tenu  par  le  ministère  du  commerce  ; 
l'accomplissement  de  cette  formalité  portera  le  délai  de  protection  à  la 
durée  fixée  ci-dessus. 

Dans  le  calcul  des  délais  légaux  de  protection  et  de  réserve,  on  ne  fait 
pas  entrer  en  ligne  de  compte  ce  qui  reste  à  courir  de  l'année  où  a  eu 
lieu  le  fait  qui  sert  de  base  pour  fixer  le  commencement  du  délai. 

PROTECTION   DU   DROIT  d'aUTEHR 

Quiconque  commet  sciemment  une  atteinte  au  droit  d'auteur  ou  répand 
sciemment  contre  rétribution  les  produits  résultant  d'une  telle  atteinte, 
eommet  un  délit  et  encourt  une  amende  de  100  à  2.000  florins  ou  un  em- 
prisonnement de  un  à  six  mois. 

Commetune  contravention  quiconque,  contrairement  à  l'obligation  établie 
par  la  loi,  omet  d'indiquer  le  nom  de  l'auteur  ou  la  source  utilisée;  qui- 
conque, après  l'interdiction  judiciaire,  continue  à  se  servir  de  la  dénomi- 
nation et  du  titre  ou  à  imiter  la  forme  extérieure  d'un  ouvrage.  La  peine 
consiste  dans  une  amende  de  S  à  100  florins. 

Quiconque,  avec  l'intention  de  tromper,  appose  sur  une  œuvre  étran- 
gère son  propre  nom  ou  le  nom  d'autrui  sur  sa  propre  œuvre,  en  vue  de 
la  mettre  en  vente,  ou  quiconque,  sciemment,  met  en  vente  une  telle 
œuvre,  commet  un  délit,  même  dans  le  cas  où  aucune  atteinte  n'est 
portée  au  droit  d'auteur,  sous  réserve  de  l'application  des  dispositions 
plus  rigoureuses  du  code  pénal.  Commet  également  un  délit  quiconque, 
dans  la  même  intention,  fait  opérer  une  fausse  inscription  au  registre 
public  des  auteurs.  La  peine  consiste  dans  une  amende  de  100  à  2.000  flo- 
rins ou  dans  un  emprisonnement  de  un  à  six  mois. 

La  procédure  au  sujet  de  ces  contraventions  est  confiée  aux  tribunaux 
compétents  en  matière  de  presse.  La  poursuite  n'a  lieu  que  sur  la  demande 
de  la  partie  lésée. 

En  statuant  sur  une  poursuite,  le  tribunal  prononcera,  sur  la  demande 
de  la  partie  lésée,  la  confiscation  des  reproductions  et  exemplaires  desti- 
nés à  la  vente,  quel  que  soit  le  possesseur  qui  les  détient,  ainsi  que  la 
destruction  de  la  composition  ;  il  décidera,  en  outre,  de  rendit  impropres 
à  tout  usage  ultérieur  dans  le  même  but  les  appareils  (épreuves,  clichés, 
planches,  pierres  et  formes)  destinés  exclusivement  à  la  reproduction  ou  à 
la  multiplication  illicites.  Lorsqu'il  s'agit  d'une  représentation  illicite,  le 
tribunal  peut  aussi  prononcer  la  confiscation  des  manuscrits,  livrets,  par- 
titions et  rôles.  Les  mêmes  décisions  peuvent  être  prises  en  cas  de  con- 
damnation pour  faux.  Quand  une  partie  seulement   de  l'œuvre  doit  être 


considérée  comme  une  reproduction  ou  multiplication  illicite,  les  décisions 
mentionnées  ci-dessus  doivent  se  limiter  à  cette  partie. 

Sur  la  demande  de  la  partie  lésée,  le  juge,  en  condamnant  le  contrefac- 
teur à  la  peine  prévue  par  la  loi,  peut  le  condamner  en  outre  à  des  dom- 
mages-intérêts, pourvu  que  les  résultats  de  l'instruction  permettent  déjuger 
d'une  manière  sûre  les  réclamations  de  droit  privé.  Le  montant  des  dom- 
mages-intérêts sera  déterminé  non  seulement  en  vue  de  compenser,  pour 
la  partie  lésée,  le  dommage  proprement  dit  et  le  gain  espéré,  mais  le  tri- 
bunal lui  allouera,  en  outre,  en  toute  liberté  d'appréciation  et  en  tenant 
compte  de  toutes  les  circonstances  de  la  cause,  une  somme  équitable  pour 
la  dédommager  du  préjudice  et  d'autres  torts  personnels  qu'elle  a  pu  souf- 
frir. Les  deux  parties  peuvent  interjeter  appel  de  la  décision  relative  aux 
dommages-intérêts. 

La  partie  lésée  peut  être  aussi  autorisée  à  faire  publier  la  condamnation 
aux  frais  du  coupable.  Le  tribunal  déterminera,  dans  l'aiiét,  le  mode  de 
publication  et  le  délai  dans  lequel  elle  doit  avoir  lieu,  en  prenant  en  con- 
sidération à  cet  effet  les  conclusions  de  la  partie  lésée. 

La  partie  lésée  a  le  droit  de  requérir,  avant  le  prononcé  du  jugement 
pénal,  la  saisie  ou  le  séquestre  des  objets  destinés  à  la  contrefaçon,  ainsi 
que  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  empêcher  que  l'acte  délictueux 
.  soit  commis  ou  répété.  Cette  requête  doit  faire  l'objet  d'une  décision  im- 
médiate du  tribunal  pénal,  lequel  est  libre  de  n'autoriser  les  mesures  re- 
quises que  moyennant  une  caution. 

Indépendamment  des  poursuites  pénales,  l'auteur  a  le  droit  d'intenter 
une  action  civile  en  dommages-intérêts  à  quiconque  aura  porté  une  atteinte 
coupable  à  sou  droit,  ainsi  qu'à  toutes  les  personnes  qui,  d'une  manière 
coupable,  auront,  moyennant  rétribution,  répandu  des  reproductions  ou 
exemplaires  illicites  de  son  œuvre. 

L'auteur  a,  en  outre,  le  droit  d'intenter  une  action  civile  en  reconnais- 
sance de  son  droit  d'auteur  et  en  cessation  de  toute  atteinte  qui  y  serait 
portée,  et  de  demander  à  la  partie  défenderesse,  même  dans  le  cas  où  elle 
serait  exempte  de  toute  faute,  la  restitution  des  profits  réalisés  par  elle. 

Lorsque  les  demandes  en  dommages-intérêts  sont  portées  devant  le  juge 
civil,  celui-ci  se  prononcera  sur  l'existence  et  l'étendue  du  dommage,  de 
même  que  sur  l'existence  et  le  produit  des  bénéfices  réalisés,  en  toute  liberté 
d'appréciation  et  en  tenant  compte  de  toutes  les  circonstances  de  la  cause. 

Le  gouvernement  est  autorisé  à  constituer  des  commissions  d'experts 
tenues  de  donner,  sur  la  demande  des  tribunaux,  des  rapports  préalables 
en  matière  de  droit  d'auteur.  L'organisation  et  les  fonctions  de  ces  com- 
missions seront  réglées  par  ordonnance. 

DISPOSITIONS   FINALES 

La  présente  loi  entrera  en  vigueur  le  jour  de  sa  promulgation  et  sera 
également  applicable  aux  œuvres  parues  avant  cette  entrée  en  vigueur; 
toutefois,  en  ce  qui  touche  celles-ci,  les  délais  de  protection  accordés 
jusqu'ici  sont  maintenus  s'ils  sont  plus  étendus. 

De  même,  les  délais  de  protection  plus  restreints  fixés  jusqu'ici  pour  le 
droit  exclusif  de  représentation  d'une  œuvre  scénique  sont,  par  exception, 
applicables  dans  les  rapports  de  l'auteur  avec  les  théâtres  auxquels  il 
avait  cédé,  avant  la  mise  à  exécution  de  la  présente  loi,  le  droit  de  repré- 
sentation, moyennant  rétribution,  pour  toute  la  durée  de  la  protection. 

Les  reproductions  et  exemplaires  existants  à  la  date  de  la  mise  en  vi- 
gueur delà  présente  loi,  et  dont  la  fabrication  n'était  pas  interdite  jusqu'a- 
lors, continueront  à  pouvoir  être  répandus.  De  même,  les  appareils  destinés 
à  la  multiplication  ou  à  la  reproduction  et  existants  à  cette  date,  tels  que  : 
épreuves,  clichés,  planches,  pierres  et  formes,  pourvu  que  leur  fabrication 
n'ait  pas  été  défendue  jusqu'alors,  pourront  encore  être  utilisés  pendant 
un  délai  de  quatre  ans  à  partir  de  l'entrée  eu  vigueur  de  la  présente  loi. 
Toutefois,  le  débit  de  telles  reproductions  ou  de  tels  exemplaires  ainsi 
que  l'utilisation  ultérieure  des  appareils  mentionnés  ne  seront  permis  que 
dans  Is  cas  où  ces  objets  auront  été,  à  la  demande  faite  par  la  partie  inté- 
ressée, dans  les  trois  mois  à  partir  de  la  mise  à  exécution  de  la  présente 
loi,  inventoriés  par  l'autorité  publique  du  district  comprenant  la  localité 
où  ils  se  trouvent,  et  pourvus  d'un  timbre  spécial. 

Les  œuvres  musicales  et  scéniques  qui  auraient  été  représentées  licite- 
.  ment  avant  l'entrée  en  vigueur  de  la  présente  loi,  pourront  être  aussi,  à 
l'avenir,  librement  représentées. 

Une  ordonnance  du  ministère  autrichien,  publiée  en  même  temps  que 
la  loi,  règH  les  questions  qui  se  rattachent  au  registre  pour  les  ouvrages 
anonymes  ou  pseudonymes,  et  fixe  à  cinq  florins  (douze  francs  cinquante 
centimes)  la  taxe  pour  l'inscription  de  chaque  œuvre  séparée.  Le  registre 
est  public,  et  on  peut  en  demander  un  certihcat  d'inscription.  La  même 
ordonnance  règle  aussi  les  détails  de  l'inventaire  et  du  contrôle  des  repro- 
ductions et  exemplaires  existants,  ainsi  que  des  appareils  destinés  à  la 
fabrication  de  ces  exemplaires  pendant  le  temps  restreint  où  leur  vente 
reste  permise.  Ces  dispositions  sont  purement  transitoires. 

Après  avoir  présenté  à  nos  lecteurs  les  parties  essentielles  de  la 
nouvelle  loi  autrichienne  en  ce  qui  concerne  les  œuvres  dramatiques 
et  musicales,  nous  examinerons,  dans  un  prochain  article,  les  pro- 
grès accomplis,  et  aussi  les  modifications  que  les  auteurs  et  éditeurs 
d'œuvres  musicales  doivent,  dès  aujourd'hui,  désirer  voir  apporter  à 
la  nouvelle  loi,  qui  n'est  pas  assez  complète. 

(A  suivie.)  0.  Bebggruen. 


30 


LE  MENESTREL 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Trois  noms  de  tout  jeunes  compositeurs  brillaient  sur  le  programme  du 
dernier  concert  de  l'Opéra,  ceux  de  MM.  Henri  Bûsser  et  Alfred  Bachelet, 
tous  deux   grands  prix  de  Rome,  et  de   M.   Henri   Hirschmann,    l'un  des 
vainqueurs  du   concours  Rossini.  De  M.  Bcisser,  c'était  une  intéressante 
suite   symphouiquo   intitulée  A  la  Villa  Médicis,  dont  le  premier  morceau, 
plein  d'ampleur,  contient  surtout  une  belle  phrase  solidement  et  nerveu- 
sement établie   par  les   violons  ;   le  n»  3,  un  Soir  de  mai  au  Bosco,  est  d'une 
couleur  rêveuse  et  d'un  joli  sentiment  poétique,  et  l'allégretto  qui  le  suit, 
confié  surtout  aux  flûtes,  est  d'une  délicatesse  et  d'une  grâce  charmantes; 
on  retrouve   dans  le  finale  la  belle  phrase  de  violons  du  commencement. 
La  suite  de  M.  Bûsser,  bien  écrite,  bien  orchestrée  en  s'appuyant  sérieu- 
sement sur  le  quatuor,  est  à  l'éloge  de  l'imagination  et  du  savoir  du  com- 
positeur, qui  a  des  idées  et  qui  sait  s'en  servir.  Son  succès  a  été  complet. 
M.  Bachelet  a  été   moins  heureux  avec   une  scène   lyrique,  le  Songe  de  la 
Sulamite,  dont  le  poème,  tiré  du  Cantique  des  cantiques,  lui  a  été  fourni   par 
M.   Georges  Audigier.  Ici,   l'inspiration  est  bien    mince,  la   forme   bien 
recherchée  et  bien  obscure  en  ses  effets,  le  tout  bien  embrumé  et  d'une 
audition  difficile.  La  jolie  voix  et  les  efforts  intelligents  de  M""'  Bosman, 
bien  secimdée  par  M.  Affre,  n'ont  pu   secouer  l'indifférence   et  la  torpeur 
du  public  en  présence  d'une  composition  peu  faite  en  vérité  pour  lui  plaire. 
M.  Bachelet,   qui    est  jeune,  saura  reprendre    sa  revanche.  Avec  la   suite 
d'orchestre   en  quatre  parties  de  M.  Hirschmann,  nous   retrouvons   de  la 
jeunesse,  de  l'élan,  de  la  chaleur.  Le  n»  1  (Hongroise),  vif,  brillant,  coloré, 
est    entrecoupé    d'un    épisode    d'une    rêverie   pleine  de  langueur;   le  n°  2 
(Rêverie),  auquel    on   souhaiterait   plus  d'originalité,  n'en  est  pas  moins 
d'un  joli  sentiment;  l'Intermezzo  se  fait  remarquer  par   sa  grâce  élégante; 
enfin,  la  Bacchanale  qui   termine  a  toute  la  couleur,  tout  l'entrain,  tout  le 
feu  qu'on  puisse  désirer.  C'est  là,  en  somme,  une  composition  intéressante 
et  qui  dénote  chez  son  auteur  de  sérieuses  qualités.  M''^'  Lafargue  et  M.  Del- 
mas  nous  ont  chanté  un  fragment  important  et  superbe  du  deuxième  acte 
d'OEdipe  à  Colone,  de   Sacchini,  qui  a  produit  sur  le  public  une  impression 
profonde  et  légitime.  Quel  style,  quelle   noblesse,  quelle  inspiration  mer- 
veilleuse dans   cette    musique  admirable,    quelle  pureté    de  lignes,   quel 
sentiment   de    l'antique!    Mais   puisque   MM.   les   directeurs   de   l'Opéra 
n'ignorent  pas  l'existence  d'un  si  incomparable  chef-d'œuvre,  que  ne  nous 
le  rendent-ils    en    entier,  et  pourquoi  ne  le   font-ils   pas  rentrer  dans  le 
répertoire"?  Je   serais  tenté  surtout  d'eu  dire  autant  en  ce  qui  concerne  la 
Françoise  de  Rimini  de  M.  Ambroise  Thomas,  dont  on  nous  a  fait  entendre 
à  ce   concert  le   superbe   prologue,  d'une   inspiration   si  haute,  d'un  style 
si  sévère  et  si  plein  d'ampleur.  C'est  ici  l'une  des  pages  caractéristiques  et 
tout  originales  du  maître  à  qui  l'on  en  doit  tant  de  puissantes  ou  de  char- 
mantes. Bien   que  la  scène  soit  nécessaire  à  l'exacte  compréhension  d'épi- 
sodes  de    ce   genre,    celui-ci,   chanté   d'ailleurs    d'une    façon    absolument 
remarquable   par  M^'^  Héglon  et   Lafargue,  par  MM.   Renaud  et  Afîre,  a 
produit  chez  les  auditeurs  une  émotion  intense,  et  l'eflet  en  a  été  tel  que 
de  toutes  les  parties  de    la    salle  on   a   acclamé  le  nom   du   compositeur. 
L'insistance  était  si  grande  que  M.  Ambroise  Thomas,  dissimulé  jusqu'alors 
au  fond   d'une  loge,  a  dû  s'avancer  pour  saluer  le  public,  qui   lui   a   fait 
une  longue  et  brillante  ovation.  A.  P. 

—  Chez  M.  Colonne,  c'était  la  70"  audition  de  la  Damnation  de  Faust.  Voir 
nos  précédents  comptes  rendus. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Pourquoi  M.  Henri  Lutz  a-t-il  décerné  le 
nom  de  poème  lyrique  à  cette  page  des  Châlimenls  qui,  dans  le  livre  de 
Victor  Hugo,  s'appelle  simplement  S(('//n?  Admettons  qu'ici  poème  est 
synonyme  de  poésie,  et  passons  à  la  musique.  Elle  n'a  absolument  rien  de 
déplaisant,  cette  musique,  et,  par  le  temps  qui  court,  c'est  déjà  une  rare 
qualité.  Pas  de  tapage  inutile,  pas  d'excentricités,  pas  d'affectation  dans  la 
recherche  du  coloris:  un  orchestre  écrit  avec  délicatesse,  selon  la  formule 
wagnérienne,  mais  sans  éclairs  de  génie  ;  une  mélopée  vocale  un  peu  trop 
prodigue  peut-être  d'intervalles  écartés,  mais  intéressante  en  somme  et 
soucieuse  de  l'expression  des  paroles.  OEuvre  très  acceptable  comme  point 
de  départ,  remplie  de  bonnes  intentions,  et  à  laquelle  l'auteur  s'efforcera 
de  donner  des  soeurs  d'une  beauté  plus  éclatante.  —  Nous  avons  parlé  sou- 
vent de  l'exécution  par  M.  Lamoureux  de  la  symphonie  en  ut  mineur; 
elle  est  presque  la  perfection  sous  certains  rapports  ;  nous  pensons  pour- 
tant quela  symphonie  en  la  convient  mieux  à  l'orchestre  du  Cirque  dont 
les  attaques  incisives  et  tranchantes,  exclusives  de  tout  sentiment  de  la 
véritable  grandeur,  altèrent  parfois  l'ensemble  calme  et  imposant  qu'a 
voulu  créer  Beethoven.  Des  œuvres  comme  celles-là  ne  doivent  pas  être 
rapetissées  par  le  souci  exagéré  du  détail  au  point  de  devenir  des 
miniatures.  Rien  à  dire  de  l'introduction  de  la  Flûte  cnduintce.  C'est  la 
grâce  et  l'élégance  faites  musique.  Siegfried  Mi/// commence  â  paraître  en- 
nuyeux et  l'ouverture  de  Tannhuuser  n'est  plus  une  nouveauté.  —  Le  concerto 
en  sol  de  M.  Saint-Saëns  ofi'rait  plus  d'intérêt.  M.  Louis  Livon,  qui  ne 
dispose  pas  d'une  grande  sonorité,  ne  semble  aucunement  songer  à  racheter 
ce  défaut  par  la  chaleur communicative  de  l'exécution  :  jouer  correctement 
lui  suffit  et  il  y  parvient  dans  la  plupart  des  cas.  Il  ne  dédaigne  pas  les 
facilités  permises,  par  exem.ple  lorsqu'il  va  chercher  avec  la  main  gauche 
le  ri/ culminant  de  la  page  1^,  ou  qu'il  attend  pour  presser  le  mouvement 
d'avoir  franchi  une  mesure  fort  scabreuse  de  la  page  ',).  Il  semble  qu'il  y 
ait  eu  quelque  légère  révolte  de  ses  doigts  dans  le  trait  de  la  page  18,  et  l'on    - 


se  demande  ce  qu'est  devenue  la  main  gauche  dans  celui  de  la  page  20, 
première  ligne.  Mais  ce  sont  là  des  détails  qui  ne  peuvent  nous  empêcher 
de  reconnaître  que  l'artiste  possède  un  mécanisme  arrivé  au  point,  qu'il 
sait  frapper  les  accords  avec  une  sonorité  homogène  pour  chaque  note  et 
qu'il  joue  la  musique  exactement  comme  elle  est  écrite,  sans  défigurer  les 
rythmes.  Il  y  a  eu  quelque  léger  déséquilibre  dans  l'ensemble,  l'orchestre 
arrivant  parfois  un  peu  trop  tard  pour  frapper  un  accord,  mais  le  virtuose 
a  obtenu  malgré  tout  un  honorable  succès.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Pister.  Le  programme  s'ouvrait  par  une  fort  belle  interpréta- 
tion de  l'admirable  ouverture  de  "Weber,  Obcron.  Il  comprenait  ensuite  le 
pittoresque  Roman  d'Arlequin,  de  Massenet,  une  œuvre  fort  remarquable 
de  Théodore  Dubois,  Hymne  nuptial,  la  suite  d'Henri  VIII,  de  Saint-Saëns,  et 
la  symphonie  en  sol  mineur,  de  Mozart.  M.  A.  Lefort  a  joué,  avec  une 
virtuosité  étincelante  et  un  son  charmant,  une  suite  pour  violon  et  orchestre 
de  M.  Paul  Ghabeaux.  11  a  été  chaleureusement  applaudi  et  rappelé. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Ouverture  de  SIruensée  (Meyerbeer).  —  Roméo  et  Juliette  (Ber- 
lioz), le  Père  Laurence  r  M.  Douaillier.  —  Symphonie  en  sol  mineur  (Mozart).— 
Psaume  CL  (César  Franck). 

Opéra  :  A  la  Villa  Médicis  (Bûsser),  suite  symphonique,  dirigée  par  l'auteur.  - 
Fragment  du  deuxième  acte  d'Œdipeà  Colone  (Sacchini),  chanté  par  M"'  Lafargue 
et  M.  Delmas.  —  Le  Songe  de  la  Sulamite  (Bachelet),  chanté  par  M-"  Bosman  et 
M.  Affre,  sous  la  direction  de  l'auteur.  —  Danses  anciennes,  par  M""  Mauri, 
Subra  et  le  corps  de  ballet.  —  Prologue  de  Françoise  de  Himini  (Amb.  Thomas), 
chanté  par  M»"  Héglon  et  Lafargue,  MM.  Renaud  et  Affre.  —  Suite  d'orchestre 
(Hirschmann),  dirigée  par  l'auteur. 

Châtelet,  concert  Colonne:  77°  audition  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  soli: 
M""  Auguez  de  Montalant,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  Nivette. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  La  Damnation  de  Faust  (Ber- 
lioz), interprétée  par  M"°  Jenny  Passama  (.Marguerite),  M.  E.  Lafarge  (Faust), 
M.  Bailly  (Méphistophélès),  M.  P.  Blancard  (Brander). 

Concerts  du  Jardin  d'acclimatation.  —  Chef  d'orchestre  M.  Louis  Pister  :  Eu- 
ryanthe,  ouverture  (Weber);  Trois  airs  de  ballet  (Th.  Dubois)  :  a.  Tempo  di 
Valzo,  b.  Allegretto,  c.  Saltarello  ;  Scherzo  et  berceuse  pour  orgue  et  orchestre 
(S.  Rousseau);  Danse  des  Morisques  (B.Godard)  ;  Scènes  a/saci'CTBes (J. Massenet)  ; 
a.  Prélude,  b.  Sous  les  tilleuls,  c.  Au  cabaret;  Andante-Cantabile(Tschaïkowsky); 
Coppélia,  prélude  et  mazurka  (Léo  Delibes). 

—  Beau  concert  mercredi  dernier  à  la  Société  Philharmonique  fondée 
par  M.  Ludovic  Breitner.  Le  trio  en  sol  mineur  (op.  HO)  pour  piano,  vio- 
lon et  violoncelle  de  Schumann,  et  le  septuor  dit  de  la  Trompette,  de  Saint- 
Saëns  (op,  95),  charmant  petit  frèro  du  grand  septuor  que  Beethoven  a 
dédié  à  l'impératrice  Marie-Thérèse,  étaient  les  morceaux  capitaux.  Leur 
interprétation  par  MM.  Breitner,  Teste,  Rémy,  Tracol,  Bailly,  Salmon  et 
Gontrone,  ne  laissait  rie-n  à  désirer.  M""-'  Blanche  Marchesi  a  été  vivement 
applaudie  après  une  cantate  de  Benedetto  Marcello  et  plusieurs  mélodies 
de  Mozart,  Schubert  et  Brahms,  dites  avec  beaucoup  de  charme  et  d'intel- 
ligence. 0.  B. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


M.  Siegfried  "Wagner,  le  fils  du  maitre  de  Bayreuth,  a  été  le  grand 
événement  de  la  semaine  musicale  à  Vienne.  Un  disciple  de  son  père,  le 
célèbre  chef  d'orchestre  Hans  Richter,  l'avait  invité  à  venir  diriger  un 
concert  de  l'orchestre  de  l'Opéra  impérial  et  à  se  présenter  au  public 
viennois  pour  la  première  fois.  Le  succès  du  jeune  homme  a  été  incontes- 
table. Il  a  conduit  avec  beaucoup  de  sentiment  Vldylle  de  Siegfried,  ce  mor- 
ceau d'un  charme  pénétrant  que  le  père  heureux  avait  dédié  â  son  fils  quand 
celui-ci  n'était,  selon  les  paroles  du  nain  Mime,  qu'un  enfant  tétant  en 
core  (einzuUendes  Kindj.  Ensuite,  M.  Siegfried  Wagner  s'est  aussi  attaqué  à  la 
symphonie  en  fa  de  Beethoven  et  a  fait  preuve  d'un  réel  talent  de  chef 
d'orchestre  et  d'une  forte  personnalité  musicale.  Les  Viennois  auraienthien 
voulu  faire  la  connaissance  de  la  cantate  Nostalgie  (Sehnsurht)  que  M.  Siegfried 
Wagner  vient  d'écrire  sur  les  vers  célèbres  deSchiUer,  etqu'on  a  déjà  jouée  à 
Munich,  mais  le  fils  du  maitre  n'a  pas  voulu  se  produire  cette  fois  comme 
compositeur.  Il  y  avait  presque  un  quart  de  siècle  que  Richard  Wagner 
avait,  pour  la  dernière  fois,  conduit  un  concert  à  Vienne.  C'était  en 
mai  1872,  et  il  était  venu  pour  récolter  quelque  argent  pour  l'entreprise  de 
Bayreuth.  Ce  concert  unique  produisit  la  bagatelle  de  plus  do  cinquante  mille 
francs.  Il  est  vrai  que  Wagner  y  avait  offert  au  public  les  prémices  des 
Nibelungen  et,  entre  autres  fragments,  le  fameux  enchantement  du  feu  de 
la  Valkyrie,  dont  la  première  exécution  est  restée  légeudaire,  car  le  ciel  y 
mêlait  ses  éclairs  et  son  tonnerre.  On  a  beaucoup  remarqué,  à  Vienne,  la 
ressemblance  de  Siegfried  avec  son  père,  ressemblance  que  le  temps  ne  man- 
quera pas  de  développer  encore,  selon  toute  probabilité;  les  yeux  reflètert 
cependant  ay^si  un  vague  souvenir  du  regard  inoubliable  de  son  grand-père, 
Franz  Liszt. 

—  Le  surintendant  des  théâtres  impériaux  de  Vienne  a  recommandé  aux 
directeurs  de  ces  théâtres  la  plus  stricte  économie,  surtout  en  ce  qui  con- 
cerne le  luxe  de  la  mise  en  scène.  Malgré  une  augmentation  de  recettes, 
le  déficit  des  théâtres  impériaux  n'a  pas  sensiblement  diminué  en  1895, 
et  le  surintendant  croit  avec  raison  qu'il  faut  faire  des  économies. 


Lt:  MENESTREL 


31 


—  Le  plafond  de  l'Opéra  impérial  devienne  subira  pendant  les  vacances 
une  restauration  complète  ;  il  existe  depuis  bientôt  trente  ans  et  a  été  fort 
noirci  par  le  gaz,  avant  l'introduction  de  la  lumière  électrique.  En  raison 
de  ces  travaux,  les  vacances  de  l'Opéra  de  Vienne  seront  beaucoup  plus 
longues  cette  année  qu'à  l'ordinaire,  ce  qui  n'est  pas  pour  déplaire  aux 
artistes. 

—  Dépêche  de  Coblence  : 

Winlidried  n'est  pas  un  succès,  mais  bien  un  triomphe,  dont  je  suis  fier, 
moi  Allemand.  C'est  un  hommage  au  grand  Français  qui  fut  Louis  Lacombe.— 

Lisez  les  journaux  allemands! 

Signé:  Auguste  Grassl, 
Directeur  du  théâtre  de  Coblence. 

—  A  l'issue  de  cette  première  représentation,  M"""  Andrée  Lacombe  a 
reçu  cette  touchante  lettre  de  M.  KuU ,  le  critique  si  distingué  du 
Volkszeitung  ; 

Très  honorée,  noble  dame, 
Je  m'empresse  de  vous  adresser  mes  félicitations  chaleureuses  pour  le  grand 
triomphe  remporté  liier  et  comme  il  ne  s'en  est  jamais  produit  à  Coblentz. 

L'âme  du  grand  maître   a  oerles  plané  au-dessus  de  nous  I  Je  me  réjouis 
d'autant  plus  de  vous  l'exprimer,  qu'il  s'agit  d'un  enfant  de  la  grande  France, 
que  j'ai  toujours  tant  aimée  et  adorée,  et  qui  n'a  jamais  été  aussi  grande  que 
dans  son  malheur. 
Avec  le  plus  respectueux  dévouement. 

Votre  serviteur,  H.-J.  Kull. 

—  Un  procès  1res  curieux  en  matière  théâtrale  vient  d'être  jugé  à  Mu- 
nich. Le  gouvernement  n'avait  voulu  accorder  la  concession  d'un  nouveau 
théâtre  en  cette  ville  qu'à  la  condition  que  le  répertoire  de  ce  théâtre  ne 
porterait  pas  préjudice  aux  intérêts  du  théâtre  royal.  Les  entrepreneurs  se 
sont  pourvus  devant  la  cour  administrative,  qui  remplit  en  Bavière  les 
fonctions  de  notre  conseil  d'État.  La  cour  a  décidé  que  les  autorités 
n'avaient  pas  à  s'occuper  des  intérêts  matériels  du  théâtre,  mais  seulement 
de  la  censure  des  pièces  immorales  et  dangereuses.  La  concession  devra 
par  conséquent  être  donnée  sans  léserve  au  nouveau  théâtre  de  Munich, 
qui  prendra  le  nom  de  théâtre  allemand. 

—  Une  nouvelle  féerie  japonaise,  Lilie  Tsee,  paroles  de  M.  Wolfgang 
Kirchbach,  musique  de  M.  François  Curtis,  vient  d'être  jouée  avec  suc- 
cès au  théâtre  grand-ducal  de  Mannheim. 

—  Les  directeurs  de  théâtres  allemands  ne  paraissent  pas  ennemis  d'une 
réclame  bien  entendue.  Il  en  est  même  qui  font  preuve,  à  ce  sujet,  d'une 
rare  faculté  Imaginative,  témoin  celui  de  l'Alexanderplatz-Theater,  à  Ber- 
lin, qui  adresse  à  la  presse  ce  communiqué  savoureux,  à  propos  d'une 
pièce  française  dont  le  succès  ne  parait  pas  douteux  :  «  Les  43  premières 
représentations  des  Pclites  Brebis  ont  attiré  23. 147  spectateurs.  Mardi  der- 
nier, lorsque  le  25.000°  spectateur,  un  négociant  hambourgeois,  s'est  pré- 
senté au  contrôle,  il  a  reçu  de  la  direction,  en  souvenir,  une  collection 
de  magnifiques  photographies  de  M.  X...,  photographe  de  la  Cour,  repré- 
sentant les  principales  scènes  de  l'ouvrage.  La  direction  se  propose  d'offrir 
le  même  souvenir  au  30.000<^,  au  33. 000"^,  au  40.000"  spectateur,  etc.  »  Cet 
«  etc.  )i  est  plein  d'une  réticence  habile,  et  fait  supposer  que  l'entrepreneur 
en  question  est  tout  disposé  à  ne  s'arrêter  qu'au  300.000°  spectateur.  Et 
encore  !... 

—  Dépêche  arrivée  d'Odessa  :  «  Le  compositeur  russe  M.  Alexandre  de 
Fédoroff  vient  d'écrire  un  opéra  dramatique,  la  Fontaine  des  pleurs,  qu'on  a 
monté  avec  énormément  de  succès  à  Ecathérinoslav.  Les  journaux  font  le 
plus  grand  éloge  de  la  musique  ;  le  sujet  est  tiré  d'une  fable  de  Pouschkine. 
Le  principal  rôle  féminin  est  écrit  pour  M"""  Bittner-Brandip,  qui  le  créera 
en  France  (?).  On  s'occupe  déjà  de  la  traduction  française.  » 

—  Vient  de  paraître  à  Bruxelles  (Katto,  éditeur)  une  brochure  ainsi 
intitulée  :  A  propos  de  «  la  Mélopée  antique  dans  le  chant  de  l'Église  latine  » 
de  Fr.-Aug.  Gevaert,  commentaires,  par  Charles  Meerens. 

— Hier  soir,  samedi,  à  la  Scala  de  Milan,  a  dû  être  donnée  la  première  re. 
présentation  de  la  Navarraise,  de  M.  Massenet.  Le  même  soir,  au  théâtre  Carlo 
Felice  de  Gênes,  on  donnait  aussi  pour  la  première  fois  Werther  du  même 
compositeur.  Enfin,  à  La  Haye,  était  également  annoncée  «  la  première  » 
du  Mage.  Le  cœur  du  compositeur  a  dû  baltre  ce  soir-là  d'une  triple  émo- 
tion. A  huitaine,  les  nouvelles  de  ces  diverses  soirées. 

—  C'est  le  16  janvier  qu'a  eu  lieu  à  Turin,  au  théâtre  Regio,  la  première 
représentation  de  Savitri,  l'opéra  nouveau  du  maestro  Conti.  «  Succès  bon, 
mais  non  enthousiaste,  dit  le  Trovatore.  Neuf  rappels  à  l'auteur  (c'est 
maigre!).  Exécution  louable,  d'où  ressortent  la  De  Ehrenstein  et  le  ténor 
Grani.  » 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  M.  Alberto  Franchetti, 
l'auteur  d'Âsrael  et  de  Cristoforo  Colombo,  travaille  en  ce  moment  â  un  opéra- 
comique  intitulé  il  Signor  di  Pourceaugnac,  dont  le  livret  lui  a  été  confié 
par  M.  Fontana.  Ce  n'est  pas  la  première  adaptation  de  ce  genre  qui  a  été 
faite  du  chef-d'œuvre  de  Molière.  Le  23  avril  1792,  l'ancien  théâtre  Fey- 
deau,  où  l'on  jouait  à  la  fois  l'opéra  italien  et  l'opéra  français,  donnait  la 
première  représentation  d'un  opéra  bouffe  italien  qui  portait  ce  même 
titre,  il  Signor  di  Pourceaugnac,  et  dont  la  musique  avait  été  écrite  par  un 
compositeur  français,  Jadin.  Olivier  Métra  a  aussi  laissé  dans  ses  papiers 
un  Pourceaugnac  inachevé. 


—  Au  théâtre  Métastase,  de  Rome,  succès  complet  pour  une  nouvelle 
opérette,  Annila  di  Madrid,  paroles  de  M.  Campanelli,  musique  de  M.Cunzo. 

—  L'aimable  éditeur  de  Madrid,  M.  Zozaya,  a  assumé  la  lourde  tâche  de 
rouvrir  le  «  teatre  rcale  »  sans  subvention.  Les  journaux  espagnols  sont 
pleins  de  l'événement.  L' Imparcial,  le  Libéral,  l'Epoca,  la  Correspondencia  le 
commentent,  en  se  demandant  comment  le  nouveau  directeur  s'y  prendra 
avec  les  anciens  abonnés,  qui  ont  versé  123.000  pesetas  à  M.  Rodrigo  et 
qui  prétendent  en  avoir  pour  leur  argent.  Or,  cette  somme,  au  lieu  d'être 
régulièrement  déposée  à  la  Banque  d'Espagne,  a  été  «  employée  »  par  l'im- 
présario déchu.  H  faudra  à  M.  Zozaya  bien  de  l'énergie  et  de  l'intelligence 
pour  tirer  le  théâtre  de  cette  situation  difficile. 

—  A  l'Eldorado  de  Barcelone,  première  représentation  de  De  vuelta  de  vi- 
vero,  zarzuela  en  un  acte  et  trois  tableaux,  paroles  de  M.  Fiacro  Irayzos, 
musique  de  M.  Geronimo  Gimenez.  Et  à  Barcelone  encore,  Corazonde  fuego, 
opérette,  musique  de  M.  Nicolau. 

—  Le  tribunal  de  Queens'Bench,  à  Londres,  vient  d'accorder  à  1^  chanteuse 
d'opéra  miss  Ella  Russell  une  indemnité  de  cent  livres  sterling,  soit  2.300 
francs,  parce  que  son  imprésario,  M.  Percy  Notcult,  n'avait  pas  mis  son 
nom  entête  des  artistes  annoncés  sur  l'affiche.  L'étoile  prétendait  que  ce 
fait  était  prémédité  et  lui  portait  grand  tort.  Trois  chefs  d'orchestre  très 
connus,  MM.  Manns,  Randegger  et  Barnby,  ont  été  entendus  comme 
experts  et  se  sont  prononcés  en  faveur  Je  l'étoile  que  l'imprésario  n'avait 
pas  placée  en  vedette. 

—  C'est  un  journal  de  New-York,  le  Musical  Courier,  qui,  sur  la  loi  de 
M.  Mortier,  secrétaire  du  baryton  Maurel,  croit  pouvoir  annoncer  et  aflir- 
mer  que  Verdi  vient  de  terminer  un  opéra  sur  le  sujet  de  la  Tempête  de 
Shakespeare.  C'est  M.  Maurel  qui  serait  chargé  par  le  maître  de  repré- 
senter le  personnage  de  Caliban.  Nous  pensons  qu'il  faudra  attendre  la 
confirmation  de  cette  nouvelle  inattendue. 

—  A  Pernambuco  (Brésil),  le  gouverneur  de  l'État  a  donné  commission 
à  l'imprésario  Arturo  Ferrari  de  se  rendre  à  Gênes  et  d'y  former  une 
troupe  pour  fournir  au  théâtre  Santa-Isabel  une  saison  lyrique  de  ti'ois 
mois.  L'inauguration  de  cette  saison  se  fera  avec  Mignon,  après  quoi  on 
jouera  les  Pêcheurs  de  perles  et  Mefislofele.  La  même  troupe  ira  donner  des 
représentations  à  Para  et  à  Manaos. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  Beaux-Arts  a  décerné  le  prix 
Rossini  à  la  partition  inscrite  sous  len"  3  et  qui  portait  le  nom  de  M.  Léon 
Honnoré.  (C'est  la  seconde  fois,  que  le  jeune  compositeur  se  voit  décerner 
ce  prix,  et  le  fait  est  jusqu'ici  sans  exemple.)  Les  concurrents  peuvent,  dès 
aujourd'hui,  retirer  leurs  manuscrits  au  secrétariat  de  l'Institut.  L'Acadé- 
mie a  décidé  ensuite  l'ouverture  du  prochain  concours  Rossini  (poésie),  qui 
sera  clos  le  31  décembre  1890.  Elle  a  désigné  enfin  les  jurés  adjoints  pour 
les  concours  de  Rome  1896.  Pour  la  musique,  ce  sont  IVIM.  Coquard,  Maré- 
chal et  Ch.  Lenepveu  ;  et  comme   supplémentaires,    MM.  Fauré  et  Widor. 

—  Cette  semaine  ont  eu  iieu  au  Conservatoire  les  examens  semestriels 
des  élèves  des  classes  de  déclamalion.  Ont  obtenu  la  pension  les  élèves 
dont  les  noms  suivent  :  Femmes  :  M"°s  Maille,  Vandoren,  Rabuteau  et 
Even.  Hommes  :  MM.  Lemarchand,  Gaillard  et  Emmeri. 

—  Par  décret  est  autoiisé  le  legs  fait  à  l'Association  des  artistes  musi 
ciens  par  M"°  Caroline  Beauvais,  et  consistant  dans  la  somme  nécessaire 
pour  créer  trois  pensions  annuelles  de  300  francs  chacune  dont  deux  des- 
tinées à  des  artistes  âgés  indigents  ou  infirmes,  et  la  troisième  pour  faci- 
liter les  études  d'une  jeune  fille  peu  fortunée  et  qui  aura  été  reconnue 
comme  ayant  des  aptitudes  de  pianiste. 

—  M.  Asquith,  l'ex-ministre  de  l'intérieur  dans  l'ex-cabinet  libéral  an 
glais  ,  parait  être  un  croyant  convaincu  de  l'influence  bienfaisante  de  la 
musique  sur  les  mœurs.  Il  a  prononcé  récemment  un  discours,  dans  le 
temple  de  la  cité  de  Londres,  avant  un  des  concerts  que  le  député  Hazell 
a  organisés  dans  le  Temple  hall  pour  les  ouvriers  de  ce  quartier  qui  ont 
un  peu  de  temps  de  libre  au  milieu  du  jour.  M.  Asquiih  a  parlé  à  cette 
occasion  de  l'apaisante  influence  qu'exerce  la  musique  sur  les  âmes 
échauffées  et  de  la  possibilité  qu'il  y  aurait  d'étendre  cet  avantage  à 
d'autres  classes  de  citoyens  :  «  Dans  les  cours  de  justice,  a-t-il  dit,  où  c'est 
mon  destin  de  retourner,  dans  la  Chambre  des  communes,  où  je  passe 
une  grande  partie  de  ma  vie,  je  crois  que  l'interposition  occasionnelle 
d'une  heure  de  musique  pourrait  bien  contribuer  â  rétablir  l'harmonie 
entre  des  esprits  combatifs  et  irréconciliables,  à  adoucir  l'humeur  et  les 
querelles  des  partis.  »  Si  l'action  de  la  musique  était  telle,  il  ne  serait  que 
temps,  croyons-nous,  d'en  recommander  aussi  l'emploi  aux  présidents  de 
nos  assemblées  délibérantes.  Une  entente  de  leur  part  avec  MM.  Colonne 
et  Lamoureux  nous  semblerait  éminemment  désirable.  Un  menuet  de 
Haydn  ou  un  scherzo  de  Beethoven  au  milieu  d'une  discussion  rempla- 
cerait avec  avantage  telle  exclamation  de  MM.  Faberot  et  consorts. 

—  M.  Saint-Saëns,  après  avoir  visité  Rome  et  être  resté  quelques  jours 
à  Naples,  s'est  décidé  à  entreprendre  son  voyage  annuel  à  la  recherche 
de  la  chaleur,  et  s'est  embarqué  dans  cette  dernière  ville  pour  l'Egypte, 
où  il  va  passer  la  fin  de  l'hiver. 

—  On  se  moque  constamment,  à  l'étranger,  de  l'ignorance  des  journaux 
français  pour  tout  ce  qui  ne  concerne  pas  la  France.  Mais  voici  que  les 
journaux  viennois  nous  apprennent  que   M""  Miolan-Carvalho  était  née 


M 


LE  MEiNESTREL 


en  Autriche,  qu'elle  s'appelait  de  son  nom  de  famille  Springer,  qu'elle  était 
divorcée  d'avec  son  mari,  M.  Alvarès  de  Carvalho,  et  qu'elle  avait  passé  les 
dix  dernières  années  de  sa  vie  dans  une  grande  maison  d'un  faubourgvien- 
nois  ;  à  sa  mort,  qui  serait  survenue  en  novembre  1893,  elle  aurait  laissé 
sa  fortune  à  l'hospice  des'Sœurs  de  la  Miséricorde,  à  Vienne.  Quel  étrange 
amas  d'erreurs  et  de  sottises!  les  journaux  de  Vienne  ont-ils  donc  si  vite 
oublié  les  nécrologies  publiées  dans  les  journaux  parisiens  à  la  mort  en- 
core récente  de  la  grande  artiste  '?  Attendons  l'explication  de  ces  quiproquos 
inimaginables. 

—  Sait-on  que  le  cardinal  Perraud,  évêque  d'Autun  et  membre  de  l'Aca- 
démie française,  vient  d'écrire  un  livre  sur  la  musique,  d'après  Platon  ? 
Ce  livre  a  pour  titre  :  EuTxjlhmie  et  Harmonie.  L'auteur  y  expose  la  doctrine 
platonicienne  de  l'assimilation  de  la  musique  et  de  la  morale,  et  y  déve- 
loppe, en  s'appuyant  sur  l'Ecrilure,  cette  pensée,  que  «  le  sage  est  un 
musicien,  et  la  vertu  une  harmonie  ». 

—  A  l'un  des  prochains  concerts  de  l'Opéra  on  entendra  une  œuvre  fort 
importante  de  M.Charles  Lefebvre.  l'auleai  de  Zaïre  de  Judith  et  de  Djelma. 
Cette  œuvre,  sorte  de  cantate-oratorio,  de  larges  proportions,  a  pour  titre 
Sainte  Cécile  et  met  en  action  l'existence  entière  de  la  sainte  d'après  la 
tradition  religieuse. 

—  Le  programme  des  prochaines  représentations  théâtrales  d'Orange 
vient  d'être  définitivement  arrêté.  Les  représentations  officielles  dureront 
deux  jours:  Première  journée:  1°  le  3'  acte  de  Samson  et  Dalila,  par  les 
artistes  de  l'Opéra;  2"  le  Gid,  par  les  artistes  du  Théâtre-Français. 
Deuxième  journée  :  i"  une  cantate  de  circonstance ,  par  les  artistes  de 
l'Opéra;  2°  Iphigénie,  par  les  artistes  du  Théâtre-Français.  —  Une  troisième 
représentation,  non  officielle,  sera  donnée  à  Orange,  et  elle  pourrait  bien 
constituer  le  véritable  elou  de  ces  fêtes.  Il  s'agit  de  la  première  représenta- 
tion de  la  Reine  Jeanne,  la  tragédie  de  Frédéric  Mistral.  La  commission  a 
refusé  d'organiser  elle-même  la  représentation  de  cet  ouvrage,  parce  qu'il 
n'est  du  répertoire,  ni  de  l'Oprra,  ni  du  Théâtre-Français.  Mais  les  Félibres  ont 
décidé  de  profiter  des  fêtes  officielles  d'Orange  et  de  l'atïluence  du  public 
que  ces  fêtes  attireront  dans  cette  ville,  pour  organiser  eux-mêmes  cette 
représentation  de  la  Reine  Jeanne.  L'ouvrage  sera  joué  en  langue  proven- 
çale. On  cite  parmi  les  princijiaux  interprètes  de  l'œuvre  de  Frédéric 
Mistral  :  M.  Paul  Mounet  et  M™'  Lerou  ,  de  la  Comédie-Française,  et 
M.  Duparc,  de  l'Odéon. 

—  Je  reçois  deux  brochures  du  même  écrivain,  M.  Jean  Hubert,  singu- 
lièrement curieuses  et  suggestives  l'une  et  l'autre,  et  qui  valent  mieux 
que  bien  des  volumes  compacts.  L'une  a  pour  titre  :  Des  réminiscences  de 
linéiques  formes  mélodiques  particulières  à  certains  maîtres,  l'autre  est  intitulée 
Étude  sur  quelques  pages  de  Richard  Wagner  (Fischbacher,  éditeur).  M.  Jean 
Hubert  me  semble  un  nouveau  venu  dans  la  critique,  mais  il  me  paraît 
aussi  que  c'est  un  monsieur  qui  connaît  son  affaire,  qui  est  en  possession 
d'une  prodigieuse  lecture  musicale  et  à  qui  il  serait  difficile  d'en  faire 
accroire.  Son  écrit  sur  les  réminiscences,  bourré  de  citations  musicales  à 
l'appui  des  assertions,  est  particulièrement  ingénieux  et  instructif.  Qu'on 
ne  croie  pas  pourtant  que  l'auteur  veuille  faire  du  pédantisme,  et  que  son 
intention  soit  de  crier  haro  sur  tel  ou  tel  maître  qui,  à  un  moment  donné, 
aura  subi  le  souvenir  de  tel  de  ses  prédécesseurs.  Non.  Mais  il  a  voulu 
seulement  faire  voir  qu'aucun,  même  parmi  les  plus  grands,  n'est  à  l'abri 
de  ce  souvenir  involontaire,  et  que  d'ailleurs,  en  matière  d'art,  la  mé- 
moire est  parfois  l'une  des  conditions  du  talent,  par  ce  fait  que  l'œuvre 
des  devanciers  contribue  forcément  à  l'œuvre  de  leurs  successeurs.  C'est 
ainsi  que  nul,  parmi  les  musiciens,  n'est  exempt  de  réminiscences,  pas 
plus  Mozart  que  Rossini,  pas  plus  Schumann  que  Mendelssohn,  pas  plus 
Berlioz  que  Wagner,  en  passant  par  Auber,  Meyerbeer,  Gounod  et  Verdi. 
Ici,  il  n'y  a  point  de  discussion  possible;  les  textes  sont  là,  probants,  qui 
ne  laissent  place  à  aucune  équivoque,  à  aucune  échappatoire.  Ce  sont 
précisément  ces  textes,  judicieusement  choisis  et  comparés  avec  soin,  qui 
donnent  à  cet  écrit  toute  sa  valeur  et  toute  sa  solidité.  La  seconde  bro- 
chure ne  mettra  pas  l'auteur  en  odeur  de  sainteté  auprès  des  wagnériens 
intransigeants.  Non  qu'il  ne  compte  au  nombre  des  admirateurs  les  plus 
sincères  du  maître,  et  il  le  montre  suffisamment;  mais  son  admiration  ce 
va  pas  jusqu'au  fétichisme,  elle  est  réfléchie,  et  cette  réflexion  même 
amène  de  sa  part  la  réserve  et  la  discussion.  Or,  chacun  sait  que  pour  ces 
messieurs  la  réserve  à  l'égard  de  leur  idole  est  un  blasphème  et  la  discus- 
sion un  outrage.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  le  lecteur  impartial  trouvera 
là  des  observations  très  sensées,  traduites,  ce  qui  ne  gâte  rien,  dans  une 
langue  claire,  précise  et  pleine  d'élégance.  L'auteur  s'est  souvenu  de 
l'axiome  de  Boileau  :  «  Ce  que  l'on  conçoit  bien  s'énonce  clairement,  »  et 
c'est  un  éloge  qu'on  n'a  malheureusement  pas  l'occasion  d'adresser  sou- 
vent à   ceux  qui  s'occupent  des  idées  et  des  théories  wagnériennes. 

A.  P. 

—  M"'  Marcella  Pregi,  obligée  de  partir  en  Belgique  pour  une  tournée 
de  concerts,  ne  chantera  pas  aujourd'hui  la  Damnation  de  Faust  au  concert 
du  Ghâtelet.  Elle  sera  remplacée  par  une  autre  excellente  élève  de 
M""^  Colonne,  M"""  Auguez  de  Montalant. 

—  Le  violoncelliste  Abbiate  vient  de  rentrer  à  Paris,  après  une  tournée 
en  Suisse,  où  sou  succès  a  été  très  grand.  M.  Abbiate  se  propose  de  donner 


les  5,  8  et  19  février,  trois  récitals,  sorte  d'historique  du  violoncelle;  les 
programmes  seront  des  plus  intéressants. 

—  De  passage  à  Lyon,  M.  Bourgeois,  le  président  actuel  de  notre  con- 
seil des  ministres,  a  fait  quelques  largesses  de  rubans  violets.  Nous 
sommes  heureux  de  rencontrer  au  nombre  des  heureux  élus  notre  corres- 
pondant du  Ménestrel,  M.  Jemain,  qui  est  en  même  temps  un  des  plus  distin- 
gués professeurs  du  Conservatoire  de  Lyon. 

—  La  première  matinée  musicale  donnée  hier  par  M""  Edouard  Colonne 
pour  l'audition  de  ses  élèves  a  été  un  vrai  régal  artistique.  Succès  énorme 
pour  M™<is  Jeanne  Remacle,  Dettelbach,  M""*  Marcella  Pregi,  Marguerite 
Mathieu,  qui  ont  chanté  des  œuvres  de  6,  Faurê,  Paladîlhe  (Chansons  écos- 
saises), Gounod  et  Schumann.  La  partie  instrumentale  avait  été  confiée  à 
MM.  Wurmser  et  G.  Remy,  qui  ont  joué  la  sonate  pour  piano  et  violon  de 
César  Franck,  et  le  premier  un  nocturne  de  G.  Faurê  et  la  10=  rapsodie 
hongroise  de  Liszt.  M""*^  Edouard  Colonne,  fêtée  comme  professeur,  a  rem- 
porté un  vrai  triomphe  en  chantant  et  bissant  le  Cimetière  de  campagne,  de 
Raynaldo  Hahn,  la  Chanson  de  Scozzone ,  de  Saint-Saëns,  tiypris  et  les 
Griffes  d'or,  d'Augusta  Holmes.  Dans  ce  dernier  morceau,  écrit  exprès  pour 
elle,  M""'  Colonne,  plus  en  voix  que  jamais,  a  fait  valoir  toutes  ses  grandes 
qualités  de  diction  et  de  sentiment.  Elle  était  accompagnée  au  piano  par 
M"»  Gabrielle  Donnay,  sœur  de  M.  MauriceDonnay,  l'autour  d'Amants.  Jean 
Hameau  a  dit  des  poésies  fort  goûtées  par  la  nombreuse  assistance,  dont 
faisaient  partie  le  monde  élégant  et  les  notabilités  artistiques.  (Figaro.) 

—  Séance  musicale  de  M"'"  Saillard-Dietz,  lundi  soir  13  janvier,  salle 
Pleyel,  Programme  intéressant;  les  bravos  ont  souligné  la  brillante  inter- 
prétation de  la  sonate  (op.  24)  de  Beethoven,  par  M"«  Saîllard-Dietz  et 
M.  Carembat,  qui  a  joué  seul  la  Romance  pour  violon  de  Svendsen;  la 
Procession,  de  César  Franck,  largement  dite  par  M.  Paul  Seguy,  et  l'O  quam 
tristis  du  Stabat  mater  de  M™  de  Grandval,  bien  chanté  par  M™  Pauline 
Smith.  Toute  la  deuxième  partie  de  la  soirée  était  consacrée  aux  œuvres 
nouvelles  de  M""  de  Grandval.  Citons,  parmi  les  plus  applaudies,  les  mélo- 
dies: Le  Vase  brisé.  Chanson  de  mer,  et  les  pièces  pour  violoncelle  et  cor 
anglais,  excellemment  interprétées  par  M°"='  Smith  et  Lhermitte,  MM.  Lu- 
bet,  Paul  Séguy,  Kerrion  et  Blenzet.  R.  B. 

•  —  Le  concert  de  M''"  Laure  Taconet  à  la  salle  Erard  a  été  extrêmement 
brillant.  L'excellent  professeur,  qui  fut  elle-même  une  des  meilleures 
élèves  de  M°"^  P.  Viardot,  s'est  fait  chaleureusement  applaudir  dans  diverses 
mélodies  de  M"'^  Viardot,  de  M"°  Chaminade,  de  M.  Erlanger;  puis  dans 
Jeanne  d'Arc  à  Domrémy,  une  belle  scène  du  très  jeune  second  prix  de  Rome 
de  189b,  M.  Max  d'OUone;  enfin  et  surtout  dans  Narcisse,  le  délicieux  petit 
chef-d'œuvre  de  Massenet,  qu'elle  interprète  d'une  voix  pénétrante  et  avec 
un  sentiment  exquis.  Les  chœurs,  composés  d'élèves  choisies  de  M"'' Taco- 
net, lui  donnaient  la  réplique  de  la  façon  la  plus  charmante,  très  habile- 
ment dirigés  par  M.  Louis  Derivis  et  accompagnés  par  M.  Bourgeois. 
Grand  succès  aussi  pour  les  Trois  Relies  Demoiselles,  de  M""-'  Viardot.  Enfin, 
triomphe  éclatant  —  est-il  besoin  de  le  dire?  —  pour  M""?  H.  Renié, 
MM.  Léon  Delafosse,  Alfred  Brun  et  Richard  Loys. 

—  Le  théâtre  de  Nantes,  qui  ne  s'est  pas  encore  remis  de  l'émoi  causé 
par  la  mort  de  son  pauvre  directeur  Jahyer,  est  sous  le  coup  d'un  nouveau 
désastre,  mais  moins  tragique.  Son  fort,  ténor.  M.  Claude  Mars,  a  quitté  ses 
camarades,  à  l'anglaise,  et  en  même  temps  que  lui,  a  disparu  un  des  plus 
charmants  sujets  du  corps  de  ballet.  M""  Rosine  Kroning.  Cette  fugue  en 
partie  double  défraie  toutes  les  conversations  des  Nantais. 


Du  Petit  Journal  : 


NÉCROLOGIE 


La  mort  à  Paris,  d'un  rajah  authentique,  c'est  un  fait  peu  banal  à  enregistrer. 
M.  Eugène-Joseph  Courjon,  appartenant  à  une  famille  d'origine  française, 
depuis  longtemps  fixée  aux  Indes,  et  fait  prince  (rajah)  de  Chandernagor  en 
raison  de  son  influence,  titre  officiellement  confirmé  par  le  gouvernement 
français,  vient  de  mourir  en  son  appartement  de  l'avenue  de  Tourville.  Il  était 
âgé  de  cinquante-trois  ans.  A  ses  obsèques,  qui  ont  eu  lieu  à  l'église  Saint- 
Pierre  du  Gros-Caillou,  assistaient  deux  ou  trois  Indiens,  en  turban,  attacliés  à  sa 
domesticité.  Les  armes  du  prince  figuraient  aux  armoiries  du  corbillard.  Le 
cercueil  sera  transporté  à  Chandernagor. 

Ajoutons  à  ces  renseignements  que  ce  rajah  était  un  musicien  fort  dis- 
tingué, doué  d'une  imagination  facile  et  abondante.  Le  Ménestrel  a  publié 
de  lui  quelques  compositions  pour  piano  non  sans  originalité  :  Le  Dernier 
.Jour  d'un  oiseau,  les  Cosaques  de  Skobeleff,  Darjorling,  Fêle  champêtre,  etc.,  etc. 
Il  les  exécutait  lui-même  de  grande  verve.  Au  physique  c'était  un  homme 
puissant,  de  la  race  des  bons  géants. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  On  demande  des  enfants  chantants,  bons  lecteurs,  à  la  maîtrise 
Saint-Gervais  pour  les  S  offices  de  la  Semaine  Sainte.  Les  répétitions  ont 
lieu  tous  les  jeudis  à  4  heures.  Les  présences  sont  payées  1  fr.  2  fr.  etSfr. 
On  s'inscrit  à  la  maîtrise  Saint-Gervais,  2,  rue  François-Miron.  Auditions 
le  dimanche  19  janvier  à  9  heures  du  matin  et  le  jeudi  23  à  10  heures  du 
matin,  à  la  maîtrise. 


>  CQEniNS  DE  1 


Dimiinche  2  Février  1896. 


3384.  —  «2-  ANNÉE  —  N°  S.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


S  O  3V.d:  MI-^I  R,  B  -  T  E  X  T  B 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de  Delphes  (3"  arlicle),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Premières  représentations  du  Modèle,  à  l'Odéon 
Athur  Pohgin;  premières  représentations  ù'Une  Semaine  à  Paris,  aux  Variétés,  ec  de  Coco,  pantomime  au  Nouveau-Cirque,  Paul-kmile  Chevalier.  —  III.  La  nouvelle 
loi  autrichienne  (suite  et  fin),  0.  Bergcruen.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

BRISES  DU  CŒUR 

valse  à  danser  de  Philippe  Faiirb.ach.  —  Suivra  immédiatement  :  Le  Joyeux 

Luron,  quadrille  du  même  auteur. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront  dimanche  prochain  : 
LA  NUIT 
nouvelle  mélodie  de  Ch.-M.  Widor,  poésie  de  Paul  Bourget.  —  Suivra 
immédiatement  :  Chanson  de  Léon  Delafosse. 


LES 


II 

(  Suite) 

Passons  à  la  question 
de  la  notation  musicale. 

Ce  fut  un  des  éton- 
nements  du  public,  lors 
de  l'audition  du  premier 
hymne,  de  penser  qu'à 
la  fia  du  XIX''  siècle  il 
était  possible  de  lire  la 
musique  des  Grecs,  répu- 
tée si  mystérieuse!  Beau- 
coup restèrent  sceptiques, 
par  la  crainte  qu'on  pût 
dire  que  l'on  s'était  joué 
de  leur  crédulité.  Certes, 
l'excès  de  confiance  est 
un  défaut,  et  l'on  doit 
louer  ceux  qui,  avant  d'ad- 
■  mettre  un  résultat  comme 
acquis,  attendent  qu'un 
examen  approfondi  en  ait 
démontré  la  réalité.  Mais 
il  est  un  autre  genre  de 
scepticisme  :  c'est  celui 
qui  consiste  à  nier  les 
choses  tout  simplement 
parce  qu'on  les  ignore. 

Or,  je  suis  obligé  de  ne 
point  celer  à  plusieurs  de 
mes  coDtemporains  qu'ils 
furent  dans  ce  dernier 
cas  lorsqu'ils  contestèrent 
la  possibilité  de  transcrire 
avec  exactitude  les  notes 
musicales  découvertes  sur 


MUSIQUE    ANTIQUE 

NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 


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Iss  monuments  de  Del- 
phes. En  effet,  la  notation, 
ou,  mieux  encore,  les 
divers  systèmes  de  nota- 
tion des  Grecs  sont  choses 
parfaitement  connues,  car 
le  sujet  se  trouve  étudié 
avec  tous  les  détails  dési- 
rables dans  plusieurs  ou- 
vrages techniques  de  l'an- 
tiquité, qui  nous  ont  été 
conservés,  notamment  une 
certaine  Introduction  musi- 
cale d'Alypius,  et  divers 
chapitres  de  Bacchius , 
Aristide  Quintilien,  Por- 
phyre, Gaudence,  Boëce, 
etc.  Je  ne  veux  pas  dire 
que  le  nombre  de  ceux 
qui  déchiffrent  couram- 
ment cette  notation  soit 
infini;  mais,  si  peu  nom- 
breux qu'ils  soient,  ils 
suffisent.  La  meilleure 
raison  qu'on  puisse  avoir, 
ce  me  semble,  de  se  fier 
aux  résultats  de  leurs 
investigations,  c'est  que, 
ne  fusseni-ils  que  dix  en 
Europe,  si  l'un  d'eux  se 
met  au  travail,  les  neuf 
autres  se  tiennent  en  ob- 
servation, tout  prêts  à 
marquer  les  fautes!  Or,  la 
transcription  des  notes 
musicales      du      premier 


34 


LE  MÉNESTREL 


hymne,  faite  par  M.  ïh.  Reinach,  n'a  donné  lieu  à  aucune 
critique  de  la  part  des  gens  compétents  :  nous  po avons 
donc  la  considérer  comme  fidèle,  et,  par  analogie,  conclure 
semblablement  pour  la  seconde  transcription. 

Ce  n'est  pas  dans  ce  rapide  exposé  de  nos  connaissances 


^er^lTHAElCK  OTToNTA> 

'aikopV<$'on  k^eieÎt  y.h  V 

niie?IAESAlMl4>ôBoAOY 
ME  A-n-ETE  AETTY  Ol  ON. 
^OIBONONETIKTE 


r-ra 


en  matière  de  musique  antique  (dont  le  présent  monument 
musical  a  été  le  prétexte  et  l'occasion)  que  je  puis  songer  à 
étudier  les  systèmes  divers  de  la  notation  grecque.  Mais  les 
lecteurs  ont  sous  les  yeux  la  reproduction  des  documents  ori- 
ginaux, et  j'en  puis  profiter  tout  au  moins  pour  leur  indiquer, 
d'une  façon  générale,  de  quelle  façon  ces  documents  ont  pu 
être  utilisés. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit  en  commençant,  les  tables  de  pierre 
sur  lesquelles  était  gravé  le  second  hymne  delphique  ont  été 
découvertes  en  très  mauvais  état,  brisées  en  un  grand  nombre 
de  morceaux,  dont  il  a  fallu  d'abord  retrouver  la  place,  puis 
qu'on  a  ensuite  assemblés.  Les  figures  1  et  4  sont  la  repro- 
duction photographique  de  l'inscription  après  ce  travail  de 
reconstitution;  les  autres  figures  sont  des  transcriptions  de 
quelques-uns  des  débris  pri.mitifs.  Le  lecteur  retrouvera  sans 
peine,  notamment,  laplace  du  fragment  qui  constitue  laflgure  2, 
lequel  forme  l'angle  gauche  supérieur  de  la  figure  d.  Ces 
transcriptions  n'ont  pas  d'autre  but  que  de  présenter  sous  un 
aspect  plus  net  les  caractères  de  la  notation  antique  :  exami- 
nons-les avec  soin,  et  nous  remarquerons,  au-dessus  des 
mots  grecs,  des  signes  d'une  forme  particulière.  Ces  signes 
sont  les  notes,  purement  et  simplement.  Dans  le  cas  présent, 
ces  notes,  afi'ectant  des  formes  de  lettres  renversées,  ou  pure- 
ment conventionnelles,  appartiennent  au  système  de  la  nota- 
tion dite  instrumentale  :  maison  voit  par  cet  exemple,  auquel 
peut  être  joint  celui  d'un  autre  fragment  musical  de  l'anti- 
quité (l'ode  de  Pindare  transcrite  par  le  P.  Kircher),  que  ce 
système  servait  fort  bien  aussi  pour  la  notation  des  mélodies 
vocales.  Les  signes  de  la  notation  vocale  proprement  dite 
n'étaient  autres  que  les  lettres  de  l'alphabet  ionien.  La  cor- 
respondance de  chacun  de  ces  signes  avec  les  notes  de  la 
gamme  ne  fait  doute  pour  aucun  de  ceux  qui  ont  étudié  les 
traités  spéciaux. 

Signalons  au  passage  une  double  particularité  curieuse.  Lors- 
qu'un son  se  répète  sur  plusieurs  syllabes  successives,  le  sign  e 
musical  n'est  inscrit  que  sur  la  première,  et  reste  sous-en- 
tendu sur  les  suivantes  tout  le  temps  que  le  même  degré  est 
maintenu.  Par  contre,  s'il  faut  chanter  deux  notes  sur  une 
même  syllabe,  la  syllabe  écrite  est  répétée  sur  chacune  des 
deux  notes.  C'est  comme  si,  dans  notre  musique  moderne, 
on  écrivait  :  «.  0  Mathilde,  ido-ole  de-e  mon  â-àme  »,  ou  le 
non  moins  célèbre  vers  de  la  Dame  blandie  :  «  Cette  main, 
cette  main  si  joli-i-i-e  »  ! 

Au  reste,  ce  même  sentiment  de  satire  et  de  parodie  que 
nous  éprouvons  devant  une  semblable  lecture  était  ressenti 
par  les  Grecs  eux-mêmes.  11  y  a,  dans  les  Grenouilles  d'Aristo- 
phane, une  plaisanterie  restée  célèbre,  dans  laquelle  le  poète 
comique,  reprochant  à  Euripide  de  faire  chanter  ses  canti- 
lônes  sur  des  airs  traînants  et  prétentieux,  répète  six  fois  de 
suite  la  première  syllabe  d'un  mot:  «  eieieieicieilissete  ».  Cette 


plaisanterie  a  trait  justement  à  la  pratique  ^musicale  en  ques- 
tion :  elle  veut  dire  qu'Euripide  faisait  chanter  six  notes  sur 
la  seule  syllabe  initiale  du  mot  eilissete,  ce  qui,  en  ce 
temps-là,  paraissaitêtre  d'un  mauvaisgoùttout  à  fait  blâmable. 

Quant   à  la   notation  rythmique,   elle  est  indiquée  par  la 
poésie  même. 
Ce  fut,  en  effet,  un  principe  constant  durant  toute  l'anti- 


FlGURIi  3. 

quité,  que  celui  de  l'union  intime,  au  point  de  vue  ryth- 
mique, du  vers  et  de  la  mélodie.  Le  mètre  poétique  commu- 
niquait impérieusement  sa  forme  à  la  mélopée,  qui  n'avait 
plus  qu'à  s'y  adapter  et  s'y  conformer  scrupuleusement. 

Puisque  j'écris  ici  uniquement  dans  un  but  de  vulgarisa- 
tion, n'ayant  aucune  prétention  à  porter  des  clartés  nouvelles 
sur  un  sujet  dans  lequel  je  ne  puis  être  que  l'écho  de  voix 
plus  autorisées,  mais  pouvant  sans  doute  intéresser  le  public 
à  des  questions  qui  piquent  sa  curiosité  et  dont  les  so.lutions 
n'ont  pas  encore  été  clairement  mises  à  sa  portée,  je  vais 
encore  profiter  de  l'occasion  pour  réfuter  une  opinion  qui 
fut  plusieurs  fois  émise  dans  les  discussions  provoquées  par 
le  premier  hymne.  On  objectait  :  «  Gomment  pouvez-vous 
affirmer  que  le  rythme  de  la  musique  se  conformait  si  exac- 
tement à  celui  de  la  poésie,  quand,  dans  la  musique  mo- 
derne, dans  la  chanson  populaire,  dans  les  chants  mesurés 
de  la  liturgie,  musique  et  poésie  s'associent  souvent  si  mala- 
droitement entre  elles?  Pourquoi  n'admettez-vous  pas  qu'il  y 
ait  eu  dans  la  musique  grecque,  comme  dans  la  nôtre,  des 
fautes  de  prosodie  ?  » 

La  réponse  est  facile.  Non,  il  n'y  avait  pas  de  «  fautes  de 
prosodie  »  dans  la  musique  grecque,  parce  que  l'union  in- 
time de  la  mélodie  avec  le  vers  était  le  princife  même  du 
rythme  musical.  Il  est  vrai  que,  dans  la  musique  moderne, 
la  mélodie  a  beaucoup  plus  de  liberté  vis-à-vis  de  la  poésie, 
et  l'objection  ci-dessus  formulée  retrouverait  sa  valeur  si, 
par  exemple,  elle  s'adressait  à  quelque  système  de  trans- 
cription de  chants  du  moyen  âge,  basé  sur  un  semblable 
principe.  Dans  l'antiquité,  au  contraire,  la  mélodie  chantée 
était,  par  son  essence  même,  dans  la  plus  complète  dépen- 
dance de  la  parole.  Tout  nous  le  prouve  :  les  auteurs  sont 
unanimes.  Tous  considèrent  cette  union  parfaite,  qui  subor- 
donne le  rythme  musical  à  celui  du  vers,  comme  un 
axiome  qui  ne  saurait  être  discuté.  Pendant  toute  la  durée 
des  temps  classiques,  l'enseignement  de  la  métrique  et  celui 
de  la  rythmique  étaient  absolument  confondus.  Ici,  le  point 
de  départ  de  toute  mesure  musicale,  c'est  la  syllabe,  longue 
ou  brève,  et,  une  fois  ce  point  établi,  les  proportions  entre  les 
diverses  valeurs  sont  observées  scrupuleusement. 

Au  reste,  il  n'en  pouvait  être  autrement  avec  une  langue 
comme  celle  des  Grecs.  Nous  parlions  tout  à  l'heure  des  fautes 
de  prosodie;  mais,  dans  notre  musique  française,  les  fautes  de 
prosodie  sontsimplement  produites  par  la  non-coïncidence  du 
temps  fort  de  la  mesure  a.vec  V accent  tonique  da  mot  :  or,  l'accent 
tonique,  malgré  son  importance,  joue  un  bien  moindre  rôle 
dans  la  constitution  du  vers  moderne  que,  dans  le  vers  an- 
tique, n'en  jouaieutles  éléments  constitutifs  du  mètre.  LeGrec 
aussi  connaissait  l'accent,  lequel  n'était  pas  sans  influence  au 
point  de  vue  musical;  mais  la  quantité  primait  tout,  cai'  elle 
exprimait  réellement  les  valeurs  rythmiques  et  indiquait  les 
durées  proportionnelles  des  temps.  Les  mots  :  longue,  brève, 
sont  assez  significatifs  pour  qu'il  soit  inutile  d'insister,  et  il 
suffit  de  constater  que  tous  les  théoriciens  antiques  s'accor- 
dent à  assigner  à  la  brève  la  moitié  de  la  valeur  de  la  longue 
pour  n'avoir  plus  le  moindre  doute  sur  le  principe. 


LE  MENESTREL 


35 


"■-m 


TT^" 


/^<'' 


Dans  la  pratique,  la  transcription  musicale  peut  offrir 
quelques  difficultés,  s'il  arrive  qu'une  seule  et  même  poésie, 
et,  conséquemment,  la  mélodie  correspondante,  admettent 
l'usage  de  mètres  différents,  mélange  qui  rompt  parfois  l'unité 
de  la  mesure.  Mais  avec  un  peu  d'habitude  on  arrive  bien 
facilement  à  se  rendre  compte  du  véritable  sens  rythmique  : 
les  divergences  qui  peuvent  se  produire  entre  les  inter- 
prétations ne  sont,  d'ordinaire,  que  des  détails  de  minime 
importance,  et  je  tiens  pour  très  vaines  les  discussions  qui 
n'ont  pas  d'autre  objet.  Je  ne  puis  mieux  faire,  pour  faire 
sentir  cette  vérité,  que  de  rapporter  une  observation  de 
M.  Gevaert,  qui,  dans  sa  plus  récente  transcription  de  la  pre- 
mière Pythique  de  Pindare,  après  s'être  flemandé  s'il  faut 
traduire  un  certain  groupe  d'une  longue  et  une  brève  par  une 
noire  pointée  suivie  d'une  croche  ou  par  un  triolet  d'une 
blanche  et  d'une  noire,  en  arrive 
à  conclure  que  la  différence  entre 
les  deux  formules  n'est  que  d'un 
doiizième  de  blanche,  et  que,  si  la 
première  est  plus  conforme  à  nos 
habitudes  graphiques,  la  seconde 
est  celle  que  tout  le  monde  chanle 
d'instinct  (1).  La  notation  des  mé- 
lodies populaires  d'après  la  tradi- 
tion orale  pourrait  donner  lieu  à 
bien  des  remarques  du  même 
genre.  Puis  donc  qu'il  s'agit  de 
si  peu  de  chose,  les  divergences 
constatées  sont  d'un  médiocre  in- 
térêt, et,  du  moment  que  le  mou- 
vement général  et  les  proportions 
des  diverses  valeurs  sont  obser- 
vés, il  est  inutile  d'en  vouloir 
davantage.  En  matière  de  musique 
grecque,  nos  connaissances  ne  son  t 
pas  si  complètes  que  nous  nous 
perdions  ainsi  dans  l'infmimenl 
petit. 

Donc ,  le  rythme  musical  et 
le  mètre  poétique  sont  une  seule 
et  même  chose. 

Dans  les  deux  hymnes  à  Apol- 
lon (du  moins  dans  le  premier 
et  la  plus  grande  partie  du  se- 
cond), ce  mètre  et  ce  rythme 
portent  le  nom  de  péonique,  carac- 
térisé par  la  division  du  pied  en 
la  valeur  de  cinq  brèves,  et  for- 
mant par  conséquent,  au  point 
de  vue  musical,  une  mesure  à 
cinq  temps.  Cette  mesure,  quoique 
rare  dans  la  musique  moderne, 
n'y  est  pas  inconnue.  Cependant, 

les   exemples   classiques  de  me-  '' 

sures  à  cinq  temps  n'ont  que  peu  de  rapport  avec  le 
rythme  des  mélodies  grecques.  Prenons  pour  exemple  le  duo 
de  Magali,  dans  Mireille  :  le  morceau  est  entièrement  composé 
d'une  succession  de  mesures  à  neuf-huit  et  à  six-huit,  qui,  en 
effet,  accolées  deux  par  deux,  forment  des  séries  de  mesures 
à  cinq  temps;  mais  la  vérité  est  que  chaque  mesure  doit  être 
considérée  comme  complète  par  elle-même  :  les  temps  forts 
des  mesures  à  deux  temps  sont  aussi  importants  que  ceux  des 
mesures  à  trois  temps,  et  inversement,  et  le  rythme  intérieur 
de  chaque  mesure  est  assez  bien  dessiné  pour  n'avoir  pas 
besoin  d'être  complété  par  celui  de  la  mesure  voisine.  Dans 
le  rythme  péonique,  au  contraire,  le  temps,  représenté  par 
la  croche,  est,  de  fait,  indivisible,  et  la  mesure  entière  seule 
forme  un  groupe  complet. 

(i)  F. -A.  Gevaf.rt,  La  Mélopée  imlique  dans  le  chant  de  l'Érjlm  lutine,  p.  49. 


■--'r^'  ■ 


On  pourrait  plutôt  rapprocher  ce  rythme  de  celui  de  la 
danse  basque  appelée  Zorsiico,  laquelle  est  à  cinq  temps  brefs; 
mais  ici  encore  il  n'y  a  pas  identité,  car  le  rythme  du  Zorstico, 
très  symétrique  et  se  répétant  de  mesure  en  mesure,  ne  sau- 
rait être  assimilé  à  celui  de  la  mélodie  grecque,  beaucoup 
plus  irrégulière  en  sa  coupe. 

En  réalité,  si  l'on  ne  peut  contester  le  fait  matériel  de  la 
division  du  chant  des  deux  hymnes  en  mesures  à  cinq  temps, 
il  est  certain  aussi  que  l'exécution  ne  donne  aucunement 
l'impression  d'un  rythme  quinaire,  par  suite  du  caractère  peu 
marqué  des  temps  forts  et  du  manque  de  symétrie  des  périodes. 
Car  non  seulement  la  division  intérieure  des  mesures  est 
indécise,  mais  celle  des  Cola  ou  membres  mélodiques  corres- 
pondant en  principe  à  la  longueur  du  vers,  n'est  pas  mieux 
dessinée.  Il  semble  que  ces  poésies  soient  plutôt  une  prose 
rythmée  que  des  vers,  et  la  mé- 
lodie est  une  mélopée  dans  toute 
la  force  du  terme. 

Aussi,  revenant  sur  une  idée 
précédemment  émise,  j'exprime- 
rai encore  le  regret  que  les  chants 
delphiques  ne  présentent  pas  plus 
d'intérêt  au  point  de  vue  du  rythme 
que  nous  n'en  avions  constaté  au 
point  de  vue  général.  Étant  donné 
ce  que  nous  savons  de  la  ri- 
chesse de  l'art  grec  à  cet  égard, 
il  est  évident  que  nous  pouvions 
espérer  mieux  que  ces  mélodies 
aux  lignes  vagues  et  sans  relief. 
Et  déjà  le  dernier  fragment  du 
second  hymne,  malheureusement 
bien  mutilé,  nous  offre  un  échan- 
tillon de  cette  variété  et  de  cette 
beauté  rythmique.  Il  est  en  gly- 
conien,  mètre  assez  compliqué  en 
apparence,  et  qui  se  prête  à  plu- 
sieurs interprétations.  J'ai  suivi 
celle  qu'a  adoptée  M.  Reinacb, 
mais  en  modifiant  sa  notation, 
laquelle  est,  à  proprement  par- 
ler, illisible,  ou,  tout  au  moins, 
complique  considérablement  la 
lecture  (1).  Le  dactyle,  le  spondée 
et  le  trochée  (ainsi  que  l'iambe, 
dans  un  passage  du  milieu  queje 
n'ai  pas  reproduit),  se  mélangent 
dans  ce  fragment,  qui,  plus  que 
tout  autre,  me  semble  donner 
l'impression  juste  et  évoquer  la 
vision  exacte  de  l'antique  mélo- 
die. 

(A  suivre.)        Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 

Odéon.  Le  Modèle,  pièce  en  trois  actes,  de  MM.  Henry  Fouquier 

et  Georges  Bertal. 

C'est  ici,  une   fois  de  plus,  la   lutte  éternelle   des  deux  amours: 

l'amour  des  sens,  l'amour  indigne,   et  l'amour  pur  et  honnête.  Un 

jeune  artiste  d'avenir,  le  statuaire  Raymond  Nanteuil,  qui,  presque 

adolescent  encore,  a  été  fiancé  à  la  toute  jeune  fille  de  son  maître, 


(1)  M.  Reinach,  amené  par  diverses  raisons  à  conclure  que  le  glyconien  cor- 
respond à  une  mesure  à  douze-huit,  n'en  a  pas  moins  été  forcé  de  transcrire 
les  dactyles  et  les  spondées  par  des  groupes  binaires,  d'ailleurs  fort  mal  notés 
la  plupart  du  temps  :  en  tout  cas,  ces  mesures,  qui  dominent  dans  celte  partie 
de  l'hymne,  sont  très  su  rnsamment  caractéristiques  pour  imprimer  h  l'ensemble 
de  la  mélodie  un  caractère  binaire,  les  trochées  et  Ïambes,  qui  seuls  sont 
ternaires,  étant  en  nombre  beaucoup  moindre,  et  pouvant  très  facilement  être 
exprimés  par  des  triolets. 


36 


LE  MENESTREL 


le  sculpteur  Mérina.  s'est  épris  fiévrcusenieut  d'une  femrne  galaute, 
Albertine  Bonnin,  qui  a  conseiili  à  lui  servir  de  modèle  pour  ?a 
statue  deCircé.Une  liaison  s'en  est  nalurellement  suivie,  et  Raymond, 
presque  honteux  de  lui-même,  a  négligé  son  maître  et  sa  fiancée. 
Mérina,  qui  se  doute  de  quelque  chose,  vient  chez  Raymond, 
le  confesse  paternellement  et  lui  fait  tout  avouer.  En  présence  de  cet 
aveu  sincère,  il  sent  que  foute  remontrance  serait  inutile  (  t  qu'il 
faut  attendre  la  fin  de  la  crise. 

Raymond  pourtant  n'eft  pas  absolument  coûfiant  dans  la  fidélité 
d'Albertine,  que  poursuit  de  ses  assiduités  un  jeune  fat  millionnaire 
du  nom  de  Maxime  Villars.  Il  tente  de  rompre  avec  elle;  mais  il  est 
trop  tôt  encore,  et  elle  a  bientôt  repris  sur  lui  tout  son  empire.  Mais 
voici  qu'il  tombe  gravement  malade,  tandis  que  sa  Cuvé,  envoyée  au 
Salon,  lui  vaut  une  médaille  d'honneur.  Albertine  le  soigne  avtc 
dévouement.  Mais  Albertine  est  habituée  au  luxe,  à  la  vie  facile,  et 
la  misèie  d'une  existence  d'artiste  lui  est  insupportable.  Que  fait- 
elle?  Sans  cesser  d'entourer  de  soins  Raymond,  qu'elle  aime  réelle- 
ment, elle  devient  la  maîtresse  de  Maxime,  qu'elle  méprise,  et  elle 
lui  vend  pour  20.000  francs  la  fameuse  Circé,  en  cachant,  bien 
entendu,  à  Raymond  le  nom  de  ce  riche  amateur  d'objets  d'arl. 

Mais  le  hasard  fait  tout  découvrir  à  Raymond,  qui,  rouge  de  honte 
du  rôle  indigne  qu'on  lui  fait  jouer  à  son  insu,  chasse  de  chez  lui 
.Albertine,  et,  après  avoir  rendu  à  Maxime  ses  20.000  francs,  se  bat 
avec  lui  et  le  blesse.  C'est  alors  que,  guéii  de  son  amour  fatal,  il  se 
retourne  vers  son  vieil  ami  Mérina,  vers  sa  douce  fiancée  Fernande, 
que  son  abandon  avait  désespérée.  Nous  le  retrouvons  dans  son  ate- 
lier, prêt  au  travail  auprès  de  celle  qui  doit  faire  dé-ormciis  le  bonheur 
de  sa  vie. 

Mais  pendant  son  absence,  Albertine  s'est  introduite  de  nouveau 
chez  lui,  dans  le  dessein  toujours  ardent  de  lo  ramener  à  elle.  Elle 
lui  a  fait  dire  qu'on  avait  rapporté  sa  Circé,  placée  derrière  un  rideau, 
ce  qui  u'est  pas  vrai  ;  elle  revêt  la  tunique...  légère  qui  lui  avait 
servi  lorsqu'elle  lui  tenait  lieu  de  modèle  pour  sa  statue  et  se  met  à 
la  place  de  celle-ci,  pensant  que  lorsqu'il  la  reverra  ainsi,  il  no 
pourra  lui  résister.  C'est  lorsqu'elle  est  dissimulée  de  la  sorte  qu'elle 
assiste,  invisible,  à  la  scène  de  tendre.=se  de  Raymond  et  de  Ftrnande, 
et  qu'elle  entend  celle-ci  avouer  à  son  fiancé  qu'elle  est  jalouse  de 
sa  statue  même,  en  raison  du  souvenir  qu'elle  ne  saurait  cesser  de 
lui  rappeler.  Après  avoir  tenté  de  chasser  cotte  pcnsûo  de  son 
esprit,  Raymond  voyant  ses  efforts  inutiles,  lui  déclare  alors  que 
rien  ne  lui  coûtera  pour  la  rassurer,  et  qu'il  va  détruire  sa  Circé.  Il 
saisit  un  ciseau,  ouvre  brusquement  le  rideau  et  lève  le  bras  pour 
frapper,  lorsqu'il  se  trouve  en  présence  d'Albeitine,  qui  lui  arrache 
le  ciseau  des  mains  en  lui  disant  :  —  a  Non,  pas  toi;  moi!  »  et  qui, 
se  frappant  elle-même,  tombe  morte  devant  lui. 

Le  premier  défaut  de  cette  pièce  c'est  la  banalité  de  l'action,  que  ne 
vient  traverser  aucun  incident,  aucune  péripétie,  et  qui  marche  son 
petit  bonhomme  de  chemin  sans  exciter  l'intérêl,  l'angoisse  ou 
l'émotion.  Le  second,  c'est  son  dénouement  qui  ne  dénoue  rien,  car 
on  se  demande  ce  que  pourra  être  le  futur  ménage  de  Raymond  et 
de  Fernande  avec  un  tel  souvenir  entre  eux  deux,  à  supposer  que 
leur  union  s'accomplisse.  Et  si  elle  ne  s'accomplit  pa?... 

A  part  M.  Magnier,  qui  fait  montre  d'excellentes  qualités  dans  le 
rôle  de  Raymond,  l'interprétation  du  Modèle,  pour  fort  estimable 
qu'elle  soit,  reste  un  peu  grise,  un  peu  terne,  et  parait  manquer  de 
montanl.  Peut-être  est-ce  un  peu  la  faute  de  l'œuvre  elle-même. 
M"'  Dux  n'est  ni  sans  vigueur  ni  sans  chaleur  dans  le  personnage 
difficile  d'Albertine,  mais  elle  n'a  guère  le  physique  da  rôle,  et  on 
lui  souhaiterait  plus  d'autorité.  M.  Rameau  représente  avec  bonhomie 
le  vieux  sculpteur  Mérina.  Quant  à  M"'  Lara,  que  nous  avons  vue, 
l'an  passé,  obtenir  au  Conservatoire  un  si  brillant  premier  prix,  pour 
la  bien  juger  en  scène  il  faudrait  la  voir  dans  un  autre  lôle  que  celui 
de  Fernande,  qui  lui  servait  de  début  et  qui  n'a  qu'une  scène,  dans 
laquelle  d'ailleurs  elle  a  fait  preuve  de  tendresse  et  d'émotion. 
Maxime,    c'est    M.  Rousselle,   qui    est    chargé    d'une    corvée    bien 

désagréable. 

Arthur  Polgin. 


Variétés.  Une  Semaine  à  Paris,  revue  en  3  actes  et  12  tableaux,  de  MM.  Mon- 
réal  et  Blondeau.  —  Nouveau-Ciroue.  Coco,  fantaisie  comique. 

On  dit,  même  assez  haut  pour  que  l'on  puisse  l'entendre,  que 
M.  Fern:nd  Samuel  fait  les  doux  yeux  au  conseil  municifal  de 
Paris,  de  qui  il  aimerait  tenir  le  bail,  non  encore  vacant  cependant, 
du  Chàtelet.  L'opération  en  soi  semblerait  assez  risquée,  M.  Samuel 
ayant  aux  Variétés  un  théâtre  fort  achalandé,  tandis  que  là-bas,  sur 
les  quais,  la  clientèle  semble  se  faire  de  plus  en  plus  rare.  Quoi  qu'il 


en  soit,  la  façon  dont  a  été  montée  la  nouvelle  "revue,  une  Semaine 
o  Paris,  semblerait  donner  quelque  fondement  à  ces  racontars, 
M.  Samuel  paraissant  avoir  voulu  prouver  qu'il  était  capable,  plus 
que  quiconque,  de  splendidement  mettre  en  scène  une  féerie. 

Car  c'est  le  côté  féerique  qui  l'emporte  celte  année  dans  les 
trois  actes  de  srevuistes  justement  fameux,  Mooréal  et  Blondeau,  et 
«  la  bataille  d'Iéna  »,  d'après  Détaille,  «  le  Centre  de  la  Terre  »  et 
«  lo  Triomphe  romain  »  rappellent  les  plus  éblouissantes  splendeurs 
des  scènes  oîi  l'on  s'adonne  aux  pièces  à  grand  spectacle.  Ce  qui 
ne  veut  pas  dire  que  le  côté  actualité  ait  été  sacrifié:  les  chanteurs 
des  cours  au  profit  du  budget,  la  lutte  des  chapeaux  dans  la  salle, 
les  maçons  de  l'Opéra-Comique,  la  voie  triomphale,  les  parodies 
il'Amanls  et  de  Marcelle  sont  spirituellement  présentés. 

Et  M.  Samuel,  prodigue  impénitent,  n'a  pas  seulement  gaspillé 
l'or  pour  les  costumes  et  les  décors,  il  a  encore  su  réunir  sur  son 
affiche  un  nombre  important  d'étoiles  de  toute  première  grandeur. 
Vuici  Brasseur,  dont  l'invention  est  géniale  lorsqu'il  s'agit  de  se 
grimer.  Baron,  à  l'organe  si  captivant,  Milher,  transfuge  du  Palais- 
Royal,  Lassouche,  Guy,  compère  plein  d'entrain,  Marguerite  Ugalde, 
qu'on  voit  trop  peu,  Balthy,  la  fantaisiste  et  Lender,  commère  éblouis- 
sante. Puis  encore  MM.  Ed.  Georges,  Simon,  Petit,  M'""  Lavallière, 
Théry,  Fugère,  Diéterle  qui,  pour  leur  petite  pari,  ne  sont  pas  sans 
contribuer  au  succès  d'une  Seinaine  à  Paris. 

Le  Jardin  d'Acclimatation  transporté  au  Nouveau-Cirque!  Voilà 
qui  va  faire  grandement  plaisir  aux  babys  que  le  mauvais  temps 
présent  empêche  d'aller  passer  la  journée  dans  leur  jardin  favori. 
Rue  Saint-Honoré,  nulle  crainte  de  l'humidité  :  confortablement 
assis  en  un  bon  fauteuil,  on  y  voit  défiler  moutons,  chèvres,  lapins, 
canards,  tortues,  chameaux,  dromadaires,  éléphants,  girafes,  on  y 
voit  aussi  un  roi  nègre,  l'authentique  Ghocolal,  et  un  marié  légère- 
ment éméché  qui  se  trompe  de  noce.  C'est  l'amusaut  Foottit  qui 
mène  gaiement  la  fêle  aux  sons  de  l'orchestre  entraînant  de  Laurent 
Grillet.  Comme  toujours,  le  décor  de  M.  Ménessier  est  de  fort  agréable 
aspect. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LA  NOUVELLE  LOI  AUTRICHIENNE 

SXJR     I-.BS     DPLOITS     D'^^XJTBXJR, 

(Suite  et  fin.  ) 


En  examinant  la  nouvelle  loi  autrichienne  sur  le  droit  des  auteurs, 
dont  nous  avons  reproduit  les  dispositions  essentielles  dans  noire 
piécédent  article,  nous  devons  d'abord  regretter  que  cette  loi  n'ait 
point  formulé  clairement  le  principe  de  la  propriété  absolue  de  l'au- 
teur sur  Fon  œuvre.  Sous  ce  rapport,  la  nouvelle  loi  est  inférieure  à 
celle  de  1846,  dont  le  premier  article  déclarait  d'une  manière  géné- 
ale  :  «  Les  produits  littéraires  et  les  œuvres  d'art  sont  la  propriété  de 
leurs  auteurs.  »  Ce  principe  et  les  conséquences  qui  en  découlent 
auraient  été  très  utiles  à  l'application  de  la  loi  L.ans  les  cas  multiples 
et  souvent  fort  compliqués  qui  peuvent  être  soumis  au  jugement  des 
tribunaux  compétents.  Aucune  ambiguïté  ne  devrait,  en  effet,  sub- 
sister sous  ce  rapport;  il  importe  que  tout  le  monde  s'inspire  du 
principe  que  la  propriété  littéraire  et  arlistique  no  diffère  guère,  en 
ce  qui  concerne  sa  protection,  de  la  propriété  ordinaire,  matérielle. 
Beaucoup  de  dispositions  iniques  dans  les  législalions  étrangères 
n'auraient  jamais  pris  naissance  si  les  législateurs  avaient  envisagé 
ce  principe  simple  et  clair  au  lieu  de  vouloir  accorder  aux  auteurs  et 
aux  artistes  une  espèce  de  privilège. 

Si  la  législation  autrichienne  avait  accepté  franchement  le  prin- 
cipe de  la  propriété  absolue  qui  régit  la  législatton  française,  elle 
n'aurait  pas  fait  de  distinction  inique  entre  les  auteurs  autrichiens 
et  ceux  qui  leur  sont  assimilés,  c'est-à-dire  les  auteurs  hongrois  et 
allemands,  et  ceux  de  nationalité  différente.  Ces  derniers  ne  sont 
.proté"-és  qu'en  vertu  de  traités  spéciaux,  et  ils  ne  le  sont  pas  du 
tout  s'il  n'existe  pas  de  traité  entre  leur  pays  et  l'Autriche.  En  France, 
pareille  distinction  n'est  pas  admise;  les  auteurs  étrangers,  même 
appartenant  à  des  pays  qui  ne  reconnaissentpas  la  propriété  littéraire 
et  artistique  des  Français,  sont  cependant  protégés  en  France  au 
même  litre  que  les  auteurs  nationaux.  L'honnêteté  internationale 
nous  semble  vivement  exiger  cette  protection.  N'envoie-t-on  pas  en 
prison  dans  tous  les  pays  civilisés  tout  individu  qui  soutire  une 
montre  à  autrui,  fùl-ce  celle  d'un  étranger? 

Heureusement,   le  traité  entre  la  France   et  l'Autriche  du  11  dé- 


LE  MENESTREL 


37 


cembre  1866  n'est  pas  touché  par  la  nouvelle  loi  autrichienne  dont 
les  dispositions  sont  désormais  applicables,  en  vertu  de  ce  traité 
même,  aux  œuvres  françaises.  Mais  les  formalités  prescrites  par  le 
traité  de  18G6,  surtout  celle  du  dépôt,  subsistent  encore  et  doivent 
être  remplies  pour  que  les  auteurs  et  éditeurs  français  puissent  jouir 
de  la  protection  de  la  nouvelle  loi  autrichienne.  Il  ne  serait  proba- 
blement pas  impossible  d'obtenir  l'abolilion  de  ces  formalités  vexa- 
toires  et  inutiles,  que  la  législaticn  française  n'exige  pas  pour  la  pro- 
tection des  œuvres  étrangères.  On  n'aurait  jamais  songé  à  cette 
paperasserie  qui  n'a  aucune  raison  d'être,  si  on  avait  nettement 
posé  le  principe  de  la  propriété  littéraire  absolue  telle  qu'elle  est 
comprise  par  la  législation  française. 

Plusieurs  autres  dispositions  générales  de  la  nouvelle  loi  nous 
semblent  également  regrettables  ou  insuflisantes. 

On  ne  comprend  d'abord  pas  pourquoi  il  est  nécessaire,  pour  les 
œuvres  exécutées  publiquement,  que  le  nom  de  l'auteur  soit  rendu 
public  lors  de  l'annonce  de  la  première  représentation  (Art.  10  :  «  Bei 
der  Ankûndigung  der  erslen  Aujfuhrung  »).  Cette  disposition  est  d'autant 
plus  inutile  que  la  loi  admet  d'une  manière  générale  (ait.  Il)  les 
publications  anonymes  et  pseudonymes.  L'exception  pour  les  œuvres 
scéniques  n'a  donc  aucune  raison  d'être,  et  nous  en  avons  vainement 
cherché  l'explication  dans  l'exposé  un  peu  trop  laconique  qui  a 
accompagné  le  projet  de  loi  présenté  par  le  gouvernement  aux 
Chambres.  Les  auteurs  et  éditeurs  français  feront  bien  de  ne  pas 
oublier  cette  disposition.  Werlher,  de  Massenet,  par  exemple,  a  été 
joué  pour  la  toute  première  fois  à  Vienne,  ainsi  que  le  Carillon.  La 
coutume  française  de  ne  pas  indiquer  sur -l'affiche  de  la  prem  ère 
représentation  le  nom  de  l'auteur  porterait  donc  un  grave  préjudice 
aux  auteurs  et  aux  éditeurs  si  on  la  suivait  dans  le  cas  d'une  «  pre- 
mière »  en  Aui riche. 

La  durée  de  la  protedion  est  limitée  à  trente  ans  après  la  mort  de 
l'auteur,  ce  qui  est  un  progiès  énorme  en  comparaison  avec  l'an- 
cienne loi  de  1846,  qui  fixait  à  dix  ans  seulement  après  la  mort  de 
l'auteur  la  protection  pour  le  droit  de  représentation  des  œuvres 
scéniques.  Mais  nous  estimons  que  cette  durée  n'est  pas  suffisante 
encore  et  que  la  durée  de  cinquante  ans,  fixée  par  la  législation 
française,  n'a  rien  d'exagéré.  L'exposé  du  gouvernement  dit,  non 
sans  une  certaine  naïveté,  que  les  œuvres  scéniques  vieillissent  vite 
et  qu'une  protection  trop  longtemps  prolongée  en  rendrait  impossible 
l'exploitation  dans  le  domaine  public.  Mais  nous  ne  voyons  pas  la 
nécessité  que  le  premier  venu  puisse  se  faire  des  renies  avec  le  tra- 
vail d'un  auteur  ou  d'un  compositeur  défunt,  et  il  n'est  pas  exact,  en 
outre,  que  toutes  les  œuvres  dramatiques  vieillissent  si  vite  que 
cela.  Aristophane  pourrait  encore  loucher  des  droits  d'auteur  à 
Paris,  de  nos  jours.  Shakespeare,  encore  à  présent,  pourrait  vivre 
en  fort  grand  seigneur  avec  les  droits  de  ses  drames.  Molière  ne 
serait  pas  non  plus  à  plaindre.  Et  à  Vienne  même,  Lessing,  Gœthe, 
Schiller  et  Gluck  gagneraient  encore  de  quoi  vivre  avec  leurs  œuvres, 
bien  qu'elles  datent  du  XVIiï"  siècle. 

Nous  ne  pouvons  qu'approuver  la  disposition  de  l'article  43  qui 
établit  que  la- protection  ne  cesse  que  trente  ans  après  la  mort  du 
dernier  collaborateur  survivant  d'une  œuvre  scénique.  C'est  surtout 
important  pour  les  opéras  et  opérettes.  Carmen,  par  exemple,  ne 
serait  pas  encore  tombée  dans  le  domaine  public,  en  Autriche,  si  une 
disposition  analogue  s'était  trouvée  dans  la  loi  de  18i6,  malgré  la 
mort  de  Bizet  survenue  en  1875  et  malgré  la  limitation  à  dix  ans 
après  la  mort  de  l'auteur  pour  la  protection  des  œuvres  scéniques. 

Une  attention  spéciale  est  due  aux  articles  6S  et  67  de  la  nouvelle 
loi  qui  règlent  son  application  aux  œuvres  antérieures  et  statuent 
que  les  nouvelles  dispositions  sont  applicables  aux  œuvres  publiées 
avant  la  promulgation  de  la  loi  présente,  mais  que  les  œuvres  musi- 
cales et  scéniques  déjà  représentées  antérieurement  d'une  façon 
licite  peuvent  être  représentées  librement  dans  l'avenir.  Il  en  résulte 
que  les  œuvres  d'.^uber,  de  Maillart  et  de  Bizet,  qu'on  joue  encore 
fort  souvent  en  Autriche,  y  restent  dans  le  domaine  public,  mais 
que  les  œuvres  de  Gounod  et  de  Delibes,  par  exemple,  profileront  de 
la  protection  prolongée  à  trente  ans  après  l'année  de  la  morl  tle  ces 
compositeurs  et  de  leurs  librettistes  survivants.  C'est  ainsi  que  pour 
Faust,  pour  Roméo  et  Juliette,  pont  Lakmé,  pour  Sylvia  et  pour  Coppélia. 
l'année  fatale  du  point  de  départ  des  trente  ans  n'a  même  pas  encore 
commencé  et,  espérons-le  pour  les  librettistes,  n'arrivera  pas  de 
sitôt. 

Les  œuvres  musicales  sont  mieux  protégées  par  la  nouvelle  loi 
autrichienne   que   par  celle   de   1846,    mais   plusieurs    dispositions 


cependant  ne  correspondent  pas  encore  aux  exigences  du  droit  d'au- 
teur bien  compris  et  franchement  admis. 

Après  avoir  fort  bien  dit  que  le  droit  d'auteur  sur  des  œuvres  mu- 
sicales comprend  le  droit  exclusif  de  publier  l'œuvre  et  de  la  multiplier, 
de  la  mettre  en  vente  et  de  l'exécuter  publiquement,  et  après  avoir 
statué,  en  particulier,  que  l'édition  d'extraits,  de  pots-pourris  et 
d'arrangements  est  interdite,  la  loi  fait  tout  à  coup  des  exceptions 
fort  fâcheuses. 

Elle  permet  d'abord  d'éditer  des  vaiiations,  transcriptions,  fantai- 
sies, éludes  et  orchestrations,  pourvu  que  ces  travaux  se  présentent 
comme  compositions  originales  I eigenthuml ichc  Werke).  Voilà  une 
source  de  procès  sans  fin.  Il  est  clair  que  le  travail  de  transformation 
est  oiiginal  si  un  Beethoven  écrit  de  magistrales  et  interminables 
variations  sur  un  petit  motif  de  valse  de  Diabelli,  ou  si  un  Berlioz  se 
met  à  orchestrer  l'Invitation  à  la  valse  de  "W.  ber,  ou  si  de  nos  jours 
un  Saint-Saëns  brode,  par  exemple,  une  fantaisie  charmante  sur  la 
Thaïs  de  Massenet.  Mais  en  dehors  de  semblables  maîtres,  il  existe 
beaucoup  de  compositeurs  subalternes  qui  s'attaquent  à  des  œuvres 
d'aulrui  sans  que  leur  travail  de  transformation  paraisse  d'une  origi- 
nalité bien  frappante.  Les  tribunaux  seront  sur  ce  point  souvent  fort 
embarrassés,  et  même  dans  les  corporations  d'experts  que  la  loi  a  pré- 
vues et  auxquelles  les  juges  pourront  s'adresser  pour  éclairer  leur 
religion,  les  opinions  seront  plus  d'une  fois  différentes.  Aucune  néces- 
sité, ni  même  aucune  utilitén'exislait  pour  enfreindre  decette  manière 
la  propriété  absolue  de  l'auteur  sur  son  œuvre. 

Ne  nous  arrêtons  pas  aux  passages  de  la  loi  qui  règlent  les  «  cita- 
tions »  et  qui  permettent  la  fabrication  de  copies  d'une  œuvre  musi- 
cale pourvu  qu'elles  ne  soient  pas  destinées  à  la  vente.  Les  dommages 
que  ces  dispositions  peuventeauser  sont  cependant  assez  regrettables. 
Mais  ce  qui  nous  [.araît  plus  grave,  c'est  la  disposition  que  l'auteur 
d'une  composition  musicale,  en  dehors  d'une  œuvre  scénique,  doive 
se  réserver  expressément  l'exécution  et  qu'à  défaut  de  cette  réserve 
l'exécution  reste  libre.  Ainsi  le  compositeur  d'un  oratorio,  d'une  can- 
tate, est  obligé  de  s'en  réseri-er  l'exécution  s'il  veut  que  ce  droit  ne 
tombe  pas  dans  le  domaine  public.  C'est  justement  le  contraire  qu'il 
fallait  faire;  on  aurait  dil  statuer  que  toute  exécution  publique  d'une 
composilion  musicale  reste  interdite  à  moins  que  l'auteur  n'en  ait 
autorisé  l'exécution  publique  expressément,  par  une  note  publiée  sur 
chaque  exemplaire  de  son  œuvre.  Il  est  évident  qu'une  autorisation 
pareille  serait  toujours  donnée  pour  les  mélodies,  morceaux  de 
piano  ou  de  violon  et  autres,  qu'on  ne  pourrait  pas  répandre  par  la 
vente  si  les  artistes  n'avaient  le  droit  de  les  exécuter  publiquement, 
sans  aucune  permission  spéciale. 

Une  restriction  fort  importante  des  droits  de  l'auteur  est  aussi  la 
disposition  de  la  loi  qui  permet  la  fabrication  et  l'utilisation  publique 
d'inslruraents  destinés  à  reproduire  mécaniquement  les  œuvres  musi- 
cales. Il  est  évident  qiie  par  cette  disposition,  on  a  entendu  ne  pas 
immoler  sur  l'autel  du  droit  d'auteur  les  intéressants  citoyens  qui 
tirent  leur  existence  de  l'orgue  si  bien  dit  de  Barbarie.  Mais  la  repro- 
duction mécanique  des  compositions  musicales  ne  se  borne  plus  à  cet 
instrument  primitif.  Sans  parler  du  phonographe,  qui  est  certainement 
susceptible  d'une  forte  amélioration  et  deviendra  peut-être  une  con- 
currence dangereuse  pour  les  auteurs  et  éditeurs  de  compositions 
musicales,  nous  devons  attirer  l'attention  des  législateurs  sur  les 
pianos  mécaniques,  qu'on  a  justement  poussés  à  unhauttlegré  de  per- 
fe'ction  à  Vienne.  Des  facteurs  viennois  les  fabriquent  et  les  reven- 
dent actuellement  un  peu  partout,  et  même  à  Pari--,  et  cesins'ruments 
forment  un  véritable  danger  pour  les  auteurs  et  éditeurs  d'œuvres 
musicale?.  Dernièrement  nous  avons  pu  voir,  à  Paris  même,  un  piano 
viennois  qui  ne  se  distinguait  guère  de  tout  autre  instrument  pareil; 
le  propriétaire  pressa  un  bouton  et  le  piano  se  mil  à  jouer  loul  seul, 
sans  aucune  force  motrice  apparente,  une  valso  do  Cbopin.  Certes, 
Rubinslein  a  joué  cetie  valse  avec  plus  de  charme,  mais  néanmoins 
tout  était  rendu,  mêmes  certains  capi'ices  de  tempo  rubato,  et  peu  de 
dilet'antes  auraient  aussi  bien  exécuté  le  morceau.  L'.-lectricilé 
fournie  par  une  installation  d'éclairage  ordinaire  et  un  carton  perforé, 
voilà  quels  étaient  les  artistes.  Ces  pianos  mécaniques  se  répandent 
de  plus  en  plus,  car  ils  servent  eu  même  temjis  à  l'usage  extérieur,  et 
la  fabrication  des  carions  perforés  qui  se  vendent  assez  cher  est  une 
source  de  gros  bénéfices.  Or.  il  est  absoluiucnt  immoral  et  inadmis- 
sible qu'il  soit  permis  à  ces  industriels  de  traduire  une  œuvre  musi- 
cale en  leur  langue  de  carton  pour  s'en  faire  des  rentes  :^ans  que 
l'auteur  en  profile  également.  Malheureusement,  la  protection  contre 
les  pianos  mécaniques  n'existe  même  pas  en  France,  et  la  législation 
autrichienne  a  manqué  là  une  belle  occasion  de  présenter  une  innova- 
tion louable  et  utile. 


38 


LE  MENESTREL 


Un  mol  encore  sur  une  lacune  de  la  nouvelle  loi  autrichienne.  Elle 
a  reconnu  les  droits  des  librettistes,  qui  étaient  absolument  sacrifiés 
par  l'ancienne  loi  de  1846.  mais  elle  reste  muette  sur  les  droits  des 
auteurs  d'un  roman  ou  d'une  nouvelle  dont  un  livret  a  été  tiré.  Le 
projet  de  loi  présenté  par  le  gouvernement  avait  réservé  aux  roman- 
ciers le  droit  de  tirer  une  pièce  ou  un  livret  de  leur  œuvre,  mais  la 
commission  de  la  Chambre  des  Seigneurs  a  cru  devoir  éliminer  ce 
droit,  qui  ne  figure  plus  dans  la  nouvelle  loi.  Elle  n'en  parle  pas  du 
tout  et.  comme  le  principe  de  propriété  générale  n'a  pas  été  établi 
tout  d'abord,  il  faut  en  tirer  la  conclusion  qu'un  auteur  autrichien 
peut  parfaitement  tirer  une  pièce  ou  un  livret  d'un  roman  ou  d'une 
nouvelle  d'un  auteur  français,  sans  se  préoccuper  le  moins  du  monde 
de  celui-ci!  Ceci  est  certainement  excessif,  car  le  livret  joue  souvent 
un  rôle  fort  important  dans  le  succès  d'un  opéra,  et  il  n'est  jamais  Lne 
quantité  négligeable.  Nous  avons  vu  dans  ces  derniers  temps  que  les 
tribunaux  italiens  ont  accordé  une  somme  fabuleuse  à  M.  Verga, 
auteur  primordial  du  sujet  de  Cavalleria  rwtticana,  car  ils  avaient 
justement  reconnu  qu'il  était  pour  beaucoup  dans  le  succès  d'argent 
sans  précédent  remporté  par  l'œuvre  musicale  de  M.  Mascagni.  Nous 
savons  aussi  qu'une  vraie  course  au  clocher  a  eu  lieu  au  sujet  de 
la  Cigarette  de  M.  Jules  Clarelie,  qui  a  servi  à  M.  Massenet  pour  ta 
Navarraise.  Eu  Autriche,  n'importe  qui  pourrait  s'approprier  la  nou- 
velle de  M.  Claretie  pour  en  faire  une  pièce  ou  un  livret.  Les  Iribu- 
naux  ne  pourront  pas  facilement  y  porter  remèle,  car  les  transfor- 
mations (Bearbeitungenj  sont  en  général  permises  par  la  nouvelle  loi  et 
il  est  évident  qu'elle  n'a  pas  voulu  admettre  le  droit  en  question  puis- 
qu'elle l'a  éliminé  du  projet  primitif. 

Malgré  donc  les  progrès  inconleslables  et  fort  importants  que  la 
nouvelle  loi  autrichienne  a  réalisés,  nous  ne  pouvons  pas  la  consi- 
dérer comme  un  modèle  de  législation  en  malière  de  droit  d'auteur. 
Les  lois  des  États  voisins,  celles  de  l'Allemagne  et  de  la  Hongrie,  lui 
sont  mêmes  supérieures  sous  certains  rapports.  Mais  les  jalons  sont 
posés,  et  on  peut  espérer  que  les  lacunes  qu'elle  offre  seront  comblées 
quand  l'application  de  la  nouvelle  loi  en  aura  fait  suffisamment  res- 
sortir les  défauts.  0.  Bergghuen. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Dans  l'ombre  du  Ténare,  l'ombre  de  Berliozdoit  être  satisfaite.  Dimanche 
dernier,  le  nom  de  l'illustre  artiste  flamboyait  sur  les  affiches  de  nos  trois 
grands  concerts,  et  tandis  qu'au  Chàtelet  et  au  Cirque  on  jouait  simultané- 
ment la  Damnation  de  Faiist,  on  exécutait  au  Conservatoire,  Dieu  sait  avec 
quelle  verve  et  quelle  ardeur,  toute  la  partie  symphonique  de  Roméo  el 
Juliette.  C'est  le  24  novembre  1839  que  Berlioz,  en  la  dirigeant  lui-même, 
donnait  au  Conservatoire  la  première  exécution  de  cette  œuvre  importante. 
Deux  mois  après,  il  la  produisait  avec  succès  à  Londres,  et  il  le  constatait 
dans  cette  lettre  à  son  ami  Humbert  Ferrand  (Londres,  31  janvier  1840)  : 
«  ...  Me  voilà  content,  le  succès  est  complet.  Roméo  el  Juliette  ont  fait  cette 
fois  verser  des  larmes  (car  on  a  beaucoup  pleuré,  je  vous  assure).  Il  serait 
trop  long  de  vous  raconter  ici  toutes  les  péripéties  de  ces  trois  concerts. 
Il  vous  suffit  de  savoir  que  cette  nouvelle  partition  a  excité  des  passions 
inconcevables  et  même  des  conversions  éclatantes.  Bien  entendu  que  le 
noyau  d'ennemis  quand  même  leste  toujours  plus  dur.  Un  Anglais  a  acheté 
120  francs,  du  domestique  de  Schlesinger,  le  petit  bâton  de  sapin  qui  m'a 
servi  à  conduire  l'orchestre.  La  presse  de  Londres,  en  outre,  m'a  traité 
splendidement...  Alizard  a  eu  un  véritable  succès  dans  son  rôle  du  bon 
moine  (le  père  Laurence,  dont  le  nom  lui  est  resté).  Il  a  merveilleusement 
compris  et  fait  comprendre  la  beauté  de  ce  caractère  shakespearien.  Les 
chœurs  ont  eu  de  superbes  moments  ;  mais  l'orchestre  a  confondu  l'audi- 
toire d'étonnement  par  les  miracles  de  verve,  d'aplomb,  de  délicatesse, 
d'  éclat,  de  majesté,  de  passion  qu'il  a  opérés...»  Dimanche  aussi,  l'orchestre 
du  Conservatoire  s'est  montré  superbe  dans  l'interprétation  de  cette  œuvre 
si  travaillée,  si  difficile,  si  délicate  parfois,  parfois  si  puissante,  et  qui 
réclame  une  attention  toujours  en  éveil.  Il  nous  avait  fait  entendre  d'abord 
avec  éclat  l'ouverture,  si  difficile  aussi,  de  Siruensée,  de  Meyerbeer,  et  il  a 
joué  ensuite  avec  une  grâce  exquise  la  délicieuse  symphonie  en  sol  mineur 
de  Mozart  (car,  par  extraordinaire,  le  nom  de  Beethoven  était  absent  cette 
fois  du  programme).  La  séance  se  terminait  par  la  première  audition  du 
Psaume  150,  de  César  Franck,  page  d'une  jolie  couleur  et  d'un  heureux 
caractère,  mais  de  proportions  très  modestes  et  qui  n'appelle  point  de 
réflexion.  L'orgue  était  tenu,  comme  de  coutume,  par  M.  Alexandre  Guil- 
mant.  A.  P. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Nous  avons  assisté  à  une  exécution  irrépro- 
chable de  la  Damnation  de  Faust,  dans  laquelle  M^^Passamaa  été  excellente; 
M.  Bailly  ne  s'est  pas  contenté  de  son  mérite  reconnu  coinme  alto;  il  s'est 
révélé  comme  chanteur.  M.  Lamoureux,  depuis  l'année  1884,  où  M.  Van 
Dyck  et  M'""  Brunet-Lafleur  s'étaient  justement  fait  applaudir  dans  l'œuvre 
de  Berlioz,  n'a  guère  donné  la  Damnation  qu'une  dizaine  de  fois.  M.  Colonne 
approche  de  80  exécutions.  Quoique  le  public  ne  se  lasse   pas  d'entendre 


l'œuvre  mai  tresse  de  Berlioz,  on  sent  une  diminution  dans  l'enthousiasme. 
Nous  ne  serions  pas  étonné  qu'il  se  lassât  un  jour  sur  les  exécutions  si 
fréquentes  de  la  même  œuvre.  Certes,  nous  sommes  de  ceux  qui  sont 
absolument  convaincus  que  le  mérite  intrinsèque  subsiste  malgré  le  temps 
et  les  circonstance.s.  Mais  le  repos  est  quelquefois  nécesaire  et,  après  un 
certain  intervalle,  des  œuvres  que  le  public  s'était  fatigué  d'entendre 
réapparaisse'nt  jeunes  et  vivantes  comme  au  premier  jour.  Shakespeare, 
qui  était  un  génie  extraordinaire  et  qui  avait  des  clartés  de  tout,  a  souvent 
parlé  musique  ;  il  dit  ceci  : 

«La  corneille  chante  aussi  mélodieusement  que  l'alouette  lorsqu'il  n'y  a 
personne  pour  écouter,  et  je  crois  que  si  le  rossignol  chantait  durant  le  jour, 
pendant  que  toutes  les  oies  piaillent,  il  ne  serait  pas  jugé  un  meilleur  musicien 
que  le  roitelet.  Combien  de  choses  doivent  leur  vraie  perfection  et  leurs 
louanges  à  l'opportunité  des  circonstances  (Portia,  le  Marchand  de  Venise}. 

Nous  n'irons  pas  si  loin  que  le  grand  poète.  Mais  le  Faust  de  Berlioz, 
œuvre  de  pur  romantisme,  finirait  par  détonner  singulièrement,  si  on  en 
abusait  par  trop,  et  nous,  qui  admirons  sincèrement  l'œuvre  du  musicien 
français,  nous  commençons  à  souhaiter  qu'on  la  laisse  un  instant  reposer. 

H.  Barbedette. 

—  Chez  M.  Colonne,  c'était  également  ta  Damnai  ion  de  Favsl,  toujours  avec 
la  même  remarquable  exécution. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  ;  Même  programme  que  dimanche  dernier. 

Chàtelet:  Concerl  Colonne  :  78°  audition  de  la  Damnalionde  Faust  (Berlioz)  soli , 
iV"  Auguez  de  Montalant,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  Nivelle. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  Concert  Lamoureux:  La  Damnalionde  Faust  (Ber- 
lioz), interprétée  par  M"-  Jenny  Passama  (Marguerite),  M.  E.  Lafarge  (Faust), 
M.  Bailly  (Méphistophélès),  M.  P.  Blancard  (Erander). 

Concerts  du  Jardin  d'Acclimatation,  chef  d'orchestre,  Louis  Pister.  Lorelei, 
préludé  (Mas-Bruch).  Olfcrioire,  orgue  et  orchestre  (R.  Mandl).  Suite  d'orchestre 
t Attaque  du  moulin  (A.  Bruneau).  Scherzo  en  sol  bémol  (Scharwenkai,  piano  : 
M.Charles  Foerster.  Léonore,  ouverture  (Beethoven).  Etude  (.\.  Uenselt),  Rhap- 
sodie ii")  (Litszt),  Namouna,  suite  d'orchestre  (Lalo),  Sérénade,  Prélude.  Marche 
nuptiale  (Rubinstein), 

—  Gros  succès,  jeudi  dernier,  pour  la  très  belle  soirée  musicale  donnée 
par  la  Société  des  compositeurs,  dont  le  programme  était  fort  intéressant. 
A  signaler  un  joli  trio  de  M.  Diémer,  fort  bien  exécuté  par  MM.  Joseph 
Thibaud,  Boucherit  et  Choinet,  la  romance  du  concerlsUick  pour  violon  du 
même  compositeur,  qui  a  valu  de  très  vifs  applaudissements  au  jeune 
Boucherit,  dont  le  jeu  est  vraiment  remarquable,  le  Voyageur,  suite  pour 
piano  de  M.  Charles  René,  que  deux  rappels  ont  récompensé  comme  auteur 
et  comme  exécutant.  Soirs  d'été,  de  M.  Ch.-M.  Widor,  doat  l'effet  est  char- 
mant, enfin  Prélude ,  fugue  et  variations  de  César  Franck,  pour  orgue  et  piano, 
magistralement  interprétés  par  MM.  Al.  Guilmant  et  Charles  René.  La 
séance  a  été  on  ne  peut  plus  brillante. 

—  Programme  exquis  à  la  fois  et  varié  à  la  cinquième  séance  de  musique 
de  chambre  moderne  de  MM.  I.  Philipp,  Berthelier,  Loeb  et  Balbreck, 
auxquels  se  joignait  cette  fois  M.  Delaborde.  D'abord,  le  très  beau  trio 
(op.  26)  de  Lalo,  dont  le  presto  surtout  est  charmant  et  plein  de  grâce; 
puis  une  Fantaisie  et  Fugue  —  superbe  !  —  de  J.-S.  Bach  et  le  scherzo 
du  Songe  de  Mendelssohn,  transcrits  pour  deux  pianos  par  M.  I.  Philipp  et 
magistralement  exécutés  par  lui  et  M.  Delaborde  ;  ensuite.  Nocturnes,  trois 
pièces  en  trio  de  M.  Edmond  Laurens,  du  genre  romantique,  toutes  trois 
aimables,  piquantes  et  pleines  d'élégance,  et  dites  à  ravir  par  MM.  Philipp, 
Berthelier  et  Loeb  ;  enfin,  pour  terminer,  deux  très  belles,  très  intéres- 
santes Marches  à  quatre  mains  (op.  40)  de  Gliarles-Valentin  Alkan,  d'un 
effet  irrésistible,  surtout  avec  l'interprétation  brillante  et  solide  de 
MM.  Philipp  et  Delaborde.  Il  n'est  pas  besoin  d'ajouter  si  le  succès  d'une 
telle  séance  a  été  complet.  A.  P. 

—  Salle  Erard,  très  intéressante  séance  de  la  Société  de  musique  nou- 
velle, fondée  en  1894  par  MM.  Widor  et  Eymieu.  M.  Th.  Dubois  a  accom- 
pagné à  M""^  Éléonore  Blanc  des  fragments  de  Xavière,  Brunelle  et  Par  le 
sentier.  M.  Delsart  a  joué  excellement  trois  pièces  de  M.  Widor  avec  l'au- 
teur, et  M.  Lefort  a  été  parfait  dans  des  pièces  de  violon  de  M.  H.  Eymieu. 
Un  concerto  de  M.  Pierné  pour  deux  pianos,  exécuté  par  l'auteur  et  M.  Libert, 
la  Rieuse,  du  même,  chantée  par  M'"  Blanc,  des  pièces  de  piano  do  Diémer, 
Stoyowski,  Moskowzski  et  Widor,  prestigieusement  jouées  par  M.  Diémer, 
ainsi  que  son  beau  trio,  dans  lequel  il  avait  pour  partenaires  JIM.  Delsart 
et  Lefort,  complétaient  le  programme. 

—  Les  programmes  de  la  Société  d'Art  sont  toujours  des  plus  variés  et 
des  plus  intéressants;  c'est  l'éclectisme  qui  dirige  l'organisateur.  Le  quatuor 
à  cordes  de  M.  de  la  Tombelle,  dont  c'était  la  première  audition,  est  une 
œuvre  remarquablement  écrite,  d'une  trame  soutenue,  rehaussée  d'ingé- 
nieux détails.  Si  les  idées  ne  tranchent  pas  fortement,  du  moins  leur  mise 
en  œuvre  requiert  l'intérêt.  Les  Improvisations  pour  piano  (l'^  audition) 
de  M.  Léon  Boêllmann  sont  une  série  de  délicates  et  trop  courtes  pièces 
de  piano  et  ont  été  très  goûtées.  Le  succès  a  été  également  grand  pour  une 
séduisante  valse  (Balancelle)  de  M.  Antonin  Marmontel,  et  pour  l'habile 
arrangement  à  deux  pianos  des  préludes  el  fugues  de  C.  Saint-Saëns,  par 
l'excellent  artiste  Charles  Malherbe.  Des  mélodies  exquises  de  Fauré  et  de 
G.  Alary,  chantées  avec  goût  par  M"=  Choisnel,  et  deux  intéressantes  pièces 
d'alto  de  M.  Vierne,  dites  avec  un  beau  son  par  M.  Balbreck,  formaient 
le  reste  du  programme. 


LK  MENESTREL 


39 


—  La  première  séance  des  quatuors  classiques  a  obtenu  un  succès  consi- 
dérable. Le  quatuor  eu  la  majeur  a  été  exécuté  par  MM.Weingaertner,  Furet, 
Hervouet  et  Gasadesus  avec  une  entente  parfaite  des  nuances  et  une  fougue 
très  entraînante.  Le  beau  style  de  IVI.  Weingaertner  s'y  est  donné  libre 
carrière  ainsi  que  dans  des  fragments  de  quatuors  de  Haydn,  dont  un 
andantea  été  bissé  avec  enthousiasme.  Remarquable  exécution  de  la  sonate 
de  Grieg  («(  mineur),  par  M"«  et  M""»  Weingaertner,  qui  y  ont  rivalisé  de 
charme  et  de  passion. 

—  MM.  A  Geloso,  Tracol,  Monseur  et  Schneklud  reprendront  les  séances 
delafondationBeethoven  (salle  Pleyel),  les7  et  21  février,  6,  20  et  .30  mars. 
Audition  des  quatuors  à  cordes  de  Beethoven,  7""  au  17"  inclusivement. 


NOU^^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (.30  janvier).  —  Avant  de  quitter  le 
public  de  la  Monnaie  pour  s'en  aller  passer  deux  mois  à  Nice,  M°"  Lan- 
douzy  a  chanté,  cette  semaine,  la  Fille  du  régiment.  Elle  y  a  été  char- 
mante, comme  cantatrice  et  comme  comédienne,  pleine  de  verve  et  de 
grâce,  rossignolante  à  plaisir,  telle  enfin  qu'elle  peut  l'être,  avec  sa  voix 
et  son  tempérament,  dans  ces  rôles  légers  qui  lui  conviennent  si  bien  et 
où  elle  ne  laisse  guère  à  désirer.  La  résurrection  du  joyeux  opéra-comique 
de  Donizetti,  qu'on  n'avait  plus  joué  depuis  assez  longtemps,  avec  une 
interprétation  excellente,  a  fait  un  plaisir  et  a  obtenu  un  succès  dont  le 
public  lui-même  a  paru  effrayé!...  Eh  quoi!  au  lendemain  de  toutes  les 
choses  graves,  wagnériennes,  compliquées,  qui  paraissaient  décidément 
être  seules  possibles  désormais  sur  cette  imposante  scène  de  la  Monnaie, 
ces  joyeux  flonflons,  cette  orchestration  ingénue,  ces  petits  airs,  cette 
bonne  humeur,  ont  donc  encore  quelque  charme?...  On  étail  venu  pour  ■ 
sourire  et  s'ennuyer,  dédaigneusement,  et  voilà  qu'on  s'amuse,  que  l'on 
rit,  que  l'on  trouve  cela  délicieux!...  La  surprise  a  été  considérable.  A 
l'heure  qu'il  est,  le  bon  public  n'en  est  pas  encore  revenu.  Il  est  furieux  !... 
Heureusement,  le  Tannhauser,  dont  on  active  les  dernières  répétitions,  lui 
fournira  très  prochainement  une  revanche. 

Un  mot  des  concerts.  Le  deuxième  concert  populaire  nous  a  révélé 
un  virtuose  nouveau  du  violon,  M.  Burmester,  un  Allemand,  vraiment 
extraordinaire.  Sur  son  violon,  rien  ne  lui  est  impossible;  feu  Paganini, 
dont  il  joue  la  musique,  l'eût  jalousé  lui-même,  certainement,  car  il  fait 
ce  que  Paganini  n'avait  jamais  songé  à  faire  et  il  ajoute  à  la  musique  de 
son  prédécesseur  des  difficultés  que  l'auteur  n'avait  pas  prévues  !  Ce  qui 
ne  l'empêche  pas  de  jouer  aussi,  très  bien,  ma  foi,  de  la  bonne  musique. 
En  somme,  je  le  répète,  un  violoniste  extraordinaire.  Il  a  remporté  natu- 
rellement le  succès  du  concert,  avec  une  très  belle  exécution,  par  l'orchestre 
de  M.  Joseph  Dupont,  de  la  Symphonie  fantastique  de  Berlioz.  —  Dimanche 
dernier,  le  deuxième  concert  Ysaye  nous  a  fait  entendre  un  autre  violo- 
niste, M.  Ten  Hâve,  un  des  meilleurs  élèves  de  M.  Ysaye,  et  qui  promet 
un  véritable  artiste,  ainsi  qu'une  cantatrice,  fidèle  interprète  des  concerts 
dominicaux  de  Paris,  M""  Marcella  Pregi.  Celle-ci  n'était  jamais  venue 
encore  à  Bruxelles.  Elle  a  chanté  remarquablement  un  air  de  Gluck,  le 
Lamenio  de  Fauré  et  la  Procession  de  César  F^ranck  ;  sa  voix  timbrée  et  sa 
belle  diction  lui  ont  valu  un  accueil  extrêmement  chaleureux.  Le  jeune 
orchestre  du  nouveau  capellmeister  a  joué  d'excellente  façon  une  sym- 
phonie assez  pâlotte  de  Brahms,  les  Eolides  de  César  Franck  et  la  pitto- 
resque Rhapsodie  norvégienne  da  Lalo.  Au  prochain  concert,  M.  Ysaye  cédera 
son  bâton  à  M.  Vincent  d'Indy,  qui  dirigera  le  concert  dans  le  programme 
duquel  il  aura,  cela  va  sans  dire,  une  petite  part,  et  se  fera  entendre 
comme  soliste.  L.  S. 

—  Notre  confrère  de  Bruxelles,  l'Éventail,  annonce  que  les  conseillers 
communaux  socialistes  de  cette  ville  vont  déposer  une  proposition  tendant 
à  rendre  gratuit,  dix  fois  par  mois,  l'accès  des  places  du  quatrième  rang 
et  du  paradis  au  théâtre  de  la  Monnaie.  Ils  demanderont,  en  outre,  que  ce 
théâtre  donne  deux  représentations  populaires  gratuites  au  cours  de 
chaque   saison. 

—  Très  belle  réussite  à  La  Haye  du  Mage  de  M.  Massenet.  «  Véritable 
soirée  triomphale,  nous  disent  les  dépèches,  et  pas  moins  de  seize  rappels 
pour  les  artistes.  »  Parmi  ces  derniers,  M"=  Marguerite  Picard,  dans  le 
rôle  de  Varedha,  et  M.  Van  Loo,  qui  jouait  Zarastra,  ont  été  réellement 
parfaits  ;  des  ovations  et  des  rappels  leur  ont  été  prodigués  à  la  fin  de 
chaque  acte.  L'orchestre  était  magistralement  dirigé  par  M.  Mertens,  le 
sympathique  directeur,  qui  se  multiplie  pour  maintenir  l'antique  répu- 
tation du  Théâtre  Royal  français,  le  seul  de  tous  les  Pays-Bas  où  l'on 
chante  l'opéra  en  langue  française.  Aussi  est-ce  justice  de  voir  tant  d'efforts 
couronnés  de  succès. 

—  La  Navarraise  joue  de  malheur  à  la  Scala  de  Milan.  On  n'a  pu  encore 
en  donner  la  première  représentation  par  suite  des  indispositions  succes- 
sives des  deux  grands  ténors  du  théâtre,  MM.  GaruUi  st  De  Lucia.  En 
désespoir  de  cause,  M.  Massenet  a  quitté  Milan,  dont  le  climat  est  fort 
mauvais,  et  s'est  réfugié  très  souffrant  à  Nice,  où  il  est  obligé  de  garder 
la  chambre  en  attendant  le  soleil  qui  s'obstine  à  ne  pas  paraître.  Pour  en 
revenir  à  la  Scala,  on  espère  que  le  ténor  De  Lucia  pourra  enfin  chanter 
mardi. 


—  En  attendant,  cette  même  Scala  a  représenté  cette  semaine  pour  la 
première  fois  le  joli  ballet  de  Léo  Delibes,  Coppélia.  Grand  succès  pour  le 
mime  et  chorégraphe  Saraoco  et  pour  M"°  Garlotta  Brianza,  la  première 
danseuse,  gui  a  donné  à  la  poupée  un  charme  particulier.  En  revanche 
on  a  reçu  plus  que  fraichement  la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz,  bien 
faiblement  exécutée  d'ailleurs. 

—  Le  comité  du  monument  Donizetti,  àBergame,  a  fait  son  choix  parmi 
les  projets  qui  lui  étaient  soumis  et  dont  l'exposition  a  eu  lieu  récomment 
en  cette  ville.  C'est  l'esquisse  du  sculpteur  Francesco  Jerace  qui  a  réuni 
ses  suffrages.  Ce  choix  ne  va  pas  sans  soulever  des  critiques  assez  vives, 
dont  plusieurs  journaux  se  font  les  échos. 

—  A  Gênes,  très  beau  succès  de  Werther,  malgré  une  interprétation 
«  discrète  »,  comme  disent  les  journaux  italiens.  Mais  la  partition  est 
allée  aux  nues.  Après  le  duo  du  clair  de  lune,  toute  la  salle  debout  en  a 
réclamé  le  bis.  A  la  fin  de  la  soirée,  M.  Massenet,  qui  était  venu  de  Milan 
pour  assister  à  la  représentation,  a  été  acclamé  ,  et  il  aurait  pu  reparaître 
indéfiniment  sur  la  scène;  mais  il  lui  a  paru  que  onze  fois,  c'était  bien 
suffisant  pour  un  compositeur  français. 

—  L'Académie  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  vient  de  rendre 
son  jugement  sur  le  concours  ouvert  par  elle  pour  une  composition  à 
quatre  voix  diverses,  avec  accompagnement  de  petit  orchestre,  sur  les 
paroles  du  XV1<=  Psaume  de  David.  Le  prix  a  été  attribué  à  M.  Guglielmo 
Mattioli,  de  Reggio  d'Emilie  ;  trois  mentions  ont  été  décernées,  à  MM. Carlo 
Bersezio  (Turin),  Eligio  Mariaui  (Milan)  et  Terenziano  Marusi  (Parme). 
L'Académie  a  jugé,  dans  la  même  séance,  le  concours  Stefano  Golinelli  , 
pour  la  composition  de  «  six  études  de  piano  en  forme  de  fantaisie.  »  Le 
prix  a  été  dévolu  à  un  recueil  d'études  de  M.  G.  B.  PoUeri,  de  Gênes,  et 
deux  mentions  ont  été  accordées  à  MM.  Luigi  Romaniello,  de  Naples,  et 
Emilie  Perotti,  de  Sulmona. 

—  Le  musée  Lizst,  à  Weimar,  vient  de  recevoir  un  objet  intéressant 
qui  lui  a  été  offert  par  un  membre  de  la  famille  du  grand  musicien.  C'est 
un  moulage  en  plâtre  de  la  main  droite  de  Liszt,  fait  le  22  octobre  1874, 
à  l'occasion  de  son  ëZ"  anniversaire.  Le  moulage  fait  ressortir  le  dévelop- 
pement extraordinaire  de  la  main  de  l'artiste,  qui  dépasse  de  beaucoup 
les  proportions  ordinaires.  Cette  main  merveilleuse  et  la  force  extraordi- 
naire des  muscles  du  bras  rompus  à  l'exercice  du  piano,  dès  la  plus  tendre 
enfance,  étaient  la  base  du  jeu  merveilleux  de  Liszt  au  point  de  vue  méca- 
nique ;  il  est  vrai  qu'il  fallait  aussi  son  génie  musical  pour  se  servir  de 
l'instrument  puissant  dont  la  nature  l'avait  doué. 

—  Le  petit  château  Fantaisie,  près  Bayreuth,  bien  connu  des  pèlerins  de 
La  Mecque  wagnérienne,  vient  d'être  vendu  à  un  particulier  saxon  qui  a, 
dit-on,  l'intention  de  permettre  l'accès  du  beau  parc  aux  visiteurs  de 
Bayreuth  pendant  les  Festspiele.  Richard  Wagner  a  habité  ce  château  pen- 
dant les  premiers  temps  de  son  séjour  à  Bayreuth  et  y  a  travaillé  à  la  par- 
tition du  Crépuscule  des  Dieux. 

—  A  l'Opéra  de  Budapesth,  l'opéra  national  Balassa  Balint,  musique  de 
M.  Ed.  Farkas,  a  eu  peu  de  succès.  Le  compositeur  habite  Klausenburg, 
en  Transylvanie,  et  sa  partition  témoigne  que  l'orchestre  moderne  et  les 
progrès  de  l'art  musical  de  notre  temps  ne  lui  sont  pas  suffisamment 
familiers. 

—  G'estM.  Alexandre  Glazounoff,  le  jeune  compositeur  qui  paraît  devoir 
être  la  future  gloire  de  l'art  musical  russe,  qui  vient  d'être  chargé  par  le 
gouvernement  d'écrire  la  cantate  dont  l'exécution  aura  lieu  â  Moscou,  au 
mois  de  mai  prochain,  lors  des  fêtes  pour  le  couronnement  du  czar 
Nicolas  II. 

—  Les  hommages  au  célèbre  compositeur  Henry  Purcell  continuent  en 
Angleterre,  M.  W.  Harding  Benner  a  fait  récemment,  à  la  Tonic  Sol-Fa  As- 
sociation de  Londres,  une  conférence  sur  le  grand  artiste,  accompagnée 
d'exécution  de  plusieurs  de  ses  œuvres,  avec  exposition  de  portraits, 
manuscrits,  autographes,  etc. 

—  On  annonce  de  New-York  le  très  grand  succès  remporté  par  M'"<'  Melba 
dans  Manon  en  compagnie  du  ténor  Jean  de  Reszké. 

—  Un  journal  de  Pretoria  annonce  une  collection  de  mélodies  africo- 
hoUandaises.  On  y  rencontre  des  hymnes  nationaux  pour  les  républiques 
d'Orange  et  du  Transvaal  et  quelques  chansons  patriotiques,  comme  : 
WijU  Tafelberg  :al  staan  (Autant  que  la  montagne  du  Cap  reste  debout)  et  Koml 
Broeders  komt  (Venez  frères,  venez  I)  Ce  qui  est  curieux,  c'est  qu'un  composi- 
teur anglais,  M.  Reginald  Statham,  a  écrit  non  seulement  la  musique,  mais 
aussi  les  paroles  de  ces  chansons  patriotiques  des  Boers,  et  que  M.  Reilz, 
président  de  la  République  d'Orange,  les  a  traduites  en  hollandais. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

M.  Gailhard  est  de  retour  de  son  voyage  en  Italie.  Et,  comme  il 
n'aime  pas  à  perdre  son  temps,  même  pendant  ses  vacances,  il  en  rap- 
porte dans  ses  malles  un  tas  de  jolis  petits  souvenirs  pour  son  cher  Opéra 
de  Paris  : 

l"  Le  prologue  du  Mefistofele  de  Boito,  qu'on  exécutera  à  l'un  des  pro- 
chains concerts  ; 

2"  Une  paire  de  timbales  chromatiques  ; 

3°  Un  jeu  de  cloches  graves  ; 

4°  Des  nouilles  et  du  macaroni  ; 


40 


LE  MENESTREL 


0°  Le  portrait  de  Crispi  ennuyé  par  le  Négus  d'Abyssinie. 
C'étaient  de  bien  grandes  malles  ! 

—  Aussitôt  rentré,  M.  Gailhard  s'est  mis  à  la  besogne  et  il  a  fait  répéter 
la  Favorite,  dont  la  première  représentation  aura  lieu  demain  lundi  avec  la 
distribution  qu'on  sait  :  M""'*  Descbamps-Jehin  et  Agussol,  MM.  Alvarez, 
Renaud,  Gresse  et  Gandubert.  Le  même  soir  aura  lieu  la  reprise  de 
Coppélia,  qu'on  n'avait  plus  jouée  depuis  Ijncendie  des  décors;  rue 
Richer. 

—  M.  Paul  Vidal,  le  jeune  compositeur  qui  a  si  remarquablement  dirigé 
les  concerts  de  l'Opéra,  vient  d'être,  sur  la  proposition  de  MM.  Bertrand 
et  Gailhard,  nommé  chef  d'orchestre  de  notre  Académie  Nationale  de 
musique,  en  remplacement  de  M.  Madier  de  Montjau,  admis,  sur"  sa 
demande,  à  faire  valoir  ses  droits  à  la  retraite. 

—  M.  Jambon,  le  peintre  décorateur,  termine  l'installation  intérieure  du 
magasin  de  décors  de  l'Opéra,  situé  boulevard  Berthier,  aujourd'hui  com- 
plètement construit.  Grâce  à  un  ingénieux  système  de  chariot,  les  décors 
arriveront  jusqu'à  l'Opéra  par  les  rails  des  dilïérentes  lignes  de  tramways. 
Ces  ateliers  se  composent  de  trois  immenses  pavillons  en  pierres,  couverts 
de  tuiles  rouges. 

—  Des  remaniements  ont  élé  reconnus  nécessaires  dans  /c  Chemlier 
d'Hiirmenlal,  qu'on  répétait  à  l'Opéra-Conr-ique,  et  comme  ils  demandent 
quelque  temps  aux  auteurs,  il  est  bien  possible  que  l'Orplice  de  Gluck 
prenne  le  pas  sur  la  partition  de  M.  Messager.  On  en  pousse  activement 
les  répétitions. 

—  Note  du  Figaro  :  On  a  donné,  dans  différents  journaux,  des  renseigne- 
ments inexacts  sur  le  procès  que  les  enfants  de  'Victor  Wilder  intentent 
à  M™'  "Wagner.  Voici  la  vérité  sur  cette  affaire,  qui  vient  d'entrer  dans  la 
période  active.  C'est  cette  semaine,  en  effet,  que  l'assignation  a  été  déposée 
au  parquet.  Les  héritiers  Wilder  avaient,  on  s'en  souvient,  soumis  leur 
différend  avec  M""  Wagner  à  la  commission  de  la  Société  des  auteurs,  accep- 
tant d'avance  la  sentence  que  cette  commission  croirait  devoir  rendre. 
M.  Victoribn  Sardou,  président,  offrit  à  M""=  Wagner  l'arbitrage  de  la 
commission.  M™"  Wagner  repoussa  tout  arbitrage.  C'est  à  la  suite  de  ce 
refus  que  les  héritiers  Wilder  ont  résolu  de  s'adresser  aux  tribunaux, 
après  avoir  consulté  l'éminent  avocat  M.  Waldeck-Rousseau,  qui  a  bien 
voulu  se  charger  de  les  représenter  à  la  barre  du  tribunal. 

—  Les  journaux  viennois  nous  donnent  l'explication  de  l'imbroglio 
concernant  M"'=  Miolan-Carvalho,  que  nous  avons  raconté  dernièrement. 
Il  parait  qu'à  Vienne  est  morte  une  dame  Carvalho,  qu'un  reporter  fan- 
taisiste avait  confondue  avec  la  célèbre  artiste  française.  Les  rédacteurs 
des  faits  divers,  peu  familiers  avec  l'art  musical,  avaient  de  bonne  foi 
accordé  une  place  à  la  note  que  ce  reporter  leur  avait  communiquée,  sans  la 
soumettre  tout  d'abord  aux  critiques  musicaux,  ce  qu'ils  auraient  dû  faire 
prudemment.  C'est  égal;  une  bévue  pareille  n'aurait  pas  dû  être  commise 
par  les  grands  journaux  viennois,  d'ordinaire  rédigés  avec  tant  de  soin  et 
de  compétence.  Une  autre  erreur  de  la  même  nature  se  trouve  dans  le 
compte  rendu  du  dernier  bal  de  la  ville  de  Vienne.  Les  journaux  viennois 
citent  parmi  les  personnes  de  marque  qui  y  assistaient  «  M'""  Delays, 
du  grand  Opéra  de  Paris  ».  On  se  demande  où  les  reporters  viennois  ont 
pu  prendre  ce  nom,  dont  nous  n'avons  jamais  entendu  parler.  Les  quelques 
artistes  de  marque  dont  dispose  actuellement  l'Académie  nationale  de  mu- 
sique sont  cependant  assez  connus,  même  à  l'étranger,  pour  qu'une  erreur 
pareille  puisse  facilement  être  évitée. 

—  M"«  Juliette  Dantin,  la  jeune  et  très  charmante  violoniste,  vient  de 
quitter  Paris  pour  se  rendre  en  Italie,  où  elle  va  entreprendre  une  grande 
tournée  de  concerts. 

—  Au  concert  de  l'Association  amicale  des  anciens  élèves  du  lycée 
Charlemagne,  on  a  fort  remarqué  la  jolie  voix  de  M""'  Mathieu  dans  les 
charmantes  Chansons  d'Àcril,  de  Blanc  et  Dauphin,  Muç/uets  et  Coquelicots  et 
les  Caprices  de  la  Heine.  Beau  succès  aussi  pour  le  jeune  ténor  Courtois,  dans 
l'air  et  dans  le  duo  de  Siyurd,  avec  M"'-'  Ganne  pour  partenaire. 

—  Une  nouvelle  mélodie  de  Louis  Diémer,  écrite  sur  une  charmante 
poésie  du  jeune  poète  André  Foulon  de  Vaulx,  Dernières  Roses,  excellement 
chantée  par  le  ténor  Clément,  vient  de  remporter  un  succès  d'enthousiasme 
dans  une  soirée  musicale  donnée  boulevard  Malesherbes.  Il  a  fallu  la  bis- 
ser d'acclamation. 

—  Mardi  prochain,  4  février,  à  la  galerie  des  Champs-Elysées,  aura  lieu 
un  grand  festival  brésilien  avec  orchestre,  organisé  par  le  jeune  composi- 
teur Francisco  Brega.  On  y  exécutera  différentes  œuvres  de  Carlos  Gomes 
et  de  Carlos  de  Mesquita. 

—  De  Lyon  :  Mignon  vient  de  servir  de  début  au  Grand-Théâtre  ;i  une 
jeune  cantatrice  d'avenir,  M"«  Cécile  Ketten,  Clle  de  l'éminent  professeur 
de  chant  au  Conservatoire  de  Genève,  et  nièce  du  regretté  pianiste  Henri 
Ketten.  M'ie  Ketlen  a  montré  dans  le  rôle  de  Mignon,  en  même  temps 
qu'une  voix  d'une  pureté  et  d'une  homogénéité  remarquables,  une  diction 
parfaite  et  de  réelles  qualités  dramatiques.  Son  succès  a  été  des  plus  légi- 
times et  la  presse  lyonnaise  a  été  unanime  u  le  constater.         J.  Jemai.v. 


—  La  Société  des  Beaux-Arts  de  Nantes  dont  les  concerts  sont  célèbres 
depuis  plus  de  cinquante  ans,  avait  tenu,  pour  sa  soirée  de  vendredi  dernier, 
à  s'assurer  le  concours  de  M"«  Marie  Weingaertner,  la  brillante  élève  de 
Delaborde.  La  jeune  pianiste  a  obtenu  le  plus  éclatant  succès  avec  le 
4"!  concerto  de  Rubinstein,  sa  Tarentelle,  la  Fantaisie  de  Chopin,  le  Rigothm 
de  Thomé  et  la  6"  Rapsodie  de  Listz.  Bissée  deux  fois,  elle  a  dû  ajouter  à 
son  programme  la  Noce  villageoise  de  Godard  et  l'Air  à  danser  de  Pugno. 

NÉCROLOGIE 
Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  excellent  artiste,  Henri 
Fissot,  enlevé  prématurément,  à  l'âge  de  52  ans,  par  une  maladie  aussi 
rapide  que  cruelle.  Professeur  d'une  classe  féminine  de  piano  au  Conser- 
vatoire, Fissot  avait  fait  dans  cet  établissement  des  études  exceptionnelle- 
ment brillantes.  Né  à  Airaines  (Somme)  le  24  octobre  lSi3,  il  y  avait  été 
admis  avant  même  d'avoir  accompli  sa  neuvième  année,  et  voici  la  liste 
des  récompenses  qu'il  y  obtint  :  1833,  l"  accessit  de  solfège;  1854,  1^'  prix 
de  solfège  et  second  prix  de  piano;  1835,  l«prix  de  piano;  1S3(>,  3''  accessit 
d'harmonie  et  accompagnement,  et  1«  prix  l'année  suivante  ;  1858,  l"  accces- 
sit  de  fugue  et  1=''  accessit  d'orgue;  1S39,  second  prix  de  fugue  et  premier 
second  prix  d'orgue  ;  1860,  1"  prix  de  fugue  et  1^  prix  d'orgue.  Ainsi, 
Fissot  avait  terminé  complètement  le  cours  de  ses  études,  en  obtenant  toutes 
les  distinctions  possibles,  avant  même  d'avoir  accompli  sa  dix-huitième 
année.  Musicien  consommé,  pianiste  de  premier  ordre,  organiste  remar- 
quable, il  se  livra  alors  à  l'enseignement  et  à  la  composition,  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  de  se  faire  entendre  avec  succès  dans  les  séances  de  musique 
de  chambre  fondées  vers  1800  par  M.  Lamoureux  et  de  faire  apprécier  son 
beau  talent  d'organiste  comme  titulaire  du  grand  orgue  de  Saint-Vincent- 
de-Paul.  Ses  compositions  assez  nombreuses  pour  piano  se  distinguent 
par  de  réelles  qualités  de  forme,  de  style  et  de  pensée.  (Juant  à  son  ensei- 
gnement, on  peut  se  rendre  compte  de  sa  valeur  par  les  nombreux  et 
brillants  succès  qu'obtenaient  ses  élèves  dans  les  concours.  Modeste  f  t 
vivant  à  l'écart  malgré  son  très  grand  talent,  artiste  émineni,  konnêtu 
homme  sous  tous  les  rapports,  Fissot  ne  peut  que  laisser  des  regrets  sin- 
cères à  tous  ceux  qui  l'ont  connu.  A.  P. 

—  Nous  apprenons  la  mort  de  M.  Jules  Bordier,  compositeur  distingué 
et  fondateur  des  concerts  de  l'association  Artistique  d'Angers,  où  pen- 
dant dix  ans  il  rendit  à  l'art  et  aux  artistes  français,  avec  un  dévouement 
et  un  désintéressement  absolus,  de  très  grands,  très  réels  et  très  signalés 
services.  M.  Jules  Bordier  sera  vivement  regretté  de  tous  les  artistes  dont 
il  avait,  avec  une  bonnegrâce  inépuisable,  encouragé  et  facilité  les  débuts. 
Il  n'était  âgé  que  de  quarante-neuf  ans. 

—  A  Londres  vient  de  mourir  soudainement,  à  l'âge  de  58  ans,  sir  Joseph 
Barnby,  compositeur,  chef  d'orchestre  et  directeur  du  Conservatoire  national 
de  musique  de  Guildhall,  qui  a  succombé  à  une  attaque  d'apoplexie.  Né 
en  1838  à  York,  il  fut  enfant  de  chœur  dans  la  célèbre  cathédrale  de  cette 
ville  jusqu'en  1832,  devint  élève  de  l'Académie  royale  de  musique  de 
Londres  jusqu'en  1837  et  obtint  en  1863  la  place  d'organiste  de  l'église 
Saint-André  de  cette  ville.  En  1872  il  succéda  à  Charles  Gounod  comme 
directeur  de  la  Société  chorale  d'Albert-hall,  et  en  IS'iS,  il  fut  nomme 
directeur  des  études  musicales  au  collège  d'Eton.  La  cour  et  le  gouverne- 
ment s'adressèrent  souvent  à  lui  pour  diriger  des  solennités  musicales 
d'un  caractère  officiel  ;  mais  il  doit  surtout  sa  grande  réputation  de  chef 
d'orchestre  à  la  musique  religieuse.  Ses  compositions,  qui  ne  s'élèvent 
pas  au-dessus  du  niveau  d'un  talent  moyen  et  se  distinguent  plutôt  par  la 
science  que  par  l'inspiration,  appartiennent  presque  exclusivement  au 
domaine  d'art  religieux.  Citons  son  oratorio  Rébecca  (1870),  le  Psaume  XCVII 
(1883),  et  mentionnons  que  Barnby  a  écrit  une  certaine  quantité  d'hymnes, 
motels  et  autres  chants  liturgiques  fort  appréciés  en  Angleterre.  Il  est 
hors  de  doute  que  la  mort  prématurée  de  sir  Joseph  Barnby  est  dû  à  un 
excès  de  travail  amené  par  ses  occupations  multiples  et  surtout  par  la  direc- 
tion du  Conservatoire  de  Guildhall,  qui  compte  plus  de  trois  mille  élèves. 

—  Un  des  plus  célèbres  directeurs  de  théâtre  de  ce  siècle,  M.  Charles 
Maurice,  vient  de  mourir  à  Hambourg,  âgé  de  91  ans.  Né  à  Agen,  il  vint 
en  18"2i  à  Hambourg,  où  son  père  s'était  fixé,  et  prit  en  1831  la  direction 
d'un  théâtre  devenu  plus  tard  le  fameux  théâtre  de  Thalie.  Le  jeune  Fran- 
çais devint  un  directeur  bois  ligne  ;  les  représentations  de  son  théâtre  se 
distinguaient  par  une  préparation  artistique  peu  commune  en  Allemagne, 
et  plusieurs  générations  de  grands  acteurs  allemands  se  sont  formées  à 
Hambourg,  sous  la  direction  magistrale  de  Charles  Maurice.  Le  Burg 
théâtre  de  Vienne  lui  doit  la  plus  grande  tragédienne  allemande  de  nos 
jours,  JA""  Wolter,  et  les  époux  Hartmann,  les  piliers  du  répertoire  mo- 
derne. Dawison,  le  grand  virtuose  de  la  scène  allemande,  avait  également 
passé  par  l'école  de  Maurice.  Dans  la  société  de  Hambourg,  le  directeur 
du  théâtre  de  Thalie  occupait,  grâce  à  son  amabilité  et  à  sa  distinction, 
une  place  enviable;  sa  maison  hospitalière  était  un  véritable  centre  artis- 
tique et  littéraire.  Maurice  conserva  la  direction  de  son  théâtre  jusqu'à  un 
âge  fort  avancé  ;  il  n'y  a,  en  effet,  que  dix  ans  que  le  vieillard  s'était 
décidé  à  prendre  un  repos  bien  mérité  par  une  longue  vie  d'un  labeur  et 
d'une  probité  artistiques  auxquels  on  a  depuis  longtemps  rendu  justice  en 
Allemagne.  "■  B. 

Hemii  Heugei,,  direclciir-yèranl. 


EMHS  DE  FER.  —  lUPRIMEIUE  CBAIX, 


IS.  —    ^cre  '.orlUcu^ 


Dimanche  9  Février  1896. 


3385.  —  62-  ANNÉE  —  IV°  6.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  nie  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    lïEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Èltranger,   les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  découvertes  de  Delphes  (4"  article),  Julien 
TiïRSOT.  —  II.  Le  Théâtre-Lyrique,  informations,  impressions,  opinions 
(11"  article),  Louis  Gallet.  —  III.  Bulletin  théâtral  :  reprises  de  la  Favorite  et 
de  Coppélia  à  l'Opéra,  H.  M.;  premières  représentations  d'Innocentl,  au  théâtre 
des  Nouveautés,  Paul-Émile  Chevalifr.  —  IV.  L'orchestre  de  Lully  (1"'  article), 
Arthur  Pougin.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

LA  NUIT 

nouvelle  mélodie  de  Ch.-M.  Widor,  poésie  de  Paul  Bouboet.  —  Suivra 

immédiatement  :  Chanson,  de  Léon  Delafosse,  poésie  de  Paul  Bourget. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche   prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Le  Joyeux  Luron,  quadrille  de  Philippe  Faiirbacii.  —  Suivra   immé- 
diatement :  Fine  mouclie,  polka  du  même  auteur. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 

(Suite) 


III 

Nous  arrivons  enfin  à  la  question  qui  prime  tout  lorsqu'il 
s'agit  de  musique  antique  :  celle  du  mode. 

Le  sujet  est  sans  doute  peu  familier  à  nos  lecteurs,  —  bien 
qu'ils  en  aient  beaucoup  entendu  parler  !  Peut-être,  malgré 
son  apparente  aridité,  quelques-uns  me  sauront-ils  gré  de 
profiter  de  l'occasion  pour  essayer  d'en  donner  quelques 
notions  claires  et  aussi  brèves  que  possible. 

Tous  les  musiciens  savent  ce  que  l'on  entend  par  mode,  et 
la  différence  qu'il  y  a  entre  ce  mot  et  celui  de  ton,  avec  lequel 
on  le  confond  trop  souvent.  Les  Grecs,  eux  aussi,  connais- 
saient les  tons  et  les  modes,  et  de  même  ils  pratiquaient  fré- 
quemment la  même  confusion  :  l'erreur  était  d'autant  plus 
facile  que  si,  chez  les  modernes,  le  mode  et  le  ton  sont  ca- 
ractérisés par  des  termes  tout  différents  (on  dit  mode  majeur  ou 
mineur,  ton  de  la,  de  ré,  de  sol,  etc.),  chez  les  Grecs,  le  ton  et  le 
mode  étaient  désignés  parles  mêmes  dénominations:  Dorien, 
lydien,  phrygien,  etc.,  ces  mots  s'appliquaient  également  aux 
Ions,  ou  échelles  de  transposition,  et  aux  modes.  La  confusion 
s'est  perpétuée  jusque  dans  le  plain-chant,  dont  les  modes  ont 
été  désignés  de  tout  temps  par  le  mot  ton,  tonus  :  4'^''  ton, 
7«  ton,  etc.  De  là  une  première  source  de  confusion  qu'il  im- 
porte d'écarter  tout  d'abord. 


Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  la  théorie  ni  la  pratique 
des  ions  antiques  :  la  question  n'a,  pour  les  musiciens  mo- 
dernes, qu'un  intérêt  plus  que  secondaire,  presque  nul.  Que 
nous  importe,  en  effet,  qu'une  mélodie  grecque  ait  été  chantée 
plus  ou  moins  haut?  La  question  de  la  hauteur  absolue  n'a 
d'importance  que  pour  certaines  productions  de  la  polyphonie 
orchestrale  moderne,  comme  les  symphonies,  que  l'on  désigne 
le  plus  souvent  par  leur  ton,  et  où  la  contexture  harmonique, 
les  éléments  sonores  eux-mêmes  sont  combinés  tout  spécia- 
ment  en  vue  de  la  tonalité  choisie.  Mais,  en  matière  de 
musique  antique,  la  chose  offre  d'autant  moins  d'intérêt 
que,  malgré  les  plus  belles  hypothèses  et  les  plus  beaux 
raisonnements  du  monde,  nous  ne  pouvons  déterminer  la 
hauteur  absolue  que  d'une  façon  approximative,  le  diapason 
grec  ne  nous  étant  point  connu. 

Les  tons  n'ont  d'importance  réelle  qu'au  point  de  vue  de 
la  lecture,  car  les  signes  de  la  notation  étaient  différents 
suivant  l'échelle  de  transposition  adoptée.  Aussi,  je  comprends 
que  M.  Reinach  y  insiste  parfois  au  point  de  sembler  consi- 
dérer la  question  du  mode  comme  à  peine  aussi  importante  : 
à  son  point  de  vue  spécial  d'épigraphiste,  cette  préoccupation 
s'explique,  mais  pour  nous,  musiciens,  qui  n'avons  connu 
l'œuvre  antique  que  transcrite  à  notre  usage,  et  ne  nous 
sommes  préoccupés  que  modérément  delà  manière  dont  cela 
a  été  fait,  la  question  du  mode  domine  de  beaucoup  tout  le 
reste. 

Finissons-en  donc  rapidement  avec  les  tons  antiques,  en 
disant  que  le  premier  hymne  à  Apollon  est  écrit  dans  le  ton 
phrygien  (échelle  naturelle  transposée  d'une  tierce  mineure  à 
l'aigu,  transcription  moderne  avec  trois  bémols  à  la  clef),  et  le 
second  dans  le  ton  lydien  (transposition  de  quarte  à  l'aigu,  un 
bémol  à  la  clef),  et,  pour  les  personnes  qui  désirent  ne  pas 
employer  les  mots  sans  savoir  ce  qu'ils  veulent  dire,  ren- 
voyons au  premier  volume  de  la  Musique  dans  l'antiquité,  de 
M.  Gevaert,  où  le  chapitre  des  tons  n'occupe  pas  moins  de 
soixante  pages,  ou,  ce  qui  sera  plus  pratique  encore,  à  l'in- 
troduction de  son  dernier  livre  :  la  3Iélopée  antique  dans  le  chant 
de  l'Église  latine,  où  la  question  est  expliquée,  sous  une  forme 
résumée,  avec  une  clarté  magistrale. 

Pour  les  modes,  c'est  bien  différent,  car  il  s'agit  de  la 
constitution  intérieure  des  gammes,  de  l'ordre  de  succession 
des  tons  et  demi-tons  dans  l'octave,  et  cela  a  autant  d'im- 
portance aujourd'hui  qu'il  y  a  vingt  siècles.  Et  d'ailleurs,  il 
existe  des  systèmes  de  modes,  différents  les  uns  des  autres, 
dans  bien  des  contrées  et  à  beaucoup  d'époques  :  outre  notre 
système  moderne,  restreint  à  deux  modes,  le  majeur  et  le 
mineur,  nous  savons  que  le  plain-chant  a  des  modes  qui  se 
confondent  plus  ou  moins  avec  ceux  des  Grecs,  qu'il  en  est 
de  même  pour  les  mélodies  populaires,  que  les  peuples  orien- 


LE  MENESTREL 


taux  ont  des  modalités  spéciales,  —  et  nous  éprouvons  volon- 
tiers pour  l'étude  de  ces  questions  cette  attraclion  particulière 
que  produit  toujours  le  mystère,  —  car  le  mot  n'est  pas  trop 
fort,  la  plupart  de  ces  modalités  nous  étant  encore  très  in- 
connues, dans  leur  principe  comme  dans  leur  application. 
Ce  n'est  pas  moi,  je  le  crains  fort,  qui  soulèverai  jamais  com- 
plètement le  voile  :  pour  la  musique  grecque,  cependant,  nous 
commençons  à  être  assez  bien  renseignés,  et  pouvons  avoir 
l'espérance  de  pénétrer  assez  avant  dans  le  secret  des  choses. 
La  théorie  grecque  divise  l'échelle  générale  des  sons  en 
sept  octaves  ayant  pour  point  de  départ  une  des  sept  notes  de 
la  gamme.  Les  tons  et  demi-tons  se  succèdent  donc,  dans  les 
sept  combinaisons,  d'autant  de  manières  différentes.  En  voici 
la  nomenclature,  avec  les  dénominations  les  plus  usitées  : 
Mode  de  la  (Hijpodorien  ou  Eolien): 

—  sol  (Hypophrytjien  ou  laslien); 

—  fa  (Hi/polijclk'ii)  ; 

—  mi  (Doi-ien)  ; 

—  iv  (Phrygien)  ; 

—  do  (Lydien); 

—  si  (Mixolydien). 

Devons-nous  assimiler  absolument  ces  gammes  aux  deux 
modes  de  la  musique  moderne,  le  majeur  (gamme  d'ut)  et  le 
mineur  (gamme  de  la,  avec  sol  dièse  accidentel),  basés  l'un  et 
l'autre  sur  un  degré  dont  les  fonctions  tonales  sont  identi- 
ques (la  tonique),  et  différant  seulement  parce  que  le  3'^  et 
le  6^  degré  sont  d'un  demi-ton  plus  haut  dans  l'un  que  dans 
l'autre  ?  Non  :  nous  verrons  tout  à  l'heure  pourquoi. 

Cependant,  il  ne  faudrait  pas  tomber  dans  l'erreur  contraire 
et  considérer  les  notes  des  gammes  antiques  comme  privées 
de  tout  caractère  tonal.  J'ai  déjà  cité  à  ce  sujet,  dans  un  au- 
tre travail,  une  page  de  M.  Gevaert  que  je  veux  reproduire 
encore,  car  la  doctrine  qui  y  est  contenue  constitue  la  base 
en  quelque  sorte  immuable,  universelle,  éternelle,  de  tout 
système  musical  : 

«  Plusieurs  savants  ont  considéré  les  modes  helléniques 
comme  des  formules  mélodiques  entièrement  dépourvues 
d'attractions  harmoniques,  et  fixées,  pour  ainsi  dire,  au  ha- 
sard. Une  thèse  semblable  ne  pourrait  plus  guère  se  soutenir 
aujourd'hui  :  ni  les  Grecs,  ni  apparemment  aucun  peuple  civi- 
lisé, n'ont  connu  une  musique  de  cette  sorte.  La  subordina- 
tion, plus  ou  moins  étroite,  de  tous  les  éléments  mélodiques 
à  un  son  principal,  engendrant  en  soi-même  un  accord  de 
quinte  —  peu  importe  d'ailleurs  que  le  son  principal  appa- 
raisse ou  non  à  la  lin  de  la  cantilène  —  cette  subordination, 
disons-nous,  est  un  principe  aussi  bien  physiologique  qu'es- 
thétique, et  doué,  par  conséquent,  de  tous  les  caractères  de 
la  nécessité.  Nous  ne  pouvons  goûter  une  succession  de  sons, 
nous  ne  pouvons  mnne  renlonner  sùrcuient,  sans  la  rattacher  par 
l'esprit  à  un  point  de  départ  fixe,  à  une  tonique,  alors  même 
que  celle-ci  n'est  pas  exprimée  dans  la  mélodie.  Le  principe 
que  nous  venons  d'énoncer  se  manifeste  avec  plus  ou  moins 
d'énergie  selon  les  temps  et  les  lieux  ;  mais  on  peut  hardi- 
ment affirmer  que  là  oîi  il  fait  absolument  défaut,  il  n'existe  ni 
musique,  ni  chant,  mais  une  cantillation  sans  fixité,  sans  règle 
ni  frein,  semblable  à  ces  dialectes  rudimentaires  de  l'Afrique 
et  de  l'Australie  qui,  à  quelques  lieues  et  à  quelques  années 
de  distance,  sont  devenus  toialement  méconnaissables  (I).  » 

En  effet,  tout  nous  prouve  que  la  division  de  l'octave  en 
deux  intervalles  essentiels,  la  quinte  et  la  quarte,  fut  pra- 
tiquée partout  et  toujours.  L'analyse  des  monuments,  à  défaut 
de  documents  plus  explicites,  fait  ressortir  ce  principe  sans 
aucune  exception.  Et,  bien  que  les  théoriciens  grecs  ne 
disent  que  des  choses  vagues  sur  ce  sujet,  il  est  cependant 
certain  que  cette  division  de  l'octave  en  deux  parties,  égales 
physiquement  mais  mathématiquement  inégales,  ne  leur 
avait  pas  échappé.  Le  système  des  tétracordes,  bien  que  basé 
sur  une  théorie  empirique  et  artificielle,  le  prouve  déjà  avec 
évidence  :  il  suffit  de  rappeler  que,  par  l'emploi    des  télra- 

(1)  F. -A.  Gevaekt,  Musique  dans  l'antiquité,  I,  161. 


cordes  disjoints,  il  y  a  un  Ion  ajouté,  qui  ne  compte  pas  dans 
leur  théorie  bizarre  et  fausse  (que  la  routine  a  maintenue, 
hélas!  jusqu'à  nos  jours  dans  les  livres  de  solfège  dils  sujié- 
neM/-sj,  mais  qui,  existant  quand  même,  doit  forcément  s'ajou- 
ter à  un  des  deux  intervalles  de  quarte,  et  former  avec  lui 
un  intervalle  de  quinte,  complétant  l'oclave  avec  l'autre 
tétracorde. 

D'autre  part,  la  distinction,  admise  par  tous  les  écrivains 
antiques,  entre  les  intervalles  consonanls  et  dissonants,  l'oc- 
tave, la  quinte  et  la  quarte  étant  seules  consonances  (la 
tierce  est  une  dissonance  pour  les  Grecs)  prouve  combien 
ils  avaient  le  sentiment  vif  de  cette  division  essentielle  de 
l'échelle  musicale.  Un  philosophe  de  la  grande  époque, 
Adraste  le  Péripatéticien,  semble  avoir  entrevu  le  principe 
fondamental  de  la  consonance,  base  immuable  de  la  géné- 
ration harmonique,  lorsqu'il  dit  :  «  Deux  sons  consonnent 
entre  eux  lorsque  l'un  ayant  été  joué  sur  un  instrument  à 
cordes,  l'autre  résonne  en  même  temps,  en  vertu  d'une  cer 
taine  afEinité  et  sympathie  naturelle.  »  Rameau,  le  grand 
théoricien  de  la  tonalité  moderne,  n'aurait  pas  mieux  dit. 

Ainsi  donc,  si  l'on  veut  pénétrer  le  véritable  sens  des 
modes  antiques,  il  faut,  avant  de  rechercher  la  place  des 
demi-tons,  el,  plus  encore^  des  prétendus  quarts  de  ton,  être 
bien  convaincu  de  cette  vérité:  que  la  division  primordiale 
de  l'octave  en  une  quinte  et  une  quarte  est  le  principe  de 
toute  tonalité,  et  que,  par  conséquent,  la  première  nécessité 
est  de  chercher  à  la  gamme  sa  tonique. 

Or,  nous  avons  vu  qu'il  y  avait  sept  gammes  grecques.  Ces 
sept  gammes  représentent-elles  donc  sept  toniques?  Les  ob- 
servations faites  jusqu'ici  sont  assez  concluantes  pour  qu'on 
puisse  répondre  résolument:  non. 

Les  seules  gammes  où  la  cote  qui  donne  son  nom  au  mode 
fait  fonction  de  tonique  sont  celle  de  la,  de  sol  et  de  fa  (Hypo- 
doriens,  hypophrygiens,  hypolydiens.) 

Dans  trois  autres,  la  note  fondamentale  du  mode  est  une 
dominante  :  ce  sont  les  gammes  de  ré,  do,  si  (Phryien,  Lydien, 
Mixolydien.) 

On  peut  éprouver  quelques  doutes  au  sujet  du  dorien,  dont 
la  fondamentale  mi  semble  donner  une  impression  tantôt  de 
tonique,  tantôt  de  dominante.  Mais  nous  aurons  l'occasion 
de  l'observer  de  plus  près,  car  ce  mode  est  précisément  celui 
des  deux  hymnes  à  Apollon  :  c'est  aussi  le  mode  classique 
par  excellence,  le  plus  fréquemment  employé,  de  l'avis  des 
auteurs  anciens,  celui  enfin  dont  on  retrouve  le  plus  de  traces 
dans  les  monuments  venus  jusqu'à  nous. 

Sauf  certaines  exceptions  sur  lesquelles  nous  ne  saurions 
insister  ici,  il  est  généralement  admis  (bien  qu'aucun  texte 
antique  ne  le  spécifie)  que  la  note  qui  donne  son  nom  au 
mode  en  est  la  finale  mélodique. 

L'on  voit  par  cet  exposé  que  les  modes  antiques  diffèrent 
notablement  des  modernes,  quant  à  la  constitution  intérieure 
de  l'octave.  Une  observation  montrera  clairement  cette  diffé- 
rence: le  majeur,  le  mode  moderne  par  excellence,  n'existe 
pas  dans  la  théorie  antique,  puisque  la  gamme  A'ul  (lydien) 
est  un  des  modes  basés  sur  la  dominante.  11  ne  faut  pas 
croire  pour  cela  que  le  sentiment  modal  des  Grecs  soit  abso- 
lument en  contradiction  avec  le  nôtre.  Assurément  leurs 
gammes  nous  étonnent  au  premier  abord;  mais  la  vérité  est 
qu'elles  déroutent  bien  plutôt  nos  habitudes  que  notre  senti- 
ment musical  intime.  Je  sais,  par  expérience  personnelle, 
qu'on  s'y  accoutume  très  facilement,  et  qu'on  finit  par  trouver 
les  gammes  dorienne  ou  iastienne  aussi  naturelles  que  le 
majeur  et  le  mineur. 

11  en  est  de  même  pour  les  modes  basés  sur  la  dominante. 
C'est  une  erreur  de  considérer  la  prédominance  de  ce  degré, 
secondaire  dans  la  gamme  moderne,  comme  ayant  pour  effet 
de  causer  une  sensation  de  vague,  d'incomplet,  de  produire 
une  suspension  du  sens  musical.  Beaucoup  de  nos  mélodies 
populaires  sont  basées  sur  la  dominante,  et  elles  sont  parfai- 
tement nettes,  franchement  résolues,  et  satisfont  pleinement 


LE  MENESTREL 


43 


notre  sentiment  musical.  Même  dans  la  musique  harmonique 
nous  en  pouvons  trouver  des  exemples.  Le  plus  caractéris- 
tique, à  mon  avis,  nous  est  fourni  par  le  dernier  entr'acte  de 
Carmen,  construit  sur  un  thème  de  danse  espagnole  :  la  phrase 
mélodique  principale  se  déroule  sur  un  mouvement  descen- 
dant de  la  à  ta,  en  ré  mineur,  et  les  accords  de  conclusion, 
prolongeant  cette  cadence  à  la  dominante,  donnent  une  im- 
pression de  conclusion  parfaitement  caractérisée. 
(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE    THÉÂTRE-LYRIQUE 


IKFORMATIONS   —    IMPRESSIONS 


XI 

Il  paraît  certain  que  la  question  du  Théâtre-Lyrique  Municipal 
riîstera  stationnaire  jusqu'au  renouvellement  du  conseil,  qui  doit 
avoir  lieu  en  mai.  Nos  édiles  actuels  auront  eu  l'honneur  d'une 
conception  qu'il  appartiendra  à  la  proo'uaiue  assemblée  de  réaliser. 
Mais,  comme,  selon  toute  probabilité,  les  mêmes  éléments  se  retrou- 
veront en  présence,  il  est  permis  de  penser  que  l'idée  sera  reprise 
activement  vers  le  milieu  de  la  session  et  menée,  cette  fois,  à 
bonne  fin. 

Faisons,  en  attendant,  un  peu  d'histoire,  et  résumons,  pour  l'édifi- 
cation des  lecteurs  que  ces  détails  intéressent,  les  faits  qui  se  sont 
produits,  dans  des  circonstances  à  peu  près  analogues,  il  y  a  seize 
ou  dix-sept  ans,  alors  que  la  restauration  du  Théâtre-Lyrique  était 
à  l'ordre  du  jour,  —  où  elle  est  malheureusement  restée,  —  et  s'agi- 
tait entre  l'État  et  la  Ville.  La  municipalité  de  Paris  aujourd'hui  agit 
seule.  C'est  une  chance  pour  qu'elle  agisse  enfin  plus  elficacement. 

Dans  la  séance  du  conseil  du  1  novembre  1878,  le  préfet  de  la 
Seine  déposait  sur  le  bureau  une  proposition  émanant  du  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  et  relative  à  l'ouverture  d'un 
troisième  théâtre  lyrique  subventionné.  Aux  termes  de  cette  commu- 
nication, le  ministre,  après  avoir  exposé  les  motifs  qui  venaient  de 
le  déterminer  à  demander  aux  Chambres  l'inscription  au  budget 
de  son  département  d'une  subvention  en  faveur  d'un  troisième 
théâtre  lyrique,  priait  le  préfet  de  consulter  le  conseil  municipal  sur 
la  question  de  savoir  si,  dans  le  cas  oii  cette  subvention  serait  volée, 
la  Ville  de  Paris  consentirait  à  mettre  gratuitement  à  la  disposition 
de  la  direction  nouvelle  la  salle  de  l'ancien  Théâtre-Lyrique,  place 
du  Châtelet. 

A  ce  propos,  le  préfet  avait  eu  avec  le  ministre  un  entretien  par- 
ticulier. 

Ce  fut  une  joute  assez  instructive  et  qui,  rappelée  aujourd'hui, 
emprunte  aux  circonstances  actuelles  un  intérêt  tout  spécial,  le 
conseil  municipal  ayant,  comme  on  le  sait,  établi  en  principe  que  la 
Ville  de  Paris,  nonobstant  ses  autres  charges  artistiques,  doit  se 
donner  le  luxe  d'un  théâtre  de  musique  lui  appartenant  en  propre. 

Le  ministre,  en  cette  rencontre,  faisait  remarquer  que  la  Ville  de 
Paris  est  la  seule  des  grandes  cités  de  France  qui  ne  subventionne 
pas  de  théâtre.  Le  préfet,  alors,  de  répondre  que  si  la  Ville  de  Paris 
ne  subventionne  directement  aucun  théâtre,  elle  s'impose  cependant 
des  charges  assez  considérables.  Elle  a  fait,  notamment,  construire 
des  salles  de  spectacles  louées  s  un  prix  qui  ne  représente  pas  l'in- 
térêt des  sommes  dépensées.  Eu  outre,  le  gaz  est  fourni  à  moitié  prix 
aux  entrepreneurs  exploitant  les  théâtres  municipaux.  Il  y  a  là  une 
subvention  indirecte  qui  représente  un  chiffre  cousidérable. 

«  M.  le  ministre,  dit  le  compte  rendu  auquel  j'empiunte  ces 
détails,  ayant  ajouté  que  la  Ville  de  Paris  doit  être  d'autant  plus 
disposée  à  accorder  une  subvention  au  Théâtre-Lyrique  qu'elle 
perçoit  le  droit  des  pauvres,  M.  le  préfet  a  répondu  que  la  loi  sur 
le  domicile  de  secours  impose  à  la  Ville  des  charges  très  lourdes  et 
que  le  droit  perçu  sur  les  spectateurs  sous  le  nom  de  droit  des 
pauvres,  ne  compense  que  très  iniparfaitement  ces  charges.  —  M.  le 
préfet  a  fait  observer,  en  outre,  que,  si  l'État  doit  se  placer  au  point 
de  vue  de  l'intérêt  des  compositeurs  quand  il  subventionne  un 
théâtre  lyrique,  l'administration  municipale  doit  se  placer  au  point 
de  vue  de  l'intérêt  de  la  population  parisienne.  Or,  l'Opéra  est  exploité 
dans  des  conditions  telles  que  la  plus  grande  partie  de  la  population 
parisienne,  qui  ne  peut  payer  dix  et  vingt  francs  pour  une  place  de 
théâtre,  se  trouve  dans  l'impossibilité  d'entendre  le  répertoire  des 
grands  opéras  classiques.  D'autre  part,  le  directeur  de  l'Opéra  jouit 
du  privilège  exceptionnel  de  pouvoir  engager,  soit  les   lauréats   des 


concours  du  Conservatoire,  soit  les  sujets  les  plus  remarquables  des 
autres  théâtres  lyriques,  et  cependant  il  ne  les  utilise  pas  tous. 

))  Il  semble  donc  qu'il  serait  possible  d'obliger  le  directeur  de  l'Opéra 
à  prêter  au  nouveau  Ttiéâlre-Lyrique  ce  personnel  artistique  dispo- 
nible et  de  constituer  ainsi  une  seconde  troupe  d'opéra,  sans  supplé- 
ment de  dépense  pour  l'État. 

»  C'est  seulement  dans  les  cas  où  une  combinaison  de  cette  nature 
pourrait  être  admise  par  M.  le  ministre,  que  M.  le  préfet  sera-it  d'avis 
de  mettre  gratuitement  à  la  disposition  de  la  direction  des  Beaux- 
Arts  un  des  théâtres  municipaux.  Il  devrait  être  entendu  que,  trois 
fois  par  semaine,  le  répertoire  du  grand  Opéra  serait  exécuté  sur  le 
Théâtre-Lyrique.   » 

Cette  combinaison  nous  apparaît  aujourd'hui  des  plus  irréalisables 
que  l'on  puisse  imaginer,  et  il  faut  s'étonner  qu'elle  ait  pu  être  conçue 
et  formulée  même  à  l'époque  où  nous  nous  reportons. 

Le  théâtre  lyrique,  surtout  municipal  et  parce  que  municipal,  doit 
être  absolument  autonome,  ne  rien  demander  à  l'État  qui,  du  reste, 
ne  pourrait  effectivement  rien  lui  accorder,  sinon  une  contribution  à 
la  subvention  représentant  l'intérêt  qu'il  attacherait  à  juste  titre  à  la 
prospérité  de  cette  institution  ouverte  aux  compositeurs  nouveaux. 

Mais,  un  répertoire?  Mais,  des  artistes  ?  J'ai  dit,  naguère,  sur  le 
premier  point,  ce  qui  me  semble  suffisant  pour  établir  la  richesse  du 
fonds  constituant  le  domaine  public,  où  peut  s'alimenter  le  répertoire 
du  futur  théâtre.  Sur  le  second  point,  l'expérience  démontre  que 
l'Opéra  et  l'Opéra-Comique,  exerçant  un  droit  magistral  pour  le 
choix  de  leurs  artistes,  ne  prennent  pas  toujours  le  vrai  dessus  du 
panier,  puisque,  dans  bien  des  cas,  des  premiers  sujets  remarquables 
leur  sont  venus,  soit  de  la  Monnaie,  soit  de  divers  autres  théâtres, 
qui  les  avaient  librement  choisis,  comme  le  pourrait  faire  l'adminis- 
tration du  Théâtre-Lyrique  municipal.  Rien  n'est  parfois  décevant 
comme  les  triomphes  de  l'école.  Tel  quitte  le  Conservatoire,  chargé 
de  couronnes,  qui  va  souvent  échouer  piteusement  dans  la  carrière 
largement  ouverte.  Tel  autre,  qui  ne  donnait  que  de  vagues  espé- 
rances, s'épanouit  au  grand  soleil  de  la  scène  et  passe  parfois  au 
premier  rang. 

Nonobstant  cet  échange  de  propositions  et  d'objections  que  je  viens 
de  rapporter,  l'affaire  suivait  son  cours  entre  l'État  et  la  Ville.  Et 
M.  Viollet-le-Duc,  au  nom  de  la  commission  spéciale,  prenait  des 
conclusions  dans  un  rapport  dont  l'objet  était  d'examiner  la  pro- 
position du  ministre  en  vue  de  la  création  d'un  théâtre  lyrique 
populaire. 

Le  rapporteur  défend  assez  vivement  la  Ville  contre  le  ministre,  qui 
voudrait  la  voir  participer  aux  charges  que  l'État  s'impose.  Il  trouve 
que  les  charges  de  la  Ville  sont  très  appréciables  et  font  bonne 
figure  en  regard  de  celles  de  l'Etat. 

Bien  que  n'y  arrivant  que  d'uae  façon  assez  restrictive  et  froide, 
l'auteur  du  document  conclut  pourtant  à  autoriser  le  préfet  à  débattre 
avec  l'Étal  les  bases  d'une  convention  relative  à  l'établissement  d'un 
théâtre  lyiique  populaire. 

Ces  bases  étaient  soumises  au  ministre.  Mais,  le  17  décembre  1878, 
une  lettre  de  ce  dernier  coupait  court  à  toute  négociation. 

«  Permettez-moi,  monsieur  le  Préfet,  disait  cette  lettre,  de  ne  pas 
entrer,  quant  à  présent,  dans  la  discussion  des  diverses  conditions 
que  vous  avez  bien  voulu  me  faire  connaître  ;  la  question,  pendante 
en  ce  moment,  de  savoir  si  le  théâtre  national  de  l'Opéra  sera,  dans 
l'avenir,  confié  à  une  régie,  m'impose  une  réserve  qui,  je  l'espère,  ne 
sera  pas  de  longue  durée.   » 

L'affaire  sommeilla  alors  durant  quelques  mois.  Le  23  juin  1879 
une  lettre  du  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Beaux-Arts  la  réveillait  tout 
à  coup,  mais  pour  la  compliquer,  semble-t-il. 

Elle  annonçait  au  conseil  municipal  qu'une  clause  nouvelle  venait 
d'être  inscrite  au  cahier  des  charges  de  l'Opéra,  obligeant  la  direction 
de  notre  première  scène  à  abandonner  au  théâtre  lyrique  populaire, 
—  dans  le  cas  où  ce  théâtre  serait  créé  et  subventionné  par  l'État 
ou  la  Ville,  —  dix  ouvrages  du  domaine  de  l'Opéra  n'appartenant  pas 
au  répertoire  courant. 

Clause  purement  décorative  et  sentimentale,  il  n'est  pas  nécessaire 
d'y  insister,  et  qui  ne  pouvait  avancer  aucunement  les  choses. 

De  plus,  un  projet  de  théâtre  de  drame  se  greffait  sur  le  projet  de 
théâtre  lyrique.  C'était  trop  beau  ! 

Et  M.  Viollet-le-Duc,  au  nom  de  la  commission  municipale,  après 
diverses  considérations  intéressantes,  reprenait  la  plume  pour  con- 
clure à  l'adoption  de  l'idée  du  sous-secrétaire  d'Etat,  déterminant  la 
part  des  subventions  directes  et  indirectes  de  chaque, partie.. 

Le  26  juillet,  le  conseil  discuta  et  une  commission  fut  nommée 
pour  assister  le  préfet  de  la  Seine  dans  ses  négociations  avec  les 
Beaux-Arts. 


44 


LE  MENESTREL 


C'est  ici  à  peu  près  que  l'on  pourrait  mettre,  comme  autrefois  à 
propos  du  télégraphe  aérien  :  Communication  interrompue  par  le 
brouillard  ! 

Il  y  a  eu  d'autres  faits  sans  doute,  mais  rien,  depuis  1879,  n'a 
clairement  émané  de  l'ombre  où  dort  cette  question  du  Théâtre- 
Lyrique,  que  le  conseil  a  heureusement  évoquée,  en  1893,  pour  la 
faire  exclusivement  sienne  —  ce  qui  est,  à  noire  humble  avis,  le  seul 
moyen  d'en  faire  quelque  chose.  —  Un  mariage  entre  la  Ville  et 
l'Etat  serait,  il  faut  le  reconnaître,  sinon  impossible,  du  moins  fécond 
en  difficultés  de  toute  espèce.  Louis  Gallet. 


BULLETIN   THÉÂTRAL 


Sans  en  faire  trop  de  bruit  et  sans  vouloir  y  attirer  l'attention  des 
journalistes,  la  direction  de  l'Opéra  a  risqué  cette  semaine  la  reprise 
de  la  Favorile.  Dame  1  il  y  a  une  jeune  critique  qui  n'aime  pas  ce 
genre  de  plaisanterie  et  qui  n'aurait  pas  manqué  de  montrer  ses  crocs 
si  on  l'avait  convoquée  à  si  maigre  festin.  Comme  cela,  se  sont 
dérangés  seulement  ceux  qui  l'ont  bien  voulu,  les  vieux  de  la  vieille, 
et  tout  s'est  passé  très  convenablement. 

Nous  ne  savons  trop  si  l'ouvrage  est  a  formulaire  »  ou  non,  selon 
la  belle  et  nouvelle  expression  trouvée  par  la  naissante  école,  mais 
il  parait  contenir  encore  quelques  pages  qui  ne  sont  pas  trop  dégoû- 
tantes et  dont  il  a  fallu  se  contenter  en  attendant  les  Maîtres  chanteurs. 

Le  ténor  Alvarez  et  le  baryton  Renaud  s'y  sont  présentés  à  leur 
avantage  ;  et  M"''  Deschamps-Jehin  chante  le  rôle  d'Éléonore  «  avec 
ses  défauts  et  ses  qualités  »,  comme  dit  un  de  nos  meilleurs  confrères. 
Nous  lui  empruntons  très  volontiers  cette  «  formule  »  non  compro- 
mettante, mais  bien  commode  pour  nous  sortir  d'embarras. 

Le  même  soir,  on  reprenait  Coppélia,  cette  fine  partition  de  Léo  De- 
libes,  qui  commença  sa  réputation.  C'est  toujours  jeune,  frais  et  pim- 
pant, et  M"'  Subra  ajoute  sa  grâce  à  la  grâce  de  cette  musique,  ce 
qui  compose  un  tout  très  français  qui  en  vaut  bien  un  autre,  n'est-ce 
pas?  H  .M. 

NocvEAL'TÉs.  Innocent!  vaudeville  en  3  actes,  de  MM.  A.  Gapus  et  A.  Allais. 

Les  Nouveautés  varient  les  plaisirs  de  leurs  spectateurs  en  passant 
avec  une  étonnante  facilité  de  l'opérette  au  vaudeville.  Cette  fois 
les  violons  ne  se  font  entendre  que  durant  les  entr'actes  et,  seuls, 
MM.  Capus  et  Allais  sollicitent  l'attention  d'un  public  qu'un  second 
acte  fort  amusant  a  semblé  mettre  de  complète  belle  humeur. 

Dans  une  petite  ville  des  environs  de  Tours  un  homme  a  essayé 
d'escalader  les  murs  de  la  propriété  de  M.  Ramblay.  Le  garde  cham- 
pêtre passant  par  là  a  voulu  s'emparer  du  délinquant  et  n'a  réussi  à 
attraper  qu'une  vigoureuse  volée.  Les  soupçons  de  la  justice  se 
portent  sur  Blaireau,  plutôt. braconnier  de  son  état,  et  on  le  con- 
damne à  six  mois  de  prison,  malgré  ses  énergiques  dénégations  et 
malgré  les  protestations  de  la  romanesque  M"°  Isaure,  nièce  de 
M.  Ramblay,  convaincue  que  l'homme  n'était  qu'un  amoureux  qui 
se  voulait  rapprocher  d'elle.  La  nièce  avait  parfaitement  deviné  et  le 
braconnier  ne  mentait  pas  en  protestant.  Le  coupable  est  Brindoie, 
professeur  de  gymnastique  qui,  pour  avancer  ses  affaires  auprès  de 
son  excentrique  élève  Isaure,  avoue  sa  faute.  Et  comme  la  belle 
demoiselle  aime  les  héros,  il  se  constituera  prisonnier  et  fera  rendre 
la  liberté  à  l'injusteœent  condamné. 

Or  le  jour  même  oii  Brindoie  fait  sa  démarche  est  celui  oii  la 
peine  de  Blaireau  expirant,  on  va  le  relâcher.  Et  ici  se  développe 
une  série  de  scènes  divertissantes  d'une  piquante  observation,  bla- 
guant fort  alertement  notre  parfaite  administration.  Blaireau  ne  peut 
plus  être  reavoyé  que  lorsqu'auront  été  accomplies  les  innombrables 
formalités  destinées  à  bien  prouver  son  innocence,  tandis  que  Brin- 
doie, qui  lient  absolument  à  faire  sa  prison,  se  voit  refuser  un  cachot 
jusqu'à  ce  que  d'autres  formalités,  non  moins  innombrables,  per- 
mettent de  l'écrouer.  Et  l'ahurissement  de  ces  deux  hommes  dont 
l'un,  innocent,  veut  sortir,  et  dont  l'autre,  coupable,  veut  entrer,  est 
d'un  comique  achevé. 

Tout  s'arrange  au  milieu  de  quiproquos  de  qualité  variée  à  travers 
lesquels  s'entrechoque  lout  un  petit  monde  sans  grande  importance 
réuni  à  une  fête  de  bienfaisance  organisée  en  l'honneur  de  la  vic- 
time de  l'erreur  judiciaire. 

Innocent  !  est  tout  à  fait  bien  joué  par  MM.  Germain-Blaireau, 
Gujon-Brindoie  et  Tarride-le  directeur  de  la  prison,  un  trio  de 
vomédiens  qui,  pour  une  grande  part,  assurent  la  fortune  des  Non 
ceautés.  Il  faut  aussi  nommer  MM.  Colombey.  Le  Gallo,  Laurel, 
Dupuis,  M'""  Clem  et  Angèle.  Pall-Émile  Chevalier. 


L'ORCHESTRE    DE    LULLY 


Il  n'est  pas  facile  d'établir,  avec  une  précision  même  rela- 
tive, ce  qu'était  l'orchestre  de  l'Opéra  au  temps  de  Lully,  d'indiquer 
sa  composition,  de  faire  connaître  l'ensemble  de  ses  exécutants,  de 
déterminer  le  nombre  de  ceux-ci  à  chaque  partie,  etc.  Il  est  certain 
qu'on  trouvait  d'abord  dans  cet  orchestre  le  quatuor  des  instruments 
à  cordes  tel  qu'il  existait  alors,  c'est-à-dire  dessus,  tailles,  quintes  et 
basses  de  viole,  qui  tenaient  la  place  de  nos  premiers  et  seconds 
violons,  altos  et  violoncelles  (1).  Les  violons  (dessus  de  viole) 
employés  dès  lors  chez  nous  étaient  les  violons  «  à  la  française  », 
ainsi  désignés  par  les  Italiens  :  piccoti  violinialla  Francese,  parce  qu'ils 
étaient  montés  de  quatre  cordes  seulement,  tandis  que  les  leurs  en 
portaient  cinq  (2).  Quant  aux  instruments  à  vent,  ils  comprenaient 
diverses  parties  de  flûtes,  hautbois  et  bassons,  avec  des  cors  de 
chasse,  la  percussion  étant  représentée  par  les  timbales.  A  cela  il 
faut  ajouter  encore  des  théorbes,  dont  la  présence  dans  le  corps 
sym  phonique  nous  est  affirmée  par  Raguenet,  bien  qu'on  ne  s'explique 
guère  l'utilité,  dans  un  corps  symphonique,  de  cet  instrument  à 
cordes  pincées.  Voilà  pour  l'orchestre  ordinaire,  sans  que  nous 
puissions,  je  l'ai  dit,  savoir  quel  nombre  d'exécutants  se  trouvait 
à  chaque  partie,  et  dans  quelle  proportion  le  quatuor  avait  à  lutter 
avec  l'harmonie;  j'inclinerais  pourtant  à  croire  que  ce  quatuor  était 
relativement  nombreux,  car  c'était  sur  lui  que  retombait  presque 
eutièrementla  responsabilité  des  airs  de  danse. Mais  Lully  nesegênait 
pas,  à  l'occasion,  pour  adjoindre  des  instruments  supplémentaires  à 
son  orchestre,  tels  que  trompettes  et  tambours  (comme  dans  Je 
prélude  fameux  avec  trompettes  du  cinquième  acte  de  Bellérophon), 
et  même,  lorsqu'il  voulait  obtenir  quelque  effet  extraordinaire, 
certains  engins  qui  n'avaient  rien  de  musical,  mais  qui  produisaient 
une  sonorité  particulière.  C'est  ainsi  que  dans  Acis  et  Galathée  il  fit 
entendre  jusqu'à  des  sifflets  de  chaudronnier,  et  que  dans  un  autre 
ouvrage,  au  milieu  d'une  scène  infernale,  il  faisait  frapper  en 
cadence  sur  des  enclumes,  ce  qui  produisait  sans  doute  un  bruit... 
infernal  (3). 

Castil-Blaze,  qui  ne  doutait  de  rien,  et  qui,  sans  jamais  appuyer 
ses  assertions  d'aucune  preuve,  avançait  comme  certains  les  faits 
souvent  les  plus  problématiques,  Caslil-Blaze  écrivait  avec  un  aplomb 
superbe,  dans  son  Académie  impériale  de  musique  :  «  Je  puis  signaler 
ici  la  plupart  des  vingt  symphonistes  de  l'orchestre  que  Lully  diri- 
geait en  1673  et  en  1674.  »  Or,  l'excellent  Gascon  ne  pouvait  rien  si- 
gnaler du  tout,  du  moins  avec  la  précision  qu'il  semblait  apporter 
dans  ses  dires.  D'abord,  il  se  trompait  d'une  façon  absolue  en  rédui- 
sant à  vingt  exécutants  cet  orchestre  de  Lully,  qui  certainement  en 
comptait  au  moins  le  double,  sans  que  nous  puissions  établir  à  cet 
égard  un  chiffre  rigoureusement  exacl.  La  Vieuville  de  Freneuse. 
que  je  viens  déjà  de  citer  dit  encore  à  ce  sujet:  «  Les  Italiens  ne 
mettent  guère  que  vingt  instrumenis  dans  leurs  orchestres;  en 
France,  on  y  en  met  cinquante  ou  soixante.  »  En  admettant  que  ce 
chiffre  soit  un  peu  exagéré,  on  voit  ce  qu'il  en  devait  èlre.  D'ailleurs, 
un  document  dont  on  ne  saurait  contester  l'authenticité  et  qui  dale 
de  vingt-cinq  ans  après  la  mort  de  Lully,  nous  renseigne  d'une 
façon  précise  sur  ce  qui  se  faisait  alors  et  qui  no  devait  pas  différer 
beaucoup  de  ce  qui  se  produisait  au  temps  de  Lully.  Je  veux 
parler  d'un  manuscrit  de  la  biblothèque  de  l'Opéra,  aussi  précieux 
que  curieux,  qui  est  ainsi  intitulé  :  Privilèqe  accordé,  arrests  rendus 
et  règlement  fait  par  Sa  Majesté  pour  l'Académie  royalle  de  musique  pour 
l'année  I71'2-17I3.  Ce  manuscrit  nous  donne,  sinon  la  composition 
exacte  de   l'orchestre,  du  moins  la  liste  complète  et  nominative  de 

(1)  On  sait  que  la  contrebasse,  déjà  employée  en  Italie,  n'était  pas  encore 
d'usage  en  France,  et  qu'elle  ne  fut  introduite  à  l'Opéra,  par  Montéclair,  qu'une 
vingtaine  d'années  après  la  mort  de  Lully. 

(2)  <t  Je  vous  supplie  de  remarquer  qu'avec  ses  quatre  ou  cinq  cordes  le  violon 
fait  sentir  d'une  manière  parfaite  certaines  passions,  et  les  exprime  toutes  d'une 
manière  passable  et  juste,  ce  qui  n'appartient  qu'à  lui.  Au  reste,  il  importe 
peu  qu'il  y  ait  quatre  cordes  ou  qu'il  y  en  ait  cinq.  Les  Italiens  accordent  leurs 
cinq  cordes  à  la  quarte,  nous  accordons  nos  quatre  cordes  à  la  quinte  :  cela 
revient  au  mùme  point.  Le  violon,  monté  de  ces  deux  diverses  façons,  est  tou- 
jours et  l'abrégé  et  la  perfection  de  la  musique.  >■  (La  Vieuville  de  Freneuse: 
Compnntkoii  de  lu  musique  iUilieme  iivee  In  musique  Ininroise.) 

(3)  «  Non  seulement,  dit  La  Vieuville  de  Freneuse,  il  a  fait  entrer  agréablement 
dans  ses  concerts  jusqu'aux  tambours  et  aux  timbales,  il  y  a  fait  entrer  jus- 
qu'aux sifflels  de  chaudronnier,  et  ces  silllets  de  chaudronnier,  mêlés  dans  la 
la  sixième  scène  du  second  acte  d'Acis  et  Gululliée  et  servant  de  refrain  aux  vers 
du  récit  de  Polyphème  et  au  chœur  : 

iju'à  l'envi  chacun  s'empresse 
De  me  suivre  dans  ces  lieux... 
font  un  effet  merveilleux.  » 


LE  MENESTREL 


45 


son  personnel,  dont  malheureusement  quelques  noms  seuls  sont 
suivis  de  leur  qualité  (Nicolas  Baudry,  dessus  de  violon;  Julien  Ber- 
nier,  flûte  allemande;  Bernard  Âlberty,  théorbe;  Jean  Theobalde, 
basse  de  violon  ;  etc.)-  Nous  apprenons  ainsi  que  cet  orchestre  com- 
prenait, au  total,  4S  exécutants,  non  compris  Lacoste,  «  batteur  de 
mesure,  »  et  Jean  Rebel,  «  pour  le  clavecin.  »  Les  appointements 
sont  de  600  à  400  livres,  excepté  pour  le  timbalier,  qui  n'a  que  130 
livres.  Lacoste  a  l.OOO  livres,  et  Jean  Rebel,  600  livres  (1). 

On  voit  donc  qu'en  ce  qui  concerne  le  nombre  des  symphonistes, 
Castil-Blaze  était  certainement  et  manifestement  au-dessous  de  la 
vérité.  Quant  aux  exécutants  eux-mêmes,  à  part  quelques  violons 
dont  les  noms  lui  avaient  été  révélés  par  YHintoire  de  l'Opéra  de  Durey 
de  Noinville,  l'écrivain  s'est  contenté  de  prendre  au  hasard  quel- 
ques autres  noms  d'artistes  appartenant  à  la  musique  du  roi,  et  de 
les  introduire  de  son  propre  mouvement  dans  l'orchestre  de  LuUy, 
en  les  y  classant  à  sa  guise  et  d'une  façon  absolument  arbitraire.  Je 
me  garderai,  pour  ma  part,  d'affirmer  avec  autant  de  solennité,  et  si 
mes  recherches  m'ont  conduit  à  un  résultat  un  peu  plus  important 
que  le  sien,  je  suis  obligé  d'avouer  que  ce  résultat  est  encore  fort 
incomplet.  Toutefois,  il  était  intéressant  au  moins  de  faire  connaître 
avant  tout,  et  d'une  façon  un  peu  intime,  les  trois  chefs  d'orchestre 
formés  et  employés  à  lOpéra  par  Lully  :  Lalouette,  Collasse  et  Marais, 
et  c'est  à  quoi  je  me  suis  effoicé. 

Quoiqu'il  n'y  ait  pas  à  douter  de  l'existence  de  ces  trois  «  batteurs 
de  mesure  »,  je  n'en  présume  pas  moins  que  Lully  a  été  son  premier 
chef  d'orchestre.  Habitué  qu'il  était  depuis  longtemps  à  exercer 
ces  fonctions  à  la  cour^  il  n'est  pas  supposable  qu'il  ait  pu,  au  com- 
mencement de  son  entreprise,  avoir  confiance  en  un  autre  que  lui 
pour  les  remplir  à  son  gré.  Je  serais  aussi  disposé  à  croire  que, 
dans  les  premiers  temps  au  moins,  et  alors  qu'il  n'était  pas  très  sur 
encore  de  l'habileté  et  de  la  solidité  de  ses  exécutants,  il  avait  à 
à  l'orchestre  un  clavecin,  devant  lequel  il  s'asseyait  pour  les  diriger, 
prêt  à  parer  par  lui-même  à  tout  accident  qui  pourrait  se  produire. 
Ce  n'est  là,  je  dois  le  dire,  qu'une  conjecture,  mais  elle  est  basée 
pourtant  sur  ce  fait  que  lorsqu'il  conduisait  l'orchestre  de  Molière,  il 
avait  précisément  un  clavecin.  A  la  vérité,  le  petit  orchestre  de 
Molière  était  loin  d'avoir  l'ampleur  et  l'importance  de  celui  de 
l'Opéra. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  reste  persuadé  que  Lully  dut  se  placer  tout 
d'abord  lui-même  à  la  tète  de  ses  symphonistes,  et  que  ce  n'est 
qu'au  bout  d'un  certain  temps  qu'il  confia  à  Lalouette  le  soin  de  les 
diriger.  Il  me  semblerait  même  assez  naturel  qu'il  reprit  personnel- 
lement cette  direction  aux  premières  représentations  de  chacune  de 
ses  œuvres  nouvelles,  ne  cédant  de  nouveau  le  bâton  de  commande- 
ment qu'une  fois  celte  œuvre  bien  assise  au  point  de  vue  de  l'exécu- 
tion d'ensemble.  C'est  qu'en  effet  un  artiste  aussi  soigneux,  aussi 
consciencieux  que  l'était  Lully  ne  devait  rien  laisser  au  hasard  et 
n'avait  sans  doute  confiance  qu'en  lui-même.  Mais,  encore  un  coup, 
je  n'établis  ici  que  des  probabilités,  et  sous  ce  rapport  je  ne  saurais 
me  permettre  de  rien  affirmer. 

Nous  allons  faire  connaissance  avec  les  trois  chefs  d'orchestre 
dont  j'ai  donné  les  noms,  après  quoi  je  grouperai  les  renseignements 
que  j'ai  pu  réunir  sur  ceux  des  artistes  de  cet  orchestre  dont  il  m'a 
été  possible  de  retrouver  la  trace. 

(A  suivi-e.)  Arthur  Pougin. 


REVUE   DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  Très  bonne  exécution  de  la  Damnation  de  Faust, 
précise,  correcte  et  brillante.  M.  Lafarge  serait  à  la  hauteur  de  sa  tache 
dans  les  parties  essentielles  de  l'œuvre  s'il  pouvait  se  défaire  de  l'habitude 
contractée  au  théâtre  d'ajouter  des  points  d'orgue  et  de  chanter  les  fins  de 

(I)  A  la  fin  de  ce  manuscrit  se  trouve  une  seconde  liste,  d'ensemble  cette 
fois,  qui  nous  donne  une  i|uasi-composition  de  l'orchestre,  avec  les  traitements 
afférents  à  chaque  partie.  La  voici  : 

Batteur  de  mesure 1.000  liv. 

10  instruments   du  petit  chœur  à  600  1.   .   .   .        0.000 

12  dessus   de   violon  à  400  1 4.800 

8  basses  à  400  1 3.200 

2  quintes  à  400  1 800 

2  (ailles  à  400  1 800 

.3  hautes-contre  à  400  1 1,200 

8  hautbois,  flustes  ou  bassons  à  40U  i 3.200 

1  timbalier  à  150  1 150 

Cette  liste,  qui  donne  un  total  de  46  exécutants,  offre  donc  avec  celle  que 
j'ai  signalée  plus  haut,  une  dill'érence  en  moins  de  deux  artistes,  différence 
que  je  ne  m'explique  pas,  mais  'iiii,  en  somme,  est  insigniliante. 


phrases  avec  affectation,  comme  un  diseur  en  quête  de  bravos.  M"»  Passama 
n'a  pas  pénétré  toutes  les  délicatesses  musicales  du  rôle  de  Marguerite  ;  néan- 
moins elle  est  suffisante  dans  les  parties  de  chant  pur.  Pourquoi  a-t-elle 
introduit  au  premier  couplet  de  la  chanson  une  si  mauvaise  respiration 
après  le  mot  vu-e  dont  l'e  muet  ne  doit  pas  enjamber  la  mesure?  M.  Bailly, 
qui  remplit  habituellement  des  fonctions  modestes  dans  l'orchestre  des 
concerts  du  Cirque,  était  si  plein  de  joie  d'être  sur  l'estrade  à  un  autre 
titre  que  sa  jubilation  est  devenue  contagieuse  et  que  l'auditoire,  désarmé 
par  cette  bonhomie  doublée  d'inconscience,  a  applaudi  joyeusement  ce 
diable  improvisé.  Le  chœur  de  Pâques  et  le  chœur  d'apothéose  ont  été 
merveilleusement  rendus,  mais  pas  suffisamment  appréciés  de  l'assistance  ; 
est-ce  que  la  structure  de  ces  morceaux  serait  trop  simple  ou  leur  sentiment 
trop  élevé?  Il  ne  faudrait  pas  pourtant  que  ce  genre  de  musique,  qui  est 
magnifique,  fût  étouffé  par  un  autre,  cet  autre  fùt-il  excellent  aussi. 
Somme  toute,  cette  audition  fait  honneur  à  Berlioz  et  à  M.  Lamoureux. 

Amédée  Boutarel. 

—  Chez  M.  Colonne,  continuation  des  auditions  de  la  Damnation  de 
Faust,  toujours  avec  le  même  succès. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  relâche. 

Opéra:  Poème  carnavalesque  (Ch.  Silver),  première  audition.  —  Sainte  Cènle, 
poème  lyrique  de  M.  Ed.  Guinand,  musique  de  M.  Ch.  Lefebvre,  chanté  par 
M'"  Berthet  iCécile),  M.  Gautier  (Valérien),  et  M.  ISartet  (Léfiusl,  première  audi- 
tion. —  La  Belle  au  bois  dormant,  féerie  dramatique  de  MM.  Bataille  et  d'Hu- 
mières,  musique  de  M.  Georges  Hue,  première  audition.— Danses  anciennes 
régiées,  par  M.  Hansen  a.  Sarabande  (Destouches),  6.  Pavane  (Paladilhe), 
c.  Musette  (Rameau),  d.  Menuet  (Gluck),  e.  Passepied  (Rameau),  dansés  par 
Ml'"  Mauri,  Subra,  etc.  —  a.  L'Enterrement  d'OiMlie,  b.  liapsodie  cambodgienne 
(Bourgault-Ducoudray).  —  Deuxième  tableau  du  premier  acte  à'Alceste  (Gluck), 
chanté  par  M-  Rose  Caron(A.Iceste),M.  Delmas  (le  grand  prêtre)  et  M.  DouaiUier 
(l'Oracle).  —  Chœur  triomphal  de  Mazeppa  (C.  de  Grandval). 

Châtelet  :  Concert  Colonne  :  79"  audition  de  la  Damnation  de  Faust  (Berlioz)  ;  soli  : 
M-=  Auguez  de  Montalant,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  Nivette. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  Concert  Lamoureux:  La  Damnation  de  Faust  (Ber- 
lioz), interprétée  par  M"°  Jenny  Passama  (Marguerite),  M.  E.  Lafarge  (Faust), 
M.  Bailly  (Méphistophélès),  M.  P.  Blancard  (Brander). 

Concerts  du  Jardin  d'Acclimalation.  Chef  d'orchestre,  Louis  Pister.  Patrie, 
ouverture  de  Bizet;  Danses  anciennes  de  Rameau,  Campra  et  Grétry  ;  Concerto 
en  sol  mineur  de  Saint-Sai-ns,  piano,  M.  Harold  Bauer;  Suite  à  la  hongroise 
(violon  et  orchestre),  Paul  Chabeaux,  violon,  M.  Lefort  ;  Méfodie  en  fa  de 
Rubinstein  et  6"  Rapsodie  de  Liszt,  exécutées  au  piano  par  M.  Harold  Bàuer; 
Carmen,  suite  d'orchestre  de  Bizet. 

Les  services  rendus  à  l'art  français  par  la  société  de  M.  Ed.  Nadaud 

expliquent  la  faveur  que  le  public  montre  à  cette  société,  qui  compte 
quinze  années  d'existence  et  dont  la  première  séance  a  eu  lieu  salle  Pleyel 
le  21  janvier.  Deux  premières  auditions  fort  intéressantes  :  d'abord  un  quin- 
tette-fantaisie pour  cordes  de  M.  Alary,  œuvre  écrite  dans  un  style  parfait 
et  dont  l'interlude  a  été  particulièrement  goûté  ;  puis  une  charmante  suite 
pour  flûte  et  piano,  de  M""»  Coedès-Mongin,  dans  laquelle  le  jeune  Gaubert 
a  remporté  un  gros  succès.  Exécution  fine  et  bien  musicale  de  la  sonate 
de  6.  Fauré,  par  l'auteur  et  le  brillant  virtuose  Nadaud,  et  pour  finir,  le 
quintette  de  G.  Pfeiffer,  par  l'auteur  et  les  collaborateurs  de  M.  Nadaud, 
MM.  Gibier,  ïrombetta  et  Gros-Saint-Ange. 

—  Deux  séances  fort  intéressantes  ont  été  données  à  un  jour  de  distance, 
salle  de  Géographie,  par  MM.  Letort  et  Balbreck.  Au  concert  de  M.  Bal- 
breck,  on  a  entendu  et  vivement  applaudi  un  agréable  quatuor  à  cordes 
de  M.  Génin,  le  quintette  beau  de  Schumann  et  l'ingénieuse  sonate  pour 
piano  et  violon  de  G.  Saint-Saëns.  Au  concert  de  M.  Lefort,  le  quintette 
avec  piano,  de  Jadassohn,  le  trio  de  Lalo  (op.  26j,  des  pièces  de  Hubay, 
remarquablement  dites  par  M.  Lefort,  ont  été  fort  appréciés.  Aux  deux 
concerts,  M.  I.  Philipp  a  joué  avec  M'^"  Edmond  Laurens,  une  jeune  pia- 
niste du  talent  le  plus  distingué,  deux  de  ses  transcriptions  à  deux  pianos, 
fantaisie  et  fugue  de  Bach  et  scherzo  de  Mendelssobn,  dont  l'effet  est  déli- 
cieux. M.  Philipp,  qui  interprétait  la  partie  de  piano  des  œuvres  de  Schu- 
mann, de  Lalo,  de  Saint-Ssëns  et  de  Jadassohn,  et  qui  est  certes  un  de  nos 
meilleurs  virtuoses,  possède  dans  l'art  spécial  de  la  musique  de  chambre 
des  qualités  de  premier  ordre,  le  sang-froid,  la  notion  exacte  de  son  rôle 
de  pianiste,  un  beau  son,  un  rythme  très  sûr,  de  l'abnégation.  Les  quar- 
tettistes  de  ce  talent  sont  rares,  et  méritent  une  mention  spéciale. 

La  seconde  séance  de  la  Société  de  musique  de  chambre  pour  ins- 
truments à  cordes  et  à  vent,  fondée  par  les  artistes  de  l'Opéra,  MM.  Carem- 
bat,  Martinet,  Bailly,  Georges  Papin,  Soyer,  Lafleurance,  Bas,  Paradis, 
Couppas,  Penable  et  Lachanaud,  a  eu  lieu  samedi  au  milieu  d'un  public 
nombreux.  Le  programme  comprenait  le  quintette  de  Beethoven  pour 
piano,  hautbois,  clarinette,  basson  et  cor,  un  nonetto  de  Spohr,  pour 
violon  alto,  violoncelle,  contrebasse,  llûte,  hautbois,  clarinette,  basson 
et  cor,  et  le  septuor  de  Saint-Saëns,  la  Trompette.  Ces  compositions,  toutes 
trois  d'un  style  très  élevé,  ont  été  interprétées  de  la  façon  la  plus  remar- 
quable et  chaleureusem.ent  applaudies.  M""  Carambat,  qui  prêtait  son 
concours  à  cette  séance,  a  obtenu  un  succès  mérité. 


46 


LE  MENESTREL 


NOUVELLES    DIVERSEf 


ÉTRANGER 


Pendant  les  dernières  semaines,  les  théâtres  d'outre-Rliin  n'ont  pas 
cessé  d'exploiter  le  répertoire  français.  Voici  une  liste  des  ouvrages  joués 
à  Vienne  :  Manon,  la  Juive,  l'Africaine,  Mignon,  Carmen,  le  Prophète,  les  Hugue- 
nots; à  Berlin  :  Faust,  Mignon,  le  Prophète,  les  Huguenots:  à  Munich  :  l'Africaine, 
Carmen,  Faust:  àCASSEL  :  Robert  le  Diable,  les  Dragons  de  Villars,  les  Huguenots; 
à  Stuttgard  :  Fra  Diavolo,  la  Juive,  Mignon:  à  Leipzig  :  Mignon,  Robert  le  Diable, 
la  Muette  de  Portici,  la  Poupée  de  Nuremberg:  à  Breslau  ;  Carmen,  hakmé,  Fra 
Diavolo,  la  Dame  blanche:  à  Bonn  :  les  Huguenots,  Carmen:  à  Cologne  :  Faust, 
la  Juive,  l'Africaine,  la  Fille  du  Régiment:  à  Wiesbadex  :  le  Prophète,  les  Dragons 
de  Villars,  Carmen,  là  Muette  de  Portici;  à  Brème  :  la  Fille  du  Régiment,  le 
Pardon  de  Ploërmel,  Joseph:  à  Carlsrdhe  :  les  Dragons  de  Villars;  à  Dresde  : 
la  Muette  de  Portici,  les  Huguenots,  Mignon,  Carmen,  les  Dragons  de  Villars,  Fausl, 
la  Fille  du  Régiment;  à  Hambourg  :  Werther,  la  Dame  blanche,  Iphigénie  en 
Anlide,  Mignon,  la  Fille  du  Régiment,  la  Muette  de  Portici,  l'Africaine,  Guillaume 
Tell,  le  Prophète,  les  Dragons  de  Villars  :  à  Budapest  :  la  Muette  de  Portici,  le 
Prophète,  Mignon,  la  Navarraise,  la  Poupée  de  Nuremberg,  Guillaume  Tell. 

—  Tandis  que  sur  nos  aflGches  de  concert  on  ne  voit  jamais  paraître  le 
nom  de  notre  grand  Rameau,  des  œuvres  duquel  on  pourrait  extraire  des 
pages  admirables  et  d'un  effet  saisissant,  la  Société  des  Amis  de  la  musique 
de  Vienne  ouvrait  récemment  son  deuxième  concert  avec  une  des  ouver- 
tures les  plus  curieuses  de  l'illustre  maître,  celle  de  Nu'is,  pour  chœur  et 
orchestre. tîe  morceau  a  produit  sur  les  auditeurs  une  excellente  impression. 

—  La  société  qui  s'est  formée  à  Vienne  pour  produire  Gaed,  l'œuvre 
d'Adalbert  de  Goldschmîdt,  a  émis  des  actions  au  prix  de  cinq  cent  florins 
(mille  francs  environ)  chacune.  Le  comité  en  a  déjà  placé  pour  vingt  mille 
francs  et  espère  pouvoir  arriver  à  la  première  représentation  au  cours  de 
la  saison  prochaine. 

—  Une  nouvelle  opérette,  le  Général  Gogo,  musique  de  M.  Adolphe  MùUer 
fils,  a  été  jouée  avec  succès  au  théâtre  An  der  Wien,  de  Vienne. 

—  Un  nouvel  opéra,  le  Corrégidor,  vient  d'être  terminé  par  M.  Hugo  Wolf 
et  doit  être  prochainement  joué  àBerlin. M. "Wolf  s'estfait  connaître  comme 
compositeur  de  lieder  d'une  grande  originalité,  qui  ont  vite  fait  leur  chemin 
en  Allemagne. 

—  A  Leipzig  s'est  formé  un  comité  pour  l'élévation  d'un  monument  funé- 
raire à  Jean-Sébastien  Bach  dans  l'église  Saint-Jean,  pour  y  déposer  le 
crâne  et  les  ossements  du  maître,  retrouvés  dans  l'ancien  cimetière  de  cette 
église.  Nos  lecteurs  se  rappelent  l'article  que  nous  avons  consacré  à  ces 
restes  du  maître  et  à  la  reconstitution  de  son  buste  par  le  sculpteur  Charles 
Seffner.  Le  même  artiste  est  chargé  de  l'exécution  du  monument.  Parmi 
les  membres  du  comité,  nous  trouvons  Johannès  Brahms,  Arthur  Nikisch 
et  Cari  Reinecke,  chefs  d'orchestre  du  Gewandhaus,  l'anatomiste  M.Hîs, 
professeur  à  l'Université  de  Leipzig,  qui  a  publié  un  rapport  remarquable 
sur  les  ossements  retrouvés,  et  M.  de  Hase,  chef  de  la  maison  Breitkopf 
et  HiErtel. 

—  Le  surintendant  des  théâtres  royaux  de  Munich,  M.  Possart,  se  pro- 
pose de  jouer  pendant  l'été,  sur  la  scène  du  théâtre  de  la  Résidence,  Don 
Juan  et  les  Noces  de  Figaro,  de  Mozart,  tandis  que  Richard  Wagner  régnera 
en  maître  sur  la  scène  du  grand  théâtre  royal.  M.  Possart  désire  que  la 
reproduction  des  chefs-d'œuvre  de  Mozart  se  rapproche  autant  que  possible 
de  leur  première  représentation  sous  les  auspices  du  maître,  et  sous  ce 
rapport,  les  Noces  de  Figaro,  que  M.  Possart  a  déjà  fait  jouer  à  Munich  avec 
une  nouvelle  mise  en  scène,  ont  été  un  spectacle  admirable.  Don  Juan  sera 
joué  cette  fois  d'apiès  la  partition  originale  que  le  Conservatoire  de  Paris 
possède  aujourd'hui,  grâce  à  la  générosité  de  M'"'  Viardot,  et  la  mise  en 
scène  sera  une  fidèle  reproduction  de  celle  que  Mozart  avait  ordonnée  lors 
de  la  première  représentation  de  son  œuvre  à  Prague.  On  ne  peut  qu'ap- 
prouver cette  tentative  du  théâtre  de  Munich,  et  il  faut  espérer  qu'elle 
fera  disparaître  toutes  les  modifications  de  Don  Juan  que  certains  théâtres 
-allemands  croient  pouvoir  se  permettre. 

—  Il  est  fort  rare  que  les  enfants  d'un  grand  chanteur  soient  doués  d'une 
belle  voix.  Cette  règle  est  cependant  sujette  à  des  exceptions.  Ainsi,  le  fils 
du  célèbre  baryton  Eugène  Gura,  de  Munich,  semble  avoir  hérité  de  la 
voix  et  du  talent  de  son  père,  et  il  vient  de  chanter  avec  beaucoup  de  succès 
à  Munich.  On  espère  qu'il  prendra  dans  quelques  années  le  poste  de  son 
père,  après  s'être  perfectionné  dans  quelques  théâtres  de  moindre  impor- 
tance, selon  la  vieille  coutume  allemande. 

—  Le  roi  de  Wurtemberg  a  nommé  membre  honoraire  des  théâtres 
royaux  le  ténor  Sontheim,  qui  s'est  retiré  de  la  scène  il  y  a  quelques  années. 
Sontheim,  qui  a  joui  pendant  plus  de  trente  ans  d'une  grande  vogue  en 
Allemagne,  avait  une  voix  d'une  beauté  exceptionnelle  :  même  actuellement 
il  dispose  encore  de  beaux  restes.  Il  est  loin  d'ailleurs  d'être  aussi  âgé  que 
Duprez,  le  doyen  des  ténors  européens;  mais  Sontheim  vient  cependant 
de  célébrer  son  76'=  anniversaire. 

—  Le  théâtre  ducal  de  Brunswick  vient  de  jouer  pour  la  première  fois, 
non  sans  succès,  un  nouvel  opéra,  le  Ménétrier,  musique  de  M.  A.  Schulz. 
Le  compositeur  est  chef  de  l'orchestre  ducal. 


—  Une  jeune  cantatrice  norvégienne,  M"'  Lalla  Wiborg,  élève  de  l'école 
de  chant  de  M""'  Natalie  Ilenisch,  s'est  produite  récemment  à  Dresde  avec 
succès.  Elle  s'est  fait  applaudir  en  chantant  au  Gewerbehaus  plusieurs 
morceaux  en  allemand  et  en  italien,  et  surtout  en  faisant  entendre,  en 
norvégien,  deux  lieder  d'Edouard  Grieg,  que  le  compositeur  a  orchestrés 
expressément  à  son  intention,  ce  qui  prouve  la  sympathie  qu'elle  lui 
inspire  et  la  confiance  qu'il  a  dans  son  talent. 

—  Une  bien  bonne  histoire  nous  est  racontée  par  les  journaux  de  Leipzig  : 
n  La  gare  d'une  petite  ville  des  environs  de  la  Wariburg  peut  se  vanter 
d'avoir  un  portier  qui  est  en  même  temps  un  excellent  organiste.  Quand 
le  cantor  de  l'église  protestante  de  cette  ville  tombe  malade,  ce  qui 
arrive  assez  souvent,  le  portier  musical  tient  l'orgue  à  ia  grande  satisfaction 
des  fidèles.  Dernièrement,  à  la  fête  de  Noël,  le  portier  devait,  une  fois  de 
plus,  remplacer  le  cantor.  Il  avait  déjà  joué  un  prélude  de  Bach  et  quelques 
morceaux  liturgiques  et  n'attendait  que  la  un  du  service  pour  exécuter  son 
dernier  morceau.  Mais,  fatigué  par  ses  fonctions  à  la  gare  la  nuit  précé- 
dente et  bien  disposé  à  un  petit  somme  par  le  sermon  interminable  du 
pastor  loci,  il  s'endormit  sur  son  siège.  Le  moment  arriva  enfin,  où  l'orga- 
niste devait  se  faire  entendre,  et  le  chanteur  le  secoua  fortement  en  le 
voyant  endormi.  Le  pauvre  portier,  qui  rêvait  de  son  métier  principal, 
s'éveilla  mal  et,  se  croyant  à  la  gare,  se  mit  à  crier  :  «  Train  express 
pour  Leipzig,  deuxième  voie,  en  voitures!  » 

—  Le  théâtre  royal  de  Copenhague  vient  de  jouer  pour  la  première  fois 
Lakmr,  de  Léo  Delibes,  avec  un  succès  marqué. 

—  Nous  recevons  de  Stockholm  la  correspondance  suivante  :  «  On  vient 
de  donner  la  Manon  de  Massenet  pour  la  première  fois  à  l'Opéra-Royal,  avec 
grand  succès.  Toute  la  salle  était  louée  deux  jours  à  l'avance.  M""  Petrini 
a  créé  le  rôle  à  merveille,  et  la  charmante  artiste  n'a  pas  été  rappelée 
moins  de  vingt-neuf  fois  au  cours  de  la  soirée  !  lia  «  première»  de  Manon 
a  donc  été  un  vrai  triomphe  pour  le  compositeur  et  pour  ses  interprètes  » . 

—  Un  compositeur  suédois,  M.  André  Hallen,  vient  de  donner  à  Hel- 
singfors,  avec  le  concours  du  chanteur  Lamberg  et  de  la  Société  philhar- 
monique, un  concert  pour  l'audition  de  quelques  œuvres  de  sa  composition. 
On  cite  une  Rapsodie  suédoise  (n"  2),  une  ballade,  Skogsrael,  pour  baryton 
et  orchestre,  deux  pièces  pour  orchestre  et  une  suite  symphonique  «d'après 
la  légende  de  Waldemar».  Le  succès  a  été  considérable. 

—  Le  Werther  de  M.  Massenet,  traduit  en  russe,  est  en  ce  moment  en 
répétition  au  théâtre  impérial  de  Saint-Pétersbourg.  Les  deux  rôles  de 
Werther  et  de  Charlotte  seront  tenus  par  M.  et  M""  Figner,  les  deux  artistes 
favoris  du  public. 

—  Le  jeune  pianiste  Joseph  Hofmann  continue  la  série  de  ses  triomphes 
en  Russie,  et  devient  décidément  le  héros  du  dilettantisme  moscovite. 
H  En  moins  de  deux  mois,  dit  le  Journal  (français)  de  Saint-Pétersbourg,  faire 
sept  fois  salle  comble  à  l'hôtel  de  l'Assemblée  de  la  noblesse,  cela  ne  s'était 
pas  vu  depuis  les  Concerts  historiques  du  Rubinstein,  et  quand  on  pense 
que  ce  miracle  a  été  opéré  par  un  pianiste  débutant,  un  adolescent,  presque 
inconnu  la  veille  de  son  premier  concert,  il  faut  convenir  que  c'est  là  un 
fait  sans  exemple.  »  A  son  concert  d'adieux,  le  jeune  Hofmann  a  produit 
un  véritable  enthousiasme,  surtout  en  exécutant,  avec  uù  sentiment  poé- 
tique pénétrant,  le  Nocturne  en  fa  de  Chopin  et  la  Marguerite  de  Schubert, 
qui  lui  a  valu  une  ovation  inénarrable.  On  l'a  applaudi  de  nouveau  avec 
fureur  à  la  suite  d'une  mazurka  de  Chopin  et  de  la  Sérénade  du  matin  de 
Schubeit. 

—  Le  Fra  Diavolo  d'Auber  vient  d'être  joué  à  Moscou,  avec  un  succès 
vraiment  triomphal.  Il  est  vrai  que  l'interprétation  devait  être  idéale  avec 
des  artistes  tels  que  Masinî  (Fra  Diavolo),  M"""  Sigrid  Arnoldson  (Zerline), 
Dufriche  (Mylord)  et  M""!  Solera  (Paméla). 

—  En  Russie,  le  droit  des  pauvres,  qui  grève  si  lourdement  le  budget 
des  théâtres  parisiens,  existe  aussi  peu  que  dans  les  autres  pays  européens, 
mais  les  salles  de  spectacle  et  de  concert  sont  obligées  de  contribuer,  dans 
une  certaine  proportion,  aux  institutions  de  charité  fondées  par  l'impéra- 
trice Marie.  Pour  ce  motif,  on  a  dressé  une  liste  exacte  de  tous  ces  établis- 
sements et  on  a  appris  qu'il  existe  actuellement  en  Russie  17'i  théâtres, 
90  salles  de  concert  et  ll"2  sociétés  musicales  et  dramatiques.  Le  nombre 
total  de  tous  les  lieux  de  plaisir  soumis  à  l'impôt  mentionné  est  de  l.'iS.'j. 
Certains  grands  gouvernements  russes  ne  possèdent  pas  un  seul  établisse- 
ment de  plaisir.  Le  rendement  de  l'impôt  est  donc  fort  différent.  A  Saint- 
Pétersbourg,  on  obtient  161.548  roubles,  soit  646. ICO  francs,  ce  qui  est  un 
joli  denier. 

—  Les  journaux  hollandais  sont  unanimes  à  constater  le  grand  succès 
remporté  par  M"=  Clotide  Kleeberg  à  Amsterdam,  à  La  Haye,  à  Rotterdam 
et  dans  les  principales  villes  de  Hollande.  Partout,  la  charmante  pianiste 
française  a  été  fêtée  et  acclamée. 

—  Un  déluge  de  premières  représentations  en  Italie.  Au  Regio  de  Turin, 
c'est  d'abord  la  Bohême,  de  M.  Puccini,  au  sujet  de  laquelle  on  écrit  au 
journal  l'Italie  :  «  La  Bohème  a  eu  un  grand  succès,  surtout  aux  premier, 
troisième  et  quatrième  actes.  Magnifique  exécution,  grâce  surtout  à  M.  Tos- 
canini.  Après  le  troisième  acte,  S.  A.  R.  la  princesse  Lictitia  a  fait  appeler 
l'auteur  pour  le  féliciter  du  succès,  de  l'exécution  et  de  la  mise  en  scène. 
Le  public  a  salué  d'applaudissements   enthousiastes    Puccini,  Toscanini 


Lt  MÉNESTREL 


47 


et  l'orchestre  après  chacun  des  actes.  Nombreux  rappels.  La  musique  et 
le  librttto  sont  remarquables  par  leur  originalité,  leur  vivacité,  leur  brio, 
ce  qui  n'e,\clut  pas  les  passages  émouvants.  »  —  Moins  heureuse  parait 
avoir  été  au  Dal  Verme  de  Milan  la  Corligiana,  opéra  en  quatre  actes  de 
M.  G.-T.  Cimino  pour  les  paroles,  de  M.  Scontrino  pour  la  musique  (30  jan- 
vier). On  reproche  au  livret,  qui  a  pour  sujet  un  épisode  romanesque  du 
siège  de  la  Hochelle  par  Richelieu,  sa  structure  banale,  rendue  plus 
fâcheuse  encore  par  d'interminables  longueurs  qu'on  retrouve  dans  la  parti- 
lion,  dont  l'inspiration  ne  brille  pas  par  une  fraîcheur  juvénile.  Les 
interprètes  sont  MM.  Tamburlini,  Garbin,  Sottolana  et  M™  Stehle,  qui  ne 
laissent  rien  à  désirer.  Succès  conlrastalo,  comme  on  dit  là-bas.  —  Il  en  est 
à  peu  près  de  même  au  théâtre  Social  de  Côme  pour  Ettore  Fieramosca, 
le  nouvel  opéra  en  trois  actes  dont  M.  Vincenzo  Ferroni,  professeur  au 
Conservatoire  de  Milan,  a  écrit  les  paroles  et  la  musique,  et  qui  a  été 
représenté  le,2B  janvier.  Livret  faible,  musique  n  bien  faite  o,  à  laquelle  la 
personnalité  fait  complètement  défaut.  Bonne  interprétation  de  la  part  de 
Mm.s  Busi  et  Bruno,  de  MM.  Saagnes,  Valassa  et  Baldassari.  —  Médiocre 
succès  encore,  le  2S  janvier,  au  Nazionale  de  Rome,  pour  Fadetle,  opéra 
en  trois  actes,  paroles  de  M.  Bartocci-Fontana,  musique  de  M.  Dario  de 
Rossi,  auquel  l'Italie  se  borne  à  consacrer  ces  quelques  lignes  dédaigneuses  : 
«  Nous  ne  dirons  rien  de  Fadelle,  le  nouvel  opéra  de  M.  De  Rossi,  repré- 
senté pour  la  première  fois,  hier  soir,  au  Nazionale,  les  amis  de  l'auteur 
ayant  organisé  une  de  ces  claques  si  ridiculement  bruyan'tes  faisant  revenir 
sur  scène,  à  chaque  mesure,  ce  malheureux  compositeur  en  herbe.  11  nous 
a  donc  été  impossible,  devant  un  tel  fracas  d'applaudissements  fastidieux, 
de  noter  les  phrases  musicales,  quelque  mauvaises  qu'elles  fussent,  et  de 
retenir  même  un  lambeau  de  phrases  de  sa  partition,  destinée,  hélas  !  à 
l'oubli.  »  —  Enfin,  à  Plaisance,  on  a  représenté  Aida,  opéra  du  maestro 
Romaniello  sur  lequel  nous  n'avons  pas  encore  de  détails,  mais  dont  le 
succès  parait  n'avoir  pas  été  non  plus  des  plus  brillants. 

—  Enregistrons  aussi  l'apparition  de  deux  opérettes  nouvelles  :  l'une, 
(/  Seminarista,  paroles  de  M.  Umberto  Capello,  musique  de  M.  Raffaele 
Caravaglios,  représentée  à  Alcamo  ;  l'autre,  il  Paradiso  terrestre,  paroles  de 
M.  Ulisse  Barbieri,  musique  de  M.  Pannaria,  représentée  au  Métastase  de 
Rome  avec  M"'=  Emilia  Persico  dans  le  rôle  —  sinon  dans  le  costume  — 
d'Eve. 

—  On  nous  écrit  de  Rome  que  la  vie  musicale  a  pris  cette  année  un 
grand  essor  dans  la  capitale  italienne.  Au  théâtre  Costanzi  ont  lieu  les 
séances  du  Quintette  classique  dirigé  par  M.  GuUi,  et  de  la  société  Bach 
que  dirige  M.  Costa.  A  la  salle  Principe  Umberto,  vont  commencer  celles  du 
Quintette  de  la  Reine,  à  la  tète  duquel  se  trouve  M.  Sgambati,  qu'on  peut 
considérer  comme  le  chef  du  mouvement  musical  à  Rome,  tandis  qu'à  la 
nouvelle  et  belle  salle  de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  (Conservatoire)  on 
annonce  quatre  grands  concerts  de  musique  classique.  Mais  là  où  le 
public  accourt  surtout  enfouie,  c'est  à  la  salle  Dante,  où  la  Société  orches- 
trale de  M.  Ettore  Pinelli,  qui  en  est  à  sa  27'-'  année  d'existence,  vient  de 
donner  un  concert  extrêmement  brillant  dans  lequel  M""^'  de  Bonucci,  une 
élève  de  M.  Benjamine  Cesi,  a  remarquablement  exécuté  le  i"  concerto 
de  Beethoven,  qui  lui  a  valu  un  très  grand  succès  ;  au  programme  du  pro- 
chain concert  figure  la  belle  symphonie  pour  orchestre  et  orgue  de 
M.  Alexandre  Guilraant.  Le  29  janvier,  à  l'église  Saiut-Louis-des-Français, 
excellente  musique  au  service  religieux  célébré  pour  le  repos  de  l'àme  de 
M""'  Jacob  Desmaller,  belle-mère  de  M.  Eugène  Guillaume,  l'éminent  direc- 
teur de  l'Académie  de  France.  Toute  la  colonie  française  de  Rome  assistait 
à  cette  cérémonie  avec  l'ambassadeur  de  France,  M.  Billot,  et  tout  le  per- 
sonnel de  l'ambassade. 

—  Un  journal  de  Milan,  il  Mondo  artislwo,  dans  un  rapide  coup  d'oeil  jeté 
sur  l'histoire  de  la  Scala,  rappelle  un  souvenir  de  Rossini.  «Après  la  re- 
présentation de  la  Pietra  del  piiragone,  dit-il,  Rossini  devint  l'idole  de  la 
société  milanaise.  C'est  pour  la  Scala  qu'il  écrivit,  en  1814,  Aareliaiio  in 
Palmira,  qui  ne  plut  pas,  et  il  Turco  in  Italia,  pour  la  rentrée  de  Galli,  la 
célèbre  basse.  Le  personnage  représenté  par  Galli  devait  chanter  eu  entrant 
en  scène  : 

Bell'  Italia  !  alfmli  miro, 

¥i  saluto,  amiche  sponde. 
Le  public  trouva  que  Rossini  avait  traité  un  peu  légèrement  cette  invo- 
cation si  bien  appropriée  à  la  circonstance,  et,  tout  en  applaudissant  le 
chanteur,  se  montra  froid  à  l'égard  du  compositeur.  Cet  incident  l'indisposa, 
et  il  partit  alors  pour  Naples  ;  mais  trois  ans  après  il  revint  à  Milan,  pour  y 
donner  sa  Gazza  ladra.  Les  Milanais  se  rendirent  en  foule  ay  théâtre  avec 
l'intention  de  le  siffler.  Mais  la  Gazza  ladra  désarma  tous,  les  vrais  dilet- 
tantes, qui  firent  au  grand  maitre  une  ovation  enthousiaste.  La  vogue  des 
opéras  de  Rossini  prit  alors  de  telles  proportions  que  pendant  quelque 
temps  il  eut  le  monopole  presque  e-xclusif  du  répertoire  de  la  Scala.  Pour- 
tant il  n'écrivit  plus  pour  Milan  qu'un  seul  opéra,  Bianca  e  Faliero,  qui  n'ob- 
tint qu'un  très  médiocre  succès». 

—  Un  de  nos  confrères  de  Milan,  le  journal  îï  Teafro,  publie  le  programme 
d'un  concours  très  libéralement  ouvert  par  lui  entre  musiciens  italiens  et 
étrangers  pour  la  composition  d'un  opéra  en  un  acte.  Quatre  prix  de 
o.OOO,  l.oOO,  l.OUO  et  500  francs  (dont  le  montant  est  déposé  dès  aujourd'hui 
dans  une  maison  de  banque)  seront  attribués  aux  meilleures  partitions, 
de  même  qu'un  prix  de  1.000  francs  est  réservé  au  meilleur  livret,  qui 
devra  être  écrit  originairement  en  italien.  Aucune  condition  d'âge   ni  de 


nationalité.  La  propriété  des  œuvres  reste  h  leurs  auteurs.  Celles-ci 
doivent  être  entièrement  nouvelles,  n'avoir  jamais  pris  part  à  aucun 
concours  et  ne  pas  dépasser,  pour  l'exécution,  la  durée  d'une  heure.  Le 
choix  du  sujet  et  le  genre  de  la  musique  (comique,  sérieux,  romantique, 
classsique,  etc.)  sont  complètement  libres  ;  la  partition  peut  contenir  des 
chœurs  ou  un  ballet;  sont  exclus  seulement  les  ouvrages  qui  comporteraient 
une  mise  en  scène  ou  une  machination  compliquée.  Le  dispensateur 
généreux  de  ce  concours  est  M.  Gagor  Steiner,  qui  s'engage  à  faire  repré- 
sentera Vienne,  au  cours  de  l'Exposition  qui  aura  lieu  en  cette  ville  de 
juin  à  octobre  1896,  les  six  ouvrages  considérés  comme  les  meilleurs  par 
le  jury  nommé  à  cet  efl'et.  Les  artistes  qui  voudraient  prendre  part  à  ce 
concours  peuvent  en  demander  le  programme  à  la  direction  du  journal 
il  Tealro,  3,  via  San  Rafaele,  à  Milan. 

—  Nous  engageons  l'auteur  des  éphémérides  nouvellement  publiées  par 
le  Mondo  artistico  à  se  renseigner  d'une  façon  plus  certaine.  Le  'Petit  Duc,  de 
M.  Gh.  Lecocq,  a  été  représenté  le  23  janvier  1878  non  à  l'Opéra-Comique, 
comme  il  le  dit,  mais  au  théâtre  de  le  Renaissance.  Quant  à  la  Bergère 
châtelaine  (la  Pastorctla  castellana),  ce  n'est  point,  comme  il  le  dit  .encore,  le 
premier,  mais  bien  le  troisième  opéra  d'Auber,  qui  avait  donné  auparavant 
le  Séjour  militaire  et  le  Testament  et  les  Billets  doua. 

—  Voici  qu'on  vient  de  traduire,  de  jouer  et  de  publier  en  Italie  un  opéra 
français  d'un  compositeur  italien,  le  Maitre  de  Cliajielle,  de  Paër,  dont 
l'apparition  à  Paris  remonte  au  29  mars  1821.  Mais,  chose  singulière,  on 
a  suivi  la  tradition  actuelle  et  sotte  de  l'Opéra-Comique,  où,  au  lieu  des 
deux  actes  qu'il  comporte,  on  joue  aujourd'hui  l'ouvrage  en  un  seul  acte, 
c'est-à-dire  qu'on  n'en  donne  que  le  premier,  si  bien  que  la  pièce  reste 
interrompue  et  qu'elle  n'a  plus  ni  queue  ni  tète.  On  n'indique  même  pas 
sur  l'affiche  qu'on  n'en  donne  qu'un  fragment,  et  on  qualifie  bravement 
cette  moitié  du  Maitre  de  Chapelle  «  opéra-comique  en  un  acte  ».  Il  est 
probable  que  si  surtout  l'aimable  auteur  du  livret.  M""'  Sophie  Gay,  reve- 
nait en  ce  monde,  elle  serait  peu  flattée  de  l'emploi  d'un  tel  procédé,  qui 
enlève  à  ce  livret  toute  sa  signification. 

—  Au  théâtre  Social  de  Castelfiorentino,  première  représentation, 
accueillie  avec  faveur,  d'une  opérette  nouvelle,  i  Ciarlatani  di  Spagna,  avec 
musique  de  M.  Pindaro  Salvoni. 

—  Succès  à  la  Zarzuela  de  Madrid,  pour  une  saynète  lyrique,  la  Rueda 
de  la  Fortuna,  paroles  de  MM.  Larra  et  GuUon,  musique  de  M.  Fernandez 
Caballero. 

—  On  est  en  train  de  construire  à  Montréal  (Canada)  un  »  théâtre 
biblique  ».  Toutes  les  pièces  et  opéras  qui  seront  représentés  sur  ce  théâtre 
doivent  être  tirés  de  la  Bible. 

—  A!San;Antonio,  dans  le  Texas,[existe  une  Société  chorale  allemande 
Beethoven,  qui  vient  de  contruire  pourses  concerts  une  salle  qui  ne  lui  coûte 
pas  moins  de  bOO.OOO  francs. 

PARIS   ET   DEPARTEIÏIENTS 

Il  est  fort  probable  que  ce  sera  M.  Raoul  Pugno,  le  remarquable 
virtuose  et  le  grand  artiste  qu'on  sait,  qui  prendra  au  Conservatoire  la 
classe  de  piano  laissée  vacante  par  la  mort  du  regretté  Fissot,  le  ministre 
ayant  donné  son  approbation  à  cette  proposition  de  M.  Ambroise  Thomas. 
M.  Pugno  serait  remplacé  dans  la  classe  d'harmonie  qu'il  faisait  aupa- 
ravant par  M.  Xavier  Leroux,  le  jeune  compositeur  d'ÉvangéUne,  Ce  seraient 
là  deux  choix  excellents. 


dans   le  midi  de   la 
e  de    composition  au 


—  M.  Massenel  est  de  retour  à  Paris  de  son 
France  et  en  Italie.  Dès  vendredi,  il  a  repris  sa 
Conservatoire. 

—  M"''  Van  Zandt  quitte  Paris  aujourd'hui  dimanche  pour  se  rendre  à 
Bruxelles,  où  elle  va  donner  des  représentations  de  Mignon  et  de  Laknté. 

—  M""»  de  Nuovina,  qui  a  dû  interrompre  en  plein  succès  les  représen- 
tations de  la  Navarraise  à  Paris,  pour  remplir  un  engagement  d'un  mois 
qu'elle  avait  contracté  avec  le  Grand-Théâtre  de  Lyon,  vient  d'y  débuter 
«  triomphalement  »,  disent  les  dépêches,  dans  le  rùle  de  Marguerite  de  Faust. 
Les  Lyonnais  ont  été  conquis  comme  les  Parisiens  par  «  sa  voix  puissante  et 
son  jeu  passionné  ".  Le  14  elle  chantera  la  Navarraise,  qui  sera  accompagnée 
sur  l'affiche  du  joli  ballet  de  Massenet,  le  Carillon,  qui  fut  donné  pour  la 
première  fois  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  et  qu'on  ne  connaît  pas  encore 
à  Paris.  En  mars,  M"»^  de  Nuovina  ira  donner  quelques  représentations  à 
Monte-Carlo,  puis  elle  reviendra  se  remettre  à  la  disposition  de  M.  Garvalho, 

—  A  l'Opéra-Comique,  c'est  décidément  Orphée  qui  prend  le  pas  sur  le 
Chevalier  d'Harmeidal,  arrêté  pour  les  remaniements  dont  nous  avons  parlé. 
On  répète  à  force  l'œuvre  de  Gluck.  Les  rôles  sont  sus,  les  décors  sont 
prêts,  les  chœurs  commencent  leurs  études  et  l'orchestre  va  entrer  en 
danse.  Tout  fait  donc  espérer  que  la  première  de  cette  reprise  sera  donnée 
vers  la  fin  du  mois. 

—  On  songe  également  sérieusement  au  théâtre  de  M.  Garvalho  à  une 
repiise  AaPardon  de  Ploèrmel,  avec  la  distribution  suivante  :  IIocl,  M.  Bouvet; 
Corentin,  M.  Carbonne;  Dinorah,  M"^  Parentani  ;  le  pâtre,  M"=  Wyns. 

—  La  direction  de  l'Opéra-Comique  a  engagé  cette  semaine  pour  trois 
années.  M"""  François  Oswald,  la  veuve  de  notre  regretté  confrère. 


48 


LE  MENESTREL 


—  Le  percement  de  la  rue  Réaumur,  qui  s'achève,  va  faire  disparaître 
dans  la  rue  Montmartre,  à  côté  de  la  maison  :  A  l'Image  de  la  Grosse  tète 
(numéro  12â),  celle  fort  modeste  que  Paisiello  habita  pendant  son  séjour  à 
Paris  (1802-1S04).  Cette  maison  fut  habitée  aussi  par  Strauss,  le  chef  d'or- 
chestre des  bals  de  la  cour  et  de  l'Opéra  sous  Napoléon  III. 

—  Deux  concerts  spirituels  seront  donnés  à  l'Opéra  le  Jeudi  Saint  2  avril 
et  le  samedi  4  avril,  où  seront  entendus  le  Saint  Georges  de  M.Vidal  et  le  Requiem 
de  M.  Bruneau,  deux  compositeurs  qui  se  sont  trouvés  en  loge  ensemble  lors 
des  concours  de  Rome.  Un  grand  festival  clôturera,  vers  la  fin  d'avril, 
cette  brillante  série  de  concerts. 

—  Jeudi  prochain  13  février,  à  S  heures  et  demie,  salle  Pleyel,  aura 
lieu,  sous  la  présidence  de  M.  Victorin  Joncières,  l'assemblée  générale 
annuelle  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique.  Le  rapport  sur  les 
travaux  de  l'année  sera  présenté  par  M.  Arthur  Pougin,  secrétaire-rap- 
porteur. On  procédera  ensuite  aux  élections  pour  le  renouvellement  partiel 
du  comité. 

—  L'École  de  musique  classique  fondée  par  Kiedermeyer  et  si  bien 
dirigée  aujourd'hui  par  son  gendre,  M.  Gustave  Lefévre,  vient  d'être  trans- 
férée du  passage  des  Beaux-Arts,  où  elle  était  fixée  depuis  si  longtemps. 
au  Parc  des  Princes  (Bois  de  Boulogne)  où  un  superbe  local  vient  d'être 
aménagé  expressément  à  son  intention.  L'Ecole,  qui  a  instruit  et  placé, 
depuis  sa  fondation,  400  organistes  et  maîtres  de  chapelle,  se  trouvera  là 
dans  d'excellentes  conditions  artistiques  et  hygiéniques  pour  les  élèves 
qui  viennent  lui  demander  leur  éducation  musicale.  Pour  fêter  sa  nouvelle 
installation,  elle  donnera  mardi  prochain  11  février,  à  deux  heures,  une 
brillante  séance  musicale  dans  laquelle  on  entendra  son  nouvel  orgue 
pneumatique,  instrument  remarquable  qui  comprend  12  jeux  et  deux 
claviers  à  mains  de  32  notes  chacun,  avec  un  clavier  de  pédales  de  32  notes. 
M.  Loret,  professeur,  exécutera  sur  cet  orgue  une  sonate  de  Mendelssohn, 
les  élèves  Massuelle  et  Frommer  un  thème  de  fugue  de  Bach  et  la  l'"^  so- 
nate du  même  maître;  M.  Paul  Viardot,  professeur  d'accompagnement, 
jouera  une  sonate  de  Haendel  pour  piano  et  orgue,  et  les  variations  de 
Tartini  sur  une  gavotte  de  Gorelli.  La  séance  promet  donc  d'être  particu- 
lièrement intéressante. 

^  La.  Rapsodie  cambodgienne  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  qui  sera  exécutée 
aujourd'hui  au  concert  de  l'Opéra,  doit  être  aussi  interprétée  prochaine- 
ment à  Gènes,  avec  la  transcription  de  M.  Léon  Chic,  par  la  musique  munici- 
pale. Le  Caffaro  dans  un  article  développé,  très  élogieux,  annonce  la 
prochaine  exécution  comme  devant  faire  autant  d'honneur  au  compositeur 
qu'à  ses  interprètes. 

—  M.  Constant  Pierre  s'est  imposé  la  tâche  de  ne  rien  laisser  ignorer 
au  public  de  ce  qui  concerne  l'histoire  de  nos  institutions  nationales  de 
musique.  Les  deux  nouvelles  brochures  qu'il  publie  chez  Tresse  et  Stock 
se  recommandent,  comme  les  précédentes,  par  la  sûreté  des  documents  et 
l'attrait  de  l'inédit.  La  première,  consacrée  aux  Anciennes  Ecoles  de  déclama- 
tion dramatùjue,  réunit  une  série  d'articles  publiés  récemment  dans  le 
Ménestrel.  La  seconde  retrace  l'historique  de  VÉcole  de  chant  de  l'Opéra  (1672- 
1807).  On  y  trouve  reproduit  un  manuscrit  jusqu'ici  inconnu  de  Gossec, 
exposant  un  ensemble  de  critiques  sur  VJicole  et  des  vues  sur  une  meil- 
leure organisation.  I!  y  fait  un  procès  curieux  des  méthodes  et  du  per- 
sonnel enseignant  de  l'époque.  E.  de  B. 

—  A  Bordeaux,  le  Cercle  Philharmonique  vient  de  donner  son  second 
concert  avec  un  éclatant  succès.  Au  programme  M.  Jehan  Smit,  l'élève 
préféré  de  Vieuxtemps,  M"'=  Fiérens,  qu'on  a  littéralement  acclamée  dans 
l'air  :  «  Il  est  bon,  il  est  doux  »  à'Hérodiade,  et  le  très  artistique  orchestre 
de  M.  Ch.  Haring,  qui  a  superbement  joué  l'ouverture  du  Roi  d'Ys. 

—  A  Rennes,  au  concert  populaire  de  dimanche  dernier,  grand  succès 
pour  la  charmante  pianiste  M"'^  Weingaertner  avec  une  sonate  de  Chopin, 
la  Barcarolle  et  la  Tarentelle  de  Rubinstein,  le  Nocturne  de  Tschaîkowski, 
et  des  transcriptions  de  Liszt.  Devant  l'ovation  qui  lui  était  faite,  elle  a 
dû  ajouter  encore  au  programme  VAir  à  danser  de  Pugno. 

—  Encore  nn  joli  succès  dans  un  concert  à  Mantes  pour  M°"-"  Mathieu, 
avec  les  Caprices  de  la  reine  et  les  Poupées  de  Claudius  Blanc  et  Léopold 
Dauphin. 

—  CoscEBTS  ET  SOIRÉES.  —  Très  bcau  concert,  le  mardi  28  Janvier,  à  la  salle 
Érard,  où  la  société  instrumentale  d'amateurs  la  Tarentelle  se  faisait  entendre. 
On  a  chaleureusement  applaudi  l'orchestre  et  les  arlisles  qui  avaient  bien 
voulu  prêter  le  concours  de  leur  talent:  M""'  d'Ergy,  cantatrice  très  remar- 
quable, dans  Pensées  d'automne  de  J.  Massenet,  et  dans  la  cantilène  du  Clievalier 
Jean  de  Joncières  ;  M.  Ciampi  dans  '  Pauvre  Martyr  »  de  Patrie,  de  Paladilhe  ; 
M"'  Charlotte  Vormèse,  la  virtuose  violoniste  si  appréciée,  et  M"°  Renée  Delerba, 
également  violoniste,  dans  le  Rondo  Capriccioso  de  Saint-Sacns  pour  violon  et 
orchestre.  —  iM"' Lafaix-Gontié  a  repris  la  série  de  ses  matinées  mensuelles. 
Les  deux  dernières,  très  brillantes,  ont  encore  fait  valoir  la  sûreté  et  l'élégance 
de  sa  méthode.  Ont  été  très  applaudis  des  morceaux  de  Xaviére,  le  joli  opéra- 
comique  de  M.  Th.  Dubois,  ainsi  que  le  bcau  et  difficile  duo  des  deux  femmes 
dans  le  Proyjltéle!  Enfin,  le  cithariste  M.  llaufTmann  a  tenu  ses  auditeurs  sous 
le  charme  de  son  talent  expressif  et  délicat.  —  Très  charmant  «  fîve  oclock  >.,  la 
semaine  dernière,  chez  M"'  la  comtesse  de  l'isle  de  Fieff.  On  y  a  entendu 
M"°  Jenny  Dasti,  une  brillante  élève  de  M°"  Emilie  Ambre-Bouichère,  qui  a  chanté 
plusieurs  mélodies  d'Émilo  Bouichère  :  Vlnvoadion  à  Lorelcu,  la  Berceuse  et  t'Aulie,      | 


cette  dernière  avec  accompagnement  de  violon  par  M.  Paul  Oberdceffer.  — 
Dimanche  26  janvier,  salle  Érard,  brillante  audition  des  élèves  de  M"'  Alice 
Marchai.  A  signaler  parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis  :  la  valse  de 
coneert  de  Diémer,  et  la  Sérénade  éi  la  tune,  de  Pugno,  par  M.  Georges  G.  ;  le 
Caprice  de  Mendelssohn  en  la  mineur,  par  M"-  Anne-Marie  D.;  la  fantaisie 
Impromptu  de  Chopin  par  M""  LéontineB.;  l'Aragonaise  duCidparM"'"ïvonneB.; 
la  méditation  de  Thais  par  M"'  Jeanne  R.:  le  nocturne  de  Chopin  en  mi  par 
M"-  Madeleine  W.  La  voix  superbe  de  M"'  Julie  Weill  et  les  spirituelles  chan- 
sons de  M.  Teulet  ont  ravi  l'auditoire,  ainsi  que  l'exécution  d'une  sonate  de 
Mendelssohn  pour  violon  et  piano  par  M"-'  Alice  Marchai  et  Alice  Vigué.  — 
Très  intéressant,  le  concert  donné  à  la  Bodinière  par  la  jeune  harpiste 
M"'  Achard,  dont  le  talent  fin  et  délicat  de  virtuose  se  double  aujourd'hui  de 
celui  de  compositeur.  Elle  s'est  fait  applaudir  dans  divers  morceaux,  et  son 
succès  a  été  partagé  par  M"'  Grandjean  et  M.  Ilollman  dans  la  Chanson  d'amour 
de  ce  dernier,  pour  chant,  violoncelle  et  harpe.  M.  Pugère,  de  l'Opéra-Comique, 
s'est  fait  acclamer  en  chantant  d'une  façon  délicieuse  Pensée  d'automne,  de 
Massenet,  et  Plaisir  d'amour,  de  Martini. 

NÉCROLOGIE 
Le  24  janvier  est  mort  à  Naples  un  artiste  fort  distingué,  Michèle  Ruta, 
à  la  fois  professeur  éminent,  compositeur  fertile  et  écrivain  sur  la  mu- 
sique. Fils  et  petit-fils  de  musiciens,  il  fut,  comme  son  père  et  son  aïeul, 
élève  du  Conservatoire  de  Naples,  où  il  eut  pour  professeurs  Lanza,  Cima- 
rosa  fils,  Crescentini,  Parisi,  Francesco  Ruggi  et  Carlo  Conti.  Nous  ne 
saurions  raconter  ici  l'existence  de  cet  artiste  fort  intéressant,  et  nous 
devons  nous  borner  à  une  énumération  sommaire  de  ses  travaux.  Né  à 
Gaserte  en  1827,  Ruta  fit  ses  débuts  de  compositeur  dramatique  en  don- 
nant à  Naples,  en  1833,  un  drame  lyrique  intitulé  Leonilda.  Il  fit  jouer 
ensuite  Diana  di  Vitry  (Fondo  1839),  l'Imprésario  in  progelto  (id.  1873),  et 
écrivit  aussi  la  partie  musicale  d'une  Rtvista  del  'ISliS  représentée  au  même 
théâtre.  C'est  pour  le  même  théâtre  encore  qu'il  composa  la  musique  d'un 
grand  nombre  de  drames  populaires  :  Don  Giovanni  di  Marana,  Faust,  la 
Nolte  di  San  Bartolomeo,  la  ilonaldesca ,  Antonio  Foscarini,  la  Griselda,  un 
Santo  ed  un  Palrizio,  ainsi  que  celle  d'un  ballet  intitulé  Imelda.  On  lui  doit 
encore  un  grand  nombre  de  Messes,  un  Te  Denni,  des  motets,  et  plusieurs 
albums  de  mélodies  vocales,  un  recueil  de  Canti patriotici  et  un  Ti'aité  d'har- 
monie. Enfin,  Ruta  fut  rédacteur  musical  du  Carrière  del  mattino,  fonda  et 
dirigea  lui-même  un  journal  spécial,  la  Musica,  et  a  publié  plusieurs  écrits 
utiles  et  intéressants. 

—  Une  cantatrice  fort  remarquable,  qui  eut  en  Italie,  et  même  en  Alle- 
magne, son  heure  de  véritable  célébrité,  M""=  Luigia  Abbadia,  vient  de 
mourir  à  Rome,  à  l'âge  de  74  ans;  Fille  d'un  maître  de  chapelle  de  Gênes, 
où  elle  naquit  en  1821,  elle  était  à  peine  âgée  de  13  ans  lorsqu'elle  débuta 
de  la  façon  la  plus  heureuse  à  Sassari,  puis  à  Mantoue.  Elle  fut  engagée 
alors  par  le  fameux  imprésario  Merelli,  l'ami  de  Verdi,  qui  lui  fit  parcourir 
toute  l'Italie,  au  bruit  des  applaudissements.  A  Novare,  à  Brescia,  à  Bologne, 
à  Turin,  à  Padoue,  à  Milan,  elle  obtint  des  succès  retentissants,  non  seule- 
ment comme  cantatrice,  mais  comme  tragédienne  lyrique.  Douée  par  la 
nature  d'une  voix  de  mezzo  soprano  étendue,  sympathique,  puissante,  elle 
en  doublait  les  effets  par  l'art  avec  lequel  elle  la  conduisait  et  par  la 
grandeur  de  son  sentiment  dramatique.  Un  goût  parfait,  une  âme  expan- 
sive,  une  ardeur  brûlante,  un  rare  enthousiasme,  avec  cela  des  élans  d'ins- 
piration soudains  et  imprévus,  telles  étaient  les  qualités  nombreuses  et 
peu  communes  qui  faisaient  de  cette  cantatrice  remarquable  une  artiste 
exceptionnelle  et  de  premier  ordre.  Elle  était  admirable,  dit-on,  dans 
Maria  Padilla,  que  Donizetti  écrivit  expressément  pour  elle,  dans  la  'Vestale 
de  Mercadante,  dans  la  Saffo  de  Pacini  et  dans  YErnani  de  Verdi.  En  aban- 
donnant Id  scène  elle  s'était  consacrée  à  l'enseignement  du  chant,  et  l'on 
cite  entre  autres,  parmi  ses  élèves.  M"""  Giuseppina  Pasqua,  les  deux 
sœurs  Ravogli,  la  Monteleone,  etc. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

l'aiis.  AU  MÉNESTREL,  2  liis,  nie  Tiïiennr,  HEUGEL  &  C"  cdilcuis-pMriiilaires  puiir  Imis  |i«ys. 


CONCERTS    DE    L'OPERA 

Dimanche  9  février  1896. 

L.-A.  BOURGAULT-DUCOUDRAY 
Rapsodie  Cambodgienne 

Partition  orchestre,  net  :  25  francs. 
Parties  séparées  d'orchestre,  net:  50  fr.— Chaque  partie  suppl"- net:  21'r.  50. 


Réduction  pour  piano  à  quatre  mains  par  G.  CHEVILLARD  : 
l'»  Suite  :  7  fr.  50.  —  2=  Suite  :  9  fr. — Les  deux  suites  réunies,  net  :  4  fr. 

—  La  place  de  professeur  de  clarinette  à  l'École  nationale  de  musique 
de  Caen  et  de  première  clarinette  à  l'orchestre  du  théâtre  municipal  sera 
vacante  à  partir  du  1""'  mars  prochain.  Les  candidats  sont  priés  d'adresser 
leurs  demandes  au  directeur  de  l'École.  La  qualité  de  Français  est  obligatoire. 

—  En  vente  chez  l'auteur,  Alfred  Yung,  à  Bar-le-Duc,  les  Chants  du 
snactuaire,  70  morceaux  comprenant  messes,  motets,  litanies,  psaumes, 
antiennes,  cantiques,  etc.,  etc.,  à  1,  2  et  3  voix,  alternant  avec  des  solos. 


:   BERGERE,   20,   1 


Dimanche  16  Février  1891). 


3386.  —  62-  ANNÉE  —  l\°  7.  PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉ^TR-ES 

Henri    HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr,;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ^0  fc,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en  sus. 


SOl!.d:M:.^IR,E-TBX:TB 


1.  La  mort  d'Ambroise  Thomas,  Henri  Heucei..  —  II.  Âmbroise  Thomas,  notes  et  souvenirs,  Arthur  Pougin.  —  III.  Semaine  théâtrale  :  Débuts  de  M''*  Garnier  dans 
Lakmé  à  l'Opéra-Comique,  A.  P.;  premières  ruprésenlations  du  Dindon,  au  Palais-Royal  et  de  la  Fiancée  en  loierie,  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Émile  Chevalier.  — 
l'y.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour; 

LE  JOYEUX  LURON 

quadrille  de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  :  Fine  mouche, 

polka  du  même  auteur. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos   abonnés  à  la  musique  de  chant   recevront  dimanche,  prochain  : 

CHANSON 

de  LÉON  Delafosse.  —  Suivra  immédiatement  :  Sur  la  tombe  d'un  enfant,  de 

Xavier  Leroux. 


TLmjS%.      ]VC0X^.T7      X3'.^^IKE15X^0IS; 


7HOIMC.A.S 


Il  n'y  a  pas  un  mois  encore  que  le  public  de  l'Opéra  avait 
pu  fêter  Ambroise  Thomas,  quand  on  y  exécuta  ce  superbe 
prologue  de  Françoise  de  Bimini,  qui  semblait  sortir  tout  rayon- 
nant de  la  tombe  où  on  avait  pensé  l'enfermer.  On  vit  alors 
le  grand  vieillard  émerger  en  silhouette  blanche  du  fond  noir 
d'une  baignoire  et  saluer  la  foule  qui  l'acclamait  pour  la 
dernière  fois  :  visage  grave  comme  toujours,  mais  avec  plus 
de  tristesse,  comme  si  l'aile  de  la  mort  l'effleu- 
rait déjà. 

Déjà  en  effet  il  était  touché  et  on  le  put 
voir  frissonnant  derrière  la  toile  des  coulisses, 
assis  sur  une  chaise,  attendant  une  voiture 
qui  s'obstinait  à  ne  pas  venir,  mélancolique- 
ment heureux  de  son  succès,  avec  autour,  du 
front,  la  pâle  auréole  de  ceux  qui  vont  bientôt 
disparaître. 

Mais  c'était  un  fort  de  cœur  et  d'âme,  un 
corps  d'acier  qui  ne  se  rendait  pas  à  la  pre- 
mière sommation.  Tout  atteint  qu'il  se  sentit, 
il  n'en  voulut  pas  moins  remplir  tout  son 
devoir  et,  comme  c'était  période  d'examens 
au  Conservatoire,  il  continua  chaque  jour  sa 
tâche  de  directeur  et  de  président.  Le  soir,  il 
était  exténué  et  sa  respiration  devenait  diffi- 
cile. S'aliter  avant  l'heure,  il  n'y  voulait  pas 
consentir  :  «  Je  ne  pourrais  plus  me  relever, 
disait-il  ». 

Quanâ  ses  forces  le  trahirent  tout  à  fait,  il  fallut  bien 
pourtant  en  arriver  là,  et  il  ne  se  releva  plus,  comme  il 
l'avait  prévu.  Les  jours  passèrent,  avec  des  alternatives  d'espoir 
et  d'appréhension  pour  les  siens;  mais  lui,  il  ne  se  faisait  pas 
d'illusion  :  «  Gomme  c'est  long  pour  s'en  aller!  »  Ce  furent  les 
dernières  paroles  qu'il  nous  dit,  bas  à  l'oreille,  avec  un  geste 
désespéré  et,  quand    nous  le    quittâmes,    son    grand    regard 


Les    derniers    instants. 

bleu  nous  suivait  attendri  comme  dans  un  dernier  adieu.  Et 
que  de  bonté  dans  tout  ce  pauvre  être  qui  souffrait  et  qui 
ne  voulait  pas  le  laisser  paraître  :  «  'Voyez  comme  tout  est 
triste  autour  de  moi  et  à  cause  de  moi!  »  Et  il  tâchait  de 
sourire  à  chacun,  et  de  trouver  des  mots  aimables  et  gais. 

Et  puis,  un  jour,  la  tête  tomba  sur  l'oreiller,  et  c'était  fini. 

Ambroise  Thomas  dormait  son  dernier  sommeil,  laissant  un 

grand  souvenir  et  une  douleur  profonde  dans 

le  cœur    de   ceux   qui    l'avaient  tendrement 

aimé  et  si  hautement  estimé. 

Henri  Helgel. 
On  ne  sait  pas  encore  au  juste  le  jour  des  ob- 
sèques. Le  Gouvernement,  dont  l'existence  est  assez 
secouée  en  ce  momeni,  n'a  pu  trouver  l'instant 
favorable  de  faire  aux  Chambres  la  proposition  que 
ces  obsèques  fussent  nationales,  comme  on  a  fait 
pour  Charles  Gounod.  C'est  ce  qu'est  venu  expliquer, 
non  sans  quelque  embarras,  le  ministre  des  beaux- 
arts  à  M"»=  Ambroise  Ttiomas.  Sans  doute  pour  nos 
hommes  d'État,  la  disparition  d'un  grand  artiste 
compte  peu,  quand  elle  coïncide  avec  des  événements 
politiques  aussi  considérables  que  le  remplacement 
d'un  juge  d'instruction  dans  des  affaires  de  tripo- 
tages ou  l'arrivée  du  croquemitaine  Arton  à  Paris. 
En  attendant  le  boa  plaisir  de  nos  maîtres,  on  a 
donc  mis  en  bière  le  corps  d'Ambroise  Thomas  et 
on  l'a  déposé  dans  un  des  caveaux  de  l'Église  Saint- 


Eugène,  o'u  il  repose  enfoui  sous  les  fleurs  et  sous  les  couronnes 
qui  viennent  de  partout.  Ou  ne  l'en  tirera  pas  avant  jeudi,  peut-être 
même  vendredi  ou  samedi. 

En  quelle  église  célébrera-t-on  le  service?  Même  incertitude 
encore.  Sera-ce  à  la  Madeleine  oli  à  la  Trinité?  Plus  probablement 
à  Notre-Dame,  si  on  écoute  le  vœu  de  la  famille  de  l'illustre  dé- 
funt. L'orchestre  et  les  chœurs  du  Conservatoire  prendront  part  au 
programme. 


oO 


LE  MENESTREL 


AMBROISE    THOMAS 

ITOTES      ET     SOXJ"VB3SriPiS 


Le  courage  me  manquerait  pour  entreprendre,  en  ce  jour 
de  deuil,  une  étude  sur  la  vie  et  l'œuvre  du  grand  et  noble 
artiste  que  l'art  et  la  France  viennent  de  perdre  d'une  façon 
si  imprévue  et  si  rapide.  Qui  nous  aurait  dit,  lorsqu'il  y  a 
trois  semaines  à  peine,  à  l'avant-dernier  concert  de  l'Opéra, 
le  public,  qui  venait  d'entendre  le  superbe  prologue  de 
Françoise  de  Rimini,  faisait  au  vieux  maître  une  ovation  si  spon- 
tanée et  si  chaleureuse,  qui  nous  aurait  dit  qu'il  disparaîtrait 
si  tôt  et  que  nous  le  voyions  pour  la  dernière  fois  ?  Le 
cœur  se  serre  à  cette  pensée  et,  pour  ma  part,  je  n'aurais 
pas  l'esprit  assez  libre  pour  essayer  de  porter  un  jugement 
sur  l'œuvre  si  considérable  du  maître  que  j'aimais  d'une 
affection  aussi  sincère  que  respectueuse.  Je  me  bornerai  à 
grouper  ici  un  certain  nombre  de  notes  et  de  souvenirs  qu'on 
ne  trouvera  pas,  je  pense,  sans  quelque  intérêt,  remettant  à 
plus  tard  toute  espèce  d'appréciation  raisonnée.  L'heure  n'est 
pas  à  la  critique;  elle  est  tout  entière  au  regret  et  à  la 
douleur. 

*  * 

Charles-Louis-Ambroise  Thomas  était  né  à  Metz,  le 
5  août  1811,  d'un  père  et  d'une  mère  qui  tous  deux  profes- 
saient la  musique  en  cette  ville.  Je  possède  une  brochure  de 
huit  pages,  sans  date,  mais  évidemment  de  l'époque  de  la 
Restauration,  car  il  y  est  question  delà  chapelle  du  Roi,  qui 
a  pour  titre:  Prospectus  d\m  établissement  musiccd  à  Metz,  et  dont 
voici  les  premières  lignes:  «  M.  et  M""  Thomas  ont  l'honneur 
d'annoncer  qu'ils  viennent  d'ouvrir  une  École  d'enseignement 
mutuel  pour  la  musique,  à  l'instar  de  celles  de  Paris  et  de 
plusieurs  autres  grandes  villes,  pour  l'un  et  l'autre  sexe.  » 
L'auteur  de  cette  brochure  prend  le  titre  de  «  correspondant 
de  l'Ecole  royale  de  musique  de  Paris,  »  ce  qui  indique  suffi- 
samment que  c'était  un  artiste  capable  et  instruit. 

C'est  avec  son  père  que,  dès  l'âge  de  quatre  ans,  Thomas 
commença  l'étude  de  la  musique,  et  Fétis  assure  qu'il  cod- 
tinua  l'étude  du  solfège  pendant  sept  ou  huit  années.  Il  tra- 
vailla ensuite  le  violon  et  surtout  le  piano,  et  il  était  déjà  fort 
habile  sur  ce  dernier  instrument  lorsqu'on  1828  il  se  fît 
admettre  dans  la  classe  de  Zimmermann,  car  dès  l'année  sui- 
vante, à  son  premier  concours,  il  obtenait  d'emblée  le  pre- 
mier prix.  En  1830  il  se  faisait  décerner,  comme  élève  de 
Dourlen,  le  premier  prix  d'harmonie  et  accompagnement, 
entrait  dans  la  classe  de  composition  de  Lesueur,  ot)tenait 
en  1831  une  mention  honorable  au  concours  de  Rome,  et 
l'année  suivante  emportait  le  premier  grand  prix.  La  cantate, 
qui  avait  pour  titre  Hermann  et  Kettij,  était  due  au  marquis.de 
Pastoret. 

Thomas  partit  donc  pour  Rome,  où  il  se  trouva  avec  Pré- 
vost, Berlioz  et  Montfort.  Il  y  était  lorsqu'on  1834  Ingres,  qui 
succédait,  je  crois,  à  Horace  Vernet,  vint  prendre  la  direc- 
tion de  l'École.  Ingres,  qui,  on  le  sait,  adorait  la  musique, 
le  prit  aussitôt  en  affection,  et  écrivait  à  un  ami  de  Paris,  à 
la  date  du  2o  mars  183S  :  —  «  ...  Une  chose  me  manque 
pourtant;  je  suis  sans  musique  par  le  manque  de  ma  grande 
caisse,  dont  je  suis  privé  encore.  Heureusement  la  providence 
est  grande.  Elle  a  eu  pitié  de  moi  en  prolongeant  le  séjour 
à  Rome  d'un  pensionnaire  musicien  compositeur,  nommé 
Thomas  :  jeune  homme  excellent,  du  plus  beau  talent  sur 
le  piano,  et  qui  a  dans  son  cœur  et  dans  sa  tête  tout  ce  que 
Mozart,  Beethoven,  Weber,  etc.,  ont  écrit.  Il  dit  la  musique 
comme  notre  admirable  ami  Benoist,  et  la  plupart  de  nos 
soirées  sont  délicieuses...  » 

Thomas  ne  perdait  pas  son  temps  d'ailleurs  en  Italie.  Il 
écrivait  beaucoup,  et  faisait  exactement  chaque  année,  à 
l'Académie  des  beau.x-arts,  les  envois  réglementaires.  Aux 
premiers  jours  d'octobre  1836,  dans  une  séance  de  l'Institut 


où  l'on  exécutait  précisément  les  envois  de  Rome,  le  pro- 
gramme comportait  un  duo  italien  de  sa  composition  dont 
Berlioz,  qui  était  de  retour  à  Paris  et  qui  déjà  s'était  lancé 
dans  la  critique,  parlait  en  ces  termes  élogieux  dans  la 
Gazette  musicale  (16  octobre)  : 

Le  duo  de  M.  Thomas  a  été  fort  goûté  :  M"»  Nau  et  M.  A.  (lesis) 
Dupont  l'ont  fait  valoir  à  l'envi  l'un  de  l'autre.  Ce  morceau  est  écrit 
de  verve,  et  déjà,  à  la  répétition,  il  avait  obtenu  un  succès  marqué. 
M.  Thomas  est  un  des  lauréats  qui  honorent  le  plus  le  choix  de 
l'Académie;  je  le  crois  un  de  ces  musiciens  pleins  d'amour  pour 
leur  art,  prêts  à  faire  pour  lui  toute  espèces  de  sacrifices,  et  qui 
sont  évidemment  appelés  à  s'y  distinguer  quand  nos  institutions 
musicales  voudront  bien  le  leur  permettre.  Sa  manière  est  auimée, 
brillante,  souvent  d'une  élégance  qui  ne  ressemble  en  rien  à  l'affé- 
lerie  ni  aux  grâces  musquées  qu'un  certain  public  regarde  comme 
le  type  des  bonnes  manières  et  du  style  fashiouable.  J'ai  trouvé  de 
l'élan  dans  le  mouvement  général  de  son  duo,  et  une  allure  leste  et 
dégagée  dans  son  orchestre.  J'aurais  désiré  seulement  une  mélodie 
plus  saillante,  plus  accusée  que  le  thème  principal  de  l'allégro,  qui  ne 
me  semble  pas,  en  ouire,  d'une  bien  grande  originalité.  Mais  je  suis 
loin  de  regarderie  duo  en  question  comme  un  morceau  d'après  lequel 
on  puisse  juger  M.  Thomas  ;  c'est  une  de  ces  partitions  qu'on  appelle 
envois  de  Home,  et  que  les  lauréats  n'écrivent  jamais  qu'à  contre-cœur, 
par  cela  même  que  le  règlement  les  oblige  de  les  écrire.  Seulement, 
celle-ci  est  faite  a^ec  infiniment  plus  de  conscience  et  de  talent  que 
les  élèves  n'en  mettent  d'ordinaire  à  remplir  leur  tâche  académique. 

Thomas,  comme  il  arrive  souvent,  était  déjà  de  retours 
Paris  lors  de  l'exécution  de  cet  envoi  de  Rome.  Il  n'y  perdit 
pas  plus  son  temps  qu'il  ne  l'avait  fait  dans  la  ville  Éter- 
nelle. Il  commença  par  publier  un  joli  recueil  mélodique  inti- 
tulé Scuvenii's  d'Italie,  qui  comprenait  six  romances  italiennes 
avec  traduction  française,  lesquelles  se  faisaient  remarquer 
non  seulement  par  leur  style  et  leur  caractère,  mais  par  des 
recherches  d'accompngnement  et  d'harmonie  qui  n'étaient 
pas  absolument  communes  à  cette  époque.  Les  six  morceaux 
de  ce  recueil,  devenu  aujourd'hui  d'une  extrême  rareté,  por- 
taient les  titres  suivants  :  Nina,  la  Serenata,  Va  via!  Usa,  Buona 
Notte  et  la  Barchetta.  Puis  il  songea,  comme  tous  les  compo- 
siteurs, à  s'ouvrir  le  chemin  du  théâtre,  et  fut  assez  heureux 
pour  y  débuter  par  un  succès  presque  éclatant,  car  son 
premier  ouvrage,  la  Double  Échelle,  un  petit  acte  plein  de  grâce 
et  de  vivacité,  dont  Planard  lui  avait  fourni  le  livret  et  qui 
était  joué  par  Gouderc  et  M"'=  Prévost,  n'obtintguère  moins  de 
deux  cents  représentations.  La  Double  Echelle  était  jouée  le 
23  août  1837.  Sept  mois  après,  le  30  mars  1838,  Thomas 
reparaissait  à  l'Opéra-Comique,  cette  fois  avec  un  ouvrage 
plus  important,  en  trois  actes,  le  Peiruquier  de  la  Régence,  dont 
les  deux  principaux  rôles  étaient  tenus  par  Ghollet  et  Jenny 
Colon,  et  qui  ne  ht  que  confirmer  la  bonne  opinion  que  le  pre- 
mier avait  pu  faire  concevoir  de  son  talent.  En  rendant  compte 
delà  partition,  dont  il  louait  d'ailleurs  la  valeur  elles  tendances, 
Berlioz  faisait  pourtant  à  son  auteur  un  reproche  que  celui-ci 
ne  devait  pas  mériter  souvent  :  «  M.  Ambroise  Thomas  eut 
mieux  fait,  selon  nous,  disait-il,  de  ne  pas  sacrifier  à  la 
mode  en  employant  aussi  souvent  qu'il  l'a  fait  les  trombones 
et  la  grosse  caisse.  »  On  sait  que  si  l'orchestre  de  Thomas 
s'est  toujours  distingué  par  son  élégance  et  son  ingéniosité, 
il  s'est  rarement  fait  remarquer  par  la  brutalité. 

A  ce  moment,  Thomas  travaillait  avec  une  activité  remar- 
quable. On  le  voit,  en  1839,  à  l'Opéra  avec  un  ballet,  la  Gipsij, 
dont  il  avait  écrit  la  musique  conjointement  avec  Benoist  et 
Marliani,  à  l'Opéra-Comique  avec  un  acte  charmant,  le  Panier 
fleuri,  dont  le  succès  fut  presque  aussi  grand  que  celui  de  la 
Double  Échelle,  et  il  publie  en  même  temps  une  messe  de 
Requiem  d'un  style  sévère  et  pur  et  d'un  très  beau  caractère, 
ce  qui  indique  la  souplesse  d'un  talent  qui  se  prêtait  à  tous 
les  genres. 

Mais  au  théâtre  il  était  serré  de  près  par  ses  anciens  : 
Auber,  Halévy,  Adam,  sans  compter  Monpou,  Grisar  et  quel- 
ques autres.  Aussi  bien,  il  ne  me  paraît  pas  sans  intérêt  de 
rappeler  ce  qu'Adam  disait  de  sa  carrière  et  de  ses  œuvres 


LE  MENESTREL 


31 


dans  un  de  ses  aimables  feuilletons  de  l'Assemblée  nationale  ; 
on  verra  ici  le  compositeur  jugé  par  un  de  ses  pairs.  C'est 
en  rendant  compte  de  la  Cour  de  Célimène  qu'Adam  parlait 
ainsi  : 

...  Ambroise  Thomas,  plus  jeune  que  les  deux  illustres  confrères 
que  je  viens  de  nommer  (Auber  et  Halévy),  u'a  pas  encore  rencontré 
ce  type  qui  résume  la  manière  d'un  compositeur,  et  s'empreint  de 
son  individualité.  Son  premier  ouvrage,  la  Double  Echelle,  était  un 
petit  pastiche  charmaat  du  slyle  Louis  XV  ;  il  obtint  un  grand  succès 
et  fit  présager  l'avenir  du  compositeur.  Son  second  opéra  était  un 
ouvrage  en  trois  actes  de  Planard,  intitulé  le  Perruquier  de  la  Régence; 
il  ne  réussit  pas  autant  qu'il  le  méritait,  et,  cependant,  les  amateurs 
et  les  artistes  n'ont  pas  oublié  la  belle  ouverture  de  cet  opéra  et  des 
couplets  d'un  grand  caractère  que  Chollet  chantait  à  merveille.  Un 
petit  opéra  en  un  acte,  Angélique  et  Médor,  n'a  guère  laissé  d'autre 
souvenir  qu'une  musique  agréable,  mais  peu  caractérisée  et  ne 
tenant  pas  toutes  les  promesses  des  deux  productions  précédentes. 
Puis  vint  Mina,  un  charmant  opéra  en  trois  actes,  dont  une  reprise 
renouvellera  quelque  jour  le  succès. 

Cependant  Thomas  semblait  découragé  de  n'avoir  pas  encore  pu 
obtenir  du  public  le  succès  franc  et  décisif  dont  sa  conscience  et  les 
arlistes  ses  confrères  lui  disaient  qu'il  était  digne.  Il  s'essaya  au 
grand  opéra,  oîi  il  donna  un  ouvrage  en  deux  actes,  Carmagnola,  qui 
ne  fut  joué  que  cinq  ou  six  fois,  puis  un  autre  ouvrage  de  même 
dimension,  le  Guérillero,  qui,  bien  inférieur  au  premier,  n'obtint  pas 
moins  de  quarante  à  cinquante  représentations.  La  musique  en  était 
pénible  et  cherchée  :  on  voyait  que  le  compositeur,  mécontent  ou 
étonné  de  n'avoir  pas  vu  mieux  accueillir  ses  premiers  essais,  s'attri- 
buait un  tort  qu'il  n'avait  certainement  pas,  qu'il  voulait  modifier 
sa  manière,  et  qu'il  cherchait  une  voie  qu'il  ne  trouvait  pas.  C'est 
dans  ces  dispositions  d'incertitude  et  de  découragement  qu'il  écrivit 
la  musique  du  Caïd:  il  crut  ne  faire  qu'une  charge  de  musique  ita- 
lienne, et  ii  produisit  un  petit  chef-d'œuvre  de  gaîté,  de  verve  et  de 
franchise.  Le  succès  fut  aussi  décisif  et  aussi  soutenu  que  mérité. 
Puis  vient  le  Songe  d'une  nuit  d'été.  Le  second  acte  de  cet  opéra  offrait 
une  couleur  idéale  et  rêveuse,  conforme  au  caractère  poétique  mais 
un  peu  indécis  du  compositeur,  qui  traduisit  ses  impressions  avec 
un  bonheur  infini.  Plus  de  cent  représentations  ont  consacré  à  Paris 
le  succès  de  cet  ouvrage,  et  il  a  réussi  partout  où  il  a  été  représenté. 

Ce  qu'Adam  oublie  de  faire  remarquer  en  parlant  du  Songe, 
c'est  que  le  premier  acte,  qui  oÊfre  un  contraste  si  frappant 
avec  le  second,  est  un  chef-d'œuvre  de  musique  franche, 
solide  et  inspirée.  L'ouverture,  toute  la  scène  de  Falstaff,  le 
délicieux  duo  des  femmes,  le  trio  bouffe,  dont  le  style  est  si 
siir,  dont  les  modulations  sont  si  exquises,  forment  autant  de 
morceaux  excellents.  Je  le  laisse  continuer: 

Raymond  fat  moins  heureux  à  Paris  seulement;  car  il  eut  un  grand 
succès  en  province,  où  l'on  se  montra  plus  juste  envers  l'œuvre  émi- 
nente  d'Amb.  Thomas.  Ce  qui  porte  à  croire  que  la  distribution  des 
rôles  dut  contribuer  au  peu  d'attraction  que  l'ouvrage  exerça  à  Paris. 
Mocker  jouait  fort  bien,  mais  chantait  insuffisamment  un  rôle  qui 
aurait  exigé  de  grands  moyens  vocaux  :  Bussine,  au  contraire,  chan- 
tait fort  élégamment,  mais  jouait  assez  médiocrement  un  rôle  qui 
demandait  beaucoup  de  comique  ;  M"^  Lomercier  figurait  une  com- 
tesse, et  ce  personnage  jurait  un  peu  avec  son  physique  si  charmant 
dans  les  rôles  de  demi-caractère  :  M"°  Lefebvre  n'avait  pas  assez  de 
force  dramatique  pour  les  exigences  de  la  pièce.  Aussi,  malgré  un 
finale  admirable  au  premier  acte,  un  des  plus  beaux  qu'il  y  ait  ait 
théâtre;  malgré  la  chansonnette  pastorale  du  deuxième  acte,  peut-être 
un  peu  trop  prolongée  et  sentant  le  placage  ;  malgré  de  beaux  chœurs 
au  troisième  acte  et  un  duo  dont  l'interprétation  déguisait  les  beau- 
tés, l'ouvrage  disparut-il  trop  promptement  du  répertoire. 

Vint  ensuite  la  Tonelli,  opéra  en  deux  actes,  la  dernière  création 
de  M™  Ugalde.  Le  musicien  dut  y  lutter  contre  l'obscurité  et  peut-être 
le  vide  de  la  pièce,  et  il  sortit  vainqueur  du  combat...  Nous  voici 
à  la  Cour  de  Célimène.  Le  personnage  est  peu  musical;  mais  M.  Rosier 
est  un  enchanteur  bien  habile,  et  l'on  a  pu  croire  que  les  roueries  de  la 
coquette,  que  ses  manèges  adroits  fourniraient  au  compositeur  assez 
de  prétextes  pour  déployer  cette  élégance  et  ce  bon  goût  qui  sont  les 
qualités  les  plus  significatives  de  son  talent.  L'ouvrage  est  encore 
trop  nouveau  pour  qu'on  puisse  présager  la  durée  de  son  succès  ; 
mais,  musicalement  parlant,  on  peut  affirmer  dès  à  présent  que 
c'est  une  des  plus  jolies  productions  d'Amb.  Thomas.  Le  premier  acte 
surtout  offre  une  succession  de  morceaux  plus  ravissants  les  uns 


que  les  autres.  Peut-être  cette  musique  est-elle  trop  fine  et  trop  dis- 
tinguée pour  avoir  une  action  immédiate  sur  le  gros  du  public;  elle  a 
besoin  d'être  écoutée  comme  elle  a  été  conçue,  avec  attention,  avec 
délicatesse,  avec  le  respect  do  la  pureté  et  de  la  grâce  ;  mais  si  elle 
ne  frappe  pas  les  masses  de  prime-abord,  il  n'est  pas  d'organisation 
musicale  un  peu  élevée  qui  ne  soit  apte  à  en  sentir  sur-le-champ 
toute  la  valeur. 

Nous  avons  ici,  et  c'est  ce  qui  m'a  semblé  intéressant,  l'opi- 
nion d'un  artiste  qui  avait  suivi  Thomas  dès  ses  premiers  pas 
dans  la  carrière,  et  qui,  les  connaissant,  était  à  même  de, 
juger  personnellement  tous  les  ouvrages  dont  il  parlait.  Or, 
on  voit  à  quel  point  cette  opinion  était  favorable  au  jeune 
confrère  qui  devait  lui  survivre  pendant  quarante  années 
pleines. 

Jusqu'alors  pourtant,  comme  le  dit  Adam,  et  malgré  les 
gros  succès  du  Caïd  et  du  Songe  d'wie  nuit  d'été,  Thomas  n'avait 
pas  encore  «  rencontré  ce  type  qui  résume  la  manière  d'un 
compositeur,  et  s'empreint  de  son  individualité.  »  Malgré  les 
jolies  pages  que  contiennent  les  partitions  de  Psyché,  du  Car- 
naval de  Venise  et  du  Roman  d'Elvire,  aucun  de  ces  trois  ouvrages 
ne  put  lui  donner  celte  satisfaction.  Mais  avec  Mignon  et  Hamiet, 
qui  paraissent  à  quinze  mois  de  distance,  l'une  à  l'Opéra- 
Comique,  l'autre  à  l'Opéra,  le  compositeur  donne  enfin  toute 
sa  mesure  et  conquiert,  avec  le  suffrage  de  la  foule,  la 
renommée  dont  il  était  digne.  Ces  deux  œuvres  maîtresses  le 
font  acclamer  non  seulement  par  la  France,  non  seulement 
par  l'Europe,  mais  par  le  monde  entier,  et  il  n'est  aujour- 
d'hui pas  un  point  du  globe  oij,  grâce  â  elles,  le  nom  de 
Thomas  ne  soit  populaire  à  l'égal  des  plus  grands.  Je  n'ai  à 
m'étendre  ici  ni  sur  l'une  ni  sur  l'autre  ;  toutes  deux  sont 
trop  bien  connues  pour  que  j'aie  besoin  d'insister  à  leur  sujet. 
Je  rappelle  seulement  les  titres  des  trois  derniers  ouvrages 
de  Thomas:  Gille  et  Gillotin  à  l'Opéra-Comique,  et,  à  l'Opéra, 
Françoise  de  Rimini  et  le  ballet  de  la  Tempête. 


Après  ses  succès  du  Caïd  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  Thomas 
était  tout  naturellement  désigné  pour  la  première  vacance 
qui  se  produirait  à  l'Académie  des  Beaux-Arts.  En  effet,  Spon- 
tini  étant  mort  au  mois  de  janvier  18S1,  il  fut  élu  à  sa  place 
la  22  mars  suivant,  ayant  pour  concurrents  Berlioz,  Félicien 
David,  Clapisson  et  Niedermeyer.  Quelques  années  après,  à  la 
mort  d'Adam  (1856),  il  fut  nommé  professeur  de  composition 
au  Conservatoire.  Ici,  un  simple  petit  document  donnera  la 
preuve  de  la  valeur  de  son  enseignement  ;  c'est  la  liste,  que 
voici,  de  ceux  de  ses  élèves  qui,  dans  un  espace  de  quinze 
ans,  obtinrent  le  premier  grand  prix  au  concours  de  Rome  : 
Charles  Colin  (1857);  Théodore  Dubois  (1861);  Bourgault- 
Ducoudray  (1862);  Massenet  (1863);  Victor  Sieg  (1864)  ;  Charles 
Lenepveu  (1865);  Rabuteau  et  Wintzweiller  (1868);  Charles 
Lefebvre  (1870)  ;  Gaston  Serpette  (1871)  ;  Gaston  Salvayre 
(1872).  Il  faut  encore  joindre  à  ces  noms-ceux  de  MM.  Salomé 
et  Charles  Constantin,  qui  obtinrent  le  second  prix  en  1861 
et  1863. 

De  même  qu'il  s'était  trouvé  désigné  pour  recueillir  la  suc- 
cession de  Spontini  à  l'Institut,  Thomas  se  trouvait  tout 
désigné  pour  prendre  la  direction  du  Conservatoire  lorsque 
Auber  mourut,  le  12  mai  1871,  dans  les  circonstances  ter- 
ribles que  l'on  sait.  Cependant,  des  compétitions  se  produi- 
sirent, des  influences  se  firent  agissantes  en  faveur  d'autres 
candidats,  et  l'on  put  craindre  un  instant  qu'en  dépit  de 
l'unanimité  de  l'opinion  qui  se  prononçait  formellement  pour 
lui,  ses  droits  ne  fussent  méconnus.  Voici,  à  ce  sujet,  le  frag- 
ment plein  de  dignité  d'une  lettre  qu'il  adressait,  à  la  date 
du  28  mai,  à  un  ami  qui  l'avait  questionné  sur  la  situation: 

...  Puisque  vous  me  parlez  aussi  de  cette  affaire  du  Conservatoire, 
bien  secondaire  aujourd'hui,  je  n'ai  qu'un  mot  à  répondre  :  Je  ne  me 
remue  pas. 

11  est  des  choses  que  l'on  peut  solliciter  sans  manquer  au  respect 
de  soi-même,  mais  la  direction  du  Conservatoire  «e  se  demande  pas. 
Ces  messieurs  de  notre  ministère  doivent  savoir,  à  Versailles  aussi 


52 


LE  MENESTREL 


bien  qu'à  Paris,  quels  sont  mes  titres  et  mes  services;  ils  ne  peuvent 
ignorer  que  depuis  longtemps  l'opinion  publique  me  désigne  à  la  suc- 
cession d'Auber.  Que  pourrais-je  dire  et  qu'aurais-je  éié  faire  à  Ver- 
sailles? Me  montrer  là  m'eût  semblé  malséant,  aussi  bien  après 
qu'avant  la  mort  de  notre  cher  illustre  maître. 

J'ai  dit  cela  à  ceux  qui  me  sont  venus  voir  ou  qui  m'ont  écrit  à  ce 
sujet.  Il  y  a,  dit-on,  des  candidatures  pour  lesquelles  on  s'agite.  Plus 
on  me  prouve  qu'il  y  a  indécision,  plus  je  suis  résolu  à  ne  me  point 
montrer. 

Laissons  donc  aller  les  choses... 

Thomas  fut  nommé,  et  il  n'en  pouvait  être  autrement.  On 
sait  ce  qu'est  devenu  le  Conservatoire  sous  sa  direction  à  la 
fois  ferme  et  paternelle.  Il  fallait  d'abord  réorganiser  l'Ecole, 
après  la  fermeture  causée  par  les  événements.  Puis  il  fallait 
renforcer  et  réformer  l'enseignement,  qu'Auber  avait  laissé 
relâcher  plus  que  de  raison.  On  créa  d'abord  deux  chaires 
importantes,  celle  d'histoire  et  esthétique  musicales  et  d'his- 
toire de  l'art  dramatique;  on  fortifia  l'enseignement  du  sol- 
fège, qui  est  admirable  aujourd'hui;  plus  tard,  on  créa  des 
classes  préparatoires  de  violon;  plus  récemment  encore  on 
forma  une  nouvelle  classe  d'opéra  et  on  augmenta  le  nombre 
des  classes  de  déclamation.  Quant  aux  professeurs  nouvelle- 
ment appelés  et  dont  plusieurs,  hélas  !  sont  morts  déjà,  il 
suffira  de  rappeler  leurs  noms  pour  prouver  qu'on  ne  pouvait 
mieux  choisir;  c'était  MM.  Massenet,  Théodore  Dubois,  Léo 
Delibes,  Ernest  Guiraud,  Charles  Lenepveu,  Widor,  Benjamin 
Godard,  Charles  Lefebvre,  Léon  Achard,  Bax,  Crosti,  Warot, 
Taskin,  Giraudet,  Raoul  Pugno,  Louis  Diémer,  Edouard 
Mangin,  Edmond  Duvernoy,  Delaborde,  Fissot,  Alphonse 
Duvernoy,  Gh.  de  Bériot,  Garcin,  Berthelier,  Marsick,  Delsart, 
Lavignac,  Taffanel,  Gillet,  sans  compter  tous  ceux  que  j'oublie. 
En  vérité,  ceux  qui  se  plaignent  aujourd'hui  du  Conservatoire  et 
de  son  enseignement  devraient  bien  indiquer  quels  maîtres 
pourraient  être  mis  en  parallèle  avec  tous  ceux-ci.  La  vérité 
est  que  cet  enseignement  est  absolument  remarquable,  et  que 
le  personnel  qui  y  prend  part  a  été  renouvelé,  au  fur  et  à 
mesure  des  besoins,  de  la  façon  la  plus  heureuse.  La  direc- 
tion que  Thomas  a  exercée  pendant  vingt-cinq  ans  a  donc 
été,  on  peut  le  dire  hautement,  à  la  fois  digne,  brillante  et 
profondément  honnête,  et  elle  fait  le  plus  grand  honneur  à 
l'École. 


C'est  ce  caractère  de  profonde  honnêteté  qui  distinguait 
d'ailleurs  Thomas,  soit  comme  homme,  soit  comme  artiste. 
C'est  lui  qui  lui  donnait,  en  ce  temps  de  charlatanisme  à 
outrance,  de  mépris  apparent  du  public,  de  perversion  du 
goût,  de  l'art  et  de  l'esprit,  une  physionomie  particulière, 
par  laquelle  il  forçait  l'estime  et  imposait  le  respect  aux  plus 
indifférents.  La  noblesse  des  sentiments,  la  grande  et  remar- 
quable dignité  de  la  vie,  le  respect  absolu  de  soi-même, 
l'horreur  de  la  pose,  de  la  montre  et  de  la  mise  en  scène, 
telles  étaient  les  qualités  morales  qui,  jointes  à  celles  qui 
constituaient  et  caractérisaient  son  talent,  faisaient  de  ce 
grand  artiste  un  homme  de  cœur  et  de  bien. 

Il  me  semble  que  c'est  là  le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse 
lui  adresser,  le  plus  bel  hommage  dont  on  puisse  honorer  sa 
mémoire. 

Arthur  Poïïgin. 


SEMAINE    THEATRALE 


DÉBUT  DE  M"'  GARNIER  DANS  LAKMÉ 

L'Opéra-Comique  nous  a  présenté  cette  semaine  une  nouvelle 
Lakmé  en  la  personne  d'une  débutante,  M"=  Marie  Garnier.  Je 
dis  bien  une  débutante,  car  la  nouvelle  venue,  élève  de  M™  Krauss, 
n'avait  encore  jamais  paru  sur  aucun  théâtre,  et  s'était  produite 
seulement  dans  quelques  concerts.  M""^  Garnier  est  une  jeune  et 
jolie  femme,  qui  fait  preuve  d'intelligence  et  de  goût,  et  dont  on 
voit   facilement   que    l'éducation    musicale    a   été    particulièrement 


soignée.  La  voix  est  un  soprano  sfogato  de  bonne  qualité,  voix 
jolie,  très  juste,  un  peu  faible  parfois  dans  le  médium,  mais  qui 
prend  dans  le  registre  élevé,  une  teinte  charmante  el  d'une  trans- 
parence exquise.  J'ajoute  que  la  cantatrice  est  déjà  expérimentée, 
qu'elle  ne  manque  pas  de  goût  ni  de  style,  qu'elle  vocalise  avec 
légèreté  et  que  surtout  elle  bat  le  trille,  même  dans  les  notes  les 
plus  élevées,  avec  une  précision  et  une  justesse  qu'on  ne  nous  pro- 
digue guère  à  l'ordinaire. 

Dès  sou  entrée  en  scène.  M""  Garnier  a  montré  ce  qu'elle  pouvait 
faire,  s'annonçant  de  la  façon  la  plus  heureuse,  en  dépit  de  l'émotion 
inséparable...  Elle  s'est  fait  applaudir  ensuite  fort  justement  dans  le 
duo  avec  Gérald,  et  son  succès  a  été  complet,  au  second  acte,  dan-î 
l'air  des  clocheltes,  qu'elle  dira  mieux  encore  lorsqu'elle  sera  plus 
en  posse'ssion  d'elle-même.  A  ces  qualités  de  cantatrice,  la  débutante 
joint  de  très  heureuses  dispositions  au  point  de  vue  de  la  scène,  et  elle 
a  joué  sans  gaucherie  et  non  sans  adresse  et  sans  intelligence,  ce  rôle 
de  Lakmé,  qui,  pour  sympathique  qu'il  soit,  n'est  pas  sans  présenter 
certaines  difficultés. 

En  dehors  de  M""  Garnier,  l'exquise  partition  de  Delibes,  toujours 
accueillie  avec  joie  par  le  publie,  trouve  d'heureux  interprètes  en 
MM.  Leprestre,  Marc-Nohel  etMondaud.  Ce  dernier,  particulièrement, 
a  su  se  faire  vigoureusement  applaudir  dans  les  strophes  du  second 
acte,  qu'il  a  dites  avec  un  élan  sincère  et  une  chaleur  communicalive. 
M"'  Leclerc,  elle  aussi,  est  toujours  tout  aimable  et  toute  charmante. 

A,  P. 


Palais-Royal.  Le  Dindon,  pièce  en  trois  actes,  de  M.  G.  Feydeau.  —  Folies- 
Dram.atiqles.  La  Fiancée  en  loterie,  opérette  en  trois  actes,  de  MM.  C.  de 
Roddaz  et  A.  Douane,  musique  de  M.  A,  Messager. 

Encore  une  victoire  de  M.  Georges  Feydeau!  Et  l'une  de  ces 
victoires  bruyantes  et  complètes  où  le  rire  franc  et  grandement  sain, 
à  lui  seul,  desaime  toute  critique.  A  quoi  bon,  d'ailleurs,  critiquer? 
Pourquoi  se  plaindre  que  les  situations,  pour  la  plus  grande  partie,  ne 
soient  pas  d'une  indiscutable  nouveauté,  et  que  les  types  choisis 
aient  fort  souvent  l'allure  de  très  vieilles  connaissances? Ne  boudons 
pas  contre  notre  plaisir,  surtout  à  une  époque  où  notre  part  de 
ce  plaisir  nous  est  si  parcimonieusement  comptée  par  MM.  les 
auteurs  dramatiques.  Prenons  M.  Georges  Feydeau  pour  le  plus 
parfait  amuseur  qui  se  puisse  trouver  et,  saus  arrière-pensée,  admi- 
rons l'entrain,  la  verve,  l'adresse,  l'étourdissante  facilité  qui,  de  ses 
vaudevilles,  font,  somme  toute,  des  oeuvres  originales.  Reconnaissons 
même,  avec  très  grand  plaisir,  qu'au  premier  acte,  il  y  a  deux  scènes 
de  comédie  très  finement  traitées  et  rions,  rions  depuis  le  lever  du 
rideau  jusqu'à  son  baisser  car,  dans  ces  trois  actes,  —  et  ceci  n'est 
point  un  miace  mérite,    -  il  n'y  a  pas  une  minute  de  lenteur. 

Le  sujet?  Fort  simple.  Vous  connaissez,  pour  l'avoir  vu  maintes  fois, 
le  vaudeville  au  cours  duquel  la  femme  se  vengera  des  fredaines  de 
monsieur  son  mari?  Vous  connaissez  le  guerluehon  choisi  et  la  chambre 
d'hôtel  dans  laquelle  monsieur  sera  pincé.  Vous  connaissez  encore  le 
dénouement  qui  s'arrange  à  la  satisfaction  de  tous.  Ceci  est  du  domaine 
public.  Si,  pourtant,  au  lieu  d'une  seule  femme,  vous  en  prenez 
deux,  si  ces  deux  femmes  choisissent  le  même  guerluehon,  si  la 
chambre  d'hôtel  se  trouve  envahie,  non  seulement  par  les  intéressés, 
mais  encore  par  un  lasdepantins  lancésdansles  plus  folles  situations; 
si,  enfin,  les  deux  dames  viennent,  à  la  même  heure,  pour  assouvir 
leur  vengeance  chez  le  beau  jeune  homme  qu'une  nuit  plus  qu'agitée 
a  rendu  corap'èlementaphone,  vous  aurez làdu  Feydeau  et  du  Feydeau 
grande  marque. 

Le  Dindon, —  eu  l'espèce,  c'estle  mari  de  l'une  de  ces  deux  dames,. 
—  est  tout  à  fait  bien  joué  par  la  troupe  du  Palais-Royal,  très 
complétée  par  de  nouveaux  engagements.  MM.  Raimoud,  Huguenet,- 
Gobiu,  Miiugé,  Dubosc,  Francès,  M""'*  Ghreirel,  Lavigne,  Bilhaut  et 
Burty  enlèvent  de  verve  ces  trois  actes  d'inénarrable  gaité. 

A  Oviédo,  en  Espagne,  pays  des  guitares  et  des  lûtes  chaudes,. 
M"'  Zapata  cherche  à  marier  richement  sa  fille  dout  la  dot  n'est 
rien  moins  que  problématique.  C'est  son  vieil  ami  Lopez  qui  lui  en 
fournira  le  moyen;  Mercedes,  qui  est  la  plus  jolie  personne  de  la 
contrée,  sera  mise  en  loterie.  Cent  billets  à  mille  francs,  enlevés 
d'assaut,  formeront  l'apport  de  la  fiancée  qui  se  mariera  avec  le  por- 
teur du  numéro  gagnant.  Mercedes  aura  cependant  pour  elle  un  cent- 
unième  billet;  et  sa  chance,  elle  s'empresse  de  la  donner  à  celui 
qu'elle  aime,  le  chanteur  Angelin.  Mais  Angelin  a  peur  de  n'être  pas 
favorisé  par  le  sort  et,  pour  pouvoir  enlever  Mercedes,  vend  son  billet 
à  un  jeune  Parisien  en  excursion. 

Les  amoureux  envolés,  Lopez  n'a  rien  de  plus  pressé  que  de  filer 
à  son  tour  avec  la  caisse.  Et  toute  la  ville  se  lance  à  la  poursuite  des 


LE  MÉNESTREL 


53 


fuyards  que  l'on  rattrape  à  bord  d^un  vapeur  en  partance  pour  rAmé- 
rique.  Ramenés  à  Oviédo,  on  les  fourre  tous  en  prison,  et  c'est  là  que 
se  tiro  la  fameuse  loierie.  Le  hasard  désigne  notre  Parisien  qui,  tou- 
ché de  l'amour  de  Mercedes  et  d'Angelin,  renonce  à  son  droit  en  leur 
faveur. 

Bien  entendu,  MM.  de  Roddaz  et  Douane  n'ont  pas  omis  de  surchar- 
ger cette  trame  plaisante  des  arabesques  chères  à  l'opérette  :  papa 
gâteux,  maman  coquette,  policier  déguisé  en  ours,  prison-paradis, 
etc.,  etc.,  et,  pour  ces  trois  actes,  M.  Messager  a  écrit  une  pariition 
0  distinguée  ».  De  fait,  on  aurait  peine  à  se  figurer  la  musique  de 
M.  Messager  autrement  que  «  distinguée  »;  d'aucuns  y  semblent 
regretter  la  fantaisie,  l'originalité,  la  note  qui  touche  ou  séduit; 
ceux-là,  évidemment,  sont  par  trop  exigeants. 

Im  Fiancée  en  loterie,  cette  fois,  est  mieux  défendue  qu'à  l'ordinaire 
par  la  troupe  des  Folies-Dramatiques.  En  toute  première  ligne,  il  faut 
nommer  M.  Jean  Perier,  charmant  chanteur  et  aimable  coméilien. 
MM.  Vauthier,  P.  Achard,  Hittemans  méritent  des  complimenls,  et 
Jolies  Leriche,  Cassive,  MM.Vavasseur,  Liesse.  Batreau,  Jannin,  Baron 
fils,  une  mention. 

Pall-Émile  Chevalier. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Le  dernier  concert  de  l'Opéra  s'ouvrait  par  un  Poème  carnavalesque  de 
M.  Charles  Silver,  qui  n'est  autre  chose  qu'une  simple  suite  d'orchestre. 
En  vérité,  nos  jdunes  musiciens  commencent  à  abuser  de  cette  forme  un 
peu  trop  facile  qu'on  appelle  la  suite  d'orchgstre,  et  qui  devient  d'une 
banalité  désespérante.  S'ils  ne  veulentpoint,  par  ciainte  dus  chefs-d'œuvre 
consacrés,  se  risquer  da.is  le  domaine  de  la  symphonie  pure,  ne  peuvent-ils 
donc  prendre  la  peine  de  chercher  une  forme  symphonique  autre  que  la 
suite  d'orchestre,  qui  n'exige  ni  plan  ni  méthode,  ne  présente  aucune 
difficulté,  et  par  cela  même  ne  peut  donner  une  idée  exacte  de  leur  savoir 
et  de  leurs  facultés?  Le  Poème  carnavalesque  de  M.  Silver,  malgré  la  pré- 
sence et  l'intervention  de  plusieurs  mandolines,  n'offre  d'ailleurs  qu'un 
bien  mince  intérêt.  Quelle  que  soit  ma  sympathie  pour  le  talent  très  réel 
et  très  élevé  de  M.  Charles  Lefebvre,  sa  Sainte  Cécile  m'a  paru  bien  com- 
passée et  pâle,  en  dépit  de  la  maîtrise  avec  laquelle  elle  est  écrite.  C'est 
un  poème  lyrique  à  trois  personnages,  avec  chœurs,  dont  les  lignes  un  peu 
froides  n'ont  pas  été  réchauffées  par  l'exécution  trop  tranquille  de  la  prin- 
pale  interprète,  M''"  Berthet,  mais  qui  nous  a  permis  d'apprécier  la  voix 
fraîche  etjolie  d'un  jeune  ténor,  M.  Gautier  (dont  on  a  annoncé  le  prochain 
début  dans  Siyurd).  Ce  qui  est  fort  joli,  d'un  caractère  à  la  fois  poétique 
et  tendre,  plein  de  grâce  et  de  distinction,  c'est  la  musique  écrite  par 
M.  Georges  Hue  pour  la  féerie  dramatique  de  MM.  Bataille  et  d'ffumières, 
la  Belle  au  bois  dormant.  Cette  musique  charmante  et  rêveuse  a  reçu  du 
public  l'accueil  très  sympathique  qu'elle  méritait.  Mais  le  grand  succès 
de  la  journée  est  allé  à  M.  BourgauU-Ducoudray,  qui  faisait  exécuter 
TEnterrement  d'Ophélie,  une  pièce  J'une  mélancolie  profonde,  et  sa  curieuse 
Rapsodie  cambodgienne,  que  d'autres  concerts  nous  avaient  fait  connaître 
depuis  longtemps.  Après  l'audition  de  cette  composition  originale  et  inté- 
ressante, la  salle  a  fait  une  véritable  ovation  à  Fauteur,  que  des  applau- 
dissements unanimes  et  qui  semblaient  ne  pas  vouloir  prendre  tin,  ont 
ramené  à  deux  reprises  sur  la  scène.  Cela  a  dû  consoler  un  peu  M.  Bour- 
gault-Ducoudray  de  l'injuste  abandon  de  sa  Thamara,  l'une  des  œuvres 
les  plus  mâles  et  les  plus  heureusement  inspirées  que  nous  ayons  enten- 
dues depuis  longtemps  à  l'Opéra.  Je  ne  reviendrai  pas  sur  l'effet  produit 
de  nouveau  par  M""  Caron  dans  fa  scène  incomparable  iWlasie.  où  son 
interprétation  si  pleine  de  grandeur,  de  noblesse  et  de  pathétique  est 
absolument  admirable.  Mais  je  me  demande  pourquoi,  avec  sous  la  main 
une  Alceste  pareille,  avec  un  grand  prêtre  comme  M.  Delmas,  l'Opéra 
s'obstine  à  ne  pas  nous  rendre  le  chef-d'œuvre  de  Gluck,  qui  serait  monté 
en  quinze  jours  et  qui  ne  coûterait  pas  .500  francs  de  mise  en  scène,  fl  est 
vrai  que  MM.  Bertrand  et  Gailbard  ne  nous  rendent  pas  davantage  le  Fidelio 
de  Beethoven,  où  M"'°  Caron  est  également  remarquable.  Le  concert  se 
terminait  par  un  chœur  sonore  et  coloré  de  Mazeppa,  opéra  de  M"'^  de 
Grandval  joué  avec  succès  à  Bordeaux,  il  y  a  quelques  anuées. 

A.  P. 

—  îl  y  a  eu  séance  extraordinaire  jeudi  dernier  aux  «  concerts  Lamou- 
reux  »  pour  l'audition  du  jeune  pianiste  russe  Lhevine,  qui  fut,  cet  été, 
le  lauréat  couronné  du  premier  concours  Rubinstein.  Il  a  exécuté  un  con- 
certo de  ce  maître  avec  une  très  belle  virtuosité  ;  l'art  des  nuances  et  de 
la  couleur  n'est  pas  encore  poussé  sans  doute  à  son  point  extrême  chez  le 
jeune  artiste,  mais  il  a  bien  du  temps  encore  devant  lui  pour  acquérir  ce 
qui  peut  lui  manquer  de  ce  coté.  Pour  l'orchestre,  M.  Lamoureux  avait 
passé  galamment  le  bâton  à  M.  Safonoff,  directeur  du  Conservatoire  de 
Moscou,  qui  est  un  chef  remarquable  et  qui  l'a  bien  fait  voir. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  reliche. 

Opéra  :  Poème  carnavalesque  (Ch.  Silver).  —  Sainte  Cécile,  poème  lyrique 
de  M.  Ed.  Guinand,   musique  de  M.  Ch.  Lefebvre,   chanté  par  M'"  Berthet 


(Cécile),  M.  Gautier  (Valérien),  et  M.  Bartet  (Lélius).  -  hn  Belle  au  bois  dormant, 
féerie  dramatique  de  MM.  Bataille  et  d'Humières,  musique  de  M.  Georges 
Hue.  —Danses  anciennes,  réglées,  par  M.  Hansen.  —  a.VEntcrnnmnl  d'Opheiie, 
b.  Rapsodie  cambodgienne  (Bourgault-Ducoudray).  —  Deuxième  tableau  du  pre- 
mier acte  à'Alceste  (Gluck),  chanté  par  M""  Rose  Caron  :  Alceste),  M.  Delmas 
(le  grand  prêtre)  et  M.  Djuaillier  (l'Oracle).  —  Chœur  triomphal  de  Mazeppa 
(C.  de  Grandval). 

Châielet,  concert  Colonne  :  Relâche. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  Concert  Lamoureux:  La  Damnation  de  Faust  (Ber- 
lioz), interprétée  par  M""  Jenny  Passama  (Marguerite),  M.  E.  Lafarge  (Faust), 
M.  Bailly  (Méphistophélès),  M.  P.  Blancard  (Brander). 

Concerts  du  Jardin  d'Acclimalation.  Chef  d'orchestre,  Louis  Pister.  —  Les 
Joyeuses  Commères,  Nicolaï.  —  Mélodies  religieuses,  Th.  Dubois.  —  Le  Roman 
d'Arlequin,  (Massenet).  a.  Rêverie  de  Colombine,  b.  Sérénade  d'Arlequin.  —  Car- 
naval, (Guiraud).  —  Scènes  Napolitaines  (Massenet),  la  Danse,  la  Procession, 
l'Improvisateur,  la  Pét"^.  —  Menuet  (Boccherini;.  —  Polijeucte,  suite  d'orchestre 
(GounodJ,  a.  le  Dieu  Pan,  Invocation,  Pastorale;  b.  'Vénus,  Apparition  ,  les 
Néréides,  o.  Bacchus,  Bacchanale,  Choral. 

—  Le  9"  concert  du  Conservatoire,  qui  devait  avoir  lieu  aujourd'hui 
dimanche  Ifi  février,  a  été  remis  au  dimanche  IS  mars,  en  raison  de  la 
mort  de  M.  Ambroise  Thomas,  président  de  la  Société  des  concerts.  Une 
bande  blanche  portant  en  grosses  lettres  le  mot:  Relâche,  a  été  placée  sur 
les  affiches  du  concert,  qui  étaient  déjà  posées.  La  société  nous  fait  savoir 
que  les  billets  portant  la  date  du  16  février  seront  reçus  le  lo  mars. 

—  Salle  Pleyel,  séance  de  musique  de  chambre  très  intéressante  donnée 
par  M"=  Berthé  Poêlle,  pianiste.  Grand  succès  pour  le  beau  quatuor  de 
Schumann,  remarquablement  exécuté  par  M""  Poélle  et  ses  partenaires. 
M"«  Baude,  violoncelliste,  a  été  très  applaudie  dans  l'Auliade  de  Godard,, 
et  la  seconde  sonate  pour  piano  et  violoncelle  de  notre  collaborateur 
H.  Barbedette. 

—  Vendredi  7  février,  à  la  nouvelle  salle  Pleyel,  a  eu  lieu  la  première 
des  auditions  annuelles  des  derniers  quatuors  de  Beethoven,  données  par 
la  Fondation  Beethoven.  Au  programme,  les  'VI1'=  et  Xtl".  Le  succès  a  été 
très  grand  pour  le  quatuor  Geloso,  Tracol,  Monteux,  Schneeklud,  qui  a 
mis  en  relief  avec  une  puissance  et  une  bomogénéiié  de  sonorité  remar- 
quables, une  parfaite  intelligence  des  œuvres  et  une  maîtrise  toutà  fait 
supérieure,  ces  quatuors  de  pensée  si  haute,  de  développement  si  riche  et 
si  hardi.  La  prochaine  séance  aura  lieu,  à  la  même  salle  Pleyel,  le  ven- 
dredi 21   février. 

—  Le  récital  de  la  jeune  et  si  remarquable  virtuose  Marie  "Weingaertner 
a  obtenu  un  succès  complet.  La  charmante  pianiste  a  su,  pendant  une 
soirée  tout  entière,  captiver  l'auditoire  fort  nombreux. 

—  La  suite  de  flûte  exécutée  à  la  première  séance  de  M.  Nadaud  est  de 
la  composition  de  M.  André  Cœdès-Mongin,  élève  au  Conservatoire  de 
MM.  Lenepveu  et  Widor,  et  non  comme  nous  l'avions  dit  par  erreur,  de 
M"'^  Cœdès-Mongin,  sa  mère,  artiste  elle  aussi  de  beaucoup  de  talent. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (13  février).  —  Le  Tannhduser,  que 
la  Monnaie  nous  a  donné  mardi,  n'était  certes  pas  une  nouveauté  pour 
les  Bruxellois.  La  première  représentation  date  d'il  y  a  juste  vingt-quatre 
ans;  les  interprètes  étaient  M"'-'  Marie  Battu  (Elisabeth),  M"«  Hamackers 
CVénus),  et  M.  Warot  (Tannhiiuser).  L'œuvre  fut  bien  accueillie,  mais  on 
s'ennuya  ferme,  non  pas  à  cause  de  la  musique,  qui  ne  parut,  même  à 
cette  époque,  rien  avoir  de  très  subversif,  mais  à  cause  du  poème,  que 
l'on  trouva  d'une  médiocre  gaité.  On  n'en  était  pas  encore  alors,  comme 
aujouid'hui,  à  admettre  des  librettos  crevants,  pourvu  qu'ils  aient  une 
teinte  mystique  et  symbolique,  et  à  les  préférer  même  à  tous  les  autres. 
Aussi,  quand,  après  une  faible  reprise  l'année  suivante,  Tannhàuser  fut 
relégué  définitivement  dans  les  cartons,  personne  ne  protesta.  Depuis, 
nous  avcms  eu  davantage  et  mieux,  et  le  neuf  qu'on  nous  a  servi  a  fait 
dédaigner  i'ancien.  Il  a  fallu  la  résurrection  inopinée  du  Tannhàuser  à 
Bayreuth,  puis  à  Paris,  pour  relever  l'œuvre  de  ce  dédain  que  les  «  poin- 
tus «  du  wagnérisme  lui  vouaient  asiez  volontiers  et  provoquer  l'actuelle 
reprise.  Celle-ci  a  éié  entourée  de  beaucoup  de  soins  ;  et  si  l'interpréta- 
tion n'est  pas  excellente  en  tous  ses  détails,  elle  est  du  moins  très  suffi- 
sante dans  son  ensemble.  Le  succès  a  été  pour  M"»  Raunay-FîUieau, 
récemment  engagée.  A  défaut  de  fereaai,  qu'elle  devait  créer  cette  année, 
c'est  le  rôle  d'Elisabeth  qui  lui  a  servi  de  début.  Début  très  applaudi,  qui 
a  mis  en  relief  des  qualités  de  distinction  naturelle,  une  intelligence 
artistique  évidente,  un  talent  de  cantatrice  dramatique  coloré  et  expressif, 
sans  la  moindre  banalité.  M.  Seguin  est  un  remarquable  "Wolfram, 
M.  Gibert  un  Tannhàuser  qui  a  plus  d'éclat  que  de  charme,  mais  très 
vaillant  et  beaucoup  plus  heureux  qu'il  ne  l'a  été  souvent  en  d'autres 
rôles,  et  M""  Pacary,  une  'Vénus  ayant  les  méritas  de  son  emploi  et  ne 
craignant  pas  de  les  montrer.  Les  chœurs  ont  chanté  assez  faux,  surtout  à 
feur  départ  pour  Rome  (en  revenant,  ça  allait  un  peu  mieux);  l'orchestre 
a  été  extrêmement  brillant  et  bruyant;  et  la  mise  en  scène  a  paru,  en 
général,  bien  réglée.  En  somme,  reprise  intéressante,  dont  M.  Van  Dyck, 


54 


LE  MÉNESTREL 


dans  deux  mois,  viendra  corser  l'intérêt.  —  C'est  demain  que  JM"'  Van 
Zandt  donnera  sa  première  représentation  très  attendue  et  qui  sera  sans 
aucun  doute  «  très  courue  »,  le  prix  des  places  ayant  été  doublé.  Le  hasard 
fera,  à  cette  occasion,  coïncider  la  reprise  de  Mignon  avec  le  douloureux 
événement  qui  vient  de  mettre  en  deuil  la  France  musicale,  en  lui  enle- 
vant l'auteur  de  cette  partition  si  populaire  et  si  charmante.  Ce  sera,  certes, 
pour  M""  Van  Zandt  un  sujet  de  juste  et  triste  émotion  que  cette  circonstance 
qui  l'amène  à  interpréter  l'œuvre  du  compositeur  au  moment  même  où  sa 
reconnaissance  d'artiste  et  d'élève  le  pleure.  —  Le  deuxième  concert  du 
Conservatoire,  dimanche,  était  purement  symphonique.  Un  gros  événement, 
néanmoins  :  l'entrée  de  César  Franck  dans  l'Olympe, —  digmis  inlrare,  — 
suivant  celle  de  W'agner,  qui  date  déjà  de  plusieurs  années.  M.  Gevaert, 
avait  inscrit  au  programme  sa  symphonie  en  ré  majeur,  d'exécution  très 
ardue,  pleine  de  hardiesses  harmoniques,  pleine  de  poésie  et  de  sentiment 
aussi,  et  qui  a  été  applaudie  avec  respect.  M.  Ysaye  a  joué  !e  concerto  de 
Beethoven  en  virtuose  accoirpli,  avec  une  délicatesse  peut-être  excessive; 
Joachim,  qui  l'a  joué  souvent  à  Bruxelles,  y  mettait  plus  de  simplicité  et 
de  caractère.  Enfin  la  huitième  symphonie  complétait  le  programme. 
Inutile  d'ajouter  que  l'interprétation  a  été,  comme  toujours,  d'une  absolue 
perfection.  L.  S. 

—  Dépêche  de  Bruxelles  :  '■  On  finit  le  deuxième  acte  de  Mignon.  Très 
grand  succès  pour  Van  Zandt,  qui  réapparaît  telle  qu'elle  était  il  y  a 
dix  ans,  avec  toute  sa  voix  et  tout  son  charme.  Comme  hommage  au  grand 
maître  disparu,  une  couronne  avait  été  disposée  au-dessus  de  la  partition 
d'orchestre.  » 

—  A  Gand,  un  nouvel  opéra-comique  en  un  acte.  Razzia,  paroles  de 
,MM.  Verneuille  et  Corre,  musique  de  M.  Van  Damme,  a  eu  un  grand  suc- 
cès. Le  compositeur  fait  partie  de  l'orchestre  du  théâtre  de  Gand. 

—  Programme  des  fêtes  wagnériennes  de  Bayreuth  en  1S96.  Il  y  aura 
cinq  séries  de  représentations  de  l'Anneau  du  Niebelungen.  Les  dimanches 
19,  26  juillet,  "2,  9  et  16  août  :  le  Rlieingold.  Les  lundis  20  et  27  juillet,  3, 
11  et  17  août  :  Die  Walkiirc;  les  mardis  21,  28  juillet,  .'i,  12  et  19  août  : 
Golterdâmmerung,  (le  Crépuscule  des  dieux).  —  Rlieingold  sera  donné  sans 
entr'actes  et  commencera  à  cinq  heures  de  l'après-midi.  Les  autres  ouvrages 
commenceront  à  quatre  heure?.  Le  prix  du  billet  est  de  80  marks  (100  francs), 
pour  une  stalle  numérotée,  valable  pour  la  série  complète. 

—  De  Bayreuth  on  annonce  que  M.  Hermann  Lévy,  le  célèbre  chef 
d'orchestre,  atteint  de  nouveau  de  troubles  nerveux  considérables,  a 
demandé  et  obtenu,  à  Munich,  un  congé  illimité.  Cet  artiste  ne  pourra 
donc  prendre  part,  cette  année,  aux  représentations  vi'agnériennes  de 
Bayreuth. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  prépare  la  première  représentation  d'un  nou- 
vel opéra,  Ingo,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Philippe  Ruefer. 

—  Le  théâtre  de  la  place  Alexandra,  à  Berlin,  a  joué  avec  succès  une 
nouvelle  opérette,  Pi»s,  paroles  de  M.  Fritz  Otto,  musique  de  M.  Hans 
Loewenfeld.  ^-  Succès  aussi  pour  Iwein,  opéra  de  M.  Auguste  Klughardt, 
qui  vient  d'être  représenté  au  théâtre  municipal  de  Ghemnitz. 

—  Le  succès  de  M"=  Clotilde  Kleeberg  â  son  dernier  concert  donné 
dimanche  dernier  dans  la  grande  salle  de  la  Singacademie,  à  Berlin,  a  pris 
des  proportions  tout  à  fait  inusitées.  Un  grand  nombre  de  morceaux  de 
son  programme  ont  été  bissés  etl'artiste  a  dû  y  ajouter  trois  autres  morceaux. 
Nous  constatons  avec  plaisir  le  succès  tout  particulier  des  compositeurs 
français  que  M"'  Kleeberg  fait  connaître  et  sait  si  bien  faire  apprécier  en 
Allemagne  et  partout  ailleurs.  Nous  relevons  cette  fois  les  noms  de 
Rameau,  Saint-Saëns,  Ernest  Redon  et  Gabriel  Fauré,  qui  alternent  avec 
Théodore  Dubois,  B.  Godard,  etc. 

—  Les  compositeurs  allemands  ne  chôment  pas  et  continuent  d'envoyer 
leurs  œuvres  aux  grands  théâtres  subventionnés  par  les  difl'érentes  cours, 
où  elles  sont  soigneusement  examinées  et  forment,  en  général,  l'objet 
d'un  rapport  spécial.  L'Opéra  royal  de  Dresde  n'a  pas  reçu  en  1895  moins 
de  trente-sept  partitions  d'opéras,  qui,  presque  tous,  ont  été  refusés.  Les 
autres  théâtres  allemands  ont  sans  doute  reçu  une  quantité  non  moindre 
de  partitions  en  quête  d'une  scène  hospitalière.  Malgré  la  décentralisa- 
tion énorme  qui  existe  en  Allemagne,  où  des  théâtres,  même  de  troisième 
ordre  n'hésitent  pas  à  produire  des  opéras  inédits,  la  consommation 
d'œuvres  lyriques  ne  peut  pas  égaler  la  production. 

—  Au  théâtre  municipal  de  Francfort  aura  bientôt  lieu  la  première 
représentation  d'un  nouvel  opéra.  Indigo,  musique  de  M.  Ed  Uhl. 

—  Aucassin  et  Nieolelte,  l'opéra  dont  nous  avions  annoncé  depuis  long- 
temps déjà  la  prochaine  apparition,  vient  d'être  représenté  avec  succès  au 
théâtre  royal  de  Copenhague.  La  musique  est  l'œuvre  de  M.  Auguste 
Enna,  un  jeune  compositeur  à  qui  l'on  doit  déjà  un  opéra  intitulé  la  Sor- 
cière, et  sur  lequel  on  fonde  en  son  pays  les  plus  grandes  espérances. 

—  Au  théâtre  municipal  de  Bâle,  le  nouvel  opéra  Gudrun,  paroles  de 
M.  Etienne  Born,  musique  de  M.  Hans  Huber,  a  remporté  un  grand 
succès. 

—  Le  théâtre  social  de  Goritz  a  donné  la  première  représentation  de 
Jolanda,  opéra  du  compositeur  Grablowitz,  dont  le  succès  a  été  complet. 
L'auteur  a  été  très  fêté,  ainsi  que  ses  interprètes,  M™  Monari-Rocca,  le 
ténor  De  Rosa  et  le  baryton  Ciclitara. 


—  Un  facteur  d'instruments  qui  a  des  idées  pratiques,  c'est  M.  .l.-F. 
Cuypers,  de  La  Haye,  qui  vient  de  construire  un  nouveau  type  d'harmo- 
nium dont  le  meuble  peut  être  également  utilisé  comme  bureau  à  écrire  et 
même  comme  armoire  à  livres. 

—  Au  Politeama  Margherita,  de  Gênes,  apparition  d'une  nouvelle 
opérette,  una  Noitc  a  Roma,  paroles  de  M.  Berardi,  musique  de  M.  Ruggeri. 

—  Nous  recevons  de  Florence  le  premier  numéro  d'un  journal  nouveau 
qui  se  publie  en  cette  ville  sous  le  titre  de  la  Nuova  Musica.  Nous  lui 
souhaitons  longue  vie  et  prospérité. 

—  C'est  M.  Frédéric  H.  Cowen,  le  compositeur  bien  connu,  qui  a  suc- 
cédé à  sir  Charles  Hallé  dans  la  direction  des  concerts  de  Manchester. 
M.  Cowen  a  aussi  accepté  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  des  concerts 
philharmoniques  à  Liverpool. 

—  Un  compositeur  anglais,  M.  George  Fox,  vient  de  terminer  un  opéra 
intitulé  Nydia,  qui  sera  d'abord  joué  devant  un  public  d'invités,  à  Victoria 
Hall,  de  Londres. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

Nous  donnons  ici  la  liste  complète  des  ouvrages  dramatiques  d'Am- 
broise  Thomas,  avec  la  date  de  leur  représentation  :  1»  la  Double  Echelle, -an 
acte,  Opéra-Comique,  23  août  1837  (a  obtenu  187  représentations);  — 2°  le 
Perruquier  de  la  Régence,  3  actes,  Opéra-Comique,  30  mars  1838;  —  3°  la  Gypsy, 
ballet  en  3  actes  (en  société  avec  Benoist  et  Marliani),  Opéra,  28  jan- 
vier 1839  ;  —  4»  /e  Panier  fleuri,  un  acte,  Opéra-Comique,  6  mai  1839  (128  re- 
présentations) ;  —  5°  Carline,  3  actes,  Opéra-Comique,  24  février  ISiO  ;  — 
6°  le  Comte  de  Carmagnola,  2  actes.  Opéra,   19  avril  1841  :   —  7'"  le  Guérillero, 

2  actes.  Opéra,  22  juin  1842  ;  —  8"  Angélique  et  Médor,  un  acte,  Opéra-Co- 
mique, 10  mai  1843  ;  —  9°  Mina,  3  actes,  Opéra-Comique,  10  octobre  1843  ; 
—  10°  Beltii,  ballet  en  2  actes,  Opéra,  10  juillet  1846  ;  — 11»  le  Cdid,  2  actes, 
Opéra-Comique,  3  janvier  1849  (362  représentations);  —  12"  le  Songe  d'une 
nuit  d'été,  3  actes,  Opéra-Comique,  20  avril  1830  (227  représentations)  ;  — 
13°  Raymond  ou  le  Secret  de  la  Reine,  3  actes,  Opéra-Comique,  b  juin  ISol  ;  — 
14°  la  Tonelli,  2  actes,  Opéra-Comique,  30  mars  18S3  ;  —  1S°  la  Cour  de 
Célimène,  2  actes,  Opéra-Comique,  11  avril  185S;  —  16°  Psyché,  3  actes  et 
7  tableaux,  Opéra-Comique,   26  janvier  18S7  ;  —  17°  le  Carnaval  de  Venise. 

3  actes,  Opéra-Comique,  9  décembre  1837  ;  —  18°  le  Roman  d'Elvire,  3  actes, 
Opéra-Comique,  i  février  1860;  —  19°  Mignon,  3  actes,  Opéra-Comique, 
17  novembre  1866  ;  —  20°  Hamlet,  5  actes.  Opéra,  9  mars  1868  (276  représen- 
tations) ;  —  21°  Gille  et  Gillotin,  un  acte,  Opéra-Comique,  22  avril  1874;  — 
22°  Françoise  de  Rimini,  b  actes.  Opéra,  14  avril  1882  ;  —  23°  la  Tempête, 
ballet.    Opéra,  26  juin  1889. 

—  Quelques  souvenirs  et  quelques  renseignements  sur  les  œuvres  les 
plus  fortunées  d'Ambroise  Thomas.  Mignon  d'abord,  dont  la  millième  repré- 
sentation au  même  théâtre  a  eu  lieu  en  présence  de  son  auteur,  ce  qui  est 
un  fait  assurément  sans  exemple  dans  l'histoire  de  l'art.  La  première 
remonte,  on  l'a  vu,  au  17  novembre  1866.  L'ouvrage  avait  pour  interprètes 
Mmes  Galli-Marié  et  Marie  Cabel,  MM.  Léon  Achard,  Couderc,  Bataille, 
Voisy  et  Bernard.  La  centième  eut  lieu  huit  mois  après,  presque  jour  pour 
jour,  le  18  juillet  1867  ;  puis  la  400<i  en  novembre  1876,  la  bOO^  le  22  octobre 
1878,  la  6Û0«  le  21  mars  1882,  la  700'  le  7  avril  188b,  enfin  la  1000^  le 
13  mai  1894,  on  se  rappelle  avec  quel  éclat.  Il  va  sans  dire  qu'après 
M""  Galli-Marie,  qui  l'avait  jouée  plusieurs  centaines  de  fois,  un  grand 
nombre  de  cantatrices  se  sont  produites  à  l'Opéra-Comique  dans  le  rôle 
de  Mignon;  sans  les  pouvoir  citer  toutes  peut-être,  nous  rappellerons  les 
noms  de  M™s  Marie  Van  Zandt,  Chapuy,  Emma  Nevada,  Sigvid  Arnoldson, 
Lise,  Frandin,  Simonnet,  Samé,  Esther  Chevalier,  Vaillant-Couturier, 
Tarquini  d'Or,  .Teanne  Horwitz,  Marcolini,  Charlotte  Wyns....  Mignon  a 
fait  sa  première  apparition  à  Anvers  le  7  mars  1867,  à  la  Monnaie  de 
Bruxelles  le  29  mars  1867,  à  Liège  le  9  mars  1868,  â  Magdebourg  le 
l'r  janvier  1886.  On  en  donnait  la  100°  à  l'Opé.-a  de  Vienne  le  9  mars  1889, 
la  lb0°  au  théâtre  royal  de  Copenhague  le  14  avril  1890,  la  100" à  Stockholm 
le  11  septembre  1891.  —  Le  Cdid,  qui  compte  le  plus  grand  nombre  de 
représentations  à  Paris  après  Mignon,  fut  joué  pour  la  première  fois  à 
Bruxelles  le  28  juillet  1849,  à  Anvers  le  22  novembre  et  à  Liège  le  24  dé- 
cembre de  la  même  année,  en  anglais  à  Londres  (théâtre  Haymarket)  le 
16  juin  ISbl,  en  allemand  (Der  Kadij  à  l'Opéra  de  Vienne  le  29  août  1856, 
à  l'Opéra  de  Berlin  en  septembre  1857.  —  La  première  apparition  du 
Songed'une  nuit  d'été  eut  lieu  à  laMonnaiede  Bruxelles  le  29  octobre  1850, 
au  théâtre  Friedrich-Wilhelmstadt  de  Berlin  en  octobre  1853.  —  Raymond 
ou  //■  Secret  de  la  Reine  fut  donné  à  Bruxelles  le  4  février  1832,  à  Francfort- 
sur-le-Mein  le  4  mars  1836,  à  Vienne  (théâtre  Josepstadt),  en  avril  1837. 

—  On  sait  qu'Ambroise  Thomas  avait  acheté,  dans  les  Côtes-du-Nord, 
une  des  iles  de  l'archipel  de  Saint-Gildas,  celle  qui  a  nom  Illiec,  et  qu'il  y 
avait  fait  construire  une  jolie  villa.  M.  Ardouin-Dumazet  décrit  ainsi,  dans 
le  Temps,  la  retraite  où  le  maître  abordait  chaque  année,  dans  un  petit  port 
où  s'abritait  sa  flottille  :  Mignon  et  Trécor,  noms  de  la  plus  populaire  de  ses 
œuvres  et  du  pays  celtique  de  Tréguier: 

Bien  petite,  cette  île  d'Illiec!  Elle  est  formée  par  trois  massifs  de  rochers 
réunis  par  un  sillon  de  galets  sur  lequel  une  herbe  épaisse  a  pu  croître,  Entre 
deux  de  ces  rochers,  sur  une  plate-forme  couverte  d'ajoncs,  M.  Ambroise 
Th  omas  a  construit  sa  villa  :  maison  de  granit  à  un  étage  et  un  toit  mansardé. 


LE  MENESTREL 


5S 


Trois  fenêtres  à  l'étage  ;  sur  la  façade  regardant  le  conlinent  une  vigne  court 
au-dessus  de  la  porte,  près  d'une  tourelle  d'angle.  Sur  l'autre  façade,  précédée 
d'une  terrasse  gazonnée,  en  vue  des  étendues  de  l'océan,  un  pavillon  carré  fait 
saillie.  Au  pied  des  rochers,  un  jardinet  dans  lequel  sont  des  hortensias  gigan- 
tesques. Dans  les  roches  quelques  pins,  la  maison  blanche  et  prfpretle  du 
garde.  Entre  les  ajoncs  s'entrecroisent  une  multitude  de  petits  sentiers,  pro- 
menade favorite  du  célèbre  compositeur,  qui  se  plaît  à  suivre  ces  pistes  serpen- 
tant au  hasard.  Il  adore  ce  coin  sauvage,  les  ajoncs  sont  sévèrement  surveillés, 
il  est  défendu  d'y  toucher... 

Tel  est  ce  petit  royaume  où  Ambroise  Thomas  a  composé  Mirjiion.  La  villa  a 
été  meublée  par  lui  au  moyen  de  meubles  et  d'objels  d'art  achetés  dans  la 
contrée  de  Tréguier.  Vieux  bahuts,  vieux  sièges,  motifs  de  sculpture  ornent  le 
vestibule  et  une  partie  des  pièces.  Depuis  1872,  ces  objets  sont  précieusement 
amassés.  Dans  la  cuisine,  le  manteau  de  la  cheminée,  en  granit  sobrement 
sculpté,  provient  d'une  ferme  du  continent.  Toutefois,  Ambroise  Thomas  a 
meublé  les  pièces  intimes  avec  des  meubles  plus  confortables  que  les  sévères 
produits  de  la  menuiserie  armoricaine.  Sa  chambre  est  fort  simple,  un  petit  lit 
de  fer  dans  un  coin,  une  antique  commode  ornée  de  cuivres  la  remplissent  ; 
mais  aux  murs  sont  tendues  de  vieilles  tapisseries  des  Gobelins. 

Le  choix  de  cet  asile  est  heureux;  l'île,  malgré  son  exiguïté,  est  charmante, 
jetée  ainsi  entre  l'océan  toujours  agile  et  la  mer  calme  de  Port-Blanc;  on  la 
quitte  avec  regret  en  jetant  un  dernier  regard  aux  hortensias  et  aux  yuccas  qui 
fraternisent  avec  les  choux  dans  le  parterre. 

—  La  Revue  et  Gazette  musicale  publiait,  dans  son  numéro  du  M  mai  1879, 
la  note  suivante,  destinée  à  relever  une  erreur  singulière  commise  par  un 
écrivain  allemand  :  «  Une  éphéméride  assez  curieuse  a  été  relevée  ces 
jours-ci  par  plusieurs  journaux  dans  uu  almanach-bloc  fort  répandu  : 
«  6'  mai  /<S'77.  Mort  (T Ambroise  Thomas,  compositeur  français.  >>  Un  de  nos  con- 
frères a  cru  que  l'éphéméride  devait  s'appliquer  à  Félicien  David;  il 
n'en  est  rien,  et  l'erreur  est  plus  facilement  explicable.  Le  rédacteur  fort 
peu  attentif  de  ce  petit  mémento  historique  a  pris  Thomas  Sauvage,  li- 
brettiste, collaborateur  d'Amhroise  Thomas  po.ur  le  Caïd,  la  Tonelli,  Gille 
et  Gillotin,  etc.,  pour  le  compositeur  lui-même.  Bien  mieux,  Thomas  Sau- 
vage est  mort  le  "1  mai  1877  ;  mais  son  décès  n'a  été  annoncé  que  le 
6  mai  dans  la  Revue  et  Gazette  musicale,  et  c'est  cette  dernière  date,  copiée 
sans  plus  de  réflexion  que  le  nom  du  défunt,  qui  a  passé  dans  l'éphémé- 
ride. » 

—  Ainsi  que  nous  le  faisions  pressentir  dimanche  dernier  ;  c  est  bien 
M.  Raoul  Pugno  qui  prendra  au  Conservatoire  la  classe  de  piano  laissée 
vacante  par  le  décès  du  regretté  Fissot,  tandis  que  M.  Xavier  Leroux 
Succédera  ;i  M.  Pugno  dans  la  classe  d'harmonie  qu'il  faisait  auparavant. 
.C'étaient  les  désignations  faites  par  M.  Ambroise  Thomas  lui-même,  et  le 
ministre  des  Beaux-Arts  s'est  empressé  d'y  donner  son  approbation. 
Choix  d'ailleurs  excellents,  et  comme  on  n'en  pouvait  espérer  de  meilleurs. 
M.  Pugno  est  non  seulement  un  virtuose  du  piano  de  premier  ordre, 
mais  il  est  encore  un  grand  artiste  ayant  des  lueurs  vives  de  tout  ce  qui 
concerne  son  art,  et  il  ne  peut  manquer  de  faire  une  classe  élevée  et  inté- 
ressante, oii  on  ne  se  contentera  pas  de  tripoter  l'ivoire  pour  le  plaisir  des 
salons.  Quant  à  M.  Xavier  Leroux,  un  musicien  exquis,  son  récent  succès 
i'Évangéliiie,  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  le  désignait  aussi  tout 
naturellement  pour  une  classe  d'enseignement  au  Conservatoire. 

—  Le  Jouriud  oiJiciel  a  publié  cette  semaine  une  liste  supplémentaire  de 
proraolions  et  de  nominations  académiques.  Nous  y  relevons  les  noms 
suivants.  O/jicieis  lie  l'instruction  publique:  MIM.  Charles  René,  Louis  Ganne, 
Besançon,  compositeurs  de  musique;  Fourneau,  dit  Xanrof,  homme  de 
lettres;  Mouzin,  auteur  dramatique;  M""  Grenier,  professeur  de  musique. 
Officiers  d'académie  :  MM.  Benistant,  Ghristiani,  M'^Gignoux,  compositeurs; 
M°"=Filliaux-Tiger,  M""  Henriette  Duval,  M.  Delaspre,  professeurs  de  musi- 
que à  Paris;  MM.  Seiglet,  professeurs  l'École  de  musique  de  Lille;  Audran, 
professeur  à  l'École  de  musique  de  Toulouse;  Renard,  chef  de  musique  des 
mines  de  Liévin;  Blachère,  chef  de  la  fanfare  de  Pont-Saint-Esprit;  Rouga, 
directeur  des  concerts  Tournon,  à  Paris;  Bouyer,  M™"  Riquet-Lemonnier, 
artistes  dramatiques;  M.  Auguste  Slœsser,  vice-président  du  choral  de 
Plaisance. 

—  L'assemblée  générale  delà  Société  des  compositeurs  de  musique  a  eu 
lieu  jeudi  dernier,  sous  la  présidence  de  M.  Victorin  Joncières,  qui  a 
rendu  un  hommage  mérité  à  la  mémoire  de  M.  Ambroise  Thomas,  prési- 
dent-fondateur de  la  Société.  M.  Arthur  Pougin,  secrétaire  rapporteur,  a 
donné  ensuite  lecture  de  son  rapport  sur  les  travaux  du  comité  pendant 
l'année  écoulée,  lequel  a  été  adopté  à  l'unanimité,  après  quoi  on  a  procédé 
au  scrutin  pour  l'élection  de  douze  membres  du  comité.  Ont  été  nommés 
pour  trois  ans  :  MM.  Joncières,  Anthiome,  Bûsser,  Canoby,  Arthur  Coquard, 
Léon  Gastinel,  André  Gedalge,  I.  Philipp,  de  Saint-Quentin,  Paul  Rimgon; 
pour  deux  ans,  M.  Michelot;  pour  un  an,  M.  F.  de  la  Tombelle. 

—  Notre  collaborateur  Julien  Tiersot  va  entreprendre  une  tournée  de 
conférences  musicales  sur  la  chanson  populaire  française.  Les  villes  oi^i 
il  s'arrêtera  sont  les  suivantes  :  La  Haye,  Amsterdam,  Utrecht,  Arnheim, 
Groningue,  Liège,  Gand  et  Lille,  où  il  donnera  une  séance  au  Conserva- 
toire, avec  le  concours  des  choeurs  de  l'École,  dirigés  par  M.  E.  Ratez. 

—  On  annonce  la  prochaine  représentation  du  Barde,  opéra  de  M.  Léon 
Gastinel,  au  grand  théâtre  municipal  de  Nice. 

—  M.  Léon  Delafosse  vient  de  terminer,  chez  lui,  la  série  de  ses  matinées 
musicales.  Il  n'est  point  besoin  de  dire  quel  succès  a  accueilli  l'exquis 
virtuose,    qu'on    a    aussi   grandement    tété   comme    compositeur   dans   les 


Chauves-Souris,  chantées  par  M.  Clément  et  par  M""  Eustis,  Parmi  les  ar- 
tistes et  amateurs  applaudis  à  ces  très  artistiques  séances,  il  convient  de 
nommer  M""'  Dettelbach,  M"=  Eustis  (air  de  Mignon),  M"""-  Auslin  Lée, 
M"=  Reichenberg,  M""  Jameson,  MM.  Biaz  de  Soria  {l'Heure  exquise  et 
l'Allée  sans  fin,  de  Reynaldo  Hahn),  Clément,  Brun,  Bailly,  van  Goens, 
Legrand  et  van  "Waefelghem. 

—  Naples  qui  chante!  Un  joli  titre  qui  a  donné  occasion  à  M.  George 
Vanor  de  faire,  à  la  Bodinière,  une  charmante  conférence,  pleine  d'esprit 
original,  d'humour  railjné  et  délicatement  littéraire,  sur  les  chansons 
populaires  napolitaines.  C'est  M"'"  Maria  Severina,  un  nom  à  retenir, 
rayonnante  de  charme  et  de  grâce  en  son  costume  aux  lumineuses  couleurs, 
qui  a  chanté,  avec  une  pénétrante  compréhension,  sept  chansons  de 
sentiments  très  différents  recueillis  par  l'exquis  conférencier.  Nos  préfé- 
rences sont  allés  aux  numéros  gais,  de  rythme  absolument  typique,  tels 
Furturella  et  Ë  Spingote  frongcse  que  la  salle  entière  a  redemandée  d'accla- 
mation. Une  heure  à  délicieusement  passer.  P.-E.  C. 

—  Très  intéressante  soirée  musicale  donnée  à  la  salle  Erard  par 
M""=  Jeanne  Meyer,  violoniste,  avec  le  concours  de  M.  Charles  René,  pia- 
niste compositeur,  et  de  M""-'  Boidin-Puisais,  cantatrice.  Au  programme, 
deux  œuvres  capitales,  lai''  sonate  pour  piano  et  violon  de  Raff  et  le  con- 
certo de  violon  de  Max  Bruch,  plus  une  délicieuse  Rêverie,  également  pour 
violon,  de  M.  René  de  Boisdefl're.  M"'"  Jeanne  Meyer  a  été  chaleureuse- 
ment applaudie  dans  les  œuvres  qu'elle  a  exécutées  avec  une  rare  perfec- 
tion. Ou  a  entendu  avec  le  plus  vif  intérêt  plusieurs  œuvres  vocales  d,e 
M.  Max  d'Olonne,  remarquablement  interprétées  par  M™'  Boidin-Puisais. 
M.  Charles  René  a  eu  sa  part  de  succès  en  exécutant  quelques-unes  de  ses, 
compositions.  H.  B. 

—  Très  belle  la  séance  donnée  mardi  dernier,  par  M.  Gustave  Lefèvre, 
directeur  de  l'école  de  musique  classique,  pour  la  première  audition  de 
l'orgue  électi'O-pneumatique,  système  Hope  Jones,  placé  par  la  maison 
P.  Mader,  Arnaud  et  C'",  de  Marseille.  M.  Loret,  l'éminent  professeur  de 
l'école,  a  fait  ressortir  dans  une  sonate  de  Mendelssohn  et  une  belle  impro- 
visation toutes  les  qualités  et  les  ressources  variées  du  nouvel  instrument. 
M.  Viardot  a  montré  une  rare  supériorité  dans  l'exécution  d'une  sonate  de 
Haîndel  avec  accompagnement  d'orgue  et  une  variation  sur  une  gavotte  de 

Corelli,  de  Tartini.  Deux  élèves  de  l'école,  MM.Massuelle  etFrommuer,  ont 
été  très  chaudement  accueillis.  Un  jeune  artiste,  M.  Andrieu,  a  chanté 
avec  beaucoup  de  style  et  d'élévation  l'air  de  Joseph,  de  Méhul,  et  l'élus- 
Maria  de  Cherubini.  Qu'il  nous  soit  permis  de  signaler  également  la  nou- 
velle disposition  de  la  console  soutenant  les  deux  claviers;  cette  pièce  est 
entièrement  mobile,  ce  qui  permet  de  la  transporter  à  volonté,  suivant  les 
besoins  de  la  cause.  La  disposition  des  registres,  également  très  heureuse, 
en  facilite  le  maniement  à  l'organiste,  de  même  que  leur  composition  en 
ivoire  est  d'un  très  bel  effet.  Ce  qui  a  surpris  et  émerveillé  l'auditoire,  c'est 
la  franche  attaque  des  notes  et  l'excellence  delà  répétition  qui  se  produit 
sur  cet  instrument  avec  une  inconcevable  rapidité.  Les  jeux  composant  ce 
petit  orgue,  au  nombre  de  douze,  sont  d'une  harmonie  juste  et  très  appro- 
priée à  leur  timbre  respectif.  En  un  mot,  MM.  J.  Mader,  Arnaud  et  C 
ont  obtenu  un,  succès  bien  mérité.  Les  deux  claviers  à  mains  sont  com- 
posés de  56  notes  chacun,  et  non  de  32  comme  nous  l'avions  dit  dimanche 
dernier,  et  le  clavier  de  pédales  de  30  notes  au  lieu  de  32. 

—  Dépèche  de  Lyon:  Navarraise,  triomphe  complet.  M°'»  de  Nuovina- 
admirable,  acclamée  ;  grande  et  profonde  impression. 

—  Ping-Sin,  de  MM.  Henri  Maréchal  et  Louis  Gallet,  ne  sera  pas  joué 
quant  à  présent  au  Grand-Théâtre  de  Nantes.  Henri  Jahyer  avait  inscrit 
cet  ouvrage  au  programme  d'une  représentation  où  devaient  figurer  le 
prmier  acte  de  Brisé'is  de  Chabrier  et  Djamileh,  un  acte  de  Bizet  joué  en 
1872  à  l'Opéra-Comique.  La  critique  parisienne  devait  être  convoquée  à  cette 
soirée,  qui  eùtprésenté  un  grand  intérêt  artistique.  La  saison  étantaujour- 
d'hui  trop  avancée,  les  auteurs  ont  retiré  leur  opéra. 

—  De  Bordeaux  :  Au  dernier  concert  donné  salle  Franklin,  le  violoniste 
-Albert  Geloso  a  remporté  un  succès  considérable  dans  la  Rêverie  de  Vieux- 
temps  et  la  Polonaise  de  Wieniawski.  Il  a  été  aussi  acclamé  dans  deux 
czardas,  de  son  frère  César  Geloso,  d'une  verve  entraînante  et  originale. 

—  A  l'occasion  de  l'Exposition  nationale  et  coloniale  qui  aura  lieu  à 
Rouen,  du  16  mai  au  15  octobre  prochain,  la  municipalité  organise  de 
grands  concours  internationaux  d'orphéons,  musiques  d'harmonie  et  fan- 
fares, fixés  aux  dimanche  25  et  lundi  27  juillet  pour  les  orphéons  et  au 
dimanche  2  août  pour  les  fanfares.  Les  adhésions  seront  reçues  au  secré- 
tariat de  la  mairie  de  Rouen  jusqu'au  1"'  mai.  Les  sociétés  qui  n'auraient 
pas  reçu  le  règlement  des  concours  d'ici  le  20  février  courant  pourront  en 
faire  la  demande  à  M.  le  maire  de  Rouen. 

—  D'Aix  en  Provence  :  La  Nativité  de  M.  Henri  Maréchal  vient  d'être 
exécutée  ici  par  120  exécutants,  sous  la  direction  expérimentée  de  M.  H. 
Poncet,  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale.  Trois  auditions,  honorées  de 
la  présence  de  Mf''  Gouthe-Soulard,  archevêque  d'Aix,  ont  dû  être  données 
de  cet  important  ouvrage,  fréquement  interrompu  par  les  chaleureux  applau- 
dissements d'un  public  nombreux. 

—  A  Caen,  grand  concert  donné  samedi  dernierpara  la  Lyre  caennaise  ». 
Au  programme.  M"»  Laure   Charton,  qui  a  interprété  l'Arioso  de  Delibes, 


56 


LE  MENESTREL 


M.  Hérouard,  violoncelliste  de  talent,  et  l'artistique  orchestre  de  M.   Lair. 
qui  a  superbement  exécuté  le  Roman  d'Arlequin  de  Massenet. 

—  La  tournée  Lerval  part  pour  représenter  Casilda,  opéra-comique  en 
3  actes,  de  M.  le  Chevallier  de  Boisval. 

—  Concerts  et  Soirées.  —  Très  jolie  matinée  musicale  chez  M"'  Rose 
Delaunay,  dont  la  première  partie  était  consacrée  à  l'audition  de  ses  élèves; 
M-"  Anna  C.  (Tyrolienne,  Wekerlin),  Garolioe  V.  {Xoël  pnien,  Massenet)  et 
Madeleine  D.  (air  de  Pliiline  de  Mignon,  Ambroise  Thomas)  ont  été  surtout 
remarquées.  Dans  la  seconde  partie,  M— Rose  Delaunay  a  délicieusement  chanté 
le.Voiuei  de  Diémer  et,  avec  M.  'Vioujard,  la  Tourterelle  elle  Papillon  de  Bourgeois. 
On  a  fait  grand  succès  encore  à  M.  Diémer  dans  son  Cnprice-I'aslorale,  à  M.  Car- 
bonne  dans  la  Vierge  à  la  erèehe  de  Périlhou  et  dans  l'air  de  Sii:anne  de  Fala- 
dilhe,  à  M.  Jules  Boucherit  dans  la  première  audition  de  la  Romance  pour  vio- 
lon et  piano  de  Diémer  et,  enfin,  à  Wekerlin  qui  a  dit  plusieurs  chansons 
anciennes.  —  Audition  des  élèves  de  M»*  Garerabat,  composée,  en  majeure  par- 
tie, d'œuvres  de  Théodore  Dubois.  Très  applaudis  Chœur  el  Danse  des  Iulins 
(M"'  Gabrielle  A.),  Chaeonne  (M""  Alice  F.),  Réveil  (.M""  .Marie  M.  de  H.)  et  les 
Poèmes  sylvestres.—  M"  Cartelier  vient  de  réunir  Ees  él'ives,  salle  Herz,  et  il  faut 
mentionner,  pour  les  bravos  qu'elles  ont  recueillis,  M""  de  P.  et  A.  {Chanson  de 
Mai,  Ei.  Lassen),  M.  {Oiseaur  légcr.i,  Gumbert),  M""  R.  et  M.  B.  (duo  de  Mignon, 
Ambroise  Thomas),  M"°  I.  {Fèleromaine,  Paladilhe),  M.  G.  (air  de  ymKa?em,  Verdi) 
et  M"'  .\.  (air  de  Psyehé,  Ambroise  Thomas).  —  Chez  M"'  J.  P.,  dans  ses  salons 
de  l'avenue  Henri  Martin,  très  jolie  soirée  musicale  dont  la  triomphatrice  a  été 
M"'  Julie  Bressoles  qui,  accompagnée  par  l'auleur,  a  chanté  en  artiste  délicate 
les  Chansons  urises  de  Reynaido  Hahn.  Le  grand  air  A'bamiet  a  mis  en  valeur  les 
qualités  brillantes  de  l'excellente  cantatrice.  —  Matinée  musicale  très  intéres- 
sante chez  M"'  Marie  Roze,  applaudie  dans  le  duo  de  Roméo  el  Julielte,  avec 
M.  Rivière,  un  jeune  ténor,  doué  d'une  voix  superbe,  qui  a  chanté  seul  le  grand 
air  de  Sigurd.  Parmi  les  élèves  de  l'excellent  professeur,  il  convient  de  retenir  les 
noms  de  M"'"  France  {Air  du  livre  A'HamIet),  de  Héville  {Pleure:,  mes  yeux  du  Cid) 
et  Mac  Kage.  M.  Hermann  Léon  a  charmé  l'auditoire  en  chantant  des  mélodies 
de  Schumann  et  de  Schubert.  M.  Allouard  tenait  le  piano.—  Réception  des  plus 
artistiques  chez  M"'  Roger-Miclos  en  l'honneur  de  Th.  Dubois,  dont  les  œuvres 
formaient  la  première  partie  du  programme.  M""  Blanc  et  M.  Clément  ont,  tour 
à  tour,  chanté,  accompagnés  par  l'auteur,  des  fragments  de  Xariére  et  de  ravis- 
santes mélodies  [Q\ies  qu&  Dormir  el  rêver,  Rosées,  Par  le  senlier,  Rrunette.  Inutile 
d'ajouter  que  le  public  a  applaudi  avec  enthousiasme  l'auteur  et  les  ialerpretes. 
Parmi  les  autres  numéros  du  programme,  sans  compter  M""  R  iger-Miclos,  il 
faut  surtout  citer  M""  Teste,  uoe  remarquable  élève  de  M"'  Roger-Micloa, 
M"'  Suger,  M.  Gerval.  —  Salle  des  fêtes  de  l'Hôtel  Continental,  les  Passionist 
Fathess,  de  l'avenue  Hoche,  ont  organisé  un  concert  de  Charily,  quia  fait  sensa- 
tion dans  le  monde  anglais.  L'ambassadeur  d'Angleterre  y  assistait.  Entre 
autres  œuvres,  le  Sylphe  de  Victor  Hugo,  sous  lequel  Louis  Lacombe  nous  a 
laissé  une  adaptation  musicale  qui  est  un  véritable  chef-d'œuvre!  Celle  parti- 
tion, exécutée  sur  l'orgue  par  M'"  Taine,  a  été  pour  elle  l'objet  d'un  grand  suc- 
cès. Le  Sylphe  déclamé  par  la  si  charmante  M""  Dufrêne,  de  la  Porte  Saint-Mar- 
tin, lui  a  valu,  ainsi  qu'à  M"°  Taine,  trois  rappel:?.  —  Une  jeune  pianiste  dont  le 
talent  est  bien  connu,  M""  Aline  Vivier,  a  donné  un  fort  beau  concert,  dont  le 
programme  s'ouvrait  par  une  superoe  sonate  de  Haîndel,  pour  piano  et  vio- 
loncelle, magistralement  exécutée  par  le  bénéficiaire  et  M.  Joseph  Salmou. 
M'"  Vivier  s'est  fait  aussi  vivement  applaudir  avec  des  variations  de  Beethoven, 
diverses  pièces  de  Chopin,  Field,  Schumann,  et  la  Chaeonne,  le  Seherzetto  et  la 
Danse  rustique  de  Th.  Dubois.  —  M.  Isnardon  a  donné  une  très  intéressante  audi- 
tion des  élevés  de  sa  classe  de  chant  scénique  à  l'Institut  lyrique  et  dramatique. 
Professeur  et  élèves  ont  obtenu  un  vif  succès.  On  a  remarqué  surtout  M'""  Ah- 
berti  dans  l'air  du  Cid  et  dans  la  scène  du  3"  acte  de  Mignon,  qu'elle  a  dite  avec 
M.  Martin,  puis  M"=  Didier  et  M.  Bonnet  dans  Lakmé,  M.  Martin  dans  l'air  de 
la  Reine  de  Suhu,  etc.  —  Ssuperbe  concert  pour  la  distribution  des  récompenses 
aux  nombreuses  élèves  du  cours  de  M"»  Galliano.  Ont  été  très  applaudis; 
la  Méditation  de  Tha'is,  de  Massenet,  pour  violoncelle,  admirablement  jouée 
par  M"°  Larronde,  l'Adieu  au  foyer,  de  L.  FiUiaux-Tiger,  chanié  avec  charme 
par  M.  Lecomte;  la  Ronde  de  mai,  bissée  à  M"  Boidiu-Puisais,  accompagnée 
par  l'auteur,  Alph.Duvernoy.  —Notre excellent  confrère,  Austin  de  Croze,  a  ter- 
miné lundi,  de  façon  magistrale,  la  série  tant  intéressante  de  causeries  sur  la 
Poésie  et  la  Chanson  populaire  de  Corse,  qu'il  donnait  à  la  Bodinière.  Ce  fut  un 
triomphe  mérité  que  son  éloquence  ardente,  imagée,  impeccable,  lui  valut  de 
son  auditoire  choisi.  M""  Claudia  d'Olney,  chanta,  avec  un  talent  accompli  une 
exquise  berceuse  et  ce  splendide  chant  guerrier  Yhymne  de  Sampiéro,  M"'  Julia 
Marchisio  chanta  de  façon  absolumeot  parfaite  un  lamenlo  étrange  et,  en  le 
jouant  avec  une  farouche  beauté,  un  voeero  qui  metlait  (de  par  sa  savante  mise 
en  scène,  due  à  M5I.  Lagrange  et  Dupas;,  sous  les  yeux  des  spectateurs,  un 
coin  de  vie  corse.  L'orchestre  était  composé  des  virtuoses  connus:  M""  laxy; 
MM.  Furet,  Heindricks,  Casadeéui,  Léon  Heymann,  A.  Muslel,  Henry  Ghys, 
Ravel,  Kerpeless  et  Talamo.  —  Iiitéressan  e  matines  d'élèves  donnée  par 
M"'  Brelon-Halma  Grand.  M"'  Jeanne  Lyon  y  a  été  très  applaudie  dans  la 
Chanson  damour,  de  Ch.  Levadé.  —  Très  brillant  succès  à  la  salle  Pleyel, 
pour  M.  Guidé,  le  violoniste  êminent  qui  donnait  son  concert  annuel.  On 
a  app'audi  d'enthousiasme.  M'"  Ida  Wilson,  dont  la  voix  charmante  et  bien 
timbrée  a  fait  merveille.  Cette  jeune  fille  fait  le  plus  grand  honneur  à  son 
professeur  M""  Yveling  RamBmd.  —  Salle  Erard,  succès  pour  le  concert 
organisé  par  M.  Decq;  on  y  a  surtout  remarqué  M"*  Leduc  dans  la  gavotte  de 
Manon,  et  la  violoniste.  M""  Verdie  de  Saula.—  A  «  la  Trompette  "  gros  succès 
pourM"^  Remacle,  dans  Cimetière  de  campagne,  de  Reynaido  Hjhn,  les  Caprices  de 
lu  Reine,  de  Blanc  et  Dauphin,  et  la  Fille  aux  cheveux  de  lin,  de  Paladilhe. —  Très 
belle  soirée  musicale  musicale  chezM"°  la  marquise  de  Brou,  où  M"'  Deltelbach 
a  délicieusement  chanté  les  Chauves-Souris,  de  Delafosse  et  où  M"'  la  marquise 
de  Saint-Paul  a  joué,  en  artiste,  les  Valses-Préludes  du  même  composilour.  — 
Le  concert  de  M.  Cari  Flesch,  le  brillant  élève  de  Marsick,  a  eu,  salle  Pleyel,  un 
succès  très  considérable.  L'artiste  a  été  merveilleux,  spécialement  dans  le  con- 
certo de  Paganini,  l'adagio  de  Luzzato  et  la  Bohémienne,  de  M""'  de  Grandval, 
bissée  d'acclamation. 


NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'une  artiste  qui,  bien  que 
retirée  de  la  scène  depuis  longues  années,  avait  laissé  un  nom  qui  n'était 
pas  encore  oublié.  M™"  Dorus-Gras.  Sœur  de  l'excellent  flûtiste  Dorus, 
M"' Julie-Aimée-Josèphe  Dorus  (de  son  vrai  nom  Steenkisie,  Dorus  étant 
le  nom  de  sa  mère),  avait  épousé  un  violon  de  l'orchestre  de  l'Upéra,  Gras. 
Elle  était  fille  d'un  chef  d'orchestre  de  province  avec  qui  elle  avait  com- 
mencé son  éducation  musicale,  qu'elle  vint  terminer  au  Conservatoire,  où 
elle  eut  pour  maîtres  Henri  et  Blangini,  puis  Paër  et  Bordogni.  Elle  fit 
son  premier  début  à  la  Monnaie  de  Bruxelles  le  9  novembre  1826,  dans 
le  rôle  de  la  princesse  de  Navarre  de  .fean  de  Paris,  et  resta  quatre  ans  à  ce 
théâtre.  Engagée  à  l'Opéra,  elle  y  débuta  avec  succès  en  novembre  1830, 
dans  le  Comte  Ory,  et  bientôt  prit  victorieusement  possession  de  l'emploi 
des  chanteuses  légères,  en  se  montrant  tour  à  tour  avec  bonheur  dans  la 
Muette,  Guillaume  Tell,  Fernand  Cortez,  le  Rossignol.  Ses  créations  ne  furent 
pas  moins  heureuses,  et  elle  établit  successivement  les  rôles  d'Alice  de 
Robert  le  Diable,  de  Theresina  du  Philtre,  de  Marguerite  des  Huguenots, 
d'Eudoxie  de  la  Juive,  du  page  de  Gustave,  de  Ginevra  dans  Guida  et  Ginevra. 
M"""  Dorus-Gras  fournit  ainsi  à  l'Opéra  une  carrière  brillante  de  quinze 
années,  jusqu'en  1845,  après  quoi  elle  alla  donner  des  représentations  en 
province  et  à  Londres,  pour  se  retirer  définitivement  vers  1830.  Il  est  bon 
de  rappeler  que  lors  de  la  fantaisie  déplorable  par  laquelle  M™  Casimir 
interrompit,  après  l'immense  triomphe  du  premier  soir,  les  représentations 
du  Pré  au.v  Clercs,  le  docteur  Véron,  alors  directeui;  de  l'Opéra,  mit,  avec  le 
consentement  de  l'artiste,  M»"  Dorus  à  la  disposition  de  son  confrère  de 
rOpéra-Gomique,  pour  suppléer  la  cantatrice  récalcitrante.  M°"î  Dorus, 
toute  dévouée,  se  mit  elle-même  à  la  disposition  d'Herold,  déjà  gravement 
malade,  se  rendit  auprès  de  lui  pojr  étudier  sous  sa  direction  le  rôle 
d'Isabelle,  l'apprit  en  quarante-huit  heures  et  le  joua  avec  un  succès 
éclatant.  C'est  là  un  de  ces  traits  de  générosité  qu'on  ne  doit  pas  oublier 
dans  la  carrière  d'un  artiste.  M""  Dorus,  dont  la  conduite  a  toujours  com- 
mandé le  respect,  était  d'ailleurs  la  bonté  en  personne.  A.  P. 

—  Le  compositeur  et  chef  d'orchestre  anglais  Henry  David  Leslie  vient 
de  mourir  à  l'âge  de  74  ans.  Dès  sa  jeunesse  il  s'était  fait  connaître  comme 
virtuose  sur  le  violoncelle  et  comme  compositeur  d'un  Te  Deum;  en  1847 
il  entra  en  relations  avec  la  nouvelle  Amateur  Musical  Society,  dont  il 
devint  plus  tard  le  chef.  En  185S  il  fonda  à  Londres  la  célèbre  société 
chorale  qui  porta  son  nom  et  qui  exista  jusqu'en  1887,  après  avoir  rem- 
porté en  1878,  à  l'Exposition  de  Paris,  le  premier  prix  dans  le  tournoi 
international  des  sociétés  chorales.  Cette  société  a  eu  le  mérite  d'intro- 
duire beaucoup  de  compositions  étrangères  en  Angleterre,  entre  autres  la 
Symphonie  religieuse  de  M.  Bourgault-Ducoudray.  En  1864,  Leslie  fut  placé 
à  la  tête  du  National  Collège  of  Musit:,  dont  l'existence  fut  courte,  et  en 
1874  il  prit  la  direction  musicale  de  la  Guild  of  Amatears  Musicians.  Henry 
Leslie  exerça  une  excellente  influence  sur  l'art  musical  de  son  pays  par 
la  grande  perfection  des  exécutions  musicales  qu'il  dirigeait.  Dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  une  grave  maladie  le  força  de  se  retirer  com- 
plètement. Ses  compositions  sont  nombreuses  :  citons  ses  oratorios  Imma- 
nuel et  Judith,  son  opérette  Roynance,  son  opéra  Ida,  ses  cantates  Bolyrood  et 
la  Fille  des  iles,  ses  différentes  pièces  d'orchestre  et  ses  œuvres  chorales, 
parmi  lesquelles  de  nombreux  madrigaux  et  la  belle  composition  les  Pèlerins, 
qui  sont  encore  souvent  exécutés  en  Angleterre.  11  faudrait  encore  ajouter 
à  tout  cela  une  symphonie  en  fa,  une  ouverture  dramatique  intitulée  le 
Templier,  un  quatuor  et  deux  quintettes  pour  instruments  à  cordes,  etc. 
Leslie  était  né  à  Londres  le  18  juin  1822.  B. 

—  A  Pétersbourg  est  morte,  à  l'âge  de  S9  ans,  la  grande  artiste  lyrique 
Dapya  Mikaïlovna  Leonova,  la  célèbre  cantatrice  russe  qui  a  charmé 
pendant  un  quart  de  siècle  les  amateurs  de  son  pays  par  sa  voix  hors  ligne 
et  par  ses  qualités  dramatiques.  Dans  le  répertoire  national,  surtout  dans 
les  opéras  de  Glinka  :  la  Vie  pour  le  Tsar  et  Rousslan  el  Loudmilla,  M"'°  Leo- 
nova s'est  particulièrement  distinguée.  Elle  avait  commencé  sa  carrière 
étant  toute  jeune,  et  avait  d'abord  eu  de  grands  succès  dans  le  répertoire 
de  Meyerbeer  et  d'Auber,  qui  étaient  entrés  en  correspondance  avec  la 
spirituelle  artiste  russe.  En  1879  elle  entreprit  une  tournée  triomphale 
à  travers  la  Russie  d'Asie,  qui  la  conduisit  encore  au  Japon  et  eu  Amé- 
rique, mais  peu  de  temps  après  une  maladie  cruelle  la  força  de  renoncer 
au  théâtre;  après  dix  ans  de  soullrances  bravement  supportées,  la  célèbre 
artiste  succomba  enfin  à  sa  maladie. 

Henri  Heuoei,,  direcleur-gérani . 

—  L'éditeur  Paul  Dupont  met  eu  vente  le  premier  volume  des  Aventures 
de  ma  vie,  àe:  M.  Henri  Rochefort.  Bien  intéressants,  ces  mémoires  écrits 
avec  toute  la  verve  habituelle  à  leur  auteur. 


En  veille  AU  MENESTREL, 


HEUGEL  &  G « 


F^ft.E,^f^mi2^ft^SE  IDE  consrcEisT  i^O'uie  fijSs-Ito 

SUR   L'OPÉRA  DE 


J.    MASSENET 


C.    SAINT-SAENS 


3387.  —  62"^  mm  —  I\°  8. 


Dimanche  23  Février  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

■    (Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉATI^ES 

Henri    JHEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   l'es  frais  de  poste  en  sus 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Les  obsèques  d'Ambroise  Thomas  :  Discours  de  MM.  Bourgault-Ducoudray, 
Théodore  Dubois  et  J.  Massenet,  H.  M.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  la  CendriUon 
de  Nicolo  à  la  Galerie- Vivienne,  AniHun  Pougin;  premières  représentations  de 
Grosse  Fortune  à  la  Comédie-Française,  Paul-Émilb  Chevalier.  —  IIL  L'orchestre 
de  Lully  {%•  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

CHANSON 

de  LÉON  Delafosse,  poésie  de  Paul  Boijrget.  —  Suivra  immédiatement  :  Sur 

la  tombe  d'un,  enfant,  n"  3  des  Poèmes  de  Bretagne  de  Xavier  Leroux,  poésie 


I'André  Alexandre. 


MUSIQUE  DE  PIANO 


Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
puno  :  Fine  Mouche,  polka  de  Philippe  Fahrbach.  —  Suivra  immédiatement  : 
Le  Réveil,  n°  1  des  Heures  de  rêve  et  de  joie  du  maestro  N.  Celega. 


LES  OBSÈQUES  D'AMBROISE  THOMAS 


Elles  n'ont  pas  été  «  nationales  »,  dans  l'acception  offi- 
cielle qu'on  donne  à  ce  mot.  Pas  un  des  ministres  dont 
l'existence  était  si  menacée  —  et  encore  moins  le  ministre 
des  Beaux-Arts  qu'un  autre  —  n'a  eu  l'honnête  pensée  de  se 
désintéresser  assez  de  ses  affres  personnelles  pour  monter 
â  la  tribune  et  tenir  ce  bon  langage  :  «  Messieurs,  un  grand 
artiste  vient  de  disparaître.  Oublions  pour  un  instant  nos 
querelles  de  parlement  et  pensons  à  faire  à  Ambroise  Thomas 
les  funérailles  qui  lui  sont  dues.  »  C'était  une  trêve  d'une 
minute  à  de  vilaines  discussions,  un  peu  d'air  pur  répandu 
dans  la  salle  surchauffée  des  séances,  un  peu  d'idéal  enfin 
donné  au  pays,  au  milieu  des  scènes  de  violence,  de  men- 
songes, de  concussion  et  de  forfaiture  dont  on  l'accable  tant. 

Mais  pour  n'avoir  pas  reçu  l'estampille  officielle,  les  funé- 
railles d'Ambroise  Thomas  n'en  ont  pas  moins  été  imposantes 
et  populaires  en  même  temps,  et  peut-être  vaut-il  mieux  pour 
ce  noble  esprit  et  ce  grand  homme  de  bien  de  n'avoir  eu 
aucune  compromission,  même  après  sa  mort,  avec  les  tristes 
politiciens  qui  nous  mènent. 

Dès  la  veille,  vendredi,  on  avait  transformé  en  chapelle 
ardente  le  vaste  péristyle  de.  la  salle  des  concerts  au  Conser- 
vatoire. Tout  y  était  tendu  de  noir,  les  lustres  voilés  de  crêpes, 
et  de  grands  lampadaires  allumés  répandant  dans  cette  nuit 
des  lueurs  douces  et  y  piquant  comme  des  pointes  de  feu. 
Le  catalfaque  disparaissait  sous  des  monceaux  de  couronnes 


fleuries.  Et  l'aspect  était  impressionnant  de  cette  crypte 
funèbre,  où  dormaient  tant  de  gloire  et  tant  de  bonté. 

Là,  pendant  de  longues  heures,  ont  défilé  de  véritables 
masses  humaines,  prises  dans  tous  les  rangs  et  dans  tous 
ordres  de  la  population  parisienne,  —  chacun,  le  plus 
humble  'comme  le  plus  haut,  venant  apporter  au  maître 
disparu  un  suprême  hommage  et  répandre  l'eau  sainte  sur 
ses  restes  mortels. 

Le  samedi  on  enleva  le  corps,  non  sans  qu'un  des  profes- 
seurs les  plus  estimés  du  Conservatoire,  M.  Bourgault-Du- 
coudray, ait,  en  ces  termes  émus,  donné,  au  nom  de  l'École, 
le  dernier  adieu  à  celui  qui  la  quittait  pour  toujours,  après 
y  avoir  régné  pendant  vingt-cinq  ans,  aimé  et  estimé  de  tous  : 

L'administration  du  Conservatoire  n'a  pas  voulu  que  notre  bien- 
aimé  Directeur  franchît  pour  jamais  le  seuil  de  cette  école,  sans  qu'il 
lui  fût  adressé  une  parole  d'hommage  suprême  et  d'éternel  regret. 

Désigné  par  elle  pour  remplir  ce  pieux  devoir,  je  n'ai  pas  voulu  me 
soustraire  à  cet  honneur.  S'il  existe  ici  des  voix  plus  autorisées  que 
la  mienne,  il  n'est  personne  qui  ait  ressenti  plus  douloureusement  le 
malheur  immense  qui  nous  a  frappés,  quand  nous  avon?  perdu  notre 
vénéré  Direcieur,  qui  fut  non  seulement  un  grand  artiste,  mais  un 
grand  homme  de  bien. 

Au  nom  de  l'administration  du  Conservatoire,  au  nom  des  pro- 
fesseurs de  cette  Ecole,  au  nom  de  tous  les  élèves,  interprète  d'une 
douleur  et  d'un  regret  unanimes,  je  viens  te  dire  adieu,  cher  et  vénéré 
Maître!  Nous  garderons  toujours  la  mémoire  de  tes  bienfaits  et  de 
ton  exemple!  Nous,  à  qui  ton  cœur  a  prodigué  les  soins  et  le 
dévouement  d'un  père,  nous,  tes  amis,  nous  tes  enfants,  nous  te 
vouons,  dans  le  sanctuaire  dn  souvenir,  une  reconnaissance  et  un 
hommage  éternels. 

Adieu,  cher  et  vénéré  Maître!  Paisse  ton  âme  si  noble  et  si  haute 
planer  encore  sur  cette  maison  qui  va  nous  sembler  bien  déserte 
quand  tu  l'auras  quittée  pour  toujours  ! 

Puis  le  funèbre  voyage  commença,  au  milieu  d'un  concours 
inouï  d'amis,  de  représentants  des  corps  constitués  et  de 
délégations  accourues  de  toutes  parts,  avec  la  foule  amassée 
sur  les  trottoirs.  Le  défilé  des  immenses  couronnes  n'avait 
pas  de  fin.  Deux  bataillons  d'infanterie  avec  musique  et  dra- 
peau, une  demi-batterie  d'artillerie  et  un  escadron  de  cava- 
lerie, sous  le  commandement  d'un  général  de  brigade,  accom- 
pagnaient le  convoi.  C'étaient  là  les  honneurs  dus  au  «  grand- 
croix  »  de  la  Légion  d'honneur. 

On  passa  par  les  boulevards,  la  rue  Halévy  et  la  chaussée 
d'Antin ,  pour  arriver  jusqu'à  l'église  de  la  Trinité.  Là  se  déroula 
le  service  religieux,  au  milieu  d'un  profond  recueillement. 
L'orchestre  et  les  chœurs  du  Conservatoire,  sous  la  conduite 
de  M.  Tafi'anel,  exécutèrent  la  marche  funèbre  de  la  Symphonie 
héroïque  de  Beethoven  et  un  Requiem  d'Ambroise  Thomas,  œu- 
vre de  jeunesse  écrite  à  Rome  en  1833.  M.  Delmas  chanta, 
de  belle  maîtrise,  un  Pie  Jesu  adapté    sur  l'arioso    d'Hamkt. 


58 


LE  MENESTREL 


.  et  M.  Alvarez,  d'une  voix  délicieuse,  un  A<jmiv  Dei   plein  de 
charme,  de  la   composition  de  l'illustre  défunt. 

Au  cimetière  Jloatmarlre  on  s'arrêta  au  grand  carrefour, 
et  la  série  des  discours  commença.  M.  Roujon  parla  de  fort 
belle  manière  au  nom  du  ministère  des  Beaux-Arts,  M.  Bonnat 
au  nom  de  l'Instilut,  M.  Mézières  en  souvenir  de  Metz,  dont 
Thomas  fut  l'un  des  plus  glorieux  enfants,  M.  Théodore  Dubois 
pour  les  anciens  élèves  du  Conservatoire,  M.  Massenet  pour 
la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  de  musique,  M.  Gail- 
hard  pour  l'Opéra,  M.  Carvalho  pour  l'Opéra-Gomique. 

De  tous  ces  discours,  nous  en    retiendrons    deux    comme 
nous  intéressant  plus  particulièrement,  ceux  qu'ont  prononcés 
les  orateurs  musiciens,  M.  Théodore  Dubois  et  M.    Massenet, 
Le  premier  s'est  exprimé  en  ces  termes  : 
Messieurs. 

C'est  à  moi,  comme  le  plus  ancien,  qu'est  dévolu  l'honneur,  Lien 
triste,  d'apporter  ici  à  Ambroise  Thomas,  au  nom  de  ses  élèves,  le 
suprême  et  dernier  hommage. 

Ce  n'est  pas  de  voire  brillante  el  glorieuse  carrière  artistique,  ô 
Maître  bien-aimé,  que  je  veux  parler,  d'autres  se  sont  acquittés  de  ce 
devoir,  mais  de  votre  carrière  professorale,  qui,  elle-même,  a  été  sj 
féconde  et  a  laissé  dans  nos  cœurs  d'impérissables  souvenirs.  —  Quel 
professeur  admirable  vous  étiez;  quelle  hauteur  de  vues  vous  apportiez 
dans  votre  enseignement! 

Qui  de  nous,  mes  chers  camarades,  ne  se  rappelle  avec  émotion 
ces  belles  heures  de  notre  jeunesse  oîi,  groupés  autour  du  Maître, 
nous  écoutions,  avides,  sa  parole  à  la  fois  douce,  ardente  et  convain- 
cante, où  éclatait  avec  tant  de  force  son  amour  élevé  de  l'art  et  sa 
profonde  admiration  pour  les  grands  maîtres  du  passé?  —  Et  quel 
merveilleux  commentaire  à  sa  parole  lorsque,  se  mettant  au  piano,  il 
nous  faisait  entendre  les  plus  beaux  fragments  que  sa  surprenante 
mémoire  avait  gardés  comme  des  trésors  précieux  ! 

C'est  ainsi,  Maître,  que  vous  nous  avez  fait  aimer  et  admirer  Bach, 
Gluck,  Beethoven,  et  surtout  Mozart,  pour  qui  vous  manifestiez  une 
toute  particulière  prédilection.  Weber,  Mendelssohn  étaient  aussi  de 
vos  dieux  préférés,  et  d'autres  encore,  car  vous  aviez  l'éclectisme  des 
esprits  supérieurs,  indispensable  à  un  grand  professeur,  si  fécond 
en  résultats  pour  ses  disciples.  —  Aucune  pression  sur  nous  :  des 
conseils,  des  encouragements  donnés  avec  une  bonté  toute  paternelle. 

Tous,  nous  vous  aimions  et  vous  écoutions  avec  respect,  car,  par 
vos  œuvres,  vous  joigniez  l'exemple  aux  préceptes,  et  par  votre  vie 
si  digne,  vous  nous  montriez  le  chemin  que  doit  suivre  tout  artiste 
simple,  modeste  et  probe. 

Aujourd'hui  nous  vous  pleurons  et  apportons  à  votre  dépouille 
mortelle  l'hommage  de  nos  éternels  regrets. —  Adieu,  illustre  et  bien- 
aimé  Maître  ou  plutôt,  au  revoir.  Nous  garderons  toujours  de  votre 
belle  âme,  retournée  vers  Dieu,  et  de  votre  grand  cœur,  un  souvenir 
profondément  ému  et  reconnaissant. 

Voici  les  paroles  prononcées  par  M.  Massenet  : 
Messieurs, 

On  rapporte  qu'un  roi  de  France,  mis  en  présence  du  corps  étendu 
à  terre  d'un  puissant  seigneur  de  sa  cour,  ne  put  s'empêcher  de 
s'écrier  :  Gomme  il  est  grand! 

Gomme  il  nous  paraît  grand  aussi,  celui  qui  repose  ici  devant 
nous,  étant  de  ceux  dont  on  ne  mesure  bien  la  taille  qu'après  leur 
mort.  A  le  voir  passer  si  simple  et  si  calme  dans  la  vie,  enfermé  dans 
son  rêve  d'art,  qui  de  nous,  habitués  à  le  sentir  toujours  à  nos  côtés 
pétri  de  bonté  et  d'indulgence,  s'était  aperçu  qu'il  fallait  tant  lever 
la  tête  pour  le  bien  regarder  en  face? 

Et  c'est  à  moi  que  des  amis,  des  confrères  de  la  Société  des  auteurs 
ont  confié  la  douloureuse  mission  de  glorifier  ce  haut  et  noble 
artiste,  alors  que  j'aurais  encore  bien  plus  d'envie  de  le  pleurer.  — 
Car  elle  est  profonde,  notre  douleur,  à  nous  surtout  ses  disciples,  un 
peu  les  enfants  de  son  cerveau,  ceux  auxquels  il  prodigua  ses  leçons 
et  ses  conseils,  nous  donnant  sans  compter  le  meilleur  de  lui-môme 
dans  cet  apprealissage  de  la  langue  des  sons  qu'il  parlait  si  bien. 
Enseignement  doux  parfois  et  vigoureux  aussi,  ou  semblait  se  mêler 
le  miel  de  Virgile  aux  saveurs  plus  âpres  du  Dante,  —  heureux  alliage 
dont  il  devait  nous  donner  plus  tard  la  synthèse  dans  ce  superbe  pro- 
logue de  Françoise  de  Rimini,  tant  acclamé  aux  derniers  concerts  de 
l'Opéra. 

Sa  muse,  d'ailleurs,  s'accommodait  des  modes  les  plus  divers,  chan- 
tant aussi  bien  les  amours  joyeuses  d'un  tambour-major  que  les 
tendres   désespoirs   d'une    Mignon.  Elle  pouvait   s'élever  jusqu'aux 


sombres  terreurs  d'un  drame  de  Skakespeare,  en  passant  parla  grâce 
allique  d'une  Psyché  ou  les  rêveries  d'une  nuit  d'été. 

Sans  doute  il  n'était  pas  de  ces  artistes  tumultueux  qui  font  sauter 
toutes  les  cordes  de  la  lyre,  pythonisses  agitées  sur  des  trépieds  de 
flammes,  prohétisant  dans  l'enveloppement  des  fumées  mystérieuses. 
Mais,  dans  les  arts  comme  dans  la  nature,  s'il  est  des  torrents  fou- 
gueux, impatients  de  toutes  les  digues,  superbes  dans  leur  furie  et 
portant  quelquefois  le  ravage  et  la  désolation  sur  les  rives  appro- 
chantes, il  s'y  trouve  aussi  des  fleuves  pleins  d'azur  qui  s'en  vont 
calmes  et  majestueux,  fécondant  les  plaines  qu'ils  traversent. 

Ambroise  Thomas  eut  cette  sérénité  et  cette  force  assagie.  Elles 
furent  les  bases  inébranlables  sur  lesquelles  il  établit  partout  sa 
grande  renommée  de  musicien  siucère  et  probe.  —  Et  quand  quel- 
ques-uns d'entre  nous  n'apportent  pas  dans  leurs  jugements  toute 
la  jusiice  et  toute  l'admiration  qui  lui  sont  dues,  portons  vite  nos 
regards  au  delà  des  frontières,  et  quand  nous  verrons  dans  quelle 
estime  el  dans  quelle  vénération  ou  le  tient  en  ces  contrées  loiutaines, 
où  son  œuvre  a  pénétré  glorieusement,  portant  dans  ses  pages  vibran- 
tes un  peu  du  drapeau  de  la  France,  nous  trouverons  là  l'indication  de 
notre  devoir.  N'élouCTons  pas  la  voix  de  ceux  qui  portent  au  loin  la 
bonne  chanson,  celle  de  notre  pays. 

D'autres  avant  moi,  et  pluséloquemment,  vous  ont  retracé  la  lumi- 
nueuse  carrière  du  maître  que  nous  pleurons.  Ils  vous  ont  dit  quelle 
fut  sa  noblesse  d'âme  el  quel  fut  aussi  son  haut  caractère.  S'il  eut  tous 
les  honneurs,  il  n'en  rechercha  aucun.  Comme  la  Fortune  pour 
l'homme  de  la  Fable,  ils  vinrent  tous  le  trouver  sans  qu'il  y  songeât, 
parce  qu'il  en  était  le  plus  digne.  C'est  donc  nou  seulement  un  grand 
compositeur  qui  vient  de  disparaître,  c'esl  encore  un  grand  exemple. 

Et  l'assistance  se  retira  fort  émue,  emportant  dans  son 
cœur  le  souvenir  de  ce  bel  artiste,  qui  fut  si  digne  de  toutes 
les  affections  et  de  toutes  les  estimes. 

H.  M. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre-Lyrique  de  la  Galerie  Viviense.  —  Cendrillon  de  Nicolo. 

Après  Ma  Tante  Aurore,  après  Jean  de  Paris,  après  le  Tableau  parlant, 
après  la  Fêle  du  village  voisin,  et  Marie,  et  tant  d'autres,  le  gentil  Théâtre 
lyrique  de  la  Galerie  Vivienne  vient  de  nous  rendre  la  Cendrillon  de 
Nicolo.  Tout  l'ancien  répertoire  de  l'Opéra-Comique  y  passera,  au 
grand  plaisir  du  public  qui  ne  cesse  d'emplir  la  petite  salle  et  de 
venir  entendre  ces  aimables  chefs-d'œuvre,  qu'on  ne  lui  donne  pas  la 
possibilité  de  connaître  ailleurs  et  qui  le  réjouissent  à  ce  point  que  la 
Fête  du  village  voisin  n'a  pas  obtenu  moins  de  quatre-vingts  représen- 
tations. On  nous  promet  pour  un  avenir  prochain  ce  petit  bijou  qui 
a  nom  l'Epreuve  villageoise,  l'une  des  plus  pures  merveilles  du  génie 
de  Grétry,  puis  l'Eau  merveilleuse  de  Grisar,  puis  le  Maréchal  ferrant 
et  peut-être  k  Sorcier  de  Philidor,  puis...  puis  bien  d'autres  encore. 
Voilà  une  bonne  aubaine  et  une  bonne  école  pour  ceux  de  nos  jeunes 
musiciens  dont  l'esprit  n'est  pas  envahi  par  certaines  i.lées  saugre- 
nues. Qu'ils  aillent  entendre,  qu'ils  écoutent  tous  ces  ouvrages  char- 
mants, et  ils  apprendront  comment  on  fait  de  la  musique  qui  parle 
à  la  fois  à  l'oreille,  au  cœur  et  à  l'imagination. 

Le  sujet  de  Cendrillon  a  donné  naissance  à  trois  opéras.  Le  premier 
en  date  est  celui  qui  parut  à  l'ancien  Opéra-Comique  de  la  foire 
Saint-Germain,  le  21  février  1759;  il  était  dû,  pour  les  paroles,  à 
Anseaume,  souffleur  et  répétiteur  de  ce  théâtre,  et  pour  la  snusique, 
au  chanteur  Laruette,  qui  a  laissé  son  nom  à  un  emploi  important 
du  répertoire.  Le  second  est  la  Cendrillon  d'Êlienne  et  Nicolo  qui  fut 
représenté  pour  la  première  fois  le  22  février  1810,  c'est-à-dire  presque 
jour  pour  jour,  cinquante  et  un  ans  plus  tard.  Le  troisième  est  la 
Cenerentola  de  Rossini.  Mais  ici,  le  parolier  ne  s'était  servi  que  de 
la  donnée  générale  du  conte  de  Perrault,  qu'il  avait  modernisée  eu 
lui  enlevant  tout  l'élément  féerique.  J'oubliais  que  Steibell  avait 
remis  en  musique,  à  Saint-Pétersbourg,  le  livret  qu'Etienne  avait 
contié  à  Nicolo. 

On  sait  quel  succès  inou'i  obtint  en  1810  cette  aimable  Cendrillon, 
qui  n'est  pourtant  pas  à  la  hauteur  des  deux  chefs-d'œuvre  des 
mêmes  auteurs  :  Joconde  et  Jeannot  et  Colin.  Tout  Paris  en  fut  féru  et 
y  courut  en  foule,  grâce  surtout  à* la  présence  en  celte  pièce  de 
trois  femmes  charmantes,  M"»riegnault  et  les  deux  filles  de  M'™  Saint- 
Aubin,  Cécile  et  Alexandrine,  dont  la  première  était  déjà  M"'°  Duret. 
La  jeune  Alexandrine  surtout,  qui  personnifiait  Cendrillon,  faisait 
tourner   toutes  les   têtes,  et   pendant  cent   représentations  l'Opéra- 


Ll:;  MENESTREL 


o9 


Comique  ne  put  contenir  la  foule  qui  chaque  soir  l'envahissait.  Un 
jour  pourtant,  —  c'était  aux  approches  de  l'été  —  l'Opéra-Gomique 
resta  à  moitié  vide,  quoique  ayant  affiché  sa  merveilleuse  Cendrillon. 
C'est  que  Garnerin,  le  fameux  aéronaute,  faisait  au  Champs-de-Mars 
sa  première  ascension  en  ballon,  et  que  ce  spectacle  curieux  et  nou- 
veau avait  attiré  à  lui  seul  une  foule  immense  et  accaparé  toute  son 
attention.  C'est  ce  qui  arracha  à  Camerani,  le  vieux  régisseur  de 
rOpéra-Comique  oîi  il  était  resté  le  seul  débris  de  l'ancienne  Comédie- 
Italienne,  une  exclamation  douloureuse.  Il  était  monté  sur  le  toit  du 
théâtre  avec  quelques-uns  de  ses  camarades,  désireux  de  voir  de  loin 
l'ascension,  et  il  s'écria  dans  son  dépit,  avec  l'accent  dont  il  n'avait 
jamais  pu  se  débarrasser  : 

—  Ces  fissous  Parisiens,  qui  vont  voir  ce  moussu  dans  son  panier 
à  salade  et  qui  laissent  là  notre  Saint-Aubin,  oune  sarmante  petite 
tille,  et  zolie  comme  oun  anze  !  Perché?  Parce  qu'elle  a  zoué  cent 
fois  la  même  soze!...  C'est -y  oune  raison  ? 

Le  succès  de  Cendrillon  fut  tel  à  Paris  que  l'Allemagne  voulut  la' 
connaître.  Le  14  juin  1811,  l'ouvrage  faisait  son  apparition  à  Berlin 
sous  le  titre  de  Roeschen  gênante  Aescherling,  c'est-à-dire  Rosette  sur- 
nommée Cendrillon.  Son  succès  fut  moins  grand  qu'à  Paris.  Il  est  vrai 
qu'il  n'y  avait  peut-être  pas  là  les  trois  femmes  séduisantes  qui,  pour 
leur  bonne  part,  avaient  contribué  ici  à  ce  succès.  A  Saint-Péters- 
bourg aussi  on  voulut  voir  Cendrillon;  mais  Sleibelt,  alors  en  grande 
faveur  et  qui  avait  succédé  à  Boieldieu  comme  composileur  de  la 
cour,  fut  chargé  d'écrire  une  nouvelle  musique  sur  le  poème 
d'Éticnne. 

A  rOpéra-Comique,  Cendrillon  fut  reprise  avec  un  certain  regain 
de  succès  en  184.5.  et  reprise  de  nouveau  en  1877.  Voici  qu'on  nous 
la  rend  sur  la  petite  scène  de  la  Galerie  Vivienne,  oii  elle  est  montée 
avec  le  soin  et  le  scrupule  qu'on  apporte  ici  en  toutes  choses.  Et 
pourtant,  c'est  là  un  ouvrage  exceptionnellement  difficile  à  offrir  au 
public,  en  raison  de  la  réunion  des  trois  femmes  chargées  de  trois 
rôles  extrêmement  importants.  Bh  bien,  ces  trois  femmes  se  sont 
trouvées,  et  elles  sont  en  vérité  fort  aimables.  Cendrillon,  c'est  une 
débutante.  M"'  Jane  Valentin,  qui  n'avait  jamais  encore  paru  à  la 
scène,  et  qui  s'est  tirée  tout  à  son  honneur  d'une  tâche  singulière- 
ment difficile.  Non  seulement  sa  voix  est  charmante,  non  seulement 
elle  s'en  sert  avec  un  goilt  plein  de  sobriété,  mais  elle  dit  le  dialogue 
avec  une  justesse  rare  et  elle  fait  preuve  d'une  réelle  intelligence 
comme  comédienne.  Tisbé.  c'est  M"*  Silvia,  dont  la  voix  brille  avec 
éclat  dans  les  morceaux  de  virtuosité  que  Nicole  avait  écrits  pour  le 
gosier  exquis  de  M"=  Regnault.  Je  ne  dirai  pas  que  tout  est  parfait 
dans  le  chant  de  M""  Sylvia,  mais  l'ensemble  est  fort  intéressant  et 
l'effort  de  la  jeune  artiste  est  pour  lui  attirer  des  louanges  sincères. 
Quant  à  M™*  Jeanne  Darbel,  elle  est  tout  aimable  et  toute  charmante 
dans  le  personnage  de  Glorinde. 

Da  côté  masculin,  il  faut  tirer  de  pair  M  Biard,  qui  déploie  dans 
le  rôle  du  prince  de  véritables  qualités  de  chanteur,  servies  par  une 
voix  excellente  et  d'un  timbre  plein  de  fraîcheur.  Les  autres  rôles, 
ceux  de  l'astrologue  Alidor  et  de  l'écuyer  Dandini  sont  tenus  très 
suffisamment  par  MM.  Delbos  et  Berthon.  Et  l'ensemble  de  l'exécution 
ne  laisse  rien  à  désirer. 
En  voilà  encore  pour  deux  ou  trois  mois  à  la  Galerie  Vivienne. 

Arthur  Pougin. 


Co.médie-Française.  Grosse  Fortune,  comédie  en  quatre  actes, 
de  M.  Henri  Meilhac. 

Pierre  Mauras,  de  position  modeste,  alors  qu'il  va  épouser 
M""  Marcelle  Lavanneur,  de  condition  à  peu  près  égale,  hérite  d'un 
oncle  d'Amérique  quelconque  la  somme  assez  imposante  de  trente 
millions.  Et  la  grosse  fortune  tombant  a  l'improviste  sur  ces  amou- 
reux simples  les  rendra  frivoles  à  l'excès,  plus  occupés  à  figurer 
tapageusement  en  un  monde  oisif  et  tout  d'extérieur  qu'à  sauvegarder 
la  paix  honnête  de  leur  Intérieur.  Monsieur  achètera  très  cher  une 
amie  de  sa  femme,  la  belle  cosmopolite  Georgette  Narasly,  dont  le 
mari  est  familier  de  ses  salons,  et  affichera  sa  tapageuse  liaison  tant 
et  tant  que  madame  se  fâchera,  sans  cependant  que  cette  fâcherie 
conduise  le  jeune  ménage  à  la  rupture,  puisqu'au  dernier  acte  tous 
deux  retomberont  dans  les  bras  l'un  de  l'autre. 

Le  thème  choisi  par  M.  Meilhac  a  servi  plusieurs  fois  déjà,  et  il 
est  plus  que  probable  qu'il  sera  utilisé  maintes  fois  encore.  Aux 
époques  où  l'argent  compte  pour  tout,  il  est  sûr  d'être  le  pivot  de 
maintes  comédies  de  mœurs,  et,  comme  les  mœurs  se  modifient 
incessamment,  il  y  a  grande  chance  pour  qu'il  ne  soit  jamais  sinon 
absolument  jeune,  du  moins  complètement  usé.  t;'était  donc  par 
l'étude  et  la  mise  en  œuvre  des  détails  que  M.  Meilhac  devait  surtout 


faire  œuvre  de  nouveauté.  La  légèreté  de  ton,  alors  même  que  les 
situations  semblaient  commander  quelque  élan  dramatique,  l'insi- 
gnifiance voulue  de  personnages  à  qui  l'auteur  ne  pouvait  prêter  son 
esprit  personnel,  l'indécision  des  caractères,  la  bourgeoisie  des  sen- 
timents semblent  malheureusement  avoir  desservi  M.  Meilhac,  dont  la 
comédie  apparaît  grise  et  timide  à  l'excès. 

M""==  Bartet,  Pierson  et  M.  Le  Bargy  avec  aussi  M""  Brandès, 
MM.  Duflos,  Coquelin  cadet  et  Boucher  font  ce  qu'ils  peuvent  de  rôles 
que  l'absence  de  relief  rend  fort  difficiles  à  jouer. 

Pacl-Émile  Chevalier. 


L'ORCHESTRE    DE 

(Suite.) 


LULLY 


LALOUETTE 
Jean-François  Lalouette  fut,  en  réalité,  le  premier  des  chefs  d'or- 
chestre de  l'Opéra,  et  il  parvint  fort  jeune  à  cet  emploi  puisque,  né 
en  16ol,  il  était  à  peine  âgé  de  vingt  et  un  ans  lorsque  ce  théâtre 
commença  à  fonctionner  sous  la  direction  de  Lully.  Il  avait  déjà  la 
réputation  d'un  bon  violoniste,  ayant  reçu  des  leçons  d'un  nommé  Guy 
Leclerc,  artiste  de  la  bande  des  24  violons  du  roi,  après  avoir  appris 
la  musique  à  la  maîtrise  de  Saint-Eustache.  C'est  en  qualité  do 
simple  violoniste  qu'il  entra  d'abord  à  l'orchestre  de  l'Opéra,  dont 
ensuite  Lully  lui  confia  la  direction.  Il  était  bon  musicien  aussi, 
puisque  Lully  le  prit  pour  secrétaire,  en  le  chargeant  d'écrire  certains 
récitatifs  de  ses  ouvrages,  ainsi  que  d'instrumenter  certains  morceaux 
dont  il  n'écrivait  lui-même  que  les  parties  vocales  et  la  basse.  Ce 
fut  précisément  ce  qui  les  brouilla.  Lalouette,  parait-il,  se  serait 
vanté  outre  mesure  des  services  qu'il  rendait  à  Lully,  et  aurait  été 
jusqu'à  prétendre,  lorsque  parut  his,  que  les  meilleurs  morceaux  de 
cet  opéra  étaient  son  propre  ouvrage.  Avec  le  caractère  de  Lully  cela 
ne  pouvait  durer,  et  Lalouette  dut  quitter  l'Opéra  (1). 

Lalouette  se  livra  alors  à  la  composition,  mais  certains  écrivains 
se  sont  trompés  en  affirmant  qu'il  ne  s'occupa  que  de  musique  reli- 
gieuse. Le  Mercure  nous  apprend  que  dès  1677  il  écrivit  la  musique 
d'une  pièce  représentée  chez  un  particulier:  —  «  ...  On  représentoit 
chez  M.  de  Verneuil,  conseiller  au  Parlement,  deux  ou  trois  fois  la 
semaine,  une  comédie  dont  les  intermèdes  esloient  remplis  de  balets 
et  de  chansons.  Les  entrées  estoient  admirables,  et  composées  par 
M.  des  Brosses,  c'est  tout  dire...  Elles  estoient  mises  en  musique  par 
le  sieur  l'Alouette,  qui  batoit  la  mesure  à  l'Opéra.  Comme  il  estoit  à 
M.  de  Lully,  et  qu'il  a  copié  ses  airs  pendant  plusieurs  années,  ceux 
qu'il  compose  ont  tant  de  raport  avec  ceux  de  ce  grand  maistre, 
qu'on  voit  bien  qu'il  a  étudié  sous  luy  (2).  »  Quelques  années  après, 
en  168o,  Lalouette  écrivait  une  nouvelle  musique  pour  une  pièce  à 
machines  de  De  Visé,  le  Mariage  de  Bacchus,  créée  en  1672  au  théâtre 
du  Marais  et  dont  on  faisait  à  ce  théâtre  une  reprise  éclatante  (3). 
Enfin,  en  1708,  il  faisait  exécuter  à  l'abbaye  de  Chelles,  dont  la  supé- 
rieure était  la  sœur  du  maréchal  de  Villars,  une  cantate  dont  les 
paroles  lui  avaient  été  fournies  par  le  poète  Danchet  (4).  Je  serais 
bien  étonné  que  Lalouette  n'eût  pas  cherché  à  faire  représenter 
quelque  ouvrage  à  l'Opéra,  après  la  mort  de  Lully.  Je  constate  pour- 
tant que  son  nom  n'y  parut  jamais. 

Selon  Fétis,  Lalouette  aurait  accepté  en  1693  la  place  de  maître  de 
chapelle  de  l'église  métropolitaine  de  Rouen.  Je  ne  sais  si  le  fait  est 
exact  ;  mais  où  l'écrivain  se  trompe  certainement,  c'est  lorsqu'il 
ajoute  :  «  Il  ne  la  garda  que  deux  ans,  s'étant  retiré  au  mois  de  mars 
1695  pour  accepter  l'emploi  de  maître  de  chapelle  à  l'église  Notre- 
Dame  de  Versailles.  »  C'est  à  Notre-Dame  de  Paris  que  Lalouette 
devint  maître  de  chapelle,  après  avoir  rempli  les  mêmes  fonctions  à 
Saint-Germain-l'Auxerrois.  Aussi  est-ce  à  Paris  qu'il  mourut,  le 
31  août  1728,  et  non  à  Versailles,  le  1"  septembre,  comme  le  dit 
encore  Félis  (S). 

(1)  «...  J'avois  aussi  entendu  attribuer  à  Lalouette  le  duo  :  Hélas  !  une  chaîne, 
etc.  (de  Plmeton),  mais  on  m'a  averti  qu'il  n'étoit  pas  possible  qu'il  y  eût 
la  moindre  part,  puisque  I.ulli  l'avoit  congédié  plus  de  quatre  ans  avant  que  de 
faire  Phaeton.  Lalouette  avoit  été  secrél;aire  de  Lulli,  et  il  l'avolt  été  avec  beau- 
coup de  distinctions  et  d'agréments,  que  son  intelligence  et  son  habileté  lui 
avoient  attirez.  Mais  Lulli  crut  s'apercevoir  que  son  secrétaire  faisoit  un  peu 
trop  du  maître,  et  il  étoit  homme  que  ces  manières  n'accommodoient  pas.  II 
revint;  à  Lulli  qu'il  s'étoit  vanté  d'avoir  composé  les  meilleurs  morceaux  d'/sis, 
et  il  le  congédia».  —  (La  Vieuville  de  Preneuse:  Comparaison  de  lammique 
Italienne  avec  la  musiqae  françoise. 

(2)  Le  Nouveau  Mercure  galant,  1677,  T.  I,  pp.  70-71. 

(3)  /ci.,  octobre  1685. 

(4)  W.,  novembre  1708. 

(5)  Voyez  Mercure,  septembre  1728. 


60 


LE  MENESTREL 


«  Ce  musicien,  dit  Titon  du  Tillet  dans  son  Paritasse  français,  a 
été  un  peu  négligent  à  donner  au  public  ses  ouvrages.  Il  a  fait  graver 
seuXeroent  qu.e\qaes  Motets  pour  les  principales  fêtes  de  l'année,  à  une. 
deux  et  trois  voix,  avec  la  basse  continue,  volume  in-folio.  1726.  A 
l'égard  de  ses  Motets  à  grrands  chœurs,  son  frère  et  son  héritier,  qui  en 
est  le  dépositaire,  compte  en  faire  part  au  public,  et  a  commencé  à 
donner  à  Ballard,  seul  imprimeur  du  Roi  pour  la  musique,  le  Miserere 
en  trio  et  quelques  autres  morceaux.  » 

On  a  gravé,  après  sa  mort,  un  superbe  portrait  de  Lalouelte,  au- 
dessous  duquel  sont  placés  les  vers  suivants  : 

Orphée  est  descendu  jusques  aux  sombres  lieux. 

C'est  un  vieux  conte,  une  chimère. 
Le  fameux  Lalouette  est  maintenant  aux  cieux: 

Ceci  n'est  point  imaginaire, 
Et  même  par  ses  tons  aussi  sçavants  que  doux. 
Il  a  rendu  le  chœur  des  archanges  jaloux. 

COLLASSE 

Pascal  Collasse,  l'un  des  musiciens  les  plus  en  vue  de  l'époque  et 
de  l'école  de  LuUy,  qui  fut  chef  d'orchestre  à  l'Opéra,  sous-maître  de 
la  chapelle-musique  du  roi,  maître  de  musique  de  la  chambre, 
auteur  de  dix  opéras  et  compositeur  de  nombreuses  œuvres  de  mu- 
sique sacrée  et  profane,  était  fils  d'un  modeste  bourgeois  de  Reims,  où 
il  naquit,  sur  la  paroisse  de  Saint-Pierre-le- Vieil,  Ie22jaavierl649  (1). 
Il  fut  amené  sans  doute  fort  jeune  à  Paris,  puisqu'on  sait  qu'il  fut 
admis  comme  enfant  de  chœur  à  l'église  Saint-Paul,  ou  il  fit  une  partie 
de  ses  études,  et  qu'à  l'aide  d'une  bourse  il  acheva  celles-ci  au  collège 
de  Navarre.  Comment  se  fit  sa  première  éducation  musicale,  nul  ne  le 
dit;  mais  on  peut  croire  qu'elle  fut  sérieuse,  puisque  Lully,  instruit 
de  ses  bonnes  dispositions,  le  prit  ensuite  pour  élève,  puis  pour 
secrétaire,  et  enfin,  après  s'être  séparé  de  Lalouelte,  le  chargea  de  la 
direction  de  l'orchestre  de  l'Opéra.  Tout  cela,  et  les  emplois  importants 
qu'il  occupa  par  la  suite,  prouve  bien  que  Collasse  était  un  musicien 
sérieux,  qui,  s'il  n'eut  pas  de  génie,  ne  méritait  pas  pourtant  le 
dédain  que  quelques-uns  ont  affecté  à  son  égard. 

C'est  lorsque  Lully  se  fut  brouillé  avec  Lalouette,  en  1677,  qu'il 
plaça  Collasse  à  la  tète  de  l'orchestre  de  l'Opéra  et  qu'il  en  fit 
en  même  temps  son  secrétaire,  le  chargeant  alors  de  remplir  les 
parties  de  chœurs  et  d'orchestre  de  ses  ouvrages  lorsqu'il  jugeait  à 
propos  de  n'en  écrire  que  les  parties  de  chant  principales  et  la  basse, 
ce  qui  impliquait  en  lui  une  grande  confiance.  Comme  on  le  verra 
plus  loin,  Lully  le  prit  d'ailleurs  en  grande  affection.  Pour  le  prouver, 
Fétis,  copiant  en  cela  les  frères  Parfait,  dit  que  Lully  obtint  pour 
lui  une  des  quatre  places  de  sous-maître  de  la  chapelle  du  roi. 
L'intervention  de  Lully  n'eut  pas  lieu  de  s'exercer  en  cette  circons- 
tance, car  Collasse  obtint  cette  place  au  concours.  C'était  en  16S3, 
alors  d'une  réorganisation  de  cette  chapelle,  pour  laquelle  Louis  XIV 
voulait  qu'il  y  eût  à  l'avenir  quatre  sous-maîtres,  un  par  quartier  sans 
doute,  et  que  ces  places  fussent  mises  au  concours.  Trente-cinq 
concurrents  se  présentèrent  pour  subir  l'épreuve,  à  la  suite  de 
laquelle  furent  nommés  Minoret,  Coupillet,  Lalande  et  Collasse.  Et 
l'on  peut  croire  que  ce  concours  n'était  pas  une  lutte  banale,  puisque 
parmi  ceux  qui  y  prirent  part  sans  succès  se  trouvaient  des  artistes 
tels  que  Lorenzani,  Charpentier,  Nivers,  Lalouette,  Oudot,  Gervais, 
Lagarde,  Salomon,  etc.,  qui  certes  n'étaient  pas  les  premiers 
venus  (2). 

Collasse  continua  ses  fonctions  à  l'Opéra  jusque  bien  après  la  mort 
de  Lully,  dont  il  n'était  pas  seulement  l'élève  et  le  protégé,  mais 
aussi  le  commensal,  logeant  et  vivant  chez  lui,  dans  sa  propre 
maison.  Si  bien  que  par  son  testament,  lui  manifestant  toute  sa 
confiance,  Lully  décidait  que  Collasse  continuerait  de  demeurer 
avec  les  siens,  le  chargeant  de  les  aider  et  de  les  conseiller  en  tout 
ce  qui  concernait  la  direction  de  l'Opéra.  Voici  ce  passage  du  testa- 
ment : 

«  ...Lelit  sieur  testateur...  voulant  que  ladite  dame  son  épouse 
conduise  tout  ce  qui  concerne  ladite  Académie  de  musique  ou  Opéra, 

(1)  Tous  les  biographes  s'étaient  trompés  sur  la  date  de  la  naissance  de 
Collasse,  que  les  uns  fixaient  à  1636,  d'autres  à  1639,  d'autres  encore  à  1652 
(tandis  que  sa  mère  était  morte  en  1631).  Jal  (Dictionnaire  critique  de  biogmptiie  et 
d'histoire)  a  établi  la  vérité  en  publiant  son  acte  de  naissance,  qui  donne  la  date 
que  j'enregistre,  et  duquel  il  résulte  que  le  père  de  tlollasse,  Anloine  Collasse, 
était  "  marchand  tissutier-franger  »  à  Reims,  et  que  sa  mère  était  née  Anne  de 
Martin.  Jal  publie  aussi  l'acte  de  mariage  de  Collasse  avec  M"'  Blaisine  Bérain, 
fille  de  Jean  Bérain,  le  fameux  dessinateur  du  cabinet  du  roi,  qui  fut  célébré  en 
l'église  Saiat-Germain-l'Auxerrois  le  7  janvier  1689,  et  enfin  l'acte  de  décès  de 
l'artiste,  mort  à  Versailles  le  18  juillet  1709.  Ces  diverses  dates  sont  donc 
établies  aujourd'hui  d'une  façon  certaine. 

(2)  Voy.   Gtiillaume  Minoret  par  A.  Rouxel  fParis.  Jouaust,  1879,  in-12). 


pans  aucune  exception  ni  réserve  et  ce  par  l'avis  toutefois  du  sieur 
Frichet,  ci-devant  pourvoyeur  de  la  maison  de  la  Reine,  son  intime 
ami,  lequel  il  supplie  d'en  vouloir  prendre  la  peine,  sans  que  ledit 
sieur  Jean-Louis  Lulli,  son  lils.  puisse  empêcher  l'exécution  de  la 
présente  disposition,  ni  troubler  ladite  dame,  sa  mère,  ni  ledit  sieur 
Frichet,  en  tout  ce  qu'ils  ordonneront  pour  la  conduite  de  ladite  Aca- 
démie, étant  persuadé  qu'ils  feront  le  tout  pour  le  mieux  et  pour 
l'avantage  commun  de  la  famille  dudit  sieur  testateur  qui  prie  aussi 
le  sieur  Collasse,  maître  de  la  musique  de  la  chapelle  du  Roi,  d'ai- 
der de  ses  avis  ladite  dame,  sa  femme,  et  ledit  sieur  Frichet  en  tout 
ce  qui  regardera  ladite  Académie  et  même  d'assister  ledit  sieur  son 
fils,  nommé   en   survivance   de   sesdites   charges,    en   tout  ce   qu'il 

pourra 

»  A  l'égard  dudit  sieur  Collasse,  devant  nommé,  ledit  sieur  testa- 
teur veut  qu'il  continue  d'être  logé  et  nourri  en  la  maison  dudit  sieur 
testateur  aux  dépens  de  sa  famille  et  que  sa  pension  lui  soit  payée 
comme  par  le  passé  (1)  .  » 

(A  Suivrej.  Arïhui;  Pougin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  ("20  février).  —  Les  deux  représen- 
tations que  nous  a  données  jusqu'ici  M"«  Van  Zandt  ont  fait  accourir  à 
la  Monnaie  une  foule  aussi  nombreuse  qu'élégante.  Et  dans  l'empresse- 
ment du  public  se  mêlait  du  regret,  la  surprise  d'avoir  dû  attendre  si 
longtemps  pour  entendre  à  Bruxelles  une  cantatrice  de  cette  valeur  et  de 
cette  réputation,  dont  l'enfance  s'était  passée  en  grande  partie  à  Bruxelles 
même  et  que  beaucoup  considéraient  un  peu  comme  une  compatriote. 
On  sait,  en  effet,  que  M"'  Van  Zandt  fit  ses  études  dans  un  pensionnat 
d'ici;  et  elle-même  ne  se  rappelle  pas  sans  émotion  être  venue  souvent, 
toute  jeune  à  la  Monnaie,  assister  au  spectacle,  sans  se  douter,  certes, 
qu'elle  ne  resterait  pas  toujours  simple  spectatrice  des  succès  des 
autres!...  L'artiste  étant  surtout  connue  par  sa  création  de  Lat;mé,  il  y  avait 
pour  le  public  une  curiosité  non  moins  vive  peut-être  de  la  voir  tout 
d'abord  dans  Mignon,  dans  ce  rôle  où  tant  de  divas  se  sont  fait  entendre  à 
la  Monnaie,  y  apportant  la  marque  de  leur  personnalité,  depuis  Galli- 
Marié  et  la  Nilsson,  dont  le  souvenir  reste  ineffaçable,  jusqu'à  l'an  der- 
nier, M"''  Simonnet,  qui  supportait  la  comparaison  avec  les  meilleures 
Mignon  et  les  plus  applaudies.  Il  paraîtrait  oiseux  de  rapprocher  M"=  Van 
Zandt  de  ses  rivales  et  de  ses  devancières  et  d'en  tirer  des  conclusions. 
Elle  joue  le  rôle  de  Mignon  selon  son  tempérament.  Et  sa  grande  qualité, 
que  nos  confrères  de  la  presse  ont  mise  surtout  en  relief,  c'est  de  l'avoir 
interprété  avec  une  simplicité,  une  recherche  de  réalité  douce  et  tran- 
quille, absolument  exempte  du  «  cabotiui.sme  ».  Mais  c'est  comme  canta- 
trice que  M""  Van  Zandt,  faut-il  le  dire  ?  a  surtout  brillé,  avec  sa  voix 
d'un  timbre  si  pur  et  si  cristallin,  la  sûreté  de  son  émission,  l'art  exquis 
d'exécution  fine  et  adroite  qu'elle  met  dans  son  phraser,  dans  ses  voca- 
lises, dans  les  traits  de  virtuosité  dont  certaines  pages  de  l'œuvre  ont  été 
agrémentées  pour  elle  spécialement.  Son  succès,  en  somme,  a  été  très 
grand.  On  l'a  discutée  comme  une  grande  artiste,  et  on  l'a  applaudie 
comme  une  triomphatrice.  Dans  Lalimé,  qu'elle  vient  de  chanter  ce  soir 
même,  ce  succès  a  été  encore  plus  grand.  Dans  ce  rùle,  de  chant  pur, 
écrit  pour  elle  et  dont  elle  possède  toutes  les  traditions,  on  l'a  trouvée 
absolument  charmante,  et  elle  a  détaillé  le  fameux  air  des  clochettes, — 
où  on  l'attendait  —  adorablement.  Aussi  ne  l'a-t-on  pas  seulement  applau- 
die, on  l'a  aussi  fleurie,  —  ce  qui  arrive  bien  rarement  à  la  Monnaie:  la 
règle  de  la  maison  a  souffert  cette  fois,  pour  elle,  exception.  On  n'a  eu  à 
regretter  qu'une  seule  chose,  c'est  que  M"'  Van  Zandt  fût  si  mal  secondée. 

Deux  mots  pour  constater  la  réussite  de  plus  en  plus  brillante  des  con- 
certs, au  Cirque  Royal,  de  M.  Eugène  Ysaye.  Au  dernier  concert,  diman- 
che dernier,  M.  Ysaye  avait  cédé  son  bâton  à  M.  Vincent  d'Indy,  et  est 
descendu  sur  l'estrade,  en  simple  soliste,  exécutant  le  concerto  de  Beetho- 
ven et  le  concerto  de  Mendeissohn  dans  la  perfection.  M.  d'Indy  a  dirigé 
sa  trilogie  de  Wattenstein,  remarquablement  exécutée,  des  airs  de  danses  de 
MM.  Guy  Bopartz  et  Chausson  et  une  Esquisc  inédite  de  Guillaume  Lekeu, 
un  jeune  compositeur  belge  mort  à  la  fleur  de  l'âge  sans  avoir  pu  réaliser 
les  belles  promesses  qu'il  avait  déjà  données.  —  Au  Cercle  artistique,  on 
a  entendu  cette  semaine  M"'=  Mailhac,  une  des  pensionnaires  du  théâtre 
de  Bayreuth,  qui  joue  cette  année  le  rôle  de  Vénus  dans  Tannliâuser,  — 
dans  quelques  lieder,  qu'elle  a  chantés  assez  médiocrement,  d'une  voix 
généreuse,  mais  avec  la  déplorable  méthode  allemande  que  l'on  sait.  Si 
une  artiste  belge  se  permettait  de  chanter  aussi  mal  un  programme  aussi 
pauvre,  on  lui  jetterait  des  pommes  cuites;  mais  tout  est  permis  à  qui 
vient  de  là-bas.  L.  S. 

—  Le  18'  volume  deV  Annuaire  du  Conservatoire  royat  de  musique  de  Bruxelles 
vient  de  paraître  en  cette  ville,  à  la  librairie  Ramlot.  Il  comprend,  n'ayant 
point  paru  l'an  dernier,  tous  les  renseignements   relatifs  aux  deux  années 


(I)  Voy.  Emile  Campardon,  t'Acudémie  royiile  de  musique  un 


XVni'  siècle. 


LE  MÉNESTREL 


61 


■1S94  et  189b.  Outre  les  documents  officiels,  on  y  trouve  la  suite  de  l'inté- 
ressant catalogue  du  Musée  international  du  Conservatoire,  si  bien  dressé 
et  rédigé  par  M.  Mahillon,  conservateur  du  musée. 

—  L'archiviste  de  la  surintendance  générale  des  théâtres  impériaux  à 
Vienne,  M.  Albert  Wellner,  a  publié  une  note  intéressante  au  sujet  des 
ceuvres  d'Ambroise  Thomas  jouées  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  d'abord 
dans  le  vieux  théâtre  «  près  de  la  porte  de  Carinthie  »,  ensuite  dans  le 
monument  actuel.  Mignon  et  Hamlet  ont  été  joués  en  tout  197  fois  ;  les  œuvres 
suivantes  ont  été  données  en  tout  88  fois  :  la  Double  Echelle  (paroles  alle- 
mandes de  Karl  Blum),  en  1838-40;  le  Panier  //euri  (paroles  allemandes  de 
Jules  Franke),  1841-47  ;  le  Songe  d'une  nuit  d'été,  1854-59,  et  le  Caïd,  1856-57. 
Mignon  et  Hamlet  n'ont  pas  encore  quitté  le  répertoire  de  l'Opéra  impérial. 
Les  six  opéras  d'Ambroise  Thomas  que  nous  venons  de  citer  ont  donc  été 
joués  jusqu'à  présent  285  fois,  ce  qui  est  un  chiffre  éloquent,  étant  donnée 
l'obligation  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne  de  varier  son  répertoire  autre- 
ment que  l'Académie  nationale  de  musique  de  Paris. 

—  Un  conseiller  de  commerce,  M.  Rœse,  avait  légué  par  testament  à  la 
municipalité  de  Bayreuth,  sa  ville  natale,  une  somme  de  150.000  marks 
pour  la  construction  d'une  grande  salle  de  concerts.  Un  concours  avait  été 
ouvert  à  ce  sujet,  concours  auquel  vingt-quatre  projets  avaient  été  pré- 
sentés. Sur  ces  vingt-quatre  projets,  cinq  ont  été  réservés,  parmi  lesquels 
le   conseil  communal  aura  à  choisir  le  plus  digne  d'obtenir  le  prix. 

—  Un  nouveau  théâtre  qui  jouera  l'opéra  est  en  construction  à  Lemberg, 
capitale  de  la  Galicie.  Les  frais  de  construction  sont  évalués  à  plus  d'un 
million  de  francs.  L'architecte  M.  Gergolewski,  dont  le  projet  a  obtenu  le 
premier  prix  au  concours,  est  chargé  de  la  construction  de  ce  théâtre. 

—  Une  troupe  espagnole  annonce  une  tournée  en  Allemagne,  où  elle 
jouera  des  zarzuelas  de  Breton,  Barbierl  et  Ghapi. 

—  On  nous  écrit  de  Munich  qu'au  premier  concert  de  l'Académie  de 
musique  de  cette  ville,  le  plus  grand  succès  a  été  remporté  par  un  compo- 
siteur français  qu'on  néglige  en  France  depuis  longtemps.  Musette, 
Tambourin  et  Rigaudon  de  Rameau,  ont  été  applaudis  avec  enthousiasme 
et  bissés. 

—  Le  théâtre  municipal  d'Erturt  vient  de  jouer  avec  succès  un  nouvel 
opéra,  Trois  Femmes  et  aucune,  paroles  et  musique  de  M.  0.  Piper. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  Schwerin  vient  de  jouer  dans  une  seule  soirée 
deux  opéras  inédits  :  un  drame  lyrinue  en  un  acte,  le  Réveil  de  Helge,  paroles 
■et  musique  de  M.  Alfred  Lorenz,  et  un  autre  ouvrage  en  un  acte,  la  Mouche, 
paroles  de  M.  A.  Wolf,  musique  de  M.  d'Ogaref.  Ces  deux  pièces  ont  eu 
beaucoup  de  succès. 

—  Il  paraît  qu'il  existe  en  Russie,  dans  un  village  du  nom  de  Petjano, 
un  théâtre  spécialement  construit  et  destiné  à  l'usage  des  paysans  par  un 
instituteur  nommé  Bunastrow.  La  salle,  très  modeste  et  de  modestes  pro- 
portions, contient  116  places,  dont  vingt  à  20  kopeks  (environ  80  cen- 
times) vingt  à  18  kopeks,  dix  à  5  kopeks  et  soixante-six  à  un  kopek.  Le 
personnel  du  théâtre  se  compose  des  élèves  des  écoles  populaires  du  lieu; 
les  décors,  les  costumes,  l'éclairage  sont  fournis  par  le  fondateur.  Le  produit 
des  entrées  est  distribué  intégralement  aux  jeunes  acteurs,  dont  chacun 
se  trouve  ainsi  gagner,  au  cours  de  la  saison  d'hiver,  environ  cinq  roubles, 
ce  qui  n'est  pas  à  dédaigner  pour  ces  petits  villageois.  Le  théâtre  est  tou- 
jours archi-plein,  dit-on,  et  ses  représentations  sont  d'un  caractère  haute- 
ment et  éminemment  moral. 

—  La  musique  de  chambre  a  trouvé  cet  hiver,  au  Conservatoire  de 
Genève,  de  jeunes  et  vaillants  interprètes  :  M'"  Fanisewska  (piano), 
MM.  Pahuke  (1"  violon),  F.  Sommer  (2«  violon),  Aimé  Kling  (alto)  et  A.  Lang 
(violoncelle),  qui,  avec  un  succès  toujours  croissant  à  chaque  séance,  ont 
brillamment  joué  les  œuvres  du  répertoire  classique  et  moderne  :  Haydn, 
Mozart,  Beethoven,  Schumann,  Brahms,  Saint-Saëns,  etc.  On  ne  peut  que 
féliciter  les  excellents  artistes  pour  cette  réussite  et  les  encourager  à  per- 
sévérer dans  la  voie  où  ils  se  sont  résolument  engagés. 

—  Les  opéras  nouveaux  se  succèdent  sur  les  scènes  italiennes,  en  cette 
saison  de  carnaval  et  carême,  avec  une  rapidité  qui  tient  du  prodige.  Nous 
«n  avons  encore  quatre  à  enregistrer  cette  semaine,  et  l'on  nous  en  promet 
■d'autres  pour  un  avenir  prochain.  Voici  les  titres  des  quatre  nouveau-nés. 
A  Reggio  de  Calabre  (9  février),  Palmira,  drame  lyrique  en  quatre  actes, 
dont  l'action  se  déroule  en  Arménie,  avant  l'ère  vulgaire,  musique  de 
M.  Annanziato  Vitrioli,  joué  par  M^x^ Salvaggi  et  MM.  Pignataro  et  Puma. 
Au  théâtre  Pagliano  de  Florence  (13  février),  un  Dramma  in  vendemmie, 
musique  de  M.  Fornari,  qui  dirigeait  en  personne  l'exécution,  confiée  à 
Mmes  Rappini  et  Passari,  à  MM.  Ducci,  Bacchetta  et  Meini.  Au  théâtre 
Communal  de Todi,  Go«nei/a,  opéra  en  trois  actes,  livret  de  M.  Ceci,  musique 
de  M.  Manganelli.  Enfin,  à  Valeggio  (province  de  Vérone),  il  Feudatario, 
musique  de  M.  Ettore  Veronesi.  Ces  divers  ouvrages  paraissent  avoir  reçu 
du  public  un  accueil  très  favorable. 

—  On  vient  de  terminer  à  Palerme,  non  sans  peine,  les  travaux  du 
nouveau  Grand-Théâtre.  La  construction  de  cet  édifice  avait  été  commencée 
en  1874. 

—  Un  rédacteur  du  Fanfulla  publie  une  interview  qu'il  a  eue  avec 
M.  Pietro  Mascagni  â  propos  de  son  nouvel  opéra,  Zanetto  (le  Passant),  qui 
figure  sur  le  cartellone  de  la  Scala  de  Milan.  Le  journaliste  rapporte    avec 


précision  les  paroles  qu'il  tient  de  la  bouche  du  compositeur:  «  Je  ne  veux 
pas,  lui  aurait  dit  celui-ci,  que  Zanetto  soit  donné  à  la  Scala  cette  saison. 
L'opéra  est  à  moi,  exclusivement  à  moi,  et  je  ne  le  céderai  à.  aucun  prix 
aux  éditeurs  italiens  ou  étrangers.  Ceux  qui  voudront  l'entendre  viendront 
à  Pesaro,  où,  le  l'"'  mars  prochain,  j'en  donnerai  la  première  représenta- 
tion, préparée  par  mol,  dirigée  par  moi,  à  ma  façon.  » 

—  Au  théâtre  Eslava,  de  Madrid,  on  a  donné  avec  un  très  grand  succès 
la  première  représentation  d'une  importante  zarzuela  en  un  acte  et  quatre 
tableaux,  el  Cortejo  de  la  Irène,  due  à  la  collaboration  de  M.  Carlos  Fernandez 
Shaw  pour  les  paroles  et  de  M.  Ruperto  Chapi  pour  la  musique,  qui,  dit 
un  journal  espagnol,  est  une  véritable  joie  pour  l'art  espagnol.  —  Moins 
heureuse  a  été,  au  théâtre  Romea,  de  Murcie,  une  autre  zarzuela  en  un 
acte,  el  Assistente  Zaragata,  qui,  par  le  fait  de  la  mauvaise  qualité  du  livret, 
n'a  pu  étrejouée  qu'une  seule  fois,  en  dépit  d'une  musique  aimable,  due 
à  M.  Adolfo  Gascon. 

—  La  place  de  directeur  du  Conservatoire  de  musique  de  Guildhall  est 
convoitée  par  beaucoup  de  musiciens  anglais  et  allemands.  M.  William  H. 
Commings,  ancien  professeur  à  l'Académie  royale  de  musique,  M.  Charles 
Maclean,  compositeur  et  organiste,  M.  Henry  Gadsby,  compositeur  et 
professeur  de  composition.  M.  Orton  Bradley,  chef  d'orchestre  et  professeur 
de  composition,  M.  William  Carter,  organiste  et  chef  d'orchestre, 
MM.  Meyer  Lutz  et  Wilhelm  Ganz,  deux  chefs  d'orchestre  allemands  qui 
sont  établis  en  Angleterre,  se  disputent  cette  place  convoitée. 

—  Le  compositeur  anglais  Villiers  Stanford  a  terminé  la  partition  d'un 
opéra  irlandais,  Shamus  O'Brien,  qui  conti-înt,  dit-on,  quelques  mélodies 
populaires  irlandaises.  On  espère  que  l'Opéra-Comique  de  Londres  pourra 
jouer  cette  œuvre  vers  la  fin  du  mois  de  février. 

—  Oh  !  oh  !  voilà  qui  va  faire  rêver  l'auteur  de  Sigurd  et  de  Salammbô,  et 
l'empêcher  sans  doute  à  tout  jamais  de  remettre  les  pieds  sur  le  sol  de  «  la 
perfide  Albion.  »  La  nouvelle  est  grave  en  effet.  Le  conseil  élu  des  écoles 
primaires  de  Londres  (School  board)  vient  de  prendre  une  décision  qui,  si 
elle  n'est  pas  du  goût  de  Reyer,  fera  du  moins,  on  peut  le  supposer,  la 
joie  de  tous  les  facteurs  de  pianos  du  royaume.  En  suite  de  cette  décision, 
il  est  établi  qu'à  partir  du  1"  mars  prochain  l'enseignement  du  piano  sera 
donné  gratuitement  aux  filles  et  aux  garçons  dans  les  écoles  primaires 
publiques.  Actuellement  209  écoles  contiennent  ensemble  272  pianos,  et  ce 
n'est  pas  assez:  ce  nombre  sera  doublé  très  prochainement  et  triplé  avant 
la  fin  de  l'année,  et  il  restera  encore  un  nonibre  immense  d'écoles  à  pour- 
voir. Mais  alors,  l'Angleterre  va  devenir  une  simple  machine  à  pianistes  ! 
Les  flots  de  la  mer  ne  lui  suffisent  plus,  et  il  lui  faut  des  torrents  d'har- 
monie pour  les  verser  sur  ses  obscurs  blasphémateurs. 

—  On  nous  télégraphie  de  New-York  que  la  saison  d'opéra  vient  de  clô- 
turer par  une  représentation  de  Manon.  Après  la  dernière  représentation,  le 
public  a  demandé  à  plusieurs  reprises  les  directeurs,  MM.  Grau  et  Abbey,  et 
leur  a  fait  une  ovation  chaleureuse.  On  demandait  aussi  M™  Melba  et  les 
frères  de  Reszké.  Le  public  ne  voulut  pas  quitter  la  salle,  et  l'on  fut  obligé 
d'apporter  un  piano  sur  la  scène  pour  permettra  à  M""=  Melba,  accompagnée 
par  M.Jean  de  Reszké,  de  chanter  la  mélodie  populaire  Home,  swet  home I  qai 
est,  pour  ainsi  dire,  le  domaine  privilégié  de  M"=  Patti.  Enthousiasme  énorme 
et,  ce  qui  vaut  mieux  pour  l'artiste,  une  magnifique  couronne  en  perles  et 
diamants,  offerte  par  un  groupe  d'amateurs,  qui  envahissaientles  pupitres  de 
l'orchestre  et  serraient  les  mains  de  l'artiste  australienne  par  dessus  la 
rampe.  Les  recettes,  pendant  les  treize  semaines  de  la  saison,  ont  atteint 
la  bagatelle  de  600.000  dollars,  soit  trois  millions  de  francs.  Dans  ces 
conditions,  l'Opéra  de  New-York  peut  se  passer  d'une  subvention  de  l'État, 
qui  là-bas  n'a  pas  la  prétention  de  protéger  le  grand  art. 

—  Le  Mikado,  dont  le  trésor  s'est  enrichi  par  ses  victoires  sur  les  Chinois, 
est  devenu  grand  amateur  d'art  lyrique  et  a  donné  l'ordre  de  réunir  en 
Italie  une  troupe  qui  jouera  l'opéra  italien  à  la  cour  impériale  du  Japon. 
Nos  lecteurs  se  rappellent  que  ce  pays  est  déjà  gratifié  d'un  Conserva- 
toire et  de  professeurs  de  musique  européens.  Mais  malgré  le  don 
d'assimilation  extraordinaire  que  les  Japonais  possèdent,  ils  ne  sont  pas 
encore  parvenus  à  former  eux-mêmes  leurs  artistes  lyriques.  Ne  déses- 
pérons pas;  cela  viendra,  et  nous  pourrons  peut-être  applaudir,  dans  une 
dizaine  d'années,  d'anciennes  élèves  du  Conservatoire  de  Tokio. 

PARIS   ET   DEPARTEBIENTS 
jijme  Ambroise  Thomas  a  reçu  de  Metz  la  lettre  suivante  : 

Metz,  le  14  février  1896. 
Madame, 
J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  oi-joint  l'extrait  de  la  délibération  du  conseil 
municipal  d'aujourd'hui  et  de  vous  réitérer  l'expression  de  la  douleur  que  la 
ville  de  Metz  ressent  à  la  perte  d'un  de  ses  enfants  les  plus  illustres,  ainsi  que 
la  promesse  que  le  souvenir  du  noble  défunt  restera  pour  toujours  gravé  dans 
sa  ville  natale,  dont  une  rue  portera  son  nom  et  dont  le  théâtre,  la  scène  de  ses 
labeurs  et  de  ses  triomphes,  montrera  son  buste  et  sa  gloire  à  ses  anciens 
concitoyens  et  aux  générations  futures. 

Puisse  ce  souvenir  reconnaissant  contribuer  à  vous  soulager  dans  ce  moment 
de  tristesse  et  de  douleur. 

Je  vous  prie,  madame,  de  vouloir  bien  agréer  l'expression  de  mes  sentiments 
les  plus  distingués. 

Baron  de  Kramer, 
administrateur  de  la  ville  de  Metz. 


62 


LE  MENESTREL 


—  Suivait  l'extrait  du  registre  des  déliljérations  du  conseil  municipal 
de  la  ville  de  Metz. 

Séance  du  12  février  1896. 

Présents  :  MM.  le  baron  de  Kramer,  administrateur  de  la  ville  de  Metz  : 
Lallement,  2'  adjoint;  Augustin,  3'  adjoint;  Aubertin,  Chevalier,  Enders, 
Ferj',  Hermestrofl',  Henrich,  Heyder,  lîumbert,  Lanique,  Lévy,  Moitrier, 
Ringenbach,  Samson,  docteur  Sauvin,  Tillement. 

Le  12  février  est  mort  à  Paris  le  célèbre  compositeur,  directeur  du  Conser- 
toire,  M.  Ambroise  Thomas.  M.  Ambroise  Thomas  est  né  à  Metz  en  1811  ;  la 
ville  de  Metz  est  fière  de  compter  parmi  ses  enfants  cet  homme  auquel  ses 
œuvres  ont  créé  un  nom  célèbre  dans  le  monde  artistique  et  une  place  impor- 
tante dans  l'histoire  du  développement  de  la  musique. 

La  ville  de  Metz  déplore  la  perte  du  grand  artiste  et  de  l'homme  sympathique, 
et,  en  signe  de  son  deuil  et  de  sa  vénération,  décide  de  déposer  une  couronne 
sur  le  cercueil  du  cher  défunt. 

Le  conseil  municipal,  représentant  la  ville  de  Metz,  exprime  à  la  veuve  du 
grand  artiste  ses  vives  condoléances  pour  la  perte  irréparrable  qu'elle  vient  de 
subir;  la  ville  natale  du  grand  défunt  s'unit  à  elle,  ainsi  qu'à  lous  les  siens, 
dans  un  même  deuil  et  une  même  douleur. 

Une  plaque  commémorative  fera  connaître  la  maison  où  est  né  le  célèbre 
compositeur,  et  la  rue  de  la  Cathédrale,  où  est  sise  cette  maison,  portera  doré- 
navant le  nom  rue  Ambroise-Thomas. 

Un  buste  de  M.  Ambroise  Thomas,  fait  par  un  artiste  natif  de  Metz,  sera 
placé  au  théâtre  municipal  de  Metz. 

Ainsi  l'ait  à  Metz,  ledit  jour  14  février  1896, 
Pour  extrait  conforme, 

L'administrateur  de  la  ville  de  Metz, 
Baron  de  Kramer. 

—  Profondément  touchée  de  ces  manifestations,  M"^!"  Ambroise  Thomas 
a  adressé  la  lettre  suivante  à  l'administrateur  et  aux  membres  du  conseil 
municipal  de  la  ville  de  Metz. 

Messieurs, 

Au  moment  ofi  mon  cœur  vient  d'être  si  cruellement  frappé,  je  me  sens  en- 
tourée de  la  sympathie  universelle,  et,  parmi  les  témoignages  que  j'ai  reçus, 
j'attache  le  plus  grand  prix  à  celui  de  la  ville  de  Metz,  qui  s'associe  à  mon  deuil 
en  déplorant  la  mort  d'un  de  ses  plus  illustres  enfants. 

Je  remercie  le  conseil  municipal  de  son  empressement  à  m'adresser  ses  vives 
condoléances  et  je  lui  suis  profondément  reconnaissante  de  la  délibération  prise 
immédiatement  en  l'honneur  du  noble  défunt  et  dont  vous  avez  bien  voulu 
m'adresser  l'extrait. 

-Abîmée  dans  ma  douleur,  je  vous  prie  d'agréer,  messieurs,  mes  bien  sin- 
cères sentiments  de  gratitude. 

Elvire  .Ambroise  Thomas. 

—  Extrait  d'une  chronique  donnée  au  Temps  par  M.  Jules  Glaretie  : 
.Ambroise  Thomas  aura  recueilli  en  disparaissant  le  plus  juste  tribut  d'hom- 
mages qu'on  puisse  rendre  à  un  homme  illustre  et  bon.  C'était  une  âme  bien- 
veillante et  timide.  Point  de  pose,  une  cordialité  profonde,  naturelle  et  sans  rien 
de  factice.  Une  générosité  grande,  vraiment  digne  d'un  artiste  et  dont  je  ne 
citerai  qu'un  exemple,  qui  m'est  personnel. 

Lorsque  la  Comédie-Française  joua  Hamlet  —  c'était  le  premier  grand  ouvrage 
que  je  montais  —  on  me  fit  savoir  que  le  directeur  du  Conservatoire  s'était  spon- 
tanément offert  à  écrire  la  partie  musicale  du  drame  de  Paul  Meurice  et  Dumas 
père.  M.  Perrin  avait  quasi  accepté;  il  ne  lui  déplaisait  point  que  le  compositeur 
de  l'Hamlel  donné  à  l'Opéra  tût  celui  qui  écrirait  quelques  morceaux  pour  la 
Comédie. 

J'écrivis  donc  à  M.  Ambroise  Thomas  qu'il  m'était  agréable  de  tenir  la  pro- 
messe de  mon  prédécesseur,  et  le  maître  se  mit  à  l'œuvre.  II  ne  nous  donna 
certes  pas  une  partition  nouvelle  —  seulement  un  air  à  boire,  au  prologue,  une 
marche,  des  sonneries  çà  et  là.  des  appels  de  trompettes  pour  le  duel  entre 
Hamlet  etLacrte,  une  mélopée  que  M.  Thomas  fit  répéter  à  M""  Reichenberg 
pour  la  chanson  d'Ophélie  — mais,  au  total,  le  travail,  fait  de  si  bonne  grâce,  cons- 
tituait une  œuvre,  une  dépense  de  talent  et  de  temps. 

Lorsque  je  voulus  parler  à  Ambroise  Thomas  de  la  part  de  droits  d'auteur 
qui  pouvait  lui  revenir: 

—  A  moi?  me  dit-il,  et  de  très  bonne  foi,  mais  j'ai  à  peine  griffonné  quelques 
noies  !  ?<on,  non,  je  ne  veux  rien.  C'est  moi  qui  vous  remercie  de  m'avoir  laissé 
toucher  encore  une  fois  à  un  tel  sujet. 

Et  comme  j'insistais  : 

—  Je  vous  en  prie,  fit-il  avec  cette  brasquerie  apparente  qui  cachait  une  âme 
délicieuse,  n'insistez  pas.  Si  vous  voulez  mon  opinion,  je  suis  assez  payé  par 
l'honneur  que  vous  avez  fait  au  musicien  d'//amte(  de  le  consacrer  à  la  Comédie- 
Française  ! 

—  De  ce  noble  désintéressement,  qui  est  souvent  la  marque  des  grands 
artistes,  nous  pouvons  donner  cet  autre  exemple.  C'était  à  l'époque  de 
Frarnoke  de  Rimini,  bien  avant  la  première  représentation,  alors  qu'on  faisait 
beaucoup  de  tapage  dans  les  journaux  et  ailleurs  de  la  prochaine  œuvre 
attendue  du  compositeur  i'Hamtet  et  de  Mignon.  Nous  le  vîmes  entrer  un 
jour  au  Ménestrel,  un  peu  soucieux  et  l'air  embarrassé  :  «  Ecoutez,  nous  dit- 
il,  je  ne  dois  pas  vous  cacher  que  de  bien  des  cotés  des  éditeurs  me  font 
des  offres  séduisantes  pour  ma  nouvelle  partition.  Il  faut  pourtant  que  je 
Duisse  leur  répondre  que  je  suis  engagé  avec  vous.  »  Et  alors,  prenant  une 
grande  feuille  de  papier  blanc,  iî  mitau  bas  sa  signature  :  "  Voili;  écrivez 
au-dessus  ce  qui  vous  semblera  bon.);  Ainsi  fut  traitée  1'  «  affaire  »  de  Fran- 
çoise de  Rimini! 

—  Le  Journal  o/ficiel  publie  une  nouvelle  liste  de  promotions  et  de  nomi- 
nations universitaires,  cette  fois  au  titre  étranger,  dans  laquelle  nous 
relevons  les  noms  suivants.  Sont  nommés  officiers  de  l'Instruction  publique: 
M°"=  Gabrielle  Krauss,  «  professeur  de  chant  à  Paris  »,   l'admirable  artiste 


que  nous  avons  connue  au  Théâtre-Italien  et  à  l'Opéra  :  M.  Iloulllack, 
«  compositeur  de  musique  à  Paris  »,  l'excellent  violoniste  bien  connu  du 
public  de  nos  concerts:  M.  de  Loos,  chef  d'orchestre  à  Tournai  ;  M.Moul, 
représentant  la  Société  des  compositeurs  de  musique  à  Londres.  —  Sont 
nommés  officiers  d'académie  :  M"""  Berthet,  artiste  de  l'Opéra;  M™  Divoite 
(Héglon),  artiste  de  l'Opéra  ;  M"«  Sibyl  Sanderson,  artiste  lyrique  ; 
M"'  Fannie  Edgar  Thomas,  critique  musicale,  correspondante  à  Paris  du 
Musical  Courier,  de  New-York  ;  MM.  Fierons,  critique  au  Journal  des  Débals; 
Jcihn  Croisier,  Mande,  compositeurs;  Rieudel,  auteur  dramatique;  Egidio 
Rossi,  maître  de  ballet  et  mime. 

—  M.  Massenet  part  aujourd'hui  dimanche  pour  Bruxelles,  oii  la  première 
représentation  de  Tha'is  est  prochaine.  Il  y  va  présider  aux  dernières  études 
de  son  œuvre.  M.  Anatole  France,  l'auteur  du  subtil  et  délicat  roman,  et 
M.  Louis  Gallet,  qui  en  a  tiré  un  si  curieux  poème  lyrique,  l'y  suivront 
sous  quelques  jours. 

—  M.  Combes,  ministre  des  beaux-arts,  vient  de  mettre  en  vigueur  un 
arrêté  auquel  jusqu'ici  on  ne  s'était  pas  conformé.  Le  ministre  a  décidé 
qu'on  appliquerait  à  l'Opéra  la  loi  sur  le  travail  des  enfants  dans  les  ma- 
nufactures. Il  en  résulte  que  les  enfants  ne  pourront  plus  paraître  dans  les 
ballets,  ceux-ci  commençant  toujours  après  dix  heures  du  soir.  C'est  une 
question  qui  va  faire  couler  beaucoup  d'encre. 

—  A  l'Opéra,  on  active  beaucoup  les  répétitions  d'Hellé,  l'opéra  de 
M.  Alphonse  Duvernoj.  On  espère  pouvoir  passervers  la  findu  mois  de  mars. 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  première  représentation  d'Orphée  est  toujours 
annoncée  pour  la  semaine  prochaine.  Les  répétitions  d'orchestre  sont 
commencées. 

—  La  sous-commission  des  finances  des  fêtes  d'Orange  s'est  réunie  rue 
de  Valois,  dans  les  bureaux  des  Beaux-Arts,  sous  la  présidence  de  M.  Gué- 
rin,  sénateur.  Le  maire  d'Orange,  M.  Capty,  y  assistait,  etil  a  fait  connaître 
la  délibération  du  conseil  municipal  d'Orange  relative  à  un  emprunt  de  la 
ville  destiné  à  fonder  une  caisse  spéciale  pour  les  frais  de  ces  représenta- 
tions. —  La  commission  plénière  des  fêtes  d'Orange  a  ensuite  décidé  après 
un  débat  où  furent  discutées  les  propositions  de  la  sous-commission,  que 
les  représentations  de  1896  seront  les  suivantes  :  Samedi  S  août,  Horace, 
précédé  d'un  prologue  avec  chœurs  et  musique.  Dimanche  9  août,  Aniigone. 
—  Le  jeudi  suivant,  les  Félibres  et  les  Gigaliers  offriront  en  représentation 
libre  la  Reine  Jeanne,  de  Mistral.  Après  avoir  décidé  la  périodicité  des 
représentations  qui,  tous  les  deux  ans,  seront  données  alternativement  par 
la  Comédie-Française  et  par  l'Opéra,  la  commission  a  chargé  MM.  Bertrand 
et  Gailhard  d'étudier  l'organisation  d'une  œuvre  lyrique  en  rapport  avec 
le  caractère  spécial  du  théâtre  d'Orange,  et  dont  les  grandes  lignes  lui 
seront  soumises.  M.  Félix  Faure  recevra  aujourd'hui  les  membres  de  la 
commission  qui  lui  exposeront  le  programme  des  fêtes  d'Or.ange  qu'il  a 
promis  de  présider. 

—  Si  les  journaux  français  publiaient  sur  l'étranger  les  bourdes  et  les 
sottises  que  nous  trouvons  chaque  jour  sur  notre  compte  dans  les  feuilles 
étrangères.  Dieu  sait  si  on  les  accuserait  d'ignorance  et  de  maladresse. 
Voici  ce  que  nous  trouvons  dans  l'Éventail  de  Bruxelles,  à  propos  de  la 
reprise  à  Cologne  d'un  opéra-comique  créé  à  Prague  en  1867,  Dans  la  fon- 
taine, dont  l'auteur,  un  flûtiste  nommé  'Wilhelm  Blodek,  est  mort  depuis 
plus  de  vingt  ans  dans  une  maison  de  santé:  «  Blodek  a  eu  en  France 
un  homonyme,  Pierre-Auguste-Louis  Blodek,  qui  fut  élève  du  Conserva- 
toire de  Paris,  obtint  en  1S08  le  grand  prix  de  Rome  et  lit  jusqu'en  1842 
partie  de  l'orchestre  de  l'Opéra  de  Paris.  Ce  Blodek  est  mort  en  1836,  n'a 
jamais  composé  d'opéia  et  jouait  de  l'alto.  »  Or,  ce  prétendu  homonyme 
s'appelait  non  pas  Blodek,  q'jî  n'a  jamais  été  connu  en  France,  mais 
Blondeau,  ce  qui  n'est  pas  toutà  fait  la  même  chose,  et  il  a  fait  représenter 
à  Pérouse  en  1812,  au  cours  de  son  séjour  en  Italie  comme  prix  de  Rome, 
un  opéra  italien  intitulé  Cosi  si  fa  ai  cjelosi.  Comment  diable  ce  Blondeau, 
musicien  français,  a-t-il  pu  se  transformer  en  Blodek  à  propos  d'un  opéra 
tchèque  représenté  en  Allemagne,  et  trouver  ainsi  dans  un  journal  étranger 
un  souvenir  aussi  inexact  qu'inattendu?  C'est  ce  que  nous  ne  nous  char- 
gerons pas  d'expliquer. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  avec  chœurs  (Beethoven),  soli  par  M"°  Éléonore 
Blanc,  M""  Deni.i,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez.  —  Cantate  n°  21  (Bach),  soli  par 
M""  E.  Blanc,  Dupuy,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez. 

Chatelet,  Concert  Colonne  :  Ouverture  de  PcUrie  (Bizet).  —  Fragments  de 
Jocdijn  (B.  Godard).  —  Rêves  (Wagner),  par  M"''  Kutscherra.  —  Cinquième  con- 
certo en  mi  bémol  (Beethoven),  esécuté  par  M.  Risler.  —  Deuxième  partie  du 
troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieuj;  ('Wagner),  soli  par  MM.  Cazeneuve,  Edwy, 
Vieulle,  M"'"  Kutscherra,  Auguez  de  Montalant,  Texier  et  Planés.  —  La  Chevau- 
chée des  Vatkijries  (Wagner). 

Cirque  des  Champs  Élysées,  Concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  /a,  n°  8 
(Beethoven). —  Première  audition  du  deuxième  tableau  du  premiir  acte  de  Circé, 
opéra  en  trois  actes,  de  MM.  J.  et  P.  Barbier  (Théodore  Dubois),  interprété  par 
M."  3.  Marcy  (Miguela),  M.  Lafarye  (Fray  Juanito),  .M.  Bailly  (Hernandez), 
M.  Blancard  (Fray  Domingo).  —  Première  audition  des  Chants  de  la  forge,  du 
premier  acte  de  Siegfried  (Wagner):  Sie.gfried,  M.  Lafarge.  —  .Sixième  audition 
de  la  scène  finale  du  troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner):  Brune- 
hild.  M""  J.  Marcy.  —  h'Invitatinn  à  In  valse  (Weber),  orchestrée  par  Berlioz. 

Concert  du  Palais  d'Hiver.  Chef  d'orchestre,  Louis  Pister.  Le  Songe  d'une  nuit 
d'été,  ouverture  (Mendeissohn);  Largo  pour  cordes  (llœndel);  Concerto  en  sol 
mineur  (Saint-Saëns);  piano  ;   M.  llarold  Bauer.  Scherzo  de  la  sérénade  n°  1 


LE  MENESTREL 


63 


(Jadassohn)  ;  £erce«se  (Grieg)  ;  Légende;  Saint  François  marchcuu  sur  les  /Zo/s 
(Liszt);  piano:  M.  Harold  Bmier. Marche  funèbre  d'unemarLonnelte{Go\inoA).Ilamlet, 
la  Fêle  du  Printemps  (A.  Tliomas). 

—  M.  Lamoureux  ira,  avec  son  orchestre,  donner  trois  concerts  à  Lon- 
dres, le  13,  le  16  et  le  IS  avril  prochain,  au  Queen'sHall.  Des  feuilles  de 
location  ont  déjà  été  ouvertes  par  l'organisateur  de  la  tournée,  M.  Robert 
Newman,  au  prix  de  une  guinée  (26  fr.  23)  la  place. 

—  On  annonce  les  fiançailles  de  M"«  Mathilde  Colonne,  la  charmante 
fille  de  M.  et  U<^'  Edouard  Colonne,  avec  M.  Henry  Neumann. 

—  Ce  Laurent  de  Rillé  est  insatiable.  Président  de  la  commission  de  l'en- 
seignement du  chant  dans  les  écoles  du  départem.ent  de  la  Seine,  profes- 
seur à  la  Sorbonne,  conférencier  disert  et  élégant,  auteur  de  ballets  frin- 
gants et  d'aimables  opérettes  parmi  lesquelles  on  rencontre  des  babioles 
pleines  de  grâce,  compositeur  de  plusieurs  centaines  de  chœurs  pour  voix 
d'hommes  qui  ont  fait  la  fortune  et  la  joie  de  tous  les  orphéons  de  France 
et  de  Navarre,  ordonnateur  et  directeur  de  festivals  dont  les  succès  ont 
été  retentissants,  il  n'est  pas  satisfait  de  la  notoriété  qui  depuis  si  long- 
temps s'est  attachée  à  son  nom,  et  le  voici  qui  court  aujourd'hui  à  la  re- 
cherche des  succès  littéraires.  Ainsi  font  les  ambitieux,  dont  rien  ne  sau- 
rait contenter  l'avidité.  La  vérité  est  qu'il  vient  de  publier  sous  ce  simple 
titre  :  Chœurs  d'orphéons,  un  gentil  petit  volume  qui  n'est  autre  chose  qu'un 
recueil  de  vers,  les  vers  de  quelques-uns  des  nombreux  chœurs  mis  par 
lui  en  musique,  car  Laurent  de  liillé  est  à  la  fois  son  poète  et  son  musi- 
cien. Ce  n'est  point  qu'il  veuille  marcher  sur  les  traces  de  Berlioz  ou  de 
Wagner,  et  sa  visée  est  assurément  moins  haute.  Mais  il  s'est  dit  que  si  sa 
musique  ne  manque  pas  de  qualités,  ses  vers  ne  manquent  ni  de  grâce  ni 
de  couleur,  et  qu'ils  pouvaient  être  appréciés  pour  eux  seuls,  abstraction 
faite  du  vêtement  mélodique  dont  il  les  avait  parés.  Et  son  gentil  volume, 
dont  la  physionomie  est  tout  à  fait  engageante,  aura  tout  le  succès  qu'il 
mérite,  et  ses  Chœurs  d'orphéons,  sous  leur  nouvelle  forme,  vont  refaire  leur 
toui'de  France,  et  ils  seront  bien  accueillis  partout,  et  ce  sera  bien  fait, 

A.  P. 

—  De  Lyon  :  La  Navarraise  vient  de  remporter  ici  un  éclatant  succès  dû 
au  mérite  incontestable  de  la  nouvelle  partition  de  M.  Massenet,  impres- 
sionnante dans  sa  concision,  d'une  habileté  remarquable, —  et  aussi  à  une 
interprétation  de  premier  ordre.  M"'«  de  Nuovina  imprime  au  personnage 
de  la  Navarraise  un  relief  inoubliable;  la  voix,  fort  belle  et  très  homogène, 
secondée  par  un  admirable  tempérament  dramatique,  place  JW'""  de  Nuovina 
au  premier  rang  parmi  les  cantatrices  modernes.  Ses  très  intéressantes  et 
très  personnelles  créations  de  Marguerite  de  Faust  et  de  Carmen  l'avaient 
déjà  fait  apprécier  du  difficile  public  lyonnais;  mais  la  Navarraise  a  été 
pour  l'artiste  l'occasion  d'un  succès  d'enthousiasme,  que  les  représentations 
suivantes  ont  vu  s'accroître  encore.  L'interprétation  de  la  Navarraise  est 
excellente  avec  MM.  Beyle,  Moisson,  Huguet,  et  l'orchestre  sous  l'habile  di- 
rection de  M.  Luigini.  Le  Carillon,  dont  Lyon  a  eu  la  primeur  pour  la  France, 
a  été  supérieurement  monté  par  M.  Vizentini.  Cette  charmante  partition, 
d'une  inspiration  fraiche  et  souriante,  d'une  orchestration  pittoresque,  est 
une  nouvelle  preuve  de  l'admirable  maîtrise  de  M.  Massenet.  L'accueil  fait 
au  Carillon  a  été  des  plus  sympathiques,  et  l'orchestre  en  a  souligné  les 
finesses  avec  un  rare  bonheur.  Entre  temps  nous  avons  eu  la  Statue,  de 
Reyer.  Cet  opéra-féerie,  dans  lequel  l'auteur  de  Sigurd  se  révèle  déjà,  con- 
tient de  fort  belles  pages  et,  malgré  quelques  longueurs,  a  plu  par  la  fraî- 
cheur et  la  sincérité  de  son  inspiration.  L'œuvre  est  fort  bien  défendue  par 
M'^^  Mai-tini,  MM.  Vergnet,  Beyle,  Chalmin  et  Larbaudière.      J.  Jemain. 

—  Un  artiste  fort  distingué,  M.  Abbiate,  vient  de  donner  sous  ce  titre  : 
«  Historique  du  violoncelle  en  trois  séances  »,  une  série  de  concerts  très 
curieux,  dans  lesquels  il  a  passé  en  revue  le  répertoire  du  violoncelle 
depuis  le  commencement  du  dix-huitième  sièclejusqu'à  l'époque  présente. 
Dans  la  première  séance  (période  classique),  il  a  fait  entendre  une  sonate 
de  Berteau,  un  concerto  d'Haydn,  un  concerto  de  Bernard  Romberg  et 
deux  pièces  de  Duport  et  de  Boccherini;  dans  la  seconde  (période  roman- 
tique), la  sonate  en  la  majeur  de  Beethoven,  un  concerto  de  Schumann, 
un  adagie  et  boléro  de  Franchomme  et  un  morceau  de  concert  de  Servais; 
et  dans  la  troisième  (période  contemporaine),  le  concerto  de  Lalo,  celui 
de  Saint-Saëns,  et  diverses  pièces  de  Goltermann,  Pop-per,  Davidoff,  Max 
Bruch  et  Piatti.  Peut-être  la  division  en  trois  périodes  était-elle  un  peu 
arbitraire,  mais  les  séances  étaient  fort  intéressantes,  M.  Abbiate  y  a  fait 
preuve  d'un  talent  remarquable  et  sou  succès  a  été  complet. 

—  MM.  I.  Philipp,  Berthelier,  Loeb  et  Balbreck  viennent  de  terminer 
leurs  belles  séances  par  le  sextuor  de  M.Alary,  la  sonate  pour  piano  et  vio- 
loncelle, tout  à  fait  intéressante,  de  Fr.  Gernsheim,  et  par  une  superbe 
exécution  du  quintette  deSchumann.  Les  trois  excellents  artistes,  réunis  à 
MM.  Gillet,  Turban,  Hennebains,  Letellier  et  Reine,  donneront  encore  trois 
séances  des  plus  intéressantes,  à  la  salle  Érard,  les  S  mars,  19  mars  et 
2  avril. 

—  Mardi  25  février,  salle  Pleyel,  deuxième  séance  de  la  Société  de 
musique  française,  fondée  par  M.  Ed.  Nadaud,  avec  le  concours  de 
MM.fiisler,  Trombetta,  Cros-Saint-Ange  et  Gibier. 

.  —  A  la  salle  Erard,  on  prépare  une  intéressante  séance  pour  le  lundi 
2  mars;  c'est  la  première  audition  de  la  Naissance  du  Christ,  oratorio  en 
trois  parties,  avec  strophes  déclamées,  solos  et  chœurs,  musique  de  J.-B. 


Wekerlin.  Il  paraît  que  c'est  une  œuvre   de  jeunesse  du  bibliothécaire  du 
Conservatoire,  qui  donne  ce  concert  par  invitation. 

—  Mardi  23  février,  salle  Erard,  concert  de  M.  Stéphane  Elmas,  pianiste- 
compositeur,  avec  le  concours  du  violoniste  J.  White.  Outre  quelques- 
unes  de  ses  compositions,  l'excellent  artiste  fera  entendre  des  œuvres  de 
Chopin,  Schumann,  Mendelssohn  et  G.  Chaminade. 

—  Dimanche  prochain  1"  mars,  à  une  heure  et  demie,  salle  Pleyel, 
aura  lieu  la  séance  très  intéressante  d'audition  des  élèves  de  M"^*  Donne. 

—  A  l'Opéra  de  Nice,  M"'»  Patti  vient  de  terminer  la  série  de  ses  repré- 
sentations au  milieu  des  ovations  et  des  fleurs.  Pour  ses  adieux,  elle  a  chanté 
Zerline  de  Don  Juan.  A  côté  de  la  grande  cantatrice  on  a  aussi  superbe- 
ment fêté  M"'=  Febea-Strakosch,  une  étoile  qui  se  lève. 

—  On  nous  mande  de  Lille  le  triomphe  remporté  par  la  Navarraise,  l'épi- 
sode lyrique  de  MM.  Claretie,  Gain  et  Massenet,  très  bien  interprétée  par 
M"'  Mailly-Fontaiue  et  M.  David.  Même  réussite  enthousiaste  à  Bayonne 
avec  M""  Tarquini-d'Or,  une  toute  palpitante  Anita,  et  M.  Cornubert,  et  à 
Renues  avec  M"""  Flavigny-Thomas  et  M.  Villatte. 

—  A  Pau,  le  superbe  orchestre  de  M.  Ed.  Brunel  continue  à  voir  ses 
séances  assidûment  suivies  par  de  très  nombreux  dilettantes.  Parmi  les 
auteurs  les  plus  applaudis  figurant  sur  les  derniers  programmes,  il  faut 
nommer  Félicien  David  (ouverture  de  la  Perle  du  Brésil],  A.  Rubinstein 
(le  Bal  costumé),  Wormser,  Gounod,  Massenet  (divertissement  du  Roi  de 
Lahore  et  les  Érimiyes),  Godard,  Saint-Saëns,  Berlioz  et  Reyer  (ouverture. 
Sommeil  de  Brunehilde,  Pas  guerrier  de  Sigurd). 

—  Nos  correspondances  de  Tourcoing  nous  apprennent  le  grand  succès 
obtenu  par  l'excellent  violoniste  A.  "Weingaertner  au  dernier  concert  des 
Crick-Sicks.  Rappelé  et  applaudi  après  chacun  de  ses  morceaux,  il  a  dû 
ajouter  au  programme  un  numéro  supplémentaire.  Une  des  œuvres  les  plus 
appréciées  a  été  le  délicieux  Duetlo  d'Amore  pour  deux  violons,  de  Théodore 
Dubois,  exécuté  par  M.  'Weingaertner  et  une  de  ses  élèves,  M"=  Rouillé. 
Au  même  concert  on  a  applaudi  avec  enthousiasme  M'"»  Bonnefoy  dans 
l'air  des  Pécheurs  de  perles  et  le  ravissant  duo  de  Lakmé. 

—  Pendant  qu'on  applaudissait  M.  Weingaertner  à  Tourcoing',  sa  fille 
triomphait  également  à  Bordeaux,  où,  dimanche  dernier,  elle  se  faisait 
entendre  au  Concert  populaire, 

—  On  lit  dans  le  journal  le  Républicain  Orléanais  :  Le  concert  de  bienfai- 
sance donné  à  l'Institut,  au  profit  de  M"""  veuve  Manière,  a  obtenu  la  meil- 
leure réussite.  Le  triomphe  de  la  soirée  a  été  pour  le  violoniste  Charles 
Dancla,  qui  a  reçu  une  véritable  ovation  :  bravos,  rappels  et  couronne  de 
fleurs;  et  c'était  justice, 

—  A  Tunis,  les  auditions  Frémaux  sont  de  plus  en  plus  suivies.  Au 
dernier  programme,  les  abonnés  de  la  salle  «  La  Valette  »  ont  fait  fête  à 
M°"  F'rémaux  qui,  après  de  vieilles  chansons,  a  délicieusement  détaillé 
Pensée  d'automne  de  Massenet  et  Sonnet  du  XVII"  siècle  d'Henri  Maréchal, 

Soirées  et  Concerts.  —  Très  jolie  audition  donnée  par  M""  Kohi,  au  cours  de 
laquelle  on  a  surtout  fêté  M""  Gellée  {Les  Toutes  Petites,  'Vidal) ,  Gabrielle  R, 
(Chanson  du  bouvreuil  àe  Xavière  ,  Théodore  Dubois),  Marguerite  R,  (air  du  C^d, 
Massenet),  M.  Outhier  (air  d'Hérodiade,  Massenet),  M'"  Bourgeois,  MM,  Zocchi, 
Vieulle  et  Edwy  (finale  du  Roi  de  Laliore,  Massenet),  M™'  Voluey  (scène  de  la 
folie  d'Hamlet,  Ambroise  Thomas),  M""  Bourgeois,  M,  Zocchi  (duo  de  Sigurd, 
Reyer),  M—  Volney  et  M.  Dô  (scène  de  Maître  Ambros,  Widor),  —  Brillante  ma- 
tinée musicale  donnée  à  laBodinlèrepar  la  baronne  Ssotti,  qui  s'est  fait  chaleu- 
reusement applaudir,  notamment  dans  -1  une  fiancée  de  G,  Ferrari,  que  l'auteur 
lui  accompagnait.  Grand  succès  aussi  pour  M,  Dubulle  dans i'£,r(ase  deSalomon 
et  pour  M,  Flachat  dans  l'air  de  Sigurd  de  Reyer.  —  Très  jolie  salle  au  festival 
brésilien  donné  à  la  galerie  des  Champs  Élysées,  Nous  avons  surtout  remarqué 
le  Paijsage,  de  Francisco  Braga  et  un  Épisode  sijmphonique  dirigé  par  l'auteur  M. Car 
los  de  Mesquita,  avec  maestria,  et  qui  est  un  morceau  original  et  de  grand  elTet  à 
l'orchestre,— Succès  très  vif  pour  l'aimable  pianiste  M""  Blan  che  Chambroux  à  son 
concert,  oi)i  elle  s'est  fait  applaudir  en  jouant  avec  style,  avec  goût  et  avec  grâce 
diverses  pièces  de  Liszt,  Chopin,  Rubinstein,  Delaborde,  G,Pfeiaer,et  en  exécutant 
d'une  façon  remarquable,  avec  MM.  Villaume  et  Hasselmans,  qui  l'ont  supé- 
rieurement secondée,  le  trio  en  sol  mineur  de  Rubinstein  et  le  2'  trio  de  Benja- 
min Godard. 

NECROLOGIE 

L'art  musical  vient  d'éprouver  une  vraie  perte  dans  la  personne  de 
M"=  Marie  de  Pierpont,  compositeur  et  organiste  d'autant  de  savoir  que  de 
talent,  qui  laisse  d'unanimes  regrets. 

—  On  annonce  de  Lyon  la  mort  d'un  amateur  de  musique  for'  distingué, 
M.  le  docteur  Coutagne,  qui  avait  rempli  en  cette  ville  les  fonctions  de 
médecin  légiste.  Le  docteur  Henri  Coutagne  était  un  amateur  pratiquant 
qui,  sous  le  pseudonyme  de  Paul  Glaés,  avait  fait  exécuter  plusieurs  mor- 
ceaux symphoniques  d'un  réel  intérêt.  Il  s'était  fait  connaître  aussi  comme 
écrivain  musical,  surtout  par  une  notice  très  substantielle  et  très  curieuse 
publiée  sous  ce  titre  :  Gaspard  Duiffoproucart  et  les  luthiers  lyonnais  du 
XVI"  siècle,  étude  historique  écrite  comme  discours  de  réception  à  l'Aca- 
démie des  sciences,  belles-lettres  et  arts  de  Lyon,  et  qui  témoigne  d'une 
véritable  érudition  et  d'une  rare  connaissance  du  sujet.  Ce  n'était  là,  dans 
la  pensée  de  l'auteur,  qu'un  fragment  d'un  travail  considérable  qu'il  comp- 
tait mettre  au  jour.  On  doit  encore  au  docteur  Coutagne  un  livre  intitulé 
les  Drames  musicaux  de  Richard  Wagner  et  le  théâtre  de  Bayreuth. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


64 


LE  MENESTREL 


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AMBROISE   THOMAS 


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—  piano  SOLO  (à  2  mitins net 

—  —      (à  4  mains) net 

Le  Ballet  (Fête  du  printemps)  extrait net, 


Arrangemeiits    divers    pour    piano    et    autres    instriamexits. 

Opéra  en  -l  actes  avec  prologue  et  épilogue. 


Partition  piano  et  chant net.      20    » 

—  —  italienne net.      20    » 


lents    divers    pour    piano    et    autres    iii.sti*uments. 


LE     CDJ^XID 


Opéra  bouffe  en  2  actes. 

Partition  chant  et  piano,  in-8° net.  15    » 

—  pour  CHANT  seul net.  i    » 

—  pour  PIANO  solo net.  10    » 

Arrangements    divers  pour 


î^sl^^OH:E 


Opéra-comique  en  3  actes. 
Partition  piano  et  chant net. 


20  » 

20  » 

20  » 

4  » 

12  >. 

20  » 

3  » 


Partition  pour  chant  seul net.        i 

—  piano  solo  (à  2  mains),  in-S" net.      12 


Opéra  en  4  actes. 

Partition  piano  et  chant net.  20 

—        piano  solo  (à  2  mains) net.  12 

En  préparation  :  Partition  italienne net.  » 

piano    et    autres    in.struments. 


LE      SOn^C3-E     L'XJIsrE     IsrXJIT     L'ETE 

Opéra  en  3  actes. 
Partition  piano  et  chant net.      20    »     |     Partition  pour  chant  seul   ....  net.        i    «     |     Partition  pour  piano  solo  ....  net.      10 

Arra.»gemen.ts    divers    pour    piano    et    autres    instrujnen.ts. 


L^^     TOISTELLI 

Opéra  bouffe  en  S  actes. 
Partition  piano  et  chant net.     12 


Arrangements    divers    pour    piano  -et    autres    instrunxen.ts. 


LE  I^.i^:]s^IEI^  elexjki 

Opéra-comique  en  i  acte. 
Partition  piano  et  chant net.    8  » 


L^^    TEIïJIIPETE 

Ballet  fantastique  en  3  actes. 

Partition  piano net    10    » 

strunients 


Arraxigemeiits    divers    pour    pia^iio    et    autres    instrumexits.         I       Arrangomexi-ts    divers    pour*     piaxio    et    autre 

MÉLODIES   DIVERSES 
r.E  soii^  —  i>.a.ssifi<oi&e:  —  c i£ o -v .a. ni' c e:  —  rr-EXTit  i>e  iveigx:,  etc 

COMPOSITION    POUR    PIANO 

I^A.    13'Élt.Oli'Ém,    Fantaisie    sur    un    air    breton. 

MUSIQUE  RELIGIEUSE 


iço^s    I3JE3    sox^e^so-e: 

A  CHANGEMENTS  DE  CLEFS 
Composées    pour   les    Examens    et    Concours    du    Conservatoire    de   musique    (Années    1872-1885) 

EN   DEUX   LIVRES 


AMBROISE    THOMAS 


/"  Livre  |  2*   Liiire 

LEÇONS  POUR  LES  CLASSES  DE  CHANTEURS     1   LEÇONS  POUR  LES  CLASSES  D'INSTRUMENTISTES 

l-rix  net:    1  O  franC!«.  I  Prix  net  i    13  franc». 

(Ces   Leçons   sont   autographiées   d'après   la    copie   en   usage   dans   les   classes   du   Conservatoire) 
Édilion  gravée  de  ces  2  Livres  réunis  en  un  seul,  Trix  net  :  8  Fr.;  sans  accompagnement  de  piano  (Édition  populaire),  prix  net  :  2  fr.  50  c. 


;  BERGÈRE,  20,  PARIS.  —   *ncre  UriHeia} 


Dimanche  1^'  Mars  1896. 


3388.  —  62-=  Ar\rà  —  i\°  9.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 


Henri     HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  ]\IÉiNestrel,  2  bis,  rue  Vivienne»  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  iMusique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  s 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Musique  antique,  les  nouvelles  décou  vertes  de  Delphes  (5"  article),  Julien 
TiERsoT.  —  Bulletin  théâtral  :  Premières  représentations  du  Voyage  à  Venise,  au 
théâtre  Déjazet,  du  Royaume  (Us  femmes^  à  l'Eldorado,  et  de  Ninette,  aux  Bouffes- 
Parisiens,  Paul-Émile  Chevalier.  —  L'orchestre  de  Lully  (3"  article),  Arthur 
PouGiN.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

FINE  MOUCHE 

polka  de  Philippe  Fauhbach.  —  Suivra  immédiatement  :  Le  Réveil,  n»   1  des 

Heures  de  rêve  et  de  joie,  du  maestro  N.  Celega. 

•      

MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Sur  le  Danube,  nouveau  lied  de  Robert  Fischhof.  —  Suivra  immédia- 
tement :  Sut  la  tombe  d'un  enfant,  n"  3  des   Poèmes  de  Bretagne,  de   Xavier 
Leroux,  poésie  d'ANDRÉ  Alexandre. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 


III 

(Suite) 

Cet  exposé  général  du  système  des  modes  antiques  étant 
terminé,  nous  pouvons  aborder  l'étude  de  la  mélodie. 

Malgré  le  mauvais  état  dans  lequel  elle  nous  est  parvenue, 
le  caractère  modal  s'en  laisse  pénétrer  facilement  d'un  bout 
à  l'autre.  En  la  notant,  j'ai,  au  fur  et  à  mesure,  déterminé 
ce  caractère  dans  ses  rapports  avec  la  tonalité  moderne  : 
voyons  maintenant  de  quelle  façon  nous  pourrons  l'interpré- 
ter en  nous  plaçant  au  point  de  vue  de  la  théorie  antique. 

La  mélodie  est,  nous  l'avons  vu,  notée  dans  le  ton  lydien, 
c'est-à-dire  transposée  à  la  quarte  supérieure  du  degré  qu'elle 
occuperait  dans  l'échelle  naturelle  (avec  un  si  bémol  à  la  clef). 
Or,  la  première  et  la  dernière  phrase  donnent  impérieuse- 
ment l'impression  d'un  ton  de  ré  concluant  sur  la  dominante 
la,  —  dans  l'échelle  naturelle,  ton  de  la  concluant  sur  mi. 

C'est  le  mode  dorien. 

Mais,  dans  les  reprises  suivantes,  le  sentiment  tonal  se  mo- 
difie. Dès  la  deuxième  période,  le  bémol  du  si  est  remplacé 
par  le  bécarre,  et  le  mi,  non  seulement  devient  note  finale, 
mais  prend  dans  la  mélopée  une  importance  qui  s'accuse  par 
des  sauts  d'octave  plusieurs  fois  répétés.  On  a  donc  modulé 
à  la  quarte  inférieure,  et,  par  là,  on  est  revenu  à  l'échelle  natu- 
relle. Gomme  le  mi  est  devenu  note  fondamentale,  on  est  donc 
encore  en  dorien. 


Mais  il  y  a  ensuite  un  pas.'^age  plus  compliqué,  qui  demande 
de  nouvelles  explications.  Déjà,  dans  la  première  période  mélo- 
dique, le  mi  naturel  avait  été  par  trois  fois  altéré  par  le  bémol. 
La  mâme  altération  se  retrouvera  dans  la  strophe  finale. 
Mais,  dans  deux  autres  strophes,  non  seulement  le  mi,  mais 
encore  le  si,  se  présentent  alternativement  dans  la  forme 
naturelle  et  bémolisée.  Nous  sommes  donc  en  présence  de 
plirases  mélodiques  appartenant  au  genre  chromatique. 

Or,  voici  comment  les  Grecs  procédaient  pour  introduire 
l'élément  chromatique  dans  leurs  gammes. 

On  sait  que  les  gammes  antiques,  basées  sur  l'accord  de 
la  lyre,  étaient  composées  de  tétracordes  accouplés,  les  uns 
conjoints,  c'est-à-dire  ayant  une  note  commune  et  formant  un 
ensemble  de  sept  notes,  les  autres  disjoints,  c'est-à-dire  séparés 
par  un  ton,  et  formant  par  conséquent  l'octave  complète. 

Mais,  d'une  part,  une  certaine  combinaison  de  tétracordes 
superposés,  à  laquelle  on  donnait  le  nom  de  système  immuable, 
permettait  d'avoir  au  milieu  de  l'échelle  le  si  naturel  et  le  si 
bémol  simultanément. 

Quant  aux  autres  degrés,  ils  pouvaient  être  altérés  de  la 
manière  suivante  : 

Prenons,  par  exemple,  le  tétracorde  mi  fa  sol  la.  Pour  passer 
du  genre  diatonique  au  chromatique,  on  abaissait  d'un  demi- 
ton  le  .soi  :  on  avait  donc  mi  fa  fa^  la. 

Faisons-en  autant  pour  le  tétracorde  voisin,  et  l'octave  en- 
tière devient  :  mi  fa  faH  la,  si  do  do'^  mi. 

Poussant  l'application  de  ce  système  à  ses  dernières  limites, 
abaissons,  dans  le  tétracorde  mi  fa  sol  la,  la  corde  sol  d'un  ton 
entier  :  neus  obtenons  fa,  unisson  de  la  corde  voisine.  Mais 
celle-ci,  à  son  tour,  peut  être  abaissée  d'un  quart  de  ton.  Ré- 
pétant l'opération  sur  l'autre  tétracorde,  nous  avons  donc 
cette  gamme  (le  quart  de  ton  descendant  étant  exprimé  par 
la  lettre  q)  :  Mi  faq  fa  la,  si  do  q  do  mi. 

Telle  est  la  théorie  de  ce  fameux  quart  de  ton  dont  on  a 
tant  parlé,  et  qui,  en  réalité,  a  tenu  dans  la  pratique  de  l'art 
grec  une  très  faible  place. 

L'on  voit  que  ce  système  avait  pour  effet  de  rendre  l'échelle 
incomplète,  et  que  la  gamme  chromatique  grecque  diffère  de 
la  nôtre  en  ce  que,  loin  d'être  composée  de  douze  demi-tons, 
elle  est  formée  seulement  de  sept  degrés  disposés  d'une 
façon  différente  de  la  forme  diatonique. 

Les   deux    passages  chromatiques    du   milieu   de   l'hymne 
s'expliquent    parfaitement     d'après    ce    système,    les    deux' 
phrases    étant  construites    sur   l'échelle   ci-après,  formée  de 
tétracordes  conjoints  :  La  si  \{  si  b  ré,  ré  mi  b  mi  1;  sol. 

Le  mode,  dans  les  deux  cas,  reste  le  dorien  initial,  basé 
sur  la  dominante  la. 

Quant  à  la  coexistence  du  nti  bémol  et  du  mi  naturel  dans 
la    première    et   la    dernière    strophe,    elle    s'explique    non 


66 


LE  MENESTREL 


moins  naturellement  par  la  pratique  du  système  immuable, 
ces  deux  notes  correspondant  aux  si  bémol  et  si  bécarre  de 
l'échelle  naturelle. 

Au  sujet  de  l'interprétation  modale  de  l'hymne  à  Apollon, 
j'ai  à  faire  une  petite  querelle  à  M.  Théodore  Reinach,  car 
il  me  semble,  lui  si  parfaitement  irréprochable  au  point  de 
vue  de  la  notation,  y  avoir  -vu  ici  un  peu  moins  clair. 

Nous  sommes  d'accord  pour  la  première  et  la  dernière 
période  musicale,  qui  établissent  la  tonalité  générale  du 
morceau,  et  que  nous  attribuons  l'un  et  l'autre  au  dorien, 
«  le  mode  delphique  par  excellence  t>,  dit  avec  raison  M.  Rei- 
nach. Mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  périodes  inter- 
médiaires, où  il  y  a  modulation,  métabole,  pour  nous  servir  du 
terme  grec.  Dans  un  passage  très  confus,  et  dont  je  relèverai 
tout  à  l'heure  les  inexactitudes  les  plus  évidentes,  M.  Rei- 
nach, après  avoir  examiné  la  possibilité  de  classer  les  repri- 
ses diatoniques  secondaires  dans  le  mode  dorien  (auquel 
j'ai  démontré  qu'elles  appartiennent  en  eiîet),  finit  par  dé- 
clarer que  ces  reprises  sont  en  mixolydien,  gamme  de  si 
avec  mi  pour  tonique.  Il  est  vrai  que  le  mi  a  une  grande  im- 
portance dans  ces  fragments  ;  mais,  par  contre,  le  si  n'en  a 
aucune,  tandis  que  le  la  est  exprimé,  rarement  il  est  vrai, 
mais  d'une  façon  tellement  caractéristique  qu'il  ne  peut  être 
douteux  que  la  quinte  modale  soit  composée  des  notes  la  mi. 
La  terminaison  de  la  plupart  des  périodes  sur  mi  est  d'ailleurs 
une  raison  concluante.  M.  Reinach  objecte  que  la  règle 
concernant  la  terminaison  «  est  naturelle  pour  la  cadence 
finale  d'une  cantilène  entière,  mais  qu'il  n'y  a  pas  de  rai- 
sons pour  l'appliquer  uniformément  à  toutes  les  reprises 
intérieures.  »  L'examen  de  tous  les  restes  de  la  musique 
grecque  prouve  au  contraire  que,  si  les  reprises  intérieures 
ne  s'achèvent  pas  forcément  sur  la  fondamentale  du  mode, 
cette  terminaison  est  au  contraire,  et  de  beaucoup,  la  plus 
fréquente,  —  et  nous  trouvons  un  exemple  de  celte  double 
disposition  dans  les  phrases  mêmes  de  l'hymne  delphique, 
dont  une  finit  sur  sol,  mais  toutes  les  autres  sur  la  note  mo- 
dale mi.  Enfin,  le  mixolydien  est  le  mode  Ihivnoclique  par 
excellence,  celui  des  chants  funéraires  et  des  déplorations 
dans  la  tragédie  :  fût-ce  pour  cette  seule  raison,  l'idée  en 
aurait  dû  être  écartée  tout  d'abord,  car  il  n'est  pas  admissible 
qu'un  mode  ayant  une  pareille  expression,  un  pareil  ethos, 
ait  été  choisi  pour  rendre  hommage  à  Apollon  en  son  temple 
consacré. 

«  Quant  à  la  détermination  du  mode  des  reprises  chroma- 
tiques, outre  qu'elle  est  extrêmement  difficile,  je  la  crois  assez 
oiseuse,  le  compositeur  ne  s'étant  probablement  pas  même 
posé  la  question.  »  Ainsi  s'exprime  encore  M.  Reinach.  L'on 
a  pu  voir  que  l'analyse  modale  de  ces  reprises  n'était  pas  si 
difficile,  et  pouvait  donner  lieu  à  des  résultats  parfaitement 
positifs.  Mais  ce  contre  quoi  je  ne  puis  trop  protester,  c'est 
que  ce  soit  «  chose  assez  oiseuse,  le  compositeur  ne  s'étant 
probablement  pas  même  posé  la  question.  »  Voilà  vraiment 
une  singulière  théorie  !  Eh  quoi  1  Ce  musicien  couronné  aux 
agones,  auteur  d'une  œuvre  jugée  digne  d'être  gravée  sur  le 
marbre  et  transmise  à  la  postérité  la  plus  reculée,  il  aurait 
composé  dans  un  mode  sans  savoir  lequel?...  Vraiment,  ce  n'eût 
pas  été  la  peine  que  les  Grecs  eussent  des  théories  musicales 
si  complexes  si  leurs  lauréats  les  ignoraient I  Et  d'ailleurs, 
admettons  cette  invraisemblable  ignorance  :  la  musique  en 
serait-elle  moins  dans  un  mode?  Car  il  est  impossible  dp 
concevoir  une  musique  qui  n'appartiendrait  à  aucun  mode.  On  est 
dans  un  mode  comme  M.  Jourdain  faisait  de  la  prose,  sans 
le  savoir  I  C'est  à  nous,  si  la  chose  en  vaut  la  peine,  de  cher- 
cher à  déterminer  ce  mode,  —  et  nous  le  pouvons  toujour?. 

Mais  la  grande  cause  d'erreur  chez  M.  Théodore  Reinach, 
c'est  qu'il  se  méprend  sur  la  véritable  signification  des 
modes  grecs,  et  qu'au  lieu  de  faire  appel  au  sentiment 
musical  il  cherche  à  les  déterminer  par  des  indices  extérieurs 
très  insuffisants.  Je  le  cite  encore  :  «  Les  critères  sur  lesquels 
on  se  fonde  d'ordinaire  pour  déterminer  le  mode  :  fréquence 


de  la  mèse,  cadence  sur  l'hypate,  impression  générale...  »  On 
le  voit,  l'impression  générale  est  reléguée  au  troisième  plan. 
Or,  n'est-ce  pas  essentiellement  1'  «  impression  générale  » 
qui  permet  de  distinguer  un  mode  d'un  autre  ?  Les  traités  de 
solfège  indiquent  des  moyens  de  reconnaître  à  la  vue  si  un 
morceau  est  en  majeur  ou  en  mineur:  mais  ce  qui  vaut 
mieux,  c'est  la  plus  simple  audition,  —  et  c'est  là  qu'est  le  vrai 
critérium.  Cela  est  d'autant  plus  vrai  que  les  règles  sur  les- 
quelles s'appuie  M.  Reinach  sont  parfaitement  chimériques.  Sa 
seule  et  unique  autorité  est  une  phrase  d'Aristote,  très  obs- 
cure, en  tout  cas  fournissa-jt  des  données  très  incomplètes  et 
que  voici: 

«  Pourquoi,  si  un  musicien,  après  avoir  accordé  les  autres 
cordes  de  la  lyre,  dérange  la  seule  mèse  (la),  et  qu'il  joue  de 
son  instrument,  éprouvons-nous  un  sentiment  de  peine  et  de 
discordance,  non  seulement  lorsqu'il  touchera  la  mèse,  mais 
encore  dans  le  reste  de  la  mélodie,  tandis  que  s'il  avait 
dérangé  la  lichanos  (sol)  ou  tout  autre  son,  cette  impression  ne 
se  produirait  que  lorsqu'il  se  servirait  de  la  corde  faussée?  » 

La  réponse  est  que  «  la  mèse  est  la  note  qui  revient  le  plus 
souvent  dans  les  mélodies  bien  construites  :  tous  les  bons 
compositeurs  y  ont  fréquemment  recours  ;  alors  même  qu'ils 
s'en  écartent  ils  ont  hâte  d'y  revenir.  De  même,  lorsqu'on 
fait  disparaître  du  discours  certaines  conjonctions,  telles  que 
-s  et  v.y.i,  par  exemple,  ce  qui  reste  ne  sera  plus  un  langage 
hellénique,  etc.  ». 

Pour  comprendre  ce  passage  il  faut  savoir  que  les  mots  mèse, 
lichanos,  hypale,  sont  les  noms  des  cordes  delà  lyre,  correspon- 
dant, dans  l'échelle  naturelle,  à  la,  sol,  mi.  S'il  fallait  inter- 
préter ce  texte, —  d'ailleurs  unique,  et  émanant  d'un  philosophe 
qui  considérait  les  choses  musicales  d'une  façon  plus  générale 
que  précise,  tandis  que  nous  ne  trouvons  aucune  donnée 
équivalente  chez  les  véritables  théoriciens  musicaux,  —  s'il 
fallait,  dis-je,  l'interpréter  avec  la  même  rigueur  que  M.  Rei- 
nach, et  voir  dans  la  mèse  un  équivalent  de  la  moderne  toni- 
que, il  en  résulterait  que  tous  les  modes  grecs  auraient  pour 
tonique  la.  Alors,  qu'est-ce  qui  les  distinguerait  les  uns  des 
autres?...  L'hypothèse  se  détruit  par  elle-même.  —  Plus  loin 
M.  Reinach  parle  de  «  la  règle,  nulle  part  formulée,  que  la 
mélodie  s'achève  sur  l'hypate  (mi)  ».  Je  le  crois  bien,  que 
cette  règle  n'est  nulle  part  formulée,  car  elle  est  aussi  fausse 
que  la  précédente.  La  vérité  est  que  la  mèse  ne  joue  le  rôle 
de  tonique  que  dans  les  harmonies  doriennes  (modes  dorien 
et  hypodorien)  et  que  Vhypate  n'est  finale  que  dans  le  seul 
dorien.  Si  donc  le  problème  d'Aristote  a  un  sens  au  point  de 
vue  modal  (ce  qui  n'est  pas  prouvé),  il  faut  admettre  que  le 
philosophe  a  sous-entendu  ces  mots  :  «  Dans  l'harmonie 
dorienne  »  ,  ce  qui  n'est  pas  impossible ,  vu  l'importance 
caractéristique  de  cette  modalité  chez  les  Grecs  aux  temps 
classiques. 

Notons  au  passage  que  si  la  mèse  (la)  joue  un  tel  rôle  dans 
le  mode  dorien,  cela  corrobore  l'opinion  que  ce  mode  est 
basé  sur  la  dominante  plutôt  que  sur  la  tonique.  L'analyse 
des  deux  hymnes  delphiques  le  confirme  pleinement.  Au 
reste,  il  n'est  pas  interdit  de  supposer  que  la  mélopée  antique 
se  prêtait,  à  cet  égard,  à  beaucoup  plus  de  libertés  que  notre 
musique  harmonique  moderne,  et  qu'un  même  mode  pou- 
vait osciller  entre  deux  tons  voisins;  en  effet,  il  est  telle  autre 
phrase  musicale  qui  viendrait  à  l'appui  de  la  thèse  favorable 
au  mi  tonique:  je  veux  parler  de  la  mélopée  dorienne  de 
V Hymne  à  la  Muse,  où,  le  mi  restant  note  fondamentale,  le  si 
tient  une  place  beaucoup  plus  considérable  que  le  la. 

J'ai  dit  qu'il  n'était  pas  prouvé  que  le  passage  d'Aristote 
ait  la  signification  qu'on  lui  attribue  au  point  de  vue  modal. 
Je  crois  en  effet  que  M.  Gevaert  en  a  trouvé  le  véritable  sens 
en  constatant  que,  si  la  jîiè.se  joue  un  certain  rôle  dans  toutes 
les  mélodies,  c'est  qu'étant  placée  au  centre  de  l'échelle  géné- 
rale de  deux  octaves,  elle  est  la  seule  note  qui  figure  dans 
toutes  les  gammes  de  huit  notes  prises  dans  cette  échelle: 
de  là  son  importance,  qui  est  tout  occasionnelle. 


Lt:  MÉ.^ESTREL 


67 


L'on  voudra  bien  observer  aussi  qu'en  assimilant  la  mèse  à 
la  conjonction,  Ari«tote  lui  attribua  un  rôle  parfaitement 
mondain.  Si  l'on  voulait  poursuivre  cette  comparaison 
grammaticale,  ce  n'est  pas  à  la  conjonction  qu'il  faudrait 
associer  la  tonique,  mais  au  verbe  ou  au  substantif,  les  mots 
essentiels  du  discours. 

Un  autre  auteur  dit  que  la  mèse  sert  de  base  à  l'accord  de 
la  lyre,  et  M.  Reinacb,  après  l'avoir  cité,  dit  :  «  Le  fait  que  la 
mèse  est  prise  pour  diapason  révèle  son  caractère  de  tonique.  » 
Vraiment?  Alors,  diapason  et  tonique,  cela  est  la  même 
chose?  Je  vois  un  autre  intérêt  dans  le  passage  en  question, 
celui  de  constater  que  l'usage  de  prendre  le  la  comme  dia- 
pason était  déjà  pratiqué  chez  les  Grecs,  et  cette  survivance 
est  intéressante  à  relever;  mais  ni  celte  dernière  phrase  ni 
celle  d'Aristote  n'ont  une  valeur  suflBsante  pour  nous  faire 
douter  des  données  acquises,  avec  lesquelles  elles  sont  en 
contradiction. 

J'ai  cru  devoir  présenter  ces  objections,  afin  qu'il  en 
puisse  être  tenu  compte  lors  des  futures  études  sur  la  mu- 
sique grecque  auxquelles,  il  faut  bien  l'espérer,  de  nouvelles 
découvertes  donneront  encore  lieu. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


BULLETIN   THEATRAL 


DÉJAZEI.  Un  Voyage  à  Venise,  folie-vaudeville  en  3  actes,  de  MM.  M.  Froyez  et 
G.  Laine,  musique  de  M.  A.  Renaud.  —  Eldobado.  Le  Royaume  des  femmes . 
opérette  en  3  actes  et  6  tableaux,  de  MM.E.  Blum  et  P.  Ferrier,  musique 
de  M.  G.  Serpette.  —  Bolffes- Parisiens.  Ninette,  opéra-comique  en  3  actes, 
de  M.  Ch.  Clairville,  musique  de  M.  Ch.  Lecocq. 

A  Déjazel,  théâtre  populaire  planté  en  un  quartier  populaire, 
MM.  Froyez  et  Laine  n'onl  point  essayé  de  dissimuler  sous  un  titre 
pompeux  les  trois  actes  qu'ils  donnaient  en  pâture  à  la  joie  de  leur 
public  spécial.  Folie- vaudeville  onl-ils  bravement  fait  imprimer  sur 
les  colonnes  Morris  et,  de  fait,  dans  un  Voyage  à  Venise  c'est  la  folie 
qui  l'emporte  sur  la  raison.  Pour  ces  sortes  de  pièces,  il  faut,  du  côté 
des  auteurs,  une  ample  provision  de  gaîté  naturelle,  le  sentiment  du 
mouvement  scénique  excessif,  et  l'habile  maniement  du  jeu  des 
courses  désordonnées,  des  gifles  et  des  coups  de  pied  lancés  au  bon 
moment  ;  du  côté  des  interprètes,  des  jarrets  d'acier  et  un  entraîne- 
ment spécial  qui  se  réclame  tout  autant  du  Gymnase  que  du  Conser- 
vatoire. Tous  ont,  cette  fois,  très  bien  mérité  les  applaudissements 
et  les  éclats  de  rire  des  spectateurs;  pour  preuve,  l'étonnant  second 
acte,  avec  son  double  escalier  d'un  hôtel  de  Venise,  où  l'amusante 
incohérence  bat  son  plein,  alors  que  le  jeune  Boisgonflé,  tnarié  de  la 
veille,  est  relancé  par  deux  anciennes,  par  beau-papa  et  belle-ma- 
man, par  un  ami  gaffeur  et  par  un  mari  jaloux. 

Vil  Voyage  à  Venise,  agrémenté  de  quelques  couplets  faciles  de 
M.  Albert  Renaud,  est  joué  comme  il  convient  par  MM.  Violette, 
Bouchet,  Monval,  Roux,  Lineuil,  M™^'^  d'Orville,  Alix,  Régnier  et 
Dumont. 

Du  Royaume  des  femmes,  il  n'y  a  pas  grand'chose  à  dire  ;  on  connaît 
la  pièce  pour  l'avoir  vue,  il  y.  a  quelques  années  seulement,  aux 
Nouveautés,  et  MM.  Blum  et  Ferrier,  aidés  de  M.  Serpette,  n'ont  pu 
rendre  bien  fameux  ces  trois  actes  de  Cogniard,  que  Toché  avait 
déjà  essayé  de  rajeunir.  Ce  qu'il  faut  retenir  avant  tout  de  cette 
représentation,  c'est  le  coup  d'audace  très  méritoire  de  M.  Marchand 
le  directeur,  enlevant  au  café-concert  un  de  ses  temples  consacrés. 
Avec  les  ressources  budgétaires  que  lui  fournissent  et  les  Folies- 
Bergère  et  la  Scala,  avec,  à  la  tête  d'un  bon  orchestre,  un  chef  tel 
que  M.  Thibault,  avec  des  artistes  comme  la  toujours  charmante 
Mily-Meyer,  comme  l'amusante  M"''  Mathilde,  comme  la  roucoulante 
M"'"  Simon-Girard  et  comme  le  comique  Sulbac,  avec  l'évident  désir 
de  bien  faire,  luxueusement  même,  il  y  a  gros  à  parier  que,  d'ici 
peu,  M.  Marchand  aura  mis  sa  très  Coquette  salle  à  la  tête  des 
théâtres  d'opérette  de  Paris.  Il  y  a  là  une  bonne  place  à  prendre; 
M.  Marchand,  qui  est  un  malin,  doublé  d'un  heureux,  ne  la  laissera 
pas  au  voisin. 

Mais  voilà  qu'un  autre  champion  se  lève  qui  semble  vouloir  redon- 
ner aux  Bouffes-Parisiens  la  place  prépondérante  que  longtemps  ils 
occupaient  de  si  brillante  façon  au  premier  rang  des  théâtres  du  mu- 
sique légère.  Lui  aussi  il  a  à  sa  disposition   un    chef  d'orchestre, 


M.  Baggers,  avec  lequel  on  peut  faire  de  petites  choses  fort  artisti- 
ques ;  il  a  du  goût  et  n'a  l'air  de  vouloir  ménager  ni  son  activité, 
ni  son  argent  ;  il  a  également  une  troupe  fort  agréable  dont  le  bien 
chantant  M.  Piccaluga,  la  charmante  M"'=  Bonheur,  MM.  Barrai, 
Taufîenberger,  Bartel  etDimcan,  un  nouveau  venu  de  ténorino  agréa- 
ble, forment  la  base  solide;  enfin,  du  Jour  au  lendemain,  il  crée  des 
étoiles,  telle  M""=  Germaine  Gallois  qui,  dorénavant,  à  ses  succès  de 
jolie  femme  et  de  gracieuse  comédienne,  pourra  joindre  ceux  de 
chanteuse  à  la  voix  sympathique  et  fort  gentiment  conduite.  Donc 
M.  Georges  Grisier  inaugure  sa  nouvelle  direction  aux  Bouffes  avec 
le  vent  en  poupe  ;  et  les  soins  précieux  et  le  luxe  de  bon  goùl  avec 
lesquels  il  a  monté  Ninette  nous  sont  un  sûr  garant  de  ce  qu'il  fera 
dans  l'avenir. 

Cette  Ninette,  dont  M.  Clairville  a  fourni  la  pièce  et  M.  Lecocq  a 
écrit  la  musique,  est  un  véritable  opéra-comique  tel  qu'on  le  comprenait 
autrefois,  tenant  le  juste  milieu  entre  le  genre  en  honneur,  aujourd'hui 
à  la  place  du  Châlelet  et  l'opérette  moderne.  Livret  et  partition  ^nt  de 
tenue  correcte,  aimable,  d'inspiration  tranquille  çt  de  faire  distingué. 
Si  rien  n'arrête  très  particulièrement  l'attention  du  spectateur,  tout 
est  plaisant  à  écouter  et  le  plaisir  des  oreilles  se  trouve  augmenté  de 
celui  des  yeux  tant  la  mise  en  scène  est  heureuse  et  chatoyante.  On 
a  beaucoup  bissé,  entre  autres  numéros,  une  chanson  militaire  de 
rythme  franc,  un  duetto  «  Tant  de  charmes,  d'attraits  »  qui  contient 
un  plaisant  temps  de  valse,  et  des  couplets  «  Sache  oublier  Ninon  »,  à 
travers  lesquels  passe  comme  un  ressouvenir  discret  de  la  Manon  de 
Massenet,  ressouvenir  qu'on  pourrait  retrouver  en  plus  d'une  page, 
d'ailleurs  très  estompé.  On  aurait  pu  redemander  encore  les  couplets 
«  J'ai  pris  avec  ma  malle  »,  «  Mouzon  est  une  ville  forte  »  et  «  De 
votre  serin,  Sylvie  »  d'allure  plus  légère  et  de  tour  amusant. 

Ai- je  dit  que  la  Ninette  dont  il  est  ici  question,  n'est  autre  que 
Ninon  de  Lenclos,  et  qu'il  s'agit  d'une  intrigue  amoureuse  et  des 
plus  convenables  avec  Cyrano  de  Bergerac?  La  place  me  manque 
pour  en  vous  narrer  les  détails  ;  aussi  bien  ferez-vous  mille  fois 
mieux  d'y  aller  voir  !  Encore  une  fois,  votre  agrément  y  sera  double 
et  par  la  séduction  douce  de  l'opéra-comique  lui-même  et  par  le 
régal  du  spectacle. 

Pal'l-Émile  Chevalier. 


L'ORCHESTRE    DE 

(Suite.) 


LULLY 


Malheureusement,  Collasse,  fort  honnête  homme  d'ailleurs,  mais 
d'un  caractère  un  peu  fantasque,  une  fois  LuUy  mort  ne  s'entendit 
peut-être  pas  très  bien  avec  ses  héritiers  ;  de  sorte  qu'un  beau  jour 
il  quitta  la  maison  à  laquelle  son  maître  avait  voulu  l'attacher.  On 
refusa  de  lui  payer  sa  pension,  il  réclama,  voulut  plaider,  et  perdit 
son  procès  (1). 

Cela  ne  l'empêcha  pas,  toutefois,  de  continuer  de  «  battre  la  me- 
sure »  à  l'Opéra,  et  cela  ne  l'avait  pas  empêché  surtout  de  songer  à 
s'y  faire  jouer.  Lully  avait  commencé  la  composition  'd'un  ouvrage 
intitulé  Aclùlle  et  Polyxène,  dont  il  avait  écrit  seulemenl  l'ouverture 
et  le  premier  acte.  Collasse  semblait  d'autant  plus  naturellement 
désigné  pour  l'achever,  que  non  seulemenl  il  était  familier  avec  la 
manière  de  son  maître,  mais  que  celui-ci,  outre  ce  qu'il  avait  écrit  de 
complet,  avait  laissé  sans  doute  encore  les  esquisses  de  quelques 
morceaux  que.  mieux  que  personne,  il  pouvait  employer.  Il  termina 
donc  la  partition  d'Ac/iWe  et  Polyxène,  qui  fut  représenté  le  7  novembre 
168"  et  qui,  il  faut  le  constater,  n'obtint  aucun  succès.  Le  Mercure 
en  parlait  en  ces  termes  : 

»  On  a  commencé  à  jouer  icy  un  opéra  nouveau,  intitulé  Achille 
et  Polyxène.  L'ouverture  et  le  premier  acte  sont  de  la  composition  de 
feu  M.  de  Lully,  et  c'est  le  dernier  ouvrage  de  musique  qu'il  ait  fait 
avant  sa  mort.  Le  prologue  et  les  quatre  derniers  actes  ont  été  com- 
posez par  M"'  Collasse,  l'un  des  quatre  maislres  de  musique  de  la  cha- 


(1)  On  lit  à  ce  sujet  dans  la  Comparaison  de  la  musique  italienne  avec  la  musique 
française  :  —  «  Lully  prit  Collasse  (pour  remplacer  Lalouette),  qu'il  gardajusqu'à 
sa  mort,  et  dont  il  éloit  si  content,  qu'il  lui  laissa,  par  son  testament,  un  loge- 
ment et' cent  pistoles  de  pension.  Mais  Collasse  ayant  quitté  les  enlans  deLulli, 
ausquels  leur  père  avoit  prétendu  l'attacher,  ils  plaidèrent  ensemble,  et  Collasse 
perdit  sa  pension  et  son  logement.  Cependant  il  ne  perdit  pas  quantité  d'airs 
de  violon  de  Lulli,  qu'il  avoit  gardez,  et  dont  il  a  sçu  taire  un  bon  usage  dans 
les  Q«a(reS«îsons  et  ailleurs.  Souvent  Lulli  faisoit  un  jour  un  air  de  violon,  le 
lendemain  il  en  faisoit  un  secand  sur  le  même  sujet,  ce  second  lui  revenoit 
davantage.  Il  disoit  à  Collasse,  brûlez  l'autre,  et  Collasse  se  dispensoit  quelque- 
fois de  lui  obéir  scrupuleusement  ». 


68 


LE  MENESTREL 


pelle  du  Rot  et  élève  da  même  M.  de  Lully.  (Ici,  trois  pages  de 
rélicences,  qui  prouvent  que  l'écrivain  n'ose  pas  dire  tout  le  mal 
qu'il  pense  delà  musique  de  Collas  se.  Puis  il  reprend)...  L'un  veut  du 
vif,  l'autre  veut  du  languissant  ;  l'un  veut  rire,  l'autre  veut  pleurer, 
et  cela  est  cause  que  chacun  juge  de  la  beauté  d'un  ouvrage  de 
musique  selon  que  cet  ouvrage  est  conforme  à  son  goust.  Ainsi,  quoy 
que  je  puisse  dire  de  la  musique  de  M'  Collasse,  ce  que  j'en  dirois 
ne  serait  pas  généralement  receu,  et  un  particulier  ne  doit  jamais 
donner  sou  sentiment  pour  règle  sur  une  chose  dont  on  peut  juger  si 
difTéremmenf.  Je  puis  dire  pourtant  à  l'avantage  de  M'  Collasse, qu'il 
est  presque  impossible  qu'un  homme  qu'on  a  trouvé  assez  habile 
pour  remplir  une  des  quatre  places  de  maislre  de  musique  de  la  cha- 
pelle du  Roy,  et  qui  a  demeuré  pendant  plusieurs  années  avec  le 
fameux  M.  de  Lully,  n'ait  pas  beaucoup  de  ses  manières,  et  ne 
fasse  pas  de  belles  choses.  Aussi  je  vous  diray  qu'il  y  en  a  dans 
son  opéra,  et  qu'elles  ont  esté  applaudies  des  connoisseurs.  »  A  ce 
langage  tortueux  et  alambiqué,  il  est  facile  de  voir  que  l'écrivain 
n'était  pas  féru  de  la  musique  de  Collasse. 

Celui-ci  ne  devait  pas  tarder  à  prendre  sa  revanche.  Le  il  janvier 
1609,  sur  un  poème  de  Pontenelle,  il  faisait  représenter,  cette  ftiis 
entièrement  de  sa  main,  un  nouvel  ouvrage,  Tlic lis  et  Pelée,  dont  les 
trois  rôles  principaux  étaient  tenus  par  Duménil,  31"°  Le  Rochois  et 
Fanchou  Moreau,  et  dont  le  succès  fut  retentissant.  Le  Mercure, 
cette  fois,  paraissait  plus  content,  quoique  encore  un  peu  nébuleux  : 
(t  Les  habiles  connoisseurs,  disait-il,  asseurent  que  les  endroits  qui 
demandent  une  belle  musique  dans  cet  opéra,  sont  si  bien  poussez, 
qu'il  est  impossible  de  faire  mieux.  Le  reste  est  traité  comme  il  doit 
l'estre  dans  les  ouvrages  de  cette  nature,  et  il  seroit  assez  difficile  de 
faire  autrement.  Pour  la  symphonie,  elle  me  paroist  extrêmement 
applaudie  par  tous  ceux  qui  jugent  de  bonne  foy  et  sans  préoccu- 
pation. » 

Le  succès  de  Tliétis  et  Pelée  fut, tel  qu'on  fit  sept  reprises  de  cet 
ouvrage,  dont  la  dernière  eut  lieu  le  29  novembre  l'oO.  Il  y  avait 
longtemps  que  Collasse  élait  mori,  mais  son  collaborateur  Fonte- 
nelle,  alors  âgé  de  quatre-vingt-treize  an?,  assista  à  la  représenta- 
lion,  comme  il  avait  assisté  à  la  première  soixante  et  un  ans  aupa- 
ravant,  1). 

Collasse  fut  moins  heureux  avec  Enée  et  iarmie,  qu'il  donna  au  mois 
de  novembre  1690,  et  avec  Astrée,  dont  La  Fontaine  lui  avait  fourni 
le  livret,  et  qui  fut  représentée  juste  doux  ans  après,  en  novembre 
1692.  L'un  et  l'autre  tombèrent,  ou  à  peu  près.  Eu  ce  qui  concerne 
Aslrée  on  peut  croire,  de  l'aveu  même  de  La  Fontaine,  que  le  poème 
ne  valait  pas  mieux  que  la  musique,  car  on  a  raconté  à  son  sujet 
une  anecdote  assez  originale.  Le  fabuliste,  présent  à  la  représentation, 
s'y  trouvait  placé  dans  une  loge,  derrière  deux  dames  qui  ne  le 
connaissaient  point.  A  chaque  instant  il  donnait  des  marques  d'im- 
patience, se  répandait  en  exclamations  et,  sans  plus  se  soucier  des 
compagnes  que  le  hasard  lui  avait  données,  il  s'écriait  tout  haut  : 

—  C'est  absurde  !  c'est  détestable.  On  n'a  pas  idée  de  pareilles 
choses. 

A  la  fin,  les  dames,  un  peu  impatientées  a  leur  tour  par  les 
réflexions  de- ce  critique  peu  endurant,  se  tournent  de  son  côté  et 
lui  disent  : 

—  Mais,  monsieur,  cela  n'est  pas  si  mauvais.  D'ailleurs,  l'auteur 
est  un  homme  d'esprit  ;  c'est  M.  de  La  Fontaine. 

—  Eh  I  mesdames,  répond  notre  homme  sans  s'émouvoir,  la  pièce 
ne  vaut  pas  le  diable,  et  ce  La  Fontaine  dont  vous  parlez  est  un 
stupide.  Je  le  connais,  et  c'est  lui-même  qui  vous  parle. 

Bref,  il  s'ennuie  tellement  qu'il  sort  après  le  premier  acte,  quitte 
le  théâtre  et  va  s'endormir  au  café  Marion,  café  oîi  tout  le  beau 
monde  de  l'Opéra  allait  se  distraire  pendant  les  entr'actes.  Un  de  ses 
amis,  entrant  une  heure  après,  l'y  trouve  en  effet  profondément  en- 
dormi, et,  surpris  de  le  voir  ainsi,  s'écrie  : 

—  Comment  donc '?  La  Fontaine  ici!  Mais  ne  devriez-vous  pas 
être  à  la  représentation  de  voire  opéra  ! 

L'autre  s'éveille  à  demi,  et  tout  en  bâillant: 

—  J'en  viens,  dit-il.  Le  premier  acte  m'a  si  prodigieusement  en- 
nuyé queje  n'ai  pas  eu  le  courage  d'entendre  les  autres.  J'admire  la 
patience  des  Parisiens  (2). 

il)  "  On  a  remarqué  qu'à  la  reprise  de  cet  opéra,  le  29  novembre  1750,  Fon- 
tenelle  étoit  à  'amphithéâtre,  où  il  s'éloit  déjà  trouvé,  soixante  et  un  ans  au- 
paravant, et  qu'il  soupa  ce  jour-là  même  à  l'hôtel  du  l'Iessis-Chaiillon,  rue  des 
Bons-Enfans,  chez  le  petit-fds  de  M.  de  Nouant.  Ce  dernier  avoit  soixante  et 
dix  ans  lors  de  la  première  représentation  de  Tluitis  et  Pelée  en  1689,  à  laquelle 
il  avoit  lui-même  assisté  avec  Fontanelle,  et  lui  avoit  donné  à  souper  ce  jour-là. 
et  dans  le  même  hôtel.  »  (Anecdotes  dramatiques)'. 

(2)  C'est  à  propos  à' Aslrée  que  le  poète  Linières  fit  circuler  cette  chanson 
satirique  : 


Quelques  semaines  avant  l'apparition  à'Astrée,  le  1"''  septembre, 
Collasse  avait  fait  exécuter  à  Villeneuve-Saint-Georges,  devant  le 
Dauphin,  un  ballet  qu'on  aïait  précisément  intitulé  le  Ballet  de  Ville- 
neuve-Saiiil-Georges,  et  qui,  peu  de  jours  après,  fut  joué  à  l'Opéra. 
Collasse  ensuite  se  tient  coi  pendant  trois  années,  et  ce  n'est  que  lo 
18  octobre  1693  qu'on  le  voit  reparaître  à  la  scène,  avec  un  opéra- 
ballet  qui  avait  pour  titre  les  Saisoiu,  dans  lequel  il  avait  inséré  plu- 
sieurs morceaux  qu'il  tenait  de  Lully.  Mais  on  lui  avait  si  durement 
et  si  souvent  reproché  d'user  clandestinement  de  ce  procédé,  que 
cette  fois  il  agissait  ouvertement,  ainsi  que  le  prouve  cet  «  Avis  aux 
lecteurs  »  placé  en  tête  de  la  partition  : 

»  L'autheur  de  la  musique  de  ce  ballet  n'a  pas  jugé  à  propos  de 
mesler  la  musique  qui  est  de  feu  Monsieur  de  Lully  a.'^ec  la.  sienne.  Il 
reconnoist  avec  admiration  que  tout  ce  qui  est  de  cet  excellent 
homme  ne  doit  souffrir  aucun  meslange,  et  que  si  le  public  a  trouvé 
supportable  ce  qui  est  de  sa  composition  dans  les  représentations 
qu'on  en  a  faites,  c'est  que  l'on  a  (sic)  pas  le  temps  d'en  connoistre  la 
différence  dans  le  jeu  comme  sur  le  papier.  Il  a  sceu  que  ce  meslange 
déplairoit  à  la  famille  de  M.  de  Lully,  à  laquelle  il  est  fort  aise  de 
donner  (dans  toutes  les  occasions  qui  se  présenteront)  toutes  les 
marques  d'estime  et  de  respect  qu'il  a  pour  la  mémoire  de  cet  homme 
incomparable.   » 

La  partition  indique  donc,  à  chaque  morceau,  quel  en  est  l'auteur. 
Est-ce  à  cette  collaboration  posthume  de  Lully  que  Collasse  dut  l'heu- 
reux sort  de  son  nouvel  ouvrage?  Toujours  est-il  que  tev  Saisons 
obtinrent  un  succès  que  leur  auteur  ne  devait  plus  jamais  retrouver 
par  la  suite,  pas  même  avec  Ja.^on  ou  la  Toison  d'or,  qu'il  fit  repré- 
senter au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante,  et  que  le  poème  de 
Jean-Baptiste  Rousseau  ne  put  sauver  d'un  naufrage  à  peu  près 
complet.  Rousseau,  qui,  on  le  sait,  ne  brillait  ni  par  la  modestie  ni 
par  la  noblesse  du  caractère,  mit  cette  chute  sur  le  compte  de  Collasse, 
et  il  en  fut  à  ce  point  furieux  qu'il  fit  pleuvoir  sur  la  tète  de  son  col- 
laborateur une  grêle  d'épigrammes,  entre  autres  celle-ci,  adressée  à 
son  confrère  Longepierre,  qui  avait  eu  l'audace  grande  de  louer  les 
vers  des  Saisons,  dont  l'auteur  était  l'abbé  Pic: 

Toi  qui  places  impudemment 

Le  froid  Pic  au  haut  du  Parnasse, 

Puisses-tu,  pour  ton  châtiment, 

Admirer  les  airs  de  Collasse  ! 
Ce  Rousseau  était  un  homme  aimable  !  (1) 

(A  suivre).  Arthur  Pougin. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Le  dernier  programme  delà  Société  des  concerts  du  Conservatoire  ne  com- 
prenait que  deux  œuvres,  mais  quelles  œuvres,  de  quelle  valeur,  et  pourtant 
combien  différentes  entre  elles  !  C'était  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Beetho- 
ven —  la  Neuvième,  comme  on  dit  en  Allemagne  par  une  sorte  de  consécration 
du  chef-d'œuvre  —  et  la21i^  cantate  de  Jean-Sébastien  Bach.  Ces  deux  mer- 
veilles suffisaient  en  effet  à  former  et  à  emplir  à  elles  seules  un  superbe 
programme,  et  le  public  toujours   un  peu  trop  tranquille  du  Conservatoire 

Ah  !  que  j'aime  La  Fontaine 
D'avuir  fait  un  opéra  I 
Je  verrai  finir  ma  peine 
Aussitôt  qu'on  le  verra. 

Par  1  avis  d'un  fin  critique, 
Jem'en  vais  louer  boutique 
Pour  y  vendre  dessiftlets. 
Je  serai  riche  à  jamais. 

On  peut  deviner  sans  peine 
A  voir  parler  Céladon, 
Qu'il  nous  vient  de  La  Fontaine, 
Mais  non  celle  d'Hélicon. 
C'est  de  l'égout  du  Parnasse, 
Et  l'on  a  choisi  Collasse 
Pour  y  composer  des  airs 
Aussi  méchants  que  les  vers. 
(1)  Dans  un  dialogue  satirique  en  vers,  Rousseau  s'en  prenait  encore  à  Col- 
lasse. Evoquant  l'ombre  de  Lully,  il  la  faisait  sortir  de  son  tombeau  et  s'adres- 
ser en  ces  termes  à  l'infortuné  compositeur  : 

Tremble,  malheureux  plagiaire, 
C'est  l'ombre  de  Lully  qui  paroît  à  tes  yeux. 
Je  viens  revendiquer  les  vols  audacieux 
Que  Lu  m'as  osé  faire. 
On  peut  se  demander  pourquoi  Rousseau,  que  rien  n'y  forçait,  avait  consenti 
à  se  faire  le  collaborateur  d'un  artiste  qu'il  méprisait  et  insultait  de  la  sorte, 
d'ailleurs  en  si  piètres  vers. 


iti       i 


LE  MÉNESTREL 


69 


était  sans  doute  de  cet  avis,  car  rarement  on  l'a  pu  voir  plus  chaleureux, 
plus  vibrant  et  plus  enthousiaste.  Je  n'ai  point  à  revenir  sur  les  incompa- 
rables beautés  de  la  Symphonie  avec  chœurs,  aujourd'hui  suffisamment 
connue  et  jugée.  Je  me  bornerai  à  constater  son  excellente  exécution, 
confié,  pour  les  soli.  à  MM.  AVarmbrodt  et  Auguez,  à  M^^^^^  Eléonore  Blanc 
et  Denis.  Tous:  orchestre,  chœurs,  solistes,  ont  fait  vaillamment  leur 
devoir,  sans  une  hésitation,  sans  une  défaillance,  avec  un  ensfmble,  une 
sûreté,  une  vigueur  qui  leur  font  le  plus  grand  honneur.  Cela  était 
superbe,  et  digne  en  tout  point  du  maître  immortel.  —  Après  les  compli- 
cations de  la  symphonie  (complications  qui  nous  pariassent  jeux  d'enfants 
auprès  de  ce  qu'on  ne  craint  pas  de  nous  faire  entendre  aujourd'hui),  on 
eût  pu  croire  que  la  cantate  de  Bach  paraîtrait  pale  en  sa  simplicité  char- 
mante. Il  n'en  a  rien  été,  bien  au  contraire.  Ici,  pourtant,  point  d'effets 
d'orchestre,  un  orchestre  même  incomplet,  ne  comprenant  ni  flûtes  ni 
clarinettes,  parfois  même  un  seul  instrument  pour  accompagner  le  chant  ; 
et  avec  ces  moyens  volontairement  restreints,  le  vieux  Bach  a  écrit  une 
œuvre  absolument  délicieuse,  d'une  couleur  et  d'une  grâce  enchanteresses. 
C'est  qu'aussi,  il  faut  bien  le  dire,  il  a  mis  là-dodans  des  idées,  ce  dont 
quelques-uns  de  nos  jeunes  musiciens  s'embarrassent  fort  peu,  c'est  que 
la  mélodie,  puisqu'il  faut  l'appeler  par  son  nom,  c'est  que  la  mélodie 
coule  à  pleins  bords,  et  que  l'inspiration  ne  faiblit  pas  un  instant.  Aussi 
fallait-il  voir  la  joie  du  public  à  l'audition  de  cette  musique  si  fraîche,  si 
limpide,  si  caressante  de  cette  musique  qui  est  de  la  musique  enfin,  et  non 
un  problème  de  contrapontiste  ou  un  défi  jeté  aux  oreilles  les  moins  déli- 
cates. L'enchantement  a  commencé  avec  le  délicieux  air  de  soprano  : 
Larmes,  plaintes,  soupirs,  qui  n'est  qu'une  sorte  de  duo  de  la  voix  avec  le 
hautbois,  uniquement  accompagné  par  les  basses,  et  qui  a  valu  comme 
une  sorte  de  triomphe  à  M""  Blanc  et  à  M.  Gillet;  cela  a  continué  avec  un 
chœur  plein  de  fraîcheur,  puis  avec  un  récit  en  duo,  sorte  de  dialogue 
d'une  couleur  exquise,  soutenu  seulement  par  l'orgue  et  quelques  notes 
de  basses,  enfin  avec  un  air  de  ténor  gracieux  et  frais  :  Mon  cœur,  sois  en 
fêle,  d'un  rythme  plein  de  franchise,  accompagné  aussi  par  l'orgue,  avec  les 
basses,  et  que  M.  Warmbrodt  a  dit  d'une  façon  charmante.  En  résumé, 
l'ensemble  est  délicieux  et  l'effet  a  été  grand,  grâce  à  la  beauté  de  l'œu- 
vre, à  son  exécution  générale  et  aux  quatre  artistes  chargés  de  l'interpré- 
Irer,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez,  M"=*  Eléonore  Blanc  et  M.  Dupuy. 

A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  Le  3'-  acte  du  Crépuscule  des  Dieux,  qui  a  été 
exécuté  presque  intégralement,  présente,  dans  sa  seconde  moitié,  les  situa- 
tions les  plus  pathétiques  dont  Wagner  ait  doté  le  théâtre  :  la  mort  de 
Siegfried,  suivie  de  cette  marche  fameuse  qui  recule  l'horizon  que  la  mu- 
sique nous  avait  ouvert  sur  les  profondeurs  tragiques,  et  le  sacrifice  de 
Brunehild,  mort  triomphale,  celle-là,  sans  angoisses,  puisqu'elle  s'achève 
en  apothéose  sur  les  thèmes  glorieux  de  la  tétralogie.  Les  deux  autres 
scèues,  moins  robustes  et  moins  consistantes,  supportent  cependant  fort 
bien  l'épreuve  du  concert,  mais,  leur  musique  étant  moins  impérieuse- 
ment imposante,  on  sent  que  des  décors  et  une  action  ne  lui  nuiraient  pas. 
M"«  Elise  Kutscherra  chante  d'une  façon  un  peu  gutturale  et  avec  un 
accent  d'outre-Rhin  les  germanismes  de  l'œuvre  wagnérienne  ;  sous  cette 
réserve,  on  peut  vanter  l'énergie  de  sa  diction  souvent  chaleureuse  et 
l'ampleur  de  sa  voix  quand  les  notes  lui  sont  favorables.  M'""  Auguez  de 
Montalant,  M"«  Texier  et  Planés  forment  un  excellent  trio  de  filles  du 
Rhin.  M.  Cazeneuve  peut  être  considéré  comme  excellent  jusqu'à  la  décou- 
verte du  ténor  rêvé  qui  saura  dire  avec  distinction  les  phrases  musicales 
du  rOile  de  Siegfried  que  Wagner  a  faites  élégantes,  malgré  leur  allure 
sauvage  et  leur  apparente  vulgarité.  Il  y  a  de  la  race  des  dieux  chez  le 
héros  wagnérien.  MM.  Edwy  et  'VieuîUe  ont  tenu  convenablement  leur 
place  dans  l'ensemble.  La  page  la  plus  poignante  de  Wagner,  sa  marche 
funèbre,  a  pour  point  de  départ  celle  de  Beethoven  dans  la  Symphonie 
héroïque.  Ne  soyons  donc  pas  ingrats  pour  le  maître  sans  lequel  Wagner 
eût  été  impossible.  L'accueil  froid  qui  a  été  fait  au  concerto  en  mi  bémol, 
œuvre  d'une  richesse  inouïe  d'inspiration,  d'une  tendresse  et  d'une  puis- 
sance d'émotion  inoubliable  dans  l'adagio,  d'un  élan  et  d'une  verve  qui 
n'ont  jamais  été  dépassés  dans  le  finale,  cet  accueil  est  injuste  autant 
qu'attristant.  M.  Edouard  Risler  avait  pourtant  joué  ce  chef-d'œuvre  en 
véritable  artiste,  avec  une  maestria  superbe  et  un  sentiment  exquis  dans 
les  passages  de  douceur  et  de  grâce,  mais  on  pensait  à  autre  chose,  et 
l'orchestre  n'a  pas  été  irréprochable.  N'importe  ;  M.  Kisler  a  triomphé 
personnellement,  on  l'a  applaudi  quand  on  aurait  dû  l'acclamer,  c'est  la 
faute  de  Beethoven  qui  a  mis  trop  de  génie  dans  le  5'^'  concerto.  Il  faut 
monter  encore  pour  être  à  la  hauteur,  sursum  corda.  La  belle  ouverture  de 
Pairie,  Héves  de  AVagner,  et  trois  fragments  de  Jocelyn,  de  B.  Godard, 
complétaient  le  programme.  Amédée  Bodtarel. 

—  Concert  Lamoureux. —  Que  de  fois  l'avons-nous  dit  et  répété:  les 
fragments  d'œuvres  théâtrales  ne  peuvent  que  perdre  naturellement  a 
être  interprétés  dans  les  concerts;  celles-ci  n'y  sont  pas  dans  leur  cadre. 
L'auditoire  a  beau  avoir  sous  les  yeux  un  texte  explicatif,  cela  ne  lui 
suffit  pas.  Le  deuxième  tableau  du  premier  acte  de  Circé,  opéra  de 
M.  Théodore  Dubois  pourrait,  sans  doute  produire  un  grand  effet  à  la 
scène,  la  figuration  et  le  mouvement  dramatique  aidant.  Au  Cirque  d'été, 
il  ne  pouvait  prétendre  l'i  se  montrer  sous  tous  ses  avantages:  le  public 
a  bien  senti  qu'il  était  en  présence  d'une  œuvre  de  valeur,  consciencieuse- 
ment  écrite   par    un    musicien    de    talent   (le   prélude    symphonique    de 


ce  fragment,  avec  ses  belles  sonorités  et  ses  harmonies  curieuses,  a 
grande  allure)  ;  mais  il  était  évidemment  dérouté  par  une  action  que 
rien  ne  préparait  et  que  rien  ne  suivait,  par  un  épisode  dont  le 
livret   lui-même    n'expliquait   pas    le    rôle   dans   un   sujet  resté   inconnu. 

—  C'est  pire  encore  quand  il  s'agit  d'œuvres  telles  que  Siegfried  et  le 
Crépuscule  des  Dieuœ,  de  Wagner.  On  peut  contester  le  système  musi- 
cal de  Wagner.  Il  a  ses  admirateurs  exclusifs,  comme  il  a  ses  détrac- 
teurs absolus.  Il  serait  plus  sage  de  reconnaître  les  beautés  de  son  œuvre, 
tout  en  signalant  ses  défauts.  Il  avait  eu  une  idée  géniale  :  il  voulait 
faire  du  théâtre  la  synthèse  de  tous  les  arts  :  la  poésie,  la  musique,  la 
décoration  picturale  devaient,  selon  lui,  former  un  tout  indissoluble.  Il 
avait  même  conçu  une  disposition  particulière  de  son  orchestre,  un  sys- 
tème particulier  d'éclairage  du  théâtre  et  de  la  scène.  S'il  était  encore  de 
ce  monde,  il  ferait  une  fière  grimace  en  voyant  ses  œuvres  découpées, 
jouées  dans  des  conditions  qu'il  n'avait  pas  prévues,  et  il  rirait  bien  de  ce 
public  qui  se  pâme  par  conviction  ou  par  genre,  croyant  entendre  du 
vrai  Wagner,  alors  qu'il  n'entend  que  du  Wagner  travesti.  .l'ai  connu  un 
monsieur  qui  avait  entendu    trente   fois  Parsifal  à  Bayreuth  et  était  resté, 

—  du  moins  le  croyait-il, —  sain  d'esprit.  C'est  qu'il  avait  entendu  Parsifal 
dans  les  conditions  voulues  par  l'auteur.  Laissons  donc  l'opéra  au  théâtre, 
et  que  les  grands  concerts  se  contentent  démettre  à  leur  répertoire  la  sym- 
phonie, l'oratorio,  et  les  œuvres  faites  pour  le  concert.  Tout  le  monde, 
les  œuvres  elles-mêmes,  y  gagneront.  Vraiment,  je  plaignais,  de  tout  mon 
cœur  M.  Lafarge  et  M'»=  Jane  Marcy,  deux  artistes  de  grand  talent, 
luttant  contre  un  orchestre  formidable  que  l'auteur  n'avait  fait  formidable 
qu'à  la  condition  qu'il  serait  établi  dans  une  sorte  de  sous-sol,  de  façon 
à  permettre  au  chanteur  de  chanter  et  d'être  entendu. —  Combien,  à  coté 
de  ces  œuvres  touffues,  il  a  été  doux  d'entendre  la  symphonie  en  fa  de 
Beethoven,  et  cette  délicieuse  Invitation  à  la  Valse,  de  Weber,  si  admira- 
blement et  si  sobrement  orchestrée  par  Berlioz.  H.  Barbedette. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  même  programme  que  dimanche  dernier. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  la  Princesse  Jaune  (Saint-Saëns).  — 
Les  Landes  (Guy  Ropartz).  —  Rèces  (R.  Wagner),  par  M»"  Kutscherra.  —  Con- 
certo en  ta  mineur  pour  piano  (Schumann),  par  M.  L.  Diémer.  —  Deuxième 
partie  du  troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner),  soU  par  MM.  Cazeneuve, 
Edwy,  Vieuilie,  M-e-  Kutscherra,  Marguerite  Mathieu,  Texier  et  Planés.  —  La 
Chevauchée  des  Walkyrics  (Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Symplionie  en  fa  (Beetho- 
ven). —  Deuxième  tableau  du  premier  acte  de  Circé  (Théodore  Dubois),  par 
M"' J.  Marcy  (.Miguela),  M.  Lafargue  (Fray  Juanito),  M.  Bailly  (Hernandez), 
M.  Blancard  (Fray  Domingo).  —  Les  Chants  tie  la  Forge,  du  premier  acte  de 
Siegfried  (Wagner)  :  Siegfried,  M.  Lafargue.  —  Scène  finale  du  troisième  acte  du 
Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  :  Brunhilde.  M""  J.  Marcy.  —  L'Invitation  à  la  valse 
(Weber),  orchestrée  par  Berlioz. 

Concerts  du  Palais  d'Hiver.  Chef  d'orchestre  Louis  Pister  :  Rienzi,  ouverture 
(Wagner).  —  Vision  de  Jeanne  d'Arc  (Gounod).  —  Thamara,  prélude  (Bourgault- 
Ducoudray).  —  Ballet  persan,  première  audition  (Moussorgski).  —  Le  Songe  d'une 
nuit  d'été  (Mendelssohn).  —  La  Zamacueca  (Th.  Ritter).  —  Polonaise  (V.  Joncières). 

—  La  seconde  séance  du  quatuor  Nadaud-Gibier-Trombetta-Cros-Saint- 
Ange,  qui  a  eu  lieu  avec  le  concours  de  M.  Risler,  était  entièrement 
consacrée  à  la  musique  russe  et  présentait  un  très  vif  intérêt.  Elle  s'ou- 
vrait par  le  deuxième  quatuor  à  cordes  de  Borodine,  dont  le  Notlurno  (n°  3j 
est  charmant  et  d'une  allure  vraiment  originale.  La  sonate  de  Rubinstein 
pour  piano  et  violon  (op.  19),  que  MM.  Risler  etNadaud  ont  jouée  ensuite 
d'une  façon  remarquable,  est  une  œuvre  magistrale,  d'un  caractère  superbe 
et  plein  de  grandeur,  après  laquelle  M.  Risler  nous  a  fait  entendre,  avec 
un  plein  succès,  une  pièce  charmante  de  Tschaïkowsky,  Doumka  (scène 
rustique  russe),  d'une  conception  étrange  et  curieuse,  et  d'un  effet  infail- 
lible. Le  programme  se  terminait  par  une  série  de  pièces  pour  instruments 
â  cordes  de  M.  Alexandre  Glazounow,  Novellettes  (op.  13),  dont  deux  sur- 
tout sont  charmantes:  Vlnterludum  in  modo  anlico,  qui  est  d'une  poésie  péné- 
ti-ante,  et  l'Orientale,  dont  le  rythme  vivace  est  plein  d'originalité.  Les 
exécutants  méritent  les  plus  grands  éloges,  car  toute  cette  musique  est 
également  difficile  au  point  de  vue  du  style  et  de  la  virtuosité.  —  A.  P. 

—  Superbe,  la  troisième  séance  de  la  Société  pour  instruments  à  cordes 
et  à  vent  fondée  par  les  artistes  de  l'Opéra,  MM.  Garembat,  Martinet, 
Bailly,  Georges  Papin,  Soyer,  Lafleurance,  Bas,  Paradis,  Couppas  et  Penable. 
Le  programme  comprenait  un  Andante  et  Vivace  de  M.  Paul  Taffanel  pour 
flûte,  hautbois,  clarinette,  basson  et  cor,  morceaux  d'une  jolie  facture  et 
délicatement  travaillés,  qui  ont  obtenu  un  légitime  succès.  Le  trio  de 
Beethoven,  pour  flûte,  violon  et  alto  a  été  chaleureusement  applaudi  ainsi 
que  le  septuor  de  Ilummel,  qui  a  valu  une  véritable  ovation  à  ses  inter- 
prètes. M.  Charles  René  a  tenu  la  partie  de  piano  avec  le  talent  qu'on  lui 
connaît.  L'Aubade  de  Lalo  a  terminé  cette  belle  soirée. 

—  Vendredi  dernier,  à  la  nouvelle  salle  Pleyel,  remarquable  exécu- 
tion des  huitième  et  treizième  quatuors  de  Beethoven,  par  le  quatuor 
A.  Geloso,  Tracol,  Monteux,  Sohneeklud  (fondation  Beethoven).  Les  di- 
verses parties  de  ces  œuvres  ont  été  interprétées  avec  une  ardeur  très 
artistique,  une  intelligence  très  sûre  et  très  personnelle  des  détails  et  une 
constante  perfection  d'ensemble.  La  prochaine  séance  aura  lieu  à  la  même 
salle  le  vendredi  6  mars,  à  neuf  heures  du  soir. 

—  A  la  salle  Érard,  concert  des  plus  intéressants,  donné  par  M""  Lucie 
Wassermann,  avec  le  concours  de  MM.  Berthelier,  Loéb,  et  de  M"^  Mar- 


70 


LE  MÉNESTREL 


cella  Pregi.  La  2«  Fantaisie  de  A.  Perilliou,  remarquablement  exécutée  par 
la  bénéficiaire  et  accompagnée  sur  un  second  piano  par  l'auteur,  a  fait  le 
plus  grand  effet  sans  le  secours  de  l'orchestre.  Le  l''  trio  pour  piano  et 
instruments  à  cordes  de  Saint-Saëns,  et  la  sonate  op.  103  de  Schumann, 
pour  piano  et  violon,  ont  été  fort  applaudis.  Grand  succès  pour  M.  Loëb, 
violoncelliste,  dans  des  pièces  de  Saint-Saêns  et  de  Popper.  M"»  "Was- 
serman,  a  dit,  pour  piano  seul,  quatre  pièces  de  Schumann,  Scarlatti, 
BoêllmannetLiszt,  dans  lesquelles  elle  a  fait  apprécier  son  beau  talent  et  son 
excellent  style.  M"=  Marcella  Pregi  a  chanté  avec  un  sentiment  dramatique 
très  intense  une  mélodie  de  Perilhou  et  deux  Lieder  de  Schumann,  qui  ont 
été  pour  elle  l'occasion  d'un  succès  considérable  et  mérité.  H.  B. 

—  A  la  Société  des  instruments  à  cordes  et  à  vent,  M.  G.  Rémy,  le 
brillant  artiste  que  l'on  sait,  remplacera  M.  Berthelier  empêché. 

—  Trois  séances  de  musique  ancienne  sur  les  origines  de  la  musique  de 
concert  seront  données  au  profit  de  l'CEuvre  des  campagnes  (sous  la 
présidence  de  S.  A.  R.  M"""  la  duchesse  d'Alençon)  à  la  Galerie  des 
Champs-Elysées,  72,  avenue  des  Champs-Elysées,  les  mardis  3,  10  et  17  mars, 
à  quatre  heures  et  demie.  Au  programme  :  les  Chanteurs  de  Saint-Gervais, 
Mlles  Éléonore  Blanc,  Mary  Garnier,  Marcella  Pregi,  M™  Joséa  Maya, 
MM.  Louis  Diéraer,  1.  Albeniz,  Delsart,  "Warmbrodt,  A.  Challet,  Chey- 
rat,  etc.  L'orchestre  et  les  chœurs  (~o  exécutants)  sous  la  direction  de 
MM.  'Vincent  d'Indy  et  Gh.  Bordes.  Au  programme  de  la  première  séance, 
une  Cantate  de  J.-S.  Bach,  des  Canciones  sacra  de  Schûtz,  des  pièces  vocales 
du  "KVl'  siècle  et  un  concerto  de  Bach,  par  le  célèbre  pianiste  espagnol 
I.  Albeniz. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ETRANGER 


On  lit  dans  une  correspondance  adressée  de  Venise  à  la  Gazz-etta  musi- 
cale de  Milan  :  «  Ambroise  Thomas,  l'artiste  excellent  qui,  à  mon  avis, 
pour  la  pure  conception  mélodique,  dispute,  ou  au  moins  partage  la  palme 
avec  ses  autres  éminents  contemporains,  tels  que  les  Gounod,  les  Halévy,  les 
Bizet,  etc.,  qui  ont  illustré  la  France  musicale,  est  mort.  Venise  ne  pou- 
vait rester  indifl'érente  devant  ce  fait,  et,  moins  que  tout  autre  pouvait  le 
faire  la  direction  du  théâtre  de  la  Fenice,  qui  n'oubliait  assurément  pas 
que  Mignon  avait  obtenu  sur  cette  scène,  il  y  a  presque  trente  ans,  un  suc- 
cès splendide,  et  que  plus  tard  Hamlel  obtenait  sur  le  même  théâtre,  te 
premier  en  Italie,  avec  le  baryton  Francesco  Graziani  pour  protagoniste, 
l'accueil  le  plus  sympathique.  Pénétré  de  ces  idées  et  se  souvenant  aussi 
de  la  visite  que  lui  faisait  l'illustre  musicien  en  1890,  aussi  bien  que  des 
amabilités  dont  Ambroise  Thomas  entourait  naguère  à  Paris  Giuseppe 
Verdi,  la  direction  de  la  Fenice  envoyait  à  la  famille  de  l'illustre  maestro 
Thomas  le  suivant  télégramme  (en  français)  : 

Li  direction  du  théâtre  le  Phœnix,  toujours  flère  d'avoir  admiré,  première  en 
Italie,  dans  son  théâtre,  Hamlet,  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas,  i'ami  de 
■Verdi,  dépose  sur  sot  tombeau  la  ileur  du  souvenir. 

Antonio  ForuycM,  sénateur  du  royaume.  —  Conte  Alessandro  Tornielli.  — 
Giuseppe  LizzARi.  —  Pietro  Faustini,  secrétaire. 

—  D'autre  part,  voici  ce  que  nous  trouvons  dans  le  premier  numéro  de 
la  Cronaca  musicale,  journal  dont  nous  annonçons  avec  plaisir  la  publication 
et  qui  vient  de  paraître  à  Pesaro  : 

Le  télégraphe  nous  a  apporté  une  triste  nouvelle,  qui  est  un  deuil  pour 
notre  art.  Ambroise  Thomas,  dans  une  dernière  crise  de  sa  maladie,  s'est 
éteint  le  12  courant,  à  cinq  heures  et  demie. 

La  présidence,  la  direction  et  les  professeurs  du  Lycée  Rossini,  en  appre- 
nant l'événement,  ont  envoyé  le  télégramme  suivant  : 
Conservatoire  musical,  Paris  (en  italien). 
Lycée  musical   Rossini  participe  vivement  au  deuil  de  l'art  et  de  la  France 
pour  la  perte  irréparable  du  grand  maestro  Thomas. 

Pour  le  Conseil  d'admmislratiun. 
Le  président  :  Auguste    Guidi-Carnevali. 
Conservatoire  national  de  musique,  Paris  (en  français). 
Professeurs  du  Lycée  Rossini),  profondément  émus  par  la  perte  illustre  Direc- 
teur première  École   Française,   envoient   sincère  expression  de  leur  regret, 
s'associant  au  deuil  qui  frappe  le  monde  artistique. 

Mascagni. 
De  la  direction  du  Conservatoire  de  Paris  est  parvenu  ce  télégramme  en 
réponse  : 

Mascagni,  Pesaro  (Italie). 
Vifs  remerciements  à  directeur  et  professeurs  Lycée  Rossini  pour  les  regrets 
qu'ils  adressent  au  Conservatoire. 

—  La  Gazzetla  officielle  du  royaume  d'Italie  publie  un  décret  royal  par 
lequel  le  terme  de  la  durée  du  droit  de  propriété  pour  l'opéra  k  Barbier  de 
Séville,  de  Gioacchiuo  Rossini,  est  prorogé  de  deux  années,  à  partir  du  IS 
février  1896.  Le  Barbier  de  Séville  fut  représenté  pour  la  première  fois  le  16 
février  1816,  et  par  ce  fait  devait,  selon  la  loi,  tomber  dans  le  domaine 
public  le  16  février  1896  (80  ans  du  droit  de  propriété)  ;  mais  comme  le 
Lycée  musical  de  Pesaro  vit  en  grande  partie  du  revenu  que  lui  appor- 
tent les  représentations  de  cet  ouvrage,  on  a  jugé  à  propos  de  proroger  de 


deux  années  le  droit  de  propriété  en  ce  qui  le  concerne.  Pour  très  intéres- 
sante que  soit  en  l'espèce  la  question,  il  nous  semble  singulier  qu'un  décret 
souverain  puisse  aller  à  rencontre  d'une  loi  d'un  effet  général. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (27  février).  —  La  Monnaie  nous 
a  donné  une  bonne  reprise  A'Orphêe,  avec  MU'*  Armand,  Fœdor,  Milcamps 
et  Hendrickx,  qui  forment  un  ensemble  très  satisfaisant,  en  attendant  la 
première  de  Thàis,  qu'on  nous  promet  pour  la  semaine  prochaine.  M.  Mas- 
senet  est  arrivé  à  Bruxelles  —  tout  justement,  hélas  !  pour  enterrer  un  de 
ses  collaborateurs,  Alfred  Blau,  dont  la  mort  inopinée  à  Bruxelles,  où  il 
était  venu  passer  quelques  jours,  a  péniblement  affecté  tout  le  monde. 
Nous  avions  rencontré  encore  le  pauvre  homme  à  la  reprise  du  Tan- 
nhuuser.  Je  ne  sais  si  c'est  cela  qui  l'a  tué  ;  mais  il  est  certain  que  rien 
ne  faisait  prévoir  une  fin  aussi  subite.  Alfred  Blau  comptait  rester  à 
Bruxelles  jusqu'après  Aa  première  de  Thais,  et  se  faisait  d'avance  une  joie 
d'applaudir  l'œuvre  de  son  collaborateur  Massenet  dans  un  cadre  plus  ap- 
proprié à  son  caractère  que  celui  de  l'Opéra  de  Paris,  et  interprétée  par 
une  artiste  curieuse  et  personnelle  comme  M""  Leblanc.  Une  indisposi- 
tion de  cette  dernière  est  venue  contrarier  un  peu  les  dernières  répéti- 
tions ;  mais  elle  n'a  été  heureusement  que  passagère,  et  la  première 
représentation  n'en  aura  pas  été  de  beaucoup  retardée.  —  L'école  de  mu- 
sique de  Saint-JossB-ten-Noode-Schaerbeck,  qui  n'a  pas  sa  pareille  en  Bel- 
gique pour  l'enseignement  du  chant  d'ensemble,  auquel  elle  est  consacrée 
exclusivement,  a  fêté  hier  soir  son  vingt-cinquième  anniversaire  par  un 
grand  concert  qui  a  eu  lieu  au  Cirque  royal.  Le  programme  se  composait 
principalement  du  Fuustde  Schumann.  Le  succès  des  chœurs  de  jeunes  gens 
et  de  jeunes  filles  formés  par  les  élèves  de  l'institution,  au  nombre  de  près 
de  quatre  cents,  a  été  très  vif.  —  Aujourd'hui  enfin,  le  cercle  de  la  Libre 
Esthétique  a  inauguré  les  matinées  musicales  que  M.  Eugène  Ysaye  orga- 
nise tous  les  ans  pendant  l'exposition  de  ce  cercle  d'artistes  jeunes  et  no- 
vateurs. A  cette  première  matinée  nous  avons  entendu  un  adorable  Qua- 
tuor slave  de  Glazounow,  et  une  Suite  ba.scjue,  plus  prétentieuse  qu'originale 
de  M.  Ch.  Bordes,  exécutés  admirablement,  ainsi  que  des  mélodies  d'un 
musicologue  russe  établi  en  Belgique,  M.  Wallner,  fort  bien  chantées  par 
M"°  Duthil,  élève  de  M™'  Cornélis-Servais  et  premier  prix  du  Conserva- 
toire de  Bruxelles.  M"»  Duthil  n'a  eu  qu'un  tort,  celui  de  s'être  amusé  à  cal 
quer  M"'" Georgette  Leblanc...  Toutes  les  jeunes  filles,  surtout  celles  qu 
chantent,  imitent  aujourd'hui  M"'"  Leblanc;  c'est  une  véritable  épidémie 
elles  l'imitent  dans  sa  coifftire,  dans  ses  toilettes,  dans  sa  diction,  et  elles 
tâchent  même  de  l'imiler  dans  son  talent  :  ceci  n'est  pas  toujours  facile 
mais  l'intention  y  est.  L.  S. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  du  centenaire  de  Franz  Schubert,  on  jouera 
à  Vienne  et  à  Dresde  une  opérette  en  un  acte  du  maître  :  En  faction  pen- 
dant quatre  am,  qui  n'a  encore  été  représentée  nulle  part. 

—  Les  nombreux  travaux  qu'on  exécute  actuellement  dans  la  ville  de 
Vienne,  fortement  agrandie  par  l'annexion  de  sa  banlieue  et  par  la  démo- 
lition des  fortifications  extérieures,  ont  mis  à  jour  un  souvenir  de  Franz 
Schubert,  dont  on  va  célébrer  le  centenaire.  En  reconstruisant  une  vieille 
maison  dans  le  faubourg  de  'tt'aehring,  on  a  rendu  visible  une  inscription 
qui  se  rattache  à  l'une  des  plus  ravissantes  mélodies  du  compositeur. Cette 
inscription  est  conçue  dans  les  termes  suivants  :  «  Franz  Schubert  a 
composé  dans  cette  maison,  alors  nommée  Au  sac  à  bière  (sic  !),  en  juillet 
1826,  par  une  après-midi  de  dimanche,  entouré  de  quelques  amis  et  au 
milieu  du  brouhaha  du  cabaret,  son  aubade:  Ecoute  l'alouette  dans  les  airs 
bleus...  ».  Il  s'agit  de  sa  célèbre  aubade  sur  des  paroles  de  Shakespeare,  qui 
est  restée  plus  fraîche  que  !a  sérénade  de  Schu'nert  sur  les  vers  de  Rellstab, 
qu'on  a  si  souvent  entendue  qu'elle  est  devenue  presque  banale.  Dans  les 
faubourgs  de  Vienne,  presque  tous  les  cabarets  sont  pourvus  d'un  jardinet 
(Gastliausgartm)  où  les  habitués  s'attablent  pendant  la  belle  saison,  ot  c'est 
précisément  dans  le  jardin  d'un  cabaret  ouvert  en  1791,  par  un  restaura- 
teur nommé  Biersack  (sac  à  bière),  que  Schubert  a  composé  son  aubade.  Le 
cabaret  et  le  jardin  existent  encore,  voire  un  vieux  châtaignier  sous  lequel 
Schubert  a  écrit  cette  mélodie  ;  le  propriétaire  actuel  du  cabaret  lui  a 
donné  comme  dénomination  nouvelle  :  Au  jardin  de  Schubert.  Le  vin  qu'on 
y  boit  n'a  pas  changé  non  plus  ;  c'est  toujours  le  petit  vin  blanc  des  environs 
de  Vienne,  et  que  Schubert  adorait  comme  tout  enfant  du  peuple  vien- 
nois. 

—  L'ancienne  salle  du  Reichstag  allemand  va  être  transformée  en  théâtre  ; 
elle  est  devenue  vacante  à  la  suite  de  l'inauguration  du  nouveau  monu- 
ment où  siège  actuellement  le  Parlement  allemand.  Dans  cette  salle,  le 
prince  de  Bismarck  a  prononcé  des  discours  retentissants,  et  les  divers 
partis  politiques  ont  joué  leurs  petites  pièces  à  intrigues.  Maintenant  on 
y  jouera  la  comédie  pour  de  bon. 

—  Le  célèbre  ténor  Tamagno,  dont  les  succès  étaient  éclatants  à  l'Aqua- 
rium de  Saint-Pétersbourg,  vient  d'être  l'objet  d'une  manifestation  toute 
particulière  du  czar,  qui  désirait  lui  voir  donner,  avant  son  départ,  une 
représentation  i'Otello  au  Théâtre  impérial.  Mais  Tamagno,  aussitôt  son 
engagement  terminé,  devait  se  rendre  à  Monaco,  où  l'appelait  un  nouveau 
traité.  Qu'à  cela  ne  tienne.  Le  czar  écrivit  à  la  princesse  de  Monaco  pour 
la  prier  d'accorder  au  chanteur  un  délai,  qu'il  obtint  naturellement  sans 
peine,  et  la  représentation  eut  lieu.  L'aristocratie  de  la  capitale  russe  fut 
sens  dessus  dessous  pour  assister   à   cette  soirée  toute   spéciale,    qui  eut 


LE  MENESTREL 


lieu  le  3  février,  en  présence  de  l'empereur,  de  l'impératrice  et  des  grands- 
ducs.  Le  prix  des  places  avait  subi  une  augmentation  iuouïe.  Un  simple 
fauteuil  coûtait  300  francs,  et  les  loges  étaient  à  2.000  et  3.000  francs.  Le 
succès  fut  immense.  Tamagno  partait  le  lendemain  ;  le  czar,  ne  le  voulant 
point  remercier  avec  de  l'argent,  lui  faisait  remettre,  à  l'adresse  de  sa 
fille,  un  écrin  rempli  de  joyaux  de  grande  valeur,  et  cet  envoi  délicat  lui 
causa  une  joie  que  l'on  peut  comprendre. 

—  Dépêche  de  Boston  :  «  La  Navarraise,  le  drame  lyrique  de  MM.  Mas- 
senet,  Jules  Glaretie  et  Henri  Gain,  vient  d'être  donnée  avec  M""=  Emma 
Calvé,  MM.  liUbert,  Castelmary  et  Plançon.  L'ouvrage  et  ses  brillants 
interprètes  ont  été  très  applaudis,  W'  Calvé  surtout,  qui  est  toujours  la 
superbe  Anita  que  tout  Paris  a  acclamée.  » 

—  Quelques  détails  sur  les  dernières  représentations  de  la  troupe 
Abbey  et  Grau,  à  New- York  et  à  Brooklyn.  Elles  ont  été  triomphales.  La 
Manon  de  Massenet  a  mis  particulièrement  le  public  en  délire.  M""  Melba 
chantait  pour  la  première  fois  le  rôle  de  Manon,  et  Maurel,  celui  de  Les- 
caut, les  autres  étant  tenus  par  Jean  de  Reszké,  Plançon  et  Castelmary. 
L'ouvrage  était  chanté  en  français.  «  Les  applaudissements,  dit  un  cor- 
respondant, furent  continuels,  et  surtout  chaleureux  au  duo  :  Nous  vivrons 
à  Paris  tous  les  deux.  La  Melba  était  suave  et  dramatique  ;  Jean  de  Reszké, 
délicieux  dans  le  songe;  Plançon  superbe,  comme  toujours;  quant  à 
Maurel,  il  sut,  par  son  talent  extraordinaire,  donner  une  physionomie 
toute  spéciale  à  son  personnage.  ■•<  La  Damnation  de  Faust  obtint  aussi  un 
grand  succès,  chantée  par  M™"  de  Vere-Sapio  (remplaçant  M"'  Nordica, 
malade),  MM.  Lubert,  Castelmary  etPlançon.  Enfin,  avec  Carme»,  eut  lieu 
une  grande  soirée  de  gala,  avec  prix  augmentés,  celui  des  fauteuils  étant 
fixé  à  sept  dollars  (35  francs).  «  New- York  était  couvert  d'un  mètre  de 
neige,  dit  le  même  correspondant,  et  au  Métropolitain,  on  voyait  briller 
quatre  étoiles  :  M'""^  Calvé  et  Melba  et  les  deux  de  Reszké.  Salle  absolu- 
ment bondée,  applaudissements,  fleurs  et  couropnes,  etc.  ». 

PARIS    ET   DEPARTEIÏIENTS 

Note  du  Figaro  :  Après  les  obsèques  d'Ambroise  Thomas  MM.  Ber- 
trand et  Gailhard  ont,  spontanément  et  d'un  commun  accord,  résolu  que 
l'auteur  à'IIamlet  aurait  —  et  bientôt  —  son  monument  et  sa  statue  à 
Paris.  Instruits  par  des  exemples  récents  et  sachant  par  expérience  que 
les  comités  s'endorment  et  que  les  souscriptions  traînent,  ils  ont  décidé 
que  ce  serait  l'Opéra  et  eux-mêmes  qui  supporteraient  tous  les  frais  du  monu- 
ment. La  première  représentation  de  la  reprise  à'Hamlet  —  annoncée  pour 
le  mois  de  mai  et  qui  sera  très  brillante  —  sera  donc  donnée  au  profit 
du  monument  qui,  d'ores  et  déjà  est  commandé  à  Falguière,  un  ami 
personnel  des  directeurs  de  l'Opéra. 

—  Les  nécessités  de  notre  mise  en  pages  de  samedi  dernier  nous  ont 
obligés  à  beaucoup  précipiter  notre  relation  des  obsèques  d'Ambroise 
Thomas.  De  là,  un  certain  nombre  de  petites  erreurs  qui  s'y  sont  glissées 
et  qu'il  convient  de  rectifier.  Et  d'abord,  ce  n'est  pas  M.  Roujon  qui  a 
parlé  au  nom  du  ministre  sur  la  tombe  de  l'illustre  défunt,  c'est  bel  et 
bien  le  ministre  lui  même.  Gomme  il  n'avait  pas  jugé  à  propos  de  deman- 
der pour  le  maître  disparu  des  n  obsèques  nationales  »,  il  a  cru  lui  devoir 
tout  au  moins  cette  compensation  de  prendre  en  personne  la  parole  pour 
cette  circonstance  mémorable.  Était-ce  bien  une  compensation  suffisante? 

—  Ensuite,  ce  n'est  pas  le  Pie  Jesu  composé  sur  l'arioso  d'Hamlet  qu'a 
chanté  M.  Delmas,  en  remplacement  de  M.  Faure  indisposé,  mais  bien 
un  Pie  Jesu  original  écrit  par  Ambroise  Thomas  au  temps  de  sa  jeunesse. 

—  Disons  enfin  que  le  grand  orgue  était  tenu  magistralement  par  M.  Cb. 
Widor,  qui,  entre  autres  morceaux,  a  exécuté  une  absoute  d'un  beau 
caractère  qu'Ambroise  Thomas  avait  composée  jadis  pour  les  funérailles  de 
jjnic  Paul  Delaroche,  fille  d'Horace  Vernet,  et  qu'il  y  avait  exécutée  lui- 
même,  à  l'église  Notre-Dame-de-Lorette. 

• 

—  Parmi  les  délégations  envoyées  de  province  pour  assister  aux  obsèques 
d'Ambroise  Thomas,  n'oublions  pas  celle  du  Conservatoire  de  Toulouse. 
M.  Omer  Guiraud,  le  distingué  professeur,  la  présidait,  accompagnant  une 
superbe  couronne  et  entouré  de  tous  les  élèves  toulousains  actuellement 
au  Conservatoire  de  Paris. 

—  On  annonce  pour  cette  semaine  la  première  représentation  (reprise) 
A'Orpliee  à  l'Opéra-Comique.  C'est  M'"  Marignan  qui,  au  dernier  moment, 
a  pris  le  rôle  d'Eurydice,  —  les  nécessités  du  répertoire  obligeant  de 
réserver  M™"  Bréjean-Gravière  pour  d'autres  reprises  en  vue. 

—  M"o  Fernande  Dubois,  qui  a  créé,  à  l'Opéra-Gomique,  la  Xavière  de 
M.  Théodore  Dubois,  et  la  Ninon  de  Lenclos,  de  M.  Missa,  étudie  en  ce 
moment  le  rôle  de  Mignon. 

—  On  annonce  que  le  ténor  Van  Dyck  viendra,  en  mai  et  juin,  donner  à 
l'Opéra  des  représentations  des  opéras  de  Wagner. 

—  Hier,  29  février,  l'Académie  nationale  de  musique  aurait  pu  célébrer 
le  soixantième  anniversaire  de  la  première  représentation  des  Huguenots, 
si  l'incendie  du  magasin  des  décors  de  la  rue  liicher  n'était  venu  momen- 
tanément enlever  cet  opéra  du  répertoire.  C'est  en  efl'et  le  29  février 
1836,  année  bissextile  comme  1896,  que  le  chef-d'œuvre  de  Meyfrbeer  a  été 
joué  pour  la  première  fois.  Les  rares  survivants  de  cette  mémorable  pre- 
mière auraient  dû  envoyer  des  fleurs  à  M°"=  Falcon,  qui  créa  le  rôle  de 
Valenline  d'une  façon  admirable  et  qui  est  aujourd'hui   l'unique  artiste  de 


premier  ordre  dont  le  nom  se  rattache  à  cette  glorieuse  époque  de  l'Opéra 
français.  H  serait  curieux  de  savoir  si  M™'=  Falcon.  dans  sa  calme  retraite 
parisienne,  s'est  souvenue  de  la  première  deï  Huguenots  qui  fut  pour  elle 
un  vrai  triomphe  et  qui  a  donné  son  nom  aux  grands  rôles  de  soprano- 
dramatique. 

—  La  transformation  de  la  claque.  L'administration  des  beaux-arts  vient 
de  prendre  une  décision  que  nous  avions  fait  prévoir  :  le  service  de  la 
claque  est  transformé  dans  les  théâtres  subventionnés,  sur  les  mêmes 
bases  qu'à  la  Comédie-Française.  A  partir  du  l"'  mars,  l'Opéra,  l'Opéra- 
Comique  et  l'Odéon  devront  attacher  à  leur  administration  un  employé 
payé  et  révocable  par  eux,  chargé  d'organiser  la  claque.  Cet  agent,  qui 
ne  disposera  exactement  que  du  nombre  des  places  attribuées  aux 
claqueurs,  fera  pénétrer  ceux-ci  sans  billets  par  l'entrée  des  services 
administratifs,  —  cela  afin  d'éviter  un  commerce  quelconque  des  places 
de  claque.  En  outre,  il  sera  formellement  interdit  à  cet  agent  de  rece- 
voir la  plus  petite  rémunération  du  personnel  du  théâtre.  L'adminis- 
trateur des  beaux-arts  a  voulu  éviter,  en  prenant  cette  dernière  décision, 
que  tel  ou  tel  artiste  pût  se  créer  un  succès  illusoire  à  la  faveur  de  la 
claque,  et  des  ordres  très  sévères  seront  donnés  pour  en  assurer  la  complète 
exécution.  Quant  à  la  suppression  de  la  claque,  contrairement  au  bruit 
qui  avait  couru,  il  n'en  est  pas  le  moins  du  monde  question.  On  se  rap- 
pelle sans  doute  que,  sous  la  direction  Halanzier,  on  avait  tenté  cette 
réforme  pendant  l'exposition  de  1S7S  et  qu'on  fut  obligé  d'y  renoncer.  La 
claque  fut,  en  effet,  rétablie  au  bout  de  quelques  représentations  sur  la 
demande  des  auteurs,  des  artistes  et...  des  danseuses. 

—  Le  23  juillet  prochain  s'ouvrira  au  Palais  de  l'Industrie  une  intéres- 
sante «  Exposition  du  Théâtre  et  de  la  Musique  ».  Cette  exposition,  dont  le 
programme  est  des  plus  vastes,  constituera  à  la  fois  un  enseignement  et 
une  distraction.  Le  programme  qu'en  a  tracé  M.  Lartigue,  le  secrétaire 
général,  comprend,  en  effet,  cinq  sections  ;  section  rétrospective,  section 
documentaire,  section  d'informations  statistiques,  section  consacrée  à 
l'enseignement  et  section  étrangère.  Gela,  sans  compter  de  nombreuses 
attractions  et  reconstitutions  artistiques.  «  Sans  entrer,  dit  le  Figaro,  dans 
le  détail  de  chacune  de  ces  sections  où  les  grandes  collections,  les  méthodes 
d'enseignement  comparatives  et  les  divers  projets  réalisés  joueront,  comme 
leçons  de  choses,  un  rôle  important,  une  partie  d'attraction  à  la  fois  ins- 
tructive et  curieuse  sera  présentée  au  public.  L'histoire  ancienne  du 
théâtre  fournira  la  reconstitution  de  l'art  scénique  de  la  Grèce  et  de  Rome, 
avec  des  vues  panoramiques  des  vestiges  que  les  siècles  ont  laissé  sub- 
sister, comme  le  théâtre  d'Orange,  par  exemple  ;  les  Mystères  du  moyen 
âge  en  France,  les  fêtes  des  Fous,  les  Soties,  les  Escholiers,  les  Farces  de 
la  basoche,  les  parades  de  la  foire,  les  facéties  de  Tabarin  et  de  Mondoir 
—  enfin  le  théâtre  d'aujourd'hui  avec  ses  artistes...  et  le  théâtre  de  demain 
avec  ses  décors  où  la  projection  électrique  jouera  un  rôle  prépondérant.  Il 
serait  prématuré  défaire  la  description  de  la  nef  du  Palais  de  l'Industrie 
transformée  avec  la  reproduction  du  théâtre  d'Orange,  d'une  ville  antique, 
du  parvis  Notre-Dame,  etc.,  etc.  Disons  seulement  qu'au  premier  étage 
une  salle,  pouvant  contenir  cinq  cents  personnes,  sera  réservée  aux  audi- 
tions et  aux  grands  concerts.  » 

—  Le  comité  de  la  Société  des  compositeurs-dé  musique  vient  de  renou- 
veler son  bureau  do  la  façon  suivante  :  Président  :  M.  V.  Joncières  ;  vice- 
présidents  :  MM.  E.  Altès,  A.  Guilmant,  G.  Pfeiffer  et  J.-B.  Weckerlin; 
secrétaire  général-trésorier  :  M.  D.  Balleyguier;  secrétaire-rapporteur: 
M.  Arthur  Pougin;  secrétaires  :  MM.  H.  Bûsser,  And.  Gedalge,  Samuel 
Rousseau,  Ans.  Vinée;  bibliothécaire-archiviste:  M.  J.-B.  Weckerlin. 

—  M.  Bourgault-Ducoudray  reprendra  au  Conservatoire  son  cours  d'his- 
toire de  la  musique  jeudi  prochain  S  mars.  La  première  leçon  sera 
consacrée  à  Ambroise  Thomas  et  à  son  œuvre.  M.  Bourgault-Ducoudray 
s'est  assuré,  pour  la  partie  musicale,  du  concours  de  M"'"  Krauss,  et  de 
MM.  Séguy  et  Raoul  Pugno. 

—  L'excellent  baryton  Isnardon  prend  en  ce  moment  son  congé  annuel 
d'un  mois.  Il  est  allé  le  passer  à  Monte-Carlo,  où  il  est  engagé  pour  un 
nombre  de  représentations. 

—  En  ce  moment,  très  intéressantes  et  aussi  très  artistiques  matinées 
dans  leur  petit  cadre  à  la  salle  de  la  Bodinière,  avec  la  Chanson  des  Joujoux 
de  MM.  Claudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin  (paroles  de  Jules  Jouy). 
M.  Maurice  Lefèvre  fait  précéder  l'audition  des  plus  charmants  numéros 
de  ce  joli  recueil,  d'une  conférence  des  plus  intéressantes,  verveuse, 
spirituelle,  nourrie  de  faits  et  d'anecdotes  délicieuses  et  même  savante. 
Car  il  y  fait  l'histoire  du  joujou  en  remontant  aux  temps  les  plus  reculés. 
Son  succès  a  été  complet.  Les  interprètes  de  la  Chanson  des  Joujoux  sont 
M""  Remacle,  l'intelligente  musicienne,  et  M.  Isnardon,  un  joyeux  compère 
plein  de  gaieté  et  fin  diseur  aussi.  Un  chœur  d'enfants  costumés  à  la 
façon  de  Greenaway  prend  part  à  la  fête  et  n'est  pas  un  des  moindres  éléments 
du  succès.  Parmi  les  numéros  les  plus  applaudis,  citons  les  Polichinelles,  les 
Pantins,  les  Poupées,  les  Petits  Jardiniers,  les  Cerfs-volants,  les  Sabots  et  les  Toupies, 
le  Petit  Orchestre,  les  Crécelles,  etc.,  etc.  L'un  des  auteurs,  M.  Claudius  Blanc, 
était  au  piano  d'accompagnement. 

—  A  la  Bodinière,  lundi  dernier,  séance  très  intéressante  pour  l'audition 
de  la  petite  Jeanne  Blancard,  une  enfant  charmante,  à  peine  âgée  de  dix  ans, 
qui  se  produisait  à  la  fois  comme  pianiste,  comme  compositeur  et  comme 
improvisatrice.   Le  programme,  entièrement  composé  de  ses  œuvres,  ne 


72 


LE  MENESTREL 


comprenait  pas  moins  de  quinze  numéros  :  neuf  morceaux  de  piano,  exé- 
cutés par  elle,  deux  morceaux  de  violon  par  M"«  Charlotte  Vormèse,  deux 
morceaux  de  -violoncelle  par  M"'=  Galitzin  enfin  deux  morceaux  de  chant, 
par  M°"î  Varambon,  dont  un  air  d'un  opéra  intitulé  Fingal.  L'exécution  de 
cette  enfant  est  pleine  de  gr:ice,  fine,  aimable  et  d'un  goût  très  pur.  Comme 
compositeur,  si  ses  morceaux  manquent  d'ampleur,  si  elle  ignore  encore 
l'art  des  développements,  elle  n'en  est  pas  moins  extraordinaire  par  la  dis- 
tinction de  ses  idées,  par  la  forme  qu'elle  sait  leur  donner,  et  par  la  ferti- 
lité de  son  imagination.  Elle  nous  a  joué,  entre  autres,  une  tarentelle  d'un 
accent  fort  original.  Mais  c'est  comme  improvisatrice  qu'elle  est  vraiment 
curieuse  et  provoque  l'étonnement.  Entre  les  trois  ou  quatre  petits  thèmes 
qu'on  lui  a  donnés  à  traiter,  je  lui  en  avais  présenté  un  de  cinq  notes  :  la, 
la  '[>,  sol,  si,  do,  avec  lequel  elle  a  émerveillé  l'auditoire  par  la  facilité,  la 
liberté  et  le  charme  avec  lesquels  elle  l'a  développé,  par  le  parti  très 
curieux  qu'elle  en  a  su  tirer.  La  petite  Jeanne  Blancard  est  vraiment  douée 
d'une  façon  remarquable,  et  deviendra  certainement  une  artiste  bien 
intéressante.  A.  P. 

—  Deux  séances  très  intéressantes,  cette  semaine,  à  l'Ecole  Marches! 
Lundi  c'était  l'audition  des  élèves  du  cours  de  concert.  On  y  a  applaudi 
une  dizaine  de  jeunes  filles,  douées  de  fort  belles  voix,  dont  plusieurs  ont 
obtenu  un  succès  brillant.  Citons  surtout  M""  Mary  Alcock  dans  le  Soir 
d'Amhroise  Thomas,  M"»  Thérèse  Sievwrigt  dans  l'air  du  Cid  de  Massenet 
et  .1  une  fiancée  de  M™"  Ferrari,  puis  M™"  Aima  RiboUa,  et  M"'''  Mary 
Cabrera,  Rose  Ettinger  et  Alice  Gurtis.  Jeudi,  c'était  le  tour  des  élèves  du 
cours  d'opéra.  Très  grand  succès  pour  M"=  Sanda  et  M°>=  Vilna,  qui  ont 
chanté  avec  M.  Douaillier,  de  l'Opéra,  l'une  le  duo  de  Mignon,  l'autre  le 
duo  à'Uamlet.  On  a  vivement  applaudi  M.  Cabillot  et  M""  Francisca  dans  le 
duo  de  Faust,  M''^  Toranta  dans  la  cantilène  du  Chevalier  Jean,  M'"  Bouci 
caut  dans  l'air  de  Carmen,  M""  Torriani  dans  celui  des  Pêcheurs  de  perles, 
M"'  Sanda  dans  celui  de  Mireille.  La  joie  de  la  journée  a  été  l'exécution  à 
l'unisson  isVAve  Maria  de  Gounod,  par  toutes  les  élèves,  qui  ont  dû  le  dire 
une  seconde  fois.  C'est  un  nouveau  succès  pour  l'excellent  enseignement 
de  M""^  Marchesi. 

—  On  nous  écrit  de  Nice  :  Hier  mardi  a  eu  lieu  au  Grand-Théâtre,  avec 
un  plein  succès,  la  première  représention  du  Barde,  l'opéra  inédit  en 
quatre  actes  dont  M.  Léon  Gastinel  a  écrit  les  paroles  et  la  musique.  Le 
poème,  dramatique  et  intéressant,  nous  mène  en  Angleterre,  au  neuvième 
siècle,  à  l'époque  de  l'invasion  de  la  grande  ile  par  les  Scandinaves  ;  la 
passion  et  le  pathétique  y  ont  un  rôle  important,  que  la  partition  souligne 
de  ses  inspirations  d'un  caractère  très  élevé.  Sous  le  rapport  musical, 
l'oeuvre  est  claire  et  procède  par  grandes  lignes.  Très  sobre  dans  la  forme, 
d'un  esprit  bien  français,  elle  se  distingue  par  sa  franchise,  par  la  couleur 
de  son  accent,  en  même  temps  que  par  des  efl'ets  d'orchestre  d'une  grande 
puissance.  Parmi  les  morceaux  qui  ont  produit  la  plus  grande  impression, 
il  faut  signaler,  au  premier  acte,  l'introduction,  un  chœur  de  laboureurs 
d'une  fraîche  inspiration  et  un  duo  dont  l'effet  a  été  très  grand;  au  second, 
le  finale,  très  puissant,  qui  a  valu  aux  artistes  un  double  rappel;  au  troi- 
sième, particulièrement  remarquable,   un    fort   joli  ballet,  la  marche  de 


l'Étendard,  dont  l'ampleur  est  superbe,  et  l'énergique  invocation  finale  ; 
enfin,  au  quatrième,  un  beau  duo  et  un  air  de  soprano  d'un  grand  carac- 
tère. Beau  succès,  je  vous  l'ai  dit,  dont  les  artistes  peuvent  prendre  leur 
bonne  part.  Les  principaux  rôles  sont  tenus  à  souhait  par  M"'»  Bossy 
(Edwitha).  MM.  Fonteix  (le  roi  Arthur),  Camoin  (Inguard)  et  Geste  (Am- 
mas);  les  autres  interprètes  sont  M""s  Restiau,  de  Meryanne  et  Bennia, 
MM.  Darmand,  Éehenne,  Borramy,  Argent  et  Athès.  Orchestre,  chœurs  et 
ballet  ont  été  à  la  hauteur  de  leur  tâche. 

—  Voici  le  programme  des  deux  prochaines  séances  de  M.  Gh.  Grandmou- 
gin.  Institut  Rudy,  4,  rue  Caumartin,  le  mercredi  à  5  heures.  —  Mercredi 
4  mars,  nouveaux  poèmes  (lS9o);  Le  Petit  Lépreux,  Souvenirs  de  la  baie  de  la 
Somme,  les  Amoureux  maudits,  la  légende  de  saint  Sébastien,  etc.,  dits  par  M"°  Su- 
ger  (du  Gymnase)  et  l'auteur  ;  le  Naufrage  de  l'amour  ,  dit  par  M""  Dudlay 
(des  Français).  —  Mercredi  14  mars,  histoires  sentimentales  (18',13),  en 
prose  :  L'Ami  de  la  reine,  Thibaut  le  jongleur.  Madame  Constant,  etî.,  lus  par 
l'auteur.  —  Ajoutons  que  l'auteur  a  eu,  jusqu'ici,  double  succès,  de  poète 
et  de  diseur.  Les  interprètes,  comme  M"'=  Marsa  et  Suger,  et  MM.  Nolot  et 
Primard  ont  été  fort  applaudis  dans  Gain,  l'Empereur,  etc. 

—  Toute  jeune  et  virtuose  accomplie.  M""  Solange  de  Groze,  fille  et 
élève  du  remarquable  pianiste-compositeur  Ferdinand  de  Groze,  donnera 
le  vendredi  soir  6  mars  prochain,  un  concert  à  la  salle  Érard.  Au  pro- 
gramme :  Trio  en  sol  mineur,  de  G.  Salvayre  (piano,  violon,  violoncelle), 
première  audition;  morceaux  de  concert  des  maîtres  du  piano;  et  enfin, 
avec  les  excellents  instrumentistes,  MM.  VandœuvreetSamson,MM.  Cham- 
bon,  de  l'Opéra,  et  Depas,  de  l'Odéon. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Tome  21. 
Tome  22. 
Tome  24. 
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Partition  Piano  et  Chant,  réduite  par  Théodore  RITTER,  prix  net  :  10  francs 


Seule  idition 

conforme 

à  la   représentation   de 

L'OPÉRA-COMIQUE 


Morceaux  détachés  pour  Piano  et  Chant  ; 


1.  ROMANCE  D'ORPHÉE  :  Objet  de  mon  amour  (C.) 3  75 

2.  1"  AIR  DE  L'AMOUR  :  Si /es  rfoua;  accords  rfe  (a /(/re  (S.) 3     » 

2  bis.  Le  même,  pour  contralto 3    » 

3.  2=  AIR  DE  L'AMOUR  :  Soumis  au  silence  (&.) 3     » 

3  bis.  Le  même,  pour  contralto 3     « 

i.  GRAND  AIR  :  L'espoir  renaît  dam  mon  âme  {C.) 6     » 


N°=  S.  AIR  avec  chœur  :  Laissez-vous  toucher  par  mes  pleurs  (C.) 3  75 

«.  AIR  DE  L'OMBRE  HEUREUSE  :  Cet  asile  aimable  et  tranquille  (S.).   .    .  3  75 

6  bis.  Le  même,  pour  contralto 3  75 

8.  DUO  D'ORPHÉE  ET  D'EURYDICE  :Fiens,  suis  UTKJpouxrywt  J'adore  (G.  etS.)  6     » 

10.  AIR  FINAL  D'ORPHÉE  :  J'ai  perdu  mon  Eurydice  (C.) 4  50 

10  bis.  Le  même,  pour  ténor  ou  soprano 4  50 


Transcriptions  pour  Piano  à  deux  mains  : 


G.  RIZET.         «  Viens   dans   ce   séjour  »   (N°  2  du  Pianiste-Chanteur)  .  3     » 

Air  et  pantomime  (N"  33  du  Pianiste-Chanteur) 3     » 

KRUGER.  Op.  92.  Scène  des  Enfers  et  romance  d'Orphée  ....  7  50 

Op.  93.  Scène  des  Champs  Élysées 7  50 

CH.NEUSTEDT.Op.  22.  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice  • 5    » 


CH.NEUSTEDT.Op.  23.  <c  Les  doux  accords  de  ta  lyre  » 5 

E.  PRUDENT.     "  .T'ai  perdu  mon  Eurydice  » 5 

C.  STAMATÏ.    L'ombre  heureuse  (N"  11   des  Souvenirs  du  Conservatoire) .  5 

Les  Champs  Élysées  (N°  12  des  Souvenirs  du  Conservatoire.  5 

TROJELLI.       «  .T'ai  perdu  mon  Eurydice  »  (H"  3U  des  Miniatures).  .   .  3 


Transcriptions  instrumentales  : 

FRANCHOMME.  Scènes  pour  Violon  et  Piano 9     »      I      FRANCHOMME.  Scènes  pour  Violoncelle  et  Piano 9 

DELOFFRE.  Scène  pour  Violon  ou  Violoncelle,  Piano  et  Orgue 9     n 


IÏ-\LE   DES  CUE1I1\S  I 


;  BEnGERE,  20,  PARIS.  —    fnae  lorillcia; 


3389.  —  62-''  mil  —  IN"  10.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Diiiiunche  8  Mars  1896. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  50  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  [Orphie  de  Gluck,  à  l'Opéra-Comique,  Julien  Tieksot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  premières  représentations  de  Manette  Salomon,  au  Vaudeville,  et  de  la 
Figurante,  à  la  Renaissance;  reprises  de  Thermidor,  à  la  Porte-Saint-Martin,  et 
des  Banidie/f,  àl'Odéon,  P.\ul-Émile  Chevalier.  —  lU.  L'Orchestre  de  Lully  (4°  ar- 
ticle), .\nTHun  PooGiN.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SUR  LE  DANUBE 

nouveau  lied  de  Robert  FiscBHOF. —  Suivra  immédiatement:  Sur  la  tombe 

d'un  enfant,  n"  3  des  Poèmes  de  Bretagne,  de  Xavier  Leroux,  poésie  d'ANDRÉ 

Alexandre. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Le  Réveil,  n°  1  des  Heures  de  rêve  et  de  joie,  du  maestro  N.  Celega.  — 
Suivra  immédiatement  :  Balancclle,  valse  d'ANTONiN  Marmontel. 


«  ORPHEE  y>  de  Gluck 

x-.'Ot»3Éiî.-A.-c::o  isa:  i  ^^  xjr  e3 


Berlioz  éorivait,  à  l'occasion  des  mémorables  représenta- 
tions d'Orphée,  en  1859,  avec  cet  esprit  de  jeux  de  mots  qui  ne 
le  quittait  jamais,  même  au  milieu  de  ses  grands  enthou- 
siasmes : 

•s  Nous  ne  reprenons  pas  les  chefs-d'œuvre;  ce  sont  les 
chefs-d'œuvre  qui  nous  reprennent.  » 

Et  il  ajoutait:  «  En  effet,  voilà  qu'O/'^j/ic'e  nous  a  repris,  nous 
tous  qui  sommes  de  bonne  prise.  » 

Au  bout  de  trente-sept  années  et  près  d'un  siècle  et  demi 
après  la  production  même  de  l'œuvre,  nous  avons  été  con- 
quis à  notre  tour,  nous  aussi,  que  les  chefs-d'œuvre  du  grand 
art  n'ont  jamais  laissés  indifférents.  Sans  doute,  l'impression 
produite  par  la  reprise  d'Orphée,  à  l'Opéra-Comique,  ne  pouvait 
pas  être  absolument  la  même  qu'en  1839  :  en  ce  temps  où, 
sous  l'influence  de  la  réaction  rossinienne  qui  paraissait  pour 
jamais  triomphante  —  tempi  passât!!  —  les  nobles  tragédies  de 
Gluck  avaient  été  complètement  oubliées,  l'audition  du  vieux 
chef-d'œuvre  fut  une  surprise  pour  tous;  son  triomphe  s'en 
augmenta  d'autant  et  marqua  le  premier  pas  vers  le  retour 
à  un  art  de  tendances  vraiment  élevées.  Depuis  ce  temps, 
l'on  a  fait  du  chemin  dans  cette  voie-là.  D'autre  part,  si  ceux 
de  ma  génération  n'avaient  encore  pu  voir  les  œuvres  de 
Gluck  sur  aucun  théâtre  de  Paris,  du  moins  avons-nous  été 
élevés  dans  le  culte  du  vieux  maître,  et  sa  musique  nous  est 


devenue  familière,  grâce  aux  auditions  fréquentes  qu'en  ont 
données  les  concerts  symphoniques. 

Donc,  l'étonnement  a  disparu;  mais  l'admiration  est  de- 
meurée entière.  Car  l'œuvre  a  fièrement  résisté  aux  atteintes 
des  années  et  reste  intacte  en  sa  beauté  première.  Si  parfois 
nos  idées  modernes  nous  la  font  considérer  sous  un  aspect 
différent  de  celui  sous  lequel  elle  apparaissait  au.x  hommes 
du  dix-huitième  siècle,  elle  ne  perd  rien,  au  contraire,  à  ce 
changement  de  point  de  vue  :  parmi  les  interprétations  va- 
riées et  les  conventions  diverses  à  travers  lesquelles  elle  a 
passé,  elle  est  toujours  restée  vivante,  expressive,  parlant  au 
cœur  des  nouveaux  venus  comme  des  premiers  spectateurs  ; 
et  quelle  preuve  plus  manifeste  pouvait-elle  donner  de  sa 
durée  indestructible,  de  son  éternelle  vitalité? 

Sa  forme  générale  mêoae  a  contribué  à  ce  résultat:  avec 
son  court  développement,  l'absence  de  tout  épisode  parasite, 
de  tout  élément  étranger  à  l'idée  essentielle  du  drame,  elle 
forme  le  résumé  le  plus  parfait  de  toute  l'œuvre  gluckiste.  Il 
y  a  dans  Orphée  quelque  chose  de  sommaire,  une  condensa- 
tion d'idées,  une  substance  abondante  et  forte,  qui  font  de 
cet  ouvrage  celui  qui,  peut-être,  donne  l'idée  la  plus  favora- 
ble et  la  plus  exacte  du  génie  de  Gluck.  Plus  tragique  peut- 
être,  et  surtout  plus  savant  dans  ses  œuvres  purement  fran- 
çaises, il  est  ici  plus  musical;  une  fraîcheur  encore  juvénile 
anime  ses  chants  :  car  Orphée,  ou  plus  exactement  Orfeo,  est 
sa  véritable  première  œuvre,  la  première  du  moins  par 
laquelle  se  révéla  son  génie,  antérieurement  à  toute  théorie 
formulée,  quatre  ans  avant  VAlceste  italienne  et  sa  préface, 
plus  de  dix  ans  avant  qu'il  partit  en  guerre,  c'est  à  dire 
s'en  vînt  en  France,  pour  faire  triompher  ses  idées  sur  la 
tragédie  lyrique,  en  ajoutant  à  ces  premiers  chefs-d'œuvre 
Armide  et  les  deux  Jphigénies.  Jamais,  en  vérité,  Gluck  ne  fut 
plus  intuitif,  plus  sincèrement,  plus  spontanément  inspiré. 

Tout  marche  et  se  succède,  dans  cette  œuvre,  avec  une 
logique  admirable,  sans  embarras  ni  accessoires  d'aucune 
sorte.  C'est  d'abord  le  chœur  funèbre,  avec  ses  sonorités 
lugubres,  au  travers  desquelles  transparaît  pourtant  une  cer- 
taine grâce  mé'ancolique,  et  qu'interrompt  parfois  le  cri  désolé 
d'Orphée  répétant  vainement  le  nom  chéri  d'Eurydice;  puis  la 
belle  mélodie:  «  Objet  de  mon  amour  »,  entrecoupée  par  les 
plaintes  incessantes  qu'Orphée  jette  aux  vents,  et  que,  par  une 
idée  d'une  poésie  naïve  et  charmante,  lui  renvoient  les  échos 
du  bocage.  L'intervention  de  l'Amour  nous  ramène  pour  un 
instant  à  l'opéra  ordinaire;  du  reste,  son  premier  air:  «  Si  les 
doux  accords  de  ta  lyre  »  a  beaucoup  de  grâce.  Mais,  dès 
les  premières  notes  annonçant  l'arrivée  d'Orphée  dans  les 
Enfers,  le  drame  nous  ressaisit  complètement.  Les  chœurs  des 
esprits  infernaux  ont  une  énergie  sombre  et  farouche  qui 
contraste  vigoureusement  avec   les  chants  tendres   et    purs- 


74 


LE  MENESTREL 


d'Orphée  :  les  démons  répondent  à  ses  supplications  par 
un  «  Non  »  formidable,  inexorable,  terrifiant;  mais  quand, 
ayant  uni  sa  voix  aux  sons  de  la  phormigx,  le  divin  chanteur 
épand  sur  eux  son  charme  mystérieux,  leurs  accents,  sans 
abandonner  le  triste  mineur,  s'adoucissent  et  s'apaisent  sou- 
dain; et  rien  n'est  plus  expressif  que  ces  accords  harmonieux 
des  voix  infernales  célébrant  avec  extase  la  puissance  irré- 
sistible de  la  musique:  «  Quels  sons  doux  et  touchants  !  Quels 
accords  ravissants!...  » 

Quant  au  tableau  des  Champs  Élysées,  il  se  détache  de  ces 
sombres  épisodes  comme  en  une  sorte  de  clair-obscur,  mais 
d'une  lumière  douce,  calme,  et  d'une  sérénité  parfaite.  Faut- 
il  rappeler  l'introduction  instrumentale,  qui,  pour  les  contem- 
porains de  Gluck,  n'était  peut-être  qu'un  menuet,  mais  dans 
lequel  nous  nous  sommes  accoutumés  depuis  longtemps  à 
voir  un  tableau  symphonique  complet,  infiniment  expressif  et 
précis?  Les  chœurs  des  Ombreâ  heureuses,  d'une  harmonie 
si  simple,  mais  si  suave,  complètent  merveilleusement 
l'impression;  mais  c'est  peut-être  à  l'entrée  d'Orphée  que 
celle-ci  s'accuse  avec  la  plus  grande  intensité,  quand,  sous 
les  paroles  déclamées  musicalement,  la  symphonie  se  déroule 
en  un  murmure,  d'abord  imperceptible,  mais  qui  grandit  peu 
à  peu,  et  enfin  s'unit  à  la  voix  en  une  progressioa  d'une 
intensité  d'accent  profondément  émouvante.  Il  est  vrai  que 
le  morceau  n'est  pas  à  effet;  mais  il  est  peut-être  le  plus  beau 
de  l'œuvre  entière. 

L'on  ne  retrouve  pas  d'aussi  éminentes  qualités  musicales 
dans  la  scène  entre  Orphée  et  Eurydice,  dont  le  mouvement 
dramatique  est  du  reste  digne  de  Gluck,  ce  qui  est  tout 
dire.  Mais  l'inspiration  du  maître  s'épanouit  en  toute  sa  plé- 
nitude dans  l'air  :  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice  »,  mélodie 
sublime,  où  la  beauté  plastique  du  chant  italien  est  vivifiée 
par  une  puissante  inspiration  intérieure,  un  accent  ardent  et 
passionné,  qui,  au  bout  de  cent  trente-quatre  ans,  après 
tant  de  changements  de  styles  musicaux  et  d'idéals  esthé- 
tiques, sont  restés  entiers,  et  nous  remuent  encore  jusqu'au 
fond  de  l'âme  ! 

L'œuvre  de  Gluck  nous  a  été  présentée  dans  des  condi- 
tions de  sincérité  fort  louables.  A  vrai  dire,  telle  qu'on  vient 
de  l'exécuter  à  l'Opéra-Comique,  elle  n'est  absolument  iden- 
tique à  aucune  des  deux  formes  que  Gluck  en  a  données  ; 
mais  il  faut  avouer  que  dans  l'état  actuel  des  choses,  il  serait 
difficile  qu'il  en  fût  autrement.  L'on  sait  en  effet  que,  du 
vivant  même  de  Gluck,  l'œuvre  a  subi,  du  fait  de  l'auteur, 
des  remaniements  considérables.  Elle  avait  été  composée 
dans  le  principe  (Vienne,  1762)  sur  un  Ubretto  italien,  et  le 
rôle  principal  était  écrit  pour  un  castrat,  chanteur  dont  la 
voix  avait  l'étendue  de  nos  modernes  contraltos.  Sous  cette 
forme,  elle  était  encore  bien  moins  développée  que  nous  ne 
la  voyons  aujourd'hui  :  aussi,  lorsque  Gluck  la  voulut  donner 
à  l'Opéra  de  Paris  (en  1774),  il  ne  se  contenta  pas  de  trans- 
former à  l'aide  d'une  simple  traduction  Orfeo  en  Orphée,  mais, 
outre  qu'il  dut  transposer  le  rôle  principal,  qui  passa  de  la 
tessiture  du  contralto  à  celle  du  ténor,  ou  plus  exactement 
de  la  haute-contre,  il  remania  de  fond  en  comble  plusieurs 
morceaux  de  la  partition  primitive,  et  en  ajouta  quelques 
autres. 

Il  n'est  pas  douteux  que  toutes  ces  modifications  aient  été 
autant  de  perfectionnements. 

Cependant,  le  rôle  d'Orphée  est  écrit  si  haut  qu'il  serait 
bien  difficile  aujourd'hui  à  nos  ténors  de  l'interpiéter  d'une 
manière  satisfaisante  :  cette  acuité  est  d'autant  plus  sensible 
que  le  diapason  a  monté  considérablement  depuis  un  siècle; 
pour  bien  faire,  il  faudrait  donc  transposer  au  moins  d'un 
ton  au  grave  l'opéra  tout  entier. 

Mais  voilà  qu'un  jour  M"'  Viardot,  ayant  accompli  une 
carrière  italienne  déjà  longue  et  glorieuse,  et  mis  le  sceau 
à  sa  renommée  par  la  création  du  rôle  de  Fidès  dans  le  Pro- 
phète, voulut  s'élever  plus  haut  encore,  en  interprétant  Gluck. 


Précisément  le  rôle  d'Orphée,  tel  qu'il  avait  été  écrit  dans 
lapremière  version  pour  le  sopraniste  Guadagni,  se  trouvait  au 
diapason  de  sa  voix  si  étendue,  si  vibrante,  si  souple,  si  prodi- 
gieusement expressive.  Mais  pouvait-on  en  revenir  purement 
et  simplement  à  la  forme  italienne  primitive,  alors  que  la 
version  française  l'avait  tant  enrichie  et  améliorée?  Non, 
assurément:  l'on  fit  donc,  en  quelque  sorte,  une  troisième 
version  d'Orphre  en  prenant  pour  base  la  partition  française, 
mais  en  remettant  le  rôle  principal  au  diapason  de  la  version 
italienne.  Berlioz  se  chargea  de  ce  travail,  qui  ne  pouvait 
pas  être  exécuté,  certes,  d'une  main  plus  compétente  ni  plus 
pieuse;  il  récrivit  lui-même  une  partie  de  l'œuvre,  peut-être 
la  partition  entière:  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  garde, 
parmi  ses  autographes,  plusieurs  pages  d'Orphée  transcrites 
de  sa  main  en  grande  partition  d'orchestre. 

Enfin,  depuis  -ce  temps,  et  sous  l'influence  même  de  Ber- 
lioz, une  édition  définitive  des  œuvres  de  Gluck  fut  entreprise 
par  une  admiratrice  passionnée  du  vieux  maître.  M"'  Fanny 
Pelletan:  pour  Orphée,  la  seule  des  cinqgrandes  partitions  qui 
restent  à  paraître,  le  travail  de  revision  et  de  mise  en  œuvre 
fut  confié  à  M.  Saint-Saëns,  qui,  après  en  avoir  exécuté  en- 
viron la  première  moitié,  me  fit  l'honneur  de  remettre  à  mes 
soins  la  fin  de  la  tâche.  Les  matériaux  principaux  dont  nous 
avons  fait  usage  sont,  outre  les  partitions  française  et  ita- 
lienne (gravées  l'une  et  l'autre),  une  copie  de  la  partition 
qui  servait  autrefois  aux  chefs  d'orchestre  de  l'Opéra  pour 
diriger  l'exécution  d'Orphée,  ainsi  que  les  parties  séparées  de 
chant  et  d'orchestre  ;  enfin,  et  surtout,  d'importants  fragments 
autographes  de  Gluck  conservés  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra 
et  à  celle  du  Conservatoire.  Par  la  confrontation  de  ces  divers 
documents,  nous  avons  pu  nous  convaincre  que  la  partition 
française  gravée,  exécutée  avec  un  manque  de  soin  incroyable,' 
était  très  souvent  fautive,  surtout  fort  incomplète  au  point 
de  vue  de  l'attribution  et  du  nombre  des  parties  d'orchestre; 
nous  avons  donc  rétabli  partout  les  véritables  intentions  de 
Gluck. 

Ce  travail  de  restauration,  bien  que  non  encore  livré  au 
public,  a  été  communiqué  à  M.  Carvalho,  qui  en  a  profité 
pour  la  reprise  d'Orphée.  Au  reste,  sauf  pour  ce  qui  concerne 
des  particularités  orchestrales  dans  le  détail  desquelles  je  ne 
saurais  entrer  ici,  la  version  adoptée  est  restée  celle  de  1859, 
c'est-à-dire  un  mélange  des  partitions  italienne  et  française. 
Le  ballet  final  de  cette  dernière,  très  développé  à  l'origine,  a 
été  remplacé,  conformément  à  une  tradition  introduite  à 
l'Opéra  au  commencement  du  siècle,  par  l'agréable  chœu  r 
d'Echo  et  Narcisse  :  «  Le  dieu  de  Paphos  et  de  Gnide  »;  enfin, 
toujours  d'après  une  tradition  de  l'Opéra  qui  date  de  Nourrit, 
on  a  emprunté  à  la  même  œuvre  l'aii-  agité  :  «  G  transports, 
ô  désordre  extrême  »,  pour  le  mettre  à  la  place  de  l'air  de 
bravoure  qui  termine  le  premier  acte  de  la  partition  française, 
air  qui,  dit-on,  n'est  pas  de  Gluck  (point  contesté),  et  qui,  en 
tout  cas,  est  d'un  fort  mauvais  style,  et  fait  tache  dans  l'en- 
semble si  pur  de  l'œuvre;  pour  le  rendre  supportable,  il 
fallait  assurément  toute  la  puissance  de  virtuosité  da 
M""'  Viardot. 

C'est  à  M"«  Delna  qu'est  échue  la  redoutable  succession  de  cette- 
dernière.  L'on  n'a  pas  oublié  l'impression  de  surp  rise  et  d'admi- 
ration que  produisit,  il  y  a  trois  ans  environ,  le  début  de  cette 
jeune  artiste,  qui,  presque  sans  étude,  se  révéla  du  premier 
coup  une  tragédienne  lyrique  de  premier  ordre  ,  et,  dès  l'abord, 
incarna  dignement  la  Didon  de  Berlioz.  Depuis,  M"°  Delna  a 
beaucoup  chanté,  et  pas  toujours  des  rôles  dénature  à  déve- 
lopper en  elle  cette  tendance  innée  vers  le  grand  art.  Elle 
jouait  donc  une  forte  partie  en  prenant  ce  rôle  d'Orphée,  le 
plus  redoutable  peut-être  de  la  tragédie  lyrique,  car  sa  diffi- 
culté intrinsèque  est  encore  accrue  par  cette  circonstance  que, 
femme,  l'interprète  doit  donner  l'illusion  d'un  personnage, 
certes,  bien  viril. 

Soit  dit  en  passant,  je  suis  assez  tenté  de  considérer  comm  e 


LD:  MENESTREL 


75 


regrettable  cette  tradition  moderne,  mais  qui  semble  défini- 
tive, de  donner  le  rôle  d'Orphée  à  une  femme.  Avec  M™°  Viar- 
dot,  c'était  bien  ;  mais  de  même  que  l'artiste  était  exceptionnelle, 
de  même  cette  interprétation  aurait  dû  rester  une  exception  : 
cette  idée  est  en  contradiction  évidente  avec  la  volonté  de 
Gluck,  dont  le  génie  logique  et  ami  de  la  vérité  s'en  fût  cer- 
tainement révolté;  et  comme  nous  ne  pouvons  plus  conserver 
l'espérance  de  retrouver  jamais  sur  nos  théâtres  des  artistes 
du  genre  d'(7  signor  Guadagni,  le  mieux  aurait  été  d'en  revenir 
simplement  à  la  version  française  d'Orphée,  et  de  rendre  son 
sexe  au  mythique  personnage  en  le  faisant  chanter  par  un 
ténor.  Un  artiste  tel  que  M.  Van  Dyck,  par  exemple,  n'y  serait 
pas  déjà  si  mal. 

Mais  revenons  à  M"'  Delna.  L'artiste  avait  donc  à  montrer 
si  cette  belle   spontanéité  du  premier  jour  avait  fait  place  à 
la  science  de  composition  désormais  nécessaire  au  dévelop- 
pement de  son  talent.  Dire  qu'elle  est  définitivement  en  pos- 
session de  celte  science  serait  sans  doute  un  peu  prématuré; 
ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  est  en  très  bonne  voie  pour 
y  parvenir,  et  peut-être  à  brève  échéance.  Toujours  merveil- 
leusement servie  par  son    instinct,  M"'=  Delna  a  cette  qualité 
éminente  :  elle  donne  l'impression  de  la  grandeur.  Elle  a  été 
fort  belle  dans  l'acte  des  Enfers,  charmant  les  esprits  infernaux 
par  son  chant  et  les  sons  de  sa  lyre  ;  elle  a  eu  un  geste  infi- 
niment expressif  à  la  fin  de  l'acte  des  Champs  Élysées,  quand, 
prenant  avec  une  tendresse   passionnée  la  main  d'Eurydice, 
Orphée  entraîne   silencieusement  cette  épouse   qu'il   lui  est 
interdit  de  regarder.  Son  succès  a  été  triomphal  après  l'air  : 
«  J'ai  perdu  mon  Eurydice  ».  Je  lui  adresserai  cependant  une 
critique  :  celle  d'avoir  ici  trop  déclamé,  pas  assez  chanté,  d'avoir 
trop  complètement  brisé  la  ligne  si  pure  de  la  mélodie,  tout 
au  moins  dans    la   strophe  d'exposition   qui   doit    conserver 
absolument  son  caractère    de   beau  chant,   plastique   aulant 
qu'expressif.    Mais  cette  réserve  faite,  si    nous  adoptons   le 
point  de  vue  de  l'artiste,    il  faut  reconnaître  que  l'interpré- 
tation de  M"''  Delna  a  été  infiniment  pathétique,  et  que  l'air  a 
été  dit  par  elle  avec   une  puissance  vocale,  une  justesse  de 
mimique  et  une  intensité  d'accent  qui  la  classent  définitive- 
ment parmi  les  grandes  artistes.  Grâce  à  elle,  voici  une  belle 
.série  de  représentations  qui  s'annonce  :  tous  les  admirateurs 
de  Gluck —  et  ils  sont  aujourd'hui  légion  —  s'en  réjouiront. 
L'ensemble    de  l'interprétation   est   excellent.   L'exécution 
orchestrale  a  été  parfaitement  disciplinée,  sous  la  baguette  de 
M.    Danbé,    bien     que    peut-être,    parfois,    insuffisamment 
expressive,  et  les  chœurs  ont  chanté  avec  un  charme  harmo- 
nieux auquel  les  choristes  de  l'Opéra-Comique  ne  nous  avaient 
pas  trop  accoutumés  !  A  côlé  de  M""  Delna,  et  dans  des  rôles 
moins  en  relief,  M""Leclerc,  Marignan  et  Laisné  ont  contribué 
à  une  exécution  musicale  irréprochable;  enfin   il  faut  louer 
l'animation  qui  règne  sur  le  théâtre  dans  les  évolutions  d'en- 
semble, comme  dans  la  scène  de  l'arrivée  d'Orphée  dans  les 
Enfers,  dont  le  mouvement  tumultueux,   obtenu  à  l'aide  des 
seuls  choristes,  lesquels,  enfin,  consentent  à  jouer,  a  été  fort 

habilement  réglé. 

Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


"Vaudeville.  Manette  Salomon,  pièce  en  4  actes  et  9  tableaux,  de  M.  Ed.  de 
Concourt.  —  Porte-Saint-Martl\.  Thermidor,  drame  en  4  actes  et  6  ta- 
bleaux, de  M.  V.  Sardou.  —  Odéon.  Les  Danicheff,  pièce  en  4  actes,  de 
M.  P.  Newsky.  —  Renaissance.  La  Figurante,  comédie  en  3  actes,  de 
M.  F.  de  Curel. 

Certes,  ce  n'est  pas  par  ses  qualités  d'auteur  dramatique  que 
M.  Edmond  de  Goncourt  a  pris,  parmi  les  premiers  de  nos  littéra- 
teurs modernes,  nne  place  importante.  Manette  Salomon,  tout  comme 
Germinie  Lacerleux,  la  plus  connue  de  ses  œuvres  théâtrales,  affirme 
un  esprit  curieux,  d'allure  acrimonieuse  assez  particulière  en  l'étude 
des  moeurs  et  des  caractères,  et  témoigne,  une  fois  de  plus,  d'une 
IndifTérence  hautaine  pour  tout  ce  qui  pourrait  ressembler  à  ce  qu'on 


appelle  des  concessions  au  public.  Mais  Manette  Salomon,  toujours  et 
même  plus  encore  que  Germinie  Lacerteux,  parait  un  défi  volontai- 
rement jeté  à  tout  ce  qui  se  réclame  de  la  logique,  de  la  coordination 
et,  il  faut  le  dire,  de  la  clarté,  tl  s'ensuit  une  pièce  hachée  par  petits 
fragments  dont  le  lien  trop  fragile  échappe  trop  souvent,  une  pièce 
dans  laquelle  l'action  principale  s'efface  continuellement,  laissant  la 
place  prépondérante  aux  incidents  complètement  inutiles  à  cette  ac- 
tion principale. 

Le  roman  dans  lequel  ont  été  découpés  ces  quatre  actes  analyse  la 
mainmise  méthodique,  néfaste,  aLnihilaute,  toute-puissante  de  Ma- 
nette Salomon  sur  le  peintre  Goriolis.  Manette  Salomon  est  juive, 
juive  à  l'âme  mercantile,  au  cœur  sec,  aux  doigts  hideusement  cro- 
chus. L'art,  que  lui  importe  !  elle  ne  connaît  qu'une  chose  :  l'argent. 
Et  lorsque,  sentant  l'avilissement  honteux  auquel  il  est  tombé,  souf- 
frant mille  tortures  de  l'asservissement  abject,  le  dégoût  ayant  fait 
place  à  l'amour,  Goriolis  cherche  à  se  ressaisir,  il  est  trop  tard. 

Malheureusement,  la  pièce  se  contente  d'indiquer  par  petites  tou- 
ches légères  ce  travail  lent  d'absolue  domination,  et  l'on  s'étonne,  à 
juste  raison,  que  l'homme  ne  trouve  pas  le  courage  et  les  forces  né- 
cessaires pour  jeter  dehors  l'être  immonde.  Les  quatre  actes,  pour 
ainsi  dire  vides  de  leur  principale  raison  d'être,  sont  donc  presque 
exclusivement  remplis  d'épisodes,  et  d'aucuns  ne  seraient  pas  trop 
mal  venus  à  s'imaginer  que  le  principal  personnage  n'est  autre  qu'Ana- 
tole, flanqué  de  son  singe  Vermillon.  Cet  Anatole  !  quel  joli  croquis 
spirituellement  dessiné,  tendrement  nuancé  I  C'est  lui  qui  sauve  la 
soirée  ;  c'est  le  rayon  de  gai  soleil  s'infiltrant  en  cet  intérieur  froi- 
dement sonabre,  c'est  l'émotion  honnête  et  simple  faisant  oublier  toute 
la  vilenie  et  la  lâcheté  ambiantes. 

Le  succès  de  l'interprétation  est  allé  tout  d'abord  à  M.  Galipaux, 
qui  a  donné  au  rôle  d'Anatole  tant  de  belle  humeur  turbulente  et 
bavarde  et  tant  de  douce  tendresse.  MM.  Candé,  Mayer,  Lérand, 
Michel.  Grand,  M""»»  Rosa  Bruck,  Grassot  et  Luce  Colas  défendent 
supérieurement  Manette  Salomon. 

Vous  vous  rappelez  le  bruit  qui  se  fit  à  la  Comédie-Française  lors 
de  la  seconde  représentation  de  Thermidor,  bruit  qui  nécessita 
l'interdiction  immédiate  de  la  pièce  île  M.  Sardou.  La  Porte-Saint- 
Martin  ayant,  à  la  tête  de  sa  troupe,  M.  Coquelin,  le  génial  créateur 
du  rôle  de  Labussière,  vient  de  remonter  ce  drame  avec  de  très 
grands  soins.  Pour  la  circonstance,  M.  Sardou  é.  ajouté  a  son  œuvre 
primitive  deux  nouveaux  tableaux,  la  Convention  et  la  Dernière 
Charrette,  tableaux  dont  l'intérêt  principal  réside  dans  la  mise  en 
scène  superbement  réglée.  A  ce  qu'ici  même  nous  avons  écrit  en 
février  ÎSQI,  nous  ne  voyons  rien  à  modifier;  notre  impression  est 
demeuréela  même  absolument,  etnous  serionsfort  étonné  si  Thermidor 
n'était  pas  un  très  gros  succès  de  public. 

Tel  nous  avions  vu  M.  Coquelin  il  y  a  cinq  ans,  tel  nous  l'avons 
retrouvé,  et  la  grande  scène  des  dossiers  du  tribunal  révolutionnaire 
demeure  une  des  choses  les  plus  superbement  établies  par  le  mer- 
veUleux  comédien.  M""  Blanche  Dufresne,  MM.  Volny,  Desjardins, 
Laroche,  Gravier,  Péricaud,  J.  Coquelin,  Nicolini,  M"«"  Kerwich, 
Miroir  et  tant  d'autres  encore,  forment  un  très  bon  ensemble. 

Les  i)amcfte/7  viennent  de  faire  leur  rentrée  à  l'Odéon,  après  avoir 
élu  domicile  et  à  la  Porte-Saint-Martin  et  au  Gymnase.  Le  public, 
fidèle  à  ses  affections,  a  paru  heureux  de  retrouver  la  comtesse,  et  au 
Vv^ladimir,  et  Anna  et  le  cocher  Ossip,  et  les  larmes  ont  coulé  comme 
premier  jour.  Très  bonne  distribution  avec  MM.  Magnier,  Rameau, 
Montbars,  Lambert,  Duard,  Rousselle,  M""'=  Tessandier,  Syma,  de 
Boneza,  Raucourt,  Garniery  et  Béry. 

A  la  Renaissance,  M.  de  Curel,  prend,  en  grande  partie,  sa  revan- 
che de  la  folle  équipée  eu  laquelle  il  s'était  engagé  si  à  la  légère, 
il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  à  la  Comédie-Française.  Des  trois  actes 
très  conrls  àe  la  Figurante,  d'idée  originale,  de  déduction  plausible, 
de  dialogue  séduisant,  le  premier  est  tout  à  fait  exquis,  le  second 
très  bien  encore,  mais  le  troisième,  en  son  principal  personnage 
masculin,  approche  de  si  près  le  ridicule  qu'il  aurait  suffi  d'une 
fâcheuse  disposition  du  public  pour  gâter  le  bon  effet  produit  précé- 
demment. 

Henri  Renneval,  député,  veut  devenir  ministre  et  l'objection  la 
plus  grande  à  son  avancement  politique  est  qu'il  est  célibataire.  Qu'à 
cela  ne  tienne  !  M"»  Hélène  de  Moineville,  avec  qui  il  entretient 
d'étroites  relations  depuis  plus  de  cinq  ans  et  M.  de  Moineville,  au 
courant  de  la  conduite  de  sa  femme,  trop  âgé  pour  essayer  de  réagir, 
trop  philosophe  pour  se  rendre  ridicule  par  un  esclandre,  lui  trouve- 
ront une  femme  qui  ne  sera  sa  femme  que  pour  le  monde,  une 
«  figurante  ».    Le  choix   des    deux   époux  se  porte  sur  une  pauvre 


76 


LE  MENESTREL 


orpheline,  Françoise,  jugée  d'esprit  pratique   par  Madame,  devinée 
d'âme  ardente  par  Monsieur. 

C'est  M.  de  Moineville  qui  avait  vu  juste.  Peu  à  peu  Françoise 
conquiert  Henri  ;  et  après  quelques  scènes  diplomatiques  ou  violentes 
entre  la  maîtresse  épeurée  et  la  femme  légitime,  qui  n'est  toujours 
que  figurante,  la  victoire  reste  à  celte  dernière. 

La  Figurante,  dont  chaque  rôle  offre  une  difficulté  assez  particulière 
d'interprétation  tant  les  nuances  y  sont  subtiles,  tant  les  situations 
souvent  délicates,  est  tout  à  fait  bien  jouée  par  M.  Guitry,  M'"'  Thom- 
sen,  Legault,  M.  Antoine  et  M"''  Caron. 

Pail-Émile  Ghevauer. 


L'ORCHESTRE    DE 

(Suite.)  . 


LULLY 


Dans  le  courant  de  la  même  année  1696,  le  l"  mai,  Collaste  repa- 
raissait à  l'Opéra,  en  compagnie  précisément  de  l'abbé  Pic,  avec  un 
ouvrage  intitulé  ta -Vai.ssrt«ce  cte  Vénus,  dans  lequel  il  avait  employé 
plusieurs  morceaux  de  Lully  (on  voit  qu'il  en  avait  fait  provision),  ce 
qui  amena,  en  tête  de  la  partition,  un  nouvel  avis  ainsi  conçu  :  — 
(c  L'autheur  a  esté  obligé  de  mettre  ce  mémoire  pour  faire  voir  qu'il 
n'y  a  que  treise  morceaux  de  symphonie  de  M.  de  Lully,  dont  l'on  a 
voulu  qu'il  se  soit  servy  pour  l'embellissement  de  cet  ouvrage  ;  mais, 
comme  il  ne  lui  a  pas  esté  permis  de  les  faire  imprimer,  il  s'est  contenté 
seulement  de  marquer  les  premières  mesures  de  chaque  air.  »  Ceci 
semble  indiquer  que  Collasse  ne  se  trouvait  pas  alors  en  très  bons 
termes  avec  la  famille  de  Lully. 

Collasse  avait,  pour  se  consoler  de  ses  insuccès  et  des  critiques 
dont  il  était  l'objet,  la  protection  bienveillante  de  Louis  XIV,  qui  ne 
l'abandonna  jamais.  Le  souverain  avait  pour  lui  une  estime  que  son 
talent,  à  défaut  de  génie,  suffisait  à  justifier,  et  il  le  lui  prouva  à  di- 
verses reprises.  Michel  Lambert,  le  beau-père  de  Lully,  étant  mort 
le  27  juin  1696,  Collasse  songea  à  lui  succéder  dans  ses  fonctions  de 
maître  de  !a  musique  de  la  chambre.  Il  acheta  sa  charge  à  ses  héri- 
tiers au  prix  de  10.000  livres,  et  le  roi  lui  en  assura  6,000.  Il  fut 
nommé  en  titre  le  14  aoùt(l).  Ces  nouvelles  fonctions,  jointes  à  celles 
de  maître  de  la  chapelle,  pour  laquelle  il  écrivait  de  nombreuses  com- 
positions religieuses,  ne  l'empêchèrent  pas  de  continuer  à  travailler 
pour  le  théâtre,  bien  qu'il  y  fût  rarement  heureux.  Le  4  novembre  1700, 
il  donnait  à  l'Opéra  un  nouvel  ouvrage,  i'anente,  sur  un  poème  de 
Houdard  de  Lamotte.  Cet  ouvrage  ne  fat  pas  plus  fortuné  que  les  pré- 
cédents, en  dépit  d'une  interprétation  qui  devait  être  superbe,  car 
elle  réunissait  les  noms  de  M""*  Desmatins,  Maupin  et  Fanchon  Mo- 
reau,  de  Thévenard,  Dun  et  Hardouin,  tandis  que  la  danse  était  re- 
présentée par  des  sujets  hors  ligne  tels  que  Pécourt,  Balon,  Despla- 
ces, et  M"'*  Subligny  et  Dangeviile. 

Celle  fois,  Collasse  resta  six  années  pleines  sans  reparaître  à  la  scène. 
Je  suppose  donc  que  c'est  à  cette  époque  qu'il  faut  placer  un  fail  que 
Félis  a  rapporté  d'après  le  Dictionnaire  des  Théâtres  des  frères  Parfait, 
les  seuls  qui  en  aient  parlé,  car  je  ne  l'ai  vu  mentionné  par  aucun 
autre  écrivain  contemporain  (2).  <>  M.  Collasse,  disent  les  frères  Par- 
fait, eut  le  crédit  d'obtenir  le  privilège  d'un  Opéra  pour  la  ville  de 
Lille,  qu'il  entreprit  à  ses  dépens  ;  mais  ce  projet  ayant  été  renversé 
par  un  incendie,  le  Roi,  qui  goùtoit  extrêmement  les  morceaux  de  la 
composition  de  ce  musicien,  lui  fit  compter  une  somme  de  dix  mille 
livres  pour  le  dédommager  de  cette  perle,  et  eut  encore  la  bonté  de 
lui  conserver  ses  deux  charges.  M.  Collasse  sçut  mal  profiter  de  son 
bonheur  et  des  grâces  du  Roi  :  il  s'amusa  à  chercher  la  pierre  philo- 
sophale.  La  chute  de  P/yrrAu-s  et  Polyxène,  son  dernier  opéra,  acheva 
de  lui  déranger  l'esprit.  Il  mourut  trois  ans  après  cet  accident.  » 

Polyxène  et  Pyrrhus,  représenté  le  2t  octobre  1706,  n'eut  en  effet 
aucun  succès,  et  Collasse  en  conçut  un  profond  chagrin.  On  conçoit 
qu'il  ne  dut  pas  être  plus  heureux  dans  ses  reclierches  relatives  à  la 
pierre  philosophale,  au  c  grand  œuvre,  »  comme  on  l'appelait  alors. 
Tout  cela,  joint  au  désastre  qu'il  avait  subi  à  Lille,  ébraula  sa  raison, 
et  l'on  assure  qu'il  était  complètement  fou  lorsqu'il  mourut  à  Ver- 
sailles, le  18  juillet  1709. 

(1)  "Voy:  Jal  :  JJirlionnaire  critique,  etc. 

(2)  Nul  n'en  parle,  en  etfet:  pas  plus  Titon  du  Tillet  'te  Pnrwiise  Fmnçoisl  que 
Bourdelot  (Hidoire  de  ta  musique),  pas  plus  La  Borde  (Essais  surla  musiquî),  que 
l'abbé  Lambert  (Histoire  littéraire  du  sièdedc  Louis  XIV j,  pas  plus  Durey  de  Noinville 
(Histoire  de  l'Opéra)  qus  Là.  Vieuville  de  l''reneu3e  (l'ompnroison  de  la  musique  ita- 
lienne avec  la  musique  française).  Le  renseignement  des  frères  Parfait  ne  manque 
pourtant  pas  d'une  certaine  précision. 


gPeu  de  musiciens  ont  été,  autant  que  Collasse,  l'objet  des  railleries 
et  des  critiques  de  leurs  contemporains,  qui  ont  été  pour  lui  sans 
pitié.  On  lui  reprochait  à  chaque  instant  de  piller  Lully,  son  maître, 
ou  de  l'imiter  platement  et  servilement,  et  toute  occasion  semblait 
bonne  pour  lui  décocher  d'incessantes  épigrammes.  Cela  commença 
avec  son  premier  opéra,  Achille  et  Polyxène,  ou  l'on  enveloppa  dans  sa 
disgrâce  son  collaborateur,  le  poète  Campislron  : 

Entre  Campistron  et  Collasse 

Grand  débat  s'émeut  au  Parnasse 
Sur  ce  que  l'opéra  n'a  pas  un  sort  heureux. 
De  son  mauvais  succès  nul  ne  se  croit  coupable: 
L'un  dit  que  la  musique  est  plate  et  misérable. 
L'autre,  que  la  conduite  et  les  vers  sont  affreux  ; 
Et  le  grand  Apollon,  toujours  juge  équitable. 

Trouve  qu'ils  ont  raison  tous  deux. 

On  ne  peut  nier  pourtant  que  Collasse  n'ait  occupé  de  son  temps 
une  situation  artistique  considérable.  Mais  il  émettait  peut-être  la 
prétention  de  remplacer  Lully,.  et  assurément  cette  prétention  était 
excessive.  Toutefois,  en  regard  des  brocards  dont  quelques-uns  l'acca- 
blèrent, on  peut  placer  quelques  jugements  plus  équitables  rendus  à 
son  sujet;  tel  celui-ci,  que  j'emprunte  à  l'abbé  Lambert  :  —  «  ...  A 
Lulli  succéda  Collasse,  auteur  de  quelques  opéras.  Le  plus  connu,  et 
aussi  le  meilleur,  est  Tliétis  et  Pelée,  dont  les  paroles  sont  de  M.  de 
Fontanelle.  On  y  remarque  une  tempête  bien  supérieure  à  celle  que 
Lulli  avoit  mise  dans  Persée;  mais  il  faut  convenir  que  cette  supériorité 
doit  être  en  partie  attribuée  à  la  plus  grande  capacité  de  l'orchestre, 
qui,  du  temps  de  Thètis  et  Pelée,  étoit  devenu  meilleur.  Au  reste, 
quoique  cet  opéra  ait  de  grandes  beautés,  on  n'y  découvre  cependant 
aucun  de  ces  traits  frappans  qui  déeellenl  un  génie  particulier;  c'est 
partout  le  tour  et  la  manière  de  Lulli.  Aussi  Collasse  ne  peut-il  être 
regardé  que  comme  un  des  meilleurs  disciples  de  ce  grand  homme  (1).  » 
C'est  aussi  un  grand  honneur  pour  Collasse  d'avoir  été  désigné,  sinon 
nommé,  par  La  Bruyère,  qui  le  mentionne  ainsi  dans  son  chapitre  . 
Du  mérite  personnel  :  —  «  Quand  on  excelle  dans  son  art,  et  qu'on  lui 
donne  toute  la  perfection  dont  il  est  capable,  l'on  en  sort  en  quelque 
manière,  et  l'on  s'égale  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  et  de  plus  relevé, 
V**  est  un  peintre,  C*'^  est  un  musicien,  et  l'auteur  de  Pyrame  est 
un  poète;  mais  Mignard  estMignard,  Lulli  est  Lulli,  et  Corneille  est 
Corneille  (2).  » 

Les  dix  opéras  qu'il  fit  représenter  ne  sont  pas,  tant  s'en  faut,  les 
seules  productions  de  Collasse.  Il  faut  y  ajouter  les  nombreux  motets 
et  cantiques  qu'il  écrivit  pourle  service  de  la  chapelle  de  Louis  XIV, 
ainsi  que  les  cantates  et  cantatilles  françaises  qu'il  dut  composer 
pour  celui  de  la  chambre.  Et  Fétis  nous  fait  connaître  encore  de  lui 
plusieurs  compositions  importantes  :  —  «  On  trouve,  dit-il,  à  la 
bibliothèque  de  l'Arsenal  la  partition  originale  à'Amarillis,  pastorale 
de  Collasse,  datée  de  1689.  Cet  ouvrage  n'a  pas  été  représenté.  Collasse 
a  écrit  aussi  l' Amour  et  l' Hymen,  divertissement  composé  d'un  prologue 
et  de  huit  scènes,  exécuté  au  mariage  du  prince  de  Conti,  et  la 
musique  d'un  des  ballets  des  jésuites,  qu'on  trouve  dans  un  volume 
de  la  collection  Philidor  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire  de 
musique  de  Paris.  » 

A  tout  le  moins,  peut-on  dire  de  Collasse  qu'il  fut  un  travailleur 
acharné.  Il  parait  certain  aussi  qu'il  fut  un  des  bons  chefs  d'orchestre 
de  l'Opéra. 

(A  suivre).  Arthur  Pougin. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Concert  Colonne.  —  L'ouverture  de  la  Princesse  Jaune  est  une  œuvre 
de  la  jeunesse  de  Saint-Saëns  ;  elle  abonde  en  détails  intéressants;  mais 
c'est  une  simple  ouverture  d'opéra-comique,  qui  ne  prépare  guère  à 
la  tumultueuse  musique  de  Wagner.  —  Les  Landes,  paysage  breton  de 
M.  Guy  Ropartz,  appartiennent  bien  à  la  musique  descriptive  :  c'est  la 
lande  aride  et  stérile,  sur  laquelle  ne  brille  aucune  fleur,  sur  laquelle 
soufîle  une  bise  aigre  et  glacée.  —  M"«  Kutscherra  a  interprété  avec  un 
excellent  sentiment  la  mélodie  de  Wagner  intitulée  Révcs,  qui  n'a  rien 
de  bien  saillant.  —  Grand  succès  pour  le  concerto  en  la  mineur  de  Schu- 
mann,  que  M.  Diémer  a  exécuté  avec  la  perfection  impeccable  qu'on  lui 
connaît.  Ce  concerto  de  Schumann,  qui  ne  devait  être  à  l'origino  qu'une 
fantaisie  (l^'  mouvement),  fut  plus  tard  complété  par  l'addition  d'une 
introduction-andante  et  d'un  finale.  Ce  fut  Alfred  Jaëllqui  le  ât  connaître 
en  France,  dans  un  concert  du  Conservatoire,  où  il  produisit  le  plus  grand 

(1]  Histoire  littéraire  du  siècle  de  Louis  XIV,   t.  II. 

(2)  "V"  désigne  Claude-François  Vignon.  membre  de  l'Académie  de  peinture; 
C"  désigne  Collasse;  l'auteur  de  Pyrame  est  Pradon. 


LE  MÉNESTREL 


77 


effet.  Cette  musique  parut  étrange;  elle  dérangeait  tant  soit  peu  les  habi- 
tudes reçues,  les  traditions  acceptées  ;  mais  l'impression  fut  profonde.  — 
La  seconde  partie  du  concert  de  M.  Colonne  était  consacrée  au  troisième 
acte  du  Crépuscule  des  Dieu3:,  de  Wagner.  L'œuvre  a  été  montée  avec  beau- 
coup de  soin  :  l'exécution  a  été  parfaite.  Mais  nous  persistons  à  dire  que 
toute  cette  musique,  faite  uniquement  pour  la  scène,  n'a  aucune  raison 
d'être  au  concert,  et  laisse  l'auditeur  très  indifférent  et  très  froid.  Il  y  a 
un  moment,  cependant,  où  il  est  secoué  de  son  indifférence  ;  c'est  lorsque 
s'élèvent  les  premiers  accents  de  la  Marche  funèbre.  A  ce  moment,  la 
donnée  est  plus  simple  :  Siegfried  est  mort,  on  célèbre  ses  funérailles,  et 
Brunehild  intervient,  se  désespère  et  se  précipite  dans  le  bûcher.  Là,  le 
public  n'est  plus  dérouté  :  il  n'y  a  aucune  complication  ;  il  saisit  et  devine, 
même  sans  livret,  le  sens  de  la  musique  qu'il  écoute.  On  eût  dû  commen- 
cer par  la  Marche  du  Crépuscule  et  éliminer  le  reste  :  l'impression  eût  été 
plus  profonde.  Du  reste,  cette  marche  est  admirable  et  une  des  plus  belles 
inspirations  qu'il  y  ait  en  musique.  Le  finale  renferme  des  pages  de  toute 
beauté  que  M"'  Kutscherra  a  fait  valoir  par  sa  dramatique  diction  et  la 
sonorité  puissante  de  son  magnifique  organe.  H.  Barbedette. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Très  belle  audition  du  2"  tableau  du  l"  acte 
d'un  opéra  de  M.  Théodore  Dubois:  Circé.  Le  titre,  emprunté  à  l'Odyssée, 
est  pris  au  figuré.  L'action  se  passe  en  1809,  pendant  la  guerre  d'Espagne. 
Le  fragment  exécuté  nous  fait  assister  au  réveil  de  l'enthousiasme  patrio- 
tique provoqué  par  Hernandez,  chef  de  partisans,  et  par  Miguela,  grande 
dame  espagnole.  Après  un  prélude  aux  sonorités  retentissantes,  la  conster. 
nation  de  la  foule  est  exprimée  par  des  phrases  chorales  très  expressives  ; 
vient  ensuite  la  ballade  du  Coq  noir,  très  véhémente  et  indiquant  à  chaque 
mot  le  souci  de  rendre  par  la  musique  le  sentiment  des  paroles.  Mais  la 
page  la  plus  saisissante  est  consacrée  au  chant  de  Miguela  entrecoupé  par 
les  chœurs.  Les  motifs  y  sont  pleins  de  noblesse  et  les  interruptions  du 
peuple  font  naître  une  émotion  réelle  et  forte.  M.  Théodore  Dubois  s'en 
tient  d'ailleurs  à  la  forme  consacrée  de  l'opéra,  mais  ill'élève  et  la  rejeunit 
par  les  correctifs  nécessaires.  On  a  fait  à  son  œuvre  et  à  ses  interprètes, 
M"»  Jane  Marcy,  MM.  Lafarge,  Bailly  et  Blancard  un  chaleureux  succès. 
—  Les  Chants  de  la  forge,  extraits  de  Siegfried...  musique  d'un  coloris  intense 
et  cru  d'où  jaillissent  des  étincelles  comme  d'un  fer  chauffé  à  blanc,  un 
peu  viae  et  creuse  d'ailleurs  si  on  veut  lui  demander  compte  de  l'origi- 
nalité de  ses  dessins  mélodiques.  Ici,  "Wagner  n'a  pas  introduit  de  ces 
motifs  révélateurs  dont  quelques-unes  de  ses  œuvres  sont  ennoblies  d'un 
bout  à  l'autre  :  le  coloris  de  l'orchestre  agit  en  véritable  trompe-l'œil  au 
point  que  l'on  se  demande  comment  cette  exaspération  de  violence  creuse 
serait  supportée  si  l'auteur  responsable  portait  un  autre  nom.  La  scène 
finale  AuCrépusciile  des  Dieux  faisait  contraste,  car  celle-là  est  absolument 
géniale.  On  a  pu  remarquer,  en  ce  qui  concerne  l'exécution,  combien  les 
nuances  de  l'orchestre  sont  faites  mécaniquement.  Il  a  manqué  dans  les 
deux  fragments  de  Wagner  le  sentiment  profond,  l'allure  pleine  d'aisance, 
le  souffle  héroïque,  la  grandeur  simple  et  pathétique,  toutes  qualités  indes- 
criptibles mais  qui  se  sentent  à  l'audition  et  qui  font  la  différence  entre 
la  chose  sentie,  vécue,  et  la  chose  factice.  On  ne  crée  pas  artificiellement 
le  plus  léger  souille  du  zéphir  et  cent  mille  soulHets  de  forge  ne  donne- 
raient pas  l'impression  d'une  rafale  d'automne.  L'orchestre  Lamoureux, 
très  correct  et  très  parfait,  pourrait  peut-être  viser  à  obtenir  une  allure  plus 
libre  et  chercher  ses  efi^ets  dans  une  sphère  d'action  moins  étroite.  Son 
horizon  en  serait  certainement  agrandi.  M°"  Jane  Marcy  et  M.  Lafarge  ont 
bien  chanté  les  deux  scènes  wagnériennes  :  mais  il  n'y  a  rien  à  dire  de 
l'exécution  de  la  Symphonie  en  fa  de  Beethoven  sinon  qu'elle  fait  tort  au 
maître  par  sa  sécheresse  et  ses  moyens  étriqués.  Pour  finir,  l'Invitation  à 
la  valse  de  Weber,  orchestrée  par  Berlioz.  Amédéh  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Symphonie  en  te  majeur  (Mendelssohn)  ;  chœur  des  Pileuses 

du  Vaisseau-Funlùme  (Richard  Wagner);  Symphonie  pour  orchestre  et  piano 
(Vincent  d'Indy),  eiécutée  par  M.  Braud  ;  Motet,  double  chœur  sans  accompa- 
gnement (J.-S.  Bach)  ;  ouverture  de  Léonore  (Beethoven). 

Châtelet,  concert  Colonne:  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven);  les  Landes, 
paysage  breton  (Guy  Ropartz);  concerto  en  la  majeur  pour  violon  (Saint-Saëns), 
exécuté  par  M.  Rémy.  Stniensée,  scènes  dramatiques  inspirées  du  drame  en 
prose  de  M.  Jules  Barbier  et  mises  en  vers  par  M.  Pierre  Barbier,  musique  de 
Meyerbeer,  avec  la  distribution  suivante  : 

Le  pasteur  Struensée  MM.  Silvain. 

Struensée  Albert  Lambert. 

Rantzau  Pierre  Laugier. 

La  reine  Mathilde  M""  Renée  Du  Minil. 

La  Reine-mère  Hadamard. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  Ouverture  de  concert  en 
si  mineur  (L.  Lacombe);  symphonie  en  mi  bémol  (Schumann);  concerto  en  ul 
mineur  pour  piano  (G.  Pierné),  exécuté  par  M""  Roger-Miclos;  les  Chants  de  la 
forge  du  premier  acte  de  Siegfried  (Wagner):  Siegiried,  M.  Lafarge;  Prélude 
de  Parsifid  iWagnen;  ouverture  des  }iiaUres-Chaii leurs  (Wagner). 

Concerts  du  Jardin  d'Acclimatation.  Chef  d'orchestre:  Louis  Pister,  Béatrice, 
ouverture,  de  E.  Bernard.  —  Largo,  orgue  et  orchestre,  de  Sporck.  —  Sérénade 
hongroise,  de  V,  Joncières.  —  LeRouet  d'Omphalc,  de  Saint-Sacns.  -  Sérénade  n°4, 
de  Jadassohn.  —  Scherzo-nocturne,  Dinse  antique  et  Pavane,  de  G.  Pauré.  — 
i'eramocs,  suite  d'orchestre,  de  Rubinstein. 

—  Le  dernier  concert  de  la  Société  des  compositeurs,  donné  à  la  salle 
Pleyel,  n'a  pas  obtenu  moins  de  succès  que  le  précédent.  On  y  a  surtout 
applaudi   une  fort  intéressante  sonate  pour  piano  et  violon  de  M.   Charles 


Tournemire,  fort  bien  exécutée  par  l'auteur  et  M.  Delaurens,  le  Sommeil  de 
l'Enfant  Jésus,  composition  instrumentale  pour  violon,  harpe  et  orgue,  d'un 
accent  plein  de  grâce,  de  M.  Henri  Biisser  (M.  Laforge,  U""  Taxy  et  l'au- 
teur), des  fragments  d'un  Requiem  de  M.  Max  d'Olonne,  chantés  par 
M"'  Julie  Guiraudon  et  M.  Beyle,  et  En  forêt,  suite  symphonique  de 
M.  Gesare  Galeotti,  réduite  au  piano  par  l'auteur  et  admirablement  jouée 
par  lui.  Citons  encore  diverses  compositions  de  MM.  Henri  Hirschmann, 
F.  Halphen  et  André  Fijan,  ainsi  qu'une  œuvre  posthume  de  Gounod,  un 
quatuor  pour  instruments  à  cordes,  exécuté  par  MM.  Laforge,  Dulaurens, 
Chazeau  et  Furet. 

—  La  première  séance  de  la  Société  de  musique  de  chambre  pour  ins- 
truments à  vent  et  à  cordes,  a  obtenu  le  succès  le  plus  brillant  et  le  plus 
complet.  On  y  a  entendu  d'abord  le  nonetto  de  Spohr,  pour  cordes,  flûte, 
hautbois,  clarinette,  basson  et  cor,  exécuté  par  MM.  Rémy,  Balbreck,  Loeb, 
de  Bailly,  Hennebains,  Gillet,  Turban,  Reine  et  Letellier,  qui,  malgré  son 
air  un  peu  rococo,  n'en  est  pas  moins  une  composition  intéressante.  Une 
délicieuse  sonate  de  J.-S.  Bach,  pour  piano  et  hautbois,  magistralement 
exécutée  par  MM.  I.  Philipp  et  Gillet,  qui  venait  ensuite,  a  littéralement 
enchanté  l'auditoire,  de  même  que  la  jolie  sonate  de  M.  Saint-Saëns,  pour 
piano  et  violon,  dont  le  finale  très  curieux,  en  moto  perpétua,  a  valu  un 
double  rappel  bien  mérité  à  MM.  Philipp  et  Rémy.  Le  programme  inscri- 
vait, pour  finir,  le  beau  septuor  de  Hummel,  œuvre  vraiment  digne  d'un 
maître  par  la  solidité  du  plan,  la  sûreté  de  la  facture  et  l'ampleur  de  la 
sonorité.  La  seconde  séance  est  annoncée  pour  le  19  mars,  avec  les  noms 
de  J.-S.  Bach,  Haendel,  Weber  et  M.  Saint-Saêns.  A.  P. 

—  Société  d'art.  Les  Esquisses  et  Souvenirs  de  Paul  Lacombe  exécutés  avec 
talent  par  M""  Toutain,  sont  d'une  grâce  mélodique,  d'un  charme  harmo- 
nique rares.  L'on  peut  dire  la  même  chose  de  deux  pièces.  Clair  de  lune 
et  Feux  follets  de  I.  Philipp  dont  M""  Edmond  Laurens  a  donné  une  inter- 
prétation tout  à  fait  remarquable.  Des  lieder-valses  absolument  charmants 
d'Edmond  Laurens  ont  eu  un  véritable  et  vif  succès.  De  même  des  Mélodies 
du  même  auteur,  et  la  ballade  de  Maître  Ambros,  fort  bien  dites  par 
M""  E.  Philipp.  Le  programme  se  complétait  par  le  beau  trio  de 
Ch.-M.  Widor  joué  par  l'auteur  et  MM.  Balbieck  et  Gurt,  par  des  pièces 
à  deux  pianos  d'I.  Philipp  et  par  deux  chœurs  d'une  jolie  venue.  Scène  de 
mai  d'Emile  Bernard,  et  .Idieuxà  la  mer  de  Georges  Mathias. 

—  Mercredi  dernier,  à  la  Société  de  musique  de  chambre  de  MM.  A.  Pa- 
rent et  Baretti,  M'''^  Marcella  Pregi  a  chanté  le  Cycle  de  mélodies,  op.  24, 
de  Schumann,  encore  inédit  eu  France.  L'œuvre  se  compose  de  neuf  mor- 
ceaux, on  devrait  dire  neuf  camées,  présentant  les  péripéties  variées  d'une 
histoire  d'amour.  Les  poésies  sont  de  Heine.  Sur  chacunes  d'elles  est  mo- 
dulé un  dessin  musical  d'une  absolue  pureté  de  formes,  tantôt  délicieux 
de  transparence,' tantôt  d'une  ironie  cruelle,  toujours  en  parfaite  concor- 
dance avec  le  sentiment  des  paroles.  M""^  Pregi  a  su  prêter  à  ces  minia- 
tures musicales  le  charme  d'un  talent  inimitable  dans  ce  genre  particuliè- 
rement difficile  d'interprétation.  Applaudie  et  rappelée,  elle  a  pu  voir 
combien  ia  tentative  vraiment  artistique  a  provoqué  de  sympathie  de  la 
part  d'un  auditoire  ravi  et  quelque  peu  surpris  d'entendre  du  nouveau 
très  inattendu.  Au  même  concert,  M.  Risler  a  rendu  avec  un  style  très 
pur  la  sonate  clair  de  lune  de  Beethoven.  Le  trio  en  fa  de  M.  Saint-Saëns 
avec  piano  et  le  magnifique  quatuor,  op.  74,  de  Beethoven,  ont  valu  aux 
interprètes,  MM.  Risler,  A.  Parent,  Baretti,  Sailler  et  Parent  un  succès 
entièrement  mérité.  Am.  B. 

—  La  société  «  la  Trompette  »  a  donné,  samedi  soir,  un  concert  des  plus 
intéressants.  Très  applaudis,  les  chanteurs  de  Saint-Gervais  (surtout  dans 
la  Bataille  de  Marignan,  de  Jannequin  elles  pièces  de  MM.  Ch.  Bordes  et 
Alary)  et  le  pianiste  Fritz  Schousboë  dans  le  Cartiaval  de  Schumann.  Mais  le 
succès  de  la  soirée  a  été  l'admirable  concerto  de  Haydn,  magistralement 
interprété  par  J.  Delsart,  l'éminent  professeur,  membre  de  la  société  des 
Instruments  anciens.  «  Nous  ne  prétendons  pas,  dit  un  de  nos  confrères, 
retaire  l'éloge  du  maître  incontesté  du  violoncelle.  Disons,  toutefois,  qu'il 
faut  avoir  entendu  cette  merveilleuse  virtuosité,  cette  sonorité  à  la  fois 
puissante  et  exquise,  cette  science  infinie  du  phrasé,  toute  cette  si  péné- 
trante poésie  unie  toujours  au  style  le  plus  pur  et  le  plus  large,  pour  com- 
prendre ce  qu'est  en  art,  la  souveraine  maîtrise.  » 

—  La  Naissance  du  Christ,  oratorio  en  trois  parties,  de  J.-B.  Weckerlin. 
C'était  lundi  dernier,  à  la  salle  Erard.  Au  début  oe  la  séance,  M.  Weker- 
lin  a  expliqué  en  peu  de  mots  qu'on  allait  entendre  un  ouvrage  de  sa 
jeunesse,  et  que  si  on  y  trouvait  des  «  naïvetés  n,  il  fallait  les  écouter 
avec  indulgence.  La  première  partie  commençait  par  la  Prophétie  d'îsaie, 
chantée  par  M.  Auguez  d'une  façon  remarquable  ;  la  seconde  partie 
de  l'air  d'Isaïe,  Harpe  longtemps  délaissée,  est  une  page  heureuse,  de 
mélodie  franche.  La  scène  suivante  se  passe  aux  enfers:  Satan  dévoile 
à  son  peuple  de  damnés  la  naissance  du  Christ:  hurlements  et  grince- 
ments du  chœur,  chanté  par  la  Société  des  chanteurs  de  Saint-Gervais. 
M.  Challet  (rôle  de  Satan),  est  doué  d'une  voix  superbe;  aussi,  vrai 
succès  pour  ce  chanteur,  qui  fait  cette  année  ses  débuts  dans  les 
concerts  de  Paris.  La  deuxième  partie  est  d'un  heureux  contraste  avec 
la  première,  où  la  sonorité  dominait.  Ici  la  scène  se  passe  dans  la  cam- 
pagne de  Jérusalem  ;  il  fait  nuit,  un  jeune  pâtre  (M"'-  Ador)  soupire  une 
mélancolique  ballade  avec  chœur  à,  bouche  fermée.  Un  remarquable 
chœur  à  huit  voix  d'hommes  suit  cette  ballade,  puis  un  duo  de  deux  jeunes 


78 


LE  MENESTREL 


Israélites  (M"""  Letocart  et  M"*  Ador)  et  l'apparition  des  anges  qui  for- 
ment un  double  chœur  avec  les  pasteurs,  finale  sonore,  vivant  et  heureu- 
sement venu.  A  la  troisième  partie  apparaissent  les  rois  Mages:  air  de 
ténor  (II.  Drouville)  soupiré  d'une  jolie  voix  de  lenorino,  comme  on  peut 
en  supposer  aux  rois  d'Arabie.  Très  beau  tiio  pour  les  rois  Mages,  qui 
s'arrêtent  à  une  fontaine,  et  écoutent  chanter  une  jeune  Benjamite  accom- 
gnéepar  ses  compagnes.  Arietto  charmante  a  cinq  temps,  qui  a  fait  rappeler 
son  interprète  M"=  Achté,  une  toute  jeune  cantatrice  finlandaise.  Marche 
des  rois  Mages  et  triple  chœur  final  à  onze  parties:  les  quatre  anges,  les 
trois  rois  et  le  chœur  des  pasteurs,  chœur  qui  a  fait  applaudir  chaleu- 
reusement l'auteur.  Nous  devons  mentionner  particulièrement  les  deux 
accompagnateurs,  M.  Morpain,  1"'  prix  de  piano  de  l'année  dernière,  un 
musicien  hors  ligne,  et  M.  Letocart,  organiste  de  Saint-Vincent-de-Paul, 
qui  a  tenu  l'orgue  Alexandre  avec  une  vraie  maesiria.  Avant  de  clore  ce 
résumé,  il  convient  de  citer,  avec  les  plus  grands  éloges,  M'"^  Arbel, 
1*''  prix  de  piano  aussi,  qui  a  déclamé  les  strophes  absolument  comme  si 
elle  avait  eu  un  I"  prix  de  déclamation.  M""  Letocart  (dans  la  i'  partie), 
a  été  bissée  avec  la  chanson  de  l'Inde. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Londres  (4  mars).  —  La  Société  du  Bach- 
Choira  offert  à  son  public  la  primeur  d'un  Requiem  àe  M.  Bruneau.  L'œuvre 
a  été  écoutée  avec  l'attention  la  plus  sympathique  et,  si  le  succès  n'a  pas 
jailli  avec  toute  la  spontanéité  désirable,  la  faute  en  est  au  compositeur, 
qui  n'a  pas  su  donnera  son  inspiration  l'accent  qui  touche  et  qui  persuade. 
Et  pourtant,  quel  arsenal  de  ressources,  quelle  variété  d'effets  M.  Bruneau 
n'a-t-il  pas  mis  en  œuvre  !  Malheureusement,  tout  ce  luxe  de  rhétorique 
musicale  n'affecte  que  nos  sens;  il  ne  parle  pas  au  cœur.  On  sent  qu'il  n'y 
a  pas  là  de  conviction  ni  de  foi  sincère,  mais  seulement  une  mise  en  scène 
savante  destinée  à  nous  procurer  une  illusion,  l'illusion  du  frisson  d'outre- 
tombe.  Mais  cet  apparat  perpétuel  serait  encore  supportable  si  M.  Bruneau 
avait  pu  maîtriser  un  peu  sa  manie  d'impressionnisme  à  outrance  et 
donner  une  allure  un  peu  plus  noble  et  plus  digne  à  ses  idées.  La  note 
sinistre  est  poussée  par  lui  à  un  degré  qui  parfois  confine  au  grotesque,  et 
la  note  tendre  amollie  jusqu'en  des  langueurs  qui  n'ont  vraiment  rien  de 
religieux. 

Le  début  de  l'œuvre,  avec  ses  oppositions  d'ombre  et  de  lumière  a  du 
caractère  et  une  tenue  qui  promettait  une  suite  plus  heureuse  ;  mais 
avec  le  Dies  irœ,  nous  voici  déjà  en  plein  chaos.  Les  trombones  se  livrent 
là  à  des  sauts  de  carpe  et  à  des  cabrioles  qu'on  peut  à  la  rigueur  s'ex- 
pliquer comme  dépeignant  la  grimace  d'une  tète  de  mort!  Le  fragment  Qui 
salvandos  saluas  gratis  nous  apporte  la  note  suave  avec  des  ressouvenirs  des 
cantilènes  religieuses  de  Gounod,  et  le  Recordare  est  écrit  dans  le  pire  style 
italien.  VHoslias  est  le  meilleur  morceau  de  l'ouvrage.  C'est  un  solo  pour 
voix  d'enfant  d'une  grande  fraîcheur  mélodique  et  traité  suivant  les  règles 
du  chant  grégorien.  Cette  jolie  page  n'eut  pas  manqué  d'impressionner  le 
public  si  elle  n'avait  pas  été  défigurée  par  les  fausses  intonations  du  jeune 
chantre  chargé  de  l'interpréter. 

Parmi  les  solistes,  je  me  contenterai  de  citer  M.  Edouard  Lloyd,  qui  a 
exécuté  sa  partie  en  conscience  et  avec  le  meilleur  de  ses  excellants 
moyens.  Les  trois  autres  solistes  ne  paraissaient  chanter  qu'avec  hésitation 
et  le  chef  d'orchestre,  M.  Stanford,  avait  bien  du  mal  à  faire  marcher  ses 
musiciens  et  ses  choristes.  Léon  Schiesinger. 

—  Le  nouvel  opéra-comique  Shainus  O'Brien,  livret  tiré  de  la  ballade  de 
J.  SheriJan  Le  Fanu  par  M.  G.-H.  Jessop,  musique  de  M.  Stanford,  que 
nous  avons  annoncé  dernièrement,  vient  d'être  joué  au  théâtre  de  l'Opéra" 
Comique  de  Londres,  avec  un  succès  énorme.  Le  compositeur  ne  s'est  servi 
que  de  deux  mélodies  originales  d'Irlande  :  Father  O'Flynn  et  TJie  Glory  of  the 
Viesl,  une  marche  qui  remonte  à  l'époque  de  Gromwell,  mais  il  a  su 
donner  à  sa  musique  un  caractère  irlandais  si  bien  défini  qu'on  croit  enten- 
dre des  mélodies  originales  du  pays.  Le  public  a  rappelé  plusieurs  fois 
les  auteurs  et  leurs  interprètes;  le  fameux  directeur  M.  Harris  a  dû  égale- 
ment se  montrer  au  public  et,  selon  son  habitude,  il  y  est  allé  de  son 
petit  speecli,  qui  a  été  fort  bien  accueilli.  Shamus  O'Brien  est  assuré  d'un 
grand  nombre  de  représentations  dans  le  Boyaume-Uni. 

—  Les  candidats  pour  les  fonctions,  en  ce  moment  vacantes,  de  directeur 
(principal)  du  Conservatoire  de  musique  de  Guildhall,  à  Londres,  conti- 
nuent à  affluer.  La  longue  liste  que  nous  avons  publiée  doit  être  complétée 
par  le  nom  de  M.  Ralph  Dunstan,  docteur  es  musique  de  l'Université  de 
Cambridge  et  professeur  de  musique  dans  plusieurs  grandes  écoles 
publiques.  Cet  artiste  a  publié  plusieurs  ouvrages  pédagogiques.  On  cite 
aussi  parmi  les  candidats,  M.  Hermann  Klein,  un  jeune  professeur  au 
Conservatoire  de  Guildhall,  qui  n'a  cependant  aucune  chance  d'obtenir  le 
poste  si  ardemment  convoité. 

—  Le  flai/y-iVeitis  a  annoncé  que  M.  Dvorak  arriverait  au  mois  de  juin  à 
Londres  pour  y  diriger  l'exécution  de  ses  œuvres.  Il  ira  ensuite  se  fixer  à 
Prague,  où  il  compte  se  consacrer  entièrement  à  la  composition.  Il  paraît 
que  les  fonctions  de  directeur  du  Conservatoire  de  Chicago,  qu'il  a  exercées 


pendant  plusieurs  années,  lui  ont  rapporté  assez  de  «  money  »  pour  lui 
assurer  une  position  indépendante.  The  Musical  Âge,  qui  relate  ce  détail, 
remarque  mélancoliquement  que  c'est  peut-être  pour  cause  de  «  fortune 
faite  »  que  Dvorak  ne  veut  plus  accepter  la  direction  d'un  Conservatoire 
américain. 

—  M.  Georges  Jacobi,le  chef  d'orchestre  si  populaire  à  Londres,  où  il 
a  écrit  récemment  la  musique  de  son  centième  ballot,  vient  d'être  nommé 
professeur  de  composition  au  Collège  royal  de  musique.  On  se  rappelle 
que  M.  Jacobi,  qui  a  fait  son  éducation  musicale  en  France,  fut  naguère 
l'un  des  meilleurs  élèves  de  notre  Conservatoire,  où  il  obtint,  dans  la 
classe  de  Massart,  un  brillant  premier  prix  de  violon. 

—  De  notre  correspondant  de  Genève  :  La  musique  française  vient  de 
remporter  ici  une  nouvelle  victoire.  P/io(«,  comédie  lyrique  en  trois  actes  de 
M.  Louis  Gallet,  musique  de  M.  Edmond  Audran,  a  reçu  du  public  gene- 
vois, l'accueil  le  plus  chaleureux.  11  s'agit  d'une  agréable  fantaisie  placée 
par  le  librettiste  à  Byzance,  au  temps  du  bas  empire,  simple  prétexte  à 
décors  lumineux  et  pittoresques  et  à  costumes  somptueux.  Deux  jeunes 
mariés,  Gallus  et  Photis,  sont  en  butte  aux  menées  d'un  coureur  de  dot, 
Ruâlus,  secondé  par  deux  parasites  à  tout  faire  et  protégé  dans  ses  entre- 
prises coupables  par  un  empereur,  ennemi  des  pures  amours  conjugales. 
On  fait  tant  et  si  bien  que  Gallus  et  Photis,  de  par  la  loi,  vont  être  obligés 
de  divorcer.  Tout  s'arrange,  grâce  à  un  dénouement  aussi  ingénieux  que 
juridique,  et  nos  deux  pigeons  recommenceront  à  roucouler  en  paix. 
M.  Audran  a  atteint  sans  effort,  dans  sa  nouvelle  partition,  le  style  de 
l'opéra-comique  ;  sa  musique,  où  la  mélodie  n'a  jamais  manqué,  est  spi- 
rituelle toujours  et  distinguée  aussi,  avec  parfois  des  accents  dramatiques 
d'une  belle  ampleur.  L'orchestration,  point  fatiguée  ni  chargée  hors  de 
propos,  est  intéressante  dans  des  recherches  de  dessins  et  de  sonorités. 
Les  récitatifs  sont  bien  traités  (il  n'y  a  pas  de  parlé  dans  Photis)  et  les 
ensembles,  toujours  courts,  ne  sont  pas  moins  bien  venus.  Les  nombreux 
airs  et  duos  d'amour  de  PJwlis,  très  modernes  d'allure,  ont  été  interprétés 
avec  talent  et  conviction  par  le  ténor  léger  Mikaelly  (Gallus)  et  la  chan- 
teuse légère  M""«  Julia  Luca  (Photis),  dont  la  belle  voix  a  fait  merveille, 
semant  les  perles  pour  récolter  les  bravos.  Et  Myrilla,  petit  esclave  malin 
dont  l'intervention  dénoue  l'intrigue,  à  la  satisiaction  de  tous,  notre 
divette,  M^^  0.  Dulac,  en  a  fait  une  création  amusante.  L'élégant  coquin 
Rufilus  a  été  très  bien  chanté  par  la  basse  La  Taste.  MM.  Émery  et  Guérin 
ont  rempli  à  notre  joie  leurs  rôles  aussi  comiques  que  musicaux.  Belle 
mise  en  scène  de  M.   Dauphin;  c'est  de  tra.dition.         Emile  Delphin. 

—  Une  polémique  s'est  engagée,  dans  les  journaux  italiens,  à  propos  du 
décret  royal  que  nous  avons  fait  connaître  et  qui  proroge  de  deux  années 
les  droits  d'auteur  du  Barbier  de  Séville  de  Rossini.  Quelques-uns  assuraient 
que  cette  mesure  avait  été  prise  dans  l'intérêt  du  Lycée  musical  Rossini 
de  Pesaro,  dont  ces  droits  constituent  la  meilleure  partie  du  revenu.  Le 
journal /a  Sera,  répondant  à  ce  sujet  à  un  de  ses  confrères,  le  Carrière  délia 
Sera,  avait  avancé  que  la  somme  léguée  à  sa  ville  natale  par  Rossini,  pour 
la  fondation  du  Lycée,  se  montait  à  un  million  230.000  francs.  Or,  il  résulte 
d'un  document  certain,  V  «  état  patrimonial  »  du  Lycée  établi  à  la  date  du 
31  août  1893  par  son  président,  l'avocat  Ettore  Mancini,  que  le  legs  fait  par 
Rossini  s'élevait  au  chiffre  exact  de  2millio!is6l9. 612  francs,  et  que  le  Lycée 
jouit  aujourd'hui,  de  ce  fait,  d'une  rente  annuelle  de  160.653  francs.  En  ce  qui 
concerne  les  droits  d'auteur  de  Rossini,  dont  il  avait  aussi  légué  la  jouis- 
sance au  Lycée,  ceux-ci  produisaient  'encore,  en  ISUl,  une  somme  de 
1S.438  francs,  mais  cette  somme,  qui  diminuait  chaque  année,  n'étaitplus, 
en  1894,  que  de  8.847  francs.  On  peut  donc  s'assurer  que  ce  ne  sont  point  ' 
les  droits  d'auteur  du  Barbier  qui  constituent  pourrétablissement  un  revenu 
appréciable,  et  que  Rossini  avait  assez  bien  pris  ses  mesures  pour  que 
l'existence  du  Lycée  fût  assurée  sans  ce  secours  éventuel  et  destiné  à  dis- 
paraître dans  un  temps  donné. 

—  La  solennité  organisée  par  M.  Mascagni  à  Pesaro  pour  célébrer  l'anni- 
versaire de  Rossini  a  commencé  par  un  concert  donné  par  lui  au  théâtre, 
et  dont  le  programme  a  paru  assez  étrange.  En  effet,  à  deux  ouvertures  du 
maître,  celles  de  la  Cambiale  di  matrimonio  et  de  Guillaume  Tell,  M.  Mascagni 
avait  joint  la  Symphonie  héroïque  de  Beethoven,  un  largo  de  Hiendel  et 
deux  morceaux  de  "Wagner:  le  prélude  de  Lohengrin  et  l'ouverture  du  Tann- 
hàuser.  L'accouplement  des  deux  noms  de  Rossini  et  de  Wagner  est  déjà 
singulier  en  lui-même,  mais  il  le  devient  plus  encore  lorsqu'on  songe  qu'il 
s'agit  d'une  fête  rossinienne.  Ce  concert  avait  lieu  le  jeudi  '11  février.  Le 
samedi  suivant,  29,  date  exacte  de  l'anniversaire,  la  Messe  solennelle  de 
Rossini  était  exécutée  au  Lycée,  avec  un  corps  grandiose  d'exécutants  qui 
ne  comprenait  pas  moins,  pour  l'orchestre,  de  30  violons,  15  altos,  9  vio- 
loncelles, 12  contrebasses,  et  le  reste  à  l'avenant.  Les  chœurs  se  compo- 
saient de  140  chanteurs.  Quant  aux  solistes,  c'était  M"*^  Pizzagali  et  CoUa- 
marini,  le  ténor  (5îraud,  la  basse  Venturi  et  trois  élèves  de  l'institution, 
MM.  Beninsigna,  Rossi  et  Viucenzi. 

^  On  sait  que,  à  propos  de  ces  fêtes  de  Rossini,  M.  Mascagni  a  donné 
lundi  dernier,  au  théâtre  de  Pesaro,  la  première  représentation  de  son 
nouvel  opéra,  Zanello  (le  Passant).  Certains  journaux  se  permettent  de 
trouver  ce  fait  quelque  peu  anormal,  et  font  justement  remarquer  qu'en 
une  telle  circonstance  M.  Mascagni  aurait  dû  effacer  complètement  sa  per- 
sonnalité devant  le  souvenir  de  l'illustre  maître  qu'il  s'agissait  de  glorifier. 
Ils  rappellent,  non  sans  quelque  à-propos,  qu'en  un  cas  semblable,  c'est- 


LE  MENESTREL 


79 


à-dire  lorsqu'il  y  a  quelques  années  on  fêta  à  Milan  l'anniversaire  de  la 
naissance  de  Rossini,  Verdi,  qui  avait  accepté  de  diriger  l'orchestre,  se 
garda  bien  de  chercher  des  applaudissements  pour  son  compte.,  et  «  oublia 
sa  propre  personnalité  pour  honorer  exclusivement  celle  du  grand  homme 
dont  on  rappelait  le  souvenir.  Ce  fut  une  preuve  exquise,  de  tact  de  la 
part  de  Verdi,  dont  chacun  lui  sut  un  gré  infini.   » 

—  En  ce  qui  concerne  la  représentation  de  Zanetto  en  elle-même,  elle 
paraît  avoir  été  un  très  grand  succès.  Presque  toutes  les  villes  d'Italie, 
surtout  Livourne,  la  patrie  du  compositeur,  avaient  envoyé  des  représen- 
tants pour  assister  à  cette  première,  attendue  avec  impatience  dans  toute 
l'Italie.  On  a  dû  répéter  trois  morceaux,  et  les  journaux  italiens  prévoient 
une  nouvelle  édition  du  succès  légendaire  de  Caoalleria  rustimna.  Cette  fois- 
ci,  l'infermeizo  traditionnel  manque;  mais  l'opéra,  qui  dure  à  peine  une 
heure,  commence  par  un  chœur  invisible  chanté  derrière  la  scène  avant  le 
lever  du  rideau  et  qu'on  a  dû  bisser.  Un  critique  enthousiaste,  compa- 
triote de  M.  IVlascagni,  écrit  que  Zanetto  donne  une  idée  complète  de  la 
Renaissance  italienne.  «  Excusezdupeu  !  «  aurait  dit  ce  grand  philosophe 
qui  fut  Rossini . 

—  Maigre  carême!  s'écrie  douloureusement  le  Trovatore.  Dans  l'actuelle 
saison  de  carême,  il  n'y  a  de  spectacle  d'opéra  en  Italie  que  dans  dix-sept 
théâtres  seulement,  savoir  :  Carrare,  Ferrare,  Florence  (Pagliano),  Forli, 
Lodi,  Milan  (Scala),  Naples  (San  Carlo  et  Mercadante),  Pise,  Pignerol, 
Rome  (Argentina  et  Nazionale),  Sassari,  Turin  (Vittorio-Emanuele), 
Oneglia,  Trapani  et  Venise  (Rossini).  Saison  maigre,  en  effet. 

—  Il  s'est  formé  récemment  à  Pescia,  ville  où  est  mort  le  compositeur 
Giovanni  Pacini,  le  vieil  ami  de  Rossini,  un  comité  pour  organiser  la  cé- 
lébration du  centième  anniversaire  de  sa  naissance.  Pacini  est  né  en  effet 
enl79G,mais  à  Gatane,  et  il  semblerait  que  ce  fùtcette  ville,  où  naquit  aussi 
Bellini,  qui  eût  dû  prendre  une  telle  initiative.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est 
Pescia  qui  célébrera  le  centenaire  de  ce  compositeur,  âgé  de  dix-sept  ans 
seulement  lorsqu'il  fit  représenter  à  Milan  son  premier  opéra,  qui,  dans 
l'espace  d'un  demi-siècle,  n'en  offrit  pas  au  public  moins  de  soixante  et  onze, 
et  qui,  en  mourant,  laissa  encore,  complètement  achevées,  les  partitions 
de  seize  ouvrages  qu'il  n'avait  pas  eu  le  temps  de  faire  paraître  à  la  scène. 
La  solennité  est  fixée  au  12  avril  prochain. 

—  Encore  toute  une  kyrielle  d'opérettes  à  signaler  en  Italie.  A  Lucques, 
le  Nozz-e  di  Bebè,  musique  de  M.  Domenico  Cortopassi  ;  à  Pralo,  A.  B.  C, 
musique  de  M.  Roberto  Gipriani;  et  à  Catane,  il  Ca/fé-concerto,  musique  de 
M.  Langella. 

—  On  a  donné  à  Cagliari,  avec  quelque  succès,  la  première  représenta- 
tion d'un  opéra  en  un  acte,  Yirgo  Dolorosa,  dont  le  compositeur  Alberti  a 
écrit  la  musique  sur  un  livret  de  M.  Garzia. 

—  On  a  exécuté  dans  la  cathédrale  de  Catane,  à  l'occasion  des  fête  s  de 
sainte  Agathe,  une  messe  solennelle  inédite  dont  l'auteur,  le  jeune  maestro 
Domenico  Cambria,  est  à  peine  âgé  de  dix-huit  ans.  Les  journaux  de 
Catane  en  disent  grand  bien. 

—  Un  éditeur  milanais  entreprenant,  M.  Carlo  Aliprandi,  invite  les 
compositeurs,  professeurs,  chanteurs,  poètes,  auteurs  dramatiques,  etc.,  à 
collaborer  à  un  numéro  spécial  du  journal  la  Farfalla,  qui  sera  publié  le 
19  mars,  jour  de  la  Son  Giuseppe,  et  qui  sera  exclusivement  consacré  à 
Giuseppe  Verdi. 

—  Les  dépêches  d'Anvers  annoncent  le  très  vif  succès  remporté  par  la 
Navarraise  au  Théâtre-Royal.  II  n'y  a  pas  eu  moins  de  cinq  rappels  au 
baisser  du  rideau.  M"«  Brietti  paraît  avoir  été  une  très  remarquable 
Anita  et  le  ténor  Dupuy  s'est  montré  son  très  digne  partenaire.  Orchestre 
excellent  sous  la  direction  de  M.  Warnots. 

—  Le  célèbre  ténor  Masini  cumule.  Non  content  de  gagner  cinq  mille 
francs  par  soirée  à  Saint-Pétersbourg,  où  il  est  engagé  avec  M"'  Sigrid 
Arnoldson  à  l'Opéra  italien,  il  vient  encore  de  gagner  la  bagatelle  de 
120,000  roubles  avec  un  billet  de  l'emprunt  à  primes  de  l'État  russe.  C'est 
près  de  400,000  francs  en  or  que  le  chanteur  va  ainsi  empocher,  et  cette 
somme  doii  faire  plaisir  même  à  un  ténor  di  primo  cartello.  Il  est  certain  que 
si  Masini  n'avait  pas  chanté  actuellement  à  Saint-Pétersbourg  il  n'aurait 
pas  pris  ce  bienheureux  billet  de  loterie. 

—  La  société  musicale  de  Varsovie,  fondée  le  lo  janvier  1S71,  célèbre  le 
vingt-cinquième  anniversaire  de  son  existence.  Elle  compte  actuellement 
plus  de  neuf  cents  membres.  Ses  recettes  entières  montent  à  23.000  roubles, 
73.000  francs  environ;  ses  dépenses  s'élèvent  presque  à  la  même  somme. 

—  Voici  une  liste  des  œuvres  lyriques  françaises  jouées  en  Allemagne 
et  en  Autriche  pendant  ces  dernières  semaines.  A  Vienne  :  Mignon,  l'Afri- 
caine, la  Juive,  Werther,  Robert  le  Diable,  Carmen  ;  à  Beulin  :  Carmen,  Mignon, 
Faust  :  à  Munich  :  les  Huguenots,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  Iphigénie  en  Aulide; 
à  Hanovre  :  Les  Huguenots,  le  Prophète  ;  à  Wiesbaden  :  Mignon,  Fra  Diavolo, 
la  Fille  du  Régiment,  Faust,  les  Dragons  de  Villars,  la  Muette  de  Portici,  la  Juive; 
à  Manniieim  :  Carmen  ;  à  Leipzig  :  la  Poupée  de  Nuremberg,  Carmen,  la  Vivan- 
dière, les  Dragons  de  Yillars  ;  à  Brè.iie  :  la  Juive,  la  Fille  du  Régiment,  les  Dra- 
gons de  Yillars  ;  à  Stuttgart  :  les  Huguenots,  la  Muette  de  Portici,  le  Prophète, 
Bonsoir,  Monsieur  Pantalon  ;  à  Cassel  :  Faust  ;  à  Bbeslau  :  Lakmé,  les  Hugue- 
nots, Fra  Diavolo,  le  Maçon,  Mignon,  Faust  ;  à  Dresde  :  Carmen,  la  Part  du 
niable,  Djamileh,  la  Fille  du  Régiment,  Mignon,  les  Dragons  de  Yillars  ;  à  C.vbls- 


RUHE  :  Fra  Diavolo,  Guillaume  Tell,  le  Postillon  de  Lonjumeau;  à  Hambourg  :  le 
Prophète,  la  Yivandière,  le  Postillon  de  Lonjumeau;  à  Budapest:  le  Prophète, 
Ilamlet,  la  Navarraise,  Faust,  Guillaume  Tell,  la  Juive. 

—  Un  nouvel  opéra  du.  compositeur  tchèque  Zdenko  Fiebich  a  été  joué 
avec  succès  a  Prague.  Le  sujet  en  est  tiré  du  Don,  Juan  de  Byron,  et  l'ou- 
vrage a  pour  titre  Haydée,  tout  comme  l'œuvre  d'Auber.  On  a  tout  particu- 
lièrement applaudi  le  deuxième  acte  et  la  ballet  du  dernier. 

—  Un  nouveau  ballet,  le  Frère  Bartolo,  dont  le  livret  a  été  tiré  par  le  baron 
de  Bourgoing  du  Barbier  de  Sévitle,  et  dont  la  partition  est  due  à  M.  Joseph 
Bayer,  de  l'Opéra  impérial,  sera  prochainement  joué  à  Vienne,  dans  la 
salle  des  fêtes  du  président  du  conseil.  Il  s'agit  d'une  œuvre  de  bienfai- 
sance, On  verra  sans  doute  bientôt  ce  ballet  sur  une  scène  viennoise. 

—  L'opéra  en  trois  actes  Waltlier  von  der  Yogelweide,  paroles  et  musique 
de  M.  Albert  Kauders,  qu'on  a  déjà  joué  avec  succès  au  théâtre  allemand 
de  Prague,  vient  d'être  représenté  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  Le  célèbre 
ménestrel  Walther  von  der  Vogelweide  joue  un  rôle  plutôt  romantique 
qu'historique  dans  cette  œuvre,  que  le  public  viennois  a  fort  bien  accueillie. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  Gotha  vient  de  jouer,  pour  la  première  fois, 
un  nouvel  opéra  an  un  acte,  En  flatnme,  livret  de  M.  Emile  Strauss,  mu- 
sique de  M.  Max  Marschalk. 

—  On  vient  de  donner  au  théâtre  San-Carlos,  de  Lisbonne,  Irène,  l'opéra 
italien  du  compositeur  portugais  Alfred  Keil,  qui  avait  été  représenté 
pour  la  première  fois,  il  y  a  quelques  années,  au  Théâtre  royal  de  Turin. 
Le  public  portugais  a  accueilli  avec  enthousiasme  l'œuvre  de  son  compa- 
triote, qui  a  été  l'objet  d'une  vingtaine  de  rappels. 

—  On  a  joué  avec  succès  à  Boston,  un  nouvel  opéra,  la  Marque,  avec 
paroles  tirées  du  célèbre  roman  :  The  scarlet  letter,  de  Nathaniel  Hawthorne, 
et  musique  de  M.  Walter  Damrosch.  Ce  compositeur  cumule  ;  il  est  im- 
présario dune  troupe  d'opéra  a  New- York  et  son  propre  chef  d'orchestre. 
C'est  précisément  sa  troupe  qui  a  joué  le  nouvel  opéra,  sous  la  direction 
du  compositeur. 

PARIS   ET   DEPARTEBIENTS 

Une  nouvelle  thèse  de  doctorat  es  lettres  vient  d'être  soutenue  à  la 
Sorbonne  sur  un  sujet,  sinon  absolument  musical,  du  moins  confinant  de 
très  près  à  la  musique  :  ta  Danse  chez  les  Grecs  antiques;  et  ce  qui  ajoute 
pour  nous  à  l'intérêt  de  ce  travail,  c'est  qu'il  a  été  accompli  par  un  écri- 
vain, M.  Emmanuel,  qui,  à  son  titre  d'étudiant  à  la  Faculté  des  Lettres, 
a  joint  longtemps  celui  d'élève  du  Conservatoire',  où  il  a  suivi  les  classes 
de  composition  du  regretté  Léo  Delibes.  La  séance  a  été  fort  intéressante; 
les  éminents  hellénistes  contre  lesquels  M.  Emmanuel  était  appelé  à  argu- 
menter lui  ont  soumis  diverses  objections  qui  n'avaient  pas,  du  moins  comme 
pour  certaine  autre  thèse  musicale,  dont  i)  fut  question  en  son  temps, 
l'inconvénient  de  n'avoir  aucun  rapport  avec  le  sujet,  —  et  l'on  n'a  pas 
parlé  une  seule  fois  de  Wagner!  M.  Emmanuel  a  très  brillamment  soutenu 
sa  thèse,  et  a  été  reçu  docteur  avec  la  mention  très  honorable.  Comme, 
par  une  heureuse  coïncidence,  le  Ménestrel  va  bientôt  terminer  la  publi- 
cation de  mon  travail  sur  la  musique  antique,  j'en  profiterai  pour  donner, 
dans  un  article  supplémentaire,  un  résumé  du  beau  travail  de  M.  Emma- 
nuel, auquel  la  Sorbonne  vient  d'accorder  sa  sanction.  .1.  T. 

—  Aucun  biographe  n'était  d'accord  avec  les  autres  relativement  à  la 
date  de  la  naissance  de  l'excellente  cantatrice  M™"  Dorus-Gras,  dons  nous 
avons  récemment  annoncé  la  mort.  Vapereau  la  disait  née  en  181,3,  Fétis 
en  1807,  d'autres  encore  donnaient  des  dates  différentes.  Le  billet  de  faire 
part  de  la  mort  disait  l'artiste  âgée  de  9J  ans,  ce  qui  était  exact,  mais  ce 
qui  ne  précisait  rien.  Notre  confrère  de  la  Semaine  musicale  de  Lille  a  eu 
l'idée  de  faire  relever  à  Valenciennes  l'acte  de  naissance  de  M"'"  Vansteen- 
kiste  (dite  Dorus,  du  nom  de  sa  mère,  qu'elle  avait  adopté  en  prenant  le 
théâtre).  Or,  le  registre  des  actes  de  l'état  civil  de  Valenciennes  porte  que 
«  Julie-Aimée  Joseph  Vansteenkiste,  tille  légitime  d'Aimé  Vansteenkiste 
et  de  Catherine  Lionnet,  est  née  le  vingt  et  un  du  mois  de  Fructidor  an 
treize  de  la  République,  »  soit  non  le  8,  comme  le  dit  notre  confrère  par 
une  légère  erreur,  mais  le  7  septembre  1803,  ce  qui  prouve  qu'elle  est 
morte  en  elïet  à  l'âge  de  90  ans.  On  remarquera  que  la  date  de  l'acte  offi- 
ciel est  encore  empruntée  au  calendrier  républicain,  bien  que  déjà  la 
France  fût  placée,  depuis  l'année  précédente,  sous  le  régime  impérial. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  sommes  fixés  aujourd'hui  d'une  façon  précise 
sur  la  date  de  naissance  d'une  des  cantatrices  les  plus  séduisantes  qu'ait 
jamais  possédées  l'Opéra. 

—  Pour  renouveler  le  répertoire  des  levers  de  rideau  à  l'Opéra-Gomique, 
M.  Carvalho  songe  à  remettre  à  la  scène  le  Calife  de  Bagdad,  un  petit  chef- 
d'œuvre  de  Boieldieu.  Les  rôles  de  cet  ouvrage  (sauf  un,  qui  n'a  pas  encore 
de  titulaire),  sont  distribués  à  M""i'  Leclerc,  Mole  et  Pierron,  MM.  Marc 
Nohel,  Gourdon  et  Jacquet.  Le  Calife  de  Bagdad,  dont  les  paroles  sont  de 
Saint-Just,  un  Saint-Just  qui  n'a  rien  à  voir  avec  le  complice  de  Robespierre, 
fut  représenté  pour  la  première  fois  à  l'Opéra-Comique  le  16  septembre  1800, 
sous  le  Consulat.  Le  Premier  Consul  assistait  à  cette  première  représen- 
tation et  fit  mander  les  auteurs  pour  les  féliciter.  Le  sujet  de  cet  opéra- 
comique  est  emprunté  aux  contes  arabes.  Le   Calife  de  Bagdad  compte  à 


80 


LE  MENESTREL 


l'heure  actuelle  plus  de  mille  représentations  rien  qu'à  l'Opéra-Comique. 
Il  fut  repris  aussi  aux  Fantaisies-Parisiennes,  aujourd'hui  théâtre  des 
Nouveautés,  sous  la  direction  de  M.  Martinet. 

—  La  Korrigane,  le  charmant  ballet  de  M.  Widor,  va  atteindre,  à  l'Opéra, 
sa  centième  représentation.  Chacune  des  dernières  représentations  de  cet 
ouvrage  a  donné  lieu,  de  la  part  d'une  danseuse,  à  un  acte  de  charité 
méritoire.  M^''  Mathilde  Salle  qui  joue  dans  ce  ballet,  le  rôle  du  mendiant, 
ayant  appris  la  maladie  d'un  vieux  choriste  de  l'Opéra,  a  eu  l'idée  d'y  faire 
une  quête.  Artistes,  abonnés  et  MM.  Bertrand  et  Gailhard  en  tête,  ont 
donné  à  M"=  Salle,  qui  a  pu  ainsi,  en  réunissant  les  sommes  recueillies  à 
chaque  représentation,  faire  entrer  le  pauvre  choriste  à  l'hùpital. 

—  Les  deux  concerts  spirituels  de  l'Opéra  auront  lieu  les  jeudi  et  samerli 
saints,  2  et  4  avril.  Au  programme  :  une  ouverture  de  M.  E.  Mestres  ; 
Requiem,  de  M.  Alfred  Bruneau;  symp'ûonie  en  mi  bémol,  de  Charles  Gou- 
nod  ;  Saint-Georges,  de  M.  Paul  Vidal,  dont  les  soli  seront  chantés  par 
M""  Berthet  et  M.  Affre;  la  Marche  de  Szabculy,  de  M.  Massenet. 

—  Notre  collaborateur  Arthur  Pougin ,  qui  est  membre  de  la  Ligue 
française  de  l'enseignement,  a  fait  vendredi  dernier,  à  Versailles,  dans  la 
salle  de  la  Ligue,  une  conférence  sur  les  chansons  populaires.  La  salle 
était  absolument  comble,  et  Je  public,  que  le  sujet  intéressait  vivement,  a 
fait  au  conférencier  le  plus  chaleureux  accueil  et  l'a  vivement  applaudi, 
ainsi  que  M.  Morlet,  qui,  au  cours  de  la  séance,  a  chanté  d'une  façon 
charmante  plusieurs  chansons  populaires,  dont  la  saveur  et  le  caractère 
ont  enchanté  les  auditeurs. 

—  M.  Georges  Mangin,  interne  des  hôpitaux  de  Paris  et  fils  de  M.  Ed. 
Mangin,  le  chef  d'orchestre  si  distingué  de  l'Opéra,  vient  de  passer  brillam- 
ment sa  thèse  de  docteur  en  médecine  devant  la  Faculté  de  Paris;  il  a  été 
reçu  avec  la  note  :  extrêmement  satisfaisant. 

—  C'est  encore  la  Semaine  musicale  qui  nous  renseigne  sur  la  brillante 
carrière  que  fournirent,  sur  le  théâtre  de  Lille,  quelques-uns  des  ouvrages 
d'Ambroise  Thomas.  Le  Cdid,  qui  fut  joué  le  21  mars  1830,  n'a  jamais 
quitté  le  répertoire  et  a  obtenu  plus  de  cent  représentations.  Le  Songe  d'une 
nuit  d'été,  qui  parut  neuf  mois  après,  le  19  décembre  1830,  a  dépassé  aussi 
la  centaine;  le  rôle  d'Elisabeth  était  établi  par  M""  Charton-Demeur,  qui 
devait  être  plus  tard  l'admirable  créatrice  des  Troyens  de  Berlioz.  Quant  à 
mignon,  qui  fut  offerte  au  public  le  9  janvier  1868,  le  nombre  de  ses  repré- 
sentations à  Lille  ne  s'élève  pas  à  moins  de  130,  ce  qui  constitue  un  succès 
formidable  pour  une  ville  de  province.  Notre  confrère  rappelle,  à  ce  sujet, 
les  beaux  chœurs  orphéoniques  écrits  par  Ambroise  Thomas,  entre  autres 
celui  intitulé  le.  Tyrol,  avec  lequel  deux  sociétés  orphéoniques  de  Lille 
remportèrent  à  Paris,  au  grand  concours  organisé  à  l'occasion  de  l'Expo- 
sition universelle  de  1867,'  le  premier  et  le  deuxième  prix.  Aussi  bien 
pouvons-nous  reproduire,  d'après  l'ÉcIio  des  orphéons,  la  liste  des  intéres- 
santes compositions  de  ce  genre  qui  sont  dues  à  Ambroise  Thomas.  La 
voici  :  —  Le  Chant  des  amis,  composé  pour  le  concours  de  Lille  en  1838; 
la  Vapeur,  pour  le  concours  d'Arras  1839;  le  Salut  aux  chanteurs,  pour  le 
festival  de  Paris  1839;  France!  France!  pour  le  festival  de  Londres  1860;  te 
Tyrol,  pour  le  concours  de  Lille  1862  ;  le  Carnaval  de  Rome,  pour  le  concours 
d'Arras  1804;  l'Atlantique, pour  l'orphéon  municipal  de  la  Ville  de  Paris  ; 
les  Traîneaux,  le  Temple  de  la  Paix,  pour  le  festival  de  l'Exposition  vniverselle 
de  1867;  Paris,  pour  un  festival  à  la  même  époque;  la  Nuit  du  Sabbat,  pour 
le  concours  de  Reims  1808;  et  enfin,  les  Archers  de  Bouvines  et  le  Forgeron. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Montpellier  a  donné,  la  semaine  dernière,  une 
représentation  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas.  Le  programme  se  com- 
posait du  1"  acte  de  Mignon,  de  l'ouverture  de  la  Double  Échelle,  du  grand 
duo  d'HamIel,  d'une  ode  spécialement  composée  pour  la  circonstance  et 
fort  bien  dite  par  M.  Bruno,  du  couronnement  du  buste  d'Ambroise  Tho- 
mas entouré  de  toute  la  troupe,  et,  enfin,  des  2'  et  3=  actes  de  Mignon. 
M.  Conte,  l'intelligent  directeur,  M.  de  Bruni,  chef  d'orchestre,  et 
M.  Maxime,  régisseur  général,  ont  été  bien  récompensés,  par  l'empresse- 
ment du  public,  des  efforts  qu'ils  n'avaient  pas  ménagés  pour  mener  à 
bien  cette  manifestation  en  l'honneur  de  notre  grand  raaitre  français. 

—  Rouen  et  Bordeaux  préparent  aussi  des  représentations  solennelles. 

—  A  la  Bodinière,  suite  des  conférences  toujours  très  suivies  de 
MM.  Maurice  Lefèvre  et  Pierre  d'Alheim,  qui  présentent  l'un  les  Chansons 
des  joujoux,  l'autre,  le  compositeur  russe  défunt  Moussorgski,  curieusement 
interprété  par  M"=  Olenine. 

—  La  Société  des  Employés  du  commerce  de  musique  vient  de  donner 
son  concert  annuel  à  la  Bodinière.  Matinée  des  plus  variées  et  des  mieux 
réussies,  dont  chaque  numéro  aura  été  un  véritable  succès.  Parmi  les  ar- 
tistes qui  prêtaient  le  concours  de  leur  talent  à  cette  fête,  il  n'est  que 
juste  de  citer  M.  Charpentier,  le  distingué  violoncelle-solo  des  concerts  de 
l'Opéra;  M.  Jacques  Dufresne,  un  jeune  violoniste  de  onze  ans  qui  a  déjà 
l'assurance  d'un  maître;  M'"''  la  comtesse  Borsari,  une  pianiste  amateur 
douée  d'un  mécanisme  remarquable;  M"=  Bonvalot,  une  chanteuse  du 
plus  grand  avenir;  enfin  M.  Amigo,  un  artiste  espagnol  qui  atteindra  vite 
en  France  à  la  réputation  dont  il  jouit  déjà  par  delà  les  Pyrénées  s'il 
nous  donne  encore  quelquefois  l'occasion  d'applaudir  son  extraordinaire 
talent  sur  l'harmonium.  Quand,  à  ces  noms,  nous  aurons  ajouté  ceux  de 
MM.  Fragson,  FrageroUe  et  Fursy,  on  se  fera  une  idée  de  ce  qu'a  pu  être 
cette  intéressante  séance. 


—  On  nous  écrit  de  Roubaix  que  les  concerts  populaires  organisés  cette 
année  par  M.  Koszul,  l'excellent  directeur  de  l'Ecole  nationale  de  musique 
de  cette  ville,  obtiennent  un  très  grand  succès.  LTn  orchestre  de  70  exécu- 
tants, un  chœur  qui  comprend  90  voix  masculines  et  60  voix  féminines,  et 
des  solistes  expérimentés,  ont  fait  entendre  des  œuvres  de  Mozart,  Beetho- 
ven, Weber,  Schumann,  Mendelssohn,  Gounod,  Mas.'enet,  Saint-Saëns, 
Th.  Dubois,  Guiraud,  Lenepveu,  Joncières,  Maréchal,  etc.  Jeudi  dernier, 
M.  Ch.  Lenepveu  est  venu  diriger  un  festival  dont  le  programme  était  com- 
posé de  ses  œuvres.  On  a  beaucoup  applaudi  la  conjuration  de  Velléda,  le 
divertissement  et  le  chœur  des  prêtresses,  ainsi  que  l'hymne  funèbre  et 
triomphal.  Ce  festival  a  obtenu  un  énorme  succès,  et  M.  Koszul  est  dès  à 
présent  décidé  à  doubler  l'année  prochaine  le  nombre  de  ses  concerts, 
dans  les  programmes  desquels  les  noms  de  nos  compositeurs  français 
tiennent  une  large  place. 

—  Le  théâtre  de  Valenciennes  vient  d'avoir  la  primeur  du  petit  opéra- 
comique  inédit,  le  Petit  Lulli,  qui  devait  être  joué  à  Nantes,  et  dont  la 
mort  dramatique  du  pauvre  Henri  Jahyer  avait  empêché  la  représentation 
en  celte  ville.  Les  auteurs  sont,  pour  les  paroles  MM.  Louis  Leloir  et 
Paul  Gravollet,  pour  la  musique  M.  Charles  Hess,  dont  le  Dîner  de  Pierrot 
a  été  si  bien  accueilli  à  l'Opéra-Comique.  Le  Petit  Lulli,  fort  gentiment  joué 
par  M'"'  Viannet  et  M.  Alberthal,  a  obtenu,  nous  écrit-on,  un  franc  succès, 
etsa  musique,  vive  et  légère,  a  produit  la  meilleure  impression. 

—  MM.  Louis  Diémer  et  Juins  Delsart  viennent  de  donner  à  Bayonne  et 
à  Biarrit7.  une  série  de  concerts  qui  ont  été,  pour  les  deux  grands  artistes, 
l'occasion  de  triomphants  succès,  M.  Diémer,  avec  des  pièces  de  clavecin, 
des  œuvres  classiques  et  plusieurs  de  ses  compositions,  le  Clmnl  du  nau- 
tonier,  Yalse  de  concert,  caprice,  M.  Delsart,  avec  des  œuvres  de  Widor, 
Saint-Saëns  et  le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge  de  Massenet. 

—  Charmante  soirée  musicale  à  «  la  Betterave  ».  W'  Kerrion  et  Bres- 
soles  s'y  sont  partagé  les  bravos  d'un  public  enthousiaste  avec  l'excel- 
lent violoncelliste  Kerrion,  la  première  en  chantant  de  sa  belle  voix  l'air 
d'Héy-odiade  et  le  Poète  et  le  Fantôme  de  Massenet,  la  seconde  avec  l'air  des 
Noces  de  Figaro,  la  Chanson  d'automne  et  l'Heure  exquise  de  Reynaldo  Hahn, 
et,  toutes  deux  réunies,  le  charmant  duo  à'Aben-Hamet  de  Théodore  Dubois. 
M.  Achille  Kerrion  a  joué  admirablement  sur  son  violoncelle  un  andante 
de  P.  de  Wailly,  une  Rapsodie  hongroise  de  Popper  et  le  nocturne  de  la  Na- 
varraise  de  Massenet.  Le  tout  a  fini  par  des  Chansons  du  Chat  noir,  avec 
M.  Maurice  Brébant  comme  interprète. 

—  Samedi  dernier,  dans  les  salons  du  docteur  Blondel,  la  poétique  par 
tition  de  M.  Georges  Hue,  Rïibezahl,  a  remporté  le  plus  vif  succès,  d'ailleurs 
partagé  par  ses  interprètes  :  M"»  Pauline  Smith  et  M.  Raquez  (Hedwige 
et  Rubezahl),  M"">  Steinheil  et  M"=  Marthe  Choisnel,  MM.  Baudoin-Bui- 
gnet,  Damad  et  Picot.  Le  maître  de  la  maison  conduisait  les  chœurs  et 
l'orchestre,  au  milieu  d'une  assistance  artistique  et  mondaine. 

NÉCROLOGIE 

Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort  d'un  excellent  artiste,  Louis- 
Adolphe  de  Groot,  qui.  Hollandais  d'origine,  était  depuis  sa  jeunesse 
établi  en  France,  qu'il  n'a  jamais  quittée.  Compositeur  aimable,  de  Groot 
exerçait  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  à  la  Porte-Saint-Martin  lorsque 
ce  théâtre  donna,  pour  les  représentations  de  M"°' Hébert-Massy  (laNicette 
créatrice  du  Pré  aux  Clercs),  son  fameux  drame  mêlé  de  musique,  la  Fan- 
rfond  rtî'ne,  et  il  collabora  avec  Adolphe  Adam  pour  la  musique  de  cet 
ouvrage,  dont  le  succès  fut  éclatant.  Da  Groot,  qui  était  âgé  de  70  ans, 
était  l'oncle  par  alliance  de  l'excellent  pianiste-compositeur  Charles  René. 

—  De  Bruges  on  annonce  la  mort  du  doyen  des  musiciens  belges.  M.  Jules- 
Auguste-Guillaume  Busschop,  compositeur  amateur  distingué  ,  membre 
correspondant  de  l'Académie  de  Belgique.  Né  à  Paris,  de  parents  belges, 
le  10  septembre  1810,  Busschop  fut  élevé  à  Bruges,  ville  natale  de  son  père, 
et  se  livra  avec  passion  à  l'étude  de  la  musique,  pour  consacrer  ensuite 
son  temps  à  la  composition.  On  lui  doit  des  symphonies,  des  ouvertures, 
des  scènes  lyriques  avec  orchestre,  une  Messe  solennelle  pour  voix  seules 
et  orchestre,  des  motets,  des  morceaux  de  musique  militaire  et  de  nom- 
breux chœurs  orphéoniques.  En  1860  il  faisait  exécuter  à  Bruxelles,  dans 
l'église  Sainte-Gudule,  un  Te  Deum  solennel  qui  lui  valait  les  éloges  de  la 
critique,  et  en  1874  il  faisait  entendre  à  Bruges  de  nombreux  fragments 
d'un  beau  drame  lyrique  en  trois  actes  intitulé  la  Toison  d'or,  dont  le  sujet 
était  tiré  de  l'histoire  de  cette  ville. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Étude  de  M'  Er.  Thibault,  notaire  à  La  Rochelle, 
4,  rue  G.-Admyrauld. 
A   CÉDER  : 
Maison   de  pianos,  musique,  lutherie,  parfaitement  achalandée,   située 
dans  la  plus  belle  rue  de  La  Rochelle. 
Long  bail  assuré. 
Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M°  Thibault. 

Manette  Salomon,  la  pièce  de  M.  Ed.  de  Concourt,  jouée  en  ce  moment  au 
Vaudeville,  vient  de  paraître  chez  les  éditeurs  Charpentier  et  Fasquelle. 


R.  —  iMPniBlEniE  CDAix,  «UE  BERGBHif,  20,  PABls,  —    Siicre  UriUeniJ 


Dimanche  IS  Mars  1896. 


3390.  —  62'"«  mm  —  [VMi.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement, 

Dn  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIRE-TEXTE 


I.  Musique  antique  (6''  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Sdraaine  théâtrale  :  Tlia'is 
au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  Lucien  Solvav;  premières  représenta- 
tions de  la  ToTine,  aux  Nouveautés,  et  d'AHMe,  à  l'Olympia,  Paul-Éhile 
Chevalier.  —III.  L'orchestre  de  Lully  (5"  article),  Arthur  Pougix.  —  IV.  Et  la 
direction  du  Conservatoire?  H.  Moreno.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  — 
VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  RÉVEIL 

n"  1  des  Heures  de  rêve  et  de  joie,  du  m.aestro  N.  Gelega.  —  Suivra  immédia- 
tement :  Balancelle,  valse  d'ÂNTONiN  Marmontel. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Sur  la  tombe  d'un  enfant,  n»  3  des  Poèmes  de  Bretagne,  de  Xavier 
Leroux,  poésie  d'ANDRÉ  Alexandre.  —  Suivra  immédiatement  :  Veux-tu, 
mélodie  de  Léon  Delafosse,  poésie  de  M""^  Desdordes-Valmore. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 

(Suite) 


IV 

Nous  aurons  examiné  l'tiyŒine  antique  sous  tous  ses  aspects 
quand  nous  en  aurons  considéré  la  forme  d'ensemble  et 
tàclié  d'en  dégager  l'esprit. 

Bien  que  le  mauvais  état  du  monument  n'ait  pas  permis 
de  reconstituer  la  ligne  mélodique  dans  toute  son  intégralité, 
il  en  reste  assez  pour  que  nous  puissions  nous  rendre  compte 
de  son  mouvement  général. 

Nous  avons  vu  que  les  périodes  se  succédaient  logique- 
ment par  modulations  au  ton  voisin  du  principal,  avec  des 
épisodes  chromatiques  intermédiaires,  et  que  le  tout  se  ter- 
minait par  une  prière  sur  un  rythme  grave  et  nettement 
dessiné.  De  même,  dans  certains  motets  de  Bach,  le  dévelop- 
pement polyphonique  est  suivi  par  le  chant  d'un  choral. 

D'autie  paît,  nous  avons  observé,  avant  celte  prière,  dans  le 
dernier  épisode  du  mouvement  principal,  d€s  séries  de  notes 
aiguës  qui  élevaient  soudain  le  diapason  vocal  à  un  degré 
sensiblement  plus  élevé  que  le  reste  de  la  cantilène:  il  semble 
que,  pour  conclure,  le  compositeur  ait  voulu  produire  un  eiîet 
vocal,  le  même,  exactement,  qui  consiste  à  terminer  les  airs 
d'opéras  par  des  strettes  brillantes  oîi  les  chanteurs  font 
retentir  les  notes  les  plus  éclatantes  de  leur  voix. 


Or,  la  même  remarque  avait  été  faite  pour  le  premier  hyrtine, 
et  cette  constatation  milite  évidemment  en  faveur  de  l'opinion 
qui  soutient  que  ces  deux  morceaux  étaient  faits  pour  être 
chantés  en  solo,  non  en  chœur. 

Nous  serions  plus  embarrassés  de  dégager  de  la  mélopée  un 
thème,  dans  le  sens  moderne  du  met.  Cependant,  nous  savons 
que  les  Grecs  avaient  des  nomes,  formules  musicales  im- 
muables, sortes  de  matière  que  les  compositeurs  avaient 
mission  de  traiter,  et  qui  formaient  la  base  de  tous  les  chants 
religieux.  Or,  les  débuts  des  deux  hymnes  à  Apollon  pré- 
sentent des  analogies  si  grandes  qu'il  ne  paraît  pas  douteux 
que  l'un  procède  de  l'autre,  et  qu'il  ne  serait  nullement 
impossible  qu'ils  fussent,  tous  les  deux,  des  extraits  d'un 
thème  ou  nome  plus  ancien.  Je  rappelle  les  premiers  frag- 
ments du  second  hymne  : 


Or,  dans  la  première  strophe  du  premier,  nous  trouvons  la 
formule  suivante,  qui  se  reproduit  cinq  fois,  dans  son  mouve- 
ment général,  au  cours  de  la  mélopée  : 


L'intonation  présente,  dans  les  deux  cas,  d'évidentes  analo- 
gies. 

Poussant  plus  loin  les  rapprochements,  je  transcris  encore 
la  mélopée  chrétienne  du  cbant  de  la  Préface,  qui  est  une 
des  parties  les  plus  anciennes  de  l'ofiice  de  la  messe.  Chaque 
note  est  destinée  à  être  psalmodiée  sur  plusieurs  syllabes:  je 
me  borne  à  reproduire  le  mouvement  mélodique  général,  en 
maintenant  le  ton  sur  le  degré  aigu  que  nous  a  imposé 
l'hymne  delphique  : 


La  ressemblance,  ici,  est  un  peu  moins  complète  qu'entre 
les  fragments  des  hymnes  antiques:  cependant  elle  est  frap- 
pante encore.  Voilà  donc  un  exemple  de  plus  de  l'analogie 
des  chants  primitifs  de   l'Eglise  avec   les  chants  païens  :  si 


8û 


LE  MENESTREL 


peut-êlre  ils  ne  les  reproduisent  pas  d'une  façon  absolument 
fidèle,  du  moins  ils  en  procèdent  et  en  ont  subi  profondé- 
ment l'influence.  Et  qui  sait  si  le  chant  chrétien,  en  adoptant 
les  formules  principales  et  les  intonations  des  deux  hymnes 
chantés  autrefois  en  l'honneur  du  dieu  dont  l'arc  est  d'ar- 
gent, ne  nous  a  pas  apporté  un  écho  de  quelque  nome  beau- 
coup plus  ancien  encore,  dont  les  auteurs  du  n'=  siècle 
avant  notre  ère  n'auraient  fait  eux-mêmes  que  s'inspirer? 

Constatons  encore  le  caractère  très  diatonique  de  la  mélo- 
die. A  la  vérité,  quand  les  intervalles  disjoints  sont  employés 
ils  sont  présentés  d'une  façon  généralement  caractéristique, 
particulièrement  par  sauts  d'oclave  et  de  quinte  (il  y  a 
même  un  saut  de  septième,  mais  qui  pourrait  très  bien  pio- 
venir  d'une  mauvaise  lecture,  car  M.  Reinach  indique  une 
des  deux  notes  comme  douteuse).  Mais  la  plus  grande  partie 
de  la  cantilène  se  tient  sur  les  notes  ré  mi  fa,  avec  le  si'  bémol 
tenant  lieu  de  Vut.  Cette  dernière  note  ne  se  présente  pas  une 
seule  fois  dans  les  passages  en  dorien  basés  sur  la,  ce  qui 
est  intéressant  à  constater,  cette  note  correspondant  au  sep- 
tième degré  mobile  de  la  gamme  mineure  moderne  :  comme 
elle  ne  flgure  pas  dans  le  chant,  cela  dispense  de  nous 
demander  si  elle  aurait  joué  ou  non  le  rôle  de  notre 
moderne  sensible. 

De  cette  succession  de  sons  très  rapprochés  provient  ce 
caraclère  de  chant  lié,  assez  expressif,  monotone  d'ailleurs, 
qui  est  celui  des  deux  hymnes  à  Apollon.  Dans  les  pas- 
sages chromatiques  du  premier,  l'emploi  du  style  lié  était  tel 
que  parfois  les  sons  se  suivaient  par  intervalles  de  plusieurs 
demi-tons  successifs,  exprimant  en  quelque  sorte  une  impres- 
sion d'intimité  à  laquelle  je  trouve  un  très  grand  charme.  Il 
me  semble  qu'il  y  a  quelque  chose  d'infiniment  délicat,  par 
exemple,  dans  cette  phrase  intermédiaire  : 


Ce  n'est  pas' du  tout  le  chromatique  moderne,  plaintif, 
lugubre,  exaspéré,  mais  quelque  chose  de  très  doux,  exquis, 
subtil  et  raffiné. 

Je  n'ai  pas  dit  un  mot  jusqu'à  présent  de  l'accompagnement 
instrumental  qui  soutenait  le  chant  dans  les  deux  hymnes, 
et  dont  toute  trace  a  disparu  dans  la  notation.  C'est  que  la 
question  de  l'union  des  instruments  avec  la  voix  est  une  des 
parties  delà  musique  antique  qui  nous  sont  les  plus  inconnues. 
Pourtant  nous  en  savons  assez  pour  assurer  que  ces  accom- 
pagnements étaient  très  peu  de  chose,  et  que  l'harmonie 
rudimentaire  qu'ils  constituent  ne  saurait  faire  songer  en  rien 
aux  richesses  de  l'art  moderne.  Nous  ne  sommes  pas  moins 
autorisés  à  affirmer  que  jamais  les  Grecs  ne  connurent  l'har- 
monie vocale,  qui  est  la  base  par  excellence  de  toute  poly- 
phonie, et  que,  lorsqu'ils  chantaient  en  chœur,  c'était  toujours 
à  l'unisson.  Pour  le  second  hymne  à  Apollon,  l'emploi  des 
notes  réservées  habituellement  à  la  notation  instrumentale  a 
fait  supposer  à  des  savants  autorisés  que  le  chant  était  pure- 
ment et  simplement  doublé  par  les  instruments  :  acceptons 
cette  conclusion,  et  généralisons-la  pour  la  pratique  moderne. 
Aussi,  lorsqu'il  s'agira  de  donner  au  public  de  nos  jours  une 
idée  de  la  musique  de  l'antiquité,  le  mieux  sera,  je  pense, 
de  faire  entendre  le  chant  dans  toute  sa  nudité,  en  se  bor- 
nant, si  cela  paraît  indispensable,  à  faire  doubler  la  voix,  à 
l'unisson  ou  à  l'octave,  par  une  flûte  ou  un  instrument  à 
cordes  pincées,  sans  y  rien  ajouter  qui  rappelle  les  pratiques 
de  l'harmonie  moderne.  Gela  sera  la  façon  la  plus  sincère,  et 
peut  être  aussi  la  plus  sûre,  d'en  faire  comprendre  aux  audi- 
teurs mondains  le  véritable  esprit. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 

Erratum.  —  Le  sujet  de  ces  articles  n'étant  pas  déjà  si  clair  que  l'on 


puisse  encore  l'obscurcir  par  des  incorrections  typographiques,  je  crois 
devoir  relever  une  faute  qui  s'est  glissée,  en  mon  absence,  dans  le  dernier 
numéro,  page  67,  colonne  1,  lignes  2  et  3.  Au  lieu  de  :  «  Avistote  attribue 
à  la  mèse  un  rôle  parfaitement  mondain  »,  il  faut  lire  :  «  Un  rôle  parfaite- 
ment secondaire.  » 


SEMAINE    THEATRALE 


THAÏS  AU  THEATRE  DE  Là  MONNAIE 

Bruxelles,  12  mars. 

Le  public  de  la  Monnaie  a  fait,  samedi  dernier,  à  Thaïs  un  accueil 
chaleureux,  unanime  ;  et  quant  à  la  presse,  à  part  une  couple  de 
journaux  innommables,  connus  pour  faire  de  la  critique,  comme  de 
toute  autre  chose,  une  arme  de  scandale,  elle  n'a  pas  été  moins  d'ac- 
cord pour  admirer  la  charmante,  délicate  et  spirituelle  partition  du 
maîlre  français.  Ou  peut  en  conclure  que  c'a  été,  pour  celui-ci,  une 
belle  victoire,  d'autant  plus  earacléristique  que  le  public  d'ici,  bal- 
lotté entre  tant  a'esthétiques  diverses,  est  devenu  d'un  caractère  très 
difficile,  peu  expansif,  ne  se  «  livrant  »  qu'en  toute  connaissance 
de  cause,  et  fort  méCant. 

L'oeuvre,  d'ailleurs,  à  la  Monnaie,  se  trouve  dans  son  vrai  cadre; 
ses  élégances  et  ses  finesses  n'y  sont  pas  pt-rdues.  De  plus,  les  trois 
tableaux  du  deuxième  acte,  au  lieu  d'être  covipés  d'entr'actes  qui  en 
arrêtent  l'intérêt  et  le  développement,  s'enchaînent  sans  interruption, 
séparés  seulement  par  les  «  interludes  »  symphoniques  qui  les 
relient  naturellement;  et  le  grand  ballet  de  la  fin  a  été  complètement 
supprimé.  Ainsi,  l'action  marche,  d'une  allure  vive,  égale,  logique. 

La  première  à  la  Monnaie  a  donc  été  une  victoire  très  décisive.  Le 
premier  tableau,  d'un  si  joli  sentiment  religieux,  a  produit  un  effet 
profond,  avec  le  délicieux  decrescendo  de  la  voix  d'Athanaël  se  per- 
dant et  s'effaçant  dans  le  loinlain;  —  les  trois  suivants,  oit  l'on  a 
volontairement  coupé  toute  occasion  d'applaudissements  finals  en  les 
reliant  l'un  à  l'autre,  se  sont  terminés  par  un  double  rappel  très  en- 
thousiaste ;  et  la  scène  si  pénétrante  de  la  mort  de  Thaïs  n'a  pas  été 
moins  acclamée. 

Toutes  les  grâces,  toute  l'émotion,  douce  et  enveloppante,  de  la 
partition,  se  sont  trouvées  mises  en  valeur,  habillées,  dirai-je,  de  leur 
vraie  atmosphère,  vêtues  de  la  coloration  distinguée  et  sobre,  dans 
ses  contrastes  même  de  vivacité  piquante  et  de  pathétique  touchant, 
qu'a  bien  certainement  cherchée  le  compositeur,  et  que  réclamait 
cette  histoire  tendre  et  souriante  de  la  courtisane  Thaïs,  sauvée  de 
l'amour  par  l'amour  et  rachetant  son  âme  en  perdant  celle  de  son 
rédempteur. 

On  a  beaucoup  disserté  au  sujet  de  cette  histoire;  on  a  raconté  la 
vie  réelle  de  Thaïs,  de  sainte  Thaïs,  telle  que  la  racontent  les  Pères 
du  désert;  on  a  déterré  même  la  première  version  dramatique  de  la 
légende,  telle  que  la  religieuse  de  l'abbaye  deGaudesheim,  Hrosvitha, 
la  mit  en  vers  latins  au  dixième  siècle  daus  son  drame  de  Paphmice; 
et  l'on  a  paru  regretter  que  M.  Louis  Gallet  se  soit  écarté  de  la  lé- 
gende, lui,  et  même  du  romau  de  M.  Anatole  France,  dans  son 
livret  de  Thaïs.  Peut-être  a-t-on  oublié  que  l'intention  du  romancier 
n'a  jamais  été  de  suivre  fidèlement  la  réalité  du  fait,  qui  l'eût  eu 
traîné  vraiment  trop  loin. —  «  Je  m'en  suis  fort  peu  soucié  »,  a-t-il 
écrit  lui-même  à  ce  propos.  «  J'ai  pris  la  légende  telle  qu'elle  se 
trouve,  en  cinquante  lignes,  dans  les  vies  des  Pères  du  désert,  et  je 
l'ai  développée  et  transformée  en  vue  d'une  idée  moderne.  »  Et,  ap- 
prouvant les  libertés  prises  de  son  côté  par  le  librettiste  :  «  M.  Gallet, 
a-t-il  ajouté,  a  trop  le  sens  du  possible  pour  avoir  cherché  à  porter 
sur  la  scène  une  philosophie  si  trauquille.  Il  a  du  moins  tiré  de 
Thaïsun  bel  exemple  de  la  puissance  irrésistible  etsourdede  l'amour. 
Il  a  fait  du  moine  Paphnuce  (devenu  Athanaël)  une  victime  tragique. 
Paphnuce  a  vaincu  Thaïs  et  Thaïs  a  vaincu  Paphnuce.  Cela  était 
déjà  marqué  dans  le  livre.  »  On  ne  pouvait  recevoir  plus  compétente 
approbation.  M.  Anatole  France  est  venu  d'ailleurs  pour  quelques 
jours  à  Bruxelles  suivre  les  dernières  répétitions,  et  assister  à  la 
première  ;  et  il  s'est  déclaré  enchanté  de  l'œuvre  et  de  ses  interprèles. 

Les  interprètes,  en  effet,  ont  partagé  le  succès  des  auteurs. 
M"""  Georgelte  Leblanc  a  fait  du  rôle  de  Thaïs  une  création  originale 
et  tout  à  fait  personnelle.  Nulle  comparaison  à  établir  entre  elle  et 
M'"  Sanderson.  Le  rôle  avait  été  complètement  modifié  par  M,  Mas- 
senet  pour  la  voix  de  M"'°  Leblanc,  et,  d'ailleurs,  ce  n'est  pas  vocale- 
meut  que  celle-ci  y  est  surtout  supérieure.  Elle  l'interprète  avec  ses 
moyens  très  particuliers,  sa  beauté,  ses  qualités  de  tragédienne,  son 
esprit  curieux  d'artiste,  avide  de  donner  à  un  personnage  une  inter- 


LK  MENESTREL 


83 


prétation  plastique  et  psychologique  aussi  complète  que  possible. 
Dans  son  jeu,  dans  ses  attitudes,  dans  ses  costumes,  non  moins  que 
dans  son  chant  expressif,  elle  a  réussi  à  personnifier  une  Thaïs  fidèle 
tout  ensemble  à  la  vérité  et  à  l'imagination.  Et  c'est  à  la  fois  très 
saisissant  à  entendre  et  très  séduisant  à  voir,  avec  la  sensation  que 
donnerait  une  statue  vivante,  parée  d'une  harmonie  exquise  de 
couleurs. 

M.  Seguin  prête  au  rôle  d'Athanaël  l'autorité  de  son  talent  toujours 
ferme  et  sur,  de  grandes  lignes  et  d'accent  vigoureux;  M.  Isouard 
est  charmant  dans  celui  de  Nicias  ;  et  les  petits  loles  sont  tenus 
très  convenablement.  La  mise  en  scène  est  extrêmement  soignée,  et 
les  chœurs  et  l'orchestre  ont  été  remarquables,  donnant  à  la  belle 
partition  de  M.  Massenet  son  mouvement,  sa  vie  et  son  coloris. 

L.   SOLVAY. 


Nouveautés.  La  Tortue,  vaudeville  en  3  actes,  de  M .  L.  Gandillot.  — 
Olïjipia.  Ariette,  pantomime-ballet  en  1  acte,  de  M.  F.  Bessier,  musique 
de  M.  L.  Gregh. 

Pour  une  tortue  que  monsieur  affectionnait  tout  particulièrement, 
tandis  que  madame  se  complaisait  à  la  taquiner  en  la  mettant  trop 
souvent  sur  le  dos,  ce  qui,  on  le  sait,  est  position  désobligeante  pour 
la  bête  à  carapace,  M.  et  M"'=  Ghampalier  divorcent.  Il  est  fort  juste 
de  dire  que  Léonie  a  macbiavéliquement  poussé  son  mari  à  bout, 
espérant  devenir  ainsi  la  femme  du  bol  Adolphe. 

Pour  Ghampalier,  qui  a  horreur  de  la  solitude,  dès  que  le  greffe 
lui  a  signifié  l'acte  de  divorce,  il  se  hàle  de  convoler  en  nouvelles 
noces  avec  M"°  Juliette  Gibonleau,  qu'il  a  rencontrée  dans  une  petite 
ville  du  Midi  de  la  France.  Mais  le  greffe  a  par  erreur  signifié  l'acte 
avant  les  délais  légaux,  et  Léonie,  éclairée  sur  les  sentiments  peu 
sérieux  d'Adolphe,  ayant  fait  annuler  le  divorce,  le  pauvre  Gham- 
palier se  trouve,  tiès  inconsciemment,  être  bigame. 

El  la  nuit  même  des  noces.  M™  Ghampalier  n"  1  vient  relancer 
son  mari,  réclamantsa  plaeesous  le  toitconjugal.  Pourquoi  M"""  Gham- 
palier n°  1,  M"'  Ghampalier  n°  2  et  Ghampalier  lui-même  s'endorment 
successivement  dans  la  chambre  nuptiale,  l'une  dans  le  lit,  l'autre 
sur  lo  chaise  longue  et  le  troisième  sur  un  fauteuil,  après  avoir  bu 
d'un  élixir  soporifique  préparé  par  un  joyeux  farceur  de  la  noce,  il 
serait  trop  long  de  vous  bien  l'expliquer;  d'autant  qu'en  y  mettant 
toute  la  bonne  volonté  possible,  on  ne  saurait  qu'arriver  à  un  assez 
piètre  récit.  La  scène,  de  développements  un  peu  longs,  est  d'une 
très  curieuse  adresse  et  amusante  eu  sa  dernière  partie. 

Au  dernier  acte,  rempli  de  courses  échevelées  sur  le  palier  de  l'es- 
calier traditionnel,  tout  s'arrange.  Ghampalier  reprendra  sa  première 
femme,  et  Juliette  Gibouleau  épousera  Adolphe,  auquel  elle  avait  été 
déjà  fiancée. 

La  Tortue,  bien  accueillie  du  public  de  la  première  représentation, 
manque  cependant  de  ce  mouvement  continu  et  un  peu  fou  qui,  forçant 
le  rire,  est  la  seule  excuse  de  ce  genre  de  théâtre  très  superficiel, 
jjue  périel,  la  jolie  Rosaura  de  la  Statue  du  Commandeur,  rentrait  au 
théâtre  où  elle  créa  si  joliment  la  pantomime  d'Adolphe  David.  Un  peu 
dépaysée  peut-être  par  les  folies  qu'on  lui  faisait  débiter,  il  la  faut, 
cependant,  grandement  féliciter  du  tact  parfait  avec  lequel  elle  a 
procédé  au  déshabillage  obligatoire.  MM.  Germain,  Guyon,  Tarride, 
Colombey,  Regnard,  Laurel,  M""*^  Montrouge,  Emma  Georges,  Clem 
et  Irma  Aubrys  enlèvent  de  verve  ces  trois  actes  qu'ils  joueront 
encore  plus  vivement  lorsqu'ils  les  posséderont  mieux. 

Tout  comme  dans  la  Kofrigaiie,  il  y  a  dans  Ariette  un  vilain  sonneur 
qui  aime  une  jolie  paysanne  et  qui,  pour  la  faire  sienne,  essaiera  de 
perdre  son  gentil  fiancé,  Jean.  Que  Jean,  h  minuit  sonnant,  frappe  à 
coups  de  pioche  sur  une  roche  enchantée  et  la  fortune  s'offrira  à  lui. 
Jean,  qui  veut  qu'Ariette  soit  la  plus  belle,  suit  mol  à  mot  les  pres- 
criptions du  sonneur;  mais  à  peine  a-t-il  attaqué  le  roc  que  parais- 
sent les  fées  gardiennes  du  trésor.  Il  serait  perdu,  si  la  jeune  fille 
n'arrivait  à  point  pour  l'eatraîner  dans  l'église  et  le  sauver  ainsi  du 
pouvoir  infernal.  Et  c'est  le  sonneur  qui  est  saisi  par  les  fées  et  pré- 
cipité dans  le  goufre  mortel. 

De  développements  clairs,  l'affabulation  de  M.  Bessier  a  l'avautage 
de  fournir  au  compositeur  matière  à  musique  de  danse  et  à  musique 
de  pantomime.  M.  Louis  Gregh  n'a  pas  laissé  échapper  cette  occasion 
de  donner  quelque  variété  à  sa  plaisante  partitionnette,  fort  bien  mise 
en  valeur  par  l'orchestre  de  l'Olympia,  ayant  à  sa  tête  M.  de  La- 
goauère,  le  chef  d'orchestre-directeur. 

Gostumes  et  décors  sont  charmants,  et  M"''  Julia  Duval,  de  Riska, 
Gomez,  Riccio  et  Lefèvre,  avec  aussi  M.  Bucourt  et  tout  le  corps  de 
ballet,  s'acquittent  agréablement  ds  leur  tâche. 

Paul-Émile  Ghevalieu. 


L'ORCHESTRE    DE    LULLY 

(Suite.) 


MARAIS 


Marais,  artiste  fort  distingué,  virtuose  extrêmement  remarquable 
sur  la  basse  de  viole,  entra  en  cette  qualité  à  l'orchestre  de  l'Opéra 
au  temps  de  LuUy,  et  devint  ensuite  chef  d'orchestre  conjointement 
avec  Gollasse. 

Né  à  Paris,  le  31  mars  16Stj  (1),  Marin  Marais  devint  fort  jeune 
enfant  de  chœur  à  la  Sainte-Ghapelle,  où  il  fut  élève  de  Ghaperon, 
maître  de  cette  chapelle,  musicien  aujourd'hui  inconnu  mais  qui 
paraît  avoir  été  fort  habile,  et  dont  l'habileté  est  en  quelque  sorte 
attestée  par  l'importance  même  de  cet  emploi.  Le  jeune  Marais  était 
en  bonnes  mains,  et  reçut  certainement  une  bonne  éducation  théo- 
rique. Il  s'adonna  ensuite  à  l'étude  de  la  basse  de  viole  sous  la  direc- 
tion d'un  artiste  nommé  Hotlmann,  fort  réputé  sur  cet  instrument, 
puis  d'un  élève  de  celui-ci,  Sainte-Colombe,  qui  lui-même  était 
devenu  célèbre.  Titon  du  Tillet  rapporte  à  ce  sujet  l'anecdote  que 
voici  : 

«  Sainte-Colombe  fut  le  maître  de  Marais  ;  mais  s'étant  apperçu  au 
bout  de  six  mois  que  son  élève  pouvoit  le  surpasser,  il  lui  dit  qu'il 
n'avoit  plus  rien  à  lui  montrer.  Marais,  qui  aimoit  passionnément  la 
viole,  voulut  cependant  profiter  encore  du  sçavoir  de  son  maître  pour 
se  perfectionner  dans  cet  instrument;  et  comme  il  avoit  quelque 
accès  dans  sa  maison,  il  prenoit  le  temps  en  été  que  Sainte-Colombe 
étoit  dans  son  jardin,  enfermé  dans  un  petit  cabinet  de  planches, 
qu'il  avoit  pratiqué  sur  les  branches  d'un  mûrier,  afin  d'y  jouer  plus 
tranquillement  et  plus  délicieusement  de  la  viole.  Marais  se  glissoit 
sous  ce  cabinet  :  il  y  entendoit  sou  maître,  et  profitoit  de  quelques 
passages  et  de  quelques  coups  d'archet  particuliers  que  les  maîtres  de 
l'art  aiment  à  se  conserver;  mais  cela  ne  dura  pas  long-tems,  Sainte- 
Golombe  s'en  étant  apperçu  et  s'étant  mis  sur  ses  gardes  pour  n'être 
plus  entendu  par  son  élève:  cependant  il  lui  rendoit  toujours  justice 
sur  le  progrès  étonnant  qu'il  avoit  fait  sur  la  viole  ;  et  étant  un  jour 
dans  une  compagnie  où  Marais  jouoit  de  la  viole,  ayant  été  interrogé 
par  des  personnes  de  distinction  sur  ce  qu'il  pensoit  de  sa  manière  de 
jouer,  il  leur  répondit  qu'il  y  avoit  des  élèves  qui  pouvoient  surpasser 
leur  maître,  mais  que  le  jeune  Marais  n'en  trouveroit  jamais  qui  le 
surpassât  (2).  » 

Marais  devint  en  effet  le  premier  virtuose  de  son  temps  sur  la 
basse  de  viole,  à  laquelle  il  apporta  d'ailleurs  plusieurs  perfectionne- 
ment?. C'est  lui  qui  ajouta  à  l'instrument  une  septième  corde  qui 
n'était  pas  en  usage  jusqu'alors,  et  c'est  lui  aussi  qui  eut  l'idée  de 
faire  filer  en  laiton  les  trois  grosses  cordes  basses  pour  leur  donner 
plus  de  tension  et  par  conséquent  plus  de  sonorito,  sans  en  aug- 
menter la  grosseur  et  sans  leur  donner  plus  d'élévation  au-dessus  de 
la  touche.  Il  acquit,  fort  jeune  encore,  une  telle  réputation,  qu'en 
1683  il  entra  dans  la  musique  de  la  chambre  du  roi  en  qualité  de 
viole  solo,  emploi  qu'il  conserva  pendant  quarante  ans.  Depuis  plu- 
sieurs années  déjà  il  appartenait  à  l'orchestre  de  l'Opéra,  où  Lully, 
dont  il  reç^t,  dit-on,  des  leçons  de  composition,  l'avait  pris  en  telle 
affection  qn'il  lui  fit  partager  avec  Gollasse  la  direction  de  cet 
orchestre. 

Et  Marais  se  distinguait  déjà  comme  compositeur  à  cette  époque, 
car  dès  1(38(3  il  publiait  un  recueil  de  pièces  de  viole,  et  dans  le  cou- 
rant de  la  même  année  il  faisait  exécuter  à  la  cour,  devant  la  Dau- 
phine,  qui  s'en  montrait  très  satisfaite,  une  Idylle  dramatique  dont  le 
Mercure  publiait  la  musique  dans  son  numéro  d'avril. 

Virtuose  renommé,  professeur  recherché,  chef  d'orchestre,  com- 
positeur, artiste  répandu  de  tous  côtés.  Marais  menait  une  vie  très 
active.  Après  la  mort  do  LuUy,  il  songea  à  se  produire  au  théâtre. 
Il  écrivit  avec  Louis  de  Lully,  le  fils  aîné  du  maître,  un  opéra  inti- 
tulé Alcide  ou  le  Triomphe  d'Hercule,  qui  ne  triompha  que  médiocre- 
ment lors  de  son  apparition  aa  mois  d'avril  1693.  Il  en  composa  en- 
suite trois  autres,  mais  seul  cette  fois:  Ariane  et  Bacchus  (1696). 
Alcyone  (1706),  et  Sémélé  (1709).  De  ces  trois  ouvrages,  un  seul, 
Alcyone,  eut  du  snccès,  mais  celui-ful  considérable,  et  pendant  long- 
temps cet  ouvrage  resta  célèbre,  surtout  à  cause  d'une  «  tempête  » 
dont  tous   les   contemporains  sont  d'accord   à  vanter   l'effet  prodi- 


(1)  C'est  Fétis  qui  donne  cett3  date.  Les  frères  Parfait,  dans  leur  Histoire  de 
l'Opéra,  disent  le  31  mai  1635. 

(2)  Le  Parnasse  François. 


LE  MENESTREL 


gieux.  0  On  ne  peut  s'empêcher,  dit  l'un  d'eux,  de  dire  ici  un  mot 
de  la  lempêle  de  cet  opéra,  tant  vantée  par  tous  les  connoisscurs,  et 
qui  fait  un  effet  si  prodigieux.  Marais  imagina  de  faire  exéculer  la 
basse  de  sa  tempête,  non  seulement  sur  les  bassons  elles  basses  de 
violon  à  l'ordinaire,  mais  encore  sur  des  tanibours  peu  tendus,  qui, 
roulant  conlinuellemenl,  forment  un  bruit  sourd  et  lugubre,  lequel, 
joint  à  des  tons  aigus  et  peroaus  pris  sur  le  haut  de  la  chanterelle 
des  violons  et  sur  les  haut-bois,  font  sentir  ensemble  loate  la  fureur  et 
toute  l'horreur  d'une  mer  agitde  et  d'un  vent  furieux  qui  gronde  et  qu; 
siffle,  enfin  d'une  tempête  réelle  et  effective  (i).  »  La  fameuse  lempêle 
d'Alcyoïie.  qui  contribua  tant,  pour  sa  part,  à  la  renommée  de  Marais, 
fut  l'un  des  premiers  essais  do  musique  iniilative  au  théâtre.  Elle 
nous  ferait  sans  doute  un  peu  sourire  aujourl'hui,  hobilués  que 
nous  sommes  à  un  régime  instrumental  autrement  pimenté.  Mais  si 
l'on  se  rend  eomple  du  temps  et  des  moyens  alors  en  usage,  on  doit 
convenir  que  le  p'^océdé  employé  élait  ingénieux  et  que  le  succès 
était  mérité. 

Marai,",  qui  avait  épousé  fort  jeune  une  demoiselle  Catherine 
d'Amicuurt,  avec  laquelle  il  vécut  cinquante  trois  ans,  en  eut  rf/,r- 
Hew/' enfant?.  Trois  de  ses  fils,  dont  le  plus  fameux  fut  Roland  Marais, 
devinrent  aussi  sur  la  viole  des  virtuoses  forl  distingués,  ainsi  qu'une 
de  SCS  filles.  Il  présenta  un  jour  ces  trois  fils  à  Louis  XI'^',  dit  un 
contemporain,  «  et  donna  à  ce  monarque  un  concerl  de  ses  pièces 
de  viole,  exécutées  par  lui  et  ses  enfans.  Le  quatrième,  qui  portoit 
pour  lors  le  petit  collet,  avoit  soin  de  ranger  les  livres  sur  le  pupitre 
et  d'en  tourner  les  feuillets.  Le  roi  entendit  ensuite  ses  trois  fils  sépa- 
rément, et  lui  dit  :  —  Je  suis  bien  content  de  vos  enfans,  mais  vous 
êtes  toujours  Marais  et  leur  père  (2).  »  Une  autre  fille,  l'ainée  de  ceux- 
ci,  épousa  le  fameux  compositeur  Bernier,  maîire  de  la  chapelle  du 
roi,  dont  les  motets  el  les  cantates  françaises  obtenaient  tant  de 
succès. 

Vers  IV^o,  Marais,  devenu  vieux,  se  retira  dans  une  maison  qu'il 
possédait  rue  de  Lourcine,  et  s'y  livra  paisiblement  à  la  culture  des 
fleurs.  Il  n'avait  pas  renoncé  pourtant  au  plaisir  de  faire  des  élèves, 
car,  dit  encore  un  contemporain,  «  il  louoit  une  salle  rue  du  Battoir, 
quartier  Saint-André-des-Arcs,  oîi  il  donnoil  deux  ou  trois  fois  la 
semaine  des  leçons  aux  personnes  qui  vouloient  re  perfectionner 
dans  la  viole.  »  Il  mourut  le  IS  août  1728,  âgé  de  72  ou  73  ans,  et  fut 
inhumé  dans  l'église  Saint-Hippolyte. 

Titon  du  Tillot  a  donné,  sur  les  compositions  de  Marais,  des  ren- 
seignements d'une  précision  telle  que  neje  saurais  mieux  faire  que  de 
les  reproduire  : 

«  Marais  a  fait  graver  cinq  livres  de  piècts  de  viole:  le  premier  à 
une  et  à  deux  violes,  168fi;  le  second  à  une  viole  et  la  basse  con- 
tinue, 1701;  le  troisième  à  une  viole  avec  la  basse  continue,  1711  ; 
le  quatrième  à  une  et  à  trois  violes,  1717  ;  le  cinquième  à  une  viole  et 
basse  continue,  17^.5.  De  plus,  un  livre  de  symphonies  en  trio  pour 
le  violon  el  la  flûte  avec  la  basse,  dédié  à  M""  Roland,  1692  ;  un  livre 
appelé  la  Gamme,  suivi  d'une  Sonate  à  la  Marésienne  el  d'iiae  autre 
pièce  intitulée  la  Sonnerie  de  Sainte  Geneviève- du- Mont,  qui  sont  des 
symphonies  pour  être  exécutées  sur  le  violon,  la  viole  et  le  clavecin, 
volume  in-folio,  1723.  11  a  laissé  encore  plusieurs  ouvrages  manus- 
crits, comme  un  Te  Deum  qui  a  été  chanté  aux  Feuillants  et  aux  PP. 
de  l'Oratoire  pour  la  convalescence  de  Monseigneur  le  DaU|jhin  ;  quel- 
ques Concerts  de  violon  et  de  viole  pour  M.  l'Électeur  de  Bavière;  et  quel- 
ques autres  pièces  à  une  et  à  deu.'c  violes.  On  espère  que  sa  famille 
les  mettra  au  jour. 

«  On  connoit  la  fécondité  et  la  beauté  du  génie  de  ce  musicien  par 
la  quantité  d'ouvrages  qu'il  a  composez.  On  y  trouve  par-tout  un  bon 
goût  et  une  variété  surprenante  :  son  grand  sçavoir  paroît  dans  beau- 
coup de  ses  ouvrages,  et  sur-tout  dans  deux  morceaux  dont  les  maî- 
tres de  l'ait  font  un  très  grand  cas  :  sçavoir,  une  pièce  de  son  quatrième 
livre,  intitulée  le  Labyrinthe,  où  après  avoir  passé  par  divers  Ions, 
touché  diverses  dissonnances,  et  avoir  marqué  par  des  tons  graves, 
et  ensuite  par  des  tons  vifs  et  animez  l'incertitude  d'un  homme  em- 
barrassé dans  un  labyrinthe,  il  en  sort  enfin  heiireuseri^ent,  et  finit 
par  une  chaconne  d'un  Ion  gracieux  et  naturel.  Mais  il  a  surpris  encore 
davantage  les  connoisseurs  en  musique  par  la  pièce  appelée  la  Gamme, 
qui  est  une  pièce  de  symphonie  qui  monte  insensiblement  par  tous 
les  tons  de  l'octave,  et  qu'on  descend  ensuite  en  parcourant  ainsi, 
par  des  chants  harmonieux  et  mélodieux,  tous  les  tons  différents  de 
là  musique.  » 

(A  suivre).  Arthujr  Pougin. 


(1)  Le  Parnasse  François. 

(2)  Les  frères  Parfait  :  Histoire  de  l 


ET  LA  DIRECTION  DU  CONSERVATOIRE  ? 


C'est  le  moindre  des  soucis  d'un  gouvernement  radical.  Assurément 
une  œuvre  d'art  et  d'enseignement  comme  celle-là  a  beaucoup  moins 
d'intérêt  qu'une  loi  de  ravage  comme  celle  de  l'impôt  sur  le  revenu. 
Pourtant  il  serait  décent  au  ministre  de  l'Instruction  publique  de 
bien  vouloir  y  penser  en  ses  moments  perdus. 

On  dit  avec  insislance  —  que  ne  dit-on  pas?  —  qu'à  la  direction 
des  Beaux-Arts  le  principe  serait  admis  de  ne  nommer  un  nouveau 
dirigeant  au  Conservatoire  que  pour  une  période  de  cinq  ans.  Cela 
doit  être  vrai,  puisque  ce  serait  déplorable. 

On  s'appuie  pour  se  lancer  dans  ces  nouveaux  errements  sur  ce 
qu'il  en  est  ainsi  pour  l'Académie  de  France  à  Rome  !  Mais  quelle 
simililude  peut-il  exister  entre  une  sorte  de  villégiature  artistique 
qu'on  impose  à  nos  lauréats  et  une  école  dont  l'enseignement  doit 
être  continu  pour  porter  des  fruits? 

Vouloir  appliquer  à  une  telle  École  un  principe  de  directio"  aussi 
fugitive,  c'est  vouloir  sa  ruine  à  bref  délai.  C'est  vouloir  aussi  en 
écarter  tous  les  candidats  d'une  réelle  valeur,  et  c'est  peut-être  au 
fond  ce  qu'on  désire. 

Il  n'y  en  aura  pas  certainement  qui  voudront  se  prêter  à  cet  acte 
de  méfiance.  A  Rome,  c'est  l'habitude,  depuis  la  fondation  de  l'Aca- 
démie de  France,  de  n'y  nommer  qu'un  directeur  à  temps;  il  n'y  a 
donc  rien  là  de  blessant  pour  les  titulaires  qui  s'y  succèdent.  Mais  au 
Conservatoire  au  contraire,  jusqu'ici,  chaque  musicien-directeur  y  a 
terminé  son  existence:  Auber  comme  Gherubini,  et  Arabroise  Thomas 
comme  Auber.  Un  artiste  de  la  même  laiHe  ne  pourra  donc  accepter 
d'autre  situation. 

Indiquez  une  limite  d'ùge,  pour  la  retraite,  si  vous  craignez  la 
sénililé  possible  de  certaines  directions.  Mais  aller  plus  loin,  c'est 
vouloir  réserver  la  place  à  quelque  fonctionnaire  sans  prestige  qui 
y  entrera  comme  dans  un  fromage,  et  voilà  tout. 

H.    MOBENO. 


REVUE   DES    GRANDS   CONCERTS 


C'est  la  jolie  symphonie  en  la  majeur  de  Mendelssohn  qui  ouvrait  le 
programme  du  dernier  concert  du  Conservatoire.  Cette  sj'mphonie,  dési- 
gnée souvent  sous  le  nom  de  Symphonie,  romaine,  ou  italienne,  est  ainsi 
nommée  parce  que  l'auteur  l'écrivit  au  cours  de  son  long  séjour  en 
Iialie  (1830-31).  Il  avait  déjà  écrit  à  Rottié  son  ouverture  des  Hébrides  et  il 
s'occupait  de  la  Nuit  de  Walpurgis  lorsqu'il- commença  aussi  à  songer  à 
cette  belle  composition,  qu'il  baptisa  lui-même,  ainsi  qu'on  le  voit  dans 
une  lettre  à  sa  sœur  du  ti  février  1831  :  «  Je  compose  en  ce  moment  avec 
ardeur,  lui  écrit-il  de  Rome  :  la  Symphonie  italienne  marche  à  grand  pas; 
ce  sera  le  morceau  le  plus  gai  que  j'aie  fait,  notamment  le  finale.  Je  n'ai 
encore  rien  arrêté  quant  à  Vadagio;  je  crois  que  j'attendrai  d'être  à  Naples 
pour  l'écrire.»  Il  en  voulait  écrire  d'ailleurs  deux  à  la  fois,  ainsi  que  nous 
le  prouve  une  autre  lettre,  du  1"'  mars  :  «  Si  je  pouvais  au  moins  com- 
poser ici  une  de  mes  deux  symphonies!  Quant  à  l'italienne,  j'attendrai, 
pour  l'écrire,  d'avoir  vu  Naples,  car  j'y  veux  mettre  un  peu  de  l'émotion 
que  cette  vue  m'aura  fait  éprouver.  Mais  l'autre  symphonie  m'échappe  à 
mesure  que  je  crois  la  saisir;  plus  approche  la  fin  de  cette  période  de 
calme  que  je  passe  à  Rome,  plus  je  suis  préoccupé  et  moins  j'ai  de  facilité 
au  travail...  u  Elle  est  fort  aimable,  élégante  et  pleine  de  grâce,  cette  Sym- 
phonie italienne,  qui,  depuis  sa  première  audition,  n'a  jamais  quitté  le 
répertoire  de  la  Société  des  concerts.  L'orchestre  l'a  dite,  comme  de  cou- 
tume, avec  la  légèreté,  la  distinction  et  le  charme  qui  lui  conviennent. 
Après  le  joli  chœur  des  Pileuses  du  Vaisseau  fantôme,  de  Richard  "Wagner, 
qui  venait  ensuite  et  dont  il  n'y  a  plus  rien  à  dire  aujourd'hui,  nous  avons 
entendu,  pour  la  première  fois  au  Conservatoire,  la  Symplionie  sur  un  air 
montagnard  de  M.  "V.  d'Indy,  connue  ailleurs  depuis  une  di.-îaine  d'années. 
C'est  là,  en  somme,  une  composition  estimable,  dont  la  troisième  partie 
surtout  est  intéressante  par  sa  verve,  sa  couleur  et  son  entrain.  Mais  en 
entendant  cette  symphonie,  où  l'auteur  a  cru  devoir  augmenter  l'orchestre 
de  Beethoven  d'un  piano,  d'une  harpe,  d'une  troisième  flûte,  d'un  cor  an- 
glais, d'un  saxophone,  de  deux  trompettes  supplémentaires  et  d'un  ophi- 
cléide,  je  me  reportais  involontairement  au  concert  précédent,  où  nous 
avions  vu,  dans  une  cantate,  le  vieux  Bach  obtenir  des  effets  prodigieux 
avec  le  simple  accouplement  d'un  hautbois  et  d'un  violoncelle,  et  je  me 
disais  que  quand  l'inspiration  visite  véritablement  le  cei'veau  d'un  com- 
positeur, il  n'a  pas  besoin  de  tant  de  complications  harmoniques  et  ins- 
trumentales pour  s'emparer  de  ses  auditeurs.  Nos  jeunes  musiciens, 
qui  professent  avoir  avec  raison  une  admiration  si  grande  pour  le 
patriarche  de  l'art,  devraient  prendre  de  lui  quelques  leçons  sous  ce  rap- 
port. Le  programme  du  concert  se  ccmplétait  par  un  motet  dû  précisé- 
ment à  J.-S.  Bach,  double  chœur  sans  accompagnement  qui  a  été  fort 
bien  chanté,  et  par  l'ouverture  (n"  3)  de  Lionore,  de  Beethoven,  admirable- 
ment dite  par  l'orchestre.  A.  P. 


LE  MENESTREL 


83 


—  Concerts  du.  Chàtelet  :  Slruensée,  scènes  dramatiques  inspirées  du 
drame  en  prose  de  M.  Jules  Barbier  et  mises  en  -vers  par  M.  Pierre 
Barbier  pour  relier  les  différentes  parties  de  la  partition  de  Meyerbeer.... 
Ajoutons  à  ces  indications  du  programme  que  la  musique  fut  écrite  en 
1846  pour  le  drame  posthume  de  Michel  Béer,  frère  de  l'auteur  des 
Hiigtienols.  Elle  comprend  douze  numéros  :  ouverture,  chœurs,  mélodrames, 
entr'actes.  Les  parties  déclamées  ont  été  dites  par  M""  du  Minil,  M""=  Ha- 
damard,  MM.  Silvain,  Albert  Lambert  et  Pierre  Laugier,  tous  de  la 
Comédie-Française.  On  retrouve  dans  la  musique  de  Slruensée  la  qualité 
primordiale  sans  laquelle  l'immense  vogue  de  Meyerbeer  ne  s'expliquerait 
pas  :  l'habileté  suprême  dans  l'art  de  draper  une  phrase  mélodique,  de 
l'enfler,  de  l'étayer,  de  la  contrepointer  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  susceptible 
de  rendre  tout  ce  qu'elle  peut  donner  en  tant  qu'effet  scénique.  Cette  entente 
incomparable  de  la  mise  au  point  suffit  à  expliquer  la  vogue  colossale  des 
opéras  du  maître  pendant  un  demi-siècle.  Rarement  Meyerbeer  est  naturel; 
il  a  pour  lui  l'emphase,  l'éloquence  pompeuse  et  un  peu  boursouflée,  il 
déclame,  il  pontifie.  —  Avant  son  mélodrame  de  Slruensée,  nous  avions 
entendu  une  œuvre  simple,  consciencieuse  et  d'exquises  proportions  :  les 
Landes,  de  M.  Guy  Ropartz.  C'est  une  jolie  impression  musicale,  discrète 
d'orchestration  et  bâtie  sur  un  thème  suffisamment  mélodique.  L'isolement, 
le  calme,  l'étendue  sont  exprimés  musicalement  avec  bonheur.  —  M.  Remy 
a  obtenu  lin  brillant  succès  dans  le  concerto  en  la  majeur  pour  violon  de 
M.  Saint-Saëns.  Dans  cette  œuvre,  les  parties  de  pure  virtuosité,  savam- 
ment combinées  avec  les  passages  de  chant,  ont  permis  au  virtuose  de 
faire  apprécier  son  talent  sous  différents  points  de  vue  qui  lui  sont,  en 
définitive,  tout  à  fait  favorables.  L'ouverture  de  Coriolan  a  jeté  une  lueur 
resplendissante  au  début  de  ce  concert  un  peu  mélodramatique. 

Amédée  Boutahel. 


—  Concert  Lamoureux:  L'ouverture  de  Louis  Lacombe  date  de  1847;  elle 
sent  son  époque;  quels  que  soient  ses  mérites,  elle  semble  un  peu  démodée. 
Louis  Lacombe  était  un  pianiste  et  un  compositeur  de  grande  valeur  auquel 
on  n'a  pas  toujours  rendu  justice.  L'auteur  de  Manfred,  à'Arva,  de  Saplio, 
de  Winckelried  et  de  tant  d'œuvres  magistrales  était  loin  d'être  le  premier 
venu.  Mais  ce  n'était  pas  l'ouverture  en  si  mineur  qu'il  eût  fallu  choisir 
pour  le  remettre  en  lumière.  —  Le  concerto  en  ut  mineur  pour  piano,  de 
M.Pierné,  exécuté  avec  une  rare  vaillance  parM""'Roger-Miclos,  estorchestré 
avec  tant  de  furie  qu'à  travers  ses  harmonies  tumultueuses  il  est  presque 
impossible  de  discerner  le  piano.  On  peut  dire  que  l'éminente  pianiste, 
malgré  ses  efforts,  était  en  quelque  sorte  réduite  au  silence  ;  elle  a  pu 
cependant  se  faire  entendre  pendant  de  trop  courts  instants  dans  le  scher- 
zando,  qui  est  fort  joli  et  n'a  qu'un  tort,  celui  de  trop  rappeler  ceux  du  con- 
certo en  sol  mineur  de  Saint-Saëns.  Cela  a  suffi  cependant  pour  faire  appré- 
cier et  applaudir  la  parfaite  exécution  de  M'"'=Roger-Miclos.  —  Il  n'y  a  rien 
à  dire  de  nouveau  sur  la  magnifique  symphonie  en  mi  bémol  de  Schumann, 
qui  a  été  magistralement  rendue  par  l'orchestre  de  M.  Lamoureux.  Nous 
ne  savons  pourquoi  Schumann  a  introduit  dans  cette  symphonie  le  maesloso 
(scène  religieuse)  qui  ne  rentre  pas  dans  le  cadre  habituel  de  la  symphonie 
et  qui  est  un  splendide  hors-d'œuvre,  qui  gagnerait  incontestablement  à 
être  présenté  à  part.  C'est  un  véritable  chant  d'église,  du  caractère  religieux 
le  plus  élevé.  —  La  partie  wagnérienne  du  concert  se  composait  du  Chant 
de  la  forge  de  Siegfried  dit  avec  une  incontestable  énergie  par  M.  Lafarge, 
dii  prélude  de  Parsifal,  et  de  l'ouverture  des  MaUrcs  Chanteurs.  Sauf  l'air  de 
la  forge,  ces  morceaux  sont  tellement  connus  que  l'on  tomberait  dans  les 
redites  si  l'on  voulait  en  refaire  pour  la  centième  fois  l'analyse.  L'exécu- 
tion en  a  été  excellente.  H.  Barbedette. 
—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 
Conservatoire  :  Symphonie  en  la  majeur  (Mendelssohn)  ;  chœur  des  Fileuses 
du  Vaisseau- Fantôme  (Richard  Wagner);  Symphonie  pour  orchestre  et  piano 
(Vincent  d'Indy),  esécutée  par  M.  Braud  ;  Motet,  double  chœur  sans  accompa- 
gnement (J. -S.  Bach);  ouverture  de  Léonore  (Beethoven). 

.  Chàtelef,  concert  Colonne;  Première  partie:  1"  acte  de  Judith  (Cb.  Lefebvre), 
soli  par  M"*  Planés  et  M.  Challet;  Récit  et  Prière  de  Jocelyn  (B.  Godard),  chantés 
par  M""  Tériane  ;  Concerto  en  sol  mineur,  pour  piano  (Saint-Saëns),  par 
M.  Blumer;  lEpée  d'Anganlijr  (Carraud),  soli  par  M'"»  Tériane  et  M.  Challet. 
Deuxième  partie  :  Slruensée,  scènes  dramatiques  inspirées  du  drame  en  prose 
de  M.  Jules  Barbier  et  mises  en  vers  par  M.  Pierre  Barbier,  musique  de 
Meyerbeer,  avec  la  distribution  suivante  : 

Le  pasteur  Struensée  MM.  Silvain 

Struensée  Albert  Lambert 

Rantzau  Pierre  Laugier.        * 

La  reine  Mathilde  M""  Renée  Du  Minil 

La  Reine-mère  Hadamard 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  première  audition  du  Missie 
(Ha;adel)  :  chceur,  orchestre  et  soli  par  M"""  Passama,  Marie  Maure),  MM.  La- 
farge et  Auguez.  Le  grand  orgue  sera  tenu  par  M.  E.  Lacroix. 

Concerts  du  Jardin  d'.\cclimatation,  chef  d'orchestre  ;  M.  Louis  Pister  :  Oucei-- 
ture  (B.Godard)  ;  Romance,  pour  violon  et  orgue  (Saint-Baêns);  Pavane  IG.  Fauré)  ; 
Lei  Préludes  d'après  Lamartine  (F.  Liszt);  Symphonie  i>astorale(Bee'.howGni\  Marche 
des  trompettes  d'Aidu  (Verdi). 

—  La  Société  nationale  vient  de  faire  entendre  une  série  d'œuvres  mo- 
dernes parmi  lesquelles  il  faut  citer  tout  d'abord  la  belle  sonate  pour 
piano  et  violoncelle  d'Emile  Bernard,  la  suite  dans  le  style  ancien  de 
y.  d'Indy  et  un  Madrigal  du  même  auteur.  Trois  numéros  du  programme 
étaient  entendus  pour  la  première  fois:  une  suite  pour  piano,  de  M.  Paul 
Lacombe,  des  mélodies  vocales  de  M.  Letocart,  et  le  quintette  pour  cordes 


de  M.  Alary.  L'œuvre  de  M.  Lacombe  est  très  remarquable  dans  ses  trois 
premières  parties,  un  prélude  d'une  rare  beauté  et  deux  courtes  pièces 
fines  et  spirituelles,  dignes  de  la  plume  d'un  Schubert.  Dans  le  quintette 
de  M.  Alary,  on  apprécie  l'ingéniosité  des  détails  et  le  souci  de  la  facture. 

—  Un  public  nombreux  a  fort  applaudi  vendredi  dernier,  nouvelle  salle 
Pleyel,  les  9°"=  et  ii°"^  quatuors  de  Beethoven,  remarquablement  interprétés 
par  le  quatuor  Geloso,  Tracol,  Monteux,  Schnecklud.  Exécution  vigoureuse 
et  nette,  ardente  et  précise. 

--  Mercredi  II ,  salle  Érard,  très  intéressant  concert  du  violoniste  Joseph 
While,  qui  a  fait  entendre  avec  ses  partenaires,  MM.  Tracol,  Trombetta 
et  d'Einbrodt,  le  troisième  quatuor  à  cordes  de  Schumann.  Ce  sont  des 
œuvres  vraiment  délicieuses  que  ces  quatuors  de  Schumann,  longtemps 
dédaignés,  plus  appréciés  aujourd'hui,  et  que  M.  White  interprète  avec 
une  maestria  remarquable.  — Belles  exécutions  du  trio  en /a  de  Saint-Saëns, 
par  MM.  Diémer,"White  et  d'Einbrodt  ;  le  bénéficiaire  a  dit  avec  un  senti- 
ment exquis  la  romance  si  connue  de  Svendsen  et  une  Styrienne  de  sa 
composition  qui  a  excité,  dans  le  public  une  explosion  d'enthousiasme. 
Citons,  au  programme,  une  intéressante  sonate  de  piano  et  violon  de 
Diémer,  et  des  mélodies  de  MM.  Bomhery  et  Cœdês-Mangin,  remarquable- 
interprétées  par  M'"  O'Rocke.  H.  B. 

—  La  remarquable  pianiste  M""'  Jossic  vient  de  donner,  à  la  salle  Pleyel, 
trois  récitals  de  piano  consacrés  à  la  musique  classique,  romantique  et 
moderne.  Tour  à  tour  elle  a  su  faire  apprécier,  que  ce  fût  dans  la  sonate 
appassionnala  de  Beethoven,  ou  dans  la  Fantaisie  chromatique  avec  fugue 
de  J.-S.  Bach,  ou  bien  dans  la  Légende  de  Saint-François  de  Paule  de  Liszt, 
toute  la  souplesse  de  son  beau  talent.  La  soirée  consacrée  aux  œuvres  de 
Schumann  et  de  Chopin  fut  un  vrai  régal  d'art.  La  dernière  séance,  qui 
avait  lieu  mardi,  10  mars,  était  consacrée  aux  auteurs  modernes.  Elle  fut 
d'un  bout  à  l'autre  un  vrai  succès.  Signalons  parmi  les  morceaux  les  plus 
applaudis  la  sonate  de  Schytte,  le  Réveil,  pièce  exquise  de  Th.  Dubois,  la 
belle  étude  d'Antonin  Marmontel,  qu'il  fallut  bisser,  un  impromptu  de 
M.  Jossic,  et  enfin  le  Caprice  pastoral  de  Diémer. 

—  Mercredi  18  mars,  salle  des  Agriculteurs  de  France  (rue  d'Athènes), 
l-i""^  concert  (séries  A  et  B  réunies)  de  la  Société  Philharmonique,  avec  le 
concours  de  M"'=Breitner,  M""  Planés  (des  Concerts  Colonne),  MM.  Breitner, 
Berkovitz,  Bailly,  Mariotli  et  la  Société  chorale  les  Enfants  de  Lutèce 
(100  exécutants,  sous  la  direction  de  M.  Pastor.) 

—  Jeudi  soir,  19  mars  salle  Pleyel,  deuxième  séance  de  musique  de 
donnée  par  MM.  Chevillard,  Hayot  et  Salmon,  avec  le  concours  de 
MM.  Touche  et  Bailly. 

—  M.  Léon  Dalafosse  donnera  deux  concerts,  les  21  et  26  mars,  à  la 
salle  Erard.  A  côté  d'œuvres  classiques  et  de  concertos  avec  orchestre, 
le  jeune  maitre  fera  entendre  plusieurs  de  ses  œuvres:  au  premier  concert 
un  délicieux  nocturne  et  une  brillante  mazurka  pour  piano;  au  second 
toute  la  série  des  Soirs  d'amour,  suite  de  mélodies  fort  intéressantes,  et 
aussi  les  fameuses  Chauves-souris,  écrites  sur  des  poésies  du  comte  de  Mon- 
tesquiou. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
On  nous  télégraphie  de  Rome  que  le  théâtre  National  a  joué  pour 
la  première  fois  Chatterton,  l'opéra  de  Leoncavallo  dont  le  livret  est 
tiré  du  drame  d'Alfred  de  Vigny.  Lo  succès  a  été  très  vif,  surtout  après  le 
deuxième  acte.  Le  compositeur  a  eu  sept  rappels  après  le  premier  acte, 
trois  après  l'acte  suivant  et  dix  après  le  dernier  acte,  en  tout  vingt-cinq 
rappels.  C'est  suffisant,  même  en  Ilalie.  Les  principaux  interprètes  étaient 
MM.  Lucignani,  Coda  et  M"»  Gabhi.  Chatterton  est  un  ouvrage  de  la  pre- 
mière jeunesse  de  l'auteur,  alors  qu'il  était  complètement  inconnu.  On  a 
dit  qu'il  avait  été  refait  en  grande  partie,  ce  qui  est  inexact,  ainsi  que  le 
déclare  M.  Leoncavallo  lui-même.  «  Jugeant  mon  travail  de  jeunesse  après 
plusieurs  années,  disait-il  dernièrement  à  un  ami,  je  n'ai  rien  trouvé  à 
changer  dans  cette  conception,  au  point  de  vue  de  l'expression  du  senti- 
ment. Les  mélodies  écrites  alors  sous  la  première  inspiration  me  semblent 
encore  aujourd'hui  les  plus  efficaces.  J'ai  laissé  à  cette  partition  la  fraî- 
cheur d'une  œuvre  juvénile  ;  j'ai  seulement  corrigé  quelquefois  la  forme  et 
j'ai  donné  plus  de  coloris  à  l'orchestration.  »  Même  au  livret  M.  Leon- 
vallo  a  fait  peu  de  corrections.  Il  en  a  pris  la  ligne  générale  dans  le  drame 
d'Alfred  de  Vigny,  joué  à  la  Comédie-Française  le  12  février  1835. 

—  Hamlet  à  la  Scala.  Dépêche  de  Milan  au  journal  l'Italie  de  Rome  : 
«  Hier  soir,  première  d'Ilamlet  à  la  Scala.  Grand  succès.  Public  nombreux 
et  d'élite.  Applaudissements  enthousiastes  pour  Hamlet  et  Ophélie.  Riche 
mise  en  scène.  Ce  soir,  deuxième  représentation.  » 

—  Encore  un  succès  d'enthousiasme  pour  le  Werther  de  M.  Massenet, 
cette  fois  à  Trieste,  avec  des  interprètes  tels  que  la  Bellincioni  et  le  ténor 
GaruUi.  Il  n'y  aura  bientôt  qu'à  Paris  qu'on  n'entendra  plus  l'œuvre 
maîtresse  du  compositeur  français;     ■ 

—  Nous  avons  annoncé  sommairement  le  succès  obtenu  à  Pesaro  par 
la  représentation  du  nouvel  opéra  de  M.  Mascagni,  Zanetto.  Ce  succès  a 
été  bruyant  et  complet.  «  A  la  fin  du  spectacle,  dit  le  Trovatore,  huit  rap- 


8() 


I.E  MÉNESTREL 


pels  à  l'auteur,  dont  deux  avec  la  GoUamarini  et  la  Pizzagalli,  et  six  pour 
lui  seul.  Les  dames  agitaient  leurs  mouchoirs,  les  hommes  leurs  chapeaux. 
Les  rappels  auraient  continué  si  un  évanouissement  de  M"»  Mascagni, 
causé  par  l'émotion,  n'avait  décidé  le  public  à  ne  plus  troubler  le  maestro 
en  une  telle  occurrence.  « 

—  Un  de  nos  confrères  italiens,  M.  Ippolito  Valetta,  a  fait  récemment 
à  Rome,  dans  la  grande  salle  du  Collège  Romain,  sur  l'invitation  de  la 
Société  pour  l'instruction  de  la  femme,  une  conférence  fort  intéressante 
sur  ce  sujet:  Les  Lulliiers  célèbres.  C'est  S.  M.  la  reine  Marguerite,  prési- 
dente de  la  Société,  qui  avait  elle-même  indiqué  ce  sujet,  traité  par  le 
conférencier  de  la  façon  la  plus  heureuse  et  qui  lui  a  valu  un  très  grand 
succès. 

—  La  ville  de  Brescia  s'est  beaucoup  divertie,  ces  temps  derniers,  d'un 
incident  original  qui  avait  sa  source  dans  une  tentative  en  faveur  de  la 
moralisation  du  ballet.  Un  journal,  il  Cittadino,  s'étant  avisé  tout  à  coup  de 
r  0  extrême  indécence  »  du  costume  des  danseuses,  prit  la  résolution  de  réagir 
avec  vigueur  dans  l'intérêt  des  bonnes  mœurs  et,  à  cet  effet,  ouvrit  une 
souscription  destinée  à  recueillir  les  sommes  nécessaires  pour  permettre 
au  directeur  du  théâtre  d'allonger  dans  des  proportions  convenables  les 
jupes  de  ses  ballerines.  Un  certain  nombre  d'amateurs  prirent  la  chose  du 
bon  côté,  souscrivirent  avec  ensemble  et  portèrent  sérieusement  leur 
offrande  au  Cittadino,  qui,  ayant  ainsi  réuni  une  somme  de  S70  francs, 
s'empressa  de  la  transmettre  au  directeur  —  y  joint  le  vœu  des  souscrip- 
teurs. L'honorable  imprésario  ne  se  fit  pas  prier,  et  incontinent  fit  appliquer 
une  rallonge  aux  jupes  de  ses  danseuses,  qui,  à  la  représentation  suivante, 
parurent  devant  le  public  en  jupes  mi-traînantes.  Mais  on  raconte  qu'à 
cette  vue  toute  la  salle  fut  prise  d'un  tel  accès  de  fou  rire  que  les  danseuses 
elles-mêmes  en  furent  atteintes,  et  que  cette  hilarité  frénétique,  qui  d'un 
côté  de  la  rampe  avait  gagné  l'autre,  donna  au  spectacle  du  ballet  une 
allure  absolument  extraordinaire.  La  mesure  était  jugée,  et  dès  le  lende- 
main on  en  revint  au  costume  habituel.  On  assure  que  le  Cittadino  se  gar- 
dera à  l'avenir  de  souscriptions  de  ce  genre. 

—  De  l'Echo  musical,  de  Bruxelles  :  «  Un  jubilé  important  se  prépare  au 
Conservatoire  :  le  28  avril,  il  y  aura  vingt-cinq  ans  que  M.  P.-A.  Gevaert, 
nommé  en  1871  en  remplacement  de  Fétis,  dirige  notre  première  école  de 
musique.  Une  souscription  a  été  organisée,  à  laquelle  participeront  le 
personnel  et  les  élèves,  dans  le  but  d'offrir  à  M.  Gevaert  son  buste,  œuvre 
du  sculpteur  de  Lalaing  ;  l'artiste  a  été  choisi  par  M.  Buis,  à  qui  les  sous- 
cripteurs s'en  sont  remis  pour  éviter  les  compétitions.  M.  Gevaert  ayant 
déjà  posé  devant  le  sculpteur,  le  buste  est  très  avancé.  Il  sera  remis  à 
l'éminent  jubilaire  en  une  cérémonie  tout  intime  à  laquelle  n'assisteront 
que  les  professeurs  et  une  délégation  des  élèves,  —  un  par  classe.  » 
L'hommage  rendu  par  ses  compatriotes  à  M.  Gevaert  sera  donc  digne  du 
grand  artiste  dont  la  carrière,  en  Belgique  comme  en  France,  ne  saurait 
inspirer  à  tous  que  l'estime  et  le  respect  le  plus  profonds. 

—  M.Widor,  le  célèbre  organiste  de  l'église  de  Saint-Sulpice,  à  Paris,  dit 
un  journal  belge,  a  donné  lundi  après-midi,  au  Conservatoire  de  Bruxelles, 
une  audition  tout  intime  a  laquelle  assistaient  la  princesse  Clémentine  et 
la  comtesse  de  Flandre,  ainsi  qu'un  certain  nombre  d'artistes  et  de  dilet- 
tantes privilégiés.  La  virtuosité  de  l'artiste  charma  et  déconcerte  soit  dans 
le  superbe  Prélude  et  Fugue  en  ré,  de  Bach,  qu'il  a  joué  avec  un  style 
merveilleux,  soit  dans  la  Symphonie  gothique,  composée  par  M.  Widor 
lui-même  et  que  nous  entendions  pour  la  première  fois  à  Bruxelles, 
œuvre  tout  à  fait  originale,  aux  eff^^ts  surprenants.  W^'^^  Kinen,  Eustis 
et  d'Aguiar,  de  gracieuses  et  élégantes  mondaines,  se  sont  également  fait 
entendre  dans  de  délicieuses  mélodies  de  M.  "Widor. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  :  Deux  mots  pour  vous  signaler 
le  succès  obtenu  mardi,  au  théâtre  des  Galeries-Saint-Hubert,  par  une 
œuvre  inédite  de  deux  auteurs  nationaux,  la  Bachelette,  par  M,  'Van  der 
Elst  et  M'ie  Eva  Dell' Acqua,  connue  par  de  jolies  mélodies.  C'est  la  Chami- 
nade  belge.  Bruxelloise,  née  de  parents  italiens,  elle  unit,  dans  sa  musique 
pétillante  et  gracieuse,  la  mélancolie  des  brouillards  de  la  Senne  à  la  viva- 
cité du  soleil  napolitain.  La  Bachelette  est  une  opérette  très  mouvementée. 
L'on  a  applaudi  surtout  la  partition.  Il  y  avait  longtemps  qu'on  n'avait 
plus  assisté  à  ce  spectacle,  rare  entre  tous  :  une  œuvre  belge  accueillie 
parles  Belges  favorablement  !  L-  S- 

—  Le  Grillon  du  foyer,  le  nouvel  opéra  dont  M.  Charles  Goldmark  a  écrit 
la  musique  sur  un  livret  de  M.  Willner,  sera  représenté  pour  la  première 
fois  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  le  17  mars.  M"=  Renard  y  joue  un  rôle 
fort  intéressant.  La  nouvelle  œuvre  de  M.  Goldmark  sera  donnée  ensuite  à 
Budapest  et  sur  beaucoup  de  scènes  allemandes  qui  en  ont  déjà  fait 
l'acquisition.  Pendant  la  prochaine  saison  le  Grillon  du  foyer  sera  repré- 
senté à  Londres,  où  cet  opéra  excite  d'avance  beaucoup  d'intérêt,  le  livret 
étant  tiré  d'une  nouvelle  célèbre  de  Charles  Dickens.  Plusieurs  grands 
journaux  de  Londres  ont  adressé  une  requête  au  surintendant  général  des 
théâtres  impériaux,  en  le  priant  de  réserver  à  leurs  critiques  musicaux  une 
place  pour  la  première  représentation  à  Vienne. 

—  Le  théâtre  An  der  "Wien,  à  Vienne,  vient  de  jouer  avec  succès,  pour 
la  première  fois,  une  nouvelle  opérette,  Mister  Ménélas,  avec  musique  de 
M.  Joseph  Bayer. 

—  L'Opéra  de  Berlin  a  reçu  un  opéra  inédit,  le  Carillon,  dont  la  musique 
est  due  à  M.  J.  Ulrich.  Ce  théâtre  vient  déjouer,  avec  grand  succès,  un 


ballet  inédit,  Laurin,  avec  musique  de  M.  Maurice  Moszkowski,  de  laquelle 
on  dit  beaucoup  de  bien.  Pour  compléter  l'aiBche,  on  avait  repris  la  Pou- 
pée de  Nuremberg  avec  une  distribution  hors  ligne  qui  assure  un  regain  de 
popularité  à  la  jolie  partition  d'Adolphe  Adam. 

—  On  ne  chôme  pas  à  l'Opéra  de  Budapest,  qui  se  prépare  pour  les  fêtes 
du  millénaire  du  royaume  hongrois.  Ce  sera  d'abord  une  reprise  de 
l'Opéra  national,  le  Roi  Etienne,  de  Franz  Erkel  ;  ensuite  on  jouera  le  Grillon 
du  foyer,  de  Goldmark,  Alàr,  l'opéra  inédit  du  comte  Bêla  Zichy,  et  finale- 
ment un  opéra  inédit,  la  Rose  du  village,  musique  de  M.  Jenô  Hubay,  le 
compositeur  du  Luthier  de  Crémone.  On  a  joué  dernièrement  avec  beau- 
coup de  succès  un  nouveau  ballet,  l'Homme  de  bron:e,  musique  de  M.  Etienne 
Kerner,  dont  le  livret  a  été  tout  simplement  tiré  du  Cheval  de  bronze 
d'Auber. 

—  Un  comité  s'est  formé  pour  ériger,  à  Schwérin,  un  monument  à 
Flotow,  le  compositeur  de  Martlia. 

—  La  Russland's  Musik  Zeitung  raconte  qu'un  photographe  de  Munich 
ayant  demandé  à  Mascagni,  de  passage  dans  la  ville  bavaroise,  de  bien 
vouloir  poser  devant  son  appareil,  le  maestro  lui  demanda  pour  cette 
faveur  la  jolie  somme  de  1.000  marks,  sur  quoi  l'autre  renonça  naturelle- 
ment à  l'honneur  de  fixer  sur  la  plaque  sensible  les  traits  immortels  de 
l'auteur  de  Cavalleria. 

—  Les  petits  théâtres  allemands  ne  cessent  pas  de  produire  des  opéras 
inédits.  Dans  ces  derniers  jours,  on  a  joué  pour  la  première  fois  à  Trêves 
Arnelda,  musique  de  M.  André  Mohr,  et  à  Stuttgart  un  opéra  en  trois  actes 
Astorre,  musique  de  M.  Joseph  Krug-Waldsee. 

—  Un  opéra-comique  inédit,  Clara  Dellin,  musique  de  M.  Meyer-Olbers- 
leben,  vient  d'être  joué  avec  succès  au  théâtre  municipal  de  Wurzbourg. 

—  De  Vienne  :  M"»  Clotilde  Kleebeig,  que  nous  n'avions  pas  entendue  à 
Vienne  depuis  douze  ans,  a  donné  à  la  salle  Bûsendorfer  plusieurs  concerts 
dont  le  succès  a  été  retentissant.  Rappels  sans  nombre,  bouquets,  couronnes, 
ovations,  rien  ne  manquait. 

—  M"''^  Berthe  et  Ciotilde  Balthasar-Florence  viennent  de  brillamment 
réussir  dans  un  concert  qu'elles  ont  donné  à  la  Singacadémie  de  Berlin, 
La  première  est,  comme  on  sait,  une  petite  pianiste  de  dix  ans  tout  à  fait 
merveilleuse,  et  la  seconde  une  virtuose-violoniste  de  solide  éducation. 

—  Le  fameux  luthier  tyrolien  Jacob  Stainer,  dont  certains  instruments 
sont  fort  distingués  et  aujourd'hui  très  justement  recherchés,  était  né  à 
Absam  le  14  juillet  1621  et  y  mourut  en  1683.  Ses  restes  reposent  dans  le 
modeste  cimetière  d'Absam,  situé  en  face  de  l'église,  et  sa  tombe,  qui 
depuis  plus  de  deux  siècles  a  subi  les  injures  du  temps,  est,  parait-il, 
dans  l'état  le  plus  déplorable.  Ce  que  voyant,  un  comité  s'est  formé  dans 
la  petite  ville  qui  a  vu  naître  cet  artisan  fort  distingué,  dans  le  but  de  lui 
élever,  à  l'aide  d'une  souscription,  un  monument  modeste,  mais  digne  de 
ses  talents  et  de  sa  renommée.  On  sait  que  Stainer,  qui  fut,  à  Crémone, 
l'élève  du  célèbre  Nicolas  Amati,  dont  il  épousa  la  fille,  eut  plus  tard  pour 
élèves  dans  ses  ateliers  d'Absam  les  trois  frères  Klots,  qui  ont  laissé  aussi 
un  nom  dans  la  lutherie.  Fétis  n'a  pu  donner  qu'approximativement  la 
date  de  sa  naissance,  et  a  ignoré  celle  de  sa  mort.  L'une  et  l'autre  sont 
connues  aujourd'hui. 

—  Auber  continue  à  faire  florès  en  Allemagne.  Le  théâtre  de  la  cour  de 
Darmstadt  vient  de  reprendre  Gustave  ou  le  Bal  masqué,  qu'on  n'y  avait  pas 
vu  depuis  bon  nombre  d'années,  et  l'œuvre  a  remporté  un  succès  con- 
sidérable. 

—  Ce  n'est  pas  seulement  en  Italie,  en  Allemagne,  en  France,  que  la 
question  des  chapeaux  de  femme  au  théâtre  soulève  des  récriminations 
fort  justifiées  de  la  part  des  spectateurs  du  sexe  laid.  Voici  qu'à  Bucbarest, 
nous  rapporte  l'Indépendance  roumaine,  cette  fameuse  question  vient  d'en- 
gendrer un  procès.  A  la  représentation  d'un  drame  intitulé  Banul  Maracine, 
un  spectateur  assis  à  l'orchestre  et  se  trouvant  placé  derrière  une  dame 
dont,  quoi  qu'il  fit,  le  chapeau  monumental  le  mettait  dans  l'imposibilité 
absolue  de  voir  rien  de  ce  qui  se  passait  sur  la  scène,  protesta  avec 
vigueur  et  réclama  la  restitution  du  prix  de  sa  place.  Cette  satisfaction  lui 
ayant  été  refusée,  le  spectateur  s'adressa  au  tribunal,  qui  va  être  appelé  à 
se  prononcer  sur  celte  afi'aire. 

-  Une  nouvelle  opérette,  la  Fille  ds  Padoue,  musique  de  M.  Fédor 
Slevogt,  sera  jouée  prochainement,  pour  la  première  fois,  au  théâtre  muni- 
cipal de  Riga. 

—  La  société  des  concerts  de  Madrid  qui  prend  le  nom  d'Union  artistico- 
musicale,  vient  de  commencer  une  série  de  concerts  classiques  sous  la 
direction  du  compositeur  Manuel  Giro  et  de  M.  Alvarez.  Le  premier  con- 
cert, dont  le  succès  a  été  très  grand,  a  eu  lieu  le  6  mars,  au  théâtre  Apolo. 
Le  programme  comprenait  l'ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal,  de  Mendels- 
sohn,  ouverture  et  ballet  fantastique  à'Errmonth,  opéra  de  M.  Manuel  Giro 
(primé  au  concours  ouvert  par  le  Ministère  des  Beaux-Arts),  suite  d'or- 
chestre d'Ernest  Guiraud,  le  Sommeil  de  la  Vierge,  de  Massenet,  et  la  che- 
vauchée des  Valkyries,  de  Wagner.  Le  public,  très  chaleureux,  a  redemandé 
le  Carnaval  de  Guiraud,  le  Sommeil  de  la  Vierge  et  la  chevauchée  des  Valkyries, 
ainsi  que  le  ballet  à'Errmonth,  de  M.  Manuel  Giro,  qu'il  a  rappelé  et 
applaudi  avec  enthousiasme. 


LE  MÉNESTREL 


87 


—  Grand  succès  au  Savoy-Théâtre  de  Londres  pour  une  nouvelle  opé- 
rette, le  Grand-Duc  ou  le  Duel  forcé,  paroles  de  M.  Gilbert,  musique  de 
sir  Arthur  Sullivan.  Les  heureux  auteurs  du  légendaire  Mikado  ont  mis 
en  œuvre  leur  «  truc  »  ordinaire  pour  mettre  dans  leur  pièce  tout 
sens  dessus  dessous.  La  langue  théâtrale  des  Anglais  appelle  cela  un 
topsy-luriy  élément  —  et  le  vieux  truc  leur  a  de  nouveau  réussi.  Cette 
fois-ci,  cet  élément  comique  est  fourni  par  une  comédienne  qui  doit  parler, 
en  Allemagne,  un  fort  mauvais  allemand.  Naturellement,  ce  mauvais 
allemand  est  figuré,  au  Savoy-Théâtre,  par  un  fort  mauvais  anglais.  Or,  le 
directeur  malin  a  trouvé  moyen  d'engager  pour  ce  rôle  !VI""=  Ilka  Palmay, 
l'ancienne  soubrette  de  Budapest,  qui  a  aussi  chanté  à  Vienne,  où  son  alle- 
mand magyarisé  a  fait  les  délices  des  habitués  de  théâtre  An  der  Wien, 
qui  se  tordaient  chaque  fois  que  la  charmante  Ilka  chantait  en  allemand. 
On  voit  d'ici  que  son  mauvais  anglais  doit  être  plus  comique  que  nature, 
surtout  si  la  ravissante  artiste  ne  s'est  pas  départie  de  son  habitude  d'ac- 
centuer les  syllabes  à  la  hongroise.  Le  succès  énorme  du  Grand-Duc,  que 
constate  la  presse  londonienne,  ne  nous  étonne  guère  dans  ces  conditions. 

—  Après-demain,  17  mars,  le  doyen  de  tous  les  artistes  du  chant, 
iVIanuel  Garcia  fils,  entre  dans  sa  quatre-vingt-douzième  année,  et  ses 
nombreux  amis  de  Londres  lui  feront  à  cette  occasion  des  ovations  bien 
méritées.  Manuel  Garcia  est  né  en  effet  à  Madrid  le  17  mars  180S,  et  les 
guerres  napoléonniennes  forcèrent  son  père.  Manuel  Garcia,  de  se  réfugier 
à  Naples.  Doué  d'une  très  belle  voix  de  ténor,  son  père  apprit  le  chant 
avec  le  célèbre  ténor  Anzani,  qui  lui  transmit  les  principes  du  bel  canto  du 
dix-huitième  siècle.  Garcia  père  se  fixa  plus  tard  à  Paris,  devint  le  pro- 
fesseur de  ses  propres  enfants,  et  en  182.3  toute  la  famille  Garcia  se  trans- 
porta  à  New-York,  où  elle  joua  le  Barbier  de  Séville  avec  la  distribution 
suivante,  que  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  a  fait  connaître  dans 
son  intéressante  notice  sur  la  Malibran  :  Almaviva,  Garcia  père;  Figaro, 
Garcia  fils;  Bertha,  Garcia  mère;  Rosine,  Marie  Garcia,  qui  allait  devenir 
M""^  Malibran,  la  sœur  de  M""  Viardot.  La  carrière  de  Manuel  Garcia  fils, 
comme  professeur  au  Conservatoire  à  Paris  et  plus  tard  à  l'Académie  royale 
de  musique  de  Londres,  est  trop  connue  pour  que  nous  ayons  à  nous 
étendre  sur  ce  sujet.  Récemment,  après  avoir  résigné  ses  fonctions  à  l'Aca- 
démie de  musique,  Garcia  a  publié  un  admirable  Manuel  de  l'art  du  chant. 
Parmi  ses  élèves  les  plus  célèbres  se  trouvait  Jenny  Lind.  Par  son  autre 
élève,  M""  Marchesi,  Garcia  a  exercé  une  grande  influence  sur  l'art  du  chant 
de  notre  temps.  Espérons  que  le  doyen  des  chanteurs  deviendra  le  Chevreul 
de  la  musique.  B. 

—  Dépêche  de  Philadelphie  :  «  Navarraise,  très  grand  succès.  Calvé  accla- 
mée. » 

—  Recettes  américaines  !  A  Boston,  les  impresarii  Grau  et  Abbey  ont 
réalisé  8S.000  francs  avec  une  seule  représentation  de  W^"  Calvé  dans 
Carmen. 

—  Extrait  du  Berliner  Bœrseticmirier  ;  «  M'"'^  Melba  ne  demande  pas  moins 
de  500.000  marks  (623.030  francs)  de  dommages-intérêts  au  Times  de  Chicago, 
qui  a  affirmé  que  la  célèbre  artiste  a  entretenu  des  relations  intimes  avec 
des  viveurs  de  cette  ville.  »  Traduction  textuelle. 

PARIS    ET   DEPARTEBIENTS 

Nous  avons  dit  la  curieuse  détermination  qu'avait  prise  la  direction 
des  Beaux-Arts  de  faire  des  «  claqueurs  a  de  nos  théâtres  subventionnés 
autant  de  fonctionnaires  régis  par  des  règles  sévères.  On  ne  pourra  «  cla- 
quer »  désormais  qu'avec  l'autorisation  du  gouvernement,  et  aux  endroits 
qu'il  indiquera.  Cela  pourrait  être  drôle  à  une  autre  époque,  mais  aujour- 
d'hui il  n'est  plus  rien  vraiment  qui  puisse  nous  étonner.  Donc,  à  l'Opéra, 
on  a  nommé  un  M.  Sol  pour  donner  le  la  aux  applaudissements,  et  à 
rOpéra-Comique  un  M.  Rémy.  On  ne  pouvait  vraiment  mieux  choisir. 
.  Leur  personnel  embrigadé  devra  porter  l'habit  noir  et  la  cravate  blanche. 
Mais  les  gants  sont  interdits,  comme  étouffant  les  manifestations  sponta- 
nées. Allons!  voilà  qui  va  bien,  et  il  n'y  a  rien  de  tel  qu'un  ministre 
éclairé  pour  entendre  les  choses. 

—  A  l'Opéra,  on  croit  pouvoir  annoncer  la  première  représentation 
i'Hellé,  l'œuvre  de  M.  Alphonse  Duvernoy,  pour  la  fin  du  mois. 

—  Une  indisposition  malencontreuse  de  M"*  Delna  avait  arrêté  brus- 
quement, dès  le  commencement,  les  représentations  d'Orphée  à  l'Opéra- 
Comique,  en  mettant  le  théâtre  dans  la  pénible  nécessité  de  faire  relâche 
lundi  dernier  ;  mais  tout  va  bien  à  présent,  et  la  belle  œuvre  de  Gluck 
poursuit  sa  nouvelle  carrière  sans  encombre. 

—  Au  même  théâtre,  le  Chevalier  d'Harmenlhal  paraît  momentanément 
écarté  par  la  Femme  de  Claude,  qui  a  repris  possession  de  Ja  scène.  Est-ce 
pour  de  bon  cette  fois?  On  parle  aussi  d'une  reprise  du  Pardon  de  PloSrmel 
pour  les  débuts  de  M""  Courtenay. 

—  Avant  tout,  nous  aurons  aujourd'hui  dimanche  la  reprise  du  Maçon,  un 
des  premiers  ouvrages  d'Auber.  Le  Maçon,  paroles  de  Scribe  et  Germain 
Delavigne,  nous  dit  Nîcolet  du  Gaulois,  fut  en  effet  représenté  pour  la  pre- 
mière fois,  à  l'Opéra-Comique,  le  3  mai  1825.  Son  succès  fut  considérable. 
Les  interprètes  d'alors  étaient  LafeuîUade,  Ponchard,  'Vizentini, 
M™«  Boulanger,  Rigaud,  Pradher  et  Colon.  Une  reprise  eut  lieu  en  1813, 
avec  Audran,  Mocker,  Ricquier,  Henri,  M"""*  Prévost,  Darcier,  Pothier  et 
Zévaco.  D'autres  reprises   eurent  lieu,  avec   Roger,  puis  plus  tard  Capoul, 


dans  le  rôle  de  Roger.  La  dernière  reprise  date  de  1879,  où  elles  réunissait 
les  noms  de  Nicot,  Herbert,  Gourdon,  M""«>^  Chevalier,  Thuillier  et  Dupuis. 
Aujourd'hui,  te  Maçon  est  distribué  de  la  façon  suivante: 

Léon  de  Mérinville  MM.  Mouliérat. 

Roger  Carbonne. 

Baptiste  ■  Gourdon. 

M"'  Bertrand  M""  Chevalier. 

Henriette  Mole. 

Irma  'Villefroy. 

Zobéide  Delorn. 

—  Nous  croyons  devoir  rappeler  aux  compositeurs  de  musique  qui 
prennent  part  au  concours  ouvert  parla  Ville  de  Paris  entre  les  musiciens 
français,  pour  la  composition  d'une  œuvre  musicale  avec  soli,  chœurs  et 
orchestre,  sous  la  forme  symphonique  ou  dramatique,  qu'ils  doivent 
déposer  actuellement,  et  seulement  jusqu'au  1(3  de  ce  mois  (dimanche 
excepté),  leurs  partitions  à  l'Hôtel  de  Ville,  service  des  Beaux-Arts,  de 
midi  à  quatre  heures. 

—  On  sait  avec  quelle  faveur  a  été  accueillie  la  nouvelle  de  l'ouverture 
de  l'Exposition  du  Théâtre  et  de  la  Musique,  au  Palais  de  l'Industrie,  le 
25  juillet  prochain.  M.  le  président  du  conseil  des  ministres  vient  d'accepter 
la  présidence  du  comité  de  patronage  de  cette  exposition,  dont  l'organisation 
se  poursuit  avec  activité.  M.  L.  Abaye,  directeur,  et  M.  0.  Lartigue,  secré- 
taire général,  ont  chargé  M.  Yveling  RamBaud  de  l'organisation  de  la 
partie  artistique  rétrospective  et  documentaire  de  l'exposition.  La  grande 
compétence,  en  matière  d'art,  de  notre  sympathique  confrère  est  un  sûr 
garant  de  succès  pour  cette  œuvre  intéressante.  La  direction  nous  prie 
d'annoncer  qu'elle  organise  une  très  importante  section  de  tissus,  modes 
et  coiffures  qui  sera  assurément  une  des  attractions  les  plus  courues  par 
l'élément  féminin.  Bien  entendu,  il  y  aura  un  orchestre,  dont  la  direction 
a  été  confiée  à  M.  Achille  Kerrion,  le  distingué  violoncelliste. 

—  La  Commission  de  surveillance  de  l'enseignement  du  chant  dans  les 
écoles  de  la  banlieue  de  Paris  a  tenu  sa  séance  annuelle  mardi  dernier, 
à  l'Hôtel  de  ville,  sous  la  présidence  de  M.  le  directeur  de  l'enseignement. 
Après  lecture  et  approbation  du  rapport  sur  les  travaux  de  l'année,  pré- 
senté par  M.  Laurent  de  Rillé,  rapport  qui  rendait  compte  du  festival  très 
intéressant  auquel  prirent  part,  au  Trocadéro,  le  26  mai  dernier,  près  de 
mi/fe  enfants  des  écoles  communales,  après  la  discussion  de  diverses  ques- 
tions concernant  l'extension  de  l'enseignement  du  chant  dans  ces  écoles, 
la  commission  a  procédé  au  renouvellement  de  son  bureau,  qui  est  ainsi 
composé  pour  la  présente  année  :  président,  M.  Laurent  de  Rillé  ;  vice- 
président,  M.  Naudy  ;  secrétaire,  M.  Arthur  Pougin. 

—  Au  cours  du  récent  voyage  qu'il  a  fait  à  Marseille,  le  président  de  la 
République  a  accordé  les  palmes  académiques  à  plusieurs  artistes  dont 
voici  les  noms  :  M.  JuUien,  professeur  au  Conservatoire  ;  M.  Michaud,  chef 
d'orchestre  du  Grand-Théâtre;  M.Simon,  directeur  du  théâtre  des  Variétés; 
et  M'iiî  Marie  Kolb,  artiste  de  ce  théâtre,  bien  connue  du  public  parisien. 

—  Ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  M.  Gravière,  directeur  du  théâtre 
de  Bordeaux,  et  M.  d'Albert,  directeur  du  théâtre  de  Rouen,  ont  consacré 
chacun  une  représentation  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas,  composée  de 
fragments  d'œuvres  de  l'illustre  maître.  A  Bordeaux,  l'exécution  du  pro- 
gramme a  été  parfaite.  Enthousiasme  et  recueillement,  tel  est  le  compte- 
rendu  de  la  soirée.  Beau  succès  pour  M"'=  Deschamps  dans  une  pièce  de 
vers  de  circonstance  de  M.  Boue.  A  Rouen  figuraient  au  programme  l'ou- 
verture de  Raymond,  le  P^''  acte  du  Ca'id,  le  ballet  de  Françoise  de  Rimini,  le 
second  acte  de  Mignon,  le  i"  acte  à'Hamlel  et  le  chœur  des  Nymphes  de 
Psyché,  chanté  par  toutes  les  artistes  du  théâtre.  Après  Au  Pays  des  rêves,  k- 
propos  en  vers  de  M.  Delesque,  dit  par  M.  Speck,  toute  la  troupe,  en 
costume,  a  couronné  le  buste  d'Ambroise  Thomas. 

—  Comme  Montpellier,  Bordeaux  et  Rouen,  le  théâtre  royal  de  La  Haye 
a  eu,  sur  l'initiative  de  son  très  distingué  directeur,  M.  Joseph  Mertens,  sa 
raprésentation  solennelle  consacrée  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas.  On 
jouait  le  Sortge  d'une  nuit  d'été,  dédié,  comme  l'on  sait,  au  feu  roi  Guillaume  III. 
A  la  fin  de  la  représentation,  grande  cérémonie  et  couronnement  du  buste 
par  toute  la  troupe  ;  après  l'exécution  de  la  marche  funèbre  d'Hamlet,  le 
régisseur,  M.  Bouvard,  s'est  avancé  à  l'avant-scène  et  a  prononcé  quelques 
paroles  émues  associant  en  un  hommage  respectueux  et  le  souvenir  de 
celui  qui  illustra  l'art  musical  et  le  souvenir  du  souverain  mort. 

—  Dimanche  dernier,  â  Nancy,  triomphe  pour  le  Festival-Massenet  or- 
ganisé par  M.  Guy  Ropartz,  le  jeune  et  actif  directeur  du  Conservatoire. 
De  mémoire  de  Nancéens  on  ne  vit  enthousiasme  pareil.  Au  programme 
la  première  audition  en  France  de  Visions...,  poème  symphonique,  Narcisse, 
des  mélodies  adorablement  chantées  par  M'"=  Vilma  et  accompagnées  au 
piano  par  le  maître,  et  les  Scènes  alsaciennes.  Supérieurement  dirigé  par 
M.  Ropartz,  ce  concert  ne  fut  qu'une  longue  suite  ininterrompue  d'ovations 
et  à  l'adresse  de  l'orchestre  et  de  son  chef,  et  à  l'adresse  des  solistes, 
M"'^  Crépîn,  la  nymphe  de  Narcisse,  MM.  Hekking,  Stéveniers,  Robert, 
Hesse,  Meyer  et  Scbwartz,  etàl'airesse  de  la  délicieuse  M"»  Vilma  à  qui 
on  aurait  tout  voulu  bisser,  et  à  l'adresse  de  Massenet,  que  les  hourras 
frénétiques  suivirent  jusque  dans  les  rues  de  Nancy.  Au  nom  de  la  Ville 
et  de  la  commission  du  Conservatoire,  M.  Ropartz  a  remis  au  maître  une 
superbe  coupe  signée  Galle.  Par  une  très  délicate  attention,  M.  Ropartz 
avait  tenu  à  faire  figurer  au  programme  le  nom  de  ses  trois  maîtres  ;  aussi 


LE  MÉNESTREL 


le  concert  avait-il  débuté  par  la  très  iielle  ouverture  de  Frilhiof,  de  Théo- 
dore Dubois,  et  s'est-il  terminé  par  le  Chasseur  maudit,  de  César  Franck. 
Le  soir,  M.  et  M""  Ropartz  réunissaient  dans  leurs  salons  les  notabilités  de 
la  ville  et,  avec  toute  sa  bonne  grâce  habituelle,  Massenet  se  mit  au  piano 
et  accompagna  à  M"-  Yilma  des  fragments  du  Porirail  de  Manon  et  des  mé- 
lodies. Comme  à  la  salle  Poirel,  dans  la  journée,  auteurs  et  interprètes 
tinrent  sous  le  charme  les  invités  de  M.  et  M""^  Ropartz. 

—  Le  Christ  de  M.  Ch.  Grandmougin  a  été  joué  à  Besançon  avec  un  vrai 
succès.  L'auteur,  qui  jouait  le  principal  rôle,  a  reçu  une  palme  d'or  des 
étudiants.  Belle  interprétation  et  bonne  musique  de  scène  de  M.  Lippacher. 

—  Le  théâtre  de  Valenciennes  entre  de  plain-pied  dans  la  voie  de  la 
décentralisation.  Après  le  Petit  Lulli,  de  M.  Gh.  L.  Hess,  qu'il  offrait  à  son 
public  il  y  a  quinze  jours  à  peine,  il  vient  de  donner  la  première  repré- 
sentation d'un  autre  opéra-comique  en  un  acte,  le  Magicien,  paroles  de 
M.  H.  Piquet,  musique  de  M.  Claude  Fiévet,  professeur  à  l'École  de  mu- 
sique de  Valenciennes.  Ce  petit  ouvrage  avait  été  écrit  pour  un  concours 
ouvert  naguère  à  Milan,  et  au  sujet  duquel  on  lisait  ce  qui  suit  dans  la 
Gazzetta  di  Milano  :  —  «  Il  y  a  deux  ans  s'ouvrait  â  Milan  un  concours  inter- 
national de  composition  musicale  (opéra  et  opéra-comique).  Trente-deux 
compositeurs  prirent  part  à  ce  tournoi  artistique.  Le  premier  prix 
(1.000  francs)  fut  attribué  à  Herndi,  opéra  en  trois  actes  de  M.  "Werner,  de 
Leipzig  ;  le  deuxième  prix  (500  francs)  à  l'opéra  le  Magicien,  de  M.  L.  Fié- 
vet, de  Valenciennes.  Les  deux  premiers  prix  obtinrent  la  faveur  d'être 
joués;  mais  un  différend  qui  s'éleva  entre  les  lauréats  et  l'éditeur  mit  fin 
aux  représentations.  M.  Fiévet  a  écrit  une  partition  simple  et  bien 
conçue.  Tout  y  est  traité  avec  élégance  et  une  connaissance  parfaite  des 
accords.  On  sent  un  tempérament  artistique  à  l'inspiration  distinguée.  Si 
la  partition  du  Magicien  eût  été  plus  longue,  M.  Fiévet  aurait  sûrement 
remporté  le  premier  prix,  le  jury  s'étant  longtemps  montré  indécis  à  cet 
égard.  »  La  représentation  du  Magicien  a  été  donnée  pour  le  bénéfice  du 
compositeur,  M.  Georges  Fiévet,  qui,  sous  le  nom  d'Alberthal,  tient 
l'emploi  de  baryton  au  théâtre  de  Valenciennes. 

—  De  Tourcoing  :  Grand  succès  pour  le  festival  Gustave  Charpentier, 
donné  par  l'Association  symphonique  sous  la  direction  de  M.  Albert 
Masurel.  Succès  pour  l'auteur  et  ses  interprètes:  M.  Louis  Bailly,  des 
concerts  Lamoureux,  M.  Victor  Charpentier,  M"'^  Doris  et  Luigini. 

—  Par  les  soins  intelligents  de  l'abbé  Paul  Coqueret,  un  intéressant 
concert  spirituel  avait  été  organisé  le  samedi  7  mars  dans  la  chapelle 
des  catéchismes  de  Saint-Roch,  au  profit  de  l'œuvre  de  Saint-Thomas- 
d'Aquin.  Les  chanteurs  de  Saint-Gervais  composaient  le  fond  du  pro- 
gramme. A  signaler  surtout  le  délicieux  Noël  du  XVI'  siècle,  harmonisé  par 
Gevaert.  M.  Théodore  Dubois  avait  bien  voulu  prendre  une  part  active  au 
concert;  on  a  joué  de  lui  et  avec  son  concours  trois  pièces  capitales:  le 
charmant  Hymne  nvplial  pour  violon,  harpe  et  orgue,  le  Deus  meus  des  Sept 
Paroles  du  Christ,  et  la  belle  Fantaisie  triomphale  pour  deux  pianos.  Les  solistes 
étaient  l'excellent  baryton  Paul  Séguy,  très  applaudi  dans  l'Espoir  en  Dieu  de 
Faure  et  la  Sainte  Madeleine  de  Holmes,  et  le  charmant  violoniste  Boucherit, 
qui  a  joué  merveilleusement  une  romance  de  Fischhof  et  la  méditation 
religieuse  de  Massenet,  malheureusement  accompagnée  beaucoup  trop  fort 
par  la  harpe,  ce  qui  en  a  gâté  l'effet;  mais  M.  Verdalle  s'est  rattrapé  dans 
un  joli  solo  de  sa  façon,  le  Sommeil  de  l'enfant  Jésus.  N'oublions  ni 
M.  Rayneau,  ni  la  maîtrise  de  Saint-Roch  sous  la  direction  de  M.  Pérou, 
ni  M.  Jumel,  maître-accompagnateur,  ni  surtout  le  sénateur  de  Lamarzelle, 
qui  a  prononcé  une  chaude  allocution  en  faveur  de  l'œuvre  de  Saint- 
Thomas-d'Aquin,  laquelle  n'aura  pas  à  se  plaindre  du  concert  organisé  par 
l'abbé  Paul  Coqueret  car  la  recette  fut  bonne. 

— Vif  et  légitime  succès  remporté  à  la  salle  Erard  par  la  toute  jeune  et 
charmante  pianiste  M"" .Solange  de  Croze,  au  concertqu'elle  a  donné  vendredi 
dernier.  Fort  brillamment  secondée  par  MM.  Samson  et  Vendœuvre,  elle 
a  fait  applaudir  un  trio  de  M.  Salvayre  ;  mais  où  elle  remporta  un  véri- 
table triomphe,  ce  fut  dans  l'interprétation  des  œuvres  de  Beethoven, 
Schubert  etc.,  audacieusement  complétées  par  son  père  et  professeur 
M.  Ferdinand  de  Croze  !  MM.  Chambon  de  l'Opéra  et  Depas  de  l'Odéon 
contribuèrent  aussi  de  belle  façon  à  l'intérêt  de  la  soirée. 

—  Soirées  et  Concebtî.  —  L'audition  mensuelle  des  élèves  de  M"'  Marie 
Rueff  avaitattiré  comme  de  coutume,  une  grande  arfluenoe  dans  les  salons  de 
la  rue  de  Courcellee.  On  a  beaucoup  applaudi  l'air  d'Esclarmonde,  le  Nil  de  Leroux, 
accompagné  au  violon  par  M.  Baudié,  l'air  d'Hérudiade,  les  Toutes  Petites  et 
Anelte  de  Vidal,  chantés  par  des  élèves  qui  sont  des  artistes.  Le  clou  de  la  séance 
était  la  partie  réservée  aux  œuvres  de  Charles  Lefebvre  sous  la  directiOQ  de  fau- 
teur. Ont  été  particulièrement  appréciés  :  Ici-lias  tous  les  lilias  meurent,  Soir  d'été, 
Invocation,  Berceuse,  les  fragments  de  Judith  et  de  Vjelma,  les  Bords  du  Ml,  et 
Cortège  villageois,  joué  a  quatre  mains  par  l'auteur  et  M"*  Toussain.—  M"""  Vieux- 
temps  vient  de  l'aire  entendre  ses  élèves  avec  un  plein  succès;  à  mentionner 
particulièrement  M"-  J.  de  Frick  (Menuet  d'Exaudet,  Weckerlin),  Maréchal  et 
Belliou  (le  Vieux  TUlad,  Lassen,,  J.  Salomon  (air  du  liai  masqui;  Verdi),  A.  Maré- 
chal (Annetle,  Weckerlin).  M.  Cli.  Lefebvre  accompagnait  ses  œuvres,  qui  for- 
maient la  seconde  partie  du  programme  et  parmi  lesquelles  on  a  fort  applaudi 
Cansonetia  (M""  A.  Maréchal),  Invocuzionc  et  air  du  Trésor  {M.—  de  Longueval), 
Lamenlo  (M"'  de  Frick),  Avril  (M""  B.  Salomon  et  de  Faurelle)  et  Jci-bas  tous  les 
nias  meurent  (M"°  Olénine).  —  Grand  succès  pour  M""  Bressoles  avec  les  Chansons 
■  rises,  de  Reynaldo  Hann,  qu'elle  a  chantées  chez  M"'  Allred  Robaut.  —  Bonne 


audition  des  élèves  de  M"'  Le  Grix,  parmi  lesquelles  il  faut  nommer  M"°  J.  La- 
fosse  (le  Petit  Lapin,  Blanc  et  Diuphin),  A.  Patouillard  (Oiseaux  légers,  Gumbert), 
M.  Salomon  et  S.  Plancher  (Cuppélia,  à  2  pianos,  Delibes-Lack),  J.  Salomon  et 
A.  Berthet  (Polonaise,  à  2  pianos,  Laekl,  J.  et  M.  Roblin  (Don  Juan,  2  pianos, 
Lysberg).  —  A  l'Hôtel  Continental,  fort  belle  soirée  musicale  donnée  au  béné- 
Pice  des  orphelins.  Très  gros  succès  pour  Mm»  Preinsler  da  Silva  dans  la  para- 
phrase de  Sainl-Saëns  sur  Mandolinata  de  Paladilhe,  pour  M.  Ballar.i  dans  l'air 
à'Uerodiade  de  Massenet,  pour  M""  Bronville  dans  l'air  du  Cid  de  Massenet,  pour 
M.  Ballard  et  M""  Bronville  dans  le  Crucifix-  de  Faure,  pour  M""  Vormèse  dans 
la  Scène  de  la  Csardà  deJ.  llubay,  pour  M"°Benuvai3  dans  Pensée  d'automne  et  Noël 
paien  de  Massenet,  et  pour  M""  de  Marthe  dans  l'air  des  clochettes  de  Lakmé  de 
Delibes.  —  Matinée  musicale  des  plus  intéressantes  chez  M"°  Thérèse  Duroziez, 
l'excellente  pianiste.  .A.u  programme,  des  œuvres  de  Théodore  Dubois,  Lenepveu, 
Ilillemacher,  etc.,  exécutées  en  perfection  par  M""  l'aul  IliUemacher  et  Dulau- 
rens,  MM.  Mazalbert,  Foucault,  Brun  et  M"»  Thérèse  Duroziez,  qui  a  fait 
applaudir  la  Chzconne  et  les  Myrlilles  de  Dubois,  qu'elle  a  jouées  à  ravir.  Vif 
succès  pour  tous.— A  la  salle  d'.\griculture,  la  société  chorale  Galin-Paris-Chevé 
a  offert  un  concert  à  ses  membres  honoraires.  Le  cours  de  lecture  à  vue,  direc- 
tion Chevé,  a  fait  merveille  et  étonné  tous  les  spectateurs.  Celui  de  violon, 
direction  Poileux.  a  été  excessivement  applaudi  dans  la  ravissante  Méditation  de 
Tliais  de  Massenet.  Pour  finir,  le  magnifique  finale  d;  Winkelried  de  Louis 
Lacombe  a  été  supérieurement  chanté  par  M.  Auguez  et  la  société.  Véritable 
sensalion  parmi  le  public  qui  ne  cessait  d'applaudir  et  de  rappeler.  —  Concert 
des  plus  n  sélect  »  au  Cercle  militaire.  Au  programme,  la  merveilleuse  Méditation 
de  Thaïs  de  Massenet;  puis  MM.  Fournets  et  Clément, et  M"°Adamson-Laudi  qui 
a  soulevé  l'enthousiasme  de  l'auditoire  dans  l'interprétation  du  Chevalier  Belle- 
Etoile,  d'Holmes.  —  Chez  M.  et  M""  \.  Noël,  le  compositeur  Lucien  Lambert  a 
obtenu  un  double  succès  :  d'abord  avec  ses  mélodies  l'Ame  en  deuil,  Clnnomniée, 
Chanson  pelite-russienne  chantéis  par  M""  A.  Maureus,  puis,  coui  ne  pianiste,  en 
jouant  plusieurs  compositions  de  Goltschalk  d'un  exotisme  curieux,  entre 
autres  ;  Solitude  et  ['Hymne  brésilien.— A.13.  réunion  d'élèves  donnée  par  M'""  Jouanne, 
on  a  remarqué  MM.  Thirion  (Gavotte  de  Mignon,  Ambroise  Thomas),  M""  Arqué, 
GillarJin,  Meot,  Coquiart  (Enlr'acte-Sevilianu,  Massenet),  M"""  Meot,  Picot,  Caire 
Marquis  (Cortège  de  Bacclais  de  Stjlvia,  Delibes).  Dans  les  intermèdes,  M^'Letocart 
s'est  fait  applaudir  en  chantant  l'air  du  livre  d'Hamlet. 

—  Le  vendredi  20  mars,  à  la  salle  des  Agriculteurs  deF.-ance,  le  pianiste 
russe  Nicolas  de  Lestownitchy  donnera  un  récital  de  piano  des  plus  inté- 
ressants. Outre  les  maîtres  classiques,  les  auteurs  modernes,  français  et 
russes  ont  une  large  place  au  programme. 

NÉCROLOGIE 

Un  excellent  artiste,  M.  Alfred  Turban,  violoniste  fort  distingué,  est 
mort  ces  jours  derniers  â  Saint  Cloud.  Né  à  Strasbourg,  il  avait  fait  ses 
premières  études  au  Conservatoire  de  cette  ville,  dans  la  classe  de  M.  Grod- 
voU,  puis  était  venu  à  Paris,  où  il  avait  été  admis  au  Conservatoire  dans 
la  classe  de  M.  Sauzay.  Il  obtint  un  premier  accessit  au  concerts  de  1867,  et 
ensuite  un  brillant  premier  prix.  Premier  violon  à  l'orchestre  de  l'Opéra  et 
à  la  Société  des  concerts,  il  avait  été  nommé  il  y  a  quelques  années  pro- 
fesseur d'une  des  classes  préparatoires  de  violon  au  Conservatoire,  mais 
peu  de  temps  après  il  s'était  vu  obligé  de  demander  un  congé  pour  cause 
de  santé,  et  depuis  lors  sa  classe  était  faite  par  M.  Hayot,  qui  va  sans 
doute  en  devenir  titulaire. 

—  Une  autre  enfant  du  Conservatoire,  où  elle  avait  fait  des  études  brillan- 
tes, une  cantatrice  fort  aimable,  M"^  Claire  Issaurat,  vient  de  mourir  dans  le 
Midi  à  la  fleur  de  l'âge,  ayant  seulement  accompli  sa  vingt-sixième  année, 
car  elle  était  née  à  Cannes  le  30  octobre  1869.  Élève  de  MM.  Edmond  Du- 
vernoy  et  Giraudet,  elle  avait  obtenu  en  1889  les  deux  premiers  accessits 
de  chant  et  d'ripéra,  en  189J  les  deux  seconds  prix  et  en  1891  les  deux  pre- 
miers prix,  après  quoi  elle  était  allée  commencer  sa  carrière  lyrique  en 
province,  où  elle  s'était  fait  applaudir  dans  l'emploi  des  falcons. 

—  A  Brème  est  mort  à  l'âge  de  "o  ans  le  compositeur  Reinthaler,  orga- 
niste, chef  d'orchestre  et  directeur  d'une  société  chorale.  Deux  de  ses 
opéras  :  Edda  et  Catherine  von  Kailbrown  ont  été  beaucoup  joués  en  Alle- 
magne; son  oratorio  Jephté  est  également  connu,  ses  compositions  pour 
divers  instruments  et  pour  chant  sont  très  nombreuses.  Reinthaler  a  exercé 
pendant  plus  de  trente  ans  une  excellente  influence  sur  le  développement 
de  l'art  musical  â  Brème.  Organiste  de  la  cathédrale,  directeur  de  l'Aca- 
démie de  chant  fondée  en  1813  par  Riem,  ainsi  que  Je  la  Liedertafel,  et  des 
concerts  privés  organisés  sur  le  modèle  des  séances  du  Gewandliaus  de 
Leipzig,  il  fit  preuve  dans  ces  diverses  fonctions  d'une  grande  habileté  et 
d'un  talent  pratique  incontestable.  Aux  œuvres  signalées  plus  haut,  il  faut 
joindre  deux  cantates  :  Mœdchen  van  Cola  et  In  der  M'iiste  (Dans  le  désert), 
le  90=  Psaume,  pour  deux  chœurs,  nombre  de  chants  religieux  et  plusieurs 
suites  de  lieder  â  une  ou  plusieurs  voix.  Reinthaler,  qui  fut  élève  du  fameux 
théoricien  A.-B.  Marx,  était  né  à  Erfurt,  le  13  octobre  1822. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Étude  de  M»  Er.  Thibault,  notaire  à  La  Rochelle,  4,  rue  G.-Admyrauld. 
A  CÉDER  : 

Maison  de  pianos,  musique,  lutherie,  parfaitement  achalandée,  située 
dans  la  plus  belle  rue  de  La  Rochelle. 

Long  bail  assuré. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M=  Thibault. 


3391.  —  62"»  ANNÉE  —  I\°  12. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  22  Nai's  1896. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rcmliis  aux  ailleurs.» 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉ^TÏiES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  6(S,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  lions-poste  d'abonnenienL 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  iMusique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ~lÇi  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  f'aris  et   Province.  —  Pour  l'Etranger,   lei  Trais  de  p^ste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Musique  antique  (7"  article),  Julien  Tieiîsot.  —  II.  Le  Théâtre-Lyrique,  infor- 
mations, impressions,  opinions  (12«  article),  Louis  Gallet.  —  III.  L'orchestre 
de  Lully  (6"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  monument  de  M»°  Carvalho.  — 
V.  Revue  des  grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SUR  LA  TOMBE  D'UN  ENFANT 

n"  3  des  Poèmm  de  Bretagne,  de  Xavier  Leroux,  poésie  d'ANDRÉ  Alexandre. 

—  Suivra  immédiatement  :   Veux-tu,  mélodie  de  Léon  Delafosse,  poésie  de 

M™  Desbordes- Valmore. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Balancelle,  valse  d'ANTONiN'îllARMONTEL.  —  Suivra  immédiatement  : 
Nocturne,  de  Léon  Delafosse. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 

(Suite) 


V 

Cet  examen  approfondi  des  vestiges  musicaux  trouvés  à 
Delphes  nous  a  permis  de  donner  aux  lecteurs  modernes  que 
des  formes  d'art  différentes  des  nôtres  ne  rebutent  pas,  une 
idée  générale  des  pratiques  essentielles  de  la  musique 
grecque.  On  a  pu  constater  que,  sur  bien  des  points,  cette 
musique  différait  de  la  nôtre;  mais  I'oq  a  vu  aussi' qu'elle  s'en 
rapprochait  par  beaucoup  d'autres.  Nous  ne  sommes  plus  au 
temps  où  l'on  tenait  pour  indubitables  des  légendes  dont  le 
seul  mérite  était  de  venir  de  loin.  Il  y  a  un  personnage  de 
Shakespeare  qui,  faisant  le  récit  de  ses  voyages  aux  pays  loin- 
tains, dit  y  avoir  vu,  entre  autres  merveilles,  «  des  hommes 
qui  ont  la  tête  au-dessous  des  épaules  !  »  Eh  bien,  non  :  il 
n'y  a  pas  d'hommes  qui  aient  la  tête  au-dessous  des  épaules, 
ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  puisse  y  avoir  des  peuples  de 
mœurs,  de  couleurs  et  de  types  différents  ;  et  de  même,  dans  la 
musique  grecque,  il  y  a  des  formules  particulières,  des  modes 
divers,  des  rythmes  et  des  instruments  plus  ou  moins  dis- 
tincts des  nôtres;  mais  rien  de  tout  cela  n'est  en  contradic- 
tion avec  les  principes  constitutifs  de  l'art.  Sans  doule,  pour 
nous  en  rendre  un  compte  exact,  il  faut  faire  un  effort  sur 
nous-mêmes,  dégager  nos  esprits  des  habitudes  du  milieu 
ambiant;  il  faut  surtout  considérer  l'évolution  de  la  musique 


à  travers  les  siècles  les  plus  reculés.  Cela  fait,  tout  deviendra 
clair  :  on  pourra  comprendre  la  pensée  iotime  des  anciens 
théoriciens,  dont  les  formes  extérieures  semblaient  d'abord 
si  difficiles  cà  pénétrer,  ressentir  la  véritable  expression  des 
trop  rares  fragments  musicaux  qui  nous  ont  été  conservés,  et 
rattacher  les  pratiques  de  l'art  aniique  à  celles  d'une  mu- 
sique plus  moderne,  ou,  plus  exactement,  de  la  musique  de 
tous  les  temps. 

Voilà  pourquoi  il  est  nécessaire  que  l'étude  de  la  musique 
grecque  soit  faite  par  des  musiciens.  Mais,  dira-t-on,  celte 
étude  exige  des  connaissances  particulières  que  les  musiciens 
ne  possèdeot  guère.  Gela  est  vrai,  et  ce  serait  être  trop  ingrat 
que  de  mécoaoaitre  les  progrès  que  les  hellénistes  et  les  phi- 
lologues ont  fait  réaliser  à  cette  science.  Mais  en  même  temps 
il  faut  bien  avouer  que  co  n'est  pas  eux  qui  en  ont  dit  ni  en 
diront  le  dernier  mot.  Car,  pour  étudier  un  sujet  musical, 
on  ne  saurait  se  borner  à  déchiffrer  et  commenter  unique- 
ment des  textes,  ce  qui  est  malheureusement  le  cas  de  la 
plupart  des  hellénistes  qui  ont  étudié  la  question.  C'est  une 
tendance,  parmi  quelques  savants,  de  ne  vouloir  connaître 
en  fait  de  musique  que  ce  que  les  Grecs  eux-mêmes  en  ont 
dit  et  laissé  dans  leurs  écrits.  Quelle  erreur!  De  ce  que  cer- 
tains principes  fondamentaux  ont  été  découverts  postérieure- 
ment, en  étaient-ils  moins  mis  en  pratique?  La  vérité  est  tou- 
jours antérieure  à  sa  découverte,  a  dit  je  ne  sais  plus  quel  phi- 
losophe: si  Galilée  a  proclamé  le  premier  que  la  terre  tourne, 
elle  n'en  tournait  pas  moins  déjà  auparavant.  Et  de  même,  si  les 
Grecs  ont  ignoré  le  principe  de  la  génération  des  sons,  ils  n'en 
ont  pas  moins  pratiqué,  instinctivement,  l'application.  Aussi 
ne  saurions-nous  trop  applaudir  aux  critiques  de  M.  Gevaert  à 
l'adresse  «  des  philologues  qui  ne  voient  rien  au  delà  de 
leurs  textes  »  et  qui  sont  «  toujours  portés  à  iraiter  la  mu- 
sique grecque  comme  une  science  abstraite,  et  non  comme  un 
art  réel  pratiqué  pendant  plusieurs  siècles  par  des  hommes 
physiologiquement  semblables  aux  autres  habitants  de  notre 
planète...  »  Et  en  même  temps,  combien  ne  devons-nous  pas 
nous  féliciter  qu'un  tel  musicien,  ayant  approfondi  l'étude 
des  textes  antiques  autant  que  n'importe  quel  helléniste,  en 
ait  donné  une  interprétation  si  lumineuse,  si  logique,  et,  en 
réalité,  inattaquable  ! 

Si  les  anciens  semblent  avoir  compris  certains  phénomènes 
musicaux  différemment  de  nous,  c'est  que  leur  art,  qui  n'est 
que  l'enfance  de  la  musique,  ne  les  avait  pas  familiarisés  avec 
toutes  les  combinaisons  sonores,  et  que,  par  conséquent,  leurs 
notions  étaient  incomplètes.  Les  observations  de  leurs  meil- 
leurs théoriciens  nous  paraissent  souvent  inutiles  et  pué- 
riles :  ils  emploient  un  luxe  inouï  de  raisonnements  à  dé- 
montrer des  choses  qui  ont  pour  nous  l'évidence  d'axiomBs. 
Le  son,  dans  ses  manifestations  les  plus  simples,  est  ce  qui 


90 


LE  MÉNESTRI-L 


les  frappe  le  plus.  Leurs  expériences  sont  tout  empiriques  : 
l'échelle  des  sons  n'a  pas  pour  eux  d'autres  principes  que 
l'accord  instinctif  des  instruments.  Les  progrès  de  la  facture 
instrumentale  jouent,  dans  l'évolution  de  leur  art,  un  rôle 
dont  nous  ne  soupçonnions  pas  l'importance  :  une  corde 
ajoutée  à  la  lyre  était  la  cause  d'une  véritable  révolution 
musicale  ! 

Du  reste,  au  point  de  vue  technique,  ce  que  leurs  écrits 
nous  font  connaitre  prouve  qu'ils  ne  se  sont  jamais  élevés 
au-dessus  de  ce  qui  est,  pour  nous,  une  pratique  élémentaire 
(la  virtuosité  instrumentale,  qui  ne  perd  jamais  ses  droits, 
étant  mise  à  pari).  Mais  aussi  ils  compliquaient  à  l'envi  les 
choses  les  plus  simples,  —  et  c'est  précisément  à  élucider 
ces  fausses  difficultés  qu'il  faut.que  les  modernes  s'attachent, 
au  lieu  de  prendre  à  tâche  de  les  aggraver,  comme  semblent 
faire  certains. 

En  résumé,  la  musique  grecque  était  un  art  savant,  mais 
en  même  temps  un  art  simple,  car  ses  complications  sont 
toutes  superficielles.  C'est  d'ailleurs  essentiellement  un  art 
primitif,  et  cela  à  un  bien  plus  haut  degré  que  toutes  les 
autres  branches  de  la  littérature  et  des  arts:  à  en  juger  par 
ce  que  nous  laissent  entrevoir  les  écrits  théoriques  et  les 
vestiges  musicaux  qui  les  éclairent  d'une  si  vive  lumière,  il 
nous  est  impossible  de  supposer  que  la  musique  grecque  ait 
été  aussi  loin  et  ait  produit  des  monuments  comparables  à 
r/liade,  au  Parthénon  ou  à  la  Victoire  de  Samothrace.  La  dé- 
pendance dans  laquelle  le  chant  était  de  la  poésie,  et  dont 
nous  avons  donné  de  curieux  exemples  à  propos  du  rythme 
des  hymnes  delphiques,  est  une  preuve  suffisante  de  cette  in- 
fériorité relative.  Par  suite,  la  composition  musicale,  néces- 
sîirement  modelée  sur  le  vers,  avait  un  certain  caractère 
mécanique,  d'où  il  semble  résulter  que  les  musiciens  grecs 
étaient  plutôt  des  sortes  de  praticiens  que  des  artistes  capables 
de  se  livrer  à  la  libre  inspiration. 

Malgré  cela,  il  est  impossible  de  méconnaître  les  effets  puis- 
sants produits  par  la  musique  des  Grecs,  et  je  crois  qu'on 
peut  tout  aussi  bien  les  expliquer  ainsi.  D'abord,  au  point  de 
vue  artistique  le  plus  élevé,  ces  admirables  créateurs  de  formes 
avaient  eu  l'intuition  géniale  de  l'association  de  trois  arts 
faits  pour  se  compléter  les  uns  par  les  autres  en  un  ensemble 
iufiniment  harmonieux  :  la  musique,  la  poésie,  la  danse.  Mais 
le  chant  lui-même,  pris  isolément,  a  une  force  qui  subsiste 
même  pour  les  modernes  habitués  à  tant  de  complications 
polyphoniques:  combien  son  action  ne  devait-elle  pas  être 
plus  grande  sur  un  peuple  si  neuf  aux  impressions  de  ce 
genre!  Tous  les  entraînements  du  rythme,  ils  y  cédaient  ;  les 
chants  qui  cadencaient  les  évolutions,  la  fameuse  pyrrhique, 
par  exemple,  c'était  au  rythme  seul  qu'ils  empruntaient  leur 
prestige. 

C'est  donc  dans  l'emploi  des  formes  les  plus  simples  qu'il 
faut  chercher  les  principales  beautés  ainsi  que  les  effets  les 
plus  puissants  de  la  musique  grecque. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LE    THÉÂTRE-LYRIQUE 


1NF0RM.4.TI0NS   —    IMPRESSIONS 


XII 

Je  devrais  dater  cette  «  impression  »  de  Bruxelles,  car  c'est  ù 
Bruxelles  que  je  l'ai  ressentie.  J'y  ai  passé  récemment  une  soirée, 
tout  exprès  pour  entendre  cette  délicieuse  Thaïs,  dont  je  ne  saurais 
dire  le  bien  que  j'en  pense,  sans  être  suspect  de  partialité,  mais  que 
je  liens  pour  l'une  des  partilions  les  plus  originales,  les  mieux  ins- 
pirées, el  les  plus  intelligemment  modernes  do  celles  qui  composent 
le  riche  répertoire  de  Massenet.  J'ai  vu  ly  une  très  curieuse  et  inté- 
ressante artiste,  M'""  Georgelte  Leblanc,  qui  nous  a  donné  de  la  cour- 
tisane alexandrienne  une  imago  très  nouvelle  et  très  pittoresque, 
attirant  et  retenant  tellement  le  regard  qu'on  oublie  de  l'écouter, 
pour  la  suivre  on  son  jeu  dramatique  si  personnel,  en  la  recherche 


si  délicate  de  ses  ajustements,  en  la  variété  dos  expressions  de  sa 
physionomie  et  de  ses  attitudes,  dénotant  une  très  rare  pénétration 
de  l'esprit  et  du  caractère  du  personnage. 

Or,  comme,  après  la  soirée,  en  attendant  le  train  qui  ramène  à 
Paris  les  spectateurs  que  le  temps  presse,  j'étais  venu  m'asseoir  dans 
le  cabinet  des  directeurs,  gens  simples  et  méthodiques,  d'une  activité 
extraordinaire  sous  les  dehors  de  la  plus  parfaite  tranquillité,  accom- 
plissant en  peu  de  temps  et  silencieusement  une  formidable  besogne, 
et  que  je  leur  parlais  des  services  rendus  à  l'art  français  par  le 
beau  théâtre  qu'ils  dirigent,  MM.  Stoumon  et  Calabresi  ouvrirent 
devant  moi  le  livre  oîi  se  trouve  consigné  l'historique  sommaire  de  la 
Monnaie. 

C'est  en  feuilletant  ces  pages  que  je  vis  mieux  que  jamais  quels 
services  aurait  rendus  un  Théâtre-Lyrique,  faisant  à  Paris  la  mois- 
son d'œuvres  que  Bruxelles  a  faite.  Et  à  ceux  qui  argumentent 
volontiers  contre  la  création  de  ce  théâtre,  je  veux  dire  contre  sa 
restauration,  et  considèrent  une  telle  entreprise  comme  aventureuse 
ou  folle,  je  pensai  qu'il  serait  opportun  d'opposer  le  simple  procès- 
verbal  des  faits  qui  jalonnent  ce  recueil. 

Ce  que  les  directeurs  de  la  Monnaie  ont  fait  à  Bruxelles  pour  nos 
compositeurs  el  pour  nos  grands  théâtres  même,  en  leur  donnant  des 
artistes,  ils  l'ont  fait  —  il  le  faut  noter  —  sans  cesser  de  satisfaire 
aux  exigences  de  leur  situation  officielle.  Ils  ont  entretenu  et  enrichi 
leur  répertoire  d'œuvres  classiques  ou  connues,  varié  leurs  spectacles, 
en  un  mol.  donné  à  l'Etat  qui  les  commandite  tout  ce  qu'il  est  eu 
droit  d'attendre  d'eux.  C'est  par  surcroit  qu'ils  ont  entrepris  do  tirer 
de  l'ombre  des  œuvres  que  Paris  oubliait  ou  dédaignait;  et  ce  sera 
leur  grand  honneur  de  l'avoir  fait,  comme  si  celte  tâche  eût  été  leur 
principal  devoir  à  remplir. 

Que  n'aurait-on  pas  obtenu  chez  nous,  durant  le  même  temps,  avec 
une  direction  n'ayant  d'autre  objectif  que  la  restitution  des  chefs- 
d'œuvre  classiques  de  toutes  les  écoles,  la  mise  en  lumière  des 
œuvres  inédites  et  la  formation  d'une  troupe  d'artistes  lyriques,  com- 
posée de  sujets  jeunes,  trouvant  sur  une  scène  ouverte  à  leurs  pre- 
miers efforts  uu  excellent  terrain  d'entraînement  ? 

Une  subvention  de  300.000  francs  —  c'est  celle  que  reçoivent  les 
directeurs  de  la  Monnaie,  — eût  suffi  et  suffirait  encore  pour  l'accom- 
plissement d'une  telle  œuvre.  Les  années  ont  passé  pourtant,  n'appor- 
tant avec  elles  que  de  vaines  tentatives  ou  des  désillusions. 

Et  peu  tant  ce  temps,  après  avoir  affirmé  et  affermi  le  succès  de 
Faust-,  plus  tard  celui  de  Carmen,  la  Monnaie  donnait  des  œuvres, 
laborieuses  et  coûteuses  à  monter,  comme  Sigurd,  comme  Hérodiade, 
comme  le  Mefislo  de  Boïlo  ;  entre  temps,  elle  offrait  l'hospitalité 
aux  Teiiip/iers,  de  Litolf,  à  la  GivendoHne,  de  Ghabrier,  au  Saint- 
Mégrin,  des  frères  Hillemacher.  Enfin,  les  directeurs  actuels,  après 
un  interrègne  de  peu  d'années,  non  moins  bien  rempli  par  MM.  Du- 
pont et  Lapissida,  reprenaient  bravement  l'entreprise  inaugurée  avec 
les  grands  ouvrages  de  Reyer  et  de  Massenet;ils  donnaient  ,Sa/«Hi/H6(i. 
Jocehjii,  Barberine  et  enliu,  tout  récemment,  £'('aH(7e/me.  J'en  oublie 
sans  doute,  mais  on  en  peut  oublier  :  le  fonds  oîi  je  puise  est  assez 
riche. 

Et  tout  cela  s'est  fait  sans  préjudice  d:s  soins  donnés  au  réper- 
toire wagnérien,  à  l'œuvre  de  Beethoven  avec  Fidelio,  à  l'œuvre  de 
Gluck  avec  Orphée,  à  une  série  d'œuvres  lyriques  et  chorégraphiques 
internationales,  de  production  contemporaine. 

En  même  temps  se  révélaient  des  artistes  qui,  tous  mis  en  lumière 
à  Bruxelles,  aguerris  au  théâtre  de  la  Monnaie,  sont  venus  à  Paris, 
soit  à  l'Opéra,  soit  à  l'Opéra-Gomique,  briller  parfois  d'un  très  vif 
éclat. 

Nommons  seulement  M""'  Caron,  M""'  Bosmau,  M""'  Melba,  M""'  Lan- 
douzy.  M""'  Deschamps,  M"''  Galvé,  MM.  Grosse,  Renaud,  Soulacroix, 
Leprestre.  Ici  aussi,  il  en  faut  passer. 

Gela  suffit  pour  justifier  la  valeur  de  mon  «  impression  »,  à  savoir 
qu'un  théâtre  de  la  Monnaie,  en  plein  Paris,  uu  Théâtre-Lyrique, 
rendrait  des  services  précieux  el  prospérerait,  à  cette  simple  condi- 
tion d'être  géré  avec  la  prudence,  l'économie,  l'activité  et  l'esprit  pra- 
tique qui  ont  fait  le  succès  de  l'entreprise  dont  je  viens  do  parler. 

Riais  ce  sont  là  des  vertus  rares  et  précieuses,  et  rien  n'est  plus 
difficile  à  grouper  que  les  vertus.  On  en  a  une,  on  en  a  deux  :  il  les 
faudrait  toutes.  C'est  pourquoi,  disposant  des  mêmes  éléments  et 
des  mêmes  forces,  beaucoup  pourront  échouer  encore  où  quelques- 
uns  ont  réussi. 

On  trouvera  peut-être  que  cette  question  du  Théâtre-Lyrique 
revient  bien  souvent  dans  le  Ménestrel,  que  les  mêmes  arguments 
el  les  mêmes  considérations  en  sa  faveur  s'y  répètent  :  c'est,  en 
vérité,  que  si  ancienne  soit-elle,  elle  reste  toujours  actuelle  et  irri- 
tante;  pour  entretenir  l'attention  de  ceux  qui  en  peuvent  être  les 


LL:  MENESTREL 


91 


arbitres,  ces  redites  sont  nécessaires.  S'y  appliquer,  c'est  agir  selon 
■celte  parole  ancienne  :  Celui  qui  veut  persuader  doit  faire  comme 
un  homme  en  train  de  percer  un  rocher  :  frapper  toujours  à  la  même 
place  et  multiplier  les  coups. 

Louis  Gallet. 


L'ORCHESTRE    DE    LULLY 

(Suite.) 


Après  avoir  fait  connaître  les  trois  artistes  auxquels,  successive- 
ment ou  conjointement,  Lully  confia  le  soin  de  diriger  l'orchestre  de 
rOpéra,  je  voudrais  rappeler  quelques-uns  de  ceux  qui  firent  partie 
de  cet  orchestre  en  qualité  de  simples  exécutants.  C'est  ici  que  les 
■difficultés  se  présentenl.  Le  seul  renseignement  un  peu  précis,  et 
fort  incomplet,  que  nous  ayons  à  ce  sujet  est  contenu  dans  ces  quel- 
ques lignes  de  l'Histoire  de  t'Opéra,  de  Durey  de  Noinville  : 

«  ...Il  est  cerlain  que  si  l'on  avoit  en  alors  euFrance  la  perfectiondu 
violon  comme  on  la  possède  aujourd'hui,  les  opéras  de  Lully,  qui  ont 
été  admirés  à  si  juste  titre,  auroient  été  encore  plus  admirables.  Le 
grand  génie  de  Lully  se  trouva  gêné  par  l'ignorance  des  musiciens  de 
son  terns,  soit  chanteurs  ou  joueurs  d'instrumens.  On  ne  savoitce  que 
c'étoit  d'exécuter  à  livre  ouvert,  on  apprenoit  pour  ainsi  dire  par 
coeur,  les  moindres  difficultés  arrètoient  longtems  les  exécuteurs,  et 
il  fallait  se  proportionner  à  leur  faiblesse.  Il  a  donc  fallu,  pour  vain- 
cre cet  obstacle,  que  Lully  formât  des  musiciens  en  tous  genres,  et 
surtout  les  joueurs  de  violon,  et  l'on  doit  regarder  comme  ses  élèves 
l'Alouette,  Collasse,  Verdier,  Baptiste  le  père,  Jouberl,  Marchand, 
Rebel  père  et  La  Lande,  qui  tous  exécutoient  ses  symphonies,  et  ce 
qu'on  appelle  musique  franooise,  mieux  qu'aucun  violon  italien  n'ait 
jamais  pu  faire.  » 

C'est  en  se  servant,  —  sans  indiquer,  selon  sa  coutume,  la  source  où 
il  puisait,  —  des  lignes  qu'on  vient  de  lire,  que  Castil-Blaze  a  prétendu, 
aver  l'aplomb  superbe  qui  le  caractérisait,  reconstituer  entièrement 
et  à  sa  fantaisie  l'orchestre  de  Lully.  Pour  cela,  il  s'est  borné  à  ajou- 
ter, aux  noms  des  violonistes  indiqués  ci-dessus,  ceux  de  quelques 
autres  instrumentistes  du  temps  dont  les  noms  sont  connus,  qui  fai- 
saient partie  de  la  musique  du  roi  ou  qui  figuraient  dans  les  diver- 
tissements de  Molière,  et  qu'il  a  fait  entrer  de  son  propre  mouvement 
dans  cet  orchestre.  Voici  donc  le  résultat  qu'il  obtient  avec  ce  pro- 
cédé facile  et  qui  économise  les  recherches  : 

«  Je  puis  signaler  ici  la  plupart  des  vingt  symphonistes  de  l'or- 
chestre que  Lully  dirigeait  en  1673  et  1674: 

))  Baptiste  aine,  Baptiste  cadet.  Cotasse,  Marchand,  dessus  de 
violon. 

»  Lalouette,  haute-contre;  Verdier,  taille;  Joubert  et  Lacoste, 
quintes  de  violon  (1). 

»  Marais  et  trois  autres  dont  les  noms  manquent,  basses  de  viole. 

»  Piesehe,  Laîaé,  flûtes,  —  Hotleterre  (2),  Duclos,  flûtes  ou  haut- 
bois. —  Plumet,  Lacroix,  hautbois.  —  Bluchot,  hautbois  ou  basson. 
—  Philidor,  timbalier.  » 

Mais  j'ai  déjà  fait  remarquer  que  l'orchestre  de  Lully  comprenait 
certainement  plus  de  vingt  musiciens.  Tout  d'abord  nous  savons, 
d'une  façon  pertinente,  qu'il  s'y  trouvait  des  cors  de  chasse,  des 
trompettes,  et  même  des  théorbes,  instruments  que  Castil-Blaze 
a  négligé  à  tort  d'y  faire  entrer.  Remarquons,  d'autre  part,  que  s'il 
n'a  pas  été  embarrassé  pour  le  composer  à  sa  guise,  il  s'est  trouvé 
du  moins  gêné  par  deux  noms  qu'enregistrait  Durey  de  Noinville  et 
qu'il  n'a  pourtant  pas  osé  reproduire  dans  sa  liste  fantaisiste  :  ceux 
de  Rebel  père  et  de  La  Lande.  Pour  Rebel  père,  comme  le  premier 
Rebel  qu'il  trouvait  inscrit  dans  la  Bior/raphie  universelle  des  Mu-siciens 
deFétis  était  Jean-Ferry  Rebel,  qui  n'entra  à  l'Opéra  qu'en  1699  pour 
en  devenir  plus  tard  le  chef  d'orchestre,  il  crut  sans  doute  à  une 
erreur  et  il  le  supprima  délibérément.  C'est  que  Jal,  à  cette  époque, 
n'avait  pas  encore  publié  son  Dictionnaire,  où  nous  voyons  qu'un 
Jean  Rebel,  «  violon  du  roi,  »  mari  d'Anne  Molleson,  demeurait 
en  1667,  rueFroidmanteau  (3).  Or,  c'est  évidemment  celui-là  qui  faisait 
partie  de  l'orchestre  de  Lully,  qui  était  le  père  de  Jean  Ferry,  et  que 
justement  on  appelait  plus  tard  «  Rebel  père  »  pour  le  distinguer  de 
son  fils.  Pour  ce  qui  est  de  La  Lande,  Castil-Blaze  a  été  pris  d'un 
scrupule  du  même  genre.  Il  a  pensé  qu'on  avait  voulu  parler  du  fa- 

■;i)  On  remarquera  retondante  précision  que  l'historien  apporte  dans  la  dis- 
position des  difTérentes  parties  de  violons. 
{%)  Lequel?  Les  Ilotteterre  étaient  toute  une  famille. 
(3)  Voy.  Jal,  Dictionnaire  critique  de  biorjrapliie  et  d'Itistoire,  au  mot  La  La.nde. 


meux  compositeur  Michel  Richard  de  La  Lande,  qui,  avaiit  de  s'adon- 
ner à  l'orgue,  avait  étudié  le  violon,  et  il  savait  que  La  Lande, 
s'étant  présenté  un  jour  à  Lully  pour  entrer  dans  son  orchestre  ot 
ayant  été  refusé  par  lui,  avait,  de  dépit,  brisé  son  violon  en  ren- 
trant chez  lui  et  ne  s'en  était  plus  jamais  occupé.  Là  donc  encore, 
il  crut  à  une  méprise,  et  biffa  simplement  le  nom  de  La  Lande.  En 
quoi  il  eut  tort  de  nouveau.  C'est  qu'en  effet  il  n'avait  pas  lu  ces 
lignes  de  La  Vieuville  de  Preneuse  (1),  qui  lui  auraient  appris  qu'il 
existait  un  aulre  artiste  de  ce  nom,  lequel  était  violoniste  :  —  «  M.  le 
maréchal  de  Grammonl  avoit  un  laquais  nommé  La  Lande,  qu'il  fit 
depuis  son  valet  de  chambre,  et  qui  est  aujourd'hui  un  des  meilleurs 
violons  rje  l'Europe.  A  la  fin  d'un  repas,  il  prioit  Lulli  de  l'entendre, 
et  de  lui  donner  seulement  quelques  avis.  La  Lande  venoil,  jouoit, 
et  faisant  sans  doute  de  son  mieux...  »  .le  ne  crois  pas  m'avancer 
beaucoup  en  supposant  que  ce  La  Lande  fut  pris  par  Lully  dans  sou 
orchestre  et  que  c'est  celui  dont  s'occupe  Durey  de  Noinville. 

Si,  sans  nous  inquiéter  autrement  de  Castil-Blaze,  nous  nous  en 
tenons,  en  ce  qui  concerne  les  violons,  au  renseignement  donné  par 
ce  dernier,  nous  trouvons  donc  les  noms  de  Lalouette  et  de  Collasse, 
qui,  avant  de  devenir  l'un  après  l'autre  chefs  d'orchestre,  tinrent 
d'abord  effectivement  une  parlie  de  violon,  puis  ceux  de  Verdier, 
Baptiste  père,  Jouberl,  Marchand,  Rebel  père  et  La  Lande. 

Verdier,  nous  l'avons  vu  déjà,  était  le  mari  d'une  des  chanteuses 
de  l'Opéra,  «  •  mademoiselle  »  Verdier,  et  les  frères  Parfait  nous 
apprennent  qu'il  était  premier  violon  à  l'orchestre  de  ce  théâtre.  Là 
se  borne  tout  ce  qu'on  sait  en  ce  qui  le  concerne,  sinon  que  sur  l'état 
des  pensions  de  1713,  il  figure  pour  une  pension  de  300  livres.  Il  me 
parait  pourtant  probable  qu'il  était  l'un  des  deux  frères,  Henry  et 
Edme  Verdier,  qui  figurèrent  sur  la  scène  du  théâtre  de  Molière  au 
nombre  des  musiciens  de  Psyché,  où  ils  faisaient  les  10"  et  1S°  con- 
certants. Qui  sait  même  s'ils  ne  firent  point  tous  deux  partie  de  l'or- 
chestre de  Lully  ? 

L'artiste  désigné  sous  le  nom  de  Baptiste  père  n'a  laissé  aucune 
trace.  J'inclinerais  volontiers  à  croire  qu'il  était  justement  le  père 
du  violoniste  fort  distingué  qui  acquit  un  peu  plus  tard  une  grande 
réputation  sous  ce  nom  de  Baptiste  et  qui  s'appelait  Baptiste  Anel. 
Les  dates  rendent  cette  supposition  vraisemblable,  puisque  c'est  en 
1700  que  celui-ci  revint  d'Italie,  or.  il  avait  été  prenire  des  leçons  de 
Corelli. 

Le  violoniste  nommé  Joubert  est  resté,  lui  aussi,  absolument 
inconnu.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  Jean-Baptiste  Marchand,  qui 
faisait  partie  à  la  fois  de  la  musique  de  la  chambre  du  roi  en  qualité 
de  joueur  de  petit  luth  (de  «  luthérien,  »  comme  on  disait  alors),  et  de 
celle  de  la  chapelle  comme  dessus  de  violon.  Ce  Marchand  devait 
être  bon  musicien,  car  on  sait  qu'il  écrivit  une  messe  en  sol  mineur, 
intitulée  Quis  est  Deus?  qui  fut  exécutée  à  l'égliseNotre-Darae.  Il  avait 
un  frère  cadet,  Jean-Noël  Marchand,  violoniste  aussi,  qui  fut  reçu 
en  cette  qualité  à  la  chapelle  du  Roi  en  1686. 

Celui  qu'on  appelait  Rebel  père,  qni  est  resté  ignoré  de  Fétis  et  que 
nous  ne  connaissons,  outre  la  mention  de  Durey  de  Noinville,  que 
par  la  note  de  Jal  qui  nous  apprend  qu'il  appartenait  à  la  musique 
du  roi  et  demeurait  en  1667  rue  Froidmanteau,  est  évidemment  le 
chef  de  cette  dynastie  des  Rebel  qui  fournit  ensuite  à  l'Opéra  un  chef 
d'orchestre  (Jean-Ferry)  (2),  et  un  directeur  (François,  qui  écrivit  en 
société  avec  son  ami  Francœur  une  vingtaine  d'opéras).  Il  me  parait 
bien,  comme  je  l'ai  dit,  être  le  père  de  Jean-Ferry  et  de  sa  sœur 
Aune  Rebel,  qui  fut  une  artiste  remarquable.  Celle-ci,  douée  d'une 
voix  admirable,  devint  l'un  des  sujets  les  plus  en  vue  de  la  musique 
du  roi,  qui  la  prit  eu  grande  affection  ;  elle  créa  à  la  cour  plusieurs 
rôles  importants  dans  divers  opéras  de  Lully  et  épousa,  en  1684,  le 
célèbre  organiste  Michel  Richard  de  la  Lande.  C'est  Louis  XIV  en 
personne  qui  arrangea  ce  mariage,  et  qui  voulut  faire  lui-même  les 
frai.*'  de  la  noce  de  ses  deux  protégés.  Anne  Rebel,  épouse  la  Lande, 
mourut  le  6  mai  1722,  âgée  de  67  ans  (3)  et  était  née,  par  conséquent, 
en  1656  ou  1657.  Il  est  probable  que  Jean  Rebel  père,  le  violoniste  de 
Lully,  était  lui-même  un  artiste  distingué. 

Pour  ce  qui  est  de  La  Lande,  on  a  vu  plus  haut  qu'il  avait  été 
laquais,  puis  valet  de  chambre  du  maréchal  de  Grammont,  ce  qui 
ne  l'empêchait  pas,  parait-il,  de  jouer  passablement  de  son  instru- 
ment. On  n'en  sait  pas  davantage  à  son  sujet. 

Si  des   violons   nous  passons  aux  basses  de  viole  (le  violoncelle 

(1)  Co/itparoison  de  la  inusi'jue  'ilalicnne  avec  la  musique  françoi^e. 

(2)  Une  note  de  VUisloire  de  l'Opéra  des  frères  Parfait  nous  apprend  qu'avant  de 
«  battre  la  mesure  »  à  l'Upéra,  Jean-Ferry  l^ebel  avait  lait  partie  des  chœurs  de 
ce  théâtre  «  du  temps  de  M.  de  Lully.  » 

(3)  Voy.  le  Mercure  de  France,  mai  1122.  p.  192. 


9:2 


LE  MENESTREL 


n'élail  pas  encore  en  usage),  nous  trouvons  d'abord  Marais,  dont  j'ai 
suffisamment  parlé  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir,  puis  un  artiste  que 
Caslil-Blaze  a  oublié,  et  que  sa  notoriété  pouitant  recommandait  à  l'at- 
tention d'un  historien  aussi  scrupuleux.  Cet  artiste  était  Tcobaldo 
di  Gatli,  un  Italien  qu'on  eut  coutume  d'appeler  en  Fiance  Théobalde, 
et  qui,  non  seulement  appailint  durant  un  demi-siècle  à  l'orchestre 
de  l'Opéra,  mais  écrivit  la  musique  de  deux  ouvrages  représentés 
sur  ce  théâtre.  Théobalde  était  né  à  Florence,  sans  doute  vers  le 
milieu  du  dix-septième  sièle.  Titon  du  Tillel,  copié  servilement  par 
tous  les  biographes  à  sa  suite,  raconte  ainsi  sa  venue  à  Paris  :  — 
(>  Il  fut  si  charmé  de  quelques  morceaux  de  symphonie  des  premiers 
opéras  de  Lully  qui  étoient  venus  jusqu'à  Florence,  qu'il  voulut 
absolument  en  connoître  l'auteur.  Il  partit  pour  Paris.  Aussitôt  après 
sou  arrivée  il  courut  chez  Lully,  son  compatriote,  et  lui  marqua  le 
sujet  de  son  voyage  et  l'erapresseraent  "qu'il  avoit  de  le  voir.  Lully 
lui  en  scutbon  gré  et  le  reçut  avec  beaucoup  d'amitié.  Il  le  plaça  dans 
l'orchestre  de  l'Opéra,  ayant  reconnu  sa  capacité  pour  l'exécution  de 
]a  musique  sur  la  basse  de  violon.  » 

On  croit  que  c'est  en  iôlo  ou  1676  que  Théobalde  arriva  à  Paris, 
el  l'on  sait  qu'il  obtint  de  Louis  XIV,  sans  doute  à  la  requête  de 
Lully,  des  «  lettres  denaluralité.  »  Aprèsla  mort  de  celui-ci,  il  songea 
à  se  produire  comme  compositeur  et  il  écrivit,  sur  un  poème  de 
Chappuzeau  de  Beaugé,  la  musique  d'une  pastorale  héroïque  intitulée 
Coronis,  qui  fut  représentée  le  23  mars  1691.  Le  succès  de  cet  ouvrage 
parait  avoir  été  modeste.  Théobalde,  qui  avait  acquis  une  véritable 
renommée  comme  instrumentiste,  fut  plus  heureux  avec  Scylla, 
«  tragédie  lyrique  »  dont  Duché  lui  avait  fourni  le  livret  et  qui  parut 
à  la  scène  le  16  septembre  1701.  Cette  seconde  partition  lui  fit  beau- 
coup d'honneur,  et  deux  reprises  de  Scylla.  qui  l'ureut  faites  en  1720 
et  1732,  en  confirmèrent  le  succès  primitif.  Eu  annonçant,  au  mois 
de  mars  1702,  la  publication  de  la  partition,  le  jl/wcwre faisait  précé- 
der cette  annonce  des  lignes  que  voici  :  —  «  On  a  représenté  l'esté 
dernier  un  opéra  sous  le  nom  de  Scijlla.  Il  a  esté  fort  estimé,  et  le 
succès  qu'il  a  eu  en  a  esté  d'autant  plus  glorieux  à  M''  Theobaldo 
Gatli,  qui  l'a  composé,  qu'il  a  paru  au  mois  de  septembre,  saison 
très  désavantageuse  pour  les  pièces  de  théâtre,  puisqu'alors  Paris  est 
dégarni  du  beau  monde  et  surtout  des  personnes  de  distinction  qui 
vont  souvent  à  l'Opéra.  »  Les  principaux  interprètes  de  Scylla  étaient 
Thévenard,  Chopelet,  M"'^  Desmalins  et  Maupin.  L'auteur  du  poème. 
Duché  de  Vancy,  était  un  protégé  de  M"""  de  Maintenon,  homme 
distingué  d'ailleurs,  qui,  quoique  mort  jeune,  h  trente-six  ans,  était 
membre  de  l'Académie  des  inscriptions. 

Eutre  ses  deux  ouvrages  dramatiques,  Théobalde  avait  publié  chez 
Ballard,  en  1696,  un  recueil  de  douze  airs  italiens,  dont  deux  à  deux 
voix.  Ou  ne  connaît  de  lui  rien  autre  chose.  Cet  artiste,  dont  le  talent 
était  très  réel,  mourut  fort  âgé  à  Paris,  en  1727,  occupant  encore  sa 
place  à  l'orchestre  de  l'Opéra.  Il  fut  inhumé  dans  l'église  Saint- 
Eustache. 

(A  suivre).  Arthur  Potiom. 

UN    MONUMENT    A    M""    CARVALHO 


Un  Comité  s'est  constitué  dans  le  but  d'élever  à  M"'=  Carvalho 
un  monument  au  Père-Lachaiso.  C'est  à  Anlonin  Mercié  qu'on  a 
demandé  l'exécution  de  ce  monument,  dont  l'osquisse  est  aujour- 
d'hui presque  entièrement  terminée  et  qui  comptera  comme  un 
nouveau  chef-d'œuvre  à  l'actif  du  maître. 

Ce  Comité,  qui  fait  appel  à  tous  les  amis  et  à  tous  les  admira- 
teurs de  la  grande  artiste,  est  ainsi  composé  : 

MM.  E.  Rêver,  Massenet,  Sai.nt-Saens,  membres  do  l'Institut; 

MM.  Victoriou  Saudou,  Ludovic  Halévv,  membres  do  l'Académie 
française  ; 

MM.  BoNNAT,  J.   Lefebvke,  Ed.    Détaille,  membres  de  l'Institut; 

MM.  \iclorin  Jo^cikres,  Jules  Bariiieh,  Philippe  Gille,  Cieorges 
Cain,  Henri  Heugel,  P.  de  Ciioudens,  Pradel,  Ch.  Pitet  (trésorier). 

Los  souscriptions  .'sont  reçues  aux  bureaux  du  Ménestrel  (2  his, 
rue  Yivienne) 

et  chez  MM.  Choudens,  éditeurs  de  musique,  30,  boulevard  des 
Capucines,  et  Ch.  Pitet,  trésorier,  51,  rue  du  Faubourg-Poissonnière. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Concerts  Colonne.  M.  Colonne  a  fait  entendre  le  premier  acte  de 
Judith,  drame  lyrique  de  M.  Ch.  Lefèbvre.  C'est  une  œuvre  des  plus  inté- 
ressante?, écrite   dans    un   style   qui   se  rapproclie   de  celui   de   foralorio. 


L'oi-chestrationest  très  soignée,  très  claire  et  très  sobre,  la  pensée  est  toujours 
élevée,  la  mélodie  très  pénétrante.  Pour  beaucoup,  M.  Lefèbvre  n'est  pas 
évidemment»  dans  le  train»;  il  ne  semble  pas  assez  avancé.  Il  nous  paraît 
à  nous  qu'il  n'est  pas  si  loin  de  la  bonne  -voie.L'Épée  d'Anganli/r, scène  tirée 
des  Pôvmes  barbares  de  Leconte  de  Lisle,  mise  en  musique  par  M.  Gaston 
Carraud,  se  rapproche  davantage  du  faire  de  la  nouvelle  école.  C'est  une 
œuvre  d'un  caractère  très  sombre  et  qui  ne  manque  pas  de  grandeur.  — 
Après  le  récit  et  prière  de  Jocehjn,  œuvre  exquise  du  regretté  Godard, 
il  nous  a  été  donné  d'entendre  l'admirable  concerto  en  so/ mineur  de  Saint- 
Saëns,  dit  par  un  pianiste  d'un  talent  remarquable,  M.  Blumer.  Son  inter- 
prétation a  été  excellente,  il  a  été  chaleureusement  applaudi,  et  c'était 
justice.  La  seconde  partie  du  concert  était  tout  entière  remplie  par  la 
musique  de  scène  de  Slriieiisi^e,  de  Meyerbeer.  Un  abrégé  en  vers  du  drame 
en  prose  original,  fait  avec  une  rare  intelligence  par  M.  Pierre  Barbier, 
permettait  à  l'auditeur  de  suivre  les  péripéties  de  ce  drame.  Disons  tout  de 
suite  que  MM.  Silvain,  Lambert  et  Laugier,  M"'  Du  Ménil  el  M™»  Hada- 
mard,  de  la  Comédie-Française,  ont  eu  un  énorme  succès.  Il  était  impos- 
sible de  mieux  dire.  Il  fallait  un  certain  courage  à  M.  Colonne  pour  oser 
présentera  son  public  une  musique  aussi  démodée  que  celle  de  Meyerbeer. 
On  est  irrémédiablement  traité  d'idiot  si  l'on  conserve  quelque  admiration 
pour  Rossini  ;  on  est  considéré  comme  fortement  ramolli  si  l'on  éprouve 
du  plaisir  .1  entendre  la  musique  de  Meyerbeer.  A  ce  maitre  tant  admiré, 
on  ne  reconnaît  plus  aucun  mérite,  son  orchestration  est  banale,  ses  pro- 
cédés sont  factices,  il  ressasse  les  mêmes  formules,  la  Bénédieiton  des  poi- 
gnards n'est  plus  qu'une  chose  indigeste,  le  duo  de  Valentine  et  de  Raoul 
qu'une  vulgaire  romance,  le  Prophète,  l'Africaine,  l'Étoile  du  Nord  ne  pèsent 
pas  plus  qu'un  fétu,  en  préience  des  œuvres  incomparables  de  nos  jeunes 
pseudo-wagnériens.  Siruensée  n'est  pas  à  la  hauteur  des  grandes  œuvres  du 
maître.  Mais  on  ne  saurait  comparer  la  musique  de  scène,  ce  que  les  Alle- 
mands appellent  le  mélodrame,  avec  la  musique  d'opéra;  dans  l'opéra  les 
voix  font  corps  avec  la  musique  orchestrale,  dans  la  musique  de  scène 
l'orchestre  ne  fait  que  souligner  les  situations;  or,  la  musique  de  Meyer- 
beer remplit  ce  rôle  avec  une  maestria  sans  égale;  nous  comprenons  l'ad- 
miration dont  elle  jouit  en  Allemagne;  et  nous  plaignons  ceux  qui  ne 
comprennent  pas  combien,  dans  sa  mâle  simplicité,  sa  clarté  incompa- 
rable, cette  musique  est  supérieure  à  celle  que  nous  oIVrent  journellement 
des  fanatiques  en  délire.  H.  BARBEDr;TTE. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Le  Messie  de  Hicndel  fut  écrit  pendant  l'année 
1741,  du  22  août  au  14  septembre,  donc  en  24  jours.  Si  ce  renseignement 
est  exact,  il  faut  admirer  la  puissance  de  travail  du  maître  qui  a  pu  pro- 
duire dans  de  telles  conditions  une  œuvre  d'architecture  si  ferme  et  de 
pareilles  dimensions.  Il  faut  admirer  surtout  les  ressources  immenses  et 
l'infinie  dextérité  du  contrapontiste  qu'aucune  dilliculté  de  métier  n'a  pu 
.-etai'der.  D'ailleurs,  la  hâte  dans  la  composition  musicale  a  aussi  ses  incon- 
vénients et  ils  sont  très  apparents  dans  le  Messie.  Sans  doute,  la  pompe  et 
la  majesté  grandiose  du  style  sont  telles,  ici,  que  l'esprit,  pleinement  satis- 
fait, ne  songe  même  pas  à  se  demander  si  quelques  pages,  consacrées  à 
l'expression  d'une  ferveur  plus  humaine,  d'une  piété  plus  attendrie,  n'au- 
raient pas-  heureusement  pu  être  substituées  à  certains  morceaux  de 
facture  irréprochable  mais  dont  la  portée  ne  dépasse  pas  celle  d'une  page 
excellente  de  rhétorique  musicale.  Cependant,  on  peut  considérer  comme 
un  symptôme  non  négligeable  l'accueil  tout  spécialement  chaleureux  avec 
lequel  a  été  accueilli  l'air,  d'une  forme  musicale  toute  simple  :  «  Il  garde 
ses  ouailles  »  que  l'on  a  bissé  d'enthousiasme,  tant  sa  mélodie  caressante 
et  dépourvue  de  tout  artifice  de  facture  a  agréablement  charmé  l'audi- 
toire. Certes,  à  ce  moment,  nous  étions  plus  près  de  la  manière  de  d'Alay- 
rac  que  de  celle  de  Ilrendel,  mais  la  sensibilité  vraie  et  le  naturel  sont 
d'un  eiTet  irrésistible.  M"'  Passama  a  dît  cet  air  exquis  avec  une  grâce  un 
peu  mièvre  qui,  loin  de  déplaire,  semble  lui  prêter  un  charme  de  plus.  Il 
faut  tenir  compte  à  cette  artiste  du  soin  qu'elle  apporte  à  l'articulation  des 
mois  et  des  syllabes.  Sous  ce  rapport.  M"""  Morel  a  été  moins  heureuse, 
mais  il  est  juste  de  remarquer  que  la  partie  de  soprano  présente  des  diffi- 
cultés plus  grandes  que  celle  de  contralto,  quand  il  s'agit  d'obtenir  une 
belle  sonorité;  on  l'a  bien  vu,  il  y  a  quelques  années,  quand  le  Messie  fut 
chanté  au  Trocadéro  par  M"'«  Caron  et  M™  Deschamps-Jehin.  M.  Lafarge 
met  en  relief,  grâce  à  son  bel  organe,  les  pages  qui  lui  sont  réservées, 
mais  sa  façon  un  peu  larmoyante  de  dire  certaines  phrases  semble  peu 
d'accord  avec  le  style  religieux  dans  lequel  est  conçu  l'oratorio  de  Hrende'. 
M.  Auguez  seul  a  l'impersonnalité  qui  convient  au  genre,  et  lui  seul  en 
dégage  pleinement  la  signification  et  la  grandeur  un  peu  arlilicielle,  mais 
forte  et  vigoureusement  entraînante.  Amédée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Si/mphonie  héroïque  (Beeihoven).  —  Chœur  et  Marche  d'Idoménée 
(Mozarti.  —  Le  Runet  d'Omphale  (Saînt-Saéns).  —  Adieu  auoc  jeunes  maries,  chœur 
(Meyerbeer).  —  Ouverture  du  Carnaval  romain  (Berlîoz). 

Chfttelei,  concert  Colonne:  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven).—  L' Absence [Ber- 
lîoz)  et  /('  Jeune  Pécheur  (Liszt),  chantés  par  M'-'  Kutsrlierra.  —  Deux  Contes  de 
Jean  Lorrain  (Pîerné),  par  M"'  M.  Mathieu  et  les  chœurs.  —  Fantaisie  op.  !."> 
[V.  Schubert),  exécutée  par  M.  Raoul  Pugno.  —  3°  acte  du  Crépuscule  des  Dieux 
(Wagner),  chanlé  par  M""  Kutscherra  (Brunhilde),  Mathieu  (Woglinde),  Texier 
(Wellgunde),  Planés  (Ftossilhde),  MM.  Cazeneuve  (Siegfried),  Edwy  (Gunther), 
Vieuile  illager). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  :  deuxième  audition  du  Messie 
(Ilœndel)  :  chœur,  orchestre  et  soli  par  M""'  Passama,  Marie  More),  MM.  La- 
farge et  Auguez.  Le  grand  orgue  sera  tenu  par  M.  E.  Lacroix. 


LE  MÉNESTREL 


93 


Concerts  du  Jardin  d'Acclimatalion,  chef  d'orchestre  :  M.  Louis  Pister  :  TuOa- 
rin,  prélude  (E.  Pessard).  —  Dansvs  à  la  viennoise  (R.  MandI).  —  Jocelyn,  suite 
d'orchestre  (B.  Godard).  —  .tu  soir,  rhapsodie  (J.  RaD).  —  Miiilalion,  sur  l'op.  27 
de  Beethoven  (Hlavac).  —  L'Arlii^ienne,  suite  d'orchestre  (Bizet).  —  Fêle  hongroise, 
(C.  de  Grandval). 

—  E.xtrèmement  intéressante,  la  seconde  séance  de  la  Société  d'instru- 
ments à  vent  et  à  cordes  de  M.\I.  Gillet,  Turban,  Hennebains,  Reine,  Le- 
tellier,  I.  Philipp,  Rémy,  Loeb  et  Balbrecii,  avec  le  concours  de  MM.  De- 
laborde,  Widor,  Franquin,  de  Bailly,  Courras  etLammers.  Au  programme, 
un  délicieu.x  quintette  de  Mozart,  pour  piano,  hautbois,  clarinette,  cor  et 
bassou,  d'une  harmonie  suave  et  pénétrante,  et  qu'on  a  bien  rarement 
l'occasion  d'entendre,  puis  une  très  coquette  et  très  agréable  sérénade  de 
M.  Ch.-M.  Widor,  dont  le  rythme  est  plein  de  grâce  et  dont  le  motif  prin- 
cipal est  souligné  par  le  piano  avec  un  curieux  accompagnement  ostinalo. 
Je  n'ai  trouvé,  je  l'avoue,  qu'un  médiocre  plaisir  à  l'audition  des  singu- 
lières variations  de  Schumann  pour  deux  pianos,  cor  et  deux  violoncelles, 
malgré  leur  exécution  si  brillante,  mais  j'ai  réentendu  avec  une  véritable 
joie  la  belle  sonate  pour  piano  et  violoncelle  de  M.  Emile  Bernard,  dont 
l'andanle  est  décidément  une  page  hors  ligne.  La  séance,  très  brillante  et 
fertile  en  applaudissements  pour  tous  les  virtuoses,  s'est  terminée  triom- 
phalement par  le  superbe  septuor  avec  trompette^  de  M.  Sainl-Saëns,  dont 
l'effet  est  infaillible.  A.  P. 

—  Belle  et  bonne  soirée,  jeudi  dernier,  pour  la  Société  chorale  d'ama- 
teurs, fondée  parGuillot  de  Sainbris.  Au  programme,  deu.\  chœurs  gracieux 
de  M.  Auzende,  admirablement  chantés,  des  fragments  de  beau  caractère 
d'une  Esther  de  M.  Coquard,  des  mélodies  de  MM.  Lenepveu  et  Charles 
René,  dites  avec  art  par  M™  Conneau,  quelques-unes  des  Sept  Paroles  du 
Christ,  de  M.  Doret,  qui  ne  sont  pas  sans  valeur,  Li-Tsin,  charmante  fan- 
taisie japonaise  de  Viclorin  Joncières.  Mais  le  gros  morceau  de  la  soirée, 
c'était  une  scène  antique  de  M.  Paul  Puget,  Ulysse  et  les  Sirènes,  écrite  sur 
une  poésie  de  Paul  Collin,  et  c'est  là  une  page  de  vraiment  belle  musique, 
qui  a  fait  grande  impression.  Tout  y  est  de  belle  ligne  et  de  belle  couleur, 
sagement  pondéré  sans  jamais  tomber  dans  le  maniérisme  ou  la  banalité. 
Cette  scène,  orchestrée  en  vue  des  concerts  de  l'Opéra  pour  la  saison 
1897,  y  ferait  certainement  beaucoup  d'tffet,  et  nous  la  signalons  à 
MM.  Bertrand  et  Gailhard.  C'est  aussi  de  bon  augure  pour  le  prochain 
ouvrage  de  M.  Puget,  Caprice  de  roi,  que  M.  Carvalho  doit  représenter 
l'hiver  prochain.  La  scène  de  M.  Puget  a  été  admirablement  chantée  par 
M'"«  la  vicomtesse  de  Trédern,  M"°  BalJo  et  le  ténor  Lafarge.  Auteurs  et 
interprètes  ont  été  rappelés  avec  enthousiasme,  et  vraiment  c'était  de  toute 
justice.  Le  concert  a  été  dirigé  de  main  de  mailre  par  M.  Ad.  Maton. 

—  La  seconde  séance  donnée  par  le  remarquable  violoniste  Weingaerl- 
ner  a  été  d'une  véritable  saveur  musicale.  Le  beau  quatuor  de  Beethoven 
en  la  majeur,  avec  son  merveilleux  adagio,  d'une  si  noble  tristesse,  ot  son 
thème  russe  si  curieusement  travaillé,  a  produit  un  bel  effet.  Il  a  été  remar- 
quablement exécuté  par  MiM.  Weingaertner,  Furet,  Hervouet  et  Casadesus. 
La  2"  sonate  de  Raff,  en  la  majeur,  jouée  par  !J"<=  et  M.  Weingaertner,  n'a 
pas  été  moins  bien  accueillie.  Succès  encore  pour  M.  Weinga-ertner  avec 
une  fugue  et  une  gavotte  de  Bach,  et  avec  la  jolie  berceuse  do  Fauré. 
Celte  intéressante  séance  s'est  terminée  par  l'andante  d'un  quatuor  de 
ïschaïkowski . 

—  L'autre  soir,  à  la  salle  Érard,  l'éminent  pianiste-compositeur  Cesare 
Galeotti  a  obtenu  un  très  grand  succès  en  interprétant  des  œuvres  de 
Mozart,  Bethoven  (Op.  110),  Schumann  (le  Carnaval,  audition  intégrale), 
Chopin  et  ses  dernières  compositions  pour  piano,  parmi  lesquelles  Valse 
poétique.  Impromptu  et  Papillon-valse    ont  été  acclamées. 

—  La  Société  chorale  «  l'Euterpe  »,  fondée  il  a  dix  ans,  sous  la  prési- 
dence d'honneur  de  M'"=Glara  Schumann,  a  donné,  salle  Érard,  un  concert 
par  invitation,  des  plus  intéressants;  elle  a  fait  entendre  la  cantate  d'église 
de  Bach,  Bleib'bei  uns  (reste  avec  nous)  :  les  chœurs  ont  remarquablement 
marché  et  le  succès  de  cette  belle  œuvre  a  été  très  vif.  La  seconde  partie  du 
concert  était  consacrée  à  la  musique  russe.  On  a  beau  coup  admiré  deux  chœurs 
pour  voix  de  femmes,  de  Sokolow,  intitulés  Automne  et  Printemps  :  on  ne 
saurait  rien  imaginer  de  plus  pénétrant  et  de  plus  gracieux.  On  a  moins 
goûté  la  Défaite  de  Sennacherib  et  le  Chœur  des  suivantes,  de  Moussorgsky, 
d'après  une  excellente  version  française  de  M""=  Louise  Ott.  Le  concert  se 
terminait  par  quatre  extraits  du  Prinee  Igor,  de  Borodine,  qui  ont  été  admi- 
rablement exécutés  et  très  applaudis.  N'oublions  pas  un  jeune  pianiste 
russe,  M.  Scriabine,  qui  a  exécuté  avec  un  réel  talent  trois  pièces  de  sa 
composition,  majtir/cœ,  nocturne  et  allegro  appassionato.  H.  B. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (19  mars).  —  La  «  première  »  de 
la  Vivandière  est  fixée,  à  la  Monnaie,  à  samedi.  Les  principaux  rôles  seront 
chantés  par  M'"^  Armand  et  Mastio,  MM.  Bonnard  et  Cadio.  Le  librettiste, 
M.  Henri  Gain,  est  venu  passer  quelques  jours  à  Bruxelles  pour  surveiller 
les  dernières  repétitions  et  donner  aux  interprètes  quelques  utiles  conseils. 
—  En  attendant,  la  Monnaie  encaisse  avec  Tliais  de  superbes  recettes.  Le 


succès  de  l'ouvrage  de  MM.  Gallet  et  Massenet,  très  vif,  comme  je  vous 
l'ai  dit,  à  la  première,  s'est  alïirmé  aux  représentations  suivantes  d'une 
façnn  très  caractéristique  ;  les  inepties  débitées,  par  bêtise  ou  mauvaise  foi, 
dans  les  colonnes  de  deux  ou  trois  feuilles  spéciales,  loin  de  lui  nuire, 
n'ont  fait,  dirait-on,  que  l'accentuer,  par  un  sentiment  naturel  de  juste 
réaction,  si  tant  est  que  l'on  y  ait  pris  seulement  attention  ;  ceux  qui  les 
lisent  en  connaissent  le  but  et  l'inspiration,  et  sont  les  premiers  à  en  rire. 
—  Lu  Conservatoire  a  donné  dimanche  dernier  une  deuxième  auiition  de 
laGrand'messe  de  Bach,  aussi  belle  et  aussi  admirable  que  la  précédente; 
il  consacrera  son  dernier  concert  à  une  reprise  du  Rheingold,  dont  la  remar- 
quable exécution,  l'sn  dernier,  produisit  tant  d'impression.  Les  Concerts 
populaire  présentent  pour  dimanche  un  très  intéressant  programme 
d'œuvres  instrumentales  et  chorales  de  Beethoven,  Wagner,  Chabrier, 
Humperdinck,  etc.,  avec  le  concours  de  M""  Eléonore  Blanc  et  de  M.  Engel. 
Enfin,  pendant  la  semaine  sainte,  les  concerts  Ysaye  nous  donneront  le 
Cliristus deM.  Adolphe  Samuel;  et  nous  entendrons  au  théâtre  Molière  un 
Mystère  inédit,  dont  le  texte  est  de  M.  Camille  Lemonnier,  le  romancier 
connu,  et  la  musique  de  M.  Léon  Du  Bois.  L.  S. 

—  Il  paraît  être  question  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  pour 
la  saison  prochaine,  de  représenter  une  œuvre  qu'on  dit  fort  intéressante 
du  compositeur  belge,  J.  'Van  den  Eeden,  Numanc,  drame  lyrique  en  quatre 
actes,  du  à  la  collaboration  de  MM.  Michel  Carré  et  feu  Charles  Narrey. 
L'action  s'en  passe  en  l'an  V.V.i  avant  Jésus-Christ  et  retrace  l'histoire  de  la 
fin  de  la  vieille  cité  espagnole. 

—  Un  journal  italien  nous  apporte  quelques  renseignements  relatifs  au 
nouvel  opéra  de  M.  Leoncavallo,  Chatterton,  qui  est  le  premier  ouvrage 
écrit  par  son  auteur  et  qui  a  été  composé  avant  i  Pagliacei  et  i  Medici,  A 
cette  époque  le  jeune  artiste,  complètement  inconnu,  était  bien  loin  de  se 
trouver  dans  une  situation  florissante.  N'ayant  aucun  espoir  de  rencontrer 
un  imprésario  qui  consentit  à  monter  son  opéra,  il  alla  trouver  un  édi- 
teur de  Bologne,  M.  Trebbi,  bien  décidé,  étant  pressé  par  le  besoin,  à  lui 
olTrir  et  à  lui  céder  sa  partition  pour  deux  ou  trois  cents  francs,  c'est-à- 
dire  un  morceau  de  pain.  Éditeur  modeste,  M.  Trebbi  était  néanmoins 
intelligent  et  honnête.  Il  ne  voulut  pas  abuser  de  la  situation,  aida 
M.  Leoncavallo  dans  la  mesure  du  possible,  et  garda  sa  partition  en  atten- 
dant une  occasion  de  la  faire  connaître.  L'occasion  pourtant  ne  vint  pas, 
M.  Trebbi  mourut,  et  l'auteur  lui-même  avait  oublié  son  opéra,  lorsque  le 
successeur  de  l'éditeur  en  question,  M.  Tedeschi,  s'avisa,  dans  ces  der- 
niers temps,  qu'après  la  mise  à  la  scène  des  Médici  et  d';'  Pagliacei  et  le 
succès  de  ceux-ci.  Chatterton  pourrait  bien  avoir  son  tour.  Il  pria  l'auteur 
de  revoir  son  œuvre,  s'occupa  de  la  présenter  au  public  et  put  enfin,  comme 
on  l'a  vu,  la  faire  jouer  avec  succès  au  Théâtre  National  de  Rome. 

—  Il  faut  croire  que  la  politique  de  M.  Crispi  n'a  laissé  au  gouvernement 
italien  que  peu  de  ressources  pour  l'encouragement  des  beaux-arts.  C'est 
du  moins  ce  qui  parait  ressortir  d'une  com.munication  faite  à  la  presse 
par  le  ministère  de  l'intérieur  pour  annoncer  la  mise  au  concours  d'une 
Messe  funèbre  destinée  à  être  exécutée  dans  l'église  métropolitaine  de 
Turin,  le  2S  juillet  prochain,  pour  célébrer  l'anniversaire  du  roi  Charles- 
Albert.  Le  dernier  paragraphe  de  cette  note  est  en  effet  ainsi  conçu  :  — 
a  Pour  ladite  Messe  le  ministère  accorde  une  prime  de  900  francs,  laissant 
à  la  charge  du  compositeur  tous  les  frais  relatifs  à  l'exécution,  lant  en  ce 
qui  concerne  la  copie  des  parties  de  chant  et  d'orchestre  que  la  rétribution 
aux  chanteurs  et  exécutants.  »  C'est-à-dire  que  pour  un  prix  de  900  francs, 
on  impose  au  compositeur  couronné  quelques  milliers  de  francs  de  dé- 
penses. Si  tout  se  fait  dans  les  mêmes  conditions,  voilà  un  anniversaire 
dont  la  célébration  ne  doit  pas  coûter  cher  à  l'administration. 

—  M.  Mancinelli  achève  en  ce  moment,  sur  un  livret  de  M.  Arrigo 
Boito,  la  partition  d'un  opéra  intitulé  Ero  e  Leandro,  qui  doit  faire  son 
apparition  au  prochain  festival  de  Norwich,  et  qui  sera  joué  ensuite  au 
théâtre  de  Govent-Garden,  à  Londres,  au  cours  de  la  saison  1897.  A  Noi\Yich 
l'exécution  sera  confiée  à  M">"  Albani,  au  ténor  Lloyd  et  â  la  basse  Milk  ; 
à  Londres  l'ouvrage  aura  pour  interprètes  M'""  Melba  et  les  frères 
de  Reszké. 

—  On  a  exécuté  récemment,  au  théâtre  Communal  de  Faenza,  une  com- 
position symphonique  de  M.  Angelo  Giacometti,  intitulée  Marie-Antoinette, 
qui  avait  été  couronnée  il  y  a  quelques  mois  dans  un  concours  ouvert  à 
Bruxelles.  L'œuvre  a  été  applaudie,  ainsi  qu'une  ouverture,  il  Canio 
di'll'amore,  due  à  un  autre  compositeur.  M:  Giuseppe  Cicognani,  et  qui  a 
été  exécutée  au  même  théâtre. 

—  Tout  arrive  à  qui  sait  attendre.  Mozart  est  mort  bien  avant  Joseph 
Haydn,  Schubert  et  Beethoven;  ces  compositeurs  ont  cependant  depuis 
longtemps  leur  statue  dans  leur  bonne  ville  de  "Vienne,  tandis  que  Mozart 
a  dû  se  contenter  d'un  tout  petit  monument  placé  dans  la  maison  de  la 
Rauhensteingasse  qu'il  a  habitée  avant  sa  reconstruction  et  qui  porte  son  nom. 
Mais  voici  qu'on  va  finalement  inaugurer  à  Vienne  un  monument  digne  du 
grand  maître,  et  c'est  l'empereur  François-Joseph  qui  présidera  en  per- 
sonne à  la  cérémonie,  vers  la  fin  du  mois  d'avril.  Le  hofkapellmeister  de 
Joseph  II  recevra  ainsi  un  honneur  posthume  dont  aucun  musicien  autri- 
chien ne  peut  se  vanter;  même  à  l'inauguration  du  monument  de 
Beethoven  l'empereur  n'assista  pas  en  personne.  A  l'occasion  de  l'inaugura- 
tion du  monument,  l'Opéra  impérial  jouera  pendant  troiss  cirées  consécu- 
tives les  Noces  de  Figaro,  Don  Juan  et  la  Flûte  enchantée.  Le  Conservatoire  de 


94 


LE  MÉNESTREL 


Vienne  donnera  un  grand  concert  populaire,  dont  le  programme  sera 
composé  exclusÏTement  d"œuvres  de  Mozart.  Le  monument  sera  placé, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit,  à  deux  pas  de  l'Opéra,  c'est-à-dire  tout  près 
de  l'emplacement  où  se  trouvait,  au  temps  de  Mozart,  l'ancien  "  ïhéàtre- 
Impérial  près  de  la  porte  de  Carinthie  o,  qui  a  vu  les  premières  représen- 
tations des  Noces  de  Figaro  et  de  Doit  Juan.  Quant  à  la  Flûte  enchantée,  on 
sait  qu'elle  a  étéjouée  pour  la  première  fois  sur  le  théâtre  du  librettiste  et 
directeur  Schikaneder;  les  bas-reliefs  des  frontons  du  théâtre  An  der  Wien 
rappellent  la  fortune  que  Schikaneder  fit  avec  l'œuvre  de  Mozart. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Rostock  vient  de  jouer  avec  succès  un  nou- 
vel opéra  en  un  acte,  le  Braconnier,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Alfred 
"Wernicke. 

—  Lettre  du  professeur  Jadassohn,  de  Leipzig,  à  M.  Ch.-M.  Widor  ; 

Cher  Monsieur  et  ami, 
J'ai  le  plaisir  de  vous  communiquer  que  mon  élève  Félix  Fox  a  joué  ce  soir 
votre  superbe  concerto  en  fn  mineur,  avec  un  succès  complet.  La  grande  salle 
du  Conservatoire  était  comble  d'un  public  choisi.  Nous  avons  fait  trois  répéli- 
tions  avec  l'orchestre.  Je  me  glorifie  d'être  le  premier  qui  ai  fait  exécuter  une 
de  vos  œuvres  à  Leipzig,  et  j'en  suis  largement  récompensé  par  le  succèsuni- 
nime  que  votrj  belle  œuvre  a  reçu. 

—  Au  théâtre  Gran-Via,  à  Barcelone,  on  a  donné  ces  jours  derniers  la 
première  représentation  d'une  nouvelle  zarzuela  en  un  acte,  la  Branca  IL, 
dont  la  musique  est  due  à  M.  Ferez  Aguirre.  Plusieurs  morceaux  ont  eu 
l'honneur  du  bis. 

—  A  l'Eldorado  de  la  même  ville,  succès  encore  pour  une  autre  zarzuela 
intitulée  la  Maja,  paroles  de  MM.  Perrin  et  Palacios,  musique  de  M.  Ma- 
nuel Nieto,  qui  dirigeait  lui-même  l'orchestre  et  qui  a  été  très  fêté. 

—  L'université  d'Oxford  vient  de  rejeter  le  projet  d'une  réforme  accor- 
dant des  titres  universitaires  aux  femmes.  Les  innombrables  pianistes, 
organistes,  chanteuses  et  professeurs  de  piano  et  de  chant  enjuponnés 
que  compte  le  Royaume-Uni  en  sont  toutes  marries,  car  elles  se  prépa- 
raient déjà  à  obtenir  le  titre  de  bachelières  es  musique  pour  pouvoir  ajouter 
à  leur  nom  les  six  belles  lettres  convoitées  :  Mus.  Bac.  Les  journaux  fémi- 
nistes de  l'Angleterre  malmènent  fortementles  gros  bonnets  de  l'Université 
d'Oxford,  qui  ne  veulent  pas  entendre  raison  et  disent  comme  au  bon  vieux 
temps  :  Mu'.ier  laccal  in  universilale. 

—  On  a  vendu  récemment  aux  enchères,  à  Londres,  un  psautier  précieux, 
imprimé  en  liS9  et  qui  provient  de  l'abbaye  de  Saint- Vincent,  à  Metz. 
Ce  psautier,  vendu  pour  une  somme  dérisoire  en  1790  à  un  juif  de  Metz, 
vient  d'être  acquis  par  le  British  Muséum  pour  la  somme  respectable  de 
5. 2b0  livres  sterling,  soit  131.230  francs. 

—  Nous  avons  raconté,  il  y  a  quelque  temps,  que  le  doyen  des  pianistes 
militants,  M.  Antoine  de  Kontski,  venait  de  quitter  sa  maison  de  BufCalo 
pour  entreprendre  une  tournée  artistique  autour  du  monde.  Or,  nous  appre- 
nons, par  le  Sitigapore  Free  Press,  que  M.  de  Kontski  a  donné  en  janvier  des 
concerts  à  Singapour,  et  a  émerveillé  tout  le  monde  par  son  jeu  brillant  et 
vigoureux  et  par  sa  mémoire  extraordinaire,  qui  n'a  pas  trahi  le  pianiste 
octogénaire  un  seul  instant,  même  lorsqu'il  jouait  par  cœur  des  sonates  de 
Beethoven.  Le  vieux  lion  du  piano  a  remporté  un  succès  hors  ligne,  et  à 
la  fin  de  chaque  concert  il  s'est  vu  obligé  de  jouer  son  célèbre  morceau  le 
Réveil  du  lion,  ainsi  que  sa  charmante  Gavotte  Pompadour.  Notre  confrère  de 
Singapour  raconte  que  M.  de  Kontski  se  rend  aux  Indes,  et  de  là  en 
Sibérie;  il  fera  ensuite  une  tournée  en  Russie  et  probablement  aussi 
dans  les  autres  pays  de  l'Europe.  M.  de  Kontski,  le  contemporain  de 
Beethoven,  de  Field,  de  Mendelssohn,  de  Chopin,  de  Thalberg  et  de 
Liszt  ae  trouvant  encore  salle  Érard  en  1897,  ne  serait,  certes,  pas  une 
apparition  banale. 

PARIS    ET   DEPARTEBIENTS 

Le  ministre  des  Beaux-Arts  sait-il  que  la  direction  du  Conservatoire 
continue  à  être  vacante?  Pourquoi  se  faire  tant  prier  pour  accepter  une 
solution  que  tout  indique  et  qui  lui  est  criée  de  toutes  parts  par  la  voix 
de  l'opinion  publique  ?  Les  influences  occultes  sans  doute,  les  fâcheuses 
intrigues  de  bureaux  qui  détournent  si  souvent  nos  ministres  de  la  voie 
franche  et  droite,  pèsent  encore  sur  l'esprit  de  M.  Combes; 

—  Nous  avons  annoncé,  dimanche  dernier,  la  reprise  du  itfof on  à  l'Opéra- 
Comique.  Elle  a  fort  agréablement  réussi.  M.  Carvalho  avait  eu  l'ingénieuse 
idée  d'engager,  pour  le  principal  rôle  de  cette  aimable  pièce,  le  maçon 
même  qu'on  voit  quelquefois  travailler  place  Favart  à  la  reconstruction 
de  la  nouvelle  salle.  Il  s'est  trouvé  qu'il  avait  une  jolie  voix  et  qu'il  n'était 
pas  tellement  exténué  par  son  labeur  du  jour  qu'il  ns  put  encore  chanter 
fort  agréablement  le  soir.  Cela  a  été  une  joie  pour  le  public  de  voir  cet 
honnête  ouvrier,  dont  la  mémoire  sera  légendaire  bienlùt;  et,  en  le  voyant 
manier  si  bravement  en  scène  une  truelle  de  carton,  chacun  se  prenait  à 
espérer  qu'avec  son  aide  on  finirait  bien,  dans  les  premières  années  du 
vingtième  siècle,  à  voir  la  nouvelle  salle  de  l'Opéra-Comique  prendre  une 
belle  tournure. 

—  Vendredi  dernier,  à  l'Opéra-Comique,  M"°  Nina  Pack  a  pris  posses- 
sion du  rôle  d'Anita  dans  ta  Navarraise,  où  ses  qualités  dramatiques  ont 
fort  réussi  devant  le  public,  toujours  très  impressionné  par  l'œuvre  capti- 
Tante  de  MM.  Claretie,  Gain  et  Massenet. 


—  M.  Jules  Claretie  avait  écrit  à  M""-'  Alexandre  Dumas  pour  lui  de- 
mander si  elle  voulait  bien  l'autoriser  à  faire  prendre  chez  elle  l'admirable 
buste  de  l'auteur  du  Demi- Monde,  dû  au  ciseau  de  Carpeaux  et  légué  par 
Alexandre  Dumas  lils  à  la  Comédie-Française.  La  veuve  de  l'illustre  écri- 
vain s'est  empressée  de  se  rendre  au  désir  de  l'administrateur  du  Théâtre- 
Français,  qui,  ces  jours  derniers,  a  envoyé  chercher  le  buste,  et  l'a  fait 
placer  aussitôt  au  bas  du  grand  escalier,  entre  ceux  de  Balzac  et  d'Emile 
Augier.  Cela  a  donné  lieu  à  une  petite  cérémonie  d'inauguration,  toute 
familière  d'ailleurs,  qui  s'est  accomplie  en  présence  de  tous  les  artistes  de 
la  Comédie,  et  qui  a  fourni  à  M.  Jules  Claretie  l'occasion  de  prononcer 
non  un  discours,  mais  une  allocution  touchante  et  émue,  dans  laquelle  il 
a  rendu  un  dernier  hommage  au  maitre  qui  restera  l'une  des  gloires  les 
plus  éclatantes  de  notre  théâtre.  M""  Alexandre  Dumas  n'assistait  pas, 
comme  quelques-uns  l'ont  dit,  à  cette  cérémonie  intime,  mais  elle  a  fait 
remercier  M.  Claretie  des  paroles  prononcées  par  lui  en  cette  circonstance. 

—  Ce  n'est  pas,  comme  on  a  pu  le  croire,  une  représentation  de  l'Eroslrule 
de  Reyer  qui  sera  donnée,  le  29  courant,  pour  le  festival  de  la  fondation 
Agar,  mais  seulement  une  audition  destinée  à  faire  connaître  une  partition 
injustement  méconnue  et  qui  doit  reprendre  sa  place  au  répertoire.  Eros- 
Irate  a  été  chanté  pour  la  première  fois  à  Bade,  en  ISC2,  avec  un  grand 
succès,  par  le  ténor  Michot  et  M°"  Marie  Sasse.  L'œuvre  de  M.  Reyer  fut 
reprise  en  octobre  1871  par  les  artistes  de  l'Opéra,  qui  étaient,  eux  aussi, 
en  république  sous  la  présidence  de  M.  Halanzier.  M"''  Julia  Ilisson  tenait 
le  rôle  d'Athénaïs  et  s'y  montrait  très  inférieure  â  la  créatrice.  Le  critique 
du  Figaro,  Jouvin,  le  dit  comme  il  le  pensait  et  sa  franchise  lui  attira... 
un  soufflet  de  la  charmante  artiste.  Reyer  a  écrit  sur  cet  incident  un  feuil- 
leton des  jDi'fcnte  qui  est  un  bijou.  Les  damesdu  corps  de  balletapprouvèrent 
l'héroïsme  de  M"«  Ilisson,  mais  le  public  fut  de  l'avis  de  Jouvin.  Est-ce 
cette  insuffisance  de  la  part  de  l'artiste  ?  Est-ce  le  défaut  d'une  mise  en 
scène  qui,  il  fautle  dire,  nebrillaitpoint  par  l'opulence  ?  Est-ceque  l'ouvre, 
conçue  pour  le  petit  cadre  du  théâtre  de  liade,  ne  se  trouvait  plus  dans 
son  milieu  en  prenant  place  sur  la  vaste  scène  de  l'Opéra?  Toujours  est-il 
que  l'effet  fut  à  peu  près  négatif  et  que  les  artistes,  dérogeant  à  l'usage  qui 
accorde  à  toute  œuvre  nouvelle  au  moins  trois  représentations,  crurent 
devoir  retirer  Erosirale  après  la  seconde,  ce  qui  donna  à  M.  Reyer,  juste- 
ment blessé,  l'occasion  d'écrire  et  de  publier  une  lettre  pleine  de  tact  et 
de  dignité.  On  assure  aujourd'hui  que  pour  l'audition  qui  se  prépare 
i'Erostrate,  M.  Reyer  demande  le  concours  de  M™"^  Caron  ou  Bosman,  et 
celui  de  MM.  Delmas  et  Courtois.  L'obtiendra-t-il  de  la  part  de  MM.  Ber- 
trand et  Gailhard  ? 


—  On  se  rappelle  l'incident  qui  s'est  produit,  il  y  quelques  mois,  à  la 
bibliothèque  de  l'Opéra.  Un  des  garçons  de  cette  bibliothèque,  le  nommé 
Xavier  Damade,  convaincu  de  vol,  avait  été,  à  l'Opéra  même,  arrêté  au 
milieu  de  la  journée.  Damade  avait  soustrait  et  revendu,  après  avoir  très 
habilement  fait  disparaître,  tant  sur  les  feuillets  marqués  au  timbre  de  la 
bibliothèque  que  sur  le  dos  des  volumes,  les  traces  de  leur  origine,  un 
certain  nombre  de  partitions  d'orchestre,  entre  autres  celles  du  Pardon  t'e 
Ploërmel,  de  Wertlier  et  de  la  Navarraise.  De  plus,  il  était  accusé  d'avoir  volé  un 
corsetet  plusieurs  «  tutus  »  de  danseuses.  Damade  comparaissait  mercredi 
en  cour  d'assises,  et  malgré  la  plaidoirie  de  son  défenseur,  M"  Pierre 
Bouchez,  s'est  vu  condamner  à  deux  ans  de  prison.  Sa  maîtresse  et  la  mère 
de  celle-ci,  qui  étaie.nt  poursuivies  comme  complices,  ont  été  acquittées. 

—  La  flûte  Boehm,  dont  le  célèbre  Tulou  ne  voulut  jamais  se  servir  et 
qui  est  aujourd'hui  entre  les  mains  de  tous  nos  flûtistes,  courrait-elle  des 
dangers?  Voici  qu'on  annonce  la  venue  d'un  instrument  nouveau,  qui  aurait 
la  prétention  de  la  détrôner.  Cette  nouvelle  llûte,  très  simplifiée  dans  sa 
construction  et  dans  son  mécanisme,  est  de  l'invention  d'un  musicien  ita- 
lien nommé  Giorgi.  Cylindrique  et  sans  aucune  clef,  elle  se  tient  droite, 
parait-il,  c'est-à-dire  sans  doute  comme  le  flageolet.  L'inventeur  se  flatte 
d'avoir  résolu  le  problème  d'obtenir,  sans  le  secours  des  clefs,  la  gamme 
chromatique  complète  dans  une  môme  étendue,  d'une  intonation  parfaite, 
avec  un  son  très  plein,  plus  égal  et  d'un  timbre  fort  agréable.  Son  instru- 
ment est  simplement  percé  de  onze  trous,  pur  l'usage  desquels  le  virtuose 
peut  exécuter  n'importe  quelle  dilBcullé  avec  une  précision  égale  à  celle 
des  instruments  les  plus  perfectionnés.  Ce  n'est  pas  à  nous  d'exprimer 
une  opinion  sur  un  engin  sonore  quci  nous  ne  connaissons  pas  encore. 
Attendons  —  et  laissons  la  parole   à  M.  Tafl'anel. 

—  Le  Comité  de  patronage  de  l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique 
s'est  réuni  mardi  dernier  au  Palais  de  l'Industrie,  sous  la  présidence  de 
M.  François  Coppée.  La  nomination  de  M.  Layus,  en  qualité  de  com- 
missaire général,  a  été  votée  à  l'unanimité,  sur  la  proposition  de  M.  0.  Lar- 
tigues,  secrétaire  général,  qui  a  exposé  en  termes  éloquents  le  but  et  le 
program.me  attrayant  de  cette  exposition. 

—  La  question  toujours  brûlante  des  chapeaux  de  dames  au  théâtre  a  été 
résolue  â  Bordeaux  d'une  manière  toute  pacifique,  et  tout  à  l'honneur  des 
dames  bordelaises.  Un  conseiller  communal  avait  demanJé  au  maire,  en 
séance  du  conseil,  de  prendre  un  parti  énergique  et  d'user  de  son  autorité 
pourprohiber  le  chapeau  des  dames  au  théâtre  communal;  à  quoi  le  maire 
répondit  que  sa  galanterie  et  son  tact  ne  lui  permettaient  pas  de  sévir 
contre  le  sexe  faible.  L'alfaire  fit  du  bruit  en  ville,  et  dès  le  lendemain  les 
dames  bordelaises,  désirant  témoigner  aumaireleur  gratitude  pour  la  déli- 
catesse de  ses  procédés,  arrivaient  au  théâtre  sans  couvre-chef;  aujourd'hui. 


LE  MENESTREL 


95 


la  réforme  est  complètement  entrée  dans  les  mœurs  du  public.  Hélas!  que 
n'en  est-il  de  même  à  Paris,  où  les  spectateurs  continuent  d'otre  les  vic- 
times innocentes  et  impuissantes  des  chapeaux  des  spectatrices! 

—  Notre  confrère  M.  Albert  Soubies  fient  de  faire  paraître  chez  Flam- 
marion, dans  sa  charmante  collection  de  VAlnmnach  des  Spectacles,  un  nou- 
veau volume,  le  XXIV^  auquel,  comme  aux  tomes  précédents,  est  jointe 
une  jolie  eau-forte  de  M.  Lalauze. 

—  M.  E.  Guilbaut,  qui  est  un  spécialiste  et  qui  plus  que  tout  autre  était 
à  même  de  mener  à  bien  un  pareil  travail,  vient  de  publier  sous  ce  titre: 
Guide  pratique  d:s  sociétés  musicales  et  des  chefs  de  musique,  un  excellent 
manuel  qui  sera  accueilli  par  tout  le  personnel  orphéonique  de  France 
avec  la  faveur  qu'il  mérite.  Ce  manuel  ne  s'adresse,  en  fait,  qu'aux  sociétés 
instrumentales:  harmonies  ou  fanfares,  et  cependant  son  utilité  sera  grande 
aussi  pour  les  sociétés  chantantes,  eu  ce  qu'il  met  les  unes  et  les  autres 
au  courant  de  tout  ce  qui  a  rapport  aux  festivals  et  aux  concours.  Pour  le 
reste,  il  sera  précieux  à  tous  les  chefs  de  musique  et  à  leurs  sociétés,  qui 
y  trouveront  les  conseils  et  les  préceptes  utiles  relativement  à  la  composi- 
tion des  corps  de  musique,  à  la  disposition  du  personnel  pour  l'exécution, 
à  la  sonorité,  à  l'accord  et  à  la  justesse  des  instruments,  aux  soins  à  donner 
à  ceux-ci,  etc.,  etc.  C'est  là  un  vade  mecum  dont  nul  ne  pourra  nier  l'im- 
portance etla  valeur  en  son  genre.  A.  P. 

—  Je  suis  bien  en  retard  avec  un  livre  que  je  m'en  voudrais  pourtant 
dépasser  sous  silence,  et  qui  fait  grand  honneur  à  son  auteur.  Je  veux 
parler  de  l'intéressant  volume  publié  par  M.  Constant  Pierre,  sous  ce  titre  : 
/(.  Sarretle  et  les  origines  du  Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation 
(Paris,  Delalain,  in-8).  Ce  n'est  pas  une  raison,  parce  que  nos  gouvernants 
actuels  semblent  se  soucier  fortpeu  du  Conservatoire  et  de  sa  direction,  pour 
que  nous  ne  prenions  pas,  nous  autres,  le  plus  vif  intérêt  à  l'histoire  de 
notre  grande  École  musicale,  si  admirable,  si' glorieuse,  et  si  sottement 
attaquée  chaque  jour  par  des  gens  qui  ne  connaissent  pas  le  premier  mot 
des  conditions  de  son  existence.  Au  point  de  vue  de  la  biographie  de 
Sarrette  comme  en  ce  qui  touche  l'histoire  même  du  Conservatoire,  le  livre 
de  M.  Constant  Pierre  est  à  lire  d'un  bout  à  l'autre.  Je  ne  veux  pas  le 
déflorer,  je  n'ai  pas  à  en  dresser  la  table  des  matières,  mais  j'en  conseille 
vivement  la  lecture  à  tous  ceux  qui  aiment  le  Conservatoire,  qui  le  con- 
naissent, qui  comme  moi  y  ont  été  élevés,  et  qui  savent  les  merveilleux 
services  qu'il  rend  chaque  jour  à  l'art  français  et  aux  jeunes  artistes  qui 
le  fréquentent.  A.  P. 

—  Au  Nouveau-Cirque,  changement  de  spectacle.  L'Ile  des  bossus  nous 
est  une  occasion  d'applaudir  à  la  souplesse  et  à  l'originalité  du  clown 
Footlit,  un  véritable  artiste  qu'on  aimerait  voir  se  produire  en  une  véritable 
pantomime.  Gros  succès  aussi  pour  un  amusant  assaut  que  se  livrent, 
entre  eux,  une  dizaine  d'hommes  montés  sur  de  légers  bachots  prompts  à 
chavirer.  MM.  Deram,  Pierantoni  et  M"«  Renz  mènent  joyeusement  la  fan- 
taisie nouvelle  qui  fera  rire  les  babys  absolument  comme  de  petits  bossus. 

P.-E.  C. 

—  Samedi  dernier  1-i  mars,  à  la  suite  du  banquet  annuel  de  la  Société 
d'histoire  de  la  Révolution,  présidé  par  M.  Jules  Claretie,  a  eu  lieu  une 
soirée  musicale  et  littéraire,  organisée  par  notre  collaborateur  Julien 
Tiersot  et  M.Truflier,  de  la  Comédie-Française.  M.  J.  Tiersot  a  fait  entendre 
plusieurs  morceaux  du  répertoire  musical  de  la  Révolution,  notamment 
l'admirable  Chant  du  l't  juillet,  de  Gossec,  qu'il  a,  à  proprement  parler, 
découvert  et  fait  exécuter,  il  y  a  plus  de  quinze  ans,  ainsi  que 
diverses  compositions  de  Rouget  de  Liste,  notamment  le  chant  de  Roland  à 
Roncevaux,  qui  fut  composé  dans  la  même  semaine  que  la  Marseillaise. 
M""  Moreno,  de  la  Comédie-Î'rançaise,  a  déclamé  avec  beaucoup  d'énergie 
et  d'accent  les  strophes  de  notre  chant  national;  M""  Verteuil,  de  l'Odéon, 
MUos  F'anny  Créhange  et  Marguerite  Ducy  ontdit  etchanté  plusieurs  autres 
morceaux,  notamment  des  chansons  populaires  du  recueil  de  M.J.  Tiersot. 

—  Soirée  des  plus  brillantes,  dimanche  dernier,  chez  M""  Marie  Roze. 
On  inaugurait  le  charmant  petit  théâtre  qu'elle  a  fait  installer  pour  ses 
élèves.  La  charmante  artiste  est  plus  en  voix  que  jamais,  et  elle  s'est  fait 
entendre  elle-même  dans  le  duo  de  Lenepveu,  Renaud  et  Armide,  en  com- 
pagnie de  M.  Rivière,  jeune  ténor  de  ses  élèves.  Elle  a  ensuite  chanté 
deux  compositions  de  M"'  Ferrari  avec  grand  succès.  M.  Rivière  a  dit 
d'une  voix  généreuse  l'air  de  Sigurd.  M"'  Amaury  a  fait  applaudir  deux 
mélodies  de  M.  Le  Borne;  M"=  Sang  a  chanté  d'une  manière  charmante 
l'air  de  Xavière,  de  Théodore  Dubois;  ensuite,  on  a  entendu  l'air  du  Cul, 
de  Massenet,  la  berceuse  de  Jocehjn,  de  Godard.  M.  Eddy  Leyis  a  dit  deux 
ctarmantes  poésies  de  lui;  M.  PierreSechioni,  premier  violon  des  concerts 
Lamoureux,  a  charmé  tout  le  monde  par  la  manière  dont  il  a  joué  un  air 
de  Bach,  et  les  scènes  de  la  Czardas,  de  Jeno  Hubay.  f^a  seconde  partie  du 
programme,  au  théâtre,  se  composait  d'une  scène  du  \"  acte  de  Galulhée, 
par  M.  Berriel,  del'Opéra-Comique,  et  M"°  Emelen,  du  théâtre  de  Lallaye. 
Grand  succès  pour  tous  deux.  Ensuite  est  venu  l'acte  du  Jardin  de  Faust, 
avec  les  élèves  :  Marguerite,  M"°  de  Reville,  douée  d'une  voix  des  plus 
sympathiques  et  possédant  déjà  un  talent  de  comédienne.  M"'=  Amaury 
s'est  fort  bien  acquittée  du  rôle  de  Marthe.  M.  Rivière  a  été  parfait  dans 
le  rôle  de  Faust  et  M.  Berriel  (Méphistophélès)  a  été  excellent.  En  somme, 
grande  réussite  pour  tout  le  monde. 

—  Dépêche  d'Amiens  ;  Grand    succès  pour  M.  Victorin    Joncières,  au 


l'estival  donné  en  son  honneur  au  Cirque  municipal.  La  M'c,  la  polonaise 
de  Dimiiri  et  Li-Tsin  ont  valu  à  l'éminent  compositeur  une  ovation  enthou- 
siaste après  chaque  morceau.  M""'  Pauline  Smith,  qui  chantait  les  soli,  a 
été  chaleureusement  applaudie.  W<^  Ilardel,  harpiste,  M.  Llorca,  pianiste, 
MM.  DubuUe,  Lallîte,  et  M"«  Peppa  Invernizzi  et  Garbagnati,  dans  leurs 
danses  anciennes,  ont  eu  leur  large  part  dans  le  succès  de  la  soirée.  N'ou- 
blions pas  de  dire  que  le  vaillant  chef  d'orchestre,  M.  Brument,  a  dirigé 
l'orchestre  et  les  chœiirs  (-200  exécutants)  avec  une  rare  habi'eté. 

—  Samedi  dernier,  admirable  concert  à  la  Société  philharmonique  de 
Bordeaux  avec  Raoul  Pugno  et  le  violoniste  Ysaye.  Salle  merveilleuse, 
près  de  deux  mille  personnes. 

—  Au  dernier  concert  de  la  Trompette,  M^i'Remacle  a  chanté  avec  succès 
le  Rouet  de  Paladilhe,  les  Caprices  de  la  Reine  de  Blanc  et  Dauphin,  deux  des 
cliarmantes  Bergerettes  de  Weckerlin,  et  un  numéro  de  l'Album  de  la  Chxind'- 
inaman  du  même  auteur. 

—  Au  Casino  municipal  de  Nice,  on  signale  d'intéressantes  représenta- 
tions de  Mignon  avec  M°"  Tarquini  d'Or,  l'intelligente  artiste  de  l'Opéra- 
Comique. 

—  La  saison  musicale  de  Pau  se  poursuit  toujours  avec  de  très  grands 
succès  pour  M.  Brunel  et  son  excellent  orchestre.  Très  grand  effet,  aux 
dernières  séances  données  au  Casino,  pour  J'enir'actede  la  Neige,  \si  Polonaise 
et  les  Airs  de  danse  de  Kassya.de  Léo  Delibes,  pour  les  Scènes  najohiaines, 
de  Massenet,  pour  l'ouverture  de  Broceliande,  de  Lucien  Lambert,  et  le  ballet 
du  Cid,  de  Massenet. 

—  M"»  Marthe  Dron,  qui  a  obtenu  cet  hiver  un  très  vif  succès  à  la 
Société  nationale  de  Paris,  vient  de  remporter  à  Nancy  un  nouveau  triom- 
phe. La  jeune  artiste  y  a  fait  preuve  de  charme  dans  quelques  jolies 
pages  :  r/mpn)mp(«  de  Neustedt,  les  Myrtilles  de  Dubois.  M"=  M.  Dron,  qui 
doit  donner  un  concert  à  Paris,  le  28  mars,  salle  Pleyel,  est  aussi  appelée  à 
Bruxelles  pour  s'y  faire  entendre  en  compagnie  du  violoniste  Ysaye. 

—  A  Nîme  s,  encore,  matinée  de  gala  au  Grand  Théâtre  à  la  mémoire 
d'Ambroise  Thomas.  Au  programme,  l'ouverture  de  la  DouUe  Échelle,  Mignon, 
puis  des  fragments  d'/Zoni/rf  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été.  Après  un  à-propos  en 
vers  dit  par  M.  Recurt,  tous  les  artistes  en  costume  ont  couronné  le  buste 
du  maître  illustre. 

—  A  la  société  Sainte-Cécile  de  Bordeaux,  on  a  donné,  au  dernier  concert 
populaire,  et  pour  la  première  fois  en  province,  toute  la  seconde  partie  de 
l'Or  du  Rhin,  de  "Wagner.  C'est  au  distingué  chef  d'orchestre  de  la  société, 
M.  Gabriel-Marie,  qu'on  est  redevable  de  cette  tentative  hardie.  Très  hello 
exécution,  qui  a  fait  grand  honneur  à  son  organisateur.  Au  même  pro- 
gramme, les  Érinnyes  de  Massenet,  qui  ont  eu  leur  triomphe  habituel  ;  gros 
succès  pour  M.  Jlekking. 

—  A  Lille,  complète  réussite  pour  la  Société  des  instruments  anciens, 
MM.  Diémer,  Delsart,  Grilletet  Van  "Waefelghem.  A  M.  Diémer  on  a  bissé 
sa  grande  valse  de  concert  et  à  M""  Rose  Delaunay, qui  prétait  son  concours, 
la  Fauvette,  de  Diémer. 

—  A  Douai,  concert  donné  par  la  Société  philharmonique  au  profit  des 
rapatriés  de  Madagascar,  qui  a  valu  de  grand  succès  à  l'orchestre,  conduit 
par  M.  Duhot,  dans  l'ouverture  de  Phèdre,  de  Massenet,  à  M""  Descamps- 
Deneubourg  dans  la  Polonaise  de  Mignon,  dans  le  duo  du  Roi  d'Ys,  avec 
M.  Franchomme  qui  a  chanté  seul  un  air  du  Roi  de  Lahore,  et  dans  le  i\il 
de  Xavier  Leroux,  accompagné  par  le  violon  de  M"^'  A.  Maignien. 

—  On  nous  écrit  de  Tours  :  Dimanche,  notre  confrère  Millet-Beauvais 
donnait  sa  séance  annuelle  de  musique.  On  a  beaucoup  applaudi  M""'Millet 
dins  l'air  du  i"  acte  de  Manon,  et  M.  M...  dans  la  méditation  de  Thdis. 
Succès  énorme  du  baryton  Boyer  dans  l'arioso  du  Itoi  ds  Lahore  de  Mas- 
senet, et  Ariette  de  Vidal.  Enfin,  M''^  AVyder,  une  jeune  pianiste  de  dix-sept 
ans.  a  joué  superbement  le  Chant  du  nautonier  de  Diémer.  Quatre  des 
artistes  sont  sortis  du  Conservatoire  de  Paris  ou  y  sont  encore.  On  a  pu 
comparer  leur  école  avec  celle  de  certains  provinciaux  qui  crient  sur  ce 
qu'ils  ne  peuvent  atteindre. 

—  On  a  beaucoup  remarqué  et  vivement  applaudi,  au  dernier  concert 
populaire  de  Lille,  une  Suite  symphonique  de  M.  Paul  Viardot,  fort  i>i.en 
exécutée  par  l'orchestre  sous  la  direction  de  l'auteur. 

—  M.  Eugène  Gigout  fera  entendre  chez  lui,  les  mardis  M  et  31  mars, 
les  élèves  de  son  école  d'orgue  et  d'improvisation.  M"'*  Eléonore  Blanc  et 
Thérèse  Roger,  M.  Warmbrodt  et  un  chœur  déjeunes  filles  du  cours  d'en- 
semble de  M°"î  Pauline  Roger,  prêteront  leur  concours  à  ces  auditions. 

—  Voici  le  programme  des  deux  dernières  séances  que  donnera  M.  Ch. 
Grandmougin  à  l'Institut  Rudy  : 

Mercredi,  25  mars.  —  Contes  d'aujourd'hui,  en  prose  (1886):  —  Le  Paralytique, 
la  Pin  du  monde,  Bi-:marclt,  etc.,  ins  par  l'auteur. 

Mercredi,  1"  avril.  —  Le  Clirisl  (1894),  drame  sacré,  en  vers,  joué  à  Paris,  à 
Rouen  et  à  l'étranger,  couronné  par  l'Académie  française;  —  Scènes  de  Naza- 
reth, de  la  Madeleine,  des  Oliviers,  du  Prétoire  et  de  la  Mort,  inicrprélées  par 
M"'  Gablayx,  M""  Verlain,  M.  Jahan  (de  l'Odéon),  M.  PrimarJ,  l'auliur  (musique 
de  scène  de  M.  Lippacher,  exécutée  par  l'auleur). 

Le  poète  a  été  longuement  .acclamé  et  rappelé  mercredi  dernier  après  sa  ii'- 
gendede  Quentin  Mét::gs  qu'il  a  dite  lui-môme.  A  signaler  aussi  le  Carillon, 
fort  applaudi  avec  M^'^s  Suger  et  Renaud-Kaury. 


96 


LE  MENESTREL 


—  Nous  avons  entendu  dernièrement,  dans  les  salons  de  M"'  Kolh,  une 
nouYelle  œuvre  de  M.  Georges  Spork  :  VEpée  d'Anganlyr,  écrite  sur  le  poème 
de  Leconte  de  Lisle.  L'œuvre  très  dramatique  du  jeune  compositeur 
a  produit  grand  effet,  admirablement  chantée  par  i\I"'  Armande  Bourgeois, 
de  l'Opéra  et  M.  Bailly. 

—  Concerts  et  SoinÉEs.—  Très  brillante  matinée  musicale  donnée  par  MM.  A. 
et  J.  Coltin,  les  distingués  artistes.  .\u  programme,  illustré  avec  un  goût 
exquis  par  M-*  A.  Cottin,  un  ravissant  ensemble  de  dames  et  de  jeunes 
fîlles  du  monde  qui.  sous  l'habile  direction  de  M.  A.  Cottin,  ont  exécuté 
sur  la  mandoline,  la  mandole  et  la  guitare  des  œuvres  de  Rameau, 
Biiet,  Thomé,  Casella,  Mouti,  Coltin,  etc.  Dans  les  intermèdes,  on  a  entendu 
M.  Brémont,  de  l'Odéon,  et  MM.  Cotlin  qui  ont  chanté  des  mélodies  de  Faure, 
Menti,  Choisnel  avec  leur  succès  accoutumé.  — Brillante  soirée  artistique  donnée 
par  M""  Chauchereau  et  M.  De:é  et  qui  réunissait  de  nombreux  artistes, 
MM.  Falkenberg,  Touche,  Brémond,  M'"-  Filliaux-Tiger,  à  laquelle  on  a  bissé 
sa  Source  capricieuse,  enfin  M"'  Baboulène,  qui  a  chanté  l'Alouetle  ayicUilome  de 
Perronnet  sur  laquelle  M.  Vasquez  avait  réglé  une  danse  délicieusement  exé- 
cutée par  M""  de  Mérode,  Mante  et  Kanat.  —  Soirée  eharmanle,  au  Cercle  de 
la  Société  des  Orphéonistes  d'.\rra=,  où  l'on  fêtait  les  palmes  académiques 
de  MM.  Paul  Labbe,  secrétaire  trésorier,  Tricart  et  Fontaine,  membres  de 
la  Société.  Plusieurs  toasts  et  discours  ont  été  échangés.  M.  F.  Lemaîlre, 
président,  au  nom  de  la  société,  a  remis  de  superbes  souvenirs  aux  nou- 
veaux o'Hciers  d'-\cadémie,  et  un  concert  improvisé  a  terminé  celte  réunion 
intime.  —  Exceptionnellement  brillante,  la  séance  d'audition  des  élèves  de 
M""  Donne,  et  qui  donne  une  très  haute  idée  de  la  valeur  de  l'enseigneaaent  des 
professeurs.  En  première  ligne,  nous  y  avons  remarqué  M""^  Eytmin,  Rigali, 
Fdlcran,  Roux,  Bjucherit,  qui  sont  déjà,  on  peut  le  dire,  des  artistes  formées; 
puis  M""  Ronesson,  Jaulin,  Richez,  Ziegler,  Lœwy,  Choiaet,  Birillon,  Biizot, 
Limosin,  Pons,Forcade,  Parmenlier,  Ortiz,  Cora,  Seiglet.  Il  faudrait  les  nommer 
toutes,  cir  toutes  sont  charmantes  et  toutes  se  sont  fait  applaudir  eu  même 
temps  que  leurs  excellents  professeurs.  —  Une  très  intéressante  séance  a  eu 
lieu  ce3  jours  derniers  à  la  sa!le  de  la  rue  d'Athènes.  M"'  Eme-Ronsseau  avait 
eu  11  bonne  pensée  de  faire  entendre  au  nombre  des  œuvres  qui  liguraient 
au  programme  de  son  concert  la  cantate  intitulée  (a  H/fedeyepft(e,  avec  laquelle 
Clément  Broutin  avait  remporté  le  grand  pri.x  de  Rome  en  1878  et  dont  le  poème 
est  dû  àM.  Ed.  Guiuand.  On  se  souvient  du  succès  qu'obtintcetle  scène  lyrique 
lorsqu'elle  fut  chantée  aux  Concerts  Cjlonne;  C!ément  Broutin  fut  immédiate- 
ment considéré  comme  un  des  jeunes  musiciens  français  devant  lesquels 
s'ouvrait  le  plus  brillant  avenir.  Hélas  !  la  mort  vint  surprendre  bientôt 
Clément  Broutin,  nommé  directeur  du  Conservatoire  de  Roubaix.  —  Très  belle 
soirée  donnée  par  l'excellent  baryton  Paul  Séguy.  M.  Théodore  Dubois  accom- 
pagnait une  sélection  de  ses  œuvres,  parmi  lesquelleî  Trima:o,  plusieurs  frag- 
ments d'Abeit-Eainet,  Par  le  sentier,  Ilijinne  nuptial,  Saltarelle,  interprétées  par 
M"  '  Fauquez,  Feijas,  de  Sylvabelle,  Lubet,  Audra  et  White.  On  a  beaucoup 
applaudi  M.  Dreifus  dans  les  stances  de  Lakmé,  M.  Pourian  dans  Noi-l  paien, 
de  Massenet,  M"'  Durand  dans  «  Pleurez  mes  yeux  »  du  Cid,  M""  Baudrand  dans 
un  air  de  Jean  de  Nivelle  et  Sérénade  du  Passant  de  Massenet,  M"°  Balette  dans  // 
était  nuit  déjà  de  Duprato,  et  les  chœurs  dans  Avril  d.e  Ch.  Lefebvre.  A  bientôt 
des  soirées  consacrées  à  Massenet,  Ambroise  Thomas,  Joncières,  Fau'-e,  Puget, 
etc.  —  Bonne  audition  des  élèves  de  M'"  Lafaix-Gontié.  A  signaler  M"' H.  B. 
de  D.  (P(ï:ica(i  de  Sijlvia,  Léo  Delibes),  M.-L.  de  P.  [Expansion  de  Xaviéro,  Th.  Du- 
bois), Al.  P.  (Gondoline,  Diémerj,  J.P.  de  M.  {Toccata,  .\ntOQinMarmontel),  A.  L.G, 
{La  Vierge  à  la  crèche,  Périlhou],  M.  D.  (l'Ame  des  ois'aux,  Massenet),  L.  B.  (Valse 
du  veHige,  Ad.  David),  M.  N.  (Mcdufna,  Galeotti),  et  G.  D.  de  S.  {Pépa,  Mathiasi. 
—  A  la  dernière  soirée  de  M-=  Vincent  Cirol,  grand  succès  pouri'£(oife,  de  Maré- 
chal et  Paul  Collin,  interprétée  par  M'»"  Vincent  CaroletChassinatet  M.  Dumon- 
tier. —  A  la  Bodinière,  brillante  soirée  donnée  par  les  anciens  élèves  du  lycée 
de  Nantes.  Gros  succès  pour  M"°  Vilma,  à  qui  l'on  a  bissé  plusieurs  mélodies 
de  Massenet  délicieusement  chantées,  M""  Moreno,  Frémaux,  Chassing, 
MM.  Bourgault-Ducoudray,  Weingaertner  et  Karloni.  —  Chez  M""  Mougin- 
Guitry,  seize  élèves  ont  joué,  comme  morceau  de  concours.  Source  copr.'c/euse,  de 
Filliaux-Tiger.  —  A  Nantes,  la  matinée  donnée  par  M""  Nicolini,  pour  l'audition 
de  ses  élèves,  a  été  des  plus  brillantes.  Au  programme  étaient  venus  se  joindre 
M"°'  Madeleine  Riffard  et  Marie  Capoy,  qui  a  chanté  VArioso  de  Delibes.  — Très 
intéressantes  matinées  chez  M"'  la  comtesse  de  la  Pommière.  Aux  amateurs  de 
talent  se  joignent  des  artistes  qu'on  applaudit  chaleureusement.  Citons 
la  baronne  Scotti,  M""  Luccioni,  M"°  Maud  Boudé,  qui  a  si  bien  dit  l'air  du 
Tasse  de  Godard,  et  M""  Yon,  qui  a  charmé  l'auditoire  avec  V Alléluia  du  Cid  et 
le  Soir  d'A.  Thomas,  et  le  violoniste  M.  Sailland.—  Très  réussie  réunion  annuelle 
des  élèves  de  M~'Galanio,  parmi  lesquelles  il  faut  citer  M"»  Th.  G.  (Harpe  éolienne, 
Neustedl),  A.  S.  IVals^  arabesque,  Lack),  M.-L.  D.  iSorrentina,  Lack),  S.  L.  {Marche 
orientale,  Dubois  i,  M.  G.  {Source  capricieuse,  Filliaux-Tiger),  S.  W.  (feu  follet,  Kuhé), 
G.  D.  {Prélude  dllérodiade,  Massenel),  11.  C.  {le  Retour,  B  zet),  M.  V.  (Zamacueca, 
Ritter),  L.  C.  (Sérénade,  Galeotti)  et  Y.  L.  {Mélodie,  Rubinstein.i.  M.  Bourdon,  qui 
prêtait  son  concours,  a  été  très  applaudi  dans  Varioso  du  Roi  de  Lahnre.  —  Très 
brillante,  l'audition-concert  des  élèves  de  M"'  deTailhardat  qui  a  eu  lieu  à  la 
galerie  des  Champs-Elysées.  Parmi  les  morceaux  les  plus  remarqués,  citons 
l'air  du  Cid,  la  phrase  de  Tha'is,  V Enchantement  de  M.  Massenet  parfaitement 
chantés  par  M">'  Bâillon,  M""  Lotar  et  Tissot.  Liszt,  Chopin,  Diémer,  Massenel, 
etc.,  ont  aussi  été  très  bien  interprétés  par  les  élèves  de  piano.  L'.Vragonaise 
du  Cii  et  le  prélude  d'Hérudiade  ont  été  joués  avec  beaucoup  d'expression  par 
M»'  S.  Depoix,  qui  est  encore  une  enfant,  et  M""  Creux  a  très  bien  rendu  la  dif- 
ficile Valse  de  concert  de  Diémer.  La  jeune  harpiste  M"°  H.  Renié,  qui  a  bien 
voulu  se  faire  entendre,  a  ravi  l'auditoire  avec  le  Banc  do  mousse  de  Th.  Dubois, 
et  la  Danse  des  sylphes  de  God^lroid.  M"'  Darblay  et  M.  Mombrey  ont  eu  leur  part 
du  succès  en  disant  de  cliarmiants  monologues.  —  M""  Marthe  Chrétien,  une 
intéressante  et  habile  pianisle,  a  donné  un  concert  qui  a  été  pour  elle  l'occasion 
d'un  succès  qu'ont  partagé  M""  Juliette  Dantin  et  M.  Ch.  Furet,  avec  lesquels 
elle  a  exécuté  un  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle  de  M.  Alfred  Kaiser, 
composition  importante  que  le  public  a  accueillie  avec  des  applaudissements 


légitimes.  M"'  Chrétien  s'est  fait  applaudir  aussi  dans  diverses  pièces  de  Schu- 
mann,  Rubinslein,  Fauré,  PfeiCfer,  ainsi  que  M"*  Dantin  dans  la  Légende  de 
Wieniawski  et  la  Danse  tzigane  de  Tivadar  Nachez.  —  Bonne  audition  des 
élèves  de  M""  Brin,  au  cours  de  laquelle  on  a  surtout  applaudi  M""  H.  L.  (.Voc- 
tiirne,  Massenet-Filliaux-Tiger),  A.  M.  et  C.  \V.  [Roman  d'Arlequin,  Missenet-Fil- 
liaux-Tiger),  C.  B.  [Absence,  C.  de  Grandval),  S.  M.  et  F.  (Danse  diabolii)ue,  pour 
violon,  -J.  Hubay),  J.  F.  et  M""  Brin  (mélodie  des  Erinmjcs,  Massenet-Filliaux- 
Tiger,  et  Vieille  Chanson,  Armingaud-Filliaux-TigerJ.  —  Brillante  matinée  chez 
M"'  Ducasse.  M.  Théodore  Dubois,  qui  dirigeait  ses  o-uvres,  a  eu  le  plus  grand 
succès  et  a  vivement  l'élicitè  ses  jeunes  interprèles.  —  L'audition  des  élèves  de 
M""  Marie  Ruetf  a  été  un  grand  succès  pour  le  professeur  et  les  excellents 
chanteurs  qu'elle  produisait.  On  a  beaucoup  applaudi  l'air  de  Sigiird.  par 
M""  Darly,  le  Dernier  Rendez-Vous  de  Reyer,  par  M""  Trannoy,  Chanson  russe  et 
Fabliau,  de  Paladillie,  par  M">"  Blad  et  M.  Lebourdais  des  Touches,  fragments 
de  Mir/non,  par  M"'  Solma,  Si  mes  vers  avalent  des  ailes,  de  Reynaido  Hahn,  par 
M""  Lucy  Kremer,  air  de  Lakmé,  M"°  Bonheur,  etc.,  etc.  MM.  I.  Faure,  lloll- 
mann  Black,  Gaston  Selz  et  Emile  Bernard,  qui  dirigeait  l'eiécution  de  ses 
œuvres,  complétaient  ce  très  intéressant  programme.  —  M"°  Anna  Fabre  con- 
tinue avec  le  môme  succès  ses  soirées-causeries  sur  l'histoire  de  la  musique, 
avec  le  concours  de  M.  Charles  Crandmougin.  Dans  les  deux  dernières  séances, 
qui  comprenaient  les  époques  de  Bieh,  Pergolèse,  Haydn  et  Gluck,  il  nous  a 
été  donné  d'entendre  iM.^L  Loeb,  Laforge,  Léon  Delafosse,  MM""  Taine-Boussac 
et  de  Morainvillo  pour  la  partie  instrumentale,  MM.  Gandubert,  Challet,  Gailia, 
M""  M.  Ador,  de  Franemesnil  et  Tremblay.  —  Le  Ménestrel  a  plusieurs  fois  men- 
tionné les  brillants  succès  des  cours  de  solfège  et  piano  de  M"'  Vimont.  Cet 
excellent  professeur  nous  a  conviés  à  une  très  intéressante  audition  de 
ses  élèves,  qui  toutes,  suivant  leur  degré  de  virtuosité,  nous  ont  charmés 
par  la  grâce  naturelle,  par  le  style  et  par  l'élégance  de  leur  phrasé.  L'audition 
était  consacrée  aux  œuvres  de  Marmontel,  père  et  fils; notons  au  passage  :  Ara- 
besque et  Intermezzo,  délicieusement  exécutés  par  M"""  Baron  et  deMontfort; 
puis  l'Enchanteresse,  deax  pièces  caractéristiques,  et.S'c//erïo  délicieusement  joués 
par  M""  B.  Rose,  M.  le  Roy,  E.  Vun.  Tous  ces  morceaux  font  partie  de  l'œuvre 
d'Antonin  Marmontel  flls.  M"'  Duménil,  le  professeur  de  chant  que  M~"  Vi- 
mont a  eu  f  heureuse  pensée  d'adjoindre  à  ses  cours,  nous  a  fait  entendre,  par 
des  élèves  douées  de  jolies  voix,  chantant  juste  et  avec  goût,  de  ravissantes 
mélodies  de  Massenet,  B.  Godard,  Paladilhe,  Marmontel,  Delibes,  Offenbach. 
Puis  elle  a  chanté,  avec  l'autorité  de  style  d'une  musicienne  d'élite.  Nous  vou- 
drions donner  les  noms  de  toutes  ces  jeunes  filles  qui  ont  su  vivement  inté- 
resser l'auditoire.  Plusieurs  ont  exécuté  les  dernières  compositions  du  maître 
Marmontel  :  Impressions  et  Souvenirs,  avec  un  charme  exquis  et  une  sonorité  dé- 
licieuse; mentionnons  M""  H.  Carré,  A.  de  Montfort,  Berlhe  Rose,  C.  Baron, 
M.  Le  Roy  et  E.  Vun.  Nous  ne  devons  pas  non  plus  oublier  les  jeunes  élèves  des 
premiers  groupes,  qui  ont  prouvé  tout  le  savoir  du  maître  qui  a  su  les  initier  au 
bien  dire  :  M""  Roquigny,  M.  Clerc,  Al.  Ménégoz,  Louise  Carpentier,  Bl.  Boivin, 
Berlhe  Boivin,  L.  de  Witte,  Jeanne  Fièves,  M.  J.  Coppinger.  —  A  ses  séances 
musicales  de  la  salle  Pleyel,  M"""  Saillard-Dietz  a  exé;u'é  au  piano  avec  beau- 
coup de  succès  le  jo'.i  Menuet  de  l'Infante  de  Paul  Rougnon.  —  M.  Stéphane 
Elmas,  dans  une  trèi  intéressante  séance  donnée  ces  jours  derniers  à  la  salle 
Erard,  a  vivement  excité  l'intérêt  de  son  nombreux  auditoire.  Outre  quelques 
morceaux  de  Schumann  et  de  Chopin,  interprétés  avec  virtuosité,  le  jeune 
artiste  fit  entendre  plusieurs  de  ses  compositions. 

—  CoriCCTTs  ANNOxcÉs.  —  Mardi  i4  mars,  salle  Pleyel,  troisième  séance  de  la 
Société  de  Musique  française,  fondée  par  M.  Ed.  N;daud,  avec  le  concours  de 
M-=  G.  HainI,  MM.  V.  d'Indy,  Cros-Saint-Ange,  Thibaud,  Trombetia  et  Gibier. 
—  Jeudi  26,  salle  de  la  Société  de  Géographie,  184,  boulevard  Saint-Germain, 
concert  de  M""  Marie-Louise  Blanchard,  avec  le  concours  de  M"'  E.  Philipp,  de 
MM.  Berlhelier,  Loeb  et  Balbreck.  —  M"'  'fhérèzc  Duroziez  et  M.  Emile  Engel 
donneront  deux  séances  de  musique  très  intéressantes  à  la  salle  Erard,  les 
lundis  30  mars  et  11  mai  consacrées  l'une  aux  œuvres  de  Schumann  et  la 
seconde  aux  œuvres  de  Sainl-Saëns,  Massenet,  Chabrier,  Hillemacher,  etc. 

NÉCROLOGIE 

A  Vienne  est  morte,  à  l'âge  de  6^  ans.  M"''  Anna  Pessiak,  née  de 
Schmerling,  professeur  de  chant  au  Conservatoire,  ancienne  élève  de 
M™'  Marchesi.  M'°'"  Pessiak  est  aussi  connue  par  différentes  compositions 
pour  piano  et  chant,  et  par  plusieurs  messes  exécutées  dans  des  églises 
de  Vienne. 

—  On  annonce  de  Palerme  la  mort  d'un  artiste  distingué,  M.  Alvaro 
Stronconi,  professeur  de  piano  au  conservatoire  de  cette  ville,  où  il  avait 
formé  d'excellents  élèves. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Étude  de  M=  Er.  Thibault,  notaire  à  La  Rochelle,  4,  rue  G.-Admyrauld. 
A  CÉDER  : 

Maison  de  pianos,  musique,  lutherie,  parfaitement  achalandée,  située 
dans  la  plus  belle  rue  de  La  Rochelle. 

Long  bail  assuré. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M<=  Thibault. 

ON  DEMANDE  de  suite  en  province,  bon  accordeur  connaissant  la 
réparation  des  pianos,  des  orgues  et  de  la  lutherie.  Bonne  situation,  inté- 
ressé aux  affaires.  Inutile  de  se  présenter  sans  de  sérieuses  et  bonnes  réfé- 
rences . —  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


B,  20,   1 


—    Encre  '.orOleiu; 


Dimanche  29  Mars  1896. 


3392.  —  62'"°  APiNEE  —  IN»  13.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Musique  antique  (8"  et  dernier  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théâ- 
trale :  premières  représentations  de  Disparu ,  au  Gymnase,  d'Amoureuse,  au 
Vaudeville,  de /a  Griin  Via,  k  l'Olympia  et  de  IMtons-nous  d'en  rire,  aux  Folies- 
Marigny,  Paul-Émile  Chevalier.  —  IIL  L'orchestre  de  Lully  (7"  et  dernier 
article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Le  monument  de  M-"  Carvalho.  —  V.  Revue  des 
grands  concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  ; 

BALANCELLE 

valse  d'ANTONiN  Marmontel.  —  Suivra  immédiatement  :  Nocturne,  de  Léon 
Delafosse.  

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  VerMc-tu,  mélodie  de  Léon  Delafosse,  poésie  de  M""»  Desbordes-Val- 
MORG.  —  Suivra  immédiatement  :  Cantique  sur  le  bonheur  des  justes  et  le  mal- 
heur des  réprouvés,  poésie  de  Jean  Racine,  musique  de  Reynaldo  Hahn. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

LES    NOUVELLES    DÉCOUVERTES    DE    DELPHES 

(Suite) 


VI 

Les  lecteurs  qui  ont  eu  la  patience  de  suivre  jusqu'au  bout 
ces  explications  trop  arides  sur  la  musique  des  anciens  Grecs 
doivent  se  dire  qu'il  leur  serait  bien  plus  intéressant  de 
connaître  les  quelques  fragments  notés  qui  nous  sont  par- 
venus. De  même,  dans  la  préface  de  Cromivell,  Victor  Hugo, 
critiquant  l'usage  des  récits  dans  la  tragédie,  s'écriait:  «  Vrai- 
ment! Mais  conduisez-nous  donc  là-bas.  On  s'y  doit  bien 
amuser,  cela  doit  être  beau  à  voir!  »  Aussi  m'efforcerai-je  de 
donner  satisfaction  à  cette  légitime  curiosité,  sinon  en  repro- 
duisant tout  ce  qui  nous  est  connu  en  fait  de  musique 
antique,  ce  qui  sortirait  du  cadre  restreint  de  ce  travail,  du 
moins  en  transcrivant  les  fragments  les  plus  caractéristiques. 

Les  morceaux  de  musique  grecque  qui  sont  venus  jusqu'à 
nous  sont  les  suivants: 

Une  strophe  de  la  première  Pythique  de  Pindare  ; 

Trois  hymnes  du  11"=  siècle  après  Jésus-Christ  (Hymne  à  la 
Mme,  Hymne  à  Hélios,  Hymne  à  Némésis),  les  deux  derniers  com- 
posés- par  Mésomède,  musicien  né  dans  l'île  de  Crète,  et  qui 
vécut  à  la  cour  de  l'empereur  Hadrien  ; 

Quelques  fragments  de  musique  instrumentale,  qui  semblent 
être  des  études  pour  l'étude  de  la  cithare  ; 


Un  fragment  d'un  chœur  (ÏOreste,  d'Euripide; 

Une  chanson  (fragment  de  scolie?),  découverte  àTralles(Asie 
Mineure)  ; 

Enfin  les  deux  grands  hymnes  de  Delphes. 

L'authenticité  de  la  musique  de  la  première  Pythique  de 
Pindare  a  donné  lieu  à,  des  contestations.  Cette  musique  fut 
notée  pour  la  première  fois  auXVII"  siècle  dans  \q  Mijsurgia  du 
P.  Kircher:  l'auteur  l'avait  transcrite  d'après  un  manuscrit 
trouvé  dans  une  bibliothèque  de  Sicile,  en  joignant  à  sa  no- 
tation la  reproduction  des  signes  antiques.  Mais  quand,  de 
nos  jours,  on  voulut  recourir  au  document  original,  il  ne  fut 
pas  possible  d'en  retrouver  la  moindre  trace. 

Malgré  cette  perte  regrettable,  le  travail, de  Kircher  porte  en 
lui-même  d'assez  grands  caractères  de  sincérité  pour  que  nous 
n'ayons  pas  lieu  d'en  douter.  La  principale  raison  qui  milite  en 
faveur  de  l'authenticité  est  que  cette  musique  est  parfaitement 
conforme  aux  données  acquises  aujourd'hui  sur  la  composi- 
tion de  la  mélopée  antique  ;  or,  comme  la  plupart  de  ces  par- 
ticularités étaient  inconnues  au  XVIP  siècle,  il  n'est  pas  admis- 
sible que  le  P.  Kircher  ait  pu  écrire  un  pastiche  si  réussi, 
alors  qu'il  ignorait  les  éléments  essentiels  qui  auraient  dû 
servir  à  le  constituer. 

Il  est  à  peine  besoin  d'ajouter  que  rien  non  plus  n'indique 
que  la  mélodie  remonte  au  temps  de  Pindare  ni  à  Pindare 
lui-même,  et  qu'elle  peut  très  bien  avoir  été  composée  pos- 
térieurement, —  tout  comme  aujourd'hui  on  écrit  des  mélodies 
sur  des  vers  de  Ronsard,  ou  de  François  Villon,  ou  de  poésies 
populaires  plus  anciennes  encore. 

Voici  donc  cette  mélodie,  reproduite  d'après  la  plus  récente 
notation  de  M.  Gevaert,  mais  transposée  d'une  octave  et  mise 
au  diapason  du  soprano.  Elle  est  dans  le  mode  hypodorien 
ou  éolien. 


.(/c   .   si.c/io  .   r<in      ho.pii  _    tdii       pro    -    o 


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LE  MÉNESTREL 


Les  hymnes  du  11=  siècle  ont  moins  d'intérêt  au  point  de  vue 
musical:  les  mélodies,  lourdement  rythmées,  ont  peu  de 
relief  et  d'accent  ;  comme,  d'autre  part,  elles  sont  fort  longues, 
je  ne  les  reproduirai  pas.  Voici  seulement  la  première  phrase 
de  VEymne  à  la  Muse,  qui  est  d'un  joli  dessin  mélodique,  et 
nous  fournit  un  exemple  intéressant  de  mode  dorien  à  opposer 
à  celui  des  hymnes  delphiques,  car  ici  la  fondamentale  mi  a 
bien  nettement  un  caractère  de  tonique  (1). 
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11  pourrait  être  intéressant  de  rapprocher  ces  mélodies  de 
celles  des  hymnes  delphiques  composés  trois  siècles  aupara- 
vant: l'on  apercevrait  en  effet  que,  durant  ce  laps,  le  style 
musical  s'était  fort  modifié.  Ayant  donné  au  début  de  cette 
étude  tout  ce  qui  nous  est  parvenu  du  second  hymne,  et,  au 
cours  du  développement,  plusieurs  fragments  caractéristiques 
du  premier,  je  laisse  au  lecteur  le  soin  de  faire  cette  compa- 
raison. 

Le  fragment  d'Euripide  nous  serait  bien  précieux  s'il  était 
plus  complet.  Malheureusement  il  n'en  reste  que  quelques 
notes,  —  disjecti  membra  poetœ,  —  des  commencements  et  des 
fins  de  vers,  le  papyrus  sur  lequel  le  chœur  d'Oreate  était  noté 
ayant  été  trouvé  en  si  mauvais  état  qu'on  n'a  pu  faire  usage 
que  des  parties  droite  et  gauche  du  feuillet,  tout  le  milieu 
étant  détruit.  Malgré  cela ,  la  découverte  a  encore  grand 
intérêt,  puisqu'il  s'agit  d'un  fragment  lyrique  de  la  tragédie 
grecque,  le  seul  par  lequel  il  nous  soit  donné  d'en  avoir  une 
idée  musicale,  si  faible  soit-elle. 

Par  le  peu  que  nous  en  voyons,  en  effet,  nous  pouvons 
nous  rendre  compte  que  le  caractère  expressif  est  accusé  avec 
une  grande  intensité,  dès  les  premières  notes,  par  l'emploi  du 
genre  chromatique.  C'est  comme  des  lambeaux  de  plaintes, 
des  gémissements  inarticulés,  qui  semblent  se  répéter  inces- 
samment sur  les  mêmes  degrés,  avec,  parfois,  quelques  notes 
qui  s'élèvent  plus  haut,  comme  en  une  supplication  éplorée  : 


(1)  Au  moment  où  j'achevais  de  revoir  les  dernières  épreuves  de  cet  article, 
j'ai  reçu  une  nouvelle  brocliure  de  M.  Tti.  Reinach  (l'Hymne  à  la  Muse,  extrait 
de  la  Revue  des  éludes  grecques,  chez  Leroux),  où  se  trouve  proposée,  pour  cette 
mélodie,  une  notation  quelque  peu  différente  de  celle  qui  a  été  admise  jusqu'à 
présent.  La  principale  nouveauté  réside  dans  l'introduction,  en  trois  passages, 
d'un  so(  dièse  accidentel  (dans  le  fragment  ci-dessus  noté,  remplaçant  les  deux  si 
de  la  fin  de  la  onzième  mesure  et  du  commencement  de  la  douzième,  et  suc- 
cédant au  si  initial  de  la  quatorzième  mesure  en  formant  avec  lui  un  groupe 
de  deux  croches  liées),  altération  qui  donne  à  la  mélodie  un  caractère  chroma- 
tique, dont,  après  les  deux  hymnes  delphiciues,  nous  ne  saurions  être  étonnés 
désormais.  —  Les  autres  variantes  introduites  par  M.  Reinach  sont  insigni- 
fiantes. Au  point  de  vue  rythmique,  je  n'attache  absolument  aucune  impor- 
tance à  l'adoption  de  la  mesure  à  douze-lmil  au  lieu  de  celles  à  Iruis-huil  ou  à 
six-huit,  et  de  la  mesure  à  trois-deux  remplaçant  la  mesure  à  dcu.i'-ijualrc,  me 
bornant  à  dire  que  cette  substitution  ne  me  paraît  réaliser  aucun  progrès:  car 
c'est  une  erreur  de  croire  que  la  mesure  doit  correspondre  au  coKii  ou  membre 
mélodique  (en  principe  ;  le  vers),  ce  dernier  ayant  tout  au  contraire  un  déve- 
loppement qui,  le  plus  souvent,  correspond  à  plusieurs  mesures,  et  la  mesure 
correspondant  bien  plutôt  au  pied.  —  J'ajoute  enfin  qu'après  avoir  lu  la  partie 
de  ce  nouveau  travail  intitulé  :  Mélopée,  je  ne  retranche  rien,  —  au  contraire, 
—  aux  observations  que  j'ai  faites  précédemment  au  sujet  de  l'interprétation 
modale  de  la  mélopée  antique  telle  que  la  conçoit  M.  Reinach. 


Tout  autre  est  la  petite  mélodie  vocale  découverte  à  Traites, 
il  y  a  peu  d'années,  sur  un  monument  du  I"  ou  du  11°  siècle 
de  notre  ère.  C'est  un  exemple  charmant  de  la  chanson 
familière  des  Grecs.  Anacréon  devait  chanter  ainsi.  Ésrite  sur 
une  de  ces  maximes  morales,  plutôt  banales,  que  les  anciens 
aimaient  à  débiter  inter  pocula,  couronnés  de  roses,  elle  est 
pleine  de  franchise,  et,  même  encore,  de  fraîcheur.  On  la 
voudrait  plus  longue.  Le  mode  est  le  phrygien,  nettement 
caractérisé  par  le  fa  naturel  et  la  conclusion  à  la  dominante, 
et  cependant  si  franchement  présenté  qu'il  ne  choque  en  rien 
nos  habitudes  de  tonalité  moderne,  et  qu'on  croirait  entendre 
du  majeur. 


On  en  peut  rapprocher  ce  court  fragment  d'une  mélodie 
instrumentale,  le  seul  exemple  antique  qui  nous  soit  parvenu 
de  l'harmonie  lydienne:  M.  Gevaert  le  classe,  à  cause  de  sa 
terminaison  sur  la  tierce  au-dessus  de  la  tonique  dans  l'échelle 
naturelle  de  fa,  dans  la  variété  dite  syniono-hjjieii  ou  hijpohjdien 
intense,  et  il  apprécie  justement  le  caractère  de  la  mélodie  en 
la  disant  «  la  plus  jolie,  sans  contredit,  que  l'antiquité  nous 
ait  léguée:  piquante  par  ses  bizarreries  de  rythme  et  de 
modalité.  » 


C'est  par  ces  vestiges  d'un  art  simple,  aimable  et  ingénieux 
que  nous  terminerons  cette  étude,  déjà  longue,  pourtant  bien 
incomplète  et  forcément  superficielle.  Sans  doute,  si  l'on  s'en 
tenait  à  ces  derniers  exemples,  l'on  n'aurait  pas  une  idée 
fort  exacte  du  génie  musical  des  Grecs,  qui  n'apparaît  là  que 
par  son  plus  petit  côté  :  ce  que  nous  voyons  ici,  c'est  le  côté 
intime  de  l'art  lyrique,  le  bibelot  musical,  —  des  statuettes 
de  Tanagra,  quand  nous  désirerions  tant  connaître  à  la  place 
Phidias  et  Praxytèle.  Mais  encore  devons-nous  nous  estimer 
heureux  d'avoir  ces  miettes  de  mélodies  antiques,  qui  ont, 
après  tout,  gardé  leur  saveur  et  leur  parfum.  Au  reste,  les 
précédents  exemples  nous  avaient  ouvert  quelques  vues  sur 
le  grand  art:  en  les  éclairant  par  les  nombreux  commentaires 
que  les  contemporains  nous  ont  légués,  peut-être  parvien- 
viendrons-nous  à  nous  rendre  un  compte  à  peu  près  exact 
de  cet  art,  qui,  dès  les  temps  les  plus  reculés,  a  joui  d'un  si 
grand  prestige. 

Julien  Tiersot. 


le:  ménestrel 


99 


SEMAINE    THEATRALE 


GvMNASE.  Disparu  I  vaudeville  en  3  actes,  de  MM.  A.  Bisson  et  A.  Sylvane. 

—  Vai:deville.   Amoureuse,  comédie  en  3  actes,  de  M.  G.  de  Porto-Riche. 

—  Olympia.  La  Gran  Via,  zarzuela  de  M.  F.  Ferez,  adaptation  française 
de  M.  M.  Ordonneau,  musique  de  MM.  Clieuca  et  Valverde.  —  Folies- 
Mabigny.  Hâtons-nous  d'en  rire  !  revue  de  M.  Jules  Lévy. 

Le  vaudeville  sur  la  scène  du  Gymnase!  Et  le  vrai  vaudeville  avec 
sa  suite  obligée  de  déguisements  et  d'invraisemblables  folies.  Je  ne 
sais  si  Disparu/  fournira  une  bien  longue  carrière  au  boulevard 
Montmartre  ;  mais  le  spectacle  était  curieusement  amusant  de  voir 
la  mine  déconfite  des  prêtres  et  servants  du  grand  art  tout  prêts  à 
pleurer  alors  qu'une  partie  de  la  salle  s'esclaffait  bourgeoisement 
aux  calembredaines  de  MM.  Bisson  et  Sylvane. 

Et  cependant,  dans  ces  trois  actes,  il  y  a  une  petite  indication  de 
vraie  comédie  ;  les  auteurs  ont  préféré  ne  s'en  point  soucier,  et  verser 
carrément  dans  le  burlesque  ;  c'est  donc  à  ce  seul  point  de  vue  qu'il 
convient  d'écouter  leur  pièce  contenue  presque  tout  entière  dans  le 
second  acte,  avec  ses  fantoches  désarticulés  travestis  en  tigre,  en 
Chinois,  en  nain,  ou  en  géant,  et  le  colossal  ahurissement  du  pauvre 
huissier  à  qui  est  gratuitement  offerte  la  carnavalesque  sérénade. 
Pauvre  huissier  Rabuté  qui,  croyant  son  richissime  cousin  Mongi- 
rault  mort  en  pays  lointain,  s'installe  en  maître  et  héritier  chez  lui, 
et,  certaine  nuit,  voit  revenir  le  disparu  au  milieu  du  plus  tintamar- 
maresque  des  charivaris.  «  Adieu,  veau,  vache...  »,  toute  la  moralité 
de  Disparu!  est  dans  la  fable  du  bon  La  Fontaine. 

De  l'amusante  distribution,  il  faut  nommer  en  première  ligne 
MM.  Noblet,  Dailly,  Torin  et  M""  Leoonte,  sans  toutefois  oublier 
MM.  Numès,  Janvier,  Numa,  Mangin,  M'"*  Yahne,  Médal  et  Maire. 

Le  Vaudeville  a  pris  à  l'Odéon  la  comédie  de  M.  Porto-Riche, 
Amoureuse,  qui,  voilà  presque  six  ans,  fut  jouée  au  second  théâtre 
français  non  sans  un  certain  succès.  Ici-même,  il  fut  fait  de  très  sé- 
rieuses réserves  sur  l'œuvre  et  aujourd'hui,  que  le  recul  permet  de 
juger  avec  plus  de  sûreté,  de  toutes  ces  réserves  une  seule  pourrait 
n'être  guère  plus  de  saison,  celle  de  la  hardiesse  du  sujet.  C'est  qu'on 
nous  en  a  servi,  en  ces  quelques  années,  de  la  «  rosserie  »  I  Et 
comme  nous  avons  été  littéralement,  littérairement,  si  vous  voulez, 
gâtés  sous  ce  rapport.  Amoureuse  n'a  forcément  plus,  en  mars  1896, 
la  piquante  nouveauté  qu'on  ne  pouvait  lui  dénier  en  avril  1891.  11 
n'en  reste  pas  moins  un  dialogue  exquis  mis  au  service  d'un  esprit 
délicat;  mais  la  pièce  a  des  rides  déjà...  L'éternel  recommencement 
de  l'éternelle  même  situation  dramatique,  étudiée  au  télescope,  et 
n'aboutissant  à  rien... 

De  l'interprétation  primitive,  M"'=  Réjane  demeure  l'idéale  Ger- 
maine et  MM.  Dumény  et  Calmetles  la  secondent  toujours  adroite- 
ment. M'""  Rosa  Bruck,  Caron,  Sorel  et  Drunzer  font  de  courtes  et 
aimables  apparitions. 

La  zarzuela,  traduisez  opérette  espagnole,  que  l'Olympia  nous  a 
donnée  a  parcouru  victorieusement  l'Espagne,  l'Italie  et  l'Amérique  ; 
il  n'y  a  aucune  raison  pour  qu'à  Paris,  étant  donné  surtout  la 
façon  tout  agréable  dont  M.  de  Lagoanère  l'a  montée,  le  succès  ne 
soit  tel  qu'il  a  été  partout  ailleurs.  La  Gran  via,  traduisez  la  Grande 
rue,  se  réclame  très  directement  de  la  revue  ;  les  événements  popu- 
laires de  la  vie  madrilène  s'y  déroulent,  sur  la  Puerta  del  Sol,  sous 
l'œil  bienveillant  d'une  jeune  Parisienne,  la  piquante  Bordo,  escortée 
de  son  vieil  oncle,  M.  Berille.  Voici  la  Gran  Via,  elle-même,  que  la 
municipalité  ne  parvient  pas  à  percer  —  quelque  chose  comme 
notre  boulevard  Haussmann  —  représentée  d'éblouissante  façon  par 
M"°  Micheline,  que  nous  retrouverons,  non  sans  plaisir,  en  bonne  à 
tout  faire,  en  jeune  torero  et  en  marinerito^  traduisez  petit  matelot 
d'eau  douce  ;  voici  les  pick-pocket,  avec  leur  chef,  le  Chevalier,  voici 
les  agents,  le  vieux  torero,  la  fontaine  et  les  principales  rues  de 
Madrid.  Et  tout  cela  va,  vient,  se  trémousse,  danse  et  chante,  accom- 
pagné par  une  musique  assez  entraînante  de  MM.  Chueca  et  Valverde, 
encadré  dans  un  joli  décor  et  habillé  de  séduisante  façon. 

J'ai  nommé  M"==  Micheline  et  Bordo  et  M.  Berville;  il  faut 
complimenter  aussi  MM.  Maréchal,  Hurbain,  Tavernier,  Danvers, 
M'""  Busson,  Nerville,  Bero,  Gomez  et  Riccio,  ces  deux  dernières  à 
la  tète  de  gracieux  divertissements,  et  enfin  M.  de  Lagoanère, 
chef  d'orchestre  plein  d'entrain,  directeur  plein  dégoût. 

Deux  mots  seulement  pour  constater  le  succès  de  fou  rire  qui  a 
accueilli  la  revue  des  Incohérents,  Hàtons-nou^  d'en  rire!  Aussi  bien 
la  représentation  n'était  pas  publique,  et  pour  cause,  dame  Censure 
n'ayant  pas  été  admise  à  laisser  circuler  ses  ciseaux  dans  la  prose 
très  hardie  de  M.  Jules  Lévy.  Beaucoup  d'accrocs  dans  les  entrées  et 


les  sorties,  dans  l'enchaînement  des  scènes  et,  encore,  dans  Ift  voix 
de  nombre  d'interprètes  ;  n'empêche  qu'il  y  a  là  plusieurs  couplets  à 
l'adresse  de  nos  puissants  du  jour,  peu  tendres.  Ah!  il  n'y  va  pas 
de  plume  morte  monsieur  le  grand  maître  de  l'incohérence  ! 

Paul-Émile  Chevalier. 


L'ORCHESTRE    DE    LULLY 

(Swite  el  fin.) 


Un  autre  artiste  oublié  par  Gastil-Blaze,  c'est  le  basson  Le  Bas, 
qui,  ainsi  qu'on  l'a  pu  voir  dans  la  notice  concernant  M""  Le  Rochois, 
devint  l'époux  de  cette  grande  cantatrice,  après  lui  avoir  écrit  une 
promesse  de  mariage  sur  le  revers  d'une  dame  de  pique.  Cette  union, 
qui  avait  été  consommée  avant  d'être  conclue  (car  la  Rochois  était 
dans  une  «  position  intéressante  »  lorsqu'elle  montra  à  LuUy  la 
fameuse  dame  de  pique),  dura  peu  après  qu'elle  eut  été  consacrée, 
car  les  chroniqueurs  nous  apprennent  que  Le  Bas  quitta  Paris  pour 
aller  se  fixer  à  Pau.  Mais  c'est  d'eux  aussi  que  l'on  sait  d'une  façon 
certaine  qu'il  faisait  partie  de  l'Opéra. 

Pour  Je  reste  du  personnel  symphonique  de  Lully,  on  est  réduit 
aux  conjectures.  Cependant  l'abbé  Raguenet,  dans  son  Parallèle  des 
Italiens  et  des  François,  en  ce  qui  regarde  la  musique  et  les  opéras,  nous 
apporte  un  renseignement  indirect  qui  peut  être  précieux.  En  com- 
parant les  orchestres  des  théâtres  italiens  avec  celui  de  l'Opéra,  il 

s'exprime  en  ces  termes  :  — D'ailleurs,  outre  toutes  les  sortes 

d'instruments  qui  sont  en  usage  parmi  les  Italiens,  nous  avons 
encore  les  haut-bois  qui,  par  leur  son  également  moelleux  et  per- 
çant, ont  tant  d'avantage  sur  les  violons  dans  les  airs  de  mouve- 
ment; et  les  flûtes,  que  tant  d'illustres  (Philbert,  Philidor,  Desco- 
teaux et  les  Holteterres)  sçavent  faire  gémir  d'une  manière  si 
touchante  dans  nos  airs  plaintifs,  et  soupirer  si  amoureusement  dans 
nos  airs  tendres.  »  Cela  veut-il  dire  que  les  artistes  ici  nommés 
appartenaient  à  l'orchestre  de  l'Opéra?  Il  me  semble  qu'il  est  au 
moins  permis  de  le  supposer. 

Philbert  et  Descoteaux,  qu'unissait  une  mutuelle  et  vive  affection, 
étaient  deux  flûtistes  particulièrement  célèbres  à  celte  époque,  l'un 
et  l'autre  favoris  de  Louis  XIV,  et  que  La  Bruyère  a  peints  dans  ses 
Caractère.^.  Descoteaux,  homme  distingué,  esprit  cultivé,  était  l'ami 
de  Boileau,  de  Molière  et  de  La  Fontaine;  il  comptait  parmi  les  pre- 
miers «  fleuristes,  »  c'est-à-dire  amateurs  de  fleurs  de  son  temps,  et, 
comme  plus  tard  Méhul,  cultivait  surtout  les  tulipes  avec  passion, 
désignant  chaque  espèce  à  sa  convenance  et  lui  donnant  le  nom  qui 
lui  plaisait.  Il  vécut  très  vieux,  et  Mathieu  Marais  en  parlait  en  ces 
termes,  dans  son  Journal,  à  la  date  de  novembre  1723  :  —  »  J'ai  vu 
pendant  les  fêtes  Descoleaux,  que  je  croyais  mort.  Il  a  79  ans  (1). 
C'est  lui  qui  a  poussé  la  flûte  allemande  au  plus  haut  point,  et  qui 
a  perfectionné  la  prononciation  du  chant,  suivant  les  règles  de  la 
grammaire  et  la  valeur  des  lettres,  qu'il  sait  mieux  que  personne.  Il 
chanta  des  paroles  de  Verger  très  exactement.  Il  a  encore  au  suprême 
degr.'i  le  goût  des  fleurs,  et  c'est  un  des  grands  fleuristes  de  l'Europe. 
Il  est  logé  au  Luxembourg,  où  on  lui  a  donné  un  petit  jardin,  qu'il 
cultive  lui-même.  La  Bruyère  ne  l'a  pas  oublié  dans  ses  Caractères 
sur  cette  curiosité  outrée  de  ses  tulipes,  qu'il  baptise  du  nom  qu'il 
lui  platt.  Il  veut  être  philosophe,  et  parler  Descartes;  mais  c'est  bien 
assez  d'être  musicien  et  fleuriste.  » 

C'est  en  effet  comme  «  fleuriste  »  que  La  Bruyère  parlait  de  Des- 
coteaux trente-deux  ans  auparavant,  dans  son  chapitre  :  De  la  Mode  (2). 
Il  ne  le  nomme  pas,  bien  entendu;  mais  les  contemporains  ne  s'y 
sont  pas  trompés,  comme  nous  le  prouve  Mathieu  Marais,  el  ont  una- 
nimement appliqué  à  Descoteaux  le  portrait  un  peu  grognon  que 
voici  :  —  «  Le  fleuriste  a  un  jardin  dans  un  faubourg  (3),  il  y  court 
au  lever  du  soleil,  el  il  en  revient  à  son  coucher;  vous  le  voyez 
planté,  et  qui  a  pris  racine  au  milieu  de  ses  tulipes  et  devant  la  Soli- 
taire; il  ouvre  de  grands  yeux,  il  frotte  ses  mains,  il  se  baisse,  il  la 
voit  de  plus  près,  il  ne  l'a  jamais  vue  si  belle,  il  a  le  cœur  épanoui 
de  joie;  il  la  quitte  pour  l'Orientale;  do  là  il  va  à  la  Veuve;  il  passe 
au  Drap  d'or,  de  celle-ci  à  V Agathe,  d'où  il  revient  enfin  à  la  Solitaire, 
où  il  se  fixe,  où  il  se  lasse,  où  il  s'assied,  où  il  oublie  de  diner;  aussi 
est-elle  nuancée,  bordée,  huilée,  à  pièces  emportées:  elle  a  un  beau 
vase  ou  un  beau  calice  :  il  la  contemple,  il  l'admire  :  Dieu  et  la 


(1)  Il  était  donc  né  en  164'i. 

(2)  Dans  la  sixième  édition  des  Caractères,  publiée  en  1691,  et  où  ce  qui  a  trait 
à  Descoteaux  parut  pour  la  première  fois. 

(3/  Deacoteaux  avait  alors  son  jardin  au  faubourg  Saint-Antoine. 


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LE  MENESTREL 


nature  sont  en  tout  cela  ce  qu'il  n'admire  point;  il  ne  va  pas  plus 
loin  que  l'oignon  de  sa  tulipe,  qu'il  ne  livrerait  pas  pour  mille  écus, 
et  qu'il  donnera  pour  rien  quand  les  tulipes  seront  négligées  et  que 
les  œillets  auront  prévalu.  Cet  homme  raisonnable,  qui  a  une  àme, 
qui  a  un  culte  et  une  religion,  revient  chez  soi  fatigué,  mais  fort 
content  de  sa  journée  :  il  a  vu  des  tulipes.  » 

Il  faut  pourtant  croire,  quoi  qu'en  ait  dit  La  Bruyère,  que  Des- 
coteaux ne  pensait  pas  uniquement  à  ses  tulipes,  puisqu'il  devint 
l'un  des  premiers  virtuoses  de  son  temps. 

Son  ami  Philbert  ne  lui  cédait  en  rien  sous  ce  rapport;  et  tous 
deux  se  faisaient  parfois  entendre  ensemble,  aussi  en  compagnie  de 
de  Vizé,  anssi  fameux  alors  sur  le  théorbe  et  la  guitare  qu'ils  l'é- 
taient sur  la  flûte  (1).  Mais  Philbert  n'était  pas  seulement  fameux 
par  son  talent  :  il  l'était  par  sa  gaîté,  par  ses  saillies,  par  la  facilité 
qu'il  avait  à  saisir  les  ridicules  des  autres  et  à  les  imiter  dans  le 
monde  d'une  façon  burlesque,  enfin  par  ses  bonnes  fortunes,  qui 
étaient  légendaires,  et  dont  on  retrouve  la  trace  dans  ce  portrait 
que  lui  a  aussi  consacré  La  Bruyère,  qui,  s'adressant  à  Lélie,  l'ap- 
pelle flracon  dans  son  chapitre:  Des  Femmes  :  —  «  ....  Mais  vous  avez 
Dracon  le  joueur  de  flûte;  nul  autre  de  son  métier  n'enfle  plus 
décemment  ses  joues  en  soufflant  dans  le  hautbois  ou  le  flageolet; 
car  c'est  une  chose  infinie  que  le  nombre  des  instruments  qu'il  fait 
parler:  plaisant  d'ailleurs,  il  fait  rire  jusqu'aux  enfants  et  aux  fem- 
melettes. Qui  mange  et  qui  boit  mieux  que  Dracon  en  un  seul  repas? 
il  enivre  toute  une  compagnie,  et  il  se  rend  le  dernier.  Vous  sou- 
pirez, Lélie  :  est-ce  que  Dracon  aurait  fait  un  choix,  ou  que  mal- 
heureusement on  vous  aurait  prévenue?  se  serait-il  enfin  engagé  à 
Césonie  qui  l'a  tant  couru,  qui  lui  a  sacrifié  une  si  grande  foule 
d'amants,  je  dirai  même  toute  la  fleur  des  Romains  ;  à  Césonie  qui 
est  d'une  famille  patricienne,  qui  est  si  jeune,  si  belle  et  si  sérieuse? 
Je  vous  plains,  Lélie,  si  vous  avez  pris  par  contagion  ce  nouveau 
goût  qu'ont  tant  de  femmes  romaines  pour  ce  qu'on  appelle  des 
hommes  publics,  et  exposés  par  leur  condition  à  la  vue  des  autres. 
Que  ferez- vous,  lorsque  le  meilleur  en  ce  genre  vous  est  enlevé?...  » 
Ce  caractère  d'homme  à  bonnes  fortunes  aurait  pu  être  fatal  à  Phil- 
bert, qui,  sans  s'en  douter,  se  trouva  mêlé  dans  sa  jeunesse  à  une 
aventure  tragique.  Il  avait  excité  une  passion  ardente  chez  une 
femme  nommée  Brunet,  qui,  pour  se  rendre  libre  et  pouvoir  l'épou- 
ser, n'imagina  rien  de  mieux  que  d'empoisonner  son  mari.  Philbert 
l'aimait  sans  doute  aussi,  puisque  le  mariage  eut  lieu  en  efl'et.  Mais 
en  1680,  lors  du  procès  retentissant  de  la  Voisin,  celle-ci,  parmi 
ses  révélations,  fit  connaître  le  crime  commis  par  la  femme  Bru- 
net,  en  ajoutant  que  c'était  elle-même  qui  lui  avait  fourni  le  poison 
destiné  à  l'accomplir.  Cette  dernière  alors  fut  arrêtée,  jugée, 
puis  condamnée  à  être  pendue  et  brûlée  en  place  de  Grève,  ce  qui 
fut  fait.  Il  va  sans  dire  que  Philbert,  parfaitement  innocent  de  ce 
forfait  qu'il  ignorait,  comme  tout  le  monde,  ne  fut  nullement 
inquiété. 

Aux  noms  de  Philbert  et  Descoteaux,  cités  par  l'abbé  Raguenet, 
celui-ci  ajoute  ceux  de  Philidor  et  des  Hotleterre,  qui,  selon  lui, 
sans  doute  auraient  fait  aussi  partie  de  l'orchestre  de  l'Opéra. 
Mais  lesquels? Les  Philidor  et  les  Hotleterre  formaient  deux  familles 
nombreuses  de  musiciens  distingués  dont  les  membres,  pour  la 
plupart,  faisaient  partie  de  la  musique  soit  de  la  chapelle,  soit  de  la 
chambre,  soit  de  la  grande  écurie  du  roi,  et  qui  étaient  justement  re- 
nommés pour  leur  talent  sur  la  flûte,  le  hautbois  et  le  basson.  Il  y 
avait,  à  cette  époque,  quatre  Philidor:  Michel,  Jean,  André  et  Jac- 
ques, et  cinq  Hotteterre  :  Martin,  Jean,  Nicolas,  Louis  et  Colin.  Les- 
quels furent  employés  par  Lully  ?  C'est  ce  qu'il  est  impossible 
de  découvrir  aujourd'hui. 

II  n'est  pas  plus  facile  de  désigner  les  théorbistes  qui  firent  partie 
de  son  orchestre.  Plusieurs  étaient  fameux  alors  :  Dupré,  Fleury, 
Pinet,  de  Vizé,  Aubin,  Lavaux,  Lemoyne,  Henri  Grénerin.  Parmi  ces 
artistes,  il  y  a  toutefois  une  forte  présomption  en  faveur  de  ce  der- 
nier, et  ce  qui  me  fait  supposer  qu'il  a  pu  être  compté  au  nombre 
des  musiciens  de  l'Opéra,  c'est  qu'il  adressa  à  Lully  la  dédicace 
d'un  ouvrage  didactique  sur  son  instrument  :  «  Livre  de  tliéorbe,  con- 
tenant plusieurs  pièces  sur  difl'érens  tons,  avec  une  nouvelle  méthode 
très  facile  pour  apprendre  à  jouer  sur  la  partie  les  basses  continues 
et  toutes  sortes  d'airs  à  livre  ouvert,  dédié  à  Monsieur  de  Lully, 
escuyer,  conseiller-secrétaire  du  Roy  et  surintendant  de  la  musique 
de  Sa  Majesté  (2).  «, 

Ici  s'arrête  ce  que  j'ai  à  dire  sur  l'orchestre  de  Lully.  Je  n'avais  pas 
la  prétention  de  le  reconstituer  en  son  entier,  ce  qui  était  une  tâche 

(1)  Voy.  le  Journal  de  Dangeau,  T.  V.,  p.  112. 

(2)  Paris,  Bonneuil,  s.d.  in-4'  oblong. 


impossible.  Mon  seul  désir  était  de  grouper  à  cette  place,  les  rensei- 
gnements que  j'avais  pu  réunir  sur  les  artistes  qui,  de  façon  certaine, 
avaient  fait  partie  de  cet  orchestre,  et  de  faire  connaître  ensuite  ceux 
dont  la  présence  offrait  au  moins  de  grandes  chances  de  probabilité. 
On  ne  saurait  faire  davantage,  et  l'on  n'avait  assurément  pas  tant  fait 
jusqu'ici.  Comme  dernier  détail,  et  complémentaire,  j'emprunte  à 
Fétis  le  nom  d'un  artiste  qu'il  indique  comme  ayant  été  le  copiste  de 
Lully.  «  Jean  Fischer,  dit-il,  né  en  Souabe  vers  16.50,  vint  fort  jeune  à 
Paris  et  se  fit  copiste  de  musique  chez  Lully.  »  Et  j'ajoute  que  de  tous 
les  artistes  que  j'ai  cités,  il  en  est  bien  peu  qui  aient  été  mentionnés 
par  Fétis.  Ce  qui  n'a  d'ailleurs  rien  de  surprenant. 

Arthur  Pougin. 

LE    MONUMENT    DE    M""'^    CARVALHO 


PREMIÈRE  LISTE  DE  SOUSCRIPTION  DU  MÉNESTREL 

Le  Ménestrel Fr.  oOO 

La  Société  des  Compositeurs  de  musique 100 

M.  Massenet 200 

M"'  Louise  Grandjean  (de  l'Opéra) 40 

M.  J.  Hudelist 10 

M.  Edouard  Noël 10 

M.  Alphonse  Duvernoy 20 

M™  V'  Calmann  Lévy 100 

M.  Sabatier 20 

Total.    .    .    .  Fr.  T7ÔÔÔ 


REVUE    DES   GRANDS   CONCERTS 


C'est  par  l'admirable  Symphonie  héroïque  de  Beethoven  que  s'ouvrait 
la  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire ,  une 
œuvre  qui  date  aujourd'hui  de  quatre-vingt-dix  ans  et  que  l'on  dirait 
écrite  d'hier,  tellement  les  idées  en  sont  toujours  jeunes,  tellement  la 
forme  en  est  mâle,  solide,  vigoureuse,  et  d'un  style  que  les  ans  n'ont  pu 
encore  entamer.  Depuis  tantôt  un  siècle,  nul,  en  ce  qui  concerne  la  sym- 
phonie, n'a  pu  approcher  de  cette  puissance  et  de  cette  splendeur,  et  nul, 
d'autre  part,  n'a  pu  atteindre  cette  émotion  et  ce  pathétique.  Jamais  l'in- 
comparable orchestre  du  Conservïtoire  ne  s'est  montré  plus  en  train,  plus 
en  verve  que  dans  la  merveilleuse  exécution  qu'il  nous  a  donnée  de  ce 
chef-d'œuvre,  et  jamais  non  plus  le  public,  souvent  si  froid  et  si  guindé, 
n'a  semblé  plus  soulevé  d'enthousiasme  par  l'interprétation  superbe  de 
cette  œuvre  épique.  Il  a  fait  aux  braves  artistes  si  bien  dirigés  par 
M.  Taffanel  l'accueil  le  plus  chaleureux  et  le  plus  expansif.  La  sympho- 
nie était  suivie  d'un  chœur  et  d'une  marche  du  l'Idoménée  de  Mozart;  le 
chœur  est  d'une  jolie  couleur,  et  la  marche  d'un  caractère  mystérieux, 
jouée  con  sordini.  est  délicieuse  et  n'a  qu'un  défaut  pour  un  concert  :  elle 
est  trop  courte.  Le  public,  qui  était  décidément  dans  un  jour  d'enthou- 
siasme, a  voulu  entendre  deux  fois  le  Houet  d'Ompkale  de  M.  Saint-Saëns, 
tellement  il  avait  été  charmé  par  l'exécution  de  ce  petit  bijou  sympho- 
uique,  et  il  ne  l'a  pas  applaudi  moins  vigoureusement  la  seconde  fois  que 
la  première.  Le  programme  était  complété  par  le  joli  chœur  sans  accom- 
pagnement de  Meyerbeer  :  Adieu  aux  jeunes  mariés,  et  par  l'ouverture  du 
Carnaval  romain  de  Berlioz,  que  l'orchestre  a  enlevé  avec  sa  crànerie  habi- 
tuelle. A.  P. 

—  Concerts  du  Chdtelet.  —  M.  Raoul  Pugno  en  est  arrivé  à  ce  moment 
de  sa  carrière  où,  sûr  de  dominer  son  public  et  maître  absolu  de  ses  moyens, 
il  peut  être  considéré  comme  ayant  acquis  l'expérience  la  plus  complète 
que  l'on  puisse  atteindre  dans  l'art  de  jouer  du  piano.  Son  toucher  est 
empreint  d'une  élégance  extrême,  il  possède  un  modelé  tel  que  chaque 
phrase  vit  et  semble  respirer  sous  ses  doigts,  maintenue  d'ailleurs  dans  les 
limites  de  la  plus  rigoureuse  correction;  mais  la  qualité  maîtresse  qui  s'y 
fait  sentir,  c'est  la  pureté  d'émission  d'où  résulte  la  clarté  pleine,  absolue, 
entière.  Joignons  i  cela  un  coloris  discret,  une  aptitude  toute  spéciale  à 
varier  les  sonorités  sans  abandonner  la  gamme  des  demi-teintes  et  cepen- 
dant une  consistance  de  jeu  telle  que  le  pianiste  ne  perd  jamais  pied  au 
milieu  de  l'orchestre,  et  nous  comprendrons  pourquoi  l'interprétation  de 
la  Fantaisie,  op.  15,  de  Schubert,  orchestrée  par  Liszt,  a  valu  à  M.  Raoul 
Pugno  les  témoignages  réitérés  d'une  admiration  unanime.  —  M"»  Elise 
Kutscherra  est  parvenue  très  rapidement  à  se  rendre  la  langue  française 
assez  familière  pour  la  prononcer  sans  aucun  accent  vraiment  désagréable; 
sa  voix  semble  gagner  d'une  audition  à  l'autre,  ce  qui  s'explique  par  le 
travail  et  par  l'assurance  que  donne  le  succès.  Beaucoup  de  fermeté  dans 
les  contours,  une  sonorité  puissante  et  une  vaillance  extrême  permettent 
d'accepter  M"'=  Kutscherra  comme  une  des  meilleures  interprètes  wagné- 
riennes  de  nos  concerts.  Moins  heureuse  dans  le  chant  pur  que  dans  la 
musique  dramatique,  elle  a  pourtant  su  donner  à  t'Absence  de  Berlioz  le 
coloris  voluptueux  et  au  Jeune  Pêcheur  de  Liszt  la  fraîcheur  délicieuse  qui 
conviennent  à  ces  deux  impressions  musicales.  —  Deux  contes  de  M.  Gabriel 
Pierné  :  Les  Petites  Ophélies  et  Une  belle  est  dans  la  forêt  ont  mis   en  relief  la 


LE  MENESTREL 


dOl 


jolie  touche  du  musicien  et  le  gracieux  talent  de  M""  Marguerite  Mathieu. 

—  Mande,  poème  symphonique  de  M™  Augusta  Holmes,  a  obtenu  un 
accueil  chaleureux  ;  c'est  une  œuvre  de  virile  énergie,  où  parfois  la  force 
dégénère  en  tumultueux  vacarme,  mais  la  conception  ne  manque  pas  de 
grandeur  et  les  passages  consacrés  à  la  peinture  des  mœurs  champêtres 
sont  pleins  d'une  pénétrante  poésie.  C'est  là  un  ouvrage  de  nobles  ten- 
dances, on  ne  peut  le  nier,  et  par  la  réalisation  il  reste,  malgré  tout, 
très  au-dessus  de  la  plupart  des  compositions  de  ce  genre.  —  Le  concert, 
commencé  avec  l'ouverture  de  Coriolan,  s'est  achevé  par  le  3"  acte  du  Cré- 
puscule des  Dieux.  Amédée  Boutarel. 

—  Concert  Lamoureux.  —  La  seconde  audition  du  Messie  de  Hicndel  n'a 
pas  eu  moins  de  succès  que  la  première.  Cette  composition  est  de  colos- 
sales dimensions.  On  a  dû,  pour  le  public  français,  pratiquer  un  certain 
nombre  de  coupures;  en  Angleterre  il  n'en  était  pas  ainsi,  autrefois  du 
moins.  Lorsque  Hœndel  dirigeait  l'exécution  de  ses  oratorios,  il  les  com- 
pliquait encore  par  des  concertos  d'orgue  qu'il  jouait  entre  les  diverses 
parties.  Le  maître  saxon  eut  le  bonheur  d'entendre  toutes  ses  œuvres  exé- 
cutées et  acclamées  de  son  vivant,  et  assista  à  sa  propre  apothéose.  De  là 
le  caractère  un  peu  théâtral  et  convenu  de  ses  compositions  ;  elles  brillent 
néanmoins  par  la  grandeur,  la  simplicité  et  la  clarté.  On  a  souvent  comparé 
Haendel  et  Bach:  Hœndel  est  moins  complexe  et  moins  profond  que  son 
illustre  émule.  Bach  s'était  trouvé  dans  une  situation  de  tout  point  diffé- 
rente: vivant  presque  toujours  isolé,  n'ayant  point  d'auditoire,  sans  am- 
bition ni  désir  de  fortune,  il  ne  trouva  que  dans  l'art  même  la  récompense 
de  ce  qu'il  fît  pour  lui;  chez  lui,  point  de  considérations  de  succès,  point 
de  formules  comme  on  en  voit  trop  chez  Hœndel;  delà  ces  hardiesses 
inouïes  et  les  inventions  qui  débordent  dans  sa  messe  en  si  mineur,  sa 
Passion  et  ses  cantates.  «  Entre  Bach  et  Hiendel,  a  dit  excellement  Ernest 
David,  la  différence  est  la  même  que  celle  qui  existe  entre  un  grand  phi- 
losophe et  un  grand  poète  épique.  Comme,  par  exemple,  entre  Platon  et 
Homère.  »  Ces  deux  grands  hommes,  Hœndel  et  Bach,  sont,  à  eux  deux, 
toute  la  musique.  Ce  sont  les  pères  de  toute  science  et  de  toute  inspiration. 
Combien  il  serait  à  désirer  que  le  public  revînt  au  culte  de  ces  beaux  gé- 
nies! Notre  génération  y  retrouverait  le  calme  qu'elle  a  perdu,  les  vraies 
conditions  de  l'art  qu'elle  dédaigne  ;  elle  se  rajeunirait  aux  sources  pures 
d'autrefois.  L'exécution  du  Messie  a  été  excellente,  et  le  public  a  fait  à 
tous  les  artistes  qui  ont  coopéré  à  l'œuvre  une  chaleureuse  ovation. 

H.  Barbedeïte. 

—  Concerts  Pister.  —  Parmi  les  œuvres  de  compositeurs  modernes  que 
M.  Pister  a  fait  entendre  ces  derniers  dimanches,  et  qu'il  a  su  interpréter 
avec  une  précision  rare,  il  faut  citer  tout  d'abord  la  Suite  villageoise  de 
Théodore  Dubois,  la  Korrigane  de  Widor,  V Arlésienne  de  G.  Bizet,  Joadyn 
de  Godard.  L'excellent  chef  d'orchestre  ne  se  cantonne  d'ailleurs  pas  dans 
les  œuvres  dont  l'effet  est  certain;  il  cherche  du  nouveau,  et  c'est  ainsi 
qu'on  a  pu  chaleureusement  applaudir  une  Sérénade  de  M.  Jadassohn,  un 
des  compositeurs  les  plus  distingués  de  l'Allemagne  contemporaine,  le 
Ballet  persan  de  Moussorgski,  les  Danses  viennoises  de  M.  Richard  Mandl. 
La  sérénade  de  M.  Jadassohn  est  une  œuvre  remarquable  dont  certaines 
parties,  le  Nocturne  entre  autres,  sont  d'une  délicieuse  couleur  orches- 
trale. D'autres  œuvres  encore.  Au  soir,  la  délicate  rapsodie  de  Raff,  l'Ou- 
verture de  concert  de  Th.  Dubois,  Béatrice  d'Emile  Bernard,  le  prélude  de 
Thamara  de  Bourgault-Ducoudray,  les  Préludes  de  Liszt,  la  Pavane  de  Gabriel 
Fauré,  ont  été  remarquablement  exécutés  et  ont  valu  le  plus  vif  succès  au 
promoteur  des  si  intéressants  concerts  du  Palmarîum. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire  :  même  programme  que  dimanche  dernier. 

Chitelet,  concert  Colonne  ;  Première  partie  de  la  Vie  du  poète  (Gustave  Char- 
pentier), soli  par  M»"  Tarquini  d'Or  et  Planés,  MM.  Cazeneuve  et  Jean  Reder. 

—  3*  acte  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner),  chanté  par  M""  Kutscherra  (Brunhilde), 
Mathieu  (Woglinde),  Texier  (Wellgunde),  Planés  (Flossilhde),  MM.  Cazeneuve 
(Siegfried),  Edwy  (Gunther),  Vieuile  (Hagen). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  (supplémenLaire)  :  troisième 
et  dernière  audition  du  Messie  (Hœndel),  chanté  par  M'"  Jenny  Passama,  M"'  Marie 
Morel,  MM.  Lafarge  et  Auguez.  Le  grand  orgue  sera  tenu  par  M.  E.  Lacroix. 

Concerts  du  Jardin  d'acclimatation.  Chef  d'orchestre,  Louis  Pister. —ie  Christ, 
suite  d'orchestre  (Cl.  Lippacher).  —  Le  Sommeil  de  Jésus  (II.  Maréchal).  —  Minuetto, 
(Bolzoni).  —  Riensi,  ouverture  (Wagner).  —  Andante,  5°  symphonie  (Beethoven). 

—  Aubade  n-  2  (Lalo).  —  Symphonie-ballet  (B.  Godard). 

—  C'est  un  artiste  très  complet  aujourd'hui  que  M.  Léon  Delafosse.  Dans 
les  deux  concerts  qu'il  vient  de  donner  coup  sur  coup  à  la  salle  Érard,  son 
jeune  talent  de  pianiste  s'est  vigoureusement  affirmé.  Il  a  la  grâce,  la 
délicatesse,  comme  aussi  la  vigueur  et  la  puissance  au  bon  moment.  Son 
jeu  est  coloré  et  la  sentiment  musical  en  est  exquis  et  nullement  banal, 
s'adaptant  merveilleusement  aux  œuvres  de  diverses  provenances  qui  furent 
exécutées.  Au  premier  concert  il  a  joué,  entre  autres  morceaux,  tout  le 
Carnaval  de  Schumann  avec  tour  à  tour  une  poésie  et  une  verve  très  frap- 
pantes, comme  aussi  l'Invitation  à  la  valse  de  Weber  revue  et  augmentée  par 
M.  Tausig  et  une  rapsodie  de  Liszt  étourdissante;  entre-temps,  diverses 
pièces  de  Schubert  et  de  Chopin  et  un  ravissant  Nocturne  de  sa  propre 
composition.  Au  2"  concert,  M.  Delafosse  s'était  adjoint  un  orchestre  pour 
l'exécution  du  Goncertstûck  de  Weber  et  celle  d'un  concerto  de  Liszt. 
Exécution  vertigineuse  pour  le  premier,  et  pleine  de  fantaisie  et  de  brio 
pour  le  second.  Il  y  eut  aussi  à  ce  dernier  concert  deux  cycles  de  mélodies 
du  jeune  compositeur  :  les  Chauves-souris,  écrites  sur  des  vers  de  M.  de 


Montesquieu,  et  Soirs  d'amour,  inspirés  par  des  poèmes  de  M.  Henri  de  Ré- 
gnier. C'est  extrêmement  intéressant  comme  raffinement  d'art  et  véritable 
personnalité.  M.  Clément  a  chanté  les  premières  de  ces  mélodies  et  Mi'«  Le- 
jeune  les  secondes  avec  beaucoup  de  succès  et  plusieurs  bis  mérités. 
M.  Léon  Delafosse  a  donc  doublement  triomphé  et  comme  virtuose  de 
premier  ordre  et  comme  compositeur  de  mérite  certain. 

—  La  séance  consacrée  vendredi  dernier,  à  l'audition  des  lO"-'  et  13  qua- 
tuors de  Beethoven,  a  été  particulièrement  intéressante.  Le  quatuor 
A.  Geloso,  Tracol,  Monteux,  Schneklud  a  interprété  ses  œuvres  avec  une 
grande  intelligence  des  détails  et  une  homogénéité  de  puissante  sonorité. 
Lundi  prochain  30  mars,  à9heuresdu  soir,  nouvelle  salle  Pleyel,  cinquième 
et  dernière  séance.  Au  programme,  les  11'  et  16'  quatuors  de  Beethoven 
et  la  grande  fugue. 

—  Un  jeune  violoniste  fort  distingué,  M.  Tracol,  a  commencé  une  série 
fort  intéressante  de  concerts  historiques  du  violon,  dont  le  premier  a 
obtenu  tout  le  succès  qu'il  méritait.  Dans  cette  première  séance,  consacrée 
au  dix-septième  siècle,  M.  Tracol  a  fait  entendre  une  sonate  (en  sol)  de 
Giov.  Batt.  Fontana,  dont  le  largo  surtout  est  intéressant,  une  sonate  (en 
ut  mineur)  de  Henri  de  Biber,  dont  la  passacaglia  nous  montre  le  premier 
effet  de  double-corde,  et  une  chaconne  de  Tomaso  Vitali,  qui  est  la  plus 
importante  au  point  de  vue  de  la  virtuosité.  M.  Tracol  a  joué  avec  beau- 
coup de  goût  et  de  sobriété,  avec  le  style  qui  leur  convient,  ces  divers 
morceaux,  pour  lesquels  M.  Ch.  Tournemire  avait  écrit,  d'après  la  basse 
chiffrée,  un  accompagnement  de  piano  fort  bien  fait.  L'accueil  très  cha- 
leureux que  M.  Tracol  a  reçu  du  public  ne  peut  que  l'encourager  dans  sa 
tentative  très  intelligente,  dont  le  succès  n'est  plus  douteux.  Il  était  aidé, 
pour  les  autres  parties  de  son  concert,  par  MM.  Ch.  Morel,  Cesare  Geloso, 
Monteux  et  Schneklud.  A.  P. 

—  C'est  de  chaleureuses  et  unanimes  approbations  qu'a  récoltées  à  son 
concert  de  vendredi  l'éminent  pianiste  russe,  M.  N.  de  Lestovnitchy.  Une 
grande  virtuosité,  une  belle  sonorité,  beaucoup  de  puissance,  un  grand  méca- 
nisms,  un  toucher  délicieux  et  une  grande  finesse  de  nuances,  telles  sont 
les  qualités  qu'a  révélées  M.  Lestovnitchy. 

—  M.  Colonne  annonce  pour  son  concertdu  vendredi  3  avril,  à  8  heures 
du  soir,  une  séance  extraordinaire  consacrée  aux  œuvres  de  Berlioz  et 
Wagner,  avec  lecture  et  conférence  de  M.  Catulle  Mondes. 

En  voici  le  programme  :  , 

PREMIÈRE  PARTIE.    —   BERLIOZ 

Ouverture  d&s  Francs- Juges  ; 
La  Mort  d'Ophélie  ; 
Marche  funèbre  d'Hamlei. 

Lecture  par  M.  Catulle  Mondes. 
VEnfance  du  Christ  (fragment)  :  M.  Emile  Cazeneuve  ; 
Requiem  {Dies  irœ  et  Tuba  mirum). 

DEUXIÈME  PARTIE.   —  WAGNER 

Conférence  par  M.  Catulle  Mendès. 
Les  Maîtres  Chanteurs  {Cha.nt  d'épreuve  de  Walther);  M.  Emile  Cazeneuve; 
Tristan  et  Yseult  (scène, finale)  :  M'"  Elise  Kutscherra; 
Parsifal,  grande  scène  religieuse. 

—  Les  quatre  concerts  d'orgue  et  orchestre  de  M.  Alexandre  Guilmant, 
au  Trocadéro,  auront  lieu  cette  année  les  jeudis  9,  16,  23  et  30  avril. 
M.  Gabriel-Marie  conduira  l'orchestre,  et  l'un  de  ces  concerts  sera  consa- 
cré à  l'audition  d'une  œuvre  de  Bach,  avec  le  concours  des  Chanteurs  de 
Saint-Gervais. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (26  mars)  : 

La  Monnaie  vient  de  remporter  avec  la  Vivandière  un  nouveau  succès.  On 
pouvait  craindre  que  le  caractère  un  peu  chauvin  du  libretto  de  M.  Henri 
Gain  ne  trouvât  point  d'échos  auprès  du  public  bruxellois,  et  que  la  par- 
tition claire,  simple  et  vive  de  Benjamin  Godard  fut  jugée  trop  peu  sé- 
rieuse pour  les  goûts  habituels  de  la  partie  grave  de  ce  public,  ennemie 
du  sourire  et  des  grâces...  Il  n'en  a  rien  été.  Le  libretto  a  tour  à  tour 
diverti  et  ému,  et  la  musique  a  paru  charmante  dans  sa  franchise  et  son 
ingénuité.  Si  bien  que  nous  avons  eu  une  deuxième  édition  du  spectacle 
que  nous  avait  offert,  il  y  a  quelques  semaines,  la  reprise  de  la  Fille  du 
Régiment.  Contrairement  à  ses  prévisions,  le  public  s'était  alors  amusé 
comme  un  dieu  ;  là  où  il  avait  cru  bâiller,  il  avait  ri,  et  rien  n'avait  pu 
empêcher  sa  joie  d'éclater...  Aussi  en  avait-il  éprouvé  une  violente  colère. 
S'amuser  à  un  vieil  opéra,  c'est  trop  fort  !...  Ah  !  ce  qu'il  était  furieux  !  Je 
vous  l'ai  dit,  je  pense.  Eh  bien  !  il  n'a  pas  été  moins  furieux,  me  semble- 
t-il,  cette  fois-ci.  D'avance  il  haussait  les  épaules...  La  Vivandière,  une 
pièce  gaie,  une  pièce  à  soldats,  comme  la  Fille  du  tambour-major  sans  doute; 
une  petite  musique,  une  opérette  peut-être...  A  la  Monnaie!  Au  lende- 
main du  Tannliduser  !...  Mais  peu  à  peu  le  voilà  séduit,  enchanté...  Quelle 
bonne  soirée  !...  Quand  il  a  retrouvé  ses  «  esprits  »,  il  était  trop  tard...  Il 
ne  se  le  pardonnera  jamais. 


102 


LE  MÉNESTREL 


Rendons  justice  à  l'interprétation  qui  a  aidé  largement,  à  produire  cette 
bonne  impression.  M""  Armand,  avec  une  souplesse  insoupçonnée,  a  joué 
le  rôle  de  Marion  d'une  façon  remarquable,  et  elle  l'a  chanté  avec  une 
verve  et  un  sentiment  parfaits  :  M.  Gilibert  n'est  pas  moins  excellent  dans 
celui  du  vieux  sergent  La  Balafre,  où  il  a  pu  faire  valoir  ses  précieuses 
qualités  de  chanteur  et  de  comédien.  MM.  Bonnard  et  Cadio  et  M"''  Mastio 
complètent  un  ensemble  qui  laisse  fort  peu  de  chose  à  désirer.  M.  Henri 
Gain  était  venu  mettre  l'ouvrage  en  scène  ;  les  artistes  ont  été  émerveillés 
de  ses  conseils  ;  jamais,  disaient-ils,  ils  n'avaient  vu  un  pareil  régisseur, 
répandant  partout  la  vie  et  l'animation.  Aussi  attendent-ils  avec  impa- 
tience le  jour  où  un  prochain  ouvrage  de  lui  nous  le  ramènera  ! 

Le  concert  populaire  de  dimanche  —  le  dernier  de  la  saison  —  a  été 
des  plus  intéressants.  On  y  a  entendu  pour  la  première  fois  un  petit  poème 
choral  et  symphonique,  le  Pèlerinage  à  Kevlaar,  de  M.  Humperdinck,  l'au- 
teur de  l'opéra  Hœnsel  et  Gretel,  œuvre  aimable,  d'une  forme  très  simple  et 
d'un  joli  sentiment  mélodique,  à  défaut  d'accent  bien  original  :  puis  le 
Chant  élégiaqtie  de  Beethoven,  la  Sulamite  de  Chabrier  et  la  scène  religieuse 
de  Parsifal.  A  part  cette  dernière,  qui  était  connue  à  Bruxelles,  où  les 
Concerts  populaires  l'ont  exécutée  plusieurs  fois,  c'est  la  vibrante  et  co- 
lorée Sulamite  qui  a  produit  la  plus  vive  impression  et  a  été  le  «  clou  » 
de  la  séance.  L'exécution  de  tout  cela  a  été  excellente  par  l'orchestre  de 
M.  Joseph  Dupont  et  le  Choral  mixte,  avec  le  concours  de  M.  Emile  Engel 
et  de  M"'-'*  Eléonore  Blanc  et  Friche,  également  très  applaudis. 

Parmi  les  matinées  musicales  que  la  Libre  Esthétique  a  organisées 
pendant  le  cours  de  son  Exposition  annuelle,  sous  la  direction  de 
M.  Eugène  Ysaye,  il  faut  signaler  particulièrement  celle  qui  a  eu  lieu 
mardi,  car  elle  a  révélé  un  compositeur  nouveau,  d'un  rare  mérite 
M.  Albert  Eibenschûtz,  un  Hongrois  établi  en  Allemagne,  professeur  au 
conservatoire  de  Cologne  et,  tout  récemment,  à  Berlin.  M.  Ysaye  a  con- 
sacré cette  séance  exclusivement  à  quelques  œuvres  inédites  de  M.  Eiben- 
schiitz:  une  sonate  pour  violon  et  piano,  un  quatuor  et  des  mélodies.  Le 
succès  en  a  été  considérable  ;  elles  ont  mis  en  relief  un  talent  très  per- 
sonnel, plein  de  vie  et  de  s'entiment;  alliant  une  science  harmonique  con- 
sommée à  une  inspiration  charmante  et  profonde,  dans  un  caractère  fait 
à  la  fois  de  rêverie  allemande  et  de  fougue  slave.  Voilà  certainement  des 
qualités  peu  communes,  et  le  nom  d'Albert  Eibenschiitz  est  à  retenir. 

L.  S. 

—  M.  Th.  Radoux,  directeur  du  Conservatoire  de  Liège,  vient  de  publier 
le  catalogue  du  Musée  Grétry,  fondé  par  lui  en  1882,  et  dont,  plus  récem- 
ment, il  a  fait  hommage  à  la  ville  natale  du  compositeur.  De  précieux  do- 
cuments relatifs  au  vieux  maitre  de  l'Opéra-Gomique,  le  Molière  de  la 
musique,  comme  l'appelaient  ses  contemporains,  ont  trouvé  place  dans  ce 
musée  :  portraits  nombreux,  autographies,  lettres,  souvenirs  et  reliques  de 
diverses  espèces,  sans  parler,  bien  entendu,  de  ses  propres  ouvrages  et  des 
écrits  dont  il  a  été  l'objet.  Il  y  a  là  une  collection  évidemment  unique,  et 
qui  sera  précieuse  à  ceux  qui  voudront  étudier  en  détail  les  particularités 
relatives  à  l'œuvre  et  à  la  personnalité  si  intéressante  dé  Grétry.     J.  T. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne:  «Depuis  le  grand  succès  de  Werther,  l'Opéra 
impérial  n'a  pas  produit  une  nouvelle  œuvre  aussi  intéressante  que  le 
Grillon  du  foyer,  paroles  de  M.  A  Willner,  d'après  Dickens,  musique  de 
M.  Cari  Golmark.  Le  compositeur  de  la  Reine  de  Saba  et  de  Merlin  vient  de 
donner  une  note  inattendue  dans  son  talent,  qui  semblait  exclusivement 
porté  vers  le  pathétique  et  la  pompe  du  grand  opéra.  Dans  le  Grillon  du 
foyer,  la  musique  de  M.  Goldraark  reste  simple  et  intime,  parfois  même 
de  caractère  populaire  ;  l'orchestre  seul  a  conservé  toutes  les  splendeurs 
et  tout  le  raffinement  d'antan.  Le  prélude  du  troisième  acte,  qui  compte 
parmi  les  plus  charmantes  pages  du  célèbre  compositeur,  a  surtout  produit 
un  effet  irrésistible;  on  a  dû  le  répéter,  comme  jadis  le  fameux  intermezzo 
de  Cavalleria  rusiicana.  Le  compositeur  et  ses  interprètes,  parmi  lesquels 
se  distingue  M»'- Renard,  ont  été  rappelés  après  tous  les  actes;  à  la  fin 
M.  Goldmark  à  dû  se  montrer  tout  seul  plusieurs  fois  au  public  enthou- 
siasmé. Dans  quelques  jours,  l'œuvre  nouvelle  sera  aussi  jouée  à  l'Opéra 
royal  de  Budapest.   « 

—  L'Opéra  de  Vienne  fera  relâche  cet  été  pendant  dix  semaines  environ. 
H  sera  fermé  du  12  juin  au  18  août,  anniversaire  de  l'empereur  François- 
.Joseph,  car  il  faut  restaurer  complètement  le  plafond,  dont  les  peintures 
ont  beaucoup  souffert. 

—  Une  instruction  criminelle  fort  pénible  a  mis  en  émoi  le  monde 
musical  de  Vienne.  Le  procureur  impérial  accuse  de  parjure  M.  Charles 
Zeller,  conseiller  aulique  au  ministère  de  l'instruction  publique,  faisant 
fonction  de  directeur  des  beaux-arts,  et  compositeur  de  musique  fort 
populaire.  Ses  deux  opérettes  le  Mineur  et  le  Marchand  d'oiseaux  ont  eu  à 
Vienne  et  en  Allemagne  presque  autant  de  succès  que  les  meilleures 
opérettes  de  Johann  Strauss  et  de  Siippé.  Il  s'agit  d'une  alVaire  compli- 
quée de  succession,  et  on  ne  comprend  pas  trop  comment  M.  Zeller  ait 
pu  se  compromettre  de  cette  sorte,  car  toute  la  somme  en  litige  ne  dépasse 
pas  60.000  francs  et  encore  la  nue  propriété  de  cette  somme  était-elle  en 
tout  cas  assurée  à  M.  Zeller.  On  espère  encore  que  M.  Zeller,  qui  est 
tombé  gravement  malade,  réussira  à  prouver  son  innocence. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  a  joué  avec  succès  un  nouvel  opéra 
en  trois  actes.  Beaucoup  de  bruit  pour  rien,  évidemment  tiré  de  la  célèbre 
comédie  de  Shakespeare,  et  dont  la  musique  est  due  à  M.  A.  Doppler. 


D'autre  part,  un  opéra-comique  posthume  de  Frédéric  Lux,  la  Princesse 
d'Athènes,  vient  d'être  joué  avec  un  vif  succès  au  théâtre  municipal  de 
Mayence. 

—  On  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès,  à  l'Opéra  de  Budapest, 
un  opéra-comique  inédit,  le  Rôdeur  du  village  (A  falu  rossza),  musique  de 
M.  Jenô  Hubay,  professeur  au  Conservatoire  de  cette  ville.  Nous  avons 
déjà  annoncé  cet  opéra,  mais  une  coquille  d'un  journal  hongrois  nous 
avait  fait  donner  une  traduction  inexacte  du  titre.  La  musique  de  cette 
œuvre  se  distingue  par  son  caractère  essentiellement  hongrois,  et  ce  sont 
justement  les  morceaux  d'une  allure  nationale  prononcée  qui  ont  été  vive- 
ment applaudis.  Le  Rôdeur  du  village  confirme,  du  reste,  les  qualités  de  forme 
que  le  premier  opéra  de  M.  Hubay,  le  Luthier  de  Crémone,  a  fait  connaître,  et 
fera  sans  doute  également  son  chemin  sur  les  scènes  lyriques  allemandes. 

—  Un  éditeur  théâtral  de  Berlin  a  reçu  dernièrement  une  lettre  chargée 
contenant  quinze  francs  environ,  avec  un  mot  d'un  chanoine  suisse  lui 
expliquant  qu'une  de  ses  ouailles,  directeur  d'un  petit  théâtre  de  Suisse, 
avait  tiré  un  gain  illicite  en  jouant  deux  œuvres  dramatiques  publiées  par 
ledit  éditeur,  sans  autorisation  et  sans  avoir  acquitté  les  droits  d'auteur, 
qui  montaient  à  la  somme  modeste  restituée  par  l'intermédiaire  du  confes- 
seur. Le  chanoine  demandait  une  quittance  en  règle,  qui  lui  fut  envoyée 
par  l'éditeur.  En  Angleterre  et  en  France,  le  ministre  des  finances  reçoit 
souvent  des  sommes  plus  ou  moins  considérables  que  des  citoyens  anony- 
mes lui  adressent  en  s'accusant  d'avoir  fraudé  le  Trésor,  et  cet  «  argent  de 
conscience  »  (conscience  money)  arrive  tous  les  ans  à  une  somme  assez  ron- 
delette. Mais  un  directeur  de  théâtre,  catholique  et  pratiquant,  qui  resti- 
tue des  droits  d'auteur  sans  que  la  loi  l'y  oblige,  uniquement  parce  que 
son  confesseur  le  lui  ordonne,  est  certainement  un  phénomène  unique. 

—  Un  opéra-comique  inédit,  le  Nabab,  paroles  de  M.  R.  Manz,  musique 
de  M.  J.  Clément,  vient  d'être  joué  avec  beaucoup  de  succès  au  théâtre 
municipal  de  Troppau,  où  le  compositeur  tait  fonction  de  chef  d'orchestre. 

—  Après  ses  grands  succès  à  Vienne  et  à  Varsovie,  M"«  Clotilde  Klee- 
berg  a  été  acclamée  à  Saint-Pétersbourg,  où  un  honneur  tout  spécial  lui 
était  réservé.  S.  M.  l'impératrice  de  Russie  l'a  invitée  à  venir  st-  faire  en- 
tendre au  palais,  où  M"°  Rleeberg  a  exécuté  devant  elle  une  série  de  mor- 
ceaux classiques  et  modernes.  Sa  Majesté  a  exprimé  à  la  jeune  artiste 
«  toute  son  admiration  »  pour  son  beau  talent. 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Pétersbourg  que  M™'  Sigrid  Arnoldson  y  a 
joué  trois  fois  de  suite  Mi/îion,  et  que  cas  trois  représentations  extraordi- 
naires ont  rapporté,  grâce  à  la  forte  majoration  des  prix  d'entrée',  la  somme 
de  trente  mille  roubles  environ,  soit  plus  de  cent  mille  francs. 

—  Voici  que  notre  Henri  Murger  fait  fureur  en  Italie.  Après  M.  Puccini, 
qui  vient  de  faire  représenter  avec  succès  un  opéra  intitulé  la  Bohême, 
M.  Leoncavallo  s'apprête  à  offrir  au  public  un  ouvrage  qui  porte  le  même 
titre  et  qui  est  conçu  sur  le  même  sujet.  C'est  au  Théâtre-Lyrique  de 
Milan  que  celui-ci  verra  le  jour.  D'une  interview  k  laquelle  l'auteur  s'est 
prêté,  il  résulte  que  l'action  de  son  opéra  sera  absolument  différente  de 
celle  qui  a  été  traitée  par  M.  Puccini,  et  que  la  musique  ne  différera  pas 
moins,  par  son  genre  et  son  accent,  de  celle  de  son  confrère. 

—  D'un  relevé  fait  par  notre  confrère  le  Trovatore,  il  résulte  que  la  pro- 
duction théâtrale  en  Italie  se  chiffre,  pour  l'année  189b,  par  un  total  de 
292  pièces  de  tout  genre.  Dans  le  nombre,  se  trouvent  86  comédies,  59  drames  , 
•31  opéras  et... 29 opérettes!  vingt-neuf  opérettes,  dans  le  pays  qui  a  vu  naître 
Cimarosa,  Paisiello,  Piccinni  !  Rossini  et  Bellini.  0  déesse  de  l'Harmonie, 
voile-toi  la  face  ! 

—  Le  théâtre  Costanzi,  de  Rome,  aura,  pendant  la  saison  de  printemps, 
une  série  de  représentations  lyriques  pour  lesquelles  on  a  engagé  M.  Stagno 
et  M™"  Bellincioni.  Au  cours  de  cette  saison  aura  lieu  la  représentation 
d'un  opéra  nouveau,  la  Sorella  di  Marx,  dont  la  musique  est  due  à  un  jeune 
compositeur,  M.  Setaccioli.  Le  sujet  de  cet  opéra  est  de  M™  Bellincioni, 
et  c'est  M.  Golisciani  qui  en  a  écrit  le  livret. 

•—  Les  étudiants  de  l'Université  de  Bologne  ont  fait  représenter  der- 
nièrement avec  beaucoup  de  succès,  sur  le  théâtre  du  Corso,  une  opérette 
intitulée  il  Matrimonio  di  Bombacina,  dont  le  livret,  du  à  l'un  d'eux,  M.  Ales- 
sandro  Tirelli,  a  été  mis  en  musique  par  plusieurs  compositeurs  étudiants, 
savoir:  le  prologue  par  M.  Federico  Bugamelli,  le  premier  acte  par 
MM.  G.  Grazioli,  A.  Rubbi,  H.  de  Matthaeis  et  Bugamelli,  et  le  second  par 
M.  Ugo  Délia  Noce. 

—  Certains  tliéàtres  d'Italie  paraissent  damer  le  pion  à  certaines  de  nos 
scènes  départementales,  sous  le  rapport  de  l'étendue  du  spectacle.  Un 
journal  de  Naples,  il  Cigno,  nous  apprend  que  le  dimanche  8  de  ce  mois, 
au  théâtre  des  Fiorentini,  on  jouait  dans  la  même  soirée  Norma  et...  le 
Trovatore.  Commencée  à  six  heures,  cette  soirée  solide  et  substantielle  s'est 
terminée  bien  au  delà  de  minuit.  M°"^  Calderazzi,  la  prima  donna,  a  joué 
l'un  après  l'autre  les  deux  rùles  de  Norma  et  de  Léonore.  L'infortunée!... 

—  En  annonçant  dernièrement  que  Manuel  Garcia  fils,  à  Londres,  entrait 
dant  sa  quatre-vingt-douzième  année,  nous  l'avons  appelé  le  doyen  des 
chanteurs  vivants.  Or,  nous  recevons  une  lettre  de  Copenhague  où  l'on 
nous  dit  que  le  compositeur  Jean-Paul-Émile  Hartmann  a  exactement  le. 
même  âge.  Il  fait  encore  fonction  de  cantor  à  la.  F  rue  Kirhe  (église  de  la 
Vierge)  à  Copenhague,  où  on  peut  le  voir  et  l'entendre  tous  les  dimanches. 


LE  MENESTREL 


103 


—  La  question  du  diapason  normal  en  Angleterre.  Le  Journal  de  ta  Société 
des  Arts  de  Londres,  organe  de  la  société  du  même  nom,  nous  apporte  le 
texte  d'une  lecture  faite  devant  les  membres  par  M.  A.-J.  Hipkins,  à  pro- 
pos de  l'unification  du  diapason.  Après  un  historique  sérieux  et  concis  de 
la  question,  M.  Hipliins  en  arrive  à  une  conclusion  qui  peut  se  résumer 
ainsi  :  Décider  quel  diapason,  de  l'anglais  ou  du  continental,  doit  être  pré- 
féré, est  certes  controversable.  Mais  au  point  de  vue  pratique,  là  n'est  pas  la 
question.  Deux  diapasons  sont  en  présence,  l'un  usité  en  Angleterre,  l'autre, 
dit  «  normal  »,  employé  dans  tous  les  autres  pays  civilisés.  Il  est  d'une 
nécessité  pressante,  dans  l'intérêt  de  l'art,  qu'un  diapason  unique  régisse 
la  fabrication  des  instruments  et  les  exécutions  musicales.  Quel  est  le 
chemin  le  plus  court  pour  atteindre  ce  résultat?  C'est  évidemment  d'adop- 
ter le  diapason  déjà  usité  dans  le  monde  entier,  c'est-à-dire  le  diapason 
normal,  qui  deviendrait  enfin  le  diapason  international  tant  désiré.  — 
C'est  la  solution  que  tous  les  bons  esprits  n'ont  cessé  de  préconiser.  Il 
faut  espérer  qu'elle  finira  par  prévaloir. 

—  On  sait —  ou  l'on  ne  sait  pas  —  que  le  banjo  est  un  instrument  qui  depuis 
plusieurs  années  fait  fureur  en  Amérique,  où  sa  concurrence  est  redouta- 
ble pour  le  piano.  Le  banjo,  d'invention  relativement  récente,  est  une  sorte 
de  guitare  à  long  manche,  dont  le  corps  est  formé  d'une  membrane  tendue 
sur  urr  cadre  circulaire.  On  voit,  on  entend,  on  joue  le  banjo  partout  chez 
les  Yankees,  et  pour  preuve  de  sa  vogue,  voici  l'annonce  que  nous  apporte 
un  journal  de  New-York,  the  Musical  Age  :  «  La  neuvième  réunion  de  la 
célèbre  société  des  joueurs  de  banjo  des  Etats-Unis  aura  lieu  prochaine- 
ment. Parmi  les  instrumentistes  renommés  qui  se  feront  entendre,  on  cite 
Reuben  Brooks,  Harry-M.,  Denton,  Vess-L.  Ossman,  P.-G.  Shortiss,  le 
Paganini  du  banjo,  et  Alfred-A.  Farland,  le  Paderewski  du  banjo,  qui  a  eu 
tant  de  succès  l'an  dernier,  en  jouant  sur  le  banjo  la  8"  Sonate  de  Beethoven 
pour  violon.  On  entendra  également  un  orchestre  de  bO  mandolinistes  fémi- 
nins, et  un  autre  de  100  banjoïstes;  Miss  Leech  fera  entendre  des  mélodies 
avec  accompagnement  de  banjo.  »  Pour  une  séance  amusante,  voilà  une 
séance  qui  promet  d'être  amusante.  Et  ces  gens-là  disent  qu'ils  aiment  la 
musique! 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

A  l'Opéra  on  donne  demain  la  99'-  représentation  de  la  Korrigane,  le  char- 
mant ballet  de  Ch.-M.  Widor.  Il  ne  faut  donc  plus  qu'une  représentation 
pour  arriver  à  la  centième  de  cette  œuvre  si  fraîche,  si  délicate,  et  qui 
fait  si  grand  honneur  à  ses  auteurs.  Chose  curieuse,  c'est  M"'=  Rosita  Mauri 
qui  aura  dansé  les  cent  représentations  de  ce  ballet,  sans  y  avoir 
jamais  été  remplacée,  fait  unique  dans  les  annales  chorégraphiques  de 
l'Opéra. 

—  Puisque  nous  parlons  de  M.  Widor,  disons  aussi  qu'il  vient  d'achever 
la  partition  qu'il  écrivait  sur  un  livret  de  M.  Henri  Gain  :  les  Pécheurs  de 
Saint-Jean,  et  qui  doit  faire  partie  du  programme  de  l'Opéra-Comique  pen- 
dant la  saison  prochaine. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  avait  à  élire,  dans  sa  dernière  séance, 
deux  associés  étrangers.  Elle  a  nommé  le  peintre,  M.  H.  Herkomer,  de 
Londres,  en  remplacement  de  lord  Leighton,  et  M.  Johannes  Brahms,  com- 
positeur, à  Vienne,  en  remplacement  de  M.  Fiorelli,  de  Rome. 

—  Samedi  21  mars  a  eu  lieu  à  l'Hôtel  de  Ville,  sous  la  présidence  de 
M.  R.  Brown,  inspecteur  des  beaux-arts  de  la  Ville  de  Paris,  délégué  de 
M.  le  préfet  de  la  Seine,  assisté  de  MM.  Verbe  et  Alfred  Moreau,  membres 
de  la  quatrième  commission  du  conseil  municipal,  l'élection  des  quatre 
jurés  laissés  au  choix  des  compositeurs  ayant  pris  part  au  concours  musi- 
cal de  la  Ville  de  Paris.  Ont  été  élus  :  MM.  Théodore  Dubois,  Massenet, 
Emile  Pessard  et  Carvalho.  Ont  été  désignés  comme  jurés  supplémen- 
taires :  MM.  Mangin,  Bourgault-Ducoudray,  Paul  Vidal  et  Danbé. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  du  nouveau  cabinet,  M.  Gianturco,  est  un  dilettante  pas- 
sionné et  «  joue  délicieusement  du  violoncelle.  »  Ils  ajoutent  que  dans  un 
pays  artistique  comme  l'Italie  il  n'est  point  mal  que  parmi  les  chefs  du 
gouvernement  se  trouve  un  «  philharmonique.  »  Si  seulement  M.  Combes, 
notre  ministre  de  l'instruction  publique,  jouait  «  délicieusement  »  de 
l'ophicléide,  peut-être  consentirait-il  à  doter  notre  Conservatoire  du  direc- 
teur qui  continue  de  lui  manquer. 

—  Le  Sept  Paroles  du  Christ,  le  bel  oratorio  de  Théodore  Dubois,,  seront 
exécutées  le  vendredi  saint,  de  midi  et  demi  à  trois  heures,  à  l'église  de 
la  Madeleine,  et  aussi  dans  les  églises  Saint-Germain-des-Prés  et  Saint- 
Paul-Saint-Louis.  —  Le  jour  de  Pâques,  à  11  heures,  la  Messe  pontificale, 
du  même  auteur,  sera  également  exécutée  à  la  Madeleine.  En  province  et 
à  l'étranger,  les  Sept  Paroles,  qui  restent  l'œuvre  privilégiée  des  maîtres  de 
chapelle,  seront  exécutées  à  Verviers,  Angouléme,  Belfort,  Bergerac,  etc. 

—  La  question  des  chapeaux  de  femme  au  théâtre  continue  de  préoccu- 
per le  monde  entier  et  vient  de  traverser  les  mers,  obligeant  jusqu'aux 
hommes  d'Élat  à  compter  avec  elle.  On  annonce  en  effet  qu'aux  États- 
Unis  la  législature  de  l'État  d'Ohio  a  voté  une  loi  interdisant  aux  femmes 
de  porter  de  grands  chapeaux  au  théâtre  et  imposant  une  amende  de  dix 
dollars  aux  directeurs  qui  laisseront  entrer  des  personnes  portant  une 
coiffure  trop  volumineuse. 


—  Très  intéressante,  la  seconde  séance  donnée  par  M.  Gustave  Lefèvre, 
directeur  de  l'École  nationale  de  musique  classique,  pour  l'audition  du 
nouveau  grand  orgue  électro-pneumatique.  On  a  entendu  un  air  d'Elena  e 
Paride,  de  Gluck,  et  une  scène  de  Marie  Stuart,  de  Niedermeyer,  chantés 
par  M"''  Carbonnier,  une  sonate  de  Boccherini  exécutée  sur  le  violoncelle 
par  M.  Marthe,  qui  a  joué  plusieurs  pièces  de  Bach.  C'est  un  ancien  et 
excellent  élève  de  l'École,  M.  Jules  Stoltz,  qui  a  fait  entendre  avec  beau- 
coup de  succès  le  nouvel  orgue  ;  il  s'est  surtout  fait  vivement  applaudir, 
à  la  fin  de  la  séance,  dans  une  très  brillante  improvisation  dont  le  thème 
était  une  bourrée  de  J.-S.  Bach  que  M.  Marthe  venait  de  jouer  à  l'instant 
même. 

—  Le  vingt-et-unième  volume  (année  1895,  nouvelle  série)  des  Annales  au 
théâtre  et  de  la  musique,  par  MM.  Edouard  Noël  et  Edmond  Stoullig,  vient 
de  paraître  à  la  librairie  Berger-Levrault  et  C''".  Il  est  précédé  d'une  très 
intéressante  et  très  curieuse  préface  de  M.  Félix  Duquesnel,  qui  a  pour 
titre  et  pour  sujet:  De  l'évolution  des  répertoires  dramatiques.  Cet  ouvrage, 
dont  vingt  années  d'existence  ont  consacré  le  succès,  a  sa  place  marquée 
dans  la  bibliothèque  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  au  mouvement  théâtral 
de  notre  époque.  C'est  l'histoire  au  jour  le  jour  du  théâtre  contemporain. 

—  Extrait  du  dernier  feuilleton  de  M.  Victorin  Joncières  à  la  Liberté  : 
«  Avant  de  terminer  cet  article,  je  veux  dire  quelques  mots  de  la  séance  de 
musique  de  chambre  donnée  cette  semaine,  par  M.  Charles  Dancla,  dans  les 
salons  de  M"'«  Rosine  Laborde.  M.  Charles  Dancla  n'est  pas  seuleraentun  vio- 
loniste émérite,  c'est  aussi  un  compositeur  de  talent,  qui  jadis  obtint  le  second 
pris  de  Rome,  je  crois  bien  l'année  même  où  Gounod  remportait  le  premier. 
Cela  date  sans  doute  d'assez  loin  ;  mais  M.  Charles  Dancla  semble  défier  les 
années  par  la  vigueur  toute  juvénile  de  son  archet  et  la  verve  intarissable  de 
son  imagination.  Son  14«  quatuor  pour  instruments  à  cordes  est  en  eiîet 
une  œuvre  pleine  de  vie,  de  mouvement,  de  grâce  et  de  sentiment.  Certes 
M.  Dancla  y  est  resté  classique,  etsa  phrase  toujours  claire,  ses  harmonies 
souvent  ingénieuses,  mais  toujours  correctes,  n'ont  rien  à  voir  avec  les 
audacieuses  nouveautés  de  la  jeune  école.  J'avoue  que  je  ne  saurais  lui 
reprocher  d'être  resté  fidèle  aux  traditions  de  l'art,  dont  on  l'ait  aujour- 
d'hui si  bon  marché.  D'autant  plus  que,  tout  en  les  observant,  M.  Dancla 
sait  être  original,  aussi  bien  dans  la  forme  que  dans  l'idée.  Je  nien  veux 
pour  preuve  que  le  finale  de  son  quatuor,  d'un  tour  vraiment  nouveau,  d'une 
allure  tout  à  fait  personnelle.  Son  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle 
m'a  également  fait  grand  plaisir.  C'est  fin,  distingué,  spirituel  et  d'un  style 
concertant  tout  à  fait  approprié  au  genre  de  la  musique  de  chambre.  Je 
citerai  encore  les  jolies  pièces  pour  violon  :  Sous  lu  feuillée,  la  Gavotte,  le 
Slace  et  la  Gazelle,  que  M.  Dancla  a  jouées  avec  son  élégance  et  son  entrain 
habituels.  » 

—  Bien  intéressante  séance  musicale,  l'autre  soir,  chez  M'""  Krauss. 
Dans  la  première  partie  du  programme  la  grande  artiste  s'est  fait  accla- 
mer en  chantant  comme  elle  sait  faire  des  pages  de  Schubert,  Schumann, 
Gounod  et  Massenet.  Puis,  pour  la  seconde  partie,  elle  a  passé  la  parole  à 
ses  élèves,  et  alors  nous  avons  entendu  trois  d'entre  elles  dans  diverses 
scènes  d'opéras,  évoluant  en  costumes  sur  un  petit  théâtre  improvisé.  Il  y 
avait  là  une  toute  jeune  Napolitains,  M"«  Falieri,  qui  est  douée  d'une  voix 
exquise  de  mezzo-sdprano  au  timbre  doux  et  velouté  et  qui  a  chanté  jV/iV/nore 
en  donnant  les  plus  belles  promesses  pour  son  avenir.  M""=  Béer,  une 
Américaine  accentuée,  a  montré  aussi  de  sérieuses  qualités  dans  Carmen,  et 
M""  Price  n'a  pas  moins  réussi  dans  Lakmé,  mais  sa  voix  a  malheureuse- 
ment déjà  de  fâcheuses  tendance  au  chevrotement,  à  moins  que  ce  ne 
soit  un  effet  de  l'émotion.  MM.  Paul  Séguy  et  Bigot  donnaient  fort  obli- 
geamment les  répliques.  Ce  qu'il  faut  louer  avant  tout  dans  l'enseignement 
de  M""»  Krauss,  c'est  le  grand  sentiment  musical  qui  préside  à  ces  exécu- 
tions. Il  y  avait  longtemps  que  nous  n'avions  entendu  chanter,  même  dans 
les  théâtres,  Mignon,  Lakmé  ou  Carmen  avec  ce  respect  du  texte  même  de 
l'auteur  et  de  ses  intentions.  Nous  avons  retrouvé  là  bien  des  façons  de 
dire,  bien  des  traditions  que  les  compositeurs  avaient  inculquées  à  leurs 
interprètes  quand  ils  étaient  vivants  et  qui  tendent  de  plus  en  plus  à  dis- 
paraître des  théâtres  où  on  joue  leurs  œuvres  depuis  qu'ils  ne  sont  plus  là. 
Mme  Krauss,  avec  son  grand  sens  artistique,  les  a  toutes  retrouvées  et 
reconstituées.  C'est  honneur  à  elle! 

—  Trè's  beau  programme  musical,  jeudi,  chez  M"""^  Ed.  Colonne,  qui  a 
fait  entendre  ses  élèves  :  M"«  Bodelli,  M""'  Dettelbach  et  M"»  Mathieu 
dans  les  Soirs  d'été,  de  Widor;  M"' Baldodcchi,  dans  la  Chanson  sarrazine, 
de  Joncières;  M""'"  Jacquemin,  Eva  Rombro,  M"'=^  Arnouldt,  de  Runa,  Élise 
Mayrargues  et  M"'^  J.  de  Lespinasse,  dans  diverses  œuvres  de  Massenet 
(les  Oiselets,  air  de  Marie-Magdeleine,  Septembre,  air  d'Hérodiade,  Pensée  d'au- 
tomne, air  du  Cidj.  Grand  succès  pour  toutes,  ainsi  que  pour  M""=  Prinsler 
da  Silva,  pianiste  distinguée,  et  M.  Lœwensohn,  excellent  violoncelliste 
belge.  A  la  fin  du  programme,  on  a  acclamé  M°"^-"  Edouard  et  Mathilde 
Colonne  dans  Frissons  et  Fleurs,  de  Paul  Lacombe,  et  la  première  dans  le 
Non  Credo,  de  Widor,  l'Ondine,  de  Joncières,  et  Poète  et  Fantôme,  de  Masse- 
net,  accompagnés  par  les  auteurs.  Sa  splendide  voix  et  son  art  parfait  ont 
été  l'objet  de  longues  ovations.  (Figaro). 

—  Une  série  de  concours  pour  les  emplois  de  chef  et  de  sous-chef  de 
musique  s'ouvrira  en  avril  et  mai  prochains.  Les  épreuves  commenceront 
par  les  candidats  proposés  pour  les  régiments  d'infanterie,  savoir  :  épreu- 
ves  instrumentales  le  13  avril,  à  midi,  pour  les  candidats   à  l'emploi  de 


104 


LE  MENESTREL 


chef  de  musique,  les  14,  13,  16,  17  et  18,  à  midi,  pour  les  candidats  à  l'em- 
ploi de  sous-chef  de  musique  ;  épreuves  écrites  d'harmonie  et  d'orches- 
tration d'une  durée  de  douze  heures  chacune,  les  17  et  18  avril  pour  les 
premiers,  les  19  et  20  avril  pour  les  seconds.  50  sous-chefs  et  204  chefs  de 
fanfare  ou  soldats  musiciens  sont  convoqués  à  l'état-major  de  la  place  de 
Paris,  qui  les  placera  en  subsistance  dans  un  des  corps  de  la  garnison.  Un 
troisième  concours  aura  lieu  les  7,  8  et  9  mai  entre  14  chefs  de  musique 
des  régiments  d'infanterie  proposés  pour  le  même  emploi  dans  les  écoles 
d'artillerie  ou  les  régiments  de  génie. 

—  La  Messe  de  Saint-André,  de  M.  Adolphe  Deslandres,  sera  exécutée  à 
9  heures  et  demie,  le  jour  de  Pâques,  à  Notre-Dame  d'Auteuil,  sous  la 
direction  de  M.  l'abbé  Geispitz,  et  dans  la  basilique  du  Sacré-Cœur,  à 
Montmartre,  sous  la  direction  de  M.  Mulet.  ' 

—  Nantes.  —  Mercredi  dernier  avait  lieu,  dans  les  salons  de  la  maison 
Didion,  la  dernière  des  séances  de  musique  classique  organisées  par 
M.  H.  Weingaertner,  directeur  du  Conservatoire  de  musique  de  cette  ville, 
et  MM.  Piédeleu,  Hallez,  Insleghers,  professeurs  au  Conservatoire,  et 
Beccaria.  Figuraient  au  programme  le  quatuor  de  Brahms  et  le  quintette 
pour  instruments  à  cordes  de  Mendeissohn.  Le  faveur  croissante  avec 
laquelle  ont  été  successivement  accueillies  ces  auditions  si  intéressantes 
est  une  preuve  du  légitime  succès  obtenu  par  les  professeurs  nantais. 

On  nous  signale  de  Perpignan  le   grand  succès  obtenu   aux  concerts 

de  musique  classique  dirigés  par  M.  Gabriel  Baille,  directeur  du  Conser- 
vatoire, par  l'Étoile,  l'idylle  antique  de  MM.  Henri  Maréchal  et  PaulCoUin. 
L'exécution  avait  lieu  à  grand  orchestre,  ce  qui  en  doublait  l'attrait.  Com- 
pliments aux  solistes,  M"'*  A.  A.  Llobet,  Borallo  et  M.  Michel  Baux^ 
élève  du  Conservatoire,  aussi  qu'aux  chœurs,  qui  ont  tenu  leur  rôle  impor- 
tant avec  beaucoup  de  charme  poétique. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Intéressante  audition  des  élèves  de  M"  Gayrard- 
Paccini  et  Amaury,  au  cours  de  laquelle  on  a  applaudi  M""  Andrée  T.  {l'Amour 
est  un  enfant  trompeur,  ^Yeclverlin,  et  Aragonaise  du  Cid,  Massenet),  M""  Marie  de  M. 
(air  de  Marie- Ma gdeleine,  Massenet),  M""  Lucie,- Marthe  et  Berlhe  B.  etles  chœurs 
(la  Vierge,  Massenet),  M.  C.  I.  (air  d'Hérodiade,  Massenet),  M"'  D.  et  M.  D.  (duo  de 
Mignon,  Ambroise  Thomas),  M"'  et  M"'  D.  (duo  de  Paul  et  Virginie,  V.  Massé)  et, 
enfin,  M""  Amaury  {Elégie,  Massenet).  —  A  Bourges,  très  bonne  audition  des 
élèves  de  M.  et  M""'  Marquet.  A  signaler  tout  particulièrement  M""  C.  et  D.  (duo 
de  Paul  et  Virginie,V.  Massé),  M"'  B.  {Pourquoi?  de  Lakmé, héo  Delibes),  M.  S.  (air 
du  Songe  d'une  nuit  d'été,  Ambroise  Thomas),  M"'  \'.  et  M.  B  (duo  de  Sigurd,  Reyer), 
M.  d'A.  (arioso  de  Françoise  de  Rimini,  Ambroise  Thomas),  M"»'  B.  C.  D.  (les  Trois 
Belles  Demoiselles,  Pauline  Viardot),  M"'  C.  (air  du  Cid,  Massenet),  M""  N.,  MM.  B. 
et  d'.A.  (trio  d'Hamlet,  Ambroise  Thomas)  et  M'"  C.  (air  d'Hamlet,  Ambroise  Tho- 
mas). —  M"'  Emilie  Leroux  a  lait  entendre  au  Théâtre-Mondain  ses  élèves.  On  a 
surtout  applaudi  le  duo  de  Sigurd  (M"'  R.  et  M.  M.),  le  duo  de  Lakmé  IW"  M.-A. 
B.  et  M.  B.),  le  duo  du  Roi  d'Ys  (M""  S.  et  G.),  le  trio  du  Songe  d'une  nuit  d'été 
(M"'  T.,  M-'  P.,  M.  L.),  le  duo  du  Cid  (M"'  K.  et  M.  M.),  le  sextuor  d'Eros,  de  Paul 
Vidal  (M""  P.,  R-,  P.,  MM.  M.  H.  P.),  le  Poème  d'amour,  de  Massenet  (M"°  R.  et 
.M.  H.)  enfin  le  trio  de  la  Guzla  de  l'Émir,  de  Théodore  Dubois  (M"'  T.,  MM.  M.  et 
L.).  —  Salle  Kriegelstein,  réussite  pour  le  concert  donné  par  M"'  Véras  de  la 
Bastière,  qui  s'est  fait  applaudir  dans  le  duo  d'Hamlet,  M.  Pastour  lui  donnant 


la  réplique.  ^L  Pastour  seul,  a  eu  grand  succès  dans  Crépuscule,  de  Massenet, 
ainsi  que  M.  Choinet,  dans  la  Méditation  de  Thdis.  —  Brillante  matinée  chez 
M.  A.-M.  Auzende  pour  l'audition  de  ses  élèves  grands  et  petits.  L'exécution  du 
/='  concerto  de  Chopin  par  M"'  L.  'W'iggishofl'  nous  a  montré  une  virtuose  accom- 
plie. La  sûreté,  la  finesse,  la  précision,  un  style  parfait,  telles  sont  les  qualités 
qui  font  le  succès  de  cette  école.  M.  A.-M.  Auzende  a  été  également  très  applaudi 
comme  virtuose  et  comme  compositeur.  Son  Récitant  et  Romance  a  été  admira- 
blement exécuté  par  M.  Martinet,  jeune  violoniste  de  l'Opéra.—  Concert  donné 
à  la  salle  Érard  le  par  M"o  Me  Langbiin,  la  brillante  élève  de  M.  E.  De- 
combes,  secondée  par  M-'  Tassu-Spencer  et  M""  Harel,  et  par  les  virtuoses 
Joseph  White  et  Mariotti.  Elle  a  interprété  divers  morceaux  de  Chopin,  Delibes, 
Grieg,  Hiller  et  Thomé.  M.  Mariotti  a  été  très  applaudi  après  sa  belle  exécution 
des  morceaux  de  Popper,  et  M.  White  a  obtenu  aussi  le  succès  qui  le  suit 
liartout. 

NÉCROLOGIE 

Les  journaux  anglais  nous  apportent  la  nouvelle  de  la  mort  subite, 
à  Belfast,  du  second  frère  du  célèbre  violoniste  Henri  Vieutemps,  Jules- 
Joseph-Ernest  Vieuxtemps,  qui  était  lui-même  un  violoncelliste  distingué. 
Né  à  Bruxelles  non  le  13,  comme  il  a  été  imprimé  par  erreur,  mais  le 
18  mars  1832,  Ernest  Vieuxtemps  avait  fait  ses  études  au  Conservatoire  de 
cette  ville.  Henri,  Lucien,  le  pianiste,  et  Ernest,  formaient  un  trio  superbe. 
Le  5  mars  ISSH,  tous  trois  dounaient  au  théâtre  royal  de  Liège  un  concert 
dont  le  succès  fut  éclatant,  concert  dans  lequel,  entre  autres  morceaux,  ils 
exécutèrent,  aux  applaudissements  du  public,  la  Méditation  sur  un  prélude  de 
Bach,  de  Gounod,  pour  piano,  violon  et  violoncelle.  En  cette  même  année 
18bS,  Henri  étant  allé  donner  à  Londres  une  série  de  concerts  dont  la 
vogue  fut  extraordinaire,  appela  auprès  de  lui  son  frère  Ernest.  C'est, 
croyons-nous  à  partir  de  ce  moment  que  celui-ci  se  fixa  en  Angleterre, 
où  il  fit  partie  de  nombreux  orchestres  et  où  il  devint  premier  violoncelle 
de  celui  de  sir  Charles  Halle,  mort  lui-même  il  y  a  quelques  mois  à  peine. 
Ernest  Vieuxtemps  a  succombé  soudainement,  en  pleine  rue,  à  une  fou- 
droyante attaque  d'apoplexie. 

—  On  annonce  la  mort  à  Assise,  à  l'âge  de  77  ans,  du  P.  Alessandro 
Borroni,  compositeur  de  musique  religieuse,  directeur  de  la  chapelle 
Franciscaine.  Il  reçut,  dit-on,  des  leçons  de  Rossini  et  de  Mercadante,  et 
fut  lié  d'amitié  avec  un  grand  nombre  d'artistes,  Liszt,  Thalberg,  etc.  Il 
laisse  un  nombre  considérable  d'oeuvres  importantes,  parmi  lesquelles  une 
Messe  de  Requiem  avec  grand  orchestre,  qui  fut  exécutée  à  Rieti  sous  sa 
direction  et  dont  on  fit  grand  bruit. 

—  A  Darmstadt  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  72  ans,  le  poète  allemand 
Otto  Roquette.  11  était  le  descendant  d'une  famille  française  qui  s'était 
réfugiée  en  Prusse  après  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Roquette 
a  été  le  librettiste  de  Liszt,  auquel  il  a  fourni  les  paroles  de  la  Légende  de 
sainte  Elisabeth,  un  oratorio  qu'on  joue  aussi  avec  un  arrangement  scénique 
sur  les  théâtres  allemands. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vente  AU  MENESTREL,  s'",  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C",  Editeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 


Seule  édition 
conforme 


GS- 


TT  O  ZS. 


L'OPÉRA-COMIQOE 


ORPHÉE 

OPÉRA    EN    4    ACTES 

Partition  Piano  et  Chant,  réduite  par  Théodore  RITTER,  prix  net  :  10  francs. 


Seule  fdition 

conforme 

à.  la  représentation  de 

L'OPÉRA-COMIQUE 


Morceaux  détachés  pour  Piano  et  Chant  : 


1.  ROMANCE  D'ORPHÉE  :  Objet  de  mon  amour  (C.) 3  75 

2.  1«  AIR  DE  L'AMOUR  :  Si /es  rfoux  accords  de  ta /i/î-e  (S.) 3     » 

2  bis.  le  même,  pour  contralto 3     « 

3.  2=  AIR  DE  L'AMOUR  :  Soumis  au  silence  (S.) .  3     » 

3  bis.  Le  même,  pour  contralto 3     » 

4.  GRAND  AIR  :  L'espoir  renaît  dans  mon  âme  (C.) 6     /• 


N°^  S.  AIR  avec  chœnr  :  Laissez-vous  toucher  par  mes  pleurs  (G.) 3  75 

6.  AIR  DE  L'OMBRE  HEUREUSE  :  Cet  asile  aimable  et  tranquille  (S.).   .    .  3  75 

6  bis.  Le  même,  pour  contralto 3  75 

8.  DUO  D'ORPHÉE  ET  D'EURYDICE  :Vî'ens,smsuné;;oMa;îut /'adore  (C.etS.)  6     » 

10.  AIR  FINAL  D'ORPHÉE  :  /ai  peîdu  mon  ÊMî-i/dice  (C.) 4  50 

10  bis.  Le  même,  pour  ténor  ou  soprano 4  50 


Transcriptions  pour  Piano  à  deux  mains  : 


G.  BIZET.         «  Viens   dans   ce   séjour  »   (N"  2  du  Pianiste-Chanteur)   .  3     » 

Air  et  pantomime  (N"  33  du  Pianiste-Chanteur) 3    » 

KRUGER.  Op.  92.  Scène  des  Enfers  et  romance  d'Orphée  ....  7  50 

Op.  93.  Scène  des  Champs  Élysées 7  50 

CH.NEUSTEDT.Op.  22.  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice  » 5     » 


CH.NEUSTEDT.Op.  23.  «  Les  doux  accords  de  ta  lyre  » 5 

E.  PRUDENT.    «  J'ai  perdu  mon  Eurydice  » 5 

C.  STAMATÏ.    L'ombre  heureuse  (N°  Il   des  Souvenirs  du  Conservatoire) .  5 

Les  Champs  Elysées  (N°12des  Souvenirs  du  Conservatoire,  5 

TROJELLI.       ((  J'ai  perdu  mon  Eurydice  »  (N"  3S  des  Miniatures).  .   .  3 


Transcriptions  instrumentales  : 

FRÂNCflOMME.  Scènes  pour  Violon  et  Piano 9    »      |      FRANCHOMME.  Scènes  pour  Violoncelle  et  Piano 9 

DELOFFRE.  Scène  pour  Violon  ou  Violmicelle,  Piano  et  Orgue 9     » 


Encre  Urllleu^ 


3393.  —  62"'°  ANNÉE  —  N"  14.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  5  Avril  1896. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


TREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Hemri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  on.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ^0  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Ktranger,   les  frais  Je  poste  en  s 


soM:M:.^ir2,E-TEx:TB 


I.  La  Danse  grecque  antique,  Julien  Tiersot  —  IL  Musique  et  prison  (1"  article!,  Paul  d'Estcée.  —  III.  Le  monument  de  M"«  Carvaiho.  —  IV.  Revue  des  grands 

concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

VEUX-TU'? 

mélodie  de  Léon  Delafosse.  —    Suivra    immédiatement  :    Cantique  sur  le 

bonheur  des  jiistes  et  le  mallieur  des  réprouvés,  de  Reynaldo  Hahn. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront  dimanche  prochain  : 
NOCTURNE 

de  LÉON  Delafosse.  —   Suivra  immédiatement  :  Contemplation,  n»   4   de  la 
Matinée  aux  Alpes  du  maestro  N.  Celega. 


LA^    DA.NSE    OREOQUE    ANTIQUE 

D'après  la  llicsc  de  doctoral  es  lellres  de  M.  MAIRICE  EMMANUEL 


L'ua  des  professeurs  qui  faisaient  partie  de  la  commission 
devant  laquelle  M.  Emmanuel  a  soutenu  sa  thèse  sur  la 
danse  grecque  antique  a  félicité  le  nouveau  docteur  de  ce 
que,  non  content  de  posséder  les  connaissances  générales 
requises,  il  était,  sur  le  point  particulier  qui  faisait  l'objet 
de  son  travail,  suffisamment  du  «  métier»  pour  en  parler  avec 
la  compétence  nécessaire  ;  il  ajoutait,  fai- 
sant appel  à  des  souvenirs  personnels, 
que  lai-même,  ayant  un  jour  voulu  faire 
une  étude  approfondie  des  Géorgiques, 
s'était  trouvé  arrêté  à  chaque  vers  par  des 
difficultés  qu'il  n'avait  point  prévues  : 
car,  pour  pénétrer  à  fond  le  sens  du 
poème  rustique  de  Virgile,  il  ne  suffit 
pas  d'être  un  excellent  humaniste,  il  fau- 
drait encore  être  agriculteur;  et  de  même, 
pour  parler  avec  compétence  de  musique 
et  de  danse  antique,  il  ne  suffit  pas  de 
savoir  le  grec  et  le  latin,  mais  il  est  né- 
cessaire d'avoir  la  pratique  de  ces  arts 
—  Certains  esprits,  simples,  jugeront  peut- 
être  qu'il  n'est  pas  indispensable  de  venir 
àl;iSorbonne  pour  apprendre  de  pareilles 
vérités,  et  affirmeront  que  M.  de  la  Palisse 
en  aurait  dit  autant.  Quelle  est  leur  er- 
reur I  Je  veux  bien  croire  qu'il  est  encore, 
de  par  le  monde,  quelques  personnes  qui  pensent  que  pour 
traiter  un  sujet  il  faut  le  connaître,  mais  je  suis  persuadé  que 
le  nombre  en  décroit  de  jour  en  jour  :  sur  la  question  parti- 
culière de  savoir  si,  pour  parler  musique,  il  faut  entendre 
quelque  chose  à  la  musique,  il  me  semble  que  l'opinion 
énoncée  a  tous  les  droits  d'être  classée  parmi  les  opinions 
rares.  En  tout  cas  elle  est  trop  conforme  aux  idées  que  j'ai 
récemment  exprimées   ici   pour  que,  émanant  d'une  bouche 


leçon  de  dans 
(D'après  une  coupe  du  V 


si  autorisée,  je  n'aie  pas  un  véritable  plaisir  à  la  reproduire. 
M.  Emmanuel,  en  effet,  est  du  métier  :  non  qu'il  soit  un 
professionnel  de  la  danse;  mais,  outre  que  ses  études  de 
composition  au  Conservatoire,  sous  la  direction  de  Léo  Delibes, 
l'ont  familiarisé  avec  tous  les  secrets  de  l'art  musical,  d'autre 
part,  au  point  de  vue  spécial  du  sujet  qu'il  avait  choisi,  il  a 
bien  vu  que,  pour  étudier  la  danse  anti- 
que, il  fallait  d'abord  connaître  la  tech- 
nique de  la  danse  moderne,  afin  que, 
tout  en  faisant  abstraction  de  ce  qui  est 
particulier  au  goût  d'époques  plus  récen- 
tes, il  fût  bien  pénétré  des  nécessités  géné- 
rales, immuables,  et,  en  quelque  sorte, 
éternelles,  auxquelles  la  pratique  de  la 
danse  fut  de  tout  temps  soumise  par  la 
nature  même.  L'hommage  rendu  par 
M.  Emmanuel,  dans  l'introduction  de 
son  livre  (1),  aux  conseils  de  M.  Hansen, 
maître  de  ballet  à  l'Opéra,  et  les  nom- 
breuses explicationsetcomparaisons  tech- 
niques fournies  au  cours  de  l'ouvrage, 
prouvent  qu'en  effet  l'auteur  n'a  épargné 
aucune  étude  pour  que  sa  compétence  à 
cet  égard  fut  absolue.  Le  sujet  était 
assez  vaste  et  assez  neuf  pour  valoir  un 
tel  effort  de  travail  et  d'érudition. 
L'art  de  la  danse  avait  en  effet,  chez  les  anciens  Grecs,  une 
imporlance  dont  nous  pouvons  difficilement  nous  faire  une 
idée  exacte  aujourd'hui.  Platon  lui  attribue  une  origine 
divine  :  après  avoir  constaté  que  la  danse  a  pour  principe 
naturelle  besoin  d'agitation  et  de  mouvement  inné  chez  tout 

(i)  Li  Dame  grecque  antique,  1  vol.  in-8°  de  348  p.,  600  figures  et  5  planches 
hors  texte.  Librairie  Hachette. —  Les  dessins  qui  accompagnent  cet  article  ont 
ont  été  reproduits  d'après  ce  livre,  avec  l'autorisation  de  l'auteur. 


106 


EE  MENESTREL 


questionne-t-elle. 


être  vivant,  il  ajoute  :  «  .Tandis  que  l'animal  n'a  pas 
conscience  de  l'ordre  ou  du  désordre  dans  les  mouvements, 
l'homme  a  reçu  des  dieux,  avec  le  sentiment  du  plaisir,  celui 
du  rythme  et  de  l'harmonie  :  les  dieux  eux-mêmes  se  font  les 
conducteurs  de  ses  danses,  et  le  nom  de  Chœur,  choros,  dérive 
tout  naturellement  du  nom  qui  signifie  Joie,  chara.  »  Etymo- 
logie  fantaisiste,  mais  rapprochement  naturel  et  juste- 
Aussi  le  sens  du  mot  «  danser  »  étail-il,  pour  les  Grecs 
antiques,  beaucoup  plus  étendu  et  plus  général  que  pour 
nous  autres  mordernes,  qui  ne  connaissons  que  les  danses 
de  société,  si  peu  artistiques  et  si  restreintes  comme  ressources, 
et  les  danses  de  théâtre.  Au  contraire,  ce  peuple,  qui  poussait 
le  sentiment  de  l'harmonie,  de  l'eurythmie,  jusqu'à  tout  régler 
aux  sons  de  la  flûte  ou  de  la  voix,  ne  considéra  jamais  la 
danse  comme  une  chose  futile  et  de  pur  agrément.  Il  l'asso- 
ciait à  toutes  les  circonstances,  à  toutes  les  manifestations 
extérieures  de  la  vie  :  ce  n'était  pas  un  jeu  pour  lui,  mais  une 
fonction  sociale,  presque  un  rite.  Les  rois,  les  enfants  des  rois 
necraignaient  pas  dese montrer  publiquement  dans  des  danses. 
Rappelons-nous  la  tragique  scène  dans  laquelle  Iphigénie 
interroge  son  père  sur  le  sacrifice  dont  elle  doit  être  la 
victime.  Dans  Racine,  elle  dit  simplement  :  «  Verra-t-on  à 
l'autel  votre  heureuse  famille.  »  Mais  l'iphigénie  d'Euripide 
donne  l'impression  bien  plus  immédiate  :  «  Formerons-nous 
des  chœurs  de  danse  autour  de  l'autel? 
Et  auparavant,  Eschyle,  dans  le  récit 
du  même  sacrifice  qu'il  fait  chanter 
au  chœur  des  vieillards  au  début  de 
rO;-esft'e,  avait  montré  que  cette  préoc- 
cupation d'art,  ce  souci  des  formes  >» 
belles,  harmonieuses  et  plastiques,  i~'^(} 
était  inhérent  à  l'esprit  hellénique,  '/  f/ 
et  se  manifestait  jusque  dans  les  '^ 
moments  les  plus  pathétiques  : 

c  Le  père  ordonne  aux  ministres 
du  sacrifice  de  la  déposer  sur  l'au- 
tel, enveloppée  de  ses  voiles,  la  tête 
pendante...  Elle  est  belle  comme  une 
belle  'peinture.  ...On  se  croirait  aux 
jours  où  elle  chantait  dans  les  splen- 
dides  festins  de  son  père  ;  où  la  voix 
de  la  vierge  sans  tache  charmait 
l'existence  fortunée  d'Agamemnon.  » 

Bien  plus  tard,  enfin,  et  tant  que  la  civilisation  grecque  ne 
fut  pas  abolie,  les  jeunes  Athéniens  de  condition  libre  pou- 
vaient être  appelés  à  figurer,  soit  dans  les  cortèges  en  l'hon- 
neur des  dieux,  soit  parmi  les  chœurs  du  théâtre.  Aussi  les 
principes  de  la  danse  leur  étaient-ils  enseignés  dans  les 
écoles. 

La  danse  grecque,  nous  le  savons,  n'était  qu'une  partie 
d'un  art  collectif  composé  de  danse,  de  musique  vocale  et 
instrumentale,  et  de  poésie,  ensemble  qui  constituait  l'art 
essentiellement  grec  de  l'orchestique. 

Mais,  SI  unies  qu'elles  fussent,  ces  trois  par- 
ties de  l'orchestique  n'en  sont  pas  moins  dis- 
tinctes; et,  de  même  que  lous  avons  déjà  pu 
détacher  du  faisceau  l'élément  musical,  et 
l'étudier  séparément,  de  même  il  est  permis 
de  considérer  la  danse  isolément  et  limitée  à 
ses  uniques  et  propres  ressources. 

Pour  l'étudier,  il  est  trois  éléments  princi- 
paux d'information  :  les  monuments  figurés 
(sculptures  et  vases  peints),  les  textes  relatifs 
à  la  danse,  enfin  les  poésies  sur  lesquelles 
étaient  rythmés  les  chants  destinés  à  l'accom- 
pagner. 

Les  textes  sont  peu  nombreux  et  insuffisam- 
ment explicites;  l'étude  de  la  rythmique,  infi- 
niment compliquée,  a  besoin  de  faire  encore  de  grands  pro- 
grès, —  car,  si  nous  sommes  renseignés  sur  le  rythme  mu- 


DANSE  DIONYSIAQUE 

{D'après  un  hoA-i 


SILENE   DANSANT 
(D'après  un  bas-relii:f 
hellénistique,  Miisée 
du  Louvre,) 


sical  des  formules  les  plus  simples  ou  des  systèmes  slro- 
phiques  construits  sur  un  modèle  de  forme  arrêtée  (strophe 
alcaïque,  strophe  saphique,  etc.),  par  contre,  la  poésie  vérita- 
blement orchestique,  celle  dont  l'allure  plus  libre  ne  s'astreint 
pas  à  des  types  métriques,  la  poésie  des  chœurs  d'Eschyle, 
d'Aristophane  ou  de  Pindare,  n'a  pu  être  soumise  encore  à 
'ine  analyse  parfaitement  exacte. 

Les  monuments  figurés  restent  donc  les  documents  les  plus 
sûrs  pour  la  reconstitution  de  la  danse  antique  :  par  leur 
nombre,  qui  est  considérable,  par  leur  précision,  qui  est 
une  garantie  de  leur  exactitude,  enfin,  par  leur  variété,  ils 
permettent  de  connaître,  d'étudier  et  de  classer  les  diffé- 
rents mouvements  de  la  danse,  ses  gestes,  ses  positions  ;  enfin, 
par  comparaison  avec  les  pratii^ues  modernes,  d'en  retrouver 
la  technique. 

La  danse  grecque,  à  la  vérité,  n'est  pas  ce  qu'un  vain 
peuple  pense.  Nous  aimons  à  nous  la  figurer  sous  les  appa- 
rences de  chœurs  dansés  autour  des  autels  des  dieux  par  des 
groupes  de  jeunes  vierges  prenant  des  poses  gracieuses  et 
cadençant  leurs  pas  sur  les  rythmes  harmonieux  des  voix 
ou  de  Ja  double  flûte.  Sans  doute  cette  idée  n'est  pas  absolu- 
ment fausse,  mais  il  serait  imprudent  de  la  trop  généraliser. 
A  l'égard  de  ces  danses,  que  l'on  peut  qualifier  d'eiirijthmi- 
qites,  les  indications  fournies  par  les  monuments  nous  rensei- 
gnent plutôt  sur  la  plastique  et  les  mouvements  des  danseurs 
isolés  que  sur  leurs  groupemenis 
en  danses  collectives.  C'est  ainsi  que 
les  statues,  les  bas-reliefs  et  les 
images  des  vases  peints  nous  mon- 
trent des  personnages  en  des  atti- 
tudes parfaitement  caractérisées  :  les 
pieds  relevés  et  appuyés  sur  les 
pointes  ;  le  corps  bien  d'aplomb  ou 
penché  suivant  des  règles  qui,  ba- 
sées sur  la  nature,  servent  encore 
de  principe  à  l'étude  de  la  danse 
moderne  ;  le  vêtement  tombant  en 
longs  plis,  ou  dans  un  sens  qui  in- 
dique le  mouvement  flottant  au  vent 
exécuté  ;  les  bras  disposés  en  cour- 
bures élégantes  et  variées,  tantôt 
rélevés,  tantôt  s'infléchissant  avec 
grâce,  ou  exécutant  des  gestes  expres- 
sifs ;  ou  bien  les  mains  saisissant  certaines  parties  des  vête- 
ments, les  relevant  ou  les 
faisant  flotter,  ou  aidant  à  en 
combiner  les  mouvements 
avec  ceux  du  corps.  Parfois 
les  attitudes  sont  calmes,  les 
gestes  ont  un  caractère  noble 
et  grave  qui  s'accorde  bien 
avec  l'idée  que  nous  avons 
de  ces  danses  sacrées  qui 
sont  le  prototype  et  l'origine 
première  des  chœurs  de  la 
tragédie  et  de  la  tragédie 
elle-même. 

Mais  parfois  ces  danses, 
même  religieuses,  affectent 
une  allure  bien  plus  fami- 
lière. On  en  peut  juger  par 
ce  groupe,  copié  sur  un  vase 
funéraire  représentant  une 
danse  de  sacrifice,  et  où, 
autour  de  l'autel  ionique  sur 
lequel  brûle  le  feu  sacré, 
une  jeune  fille  exécute,  aux 
sons  de  la  double  llûte, 
des  pas  dont  la  vivacité  n'a  certes  rien  de  hiératique  ! 
Tout  sentiment  de  calme  et  à'eurylhmie  disparaît  dans  les 


:  MÉNADE  ET   SATYHE 

•elief  hellénistique.) 


DANSEUSE 

(D'après  lut  bas-relief  du  musée  d'AUièties  provenant 

du  théâtre  de  Bacchus,  époque  hellénistique,} 


LE  MÉNESTREL 


d07 


DAN'SE   DV.   SACRIFICE 
(D'après  un  vase,  fui  du  T'"  siècle,  l 


DEOX  HOMMES   DANSANT 
(D'après  un  vase  corinthien  du 
y/c  sUcle,  au  Musée  du  Louvre.} 


danses  diony- 
siaques (danses 
en  l'honneur  de 
Bacchus).  Là, 
plus  rien  ne 
subsiste  de  cet- 
te symétrie  ni 
de  cette  régula- 
rité de  lignes 
propres  au  cul- 
te des  grands 
dieux,  mais,  à  la 
place,  une  li- 
berté et  une  indépendance  de  mouvements  qui  vont  jusqu'au 
désordre.  Il  en  est  de  même  pour  certaines  danses  privées 
qui  se  dansaient,  entre  hommes,  à 
,,<*J^  v^^-^>  la  fin  des  banquets.  Les  vases  peints 
(  \  A-^^..'!  Qjj  Qjjj.  (jonné  des  représentations 
nombreuses,  et  qui  témoignent  que 
le  sentiment  du  grotesque  n'était  pas 
moins  familier  au  génie  grec  que 
celui  de  la  beauté!  Dans  les  danses 
dionysiaques,  satires,  bacchantes  et 
monades  se  livrent  à  l'envi  aux  con- 
torsions les  plus  bizarres  ;  et  quant 
aux  mouvements  d'ensemble,  il  res- 
sort de  l'examen  de  tous  les  monu- 
ments que,  loin  d'être  symétriques, 
ils  avaient  au  contraire  pour  règle  l'absence  de  symétrie  : 
chacun  devait  danser  à  sa  manière,  sans  se  préoccuper  des 
mouvements  du  voisin,  ou,  s'il 
s'en  préoccupait,  c'était  pour  faire 
différemment. 

Il  semble  d'ailleurs  que  la  dis- 
symétrie  ait  été  de  règle  dans  la 
danse  grecque,  même  en  ses  ma- 
nifestations les  plus  sérieuses. 
Sans  doute,  dans  les  cortèges  et 
les  marches,  une  certaine  régula- 
rité était  nécessaire,  et  la  règle  du 
même  pas  y  était  observée  ;  mais, 
pour  les  danses  collectives  pro- 
prement dites,  et  particulière- 
ment les  danses  à  deux  person- 
nages, les  monuments  nous  mon- 
trent toujours  les  danseurs  dans 
des  attitudes,  des  positions  et  des 
gestes  différents  les  uns  des  autres. 
Les  danses  par  groupe  de  per- 
sonnages se  tenant  par  la  main, 
analogues  à  nos  rondes  et  farandoles  populaires,  étaient 
connues  dès  la  plus  haute  antiquité  :  les  vases  de  l'époque 
la  plus  reculée  en  donnent  des  représentations  parfois  aussi 
curieuses  par  la  naïveté  et  la  maladresse  de  l'exécution  que 
par  le  sujet  même. 

A  côté  de  ces  danses,  on  peut  placer  celles  dans  lesquelles 
les  personnages  se  suivent  par  flle  ou  évoluent  de  front  sans 
se  tenir  par  la  main  :  celles-ci  sont  déjà  plus  compliquées. 

C'est  à  ce  genre  de  formations  qu'appartiennent  les  chœurs 
de  théâtre.  Par  malheur,  les  monuments  figurés  ne  nous 
donnent  que  peu  de  renseignements  sur  ces  derniers,  —  qui 
sont  bien,  cependant,  ceux  que  nous  aurions  le  plus  d'in- 
térêt à  connaître  en  détail. 

Les  danses  en  armes,  la  fameuse  Pyrrhique,  par  exemple, 
rentrent  également  dans  ce  genre.  Un  bas-relief  de  l'Acropole 
montre  une  troupe  de  huit  pyrrichistes,  marchant  au  pas, 
alignés,  par  groupes  de  quatre,  accompagnés  du  chorège  qui 
marche  gravement  au  milieu  d'eux.  Ici,  comme  dans  les  dan- 
ses populaires  (rondes,  farandoles),  dans  les  quelques  repré- 
sentations   des   chœurs    scéniques    et   dans  les   cortèges    en 


PIRRYCHISTE   ET  ANTETE 
e  coupe  du  F"  siècle,  au  Musée  du  Louvre). 


COUTEC 

Hermès  précédant  une  théorie  de 

et  des 

(  D'après  un  v^ 


l'honneur  des  dieux,  la  simultanéité  des  mouvements  est 
généralement  pratiquée,  — contrairement  aux  usages  constatés 
d'autre  part  pour  les  chœurs  dionysiaques  et  pour  les  danses 
collectives  en  général. 

Au  reste,  bien  que  la  pyrrhique  fût,  en  principe,  un  exercice 
d'ensemble,  il  arrivait  sou- 
vent qu'elle  fût  dansée, 
soit  isolément  par  un  dan- 
seur chargé  d'en  représen- 
ter à  lui  seul  les  divers 
épisodes,  soit  par  deux 
danseurs  faisant  l'un  con- 
tre l'autre  un  simulacre 
de  combat.  Certains  docu- 
ments nous  montrent  ces 
évolutions,  toujours  vives 
et  infiniment  variées,  exé- 
cutées au  son  de  la  flûte. 
Les  cortèges  en  l'hon- 
neur des  dieux,  bien  que 
d'un  caractère  bien  diffé- 
rent, peuvent  être  rapprochés  néanmoins  de  ces  deux  groupes 
de  danses  collectives.  Leurs  représentations  nous  sont  connues 
par  des  œuvres  d'art  célèbres,  notamment  la  frise  du  Parthé- 
non  décrivant  la  pompe  des  Panathénées.  C'étaient  des  marches 
cadencées,  lentes,  régulières,  embellies  par  une  gesticulation 
mimétique  pleine  de  dignité  et  tout  empreinte  d'eurythmie. 
Enfin,  les  danses  funèbres  forment  un  groupe  à  part,  qui 
se  rattache  plutôt  à  la  pantomime  qu'à  la  danse  proprement 
dite.  On  sait  que  l'usage,  sinon  des  danses,  du  moins  des 
chants  funèbres  improvisés  sur  le 
corps  du  mort  par  une  amie  ou 
une  parente,  parfois  une  pleu- 
reuse à  gages,  —  mais  toujours 
une  femme, —  s'est  perpétué  jus- 
qu'en notre  siècle  dans  les  pays 
grecs  ainsi  que  dans  l'île  de  Corse  : 
ces  chants  portent,  en  Grèce,  le 
nom  de  myrologoi  (et  non  mijrio- 
logues,  comme  on  l'a  écrit  à  tort 
jusqu'à  présent)  ;  en  Corse,  ils  sont 
dénommés  voceri. 

Dans  tous  ces  mouvements,  la 
mimique  est  intimement  associée 
aux  mouvements  de  la  danse; 
l'expression  joue  un  rôle  au  moins 
égal,  sinon  supérieur,  à  l'élément 
purement  plastique.  Certes,  la 
technique  de  la  danse  grecque  est 
inférieure  à  celle  de  la  danse 
moderne;  une  grande  place  y  est  laissée  à  l'improvisation,  à 
l'imprévu,  à  la  fantaisie  du  moment  :  alors  que,  chez  nous,  les 
moindres  combinaisons  de  mouvements  sont  prévues  et  réglées 
minutieusement,  chez  les  Grecs  l'exécution  a  bien  plus  de 
laisser-aller.  Mais  leur  danse,  pour  être  différente  de  la  nôtre, 
et  moins  riche  en  ses  éléments  les  plus  apparents,  n'en  est  pas 
moins  un  art  supérieur,  car  son  but  est  plus  élevé.  «  Le  danseur 
grec  ne  se  contente  pas  de  danser,  il  parle  avec  tout  son  corps, 
et  s'adresse  à  des  spectateurs  qui  attendent  de  lui  autre  chose 
qu'un  plaisir  des  yeux.  Il  doit  leur  faire  comprendre  en  l'hon- 
neur de  quel  dieu,  à  l'occasion  de  quelle  fête  il  danse.  Ghoreute 
tragique  ou  choreute  comique,  il  affirmera  son  rôle  bien  plus 
par  le  caractère  de  ses  mouvements  que  par  la  livrée  dont  il 
est  revêtu  ;  pyrrichiste,  il  se  montrera  instruit  de  tous  les  arti- 
fices de  la  guerre  ;  bacchant,  il  s'enflammera  de  l'enthousiasme 
rituel  et  fera  voir,  par  ses  contorsions,  qu'il  est  vraiment  pos- 
sédé du  dieu.  Tous  les  mouvements  lui  sont  bons;  suivant 
les  besoins,  il  les  fera  souples  ou  rudes,  il  les  enchaînera  avec 
grâce  ou  les  hachera  avec  brusquerie.  Pourvu  qu'il  exprime 
juste,  il  n'est  pas  difficile  sur  le  choix  des  moyens.  » 


C   UELIGIEUX 

femmes  tenant  des  branches  de  lierre 
crotales. 
isedu  VI' siècle.) 


108 


LE  MENESTREL 


Aussi  ne  pouvons-nous  que  nous  associer  aux  conclusions 
de  la  savante  étude  de  M.  Emmanuel  :  «  La  science  du  dan- 
seur antique  est  modeste,  son  habileté  médiocre.  11  ne  peut 
pas  lutter  avec  notre  danseur,  qui  met  quinze  ou  vingt  ans  à 
s'instruire  de  son  art.  Mais  si  l'orchestique  grecque  dans  sa 
technique,  —  dans  son  mouvement,  —  est  inférieure  à  la  nôtre, 
il  ne  serait  pas  impossible  de  montrer  qu'elle  prend  .sa 
revanche  sur  un  autre  terrain.  » 

Julien  Tiersot. 


MUSIQUE    ET    PRISON 


Musique  et  Prison  !  Deux  mots  qui  hurlent  d'être  accouplé.=  ,  nous 
Jira-t-OD.  —  Moins  peul-êlre  qu'on  ne  serait  lente  de  le  croire. 

Certes,  l'homme  subitement  privé  Je  sa  liberté,  ou  frappé  d'une 
peine  qui  lui  ravit  le  plus  précieux  des  biens,  n'ira  pas  aussitôt  de- 
mander à  la  musique  la  consolation  de  sa  tristesse  ni  l'oubli  de  son 
infortune.  Mais  plus  tard,  quand  le  calme  de  l'isolement  ou  le  con- 
tact d'autres  prisonniers  amènera  dans  cette  âme  endolorie  une  dé- 
tente ou  une  diversion,  le  captif  recherchera  d'instinct  les  manifes- 
tations de  l'art  musical  qui,  l'emportant  d'un  coup  d'aile  au  pays  des 
rêves,  lui  feront  oublier  un  instant  les  amertumes  de  la  réalité. 

En  général,  l'homme  qu'une  détention  quelconque  sépare  dfS 
siens  ou  de  sa  patrie,  aime  peu  les  harmonies  bruyantes  ;  il  leur 
préfère  les  tonalités  douces,  lentes,  attendries,  traversées  tantôt  d'un 
sourire,  tantôt  d'une  larme.  Elles  ravivent  ses  souvenirs  et  peuplent 
sa  solitude.  Ce  sont  autant  d'évocations  voilées  et  affaiblies,  mais 
sensibles,  delà  liberté  perdue;  autant  d'images  vivantes,  quoique 
lointaines,  de  la  liberté  reconquise. 

Cette  impression  constante  n'est  pas  cependant  unique,  ni  toujours 
uniforme  ;  elle  se  nuance  ou  se  décompose  suivant  les  époques,  les 
régions,  les  milieux,  l'éducation  du  prisonnier  et  sa  culture  artisti- 
que, son  caractère,  ses  habitudes,  les  causes  et  la  durée  de  sa  dé- 
tention. 

Et  c'est  précisément  cette  variété  de  sensations  multiples,  démon- 
trée par  des  faits  puisés  à  des  sources  authentiques,  qui  fera  l'objet 
de  notre  élude  et  en  déterminera  les  divisions. 

CAPTIVITÉS  ROYALES  ET  PRINCIÈRES 

Contes  et  légendes,  —  Vair  de  Marlborough  et  la  chanson  de  Gazza.  —  Saint  Louis 
sultan  de  Baln/lone.  —  Prouesses  chorégraphiques  de  François  I"'.  —  JJn  roi  de 
Dammark  compositeur  de  musique  religieuse.  —  Comment  Henri  le  Béarnais  chan- 
tait les  psaumes  de  Marot.  —  V opéra-comique  au  château  de  Valençay.  —  Le  boléro 
du  docteur  Ménié  e.  —  L^opérette  à  Willemshohe.  —  La  dernière  cluznson  de  Napo- 
léon I". 

Pour  grands  que  sont  les  Rois,  ils  sont  ce  que  nous  sommes, 

dit  le  poète. 

Peut-être  même  souffrent-ils  plus  que  le  commun  des  mortels, 
quand  la  peite  de  leur  liberté  leur  retire,  avec  l'exercice  du  pouvoir, 
la  jouissance  des  privilèges  qui  s'y  rattachent.  Mais  en  revanch",  si 
la  tradition  dit  vrai,  l'art  sous  toutes  ses  formes  procure  à  ces  nobles 
captifs  de  plus  séduisantes  consolations.  Les  livres  sacrés  de  la 
Chine  et  de  l'Inde,  les  mythes  de  la  Grèce,  les  monuments  égyptiens 
elles  poèmes  Scandinaves  nous  montrent  sous  cet  aspect  les  grands 
de  la  terre,  qu'ils  soient  au  milieu  d'une  troupe  de  musiciens,  ou 
qu'ils  fassent  frémir  les  cordes  d'une  harpe. 

Ne  nous  attardons  pas  à  ces  temps  fabuleux,  et  revenons  à  une 
époque  plus  voisine  de  la  nôtre,  bien  ([ue  les  chroniques  y  soient  en- 
core marquées  au  coin  de  l'incertitude. 

AiDsi,  une  légende,  qui  est  aujourd'hui  même  l'objet  de  nombreuses 
controverses,  veut  que  les  croisés  aient  rapporté  pour  tout  bagage 
musical,  de  leurs  aventureuses  e.^ijédilions,  l'air  célèbre  sur  lequel 
nous  chantons  encore  les  infortunes  de  Marlborough. 

Nous  reconnaissons  volontiers,  avec  Chateaubriand,  qui  l'entendit 
sur  les  bords  du  Nil,  que  cet  air,  soupiré  comme  la  romance  de  Ché- 
rubin dans  la  pièce  de  Beaumarchais,  n'est  pas  dépourvu  de  la  grâce 
languissante  particulière  aux  mélodies  orientales.  Mais  les  chants 
guerriers  qui  menaient  les  chrétiens  au  combat,  les  glorieux  hosan- 
nas  qui  célébraient  leurs  victoires,  ou  les  hymnes  funèbres  qui 
pleuraient  leur  défaite,  feraient  bien  mieux  notre  affaire.  Or,  il  ne 
nous  est  pas  resté  une  seule  note  de  ces  compositions  musicales 
qui,  pour  être  essentiellement  primitives,  n'en  devaient  pas  moins 
porter  l'empreinte  de  la  foi  la  plus  sincère,  de  l'enlhousiasmo  le  plus 
ardent  ou  de  la  douleur  la  plus  touchante.  La  Complainte  de  Gazza 
fut  assurément  écrite  sous  cette  dernière  inspiration. 


Animés  d'une  sainte  ardeur,  six  cents  chevaliers  français  s'étaient 
lancés  à  la  poursuite  des  infidèles  sur  la  route  de  Gazza,  sous  la  con- 
duite du  duo  de  Bourgogne.  Dans  leur  impatience  de  se  mesurer 
avec  les  Sarrazins,  ils  n'avaient  eu  garde  d'écouter  le  roi  de  Navarre 
et  les  grands  maîtres  du  Temple  et  de  l'Ordre  teutonique,  qui  blâ- 
maient une  démonstration  aussi  imprudente  qu'intempestive.  L'évé- 
nement ne  donna  que  trop  raison  à  des  conseils  dictés  par  l'expé- 
rience. Nos  chevaliers,  enveloppés  de  toutes  parts,  furent  assaillis  et 
mis  en  déroute  par  l'ennemi.  Leur  résistance  fut  glorieuse,  mais  inu- 
tile. Les  Sarrasins  en  tuèrent  la  majeure  partie  à  coups  de  flèche  ou 
de  massue  :  le  reste  fut  emmené  en  captivité  à  Daraiette  ou  au  Caire. 
Parmi  les  prisonniers  internés  dans  cette  dernière  ville  se  trouvait 
Philippe  de  Nanteuil,  un  des  grands  vassaux  de  la  couronne,  qui  ma- 
niait la  plume  aussi  bien  que  l'épée,  et  qui  sut  relever,  par  ses  chants 
héroïques,  le  moral  de  ses  compagnons  d'infortune.  Entre  autres 
poésies,  il  avait  composé  les  ciiuplets  suivants  : 


Ah  !  l<"rance,  douce  contrée. 

Que  tous  suelent  (1)  honorer, 

Votre  joie  est  atournéo 

De  tout  en  tout  en  plorer 

Tous  jours,  mais  serez  plus  mue,  ;2> 

Trop  vous  est  mésavenu; 

Tel  douleur  est  advenue. 

Qu'à  la  première  veûe 

Avez  vos  comtes  perdu. 

Si  l'Hospitaus  et  le  Temple, 
Et  le  Frère  Chevalier 
Eussent  donné  l'exemple 
A  nos  gens  de  chevaucher. 
Notre  grand  chevalerie 
Ne  fut  pas  or  (3)  en  prison. 
Ni  le  Sarasin  en  vie. 
Mais  ainsi  nul  ne  fit  mie. 
Dont  ce  fut  grand  mesprison 
Et  semblant  de  trahison. 

Chanson  qui  fut  compensée 
De  douleur  et  de  pitié. 
Va  à  Pitié  :  si  le  prie 
Pour  Dieu  et  pour  amitié 
Qu'aille  en  l'ost  (4)  et  si  leur  die 
Et  si  leur  fasse  savoir 
Qu'ils  ne  se  récréent  mie, 
Mais  mettent  force  et  aïe,  (5) 
Qu'ils  puissent  nos  gens  ravoir 
Par  bataille  ou  par  avoir. 

Si  Philippe  de  Nanteuil  incriminait  peut-être  trop  vivement  la  pru- 
dence des  grands  maîtres  des  ordres  militaires,  il  gourmandail  avec 
raison  leur  mollesse  et  leur  indifférence  après  un  tel  désastre.  Les 
jongleurs,  ces  Tyrtées  de  l'armée  chrétienne,  prirent  en  main  la  cause 
des  captifs  :  ils  allèrent  jusque  sous  les  murs  de  Ptolémaïs,  dans  le 
camp  français,  chanter  les  stances  de  Philippe.  L'émotion  fut  au 
comble.  Les  Croisés,  à  qui  ces  lugubres  mélodies  arrachaient  des 
larmes,  murmurèrent  contre  l'apathie  de  leurs  chefs;  et  devant  cette 
pression  de  l'opinion  publique,  le  roi  de  Navarre  dut  conclure  avec  le 
Soudan  d'Egypte  une  trêve  qui  rendit  la  liberté  aux  vaincus  de 
Gazza. 

Quelques  années  plus  tard,  une  audition  musicale  d'un  tout  autre 
genre  était  réservée  à  saint  Louis,  que  la  défaite  de  la  Mansourah 
avait  fait  tomber  entre  les  mains  des  infidèles.  Le  pieux  monarque 
avait  fixé  avec  le  vainqueur  le  prix  de  sa  rançon  et  de  celle  de  ses 
chevaliers,  quand  une  révolution  militaire  vint  tout  remettre  en  ques- 
tion. Les  raamelucks  tuèrent  leur  souverain,  le  Soudan  qui  avait 
capturé  saint  Louis;  et  ils  ne  trouvèrent  rien  de  mieux,  pour  célébrer 
cet  assassinat,  que  d'aller  donner  une  aubade  au  prisonnier. 

—  Savez-vous,  dit  alors  Louis  IX  à  son  fidèle  serviteur  le  sire  de 
Joinville,  les  ouvertures  que  m'ont  faites  ces  mécréants? 

Silence  du  sire  de  Joinville. 

—  Eh  bien!  ils  m'ont  offert,  entre  deux  morceaux  de  concert,  de 
me  nommer  sultan  de  Babyloue.  Dois-je  accepter  leur  proposition  s'ils 
me  la  renouvellent? 

—  Gardez-vous-en  bien,  sire;  ils  vous  tueraient  comme  ils  ont  tué 
leur  Soudan. 

—  Eh  bien,  moi,  j'accepterais  quand  même. 

(1)  Ont  coutume.  ("2)  Émue.  (3)  Maintenant.  (4)  Au  camp.  (5)  Aide. 


LE  MENESTREI 


109 


A  trois  siècles  de  distance,  ua  fils  de  saint  Louis,  François  P^  rece- 
vait au  ccmmencement  de  sa  captivité  des  honneurs  tels  qu'un  vain- 
queur seul  eût  pu  les  souhaiter.  Moreau,  un  chroniqueur  du  temps, 
nous  en  a  conservé  la  curieuse  description. 

Après  l'écrasement  de  Pavie,  François  l"'  fut  dirigé  vers  le  port  le 
plus  voisin,  où  l'ai  tendait  la  galère  qui  devait  le  conduire  en  Espagne. 
Déjà  l'artillerie  de  la  floUe  l'avait  salué  avec  ses  «  trompettes,  clai- 
rons, hautbois,  doQCines,  fifres,  tambourins  et  autres  instruments  ». 

Ce  fut  bien  autre  chose  quand  le  prisonnier,  après  son  débarque- 
ment, fit  son  ontréo  à  Valence.  Il  traversa  toute  la  ville  sur  une  mule 
richement  caparaçonnée,  sous  les  feux  croisés  des  regards  des  belles 
dames  qui  se  peuchai^nt  à  leurs  balcons  pour  admirer  la  grande  mine 
et  la  lière  lournure  du  roi  gentilhomme. 

Le  prince  se  reposa  toute  une  journée;  et  le  lendemain  ces  mêmes 
dames,  l'allèrent  visiter,  dans  leurs  plus  brillants  atours,  «  les  unes 
masquées,  avec  luths,  violes,  rebecs  et  autres  instruments,  et  dansèrent 
devant  lui  à  la  castillane.    » 

François  I""',  chez  qui  l'infortune  n'excluait  pas  la  galanterie,  les 
pria  «  de  sa  belle  et  douce  et  éloquente  parole  »,  de  vouloir  bien  se 
démasquer  et  danser  avec  lui. 

Incontinent,  elles  mirent  bas  leurs  masques;  et  rien  n'est  si  certain 
qu'elles  étaient  quasi  toutes  déesses,  de  la  beauté  non  pareille  qui  était 
en  elles,  tant  parées  par  la  tête  et  sur  l'estomac  et  d'autres  parures  pré- 
cieuses de  rubis,  diamants,  saphirs,  émeraudes,  que  c'était  une  belle  chose 
à  voir  la  beauté  d'icelles.  Le  roi  pria  l'une  des  principales  de  danser  avec 
lui,  et  les  autres  dansèrent  et  chantèrent  avec  les  autres  chevaliers  et  gentil- 
hommes  étant  à  l'assemblée. 


Nous  n'avons  vu  dans  aucune  relation  du  temps  que  François  l", 
pendant  .«ou  séjour  à  Madrid,  ait  poursuivi  le  cours  de  ses  exploits 
chorégraphiques.  Il  est  même  peu  vraisemblable  qu'il  y  ait  jamais 
songé  et  qu'il  en  ait  même  trouvé  l'occasion. 

On  sait  qu'il  faillit  mourir  d'ennui  et  de  tristesse  dans  cette  rude 
prison.  Il  y  conservait  cependant  quelque  espoir,  comme  le  prouve 
cette  «  chanson  nouvelle  faite  et  composée  par  le  Roi  notre  Sire, 
François  premier  de  ce  nom,  lui  étant  à  Madrige  en  Espagne  ». 

Si  la  Fortune  et  la  diversité 
Se  réjoint,  voyez  l'adversité 
En  triomphant  sur  la  prospérité, 

Être  vaincue. 
Voyez  aussi  que  la  Vérité,  mue 
En  ferme  cœur,  n'est  jamais  abattue 
Par  trahison,  que  en  lui  est  connue 

Avec  le  temps. 


LE    MONUMENT    DE    M™-    CARVALHO 


Cœur  résolu  d'autre  chose  n'a  cure 

Que  de  l'honneur. 
Le  corps  vaincu,  le  cœur  reste  vainqueur. 


Cette  poésie,  un  peu  fruste,  dont  la  musique  ne  nous  est  pas  connue, 
est  une  paraphrase  du  fameux  :  «  Tout  est  perdu  fors  l'honneur,  s  que, 
par  parenthèse,  François  I"  n'a  jamais  écrit. 

Si  son  vainqueur  se  montra  peu  généreux  alors  qu'il  tenait  son 
rival  sous  les  verrous,  il  se  départit  de  ses  rigueurs  le  jour  où 
François  1°"'  vit  consacrer  par  un  traité  de  paix  sa  «  délivrance  », 
comme  dit  le  chroniqueur  Moreau.  Il  est  vrai  que  Charles-Quint  pro- 
sentait au  captif  sa  sœur  Éléouoro,  la  douairière  de  Portugal,  que  le 
roi  de  France  devait  épouser.  Ce  n'était  pas  cependant  une  des  clauses 
les  plus  rigoureuses  du  traité  que  François  était  forcé  de  subir;  et 
des  réjouissances  magnifiques  signalèrent  le  départ  du  prisonnier,  en 
même  temps  que  son  entrevue  avec  sa  fiancée  : 

...  Fifres,  tambourins,  hautbois,  sacquebutes  et  autres  instruments  en 
grand  nombre  étaient  au  bout  de  la  salle  tapissée  de  riches  tapisseries  qui  fai- 
saient bruire  leurs  instruments  de  pavanes,  danses  et  caroUes  que  c'était 
une  chose  très  mélodieuse  à  les  ouïr.  Et  combien  que  le  souper  dura  par 
l'espace  de  trois  heures  ou  environ,  ce  néautmoins  leur  semblait  n'avoir 
duré  qu'une  demi-heure  de  la  félicité  qu'ils  y  prenaient.  La  nappe  fut 
levée,  les  mains  lavées  d'eaux  odoriférantes,  sentant  comme  baume,  à  la 
coutume  des  princes  ;  etgràces  dites,  chacun  se  leva  prenant  son  amie  pour 
danser  l'un  avec  l'autre...  Les  uns  dansaient  pavanes  et  gaillardes,  basses 
danses  et  autres  danses  i  la  castillane,  qu'il  faisait  bon  voir,  car  la  compa- 
gnie était  grande... 


DEUXIÈME  LISTE  DE  SOUSCRIPTION  DU  MÉNESTREL 
M.  Jules   Glaretie,  administrateur  général  de  la  Comédie- 
Française  Fr. 

M.  et  M'''=  Adolphe  Bser 

M"»  Bery  (de  l'Odéon) 

M""  Alexandre 

M""=  V»  H.  Chevalier .    .    . 

M.  Dettelbach 

M"^  Sibyl  Sandorson 

M.  et  M""'  Bellaigue 

M.  J.  Faure  (de  l'Opéra) 

Total  de  la  première  liste.    .  Fr. 
Total  a  ce  jour.    .    .  Fr. 


1.630 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


(A  suivre.) 


Paul  d'Estrée. 


Il  était  de  tradition  jadis,  à  la  Société  des  concerts,  de  jouer  infaillible- 
ment la  Symphonie  pastorale  de  Beethoven  à  chaque  concert  spirituel. 
Cette  tradition,  dont  la  raison  d'être  était  médiocre,  est  aujourd'hui  per- 
due. On  joue  maintenant  la  Pastorale  à  n'importe  quelle  séance,  et  elle 
ne  fait  plus  forcément  partie  du  programme  du  vendredi-saint.  Nous  avons 
eu  cette  fois  la  symphonie  en  la,  la  septième,  qui  vient  justement  après 
elle,  et  que  Beethoven  dédia  au  comte  de  Pries.  Cette  dernière  fut  exécutée 
pour  la  première  fois  à  Vienne  en  1813,  et  c'est  à  propos  d'elle  que  Weber 
(s'il  faut  en  croire  Schindler,  le  biographe  du  maître)  aurait  dit,  dans  un 
article  du  journal  le  Franc  Parleur,  que  Beethoven  était  mùr  pour  les  pe- 
tites-maisons. Cela  prouve  que  les  musiciens  militants,  et  les  plus 
grands,  devraient  se  dispenser  de  faire  la  critique  des  œuvres  de  leurs 
confrères.  J'en  sais  qui  feraient  mieux  de  se  livrer  à  celle  de  leurs  propres 
œuvres.  Je  n'en  dirai  pas  davantage  aujourd'hui  sur  cet  incomparaljle 
chef-d'œuvre,  que  l'orchestre,  merveilleusement  en  train,  a  exécuté  d'une 
façon  admirable.  Le  public  m'a  paru  plus  froid  que  de  raison  pour  deux 
morceaux  du  Slabal  Mater  de  Bourgault-Ducoudray  (Eia  Mater  et  Infîammatus), 
qui  sont  pourtant  d'une  jolie  couleur,  d'un  heureux  sentiment  et  d'une 
belle  sonorité;  les  soli  étaient  chantés  par  M"""  Drees-Brun,  MM.  Warm- 
brodt  et  Auguez.  Le  grand  succès  de  la  séance  —  un  succès  triomphal  — 
a  été  pour  M.  Raoul  Pugno,  qui  a  joué  d'une  façon  exquise,  avec  une 
sûreté  de  style,  une  délicatesse  de  toucher  et  un  sentiment  délicieux  le 
joli  concerto  en  la  mineur  de  Schumann,  qui  est  certainement  l'une  des 
œuvres  les  plus  parfaites,  les  plus  aclievées  de  ce  maître  souvent  inégal, 
mais  plein  de  charme  et  de  poésie  quand  il  est  inspiré,  comme  c'est  ici  le 
cas.  D'un  bout  à  l'autre  l'œuvre  est  intéressante,  sans  une  lacune,  sans 
une  faiblesse,  tout  empreinte  d'une  grâce  mélancolique  qui  n'en  exclut 
pas  la  vigueur  et  la  fermeté.  M.  Pugno  t'a  traduite  en  maître,  avec  une 
finesse  remarquable,  avec  un  phrasé  merveilleux  et  des  nuances  de  sono- 
rité qui  étaient  une  joie  pour  l'oreille.  Le  public  lui  a  prouvé  sa  satisfac- 
tion par  deux  rappels  formidables  et  des  applaudissements  qui  semblaient 
ne  pas  vouloir  prendre  tic.  Il  n'y  a  plus  rien  à  dire  aujourd'hui  de  la  Fuite 
en  Egypte  de  Berlioz,  dont  le  programme  portait  trois  numéros  :  les  Ber- 
gers se  rassemblant  devant  l'étable,  l'Adieu  des  Bergers  et  le  Repos  de  la 
Sainte  Famille  ;  je  ne  m'y  arrêterai  que  pour  adresser  à  M.  "Warmbrodt  les 
éloges  qu'il  mérite  pour  la  façon  délicieuse  dont  il  a  chanté  le  solo  de  ce 
dernier  morceau,  qui  lui  a  valu  aussi  un  grand  succès.  Le  concert  se  terminait 
par  le  joli  chœur  de  Gounod  :  Super  Flumina  Babylonis,  dont  l'effet  est  tou- 
jours excellent.  A.  P. 

—  L'ouverture  de  M.  Mestres,  qui  ouvrait  le  programme  du  concert  du 
jeudi-saint  à  l'Opéra,  a  été  écrite,  dit-on,  pour  une  pièce  révolutionnaire. 
Je  ne  saurais  dire  si  c'est  là  de  la  musique  révolutionnaire,  mais  le  mor- 
ceau en  lui-même  est  bien  confus,  manque  de  plan,  et  les  développements 
en  sont  excessifs. Combien  me  semble  préférable  la  symphonie  en  mi  bémol  de 
M.  Saint-Saêns,  première  œuvre  importante,  de  l'auteur,  composée  à  l'âge  de 
dix-sept  ans  et  qui,  exécutée  d'abord  sous  le  voile  de  l'anonyme  en  1833,  par 
la  société  de  Sainte-Cécile  que  dirigeait  alors  l'excellent  chef  d'orchestre 
Seghers, et  inscrite  ensuite  sur  le  programme  avec  le  nom  derauteur,n'avait 
pas  été  jouée  depuis  lors.  L'allégro  de  cette  symphonie  surtout  est  char- 
mant, d'une  douceur  exquise,  et  l'on  trouve  d'ailleurs,  dans  cette  œuvre  de 
prime  jeunesse,  le  sentiment  desproporlions  etl'étonnante  sûreté  demain 
qui  devaient  caractériser  l'auteur  de  Samson  et  Dalila  et  de  l'admirable  sym- 
phonie eu  ut  mineur.  Nous  avons  eu  ensuite  le  Requiem  de  Mozart  (non, 
je  me  trompe),  de  M.  Alfred  Bruneau,  qui,  paraît-il,  est,  lui  aussi,  une 
composition  de  première  jeunesse,  ce  qui  ne  laisse  pas  de  se  laisser  en- 
trevoir, car  elle  est  bien  pâle  et  manque  essentiellement  de  personnalité. 
Je  ne  dirai  même  pas  que  c'est  une  œuvre  de  fort  en  thème,  car  la  forme 
n'offre  aucune  qualité  distinctive  ;  quant  au  fond,  il  ne  me  parait  pas  beau- 
coup plus   intéressant.  Assez   banale  on  elle-même,  manquant  surtout  de 


HO 


LE  MÉNESTREL 


chaleur  et  d'inspiration,  cette  compositien  n'appelle  pas  les  foudres  de  la 
critique,  et  n'amènerait  plutôt  qu'une  sorte  d'indifférence.  L'exécution, 
confiée  à  M™"  Bosman  et  Héglon,  à  MM.  Vaguet  et  Delmas,  a  pu  par  ins- 
tants, etjusqu'à  un  certain  point,  faire  prendre  le  change  sur  sa  véritable 
valeur.  Il  y  a  plus  de  chaleur  et  plus  de  savoir,  mais  pas  beaucoup  plus 
d'imagination  dans  la  légende  dramatique  Saint  Georges,  dont  M.  Paul 
Vidal  a  écrit  la  musique  sur  les  jolis  vers  da  M.  Maurice  Bouchor.  Ce  n'est 
ni  le  nerf  ni  la  couleur  qui  manquent  à  la  partition  de  M.  Vidal,  c'est  la 
générosité  de  l'idée,  c'est  la  fraîcheur  de  l'inspiration,  que  nous  aurions 
souhaitée  plus  substantielle  et  plus  abondante.  M""  Berthets'est distinguée 
dans  le  rôle  de  Sélénis,  et  M.  Affre  a  fort  bien  chanté  toute  la  première 
scène,  qui  est  d'un  bon  mouvement  et  peut-être  la  plus  intéressante.  Le 
concert  se  terminait  par  la  curieuse  marche  de  Szaliady,  de  M.  Massenet, 
d'une  sonorité  si  retentissante.  M.  Bruneau,  qui.  en  tant  que  critique, 
s'efforce  de  donner  des  conseils  à  M.  Massenet.  ferait  peut-être  bien  de 
demander  encore  à  son  ancien  maître  quelques  leçons  d'instrumentation  ; 
son  talent  de  compositeur  n'y  perdrait  rien.  A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  On  éprouve  une  singulière  impression  quand, 
après  avoir  entendu  la  semaine  précédente  le  Messie  de  Htendel,  on  entend 
aujourd'hui  ta  Vie  du  poète  de  M.  Charpentier.  Il  semble  qu'après  avoir 
admiré  un  chef-d'œuvre  de  Van  Dyck  ou  do  Rubens,  on  observe  quelque 
peinture  réaliste  et  non  d'ailleurs  sans  vigueur  de  Daumier  ou  de  Manet; 
M.  Charpentier  ne  manque  assurément  pas  de  tempérament  musical.  La 
deuxième  partie  du  programme  était  remplie  par  le  troisième  acte  du  Cré- 
puscule des  Dieux,  de  Wagner.  Sauf  quelques  légères  défaillances  au  début, 
on  peut  dire  que  l'œuvre  a  été,  dans  son  ensemble,  admirablement  con 
duite  et  exécutée.  La  Marche  funèbre  a,  comme  toujours,  soulevé  les  accla- 
mations, et  M.^<^  Kutscherra  a  obtenu  un  triomphe  complet  dans  la  scène 
finale.  Nous  ne  sommes  pas  de  ceux  qui  chicaneront  l'éminente  artiste  sur 
son  léger  accent  exotique;  il  donne  du  piquant  à  son  jeu  et  peu  s'en 
faut  que  ce  ne  soit,  pour  nous,  un  charme  de  plus.  M"'  Krauss,  lorsqu'on 
avait  encore  la  grande  joie  de  l'entendre,  l'avait  aussi,  cet  accent  germa- 
nique, et  rien  n'empêche  que  ce  ne  fût  une  chanteuse  hors  ligne  et  une 
admirable  tragédienne.  Donc,  Wagner  a  triomphé  et,  à  ce  sujet,  à  propos 
aussi  des  imitations  maladroites  dont  il  est  l'objet,  je  ne  puis  m'empêcher 
de  citer  le  passage  suivant  que  je  lis  dans  les  Mémoires,  récemment  publiés, 
du  célèbre  critique  viennois  E.  Hanslick  :  «  L'influence  wagnérienne 
règne  aujourd'hui  partout;  mais  il  n'y  a  que  de  jeunes  compositeurs 
absolument  dénués  de  talent  —  malheureusement  surtout  en  Allemagne  — 
pour  adopter  aveuglément  son  système  et  copier  son  style  ;  les  musiciens 
qui  ont  du  talent  et  des  idées  comme  Delibes,  Gounod  et  Massenet  pren- 
nent de  Wagner  ce  qui  peut  leur  servir,  surtout  pour  l'orchestre;  ils 
l'étudient,  mais  aussi  comme  épouvantail,  pour  apprendre  ce  qu'il  ne  faut 
pas  faire;  ils  ne  lui  sacrifient  ni  leur  individualité  ni  l'esprit  de  leur 
nation.  »  H.  Barbedette. 

—  Le  concert  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique  du  jeudi  26  mars 
présentait  un  groupe  de  compositeurs  connus  et  appréciés  du  public: 
c'étaient  MM.  Ch.  Lefebvre,  Bourgault-Ducoudray,  Guilmant  et  Weckerlin. 
Un  quintette  de  M.  Lefebvre  a  ouvert  la  séance,  et  nous  avons  à  féliciter 
l'auteur  sur  la  belle  facture  et  les  développements  intéressants  de  cette 
œuvre;  il  faut  mentionner  aussi  les  exécutants  :  M"=  Germaine  Polack, 
MM.  De  Lederer,  Duttenhofer,  Monteux  et  J.  Griset.  M.  Bourgault-Ducou- 
dray avait  fait  étudier  par  un  charmant  groupe  déjeunes  filles  et  déjeunes 
femmes  amateurs  une  série  de  chœurs  de  sa  composition  :  Tes  yeux,  Villa- 
nelle,  Thamara,  Hymne  à  la  mer,  et  un  autre  hymne  de  V.  Hugo.  M.  Lafarge 
est  venu  compléter  cet  ensemble  en  chantant,  avec  son  talent  accoutumé, 
les  solos  de  Villanelle  et  le  rêve  de  Nour-Eddin.  L'accueil  du  public  a  été  très 
vif  et  très  sympathique.  Les  morceaux  de  M. Weckerlin,  Chant  de  laBenjamite, 
tirée  de  l'oratorio  la  Naissance  du  Christ,  la  mélodie  Quand  Mignon  passait,  et 
la  chanson  de  la  Fille  du  vigneron,  ont  eu  pour  interprète  M^^  Letocart-Arger, 
une  jeune  femme  qui  entre  dans  la  carrière  de  cantatrice.  On  se  laisse 
.»ller  volontiers  au  charme  de  cette  voix,  pas  éclatante,  pas  dramatique, 
mais  pleine  de  douceur  et  d'expression  vraie.  Les  morceaux  de  M. Weckerlin 
ont  été  chaudement  applaudis.  M.  Guilmant  ne  s'est  pas  prodigué  en  ne 
jouant  sur  l'orgue  Mustel  que  deux  pièces,  une  Prière  et  un  Finale,  d'après 
un  noël  languedocien,  avec  ses  sonorités  fines  et  expressives.  Il  est  juste 
encore  de  mentionner  avec  éloge  deux  pièces  de  M.  Lefebvre,  le  Prélude 
d'Eola,  pour  violon,  violoncelle,  harmonium  et  harpe  (M'"  Luigini);  puis 
une  jolie  sérénade  où  tous  les  instrumentistes  de  cette  séance  corsée  ont 
joué  leur  partie.  M.  Falkenberg  s'est  aussi  glissé  dans  ce  programme 
avec  deux  mélodies  :  Colombine  et  A  une  jeune  fille.  Le  morceau  final  était  un 
Cortège  villageois,  pour  piano  à  quatre  mains,  de  la  composition  de  M.  Le- 
febvre. 

—  C'est  un  succès  très  grand,  très  complet  et  très  mérité  qui  a  accueilli 
M"=  Blanche  Marchesi  à  son  premier  concert  de  musique  classique  et 
moderne.  Sur  le  programme  se  coudoyaient  les  noms  de  Marcello,  Mozart, 
J.-S.  Bach,  à  côté  de  ceux  de  César  Franck,  Massenet,  Saint-Saëns, 
Brahms,  de  Fontenailles.  Chantant  tour  à  tour  en  italien,  en  français  et 
en  allemand,  M""=  Blanche  Marchesi,  qui  joint  à  un  style  d'une  rare  pureté 
le  sentiment  d'une  émotion  communicative,  et  qui  sait  donner  un  charme 
poétique  à  tout  ce  qu'elle  interprète,  s'est  fait  surtout  applaudir  dans  une 
délicieuse  mélodie  de  Bach,  dans  la  Procession  de  César  Franck,  dans 
l'Ame  des  oiseaux  de  Massenet,    et  dans   une  exquise  Berceuse  de  Mozart, 


qu'on  lui  a  redemandée  d'enthousiasme.  Un  excellent  pianiste,  M.  Harold 
Bauer,  lui  prétait  le  concours  de  son  talent.  A.  P. 

—  Grand  succès  au  Jardin  d'Acclimatation  pour  la  Fête  hongroise,  tirée 
du  Divertissement  hongrois  de  M"""  de  Grandval,  sous  l'habile  direction  de 
M.  L.  Pister,  qui  fera  bientôt  entendre  l'ouvrage  entier. 

—  Programmes  des  concerts  du  Jardin  d'Acclimatation,  cherd'orcbestre Louis 
Pister.  Aujourd'hui  dimanche  :  Les  Joyeuses  Commères,  ouverture  de  Nicolaï  ; 
Pavane  du  XVI'  siècle;  Tambourin  de  Grétry;  Rédemption,  de  César  Franck;  Patrie, 
ouverture  de  Bizet  ;  ta  Zamacueca,  de  Th.  Ritter;  Scènes  napolitaines,  de  Massenet  ; 
Coppélia  andante  et  mazurka,  de  Delibes. 

Pour  le  lendemain  lundi  de  Pâques,  autre  programme:  Guillaume  Tell,  ou- 
verture de  Rossini;  Hymne  à  suinte  Cécile,  de  Gounod;  te  Roman  d'Arlequin, 
de  Massenet;  Feramors,  suite  d'orchestre  de  Rubinstein;  le  Songe  d'une  nuit 
d'été,  ouverture  de  Mendelssohn;  Sylvia,  suite  d'orchestre  de  Delibes;  llamlet, 
la  Fête  du  printemps,  de  A.  Thomas. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 

—  Nous  avons  reçu  de  notre  correspondant  de  Milan  une  dépêche  ainsi 
conçue  :  «  André  Chénier,  succès  énorme.  Musique  inspirée.  Giordano  a  été 
une  véritable  révélation  pour  le  public  de  la  Scala.  »  Il  s'agit  de  l'appa- 
rition, très  brillante  en  effet,  d'un  nouvel  opéra  de  M.  Umberto  Giordano, 
un  jeune  compositeur  de  vingt-six  ans,  qui  a  déjà  obtenu,  il  y  adeux  ans, 
un  vif  succès  avec  un  ouvrage  intitulé  Mala  Vita.  Cette  fois  son  triomphe 
est  complet,  et  voici  comment  l'apprécie  le  correspondant  du  journal  de 
Rome  l'Italie  :  «  Enfin  la  Scala  a  pu  enregistrer  un  vrai  et  légitime  succès 
avec  Andréa  Chenier,  du  maestro  Giordano,  auteur  de  la.  Mala  Vita.  Le  public 
a  été  empoigné  dès  les  premières  mesures,  et  les  applaudissements  ont 
duré  jusqu'à  la  fin  du  spectacle.  L'opéra  commence  sans  prélude.  Au 
premier  tableau,  le  chœur  champêtre,  la  gracieuse  gavotte  et  l'air  du  poète 
André  Chénier  ont  soulevé  un  véritable  enthousiasme.  A  la  fin  du  premier 
acte,  rappel  des  artistes  et  du  compositeur.  Le  deuxième  acte  n'a  pas  excité 
un  très  grand  intérêt,  mais  le  troisième  et  le  quatrième,  qui  contiennent 
des  inspirations  presque  sublimes,  ont  provoqué  de  frénétiques  applaudis- 
sements. Le  libretto  est  de  M.  lUica.  Le  sujet  est  intéressant.  André 
Chénier  est  présenté  chez  la  comtesse  de  Goigny.  Il  y  rencontre  la  petite 
comtesse  Madeleine,  qui,  le  provoquant,  se  moque  de  lui;  mais  le  poète 
lui  répond  par  une  belle  poésie,  et  la  jeune  fille,  touchée,  lui  tend  la 
main.  Cinq  ans  se  sont  écoulés,  pendant  lesquels  a  éclaté  la  révolution 
française.  Les  deux  jeunes  gens  se  rencontrèrent  de  nouveau  et  s'aimèrent. 
Mais  Gérard,  un  des  chefs  révolutionnaires,  devient  amoureux  également 
de  Madeleine,  et  pour  se  débarrasser  de  son  rival,  il  le  dénonce  au  Comité 
du  Salut  public,  qui  le  condamne  à  mort.  Madeleine,  pour  sauver  son 
fiancé,  s'offre  à  Gérard,  mais  voyant  que  la  condamnation  est  maintenue, 
elle  prend  la  place  d'une  aristocrate  condamnée  également  à  mort  et 
meurt  avec  son  fiancé  sur  l'échafaud.  L'interprétation  et  la  mise  en  scène 
sont  dignes  de  la  Scala.  Très  bien  le  ténor  M.  Borgatti  (André  Chénier), 
ainsi  que  M'"'  Carrera  (Madeleine)  et  le  baryton  Sanmarco  (Gérard)  et  le 
chœur  ». 

—  Le  Théâtre  National  de  Rome  va  avoir,  pendant  les  mois  d'avril  et  de 
mai,  une  saison  d'opéra  particulièrement  consacrée  à  trois  ouvrages  : 
Mignon,  Werther  et  Cavalleria  rusticana.  Les  artistes  engagés  sont  M""™  Adriana 
Busi  et  Ida  Martelloni,  soprani;  Amalia  Belloni,  niczao-sojjrano  ;  MM.  Laura, 
Quiroli  et  Masiero,  ténors;  Roussel  et  Anceschi,  barytons;  De  Probizzi, 
basse. 

—  Politique,  socialisme  et  musique  mêlés.  Il  paraît,  au  dire  des  jour- 
naux italiens,  qu'il  vient  de  se  fonder  à  Milan  un  corps  de  musique  dont 
la  dénomination  affirme  ses  tendances  au  point  de  vue  politique.  Il  a  pris 
le  nom  de  Corps  de  musique  Karl  Marx. 

—  Les  étudiants  de  l'Université  de  Pavie  viennent  de  représenter  une 
nouvelle  opérette  du  maestro  Dall'Argine,  intitulée  la  Gran  Vita.  —  Et  à 
Reggio  d'Emilie,  les  enfants  d'un  orphelinat  ont  joué  un  vaudeville  en 
trois  actes,  Gabriel  il  Pastore,  de  M""  "Virginia  Guicciardi-Fiastri,  avec 
musique  nouvelle  de  M.  Pi?zetti. 

—  Par  ordre  de  l'empereur  Guillaume  II,  l'Opéra  de  Berlin  vient  de 
jouer  avec  succès  un  nouvel  opéra,  Frauenlob,  dont  la  musique  a  pour 
auteur  M.  Reinhold  Becker.  —  De  son  coté,  le  théâtre  municipal  d'Elber- 
feld  a  joué  anssi  avec  succès  un  opéra  inédit,  intitulé  Sanna,  musique  de 
M.  Georges  Rauchenecker. 

—  M"i=  Clara  Schumann,  née  Wieck,  la  veuve  du  compositeur  Robert 
Schumann,  viont  d'être  frappée  d'une  attaque  d'apoplexie  à  Francfort-sur- 
le-Mein,  où  elle  s'était  fixée  en  1878.  La  célèbre  pianiste,  qui  exerçait 
encore  tout  récemment  comme  professeur  de  piano  au  Conservatoire  Hoch 
de  Francfort,  a  11  ans  et  son  état  est  tellement  grave  qu'on  redoute  un 
dénouement  fatal  pour  sa  maladie. 

—  Le  théâtre  An  der  Wien,  à  Vienne,  vient  de  représenter  avec  beaucoup 
de  succès  une  nouvelle  opérette,  le  Garçon  prodige,  avec  musique  de 
M.  Eugène  de  Taund. 


LE  MENESTREL 


111 


—  L'opérette  viennoise  ne  chôme  pas.  M.  Joseph  Bayer,  dont  le  ballet 
Olga  vient  de  remporter  un  grand  succès  au  théâtre  Ronacher,  de  Vienne, 
est  en  train  de  terminer  la  partition  d'une  nouvelle  opérette,  l  Apprenti 
sorcier,  sur  des  paroles  de  MM.  Eugène  BruU  et  F.  Antony,  qui  sera  jouée 
au  commencement  de  la  saison  prochaine. 

—  Au  théâtre  municipal  de  Rostock  on  a  représenté  non  sans  succès  un 
opéra  nouveau  de  M.  Albert  Thierfelder,  intitulé  Florentina. 

—  L'Opéra  royal  de  Stockholm  a  joué  avec  beaucoup  de  succès  un  opéra 
inédit  intitulé  Hexfdllen  (Capture  d'une  sorcière),  dont  la  musique  a  pour 
auteur  M.  André  Hallen. 

—  Le  Méphislo,  d'Anvers,  nous  apporte  quelques  détails  assez  curieux  sur 
la  carrière  en  cette  ville  de  la  Dame  blanche,  de  Boioldieu.  C'est  le  10 
octobre  1826  qu'avait  lieu  la  première  représentation,  à  l'ancien  théâtre  du 
Tapissierspaud,  situé  sur  l'emplacement  du  Théàtre-Royal  actuel  et  qui, 
inauguré  le  29  octobre  1773,  fut  démoli  en  1829.  La  Dame  blanche  avait  alors 
pour  interprètes  Letellier,  Prud'homme,  Delaunay,Castelain,  M""-''Le  Merre, 
Jolly  et  Castel,  et  l'affiche  annonçait  que  les  décors  étaient  peints  «  par 
M.  Bascelon,  élève  de  feu  Dégotty  et  de  M.  Cicéri.  »  Elle  ajoutait  que 
«  personne  ne  pourra  monter  au  théâtre  à  cause  du  déplacement  des  déco- 
rations. »  C'est  la  Dame  blanche  qui  servit,  le  1"  septembre  183-i,  à  l'inau- 
guration du  nouveau  Théâtre-Royal.  La  centième  représentation  de  l'ou- 
vrage fut  donnée  à  ce  théâtre  le  7  octobre  1869,  et  la  dernière,  qui  eut  lieu 
le  22  mars  dernier  et  au  sujet  de  laquelle  le  j)/ep/tîS(o  rappelle  ces  souvenirs, 
était  la  142'"'^  sur  ce  théâtre. 

—  On  nous  signale  de  Barcelone  une  série  de  concerts  consacrés  en 
grande  partie  à  des  fragments  de  la  tétralogie  \Yagnérienne  qui  ont  parfai- 
tement réussi,  sous  l'artistique  direction  de  M.  Nicolau  ;  «  On  n'a  pas  tout 
compris,  nous  écrit  notre  correspondant,  mais  on  a  tout  de  même  applaudi 
de  confiance.  »  —  Le  Lycée  va  ouvrir  ses  portes  pour  une  courte  «  saison 
de  printemps  »,  avec  opéras  italiens. 

—  M.  Sarasate  vient  de  donner  à  Lisbonne,  dans  la  salle  du  théâtre 
Sau-Carlos,  une  série  de  quatre  concerts  qui  lui  ont  valu  un  succès  écla- 
tant et   qui  ont  attiré  une  foule  immense. 

—  Notre  confrère  Amphion,  de  Lisbonne,  nous  apprend  qu'on  s'occupe 
activement  dans  la  capitale  du  Portugal  de  l'organisation  d'une  vaste  entre- 
prise qui  ne  tendrait  à  rien  de  moins  qu'à  la  fondation  d'un  véritable 
Opéra  national.  Le  concours  de  nombreux  artistes  est  assuré  à  ce  projet 
intéressant. 

—  Un  journal  étranger  nous  rapporte  un  fait  touchant  qui  se  produisit 
dans  une  ville  importante  des  provinces  anglaises  peu  de  temps  après  la 
mort  de  Rubinstein,  et  qui  donne  une  idée  du  prestige  que  le  nom  du 
grand  artiste  exerçait  sur  le  public  d'outre-Manche.  Son  élève,  le  jeune 
pianiste  Hofman,  avait  annoncé  un  concert.  Les  amateurs  de  l'endroit  lui 
suggérèrent  l'idée  d'y  jouer,  en  mémoire  du  défunt,  la  marche  funèbre  de 
la  sonate  en  si  bémol  mineur  de  Chopin,  que  l'illustre  pianiste  rendait, 
on  le  sait,  d'une  façon  transcendante,  inoubliable.  M.  Hofman  mit  la 
sonate  entière  dans  son  programme,  et  lorsque  retentirent  les  accords 
lugubres  de  la  marche,  toute  la  salle,  parterre  et  galeries,  se  leva  comme 
un  seul  homme  et  l'écouta  debout,  rendant  ainsi  un  hommage  posthume 
au  sublime  artiste. 

—  Abhas  pacha,  le  jeune  khédive  d'Egypte,  qui  a  été  élevé  â  Vienne,  y 
est  devenu  un  assez  bon  compositeur  de  valses.  Dernièrement,  la  musique 
militaire  de  sa  garde  a  joué  pendant  un  grand  dîner  officiel  une  valse  qui 
a  beaucoup  plu  aux  convives,  qui  n'en  connaissaient  pas  l'auteur.  On  sait 
que  le  sultan  est  aussi  un  excellent  pianiste,  mais  jusqu'à  présent  il  n'a 
pas  encore  fait  concurrence  aux  compositeurs  de  musique. 

PARIS   ET   DÉPARTEBIENTS 

M.  Combes,  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts, 
vient  de  s'embarquer  pour  l'Algérie,  d'où  il  ne  doit  revenir  que  vers  le 
12  avril.  Toutes  nos  craintes  sont  donc  dissipées  et  nous  pouvons  respirer 
à  l'aise,  certains  que  nous  sommes  que  d'ici  là  nous  n'aurons  pas  un 
nouveau  directeur  au  Conservatoire. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  le  conseil  municipal  a  procédé  à  l'élection 
des  membres  du  jury  chargé  de  juger  le  concours  musical  de  la  ville  de 
Paris.  Ont  été  élus  :  MM.  Vincent  d'Indy,  Bourgault-Ducoudray,  André 
Messager,  Chapuis,  Darzens,  Garon,  Levraud  et  Despaty. 

—  Voici  les  dates  fixées  pour  les  épreuves  du  prochain  concours  de 
Rome.  Pour  le  concours  d'essai,  l'entrée  en  loge  aura  lieu  le  samedi 
2  mai  et  la  sortie  le  vendredi  8;  le  jugement  sera  rendu  au  Conservatoire 
le  samedi  '.).  Pour  le  concours  définitif,  l'entrée  en  loge  est  fixée  au  samedi 
16  mai  ;  et  la  sortie  au  mercredi  10  juin  à  midi,  le  jugement  sera  rendu  à 
l'Institut  le  samedi  27  juin. 

—  A  rOpéra-Comique,  la  première  lecture  d'orchestre. pour  le  Chevalier 
d'Harmmthal  a  eu  lieu  jeudi,  et  on  espère  pouvoir  donner  la  première 
représentation  vers  le  20  avril. 

—  A  l'Opéra,  l'ouvrage  de  M.  Alphonse  Duvernoy,  Hellé,  passera  quel- 
ques jours  plus  tôt.  On  parle  du  13  ou  17  avril. 


—  MM.  Bertrand  et  Gailhard  préparent  pour  la  saison  prochaine  une 
intéressante  reprise  de  Don  Juan,  avec  la  distribution  suivante  ; 

Don  Juan  MM.  Renaud. 

Ottavio  Vaguet. 

Leporello  Delmas. 

Mazetto  Bartet. 

Dona  Anna  M""'  Rose  Garon. 

Elvire  Berthet. 

On  parle,  pour  le  rùle  de  Zerline,  d'une  jeune  élève  du  Conservatoire  sur 
laquelle  on  fonde  de  brillantes  espérances. 

—  Après  Bon /«art,  fort  probablement  reprise  de  Tamara,  de  M.  Bourgault- 
DucouSray,  le  ballet  de  M.  Wormser,  enfin  Messidor,  de  M.  Alfred  Bruneau, 
et  puis,  les  Maîtres  Chanteurs  de  Wagner,  à  moins  que  le  Lancelot  de 
M.  Joncières  ne  passe  entre  les  deux. 

—  Puisque  nous  parlons  de  l'Opéra,  ajoutons  que  le  magasin  de  décors 
reconstruit  près  de  la  porte  Saint-Ouen,  depuis  l'incendie  de  la  rueRicher, 
sera  enfin  terminé  d'ici  deux  mois  et  livré  aussitôt  à  la  direction.  La 
commission   des  bâtiments  a  visité  les  travaux  cette  semaine. 

—  Le  ténor  Van  Dyck,  qui  a  chanté  vendredi  aux  concerts  Lamoureux, 
avec  sou  succès  habituel,  a  quitté  Paris  dès  le  lendemain  pour  se  rendre  à 
Bruxelles,  où  il  va  donner  une  série  de  représentations  très  attendues  dans 
des  œuvres  de  Wagner  et  de  Massenet.  Puis  il  ira  à  Barcelone  pour  ne 
revenir  à  Paris  qu'en  juin,  époque  à  laquelle  il  chantera  à  notre  Opéra 
Lohengrin  et  Tannhàuser. 

—  Les  jurys  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique  ont  porté  comme 
il  suit  leur  jugement  sur  les  concours  ouverts  par  elle  pendantl'année  ISlio  : 

1"  Une  Sonate  pour  piano  et  violon,  —  Prix  de  400  francs,  offert  par  la 
société.  —  Décerné  à  M.  Jules  Wiernsberger  ;  2=  prix  de  200  francs, 
décerné  à  M.  Aymé  Kunc. 

2°  Une  OEuvre  symphoniquc  développée,  pour  piano  et  orchestre.  —  Prix 
unique  de  SOO  francs  (Fondation  Pleyel-Wolff.)  —  Décerné  à  M.  Henri 
Lutz. 

3°  Un  Quatuor  vocal  pour  soprano,  contralto,  ténor  et  basse,  avec  harpe. 
—  Prix  unique  de  200  francs,  reliquat  du  prix  Ernest  Lamy.  —  Le  prix 
n'a  pu  être  décerné. 

—  On  annonce  le  prochain  retour  en  France  du  violoniste  Diaz-Albertini, 
dont  on  n'a  certainement  pas  perdu  le  souvenir  et  qui  s'était  attardé  long- 
temps à  cueillir  des  lauriers  dans  toutes  les  Amériques. 

—  La  charmante  violoniste  M}^"  Dantin  va  entreprendre  une  tournée 
de  concerts  en  Belgique  et  en  Hollande. 

—  Le  Journal  (français)  de  Saint-Pétersbourg  publie  en  première  page  la 
note  suivante  :  —  «  M.  Arthur  Pougin,  l'un  des  musicographes  les  plus 
érudits  de  la  France,  avait  écrit  déjà  il  y  a  peu  d'années  un  résumé  de 
l'histoire  de  l'école  musicale  russe  pour  un  ouvrage  collectif  sur  notre 
pays  édité  par  la  librairie  Larousse.  Depuis,  il  a  poursuivi  ses  recherc^-es 
et  il  vient  d'achever  une  savante  monographie  sur  le  même  sujet,  intitulée  : 
Essai  historique  sur  la  musique  en  Russie.  Avant  de  la  faire  paraître  en  volume, 
M.  Pougin  en  a  commencé  la  publication  dans  la  première  livraison  de 
l'année  1896  de  l'excellente  revue  de  Turin  intitulée  Rivista  musicale  Ita- 
liana,  qui  accepte  aussi  des  articles  rédigés  en  langue  française.  I/éminent 
écrivain  a  étudié  cette  fois  sérieusement  son  sujet,  compulsant  non  seule- 
ment ce  qui  a  été  écrit  en  France  sur  les  choses  musicales  de  la  Russie, 
mais  consultant  les  premiers  écrivains  d'art  russes  et  leur  empruntant 
maintes  données  importantes,  de  même  que  des  appréciations.  Dans  les 
trois  chapitres  insérés  dans  la  livraison  susmentionnée,  M.  Pougin  traite 
de  notre  chant  populaire  et  religieux,  de  l'introduction  eu  Russie,  au 
XVIU"  siècle,  de  la  musique  profane  de  l'Occident,  enfin  de  l'éclosion  d'une 
école  de  musique  originale.  Le  chapitre  sur  Glinka  (une  vingtaine  de 
pages  d'une  menue  impression)  est  surtout  bien  fait.  Ij'auteur  y  raconte, 
d'après  les  sources  russes,  l'histoire  de  la  vie  et  des  œuvres  du  grand  com- 
positeur et  fait  bien  comprendre  le  caractère  et  la  portée  de  sa  musique. 
En  parcourant  ces  pages,  le  lecteur  étranger  se  fera  une  idée  très  juste  de 
la  portée  d'un  compositeur  qu'en  France  surtout  on  connaît  trop  peu,  se 
faisant  une  idée  fausse  de  sa  musique.  Tantôt  on  le  traite  d'Italien,  tantôt 
on  en  fait  un  précurseur  de  Wagner;  la  vérité  est  qu'il  est  russe  dans  la 
meilleure  acception  du  mot,  tout  en  respectant  les  règles  immuables  de 
l'art,  ce  qui  ne  l'a  pas  empêché  d'ouvrir  des  horizons  nouveaux,  en  se  lais- 
sant aller  à  une  inspiration  aussi  limpide  qu'originale.  Nous  attendons 
avec  intérêt  la  continuation  du  travail  de  M.  Pougin  ». 

—  La  direction  des  grands  concours  internationaux  de  musique  de  Rouen 
nous  prie  d'annoncer  que,  suivant  le  désir  qui  lui  en  a  été  exprimé  par  un 
grand  nom.bre  de  sociétés,  elle  a  décidé  que  le  concours  d'honneur  des 
orphéons  et  des  musiques  d'harmonie  aura  lieu  le  dimanche  26  juillet,  au 
lieu  du  lundi  27,  date  fixée  primitivement. 

—  Le  théâtre  de  Tours  a  donné,  le  28  mars,  la  première  représentation 
d'un  petit  ouvrage  inédit,  l'Insaisissable,  «comédie  symbolique  et  lyrique» 
en  un  acte,  paroles  de  M.  Coudrec,  musique  de  M.  Frédéric  Le  Rey.  C'est 
M"'  Lambrecht  qui  remplissait  le  rôle  principal. 

—  A  Lyon,  la  saison  théâtrale  s'est  terminée  très  brillamment  pour 
notre  première  scène  avec  la  Navarraise,  de  MM.  Caïn  et  Massenet,  qui  a 
été  pour  M""  de  Nuovina  l'occasion  d'une   ovation   des  plus  flatteuses.  La 


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LE  MENESTREL 


remarquable  artiste  a  été  très  bien  spcondée  par  MM.  Beyie,  Moisson,  Le- 
quien  et  Huguet.  —  La  direction  de  M.  Vizentini  a  été  aussi  active  que 
féconde:  LeCid,  Werther,  Manon,  la  Navarraise,  le  Carillon,  de  Massenet, 
la  Statue,  do  Reyer,  le  Rêve,  de  Bruneau,  Lohengrin,  de  Wagner,  Amy  Rob- 
sart,  d'Isidor  de  Lara,  l'Amour  médecin  de  Poise,  Carmen,  de  Bizet,  la 
Vivandière,  de  B.  Godard,  ont  eu,  pour  la  plupart,  des  exécutions  fort 
honorables.  En  dernier  lieu,  nous  avons  eu  une  très  bonne  reprise  de  la 
Valkyrie,  avec  M"«  A.  Bourgeois  et  Janssen,  MM.  Muratet  et  Beyle  comme 
principau.x  interprètes.  Enfin,  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz,  jamais 
encore  exécutée  intégralement  à  Lyon,  a  été  accueillie  avec  enthousiasme 
par  le  public  des  concerts.  Hérodiade,  Orphée,  le  Roi  l'a  dit  et  les  Maîtres 
chanteurs  nous  sont  promis  pour  la  saison  prochaine.  J.  Jesjain. 

—  M.  Jemain,  professeur  des  classes  supérieures  de  piano  au  Conserva- 
loire  de  Lyon,  vient  de  donner  à  Marseille  un  curieux  récital  de  clavecin 
et  de  piano,  sur  un  instrument  moderne  d'Erard,  —  exacte  reconstitution 
des  clavecins  du  XVIII=  siècle;  il  a  passé  en  revue  les  diverses  écoles 
de  clavecinistes  Anglais,  Italiens,  Français  et  Allemands.  Continuant  sur 
le  piano  moderne  cette  revision  historique,  il  a  exécuté  des  œuvres  de 
Beethoven,  Schumann,  Chopin,  Grieg,  Schubert,  pour  finir  avec  Liszl, 
Saint-Saêns  et  Chabrier.  La  presse  marseillaise  est  unanime  à  constater  le 
puissant  intérêt  offert  par  cette  séance  et  à  louer  M.  Jemain  du  talent  dont 
il  a  fait  preuve. 

—  Au  ^2=  concert  de  'l'Association  artistique  de  Marseille,  très  grand 
succès  pour  M.  Louis  Diémer,  qui  a  merveilleusement  joué  le  lamento  de 
M.  Ch.-M.  Widor  et  des  morceaux  de  Chopin,  Daquin,  Godard,  Liszt  et  de 
sa  propre  composition.  «  Après  la  Rapsodic  de  Liszt,  le  succès,  dit  le  Petit 
Marseillais,  a  pris  les  proportions  d'une  superbe  ovation.  » 

—  Le  Stabal  Mater  de  M.  Charles  Poisot  poursuit  son  tour  de  France. 
Après  avoir  été  exécuté  successivement  à  Paris,  Dijon,  Versailles,  Cher- 
bourg, Poitiers,  Saint-Denis,  etc.,  il  vient  d'obtenir  un  grand  succès  à  la 
Rochelle,  où,  le  mercredi  saint,  un  ensemble  de  cent  exécutants  l'a  fait 
entendre  sous  la  direction  de  M.  Soudre,  maitre  de  chapelle. 

—  Les  deux  auditions  d'élèves  de  M.  Eugène  Gigout  qui  ont  eu  lieu  les 
24  et  31  mars,  ont  fait  apprécier  l'excellence  de  l'enseignement  donné  à 
son  école  d'orgue,  fondée  et  dirigée  par  l'éminent  oiganisle  de  Saint- 
Augustin.  Artistes  et  amateurs  étaient  confondus  sur  le  programme,  où  ne 
figuraient  que  des  noms  de  maîtres,  et  se  sont  partagé  également  le 
succès.  Citons  M''''^  et  M"»  Théophile  Gauthier,  Moutier,  Th.  Roger,  prin- 
cesse de  Polignac,  comtesse  de  Beauchamp,  Lavallée,  M.  et  A.  AUain 
Ziégler  (ces  quatre  dernières  élèves  de  Boëllmann),  MM.  Elle,  Pipard, 
Hochet,  Eugène  de  Bricqueville,  "Weisweiller,  A.  de  Montrichard,  Deniau, 
Levatois,  Roussel,  Crona.  On  a  fêté  M"«  Éléonore  Blanc,  M.  Warmbrodt  et 
les  élèves  de  chaut  deM""!  Pauline  Roger,  qui  prêtaient  leur  concours  à  ces 
deux  superbes  séances. 

—  A  Nice,  audition  de  piano  donnée  par  le  charmant  compositeur 
Adolphe  David.  Au  nombre  des  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  sur- 
tout la  Valse  du  vertige  et  les  Mandolinistes. 

—  A  Bordeaux,  en  l'église  Notre-Dame,  superbe  solennité  musicale  au 
profit  des  blessés  de  Madagascar.  M"™  G.  Blanc,  S.  Kerrion,  MM.  Lupiac 
et  Ramat,  avec  les  chœurs  de  la  Sainte-Cécile  et  l'orchestre  de  M.Gabriel- 
Marie  ont  magistralement  interprété  le  Requiem  de  Verdi. 

—  Très  beau  concert  donné  à  Tourcoing  par  la  Société  des  concerts 
symphoniques.  L'orchestre,  dirigé  par  M.  Fr.  Dubois,  a  eu  grand  succès 
avec  les  Erinnyes  et  les  Scènes  pittoresques  de  Massenet;  mais  le  plus  grand 
effet  a  été  pour  M"°S.  Kerrion  dans  le  grand  air  de  Paul  et  Virginie  et  dans 
Poète  et  Fantôme,  de  Massenet,  que  la  salle  entière  a  bissé. 

—  On  nous  écrit  d'Evreux  pour  nous  signaler  la  complète  réussite  du 
premier  concert  donné  par  «  l'Économie  musicale  ».  La  jeune  violoniste 
M"=  Verdie  de  Saula  a  été  la  triomphatrice  de  la  séance. 

—  C'est  une  lourde  tâche  qu'a  assumée  M"»  Riss-Arbeau  en  annonçant, 
avec  le  concours  de  M"=  Adèle  Querrion,  de  MM.  Brun  et  Salmon,  une 
«  audition  intégrale  des  œuvres  de  Chopin  en  six  séances  »,  dont  trois  ont 
eu  déjà  lieu  avec  le  plus  grand  succès.  Il  est  impossible  d'analyser  dans 
leur  détail  ses  séances,  si  substantielles  et  d'un  intérêt  si  puissant.  On  ne 
peut  que  féliciter  une  artiste  fort  distinguée  du  talent  remarquable  et  du 
courage  qu'elle  déploie  dans  une  entreprise  aussi  dilBcile,  que  louer  sa 
virtuosité,  ses  qualités  de  style  et  sa  vive  compréhension  des  œuvres  si 
nombreuses  et  si  diverses  qu'elle  fait  entendre  au  public.  C'est  ce  que 
nous  faisons  de  grand  cœur. 

—  Une  toute  jeune  et  tout  aimable  élève  de  M.  Delaborde,  M""  Ade- 
line  Ballet,  a  donné,  avec  le  concours  de  son  professeur,  un  concert  fort 
intéressant,  dans  lequel  elle  a  fait  entendre,  avec  le  concerto  italien  de 
Bach  et  la  Prédication  aux  oiseaux  de  Liszt,  diverses  pièces  de  Chopin, 
Schumann,  Schubert,  Alkan,  J.  Philipp  et  Pfeiffer.  Elle  a  fait  preuve 
d'excellentes  qualités  de  virtuose  et  s'est  fait  vivement  applaudir. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Bonne  audition  des  élèves  de  M""  Herpin,  au  cours 
de  laquelle  on  a  remarqué  M"'"  Marguerite  H.  {Chant  du  voyageur,  Lack),  Gene- 
viève C.  (Rêverie  de  Colfmbine,  Sérénade  d'Arlequin,  Massenet),  Lucie  et  Margue- 


rite D.  {Sérénade,  Ch.-M.  Widor),  Alice  R.  {Yalse-arabesque,  Lack).  Succès  pour 
M""  Jeanne  Lyon  dans  la  Chunson  d'amour,  de  Ch.  Levadé,  et  pour  M"°  Briandet 
dans  Carcassonne,  de  Nadaud.  —  En  cinq  séances,  M'i'  Ilortense  Parent  a  fait 
entendre  les  nombreuses  élèves  de  ses  deux  écoles  d'application.  Il  faut  citer 
les  noms  de  M"-  André  Z.  [Mazurlm  étcgante,  Lack],  Hélène  L.  {Berceuse,  Lack), 
M.  Jean  M.  {Mazurlia  russe,  Landry),  M""  Jeanne  G.  [Impromplu-mazurtia,  Lack), 
Thérèse  D.  {Sorrentine,  Lack),  Anne-Marie  de  S.-J.  (Valse  des  Mouches,  Landry), 
Geneviève  de  M.  (l'Oiseau-Mouclie,  Lack),  Lucie  C.  (Gavotte  de  Mignon,  A.  Thomas), 
MM.  Maurice  B.  (te  Dépari,  Lange),  Théophile  D.  Amgonaise  du  Cirf,  Massenet), 
et  féliciter  et  M"'  Parent  et  les  dévouées  professeurs  qui  lui  prêtent  leur  pré- 
cieux concours.  —  Très  intéressante  réunion  des  élèves  de  M"°  du  Wast.  Le  duo 
du  Cid  (M""' B.  et  C),  C'est  mon  ami,  de  Weckerlin  (M'"  B.i,  la  romance  du  Hoi 
d'Ys  (M"°  B.),  l'air  de  Jean  de  Nivelle  (M"-  W.),  l'air  d'Hérodiade  (M"-  N.),  le  duo  de 
Lalimé  (M""  B.  et  M.  L.),  le  duo  de  Mignon  (M"'  W.  et  M.  B.),  l'air  de  Sigurd 
(M"e  G.|  et  le  trio  à'Hamtet  (M""  C  ,  G.  et  M.  S.)  ont  mis  en  valeur  les  qualités 
de  l'enseignement  de  l'excellent  professeur.  —  A  la  fête  de  la  Fondation  Ajar, 
au  Champ-de-Mars,  gros  succès  pour  M.  Sellier  dans  l'air  de  Sigurd,  pour 
M.  Noté  dans  l'air  de  Jérusalem,  pour  M""  Preinsler  da  Silva  dans  la  paraphrase 
de  Saint-Saëns  sur  Mandolinota  de  Paladilhe,  et  pour  les  scènes  du  Christ  de 
Grandmougiu  et  Lippach?r.  —  Audition  annuelle  des  élèves  de  M"'  Cadot- 
Laffite,  professeur  de  piano.  Nous  citerons  parmi  les  morceaux  les  plus  remar- 
qués: Sérénade  ittgrienne  (Widor).  —  Chez  M"'  Balutet,  directrice  de  l'École 
Beethoven,  très  intéressante  audition  d'œuvres  de  M.  Théodore  Dubois.  Le 
maître  présidait  la  séance  et  a  paru  très  satisfait  de  l'exécution  de  ses  char- 
mantes pièces  de  piano.  Il  a  particulièrement  félicité  les  interprètes  de  Bluetle- 
pastorale,  les  Tambourinaires,  Chaconne,  le  Banc  de  mousse,  la  Source  enchantée.  Petite 
marche  et  Clair  de  lune,  ainsi  que  M""  Balutet  et  M.  Dèze,  qui  ont  exécuté  avec 
une  sonorité  d'orchestre  la  Suite  villageoise  à  quatre  mains.  —  Très  intéressante 
matinée  chez  M°"  Watto,  le  professeur  bien  connu.  On  a  particulièrement 
applaudi  un  chœur  de  Jean  de  Nivelle,  des  œuvres  de  V.  Joncières  et  de  II.  Ma- 
réchal. Grand  succès  pour  M"' G.  Polack,  une  brillante  pianiste,  et  pour  M.  Dérivis, 
l'excellent  baryton.  —  M"'  Bex  réunissait  dimanche,  dans  ses  salons  de  la  rue 
du  Louvre,  ses  plus  jeunes  élèves  de  piano,  dont  le  jeu  sûr  et  délicat  a  été 
unanimement  apprécié.  Grand  succès  pour  les  morceaux  d'ensemble  et  pour  les 
intermèdes  vocaux  tirés  de  la  Chanson  des  joujoux.  A  bientôt  l'audition  des 
élèves  des  cours  supérieurs.  —  M""  Rachel  de  Kisch  a  donné  un  concert  qui  a 
mis  en  relief  ses  heureuses  qualités  de  pianiste  (levée  à  bonne  école.  Elle  s'est 
fait  vivement  applaudir,  particulièrement  dans  la  Rupsodie  hongroise,  de  Liszt,  le 
trio  en  ré  mineur  de  Mendelssohn,  avec  MM.  Lefcrt  et  Baretti,  et  tes  Myrtilles  et 
les  Bûcherons,  de  Th.  Dubois.  —  Un  de  ces  derniers  soirs,  à  Neuilly,  chez 
l'excellent  professeur  M""  Audousset,  on  a  fait  de  la  bonne,  de  l'excellente 
musique,  coupée  de  poésies  dites  par  M""  Schmidt  de  Launay.  Des  artistes  de 
l'Opéra  se  sont  fait  entendre,  ainsi  que  M"  Rose  Delaunay  et  le  i  eune  prodige 
Lazare  Lévy.  Après  l'audition  d'œuvres  de  sa  composition,  Louis  Diémer  a  mis 
son  talent  et  sa  maestria  au  service  d'un  nocturne  de  Chopin  et  d'une rapsodie 
de  Liszt.  C'était  un  régal.  —  Chez  M—  Leclerc  on  a  fait  fête  à  M""  Julie  Bres- 
soles,  qui  a  délicatement  chanté  Pensée  d'automne,  de  Massenet,  l'Heure  sax/ui^e, 
l'Allée  est  sans  fin,  de  Reynaldo  Hahn,  les  trois  mélodies  bissées,  et  le  grand  air 
de  la  folie  à'Hamtet.  —  M""  Berthe  Berlin  s'est  fait  très  applaudir  au  concert 
qu'elle  vient  de  donner,  salle  Pleyel.  Source  capricieuse,  de  Filliaux-Tiger,  les  Myr- 
tilles, de  Théodore  Dubois,  et  le  Cavalier  fantastique,  de  Benjamin  Godard,  lui 
ont  principalement  valu  bravos  ei  rappels.  —  M"«  Marguerite  Lavigne  a  rem- 
porté un  grand  succès  en  chantant  à  son  concert  annuel  Au  pied  d'un  crucifix, 
du  regretté  mailre  Louis  Lacombe.  Cette  noble  et  pure  inspiration,  parfaile- 
ment  interprétée  sur  le  violoncelle  par  M.  Furet,  nous  a  rappelé  le  temps  oti 
M"' Andrée  Lacombe,  accompagnée  par  Guilmant,  .\rmaingaud,  les  chœurs 
Chevé,  La  Tombelle  et  son  mari,  soulevait  la  salle  entière.  —  Succès  pour  le 
concert  organisé  chez  M""  Dignat,  avec  le  concours  do  sa  fille,  de  M"'  Dress- 
Brun,  de  MM.  Alf.  Brun,  Papin,  Queeckers.  On  y  a  exécuté  le  5"  trio  de  Beetho- 
ven, la  sonate  en  ut  mineur  de  Grieg  pour  violon  et  piano,  ainsi  que  le  quatuor 
de  Schumann,  morceaux  qui  ont  valu  à  tous  les  artistes  des  applaudissements 
nombreux.  L'î  prochain  concert  est  fixé  au  mercredi  1.5  avril.  —  M""  Elmond 
Laurens,  q  ui  vient  de  donner  chez  Erard  un  très  intéressant  concert,  a  un  jeu 
correct,  pur,  exempt  de  mièvrerie.  Elle  a  dit  avec  un  remarquable  talent  le  trio 
d'Emile  Bernard  (en  compr.gnie  de  MM.  B;rlhelier  et  Loeb),  des  nocturnes  très 
pittoresques  d'Edmond  Laurens  et  unesériede  pièces  de  Schumann,  Schubert, 
Liszt,  Massenet-Périlhou  (la  Navarraise,  I.  Philipp,  Clair  de  lune  et  Feux-Follets, 
extraits  des  Pastels). 

NÉCROLOGIE 

Une  dépêche  de  Venise  aux  journaux  italiens  est  venue  annoncer  la 
mort  en  cette  ville,  le 23  mars,  d'un  artiste  qui  s'était  fait  en  ces  dernières 
années  une  grande  réputation  sur  les  scènes  de  l'Italie  et  de  l'étranger, 
la  basse  Angelo  Tamburlini.  Il  avaitcommencê  par  l'église,  et  avaitchantê 
d'abord  dans  la  Cappella  ciel  Santo  à  Padoue.  Puis  il  s'était  tourné  du  côté 
du  théâtre,  où  il  avait  conquis  rapidement  la  notoriété,  grâce  à  sa  superbe 
voix  et  à  son  talent  non  seulement  de  chanteur,  mais  de  comédien.  Au 
mois  de  décembre  dernier,  revenant  d'Amérique,  il  voulut,  quoique  souf- 
frant, tenir  un  engagement  qu'il  avait  conlracté  avec  le  théàlre  Dal  Verme, 
de  Milan.  Il  s'y  montra,  entre  autres,  dans  un  nouvel  opéra  de  M.  Scon- 
trino,  Cortigiano.  Mais  il  n'était  plus  lui-même,  et  luttait  sans  succès  contre 
les  élreintes  d'une  terrible  maladie  de  cœur.  On  fut  enfin  obligé  de  le 
transporter  à  Venise,  où  tous  les  soins  dont  on  l'enloura  restèrent  impuis- 
sants à  le  guérir.  C'est  là  qu'il  s'est  éteint,  âgé  de  43  ans  seulement. 

—  De  Vienne  on  annonce  la  mort  de  M'^  Anna  Pessiack,  professeur  de 
chant  au  Conservatoire  de  cette  ville.  Artiste  fort  distinguée,  ancienne  élève 
de  M""»  Marchesi,  M""^  Pessiack  s'était  fait  connaître  aussi  comme  com- 
positeur. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


—    Sacre  '.orllleui 


Dimanche  12  Avril  1896. 


3394.  —  62-"»  ANNÉE  —  I\°  15.  PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    TIIÉ^TR,ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  his,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  !20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr,,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Une  œuvre  contestée  de  Palestrina  et  ses  deux  messes  de  l'Homme  armé 
(!•'  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
de  Ghiselle  au  tliéâtre  de  Monte-Carlo,  Julies  Tiersot.  —  III.  Musique  et  prison 
(2"  article):  captivités  royales  et  princières,  Paul  d'Estiœe.  —  IV.  Le  concert 
du  vendredi  saint  au  Châtelet,  A.  Boutarel.'—  V.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

NOCTURNE 

de  LÉON  Delafosse.  —  Suivra  immédiatement  :  Contemplation,  a"  i  de  la 
Matinée  aux  Alpes,  du  maestro  N.  Celega. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prothain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Cantique  sur  le  bonheur  des  justes  et  le  malheur  des  réprouvés,  poésie  de 
Jean  Racine,  musique  de  Reïnaldo  Hahn.  —  Suivra  immédiatement  :  la 
Légendedes  trois  petits  mousses,  n»  i  des  Poèmes  de  Bretagne,  musique  de  Xavier 
Leroux,  poésie  d'ANDRÉ  Alexandre. 


Wm  ŒIVRE  CONTESTÉE  DE  PALESTBIN4 

et  ses  deux  MESSES  DE  L'EOMME  ARMÉ 


Les  cérémonies  de  la  Semaine  sainte,  si  expressives  en 
leur  dispositif  liturgique,  ont  donné  naissance,  depuis  les 
origines  du  chant  chrétien  jusqu'à  l'époque  moderne,  à  d'in- 
nombrables compositions  musicales  dont  certainesrsont  res- 
tées comme  des  chefs-d'œuvre  impérissables.  Les  offices  de 
Ténèbres,  célébrés  à  la  fin  du  jour  le  mercredi,  le  jeudi  et 
le  vendredi  saints,  en  sont  les  épisodes  les  plus  frappants  : 
tous  ceux  qui  ont  assisté  à  leur  accomplissement,  aux  beaux 
temps  de  la  papauté,  dans  la  chapelle  Sixtine,  à  Rome,  en 
ont  rapporté  des  souvenirs  ineffaçables,  dans  lesquels  le  spec- 
tacle extérieur  s'associe  à  la  musique  de  façon  à  produire 
une  impression  extraordinaire.  Voici,  par  exemple,  en  quels 
termes  Chateaubriand  en  rendait  compte  dans  une  lettre  à 
M°"  Récamier  : 

Je  commence  celte  lettre  le  mercredi  saint  au  soir,  au  sortir  de  la 
chapelle  Sixtine,  après  avoir  assisté  à  Ténèbres  et  entendu  le  Mise- 
rere. C'est  vraiment  incomparable  :  celle  clarté  qui  meurt  par  degré, 
ces  ombres  qui  enveloppent  peu  à  peu  les  merveilles  de  Michel- 
Ange  ;  tous  ces  cardinaux  à  genoux,  le  Pape  prosterné  lui-même  au 
pied  de  l'autel;  cet  admirable  chant  de  souffrance  et  de  miséricorde, 
yélevantpar  intervalle  dans  le  silence  et  la  nuit... 

Vers  le  même  temps,  Mendelssohn  développait  les  mêmes 


idées,  en  insistant  davantage  sur  le  côté  musical  :  le  récit 
qu'il  a  écrit  dans  ses  Lettres  de  voyage  est,  à  cet  égard,  la  des- 
cription la  plus  intéressante  et  la  plus  précieuse  qui  nous 
soit  parvenue  de  ces  cérémonies,  à  l'occasion  desquelles,  un 
demi-siècle  auparavant,  Mozart  s'était  déjà  couvert  de  renom- 
mée en  dévoilant  le  mystère  du  Miserere  d'Allegri. 

Parmi  les  œuvres  musicales  particulières  à  ces  ofBces,  la 
plus  importante  est  la  série  des  vingt-sept  Répons  —  neuf 
pour  chaque  journée  —  qui  alternent  avec  le  chant  des 
psaumes  et  des  Lamentations.  Depuis  plusieurs  années,  les 
chanteurs  de  Saint-Gervais  nous  en  ont  fait  entendre  une 
séleclion  prise  dans  l'œuvre  des  deux  plus  célèbres  maîtres 
de  l'école  romaine  du  XVI"  siècle,  Palestrina  et  Vittoria  :  les 
uns  comme  les  autres  ont  toujours  paru  d'une  beauté  par- 
faite et  d'une  admirable  inspiration. 

Or,  si  nous  cherchons  les  Répons  de  Palestrina  dans  la 
grande  édition  de  ce  maître,  publiée  en  Allemagne  sous  la 
direction  de  M.  Haberl,  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale 
de  Ratisbonne,  après  avoir  constaté  avec  surprise  qu'ils  ne 
figurent  pas  dans  les  vingt-neuf  volumes  des  œuvres  com- 
plètes, nous  les  trouvons  relégués  au  dernier  des  trois  vo- 
lumes supplémentaires  renfermant  des  œuvres  simplement 
attribuées  à  Palestrina,  ou  même  contestées  ;  et  dans  la  pré- 
face de  ce  volume,  nous  lisons  ces  lignes,  dont  je  transcris 
la  traduction  en  suivant  le  texte   allemand  d'aussi  près  que 


Une  imitation  totalement  fausse  (eine  ganz  falsche  Vorstellung,  le 
mot  falsch  donnant  une  idée  de  supercherie,  de  mensonge)  du  style 
de  Palestrina  s'est  propagée  depuis  une  cinquantaine  d'années  envi- 
ron par  la  publication  d'un  choix  de  Répons  à  quatre  voix  pour  es 
matines  des  trois  derniers  jours  de  la  semaine  sainte.  (Une  note  in- 
dique ici  que  ces  morceaux  «  ont  paru  pour  la  première  fois  dans  le 
recueil  du  prince  de  la  Moskowa,  publié  en  onze  volumes  par  la  So- 
ciété de  musique  religieuse  et  classique,  fondée  à  Paris  en  1843;  le 
septième  volume  en  contient  plusieurs  sans  indication  de  source  ni 
de  lieu  de  provenance  »).  Le  soussigné  a  fait  à  grand'peine  des  re- 
cherches à  Rome  et  en  Italie  d'après  une  copie  de  ces  vingt-sept  Ré- 
pons, mais  nulle  part  il  n'a  retrouvé  trace  de  ceux-ci.  Toutes  les 
copies  qui  se  trouvent  dans  les  bibliothèques  publiques  de  Munich, 
Vienne,  etc.,  ont  été  faites  d'après  un  manuscrit  du  siècle  dernierque 
le  défunt  cuslos  de  la  Bibliothèque  royale  de  Munich,  M.  Jul.  Jos. 
Maier,  reçut,  en  1857,  en  souvenir  de  Casp.  Aiblinger,  maître  de 
chapelle  de  la  cour  royale  à  Munich  (mort  en  1867),  et  dont  il  a  fait 
présent  au  soussigné  comme  «  légère  contribution  pour  le  volume  de 
Palestrina  incertus,  le  1"  mai  1886  ».  Ce  manuscrit  porte  à  la  fin  l'in- 
dication suivante  :  Responsoria  anno  ioS5  composita  a  famosissimo  Dom. 
Aloysio  Prenestino  eapellœ  magistro  summi  pontificis  Uarcelli.  Spectant 
nunc  ad  muni  Fr'^  Josephi  a  Despons.  B.  V.  M.  Ord.  S.  Hieromjnii  Pro- 
fessa. 1764.  »  (Une  nouvelle  note  dit  que  «  peut-être  celui-ci  était 
le  Fr.  Joseph,  membre  du  couvent  des  Hiéronymites  de  Munich  », 
etc.,  etc.).  Les  erreurs  chronologiques   de  cette  notice  tombent  sous 


114 


LE  MENESTREL 


le  sens,  car  Palestrina  ne  fut  jamais  mallre  de  la  chapelle  papale, 
mais,  après  la  mort  du  pape  Marcel  II,  simple  ehanlre  de  la  dile 
chapelle.  Que  ces  vingt-sept  Répons  n'aient  pas  pu  être  composés 
en  lo33,  il  n'est  besoin  pour  les  musiciens  érudils  d'aucune  autre 
preuve  plus  éloignée:  mais  ils  furent  composés  avant  1632:  cela 
résulte  de  cette  circonstance,  que  les  mots  :  Fiat  voluntas  tua,  qui 
furent  effacés  par  Urbain  VIII  dans  l'édition  du  bréviaire  de  1632, 
se  trouvent  ici  mis  en  musique.  Le  style  indique  plutôt  un  bon 
maître  de  l'école  romaine  du  commencement  du  dix-septième  siècle. 
Le  manuscrit  est  terminé  par  le  simple  faux-bourdon  du  B<;nedictus. 
qui,  comme  les  vingt-sept  Répons,  est  indiqué  seulement  dans  ce 
manuscrit  comme  une  œuvre  de  Palestrina. 

Voilà  qui  est  net  autant  que  circonstancié.  Les  vingt-sept 
Répons  pour  la  semaine  sainte  exécutés  sous  le  nom  de 
Palestrina  sont  l'œuvre  d'un  faussaire;  il  n'en  est  connu 
qu'un  seul  exemplaire,  d'origine  douteuse  et  de  date  rela- 
tivement récente,  d'après  lequel  toutes  les  copies  connues 
ont  été  faites,  et  qui,  enflo,  ne  présente  aucun  caractère 
d'authenticité. 

Cependant,  à  première  vue,  il  semble  déjà  que  tout  n'est 
pas  inattaquable  dans  les  déductions  de  M.  Haberl.  Il  dit 
que  l'œuvre  est  connue  par  un  manuscrit  unique,  et  pourtant 
il  constate  que  des  parties  importantes  en  ont  été  publiées 
pour  la  première  fois,  en  France,  il  y  a  plus  de  cinquante 
ans  :  cela  indiquerait  logiquement  l'existence  au  moins  d'un 
autre  exemplaire,  car  il  est  bien  peu  probable  que  les  édi- 
teurs du  recueil  du  prince  de  la  Moskowa  aient  été  chercher 
le  manuscrit  du  frère  Joseph  au  couvent  des  Hiéronymites 
de  Munich  :  la  supercherie  aurait  donc  eu  déjà  d'autres 
complices  ?. .. 

D'autre  part,  M.  Haberl  base  toute  son  argumentation  sur 
la  façon  inexacte  dont  la  qualilé  de  Palestrina  est  mentionnée 
sur  le  titre  de  l'ouvrage.  Je  suis  surpris  que  l'expérience, 
déjà  ancienne,  du  savant  musicien  de  Ratisbonne,  ne  l'ait  pas 
encore  conduit  à  constater  que  les  titres  sont  souvent  pleins 
d'inexactitudes  et  de  fantaisie,  et  que  c'est  faire  preuve  d'une 
critique  vraiment  insuffisante  que  de  s'appuyer  uniquement 
sur  de  si  médiocres  autorités  :  s'il  n'en  est  pasencore  convaincu, 
je  m'offre  très  volontiers  à  lui  fournir  toute  une  collection 
de  titres  de  partitions,  anciennes  ou  modernes,  œuvres 
théâtrales,  etc.,  renfermant  des  inexactitudes  de  détail  nota- 
blement plus  choquantes  que  celle  qu'il  relève  ici.  Aussi 
bien,  l'erreur  n'est-elle  peut-être  pas  aussi  grave  que  le  croit 
M.  Haberl.  D'une  part,  en  effet,  la  chronologie  n'est  pas  en 
défaut,  puisque  cette  année  '1555  est  précisément  celle  du 
pontificat  de  Marcel  II,  qui  fut,  on  lésait,  le  grand  protecteur 
de  Palestrina  ;  en  outre,  si  celui-ci  n'avait  que  le  simple 
titre  de  chantre  à  la  chapelle  papale,  sa  situation  de  compo- 
siteur pouvait  bien  faire,  sans  doute,  qu'on  lui  donnât  du 
«  Maître  »  sans  qu'il  y  ait  rien  eu  d'étonnant  à  cela.  Enfin,  si 
Palestrina  fut  simple  chantre  à  la  Sixtine,  par  contre  il  fut 
maître  des  enfants  de  la  chapelle  Julia  à  Saint-Pierre,  maître 
de  chapelle  à  Saint-Jean-de-Latran,  puis  à  Sainte-Marie- 
Majeure,  fonctions  dont  l'énoncé  pouvait  fort  bien  être  résumé 
dans  la  formule  inscrite  sur  le  manuscrit. 

En  troisième  lieu,  M.  Haberl  nous  fournit  bénévolement 
un  argument  contre  sa  propre  cause  en  nous  apprenant  que 
l'œuvre  est  forcément  antérieure  à  1632.  Il  en  résulte  donc, 
de  par  les  particularités  même  de  son  texte,  que  cette  œuvre 
a  pu  être  composée  au  temps  de  Palestrina,  alors  qu'elle  ne 
pouvait  plus  l'être  seulement  quarante  ans  après  sa  mort! 
Cela  réduit  singulièrement  le  temps  durant  lequel  le  faus- 
saire, l'auteur  de  la  gan:  falsche  Vorstellimg,  a  pu  opérer  f 

L'argumentation  de  M.  Haberl  est  donc  des  plus  fragiles. 
Par  contre,  j'ai  à  ajouter  aux  éléments  de  la  cause  plusieurs 
faits  nouveaux  qui  ne  viennent  en  aucune  façon  à  l'appui 
de  la  thèse  du  savant  allemand. 

Quelle  est,  en  effet,  la  grande  raison  de  M.  Haberl?  Que 
les  27  Répons  de  Palestrina  ne  sont  connus  que  par  une 
copie  isolée  ;  qu'il  a  fait  faire  «  à  grand, peine  des  recher- 
ches à  Rome  et   en  Italie,    mais   que  nulle   part    il  n'en    a 


retrouvé  de  traces.  «  Gela  est  bien  étonnant,  car,  sans  avoir 
eu  besoin  de  me  donner  lant  de  mal,  j'en  ai  trouvé  quatre 
exemplaires  manuscrits,  antérieurs  tous  trois  à  la  première 
publication  du  prince  de  la  Moskowa,  et  cela  tout  simple- 
ment dans  une  bibliothèque  française,  la  Bibliothèque  du 
Conservatoire.  En  voici  le  détail. 

Dans  un  recueil  factice,  qui,  d'après  les  indices  extérieurs 
(estampille,  cotage,  reliure),  appartient  à  la  Bibliothèque  du 
Conservatoire  depuis  sa  fondation  (par  con.séquent  depuis 
un  siècle),  sont  réunies  plusieurs  œuvres  manuscrites  des 
maîtres  du  XVP  siècle,  avec  cette  note  :  «  Ce  recueil  a  été 
mis  aux  ouvrages  élémentaires  comme  devant  servir  de  modèle 
aux  jeunes  artistes  pour  les  différents  contrepoints  (1)  ».  Les 
morceaux,  de  formats  différents,  sont  d'écritures  diverses, 
mais  toujours  anciennes.  On  y  trouve  des  compositions  de 
Roland  de  Lassus,  Bernabei,  Agostini,  etc.  ;  on  y  trouve  sur- 
tout, et  c'est  ce  qui  nous  intéresse,  les  Répons  de  Palestrina, 
sous  un  titre  identique  à  celui  de  la  copie  allemande  de 
M.  Haberl. 

Même  ouvrage  et  même  titre  dans  une  copie  portant  Vex- 
libris  d'Adrien  (2). 

Même  copie  encore  dans  le  sixième  volume  de  la  collec- 
tion Eler  (3). 

Enfin  un  quatrième  manuscrit  est  précédé  de  ce  titre,  un 
peu  différent  : 

Responsoria  cuin  quatuor  vocibus  in  cœna  Domini,  in  Parasccve  et 
in  Sabatho  Sanilo,  —  Joannis  Pétri  Aloysii  Prœnestini. 

Sur  le  même  feuillet  est  collée  une  note,  en  italien,  dont 
l'importance  n'échappera  à  personne  : 

Du  très  ancien  manuscrit  de  Latran,  à  la  faveur  de  M.  De  Jacobis, 
Chantre  et  Archiviste  de  Saint-Jean-de-Latran,  et  collationné  avec  une 
copie  communiquée  par  le  très  savant  Chevalier  R.  Kiessewetter,  de 
Vienne  (4). 

Il  résulte  de  cette  dernière  indication,  dont  nous  n'avons 
aucun  motif  de  suspecter  l'exactitude,  que  l'original  de 
l'œuvre  de  Palestrina  se  trouve  à  Rome,  dans  les  Archives 
de  Saint-Jean-de-Latran,  —  et  d'autre  part  que  l'Allemand 
Kiesswetter  en  avait  eu  déjà  connaissance.  Je  ne  ferai  pas  à 
M.  Haberl,  qui  a  passé  tant  de  temps  à  rechercher  les 
œuvres  de  Palestrina  à  Rome,  l'injure  de  supposer  qu'il  s'est 
borné  exclusivement  à  fouiller  les  archives  du  Vatican  et 
qu'il  a  négligé  les  autres  sources  :  sans  doute,  à  Saint-Jean- 
de-Latran,  l'ouvrage  ne  lui  a  pas  été  communiqué,  ou  il  a 
été  déplacé,  ou  il  a  disparu,  ou  a  été  égaré,  ou  perdu,  ou 
détruit  :  cette  dernière  hypothèse  fût-elle  vraie  qu'il  ne 
faudrait  même  pas  trop  s'en  désoler,  car  j'ai  démontré 
qu'à  défaut  de  l'original  nous  possédons  assez  de  copies 
authentiques  pour  considérer  l'œuvre  comme  sauvée. 

Mais  si,  comme  il  est  probable,  le  livre  est  resté  à  sa  place, 
il  serait  à  l'honneur  de  notre  École  française  de  Rome  de  le 
retrouver.  Nos  jeunes  prix  de  Rome,  qui  sont  tenus  par 
leurs  règlements  de  fournir  comme  envoi  à  l'Institut  une 
transcription  d'une  œuvre  de  ce  genre,  sont  souvent  embar- 
rassés, je  le  sais,  pour  savoir  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'utile  et 
d'intéressant  à  rechercher  :  je  leur  livre  cette  idée,  bien 
convaincu,  si  l'un  d'eux  avait  la  bonne  fortune  de  la  pouvoir 
mettre  à  exécution,  que  tous  ses  maîtres  et  ses  juges,  ainsi 
que  les  admirateurs  de  Palestrina,  lui  en  sauraient  bon  gré. 
(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 

(1)  Cette  noie  est  de  l'écriture  de  l'abbé  Roze,  le  premier  qui  ait  mis  de 
l'ordre  dans,  les  collections  du  Conservatoire,  dont  il  fut  bibliothécaire  de  1807 
à  1819. 

(2i  Adrien,  chanteur  k  l'Opéra  sous  la  Révolution,  compositeur,  enfin  pro- 
fesseur de  déclamation  lyrique  au  Conservatoire,  était,  dit  li'étis,  grand 
admirateur  de  l'ancienne  musique  des  maîtres  belges,  français  et  italiens  qui 
brillèrent  dans  le  XVI'  et  dans  le  XVII'  siècle,  et  employa  beaucoup  de  temps 
à  copier  leurs  ouvrages  pour  sa  bibliothèque.  Il  mourut  en  1822. 

(3)  Eler,  compositeur,  auteur  d'ouvrages  représentés  à  l'Opéra  et  à  l'Opéra- 
Comique  en  1798  et  1800,  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  à  mettre  en  par- 
tition ou  à  extraire  d'anciens  recueils  les  compositions  des  maîtres  les  plus 
célèbres  du  seizième  siècle.  Ce  précieux  recueil  a  été  acquis  par  la  Bibliothèque 
du  Conservatoire.  Eler  mourut  en  1821. 

(4)  Da  Ms.  del  Laterano  aniichissimo  per  favore  del  Sig.  De  Jacobis  ed  Archivisla  in 
S.  Gio.  Laterano.  —  e  cotlagionali  con  una  Copia  pressa  di  me  speditami  dal  doUissimo 
sig.  Caval.  R.  Kieswetler  da  Vientia. 


LK  MENESTREL 


an 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théâtre  de  Monte-Carlo.  —  Première  représentation  de  Ghiselle,  drame 
lyrique  en  quatre  actes,  paroles  de  M.  Gilbert  Augustin-Thierry,  musi- 
que de  César  Franck. 

L'on  sait  qu'aucune  des  œuvres  que  César  Franck  écrivit  pour  le 
théâtre  ne  fut  représentée  de  son  vivant  (car  je  ne  compte  pas  comme 
œuvre  de  César  Franck  certain  petit  opéra-comique  du  temps  passé, 
qui  ne  fut  évidemment  qu'un  péché  de  jeunesse).  Hulda,  dont 
le  manuscrit  avait  été  laissé  complètement  achevé,  ne  put  être  joué 
que  trois  ans  et  demi  après  la  mort  du  compositeur,  en  189'i-,  à  Monte- 
Carlo  :  l'ouvrage,  malgré  quelques  défectuosités  (un  médiocre  poème, 
une  teinte  uniformément  sombre,  un  mouvement  scéniqne  parfois 
insuffisant),  produisit  une  impression  générale  exoellenle  :  un  acte 
d'exposition  d'une  concision  remarquable  et  d'un  bel  accenttragique, 
deux  scènes  d'amour,  —  une  suitout,  occupant  tout  un  acte,  page 
d'une  inspiration  abondante  et  soutenue  et  d'une  admirable  intensité 
d'expression,  chef-d'œuvre  dans  le  sans  le  plus  élevé  du  mot,  —  un 
ballet  d'une  fraîcheur  délicieuse  et  d'une  grande  richesse  sympho- 
nique,  sans  compter  diverses  pages  musicales  d'un  art  accompli,  dis- 
séminées dans  les  autres  parties,  tels  étaieut  les  éléments  d'un  suc- 
cès qui  eût  été  certainement  plus  éclatant  encore,  et  surtout  plus 
durable,  si  l'œuvre  se  fût  produite  dans  un  milieu  plus  favorable  ;  j'ai 
d'ailleurs  toute  confiance  encore  dans  son  avenir,  et  tiens  pour 
certain  qu'un  jour  viendra  où  pleine  justice  lui  sera  rendue. 

Aujourd'hui,  nous  avons  à  parler  d'un  autre  ouvrage  qui  vient  d'être 
représenté  dans  des  conditions  anologues.  :  Ghiselle,  dont  le  manus- 
crit était  également  resté  parmi  les  œuvres  inédites  du  maître.  Je  ne 
puis  mieux  faire,  pour  en  dire  l'historique,  que  de  reproduire  pure- 
ment et  simplement  la  note  inscrite  en  tête  de  la  partition  par  le  fils 
de  l'auteur,  M.  Georges  Franck  : 

Lorsque  César  Franck  mourut,  le  8  novembre  1890,  il  avait  déjà  achevé 
depuis  plus  d'un  an  la  composition  de  la  partition  de  Ghiselle. 

D'accord  avec  le  collaborateur  de  mon  père,  M.  Gilbert  Augustin-Thierry, 
nous  avons  respecté  dans  cette  édition  l'exacte  physionomie  du  manuscrit 
original  signé  et  daté  du  21  septembre  ISS9. 

L'orchestration  seule  demeurait  incomplète  ;  l'auteur  avait  orchestré  le 
premier  acte,  le  plus  long,  le  principal  au  point  de  vue  de  l'orchestration, 
puisque  tous  les  personnages  principaux  y  paraissent. 

Grâce  à  cet  acte,  grâce  à  des  indications  multipliées  dans  le  manuscrit, 
quelques  élèves  du  maître,  unis  dans  un  même  sentiment  de  respect  pour 
sa  mémoire  et  de  subordination  désintéressée  à  sa  pensée  cjmplètement 
exprinvée,  trouvant  d'ailleurs  un  secours  précieux  dans  la  connaissance 
de  ses  goûts,  ont  cru  pouvoir  terminer  l'orchestration  d'une  partition  à 
laquelle  mon  père  attachait  une  importance  considérable. 

Qu'ils  reçoivent  ici  l'expression  de  toute  ma  reconnaissance. 

Je  puis  compléter  les  renseignements  ci-dessus  en  disant  les 
noms  des  élèves  de  Franck  qui  ont  coopéré  à  l'achèvement  de 
son  œuvre.  Ils  sont  au  nombre  de  cinq.  M.  Pierre  de  Bréville  a  tra- 
vaillé aux  premières  scènes  du  second  acte;  M.  Ernest  Chausson  a 
instrumenté  la  scène  d'amour  qui  forme  le  milieu  de  ce  même  acte, 
et  M.  Vincent  d'Indy  la  scène  d'ensemble  qui  le  termine  ;  M.  Samuel 
Rousseau  s'est  chargé  de  l'acte  de  l'église,  et  M.  Coquard  du  dernier 
tableau.  Ils  ont  ainsi  donné  un  nouveau  témoignage  de  leur  dévoue- 
meiit  à  la  mémoire  de  leur  maître,  —  bien  que  peut-être  ils  eussent 
préféré  le  manifester  différemment. 

Cette  multiplicité  de  collaborateurs,  en  effet,  est  déjà  d'un  assez 
fâcheux  augure,  car  elle  semble  indiquer  que  le  travail,  ainsi  réparti 
pour  être  accompli  simultanément  par  tant  de  mains  différentes,  a 
été  exécuté  avec  quelque  hàie  ;  d'autre  pari,  l'unité  de  la  composi- 
tion a  dti  s'en  ressentir.  Je  n'insiste  d'ailleurs  pas  sur  cette  dernière 
critique,  que  je  ne  pourrais  formuler  en  pleine  connaissance  de  cause, 
car  ce  compte  rendu  est  écrit,  non  à  ia  suite  d'une  représentation, 
mais  simplement  d'après  la  lecture  de  la  partition.  Nous  avons 
vu  que  cette  partition  est  exactement  conforme  au  manuscrit  laissé 
par  l'auteur;  il  n'est  donc  besoin  de  rien  de  plus  pour  apprécier 
l'œuvre  de  Franck,  puisque  c'est  cette  œuvre  elle-même,  pure  et  sans 
aucun  alliage  étranger,  qu"il  nous  est  donné  de  considérer. 

Or,  dès  la  première  inspection,  il  apparaît  de  toute  évidence  que 
cette  partition,  loin  d'être  dans  l'état  d'achèvement  complet  et  défioitit 
que  l'on  nous  annonçait,  n'i'st,  en  réalité,  qu'une  ébauche,  et,  le 
plus  souvent,  une  ébauche  très  peu  avancée.  Sauf  en  de  rares  pages, 
dont  nous  ne  saurions  mémo  dire  avec  certitude  si  l'auteur  n'aurait 
pas  modifié  quelques  traits,  la  musique  est  constamment  réduite  à 
une  ligne  de  chant  soutenue  par  de  leuts  accords  plaqués.  Ceux  à  qui 
l'œuvre  de  Franck    est   familière    savent    assez    que    l'écriture    du 


maître  polyphoniste  est  tout  autre  !,..  Je  n'ai  pas  le  courage  d'insister 
sur  une  erreur  aussi  regrettable,  et  qui  ne  peut  être  que  funeste  pour 
la  mémoire  de  César  Franck  :  ses  œuvres  les  plus  parfaites  ne  sont 
pas  déjà  si  bien  comprises  de  la  généralité  du  public  que  l'on 
vienne,  maintenant,  jeter  la  perturbation  dans  les  idées  des  gens 
de  bonne  volonté  en  leur  exhibant,  comme  parfaitement  authentique, 
une  composition  incomplète,  ou,  —  si  autorisés  que  soient  ceux  qui 
ont  collaboré  à  son  achèvement,  —  due  pour  une  bonne  moitié  à 
des  mains  étrangères  ! 

Bornons-nous  donc  à  étudier  la  partition  de  Ghiselle,  non  pour  y 
trouver  une  œuvre  achevée,  mais  pour  en  dégager  les  traits  essentiels 
et  savoir  quelle  fut  l'évolution  du  génie  de  César  Franck  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie. 

Il  faut  avouer  qu'ici  encore  le  musicien  a  été  bien  mal  servi  par 
son  collaborateur.  Le  poème  d'i/wWa  n'était  pas  bon;  mais  celui  de 
Ghiselle  est  pire.  Le  sujet  d'Hulda,  emprunté  à  un  poème  norvé- 
gien, d'un  vrai  poète,  avait  de  l'intérêt  en  soi;  au  point  de  vue 
de  l'exécution  littéraire,  il  avait  de  grands  défauts  de  détail  :  du 
moins  avait-il  cette  qualité  qu'il  présentait  plusieurs  situations 
franches  et  très  propres  au  développement  de  l'inspiration  musicale, 
—  et  c'était  ce  qu'il  fallait  à  Franck,  essentiellement,  exclusivement 
musicien.  Le  poème  de  Ghiselle,  au  contraire,  est  un  banal  et  noir 
mélodrame,  rempli  d'horreurs  compliquées,  tout  de  mouvement  et 
d'action,  par  conséquent  aussi  défavorable  que  possible  au  commen- 
taire musical  proprement  dit. 

Je  n'en  raconterai  pas  par  le  menu  toutes  les  péripéties  trop 
variées.  Je  me  borne  à  dire  que  le  fond  du  sujet  est  la  rivalité  de 
deux  femmes,  une  reine  et  une  captive,  cette  dernière  aimée  et 
devenant  victime  de  sa  terrible  rivale,  laquelle,  dans  le  cas  présent, 
n'est  autre  que  Frédégonde,  dont  on  abuse.  Il  y  a  encore  une  vieille 
sorcière  qui  vit  dans  un  endroit  sauvage  des  environs  de  Paris  (où, 
naturellement,  tous  les  personnages  de  la  pièce  se  trouvent  par 
deux  fois  réunis  comme  par  hasard)  :  cette  sorcière  est,  elle  aussi, 
une  reine,  qui,  au  dénouement,  reconnaît  être  la  mère  de  Ghiselle, 
la  captive  persécutée.  Il  y  a  enfin  un  acte  dans  lequel  un  chef 
d'armée,  après  s'être  couvert  de  gloire  dans  les  combats,  ayant 
voulu  enlever  du  cloître  sa  fiancée,  est,  pour  cette  faute,  couvert  de 
malédictions,  déclaré  anathème,  enfermé  dans  le  cloître  avec  sa  com- 
plice; celle-ci  devient  folle;  au  chant  des  psaumes,  on  mure  les 
poites;  après  quoi,  le  peuple  en  furie  met  le  feu  à  la  maison,  tout 
cela  parce  qu'un  guerrier  victorieux  a  voulu  revoir  sa  fiancée  I  C'est 
à  interpréter  ces  horreurs  banales  que  le  chantre  des  divine? 
Béatitudes  a  employé  les  derniers  temps  de  sa  vie  de  labeur;  c'est  à 
faire  mouvoir  ces  fantoches  d'opéra  qu'il  s'est  efforcé,  lui  qui  savait 
faire  chanter  les  anges! 

La  partition  d'Hulda  nous  avait  fait  connaître  la  tendance  de  César 
Franck  en  tant  que  musicien  dramatique,  et  noiis  savions  que  cette 
tendance  était  tout  autre  que  celle  du  drame  wagnérien  :  sans  mé- 
connaître les  droits  de  l'action  scénique,  en  en  suivant  le  mouvement 
général  aussi  fidèlement  que  possible,  le  compositeur  tendait  mani- 
festement à  donner  à  la  musique,  au  «  morceau  »,  toute  la  prépon- 
dérance. Nous  ne  faisons  aucune  difficulté  pour  admettre  cette  ma- 
nière aussi  bien  qu'une  autre.  Dans  Ghiselle,  en  effet,  ce  sont  bien 
plus  les  morceaux  de  musique  que  les  parties  scéniques  qui  nous 
semblent  mériter  l'attention. 

A  cet  égard,  le  premier  acte  est  le  mieux  partagé,  étant  le  plus 
achevé.  Il  commence  par  une  scène  d'ensemble,  un  chœur  triomphal 
suivi  d'une  marche  guerrière,  où  l'on  retrouve  la  fermeté  de  rythme, 
la  magnificence  d'harmonie,  la  largeur  de  composition  dont  plusieurs 
autres  pages  de  Franck  nous  avaient  déjà  donné  des  exemples.  Le 
«  récit  guerrier  »  de  Ghiselle  a  grand  caraclère';  la  «  scène  de  séduc 
lion  »  de  Frédégonde  a  des  accents  infiniment  expressifs. 

Le  second  acte  (celui  de  la  scène  nocturne  de  la  forêt)  a  des  coins 
de  poésie  ravissants,  notamment  dans  un  prélude  d'une  rare  délica- 
tesse do  forme  et  d'harmonie:  malheureusement,  dès  la  première 
pnriie  de  cet  acte,  la  forme  musicale  devient  de  plus  en  plus  som- 
maire, et  j'avoue  ne  pouvoir  pas,  avec  ces  éléments  insufSsanlSj  me 
rendie  compte  de  ce  que  l'auteur  aurait  réalisé,  dans  le  duo  d'amour 
et  la  grande  scène  d'ensemble,  s'il  lui  avait  été  donné  d'aller  jusqu'au 
bout.  La  ligne  géaérale  de  la  scène  du  cloîtio  apparaît  au  contraire 
avec  une  netteté  et  une  ampleur  magistrales;  il  a  dû  falloir  y  ajouter 
peu  de  chose  pour  en  faire  une  page  de  musique  décorative  d'une 
grande  beauté. 

Le  dernier  tableau  nous  ramène  dans  la  forêt:  les  mêmes  détails 
descriptifs  y  reparaissent,  sous  un  aspect  de  plus  en  plus  sombre. 
Mais  surtout  nous  y  retrouvons  un  cliant  d'une  grâce  ineffable,  déjà 
exposé  au  second  acte,  et  qui  se  présente  ici  dans  tout  son  déveiop- 


H6 


LE  MENESTREL 


pement.  C'est  une  sorte   de  berceuse  que  la  mère  répétait  à  l'cnfaut 
perdue  : 

ilon  doux  oiseau,  ma  tourterelle, 

Ma  fleur  belle  parmi  les  fleurs. 

Mon  sourire  au  milieu  des  pleurs, 

Mon  petit  enfant,  ma  Ghiselle... 

Une  âme  tendre,  naïve,  et  sincère  s'épanche  dans  celte  mélodie, 
douce  et  triste,  que  les  voix  de  la  mère  et  de  l'enfant  exposent  tour  à 
tour,  puis  redisent  en  un  unisson  plein  de  tendresse  et  d'émotion  : 
ce  duo  est  le  bijou  de  la  partition, —  un  sourire  au  milieu  des  pleurs, 
comme  dit  la  chanson  même.  Combien  il  est  regrettable  que  ce  mor- 
ceau encore  ne  soit  qu'esquissé,  et  que  la  partie  d'accompagnement 
y  soit  à  peine  indiquée  I 

Ghiselle  a  été  représentée  pour  la  première  fois  lundi^dernier,  6  avril, 
au  théâtre  de  Monte-Carlo,  sous  la  direction  de  M.  Gunsbourg;  ; 
M"""  Eames,  Jehin-Deschamps.  Adiny,  MM.îsVerguel,  Melchissédec 
en  ont  interprété  les  rôles  principaux  ;  M.  Léon  Jeliiu  dirigeait 
l'exécution. 

Ce  n'est  pas  sans  regret  que  j'ai  dû,  au  sujet  de  cette  œuvre, 
exprimer  des  réserves  auxquelles  je  n'étais  pas  accoutumé  lorsque 
j'avais  à  parler  de  la  musique  de  César  Franck.  Aussi  bien,  ces 
critiques  ne  s'adressent-elles  pas  à  son  œuvre  personnelle,  qui  n'a 
qu'un  seul  tort,  celui  d'être  restée  inachevée  Comme  exemple  de  sa 
musique  théâtrale,  Hiilda  nous  reste  :  aujourd'hui  comme  il  y  a  deux 
ans,  j'exprime  le  vœu  que  ce  bel  ouvrage  nous  soit  donné  à  Paris, 
et  dans  de  bonnes  conditions  d'exécution.  Et  dans  tous  les  cas,  les 
Béatitudes.  Rédemption,  les  œuvres  de  mus'que  symphonique,  de 
musique  de  chambre  et  d'orgue  n'ont  rien  à  redouter  des  aventures 
dans  lesquelles  on  aurait  pu  compromettre  sa  renommée  de  compo- 
siteur dramatique;  et  c'est  surtout  cela  qui  importe,  car  c'est  là 
qu'est  le  vrai  César  Franck. 

Julien  Tiersot. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


Le  roi  de  Suède  Éric,  fils  de  Gustave  "W;isa  et  de  Catherine  de 
Saxe-Lauenbonrg,  ne  connut  jamais  l'heure  de  la  délivrance.  Sa 
tyrannie  l'avait  rendu  odieux  à  son  peuple.  Ses  défaites  dans  les 
guerres  qui  lui  furent  suscitées  par  la  Norwège  et  le  Danemark  sou- 
levèrent contre  lui  une  formidable  insurrection.  Vaincu  et  prisonnier, 
Éric  fut  interné  dans  une  forteresse,  oii  il  fut  en  butte  aux  plus  mau- 
vais traitements.  Il  y  mourut,  empoisonné  par  un  domestique  de  son 
beau-frère  Jean  qui  s'était  emparé  du  pouvoir.  Pendant  les  neuf  ans 
que  dura  sa  captivité,  Éric  employa  les  rares  instants  de  lucidité  qui 
éclairaient  les  ténèbres  de  son  cerveau  affolé  à  composer  et  à  exécuter 
des  morceaux  de  musique  religieuse. 

Ces  pages  disparurent  après  la  catastrophe  qui  termina  les  jours 
d'un  prince  dont  le  règne  avait  commencé  comme  celui  de  Néron. 
Celles  qui  marquent  un  des  épisodes  les  plus  intéressants  de  notre 
histoire  nationale  nous  ont  été  du  moins  conservées. 

On  sait  comment  le  Béarnais,  plus  tard  Henri  IV,  échappa  miracu- 
leusement au  massacre  de  la  Saint-Barthéleiiiy.  Dans  les  premiers 
jours  qui  suivirent  cette  tuerie  il  eût  pu  s'échapper,  mais  l'amour  le 
retint  àParis.IJèslors,  Henri,  gardé  à  vue  dans  le  Louvre,  parut  indiffé- 
rent à  l'active  surveillance  dont  il  était  l'objet.  Il  renonçait  volontai- 
rement à  sa  liberté.  Les  plus  fidèles  serviteurs  qui  avaient  jusqu'alors 
partagé  sa  captivité  dans  l'espoir  qu'il  ferait  tout  pour  l'abréger,  se 
décourageaient  et  quittaient  déjà  leur  maître,  quand  celui-ci  sut  les 
retenir  par  une  de  ces  manœuvres  adroites  dont  il  fut  toujours  coutu- 
mier.  Il  avait  une  fièvre  «  éphémère  »,  écrit  son  historien  Agrippa 
d'Aubigné  ;  nous  dirions  aujourd'hui  c  de  commande  u.  Le  Béarnais 
se  tenait  donc  au  lit,  caché  sous  ses  couvertures,  quand  ses  serviteurs 
l'entendirent  chanter  doucement  le  psaume  88.  «  au  couplet  qui  déplore 
l'éloiguement  des  fidèles  amis  ».  D'Aubigné,  son  maitre  d'hôtel,  et 
d'Armagnac,  son  premier  valet  de  chambre,  comprirent  l'allusion  et 
lui  répondirent,  sinon  dans  la  même  langue,  du  moins  dans  des 
termes  qui  ne  devaient  lui  laisser  aucun  doute  sur  leurs  sentiments 
personnels.  Ils  continuèrent  leur  conversation,  se  promettant  bien, 
disaient-ils,  de  partir  le  lendemain,  puisque  leur  maitre,  peu  sensible 
à  l'outrage  que  lui  avait  infligé  la  Saint-Barthélémy,  semblait  ignorer 
ce  qui  lui  restait  à  faire  :  il  ne  serait  donc  plus  servi  que  par  des 
étrangers,  dévoués  à  Catherine  de  Médicis  et  partant  fort  experts 
dans  l'art  d'expédier  les  gens  par  le  fer  ou  par  le  poison.  Henri  de 
Navarre  n'hésita  plus  et  ses  partisans,  restés  à  Paris,  préparèrent  acti- 


vement les  voies  et  les  moyens  qui  devaient  précipiter  l'évasion  de 
leur  roi. 

C'est  un  psaume  deMarot,  dont  la  musique,  connue  déjà  parConrart, 
est  encore  chantée  aujourd'hui  dans  certains  temples  calvinistes,  qui 
a  peut-ôtre  assuré  l'avènement  des  Bourbons  au  trône  de  France. 

Les  descendants  du  Béarnais  ne  montrèrent  pas  toujours  la  même 
présence  d'esprit  ni  la  même  fermeté  d'âme  dans  l'adversité.  La 
branche  espagnole  surtout  sembla  oublier,  en  maintes  circonstances, 
les  glorieuses  traditions  de  sa  race.  C'était  en  ces  temps  douloureux 
oîi,  pour  le  malheur  de  la  France  et  pour  la  perte  de  son  prestige, 
Napoléon  avait  imposé  à  l'Espagne  son  frère  Joseph.  Le  maître  du 
monde  avait  d'ailleurs  trouvé  plus  de  résistance  dans  le  pays  que  chez 
ses  légitimes  possesseurs.  Ceux-ci  avaient  rivalisé  de  bassesse  pour 
plaire  au  conquérant,  et  le  chef  de  leur  maison,  le  roi  Charles  IV, 
avait  abdiqué  au  profit  de  l'empereur.  Néanmoins,  tous  ces  princes 
espagnols  embarrassaient  fort  Napoléon,  qui  ne  se  souciait  guère  de 
leur  laisser  courir  le  monde  à  la  façon  des  rois  que  Voltaire  fait 
défiler  dans  l'auberge  de  Candide.  Aussi  le  tout-puissant  empereur 
interna-t-il  les  in  fan  Is  d'Espagne  à  Valençay, dans  le  magnifique  château 
que  Talleyrand  lui  céda  pour  la  circonstance.  Ces  princes  étaient 
en  réalité  des  détenus  :  ils  étaient  sous  la  surveillance  d'un  gou- 
verneur qui  devait  rendre  à  qui  de  droit  un  compte  exact  de  leurs 
faits  et  gestes.  Nous  avons  retrouvé,  dans  un  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque Nationale,  la  correspondance  très  suggestive  qui  en  résulta,  et 
nous  avons  eu  le  regret  de  constater  qu'elle  n'était  guère  à  l'honneur 
des  prisonniers.  Ceux-ci  se  plaignaient  volontiers  de  leurs  gardiens, 
qu'ils  ne  trouvaient  jamais  assez  respectueux,  mais  ils  ne  laissaient 
passer  aucune  occasion  de  faire  leur  cour  au  maitre.  Ils  se  consolaient 
assez  gaiement  de  leur  déchéance  avec  la  musique  :  leur  père,  le  roi 
Charles,  ne  leur  en  avait  pas  cependant  inculqué  le  goût;  à  vrai 
dire,  il  était  un  assez  médiocre  virtuose  :  alors  que  Duport,  le  célèbre 
violoncelliste,  faisait  avec  lui  de  la  musique  de  chambre,  le  roi 
Charles  était  toujours  en  avance  de  plusieurs  mesures  et  ne  voulait 
jamais  en  convenir.  Les  infants  durent  à  leur  séjour  en  France  leur 
éducation  musicale,  et  ils  le  reconnurent  volontiers,  comme  l'écrit  à 
Duroc,  le  1"  juin  1810,  le  commandant  Berthemy,  gouverneur  de 
Valençay  : 

Le   trente   mai  dernier,   la  troupe   de   comédiens   dirigée    par   le 

sieur  Martin  a  eu  l'honneur  de  donner  sa  première  représentation  à  Leurs 
Altesses  Royales.  Pendant  la  représentation  de  Camille  ou  le  Souterrain, 
Son  Altesse  le  prince  Ferdinand  me  faisait  l'honneur  de  mo  dire  :  «  C'est 
la  première  fois  que  je  vois  l'opéra.  Nous  avons  reçu  une  singulière 
éducation  à  Madrid  ;  on  ne  nous  apprenait  rien  »  (le  tout  eu  haussant 
les  épaules).  Leurs  Altesses  Royales  aiment  beaucoup  le  spectacle  :  la 
salle  est  construite  dans  l'Orangerie  et  les  acteurs  ne  communiquent  point 
avec  le  château. . . 

Les  infants  prirent  en  effet  un  tel  goût  à  ce  genre  de  divertisse- 
ment que  le  gouverneur,  un  vieux  soldat,  d'ailleurs  peu  sensible  aux 
charmes  de  la  musique,  dut  multiplier  pour  ses  prisonniers  ces  dis- 
tractions lyriques.  C'est  ainsi  que  le  13  août  —  jour  de  la  Saint- 
Napoléon  —  il  leur  fit  donner  un  grand  concert.  Le  25,  à  l'occasion 
de  la  fêle  de  l'Impératrice,  que  les  princes  espagnols  célébrèrent  par 
des  illuminations  suivies  de  feu  d'artifice,  Berthemy  fit  jouer  dans 
l'Orangerie  Aline,  reine  de  Golconde  el  le  Nouveau  Don  Quichotte. 

Une  princesse  de  la  même  famille,  la  duchesse  de  Berry,  montra, 
dans  une  prison  autrement  dure,  une  dignité  froide  et  résolue  qui 
avait  fait  défaut  à  ces  Bourbons  dégénérés. 

Et  cependant,  il  eût  suffi  d'un  seul  mot  pour  qu'elle  vît  s'ouvrir 
devant  elle  les  portes  de  la  citadelle  de  Blaye,  oii  elle  était  étroite- 
ment renfermée.  Mais  la  cause  de  son  fils,  le  comte  de  Gliambord, 
cause  pour  laquelle  elle  avait  combattu  et  soufferl,  lui  eût  semblé  à 
jamais  perdue  si  elle  avait  acheté  sa  liberté  par  la  moindre  conces- 
sion. Les  fidèles  qui  partagèrent  sa  captivité  s'efforcèrent  de  lui  en 
adoucir  les  amertumes  par  d'incessants  témoignages  de  dévouement. 
Sa  dame  d'honneur,  M°"=  d'Hautefort,  n'ignorait  pas  le  goût  très  pro- 
noncé de  la  duchesse  pour  la  musique,  surtout  la  musique  italienne 
et  espagnole.  Or,  dans  l'appartement  de  la  prisonnière,  se  trouvait  un 
piano  sur  lequel  s'accompagnait  M"'°  d'Hautefort.  Cette  dame  possé- 
dait une  voix  très  souple  et  très  agile,  qu'elle  dirigeait  fort  habilement, 
et  comme  elle  avait  une  excellente  mémoire,  el  e  chantait,  sans  avoir 
de  musique  sous  les  yeux,  un  répertoire  très  varié,  principalement 
celui  de  Rossini,  particulièrement  agréable  à  la  princesse.  La  cavatine 
du  Barbier  de  Séville  était  son  morceau  de  prédilection,  et  plus  encore 
certain  air  langoureux  et  plaintif,  en  rapport  avec  «  l'état  d'âme  »  de 
la  captive.  Par  contre,  ce  chant  mélancolique,  dont  le  thème  reve- 
nait sans  cesse,  aussi  passionné  que  douloureux,  avait  le  privilège 
d'exaspérer  les  nerfs  du  docteur  Ménière,  chargé  de  veiller  sur  la 


LE  MÉNESTREL 


117 


santé  de  la  duchesse.  M™'  d'Haulefort  n'avait  pas  été  sans  remarquer 
cette  impression  désagréable  ;  aussi  se  faisait-elle  un  malin  plaisir 
de  la  renouveler  le  plus  possible,  avec  son  a  boléro  »  ;  car  c'est  le 
nom,  au  moins  singulier,  que  le  docteur  Ménière  donnait  dans  ses 
lettres  à  l'instrument  de  son  supplice. 

Napoléon  III,  s'il  faut  en  croire  le  livre  de  l'abbé  Guers  sur  les  pri- 
sonniers français  en  Allemagne,  supporta  beaucoup  plus  gaîment 
l'efTondrement  de  sa  dynastie  à  Sedan,  sa  déchéance  el  son  interne- 
ment à  Cassel.  Le  château  de  Wilhemshohe,  qui  lui  avait  été  assigné 
comme  demeure,  fut  le  théâtre  de  représentations  intimes,  oli  l'opé- 
retle  tenait  une  large  place,  celle  qu'elle  avait  eue  déjà  à.  Saint-Gloud, 
Fontainebleau  et  Biarritz.  La  muse  d'Offenbach  était  restée  fidèle  à 
l'un  de  ses  plus  chauds  protecteurs,  toujours  aussi  alerte,  aussi  spiri- 
tuelle, aussi  endiablée,  mais  ayant  décidément  le  mauvais  oeil  comme 
le  composileur  lui-même. 

Le  chef  de  la  dynastie  avait  fini  autrement.  Dans  le  travail  que  nous 
avions  consacré  ici-même,  bien  avant  l'épidémie  dont  la  librairie 
souffre  encore,  au  dilettantisme  jusqu'alors  nié  de  Napoléon,  nous 
avions  dit  le  peu  de  temps  que  l'Empereur  donnait  à  la  musique  pen- 
dant sa  captivité  à  Sainte-Hélène.  Le  souvenir  du  passé  el  les  préoc- 
cupations de  l'avenir  l'absorbaient  entièrement.  Il  avait  à  défendre 
sa  gloire,  et  la  mort  ne  lui  en  laissa  que  tout  juste  le  temps.  L'affec- 
tion cancéreuse  qui  le  minait  commençait  à  faire  des  progrès  ef- 
frayants, et  deux  mois  avant  la  crisequi  devait  l'emporter,  l'Empe- 
reur avait  de  longs  accès  de  fièvre  avec  de  fréquentes  périodes  de 
délire.  Au  milieu  de  ces  angoisses,  qui  devenaient  peu  à  peu  de 
vt^ritables  tortures.  Napoléon  chantait  inconsciemment  des  ariettes 
italiennes:  il  s'était  repris  à  aimer  la  langue  de  ses  jeunes  années. 
(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


LE    CONCERT    DU    VENDREDI   SAINT 

AU    CHATELET 


Séance  divisée  en  deux  parties  :  Berlioz  et  Wagner,  avec  lecture 
et  conférence  par  M.  Catulle  Mendès.  L'entrée  des  instruments  de 
cuivre,  dans  l'ouverture  des  Francs- Juges,  sonne  splendidement  grâce 
à  des  effets  de  timbre  bien  souvent  employés  depuis.  Berlioz  s'affirme 
ici  précurseur;  il  déchire  le  nuage  qui  couvrait  un  coin  de  l'horizon 
musical  par  un  de  ces  fulgurants  éclairs  qui  illuminent  toutes  les 
routes.  L'air  de  la  Prise  de  Troie  procure  un  beau  succès  à  M""^  Kuts- 
cherra.  La  Marclie  funèbre  pour  la  dernière  scène  d'Hamlet,  qui  aurait 
dû  être  précédée  de  la  lecture  du  cinquième  acte  du  drame  de 
Shakespeare,  est  jouée  mollement  et  sans  coloris. 

Alors,  M.  Catulle  Mendès  commence  une  causerie  suo  les  Évangiles 
apocryphes. On  s'attendait  à  entendre  parler  de  Berlioz;  le  désappoin- 
tement se  manifeste,  presque  aussitôt,  d'une  façon  qu'hélas,  par  le 
temps  qui  court,  on  peut  qualifier  de  tout  à  fait  parlemenlaiie.  Il 
était  curieux  d'ailleurs  d'entendre  parler  de  la  Vierge  et  de  l'Enfant 
de  la  crèche  par  le  poète-romancier  tentateur  des  Èves  parisiennes 
qui  a  remplacé,  pour  elles,  la  modeste  pomme  du  paradis  par  une 
opulente  corbeille  de  fruits  défendu?. 

Bref,  la  lecture  ayant  dû  cesser,  on  a  entendu  M.  Cazeneuve  dans 
le  Repos  de  la  Sainte  Famille,  et  le  Diesirœ  du  Requiem  a  terminé  la  pre- 
mière partie  du  eoncert. 

Après  l'entr'acte,  M.  Catulle  Mendès  annonce  que  le  commissaire 
de  police  lui  interdit  de  parler.  Quelques  mutins  réclament  joyeuse- 
ment le  commissaire,  lequel,  dépassant  leurs  espérances,  se  montre 
en  personne,  orné  de  son  écharpe.  Il  n'avait  pas  prévu  la  joie  folle 
que  son  intervention  ne  pouvait  manquer  de  provoquer  en  haut  lieu. 
Toute  colère  du  public  tombe  devant  cette  maladresse,  aussi  naïve 
qu'inespérée  ;  on  songe  aux  Champs-Elysées  et  à  leurs  minuscules 
théâtres,  oîi  des  coups  symboliques  sont  prodigués  aux  représentants 
de  l'autorité.  L'écharpe  rentre  en  poche  el  le  commissaire  va  se  repo 
ser  au  balcon,  en  véritable  dilettante. 

M"''  Kulscherra ,  —  que  venait-elle  faire  en  cette  galère  ?  —  arrive  avec 
des  gestes  désespérés,  lance  sa  mantille  par-dessus  les  violons  et 
attend,  toute  glorieuse  de  cette  innocente  protestation. 

Par  bonheur,  M.  Colonne,  en  diplomate  qui  n'a  pas  appris  son  mé- 
tier au  quai  d'Orsay,  obtient  un  instant  de  silence  pour  annoncer  que 
M.  Catulle  Mendès  parlera,  après  la  musique,  pour  les  seuls  auditeurs 
qui  auront  bien  voulu  rester  pour  l'écouter  ;  il  ajoute  qu'il  serait  fort 
heureux  de  voir  se  lerminer  le  concert  qui  se  produit  en  ce  moment 
au  delà  de  l'estrade,  afin  que  lui-même  puisse  achever  cet  autre  con- 
cert, dont  il  a  la  direction. 

On  rit,  on  est  désarmé. 


M"=  Kutscherra  chante  ta  Mort  d'Iseull,  M.  Cazeneuve  l'air  de  con- 
cours des  Maîtres  chanteurs,  M.  Colonne  dirige  la  scène  religieuse  de 
Parsifal,  et  la  musique  est  finie. 

Dans  un  calme  très  relatif,  M.  Catulle  Mendès  compare  Wagner  à 
Dieu,  tout  simplement,  ajoutant  qu'un  dieu  n'a  pas  besoin  d'apôtres 
mais  seulement  de  pontifes.  Cet  exclusivisme  d'hiérophante  déplait 
encore  ;  on  fait  remarquer  que  le  conférencier,  trop  oublieux  de  Berlioz, 
a  continué  pendant  cette  soirée  le  malentendu  qui  fit  des  dernières 
années  de  la  vie  de  l'auteur  des  Troyens  un  chemin  de  croix  dont  la 
première  station  fut  l'entrée  de  raim/tause»- à  l'Opéra.  On  aurait  aimé  à 
entendre  dire  qu'à  côté  de  l'art  prôné  par  M.  Catulle  Mendès,  un 
autre  art  existe,  celui  de  la  France,  et  que  celui-là  ne  le  cède  à  aucun 
autre;  mais  le  conférencier  n'était  pas  assez  maître  de  lui  pour  orien- 
ter les  voiles  de  son  navire  désemparé. 

Amédée  Boutarel. 


NOUVELLES    r)I"\^EIiSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (9  avril).  —  Le  dernier  mois  de  sai- 
son théâtrale,  —  la  Monnaie  fermant  traditionnellement  ses  portes  dans  les 
premiers  jours  de  mai,  —  promet  d'être  particulièrement  brillant,  grâce 
surtout  aux  représentations  que  vient  nous  donner,  à  partir  de  vendredi, 
M.  Ernest  Van  Dyck.  Notre  compatriote,  l'admirable  ténor,  chantera  deux 
fois  Lohengrin,  trois  fois  Tannhduser  et  deux  fois  Manon,  avec  M^^  Landouzy 
retour  de  Nice  (avec  quelle  joie  on  l'a  revue  !).  Ces  représentations  feront 
de  suparbes  lendemains  à  Tliàis  et  à  la  Vivandière,  qui  tiennent  toutes  leurs 
promesses  et  attirent  la  foule.  La  vogue  de  l'œuvre  nouvelle  de  M.  Masse- 
net,  notamment,  n'a  point  faibli,  et  son  interprète  principale.  M"»  Leblanc. 
y  est  toujours  fort  appréciée.  La  direction  de  la  Monnaie,  qui  s'y  connaît, 
en  profite  avec  un  empressement  significatif,  sans  que  le  courage  de 
l'excellente artistes'enressenle.  C'estainsi  que,  lundi  dernier.  M™»  Leblanc 
a  ihanté,  dans  la  même  soirée,  Thais  et  la  Navarraise\...  Peut-être  le  cou- 
rage est-il  excessif.  M"»»  Leblanc,  certes,  pour  la  Monnaie,  est  une  poule 
aux  œufs  d'or,  mais  il  ne  nous  semble  pas  indispensable  pour  cela  de 
devoir  la  tuer. 

Les  grands  concerts  finissent,  eux  aussi,  leur  saison  avec  éclat.  En  atten- 
dant la  dernière  séance  extraordinaire  que  nous  donneront  les  concerts 
populaires  au  lendemain  de  la  fermeture  de  la  Monnaie,  et  qui,  dirigée 
par  M.  Hans  Richter,  sera  consacrée  exclusivement  à  Wagner,  et  le  dernier 
concert  Ysaye,  consacré  également  au  même  maître,  avec  le  concours  de 
M"«  Kulscherra,  nous  avons  eu  le  jeudi  saint,  en  manière  de  concert  spi- 
rituel et  comme  supplément  hors  de  l'abonnement  aux  concerts  Ysaye,  la 
première  exécution  à  Bruxelles  de  Christus  de  M.  Adolphe  Samuel.  Je  vous 
ai  parlé,  il  y  a  deux  ans,  de  cette  œuvre  importante  du  directeur  du  Con- 
servatoire de  Gand,  quand  elle  fut  entendue  en  petit  comité  au  dit  conser- 
vatoire. Depuis  elle  a  été  jouée,  l'an  dernier,  au  grand  festival  rhénan  de 
Coloi'ne  avec  un  succès  qui  a  vaincu  toutes  les  hésitations  qu'éprouve 
oénéralement  la  Belgique  à  exécuter  les  œuvres  de  ses  compositeurs.  On 
peut  dire  que  cette  audition  à  Bruxelles  a  été  en  quelque  sorte  la  vraie 
«  première  »;  elle  a  pris  tout  de  suite  les  proportions  d'un  véritable  événe- 
ment, et  l'œuvre,  non  seulement  n'a  pas  été  jugée  indigne  de  tout  le  bruit 
qui  l'a    précédée,  mais  a  obtenu   un    succès    enthousiaste   et  unanime. 

L.  S. 

—  L'£c/io  musical  de  Bruxelles  nous  apprend  qu'il  s'est  constitué  â 
Verviers  un  comité  dans  le  but  d'élever  un  monument  au  célèbre  violoniste 
Vieuxtemps.  Le  comité  s'adresse  à  tous  ceux  auxquels  des  souvenirs  per- 
sonnels ou  une  prédilection  artistique  rendent  plus  chère  la  mémoire  du 
"rand  artiste,  pour  recueillir  les  fonds  nécessaires.  Parmi  les  souscripteurs 
qui  ont  signé  jusqu'à  présent,  on  compte  MM.  F. -A.  Gevaert,  Peter  Benoit, 
Marsick,  Sarasate,  Jenô  Ilubay,  R.  Haussraann  (Berlin),  Bazzini  (Milan), 
Martucci  (Bologne),  Lefort,  Berthelier,  Delsart,  Garcin  (Paris).  On  a 
demandé  à  VAUgemeine  Musik-Zeitung  d'ouvrir  également  une  souscription 
pour  le  monument,  —  ce  dont  ce  journal  se  charge,  tout  en  priant  ses  lec- 
teurs d'envoyer  leur  souscription  directement  au  comité. 

Au  théâtre  national  de  Rome,  le  succès  du  Chatterton  de  M.  Leoncavallo 

ne  s'est  pas  démenti  un  instant.  La  clôture  de  la  saison  s'est  faite  avec  la 
dixième  représentation  de  l'ouvrage,  au  milieu  d'une  foule  énorme  qui  a 
prodigué  à  l'auteur  et  à  ses  interprètes  les  applaudissements,  les  acclama- 
tions et  les  ovations  de  toutes  sortes. 

—  Les  artistes  retraités  de  l'orchestre  du  théâtre  San  Carlo,  de  Naples, 
viennent  d'adresser  aux  journaux  de  cette  ville  une  lettre  par  laquelle  ils  se 
plaignent  d'avoir  été  cette  année  complètement  oubliés.  D'ordinaire, 
chaque  année  et  par  les  soins  du  municipe,  l'imprésario  du  théâtre  San 
Carlo  était  obligé,  vers  la  fin  de  la  saison,  de  donner  une  représentation 
exclusivement  au  bénéfice  de  ces  anciens  serviteurs,  qui  avaient  consacré 
leur  talent  au  service  de  l'entreprise  jusqu'à  ce  que  l'âge  vint  les  mettre 
dans  l'impossibilité  de  continuer.  Il  parait  que  cette  fois  le  municipe  avait 
décidé  de  leur  venir  en  aide  d'autre  façon,  mais  jusqu'à  présent  ils  n'ont 


118 


LE  MÉNESTREL 


reçu  aucun  secours  d'aucune  sorte,  et  ils  se  plaignent,  et  ils  réclament. 
Pauvres  gens!... 

lo  Sln/file,  de  Florence,  nous  apporte  une  nouvelle  qui  est  assurément 

sujette  à  caution  :  «  Une  originalité,  dit-il,  du  maestro  Giordano.  Son  André 
Chenier,  qui  a  plu  à  Milan,  est  écrit  dans  la  même  tonalité  d'ii/,  depuis  la 
première  note  jusqu'à  la  dernière.  »  Saperlotte,  voilà  qui  ne  serait  pas  gai, 
si  c'était  exact! 

Encore   un   exploit  bien  inutile   d'un    pianiste   qui    pourrait  mieux 

employer  son  temps  et  son  talent.  On  écrit  de  Cuneo  au  Staffile ,  de 
Florenca  :  —  «  Lundi  30  mars,  à  deux  heures,  M.  Camillo  Baucia  a 
accompli  heureusement  son  record  pianistique.  Il  s'était  proposé  de  jouer 
pendant  46  heures  de  suite,  se  réservant  seulement  trois  repos  de  dix 
minutes  chacun.  Un  jury  était  spécialement  chargé  de  le  surveiller.En  fait, 
le  samedi  à  quatre  heures,  M.  Baucia  inaugurait  son  record  avec  la 
Marche  royale  et  continuait  ensuite  en  jouant  des  morceaux  des  opéras  de 
Faust,  Carmen,  MUjnon,  Cavalleria  ruslicana,  la  Sonnambula,  etc.,  quelques 
sonates  de  Schubert  et  beaucoup  de  hallabili,  tout  en  causant  avec  ses  visi- 
teurs et  sans  aucune  préoccupation.  Durant  cet  étrange  tour  de  force  il  ne 
prit  autre  chose  que  des  jaunes  d'œuf  et  des  ^abaioni:  il  but  cependant  du 
marsala  et  beaucoup  de  café.  Dans  la  matinée  de  dimanche  il  eut  un 
léger  malaise  qui  l'obligea  à  prendre  deux  repos  à  court  intervalle,  puis  il 
se  remit  au  piano,  confiant  dans  l'accomplissement  de  la  tâche  qu'il  s'était 
fixée.  Les  citoyens  suivaient  avec  un  véritable  intérêt  cette  nouvelle  espèce 
de  record,  et  accouraient  pour  le  voir,  spécialement  dans  l'après-midi.  Dans 
les  derniers  moments  la  salle  était  littéralement  comble,  et  M.  Baucia  eut 
la  satisfaction  d'accomplir  heureusement  son  record.  Son  état  physique 
était  bon,  le  pouls  s'était  maintenu  régulier;  dimanche  les  mains  étaient  un 
peu  gonflées  et  rouges,  mais  elles  revinrent  promptement  dans  leur  état 
normal.  A  l'heureux  recordman  nos  compliments  et  nos  vœux.  »  Après? 
A  quoi  cela  peut-il  servir?  Et  qu'est-ce  que  l'art  a  à  voir  là-dedans? 

—  Un  nouveau  déluge  d'opérettes  en  Italie.  A  l'Arène  nationale  de  Flo- 
rence, Da  Milano  a  Barcellona,  musique  de  MM.  Bossi  et  Mascetti;  au  théâtre 
Balbo  de  Turin,  Milizia  territoriale,  trois  actes,  du  maestro  Carlo  Lombarde; 
au  Politeama  Garibaldi  de  Palerme,  il  Segreto  di  Venere,  musique  de 
M.  Santé  Molica;  et  au  théâtre  Brunetti  de  Bologne,  le  Ficjlie  di  Rebecca, 
dont  on  ne  nous  fait  pas  connaître  les  auteurs.  Tout  cela  ne  vaut  pas  le 
diable,  et  tout  cela  n'a  pu  dégeler  le  public. 

M™'  Adini  arrivera  prochainement  à   Vienne  pour  y  donner  trois 

représentations  à  l'Opéra  impérial.  Elle  se  fera  entendre  dans  les  Huguenots, 
Aida  et  la  Valkyrie. 

—  Voici  le  programme,  définitivement  arrêté,  du  prochain  grand  festi- 
val rhénan,  qui  doit  avoir  lieu  à  Dusseldorf  les  24,  23  et  26  mai.  Premier 
;o«r  ;  Antiennes  N^^s  1  et  4,  de  Ha?ndel;  Marche  impériale,  de  Wagner; 
Magnificat,  de  Jean-Sébastien  Bach;  Symphonie  avec  chœurs,  de  Beetho- 
ven. —  Deuxième  jour  :  Don  Juan,  poème  symphonique  de  Richard  Strauss; 
concerto  de  piano  en  ut,  de  Liszt;  le  Paradis  et  la  Péri,  de  Schumann.  — 
Troisième  jour  :  6=  symphonie  (Symphonie  pathétique),  de  Tschaikowsky; 
concerto  de  violon,  de  Mendelssohn;  Wanderers  Sturmlied,  de  Richard 
Strauss;  Prélude  et  finale  de  Tristan  et  Yseult,  de  Wagner;  Till  Ulenspiegel, 
poème  symphonique  de  Richard  Strauss.  C'est  M.  Julien  Butbs,  chef  d'or- 
chestre à  Dusseldorf,  qui  3st  chargé  de  la  direction,  à  part  les  œuvres  de 
Richard  Strauss,  qui  en  dirigera  lui-même  l'exécution.  Voici  les  noms  des 
solistes  :  M""^  Strauss  de  Ahna,  M"":  Marcella  Pregi,  M»=  Mathilde  Haas, 
MM.  Raymond  van  Zur-Muhlen,  Sarasate,  Ferruccio,  Busoni  et  J.-M. 
Meschaert. 

A  l'Eldorado  de  Barcelone,  éclosion  d'une  nouvelle  zarzuela  inti- 
tulée el  Seïior  Corregidor,  paroles  de  M.  Fiacro  Irayzoz,  musique  de 
M.  Chapi,  l'un  des  maîtres  du  genre.  Ce  petit  ouvrage  a  été  bien  accueilli 
et  fait  honneur  à'ia  souplesse  de  main  de  l'auteur,  bien  qu'on  lui  reproche 
de  manquer  d'originalité. 

La  nomination  d'un  directeur  (principal)  au  Conservatoire  de  musique 

de  Guildhall  à  Londres  se  fait  attendre,  mais  les  candidats  ne  manquent 
vraiment  pas.  A  la  longue  liste  que  nous  avons  déjà  publiée  il  faut  ajouter 
les  noms  de  M.  Joseph  Smith,  professeur  de  musique  à  l'Université  d'Irlande 
et  chef  d'orchestre  de  la  société  musicale  de  Dublin,  de  M.  C.  G.  Verrinder, 
un  organiste  bien  connu,  et  de  M.  F.  L.Gladstone,  examinateur  de  plusieurs 
importantes  institutions  musicales.  Ces  trois  artistes  sont  docteurs 
es  musique. 

—  A  Londres  s'est  formée  une  «  association  pour  la  suppression  du  bruit 
dans  les  rues  ■>  visant  spécialement  «  le  bruit  le  plus  coûteux  et  le  plus 
inutile  »,  qui  est,  selon  la  définition  bien  connue,  la  musique.  Les  orgues 
de  Barbarie  et  les  instruments  à  vent  des  musiciens  allemands  (german 
bands)  que  le  Vaterland  expédie  en  si  grand  nombre  dans  le  Royaume-Uni 
n'ont  qu'à  bien  se  tenir;  la  société  dont  nous  venons  de  parler  a  l'intoniion 
■de  les  réglementer,  c'est-à-dire  de  les  supprimer  sans  merci.  On  prépare  à 
•cet  effet  un  projet  de  loi  qui  sera  soumis  au  parlement  pendant  cette 
session,  mais  dont  les  débats  ne  commenceront  probablement  pa.»  de 
sitôt,  car  le  parlement  a  actuellement,  comme  on  dit,  d'autres  chais  â 
fouetter. 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

On  sait  qu'au  lendemain  de  la  mort  d'Ambroise  Thomas,  les  direc- 
teurs de  l'Opéra  avaient  pris  fort  noblement  la  résolution  d'élever  au 
célèbre  musicien  un  monument  dont  ils  supporteraient  tous  les  frais. 
C'est  à  M.  Falguières  qu'ils  s'étaient  adressés  pour  cette  œuvre  d'art,  et 
celui-ci  vient  de  leur  soumettre  dès  à  présent  sa  maquette.  Ambroisc 
Thomas  est  représenté  assis  sur  un  rocher,  sans  d'mte  en  souvenir  des 
rocs  de  ses  îles  d'Iliec  qu'il  aimait  tant.  Au  bas,  Ophélie  toute  blanche 
lui  tend  des  fleurs.  L'ensemble  parait  d'un  bel  eft'et,  mais  on  aimerait  à  y 
voir  figurer  aussi,  ne  fût-ce  qu'au  second  plan,  cette  touchante  Mignon, 
que  le  compositeur  a  contribué  à  rendre  si  populaire.  Si,  auprès  des 
artistes,  Hamlet  est  l'œuvre  capitale  de  Thomas,  Mignon,  auprès  des  masses, 
est  la  partition  qui  a  le  plus  fait  pour  répandre  partout  sa  réputation. 

—  Le  peintre  Rinkenbacb,  qui  avait  été  chargé  par  le  conseil  municipal 
de  Metz  de  faire  le  portrait  d'Ambroise  Thomas,  vient  de  rentrer  en  cette 
ville,  revenant  de  Paris,  où  il  a  exécuté  et  terminé  son  œuvre.  Un  autre 
artiste,  le  sculpteur  Harmann,  avait,  de  son  côté,  reçu  du  conseil  la  mission 
de  faire  le  buste  du  maitre  regretté;  mais  il  n'a  pu  se  mettre  encore  à 
l'œuvre,  car  il  voyage  actuellement  en  Egypte. 

—  On  sait  maintenant  pourquoi  M.  Combes,  notre  ineffable  ministre  des 
Beaux-Arts,  a  cinglé  vers  l'Algérie.  C'est  pour  en  rapporter  un  directeur 
du  Conservatoire.  Son  choix  se  serait  porté  sur  le  grand  muphti  qui,  du 
haut  des  minarets,  appelle  les  Arabes  à  la  prière.  M.  Combes  pense  très 
justement  qu'un  tel  personnage  ne  peut  manquer  d'avoir  des  idées  fort 
élevées  sur  l'enseignement  du  chant. 

—  L'Opéra-Comique  a  repris  cette  semaine  Philémon  et  Baucis,  avec 
M"'  Leclerc,  qui  s'y  est  montrée  excellente  comédienne  et  virtuose  exquise. 
Les  autres  rôles  étaient  tenus,  comme  précédemment,  par  MM.  Bouvet, 
imposant  Jupiter,  de  voix  tonitruante,  ainsi  qu'il  convient  pour  le  roi  des 
dieux,  Mouliérat,  le  tendre  Philémon,  et  Belhomme,  toujours  très  amusant 
dans  le  personnage  du  boiteux  Vulcain. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  le  remarquable  violoniste  Marsick  doit  faire 
sa  rentrée  à  Paris,  reveuant  d'Amérique,  chargé  de  lauriers  et  de  dollars. 

—  Notre  collaborateur  Julien  Tiersot  étudie  au  cours  de  ce  numéro  la 
partition  de  César  Franck,  Ghiselle,  qu'on  vient  de  représenter  à  la  bonne 
franquette,  à  Monte-Carlo,  entre  une  partie  de  roulette  et  de  trente-et-qua- 
rante.  Il  convient  d'ajouter  que  M"'"  Adini,  au  nombre  des  interprètes, 
paraît  avoir  remporté  un  très  vif  succès  dans  le  rôle  de  Frédégonde.  Tout  le 
monde  est  d'accord  là-dessus. 

—  Les  lundi  20,  mardi  21,  mercredi  22  et  jeudi  23  avril  aura  lieu,  à  la 
salle  Sylvestre,  la  vente  d'une  bibliothèque  musicale  fort  importante, 
celle  de  M.  Tliéophile  Lemaire,  le  professeur  de  chant  bien  connu,  auteur, 
avec  M.  Henri  Lavoix,  d'une  Histoire  complète  de  l'art  du  chant,  et  traduc- 
teur du  livre  célèbre  et  curieux  de  Pierfrancesco  Tosi  :  Opinioni  dei  can- 
tori  antichi  e  moderne.  La  bibliothèque  toute  spéciale  de  M.  Lemairj  était 
l'une  des  plus  riches  en  son  genre  qu'on  put  rencontrer  à  Paris,  et  nul 
doute  que  sa  vente  n'attire  de  nombreux  amateurs. 

— ■  Aujourd'hui  dimanche,  au  Chàtelet,  dernier  concert  de  la  saison. 
80"=  audition  de  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz,  interprétée  par  M""  Mar 
cella  Pregi,  MM.  Cazeneuve,  Auguez  et  Nivette. 

—  Programme  du  concert  du  Jardin  d'Acclimatation  aujourd'hui  diman- 
che. Chef  d'orchestre  :  M.  Louis  Pister  : 

Esquisses  vénitiennes  (M.  H.  Maréchal);  Suite  symphonique  IF.  d'Erlanger);  Largo 
pour  cordes  (Haendel);  Coppélia,  thème  et  variations  (Delibes)  ;  Ofiéro?!,  ouvcrturj 
(Weber);  Scènes  pittoresques  {i/LSiSseiiei)  ;  Fête  hongroise  (C.  de  Grandval). 

—  Au  concert  qu'a  donné  salle  Erard  l'excellent  pianiste  Reitleingor,  ii 
y  a  eu  grand  succès  pour  la  Fantaisie  de  Schumann  et  surtout,  pour  la 
charmante  valse  Balancelle,  d'Antonin  Marmontel,  qui  a  eu  les  honneurs 
de  la  soirée. 

—  La  troisième  séance  de  la  Société  de  musique  de  chambre  pour  instru- 
ments à  vent  et  à  cordes  (MM.  I.  Philipp,  Rémy,  Loeb,  Balbreck,  (billet, 
Turban,  Hennebains,  Reine  et  Letellier)  a  clôturé  de  la  façon  la  plus  bril- 
lante cette  série  d'auditions  si  pleines  d'intérêt  et  à  qui  l'on  n'a  trouvé  qu'un 
tort,  celui  d'être  trop  peu  nombreuses.  Le  programme,  exécuté  avec  le 
concours  de  MM.  Longy,  de  Bailly,  Lammers  et  Landormy,  comprenait  un 
concerto  charmant  de  Bach,  pour  piano,  flûte  et  violon,  rendu  d'une  façon 
magistrale  p»r  MM.  Philipp,  Hennebains  et  Rémy,  deux  romances  deSchu 
mann,  pour  hautbois  et  piano,  qui  ont  valu  un  grand  succès  à  M.  Gillel, 
une  exquise  sonate  de  Ilaendel,  pour  doux  hautbois  et  basson,  dont  l'allcgro 
surtout  est  d'une  inspiration  enchanteresse,  et  l'admirable  septuor  de  Beetho- 
ven, dont  l'exécution  superbe  a  fait  éclater  les  applaudissements  de  toute 
la  salle.  Le  succès  a  été  complet  d'un  bout  à  l'autre,  et  ne  s'adressait  pas 
moins  au  choix  exquis  d'œuvres  trop  rarement  entendues  qu'à  leur  magni- 
fique interprétation  par  un  groupe  si  distingué  d'artistes  hors  de  pair. 

A.  P. 

—  La  troisième  séance  de  musique  de  chambre  pour  instruments  à  vent 
donnée  par  MM.  Barrère,  Foucault,  Vronne,  Serval,  Buteau  et  Auhert,  avec 
le  concours  de  MM.  Brun,  Bourgeois  et  de  Beir,  a  eu  lieu  mercredi  le  S  avril 
à    a    salle    Pleyel,   aveu    un   plein  succès.   Ces  jeunes    gens,    sont    pk'ins 


LE  MÉNESTREL 


i'J9 


d'ardeur  et  de  talent  et  s'en  tirent  à  leur  honneur.  On  afort  applaudi 
deux  aimables  pièces  de  M.  Pieiffer,  Arabesque  et  Sérénade  de  W^-'  Chré- 
tien, et  adagio  et'scherzo  de  M.  A.  Normand.  MM.  Barrère  et  Aubert  ont 
remporté  un  grand  succès  dans  la  charmante  sonate  pour  flûte  et  piano  de 
Cari  Reinecke,  un  des  vétérans  de  l'école  de  Leipzig.  La  pièce  de  résistance 
était  l'octuor  de  M.  Sylvio  Lazzari,  qui  avait  été  déjà  joué,  il  y  a  trois  ans, 
avec  grand  succès  par  la  société  Taffanel.  L'œuvre,  solidement  charpentée 
sur  un  thème  unique  qui  se  modifie  rythmiquement  dans  chacune  des  trois 
parties,  est  d'une  belle  unité;  l'inspiration  y  est  toujours  abondante  et 
l'orchestration  curieuse  et  riche.  Ou  l'a  réentendue  avec  un  vif  plaisir.  Elle 
a  été  d'ailleurs  remarquablement  exécutée  sous  la  direction  de  l'auteur. 

H. 

—  La  Société  des  Instruments  anciens,  fondée  par  MM.  L.  Diémer, 
J.  Delsart,  Van  Vaefelghem  et  Laurent  Grillet,  qui  a  obtenu  l'an  dernier 
un  si  grand  et  si  légitime  succès  auprès  du  Tout-Paris  musical  et  littéraire, 
donnera  ses  trois  séances  annuelles  les  mardis  5, 12  et  19  mai,  salle  Érard, 
13,  rue  du  Mail,  à  quatre  heures  de  l'après-midi. 

—  Le  concert  donné  par  M"=  Suzanne  Eytmin,  la  jeune  et  très  brillante 
pianiste,  a  été  pour  elle  l'occasion  d'un  succès  très  mérité.  Au  cours  d'un 
programme  très  substantiel,  où  s'inscrivaient  les  noms  de  Haendel,  Chopin, 
Liszt,  Schumann,  Widor,  Tschaïkowsky,  Rubinstein,  Pfeiffer,  Fissot,  la 
jeune  artiste  a  pu  déployer,  avec  sa  grande  virtuosité,  les  qualités  de  style 
et  de  phrasé  qui  distinguent  son  jeu  plein  de  charme  et  de  grâce.  Aussi  les 
applaudissements  ne  lui  ont-ils  pas  manqué. 

—  Foule  élégante  jeudi  dernier  au  Trocadéro  pour  le  premier  concert 
Guilmant,  qui  a  obtenu  un  vif  succès.  Le  deuxième  concert  aura  lieu  jeudi 
prochain  prochain  16  avril,  avec  le  concours  de  M^'"  Jenny  Passama, 
M.  Paul  Viardot  et  de  la  Tombelle  ;  chef  d'orchestre  :  M.  Gabriel  Marie. 

—  Les  journaux  de  Montpellier  font  le  plus  grand  éloge  de  la  première 
audition  de  la  Messe  de  saint  François  d'Assise,  de  E.  Paladilhe,  qui  a  eu  lieu 
dans  l'église  de  Saint-Denis,  sous  la  direction  de  M.  F.  Borne.  Le  succès 
a  dépassé  toutes  les  prévisions  et  l'effet  a  été  grandiose.  L'œuvre  a  été 
admirablement  interprétée  par  les  solistes,  les  chœurs  et  l'orchestre. 

—  On  nous  écrit  d'Alger  pour  nous  signaler  la  réussite  triomphale 
d'Hérodiade,  au  Grand-Théâtre.  L'ouvrage  a  été  fort  bien  monté  par  le 
directeur,  M.Miallet-Metellio. 

—  De  Nice  on  nous  signale  le  succès  obtenu  au  ^concert  donné,  salle 
Bellet,  par  M.  Hébert-Haag.  Le  jeune  pianiste  s'est  fait  applaudir  avec 
des  pièces  de  Chopin  et  avec  des  morceaux  modernes,  parmi  lesquels  le 
Caprice  de  Louis  Diémer. 

—  L'inauguration  des  orgues  du  temple  protestant  de  Valence,  cons- 
truites par  MM.  J.  Mercklin  et  G''',  de  Paris,  vient  d'avoir  lieu  devant  un 
nombreux  public  très  recueilli.  Malgré  le  nombre  restreint  des  jeux,  cet 
instrument,  joué  par  un  organiste  de  talent,  M.  Lanthelme,  et  M.  le  pas- 
teur Schaffner,  de  Paris,  a  produit  le  meilleur  effet,  aussi  bien  dans  les 
jeux  de  solo  que  dans  ceux  d'accompagnement.  Les  jeux  d'anches  sont 
particulièrement  beaux.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  mentionner  les 
noms  de  tous  les  artistes  qui  prêtaient  leurs  concours  à  cette  belle  céré- 
monie, le  programme  ne  donnant  guère  que  des  anonymats.  Nous  signale- 
rons entre  autres,  comme  morceaux  de  chant  ayant  fait  plus  particulièrement 
plaisir,  l'air  d'église  de  Siradella,  chanté  par  M™'  G.,  la  Sérénade  de  Braga, 
par  M"'"  Charvet,  et  ta  Prière  de  Tannhduser  que  M°'«  R...,  de  sa  voix  si  belle  et 
si  pure,  a  rendue  d'une  façon  tout  à  fait  remarquable.  Mentionnons  aussi 
MM.  Leplat  et  Rochette  qui,  par  le  violon  et  le  violoncelle,  nous  ont  fait 
particulièrement  plaisir. 

—  Le  jeudi  saint,  à  Béziers,  en  l'église  de  la  Madeleine,  belle  exécution 
par  la  maîtrise  du  Stabat  de  M.  G.  Salvayre,  sous  la  direction  de  M.  Grou- 
zet,  maître  de  chapelle.  Le  jour  de  Pâques,  une  messe  de  Gounod  a  eu 
également  une  excellente  interprétation.  Toute lapresse  locale  est  unanime 
à  constater  la  manière  irréprochable  dont  ces  deux  œuvres  ont  été  rendues. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  M"'^  Bailet,  une  jeune  élève  de  Delaborde,  semble  supé- 
rieurement douée.  A  une  séance  donnée  par  elle,  chez  Pleyel,  elle  a  interprété 
du  Bach, du  Schumann,  du  Chopin,  Mazeppa  de  Liszt,  Idylle  de  Georges  Pfeiffer 
et  une  valse  de  I.  Philipp,  bissée,  avec  une  technique  extrêmement  bril- 
lante et  un  sentiment  musical  très  développé.  —  M""  Blanchar  a  interprété  à 
un  concert  donné  par  elle  une  série  de  pièces  de  Schumann,  Liszt  (S'  Rap- 
sot/ie;,!.  Philipp  (Clair  de  lune],  Wagner-Liszt  (Fikiisesj,  avec  un  talent  charmant. 
M""  E.  Philipp  a  délicieusement  détaillé  des  mélodies  de  Saint-Saëns,  Massenet 
et  Edmond  Laurens.  Le  concert  avait  commencé  par  un  quatuor  de  Rheinber- 
ger  joué  avec  MM.  Berthelier,  Loeb  et  Balbreck.  —  M"»  et  M""  Laviéville,  élève 
de  W.  Raoul  Pugno,  ont  donné,  lOS,  avenue  Victor-Hugo,  une  brillante  audition 
musicale  de  leurs  élèves  présidée  par  II.  Bourgault-Ducoudray  qui  a  bien 
voulu  diriger  les  chœurs,  Hymne  à  lu  mer  et  Thamara.  M"»  Godard  a  prêté  son 
gracieux  concours  et  a  été  très  applaudie,  ainsi  que  M""'  Laviéville  dans  te  Gril- 
Imi  et  leCurnavat  d'Athènes  de  M.  Bourgault-Ducoudray.  —  Chez  M— Mobillion, 
intéressante  audition  d'œuvres  de  Théodore  Dubois.  Ont  défilé  tour  à  tour,  à 
la  grande  satisfaction  des  auditeurs,  des  mélodies  comme  Matin  d'Avril,  le  Bai- 
ser, Brunclle,  Par  le  sentier,  A  Doiiarnenez.  etc.,  des  pièces  de  piano  comme  la 
Cliaconne,  le  Banc  de  mousse,  Béveil,  des  pièces  concertantes  comme  le  Duettino 
d'amore  pour  violon  et  violoncelle,  VHymne  nuptial  pour  harpe,  alto,  violon 
et  violoncelle,  des  morceaux  d'opéra  comme  la  cantilène  et  la  chanson  de  la  grive 
de  Xiivitre,  la  chanson  mauresque  et  le  grand  duo  d'Aben-Hamel,  etc.  Princi- 


paux interprètes  tous  fort  applaudis  :  M""  Mobillion,  Comys,  Mondes,  Deléoluse, 
Baude,  Cobson,  Tonnot,  MM.  Parceval,  Cottin,  Demayer,  J.  Paure,  etc.,  etc. 
—  Salle  Érard,  l'audition  de  Suinte  llndsgonde,  oratorio  en  trois  parties  de 
HP''  H.  Krzyzanowska.  Cette  œuvre,  d'un  caractère  profondément  religieux,  a  été 
lort  appréciée;  l'exécution  des  choeurs  a  été  remarquable.  Citons  entre  autres 
le  chœur  en  forme  de  fugue,  celui  des  anges  et  les  deux  prières.  —  Dimanche 
dernier,  a  eu  lieu  à  l'Institut  Rudy  l'audition  d'élèves  de  violon  et  d'accompagne- 
ment de  M.  Lécpold  Deledicque,  l'excellent  professeur  dont  nous  n'avons  plus 
à  faire  l'éloge.  Une  assistance  nombreuse  était  venue  encourager  les  jeunes 
élèves  et  applaudir  M"'  Anchier-Deledicque,  pianiste  au  talent  gracieux  et  clas- 
sique, ainsi  que  M—  Dérivés,  qui  a  chanté  avec  ampleur  et  style  l'air  d'Hérodiade 
et  des  mélodies  de  Bizet. 

NÉCROLOGIE 

Une  des  plus  grandes  comédiennes  de  ce  temps,  Anaïs  Fargueil, 
est  morte  cette  semaine  à  Paris.  Fille  d'un  artiste  qui  tenait  l'emploi  des 
laruettes  à  l'Opéra-Comique,  elle  était  née  le  21  mars  1S19,  et  de  bonne 
heure  tourna  ses  vues  vers  le  théâtre  et  la  musique.  Admise  au  Conser- 
vatoire, elle  en  sortit  avec  un  premier  prix  de  vocalisation  et  débuta 
aussitôt  à  rOpéra-Gomique,  le  20  février  183S,  dans  la  première  représen- 
tation d'un  gentil  petit  ouvrage  d'Adolphe  Adam,  la  Marquise,  qui  mettait 
en  scène  l'un  des  plus  célèbres  acteurs  et  chanteurs  de  l'ancienne  Comédie- 
Italienne,  le  fameux  Clairval,  qui  fut  le  prédécesseur  d'EUeviou.  Mais  ce 
n'est  pas  là  qu'elle  devait  acquérir  la  renommée.  Une  affection  des  cordes 
vocales  l'obligea  bientôt  à  renoncer  au  chant  proprement  dit  :  mais  il  lui 
restait  assez  de  voix  pour  faire  la  fortune  des  pièces  en  vaudeville,  et  ses 
qualités  de  comédienne  étaient  telles  qu'elle  y  obtint  des  succès  éclatants. 
C'est  à  l'ancien  Vaudeville  de  la  place  de  la  Bourse  que  sa  réputation 
s'établit  tout  d'abord,  pour  se  continuer  sur  la  scène  de  la  Ghaussée- 
d'Antin.  Nous  n'avons  pas  à  rappeler  ses  ti'iomphes;  ils  sont  encore  dans 
toutes  les  mémoires,  et  l'on  se  souvient,  entre  autres,  de  celui  qu'elle 
remporta  dans  l'Arlésienne,  qui,  avec  le  nom  du  regretté  Bizet,  nous  ramène 
à  la  musique. 

—  M.  Louis  Diémer,  l'éminent  pianiste-professeur  au  Conservatoire,  a 
perdu  cette  semaine  sa  belle-mère.  M""  Serret,  décédée  à  l'âge  de  soixante- 
quinze  ans.  Bonne  et  charmante  femme,  des  plus  fines  et  des  plus  distin- 
guées, dont  le  souvenir  restera  dans  le  cœur  de  ceu.x  qui  ont  eu  la  bonne 
fortune  de  l'approcher. 

—  A  Berlin  vient  de  s'éteindre  à  l'âge  de  78  ans,  le  composi- 
teur Ferdinand  Gumbert,  qui  était  né  dans  cette  ville  le  21  avril  1818. 
Il  débuta,  en  qualité  de  baryton,  à  l'Opéra  de  Cologne  et  termina  dans 
la  même  ville  ses  études  de  composition  musicale  sous  la  direction  de 
Conradin  Kreutzer,  dont  l'opéra  romantique  une  Nuit  à  Grenade  n'a  pas 
encore  quitté  le  répertoire  des  scènes  lyriques  d'outre-Rhin.  Kreutzer  lui 
conseilla  de  se  consacrer  exclusivement  à  la  composition  musicale,  et 
en  1842,  Gumbert  retourna  à  Berlin  où  il  plublia  plusieurs  lieder  qui  eurent 
un  succès  retentissant.  Parmi  les  cinq  cents  mélodies  que  Gumbert  a 
publiées,  une  cinquantaine  à  peu  près  ont  obtenu  une  vogue  extraordi- 
naire, et  furent  chantées  un  peu  partout.  Ces  mélodies  se  distinguaient 
par  leur  invention  facile  et  agréable  et  un  tour  populaire  qui  échappait 
presque  toujours  à  la  banalité.  Le  Ménestrel  a  publié  une  collection  des 
meilleurs  lieder  de  Gumbert  avec  paroles  françaises,  tels  que  Lettre  d'amour, 
Ma  chanson.  C'est  lui,  et  surtout  Oiseaux  légers,  que  le  ténor  Roger,  avec  son 
charme  indéfinissable,  fit  brillamment  voltiger  à  travers  la  France,  l'An- 
gleterre et  l'Allemagne.  Deux  petits  ouvrages  lyriques  de  ce  genre  aimable 
qu'on  nomme  en  Allemagne  Liederspiel  et  que  Gumbert  fit  représenter  sur 
une  scène  de  Berlin  en  1844  et  en  1847,  sous  le  titre  de  la  Belle  Cordonnière 
eXl'Art  de  se  faire  aimer,  n'ont  pas  tenu  longtemps  l'affiche.  Il  en  a  fait  jouer 
un  troisième  à  Vienne,  sur  le  théâtre  Harmonie  en  1867,  Caroline  ou  une 
Chanson  sur  legolfe  de  Naples.  Parmi  son  bagage  littéraire,  assez  considérable, 
se  tnmvent  plusieurs  travaux  sur  la  composition  musicale  et  sur  l'art  du 
chant  et  un  grand  nombre  de  bonnes  traductions  allemandes  d'opéras. 
L'art  lyrique  français  lui  doit  celles  de  Mignon,  de  Lakmé,  de  Jean  de  Nivelle, 
de  l'Africaine,  des  Dragons  de  Villars,  du  le  Roi  l'a  dit  et  de  plusieurs  opérettes 
d'Otfenbach.  Gumbert  a  aussi  traduit  en  allemand  les  mélodies  polonaises 
de  Chopin  et  les  chansons  suédoises  que  Jenny  Lind  a  fait  connaître  en 
Europe  et  en  Amérique.  0.  Bn. 

—  De  Naples  nous  parvient  la  nouvelle  de  la  mort  d'Armando  Merca- 
dante,  second  fils  du  fameux  compositeur  Saverio  Mercadante,  le  vieil  ami 
de  Rossini,  de  Bellini  et  de  Donizetti,  l'ancien  directeur  du  conservatoire 
de  Naples,  l'auteur  de  soixante  opéras  dont  plusieurs  eurent  une  vogue 
considérable  :  Elisa  e  Claudio,  Donna  Caritea,  il  Giuramcnlo,  Zaira,  la  Testa  d 
bronzo,  il  Bravo,  la  Vestale,  etc.  Armando  Mercadante  ne  savait  pas  une  note 
de  musique;  il  avait  servi  naguère  dans  un  corps  de  cavalerie  de  l'armée 
italienne,  et  occupait  à  Naples  un  emploi  dans  l'administration  péniten- 
tiaire. Avec  lui  s'éteint  le  nom  de  Mercadante,  qui  pendant  quarante  ans 
avait  brillé  en  Italie  d'un  certain  éclat. 

—  Le  2  mars  est  mort  à  Tolosa  un  organiste  et  compositeur  fort  dis- 
tingué, Felipe  Gorriti,  qui  était  né  à  Huarte  (Navarre)  le  23  août  1833.  Il 
avait  été  successivement  organ  iste  à  Estella,  à  Tafalla,  et  en  dernier  lieu 
â  Tolosa.  On  lui  doit  plus  de  300  compositions  dans  le  genre  religieux, 
parmi  lesquelles  on  distingue  surtout  cinq  Messes  à  quatre  voix  et 
orchestre,  deux  grands  Miserere  et  plusieurs  motets  d'un  beau  caractère. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


120 


LE  MENESTREL 


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DEUX  PIANOS,  QUATRE  MAINS 


L  Ambroise  Thomas.  .  Pas  des  Bijoux  de  La  Tempête 6.    » 

IL  E.  Reyer Pas  Guerrier  de  Sigurd 9.    » 

III.  J.  Massenet  ....  Aragonaise  du  Cid 6.    » 

IV.  Léo  Delibes Valse  des  Heures  de  Coppélia 7.50 

V.  Théodore  Dubois.  .  Farandole  fantastique  de  La  Farandole.  ...  9.    » 

VI.  Ch.-M.  Widor  .  .  .  Sabotière  de  La  Korrigane 9.    » 


THÉODORE  LACK 


DU  MÊME  AUTEUR  : 
SYLVIA,  grande  suite  concertante  sur  le  ballet  de  Léo  Delibes,  deux  pianos,  quatre  mains.  Net   5.  » 
COPPELIA,  g''"  suite  concertante  sur  le  ballet  de  Léo  Delibes,  deux  pianos,  quatre  mains.  Net   5.  » 
Op.  129.  Sonatine  pour  deux  pianos,  quatre  mains.    10.  » 


.  —  lUPlUUERlE  < 


.  —    Kacn  lorillen^ 


Dimanche  19  Avril  1896. 


3395.  —  62"'  ANNÉE  —  1\°  16.  PARAIT    TOUS    LES   DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    TIIÉA.TRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

iUbonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Etranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Une  œuvre  contestée  de  Palestrina  et  ses  deux  messes  de  l'Homme  armé 
(2»  et  dernier  article),  Julien  Tibrsot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  de 
rÉpreuve  villageoise,  au  théâtre  de  la  Galerie- Vivienne,  Arthuu  Poui;i.\  ;  pre- 
mières représentations  de  la  Meute,  à  la  Renaissance,  du  Grand  Galeoto,  au 
Théâtre  des  Poètes,  et  du  Petit  Moujik,  aux  Bouffes-Parisiens,  Paul-Émile  Che- 
valier. —  III.  Musique  et  prisons  iS»  article)  :  prisons  militaires,  Paul  d'Estiiée. 
—  IV.  Le  monument  de  M"'"  Carvalho.  —  V,  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CANTIQUE 

SUR  LE  BONHEUR  DES  JUSTES  ET  LE  MALHEUR  DES  RÉPROUVÉS 

poésie  de  Jean  Racine,  musique  de  Reynaldo  Hahn.  —  Suivra  immédia- 
tement :  la  Légende  des  trois  petits  mousses,  n"  i  des  Poèmes  de  Bretagne,  musique 
de  Xavier  Leroux,  poésie  d' André  Alexandre. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Contemplation,  n"   4   de  la  Matinée  aux  Alpes,  du  maestro  N.  Celega. 
—  Suivra  immédiatement  :  le  Cœur  et  la  Dot,  polka- mazurka,  d'ÉDOUARD 
Strauss,  de  Vienne. 


UNE  ŒUVRE  CONTESTÉE  DE  PALESTBINA 

et  ses  deux  MESSES  DE  L'HOMME  ARMÉ 
(Suite  et  fin.) 


II 

Les  observations  précédentes  s'appliquent  bien  plutôt  à 
l'ensemble  d'une  méthode  qu'à  M.  Haberl  en  particuli'er  : 
méthode  propre  à  l'érudition  allemande,  et  qui,  par  certains 
côtés,  dénote  d'excellentes  qualités:  beaucoup  de  patience 
dans  les  recherches,  une  étude  consciencieuse  et  une  grande 
minutie;  par  contre,  il  manque  la  largeur  de  vue,  la  connais- 
sance des  idées  générales,  nécessaire  à  toute  obaervalion  un 
peu  étendue  ;  et  surtout  il  y  a  une  absence  de  pénétration 
absolument  fâcheuse  en  une  discussion  d'un  caractère  esthé- 
tique. Cette  méthode  se  résume  ainsi:  n'admettre  que  ce  que 
l'on  a  vu  par  soi-même.  Gela,  sans  doute,  est  très  prudent; 
cependant,  en  certaines  matières,  il  est  des  choses  qu'il  faut 
savoir  deviner.  De  ce  que  M.  Haberl  n'a  pas  trouvé  dans  les 
archives  la  confirmation  de  certains  faits,  il  les  considère 
comme  erronés  ou  légendaires  :  j'ai  eu  déjà  plusieurs  occa- 
sions de  montrer  qu'à  son  tour  il  se  trompait  abondamment 
(par  exemple  pour  la  question  de  la  Messe  du  pape  Marcel  et 
de  la  réforme  du  concile  de  Trente,  pour  celle  de  l'école 
musicale  de   Goudimel  à  Rome,  aujourd'hui  encore  pour  les 


Répons  de  la  iSemaine  sainte).  En  réalité,  il  n'a,  lui,  démontré 
qu'une  chose,  c'est  que  les  archives  sont  insuffisantes  pour 
faire  connaître  toute  la  vérité. 

Au  reste,  quand  paifois  il  s'est  laissé  aller  aux  hasards  de 
l'hypothèse,  il  a  donné  de  sa  perspicacité  une  idée  médiocre. 
L'on  me  permettra  d'en  donner  une  nouvelle  preuve,  que  j'ai 
trouvée  récemment.  J'avais  eu  l'occasion  d'étudier  de  nouveau, 
et  de  très  près,  les  différentes  messes  composées  sur  la  chanson 
de  V Homme  armé,  dont  j'ai  entretenu  déjà  les  lecteurs  du 
Ménestrel,  il  y  a  plus  de  sept  ans.  J'avais  cité  alors  deux  Messes 
de  V Homme  armé  de  Palestrina:  or,  chaque  fois  que  je  lisais 
les  notices  de  M.  Haberl,  je  constatais  avec  surprise  qu'il 
n'était  question  que  d'une  seule  ;  en  effet,  à  la  table  de  sa 
grande  édition  de  Palestrina,  la  seule  messe  à  cinq  voix  du 
3*=  livre  (1570)  était  mentionnée  sous  ce  nom. 

Mais  en  poussant  l'examen  jusqu'au  quatrième  livre,  publié 
en  1582  et  dédié  au  pape  Grégoire  XIII,  j'ai  reconnu  sans  la 
moindre  difficulté  le  thème  de  l'Homme  armé  dans  une  messe 
à  quatre  voix  simplement  intitulée  :  Missa  quarta  (1).  Le  nom 
faisant  défaut,  M.  Haberl  n'avait  pas  su  reconnaître  le  thème 
le  plus  célèbre  et  le  plus  fréquemment  employé  dans  les 
messes  polyphoniques  du  XV'  et  du  XVP  siècle.  Bien  plus, 
par  une  piquante  méprise,  cette  mélodie,  dont  l'usage  reli- 
gieux était  devenu  un  objet  de  scandale,  il  la  prenait  pour 
un  choral  grégorien  :  l'expression  est  imprimée  en  toutes  lettres 
dans  sa  notice  formant  la  préface  du  volume.  «  La  Missa  est 
écrite  dans  le  premier  ton,  et  a  emprunté  son  thème  au 
choral  grégorien,  dont  les  formules  mélodiques  dernières 
sont  exposées,  dans  le  premier  Kijrie  au  cantiis,  dans  le  Chrisle 
au  ténor,  dans  le  dernier  Kyrie  à  Valtus.  » 

Mais  cette  observation  nous  conduit  à  un  résultat  de 
plus  d'importance. 

Palestrina  avait,  en  1570,  publié  une  messe  de  l'Homme 
armé  sans  s'en  cacher  aucunement.  Douze  ans  plus  tard, 
voilà  qu'il  en  donne  une  seconde,  mais  sans  oser  en  dire  le 
nom.  Pourquoi  cette  anomalie? 

L'explication  m'en  paraît  très  naturelle  et  parfaitement  en 
rapport  avec  la  succession  des  faits  historiques. 

Parmi  tant  d'œuvres  que  Palestrina  ne  publia  qu'à  la  fin 
de  sa  vie,  il  en  est  plus  d'une  qui  date  de  sa  jeunesse.  Les 
deux  messes  de  l'Homme  armé  en  étaient  sans  aucun  doute. 
La  première  fut  publiée  en  1570  :  une  autre,   dans  le  même 

(1)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  possède  un  exemplaire  manuscrit  de 
cette  messe,  copié  d'après  un  manuscrit  du  xvir  siècle  appartenant  à  la  Biblio- 
thèque Palatine  de  Vienne,  et  portant  en  titre  ces  mots  explicites  :  Missa  : 
l'Homme  armé.  La  musique  en  est  parfaitement  conforme  à  celle  de  la  .Vissa 
quarta  susmentionnée.  Cela  soit  dit  afin  de  bien  spécifier  que  nos  collections 
de  la  Bibliothèque  du  Conservaloire  présentent  toutes  les  garanties  nécessaires 
d'authenticité,  bien  que  parfois  elles  proviennent  de  sources  différentes  de 
celles  auxquelles  M.  Haberl  a  puisé. 


d22 


LE  MENESTREL 


volume,  porte  le  titre  :  Vl,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  qui,  s'il  n'a  rien 
que  de  parfaitement  convenable,  ne  donne  pas  non  plus 
l'idée  d'un  sentiment  religieux  très  élevé  1  Puis  les  années 
marchèrent,  et  la  réforme  à  laquelle  Palestrina  attacha  son 
nom  se  précisa.  Dès  lors,  l'artiste  n'osa  plus  avouer  qu'il 
avait  commis  naguère  ce  que  maintenant  il  condamnait  :  et 
cependant,  considérant  cette  œuvre  où  il  reconnaissait  sa 
jeune  inspiration,  il  eut  trop  déploré  qu'elle  fut  définitive- 
ment perdue;  il  prit  un  moyen  terme  et  publia  sa  messe,  mais 
sans  lui  donner  le  titre  qui  en  eût  fait  reconnaître  l'origine 
impure. 

Cet  enchaînement  de  faits  et  d'idées  vient  donc  confirmer 
la  réalité  de  la  réforme  accomplie  dans  la  musique  religieuse 
sous  l'influence  de  Palestrina,  au  sujet  de  laquelle  M.  Haberl 
avait  surtout  contribué  à  répandre  des  doutes  qui  ne  sont 
aucunement  fondés. 

Mais  à  un  autre  point  de  vue,  n'y  a-t-il  pas  quelque  chose 
de  touchant,  et  de  très  humain,  dans  cette  ruse  naïve  de 
Palestrina,  hésitant,  partagé  entre  deux  sentiments  contraires  : 
le  devoir,  qui  lui  ordonne  de  détruire  son  œuvre,  de  renier 
un  péché  de  jeunesse,  mais  aussi  la  pensée  que  cette  œuvre 
est  belle,  harmonieuse  et  pure,  qu'il  serait  regrettable  si 
elle  était  pour  jamais  vouée  à  l'oubli!  L'artiste  et  le  chré- 
tien sont  en  lutte  :  qui  des  deux  l'emportera?  Le  pieux 
maître,  pour  les  accorder,  s'avise  de  cette  innocente  super- 
cherie :  il  publiera  l'œuvre,  mais  il  n'en  inscrira  pas  le 
nom  scandaleux  !  En  cela  d'ailleurs,  il  a  fait  tout  ce  qu'il 
convenait  de  faire  :  car  c'est  le  nom  seul  de  la  chanson  qui 
pouvait  soulever  des  objections,  nullement  la  musique,  tout 
à  fait  méconnaissable.  Que  sont  en  effet  ces  quelques  bribes 
de  la  vieille  mélodie,  en  regard  des  développements  inspirés, 
directement  sortis  du  génie  de  Palestrina? 

Il  n'a  rien  à  craindre,  d'ailleurs;  grâce  à  lui,  personne  ne 
connaît  plus  la  chanson  de  l'Homme  armé. 

Sa  conscience  a  raison  d'être  tranquille,  en  effet  :  n'avons 
nous  pas  vu  tout  à  l'heure  que  le  patient  éditeur  de  Pales- 
trina, l'érudit  commentateur  de  toute  la  musique  religieuse 
du  XV°  et  du  XVP  siècle,  avait  pris  le  thème  de  la  vieille 
chanson  militaire  française  pour  un  gregoiianisches  Choral?... 

III 

Revenons  aux  Répons  de  la  Semaine  sainte. 

Je  pense  avoir  suffisamment  prouvé,  par  l'existence  de 
quatre  copies  anciennes  appartenant  à  la  Bibliothèque  du 
Conservatoire,  ainsi  que  par  l'indication  du  lieu  où  l'origi- 
nal est  conservé,  que  les  doutes  énoncés  dans  la  grande 
édition  de  Palestrina  ne  reposent  sur  aucun  fondement 
sérieux.  Mais,  indépendamment  de  cette  question  de  fait,  il 
y  a  une  question  d'appréciation  que  je  ne  puis  laisser  passer 
non  plus  sans  protester. 

M.  Haberl  dit  d'abord  que  les  vingt-sept  Répons  sont  une 
imitation  tout  à  fait  fausse  du  style  de  Palestrina;  plus  loin, 
il  ajoute  que  le  style  indique  un  bon  maître  de  l'école  ro- 
maine du  commencement  du  XVII'  siècle.  Merci  bien  d'avoir 
concédé  que  l'auteur  est  un  bon  maître;  mais  lequel?  Les 
bons  maîtres  romains  du  commencement  du  XVII»  siècle  ne 
sont  pas  si  nombreux  que  le  style  des  Répons  ne  puisse,  dans 
ce  cas,  être  identifié  avec  celui  de  l'un  d'eux.  J'attends  la 
solution  avec  patience  ;  mais  d'abord  j'oserai  moi-même 
proposer  une  autre  identification:  celle  du  style  des  Répons 
avec  celui  de  toutes  les  autres  œuvres  de  Palestrina,  tout 
simplement.  En  effet,  il  n'est  pas  un  seul  détail  de  ces  com- 
positions qui,  au  point  de  vue  de  la  forme,  ne  soit  du  Pales- 
trina tout  pur.  Pour  le  degré  d'avancement  de  la  langue  mu- 
sicale, nous  en  sommes,  de  part  et  d'autre,  exactement  au 
même  point;  certaines  formules  familières  au  maître,  et  qu'il 
serait  facile  d'indiquer  en  détail,  se  trouvent  dans  les  Répons  ; 
les  versets  intermédiaires  de  ces  derniers,  avec  leurs  harmo- 
nies primitives  et  leurs  sonorités  aiguës  qui  ont  fait  songer 
souvent  à  des  passages  de  Lohemjria  ou   de  Farslfal,  ont  des 


équivalents  très  caractérisés  dans  plusieurs  Bcnedictus  de  ses 
Messes  et  dans  bien  d'autres  endroits  de  ses  œuvres.  Enfin,  la 
tenue  générale  est  absolument  celle  de  tout  Palestrina. 

Un  seul  détail  m'a  arrêté  un  instant.  Quelques-uns  de  ces 
Répons,  ceux  notamment  du  dernier  jour  (matines  du  samedi 
saint,  célébrées  le  vendredi  soir),  renferment  des  passages 
chromatiques  dont  l'usage  se  multiplia  beaucoup  après  la 
mort  de  Palestrina  (par  exemple  dans  l'école  vénitienne  du 
commencement  du  XVII"  siècle  :  les  citations  musicales  du 
livre  de  Winterfeld:  Jean  Gabrieli  et  son  temps,  sont  très  inté- 
ressantes à  ce  point  de  vue),  mais  qui  sont  rares  dans  son 
œuvre  même.  Cependant,  en  l'étudiant  de  près,  l'on  peut  cons- 
tater que,  bien  que  peu  fréquentes,  des  combinaisons  de  ce 
genre  ne  sont  pas  inconnues  dans  l'œuvre  de  Palestrina.  Dès  son 
époque,  l'on  connaissait  bien  le  caractère  expressif  du  genre 
chromatique,  et  c'est  toujours  sur  des  paroles  ayant  une 
signification  douloureuse  que  nous  le  voyons  employé.  Ses 
Lamentations,  dont  l'authenticité  ne  fut  jamais  contestée,  en 
renferment  plusieurs  exemples,  sur  des  mots  tels  que  dolor, 
gemens,  lacrijmœ,  etc.  De  même,  dans  les  Répons,  les  harmonies 
chromatiques  servent  à  commenter  des  phrases  telles  que  : 
Plangc,  plange  quasi  virgo  (Pleure,  pleure  comme  une  jeune 
fille),  —  Induere  cinere  et  cilicio  (Couvre-toi  de  cendre  et  d'un 
cilice);  l'intention  expressive  y  est  évidente.  Donc,  loin  de 
considérer  ces  particularités  comme  portant  atteinte  à  l'au- 
thenticité de  l'œuvre,  nous  en  trouvons  là  une  nouvelle  con- 
firmation, et  ne  pouvons  que  nous  féliciter  qu'il  nous  ait  été 
permis  de  connaître  ainsi  un  nouvel  exemple  d'un  style  déjà 
pratiqué  ailleurs  par  Palestrina,  mais  qui  n'en  était  pas  moins 
resté  une  rareté. 

Enfin,  indépendamment  de  ces  considérations  de  forme 
extérieure,  il  en  est  une  autre  qui  m'eût  paru  sufBre,  à  elle 
seule,  pour  établir  l'authenticité  :  c'est  que  l'inspiration 
même  de  ces  chants  est  absolument,  constamment,  exclusi- 
vement celle  de  Palestrina,  et  non  autre.  Je  les  écoulais 
encore  l'autre  semaine  à  Saint-Gervais,  et,  devenu  de  plus  en 
plus  familier  avec  leurs  formes,  j'admirais  combien  la  nature 
du  génie  du  maître  romain  y  est  fidèlement  exprimée  :  cette 
impression  était  d'autant  plus  précise  qu'à  côté  des  Répons 
de  Palestrina  se  trouvaient  ceux  de  Vittoria,  d'une  forme 
semblable,  mais  d'une  inspiration  combien  différente!  Les 
deux  musiciens,  l'Italien  et  l'Espagnol,  s'y  montrent  respecti- 
vement avec  une  sincérité  singulière:  l'un  contemplatif,  l'autre 
passionné;  l'un  aimant  les  tons  clairs,  l'autre  presque  toujours 
sombre;  tous  deux  exprimant  la  même  foi,  mais  Palestrina 
avec  une  confiance  candide,  Vittoria  avec  une  ardeur  farouche 
et  un  vague  sentiment  de  crainte;  le  premier  ayant  des 
visions  de  Paradis,  l'autre  songeant  surtout  aux  peines  de 
l'Enfer...  Si  les  Répons  attribués  à  Palestrina  n'étaient  pas 
de  lui,  croit-on  donc  qu'auprès  de  ceux  de  Vittoria  ils  sou- 
tiendraient la  comparaison? 

Il  m'a  paru  nécessaire  de  présenter  ces  observations,  fût-ce 
en  y  mettant  quelque  insistance.  A  cette  heure  où  la  musique 
du  XVI"  siècle  est  recherchée  et  étudiée  avec  plus  de  soin 
qu'elle  ne  le  fut  jamais,  il  serait  fâcheux  que  des  idées  fausses 
fussent  introduites  sous  le  couvert  d'une  problématique 
érudition  :  j'ai  cru  que  le  mieux  serait  d'y  couper  court  sans 
plus  tarder,  afin  de  permettre  à  la  vérité,  trop  souvent 
altérée  soit  par  de  fausses  légendes,  soit  par  d'insuffisantes 
observations,  de  se  manifester  clairement,  librement  et 
sans  obstacles. 

Julien  Tiersot. 

P. -S.  —  Par  une  coïncidence,  que  je  ne  qualifierai  pas  de 
singulière  (bien  que  ce  soit  l'épithète  consacrée),  puisqu'elle 
a  pour  cause  commune  les  auditions  de  la  Semaine  sainte  ù 
Saini.-Gervais,  au  moment  même  où  paraissait  mon  dernier 
article,  notre  savante  et  distinguée  confrère  qui  signe  Michel 
Brenet  en  publiait  un,  sur  le  même  sujet,  dans  un  autre 
périodique  musical.  Elle  raillait  d'abord  les  maîtres  de  cha- 
pelle allemands,  qui,  habitués  à    faire   entendre  et   admirer 


LE  MENESTREL 


d23 


depuis  longtemps  les  Répons  de  Palestrina,  les  ont  subitement 
effacés  de  leur  répertoire  du  jour  où  des  doutes  furent  émis 
sur  leur  authenticité  :  n'étant  plus  signés  Palestrina,  ils  ces- 
saient tout  aussitôt,  naturellement,  d'avoir  la  moindre  valeur  I 

Néanmoins,  M"'=  Brenet  s'en  tient  aux  conclusions  de 
M.  Haberl.  Elle  définit  spirituellement  le  rôle  de  la  critique 
érudite  en  disant  :  «  Dans  l'ancien  temps  de  la  chrétienté, 
chaque  corporation  se  choisissait  un  patron  approprié  : 
n'oublions  pas  que  le  vrai  patron  des  érudits,  c'est  le  dis- 
ciple qui  avait  besoin,  pour  croire,  de  loucher  les  plaies  de 
Jésus  :  c'est  saint  Thomas.  »  Voilà  qui  est  bien,  et  j'accepte 
volontiers  saint  Thomas  pour  mon  patron  ,  il  y  a  même  beau 
temps  que  j'ai  brûlé  mon  premier  cierge  sur  son  autel  ! 
Cependant,  lorsque  saint  Thomas  eut  mis  le  doigt  sur  les 
plaies  du  Crucifié,  il  dut  se  déclarer  suffisamment  convaincu  : 
sans  cela  n'aurait-il  pas  cessé  d'être  Saint?  Et  j'estime, 
d'autre  part,  qu'il  est  souvent  nécessaire  de  jouer  les  saint 
Thomas  vis-à-vis  des  négateurs  eux-mêmes.  L'ayant  fait  dans 
le  cas  présent,  et  m'étant  trouvé  seul  à  ne  pas  accueillir  les 
observations  de  M.  Haberl  comme  parole  d'Evangile,  j'ai,  je 
crois,  apporté  au  débat  un  certain  nombre  d'éléments  nou- 
veaux qui  en  pourraient  bien  changer  le  résultat. 

M"°  Brenet  en  ajoute  un  qui  ne  m'était  pas  connu  :  l'abbé 
Sautini  avait  une  copie  des  Répons  de  Palestrina  dans  sa 
célèbre  collection  de  musique  ancienne.  Cela  fait  une  de  plus. 
Ce  docte  abbé  ne  doutait  pas  de  leur  authenticité  :  il  est  vrai 
que  son  contemporain  Baini  était  d'un  avis  contraire  ;  mais 
la  seule  raison  de  son  scepticisme  était  que  la  découverte 
avait  été  faite  par  un  autre  que  lui;  et  l'on  sait  que,  pour 
les  chercheurs,  il  n'y  a  jamais  de  bon  que  ce  qu'ils  ont 
déniché  eux-mêmes,  tandis  que  ce  que  les  autres  ont  trouvé 
ne  vaut  jamais  rien  du  tout! 

Je  ne  puis,  par  conséquent,  souscrire  aux  conclusions  der- 
nières de  M""  Brenet.  Constatant  que,  pour  établir  l'authenticité 
des  Répons,  on  s'est  basé  surtout,  jusqu'ici,  sur  des  «  rai- 
sons esthétiques  »  telles  que  l'appréciation  que  «  Palestrina, 
seul,  a  pu  écrire  des  œuvres  d'une  telle  splendeur  »,  elle 
ajoute  :  «  Il  y  a,  au  Musée  du  Louvre,  certaines  toiles  ano- 
nymes qui  ne  cèdent  en  rien  aux  tableaux  des  plus  grands 
maîtres,  quoique  le  public,  peut-être,  son  livret  en  main, 
s'extasie  avec  plus  de  foi  devant  les  œuvres  signées.  »  L'assi- 
milation des  Répons  avec  les  anonymes  du  Musée  ne  me 
parait  aucunement  justifiée.  Ce  qui  nous  frappe  dans  les 
Répons,  ce  n'est  pas  seulement,  en  effet,  leur  beauté  intrin- 
sèque :  c'est  que  cette  beauté  est  précisément  celle  de 
Palestrina.  Les  gens  experts  à  la  technique  de  la  peinture 
savent  attribuer  tel  tableau  à  tel  artiste  par  la  simple  étude 
des  procédés.  Pourquoi  n'en  serait-il  pas  de  même  en 
musique?  Pour  moi,  ma  conviction  est  faite,  et,  pour  cette 
dernière  raison  plus  encore  que  pour  celles  que  j'ai  précé- 
demment développées,  je  me  refuse  absolument  à  laisser 
mettre  en  regard  des  Répons  de  Palestrina  le  «  point  d'in- 
terrogation »  demandé  par  M""  Michel  Brenet.  J.  T. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théâtre-Lyrique  de   la  Galerie-Vivienne  :   L'Epreuve  villageoise,   de   Grétry. 

Le  petit  théâtre  "Vivienne,  qui  continue  ses  recherches  fructueuses 
dans  notre  ancien  répertoire  lyrique,  vient  de  nous  rendre  ce  petit 
drame  musical  exquis  qui  a  nom  l'Épreuve  villageoise  et  qui  est  bien 
l'une  des  choses  les  plus  délicieuses  qu'on  puisse  entendre.  L'Épreuve 
nous  montre  le  parti  que  des  auteurs  intelligents  et  avisés  peuvent 
tirer  même  d'une  pièce  mal  venue  et  qui  a  subi  les  rigueurs  du  pu- 
blic, car  elle  n'est  que  la  transformation  d'un  ouvrage  plus  impor- 
tant, TModore  et  Paulin,  dont  la  première  représentation,  donnée  le 
18  mars  1784,  n'avait  pas  eu  de  lendemain,  par  suite  de  l'accueil  que 
lui  avaient  fait  les  spectateurs.  Grélry  le  raconte  lui-même  dans 
ses  Mémoires:  —  «  Ce  petit  ouvrage,  dit-il,  doit  son  existence  à  la 
chute  complète  d'un  plus  grand  ouvrage,  intitulé  Théodore  el  Paulin, 
en  trois  actes  et  à  double  intrigue.  J'avais  remarqué,  à  la  première 


et  dernière  représentation  de  cette  pièce,  que  l'ennui  et  le  plaisir  se 
peignaient  alternativement  sur  la  physionomie  des  spectateurs; 
l'ennui  était  toujours  causé  par  les  acteurs  nobles,  et  les  paysans 
ramenaient  chaque  fois  la  gaîté.  Je  partageai  tellement  les  senti- 
ments du  public  que,  malgré  les  sollicitations  des  comédiens,  je  re- 
fusai une  seconde  représentation  qui  aurait  produit  le  même  effet.  Je 
proposai  à  l'auteur  des  paroles  (c'était  Desforges)  un  plan  qui  excluait 
les  personnages  nobles  :  il  l'adopta,  et  fit  de  T/iéodore  et  Paulin  une 
pièce  en  deux  actes,  sous  le  titre  de  l'Épreuve  villageoise.  »  Un  acte 
supprimé,  plusieurs  personnages  retranchés,  les  deux  amoureux 
échangeant  leurs  noms  de  Théodore  et  Paulin  contre  ceux  de  Denise 
et  d'André,  peu  d'action,  mais  une  pièce  rapide,  écrite  en  vers  libres 
et  gentiment  tournés,  une  musique  légère  et  charmante,  et  l'on  eut 
une  paysannerie  aimable  et  d'une  grâce  exquise,  dont  le  succès  fut 
éclatant  et  récompensa  les  auteurs  de  leur  peine.  Ainsi  jouée  le 
24  juin  1784,  l'Épreuve  villageoise  avait  pour  principaux  interprètes 
M"=  Adeline,  Trial  et  Meunier. 

Que  de  morceaux  seraient  à  citer  dans  ce  petit  chef-d'œuvre!  la 
gentille  ariette  de  Denise  :  J'n'avions  pas  encor  quatorze  ans,  l'air 
devenu  si  célèbre  de  La  France  :  Adieu  Marton,  adieu  Lisette,  le  finale 
amusant  du  premier  acte  :  Il  a  déchiré  mon  billet,  dans  lequel  Grétry 
a  eu  la  prétenlion  d'écrire  une  fugue,  le  duo  des  amoureux,  tout  cela 
est  charmant  et  d'une  na'ivelé  pleine  de  grâce.  Grétry  ne  cherchait 
pas  la  petite  bête  et  n'avait  point  la  prétention  de  révolutionner  l'art, 
bien  qu'on  fût  à  l'époque  des  grands  efforls  de  Gluck;  mais  il  avait 
de  l'inspiration  et  le  sentiment  de  la  scène,  et  cela  lui  suiïisait  pour 
entraîner  le  public,  toujours  prêt  à  suivre  ceux  qui  l'amusent,  ou  le 
charment,  ou  l'émeuvent.  Ah!  que  nous  aurions  grand  besoin  d'un 
Grétry  en  ce  moment,  d'un  Grétry  moderne,  qui  serait  de  son  temps 
tout  en  ayant  la  volonté  d'être  lui-même  1 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  public  était  enchanté,  l'autre  soir, 
à  l'audition  de  cette  musique  si  fraîche,  si  franche  et  si  personnelle. 
C'est  qu'une  mélodie  sincère,  un  rythme  bien  accusé,  une  tonalilé 
précise,  sont  choses  si  rares  à  l'heure  présente  que  la  joie  est  grande 
lorsqu'on  les  trouve  réunis  pour  le  plus  grand  plaisir  de  l'oreille,  qui 
ne  sait  plus  où  se  prendre  avec  les  combinaisons,  les  prétentions  et 
les  ambitions  actuelles.  L'Épreuve  villageoise  est  d'ailleurs  très  gen- 
timent jouée  et  chantée,  à  la  Galerie  Vivienne,  par  M"'"  JaneValentin 
(Denise)  et  Barbary  (M™  Hubert),  MM.  Biard  (André)  et  Delbos 
(La  France).  Une  observation  toutefois  :  tous  ces  jeunes  gens  parlent 
trop  vite,  et  les  mouvements  de  la  musique  sont  aussi  trop  précipités. 
Il  semble  qu'on  ait  peur  de  ne  jamais  arriver  assez  lot  à  la  fin.  Il 
faut  que  tout  cola  se  tasse  et  se  mesure  d'une  façon  plus  naturelle. 
Un  compliment,  en  passant,  au  décorateur,  qui,  sur  cette  petite  scène 
si  étroite,  a  su  placer  un  décor  absolument  délicieux. 

La  soirée  commençait  par  un  petit  acte  inédit,  le  Vieux  Sorcier, 
paroles  de  M.  Bertol-Graivil,  musique  de  M.  Desgranges. 

Arthur  Polgin. 


RENAISSANCE.  La  Meute,  pièce  en  4  actes,  de  M.  Abel  îlermant.  —  Théâtre 
DES  Poètes.  Le  Grand  Galeoto,  drame  en  3  actes  et  1  prologue,  de  M.  José 
Echegaray,  traduction  de  MM.  J.  Lemaire  et  J.  Schurmann.  —  Bouffes- 
Partsiens.  Le  Petit  Moujik,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Pierre  Newsky  et 
Jean  Léry,  musique  de  M.  Georges  flaakmann. 

Arrivant  si  tard,  presque  après  tout  le  monde,  que  dire  de  la  très 
curieuse  et  très  inégale  pièce  que  M.  Abel  Hermant  a  fait  représenter 
la  semaine  dernière  à  la  Renaissance?  Depuis  plus  de  huit  jours,  les 
quotidiens  ont,  chaque  matin  leurarticle  spécial,  et  l'on  sait  l'incident 
regrettable,  fort  heureusement  terminé,  qu'a  fait  naître  la  Meute  et 
encore  le  genre  de  sport  tout  nouveau  qu'ont  mis  à  la  mode  quelques 
clubmen,  sans  doute  fort  .spirituels,  et  qui  consiste  à  aller  faire  du 
bruit  à  la  scène,  désormais  célèbre,  dite  «  des  domestiques  ».  De 
cela  il  n'y  a  qu'à  rire,  car,  très  franchement,  il  n'y  a  rien  là  de  bien 
subversif  et  le  passage  visé  est,  au  contraire,  l'un  des  mieux  venus 
de  l'ouvrage.  Il  est  à  croire,  même,  qu'auteur  et  directeur,  qui  sont 
gens  d'esprit,  se  frottent  les  mains  en  songeant  à  ces  anodines  petites 
protestations  qui,  somme  toute,  sont  la  plus  belle  réclama  que  l'on 
puisse  trouver. 

La  Meute  est  l'histoire  du  parvenu  colossalement  riche  sur  lequel 
s'abattent  les  innombrables  oiseaux  de  proie,  depuis  le  gentilhomme 
pauvre  et  sans  scrupule,  jusqu'à  l'inavouable  courtière  et  jusqu'au 
cynique  filou.  On  a  voulu  voir  dans  le  pauvre  diable,  inquiet  et  mé- 
fiant, mais  incapable  de  se  défendre  contre  la  bande  vorace,  et,  dans 
quelques  types  de  celte  bande,  des  poriraits  contemporains.  L'auteur, 
on  le  sait,  s'en  est  défendu;  comme  il  est  galant  homme,  on  le  doit 
I     croire  sur  parole.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  tout  est  construit 


124 


LE  MENESTREL 


sur  une  documentation  très  précise,  et  c'est  celte  documentation,  ave  c 
un  style  parfait,  qui  est  la  qualité  dominante  de  l'œuvre. 

Débutant  au  théâtre,  M.  Abel  Uerinant  ne  s'est  point  exactement 
rendu  compte  du  danger  qu'il  y  a  à  vouloir  faire  entrer  trop  de  choses 
en  quatre  actes.  Son  intrigue  étant  toute  légère  et  fort  simple,  il  a 
cru  la  corser  en  l'enserrant  d'épisodes  nombreux,  mais  trop  souvent 
inutiles.  D'où  une  certaine  complication,  que  l'on  regrette  d'autant 
plus  que  plusieurs  scènes  sont  exquises,  sobrement  et  merveilleuse- 
ment conduites. 

La  Meute,  qui  nécessite  une  très  nombreuse  interprétation,  est  fort 
diversement  jouée.  Eu  toute  première  ligne  il  faut  nommer  M.  Guitry 
et  associer,  à  son  grand  succès  personnel,  MM.  Dieudonné,  Brémont, 
Clerget,  Hurteaux,  Depas,  M"'=  Gerny,  Arehamhaud,  Gerfau  t  et 
M.  Caron.  Comme  toujours  à  la  Renaissance,  la  mise  en  scène  est 
délicieuse. 

Comme  dernier  spectacle,  le  Théâtre  des  Poètes  a  donné,  dans  la 
salle  de  la  Comédie-Parisienne,  la  traduction,  due  à  MM.  J.  Lemaire 
et  J.  Schurmann,  d'une  pièce  espagnole  de  M.  José  Echegaray,  le 
doyen  des  auteurs  dramatiques  espagnols,  et  qui,  par  delà  les 
Pyrénées,  occupe  une  place  justement  prépondé^'ante. 

Le  Grand  Galeoto,  dont  la  forme,  la  conduite  et  l'esprit  ne  sont  point 
sans  de  très  grandes  analogies  avec  notre  théâtre  contemporain, 
principalement  celui  des  Augier  et  des  Dumas,  développe  ingénieu- 
sement cette  idée  que  la  rumeur  publique,  l'opinion  irraisonnée  de 
la  foule  peut  suffire  à  pousser  au  mal  des  êtres  foncièrement  hon- 
nêtes. De  développements  rationnels,  d'enchaînement  serré,  sinon 
toujours  d'une  entière  clarté,  le  drame  marche  droit  au  but  et  logique- 
ment se  résont  en  une  scène  qui  est  fort  belle  et  de  très  grand  effet. 

Pour  ces  sortes  de  représentations  éphémères,  il  est  fort  difficile  de 
réunir  des  interprètes  d'égale  valeur.  Aussi  faut-il  tenir  compte  au 
directeur  du  théâtre  des  Poètes,  M.  Ch.  Léger,  des  efforts  tentés,  et 
complimenter  M'"  Marsa  de  la  chaleur  dont  elle  fait  montre. 
MM.  Thorsigny  et  Godeau  ne  sont  point  sans  qualités. 

M.  Grisier,  le  directeur  des  Bouffes-Parisiens,  qui  ne  se  veut  pas 
contenter,  ce  dont  il  faut  le  féliciter,  des  réputations  faites,  vient  de 
monter  une  opérette  de  MM.  Pierre  Newski  et  Jean  Léry,  dont  la 
musique  est  d'un  nouveau  venu  au  théâtre,  M.  Georges  Haakraann. 

L'évidente  préoccupation  de  M.  Haakmann  est  de  prendre  la  suc- 
cession, toujours  vacante,  d'Hervé  et  d'Offenbach.  Si,  par  moments, 
il  souffle  doucettement  dans  ses  pipeaux  légers,  à  la  manière  des 
Audran  et  des  Lecocq,  ses  préférences  semblent  le  porter  vers  les 
rythmes  détraqués  et  les  nasillardements  mirlitonnesques.  C'est  là, 
d'ailleurs,  pour  ses  débuts,  qu'il  a  trouvé  les  meilleures  pages  de  sa 
partition,  tels  le  chœur  des  mirlitons  au  premier  acte  et  le  terzetto 
bouffe  du  troisième,  «  Pardieu,  mes  amis  ».  Le  public  a  paru  prendre 
plaisir  h  d'autres  numéros,  qu'on  a  bissés  ;  il  faut  croire  que  le  public 
était  aise  de  retrouver  là  de  bonnes  et  vieilles  connaissances. 

A  la  pièce  de  MM.  Newsky  et  Lévy,  on  peut,  comme  à  la  musique 
de  M.  Haakmann,  reprocher  le  manque  d'originalité.  Un  premier 
acte  assez  amusant,  avec  sa  pittoresque  mise  eu  scène,  laissait  pro- 
mettre plus  de  fantaisie.  Faut-il  vous  dire  que  le  Pelit  Moujik  vient 
à  Paris  pour  retrouver  son  papa;  qu'il  est  recueilli,  défaillant,  par 
une  petite  bouquetière  qui,  en  l'aidant  dans  ses  recherches,  retrouve 
aussi  son  papa  à  elle?  Tout  cela  finit  par  un  bon  mariage...  et  vive 
l'alliance  franco-russe  ! 

Beaucoup  de  noms  nouveaux  sur  l'affiche  des  Bouffes.  M"'  Des- 
clauzas,  d'abord,  la  joie  débordante  de  la  soirée,  puis  M'"=  Lambrecht, 
gentille  et  gentiment  chantante,  bien  que  son  rôle  soit  écrit  terri- 
blement haut,  M'"^  Lili  Verne,  fort  agréable,  et  M"'  de  Merengo, 
toute  brune.  M.  Picoaluga,  roucoulant  à  souhait,  MM.  Taufl'enberger, 
Bartel  (en  Emile  Zola)  et  Dupré  demeurent  les  bons  piliers  de  la 
maison.  Paul-Émili;  Chevalier. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONS  MILITAIRES 

Le  soldai  français  esl  ne  ditellanle.  —  L^art  de  construire  et  de  démolir  en  musique .  — 
Oreilles  du  barbares.  —  La  viort  mystérieuse  du  capitaine  Wlirigt.  —  Pontons  anglais . 

—  Les  marionnettes  de  Prince  royal.  —  Théâtre  et  orchestre  excentriques  de  San-Carlos . 

—  Au  fond  d'un  puits.  —  Le  sauvetage  d'une  flûte.  —  La  Russie  hospitalière.  —  L'h^lct 
des  Haricots  et  ses  habitués.  —  Valseset  quadrilles. 

Nul  n'est  peut-être  plus  sensible  au  charme  consolateur  de  la  mu- 
sique que  le  soldat  prisonnier.  L'impression  qu'il  en  reçoit  est  vrai- 


semblablement l'écho  lointain  de  ses  souvenirs  de  guerre.  Loin  du 
champ  de  bataille,  il  croit  entendre  encore  les  refrains  joyeux  qui 
faisaient  oublier  les  longueurs  de  l'étape  ou  les  marches  entraînantes 
qui  le  menaient  à  la  victoire.  De  telles  illusions  n'ont  rien  que  d'ho- 
norable et  de  glorieux.  Le  soldat,  trahi  par  la  fortune,  marche  la  tête 
haute  ;  el  si  quelque  note  attendrie  voile  l'éclat  de  ses  mâles  accents, 
c'est  qu'il  donne  un  regret  aux  amis  disparus,  à  la  fiancée  qu'il  laissa 
au  village,  à  la  patrie  qu'il  ne  verra  peut-être  plus. 

Nous  retrouvons  ce  double  sentiment  à  toutes  les  époques  de  l'his- 
toire. Plutarque  le  signale  chez  le  fameux  musicien  Isménias,  qui  ap- 
partenait à  l'armée  d'Alexandre  et  que  ce  prince  employa  un  jour 
à  la  démolition  des  murs  de  Thèbes.  La  mythologie  nous  apprend 
qu'Amphion  avait  bâti  cette  ville  au  son  de  sa  lyre  :  les  pierres 
allaient  se  placer  d'elles-mêmes  sur  les  remparts.  La  loi  des  contrastes 
voulait  apparemment  qu'elles  partissent  comme  elles  étaient  venues. 
Il  est  vrai  qu'elle  y  furent  singulièrement  aidées  par  les  ouvriers 
chargés  de  détruire  les  murs  de  Thèbes.  Cette  rude  et  ingrate  be- 
sogne devenait  sans  doute  un  plaisir,  quand  Isménias  jouait  de  la 
flûte. 

Or,  cet  incomparable  virtuose  fut  pris  un  jour  dans  un  combat  avec 
les  Scythes.  Conduit  devant  Athias,  le  roi  de  ce  peuple  guerrier, 
Isménias  fut  invité  par  lui  à  jouer  de  la  flûte.  Les  airs  qu'il  exécuta 
étaient  si  émouvants  que  les  officiers  du  prince  ne  pouvaient  retenir 
leurs  larmes  ;  mais  Athias,  moins  sensible  encore  que  les  pierres  de 
Thèbes,  déclara  qu'il  préférait  à  cette  touchante  harmonie  les  hen- 
nissements de  son  cheval. 

De  vieux  chroniqueurs  attribuent  le  même  propos  brutal  au  roi  des 
Huns,  Attila,  devant  qui  des  captives  gauloises  jouaient  de  la  lyre. 
L'épopée  napoléonienne  est  féconde  en  épisodes,  d'authenticité 
moins  discutable,  confirmant  notre  thèse  que  les  impressions  musi- 
cales, chez  le  soldat  prisonnier,  sont  quelquefois  mélancoliques,  mais 
plus  souvent  gaies  et  bruyantes. 

—  Tirez  les  premiers,  messieurs  les  Anglais  !  disaient  nos  pères  à 
Fontenoy.  Nous  ferons  également  à  l'ennemi  séculaire  les  honneurs 
de  notre  travail  en  lui  empruntant  notre  première  démonstration. 

Le  capitaine  Whrigt,  qui,  pendant  les  guerres  de  la  République  et 
du  Consulat,  avait  fait  beaucoup  de  mal  à  la  marine  française,  finit 
cependant  par  tomber  entre  nos  mains  et  fut  enfermé  au  Temple.  Il  y 
mourut  subitement  dans  la  nuit  du  20  octobre  1805,  et  sa  fin  est  restée 
un  mystère.  Des  journaux  prétendirent  qu'il  s'était  suicidé  :  version 
absolument  invraisemblable,  car,  la  veille  de  sa  mort,  il  avait  com- 
posé et  fredonné  des  couplets  oîi  il  célébrait  notre  désastre  de  Tra- 
falgar,  qui  venait  contre-baiancer  notre  victoire  d'Ulm. 

Bien  mieux,  à  une  heure  assez  avancée  de  la  nuit,  ses  voisins 
l'avaient  entcndujouer  de  la  flûte,  son  instrument  favori. 

Une  enquête  sérieuse  établit,  contradietoirement  aux  assertions  de" 
la  diplomatie  anglaise,  que  "Wright  avait  été  traité  au  Temple  avec 
la  courtoisie  et  la  générosité  dont  la  France  usa  toujours  envers  ses 
prisonniers  de  guerre. 

Par  contre,  il  faut  reconnaître  que,  pendant  nos  vingt  années  de 
luttes  avec  la  Grande-Bretagne,  celle-ci  ne  nous  paya  guère  de 
retour.  Mes  Pontons  de  Robert  Garneray,  et  d'autres  témoignages 
contemporains,  qui  n'ont  jamais  été  infirmés,  disent  avec  quelle 
rigueur  les  prisonniers  français  étaient  traités  en  Angleterre.  Et 
cependant,  nos  soldats,  qu'ils  appartinssent  à  la  flotte  ou  à  l'armée 
de  terre,  ne  perdaient  rien  de  leur  gaîté  native.  Ils  s'ingéniaient, 
au  milieu  des  tracasseries  ou  des  humiliations  dont  les  abreuvait  un 
ennemi  ombrageux,  à  se  créer  des  distractions  musicales  et  drama- 
tiques. 

Le  «  Coup  d'œil  rapide  sur  les  Pontons  par  M.  Mesonant,  lieutenant 
au  4S"'°  régiment  d'infanterie  de  ligne  »  nous  apprend  comment 
s'exerçait  le  dilettantisme  de  nos  Français  «  à  bord  de  la  prison  flot- 
tante Prince-Royal,  sur  la  rivière  Medway,  près  de  Chatam  ». 

Quelquefois,  le  dimanche,  quand  il  fait  beau  temps,  on  monte  sur  le 
gaillard  d'avant  des  marionnettes  d'un  travail  achevé  et  qui,  pour  quelques 
pence,  divertissent  la  canaille  anglaise  du  bord,  faite  pour  gober  avec 
beaucoup  de  dévotion  de  pareils  spectacles,  tout  aussi  spirituels  qu'il  en 
faut  à  John  Bull.  On  s'amuse  aussi  à  la  danse  et  il  se  forme  souvent  des 
quadrilles  et  des  contredanses  très  bien  e.xécutées.  Les  cornettes  y  sup- 
pléent parfois  au  manque  de  femmes,  et  l'orchestre  se  compose  de  musi- 
ciens amateurs  qui  ne  manquent  pas  parmi  les  prisonniers. 

...  Il  est  inutile  de  faire  une  description  de  ces  théâtres  éphémères; 
connaissant  les  pontons  comme  je  viens  de  les  décrire,  on  pourra  aisé- 
ment s'en  faire  une  idée  :  le  zèle  supplée  au  talent  et  le  besoin  enfante 
des  génies.  A  bord  du  Pritice-Roijal,  où  j'ai  été,  il  se  trouvait  un  homme 
qui  pourrait  en  servir  d'exemple.  Molière  était  admiré  parce  qu'il  était  à 
la  fois  auteur  et  acteur  I  Que  dirons-nous  donc  de  M.  Ilervieux,-  qui  ajoute  à 
ces  deux  lalenls  celui  de  décorateur,  dans  lequel  il  e.\celle  particulièrement. 


LE  MÉNESTREL 


128 


En  Espagne  —  c'était  peut-être  le  climat  et  le  milieu  qui  le  vou- 
laient —  les  prisonniers  français  étaient  encore  plus  démonstratifs.  Ce 
n'est  pas  que  les  premières  heures  de  la  captivité  ne  fassent  marquées 
au  coin  d'un  douloureux  découragement.  Les  Aventures  d'un  marin 
de  la  Garde  Impériale,  publiées  en  1833,  nous  donnent  une  impression 
assez  vive  de  cet  affaissement  dont  notre  race  est  trop  facilement  cou- 
tumière.  Les  premiers  prisonniers  français  avaient  été  internés,  en 
1808,  sur  des  pontons,  près  de  l'île  de  Léon  : 

Les  ofQciers  s'étaient  réservé  des  musiciens  qui  leur  donnaient  des 
concerts  dont  l'harmonie,  par  les  douces  impressions  qu'elle  produisait, 
charmait  pour  un  moment  les  ennuis  de  la  captivité.  Las  soldats  n'en- 
tendaient jamais  que  le  monotone  bruit  des  Ilots,  les  sons  rauques  et 
lugubres  des  porte-voix,  quand  d'un  ponton  à  l'autre  les  sentinelles  se 
répondaient  pour  prouver  leur  vigilance,  ou  les  cris  de  leurs  camarades 
agonisants:  c'était  là  toute  leur  musique...  Les  trompettes,  les  tambours 
étaient  taciturnes...  Il  n'y  avait  plus  de  farceurs,  plus  de  grosse  plaisan- 
teries; il  n'y  avait  plus  de  récits  d'aventures  ;  personne  ne  soufflait  mot 
de  ses  bonnes  lortunes  vraies  ou  fausses,  avec  la  sœur,  la  femme  ou  la 
fille  de  quelque  hidalgo  ;  encore  moins  répétait-on  en  chœur  le  refrain  alors 
si  en  vogue  de  la  Chanson  de  Roland. 

La  torpeur  de  ces  braves  se  dissipa,  lorsqu'ils  furent  transférés 
quelque  temps  après  de  l'ile  de  Léon  dans  la  prison  de  San-Carlos. 
Ils  aménagèrent  leur  nouvelle  demeure  en  salles  d'escrime,  de  boxe, 
de  danse  et  de  spectacle.  Leur  répertoire  dramatique  comprenait, 
entre  autres  chefs-d'œuvre,  les  Ombres  chinoises  avec  le  Magicien 
Rothomago  et  la  Tentation  de  saint  Antoine  ;  les  Fantoccini  avec  Poli- 
chinelle devant  l'Inquisition  et  le  Maniaque  supposé  ou  le  Déluge  universel 
«  hydrolico-tragi-comédie-parade  »,  compliquée  de  «  tableaux,  aven- 
tures et  changements  de  décors  à  vue.  » 

L'orchestre,  composé  d'instraments  bizarres,  dont  le  souvenir  a 
peut-être  présidé  à  la  formation  de  la  fameuse  fanfare  de  Moncra- 
beau,  avait,  parait-il,  la  spécialité  des  harmonies  les  plus  inco- 
hérentes, mélanges  de  rythmes  lugubres  ou  facétieux,  que  scandaient 
dans  les  coulisses  des  chants  d'ivrogne  et  tous  les  bruits  des  caba- 
rets en  effervescence.  La  toile  se  levait  sur  la  rixe  d'une  guinguette 
parisienne,  sur  le  hourvari  d'une  fêle  foraine  et  sur  l'exhibition  d'une 
ménagerie  :  dans  les  lointains  se  dressaient  les  moulins  de  Mont- 
martre, et  la  représentation  se  terminait  par  une  scène  de  Puppi 
napolitains. 

Les  prisonniers  de  Cabrera  eurent  aussi  leur  théâtre,  qu'ils  avaient 
installé  dans  le  fond  d'une  citerne  abandonnée  et  auquel  ils  don- 
nèrent, pour  cette  raison,  le  nom  ronflant  à.'il  Teatro  délia  Cisterna 
(le  Théâtre  de  la  Citerne). 

Mais,  pour  un  Français,  ces  distractions,  si  plaisantes  qu'elle  puis- 
sent être,  ne  sauraient  faire  oublier  la  patrie  absente  ;  le  désir  de  la 
revoir  entretient  dans  chaque  cœnr  l'espoir  secret  d'une  prompte 
évasion  ;  et  combien  de  nos  soldats  prisonniers  en  réalisèrent  le  projet, 
au  péril  même  de  leur  vie  ! 

Un  article  de  la  déplorable  capitulation  de  Baylen  stipulait  que  les 
officiers  et  les  soldats  livrés  à  l'ennemi  par  le  général  Dupont  se- 
raient rendus  à  la  France  dans  l'espace  de  trois  mois.  A.u  mépris  de 
celte  clause,  ils  furent  internés  sur  le  ponton  de  la  Vieille  Castille, 
dans  la  baie  de  Cadix.  Tous  jurèrent  de  s'évader.  La  première  tenta- 
tive eut  lieu  le  22  février  1810,  et  fut  accompagné  de  circonstances 
dramatiques  dont  la  Nouvelle  Revue  rétrospective  a  publié  lerécitd'après 
une  relation  contemporaine  restée  jusqu'alors  inédite. 

Un  des  épisodes  de  cette  évasion  se  rattache  trop  directement  à 
notre  sujet  pour  que  nous  ne  le  citions  pas  textuellement.  Un  des 
fugitilifs  était  resté  accroché  à  la  chaloupe  qui  avait  débarqué  en 
terre  française  les  prisonniers  poursuivis  par  des  vaisseaux  anglais 
et  espagnols  : 

Les  compagnons  fuyaient  :  un  d'entre  eux,  mélomane,  M.  Savournin, 
commissaire  de  marine,  qui  n'avait  sauvé  que  sa  flûte,  s'arrêta  pour  s'as- 
surer s'il  n'en  avait  point  perdu  quelque  pièce.  Il  s'aperçoit  qu'il  lui  en 
manque  une:  il  retourne  promptement  sur  ses  pas,  arrive  à  la  chaloupe, 
voit  son  compagnon  suspendu,  le  décroche  avec  beaucoup  de  peine,  puis, 
sans  s'en  embarrasser  davantage,  va  chercher  son  corps  de  flûte  aussi 
soigneusement  que  si  c'eût  été  dans  une  chambre  fermée,  uoiqu'on  ne  dis- 
continuât pas  de  tirer  sur  lui.  Enfin  il  le  retrouve,  et  dans  le  transport  de 
sa  joie,  il  s'écrie  :  0  ma  flûte,  ma  vie  t'était  consacrée  ! 

Nos  prisonniers  ne  passaient  pas  toujours  par  d'aussi  pénibles 
épreuves.  La  Russie  leur  fut  plus  hospitalière  que  toute  autre  nation, 
bien  que  la  campagne  désastreuse  de  1812  eût  exaspéré  les  habitants 
contre  les  envahisseurs.  Le  baron  Pouget,  qui  fut  interné  à  Saint- 
Pétersbourg  jusqu'en  1813,  raconte,  dans  les  Mémoires  dont  nous 
devons  la  publication  à  sa  fille.  M""»  de  Boisdefîre,  que  son  séjour 
dans  la  capitale  des  czars  fut  pour  lui  une  suite  de  plaisirs  et  d'en- 


chantements. Le  baron  Pouget  était  grand  amateur  de  musique.  Il 
fut  invité  aux  dîners  et  aux  soirées  musicales  que  donnaient  le  vio- 
loniste Lafont  et  sa  femme,  il  assista  aux  concerts  des  trois  dames 
harpistes,  les  sœurs  Dumonleil,  Gondran  et  Gabriel,  et  aux  punchs 
de  Field,  le  célèbre  pianiste  anglais. 

La  France  recevait  alors  le  coup  de  grâce  à  la  bataille  de  Leipzig. 
Paulo  minora  canamus 

Une  prison  militaire  qui  entendit  bien  des  chants,  à  vrai  dire 
plus  joyeux  que  tristes,  et  qui  vil  passer  des  légions  d'artistes,  de 
peintres,  de  musiciens,  de  gens  de  lettres,  en  un  mot  toutes  les 
célébrités  parisiennes,  ce  fut  assurément  ce  fameux  Hôtel  de  Razan- 
eourt,  maison  de  détention  de  la  garde  nationale,  immortalisée  par 
l'histoire  et  par  la  légende  sous  le  nom  plus  connu  d'Hôtel  des 
Haricots.  Il  n'en  reste  plus  aujourd'hui  qu'un  souvenir  unique,  le 
livre  que  lui  consacra,  lors  de  sa  démolition,  Albert  de  Lasalle. 
L'intelligent  publiciste  recueillit,  du  mieux  qu'il  put,  sous  forme 
d'épigrammes,  de  chansons  et  de  dessins,  tous  les  éléments  d'un 
musée  lapidaire,  sur  ces  murs  condamnés...  comme  ceux  dont  ils 
avaient  conservé  les  folles  élucubralions.  C'est  ainsi  que  l'Hôtel 
des  Haricots  nous  fait  connaili-e  la  valse  à'el  Sospiro  —  un  nom  bien 
approprié  —  et  la  chanson  des  Rats. 

Le  comédien  Grassot,  emprisonné,  en  1849,  pour  s'être  refusé  à 
monter  sa  garde,  illustra  les  murs  de  son  «  noir  cachot  »,  d'un 
autographe  qu'il  appelait  l'Hymne  à  la  Garde  Nationale.  Il  la  chantait 
de  cette  voix  restée  célèbre  dans  les  fastes  du  Palais-Royal,  et 
pour  ne  pas  abuser  de  la  patience  du  lecteur,  nous  n'emprunterons 
à  cette  étonnante  poésie  que  l'extrait  suivant  : 

Vive  à  jamais  la  garde  nationale. 

Arc-en-ciel  de  nos  libertés  I 
Si  n'fait  pas  de  bien,  y  n'fait  pas  de  mal. 
Voilà  pourquoi  qu'il  a  mon  amitié. 
S'il  faut  qu'y  s'présente  une  émeute. 

Bien  loin  que  son  grand  cœur  s'émeuve, 
Prend  son  fourniment 
Son  fusil  r'iuisant. 
Quitte  sa  femme,  son  comptoir  et  même  ses  enfants. 
S'il  pleut  hé  ben  y  s'mouille 
Faisant  sa  patrouille. 

Paris  n'avait  pas  seul  le  privilège  d'un  Hôtel  des  Haricots.  La  pro- 
vince avait  également  les  siens,  ou  tout  au. moins  Rouen,  comme 
nous  l'apprennent,  dans  la  Revue  bleue  (novembre  1894),  les  spirituels 
Souvenirs  milieu  de  siècle  de  M.  Levallois. 

Le  père  de  l'auteur,  coupable,  avec  tant  d'autres  Français,  de 
n'avoir  jamais  pris  au  sérieux  l'institution  qui  fit  la  gloire  de  Joseph 
Prudhomme,  gémissait  sur  la  paille  humide  des  cachots,  à  l'Hôtel 
des  Haricots.  Toutefois,  sa  détention  n'était  pas  trop  pénible,  puisqu'il 
pouvait  recevoir  dans  sa  cellule  la  visite  de  sa  femme  et  de  quelques 
amis.  Un  jour.  M"""  Levallois,  avisant  dans  un  coin  de  la  pièce 
un  piano,  organisa  aussitôt  un  quadrille. 

Un  détenu,  qui  occupait  l'appartement  au-dessous,  se  plaignit  du 
tapage. 

Un  gardien  s'empressa  de  transmettre  an  danseur  l'observation 
du  prisonnier. 

—  Faites-le  monter,  dit  M.  Levallois. 

Et  bientôt  le  quadrille  comptait  un  cavalier  de  plus. 
(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


LE    MONUMENT    DE    M""'    CARVALHO 


LISTE  GÉNÉRALE.  —  M.  Martini:  100  fr.  ;  la  Société  des 
Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques:  oOO  fr.  ;  M.  de  Rodays,  du 
Figaro:  20  fr.  ;  M"=  A.  Massé:  100  fr.  ;  anonyme  :  10  fr.  ;  un  abonné  : 
20  fr.  ;  un  fauteuil  d'orchestre  :  SO  fr.  ;  une  élève  de  M""'  Carvalho  : 
40  fr.  ;  un  admirateur  de  M""*  Carvalho  :  40  fr.  ;  un  spectateur  de  la 
première  des  Noces  de  Jeannette  :  100  fr.  ;  M.  V.  G.  :  40  fr.  ;  M.  Gaston 
Galmette  du  Figaro:  20  fr.  ;  M.  Toutain,  à  Angers  :  20  fr.  ;  une  ad- 
miratrice de  M""»  Carvalho  :  40  fr.  ;  M.  Charles  Delioux  :  20  fr.  ; 
M""  Colette  Dumas  :  30  fr.  ;  M.  Ch.  Laurent,  agent  de  change:  100  fr.  ; 
W^'  A.  T.  :  o  fr.  ;  M.  Victorien  Sardoa  :  200  fr.  ;  M.  Ludovic  Halévy  : 
200  fr.  ;  M'"«  Léo  Delibes  :  200  fr.  ;  M.  Philippe  Gille  :  200  fr.  ; 
M""  Louise  Granjean,  de  l'Opéra  :  40  fr.  ;  M.  J.  Hudelist,  sous-direc- 
teur du  Ménestrel:  10  fr.  ;  M.  Ed.  Noël  :  10  fr.  ;  Société  des  composi- 
teurs du  musique  ;  100  fr.  ;  M.  Alph.  Davernoy  :  20  fr,  ;  M"»"  V"  Cal- 
mann  Lévy  :  100  fr.  ;  le  journal  le  Ménestrel:  SOO  fr.  ;  M.  Sabatier: 
20  fr.  ;  M.  Massenet  ;  200  fr.  ;  M.  Danbé:  oO  fr.  :  M""^  Gounod:  SOO  fr.  ; 


126 


LE  MENESTREL 


M.  J.  Laffitte:  100  fr.  :  M"""  ArmaDd  RoUe:  100  fr.  ;  M.  Edmond 
Audran  :  20  fr.  ;  M.  P.  de  Choudens  :  500  fr.  ;  M.  Fondard,  délégué 
des  artistes  musiciens  à  la  Rochelle  :  o  fr.  ;  M.  Mondain,  chef  d'esca- 
dron à  Epinal  :  20  fr.  ;  M.  Caheu  :  50  fr.  ;  M"=  Mary  Morgeustern  (  Mary 
Slar)  :  20  fr.  ;  M""  Mad.  Godard:  -30  fr.  ;  M.  Ed.  Davernoy  :  20  fr.  ; 
M.  Anatole  Protais  et  sa  famille:  50  fr.  ;  M.  et  M'"' Jean  Gounod  : 
100  fr.  ;  M.  Gaudron,  sous-chef  de  musique  au  QO"  de  ligne,  à  Châ- 
teauroux  :  5  fr.  ;  M.  Félix  Danbé  :  20  fr.  ■  M'""  Andrée  .Jumelle,  née 
Danbé  :  20  fr.  :  M.  Miurice  Danbé  :  10  fr.  ;  Général  Février  :  50  fr.  ; 
Baronne  de  Lassus  Saint-Geniès,  née  Gounod  :  100  fr.  ;  M.  et  M"""  Pitet  : 
500  fr.  ;  M.  et  M""'  Alf.  Jourdan  :  100  fr.  ;  MM.  Robert  Jourdan  et  Lat- 
telais  :  50  fr.  ;  M.  Félix  Jourdan  :  100  fr.  ;  M"'"  Au  g.  Gain  et  ses  fils 
Georges  et  Henri  Gain  :  oOO  fr.  ;  M.  d'Hauterlve  et  M'""  d'Hauterive, 
née  Alexandre  Dumas  :  200  fr.  :  M.  et  M"«^  Courtois  :  200  fr.  ;  M"'=  Er- 
nestine  Viard  l  nounou)  :  9  fr.  ;  M.  et  M"'=  Ch.  Masset  :  20  fr.  ;  M.  Du- 
puych:  20  fr.  ;  W"  Glaire  Puel  :  5  fr.  ;  M.  J.  V.  Hosteins  :  20  fr.  ; 
M""'  Gontier:  20  fr.  ;  M"«  Pauline  Smith:  50  fr.  ;  M""'etM"'=Marsillon-' 
1.000  fr.  ;  M.  Elysée  Descombes  :  100  fr.  ;  M.  Henri  Pressecq  :  20  fr.  : 
M.  et  M"'=  MoUiard  :  25  fr.  ;  M.  Pradel  :  500  fr.  ;  M""  V  Pressecq: 
20  fr.  ;  M.  G.  Paillard  :  100  fr.  ;  M""»  Pellier  :  200  fr.  ;  M.  Alb.  Carré, 
directeur  du  Gymnase  et  du  Vaudeville:  50  fr.  ;  M"'=  Alfred  Mutel  : 
20  fr.  :  M.  L.  Brémont,  de  la  Parte-Saint-Martin,  et  M'""  Bremcnt  : 
20  fr,  ;  M.  et  M""=  Marcel  Lermoyez  :  20  fr.  ;  M.  Armonville  :  50  fr. , 
M""  Abeille  :  1.003  fr.  ;  M.  et  M'"'  Hoskier  :  100  fr.  ;  M"=  Eugéuie  De- 
beuré  :  2  fr.  ;  M.  Jules  Barbier  :  100  fr.  ;  une  vieille  amie  de  M™*  Car- 
valho  :  100  fr.  ;  M'""  Louis  Lyon  :  40  fr.  ;  M""*  Henri  Jonas  :  20  fr.  ; 
M""  Henry  Schlésinger  :  20  fr.  :  M.  et  M">=  Paul  Berliner  :  20  fr.; 
M.  Victorin  Joncières  :  .30  fr.  ;  M.  et  M"'=  Beaumé  :  50  fr.  ;  M.  Berlin  : 
20  fr.  ;  M.  et  M""  Maurice  Gallet  :  50  fr.  ;  M'"  Emma  Calvé  :  500  fr.  ; 
M.  le  Juge  de  Segrais  :  50  fr.  ;  M.  et  M°"'Eug.  Roland-Gosselin  :  50  fr.; 
une  admiratrice  de  U""  Carvalho  :  50  fr.  ;  MM.  et  M'""  les  artistes 
des  chœurs  de  rOpéra-Comique:  26  fr.  15  e.  ;  M.  Georges  Vincent: 
10  fr.  :  M'""  X'  Alexandre  Dumas  :  200  fr.  ;  MM.  les  membres  du 
comité  de  l'association  des  artistes  dramatiques  :  100  fr.  ;  M.  Félix 
Berne-Bellecour  :  20  fr.  ;  M.  Hermann  Léon:  40  fr.  ;  M.  du  Locle  : 
50  fr.  ;  M.  Nuilter  :  50  fr.  ;  M">=  Pigny  :  100  fr.  ;  M°>«  H.  Mayrargues  : 
40  fr.  ;  M""  Bizet-Straus  :  200  fr.  :  M^^VanMechelen,  Louvain:  100  fr.; 
M.  Dufour,  notaire  :  100  fr.  ;  M""'  la  comtesse  Greflfulhe  :  100  fr.  ; 
marquis  d'Ivry;  23  fr.  ;  géuéral  Rousseau  :  20  fr.  ;M'°"  J.-P.  Normand: 
500  fr.  ;  E.  J.  Normand  :  100  fr.  ;  M""=  d'O.  :  50  fr.  ;  M°'=  Robert  :  100  fr.; 
M'"«  Maurice  Lépine  :  100  fr.  ;  M.  Hect.  Salomon  :  20  fr.  ;  M.  Léon 
Dorville:  20  fr.  ;  M.  Anatole  Renard:  10  fr.  ;  M.  Eug.  Monteaux  : 
20  fr.  ;  M.  Eug.  Gaillard  :  50  fr.  ;  M.  et  M^^  Ed.  Desfossés  :  20  fr.  ; 
M""^^  Boudin,  Bruxelles  :  30  fr.  ;  colonel  Plet  :  20  fr.  ;  Conseil  municipal 
de  Paris:  500  fr.  ;  M.  Ch.  Ephrussi  :  100  fr.  ;  M.  et  M'""  E.  Laurent  : 
200  fr.  :  M""'  Clamageran-Herold  :  40  fr.  ;  M'™  F.  Herold  :  25  fr.  ; 
M.  et  M""  Alb.  Cahen  :  200  fr.  ;  vicomte  et  vicomtesse  de  la  Redoite  : 
200  fr.  ;  M.  Gaultier-Passerat  :  50  fr.  ;  M'"''  Adeline  Rebrey  :  20  fr.  ; 
M.  Gaston  Dreyfus  :  50  fr.  ;  M.  et  M'"''  Ad.  Béer  :  100  fr.  ;  M°"=  Bery,  de 
l'Odéon  :  20  fr.  ;  W"  Alexandre  :  20  fr.  ;  M'"«  V«  H.  Chevalier  :  20  fr.  ; 
M.  Dettelbaeh  :  100  fr.  ;  M"«  Sibyll  Sanderson  :  200  fr.  ;  M.  et  M""  Bel- 
laigue  :  20  fr.  ;  M.  J.  Faure,  de  l'Opéra  :  50  fr.  ;  M.  André  Boucard  : 
50  fr.  ;  M"»  Jules  Luisel:  25  fr.  ;  M.  de  Blowitz  :  20  fr.  ;  M'«  Henri 
Michel  :  30  fr.  ;  M.  Steenakers,  ancien  député  :  10  fr.  ;  M""'  Marie  Roze  : 
20  fr.  ;  M.  Guvillier  :  2o  fr.  ;  M.  de  Forges  :  10  fr.  ;  M"""  V"  Ambroise 
Thomas  :  200  francs.  —  Total  :  15.503  Ir.  13. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


Le  nouvel  opéra  de  M.  Umberto  Giordano,  Andréa  Chenii-r,  a  décidé- 
ment obtenu  à  la  Scala  un  succès  absolument  exceptionnel.  Le  théâtre  ne 
désemplit  pas,  et  chaque  soir  la  foule  s'y  presse  avec  une  ardeur  depuis 
longtemps  inconnue.  Il  y  a  longtemps,  dit  le  Trovaloiv,  que  le  cas  s'était 
présenté,  où  l'on  ne  pouvait,  à  prix  d'or,  trouver  une  place  au  théâtre, 
comme  cela  se  produit  à  toutes  les  représentations  d'Andréa  Chenier.  Le 
Secolo  illustralo  donne,  de  son  côté,  une  biographie  très  détaillée  du  jeune 
et  fortuné  compositeur,  et  il  annonce  que  devant  le  succès  du  nouvel 
opéra  M.  Sonzogno  a  commandé  à  ses  auteurs,  MM.  Luigi  lUica  et  Um- 
berto Giordano,  deux  autres  ouvrages  importants.  L'interprétation  à' Andréa 
Cliijnier,  confiée  à  M'^-^"  Carrera,  Rogers  et  à  MM.  Borgatti  et  Sanmarco, 
pour   les  rôles  principaux,  réunit  également  tous  les  sull'rages. 

—  Voici  un  opéra  d'un  compositeur  italien  qui  a  mis  quelque  temps  à 
s'acclimater  dans  la  patrie  de  l'auteur.  C'est  du  Maître  de  chapelle,  de  Paër, 
que  nous  voulons  parler.  Représenté  à  l'Opéra-Comique  le  21   mars  1829, 


il  y  a  soixante-quinze  ans,  cet  ouvrage  a  été  joué  pour  la  première  fois  en 
italien  cette  année,  à  Milan,  où  la  partition  va  en  être  publiée  incessamment. 

—  On  lit  dans  la  Gazzetia  m  iisicale  de  Milan  :  «  A  l'Exposition  Eucharis- 
tique de  Milan  une  excellente  impression  a  été  produite  par  certains  tubes 
métalliques  con.'itruits  en  Angleterre  et  qui  sont  destinés  à  remplacer  les 
cloches.  Aujourd'hui  très  perfectionnés,  ces  tubes  se  construisent  de  toutes 
les  dimensions  et  dans  tous  les  tons,  de  sorte  qu'on  a  une  échelle  très  éten- 
due. A  l'excellence  du  son,  qui  rivalise  avec  celui  des  meilleures  cloches,  ils 
joignent  l'avantage  d'occuper  un  espace  très  limité.  Leur  application  à 
l'usage  théâtral  estd'une  utilité  indiscutable,  parce  qu'ils  sont  très  faciles  â 
transporter,  qu'il  peuvent  se  placer  dans  les  coulisses  sans  causer  aucun 
embarras,  et  qu'on  peut  même,  au  besoin,  les  employer  sur  la  scène,  où 
ils  peuvent  être  aisément  dissimulés.  Si  à  tous  ces  avantages  on  ajoute 
la  modicité  relative  de  leur  prix,  il  est  certain  que  d'ici  peu  de  temps  ces 
tubes  seront  adoptés  par  tous  les  théâtres.  On  peut  d'autant  plus  l'assurer 
que  l'expérience  en  a  été  faite  dans  l'opéra  de  Puccini,  la  Bohème,  avec  un 
résultat  excellent.  » 

—  Teresita  est  le  titre  d'une  nouvelle  opérette  qui  a  été  représentée  le 
4  de  ce  mois  à  Empoli,  et  dont  les  auteurs  sont  MM.  Umberto  Cecchi 
pour  les  paroles  et  Roberto  Maestrelli  pour  la  musique. 

—  L'excellente  Rivista  musicale  italiana,  de  Turin,  a  publié,  dans  sa  der- 
nière livraison,  un  article  très  étudié  et  fort  intéressant  de  M.  L.  Torchi 
sur  la  Symphonie  en  ré  mineur  de  M  .G.  Martucci,  article  dont  il  a  été  fait  un 
tirage  à  part.  C'est  une  analyse  très  serrée  et  fort  bien  faite  de  cette  sym- 
phonie, œuvre  remarquable  du  jeune  et  actif  directeur  du  Conservatoire 


—  On  sait  que  l'exactitude,  qui  est  la  politesse  des  rois,  n'est  pas  toujours 
celle  des  théâtres.  Un  journal  deTrieste,i/il/a((i'no,  publie  à  ce  sujet  quelques 
réflexions  fort  justes  :  «  Il  paraît  de  règle  désormais,  dit  ce  journal,  que  les 
représentations  dans  les  divers  théâtres  commencent  un  quart  d'heure  et 
même  vingt  minutes  après  l'heure  indiquée  sur  l'affiche.  Il  nous  paraît 
pourtant  que  le  public  a  droit  à  certains  égards,  et,  d'autre  part,  les  ar- 
tistes, pour  qui  l'on  doit  trop  souvent  user  d'indulgence,  devraient  tenir 
compte  de  la  patience  qu'on  montre  devant  leurs  écarts  et  récompenser 
la  longanimité  des  spectateurs  par  un  peu  de  ponctualité.  »  Voilà  des 
observations  qui  trouveraient  leur  place  ailleurs  que  sur  les  bords  de 
l'Adriatique. 

—  La  direction  des  théâtres  royaux  de  Berlin  vient  d'acheter  l'ancien 
théâtre  Kroll,  qu'elle  avait  en  location  jusqu'à  présent.  Le  prix  en  est  de 
deux  millions  et  demi  de  marks.  Le  théâtre  Kroll  servira  aux  représenta- 
tions d'opéra,  en  dehors  de  l'Opéra  royal. 

—  A  l'occasion  du  SOO"  anniversaire  de  sa  fondation,  l'Académie  royale 
des  Beaux-Arts  de  Berlin  donnera,  les  8  et  9  mai  prochain,  deux  grands 
concerts  dans  l'un  desquels  on  exécutera  un  oratorio  nouveau  de  M.  Jlax 
Bruch,  intitulé  Mdise. 

—  Le  théâtre  An  derWien,  à  Vienne,  prépare  la  représentation  d'une  nou- 
velle opérette  intitulée  le  Chasseur  de  femmes,  musique  de  M.  Léopold  Kuhn, 
chef  d'orchestre  à  ce  théâtre. 

—  L'inauguration  du  monument  de  Mozart  à  Vienne,  que  nous  avions 
annoncée  comme  prochaine,  aura  lieu  sans  le  concours  de  son  auteur,  le 
célèbre  sculpteur  Victor  Tilgner,  qui  vient  de  mourir  d'une  maladie  de 
coeur,  à  l'âge  de  52  ans  seulement.  Tilgner,  qui  était  né  à  Presbourg  en  18ii, 
peut  être  considéré  comme  l'un  des  premiers  artistes  de  ce  temps.  Il  était 
professeur  à  l'Académie.  Parmi  ses  nombreux  ouvrages,  nous  signalerons 
la  statue  du  pianiste  compositeur  Hummel,  à  Presbourg,  un  très  beau 
buste  de  la  célèbre  tragédienne  Charlotte  Wolter,  et  les  deux  figures  de 
Phèdre  et  de  Falstaff  au  nouveau  Burgtheater  de  Vienne. 

—  A  Heihgenstadt,  village  de  la  banlieue  de  Vienne  où  Beethoven  avait 
demeuré,  a  été  fondé,  il  y  a  quelques  années,  un  petit  musée  Beethoven  qui 
renfermait  quelques  documents  de  valeur.  Cette  collection  vient  d'être  trans- 
portée au  musée  de  la  ville  de  Vienne,  où  elle  sera  naturellement  beau- 
coup mieux  placée.  La  maison  de  Bonn,  où  naquit  Beethoven  et  qui 
existe  transformée  en  musée,  s'est  enrichie  de  douze  lettres  du  maître  pro- 
venant des  archives  de  la  célèbre  famille  Brentano.  Ces  autographes 
ont  été  payes  plus  de  cinq  mille  francs,  ce  qui  indique  la  haute  valeur 
que  le  marché  international  attribue  actuellement  aux  reliques  de 
Beethoven. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Francfort  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de 
succès  un  opéra-comique  en  un  acte  intitulé  Trichka,  dont  la  musique  est 
due  au  compositeur  Erick  Meyer-IIelmund.  Le  livret  rappelle  la  vieille 
anecdote  de  la  célèbre  danseuse  qu'un  non  moins  célèbre  Fra  Diavolo 
engagea  pour  donner  ,'une  représentation  gratuite  et  obligatoire  en  pleine 
forêt.  Dans  Trichka,  celte  anecdote  se  rattache  à  Marie  Taglioni. 

—  Un  nouvel  opéra  en  un  acte,  intitulé  le  Meunier  de  San-Soizci,  mu- 
sique de  M.  Otto  Urbach,  sera  prochainement  joué  à  l'Opéra  de  Franc- 
fort-sur-le-Mein. 

—  Une  nouvelle  opérette,  intitulée  le  Lieutenant  de  marine,  musique  de 
M.  L.  Roth,  vient  d'être  jouée  avec  succès  à  Munich,  une  autre  opérette, 
intitulée  Figaro  à  la  Cour,  musique  de  M.  Alfred  Mûller-Norden,  a  été  jouée 
pour  la  première  fois,  à  Laybach,  et  a  obtenu  un  succès  très  vif. 


LE  MENESTREL 


127 


—  L'ancien  surintendant  des  théâtres  royaux  de  Budapest,  le  comte  Geza 
de  Zichy,  vient  de  faire  jouera  ce  théâtre  un  nouvel  opéra,  Alar,  dont  il  a 
écrit  les  paroles  et  la  musique.  Les  deux  premiers  actes  ont  eu  un  certain 
succès  ;  les  deux  derniers  ont  presque  complètement  échoué.  On  ne  croit 
pas  que  l'œuvre  tienne  longtemps  l'affiche,  malgré  sa  mise  en  scène 
brillante  et  sou  exécution  hors  ligne.  Le  compositeur,  on  le  sait,  s'est  sur- 
tout fait  connaître  comme  pianiste  amputé  d'un  bras  ;  son  exécution  avec 
l'unique  main  qui  lui  reste  est,  en  effet,  prodigieuse. 

—  L'Opéra  de  Budapest  vient  de  fermer  ses  portes  pour  quinze  jours, 
pendant  lesquels  la  salle  sera  remise  à  neuf  en  vue  lies  fêtes  du  millé- 
naire du  royaume  hongrois,  qui  commencent  le  2  mai.  Pour  la  représen- 
tation de  gala  de  ce  jour,  l'Opéra  jouera  le  Roi  Etienne,  l'opéra  fameux  de 
François  Erkel,  avec  quelques  retouches  faites  par  l'auteur. 

—  Le  théâtre  de  "Weimar  va  jouer  un  nouvel  opéra,  l'Homme  et  la  Mer, 
paroles  de  M.  de  Wolzogen,  musique  de  M.  Hans  Sommer. 

—  L'état  de  M"»"^  Clara  Schumann,  dont  nous  avons  annoncé  la  maladie, 
s'est  sensiblement  amélioré,  et  on  espère  que  la  célèbre  artiste  sera  bientôt 
complètement  guérie.  Les  médecins  sont  d'avis  que  ce  n'était  pas  une 
attaque  d'apoplexie  qui  l'a  frappée,  mais  qu'elle  a  été  prise  simplement 
d'une  syncope  provoquée  par  l'anémie. 

—  Les  journaux  allemands,  Gazette  de  Dresde,  Journal  de  Leipzig,    Courrier 

de  Berlin,  Corresporulance  de   Hambourg,    etc font    un  éloge    pompeux    du 

pianiste  viennois  Auguste  Stradal,  que  nous  avons  entendu  cet  hiver  i' 
Paris,  presque  inconnu  jusqu'à  ce  jour,  disent  ces  feuilles.  M.  Stradal 
s'est  révélé  comme  un  des  pianistes  les  plus  remarquables  de  ce  temps; 
c'est  un  interprète  incomparable  de  la  musique  de  son  maître  Liszt,  dont 
il  a  dit,  avec  un  talent  merveilleux,  les  Harmonies  poétigues  et  religieuses,  les 
Rapsodies  et  les  transcriptions  si  remarquables  de  Schubert  et  de  Paganini; 
M.  Stradal  a  produit  un  grand  effet  dans  un  concerto  de  Friedmann  Bach, 
dans  la  sonate  en  ut  dièse  mineur  de  Beethoven  et  dans  nombre  de  mor- 
ceaux de  Chopin  et  autres  grands  maîtres.  Le  célèbre  critique  de  Dresde, 
Louis  Hartmann,  compare  le  style  de  M.  Stradal  à  celui  du  regretté  Rubins- 
tein,  et  le  déclare  le  plus  grand  interprète  des  œuvres  de  Liszt.  M""  Hil- 
degarde  Stradal  a  été  très  applaudie  à  Hambourg  comme  interprète  des 
lieder  de  Schubert  et  de  Chopin.  On  nous  fait  espérer  que  le  couple  artis- 
tique se  fera  entendre  à  Paris  l'hiver  prochain.  H.  B. 

—  M.  Humperdinck,  l'heureux  auteur  de  Hœnsel  et  Gretel,  vient  de  termi- 
ner une  musique  descènepourle  célèbre  drame  espagnol  le  Juge  de  Zalaméa. 

—  Les  beautés  de  la  statistique.  Un  savant  allemand  a  fait  un  calcul 
très  détaillé  et  apparemment  digne  de  foi,  d'après  lequel  un  pianiste,  qui 
jouela  dernière  étude  de  Chopin  en  «(mineur  doit  exercer  une  pression  de 
3.130  kilos.  C'est  assez  gentil  comme  déploiement  de  force,  surtout  quand 
il  s'agit  d'une  petite  demoiselle  du  Conservatoire. 

—  Le  fameux  festival  des  trois  chœurs  aura  lieu  cette  année  à  Wor- 
cester,  et  les  dates  en  sont  fixées  au  6,  8,  9,  10  et  11  septembre  prochain. 
C'est  l'organiste  de  la  cathédrale,  M.  Hugh  Blair,  qui  en  aura  la  direction. 
Au  programme  figurera  un  oratorio  inédit,  Lœ:  Christi,  écrit  expressément 
par  M.  Edouard  Elgar.  Parmi  les  artistes  engagés,  on  cite  déjà  le  nom  de 
M""'  Emma  Albani. 

—  Nous  avons  mentionné  le  record  de  quarante-six  heures  qu'un  pia- 
niste italien,  M.  Gamillo  Baucia,  avait  tenu  récemment  à  Guneo,  triom- 
phant ainsi,  avec  un  avantage  d'une  heure,  du  pianiste  anglais  Bird,  qui 
n'était  resté  que  quarante-cinq  heures  attelé  à  son  instrument  —  j'allais 
dire  à  sa  machine.  Il  paraît  qu'un  de  ces  jours  prochains  les  deux  cham- 
pions vont  se  mesurer  directement,  en  Angleterre,  pour  savoir  lequel  des 
deux  fournira  une  séance  de  cinquante  heures  consécutives.  Et  puis? 
Quand  ils  seront  fourbus  et  devenus  idiots  l'un  et  l'autre,  l'art  en  sera-t-il 
beaucoup  plus  avancé  ? 

—  On  nous  envoie  de  Varsovie  la  nouvelle  des  grands  succès  obtenus 
par  M"<=  Glotilde  Kleeberg  dans  les  trois  concerts  qu'elle  a  donnés  en  cette 
ville.  Toutela  haute  société  polonaise  s'était  donné  rendez-vous  et  a  acclamé 
la  grande  artiste  parisienne,  qui  a  du  ajouter  à  ses  programmes  un  nombre 
infini  de  morceaux.  Très  grand  succès  pour  l'école  moderne  française  et 
surtout  pour  les  Poèmes  sylvestre,  de  Th.  Dubois. 

—  11  parait  que  la  mode  vient  décidément  aux  spectacles  fournis  par  des 
corps  d'  «  artistes  »  spéciaux.  On  a  vu  des  représentations  dans  lesquelles 
ne  paraissaient  que  des  femmes,  d'autres  auxquelles  des  étudiants  seuls 
prenaient  part.  Voici  venir  maintenant  le  tour  des  médecins.  A  Odessa, 
où  les  médecins  sont  trop  nombreux  et  les  habitants  trop  bien  portants, 
on  a  donné  récemment,  au  nouveau  théâtre,  une  représentation  au  béné- 
fice des  femmes  et  des  enfants  de  ces  infortunés  —  je  parle  des  médecins. 
Or,  le  côté  curieux  de  ce  spectacle,  c'est  que  ceux-ci  en  ont  fait  unique- 
ment les  frais.  On  a  joué  une  pièce  écrite  par  l'un  d'eux,  le  docteur 
Feodoreff,  sur  un  sujet  spécial  à  la  corporation,  Suggeslion  hypnotique  ou 
Vengeance  de  femmes  ;  tous  les  acteurs  appartenaient  au  corps  médical 
d'Odessa,  et  l'orchestre,  excellent,  dit-on,  avait  été  aussi  exclusivement 
recruté  parmi  les  disciples  d'Hippocrate  et  de  Galien. 

—  Le  compositeur  Spiro  Samara,  qui  s'est  fait  connaître  par  plusieurs 
opéras  joués  avec  succès  sur  les  scènes  lyriques  italiennes,  a  composé  un 
Hymne  olijmpitiue  à  l'occasion   du   récent  renouvellement  des  jeux  olym- 


piques. Cette  œuvre  de  M.  Samara,  qui  est  de  nationalité  grecque,  a  été 
interprétée  par  quatre  cents  chanteurs  à  l'inauguration  de  Stade  d'Athènes, 
et  a  obtenu  un  succès  mérité. 

—  On  assure  que  le  colonel  Mapleson,  le  fameux  manager  anglais,  pré- 
pare pour  New-York  une  grande  saison  d'opéra  franco-italien.  Cette  saison 
commencerait  le  '26  octobre  prochain  et  les  représentations  auraient  lieu 
dans  la  vieille  mais  très  belle  salle  de  l'Académie  de  musique,  dont  l'acous- 
tique est  excellente.  Après  son  séjour  à  New-York,  M.  Mapleson  entre- 
prendrait, avec  sa  troupe,  une  grande  tournée  dans  les  principales  villes 
de  l'Union. 

PARIS   ET   DÉPARTEBIENTS 
A  1  Opéra  : 

Demain  lundi,  on  donnera  la  centième  représentation  de  la  Korrigane,  le 
délicat  ballet  de  MM.  François  Coppée  et  Gh.-M.  Widor.  Ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  dit.  M'"  Bosita  Mauri  dansera  également  pour  la  centième 
fois  le  rôle  qu'elle  a  créé  et  que  jamais  elle  n'a  abandonné.  A  cette  occa- 
sion, les  artistes  et  le  personnel  du  ballet  ont  l'intention  d'olTrir  un  souve 
nir  artistique  à  leur  étoile. 

La  première  représentation  de  l'opéra  nouveau  de  M.  Alph.  Duvernoy, 
HelU,  est  annoncée  pour  vendredi  prochain  ;  la  répétition  générale  aura 
lieu  mardi. 

La  direction  de  l'Opéra  s'occupera,  de  suite  après  cette  première,  de  la 
reprise  de  Thamara,  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  avec  M.  Ansaldy  et 
Mme  Héglon  dans  les  rôles  créés  par  M.  Engel  et  M""  Domenech  ;  c'est 
M.  Georges  Marty  qui  surveillera  les  études  musicales.  Puis,  en  attendant 
la  reprise  d'Hamlet,  avec  M.'"«  Melba  et  M.  Renaud,  on  fera  débuter,  dans 
Samson  et  Dalila,  MM.  Courtois,  Paty  et  M"'=  Combe. 

—  A  rOpéra-Comique  : 

Vendredi  dernier,  très  belle  rentrée  de  M"'=  de  Nuovina  dans  la  Navarraise. 
La  si  intéressante  artiste  a  été,  la  soirée  entière,  couverte  d'applaudis- 
sements. 

La  première  représentation  du  Chevalier  d'Harmental,  opéra-comique  en 
trois  actes  et  cinq  tableaux,  de  M.  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  André 
Messager,  est  annoncée  pour  le  lundi  27;  la  répétition  générale  aurait  lieu, 
dans  ce  cas,  le  samedi  23. 

Au  tableau  des  répétitions  le  Caïd,  dont  on  ne  peut  fixer  encore  la  date 
de  la  reprise,  la  Dame  blanche,  dont  le  rôle  de  Georges  Brown  sera  tenu  par 
M.  Clément,  st  le  Pardon  de  Ploërmel,  La  Femme  de  Claude  est  renvoyée  en  fin 
de  saison. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  avait,  dans  sa  dernière  séance,  déclaré  la 
vacance  du  fauteuil  laissé  libre  par  la  mort  d'Ambroise  Thomas.  En  con- 
séquence, c'est  dans  sa  séance  d'hier  samedi  qu'elle  a  dû  entendre  la  lec- 
ture des  lettres  des  candidats  qui  se  présentent  pour  recueillir  la  succes- 
sion du  glorieux  auteur  de  Mignon  et  d'jHa'mfe(.  L'élection  est  fixée  au  samedi 
2  mai. 

—  Le  jury  du  concours  Cressent  a  rendu  cette  semaine  son  jugement  en 
ce  qui  concerne  le  poème  destiné  à  être  mis  en  musique  par  les  composi- 
teurs. Exceptionnellement,  deux  prix  ont  été  décernés  et  deux  poèmes  ont 
été  couronnés,  que  chaque  musicien  pourra  choisir  à  son  gré.  L'un, 
opéra-comique  en  un  acte  et  deux  tableaux,  intitulé  l'Amour  à  la  Bastille, 
a  pour  auteur  M.  Auge  de  Lassus;  l'autre  est  un  drame  lyrique  de 
M.  Saint-Luth.  On  sait,  d'ailleurs,  que  les  compositeurs  ont  toute  liberté 
sous  ce  rapport,  et  qu'ils  ne  sont  nullement  astreints  à  travailler  sur  le 
poème  couronné. 

—  Nos  orchestres  symphoniques  voyagent  sous  la  conduite  de  leurs  chefs. 
Tandis  que  M.  Colonne  commence  une  grande  tournée  en  Allemagne  avec 
ses  artistes,  M.  Lamoureux,  à  la  tète  des  siens,  s'est  rendu  à  Londres,  où 
il  a  commencé,  au  Queen's  Hall,  une  série  de  concerts.  M.  Colonne  a  tout 
d'abord  visité  Carlsruhe,  où  sa  première  séance  a  obtenu  un  plein  succès 
et  provoqué  des  applaudissements  nourris  et  bruyants.  M.  Lamoureux  n'a 
pas  moins  été  heureux  à  Londres,  où  une  superbe  exécution  du  Rouet 
d'Omphale,  de  M.  Saint-Saëns,  a  fait  éclater  une  véritable  explosion  de 
bravos.  L'art  français  n'a  qu'à  se  réjouir  des  succès  que  nos  artistes,  exé- 
cutants et  compositeurs,  obtiennent  à  l'étranger. 

—  Mardi  dernier  M.  Lionel  Dauriac,  professeur  de  philosophie  à  la 
Faculté  des  lettres  de  Montpellier,  donnait  la  première  leçon  d'un  cours 
libre  d'esthétique  musicale  appliquée  qu'il  ouvre  à  la  Sorbonne.  Il  s'oc- 
cupait, dans  cette  séance,  de  l'histoire  de  la  musique  française  à  partir  de 
1828,  l'année  qui  vit  naître  la  Muette  de  Portici  d'Auber,  le  premier  opéra 
conçu  dans  les  formes  modernes,  dont  on  oublie  un  peu  trop  aujourd'hui 
l'importance  au  point  de  vue  historique  de  l'art,  puisque  la  Muette  a  pré- 
cédé Guillaume  Tell  et  Robert  le  Diable,  et  qu'elle  a  été  le  point  de  départ  de 
la  transformation  de  notre  musique  dramatique. 

—  Notre  confrère  M.  Louis  de  Fourcaud,  professeur  d'esthétique  à 
l'Ecole  dés  Beaux-Arts  et  rédacteur  musical  du  Gaulois,  vient  d'être  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

—  Il  paraît  que  Paris  ne  possédait  pas  assez  de  petites  salles  de  spec- 
tacles. Voici  donc  trois  nouveaux  théàtricules  dont  on  annonce  la  pro- 
chaine ouverture:  Le  Théâtre-Salon,  situé  rue  Chaptal,  direction  de 
M.  Maurice  Magnier,  qui  débutera  par  une  pantomime  ;  les  deux  autres 
ne  sont  point  encorebaptisés  ets'élèveront,  le  second  rue  Fontaine,  direction 
de  M.   Gustave  Michiels,  genre  Chat-Noir,  at  le  troisième  salle  Flaxland, 


128 


LE  MÉNESTREL 


—  Cette  fin  de  saison  nous  promet  toute  une  série  de  concerts  d'un  carac- 
tère vraiment  exceptionnel.  Tout  d'abord,  c'est  le  grand  violoniste  Sarasate 
qui  annonce  pour  les  9,  13,  16  et  20  mai,  quatre  séances  de  musique  de 
chambre  à  la  salle  Erard,  avec  le  concours  de  MM.  Diémer,  Parent,  van 
Vaefelghem  et  Delsart.  Puis,  c'est  MM.  Raoul  Pugno  et  Ysaye  qui,  eux 
aussi,  préparent,  à  la  salle  Pleyel,  plusieurs  séances  du  même  genre. 
C'est  ensuite  M.  Diémer,  qui  doit  donner  un  grand  concert  au  profit  de 
l'Association  des  artistes  musiciens.  Enfin,  aux  premiers  jours  de  juin,  on 
doit  célébrer  avec  éclat,  à  la  salle  Pleyel,  le  cinquantième  anniversaire  du 
premier  concert  qui  y  fut  donné  par  M.  Camille  Saint-Saëns,  alors  âgé  de 
onze  ans.  Le  programme,  particulièrement  riche  et  exclusivement  formé 
d'œuvres  du  maître,  comprendrait,  entre  autres  :  un  cinquième  concerto 
de  piano,  récemment  composé;  une  sonate  de  piano,  inédite  aussi,  exé- 
cutée par  lui,  ainsi  que  le  concerto  ;  une  romance  pour  flûte  avec  piano, 
jouée  par  M.  Tafifanel;  et  deux  morceaux  confiés  au  violon  de  M.  Sara- 
sate. L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  TaEfanel.  Fera-t-on  à  la  salle  Pleyel 
une  rallonge  qui  semble  indispensable  pour  la  circonstance? 

—  Vendredi  dernier,  à  Parisiana,  entre  une  pitrerie  de  M.  Jacquet  et  une 
romance  de  Fragson,  on  a  fait  débuter  un  jeune  violoniste  hongrois, 
M.  Louis  Pésckai,  qui,  certes,  vaut  cent  mille  fois  mieux  que  le  music-hall 
dans  lequel  il  se  fait  entendre.  En  plus  d'une  agilité  et  d'une  exécution 
tout  à  fait  remarquables,  M.  Pésckai  a  une  fort  Jolie  qualité  de  son.  Le 
public  très  spécial  de  l'endroit,  malgré  la  sévérité  des  morceaux  exécutés, 
a  reçu  très  chaleureusement  le  jeune  virtuose  que  nous  ne  tarderons  cer- 
tainement pas  à  retrouver  dans  des  milieux  beaucoup  plus  artistiques. 

P.-E.  G. 

—  Le  compositeur  et  pianiste  espagnol,  M.  Albeniz,  et  le  quatuor 
Crickboom,  Angenot,  Méry  et  H.  Gillet  ont  donné  deux  séances  de  musique 
de  chambre  fort  intéressantes  à  la  salle  des  Agriculteurs  de  France.  Le 
quatuor  pour  instruments  à  cordes  Je  César  Franck,  le  quatuorpour  piano, 
violon,  alto  et  violoncelle  de  Brahms,  op.  23,  et  le  quintette  de  Schumann 
ont  été  interprétés  d'une  façon  magistrale  par  les  artistes,  qui  ont  déployé 
des  qualités  remarquables.  Un  vrai  régal  pour  les  connaisseurs  furent  la 
sonate  pour  violoncelle  et  piano  de  Benedetto  Marcello,  jouée  par  M.  Gillet, 
que  M.  Albeniz  accompagnait  fort  délicatement,  et  la  ravissante  sonate 
op.  121,  de  Schumann  dont  le  troisième  mouvement,  un  lied  sans  paroles 
d'un  romantisme  exquis,  a  soulevé  des  applaudissements  frénétiques.   0.  B. 

—  Au  cours  de  sa  tournée  de  concerts  en  Hollande,  M>'«  Marcella  Pregi 
a  fait  entendre  à  de  Rotterdam,  à  la  Haye  à  d'Amsterdam  l'air  A'Héro- 
diade  et  des  mélodies  de  Schumann,  Paladilhe,  Widor  et  Bizet...  en 
somme  une  sélection  d'œuvres  simples  exécutées  avec  une  méthode  si 
parfaite  que  le  Vnterland,  journal  de  La  Haye,  a  pu  résumer  ainsi  l'impres- 
sion générale  :  <-  Le  succès  extraordinaire  remporté  par  la  jeune  artiste  est 
un  triomphe  pour  l'école  française.  »  Le  rédacteur  de  l'article  féliciti; 
ensuite  M"'  Pregi  de  n'avoir  pas  suivi  la  voie  ouverte  avec  fracas  par  cer- 
taines cantatrices  wagnériennes.  Il  semble  en  effet  raisonnable  d'admettre 
que  le  concert  a  son  genre  spécial,  destiné  à  exprimer  les  sentiments  que 
la  mise  au  point  pour  l'optique  de  la  scène  ne  pourrait  manquer  de  déna- 
turer. Les  compositeurs  modernes  ont  écrit,  en  ce  genre,  des  chefs-d'œuvre 
discrets,  d'un  éclat  et  d'un  coloris  tels  qu'ils  resplendissent  plus  que 
beaucoup  de  grandes  pages  savamment  délayées.  La  difficulté  de  les  bien 
interpréter  en  éloigne  quelquefois  les  artistes,  car  ils  ne  se  prêtent  à  aucune 
supercherie;  pour  les  pouvoir  aborder,  il  faut  posséder  le  talent  suprême 
da  dire  les  idées  et  de  colorer  les  notes.  Là  est  le  plus  beau  triomphe  de 
l'art  du  chant,  et  c'est  aussi  ce  qui  a  mérité  à  M"*  Pregi  et  à  l'école  fran- 
çaise l'éloge  si  chaleureux  du  journal  hollandais.  A.  B. 

—  M.  Pierre  d'Alheim,  qui  a  fait,  en  ces  derniers  temps,  au  Théâtre 
Mondain,  toute  une  série  de  conférences  sur  le  compositeur  russe  Mous- 
sorgski,  a  publié  aussi  sous  ce  simple  titre,  Moussorgski,  un  livre  dans  lequel 
il  retrace  la  vie  et  les  travaux  de  cet  artiste  curieux,  intéressant  et  incom- 
plet. Je  ne  partage  pas,  pour  ma  part,  l'enthousiasme  de  M.  Pierre  d'Alheim, 
tout  en  le  comprenant  jusqu'à  un  certain  point.  Moussorgski  n'était  pas  un 
musicien  ;  c'était,  comme  on  l'a  dit  de  Berlioz,  im  poète  qui  se  servait  d'élé- 
ments musicaux;  encore  ces  éléments  étaient-ils,  pour  lui,  singulièrement 
restreints.  Son  éducation  était  vraiment  trop  incomplète,  et  il  n'était  même 
pas  capable  de  tirer  d'une  idée  le  parti  qu'elle  comportait,  de  donner 
même  un  plan  à  une  simple  mélodie  vocale;  ses  romances  ne  sont  pas 
écrites,  elles  n'ont  aucun  développement  rationnel,  et  elles  finissent  la 
plupart  du  temps  à  peine  commencées,  et  sans  que  l'on  sache  pourquoi. 
Avec  cela,  des  idées  musicales  d'une  saveur  étrange,  d'une  poésie  souvent 
exquise  et  d'un  sentiment  dramatique  d'une  étonnante  profondeur;  de 
vrais  cris  de  l'âme,  d'une  intensité  parfois  tragique  et  toujours  émouvants. 
Vn  artiste  curieux,  je  l'ai  dit,  mais  inachevé.  Le  livre  de  M.  Pierre  d'Alheim, 
trop  admiratif  et  trop  exclusif,  n'en  est  pas  moins  intéressant  pour  ceux 
qui  veulent  étudier  le  mouvement  musical  russe.  A.  P. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Messe  solennelle  en  ré  (Bethovenj,  sol!  par  M"-  Blanc  et  Cécile 

0'Rorke,MM.  Warmbrodt  et  Auguez  ;  Ouverture  de  Fidélio  (Beethoven). 

Concerts  du  Jardin  d'Acclimatation,  chef  d'orchestre,  M.  Louis  Pister:  Danse 
persane  (Guiraud)  ;  Sérénade,  nocturne  (.ladassohn)  ;  la  Colombe,    entr'acte  iGou- 


nod)  ;  les  Préludes  (Liszt)  ;  /"  Symphonie,  andante-rondo  (Beethoven)  ;  Armide,  air 
de  la  naïade  (Gluck)  ;  les  Vêpres  siciliennes,  boléro,  chant  :  M""  Moulor  (Verdi); 
Henri  VIII,  suite  d'orchestre  (Saint-Saëns). 

—  De  Niort  on  nous  signale  le  succès  remporté  au  concert  annuel  donné 
par  l'Harmonie,  sous  la  direction  de  M.  Bonenfant,  par  M™'=  Lovano,  qui  a 
délicieusement  chanté  l'Amour  csl  vn  enfnni  trompeur,  de  Martini,  Mon  petit 
cœur,  extrait  des  Bergrreltes,  do  Weckerlin,  et  l'Étoile,  de  Faure,  qu'accom- 
pagnait magistralement  le  cor  de  M.  Brémond.  L'excellent  virtuose  s'est 
fait  vivement  applaudir  dans  les  deux  transcriptions  pour  cor  des  stances 
du  Songe  d'une  nuit  d'été  et  de  la  cantilène  de  Lakmé.  On  a  fêté  aussi  le 
haryton  Paul  Seguy  dans  les  Trois  Soldats  de  Faure  et  les  Enfants  de 
Massenet. 

—  Dimanche  dernier,  M.  Marmontel  père  a  réuni  un  groupe  de  ses  élèves 
dans  ses  salons  de  la  rue  de  Calais.  Ces  auditions,  qui  sont  de  vraies  fêtes  de 
famille,  offrent  un  vif  intérêt  par  le  choix  des  morceaux  et  par  la  variété  des 
styles.  Les  cinq  premiers  numéros  du  programmé  nous  ont  fait  apprécier  chez 
ces  jeunes  pianistes  une  exécution  très  correcte,  un  toucher  délicat  et  nuancé. 
Nommons  M""  Rosine  Garcin,  Joyeuse,  Pierrat.  M""  M"  Maron,  Dory,  Mouton, 
Sancliez  ont  exécuté  avec  élégance  et  d'une  façon  très  brillante  des  mor- 
ceaux de  salon  de  Saint-Saëns,  Chopin,  Marmontel  père.  M""  Brette,  Humbert, 
M""  Gouverné,  M""  Chèché  Rodriguez,  virtuoses  amateurs  de  premier  ordre, 
ont  interprété,  avec  une  rare  perfection,  des  pièces  caractéristiques  de  Weber, 
Schumann,  Rosenhain  et  Marmontel  flls,  Elude  de  concert,  et  ont  été  chaleureu- 
sement applaudies.  Enfin  quatre  artistes  de  haute  valeur,  professeurs  émérites, 
M""  de  Beautot,  Clarinval,  Camus,  Bonheur,  toutes  quatre  formées  à  l'école  de 
M.  Marmontel  père,  ont  interprété  dans  un  style  parfait,  avec  expression  et 
brio,  la  sonate  et  l'allégro  de  Chopin,  la  troisième  élude  sur  le  Freiscltiitz  de 
Stephen  Heller,  les  Impressions  et  Souvenirs  de  Marmontel  père,  Etude  de  concert 
de  Marmontel  fils.  Nous  constatons,  avec  un  grand  plaisir,  l'intérêt  très  vit 
témoigné  aux  élèves  de  M.  Marmontel.  Toutes  ces  jeunes  filles  ont  charmé 
l'auditoire  par  leur  style  gracieux  et  naturel,  qui  est  la  noie  caractéristique  de 
la  méthode  du  maître. 

—  Chez  M"*  Lafaix-Gontié,  très  jolie  soirée  musicale  consacrée  à  l'audition 
d'œuvres  de  Théodore  Dubois.  La  maîtresse  de  la  maison  a  délicatement  dit  le 
Chant  du  bouvretdl  de  Xavière,  et  M"°  Lafaix-Gontié  très  bien  joué  les  Bûcherons. 
On  a  beaucoup  applaudi  aussi  deux  chœurs,  Chant  provençal  et  Trimazé,  et, 
encore,  la  mélodie  Malin  d'avril. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Salle  des  fêtes  de  la  mairie  de  Passy,  belle  audition 
des  élèves  de  M""  Sauvrezis.  A  signaler  le  cours  de  solfège  dans  le  chant  du 
Clidlaigni.r  de  Xavii^re,  de  Théodore  Dubois,  et  le  Noël,  de  Massenet,  le  solo  très 
bien  chanté  par  W  Louise  Sandre,  puis  M""  D.,  de  M.,  M.  et  M"°  D.  (Rapsodie 
cambodgienne,  Bourgault-Ducoudray),  M"' Jeanne  C.  (S'  Gavotte,  Bourgault-Ducou- 
dray),  Marie  C.  (Danse  et  chœur  des  lutins.  Théodore  Dubois  i  et  Jeanne  D.  (Impro- 
visation, Massenet).  —  A  l'église  Saint-Sulpice,  M.  Sellier  asupérieurementchanté 
YAve  Maria  de  Gounod,  avec  accompagnement  de  violoncelle  de  M.  IloUman  ;  ce 
dernier,  dans  une  mélodie  de  sa  composition,  et  M.  Fournets,  dans  le  l'aler 
Nosier  de  Niedermeyer,  ont  produit  sur  l'assistance  qui  se  pressait  en  foule  au 
mariage  de  M.  Emile  Cère,  homme  de  lettres,  une  profonde  impression.  Le 
grand  orgue  était  tenu  par  M.  Ch.-M.  Widor,  et,  pour  cette  circonstance, 
M.  Raoul  Pugno  tenait  l'orgue  d'accompagnement.  —  Grand  concert  spirituel 
chez  M"»  Emilie  Ambre-Bouichère.  OEavres  d'Emile  Bouichère  pour  la  pre- 
mière partie  et  de  Th.  Dubois  pour  la  seconde.  La  partie  vocale  a  été  superbe- 
ment exécutée  par  les  ex-élèves,  aujourd'hui  des  artistes,  et  les  élèves  actuels 
de  l'école.  La  partie  instrumentale  était  confiée  à  MM.  Paul  OberdœEfer,  violo- 
niste, Marthe,  violoncelliste,  E.  Artaud,  pianiste,  et  pour  l'orgue  à  M.  F.  de  la 
Tombelle,  élève  et  ami  de  Bouichère.  Succès  pour  tous  et  pour  la  maîtresse 
de  maison. 

—  CoscEiiTS  ANNONCÉS.  —  Demain  lundi,  à  9  heures,  salleÉrard,  concert  annuel 
de  M"'  Berthe  Duranton  avec  le  concours  de  M.  Paul  Viardot  et  de  M""  Fanny 
d'Almeïda.  —  Également,  demain  lundi,  salle  des  Agriculteurs,  rue  d'Athènes, 
deuxième  concert  de  M"«  Blanche  Marohesi. 

NÉCROLOGIE 
A  Munich  vient  de  mourir  à  l'âge  de  63  ans,  le  compositeur  Alexandre 
Ritter  qui  était  né  en  1833  à  Narva,  en  Russie,  il  avait  épousé  une  nièce 
de  Richard  Wagner.  On  cite  parmi  ses  œuvres  deux  opéras  :  lians  le  Vaurien 
et  A  qui  la  couronne?  plusieurs  morceaux  pour  orgue  et  pour  piano,  des 
lieder  et  un  quatuor  pour  instruments  à  cordes. 

—  A  Budapest  est  mort,  à  l'âge  de  4S  ans,  le  ténor  de  l'Opéra  royal, 
M.  Franz  Gassi.  Il  appartenait  à  une  famille  riche  et  avait  fait  de  bonnes 
études  pour  pouvoir  se  consacrer  à  la  magistrature,  lorsque  l'idée  lui  vint 
en  IS'îu,  d'utiliser  sa  belle  voix  de  ténor.  Hans  Richter  le  présenta  à 
Richard  Wagner,  qui  s'intéressa  de  suite  au  jeune  ténor  que  la  nature 
avait  taillé  en  hercule  et  lui  proposa  de  débuter  à  Bayreuth,  dans  Siegfried. 
Le  vieux  maître  se  chargea  personnellement  des  études  du  chanteur,  mais 
après  quelque  temps  il  changea  d'avis.  Gassi  quitta  Bayreuth  et  fut 
engagé  à  l'Opéra  royal  de  Budapest,  où  il  eut  plusieurs  succès  marqués. 
Un  asthme  chronique  le  força,  il  y  a  plusieurs  années,  de  se  retirer  de  la 
scène,  et  il  vient  de  succomber  dans  la  force  de  l'^gc 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

ON  DEMANDE  de  suite  en  province,  bon  accordeur  connaissant  la 
réparation  des  pianos,  des  orgues  et  de  la  lutherie.  Bonne  situation,  inté- 
ressé aux  affaires.  Inutile  de  se  présenter  sans  de  sérieuses  et  bonnes  réfé- 
rences. —  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


Dimanche  26  Avril  1896. 


-  62-  ANNÉE  —  N°  17.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne»  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musiquo  de  Piano,  50  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Pronnce.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEITE 


I.  Mubique  antique;  une  lettre  de  M.  Th.  Reinach,  Ji;lien  Tiiîusot.  — II.  Semaine 
tliéâtrale  :  première  représentation  d'ilellr  k  l'Opéra,  la  centième  de  la  Korri- 
gane, AiiTHUii  Foin;i.\  ;  première  représentation  de  la  Falote,  aux  Polies-Drama- 
tiques, reprise  de  l'Œil  creiv,  aux  Variétés,  Paul-Émile  Cjiev.vliek.  —  III.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
CONTEMPLATION 
n"  i  de  la  Matinée  aux  Alpes,  du  maestro  N.  Celega.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  le  Cœur  et  la  Dot,  polka- mazurka,  d'ÉDOUARD  Strauss,  de  Vienne. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanclie  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

CHANT  :  fa  Légende  des  trois  peliis  mousses,  n°  i  des  Poèmes  de  Bretagne,  musique 

de  Xavier  Leroux,  poésie  d'ANDRÉ  Alexandre.  —  Suivra  immédiatement  : 

Musette  du  XVII"  siècle,  harmonisée  par  A.  Périlhou. 


MUSIQUE  ANTIQUE 

UNE    LETTRE    DE    M.    TH.    REINACH 

M.    Théodore    Reinach   vient   d'adresser    au   directeur   du 
Ménestrel  la  lettre  suivante,  dont  il  demande  l'insertion. 
Monsieur, 
Permellez-œoi  de  relever  pro  domo  mea  deux  points  dans  l'intéres- 
sante série  d'articles  que  vous  avez  consacrée  au  nouvel  hymne  del- 
phique  et,  par  extension,  à  la  «  question  »  de  la  musique  grecque. 
1°  Vous  me  reprochez  (p.  35,  note)  d'avoir  transcrit  à  12/8  le  cou- 
plet «  glyconien  »  qui  termine  cet  hymne,  et  vous  préférez  (p.  26)  la 
notation  à  quatre  temps,  quoique,  ailleurs  (p.  66),  vous  me  déclariez 
«  parfaitement  irréprochable  au  point  de  vue  de  la  notation  ».  Je  n'ai 
mérité  complètement,  je  crois,  ni  l'éloge  ni  la  critique.   Je  ne  suis 
pas  <i  parfaitement  irréprochable  »  puisque  j'ai  eu  lo  tort  d'espr-imer 

ce  qui  eût 
été  plus 
correct, 
la  subs- 
titution du  groupe  de  4  croches  à  l'un  des  quatre  temps  mar- 
qués de  la  mesure  12/8;  mais  d'autre  part  le  caraclère  ternaire, 
universellement  reconnu,  des  pieds  du  glyconien  exigeait  impé- 
rieusement à  la  clef  le  signe  12  8  et  non  C.  Peu  importe  que  les 
trochées  ou  iambes  du  glyconien  normal  soient  remplacés  assez  sou- 
vent dans  le  mètre  par  des  spondées  o  apparents  »  ;  ces  spondées 
qu'il  eût  peut-être  mieux  valu  rendre  par  la  notation  conventionnelle, 
ne  modifient  pas  le  caractère  fondamental  du 
rythme,  et  il  est  probable  d'ailleurs  que  si  le 
morceau  était  intégralement  conservé,  la  pro- 


par 


la  notation 


1    \\ 


au  lieu  de 


1  n 


Û"  11 


portion  de  ces  pseudo-pieds  binaires  serait,  dans  l'ensemble,  beau- 
coup moindre.  L'emploi  Ju  signe  C  et  des  triolets  a  l'inconvénient 
de  présenter  comme  la  règle  ce  qui  constitue  l'exception  et  vice-versa. 
Au  reste,  M.  Gevaert,  alors  qu'il  ne  connaissait  que  quelques  lam- 
beaux de  ce  couplet  glyconien,  le  transcrivait,  comme  moi,  à  12/8, 
ou,  ce  qui  revient  au  même,  à  6/8  (la  Mélopée  antique,  p.  411).  La 
chose  a  pratiquement  bien  peu  d'importance,  mais  elle  implique  une 
question  de  principe  et  d'orthographe  musicale. 

2°  Vous  êtes  d'avis  que  je  me  «  méprends  sur  la  véritable  signifi- 
caiion  des  modes  grecs  »  et  que  j'ai  tort  en  pareille  matière  de  trop 
consulter  des  «  indices  extérieurs  .)  et  non  «  l'impression  générale  » 
(p.  66).  Je  vous  répondrai  que  l'impression  générale,  —  que  je  n'ai, 
d'ailleurs,  pas  négligé  d'invoquer, —  outre  qu'elle  estchose  assez  indi- 
viduelle, peut  être  fort  trompeuse  quand  il  s'agit  de  textes  aussi  mutilés, 
cil  il  manque  la  moitié,  souvent  les  3/3  de  chaque  phrase.  Les  «  indices 
extérieurs  »  ont  du  moins  le  mérite  d'être  des  faits  d'ordre  positif, 
des  critériums  tangibles.  Il  est  vrai  que  vous  niez  l'existence  de  pareils 
critériums  et  qu'en  particulier  vous  refusez  toute  autorité  au  texte 
capital  d'Aristote  (Problèmes,  XIX,  20),  sur  lequel  je  me  suis  appuyé. 
Ce  texte  attribue  nettement  à  la  mèse  le  rôle  de  tonique.  Depuis  Helm 
hollz,  qui  en  a  signalé  l'importance,  tout  le  monde  a  toujours  admis 
qu'Aristolea  en  vue  la  gamme  modale  de  huit  notes,  cala  mèse  occupe 
le  quatrième  rang  ;  on  en  a  conclu  avec  raison  que  dans  la  terminolo- 
gie des  anciens  un  air  comme  la  Marseillaise,  sans  accident  à  la  clef. 


est  écrit  dans  la  gamme  de  sol  Chypophrygien)  avec  la  mèse  ou 
tonique  do.  M.  Gevaert,  qui  avait  admis  autrefois  cette  théorie, 
l'a  abandonnée  dans  son  dernier  ouvrage  pour  l'hypothèse  qu'Aristote 
aurait  en  vue  la  «  mèse  dynamique  »,  c'est-à-dire  la  note  qui  occupe 
le  milieu  de  l'étendue  de  deux  ociaves  dont  se  compose  chaque  ton. 
Celle  interprétation  ne  résiste  pas  à  l'examen,  et  l'on  ne  saurait  com- 
prendre pourquoi  une  pareille  note  aurait  eu  le  singulier  privilège  de 
«  revenir  très  soQventdans  les  mélodies  bien  construites  ».  Vous  même 
vous  démontrez,  sans  le  vouloir,  l'impossibilité  de  ce  système  en  fai- 
sant voir  qu'il  aboutirait  à  donner  à  tous  les  modes,  dans  un  ton  déter- 
miné, la  même  tonique.  S'il  est  une  règle  de  bonne  logique,  c'est 
qu'entre  deux  façons  d'interpréter  un  texte  (et  surtout  un  texte  d'Aris- 
tote), il  faut  choisir  celle  qui  donne  un  sens  raisonnable  —  plutôt 
que  l'autre.  C'est  assez  vous  dire  pourquoi  je  persiste  dans  la  doctrine 
d'Helmholtz,  Westphal,  etc.,  tout  en  la  poussant  plus  loin  qu'eux, 
puisque  je  l'applique  maintenant  même  aux  modes  en  «  hypo  ».  Ce 
n'est  pas  ici  le  lieu  d'approfondir  une  question  difficile  que  j'exami- 
nerai en  détail  dans  un  prochain  ouvrage  ;  j'ai  voulu  seulement 
vous  montrer  et  montrer  à  vos  lecteurs  pourquoi  je  me  crois  autorisé 
à  utiliser  le  texte  d'Aristote  pour  déterminer  la  mèse  d'une  gamme 
modale  grecque,  et,  par  conséquent,  le  mode  lui-même. 

Croyez,  monsieur  et  cher  confrère,  à  mes  plus  distingués  sentiments. 

Th.  Reinach. 

La  dernière  partie  de  cette  lettre  nous  donne  une  nouvelle 
que  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'étude  de  la  musique  grec- 
que   accueilleront   avec    une    vive   curiosité,    à  savoir    que 


130 


LE  MENESTREL 


M.  Th.  Reinach  prépare  un  travail  général  sur  ce  sujet,  dans 
lequel  les  questions  controversées  seront  étudiées  avec  tout 
le  détail  qu'elles  comportent.  Eq  effet,  il  ne  faudrait  guère 
moits  d'un  livre  pour  traiter  de  matières  si  complexes,  étant 
donnée  surtout  la  tendance  délibérément  manifestée  par  le 
savant  helléniste  de  rompre  absolument  avec  toutes  les  idées 
actuellement  admises  en  ce  qui  concerne  les  modes  antiques. 
Car  c'est  toute  une  révolution  qu'il  nous  annonce:  si  ses  con- 
clusions sont  destinées  à  être  adoptées,  il  ne  subsistera  rien 
de  ce  que  nous  ont  enseigné  depuis  quarante  ans  les  Westphal, 
les  Gevaert,  les  Bourgault-Ducoudray.  Il  suffit,  pour  s'en  faire 
une  idée,  de  considérer  l'exemple  co'ucret  proposé  par  M.  Rei- 
nach: le  premier  vers  de  la  Marseillaise.  D'après  lui,  ce  chant 
en  ut  majeur  appartiendrait  à  la  gamme  de  sol,  et  par  coo- 
séquent  au  mode  hypophrygien.  Voilà  qui  renverse  toutes 
les  notions  que  nous  avions  de  la  modalité  antique  !  C'est 
donc  avec  une  véritable  impatience  que  nous  attendrons  l'ou- 
vrage annoncé.  Pour  moi,  je  l'étudierai  avec  la  même  cons- 
cience, le  même  désir  de  connaître  la  vérité,  que  je  l'ai  fait 
pour  les  écrits  antérieurs:  alors  seulement  ce  sera  le  moment 
de  revenir  sur  ces  questions,  sur  lesquelles,  bien  que  par 
plusieurs  détails  il  me  semble  déjà  qu'il  serait  facile  de 
répondre,  il  est  évidemment  prématuré  d'ouvrir  aujourd'hui 
la  discussion. 

Il  en  est  autrement  pour  le  couplet  «  glyconien  »,  au  sujet 
duquel  notre  désaccord  ne  roule  aucunement,  comme  M.  Rei- 
nach semble  le  croire,  sur  une  question  de«  métrique  »,  mais, 
plus  modestement,  sur  une  question  de  notation  musicale, 
de  simple  «solfège».  En  effet,  tout  en  déclarant  d'autre  part 
que  les  transcriptions  de  M,  Reinach  me  paraissaient  irrépro- 
chables —  au  point  de  vue  des  notes,  de  la  hauteur  des 
sons,  voulais-je  dire,  —  j'avais  qualiflé  d'illisible  la  notation 
rythmique  du  fragment  en  question.  Puisque  M.  Reinach 
tient  à  ce  que  je  revienne  là-dessus,  il  m'est  facile  de  le  con- 
tenter —  tout  en  m'excusant  auprès  des  lecteurs  du  caractère 
par  trop  technique,  et  aussi  par  trop  élémentaire,  de  ces 
observations. 

J'apprendrai  donc  à  M.  Reinach  que,  dans  une  mesure  à 
mouvement  ternaire,  lorsqu'on  veut  remplacer  un  groupe  de 


trois  croches  : 


IIJ' 


deux  croches,  on  n'écrit  pas    \      \    , 


formant  un  temps,  par  un  groupe  de 

2 
mais  ^  n  .  Cela  s'ap- 
pelle un  duolet,  —  par  opposition  avec  le  triolet,  qui  est  un 
groupe  de  trois  notes  au  lieu  de  deux  dans  un  mouvement 
binaire.  M.  Reinach  ignorant  cette  règle,  a,  sur  les  quatorze 
mesures  de  la  mélodie,  commis  exactement  quatorze  fois  cette 
faute. 

Un  inconvénient  plus  grave  se  reproduit  le  même  nombre 
de  fois.  Ayant,  dans  le  même  mouvement  ternaire,  à  repré- 
senter un  temps  par  des  valeurs  correspondant  à  une  longue 
et  deux  brèves,  M.  Reinach  a  écrit  quatorze  fois  la  formule  sui- 


vante : 


1  13 


Un  peu  tardivement,  il  vient  de  s'apercevoir 


que  ce  3,  indiquant  un  triolet  sur  un  groupe  binaire,  n'avait 
aucun  sens,  et,  dans  sa  lettre,  il  le  remplace  par  un  4.  Mais 
ce  n'est  pas  encore  cela,  car  la  valeur  binaire  corresporidant 
au  temps  dans  la  mesure  à  douze-huit  est  représentée   par 


deux  croches  et  non  par  deux  noires  ;  il  fallait  donc 


UJ 


—  Je  regrette  que  M.  Reinach  se  soit  laissé  entraîner  à  cette 
discussion,  car  le  public,  qui  juge  trop  volontiers  sur  les 
«  indices  extérieurs»,  ne  manquera  pas  de  dénier  désormais 
la  compétence  musicale  à  un  savant 

Qui  sait  du  grec,  madame,  autant  qu'homme  de  France, 


mais  qui,  en  musique,  commet  des  bévues  sur  lesquelles  le 
reprendrait  un  élève  de  solfège  de  première  année.  En  tout 
cas,  il  ne  prolestera  pas,  je  pense,  contre  mon  épithète 
d'  «  illisible  »,  puisque,  dans  la  mélodie  notée  par  lui,  sur 
quatorze  mesures,  il  y  a  vingt-huit  fautes  I 

Quant  à  la  détermination  de  la  mesure  en  elle-même,  je 
ne  conteste  aucunement  que  le  «  glyconien  »  corresponde  à 
la  mesure  à  douze-huit  :  c'est  là  une  question  de  métrique  sur 
laquelle  je  laisse  à  de  plus  compétents,  à  M.  Reinach  par 
exemple,  le  soin  de  àe  prononcer.  Ce  que  je  puis  dire,  c'est 
que  sa  notation  est  tout  autre  3hose  qu'un  douze-huit.  Il  ne 
faut  pas  se  payer  de  mots,  et  il  ne  suffit  pas  qu'un  signe  de 
mesure  soit  à  la  clef  pour  que  tout  soit  sauvé;  il  faut  aussi 
que  le  rythme  de  la  mélodie  soit  d'accord  avec  la  mesure 
proposée.  Or,  une  simple  constatation  prouve  que,  dans  la 
mélodie  telle  que  l'a  notée  M.  Reinach,  il  n'en  est  rien.  En 
effet,  sur  56  temps  qu'elle  comporte,  28  sont  nettement 
binaires,  contre  13  ternaires,  les  15  autres  étant  remplis  par 
des  tenues.  Étant  donnée  une  telle  proportion,  pouvait-il  étte 
douteux  que  la  mesure  fondamentale  fût  binaire?  Au  reste, 
je  répète  ci-dessous  cette  mélodie,  conforme  à  la  notation 
telle  que  l'avait  voulue  M.  Reinach;  les  lecteurs  apprécieront.  | 

M.  Reinach  ajoute  :  «  M.  Gevaert  a  transcrit  cette  mélodie,  ^ 

comme  moi,  à  12/8,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  à  6/8  ».  Il" 
est  bien  vrai  que  la  notation  indiquée  par  M.  Gevaert,  alors 
qu'il  ne  connaissait  que  quelques  notes  de  la  mélopée,  est 
à  six-huit,  mais  le  «  comme  moi  »  de  M.  Reinach  est  inexact, 
car  M.  Gevaert  ne  s'est  pas  borné,  lui,  à  une  vaine  indica- 
tion de  mesure,  mais  il  a  observé  le  rythme  ternaire  stricte- 
ment, scrupuleusement,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  strophe. 
On  en  jugera  par  la  comparaison  suivante  : 

Voici  d'abord  le  fragment  transcrit  d'après  la  notation  de 
M.  Reinach  : 

-^,1-^-  ^if  M' rrr  irr^j'fij-  in'f^^ 


Et  maintenant  voici  le  même  fragment  conforme  au  rythme 
adopté  par  M.  Gevaert  : 


Sans  prendre  parti,  je  ferai  observer  seulement  que  ce  der- 
nier rythme  a  l'inconvénient  d'établir  une  confusion  entre 
les  spondées  (deux  longues)  et  les  trochées  (une  longue  et 
une  brève),  et,  en  outre,  de  remplacer  le  rythme  naturel  du 
dactyle  (une  longue  et  deux  brèves)  par  une  combinaison 
irrégulière  dans  laquelle  la  troisième  syllabe  prend  une  im- 
portance qui  ne  parait  pas  lui  appartenir.  C'est  pourquoi  la 
première  notation,  avec  son  mélange  de  temps  binaires  et 
ternaires,  m'avait  paru  donner  une  idée  plus  fidèiie,  plus  sug- 
gestive, en  quelque  sorte,  du  rythme  antique.  D'autre  part, 
ayant  pris  la  transcription  de  M.  Reinach  pour  base  de  mon 
travail,  j'avais  tenu  à  m'y  conformer  scrupuleusement.  Mais 
puisque,  par  ses  propres  observations,  il  se  condamne  lui- 
môme,  il  faut  bien  renoncer  à  le  suivre  et  par  conséquent 
adopter  l'autre  mode  de  notation. 


Lf::  MÉNESTREL 


131 


Mais  ce  sont  là  questions  subtiles,  et  qui  nous  écartent  un 
peu  de  ce  débat,  lequel  était  d'un  ordre  beaucoup  moins 
élevé.  Aussi  y  reviendrai-je  pour  conclure,  et,  au  moment 
où  M.  Reinacli  se  prépare  à  entrer  en  lice  avec  les  plus 
émineats  musiciens,  me  permettrai-je  de  lui  donner  un 
conseil:  celui  d'apprendre  d'abord  un  peu  de  solfège. 

Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra.  Hellé,  opéra  en  i  actes,  paroles  de  MM.  Camille  du  Locle  et  Charles 
Nuitter,  musique  de  M.  Alphonse  Duvernoy.  (Première  représentation 
le  23  avril  1896.) 

Étrange,  le  poème  de  cet  opéra  d'Hellé,  dont  l'action  se  passe,  nous 
dit  le  livret,  ve?'s  1343,  de  sorte  que  ce  peut  être  en  134i  ou  1342,  à 
moins  que  ce  ne  soit  en  1344  ou  134o.  C'est  là  une  indication  dont 
on  peut  dire  que  la  précision  manque  de  précision.  Mais  ceci  n'est 
qu'un  détail.  Ce  qui  est  plus  singulier,  c'est  que  les  auteurs  nous 
montrent,  ivrs  le  milieu  du  quatorzième  siècle,  un  coin  de  la  CTrèce 
qui  est  resté  étranger  aux  efforts  du  ebristianisme  et  où  règne  encore 
le  culte  païen,  consacré  par  des  prêtresses  de  la  chaste  Diane.  Des 
prêtresses  de  Diane,  dans  la  Grèce  du  moyen  âge,  au  temps  de  la 
conquête  des  Turcs  !  Voilà  qui  est  bizarre,  et  sans  être  plus  scrupu- 
leux que  de  raison  touchant  l'exactitude  historique  requise  dans  les 
œuvres  théâtrales,  on  peut  trouver  que  sous  ce  rapport  le  point  de 
départ  de  l'opéra  nouveau  présente  un  caraclère  de  familiarité  un  peu 
excessive.  Et  cela  d'autant  plus  que  cette  énorme  entorse  donnée  à 
l'histoire  était  parfaitement  inutile,  qu'elle  n'apporte  aucune  aide  à 
l'action,  et  que  sans  grand  effort  les  auteurs  eussent  pu  amorcer 
celle-ci  de  façon  différente.  Eufin,  passons. 

Nous  sommes  donc  au  premier  acte  en  Grèce,  vers  1343,  «  sur  le 
rivage  de  la  mer  »,  oîi  nous  vojops  défiler  une  théorie  de  prêtresses 
chantant  les  gloires  de  leuis  dieux,  dentelles  transportent  les  images 
dans  le  temple.  A  elles  vient  bientôt  se  joindre  leur  supérieure,  la 
grande  prêtresse  Hellé,  belle  comme  il  sied  à  son  emploi,  et  qui,  on 
ne  sait  pourquoi,  entre  en  fureur  sans  raison  apparente  et  se  répand 
en  imprécations  contre  des  ennemis  imaginaires  : 

Malheur!  malheur  au  téméraire 

Qui  braverait  la  colère  des  Dieux! 

Malheur  !  que  sur  la  terre 

Il  soit  maudit,  et  maudit  dans  les  cieux! 

Etc.,  etc. 

Elle  se  calme  pourtant  à  la  voix  de  ses  compagnes,  dont  le  chœur 
est  moins  agressif.  Et  bientôt  une  de  celles-ci  signale  l'approche 
d'un  vaisseau  qui,  écarté  de  sa  route  par  une  tempête  furieuse,  est 
près  d'aborder.  Ce  vaisseau,  qui  porte  Gauthier,  duc  d'Athènes,  et  sa 
fortune,  aborde  en  effet,  et  les  prêtresses,  qui  ne  sont  point  sauvages, 
accueillent  avec  bienveillance  les  marins,  auxquels  elles  offrent  des 
rafraichissements  variés  : 

Goûtez  à  ce  vin  de  nos  treilles. 

Prenez  les  fruits  de  ces  corieilles, 

Nous  vous  les  offrons  avec  joie. 

H  va  sans  dire  que  les  matelots  acceptent  sans  se  faire  prier,  tandis 
que  Gauthier,  ravi  par  la  beauté  d'Hellé,  qu'il  observe  d'abord  en 
silence,  est  frappé  du  coup  de  foudre  et  en  devient  subitement 
amoureux.  Resté  seul  avec  elle,  il  n'y  va  pas  par  quatre  chemins  et 
lui  offre  sa  fortune,  qu'elle  refuse  avec  dignité.  Il  lui  propose  alors 
de  partir  avec  lui,  ce  qu'elle  n'accepte  pas  davantage.  Et,  comme  ledit 
Gautliier  est  à  peu  près  exempt  de  préjugés,  il  se  dit  que  puisqu'elle 
ne  veut  pas  l'accompagner  de  bon  gré,  il  se  verra  obligé  de  l'em- 
mener de  force.  Il  fait  un  signe  alors  à  ses  matelots,  qui  enlèvent  la 
belle  malgré  ses  cris.  On  la  transporte  ainsi  sur  le  navire,  celui-ci 
lève  l'ancre  et  le  tour  est  joué. 

Au  second  acte,  nous  retrouvons  Gauthier,  duc  d'Athènes,  souverain 
de  Florence,  où  il  a  amené  la  belle  Hellé,  qui  ne  paraît  pas  trop 
satisfaite  de  son  voisinage,  non  plus  d'ailleurs  que  le  peuple  florentin, 
qui  médite  un  soulèvement  contre  son  seigneur  et  maître.  Nous 
assistons  cependant  à  une  fête  populaire  où  l'on  représente  le  mystère 
de  Saint  Jean-Baptiste,  ce  qui  donne  lieu  à  un  divertissement  à  la 
fois  mimé,  chaulé  et  dansé. 

Hellé  n'a  pas  pardonné  à  Gauthier  la  violence  dont  elle  a  été  la 
victime.  Bien  loin  de  l'aimer  comme  celui-ci  le  désirerait,  elle  ne 
songe  qu'à  se  venger  de  lui,  et  ne  répond  à  ses  avances  que  par  une 


froide  impassibilité.    Cette  froideur  exaspère  Gauthier,  qui    s'écrie 
dans  un  élan  de  colère  : 

A  courber  cet  orgueil  je  saurai  te  contraindre  : 
Si  tu  ne  m'aimes  pas,  Hellé,  tu  dois  me  craindre. 

Mais  Hellé  reste  sombre  et  farouche,  et  continue  à  penser  à  sa 
vengeance. 

Tout  à  coup  une  rumeur  s'élève  entre  le  peuple  et  les  soldats,  qui 
veulent  trop  agir  en  maîtres,  et  il  semble  qu'une  émeute  se  prépare 
lorsqu'on  voit  arriver  Jean.  Qu'est-ce  que  Jean?  C'est  le  fils  de  Gau- 
thier, dont  jusqu'ici  nous  n'avons  eu  aucunes  nouvelles.  D'où  vient-il? 
nul  ne  le  sait,  et  son  père  l'accueille  avec  un  étonnemenl  qui  n'a 
d'égal  que  la  joie  qu'il  éprouve  à  le  revoir  après  une  absence  qui 
paraît  avoir  été  longue.  Tout  cela  est  bizarre.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
contentement  de  Gauthier  est  tel  à  la  vue  de  son  fils  qu'il  fait  sonner 
les  cloches,  ouvrir  les  prisons,  et  prétend  que  tout  Florence  soit  en 
fête.  C'est  sur  l'expression  de  ce  sentiment  que  se  termine  l'acte. 

Le  troisième  se  passe  dans  un  palais,  aux  environs  de  la  ville. 
Hellé.  restée  insensible  aux  désirs  et  aux  menaces  de  Gauthier,  ne 
l'a  pas  été  aux  regards  de  son  fils,  qui  ont  fait  fondre  son  humeur 
farouche  et  sont  venus  à  bout  de  ses  rigueurs.  Alors  que  Gauthier 
vient  encore  de  la  supplier  de  s'adoucir  pour  lui  sans  en  rien  obtenir, 
un  de  ses  officiers,  Roger,  quia  su  séduire  une  des  suivantes  d'Hellé, 
vient  le  mettre  au  courant  de  l'intrigue  qu'elle  a  nouée  avec  un 
jeune  seigneur  que  d'ailleurs  il  ne  connaît  pas.  Gauthier  s'emporte 
d'abord  à  cette  déclaration,  puis  il  refuse  d'y  croire  et  dit  à  Roger  : 
a  Tu  mens  !  tu  mens  !  »  Mais  celui-ci  lui,  montrant  une  ombre  qui  se 
glisse  dans  le  jardin  et  s'approche,  lui  dit  à  son  tour  :  «  Si  tu  n'en 
crois  pas  ma  clairvoyance,  peut-être  en  croiras-tu  tes  yeux  ». 

Cette  ombre  n'est  autre  que  celle  de  Jean,  qui  vient  trouver 
Héllé.  Les  deux  amants  se  réunissent  et  bientôt  sont  surpris  par 
Gauthier,  qui,  au  comble  de  la  fureur,  va  pour  poignarder  Jean 
lorsque  tous  deux  se  reconnaissent  et  restent  atterrés  en  présence 
l'un  de  l'autre.  A  ce  moment,  on  vient  prévenir  Gauthier  que  Flo- 
rence s'est  soulevée  contre  lui  et  que  la  révolte  est  à  son   comble  : 

Gauthier,  tout  un  peuple  eu  furie 
S'est  emparé  de  Ion  palais. 
Vois  les  lueurs  de  l'incendie  ; 
La  révolte  l'emportera,  et  si  tu  ne  parais 
Tout  est  perdu 

Gauthier  jure  alors  d'exterminer  les  révoltés.  Et  comme  son  fils 
Jean  lui  dit  :  «  Mon  père,  je  combattrai  pour  vous,  »  il  lui  répond  : 
((  Va-t-en,  misérable,  fils  maudit,  je  ne  te  connais  plus  !  » 

Au  dernier  acte,  Gauthier  est  venu  à  bout  des  rebelles,  qui  fuient 
de  toutes  parts.  Mais  le  peuple  a  voulu  s'en  prendre  à  Hellé,  qu'il 
considérait  comme  une  sorcière,  une  magicienne,  cause  des  malheurs 
qui  fondaient  sur  le  pays.  Il  s'est  emparé  d'elle  pour  la  mettre  à  mort, 
et  l'entraînait  vers  un  bûcher  pour  la  brûler  vive,  lorsque  Jean  l'a 
délivrée  au  péril  de  sa  vie  et  à  réussi  à  s'enfuir  avec  elle.  Nous  les 
'voyons  arriver  tous  deux,  exténués,  aux  portes  de  la  ville,  après 
avoir  échappé  à  de  terribles  dangers.  Hellé,  défaite,  abattue,  n'est 
pas  moins  heureuse  de  se  trouver  auprès  de  celui  qu'elle  aime,  et 
tous  deux  exhalent  leur  amour  dans  un  chant  passionné.  Tout  à 
coup,  celle  qui  fut  la  grande  prêtresse,  qui  devait  rester  vierge  à 
jamais,  entend  des  voix  invisibles  qui  lui  reprochent  son  crime: 

Hellé,  prétresse  parjure, 
Hellé,  tu  trahis  ton  serment!... 
chantent  les  vois  mystérieuses.  Et  elles  continuent': 
Hécate,  pour  venger  l'injure 
D'Artémis,  la  déesse  pure, 
A  chargé  les  enfers  de  son  ressentiment. 

Hellé,  condamnée  par  les  dieux,  meurt  dans  les  bras  de  son  amant, 
et  celui-ci,  désespéré,  se  frappe  lui-même  d'un  coup  mortel  et  tombe 
à  ses  côtés.  Arrive  alors,  suivi  de  ses  soldats,  Gauthier,  qui,  devant 
le  spectacle  qui  s'offre  à  sa  vue,  s'écrie,  anéanti:  «Hellé!  mon  fils! 
morts!...   m —  Elle  rideau  tombe. 

Telle  est  cette  pièce  singulière,  vide  d'action,  vide  d'intérêt,  à  la 
fois  incohérente  et  banale,  dont  aucun  personnage  n'est  présenté 
de  façon  à  retenir  l'attention  ou  à  exciter  la  sympathie.  A  défaut  de 
situations  ou  de  coups  de  théâtre,  dont  l'absence  se  fait  un  peu  trop 
vivement  sentir,  on  voudrait  au  moins  là-dedans  un  peu  de  chaleur, 
un  peu  de  mouvement,  quelque  chose  qui  vibre,  qui  vive  et  qui 
puisse  faire  naître  l'émotion.  Comment  deux  auteurs  si  expérimentés 
n'ont-il  pas  vu  qu'ici  tout  est  factice,  et  que  la  donnée  même  de  leur 
drame  ne  repose  sur  aucun  fondement  solide.  C'est  qu'en  vérité,  et 
avec  la  meilleure  volonté  du  monde,  il  est  imposible  de  s'iutéresser 
à  cette  suite  de  scènes  que  rien  ne  relie  entre  elles,  à  ces  héros  dont 


132 


LE  MENESTREL 


les  sentiments  mêmes  ne  sont  pas  expliqués,  enfin  à  celle  intrigue 
eafantine  qu'aucun  détail,  aucun  incident,  aucune  surprise  ne  vien- 
nent relever,  colorer  ou  fortifier. 

M.  Duvernoy,  qui  n'est  point  wagnérien,  a  suivi  cependant  le 
sj'stème -n-agnérien  en  ce  sens  que,  à  pari  les  choeurs  et  les  grands 
ensembles  scéniques.  il  s'est  gardé  de  faire  entendre  simultanément 
plusieurs  voix  au  cours  de  sa  partition. Une  seule  exception  est  fait», 
pour  le  grand  duo  du  quatrième  acte,  où,  pendant  une  vingtaine  de 
mesures,  on  entend  résonner  à  la  fois  les  deux  voix  de  Jean  et 
d'Hellé.  Pour  tout  le  reste,  les  divers  personnages  parlent  chacun 
à  leur  tour  et  se  répondent  incessamment.  Je  constate  le  fait  sans 
en  tirer  aucune  conséquence.  Je  constate  aussi  que  sa  partition  est 
solidement  construite,  orchestrée  avec  soin,  et  qu'elle  est,  en  ce  qui 
concerne  la  forme,  l'œuvre  d'un  artiste  vraiment  distingué. 

Des  quatre  actes  qui  la  composent,  les  deux  meilleurs  sont,  à  mon 
sens,  le  premier  et  le  troisième.  Ce  sont,  au  moins,  ceux  oli  l'ins- 
piration de  l'auteur  me  paraît  la  plus  tendre  et  la  plus  délicate,  car 
il  me  semble  avoir  mieux  réussi  les  épisodes  de  grâce  et  de  passion 
que  ceux  qui  exigent  surtout  de  la  force  et  do  la  vigueur.  C'est 
ainsi  que  je  louerai  tout  d'abord  lejoli  chœ'ir  :  Dieux  bons,  dieux  justes, 
plein  de  douceur  et  d'harmonie,  que  chantent  les  prêtresses  au  lever 
du  rideau  du  premier  acte.  Le  chœur  des  mattlots  débarquant  après 
la  tempête  a  du  mouvement  et  de  la  vivacité.  A  signaler  encore  le 
beau  cantabile  d'Hsllé  dans  sa  scène  avec  Gautier  :  Je  suis  la  prêtresse 
des  dieux  antiques,  qui  est  d'une  belle  largeur  mélodique  et  joliment 
accompagné.  Mais  ce  qui  est  charmant,  et  ce  que  M"""  Garon  a 
chanté  d'une  façon  délicieuse,  c'est  une  sorte  de  nocturne  :  Voici  le 
soir,  la  nuit  s'avance,  d'un  sentiment  poétique  et  d'une  fraîcheur 
exquise,  soutenu  par  les  violons  en  sourdine  et  les  arpèges  des 
harpes.  La  phrase,  très  tonale,  avec  un  seul  passage  modulant  de 
quatre  mesures  qui  n'est  même  pas  une  modulation,  se  déroule  avec 
une  ampleur  et  un  naturel  parfaits  jusqu'à  sa  conclusion. 

Le  second  acte  me  paraît,  musicalement,  plus  turbulent  et  plus 
tourmenté,  dans  sa  partie  dramatique,  que  sainement  vigoureux. 
Dans  l'épisode  delà  Saint-Jean,  je  signalerai  le  mouvement  à  cinq 
temps  du  chant  d'Hérode  :  0  charmeuse,  6  séductrice,  qui  est  original 
et  curieux,  et  parmi  les  airs  de  ballet  une  coquette  et  piquante 
variation  en  sol  mineur,  dont  l'efTel  est  charmant. 

Lorsque  le  rideau  se  lève  sur  le  troisième  acte,  on  entend  au  loin 
un  chœur  de  moissonneurs,  d'une  heureuse  couleur  et  d'un  bon  sen- 
timent rustique,  qui  revient  à  deux  reprises  et  dont  l'impression  est 
excellente.  A  remarquer  ensuite  dans  cet  aiîte,  la  scène  dans  laquelle 
Roger  fait  entrer  le  soupçon  dans  l'âme  de  Gauthier  ;  ici,  le  musicien 
n'a  manqué  ni  de  chaleur,  ni  de  vigueur;  l'épisode  est  bien  construit, 
d'une  bonne  allure  dramatique,  et  les  répliques  de  Gauthier  :  Tu 
mens!  tu  mens!  ont  toute  la  force  et  l'énergie  nécessaires.  M.  Delmas 
les  a  lancées  avec  une  fougue  superbe.  Puis  vient  le  grand  monologue 
de  Jean,  attendant  Hellé  :  0  blanche  vision,  parais/  qui  a  valu  à 
M.  Alvarez  un  succès  très  franc  et  très  mérité,  et  enfin  la  grande 
scène  des  deux  amants,  scène  très  développée,  divisée  en  deux 
parties,  et  qui  me  semble  le  point  culminant  de  l'œuvre  du  compo- 
siteur. D'une  jolie  couleur  et  d'un  véritable  intérêt  musical,  cette 
scène  renferme  des  phrases  charmantes  de  douceur  et  de  tendresse 
et  se  termine  de  la  façon  la  plus  heureuse. 

Le  quatrième  acte,  très  court,  se  résume  presque  tout  entier  dans 
le  grand  duo  de  Jean  et  d'tlellé,  coupé  par  les  interventions  du 
chœur  des  voix  invisibles,  et  qui  aboutit  à  la  mort  de  l'un  et  de 
l'autre.  J'en  louerai  seulement  le  bon  sentiment  dramatique. 

L'interprétation  d'ifeWeest  excellente.  C'est  M'™  Garon  qui  personnifie 
la  prêtresse,  nouvelle  vestale  que  son  amour  condamne  à  mourir. 
Elle  apporte  dans  ce  rôle,  avec  son  grand  style,  son  phrasé  plein 
d'élégance  et  sa  diction  pleine  de  noblesse,  le  charme  répendu  sur 
toute  sa  personne  et  la  poésie  dont  elle  sait  empreindre  chacune  de 
ses  créations.  Mais,  hélas!  n'aurait-on  pu  l'habiller  d'une  façon 
moins  douloureuse  à  l'œil  et  au  goût?  M.  Delmas  donne  une  fière 
allure  au  personnage  de  Gauthier,  duc  d'Athènes,  auquel  il  procure 
une  vigueur  que  les  auteurs  du  poème  n'ont  pas  toujours  su  lui  com- 
muniquer. Son  articulation  est  toujours  superbe;  il  en  est  même 
arrivé  à  l'exagérer,  au  point  de  la  rendre  quelque  peu  prétentieuse; 
le  mieux  est  parfois  l'ennemi  du  bien.  Jean  est  représenté  par 
M.  Alvarez,  dont  la  belle  voix  continue  de  sonner  à  merveille,  et  qui 
n'en  a  pas  moins  des  accents  d'une  tendresse  et  d'une  douceur 
ineffables,  comme  dans  le  duo  du  troisième  acte.  L'ensemble  est  très 
bien  complété  par  M.  Fournets,  qui  donne  un  bon  caractère  au  rôle 
de  Roger,  le  lieutenant  de  Gauthier. 

Les  chœurs  et  l'orchestre  sont  très  solides  et  très  sûrs.  Mais  j'avoue 
que  je  goûte  médiocrement  la  façon  dont  est  réglé  tout  le  divertis- 


sement de  la  fêle  de  Saint-Jean;  il  y  avait  mieux  sans  doute  à  nous 
offrir  que  ce  tableau  banal  et  un  peu  trop  dépouvu  d'originalité.  Ce 
qui  ne  m'empêchera  pas  de  rendre  justice  aux  deux  danseuses  qui  re- 
présentent Balkis  et  Salomé,  M""  Chabot  el  Zambelli,  qui  se  sont  fait 
très  vivement  et  fort  justement  applaudir.  Enfin,  les  décors  sont  très 
beaux,  et  je  signalerai  surtout  celui  du  troisième  acte,  la  loggia  d'un 
palais  florentin,  dont  l'architecture  et  la  disposition  pleines  d'élégance 
font  le  plus  grand  honneur  à  M.  Carpezat. 

Arthur  Polt.in. 

Quelques  mots  sur  la  centième  de  la  Korrigane,  qui  avait  lieu  lundi 
à  l'Opéra.  Cent  représentations!  voilà  c 'ries  qui  est  rare  pour  un 
ballet,  et  le  fait  ne  s'était  pas  produit  depuis  la  Coppélia  de  notre 
toujours  regreité  Delibes.  Mais  ce  qui  est  plus  rare  encore,  ce  qui, 
dit-on,  ne  s'était  jamais  vu,  c'est  la  même  danseuse  dansant  ce  même 
ballet  pendant  ses  cent  représentations.  Or,  c'est  ce  qui  est  arrivé 
avec  M""  Rosita  Mauri  ;  aussi  le  public  lui  a-t-il  fait  fête  à  cette  occa- 
sion, comme  il  a  fait  fête,  et  très  sincèrement,  au  ballet  de  MM.Widor  et 
Goppée.  Mais  la  vraie  fête  de  la  danseuse,  c'est  au  foyer  de  la  danse 
qu'elle  a  été  célébrée,  entre  les  deux  actes,  et  de  façon  toute  char- 
mante. Là,  à  peine  le  rideau  baissé,  se  sont  réunis,  avec  les  auteurs, 
avec  M.  Gailhard,  tous  les  camarades  de  la  danseuse,  tout  le  person- 
nel chorégraphique,  et  aussi  les  abonnés.  Là,  M.  Vasquez,  au  nom 
de  tous  ses  camarades,  a  remisa  la  gentille  Korrigane  un  écrin  conte- 
nant une  superbe  médaille  en  vieil  argent,  dont  l'avers  la  représentait 
•dans  son  costume  de  Bretonne,  tandis  que  le  revers  portait  cette 
inscription  :  .1  Rosita  Mauri,  ses  camarades,  ses  amies,  ■1896.  Puis, 
M.  Widor  lui  a  offert  une  riche  bague  en  diamants  où  était  inscrite  la 
date  du  20  avrill896.  Puis  les  compliments  ont  éclaté  de  tous  côtés, 
puis  les  baisers  se  sont  mis  deli  partie,  puis...  on  a  entendu  frapper 
les  trois  coups,  et  tout  le  monde  a  dû  revenir  en  scène,  et  le  rideau 
s'est  relevé  pour  la  centième  fois  sur  le  second  acte  de  la  Korrigane. 

A.  P. 

Folies-Dramatiques.  La  Falote,  opéret,te  en  3  actes,  de  MM.  A.  Liorat  et 
M.  Ordonneau,  musique  de  M.  Louis  Varney.  —  Vabiétés.  L'OEit  crevé, 
opéra  bouffe  en  3  actes,  d'Hervé. 

Est-ce  le  vrai  succès,  cette  fois,  et  les  Folies-Dramatiques  vont- 
elles  enfin  sortir  de  leur  torpeur,  ou  de  leur  mauvaise  chance?  Qui  sait! 
Avec  le  nom  de  M.  Louis  Varney,  celui  de  nos  compositeurs  modernes 
d'opérettes  qui  sait  le  mieux  son  théâtre  el  dont  l'inspiration  aimable 
et  facile  connaît  si  bien  le  chemin  du  cœur  des  spectateurs,  avec  une 
assez  bonne  pièce,  proche  parente  des  fameuses  Cloches  de  Corneville, 
adroitement  conduite  par  MM.  Liorat  et  Ordonneau,  agréablement 
mise  en  scène,  avec,  encore,  un  artiste  charmant  comme  M.  Jean 
Périer,  on  peut  aller  très  loin.  M.  Peyrieux  saura-t-il  aider  à  la  for- 
tune qui  se  présente  à  lui  ? 

L'action  se  passe  au  Mont-Saint-Mi'jhel  et  la  Falote  qu'on  voit,  le 
soir,  errer  sur  les  remparts  et  dans  les  salles  de  l'Abbaye,  n'est  autre 
que  la  baronne  de  la  Hoguetle  se  rendant  aux  rendez-vous  assignés 
au  beau  capitaine  de  gendarmerie.  Justement  le  baron,  qui  se  pique 
de  science,  s'acharne  à  étudier  le  mystérieux  esprit.  Bien  entendu, 
la  petite  population  du  Mont-Saint-Michel,  la  servante  Thérèse  et  le 
pêcheur  Pierre  tout  d'abord,  découvrent  les  premiers  la  supercherie. 
Et  quand  le  baron  lui-même  s'apercevra,  du  même  coup,  de  quelle 
essence  matérielle  est  la  Falote  et  combien  ses  apparitions  sont  pré- 
judiciables à  son  honneur  marital,  assez  malin  pour  un  mari  malheu- 
reux, d'un  mot  il  détruira  la  légende  fantastisque  et  rendra  impos- 
sibles les  fantaisies  de  la  petite  baronne. 

La  partition  de  M.  Louis  Varney  est  tout  agréable,  et  s'il  fallait 
avouer  quelques  préférences,  je  les  donnerais  sans  hésiter  au  joli 
duetto  du  premier  acte,  pendant  l'orage,  et  à  la  douce  romance  du 
3"  acte,  de  tour  légèrement  archaïque.  En  plus  de  M.  Perier,  déjà 
nommé,  dont  la  vois  est  charmante  et  semble  prendre  de  l'ampleur, 
MM.  Hittmans,  Baron  fils  et  Vavasseur  ont,  cette  fois,  trouvé  des 
rôles  leur  permettant  de  faire  montre  de  leurs  réelles  qualités. 
]^iies  Eiven,  aimable  transfuge  do  l'Opéra-Gomique,  Cassive,  Jeanne 
Evans  el  Dulaurens  forment  une  gentille  interprétation  féminine. 

Les  Variétés,  poursuivant  le  cycle  Hervé,  viennent  de  très  heureu- 
sement et  de  très  luxueusement  reprendre  l'OEil  crevé,  cette  étonnante 
bouflonnerie  dont  la  partition  restera  parmi  les  chefs-d'œuvre  du 
genre.  II  n'y  a  pas  assez  longtemps  que  la  pièce  a  été  jouée  à  Paris 
pour  que  vous  n'ayez  encore  dans  l'oreille  elle  chœur  des  chasseurs, 
el  la  légende  de  la  langouste  atmosphérique,  et  le  grand  septuor  du 
second  acte,  et  le  duo  avec  chœurs  de  la  Polonaise  et  l'Hirondelle,  et 
le  finale  «  En  prison,  en  prison  »,  el  le  duetto  «  Te  voilà,  mon  Bibi  ». 
Il  faut  cependant  aller  ré^ntendre  tout  cela,  et  le  reste,  aux  Variétés, 


LE  MÉNESTREL 


133 


d'autanl  qu'outre  la  mise  eu  scène,  qui  est  somptueuse,  el  l'exécu- 
tion musicale  1res  soignéej  surtout  par  les  chœurs,  il  y  a  là  Brasseur, 
Baron,  Guy,  Milher,  le  créateur  de  Géromé,  qui  sont  la  fantaisie 
même.  Peut-être  voudrait-on  un  peu  plus  de  ce  joyeux  laisser-aller  à 
Joints  Méaly,  Gallois,  Pernyn,  Lavallière,  Legran  I.  Mais  elles  sont  bien 
chantantes  et  si  accortes  qu'on  aurait  mauvaise  grâce  à  leur  trop 
demander.  Gros  succès  pour  M"'='  Lavallière ,  Diélerle,  Fugère, 
Crozet  et  le  bataillon  séduisant  dit  des  «  Petites  femmes  »  qui, 
s'improvisant  ballerines,  ont  dansé  de  façon  exquise  un  divertisse- 
ment champêtre  nouveau,  dontM.Gardel-Hervé  a  retrouvé  la  musique 
de  menuet  dans  les  œuvres  inédites  laissées  par  son  père. 

Pal'l-Émile  Chevaliek. 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (23  avril).  —  La  rentrée  de 
M.  Van  Dyck,  la  premièra  des  représentations  que  notre  «  cher  et  illustre 
compatriote  »  vient  donner  à  la  Monnaie,  a  été,  cela  va  sans  dire,  un 
triomphe.  Mais  ce  triomphe  ne  devait  pas  être  sans  amertume  ni  sans  pé- 
ripéties. Le  grand  artiste  ayant  eu  l'imprudence  grave  de  chanter,  la  veille 
du  jour  fixé  pour  sa  première  représentation,  dans  les  salons  d'un  riche 
Mécène,  M.  Warocqué,  et  l'imprudence  plus  grave  encore  de  ne  pas 
s'apercevoir  qu'on  l'avait  négligemment  exposé  à  un  courant  d'air  sous 
prétexte  de  rafraîchir  les  salons  surchauffés,  s'est  trouvé  subitement  en- 
rhumé. La  première  de  Lohengrin,  retardés  d'un  jour,  a  été  le  signal 
d\utres  retards;  huit  jours  se  sont  passés,  pour  l'artiste,  à  se  droguer  et, 
pour  le  public,  à  s'impatienter.  A  la  deuxième  de  Lokcngrin,  M.  Van 
Dyck  pouvait  se  croire  rétabli  ;  hélas  !  l'indisposition  était  plus  grave  qu'on 
ne  pensait;  de  nouveaux  soins  —  et  de  nouveaux  retards  —  ont  été  jugés 
nécessaires.  Si  bien  que  le  Tannhduser,  sans  cesse  reculé,  n'aura  lieu  (et 
encore)  que  samedi,  que  la  série  des  représentations  promises  risque  de 
ne  pouvoir  aller  jusqu'au  bout,  malgré  la  décision  prise  par  la  direction 
de  prolonger  jusqu'au  S  ou  10  mai  la  saison  théâtrale,  et,  enfin,  contre- 
temps particulièrement  fâcheux,  que  M.  Van  Dyck  ne  chantera  pasil/a?îon, 
comme  on  l'avait  annoncé  1  Les  deux  représentations  de  l'œuvre  de  Mas- 
senet,  qui  comptaient  certes  parmi  les  plus  «  attractives  »,  car  c'était 
là  vraiment  une  «  primeur  »  pour  le  public  bruxellois,  —  et  l'on  se  sou- 
vient de  l'admirable  façon  dont  l'artiste  chanta  Werther,  il  y  a  deux  ans, 
avec  M'"  Gabrielle  Lejeune,  —  seront  remplacées  par  deux  représentations 
de  Faust,  dont  l'intérêt  sera  beaucoup  moindre,  évidemment.  Il  faudra  bien 
cependant  nous  consoler.  Et,  quoiqu'il  en  soit,  la  perfection,  le  charme, 
le  sentiment,  la  noblesse  avec  laquelle  M.  Van  Dyck  a  inierprété  Lohengrin 
n'auraient  pu  taire  croire  à  personne  qu'il  fût  indisposé.  Peut-être  l'a- 
t-on  trouvé  même  plus  admirable  encore  qu'il  y  a  deux  ans  dans  ce  rôle 
qu'il  éclaire  de  tant  d'intelligence,  de  pénétration,  d'un  je  sais  quoi  d'élevé 
et  de  profond  tout  ensemble  qu'il  met,  d'ailleurs,  dans  l'interprétation  de 
tous  ses  rôles  et  qui  le  distingue  de  tant  de  ténors,  trop  «  ténors  «. 

En  le  retrouvant  ainsi,  grand  artiste,  au  sommet  du  succès,  on  s'est  rap- 
pelé le  temps  où,  faisant  son  droit  à  l'Université  de  Louvain,  M.  Van  Dyck 
chantait  déjà,  simple  soldat  dans  les  rangs  de  la  Chorale  des  étudiants, 
puis,  soliste  remarqué  pour  sa  jolie  voix  de  baryton,  tout  en  cultivant  aussi 
la  littérature,  dirigeant  un  journal  jeune,  le  Polichinelle,  composant  mémo 
des  pièces  de  théâtre,  —  tel  un  drame,  la  Légende  de  Nathan,  qui  fut  repré- 
senté. Cette  Légende  de  Nathan  renfermait  une  phrase  qui  avait  sufS  pour 
rendre  l'auteur  célèbre  dans  la  basoche;  un  des  personnages,  frappé  de 
cécité,  s'écriait  à  un  moment  donné  (je  ne  sais  pas  si  ce  n'était  pas  en 
vers),  avec  un  accent  déchirant  :  «  Aveugle,  oui,  aveugle,  mais  je  n'en 
vois  que  mieux  l'étendue  de  mon  malheur!  »  Gustave  Flaubert  s'était  per- 
mis une  hardiesse  poétique  à  peu  près  semblable  dans  une  tragédie  de 
collège,  Louis  XI,  où  l'on  entendait  les  victimes  du  roi  décrire  ainsi  leurs 
malheurs  :  «  Monseigneur,  nous  sommes  obligés  d'assaisonner  nos  légu  - 
mes  avec  le  sel  de  nos  larmes  ». 

Gomme  Flaubert,  M.  Van  Dyck  ne  persista  point  dans  la  tragédie  ;  il  se 
contenta  de  collaborer  à  quelques  revues  littéraires:  mais  léchant  l'agrippa 
bientôt  tout  entier.  Un  soir,  —  ce  furent  ses  vrais  débuts  à  Bruxelles,  — 
il  chanta  le  principal  rôle  du  Mefistofele  de  Boito  dans  les  salons  de 
M.  Michotte,  à  Bruxelles;  le  succès  qu'il  y  remporta  le  décida  à  jeter  son 
droit  par-dessus  les  moulins  et  à  devenir  un  parfait  chanteur,  ce  qui  vaut 
infiniment  mieux  que  de  devenir  un  parfait  notaire.  Et,  quelque  temps 
après,  il  faisait  sa  première  apparition  devant  le  grand  public  le  8  avril 
1883,  aux  Concerts  populaires,  le  même  jour  que  Rose  Caron!  Celle-ci 
chantait  la  prière  d'Elisabeth  et  la  mort  d'YseuU;  lui,  disait  le  «  Preislied  » 
des  Maîtres  Chanteurs.  Ce  fut  un  double  triomphe.  Et  bientôt  après  il  se 
faisait  entendre  à  Paris,  aux  concerts  Lamoureux.  On  sait  le  reste. 

Ces  détails  de  jeunesse  étaient,  je  crois,  inédits —  et  intéressants  à  con- 
naître. 

Je  vou,s  ai  dit  plus  haut  que  la  saison  théâtrale  sera  prolongée  de  quel- 
ques jours.  En  même  temps  que  les  représentations  de  M.  Van  Dyck,  on 
passe  eu  revue,  en  ce  dernier  mois,  les  succès  de  l'année,  parmi  lesquels 
Tftaïs  tient  toujours   sa  place.  Les  recettes  qu'elle  fait  faire  à  la  direction 


ont  créé  même  un  proverbe  nouveau  imité  de  l'anglais  :  «  T hais  Monnaie  !  »... 
Rien  ne  manque  à  sa  gloire,  décidément! 

On  s'occupe  déjà  de  la  troupe  de  l'an  prochain.  MM.  Stoumon  et  Cala- 
bresi  viennent  d'engager  comme  chanteuse  falcon  M"=  Goulancourt,  une 
des  plus  brillantes  lauréates  de  la  classe  de  M'""^  Cornélis-Servais,  au  Con- 
servatoire de  Bruxelles,  —  fort  applaudie  aux  concerts  de  cet  hiver,  dans 
le  Rheingold,  notamment,  —  et  comme  chanteuse  légère,  M"'  Jane  Harding, 
qui  chanta  Phryné  à  l'Opéra-Comique. 

Le  dernier  Concert  Ysaye,  dimanche  dernier,  au  Cirque  royal,  a  eu  un 
succès  considérable,  dont  une  large  part  est  r3VBnue  à  M"°  Kutscherra 
dans  la  «  mort  d'Yseult  »  et  le  finale  du  Crépuscule  des  dieux.  La  belle  voix, 
l'accent  tragique,  la  chaleur  communicative  de  l'intéressante  artiste  ont 
soulevé  l'enthousiasme  du  public;  orchestre,  tout  à  fait  remarquable  et 
très  brillante  fin  de  saison  de  cette  jeune  et  vaillante  société  symphonique 
désormais  implantée  à  Bruxelles  et  féconde  en  promesses  pour  l'avenir 
du  mouvement  musical  en  Belgique. 

Terminons  par  une  nouvelle.  Il  y  aura  l'été  prochain,  à  Bruxelles,  une 
grande  exposition  internationale.  Elle  sera  naturellement  l'occasion  de 
fêtes  artistiques  importantes.  Le  gouvernement  vient  de  commander  déjà 
à  M.  Paul  Gilson  la  cantate  inaugurale  ;  M.  Gilson  a  choisi  son  poète, 
M.  Antheunis,  et  l'on  sait  déjà  que  l'œuvre  aura  quatre  parties,  ayant  cha- 
cune pour  thème  une  chanson  populaire;  cette  cantate  sera  exécutée  en 
plein  air  par  4,400  chanteurs  (sociétés  chorales  et  voix  d'enfants)  soutenus 
par  '230  musiciens.  Voilà  au  moins  ce  qu'on  peut  appeler  de  la  grande 
musique  !  Une  deuxième  cantate,  destinée  à  inaugurer  la  salle  des  fêtes  de 
l'exposition,  sera  commandée  également,  mais  on  ne  sait  pas  encore  à  qui. 
Enfin,  on  compte  organiser  pendant  l'été,  au  théâtre  de  la  Monnaie,  des 
spectacles  gala  et  populaires  ;  et  il  va  sans  dire  qu'on  représentera  une 
œuvre  d'auteurs  belges,  autant  que  possible,  dit-on,  avec  des  chanteurs 
belges  ;  ce  dernier  point  ne  sera  pas  dilEcile  à  réaliser,  il  suffirait  de  choi 
sir  dans  le  tas  des  étoiles  lyriques  qui  font  les  délices  des  théâtres  pari- 
siens !  L.  S. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  :  L'inauguration  du  monument  de  Mozart 
a  été  célébrée  dimanche  dernier  par  une  matinée  musicale  dans  la  grande 
salle  de  la  Société  des  amis  de  la  musique.  Pour  honorer  la  mémoire  du 
sculpteur  Tilgner,  mort  quelques  jours  avant  l'inauguration  du  monument 
qui  est  sa  dernière  œuvre,  on  avait  ajouté  au  programme  la  Musique  funèbre 
maçonni>iue  et  l'Ave  veruni  de  Mozart.  La  Société  philharmonique  et  la  Société 
chorale  ont  exécuté,  sous  la  direction  du  célèbre  kapellmeister  Hans  Rich- 
ter,  un  programme  très  intéressant,  exclusivement  composé  d'œuvres  de 
Mozart.  Le  concerto  pour  piano  en  ut  mineur  a  été  magistralement  inter- 
prété par  M.  Garl  Reinecke,  de  Leipzig.  Dans  la  soirée  l'Opéra  impérial 
a  joué  la  FlCite  enchantée,  et  mardi  dernier,  jour  de  l'inauguration,  Don  Juan 
a  été  représenté  à  ce  même  théâtre.  A  l'inauguration  du  monument  assistait 
l'empereur  François-Joseph,  avec  la  cour  et  les  autorités.  Les  compositeurs 
célèbres  qui  habitent  Vienne  :  Johannès  Brahms,  Goldmark  et  BrûU 
étaient  présents:  Antoine  Bruckner  et  Johann  Strauss  ont  été  retenus 
pour  cause  de  maladie.  On  remarquait  aussi  les  deux  chefs  d'orchestre 
de  l'Opéra-Comique,  MM.  Richter  et  Fuchs,  avec  le  directeur  et  les  pro- 
fesseurs du  Conservatoire.  Presque  tous  les  chanteurs  et  musiciens  de 
Vienne  étaient  égalem,ent  là.  La  réparation  des  torts  qu'on  peut  repro- 
cher aux  Viennois  en  ce  qui  concerne  Mozart  est  tardive,  mais  complète. 
On  a  fort  remarqué  la  piésence  de  l'empereur  François-Joseph,  car 
c'est  la  première  fois  qu'un  souverain  d'Autriche  prend  part  a  l'inaugura- 
tion d'un  monument  érigé  en  l'honneur  d'un  artiste.  Celui-ci  représente 
Mozart  debout,  dans  le  costum.e  bien  connu  de  son  temps,  appuyant  sa 
main  gauche  sur  son  clavecin.  Le  socle,  orné  de  fleurs  et  d'instruments 
de  musique,  est  entouré  d'un  ravissant  groupe  d'enfants;  il  porte  la  simple 
inscription  :  MOZART  —  MDCCLVI  —  MDDXCI.  Deux  reliefs  sculptés 
dans  le  socle  montrent  Mozart  enfant  au  clavecin,  accompagné  par  son 
père  et  sa  sœur,  et  la  dernière  scène  de  Don  Juan,  Le  monument  est  en 
marbre  blanc  du  Tyrol;  quelques  détails  seulement  sont  eu  bronze.  Le 
public  et  la  presse  ont  tait  un  excellent  accueil  à  l'œuvre  du  sculpteur 
Tilgner  et  tout  le  monde  regrette  vivement  que  son  auteur,  mort  si  pré- 
maturément, n'ait  pas  pu  être  témoin  de  son  succès. 

—  M.  Nicolas  Dumba,  de  Vienne,  qui  possède  déjà  beaucoup  de  manu  s- 
crits  de  Schubert,  a  eu  la  bonne  fortune  de  trouver  et  d'acheter  une  ouver- 
ture à  quatre  mains  du  maître  viennois  qui  est  absolument  inconnue.  Cette 
ouverture  sera  probablement  comprise  dans  la  grande  édition  complète  de 
Schubert  que  la  maison  Breitkopf  et  Hœrtel  de  Leipzig  est  en  train  de 
publier  avec  les  soins  etle  luxe  que  ces  éditeurs  prodiguent  à  toutes  leurs 
publications  importantes. 

—  Voici  que  le  portrait  de  Richard  Wagner  sert  de  marque  de  fabrique 
commerciale,  en  dépit  des  résistances  des  intéressés.  Il  paraît  qu'un 
négociant  de  Vienne,  qui  s'appelle  précisément,  lui  aussi,  Richard  Wagner, 
a  fait  enregistrer  une  marque  de  fabrique  qui  n'est  autre  que,  non  pas 
son  portrait,  qu'il  a  sainement  jugé  devoir  être  sans  effet  sur  le  public, 
mais  celui  de  l'auteur  de  Lohengrin  et  de  l'Anneau  de  Nibelung.  Là-dessus, 
intervention,  réclamation  et  procès  de  M""  Wagner  et  de  son  fils  Siegfrid, 
protestant  contre  cette  profanation,  l'auguste  image  du  maître  ne  pouvant 
servir  de  véhicule  à  un  vulgaire  produit  commercial.  Le  ministère  du 
commerce  en  a  pourtant  jugé  autrement,  et  il  a  repoussé  la  réclamation 
en  constatant  que  rien,  dans  les  lois  en  vigueur,  n'empêchait  de  se  servir, 
comme  marque  de  fabrique,  du  portrait  d'une  personne  quelconque. 


134 


LE  MENESTREL 


—  Agar  dans  te  désert,  l'oratorio  biblique  de  Rubinstein.  vient  d'être 
exécuté  sous  forme  de  spectacle,  avec  décors  et  costumes,  au  théâtre  muni- 
cipal de  Breslau.  L'affiche  était  complétée  avec  le  Joseph  de  Méhul. 

—  Le  chef  d'orchestre  du  Palmengartens  de  Francfort,  M.  Cari  Stix,  vient 
de  donner  un  festival  entièrement  consacré  aux  œuvres  de  Gounod  et  de 
Massenet.  Les  fragments  de  Faust,  de  la  Reine  de  Saba,  de  Mireille  pour 
Gounod,  l'ouverture  de  Phèdre,  les  Scènes  pittoresques,  Sevillana  de  Don  César  de 
Bazan  et  les  Scènes  napolitaines  pour  Massenet,  ont  été  chaleureusement 
acclamés  par  le  public. 

—  Le  théâtre  municipal  d'Elberfeld  a  joué  avec  succès  un  nouvel  opéra  en 
quatre  actes,  intitulé  Allireeht  Roser,  un  héros  badois,  dont  la  musique  est  de 
M.  Ernest  Korten.  Un  autre  opéra  nouveau  en  un  acte,  intitulé  Gunard, 
paroles  de  M.  Joseph  'Walter,  musique  de  M.Jules  f^aubner,  a  été  joué 
avec  beaucoup  de  succès  à  l'Opéra  municipal  de  Stettin  :  c'est  encore  une 
imitation  de  Caealleria  rusticana. 

—  Un  pianiste  de  Cologne,  M.  Ed.  Mertke,  qui  est  mort  en  cette  ville, 
a  laissé  un  opéra  intitulé  Cyrille  de  Thessalonique,  qu'il  avait  dédié  à  l'em- 
pereur de  Russie.  La  direction  de  l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg  a  fait 
venir  la  partition  et  va  statuer  sur  sa  représentation. 

—  Y  a-t-il  en  effet  une  supercherie"?  et  dans  quel  but?  Si  nous  en  devons 
croire  un  journal  de  Cologne,  le  jeune  Raoul  Kockzalski,  le  petit  pianiste 
prodige  qui  s'est  fait  applaudir  dans  toutes  les  grandes  villes  musicales  de 
l'Europe,  aurait  trompé  le  public  sur  son  sexe  et  appartiendrait  à  celui 
auquel  nous  devons  Louise  Michel. 

—  Correspondance  de  Barcelone.  20  avril  1896.  Grand  Théâtre  «  del 
LiceOB.  Première  représentations  des  opéras  Manon  Lescaut,  de  Puccini,  et 
Falstaffde  Verdi. 

Cette  fois  nous  n'avons  point  le  droit  de  nous  plaindre.  Le  Liceo  n'a 
rouvert  ses  portes,  pour  l'arrière-saison  de  «  Primavera  »,  que  depuis  huit 
jours,  et  déjà  deux  grandes  nouveautés  nous  ont  été  données. 

Manon  Lescaut  avait  été  très  prônée,  trop  prônée  à  l'avance  :  L'impression 
a  été  une  désillusion  ;  et  la  Manon  française,  du  Français  Massenet,  a  en- 
core de  belles  soirées  sur  les  planches  «  lycéennes  ». 

M.  Puccini,  pour  écrire  sa  partition,  a  fait  construire  son  livret  diffé- 
remment de  celui  qui  inspira  le  chantre  de  Werther  et  de  la  Navaraise  ;  il 
a  surtout  cherché  à  mélodramatiser  le  sujet,  et  il  s'est  d'autant  éloigné  de 
la  marche  du  livre  de  l'abbé  Prévost.  Mais  les  lecteurs  du  Ménestrel  doivent 
déjà  savoir  tout  cela.  Je  passerai  donc  outre,  et  sans  non  plus  m'arrêter  à 
l'analyse  de  la  partition,  j'arriverai  à  l'impression  produite,  qui  a  été  froide. 
On  accuse  M.  Puccini  de  vouloir  faire  du  Wagner  en  passant  par  Mascagni. 
Il  y  a  un  peu  de  cela...  et  beaucoup  d'autres  choses.  Nous  eussions  peut- 
être  préféré  du  Puccini  pur.  Il  y  a  cependant  quelques  choses  bonnes 
dans  ce  gros  ouvrage  ;  mais  c'est  noyé  dans  trop  d'tndécision  et  surtout 
dans  trop  de  bruit.  On  a  cependant  applaudi  le  menuet,  l'air  de  Manon 
au  deuxième  acte  et  le  finale  fugué  de  ce  même  acte.  Puis,  au  troisième,  le 
duo  des  deux  amoureux,  dialogué  à  miracle.  M""»  Tetrazzini  est  une  bonne 
Manon  et  M.  Moretti  un  Des  Grieux  pas  méchant  du  tout.  Nous  parlerons 
de  l'orchestre  une  autre  fois. 

Quant  au  Falslaff  de  Verdi,  qui  persiste  à  écrire  de  la  musique  compré- 
hensible et  qu'on  peut  écouter  sans  risquer  de  devenir  enragé,  c'a  été  un 
succès  complet,  succès  auquel  rien  n'a  manqué,  pas  même  une  manifesta- 
tion des  modernitses  de  l'incohérence.  Le  baryton  Blanchart  est  un  sir 
John  espagnol,  c'est-à-dire  plutôt  un  Bartholo  ;  mais  il  est  plein  d'entrain 
et  chante  fort  joliment.  On  lui  a  trissé  le  couplet:  Quand  j'étais  page. 
M"''  Tetrazzini  est  toujours  charmante,  et  l'orchestre...  ah!  cette  fois-ci 
l'orchestre  a   été  parfait. 

L'existence  du  «  Théâtre-Libre  s  et  de  «  l'Œuvre  »  empêchait  de  dormir  un 
groupe  de  catalanistes  qui  catalanisent,  en  Catalogne,  tout  ce  qui  est  sus- 
ceptible de  catalanisation.  Et,  par  ainsi,  le  n  Théâtre  indépendant»  nous  est 
né,  avec  le  but  de  nous  faire  connaitre,  en  dialecte  catalan,  les  oeuvres 
dramatiques  étrangères  étranges.  Le  début  vient  d'avoir  lieu  a\ecEspectres, 
adaptation  des  Revenants,  d'Ibsen,  due  à  MM.  Pompeyo  Fabra  et  Joaquin 
Casas.  Cette  version  ne  semble  pas  mauvaise  ;  mais  l'interprétation  de 
l'ouvrage  confiée  à  des  amateurs,  a  été  navrante.  C'est  une  revanche  à 
prendre,  mais  avec  des  acteurs  qui  soient...  du  bâtiment.    A.-G.  Bertal. 

—  Le  répertoire  français  n'a  pas  à  se  plaindre  de  la  part  qui  lui  a  été 
faite  dans  la  récente  saison  de  la  Scala  de  Milan.  Les  œuvres  représentées 
au  cours  de  cette  saison  sont  au  nombre  de  dix,  et  voici  le  nombre  de 
représentations  obtenues  par  chacune  d'elles  :  Henri  VIII,  9;  Samson  et  Da- 
lila,  12;  la  Damnation  de  Faust,  ',i  ;  Ratcliff,  6;  Carmen,  2;  la  Navarraise,  I; 
Hamlet,  S;  les  Pêcheurs  de  perles,  3  ;  Zanello,  i;  André  Chénier,  H.  Ainsi,  sur 
-10  ouvrages,  7  français,  et  sur  59  représentations,  38  pour  ceux-ci.  Ajoutons 
qu'en  ce  qui  concerne  les  ballets,  Coppélia  a  été  jouée  12  fois. 

—  M.  Pietro  Mascagni,  continue  d'improviser  des  opéras.  On  assure 
qu'en  ce  moment  il  en  termine  un  qui  a  pour  titre  Vestilia,  et  qu'il  en  a 
déjà  sur  le  chantier  Néron,  —  tout  comme  M.  Boito. 

—  Au  théâtre  social  de  Trente,  on  a  donné  avec  succès,  le  H  avril,  un 
opéra  en  deux  actes,  /  Fugrjilivi,  paroles  de  M.  Francesco  Mottino,  musique 
de  M.  Cesare  Rossi,  dont  les  deux  rôles  principaux  étaient  tenus  par 
M°>'=  Garnielli-Doncich  et  le  ténor  Luttercto.  Ce  dernier  simple  amateur. 

—  Le  conseil  communal  de  Venise  a  voté  un  subside  de  4.000  francs 
pour  quelques  exécutions,  au  grand  théâtre  de  la  Fenice,  du  bel  oratorio 


de  Gounod,  la  Rédemption,  exécutions  qui  auront  lieu  dans  le  courant  du 
mois  de  mai.  Le  soin  des  études  et  la  direction  sont  confiés  au  maestro 
Bossi,  le  nouveau  directeur  du  lycée  musical  Benedetto  Marcello. 

—  L'Italie  continue  sa  consommation  d'opérettes.  A  Empoli  on  en  a  re- 
présenté une  intitulée  Luisa  Willars,  dont  l'auteur  est  le  maestro  Augusto 
Gilardetti  ;  et  à  la  Fenice,  de  Trieste,  la  compagnie  Palombi  a  joué  avec 
succès  /os  Halcineros,  autre  ouvrage  de  ce  genre  dont  la  musique  est  due  à 
son  chef  d'orchestre,  M.  Adorni. 

— Nous  en  sommes  décidément  aux  manifestations  musicales  excentriques. 
Sous  la  direction  de  M"'  Emma  De  Stefani,  fille  d'un  professeur  distingué, 
la  ville  de  Bologne  vient  d'avoir  récemment  le  régal  d'un,  concert  de  lingt 
harpes.  <i  C'est  la  première  fois,  dit  le  Trovatore,  qu'on  entend  en  Italie  un 
concert  avec  un  nombre  si  considérable  de  harpes  v.  Espérons  qu'on  s'en 
tiendra  là.  La  harpe  est  assurément  un  instrument  délicieux;  mais  vingt 
à  la  fois,  c'est  beaucoup  pour  des  oreilles  tant  soit  peu  délicates. 

—  Le  grand  festival  triennal  de  Bristol  aura  lieu  cette  année  les  14,  15, 
16  et  17  octobre.  On  assure  qu'au  nombre  des  œuvres  nouvelles  qui  y  se- 
ront exécutées,  figure  une  Messe  de  Requiem  trouvée  dans  les  papiers  de 
Gounod  (?)  et  absolument  inconnue  en  Angleterre.  Nous  supposons  qu'il 
s'agit  ici  du  Requiem  exécuté  à  Paris  après  la  mort  du  maitre.  Parmi  les 
autres  œuvres  inédites  qu'on  entendra  au  festival,  on  annonce  un  concerto 
pour  orgue  de  M.  Ebenezer  Prout,  un  poème  symphonique  de  M.  A.-C. 
Mackenzie,  une  courte  cantate  de  M.  Napier  Miles  et  un  petit  poème  or- 
chestral de  M.  Edward  German. 

—  Les  journaux  de  New-York  racontent  que  M.  Paderewski,  qui  vient 
de  partir  pour  Londres,  a  laissé  50.000  francs  à  MM.  William  Steinway, 
Mason  et  Higginson  comme  curateurs  (trustées)  d'une  c  fondation  Pade- 
rewski pour  l'encouragement  des  compositeurs  de  musique  en  Amérique». 
Cette  fondation  distribuera,  tous  les  trois  ans,  trois  prix  de  2.o00,  l.SOO  et 
1.000  francs  pour  des  compositions  diverses,  surtout  pour  des  morceaux 
d'orchestre  et  de  musique  de  chambre. 

—  Sous  ce  titre:  Chants  du  Centenaire,  un  journal  de  Boston,  the  Domi- 
nante, publie  un  article  curieux  sur  la  musique  nationale  américaine  au 
temps  de  Washington  et  de  la  guerre  de  l'Indépendance.  Au  cours  de 
l'article  sont  reproduites  des  pièces  de  musique  dans  l'édition  du  temps, 
telles  que  la  première  édition  de  Hait  Columliia,  portant  en  tête  le  portrait 
de  Washington,  la  Marche  funèbre  et  Monodie  du  général  George  Washington, 
composée  pour  l'ocurrence  et  respectueusement  dédiée  au  Sénat  des  États-Unis,  par 
son  humble  serv.  :  B.  Carr. 

—  Toujours  la  question  des  chapeaux  de  femmes  au  théâtre.  Elle  s'en- 
venime en  Amérique,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  connaître  en  annonçant 
le  vote  récent  d'une  loi  rendue  sur  ce  sujet  par  l'État  d'Ohio.  Les  ti  victimes» 
de  cette  loi  n'ont  pas  tardé  à  se  rebiffer,  et  voici  qu'une  dépêche  de  Cincin- 
nati (Ohio)  annonce  que  les  «  dames  de  la  meilleure  société  »  de  la  ville 
ont  décidé  de  se  venger  du  vote  de  la  nouvelle  loi  leur  interdisant  sous 
peine  d'amende  de  porter  au  théâtre  des  chapeaux  empêchant  les  personnes 
placées  derrière  elles  de  voir  ce  qui  se  passe  sur  la  scène.  Elles  se  propo- 
sent, en  effet,  de  faire  présenter  immédiatement  à  la  législature  un  nouveau 
projet  de  loi  punissant  de  la  même  amende  les  hommes  qui  quittent  leurs 
sièges  pendant  les  entr'actes,  ou  qui  chiquent  et  crachent  leur  jus  de 
tabac!  «  Comme  ce  sont  encore  les  hommes  seuls  qui  font  les  lois  dans 
l'Etat  de  l'Ohio,  a  dit  l'une  d'elles,  il  est  impossible  de  dire  si  le  projet 
sera  voté.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'il  sera  présenté.  »  Voici 
décidément  une  rallonge  à  apporter  au  chapitre  d'Aristote  surles  chapeaux. 

PARIS   ET   DÉPARTEWENTS 

A  l'Opéra,  c'est  M""  Deschamps-Jéhin,  dont  on  annonce  la  rentrée 
pour  le  mois  prochain,  qui  chantera  la  Reine  dans  la  reprise  prochaine 
à'IIamlet. 

L'un  des  ouvrages  du  répertoire  dont  les  directeurs  doivent  refaire  suc- 
cessivement ks  décors  brirlés  dans  l'incendie  de  la  rue  Richer,  qui  suc- 
cédera au  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas,  sera  très  vraisemblablement 
les  Huguenots,  interprétés  par  MM.  Alvarez,  Delmas,  Renaud,  M°"^'  Bréval, 
Deschamps-Jéhin  et  Agussol.  On  s'occupera  presque  en  même  temps  de 
remettre  à  la  scène  Guillaume  Tell. 

M'"^  Berthet  vient  de  renouveler  son  engagement. 

M.  Van  Dyck,  qui  est  en  ce  moment  à  la  Monnaie,  à  Bruxelles,  et  qui 
doit  donner  ensuite  des  représentations  en  Espagne,  viendra,  dans  le  cou- 
rant de  juin,  chanter  Loheni/rin  et  Tannhiiuser . 

—  A  rOpéra-Comique,  M.  Carvalho  a  engagé  pour  trois  années,  à  partir 
de  septembre  prochain,  M"°  Gabrielle  Lejeune  qui  vient  de  la  Monnaie. 
C'est  là  une  excellente  acquisition  pour  ce  théâtre  où,  sans  aucun  doute, 
M"=  Gabrielle  Lejeune  qui,  en  plus  de  ses  qualités  vocales,  est  une  artiste 
très  intelligente,  retrouvera,  dans  les  rôles  de  soprano  dramatique,  les 
grands  et  mérités  succès  qu'elle  ne  cessa  de  remporter  à  Bruxelles. 

Hier  samedi,  M.  Clément  a  dû  reprendre,  dans  Lakmé,  le  rôle  de  Gérald, 
qu'il  n'avait  pas  joué  depuis  deux  ans. 

M.  Carvalho  s'étant  trouvé  dans  l'obligation  de  refaire  l'un  des  décors 
du  Clievalier  d'Harmental,  la  première  représentation  de  l'ouvrage  de 
MM.  Ferrier  et  Messager  est  reculée  de  huit  jours  et  n'aura  lieu  que  le 
lundi  4  mai.  Répétition  générale  le  samedi  2. 

Aujourd'hui  dimanche,   en  matinée  Manon,  le  soir  Mignon. 


LE  MENESTREL 


135 


—  Lecture  a  été  donnée,  dar.s  la  dernière  séance  Je  l'Académie  des 
beaux-arts,  des  lettres  par  lesquelles  MM.  Gabriel  Fauré,  Gastinel,  Victorin 
Joncières,  Gh.  Lefebvre,  Cb.  Lenepveu,  Marécbal,  Eric  Satie,  "Widor,  po- 
sent leur  candidature  au  fauteuil  vacant  par  suite  du  décès  d'Ambroise 
Tbomas.  Sur  la  proposition  de  l'Académie,  le  nom  de  M.  Bourgault-Du- 
coudray  a  été  ajouté  à  cette  liste.  Le  classement  des  candidats  dû  avoir 
lieu  au  cours  de  la  séance  d'hier  samedi.  Ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà, 
c'est  dans  celle  de  samedi  prochain,  2  mai,  qu'il  sera  procédé  à  l'élection. 

—  Le  comité  pour  l'érection  d'un  monument  à  la  mémoire  de  Gounod 
s'est  réuni  mardi  dernier,  au  GatUois,  pour  élire  un  président  en  rempla- 
cement du  maître  regretté  Ambroise  Thomas.  M.  Reyer  a  été  nommé  à 
l'unanimité.  MM.  Massenet  et  Gérôme  sont  vice-présidents.  On  sait  que  la 
souscription  a  dépassé  le  chiffre  de  cent  mille  francs. 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  met  au  concours  pour 
l'année  1896  :  i"  Un  Quatuor  k  cordes.  Prix  unique  de  5U0  francs  (allocation 
de  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts).  —  2°  Une 
Sonate  pour  piano  et  violoncelle.  Prix  unique  de  300  francs  (fondation 
Pleyel-Wolff).  —  3°  Un  Motet  pour  voix  seule  ou  plusieurs  voix,  avec  ac- 
compagnement d'orgue.  Prix  unique  de  200  francs  (reliquat  du  prix 
Ernest  Lamy,  non  décerné).  —  4°  Un  Sextuor  en  trois  petites  parties  pour 
instruments  à  vent.  Prix  unique  de  300  francs,  offert  par  la  société.  Le 
choix  des  instruments  est  laissé  à  la  volonté  des  concurrents.  Une  réduc- 
tion au  piano  devra  accompagner  le  manuscrit.  —  On  devra  adresser  les 
manuscrits  avant  le  31  décembre  18%,  à  M.  AVeckerlin,  archiviste,  au 
siège  de  la  Société,  22,  rue  Rocbechouart,  Maison  Pleyel-Wolff  et  G'".  Pour 
le  règlement  et  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  D.  Balieyguier, 
secrétaire  général,  9,  impasse  du  Maine. 

—  La  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  vient  de  publier 
le  compte  de  ses  recettes  et  dépenses  du  10  mars  1893  au  10  mars  1896, 
quant  à  la  caisse  sociale.  Le  total  des  recettes  s'est  élevé  à  176.659  fr.  SI  c.  ; 
celui  des  dépenses  à  133.923  fr.  40  c.  Parmi  les  titres  de  celles-ci,  nous 
trouvons  qn'il  a  été  servi  61.500  francs  de  pensions,  34.440  francs  de 
secours  aux  sociétaires  et  6.484  fr.  63  c.  pour  honneurs  funèbres  et  sous- 
criptions. On  voit  quels  services  —  en  dehors  de  la  perception  des  droits  — 
rend  la  société  à  ses  membres.  Ajoutons  qu'on  nous  promet  une  sur- 
prise pour  l'assemblée  générale,  et  que  le  nombre  des  pensions  serait  aug- 
menté. Espérons  que  ce  vœu  si  intéressant  pourra  se  réaliser,  et  félici- 
tons-en les  membres  de  la  commission  et  ses  deux  agents  généraux. 

—  L'assemblée  générale  de  la  Société  des  auteurs  dramatiques  aura  lieu, 
salle  liriegelstein,  le  mercredi  6  mai,  à  deux  heures  très  précises.  Membres 
sortants  :  MM.  François  Coppée,  Paul  Ferrier,  Philippe  Gille  et  Henri 
Meilhac,  auteurs;  M.  Louis  Varney,  compositeur.  Un  cinquième  auteur 
sera  nommé  pour  une  année  seulement,  en  remplacement  de  M.  Alexandre 
Dumas,  qui  avait  accompli  deux  années  comme  président.  Le  rapport,  que 
l'on  dit  fort  spirituel,  sera  présenté  à  l'assemblée  par  M.  Henri  Lavedan. 

—  M""  Nevada  est  rentrée  à  Paris  cette  semaine,  retour  d'Amérique, 
où  elle  vient  de  faire  une  superbe  tournée.  Mignon,  Faust  et  Lakmé  lui  ont 
surtout  valu  d'inoubliables  triomphes. 

—  Un  groupe  de  musiciens  et  d'amateurs  de  musique  français  se  pro- 
pose de  fonder  à  Paris  un  cercle  Mozart,  comme  il  en  existe  dans  diverses 
villes  d'Angleterre  et  d'Allemagne.  Ce  cercle  aura  à  la  fois  pour  objet 
d'offrir  aux  admirateurs  de  Mozart  une  exécution  correcte  et  soignée  de 
ses  œuvres,  et  de  réhabituer  le  public  à  connaître  et  à  goûter  un  des  plus 
purs  génies  de  l'art  musical.  Dans  ce  but,  le  cercle  Mozart  organisera  tous 
les  ans,  de  mois  en  mois,  sauf  les  quatre  mois  d'été,  huit  séances  de  musi- 
que de  chambre,  pour  lesquelles  il  s'est  assuré  déjà  le  concours  d'artistes 
éminents,  tous  nourris  du  style  classique  et  fermement  résolus  à  donner  à 
ces  séances  le  caractère  de  perfection  qu'il  est  nécessaire  qu'elles  aient. 
Une  ou  deux  fois  par  an,  suivant  l'état  des  fonds  du  cercle,  ces  séances 
de  musique  de  chambre  seront  remplacées  par  des  concerts  avec  chœurs  et 
petit  orchestre.  Les  fonds  du  cercle  seront  fournis  par  les  souscriptions  de 
ses  membres,  au  nombre  de  cent.  Le  montant  de  ces  souscriptions  est  fixé 
à  quarante  francs  par  an  pour  une  seule  personne,  soixante  francs  pour 
deux  personnes  souscrivant  en  commun.  Toutes  les  communications  de- 
vront être  adressées    à  M.  Milan,  229,  rue  du  Faubourg-Saint-Houoré. 

—  A  propos  de  la  récente  reprise  de  l'OEU  crevé  aux  Variétés,  on  a  dit 
qu'Hervé  avait  laissé  une  partition  inédite,  Mimi,  sur  un  livret  en  trois 
actes  de  MM.  Blavet  et  Delilia.  On  sait  qu'il  existe  encore  de  l'auteur  du 
Petit  Faust  deux  opéras  bouffes  en  trois  actes  également,  le  Rubicon  et 
Frivoli,  et  un  petit  opéra  comique  en  un  acte,  l'Elixir,  plus  nombre  de  mor- 
ceaux séparés,  piano,  chant  ou  danse. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  dimanche  dernier,  MM.  Eugène 
Ysaye  et  Raoul  Pugno  donneront,  salle  Pleyel,  plusieurs  séances  de  mu- 
sique de  chambre.  Il  y  aura  quatre  séances  qui  auront  lieu  les  8,  11,  15 
et  18  mai,  à  4  heures  et  demie,  et  seront  absolument  consacrées  aux 
chefs-d'œuvre  de  la  sonate  ancienne  et  moderne  pour  piano  et  violon. 
Les  programmes  sont  ainsi  arrêtés  :  1''  matinée  :  Bach,  Beethoven,  César 
Franck  ;  2»  matinée  :  Schumann,  Saint-Saëns,  Schubert  ;  3=  matinée  : 
Brahms,  Grieg,  Lalo  ;  4"  matinée  :  Fauré,  Mozart,  Castillon.  Voilà  qui 
n'est  certes  pas  banal  comme  programme,  et  qui  le  sera  encore  moins, 
exécuté  par  deux  merveilleux  artistes  tels  que  MM.  Pugno  et  Ysaye. 


—  La  Société  des  concerts  atermine  noblement  sa  soixantième  session  en 
nous  faisant  entendre  l'admirable  Messe  en  ré  de  Beethoven,  que  le  maître 
appelait  lui-même  «  son  œuvre  la  plus  accomplie  »  en  l'adressant  au  roi 
Louis  XVni,  qui  lui  envoyait  en  guise  de  remerciement  une  médaille  d'or. 
Beethoven,  qui  avait  commencé  dès  1818  à  travailler  à  cette  composition 
colossale,  qu'il  eût  désiré  voir  exécuter  à  la  cérémonie  d'installation  de  l'ar- 
chiduc Rodolphe,  frère  de  l'empereur,  son  élève  et  son  protecteur,  comme 
cardinal-archevêque  d'Olmûtz,  ne  put  être  prêt  pour  cette  solennité,  qui 
eut  lieu  en  1820.  L'œuvre  ne  fut  achevée  qu'en  1822,  et  c'est  seulement  le 
7  mai  1824  qu'elle  tut  entendue  pour  la  première  fois,  dans  une  «grande 
séance  musicale  »  donnée  par  Beethoven  au  théâtre  de  la  Porte  de  Carin- 
thie,  à  Vienne,  où  les  soli  étaient  chantés  par  M'"«  Sontag  et  Garolina 
Unger,  car  Heinzinger  et  Seipelt.  Elle  fut  payée  mille  florins  par  l'éditeur 
Schott,  ce  qu'on  ne  saurait  assurément  trouver  excessif  pour  une  compo- 
sition de  cette  valeur  et  de  cette  importance.  Je  n'ai  pas  à  m'étendre 
davantage  ici  à  son  sujet,  les  lecteurs  de  ce  journal  ayant  été  suffisam- 
ment instruits  de  tout  ce  qui  la  concerne.  Je  me  bornerai  à  constater 
l'exécution  remarquable  dont  elle  vient  d'être  de  nouveau  l'objet  au  Con- 
servatoire, où  les  soli  étaient  conaés  à  Mi'ei^Eléonore  Blanc  et  Cécile  O'Rorke, 
à  MM.  "Warmbrodt  et  Auguez,  qu'on  ne  saurait  trop  féliciter  du  talent 
qu'ils  y  ont  déployé.  Quant  à  l'orchestre  et  aux  chœurs,  ils  ont  été  super- 
bes de  vigueur  et  de  précision  et  se  sont  montrés  à  la  hauteur  d'une  tache 
dontles  difïïcultés  pourtant  semblent  parfois  insurmontables.  Ou  ne  saurait 
leur  adresser  un  éloge  plus  complet  et  plus  mérité.  A.  P. 

—  Au  théâtre  Mondain,  mardi  dernier,  séance  extrêmement  brillante 
pour  l'audition  des  élèves  du  cours  d'opéra  de  M""'  Marchesi.  Nous  avons 
entendu  là  une  dizaine  de  jeunes  filles  qui  sont  venues  jouer,  en  costumes 
et  avec  décors,  des  sîènes  et  jusqu'à  des  actes  entiers  d'opéras.  Voilà  un 
effort  véritablement  artistique  et  qui  ne  peut  manquer  de  porter  ses 
fruits.  Parmi  ces  jeunes  personnes,  dont,  pour   certaines,   les  études  sont 

déjà  fort  avancées,  je  citerai  en  premier  lieu  M"=  Kirine  (Russe),  qui  a 
dit  la  scène  des  lettres  de  Werther  avec  une  émotion  vraie  et  une 
sobriété  remarquable,  ainsi  que  M'"  Aïna  (Finlandaise),  qui  a  déployé 
une  belle  et  solide  voix  de  mezzo  soprano  dans  un  fragment  de  Psyché, 
fort  bien  dit  par  elle  avec  M"=  Boucicault  (Australienne),  que  nous  avons' 
revue  dans  le  duo  de  l'Alouette  de  Roméo  et  Juliette.  Une  jeune  personne 
d'une  beauté  rare,  M"«  Toronta  (Canadienne),  s'est  distinguée  dans  l'acte 
du  jardin  de  Famt,  et  M«=  Kosminska  (Anglaise),  a  déployé  une  virtuosité 
déjà  très  sûre  dans  l'air  de  l'Ombre  du  Pard(jji  de  Ploërmel.  EnBu,  il  faut 
signaler  encore  M"«  Sanda  (Américaine)  dans  le  second  acte  de  Lahné, 
M""»  Tornani  (id.)  dans  une  scène  de  Mignon,  et  M'"  Francisca  (id.)  dans 
le  second  acte  de  Rigolelto.  Toutes  ces  jeunes  filles,  qui  font  véritablement 
honneur  à  l'enseignement  et  â  l'école  de  M"»=  Marchesi,  avaient,  pour 
leur  donner  la  réplique,  trois  artistes  de  l'Opéra,  MM.  Gauthier,  Cabil- 
laud et  DouaîUier,  et  pour  les  accompagner,  MM.  Mangin  et  Panzani.  On 
voit  qu'aucun  élément  n'avait  été  négligé,  et  que  la  séance  ne  pouvait 
manquer  d'offrir  un  très  vif  intérêt.  j^_  p_ 

—  Un  vrai  régal,  cette  audition  de  ses  élèves  donnée  lundi  soir,  par 
Mme  Marie  Roze,  sur  le  joli  petit  théâtre  de  son  atelier  professionnel  de  la 
rue  de  la  Victoire.  La  soirée  était  dédiée  à  la  musique  de  Massenet,  et  le 
maître  l'honorait  lui-même  de  sa  présence.  Nous  avons  eu  en  scène  et  en 
costumes  trois  scènes  de  Manon,  une  de  Werther,  une  de  Thàis.  Dans  la 
rencontre  de  Manon  avec  Lescaut,  puis  avec  Des  Grieux  au  premiei  acte, 
M"=  Wehrung,  M.  de  Lacroix,  M.  Rivière,  ont  chanté  et  joué  avec  uiî 
accent  de  vérité  et  un  acquis  déjà  fort  remarquables.  Dans  la  scène  du 
deuxième  acte,  c'est  M'i^  Edith  Mac-Ray  qui  a  pris  le  rôle  de  Manon  et  a 
fort  bien  dit  adieu  à  sa  petite  table.  Enfin,  dans  la  grande  scène  de  Saint- 
Sulpice,  M'M  Marie  Roze  a  repris  le  rôle  à  son  tour,  ce  rôle,  que  nous  la 
vîmes  créer  si  brillamment  à  Londres,  il  y  a  bientôt  onze  ans  (nous  étions 
à  la  première),  à  Hors  Majesty's  Théâtre,  et  où  elle  inaugura  cette  ravis- 
sante Gamlte  que  Massenet  venait  d'écrire  exprès  pour  elle.  En  la  voyant 
et  l'écoutant  enlever  avec  tant  de  mapstria  e't  de  passion  juvénile  cette 
dramatique  scène  (où  son  élève  Rivière  l'a  admirablement  secondée),  nous 
étions  comme  dans  un  rêve  et  ne  pouvions  croire  que  onze  printemps'  avait 
passé  sur  nous.  La  scène  du  troisième  acte  de  Werther,  dite  par  M""  G 
Amaury  (Charlotte)  et  Mii-=  Yvonne  Lachaux  (Sophie),  l'a  été  au  mieux  et 
fort  goûtée.  Enfin  celle  du  deuxième  acte  de  Thdis  a  été  rendue  à  mer- 
veille, largement  et  poétiquement,  par  M»e  de  Réville,  une  grande  et  belle 
Thaïs.  Digne  clôture  de  cette  intéressante  séance,  où  une  réunion  d'élite 
a  applaudi  de  tout  cœur  cette  école  de  jeunes  élèves  qui  promet  à  notre 
musique  française  de  vaillants  artistes  excellemment  préparés.  En  leur 
faisant  l'honneur  de  les  accompagner,  Massenet  avait  achevé  de  leur 
communiquer  le  feu  sacré.  q,,   ^ 

—  Le  second  concert  classique  et  moderne  de  M°>f  Blanche  Marchesi  n'a 
pas  été  moins  brillant  que  le  premier  et  n'a  pas  valu  un  moindre  succès 
à  l'excellente  artiste,  dont  on  a  applaudi  de  nouveau  la  belle  voix,  le  grand 
style  et  la  profonde  émotion  qu'elle  sait  communiquer  à  son  auditoire. 
Sur  le  programme  se  côtoyaient  les  noms  de  Carissimi,  de  Schubert,  de 
Schumann,  de  Bach,  de  Gluck,  avec  ceux  de  Gounod,  de  Massenet,  de  César 
Franck,  de  Vidal  et  de  M™  de  Grandval.  Le  gros  succès  a  été  pour  deux 
linder  de  Schumann,  pour  la  Chanson  de  la  Glu  de  Gounod,  et  Scparalion  de 
Massenet.  On  a  bissé  les  deux  mélodies  de  Schumann,  que  M"i=  Blanche 
Marchesi  a  chantées  avec  un  accent  pénétrant  que  je  n'ai  jamais  rencontré 
avec  tant  d'intensité,  on  a  bissé  la  Glu,  on  aurait   tout  bissé...  G  a  été   un 


136 


LE  MÉNESTREL 


vrai  triomphe  de  cantatrice.  A  côté  d'elle,  un  yioloncelliste  de  beaucoup 
de  talent,  M.  Abiattc,  a  su  encore  se  faire  applaudir,  ce  qui  n'était  pas 
aisé.  A.  P. 

—  Le  concert  donné  mercredi  dernier,  à  la  salle  Pleyel,  par  M"=  Ida 
■Wilson,  a  été  pour  cette  toute  jeune  cantatrice  l'occasion  d'un  véritable 
triomphe.  Toute  la  colonie  américaine  et  anglaise  s'était  donné  rendez- 
Tous  pour  fêter  l'aurore  de  cette  nouvelle  étoile  au  firmament  de  l'art.  Il 
est  juste  de  dire  cependant  qu'une  grosse  part  des  éloges  s'adressait  à  son 
éminent  professeur,  M°"^  Yveling  Rambaud,  éloges  dont  la  grande  canta- 
trice Christine  Nilss  on,  comtesse  de  Miranda,  s'était  faite  l'interprète. 
Quelle  meilleure  consécration  pouvait  avoir  l'enseignement  transcendental 
de  M"'' Yveling  Rambaud!  M"'Moreno,  de  la  Comédie-Française,  MM.  Paul 
Viardot,  Charles  l-'oerster,  Mariotti,  Laudneretle  cithariste  Schoffer. avaient 
prêté  le  concours  de  leur  beau  talent  à  cette  solennité  musicale.        R. 

—  MM.  I.  Philipp,  Bémy,  Loeb,  Balbreck,  Gillet,  Turban,  Hennebains, 
Reine  et  Letellier  annoncent  une  séance  supplémentaire  très  intéressante 
pour  le  30  avril,  avec  le  concours  de  MM.  'Widor,  Teste  et  de  Bailly,  dont 
voici  le  programme  :  triple  Concerto  de  Sébastien  Bach,  Pièces  pour  hautbois 
de  Schumann,  Aubade  de  Lalo,  Sérénade  de  Widor,  Septuor  de  Saint-Saëns. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 
Conservatoire:  Messe  solennelle  en  ;■<•  (Deethoven),  soli  par  M''"  Blanc,  Cécile 

O'Rorke,  MM.  Warmbrodt  et  Auguez;  Ouverture  de  Fidelio  (Beethoven). 
Concert  du  Jardin  d'Acclimalion.  Chef  d'orchestre,  M.  Louis  Pister: 
Ruy-Blas,  ouverture  (Mendelssohm;  le  Dernier  Sommeil  delà  Fî'eije  (Massenet)  ; 
Finale  de  la  S9' Symphonie {Hay in)  ;Romanceeu  so/,  violon,  M.  Fernandez  (Beetho- 
ven) ;  -Yamouna,  suite  d'orchestre  (Li\o)\  Marche  funèbre  d'une  marionnette  (Gou- 
nod);  Joctlyn.  A  Berceuse;  B.  Carillon  (Godard);  Sihiller-March  (Meyerbeer). 

—  Strasbourg.  Le  monde  musical  de  l'Alsace  a  fêté  la  semaine  dernière 
l'orchestre  Colonne  dans  un  concert  organisé  à  Mulhouse  et  dans  deux 
concerts  organisés  à  Strasbourg  par  M.  Lazare  Wolff.  La  brillante  Associa- 
tion artistique  a  fait  impression,  entre  autres  dans  l'exécution  de  l'ouver- 
ture du  Roi  d'Ys,  du  regretté  Xalo,  si  captivante  par  son  coloris,  son  par- 
fait assemblage  des  timbres  et  ses  sujets  bien  mélodiques.  M.  Baretti  a 
délicieusement  phrasé  l'andante  pour  violoncelle.  Bis  pour  la  rêverie  Sous 
les  IHleuls,  des  Scènes  alsaciennes  de  Massenet,  que  MM.  Terrier,  clarinet- 
tiste, et  Barretti  ont  dialoguée  avec  une  tendresse  ravissante.  Eclatant  suc- 
cès pour  les  airs  de  ballet  du  Cid,  de  Massenet,  et  pour  Conte  d'Avril,  de 
Widor,  dont  M.  Selmera  moelleusement  rendu  le  Nocturne  pour  ilùte,  d'un 
sentiment  tout  élégiaque,  et  dont  M.  Paul  Oberdœrfl'er  a  phrasé  le  vaporeux 
et  chantant  Clair  de  lune  pour  violon  avec  une  grande  distinction  de  style 
et  un  charme  communicatif.  M°"  Auguez  de  Montalant,  dont  le  talent  s'im- 
pose, a  nuancé  avec  un  art  accompli  des  solos  de  Saint-Saéns  et  de  Ber- 
lioz. Comme  solistes  on  a  applaudi,  en  outre,  MM.  Monteux,  alto,  et  Longy, 
hautbois.  La  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann,  la  symphonie  en  fa 
de  Beethoven,  le  prélude  de  Parsifal,  la  marche  hongroise  de  la  Damnation 
de  Faust,  des  fragments  du  Septuor  de  Beethoven,  l'ouverture  de  Benveuuto 
Cellini,  Canzone  ei  Gavotte  de  M.  Marie-Joseph  Erb,  sérénade  des  Impressions 
d'Italie,  de  Charpentier,  et  le  ballet  d'.Iscamo  de  Saint-Saëns,  complétaient  la 
partie  orchestrale  de  ces  deux  impressionnantes  auditions,  dont  la  réussite 
engage  M.  Colonne  et  sou  bel  orchestre  à  une  promesse  de  retour.  —  A.  0. 

—  A  Montpellier  on  a  donné,  le  semaine  dernière,  la  première  repré- 
sentation de  la  Navarraise,  qui  a  remporté  un  immense  succès.  M""'  Érard 
et  M.  Bucognani  ont  triomphé  Jans  l'œuvre  de  MM.  Claretie,  Gain  et 
Massenet.  Bonne  interprétation  d'ensemble  et  double  rappel  à  la  fin  de 
l'ouvrage. 

—  A  Dijon  la  saison  musicale  bat  son  plein  et,  de  tous  côtés,  on  nous 
signale  de  fort  intéressantes  réunions.  Il  faut  mentionner  la  fête  organisée 
par  la  Société  de  secours  aux  blessés  de  terre  et  de  mer,  le  concert  donné 
par  M.  Jemain,  professeur  au  Conservatoire  de  Lyon,  les  auditions  de  la 
Messe  de  Franck  et  du  Stabat  mater  de  Magner  données  sous  la  direction 
de  M.  Guzman,  par  «  la  Cecilia  ».  En  voilà  plus  qu'il  n'en  faut  pour  placer 
Dijon  au  rang  des  centres  musicaux  les  plus  importants  de  province. 

—  Au  théâtre  du  Capitule,  à  Toulouse,  réussite  complète  pour  le  déli- 
cieux acte  de  MM.  Georges  Boyer  et  Massenet,  le  Portrait  de  Manon,  joué  et 
chanté  à  ravir  par  M^^^  Ribes-Tournié,  M""  Albouy,  MM.  Corin  et  Juteau. 
«  A  la  chute  du  rideau,  dit  M.  0.  Guiraud  de  l'Express  du  Midi,  le  public  a 
battu  des  mains,  applaudissant  chaleureusement  ce  charmant  petit  ouvrage, 
les  interprètes  et  l'orchestre  qui,  très  finement,  a  exécuté  la  partie  sym- 
phonique.   » 

—  A  La  Rochelle,  la  dernière  séance  de  la  Société  symphonique  des 
concerts  populaires,  a  été  particulièrement  brillante.  MM.  Jean  Canivet, 
pianiste,  André  Bretagne,  violoniste,  et  Ferrand,  violoncelliste,  se  sont 
fait  vivement  applaudir. 

—  On  annonce  pour  les  jeudi  30  avril  et  samedi  2  mai,  au  Conservatoire 
de  Nancy,  sous  la  direction  toujours  artistique  du  directeur,  M.  J.  Guy 
Ropartz,  deux  auditions  de  Rédemption  de  César  Franck.  Les  chœurs  seront 
chantés  par  la  chorale  Alsace-Lorraine  et  les  chœurs  du  Conservatoire,  et 
M"<=  Eléonore  Blanc  dira  les  soli. 


—  CoNCEiiTs  ET  SoinÉEs. —  Salle  Érard,  superbe  audition  des  œuvres  de  Masse- 
net  donnée  par  M""  Henriette  Thuillier.  La  séance  entière  n'a  et 5  qu'une  longue 
ovation  pour  notre  grand  maître  d'abord,  qui  s'est  prodigué  avec  une  exquise 
bonté  en  accompagnant  lui-même  les  artistes,  et  pour  M""  Eléonore  Blanc  et 
M.  Delsart,  qui  ont  transporté  l'auditoire.  M'"  Blanc,  admirable  dans  l'air  de  Mari-e 
Magdeleine,  les  Larmes  de  Werther,  l'Hymne  à  l'Amour,  a  été  délicieuse  dans  les  En- 
fants,Ouvi-c  tes  yeux  bleus  et  l'I'h'eulaiU^aAntk  M.  Delsart,  que  dire  de  lui  qu'on  n'ait 
pas  déjà  dit?  L'entendre  jouer  la  Méditation  de  Thais,  le  Nocturne  de  la  Navarraise, 
le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge,  avec  Massenet  lui-même  au  piano,  est  un  véritable 
rêve  réalisé,  dont  on  gardera  un  souvenir  ineffaçable.  Les  élèves  de  M"'  H. 
Thuillier  ont  bien  mérité  aussi  leur  part  d'éloges.  A  citer  :  Le  Duo  d'Arlequin  et 
de  Cotomdme  (Marie-Thérèse  C),  Parade  militaire  [Renée  F.),  Entr'acle  de  Don 
César  de  Bazan  (Marguerite  M.),  Air  de  ballet  (Alice  L.j,  andaute  et  valse  du  Itoi  de 
Lahore {Fa.nnY  V.),  l' Angélus  [ThéréseB.), \e qaataor d' Esclarmonde  IGermsdne  L.  S.), 
la  Ft'fe  ()0/iéme  (Pauline  H.),  t Improvisateur  des  Seines  napolitaines  i  Andrée  L,),  la 
Toccata  et  le  Clair  de  lune  de  Werther  (Élizabeth  P.),  le  Nocturne  de  la  Navarraise 
et  Au  cabaret  (Berthe  IL),  la  danse  des  Scènes  napolitaines  (Julia  S.),  l'Ouverture  de 
Phèdre  à  2  pianos,  Dimanche  ioir  des  Scènes  alsaciennes  :  Jeanne  R.)  ;  la  danse  des 
Saturnales  des  Érinnyes  à  2  pianos  8  mains  a  clôturé  brillamment  la  série  des 
morceaux  de  piano.  En  résumé,  succès  complet  et  qui  fait  le  plus  grand  hon- 
neur à  M""  Henriette  Thuillier.  —  Au  cercle  de  l'Union  artistique,  très  grand 
succès  pour  U"  Lovano,  qui  a  détaillé  d'exquise  façon,  l'Amour  est  un  enfant 
trompeur  et  Mon  petit  cœur,  romances  du  XVIII"  siècle  recueillies  par 'Weckerlin. 

—  Très  joli  concert  à  l'issue  du  dernier  dioer  de  la  «  Betterave  >.  On  a  fait  fête 
à  M.  Léon  Delafosse  dans  ses  Valses-Préludes,  à  M—  Jeanne  Remacle  dans  le  Itouel 
de  Paladilhe  et  les  Caprices  de  la  Heine  de  Blanc  et  Dauphin,  à  M.  Isnardon  et  à 
M"'  Biudoin.  Mais  le  clou  de  la  soirée  a  été  pour  une  sélection  de  la  Chanson 
desJoujoux  de  Jouy,  Blanc  et  Dauphin,  délicieusement  chantée  par  M"°  Remacle, 
M.  Isnardon  et  un  chœur  d'enfants  sous  la  direction  de  M.  Blanc  ;  à  M,  Isnardon 
on  a  bissé  les  Sabots  et  les  Toupies  et  le  Dernier  Joujou,  à  M"'  Remacle,  accom- 
pagnée de  M.  Isnardon  et  des  chœurs,  la  Chasse,  enfin  aux  chœurs,  les  Crécelles. 

—  Au  Trocadéro,  M.  Guilmant  a  fait  entendre  des  œuvres  nouvelles  de 
Populus  et  de  L.  Boellmann,  ainsi  qu'un  Posllude  nuptial  de  sa  composition. 
Ces  différentes  œuvres  ont  été  fort  bien  accueillies  du  public.  M"*Jenny  Passama 
et  M.  Paul  Viardot  ont  obtenu  le  plus  vif  succès.  —  Brillant  audiloireau  second 
concert  de  la  jeune  virtuose  Marie  Weingaertner,  et  grand  succès  pour  tous 
les  numéros  d'un  programme  très  corsé.  Exécution  magistrale  d'ufle  fugue  de 
Bach,  de  la  belle  sonate  op.  27  de  Beethoven  et  du  Carnaval  de  Schumann.  Les 
études  de  Chopin,  surtout  celle  en  tierces  et  celle  en  sixtes  permettent  à  la  jeune 
artiste  défaire  admirer  son  mécanisme.  Dans  la  ballade  de  Chopin,  comme  dans 
la  délicieuse  romance  de  Conte  d'Avril  de  Widor,  elle  faitmontre  d'un  sentiment 
très  personnel.  Puis  enfin,  cette  belle  audition  se  termine  au  milieu  des  ova- 
tions par  les  Feux  follets  de  Listz  et  le  Scherso-Vulse  de  Chabrier. 

—  Concerts  annoscés.  —  Demain  soir,  lundi,  concert  de  M"'  Kleeberg,  avec 
l'orchestre  Lamoureux.  —  Mardi  12  mai,  salle  Pleyel,  MM.  \.  et  C.  Geloso,  avec 
le  concours  de  M»'  Colombel  et  de  M.  Tracol,  donneront  un  concert  eiclusive- 
ment  composé  d'œuvres  de  Bach. 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  qui  eut  un  moment  de  notoriété,  le  ténor  Michot,  vient  de 
mourir  à  Chatou,  où  depuis  plusieurs  années  il  vivait  dans  la  retraite. 
Né  à  Lyon,  Michot  avait  commencé  sa  carrière  en  province,  d'où  il  était 
venu  s'enfouir  dans  un  café-concert  de  bas  étage,  le  café  Moka,  situé  rue 
de  la  Lune.  C'est  là  qu'il  fut  signalé  à  Adolphe  Adam,  qui,  frappé  de  sa 
voix  pleine  de  fraîcheur  et  de  suavité,  le  fit  engager  au  Théâtre-Lyrique, 
où  il  débuta  le  23  mai  ISSli  dans  Richard  Comr  de  Lion.  L'éducation  artis- 
tique de  Michot  était  nulle,  mais  à  une  voix  délicieuse  il  joignait  un  cer- 
tain sentiment  musical  et  obtenait,  surtout  dans  la  demi-teinte,  des  effets 
d'une  grâce  exquise.  Par  malheur  il  était,  au  point  de  vue  physique, 
d'une  vulgarité  désespérante,  et  ne  savait  ni  se  tenir  ni  parler  en  scène; 
de  plus,  extrêmement  journalier  comme  chanteur,  il  était  parfois  excellent, 
et  le  lendemain  se  montrait  exécrable.  Il  obtint  néanmoins  assez  de  succès 
au  Théâtre-Lyrique  dans  Obéron,  Euryanthe,  Robin  des  Bois,  la  Harpe  d'or, 
pour  que  l'Opéra  voulût  se  l'attacher.  Il  débuta  à  ce  théâtre  vers  1863,  s'y 
montra  successivement  dans  la  Favorite,  Lucie,  Faust,  le  Trouvère,  puis  tout 
à  coup,  atteint  d'une  maladie  du  larynx,  dut  rompre  son  engagement  pour 
aller  se  faire  soigner  on  Italie.  De  retour  à  Paris,  il  rentra  au  Théâtre- 
Lyrique,  y  reparut  dans  la  Flûte  enchantée,  Martha,  Don  Juan,  et  eut  l'hon- 
neur d'y  créer  le  Roméo  et  Juliette  de  Gounod.  Arrivèrent  les  événements 
de  lS7U-7i,  et  Michot  se  compromit  sottement  sous  la  Commune,  ce  qui 
le  fit  interner  pendant  quelque  temps  à  l'Orangerie  de  Versailles.  Après 
cette  fâcheuse  équipée  il  se  vit  obligé  de  retourner  en  province,  où  il  ne 
fut  pas  sans  éprouver  à  ce  sujet  quelques  déboires.  A  Marseille  notam- 
ment, sa  présence  au  Grand-Théâtre  donna  lieu  à  des  scènes  bruyantes  et 
presque  scandaleuses.  La  voix  d'ailleurs  commençait  à  l'abandonner,  et 
son  habileté  de  chanteur  était  insulfisante  à  suppléer  chez  lui  aux  défauts 
de  l'instrument.  Il  ne  tarda  pas  à  renoncer  à  la  carrière,  et  se  retira 
bientôt  définitivemenl.  Depuis  plusieurs  années  déjà,  Michot  était  devenu 
presque  aveugle.  A.  P. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

ON  DEMANDE  de  suite  en  province,  bon  accordeur  connaissant  la 
réparation  des  pianos,  des  orgues  et  de  la  lutherie.  Bonne  situation,  inté- 
ressé aux  affaires.  Inutile  de  se  présenter  sans  de  sérieuses  et  bonnes  réfé- 
rences. —  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


—    ïncre  lorilleux, 


4 


3397.  —  62-  mm  —  r  IS.  parait    tous    les    dimanches  Dimanche  3  Mai  1896. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  deCliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  Salle  Pavart  et  l'Opéra-Comique,  3»  partie  (1"  article),  Arthur 
PouGis.  —  II.  Semaine  ttiéâtrale  ;  premières  représentations  de  Deux  Sœurs  et 
de  Ruse  de  femme,  k  l'Odéon,  et  de  Ciilherine  de  Russie,  au  Chitelet;  reprise  du 
Prince  d'Aurec,  au  Gymnase,  Padl-Émili;  Chkv.vli'eii.  —  III.  La  mu3ique  et  le 
théâtre  au  Salon  du  Cliamp-de-Mars  (1"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le 
monument  de  M-°  Carvalho.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LA   LÉGENDE    DES   TROIS   PETITS    MOUSSES 

n"  i  des  Poèmes  de  Bretagne,  musique  de  Xavier  Leroux,  poésie  d'ANDRÉ 
Alexandre.  —  Suivra  immédiatement:  Musette  du  XVII'  siècle,  harmonisée 
par  A.  PÉRiLiiou.  

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
TIANO  :  /'-'  Cœur  et  la  Dot,  polka- mazurka,  d'EpOLARD  Strauss,  de  Vienne.  — 
Suivra  immédiatement  :  Printemps  nouveau,  de  A.  Landry. 


LA    PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA- COMIQUE 

1801-183S 

(Suite.) 


TROISIEME  PARTIE 

I 

Reconstitution  de  l'Opéra-Conuque  avec  une  nouvelle  société  d'artistes. 
Ceux-ci  abandonnent  la  salle  Ventadour  pour  .s'installer  place  de  la 
Bourse,  dans  la  salle  laissée  libre  par  les  Nouveautés,  et  rouvrent  le 
théâtre  le  34  .septembre  18SS:.  —  Apparition  et  triomphe  du  Pré  aux 
Clercs,  bientôt  suivis  de  la  mort  d'Herold.  —  L' Opéra-Comique  va  don- 
ner des  représentations  à  l'Ocléon.  —  Les  Souvenirs  de  Lafleur,  Ludo- 
vic, la  Prison  d'Edimbourg  et  quelques  autres  ouvrages.  —  Coalition 
des  auteurs  contre  la  nouvelle  administration.  Un  changement  de  régime 
est  imminent.  Compétitions  et  projets  divers.  Les  sociétaires  sant  obligés 
de  fermer  le  théâtre.  —  Crosnier  est  nommé  directeur  de  l'Opéra-Comique. 

L'Opéra-Comique,  sous  la  direction  de  Laurent,  avait  fermé 
ses  portes  le  14  mars  1832.  Cette  dernière  catastrophe  avait 
mis  le  comble  à  l'exaspération  du  public  contre  la  salle 
Ventadour,  cette  salle  construite  à  si  grands  frais  et  qui 
semblait  maudite.  Laurent  disparu,  la  société  Boursault 
restait  debout,  émettant  plus  que  jamais  la  prétention  de 
conserver  le  privilège  de  l'Opéra-Comique  et  d'obliger  celui-ci 
à  y  élire  domicile.  Mais  ce  fut  un  haro  général.  Le  ministère, 


sans  doute  pour  la  forme,  donna  à  la  société  un  délai  de 
quinze  jours  pour  reconstituer  la  troupe  et  rouvrir  le  théâtre. 
La  chose  était  heureusement  impossible.  A  peine  le  dernier 
spectacle  avait-il  été  donné  que  les  artistes  s'étaient  empressés 
de  quitter  Paris,  les  uns  par  crainte  du  choléra  qui  continuait 
ses  ravages,  les  autres  dans  le  but  d'utiliser  leurs  loisirs  en 
donnant  en  province  des  représentations.  De  fait,  les  proprié- 
taires de  Ventadour  se  virent  bientôt  déchus  de  leurs  droits  au 
privilège,  et,  grâce  à  la  bonne  volonté  générale  et  aux  désirs  de 
tous,  le  moment  n'était  pas  très  éloigné  oii  l'Opéra-Comique 
allait  se  reformer  ailleurs,  sans  eux  et  malgré  eux  —  car  ils 
cherchèrent  à  lutter  jusqu'au  bout  et  en  dépit  de  tout. 

On  s'occupa  assez  rapidement,  en  effet,  d'une  reconstitution 
du  théâtre  sur  des  bases  nouvelles.  Le  ministère  était  bien 
disposé.  M.  d'Argout,  ministre  de  l'intérieur,  obtint  des 
Chambres  le  vote  d'une  subvention  de  150.000  francs,  et  une 
nouvelle  société  d'artistes  se  forma  avec  Paul  Dutreilh  pour 
gérant,  k  qui  le  privilège  fut  concédé.  Une  salle  se  trouvait 
vacante,  celle  construite  en  1826  pour  les  Nouveautés,  place 
de  la  Bourse  (1).  Nos  artistes  s'en  emparèrent,  tout  le  monde 
se  mit  à  l'œuvre  avec  ardeur,  et,  la  saison  favorable  appro- 
chant, tout  enfin  fut  prêt  pour  la  résurrection  d'un  théâtre 
qui  fut  toujours  cher  à  la  population  parisienne.  Dans  son 
numéro  dm  20  septembre  1832,  le  Courrier  di's  Théâtres  faisait 
savoir  comment  les  choses  s'étaient  passées  : 

Après  avoir  surmonté  des  obstacles  nombreux,  les  nouveaux 
sociétaires  de  l'Opéra-Comique  annoncent  enfin  l'ouverture  de  ce 
théâtre.  En  se  chargeant  de  son  exploitation,  ils  rendent  l'existence 
aux  pensionnaires  victimes  des  clôtures  successives  de  la  salle  Ven- 
tadour, alimentent  les  exploitations  languissantes  des  provinces, 
satisfont  aux  désirs  du  public  de  Paris  et  rouvrent  la  carrière  à  des 
compositeurs  trop  longtemps  délaissés.  Le  privilèsfe  leur  est  concédé 
par  suite  d'un  accord  avec  les  anciens  sociétaires,  à  qui  l'autorité 
supérieure  l'avait  offert,  afin  de  leur  procurer  les  moyens  de  rem- 
placer, par  un  contrat  nouveau,  celui  dont  l'exécution  avait  été 
interrompue.  Diverses  propositions  leur  ont  été  faites  ;  mais  n'étant 
point  de  nature  à  être  acceptées,  leur  refus  a  déterminé  la  formation 
de  la  société  nouvelle  :  quelques-uns  des  anciens  sociétaires  contri- 
bueront momentanément  à  son  organisation.  C'est  dans  ce  bat  que 
Martin  abandonne  un  instant  sa  retraite  et  vient  offrir  aussi  sa 
coopération  au  souvenir  de  ceux  qui  l'ont  aimé,  à  la  bienveillance 
de  ceux  qui  ne  l'ont  point  connu.  L'alliance  faite  avec  MM.  les 
auteurs,  conformément  aux  conventions  stipulées  par  la  commission 
dramatique,  promet  un  heureux  avenir.  De  concert  avec  l'adminis- 
tration de  la  nouvelle  entreprise,  ils  ont  aboli  les  billets  dits  de 
faveur.  De  vives  résistances    doivent  être  opposées,  dit-on,  à  cette 

11)  Cette  salle,  où  naguère  nous  avons  vu  le  Vaudeville  jusqu'au  jour  de  son 
transfert  à  la  Chaussée  d'.A.ntin,  avait  été  construite  en  effet  pour  le  premier 
théâtre  des  Nouveautés,  qui  en  avait  fait  l'inauguration  le  l"'  mars  1827.  Ce 
théâtre,  après  cinq  années  d'une  existence  pleine  de  difficultés  et  d'agitation, 
était  mort  de  consomption  dans  les  premiers  mois  de  1832. 


•138 


LE  MENESTREL 


mesure  réclamée  depuis  longtemps  par  le  public.  Les  nouveaux 
sociétaires  se  placent  sous  sa  protection  et  s'efforceront  de  la  mériter 
par  des  efforts  que  le  temps  rendra  sans  doute  efficaces. 

Malgré  tout,  la  société  Boursault  ne  désarmait  pas,  et  ne 
démordait  pas  de  sa  prétention  à  obliger  l'Opéra-Comique  à 
venir  demeurer  chez  elle.  La  nouvelle  administration  afQche 
son  ouverture  pour  le  2ii  septembre  à  la  salle  de  la  Bourse. 
Elle  reçoit  une  assignation  pour  ce  même  jour.  C'est  encore 
le  Courrier  des  Théâtres  qui  va  nous  éclairer  sur  ce  fait  :  — 
«  Les  pierres  de  taille  de  la  salle  Ventadour,  représentées  par 
leurs  actionnaires,  poursuivent  toujours  judiciairement  la 
troupe  de  l'Opéra-Comique,  qui  s'installe  aux  Nouveautés. 
Hier,  à  six  (!)  heures  du  matin,  celle-ci  comparaissait  en 
référé,  dans  la  personne  de  son  gérant,  qui  a,  dit-on,  si  bien 
exposé  son  affaire,  que  le  gain  de  la  cause  s'en  est  suivi. 
C'est  vraiment  curiosité  des  plus  singulières  que  la  conduite 
de  gens  criant  sans  rire  :  Venez-  vous  ruiner  che:  nous,  de  par  le 
roi  et  justice  !  (1)  » 

Cette  fois,  tout  était  bien  fini  de  ce  côté.  Néanmoins,  l'ou- 
verture de  l'Opéra-Comique  annoncée  et  affichée  pour  le  12,  fut 
retardée  de  deux  jours,  grâce  au  formalisme  administratif  et  à 
de  sottes  difficultés  soulevées  par  la  préfecture  depolice.»  Tout 
était  prêt,  disait  encore  le  Courrier  dans  le  même  numéro,  les 
affiches  ne  s'en  étaient  pas  dédit,  rien  enfin  ne  s'opposait  à 
l'ouverture  de  l'Opéra-Comique  dans  la  salle  des  Nouveautés, 
quand  une  lettre  de  M.  Gisquet,  le  préfet  de  police,  a  fait 
suspendre  l'inauguration.  Les  difficultés  qui  en  résultaient 
sont  levées.  Un  arrêté  de  cet  édile  prévient  le  retour  d'un 
semblable  obstacle  et  fixe  ladite  ouverture  à  demain.  » 

Elle  eut  effectivement  lieu  le  lendemain  24  septembre, 
avec  un  spectacle  qui  comprenait  le  Mavon  et  les  Voitures  ver- 
sées. La  seule  présence  de  Martin,  qui  reparaissait  dans  cette 
dernière  pièce,  eiit  suffi  pour  attirer  la  foule,  quand  même  le 
public  ne  se  fût  pas  montré  dix  fois  désireux  de  retrouver 
son  théâtre  favori.  De  son  côté,  Ponchard  reparaissait  dans 
le  Maçon,  si  bien  que  les  spectateurs  pouvaient  applaudir, 
dans  la  même  soirée,  les  deux  gloires  de  l'Opéra-Comique. 

11  va  sans  dire  que  les  nouveaux  sociétaires  avaient  pris 
leurs  précautions  et  qu'ils  s'étaient  assurés  de  quelques 
ouvrages  nouveaux.  Herold  leur  avait  promis  le  Pré-aux-Clercs, 
qu'il  était  en  train  de  terminer,  et,  en  attendant  cette  œuvre 
importante,  leur  avait  donné  la  partition  d'un  petit  acte  inti- 
tulé la  Médecine  sans  médecin,  écrite  par  lui  sur  un  livret  de 
Scribe  et  Bayard.  Ce  fut  la  première  nouveauté  qu'ils  offrirent 
au  public.  La  Médecine  sans  médecin,  jouée  par  Ponchard,  Vizen- 
lini,  Henri,  M"'  Massy  et  M™°  Boulanger,  fit  son  apparition 
le  17  octobre.  Par  malheur,  le  livret,  qui  était  assez  méchant, 
fit  tort  à  la  musique,  qui  était  fort  agréable.  L'ouvrage  fut 
très  bien  reçu,  mais  n'eut  qu'une  courte  existence. 

Ce  sont  encore  deux  actes  détachés  qui  défraient  le  mois 
de  novembre.  L'un,  le  Passage  du  régiment,  joué  le  5,  n'était 
que  la  transformation  réduite  d'une  pièce  en  deux  actes  de 
Sewrin,  Amélie  ou  les  Désagréments,  qui  avait  eu  le  désagrément 
d'être  sifflée  au  Vaudeville  le  2  juillet  1822.  Malgré  la  mu- 
sique de  Catrufo,  malgré  la  présence  d'interprètes  tels  que 
Lemonnier,  Thénard,  Vizentini,  M™^  Casimir,  Boulanger  et 
Lemesle,  l'ouvrage  ne  fut  pas  plus  heureux  sous  sa  nouvelle 
forme  et  n'obtint  que  trois  représentations,  Sevs^rin  n'osant 
même  pas  se  faire  nommer  et  se  dissimulant  sons  le  vague 
pseudonyme  d'Edmond.  L'autre,  un  Premier  Pas,  qui  fut  offert 
au  public  le  24,  ne  fut  pas  beaucoup  plus  heureux,  car  il  ne 
fut  joué  que  sept  fois  ;  Blangini  en  avait  écrit  la  musique  sur 
un  livret  de  Mennechet  et  Roger,  qui  jugèrent  prudent  de 
garder  l'anonyme. 

Mais  le  jour  du  triomphe  approchait.  On  pressait  les  études 
du  Pré-aux-Clercs,  sur  lequel  on  comptait  avec  juste  raison, 
et  bientôt,  les  7, 12  et  14  décembre,  le  théâtre  faisait  relâche 
pour  répétitions  générales  du  chef-d'œuvre,  dont  l'apparition 

(1)  Courrier  des  Théâtres,  23  septembre  1832. 


avait  lieu  le  lendemain  15.  Ce  fut  un  coup  de  foudre,  et 
depuis  la  première  représentation  de  la  Damehlanche,  on  n'avait 
pas  vu  succès  si  bruyant,  si  spontané,  si  éclatant.  Toutes  les 
espérances  étaient  dépassées.  Le  poème  charmant  Ae  Planard, 
l'admirable  partition  d'Herold,  une  interprétation  absolument 
exquise  (1),  tout  concourait  à  ce  triomphe,  qui  pourtant  fut 
interrompu  dès  la  première  heure  par  un  caprice  inexplicable 
de  M""  Casimir,  chargée  du  rôle  d'Isabelle.  On  connaît  le  fait, 
qui  est  devenu  légendaire.  La  seconde  représentation  affichée 
pour  le  17,  M™  Casimir,  se  prétendant  malade,  fait  préveûir 
qu'elle  ne  pourra  jouer  le  soir,  et  le  théâtre  est  obligé  de 
faire  relâche.  Personne  ne  croyait  à  cette  maladie,  tandis 
qu'une  autre,  celle  d'Herold,  déjà  aux  portes  de  la  mort,  se 
voyait  soudainement  aggravée  par  cet  incident  si  douloureux 
pour  le  compositeur.  On  ne  savait  que  faire  et  comment  sortir 
de  cette  impasse,  lorsque,  généreusement,  M.  Véron,  directeur 
de  l'Opéra,  vient  mettre  à  la  disposition  de  l'administration 
de  l'Opéra-Comique  Tune  de  ses  meilleures  artistes,  M"=  Dorus, 
qui,  elle-même,  se  charge  avec  une  bonne  grâce  parfaite 
d'apprendre  rapidement  le  rôle  si  important  d'Isabelle  et  de  le 
jouer  en  peu  de  jours.  La  proposition  est  acceptée,  comme  on 
pense;  M"° Dorus  se  rend  auprès  d'Herold,  qui,  malgré  son  état 
de  souffrance,  n'hésite  pas  à  la  faire  travailler,  et  une  semaine 
jour  pour  jour  après  la  première,  le  22  décembre,  avait  lieu 
la  seconde  représentation  du  Pré-aux-Clercs,  avec  la  nouvelle 
et  dévouée  Isabelle.  On  sait  s'il  a  poursuivi  depuis,  et  jusqu'à 
ce  jour,  une  brillante  carrière  (2). 

L'année  1832  se  termine  avec  éclat  sur  le  triomphe  de  ce 
chef-d'œuvre,  qui  pendant  toute  une  année  allait  faire  courir 
tout  Paris.  Il  faut  convenir  que,  depuis  leur  prise  de  possession, 
les  nouveaux  sociétaires  de  l'Opéra-Comique  avaient  donné  les 
preuves  d'une  activité  rare  et  que,  par  malheur,  on  ne  retrouve 
guère  de  nos  jours.  Dans  l'espace  de  dix  semaines  environ, 
du  24  septembre  au  15  décembre,  ils  avaient  trouvé  le  moyen 
de  monter  et  d'offrir  au  public  quatre  ouvrages  nouveaux, 
dont  trois  en  un  acte  et  un  en  trois  actes,  tandis  que  dans  le 
môme  temps  ils  ne  remettaient  pas  à  la  scène  moins  de  vingt- 
sept  pièces  du  répertoire  (3).  Aussi  cette  fin  d'année  avait-elle 
été  fructueuse  pour  eux.  Grâce  à  leur  travail,  grâce  à  la  pré- 
sence de  Martin,  qui  ne  leur  avait  pas  marchandé  son  concours , 
grâce  au  succès  du  Pré-aux-Clercs,  grâce  enfin  et  surtout  à  leur 
changement  de  domicile,  le  public  avait  repris  le  chemin  de 
l'Opéra-Comique,  dont  la  renaissance  était  complète. 

Un  fait  assez  singulier  s'était  produit  quelques  semaines 
après  la  réouverture.  L'Odéon,  qui,  je  crois,  était  alors  dirigé 
par  Harel,  venait  de  fermer  ses  portes,  et  les  habitants  de  la 
rive  gauche  n'avaient  plus  à  leur  poi-tée  d'autre  spectacle  que 
celui  que  leur  offrait  le  petit  théâtre  du  Luxembourg,  alias 
«  Bobine  ».  C'était  peu,  et  cela  manquait  de  prestige.  Par 
une  combinaison  sur  laquelle  je  n'ai  pas  d'autres  renseigne- 
ments, la  Comédie-Française  et  l'Opéra-Comique  s'entendirent 
pour  aller  donner  chaque  semaine  deux  ou  trois  repré- 
sentions dans  la  salle  de  l'Odéon,  chacun  d'eux  y  jouant  à 
son  tour,  et  les  troupes  se  dédoublant  pour  ne  pas  inter- 
rompre leurs  spectacles  respectifs.  C'est  ainsi  que  l'Opéra- 
Comique  se  montra  à  l'Odéon  les 8,  11, IS, 19, 23  et29novem- 
bre,  3,  9  et  23  décembre.  Cela  dura  six  mois  environ,  ce  qui 
semble  prouver  que  la  combinaison  n'était  pas  désavanta- 
geuse. La  dernière  représentation   donnée  ainsi  par  l'Opéra- 

(1)  Voici  la  distribution  de  l'ouvrage  k  sa  création:  iVIergy,  Thénard;  Com- 
minges,  Lemonnier;  Cantarelli,  Féréol  ;  Girot,  Fargueil;  Isabelle,  M"  Casimir; 
Marguerite,  M"'  Ponchard  ;  Nicette,  M"'  Massy. 

(2)  Au  31  décembre  1895,  le  Pré-aux-Clercs  avait  fourni  un  total  de  1.558  {quinse 
cent  cinquante-huit)  représentations. 

(3)  En  voici  la  liste  ;  Picaros  et  Diego,  Maison  à  vendre,  Adolphe  et  Clara,  de  d'A- 
layrac  ;  le  Déserteur,  de  Monsigny  ;  le  Charme  de  la  voix,  les  Deux  Mousqmtaires,  de 
Berton  ;  l'irato,  de  Méhul  ;  (os  Yisitandines,  de  Devienne  ;  Jean  de  Pnris,  le  Nouveau 
SeîgTieur,  ta  Fête  du  village  voisin,  le  Petit  Chaperon  rouge,  les  Voitures  versées,  la  Dame 
blanche,  de  Boieldieu  ;  te  Prisonnier,  de  Délia  Maria;  les  Rendes -vous  bourgeois,  Lully 
elQuinauU,  lé  Billet  de  loterie,  Jeannot  et  Colin,  de  Nicolo;  la  Lettre  de  change,  de 
Bochsa;  l'Homme  sa/is  façon,  de  Kreutzer;  le  Maçon,  le  Concert  à  la  Cour,  la  Fian 
cée,  d'Auber  ;  le  Muletier,  d'Herold;  k  Solitaire,  de  Carafa;  le  Dilettante  d'Avignon, 
d'Halévy. 


à 


LE  MÉNESTREL 


139 


Comique  eut  lieu  en    effet   le  28  avril  1833.  Puis  il  n'en  fut 
plus  question. 

Avant  d'en  finir  avec  cette  année  1832,  il  me  faut  en- 
registrer la  mort  de  deux  des  anciens  artistes  les  plus  renom- 
més de  rOpéra-Gomique.  L'un  était  Huet,  qui  avait  été 
prendre  la  direction  du  théâtre  de  Lille,  et  qui,  devenu 
gravement  malade  en  cette  ville,  revint  à  Paris  pour  y  mourir 
le  i"  octobre.  L'autre  était  Texcellent  Chenard,  son  ancien 
doyen,  dont  les  débuts  à  la  Comédie-Italienne  remontaient  à 
1783,  et  qui  n'avait  quitté  l'Opéra-Comique  qu'en  1822,  après 
y  avoir  accompli  près  de  quarante  ans  de  bons  et  loyaux 
services.  Chenard  avait  été  l'une  des  colonnes  les  plus  solides 
de  ce  théâtre,  où  il  avait  laissé  d'aiïectueux  souvenirs.  Il 
mourut  le  16  novembre,  âgé  d'environ  7S  ans. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


■Odéon.  Deux  Sœurs,  pièce  en  3  actes,  de  M.  Jean  Thorel;  -Ruse  de  femmes, 
comédie  en  1  acte,  de  M.  Jean  Bernac.  —  Chatelet.  Catlierine  de  Russie, 
drame  en  5  actes  et  12  tableaux,  de  MM.  Paul  Ginisty  et  Ch.  Samson.  — 
Gymnase.  Le  Prince  d'Aurec,  comédie  en  3  actes,  de  M.  Henri  Lavedan. 

A  seulement  quelques  jours  de  distance,  l'Odéon  dous  a  conviés 
aux  débuts  de  deux  nouveaux  auteurs  dramatiques,  dont  l'un, 
M.  Jean  Thorel,  s'est  fait  apprécier  déjà  comme  délicat  littérateur  et 
a  touché  au  théâtre  en  traduisant  les  Tisserands  et  Vllaiinele,  de  M.  Gé- 
rard Hauptmann,  et  dont  l'autre,  M.  Jean  Bernac,  a  su,  comme 
journaliste,  s'attirer,  par  son  urbanité  parfaite  et  le  tour  aimable  de 
ses  chronique?,  de  méritées  sympathies. 

Avec  M.  Jean  Thorel,  sachant  de  quel  auteur  il  se  réclama  pour 
faire  ses  premiers  pas,  il  y  a  lieu  de  s'étonner  du  manque  de  har- 
diesse et  de  l'absence  d'originalité  de  ses  trois  actes.  Il  ne  semble 
avoir  retenu  de  M.  Hauptmann  que  des  lambeaux  de  brumes  dont  il 
voile  modestement  ses  personnages  indécis;  et  si  l'une  de  ses  Deux 
Sœurs  essaie  de  se  révolter,  la  tentative  reste  bien  plutôt  celle  d'une 
femme  du  monde  mécontente  de  son  mari  et  ennuyée  de  vivre  à  la 
campagne  que  celle  d'une  véritable  amoureuse.  Car  les  deux  sœurs 
dont  il  s'agit  dans  cette  comédie,  qui  se  serait  contentée  de  dévelop- 
pements moindres,  aimentle  même  homme,  d'ailleurs  fort  insignifiant, 
et,  comme  la  morale  doit  le  moins  souvent  possible  perdre  ses  droits, 
après  quelques  escarmouches  plus  ou  moins  nerveuses,  la  veuve 
l'emportera  et  épousera  le  célibataire  tant  recherché. 

Ce  qu'il  faut  retenir  de  la  pièce  de  M.  Thorel  c'est  le  dialogue  qui 
est  charmant.  M"'"  Dux,  Rose  Syma,  qui  aborde  avec  de  réelles 
qualités  les  rôles  de  jeune  première,  Wissocq,  MM.  Cornaglia,  Rous- 
selle  et  Céalis  ne  peuvent  donner  à  leurs  personnages  plus  de  relief 
que  l'auteur  ne  l'a  voulu. 

De  charmants  coins  de  dialogue  aussi  dans  Ruse  de  femme  de 
M.  Jean  Bernac,  mais,  tout  au  contraire  des  Deux  Sœurs,  les  développe- 
ments y  sont  peut-être  un  peu  trop  restreints.  Lady  Malton,  alors  qu'elle 
était  jeune  fille,  fut  grandement  aimée  par  le  peintre  Dervier,  qu'elle 
abandonna,  un  beau  jour,  sans  crier  gare,  pour  épouser  un  riche  lord 
anglais.  Dix  ans  se  sont  écoulés,  pendant  lesquels  le  pauvre  garçon 
n'a  cessé  de  pleurer  ses  amours  disparues,  lorsque  la  volage  a  la  fan- 
taisie de  faire  faire  son  portrait  par  l'ami  d'autrefois  devenu  célèbre, 
Dervier,  non  sans  peine,  se  met  au  travail;  mais  les  pinceaux  ne 
font  que  scrupuleusement  reproduire  les  traits  du  modèle.  Lady  Mal- 
ton  voudrait  mieux.  Alors  elle  devient  enjôleuse,  ensorceleuse,  lais- 
sant croire  à  l'artiste  que  le  passé  peut  renaître,  et,  lui,  revivant  les 
jours  heureux,  ensoleille  l'esquisse  de  celle  qui  fut  et  va  redevenir 
l'adorée.  La  toile  couverte  selon  ses  désirs,  lady  Malton  s'en  empare 
et  disparaît  dans  un  éclat  de  rire. 

Jolie  idée  qui,  évidemment  valait  la  peine  qu'on  s'y  arrêtât  un  peu 
plus,  d'autant  que  la  «  rosserie  »  de  la  femme  aurait  certainement 
gagné  à  être  moins  brusquement  révélée.  Ru,se  de  femme  est  jouée 
par  MM.  Rameau,  Gerval,  Céalis  et  par  M"=  Dorsy. 

Au  Châlelet,  c'est  le  drame  historique  qui  sévit  dans  toute  son 
horreur.  L'histoire  de  Catherine  de  Russie  nous  y  est  compendieuso- 
ment  et  presque  scrupuleusement  racontée  par  MM.  Ginisty  et  Samson, 
depuis  la  mort  du  tsar  Pierre  III  jusqu'à  l'apothéose  de  la  Grande 
Catherine.  Cependant  la  figure  très  complexe  de  cette  impératrice, 
dont  la  vie  privée  fut  un  scandale  perpétuel  et  dont  la  vie  politique 


fut  remarquable  en  plus  d'un  point,  aurait  eu  peine  à  se  laisser  com- 
plètement enserrer  en  l'étau  d'un  drame,  ce  drame  fût-il  en  douze 
tableaux;  aussi  les  auteurs  ont-ils  essayé  de  reporter  une  partie  de 
l'attention  de  leur  public  sur  le  cosaque  Pougatchefl',  aventurier 
maladroit,  dont  ils  ont  essayé  de  faire  un  croyant  et  un  martyr. 
Malheureusement  l'intérêt  ne  s'arrête  réellement  ni  à  l'un,  ni  à 
l'autre,  ni  môme  aux  petits  amoureux  obligatoires,  personnages  de 
plan  trop  secondaire.  Il  y  a  dans  ces  cinq  actes  abus  de  fouillis  et, 
surtout,  pas  assez  de  ce  souffle  dramatique  qui  aurait  dû  faire  d'une 
scène  comme  celle  des  Tombeaux  des  tzars,  quelque  chose  de  tout  à 
fait  empoignant. 

Catherine  de  Russie,  montée  avec  un  luxe  tapageur  par  la  direction 
du  Châtelet,  est  très  diversement  interprétée.  Il  convient  de  citer,  en 
première  ligne.  M"*  Tessandier  et  d'accorder  une  mention  à  MM.  Gar- 
nier,  Léon  Noël,  Bouyer,  Fleury  et  à  M"""^  de  Thel,  Huart,  Leriche  et 
Froment. 

Le  Gymnase  vient  de  prendre  au  Vaudeville  le  Prince  d'Aurec,  dont 
on  se  rappelle  le  retentissant  succès  il  y  a  bientôt  quatre  ans,  et  la 
comédie  maîtresse  de  M.  Henri  Lavedan  a  retrouvé  au  boulevard 
Bonne-Nouvelle  le  même  chaleureux  accueil  qu'elle  avait  reçu  à  la 
Chaussée-d'Antin.  La  distribution  est  demeurée  pareille,  sauf  en  ce 
qui  touche  au  petit  rôle  du  marquis  de  Chambersac  joué  maintenant 
par  M.  Lérand  qui  y  manque  de  la  souplesse  et  de  l'aimable  non- 
chalance dont  l'avait  marqué  M.  Dieudonné.  Cette  distribution,  on  le 
savait  déjà,  est  presque  parfaite  d'ensemble  avec  M.  Candé,  M.  Gali- 
paux,  M.  Mayer,  M.  Grand,  M""'  Jane  Hading  et  Samary. 

Et  tout  en  écoutant  le  Prince  d'Aurec,  malgré  soi,  l'on  repense  à 
la  Meute  de  M.  Abel  Hermant,  et  l'on  songe  qu'il  serait  amusant 
d'établir  un  parallèle  entre  ces  deux  pièces,  si  proches  parentes,  et 
curieux  de  démêler  la  manière  différente  dont  les  deux  auteurs  ont 
porté  à  la  scène  des  personnages  identiques. 

Pacl-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU     SALON    DU     C  H  A  M  P  -  D  E  -  M  A  R  S 


(Premier  article.) 

Si  j'apporte  peu  de  méthode  dans  le  début  de  cette  promenade  à 
travers  le  Palais  des  Arts-Libéraux,  dernier  reste  de  l'exposition  du 
Centenaire,  voué  à  une  destruction  si  prochaine,  on  n'en  sera  pas 
autrement  surpris.  L'exposition  de  la  Société  des  Beaux-Arts  dure 
depuis  plus  d'un  lustre,  comme  on  disait  au  grand  siècle  ;  mais  ses 
jours,  qui,  dans  l'espèce,  sont  des  années,  se  trouvent  forcément 
comptés;  il  lui  faudra  fusionner  avec  sa  doyenne  la  Société  des 
Artistes  français  ou  rester  ce  qu'elle  est  déjà  —  ce  qu'elle  est  trop  — 
moins  une  sélection  d'œuvres  magistrales  ou  simplement  intéres- 
santes, qu'une  juxtaposition  de  petits  salons  isolés. 

Suivons  donc  la  foule,  au  petit  bonheur  des  rencontres,  et,  comme 
elle,  arrêtons-nous  tout  d'abord  devant  les  envois  de  M.  de  Puvis  de 
Chavannes.  L'auteur  des  cinq  grands  panneaux  décoratifs  destinés  à 
la  Bibliothèque  de  Boston  et  exposés  sous  le  dôme  central,  est  le 
maître  de  la  maison,  le  président  de  la  Société  des  Beaux-Arts  ;  c'est 
aussi  le  producteur  le  plus  en  vue,  celui  qui  satisfait  dans  la  plus 
large  mesure  cette  tendance  idéaliste,  cette  vague  préoccupation  du 
grand  art,  hantise  honorable  de  tant  de  cervelles  (souvent  bourgeoises). 
Des  milliers  de  snobs  lui  pardonnent  ses  qualités  nombreuses  en 
faveur  de  ses  défauts  réels  ;  et,  en  lui  prêtant  un  faux  sublime, 
excusent  la  très  noble,  très  pure,  très  unie  synthèse  d'une  inspira- 
tion sommaire  l'apparentant  aux  primitifs. 

A  vrai  dire,  ce  poète  de  la  simili-fresque  n'a  pas  de  rhétorique.  Cet 
entrepreneur  de  compositions  symboliques,  —  ainsi,  du  moins,  le 
classent  naïvement  les  Philistins  en  panurgisme  d'admiration,  —  a  le 
sentiment  du  symbole  tout  juste  autant  qu'un  professeur  de  dessin 
linéaire.  Ce  n'est  en  somme  qu'un  paysagiste,  un  perspecteur  et  un 
metteur  en  scène  pour  décors  non  fermés  (tous  les  gens  familiers  avec 
le  théâtre  comprendront  ce  que  je  veux  dire).  Mais  ses  paysages  sont 
des  merveilles  artistiques  ;  sa  perspective  est  le  comble  du  métier; 
il  dispose  ses  personnages  comme  un  régisseur  assez  vieux  pour  avoir 
pris  des  leçons  du  papa  Ingres.  Ajoutez  —  et  cette  dernière  considé- 
ration établira  mieux  que  tous  les  raisonnements  ce  qu'il  y  a  d'acquis 
dans  cette  prétendue  spontanéité  géniale  —  que  jadis  luministe 
médiocre,  M.  Puvis  de  Chavannes  possède  maintenant  tout  le  registre 


140 


LE  MENESTREL 


des  effets  de  lumière,  des  dégradations,  des  nuances,  et  qu'il  en  joue 
avec  une  incomparable  virtuosité,  et  vous  aurez  la  genèse  de  cette 
notoriété  devenue  célébrité,  puis  illustration  si  nationale  que  le  pré- 
sident de  la  Société  des  Beaux-Arts  occupe  désormais  à  vie,  et  en 
toute  certitude  d'aboutissement  panthéonique,  le  poste  olympien  de 
Victor  Hugo  de  la  peinture  décorative. 

En  cinq  phrases  s'exprime  cette  œuvre,  la  pensée  du  maître  glo- 
rifiant la  Science  et  la  Poésie  :  l'Astronomie,  bergers  chaldéens 
observant  la  marche  des  planètes;  l'Histoire  évoquant  le  passé; 
Homère  couronné  par  l'Iliade  et  l'Odyssée;  Virgi/e.  Ces  deux  der- 
nières compositions  nous  intéresseront  plus  particulièrement  avec  la 
Poésie  dramatique  qui  pourrait  bien  être  la  page  maîtresse  et  qui 
représente  les  Océanides  consolant  Prométhée  enchaîné,  scène  de 
rêve  lentement  formulée  sous  les  yeux  d'Eschyle  étendu  au  pied 
d'une  falaise.  Homère,  qui  peut-être  n'exista  pas,  est  couronné  par 
ses  deux  lilles  divines,  qui  sont  immortelles,  l'Iliade,  une  Minerve 
casquée,  l'Odyssée,  une  superbe  aventurière,  drapée  dans  le  manteau 
couleur  de  muraille  que  portait  certainement  le  prudent  Ulysse  avant 
nos  traîtres  de  mélodrame.  Ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  le  Virgile, 
c'est  le  paysage,  un  Corot  aux  teintes  pâlissantes,  une  campagne 
aux  molles  ondulations, des  hêtres  aux  fûts  de  bouleaux;  un  ruisseau 
qui  serpente  doucement;  bref,  tout  ce  qu'il  faut  à  un  cygne  de 
Mantoue  pour  s'alanguir  et  rêver. 

Ces  allégories  sont  rafraîchissantes  dans  leur  délicate  harmonie; 
les  faiblesses  mêmes  du  dessin  ont  quelque  chose  de  reposant  et 
et  qui  atténue  l'effet  d'une  trop  longue  tension  esthétique.  Et  ces 
faiblesses  M.  Puvis  de  Chavannes,  avec  un  souci  peut-être  superflu 
de  l'opinion  des  gens  du  métier,  a  voulu  prouver  qu'elles  sont  presque 
toujours  intentionnelles;  il  en  a  fait  la  démonstration  peut-être 
démesurée  dans  la  salle  qui  porte  le  n"  I  et  le  nom  de  salon  bleu. 
Vous  y  verrez  une  longue  suite  de  dessins  et  d'études,  tout  un 
déménagement  d'atelier  :  dessins  consciencieux,  éludes  serrées.  Les 
pasticheurs,  qui  croient  aisé  de  chavanniser  comme  le  maître,  y 
apprendront  pendant  combien  d'années  il  faut  avoir  serré  de  près  la 
nature  pour  parvenir  à  réaliser  l'à-peu-près  suggestif,  pour  donner 
une  illusion  qui  après  tout  n'est  pas  décevante  puisqu'elle  satisfait 
tant  d'assoiffés  d'idéal. 

De  l'exposition  de  M.  Puvis  de  Chavannes,  je  passerai  sans 
autre  transition  au  salon-bibliothèque,  exécuté  «  en  grandeur 
naturelle  »,  dit  le  livret,  sur  les  dessins  de  M.  Guillaume  Dubufe. 
(I  Cet  essai  de  décoration  d'ensemble,  ajoutelepapier  officiel,  essai  à 
l'exécution  duquel  ont  apporté  leur  concours  des  membres  de  toutes 
les  sections  de  la  société  nationale  des  Beaux-Arts,  a  pour  but  de 
montrer  aux  artistes  et  au  public  le  parti  qu'on  pourrait  tirer  de 
cette  fusion  réelle  de  toutes  les  manifestations  d'art,  non  seulement 
pour  l'installation  d'une  maison  particulière,  mais  encore  pour  l'or- 
ganisation des  expositions  publiques  ».  Les  différentes  sections  de  la 
société  y  sont  représentées  en  effet  par  des  vues  de  Capri,  de 
MM.  Dubufe,  Montenard,  La  Touche  et  Rosset-Granger,  une  compo- 
sitioi;  symbolique  d'Agache  et  un  Crépuscule  lunaire,  de  Guignard, 
des  morceaux  de  sculpture  parmi  lesquels  une  charmante  danseuse 
de  Bartholomé,  des  aquarelles  è  figurer  en  bonne  place,  une  curieuse 
illustration  de  M.  Dubufe  pour  le  théâtre  d'Emile  Augier,  des  eaux- 
fortes,  des  grès,  des  bronzes  —  et  même  des  meubles.  Au  demeurant, 
ensemble  plutôt  théâtral.  Les  premiers  metteurs  en  scène  de  Paris, 
Sarah,  Carré,  Porel,  en  tireraient  un  excellent  parti,  et  c'est  à  ce  but 
que  je  le  signale.  Dans  une  habitation  et  pour  un  salon-bibliothèque, 
cabinet  de  travail,  oa  manquerait  un  peu  d'intimité. 

Revenons  à  la  grande  décoration.  Elle  revêt  diverses  formes  au 
Salon  du  Champ  de  Mars,  mais,  sous  tant  d'aspects  variés,  c'est 
toujours  le  même  genre  de  provocation  et  le  passant  n'y  résiste 
guère.  Comment  ne  s'arrêterait-il  pas  devant  le  feu  d'artifice  tiré  par 
M.  de  La  Touche  qui  exposait  l'année  dernière  des  Saisons  d'un 
ruggiérisme  si  aveuglant.  Voici  pour  189S,  une  Bnrywe  voguant  surune 
mer  d'incandescence  et  de  phosphorences  ;  une  Vasque  enguirlandée  de 
feuillages,  aux  tons  si  rutilants  que  jamais  M.  Firmin  Girard  lui-même 
n'imagina  de  semblables  ou  de  plus  flamboyantes  visions.  Les 
cygnes,  les  enfants,  les  pèlerins  sont  nimbés  de  toutes  les  couleurs 
du  prisme.  M.  Gervex,  beaucoup  moins  tapageur,  se  recommande 
au  contraire,  par  une  certaine  austérité  de  facture  dans  le  grand 
paysage  décoratif,  composé  pour  la  salle  de  physique  de  la  Sorbonne: 
l'arc-en-ciel  y  figure  aussi,  mais  au  naturel  et  nullement  décomposé. 
Cet  arc-en-ciel  dans  un  ciel  d'orage  est-il  vrai,  est-il  su  ffisament  fondu 
ou  fondant,  sous  ce  ciel  d'orage  où  glissent  encore  des  nuées?  Pro- 
blème insoluble. 

Encore  un  panneau  décoratif,  très  remarqué  et  très  digne  de  l'être, 
ia  Peinture  do  M.  Louis  Simon  :   l'atelier,  avec  vue  sur  la  campagne 


et  la  mer,  la  maman  et  la  fillette  qui  posent  devant  le  peintre,  sont 
d'une  beauté  simple  et  d'un  rendu  délicat,  sans  efl'ort  apparent]  mais 
aussi  d'une  conscience  qui  repose  de  cette  déplorable  facilité,  carac- 
téristique de  tant  d'envois  au  Palais  des  Arts  libéraux...  Je  ne  dis  pas 
cela  pour  M.  Béraud.  Son  art  est  facile;  encore  n'a-t-il  rien  de  repo- 
sant. La  Poussée  a  pour  décor  une  salle  à  manger  somptueuse  où  gobe- 
lottent  et  gobelettent  les  viveurs  chers  à  M.  Henri  Lavedan.  On  est 
en  train  de  sabler  le  Champagne,  —  style  classique,  —  quand  la 
porte  cède  sous  une  violente  poussée.  A  travers  les  panneaux  dis- 
joints se  précipite  une  horde  d'émeutiers,  de  modernes  Jacques, 
socialistes,  anarchistes,  collectivistes  et  s'il  est  quelque  chose  de 
plus  eu  iste.  Un  débardeur  fort  dépoilraillé  tient  son  eustache  ;  un 
autre  porte  au  bout  d'une  pique  une  tête  sanglante  (sans  aucun  doute 
celle  d'un  contribuable  qui  a  fait  un  fausse  déclaration  aux  commis- 
saires enquêteurs  de  l'impôt  sur  le  revenu)  ;  tous  ces  figurants  de  la 
crise  suprême  ouvrent  de  grandes  bouches  et  font  de  vilaines  gri- 
maces. Les  soupeurs  s'enfuient  et,  avec  une  stupeur  d'affolement 
qui  serait  le  plus  exact  détail  d'observation  psychologique,  si  M.  Bé- 
raud  l'avait  prémédité,  ils  courent  du  côté  où  des  lueurs  d'incendie, 
des  traînées  de  fumée  indiquent  justement  que  la  retraite  est  coupée. 
Seul  un  viveur,  serrant  sur  son  plastron  immaculé  (dernier  retour 
de  Londres)  une  belle  petite  en  pâmoison,  fait  tête  à  la  horde  meur- 
trière et  lui  tend  une  coupe  de  Champagne...  Dirai-je  que  le  geste 
n'est  pas  beau  ?  H  est  surtout  théâtral.  Je  parlais  tout  à  l'heure 
d'Henri  Lavedan.  Ce  finale  fait  plutôt  songer  à  Georges  Ohnet  et  à 
ses  élégances  romanesques,  en  simili.  Sérieusement,  un  artiste  aussi 
bien  doué  que  M.  Béraud,  de  coup  d'œil  sûr,  de  vision  aiguë,  mo- 
derniste dans  les  moelles,  peut-il  s'imaginer  qu'il  a  synthétisé  en 
ce  tableau  anecdotique  l'épouvan table  menace  socialiste.  Cinquième 
acte  pour  une  pièce  du  Gymnase,  d'accord.  Et  même,  comme  on  l'a 
dit  avec  raison,  peut-être  le  peintre  qui  visait  au  drame  n'a-t-il  abouti 
qu'au  mélo.  Ai-je  besoin  d'ajouter  que  certains  détails  de  cette  petite 
toile  sont  exquis  et  qu'on  y  trouve,  dans  le  groupe  des  anarchistes,  des 
morceaux  de  premier  ordre? 

Pas  exquis  pour  deux  sous  ni  même  pour  de  moindres  menues 
monnaies,  en  revanche  copieusement  mélodramatique,  M.  José 
Frappa,  l'auteur  de  Grisou.  Rochard  pourrait  s'inspirer,  dans  quelque 
mise  en  scène  d'une  pièce  se  passant  au  Pays  noir,  de  cette  grande 
toile,  vulgaire  mais  impressionnante.  Au  fond  d'une  galerie,  les  bouil- 
leurs attaquent  la  veine  ;  un  herscheur  pousse  sa  berline,  et  voici 
qu'autour  des  travailleurs  éclate  le  feu  d'artifice  meurtrier;  le  souffle 
de  la  mort  passe  sur  leurs  faces  que  décompose  une  brusque  expres- 
sion d'épouvante. 

Encore  de  la  clarté,  plus  douce,'  plus  subtile  et  pour  ainsi  dire 
intimement  pénétrante  dans  /(/  Cène  de  M.  Dagnan-Bouveret,  le  clou 
d'or  du  Salon.  Au  centre  du  cénacle  obscur  et  voûté  (tels  les  fonds 
des  portraits  de  M.  Bonnat),  la  table  des  agapes,  disposée  comme 
dans  la  composition  célèbre  de  Léonard  de  Vinci.  Les  apôtres  entou- 
rent symétriquement  le  Christ  debout  et  prononçant  les  paroles 
sacrées  sur  la  coupe  où  le  vin  prend  une  chaude  transparence  de 
sang  fraîchement  versé.  Une  lueur  surnaturelle,  un  mystique  reflet 
dore  le  blanc  lainage  de  la  robe;  le  corps  est  non  seulement  en 
lumière,  mais  toute  lumière.  Quant  aux  apôtres,  M.  Dagnan-Bouveret 
les  a  peints  dans  le  style  classique  (ils  portent  tous  la  toge  romaine) 
mais  avec  un  souci  méritoire  de  l'expression  d'âme,  des  dessous  psy- 
chologiques. Il  y  a  là  une  variété  prodigieuse  et  un  remarquable 
rajeunissement  de  la  peinture  religieuse,  sans  att'éterie  ni  conces- 
sion au  maniérisme. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  de  M.  Ad.  Binet  qui  a  versé  cette  fois  dans 
la  irès  profonde  ornière  du  symbolisme  humanitaire.  Le  tableau  s'in- 
titule Marie-Madeleine.  Décor  :  des  ruines  qui  évoquent  vaguement  le 
souvenir  de  la  sanglante  semaine  de  mai  1871  ;  à  terre,  le  Christ, 
près  d'un  canon,  au  milieu  des  débris  d'une  barricade.  Une  Madeleine 
nue,  du  nu  le  plus  académique,  le  plus  complet,  est  penchée  sur  le 
cadavre  et  lui  dit  un  adieu  passionné.  Des  ouvriers  très  graves, 
presque  émus,  —  tels  les  barricardiers  des  lithographies  sentimen- 
tales de  1848  —  se  tiennent  debout  autour  du  groupe.  Et  c'est  tout, 
mais  c'est  encore  trop.  Quel  galvaudage  de  talent  dans  une  philopho- 
phie  sans  clarté  et  dans  une  symbolique  sans  portée  ! 

Très  peu  de  mise  en  scène  militaire  :  le  genre  n'est  pas  en  vogue 
au  Champ-de-Mars;  voici  pourtant  une  belle  composition  de  M.  Rixens, 
la  sortie  des  batteries  mobiles  de  la  Haute-Garonne  de  la  place  de 
Belfort,  le  18  février  1871.  Quelque  ressouvenir  d'une  toile  célèbre 
d'Edouard  Détaille,  mais  une  impression  bien  personnelle  et  un  rendu 
saisissant  du  bataillon  qui  défile,  avec  ses  blessés,  sous  les  yeux  de 
l'armée  allemande,  forcée  de  rendre  les  honneurs  de  la  guerre  à  cette 
poignée  de  braves.  M.  Séon,  plus  consolant,  nous  ramène  aux  vagues 


LE  MÉNESTREL 


141 


conceptions  mythologiques  et  à  la  grande  figure  d'Orphée.  Le  poète 
se  lamente  au  pied  des  falaises,  dans  un  paysage  d'une  beauté 
sinistre,  sans  surcharge  romantique.  M.  Armand  Point  s'amuse  —  et 
nous  intéresse  —  avec  son  panneau  /'lispéraiicc  et  la  Douleur,  «  pein- 
ture à  l'œuf  reconstituée  suivant  la  tradition  des  primitifs  »,  dit  le 
catalogue.  En  fait,  M.  Armand  Point  est  un  botticelliste,  et  qui  s'en 
vante,  mais  un  hotticelliste  très  acceptable,  j'entends  un  peintre  qui 
sait  dessiner  et  un  dessinateur  qui  sait  peindre.  Voulez-vous  encore 
de  la  peinture  à  l'œuf?  (Si  je  ne  vous  avertissais  pas,  vous  n'y  verriez 
que  du  blanc).  M.  Alphonse  Dinet  a  reconstitué,  lui  aussi,  le  pro- 
cédé des  primitifs  pour  l'appliquer  aux  Danseurs  de  la  tribu  des 
Ouled-Nails,  à  un  fougueux  Othello  el  à  une  demi-douzaine  d'autres 
compositions  point  négligeables. 

Un  beau  porirait,  et  même  le  plus  beauportraitduChanip-de-Mars: 
Alexandre  Dumas  fils,  "par  M.  RoU.  L'œuvre  est  inachevée  ;  le  bas  du 
corps,  les  bras,  les  mains  restent  dans  la  pénombre  de  l'ébauche,  mais 
la  lêle,  en  pleine  valeur,  offre  une  vitalité  saisissante.  Les  yeux,  d'un 
bleu  aigu,  regardent  droit  devant  eux;  le  front  est  modelé  avec  une 
rare  perfection.  Voilà  le  portrait  que  je  voudrais  voir  dans  le  foyer 
de  la  Comédie-Française.  Il  représente  au  naturel  non  pas  le  dilet- 
tante, ni  l'homme  du  monde,  ni  le  témoin  railleur  de  la  farce  humaine, 
qu'ont  fixé  sur  la  toile  d'autres  effigies  du  maître  écrivain,  mais 
l'homme  de  lettres  aux  prises  avec  le  métier,  le  rude  labeur  de  la 
lâche  quotidienne.  Il  n'a  rien  d'apprêté,  d'arrangé,  d'officiel. 

Bon  portrait  encore  et  d'une  vie  intense  dans  ses  proportions  res- 
treintes, dans  le  serré  de  l'exécution,  la  petite  étude  de  M.  Le  Bargy, 
par  Louis  Picard.  Le  peintre  des  rêveuses  et  des  sphynges,  le  lumi- 
niste  concentré  qui  est  un  des  maîtres  du  Salon,  a  merveilleusement 
rendu  la  fine  silhouette  du  modèle  ou  plutôt  l'a  découpée  avec  une 
netteté  tranchante  qui  donne  un  double  relief  physique  et  psycholo- 
gique. De  feu  Paul  Archainbaud,  Brémont,  de  l'Qdéon  et  même  de 
beaucoup  d'autres  théâtres,  assez  adroitement  esquissé.  M.  Brindeau 
de  Jarny  nous  montre  le  poêle  Jehan  Rictus  que  je  me  reproche 
d'ignorer  et  Maurice  Donnay  qu'a  fait  amplement  connaître  le  succès 
d'Amants.  M.  Léopold  Stevens  expose  Madame  Yvelinr/  HamBaud  et 
Eiir/cnie  Buffet  avec  deux  vues  de  Paris  qui  ont  une  àpreté  d'eaux - 
fortes. 

Retournons  à  l'art  mystique  avec  le  panneau  décoratif  d'Aman-Jean, 
Sirènes  —  deux  naïades  plaintives  au  milieu  de  l'océan  désolé  —  et  à 
l'art  aveuglant  avec  les  jeux  de  lumière  de  la  Cascade  et  de  la  Bai- 
rjnade  dans  le  lac  d'Annecy,  de  M.  Albert  Besnard,  coloriste  outrancier. 
Si  le  prisme  était  encore  à  inventer,  M.  Besnard  s'en  chargerait.  Du 
moins,  il  le  perfectionne  en  l'exagérant.  Les  baigneurs  d'Annecy 
tirent  leur  coupe  dans  un  plat  débordant  de  confitures  diaprées,  dans 
une  compote  de  soleil,  dans  une  crème  d'étoiles  fusantes  !  Ils  en 
sortiront  vêtus  de  rayons,  et  les  promeneurs  du  Ghamp-de-Mars  en 
reviendront  aveugles. 

(A  suivre.}  Camille  Le  Senne. 


LE    MONUMENT    DE    M-"'^    CARVALHO 


TROISllOME  LISTE  DE  SOUSCRIPTION  DU  MÉNESTJiEL 

M""=  Marie  Roze Fr.  20 

M.  Cuvillier 2S 

M.  de  Forges ■    .    .    .    .  10 

M'""  Ambroise  Thomas 200 

M™  Rosine  Laborde 20 

M.  et  M""  Verdier 2S 

M.  et  M""=  Léonce  Détroyat 20 

M.  Maurice  Détroyat 10 

M""=  Pauline  Viardut 40 

M""  Gabriellc  Lejeune  (de  l'Opéra-Comique) 20 

2"  LISTE  GÉNÉRALE.  —  M.  G.  Paillard:  lOU  fr.  ;  MM.  Daubé, 
Vaillard.  Gianini  et  MM.  les  artistes  de  l'orchestre  de  l'Opéra-Comi- 
que: no  fr.  ;  M.  Gombarieu,  préfet  de  l'Ain  :  20  fr.  ;  M.  et  M""  Eug. 
Pelletier  :  oO  fr.  ;  MM.  les  employés  du  contrôle  et  de  la  salle  et  les 
dames  ouvreuses  de  l'Opéra-Comique:  110  fr.  ;  M.  Arthur  Meyer  : 
oO  fr.  ;  M.  G.-J.  Vibert  et  M"''  Vibert  Lloyd  :  SO  fr.  ;  M""=  Gustave 
Levi  :  20  fr.  ;  M""  Mackenbourg  :  20  fr.  ;  M™'-  Marguerite  :  2S  fr.  ; 
M.  et  M""=  Varnier:  50  fr.  ;  M.  Raymond  Bonheur  :  100  fr.  ;  M"»  Hé- 
lène Bonheur  :  100  fr.  ;  M"°  A.  Ducasse  :  40  fr.  ;  M.  Jules  Béer  : 
300  fr.  ;  M'"<^  E.  Schloss  :  20  fr.  ;  M.  Pfeiffer  :  20  fr.  ;  M.  Fernand 
Le  Borne  :  20  fr.  ;  M"'»  Adelina  Patti  Nicolini  :  oOO  fr.  ;  M.  Duvert  : 
50 fr.;  M.  le  général  Davouf,  duc  d'Auestaëdt,  grand  chancelier 
de  la  Légion  d'honneur:   SO  fr.  ;  M.   Poinsot,  chef  de   bureau  à  la 


grande  chancellerie  do  la  Légion  d'honneur  :  10  fr.  ;  M.  Léon  Labbé, 
sénateur,  et  M"'°  Léon  Labbé  :  100  fr.  ;  M.  Jean  Labbé  :  20  fr.  ;  M.  Ca- 
mille Labtié:  20  fr.  ;  M.  G.  Hecq  :  20  fr.  ;  MM.  et  M'"='  les  artistes 
du  chant  de  l'Opéra-Comique:  667  fr.  5.5  c.  ;  M."'""  les  artistes  du 
ballet  :  36  fr.  ;  MM.  les  chefs  de  service  et  employés  de  la  scène,  de 
la  comptabilité  et  de  la  bibliothèque  de  l'Opéra-Comique  :  150  fr.  ; 
le  personnel  de  la  scène  et  de  la  salle  à  l'Opéra-Comique  :  21  fr.  50  c.  ; 
M.  Edouard  Détaille:  100  fr.  ;  M.  et  M"«  des  Chapelles:  100  fr.  ; 
M.  et  M"'"  A.  Sallet  Carminola  :  100  fr.  ;  M.  Humbert  :  20  fr.  ;  M.  Emile 
Réty:  20  fr.  ;  M.  et  M""  Grunebaum  Ballin  :  100  fr.  ;  M.  Guilloir  : 
20  fr.  ;  M""  Mathilde  Auguez  :  50  fr.  ;  M""=  Marie  Roze  :  20  fr.  ;  M.  Cu- 
villier :  2o  fr.  ;  M.  de  Forges  :  10  fr.  ;  M.  Alb.  Vernaelde  :  10  fr.  ; 
M"'«  V=  Ambroise  Thomas  :  200  fr.  ;  Anonyme  (A.  F.)  :  20  fr.  ;  M.  A. 
Couade  :  5  fr.  ;  M.  Jules  Minier  :  5  fr.  :  M.  Emile  Abraham  :  5  fr.  ; 
M.  et  M"'=  Van  Brook  :  50  fr.  ;  M.  G.  Bac  :  20  fr.  ;  M.  E.  Bérard,  chef 
de  bataillon  du  génie  :  50  fr.  ;  M.  Paul  Corrard  :  26  fr.  ;  M.  et  M"'"  Mi- 
chel Carré  :  100  fr.  ;  M.  Gast.  Serpette  :  20  fr.  ;  M.  Lacome  d'Esta- 
lenxs  :  20  fr.  ;  M.  Cormon  :  25  fr.  ;  M.  Paul  Vidal  :  20  fr.  ;  M.  Fr. 
Flameng  :  100  fr.  ;  M.  Léon  Duez,  Boulogne-sur-Seine  :  100  fr.;  M'"  Marie 
d'Epinay:  20  fr.  ;  M"'°  la  baronne  Barbier:  20  fr.  ;  M""=  d'Ivernois  : 
20  fr.  ;  M°">  Y"  Jardel  :  20  fr.  ;  MM.  Alexandre  père  et  fils  :  100  fr.  ; 
M.  Ed.  Sèche  :  20  fr.  ;  M'™  Léon  Marty  :  20  fr.  ;  M.  Tilloy  Delaune,  à 
Lille  :  100  fr.  ;  M.  et  M'""  d'Elhée  :  20  fr.  ;  M'°=  V=  A.  Mathieu  :  50  fr.  ; 
Comte  et  comtesse  Bertrand  de  Guitaut,  à  Noyon:  50  fr.  ;  M.  Stumpf, 
à  Pantin  :  60  fr.  :  M.  Louis  Weill  :  100  fr.  ;  M.  Jules  Nimier  :  o  fr.  ; 
M.  Louis  Aigon  :  25  fr.  ;  M""  de  Provigny  :  200  fr.  ;  M.  Edm.  Lemée  : 
2  fr.  :  M.  et  M""  Eug.  Ronimel  :  50  fr.  ;  MM.  Enoch  et  C'«,  éditeurs  de 
musique:  50  fr.  ;  M.  Paul  Sédille.  architecte:  100  fr.  ;  M.  Henry 
Blay  :  20  fr.  ;  Une  élève  reconnaissante  :  25  fr.;  M., Robert  Mitchell  : 
20  fr.  —  Total  général  :  20.533  fr.  20. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (30  avril).  —  Le  succès  de  M.  Van  Dyck 
dans  le  Tannhâuser  a  été  énorme  ;  certes,  le  public  n'a  pas  perdu  pour  avoir  un 
peu  attendu.  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire,  à  vous  qui  le  saviez  bien  avant 
nous,  ce  que  l'artiste  fait  de  ce  rôle  compliqué  et  divers,  l'intensité  de  vie 
et  d'expression  qu'il  y  met,  les  infinies  nuances  et  le  mouvement  qu'il  y 
apporte.  Pour  tous,  c'a  été  une  révélation,  et  comme  une  lumière  qui  a 
éclairé  tout  à  coup  cette  œuvre  superbe  et  imposante,  que  les  interprètes 
habituels  de  la  Monnaie  ne  contribuaient  certes  pas  à  rendre  plus 
attrayante  qu'elle  n'est  réellement.  Inutile  de  parler  de  l'entourage  de 
M.  Van  Dyck  et  d'insister  sur  les  faiblesses  d'une  exécution  d'ensemble 
lourde,  passive  et  sans  intelligence  :  M.  Van  Dyck  a  suffi  pour  faire  oublier 
presque  tout  cela.  Par  malheur,  voici  qu'un  nouveau  contretemps  arrive 
gâter  notre  joie.  Après  avoir  renoncé  à  chanter  Manon,  M.  Van  Dyck 
renonce  aussi  à  chanter  Faust!  Ce  n'est  pas  la  fatigue  de  ces  rôles  qui  lui 
fait  manquer  ainsi  à  ses  promesses,  mais  la  fatigue  de  les  répéter,  —  non 
certes  pour  lui,  mais  pour  les  autres.  Dans  l'état  de  santé  exigeant  des 
ménagements,  où  il  se  trouve,  passer  de  longues  heures  au  théâtre  pour 
réapprendre  leurs  rôles  à  ses  collègues,  rétablir  les  mouvements  tronqués 
et  corriger  la  mise  en  scène,  c'est  une  besogne  dure,  que  M.  Van  Dyck  a, 
dû  abandonner.  L'épreuve  des  répétitions  du  Tannliduser  lui  avait  été  déjà 
bien  cruelle;  il  n'a  pas  osé  la  renouveler.  Et  voilà  comment  le  répertoire 
de  notre  ténor  bien-aimé  se  réduit,  en  Belgique,  comme  en  France,  à 
Loliengrin  et  au  Tannhduser.  Le  reste,  et  Manon,  et  Faust,  et  Werlher,  est  ren- 
voyé à  des  temps  meilleurs,  à  l'année  prochaine,  —  année  d'exposition 
universelle,  qui  permettra  à  la  Monnaie  de  garder  ses  portes  ouvertes  tout 
l'été  et  à  M.  Van  Dyck  de  venir  ici  passer  trois  mois,  comme  il  est  dès 
à  présent  arrêté  et  convenu.  Ça  nous  console  un  peu.  En  attendant,  les 
Concerts  Populaires  nous  le  feront  entendre,  dans  une  séance  extraordi- 
naire, où  il  chantera,  le  1-4  mai,  avec  M""'  Bosman,  le  premier  acte  de  la 
Valkyrie;  et  il  doit  chanter  le  "J  à  Anvers,  Lohengrin  —  gracieusement  — 
pour  une  œuvre  de  charité,  —  ce  qui  veut  dire  qu'Anvers,  sa  ville  natale, 
lui  prépare  un  vrai  triomphe. 

La  saison  théâtrale  à  la  Monnaie,  finira  par  ces  soirées  brillantes;  ce 
sera  bien  finir  assurément.  Et  déjà  l'on  s'occupe  de  la  saison  prochaine. 
Aux  noms  de  M"=  Jane  Ilarding  et  de  M"°  Goulancourt,  dont  je  vous  ai 
annoncé  l'engagement,  il  faut  ajouter  ceux  de  M.  Imbart  de  la  Tour,  l'ex- 
cellent ténor  qui  vient  do  faire  florès  à  Nice,  et  de  M.  Isnardon,  la  spiri- 
tuelle basse.  Par  contre,  on  m'assure  que  M""  Armand  nous  quitte;  et, 
quant  à  M™»  Leblanc,  elle  n'est  pas  réengagée.  L.  S. 

—  Da  notre  correspondant  de  Londres  (30  avril).  Le  Prince  of  Wales 
Théâtre  vient  de  produire  une  nouvelle  opérette  intitulée  Biarritz  qui  attirera 
la  foule  à  cause  du  joyeux  comique  Arthur  Roberts  qui  y  remplit  le  prin- 
cipal rôle  et  à  cause  des  costumes  et  des  décors  qui  sont  des  merveilles  de 
goût  et  d'exactitude.  La  pièce,  par  elle-même,  ne  mérite  pas  d'être  prise 


142 


LE  MENESTREL 


au  sérieux  et  la  partition  de  M.  Osmond  Carr  ne  s'éclaire  qu'à  de  trop  rares 
intervalles. 

Au  Duke  of  York  Théâtre,  succès  sur  toute  la  ligne  avec  la  nouvelle 
bouffonnerie  musicale  de  MM.  Dance  et  Ivan  Carryll,  la  Gaie  Parisienne. 
C'est  l'odyssée,  vraiment  cocasse,  d'une  demi-mondaine  parisienne,  tomliant 
en  Angleterre  au  milieu  d'une  famille  très  prude...  en  apparence.  Il  y  a 
là-dedans  de  la  franche  gaieté  et  des  situations  habilement  amenées,  dont 
l'effet  est  irrésistible.  La  musique  de  M.  Caryll  a  beaucoup  Je  vivacité  et 
d'enlrain;  la  mélodie  est  abondante,  mais  jamais  triviale;  les  morceaux 
sont  bien  agencés  et  très  finement  orchestrés  ;  c'est,  à  mon  avis,  la  meil- 
leure partition  du  compositeur.  M""*  Freear,  Reeve,  Robinson,  MU.  Rignold, 
Wheeler  et  Demny  forment  un  très  agréableensemble  d'interprétation.  La 
pièce  est  encadrée  avec  un  luxe  de  mise  en  scène  qui  fait  honneur  au  goût 
raffiné  du  manager,  M.  Sedger. 

M.  Mottl  vient  de  diriger  un  fort  beau  concert  à  Quen's  Hall.  Au  pro- 
gramme trois  morceaux  de  Wagner,  la  symphonie  pastorale  et  le  concerto 
en  mi  p  de  Beethoven,  ce  dernier  exécuté  par  M.  d'Albert,  dont  le  jeu  est 
soigné,  mais  dont  le  style  manque  d'ampleur.  M.  Mottl  obtient  de  magni- 
fiques ell'ets  de  sonorité,  mais  quelle  conviction,  quel  recueillement  artis- 
tique peut-on  attendred'un  orchestre  qui  est  dirigé  tantôt  par  Richter,  tantôt 
par  Mottl,  tantôt  par  Pierre,  Jacques  ou  Paul  qui,  chacun,  ont  une  manière 
différente  de  comprendre  et  de  faire  exécuter  la  musique!  Avec  ce  système 
les  pauvres  instrumentistes  se  trouvent  réduits  à  l'état  de  rouages  incons- 
cients et  c'est  le  secret  de  toutes  ces  exécutions  incolores  et  sans  saveur 
qu'on  entend  ici.  Léon  Schlesinger. 

—  Le  bigotisme  anglais  vient  de  faire  des  siennes  et  on  croirait  vrai- 
ment que  les  temps  sont  revenus  où  on  pouvait  entendre  au  Parlement  et 
dans  les  assemblées  administratives  du  pays,  le  fameux  cri  de  guerre  :  iVo 
popery  (pas  de  papauté!).  A  Lincoln,  on  doit  exécuter  dans  quelques  jours 
le  célèbre  Slabat  Mater,  de  Rossini,  avec  le  concours  de  toutes  les  sociétés 
chorales  de  la  région.  Or,  un  membre  influent  du  comité  de  cette  fête 
chorale  s'est  scandalisé  de  ce  que  le  nom  de  la  Sainte  Vierge  revint  si 
souvent  dans  le  texte  latin  du  Stahaf  et,  en  protestant  militant,  il  a  partout 
substitué  le  nom  du  Sauveur  à  celui  de  sa  mère,  qui  n'est  pas,  comme  on 
sait,  en  grande  faveur  chez  les  protestants.  11  paraît  que  plusieurs  membres 
catholiques  des  sociétés  chorales  réunies  ontvivement  protesté  contre  cette 
censure  absurde  et  ont  refusé  leur  concours.  Ils  ont  parfaitement  raison, 
car  en  Angleterre  même  les  journaux  raisonnables,  parmi  lesquels  le  Truth, 
désapprouvent  cet  acte  d'intolérance  qui  est  vraiment  d'un  autre  âge.  Chez 
nous,  les  chanteurs  de  Saint-Gervais  nous  offrent  bien  les  compositions 
de  J.-S.  Bach  et  de  Schiitz  et  d'autres  compositeurs  protestants  de  la  vieille 
Allemagne  sans  rien  changer  aux  paroles  originales  qui  ne  cachent 
cependant  pas  la  foi  protestante  de  leurs  auteurs. 

—  On  nous  écrit  de  Berlin  que  le  concert  donné  à  la  «  Philharmonie  « 
par  M.  Ed.  Colonne,  et  exclusivement  composé  d'œuvres  françaises,  a  été, 
pour  le  renommé  chef  d'orchestre  et  pour  nos  maîtres,  l'occasion  d'un  véri- 
table triomphe.  Les  gros  effets  du  programme  ont  été  pour  la  belle  ouver- 
ture de  Phèdre,  de  Massenet,  et  pour  trois  fragments  de  Conte  d'Avril,  de 
Ch.-M.  Widor,  qui,  tous  trois,  ont  été  bissés.  Au  programme,  encore,  le 
Rouet  d'Omphale  de  Saint-Saëns,  la  Rapsodie  de  Lalo,  des  fragments  de  la 
Damnation  de  Faust  de  Berlioz  et  Roma  de  Bizet.  A  la  fin  du  concert, 
M.  Ed.  Colonne  a  été  l'objet  d'une  manifestation  interminable  de  la  part 
du  public  et  de  la  part  des  musiciens  de  «  la  Philharmonie  »  qui  ont  joué 
en  perfection.  On  ne  peut  qu'applaudir  à  cette  tentative  qui  ne  sera  vrai- 
semblablement pas  sans  lendemain,  puisque  M.  Colonne  est  redemandé  par 
la  Philharmonie,  par  l'Opéra  et  par  l'Intendant  des  théâtres  impériaux, 
le  comte  Hochberg,  pour  deux  concerts,  toujours  de  musique  française  bien 
entendu,  à  donner  en  automne  avec   l'orchestre  des  concerts  du  Chàtelet. 

—  De  Berlin,  M.  Colonne  s'est  rendu  à  Copenhague,  où  son  succès  n'a 
pas  été  moins  grand.  Là  encore,  la  musique  française  a  été  acclamée, 
et  les  acclamations,  les  bravos,  les  ovations  ont  pris  un  caractère  d'en- 
thousiasme indescriptible. 

—  La  Société  historique  deBerlinpossède  un  document  vraimentcurieux, 
l'original  d'un  programme  de  théâtre  datant  du  commencement  de  1796, 
un  peu  plus  de  quatre  ans  après  la  mort  de  Mozart,  en  l'honneur  duquel 
avait  lieu  la  soirée  annoncée  sur  le  programme.  Cette  pièce,  aujourd'hui 
centenaire,  d'assez  grande  dimension,  porte  en  titre  l'aigls  prussienne,  et 
est  ainsi  conçue  : 

Aujourd'hui  dimanche  28  février  1798,  par  grâce  spéciale  de  S.  M.  le  roi,  la 
veuve  de  feu  le  Kapellmeister  MozsiH,  aidée  par  les  chanteurs  royaux  et  les  chan- 
teuses de  la  chapelle  royale,  aura  l'honneur  de  représenter  sur  le  théAtre  royal 
la  dernière  œuvre  de  son  défunt  mari:  la  Clémence  île  Titus.  Première  partie  : 
Ouverture  de  Idi  Flûte  enchantée  ;  d^ir  chanté  par  M""Uighini,  composée  par  Mozart; 
concerto  pour  basson  composé  et  joue  par  M.  Ritter.  Air  chanté  par  D""Schmalz, 
composé  par  Mozart. 

Deuxième  partie  :  Choix  des  meilleurs  morceaux  de  la  Clémence  de  Tilus,  qui 
serontchantés  par  M"-  Schiok,  M""  Righini,  D"'Schmalz,  M.  Fische,  M.  Hurka, 
et  M"'  Mozart.  Les  textes  de  la  musique  seront  vendus  à  l'entrée  pour  4  groschon. 

Prix  des  places  :  Une  personne  paye  au  premier  rang,  1  rthl  (reiclislkater)  8  gr.  ; 
au  second  rang,  1  rthl.  ;  dans  les  loges  de  parterre,  16  gr.  ;  au  troisième  rang, 
16  gr.  ;  parterre,  12  gr.  Les  billets  pour  une  loge  entière  au  premier  rang  se 
trouvent  chez  la  veuve  Mozart,  dans  la  nouvelle  Friedrichstrasse,  dans  la  maison 
de  Sohielen,  près  de  l'église  de  la  garnison  ;  les  autres  loges  et  les  places  sépa- 


rées sont  à  acheter  de  9  heures  du  matin  à  1  heure  de  l'après-midi,  chez  le 
concierge  du  théiUre.  On  commencera  à  5  1/2  heures. 

—  Lakmé  vient  d'être  joué  pour  la  première  fois  au  théâtre  grand-ducal 
de  Weimaravec  un  succès  énorme.  Une  jeune  artiste  de  Vienne,  M"=Merkl, 
débutait  dans  le  rôle  principal  et  a  été  immédiatement  engagée  pour 
trois  ans. 

—  Le  ténor  Burgstaller,  qui  doit  débuter,  cet  été,  au  théâtre  Wagner,  a 
été  attaqué  à  Bayreuth,  dans  la  nuit  de  dimanche,  par  un  individu  qui  lui 
a  porté  un  coup  de  couteau.  Mais  il  a  rencontré  une  solide  cuirasse  ;  une 
partition  de  Wagner  que  l'artiste  portait  sur  lui  a  fait  dévier  la  lame  et  lui 
a  sauvé  la  vie. 

—  Mozart  est  l'homme  du  jour  en  Autriche.  A  peine  a-t-on  inauguré  son 
monument  à  Vienne  que  les  habitants  de  Prague  se  proposent  de  lui  ériger 
également  une  statue.  On  vient  de  donner,  dans  ce  but,  une  représentation 
extraordinaire  de  la  Flûte  enchantée  au  nouveau  théâtre  allemand  à  des  prix 
fortement  majorés  et  la  recette  a  été  brillante.  L'emplacement  du  futur 
monument  est  tout  indiqué.  Devant  le  Conservatoire  se  trouve  une  belle 
place  aux  bords  de  la  Moldau  et  en  face  du  palais  royal,  sur  la  colline  de 
Hradschin.  Là,  Mozart  serait  bien  en  vue  et  il  pourrait  porter  ses  regards 
vers  la  villa  Bertramka,  dans  le  faubourg  de  Smichov,  où  il  écrivit  Don 
Juan,  dont  le  succès,  lors  de  la  première  représentation  à  Prague,  reste  une 
gloire  musicale  de  la  capitale  de  la  Bohème. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Cologne  a  joué  avec  succès  un  nouvel  opéra 
en  deux  actes,  intitulé  EIsi,  la  Servante  singulière,  dont  la  musique  est  due 
à  un  compositeur  débutant  qui  porte  un  nom  célèbre,  M.  Arnold  Men- 
delssohn. 

—  Les  compositeurs  d'opérettes  ne  chôment  pas  de  l'autre  côté  du  Rhin. 
Le  baron  Victor  d'Erlanger  vient  de  donner  au  théâtre  allemand  de  Prague 
une  opérette  intitulée  Madame  la  Colonelle;  à  Vienne,  M.  Berté  a  terminé 
une  opérette  qui  a  pour  titre  Sir  Roger,  et  M.  Joseph  Hellmesberger  est  en 
train  d'en  terminer  une  intitulée  la  Tète  du  chat.  Enhn,  à  Hanovre,  on  a 
joué,  avec  beaucoup  de  succès,  une  opérette  intitulée  Kuehleborn,  dont  le 
compositeur,  M.  Frédéric  Bermann,  n'a  que  seize  ans.  Le  livret  lui  a  été 
fourni  par  son  frère  aine. 

—  Certains  grands  de  îa  terre  continuent  de  se  distinguer  par  leur  amour 
de  la  musique,  ne  dédaignant  pas  de  la  cultiver  eux-mêmes  de  façon  plus 
ou  moins  sérieuse.  C'est  ainsi  que  le  prince  Louis-Ferdinand  de  Bavière 
vient  de  publier  récemment  sous  ce  iUve  Mélancolie,  une  composition  pour 
piano,  violon  et  violoncelle  dont  les  initiés  disent  le  plus  grand  bien.  Et, 
d'autre  part,  on  annonce  que  le  landgrave  de  Hesse  a  composé  une  messe 
dans  le  style  de  Palestrina. 

—  A  peine  la  saison  est-elle  terminée  à  la  Scala  de  Milan,  qu'on  parle 
déjà  de  la  prochaine  et  de  son  programme  probable.  Ce  programme  s'ap- 
puierait surtout  sur  les  quatre  ouvrages  suivants:  le  Cid,  de  Massenet, 
la  Statue,  de  Reyer,  André  Chénier,,  d'Umberto  Giordano,  et  la  Bohème  (iné- 
dit), de  Leoncavallo.  Plus,  une  reprise  deSainson  et  Dalila,  de  Saint-Saèns, 
avec  le  ténor  Tamagno. 

—  Il  n'y  a  pas  moins  en  ce  moment,  en  Italie,  de  vingt-trois  troupes 
d'opérette,  vivantes,  agisssantes,  florissantes,  et  pour  la  plupart  faisant 
d'assez  bonnes  affaires. 

—  L'enthousiasme  des  Italiens  ne  connaît  plus  de  bornes  lorsqu'il  s'agit 
de  leurs  compositeurs.  On  se  croirait  revenu  au  temps  glorieux  desPergo- 
lèse,  des  Sacchini,  des  Cimarosa  et  des  Paisiello.  Voici  un  jeune  musi- 
cien, M.  Nicole  van  Westerhout,  qui  a  fait  représenter  l'an  dernier,  à 
Naples,  son  premier  opéra;  vite,  on  construit  à  Molo  di  Bari,  sa  ville 
natale,  un  nouveau  théâtre,  auquel  on  donne  incontinent  le  nom  du  jeune 
triomphateur.  On  fait  plus  :  on  lui  demande  pour  l'inauguration  de  ce 
théâtre,  un  ouvrage  nouveau,  et  il  s'empresse  d'écrire  pour  cette  solennité, 
sur  un  livret  de  M.  Arturo  Golantti,  un  opéra  en  un  acte  intitulé  Doîia  Flor. 
Cet  ouvrage  est  représenté  le  18  avril  avec  un  succès  immense,  un  succes- 
sone,  comme  on  dit  là-bas.  le  public  trouve  le  moyen  de  bisser  huit  mor- 
caux,  à  la  fin  de  l'acte  on  rappelle  douze  fois  le  compositeur,  on  rappelle 
le  librettiste,  on  rappelle  les  chanteurs,  on  rappelle  jusqu'au  syndic  (!), 
qui  a  dû  être  bien  étonné,  et  à  la  suite  de  cette  manifestation,  toute  l'as- 
sistance :  hommes,  femmes,  enfants  et  militaires,  se  réunit  aux  portes  du 
théâtre,  acclame  de  nouveau  le  compositeur  et  le  reconduit  en  triomphe  à 
son  hôtel  à  la  lueur  des  torches.  Libre  à  M.  van  Westerhout  de  croire 
maintenant  qu'il  est  le  successeur  direct  de  Rossini,  da  Bellini  et  de 
Verdi.  Est-ce  que  tout  ça  n'est  pas  un  peu...  —  comment  dirons-nous  ?  — 
un  peu  ridicule. 

—  Au  théâtre  Gerbino,  de  Turin,  on  a  représenté  une  pantomime  lyrique 
en  trois  actes,  Sludenti  e  sartine,  livret  de  M.  Emilie  Bellini,  musique  de 
M.  Gilbert  de  Vinkel,  jeune  étudiant  en  médecine  auquel  on  doit  déjà  la 
musique,  très  réussie,  dit-on,  d'une  parodie  du  Crépuscule  dos  Dieux.  L'exé- 
cution était  dirigée  par  l'auteur  en  personne. 

—  Un  riche  dilettante,  le  marquis  Francesco  Dondi  dell'  Orologio,  -a 
écrit  une  «  nouvelle  musicale  »  intitulée  Pasqua  suW  Alpe,  qu'il  a  fait 
représenter  dans  la  demeure  d'un  de  ses  intimes,  le  marquis  Giovanni. 

—  On  nous  écrit  de  Moscou  que  le  Grand-Théâtre  a  préparé  un  ballet 
extraordinaire  pour  les  fêtes   du  couronnement  de  Nicolas  II.  Ce  ballet, 


LE  MÉNESTREL 


143 


qui  a  pour  titre  Dàita  et  qui  est  tiré  d'une  fable  japonaise,  c'a  qu'un  acte, 
mais  sa  mise  en  scène  a  coûté  la  bagatelle  de  lOO.OÛO  roubles,  soit,  au 
cours  actuel,  près  de  300.000  francs.  Le  temple  de  la  déesse  Konanou,  une 
espèce  de  Vénus  japonaise,  est  une  vraie  merveille;  inutile  de  dire  qu'à 
un  moment  donné  les  dieux  et  les  déesses  quittent  leurs  socles  et  se  met- 
tent à  danser.  A  la  répétition  générale,  qui  vient  d'avoir  lieu,  le  nouveau 
ballet  a  produit  un  effet  énorme;  il  parait  que  les  Russes  en  auront  pour 
leur  argent. 

—  Nous  avons  déjà  fait  connaître,  à  diverses  reprises,  le  dilettantisme 
de  Sa  Hautesse  le  sultan  Abdul-Hamid  et  de  son  jeune  vassal  le  khédive 
Abbas-Pacha,  Les  journaux  étrangers  nous  en  apportent  de  nouvelles 
preuves.  Il  parait  que  le  sultan  a  fait  appeler  dans  son  palais  une  compa- 
gnie italienne  d'opérette  bien  connue,  la  compagnie  Scrognamiglio,  et 
s'est  fait  donner  par  elle  une  représentation  qui  l'a  beaucoup  diverti  et 
pour  laquelle  elle  a  été  magnifiquement  récompensée..  D'autre  part,  le 
khédive,  plus  sérieux,  profitant  du  séjour  de  M.  Saint-Saëns  en  Egypte, 
aurait  reçu  en  audience  particulière  l'auteur  de  Samson  et  Dalila,  auquel  il 
aurait  fait  un  accueil  des  plus  flatteurs.  Ce  qui  tendrait  à  prouver  que  les 
affaires  du  Soudan,  pourtant  assez  graves,  n'épuisent  pas  l'activité  intel- 
lectuelle du  jeune  souverain. 

—  L'Amérique  continue  d'être  l'Eldorado  des  chanteurs  et,  surtout  des 
cantratrices.  A  New- York  les  abonnés  du  Théâtre  Métropolitain  voulant 
offrir  à  M""'  Lillian  Nordica  un  témoignage  de  leur  admiration,  se  sont 
cotisés  à  cet  effet.  La  souscription  était  fixée  à  dix  dollars,  et  l'on  a  réuni 
ainsi  une  somme  de  SO.OOO  francs  avec  laquelle  on  a  pu  offrir  à  la  diva  un 
superbe  diadème  orné  de  233  diamants,  'qui  lui  a  été  présenté  après  la 
premier  acte  de  Lohengrtn  et  qui  a  été  accueilli  par  elle  avec  toute  la  faveur 
qu'il  méritait. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Dans  la  séance  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  qui  a  eu  lieu  le  samedi 
24  avril,  sous  la  présidence  de  M.  Bonnat',  la  section  de  composition 
musicale,  chargé  du  classement  des  candidats  au  fauteuil  d'Ambroise 
Thomas,  a  présenté  :  en  première  ligne  ex  œquo  et  par  ordre  alphabétique, 
MM.  Victorin  Joncières  et  Widor;  en  deuxième  ligne,  dans  les  mêmes 
conditions,  MM.  Bourgault-Ducoudray  et  G.  Fauré  ;  en  troisième  ligne, 
M.  Lenepveu.  Aux  termes  du  règlement,  la  section  spéciale  ne  pouvant 
présenter  qu'une  liste  de  cinq  candidats  au  plus,  l'Académie  des  Beaux- 
Arts,  par  des  votes  successifs,  a  ajouté  à  cette  liste  les  noms  de  MM.  Gastinel, 
Ch.  Lefebvre  et  Maréchal.  C'est  hier  samedi  que  l'Académie  a  procédé  à 
l'élection.  Voici  le  résultat  du  vote  : 

Au  8=  tour  de  scrutin,  M.  Charles  Lenepveu  a  été  nommé  par  19  voix, 
contre  16  à  M.  Joncières. 

—  Al'Opéra  vendredi  dernier,  M''"  Louise  Grandjean,  dont  onse rappelle 
les  très  heureux  débuts  dans  Aïda,  a  pris  possession  du  rôle  de  Brunchilde 
dans  Sigurd.  Très  beau  succès  pour  l'excellente  artiste  qui  est  en  train  de 
prendre  une  place  tout  à  fait  prépondérante  à  notre  Académie  nationale 
de  musique. 

—  Aujourd'hui,  dimanche,  à  7  heures,  représentation  gratuide.  On  don- 
nera la  Favorite  et  Coppétia. 

—  A  l'Opéra-Comique,  pour  ne  pas  passer  les  mêmes  jours  que  la 
Comédie-Française,  onremetla  répétition  générale  du  Clievalier  d'Harmental 
à  demain  lundi  dans  la  journée  et  la  première  représentation  à  mardi  soir. 

—  M.  Carvalho  vient  d'engager  M.  Rivière,  un  jeune  ténor  qu'on  avait 
fort  remarqué  à  l'audition  des  élèves  de  M"""  Marie  Roze. 

—  Spectacles  d'aujourd'hui  dimanche.  En  matinée  :  [Orphée  ;  le  soir  :  les 
Noces  de  Jeannette  et  Lakmé. 

—  A  l'occasion  de  diverses  cérémonies  récentes,  ont  été  nommés  officiers 
d'académie  :  M""^  Faugier,  professeur  de  musique,  et  M.  Detrain,  compo- 
siteur. 

—  M.  Alphonse  Duvernoy,  l'auteur  d'HeZié,  vient  d'adresser  à  M.Taffanel, 
chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  la  lettre  suivante  : 

Mon  cher  Taffanel, 

Veuillez,  je  vous  prie  transmettre  l'expression  de  ma  gratitude  aux  éminents 
artistes  que  vous  dirigez  avec  une  si  rare, maîtrise.  L'exécution  d^Heîîé  a  été 
parfaite,  reconnue  telle  par  tous  —  ce  dont  je  suis  très  heureux  —  et  elle  m'a 
procuré  la  plus  grande  jouissance  artistique  de  ma  vie. 

Quant  à  vous,  mon  cher  ami,  si  voire  grand  talent  n'est  plus  à  louer,  per- 
mettez-moi néanmoins  de  dire  hautement  combien  votre  afTectueux  dévoue- 
ment à  mon  œuvre  m'a  été  précieux  et  combien  je  vous  suis  reconnaissant. 

Merci  encore,  à  vous  et  à  tous. 

Alph.  Duvernoy. 

—  Le  mercredi  13  mai,  à  une  heure,  aura  lieu,  dans  la  grande  salle  du 
Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation  (entrée  par  la  rue 
du  Conservatoire),  l'Assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  Ar- 
tistes musiciens,  fondée  par  le  baron  Taylor.  L'ordre  du  jour  comprendra  : 
1°  le  compte  rendu  des  travaux  du  Comité  pendant  l'année  1895,  par 
M.  Charles  Gallon,  2"  l'élection  de  douze  membres  du  Comité. 

—  Le  pauvre  théâtre  des  Folies-Marigny,  dont  la  réexistence  fut  si 
éphémère,  vient  de  retrouver  preneur.  MM.  Borney  et  Desprez,  les  habiles 
managers  du  Casino   de  Paris,  viennent  de  s'en  rendre   acquéreurs.  On 


donnera,  de  préférence,  des  ballets  et  l'exploitation  ne  durera  que  pendant 
la  belle  saison. 

—  La  séance  supplémentaire  donnée  par  la  Société  de  musique  de 
chambre  pour  instruments  à  vent  et  à  cordes  de  MM.  Gillet,  Turban,  Hen- 
nebains.  Reine,  Letellier,  1.  Philipp,  R  émy,  Ijoeb  et  Balbreck,  était 
comme  une  sorte  de  résumé  des  trois  séances  précédentes.  On  y  a  entendu 
le  concerto  de  Bach  pour  piano,  flûte  et  violon,  les  pièces  pour  hautbois  et 
piano  de  Schuman,  une  Aubade  de  Lalo,  la  Sérénade  pour  piano,  harmo- 
nium, flûte,  violon  et  violoncelle  de  Widor,  et  le  septuor  de  la  Trompette 
de  Saint-Saéns.  Très  gros  succès  pour  les  œuvres  et  pour  les  excellents 
artistes,  auxquels  s'étaient  joints  MM.  Widor,  Franquin,  de  Bailly,  Lam- 
mers  et  Landormy. 

—  M.  André  Tracol  a  poursuivi  avec  succès  la  très  intéressante  série  de 
séances  consacrées  par  lui  à  l'historique  du  violon.  Il  nous  a  fait  entendre, 
dans  la  seconde  et  la  troisième,  toute  une  suite  d'ceuvres  vraiment  curieuse 
et  complètement  oubliées  :  des  sonates  de  Torelli,  de  Geminiani  et  de 
Corelli,  et  différentes  pièces  de  Walther,  de  Bonparti,  d'Aubert  père  et  de 
Veracini,  qui  toutes  présentent  un  vif  intérêt  et  qu'il  a  exécutées  avec  un 
talent  fait  de  conscience,  de  style  et  de  véritable  sentiment  artistique.  Son 
succès  a  été  très  sincère,  très  vif  et  très  mérité.  On  a  remarqué,  dans  la 
dernière  séance,  un  beau  quatuor  de  Smetana,  fort  bien  exécuté  par 
MM.  Tracol,  Geloso,  Monteux  et  Schneklud.  Les  autres  artistes  qui 
prêtaient  leurs  concours  au  jeune  violoniste  étaient  M""=  Boidin-Puisais, 
MM.  Joseph  Thibaud,  Boëllmann,  Dumontier,  Tournemire,  Salmon,  La- 
chanaud  et  de  Bailly. 

—  La  soirée  donnée  par  M""=  Rosine  Labordepour  l'audition  de  ses  élèves 
a  été  particulièrement  brillante.  On  a  successivement  applaudi  M"=Leander, 
une  jeune  Finlandaise  douée  d'une  voix  exquise  et  dont  les  succès  seront 
certains  au  théâtre;  M"»  Gerville-Reache  un  beau  mezzo-soprano , 
M™  Theisson  une  superbe  voix  de  soprano  dramatique,  M"«=  Wallace, 
Breen,  Choisnel,  Kurten,  Torrini,  Noldi,  qui  font  le  plus  grand  honneur 
;'i  l'excellente  méthode  de  leur  maître  éminent.  U'^'^^  Victor  Roger,  Delly- 
Delaspre,  son  élève,  Paul  Nadard,  MM.  Lepage,  Lantelme  et  Tournemire 
ont  prêté  le  concours  de  leur  beau  talent  à  cette  intéressante  soirée  artis- 
tique. 

—  Très  réussie  la  matinée  donnée  par  M"">  Bataille,  dans  ses  salons  de 
la  rue  Baujon,  pour  l'audition  de  ses  élèves.  Grand  succès  pour  M™s  Durey 
et  Corrard  et  M"™  Haëring,  Vilma,  Lasne,  Grémaud  et  Appert  et  pour  les 
compositeurs  qui  accompagnaient  leurs  œuvres,  M°"=s  Ferrari  et  de  Granval 
et  MM.  de  Saint-Quentin  et  de  Boisdeffre.  M.  Engel  a  chanté  d'une  façon 
exquise,  etM"*  Wyns  a  magistralement  dit  l'air  à'Orphée.  Applaudissements 
enthousiastes  pour  la  maîtresse  de  maison  dans  la  valse  du  Pardon  de 
Ploêrmel  et  dans  le  duo  de  Roméo  et  Juliette,  avec  M.  Engel. 

—  Mardi  prochain  S  mai,  salle  Érard,  à  4  heures,  1'°  séance  de  la  Société 
des  Instruments  anciens,  fondée  par  MM.  Diémer  (clavecin),  Delsart  (viola  de 
gambe).  Van  Waefelghem  (viole  d'amour)  et  Grillet  (vielle).  Cette  séance 
aura  lieu  avec  le  concours  de  M""  Marcella  Prégi  et  de  M.  Gaubert.  Le 
programme  se  compose  de  pièces  de  Bach,  Htendel,  Claude  Gervaise(lSb4), 
Frescobaldi  (1637),  Desgrignis  (1660),  Corelli  (1690),  Dandrieu  (1724)  et  de 
Boismortier  (1732).  On  n'a  pas  oublié  le  retentissant  succès  des  trois 
premières  séances,  donnés  l'année  dernière,  par  la  Société  des  instruments 
anciens. 

—  La  Société  des  concerts  de  chant  classique  donnera,  le  jeudi  7  mai, 
son  concert  annuel.  Le  programme  de  cette  année,  composé  par  M.  Jules 
Danbé,  directeur  de  ces  concerts,  comprend,  en  outre  de  quelques  morceaux 
intéressants  d'auteurs  anciens  et  classiques  qu'interpréteront  les  excellents 
chanteurs  de  Saint-Gervais  sous  la  direction  de  leur  chef,  M.  Ch.  Bordes, 
des  ouvrages  de  nos  compositeurs  modernes  morts  récemment  tels  que: 
Ambroise  Thomas,  Lalo,  Delibes  et  Louis  Lacombe.  fil'"^^  Éléonore  Blanc 
et  Carrê-Delorn  ;  MM.  Maréchal,  Challet  et  Carré,  de  l'Opéra-Comique, 
prêteront  leur  concours  à  cette  intéressante  solennité,  qui  aura  lieu,  à 
3  heures,  dans  la  salle  des  fêtes  de  l'hôtel  Continental. 

—  M.  Lefort  vient  de  donner  une  dernière  séance  de  musique  de  chambre 
avec  le  plus  vif  succès.  Au  programme  se  trouvaient  inscrits  un  joli  quin- 
tette de  M.  Richard  Mandl,  les  gracieux  trios  de  Ch.-M.  Widor  et  deux 
mélodies  de  Bizet  et  de  Saussine,  chantées  avec  charme  par  M"=  Eléonore 
Blanc.  Une  symphonie  de  Haydn,  dirigée  habilement  par  M.  Lefort,  a  été 
une  agréable  innovation  à  ces  concerts.  L'orchestre  était  composé  de  lau- 
réats et  d'élèves  du  Conservatoire. 

—  Le  violoniste  Ladislas  Gorski  vient  de  donner  un  très  intéressant 
concert  dans  la,  salle  Érard,  avec  le  concours  de  M.  Sig.  de  Stojowski.  Les 
deux  artistes  ont  exécuté  avec  beaucoup  de  charme  la  sonate  pour  piano 
et  violon  de  César  Franck  et  une  suite  pour  les  mêmes  instruments  de 
M.  Edouard  Schutt.  M.  Gorski  a  joué  d'une  façon  magistrale  plusieurs 
morceaux  parmi  lesquels  un  andante  et  une  gavotte  de  J.-S.  Bach  et  des  va- 
riations de  Paganini,  transcrites  par  lui-même,  ont  été  tout  particulière- 
ment goûtées  par  l'auditoire.  M.  de  Stojowski  a  réuni  tous  les  suffrages 
par  son  interprétation  finement  détaillée  de  l'andante  posthume  de  Bee- 
thoven et  d'un  scherzo  de  Chopin.  0.  Bn. 

—  On  nous  écrit  d'Arras  que  des  fêtes  s'organisent  en  cette  ville,  pour 
le  mois  de  juin  prochain,  en  l'honneur  du  célèbre  trouvère  Adam  de  la 
Halle,  surnommé  «  le  bossu  d'Arras  »,  que  sa  fameuse  pastorale   le  Jeu  de 


144 


LE  MENESTREL 


Robin  et  de  Manon  fait  justement  considérer  sinon  comme  le  criîateur,  du 
moins  comme  l'initiateur  du  genre  de  Topéra-comique  français.  Un 
comité  s'est  formé  à  Paris,  sons  la  présidence  de  M.  Emile  Blémont,  qui 
s'occupe  activement  de  ces  fêtes,  dont  le  produit  sera  consacré  à  l'érection 
d'un  monument  à  Adam  de  la  Halle.  On  sait  que  le  célèbre  trouvère  arté- 
sien, qui  vivait  dans  la  seconde  motié  du  treizième  siècle,  a  écrit  à  la 
fois  les  paroles  et  la  musique  de  sa  gracieuse  pastorale,  qu'on  lui  doit  deux 
autres  «  jeux  »,  le  Jeu  d'Adam  et  le  Jeu  du  Pèlerin,  et  qu'enfin  il  est  l'auteur 
d'un  grand  nombre  de  chansons,  jeux-partis,  rondeaux  et  motets  dont  plu- 
sieurs sont  d'une  exquise  saveur  et  qui  étaient  restés  inédits  jusqu'en  ces 
derniers  temps.  C'est  à  un  érudit  infatigable,  Edmond  de  Coussemaker, 
que  nous  devons  de  les  connaître  aujourd'hui.  Coussemaker  a  donné,  en 
effet,  édition  de  toutes  les  productions,  littéraires  et  musicale's,  d'Adam  de 
la  Halle  (avec  une  traduction  de  la  musique  en  notation  moderne),  qu'il  a 
publiée  sous  ce  titre  :  OEuvres  coynplétes  du  Trouvère  Adam  de  la  Halle,  publiées 
sous  les  auspices  de  la  Société  des  sciences,  des  leUres  et  des  arts  de  Lille,  par  E. 
de  Coussemaker  (Paris,  Pedone-Lauriel,  1S7-2,  in-4").  C'est  là  le  monument 
qui  a  consacré  le  génie  (le  mot  n'a  rien  d'excessif)  du  vieux  trouvère 
français;  celui  qu'on  projette  consacrera  sa  gloire. 

—  La  Société  des  beaux-arts  de  Nantes  a  donné  une  grande  soirée  musi- 
cale dans  laquelle  M"«  Eva  Romain  s'est  fait  vivemant  applaudir  en  chan- 
tant l'air  du  Cid,  de  Massenet.  Succès  aussi  pour  le  l'etit  Lulii,  le  gentil 
opéra-comique  de  M.  Charles  Hess,  joué  par  M"'"  Bouit  et  M.  Lary. 

Verdun.  Brillant  concert  à  la  Citadelle,  le  lendemain  de  la  visite  de 

M.  Félix  Faure,  au  profit  du  comité  local  de  secours  aux  blessés.  Grand 
succès  pour  M.  A.  Mareschal,  dans  le  Concerl-Stuch  de  Weber,  avec  accom- 
pagnement d'orchestre  (45  exécutants)  et  le  septuor  avec  trompette  de  Saint- 
Saëns.  Se  sont  également  distingués  :  M'"»  Poignon,  dans  Galtia  de  Gounod, 
M.  Ghepfer,  de  Nancy,  monologuiste  d'un  talent  original  et  fin,  et  M.  A. 
Durand,  capitaine  au  1=''  bataillon  de  chasseurs  à  pied,  dont  on  a  exécuté 
une  œuvre  nouvelle  :  Bacchanale,  poème  d'Ogier  d'Ivry,  pour  chœurs  mixtes 
et  orchestre. 

A  Pau,  très  bpau  festival  Massenet  pour  le  dernier  des  très  suivis 

concerts  symphoniques  de  M.  Ed.  Brunel.  Au  programme,  le  prélude  de 
Werther,  le  divertissement  du  Roi  de  Lahore,  le  menuet  de  Manon,  la  sévillana 
de  Don  César  de  Bazan,  le  prélude  et  les  airs  de  ballet  d'Bérodiade,  la  médi- 
tation de  r/iaïs,  l'invocation  des  £rmni/es,rhyménés,  la  pastorale  et  la  chasse 
A'Esclarmonde  et  l'aragonaise  du  Cid.  Très  beau  succès  pour  l'excellent  chef 
d'orchestre  et  pour  MM.  Alonzo  et  Bellmann,  violon  et  violoncelle  solo. 

Versailles.  —  La  Société  de  Patronage  des  enfants  libérés  et  aban- 
donnés de  Seine-et-Oise  a  donné  un  grand  salut  solennel  en  la  chapelle 
du  Château.  A  signaler  une  tentative  extrêmement  intéressante  à  l'église  : 
des  poésies  déclamées  avec  adaptation  musicale;  l'essai,  dû  à  l'initiative 
de  M.  P.  Seguy,  a  parfaitement  réussi,  grâce  au  talent  de  diseur  de 
M.  Brémont  et  à  la  jolie  musique  de  M.  de  La  Tombelle.  M.  Paul  Seguy, 
dont  la  voix  fait  merveille  à  l'église,  a  ému  profondément  avec  Charité, 
de  J.  Faure  (son  appel  a  été  entendu,  car  la  quête  a  produit  2.000  francs), 
Crucijix  et  l'O  sahitaris,  du  même  auteur  n'ont  pas  moins  brillé  d'un  vif 
éclat;  M"':  F...,  soprano  amateur,  douée  d'une  très  jolie  voix,  a  triomphé 
dans  Jérusalem,  de  Gjunod.  M"«  Lavigne  a  chanté  de  sa  belle  voix  large 
YAve  Maria,  de  Cherubini,  accompagné  par  M.  Vuiliaume  qui  seul,  a 
exécuté  la.  Méditation  de  Thàis.  Compliments  à  MM.  Letocart,  Pilastre  et 
Verdalle. 

A  Tunis,  très  belle  séance  consacrée  par  M.  Louis  Frémaux  à  l'audi- 
tion d'œuvres  de  Louis  Lacombe.  Le  trio  en  la  du  maître,  joué  par  Mo^^Gril 
let  et  des  mélodies,  entre  autres  Au  pied  d'un  Crucifix,  très  bien  chantées  par 
M"'°  Frémaux  ont  obtenu  un  très  grand  succès. 

—  Co.NCEiiTs  ET  SOIRÉES. —  La  deuxième  matinée  d'élèves  de  M.  et  M""  Wein- 
gaertner  a  permis  de  constater  l'excellence  de  leur  enseignement.  Nous  ne 
pouvons  citer  tous  les  noms.  Signalons  pourtant  M""  Marie  Méha,  Groso, 
Candé,  Renier,  et  M.  Kunz,  qui  s'est  fait  bisser  la  Romance  pour  violon  de 
A.  Weingaerlner.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  la  déli- 
cieuse Valse  de  Philipp  et  le  Rêve  de  la  marquise  de  David.  —  Sous  la  direction 
de  M"'  Blankenstein,  au  cours  Désir,  a  eu  lieu  un  concours  des  plus  brillants 
sur  Source  capricieuse  de  L.  Fillaui-Tiger  ;  trente-six  élèves  ont  joué  ce  morceau 
comme  de  véritables  artistes.  —  A  la  soirée  musicale  donnée  salle  Pleyel  par 
MO"  Vieuxtemps,  née  de  la  Blauchetais,  pour  l'audition  de  ses  élèves,  on  a  par- 
ticulièrement applaudi  le  choîur  du  quatrième  acte  de  Sigurd  :  »  Emplissons 
nos  urnes  profondes  »,dont  les  jeunes  chanteuses  ont  admirablement  fait  res- 
sortir les  qualités  de  finesse  et  de  charme;  M»' Mary  Ilary,  soprano  dramatique, 
qui  a  fort  bien  détaillé  les  récits  de  Brunehilde,  a  ensuite  chanté  avec  autorité 
le  grand  air  de  Fidelio.  La  cavatine  du  Songe  d'une  nuit  d'été  :  »  Le  voir  ainsi  »,  a 
fait  merveilleusement  valoir  la  jolie  voix  de  M""  de  Frick,  et  M"'  Maréchal  a 
recueilli  les  bravos  de  l'auditoire  en  détaillant  la  page  charmante  du  liève 
dans  Xaviére,  de  Th.  Dubois.  Soirée  très  réussie  et  grand  succès  pour  la  maî- 
tresse et  ses  élèves.  Pour  la  partie  instrumentale,  JIM.  Marthe  et  Bauer-Keller 
prêtaient  leur  concours  à  celte  intéressante  audition.  —  Salle  Kriegelstein, 
brillante  audition  des  élèves  de  M"»  et  M""  Véras  de  la  Bastière.  Parmi  les  élè- 
ves les  plus  remarquées,  nous  citerons  :  M""  S.  Profit  ("Bras  dessus,  bras  dessous, 
Wack"),  J.  Collin  (Valse  des  Mouches,  .\.  Landry),  J.  et  M.  Rousset  (Aragonaise  du 
Cid,  Massenet-Lack),  A.  Delarue  (Par  le  sentier,  Th.  Dubois),  Marguerite  Lévy 
(Hymne  d'amour,  3.  Massenet;,  et  le  duo  de  Jean  de  Kimlle,  dans  lequel  son  succès 
a  été  partagé  par  M"'  Blanche  de  la  Bastière.  La  jeune   et  charmante   artiste 


qui,  récemment,  donnait  un  concert  comme  pianiste  et  comme  cantatrice' 
s'est  également  lait  applaudir  dans  le  Portrait  de  Manon,  qu'elle  a  dit  avec  beau- 
coup de  finesse.  Elle  a  accompagné  au  piano  M""  Magnien,  qui  a  obtenu  éga- 
lement un  brillant  succès.  —  Le  beau  programme  d'œuvres  classiques  pour  la 
séance  des  élèves  de  M.  E.  Decombes  a  l'ait  le  plus  grand  honneur  à  l'excellent 
professeur.  Pendant  l'intermède  d'œuvres  modernes,  la  jeune  E.  Nérini  a  joué 
ravissamment  Source  capricieuse  de  L.  Fillaui-Tiger,  et  le  .\aulonier  de  Diéraer. 
—  Le  neuvième  concert  de  M"'  B.  Duranton  était,  comme  toujours,  des  plus 
attrayants.  M"'  Duranton,  qui  est  certainement  une  de  nos  meilleures  pianistes, 
a  soulevé  la  salle,  principalement  dans  le  5  concerto  de  Beethoven,  accompa- 
gnée d'une  de  ses  élèves,  bonne  pianiste  déjà,  et  d'un  quatuor  à  cordes  ;  un 
thème  varié  de  Ilerold,  Dans  ta  nuit  (1"  audition),  jolie  pièce  de  Woollett,  Atte- 
grezze,  plein  de  délicatesse,  de  A.  Duvernoy,  et  la  savante  Gavotte  de  Bourgault- 
Ducoudray,  merveilleusement  stylée  par  elle.  Elle  s'était  assuré  le  précieux 
concours  de  M.  P.  Viardot,  chaudement  applaudi  dans  les  Variations  de  Tar- 
tlni  et  deux  pièces  de  lui.  De  véritables  ovations  ont  été  faites  à  M"°  Duranton 
et  à  l'auteur  dans  l'intrépide  et  brillante  Fantaisie  à  deux  piaims  de  A.  Périlhou. 
—  Co.vcERis  ANNONCÉS.  —  Mardi  5  mai,  à  4  heures,  salle  Érard,  1"  séance  de  la 
Société  des  instruments  anciens.  —  Même  jour  à  9  heures,  salle  Pleyel,  concert 
de  musique  moderne  de  M"*  Roger-JIiclos.  —  -Mercredi  soir,  C  mai,  à  la  Bodi- 
nière,  au  profit  de  l'église  anglicane  de  Saint-Georges,  concert  donné  par 
M"°BoIska  Skompska  de  l'Opéra  impérial  de  Moscou.  —  Vendredi  8  mai,  salle 
Érard,  concert  de  M.  Louis  Aubert.  —  Lundi  11  mai,  salle  Érard,  2'  concert 
donné  par  M"«  Thérèse  Duroziez  et  M.  Engel.  —  Lundi  11  mai,  k  9  heures,  salle 
des  Agriculteurs  de  France,  audition  de  musique  populaire  de  la  Grèce  et  de 
l'Orient,  donnée  par  M.  Aramis  avec  le  concours  de  M.  Baurgault-Ducoudray. 

NÉCROLOGIE 
■VI  r.1.  A.II  E  T 

L'excellent  ténor  Villaret,  qui  a  été  certainement  l'un  des  artistes  les 
plus  distingués,  les  plus  consciencieux  et  les  plus  honorables  que  nous 
ayons  connus  à  l'Opéra,  est  mort  lundi  dernier  à  Suresnes,  au  moment  où 
il  allait  accomplir  sa  soixante-sixième  année,  car  il  était  né  à  Milhaud 
(Gard)  le  29  avril  1830.  11  avait  commencé  par  être  ouvrier  brasseur  à 
Nîmes,  puis  à  Beaucaire  et  enfin  à  Avignon,  où  sa  voix  de  ténor,  si  pure, 
si  limpide  et  si  pleine,  faisait  la  joie  des  orphéons.  C'est  en  1862  que 
M«  Nogens-Saint-Laurent  ayant  eu  l'occasion  de  l'entendre,  le  signala  à 
Alphonse  Royer,  alors  directeur  de  l'Opéra,  qui  le  fit  venir  à  Paris,  l'en- 
tendit, l'engagea  aussitôt  aux  appointements  de  b.OOO  francs  par  an,  et  le 
confia  à  Delsarte  pour  le  mettre  en  état  de  paraître  à  la  scène.  Ce  n'est 
pourtant  que  sous  la  direction  d'Emile  Perrin  que  Villaret  fit  son  début 
le  20  mars  1863,  en  chantant  Guillaume  Tell  avec  un  succès  retentissant  qui 
justifiait  non  seulement  sa  voix  généreuse  et  superbe,  mais  aussi  l'excel- 
lent sentiment  musical  dont  il  faisait  déjà  preuve  et  qu'il  allait  bientôt 
développer  d'une  façon  remarquable.  Un  peu  court,  un  peu  trapu,  un  peu 
ventru  au  physique,  il  n'en  poursuivit  pas  moins  une  carrière  brillante 
grâce  à  ses  rares  qualités  de  chanteur,  et  aussi  à  l'intelligence  qu'il  ne 
tarda  pas  à  déployer  comme  comédien,  si  bien  que  dès  1860  son  traite- 
ment était  porté  à  45.000  francs.  Après  Guillaume  Tell,  qui  depuis  longtemps 
n'avait  eu  un  tel  interprète,  Villaret  aborda  successivement  tous  les  grands 
rôles  du  répertoire  et  se  fit  applaudir  dans  les  Huguenots,  Robert  le  Diable,  la 
Juive  (un  de  ses  plus  beaux  succès),  le  Trouvère,  la  Muette  de  Portici,  l'Afri- 
caine, la  Favorite,  Don  Juan,  la  Reine  de  Chypre,  les  Vêpres  siciliennes,  le  Pro- 
phète, le  Freischi'itz,  Alceslc.  Chose  assez  singulière,  pendant  les  vingt  années 
qu'il  passa  à  l'Opéra,  Villaret  n'eut  pas  à  faire  une  seule  création.  Mais  il 
était  toujours  là,  honnête,  consciencieux,  prêt  à  tout,  jamais  malade, 
jamais  fatigué,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  ait  été  une  seule  fois  la  cause  d'un 
relâche  pour  indisposition.  Pendant  tout  le  cours  de  sa  carrière  il  a  été 
certainement  le  modèle  des  artistes  et  des  serviteurs,  ayant  toujours  le 
respect  du  public,  de  ses  camarades  et  de  lui-même,  fuyant  les  occasions 
de  tapage  et  de  réclame  avec  autant  d'ardeur  que  d'autres  en  mettent  à 
les  rechercher,  et  se  bornant  à  faire  son  devoir  avec  une  conscience  et  une 
modestie  exemplaires.  Le  public  ne  s'y  trompa  pas,  et  lui  donna  des 
preuves  non  équivoques  de  ses  regrets  et  de  sa  sympathie  le  jour  de  sa 
dernière  représentation.  C'était  le  30  octobre  1882,  l'excellent  artiste  se 
montrait  pour  la  dernière  fois  dans  la  Juive,  et  M"»"  Krauss  avait  tenu  à 
reprendre  à  cette  occasion  le  rôle  de  Rachel  en  l'honneur  de  son  camarade. 
Les  spectateurs  comblèrent  Villaret  d'applaudissements,  le  rappelèrent 
avec  enthousiasme  et  lui  firent  une  de  ces  ovalions  qui  ne  s'oublient  pas. 
Sa  voix  était  encore  chaude  et  superbe,  mais  il  avait  tenu  à  se  retirer  dans 
tout  l'éclat  d'un  talent  qui  n'avait  point  encore  faibli.  Depuis  lors  on 
n'entendit  plus  parler  de  lui.  A.  P. 

—  On  annonce  la  mort,  àZara,  du  comteNicolo  de  Stermichde  Valcrociata, 
compositeur  amateur  distingué  auquel  on  doit  la  musique  de  deux  opéras: 
Desiderio,  duca  d'Istria  représenté  à  Zara  en  1861,  et  la  Madré  slava,  donné  à 
Trieste  en  186b.  Il  avait  été  élève  du  Conservatoire  de  Milan,  où  il  fut 
admis  en  1852,  et  d'où  il  sortit  en  1857. 

—  De  Naples,  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  73  ans,  d'un  professeur  de 
piano  nommé  Luigi  Gavaudan,  que  les  journaux  italiens  disent  d'origine 
française,  ce  qu'indique  suffisamment  son  nom.  Est-ce  que  ce  serait  là  un 
descendant  de  notre  célèbre  famille  de  chanteurs  de  ce  nom,  dont  tant  de 
membres  s'illustrèrent  à  l'Opéra  et  surtout  à  l'Opéra-Comique? 

Henki  Heugel,  directeur-gérant. 


1.MER1E  COAIX,  RUE  BERGEKlf,  20,  1 


S,  —   .Kncre  loiUleui; 


niiiiiirche  10  irai  1896. 


3398.  —  62"-^  A^^EE  —  i\°  1».  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesthil,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Cn  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Le  nouveau  directeur  et  la  réorganisation  du  Conservatoire,  H.  Moreno.  — 
II.  Semaine  théâtrale  :  Première  représentation  du  Chevalier  d'UurmentuI,  k 
rOpéra-Comique,  Arthur  Polgin  ;  première  représentation  de  Manon  Kolani, 
à  la  Comédie-Française,  reprise  de  Lysistrala,  au  Vaudeville,  Paul-É-.iile  Che- 
VALIER.  —  m.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  duChamp-de-Mars  (2"  arlicle), 
Camille  Le  Senne.  —  IV.  Le  monument  d'.\mbroise  Thomas.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  CŒUR  ET  LA  DOT 

polka  mazurka,  d'ÉDOUARD  Strauss,  de  Vienne.  —  Suivra  immédiatement: 

Printemps  nouveau,  de  A.  Landry. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Musi'ile  du  XVII"  siècle,  harmonisée  par  A.  Périlhou.  —  Suivra 
immédiatement;  Près  de  l'eau,  n°  2  des  Soirs  (^ amour,  de  Léon  Delafosse, 
poème  de  H.  de  Régnier. 


LE  NOUVEAU   DIRECTEUR 

ET 

LA  RÉORGANISATION  DU  CONSERVATOIRE 


Il  convient  de  féliciter  tout  d'abord  le  nouveau  ministre 
des  Beaux-Arts,  M.  Rambaud,  qui,  sans  se  perdre  comme  son 
prédécesseur  dans  de  petites  conspirations  de  bureaux,  a  su 
marcher  vite  et  ferme  dans  la  voie  naturelle  et  normale  qui 
lui  était  si  clairement  indiquée. 

Donc,  dès  mardi  dernier,  M.  Rambaud  faisait  appeler 
M.  Massenet  au  ministère  et  lui  offrait  la  direction  du  Con- 
servatoire de  musique,  après  lui  avoir  communiqué  le  plan 
de  réorganisation  de  l'École,  dont  on  trouvera  plus  loin  tous 
les  détails. 

—  Tous  ces  changements  ont-ils  votre  approbation? 

—  Comment  donc  !  monsieur  le  ministre. 

—  Vous  approuvez  la  création  du  Conseil  supérieur  d'en- 
seignement ? 

—  Pourquoi  pas? 

—  Et  la  nomination  du  directeur  pour  cinq  années  ? 

—  Je  n'y  vois  pour  ma  part  aucun  inconvénient. 

—  Alors  nous  pouvons  vous  considérer  comme  acceptant 
la  succession  d'Ambroise Thomas? 

—  C'est  beaucoup  d'honneur,  monsieur  le  ministre,  que 
vous  voulez  me  faire.  Mais,  je  ne  suis  pas  seul  dans  la  vie; 


permettez-moi  de  consulter  tout  d'abord  les  miens,  quelques 
amis...  Je  vous  demande  vingt-quatre  heures  de  réflexion. 

Et  alors,  le  directeur  des  Beaux-Arts,  M.  Roujon,  qui  assis- 
tait à  l'entretien,  d'intervenir  fort  aimablement. 

—  Non,  non,  monsieur  le  ministre,  ne  le  laissez  pas  partir 
sans  qu'il  nous  ait  donné  son  acceptation. 

—  Mais,  si  je  demande  à  consulter  quelques  personnes, 
c'est  simplement  pour  trouver  près  d'elles  des  encourage- 
ments. 

Et  M.  Massenet  s'éloigna  d'un  pas  tranquille,  enchanté  de 
la  réception  vraiment  cordiale  du  ministre.  Mais  le  lendemain, 
il  ne  se  décidait  à  sacrifier  «  ni  son  indépendance,  ni  sa 
liberté  »,  et  il  en  faisait  part  à  M.  Rambaud,  avec  l'expression 
de  ses  sentiments  reconnaissants  pour  le  grand  honneur  qu'on 
avait  bien  voulu  lui  faire. 

Le  ministre  répondit  par  une  lettre  gracieuse,  où  tout  en 
regrettant  comme  ministre  la  décision  prise,  il  s'en  félicitait 
comme  mélomane,  «  puisqu'elle  permettrait  à  l'auteur  de 
Manon  et  du  C'id  d'écrire  de  nouveaux  chefs-d'œuvre  ».  Ainsi 
finit  la  première  escarmouche. 

M.  Massenet  manquant,  le  ministre  se  tourna  résolument 
vers  M.  Théodore  Dubois,  et  il  trouva  de  ce  côté  la  solution 
qu'il  cherchait. 

Tout  est  ainsi  parfaitement  correct.  Il  était  juste  d'offrir  la 
«  place  »  à  M.  Massenet,  et,  celui-ci  ne  l'acceptant  pas,  il  était 
non  moins  juste  de  faire  appel  au  dévouement  de  M.  Dubois. 

C'est  une  nomination  qui  aura  l'approbation  de  tous. 
M.  Dubois  est  bien  l'homme  de  la  situation.  Cette  situation, 
avec  le  nouveau  règlement,  ne  sera  pas  sans  difficultés,  au 
moins  dans  les  premiers  temps.  Il  faudra  tout  le  calme,  toute 
la  droiture,  tout  l'esprit  de  justice,  et  aussi  toute  la  fermeté 
de  M.  Dubois  pour  les  surmonter. 

Ce  que  nous  reprocherons  au  nouveau  règlement,  c'est  de 
mettre  les  destinées  du  Conservatoire  dans  des  mains  bien 
diverses,  d'ouvrir  la  porte  à  bien  des  ambitions  et,  par  la 
courte  durée  qu'on  assigne  aux  fonctions  du  directeur, 
d'empêcher  les  longues  vues  d'ensemble  et  les  plans  médités 
d'enseignement.  Le  directeur  n'aura  pas  trop  de  tout  son 
temps  pour  se  défendre  des  embûches  semées  sous  ses  pas. 
Et,  en  définitive,  ce  prétendu  plan  de  réorganisation  ne 
pourrait  bien  donner  comme  résultat  que  le  gâchis  et  la  fin 
même  de  l'École  qui  fut  si  longtemps  glorieuse.  C'est  assez 
d'une  volonté  à  la  tète  d'une  entreprise,  pouriru  qu'elle  soit 
ferme  et  éclairée. 

Toutefois,  nous  avons  conûaiice  dans  la  sagesse  de  M.  Théo- 
dore Dubois.  Et  nous  reconnaissons  qu'au  milieu  de  tant 
de  récifs,  il  était  sans  doute  le  'seul  nautonier  qu'on  put 
raisonnablement  choisir. 

H.    MORENO. 


l'ili 


LE  MENESTREL 


LA  EEORGAIflSATION  DU  CONSERTATOIRE 

(Décret  publié  à  l'O/fieiel.) 

TITRE  PREMIER 

Institution  du  Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation. 

Article  premier.  Le  Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation  est 
consacré  à  r,înseignement  gratuit  de  la  musique  vocale  et  instrumentale  et  de 
la  déclamation  dramatique  et  lyrique. 

Art.  2.  Cet  enseignement  se  divise  en  neuf  sections  : 

1"  Solfège  et  théorie  musicale; 

?"  Harmonie,  orgue,  contrepoint  et  fugue,  composition  ; 

■S'  Chant,  déclamation  lyrique  ; 

4"  Piano,  harpe  ; 

5°  Instruments  à  arcliel  ; 

ti    Instruments  à  vent  ; 

7  Classes  d'ensemble; 

8  Lecture  à  haute  voix,  diction  et  déclamation  dramatique; 

9  Histoire  générale  de  la  musique;  histoire  et  littérature  dramatique. 
Art.  3.  Il  y  a  au  Conservatoire  : 

1  Uue  bibliothèque  composée  d'œuvres  musicales  et  diamatiques  et  de  publi- 
cations relatives  à  la  musique  et  à  l'art  français  ; 

2  Dn  musée  d'instruments  de  musique  anciens  et  modernes  et  d'objsts 
ayant  un  intérêt  direct  pour  l'enseignement  de  la  musique  ou  la  facture  instru- 
mentale. 

TITRE  II 

Direction,  administration. 

Art.  4.  Le  Conservatoire  est  placé  sous  l'autorité  d'un  directeur  qui  règle  tous 
les  travaux  et  préside  tous  les  comités,  dans  lesquels  sa  voix  est  prépondé- 
rante. 

Art.  5.  Le  directeur  est  nommé  pour  cinq  années  consécutives  par  décret  du 
président  de  la  République,  sur  la  proposition  du  ministre. 

En  cas  de  maladie  ou  de  congé  du  directeur,  la  personne  qui  doit  le  suppléer 
est  désignée  par  le  ministre. 

Art.  6.  L'administration  se  compose  en  outre: 

t'  D'un  chef  du  secrétariat,  chargé  de  tout  ce  qui  concerne  la  discipline  inté- 
rieure, le  matériel  et  la  comptabilité  ; 

2"  D'un  bibliothécaire  ; 

3"  D'un  conservateur  du  musée; 

'i-  D'un  sous-chef  du  secrétariat  et  du  nombre  de  commis  nécessaire  aux 
besoins  du  service. 

Tous  ces  fonctionnaires,  ainsi  que  les  employés  et  gens  de  service,  sont 
nommés  par  le  ministre,  sur  la  présentation  du  directeur. 

TITRE  III 
Corps  enseignant. 

Art.  7.  Le  corps  enseignant  se  compose  de  professeurs  titulaires,  de  chargés 
de  cours,  d'accompagnateurs  chargés  de  l'étude  des  rôles,  de  répétiteurs. 

Art.  8.  Les  professeurs,  les  chargés  de  cours  et  les  accompagnateurs  sont 
nommés  par  le  ministre,  sur  la  présentation  du  Conseil  supérieur  d'enseigne- 
ment et  du  directeur  du  Conservatoire. 

Art.  9.  Les  répétiteurs,  choisis  de  préférence  parmi  les  lauréats  du  Conserva- 
toire, sont  nommés  par  le  ministre,  sur  la  présentation  du  directeur,  pour  une 
période  de  trois  années,  qui  ne  peut  être  renouvelée  que  sur  l'avis  du  Conseil 
supérieur  d'enseignement. 

TITRE  IV 

CriAPITIlIi    PRESriER 

Conseil  supérieur  d'eiiseitjneineiil.  Juri/s  d'admission.  Comités  d'eœiimeii  des  classes. 
Jurys  des  concuitrs. 

§  1'*.  —  Conseil  supérieur  d'enseignement. 

Art.  10.  Il  est  institué  un  conseil  supérieur  d'enseignement  divisé  en  deux 
sections  :  l'une  pour  les  études  musicales,  l'autre  pour  les  études  dramatiques. 

Les  membres  de  ce  conseil  sont  nommés  par  arrêtés  ministériels. 

Le  conseil  est  présidé  par  le  ministre  ou  le  directeur  des  beaux-arts  et,  en 
leur  absence,  par  le  directeur  du  Conservatoire. 

En  cas  d'empêchement  de  ce  dernier,  la  présidence  est  dévolue  au  doyen  des 
membres  étrangers  au  Conservatoire. 

Les  deux  sections  se  réunissent  en  assemblée  plénière  toutes  les  fois  qu'il 
s'agit  de  ciuestions  communes  aux  deux  ordres  d'enseignement  et  relatives  à 
l'intérêt  général  du  Conservatoire. 

Art.  11.  Le  Conseil  supérieur  d'enseignement  est  composé  de  membres  de 
droit,  de  membres  nommés  par  le  ministre  et  de  membres  élus. 

Membres  de  droit  des  deux  sections. 

Le  ministre,  président  ;  le  directeur  des  beaux-arts,  vice-président;  le  direc- 
teur du  Conservatoire,  vice-président;  le  chef  du  bureau  des  théâtres. 
Le  chef  du  secrétariat  du  Conservatoire  remplira  les  fonctions  de  secrétaire. 

Section  des  études  musicales. 

Six  membres  nommés  par  le  ministre  et  choisis  en  dehors  du  Conservatoire; 
trois  professeurs  titulaires  du  Conservatoire,  nommés  par  le  ministre;  trois 
professeurs  titulaires  du  Conservatoire,  élus  par  leurs  collègues. 

Section  des  études  dramatiques. 

Six  auteurs,  critiques  ou  artistes  dramatiques,  nommés  par  le  ministre  et 
choisis  en  dehors  du  Conservatoire  ;  un  professeur  de  déclamation,  nommé  par 
le  ministre;  un  professeur  de  déclamation,  élu  par  ses  collègues. 


Les  membres  du  Conseil  supérieur  d'enseignement  sont  nommés  ou  élus 
pour  trois  ans. 

Les  membres  de  droit  de  ce  Conseil  font  partie,  au  même  litre,  des  jurys 
d'admission  et  des  comités  d'examen  des  classes. 

Art.  12.  Le  Conseil  supérieur  d'enseignement  se  réunit  sur  la  convocation  du 
ministre. 

Les  réunions  ont  lieu  aussi  souvent  que  les  circonstances  l'exigent  et  une 
fois  au  moins  tous  les  trois  mois,  pendant  la  durée  de  l'année  scolaire. 

Pour  délibérer,  la  moitié  des  membres  du  Conseil  est  nécessaire. 

Art.  1.3.  Le  Conseil  donne  son  avis  sur  toutes  les  questions  qui  lui  sont  sou- 
mises par  le  ministre  ou  par  le  directeur  du  Conservatoire. 

Il  est  chargé  de  l'inspection  des  classes,  détermine  les  conditions  dans 
lesquelles  cette  inspection  doit  s'exercer  et  prend  connaissance  des  rapports  de 
ceux  de  ses  membres  qu'il  a  délégués  comme  inspecteurs. 

Il  discute  et  soumet  à  l'approbation  du  ministre  les  programmes  d'ensei- 
gnement. 

Il  arrête  les  programmes  des  exercices  des  élèves. 

Art.  14.  Lorsqu'une  place  de  professeur  vient  à  vaquer,  la  section  compétente 
du  Conseil  présente  au  ministre  une  liste  de  candidats  comprenant  deux  noms 
au  moins  et  trois  au  plus. 

Art.  15.  Chaque  année,  à  la  reprise  des  études,  le  CDnseil  supérieur  d'ensei- 
gnement entend  un  rapport  présenté  par  le  directeur  sur  la  situation  du 
Conservatoire. 

§  2.  —  Jurys  d'admission. 

.Art.  16.  II  y  a  un  jury  d'admission  pour  chaque  section  d'i»nseignement. 

Art.  n.  Les  jurys  d'admission  sont  ainsi  composés  : 

Pour  la  musique:  les  membres  de  droit  du  Conseil  supérieur  d'enseigne- 
ment; quatre  membres  du  Conseil  d'enseignement,  désignés  par  leurs  collè- 
gues ;  quatre  membres  étrangers  au  Conservatoire,  nommés  par  le  ministre; 
les  professeurs  titulaires  de  la  spécialité. 

Pour  la  déclamation  dramatique  :  les  membres  de  droit  du  Conseil  supérieur 
d'enseignement;  les  membres  du  Conseil  supérieur  d'enseignement  et  les  pro- 
fesseurs de  déclamation. 

Les  jurys  d'admission  ne  sont  nommés  que  pour  un  an. 


Comité  d' 


des  classes. 


Art.  18.  —  Il  y  a  un  comité  d'examen  des  classes  nommé  par  le  ministre 
pour  chaque  section  de  l'enseignement. 

Art.  19.  —  Chaque  comité  d'examen  se  compose: 

Pour  les  études  musicales  :  des  membres  de  droit  du  Conseil  supérieur  d'en- 
seignement ;  de  trois  membres  du  Conseil  supérieur  d'enseignement,  désignés 
par  leurs  collègues  ;  de  six  membres  nommés  par  le  ministre,  choisis  parmi 
les  professeurs  titulaires  du  Conservatoire,  et  pour  moitié  au  moins  parmi  les 
artistes  étrangers  à  l'école.  Ces  six  membres  sont  renouvelés  par  tiers  tous 
les  deux  ans. 

Les.  professeurs  du  Conservatoire  ne  peuvent  faire  partie  du  comité  appelé  à 
examiner  les  élèves  de  leur  classe  ou  les  élèves  des  classes  du  même  ensei- 
gnement. 

Pour  la  déclamation  dramatique  :  des  membres  de  droit  du  Conseil  supérieur 
d'enseignement;  des  membres  du  Conseil  supérieur  d'enseignement,  moins 
les  professeurs,  et  de  quatre  membres  nommés  par  le  ministre. 

S  4.  —  Des  Jurys  de  concours. 

Art.  20.  Le  jury  de  chaque  concours  se  compose: 

Du  directeur  du  Conservatoire,  président;  de  huit  membres  au  moins  ou  dix 
au  plus,  nommés  par  le  ministre  et  choisis,  pour  la  moitié  au  moins,  parmi 
les  personnes  étrangères  au  Conservatoire. 

CHAP1TIU-:    H 

Examens,  concours,  exercices  des  élèves. 

Art.  21.  Les  examens  et  les  concours  d'admission  ont  lieu  tous  les  ans,  du 
15  octobre  au  15  novembre. 

Art.  22.  Il  y  a  pour  toutes  les  classes  deux  examens  semestriels  :  l'un  au  mois 
de  ianvier,  l'autre  au  mois  de  juin. 

Art.  23.  Il  y  a  pour  toutes  les  classes,  à  l'exception  des  classes  d'ensemble, 
de  maintien  et  d'escrime,  des  concours  annuels  qui  ont  lieu  au  mois  de  juillet. 

Art.  24.  Il  est  procédé  chaque  année  à  des  exercices  d'élèves  dans  des  condi- 
tions arrêtées  par  le  Conseil  supérieur  d'enseignement. 

TITRE  V 

Disposition  générale. 

Art.  25.  Sont  abrogées  toutes  les  dispositions  des  décrets,  arrêtés  et  règle- 
ments antérieurs  qui  seraient  contraires  au  présent  décret. 


SEMAINE    THEATRALE 


OpÉR.v-CtoMiQUE.  Le  Chevalier  d'Harmenlul,  opéra-comique  en  S  actes  et  6  ta- 
bleaux, paroles  de  M.  Paul  Terrier,  musique  de  M.  André  Messager. 
(Première  représentation  le  5  mai  1896.) 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  /c  Chevalier  d'Uai-menld/,  l'un  des 
plus  intéressants  romans  d'.\lexandre  Dumas  pore,  qui  avait  pris  pour 
sujet  de  son  action  la  fameuse  conspiration  de  Cellamare,  a  été  «  mis 
en  pièce  «.  Dumas  lui-même,  aidé  de  son  fidèle  Auguste  Maquet,  en 
tira  naguère  un  grand  drame  en  une  infinité  de  tableaux,  qu'il  fit 
représenter,  le  20  juillet  IS'tO,  au  Théâtre-Historique  du  boulevard 
du  Temple,  fondé  par  lui  et  qui  ne  devait  pas  larder  a  devenir  le 


ll;  ménestrel 


147 


Ïhéàlre-Lyi'ique.  C'était  l'excellent  comédien  Numa,  pendant  trente 
ans  la  joie  du  Gymnase,  qui,  engagé  spécialement  à  cet  effet,  créait 
dans  ce  drame  le  rôle  du  bonhomme  Buvat,  que  M.  Fugère  vient  de 
mettre  en  relief  dans  l'oeuvre  nouvelle  avec  un  si  grand  succès,  un 
de  ces  succès  dont  il  est  coutumier. 

11  y  avait  certainement,  dans  le  Chevalier  d'Ilarmental,  les  éléments 
d'un  bon  livret  d'opéra-comique,  comme  Planard  a  prouvé,  dans  le 
Préaux  Clercs,  que  ces  éléments  se  Irouvaieùt  dans  la  Chronique  du 
temps  de  Charles  IX  de  Mérimée.  Mais  je  n'hésite  pas  à  dire  que 
Planard  a  été  plus  heureux  qae  M.  Paul  Ferrier,  qui  est  pourtant  un 
habile  ouvrier  en  matière  de  théâtre.  Tout  d'abord,  M,  Ferrier  a  eu 
un  tort  :  c'est,  écrivant  un  véritable  opéra-comique,  de  ne  pas  adopter 
franchement  la  forme  consacrée  au  genre  en  donnant  au  dialogue  une 
part  importante.  C'est  à  peine  si  l'on  entend,  dans  le  Chevalier  il'Har- 
meiital,  quelques  bouts  de  phrases  parlées.  Or,  la  pièce  est  une  pièce 
d'intrigue,  qui  devrait  marcher  rapidement,  aller  droit  à  son  but,  et 
où  les  conversations  des  personnages,  les  explications  données  indi- 
rectement par  eux  au  publie  devraient  avoir  le  caractère  alerte,  la 
promptitude,  la  vivacité  du  langage  ordinaire.  Au  lieu  de  cela,  noHS 
avons  constamment  un  récitatif  qui  assombrit,  qui  alourdit,  qui 
alanguit  l'action,  et  qui  pèse  sur  elle  comme  pèseraient  des  semelles 
de  plomb  aux  pieds  d'un  coureur. 

Les  musiciens  italiens,  lorsqu'ils  écrivaient  encore  de  la  musique 
bouffe  ou  de  demi-caractère,  employaient,  à  la  place  de  notre  dia- 
logue, un  recitativo  secco  très  peu  accompagné,  pour  lequel  ils  avaient 
à  leur  service  une  langue  vivace,  rapide,  facile  en  élisions,  sans  c 
muets,  sans  syllabes  sourdes,  dont  ils  pouvaient  à  volonté  précipiter 
les  périodes.  Qu'on  se  rappelle  les  récitatifs  si  alertes  du  Barbier,  de 
Doit  Pasquale  ou  de  Crispino  e  la  Comare.  Nous  n'avons  pas  cet  avan- 
tage au  point  de  vue  musical;  notre  langue  n'a  ni  la  prestesse,  ni  la 
désinvolture,  ni  l'étonnante  légèreté  de  la  langue  italienne.  Il  en 
résulte  que,  au  moins  en  certains  cas,  le  langage  parlé  est  chez 
nous  une  nécessité,  notre  dialogue  lyrique  étant  forcément  lent,  trop 
mesuré  et  contraire  à  la  nécessaire  activité  de  l'action,  activité  à 
laquelle  l'intervention  de  l'orchestre  vient  encore  mettre  obstacle, 
outre  qu'elle  empêche  l'auditeur  d'entendre  les  paroles.  Tout  cela  me 
semble  si  vrai  que  le  mot  italien  recitativo  s'est  surtout  traduit  en 
français  par  celui  de  récit,  qui  modifie  sa  signification.et  qui  en  in- 
dique la  lourdeur  et  la  lenteur  relatives.  Dans  une  pièce  qui,  comme /f- 
Chevalicr  d'Harmental,  n'est  autre  chose  qu'une  comédie  lyrique,  on 
ne  doit  donc  pas  employer  le  même  procédé  que  dans  le  drame  mu- 
sical. Mais  il  est  temps  de  dire  ce  qu'est  cette  pièce. 

On  sait  que  le  duc  du  Maine,  fils  légitimé  de  Louis  XIV  et  de  M""  de 
Monlespan,  avait  été  désigné,  dans  le  testament  du  grand  loi,  pour 
exercer  une  partie  de  la  régence  durant  la  minorilé  de  Louis  XV.Gela 
ne  faisait  pas  l'affaire  du  duc  d'Orléans,  qui  trouva  le  moyen  de  faire 
casser  le  testament  pour  accaparer  la  régence  à  lui  tout  seul.  Lu  du- 
chesse du  Maine,  petite-fîlle  du  grand  Condé,  maîtresse  femme  et  fort 
ambitieuse,  qui  tenait  à  Sceaux  une  sorte  de  cour,  poussa  alors  son 
mari  à  prendre  part  à  la  conspiration  que  le  prince  de  Gellamare, 
ambassadeur  d'Espagne,  avait  ourdie  dans  le  but  de  renverser  le 
Régent.  C'est  précisément  à  Sceaux  que  s'ouvre  l'action  du  Chevalier 
d'HanneiUal,  pendant  un  bal  donné  par  la  duchesse,  bal  brillant  qui 
évoque  dans  notre  esprit  le  souvenir  de  ces  fêtes  quasi  royales,  si 
célèbres  sous  le  nom  des  «  Nuits  de  Sceaux  »,  en  faisant  revivre  à 
nos  yeux  les  fi  gares  du  poète  Malézieux,  du  compositeur  Mouret  et 
de  celte  toute  charmante  M"'  de  Staal,  dont  les  mémoires  sont  em- 
preints d'un  intérêt  si  touchant.  C'est  là,  pendant  le  bal,  que  se  réu- 
nissent les  cons;  irateurs,  et  à  leur  tète  le  chevalier  Raoul  d'Har- 
mental, qui  viennent  prendre  le  mot  d'ordre  de  la  duchesse.  Les 
préparatifs  de  la  conjuration  n'empêchent  point  toutefois  Raoul  de 
devenir  amoureux  à  première  vue  d'une  jeune  fille ,  Balhilde 
Durocher,  appelée  inopinément  à  venir  remplacer,  dans  les  intermèdes 
du  bal,  une  cantatrice  de  l'Opéra,  indisposée. 

Mais  Bathilde,  orpheline  et  pupille  en  quelque  sorte  du  vieil 
employé  Buvat,  qui  l'a  recueillie  et  avec  lequel  elle  vit  mo  lestement, 
est  une  fille  honnête  et  pure,  ce  qui  ne  fait  que  redoubler  la  passion 
du  chevalier.  Après  l'avoir  perdue  de  vue,  il  la  cherche,  la  retrouve, 
lui  fait  partager  sa  tendresse  et  lui  jure  de  l'épouser. 

Cependant,  les  conjurés  ont  décidé  d'enlever  le  duc  d'Orléans  et  de 
le  faire  prisonnier,  et  c'est  Raoul  qui,  aidé  de  quelques  afïidés,  parmi 
lesquels  le  capitaine  Roqueflnette,  un  soudard  émérite,  doit  s'emparer 
lui-même  de  sa  personne.  Ils  l'attendent,  la  nuit,  dans  la  rue  des 
Bons-Enfants,  au  sortir  d'une  maison  où,  en  compagnie  de  son  ami 
La  Fare,  il  va  faire  une  de  ses  orgies  habituelles.  Mais  un  incident 
fait  manquer  le  coup,  en  même  temps  qu'il  fait  connaître  au  Régent 
ce  qui  se  tramait  contre  lui.   Il  va  sans  dire  que  le  lieutenant  de 


police  est  aussitôt  avisé  des  faits,  Celui-ci  ne  tarda  pas  à  mettre  la 
main  sur  les  conspirateurs,  et  d'Harmental,  arrêté  avec  ses  complices, 
paiera  de  sa  tête  le  projet  criminel  auquel  il  s'était  associé. 

Raoul  savait  à  quoi  il  s'exposait  en  cas  de  défaite.  Il  est  donc 
résigné  à  son  sort,  et  demande  seulement  la  grâce,  qui  lui  est  refusée, 
de  donner  son  nom  à  Balhilde  et  de  l'épouser  avant  de  mourir.  Mais 
Balhilde,  on  le  conçoit,  est  au  comble  de  la  douleur.  Pourtant  il  lui 
reste  un  rayon  d'espoir.  Elle  ira  se  jeter  aux  pieds  du  Régent  et  lui 
donner  conuaissance  d'une  lettre  que  depuis  dix  ans  elle  cherche  on 
vain  ;i  lui  faire  parvenir.  Elle  pénètre  en  effet  près  de  lui,  et  loi 
communique  cette  lettre,  qui  est  ainsi  conçue: 

«  Votre  mari,  madame,  est  tombé  pour  la  France  et  pour  moi.  Ni  la 
France  ni.moi  ne  pouvons  vous  le  rendre.  Mais  si  jamais,  pour  vous  aider 
ou  vous  défendre,  quel  que  soit  le  besoin,  quel  que  soit  le  secours,  vous 
recourez  à  nous,  la  France  et  moi  sommes  vos  débiteurs. 

9  PHILIPPE  d'orléans.  » 

Celte  lettre  est  du  Régent  lui-même,  qui  l'avait  écrite  à  la  veuve 
de  l'officier  Durocher,  lequel,  après  lui  avoir  sauvé  la  vie  à  Nerwinde. 
avait  trouvé  la  morl  sous  les  murs  d'Almanza.  Philippe  demande 
alors  à  la  jeune  fille  ce  qu'elle  souhaite  de  lui,  et  elle  le  supplie  de 
lui  accorder  la  grâce  de  la  vie,  sinon  de  la  liberté,  pour  celui  qu'elle 
aime.  Il  refuse,  mais  il  consent  du  moins  à  ce  que  le  chevalier  épouse, 
avant  de  mourir,  celle  à  qui  il  a  promis  son  nom.  La  cérémonie  sera 
célébrée  aussitôt,  dans  la  chapelle  du  palais,  et  Raoul,  mandé  immé- 
diatement sur  l'ordre  du  Régent,  conduit  sa  fiancée  à  l'autel.  Toute- 
fois, Philippe  est  ébranlé,  et  l'inlerrention  de  l'excellent  Buvat,  qui 
vient  à  son  tour  implorer  sa  clémence,  produit  un  effet  décisif.  Le 
Régent  de  France  fera  grâce  au  chef  de  la  conspiration,  et  le  che- 
valier l'apprend  de  sa  propre  bouche  au  retour  de  la  chapelle. 

Telle  est  cette  pièce,  qui,  si  elle  n'était,  comme  je  l'ai  dit,  empê- 
trée dans  d'interminables  récitatifs  et  fâcheusement  alourdie  par  eux, 
serait  très  acceptable  et  pourrait  faire  bonne  figure.  Passons  mainte- 
nant à  la  part  du  musicien. 

M.  André  Messager  est  un  des  heureux  de  ce  monde  musical.  Ayant 
à  peine  dépassé  la  quarantaine,  c'est-à-dire  à  l'âge  où  tant  d'autres 
essaient  vainement  de  se  produire,  il  s'est  fait  jouer  dans  tous  les 
théâtres  possibles,  depuis  les  plus  petits  jusqu'aux  plus  grands, 
depuis  les  Folies-Bergère  jusqu'à  l'Opéra.  Il  a  débuté  aux  Folies- 
Bergère  par  quelques  ballets,  dont  un  intitulé  F/e«r  d'oranger.  Puis 
il  fut  choisi  pour  terminer  une  pièce  laissée  inachevée  par  le  pauvre 
Bernicat,  Françoisles  Bas-bleus.  Puis  il  donna  aux  Folies-Dramatiques 
la  Fauvette  du  Temple  ei  le  Boiirgeokjle  Calais,  aux  Bouffes-Parisiens 
la  Béarnaise  et  le  Mari  de  la  Reine,  à  la  Renaissance  Isoline  et  Madame 
Chrysanthème,  au  Nouveau-Théâtre  Miss  Dollar  et  le  ballet  de  Scara- 
mouche  (avec  M.  Georges  Street),  enfin,  à  l'Opéra-Comique  la  Basoche, 
et  à  l'Opéra  le  ballet  des  Deux  Pigeons.  En  présence  d'une  fortune 
aussi  rare,  nous  avons  donc  le  droit  d'être  exigeants  envers  M.  Mes- 
sager, dont  le  talent,  d'ailleurs  indiscutable  et  fort  distingué,  est 
essentiellement  sympathique  et  a  été  encouragé  de  toutes  façons. 

L'auteur  de  la  musique  du  Chevalier  d'Harmental  a-t-il  tenu  tout  ce 
qu'on  était  en  droit  d'attendre  de  lui?  Je  ne  saurais,  pour  ma  part, 
répondre  à  cette  question  par  une  affirmation  absolue,  et  j'avoue  que 
j'espérais  mieux  de  M.  Messager,  musicien  habile,  artiste  instruit,  à 
l'esprit  net,  au  talent  de  marque  bien  française,  et  qui  ne  se  perd  pas 
dans  les  subtilités  nuageuses  elles  rêveries  prétendues  profondes  de 
nos  prétendus  réformateurs.  M.  Messager  sait  parfaitement  que  le 
rythme  et  la  tonalité,  ces  choses  aujourd'hui  dédaignées,  sont  les 
éléments  essentiels  de  la  musique  même  dramatique,  que  l'orchestre 
est  fait  pour  escorter  le  chant  et  non  pour  l'étouffer,  qu'on  peut,  sans 
se  déshonorer,  faire  entendre  deux  et  même  trois  voix  à  la  fois,  et 
qu'enfin  l'emploi  farouche  du  leit  moliv  n'est  pas  une  condition  indis- 
pensable du  génie.  Il  sait  tout  cela,  et  il  l'a  prouvé.  Il  est  enfin  de 
race  vraiment  nationale,  et  il  me  parait  un  de  ceux  sur  lesquels  nous 
avons  droit  de  compter. 

Mais  il  me  parait  aussi,  et  justement,  que  dans  le  Chevalier  d'Har- 
nmital  il  a  quelque  peu  trompé  notre  attente,  qu'il  ne  s'est  pas  mis 
assez  en  frais  d'imagination,  et  qu'il  a  pris  trop  volontiers  pour  de 
l'inspiration  la  première  idée,  pauvre  ou  banale,  qui  se  présentait 
à  lui.  Si  j'excepte  le  troisième  acte,  le  plus  court  d'ailleurs,  mais 
qui  est  excellent  d'un  bout  à  l'autre,  parce  qu'il  est  alerte,  et  vif,  et 
bien  en  scène,  je  trouve  sa  partition  languissante  et  monotone,  sans 
saveur  et  sans  nouveauté,  trop  portée  à  la  déclamation,  ou  plutôt  à  un 
débit  sans  accent  et  sans  relief,  dont  la  froideur  n'est  pas  rachetée 
par  la  lourdeur  de  récitatifs  qu'accompagne  un  orchestre  souveat 
trop  compact  et  trop  pesant.  J'ajoute  que  sa  prosodie  est  fréquem- 
ment vicieuse,  et  que  la  musique  boîte  sous  les  paroles. 

J'ai  signalé  le  troisième  acte,  celui  de  la  rue  des  Bons-Enfants,  où 


148 


LE  MENESTREL 


il  s'est  laissé  emporter  très  heureusement  par  le  mouvement  de  la 
scène.  Là  se  trouve  nn  trio  bouffe  excellent,  de  forme  syllabique, 
franc  du  collier,  alerte,  vif  et  bien  rylhmé,  et  qui  a  emporté  les  ap- 
plaudissements :  puis  la  chanson  militaire  de  Roquefinette,  très 
franche  aussi  :  Les  gros  dragons  à  Malplaquet ,  qui,  si  elle  n'est  pas 
d'une  très  grande  nouveauté,  est  du  moins  amusante  avec  ses 
pizzkati  pittoresques  de  violons;  puis  divers  autres  passages,  entre 
autres  le  gentil  fragment  symphonique  qui,  à  la  fin,  accompagne 
l'entrée  de  la  patrouille. 

Pour  le  reste,  je  suis  bien  embarrassé  de  citer  quelque  chose  qui 
sorte  de  l'ordinaire  ou  du  médiocre.  La  cantilène  de  Buvat  au  pre- 
mier acte:  Quel  indéfinissable  charme...,  que  M.  Fugère  a  fait  bisser 
par  son  exquise  façon  de  la  dire,  est  en  soi  bien  banale  et  bien  pâle. 
La  chanson  à  boire  de  Roquefinette,  au  second  acte,  ne  vaut  que  par 
la  franchise  du  dessin,  mais  l'idée  est  nulle.  Si  je  m'arrête  aux  épi- 
sodes importants  sous  le  rapport  dramatique,  je  serai  peut-être 
amené  à  me  montrer  plus  sévère  encore.  Ainsi  de  la  scène  de  Bathilde 
au  qualrième  acte,  de  son  entrevue  avec  le  Régent  au  cinquième  et 
de  son  duo  avec  Raoul.  Dans  tout  cela,  l'auteur  me  parait  avoir  com- 
plètement manqué  d'élan  et  d'inspiration.  Je  me  bornerai  à  louer,  au 
point  de  vue  général,  la  sobriété  des  moyens  employés,  l'intérêt  sou- 
vent répandu  dans  loreheslre,  et  ce  qu'on  pourrait  appeler  l'intelli- 
gence de  l'ensemble. 

Je  regrette  de  me  montrer  si  parcimonieux  en  ce  qui  coucerne 
l'éloge.  Si  la  partition  du  Chevalier  d'Harmental  était  l'œuvre  d'un  dé- 
butant, elle  pourrait  passer  pour  une  promesse  intéressante  et  appel- 
lerait de  justes  encouragement?.  Mais  M.  Messager  est  loin  aujour- 
d'hui d'être  un  débutant  ;  il  a  non  seulement  du  savoir,  mais  de 
l'expérience,  l'habitude  du  public  et  la  connaissance  de  la  scène. 
Son  passé  nous  donne  le  droit  d'être  exigeants  envers  lui,  et,  pour 
ma  part,  c'est  justement  parce  que  son  talent  m'est  sympathique  et 
que  j'ai  confiance  en  lui  que  je  me  crois  le  droit  de  lui  faire  entendre 
ce  qui  me  parait  la  vérité.  Or,  ce  qui  me  parait  cette  fois  la  vérité, 
c'est  qu'il  s'est  en  partie  trompé.  Je  souhaite  malgré  tout  que  le 
public  me  donne  tort,  mais  j'avoue  que  je  n'y  compte  guère. 

Il  n'a  qu'à  se  louer,  toutefois,  de  ses  interprètes,  qui  ont  défendu  son 
œuvre  avec  vaillance.  Ici  je  ferai  comme  l'affiche  et  je  nommerai  en 
premier  lieu  M.  Fugère,  qu'ilfaut  effectivement  tirer  hors  de  pair,  et  qui 
a  composé  le  rôle  de  Buvat  avec  le  soin  et  l'originalité  dont  il  marque 
chacune  de  ses  créations;  car  Fugère  est  comédien  aussi  intéressant 
que  chanteur  éprouvé.  Fugère  est  doué  naturellement  de  cette  faculté 
si  rare  d'avoir  de  l'émotion  dans  la  voix  quand  il  chaule,  et  comme 
avec  cela  il  chante  d'une  façon  exquise,  il  lui  arrive  de  faire  prendre 
le  change  au  public  sur  la  valeur  vraie  de  telle  ou  telle  phrase  mu- 
sicale, parfaitement  insignifiante  par  elle-même.  C'est  ce  qui  s'est 
produit  particulièrement  au  premier  acte,  dans  une  cantilène  assez 
pâle  que  j'ai  signalée,  et  que  la  salle  lui  a  redemandée  tout  d'une 
voix.  Comme  comédien,  il  a  fait  merveille  surtout  au  cinquième  acie. 
dans  sa  scène  avec  le  Régent. 

C'est  M.  Leprestre  qui  représente  le  chevalier  Raoul  d'Harmental, 
et  il  n'y  aurait  que  des"  éloges  à  lui  adresser  s'il  n'avait  la  fâcheuse 
habitude,  qui  à  la  longue  devient  irritante,  d'enfler  régulièrement  le 
son  après  l'avoir  émis  piano,  pour  le  laisser  ensuite  s'éteindre  avec 
la  même  régularité;  on  ne  saurait  croire  combien  ce  procédé  vicieux 
est  fatigant  pour  l'auditeur.  Toute  réserve  faite  sur  ce  point  impor- 
tant, M.  Leprestre  a  bien  mérité  des  auteurs. 

M"'  Marignan,  dont  c'était  la  première  création,  est  une  gracieuse 
et  touchante  Bathilde.  Elle  a  marqué  ce  rôle  au  coin  d'une  tendresse 
aimable,  tant  au  point  de  vue  vocal  qu'au  point  de  vue  scénique. 
Peut-être,  toutefois,  peut-on  lui  reprocher  quelque  abus  de  gestes  et 
de  mouvements.  Mais  il  faut  louer  chez  elle  des  accents  d'une  émo- 
tion sincère. 

Deux  rôles  de  second  plan,  mais  fort  importants  chacun  en  leur 
genre,  sont  tenus  avec  un  véritable  talent,  l'un,  le  capitaine  Roque- 
finette, par  M.  Isnardon,  l'autre,  le  Régent,  par  M.  Marc  Nohel. 
M.  Isnardon  a  fait  un  type  excellent  et  fort  original  de  cette  espèce 
de  chef  de  reîtres,  auquel  il  a  donné  une  physionomie  pittoresque  et 
vive  ;  j'ajoute  qu'il  l'a  chanté  avec  beaucoup  de  verve  et  d'entrain,  et 
que  sa  belle  voix  y  sonne  avec  éclat.  Quant  à  M.  Marc  Nohel,  il  a 
prêté  au  caractère  du  Régent  la  dignité  froide  qui  lui  convient  en  la 
circonstance,  et  il  a  joué  ce  rôle,  plus  difficile  que  brillant,  avec  une 
-véritable  autorité.  M.  Carbonne  est  on  abbé  Brigaud  agréable  quoique 
peut-être  un  peu  exubérant,  M"<- Chevalier  est  une  fort  belle  duchesse 
du  Maine,  et  M"'  Evel  est  tout  accorte  et  tout  aimable  dans  le  petit 
rôle  de  M"»"  Denis.  L'exécution  d'ensemble  est  d'ailleurs  excellente. 

Arthur  Pougin. 


Comédie-Française.  Manon  Roland,  drame  en  5  actes,  en  vers,  de  MM.  Emile 
Bergerat  et  C.  de  Sainte-Croix.  —  'Vaudeville.  Lijsisirata,  comédie  en 
4  actes,  de  M.  Maurice  Donnay,  musique  de  M.  Dutacq. 

Un  drame  bourgeois,  malgré  l'essai  de  reconstitution  historique 
tenté,  malgré  l'emploi  du  vers,  telle  apparaît  la  Manon  Roland  de 
MM.  Emile  Bergerat  et  Camille  de  Sainte-Croix.  Et,  de  fait,  rien  de 
plus  terre  à  terre  que  l'histoire  de  cette  petite  épouse  de  province 
jurant  à  son  mari,  beaucoup  plus  âgé  qu'elle,  que  si  jamais  son  cœur 
se  détachait  de  lui  pour  se  donner  à  un  autre,  loyalement  elle  l'en 
préviendrait.  Serment  tenu.  Le  beau  jeune  homme,  ténébreux  et 
fatal,  paraît.  L'époux  comprend  sans  qu'il  soit  besoin  de  lui  donner 
de  longues  explications  et  va  se  tuer  loin  du  foyer  conjugal  où  il  ne 
saurait  retrouver  sa  place. 

Car,  il  faut  bien  l'avouer,  c'est  ;i  ce  côté  fort  anodin  de  la  phy- 
sionomie très  curieuse  pourtant  de  Manon  Roland  que  les  auteurs 
semblent  s'être  surtout  arrêté.  Celle  qui  fut  l'âme  ardente,  passion- 
née, vibrante  et  volontaire  de  la  Giroude,  celle  qui  fut  la  seule  raison 
d'être  de  Roland  ministre,  celle  qui  demeura  l'acharnée  et  hautaine 
ennemie  de  Danton,  celle,  enfin,  dont  la  mort,  à  trente-neuf  ans,  fut 
héroïque,  demeure  une  mère  de  famille  très  quelconque,  jouant  les 
bas-bleus  sous  l'inspiration  de  Voltaire  et  de  Jean-Jacques  Rousseau, 
et  s'amusant  assez  légèrement  aux  terribles  affaires  politiques  du 
moment. 

Quant  à  la  reconstitution  historique,  le  grand  souffle  de  la  Révo- 
lution y  passe  à  l'état  de  zéphir,  agréablement  et  heureusement  mis 
en  scène  dans  le  tableau  pittoresque  de  la  rue  de  la  Harpe,  le  jour  où 
est  déclarée  la  déchéance  du  roi.  Et  si  l'histoire  est  sciemment  et 
trop  couramment  dénaturée,  les  auteurs  ont,  avant  tout,  oublié 
d'éclairer  leur  lanterne,  trop  confiants  dans  l'érudition  d'un  public 
qui,  pour  aimer  les  choses  de  la  Révolution,  n'en  est,  en  somme,  que 
très  superficiellement  instruit. 

Et  puis,  encore,  que  dire  de  la  forme  de  Manon  Roland?  On  sait 
que  ce  fut  là  primitivement  livret  d'opéra  et  on  le  sent,  d'autant 
mieux  qu'on  le  sait,  à  l'emploi  du  vers  libre  et  à  plusieurs  couplets 
qui  devaient  fournir  matière  à  charmants  épisodes  musicaux.  Pour- 
tant une  scène  demeure  très  belle  en  sa  concision  nette  et  d'une 
véri'able  maîtrise  dramatique,  celle  où  M""  Roland,  sans  paroles, 
avoue  son  amour  pour  Buzot  en  déchirant  le  traité  d'alliance  demandé 
par  Danton. 

De  l'interprétation  il  faut  sortir  le  nom  de  M.  Silvain,  qui  a  com- 
posé de  remarquable  façon  Roland  et  en  a  fait,  au  détriment  de 
l'héro'ine,  le  personnage  intéressant  du  drame.  M"'=  Barelta  ne  fait 
qu'accentuer  le  côté  bourgeois  de  son  rôle;  pas  une  minute  la  figure 
n'apparaît  grande,  pas  même  quand,  d'un  geste,  Manon  jette  à 
l'échafaud  sa  Gironde  tant  aimée.  MM.  Prudhon,  Baillet,  Duflos, 
Laugier,  demeurent  ternes,  tandis  que  M"'  Thomsen  et  M.  Veyret 
s'affirment  gentils  en  de  courtes  apparitions. 

De  même  que  le  Gymnase  termine  sa  saison  par  la  reprise  du 
Prince  d'Aurec,  emprunté  au  "Vaudeville,  le  Vaudeville  clôture  la 
sienne  avec  Lysistrala,  arrachée  des  décombres  du  feu  Grand-Théâtre. 
Et  c'est  ici,  plus  que  jamais,  le  lieu  de  crier  «  casse-cou  »  aux  gens 
d'humeur  timorée,  car  M.  Donnay  qui,  sans  doute,  n'avait  pas  jugé 
sa  paraphrase  de  la  comédie  grecque  assez  pimentée  a  trouvé  moyen 
d'y  ajouter  nombre  de  plaisanteries  fort  lestes.  Pour  ma  part,  j'avoue, 
sans  rougir,  avoir  trouvé  quelque  plaisir  à  celte  immense  farce  où 
l'esprit  tient  lieu  de  science  dramatique  et  où  la  beauté  et  la  grâce 
des  femmes  forment  un  fort  agréable  spectacle.  Lysistrala,  d'ailleurs, 
gagne  à  être  jouée  sur  une  scène  de  dimensions  modestes,  et  les  jolies 
pensionnaires  du  Vaudeville,  M'""  Réjane,  Rosa  Bruck,  Sorel,  Lucy 
Gérard,  Carlix,  Avril,  Drunzer  et  nombre  d'autres  ne  perdent  rien  à 
être  vues  de  plus  près. 

Mais  la  chose  capitale  de  cette  reprise,  c'est  l'entrée  dans  la 
maison,  à  la  tête  d'un  très  bon  orchestre,  de  M.  Gabriel-Marie.  On 
sait  qu'à  l'Odéon,  comme  au  Grand-Théâtre,  M.  •  Porel  avouait  un 
faible  pour  les  pièces  à  musique  ;  on  sait  aussi  que  M.  Carré  n'est 
nullement  dédaigneux  de  cette  même  musique.  Alors?...  Alors'?... 
Qui  vivra,  verra  I  Pacl-Émile  Chevalieb. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU     SALON     DU     CHAMP-DE-MARS 


(Deu.rième  article). 

Avant  de  revenir  aux  tableaux,  quelques  lignes  sur  la  série  de 
dessins  de  M.  Renouard  qui  garnit  les  murailles  de  la  salle  XII  au 


LE  MÉNESTREL 


149 


rez-de-chaussée  du  palais  des  Arts-Libéraux.  Elle  est  abondaale  mais 
point  banale  cl  d'un  modernisme  bien  spirituel  sans  surcharge  cari- 
caturale. Le  premier  numéro,  d'une  rare  souplesse  d'exécution,  repré- 
sente l'École  de  musirjue  de  Londre-->,  avec  cette  mention  caractéris- 
tique :  K  Dans  l'intérieur  de  l'établissement  toutes  les  portes  sont 
vitrées.  »  Signalons  encore  le  dessin  intitulé  Sarah  BernhanU,  Savoy 
Hôtel,  chambre  n"  oO,  Irving  dans  sa  loge  au  Li/ceum,  enfin  la  suite  si 
■  intéressante  des  croquis  pris  à  Drury-Lane  :  Loge  des  petites  filles. 
Coin  de  coulisses.  Partie  de  cartes.  Costumage  en  partie  double  de  la  ma- 
man en  cacatoès  et  de  l'enfant  en  perrucli.",  sans  oublier  la  Classe  de 
danse  ches  M""^  Kattie-Lanner,  d'une  saisissante  âpreté  de  rendu. 

L'Orchestre  sous  la  pluie  et  les  Petits  soutiens  de  famille  qui  viennent, 
à  six  ans.  figurer  dans  les  cortèges  pour  nourrir  une  maman  infirme 
ou  un  papa  alcoolique  mériteraient  aussi  une  mention  particulière 
pour  la  franchise  et  la  simplicité  de  l'exéeutiou.  M.  Renouard,  clas- 
seur d'impressions,  a  un  mérite  bien  rare  chez  les  impressionnistes: 
il  ne  court  pas  après  l'effet  ;  il  ne  sacrifie  pas  la  probité  de  la  vision  au 
trait,  à  ce  qu'on  pourrait  définir  le  mot  de  la  fin  du  chroniqueur  par 
le  crayon.  Pourtant  il  ne  se  refase  pas  quelques  échappées  de  gaîté, 
surtout  en  France,  etla  suite  des  croquis  esquissés  à  Paris eslsouvenl 
d'une  verve  communicative.  Je  défie  les  promenenrs  les  plus  récalci- 
trants de  garder  leur  sérieux  devant  les  trois  dessins  intitulés  Con- 
fërence  de  Sarcey,  et  qui  représenlent  notre  oncle  à  tous  bedonnant 
dans  son  habit,  dodelinant  sous  ses  lunettes,  ou  se  rengorgeant  der- 
rière ïes  périphrases.  On  regardera  avec  une  curiosité  moins  égayée, 
mais  retenue  cette  foi3  par  la  netteté  du  contour  et  le  relief  des  por- 
traits, les  études  sur  Sarah  Bernhard  et  Sardou  destinées  à  M.  Dené- 
cheau,  YAmbroise  Tliomas  et  l'Alexandre  Dumas  fils  appartenant  à 
M.  Ludovic  Halévy,  YEmile  Bergerat  et  le  François  Coppée  de  frap- 
pante ressemblance. 

Une  salle  voisine  contient  les  dessins  à  la  plume  de  M.  Ludovic 
A.  Abbey,  cent  trente-deux  compositions  pour  illustrer  les  quatorze 
comédies  de  Shakespeare,  commandées  par  MM.  Harper  frères,  de 
Niw-York.  Le  public  français  y  trouvera  avec  plaisir  une  mise  en 
scène  originale  d'ouvrages  qui  lui  sont  devenus  familiers:  Le  Songe 
d'une  nuit  d'été.  Beaucoup  de  bruit  pour  rien,  la  Mégère  apprivoisée,  la 
Tempête,  le  Marchand  de  Venise,  etc.  Quelques  détails  l'intéresseront, 
en  l'étonnant  souvent,  parfois  en  choquant  ses  habitudes  routinières, 
mais  la  leçon  n'en  sera  que  meilleure.  Le  parti  pris  de  monter  à  la 
française,  sans  aucune  préoccupation  de  décor  natif,  les  œuvres  du 
grand  Will,  n'est  pas  une  des  moindres  raisons  de  la  lente  naturali- 
sation du  répertoire  shakespearien. 

Les  autres  dessins,  cartons  et  gravures,  ne  nous  retarderont 
guère.  Le  morceau,  l'étude,  dominent  dans  la  production  du  Champ- 
de-Mars.  Il  y  aurait  cependant  injustice  à  oublier  M.  Carrier-Bel- 
leuse,  un  des  derniers  pastellistes  qui  aient  gardé  le  souci  de  la  com- 
position et  qui  expose,  avec  un  Golin-Maillard  se  passant  au  foyer 
de  la  danse,  uu  très  vivant  portrait  de  M"°  Lobstein  ;  le  symbolique 
dessin  de  M.  Henry  Carter  sur  «  le  piano  que  baise  une  main 
frêle  »  de  Paul  Verlaine;  le  jeune  violoniste  de  M°'=  Ehrenborg;  les 
croquis  d'après  nature  pris  à  l'Opéra  par  M.  Louis  Fourcade  ;  le 
portrait  sur  porcelaine,  par  M""'  Hoquante.  de  M"=  Gléo  de  Mérode  — 
que  nous  retrouverons  en  marbre,  et  plus,  beaucoup  plus  qu'en 
buste,  au  Salon  des  Champs-Elysées  ;  une  miniature  de  la  même 
artiste  représentant  M"°  Laisné  de  l'Opéra-Comique  dans  son  cos- 
tume dn  premier  acte  de  la  Virondière  :  une  curieuse  lithographie 
en  couleurs  de  M.  Lanois:  le  Meimel  :  la  Chanson  du  printemps  de 
Maurice  Eliot:  une  gravure  eu  point^  sèche  de  Mareellin  Desbou- 
tin  rendant  an  vif  l'àpre  silhouette  d'Alexandre  Dumas  fils  ;  un  autre 
portrait  de  l'auteur  de  Francillon  par  M.  Desmoulin  ;  un  suggestif 
Edouard  de  Goneourt,  par  Eugène  Carrière. 

Revenons  à  la  peinture  par  le  sentier  très  frayé  de  l'anecdotisme. 
M.  Edgar  de  Montzaigle  expose  une  étude  d'entr'acte  à  l'Opéra,  d'un 
ton  très  chaud  et  d'une  saisissante  exactitude.  Le  Willette  de  M.  Des- 
boutins  en  costume  de  Pierrot  est  un  portrait,  mais  largement  traité 
à  la  façon  d'une  élude  solide  servant  à  résumer  un  type  plutôt  qu'à 
représenter  une  figure,  M.  Oppler.  qui  s'inspire  directement  de 
Whistler,  expose  sous  ce  titre  :  Accords,  une  femme  en  robe  noire, 
debout  devant  un  piano  dans  la  pénombre  de  sa  chambre,  la  main 
posée  sur  l'ivoire  du  clavier.  L'impression  e^t  subtile  mais  l'exécu- 
tion, d'une  extrême  délicatesse,  la  met  en  pleine  valeur.  Le  Tournoi 
d'amour  vigoureusement  enluminé  par  M.  Doudelet;  le  BazeUles, 
tableau  dramatique  de  M.  Lafon  ;  les  Demi-Vierges  vertes  et  roses  de 
M.  Montzaigle,  déjà  cité  ;  la  Captive,  pour  vignette  de  romance,  de 
M.  Mycho  ;  les  Sylphes  dansant  au  clair  de  lune,  de  M.  Picard  ;  la  Belle 
Paute,  de  M.  Rachou,  passant  sur  son  balcon  devant  la  foule  enthou- 
siasmée    le  gentilhomme  Louis  XIII  de    M.  Rivey  ;  le  guitariste   de 


M.  ïexidor,  que  je  réunis  sous  la  même  rubrique,  ne  témoignent  pas 
une  égale  habilelé  de  facture,  mais  rentrent  tous  dans  la  peinture 
du  genre. 

J'ai  déjà  passé  en  revue  qutlques-uns  des  portraits  exposés  au 
Champ -de-Mars;  il  en  reste,  et  non  des  moins  remarqués.  M.  Ca- 
rolus  Duran  a  envoyé  une  demi-douzaine  d'études  d'une  vivacité 
extraordinaire  et  d'une  facture  éclatante,  même  dans  les  portraits 
d'hommes  ;  il  a  rendu  avec  un  sérieux  qui  n'est  pas  de  la  froideur  la 
figure  calme  et  réfléchie,  aux  intéressants  modelés,  de  M.  Lej'gues, 
l'ancien  ministre  des  beaux-arts;  il  a  donné  tout  son  relief  au  faciès 
héroïco-romantique  de  Paul  Deroulède.  De  M.  "Weerts,  un  excellent 
portrait  de  M.  Ravaisson,  le  célèbre  membre  de  l'Institut,  et  tout  un 
album  de  figures  contemporaines  qui  donnent  l'illusion  de  la  vie. 
M.  Paul  Math ey  a  délicatement  portraicturé  noire  sympathique  con- 
frère Jacques  Normand,  l'auteur  de  l'Amiral,  et  M.  Glaus  a  saisi  dans 
l'intimité  M.  Bouvel,  de  l'Opéra-Comique.  Les  études  féminines  de 
M.  Boldini  se  distinguent,  comme  toujours,  par  de  curieuses  recher- 
ches d'attitudes  ou  de  mobilier.  Entre  la  princesse  P...,  qui  a  l'air 
d'exécuter  un  pas  bien  périlleux  sur  un  parquet  bien  glissant,  et 
M""  X...,  qui  se  tient  sur  sa  chaise  longue,  son  canapé  ou  son  fauteuil 
(on  peut  choisir),  comme  on  se  tiendrait  dans  une  balançoire  ou  un 
wagonet  de  monlagne  russe,  je  n'ai-  pas  de  préférence.  M.  Blanche, 
plus  sérieux,  est  en  progrès  marqué  dans  ses  portraits  de  M.  Fritz 
Thanlow  et  de  ses  enfants,  et  de  M.  Aubrey  Beardsley.  De  M.  de 
la  Gandara,  M°'°  Guillaume  Béer,  professionncd  beauty... 

C'est  la  belle  Otero  qui  a  inspiré  cette  fois  M.  Dannat,  luministe 
convaincu.  Le  modèle  étant  de  plastique  lourde  et  de  beauté  plutôt 
animale,  — je  supplie  M""  Otero,  qui  n'aura  jamais  le  temps  de  lire 
les  œuvres  de  Taine,  vu  ses  multiples  occupations,  de  croire  sur  la 
parole  de  ce  regrettable  esthéticien,  que  l'animalité  est  une  des  con- 
ditions primordiales,  l'assiette  solide,  la  base  de  la  beauté,  —  l'étude 
ne  saurait  rien  offrir  de  bien  intellectuel,  mais  M.  Dannat  l'a  traitée 
avec  une  sobriété  relative;  il  a  maintenu  dans  une  gamme  sourde  les 
tons  qui  auraient  pu  être  éclatants  de  la  robe  vert  laitue. 

En  fait  de  vert,  que  dire  de  la  buée  savonneuse,  des  vapeurs  sulfu- 
reuses où  M.Guillaume  Roger  plonge  ses  études  féminines:  Good 
night,  Su:anne,  Dans  la  serre?  A  la  fois  anémique  et  faisandée,  cette 
peinture  de  paravent  serait-elle  de  la  peinture  de  rêve?  Rêveuse  aussi, 
mais  avec  un  pli  énigmatique  de  ses  lèvres  violacées,  une  graisse  mal- 
saine, une  inquiétante  bouffissure,  la  femme  dessinée  par  M.  Burne- 
Jones,  dont  la  vogue  décroît  en  France  à  mesure  que  sa  célébrité  prend 
en  Angleterre  les  proportions  d'une  gloire  nationale.  Cette  littérature 
par  le  pinceau,  où  la  peinture  tient  si  peu  de  place,  n'aura  jamais 
chez  nous  qu'un  succès  passager. 

Revenons  aux  coloristes  fervents.  M.  Casas  nous  donne  le  portrait 
d'un  châle,  mais  ce  châle  en  vaut  la  peine;  d'abord  c'est  une  sym- 
phonie en  blanc  majeur,  en  blanc  outrancier;  puis  il  s'étale  sur  la 
plastique  d'une  Andalouse  au  teint  bruni,  comme  dit  la  romance,  en 
préparatifs  de  départ  a  los  toros.  Le  Fandango,  de  M.  Chadwick,  le 
Pesage  à  Trouville,  de  M.  Binet,  le  Théâtre  antique  à  Arles,  de  M.  Pail- 
lard, l'Été  à  Monaco,  de  M.  Leroy-Saint-Aubert,  les  Croquis  de  la  Côte 
d'azur,  de  M.  Montenard,  mériteraient  mieux  qu'une  mention.  Ma  is 
si  l'on  veut  recevoir  un  vrai  «  coup  de  lumière  »,  une  impression  à 
la  fois  claire  et  brutale,  il  faut  s'arrêter  devant  les  Jardins  arabes  de- 
Grenade,  de  M.  Rusinol.  Avec  leurs  ifs  aux  verdures  épaisses  et  taillées 
en  boulingrins,  leurs  grenadiers,  leurs  orangers,  leurs  fontaines  jail- 
lissantes, les  voilà,  les  «  jardins  de  l'Alcazar,  délices  des  rois 
maures  »,  et  autrement,  voire  mieux  que  dans  le  décor  de  la  Favorite. 
(A  suivre.)  Cwiille  Le  Senne. 


LE  MONUMENT  D'AMBROISE  THOMAS 


Les  directeurs  de  l'Opéra  viennent  d'envoyer  à  tous  les  abonnés 
une  circulaire  les  avertissant  que  la  répétition  générale  de  gala 
A'Hamlet  sera  donnée  le  mardi  19  mai,  ou  le  jeudi  21,  au  profit  du 
monument  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas,  dont  les  frais  seront 
couverts  par  l'Opéra  seulement. 

MM.  Bertrand  et  Gailhard  invitent  les  abonnés  à  s'inscrire  avant 
le  II  mai  pour  cette  représentation. 

Les  adhésions  seront  inscrites  dans  l'ordre  où  elles  se  produiront. 
Dans  le  cas  où  plusieurs  demandes  seraient  faites  simultanément, 
c'est  celle  de  l'abonné  le  plus  ancien  qui  serait  admise. 

Le  monument  dont  s'est  chargé  M.  Falguière,  portera  l'inscription 
suivante  : 


loO 


LE  MENESTREL 


A  AMBROISE  THOMAS 

Ij;s  abonnes  de  l'Opéra 

Les  artùles  de  l'Opéra 

ie.s  direeleurs  de  l'Opéra 

Toici  quelle  sera  la  distribution  d'Hamlet  : 

Ophélie  M'"^^ 

La  JReine 

Hamlet  MM. 

Laerle 

Le  Roi 

Le  Spectre 


Melba 

Deschamps-Jehin 

Renaud 

Vaguet 

Gresse 

Chambon 


PRIX   DES    PLACES   DE  L  ABOXXE.MENT 

l"^^  loges,  avant-scène,  330  fr.  ;  de  face,  230  fr.  ;  de  côté,  200  Irancs. 
Baignoires  d'avant-scène,  300  fr.  ;  baignoires,  150  francs, 
^i^s  loges,  de  face,  150  fr.  ;  de  coté,  100  francs. 
Fauteuils  d'amphilhéâlre,  40 fr.;  d'orchestre,  30  francs. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (7  mai).  —  La  saison  théâtrale  à 
la  Monnaie  s'est  clôturée  par  les  soirées  traditionnelles  «  d'adieux  s  aux 
artistes  qui  nous  quittent  l'an  prochain  —  et  à  ceux  qui  ne  nous  quittent 
pas.  Ces  soirées,  composées  de  spectacles  coupés,  ont  été,  cette  année,  un 
peu  moins  enthousiastes  et  un  peu  moins  fleuries  que  les  années  précé- 
dentes; mais  elles  ont  été  cordiales  tout  de  même,  et  l'on  a  fait  fête  surtout 
à  M"'  Leblanc  dans  la  Navarraise  et  à  M"'  Armand,  dans  un  acte  d'Orphée. 
Mardi,  la  dernière  soirée  d'adieu  a  eu  un  épilogue,  sous  la  forme  d'une 
représentation  extraordinaire  du  Tannhàuser,  avec  M.  Van  Dyclt.  Je  vous 
ai  dit  que  l'excellent  artiste,  assez  sérieusement  indisposé,  avait  dû  chan- 
ger l'ordre  de  ses  représentations  et  qu'il  aurait  peut-être  de  la  peine  à 
les  terminer  toutes.  Cette  dernière  de  Tannhduser  a  failli  même  être  inter- 
rompue, et  elle  a  été  marquée  d'incidents  émouvants.  Au  cours  du  premier 
acte,  M.  Van  Dycli  a  cessé  brusquement  de  chanter,  en  s'écriant  :  «  Je  n'en 
puis  plus  I  »  et  s'est  précipité  dans  les  coulisses,  laissant  Vénus  fort 
embarrassée  de  cette  fuite,  plus  rapide  encore  que  'Wagner  ne  l'a  voulu.  Il 
y  a  eu  une  interruption  d'une  demi-heure,  au  cours  de  laquelle  le  public, 
très  ému,  s'est  demandé  avec  angoisse  si  l'on  n'allait  pas  lui  rendre  son 
argent...  Mais  eniin,  M.  Van  Dyck  s'est  remis,  et  la  représenlion  a  pu  con- 
tinuer, avec  de  nombreuses  coupures.  On  n'en  a  pas  moins  applaudi  cha- 
leureusement M.  Van  Dyck,  dont  la  vaillance  a  triomphé  d'une  indisposition 
si  malencontreuse.  L.  S. 

—  Les  journaux  italiens  croient  pouvoir  annoncer  que  M^"  Van  Zandt, 
l'exquise  créatrice  de  Lakmé  à  l'Opéra-Comique,  a  promis  à  M.  Sonzogno 
d'aller  donner,  au  courant  de  l'automne  prochain,  quelques  représentations 
de  cet  ouvrage  au  Théâtre-Lyrique  de  Irfilan. 

—  Dépêche  de  Trieste  :  Manon,  véritable  triomphe  au  théâtre  Politeama. 
Quatre  morceaux  bissés  au  cours  de  la  soirée.  Rappels  sans  fin  pour  le 
ténor  GaruUi  et  la  Bendazzi. 

—  Au  théâtre  Carignan,  de  Turin,  on  a  joué  une>«  fable-pantomime  » 
intitulée  ;/  Mago  sabino,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  un  avocat,  M.  Attilio 
Omodei.  Le  succès  de  ce  compositeur  amateur  parait  avoir  été  modéré. 

—  Nous  annoncions  il  y  a  quelques  semaines,  en  émettant  quelques 
doutes  sur  la  perfection  qu'on  lui  attribuait,  l'apparition  en  Italie  d'une 
nouvelle  llûte  très  simplifiée,  se  jouant  comme  le  flageolet,  et  qui,  simple- 
ment percée  de  trous  et  dépourvue  de  clefs,  n'en  était  pas  moins,  disait-on, 
supérieure  à  la  flûte  Bœhm  sous  le  rapport  de  la  justesse,  de  l'ampleur  et 
de  la  qualité  du  son.  Bien  nous  a  pris  d'être  quelque  peu  sceptique  à 
l'égard  de  cet  instrument,  dont  l'inventeur  est  un  artiste  nommé  Giorgi. 
Un  professeur  au  Conservatoire  de  Naples,  M.  Italo  Piazza,  vient  de  publier 
sous  ce  titre  :  Il  Flaulo  Giorgi,  une  brochure  dans  laquelle  il  démontre 
qu'il  ne  s'agit  ici  que  d'une  sorte  de  mystification,  que  loin  d'être  un  pro- 
grès l'instrument  en  question  ne  serait  qu'un  retour  en  arrière,  et  que  ce 
nouvel  instrument  ne  serait  autre  chose  que  l'ancienne  flûte  Schalï- 
ner,  avec  quelques  modifications  çh/  la  rendent  plus  niaumise.  «  Il  est 
déplorable,  dit  l'auteur,  que  le  Conservatoire  de  Milan  ait  examiné  avec  sa 
bonne  toi  une  mystification  artistique  sinon  commerciale,  et  que  dans  la 
personne  de  ses  professeurs  il  ait  émis  un  jugement  qui  est  loin  de  lui 
faire  honneur.  »  Nous  voilà  décidément  édifiés  sur  ce  sujet  intéressant,  et 
nous  savons  aujourd'hui  j  quoi  nous  en  tenir. 

—  Voici  une  liste  d'œuvres  lyriques  françaises  jouées  sur  les  scènes 
d'outre-Rhin  pendant  ces  dernières  semaines.  On  peut  observer  que  la  sai- 
son théâtrale  touche  à  sa  fin,  comme  cela  se  passe  toujours  en  Allemagne 
après  les  fêtes  de  Pâques.  A  Vienne  :  Hamlet,  Faust,  Coppélia,  Carmen,  les 
Huguenots  ;  k  Berlin  :  Guillaume  Tell,  l'Africaine,  Fra  Diavolo,  Robert  le  Diable  ; 
à  Dresde  :  Carmen,  Bornéo  et  Juliette,  Mignon  ;  à  Hambourg  :  Mignon,  Guillaume 
Tell,  les  Huguenols,  Carmen,  Werther  ;  à  Cologne  :  les  Dragons  de  Villars,  les 
Huguenots,  la  Dame  blanche,  le  Prophète:  à  Mannheim  :  Fauxt,  Mignon,  Joseph;  à 


Bresi.au  :  Carnfn  ;  à  Biu-me  :  les  Hiig((enijts,  Guillaume  Tell,  te  Postillun  de  Lon- 
jumeau,  la  Dame  lilanclie.  la  Fille  du  Régintent  :  à  AViesdaden  :  Mignon,  Faust,  le 
Prophète,  la  Part  du  Diable:  à  IIaxoviu;  :  1rs  Huguenots:  à  Cari.sri'he  :  les  Dra- 
gons de  Yillars,  la  Muette  de  Porlici  :  à  Budapest;  /(/  Muette  de  Portici,  Faust,  le 
Domino  noir:  à  Weimar:  Lakmé. 

—  L'empereur  François-Joseph  a  conféré  à  M.  Jobannes  Brahms  la  dé- 
coration s  pour  les  arts  et  les  sciences.  »  C'est  la  plus  haute  récompense, 
exclusivement  réservée  aux  sommités  de  la  science  et  des  arts,  dont  dis- 
pose l'empereur;  elle  est  très  rarement  accordée.  M.  Brahms  est  le  premier 
musicien  qui  l'ait  obtenue.  Les  temps  ont  singulièrement  changé:  Beetho- 
ven, qui  avait  de  nombreuses  relations  avec  la  cour  et  était  l'ami  person- 
nel de  l'arcbiduc-cardinal  Rodolphe,  n'a  pas  été  décoré  par  l'empereur 
d'Autriche.  Quant  à  Schubert,  considéré  de  son  vivant  comme  une  espèce 
de  Schaunard  de  la  musique,  l'idée  ne  serait  même  pas  venue  au  plus 
influent  de  ses  admirateurs  de  demander  pour  lui  la  décoration.  Les 
musiciens  qui  n'ont  pas  de  situation  olDeielle  comme  kapellmeistcr  à  la 
cour  obtiennent  rarement  des  décorations  autrichiennes.  Brahms,  qui 
habite  Vienne  depuis  plus  de  trente  ans  et  est  universellement  connu 
depuis  un  quart  de  siècle,  vient  seulement  d'obtenir  cette  haute  récom- 
pense; Goldmark  et  Brûll,  qui  ont  depuis  vingt  ans  fait  jouer  avec  succès 
des  opéras  sur  des  scènes  allemandes  et  autrichiennes  et  ont  publié  beau- 
coup de  compositions  intéressantes  de  tout  genre,  ne  sont  pas  encore 
décorés  du  tout.  Antoine  Bruckner  a  obtenu,  à  l'âge  de  soixante  ans,  une 
petite  décoration  comme  professeur  de  musique  à  l'Université  de  Vienne. 

—  On  nous  fait  connaitre  la  distribution  des  rôles  pour  les  prochaines 
représentations-modèles  de  l'Anneau  du  Niljelung  qui  auront  Heu  à  Bay- 
reuth.  Elle  est  particulièrement  intéressante  par  la  renommée  de  cer- 
tains artistes:  Brunnhilde,  M'"'^  Lilli  Lehmann-Kaliscb  et  Gulbranson  ide 
Chritiania)  ;  Sieglinde,  M'""  Sucher  ;  fr/fcn,  .Mi"^' Bréma;  Erda  ei  Wallraudr, 
M'"^  Schumann-Heink  ;  Guirune,  M""  Reusse-Belze  ;  Freia,  M"'«  Weed  ;  les 
Filles  du  Rhin,  M">=s  von  Artner,  Fremstad,  et  une  troisième  artiste  non  en- 
core désignée;  Siegfried,  MM.  Burgstaller,  Gruning  et  Seidel  ;  Mime, 
M.  Brauer;  Wotan,  M.  Perron;  Loge,  M.  Vogl  ;  Alberieh,  M.  Friedrichs  ; 
Hagen,  M.  Grengg  ;  Siegmund,  M.  Gerrhauser:  Fafner,  M.  Elmblad;  Fusoll. 
M.  "Wachter;  Gunther ,  M.  Gross;  Donner,  M.  Bachmann  ;  Hundiufj  , 
MM.  Elmblad  et  Wachter  ;  Froh,  M.  Burgstaller. 

—  On  nous  écrit  de  Berlin  que  les  exploits  de  M.  Weingartner,  directeur 
des  concerts  de  la  chapelle  royale,  ne  sont  pas  du  goût  de  tout  le  monde. 
D'aucuns  trouvent  que  les  exercices  exagérés  de  la  baguette  de  ce  chef 
d'orchestre,  qui  veut  tout  exprimer  à  l'aide  de  son  bâton,  sont  vraiment 
excessifs,  et  qu'il  ferait  bien  de  refréner  un  peu  les  efforts  d'une  mimique 
par  trop  accentuée.  D'autres  voudraient  lui  voir  modérer  aussi  ses  préten- 
tions comme  compositeur  et  comme  arrangeur.  Il  n'est  guère  de  programme 
où  i!  ne  veuille  faire  figurer  son  nom  sous  ce  rapport,  ce  qui  n'est  pas  tou- 
jours à  la  satisfaction  du  public.  C'est  ainsi  qu'il  a  fait  entendre,  au  milieu 
d'un  silence  glacial,  une  ballade  pour  chant  et  orchestre  intitulée  un  Pèleri- 
nage à  h'cvelaar  et  des  intermèdes  symphoniques  de  son  opéra  Malawika.  11  a  eu 
aussi  la  singulière  idée  d'entrer  en  concurrence  avec  Berlioz  et  d'orchestrer  à 
sa  manière  —  une  fâcheuse  manière  1  —  l'Invitation  à  la  valse  de  Weber,  dans 
laquelle  il  a  fait  preuve  d'un  goût  détestable.  Voici  maintenant  que,  mar- 
chant sur  les  traces  de  'Wagner,  M.  "Weingartner  émet  la  prétention  d'écrire 
à  son  tour  une  tétralogie  dont  l'exécution  exigera  quatre  soirées  et,  qui 
plus  est,  de  se  faire  construire  un  théâtre  exprès,  tout  comme  à  Bayreuth  ! 
Un  journal  de  Vienne  publie  à  ce  sujet  un  article  amusant,  dans  lequel 
l'écrivain  raille  avec  esprit  la  manie  de  certains  compositeurs  actuels  qui, 
n'étant  point  capables  de  soutenir  l'attention  du  public  même  pendant  une 
soirée,  prétendent  l'intéresser  durant  quatre  soirées  consécutives  et  veulent 
singer  le  grand  réformateur  de  Bayreuth,  non  seulement  en  écrivant  des 
œuvres  de  dimensions  colossales,  mais  en  voulant  faire  construire  des  édi- 
fices pour  y  produire  ces  œuvres.  Ils  n'ont  pas  l'air  de  se  douter  que 
lorsque  Wagner  conçut  l'audacieux  projet  du  théâtre  de  Bayreuth,  il  avait 
donné  le  Vaisseav,  Fantôme,  Tannhàuser,  Lohengrin,  Tristan  et  Yseult  et  les 
Maîtres  Chanteurs,  qui  avaient  été  le  signal  d'une  révolution  dans  l'art  mu- 
sical. A  côté  de  ceux-là,  on  peut  considérer  comme  atteint  d'humilité 
M.  Mahler,  le  chef  d'orchestre  de  Hambourg,  qui,  pour  exécuter  ses  sym- 
phonies, se  contente  d'un  orchestre  de  cent  exécutants,  de  plusieurs  paires 
de  timbales,  d'une  rangée  de  cloches,  de  soli,  de  chœurs  et  de  plusieurs 
fanfares  invisibles  placées  dans  diverses  parties  de  la  salle  pour  produire 
des  effets  de  lointain  mystérieux.  C'est  dans  ces  conditions  qu'il  a  donné, 
dans  la  salle  de  la  Philharmonique,  deux  concerts  exclusivement  consacrés 
à  l'exécution  de  ses  œuvres  personnelles,  dont  la  valeur,  pour  réelle  qu'elle 
soit  à  de  certains  égards,  est  loin  d'être  en  rapport  avec  un  si  grand 
déploiement  de  forces  6t  un  appareil  si  imposant.  Quand  donc  nos  musi- 
ciens auront-ils  une  ambition  moins  encombrante?... 

—  Les  Italiens,  qui  habitent  Vienne  en  assez  grand  nombre,  viennent 
d'y  fonder  un  orphéon  qui  a  pris  le  nom  de  Verdi.  Le  nouvel  Orphéon  Verdi 
a  donné  son  premier  concert  sous  la  direction  artistique  de  M.  Boschetli 
et  a  remporté  un  grand  succès. 

—  L'instruction  criminelle  dirigée  contre  M.Charles  Zeller,  conseiller  au 
ministère  de  l'instruction  public  d'Autriche  et  compositeur  bien  connu, 
a  pris  une  mauvaise  tournure.  Le  tribunal  de  Vienne  a  ordonné  sa  mise 
en  accusation  et  une  audience  publique  devant  la  cour  d'assises.  Les  débals 
ont  été  fixés    aux  28,  29   et  30    mai  ;  mais  M.  Zeller  est  toujours  grave- 


LE  MÉNESTREL 


151 


ment  malade,  et  l'on  croit  que  les  débats  seront  ajournés.  L'affaire  Zeller 
a  produit  une  sensation  énorme  dans  le  monde  musical  de  Vienne  et 
parmi  les  hauts  fonctionnaires  de  l'Etat. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  Garlsruhe  sera  reconstruit  l'année  prochaine 
et  restera  fermé  pendant  plusieurs  mois  ;  mais  l'Opéra  continuera  ses  repré- 
sentations sur  une  scène  provisoire. 

—  'Voici  la  liste  des  artistes  jusqu'à  ce  jour  engagés  pour  la  prochaine 
grande  saison  du  théâtre  Covent-Garden,  à  Londres  :  soprani,  M^^^  Emma 
Albani,  Melba,  Marcella  Sembrich,  Emma  Calvé,  Eamas,  Macintyro,  Moody. 
Engle  et  Bauermeister:  mezzo-soprani  et  contrulU,  Mantelbé,  Brazzi,  Olitzka, 
Brani,Bona  et  Meisslinger;  ténors,  MM.  Jean  de  Rezské,  Alvarez,  De  Lucia, 
Ben  Davies,  Bonnard,  Arensi,  Brozel,  Bars,  Pirola,  Gorsi;6rtrytoiis,  Ancona, 
Bispham,  Pini-Gorsi,  Albers,  Gillihert,  Green  et  Paillard;  basses,  Edouard 
de  Reszké,  Arimondi,  Castelmary,  Manners,  Plançon,  Trabucco,  et  Vas- 
chetti.Les  chefs  d'orchestre,  au  nombre  de  quatre,  sont  MM.  Mancinelli, 
Bevignani,  Randegger  et  Seppilli. 

—  Le  théâtre  Daly,  de  Londres,  vient  de  jouer  avec  un  succès  énorme 
une  nouvelle  opérette  japonaise  intitulée  la  Geicha,  paroles  de  MM.  Owen 
Hall  et  Harry  Greenbank,  musique  de  M.  Sidney  Jones.  Il  s'agit  d'une 
aventure  de  grande  dame  anglaise  qui  se  promène  à  travers  le  monde 
et  tombe,  avec  toutes  les  amies  qui  l'accompagnent,  entre  les  mains  du 
tenancier  d'une  maison  de  thé  au  Japon,  qui  abrite  déjà  cinq  Géiclias  ou 
chanteuses  spéciales  de  ces  sortes  de  maisons.  La  jeune  dame  anglaise, 
fiancée  à  un  oiBcier  de  marine,  qui  s'amourache  d'une  Ge'icha,  se  déguise 
elle-même  en  Geïc/inpour  surveiller  son  fiancé,  et  l'on  s'imagine  facilement 
quelles  mésaventures  lui  arrivent.  Inutile  de  dire  que  tout  s'arrange  sans 
accroc  pour  la  vertu  des  dames  anglaises.  Plusieurs  morceaux  ont  dû  être 
répétés,  surtout  la  «  ballade  du  poisson  rouge  amoureux  »  et  les  couplets 
sur  la  vie  d'une  Geïcha.  Les  journaux  disent  des  merveilles  de  la  mise  en 
scène  et  de  la  Fêle  des  Chrysanthèmes  intercalée  dans  la  pièce. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

L'Assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  auteurs  et  compo- 
siteurs dramatiques  a  eu  lieu  cette  semaine  Le  rapport  sur  les  travaux 
de  l'année,  présenté  par  M.  Henri  Lavedan,  constate  que  pour  l'exer- 
cice lS9b-1896  les  droits  d'auteur  se  sont  élevés  à  3.586.389  fr.  17  c.,-  en 
augmentation  de  174.000  francs  sur  l'exercice  précédent.  Ge  chiffre  de  trois 
millions  et  demi  n'avait  jamais  été  atteint.  La  commission  a  annoncé  à 
l'assemblée  générale  qu'en  raison  de  l'état  de  prospérité  de  la  société,  la 
pension  serait  désormais  attribuée  à  tous  les  sociétaires  âgés  de  soixante 
ans.  De  ce  fait,  le  nombre  des  pensionnaires  sera  porté  de  100  à  plus  de 
l'rO.  Le  rapport  se  termine  par  un  remarquable  éloge  d'Alexandre  Dumas, 
qui  a  été  accueilli  par  les  applaudissements  unanimes  de  l'assemblée. 
M.  Gandillot  a  présenté  ensuite  diverses  observations  sur  l'organisation  de 
la  société,  puis  il  a  été  procédé  à  l'élection  des  nouveaux  commissaires, 
dont  voici  le  résultat:  Ont  été  élus  ;  MM.  Alexandre  Bisson,  89  voix; 
Henri  de  Bornier,  87  voix  ;  Armand  d'Artois,  Si  voix  ;  Victorin  Joncières, 
82  voix;  Jacques  Normand,  77  voix;  Georges  Feydeau,  73  voix  ;  Georges 
de  Porto-Riche,  71  voix. 

—  Les  compositeurs  qui  ont  eu  leurs  œuvres  exécutées,  cet  hiver,  aux 
concerts  de  l'Opéra,  ont  résolu  d'offrir  à  MM.  Bertrand  et  Gailhard  un 
grand  diner  pour  les  remercier  de  l'accueil  qu'ils  ont  reçu  à  l'Académie 
nationale  de  musique.  Le  repas  de  la  reconnaissance. 

—  A  l'occasion  de  la  centième  représentation  du  beau  ballet  la  Korrigane, 
les  heureux  auteurs,  Widor  et  François  Coppée,  avaient  invité  jeudi,  à 
une  charmante  réunion  intime,  leurs  amis  et  leur  principale  interprète 
Rosita  Mauri,  au  café  de  Paris.  En  tout,  di.x-sept  personnes  dont  voici  les 
noms  :  la  charmante  Rosita  Mauri  entre  MM.  Widor  et  François  Coppée; 
en  face,  M.  Gailhard,  directeur  de  l'Opéra;  MM.  Garolus  Duran,  Four- 
caud,  Heugel,  Gomte,  Antonin  Proust,  Delsart,  Jules  Huret,  Ghevalier, 
Lefort,  Fierons,  Noël.  StouUig,  Hansen.  De  très  gentils  toasts,  spirituels, 
galants,  imagés  et  imprévus,  ont  été  portés  au  dessert,  par  MM.  Garolus 
Duran,  Gailhard  et  Coppée,  à  Rosita  Mauri  et  aux  auteurs.  Dire  qu'on  a 
bu  à  la  deux-centième  de  la  Korrigane  est  superflu;  mais  affirmer  que 
chacun  y  a  trinqué  de  bon  cœur,  c'est  la  vérité  pure  (Figaro). 

—  M"«  Emma  Calvé  est  de  retour  à  Paris,  après  sa  triomphale  tournée 
d'Amérique.  Elle  n'est  nullement  fâchée,  après  tant  de  labeurs,  de  se 
retrouver  parmi  nous  et  se  propose,  pour  se  reposer,  de  donner  à  l'Opéra- 
Comique  quelques  représentations  de  Carmm  et  de /a  A^orarrcwse,  les  deux 
opéras  qui  lui  ont  valu  ses  plus  beaux  succès  à  New-York. 

—  I)e  retour  aussi  M""'  Melba,  tout  émue  et  toute  ravie  en  même  temps 
de  reparaître  bientôt  devant  le  public  parisien  dans  ce  beau  rôle  d'Ophélie 
d'Hamlet,  qui  fut  pour  elle  l'occasion  d'un  si  brillant  début.  Une  petite 
larme  pourtant  dans  son  sourire  :  o  II  ne  sera  plus  là,  le  grand  maître  1  » 

—  Voici  certainement  une  initiative  intéressante,  et  qui  ne  peut  que 
faire  souhaiter  qu'elle  trouve  des  imitateurs.  M.  le  vicomte  Marie-Au- 
guste-Verdinand-Camille  Gay  Le  Coat  de  Kerveguén,  mort  à  Passy  le 
20  novembre  dernier,  a  légué  par  testament,  à  la  ville  de  Dijon,  une 
somme  de  M.OiX)  francs  dont,  aux  termes  de  ce  testament,  «le  revenu 
servira  à  l'entretien  d'une  bibliothèque  au  Conservatoire  de  Dijon  et  à 
l'achat  continuel  de  musique  pour  l'enrichir.  »  Le  môme  donateur  a  légué 
une  somme  de  10.000  à  la  société  musicale  des  Enfants  d'Apollon. 


—  La  Société  des  instruments  anciens  de  MM.  Diémer.  Delsart,  van 
V\''aefelghem  et  Grillet  a  vu  se  renouveler,  dès  sa  première  séance,  l'écla- 
tant succès  qui,  l'an  dernier,  avait  accueilli  son  apparition.  Le  programme 
de  cette  séance,  varié  cette  fois  par  l'introduction  du  chant,  était  d'un 
intérêt  vraiment  exceptionnel,  et  comprenait  les  noms  de  Frescobaldi, 
Claude  Gervaise  (ou  Gervais?),  Boismortier,  J.-S.  Bach,  Haendel,  de  Gaix 
d'Hervelois,  Dandrieu,  Corelli,  Chédeville  cadet,  Gouperin  et  Degrignis.  Il 
est  impossible  d'être  plus  classique.  Parmi  les  trois  pièces  avec  lesquelles 
nos  quatre  artistes  ouvraient  le  concert,  il  faut  signaler  surtout  une  séré- 
nade :  les  Rév&renres  nuptiales,  do  Boismortier,  un  artiste  que  Fétis  qualifie 
de  médiocre  et  qui  a  écrit  là  un  petit  bijou  d'une  grâce  et  d'une  gaité 
précieuses.  M.  van  "Waefelghem  a  exécuté  sur  la  viole  d'amour  une  gavotte 
du  même  et  uiT  joli  prélude  de  Bach.  MM.  Delsart  et  Diémer  ont  fait 
applaudir  une  Marche  du  Czar  de  Gaix  d'Hervelois,  pour  viole  de  gambe  et 
clavecin,  qui  est  vraiment  bien  originale  et  bien  curieuse,  après  quoi 
M.  Diémer  a  enthousiasmé  la  salle  avec  deux  pièces  absolument  exquises 
de  François  Dandrieu  :  le  Concert  des  oiseaiuc  et  les  Fifres.  Il  faudrait  tout 
citer,  et  les  deux  pièces  pour  vielle  de  Chédeville  (la  Blonde)  et  de  Gouperin 
(l'Et  cœtera),  jouées  par  M.  Grillet,  et  l'air  de  Bach  chanté  par  M"=  Marcella 
Pregi,  mais  la  place  me  manque.  J'exprimerai  pourtant  le  regret  que  les 
programmes  soient  trop  secs  pour  des  concerts  d'une  si  belle  nature  his- 
torique. Il  faudrait,  par  quelques  notes  concises,  taire  connaître  au  public 
les  auteurs  inconnus  de  ces  petits  chefs-d'œuvre.  Qui  sait  ce  que  c'est 
que  Boismortier,  Dandrieu,  Degrignis  et  autres?  Il  faudrait  aussi  spécifier 
lorsqu'il  s'agit  d'un  Chédeville  ou  d'un  Gouperin.  qui  sont  représentés 
par  des  familles  nombreuses,  et  savoir  duquel  il  s'agit.  Pour  cela,  je  le 
répète,  quelques  notes  jointes  au  programme  seraient  essentielles  et  com- 
pléteraient de  la  façon  la  plus  heureuse  le  plaisir  du  public,  plaisir  que 
celui-ci,  d'ailleurs,  ne  s'est  pas  fait  faute  de  manifester  en  couvrant 
d'applaudissements  les  excellents  artistes  qui  le  lui  avaient  procuré.  —  A.  P. 

—  La  seconde  séance  des  Instruments  anciens  aura  lieu  le  mardi  12, 
à  4  heures,  salle  Érard,  avec  le  concours  de  M""^  Éléonore  Blanc  et  de 
M.  G.  Gillet. 

—  C'est  une  espèce'  de  petit  manuel  de  l'audition  intelligente  que 
M.  Gaston  Dubreuilh  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  l'École  du  dilettante,  et 
sous  la  forme  d'un  petit  volume  très  élégant.  L'auteur,  dans  ce  gentil 
volume,  étudie  les  sensations  produites  par  la  musique,  indique  les  moyens 
de  les  contrôler,  de  les  affiner,  donne  des  conseils  sur  la  manière  d'en- 
tendre et  de  comprendre  la  musique,  d'apprécier  les  œuvres  par  l'expé- 
rience de  l'oreille,  de  discerner  les  formules;  il  met  en  garde  contre  les 
enthousiasmes  irréfléchis  aussi  bien  que  contre  les  dédains  irraisonnés; 
en  un  mot,  il  enseigne  à  entendre,  à  saisir  le  sens  des  œuvres,  à  les  juger 
par  comparaison,  à  analyser  les  impressions,  les  émotions  qu'elles  peuvent 
nous  faire  éprouver.  Il  y  a  d'excellentes  choses  dans  ce  petit  livre,  bien 
pensé,  bien  écrit,  et  dont  la  lecture  ne  peut  qu'être  utile  à  tous  ceux  qui, 
musiciens  ou  non,  ont  dans  le  cœur  l'amour  du  plus  émouvant,  du  plus 
éloquent  et  du  plus  pathétique  de  tous  les  arts.  A.  P. 

—  M.  Albert  Jacquot  vient  de  publier  sous  ce  titre:  Les  Médard,  une 
brochure  substantielle  de  vingt-quatre  pages  (Paris,  Fischbachor)  dans 
laquelle  il  retrace,  à  l'aide  de  documents  inédits  et  curieux,  l'histoire  de 
cette  famille  nombreuse  de  fameux  luthiers  lorrains.  C'est  là  une  contri- 
bution intéressante  à  l'histoire,  si  intéressante  elle-même,  de  notre  belle 
lutherie  française,  à  laquelle  elle  apporte  un  appoint  utile  et  non  sans 
importance. 

—  Vient  de  paraître  (Laval,  Junius,  éditeur)  la  Yalkyrie  ou  le  Sabre  de 
mon  père,  drame  préhistorique  en  trois  actes,  traduction  nouvelle  par 
Victor  Dervil.  11  va  sans  dire  que  c'est  une  parodie,  à  joindre  à  celles  que 
nous  connaissions  déjà,  entre  autres  la  Valkyrigole.  imprimée  et  publiée 
naguère  à  Bruxelles. 

—  Gros  succès  au  concert  de  la  fondation  Beaulieu  pour  les  fragments 
importants  qu'on  y  a  donnés  de  Françoise  de  Rimini,  ce  bel  opéra  d'Ambroise 
Thomas,  si  injustement  délaissé.  Les  fragments  de  Winl^elried,  l'opéra  pos- 
thume de  Louis  Lacombe,  ont  aussi  produit  la  meilleure  impression. 
L'orchestre  était  sous  l'intelligente  direction  de  M.  Daubé,  qui  s'est  dévoué 
à  son  habitude  et  a  obtenu  d'excellents  résultats  d'exécution. 

—  Les  séances  du  Palmarium  du  Jardin  d'Acclimatation,  dirigées  par 
M. Pister,  survivent  aux  autres  concerts  dominicaux,  et  l'éclectisme  continue 
à  y  triompher.  Le  carnaval  romain  de  Berlioz,  Vanda  nie  cantabile  de  Tschaï- 
kowski,  le  Rouet  d'Om,phale  de  Saint-Saéns,  la  marche  et  cortège  de  la  Reine 
de  Saba  de  Gounoà,  composaient  le  menu  purement  orchestral  de  la  matinée 
de  dimanche.  Mais  l'intérêt  du  concert  a  été  doublé  par  le  concours  de 
deux  virtuoses  hors  de  pair  :  le  violoniste  Lefort,  très  applaudi  dans  la 
romance  de  "Widor  et  le  Poème  hongrois  de  Hubay,  et  le  pianiste  I.  Phi- 
lipp,  qui  a  exécuté  avec  un  brio  incomparable,  après  une  délicieuse  fantaisie 
pour  piano  et  orchestre  de  Widor,  l'éclatante  fantaisie  hongroise  de  Listz, 

—  La  Société  d'art  a  fait  entendre  dans  sa  21"  audition  un  remarquable 
trio  de  M.  Paul  Landormy,  deux  délicates  mélodies  vocales  de  M.  de  Saint- 
Quentin,  fort  bien  dites  par  M""'  Etta  Madier  de  Monjau,  des  pièces  de 
violon  intéressantes  de  M.  Letocart,  exécutées  par  M.  Balbreck,  et  une 
courte  série  de  morceaux  de  piano  de  M.  René,  que  M"'-  Loutil  a  mis  en 
lumière.  La  séance  se  terminait  par  l'ouverture  A'Harald  de  M.  X.  Leroux, 
jouée  par  M"''  Pennetôt  et  Loutil. 


152 


LIi  MENKSTUEL 


—  M.  Pénavaire  a  donné  ces  jours  derniers  un  concert  intéressant  pour 
faire  entendre  quelques-unes  de  ses  compositions.  On  a  applaudi  surtout 
divers  morceaux  d'un  opéra-comique  intitulé  Ninetle  et  Ninon,  diverses  mé- 
lodies :  la  Vierge  à  la  crkhe.  Vous  en  souvenez-vous?  un  joli  chœur,  la  Rose, 
une  fantaisie  pour  violon  et  piano  sur  Mignon,  exécutée  par  l'auteur  et 
M'":  Jeanne  Lucq,  et  un  arioso  pour  hautbois,  joué  par  M.  Louis  Rey. 
Succès  très  franc  et  très  vif  pour  le  compositeur  et  pour  ses  interprètes, 
Mnies  Yincent-Carol,  Hélène  Méry,  Marguerite  Baude,  Charlotte  Bérillon, 
MM.  Herbert  et  Toby. 

—  Jeudi  derniar,  30  avril,  M"=  Marguerite  Balutet,  qui  dirige  avec  tant 
de  succès  les  cours  de  piano  connus  sous  le  nom  d'Ecole  Beethoven,  a 
réuni  dans  ses  salons  de  la  rue  Blanche  un  groupe  de  douze  jeunes  filles, 
ses  élèves,  pour  l'audition  des  dernières  œuvres  de  Marmontel  père, 
Impressions  et  Souvenirs.  Ces  petites  pièces  caractéristiques  ont  été  supérieu- 
rement interprétées  ;  puis,  deiu:  idylles,  une  mazurka.  Chant  du  malin  et 
Tempo  di  minuelto  ont  complété  cette  intéressante  audition.  Le  vieux  maitre, 
très  louché  de  la  délicate  attention  de  M"<:  Balutet,  s'est  montré  enchanté 
de  l'exécution  des  jeunes  élèves  qui,  toutes,  ont  exécuté  avec  goût  et  dans 
un  excellent  style  ces  pièces  de  salon  que  l'auditoire  a  trouvées  trop 
courtes  et  a  fait  répéter. 

—  M°"^  Roger-Miclos  vient  de  donner  deux  concerts  en  huit  jours.  Le 
premier,  classique,  dans  lequel  elle  a  interprété  d'une  façon  remarquable 
la  fantaisie  et  les  Pièces  romantiques  de  Schumann,  une  sélection  d'œuvres 
de  Chopin,  Mozart  et  "Weber,  et  surtout  la  Fantaisie  chromatique  avec  fugue, 
de  Bach.  Le  programme  du  second  concert,  moderne,  comprenait  une  Suite 
de  Widor,  prélude,  choral  et  fugue  de  Franck,  œuvres  d'une  importance 
capitale.  Ont  été  bissés  avec  insistance  Myrtilles  et  Banc  de  mousse  des  Poèmes 
sylvestre  de  Th.  Dubois,  Intermezzo  de  Brahms,  Feuillet  d'album,  de  Grieg  et 
Légende  de  Paderewski. 

—  M.  Clarence  Eddy,  célèbre  organiste  de  Chicago,  qui  s'est  déjà  fait 
entendre  à  Paris  avec  grand  succès  à  la  dernière  exposition,  donnera  un 
concert  au  Trocadéro,  le  mardi  12  mai,  avec  le  concours  de  M"«  Rose 
Ettinger,  de  MM.  Georges  Holmes,  Paul"Viardot,  Eugène  Aigre  et  Alexandre 
Guilmant. 

Cette  semaine,  au  nouveau  temple  protestant  de  Sedan,  a  eu  lieu  la 

séance  de  réception  du  grand  orgue  par  la  commission  nommée  à  cet  effet. 
L'instrument,  œuvre  de  la  célèbre  maison  J.  Merklin  et  G'",  de  Paris,  à 
laquelle  nous  devons  les  orgues  de  Saint-Eustache,  de  Saint-Jacques-du- 
Haut-Pas,  de  Fribourg,  etc.,  etc.,  a  dépassé  les  espérances  et  les  exigences 
de  la  commission,  tant  au  point  de  vue  da  l'art  de  la  construction  qu'à 
celui  de  la  finesse  artistique  et  des  jeux.  Sous  les  doigts  habiles  de  M.  Mal- 
fait, de  Reims,  qui  sait  faire  sortir  comme  une  âme  de  l'instrument,  la 
commission  a  pu  apprécier  la  valeur  de  la  facture  dans  ses  moindres  détails 
etle  soin  apporté  au  mécanisme,  à  la  soufflerie,  aux  transmissions,  à  la  jar- 
faite  égalité  et  douceur  des  claviers,  comme  à  l'harmonisation  excellente 
des  différents  registres.  Aussi  l'orgue  a-t-il  été  reçu  après  essai  particulier 
par  chacun  des  membres  de  la  commission  avec  éloges  au  procès-verbal. 

Très  belle  exécution   à  Saint-Étienne  de    la  Ruth    de    César  Franck: 

«  Les  chœurs,  dit  le  Mémorial,  aux  voix  fraîches  et  jeunes,  inspirés  des 
conseils  si  précieux  de  M.  J.  Vincent,  conduits  par  le  vaillant  M.  Borelli, 
encadrés  par  l'excellente  Association  symphonique,  ont  été  merveilleux  de 
méthode,  d'ordre,  de  grâce  et  d'émotion  vraie.    « 

—  A  Nancy,  les  deux  exécution  de  Rédemption  que  nous  avions  annon- 
cées ont  été  de  tous  points  superbes,  et  la  belle  œuvre  de  César  Franck  a 
n-randement  triomphé.  L'orchestre  du  Conservatoire,  les  choeurs,  la  chorale 
Alsace-Lorraine,  sont  arrivés  à  un  résultat  inespéré  ;  M''^  Bléonore  Blanc, 
la  cantatrice  au  style  si  pur,  à  la  diction  si  nette,  à  la  voix  si  richeirient 
timbrée,  a  soulevé  des  bravos  enthousiastes.  Enfin  M.  Guy  Ropartz,  qui 
avait  pris  l'initiative  de  cette  belle  audition,  a  été  chaudement  applaudi. 

^  Versailles,  le  28  mai,  l'Association  des  artistes  musiciens  donnera 

en  la  chapelle  du  Palais  un  grand  salut,  avec  le  concours  de  M"'»  de 
Guerne  et  Kinen,  de  MM.  Vergnet,  Paul  Seguy,  Berthelier,  etc.,  etc.  les 
chœurs  etl'orchestre.  Au  programme,  les  Sept  Paro(es  du  C/msi  de  Th.  Dubois, 
sous  la  direction  de  l'auteur. 

—  On  nous  écrit  de  Nice  :  Le  ténor  Rondeau  vient  de  terminer  avec 
succès  la  série  de  ses  concerts.  Le  sympathique  artiste  s'est  fait  particu- 
lièrement applaudir  dans  les  mélodies  de  Massenet  :  Noël  paien.  Pensées 
d'automne.  Je  t'aime,  le  chant  de  la  Vnlkyrie  de  Wagner,  les  Chansons  popu- 
laire de  France,  recueillies  par  J.  Tiersot,  et  les  ravissantes  Brunettes  du 
WW  siècle  du  recueil  de  Weckerlin.  M.  Jean  Rondeau  donnera  en  août  et 
septembre  une  série  de  concerts  au  Casino  de  Cabourg. 

—  Ou  nous  écrit  de  Saint-Omer  pour  nous  signaler  le  succès  remporté, 
à  l'église  du  Saint-Sépulcre,  par  là  Jeanne  d'Arc  de  M.  Lenepveu,  très  bien 
exécutée  sous  la  direction  de  M.  Luc,  directeur  de  l'École  nationale  de 
musique. 

—  Lisieux.  —  Le  concert  offert  par  l'Orphéon  lexovien  à  ses  membres 
honoraires  a  été  l'un  des  plus  brillants  qu'on  ait  eus  dans  Lisieux.  En 
première  ligne  il  faut  mettre  M.  Paul  Seguy,  qui  a  dû  bisser  les  Trois 
Soldats,  de  J.  Faure;  M"»  Renié,  l'excellente  harpiste  quia  eu  son  triomphe 


IMPRIMERIE  ( 


habituel;  M"=  Kerrion,  qui  de  sa  belle  voix  de  mezzo  a  chanté  les  airs  d'/fé 
rodiade  et  de  Jean  de  Nivelle:  M""-'  Leserre,  qui  a  réjoui  les  auditeurs  les  plus 
austères:  M.  Mary,  de  Gaen,  qui  tenait  le  piano  d'accompagnement  avec  la 
souplesse  d'un  maitre  parisien.  M.  Trembloy  assumait  la  double  tâche  de 
jouer  du  violon  et  de  diriger  l'orphéon;  il  s'est  également  bien  tiré  de  ses 
deux  rôles.  L'Orphéon,  très  en  progrès,  a  été  acclamé. 

—  Ls  pianiste  Jean  Canivet  a  donné  un  concert  intéressant  à  la  salle 
des  Agriculteurs  de  France.  Il  a  joué,  avec  le  concours  de  MM.  Rémy  et 
Courtes,  le  trio  en  sol  mineur  de  Rubinstein,  qu'on  n'entend  pas  souvent 
chez  nous  et  dont  l'adagio  et  le  dernier  mouvement  ont  soulevé  des  applau- 
dissements. Une  autre  œuvre  intéressante  et  rarement  exécutée  publique- 
ment est  la  sonate  pour  piano  et  violon  en  fa  majeur  de  Grieg,  que 
MM.  Canivet  et  Rémy  ont  interprétée  avec  beaucoup  de  charme  et  de 
brio.  Mentionnons  encore  la  sonate  dite  Clair  de  lune  de  Beethoven,  qui  a 
valu  à  M.  Canivet  une  petite  ovation.  0.  Bn. 

—  Co.NCERTs  ET  SOIRÉES.  —  Clicz  M.  ct  M'"'  Poulaliou,  très  brillante  ma- 
tinée consacrée  à  Massenet,  qui  s'est  prodigué  pendant  toute  cette  artis- 
tique séance.  Bravos  interminables  pour  M"'  Vilma,  de  l'Opéra-Comique,  qui 
a  délicieusement  et  fort  intelligemment  chanté  le  Poème  d'un  soir,  sur  des  vers 
de  Georges  Vanor,  dont  c'était  la  première  audition,  et  aussi  le  solo  du  joli 
chœur  de  tu  Chevriifre  et  des  mélodies.  On  a  fait  fête  encore  à  M""  Ucyd,  de 
rOpéra-Comique  également,  dans  Hymne  d'amour  et  les  duoî  du  Roi  ite  Laliore  et 
d'Bérodtade,  'a  M.  Faure,  dans  Encttantement,  Ouvre  tes  yeux  Ijtcus,  mignonne  et  le 
duo  du  Itoide  Lahore,  à  M.  Crémel,  dans  la  prière  du  Cid  et  le  duo  d'IIérodiadc,  à 
M"«Preinsler  da  Silva,  dans  le  ba.Hetd'Hémdia(le,  joué  avec  l'auteur,  àM.  A.  Brun, 
dans  la  Méditation  de  Thaïs,  à  .M.  Pickaërt  et,  enfin,  à  M"'  Baracle,  qui  a  délica- 
tement dit  des  poésies  de  Georges  Boyer.  Le  concert  s'est  terminé,  au  milieu 
des  rappels,  par  deux  fragments  des  Érinnycs,  exécutés  par  l'auteur,  M""  Preins- 
1er  da  Sliva,  MM.  Brun  et  Vandœuvre.  Très  gros  succès  pour  le  maître,  ses 
excellents  interprètes  et  les  très  artistiques  organisateurs  de  celte  fête  musicale. 

NÉCROLOGIE 

A  Bergame  vient  de  mourir  un  artiste  distingué,  compositeur  aimable, 
Antonio  Cagnoni,  qui  a  tenu  une  place  dans  le  mouvement  musical  italien 
de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle.  Né  à  Godiasco,  en  février  1828,  Cagnoni 
fit  ses  études  au  Conservatoire  de  Milan,  sous  la  direction  de  Ray  et  de 
Frasi.  Il  avait  écrit  déjà  deux  petits  opéras  lorsque,  à  peine  âgé  de  dix-neuf 
ans,  il  en  fit  représenter  un  troisième,  Don  Bucefalo,  dont  le  succès  fut  écla- 
tant et  qui  pendant  vingt-cinq  ans  resta  inscrit  au  répertoire  de  tous  les 
théâtres  d'Italie.  Une  fois  ainsi  lancé  dans  la  carrière,  il  la  parcourut  avec 
des  chances  diverses  et  fit  preuve  d'une  certaine  fécondité,  sans  jamais 
sortir  du  genre  bouffe  ou  de  demi-caractère,  qui  lui  valut  encore  plusieurs 
succès,  entre  autres  avec  Michèle  Perrin,  Claudia,  la  Tombola  et  Papa  Martin. 
Puis,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  Cagnoni  renonça  au  théâtre  pour  aller 
prendre,  à  Novare,  la  direction  delà  chapelle  de  la  cathédrale  et  se  consacrer 
désormais  à  la  composition  de  la  musique  religieuse.  Voici  la  liste  des 
œuvres  dramatiques  de  Cagnoni  :  1°  Rosalia  di  San  Miniato  (Milan,  184b); 
2"  i  Due  Savoiardi  (id.,  1846);  3»  Don  Bucefalo  (Milan,  th.  Re,  1847);  .4°  iV  Tes- 
tamento  di  Figaro  (id.,  id.,  1848);  S"  Amori  e  Trappole  (Gènes,  th.  Carlo  Félice, 
1830);  6"  la  Valle  d'Andorra  (Milan,  Canobbiana,  1851);  7°  Giraldci  (Milan, 
th.  Santa  Radegonda,  1832);  S"  la  Fîoraia  (Turin,  Th.  National,  18ob); 
9°  la  Figlia  di  Don  Liborio  (Gènes,  Carlo  Félice,  1836)  ;  10»  il  Vecchio  délia  Mon- 
tagna  (Milan,  Scala,1863);  11°  Michèle  Perrin  (Milan,  Santa  Radegonda,  1864); 
12°  Claudia.  (Milan,  Canobbiana,  1866)  :  13»  la  Tombola  (Rome,  Argentina,  1869)  ; 
14°  un  Cappricio  di  donna  (Gènes,  Carlo  Félice,  1870);  15°  Pap'i  Martin  (Flo- 
rence, th.  National,  1871);  16»  il  Duca  di  Tapigliano  (Lecco,  1874);  17»  Fran- 
cesca  rfa  iî/Hîîni  (Turin,  th.  Royal,  1878).  La  musique  de  Cagnoni,  qui  se 
fait  remarquer  par  la  verve,  la  chaleur  et  le  brio  de  l'action  scénique,  est 
claire,  facile,  mélodique  et  correctement  harmonisée;  son  défaut  est  dans 
une  certaine  uniformité  des  idées  et  des  rythmes  et  dans  le  procédé  un 
peu  banal  de  l'instrumentation.  A  part -Don  Bucefalo,  qu'on  a  entendu  au 
Théâtre-Italien  il  y  a  quelque  trente  ans,  ses  œuvres  n'ont  guère  franchi 
les  frontières  do  sa  patrie.  A.  P. 

De  La  Haye,  on  annonce  la  mort  de  l'excellent  directeur  du  Conser- 
vatoire de  celte  ville,  M.  VS'illem-Frédérik-Gérard  Nicolaï,  qui  était  né  à 
Loyde  le  20  novembre  1829.  Après  avoir  commencé  ses  études  à  l'école  de 
musique  de  Leyde,  il  était  allé  les  achever  au  Cnnservatoire  de  Leipzig, 
puis  était  revenu  dans  sa  patrie  en  1833.  Excellent  harmoniste,  ilfut  bientôt 
nommé  professeur  d'orgue  et  de  piano  au  Conservatoire  de  La  Haye,  devint 
aussi  organiste  de  l'église  française  de  cette  ville,  et  enfin,  à  la  mort  de 
J.-M.-H.  Lubeck,  en  1865,  fut  placé  à  la  tète  du  Conservatoire,  auquel  il 
imprima  une  excellente  direction.  Nicolaï  était  un  professeur  émérite  et 
un  compositeur  de  talent.  Ses  nombreux  lieder,  dont  il  a  publié  plusieurs 
recueils  à  une  ou  plusieurs  voix,  jouissent  d'une  grande  popularité  non 
seulement  dans  toute  la  Néerlande,  mais  jusqu'en  Allemagne;  j'ai  été  à 
même  d'en  entendre  plusieurs,  qu'il  a  bien  voulu  faire  exécuter  à  mon 
intention,  au  Conservatoire  de  La  Haye,  et  j'ai  été  frappé  do  leur  beau 
sentiment  et  de  leur  harmonisation  distinguée.  On  lui  doit  aussi  plusieurs 
compositions  plus  importantes  :  un  oratorio  inlUulé  Boniface,  plusieurs  can- 
tates, parmi  lesquelles  la  Cloche,  sur  la  poésie  de  Schiller,  et  Hanske  van 
Gelder,  une  symphonie  et  plusieurs  ouvertures.  Nicolaï  était  rédacteur  en 
chef  d'un  bon  journal  de  musique  publié  sous  le  titre  de  Cœcilia.        A.  P. 

Henri  Heuoel,  directeur-gérant. 

PARIS.  —    .Eiicit  UrineDi; 


Dimanche  17  Mai  1896. 


3399.  —  62-"=  mM  —  [V°  20.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  IIrnri  IIEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivieaue,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonneraenL 

Un  on,  Texte  seul  :  iO  francs,  raris  et  ProTJnce.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   Slusiqvie  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,    les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEITE 


I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3"  partie  (2°  article),  Arthur 
POUGIN.  —  IL  Bulletin  théâtral  :  reprise  du  Ruman  d'un  jeune  homme  pauvre,  à 
rOdéon,  et  première  représeutation  de  Nuit  d'amour,  aux  Bouffes-Parisiens, 
Paul-Émile  Chevalier.  —  IIL  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  du  Champ-de- 
Mars  (3'  article),  Camille  Le  Se.\ne.  —  IV.  Musique  et  prison  (4"  article i  :  pri- 
sonniers politiques,  Paul  d'Estrée.  —  V.  Le  monument  de  M""  Carvalho.  — 
VL  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MUSETTE  DU  XVM»  SIÈCLE 

harmonisée  par  A.  Périlhou.  ^  Suivra  immédiatement  :  Près  de  l'eau,  n"  2 
des  Soirs  d'amour,  de  Léon  Delafosse,  poème  de  IL  de  Régnier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Printemps  nouveau,  de  A.  Landry.  —  Suivra  immédiatement  :  En 
dansant,  extrait  des  Pastels,  de  I.  Philipp. 


LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1S38 


TROISIEME  PARTIE 
I  (Smte) 

Le  16  janvier  1833  voit  apparaître  un  petit  ouvrage  en  un 
acte,  le  Mort  ftancé,  que  son  titre  assez  singulier  ne  préserve  pas 
d'unedemi-chute.  Les  paroliers,  au  nombre  de  trois,  gardent 
l'anonyme,  le  musicien  se  fait  appeler  Prosper;  les  premiers 
se  nommaient  Vial,  d'Houdetot  et  Féréol,  leur  collaborateur 
n'était  autre  que  Prosper  de  Ginestet.  Trois  jours  après,  le  19, 
un  événement  déplorable  et  qui  n'était  que  trop  prévu, 
venait  frapper  douloureusement  Paris,  l'Opéra-Gomique  et 
l'art  français:  Herold,  âgé  de  quarante-deux  ans,  et  dont, 
après  le  Pré-aux-Clercs,  on  eût  pu  espérer  tant  de  chefs-d'œuvre, 
succombait  à  la  phtisie  qui  le  minait  depuis  longtemps.  Le 
Courrier  des  Thédlres  annonçait  cette  nouvelle  de  la  façon  que 
voici  : 


Herold  n'est  plus!  !  ! 

La  partition  du  Pré-aux-Clercs  était  le  chant  du  cygne! 
L'art  musical  perd  sa  plus  jeune  espérance,  et  le  monde  un 
de  ces  hommes  qui  apparaissent  pour  laisser  d'éternels  regrets. 
Postérité,  commence! 


Le  jour  même  de  la  mort  d'Herold,  samedi  19  janvier,  l'af- 
fiche de  rOpéra-Comique  annonçait  le  Pré-aux-Clercs.  Le 
théâtre,  qui  fit  relâche  le  lendemain  dimanche  ea  signe  de 
deuil,  voulut  aussitôt,  à  l'occasion  de  cette  quinzième  repré- 
sentation de  son  dernier  chef-d'œuvre,  rendre  au  composi- 
teur l'hommage  qu'il  lui  devait  à  tant  de  titres  et  que  nul 
autre  n'eût  mieux  mérité.  «  Hier,  disait  encore  à  ce  sujet  le 
Courrier,  hiev,  à  la  lin  du  Pré-aux-Clercs,  tous  les  acteurs  en 
deuil  se  sont  réunis  autour  d'une  urne  couverte  d'un  crêpe 
et  placée  sur  un  piédestal  portant  le  nom  d'Herold.  Ponchard 
a  lu,  d'un  ton  plein  de  convenance,  des  vers  improvisés  par 
M.  Léon  Halévy  et  qui  ont  été  écoutés  avec  autant  de  recueil- 
lement qu'applaudis  avec  douleur.   » 

Précisément  dix  jours  après,  le  29  janvier,  M""  Casimir, 
dont  on  peut  dire  que  l'indigne  conduite  avait  hâté  la  fin 
d'Herold,  allait  reparaître  à  l'Opéra-Comique  en  reprenant  ce 
rôle  d'Isabelle,  qu'elle  avait  abandonné  d'une  façon  si  étrange 
après  l'avoir  joué  une  seule  fois.  Le  public  s'était  montré 
contre  elle  si  justement  courroucé  qu'on  n'élait  pas  sans 
quelque  crainte  au  sujet  de  la  rentrée  qu'elle  allait  effectuer 
ainsi.  Cette  nouvelle  note  du  Courrier  nous  apprend  ce  qu'il 
en  fut  : 

L'événement  de  la  soirée  a  été,  hier,  la  rentrée  de  M'"=  Casimir  à 
rOpéra-Comiqne.  Cette  actrice  reparaissait  précisément  dans  le  rôle 
par  lequel  elle  avait  opéré  sa  sortie,  celui  d'Isabelle  du  Pré-aux-Clercs, 
si  heureusement  rendu  par  M'"  Dorus  pendaut  son  absence.  Tous  les 
bruits  qui  nous  arrivaient  annonçaient  un  bruit  plus  fort  au  moment 
011  le  public  reverrait  M"""  Casimir.  On  croit  même  que  le  théâtre  avait 
été  obligé  de  se  précautionner  contre  les  suites  d'une  leçon  qui 
pouvait  dégénérer  en  scandale.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'irritation  était 
grande,  et  la  Toula  considérable.  A  l'instant  où  l'actrice  s'est  mon- 
trée, les  prés'isions  ne  se  sont  que  très  faiblement  réalisées  :  des 
chut!  peu  de  sifflets  et  d'assez  nombreux  applaudissements  ont 
bientôt  mis  fin  à  toutes  les  craintes,  et  le  grand  tapage  s'est  borné 
à  un  petit  bruit  d'écho. 

Nous  retrouverons  Herold  tout  à  l'heure.  En  attendant,  il 
faut  enregistrer  Fapparition  de  linéiques  nouveaux  ouvrages. 
Cinq  jours  avant  la  rentrée  de  M""  Casimir,  le  24  janvier, 
l'Opéra-Comique  donnait  le  Souper  du  mari,  un  acte  de  Cogniard 
et  Charles  Desnoyers,  qui  servait  au  début  d'un  jeune 
compositeur  revenant  d'Italie,  Despréaux,  élève  de  Berton, 
qui  avait  obtenu  le  grand  prix  de  Rome  en  1828.  Celui-ci 
était  suivi,  le  4  mars,  d'un  autre  ouvrage  en  un  acte  intitulé 
les  Souvenirs  de  Lafleur,  adaptation  musicale  d'un  vaudeville  de 
Carmouche  et  Frédéric  de  Courcy  qui  avait  obtenu  peu  de 
succès  au  Gymnase,  le  23  août  '1825,  sous  le  titre  de  la  Vieil- 
lesse de  Froniin.  Il  fut  plus  heureux  ici,  grâce  à  l'agréable  mu- 
sique d'Halévy,  grâce  aussi  à  la  présence  de  Marlin,  qui  en 
re'mplissait  le  principal  rôle.  Puis,  le  3  avril,  ce  fut  le  Po- 
destal,  encore  un  petit  opéra  en  un  acte,  mais  qui  n'élait  pas 


lo-i 


LE  MENESTREL 


inédit,  car  il  avait  été  créé  aux  Nouveautés  le  16  décembre 
1831.  Les  auteurs  de  celui-ci  étaient  Lafitte  pour  les  paroles 
et  Yogel  pour  la  musique.  A  mentionner  encore,  à  la  date  du 
19  avril,  les  Gondoliers,  deux  actes  de  Champeaux  et  Bréant  de 
Fontenay  pour  les  paroles,  de  Blangini  pour  la  musique. 
«  Poème  inhumainement  ennuyeux,  musique  de  salon  et 
quart  de  succès,  »  disait  un  journal.  Je  l'en  crois  sur  parole, 
étant  donnés  les  noms  des  auteurs.  Je  constate  pourtant  que 
ces  Gondoliers  dépassèrent  leur  quarantième  représentation,  ce 
qui  était  un  fait  assez  rare. 

Le  4  mai  avait  lieu  la  dernière  représentation  de  Martin, 
qui  s'était  mis  ainsi  pendant  plus  de  sept  mois  à  la  disposi- 
tion de  ses  camarades,  auxquels  sa  présence  n'élaitpas  inutile, 
et  le  16  l'afBche  annonçait  l'apparition  de  Ludovic,  drame 
lyrique  en  deux  actes,  joué  par  Lemonnier,  Féréol,  Vizentini, 
M"«  Pradher  et  M""  Massy.  Un  intérêt  particulier  s'attachait 
à  cet  ouvrage.  C'était  le  dernier  auquel  Herold  eût  travaillé, 
sur  un  poème  de  Saint-Georges.  La  mort  ne  lui  avait  pas 
laissé  le  temps  de  l'achever,  et  c'est  Halévy  qui  s'était  chargé 
de  ce  soin.  Halévy  n'avait  pas  perdu  de  temps,  le  théâtre 
non  plus,  puisque  Ludovic  était  offert  au  public  moins  de 
quatre  mois  après  qu'Herold  eut  quitté  ce  monde.  «  Un  beau 
et  durable  succès,  disait  le  Courrier  des  Théâtres,  a  signalé  la 
représentation  de  cet  ouvrage  ,  dont  le  poème,  sans  trop 
viser  au  drame,  est  intéressant  et  posé  ainsi  que  conduit 
avec  beaucoup  d'art.  Les  morceaux  d'Herold  sont  charmants; 
mille  bravos  les  ont  salués  au  passage.  Dans  le  reste,  M.  Ha- 
lévy a  fait  complète  abjuration  du  genre  rossinien  ;  il  y  a 
cherché  et  trouvé  le  dramatique,  le  gracieux,  le  chantant, 
c'est  gagner  au  change.  Sa  réussite  a  été  entière  et  digne  du 
nom  célèbre  auquel  sa  lyre  vient  de  s'associer.  L'Opéra- 
Gomique  a  des  recettes  et  de  l'honneur  assurés  dans  la  suite 
de  cette  pièce.  On  a  dit  au  public  que  les  paroles  sont  de 
M.  de  Saint-Georges,  l'ouverture  et  les  quatre  premiers  mor- 
ceaux d'Herold,  et  que  M.  Halévy  a  terminé  cotte  brillante 
partition.  »  Le  succès,  s'il  ne  fut  pas  très  prolongé,  fut  du 
moins  très  franc,  et  se  traduisit  par  une  série  de  soixante-dix 
représentations. 

La  seconde  partie  de  l'année  vit  naître  encore  quatre  ouvrages 
importants  :  Cinqans  d'entracte,  en  deux  actes,  paroles  de  Féréol, 
musique  de  Le  Borne  (IS  juin);  la  Prison  d'Edimbourg,  en  trois 
actes,  livret  tiré  du  roman  célèbre  de  Walter  Scott  par  Scribe 
et  Planard,  musique  de  Carafa  (20  juillet)  ;  le  Proscrit  ou  le 
Tribunal  invisible,  ea  trois  actes,  paroles  de  Carmouche  etSain- 
tine,  musique  d'Adolphe  Adam  (18  septembre)  ;  et  une  Journée 
de  la  Fronde,  en  trois  actes,  qui  n'était  qu'une  mouture  nouvelle 
d'un  «vaudeville  historique»  que  Mélesville  avait  donné  le 
29  novembre  1828  aux  Nouveautés,  sous  le  titre  de  la  Maison 
du  rempart;  le  compositeur  de  celui-ci  était  Carafa.  De  ces 
quatre  ouvrages,  un  seul,  la  Prison  d'Edimbourg,  obtint  quel- 
ques sympathies  de  la  part  du  public  et,  sans  rencontrer 
véritablement  le  succès,  fournit  à  tout  le  moins  une  carrière 
honorable.  Les  trois  autres  n'eurent  qu'une  existence  éphé- 
mère. Pour  ce  qui  concerne  le  Proscrit,  on  peut  croire  que 
son  insuccès  fut  dû  surtout  au  sujet  lugubre  du  drame.  Fétis 
disait  de  la  musique  :  «  Il  y  a  là  de  la  force,  du  sentiment 
dramatique  et  plus  de  nouveauté  dans  les  idées  que  M.Adam 
n'en  avait  mis  dans  ses  précédentes  productions».  Divers 
incidents  de  la  représentation,  racontés  par  Adam  lui-même, 
n'étaient  pas,  il  faut  le  dire,  de  nature  à  assurer  le  succès 
de  l'ouvrage.  J'ai  fait  connaître  ailleurs  ces  détails,  que  je  ne 
saurais  reproduire  ici  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


(1)  Voy.  Adolphe  Adam,    sa  vie,  3a  carrière,  ses   Mémoires   artistiques,  par 
Arthur  Pougin  (Paris,  Cliarpentier,  1877,  in-12). 


BULLETIN    THEATRAL 


Odéon.  Le  Roman  d'un  jeune  homme  pauvre,  pièce  en  3  actes  et  7  tableaux, 
d'Octave  Feuillet. —  Bouffes-Parisiens.  Nuit  d'amour,  fantaisie  lyrique  en 
4  actes,  de  MM.  Boucheron  et  A.  Barré,  musique  de  M.  A.  Banès. 

L'Odéon  vient  de  reprendre  le  Roman  d'un  jeune  homme  pauure,  la 
pièce  célèbre  d'Octave  Feuillet  qui  a  fait  déjà  couler  tant  de  larmes 
et  qui,  très  certainement,  va  ressaisir  un  public  sensible  d'âme  et 
demandant  avant  tout,  au  théâtre,  de  l'intérêt  et  de  l'émotion,  bien 
que  d'aucuns  souriront  très  certainement  de  ce  beau  jeune  homme 
qui,  retroDvant  sa  fortune  volée,  n'hésite  pas  à  détruire  les  preuves 
que  la  Providence  lui  met  dans  les  mains  pour  laisser  riche  et  heu- 
reuse celle  qu'il  aime,  et,  plus  justement,  lui  reprocheront  quelque 
légèreté  lorsque,  si  cavalièrement,  il  sacrifie  l'avenir  de  sa  sœur. 

Sans  être  de  tout  premier  ordre,  l'interprétation  actuelle  est  bonne 
d'ensemble  et,  en  toute  première  ligne,  il  faut  nommer  M.  Magnier 
en  Maxime  Odiot,  M.  Albert  Lambert  en  Laubépin,  et  M""  Grum- 
baeli  en  M"''  Laroque,  sans  oublier  M""'  de  Boncza,  Lestai,  Chapelas, 
Dehon,  MM.  Cornaglia  et  Daard. 

Et  voilà  qu'au  moment  précis  où  ces  notes  sont  écrites,  le  théâtre 
des  Bouffes-Parisiens  annonce  sa  fermeture  annuelle.  Déjà  1  Pauvre 
yuit  d'amour  I  M'est  avis  que  la  dénomination  de  «  fantaisie  lyrique  » 
a  porté  malheur  à  la  pièce  de  MM.  Boucheron  et  Barré.  Où  diable  se 
cachait-elle,  cette  «  fantaisie  »  annoncée  à  la  porte  et  promise  en 
quelque  sorte?  Certes  pas  dans  le  fabliau  moyenâgeux  des  libret- 
tistes, d'allure  très  calme  et  de  conduite  fort  sage,  avec  une  idée  pre- 
mière qui  n'avait  pourtant  rien  de  déplaisant;  pas  plus,  d'ailleurs, 
que  dans  l'importante  partition  de  M.  Banès,  d'une  incontestable  mu- 
sicalité et  supérieure,  en  plus  d'un  point,  à  ce  que  l'on  nous  offre  ordi- 
nairement. Peut-être  même  M.  Banès  avait-il  été  un  peu  loin  et  l'abus 
des  cors  et  des  pistons,  plus  d'une  fois,  effarouchait  les  douces 
cantilènes  confiées  à  l'onctueux  alto,  personnifiant  la  viole  d'amour. 

Gardera-t-on,  de  ces  éphémères  soirées,  le  souvenir  de  la  décora- 
tive M""^  de  Roskilde,  prodiguant  sa  voix  comme  si  elle  était  encore 
à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  on  même  au  Châtelet  ?  ^Suit  d'amour,  pour- 
tant, pourrait  partiellement  passer  à  la  postérité,  si  le  Musée  de 
Cluny,  bien  avisé,  réclamait  pour  ses  collections  certain  corset  bardé 
de  fer  et  certaine  jarretière  à  cadenas,  auxquels  M""*  Bonheur  et 
Maurel  durent  une  petite  part  de  leur  succès  personnel. 

Paul-Émile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU     SALON    DU     C  H  A  M  P  -  D  E  -  M  A  R  S 


(Troi.nème  article.) 

Peu  de  costumiers  au  Ghamp-de-Mars  :  en  revanche,  quelques 
intéressants  décorateurs.  Quand  M.  Lobre  peint  soit  la  vue  du  Châ- 
teau de  Versailles  prise  du  parterre  d'eau,  soit  le  Salon  de  Marie- 
Antoinette,  soit  la  Bibliothèque  du  Roi,  il  prépare  mieux  que  des 
toiles  de  fond  pour  le  dramaturge  facile  à  prévoir  qui  recommencera 
soit  la  Jeunesse  de  Louis  XIV,  soit  le  Collier  de  la  Reine.  Décorateurs 
aussi,  mais  dans  la  note  poétique  et  imprécise,  M.  Iwil  avec  son 
Harmonie  du  soir  {sotto  marina),  aux  teintes  délicatement  foniues, 
M.  JeanCazin,  subtilement  exquis  dans  l'Étang  la  nuit  etla  Rue  déserte, 
M.  James  Morrice  avec  son  Nocturne  d'un  vert  dormant,  et  même 
M.  Holman  avec  son  effet  du  malin  à  Venise.  Plus  localisés,  les 
impressions  un  peu  filigranées  mais  saisissantes  que  M.  Raffaelli  in- 
titule Notre-Dame  de  Paris,  les  Invalides,  la  place  Saint-Michel,  le 
cabinet  de  travail  et  la  chambre  de  repos  de  Victor  Hugo  à  Haute- 
viUe-House  de  M.  Jeanniot,  enfin  le  Béguinage  d'hiver  de  M.  Ferdi- 
nand Willaert,  qui  semble  une  illustration  du  répertoire  de  M.  Roden- 
bach... 

La  statuaire  ne  comprend  qu'un  nombre  de  numéros  très  restreint 
au  Palais  des  Arts  Libéraux.  Hors  cadre,  je  veux  dire  dans  une  salle 
particulière  du  rez-de-chaussée,  l'œuvre  ds  M.  Jules  Desbois,  dont 
trois  pièces  principales  :  la  .UorI  en  bronze,  la  Misère  en  bois,  la  Léda 
en  marbre.  On  connaît  déjà  la  Mort  :  c'est  une  étude  très  intéres- 
sante, très  fouillée  ;  je  ne  lui  ferai  qu'un  reproche,  celui  d'être  inu- 
tilement, poncivement  macabre.  Quand  donc  les  sculpteurs  se  déci- 
deront-ils à  nous  donner  une  Mort  (avec  majuscule)  qui  ne  soit  pas  un 
squelette  grimaçant,  mais  une  divinité  semblable  à  toutes  les  autres, 
moins  gaie  assurément  que  Bacchus  ou  Aphrodite,  mais  pas  plus 
grave  que  Jupiter  ou  Minerve  ?  Victor  Hugo  leur  a  cependant  indiqué 


LK  MENESTREL 


155 


le  modèle  à  suivre  ou  plutôt  le  groupe  à  composer  dans  un   sonnet 
célèbre  qui  commence  ainsi  : 

La  mort  et  la  beauté  sont  deux  choses  profondes 
Qui  contiennent  tant  d'ombre  et  d'azur  qu'on  dirait 
Deux  sœurs  également  terribles  «t  fécondes 
Ayant  la  même  énigme  et  le  même  secret... 

El  je  prédis  un  beau  succès  au  statuaire  qui  groupera,  sans  aucun 
attirail  de  pompes  funèbres,  la  Mort  et  la  Beauté,  sur  un  même  socle. 
Mais  M.  Desbois  ne  sera  pas  ce  sculpteur,  ayant  mis  dans  son  talent 
la  pointe  sentimentale,  l'attendrissement  vulgaire  d'un  carnet  de 
Séverine.  La  Misère  cbanle  la  même  complainte.  La  Léda,  assez 
micbel-angesque,  relativement  chaste,  est  plus  personnelle. 

Au  milieu  dn  jardin  se  dresse  le  monument  à  la  mémoire  de 
Molière,  taillé  dans  le  marbre  par  M.  Injalbert  pour  la  grande  place 
de  Pézenas.  Sur  la  stèle,  un  buste,  bien  traité,  de  l'auteur  du  Misan- 
thrope. La  Lucelte  de  Monsieur  de  Pourceaugnac  offre  des  roses  à 
Molière  en  faisant  un  effet  de  hanches  justifié  par  le  mouvement 
et  par  la  tradition.  Derrière,  deux  masques  accrochés,  Marinette  et 
Gros-René  (M"°  Ludwig  et  Coquelin  cadet).  Reste  un  satyre,  un 
énorme  satyre  à  la  barbe  et  aux  pieds  de  bouc,  accroupi  à  gauche 
du  piédeslal.  A  quoi  rime  cet  étrange  gardien?  M.  Injalbert  s'est-il 
imaginé  qu'un  satyre  incarne  la  satire?  Cruelle  énigme  I  Quoi  qu'il 
en  soit,  ce  représentant  du  naturalisme  hellène  dépare  fâcheusement 
un  groupe  d'art  bien  français  et  de  souple  exécution. 

Autre  monument,  à  Honofé  de  Balzac,  par  M.  Marquet  de  Vasselot. 
On  sait  depuis  combien  d'années  M.  Rodin,  grand  artiste  mais  pro- 
ducteur indécis,  fait  attendre  le  Balzac  commandé  par  la  Société  des 
gens  de  lettres.  Nous  ne  l'avons  pas  eu  en  1893;  nous  ne  l'aurons 
pas  davantage  en  1896,  même  si  M.  Rodin  le  terminait  brusquement 
par  un  coup  de  génie,  et  j'en  puis  donner  les  raisons,  ayant  assisté 
dans  le  comité  de  la  Société  au  début  de  cette  comédie.  M.  Emile 
Zola  tient  particulièrement  à  inaugurer  le  monument  de  Balzac,  — je 
me  demande  pourquoi,  cet  abondant  descriptif,  ce  lyrique  exubérant 
étant  un  fils  du  Victor  Hugo  des  Misérables  et  des  Travailleurs  de  la 
mer  bien  plus  qu'un  petit-neveu  de  l'auteur  du  Père  Goriot  ;  apparem- 
ment il  croit  avoir  le  besoin  de  cette  cérémonie  et  de  ce  cérémonial 
pour  se  poser  en  chef  d'école  et  remplacer  par  des  comparses  offi- 
ciels la  jeunesse  qui  se  défile  avec  ensemble  à  droite  et  à  gauche, 
sous  le  couvert  symbolique  ou  par  les  allées  fleuries  de  l'idéalisme. 
Or,  M.  2ola  n'est  plus  président  du  comité  et  ne  le  redeviendra  qu'en 
avril  prochain.  Jusque-là,  défense  à  Rodin  de  faire  miracle,  je  veux 
dire  de  terminer  une  statue  qui  serait  inaugurée  alors  par  M.  Henry 
Houssaye  ou  par  un  suppléant. 

Le  miracle  est  d'autant  moins  probable  qu'une  bonne  statue  de 
Balzac  rentre  dans  les  desiderata  chimériques.  Tête  léonine  sur  un 
pot  à  tabac,  voilà  l'homme,  qui  fut  un  grand  homme,  mais  non  point 
un  beau  modèle.  Aussi  M.  Marquet  de  Vasselot  a-t-il  pris  le  parti 
de  couper  cette  lêle  si  peu  harmonisée  avec  l'ensemble,  et  de  la  coller 
à  un  corps  de  sphynx.  L'effet  est  plus  gai  qu'impressionnant,  et 
fait  penser  à  un  serie-papier  gigantesque.  Très  supérieurs,  les  deux 
bas-reliefs  résumant  la  Comédie  humaine  depuis  le  colonel  Chabert 
jusqu'au  baron  Hulot,  et  de  la  duchesse  de  Langeais  à  Béatrice  de 
Rochefide. 

Troisième  monument,  symbolique  celui-là,  et  d'un  symbolisme 
pesant  :  la  Suprématie,  du  Danois  Rudolph  Tegner.  Description,  par 
l'auteur  lui-même  :  «  1°  Notre  Époque  :  la  grande  prostituée  tyranni- 
sant un  homme  personnifiant  l'esprit  naissant  aspirant  à  ses  buts 
éternels;  2°  l'Avenir  :  l'homme  (l'âme  d'acier),  triomphant  de  la 
grande  prostituée  après  une  longue  série  de  luttes  ;  3°  la  Divinité  : 
l'être  tout-puissant,  assis  sur  un  rocher,  contemplant  le  monde.  A 
ses  pieds,  l'esprit  de  la  terre  apparaît  devant  la  divinité...  »  Moi,  je 
veux  bien,  et  cette  prophétie-là  vaut  celles  de  l'archange  Ga- 
briel. Mais,  dans  toute  cette  statuaire,  j'ai  le  regret  de  ne  trouver 
qu'un  morceau  nettement  formulé,  «  l'Être  tout-puissant  »,  sur  son 
rocher  de  granit.  Encore  doit-il  beaucoup  à  la  sculpture  babylo- 
nienne. 

Quelques  allégories  point  méchantes  :  Vlllmion,  fille  d'Icare;  du 
bon  Rodin,  mais  pas  du  Rodin  à  faire  pousser  des  cris  d'enthou- 
siasme ;  je  ne  sais  quoi  de  poncif  dans  la  puissance  et  de  déjà  vu 
dans  la  fougue  romantique;  la  Musique  sacrée,  de  M.  Léonard;  Vlr- 
résistible  Amour,  de  M"»  Gassavetli;  la  Béte  humaine,  un  grand  diable 
de  groupe  de  M.  Bennessen,  un  consul  romain  posant  sa  lourde  san- 
dale sur  le  corps  d'une  femme  prosternée,  qui  a  dû.  s'appeler  d'abord 
et  plus  justement  :  «  la  Force  prime  le  Droit  »  ;  le  Drapeau,  une 
élégante  inspiration  de  M"^»  Marie  Cazin.  Dans  la  statuaire  caracté- 
ristique, Vlenspiegii  et  Nele,  de  M.  Charles  Samuel,  groupe  principal 
du  monument  érigé  à  Bruxelles  à  la  mémoire  de  Charles  de  Coster  ; 


le  Du  Gvcsclin,  très  vivant,  de  M.  Le  Duc  ;  la  Jeime  Fille  dansant,  de 
M.  Albert  Bartholomé.  Aux  bustes,  un  Verlaine  de  M.  Niederhausen, 
Rodo,  Cluirles  Daiicla,  de  Jean  Escoula,  et  M'^"  Fège,  de  l'Odéon,  par 
Injalbert. 

Une  délicate  statuette  en  bois,  la  Sainte  Cécile,  de  M.  Schnegg,  nous 
servira  de  transition  de  la  sculpture  aux  objets  d'art.  Là,  un  amusant 
pêle-mêle  et  une  tendance  au  symbolisme  qui,  pour  revêtir  parfois 
des  formes  singulières,  n'en  est  pas  moins  un  signe  des  temps.  C'est 
ainsi  que  le  bon  ouvrier  en  toutes  matières,  Jean  BafBer,  expose  une 
fontaine-lavabo  avec  horloge  «  faisant  partie  de  l'ameublement  d'une 
salle  à  manger  dont  la  décoration  d'ensemble  a  été  conçue  pour 
exalter  la  dignité  du  travail  et  la  gloire  de  l'ouvrier  de  la 
terre  qui  fait  produire,  avec  l'aide  de  Dieu,  les  aliments  dont  notre 
corps  se  nourrit  ».  Pour  se  conformer  à  ce  programme,  Jean  Baffler 
s'est  attaché  à  rendre  «  la  vie  de  l'homme  des  champs,  ses  peines,  ses 
joies,  ses  plaisirs  et  ses  travaux  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa 
mort  ». 

Pensée  généreuse  et  digne  d'un  Palissy;  malheureusement,  la  fon- 
taine-lavabo esl  lourde  et  d'un  aspect  disgracieux;  le  symbolisme  ne 
sauve  pas  toujours.  Cependant  il  a  inspiré  des  œuvres  d'intéressante 
facture  à  M.  André  des  Gâchons,  l'auteur  de  la  Légende  des  trois  prin- 
cesses, à  M.  Aube  {i'Adieaaux  rêves).  A  voir  encore,  aux  objets  d'arl, 
la  Vénitienjie  et  la  Florentine  du  XV°  siècle  de  M.  Scribe,  les  deux 
plaques  de  porte  de  M.  Charpentier,  la  «  harpe  »  et  le  «  violoncelle  », 
le  pupitre  en  bronze,  de  M.  Victor  Prouvé,  pour  servir  de  support  aux 
Poèmes  barbares  de  Leconte  de  Liste,  la  couverture  pour  l'histoire  de 
RaymondJn  et  Mélusine  de  M.  Bouiller,  enfin,  les  admirables  reliures  de 
M.  Charles  Meunier,  représentant  d'un  art  vraiment  français,  résur- 
recteur  de  traditions  illustres,  pour  les  quatre  Fils  Aymon  et  les  Fleurs 
du  mal. 

Si  la  sculpture  compte  peu  d'exposants  au  Champ- de-Mars,  les  ar- 
chitectes témoignent  encore  moins  de  prédilection  pour  la  bâtisse 
chère  à  feu  M.  Alphand.  Une  soixantaine  de  numéros,  voilà  tous  leurs 
envois.  Dans  le  nombre,  au  milieu  des  inévitables  restitutions  de 
châteaux  et  constructions  de  villas,  un  projet  de  M.  Eugène  Bruneau 
pour  le  palais  des  Arts  qui  doit  remplacer  la  nef  actuelle  des  Champs- 
Elysées;  un  Asile  du  rêve,  bâtisse  idéale  dressée  par  M.  Provensal 
près  des  ruines  de  Carthage  ;  la  «  synthèse  »  d'un  monument  à  Jeanne 
d'Arc  par  M.  Schatzmann;  enfin,  un  Temple  pour  Parsifal  ie  M.  Bis- 
choff,  avec  tour  et  salle  de  concert.  L'impression  la  plus  funéraire  se 
dégage  de  l'ensemble.  Est-ce  encore  une  synthèse? 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


MUSIQUE    ET 

(Suite) 


PRISON 


PRISONNIERS   POLITIQUES 

Au  point  de  vue  musical,  le  prisonnier  politique  nous  offre  les 
aspects  les  plus  variés:  les  sensations  qu'il  éprouve  ou  qu'il  com- 
munique se  ressentent  de  son  tempérament,  des  causes  de  son 
arrestation  ou  de  sa  condamnation,  du  milieu  où  il  vit  et  du  trai- 
tement qu'il  subit. 

Le  sujet  est  tellement  complexe,  qu'il  nous  a  paru  devoir  comporter 
quatre  grandes  divisions: 

Les  prisonyiiers  politiques  en  tous  temps  et  en  tous  pays. 
La  Bastille  et  les  prisons  d'État  sous  l'ancien  régime. 
Les  Prisons  révolutionnaires. 
Les  Prisons  modernes. 

LES  PRISONNIERS  POLITIQUES  EN  TOUS  TEMPS 
ET  EN  TOUS  PAYS 

UHymne  d]ApoUon  et  te  cliaiit  du  Cygne  deSocrale.  —  L'auteur  de  Gloria,  laits  et  honor. 
—  Le  testament  d'un  musicien.  —  Théroigne  de  Mëricourt,  claveciniste.  —  Coup  de 
boutoir  da  père  de  il/""  Angot.  —  Le  marècïial  Ney,  flûtiste.  —  Le  oiseaux  d^Eugène  de 
Pradel.  —  La  marotte  de  Sainte-Pélagie.  —  Le  dimanche  à  Poissy  en  ISSU.  —  Les  pa- 
triotes italiens  au  Spielberg.  —  La  romance  de  Desdémone  et  la  chanson  française.  — 
Silvio  Petlico,  féministe.  —  La  rose  de  Maroncelli.  —  La  guitare  d'un  ministre. 
Lorsque  dans  son  admirable  poème,  la  Mort  de  Socrate,  Lamartine 

faisait  dire  au  plus  grand  philosophe  des  temps  antiques  : 
Je  suis  un  cygne  aussi,  je  meurs,  je  puis  chanter, 

il  ne  se  doutait  guère  que  ce  cri  superbe  d'une  intelligence  près 
de  s'éteindre,  auquel  il  n'attachait  qu'un  sens  figuré,  était  l'expres- 
sion même  de  la  réalité. 

Socrate  avait  été  condamné  à  mort  comme  révolutionnaire.  Ses 
doctrines  philosophiques  et  religieuses,  telles  qu'il  les  exposait  dans 


156 


LE  MENESTREL 


les  jardins  d'Athènes  devant  Platon  et  ses  autres  disciples,  étaient, 
pour  l'époque,  destructives  de  toute  autorité.  L'exécution  de  !a  sen- 
tence fut  retardée  de  quelques  jours  ;  autrement  elle  eût  coïncidé 
avec  la  fêle  d'Apollon,  et,  d'après  la  loi.  les  criminels  ne  devaient 
boire  la  ciguo  qu'à  l'issue  de  cette  solennité.  Sociate  profita  de  ce 
répit  pour  composer  dans  sa  prison  les  paroles  et  la  musique  d'un 
hymne  au  dieu  du  jour.  Il  s'en  explique  dans  le  l'hédoii,  ce  fameux 
dialogue  entre  le  condamné  et  ses  disciples,  dialogue  attribué  à 
Platon.  Cébès,  un  des  apôtres  du  Christ  athénien,  l'interviewe,  au 
nom  de  ses  amis,  sur  une  œuvre  qui  l'étonné  ;  jamais  Socrale  n'avait 
écrit  de  vers,  ni  composé  de  musique.  Le  philosophe  lui  fait  une 
réponse  qui  a  dû  lui  valoir  une  bonne  note  dans  le  monde  da  spi- 
ritisme. Depuis  longtemps  il  est  hanté  d'apparitions  qui  ne  cessent 
de  lui  répéter:  «  Socrate,  cultive  la  musique  ».  N'ayant  plus  que 
quelques  jours  à  vivre,  il  s'est  enfin  décidé  à  obéir,  et  comme  Apol- 
lon est  le  dieu  de  la  (ête  qui  retarde  sa  mort,  c'est  en  l'honneur  du 
fils  de  Jupiter  qu'il  a  écrit  les  paroles  et  la  musique  de  soa  poème. 
On  a  prétendu  que  l'hymne  à  Apollon  (1),  retrouvée  dans  les  fouilles 
de  Delphes  et  solennellement  exécutée,  depuis  un  an.  à  Athènes  et  à 
Paris,  était  l'œuvre  de  Socrate  prisonnier.  L'hypothèse  est  fort  sédui- 
sante, mais  lien  n'est  encore  venu  la  justifier. 

Des  documents  d'une  authenticité  moins  discutable  nous  révèlent 
l'origine  d'un  chant  de  la  primitive  église. 

Quand  Pépin,  neveu  de  Louis  le  Débonnaire,  conspira  contre  son 
oncle,  plusieurs  prélats  se  trouvèrent  compromis  dans  le  complot, 
entre  autres  l'évêque  d'Orléans Théodulfe.  Le  tribunal  à  qui  le  fils  de 
Charlemagne  déféra  les  coupables  condamna  Théodulte  à  la  prison 
perpétuelle.  L'évêque  dut  subr  sa  peine  à  Angers;  et  comme  il  était 
fort  bon  musicien  il  chercha,  dans  la  culture  de  l'art  qui  lui  était 
familier,  un  adoucissement  à  ses  misères.  Parmi  les  œuvres  qu'il 
écrivit  en  prison  ligure  l'hymne  Gloria,  laus  et  honor,  qui  était  encore 
chantée  vers  la  fin  du  SVIl'  siècle,  le  jour  de  Pâques  fleuries,  dans 
les  églises  de  Prance.  (2) 

Théodulfe  était  aussi  remarquable  virtuose  que  compositeur  con- 
sommé. Mais  il  n'avait  pas  cet  héroïsme  qui  permet  aux  âmes  soli- 
dement trempées  de  supporter  sans  se  plaindre  toutes  les  disgrâces. 
Si  tant  est  que  Socrate  ait  chanté  à  l'heure  de  sa  mort,  comme  le 
cygne,  qui,  par  parenthèse,  est  affligé  d'un  organe  déplorable,  la 
musique  du  philosophe  devait  respirer  la  force,  la  grandeur  et  la  sé- 
rénité :  car  Socrate  pressentait  que  les  âges  futurs  célébreraient  son 
attitude  et  admireraient  ses  enseignements.  Théodulfe,  au  contraire, 
avait  la  conscience  de  sa  faute,  et  son  hymne  exprime  le  désespoir 
d'une  âme  abattue  par  le  remords.  Sa  voix  en  rendait,  avec  une 
émotion  pénétrante,  toutes  les  tristesses.  Un  jour,  Louis  le  Débon- 
naire, passant  sous  la  prison  de  Théodulfe.  entendit  ce  chant  de 
douleur;  les  accents  du  détenu  étaient  si  désolés  que  l'empereur,  se 
laissant  attendrir  et  fléchir,  finit  par  accorder  au  coupable  une  grâce 
si  longuement  implorée. 

Jean  Régnier,  seigneur  de  Guerchi,  bailli  de  la  ville  d'Auxerre, 
devait  passer  par  des  épreuves  autrement  rude?.  Fait  prisonnier  à 
Beauvais,  en  1432,  alors  que  son  maître,  le  duc  de  Bourgogne,  s'était 
révolté  contre  son  suzerain,  le  roi  de  France  Charles  VII,  il  ne  pou- 
vait guère  attendre  sa  grâce  du  vainqueur,  pressé  d'en  finir  avec 
les  alliés  des  Anglais. 

Sans  être  précisément  résigné  à  la  condamnation  capitale  dont  il 
était  menacé,  Jean  Régnier  se  consolait  dans  son  cachot  avec  la 
musique,  dont  il  faisait  alors  profession  ;  car  ses  poésies  —  ses  heures 
de  prison  —  qui  furent  imprimées  à  Paris  longtemps  après  sa  mort, 
en  1324,  nous  apprennent  qu'il  s'occupait  de  «  contrepoint  i  et  de 
«  déchant  ». 

Dans  les  premiers  temps  qu'il  fut  sous  les  verrous,  ses  geôliers  lui 
laissèrent  sa  flûte,  dont  il  jouait  par  les  chemins,  comme  un  simple 
jongleur,  quand  il  était  tombé  au  pouvoir  des  troupes  royales.  Mais 
sa  musique  et  ses  chansons  lui  attiraient,  parait-il,  trop  de  visites  :  le 
gouverneur  de  la  ville  lui  supprima  flûlc,  plume  et  parchemin.  La 
captivité  du  pauvre  Régnier  n'en  devint  que  plus  dure.  Hélas! 
s'écrie-t-il  : 

Hélas  I  voici  trop  dure  viel 

Je  soûlais  (j'avais  coutume)  manger  volaille 

Et  le  poisson  à  grosse  écaille. 

Mais  il  convient  que  je  l'oublie. 

Poux  et  puces  me  font  bataille, 

Car  j'en  ai  pleine  ma  drapaille. 

(t)  Note.  —  Voir  la  très  remarquable  étude  publiée  par  Julien   Tiersot  dans    te 
Ménestrel  sur  l'hymne  à  Apollon. 

(2)  Wote.  —  D3S  prêtres  du  diocèse  de  L^oq  m'ont  appris  tout  récemment  que 
cette  tradition  avait  persisté  dans  leur  paroisse. 


Et,  de  toutes  parts,  de  noires  pensées  viennent  assaillir  son  cerveau. 
Il  en  écrivit  son  testament  :  c'était  la  coutume  des  prisons.  Il  se  vit 
pendu  haut  et  court,  peut-être  décapité...  par  grâce  :  il  était  gentil- 
homme. Il  régla  en  conséquence  son  convoi  mortuaire,  désigna  le 
dr.p  et  indiqua  les  fleurs  qu'il  voulait  sur  son  cercueil  :  car  les  cou- 
ronnes et  les  gerbes  florales  ne  datent  pas  seulement  de  notre  siècle. 
Son  dernier  vœu  était  un  souvenir  attendri  pour  cette  chère  musique 
qu'il  avait  tant  aimée  : 

Encor  voudrais-je  bien  avoir 
De  ménétriers  trois  ou  quatre, 
Qui  de  corner  fisîent  devoir, 
Devant  le  corps,  pour  gens  ébattre... 

Puis  la  voix  lui  manqua.  Les  rigueurs  de  sa  détention  en  avaient 
comme  brisé  les  cordes.  Cependant,  seize  mois  après,  il  était  remis 
en  liberté;  el,  de  cette  âme  qui  revivait,  la  mélodie  ailée  s'échappa  en 
hymnes  au  printemps  : 

Quand  je  me  trouvai  sur  les  champs. 
Je  ouïs  des  oiseaux  les  chants 
Qui  chantaient  du  mois  de  mai: 
Et  combien  que  fusse  en  émai  (émoi) 
Mon  cœur  se  mit  à  réjouir... 
A  chanter  tantôt  je  me  pris. 

Cette  impression,  bien  humaine,  fut-elle  ressentie  par  la  fameuse 
amazone  révolutionnaire  Théroigne  de  Mérieourt,  le  jour  où  les  prisons 
de  l'Autriche  s'ouvrirent  devant  elle?  Car  —  détail  ignoré  jusqu'alors 
—  cette  farouche  héroïne,  qui  n'eut  jamais  d'autre  vainqueur,  dit  une 
légende  trop  indulgente,  que  le  député  Popuhis  (on  jouait  ainsi  sur  le 
mol  peuple),  cette  même  Théroigne  de  Mérieourt  aimait  et  cultivait  la 
musique.  Reconnue  et  arrêtée  en  Allemagne,  au  moment  où  l'Europe 
monarchique,  alarmée  des  progrès  de  la  Révolution,  s'armait  contre 
la  France.  Théroigne  ne  put  donner  des  explications  satisfaisantes 
sur  les  motifs  de  son  séjour  dans  un  pays  déjà  mûr  pour  l'insurrection. 
Elle  fut  soupçonnée  d'espionnage  et  incarcérée,  comme  l'annonce 
cette  curieuse  dépêche  que  nous  avons  retrouvée  dans  une  gazette  du 
temps  : 

Francfort-sur-le-Mein,  5  avril  1791. 

M'i«  Théroigne  (de  Mérieourt)  a  été  transférée  à  Kustrin.  Elle  est  étroi- 
tement gardée  dans  sa  captivité  ;  on  lui  a  cependant  accordé  des  livres  et  un 
clavecin.  Elle  vient  tout  récemment  de  recevoir  de  France  douze  mille 
livres.  Les  papiers  ont  été  expédiés  à  Vienne  pour  la  Chancellerie  d'État. 

Par  parenthèse,  les  papiers  de  celte  politicienne  dilettante  seraient 
intéressants  à  connaître.  En  tout  cas,  sa  détention  fut  de  courte 
durée.  Quand  elle  rentra  à  Paris  elle  se  jeta,  plus  exallée  que  jamais, 
au  milieu  de  la  mêlée,  avec  son  costume  légendaire,  son  chapeau 
encocardé,  ses  grande  hottes  et  son  jupon  court,  que  retenait  à  la 
ceinture  d'un  frac  élégant  une  écharpe  rouge  d'où  émergeaient  deux 
pistolets  d'arçon.  Mieux  inspirée,  si  elle  fût  retournée  à  son  clavecin! 
Elle  préféra  le  son  assourdissant  du  tambour  et  la  voix  lugubre  du 
tocsin.  Mais  à  cet  effroyable  tumulte  où  se  confondaient  ses  déclama- 
tion furibondes,  elle  ne  gagna  que  d'être  happée,  ceitain  jour,  par  les 
dames  de  le.  Halle  el  fouettée  par  elles  en  place  publique.  Elle  y 
perdit  le  peu  de  raison  qu'elle  avait  conservée;  et  longtemps  après, 
pendant  l'Empire,  les  curieux  de  figures  révolutionnaires  pouvaient 
voir  celle-ci,  jadis  si  belle  et  si  admirée,  dans  une  cellule  de  la 
Salpêlriôre,  abêtie  par  la  plus  hideuse  et  la  plus  dégradante  des 
folies.  C'était  encore  la  prison,  mais  la  prison  dont  les  portes  de- 
vaient rester  à  jamais  fermées,  à  moins  que,  par  un  de  ces  miracles 
dont  la  musique  est  souvent  coutumière,  la  vapeur  qui  obscurcis- 
sait ce  malheureux  cerveau  ne  se  fût  dissipée  aux  sons  divins  de  l'har- 
monie. Hélas!  la  ihérapeutique  du  temps  ignorait  cette  ressource 
suprême,  ou  ne  l'employait  pa.=,  ou  bien  encore  ses  elTorts  demeu- 
rèrent impuissants  :  toujours  est-il  que  Théroigne  de  Mérieourt  mourut 
à  la  Salpêlrière,  sans  avoir  recouvré  la  raison. 

Le  cas  d'Eve  Demaillot  nous  offre  un  moins  affligeant  spectacle. 
Le  vieux  républicain,  journaliste  et  auteur  dramatique,  à  qui  le 
théâtre  doit  l'inoubliable  type  de  Madame  Aiigot,  était  presque  un 
habitué  des  prisons  politiques.  Après  le  9  Thermidor  il  était  allé  y 
expier  ses  coups  de  boutoir  contre  la  réaction  triomphante  :  le  Direc- 
toire l'en  tira,  mais  l'y  renvoya  pendant  la  fièvre  du  babouvisme:  le 
Consulat  lui  fil  partager  la  courte  captivité  de  Charles  Nodier.  Enfin, 
lors  de  la  première  conspiration  ilu  général  Mallet,  Demaillot  dut  à 
ses  opinions  républicaines,  trop  librement  professées,  d'être  incarcéré 
à  la  Conciergerie. 

Le  précurseur  de  Blanqui  avait  conservé,  comme  on  pense  bien, 
au  milieu  de  toutes  ses  épreuves,  sou  humeur  de  sanglier;  les  tra- 
casseries d'un  certain  Vérat,  conseiller  chargé  d'instruire  son  procès, 


LE  MÉNESTREL 


137 


achevèrent  de  l'exaspérer.  Mis  au  secret  par  ses  ordres,  Deniaillot  se 
demandait  comment  il  pourrait  bien  prendre  sa  revanche,  lorsqu'il 
enteodit  chant-r  dans  la  cour  des  Vierges  folles,  sur  laquelle  donnait 
sa  fenêtre  en  abat-jour,  des  couplets  grivois  sur  l'air:  «  Nous  nous 
marierons  dimanche.  » 

—  Ah!  dit-il,  je  liens  mu  vengeance. 

Et  il  chanta  à  son  tour. 

Ce  monsieur  Vérat 

N'est  qu'un  scélérat 
Que  rata  dame  Justice. 

Il  vint  de  là 

Honorer  la 
Police. 

Un  jour  viendra 

Qu'il  nous  rendra 
Service, 

C'est  voguant  là-bas 

Avec  les  forçats, 
S'il  n'est  pas  pendu  d'office! 

Quelques  années  après,  en  1815,  la  même  prison  devait  voir  dans 
«  ses  longs  corridors  sombres  »,  chautés  par  la  muse  de  Chéuier,  des 
détenus  plus  illustres  que  l'obscur  journaliste,  mais  dont  la  fin  devait 
être  autrement  tragique  :  nous  voulons  parler  du  maréchal  Ney, 
que  la  seconde  Restauration  avait  fait  arrêter  et  conduire  à  la  Con- 
ciergerie, en  attendant  l'instruction  du  procès  de  haute  trahison  qui 
allait  le  mener  devant  la  Chambre  des  pairs.  Déjà  se  trouvait  incar- 
cérédansla  même  prison,  pour  un  motif  analogue,  le  comte  La  Valette, 
directeur  général  des  postes  sous  l'Empire.  Il  se  promenait  dans  une 
des  cours  lorsqu'il  vit  passer  devant  lui  le  maréchal,  accompagné 
d'un  gardien  et  d'un  officier  de  gendarmerie.  Ney,  après  être  resté 
un  mois  au  secret,  fut  installé  dans  le  logement  du  greffier,  qui  se 
trouvait  précisément  au-dessusdela  chambre  occupée  par  La  Valette. 
Là,  le  héros  des  guerres  impériales  partageait  les  heures  trop  courtes 
de  la  journée  entre  la  préparation  de  sa  défense,  sa  correspondance 
avec  sa  famille  et  l'élude  de  la  musique.  Il  jouait  de  la  flûte,  et,  pour 
un  maréchal  de  France,  il  ne  s'en  lirait  pas  trop  mal.  Mais,  un  jour, 
le  directeur  de  la  Conciergerie  lui  interdit  cette  distraction,  sous 
préteste  que  les  règlements  s'y  opposaient. 

La  Valette  regretta,  presque  autant  que  le  principal  intéressé,  une 
mesure  dictée  moins  par  respect  de  la  règle  que  par  l'esprit  de 
vexation.  Le  talent  d'amateur  du  maréchal  était  pour  son  compagnon 
de  captivité  une  source  continue  de  jouissances  artistiques.  Un  air 
surtout,  un  motif  de  valse,  agréable  sans  doute  à  l'exécutant  puisqu'il 
le  répétait  volontiers,  charmait  La  Valette,  qui,  par  un  phénomène 
psychologique  facile  à  comprendre,  devait  le  prendre  plus  tard  en 
aversion  : 

«  Je  ne  l'avais  jamais  entendu  ailleurs,  dit-il  non  sans  une  cer- 
taine tristesse,  dans  ses  Mémoires.  Je  l'ai  retrouvé  une  seule  fois  en 
Bavière  ;  c'était  dans  un  bal  champêtre,  sur  les  bords  du  lac  de 
Slamberg  :  j'avais  sous  les  yeux  de  jeunes  paysannes  foulant  gaie- 
ment un  gazon  bien  frais  ;  l'air  en  est  doux  et  mélancolique.  Le  son 
de  la  flûte  me  rejeta  violemment  dans  la  Conciergerie  ;  et  je  me  sau- 
vai en  fondant  en  larmes  et  en  prononçant  avec  amertume  le  nom  de 
l'infortuné  maréchal  ». 

Personne  n'ignore,  en  etïet,  la  sentence  qui  le  frappa  sans  pitié. 
La  Valette,  condamné,  lui  aussi,  à  la  peine  capitale,  put  échapper  à 
l'échafaud  en  s'évadant  de  la  Conciergerie  sous  les  vêtements  de  sa 
femme,  et  sans  doute  avec  la  complicité  du  gouvernement,  comme 
nous  l'avons  récemment  prouvé  par  des  documents  officiels. 
(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    LI^^ERSES 


ÉTRANGER 


LE    MONUMENT    DE    M""    CARVALHO 


QU.\TRIÈME  LISTE  DE  SOUSCRIPTION  DU  MÉNESTREL 

M"=  Marcella  Pregi Fr.  20 

M.  A.  Feret 40 

M.  et  M"' Myrtil  Hecht 100 

M.  Ernest  Hecht SO 

W--  Ugalde 50 

M™  la  baronne  Durand  de  Fontmagne  (née  de  Melfort)  .  20 

M.  Anlonin  Proust 20 

M"""  Esposito  Demussy 20 

M.  Louis  Diémer 20 

Total  .    .  Fr.  340 

Le  total  général  a  ce  jour  dépasse  21.000  francs. 


De  notre  correspondant  de  Londres  (14  mai).  —  La  saison  d'opéra 
qui  a  été  inaugurée  lundi  à  Govent-Garden  ne  s'annonce  pas  comme  de- 
vant être  riche  en  événements.  A  moins  de  surprises  possibles  —  car,  avec 
le  manager  Harris,  il  faut  toujours  compter  sur  l'imprévu,  —  nous  devrons 
nous  contenter  du  répertoire  de  l'an  dernier.  La  troupe  aussi  est  à  peu 
près  la  même  que  celle  de  la  saison  de  1895.  C'est  avec  Roméo  et  Juliett'i 
qae  la  présente  saison  a  débuté.  Le  toujours  triomphant  chef-d'œuvre  de 
Gounod  avait  pour  interprètes  MM.  Jean  de  Reszké,  Plançon,  Castelmary, 
Albers,  Bevan,  M'"^=  Eames,  Hudleston  et  Bauermeister.  Avec  un  pareil 
ensemble,  la  représentation  ne  pouvait  manquer  d'être  intéressante. 
M.  Jean  de  Reszké  a  surtout  été  remarquable  dans  l'acte  des  tombeaux. 
Ses  qualités  de  diction,  sa  belle  prestance  et  son  organe  généreux  ont 
brillé  là  de  tout  leur  éclat.  M'"=  Eames  a  eu  de  bons  moments  dans  les 
passages  d'agilité,  mais  le  sentiment  est  toujours  froid.  M.  Albers  a  chanté 
avec  beaucoup  d'intelligence  et  de  goût  la  ballade  de  la  reine  Mab,  et 
M.  Plançon  a  été  irréprochable  dans  le  rôle  de  frère  Laurent.  Une  jeune 
débutante,  miss  Hudleston,  a  été  peu  satisfaisante  dans  le  rôle  du  page; 
sa  prononciation  est  particulièrement  défectueuse.  M.  Mancinelli,  qui 
dirigeait  la  représentation,  a  eu  quelques  petites  distractions  malencon- 
treuses, et  les  chœurs  auraient  vraiment  besoin  de  refréner  leur  exubé- 
rance sonore. 

MM.  Gabriel  Fauré  et  Pierné  ont  dirigé  un  fort  beau  concert  avec  or- 
chestre, en  grande  partie  consacré  à  leurs  œuvres.  Les  deux  compositeurs 
français  ont  reçu  du  public  l'accueil  le  plus  empressé.  Plusieurs  de  leurs 
morceaux  ont  été  bissés.  W"^  Landi  et  Pallisser,  MM.  E.  Lloyd,  Bispham 
et  Johannes  Wolff  leur  prêtaient  concours. 

L'orchestre  de  Monte-Carlo,  dirigé  par  M.  Jehin,  se  fait  entendre  tous 
les  jours  à  l'Impérial  Inslitule,  où  il  fait  l'admiration  du  public.  C'est  chose 
rare  ici  qu'un  pareil  fini  dans  l'exécution,  et  qu'un  répertoire  si  varié,   si 

choisi.  LÉON  SCHLESIKGER. 

— De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  mai). —  Le  printemps  a  provoqué 
une  floraison  inattendue  et  extraordinaire  de  rubans  rouges  aux  bouton- 
nières de  nos  artistes.  Le  Monitevr  o/Jiciel  vient  de  publier  plusieurs  listes  de 
nominations  dans  l'Ordre  de  Léopold.  En  tète  des  nouveaux  décorés,  figure 
M.  Ernost,  Van  Dyck.  Cette  décoration  ne  s'est  pas  faite  sans  quelque 
0  tirage  »;  décorer  un  artiste  de  théâtre  ne  va  point  sans  des  résistances 
et  des  scrupules  dans  un  certain  monde  où  l'on  ne  croit  vraiment  dignes 
de  cet  honneur  que  des  employés  d'administration  publique,  des  généraux 
ou  des  gardes  civiques.  Mais  enfin,  l'art  l'a  emporté  et  tout  le  monde  s'en 
réjouit.  L'ordre  de  Léopold  se  trouvera  lui-même  honoré  de  posséder  dans 
ses  rangs  un  tel  chevalier,  —  qui  était  déjà  chevalier  du  Graal...  —  A  An- 
vers, où  M.  Van  Dyck  a  chanté,  mardi,  Lohengrin  au  profit  de  l'œuvre  des 
Enfants  marlyrs,  on  lui  a  fait  un  triomphe  éclatant,  agrémenté  de  félicita- 
tions sur  la  scène,  de  médailles  commémoratives  et  de  souper  après  la 
représentalioE.  C'est  la  première  fois  que  M.  Van  Dyck  chantait,  au  théâtre, 
dans  sa  ville  natale;  vous  jugez  du  délire  !...  Ce  soir,  enfin,  —  car  il  n'y 
en  a  que  pour  lui  depuis  un  mois,  —  nouveau  succès,  à  Bruxelles,  au 
Concert  populaire,  où  l'admirable  artiste  a  chanté,  avec  M"'  Lola  Beeth 
(remplaçant  au  pied  levé  M"'"  Bosman,  subitement  indisposée)  et  M.  André 
Gresse,  le  premier  acte  de  la  yall<yrie.  La  soirée,  qui  aura  samedi  une 
deuxième  édition,  a  été  extrêmement  brillante.  M.  Van  Dyck,  remis  de  son 
indisposition,  a  été  superbe,  M"=  Lola  Beeth  charmante,  et  M.  Gresse,  le  fils 
de  la  vaillante  basse  de  l'Opéra,  très  remarquable.  L'orchestre  de  M.  Du- 
pimt  s'est  montré,  de  son  côté,  à  la  hauteur  de  sa  réputation.  Une  nouvelle 
audition  de  la  Mer,  la  belle  œuvre  symphonique  de  M.  Paul  Gilson,  com- 
plétait le  programme  de  ce  magnifique  coniiert. 

On  a  fêté  la  semaine  dernière,  au  Conservatoire,  le  vingt-cinquième 
anniversaire  du  directorial  de  M.  Gevaert.  La  fête  a  eu  un  caractère  tout 
intime.  Les  professeurs  et  les  délégués  des  élèves  et  des  anciens  élèves, 
auxquels  s'étaient  joints  M.  de  Bruyn,  ministre  des  beaux-arts,  et  M.  Buis, 
bourgmestre  de  Bruxelles,  ont  félicité  le  jubilaire  en  termes  chaleureux  et 
lui  ont  offert  son  buste  en  marbre,  œuvre  de  M,  de  Lalaing.  Tout  s'est 
borné  là,  M.  Gevaert  ayant  la  très  juste  aversion  des  manifestations 
bruyantes  et  solennelles.  Les  félicitations  n'en  ont  pas  été  moins  vives,  ni 
moins  sincères,  à  l'adresse  de  cet  homme  de  science  et  de  talent  qui  trouve 
sa  plus  chère  récompense  dans  l'œuvre  même  accomplie  par  lui  au  Con- 
servatoire, dans  la  gloire  que  lui  assurent  ses  travaux  et  dans  les  sympathies 
universelles  dont  il  est  entouré.  L.  S. 

—  Passant  par  Milan,  M.  Saint-Saëns  y  a  été  l'objet  de  grandes  manifes- 
tations artistiques.  On  l'a  reconnu  dans  la  salle  de  la  Société  orchestrale, 
où  on  exécutait  la  Danse  macabre,  et  tout  aus&ilài  la  salle  entière  l'a  acclamé 
par  trois  fois.  Il  s'en  est  suivi  que  notre  compositeur  a  du  se  faire  entendre 
à  deux  concerts  de  la  Société  del  quarlello,  entièrement  consacrés  à  ses 
œuvres  de  musique  de  chambre.  Dans  une  suite  de  morceaux  pour  piano 
seul,  on  a  fort  applaudi  sa  belle  transcription  sur  la  Mort  de  Tiiàis,  de  Mas- 
senet,  qu'il  a  jouée  de  grande  maestria. 

—  Au  théâtre  Coslanzi,  de  Rome,  première  représentation  de  Sorella  di 
Marck,  opéra  d'un  jeune  compositeur  encore  inconnu  à  la  scène,  M.  Gia  ■ 
como  Setaccioli.  L'ouvrage,  joué  par  M""  Gemma  Bellincioni  et  MM.  Mieli, 


158 


LE  MENESTREL 


Broglio  et  Checchi,  parait  avoir  obtenu  un  grand  succès,  et  l'auteur  n'a 
pas  obtenu  moins  de  vingt  rappels.  Sur  celui-ci  et  ses  commencements 
dans  la  carrière,  nous  emprunterons  les  renseignements  qui  suivent  au 
journal  l'Italie  :  «  Très  jeune  encore,  dit  ce  journal,  il  a  obtenu  un  diplôme 
de  flûtiste  et  est  entré  dans  un  orchestre.  Il  a  donné  des  concerts  avec 
succès;  il  tient  depuis  plusieurs  années  une  place  distinguée  comme  ins- 
trumentiste, ce  qui  ne  l'a  pas  arrêté  dans  ses  études.  S'étant  assuré  un 
gagne-pain,  il  s'est  adonné  avec  passion  à  l'étude  de  la  composition  sous  la 
direction  de  M.  De  Sanctis.  Il  rêvait  l'opéra,  mais  en  attendant  son  jour,  il 
écrivait  des  chansonnettes  qui  sont  devenues  populaires,  des  motets  de 
bonne  facture,  des  romances  très  mélodiques.  Il  n'était  encore  qu'à  ses 
débuts  que  ses  compositions  avaient  attiré  l'attention  des  artistes.  Une 
audition  au  National  de  plusieurs  de  ses  morceaux  eut  un  grand  succès  et 
le  mit  en  vue.  M.  Stagne  et  M'"»  Bellincioni  ont  voulu  connaître  sa  musique 
et  après  qu'ils  ont  eu  la  preuve  de  son  talent,  l'ont  chargé  d'écrire  un 
opéra.  Quand  on  arrive  à  être  joué  sans  argent, sans  réclame,  sans  intrigue, 
il  faut  avoir  révélé  quelque  chose  de  bien  particulier.  On  ne  passionne 
pas  des  artistes  tels  que  Stagno  et  la  Bellincioni,  quand  on  a  rien  à 
dire  !...  » 

—  A  Fiume,  le  ténor  Dimitresco  vient  de  remporter  un  énorme  succès 
dans  la  reprise  du  Roi  de  Lahore,  qu'il  chantait  sans  avoir  répété.  A  côté  de 
lui  se  sont  fait  vivement  applaudir  M"'^  de  Macchi  et  le  baryton  Gioni,  sans 
oublier  M"""  Budriesi  et  la  basse  Girotto. 

—  La  Gazzelta  musicale  de  Milan  nous  apporte,  par  la  plume  d'un  de  ses 
correspondants,  un  compte  rendu  intéressant  de  l'audition,  à  la  villa  Médiois, 
des  travaux  de  nos  jeunes  élèves  de  l'école  de  Rome.  Il  s'agit  d'un  Diver- 
tissement sur  chansons  slaves  de  M.  Henri  Rabaud,  et  de  deux  morceaux 
(adagio  et  allegro  maesloso)  d'une  suite  d'orchestre  de  M.  André  Bloch. 
«  M.  Rabaud,  dit  l'écrivain,  a  composé  une  sorte  de  Rapsodie,  qui  comprend 
trois  parties  en  quelque  sorte  distinctes  :  la  première  extrêmement  carac- 
téristique, la  seconde  suave,  la  troisième  vivace  et  entrainante.  La  forme 
générale  s'impose  d'une  façon  très  sympathique  à  l'auditeur;  les  thèmes 
sont  traités  avec  une  très  grande  variété  de  ressources,  et  la  main  de  Vins- 
trumentateur  se  révèle  très  habile,  donnant  un  relief  toujours  sûr  à  la  partie 
contrapuntique,  qui  est  dessinée  avec  un  profond  savoir  et  un  très  grand 
talent.  M.  Rabaud  ne  tombe  pas  dans  cette  forme  indéterminée  qui  est  un 
peu  le  faible  de  beaucoup  de  jeunes  compositeurs  et  que  l'on  retrouve 
même,  à  la  villa  Médicis,  sur  de  nombreux  mètres  carrés  de  toile  peinte 
cette  année;  il  montre  une  trempe  d'artiste  hardi,  calme,  parfaitement 
instruit  de  l'architecture  des  morceaux,  qui  domine  sagement  sa  belle  ima- 
gination et  ne  s'égare  jamais  au  delà  de  son  sujet.  Je  crois  que  son  travail 
figurerait  avec  beaucoup  d'honneur  sur  les  programmes  de  nos  sociétés 
orchestrales.  M.  Bloch,  qui  donnait  l'an  dernier  de  grandes  espérances 
avec  une  suite  pour  violon  et  orchestre  qu'on  a  jugée  très  favorablement  cet 
hiver  en  Russie,  aspire  à  voler  plus  haut  dans  les  deux  pages  symphoniques 
qu'il  a  présentées,  auxquelles,  naturellement,  manque  l'ensemble  qu'appor- 
teraient les  autres.  ISadatjio  indique  une  grande  idéalité  de  conception  et 
se  développe  avec  une  remarquable  originalité;  c'est  une  musique  très 
moderne  dans  la  plus  grande  force  du  terme  et  qu'on  aurait  plaisir  à  ana- 
lyser, ce  qui  est  très  difficile  après  une  seule  audition.  L'autre  morceau  a 
encore  un  éclat  considérable  et  une  allure  presque  épique;  peut-être  sa 
conclusion  absolument  sobre  nuit-elle  à  l'effet  immédiat;  mais,  en  somme, 
si  M.  Bloch  n'a  pas  voulu  faire  usage  des  ficelles  ordinaires,  cela  prouve 
en  faveur  de  son  exquis  sens  esthétique,  et  cela  est  mille  fois  préférable  au 
système  contraire,  employé  par  ceux  qui  ne  finissent  jamais  de  cadencer  et 
de  raisonner  même  quand  ils  n'ont  plus  rien  de  nouveau  à  dire.  M.  Bloch 
sera  certainement  un  très  vaillant  combattant  dans  le  champ  symphonique, 
qui  est  le  terrain  où  les  batailles  artistiques  sont  plus  difficiles,  mais  sont 
aussi  plus  glorieuses.  »  L'auteur  de  cette  critique  sympathique  est 
M.  Valetta,  l'époux  de  l'excellente  violoniste  Teresina  Tua. 

—  Le  théâtre  Malibran,  de  'Venise,  fait  une  effroyable  consommation 
de  ténors.  En  moins  d'un  mois  il  en  a  vu  et  entendu  sept,  MM.  Cartica, 
Gambardella,  Masin,  Olivieri,  Rawner,  Larizza  et  Reschiglian.  A  qui  le 
tour? 

—  On  a  exécuté  le  dernier  dimanche  d'avril  à  Modène,  dans  l'église  San- 
Carlo,  une  nouvelle  Messe  liturgique  à  quatre  parties  réelles,  avec  accom- 
pagnement d'orgue  et  de  quatuor  à  cordes,  due  au  jeune  compositeur  Giu- 
seppe  Massa.  L'œuvre,  fort  intéressante,  a  produit  sur  les  auditeurs  une 
excellente  impression,  et  l'on  en  cite  surtout  le  Kyrie  et  VAgnus  Dei  comme 
deux  pages  remarquables. 

—  A  Montagnana,  première  représentation  ài'A'nwre  di  un  angelo,  «  scènes 
lyriques  »,  paroles  et  musique  de  M.  Angelo  Ferreto.  —  Au  théâtre  Pez- 
zana,  de  Milan,  apparition  d'une  nouvelle  opérette,  Paquita,  de  M.  'Valente. 

—  Le  surintendant  des  théâtres  royaux  à  Berlin  a  ordonné  de  commen- 
cer la  saison  estivale  de  l'Opéra  royal  sur  la  scène  de  l'ancien  théâtre 
Kroll,  le  13  mai.  On  y  jouera  pour  la  première  fois  le  nouvel  opéra  de 
Goldmark,  le  Grillon  du  foyer,  qui  a  remporté  un  si  grand  succès  à  Vienne. 
Les  représentations  continueront  tout  l'été;  Berlin  aura  donc  tous  les  soirs 
deux  spectacles  d'opéra. 

—  Le  sénat  de  la  ville  libre  de  Hambourg  a  proposé  aux  citoyens  d'ac- 
coïder  à  la  Société  des  amis  de  la  musique  une  subvention  de  20.000  marlis 
par  an  afin  qu'elle  puisse  entretenir  à  Hambourg  un  orchestre  de  premier 


ordre.  Les  citoyens  ont  accordé  cette  subvention,  sous  la  condition  que 
ladite  société  donnerait  tous  les  ans  au  moins  cinq  concerts  consacrés 
exclusivement  à  la  musique  classique,  en  fixant  le  prix  d'entrée  à  oO  pfen- 
nigs, soit  62  centimes,  au  maximum.  Rien  de  plus  juste.  Comme  les 
couches  infimes  du  peuple  contribuent  à  la  subvention,  il  faut  leur  accor- 
der la  possibilité  de  profiter  de  ces  concerts;  voilà  de  la  démocratie  bien 
comprise.  Les  prolétaires  hambourgeois  pourront  donc  entendre  les  sym- 
phonies de  Beethoven  exécutées  par  un  orchestre  de  premier  ordre  sous  la 
direction  d'un  «  virtuose  du  bâton  »  pour  douze  sous;  c'est  beau  1 

—  Les  théâtres  allemands,  sur  l'initiative  de  l'Opéra  royal  de  Berlin,  se 
préparent  à  célébrer,  par  une  reprise,  le  cinquantenaire  de  l'opéra  comique 
l'Armurier  (Der  Waffeiischmied)  de  Lortzing,  qui  a  été  joué  pour  la  première 
fois  à  Vienne  le  30  mai  1846,  et  qui  est  resté  depuis  au  répertoire  des 
scènes  lyriques  allemandes.  La  recette  de  ces  soirées  de  jubilé  sera  remise 
à  la,  fille  du  compositeur,  qui  vit  à  Vienne  dans  une  situation  bien  triste 
tandis  que  les  œuvres  de  Lortzing  continuent  à  enrichir  les  scènes  alle- 
mandes. A  l'époque  où  Lortzing  produisit  ses  meilleures  œuvres,  aucune 
loi  ne  protégeait  encore  les  droits  d'auteur  en  Allemagne  et  en  Autriche; 
la  première  loi  de  ce  genre  fut  introduite  en  1846,  après  la  première  de 
l'Armurier,  et  elle  n'avait  par  d'effet  rétroactif.  Lortzing,  mort  en  IS'il, 
n'en  put  profiter  en  aucune  façon;  celles  de  ses  partitions  qui  sont  restées 
vivantes  pendant  un  demi-siècle  :  le  Tsar  et  le  Charpentier,  Ondine  et  l'Armu- 
rier, avaient  déjà  été  jouées  auparavant  et  n'ont  rien  rapporté  à  sa  pauvre 
fille. 

—  Un  ami  de  l'art  de  Richard  "Wagner  a  offert  au  conseil  municipal  de 
Berlin  la  somme  de  5.000  marcs  comme  première  souscription  pour  un 
monument  en  l'honneur  du  maître  de  Bayreuth.  Reste  à  savoir  si  le  conseil 
municipal  voudra  fournir  le  reste  ou  s'il  invitera  les  citoyens  à  une  sous- 
cription. En  attendant,  Richard  Wagner  ne  peut  se  prévaloir  que  d'une 
plaque  commémorative  apposée  sur  la  maison  qui  remplace,  à  Leipzig, 
celle  où  il  naquit.  C'est  maigre  1 

—  Le  Roi  de  Lahore  en  habit  noir  et  en  gilet  à  cœur!  G'est  du  moins  ainsi 
que  les  habitants  de  Kieff  viennent  d'être  appelés  à  l'applaudir.  L'ouvrage 
était  annoncé  au  théâtre  de  celte  ville,  mais  comme,  au  moment  de  le 
jouer,  les  costumes  n'étaient  pas  plus  prêts  que  les  décors  elles  décors  que 
les  costumes,  on  s'est  décidé  à  l'exécuter  tout  simplement  sous  forme 
d'oratorio,  en  habits  bourgeois.  Et  l'effet  produit  par  la  musique  n'en  a 
pas  été  moins  grand. 

—  La  musique  aura  sa  part,  et  une  part  importante,  dans  les  attraits 
qu'offrira  au  public  l'exposition  de  Genève,  qui  doit  s'ouvrir  prochaine- 
ment. Entre  autres,  on  donnera  une  série  de  concerts  symphoniques  qui 
seront  dirigés  par  un  jeune  artiste  fort  distingué,  M.  Gustave  Doret,  que 
nous  avons  vu  récemment  faire  ses  preuves  aux  concerts  d'Harcourt.  Les 
programmes  de  ces  concerts  sont  déjà  complètement  arrêtés,  et  voici  la 
liste  des  œuvres  qui  y  seront  exécutées  :  Symphonies.  5=  et  7»  de  Beethoven; 
symphonie  militaire  d'Haydn  ;  symphonie  en  sol  mineur,  de  Mozart;  sym- 
phonie en  ut  mineur,  de  Saint-Saéns  ;  symphonie  en  ré  mineur,  de  César 
Franck;  symphonie  de  Boëllmann;  symphonie  sur  un  thème  montagnard, 
de  V.  d'Indy  ;  symphonie  en  ré  mineur,  de  Schumann;  4"  symphonie,  de 
Brahms.  Ouvertures.  Iphigénie  en  Aulide,  de  Gluck;  Don  Juan,  de  Mozart; 
Anacréon,  de  Gherubini  ;  Coriolan,  Lémore  (n°  3),  de  Beethoven  ;  Ëuryanthe, 
Jubel-ouverture,  de  "Weber  ;  Manfred,  de  Schumann  ;  le  Carnaval  romain,  de 
Berlioz  ;  les  Maîtres  Chanteurs,  Tristan  et  Yseult  (prélude),  de  "Wagner  ;  Brocé- 
liande,  de  Lucien  Lambert  ;  Armor,  de  Silvio  Lazzari  ;  Polgeucte,  de  Paul 
Dukas.  GoMPOsiTiojis  diverses.  Rapsodie  bretonne  et  ballet  d'Ascanio,  de 
Saint-Saëns  ;  les  Erinnyes,  àe  Massenet;  Joyeuse  marche,  iîspar(o,  de  Cha- 
brier  ;  Rapsodie  cambodgienne,  l'Enterrement  d'Ophélie,  de  Bourgault-Ducou- 
dray  ;  Slujlock  (suite  d'orchestre),  de  Gabriel  Fauré;  Namouna{iA.),  deLalo; 
la  Forêt  (id.),  poème  lyrique,  d'Alexandre  Glazounofî;  airs  de  ballet  du 
Prince  Igor,  de  Borodine  ;  Conte  féerique,  Scheerazade,  de  Rimsky-Korsakoff; 
Impressions  d'Italie,  de  Gustave  Charpentier  ;  Suite  d'orchestre,  de  Georges 
Marty  ;  A  Paimpol  (id.),  de  Pierre  Maurice  ;  Prélude  à  l'Après-midi  d'un 
faune,  de  C.-A.  Debussy;  Pécheurs  d'Islande,  les  Landes,  de  J.-Guy  Ropartz; 
Temps  de  guerre,  de  Fernand  Le  Borne  ;  Gymnopédies,  d'Erik  Satie  (orches- 
trées par  G.-A.  Debussy).  On  voit  que  les  musiciens  français  n'auront 
pas  à  se  plaindre  de  la  place  qui  leur  est  faite  sur  ces  programmes. 

PARIS   ET   DÉPARTEBIENTS 

Voici  le  résultat  du  concours  d'essai  pour  le  prix  de  Rome.  Les  six 
élèves  dont  les  noms  suivent  sont  admis  à  prendre  part  au  concours  défi- 
nitif: I.  M.  Max  d'Olonne,  second  prix  de  1893,  élève  de  M.  Massenet; 
2.  M.  Schmidt,  élève  de  M.  Massenet;  3.  M.  d'Ivry,  élève  de  M.  Théodore 
Dubois;  4.  M.  Charles  Levadé,  premier  second  prix  de  1893,  élève  de 
M.  Massenet;  S.  M.  Jules  Mouquet,  mention  honorable  en  1894,  élève  de 
M.  Théodore  Dubois  ;  6.  M.  Halphen,  élève  de  M.  Massenet. 

—  A  l'Opéra-Comique,  on  répète  toujours  la  Femme  de  Claude  et  aussi 
la  Traviata  pour  la  reatrée  très  prochaine  de  M""^  Saville.  Aujourd'hui 
dimanche,  on  reprend  le  joyeux  Ca:id  d'Ambroise  Thomas,  avec  M"™  Ti- 
phaine  et  Kerlord,  MM.  Garbonne,  Hermann  Devriès,  Barnolt  et  Thierry. 

—  C'est  jeudi  prochain  que  doit  avoir  lieu  décidément  la  répétition  géné- 
rale de  gala  i'IIamlet,  donnée  au  profit  du  monument  d'Ambroise  Thomas, 
toutes  places  à  la  disposition  du  public. 


LE  MENESTREL 


159 


—  Le  banquet  offert  aux  directeurs  de  l'Opéra  par  les  jeunes  composi- 
teurs qui  ont  eu  des  œuvres  jouées  aux  concerts  de  ce  théàùtre,  a  éla-plein  de 
cordialité.  M.  Roujon  présidait,  assisté  de  MM.  Des' Chapelles  et  Bernheim. 
M.  Bourgault-Ducoudray  a  prononcé  un  petit  discours  plein  de  cœur  et 
d'esprit.  M.  Roujon  n'a  pas  été  moins  éloquent.  Puis  c'a  été  le  tour  de 
M.  Paul  Vidal,  et  M.  Gailhard  a  répliqué  avec  sa  verve  habituelle.  Dans 
tous  les  discours  il  a  été  fort  question  de  la  nécessité  reconnue  d'un  troi- 
sième théâtre  lyrique  à  Paris.  C'est  une  thèse  trop  chère  au  Ménestrel  pour 
que  ce  vœu  unanime  n'ait  pas  tout  notre  assentiment. 

—  Jeudi  dernier  a  eu  lieu,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire,  sous 
la  présidence  de  M.  Colmet-Daage,  l'assemblée  générale  annuelle  de 
l'Association  des  artistes  musiciens.  Le  rapport  sur  les  travaux  du  comité 
pendant  l'année  écoulée,  présenté  et  lu  par  M.  Charles  Gallon,  rapport 
bourré  de  chifl'res  et  de  faits  intéressants,  a  été  accueilli  par  de  vifs  applau- 
dissements. Après  une  très  heureuse  allocution  du  président,  à  qui  l'on  a 
fait  un  succès  personnel  considérable,  il  a  été  procédé  au  scrutin  pour 
l'élection  de  12  membres  du  comité  dont  les  pouvoirs  étaient  expirés.  Yoici 
les  noms  des  membres  élus  :  MM.  de  Thannberg,  138  voix;  Laurent  (Mar- 
celin), 137;  Danbé,  137;  Taffanel,  136;  Pickaert,  136;  d'Ingrande,  133; 
Lhote,  131;  Gabriel-Marie,  131;  Decq,  130;  de  Balaschoff,  126;  Guiuand,  126; 
Colonne,  109. 

—  C'est  le  2  juin  prochain  qu'aura  lieu,  à  la  salle  Pleyel,  le  grand  con- 
cert festival  donné  en  l'honneur  de  M.  Camille  Saint-Saëns,  à  l'occasion  du 
cinquantième  anniversaire  du  premier  concert  donné  par  le  grand  artiste 
qui  est  aujourd'hui  l'une  des  gloires  de  la  France  musicale.  Le  programme 
de  ce  concert,  qui  réunit  le  concours  du  compositeur,  de  M.  Sarasate,  de 
M.  ïaffanel  et  de  l'orchestre  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire, 
est  formé  des  œuvres  suivantes  :  1°  concerto  de  Mozart  en  mi  bémol  (exécuté 
en  1846  par  M.  Saint-Saëns  à  son  premier  concert  public);  2"  romance  de 
Bach,  pour  flûte  et  orchestre,  exécutée  par  M.  Taffanel;  3°  deuxième  sonate 
de  M.  Saint-Saëns  pour  piano  et  violon  (inédite),  par  l'auteur  et  M.  Sara- 
sate; 4"  cinquième  concerto  pour  piano  et  orchestre,  de  M.  Saint-Saëns 
(inédit),  joué  par  l'auteur. 

—  Les  séances  consacrées  par  MM.  Ysaye  et  Pugno  à  l'exécution  de 
sonates  pour  piano  et  violon  anciennes  et  modernes  laisseront  après  elle 
une  impression  d'art  intense  et  forte.  Un  mot  peut  résumer  l'effet  produit 
par  la  première:  c'est  grand.  Grand  par  le  choix  des  morceaux:  sonate 
n"  3,  de  Bach,  sonate  à  Kreutzer,  de  Beethoven,  et  sonate  en  lu,  de  César 
Franck;  grand  par  l'ampleur  du  style  de  chacun  des  artistes  ;  grand  par 
la  conviction  des  applaudissements  et  le  recueillement  de  l'assistance.  La 
deuxième  séance  :  Schumann,  sonate  en  ré  ;  Saint-Saëns,  sonate  divisée  en 
deux  morceaux  dans  lesquels  on  retrouve,  comme  dans  la  symphonie  en  «( 
mineur,  les  quatre  mouvements  traditionnels  ;  Schubert,  fantaisie  en  iil  ; 
présentait  un  ensemble  d'œuvres  moins  austères.  La  poésie,  la  chaleur  et  le 
sentiment  du  coloris  ont  dominé  dans  l'interprétation  de  Schumann  ;  celle 
de  Saint-Saëns  a  été  particulièrement  imposante  par  la  grande  puissance  de 
la  sonorité  jointe  à  la  clarté,  à  la  concision,  au  relief  du  style.  Enfin,  celle 
de  Schubert,  plus  difficile  à  équilibrer  à  cause  de  la  contexture  un  peu 
molle  de  la  composition,  a  été  délicate  et  ferme  et  a  fait  ressortir  la  pensée 
souvent  capricieuse  du  maitre  avec  toute  la  netteté  dont  elle  est  suscep- 
tible. Ce  qui  nous  semble  le  plus  remarquable  chez  les  deux  artistes,  et 
cette  opinion  sera  sans  doute  confirmée  dans  les  dernières  séances,  c'est 
que  l'identité  absolue  de  leur  manière  de  sentir  et  de  faire  couler  le  fluide 
musical  n'enlève  à  aucun  d'eux  son  individualité  propre.  Ils  n'ont  aucune 
concession  mutuelle  à  se  faire;  étant  deux,  leur  interprétation  reste  celle 
d'iin  seul  cerveau  agissant  sur  deux  instruments.  Chaque  morceau  a  été 
suivi  de  longues  ovations.  Am.  B. 

—  M.  Sarasate  a  retrouvé  ici  ses  fidèles  admirateurs,  et  ceux-ci  ont 
retrouvé  en  lui  non  seulement  l'incomparable  virtuose,  mais  le  grand 
artiste  au  jeu  si  pur,  si  sobre,  si  sûr  de  lui-même,  au  style  si  plein  de 
noblesse  et  d'élégance.  Ce  sont  de  véritables  fêtes  que  dos  séances  comme 
celles  que  nous  ont  values  les  deux  premiers  concerts  de  l'admirable  violo- 
loniste,  dont  les  programmes  étaient  absolument  exquis.  Dans  le  premier, 
le  grand  quatuor  à  cordes  de  Beethoven  n°  li,  la  délicieuse  Fantaisie  en 
ut  majeur  de  Schubert  pour  piano  et  violon  et  le  quintette  op.  5  de  Svend- 
sen  ;  dans  le  second,  le  beau  quatuor  op.  41  de  Saint-Saëns  avec  piano,  un 
quatuor  à  cordes  en  mi  bémol  de  Cherubini,  œuvre  exquise  et  d'une  grâce 
enchanteresse,  malheureusement  trop  peu  connue,  et  la  sonate  à  Kreutzer 
de  Beethoven,  chef-d'œuvre  dont  on  n'a  plus  à  faire  l'éloge.  On  sait  quel 
style  M.  Sarasate  apporte  dans  l'exécution  de  la  musique  d'ensemble,  et  il 
serait  superflu  d'insister  sur  ce  point,  surtout  lorsqu'il  a  des  pai'tenaires 
tels  que  MM.  Delsari,  Parent,  van  Waefelghem  et  Guidé.  Mais  il  serait 
difficile  de  peindre  la  joie  et  l'enthousiasme  du  public  en  l'entendant 
jouer,  avec  M.  Diémer,  la  Fantaisie  de  Schubert,  d'une  difficulté  si  ardue, 
et  la  Sonate  à  Kreutzer.  Si  la  perfection  est  de  ce  monde,  c'est  bien  dans 
une  telle  exécution  qu'on  la  rencontre,  et  la  jouissance  qu'elle  procure  à 
l'auditeur  le  plus  délicat  est  de  celles  qu'on  a  trop  rarement  l'occasion 
d'éprouver.  Aussi,  il  fallait  voir  le  succès  qui  a  accueilli  les  deux  artistes, 
les  applaudissements,  les  ovations,  les  rappels  dont  ils  ont  été  l'objet  !  Nous 
aurons  une  nouvelle  édition  de  ce  succès  aux  deux  derniers  concerts  de 
M.  Sarasate,  samedi  16  et  mercredi  20  mai.  A.  P. 

—  M.  E.-M.  Delaborde  vient  de  donner,  comme  il  le  fait  depuis  plusieurs 
années,  une  séance  de  piano  unique  et  s'y  est  montré  une  fois  de  plus 


l'interprète  inspiré,  ardent,  passionné,  que  nous  connaissons.  Après  quel- 
ques études  très  intéressantes  de  Valentin  Alkan,  il  a  dit  avec  un  art  ma- 
gistral les  sonates  op.  S3  de  Beethoven,  op.  24  de  Weber,  il  a  joué  une 
ballade  de  Chopin,  de  délicats  préludes  de  St.  Heller,  des  romances  sans 
paroles  de  Mendelssohn,  et  une  idylle  de  M.  G.  PfeifTer  avec  une  sensibi- 
lité exquise,  et  a,  pour  terminer,  ébloui,  entraîné  ses  auditeurs  par  une 
exécution  étincelante  de  trois  études  transcendantes  de  Liszt.  1.  P. 

—  La  seconde  séance  de  la  Société  des  instruments  anciens  n'a  été  ni 
moins  heureuse,  ni  moins  intéressante,  ni  moins  brillante  que  la  première. 
Le  programme,  formé  avec  le  même  goût,  comprenait  deux  jolies  pièces 
de  F.  Couperin  (sarabande  grave)  et  de  Chambonnières  (le  Moutier)  pour 
clavecin,  viole  d'amour,  viole  de  gambe  et  vielle;  des  fragments  d'une  so- 
nate de  L'OIÎillet  pour  viole  de  gambe  et  clavecin;  une  délicieuse  sonate 
de  Htendel  pour  hautbois  d'amour  et  clavecin,  délicieusement  dite  par 
MM.  Gillet  et  Diémer;  une  sarabande  de  Marais  pour  viole  d'amour;  trois 
pièces  pour  clavecin  de  Couperin,  Dandrieu  et  Rameau,  qui  ont  valu  à 
M.  Diémer  son  succès  habituel;  enfin,  diverses  autres  pièces,  pour  les  di- 
vers instruments,  de  Mondonville,  Corelli,  Chédeville  aîné  et  Rameau,  où 
nos  excellents  artistes,  MM.  Diémer,  Delsart,  Van  Waefeighem  et  Grillet, 
se  sont  fait  couvrir  d'applaudissements.  Je  ne  saurais  oublier  M""  Éléonore 
Blanc,  qui  a  chanté,  avec  son  style  plein  d'élégance,  un  air  de  Dardanus  de 
Rameau,  une  ariette  du  Roi  et  te  Fermier  de  Monsigny  et  un  fort  bel  air  de 
la  il'  cantate  de  Bach,  avec  hautbois  d'amour  et  clavecin.  —  Mardi  19, 
troisième  et  dernière  séance,  avec  le  concours  de  W"  Salambiani,  pour 
l'audition  de  nombreux  fragments  d'un  opéra  inédit  de  Rameau,  les  Boréades. 

A.  P. 

—  M""'-  Preinsler  da  Silva  a  donné  le  11  mai,  salle  Pleyel,  un  concert 
des  plus  intéressants.  Après  avoir  exécuté  magistralement  la  sonate  op.  87 
de  Beethoven,  si  difficile  à  interpréter,  et  l'admirable  prélude  et  fugue  de 
Mendelssohn  op.  3t>  (n"  1|,  M°"  da  Silva  a  fait  admirer  l'élégance  et  la 
prestesse  de  son  jeu  dans  nombre  de  pièces  de  caractères  variés,  d'auteurs 
divers,  auquelles  elle  a  su  donner  leur  couleur  particulière;  Chopin,  Saint- 
Saëns,  Schubert,  Schumann,  Massenet  etPfeiffer  figuraient  au  programme. 
La  Campanetla  de  Paganini,  transcrite  pour  le  piano  par  Liszt,  a  été,  pour 
l'aimable  artiste,  l'occasion  d'un  véritable  succès.  Ajoutons  que,  pour  céder 
au  goût  rétrospectif  du  jour.  M""  da  Silva  a  fait  entendre,  sur  un  clavecin 
sorti  des  ateliers  Pleyel,  de  ravissants  morceaux  de  Couperin,  Rameau  et 
Daquin.  Quels  que  soient  le  mérite  de  ces  maîtres  et  la  qualité  de  leurs 
œuvres,  nous  persistons  à  croire  qu'ils  auraient  été  heureux,  pour  les 
exécuter,  d'avoir  à  leur  disposition  les  merveilleux  pianos  de  Pleyel  et 
d'Érard.  H.  B. 

—  Le  public  parisien  a  fait  le  plus  chaleureux  accueil  à  M.  Clarence 
Eddy,  l'organiste  américain  qui  donnait  un  concert,  mardi  dernier,  au 
Trocadéro.  Un  grand  nombre  d'organistes,  parmi  lesquels  le  nouveau 
directeur  du  Conservatoire,  étaient  venus  l'applandir.  On  a  beaucoup 
admiré  le  jeu  brillant  et  le  mécanisme  de  M.  Clarence  Eddy,  qui  peut  être 
classé,  à  juste  titre,  parmi  les  meilleurs  organistes  de  notre  époque. 
M"'  Rose  Ettinget  et  M.  Georges  Holmes  ont  partagé,  avec  M.  Eddy,  le 
grand  succès  de  cette  belle  matinée. 

—  L'autre  soir,  chez  M""-'  Marchesi,  réception  intime,  où  l'on  a  entendu 
la  baronne  de  Reibnitz  chanter  plusieurs  lieder  de  son  père,  M.  Schle- 
singer.  Belle  voix  de  mezzo-soprano,  bien  timbrée,  servie  par  une  méthode 
sobre  et  pleine  de  goût  qui  en  double  l'effet. 

—  Hier  samedi,  on  a  inauguré  l'Exposition  de  Rouen  par  un  grand  fes- 
tival en  l'honneur  de  M.  Massenet,  avec  le  concours  de  M.  Vergnet,  de 
l'Opéra.  Voici  quelle  était  la  composition  du  programme,  l'"  partie  :  Ou- 
verture de  Phèdre,  le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge,  Scènes  alsaciennes,  air  du 
Mage,  méditation  de  Tha'is  et  le  troisième  acte  du  Mage.  2'  partie  :  Ballet 
du  Cid,  hyménée  i'Esctarmondc,  troisième  acte  du  Roi  de  Lahore.  La  1"  par- 
tie était  dirigée  par  M.  Brument,  la  2'-'  par  M.  Massenet  en  personne. 
Orchestre  et  chœurs  comprenaient  deux  cents  exécutants. 

—  Mardi  5  mai,  la  Société  des  compositeurs  normands  a  donné  à  Rouen, 
dans  les  salons  Leloup,  sa  huitième  audition.  Si  le  programme  semblait  un 
peu  chargé  avec  ses  quatorze  aumétos,  il  convient  d'observer  que  la  plupart 
des  morceaux  étant  de  brèves  dimensions,  la  séance  n'a  point  excédé  poui' 
cela  une  durée  raisonnable.  Ajoutons  aussi  que,  contrairement  à  ce  qui 
s'était  passé  l'an  dernier,  l'orchestre  ne  régnait  pas  seul  en  maître;  le  piano 
tenait  sa  place,  surtout  dans  l'accompagnement  de  la  partie  vocale,  et  l'on 
ne  saurait  s'en  plaindre,  puisque,  d'une  part,  on  produit  ainsi  certains 
opuscules  agréables  à  entendre  mais  de  trop  frêle  contexture  pour  comporter 
sans  faiblir  la  masse  instrumentale,  et  que,  de  l'autre,  il  reste  plus  de  temps 
pour  répéter  à  l'orchestre  les  œuvres  plus  compliquées  et  parfois  insuffi- 
sammentpréparées.Les  instrumentistes  sontd'ailleurs  excellents; l'ensemble 
même  serait  parfait  si,  parmi  les  amateurs  qui  le  composent,  quelques-uns 
ne  se  dispensaient  trop  volontiers  d'assister  aux  répétitions  du  début.  On 
se  réserve  pour  la  fin  et,  le  grand  jour  venu,  le  manque  de  cohésion  se 
laisse  deviner.  Parmi  les  compositeurs  dont  le  nom  figurait  au  programme, 
trois  peuvent  être  mis  hors  de  pair:  MM.  F.  Le  Rey,  avec  des  fragments 
de  son  dernier  opéra,  ta  Mégère  apprivoisée,  A.  Donnay,  avec  deux  airs  de 
ballet,  et  Georges  Rosenlecker,  avec  une  rhapsodie  hongroise  et  une  danse 
aux  flambeaux.  Ces  auteurs  savent  écrire,  combiner  le  plan  d'un  morceau 
et  lui  donner,  par  les  développements  et  la  couleur  instrumentale,  le  relief 


160 


LE  MENESTREL 


qui  convient:  tous  les  trois  ont  obtenu  un  franc  et  chaleureux  succès, 
comme  aussi  le  sympathique  président  de  la  Société,  M.  de  Montalenl,  dont 
la  mélodie  le  Tombeau,  dite  avec  goiit  par  M""^  H.  Mallet,  est  une  page 
exquise  de  mélancolie.  Il  faudrait  citer  aussi  la  Berceuse  de  M.  Ch.  Anfry, 
la  Tarentelle  de  M.  Coquelin,  enlevée  avec  brio  par  M"=Bignou,  les  mélodies 
de  MM.  Lesens  et  Le  Bref,  très  iinement  détaillées  par  M.  Benoist.  Il  est 
juste,  enfin,  de  rendre  hommage  au  sexe  faible,  représenté  brillamment 
par  M'^'  Delacour-Bonamour  et  M"<^  Fortier.  De  la  première,  un  menuet 
pour  instruments  à  cordes,  de  la  seconde,  une  berceuse  pour  orchestre  et 
une  mélodie  chantée  par  l'auteur  ont  témoigné  d'un  sentiment  délicat  et 
d'une  écriture  déjà  exercée.  Somme  toute,  séance  intéressante,  à  laquelle  le 
public  rouennais  s'était  porté  en  foule,  écoutant  avec  une  attention  sou- 
tenue et  applaudissant  avec  une  énergie  très  flatteuse  pour  les  interprètes 
et  les  auteurs.  C.  M. 

—  C'est  le  23  de  co  mois  qu'aura  lieu,  au  Cirque  d'Hiver,  la  quarante- 
quatrième  distribution  solennelle  des  récompenses  décernées  par  la  Société 
protecirice  des  animaux,  société  reconnue  d'utilité  publique.  Cette  belle 
et  imposante  cérémonie  sera  présidée  par  M.  Urich,  président  de  la 
Société.  En  léte  des  distinctions  figure  un  diplôme  d'honneur  décerné  à 
notre  ami  et  collaborateur  Oscar  Comettant,  pour  son  remarquable  ouvrage 
récemment  publié,  l'Homme  tt  les  Bêles. 

—  Le  jeune  et  distingué  pianiste  compositeur  Sig.  Stojowski  donnera 
lundi  soir  18  mai,  à  la  salle  Erard,  un  très  intéressant  concert  pour  l'au- 
dition de  ses  œuvres  vocales  et  instrumentales,  avec  le  concours  de 
M"<^  Mira  Heller,  de  lO'péra  de  Vienne,  et  de  MM.  Garl  Ffirstemberg, 
L.  Gorski  et  J.  Salmon. 

—  M"=  Hortense  Parent  donnera  en  Sorbonne,  les  lundi  18  mai  et  I"  juin, 
à  cinq  heures  précises,  deux  leçons  de  pédagogie  musicale,  dans  lesquelles 
elle  fera  l'exposé  de  sa  méthode  d'enseignement  pour  le  piano. 

—  Les  Concerts  symphoniques  populaires  du  Cirque  d'Hiver  ouvriront 
irrévocablement  le  jeudi  21  courant,  à  9  heures  du  soir,  sous  la  direction 
de  M.  H.  Edeline. 

—  Au  conservatoire  de  Toulouse,  l'exercice  annuel  a  été  donné  avec 
beaucoup  de  succès.  La  majeure  partie  du  programme  était  composée  d'oeu- 
vres de  l'excellent  directeur,  M.  Louis  Deffès,  et  dans  son  exécution  il  faut 
surtout  louer  la  classe  d'orchestre  et  la  classe  d'ensemble  vocal,  très  en 
progrès.  «  Au  total,  écrit  M.  Omer  Guiraud  dans  l'Express  du  Midi,  un  beau 
exercice-concert,  supérieur  en  son  tout  à  celui  de  l'année  dernière,  v 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Salle  des  Agriculteurs,  concert  donné  par  M.  G.  B.  Baron, 
avec  le  gracieux  concours  de  M""  Ganne,  très  applaudie  dans  l'air  de  Sigurd,  S. 
Kerrion,  dont  la  belle  voix  a  tait  sensation,  J.  Girard,  de  la  Monnaie,  parfaite  dans 
l'air  du  Barbier,  F.  Thomas,  qui  a  remporté  un  grand  succès,  en  récitant  le  Petit 
Alsacien,  de  Léon  Baron,  Ftose  et  Jeanne  Bernheim  ;  MM.de  Féraudy,  Saint-Ger- 
main, Kerrion,  l'excellent  violoncelliste,  G.  Launay,  le  fln  diseur, ontétéaussi 
très  acclamés.  A.u  programme,  Pensée  d'automne  et  Si  tu  viux  mignonne,  du  maître 
Massenet.  M.  Gabriel  Biron  s'est  fait  applaudir  dans  l'air  du  Timbre  d'argent,  de 
Saint-Saéns.  —  Les  concerts  de  M.  Alexandre  Guilmant  attirent  toujours  un  public 
sympathique  au  Trocadéro.  Vif  succès  pour  M"»  Salla-Uhring  qui  a  superbe- 
ment chanté,  accompagnée  par  l'orchestre  de  M.  Gabriel  Marie,  et  pour  M.  Cor- 
nélis  Liégeois,  violoncelliste  d'un  talentremarquable.  Une  délicieuse  Berceuse  Aë 
Th.  Salomé  et  un  fma/e  de  Schumann, transcrits  par  M.  Guilmantpourl'orchestreet 
l'orgue  ont  été  très  applaudis.  Les  pièces  les  plus  importantes  du  concert  étaient 
les  Variations  sur  un  choral  et  la  Fugue  en  sol  majeur,  de  Bach,  que  M.  Guilmant 
a  interprétés  avec  des  combinaisons  de  jeu  inusitées  au  temps  de  l'auteur  et 
qui  les  rendaient  parliculièrement  intéressantes.  —  Soirée  musicale  des  plus 
brillantes  chez  M"'  la  comtesse  de  Randoz-Strachwitz.  La  maîlresse  de  maison 
a  chanté  avec  son  succès  habituel  Pensée  d'automne,  de  Massenet.  Elle  a  aussi 
admirablement  interprété  la  ballade  û'Uta,  M"*  Niquet-Marochetti  remplissait 
lapartiedeHulda.  M.  Gauthier  a  fort  bien  chanté  le  grand  airdeSif/»i-d.  M.Cham- 
bon,  de  l'Opéra,  M.  et  M""  Pennequin  ont  également  pris  part  au  succès  de  la 
soirée.  —  Chez  la  comtesse  de  Ghennevières,  1res  grand  succès  pour  M"'  Julie 
Bressoles  avec  les  Chansons  grises,  de  Reynaido  Hahn,  l'air  de  la  folie  d'HamIel 
et  une  mélodie  de  M"'  Ugalde.  —  A  l'audition  annuelle  des  élèves  de  M—  Claire 
Lebrun,  on  a  applaudi  M""  A.  T.  île  Itévc  de  la  marquise.  Ad.  David),  E.  S.  (A'uits 
d'Espagne,  F.  Godefroid),  Van  T.  {Mandolinata,  Saint-Saens  -  Paladilhe)  et,  pour 
terminer,  M.  Godebski,  M""  Claire  Lebrun  et  M"'  Fournie  dans  la  Méditation  de 
Thais,  de  Massenet,  transcrite  pour  violon,  piano  et  orgue.  —  M""  Mobillon  a 
donné  une  séance  entièrement  consacrée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois,  avec 
le  concours  de  M""  Mendès,  Baude,  de  MM.  de  la  Tombelle  et  Cottin.  L'impor- 
tants fragments  de  Xavière  et  d'Aben-Ilamei,  plusieurs  numéros  des  Poèmes  sijl- 
vesires  et  des  Pièces  pour  piano,  des  mélodies,  des  chœurs  et  des  morceaux  de 
musique  concertante  ont  valu  à  l'auteur  et  à  ses  excellents  interprètes  de  nom- 
breux applaudissemen's.  —  Bonne  audition  d'élèves  de  M""  Marguerite  Jaillon, 
à  laquelle  on  a  remarqué  M""  Bl.-M.  (air  de  Werllicr,  Massenel),  Madeleine  J. 
{Clair  de  lune,  de  Werther,  Massenet),  M.  L.  (air  de  Jean  de  Nivelle,  Léo  Delibes  et 
air  de  Manon,  Massenel),  M.  L.  et  M'"  Jaillon  (Guitare,  Romance  et  Marche  nuptiale 
de  Conte  d'Acrit,  Cb.-M.  Widori.  Un  joli  chœur  a  bien  chanté  les  Crécelles,  de 
Blanc  et  Dauphin.  —  A  la  matinée  donnée  par  l'Union  chorale  des  Alsaciens- 
Lorrains,  on  a  fait  fétc  à  M"'  Preinsler  da  Silva  qui  a  joué  Air  de  ballet  et  Toc- 
cata de  Massenef.  —  Audition  des  élèves  de  M"  Cœdès-Mougin.  A  signaler 
M""  S.-C.  {Sérénade  tunisienne,  PfeifTer),  C.  {Gigue,  WormEer),  J.-L.  {Passepied,  Dol- 
metschi  et  de  G.  {Mandolinata,  Saint-Saëns-Paladilhe).  —  Au  concert  organisé 
pour  le  monument  de  l'explorateur  Treidh-Laplène,  on  a  fait  grand  succès  à 
M"' Charlotte  Vormèse,  dans  la  sccnedela  Czujdà,  de  JenoHubay,  à  M"'"  Preinsler 


da  Silva^  dans  Air  de  ballet  et  ToccaUi,  de  Massenet,  à  M""  Remacle,  dans  le 
Caprice  de  la  Heine,  de  Blanc  et  Dauphin,  et  à  M'"  de  Stracliwich,  dans  la  ballade 
de  Sigurd.—  M-»  Carembat  vient  de  faire  entendre  ses  élèves,  parmi  lesquelles 
il  faut  nommer  M""  L.  {Passepied,  Léo  Delibes),  L.  {Air  de  ballet,  Massenel)  et  F. 
{Chœur  des  chasseresses  de  Sijlvia,  Léo  Delibes).  —  M"'"  Lacoste  et  Lannes  ont  fait 
entendre  leurs  élèves  en  une  audition  des  plus  réussies  et  les  bravos  ont 
récompensé  élèves  et  professeurs.  Succès  mérilé  pour  M""  Juliette  B.  {Plaisir 
d'amour,  Martini),  Marguerite R.  {Pourquoi?  de  Laknié,  Léo  Delibes),  M.  Charles  M. 
{Je  n'ose,  Taglialico),  M""  Camille  C.  {Pe/mv  d'automne,  Massenet  i,  Jeanne  D.  {Les 
Oiiielets,  Massenet],  Juliette  et  Thérèse  I!.  iduo  du  Jloi  l'a  dit,  Léo  Delibes), 
M"'  Georgette  D.  (romance  du  Itoi  d'Ys,  Lalo),  M"'  Jeanne  G.  {le  Songe  d'une  nuit 
d'été,  A.  Thomas  et  IProdiade,  Massenet)  M"'  Jeanne  D.  et  M°"  Jeanne  P.  (duo  de 
Lakmé,  Léo  Delibes).  —  A  Bourges,  très  jolie  soirée  musicale,  donnée  par 
les  escellents  professeurs  M.  et  M"*  Marquct.  On  a  applaudi  surtout  M""  G.-B. 
dans  un  air  du  Portrait  de  Manon,  de  Massenet.  et  dans  l'air  de  la  folie  à'Ilamlct, 
d'Ambroiee  Thomas,  et  M—  C.  et  Cli.  dans  le  duo  du  Itoi  d'Vs,  de  Lilo.  — 
Succès  très  vif  pour  M"-  Schwab,  une  jeune  pianiste  élève  de  iM"-  Marie  Jaéll, 
au  concert  donné  par  elle  à  la  salle  Pleyel.  .Vprès  avoir  exécuté  avec  une  rare 
fermeté  le  trio  en  vl  mineur  de  Beethoven  en  ccmpagnie  de  M""  Jeanne  Meyer 
et  de  M.  Van  Goêns,  la  jeune  artiste,  qui  promet  une  virtuose  d'avenir,  s'est 
fait  chaleureusement  applaudir  dans  diverses  pièces  classiques  ou  modernes 
de  Daquin,  Mozart,  Chopin,  Schubert,  Schumann,  Grieg  et  Godard.—  Le  jeune 
pianiste  Stéphane  Niederhofhein  vient  de  donner  son  concert  à  la  salle  Pleyel. 
Le  public  nombreux  et  enthousiaste  qui  emplissait  la  salle  n'a  pas  manqué  de 
prodiguer  au  brillant  virtuose  les  applaudissements  et  rappels,  surtout  après 
l'exécution  des  morceaux  de  Chopin  et  plusieurs  pièces  de  Liszt,  notamment  la 
onzième  Rapsodie  enlevée  avec  un  brio  extraordinaire.  M""  Kutscherra  prétait 
son  concours  et  a  contribué  dans  une  la'ge  part  au  succès  de  la  soirée.  — 
M.  Gustave  Biume,  le  renommé  professeur  de  Toulon,  a  réuni  en  deux  séances 
tout  à  fait  brillantea,  ses  nombreuses  élèves, parmi  lesquelles  il  faut  retenir  les 
noms  de  M""  de  J.(l  a/se  à  3/"<  Didi,  Lack);  B.(Ma/-c/ie  de  Jean  dcNiucllc, l,éo  Delibes); 
P.  {Chanson  hongroise,  Delioux);  G.  {Chanson  matinale,  Lack)  ;  E.  [la  Moquerie  de 
Bertha  du  Carillon,  Massenet);  S.  (Gigue  américaine,  Redon);  M""*  G.  {Danse  japo- 
niise,  Wachf);M"«  de  L.  (Printemps  nouveau,  Landry);  R.  (Sur  les  pointes,  Landry); 
J.  [Béve  de  la  marquise,  Ad-David )  ;  P.  {Sérénade,  Galeotti),  C.  (  Valse  babillarde,\V&chs); 
A.  {Valse poétique, G3.leoUi,etEntr'ac'e-rigaudon  de Xaviére,  Th.  Dabois);  L.B.  (Valse 
des  Mouches,  Landry)  :  G.  (la  Mouche,  Delahayel  ;  M.  L.  (Air  d  ;  Werther,  Massenet); 
M"=  D.  (Air  de  Sigurd,  Reyer)  et  M"'  V.  (air  du  Cid,  Massenel).  On  a  beaucoup 
applaudi  YOuverture  de  Phèdre,  de  Massenet,  et/a  Farandole,  de  Th.  Dubois,  jouées 
à  4  pianos,  16  mains,  et  on  a  fait  fête  à  M.  J.  Baume  dans  des  morceaux  de 
Chopin,  Schumann  et  Liszt.  —  Très  belle  audition  d'œuvres  de  Pfeiffer  par  les 
élèves  de  M""  Collin.  Pendant  un  intermède  artistique,  elle  a  joué  à  ravir  la  SeVé- 
nade:  M"'  S.Filliaux-Tigèr  s'est  faitapplaudir  dans  ses  compositions,  notamment 
dans  Source  capricieuse.  —  La  série  des  quatre  concerts  de  M  Alexandre  Guilmant 
s'est  terminée  au  Trocadéro  par  une  séance  des  plus  artistiques,  presque 
exclusivement  consacrée  aux  œuvres  de  Bach.  Le  brillant  organiste  a  exécuté 
avec  un  art  consommé  les  derniers  chorals  de  Bach,  œuvre  admirable  qui 
n'avait  pas  été  encore  entendue  en  France.  L?s  chanteurs  deSain'.-Gervais,sous 
la  direction  de  leur  chef,  M.  Charles  Bordes,  prêtaient  leur  concours  à  ce  concert 
ainsi  que  M.  Paul  Séguy,  M"'  Lafon  et  M'""  Lovano  qui  a  été  bissée  après  sa 
belle  interprétation  du  superbe  récit  de  la  Cantate,  LiebslerGott.  —Remarquable 
séance  de  M"°  Muller  de  la  Source.  Après  avoir  entendu  des  fragments  de  la  Féie  du 
village  voisin,  Ae  Boieldieu,  nous  avons  applaudi  un  très  beau  quatuor  vocal  du 
grand  musicien  Louis  Lacombe,  qui  prend  sa  place  à  cette  heure.  —  Très 
brillante  matinée  des  élèves  de  M""  Aubry.  Ont  été  particulièrementapplaudis: 
»  Source  capricieuse  »,  de  L.  Filliaux-Tiger  redemandée;  Retour,  de  Bizet,  Caprice 
badin,  de  Pugno  et  parmi  les  œuvres  vocales  :  Nuit  d'Espagne  et  air  de  Manon,  de 
Massenet.  —  Chez  M""  Marie-Louise  Grenier,  très  intéressante  audition  d'œuvres 
de  M.  B.-M.  Colomer  dont  on  disnvtoat  &pp\3iUd\  Nous  cheminions  dans  le  sentier, 
C'est  ma  mignonne  amie.  Le  ciel  était  bleu.  Elle  a  mis  sa  toilette  claire.  On  vous  admire 
bouche  close  et  0  Mai,  roi  des  jours  parfunuis,  très  bien  chantés  par  les  élèves  de 
l'excellent  professeur  qui  se  sont  encore  signalés  dans  le  chœur  des  anges  de 
la  Vierge,  de  Massenet.  —  Bonne  audition  d'élèves  de  M""  Tarpet-Lcclercq.  .i 
citer  M""'  M.  (Polichinelle,  Rougnon)  ;  R.  (Ballerine,  Rougnon),  C.  du  P.  (Valse 
interrompue,  Waehs)  etB.  (Chacmne.  Th.  DuboisV  Chez  elle,  M"'  Tarpet-Leclerq  a 
donné  une  soirée  qui  a  permis  d'applaudir  M"°  Goubault,  dans  l'air  dUamlet  et 
M""  Percheron  dSins  Source  capricieuse,  de  Filliaux-Tiger.  —  M"»Barbier-Jussy  a 
fait  entendre  ses  élèves  et  les  bravos  sont  allés  à  W"  M.  P.  (Chanson  matinale, 
Lacki;M.  P.  et  L.  0.  {Valse  des  Pileuses,  Rougnon);  M.  B.,  R.  M.,  R.  B.  etB.  J. 
(Sevillana  de  Don  ("ésar  de  Bazan,  Massenet)  ;  M.  P.  (Caprice  pastoral,  Diémer).  Dans 
la  deuxième  partie,  on  a  applaudi  M"'  Barbier  dans  Pépa  de  G.  Mathias,  et 
M"°  Barbier-Juasy,  MM.  Hammer  et  Liégeois  dans  le  trio  de  Benjamin  Godard. 
—  M""  Saillard-Dietz  a  eu  un  nouveau  succès  en  faisant  entendre  ses  élèves 
dans  de  nombreuses  pièces  classiques.  Parmi  les  modernes,  on  a  beaucoup 
applaudi  Crc'puscuic,  de  Massenet-Filliaux-Tiger,  et  Valse  arabesque,  de  Lack.  — 
M"°  Charmois  a  été  plus  applaudie  que  jamais  à  la  matinée  de  ses  nombreuses 
élèves.  Particulièrement  réussis  :  Charoiine,  Th.  Dubois;  Source  capricieuse, 
L.  Filliaux-Tiger;  Causerie  sous  bois,  Pugno,  et  le  Duo  de  Sigurd,  délicieusement 
chanté  par  M"'  Charmois  et  M.  Crémel.  —  La  soirée  d'élèves  données  par 
M""  Orth  et  Tritant,  dans  les  salons  Rudy,  a  permis  de  constater  l'excellence 
de  leur  enseignement.  Elles  s'étaient  assuré  le  concours  de  M.  J.  Vergnais, 
l'excellent  artiste  et  professeur  de  violon  qui  a  charmé  l'auditoire  avec  les 
souvenirs  d'Haydn  et  la  belle  sonate  de  Beelhowen,  op.  12.  M"»'  Orth  et  Tritant 
ont  brillamment  interprété  l'ouverture  de  Phèdre  (2  pianos,  'i  mains),  de  Massenet. 
Quant  à  leurs  élèves,  elles  méritent  bien  aussi  leur  part  d'éloges.  En  un  mot, 
grand  succès  pour  tous  les  numéros  d'un  programme  des  plus  intéressants.— 
Intéressante  matinée  d'élèves  chez  M"'  E.  Duoasse.  Audition  consacrée  aux 
maîtres  françiis  :  MM.  Saint-Saens,  Massenet,Dubois,  Lenepveu,  Duvernoy,  etc. 


Henri  IIeugel,  directeur-gérant. 


r(00.  —  62™=  mM  —  \°  î\. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dinaoche  24  M  li 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    TIIÉATR.ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  FHA^■co  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et   Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,   iMusique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   le^  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  La  première  salie  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3°  partie  (3'  article),  .4rthijr 
PouGiN.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  répétition  générale  d'Hamlel  à  l'Opéra,  sou- 
venirs, H.  MonEKO;  première  représentation  du  Grand  Gakoto,  au  Tliéâtre- 
Inlernational,  Paul-Émile  Chevaueii.  —  IIL  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon 
des  Champs-Elysées  (4"  article),  Camille  Le  Senne.  —IV.  .Musique  et  prison 
(5"  article);  prisonniers  politiques,  Paul  d'Estrée.  —  V.  Le  monument  de 
M-'  Garvalhc.  —  Vl.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PRINTEMPS  NOUVEAU 

de  A.    L.4NDRY.  —  Suivra  immédiatement  :  En  dansant,  e.xtrait  des  Pastels, 

de  I.  Philipp. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Près  de  l'eau,  n"  2  des  Soirs  d'amour,  de  Léon  Delafosse.  —  Suivra 
immédiatement:  Si  je  ne  t'aimais  pas,  nouvelle  mélodie  de  E.  Mobet,  poésie 
de  E.  Habaucourt. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


TROISIEME  PARTIE 
I  (Sulle) 

Les  nouveaux  sociétaires  de  l'Opéra-Comique  avaient  l'ait 
preuve,  au  cours  de  cette  année  1833,  d'une  louable  activité. 
Loin  de  s'endormir  sur  le  succèsdu  Prè-aux- Clercs,  ils  avaient, 
dans  l'espace  de  ces  douze  mois,  monté  dix  ouvrages  qui  for- 
maient un  total  de  dix-neuf  actes.  Leur  situation,  si  digne 
d'intérêt,  semblait  en  acquérir  davantage  parles  efforts  qu'ils 
faisaient  pour  s'attirer  chaque  jour  les  sympathies  du  public-. 
Dès  le  premier  mois  de  l'année  suivante  ils  allaient  offrir 
à  leurs  spectateurs  deux  pièces  nouvelles  en  un  acte,  tandis 
qu'ils  mettraient  à  l'étude  deux  grands  ouvrages,  Lcsiocrj  et 
l'Aspirant  de  niarine.  Tout  paraissait  devoir  concourir  à  la 
complète  prospérité  du  théâtre  qu'ils  avaient  eu  le  courage 
de  remettre  sur  pied  à  leurs  risques  et  périls,  lorsq'à'une 
sorte  de  complot  s'ourdit  sournoisement  contre  eux  dans  le 
but  de  les  détrôner  et  de  changer  encore  une  fois  les  destinées 
d'une  entreprise  artistique  que  la  mauvaise  fortune  semblait, 
depuis  quelques  années,  poursuivre  impitoyablement.  Ce 
complot  finit  par  réussir,  et,  fort  heureusement,  la  déposess- 
sion  des  sociétaires,   pour  injuste  qu'elle  fût  en  elle-même. 


n'eut   pas   les  résultats  fâcheux  qu'on    en  eût  pu   craindre. 
Mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements. 

Le  14  janvier  voyait  la  première  représentation  d'un  acte 
qui  avait  dii  s'appeler  le  Propriétaire  sans  propriété  et  dont  le 
titre  définitif  était  le  Châleau  d'Urtuby.  Ce  petit  ouvrage,  dont 
le  poème  avait  pour  auteurs  de  Lurieu  et  Raoul,  avait  été 
mis  en  musique  par  Henri  Berton  fils,  qui,  frappé  par  le 
choléra,  avait  été  l'une  des  premières  victimes  du  fléau  (1). 
C'était  une  œuvre  posthume,  que  les  artistes  de  l'Opéra- 
Comique  avaient  tenu  à  entourer  de  tous  les  soins  et  dont 
l'interprétation  réunissait  les  noms  aimés  de  Ponchard  et  de 
M""=  Pradher,  de  Révial,  Fargueil,  Hébert  et  de  M"<=  Massy.  Le 
premier  soir,  avant  le  lever  du  rideau,  Henri  vint  lire  une 
pièce  de  vers  que  les  deux  auteurs  avaient  écrite  â  la  mé- 
moire de  leur  collaborateur  posthume  ;  ils  eussent  pu  sans 
doute  être  mieux  inspirés,  et  l'on  ne  peut  leur  savoir  gré 
que  de  leur  bonne  intention.  Je  reproduis  pourtant  ces  vers, 
parce  qu'ils  sont  comme  une  sorte  de  petit  document  histo- 
rique: 

Un  fléau  d'affreuse  mémoire 

Naguère  épouvantait  Paris; 

Vertus,  beauté,  talent  et  gloire. 
Rien  ne  put  le  fléchir:  il  fut  sourd  à  nos  cris... 

Henri  Berton,  tenant  la  lyre. 

Tomba  foudroyé  sous  ses  coups; 
Les  derniers  chants,  enfants  de  son  délire, 
L'infortuné  les  modulait  pour  vous. 

Bientôt  vous  alle^  les  entendre. 
Lui  seul,  hélas!  il  manque  au  rendez-vous. 
Qu'il  eût  été  joyeux  d'être  au  milieu  de  nous  !... 
Ses  amis  empressés  seraient  venus  lui  prendre 

La  main,  en  lui  disant:  «c'est  bien...  « 
Celte  main  s'est  glacée...  Et  de  ce  cœur  si  digne 
De  ce  feu  créateur,  il  ne  reste  plus  rien... 
Ces  chants  pleins  d'avenir  étaient  le  chant  du  cygne. 

Vous  les  adopterez,  oui,  messieurs,  car  son  nom 

Du  succès  fut  toujours  le  gage; 

Oui,  son  aïeul,  Pierre  Berton, 
Par  ses  accords  enivrant  un  autre  âge, 
De  Gluck  lui-même  obtenait  le  suffrage. 

Plus  fier,  plus  mâle  en  ses  accents. 

De  son  fils  le  brillant  génie 

Grandit  encore  avec  les  ans. 
Et  dans  la  France  entière  on  répète  les  chants 

Et  à' Aline  et  de  Stéphanie. 

Ainsi  la  gloire,  aimant  à  proclamer  ce  nom. 
Sur  ces  tables  d'airain  grava  trois  fois  :  uerton. 
Henri,  console-toi  puisqu'en  mourant  tu  laisses 

Pour  héritage  à  tes  enfants 

Trois  générations  de  talents  : 

C'est  la  plus  belle  des  noblesses. 

(I)  Henri  Berton,  né  le  3  mai  1784,  était  le  fils  naturel  de  l'auteur  d'Aline  et  de 
Monlano  et  Stéphanie  et  de  M""  Maillard,  la  célèbre  canlatrice  qui  fut,  à  l'Opéra, 
ia  rivale  de  la  Saint-lluberty.  Il  mourut  à  Paris  le  15  juillet  1832. 


162 


LE  MENESTREL 


De  ses  travaux  lorsqu'il  n'a  pu  jouir, 
Pour  un  artiste  qui  succombe 
C'est,  hélas  !  bien  plus  que  mourir. 
Ce  fut  le  sort  d'Henri...  Grâce  à  vous,  sur  sa  tombe. 

Que  ses  enfants,  quand  ils  iront  prier, 
Puissent  porter  demain  quelques  brins  de  laurier. 

Au  Château  d'Urtuby  succédait,  le  23  janvier,  une  bouffon- 
nerie de  carnaval  en  un  acte  intitulée  une  Bonne  Fortune.  Adam 
avait  écrit  la  musique  de  cette  pochade,  qui  obtint  un  succès 
assez  vif,  sur  un  livret  dont  les  auteurs,  qui  se  firent  appeler 
Edouard  et  Second  étaient  en  réalité  Mennechet  et  Feréol  (1). 
Ce  fut  là  le  dernier  ouvrage  que  les  sociétaires  purent 
mettre  à  la  scène.  Déjà  la  petite  conspiration  dont  j'ai  parlé 
commençait  à  se  tramer  dans  l'ombre.  Dès  le  4  janvier,  on 
lisait  dans  le  Courrier  des  théâtres  :  «  On  dirait  qu'il  y  aura  in- 
cessamment quelque  chose  de  nouveau  à  l'Opéra-Gomique. 
II  serait  possible  que  ce  fût  une  de  ces  choses,  bonnes  en 
elles-même,  et  qui  le  sont  encore  davantage  appuyées  d'une 
excellente  subvention.  »  Gela  indiquait  bien  la  possibi- 
lité d'un  changement  de  régime.  Il  est  certain  que  dès  lors 
on  cherchait  à  miner  la  situation  des  sociétaires  et  celle  de 
Paul,  leur  gérant,  qui,  le  20  janvier,  faisait  publier  cette 
petite  note:  «  M.  Paul  réclame  contre  une  assertion  dénuée 
de  fondement,  d'après  laquelle  il  cesserait  de  gérer  le  théâtre 
de  rOpéra-Comique  ».  Il  n'y  a  pas  de  fumée  sans  feu,  dit  le 
proverbe  ;  du  moment  que  Paul  se  défendait,  c'est  qu'il  se 
sentait  en  danger.  En  effet,  les  agents  de  destruction  étaient 
à  l'œuvre,  sans  savoir  encore  ce  qu'il  pourrait  advenir  de 
leur  succès  et  par  quoi  l'on  remplacerait  ce  qui  existait. 

Les  auteurs  eux-mêmes  se  liguèrent  contre  les  excellents 
artistes  qui  avaient  relevé  le  théâtre  et  auxquels  ils  auraient 
dû  de  la  reconnaissance  puisque,  après  tout,  ceux-ci  leur 
avaient  rendu  les  moyens  de  se  produire  et  de  se  faire  jouer. 
Aune  distance  si  grande  il  est  difficile,  assurément,  de  juger 
avec  impartialité  des  faits  dont  on  ne  eonnait  qu'imparfaite- 
ment les  causes.  II  me  parait  pourtant  fâcheux  de  voir  qu'à 
la  tète  de  cette  ligue  contre  l'Opéra-Gomique  se  trouvaient 
deux  hommes  comme  Scribe  et  Auber,  dont  on  répétait  pré- 
cisément un  ouvrage  en  quatre  actes,  Lestocq,  en  l'entourant 
des  plus  grands  soins.  II  est  certain,  néanmoins,  que  la 
guerre  était  déclarée,  et  qu'on  en  arrivait  à  réclamer  ouverte- 
ment la  déchéance  de  la  société  (2). 

«  L'Opéra-Gomique  (disait  le  Courrier  dans  son  numéro  du 
21  février)  est  en  butte  à  des  menées  qui  tendent  à  l'ébranler 
dans  ses  fondements,  sans  espérance  de  reconstruction. 
L'autorité  n'est  pas  encore  bien  sûre  du  parti  qu'elle  doit 
prendre  dans  cette  affaire.  »  L'autorité,  en  effet,  déjà  ne 
savait  auquel  entendre.  Dès  qu'on  avait  cru  apercevoir  une 
brèche  dans  la  place,  tout  le  monde  voulait  y  entrer,  et  du 
moment  que  le  régime  de  la  société  paraissait  condamné, 
les  candidats  à  la  direction  pleuvaient  de  tous  côtés,  quel- 
ques-uns apportant  les  idées  les  plus  bizarres  et  les  projets 
les  plus  saugrenus. 

Ce  fut  d'abord  Delestre-Poirson,  directeur  du  Gymnase,  qui 
l'un  des  premiers  se  mit  sur  les  rangs  ;  puis  Crosnier,  dont 
l'administration  à  la  Porte-Saint-Martin,  de  1830  à  1832,  avait 
été  brillante  ;  puis  Ferdinand  Laloue,  l'un  des  directeurs  du 
Cirque-Olympique  ;  puis  Mira,  administrateur-caissier  de 
l'Opéra,  celui-là  même  qui  avait  tué  en  duel  l'infortuné  poète 
Charles  Dovalle  ;  puis  encore  Troupenas,  le  fameux  éditeur 
de  musique  ;  et  Loève-Weimar,  l'écrivain  distingué,  le  tra- 
it) Second  était  le  véritable  nom  de  Péréol,qui  n'était  qu'un  pseudonyme. 
(2)  C'est  par  un  mémoire  présenté  au  ministre,  et  qui  portait  les  signatures 
de  Scribe,  Auber,  Mélesville,  E.  de  Planard,  Dupeuty,  Carmouche  et  Carafa,  que 
la  guerre  fut  indirectement  déclarée  par  les  auteurs  —  c'esl-à-dire  par  certains 
auteurs  —  aux  sociétaires  de  l'Opéra-Gomique.  Ce  mémoire,  dont  je  n'ai  pas 
trouvé  le  texte,  réclamait  la  «  régénération  »  de  ce  théâtre  à  l'aide  d'un  chan  - 
gement  de  régime.  On  remarquera,  en  même  temps  que  le  petit  nombre  des 
signatures  qui  y  étaient  inscrites,  l'absence  de  celle  d'auteurs  et  de  compositeurs 
les  uns  déjà  chevronnés,  les  autres  heureusement  connus,  tels  que  Saint- 
Georges,  Vial,  Saintine,  Mennechet,  Bayard,  Boieldieu,  Berton,  Halévy,  Adam, 
Blangini,  etc.,  etc. 


ducteur  élégant  d'Hoffmann  et  d'Henri  Zschokke  ;  et  les  frères 
Dartois,  directeurs  des  Variétés  ;  et  le  vatidevilliste  Car- 
mouche,  époux  de  la  toute  charmante  Jenny  Vertpré  ;  et 
Alphonse  Cerfberr,  frère  ou  neveu  de  Max  Cerfberr,  l'admi- 
nistrateur de  l'Opéra-Gomique,  que  sais-je? 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 

RÉPÉTITION  GÉNÉRALE  DHAMLET  A  L'OPÉRA 
SOUVENIRS 
Voilà  plusieurs  années  qu'on  avait  interrompu  le  fil  des  leprésen- 
tations  i'Hamlet  à  l'Opéra,  et  c'était  un  tort.  Car  il  est  peu  de  parti- 
tions françaises  qui  soient  d'une  plus  belle  tenue  et  qui  contiennent 
plus  de  pages  d'aussi  rare  élévation. 

Avec  l'abandon  injustifié  de  Françoise  de  Rimini,  cette  interruption 
dans  le  cours  des  destinées  i'Hamlet  fut  un  des  chagrins  qui  attristè- 
rent les  dernières  années  d'Ambroise  Thomas.  C'était  un  simple  qui 
ne  menait  pas  grand  tapage.  Avec  sa  haute  situation  si  dignement 
acquise,  il  eiit  pu,  autant  que  tout  autre,  se  plaindre  bruyamment 
près  des  puissants  du  jour,  encombrer  les  ministères  de  sa  personne 
et  réclamer  la  représentation  légitime  de  ses  œuvres.  Il  n'en  fit  rien 
et  soufTrit  patiemment,  —  mais  le  cœur  plus  ulcéré  qu'on  ne  sup- 
pose, —  de  se  voir  ainsi  écarté  du  répertoire  de  notre  première  scène 
lyrique. 

Aujourd'hui,  on  peut  croire  que  tout  est  réparé  ;  mais  il  n'est  plus 
là  pour  en  jouir.  Au  moins  eut-il  cette  ultime  consolation  de  se  voir 
acclamé  et  porté  pour  ainsi  dire,  encore  tout  vivant,  dans  une  auréole 
d'apothéose,  lors  de  l'exécution  à  ce  même  Opéra  du  superbe  pro- 
logue de  Françoise  de  Rimini,  enfin  compris,  —  cela  peu  de  jours  avant 
sa  mort. 

*  * 

La  première  représentation  i'Hamlet  nous  reporte  au  9  mars  1868  et 
remue  tous  nos  souvenirs  de  jeunesse.  Par  notre  situation  même, 
nous  suivîmes  de  près  l'enfantement  et  l'éclosion  de  cette  œuvre. 
Nous  avons  pu  voir  au  jour  le  jour  toutes  les  angoisses,  les  troubles, 
les  incertitudes  du  compositeur.  C'était  une  dure  lutte  que  de  se 
prendre  ainsi  corps  à  corps  avec  le  drame  de  Shakespeare  :  il  en  sor- 
tirait brisé,  bien  sûr.  Qu'avait-il  entrepris?  Et  c'étaient  des  doutes,, 
des  désespoirs  sans  cesse  renouvelés,  avec  pourtant  des  lueurs  plus 
roses  par  instants,  quand  un  motif  lui  était  venu  «  assez  dans  la 
nuance  »,  pensait-il.  En  ces  océasions-là,  nous  avions  coutume  de 
lui  offrir  du  chocolat,  dont  il  était  très  friand  et  qu'il  savait  trouver 
au  Ménestrel.  C'était  une  manière  d'encouragement  qu'il  acceptait  en 
souriant. 

Enfin,  vaille  que  vaille,  l'œuvre  était  debout.  Il  fallait  bien,  en 
tenter  la  représentation,  ou  bien  alors  abdiquer  et  se  rendre  sans 
combat. 

D'ailleurs  Emile  Perrin,  It  tyran  d'alors  à  l'Opéra,  était  là  qui 
veillait  et  qui  en  voulait  bien  du  combat,  lui!  Et  on  se  mit  en- 
mouvement  pour  trouver  des  interprètes.  Hamlet,  c'était  Faure;  voilà 
qui  était  certain.  Mais  Ophélie  ?  II  y  avait  alors  au  Théâtre-Lyrique 
une  jeune  cantatrice  blonde,  Christine  Nilsson,  qui  faisait  déjà  beau- 
coup jaser  et  qui  commençait  à  avoir  prise  sur  Paris.  L'éditeur  de 
la  partition  poussait  de  ce  côté. 

Perrin  n'était  pas  un  homme  agréable,  oh  I  non.  Il  était  fort  sec 
et  autoritaire.  Mais  il  savait  vite  prendre  un  parti  et  voyait  juste 
à  l'ordinaire:  «  Nilsson,  soit,  dit-il;  tenez,  voici  mon  blanc-seing. 
Traitez  au  mieux.  Je  m'en  rapporte  à  vous.  »  L'éditeur  se  tourna 
alors  vers  M"»  Nilsson,  lui  demanda  également  sa  signature  en  blanc, 
et  décida,  dans  sa  sagesse,  du  pacte  honorable  qui  devait  intervenir 
entre  les  parties.  C'est  de  cette  façon  originale  et  expéditive,  qui 
ne  supportait  ni  lenteurs,  ni  discussions,  que  fut  conclu  cet  enga- 
gement important. 

Que  vois-je  encore?  Je  vois  les  librettistes  se  démener,  mon  grand 
Barbier  plein  de  feu  et  d'enthousiasme,  avec  des  effluves  au  bout  des 
bras,  s'enlevant  comme  une  soupe  au  lait  et  s'apaisantdemême,  cœur 
chaud  et  vive  imagination;  Michel  Carré,  plus  calme,  très  ferme  et 
très  concentré,  avec  une   allure  de  militaire  pas  toujours  commode. 

Je  revois  mon  pauvre  cher  père  avec  sa  figure  si  fine,  son  art 
des  nuances,  son  intelligence  loyale,  souple  et  déliée,  —  un  esprit 
politique  égaré  dans  l'édition. 

Je  vois  tout  cela  et  j'en  suis  troublé.  Comme  c'est  loin  I 

Je  me  rappelle  encore  les  paresses  dernières  de  Thomas,  qui  ne 
se  décidait  pas  à  écrire  le  ballet  qu'on  lui  demandait  pour  le  com- 


LE  MENESTREL 


163 


meneement  du  quatiième  acte.  Eu  ce  temps-là,  pas  de  salut  à 
l'Opéra  sans  un  ballet  au  milieu  de  raelion.  Les  abonnés  ne  transi- 
geaient pas  sur  ce  point.  Un  beau  jour,  san  s  autre  forme  de  procès, 
Perrin  mit  sous  clef  le  compositeur  dans  une  chambre  du  théâtre  même, 
en  tête  à  tête  avec  une  plume  et  du  papier  à  musique,  avec  aussi 
nue  boîte  de  cigares  excellents  que  Thomas  ne  prisait  pas  moins  que 
le  chocolat  :  «  Et  voilà,  mon  bonhomme,  tu  sortiras  de  là  quand  ton 
ballet  sera  terminé.  »  On  lui  passait  les  repas  par  l'entrebâillement  de 
la  porte.  Le  traitement  était  énergique,  mais  il  réussit  à  miracle. 
Pour  recouvrer  sa  liberté,  Thomas  se  mit  à  «  faire  de  la  dentelle  » 
—  c'est  ainsi  qu'il  appelait  travailler  sur  des  airs  de  ballet  —  et  au 
bout  de  quelques  jours  il  en  avait  fini  avec  cette  besogne  de  choré- 
graphie. C'était  cette  lumineuse  «  Fête  du  printemps  »,  qui  eut 
par  la  suite  quelque  succès. 

Faut-il  parler  des  répétitions?  des  nouvelles  angoisses,  des  luttes 
sourdes,  des  petites  trahisons  qui  accompagnent  toujours  ces  sortes 
de  travaux  préliminaires?  Dans  les  coulisses,  on  prédisait  couram- 
ment à  l'œuvre  qu'elle  n'aurait  pas  dix  représentations! 

C'est  qu'à  l'époque,  il  faut  le  reconnaître,  Hamlet  était  une  œuvre 
courageuse  et  avancée,  faite  pour  dérouter  bien  des  esprits.  On  le 
vit  bien  à  la  première  représentation,  où  la  partition  fut  en  général 
peu  comprise.  La  presse  fut  embarrassée  dans  ses  jugements.  On  sentit 
bien  qu'on  était  en  présence  de  quelque  chose  de  peu  ordinaire.  Mais, 
faute  de  compréhension  parfaite,  on  n'osa  formuler  trop  fort  ni  l'éloge, 
ni  d'ailleurs  le  blâme. 

Ce  fut  l'admirable  interprétation  de  Faure  et  de  Nilsson  qui  sauva 
tout  au  début.  On  vint  pour  les  entendre,  et  en  même  temps  on  s'ac- 
coutuma à  cette  musique  qu'on  trouvait  d'abord  revêche  et  qui  n'était 
que  sévèrement  belle. 

A  présent  nous  n'avons  ni  Faure,  ni  Nilsson.  Mais  nous  avons  eu 
Renaud  et  Melba,  et  nous  n'avons  pas  à  nous  plaindre  vraiment.  Le 
premier  a  composé  un  Hamlet  très  intéressant,  celui  qui  se  rapproche 
le  plus  de  celui  qu'avait  conçu  Faure  à  l'origine  et  dont  on  semblait 
avoir  perdu  la  tradition.  J'entends  par  là  que  M.  Renaud  se  rapproche 
beaucoup  de  la  manière  de  chanter  qu'avait  Faure,  mais  il  a  donné 
au  personnage  une  autre  physionomie  et  d'autres  allures.  Au  résumé, 
composition  intelligente  qui  fait  le  plus  grand  honneur  au  jeune 
artiste.  Son  succès  a  été  très  vif  et  très  légitime. 

M""^  Melba  a  été  étinaelante.  Sa  voix  est  toujours  d'un  charme  mer- 
veilleux et  d'une  fraîcheur  incomparable,  et,  de  plus,  elle  met  plus 
d'action  dans  son  jeu  qu'auparavant.  On  l'a  fort  acclamée  après  la 
scène  de  la  folie  et  rappelée  plusieurs  fois  à  l'avant-scène. 

Très  belle  reine  que  M""'  Deschamps-Jehin,  applaudie  de  plusieurs 
salves  après  son  air  du  2'  acte  ;  très  agréable  Laërle  que  M.  Vaguet, 
et  roi  imposant  que  M.  Qresse. 

L'orchestre  devra  encore  s'assouplir,  s'il  veut  nous  rendre  les  belles 
exécutions  d'autrefois.  C'est  un  peu  sec  et  raide  de  mouvement,  sans 
assez  de  «  flou  »  et  de  laissez-aller,  quand  il  en  faut.  Il  y  a  même  une 
chose  tout  à  fait  mauvaise  dans  l'accompagnement  de  la  belle  mélopée 
d'Hamlet  :  Spectre  infernal,  à  la  scène  de  l'Esplanade,  c'est  d'accen- 
tuer aussi  rudement  le  troisième  temps  et  d'en  faire  presque  une 
triple  croche.  Il  n'y  a  rien  de  tel  dans  la  partition  et  l'efFet  du  mor- 
ceau s'en  trouve  compromis.  Il  n'y  faut  que  d'égales  doubles  croches. 

Nous  ne  sommes  pas  inquiets,  d'ailleurs,  et  nous  savons  bien 
qu'avec  un  chef  de  l'intelligence  de  M.  Paul  Vidal  bien  des  petites 
imperfections,  inhérentes  à  toute  répétition,  auront  disparu  le  soir 
■de  la  première  représentation. 

H.    MORENO. 

Théâtre  inteenational.  Le  Grand  Galeoto,  drame  en  3  actes  et  1  prologue,  de 
M.  José  Echegaray,  traduction  de  M°"  Ratazzi  de  Rute. 

Encore  le  Grand  Galeoto,  auquel  le  Théâtre  des  Poètes,  voilà  un 
mois,  nous  initia  déjà,  et  encore  un  théâtre  à  côté  de  plus.  Ni  de  l'un, 
ni  de  l'autre,  le  besoin  ne  se  faisait  impérieusement  sentir.  On  vous 
a  raconté  dans  les  quotidiens  les  réclamations  de  M""  de  Rute  à  pro- 
pos de  la  traduction  de  MM.  Lemaire  et  Schurmann;  passons.  Ce  qui 
nous  intéresse,  d'ailleurs,  est  de  savoir  laquelle  est  la  meilleure  des 
deux  traductions  ;  et,  malgré  mon  ignorance  absolue  du  texte  origi- 
nal, malgré  la  difficulté  ressentie  à  juger  sur  une  simple  et  assez 
défectueuse  audition,  mes  préférences  vont  à  la  version  première 
d'exécution  plus  condensée,  de  faire  plus  viril  et,  par  suite,  d'effet 
dramatique  plus  intense.  M""  de  Rute  doit  être  traductrice  beaucoup 
plus  fidèle  et,  s'il  y  a  plus  de  clarté  dans  sa  version,  jouée  sur  la 
scène  du  Nouveau-Théâtre,  que  dans  celle  de  MM.  Lemaire  et  Schur- 
mann, il  y  a  aussi  plus  de  longueurs  et  d'inexplicables  enfantillages. 


tel  celui  de  donner  à  deux  Espagnols,  qui  ne  parlent  que  de  choses 
espagnoles,  des  noms  essentiellement  français.  Julien  et  Ernest, 
Ernest  surtout,  font  bizarre  figure  à  côté  de  Théoiora,  de  Mercedes 
et  de  Pépito. 

N'empêche  que  le  drame  de  M.  Echegaray  demeure,  même  au  tra- 
vers d'adaptations  incomplètes,  une  œuvre  d'ordre.  Interprétation  très 
ordinaire  ;  seuls  M""  Archaimbaud  et  M.  Teste  arrivent,  par  moments, 
à  arrêter  l'attention  du  spectateur. 

Paul-Émilb  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU     SALON    DES     CHAMPS-ELYSÉES 


(Quatrième  article.) 
Au  Champ-de-Mars,  où  l'on  peut  faire  plafonner  les  plafonds,  pas 
de  plafonds  qui  plafonnent.  Aux  Champs-Elysées,  où  le  plafond  pla- 
fonnant enlèverait  la  lumière,  sur  presque  toutes  les  grandes  murailles 
des  plafonds  qui  auraient  besoin  de  plafonner  mais  qui  ne  plafonnent 
pas.  Explique  qui  voudra  ce  mystère,  ou  qui  pourra  justifie  cette 
coAtradiction.  Je  me  contente  de  déplorer  devant  les  Gammes  d'amour 
de  M.  Marioton  —  un  joli  titre  et  un  sujet  qui  se  développe  mal  dans 
la  position  du  tableau.  Ces  comparses  en  costumes  Watteau,  ces 
figurants  d'un  nouveau  départ  pour  Gylhère,  cette  illumination  a  g'iorao 
qu'accompagnent  les  modulations  d'un  orchestre  lointain,  autant 
d'éléments  pour  un  ciel  de  rêve,  autant  de  contresens  ou  d'énigmes 
sur  un  plan  vertical.  Le  plafond  de  M.  Paul  Gervais,  avec  ses  curieuses 
études  de  nu  qui  prennent  un  caractère  téralologique  sur  la  cimaise, 
gagnerait  aussi  à  s'envoler  dans  l'azur.  En  revanche,  l'harmonieuse 
composition  de  M""=  Abbema,  Parfums  : 

Sur  l'aile  des  parfums,  la  beauté  demi-nue, 
Païenne  assomption  s'élève  dans  la  nue. 
Fleur  immortelle  ayant  emprunté  ses  couleurs 
Au  calice  jaloux  de  nos  mortelles  fleurs... 

plafonne  très  suffisamment  dans  son  cadre  de  clématites,  de  roses  et 
de  jasmins.  On  peut  également  apprécier  l'ingénieux  groupement  du 
grand  plafond  de  M.  Maignan  :  la  ville  de  Saint-Étienne  présentant 
à  la  France  les  produits  de  sou  industrie.  Le  peintre  a  tiré  bon  parti 
des  effets  de  lumière  que  lui  offraient  les  hauts  fourneaux  avec  la 
richesse  de  leur  rouges  cramoisis  et  de  leurs  orangés  éclatants. 
Quant  aux  jeunes  personnes  en  costumes  sommaires  qui  ont  l'air  de 
se  livrer  d'un  nuage  à  l'autre  au  noble  jeu  des  serpentins  renouvelé 
du  mardi-gras,  ne  vous  y  trompez  pas,  leur  occupation  n'a  rien  de 
carnavalesque.  Elle  symbolisent  la  rubanerie  et  ce  sont  les  produits 
de  l'industrie  locale  qu'elles  déroulent  dans  le  rectangle  très  allongé 
de  la  composition. 

Un  artiste  américain,  M.  Dodge,  expose  aussi  un  plafond  fort 
classique:  l' Ambition,  destiné  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Washing- 
ton et  dont  la  grisaille  ne  causera  aucune  distraction  aux  lecteurs. 
Mais  cet  art  officiel  n'a  rien  qui  nous  intéresse  bien  spécialement. 
Revenons  à  notre  propos  avec  la  grande  frise  de  M.  Henri  Martin, 
décoration  allégorique  pour  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris.  Cette  fois,  il 
s'agit  des  beaux-arts.  La  page  — énorme!  elle  couvre  tout  un  mur  — 
symbolise  la  Musique,  la  Sculpture  et  l'Architecture  en  frise  dévelop- 
ée  au-dessus   de   trois   arcades  à   plein   cintre   formant  quatre 


ecomçons. 

On  sait  que  M.  Henri  Martin  est  devenu  pointilliste,  et  comme 
tous  les  néophytes  majeurs,  sinon  tardifs,  il  est  plus  fervent  des 
nouvelles  doctrines  que  les  croyants  originels.  Aussi  la  frise,  vue  de 
trop  près,  donne-t-elle  l'impression  gênante  d'un  fourmillement  de 
pains  à  cacheter  multicolores,  ce  qui  est  simple  point  dans  un 
tableau  de  chevalet  se  transformant  en  petite  lune  sur  un  panneau 
décoratif.  Mais,  en  prenant  un  peu  de  champ,  on  distingue  les  figures 
principales.  Un  vieillard  à  barbe  blanche  qui  écoute  en  extase  des 
voix  d'enfants,  des  figures  séraphiques,  une  porteuse  de  lyre,  voilà 
la  Musique.  Et  si  ce  n'est  pas  très  neuf,  c'est  au  moins  vivant  et 
harmonieux.  Le  sculpteur  en  costume  de  tailleur  de  pierre  du 
moyen  âge,  court  sarrau  et  grand  tablier  de, cuir,  médite  pendant 
que  de  petits  anges  —  des  populots  comme  on  les  appelait  au  temps 
de  Jean  Goujon  —  lui  présentent  des  statuettes.  Ce  statuaire  pourrait 
bien  être  le  portrait  de  Dampt,  un  des  plus  passionnés  ouvriers  du 
métal.  L'Architecture,  plus  vague,  est  représentée  par  une  petite  fille 
qui  déploie  un  plan.  Derrière  tous  ces  personnes,  d'une  vie  parfois 
étrange  mais  intense,  un  fond  de  tapisserie:  verts  sombres,  jaunes 
pâles,  et  des  lierres,  et  des  chardons,  et  des  ronces! 


164 


LE  MÉNESTREL 


M.  Bonis,  également  appelé  à  décorer  notre  parloir  aux  Bourgeois 
devenu  le  hall  aux  contre-danses  économiques,  — Jules  Jouy  aurait 
dit  l'étuve  aux  transpirations  gratuites,  —  exposait  l'année  dernière 
les  Exercices  physiques,  courses  de  vitesse,  balle-au-pied,  etc.  Il  a 
envoyé  cette  fois  les  Exercices  intellectuels.  Tous  exercices  de  plein 
air,  géologie,  herborisation,  etc.  Les  personnages  sont  en  toge,  mais 
les  attitudes  et  le  décor  bien  modernes.  A.u  demeurant,  bonne  déco- 
ration murale. 

Si  le  parc  Monceau  n'existait  pas,  il  faudrait  l'inventer  pour  nos 
metteurs  en  scène  de  vastes  compositions  symboliques.  M.  Gabriel 
Ferrier  a  pris  la  colonnade  en  ruines  (en  fausses  ruines,  dont  il  faut 
réparer  chaque  année,  aprss  les  grands  froids,  les  chapiteaux  en 
plâtre  moulé),  il  a  remplacé  le  lac  où  barbotent  des  cygnes  phtisi- 
ques par  un  gazon  plus  émaillé  de  fleurs  qu'un  sonnet  d'Armand 
Silvestre,  et  il  a  fait  s'ébattre  dans  cette  atmosphère  ensoleillée  les 
figurants  de  son  Paradis  d'amour  :  bacchantes  aux  tons  iouguereautés, 
Amours  aux  ailes  de  papillons,  tout  un  cortège  féerique  —  le  songe 
d'une  nuit  d'été  par  un  beau  jour  de  printemps.  En  toute  sincérité, 
et  malgré  l'estime  que  je  professe  pour  le  talent  de  M.  Gabriel  Fer- 
rier, un  des  rares  admirateurs  sincères  de  la  beauté  nue  et  de  la  lu- 
mière crue,  je  regrette  la  nuit  d'été,  avec  ses  transparences,  ses  om- 
bres, ses  sous-entendus.  Ge  grand  plein-air  baignant  tant  de  corps 
pâmés,  en  fait  un  bazar  de  chair  fraîche  plutôt  qu'un  paradis  de  ten- 
dresses, et  moins  un  tableau  qu'une  exhibition. 

Le  parc  Monceau  de  M.  Pelez  est  d'un  ton  plus  vert,  plus  cru  que 
celui  de  M.  Gabriel  Ferrier;  le  gazon,  l'horrible  gazon-épinard,  y 
tient  tant  de  place  qu'il  serait  imprudent  de  le  regarder  sans  lunettes 
bleues.  Mais  il  fallait  au  peintre  cette  mascarade  décorative  pour 
faire  ressortir  la  conception  symbolico-fuligineuse  qu'il  intitule 
l'Humanité.  A  droite,  des  nourrices  aux  corsages  opulents,  des 
bébés  aux  chapeaux  fleuris,  de  grosses  bourgeoises  vulgaires,  mais 
bien  sanglées  dans  leurs  robes  aux  couleurs  voyantes  (trait  d'obser- 
vation d'ailleurs  contestable)  ;  à  gauche,  un  lot  d'indigents  plus 
loqueteux,  plus  miteux,  plus  miséreux  que  nature,  ayant  tous  uni- 
formément un  ton  de  fièvre  paludéenne.  Les  maigres  adressent  aux 
gras  des  regards  d'envie,  et  près  d'un  Prudhomrae  ventru,  digérant 
sur  une  chaise,  un  grand  escogriffe  à  figure  patibulaire  semble  mé- 
diter le  coup  du  père  François.  Entre  les  deux  groupes,  au  milieu 
des  plantes  rares,  se  dresse  l'inattendue  végétation  d'une  croix  où 
gît  un  Cbrist  immense  et  vaporeux. 

On  assure  que  M.  Pelez  croit  avoir  trouvé,  sinon  l'inspiration,  du 
moins  la  justification  de  son  œuvre  dans  un  passage  des  Harmonies 
(sur  l'image  du  Christ  écrasant  le  mal)  : 

Tu  l'as  mal  écrasé.  Christ,  ce  reptile  immonde 
Que  toute  société  trouve  sur  son  chemin. 


Deux  mille  ans  sont  passés,  et  l'homme  attend  encore; 
Ah  !  remonte  à  ton  père,  ange  de  l'avenir. 
Et  dis-lui  que  le  soir  a  remplacé  l'aurore, 
Et  que  le  don  céleste  est  trop  lent  à  venir... 

Mais  je  doute  fort  que  Lamartine  fût  satisfait  de  l'assimilation.  Il 
n'y  avait  que  pitié  et  appel  à  la  charité  dans  les  Harmonies;  il  y  a 
une  pensée  de  colère  et  de  socialisme  militant  dans  l'opposition 
d'ailleurs  encore  plus  puérile  que  brutale  des  déguenillés  et  des 
heureux,  des  jeunes  femmes  élégamment  parées  et  des  hâves  pau- 
vresses, des  babys  en  cire  rose  et  des  mendigos  scrofuleux.  Un  souffle 
de  guerre  civile  traverse  cette  grande  imagerie  et  l'enluminure  n'est 
plus  inoffensive. 

Autre  symbolisme,  en  costumes  modernes  :  l'Angoisse  humaine  de 
M.  Georges  Rochegrosse.  Au  sommet  d'un  pic  très  accessible,  car  il 
ne  reste  pas  un  pouce  de  terrain  inoccupé,  une  foule  d'ascensionnis- 
tes poursuivant  l'éternelle  chimère.  On  se  piétine,  on  s'écrase  ;  les 
struggle-for-lifeurs  jouent  du  coude  et  même  du  couteau  ;  des  taches 
de  sang  éclaboussent  les  plastrons,  une  superbe  personne  en  robe 
d'un  vert  encore  plus  superbe  lève  au  ciel  de  beaux  bras  éplorés...  On 
se  croirait  au  dénouement  d'un  roman  jadis  célèbre  d'Arsène  Hous- 
saye  :  /.es  mains  pleines  d'or,  pleines  de  roses  et  pleines  de  sang.  Beaucoup 
de  littérature,  énormément  de  toile,  peu  de  peinture.  M.  Rochegrosse 
est  brillamment  doué  pour  les  restitutions  historiques.  Qu'il'laisse 
aux  portraitistes  officiels  le  fastidieux  trompe-rœil  des  linges  empesés 
et  des  habits  noirs. 

Le  maître-peintre  Fantin-Latour  nous  ramène  à  un  art  plus  clas- 
sique. Sa  Toilette  de  déesse  et  sa  Vénus  entourée  d'Amours  pourraient 
bien  être  les  deux  toiles  du  Salon  qui  accusent  le  plus  de  style  et  de 
science  classique.  Une  harmonie  délicate  pénètre  la  Toilette  et  tous 
ces  Ions  plutôt  sévères,  bleus  violets,  terre  de  Sienne,  vert  profond, 
sont  dans  leur  ensemble  une  joie  pour  le  regard.  C'est  Vénus  qui 


centre  l'autre  composition,  une  Vébus  étendue,  svelte  et  fine,  toute 
imbibée  de  lumière.  En  somme,  deux  tableaux  de  musée  où  passe 
avec  la  fanfare  romantique,  subtilement  atténuée,  un  vague  reflet  de 
Delacroix. 

Dans  une  note  toute  différente,  le  Tendre  Automne  de  M.  Sleck, 
une  des  compositions  les  plus  appréciées  du  Salon.  Pas  un  chef- 
d'œuvre,  mais  une  œavre  intéressante,  reposante,  suggestive,  comjue 
on  dit  dans  l'argot  courant;  le  crépuscule  tombe  sur  un  grand  parc 
dont  l'automne  a  di^jà  rouillé  les  verdures;  à  teire,  d'épaisses  gra- 
minées; le  ton  argenté  et  cendré  à  la  fois  des  avenues  de  Ville- 
d'Avray  chères  à  Corot.  Au  premier  plan,  un  jeune  homme  étendu  sur 
l'herbe  se  tourne  d'un  air  souriant  vers  une  jeune  femme  debout  et 
piquant  une  fleur  dans  ses  cheveux.  D'autres  figures  féminines  et 
une  fillette  chargée  d'une  gerbe  fleurie  complètent  ce  tableau,  discu- 
table si  l'on  s'attache  à  chaque  personnage  pris  isolément,  tout  à  fait 
réussi  et  d'un  charme  rare  si  l'on  recherche  le  fondu  des  détails, 
l'unité  de  l'exécution,  l'ambiance. 

Terminons  par  une  impression  plus  tragique,  un  énorme  tableau 
d'histoire:  tes  Bouches  inutiles  de  M.  Tattegrain.  Et  d'abord,  uu  petit 
précis.  En  1203-1204,  Philippe-Auguste,  travaillant  à  repreLdre  la 
Normandie  aux  Anglais,  assiégeait  Château- Gaillard,  forteresse 
élevée  près  des  Andelys  par  Richard  Cœur  de  Lion  (le  même  Châ- 
teau-Gaillard où  la  Marguerite  de  Bourgogne  de  la  Tour  de  Nesle:  — 
Messeigneurs,  à  vos  épées  !  —  devait  mourir  étranglée).  La  garnison 
des  Andelys  fit  sortir  de  la  ville  femmes,  enfants  et  vieillards:  Phi- 
lippe-Auguste refusa  de  laisser  passer  ces  bouches  inutiles  et.  les 
pauvres  gens  restèrent  pendant  quatre  mois,  dit  la  chronique,  au  fond 
d'un  fossé  bourbeux,  o  vivant  d'herbes,  do  racines  et  enfin  des  cada- 
vres de  leurs  compagnons  ».  M.  Tattegrain  a  groupé,  en  habile  dra- 
maturge, ces  spectres  déguenillés  s'arrachant  des  lambeaux  de  chair 
humaine.  Mais  comme  l'auteur  du  célèbre  Champ  de  bataille  des  Dunes 
est  surtout  un  paysagiste,  ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable  dans  tes 
Bouches  inutiles,  c'est  le  panorama  de  Château-Gaillard.  Ohl  le  beau 
décor  pour  mélodrame  historique  à  spectacle,  et  quel  cadre  poétique 
pour  le  réalisme  de  ces  scènes  trop  vécues! 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONNIERS  POLITIQUES 
Sous  ce  même  régime,  qui  ne  fut  guère  tendre  pour  l'esprit  libéral, 
sans  doute  parce  qu'il  avait  à  se  défendre  des  entreprises  révolution- 
naires autant  que  des  restaurations  bonapartistes,  le  colonel  Duvergier 
et  le  capitaine  Laverderie  avaient  été  écroués  à  Sainte -Pélagie  comme 
prévenus  de  complot  contre  la  sûreté  de  l'Etat. 

Les  détenus  politiques  avaient,  ainsi  que  les  prisonniers  pour 
dettes,  leur  pavillon  séparé;  mais  ils  prenaient  leur  récréation  quo- 
tidienne dans  la  même  cour,  seulement  à  des  heures  différentes, 
l'administration  voulant  éviter  toute  espèce  de  communication  entre 
ces  deux  catégories  de  promeneurs. 

Or,  à  cette  époque,  un  jeune  poète,  qui  devint  plus  tard  un  impro- 
visateur célèbre,  Eugène  de  Pradel,  était  retenu  sous  les  verrous  par 
un  créancier  impitoyable.  Malgré  la  surveillance  ombrageuse  des 
porte-clefs,  il  entra  en  correspondance  avec  Duvergier  et  lui  fit  savoir 
que  des  amis  projetaient  son  évasion.  Le  colonel  répondit,  toujours  à 
l'insu  des  geôliers,  qu'il  ne  quitterait  la  piison  que  s'il  avait  pour 
compagnon  de  fuite  le  capitaine  Laverderie. 

Eugène  de  Pradel  imagina  aussitôt  ce  quatrain,  qu'il  transcrivit 
sur  du  papier  à  musique,  sous  des  notes  jetées  au  hasard  : 
Pour  chercher  des  rives  nouvelles. 
Oiseaux,  le  ciel  aide  à  vos  vœux; 
Afin  que  vous  voyagiez  deux, 
A  tous  deux  il  vous  fit  des  ailes. 

Puis  il  pria  négligemment  un  gardien  de  porter  au  colonel  cette 
poétique  improvisation.  Le  cerbère  n'y  vit  aucun  inconvénient  et 
remit  au  destinataire  le  couplet  dont  les  prisonniers  seuls  pouvaient 
saisir  l'allusion.  Il  daigna  même  le  trouver  de  son  goût  puisqu'il  en 
fredonna  le  dernier  vers  sur  le  premier  air  venu  : 
A  tous  deux  il  vous  fit  des  ailes. 

Et,  de  fait,  quarante-huit  heures  après,  les  captifs  avaient  pris  leur 
vol,  grâce  à  un  laissez-passer  que  Pradel  leur  remit  en  mains  propres, 
lorsqu'ils  purent,  à  l'issue  d'une  promenade,  se  cacher  et  se  joindre 
aux  prisonniers  pour  dettes. 


LE  MÉNESTREL 


165 


Ceux-ci  niouaioal  une  vie  presque  agréable  à  Sainte-Pélagie.  De 
leur  côté,  les  détenus  politiques  qui  venaient  y  subir  leur  peine  s'y 
consolaient  gaiement  des  sévérités  de  leurs  juges.  Béranger  expia 
dans  des  dîners  plantureux,  le  verre  en  main  et  la  chanson  sur  les 
lèvres,  ses  prétemlus  torts  envers  le  gouvernement,  la  religion  et  les 
mœars.  Les  murs  de  sa  prison  ne  purent  arrêter  l'essor  de  ses  refrains: 
Ma  guérison  à  Sainte-Pélagie  en  est  la  meilleure  preuve.  Combien 
d'émulés  ou  de  disciples  avaient  précédé  ou  suivirent  dans  cette  voie 
peu  douloureuse  le  maître  de  la  chanson  !  En  182S,  un  recueil  de 
pièces  politiques,  grivoises  et  bachique.»,  la  Marotte  de  Sainte-Pélagie 
ou  Momus  en  prison,  réunissait  les  œuvres  que  les  hôtes  du  fameux 
Corridor  rouge,  poètes  du  Caveau  ou  rimeurs  de  la  Goguette,  avaient 
composées  dans  l'intimité  de  leurs  réunions  ou  dans  le  calme  de  la 
solitude.  De  Villars,  Eugène  de  Pradel,  Magalon,  Emile  Debraux, 
etc.,  etc.,  appartenaient  à  la  pléiade  de  ces  joyeux  viveurs.  Cueillons, 
au  hasard  de  la  plume,  sur  leur  album. 

M.  de  1.***  chantait  sur  l'air  des  Scythes  et  des  Amazones  : 

Le  bouchon  part  et  la  mousse  légère 

De  la  folie  a  donné  le  signal. 

Que  la  liqueur  brille  dans  chaque  verre! 

Buvons  l'oubli  du  séjour  quinquennal  (bis). 

La  Liberté  retarde  sa  visite; 

Près  des  flacons,  amis,  consolons-nous; 

Dans  leurs  anneaux,  pour  qu'ils  glissent  plus  vite. 

Soir  et  matin,  arrosons  les  verrous.  j 


(bis). 


Dès  amis  du  dehors  venaient  souvent  partager  ces  fêtes  de  famille. 
Le  célèbre  guitariste  Sor,  invité  à  l'une  d'elles,  avait  promis  d'y  ]iar- 
ticiper  :  un  événement  imprévu  l'empêcha  de  tenir  parole.  Par 
manière  de  plaisanterie,  un  détenu,  Charles  Grillé,  offrit  la  place  de 
l'absent  à  son  geôlier  ;  d'oîi  le  couplet  : 

Je  viens  d'inviter  sans  façon. 
Pour  que  la  farce  soit  complète, 
Notre  gardien  à  cette  fête, 
Mais  voici  ce  qu'il  nous  répond: 
—  Prendre  part  à  votre  délire, 
Messieurs,  n'est  pas  en  mon  pouvoir; 
Ma  place  me  défend  de  rire; 
Je  ne  connais  que  mon  devoir. 

Toutefois,  des  heures  cruelles  sonnaient  parfois  pour  ces  joyeux 
compagnons.  Le  sortdes  condamnés  politiques  n'élait  que  trop  soumis 
alors  aux  caprices  de  l'arbitraire.  Il  suffisait  de  l'irritabilité  d'un 
magistrat  ou  de  la  rancune  d'un  policier  pour  qu'un  journaliste 
indépendant  fût  transféré  de  Sainte-Pélagie  à  la  maison  centrale  de 
Poissy.  Le  maityrologe  de  la  presse  a  consigné  l'histoire  de  l'infor- 
luné  Magalon,  qui  traversa  tout  Paris  les  fers  aux  mains  et  aux 
pieds,  enchaîné  à  un  forçat  que  dévoraient  la  vermine  et  la  gale.  Ce  fut 
un  ïo//e  général  dans  tous  les  journaux  du  temps;  et  Chateaubriand 
lui-même,  chez  qui  le  mot  roi/ilisine  était  synonyme  de  loyalisme, 
exprima  hautement  son  indignation.  D'autres  journalistes,  qui  furent 
également  envoyés  à  Poissy,  supportèrent  plus  patiemment  cet  affront. 
L'un  d'eux,  Villars,  trouva  dans  sa  constance  assez  de  bonne  humeur 
poua  chanter  un  séjour  qui  fut  d'ailleurs  de  courte  durée.  Le  diman- 
che, paraît-il,  les  pensionnaires  de  la  maison  centrale  jouaient  entre 
eux  la  comédie;  et  "Villars  décrit,  dans  ce  couplel,  la  diversité  de  leurs 
divertisfements  : 

Le  lendemain  du  samedi 
La  messe  est  d'ordonnance. 
Ensuite,  ce  n'est  qu'un  seul  cri  : 
La  savate  ou  la  danse! 
Nous  allons  voir  le  pugilat, 
La  faridondaine,  et  puis  l'Opéra. 
Nous  nous  amusons.  Dieu  merci, 
Biribi, 
A  la  façon  de  Barbari, 
Mon  ami. 

Autrement  dramatique  fut  la  captivité  d'Andryane,  de  Monpiani, 
de  Rinaldini,  de  Silvio  Pellico,  de  Maroncelli,  en  un  mot,  de  tous 
ces  grands  patriotes  italiens  que  l'Autriche  enchaîna  si  longtemps  au 
Spielbsrg.  Leur  seul  crime  était  d'avoir  prononcé  trop  lot  la  fameuse 
T^ihrase  :  l' Ilalia  f'ara  da  se  ;  et  ils  succombèrent  dans  une  tâche  qui, 
reprise  à  quarante  ans  d'inlervalle,  devait  valoir  à  leurs  successeurs 
tant  d'honneur  et  d'honneurs,  et  à  la  France  de  si  cruelles  décep- 
tions. 

Andvyane  et  Silvio  Pellico  payèrent  leur  généreuse  initiative  d'une 
condamnation  capitale.  L'empereur  d'Autriche  commua  la  peine  des 
patriotes  italiens  en  une  détention  perpétuelle  qui  leur  fut  peut  être 
plus  pénible  que  n'eût  été  la  morl.  Leurs  lettres  et  leurs  mémoires  ne 


laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Néanmoins,  dans  le  cours  de  leurs 
épreuves  et  au  milieu  de  leurs  souffrances,  ils  gardèrent  une  foi  in- 
vinoib'.e  en  l'avenir.  Ils  étaieut  soutenus  par  l'espoir  des  revanches 
prochaines,  la  sainie  justice  de  leur  cause  et  l'amour  de  la  pairie, 
captive  comme  eux.  Et  pais,  avec  l'ardeur  do  leur  imagination  ila- 
lienue  et  l'exallaliou  de  cette  sensibilité  quelque  peu  maladive  qui 
est  le  caractère  de  leur  race,  ils  vivaient  des  jours,  des  semaines,  des 
mois,  des  années,  sous  l'impression  heureuse,  indéfiniment  prolon- 
gée, d'effluves  musicaux  qui  parvenaient  jusqu'au  fond  de  leurs 
cachots  et  chantaient  à  leurs  cœurs  les  souvenirs  du  passé  ou  les 
promesses  de  l'avenir. 

Ce  n'est  pas  sans  une  émotion  profonde  que  nous  avons  relu  les 
pages  cil  s'affirme  cette  vibrante  dualité,  —  surexcitée  encore  par  le 
sentiment  musical  —  du  patriote  qui  lutte  pour  l'indépendance  de 
son  pays  et  de  l'homme  qui  combat  pour  le  salut  de  l'humanité.  Car, 
si,  comme  l'a  dit  un  de  nos  plus  illustres  écrivains,  les  grandes 
pensées  viennent  du  cœur,  l'harmonie,  avec  ses  rythmes  enflammés, 
les  élève  encore  et  les  entraîne  jusqaes  dans  les  sphères  les  plus 
hautes  du  monde  idéal.  Les  Mémoires  d'Andryane  et  les  Prisons  de 
Silvio  Pellico  développent  cette  noble  et  consolante  pensée  avec  une 
éloquence  à  laquelle  noire  faible  voix  ne  saurait  prétendre. 

Andryane  fut  enfermé  au  Spielberg  avant  Silvio  Pellico.  Son  ami 
et  compatriote  Monpiani  était  dans  le  cachot  voisin.  Tous  deux  s'en- 
tretenaient à  travers  le  mur.  Quand  ils  étaient  faligués  ou  qu'ils 
appréhendaient  d'être  surpris: 

...  Nous  nous  donnions  le  dernier  adieu  du  cœur,  dit  Andryane,  en 
■sifflant  tour  à  tour  quelques  airs  bien  tendres  et  bien  mélancoliques. 
Chaque  jour,  au  coucher  du  soleil,  l'un  de  nous  disait  la  première  phrase 
de  la  romance  de  Desdemoiie  et  l'autre  répondait...  nous  servant  ainsi  de  ce 
chant  si  suave  et  si  touchant  pour  exprimer  les  mutuelles  tristesses  et  les 
sympathiques  affections  de  nos  âmes...  Que  de  fois,  depuis,  dans  les  longs 
jours  de  ma  prison  solitaire,  ne  ma  suis-je  pas  rappelé,  avec  attendrisse- 
ment, les  doux  accents  de  ce  bon  Monpiani  ;  et  que  de  fois  aussi,  en  son- 
geant au  soulagement  que  j'en  avais  éprouvé,  n'ai-je  pas  compris  et  récité 
le  psaume  des  filles  de  Sion  qui,  sur  le  fleuve  de  Babylone,  pleuraient  les 
peines  de  l'exil  et  se  consolaient  en  répétant  ensemble  les  chants  de  leur 
patrie  ! . ..  Super  flumina . 

(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


LE    MONUMENT    DE    M-"'-    CARVALHO 


QU.\TRlfclVIE  ET  DERNIÈRE  LISTE 

M.  le  docteur  H.  Fabre  :  10  fr.;  M.  Paul  Moride  :  10  fr.;  Sept  enfants 
qui  aimaient  bien  la  grande  Marguerite:  100  Ir.;  M""=  Monchicoart  : 
30  fr.;  M.  Victor  Silvestre  :  20  fr.;  M"=  Glt-yre  :  S  fr.;  M"^  Pape-Car- 
pantier  :  5  fr.;  M.  et  M'""^  Paul  Savouré  :  20  fr.;  Le  service  médical  de 
l'Opéra-Comique  :  40a  fr.;  M.  Poussié,  à  Melun  :  30  fr.;  M.  Casimir 
Jumelle:  10  fr.;  M""  la  baronne  de  Saint-Didier:  SO  fr.;  M.  le  docteur 
Lancereaux  :  20  fr.;  M.  le  docteur  Serrand  :  10  fr.;  M"""  Bosine 
Laborde  :  20  fr.;  M.  et  M""=  Verdier:  2o  fr.;  M.  et  M""  Léonce  Détroyat; 
20  fr  ;  M.  Maurice  Détroyat  :  10  fr.;  M""=  Pauline  Viardot  :  40  fr.; 
M'"-  Gabrielle  Lejeune  :  20  fr.;  M"«  Marcella  Pregi  :  20  fr.;  M.  A.  Fé- 
ret:  40  fr.;  M.  et  M'"«  Myrtil  Hecht  :  100  fr.;  M.  Ernest  Hecht  : 
80  fr.;  M°"=  Ugalde:  50  fr.;  M"'=  la  baronne  de  Fontmagne  :  20  fr.; 
M.  Antonin  Proust:  20  fr.;  M"'=  Exposito  Demussy  :  20  fr.;  M.  Dié- 
mer:  20  fr.;  M.  le  docteur  G.  Félizet  :  20  fr.;  M.  Théodore  Dubois, 
directeur  du  Conservatoire  :  20  fr.;  M"=  Fanny  Lépiue  :  20  fr.;  M""=  la 
comtesse  Stoffels  d'Hautpoul  :  20  fr.;  M.  Alfred  Regnoul  :  10  fr.; 
MM.  F.  Lagrange  et  fils  :  20  fr.;  M.  Ernest  Lataste  :  30  fr.;  M'"-'  E. 
Roussel:  300  fr.;  M.  Gaston  Jollivet  :  20  fr.;  Une  admiratrice  de 
M""»  Carvalho  :  40  fr.;  M.  Léon  Philippe  :  20  fr.;  M.  C.  Manheim  :  30  fr.; 
M.  André  Fijan  :  23  fr.;  M.  Gaston  Berardi  :  30  fr.;  M™  veuve  Pierre 
Jourdan  :  10  fr.;  M.  le  docteur  Ducor:  10  fr.  ;  M.  Francès  Saville  : 
SO  fr. 

Total  général  à  ce  jour  :  22.908  fr.  20  c. 

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NOUVELLES    DIVERSES 

ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (21  mai).  —  La  floraison  de  rubans 
qui  a  rougi  la  boutonnière  de  M.  Van  Dyck  a  fleuri  également  celle  de 
plusieurs  de  nos  musiciens,  non  encore  décorés.  Et  cette  printanière  ava- 
lanche a  mis  en  émoi,  cesjours  derniers, le  monde  des  dilettantes  bruxellois, 
car  elle  a  donné  lieu  à  des  manifestations  publiques.  Le  soir  même  de  la 
répétition  générale  du  Concert  populaire,  dont  je  vous  ai  parlé,  la  reine. 


466 


LE  MENESTREL 


qui  assistait  à  cette  répétition,  remit  elle-même  à  M.  Van  Dyck,  pendant 
un  entr'acte,  les  insignes  de  chevalier  de  l'ordre  de  Léopold;  samedi,  au 
Concert,  quand  M.  Van  Dyck  est  apparu  sur  l'estrade,  le  public  a  mani- 
festé par  de  chaleureuses  acclamations  la  satisfaction  que  lui  causait 
l'honneur  dont  l'excellent  ténor  Tenait  d'être  l'objet.  Quelques  instants 
après,  d'autres  acclamations  saluaient  M.  Paul  Gilson,  l'auteur  de  la  Mer, 
que  le  roi  a  nommé  aussi  chevalier  de  son  ordre;  on  lui  remettait  séance 
tenante  la  croix,  accompagnée  d'une  palme,  d'un  discours  et  d'une  Braban- 
çonne bien  sentie  (oh  !  cette  Brabançonne,  après  la  symphonie  de  la  Merl). 
Enfin,  le  public,  en  veine  de  manifestations,  faisait  à  M.  Joseph  Dupont, 

—  décoré  depuis  longtemps,  lui,  —  une  ovation  enthousiaste.  Le  Moniteur 
officiel,  en  nous  apportant  la  confirmation  des  nominations  de  MM.  Van 
Dyck  et  Gilson,  nous  a  apporté,  le  lendemain,  la  nouvelle  d'autres  nomi- 
nations et  promotions  de  musiciens  dans  l'ordre  de  Léopold  :  M.  Emile 
Mathieu,  directeur  de  l'École  de  musique  de  Louvain  et  auteur  de  Richilde, 
de  l'Enfance  de  Roland,  de  la  Bernoise,  etc.,  applaudis  à  la  Monnaie,  est  promu 
au  grade  d'officier,  ainsi  que  M.  Fisher,  maître  de  chapelle  de  l'église 
collégiale  de  Sainte-Gudule,  et  que  M.  Van  der  Eeden,  directeur  de  l'École 
de  musique  de  Mons  et  auteur  de  diverses  œuvres...  en  portefeuille.  Sont 
nommés  chevaliers  :  M.  d'Aoust,  le  vaillant  administrateur  des  Concerts 
populaires;  MM.  Mercier  et  Anthoni,  professeurs  au  Conservatoire  de 
Bruxelles;  M.  Watelle,  professeur  de  chant  d'ensemble  dans  les  écoles 
communales;  M.  Bouhy,  professeur  à  Verviers;  M.  Dupuis,  directeur  de 
la  fameuse  société  chorale  la  Légia,  de  Liège,  et,  pour  ne  pas  faire  de  ja- 
loux, M.  Delsemme,  directeur  de  la  non  moins  fameuse  société  rivale,  les 
Disciples  de  Grétry  ;  et  enfin  M.  Franz  Servais,  l'auteur  bien  connu  de 
VApollonide,  dont  on  attend  avec  tant  d'impatience,  depuis  tant  d'années,  la 
révélation.  Comme  vous  voyez,  le  roi  des  Belges  et  son  gouvernement  ont 
été  généreux;  ils  savent  honorer  le  talent,  mémo  quand  il  est  encore  très 
jeune,  ou  quand  les  circonstances  empêchent  qu'on  l'admire  autrement 
que  de  confiance.  Ce  n'est  pas  tout,  cependant,  et  ceci  est  plus  intéressant 
encore  :  on  parle  beaucoup  d'une  très  prochaine  promotion  de  M.  Gevaert 
dans  l'ordre  de  Léopold  à  l'occasion  de  son  jubilé,  célébré  dernièrement  au 
Conservatoire.  M.  Gevaert  est  actuellement  commandeur  de  l'ordre;  il 
serait  fait,  dit-on,  d'emblée,  grand  officier  ou  grand  cordon,  par  une  fa- 
veur tout  à  fait  extraordinaire  et  bien  méritée.  La  chose  serait  sans 
exemple  en  Belgique;  elle  ne  va  pas,  cela  va  sans  dire,  sans  quelque  dif- 
ficulté, mais  on  pense  bien  qu'elle  sera  réalisée  sous  peu;  on  s'étonne 
même  que  le  Moniteur  n'ait  pas  encore  parlé. —  Le  deuxième  concert  popu- 
laire, hors  de  l'abonnement,  aura  lieu  samedi  sous  la  direction  de  M.  Hans 
Richter;  le  succès  en  est  naturellement  assuré.  Le  programme  n'est  pour- 
tant pas  d'un  extrême  intérêt  :  la  SymiAonie  pathétique  de  Tchaïkowsky, 
l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  et  1'  «  Enchantement  du  Vendredi  saint  » 
de  Parsifal;  mais  l'exécution  ne  peut  manquer  d'être  des  plus  attrayantes. 

—  Les  théâtres  se  ferment;  à  l'Alcazar,  M""  Simon-Girard  joue,  avec 
M.  Huguenet,  l'Enlèvement  de  la  Toledad  et  la  Feintne  de  Narcisse,  et  les  con- 
certs du  Vaux-Hall  attendent  patiemment  un  ciel  plus  clément.      L.  S. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  prépare  un  opéra  inédit  du  compositeur 
anglais  Henry  Waller,  intitulé  :  Fra  franccsco.  L'empereur  Guillaume  II 
doit,  dit-on,  faire  jouer  cette  œuvre  d'abord  pour  lui  tout  seul,  absolu- 
ment comme  feu  le  roi  Louis  II  de  Bavière  ;  elle  ne  sera  offerte  qu'ensuite 
au  public. 

—  Voici  qu'on  assure  que  M.  Van  Dyck  serait  en  froid  avec  M""  Cosima 
Wagner,  et  qu'à  moins  d'un  rapprochement  qu'on  ne  prévoit  pas,  il  serait 
à  craindre  qu'on  n'entendit  plus  le  célèbre  ténor  sur  le  théâtre  de  Bayreuth. 
En  attendant,  M.  Van  Dyck  commencera  l'an  prochain  sa  neuvième  saison 
à  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  Notons  à  ce  sujet  qu'à  l'expiration  de  sa 
dixième  année  de  service  sur  ce  théâtre,  et  qu'il  y  soit  ou  non  rengagé, 
l'artiste  recevra,  d'après  les  statuts  qui  le  régissent,  une  pension  viagère 
de  6.000  florins,  soit  15.006  francs,  payée  sur  la  cassette  particulière  de 
l'empereur. 

—  M.  Anton  Dvorak,  le  fameux  compositeur  tchèqiie,-  n'y  va  pas  de 
main  morte.  On  annonce  qu'il  vient  de  terminer  non  seulement  deux 
quatuors  pour  instruments  à  cordes  (l'un  en  la  bémol,  l'autre  en  sol),  mais 
encore  trois  grands  poèmes  symphoniques  dont  voici  les  titres  :  la  Sorcière 
de  midi,  l'Homme  des  Eaux  et  le  Rouet  d'or. 

—  M.  Vogl,  le  célèbre  ténor  de  Munich,  qui  compte  parmi  les  plus 
anciens  et  les  plus  solides  piliers  de  l'art  de  Richard  Wagner,  vient  de 
subir  un  échec  formidable....  en  qualité  d'agriculteur.  Le  chanteur  exploite 
dans  les  environs  de  Munich,  près  du  lac  de  Starnberg,  une  grande  pro- 
priété où  il  s'adonne  avec  passion  à  toutes  les  espèces  de  culture,  même 
à  la  pisciculture.  Or,  la  digue  principale  d'un  grand  étang  que  M.  Vogl 
avait  fait  creuser  pour  y  élever  des  poissons  s'est  rompue  dernièrement  à 
la  suite  de  grandes  pluies  ;  les  eaux  ont  pris  le  chemin  du  lac,  où  elles 
ont  conduit  les  poissons  de  M.  Vogl  et  ont  occasionné  des  dégâts  énormes, 
qu'on  évalue  à  plus  de  cent  mille  francs,  et  que  l'infortuné  chanteur  devra 
rembourser.  L'exploitation  de  son  larynx  ne  lui  avait  jamais  causé  de 
déboires,  et  il  aurait  certainement  mieux  fait  de  s'en  tenir  là. 

—  Un  nouvel  opéra  en  un  acte,  intitulé  Stella,  musique  de  M.  Franz 
Kohout,  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  allemand  de  Prague,  vient  d'être  joué 
avec  succès  à  ce  théâtre. 

—  A  l'Opéra  royal  de  Wiesbaden  le  manteau  de  Wotau  a  pris  feu  der- 


nièrement pendant  une  représentation  de  la  Valhjric.  Le  public  se  mit  à 
crier,  mais  un  pompier  hardi  s'élança  sur  Wotan,  lui  arracha  le  manteau 
brûlant  aux  applaudissements  frénétiques  de  la  salle,  et  l'artiste  continua 
tranquillement  à  chanter  sans  son  manteau. 

—  M"'  Ada  Adiny  vient  de  faire,  nous  l'avons  dit,  une  apparition  à 
l'Opéra  impérial  de  Vienne  et  au  théâtre  national  allemand  de  Prague. 
Ici  et  là,  la  remarquable  artiste  a  chanté  trois  de  ses  plus  beaux  rôles,  Jïrfa, 
les  Huguenots  et  la  Valkyric,  et  elle  a  accompli  ce  vrai  tour  de  force  de  les 
chanter  en  allemand.  Sa  large  diction,  son  art  tragique  lui  ont  valu  des 
ovations  et  qui  mieux  est,  des  articles  absolument  dithyrambiques  de  l'il- 
lustre critique  viennois  Edouard  Hanslick.         ^ 

—  Le  compositeur  allemand  Auguste  Bungert  a  terminé  une  tétralogie 
lyrique  intitulée  :  Ulysse,  dont  le  sujet  suit  l'Odyssée.  La  première  soirée 
forme  un  opéra  intitulé  Pénélope,  qui  sera  joué  au  mois  d'octobre  pro- 
chain à  l'Opéra  royal  de  Dresde.  Le  célèbre  baryton  Scheidemantel 
s'est  chargé  du  rôle  d'Ulysse. 

—  M.  Humperdinck  a  terminé  la  partition  d'une  musique  descène  pour 
un  drame  de  M.  E.  Rosmer,  qui  a  pour  titre  les  Enfants  royaux. 

—  Nous  avons  annoncé  dernièrement  que  la  ville  de  Hambourg  avait 
accordé  une  subvention  considérable  à  la  Société  des  amis  de  la  musique 
de  cette  ville,  pour  donner  des  concerts  de  musique  classique  avec  un 
grand  orchestre  spécial  et  à  prix  fortement  réduits.  Dans  le  même  but, 
une  société  des  amis  de  la  musique  s'est  fondée  à  Lubeck,  et  elle  deman- 
dait une  subvention  à  cette  ville  hanséatique,  qui  est  fort  riche.  La  com- 
mission du  conseil  municipal  proposait  d'accorder  13.000  marks  par  an, 
mais  les  citoyens  qui  tiennent  les  cordons  de  la  bourse  ont  purement  et 
simplement  rejeté  cette  proposition.  On  voit  que,  même  en  Allemagne, 
tout  le  monde  n'aime  pas  la  musique. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Magdebourg  vient  de  jouer,  sans  beaucoup 
de  succès,  un  nouvel  opéra  intitulé  Jamora,  musique  de  M.  Stierlin. 

—  Le  théâtre  grand-ducal  de  Carlsruhe  va  fermer  ses  portes.  Grâce  à  la 
somme  de  625.000  francs  accordée  par  la  Chambre  badoise,  ce  vieux 
théâtre  sera  complètement  reconstruit  et  pourvu  de  toutes  les  améliora- 
tions modernes. 

—  Un  grand  festival  Haendel  devait  avoir  lieu  dans  le  courant  de  ce  mois 
à  Leipzig,  sous  la  direction  de  M.  Kretschmer,  directeur  du  Riedel'scher 
Yerein.  Par  suite  d'une  maladie  de  ce  dernier,  ce  festival  a  dû  être  remis 
à  l'automne  prochain. 

—  La  musique  et  le  théâtre  auront  leur  part  dans  les  fêtes  somptueuses 
du  couronnement  du  czar,  qui  ont  déjà  commencé  à  Moscou.  Tout  d'abord 
on  prépare,  au  Théâtre  impérial,  la  représentation  d'un  grand  ballet  nouveau 
intitulé  Da'ita,  dont  le  sujet  est  tiré  d'une  fable  japonaise  et  dont  la  riche 
mise  en  scène  ne  coûtera  pas  moins  de  300.000  francs.  On  parle  aussi  d'une 
représentation  extraordinaire  du  célèbre  opéra  de  Glinka,  la  Vie  pour  le  Czar, 
représentation  à  laquelle  prendront  part  2.000  exécutants  (?)  et  qui  sera 
donnée  dans  un  théâtre  à  ciel  ouvert  pouvant  contenir  200.000  spectateurs. 
Enfin  on  annonce  aussi  un  concert  monstre  qui  réunira  un  chœur  de  5.000 
chanteurs  mâles  ;  ce  chœur,  formé  d'un  grand  nombre  de  sociétés  chorales, 
fondues  en  une  seule  masse,  sera  placé  sous  la  direction  supérieure  de 
M.  W.-J.  Scafonow. 

—  M.  V.-J.  Hlawatsch,  l'excellent  chef  d'orchestre  bien  connu  à  Saint- 
Pétersbourg,  vient  d'être  appelé  à  Nijni-Novgorod  pour  organiser  et  diriger 
dans  cette  grande  ville  industrielle  et  commerciale  une  série  de  cent  con- 
certs symphoniques  populaires. 

—  Au  théâtre  Salvini,  de  Florence,  apparition  d'une  opérette  nouvelle, 
un  Curioso  Accidente,  du  maestro  Giulio  Cheleschi.  —  Au  théâtre  social  de 
Carrare,  représentation  d'un  vaudeville  en  deux  actes,  la  Forza  del  potere, 
ossia  un  Matrimonio  per  sorpresa,  avec  musique  nouvelle  de  M.  Filippo  Fi- 
lippi,  compositeur  aveugle.  —  Au  théâtre  royal  de  Parme,  les  étudiants 
ont  joué  eux-mêmes  une  «  plaisanterie  comico-musicale  de  mauvais 
genre,  »  Gilda  e  Ftorindo,  paroles  de  deux  d'entre  eux,  MM.  Vacarani  et 
Campolonghi,  musique  de  M.  Edgardo  Cassani. 

—  Correspondance  de  Barcelone  (18  mai  1896)  : 

La  grande  artiste  dramatique  espagnole  Teodora  Lamadrid,  qui  vient  de 
mourir  à  Madrid,  était  professeur  de  déclamation  au  Conservatoire  royal. 
Un  arrêté  ministériel  vient  de  nommer  la  distinguée  actrice  W"  Lombia, 
pour  la  remplacer. 

Notre  Teatro  principal,  où  donne  actuellement  des  représentations  de 
comédie  la  troupe  de  M.  Ceferino  Palencia,  à  la  tête  de  laquelle  se  trouve 
la  charmante  madame  Tubau,  vient  de  jouer  une  œuvre  nouvelle  intitulée 
Currita  Alljornoz  et  tirée  du  roman  célèbre  du  Révérend  Père  Coloma,  un 
romancier  de  la  Compagnie  de  Jésus  —  excusez  du  peu  !  —  La  pièce, 
assez  bien  charpentée,  a  eu  un  plein  succès.  M'"°  Tubau  et  ses  camarades 
s'y  sont  fort  distingués. 

Aux  concerts  matinaux  de  la  société  Euterpe,  qui  sont  dirigés  par  le  fils 
du  maestro  Goula,  ont  vient  d'exécuter  pour  la  première  fois  une  suite 
d'orchestre,  les  Scènes  andalouses  (Escenas  andaluzas),  de  M.  Tomàs  Breton, 
le  compositeur  applaudi  des  opéras  gliAmanli  di  Teruel  et  Garin,  récemment 
nommé   membre  de    l'Académie  royale    de  San  Fernando.   Cette  œuvre 


LE  MENESTREL 


467 


musicale,  qui  comporte  quatre  numéros  :  Boléro,  Pologitano,  Marcha  y  Saeta 
et  Zapateado,  a  eu  un  succès  d'enthousiasme.  Elle  est  écrite  avec  beaucoup 
de  verve  et  supérieurement  orchestrée.  Toutes  les  parties  en  ont  été  bissées. 
Enfin,  M.  Antonio  Nicolau  nous  a  donné  une  nouvelle  série  de  grands 
concerts  au  Teatro  Lirko,  lesquels,  par  suite  de  la  défection  du  ténor  Van 
Dyck,,  ont  dû  être  réduits  à  deux,  au  lieu  des  quatre  annoncés.  Le  «  clou  » 
de  ces  deux  auditions  était  o  la  grande  scène  de  la  consécration  du 
Graal  »  de  Parsifal,  ayant  pour  interprète  choral  notre  «  Orfeo  Catalâ  » 
(orphéon  catalan)  qui,  habitué  à  la  presque  exclusive  interprétation  des 
chœurs  de  Clavô  (le  Wilhem  du  cru),  faisait  son  début  dans  un  genre 
quelque  peu  différent.  Disons  de  suite  que  «  l'Orfeo  Catalâ  »,  admirable- 
ment stylé  et  dirigé  par  M.  Nicolau,  s'est  tiré  fort  convenablement  de  sa 
tache.  Détail  particulier  :  comme  ledit  «  Orfeo  »,  de  par  ses  statuts,  ne 
doit  chanter  que  des  chœurs  catalans,  on  avait  catalanisé  Wagner,  et 
traduit  les  paroles  de  cette  scène  en  patois  local.  L'effet  n'en  a  pas  été 
amoindri.  —  Mais,  manifestation  de  curiosité  et  de  clocher  à  part,  le  véri- 
table succès  de  ces  deux  derniers  concerts  a  été  pour  la  Romanza  de  la 
quatrième  symphonie  de  Schumann,  pour  la  suite  de  Grieg,  écrite  pour  le 
drame  d'Ibsen  Peer  Gynt,  et  surtout  pour  la  suite  d'Esclarmonde,  de  Masse- 
net,  dont  toutes  les  parties  ont  été  bissées  par  acclamations.  —  A  la  fin  de 
la  dernière  soirée,  le  public  a  tait  à  M.  Antonio  Nicolau  une  superbe  ova- 
tion, ovation  on  ne  peut  plus  méritée,  et  à  laquelle  nous  sommes  heureux 
de  nous  associer  ici.  A.  G.  Bertal. 

—  Dilettantisme  américain.  Nous  en  trouvons  un  exemple  dans  une 
correspondance  typique  adressée  de  New-York  au  Mondo  arlistico  pour  lui 
rendre  compte  de  la  dernière  soirée  donnée  au  Métropolitain  par  la  troupe 
de  MM.  Abbey  et  Grau,  au  bénéfice  de  ces  derniers.  Il  vaut  la  peine  de 
traduire  exactement  ce  petit  document  original  :  »  —  Le  clou,  \a.great  attrac- 
tion de  cette  soirée  fut  le  chœur  des  soldats  de  Faust,  chanté,  outre  les 
choristes,  par  tous  les  artistes,  avec  une  bande  nombreuse  sur  le  théâtre. 
Au  lever  du  rideau,  le  spectacle  était  imposant,  et  l'on  peut  dire  américain. 
En  première  ligne,  à  prendre  par  la  gauche,  venait  Jean  de  Reszké,  en 
costume  de  Radamès,  Capoul  (en  Faust),  Gremonini  (Fernand),  Mauguière 
(soldat  de  Faus(),  Lubert  (don  José),  Rinaldini  (Bardolfo),  Vanni  (docteur 
Cajus),  Ancona  (toréador),  Gampanari  (Ford),  Arimondi  (Pistola),  Edouard 
de  Reszké  (Méphistophélès),  Plançon  (général  delà  Navarraise),  Kaschmann 
(Amonasro),  de  Vriès  (Valentin),  Caslelmary  (Ramfis),  Carbonne  (Duncairo), 
de  Vachestti  (Héraut  de  Lohengrin),  Viviani,  Longprez  (soldats  des  Hugue- 
nots). Puis  M™s  Melba  (Lucie),  Nordica  (Aida),  Galvé  (Carmen),  Mantelli 
(Leonora),  Saville  (Micaela),  Lola  Beeth  (Nannetta  deFalstaff),  Traubmann 
(Mercedes),  Scalchi-Lolli(QuickIy),01itzka  (Amneris),Kitzu  (mistressPage), 
Bauermeister  (Frasquita),  Van  Cauteren  (la  reine  des  Huguenots).  Avec  de 
semblables  choristes,  je  laisse  à  penser  comment  le  chœur  fut  chanté.  A  la 
dernière  mesure  ce  fut  une  explosion  de  cris  et  de  battements  de  mains, 
joints  à  une  pluie  de  fleurs  et  de  couronnes.  Toiis  les  spectateurs  agitaient 
leurs  mouchoirs,  les  dames  étaient  debout  dans  leurs  loges  et  dans  leurs 
stalles,  il  semblait  que  le  théâtre  dût  crouler.  Puis  aussitôt  on  réclama  le 
bis,  après  lequel  l'enthousiasme  augmenta  encore,  s'il  est  possible.  On 
releva  le  rideau  quinze,  vingt  fois,  le  tenant  chaque  fois  à  mi-hauteur 
pendant  30  à  50  secondes,  au  milieu  de  cris  frénétiques.  M"»*  Calvé  et 
Bauermeister  attirèrent  de  la  coulisse  gauche  M.  Grau,  M^^'  Melba  et 
Lola  Beeth  de  la  droite  M.  Abbey,  et  les  applaudissements  devinrent 
assourdissants;  à  ceux  du  public  se  joignaient  ceux  des  artistes,  des  chœurs 
et  de  l'orchestre.  Jean  de  Reszké,  au  nom  des  artistes,  présentait  aux  deux 
directeurs  deux  parchemins  avec  une  dédicace  et  leurs  autographes.  Les 
bannières  (il  y  en  avait  beaucoup,  tenues  par  des  choristes)  flottaient; 
l'orchestre  et  la  bande  attaquèrent  les  quelques  mesures  de  salut,  et  après 
•six  bonnes  minutes  de  battements  de  mains,  de  cris,  etc.,  commença  un 
peu  de  calme.  Je  n'aurais  jamais  cru  assister  à  une  pareille  démonstration. 
Puis  bientôt  les  applaudissements  recommencèrent,  et  par  trois  fois,  des 
portes  latérales,  apparut  la  longue  procession  de  tous  les  principaux  ar- 
tistes, avec  les  chefs  d'orchestre  Bevignani  et  Seppilli,  M.  Parry,  directeur 
de  la  scène,  etc.  Le  mérite  de  cette  idée  revient  à  Jean  de  Reszké.  Ce  fut 
une  trouvaille  unique,  qui  eut  tout  le  succès  qu'on  en  pouvait  prévoir.   » 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

En  l'honneur  du  couronnement  des  souverains  de  Russie,  l'Opéra 
donne  aujourd'hui  dimanche  une  représentation  gratuite.  Au  programme  : 
Rigoletto  et  \n  Fête  russe.  Rideau  à  sept  heures.  Les  directeurs  de  l'Opéra  ont 
décidément  d'heureuses  et  généreuses  idées  depuis  quelque  temps. 

— ■  Nous  avons  donné  les  noms  des  six  jeunes  gens  qui  ont  été  admis,  à 
la  suite  de  l'épreuve  préparatoire,  à  prendre  part  au  concours  de  Rome. 
La  cantate  qu'ils  sont  appelés  à  mettre  en  musique  et  qui  leur  a  été  remise 
à  leur  rentrée  en  loge  a  pour  titre  Mélusine.  Son  auteur  est  M.  Fernand 
Beissier. 

—  Le  jury  de  classement  des  partitions  envoyées  au  concours  ouvert  par 
la  ville  de  Paris  pour  la  composition  d'une  œuvre  musicale  avec  soli, 
chœurs  et  orchestre,  est  composé  ainsi  qu'il  suit  :  le  préfet  de  la  Seine, 
président;  MM.  Théodore  Dubois,  Emile  Pessard,  L.  Carvalho,  Mangin, 
désignés  par  les  concurrents;  MM.  Vincent  d'Indy,  Ernst,  A.  Messager, 
A.  Chapuis,  Darzens,  Hattat,  Caron,  Levraud,  Despatys,  désignés  par  le 
conseil  municipal;  MM.  Glaretie,  Lavignac,  R.  Brown,  inspecteur  des 
beaux-arts  de  la  ville  de  Paris,  représentant  l'administration. 


—  La  troisième  et  dernière  séance  de  la  Société  des  instruments  anciens 
de  MM.  Diémer,  Delsart,  van  Waefelghem  et  Grillet  était  tout  entière 
consacrée  à  Rameau.  C'était  un  digne  hommage  rendu  par  nos  excellents 
artistes  au  vieux  maître  qui  restera  l'une  des  gloires  les  plus  éclatantes 
et  les  plus  solides  de  cette  noble  école  musicale  française,  dont  certains 
font  bon  marché  aujourd'hui  et  qui  n'en  reste  pas  moins  l'honneur  de  ce 
pays.  Nous  avons  d'abord  entendu  deux  pièces  pour  clavecin,  viole  d'amour 
et  viole  de  gambe  :  la  Timide  et  le  Tambourin,  dont  la  seconde  surtout  est 
charmante,  puis  un  Andante  et  Menuet  pour  viole  de  gambe  et  clavecin. 
Ensuite  deux  pièces  de  clavecin  :  Rappel  des  oiseaux  (absolument  exquise) 
et  Gavotte  variée,  et  enfin  Air  tendre  et  Petite  chasse,  pour  vielle  et  cla- 
vecin, dont  la  dernière  a  été  bissée,  comme  l'avait  été  le  Rappel  des  oiseaum. 
Il  n'est  pas  besoin  de  dire  si  l'exécution  de  ces  morceaux  a  été  parfaite. 
La  seconde  partie  de  la  séance  a  été  consacrée  à  l'audition  de  plusieurs 
fragments  d'un  opéra  inédit  de  Rameau,  intitulé  sur  le  programme  les 
Boréades,  et  dont  le  titre  exacte  est  Abaris  ou  les  Boréades  ;  car,  pour  être 
inédit,  cet  ouvrage  n'est  pas  tout  à  fait  inconnu  de  quelques  curieux.  J'en 
ai,  pour  ma  part  publié  un  morceau  il  y  a  quelque  vingt  ans,  l'un  de 
ceux  que  nous  a  chantés  l'autre  jour  M"=  Salambiani,  et  j'ai  signalé  la 
partition  parmi  les  manuscrits  de  Rameau  que  j'avais  découverts  à  la 
Bibliothèque  nationale  lors  de  la  publication  de  mon  livre  sur  l'auteur  de 
Dardanus  et  de  Castor  et  Pollux.  Cotte  audition  était  fort  intéressante,  et 
c'était  une  heureuse  idée  de  mettre  le  public  en  contact  avec  une  œuvre 
dont  pas  une  note,  assurément,  n'avait  jusqu'à  ce  jour  été  exécutée  devant 
lui,  et  qui  a  produit  une  excellente  impression.  Le  succès  de  cette  der- 
nière séance  a  brillamment  terminé  cette  seconde  année  de  l'existence 
de  la  Société  des  instruments  anciens,  et  le  public  lui  a  prouvé  tout  le 
plaisir  qu'elle  lui  avait  procuré.  A.  P. 

—  Les  troisième  et  quatrième  concerts  de  M.  Sarasate  avaient  attiré  à  la 
salle  Erard  une  foule  énorme,  qui  n'a  cessé  de  prodiguer  au  grand  artiste 
les  témoignages  bruyants  de  sa  sympathie  pour  son  incomparable  talent. 
C'est  qu'il  est  rare  en  effet  de  rencontrer  chez  un  artiste,  avec  les  qualités 
brillantes  qui  constituent  le  virtuose  le  plus  merveilleux  et  le  plus  accom- 
pli, la  solidité  de  style  qui  convient  à  l'exécution  la  plus  pure,  la  plus 
noble  et  la  plus  délicate  de  la  musique  de  chambre;  et  c'est  précisément 
la  réunion  de  ces  qualités  très  diverses  qui  forme  l'essence  même  et  comme 
la  saisissante  originalité  du  talent  de  M.  Sarasate.  Entre  le  premier  qua- 
tuor à  cordes  (op.  41)  de  Schumann  et  le  quintette  de  «  la  Truite»  de  Schu- 
bert, qu'il  nous  a  fait  entendre  à  sa  troisième  séance,  en  compagnie  de 
MM.  Diémer,  Parent,  van  Waefelghem,  Delsart  et  de  Bailly,  il  a  exécuté 
d'une  façon  splendide,  avec  M.  Diémer,  la  3=  sonate  de  J.-S.  Bach,  œuvre  de 
forme  magistrale  mais  d'un  accent  un  peu  froid,  à  laquelle  il  a  su  donner  la 
couleur,  la  chaleur  et  la  vie,  et  qui  a  valu  aux  interprètes  un  succès  bien 
mérité.  Une  surprise  nous  attendait  au  quatrième  concert.  Après  la  belle 
sonate  pour  violoncelle  et  piano  de  M.  Emile  Bernard,  dont  MM.  Delsart  et 
Diémer  ont  fait  valoir  toutes  les  qualités,  c'est  en  compagnie  de  M.  Saint- 
Saëns  lui-même  que  M.  Sarasate  est  venu  nous  faire  entendre  la  superbe 
sonate  de  ce  dernier,  dont  l'audition  a  mis  le  feu  aux  poudres.  Le  final 
surtout  de  cette  œuvre  si  remarquable,  sorte  de  moto  perpétue  partagé  entre 
les  deux  instruments,  exécuté  par  de  tels  virtuoses,  avec  tout  le  feu,  la 
fougue,  l'entraînement  dont  ils  sont  capables,  a  jeté  le  public  en  un  véri- 
table délire.  Un,  deux,  trois,  quatre  rappels  ne  pouvaient  lasser  les  applau- 
dissements, et  il  leur  a  fallu  redire  ce  final  au  milieu  de  l'émotion  générale. 
Puis,  pour  terminer  la  séance,  c'a  été  l'admirable  septuor  de  Beethoven, 
dit  par  MM.  Sarasate,  van  Waefelghem,  Reine,  Turban,  Letellier,  Delsart 
et  de  Bailly,  et  qui  était  un  digne  couronnement  de  cette  trop  courte  série 
de  concerts,  qui  nous  ont  permis  du  moins  d'apprécier  de  nouveau,  dans 
toute  son  ampleur,  le  talent  d'un  des  plus  grands  artistes  de  ce  temps. 

A.  P. 

—  Les  deux  dernières  séances  de  MM.  Ysaye  et  Raoul  Pugno  présen- 
taient cette  très  intéressante  disposition  de  programme  :  Brahms,  Grieg, 
Lalo,  groupés  ensemble  et  MM.  Gastillon  et  Fauré  séparés  gracieusement 
par  Mozart.  L'interprétation  a  été  aussi  pleine  de  variété  que  l'exigeait  le 
caractère  tranché  de  chaque  ouvrage;  austère  avec  Brahms,  épanouie  et 
pénétrante  avec  Grieg,  tout  imprégnée  de  grâce  sentimentale  avec  Lalo,  enfin 
aussi  petite  et  mignonne  que  possible  avec  Mozart.  Quant  aux  deux  autres 
œuvres,  dont  l'une  renferme  un  excellent  andante  et  l'autre  une  suite  de 
belles  pages  du  commencement  à  la  fin,  elles  ont  été  mises  en  relief  avec 
une  autorité  qui  les  a  imposées  presque  au  même  titre  que  les  précédentes. 
MM.  Ysaye  et  Pugno  seraient  diminués  si  on  les  nommait  des  virtuoses; 
ils  sont  presque  des  évocateurs,  car  ils  font  revivre  pour  nous  l'heure 
d'émotion  intense  pendant  laquelle  chaque  compositeur  a  conçu  sa  création  ; 
rien  ne  leur  échappe,  et  la  perfection  de  leur  talent  les  rapproche  tellement 
que  nul  n'a  été  surpris  d'entendre  dire  par  M.  Ysaye  en  désignant  M.  Pugno: 
'i  Je  ne  puis  jouer  qu'avec  lui.  ».  —  Am.  B. 

—  Au  dernier  concert  du  Palmarium  on  a  vivement  apprécié  une  œuvre 
remarquable  de  M.  Louis  Pister,  un  poème  symphonique  intitulé  Roland. 
Brillamment  orchestrée,  très  habilement  charpentée,  cette  intéressante  page 
de  l'excellent  chef  d'orchestre  méritait  l'accueil  chaleureux  que  le  public 
lui  a  fait.  —  La  Korrigane  de  Widor,  la  suite  algérienne  de  Saint-Saëns,  un 
menuet  de  Bolzoni,  complétaient  le  programme. 

-—  Mercredi  dernier,  c'était  fête  au  Cercle  Saint-Simon.  Tour  à  tour  con- 
férencier, chanteur  et  chef  d'orchestre,  notre  confrère  Julien  Tiersot  pré- 


168 


LE  MENESTREL 


sentait  aux  bravos  mérités  son  troisième  recueil  des  Chansons  populaires  de 
nos  provinces  de  France.  Il  a  d'abord  rappelé,  dans  une  causerie  alerte  et 
douce,  la  date  du  3  juin  ISSb,  où  la  chanson  populaire  avait  conquis  ici 
même  droit  de  cité,  avec  le  ténor  Gibert  et  M"=  Auguez,  et  des  étoiles 
comme  MM.  Gaston  Paris,  Quellien,  Renan!  Depuis  onze  ans,  la  science  du 
folk-lore  a  progressé:  mais  ce  n'est  point  seulement  par  l'histoire  des 
traditions  populaires  nationales  que  ces  naïves  mélodies  captivent;  musica- 
lement savoureuses,  elles  évoquent,  à  travers  le  temps  et  l'espace,  les 
âmes  de  jadis  ou  de  naguère,  les  voix  insouciantes  qui  nous  les  ont  trans- 
mises, les  vieilles  coutumes  et  les  rondes  anciennes  qui  animaient  les 
paysages  riants  de  nos  campagnes,  le  caractère  français,  toujours  identique, 
qui  fredonne  le  charme  douloureux  de  la  nature  et  de  la  vie.  Touchantes 
complaintes  ou  rondes  guillerettes,  ces  chansons,  que  savaient  les  parents 
de  Jeanne  d'Arc  ou  les  contemporains  de  Walteau,  méritaient  d'attirer 
Brizeux,  George  Sand,  Gérard  de  Nerval.  Il  fallait  les  recueillir.  Par  la 
grâce  primesautière  de  leurs  contours,  aux  reirains  candides  ou  mali- 
cieux, elles  ont  transporté  l'autre  soir  un  auditoire  juvénile.  M.  Tiersot  a 
fait  applaudir  entre  autres  Pierre  et  sa  Mie.  Accompagnées  par  M.  Paul 
Jumel  et  secondées  par  un  petit  détachement  des  toujours  excellents 
Chanteurs  de  Saint-Gervais,  M"e  Eléonore  Blanc  et  M""=  Lovano  se  sont  une 
fois  de  plus  affirmées  comme  nos  deux  meilleures  cantatrices  de  concert: 
l'une,  attendrie  avec  son  style  élégamment  sévère  et  le  timbre  généreux  de 
sa  voix,  dans  les  chansons  tristes;  l'autre,  qui  enchante  les  oreilles  et  les 
yeux  par  un  babil  savant,  reflété  sur  ses  traits,  dans  son  geste,  en  mille 
nuances  exquises  comme  sa  diction  :  c'est  une  bergère  idéale.  Notre  sou- 
venir s'attache  d'abord  à  deux  chansons  en  chœur  :  la  Saint-Jean  poétique, 
qui  inspirera  de  même  au  crépuscule  le  vieil  Hans  Sachs  ;  puis  un  petit 
scherzo  spirituel,  revenu  du  Canada,  écho  d'exil  de  la  vieille  France. 
Un  bon  joueur  de  vielle,  de  la  Société  des  gas  du  Berry,  amusait  les  inter- 
mèdes. Bref,  artistique  soirée,  qui  fait  honneur  à  Julien  Tiersot,  l'his- 
torien de  la  chanson  populaire  en  France.  L'avant- veille,  lundi  11  mai, 
M.  Julien  Tiersot  avait  fait  une  autre  conférence,  sur  le  même  sujet,  dans 
un  cercle  ouvrier  de  Grenelle  :  les  Chansons  populaires  des  provinces  de  France 
ont  obtenu  un  accueil  également  chaleureux  devant  ce  public  populaire 
parisien.  Ravmond  Bolyer. 

La  Société  d'art  vient  de  donner  sa  dernière  audition  de  cette  année. 

Lg  beau  trio  de  M.  E.  Bernard,  des  pièces  de  M.  Anselme  Vinée  pour  deux 
violons  de  M.  "Van  Goëns,  pour  piano,  deux  mélodies  tout  à  fait  char- 
mantes. Voici  la  brise...  et  Rêve  encore,  d'un  compositeur  norvégien  de  talent, 
M.  Lago,  fort  bien  chantées  par  W^"  Emma  Holmstrand,  et  les  jolies  varia- 
tions à  deux  pianos  de  Georges  Pfeiffer,  en  formaieni  le  programme. 

—  Une  audition  fort  intéressante  d'oeuvres  de  M.Sigismond  Stojowskiaeu 
lieu  salle  Erard.  Le  compositeur  a  joué,  avec  le  concours  de  M.  Gorski, 
une  sonate  pour  piano  et  violon,  et  avec  le  concours  de  M.  Salmon  une 
sonate  pour  piano  et  violoncelle,  deux  œuvres  d'une  jolie  invention  et 
d'une  excellente  écriture  qui  ont  été  fort  bien  accueillies.  M.  Stojowski  a 
ensuite  interprété  avec  beaucoup  de  charme  plusieurs  de  ses  nouveaux 
morceaux  pour  piano,  parmi  lesquels  la  Rêverie,  une  Valse  et  deux  Caprices 
ont  soulevé  des  applaudissements  chaleureux.  Succès  non  moindre  pour 
une  série  de  mélodies  de  M.  Stojowski  chantées  par  M.  Furstemberg  et  par 
K"=  Mira  Heller,  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne.  Cette  jeune  et  gracieuse 
artiste  a  produit  une  si  bonne  impression  que  le  public  lui  a  demandé 
quelques  chansons  supplémentaires.  M.  Stojowski  lui  a  accompagné 
Widmung,  de  Schumann,  que  M"=  Heller  a  chantée  dans  le  texte  original, 
et  une  jolie  mélodie  polonaise.  —  0.  Bn. 

—  Beau  succès  pour  MM.  Albert  et  César  Geloso,  à  leur  concert  du  12  mai, 
consacré  à  Bach.  La  salle  entière  les  a  ovationnés  après  l'admirable  chaconne 
pour  violon  seul  et  après  la  fugue  d'orgue  transcrite  par  Liszt. 

—  M'"'=  Edouard  Colonne  donnera  le  samedi  30  mai,  à  9  heures  du  soir, 
à  la  salle  Pleyel,  un  concert  au  bénéfice  de  l'Orphelinat  des  arts  et  de  la 
Maison  maternelle  de  M""»  Louise  Koppe.  MM.  Raoul  Pugno,  HoUman, 
Jean  Rameau  et  les  élèves  de  l'école  de  chant  de  M"">  Colonne  prêteront 
leur  concours  à  cette  fête  de  bienfaisance.  M""=  Edouard  Colonne  elle- 
même  se  fera  entendre  dans  différentes  œuvres,  accompagnée  par  les 
auteurs. 

On  annonce  pour  le  28  courant,   salle  Pleyel,  une    seconde  séance  de 

musique  classique  et  moderne  donnée  pir  M"=  Juliette  Levasseur,  •l"  prix 
de  piano  de  l'École  classique  de  la  rue  de  Berlin,  avec  le  concours  de 
M»e  Magdeleine  Godard  et  de  M.  Paul  Seguy,  de  l'Opéra. 

—  M.  T.  Adamowski,  arrivé  récemment  à  Paris  après  un  assez  long 
séjour  aux  États-Unis,  où  son  talent  de  violoniste  est  très  apprécié,  don- 
nera, mardi  soir  26  mai,  un  conc;rt  avec  orchestre  à  la  salle  Érard.  L'or- 
chestre sera  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne. 

—  Le  14  mai  a  eu  lieu  avec  succès,  au  théâtre  de  Laval,  la  première 
représentation  d'un  opéra-comique  inédit  en  un  acte,  Dépit  d'amour,  paroles 
do  M.  Alberge,  typographe  à  Paris,  musique  de  M.  Prosper  Morton,  direc- 
teur de  la  Lyre  lavalloise,  rjui  dirigeait  lui-même  l'exécution  de  son 
œuvre. 


—  SoiKÉEs  ET  CoNCEiiTs.  —  La  piioccsse  KirageorgewiU'h  a  profité  du  passage 
à  Paris  de  son  fils  pour  faire  entendre  à  quelques  amis  les  nouveaux  lieder  de 
Robert  Fischoff.  Presque  tous  les  morceaux  ont  été  bissés  et  acclamés.  Il  faut 
citer  notamment:  le  Rossignol,  Tonnelle  en  fleurs,  Dans  les  ijeiur,  que  M"'  Zanolli, 
une  étoile  de  demain,  et  le  prince  Karageorgt\Yitch  ont  dû  répéter  plusieurs 
fois.  —  Très  bonne  audition  des  élèves  de  M"'  t'ubain.  A  signaler  M""  Anna  et 
Louise  R.  Passepied  du  Roi  s'amuse,  Léo  Delibes),  Marie  de  L.  {Mazurlia  russe,  Lan- 
dry), M.  Willy  P.  [Seine  et  mazurka  de  Coppélia,  Léo  Delibes),  M""  Laurence  M.  r 
ISotirce  capricieuse,  Filliaux-Tiger),  Reine  R.  et  Marguerite  F.  (Concerto  op.  21, 
G.  Mathias^,  Alix  de  V.  (/es  A'foi/es /itoiifes,  Lack).  Succès  pour  M"*  Steiner  dans  le 
Nil  de  Xavier  Leroux  et  M.  A.  Cottin  dans  Pépu  de  G.  Mathias.  —  En  l'église 
Saint- Louis  des  Invalides,  on  a  célébré  le  mariage  de  M.  Léon  Blauchot,  sculp- 
teur, fils  du  colonel  Blauchot,  avec  M'"  Marie  Donnai,  fille  du  colonel  Bonnal. 
Pendant  la  cérémonie  religieuse,  le  bmion  du  Tillois,  de  la  Monnaie,  a  chanté, 
avec  un  charme  pénétrant,  le  Suncla  Maria  de  Faure,  et  le  violoniste  Romain 
Chevalier  a  délicieusement  joué  la  Méditation  de  Thaïs  de  Massenet.  M.  Tourne- 
mire  tenait  l'orgue.  —  Une  femme  parlant  en  Sorbonne,  c'est  là  une  curiosité 
et  un  événement.  M""  llortense  Parent  y  a  développé  les  principes  d'enseigne- 
ment pour  le  piano  avec  autant  d'autorité  que  de  conviction  et  dans  un  langage 
digne  des  murs  consacrés  qui  l'écoutaient.  Le  succès  a  été  très  grand.  —  Pour 
clôturer  sa  31 'année,  l'excellente  Société  chorale  d'amateurs  Guiltot  de  Sainbrisnous 
a  conviés  k  une  séance  dont,  suivant  l'usage,  le  succès  a  été  complet,  sous  la 
direction  de  M.  Maton.  On  y  a  applaudi  d'abord  trois  chœurs  de  Mendeissohn 
fort  beaux  et  qu'on  n'a  pas  l'occasion  d'entendre  ailleurs,  la  traduction  française 
en  ayant  été  faite  par  M.Paul  Collin  pour  l'usage  exclusif  jusqu'ici  de  la  société. 
A  mentionner  encore,  les  Filles  d'.irles  de  M"'  Chaminade,  le  chœur  des  chame- 
liers, extrait  de  la  Rébecca  de  César  Franck,  qui  est  une  inspiration  délicieuse  ; 
le  double  chœur  de  Colinette  à  ta  cour  de  Grétry  (bissé).  Après  un  intermède 
instrumental  où  a  triomphé  l'archet  du  jeune  M.  Louis  Hasselmans,  de  très 
importants  fragments  de  MorsetVda  de  Gounod  formaient  l'épilogue  de  ce  riche 
programme. 

NÉCROLOGIE 
A  Francfort-sur-le-Mein  vient  de  succomber,  à  l'âge  de  77  ans,  Clara 
Joséphine  Schumann,  née  Wieck,  la  veuve  du  grand  compositeur.  On  se 
rappelle  qu'elle  avait  été  frappée,  il  y  a  quelques  mois,  d'une  attaque 
d'apoplexie;  mais  elle  s'était  remise,  et  les  médecins  avaient  espéré  la 
conserver.  La  grande  artiste  était  née  à  Leipzig  le  13  septembre  1819.  Elle 
montra  de  bonne  heure  des  dispositions  extraordinaires  pour  la  musique, 
et  son  père,  l'excellent  pianiste  Frédéric  "Wieck,  s'occupa  avec  le  plus 
grand  soin  de  son  éducation  artistique.  Dès  l'âge  de  dix  ans  elle  débuta 
pour  la  première  fois  comme  pianiste,  et  trois  ans  plus  tard  elle  fit  sa  pre- 
mière tournée  avec  son  père.  Ce  n'était  pas  un  enfant  prodige,  mais  une 
nature  exceptionnellement  douée  et  précoce,  qui  enthousiasma  surtout  les 
musiciens  par  l'intelligence  et  le  charme  avec  lesquels  elle  interprétait 
Beethoven  et  Chopin.  En  1837  elle  se  liança  à  Robert  Schumann,  et  son 
union  avec  cette  puissante  individualité  musicale  eut  l'influence  la  plus 
salutaire  sur  le  développement  artistique  de  la  jeune  pianiste.  Aucune 
femme  n'avait  encore  atteint  au  degré  de  pénétration  et  de  perfection  que 
la  critique  européenne  constata  chez  Clara  Schumann  lorsqu'elle  entreprit, 
après  son  mariage,  ses  grandes  tournées  en  Autriche,  en  Allemagne,  en 
France  et  en  Hollande.  En  Angleterre  le  public,  qui  resta  d'abord  froid, 
car  il  se  laissait  trop  influencer  par  une  critique  peu  bienveillante,  com- 
prit peu  à  peu  la  valeur  de  l'artiste,  et  ses  concerts  annuels  devinrent  un 
des  principaux  événements  de  la  saison  musicale  de  Londres.  Après  la 
mort  prématurée  de  son  mari,  en  1836,  Clara  Suhumann,  épouse  et  mère 
admirables,  reprit  ses  tournées  artistiques  pour  pouvoir  élever  ses  enfants, 
et  se  voua  ensuite  au  professorat  avec  un  succès  hors  ligne.  Pendant 
quatorze  ans,  de  1878  à  1892,  elle  fut  le  premier  professeur  de  piano  au 
conservatoire  de  musique  Hoch,  à  Francfort-sur-le-Mein,  et  après  avoir 
quitté  le  conservatoire  elle  continua  à  former  des  élèves  jusqu'aux  derniers 
mois  de  sa  vie.  Clara  Schumann  laisse  une  trentaine  de  compositions  qui 
dénotent  un  grand  talent,  comme  le  trio  en  sol  mineur,  les  variations  sur 
un  thème  de  son  mari  et  ses  trois  romances  pour  piano  et  violon. 

—  A  Munich  est  mort  subitement,  à  l'âge  de  S9  ans,  la  basse  chantante 
Gustave  Siehr,  chanteur  de  la  cour  de  Bavière  et  de  l'Opéra  royal  de  Munich. 
Il  avait  chanté  à  Bayreuth  avec  beaucoup  de  succès  le  rùle  de  Gurnemanz 


—  A  Munich  aussi  s'est  éteint,  à  l'âge  de  75  ans,  le  docteur  Franz 
Grandauer,  le  régisseur  de  l'Opéra  royal.  On  lui  doit  une  chronique  inté- 
téressante  des  théâtres  royaux  de  Munich. 

—  Un  brave  artiste  qui  eut  naguère,  à  l'ancien  boulevard  du  Temple, 
sa  petite  heure  de  petite  notoriété,  André-Marie  Oray,  est  mort  la 
semaine  dernière  à  Belleville,  à  l'âge  de  81  ans.  Il  avait,  dit-on,  passé 
par  le  Conservatoire,  où  il  aurait  reçu  des  leçons  de  Carafa  et  d'Halévy. 
Il  ût  d'abord  partie  de  divers  orchestres  en  qualité  do  violoniste,  puis  de- 
vint chef  d'orchestre  au  théâtre  Beaumarchais,  et  enfin  aux  Folies-Dramati- 
ques, sous  les  directions  Mourier  et  Harel.  Il  resta  plus  de  vingt  ans  à  ce 
dernier,  à  l'époque  où  l'on  n'y  jouait  que  de  grands  vaudevilles,  pour  les- 
quels il  écrivait  souvent  de  nombreux  airs  nouveaux,  comme  il  fit  pour 
Pauvre  Jeanne,  le  Ver  luisant,  le  Pays  latin,  Rose  et  Rosette,  les  Canotiers  de  la 
Seine,  etc.  Oray  est  aussi  l'auteur  de  deux  opérettes  :  le  Royaume  des  aveugles, 
représentée  aux  anciennes  Nouveautés  en  1866,  et  A  la  Bretonne,  jouée  aux 
Folies-Marigny  en  I8G8. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


CENTK.U.E  DES  CHEMINS  I 


.  lUPRiaERlE  CHAIX,  RUE 


mi.  —  62-  ANNÉE  —  i\°  22.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


Dimanche  31  illai  1896. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménesirbl.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Dn  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Pavart  et  l'Opéra-Comique,  2"  partie  (4°  article],  Arthur 
PouGiN.  —  II.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (5°  ar- 
ticle), Camille  Le  Senxe.  —  IIL  Musique  et  prison  |6°  article)  :  prisonniers 
politiques,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

PRÈS  DE  L'EAU 

n°  2  des  Soirs  d'amour,  de  LÉos  Delafosse.  —  Suivra  immédiatement  :  Si 
je  ne  t'aimais  pas,  nouvelle  mélodie   de  E.  Mobet,  poésie  de  E.  Haraucourt. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  En  dansant,  extrait  des  Pastels,  de  I.  Philipp.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Matutina,  de  Cesare  Galeotti. 

LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

et 
L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1S38 


TROISIEME  PARTIE 
I  (Suite) 

La  combinaison  la  plus  étrange  était  certainement  celle  des 
deux  frères  Dartois,  Achille  et  Armand,  vaudevillistes  de 
quatrième  ordre,  qui,  peu  heureux  aux  Variétés,  où  leur  ad- 
ministration donnait  les  résultats  les  plus  déplorables,  son- 
geaient simplement  à  supprimer  ce  théâtre  et  à  y  transporter 
rOpéra-Comique.  «  Nous  ferons  remarquer,  disait  le  Courrier, 
l'audace  de  la  candidature  de  MM.  Dartois,  agissant  sous  le 
nom  d'un  seul  et  menaçant  eu  réalité  un  troisième  théâtre 
de  sa  ruine,  car  ils  en  ont  déjà  tué  deux.  Pour  atteindre  ce 
but  détestable,  M.  Dartois  propose  la  suppression  des  Variétés, 
croyant  par  là  plaire  au  ministre,  ravi  de  rayer  un  théâtre  de 
la  liste,  et  d'exploiter  l'Opéra-Comique  dans  la  salle  des 
Panoramas...  » 

Une  combinaison  sérieuse,  beaucoup  plus  sérieuse,  mais 
qui  eût  été  déplorable,  était  celle  qui  consistait  à  réunir 
dans  les  mêmes  mains  la  direction  des  deux  scènes  lyriques, 
l'Opéra  et  l'Opéra-Comique.  Celle-ci  était  représentée  par  deux 
associations,  car  quelques-uns  des  candidats  étaient  venus  à 
réunir  et  à  confondre  leurs  efforts  :  les  associations  Crosnier- 
Cerfberr  et  Loève-Veimar-Mira.  Dès  que  le  docteur  Véron, 
alors  directeur  de  l'Opéra,  eut  connaissance  de  ce  projet,  il 
•écrivit  au  ministre  compétent,   qui  était  M.  Thiers,  pour  lui 


offrir  très  galamment  de  donner  sa  démission,  afin  de  faci- 
liter les  choses.  Cette  combinaison  fut  discutée  très  sérieu- 
sement et  pendant  plusieurs  semaines,  témoin  cette  lettre 
que  Loève-Veimar  adressa  aux  journaux: 

Paris,  le  20  avril  1834. 
Monsieur  le  Directeur, 

Puisqu'il  est  encore  question  de  ma  nomination  à  la  place  de 
directeur  de  l'Opéra  et  de  rOpéra-Comique,  je  me  dois  de  donner  au 
public  quelques  explications  sur  ce  projet,  adopté  il  y  a  quinze  jours 
par  le  ministre. 

A  cette  époque,  et  sur  la  demande  de  M.  Thiers,  je  m'étais  mis  en 
demeure  de  fournir  un  cautionnement  de  300.000  francs  et  de 
remplir  toutes  les  obligations  pécuniaires  qu'il  m'imposait  (1). 
Depuis,  ayant  appris  que  la  rédaction  du  cahier  des  charges  était 
confiée  à  M.  Gavé,  chef  de  la  division  des  théâtres,  qui  a  sollicité 
plusieurs  fois  la  direction  de  l'Opéra-GoDaique  avec  une  subvention 
de  180.000  francs,  j'ai  pensé  que  mes  intérêts  étaieus  remis  entre  les 
mains  d'un  concurrent  et  non  pas  d'un  arbitre  impartial,  que  la  mo- 
ralité qui  doit  présider  aux  affaires  manquait  absolument  dans  celle- 
ci,  et  j'ai  dû  me  réduire  désormais  à  un  rôle  tout  passif  que  je  n'ai 
pas  abandonné  un  moment. 

Que  ce  soit  aujourd'hui  M.  Gavé  ou  M.  Grosnier,  son  ayant-cause 
qui  prenne  la  direction  de  l'Opéra-Gomique,  il  n'en  restera  pas  moins 
prouvé  que  M.  le  chef  de  la  division  des  beaux-arts  aura  eu  l'in- 
iluence  de  faire  rejeter  une  économie  de  cent  mille  francs  par  an, 
résultant,  pour  le  budget  des  beaux-arts,  de  la  réunion  immédiate  des 
deux  théâtres,  et  qu'il  aura  été  assez  entreprenant  pour  détruire  une 
combinaison  non  pas  seulement  approuvée,  mais  créée  par  M.  Thiers 
lui-même. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

A.  Loève-Veimar. 

Pendant  qu'on  s'occupait  du  genre  de  mort  qu'il  convien- 
drait de  leur  appliquer,  les  sociétaires  de  l'Opéra-Comique, 
qui  ne  devaient  pourtant  pas  être  très  rassurés  sur  leur  sort 
continuaient  de  travailler  et,  comme  si  de  rien  n'était  de 
préparer  l'avenir.  J'ai  dit  que  deux  pièces  étaient  en  répéti- 
tions :  Lestocq  et  l'Aspirant  de  marine.  Ils  en  poursuivaient  les 
études  et  les  annonçaient  au  bas  de  leur  affiche,  lorsque  les 
auteurs  se  décidèrent  à  agir  directement  contre  eux:  «  A  la 
suite  de  la  dernière  assemblée  des  auteurs  dramatiques, 
disait  le  Courrier  du  18  mars,  l'ouvrage  en  répétitions  depuis 
un  mois  à  l'Opéra-Comique,  Lestocq,  vient  d'en  être  retiré.  » 
Et  le  lendemain  19  :  »  La  détermination  des  auteurs  n'a  pas 
seulement  frappé  l'ouvrage  en  quatre  actes  que  répétait 
depuis  un  mois  l'Opéra-Comique  ;  elle  regarde  aussi  L'Aspirant 
de  marine,  dont  la  représentation  était  très  prochaine.  En  un 
mot,  le  retrait  de  toute  pièce  nouvelle  est  décidé,  et  si  l'Opéra- 
Comique  devait  tenir,  il  n'aurait  plus  que  la  ressource  du 
vieux  répertoire.  » 


(1)  C'est  la  banque  Rothschild  qui  devait  faire  les  fonds  de  ce  cautionnement. 


170 


LE  MENESTREL 


J'avoue  quejetrouve  cette  conduite  simplement  abominable. 
C'est  le  triomphe  odieux  de  la  force  sur  le  droit,  employé  et 
caractérisé  de  nos  jours  par  un  être  que  la  postérité  se  char- 
gera de  clouer  au  pilori  de  l'histoire. 

Les  pauvres  sociétaires,  pourtant,  voulurent  résister,  et 
une  nouvelle  note  du  Courrier,  publiée  le  25  mars,  nous 
l'apprend  en  ces  termes  :  —  «  Passer  outre  à  l'opposition 
formée  par  la  Commission  des  auteurs  à  la  représentation 
des  pièces  nouvelles  que  répète  l'Opéra-Comique,  est  le  parti 
que  vient  de  prendre  ce  théâtre.  En  conséquence,  rAspirant 
de  marine  et  Lestocq  ont  repris  leur  place  au  bas  de  l'affiche. 
Le  premier  de  ces  ouvrages  sera  très  incessamment  repré- 
senté, et  le  second  le  suivra  d'aussi  près  que  le  permettra 
la  confection  des  décors.  »  Mais  les  infortunés  avaient  affaire 
à  forte  partie.  Scribe  avait  eu  le  temps  de  ranger  à  son  avis 
et  de  gagner  à  ses  idées  les  membres  de  la  commission,  si 
bien  qu'en  réponse  à  cette  note  celle-ci  fit  catégoriquement 
défense  à  l'Opéra-Comique  de  jouer  désormais  aucun  ouvrage 
des  membres  de  la  Société  des  auteurs.  En  un  mot,  elle  lui 
retirait  tout  son  répertoire,  ne  lui  laissant  que  la  disposition 
des  pièces  tombées  dans  le  domaine  public. 

Cette  fois,  c'était  la  mort  sans  phrases.  Que  pouvait  l'Opéra- 
Comique,  mis  ainsi  en  interdit  et  étranglé  par  ceux  qu'il 
faisait  vivre  et  qui  auraient  dû  le  soutenir?  La  situation 
devenait  impossible.  Le  31  mars  le  théâtre  donnait  son  der- 
nier spectacle,  et  le  lendemain  il  fermait  ses  portes,  laissant 
tout  d'un  coup  sur  le  pavé,  grâce  aux  aimables  exploits  de 
messieurs  les  auteurs,  trois  cents  artistes  ou  employés  de 
toute  sorte. 

Le  Courrier  deslThéâtres  expliquait  cette  fermeture  à  sa  ma- 
nière, dans  son  numéro  du  2  avril  :  —  «  Ze  relâche  four  cause 
de  réparations  a  commencé  hier  à  l'Opéra-Comique,  disait  ce 
journal.  Il  n'y  a  là,  comme  on  l'a  dit,  rien  qui  constate  le 
mauvais  état  des  affaires  de  la  société  par  laquelle  vient  d'être 
exploité  ce  théâtre.  Il  sera  prouvé,  au  contraire,  que  ses 
recettes  ont  largement  égalé  ses  dépenses  pendant  toute  la 
durée  de  sa  gestion,  qui  a  été  de  dix-huit  mois.  Cette  clô- 
ture est  plutôt  une  preuve  de  la  conclusion  des  affaires 
entamées  depuis  assez  longtemps  dans  le  but  de  réunir 
l'Opéra  et  l'Opéra-Comique  sous  une  même  administration  ; 
et  elle  témoigne  de  la  bonne  harmonie  qui  règne  entre  les 
deux  futurs  directeurs-associés  et  le  gérant  de  Iz.  société  Paul 
Dutreck  (sic)  et  compagnie,  puisque  ladite  clôture  n'aurait  point 
eu  lieu  sans  cet  accord  entre  les  parties.  Ce  premier  pas 
fait,  le  reste  doit  marcher  promptement,  et  c'est  ce  que 
tout  le  monde  demande,  au  nom  des  intérêts  généraux 
d'abord,  puis  des  intérêts  privés.   » 

Trois  semaines  pourtant  s'écoulèrent  encore  avant  que  le 
ministère  se  décidât  à  faire  cesser  une  situation  qui  engen- 
drait tant  de  souffrances  et  lésait  tant  d'intérêts.  Enfin,  le 
24  avril,  le  Courrier  pouvait  annoncer  en  ces  termes  la  fin  de 
cette  crise  fâcheuse  :  «  C'estfait.  M.  Crosnier  est  directeur  du 
théâtre  de  l'Opéra-Comique.  Le  privilège,  signé  par  M.  Thiers, 
ministre  de  l'intérieur,  est  pour  six  années,  avec  une  subvention 
de  180.000  francs  pour  chacune  d'elles,  et  moyennant  un 
cahier  des  charges  stipulé  largement  et  de  manière  à  rendre 
l'exploitation  heureuse.  Ce  choix  est  agréable  aux  auteurs, 
qui  se  sont  montrés,  comme  on  l'a  vu,  très  difiBciles  sous 
ce  rapport.  Quant  aux  artistes  de  l'Opéra-Comique,  leur 
satisfaction  ne  saurait  être  mise  en  doute,  puisque,  d'une 
part,  ils  trouvent  le  terme  du  malaise  dont  ils  souffraient 
déjà  beaucoup,  et  que,  de  l'autre,  les  précédents  adminis- 
tratifs, ainsi  que  le  caractère  de  M.  Crosnier,  leur  donnent 
tous  les  gages  qu'ils  pouvaient  désirer.  » 

Cette  fois,  la  combinaison  était  sérieuse.  Le  privilège  était 
au  nom  de  Crosnier,  qui,  en  prenant  possession,  s'attachait 
comme  associé  Alphonse  Cerfberr  avec  le  titre  d'administra- 
teur. Crosnier  avait  donné  des  preuves  d'habileté  à  la  Porte- 
Saint-Martin;  il  n'en  devait  pas  moins  montrer  à  l'Opéra- 
Comique,  où  son  activité  et  son  désir  de  bien  faire  ne  purent 


un  instant  être  mis  en  doute.  La  troupe  fut  aussitôt  recons 
tituée,  et  aux  artistes  qui  avaient  fait  jusqu'alors  sa  force  et 
son  honneur,  vinrent  se  joindre  bientôt  de  nouvelles  et 
puissantes  recrues  qui  la  complétèrent  de  la  façon  la  plus 
heureuse.  Une  ère  nouvelle  s'ouvrait  véritablîment  pour 
rOpéra-Comique,  qui,  après  tant  de  secousses  et  de  vicissi- 
tudes de  toutes  sortes,  après  tant  d'années  de  troubles  et 
d'inquiétudes,  allait  entrer  enfin  dans  une  période  d'apaise- 
ment, de  tranquillité  et  de  travail  fécond  qui  devait  relever 
tous  les  courages  et  assurer  le  succès  de  l'entreprise. 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU     SALON    DES     CHAMPS-ELYSÉES 


(Cinquième  article). 

Bien  tombé,  le  commerce  de  la  féerie,  —  et  j'en  pleure.  De  toutes 
les  spécialités  théâtrales  c'était  la  moins  littéraire  et  la  plus  repo- 
sante, la  moins  alambiquée  et  la  plus  réconfortante,  celle  qui  deman- 
dait la  moindre  attention  à  la  critique  et  permettait  la  plus  grande 
variété  au  metteur  en  scène.  A-t-el!e  jamais  donné  la  méningite  aux 
petits  enfants,  comme  l'ont  prétendu  des  fabricants  de  drames  histo- 
riques jaloux  de  la  concurrence?  J'en  doute  fort.  Quant  aux  grandes 
personnes  elles  ont  dû.  aux  féeries  leurs  meilleures  soirées,  celles 
dont  l'insondable  bêtise,  l'essentielle  ineptie  ne  suggéraient  que  des 
rêves  parsemés  de  calembours,  diaprés  de  coq-à-l'àne,  illuminés 
d'un  flamboiement  de  lumière  électrique.  Hélas  !  le  genre  est  en 
décadence:  on  n'adapte  plus  ni  légendes  ni  fabliaux  ;  le  Châtelet, 
lui-même,  a  remplacé  la  Fée  des  bruyères  par  Catherine  de  Ru.ssie, 
beauté  moins  suave.  Heureusement,  nous  reste-t-il  quelques  peintres 
décoratifs  ou  décorateurs  fidèles  aux  anciennes  traditions  ;  par  exem- 
ple, M.  Blanchon,  l'auteur  de  la  Cuisine  des  étoiles,  plafond  de  salle  à 
manger.  Dans  ce  panneau  plutôt...  inattendu,  on  voit  des  marmitons 
en  blanc  costume  escalader  des  nuages  de  crème  fouettée  pour  porter 
des  langoustes  en  belle-vue  et  de  succulents  pâtés  aux  étoiles  qu'on 
ne  soupçonnait  guère  d'une  pareille  gourmandise.  Nous  sommes  en 
pleine  féerie  ;  nous  pouvons  croire  que  MM.  Floury  fils  ont  ajouté 
un  tableau  auxPiZittes  du  Diable  ou  à  Ceiidrillon.  Béni  soit  M.  Blanchoa 
de  nous  donner  cette  minute  d'illusion. 

Autre  féeriste,  M.  La  Lyre,  et  dans  les  sirènes  blessées  qui  font 
penser  aux  Rubens  de  la  grande  galerie  du  Louvre,  et  surtout  dans 
son  Moïse  recueilli  par  la  fille  de  Pharaon.  Ce  commentaire  pictural 
du  verset  de  l'Exode  :  «  ...  Et  ayant  ouvert  la  corbeille  elle  vit  l'en- 
fant; et  elle  vit  l'enfant  pleurer  et  elle  en  fut  touchée  de  compassion 
et  dit:  c'est  un  des  enfants  de  ces  Hébreux...  »  donne  l'impression 
peu  biblique  d'un  ballet  pour  les  Folies-Bergère  :  rien  n'y  manque, 
ni  les  accessoires  voyants,  ni  les  carnations  abondantes,  ni  les  effets 
de  maillot.  Et  voici  une  vraie  fée,  qui  ne  rougit  pas  de  sa  profession, 
qui  l'avoue  même  ingénument  sur  le  catalogue  :  la  Fée  aux  chansons, 
de  M.  Ernest  Martens.  A  la  féeris  noble,  ou,  pour  mieux  dire,  au 
grand  opéra  classique  et  louis-quatorzien,  à  l'opéra  emperruqué  se 
rattachent  les  nymphes  de  M.  Lauth  rapportant  ses  armes  à  Perses 
dans  un  paysage  genre  Puvis  de  Ghavannes  oii  s'épanouissent  de 
pâles  iris  —  les  fleurs  à  la  mode  au  salon  des  Champs-Elysées. 

Beaucoup  moins  gais,  —  oh  !  combien  moins  —  la  plupart  des  sym- 
bolistes dont  les  tableaux  nous  raccrochent  à  chaque  tournant  de 
galerie.  Voici  le  macabre  Chemin  de  la  mort,  de  M.  Trigoulet  installé 
dans  le  vestibule  du  Salon:  une  gueule  béante  de  sphinx  camard; 
la  boule  au  trou  pour  les  fêtes  foraines.  Les  boules  qui  servent  à  ce 
jeu,  renouvelé  de  Neuilly,  Saint-Cloud  et  les  Loges,  sont  des  rois  et 
des  mendiants,  des  prélats  et  des  mécréants,  des  milliardaires  et  des 
bohèmes.  A  tout  coup  l'on  plonge.  La  Reine  des  Rois,  de  M.  Louis  Bé- 
roud,  est  inspirée  de  ces  vers  de  Sully-Prudhomme  : 

Reine  des  rois,  je  plains  qui  t'ose  aimer! 

Beauté,  to  voir  cache  un  martyre, 

Te  désirer  n'est  qu'un  délire. 

Tu  n'offres  que  pour  affamer... 

Au  pied  de  la  beauté  assise  sur  un  trône,  les  grands  de  la  terre  se 
prosternent  tandis  que  dans  le  fond  du  tableau  se  battent  des  athlètes 
en  costume  de  conseil  de  revision.  —  Plus  délicate  et  d'exécution 
plus  fine,  la  composition  symbolique  de  M.  Jean  Veber,  l'Homme  aux 
poupées.  Dans  une  chambre  grillagée  comme  un  cabanon,  uu  homme 
à  la  figure  fatiguée  est  assis  entouré  de  poupées  brisées  et  sanglantes. 


LE  MÉNESTREL 


17d 


une  madone,  une  Minerve,  une  châtelaine  en  ses  oripeaux  moyen- 
âge,  etc.,  etc.  De  ses  mains  nouées  d'un  violent  effort,  il  émiette  une 
autre  poupée  portant  sur  sa  tête  la  couronne  de  lauriers  et  qui  re- 
présente la  gloire  ou  l'ambition.  Pendant  qu'il  s'épuise  à  meurtrir 
ainsi  ses  chimères,  la  beauté  vraie,  la  beauté  en  chair  rose  et  en  che- 
veux d'or  ruisselant  sur  ses  épaules,  s'offre  à  lui  sans  qu'il  ait  seule- 
ment un  regard  pour  la  créature  vivante.  Œuvre  intéressante  et  fine, 
d'une  exécution  serrée  et  d'un  symbolisme  accessible  à  la  foule. 

Vous  plaît-il  maintenant  de  savoir  comment  la  Réalité  s'y  prend 
pour  «  chasser  le  Rêve  »  ?  M.  Gumery  vous  le  montrera  en  un  tableau 
qui  n'est  pas  indifférent.  —  Voulez-vous  connaître  les  idées  de 
M.  Bondoux  sur  la  façon  dont  la  Chimère,  gibier  capricieux,  se  dé- 
robe à  ses  chasseurs  sans  toutefois  les  décourager?  Ce  sont  des  idées 
plutôt  gaies  et  vraiment  spéciales.  La  Chimère  de  M.  Bondoux,  pelo- 
tonnée en  boule,  dans  la  pose  d'une  Vénus  accroupie  dont  les  genoux 
rejoindraient  la  poitrine,  fuit  ses  poursuivants  en  leur  faisant  face, 
si  j'ose  m'exprimer  ainsi.  Quant  à  M.  Destrem,  sa  toile  n'est  qu'une 
vision,  d'ailleurs  étrange  :  la  Symphonie  fantastique.  Une  plaine,  au 
clair  de  lune.  Un  Berlioz  immense,  dégingandé  comme  un  Paganini. 
Autour  de  lui,  des  centaines  de  spectres  de  musiciens  alignés  devant 
d'autres  centaines  de  fantômes  de  pupitres  qu'éclairent  de  vagues 
apparences  de  cierges  ou  de  bougies. 

Chemin  faisant,  je  retrouve  deux  compositions  allégoriques,  la  Tou- 
louse de  M.  Edmond  Yarz,  qui  ne  laissera  pas  indifférents  les  innom- 
brables Toulousains  de  notre  colonie  artistique  parisienne,  et  la 
Glorification  de  la  Bourgogne  de  M.  Henri  Lévy,  toile  destinée  à  l'Hôtel 
de  ville  de  Dijon.  Dans  celte  grande  page  d'apparat,  d'un  coloris 
romantique,  la  Musique,  la  Peinture  et  la  Poésie  sont  groupées  aux 
pieds  d'une  Bourgogne  que  j'aurais  voulue  plus  plantureuse.  Parmi 
les  gloires  de  la  province,  Rude,  Prudhon,  l'architecte  Sambin, 
Rameau,  Buffon,  Bossuet,  Lacordaire,  Crébillon,  Greuze,  Piron,  le 
président  Des  Brosses  —  et  même  Lamartine,  qui  est  d'ailleurs  fort 
mal  placé,  beaucoup  plus  mal  que  Piron  et  Sambin.  Pauvre  grand 
Lamartine!  la  déveine  le  poursuit  par  delà  le  tombeau.  Pas  de  marbre 
présentable.  Et  dans  une  composition  allégorique  qu'il  devrait  centrer, 
le  mauvais  coin  !  Heureusement  sa  gloire  ne  s'en  porte  pas  plus 
mal.  Il  semble  même  qu'elle  soit  en  train  de  reprendre  de  l'avance 
sur  l'illustration  longtemps  encombrante  et  même  accapareuse  de 
Victor  Hugo. 

Kst-ce  un  tableau  de  nu,  est-ce  une  peinture  historique,  la  grande 
toile  de  M.  de  Laubadère  représentant  les  captifs  livrés  aux  bêtes 
dans  l'arène?  Ce  point  reste  douteux,  mais  la  scène  est  disposée  avec 
quelque  nouveauté  dans  l'arrangement.  Les  bêles  fauves  ne  jouent 
qu'un  rôle  très  effacé  dans  ce  terrible  finale  des  Martyrs  ;  on  n'aperçoit 
même  qu'un  seul  lion,  un  pauvre  petit  lion  de  rien  du  tout  ou  de  peu 
de  chose  à  la  porte  de  la  geôle.  Mais  la  meute  hurlante  qu'a  di.ssi- 
mulée  M.  de  Laubadère,  les  victimes  la  voient;  le  groupe  s'est  con- 
centré au  milieu  de  l'arène;  les  femmes  s'évanouissent;  les  gladiateurs 
vaincus  cherchent  leurs  armes  ;  un  Gaulois  attend  son  sort  avec  rési- 
gnation ;  d'autres  condamnés,  pour  prolonger  d'une  minute  leur 
agonie,  grimpent  sur  le  soubassement  d'une  statue.  L'ensemble  a  de 
l'équilibre  et  de  la  grandeur. 

De  genre  également  composite  la  Vérité  et  la  Fable  de  M.  de  Brito; 
la  Nature  et  le  Poète  de  M.  Buckland  ;  VHylas  entraîné  par  les  nymphes, 
de  M.  Dabadie  ;  le  tableau  criard  de  M.  Doyen  représentant  la  Foire 
aux  fiancées  en  Assyrie  d'après  cette  assertion  d'ailleurs  peu  vérifiée  du 
grand  voyageur,  grand  conteur  et  grand  hâbleur  Hérodote  :  «  Ceux 
qui  avaient  des  filles  à  marier,  les  amenaient  tous  les  ans  dans  un 
endroit  où  s'assemblaient  autour  d'elles  une  certaine  quantité  d'hom- 
mes. Un  crieur  public  les  faisait  lever  et  les  vendait  toutes  l'une 
après  l'autre  ;  la  Sirène  attirant  les  pécheurs  au  fond  de  la  mer,  de 
M.  Durand  (elle  aurait  manqué  au  rendez-vous  annuel  ainsi  que 
r Ondine  jouant  dans  les  flots  de  M.  Dupuis,  et  te  Muse  des  bois  de  M.  Che- 
vreuil, et  la  Muse  endormie  de  M.  Brunel,  et  la  Fin  de  la  cigale  de 
M.  Durangel,  et  la  nymphe  Égérie  de  M.  Roux-Renard).  Les  Saphos, 
qui  sont  nombreuses,  ne  rentrent  pas  davantage  dans  une  classifi- 
cation précise.  Celle  de  M.  Retru  est  surtout  une  étude  de  rochers; 
celle  de  M.  Tapissier,  une  fantaisie  décorative  ;  enfin  l'héroïne  de 
M.  Lenoir,  tout  au  bout  du  saut  de  Leucade,  se  recommande  comme 
effet  d'aquarium  ;  on  y  voit,  dans  l'eau  glauque  où  glisse  la  poétesse 
des  poissons  rouges  d'une  vérité  surprenante. 

Regardons  au  passage  une  aimable  fantaisie  de  M.  Le  Quesne, 
Madame  la  Pluie,  figure  de  femme  à  la  fois  grelottante  et  souriante 
assise  sur  une  des  gargouilles  des  tours  Notre-Dame  et  arrivons  au 
nu  véritable  avec  la  Vague  de  M.  Bouguereau.  Cette  vague  est  toujours 
la  traduction  par  le  pinceau  du  mythe  éternel:  l'Aphrodite  sortie  de 
l'onde  amère  et  «  fécondant  le  monde  en  tordant  ses  cheveux.  »  Mais 


M.  Bouguereau  l'a  dépouillée  de  tout  appareil,  séparée  de  son  cortège 
de  triions  et  d'Amours.  Elle  est  assise  au  bord  du  rivage,  gracieuse- 
ment repliée  sur  elle-même  et  se  laisse  admirer  sans  plus  de  gêne  ni 
d'impudeur  qu'un  galet  poli  par  le  flot.  L'œuvre  est  d'une  distinction 
que  j'appellerais  rare  si  le  caractère  de  la  peinture  de  M.  Bouguereau 
n'avait  toujours  été  cette  distinction  même  devenue  une  des  formes 
—  ou  des  formules  —  de  la  perfection  et  s'affinant  d'année  en  année. 
L'Anémone  des   bois  de  M.  Raphaël  Collin  est  symbolisée  par  une 
jeune  fille   au  corps    svelte,    à    la  tête   penchée  sur  l'épaule,    dont 
l'épiderme  frissonne  au  contact  de  l'air  et  qui  serre  chastement  sur 
sa  poitrine  un  bouquet  blanc.  Du  Puvis  de  Chavannes  plus  dessiné, 
trop  transparent,   et  la  promesse  d'une  gravure  qui  se  vendra  à  des 
milliers  d'exemplaires,  /-.es  Lucioles  de  M.  Danger  sont  décoratives  ; 
la  figure  nue  de  M.  Guinier,  la   nymphe  Echo  de  M.   Bisson,  l'étude 
de  M.  Larteau  ont  des  qualités  de  délicatesse.  Et  voici  les  rendez- 
vous  de  baigneuses.  M.  "Wencker  expose  ses  femmes  au  grand  plein 
air,  en  été,  près  d'un  lac.  D'un  dessin  peut-être  un  peu  trop  convenu, 
trop  banal  dans  la  correction,  trop  grassouillet  dans  l'élégance,  bref, 
trop  semblables  à  des  héroïnes  de  Georges   Ohnet   en  five  o'clodc  de 
trempette,  elles  ont  cependant  de  la  grâce  et  du  charme.  Plus  d'im- 
précision  et   par  conséquent  plus  de  poésie   dans  les  Baigneuses  de 
M.  Gorguel,  saisies  au  crépascule,  près  d'une  eau  déjà  pénétrée  d'om- 
bre, moins  miroitante  mais  aussi  profonde  que  celle  des  compositions  . 
mythologiques   d'Henner.  Mentionnons   la  Toilette  d'une  nymphe  de 
M.    Tellier,    l'Hymne    à    Séléné    de   M.    Thomas,   la    Baigneme    de 
M.   Sucza-Pinto,    et   la  Floraison  de   M""°  Rongier,    élude   de  jeune 
femme  étendue  au  milieu  des  herbes  folles  et  faisant  sa  moisson  de 
primevères. 

L'Écho  et  Narcisse  de  M.  Boisson,  les  Ondines  de  M.  Rieder,  le& 
Sirènes  de  M.  Tapissier,  déjà  nommé,  — des  sirènes  pour  rasta- 
quouères  folâtrant  entre  un  perroquet  et  un  singe,  sous  ua  pin 
exotique,  piès  d'un  fleuve  qui  semble  une  coulée  de  lave  ardente 
sous  les  rayons  du  soleil  —  ne  sortent  pas  du  déjà  vu  malgré  la 
fantaisie  de  certains  détails.  En  revanche,  M.  Gérôme,  que  nous 
retrouverons  à  la  peinture  de  genre,  a  voulu  faire  du  nouveau  avec 
la  Vérité  émergeant  du  puits.  C'est  une  Vérité  à  l'usage  des  misan- 
thropes, des  Alcestes,  plutôt  que  des  vrais  sages.  Elle  surgit  des 
entrailles  de  la  terre,  non  seulement  animée  de 

Ces  haines  vigoureuses 

Que  doit  donner  le  vice  aux  âmes  vigoureuses 

mais  armée  en  guerre  et  brandissant  le  fouet  de  la  satire  dont 
M.  Gérôme  a  fait  un  martinet  à  cinq  branches.  L'inconvénient  de 
cette  nouvelle  interprétation  du  mythe  est  de  donner  à  cette  pauvre 
Vérité  qu'on  se  figure  généralement  impassible,  à  la  façon  d'une 
déesse  de  l'immuable  Olympe,  l'aspect  farouche  d'une  Euménide 
(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONNIERS   POLITIQUES 

Déjà,  la  musique  avait  prêté  son  langage  ailé  au  martyr  italien 
pour  communiquer  avec  ses  compagnons  d'infortune,  quand,  aux  pre- 
miers jours  de  leur  captivité,  ils  avaient  été  transférés  à  la  prison  de 
Porta-Nueva.  Andryane  commençait  des  chants  français  ou  italiens, 
«  bieo  mélodieux,  bien  expressifs  »,  que  les  détenus  écoutaient  reli- 
gieusement et  dont  ils  reproduisaient  en  chœur  les  parties  qui  répon- 
daient le  mieux  à  leur  organisation  musicale.  Le  vieux  conseiller 
Pi  zzini,  qui  était  inspecteur  des  prisons,  défendit  ces  concerts  qu'il 
trouvait  scandaleux.  «  Il  ne  savait,  disait-il,  ce  qu'il  devait  le  plus 
blâmer,  du  cynisme  des  détenus  ou  de  leur  absence  de  sens  moral  ». 
Andryane  répondit  à  ces  accusations  par  cette  éloquente  justification 
adressée  à  sa  famille  : 

...  0  Peut-être,  ô  mes  chéris  du  cœur,  vous  aura-t-on  dit  que  nous 
chantions?  peut-être  vous  aura-t-on  ajouté  que,  loin  que  nous  fussions 
affligés,  il  fallait  au  contraire  modérer  les  accents  de  notre  insouciante 
o-aieté.  Hélas!  que  celui  qui  vous  aurait  ainsi  parlé  prouverait  bien  qu'il 
connaît  peu  le  cœur  humain  et  surtout  le  cœur  des  prisonniers!...  Les 
chants  ne  sont  pas  faits  seulement  pour  exprimer  la  joie  :  la  tristesse  a 
aussi  ses  accents  bien  plus  sentis,  sans  doute,  car  le  chant  de  l'infortune 
est  une  sorte  d'expansion  du  cœur  qui  supplée  au  récit  des  malheureux,  à 
l'épanchement  de  la  peine  dans  le  sein  de  la  pitié!...  Que  de  fois  une 
chanson  d'enfance,  un  air  national,  n'ont-ils  pas  rappelé  de  touchants  sou- 
venirs et  fait  répandre  de   douces  larmes  !   Que  de  fois  n'ont-ils  pas  ra- 


172 


LE  MENESTREL 


nimé  le  courage  abattu  du  soldat  éloigné  de  sa  patrie,  du  captif  accablé 
sous  le  poids  de  ses  chaînes...  Que  de  fois  un  air  mélancolique  et  tendre 
n'a-t-il  pas  adouci  l'excès  de  mallneur  et  raffermi  une  résignation  prête  à 
s'éteindre  !...  Chante  donc,  pauvre  inlortuné,  qui  ne  respire  plus  l'air  de  la 
liberté,  chante...  verse  sur  tes  plaies  le  baume  bienfaisant  d'une  douce 
harmonie,  les  sons  de  ta  voix  monteroni,  jusqu'à  Dieu,  il  verra  tes  souf- 
frances, il  en  aura  pitié,  chante...  c 

Le  jour  où  Silvio  Pellico  fut  incarcéré  au  Spielberg,  Andryane  lui 
rendit  les  bons  oflices  qu'il  avait  reçus  de  Monpiani.  Pendant  qu'il  se 
promenait  sur  l'étroite  plate-forme,  où  ses  gardiens  le  conduisaient 
respirer  un  peu  d'air,  il  entendit  Silvio  lui  crier  du  fond  de  son  cachot  : 
«  Alessandro  mio,  siffle-moi  quelques-uns  de  ces  airs  de  France  que 
j'entendais  dans  ma  jeunesse  et  qui  me  sont  toujours  resiés  au 
cœur  ».  Accoudé  au  parapet  du  bastion,  Andryane  obéissait  à  cette 
douce  iDJonction:  il  sifflait  la  romance  favorite  de  Silvio: 

Gomme  un  doux  souvenir  de  mes  jours  de  bonheur 
puis  il  passait  à  d'autres  chansons,  à  moins  qu'une  sentinelle,  plus 
méfiante  que  les  autres,  ne  vint  à  lui  crier:   «   Allons,  en  marche, 
galérien,  et  silence». 

Le  roman  venait  quelquefois  peupler  de  ses  lêves  décevants  la  soli- 
tude des  patriotes  italiens.  Un  jour,  Andryane  et  Rinaldini  entendent, 
à  proximité  de  leur  cachot,  les  modulations  d'une  harpe  soutenues 
par  un  cor  anglais;  ils  se  bissent  jusqu'aux  barreaux  de  la  fenêtre 
et  découvrent  dans  une  maison  voisine  les  deux  virtuoses. 

«  C'était  une  douce  et  mystérieuse  musique,  écrit  Andryane;  on 
eût  dit  les  célestes  accords  des  anges  radieux  ».  Il  voit  l'artiste  qui 
jouait  de  la  harpe  :  c'était  une  belle  jeune  femme.  Il  admire  son 
abondante  chevelure,  sa  pose  mélancolique.  Qu'elle  était  ravissante, 
à  celte  heure  indécise  où  le  crépuscule  l'enveloppait  de  son  ombre  ! 
D'une  main,  elle  montrait  son  cœur,  et  de  l'autre,  les  cieux.  Tout  à 
coup  une  fenêtre  s'entrouvre;  la  jeune  femme  porte  ses  yeux  dans 
cette  direction  et  sa  figure  s'éclaire  de  bonheur:  «  Ils  s'étaient  vus  !  » 
Hélas  !  c'était  pour  un  autre  prisonnier  qu'Andryane  que  s'était  donné 
ce  concert  enchanteur. 

Nous  trouvons  aussi  la  femme  chez  Silvio  Pellico,  la  femme  mêlée 
à  ses  rêveries  musicales  de  prison:  mais  sous  le  poète  et  l'artiste 
perce  le  penseur,  le  moraliste,  le  philosophe  moderne,  le  féministe, 
tel  qu'il  nous  apparaît  aujourd'hui  dans  la  personnalité  d'Alexandre 
Dumas  fils. 

Silvio  était  séparé  par  un  mur  peu  épais  du  cachot  des  «  femmes 
perdues  ». 

«  L'une  d'elles,  dil-il,  était  plus  douce  que  toutes  les  autres,  se 
faisait  entendre  plus  rarement  et  ne  proférait  jamais  de  refrains  vul- 
gaires. Klle  chantait  peu  et  répétait  le  plus  souvent  ces  deux  seuls 
■vers  pathétiques  : 

Chi  rende  alla  meschina 
La  sua  félicita? 

»  Quelquefois  elle  chantait  les  litanies.  Ses  compagnes  la  soute- 
naient; mais  je  savais  bien  distinguer  la  voix  de  Madeleine  de  celles 
des  autres,  qui  ne  me  semblaient  que  trop  acharnées  à  me  la  ravir.  <> 

Ces  cachots  du  Spielberg  virent  des  scènes  d'héroïsme  dignes  des 
temps  antiques  et  dont  la  musique  peut  revendiquer  une  glorieuse 
part. 

Le  poète Maroncelli  partageait  la  captivité  de  son  ami  Silvio  Pellico. 
Il  dut  subir  une  amputation  terrible  à  laquelle  assista  le  célèbre 
patriote  qui  l'a  racontée  en  ces  termes  : 

Le  malade  fut  assis  sur  le  bord  du  lit,  les  jambes  en  bas;  je  le  tenais 
entre  mes  bras.  Au-dessus  du  genou,  là  où  la  cuisse  commençait  à  être 
saine,  fut  placée  une  ligature  pour  marquer  le  cercle  que  devait  parcourir 
le  couteau.  Le  vieux  chirurgien  coupa  tout  autour  la  profondeur  d'un  doigt 
puis  tira  en  haut  la  partie  divisée  et  continua  la  section  sur  les  muscles 
dénudés.  Le  sang  coulait  à  torrents  des  artères,  mais  celles-ci  furent  promp- 
tement  liées  avec  un  fil  de  soie.  Enfin  on  scia  l'os. 

Maroncelli  ne  poussa  pas  un  cri.  Lorsqu'il  vit  qu'on  emportait  sa  jambe 
coupée,  il  lui  donna  un  regard  de  compassion,  puis  se  tournant  vers  le 
chirurgien  opérateur,  il  lui  dit  : 

— •  Vous  m'avez  délivré  d'un  ennemi  et  je  n'ai  aucun  moyen  de  vous  en 
récompenser. 

Il  y  avait  une  rose  dans  un  verre  sur  la  fenêtre. 

—  Je  te  prie  de  m'apporter  cette  rose,  me  dit-il. 

Je  la  lui  portai  et  il  l'offrit  au  vieux  chirurgien  en  lui  disant  : 

—  Je  n'ai  pas  autre  chose  à  vous  offrir  en  témoignage  de  ma  recon- 
naissance. 

Celui-ci  prit  la  rose  et  pleura. 

Or,  pendant  les  préparatifs  de  cette  cruelle  opération,  le  sto'ique 
Maroncelli  composait  les  paroles  et  la  musique  d'une  romance  que  les 


curieux  trouveront  dans  V Autographe  de  IS64  —  une  publication  du 
Fiîjaro. 

Au  moment  où  les  patriotes  italiens  étaient  rendus  à  la  liberté,  les 
derniers  ministres  de  Charles  X  en  étaient  privés.  Incarcérés  à  Vin- 
cennes  en  attendant  leur  comparution  de-^ant  la  Chambre  des  pairs, 
ils  n'ignoraient  pas  qu'ils  étaient  inculpés  du  crime  de  haute  trahison 
et  par  conséquent  menacés  de  la  peine  capitale.  Les  représentants 
des  monarchies  absolues  sont,  comme  les  partisans  de  la  révolution, 
exposés  à  ces  jeux  de  bascule  politique. 

En  général,  les  ministres  de  Charles  X  supportèrent  avec  tranquillité 
d'esprit  celle  siluation  critique.  L'un  d'eux.  Gueruon-Ranville,  bon 
musicien  et  doué  d'une  jolie  voix,  passa  une  partie  de  sa  dèlention 
préventive  à  chanter  des  romances  en  s'acconipagnanl  de  la  guitare. 
Il  fut  condamné,  comme  ses  collègues  à  la  réclusion  perpétuelle,  et, 
comme  les  patriotes  italiens,  gracié  après  quelques  années  de  prison. 

Le  prince  de  Polignac,  chef  du  cabinel,  interné  dans  la  citadelle 
de  Ham,  avait  écrit  les  paroles  d'une  romance  qu'il  envoya  à  M"'°  Pau- 
line Ducbambge.  Cette  aimable  compositeur  la  mit  en  musique  et  la 
retourna  à  l'auteur.  Ce  genre  a  repris  faveur  depuis  quelques  années. 
Le  vieux  répertoire  a  retrouvé  son  auditoire  attendri  :  mais  qui  nous 
rendra  la  romance  du  prince  de  Polignac? 

(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


NOXJ"VELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (28  mai).  —  Une  très  curieuse 
séance  de  musique  ancienne  a  été  organisée  par  M.  Gevaert,  lundi  dernier, 
au  Conservatoire,  dans  l'intimité  d'un  petit  auditoire  d'invités  choisis. 
L'éminent  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles  offrait  à  la  Soàété  philo- 
logique, —  dont  le  fondateur,  le  savant  M.  Wagener,  son  ami  et  son  colla- 
borateur, vient  de  mourir,  —  une  conférence  sur  la  musique  grecque,  avec 
audition  de  musique  antique  exécutée  sur  des  instruments  originaux,  ou 
tout  au  moins  reconstitués  d'après  les  originaux  par  M.  Victor  Mahillon. 
On  comprend  l'intérêt  d'une  conférence  de  ce  genre  par  M.  Gevaert,  dont 
l'esprit  donne  du  charme  aux  sujets  les  plus  abstraits;  sa  causerie  a  été 
un  résumé  infiniment  attachant  des  principaux  points  de  l'admirable 
histoire  dont  il  a  récemment  terminé  la  publication,  après  vingt  ans  de 
travail  opiniâtre,  et  les  exemples  dont  il  l'a  accompagnée  lui  ont  donné 
une  saveur  toute  particulière. 

On  a  entendu  notamment,  joués  par  M"*'  Lunssens,  une  série  d'exercices 
et  de  petits  airs  pour  cithare,  en  mode  hypodorien,  extraits  d'un  traité 
anonyme  du  temps  de  l'Empire  romain,  et  rappelant  à  s'y  méprendre  les 
petits  airs  de  nos  méthodes  modernes  de  piano;  —  puis,  chantés  par 
M.  Disy,  un  Hymne  à  la  Muse,  en  mode  dorien,  et  un  Hymne  à  Némésis,  en 
mode  hypophrygien,  tous  deux  du  11"  siècle  après  Jésus-Christ,  ainsi  que 
le  fameux  Hymne  à  Apollon,  avec  'accompagnement  de  cithare,  rétabli  inté- 
gralement par  M.  Gevaert,  et  non  bouleversé  comme  l'avait  fait  tout 
d'abord  M.  Reinach  lors  de  ses  premières  auditions;  —  un  professeur  du 
Conservatoire,  M.  Poncelet,  a  exécuté,  sur  une  tibia  spondaïque,  un  chant 
funèbre  en  mode  syntono-lydien,  et,  sur  un  aulos  double,  une  synaulie  en 
mode  phrygien;  enfin,  un  autre  professeur,  M.  Seha,  a  fait  résonner  d'é- 
clatantes fanfares  romaines  (Trochaeum  et  Classicum)  sur  une  formidable 
buccine. 

Tout  cela  a  obtenu  un  succès  considérable.  Et  ce  qu'il  y  avait  de 
piquant,  dans  l'affaire,  c'est  que  M.  Gevaert  avait  fait  revêtir  aux  exécu- 
tants des  costumes  de  l'époque  !...  La  couleur  locale,  il  n'y  a  que  ça  !  Les 
lunettes  de  M""  Lunssens,  qui  est  myope,  donnaient  peut-être  un  cachet 
imprévu  à  sa  toilette  grecque,  et  détonnaient  certes  sur  sa  blanche  chla- 
myde;  mais  ce  détail  n'a  pas  trop  nui  à  l'impression  générale,  qui  a  été 
très  vive. 

Dans  la  liste  des  nouveaux  chevaliers  de  l'ordre  de  Léopold  que  je  vous 
ai  donnée  la  semaine  dernière,  figure  le  nom  de  M.  Bouhy,  «  professeur  à 
Verviers  ».  Saviez-vous  que  ce  M.  Bouhy,  que  le  Moniteur  a  qualifié  égale- 
ment de  II  compositeur  »,  n'est  autre  que  M.  Jacques  Bouhy,  l'ancien 
chanteur,  qui  a  créé,  à  Paris  l'Érostrate  de  M.  Reyer,  le  rôle  d'Escamillo 
dans  Carmen,  le  Don  César  de  Bazan  de  M.  Massenet,  le  rôle  de  Domingue 
dans  Paul  et  Virginie  et  le  Bravo  de  M.  SalvayreV  Après  sa  brillante  carrière 
artistique,  il  fut  pendant  trois  ans  directeur  du  Conservatoire  de  New- York  ; 
après  quoi  il  s'est  établi  professeur  à  Paris  et....  à  Verviers,  où  il  vient 
passer  tous  les  ans  plusieurs  mois,  près  de  son  vieux  père,  qui  habite  Spa, 
et  où  il  est  né,  —  car  M.  Bouhy  est  Belge  (comme  tant  d'autres  «  étoiles 
parisiennes  !)  ce  qui  lui  a  valu  l'avantage  de  voir  son  nom  dans  la  récente 
fournée  de  décorés  nouveaux.  L.  S. 

—  Prochain  spectacle  Saint-Saëns  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  saiso» 
d89li-1897  :  la  Princesse  jaune,  Phryné  et,  pour  terminer,  un  ballet  nouveau, 
AUboron,  qui,  dans  le  principe,  était  destiné  au  petit  théâtre  parisien  des 
Folies-Marigny  qui  ne  fit  que  passer. 


LE  MENESTREL 


173 


—  Au  banquet  impérial  qui  a  eu  lieu  mardi  dernier  au  Kremlin,  à 
Moscou,  à  la  suite  de  la  cérémonie  du  sacre  de  l'Empereur  dans  la  cathé- 
drale de  l'Assomption,  les  artistes  de  la  musique  impériale  ont  exécuté, 
entre  autres  mmceaux,  une  cantate  expressément  écrite  pour  la  circons- 
tance par  le  jeunn  compositeur  Alexandre  Glazounow.  Durant  le  défilé  du 
cortège  se  rendant  à  l'Assomption,  l'orchestre  de  la  cour  a  fait  entendre, 
outre  l'Hymne  national.  Dieu  protège  le  czar,  la  fanfare  de  l'ouverture  d'Hamlel 
de  Tschaïlcosvsky,  transcrite  pour  une  série  de  trompettes  de  diverses  gran- 
deurs et  de  sonorités  diverses. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (28  mai):  — Fra  Diavolo  interpréta 
par  des  chanteurs  de  grand  opéra,  alourdi  par  des  récitatifs  et  accompagné 
par  cent  instrumentistes,  ressemble  à  une  aquarelle  vue  au  travers  d'un 
verre  grossissant:  les  détails  s'épaississent  et  l'ensemble  s'affaiblit. Le  pim- 
pant chef-d'œuvre  d'Auber  perd  tout  son  parfum,  toute  sa  fraicheur  dans 
l'immense  vaisseau  de  Covent-Garden  ;  il  s'y  trouve  mal  à  l'aise.  M.  de 
Lucia  est  un  excellent  chanteur,  mais  il  n'a  ni  le  genre  de  voix,  ni  la 
prestance  qui  conviennent  au  rôle  de  Fra  Diavolo.  Le  style  et  le  mouve- 
ment des  morceaux  sont  également  dénaturés  par  lui.  La  basse  Bispham 
(lord  Rocburg)  n'est  pas  non  plus  dans  la  note  du  rôle,  lequel  est  dans 
l'emploi  d'un  trial.  W'  Marie  Engle  chante  son  rôle  de  Zerline  de  la  façon 
la  plus  agréable.  La  voix  est  fraîche,  juste,  bien  posée  et  la  vocalisation 
irréprochable.  Si  elle  pouvait  ajouter  à  ces  diverses  qualités  un  peu  d'éclat 
et  de  chaleur,  ce  serait  tout  à  fait  remarquable.  MM.  Pini-Corsi  et  Arimondi 
(Beppo  et  Giacomo)  ont  remporté  le  succès  de  la  soirée.  Leurs  personnifi- 
cations des  deux  joyeux  bandits  sont  des  modèles  de  boufi'onnerie  lyrique 
tels  que  nous  les  ont  légués  les  plus  célèbres  basses  bouffes  de  l'ancien 
Opéra  italien.  L'orchestre,  dirigé  par  M.  Bevignani,  a  accompagné  assez 
confusément  la  délicate  et  toujours  jeune  musique  d'Auber.  L.  Schlesinger. 

—  On  nous  écrit  de  Londres,  23  mai:  «  La  compagnie  électrophone 
avait  convié  hier  soir  la  presse  anglaise  et  les  représentants  de  la  presse 
étjangère  à  une  bien  intéressante  audition,  dans  ses  ateliers  de  Gerrard 
Street.  A  la  suite  d'un  accord  intervenu  entre  les  administrations  française 
et  anglaise,  nous  avons  eu  à  Londres  une  audition  de  la  représentation  du 
jour  à  l'Opéra  et  à  l'Opéra-Comique  de  Paris,  Si  habitué  que  l'on  soit  à 
manier  le  téléphone,  on  éprouve  une  émotion  singulière  à  entendre 
M""^'  Rose  Garon  chanter  à  40"2  kilomètres  de  distance.  Nous  n'oserions  dire 
que  tous  les  sons  nous  sont  parvenus  avec  une  netteté  parfaite.  Les  com- 
munications téléphoniques  se  ressentent  beaucoup  de  l'état  de  la  mer,  et 
dans  certains  jours  de  tempête  on  n'entend  absolument  rien.  Hier  soir, 
par  bonheur,  la  Manche  n'était  pas  trop  agitée  et  d'assez  nombreux  passages 
de  Hdlé  nous  sont  arrivés  très  distincts.  C'est  la  première  fois  qu'une  au- 
dition d'opéra  réussit  sur  une  aussi  grande  distance.  » 

—  Tous  les  grands  journaux  anglais  sans  exception,  le  Times,  le  Daily 
Telegraph  et  le  Globe  en  tête,  prodiguent  les  éloges  à  M"'=  Glotilde  Kleeberg 
qui  donne  eu  ce  moment  des  concerts  à  Londres. 

—  Voici  la  liste  des  compositions  de  la  grande  artiste  qui  avait  nom 
Clara  Schumann,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort  :  Op.  1,  quatre  Polo- 
naises; op.  2,  Caprices  en  forme  de  valses;  op.  3,  Romance  variée;  op.  4, 
Valses  romantiques;  op.  5  et  6,  Soirées  musicales,  10  pièces  caractéristiques; 
op.  7,  Concerto  de  piano  en  la  mineur;  op.  8,  Variations  de  concert  en  ut, 
sur  la  cavatine  d'i7  Pirata,  de  Bellini;  op.  9,  Souveyiir  de  Vienne,  impromptu 
en  vii  ^;  op.  10,  Scherzo  en  ré  mineur;  op.  11,  3  Romances;  op.  12, 
3  lieder  sur  des  poésies  de  Rûckert  (compris  dans  les  12  lieder  de  Robert 
Schumann  op.  37,  dont  ils  forment  les  n"s  2,  i  et  11)  ;  op.  13,  6  lieder;  op.  14, 
deuxième  scherzo  en  ut  mineur;  op.  IS,  4  Pièces  fugitives;  op.  16,  3  Pré- 
ludes et  fugues;  op.  17,  Trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  en  sol  mi- 
neur; op.  18etl9,  (?);  op.  20,  Variations  sur  un  thème  de  Robert  Schumann; 
op.  21,  3  Romances;  op.  22,  (?);  op.  23,  6  lieder.  Enfin,  plusieurs  autres 
lieder,  un  andante  et  allegro  pour  piano  et  des  cadenze  pour  les  deux  con- 
certos de  Beethoven  en  ut  mineur  et  en  sol. 

—  Puisque  nous  parlons  de  M'"^  Clara  Schumann,  enregistrons  la  nou- 
velle donnée  par  la  Gazette  de  Francfort,  qui  croit  savoir  que  la  grande  ar- 
t'ste  a  laissé  un  journal  plein  de  souvenirs  intéressants  sur  les  hautes 
personnalités  et  le  mouvement  de  la  musique  dans  ces  quarante  dernières 
années. 

—  Les  héritiers  de  Richard  Wagner  ont  commencé  toute  une  série  de 
procès  contre  les  théâtres  allemands  qui  ont  acquis  à  forfait  du  vivant  de 
Richard  Wagner  le  droit  de  représenter  ses  œuvres.  Ils  demandent  des 
droits  d'auteur  pour  chaque  représentation.  Le  tribunal  suprême  de  Leip- 
zig vient  de  les  débouter  dd  leur  demande  contre  le  théâtre  de  la  cour  de 
Schwérin;  mais  cela  ne  les  a  pas  découragés  et  ils  intentent  un  procès  de 
même  nature  au  théâtre  grand-ducal  de  Weimar,  qui  pourtant  est  en  mesure 
de  produire  des  traités  conclus  avec  Richard  Wagner  en  1877  et  en  1878. 
Plusieurs  journaux  allemands  jugent  le  procédé  dans  des  termes  assez 
sévères,  car  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  théâtre  de  Weimar  a  été,  grâce  à 
Liszt,  le  premier  où  Wagner,  à  cette  époque  fugitif  politique,  a  pu  faire 
jouer  pour  la  première  fois  son  Lohengrin,  et  arriver  à  la  notoriété.  loutile 
d'insister  sur  tout  ce  que  Richard  Wagner  doit  à  Liszt  et  au  théâtre  de 
Weimar;  ses  héritiers  seuls  semblent  l'oublier  puisqu'ils  demandent  au 
tribunal  de  Weimar  un  jugement  interdisant  au  théâtre  grand-ducal  de 
représenter  U  Valkyrie  avant  l'époque  où  cette  œuvre  sera  tombée  dans  le 
domaine  public  ! 


—  L'Opéra  royal  de  Berlin  a  joué,  pour  la  première  fois,  un  nouvel 
opéra  en  trois  actes  intitulé:  Ingo,  livret  tiré  d'un  roman  historique  (es 
Ancêtres,  de  Gustave  Freylag,  musique  de  M.  Philippe  Ruefer.  L'œuvre  a 
remporté  un  grand  succès,  qui  est  dû  surtout  à  l'orchestration  que  le  com- 
positeur a  traitée  avec  beaucoup  d'art. 

—  Il  parait  qu'on  réunit  en  ce  moment  à  Munich  une  «  troupe  monstre» 
d'opérette,  qui  est  destinée  à  parcourir  l'Europe  dans  une  grande  tournée 
pour  faire  connaître  les  chefs-d'œuvre  du  genre  éclos  en  Allemagne.  Ainsi 
qu'on  le  fait  dans  un  autre  ordre  d'idées  pour  les  représentations  de  Bay- 
reuth,  on  écréme,  pour  former  cette  troupe,  celles  des  meilleurs  théâtres 
allemands  où  l'on  joue  l'opérette.  Ceci,  d'ailleurs,  n'est  point  affaire  de 
spéculation,  et  on  assure  que  le  directeur  de  cette  compagnie  de  choix 
n'est  autre  qu'un  noble  duc,  fort  riche  et  follement  épris  d'une  jeune  chan- 
teuse qu'il  veut  faire  ainsi  briller  d'une  façon  exceptionnelle.  Décors, 
costumes,  matériel,  tout  sera  entièrement  neuf  et  de  grand  Iuxp,  et  jamais 
on  n'aura  vu  opérettes  montées  avec  une  telle  splendeur.  Cette  troupe  mo- 
dèle commencera  par  parcourir  les  différents  États  de  l'Allemagne,  après 
quoi  elle  visitera  la  Suisse  pour  se  rendre  ensuite  en  Italie. 

—  La  junte  municipale  de  Vigevano,  ville  où  l'excellent  compositeur 
Cagnoni,  dont  nous  annoncions  récemment  la  mort,  remplit  pendant  plu- 
sieurs années  les  fonctions  de  maître  de  chapelle,  a  décidé  de  donner  à 
l'une  des  rues  de  cette  ville  le  nom  de  rue  Antonio  Cagnoni.  Le  théâtre, 
lui  aussi,  prendra  le  nom  de  théâtre  Cagnoni.  La  junte  est  encore  dans 
l'intention  de  réclamer  les  restes  du  compositeur,  pour  être  inhumés  dans 
le  caveau  qui  porte  déjà  le  nom  des  familles  de  Benedetti-Cagnoni. 

—  C'est  aujourd'hui,  31  mai,  que  doivent  avoir  lieu  à  Pescia  les  fêtes 
pour  le  centenaire  du  compositeur  Giovanni  Pacini,  le  vieil  ami  de  Mer- 
cadante,  de  Rossini  et  de  Donizetti.  Entre  autres,  on  doit  donner,  à  cette 
occasion,  un  grand  concert  au  théâtre  Pacini,  et  un  grand  festival  sur  la 
piazza  Vittorio-Emanuele,  festival  auquel  prendront  part  les  bandes  musi- 
cales de  Pescia,  de  Monsummano  et  de  Ponte  a  Buggiano,  qui  toutes  trois 
exécuteront  des  fragments  de  divers  ouvrages  du  vieux  maître  :  Medea, 
il  Sallimbanco,  la  Fidanzata  corsa,  etc. 

—  A  Reggio  de  Calabre,  a  été  représentée  avec  succès  une  opérette  nou- 
velle en  trois  actes,  la  Fondazione  di  Napoli,  dont  la  musique  a  été  écrite 
par  M.  Morrâ. 

—  Les  municipes  italiens  ont  parfois  des  idées  burlesques  en  matière 
musicale.  Celui  de  Salerne  vient  d'ouvrir  un  concours  pour  la  place  de 
flûte  dans  la  musique  communale.  Pas  très  généreux  de  sa  nature,  ce  mu- 
nicipe  ofl're  fastueusement  40  francs  par  mois  à  l'artiste  qui  sortira  vainqueur 
de  ce  concours,  si  plusieurs  compétiteurs  se  sont  présentés,  mais  il  abaisse 
ce  chiffre  à  2o  francs  si  un  seul  concurrent  affronte  l'épreuve  11! 

—  On  nous  écrit  de  Montréal  :  «  L'orchestre  symphonique  de  notre  ville, 
qui  est  une  association  coopérative,  vient  de  terminer  sa  seconde  saison, 
et  le  succès  a  été  tellement  important  que  l'avenir  de  cette  entreprise  artis- 
tique semble  désormais  assuré.  Cela  est  d'autant  plus  intéressant  que  les 
prix  d'entrée  ont  été  fixés  à  un  véritable  minimum  et  permettent  à  tous 
les  amateurs  de  bonne  musique  d'assister  aux  concerts  de  celte  société. 
On  trouve  des  places  réservées  à  2  fr.  50  c.  et  à  2  francs  et  l'entrée  est 
de  1  fr.  25  c.  ;  impossible  de  demander  davantage.  Dans  les  programmes 
des  concerts,  la  musique  française  joue  un  rôle  considérable.  Nous  y  trou- 
vons les  Scènes  pittoresques  et  le  Dernier  sommeil  de  la  Vierge  de  Massenel,  des 
fragments  de  le  Roi  l'a  dit  de  Delibes,  les  ouvertures  de  Mignon  et  de  Ray- 
mond  d'Ambroise  Thomas,  des  fragments  de  Sigurd  de  Reyer  et  A'Aben- 
Hamet  de  Théodore  Dubois,  et  le  Saticla  Maria  de  J.  Faure.  Les  chefs  d'or- 
chestre, MM.  Couture  etGérôme,  ont  déployé  beaucoup  de  talent  et  d'éner- 
gie, et  le  succès  de  l'entreprise  doit  leur  être  attribué  en  grande  partie.  » 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Tout  le,  succès  que  faisait  prévoir  la  répétition  de  gala  d'Hamlet  s'est 
réalisé  à  la  première  représentation.  Mêmes  grands  applaudissements  pour 
M""=  Melba,  M.  Renaud  et  M"«  Deschamps-Jehin.  La  recette  a  dépassé 
22.000  francs.  C'est  vraiment  coquet.  Hier  samedi,  on  donnait  la  deuxième 
représentation. 

—  C'est  le  lundi  8  juin  que  M.  Van  Dyck  chantera  à  l'Opéra  Lohengrin,  et 
le  vendredi  12  qu'il  chantera  le  Tannhâuser.  M'"^  Kutscherra  débutera  le 
lundi  15  mars  dans  le  rôle  de  Sieglinde,  de  la  Valkyrie.  Peut-être  les  abon- 
nés auront-ils  la  surprise  d'entendre  ce  même  soir  M.  Van  Dyck  à  côté  de 
la  nouvelle  interprète  de  Wagner. 

—  Le  programme  officiel  de  l'Opéra  pour  la  prochaine  saison  1896-1897 
paraît  ainsi  arrêté  :  reprise  i'Hellc  en  septembre,  avec  les  créateurs  ;  Don 
Juan  en  octobre,  avec  M.  Renaud  ;  en  novembre,  Tamara,  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray,  et  le  ballet  de  MM.  Wormser,  Aderer  et  Camille  de  Roddaz  : 
l'Étoile,  avecM"=Mauri  ;en  mars,  ilfessidor,  l'opéra  de  M.  Alfred  Bruneau,  sur 
le  livret  de  M.  Emile  Zola.  —  Voilà  l'officiel.  Mais  quelques  surprises 
encore  pourraient  venir  s'ajouter  à  toutes  ces  promesses.  C'est  ainsi  qu'il 
est  fort  question  de  la  remise  à  la  scène  du  ballet  Namouna,  d'Edouard 
Lalo. 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  reprise  du  Pardon  de  Ploërmel  sera  pour  l'autre 
semaine,  suivie  de  près  de  la  Femme  de  Claude  et  d'une  reprise  de  Don 
Pasquale. 


17/1. 


LE  MÉNESTREL 


—  Au  même  théâtre,  M"'  Fernande  Dubois  a  pris  très  heureuse  posses- 
sion du  rôle  de  ilignon,  dans  la  version  originale  de  Galli-Marié.  Le  public 
l'a  très  chaleureusement  accueillie. 

—  Mardi  dernier,  à  l'occasion  de  la  fête  du  couronnement  du  czar,  la 
représentation  d'Orphée  à  l'Opéra-Comique  s'est  terminée  par  l'exécution 
d'un  arrangement  de  la  Marseillaise  et  de  Vllymne  russe  spécialement  écrit 
pour  la  circonstance  par  M.  Paul  Puget.  On  a  touIu  l'entendre  a'ois  fois 
de  suite!  De  son  côté,  la  Comédie-Française,  dans  un  entr'acte  de  YHamlet 
de  M.  Paul  Meurice,  a  fait  entendre  l'Hymne  russe  par  son  orchestre.  Enfin, 
le  petit  Théàtre-Vivienne  lui-même,  qui  ne  se  refuse  rien,  a  fait  exécuter, 
entre  les  V isitandines  et  l'Epreuve  villageoise,  Vnynme  russe  et  la  Marseillaise. 

: —  Les  professeurs  du  Conservatoire  ont  offert  un  banquet  à  M.  Emile 
Kéty,  qui,  après  tant  d'années  de  bons  et  loyaux  services,  a  décidé  de 
quitter  l'administration  de  la  glorieuse  école.  Le  restaurant  Marguery 
s'était  à  cette  occasion  tout  particulièrement  signalé  et  avait,  comme  on 
dit,  mis  les  petits  plats  dans  les  grands.  On  pense  si  le  diner  fut  cordial 
et  les  toasts  nombreux.  Insistons  surtout  sur  celui  du  directeur  des  beaux- 
arts,  qui  a  annoncé  que  le  Conservatotre  ne  perdrait  pas  tout  à  fait 
M.  Emile  Réty,  puisque  le  ministre  l'allait  nommer  administrateur  hono- 
raire et  membre  du  conseil  supérieur  d'enseignement.  Au  cours  du  ban- 
quet, M.  Lenepveu  avait  remis  à  M.  Réty  une  fort  belle  médaille  gravée 
par  M.  Chaplain,  avec  une  adresse  signée  par  tous  les  professeurs  de 
l'école. 

—  Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  décerné  le  prix 
Chartier  (500  francs),  destiné  à  encourager,  dans  la  personne  d'un  compo- 
siteur français  la  musique  dite  «  de  chambre  »,  à  M.  F.  de  la  Tombelle, 
a  auteur  d'œuvres  rentrant  tout  à  fait  dans  le  vrai  style  de  cette  musique  >■; 
et  le  pris  Monbinne  (3.000  francs),  destiné  à  récompenser  l'auteur  de  la 
musique  d'un  opéra-comique  en  un  ou  plusieurs  actes,  à  M.  Paul  Vidal, 
pour  son  opéra-comique  en  trois  actes,  Guemica,  représenté  au  théâtre  de 
rOpéra-Comique  en  1893. 

—  Au  cours  du  long  séjour  qu'il  a  fait  cet  hiver  en  Egypte,  particulière- 
ment à  Louqsor,  où  il  est  resté  plusieurs  mois,  M.  Saint-Saëns  n'a  pas 
seulement  composé  le  concerto  de  piano  et  la  sonate  piano  et  violon  qu'il 
doit  jouer  à  son  concert  du  2  juin  (et  qui' n'est  point,  comme  le  croit  un 
de  nos  confrères,  celle  qu'il  a  exécutée  avec  M.  Sarasate  au  concert  de  ce 
dernier).  Il  a  écrit  encore  plusieurs  autres  morceaux,  entre  autres  une 
Berceuse  pour  piano,  dédiée  à  l'enfant  nouveau-né  d'une  famille  amie,  et 
un  duo  vocal  pour  ténor  et  baryton,  dont  il  est  à  la  fois  le  poète  et  le 
musicien,  et  qui  est  destiné  à  être  chanté  par  MM.  Alvarez  et  Renaud. 

—  'Voici  le  programme  complet  du  concert  Saint-Saëns  qui  aura  lieu 
après-demain  mardi,  2  juin,  à  la  salle  Pleyel;  l'orchestre,  exclusivement 
composé  d'artistes  de  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  sera  dirigé 
M.  Taffanel  : 

Ouverture  des  Noces  de  Figaro  (Mozart),  exécutée  au  concert  de  1846;  l'orches- 
tre ;  5°  concerto  pour  piano  et  orchestre  (op.  103)  (C.  Saint-Saëns),  1"  audition  : 
l'auteur;  Introduction  du  2'  acte  de  Phryné:  l'orchestre;  Romance  pour  Ilûte  et 
orchestre  (op.  37)  ;  P.  Taffanel,  l'orchestre  sous  la  direction  de  l'auteur  ;  2'  sonate 
pour  piano  et  violon  (op.  102),  1"  audition:  P.  Sarasate  et  l'auteur;  la  Mort  de 
Thaïs  (Massenet-Saint-Saëns|  :  C.  Saint-Saëns  ;  4«  concerto  en  si  bémol  (Mozart), 
exécuté  au  concert  de  1846  :  C.  Saint-Saëns  et  l'orchestre. 

Dès  le  lendemain  de  ce  concert,  M.  Saint-Saiins  ira  s'installer  à  Saint- 
Germain  pour  y  terminer  l'orchestration  du  ballet  dont  nous  parlons  plus 
haut  et  qui  doit  être  joué  à  Bruxelles. 

—  M.  Théodore  Dubois,  le  nouveau  directeur  du  Conservatoire,  vient  de 
terminer  la  composition  d'un  poème  légendaire.  Notre  Dame  de  la  Mer.  Cet 
ouvrage,  dont  la  partition  comprend  dix  numéros,  est  écrit  pour  soprano, 
mezzo,  ténor,  chœur  et  orchestre.  Il  sera  exécuté  à  Paris  au  cours  de  la 
saison  prochaine. 

—  L'église  Saint-Gervais  a  célébré  avec  un  grand  éclat  musical  la  fête  de 
la  Pentecôte.  Les  excellents  chanteurs  de  Saint-Gervais,  sous  la  direction  de 
M.  Charles  Bordes,  ont  donné  une  remarquable  exécution  de  l'admirable 
Messe  du  pape  Marcel,  de  Palestrina,  après  quoi  ils  ont  fait  entendre,  au 
salut,  plusieurs  motets  couronnés  aux  concours  de  la  Schola  canlorum  et 
qui  ont  pour  auteurs  M.  P.  Jumel  et  MM.  les  abbés  Boyer,  Perruchot  et 
Ghassang. 

—  Le  New-York  Herald  annonce  la  déconfiture  des  grands  managers 
Abbey  et  Grau,  Ils  avaient  fort  gagné  dans  leur  sai.=on  au  Metropolitan 
Opéra,  Mais  plusieurs  autres  entreprises  qu'ils  menaient  de  front  ont  amené 
leur  ruine.  On  parle  de  SO  0/0  qui  pourraient  être  distribués  aux  créanciers. 
D'ailleurs  MM,  Abbey  et  Grau  ne  pensent  pas  s'arrêter  pour  si  peu  —  ce 
sont  aventures  communes  en  Amérique  —  et  ils  reprendront  leurs  affaires, 
l'an  prochain,  comme  si  de  rien  n'était. 

—  L'Empereur  Napoléon,  le  beau  drame  épique  de  Ch.  Grandmougin,  joué 
chez  M""=  Adam,  au  théâtre  des  Poètes  et  aux  Bouffes-du-Nord,  vient  d'ob- 
tenir à  Châlons,  à  Besançon  et  à  Vesoul  un  éclatant  succès.  La  tournée 
Delétras  emporte  l'œuvre  dans  le  Midi.  M.  Charpentier  (des  Français)  joue 
le  rôle  de  Napoléon  I"  avec  une  autorité  qui  le  fait  acclamer  partout. 

—  Deux  souscriptions  nous  sont  encore  arrivées  pour  le  monument  de 
M™«  Carvalho,  trop  tard  pour  être  mentionnées  dans  notre  dernière  liste  : 
celle  de  M.  Edouard  Mougin  (20  fr.)  et  celle  de  M"""  Léon  Delatosse  (10  fr.). 


Ajoutons  que  la  souscription  de  50  francs,  que  nous  avions  attribuée  à  un 
M.  Francès  Saville,  abusés  par  ce  prénom  tout  viril  de  Francès,  doit  être 
reportée  â  M"""  Saville,  la  gracieuse  pensionnaire  de  l'Opéra-Comique. 

—  A  la  Bodinière,  charmante  conférence  de  M.  Lefèvre  sur  les  grandes 
chansons,  suivie  de  l'exécution  de  quelques  mélodies  par  le  baryton  Victor 
Maurel,  accompagné  au  piano  par  les  compositeurs  eux-mêmes.  Remar- 
qué surtout  .Marquise  de  Massenet,  Par  le  sentier  de  Dubois,  l'Heure  e.rquise 
de  Reynaldo  Hahn,  le  Chevalier  Belle-Étoile  d'Augusta  Holmes,,  etc.,  etc. 

—  L'année  scolaire  de  l'école  Marchesi  a  pris  fin,  samedi  dernier,  par  une 
brillante  audition  d'élèves  qui,  comme  toujours,  avait  réuni  à  le  salle 
Erard  un  fort  contingent  d'artistes  et  d'amateurs,  auxquels  s'étaient  joints 
de  nombreux  membres  des  colonies  étrangères  désireux  d'assister  à 
l'épreuve  que  subissaient  leurs  jeunes  compatriotes.  Succès  très  grand,  cette 
fois  encore,  pour  le  remarquable  enseignement  de  M'™  Marchesi,  dont  tant 
déjeunes  élèves  déjà  distinguées  faisaient  ressortir  toute  la  valeur.  Dix-huit 
demoiselles  se  présentaient  devant  ce  public  choisi,  parmi  lesquelles  quatre 
anglaises,  dix  américaines  et  quatre  russes.  On  a  surtout  applaudi  et  rap- 
pelé W^'^  Sylvana  (lieder  de  Schumannj,  Eltinger  (Mysolide  la  Perle  du  Brésil), 
Taggart  (Nocesde  Figaro),  Marra  (Faust),  Toronta  (le  Chevalier  Jean),  Kosminka 
(Mignon),  Boucicaull  (la  Traviata),  Aïssa  (le  Prophète),  Fraccisca  (Hamlet), 
et  Sanda  (Lakméj.  Toutes  ces  jeunes  filles,  douées  de  belles  voix,  bien 
posées  et  largement  développées,  ont  déployé,  en  chantant  en  français,  en 
italien,  en  allemand,  de  remarquables  qualités  qui  promettent  en  elles  des 
artistes  d'avenir. 

—  M"»  Hortense  Parent  fera  entendre  ses  élèves  de  piano  le  dimanche 
31  mai,  salle  Érard,  à  une  heure  et  demie.  Il  y  aura  un  intérêt  de  curio- 
sité à  comparer  les  résultats  obtenus  par  l'éminent  professeur  qui  vient 
d'exposer  en  Sorbonne,  avec  le  succès  que  l'on  sait,  les  principes  de  sa 
méthode  d'enseignement,  La  seconde  conférence  de  M'"  Parent  aura  lieu 
le  l'^juin,  le  lendemain  de  sa  matinée  musicale. 

—  Matinée  très  brillante  donnée  à  la  galerie  des  Champs-Elysées  par 
l'École  de  chant  Manoury.  On  a  particulièrement  applaudi,  les  scènes  de 
Sigurd  par  miss  Stanley  et  M.  Gautier;  Hérodiade  par  M.  Declery,  superbe 
Hérode,  et  miss  Duff,  très  joli  Salomé  ;  les  Noces  de  yeanM»e  brillamment 
enlevées  par  M"=  Louise  Manche  et  M.  X,..;  Aida  très  bien  jouée  et  chan- 
tée par  M"""  Solty  et  M.  Madieu,  enfin  le  4""^  acte  de  Mignon  a  valu  un 
grand  succès  à  M""  Doiska,  MM,  Furet  et  Bischoff;  M,  X,.,,  M''''^  d'Ayreux 
et  Mesmier  se  sont  fait  applaudir  et  rappeler  dans  les  airs  de  Paladin  de 
Holmes,  Paul  et  Virginie  et  Obéron.  Les  voix  jeunes  et  fraîches,  les  progrès 
remarquables  de  toutes  ces  jeunes  filles  et  jeunes  gens,  dans  le  chant  et 
la  mise  en  scène,  démontrent  la  puissance  d'enseignement  et  l'excellence 
de  la  méthode  Manoury, 

—  Dimanche  24  mai,  au  Jardin  d'Acclimation,  magnifique  exécution  de 
la  deuxième  fantaisie  de  A.  Périlhou  par  l'orchestre  Pister  et  le  pianiste 
Staub.  M,  Staub  a  ensuite  joué,  seul,  la  Clochette  de  Paganini-Lisi-t  et  la 
valse  de  concert  de  Diémer.  Le  public  lui  a  fait  une  longue  ovation  et  il 
a  dû  ajouter  au  programme  un  troisième  morceau.  MM,  Saint-Saëns  et 
Diémer  ont  vivement  félicité  le  jeune  pianiste, 

—  Aux  deux  dernières  séances  de  la  Société  do  musique  nouvelle,  grand 
succès  pour  la  suite  de  Conte  d'avril,  admirablement  jouée  par  l'auteur, 
MM,  "Widor,  et  H.  Libert,  la  Marche  et  la  Saltarello  de  Massenet,  transcrits 
par  M"'=  Filliaux-Tiger,  et  pour  les  maîtres  virtuoses,  M'"<"  Jossic,  B,  de 
Momal,  Th,  Durosiez  ;  MM,  Lefort,  professeur  au  Conservatoire,  A,  Pa- 
rent, Furet,  Surt,  etc.,  très  applaudis  dans  les  œuvres  de  César  Franck, 
Benjamin  Godard,  E.  Bernard,  Grieg,  'Widor,  Le  Borne,  Eymieu,  Jemain, 
Sandre,  etc. 

—  M'"^  Jeanne  Meyer,  l'excellente  violoniste,  vient  de  donner  une  série 
de  quatre  concerts  des  plus  intéressants  dans  lesquels  elle  a  fait  entendre 
des  trios  pour  piano,  violon  et  violoncelle  de  M"=  Chaminade,  de  MM,  Boëll- 
mann  et  Vincent  d'Indy,  une  sonate  dramatique  de  M,  Colomer,  pour 
piano  et  violoncelle,  une  sonate  piano  et  violon  de  M,  de  Boisdeffre,  une 
suite  de  M,  E.  Bernard,  et  nombre  d'œuvres  de  nos  grands  compositeurs. 
M"»  Meyer  s'était  assuré  le  concours  de  la  plupart  des  auteurs.  Elle  et  ses 
partenaires  ont  été  chaleureusement  applaudis  par  le  nombreux  public 
réuni  dans  la  salle  de  la  rue  de  Trévise,  H,  B, 

—  Au  Trocadéro,  le  samedi  13  juin,  dans  l'après-midi,  aura  lieu  au  profit 
de  l'ancien  chef  d'orchestre  Luigini,  sous  la  direction  de  M,  Colonne,  une 
audition  extraordinaire  et  populaire  de  la  Damnation  de  Faust,  de  Berlioz. 
Voici  quelle  en  sera  l'interprétation  : 

Marguerite  M""  Maroella  Pregi 

Faust  MM,  Engel 

Méphistophélès  Auguez 

Brander  Nivette 

L'orchestre  et  les  chœurs,  des  concerts  Colonne,  se  composeront  de 
200  exécutants. 

Pour  donner  à  ce  concert  son  caractère  populaire,  il  a  été  décidé  que  les 
prix  des  places  seraient  considérablement  réduits. 

Fauteuils  de  parquet Fr.      5    » 

Loges  (la  place) 4    » 

Amphithéâtre  (1"  au  8°  rang) 3    » 

—  (9'  au  17"  rang)  et  strapontins 2    » 

Tribunes »  50 


LE  MENESTREL 


175 


On  prend  des  billets  à  l'avance,  sans  augmentation  de  prix,  aux  adresses 
suivantes  : 

Au  Palais  du  Trocadéro  ;  au  siège  des  concerts  Colonne,  48,  rue  de 
Berlin,  et  au  Figaro,  26,  rue  Drouot. 

—  Au  charmant  concert  donné,  au  Théâtre  Mondain,  par  M'i°  Gayrard 
Pacini  il  y  a  quelques  jours,  nous  avons  eu  le  plaisir  d'entendre  un  nou- 
vel instrument  nommé  rEola,joué  d'une  façon  remarquable  par  M"°  Edith 
Drake.Cet  instrument  fait  également  bon  effet  dans  les  morceaux  d'expres- 
sion et  dans  ceux  à  mouvements  rapides  ;  les  trilles  sont  d'une  finesse 
exquise.  Quoiqu'il  ait  une  étendue  de  4  octaves,  il  est  à  peine  grand 
comme  un  petit  manchon.  C'est  un  instrument  à  vent  dont  le  timbre  est 
doux  et  mélodieux  et  dont  les  sons  rappellent  tour  à  lour  le  violon, 
l'orgue,  la  flûte,  le  violoncelle,  la  clarinette,  le  hautbois.  C'est  ainsi  qu'on 
a  pu  comparer  tour  à  tour  M"=  Edith  Drake  jouant  de  l'Eola  à  Sarasate, 
Tafi'anel  et  Guilmant  ! 

—  Hier  samedi,  à  l'exposition  de  Rouen,  a  été  donné  un  grand  festival 
en  l'honneur  de  M.  Théodore  Dubois.  Au  programme  :  le  Paradis  perdu, 
drame  oratorio  en  quatre  parties,  avec  le  concours  de  M'"'^^  Blanc  et  Neva 
Mathieu;  M.  Bartet,  de  l'Opéra,  et  M.  Lafarge,  de  l'Opéra-Comique. 
Orchestre  sous  la  direction  de  M.  N.  Brument. 

—  Cette  semaine,  à  Rennes,  belle  exécution,  par  les  chœurs  et  l'orchestre 
du  Conservatoire,  de  la  symphonie  la  Mer  de  M.  'Victorin  Joncières,  qui 
dirigeait  lui-même  et  qu'on  a  acclamé. 

—  Au  tableau  de  la  troupe  recrutée  à  Aix-les-Bains  par  le  casino  de  la 
villa  des  Fleurs,  qui  annonce  son  ouverture  pour  le  samedi  16  mai,  nous 
remarquons,  pour  l'Opéra,  les  noms  de  MM.  Soulacroix,  Fugère,  Féraud, 
M"»"  Jane  Harding,  Vuillaume,  Landouzy,  de  l'Opéra-Comique,  M.  Isouard  ; 
et,  pour  l'opérette,  les  noms  de  MM.  Delvoye,  Hyacinthe,  Druart,  M""*  gi- 
mon-Girard,  Marguerite  Ugalde,  0.  Dulac,  etc.;  maître  de  ballet:  M.  Théo- 
phile ;  première  danseuse  :  M"'  Zalmoiraghi. , 

—  M.  et  M"'=  Georges  Marquet  ont  donné  à  Bourges  leur  dernière  mati- 
née d'élèves.  Les  deux  excellents  professeurs  obtiennent  vraiment  d'excel- 
lents résultats  et  cette  audition  a  été  pour  eux  un  vrai  succès. 

—Concerts  et  Soirées. —Audition  d'œuvres  de  M"»  Pilliaux-Tiger  chez  M""  Hun- 
ger.  Maintes  pièces  ont  été  très  applaudies  ;  Source  capricieitse,  jouée  à  merveille 
par  un  groupe  de  leurs  brillantes  élèves,  a  été  très  goûtée.  —  La  société  académique 
des  Enfants  d'Apollon,  qui  ne  compte  pas  moins  de  155  années  d'existence  (et 
d'une  existence  qui  fut  souvent  glorieuse  et  toujours  très  artistique,  en  tout 
cas),  a  célébré  sa  fête  annuelle  par  un  intéressant  concert  qui  avait  attiré, 
salle  Érard,  un  public  empressé.  On  a  successivement  applaudi  des  œuvres 
d'orchestre  ou  vocales  de  MM.  de  la  Tombelle,  de  Salelles,  de  Kervéguen,  Pré- 
vost-Rousseau, Alb.  Cahen  ;  sans  compter  Nicolo,  Gounod,  Rossini,  Wagner. 
L'orchestre  a  été  très  brillamment  conduit  par  M.  Mendels,  le  renommé  violo- 
niste. Les  solistes  étaient  M""  Marg.  Pascal  et  Riickert;  MM.  Félix  Lévy,  A.  Pa- 
rent, du  Tilloy.  Le  discours  d'usage,  très  goilté  également,  a  été  prononcé  par 
M.  Boucret,  chancelier.  La  journée  s'est  terminée  par  un  banquet,  encore  suivi 
d'excellente  musique,  le  tout  sous  la  présidence  de  notre  collaborateur  le  poète 
Paul  Collin,  dont  le  toast  «  aux  dames  »  a  été  tout  à  fait  charmant.  —  M"°  Fanny 
Lépine  a  consacré  la  dernière  audition  de  son  cours  d'ensemble  aux  œuvres 
de  M.  Charles  Lefebvre,  qui  ont  fait  le  plus  délicat  plaisir.  De  très  importants 
fragments  d'Eloa  étaient  précédés  d'une  série  de  mélodies  parmi  lesquelles  nous 
citerons  de  préférence:  Berceuse,  Sérénade,  Ici-bas,  Absence  et  le  délicieux  trio 
d'Avril,  sur  les  jolies  paroles  de  Paul  Collin.  Principales  exécutantes  :  M""  Hau- 
tier,  Créhange,  Erane,  Nivert,  Thévenin,  qui  font  le  plus  grand  honneur  à  l'ex- 
cellent enseignement  de  M'i*'  Lépine.  —  Très  joli  concert  de  M"°  Baldo  chez 
Pleyel  où  la  charmante  artiste  a  lait  applaudir  sa  magnifique  voix  et  son  excel- 
lente méthode.  Malgré  moi  de  Henri  Maréchal,  Olfrande  de  Paul  Puget,  etc.,  ont 
été  particulièrement  goûtés  dans  cette  intéressante  séance  de  chant  où  la  partie 
instrumentale  était  brillamment  représentée  par  le  violoncelle  de  M.  Loëb,  et 
le  rire  par  la  verve  intarissable  de  Coquelin  cadet.  —  L'audition  des  élèves  de 
M""  Bex  à  la  salle  Duprez  a  été  extrêmement  brillante  et  fait  le  plus  grand 
honneur  à  l'enseignement  de  l'excellent  professeur.  A  signaler,  le  Menuet  de 
Boccherini  à  18  mains  et  de  nombreuses  pièces  classiques.  Parmi  les  modernes, 
l'Oiseau  mouche  de  Lack,  Gaillarde  de  Dolmetsch,  et  VEntracte  sévillana  de  Masse- 
net  à  12  mains.  —  Très  joli  concert  donné  par  M"°  Kohi,  salle  Érard,  et  entière- 
ment consacré  aux  œuvres  de  M"*  Holmes.  M""  Bourgeois,  Gellée,  MM.  Zocchi 
et  Edwy  ont  surtout  été  très  applaudis.  —  La  nouvelle  séance  d'audition  des 
élèves  de  M"°'  Donne  a  été  un  nouveau  triomphe  pour  leurs  excellents  profes- 
seurs. Celle-ci  ne  comprenait  pas  moins  de  cinquunte-trois  élèves.  Parmi  les  fil- 
lettes de  6,  7  et  8  ans,  nous  avons  remarqué  M""  Lévy-Simons,  Cora,  Durey, 
Brunot,  Herz,  Poulain,  Alice  I-Iallé  et  Boulanger  (cette  dernière,  fille  de  M.  Bou- 
langer, l'excellent  professeur  de  chant,  et  tout  à  fait  extraordinaire)  ;  de  9  à  )  1  ans, 
M""  Delsart,  Bargeton,  Chave-Praly,  Ségaust,  Olry,  Bouge,  Fayolle,  Sternberg, 
Delarue  et  Pestre;  enfin,  pour  les  jeunes  filles,  M""  Frantz,  Carter,  Astruc, 
Voisin,  Borzat,  Marguerite  Halle,  Walbert,  Ludwig  et  Chaperon.  Toutes  char- 
mantes, ces  enfants,  et  dans  la  vraie  voie  artistique.  —  Signalons  le  succès 
obtenu  dans  son  concert  par  M"°  Adèle  Querrion,  la  charmante  pianiste,  qui 
s'est  fait  vivement  applaudir  dans  diverses  pièces  de  Chopin,  Liszt,  Saint-Saëns 
et  Godard,  et  aussi  en  exécutant  avec  un  excellent  partenaire,  M.  H.  Saïller,  la 
belle  sonate  en  soi  de  Grieg  pour  piano  et  violon.  —  Salle  Pleyel,  audition  des 
élèves  des  cours  Steiger  et  Mitault-Steiger.  Grande  affluence  et  grand  succès 
pour  les  professeurs  et  les  élèves.  Le  talent  si  remarquable  de  M'"  Juliette 
Dantin  a  été  vivement  acclamé,  ainsi  que  celui  de  M"*  Gabrielle  Steiger,  autant 
à  féliciter  comme  virtuose  que  comme  professeur.  —  M"°  et  W'  Jullien,  les 
excellents  professeurs  de  piano,  viennent  de  réunir  de  nombreuses  élèves 
dans  leurs  salons  de  la  rue  Chateaubriand  pour  une  audition  spéciale  des 
dernières  œuvres  de  Marmontel  père,  Impressions  et  Souvenirs.  Les  jeunes  et 
intelligentes  pianistes  ont  toutes,  suivant  leur  degré  de  force,  exécuté  avec  une 


rare  perfection  ces  petites'pièces  caractéristiques,  d'un  style  clair  et  élégant. 
MM.  Marmontel  ont  adressé  leurs  félicitations  à  ces  charmantes  virtuoses  qui 
font  grand  honneur  à  l'enseignement  magistral  qu'elles  reçoivent  de  M»°  et  M""  Jul- 
lien, à  qui  nous  adressons  nos  sincères  compliments.—  Salle  Rudy,  très  bonne  au- 
dition des  élèves  de  M"'"Willard  et  Destéract,  sous  la  présidence  de  M.  Marmontel 
père.  —  Intéressante  audition  des  œuvres  de  M.  Paul  Vidal  par  les  élèves  de 
l'école  de  chant  de  M""  Chauchereau,  dans  sa  jolie  salle  des  auditions  lyriques. 
Vif  succès  pour  l'auteur  qui  tenait  lui-même  le  piano.  A  citer  parmi  les  inter- 
prètes, M""  Baboulène,  ScheCfer  et  Deffayet  (duo  du  Gladiateur  et  fragments 
d'Érosj,  déjà  des  artistes  et  faisant  le  plus  grand  honneur  à  l'excellent  enseigne- 
ment de  M"°  Chauchereau.  MM.  Gandubert  et  Pourcade  prêtaient  obligeamment 
leur  concours  à  cette  séance  et  ont  pris  leur  part  du  succès  général.  —  Très 
joli  concert  donné  par  M""  Pacini,  au  cours  duquel  on  a  surtout  applaudi 
M""  Marie  Roze,  MM.  E.  L.  (air  d'IIérodiade,  Massenet),  Delacroix,  Pensée  deprin- 
temps,  Massenet),  M—  Jane  Marcy  (air  de  Thaïs,  Massenet,  et  Arielle,  'Vidal.  Le 
concert  s'est  terminé  par  la  scène  du  jardin  de  Faust  dans  laquelle  M"'  Emelen, 
MM.  Berriel  et  Rivière  ont  été  couverts  d'applaudissements.  —  M.  Raoult- 
Delaspre  a  fait  entendre  ses  élèves  dans  une  matinée  dont  le  programme  était 
composé  en  majeure  partie  d'œuvres  de  Théodore  Dubois.  Le  maître  a  compli- 
menté professeur  et  élèves  pour  l'exécution  du  Baiser,  de  Par  le  sentier,  de  A 
Douarnenez  en  Bretagne,  de  Tarentelle,  de  la  Chanson  du  bouvreuil  de  Xainère,  de 
Matin  d'avril,  de  Trimazo,  de  Brunette  et  du  duo  de  la  Grive  deXaviére.  On  a  aussi 
beaucoup  applaudi  les  Trois  Belles  Demoiielles  de  Pauline  Viardot,  Ouvre  tes  yeux 
bleus,  de  Massenet  et  une  scène  de  Mignon.  —  Chez  M"°  Staaff  d'Hermagny,  gros 
succès  pour  M""  Julie  Bressoles  dans  les  Chansons  grises  de  I-Iahn,  le  grand  air 
d'IIamlel  et  des  mélodies  de  M""  Ugalde.  —  A  la  séance  publique  annuelle  de  la 
Société  protectrice  des  animaux,  beaucoup  d'applaudissements  pour  M"'Preîns- 
ler  da  Silva  qui  a  joué  de  verve  Mandolinata  de  Paladilhe-Saint-Saëns.  —  Très 
brillant  concert  à  la  Bodinière,  donné  par  M"'  Claire  Lebrun.  M""  Ganne,  Holm- 
strand.  M""  Tekley-Planel,  Levi-Leclerc,  MM.  Bartet,  Planel,  Kerrion  et  Del- 
court  prêtaient  leur  gracieux  concours.  Gros  effet  par  M""  Claire  Lebrun  qui  a 
joué  de  l'orgue.  —  A  l'École  classique  delarue  de  Charras  bonne  audition;  très 
satisfaisante  exécution  du  duo  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  par  M"°  Jancourt  et 
M.  Pillet.  —  A  la  matinée  donnée  par  M""  Dignat,  on  a  surtout  remarqué 
M""'  Madeleine  N.  [Menuet  d'enfants,  Neustedt),  Yvonne  |B.  {Berceuse,  Diémer), 
Léa  B.  {Souvenir  d'antan,  Lack),  Jeanne  M.  {Le  long  du  chemin,  Antonin  Marmon- 
tel), Madeleine  N.  {Entr'acte  rigaudon  de  Xaviére,  Th.  Dubois),  Thérèse  M.  (Séré- 
nade, Antonin  Marmontel),  Cécile  B.  (Arabesque,  Antonin  Marmontel),  Thérèse 
de  S.  {Feux  follets,  1.  Philipp).  M"°  Dignat  a  joué  avec  beaucoup  de  virtuosité  la 
paraphrase  de  Saint-Saëns  sur  Thais.  —  Très  intéressante  audition  d'élèves 
donnée  par  M"'  Pauvre,  que  nous  lélicitons  pour  sa  méthode  et  le  goût  qu'elle 
apporte  dans  le  choix  des  morceaux  parmi  lesquels  nous  avons  remarqué  le 
Duo  du  Boi  de  Lahore  de  Massenet,  le  Duo  du  Cid  du  même  auteur  et  les  varia- 
tions pour  deux  pianos  de  FischhofF  dans  lesquelles  M"°  Pauvre  s'est  fait  entendre 
elle-même  avec  M""  Finel.  Plusieurs  artistes  se  sont  fait  entendre  dans  un  char- 
mant intermède,  et  l'on  a  fort  applaudi  MM.  Jean-Jacques  Mathias,  Gabriel 
Baron,  Armand  Gauley  et  Rey. 

NÉCROLOGIE 

A  Vienne,  vient  de  mourir  à  l'âge  de  S3  ans,  un  des  plus  importants 
musiciens  de  la  capitale  autrichienne,  le  docteur  Hans  Paumgartner.  Il 
fut  célèbre  comme  pianiste,  et  excellait  surtout  dans  son  interprétation 
des  œuvres  de  Beethoven  et  dans  sa  manière  classique  d'accompagner  le 
chant  au  piano.  Comme  professeur  de  composition,  il  a  formé  plusieurs 
élèves  de  talent,  et,  pendant  plusieurs  années,  il  fit  fonction  de  chef  de 
chant  à  l'Opéra  impérial.  Les  meilleurs  artistes  de  ce  théâtre  ne  dédai- 
gnaient pas  les  conseils  de  ce  musicien  consommé  et  étudiaient  avec  lui, 
surtout,  les  rôles  nouveaux  dont  ils  étaient  chargés.  C'est  en  cette  qualité 
qu'il  fît  la  connaissance  de  M'''  Rosa  Papier,  le  célèbre  contralto,  élève  de 
M""*  Marchesi,  qu'il  épousa  et  qui  devint,  sous  sa  direction,  non  seulement 
une  des  artistes  les  plus  intéressantes  de  l'Opéra  allemand  de  ce  temps, 
mais  aussi  une  Liedersaengerin,  c'est-à-dire  une  chanteuse  de  mélodies 
hors  ligne.  La  brillante  carrière  de  M""  Paumgartner-Papier  fut  malheu- 
reusement brisée,  à  l'époque  de  son  apogée,  par  la  perte  de  sa  voix,  due  à 
une  maladie  implacable.  Pendant  plus  de  vingt  ans,  Paumgartner  s'est  aussi 
distingué  comme  critique  musical  du  Kaiserliche  Wiener  Zeitung,  journal 
officiel  de  l'Autriche;  ses  articles  étaient  des  modèles  d'impartialité,  de 
connaissance  intime  de  toutes  les  questions  musicales  et  de  conviction 
artistique.  La  critique  musicale  du  journal  ofSciel  autrichien  ainsi  que 
la  critique  dramatique,  confiée  au  directeur  de  ce  journal,  M.  Frédéric 
Uhl,  exercèrent  une  grande  et  salutaire  influence;  même  le  monde  non 
officiel  lisait  assidûment  ce  journal  à  cause  des  deux  écrivains.  Comme 
compositeur,  Paumgartner  laisse  une  série  de  mélodies  et  plusieurs  œuvres 
intéressantes  de  piano  et  de  musique  de  chambre.  Tout  jeune,  il  s'était 
fait  connaître  comme  un  des  plus  fervents  apôtres  de  Richard  'Wagner,  à 
une  époque  où  ce  maître  était  loin  d'être  reconnu  et  où,  à  Vienne  spécia- 
lement, les  critiques  musicaux  s'efforçaient  d'étouffer,  par  une  campagne 
acharnée,  sa  popularité  naissante.  Dans  l'histoire  delà  musique  viennoise, 
le  nom  de  Hans  Paumgartner  ne  sera  pas  oublié.  0.  Bn. 

—  Nous  avons  le  vif  regret  d'annoncer  que  notre  excellent  collaborateur 
et  ami  Arthur  Pougin  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  sa  mère.  Le  ser- 
vice funèbre  a  été  célébré,  hier  samedi,  en  l'église  de  Bobigny. 

—  Le  compositeur  Lucien  Lambert  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  son 
père,  Charles-Lucien  Lambert,  décédé  à  Rio-de-Janeiro  où  il  exerçait  le 
professorat  depuis  de  longues  années.  Plusieurs  des  compositions  pour 
piano  de  Charles-Lucien  Lambert  obtinrent  un  grand  succès  lors  de  leur 
apparition.  Citons  entre  autres  :  Au  clair  de  la  lune,  le  Carnaval  de  Paris,  la 
Parisienne,  etc.,  etc. 

Henri  Heugel,  direcleur-géranl. 


PARIS 

HEUGELETC" 

*    ÉDITEURS 


DUOS,  TRIOS,  QUATUORS   (Extrait  dd  Catalogub> 


MÉTHODES  ET  ÉTUDES 

BAUXOT  (P.).  L'Art  du  Violon,  mé- 
thode dédiée  à  ses  élèves.    Net  2&    » 

BAILLOT,  RODE  et  KREUTZER.  Mé- 
thode de  violon  adoptée  par  le 
Conservatoire  de  Paris  pour 
servir  aux  études Net  i8    • 

—  Lamêmeméthodeenespagnol.Net  18    » 
C  DB  BËRÎOT.  Méthode  d^accompa- 

cnement.  Exercices  chantants  en 

forme  de  duettini 15    » 

FONTAINE  (A.)  Méthode   complète, 

noEveile  théorie  de  l'Archet  .  .  18    > 

VIOLON  ET  PIANO 

àLARD  (D.).  Op.  40.  Fantaisie  sur  Un 

Ballo  in  Haschera,   de  Veriii.    9    > 
ANSCHUTZ(J.-A.).  Gavotte  de  Mignon    5    • 

—  Romance  de  Mignon 5    » 

AAUINGAUD.  Sévillaoa  de  Don  César 

de  Bazan,  Iranscr.  brillante  .  .     7  50 

—  Six  pièces  caractérisliqnes  : 

N*'  1.  Sicilienne 6  » 

ï.  Tenerezza 7  50 

3.  Brunette 4  > 

4.  Danse  rtisse 6  » 

5.  Romance  sans  parolei.     6  » 

6.  Vieille  chanson.   .   .   .    6  » 
BilLLOT  (P.).  Douze  caprices  ...  12  > 
BBBTHOVEN.  Œuvres  concertantes  édi- 
tion modèle,  soigneusement  revue, 
doigtée    et    accentuée,    par  .M.M. 

AuutD,  Franchoume    etbiÉHER: 
Op.    5  n'  1  Sonate  en  /a 


Op.    5  n-  2 
Op.  12  n'  1 
Op.  12  n"  2 
Op.  12  n-  3 
Op.  17 
Op.  23 
Op.  24 
Op.  30  n'  1 
Op.  30  n-  2 
Op.  30  n-  3 
Op.  47 
Op.  69 
Op.  96 
Op.l02  n- 1 
Op.  102  n-  2 
Les  16  s 


en  sot  mineur  1 

en  ré  majeur.  ' 
en  la  mnjeur. 
en  mi  bémol, 

en  ^o  .    .   .  .  7  50 

en  ia  mineur.  9 

en  /a  ...   .  9 

en  la  majeur.  9 
en  ut  mineur  10 

en  50/.    ...  9 
en/aKBEUTZBal2 

en  la  majeur.  12 

en  sol.    ...  10 

eaut  .  .   .   .  9 

en  ré  majeur.  9 

ates  en  recueil.  .  Net  50 

—  Rondo  posthume  en  sol  majeur.  5 

—  Op.66.Sept  variationssurleduo 

de  la  Fmte  enchantée  ...  7  50 

—  12  variations  sur  des  couplets  de 

la  Fliite  enchantée 7  50 

—  12  variations  (Se  vuolballare)  .  9 

—  12    —          (Judas  Machabèe).  9 
Led  quatre  morceaux  variés  et  le 

rondo,  en  recueil.   .   .   .   Net  10 

OEBERIOT.  12  Mélodies  italiennes.  15 

—  Lesmêmes,en31ivrais., chacune  6 

—  Fantaisie  sur  Le  Caïd 9 

BIZET (G.I.  Les  Rêves,  transcription.  5 

BOURGADLT-DUCOUDRAY.  *•  m*I.  6 

—  5*  mélodie 6 

CASTILLON  (A.  dé).  Op.'e.  Sonate!  !  25 

CHAINE.    Un    Ballo    in    maschera.  6 

—  I  Lombard!,  transe,  brillante  .  6 
DANCLA(Ch.).  Jean  de  Nivelle.   .  .  9 

—  Paul  et  Virginie,  fantaisie.   .   .  9 

DUBOIS  (Th.).  Saltarello 7  60 

FRANCHOMME.  Thème  de  Handel, 

varié,  pour  violon  et  piano  .   . 

—  Scènes  d'Orphée,  de  Gluck.   . 
GODARD  (B.).  Concerto  romantique. 

—  Danse  des  Bohémiens,  du  laue.  7  50 

—  Pastorale,  du  Tasse 7  50 

QOUNOD  (Ch.i.  Méditation  sur  le  1" 

prélude  de  S.  Bach,  avec  orgue, 

ad  lïb 7  50 

ORANDVAL  (G.  de).  Musette  ....  7  50 

—  Concertino 18    • 

—  Prélude  et  variations  ....  9    > 
OUNG'L.  Valses  pour  violon  et  piano: 

—  Op.  161.  Les  amourettes  ...  7  50 

—  Op.  183.  Les  Chants  du  soldat  7  50 

Etc. 

HÀBENECKainé(A.-F.).3caprices.   .  9    > 

HAYDN.  Œuvres  concertantes,  édit. 

modèle,    soigneusement  revue, 

doigtée  et  accentuée  par  AIM. 

Alard,  Franchomuii  et  Diéuir  : 

1"  sonate  en  r^ 6 

2*      —     en  30^ 7  50 

3-      —     en  mi  bémol 6 

4'      —     en  ui 7  50 

5'      —     en  ui  mineur 9 

6'      —     eaut  dièse  mineur,  .  .  6 

7'      —     en  sol  mineur 6 

8*     —     en  mi  bémol 9 

9*      —     en  la  bémol 9 

10"     —     en  sol 6 

11'      —     en  mi  bémol 7  50 


12- 

_ 

en  fa 

.  .    9    > 

13- 

— 

en  fa 

.  .    7  50 

14' 

— 

.  .    6    > 

15* 

en  si  mineui .... 

.  .    7  50 

16» 

— 

en  si  bémol  .... 

.  .    6    > 

17» 



earé  ......  , 

.  .    9    » 

18- 

— 

en  si  bémol      ,  .  . 

.  .    6    . 

IW 

— 

en  30/ 

.  .     7  50 

iM' 

- 

en  u( 

.  .     5    • 

21' 

en  30/ 

M- 

en  rd 

.  .     6    » 

23- 

en  mi  bémol.    .   .   . 

.  .    6    . 

U* 



en  /a 

.  .    5    « 

Lm  24  sonates  on  recueil.     Net.  50    > 

HERAIAN  (An  }.  Soirées  du  jeune  vio- 
loniste,' fantaisies  de  moyenne 
force  se*  as  opéras  en  vogue  : 

1.  Mignon,  Imtaisie  poétique.  .   .    9 

2.  Sylvia,  valïe  chantante  ....    9 

3.  Le  Caïd,  fantaisie  gracieuse  .  .    9 

4.  Ballo  in  Hsiichera,  f.-cantilène    9 

5.  Songe  d'une  nuit  d'été,  f.-stanc.    9 

6.  Le  Désert,  ûntaisie  arabe.   .   .     9 

7.  Hamlet,  fantaisie  dramatique  .    9 

8.  Jean  de  Nivelle,  fant. -ballade.     9 

9.  La  Perle  du  Brésil,  f.  orientale.    9 

10.  Françoise  de  Rimini,f. -caprice.    9 

11.  La  Korrigane,  f;intaisie-ballet.    9 

12.  Chanson  de  Fortunio,  f.-idjUe.    9 

13.  Lakmô,  fantaisie  indienne.   .  .     9 

14.  Psyché,  fantaisie  antique  ...    9 

15.  La  Source,  fantaisie-mazurka  .    9 

16.  La  Farandole,  fant.  provehçale.    9 

17.  Le  Roi  l'a  dit,  fant. -sérénade  .     9 

18.  La  Tzigane,  fantaisie  viennoise    9 

19.  Coppélia,  fantaisie  fantastique  .    9 

20.  Le  Roi  s'amuse,  fant. -pastiche.    9 

21.  Le  Roi  de  Lahore,  fant.  persane    9 

22.  Les  Erinnyes,  fantaisie  argienne    9 

23.  Marie-Magdeleine,  fiilaiiie  Libliqii    9 

24.  Eve,  fantaisie  mystère 9 

25.  Don  César  de  Ba'zan,  faot.  «ipagnoli    9 

26.  Hérodiade,  fantaisie  sacrée  .    .     9 

27.  Manon,  fantaisie  Louis  XV.  .   .    9 

28.  Sigurd,   fantaisie-légende  ...    9 

29.  Le  Cid,  fantaisie  héroïque  ...    9 

30.  Le  Roi  d'Ys,  fantaisie  chevalenique    9 

31.  Esclarmonde,  fantaisie  féerique    9 

32.  Le  Rêve,  fantaisiejaponaise.    .    9 

33.  Le  Mage,  fantaisie  touranienne    9 

34.  La  Tempête,  fantaisie  arabesque    9 

35.  Conte  d'Avril,  fant.  printaniere    9 

36.  Paulet  Virginie,  fiDtaiiifientimfalala  9 

37.  CavalleriaRusticana,r3Dt.  licilicui   9 

38.  Werther,  fantaisie  romantique,    9 

39.  liO  Carillon,  fantaisie  flamande.    9 

40.  Eassya,  fantaisie  slave 9 

—  Les  Débuts  du  jeune  violoniste, 

six  petits  morceaux  trê«  faciles: 

1.  Berceuse S 

2.  Valse  chantante 3 

3.  Bourrée  d'Auvergne S 

4.  Chanson  du  Pâtre S 

6.  Invitation  à  la  Mazurka  ...    S 
6.  Pastorale I 

—  Les  Perles  du  jeune  violoniste, 

transcriptions  très  faciles  : 

1.  Mandolmata(PALADiLBE|  ...    7  50 

2.  Sérénade  du  Passant  (IIassehbt)  7  50 

3.  Pavane  iBnisson) 7  50 

4.  Lamento  (PoLicnAc) "7  50 

5.  Styriennes,  airs  populaires  .   .     7  50 

6.  Rigodon  de  Dardanus  (Ramead)    7  50 

7.  Air  de  ballet  (Massenet)  ...     7  50 

8.  Sarabande  espagnole  (Massbhet)  7  50 

9.  Minuetlo  (Mebul) 7  50 

10.  Sérénade  a'Arlequin(MASSEiiET)    7  50 

11.  Canzonetta  (B.  Godard).   ...     7  50 

12.  Tienne,  capnce-valse  (îIagnus)  .     7  50 

13.  La  véritable  Hanola  (Bourgeois)  7  50 

14.  Intermède,    des    Scènes     hon- 

Eroises  (Massenbt) 7  50 
e  Retour  (G.  Bizet) 7  50 

16.  Gavotte  (Gluce) 7  50 

17.  Myrte  (Léo  Dsubes) 7  50 

18.  Sonnet  (Duprato) 7  50 

19.  Le  Rêve  du  prisonnier  (Ro- 
BIHSTEIN) 7  50 

20.  Oiseaux  légers  (Gumbkht).  .   .     7  50 

21.  Pensée  d'Automne  (.Massenet).    7  50 

22.  Moment  musical  (Schubert)  .     7  50 

23.  Chaconne  (Th.  Dubois)  ....     7  50 

24.  Airs  suédois 7  50 

25.  Aubade  de  Con/ed'AwiiCWiDOH)    7  50 

26.  Stella,  valse  (Faure) 7  50 

—  (Avec  Lacombe).  Fantaisie  sur  les 

Puritains 9    • 

—  (Avec  Ketteber).  G^  duo  cencertant 

sur  Un  Ballo  in  Maschera  .  ,     9    > 
HUBAY  (J.).  Arioso 6    . 

—  Danse  diabolique 7  50 

—  La  Fuite,  impromptu 7  50 

—  Scène  de  la  Csarda 7  50 

—  Sérénade  de  Molière  et  le  Cré- 

puscule (J.  Massenet)  ...     6    > 

—  Le  Roi  de  Lahore,  suite  ...  12    > 

JONCIÉRES  (V.).  Concerto 13    » 

KETTEREH  et  HEU.MAN.  I  Lombard!.  9  . 
LACK(Th.).  Op.  104.  Tzigany!  .  .  .  6  • 
LACOMBE  (P.).  Sonate 18    . 

—  Aubade  printaniere 7  50 

—  Trois  airs  de  ballet 9    » 

MARSICK  (M.).  Sylvia,  2  airs  de  ballet  : 

N"  1.  Valse  lente 7  60 

2.  Pizzicati 6    > 

—  La  Korrigane,  2  airs  de  ballet: 

N"l.  La  Sabotière 6    > 

2.  Valse  lente 6    > 

—  Françoise  de  Rimini,  airs  de  bal: 

N"  1.  Adagio  et  Capriccio.   .     6    > 
2.  Pastorale,  scnerzo,  ha- 

banera 7  50 

Trois  piéc 

1.  Rjmance 

2.  Berceuse 6 

3.  Capriccioso 9 

—  Valse-Caprice  (A.  Rubiwsteih).    9 
UA.-iSENET  (J.).  Mduuct  do  Manon.     7  ] 

—  Aragonaise  du  Cid 6 

—  Le    dernier    Sommeil    de    la 

Vierge 5 

—  Pastorale  d'Esclarmocde.  .   .     4 

—  Prélude  d'Hérodiade 4 


UAYSEDER.  Sonvenirs  des  Pvrtnéai 

snr  des  airs  montagnards.  .       .    7 
UOZART.  Œuvres  concertantes,  édi- 
tion modèle  soigneusement  revtie, 
doigtée    et    accentuée    par  MM. 
Aluo,  Franchohue  et  DiiHiR  : 

1"  sonate  ea  fa 9 

2"      —     eaut 9 

3-      —     eafa 9 

4*      —     en  si  bémol  ....    9 
h*      —     en  sol  mineur  ...     7  60 
6'      —     en  mi  bémol.   .  . 
7*      —     en  la  majeur.   .   . 
en/amaj.  (gr.  son.) 


9-  — 

10'  — 

11-  — 

12-  - 

13-  - 
14'  — 


en  si  bémol 
en  mi  bémol, 
en  31  bémol   . 
en  la  majeur. 


10 


7  50 


en  ré  majeur.  ...  ! 
lû'      —     en  mi  mineur   .  .   . 
16»      —     en  mi  bémol     ...     7  50 

17»      —     en  30/ 6    « 

18'      —     eafa 9    • 

19*      —     en  mi  mineur  ...     9    » 
20»      —      en  la  majeur ....     7  50 

—  Thème  varié  en  sol  majeur.  .   .    7  50 

—  Thème  varié  en  30/  mineur.  .  .     6    » 

—  Les  20  sonates  et  les  2  thèmes 

variés  en  recueil.  Net  ....  50    p 
PÉNAVAIRE.  Santa  Lucia,  rondo  de 

concert  de  J.  Braca 7  50 

B.  PÉRIER.  Hamlet,  fantaisie  ....    9    • 

—  Fantaisie  sur  la  Belle  Hélène   .     7  50 

—  Fantaisie  sur  Barbe-Bleue.  .   .     7  50 
ED.   RÉMÉNYI.    Nouvelle  école  dn 

violon,  transcriptions  concer- 
tantes des  œuvres  célèbres  des 
grands  maîtres  : 

PREUidRE  siRIB 

1 .  Cbopin.  Nocturne,  op.  9,  n*  1 .  S    > 

2.  Schubert.  Sérénade 6    > 

3.  Chopin.  Mazurka,  op.  7,  n'  1  .  5    > 

4.  FiBLD.  Nocturne,  n"  «  .  .  .  .  7  50 
&.  Chopin.  Valse,  op.  64,  n*  1  .  .  6  > 
6.  Ubnoilbsohn.   Romance  sans 

paroles.  (N*  1  du  3*  recueil).    6    » 

DgOXlàlfB  SiRIB 

1.  Cbopii).  Impromptu,  op.  29.  .  7  50 

8.  Schdbbrt.  Barcarolle 7  50 

9.  Chopin.  Mazurka,  op.  17,  n*  1.  B  > 
10.  FiBLD.  Nocturne,  s*  5  ...  .  b  > 
It.  Cbopih.  Polonaise 7  50 

12.  Hendelssohn.   Romance   sans 

paroles.  (N*  2  du  3*  recueil)  .    5    > 
TROISliuE  siaiB 

13.  Mbhdelssohn.      Chanson     da 

printemps 5    a 

14.  Mozart.  La  Violette,  mélodie  .  5  > 
16.  RaiUeau.  Le  Tambourin.  ,   ,  ,    5    » 

16.  Mendelssohn.  Barcarolle .  .  .    5    > 

17.  J.  FiELD.  1"  Nocturne  .   .   ,   ,     6    • 

18.  Chopin,  Valse,  op.  64,  n*  2  .  ,     6    > 

QUATRIÂUB  sàRIB 

19.  Mendblssobn.  Volkslied.  ,   .  .  5    > 

20.  Bach.  2  gavottes  favorites  .   .  .  6    » 

21.  F.  ScBDBERT.  Au  borrl  de  la  mer  5    » 

22.  Mendblssobn.  Romance,  op.  30  5    > 

23.  J.  Field.  2'  Nocturne    ....  5    > 

24.  F.  Chopin.  Valse,  op.  "54,  n-  1  7  50 

Chaque  série  net.  10    > 
Trois  uorceaux  hongrois  : 

1.  Mélodie  héroïque 6    » 

i.  Alla  marcia 7  50 

3.  Mélodie  pastorale 9    . 

SARASATE.    Romance    et    entr'acte- 

?;avotte  de  Mignon,  trans.  variée  7  50 
Avec  LouisDiÉHBR.)  Hommage 
  Rossini,  grand  duo  de  con- 
cert, souvenirs  du  Barbier,  de 

Hoise  et  d'Othello 9    > 

SCHIMON.  Op.  20.  Sonate 18    » 

SINGELÉE  (J.-B.).  Op.  114,   fnntaisie 

concertante  sur  Mignon.   .   .  9    » 

—  Op.  132.  Fantaisie  sur  Hamlet.  9    » 

—  Mandolinata,  fantaisie  ....  9    > 

—  Jérusalem,  fantaisie 12    > 

SIVORI  (Camillo).   Op.  19.  Fantaisie 

sur  Un  Ballo  in  Maschera    .  9    > 

—  Op.  21.  Tarentelle 9    • 

—  Op.  22.  Fleur  de  Naples  ...  9    » 
STRAUSS  (J.).  Valses  p""  violon  et  piano  : 

—  Op.  279.  Les  Feuilles  du  matin.  7  50 

—  Op.  307.  LesBonbonsde  Vienne  7  50 

—  Op.  314.  Le  Beau  Danube  bleu.  '7  50 

—  Op.  315.  La  Vie  d'artiste.  .   .  7  50 

—  Op.  318.  Télégramme 7  50 

—  Op.  333.  Aimer,boire,  chanter.  '7  50 

—  Op.  340. Les  Joies  de  la  Vie.  7  50 

—  Op.  342.  La  Nouvelle  Vienne,  7  50 

—  Op.  346.  LesMilleetuneNuits.  7  50 

—  Op.  ^354.  Le  Sang  viennois  .   .  7  50 

—  Pizzicato-polka 6    » 

Etc. 
J.  TEN  BRINK.   Fantaisie  de  concert 

sur  Françoise  de  Rimini.  .  .  9    > 
A.-B.  VALCORBEIL.   Trois  Sonates: 

N-  1.  Sondte  en  ré .10  > 

N»  2.  Sonate  en  mi  b 10    » 

N*  3.  Sonate  ea  mi  b 10    » 

VIARDOT  (P.)  Berceuse 5    . 

—  Gavotte 5    » 

—  Romance 5    » 

—  Introduction  et  Caprice  ....  7  50 
VIEUXTE.MPS.   I  Lombard!,  fantaisie 

de  salon 9    > 

—  Paul  et  Virginie,  d-io 9    a 


PARIS 

AU  MÉNESTREL 

ibis,  RUE  TtVŒNNf 


VIEDXTEMPS  et  'WOLFF  (Ed.).  Duo 

sur  Raymond,  d'A.  'Thomas.  .    9    • 

VIZENTINl   et   L.    DELAHAYE.    Duo 

sur  la  Fliite  enchantée.  ...    9   a 

J.  WHITE.  Mélodie-Arpège 7  St 

WIDOR  (Ch.-M.)   Conte   d'avril,   ro- 


—  Conte  d'avril,  guitare 6    • 

TRIOS  ET  QUATUORS 

BATTA  (A.).    Résignation  p'  violon, 

violoncelle,  piano,  orgue  (ad  lib.)    9    • 

BEETHOVEN.  Tous  ses  trios  et  qua- 
tuors.  Op.   16.  Édition  modèle 

ALAdD-FANCMOU-MS-lIlÉMER.     .     .       S      » 

BOISDEFFRE  (de).  Op.  10.  Trio  en  mi  b. 

p'  piano,  violon  et  violoncelle  .  10  • 
CASTlLLuN  (A.  de).  Op.  3.  Gavatine, 

extraite  du  2'  quatuor    ....     3    » 

—  2'  Trio,  en  ré  mineur  pour  piano, 

violon  et  violoncelle,  net  ...  lî  m 
A.DELOFFRE.  Scène  d'Orphée,  trans- 
cription pour  violon  ou  vioton- 
celle,  piano  et  orgue  (ad.  lib.}.  9  ^ 
DUBOIS  fTh.)  Dueltiao  d'amore.  n» 
violon  et  alto  ou  Tic-Ioucelle, 
arec  accompagnement  de  piano.    6    a 

—  Méditation-prière    pour  violon, 

orgue  et  harpe  ou  piano  ...  7  gf 
GODARD  (B.).  Op.  32.  Trio  p'  piano, 

violon  et  violoncelle,  net.  .  .  .  t  • 
GODEBSKl.  Tristesse,  trio  pour  pi^no, 

violon  et  violoncelle *    » 

GODEFROID  (F.).  Prière  des  Bardes, 

médiiation  p' piano,  orgue,' violon  9  » 
GODNOU  (Gh.).  La  Jeune  Religieuse, 

de  Schubert,  transcription  ponr 

piano,     violoncelle    (ad.    lib.}, 

piano  et  orgue 9    a 

—  Méditation  sur  !e  1"  Prélude  de 

Bach,  p"^  piano,  violon  et  orgue,  7  50 
GRAKDVAL  (de).  Offertoire  p'  vio.on, 

violoncelle,  piano  et  orgue.  .    .     J    » 

—  2*  Trio    pour    piano,    violon    et 

violoncelle 18    • 

E.  de  HARTOG.  Pensée  de  Grâpug- 
cule,  méditation  pour  violon, 
violoncelle,  orgue  et  piano   .   .     9    » 

—  Souvenir  de  Pergolèse,  andante 

religioso  pour  violon,  violoncelle, 

orgue  et  piano 7  50 

HAYDN  ifj.).  Ses  31  trios.  Édition  mo- 

dèleALARD'FnAKCBOMMB-DiÂUBR.      •     » 

HERMAN  (Ad.).  I  Lombardi,  trio  p- 

violon,  orgue  et  piano 7  50 

LACOMBE  (P.).   Op.    12,  Trio    en  sol 

pour  piano,  violon  et  violoncelle  20    ■ 

LEFÉBURE-WELY.  Air  de  Stradella 

pour  piano,  violon  et  orgue  .   .    7  50 

—  Hymne  A  la  Vierge,  méditation 

religieuse  pour   orgue,   violon, 
Tioloncelle  et  piano  (ad.  lib.).   ,     7  50 

—  Romance    de  Mignon,   transcrite 

pour  piano,  violon  et  orgue.  .  7  50 
UARSICK  (M.),  Prière,  pour  violon, 

piano  et  orgue 7  50 

MASSENET  (J,).  Prélude  d'Hérodiade, 

pour  piano,  violon  et  violoncelle.  5  » 
MATHIAS  (G.).  4*  Trio  pour  piano, 

violon,  violoncelle 18    » 

—  Op.  50,  5*  Trio  en  sol,  p' piano, 

Tiolon  et  violoncelle SO    » 

MOZART.  Tous  ses  trios  et  quatuors. 
Édition     modèle    Alard-Frah- 

CUOHMB-DlÉMBR >     • 

MÉREAUX.  Mon  Cœur  soupire,  des 
Noces  de  Figaro,  piano,  violon 
et  orgue 6    • 

—  Batti-batti  de  Don  Juan,  piano, 

violon,  violoncelle  et  contrebasse    7  50 

—  Andantinodela  Grandesymphonie 

en  mi  bémol,    d'HAVûN,  piano, 
violon,  orgue. 9    » 

—  Sérénade  de  Don  Juan,  Mozart, 

pour  piano,    violon,  violoncelle 

et  orgue 5    • 

—  Andante   de   la    51*    Symphonie 

d'Haydn, p'pianojviolonetorgue    9    » 

—  Andante  coq   variazoni  du  grand 

septuor    de    Beethoven,    pour 
piano,  violon  et  orgue  ....     9    a 

—  La  ci  darem  la  mano  du  Don  Juan 

de  Mozart  pour  piano,  violon, 
Tioloncelle  et  orgue 6    • 

ED.  MEMBRÉE.  Aux  champs  et  à  la 
Tille,   six  trios  de  genre  ponr 
piano,  violon  et  violoncelle: 
1"  livre  :  L'Amour  à  la  ville,  — 

l'Amour  aux  champs 15    • 

2*  livre  :  Chansons  des  villes,  — 

Chansons  des  champs  ....  15    • 
3*  livre:  Louanges  de  Dieu  à  la 
ville,   —    Une   Journée   aux 
champs 15    » 

ORTIGUE  (Joseph  d'}.  Messe  sang 
paroles,  pour  violon,  violon- 
celle et  piano  ou  orgue.  Partition 
et  parties  siiparées,  nfit  ....    5    » 

SCHIMON.  2*  Quntuor  en  Ui  mineur, 
poir  instru  -nents  à  cordes.  Par- 
tition, net 4    • 

Parties  séparées 12    • 

THALBERG  (S.).  Op.  69,  i"  trio  pour 

piano,  violon  et  violoncelle.  .   .  15    » 

WIDOR  (Ch.-M.).  Aubade  de  Conte 
d'avril,  cour  violon,  violoncelle, 
alto  et  piano 7  M 


:  BERGEHK.    2t>. 


•im.  —  62"^  A^NÉE  —  iV°  23. 


Dimanche  7  Juin  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  iLs  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉATI^ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne»  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  compiel  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.»   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3"  partie  (5°  article),  Anrnun 
PouGiN.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  premières  représentations  de  ^1»  bonheur  des 
cUimes,  au  Gymnase,  et  de  la  Demoiselle  de  magasin,  à  l'Olympia,  Paul-Évii.e  Che  - 
V.4L1EB.  —  111.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées  (6"  ar- 
ticle), Camille  Le  Senne.  —IV.  Musique  antique  :  une  nouvelle  communication 
M.  Th.  Reinach,  Julien  Tiersot.  — V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 
EN  DANSANT 

extrait  des  Paslels,  de   I.  Philipp.  —  Suivra  immédiatement  :   Matutina,  de 

CESAREGALEOTri. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

CHANT  :  Si  je   ne    t'aimais  pas,  nouvelle  mélodie  de  E.  Moket,    poésie    de 

E.Habaucourt. —  Suivra  immédiatement:  Aubade printanière,  de  PaulLacombe, 

adaptation  de  Jules  Ruelle. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


-   TROISIEME  PARTIE 

(Suite) 
II 

L'existence  de  l'Opéra-Comique  parait  enfin  assurée  d'une  façon  sérieuse.  — 
Réouverture  et  succès  de  Leslocq.  —  Succès  du  Chalet.  —  Mort  de  Boiel- 
dieu.  —  La  Marquise;  le  Cheval  de  bronze  ;  Hippolyte  Mowpou  et  les 
Deux  Reines  ;  l'Éclair.  — W""  Damoreau  à  l'Opéra-Comique.  Son  début 
éclatant  dans  Actéon.  —  Chute  des  Chaperons  blancs.  —  Rentrée  bril- 
lante de  Jenny  Colon. —  Le  Postillon  de  Loiijumeau. —  Un  enfant  pro- 
dige :  la  petite  violoniste  Teresa  Milanollo.  —  L'Ambassadrice  ;  la 
Double  Échelle  ;  le  Domino  noir  ;  le  Perruquier  de  la  Régence  ;  la 
Figurante  ;  le  Brasseur  de  Preston  ;  la  Fille  du  Régiment.  — 
L'Opéra-Comique  a  retrouvé  toute  son  ancienne  vogue. 

Les  préparatifs  de  la  nouvelle  direction  exigèrent  un  mois 
plein  avant  qu'elle  pût  procéder  à  la  réouverture  du  théâtre. 
Grosnier  mit  ce  temps  à  profit  pour  faire  à  la  salle  des  répa- 
rations reconnues  nécessaires  et  pour  confiera  deux  excellents 
artistes,  Léon  Feuchères  et  Despléchin,  le  soin  de  la  décorer 
entièrement  à  neuf.  Pendant  ce  temps,  on  répétait  avec 
activité  les  deux  ouvrages  que  la  précédente  administration 
avait  déjà  mis  sur  pied,  et  le  24  mai  l'affiche  annonçait,  pour 
la  réouverture,  la  première  représentation   de  Leslocq,  opéra- 


f.omique  en  quatre  actes,  paroles  de  Scribe,  musique  d'Auber, 
joué  par  Thénard,  Henri,  Révial,  Deslandes,  Génot,  Louvet  et 
jjmes  Pradher,  Massy  et  Peignât  (pour  ses  débuts).  Cette  inau- 
guration fut  heureuse,  en  somme.  Si  Lestocq  (qui,  d'ailleurs, 
ne  fut  jamais  repris)  n'obtint  pas  un  de  cas  succès  éclatants 
auxquels  ses  auteurs  étaient  volontiers  habitués,  il  n'en  fut 
pas  moins  accueilli  avec  une  incontestable  faveur,  ce  que 
prouve  la  série  de  73  représentations  qu'il  fournit  jusqu'à  la 
fin  de  l'année.  On  sait,  eatre  autres  morceaux,  le  succès  que 
rencontra  toujours  l'agréable  ouverture  de  cet  ouvrage  (1). 

Moins  heureux  que  Lestocq,  VAspirant  de  marine,  qui  fut  joué 
le  11  juin,  ne  put  même  atteindre  sa  dixième  représentation, 
malgré  la  présence  de  Poncbard  et  le  début  de  Jansenne, 
qui  paraissait  pour  la  première  fois  dans  cet  ouvrage.  Le  sujet 
de  celui-ci,  qui  était  en  deux  actes,  avait  été  tiré  par  ses 
auteurs,  Rochefort  et  de  Gomberousse,  d'une  comédie  de 
Shalcespeare,  Comme  il  vous  plaira,  et  la  musique  en  était  due 
au  harpiste  Théodore  Labarre.  Un  acte  intitulé  l'Angélus, 
paroles  d'Ader  et  Rey-Dusseuil,  musique  de  Casimir  Gide, 
ne  fut  pas  beaucoup  plus  heureux,  le  7  juillet.  On  donnait 
le  même  jour  une  reprise  du  Petit  Chaperon  rouge,  pour  le  début 
très  brillant,  dans  le  rôle  de  Rodolphe,  de  Gouderc,  qui, 
sortant  du  Conservatoire,  n'allait  pas  tarder  à  se  faire  une 
situation  brillante  dans  le  personnel  de  l'Opéra-Comique. 

Le  23  juillet  voit  paraître  un  Caprice  de  femme,  un  acte  de 
Chazet  et  Lesguillon,  qui  fut  le  dernier  ouvrage  mis  en  mu- 
sique par  Paër,  et  le  28  août  le  Fils  du  prince,  opéra-comique 
en  deux  actes,  paroles  de  Scribe,  musique  du  riche  amateur 
qui  s'appelait  le  duc  de  Feltre.  C'était  bien  là,  en  effet,  de 
la  musique  d'amateur,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  ce  jugement 
d'un  critique:  —  «  ...  La  partition  est  une  agréable  mosaïque 
qui  ramène  à  la  musique  de  salon  plus  d'un  morceau  capital 
de  nos  grands  ouvrages.  On  y  retrouve  le  chœur  des  chasseurs 
d'Euryanthe,  les  couplels  de  la  vieille  fileuse  de  la  Dame 
blanche,  et  même  ceux  de  la  Folle,  morceau  fort  répandu  sur 
les  pianos  (2).  Tout  ce  qui  tient  de  la  romance  est  bien  dans 
le  Fils  du  prince,  et  le  reste,  sans  être  mal,  n'a  point  d'origi- 
nalité; c'est  du  commun  de  bonne  compagn'e.  »  Le  Fils  du 
prmce  n'obtint  aucun  succès. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  du  petit  ouvrage  qui  allait  lui 
succéder  et  dont  l'éclatante  fortune  fut  telle ,  au  contraire, 
qu'elle  s'est  prolongée  jusqu'à  nos  jours,    et  qu'elle  persiste 

(1)  Auber  venait  de  donner  presque  coup  sur  coup,  à  l'Opéra,  le  Serment  et 
Gustave  III,  ce  dernier  surtout  avec  succès.  C'est  ce  qui  motivait  la  mesure 
dont  il  était  l'objet  peu  de  jours  après  l'apparition  de  Lestocq  et  que  le  Courrier 
des  Théâtres  faisait  ainsi  connaître  dans  son  numéro  du  8  juin  ;  —  «  M.  Auber 
vient  de  recevoir  une  marque  honorable  de  la  bienveillance  de  M.  le  ministre 
de  l'intérieur.  11  s'agit  d'un  supplément  à  la  pension  que  ce  compositeur  devait 
avoir  par  suite  du  nombre  d'ouvrages  qu'il  a  donnés  à  l'Opéra.  » 

(2)  La  Folle,  romance  d'.-Ubert  Grisar,  faisait  fureur  depuis  quelques  années. 


178 


LE  MENESTREL 


encore  après  plus  de  soixante  ans  écoulés.  Je  veux  parler  du 
Chalet,  dont  rappariUon  se  place  à  la  date  du  25  septembre. 
Et  faut-il  dire  qu'Adam,  à  qui  revient  assurément  la  plus 
grande  part  de  ce  succès,  non  seulement  n'obtint  qu'à 
grand'peine  ce  livret' auquel  il  allait  procurer  une  existence 
si  fructueuse  et  si  longue,  mais  que  grâce  à  l'un  de  ses  col- 
laborateurs, Jlélesviile,  il  n'en  tira  même  pas  pour  lui  le 
profit  qui  eût  dû  légitimement  lui  revenir.  Mélesville,  en  effet, 
n'avait  pas  confiance  dans  Adam,  et,  malgré  Scribe,  ne  voulut 
consentir  à  lui  confier  le  livret  du  Chakt  qu'à  cette  condition, 
injuste  et  singulièrement  rigoureuse,  que  le  compositeur,  au 
lieu  de  toucher,  selon  la  coutume,  la  moitié  des  droits  qui 
reviendraient  à  l'œuvre,  n'en  aurait  que  le  tiers  pour  sa 
part.  Il  fallut  en  passer  par  là.  Mais  je  crois  bien  qu'Adam 
conserva,  avec  le  souvenir,  quelque  rancune  de  ce  procédé, 
car  jamais  plus,  et  pour  aucun  ouvrage,  son  nom  ne  se  re- 
trouva par  la  suite  avec  celui  de  Mélesville. 

Le  Chalet  était  joué  et  chanté  d'ailleurs  de  la  façon  la  plus 
remarquable.  La  tout  aimable  M""  Pradher  se  montrait  sédui- 
sante dans  le  rôle  de  Betty,  et  Gouderc  était  charmant  dans 
celui  de  Daniel;  quant  à  celui  de  Max,  dont  le  caractère 
musical  est  excellent,  il  servait  au  début  d'Inchindi  (de  son 
vrai  nom  Hennekindt),  qui  revenait  de  Madrid  après  avoir 
passé  par  l'Opéra  et  le  Théâtre-Italien,  et  qui  le  chanta  d'une 
façon  véritablement  magistrale  (1). 

Peu  de  jours  après,  le  15  octobre,  Adam  participait  person- 
nellement à  l'hommage  que  l'Opéra-Gomique  rendait  à  la  mé- 
moire de  son  cher  maître  Boieldieu,  (^ui  venait  de  mourir 
le  8.  Une  représentation  extraordinaire  était  donnée  au  profit 
de  la  souscription  pour  le  monument  à  élever  à  l'illustre 
maître,  représentation  dont  le  programme  comprenait  ?a  Dame 
blanche,  les  Voitures  versées  et  une  «  scène  épisodique  »  intiulée 
Hommage  à  Boieldii'H.  Cette  scène  était  une  sorte  de  cantate, 
dont  les  vers  —  e.xécrables  —  étaient  dus  à  Dupaty,  et  dont 
la  musique  avait  été  arrangée  par  Adam  sur  des  motifs  de 
Boieldieu. 

■  Deux  ouvrages  en  un  acte  complètent  le  répertoire  de  l'an- 
née 1834.  L'un,  représenté  le  31  octobre,  avait  pour  titre  le 
Marchand  forain;  il  était  l'œuvre,  pour  les  paroles,  de  Planard 
et  Paul  Duport,  et,  pour  la  musique,  de  cet  Italien  grand 
seigneur  et  dilettante  qui  s'appelait  le  comte  Aurelio  Marliani 
et  qui,  réfugié  alors  en  France  pour  échapper  aux  suites 
d'une  conspiration  politique,  se  fit  bravement  tuer  quinze  ans 
plus  tard,  sous  les  murs  de  Bologne,  en  combattant  pour  l'in- 
dépendance de  son  pays.  Le  second  ouvrage,  André  ou  la 
Sentinelle  perdue,  qui  parut  le  1"  décembre,  était  dû  à  la  col- 
laboration de  Saint-Georges  et  de  Rifaut.  Plus  heureux  que 
le  précédent,  il  atteignit  presque,  en  l'espace  de  trois  années, 
le  chiffre  de  cent  représentations  (2). 

C'est  encore  par  un  gentil  petit  acte,  la  Marquise,  que  s'ou- 
vrait,   le  28  février,  l'année   1835.   Celui-ci,    qui    mettait  en 

(1)  Le  Chalet  a  dépassé  aujourd'hui  sa  treize  centième  représentation  à  l'Opéra- 
Comique.  Le  jour  de  la  première,  on  commençait  le  spectacle  par  le  premier 
acte  du  Maître  de  chapelle.  Je  crois  que  c'est  le  premier  exemple  de  cette  mutila- 
tion bête,  qui  s'est  prolongée  jusqu'à  nos  jours  et  dont  l'Opéra-Comique  a  con- 
servé la  fâcheuse  tradition.  Cet  exemple  déplorable  n'est  pas  le  seul,  du  reste  , 
qu'en  ce  genre  ait  donné  la  directiou  Crosnier.  Si  l'on  consulte  les  programmes 
du  temps,  on  peut  voir  que  les  spectacles  comprenaient  souvent  soit  le  pre  - 
mier  acte  de  la  Dame  blimchc,  soit  les  deux  premiers  actes  du  Chevul  de  bronze, 
soit  tantôt  les  deux  premiers,  tantôt  les  deux  derniers  actes  du  Prc-aux-Clercs . 
Il  est  heureux  qu'un  tel  sytème,  si  barbare  au  point  de  vue  artistique,  ne  se  soit 
pas  généralisé  davantage;  et  ce  que  l'on  ne  comprend  guère,  c'est  qu'un  com- 
positeur comme  Auber,  par  exemple,  si  puissant  alors  par  son  talent  et  par  sa 
situation,  et  en  état  de  parler  haut,  ait  ainsi  toléré  une  si  sotte  mutilation  d'un 
de  ses  ouvrages. 

(2)  A  signaler,  en  cette  année  1834,  la  mort  de  Lesage,  artiste  d'un  talent 
rare  qui,  dans  l'emploi  des  trials,  s'étail  lait  une  grande  réputation  à  l'Opéra  - 
Comique  après  avoir  débuté  à  l'ancien  théâtre  de  Monsieur  (Feydeau),  dès  sa 
fondation  en  1789.  Sa  carrière  n'avait  pas  été  moindre  de  trente  années,  car  il 
ne  prit  sa  retraite,  regretté  de  tous,  que  le  20  février  1819.  Excellent  musicien 
et  se  servant  avec  habileté  d'une  voix  qui  pour  tout  autre  eût  été  insuffisante, 
11  se  faisait  remarquer,  comme  comédien,  par  un  sentiment  comique  irrésis- 
tible et  qui  restait  toujours  dans  les  bornes  du  goût  le  plus  sûr  et  le  plus  ral- 
finé.  L'un  de  ses  grands  succès  était  la  bouffonnerie  légendaire  qui  avait  pour 
titre  Monsieur  Deschalumeaux. 


scène  une  aventure  du  célèbre  Clairval,  le  prédécesseur  d'El- 
leviou  à  l'ancienne  Comédie-Italienne,  était  de  Saint-Georges 
et  de  Leuven  pour  les  paroles,  d'Adolphe  Adam  pour  la 
musique,  et  servait  de  début  à  une  future  grande  artiste, 
Anaïs  Fargueil,  qui  sortait  du  Conservatoire  avec  un  premier 
prix  de  vocalisation  et  qui  devait  bientôt  abandonner  la  scène 
lyrique  pour  déjiloyer  dans  le  vaudeville  et  dans  le  drame 
un  talent  de  premier  ordre.  La  Marquise,  dont  la  musique  était 
fort  aimable,  obtint  un  vif  succès  et  devint  plus  que  cen- 
tenaire. 

L'année,  d'ailleurs,  promettait  d'être  heureuse.  Le  23  mars 
avait  lieu  la  représentation  d'un  opéra-féerie  en  trois  actes, 
le  Cheval  de  bronze,  d'à  à  l'heureuse  collaboration  de  Scribe  et 
Auber  et  dont  le  succès  fut  retentissant,  bien  que,  ce  qui 
peut  sembler  singulier,  il  n'ait  jamais  été  l'objet  d'aucune 
reprise.  Joué  par  Révial,  Féréol,  Inchindi,  Thénard,  M"'-'  Ca- 
simir, Ponchard,  Pradher  et  Fargueil,  entouré  d'une  mise  en 
scène  somptueuse,  avec  de  superbes  décors  de  Philastre  et 
Gambon,  le  Cheval  de  bronze  attira  la  foule  durant  tout  une 
année.  Le  succès  en  fut  si  éclatant  qu'Auber  se  vit  l'objet,  à 
cette  occasion,  d'un  hommage  semblable  à  celui  qui  avait  été 
rendu  à  Boieldieu  à  propos  de  la  Dame  blanche  et  à  Rossini  à 
propos  de  G!«7ta«)îe  Tell.  «  Avant-hier,  disait  un  journal,  après 
la  seconde  représentation  du  Cheval  de  bronze,  tout  l'orchestre 
de  l'Opéra-Comique  s'est  rendu  sous  les  fenêtres  de  M.  Auber, 
et  y  a  exécuté  l'ouverture  de  cette  pièce.  Les  voisins,  réveillés 
par  de  si  jolis  accords,  se  sont  mis  à  leurs  balcons  et  ont 
accompagné  cette  galanterie  de  mille  acclamations  jointes  à 
mille  bravos.  La  rue  Saint-Lazarre  s'en  souviendra  (1).   » 

Moins  heureux  fut  le  Portefaix,  autre  ouvrage  en  trois  actes 
de  Scribe,  dont  le  compositeur  espagnol  Gomis  avait  écrit  la 
musique  et  qui  fut  représenté  le  16  juin.  «  Il  y  a  plus  de 
huit  ans  que  cette  pièce  est  faite,  disait  le  Courrier  des  Théâtres. 
Boieldieu  devait  en  composer  la  musique.  Iltrouvait  la  situa- 
tion principale  un  peu  risquée.  Notre  Orphée  ne  s'attendait 
pas  au  chemin  que  feraient,  sur  ce  point,  les  idées  drama- 
tiques... La  musique  de  M.  Gomis  est  forte,  pleine,  chaude 
et  consciencieuse.  Un  trio  et  le  duo  final  du  second  acte 
sont  de  premier  ordre.  »  L'ouvrage  pourtant  n'obtint  point  de 
succès,  en  dépit  d'une  excellente  interprétation  confiée  à 
Ghollet,  Thénard,  Henri,  M""^"  Zoé  Prévost,  Camoin  et  Rifaut. 
Il  fut  suivi  à  peu  de  distance,  le  29  juin,  par  un  nouvel  acte 
d'Adam,  Micheline  ou  l'Heure  de  l'esprit,  qui  avait  dti  s'appeler 
d'abord  la  Vassale,  et  dont  le  livret  avait  pour  auteurs  Saint- 
Hilaire  et  Michel  Masson.  Micheline  fut  bien  accueillie,  et  sa 
première  représentation  offre  cette  particularité  assez  rare  que 
l'affiche  se  composait  de  trois  pièces  d'Adam,  toutes  trois  en 
un  acte:  la  Marquise,  Micheline  et  une  Bonne  Fortune. 

Aida,  un  acte  de  Bayard  et  Paul  Duport,  représenté  le 
8  juillet,  était  le  début  à  la  scène  d'un  jeune  compositeur 
élève  de  Berton,  Alphonse  Thys,  qui  avait  obtenu  le  grand 
prix  de  Rome  en  1833.  Ce  petit  ouvrage  n'eut  qu'un  mince 
retentissement  et  fut  remplacé  sur  l'affiche,  le  6  août,  par 
un  autre  acte  dont  la  fortune  devait  être  plus  brillante,  les 
Deux  Reines,  paroles  de  Frédéric  Soulié  et  Arnould,  musique 
d'Hippolyte  Monpou,  auquel  il  servait  aussi  de  début  à  la 
scène.  Monpou,  dont  le  talent  parfois  un  peu  bizarre  n'en 
était  pas  moins  très  substantiel  et  très  réel,  n'était  encore 
connu  que  par  de  nombreuses  romances,  ou  plutôt  des  mé- 
lodies vocales,  dont  quelques-unes  avaient  joui  d'une  vogue 
éclatante  :  Sara  la  baigneuse,  l'Andalouse,  Madrid ,  les  deux  Archers, 
etc.  Il  apportait  au  théâtre  un  tempérament  d'une  nature 
toute  particulière,  dont  l'indépendance  un  peu  farouche  déce- 
lait du  moins  une  véritable  originalité,  et  qui  semblait  pro- 
mettre un  maître  à  venir  si  une  mort  précoce  n'avait  enlevé 
l'artiste  avant  qu'il  eîtt  accompli  sa  trente-huitième  année. 
Les  Deux  Reines,  dont  la  musique  était  jeune  et  savoureuse, 
conquirent  d'emblée  les  sympathies  du  public,  et  une  romance 

(1)  Courrier  des  Théâtres. 


Lt;  MÉNESTREL 


■179 


de  basse  surtout  :  Adieu,  mon  beau  nawre,  merveilleusement 
chantée  par  Inchindi,  obtint  un  succès  fou  et  devint  éton- 
namment populaire  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


BULLETIN   THÉÂTRAL 


Gymnase.  Au  Bonheur  des  dames,  pièce  en  6  tableaux,  tirée  du  roman  de 
M.  Emile  Zola,  par  MM.  C.  Hugot  et  R.  de  Saint-Arroman.  —  Olympia. 
La  Demoiselle  de  magasin  (the  Shop  Girl),  opérette  en  2  actes,  de  M.  Dam, 
adaptation  de  M.  M.  Ordonneau,  musique  de  M.  Ivan  Caryll. 

Elle  est  assez  curieuse,  cette  adaptation  du  roman  de  M.  Zola  par 
MM.  Hugot  et  de  Saint-Arroman,  curieuse  en  suite  de  l'application  appor- 
tée par  les  deux  arrangeurs  à  doser  également  le  spectacle  intellectuel 
etlespectacleexclusivement  extérieur.  Que  ce  soit,  cependant,  ce  der- 
nier qui  l'emporte  de  beaucoup  sur  le  premier  etque,  par  conséquent, 
l'attrait  dramatique  y  devienne  pas  trop  relatif,  personne,  je  crois,  ne 
pourra  dire  le  contraire  ;  et  ceux  qui  regretteront  que  les  vivantes  figu- 
res de  Bourras  et  de  Baudu,  agonisant  lentement  sous  les  coups  portés 
par  la  gigantesque  et  formidable  concurrence,  aient  tant  été  laissées 
de  côté  pour  faire  place  aux  rayons  luxueux,  aux  escaliers  à  double 
évolution  du  Bonheur  des  dames,  seront  vraisemblablement  nombreux 
à  en  juger  par  le  succès  très  franc  et  très  spontané  remporté  par 
l'avant-dernier  tableau,  alors  que  le  pauvre  Bourras  voit  sa  bonne 
vieille  maison  s'effondrer  pierre  à  pierre  et  que  Baudu  prévoit  l'irré- 
médiable ruine.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  la  mise  en  scène,  adroi- 
tement réglée  et  grandement  comprise;  ne  puisse  avoir  aussi  ses 
chauds  partisans. 

Inutile,  n'est-ce  pas?  de  raconter  la  petite  intrigue  amoureuse  en- 
tre Octave  Mouret,  le  directeur  du  magasin  minotaure,  et  Denise,  la 
nièce  de  Baudu,  intrigue  courajite  se  terminant  par  le  classique  ma- 
riage. L'intérêt  de  la  soirée  n'est  point  là. 

Il  réside  surtout,  cet  intérêl,  dans  l'interprétation  du  rôle  de  Denise 
par  M"=  Leconte,  qui,  personnellement,  y  a  grandement  réussi,  tant 
elle  y  apporte  de  charme,  de  simplicité,  de  douce  émotion  et  d'irré- 
sistible sympathie,  et  dans  la  scène  citée  plus  haut,  que  M.  Dailly, 
personnifiant  Bourras,  a  jouée  eu  tout  à  fait  grand  artiste.  Du  reste 
de  l'innombrable  distribution,  dont  pas  une  silhouette  ne  se  détache 
assez  nettement,  sauf  peut-être  celle  de  Baudu,  bien  dessinée  par 
M.  Lérand,  il  faut  sortir  MM.  Noblet,  l'irrésistible  Mouret,  Nertann, 
Grand,  Janvier,  M"™  Dayne-Grassot,  Sisos,  Neyva,  Médal,  et  compli- 
menter en  bloc  plusieurs  jolies  femmes  vendeuses  ou  acheteuses  de 
commerce  agréable. 

Après  l'espagnole  Gran  Via,  voici  que  l'Olympia  nous  fait  faire 
•connaissance  avec  l'anglaise  Shop  Girl,  et  si  l'internationalisme  avait 
été  encore  à  inventer,  on  peut  être  sur  que  tout  le  mérite  de  la  dé- 
couverte en  pourrait  revenir  à  M.  de  Lagoanère. 

Par  une  coïncidence  curieuse,  les  premières  du  Bonheur  des  dames  et 
de  la  Demoiselle  de  magasin  (c'est  ainsi  que  prononce  M.  Maurice  Or- 
donneau), ont  eu  lieu  le  même  soir.  De  par  la  simple  similitude  des 
titres,  -Jous  devinez  que  le  cadre  est  le  même  pour  les  deux  pièces. 
Si  le  Gymnase  a  fait  grand,  l'Olympia  a  fait  montre  de  gotit  dans 
son  cadre  restreint,  et  si  M"=  Leconte  est  une  exquise  comédienne, 
M"°  Micheline  est  en  passe  de  devenir  la  plus  séduisante  étoile  d'opé- 
rette des  théâtres  de  Paris.  Naturellement,  on  lui  a  fait  fête;  secondée 
par  M'""  Netty,  Deville,  MM.  Berville,  Maréchal,  Tavernier,  Hurbaiu, 
Danvers,  on  peut  compter  sur  elle  pour  défendre  le  pavillon  an- 
glais aussi  bien  et  aussi  longtemps  qu'elle  a  défendu  le  pavillon 
espagnol. 

Que  si,  maintenant,  vous  me  demandiez  quels  sont  les  traits  carac- 
téristiques de  la  musique  anglaise  de  M.  Ivan  Caryll,  je  vous  répéte- 
rais tout  bas  ce  que  l'on  m'a  confié,  à  savoir  que,  malgré  son  prénom 
russe  et  son  nom  britannique,  le  compositeur  est  tout  bonnement... 
Belge.  Sa  partitionnette,  d'ailleurs,  ne  manque  pas  de  gaieté  fran- 
çaise et  contient  même  une  page  charmante  :  la  Chanson  des  chry- 
santhèmes, avec  une  heureuse  rentrée  de  chœurs  à  bouche  fermée, 
très  gentiment  chantée  par  M"«  Micheline  :  «  Tout  là-bas,  humble- 
ment, sous  les  pas.  naît  le  chrysanthème...  » 

Paul-Émile  Chevalier. 

(I)  Il  est  d'autant  plus  singulier  de  voir  un  biographe,  Félix  Clément,  dire, 
en  signalant  cette  romance,  qne  «  c'est  la  seule  épave  qu'on  ait  recueillie  du 
naufrage  des  Deux  Reines.  »  Un  naufrage  théâtral  qui  se  traduit  par  un  ensem- 
ble de  142  représenlations  ne  semble  pas  absolument  un  désastre,  et  tieaucoup 
de  compositeurs  s'en  montreraient  sans  doute  satisfaits. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU     SALON    DES      CHAMPS-ELYSÉES 


(Sixième  article.) 

Le  drame  biblique  n'a  pas  trouvé  d'aussi  puissants  interprètes  aux 
Champs-Elysées  qu'au  Champ-de-Mars.  A  peine  peut-on  citer  quel- 
ques Madeleines,  médiocrement  religieuses,  VAgai\  de  M"'*.  Demonfr 
Breton  inclinant  vers  les  lèvres  d'un  Ismaël  très  laid,  le  goulot  d'une 
amphore,  et  la  Terre  promise  de  W.  Demont,  beau  paysage  rocheux 
où  Mo'ise  ne  joue  guère  que  le  rôle  du  petit  bonhomme  placé  au 
pied  de  toutes  les  reproductions  de  monuments  célèbres  pour  bien 
indiquer  «  l'échelle  ». 

En  revanche,  l'antiquité  grecque  ou  romaine,  voire  carthaginoise 
a  d'innombrables  peintres.  La  Salammbô  de  Gustave  Flaubert  nous 
vaut  quatre  toiles,  qui  toutes  valent  quelque  chose.  M.  Eugène 
Girardin  évoque  dans  un  brouillard  de  rêve  la  fille  d'Hamilcar  sous 
la  tente  de  Mathô  «  envahie  par  une  mollesse  oîi  elle  perdait  toute 
conscience  d'elle-même  »  pendant  que  le  barbare,  à  genoux,  mur- 
mure «  de  vagues  paroles  plus  légères  qu'une  brise  ».  La  Salammbô 
de  M.  Riehter,  aux  oripeaux  flamboyants  comme  un  costume  d'oda- 
lisque, se  promène,  lasse  de  ses  pensées,  dans  la  salle  silencieuse. 
M.  Surand  représente  le  massacre  des  barbares  par  le  Sufîète,  d'après 
cet  autre  passage  de  Flaubert  :  «  Une  terreur  sans  nom  glaça  les 
barbares  ;  ils  ne  tentèrent  même  pas  de  s'enfuir.  Déjà  ils  se  trou- 
vaient enveloppés  ;  les  éléphants  entrèrent  dans  cette  masse 
d'hommes  ».  Bon  travail  d'illustrateur.  Mais  l'œuvre  la  plus  remar- 
quable est  l'agonie  des  mercenaires  au  défilé  de  la  hache,  de 
M.  Emile  ïhivier.  Le  bétail  humain,  pris  au  piège,  implorant  la  paix 
qne  les  Carthaginois  lui  refuseront,  est  rendu  avec  un  réalisme 
savant  qui  fait  penser  à  la  magistrale  composition  de  M.  Tattegrain 
sur  le  siège  de  Château-Gaillard. 

La  Fin  de  Mithridate,  de  M.  Simonidy,  est  un  bon  cinquième 
acte  de  tragédie  ;  VAntigone  devant  le  corps  de  son  frère,  de 
M.  Winter,  la  Nausieaa  de  M.  Boyer,  d'après  deux  vers  de  Leconte 
de  Liste  : 

Vierge  qui  vous  jouez  sur  les  mousses  prochaines 

Des  robes  aux  longs  plis  détachez  le  lien 

relèvent  de  la  rhétorique  classique.  D'exécution  plus  large  l'Hymne  à 
Gérés,  de  M.  Albert  Laurens,  qui  fait  songer  aux  gracieuses  sta- 
tuettes de  Tanagra,  joie  des  collectionneurs,  délices  des  snobs  et 
triomphe  des  truqueurs,  le  Daphnis  et  Çhloé,  de  M.  Dambeza,  la  Circe, 
de  M.  Maurice  Demonts,  la  Cléopâlre  sur  les  terrasses  de  Philœ,  de 
M.  Bridgmann  (un  Leconte-de-Nouy  d'origine  américaine)  ;  le  Cortège 
païen,  de  M.  Foreau,  visiblement  inspiré  de  Diaz,  et  surtout  la  Fête 
antique,  de  M.  Buffet,  d'un  grand  aspect  décoratif.  Je  ne  sais  pas  de 
plus  triomphante  mise  en  scène  que  cette  théorie  de  personnages 
vêtus  de  blanc  suivant  une  statue  de  Minerve  dans  un  paysage  de 
tonalité  ardente,  au  pied  d'une  colline  de  marbre  que  dominent  les 
architectures  polychromes  d'un  temple  dorique.  Il  y  a  là  mieux  qu'un 
effort  «  documenté  »,  une  compilation  archa'ique.  L'œuvre  vaut  par 
sa  vitalité  intense  et  laisse  un  souvenir  persistant. 

Les  vestaleries  sont  en  nombre.  M.  Hector  Leroux,  le  doyen  et  le 
maître  du  genre,  nous  montre  les  Romaines  en  promenade  dans  les 
jardins  deVesta  (sans  oublier  le  Lupercal  :  Romulus,  Remus  —  et  leur 
nourrice);  mais  il  a  cette  année  un  concurrent,  M.  Henri  Motte,  l'au- 
teur d'un  petit  gavage  de  colombes  à  la  becquée,  qui  a  du  charme  et 
de  la  grâce. 

Fermons  le  cycle  de  l'antiquité  classique  avec  le  Germanicus  de 
M.  Lionel  Royer,  recueillant  les  restes  des  légions  de  Varus,  six 
ans  après  la  défaite.  La  composition  ne  manque  pas  de  grandeur, 
mais  l'émotion  reste  peu  communicative.  Je  sais  bien  qu'il  se 
trouve  encore  des  âmes  sensibles  pour  pleurer  la  mortd'Holopherne, 
et  que  dans  les  écoles  allemandes  on  s'apitoye  toujours  sur  Conra- 
din,  si  méchamment  mis  à  morl  il  y  a  plus  de  six  siècles,  par  les 
Français  ;  mais  vouloir  intéresser  à  Varus  des  contemporains  du 
ministère  Méline,  c'est  une  entreprise  bien  téméraire. 

Une  aimable  fantaisie,  la  Thaïs  de  M.  Tony-Robert  Fleury,  poéti- 
quement évoquée,  nous  conduit  au  seuil  des  temps  modernes.  Voici 
la  Gismonda,  de  M.  ComerrePatou,  la  .Tehanne  F"  de  Naples,  de 
M""=  Laure  Leroux,  tressant  un  cordon  d'or  pour  étrangler  son  mari 
(qu'elle  prévint  d'ailleurs  de  ses  intentions  homicides  et  qui,  bien 
averti,  n'en  sut  pas  mieux  se  garder),  la  Desdemona,  très  rutilante,  un 
peu  trop  émaillée  de  M"'=  Juana  Romani,  ce  clair  de  lune  du  soleil 
Roybet  ;  puis  un  finale  de  grand  opéra,  genre  Scribe  :  un  Drame  au 
moyen  âge,   les  juifs  de   Strasbourg  traînés  au  bûcher  en  1349,  sur 


180 


LE  MENESTREL 


la  place  de  l'Hôlel-de-Ville,  à  la  suiSe  d'une  peste  dont  les  rendait 
responsables  la  ligue  anti-sémile  du  quatorzième  siècle.  Hommes 
résignés,  femmes  en  pleurs,  enfants  baptisés  de  force,  rien  ne 
manque  au  tableau. 

Mentionnons  à  part  les  deux  belles  compositions  du  maître 
peintre  J.-P.  Laurens,  Irène,  la  veuve  de  l'empereur  byzantin 
Léon  IV  qui  faillit  se  remarier  avec  Charlemagne,  et  les  Otages, 
deux  enfants  en  justaucorps  de  velours  rouge,  enfermés  dans  un 
cachot  oii  ils  attendent  leur  soit.  Le  plus  jeune  dort  avec  l'insouciauce 
de  son  âge,  la  tête  sur  les  genoux  de  l'aîné,  qui  regarde  d'un  air  jus- 
tement préoccupé  le  puits  des  oubliettes  béant  à  quelques  pas.  En 
somme  de  nouveaux  Enfants  d'Edouard  (soit  dit  sans  intention  bles- 
sante), aussi  littérairement  composés  et  mieux,  beaucoup  mieux 
peints. 

Plusieurs  Jeanne  d'Arc,  de  M.  Krug,  de  M"'  Perrier,  etc.;  la  meil- 
leure, deM.  Joy  —  un  Anglais.  Celui-ci  a  représenté  l'héroïne  endormie, 
dans  la  lourde  carapace  de  son  armure  de  guerre,  avec,  aux  pieds. 
un  ange  qui  lui  sert  de  coussin  ;  original  et  poétique  commentaire 
de  cette  réplique  de  la  Pucelle  notée  au  cours  du  procès  :  «  Quand 
j'étais  en  guerre,  je  couchais,  vêtue  et  armée,  là  où  je  ne  pouvais 
trouver  de  femme  ».  D'un  autre  peintre  étranger,  M.  Lockart,  de 
l'Académie  royale  d'Ecosse,  une  composition  qui  pourrait  inspirer 
nos  poêles  symbolistes  et  dont  l'auteur  a  du  reste  emprunté  le 
sujet  aux  vieilles  chroniques  :  un  Miroir  chevaleresque  :  «  ...et  ayant 
bouclé  son  épée,  elle  levait  les  yeux  ;  et  dans  le  poli  de  son  armure 
elle  voyait  sa  belle  figure  reflétée  sur  son  cœur  ».  Je  vois  très 
bien  dans  ce  joli  jeu  Albert  Lambert  fîls  et  M°"  Barlet,  ou  bien 
Guitry  et  Sarah  Bernhardt  ;  j'y  vois  même  à  la  rigueur  Lugné- 
Poë  et  une  des  petites  femmes  de  l'Œuvre  à  bandeaux  plats,  à  voix 
céleste. 

Bons  costumiers,  et  qui  font  songer  à  l'excellent  Lacoste,  et  qui 
pourraient  inspirer  l'inépuisable  Bianchini,  M.  Zier,  avec  sa  belle 
Impéria,  M.  Sylvestre  dans  ses  Soldats  Louis  XIII,  au  guet,  M.  Tito 
Lessi  dans  son  Gil  Blas,  M.  Henri  Pille  dans  ses  Moines  de  la  Ligue 
(oli  je  ne  retrouve  pas  toute  l'habituelle  maîtrise  du  peintre), 
M.  Beauquesne  dans  sa  Distribution  de  civix  blanches  sur  la  place  de 
Saint-Germain-l'Auxen-ois,  la  veille  de  la  Saint-Barlhélemy ,  M.  Recel 
dans  sa  Réception  che^  la  petite  duchesse,  esquisse  Louis  XV,  M.  Pierre 
Toussaint  dans  sa  Mi-Carême  au  XVIII"  siècle.  M""  Klumpke  dans  la 
Toilette  d'Esther.  M.  Gaston  Meliogue  a  curieusement  interprété 
l'anecdote  de  Jean-Bart  bousculant  les  courtisans  de  Versailles  à 
coups  de  coude  et  à  coups  de  poing  pour  leur  montrer  comment 
il  avait  débloqué  le  port  de  Dunkerque  ;  M.  Sibert  a  emprunté  à 
l'histoire  de  Marie  Stuart  la  fin  tragique  de  Rizzio;  M.  Coessin  de 
la  Fosse  a  peint  avec  une  palette  où  manquent  les  tons  vigoureux 
la  Pi-omenade  de  Louis  XVI  au  Champ-de-Mars  pendant  les  travaux  pré- 
paratoires de  la  fête  de  la  Fédération.  Le  Montreur  d'ours,  deM.  Jules 
Girardet,  nous  transporte  dans  un  carrefour  du  Paris  des  premières 
années  du  siècle.  L'Aimable  Visite  de  M.  Georges  Cain,  —  que  nous 
retrouverons  aux  portraits  avec  une  étude  mondaine  d'un  beau  carac- 
tère moderniste  —  est  un  des  tableaux  anecdotiques  les  plus  remar- 
quables du  Salon.  La  composition  représente  un  colonel,  voire  un 
général  costumé  en  bourgeois  (il  porte  la  vaste  houppelande  adoptée 
au  commencement  du  siècle  par  les  «  Fils  de  Mars  »  quand  ils 
déposaient  l'appareil  guerrier),  dans  un  salon  où  il  raconte  ses  cam- 
pagnes. L'auditoire  est  féminin  et  d'autant  plus  intéressé.  L'aimable 
reconstitution  des  toilettes,  le  rendu  des  accessoires  scrupuleux, 
mais  sans  surcharge  ni  trompe-l'œil,  concourent  à  la  délicate  har- 
monie de  l'ensemble.  De  M.  Henri  Gain,  —  qui  figure  également  aux 
portraits  avec  im  élégant  pastel  —  Saint-Georges  et  le  Monstre.  L'œuvre 
d'un  grand  style,  procède  de  la  tradition  de  Gustave  Moreau,  mais 
elle  se  distingue  par  un  sentiment  très  personnel,  une  ampleur  de 
mise  en  scène  et  une  tonalité  lumineuse,  une  transparence  de 
l'atmosphère  ambiante  du  plus  séduisant  effet. 

Dans  cet  ordre  de  compositions  tenant  ù  la  fois  du  genre  et  de 
l'histoire,  j'ai  réservé  deux  œuvres  intéressantes  à  divers  titres.  La 
première  est  la  Promenade  dans  les  jardins  de  Versailles,  de  M.  Gérôme. 
Au  soleil  couchant,  le  long  de  la  terrasse,  devant  le  grand  bassin 
aux  ondes  dormantes,  s'achemine  la  procession  des  chaises  roulantes 
—  tels  les  modernes  pousse-pousse — ■  avec  leurs  porteurs  en  tricorne. 
Près  de  la  première  chaise,  occupée  par  M"'«  de  Maintenon,  marche 
Louis  XIV,  tête  nue.  Les  seigneurs  de  moindre  importance  escor- 
tent les  autres  voitures.  Beaucoup  de  fermeté,  trop  d'éclat,  une 
remarquable  exactitude  dans  l'élude  des  costumes  et  le  détail  des 
accessoires.  M.  Gerôme  voit  juste  :  le  grand  malheur,  c'est  qu'il  voit 
maintenant  lustré,  émaillé,  vernis  Martin.  Quant  au  Jeune  Duc  de 
M.  William  Orchardson,  c'est  un  des  succès  du  Salon.  Cet  Ecossais     l 


d'Edimbourg  rivalise  dès  aujourd'hui  avec  nos  meilleurs  peintres 
de  genre.  La  scène  se  passe  au  dix-seplième  siècle,  dans  la  grande 
salle  d'un  château.  Autour  d'une  table  somptueusement  servie  des 
gentilhommes  en  costumes  parcourant  toute  la  gamme  des  jaunes 
brunâtres  se  lèvent,  la  coupe  en  main,  et  portent  la  santé  du  lord,  un 
jeune  homme  vanné,  malingre,  ennuyé,  un  viveur  déjà  las,  un  per- 
sonnage d'Henri  Lavedan  antidaté  de  deux  cents  ans.  L'aspect  du 
tableau  est  singulièrement  saisissant,  avec  ses  colorations  dorées  et 
sa  rare  entente  des  valeurs. 

Le  théâtre  a  directement  suggéré  quelques  toiles  :  de  M.  Roche- 
grosse,  la  scène  du  quintette  des  Maîtres  Chanteurs  ;  de  M.  Wagrez, 
Tannliduser  au  Venusberg  : 

Aux  combats  je  voudrais  courir.... 
Braver  la  mort.  Ah  !  puissè-je  périr!.... 
De  ton  emplie  il  faut  partir  ! 
0  déesse,  laisse-moi  fuir.... 

de  M.  Lynch,  une  Manon  Lescaut  avec  le  chevalier  des  Grieux,  dans 
la  barque  qui  la  conduit  au  vaisseau  en  partance  pour  l'exil,  d'une 
tonalité  délicate  rappelant  les  aquarelles  de  Leloir  ;  de  M.  Landelle 
une  Mignon  de  style  classique  ;  une  Yanthis,  de  M"'  Delettez  ;  une  Cin- 
quantaine de  Figaro,  de  M""'  Boyer-Breton.  Di  M.  Teillet,  la  scène  du 
manchon  de  Francine  de  la  Vie  de  Bohème.  A  signaler  aussi  la  Lénore 
de  M.  Kirchbach,  le  Saint  Julien  l'Hospitalier  de  M.  Pierrey,  et  une 
bonne  étude  de  Don  Juan  par  M.  Driffaud,  d'après  le  célèbre  sonnet  de 
Baudelaire  sur  la  barque  infernale  assaillie  par  les  Elvires  en  pleurs  : 

Assis  au  gouvernail,  un  grand  homme  de  pierre 
Se  tenait  à  la  barre  et  coupait  le  flot  noir. 
Mais  le  sombre  héros,  courbé  sur  sa  rapière, 
Demeurait  immobile  et  ne  daignait  rien  voir. 

Un  peu  de  peinture  militaire  pour  clore  cette  série.  Je  n'ai  ren- 
contré que  deux  Napoléons:  l'un,  de  M.  Guillon,  représente  les  adieux 
de  l'Empereur  à  la  France  à  bord  du  Northumberland,  le  9  août  1813, 
d'après  les  mémoires  du  général  Montholon.  Las,  affaissé,  plus  rési- 
gné qu'il  ne  le  sera  à  Sainte-Hélène,  Napoléon  salue  la  côte  de 
France.  Et  le  Captif  de  M.  Davvant,  c'est  encore  un  Napoléon  «  déca- 
dent »,  accablé  de  tristesse  près  du  berceau  du  petit  roi  de  Rome,  qui 
s'est  endormi  en  lui  tenant  la  main.  Puis,  le  pêle-mêle  ordinaire  des 
illustrations  de  nos  annales  militaires  de  la  Révolution  et  de  l'Em- 
pire :  une  scène  de  Madame  Thérèse,  d'Erckmaun-Chalrian,  par 
M.  Le  Dru  ;  la  Charge  repoussée  de  l'armée  du  Rhin  (Sergent)  ;  un 
Episode  de  la  campagne  d'Egypte  (Orange)  ;  Mural  à  Eijlau  (Brisset)  ; 
Oudinot  à  Plechtchenitzy  (Boislecomte)  ;  la  Veille  d'Iéna  (Gardette)  ; 
Guadamarra  (Chelminsky),  le  général  Cause  à  Diego  (Boutigny)  ;  le 
Défilé  des  aigles  pendant  la  retraite  de  Russie  (RoutTel).  Parmi  les  souve- 
nirs de  l'année  terrible,  les  Éclaireurs  Franchelti  à  la  Fouilleuse  (Mar- 
chand) ;  la  Charge  du  4'  cuirassiei's à  Wœrth  (Perboyre)  ;  le  3'  Grenadiers 
à  Rezonville  (David)  ;  la  Défense  de  Rambervillers  (Benoit-Lévy).  Et  pour 
planer  sur  ces  glorieuses  tueries,  la  Poésie  militaire  de  M.  Henry- 
Eugène  Delacroix  entonnant  le  Chant  du  départ. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


MUSIQUE    ANTIQUE 

UNE  NOUVELLE  COMMUNICATION  DE  M.  TH.  REINACH 


M.  Théodore  Reinach  vient  de  faire  à  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres  une  communication  relative  à  la  musique  grecque. 
Il  ue  s'agit  plus,  celte  fois,  de  la  découverte  d'un  hymne  ou  de  tout 
autre  morceau  Je  musique,  mais  simplement  d'une  nouvelle  manière 
de  transcrire  et  d'interpréter  un  fragment  noté  faisant  partie  d'un 
recueil  d'exercices  intercalé  dans  un  traité  grec  de  musique  élémen- 
taire: morceau  connu  depuis  longtemps,  mais  sur  la  notation  duquel, 
à  ce  qu'il  paraît,  on  avait  erré  jusqu'à  ce  jour. 

Nous  empruntons  au  compte  rendu  du  Temps  le  résumé  de  cette 
communication  : 

Tous  les  documents  précédemment  connus  appartenaient  à  un  seul  et 
même  genre  de  musique  :  c'étaient  des  cantilènes  purement  vocales  ;  la 
partie  instrumentale,  qui  n'a  jamais  manqué  —  les  Grecs  n'avaient  aucune 
idée  d'un  lied  ou  d'un  choral  sans  accompagnement  —  n'a  pas  eu  les  hon- 
neurs de  la  gravure  sur  pierre,  et  l'on  est  réduit  à  la  suppléer  par  conjec- 
ture —  ou  à  s'en  passer.  Fallait-il  donc  renoncer  à  l'espoir  de  posséder 
jamais  un  échantillon  authentique  de  l'accompagnement  grec?  M.  Théo- 
dore Reinach,  à  qui  l'on  doit  déjà  la  transcription  des  hymnes  delpbiques, 
vient  de  combler  cette  lacune  de  l'histoire  musicale.  Le  petit  air  qu'il 
présente  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  ot  exécute  sur   un 


LE  MENESTREL 


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harmonium  apporté  ad  hoc  parait  bien  être  le  spécimen  si  longtemps   et  si 
vainement  attendu. 

Lo  document  conservé  par  plusieurs  manuscrits  sous  le  titre  énigmati- 
que  de  Hormosia  (le  compte-rendu  du  Journal  des  Débals  dit,  au  sujet  de  ce 
mot  :  «  Uarmasia,  métalhèse  de  Harmosia,  qui  signifie  modulation  »),  se 
compose  de  deux  colonnes  de  notes  intitulées  «  Gauche  »  et  «  Droite  ». 
Chaque  note  est  désignée  par  son  nom  et  son  double  signe,  et,  en  outre, 
par  un  «  sigle  »  qui  est  tantôt  OK,  tantôt  AM.  Ce  sont  ces  sigles  mysté- 
rieux qui  ont  mis  M.  Reinach  sur  la  voie  de  la  véritable  interprétation  de 
ce  texte,  où  l'on  avait  vu  successivement  un  «  air  de  cithare  pour  les  deux 
mains  »,  une  «  tablature  de  cithare  »,  une  «  méthode  pratique  d'ac- 
cord »,  etc.  M,  Reinach,  mettant  à  profit  une  observation  de  M.  Gevaert, 
mais  la  complétant  par  une  heureuse  inspiration,  a  reconnu  dans  le  groupe 
OK  les  initiales  des  mots  O(rganon)  K(roussis)  —  c'est-à-dire  «  instru- 
ment, accompagnement  »  ;  —  dans  le  groupe  AM,  celle  des  mots  A(nthrô- 
pos)  M(élos)  —  c'est-à-dire  «  homme,  chant  ».  En  même  temps,  il  a  montré 
que  les  deux  colonnes  parallèles  de  noms  et  de  signes,  au  lieu  d'exprimer 
des  sons  simultanés,  forment  une  série  mélodique  unique,  quoique  ré- 
partie entre  deux  «  exécutants  »,  la  voix  humaine  et  la  cithare.  Nous 
sommes  donc  en  présence  d'un  duo,  ou,  pour  mieux  dire,  puisque  les  par- 
ties (comme  chez  Wagner)  ne  se  mêlent  jamais  ensemble,  d'un  véritable 
dialogue  musical,  analogue  pour  le  principe  à  certaines  compositions  de 
l'école  moderne,  où  le  violoncelle  ou  la  harpe  donne  la  repartie  à  un  chant. 
Il  n'y  a  d'incertain  et  d'arbitraire  que  les  valeurs  rythmiques,  qui  ne  sont 
pas  indiquées  sur  le  manuscrit. 

L'Académie  a  écouté  celte  communication  avec  la  plus  vive  alten- 
tion  et  a  félicité  M.  Reinach  de  ses  patientes  recherches. 

Le  compte  rendu  des  Débats,  après  avoir  confirmé  que  M.  Reinach 
a  qualifié  ce  fragment  de  «  curieux  et  unique  monument  pour  l'his- 
toire de  l'harmonie  »  et  l'avoir  présenté  comme  étant  un  «  duo  pour 
cithare  et  chaut,  écrit  dans  la  manière  wagnérienne,  oii  les  deux  voix 
alternent  sans  jamais  se  mêler  »  conclut  plus  simplement  par  ces 
mots  :  «  M.  Reinach  a  fait  entendre  d'abord  le  thème  adopté  par  les 
érudits  antérieurs,  —  une  vraie  cacophonie,  —  puis  la  phrase  réelle, 
—  qui  n'est  qu'un  peu  plus  mélodieuse.  » 

Nous  reproduisons  ci-dessous  ce  document  : 


CITHARE 

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^44-- 

H):a   p — 1 — 

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1  1  ' 

Il  n'y  a  aucune  raison  de  douter  de  l'exactitude  de  cette  transcrip- 
tion, et  je. me  plais  à  reconnaître  que  M.  Reinach  a  rendu  de  réels 
services  à  l'étude  de  la  musique  grecque  en  donnant  Ip.  notation  des 
documents  découverts  en  ces  dernières  années  et  en  revisant  celle 
des  monuments  plus  anciens,  tâche  qu'il  me  paraît  avoir  accomplie 
avec  beaucoup  de  compétence  et  de  sûreté.  A  la  vérité,  mon  approba- 
tion en  cette  matière  est  de  peu  de  poids,  car,  je  l'avoue  sans  honte, 
je  n'ai  pas  une  suffisante  expérience  de  la  notation  grecque  pour  en 
discuter  en  parfaite  connaissance  de  cause  :  j'ai  simplemeut  l'impres- 
sion que  les  transcriptions  de  M.  Reinach  sont  exactes,  jugeant 
essentiellement  d'après  les  résultats,  qui  se  présentent  avec  tous  les 
caractères  de  la  vraisemblance. 

Mais,  la  transcription  achevée,  nous  voilà  aussi  savants,  et  désor- 
mais le  document  nous  appartient,  aussi  bien  que  son  commentaire. 
Et  c'est  ici,  malheureusement,  que  les  objections  commencent  à  se 
présenter  en  foule. 

Tout  d'abord  on  vient  nous  dire  que  ce  document  est  unique  dans 
son  genre,  par  la  raison  qu'il  montre,  pour  la  première  fois,  un  spéci- 
men d'harmonie  autique.  Si  cela  était,  il  faudrait  conclure  que 
l'harmonie  antique  élait  plutôt  simple.  Il  est  fâcheux  que,  dans  ces 
sortes  de  discussions,  il  faille  toujours  reprendre  par  la  base  les 
élémenls  de  la  technique  musicale,  et  commencer  par  définir  des 
expressions  sur  lesquelles  aucun  malentendu  ne  devrait  exister.  Je 
suis  donc  obligé  de  définir  encore  le  mot  «  harmonie  »  qui,  dans  son 
sens  moderne,  veut  dire  combinaison  de  sons  silmultanés.  Or,  il  n'y 
a  pas  la  moindre  trace  de  sons  simultanés  dans  le  fragment  ci-dessus. 
Ce  fragment  ne  présente  donc  aucun  intérêt  au  point  de  vue  de 
l'harmonie,  toute  harmonie  en  étant  absente. 

Pour  la  question  de  savoir  si  les  lettres  0  K,  A  M,  veulent  dire  : 
«  Cithare,  —  voix  »,  je  n'aurai  garde  de  la  discuter.  En  voyant  si 


peu  de  lettres  signifier  tant  de  choses,  ne  serait-on  pas  tenté  de  dire, 
comme  dans  le  Bourgeois  gentilhomme  :  «  Voilà  une  langue  admirable 
que  ce  grec!  »  Je  constate  simplement  que  les  notes  écrites  sur  la 
portée  supérieure  n'ont  aucun  caractère  vocal,  qu'au  contraire,  elles 
sont  parfaitement  conformes  à  celles  de  la  portée  inférieure,  qu'elles 
complètent  et  prolongent  constamment.  En  outre,  la  prétendue  partie 
vocale  n'est  accompagnée  d'aucunes  paroles,  ce  qui  me  paraît  suffi- 
samment convaincant,  les  Grecs  n'ayant  point  eu,  que  nous  sachions, 
l'habitude  de  chanter  sans  paroles.  Et,  puisqu'un  dos  savants  qui 
avaient  eu  autrefois  connaissance  de  ce  morceau  y  a  Cru  voir  un  air 
de  cithare  pour  les  deux  mains,  je  me  rallie  avec  empressement  à 
cette  hypoihèse,  qui  me  parait  la  seule  raisonnable. 

Enfin,  le  rapproiîhement  de  ce  prétendu  dialogue  musical  avec  les 
procédés  de  Wagner  et  de  la  musique  moderne  est  plus  superficiel 
encore  qu'aucune  des  observations  précédentes.  J'en  suis  à  regretter 
maintenant  d'avoir  constaté  jadis,  avec  M.  Reinach,  que,  dans  le 
premier  Hymne  à  Apollon,  il  y  avait  certaines  inflexions  chroma- 
tiques qui  présentaient  quelque  analogie  avec  des  passages  du  chant 
du  berger  de  Tristan  et  Yseult  (et  d'ailleurs  je  n'avais  jamais  vu  là 
autre  chose  qu'une  simple  curiosité,  et  j'avais  bien  spécifié  qu'il  n'y 
avait  aucune  conclusion  générale  à  en  tirer).  Je  n'ai  point  ouï  dire, 
en  tout  cas,  que  la  polyphonie  wagnérienne  consistât  à  faire  dialo- 
guer entre  elles  deux  parties  absolument  nues  ;  et,  par  les  «  certaines 
compositions  de  l'école  moderne  où  le  violoncelle  ou  la  harpe  donnent 
la  repartie  à  un  chant  »,  j'attends  encore  que  l'on  me  fasse  connaître 
le  chef-d'œuvre  dans  lequel  la  voix  et  l'instrument  se  bornent  exclu- 
sivement à  se  répondre,  sans  se  toucher  jamais,  et  sans  qu'il  y  ail 
rien  autre  pour  les  soutenir  et  les  relier. 

Quant  à  la  valeur  musicale  du  fragment  ci-dessus,  il  apparaît 
clairement  qu'elle  est  nulle,  et  que  le  morceau  est  le  moins  inté- 
ressant de  tous  ceux  qui  ont  été  notés  jusqu'à  ce  jour. 

Il  me  parait  donc  que  la  communication  de  M.  Reinach  n'a  pas  eu, 
cette  fois,  l'intérêt  qu'il  en  avait  promis,  et  qu'un  si  médiocre  résultat 
ne  méritait  pas  de  retenir  l'attention  de  l'Académie. 

Julien  Tiersot. 

p,-S.  —  En  passant,  je  ferai  les  quelques  observations  de  solfège  que 
voici  : 

I»  Le  silence  d'une  mesure  quelconque  s'indique  uniformément  par  la 
pause,  et  non,  dans  la  mesure  à  trois-quatre,  par  une  demi-pause  et  un 
soupir;  —  2°  lorsqu'on  indique  un  point  d'orgue  sur  une  partie,  il  faut  le 
répéter  sur  les  autres  (ou  sur  l'autre  s'il  n'y  en  a  que  deux) ,  —  3»  quand 
il  y  a  changement  de  clef,  ce  changement  doit  être  indiqué  d'une  façon 
apparente  devant  le  passage  même  où  il  se  produit.  J'ai,  naturellement, 
rectifié  dans  la  notation  ci-dessus  cette  triple  légère  incorrection  de  la 
notation  de  M.  Reinach,  la  première  reproduite  quatorze  fois  de  suite,  sur 
quatorze  mesures,  la  deuxième  deux  fois  seulement.  J.  T. 


NOXTA^ELLBS    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Mme  Norman  Neruda,  veuve  de  sir  Charles  Halle,  la  célèbre  violo- 
niste, vient  de  célébrer  le  cinquantième  anniversaire  de  son  premier 
concert  et  le  vingt-cinquième  de  sa  première  apparition  devant  le  public 
anglais.  Un  comité,  ayant  le  prince  de  Galles  à  sa  tête,  s'était  formé  pour 
offrir  à  l'artiste  le  cadeau  d'usage,  et  les  dons  ont  été  tellement  importants 
que  le  comité  a  pu  acquérir  pour  l'artiste  un  château  meublé  près  de  Trévise, 
avec  ses  dépendances,  dont  les  titres  lui  ont  été  présentés  dans  un  écrin 
superbe.  Un  petit  chèque  de  500  livres  sterling,  soit  'l"2.b00  francs,  se  trou- 
vait également  dans  l'écrin,  et  représentait  le  reliquat  de  la  somme  réa- 
lisée par  le  comité.  L'artiste  n'a  pas  encore  déposé  son  archet;  que  va- 
t-on  lui  offrir  dans  dix  ans? 

—  Clara  Schumann  a  été  ensevelie  au  vieux  cimetière  de  Bonn,  où  Robert 
Schumann  repose  depuis  près  de  quarante  ans  et  où  ses  admirateurs  lui 
ont  élevé  un  monument  superbe.  La  femme  du  grand  compositeur  repo- 
sera donc  près  de  lui.  Plus  de  Jeux  cents  couronnes  ont  été  envoyées;  la 
petite  chapelle  était  remplie  de  musiciens  allemands  de  renom  parmi 
lesquels  on  remarquait  surtout  Johannès  Brahms,  auquel,  dans  sa  prime 
jeunesse,  Robert  Schumann,  alors  critique  musical  à  Leipzig,  avait  prédit 
un  grand  avenir. 

—  L'empereur  Guillaume  II  vient  de  porter  à  un  million  de  marcs  la 
subvention  accordée  aux  théâtres  royaux  de  Berlin.  Les  autres  théâtres 
royaux,  à  Gassel,  Wiesbaden  et  Hanovre,  ont  des  subventions  spéciales. 
Le  directeur  des  théâtres  de  Berlin  s'efforce  de  faire  des  économies  et  de 
ne  pas  dépenser  toute  la  subvention  qui  leur  est  accordée.  On  évalue  â 
SOO.OOO  marcs  en  moyenne  la  subvention  nécessaire  aux  théâtres  royaux  ; 
c'est  donc  200.000  marcs  que  le  directeur  peut  économiser  avec  un  peu 
de  chance. 


18â 


LE  MÉNESTREL 


—  M.  Possart,  surintendant  de  l'Opéra  royal  de  Munich,  vient  de  faire 
jouer  Don  Juan  de  façon  conforme  à  la  première  représentation  de  ce 
chef-d'œuvre,  dirigée  par  Mozart  à  Prague,  en  1787.  On  a  même  restitué 
à  Munich  le  titre  italien  de  l'oeuvre  :  Don  Giovanni.  A  cette  occasion, 
M.  Possart  a  rempli  les  fonctions  de  régisseur  avec  le  grand  talent  qu'on  lui 
connaît,  et  le  compositeur  Richard  Strauss  a  conduit  l'orchestre  d'une 
façon  magistrale.  Beaucoup  d'amateurs  étrangers  assistaient  à  cette  repré- 
sentation intéressante,  qui  a  obtenu  le  succès  le  plus  vif.  Rappelons  à  ce 
sujet  que  le  directeur  du  théâtre  allemand  de  Prague,  M.  Angelo  Neu- 
mann,  a  le  grand  mérite  d'avoir  célébré,  en  1887,  le  centenaire  de  Don 
Gioranni,  par  une  représentation  calquée  aussi  sur  celle  de  1787  ;  il  est 
vrai  qu'il  disposait  de  la  copie  de  la  partition  qui  avait  servi  à  Mozart 
pour  conduire  Don  Giovanni  à  sa  première.  M.  Neumann  fit  jouer  l'œuvre 
en  langue  italienne,  ce  qui  était  d'autant  plus  agréable  qu'aucune  des 
nombreuses  traductions  allemandes  ne  s'adapte  parfaitement  à  la  musique 
(la  plus  ancienne  de  ces  traductions  est  toutefois  la  meilleure  et  la  plus 
populaire)  et  il  fit  venir  à  Prague  M.  de  Padilla,  qui  chanta  le  rôle  prin- 
cipal avec  beaucoup  de  charme.  Espérons  que  l'exemple  de  MM.  Neu- 
mann et  Possart  sera  suivi  par  tous  les  théâtres  lyriques    d'outre-Rhin. 

Bn. 

—  Nous  avons  récemment  annoncé  le  succès  d'un  nouvel  opéra,  Ingo, 
représenté  à  l'Opéra  royal  de  Berlin  et  dont  l'auteur  est  M.  Philippe  Rûfer. 
M.  Rûfer  n'est  point  allemand  :  c'est  un  Belge,  un  Liégeois,  aujourd'hui 
établi  à  Berlin,  et  qui  a  été  maitre  de  chapelle  de  la  reine  Victoria. 

—  Une  des  artistes  hongroises  les  plus  renommées,  M"""  Louise  Blaha, 
va,  comme  tant  d'autres,  célébrer  prochainement  son  jubilé  artistique.  A 
cette  occasion,  ses  admirateurs  de  la  capitale  hongroise  ont  eu  la  pensée 
de  lui  offrir  un  présent  national  de  100.000  florins,  soit  âbO.OÛO  francs,  ce 
qui  n'est  pas  banal,  et  ils  ont  imaginé  un  moyen  assez  ingénieux  de  réunir 
cette  somme  sans  avoir  recours  à  une  souscription.  Le  comité,  à  la  tète 
duquel  se  trouve  le  docteur  Wlassich,  ministre  de  l'instruction  publique, 
fait  préparer  50.000  photographies  de  l'artiste,  sur  chacune  desquelles 
celle-ci  apposera  sa  signature,  et  qui  seront  vendues  aux  amateurs  à  rai- 
son de  deux  florins  l'une.  Le  résultat  ne  sera  pas  désagréable  assurément 
pour  l'héroïne,  mais  c'est  égal,  50.000  signatures!..  11  y  a  de  quoi  avoir  une 
crampe  ! 

—  Un  jeune  musicien  italien  qui  s'est  fait  connaître  dans  sa  patrie,  en 
ces  dernières  années,  par  quelques  opérettes  assez  agréables,  M.  Grescen- 
zio  Buongiornio,  vient  de  faire  représenter  à  Leipzig  un  opéra  en  deux 
tableaux,  la  Pesta  del  Carra,  paroles  de  M.  Golisciani,  qui  est  encore  une 
imitation  flagrante  du  genre  inauguré  par  Cavallcria  rusticana,  avec  action 
nerveuse  et  rapide,  coups  de  théâtre,  scènes  populaires,  colpi  di  coltello, 
meurtres  et  ce  qui  s'ensuit.  Ce  qui  fait  dire  à  un  journal  étranger  que  la 
mascagnite  sévit  encore  en  Allemagne.  Cependant  cette  Festa  del  Carra  n'a 
obtenu  qu'un  médiocre  succès,  bien  que  le  compositeur  n'y  ait  manqué, 
parait-il,  ni  de  talent  ni  d'une  certaine  entente  scénique. 

—  A  Genève,  grand  succès  pour  la  cantate  d'inauguration  de  l'Exposi- 
tion, écrite  par  M.  Otto  Barblan  sur  des  vers  de  M.  Jules  Cougnard,  et 
superbement  chantée  par  un  chœur  de  200  voix.  Le  musicien  a  employé, 
comme  leitmotiv  de  sa  composition,  le  chant  national  suisse,  et  son  œuvre 
a  produit  le  plus  grand  effet.  Les  premiers  concerts  donnés  au  Victoria- 
Hall  sous  la  direction  de  M.  Gustave  Doret  ont  eu  aussi  un  excellent 
résultat.  Le  programme  du  premier  comprenait  la  symphonie  en  «(mineur 
de  Saint-Saëns,  l'ouverture  à'Euryanthe  et  le  prélude  des  Maîtres  Chanteurs: 
au  second  on  a  entendu  la  symphonie  en  la  de  Beethoven,  la  suite  d'or- 
chestre de  Namouna  de  Lalo  et  Stenka  Razine,  poème  symphonique 
d'Alexandre  Glazounow.  Les  solistes  étaient  M.  Warmbrodt,  qui  a  chanté 
à  la  première  séance  le  Repos  de  la  sainte  Famille  (l'Ehfanee  du  Christ)  de 
Berlioz,  la  cavatine  du  Prince  Igor  de  Eorodine  et  Clair  de  Inné  de  Gabriel 
Fauré,  et  M""  Éléonore  Blanc,  qui  a  dit,  dans  la  seconde,  le  grand  air  du 
Freischûtz,  la  Procession  de  César  Franck  et  l'Ile  heureuse  de  Ghabrier.  L'Expo- 
sition multiplie  d'ailleurs  les  concerts  à  Genève  en  ce  moment,  et  les 
différentes  sociétés  musicales  :  la  Fanfare  de  Saint-Gervais,  l'Harmonie 
nautique,  la  Fanfare  municipale,  d'autres  encore,  en  donnent  chacune  à 
leur  tour,  qui  tous  attirent  un  nombreux  public. 

—  Certains  chefs  d'orchestre  sont  familiers  avec  le  public.  Voici  ce 
qu'on  lit  dans  le  Trovalore  ;  «  Un  cas  étrange  et  assez  nouveau  dans  les 
annales  des  théâtres  lyriques  s'est  produit,  il  y  a  quelques  soirs,  au  théâtre 
Quirino  de  Rome.  Durant  une  représentation  tempétueuse  de  Rigoletto  le 
maestro  Nuti,  qui  dirigeait  l'orchestre,  déposa  tout  à  coup  sa  baguette  et 
s'en  alla  voir  les  étoiles  !  Si  l'incident  n'a  pas  eu  de  conséquences 
fâcheuses,  c'est  parce  que  le  maestro  Falconi,  présent  au  théâtre,  eut 
l'esprit  de  monter  aussitôt  sur  le  fauteuil  et,  saisissant  le  bâton  aban- 
donné, de  conduire  la  fin  de  l'acte.  » 

—  Voici  qu'un  compositeur  italien  s'avise  de  refaire  Boieldieu,  M.  Sici- 
liani-Leva  travaille  en  ce  moment  à  un  opéra  qui  a  pour  titre  la  Donna 
bianea. 

—  On  vient  de  donner  à  Pienza  la  première  représentation  d'un  opéra- 
comique  en  trois  actes,  Urbano,  ossia  le  Avvenlure  di  una  noite,  dont  le  com- 
positeur Carlo  Leoni  a  écrit  tout  ensemble  les  paroles  et  la  musique,  Cet 
ouvrage  paraît  avoir  été  accueilli  avec  la  plus  grande  faveur. 

—  Il  n'en  a  pas  été  de  même  d'une  Ninon  deLenclos,en  quatre  actes,  dont 


M.  Natale  Bertini  a  écrit  la  musique  sur  un  livret  de  M.  Giovanni  Perez, 
et  qui  a  été  représentée  le  24  mai  aux  Politeama  de  Palerme.  Cet  opéra, 
qui  avait  été  imposé  à  la  direction  par  la  municipalité  dans  le  but  d'encou- 
rager l'art  local,  a  été  reçu  plus  que  froidement,  en  dépit  des  efforts  de 
ses  interprètes.  M'""'  Giachetti-Botti  et  Deslandes,  MM.  Zeni,  Giacomello 
et  Galli.  «  L'œuvre  est  destinée,  comme  tant  d'autres,  à  mourir  promp 
tement  »  dit  un  journal  italien.  Et  un  de  ses  confrères  dit  de  son  côlé  : 
0  Le  maestro  a  été  trahi  par  le  librettiste,  et  tous  les  deux  ont  trahi  le 
public...  Les  fragments  les  plus  appréciés  de  la  musique  sont  comme  une 
oasis  dans  un  désert  ».  Décidément,  Ninon  de  Lenclos  n'est  pas  favorable 
à  la  musique.  On  se  rappelle  l'effet  qu'elle  a  produit,  l'an  dernier,  à  notre 
Opéra-Comique;  elle  n'avait  pas  été  plus  heureuse  en  Italie,  il  y  a  quel- 
ques mois,  avec  la  musique  de  M.  GipoUini  ;  elle  est  loin  d'avoir  pris  sa 
revanche  avec  celle  de  M.  Bertini. 

—  Mettons  en  garde  le  rédacteur  des  éphémérides  du  Mondo  artistico  de 
Milan  contre  certaines  inexactitudes  qui  compromettent  ce  petit  travail 
historique.  C'est  le  26  mai  18S7  (et  non  1860)  que  furent  représentées  au 
Théâtre-Lyrique  les  Nuits  d'Espagne,  de  Semet;  et  c'est  le  30  mai  (et  non 
le  29)  1890  que  parut  à  l'Opéra-Comique  la  Basoche  de  M.  Messager. 

—  A  l'Eldorado  de  Barcelone  on  a  donné,  dans  ces  derniers  temps,  la 
représentation  de  trois  nouvelles  zarzuelas  en  un  acte  :  la  Viuda  de  Gon- 
zalez, musique  de  M.  Taboada,  el  Coche  carreo,  de  M.  Chueca,  et  los  Ino- 
centes,  de  M.  Estellés.  Ces  trois  petits  ouvrages  ont  été  bien  accueillis.  Il 
en  est  de  même  d'une  autre  zarzuela  en  un  acte,  Por  salvar  a  mi  teniente, 
paroles  de  M.  Carrion,  musique  de  M.  Costa,  professeur  au  Conservatoire, 
qui  a  obtenu  un  vif  succès  au  théâtre  de  la  Gran  Via  de  la  même  ville. 
D'autre  part,  au  théâtre  Ruzafa,  de  Valence,  on  a  donné  aussi  avec  succès 
un  «  jeu  comico-lyrique  «  intitulé  el  Primer  Ténor,  paroles  de  MM.  Pont  et 
Gastell,  musique  de  M.  José  Garcia  Sola. 

—  Il  paraît  que  l'enseignement  n'est  pas  toujours  extrêmement  brillant 
dans  les  classes  du  Conservatoire  de  Mexico,  où  l'on  cite  l'exemple  d'une 
jeune  chanteuse  qui,  après  avoir  obtenu  un  premier  prix  à  la  suite  de 
sept  années  d'études  et  s'être  rendue  en  Italie  pour  s'y  perfectionner,  s'est 
vue  obligée  de  recommencer  entièrement  son  éducation  musicale.  Aussi 
il  paraît  que  les  dilettantes  de  la  capitale  du  Mexique  s'occupent  en  ce 
moment  d'y  créer,  à  côté  de  l'institution  officielle,  un  Conservatoire  libre 
et  gratuit  organisé  de  telle  façon  que  les  résultats  en  puissent  être  plus 
appréciables.  —  Il  existe  en  ce  moment,  à  Mexico,  trois  sociétés  de  qua- 
tuor dont  les  séances  font  les  délices  des  amateurs  :  le  quatuor  dit  du 
Conservatoire,  le  quatuor  Saloma  et  celui  de  la  Société  philharmonique. 
Ce  dernier  est  considéré  comme  le  meilleur. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Buenos-Ayres  un  nouveau  théâtre  d'opéra, 
construit  avec  beaucoup  de  goût  et  de  luxe  et  pourvu  de  toutes  les  instal- 
lations modernes.  Inutile  de  dire  que  l'opéra  italien  règne  souveraine- 
ment dans  cette  ville  peuplée  d'Italiens.  Le  soir  de  l'inauguration  on 
jouait  Otello,  de  VerJi,  et  l'administration  s'était  offert  le  concours  de 
l'illustre  Tamagno.  Trente-deux  rappels  ;  ces  «Romains»  de  la  Répu- 
blique Argentine  n'y  vont  pas- de  main  morte.  Et  dire  que  notre  fonction 
budgétaire  de  chef  de  claque  n'est  pas  encore  connue  dans  ce  pays  ! 

—  Le  baryton  Lassalle  a  dit  adieu  à  l'art  pour  s'adonner  à  l'industrie; 
le  ténor  Tamagno  semble  disposé  à  abandonner  la  scène  pour  se  livrer 
aux  travaux  de  l'agriculture.  C'est  un  journal  <le  Montevideo,  l'Ilalia  a 
Plata,  qui  nous  apporte  cette  nouvelle  en  ces  termes  :  «  Selon  des  détails 
recueillis  de  la  bouche  même  de  Tamagno,  ce  grand  ténor  aurait  décidé 
d'acquérir  un  domaine  dans  l'Argentine  pour  se  livrer  à  l'agriculture  et 
se  fixer  en  ce  pays  qui  l'a  comblé  de  tant  d'honneurs.  En  fait,  il  est 
enthousiaste  de  l'Argentine  et  de  ses  hommes  politiques,  parmi  lesquels 
il  compte  plusieurs  sincères  amis.  » 

PARIS   ET   DÉPARTENIENTS 

Hier  samedi,  c'était,  à  l'Opéra-Gomique,  la  reprise  du  Pardon  de  Ploer- 
mel,  avec  MM.  Bouvet,  Berlin,  Maréchal,  Belhomrae,  M"°=Marignan,  Leclerc 
et  Charlotte  Wyns.  A  dimanche  prochain  le  compte  rendu  de  cette  inté- 
ressante soirée. 

—  Deux  nouveaux  directeurs  à  l'Odéon.  M.  Marck,  dont  la  santé  est  fort 
compromise,  a  donné  sa  démission,  et  son  associé,  M.  Desbeaux,  l'a  suivi 
dans  sa  retraite.  On  a  désigné  de  suite  pour  les  remplacer  M.  PaulGinisty, 
un  de  nos  plus  aimables  confrères,  et  M.  Antoine,  le  créateur  du  Théâtre 
Libre.  C'est  un  bon  assemblage  dont  on  peut  attendre  des  idées  nouvelles 
et  même  audacieuses. 

—  L'Académie  des  beaux-arts,  dans  sa  dernière  séance,  a  attribué  le 
prix  Trémont  (1.000  francs)  destiné  à  un  «  musicien  distingué  dans  ses 
études  »,  à  M.  Paul  Puget. 

—  C'est  M.  Gabriel  Fauré,  le  délicat  compositeur,  qui  remplacera 
M.  Théodore  Dubois  comme  organiste  de  la  Madeleine. 

—  M.  D.  Thibault  vient  d'être  réélu  second  chef  d'orchestre  de  la 
Société  des  concerts  du  Conservatoire.  Au  premier  tour  de  scrutin,  sur 
102  votants,  il  a  obtenu  89  voix. 

—  M""  Emma  Calvé  est  partie  cette  semaine  pour  la  Bourboule.  Elle  a 
signé  avec  l'imprésario  Grau  pour  une  nouvelle  saison  à  New-York,  l'an 
prochain.  Mais,  avant  son  départ  pour  l'Amérique,  elle  donnera  en  octobre 


LE  MENESTREL 


183 


et  novembre,  à  l'Opéra-Comique  de  Paris,  une  série  de  vingt  représenta- 
tions de  Manon.  Ce  sera  une  très  curieuse  prise  de  possession  de  ce  rôle 
si  varié,  où  la  remarquable  artiste  ne  pourra  manquer  d'être  très  intéres- 
sante. 

—  Le  tribunal  civil  d'Amsterdam  vient  de  rendre  un  jugement  qui 
mérite  d'être  signalé  en  France.  M.  Paul  Decourcelle,  éditeur  de  musique 
à  Nice,  propriétaire  de  la  composition  de  GiMet  :  Loin  du  bal,  et  de  Flirla- 
tion  de  Steck,  poursuivait  les  éditeurs-libraires  Abrabamson  et  van  Straa- 
ten,  d'Amsterdam,  pour  avoir  réimprimé  ces  pièces  sans  autorisation.  Il 
avait  d'abord  introduit  une  plainte  correctionnelle  à  laquelle  il  n'avait  pas 
été  donné  suite,  dans  l'incertitude  où  l'on  était  que  le  tait  incriminé  tom- 
bât sous  le  coup  de  la  loi.  Le  plaignant  s'est  tourné  alors  vers  le  tribunal 
civil,  qui  a  condamné  les  contrefacteurs  à  400  florins  de  dommages-inté- 
rêts, exigibles  même  par  contrainte  par  corps,  sans  préjudice  des  frais  du 
procès  évalués  par  le  jugement  à  180  florins.  C'est  la  première  fois,  — 
depuis  que  la  convention  franco-hollandaise  de  1884  a  étendu  aux  œuvres 
musicales  la  protection  du  traité  de  18So,  —  qu'un  éditeur  français  fait 
appel  à  la  justice  hollandaise,  et  l'expérience  n'est  pas  pour  décourager 
ceux  qui  auraient  à  souffrir  des  mêmes  procédés...  et  ils  sont  nombreux. 

—  De  notre  confrère  Nicolet,  du  Gaulois  :  «  Hier,  en  un  tour  de  prome- 
nade, nous  rencontrons  Henri  Gain,  le  peintre-librettiste.  Nous  l'abordons 
et  nous  le  félicitons  d'abord  de  la  médaille  que  lui  a  value,  au  Salon,  son 
beau  tableau  de  Saint  Georges  et  le  Monstre  et  ensuite  de  la  mise  à  l'étude 
prochaine,  à  l'Opéra-Comique,  de  sa  Cendrillon:  «  A  ce  propos,  nous  dit-il,  je 
vous  serai  reconnaissant  de  bien  vouloir  imprimer  que,  une  fois  le  poème 
de  Cendn7/o)î  terminé  jusqu'au  dernier  vers  et  porté  chez  Massenet,  un  ami  du 
compositeur,  M.  Paul  Gollin,  voulut  bien,  avec  son  expérience  et  son  talent, 
lire  mon  livret  et  remettre  sur  leurs  pieds  nombre  de  coins  où  ma  muse  de 
peintre  avait  cloché.  Ce  qu'il  y  a  de  particulier  en  celte  affaire,  ajouta-t-il, 
c'est  que  je  ne  connais  nullement  M.  Gollin,  qui  m'a  rendu  ce  service 
d'une  manière  charmante  et  ignorée,  et  que  c'est  par  votre  intermédiaire 
qu'il  va  recevoir  tous  mes  remerciements  pour  son  talent  et  sa  gentillesse 
délicieuse  qui,  sans  vous,  seraient  restés  inconnus  de  tous,  ce  que  je  déplo- 
rerais absolument  ». 

—  Nous  avons  annoncé  la  petite  solennité  musicale  qui  devait  être  don- 
née à  la  salle  Pleyel,  pour  célébrer  le  «  cinquantenaire  musical  de  M.  Ca- 
mille Saint-Saëns,  »  qui  débuta  à  cette  même  salle  à  l'âge  de  onze  ans,  en 
qualité  de  pianiste-virtuose.  La  solennité  a  eu  lieu  au  jour  précis,  mais 
on  n'avait  oublié  qu'un  point,  c'était  d'y  convoquer  la  presse.  Nous  ne 
pouvons  donc  rapporter  que  par  ouï-dire  les  échos  d'un  succès  qui  a  été 
très  vif,  parait-il,  ce  qui  n'a  rien  de  surprenant,  avec  un  maître  tel  que 
M.  Saint-Saëns,  et  des  aides  comme  MM.  Sarasate  etTaflanel.  Tout  s'est 
donc  passé  au  mieux,  et  même  on  a  fort  applaudi  M.  Saint-Saëns  en  qua- 
lité de  poète;  car,  à  un  moment  de  la  soirée,  il  a  pu  tirer  de  sa  poche  un 
petit  discours  rimé  qu'il  s'est  mis  à  lire  de  la  plus  merveilleuse  façon. 
Nous  croyons  devoir  reproduire  ici  ce  petit  document  curieux  : 

Cinquante  ans  ont  passé,  depuis  qu'un  garçonnet 

De  dix  ans,  délicat,  frêle,  le  teint  jaunet. 

Mais  confiant,  naïf,  plein  d'ardeur  et  de  joie, 

Pour  la  première  fois,  sur  cette  estrade,  en  proie 

Au  démon  séduisant  et  dangereux  de  l'art. 

Se  mesurait  avec  Beethoven  et  Mozart. 

Il  ne  savait  ce  qu'il  faisait  ;  mais  une  fée 

Que  plus  d'un  parmi  vous  aura  bientôt  nommée 

Savait,  voulait  pour  lui,  le  menait  par  la  main 

Vers  le  but  désiré,  dans  l'austère  chemin 

Du  travail,  du  devoir.  L'incomparable  femme 

Avait  depuis  longtemps  décidé  dans  son  âme 

Que  son  premier  enfant  serait  musicien. 

Ignorant  si  c'était  un  mal  plutôt  qu'un  bien. 

Toujours  elle  y  pensait,  fidèle  à  sa  chimère; 

Mais  qui  pourrait  combler  tous  les  vœux  d'une  mère? 

Seul,  un  pâle  reflet  de  ce  monde  enchanté 

Qu'en  un  songe  de  gloire  elle  avait  enfanté 

"Vint  m'éclairer.  Pourtant  elle  a,  dans  sa  vieillesse. 

Me  voyant,  grâce  à  la  maternelle  faiblesse. 

Tout  autre  que  j'étais,  pu  croire  que  le  songe 

N'appelait  pas  toujours  pour  rime  le  mensonge. 

Que  ceux  qui  l'ont  connue  aux  autres  veuillent  dire 

De  quels  rayons  divins  était  fait  son  sourire  ! 

Un  demi-siècle  I  eh  quoi  ?  c'est  donc  si  peu  de  chose  ! 
C'était  hier  !  je  vois  ici  la  foule  rose, 
Maleden,  Stamaty,  mes  professeurs,  Tilmant, 
Le  chef  d'orchestre  aimé;  de  l'applaudissement 
J'entends  encore  le  bruit,  qui,  chose  assez  étrange, 
Pour  ma  pudeur  d'enfant  était  comme  une  fange 
Dont  le  flot  me  venait  toucher;  je  redoutais 
Son  contact,  et  parfois,  malin,  je  l'évitais. 
Affectant  la  raideur,  la  froideur  simulée. 
Innocence  première  à  jamais  envolée! 

Depuis,  j'ai  par  malheur  écrit  des  symphonies, 

Des  œuvres  tour  à  tour  triomphantes,  honnies, 

Gomme  il  convient.  La  mer  n'est  pas  toujours  clémente; 

Aujourd'hui  c'est  l'azur,  demain  c'est  la  tourmente. 

L'art  est  comme  la  mer,  changeant,  capricieux. 

Il  nous  mène  aux  enfers;  il  nous  montre  les  cieux; 


On  y  voudrait  grimper  :  on  tente  l'escalade; 
Quand,  après  des  efforts  à  se  rendre  malade. 
On  croit  franchir  la  porte,  à  nos  yeux  étonnés 
La  porte  se  referme,  on  s'y  casse  le  nez. 
On  en  prend  son  parti  -.  la  muse  enchanteresse 
Nous  console  de  tout  avec  une  caresse  ! 
Que  vous  dirai-je  enoor?  Je  n'étais  qu'un  enfant 
A  mes  débuts  ;  trop  jeune  alors,  et  maintenant 
Trop...  non  !  n'insistons  pas.  La  neige  des  années 
Est  venue,  et  les  fleurs  sont  à  jamais  fanées. 
Naguère  si  légers,  rnes  pauvres  doigts  sont  lourds  I 
Mais,  qui  sait?  au  foyer  le  feu  couve  toujours; 
Si  vous  m'encouragez,  peut-être  une  étincelle. 
En  remuant  un  peu  la  cendre,  luira-t-elle... 

C'est  bien  joli  assurément;  mais  le  meilleur  mot  de  la  fin  a  encore  été 
pour  la  recette,  qui  s'est  élevée  à  plus  de  dix  mille  francs  et  dont  le  mon- 
tant a  été  remis  tout  entier  à  l'Association  des  artistes  musiciens. 

—  Le  festival  de  M.  Théodore  Dubois  à  Rouen  a  eu  un  plein  succès  et 
l'auteur  a  été,  à  diverses  reprises,  l'objet  d'ovations  très  chaleureuses. 
L'exécution  du  Paradis  perdu  fait  grand  honneur  à  M.  Brument,  qui  a  été 
fort  applaudi  ainsi  que  les  excellents  interprètes  :  M""  Éléonore  Blanc  et 
Mathieu,  MM.  Bartet  et  Lafarge.  Voilà  de  la  bonne  décentralisation  ! 

—  J'aime  M.  Camille  Bellaigue  parce  qu'il  est  sincère  et  qu'il  est  cou- 
rageux. En  un  temps  où  il  est  de  bon  goût,  lorsqu'on  parle  musique,  de 
conspuer  ou  de  ridiculiser  tout  ce  qui  s'est  fait  de  pur,  de  noble  et  de 
beau  jusqu'à  ce  jour,  où  les  petites  femmes  qui  n'y  comprennent  rien 
tombent  en  pâmoison  au  seul  nom  de  Wagner  et,  pour  poser,  vous  disent 
qu'  «  il  n'y  a  que  cela  au  monde  »,  où  il  est  convenu,  aux  yeux  de  nos 
jeunes  musiciens,  que  les  grands  noms  de  Mozart,  de  Beethoven,  de  Ros- 
sini,  de  Gounod  et  de  bien  d'autres  sont  dignes  du  dernier  mépris,  M.  Bel- 
laigue ose  proclamer  et  affirmer  son  admiration  pour  ces  grands  hommes 
et  pour  leurs  03uvres,  et  il  le  fait  vaillamment  et  sans  broncher,  et  il  le 
crie  à  qui  veut  l'entendre.  Combien  sommes-nous  aujourd'hui  qui  osions 
agir  ainsi,  qui  osions  dire  ce  que  nous  croyons  être  la  vérité,  au  risque  de 
ce  qui  peut  s'ensuivre,  c'est-à-dire  non  seulement  des  railleries,  mais  des 
injures,  des  insultes,  voire  des  calomnies  lâches  qu'on  ne  nous  épargne 
pas  et  dont  je  suis  abreuvé  pour  ma  part  ?  Après  tout,  peut-être  la  raison 
finira-t-elle  par  avoir  raison,  et  nos  efforts  serviront-ils  enfin  à  quelque 
chose.  En  attendant,  voici  que  M.  Bellaigue  publie  un  livre  charmant,  et 
que  sous  le  titre  de  Portraits  et  Silhouettes  de  musiciens  (Paris,  Delagrave, 
in-12)  il  nous  offre  toute  une  série  d'études  et  d'esquisses  dans  lesquelles 
il  fait  revivre  quelques-uns  de  ces  artistes  admirables  qui  depuis  trois 
siècles  et  plus  ont  enchanté  l'humanité  civilisée  et  qu'il  est  de  mode 
aujourd'hui  de  mépriser  et  d'injurier  outre  tombe.  Il  y  a  là  quatre  beaux 
portraits,  largement  étudiés,  de  Palestrina,  de  Marcello,  de  Pergolèse  et 
de  Gounod  (oui,  de  Gounod,  la  bête  noire  de  nos  prétendus  réformateurs, 
qui  m'a  valu,  dans  une  conférence  où  j'avais  l'audace  de  le  traiter  d'homme 
de  génie,  les  injures  d'une  cinquantaine  d'énergumènes  auxquels  j'ai  dû 
imposer  silence).  Avec  cela  quelques  médaillons,  finement  ouvragés,  où 
l'on  retrouve  les  traits  d'Haydn,  de  Mozart,  de  Gluck,  de  Rossini,  de 
Weber,  de  Meyerbeer  (!),  d'Auber  (!!)  et  de  quelques  autres  dont  les  seuls 
noms  font  grincer  les  dévots  de  la  nouvelle  chapelle.  Que  ceux  qui  n'ont 
point  de  parti  pris  lisent  ces  pages  élégantes,  élégamment  écrites  et  em- 
preintes d'un  vrai,  sentiment  de  l'art,  et  je  puis  leur  affirmer  qu'ils  n'au- 
ront point  perdu  leur  temps.  A.  P. 

—  Très  beau  concert  donné  par  M^^  Edouard  Colonne  au  bénéfice  de 
l'Orphelinat  des  Arts,  avec  le  concours  de  ses  élèves  et  de  MM.  Lucien 
Wurmser,  Joseph  Holmann,  Jean  Ramon  et  de  M""»  Provinciali-Celmer. 
Très  brillante  réussite  pour  tous,  et  gros  succès  pour  le  charmant  trio  des 
Trois  Belles  Demoiselles  de  M""  Pauline  Viardot,  excellemment  chanté  par 
M"«=  Colonne  et  M"«s  Baldorchi  et  Planés  et  accompagné  par  l'auteur.  On 
terminait  par  la  Vision  de  la  Reine,  curieuse  composition  de  M"°  Augusta 
Holmes,  dite  merveilleusement  par  M™  Colonne  et  ses  élèves.  La  recette 
était  superbe. 

—  La  soirée  donnée  par  M™  Renée  Richard,  de  l'Opéra,  dans  son  hôtel 
de  la  rue  de  Prony,  a  été  des  plus  brillantes.  Cette  soirée  commençait  par 
une  audition  des  meilleures  élèves  de  la  grande  cantatrice,  et  après  cette 
première  et  intéressante  partie,  les  invités  ont  en  la  primeur  d'un  frag- 
ment de  l'opéra  de  M.  Henri  Maréchal,  Calendal,  exécuté  à  Rouen  l'hiver 
dernier.  On  a  vivement  applaudi  l'œuvre  et  les  interprêtes  :  M'"'^  Vaguet- 
Chrétien,  de  l'Opéra,  M  E.  Lafarge,  des  concerts  Lamoureux,  et  M.  Stam- 
1er,  du  théâtre  de  Monte-Carlo.  Pour  terminer,  la  maîtresse  de  la  maison 
s'est  fait  entendre  et  a  charmé  son  auditoire  en  chantant  avec  sa  belle 
voix  et  son  grand  style  une  o  Ballade  »,  de  M"""  Gabriel  Ferrari,  que  l'on 
a  bissée,  le  duo  d'Henry  YIII,  avec  Diaz  de  Soria,  et  la  Ballade  du  désespéré, 
d'Henry  Mùrger,  musique  deBemberg,  poème  dit  par  M""  Jeanne  Brindeau. 

—  Grand  concert  spirituel,  à  Versailles,  en  la  chapelle  du  Château,  au 
bénéfice  de  la  caisse  de  secours  de  l'Association  des  artistes  musiciens, 
fondation  Taylor.  Les  artistes  et  amateurs  figurant  au  programme  :  M""<=  la 
comtesse  de  Guerne,  M"""^  Kinen,  MM.  Vergnet  et  Paul  Seguy,  de  l'Opéra, 
M.  H.  Berthelier,  le  professeur  de  violon;  du  Conservatoire,  M.  G.  Papin, 
violoncelliste  solo  de  l'Opéra,  M"'»Em.  Renaud,  organiste,  etM"'-'  H.  Gayot, 
harpiste,  avaient  attiré   une   foule  énorme.   Ajoutons    que    ces   vaillants 


184 


LE  MENESTREL 


interprètes  de  la  belle  musique  sacrée  se  sont  surpassés  et  que  la  recette 
a  été  fort  belle  pour  les  artistes  malheureux.  M.  Théodore  Dubois  était 
venu  en  personne  diriger  l'exécution,  avec  les  chœurs  de  l'Opéra,  de  son 
bel  oratorio,  les  Sept  Paroles  du  Christ. 

—  Le  mercredi  3  juin,  la  paroisse  Sainte-Clotilde  a  pris  part  au  pèleri- 
nage qui  a  lieu  en  ce  moment  à  Reims.  La  maîtrise  de  l'église  parisienne 
s'est  fait  entendre  pendant  les  offices  :  le  matin  à  la  cathédrale,  l'après- 
midi  à  Saint-Remi  ;  parmi  les  morceaiix  exécutés,  on  a  remarqué  VEcce 
panis.  YAve  Maria  et  le  magistral  Tu  es  Pelrus,  de  Théodore  Dubois,  le 
Pater  Noster  de  Niedermeyer,  le  Sanclus,  VO  Salularis  et  le  Lavdaie,  de  la 
deuxième  messe  solennelle  de  Samuel  Rousseau. 

—  La  semaine  dernière,  très  beau  concert  de  charité  à  Versailles.  Au 
programme,  M"=  du  Minil,  M.  Albert  Lambert  fils  et  M.  Léon  Delafosse, 
qui  a  eu  un  double  succès  de  pianiste  et  de  compositeur.  Trois  de  ses 
délicieuses  mélodies  :  Clianson,  l'Étang  mystérieux  et  les  Fontaines,  ont  été 
chantées  par  M""i  Baréty,  avec  les  honneurs  du  bis, 

—  M.  Gigout  est  attendu  à  Barcelone  pour  deux  festivals  d'orgue  et 
d'orchestre  qui  ont  été  organisés  par  la  municipalité  à  l'occasion  de  l'Ex- 
position des  beaux-arts.  En  l'absence  de  M,  Gigout,  les  cours  de  son  école 
d'orgue  seront  faits  par  M.  Boëllaiann.  Mais  d'ici  là,  vendredi  prochain, 
une  très  belle  audition  en  l'honneur  de  M.  Saini-Saëns  aura  lieu  à 
l'école  de  la  rue  Jouffroy.  Le  maître  exécutera  avec  le  violoniste  Geloso 
sa  sonate  op.  7S,  les  élèves  de  l'école  joueront  ses  œuvres  d'orgue  et 
M"=  Éléonore  Blanc  et  MM.  Clément  et  Badiali,  de  l'Opéra-Comique, 
feront  entendre  ses  plus  récentes  œuvres  vocales. 

—  La  commission  des  fêtes  de  charité  à  Niort  a  terminé  son  programme 
par  un  superbe  concert  pour  lequel  il  avait  été  fait  appel  à  trois  artistes 
parisiens.  M°"=  Boidin-Puisais,M.  PauISéguy,  de  l'Opéra,  et  M.  Furet;  tous 
trois  ont  trouvé  à  Niort  le  grand  succès  auquel  ils  sont  accoutumés. 
Particulièrement  applaudi  Printemps,  de  J.  Faure,  par  M.  Séguy. 

—  CoxcERTs  ET  SoniÉEs.  —  A  la  dernière  matinée  de  M""Kirée"\vsky,  les  œuvres 
deM"'de  Grandval  composaient  une  grande  partie  du  programme.  Succès  d'en- 
thousiasme pour  la  Bonde  des  Songes,  partagé  par  les  interprètes,  M""  Kiréew- 
sky  et  les  chœurs  ;  la  Délaissée,  le  Bal,  valse  à  deux  voix,  avec  M"*  Kiréewsky, 
M""  Guimet  et  Pierron,  ont  eu  aussi  le  plus  grand  succès,  l'auteur  accom- 
pagnait ses  œuvres.  — Remarquable  audition  des  élèves  de  M""  Berthe  Duranton, 
salle  Érard.  Enseignement  parfait.  Remarqué  surtout  la  Korrigane  de  Widor  à  2 
pianos,  la  Légende  slave  de  Bourgault-Ducoudray  ;  mais  le  succès  a  été  pour  la 
Afuse((edM.\'l7J°5!ècfcdePérilhou  admirablement  chantée  par  M"' Jeanne  Duranton. 
—  Salle  Érard,  sérieuse  et  intéressante  matinée  des  élèves  de  M""  Menant.  Suc- 
cès pouv  Air  de  ballet  â'Hérodiade  de  Massenet;  Gaillarde  à  quatre  mains  de  Léo 
Source  capricieuse  de  FiUiaux-Tiger  ;  Vieille  Chanson,  Armingaud-FiUiaux-Tiger,  Deli- 
bes;  exécutée  par  M""  Menant  avec  un  récitaient.  —  Le  beau  concert  decharilé 
donné,  à  la  salle  Érard,  au  profit  de  l'œuvre  des  petites  conférences,  a  été  l'un 
des  événements  artistiques  de  la  saison,  grilce  au  talent  des  divers  artistes  et 
amateurs  qui  se  sont  fait  entendre.  Pour  la  partie  vocale,  il  faut  citer  en  pre- 
mière ligne  M"'  la  comtesse  de  Guerne  ;  pour  la  partie  instrumentale,  la  com- 
tesse Pûtocka,  MM.  Widor,  II.  Berthelier,  Gasella  et  GiUet.  Elle  et  ces  vaillants 
artistes  ont  recueilli  d'unanimes  bravos.  N'oublions  pas  l'orchestre  et  les 
chœurs  de  l'Opéra-Comique,  dirigés  supérieurement  par  M.  Jules  Danbé,  qui  a 
eu  une  bonne  part  dans  le  succès  de  la  soirée.  —  Chez  M"°  Tarpet-Leclercq, 
nombreux  et  brillant  concours  sur  Source  capricieuse  de  L.  Fliliaux-Tiger,  par  les 
élèves  de  ses  cours  et  de  sa  classe  au  Conservatoire.  Succès  pour  M""  Debrie, 
Nosny,  Ploquin,  Bousquet,  Chevrau,  Deligat,  Robsit.  —  Très  bonne  audition 
des  élèves  de  M"'  Balulet.  A  signaler  M""  M.  V.  (Belle  qui  liens  ma  vie,  pavane, 
Paul  'Vidal),  M.  R.  (Valse  de  l'ivresse,  Paul  Vidal)  et  B.  (Bourrée,  Paul  Vidal).  Dans 
les  intermèdes,  on  a  applaudi  M'"  Marrais  dans  la  Légende  des  trois  petits  mousses 
de  Xavier  Leroux,  dans  les  couplets  de  la  Marjolaine  du  Noël  de  Paul  Vidal, 
et  M"'  Méran  dans  le  Nil  de  Xavier  Leroux.  —  Très  brillante  soirée  donnée  par 
M"°  Marcus  de  Beaucourt,  au  cours  de  laquelle  on  a  fait  grand  succès  à  M""  S. 
Colin  (le  Bernier  Rendez-Vous,  Reyer),  H.  de  Hérédia  (le  Rêve  du  prisonnier,  Rubins- 
tein),  Emma  Monot  (Rêverie  de  Xaviire,  Théodore  Dubois),  à  M""  J.  Imberti 
(Pleurez  mes  ijeux  du  Cid,  de  Maissenet),  Anatole  France  (air  â'Hérodiade,  Maste- 
net)  et  aux  chœurs  dans  des  fragments  de  Xaviére.  —  Salle  Pleyel,  brillante 
séance  des  élèves  de  M—  Sauvaget.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis 
citons  les  Oiselets  de  Massenet,  Source  capricieuse  de  L.  Filliaux-Tiger  et,  pour 
terminer,  les  Crécelles  de  Glaudius  Blanc  et  Léopold  Dauphin.  —  A  la  réunion 
d'élèves  de  M'"  Hortense  Parent,  on  a  fait  fête  aux  charmantes  interprèles  de  la 
fantaisie  à  deux  pianos  de  Lysberg  sur  Don  Juan,  de  la  marche  des  Scènes  de  bal 
de  Massenet,  des  Pizzicali  de  Syli'ia  de  Léo  Delibes,  de  l'Entr'aclede  Léo  Delibcs, 
et  à  M°"=  Crabos  qui  a  fort  bien  chanté  la  Vierge  à  la  crèche  et  la  Musette  du 
XVII'  siècle  de  A.  Périlhou.  —  M.  Vannereau  a  eu,  comme  toujours,  une  magni- 
fique audition  de  ses  élèves,  salle  Pleyel.  M"' Vannereau  a  été  très  remarquée 
dans  un  allegro  de  Chopin  et  Source  capricieuse  de  L.  Filliaux-Tiger.  M"''  Lardet  a 
chanté  l'-lnosode  Delibes.  —  A  la  salle  d'IIarcourt,  très  beau  concert  donné  par 
M.  W.  Legrand-Howland  dont  on  exécutait  pour  la  première  fois  VEcce  Ilomm 
c-ratorio  en  3  parties.  Parmi  les  interprètes,  il  faut  signaler  en  toute  première 
ligne  M"'  Délia  Rogers  dont  la  belle  voix  de  mezzo  a  fait  merveille.  Gros  succès 
aussi  pour  M.  Widor  dans  des  pièces  de  piano  et  pour  M.  Lemaîire  dans  la 
Méditation  de  Thais.  —  La  société  instrumentale  d'amateurs  la  Tarentelle  a 
donné,  à  la  salle  d'IIarcourt,  un  très  beau  concert  à  orchestre,  supérieurement 
dirigé  par  son  chef  habituel,  M.  Edouard  Tourey.  Au  nombre  des  œuvres  d'or- 
chestre qui  ont  fait  le  plus  d'impression  il  faut  citer  les  Scènes  alsaciennes  de 
J.  Massenet,  dont  le  n"  3,  Sous  les  tilleuls,  a  dû  être  bissé.  M""  Bréval,  de  l'Opéra, 
a  fait  apprécier  sa  belle  voix,  son  slyle  et  son  talent  dramatique  dans   l'air  de 


Venus  de  Thésée  de  Lulli,  instrumenté  par  Victorin  Joncières.  Elle  a  obtenu  un 
grand  succès.  A  côlé  d'elle,  le  pianiste  Berny  s'est  fait  applaudir  dans  la  nieuse 
de  Mendelssohn.  —  A  la  dernière  soirée  de  «  la  Betterave  »  on  a  chaudement 
applaudi  M"'  Ducy  dans  d'originales  compositions  de  Gustave  Charpentier, 
M""  Delpierre  dans  Charme  des  jours  passés  â'Hérodiade  et  Noël  pa'ien  de  Massenet, 
M  Clayes  dans  Vision  fugitive  â'Hérodiade  et  l'air  d'yli)en-7/ame(  de  Théodore  Dubois, 
MM.  Estyle,  Hudelist,  Mustel,  Debruille  et  Duponchel.  —  La  dernière  séance 
des  quatuors  Weingaertner  a  eu  plus  de  succès  encore  que  les  précédentes. 
Elle  débutait  par  le  quatuor  avec  piano  de  G.  Pfeiffer,  dont  l'adagio  et  le  scherzo 
ont  été  particulièrement  applai^dis.  Très  belle  exécution  par  la  jeune  pianiste 
.M"'  Weingaertner  et  le  violoniste  Furet  de  la  sonate  de  Saint-Saëns.  La  célèbre 
sonate  de  Tartini,  le  Trille  du  diable,  a  valu  un  triomphe  au  violoniste  A.  W  in- 
gaertner.  Le  quatuor  de  Mendeisshon  terminait  la  séance  et  a  été  excellemment 
interprété  par  MM.  Weingaertner,  Furot,  Ilervoust  et  Casadessus.  —  Brillante 
matinée  chez  M"'  M.-E.  Cebron,  pour  la  clôture  de  son  cours  de  musique  et 
chants  religieux.  Nos  plus  sincères  félicitations  et  encouragements  à  cette  heu- 
reuse tentative  artistique.  —  Dans  sa  deuxième  séance  consacrée  aux  œuvres 
modernes.  M"'  Levasseur  a  exéîuté  avec  un  charme,  une  grâce  et  une  linesse 
dignes  de  tout  éloge  des  œuvres  de  Th.  Dubois,  Ém.  Pessard,  J.  Massenet,  Cha- 
minade,  Pfeiffer,  d'Indy,  B.  Godard  et  Saint-SaCns,  ainsi  que  le  Renouveau,  quatre 
pièces  de  son  professeur,  M.  Ed.  Chav8gnat,  à  l'enseignement  duquel  cette  jeune 
e  remarquable  pianiste  fait  le  plus  grand  honneur.  M"«  Magdeleine  Godard  a 
exécuté  avec  le  talent  qu'on  lui  connaît  diverses  pièces  très  chaleureusement 
applaudies,  et  M.  Paul  Seguy,  de  l'Opéra,  a  chanté  avec  un  art  consommé  les  Trois 
Soldats  de  Faure,  des  chansons  anciennes  et  Vision  de  M.  Chavagnat,  qui  lui  ont 
valu  un  très  légitime  succès.  —  Chez  M"°  Du,glé,  très  artistique  matinée  d'élèves 
à  laquelle  assistaient  MM.  Ch.  Lefebvre,  Hue,  Fauré,  Reynaldo  Hahn,  A.  Gsorges, 
de  Sausjine,  et  à  laquelle  prêtaient  leur  concours  51"'  Vormèse,  MM.  lloUmann, 
Gaubert,  Falkenberg,  Catherine,  Elwy,  Bagés,  Guiod  et  Debay.  Très  joli  succès 
pour  M""  Pages  et  Malandrin  et,  aussi,  pour  M""  de  Saint-,\ndré,  Darras, 
Benech,  Durrieu,  Leduc  (l'Heure  exquise,  Reynaldo  Hahn)  et  Leclerc  (Je  l'aime, 
Massenet).  Le  Cantique  de  Hahn,  chanté  en  chœur,  a  produit  un  délicieux  effet. 

NÉCROLOGIE 

Ernesto  Rossi,  l'admirable  tragédien  italien,  à  peine  de  retour  de  la 
tournée  triomphale  qu'il  venait  de  faire  en  Russie,  vient  de  mourir  après 
quelques  jours  seulement  de  maladie.  Il  revenait  d'Odessa  et,  rentrant  en 
Italie,  se  dirigeait  sur  Livourne,  son  pays,  lorsque,  pris  subitement  de 
malaise,  il  dut  s'arrêter  à  Pescara,  sur  l'Adriatique,  où  sa  femme,  sa  fille 
et  son  gendre,  le  baron  Modigliani,  aussitôt  appelés,  accoururent  auprès 
de  lui.  Une  angine  se  déclara  d'une  façon  violente,  et  malgré  tous  les  soins, 
Rossi  vient  de  succomber  à  l'âge  de  67  ans.  La  renommée  du  grand  artiste 
était  universelle,  et  il  avait  parcouru  l'Europe  entière  au  bruit  des  applau- 
dissements et  des  acclamations.  Il  était  venu  une  première  fois  à  Paris, 
fort  jeune,  en  compagnie  de  Mi^^  Adélaïde  Ristori,  l'incomparable  tragé- 
dienne ;  mais  c'est  surtout  lorsqu'il  y  revint  il  y  a  une  vingtaine  d'années 
et  donna  à  la  salle  Ventadour  une  série  de  représentations,  que  ses 
succès  furent  éclatants.  La  mort  de  Rossi  est  une  grande  perte  pour  l'art 
italien. 

—  Un  artiste  qui  a  eu  son  heure  de  succès  et  de  notoriété,  le  ténor 
Dulaurens,  que  nous  avons  entendu  naguère  à  l'Opéra,  est  mort  cette 
semaine  à  Paris,  à  l'âge  de  68  ans.  Dulaurens  se  iît  entendre  d'abord  à 
'Versailles,  en  chantant  Guillaume  Tell,  alors  qu'il  était  encore  soldat,  capo- 
ral dans  un  régiment  d'infanterie.  Après  quelques  années  passées  en  pro- 
vince, il  fut  engagé  à  l'Opéra,  où  sa  voix  de  clairon  brilla  dans  les  Hugue- 
nots, dans  Robert  le  Diable,  dans  Roland  à  Roncevaux.  Il  alla  ensuite  à 
Toulouse,  puis  à  Lyon,  revint  un  instant  à  l'Opéra,  et  enfin  quitta  la 
scène  pour  se  livrer  à.  l'enseignement. 

- —  A  Milan  vient  de  mourir  une  jeune  artiste,  M"'  Antonietta  Unters- 
teiner,  qui  semblait  appelée  à  un  heureux  avenir.  Elle  était  née  à  Cons- 
tantinople  de  famille  italienne,  malgré  la  forme  germaine  de  son  nom,  et 
avait  fait  son  éducation  musicale  au  Conservatoire  de  Milan.  Pianiste 
distinguée,  elle  se  livrait  aussi  avec  ardeur  à  la  composition  et,  entre 
autres  œuvres,  avait  fait  entendre  au  Conservatoire  une  scène  dramatique  : 
Sut  Raltico,  écrite  sur  une  poésie  de  M.  R.  Barbiera,  et  à  Turin  un  poème 
symphonique  intitulé  :  Dio  e  Satana.  Elle  s'occupait,  en  dernier  lieu,  de 
composer  un  opéra. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

En  ïcnle  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Viviennc,  HEUGEL  &  C'«,  idilenrs-propriélaires. 

IL..A.    IMCOItT    I>H    T2a:-A.ÏS 

SUR   L'OPÉRA  DE 


9  francs 


J.    MASSENET 


9  francs 


C.    SAINT-SAËNS 


131PRIMËIUE   CENTRALE   I 


BERGàRe,  20,   PARIS.  —     Encre    lorlllcia! 


un.  —  62»«  A^m  —  î\°  21  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  U  Juin  1896. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL.  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  on.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  -10  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3"  partie  (6"  article),  Arthur 
PouGiN.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  du  Pardon  de  PhSrmel  à  l'Opéra- 
Comique,  A. -P.  —  III.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des  Champs-Elysées 
{!'  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Musique  et  prison  (7»  article)  :  La  Bastille 
et  les  prisons  d'État  sous  l'ancien  régime,  Paul  d'Estiiée.  —  V.  Correspon- 
dance :  une  lettre  de  M.  Th.  Reinach.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SI  JE  NE  T'AIMAIS  PAS 

nouvelle  mélodie  de  E.  Mobet,  poésie  de  E.  Haraucourt.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Aubade  printanière,  de  Pai'l  Lacombe,  adaptation  de  .Tdles 
Ruelle.  

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Matutiiia,  de  Cesare  Galeotti.  —  Suivra  immédiatement  :  Danse 
japonaise,  de  Paul  "Wachs. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

et 
L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


TROISIEME  PARTIE 
II 

(Suite) 

C'était  l'année  des  compositeurs  débutants.  En  voici  encore 
un,  Eugène  Prévost,  qui  aborde  la  scène  de  l'Opéra-Comique, 
le  13  octobre,  avec  ua  «  opéra  bouffon  »  en  deux  actes, 
Cosimo,  écrit  par  lui  sur  un  livret  de  Paul  Duport  et  Saint- 
Hilaire.  Je  dois  remarquer  toutefois  que  Prévost,  élève  de 
Lesueur  et  grand  prix  de  Rome  de  1831,  profitant  de  la  liberté 
furtive  dont  les  théâtres  avaient  un  instant  bénéficié  à.  la 
suite  de  la  révolution  de  Juillet,  avait  fait  jouer  à  l'Ambigu, 
avant  même  de  remporter  son  prix,  deux  petits  opéras  en 
un  acte,  l'Hôtel  des  Princes  et  le  Grenadier  de  Wagram,  repré- 
sentés le  23  avril  et  le  14  mai  ■1831.  Il  était  donc  un  peu 
aguerri  déjà  lorsqu'il  présenta  au  public  de  TOpéra-Comique 
son  Cosimo,  que  celui-ci  accueillit  avec  quelque  faveur.  Ce 
qui  n'empêcha  pas  le  jeune  artiste  de  partir  bientôt  en  qua- 
lité de  chef  d'orchestre  pour  la  Nouvelle-Orléans,  d'où  il  ne 
revint  qu'après  un  quart  de  siècle. 

Un  drame  lyrique  en  quatre  actes,  répété  d'abord  sous  le 
litre   de   Mathilde,    paraissait   le  16   novembre  sous    celui  de 


la  Grande-Duchesse.  Le  livret,  absolument  insipide,  avait  pour 
auteurs  Merville  et  Mélesville;  la  musique,  meilleure,  mais 
dépourvue  d'originalité,  était  de  C'irafa.  Les  qualités  de  celle- 
ci  ne  purent  faire  pardonner  les  vices  de  celui-là.  La  Grande 
Ducliesse,  fauchée  dans  sa  fleur,  mourut  à  peine  âgée  de  seize 
représentations.  Elle  céda  la  place  à  l'Éclair,  trois  actes  de 
Planard  et  Saint-Georges,  avec  musique  d'Halévy,  qu'on  vit 
paraître  le  16  décembre.  Trois  actes,  sans  chœurs,  avec 
quatre  personnages  seulement!  C'était  un  tour  de  force  à 
accomplir.  Halévy  l'accomplit  de  la  façon  la  plus  heureuse, 
et  remporta  avec  l'Éclair,  qui  devait  s'appeler  d'abord  le  Coup 
de  foudre,  l'un  des  succès  les  plus  brillants  de  sa  brillante 
carrière.  L'ouvrage,  merveilleusement  joué  par  Ghollet,  Cou- 
derc,  M"'«  Pradher  et  M"'=  Camoin,  termina  dignement  une 
année  qui  comptait  déjà  les  succès  de  la  Marquise,  du  Cheval 
de  bron::e  et  des  Deux  Reines. 

C'est  simplement  pour  mémoire  qu'il  faut  enregistrer  la 
naissance,  à  la  date  du  14  janvier,  d'un  acte  intitulé  Gaspara, 
qui  ouvrait  d'une  façon  assez  fâcheuse  l'année  1836.  L'enfant 
mourut  après  trois  soirées  d'une  existence  obscure.  Il  avait 
pour  pères  deux  vaudevillistes  nommés  de  Forges  et  Emile 
Vanderburck,  auxquels  s'était  joint  le  compositeur  Rifaut, 
qui  n'avait  pas  à  se  louer  de  ses  compagnons  en  cette  cir- 
constance. 

Mais  l'Opéra-Comique  préparait  un  coup  d'éclat.  Une  chan- 
teuse exquise  et  dont  la  renommée  était  immense,  qui  s'était 
fait  acclamer  au  Théâtre-Italien  d'abord,  à  l'Opéra  ensuite, 
venait  d'avoir  des  difficultés  avec  ce  dernier,  qui  faisait  la  ma- 
ladresse de  la  laisser  partir.  Crosnier  s'empressa  de  l'engager, 
et  elle  allait  fournir  à  l'Opéra-Comique  une  nouvelle  carrière, 
aussi  brillante  pour  le  moins  que  celle  qu'elle  avait  par- 
courue jusqu'alors.  On  devine  que  je  veux  parler  de  M""  Da- 
moreau,  alors  dans  tout  le  rayonnement  de  son  talent  exquis 
et  de  sa  beauté  pleine  d'élégance.  IMais  il  fallait  une  œuvre 
nouvelle  pour  donner  à  l'apparition  de  la  cantatrice  sur  cette 
nouvelle  scène  tout  l'éclat  qu'on  lui  désirait.  On  s'adressa  à 
Scribe  et  Auber,  dont  elle  avait  partagé  les  succès  à  l'Opéra 
dans  le  Dieu  et  la  Bayadère,  le  Philire  et  le  Serment.  Ceux-ci 
n'avaient  de  prêt  aucun  ouvrage  important;  mais  ils  songèrent 
à  adapter  à  son  intention  un  acte  qu'ils  avaient  précisément 
écrit  pour  e-Ue  et  pour  l'Opéra.  C'est  ce  qtie  le  Courrier  des 
Thkîlres  faisait  connaître  en  ces  termes  à  sey  lecteurs  :  — 
«  Le  poète  et  le  musicien  qui  mettent  avec  tant  de  bonheur 
leurs  talents  en  participation  travaillent  à  la  pièce  dans 
laquelle  M""  Damoreau  débutera  à  l'Opéra-Comique.  Pour 
aller  plus  vite,  on  puise  dans  le  tiroir  aux  ouvrages 
confectionnés.  On  y  a  trouvé  un  acte  destinée  l'Opéra  et  dans 
lequel  la  transfuge  à  roulades  devait  également  remplir  un 
rôle.  Avec  les  petits  vers  fabriqués  pour  le  récitatif  on  fait 


d84 


LE  MENESTREL 


en  ce  moment  de  simple  prose  tailladée  en  façon  de  dialogue, 
et  le  musicien  réduit  les  proportions  de  son  œuvre  pour 
qu'elle  entre,  sans  qu'il  y  paraisse,  dans  le  modeste  pendant 
du  palais  de  la  Bourse.  Semblable  besogne  ne  saurait  deman- 
der beaucoup  de  temps;  ainsi,  M""^Damoreau  ne  devant  entrer 
qu'en  janvier  procliain  à  l'Opéra-Comique,  la  pièce  sera  dis- 
ponible avant  la  chanteuse...  »  (1). 

L'ouvrage  en  question  avait  pour  titre  Actkm,  et  les  rema- 
niements dont  il  fut  l'objet  furent  effectivement  assez  rapi- 
dement opérés  pour  que  la  première  représentation  en  put 
être  donnée  le  23  janvier.  Il  n'était  pas  des  meilleurs  qui 
fussent  sortis  de  la  plume  de  leurs  auteurs,  mais  le  talent 
de  la  cantatrice  devait  suffire  à  le  soutenir  au  moins  pendant 
quelque  temps,  et  il  est  certain  qu'elle  y  obtint  un  succès 
d'enthousiasme.  C'est  ce  que  constatait  justement  le  Ménestrel, 
qui  en  était  alors  presque  à  ses  premières  armes  :  «  Sans 
M">'  Damoreau,  ce  petit  acte  aurait  obtenu  un  de  ces  succès 
sans  conséquence,  qui  enrichissent  le  répertoire,  mais  dont 
on  parle  peu.  Avec  M™  Damoreau,  Acléon  a  excité  l'enthou- 
siasme général.  Vous  dirai-je  de  quelle  manière  cette  ravis- 
sante cantatrice  a  chanté  et  joué  ?  On  connaissait  l'étormante 
souplesse'  de  sa  voix  et  son  admirable  méthode;  mais  ce 
qu'on  ignorait,  c'est  le  charme  de  son  dialogue,  c'est  son  jeu 
plein  d'esprit  et  de  malice.  C'était  pour  cette  cantatrice  un 
double  triomphe  et  une  véritable  surprise  pour  le  public.  » 
Les  autres  rôles  d'Actéon  étaient  tenus  par  Inchindi,  Révial, 
M°'=  Pradher  et  IV^"  Camoin  (2). 

Actéon  n'avait  dû  un  semblant  de  succès  qu'à  la  présence 
de  M"'"  Damoreau,  dont  le  début  avait  été  un  véritable 
événement.  Les  Chaperons  blancs,  que  les  mêmes  auteurs  firent 
paraître  à  la  scène  le  9  avril,  n'en  obtinrent  aucun.  Ces  trois 
actes,  qu'on  avait  intitulés  d'abord  la  Flamande,  furent  un  des 
rares  insuccès  qu'eut  à  subir  la  longue  collaboration  Scribe- 
Auber;  mais  cet  échec  fut  complet,  et  les  douze  seules  repré- 
sentations de  l'ouvrage  le  prouvent  suffisamment.  Scribe  eut 
une  bonne  part  de  ce  fâcheux  résultat,  car  son  poème  était 
vraiment  détestable.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  théâtre,  pris  de 
court,  pressa  les  études  d'un  nouvel  ouvrage  dû  à  un  jeune 
compositeur  belge  encore  inconnu  à  la  scène,  Sarah  ou  VOr- 
pheline  de  Gl'incoé.  Conçue  d'abord  en  un  acte  et  reçue  sous 
cette  forme,  cette  Sarah,  dont  le  poème  avait  été  écrit  par 
Mélesville,  avait  été  étendue  en  deux  actes  pour  servir  non  au 
début,  comme  on  l'a  dit  à  tort,  mais  à  la  rentrée  d'une  jeune 
artiste  charmante,  Jenny  Colon,  dont  le  retour  était  destiné 
à  faire  sensation.  Le  musicien  n'était  autre  qu'Albert  Grisar, 
le  futur  auteur  de  ces  petits  bijoux  qui  s'appellent  Gille  ravis- 
seur, le  Chien  du  jardinier  et  Bonsoir,  monsieur  Pantalon.  Sarah  fut 
jouée  le  26  avril  et  fournit  une  carrière  fort  honorable.  On 
n'en  peut  guère  dire  autant  de  Rock  le  Barbu,  un  acte  de  Paul 
Duport  et  de  Forges  pour  les  paroles,  de  Gomis  pour  la  musique, 
qui  n'obtint  qu'une  dizaine  de  représentations,  dont  la  pre- 
mière avait  lieu  le  13  mai. 

A  enregistrer  ensuite  :  le  Luthier  de  Vienne,  un  acte,  paroles 
de  Saint-Georges  et  de  Leuven,  musique  d'Hippolyte  Monpou 
(30  juin);  le  Chevalier  de  Canolle,  trois  actes,  paroles  (anonymes 
le  premier  soir)  de  M™'  Sophie  Gay,  musique  de  Court  de 
Fontmichel,  dilettante  fortuné  qui  n'en  avait  pas  moins  fait 
de  bonnes  études  couronnées,  en  1822,  par  un  second  grand 
prix  de  composition  musicale  à  l'Institut  (6  août);  le  Diadesté, 
deux  actes,  paroles  de  Saint-Hilaire  et  Léon  Priot,  musique 
de  Jules  Godefroid,  jeune  artiste  bien  doué  que  la  mort  saisit 
trop  tôt,  et  qui  était  le  frère  de  l'excellent  harpiste  Félix 
Godefroid  (7  septembre)  ;  et  le  Mauvais  OEil,   un  acte,  paroles 

(Il  Courrier  des  Théâtres,  21  novembre  1835. 

(2)  En  attendant  qu'un  autre  rûle  nouveau  pût  lui  être  confié,  M-'  Damoreau 
se  montra  successivement  dans  quelques  ouv-'-es  du  répertoire  courant.  Elle 
joua  ainsi  Anna  de  la  Dante  blanche,  Késie  du  Cau,;  de  Badgad,  Adèle  du  Concert  à 
la  Cour.  Crosnier  eut  même  la  singnlière  idée  de  monter  à  son  intention  un 
vieux  petit  opéra  de  Gaveaux  qui  n'avait  jamais  paru  sur  la  scène  de  l'Opéra- 
Comique  et  qui  avait  été  créé  en  1804  au  théâtre  Montansier  (Variétés),  te  Bouffe 

le  Tailleur.  C'est  le  G  juin  1836  qu'eut  lieu  cette  reprise  peu  éclatante. 


de  Scribe  et  Gustave  Lemoine,  musique  de  M""  Loïsa  Puget, 
que  ses  romances  touchantes  avaient  rendue  populaire,  mais 
qui  n'avait  pas  l'étoffe  et  la  main  d'un  musicien  scénique 
(l"  octobre).  De  ces  quatre  ouvrages,  le  seul  heureux  fut  le 
Luthier  de  Vienne,  qui  devint  quasi  centenaire,  et  dont  on  loua 
surtout  l'ouverture  et  un  air  admirablement  chanté  par 
M™  Damoreau.  Chollet  dans  le  Chevalier  de  Canolle,  Jenny  Colon, 
Moreau-Sainti  et  Couderc  dans  le  Diadesté,  M""^  Damoreau,  Pon- 
chard  et  le  même  Couderc  dans  le  Mauvais  OEil  ne  purent 
assurer  la  fortune  de  ceux-ci,  qui  disparurent  avec  plus  ou 
moins  de  rapidité. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


OPÉRA-COMIQUE.  —  Reprise  du  Pardon  de  Plocrmel. 

L'apparilion  du  l'ardon  de  Ploërmel  sur  la  scène  de  rOpéra-Comique 
remonte  au  4  avril  18Sd.  On  peut  dire  que  ce  fut  un  véritable  évéoe- 
ment,  dont  Paris  s'entretint  longtemps  à  l'avance,  et  cela  pour  beau- 
coup de  raisons.  D'abord,  à  cette  époque  le  grand  nom  de  Meyerbeer 
suffisait  à  lui  seul  pour  exciter  au  plus  haut  point  la  curiosité  publi- 
que. Puis,  on  savait  que  l'action  de  cet  ouvrage  fort  important  ne 
comportait  que  trois  personnages,  et  il  semblait  qu'il  y  eût  là,  pour 
le  compositeur,  un  tour  de  force  à  accomplir  pour  maintenir  pendant 
trois  grands  actes  l'intérêt  musical.  Puis,  ces  trois  personnages 
étaient  représentés  par  trois  artistes  de  premier  ordre  chacun  en  leur 
genre  :  M""  Marie  Cabel,  Faure  et  Sainte-Foy.  Puis  encore  on  parlait 
d'un  quatrième  rôle,  muet  celui-là,  qui  était  tenu  par  une  chèvre, 
une  vraie  chèvre,  en  chèvre  et  en  os  ;  et  il  y  avait  un  pont  cassé,  tout 
comme  chez  Séraphin  ;  et  un  précipice  ;  et  un  torrent  qui  envahissait 
la  scène.  Ah  !  ce  torrent,  que  de  torrents  d'encre  il  a  fait  couler  I 

Et  l'on  parlait  aussi  de  l'orchestre,  dont  la  besogne  n'était  pas 
commode,  et  que  Meyerbeer  avait  augmenté  d'une  clarinette  basse. 
Ce  fut  toute  une  histoire  encore,  que  l'introduction  de  cette  clari- 
nette basse.  Je  me  le  rappelle  comme  si  j'y  étais,  car,  tout  jeune 
homme  alors,  je  faisais  partie  de  cet  orchestre,  et  je  puis  bien  dire 
qu'au  point  de  vue  des  études  nous  ne  nous  étions  jamais  vus  à 
pareille  fête.  Après  de  nombreuses  répétitions  spéciales  pour  le  qua- 
tuor, après  de  nombreuses  répétitions  semblables  pour  les  instruments 
à  vent,  qui  toutes  se  faisaient,  sous  l'œil  du  maître,  dans  la  toute 
petite  salle  située  au  troisième  étage  de  la  pauvre  salle  Favart,  on 
ne  fit  pas  moins  de  trente-quatre  répétitions  générales  d'orchestre  pour 
ce  Pardon  de  Ploërmel  f 'Et  cela  à  une  époque  où  nous  montions  un 
ouvrage  d'Auber  ou  d'Ambroise  Thomas  avec  quatre  répétitions,  dont 
une  pour  l'orchestre  seul  et  trois  avec  les  chanteurs.  Dame,  ça  nous 
paraissait  dur  !  Mais  il  faut  dire  que  Meyerbeer  était  si  poli,  si  cour- 
tois, qu'il  apportait  dans  ses  observations  une  si  parfaite  urbanité 
que  malgré  la  fatigue,  malgré  l'énervement,  toute  velléité  de  mau- 
vaise humeur  s'évanouissait  devant  ses  procédés. 

Enfin  le  grand  jour  arriva,  et  l'on  peut  dire  que  le  succès  fut 
immense  dès  l'ouverture,  cette  ouverture  si  colorée,  d'un  si  grand 
style  et  d'une  forme  si  particulière,  avec  son  chœur  derrière  le  rideau 
(comme  dans  le  Poliiilo  de  Donizetti).  En  réalité,  ce  fut  une  surprise 
pour  le  public  que  cette  œuvre  d'un  si  grand  caractère,  dans  laquelle 
le  génie  de  Meyerbeer  donnait  une  note  absolument  nouvelle.  Le 
premier  acte  fut  un  véritable  enchantement,  depuis  le  joli  chœur 
d'introduction  avec  ses  battements  de  main  jusqu'au  trio  final,  en 
passant  par  la  berceuse  de  Dinorah.  les  couplets  bouffes  de  Corentin 
et  l'air  farouche  d'Hoël  :  0  puissante  wajfîe/ superbe  de  grandeur  et 
d'énergie.  Si  Faure  avait  triomphé  dans  cet  air  d'une  si  riche  couleur, 
M"''  Cabel  excita  l'enthousiasme  au  second  acte  avec  la  valse  de 
l'ombre,  qui  a  succédé  dans  le  répertoire  des  cantatrices  à  la  cava- 
line  du  Barbier  de  Séville  et  qui  a  été  chantée,  je  crois,  jusque  chez  les 
Peaux-Rouges. 

La  joie  du  public  alla  croissant  jusqu'à  la  fin;  et  cependant,  il  faut 
le  constater,  le  succès  du  Pardon  n'a  jamais  égalé  à  l'Opéra-Comique 
celui  de  l'Etoile  du  Nord.  Il  est  vrai  qu'il  a  pris  sa  revanche  à  l'étran- 
ger, o'u,  sous  la  forme  italienne  et  sous  le  titre  à.'il  Pellegrinaggio 
d'abord,  de  Dinorah  ensuite,  il  a  bien  surpassé  cette  dernière.  Ce 
fut,  dès  son  apparition  à  Paris,  une  véritable  fureur  de  tous  côtés. 
A  Londres  on  le  joua  simultanément  en  italien  avec  M'""  Garvalbo, 
Qraziani  et  Gardoni  et  en  anglais  avec  miss  Louisa  Pyne,  Santley  et 
Harrison.  A  Saint-Pétersbourg,  Dinorah  et  Hoel  étaient  représentés 


LE  MÉNESTREL 


185 


par  M""*  Charton-Demeur  et  de  Bassini,  à  Bruxelles  par  M""  Boullard 
et  Garman.  Puis,  dans  le  cours  d'une  année  à  peine,  l'ouvrage  parut, 
en  Allemagne,  à  Francfort,  Leipzig,  Hambourg,  "Wiesbaden,  Darm- 
stadfc,  Danizig,  Berlin,  Stuttgard,  Manheim,  Vienne,  Munich,  Cobourg, 
Hanovre,  Gotha  ;  en  Belgique  à  Gand,  Liège,  Anvers,  Mous;  en  Hol- 
lande à  La  Haye;  en  Hongrie  à  Pesth  et  Hermanstadt;  en  Suisse  à 
Genève;  jusqu'en  Amérique,  à  New-York  et  à  la  Nouvelle-Orléans. 
Depuis  lors,  le  monde  entier  y  a  passé,  comme  pour  Mignon,  Fausl 
et  Carmen. 

La  reprise  que  vient  de  nous  donner  l'Opéra-Gomique  est  faite 
dans  d'estimables  conditions  artistiques.  M.  Bouvet,  chargé  du  rôle 
d'Hoël,  est  un  excellent  chanteur  doublé  d'un  intelligent  comédien. 
H  a  donné  une  énergie  sauvage  à  l'air  du  premier  acte,  et  il  a  dit  avec 
une  expression  pénétrante  la  délicieuse  romance  du  troisième  acte  : 
Ah  !  mon  remords  te  venge,  digne  pendant,  par  sa  beauté  mélodique, 
de  celle  du  troisième  acte  de  l'Étoile:  Pour  fuir  son  souvenir  qui  semble 
me  poursuivre...  C'est  M.  Berlin,  reparaissant  à  l'Opéra-Gomique  après 
une  longue  absence,  qui  joue  le  cornemuseux  Corentin,  dans  lequel 
nous  l'avions  vu  il  y  a  quelques  années;  il  y  est  très  satisfaisant. 
Quant  à  Dinorah,  c'est  M"°  Marignan,  qui  s'en  est  trouvée  chargée  au 
dernier  moment  et  qui  a  appris  le  rôle  avec  rapidité.  M"'  Marignan 
est  en  progrès  très  visibles  et  elle  s'est  acquittée  d'une  tâche  si 
lourde  de  façon  à  légitimer  les  applaudissements  qui  l'ont  accueillie. 
La  voix  est  légère,  la  vocalisation  est  facile  sinon  toujours  absolu- 
ment nette,  et  l'ensemble  est,  en  somme,  digne  d'éloges.  Il  faut  tenir 
.  compte  d'ailleurs,  dans  les  quelques  réserves  qu'on  pourrait  faire,  de 
l'émotion  qu'elle  devait  éprouver.  Par  exemple  —  et  ceci  n'est  point 
sa  faute  —  elle  m'a  paru  bien  mal  costumée. 

Le  succès  de  la  soirée  n'a  pas  été  douteux,  et  cette  soirée  a  été  très 
brillante.  L'ouverture,  superbement  dite  par  Porchestre,  a  été  cou- 
verte d'applaudissements.  Malgré  le  liis  demandé,  M.  Daubé  n'a  pas 
voulu  la  recommencer.  Mais  il  a  fallu  bisser,  au  second  acte,  la  chan- 
son du  chevrier,  fort  joliment  dite  par  M"=  Wyns  ;  il  a  fallu  bisser,  au 
troisième,  le  chant  du  chasseur,  que  M.  Belhomme,  le  mot  n'est  pas 
excessif,  a  rendu  d'une  façon  admirable  ;  bisser  de  nouveaule  chant 
du  faucheur,  qui  a  valu  des  bravos  mérités  à  M.  Maréchal  ;  bisser 
enfin  la  délicieuse  prière  à  quatre  voix.  J'ai  cru  que  fout  allait  y 
passer.  Gela  prouve,  en  tout  cas,  que  la  musique  de  Meyerbeer  n'est 
pas.  encore  aussi  démodée  que  d'aucuns  voudraient  le  faire  croire,  et 
que  la  vraie  mélodie  n'a  pas  abdiqué  ses  droits  sur  le  public. 

Une  remarque  pour  finir.  Le  Pardon  de  Ploënnel  devait  s'appeler 
d'abord  le  Pardon  de  Notre-Dame d'Auray.  La  censure  du  second  empire 
exigea  un  changement.  On  pouvait  bien  jouer  la  Juive,  le  Prophète  et 
même  les  Huguenots,  mais  il  parait  que  les  mots  Notre-Dame  eussent 
été  inconvenants  sur  une  affiche.  Il  est  vrai  que  sous  le  second  empire 
les  Yisitaiidines  étaient  interdites  par  la  même  censure. 

Arthur  Pougin. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

AU    SALON    DES     CHAMPS-ELYSÉES 


(Septième  article.) 

A  quelle  série  d'intrumentistes  sert  de  chef  de  file  le  Mozart  enfant 
de  M.  Scherrer,  exécutant  une  de  ses  œuvres  avec  son  père  et  sa 
sœur,  dans  le  rayon  de  lumière  rougeâtre  cher  aux  peintres  de  l'école 
hollandaise  !  Les  mandolinistes  tiennent  le  record  :  Jeune  fille  à  la 
mandoline,  de  M.  Bellery-Desfontaines,  Leçon  de  mandoline,  de  M.  Paul 
Thomas,  Joueur  de  mandoline,  de  M.  Deap,  etc.  Et  voulez-vous  des 
Joueurs  de  vielle?  En  voici,  de  MM.  Décote  et  Boulicaut.  Un  Flûtiste? 
Vous  serez  servis  à  souhait  par  M.  Blumenschein.  Vn  Violoniste? 
M.  Corbineau  se  tient  à  vos  ordres.  Vous  pouvez  même  demander  à 
M.  Moulin  tout  un  lot  de  Joueurs  d'accordéon.  Quant  au  piano,  il  oc- 
cupe la  place  d'honneur  dans  l'Andante  de  M.  Azambre,  les  Dilettanti 
de  M.  Moreau  de  Tours,  exécutés  avec  maestria,  l'Harmonie,  de 
M"'^  Moutet-Gholé,  qui  contient  de  jolis  détails.  Puis,  pêle-mêle,  tes 
Sonneurs,  de  M.  Brispot,  la  Fin  d'un  morceau,  de  M.  William  Lée,  ta 
Matinée  musicale,  de  M.  Probst,  le  Concert  dans  un  palasso  romain,  de 
M.  Gésar  Detti,  qui  appartiendraient  plus  spécialement  à  la  peinture 
de  genre. 

Simple  mention  aux  Amours  de  Pierrot,  de  M.  Alexis  Vollon,  à  l'Ar- 
lequin de  M.  Latteau,  et  arrivons  aux  peintres  de  la  vie  moderne  prise 
dans  son  intimité  tantôt  souriante,  tantôt  tragique.  Décorateur?  Pas 
même;  rien  que  luministe,  —  mais  luministe  d'une  rare  intensité 
M.  Eugène  Lomont,  qui  nous  montre  une  femme  peignant  ses  longs 


cheveux  d'un  brun  très  chaud,  assise  à  contre-jour  entre  les  pan- 
neaux verdâtres,  les  hautes  boiseries  d'un  cabinet  de  toilette  som- 
mairement garni.  Même  milieu  lumineux  et  chatoyant,  mais  avec 
adjonction  de  drame  intime  dans  le  Mariage  de  convenance  de  M.  Lori- 
mer,  élève,  comme  M.  Orchardson,  de  l'Académie  d'Edimbourg.  La 
mariée  pleure,  effondrée  sur  une  banquette  de  la  grande  chambre  aux 
meubles  d'acajou,  aux  tentures  claires,  dont  les  fenêtres  entr'ouvertes 
laissent  apercevoir  un  paysage  savoureux,  et  les  petites  demoiselles 
d'honneur,  qui  arrivaient  avec  leurs  bouquets  à  la  main,  s'enfuient 
effrayées  par  celte  douleur  qu'il  ne  leur  est  pas  encore  donné  de 
comprendre.  L'effet  est  puissant,  mais  sobre,  sans  surcharge  ni  con- 
cessions au  mélodrame.  J'en  dirai  autant  duSerceau  vide,  de  M.Buland, 
qui  nous  montre  deux  jeunes  gens,  mari  et  femme,  revenant  du  cime- 
tière, o-ênés,  guindés,  presque  gauches  dans  leurs  vêtements  de  deuil 
tout  neufs,  et  s'asseyant  la  main  dans  la  main,  la  gorge  haletante, 
les  lèvres  sèches  devant  le  berceau  dont  l'hôte  de  quelques  semaines 
est  à  jamais  parti  !  ie  Viatique,  de  M.  Struys,  se  recommande  par  la 
même  sobriété  savante,  la  même  quintessence  d'émotion.  Le  prêtre 
en  chape  d'or,  le  sacristain  en  surplis  entrent  dans  la  chambre 
mortuaire,  apportant  les  saintes  huiles  pendant  qu'un  frère  du  mo- 
ribond sanglote  et  que  la  femme,  agenouillée  contre  la  paille  d'un 
siège,  cache  sa  figure  avec  ses  mains.  Plus  de  tapage  et  de  recherche 
de  l'effet  brutal  dans  le  tableau,  d'ailleurs  remarquable,  que 
M.  Laytteu  intitule  la  Lutte  pour  la  vie  et  qui  est  tout  bonnement  une 
réunion  de  grévistes. 

Mettons  à  part,  ou  pour  mieux  dire  hors  de  pair,  la  Diseuse  de  bonne 
aventure  de  M"""  Maximilieuue  Guyon,  d'une  si  extraordinaira  per- 
fection de  rendu  que  toute  la  critique  aurait  ciié  au  chef-d'œuvre  si 
l'artiste  était  seulement  Ecossaise  ou  Suédoise,  et  passons  aux  anec- 
doliers.  De  M.  Baugnies,  la  Lecture  du  testament,  assez  finement  ob- 
servée sans  grande  nouveauté  dans  l'arrangement  de  la  scène; 
l'Occasion  qui  fait  le  larron,  de  M.  Ghocarne-Moreau,  deux  ramoneurs 
faisant  la  chaîne  pour  subtiliser  les  babas  et  les  éclairs  d'un  mitron- 
net  en  extase  devant  quelque  affiche  illustrée  ;  le  Barbier  breton,  de 
M.  Bulfield,  les  Tenailles,  de  M.  Jules  Gayron,  directement  inspirées 
de  la  comédie  de  Paui  Hervieu,  les  Cigarreras  de  Séville,  de  M.  Polock, 
la  Bohémienne,  de  M.  Lemalte,  le  «  bravo  Toro  !  »  de  M.  Henri  Zo,  le 
Diseur  de  bonne  aventure  arabe,  de  M.  Brun,  etc.,  etc. 

Tout  un  album  vénitien.  —  Venise  est  redeveuue  à  la  mode  sans 
qu'on  puisse  exactement  définir  les  motifs  de  ce  regain  de  faveur  : 
Dame  vénitienne,  de  M.  Aviat;  Profil  vénitien,  de  M.  Brass;  Un  Vénitien, 
de  M.  Sleiuheil;  Perlières  de  Venise,  de  M.  Maurice  Bomparl;  Sœurs 
de  charité  se  promenant  sur  la  lagune  et  convalescentes  rentrant  ci  Mu- 
rano,  de  M.  Clairin;  Nuit  d'été  à  Venise,  de  M.  Fisher;  Vue  de  Venise, 
de  M.  Rosier.  Et  j'en  passe.  Ge  dernier  tableau  nous  conduira,  sans 
autre  transition,  à  quelques  panoramas  très  décoratifs  et  d'abord  au 
le  Lac  de  Lamartine,  de  M.  Gachoud,  aimable  vision  du  Bourget,  avec  la 
petite  barque  dont  le  génie  du  poète  a  fait  une  immortelle,  une  gran- 
diose balanc...  elle  : 

0  lac,  t'en  souviens-tu,  nous  voguions  en  silence, 
On  n'entendait  au  loin,  sur  l'onde  et  sous  les  cieus, 
Que  le  bruit  des  rameurs  frappant  en  cadence 
Tes  flots  harmonieux... 

Le  Mont-Saint-Michel,  de  M.  Noirot,  serait  une  bonne  toile  de  fond 
pour  le  prologue  de  la  Falote,  et  les  Bords  du  Nil,  de  M.  Riou,  figure- 
raient à  merveille  dans  la  réfection  des  décors  à' Aida.  Les  Ruines  de  la 
Cour  des  Comptes,  tableau  posthume  de  M.  Auguste  Gonstantiu,  qui 
avait  pris  sur  le  vif  les  chats  sauvages  et  les  pigeons,  hôtes  de  cette 
forêt  vierge  poussée  au  centre  de  la  grande  ville,  rappellent  un  des 
meilleurs  chapitres  de  l'Immortel  d'Alphonse  Daudet.  Recommandons 
encore  aux  décorateurs  la  belle  Vue  de  Paris  prise  du  Bas-Meudon.  du 
maître  peintre  Guillemet;  la  Tour  de  Philippe  le  Bel  à  Villeneuve-les-Avi- 
onon  de  M  Gamille  Dufour;  la  Lande  aux  bruyères,  de  M,  Didier- 
Pouget  Quant  à  te  Loire,  de  M.  Harpignies,  cette  apothéose  du  «  beau 
pays  delà  Touraine  «  est  d'un  intérêt  captivant;  l'œuvre  aurait  sa 
place  marquée  d'avance  au  Luxembourg,  puis  au  Louvre,  si  la  direc- 
tion des  beaux-arts  consacrait  à  l'achat  des  tableaux  de  maîtres  l  ar- 
"■ent  qu'elle  gaspille  en  bibelots  truqués. 

"  Le  portrait  reste  l'honneur,  la  gloire  solide  de  l'école  française.  La 
médaille  d'honneur  est  allée  cette  année  à  un  portraitiste,  moins 
heureux  ou  du  moins  moins  apprécié  par  ses  pairs  lorsqu'il  se 
bornait  aux  mises  en  scène  fastueuses  des  grandes  compositions  sym- 
boliaues  M.  Benjamin  Constant  triomphe  avec  un  curieux  portrait 
de  femme,  décoratif  et  superbement  étoffé:  Jli-  W...  aux  chairs  opu- 
lentes d'un  ton  de  fruit  doré,  et  une  étude  d'après  son  fils  André,  très 
intéressante,  très  poussée,  donnant  la  note  pessimiste,  «  l'ambiance. 


186 


LE  MENESTREL 


encore  plus  ennuyée  que  recueillie,  caractéristique  dominante  de  la 
jeunesse  actuelle.  Quelques  portraitures  officielles,  pour  n'en  pas 
perdre  l'habitude  :  le  Ricard,  de  M.  Bonnat,  rayonnant,  étalé,  épa- 
noui, très  «  belle  Patma  »  dans  le  paletot  de  fourrure  à  vaste  col  qui 
remplace  assez  heureusement  la  simarre  des  anciens  gardes  des  sceaux; 
un  Félix  Faure,  plutôt  anecdotique,  de  M.  Lemeunier,  au  milieu  des 
mobiles  de  la  Seine-Inférieure  en  1870;  un  portrait  équestre  de  l'em- 
pereur Alexandre  III.  M.  de  Rosen  a  représenté  le  père  du  czar 
récemment  couronné,  non  pas  en  autocrate  de  toutes  les  Russies. 
mais  en  soldat.  Pris  de  face,  la  figure  bien  modelée,  le  regard  bien- 
veillant et  doux,  Alexandre  III,  campé  sur  un  cheval  blanc  de 
fine  race  orientale,  se  détache  en  vigueur  au  premier  plan  d'un  pay- 
sage sévère  dont  aucun  rayon  lumineux  ne  vient  troubler  l'harmonie. 
Passons  aux  virtuoses.  M.  Henner  a  mis  toutes  ses  complaisances 
et  aussi  tous  ses  blancs  argentés,  tous  ses  glacis  dans  l'esquisse  un 
peu  luisante,  sur  un  fond  d'ailleurs  étonnamment  solide,  de  M.  Ca- 
l'oliis  Duran.  Cette  figure  si  parisienne  qu'un  acteur  des  Bouffes  eut 
l'année  dernière  la  tentation,  non  volontairement  contenue,  de  la 
porter  toute  vive  sur  la  scène  en  un  vaudeville  moderniste  de  Bou- 
cheron, apparaît  dans  tout  son  relief  et  semble  prête  à  s'animer. 
Lorsque  la  patine  du  temps  et  la  lumière  tamisée  du  Louvre  en  auront 
atténué  l'éclat,  l'harmonie  de  ces  blancs  lumineux,  de  ces  gris  trauf- 
parents,  de  ces  bleus  profonds,  fera  le  ravissement  des  dilettantes. 
Encore  tout  un  triomphe,  touîe  une  fête  de  la  couleur  dans  le  beau 
portrait  de  .1/°"=  Ilég/on,  par  M.  Humbert,  avec  une  fleur  de  grâce  épa- 
nouie, un  velouté  délicat,  un  rendu  à  la  fois  sobre  et  puissant  du 
teint  éclatant,  des  épaules  sculpturales  que  met  en  valeur  le  repous- 
soir du  collet  de  fourrures.  On  admirera  des  qualités  d'un  autre  genre 
dans  la  Saj-ah  Bernhardt  (rôle  de  Gismonda),  un  peu  idéalisée,  pour- 
tant très  vraie,  que  M.  Chartran  a  expédiée  d'Amérique  :  la  délicatesse 
du  modelé,  la  ligne  flexible,  le  joli  artifice  des  étoffes  souples  s'uuis- 
sant  au  contour  et  parfois  le  complétant.  C'est  la  nature  fidèlement 
traduite;  c'est,  surtout,  le  naturel  particulier  de  l'artiste  en  scène, 
ce  charme  qu'encadrent,  accompagnent,  achèvent  la  lumière  de  la 
rampe,  les  reflets  des  herses,  les  colorations  du  décor,  l'atmosphère 
chaude  et  papillotante  de  la  salle. 

M.  Bergevin  a  représenté  l'un  des  doyens  du  second  Théâtre- 
Français,  celui  que  je  définirais  volontieres  le  meilleur  sociétaire  de 
l'Odéon,  —  oiî  il  n'y  a  que  des  pensionnairesj  —  M.  Albert  Lambert 
père  déclamant  un  rôle  tragique  dans  son  jardinet  de  la  banlieue. 
M.  P.-AlbertLaurens  nousmontre  Ifl.  Mounet-Sidl)/ dans  le  merveilleux 
costume  de  l'Arétin  copié  sur  le  portrait  du  Titien.  Voici  encore  la 
grande  cantatrice  Gabrielle  Krauss  par  M""  Leudet.  avec  son  relief 
tragique,  son  profil  de  médaille;  M.  Nivette,  le  bon  chanteur  de  l'Opéra- 
Comique,  par  M.  Bernet  ;  et  aux  pastels  Madame  Pauline  Smitli,  du 
même  théâtre,  par  M°"-  Borde  ;  Madame  de  Mora,  du  Gymnase,  par 
M.  Bussy  ;  aux  dessins  M.  Mounet-Suily ,  par  Truphême,  à  la  gravure 
Mademoiselle  Du  Minil,  la  récente  sociétaire  de  la  Gomédie-Frangaise, 
par  M.  Payran. 

On  ne  s'arrêtera  pas  sans  émotion  devant  le  beau  portrait  d'.Im- 
broise  Thomas,  de  M.  Marcel  Basehet  (à  la  section  des  dessins),  d'une 
réalité  saisissante,  d'une  siireté  d'observation  donnant  l'illusion  de 
la  vie.  M.  Basehet  n'a  pas  rendu  avec  moins  de  bonheur,  dans  la 
galerie  des  portraits  proprement  dits,  la  spirituelle  physionomie 
d'Henri  Lavedan,  véritable  faciès  d'ironisle  doublé  d'un  enquêteur  et 
d'un  moralisle.  De  M.  Axilette  la  figure  plus  mondaine,  plus  Bourget- 
tiforme,  si  j'ose  inventer  ce  néologisme,  de  Paul  Hervieii.  M.  Bordes 
ébouriffe  le  poète  Jean  Aicard  :  l'inspiration  assez  paisible  de  ce 
félibre  qui  se  traduit  lui  même  en  français  ne  comportait  peut-être 
pas  un  tel  déploiement  de  crinière.  De  M.  Maurice  Heyman  un  por- 
trait de  M.  Colonne,  d'une  aisance  de  modelé  et  d'une  simplicité 
d'exécution  qui  le  mettent  au  nombre  des  bons  envois  du  Salon.  Et 
à  peine  me  reste-t-il  assez  de  place  pour  citer  l'Henri  Rocliefort  écri- 
vant ses  mémoires  de  M.  Frantz  Charlet,  l'André  Vervcort  de  M.  Dela- 
haye,  le  Pierre  Loti  de  M.  Bellet,  le  Challemel-Lacour  de  M">«  Went- 
Avorth,  le  Daniel  Vierge  de  M.  Vasquez,  l'Albert  Sorel  de  M.  Umbricht, 
tes  Mercredis  chez  le  peintre  François,  de  M.  Cesbron,  et  aux  dessins' 
M.  Duplessis  qui  est  de  l'Institut,  M.  Hanolaux  qui  en  sera,  le  compo- 
siteur italien  Monti  par  M.  Pizella,  M.  Rodcnbacli,  l'auteur  du  Voile, 
par  M.  Léîy-Dhurmer,  aux  miniatures  le  profil  rabelaisien  d'Armand 
Silvestre  par  M"'"  Arloy,  Madame  Preinsler  da  Silva  par  M""=  Formste- 
cher,  à  la  gravure  ./.-M.  de  Hcredia,  Paul  lionnetain.  Madame  Alphonse 
Daudet  par  M.  de  Los  Rios,  Yann-Nibor  par  M.  Barbotin,  M.  Georges 
Leygues,  l'ancien  ministre  des  Beaux-Arts,  par  M.  Lamotte,  d'après 
Carolus  Duran,  sans  oublier,  avec  une  excellente  gravure  sur  bois  de 
M.  Montet  reproduisant  le  portrait  d'Ambroise  Thomas  de  M.  Basehet, 
une  eau-forle  de  M">=  Monfray  :  portrait  à'Auber  ;  un  burin  de  M.  Del- 


bois  :  Madame  Alboni.  d'après  Pérignon  ;  enfin,  à  la  section  des  arts 
décoratifs,  deux  plaquettes  en  grès  de  M.  Bottée,  Madame  Bartet  en 
Antigone,  et  M.  Albert  Lambert  /ils  en  Severo  Torelli. 

Je  m'arrête.  Dessinateur.^,  pastellistes,  miniaturistes,  ils  sont  trop, 
et  la  statuaire  nous  réclame.  Mais,  avant  de  descendre  dans  la  nef, 
comment  ne  pas  signaler,  avec  le  Miracle  de  Saint-Mai-c  d'après  Tin- 
toret  de  M.  Henri  Lefort,  qui  a  obtenu  la  médaille  d'honneur,  l'eau- 
forte  de  iM.  Lambert,  Bianca  Capello,  d'après  Juana  Romani,  la  Car- 
menciln  de  M.  Fleuret  ^Van  Beers),  le  Chant  d'amour  de  M.  Boilvin 
(Burne-Jones),  le  Ténor  de  cour  de  M.  Troncet  (Cottin),  la  Madame  de 
/'owpof/owr  jouant  devant  Louis  XV  de  M.  Guilmet  (Cochin),  l'admi- 
rable estampe  de  M.  Sulpis  :  la  Muse  et  Hésiode  (Gustave  Moreau), 
l'Homme  aux  yeux  verls  (Titien)  de  M.  Dezarrois,  première  médaille 
de  la  gravure  au  burin,  les  lithographies  de  Fantin-Latour  et  ses 
Visions  nées,  comme  on  l'a  dit  justement,  de  contemplations  musi- 
cales. Enfin,  pour  conclure  sur  une  note  bien  moderne,  remontons  aux 
Florentins  avec  les  deux  reproductions  de  Botticelli,  la  Judith,  burin 
de  M.  Delbois,  et  la  Vénus  gravée  par  M.  Patricot.  Voilà  du  document 
instructif  pour  les  récitantes  du  Théâtre  symbolique  auxquelles  il 
serait  urgent  de  persuader  que  les  voix  célestes  ont  le  droit  et  même 
l'obligation  d'avoir  un  corps. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


LA  BASTILLE  ET  LES  PRISONS  D'ÉTAT  SOUS  L'ANCIEN  REGIME 

I 

Tableau  des  prisons  d'État  soiis  l'ancien  régime.  —  Le  Purgatoire  des  prisonniers  au 
XVII"  siècle.  —  Le  violon  du  prince  de  Condé  e/ rimitation  dit  duc  de  Beaufort.  — 
Mirabeau,  le  rossignol  du  donjon  de  Vincennes.  —  Les  si/flets  du  sieur  Caillât  à  Pierre- 
en-Cise. 

Les  prisons,  en  France,  sous  l'ancien  régime,  étaient  l'enfer  anti- 
cipé. Ce  n'est  pas  qu'elles  soient  devenues,  de  nos  jours,  le  paradis  ; 
mais  la  douceur  relative  des  mœurs  modernes,  les  progrès  continus 
de  la  civilisation,  les  travaux  des  commissions  pénitentiaires  et  que 
sais-je  encore?  les  vœux  des  congrès  sociologiques  ont  permis, 
dans  la  situation  nouvelle  faite  aux  prisonniers,  de  concilier  autant 
que  possible  les  sentiments  d'humanité,  dus  à  des  prévenus  ou  à  des 
condamnés,  avec  les  exigences  de  la  sécurité  sociale.  Il  est  vrai  que 
pour  certains  philanthropes  ces  améliorations,  très  réelles,  sont  à  peine 
suffisantes  :  il  est  telle  âme  sensible,  dure  aux  siens  et  impitoyable 
aux  pauvres,  qui  ne  s'estimera  entièrement  satisfaite  que  le  jour  oîi 
les  réclusionnaires  les  plus  endurcis  auront  chacun  leur  chambre 
bien  chaude  l'hiver  et  bien  fraîche  l'été,  et  seront  nourris  aussi  con- 
fortablement que  le  directeur  de  la  maison  centrale. 

Nos  pères  ne  connaissaient  guères  ces  élans  de  tendresse;  ils  ne  les 
connaissaient  même  pas  assez.  Des  membres  de  confréries  chari- 
tables allaient  bien  visiter  les  prisonniers  et  leur  porter  des  secours  ; 
mais  leur  intervention  ne  modifiait  pas  sensiblement  le  régime 
atroce  auquel  étaient  assujettis  ces  misérables.  L'hygiène  était  alors 
chose  inconnue,  et  dans  des  cachots  sans  air  et  sans  lumière  régnait 
la  plus  sordide  des  promiscuités.  La  nourriture  était  aussi  malsaine 
qu'insuffisante;  c'étaient  les  geôliers  qui  la  fournissaient.  La  paille 
étaitle  lit  des  prisons;  encore,  aux  XVIP  et  XVIIP  siècles,  les  adjudi- 
cataires de  ce  service  étaient-ils  tenus  de  payer  certaines  pensions 
sur  le  prix  de  la  soumission  :  aussi  la  paille  même  était-elle  parci- 
monieusement répartie  entre  les  intéressés. 

Les  prisons  d'État,  bien  qu'elles  ressortissent  au  domaine  royal, 
n'offraient  pas  un  aspect  moins  révoltant.  L'âpreté  des  passions  poli- 
tiques et  la  méfiance  des  miuistres,  la  soif  des  représailles  et  la  cupi- 
dité des  gouverneurs  rendaient  un  tel  séjour  intolérable.  Les  victimes 
en  souffraient  d'autant  plus  que  leur  condition  sociale  les  distinguait 
d'ordinaire  des  malfaiteurs  vulgaires  et  que,  la  moindre  maladresse 
constituant  auxyeuxd'un  gouvernement  ombrageux  un  crime  d'Élal, 
elles  portaient  souvent  la  peine  d'une  dénonciation  calomnieuse  ou 
de  propos  imprudents.  Naturellement,  la  perspective  d'une  condam- 
nation capitale  ou  tout  au  moins  d'une  détention  perpétuelle  ne  pou- 
vait que  rendre  plus  sombres  encore  ces  cachots  défendus  par  des 
triples  verrous  et  gardés  par  des  forces  imposantes.  La  justice  et  la 
religion  y  pénétraient  seules.  Les  prisonniers  n'entendaient  plus 
parler  désormais  que  des  châtiments  de  la  loi  et  des  consolations  du 
ciel.Toutes  leurs  pensées  étaient  donc  tournées  vers  de  graves  médita- 
lions.  Les  prêtres  et  les  moines,  qui  ne  cessaient  de  les  visiter,  leur 


LE  MÉNESTREL 


187 


recommandaient  comme  lectures  des  ouvrages  édifiants,  ou  comme 
distractions  des  hymnes  religieux.  La  musique  dans  les  prisons  d'Etat 
avait  donc  ce  caractère  triste  et  leni,  mais  souvent  large  et  solennel, 
qui  appartient  aux  chants  d'église.  Divers  documents,  qui  datent  du 
règne  de  Louis  XIII,  nous  en  fournissent  de  curieux  exemples.  A 
l'issue  d'une  des  nombreuses  conspirations  qui  suivirent  la  mort 
d'Henri  IV  et  qui  soulevèrent  tant  de  grands  seigneurs  contre  la 
régente  Marie  de  Médicis,  le  château  d'Amboise  reçut  comme  pen- 
sionnaires la  plupart  des  conjurés.  Ceux-ci  composèrent  —  s'il  faut 
en  croire  les  faclums  du  temps  —  un  Salve  Regina  qu'ils  adressèrent 
à  la  reine-mère  et  des  stances,  le  Purgatoire  des  prisonniers,  qu'ils 
chantaient  entre  eux  sur  un  mode  mélancolique  et  lugubre  rappelant 
le  De  profimdis. 

Nous  empruntons  à  cette  dernière  pièce  plusieurs  strophes,  qui 
donnent  l'impression,  vraisemblablement  exacte,  quoique  poussée  au 
noir,  de  la  vie  des  prisons  du  XVII"  siècle  : 

Le  prisonnier,  dès  l'heure  donc  qu'il  entre 
Dans  la  prison,  il  est  clos  dans  le  ventre 
D'un  vil  cachot  d'épouvantable  horreur, 
Où  il  se  pait  seulement  de  ses  larmes. 
Où  il  se  voit  en  étranges  alarmes, 
Où  l'air  infect  lui  fait  vomir  le  cœur. 


Là,  désolé,  il  sent  en  son  courage 

Et  en  l'esprit  mille  pointes  de  rage  ; 

11  nomme  heureux  les  hôtes  des  tombeaux. 

Il  hait  si  fort  sa  misérable  vie 

Qu'il  voudrait  voir  sa  chair  toute  pourrie 

Dans  l'estomac  des  chiens  et  des  corbeaux. 

Puis  s'il  advient  que  dehors  on  le  lire, 
Il  vient  de  là  en  un  plus  grand  marlyie 
Devant  le  juge  où  il  est  tout  tremblant  ; 
Son  cœur  est  froid,  son  àme  est  frémissante. 
Le  pied  lui  faut,  sa  face  est  blêmissante, 
A  qui  se  meurt  de  tout  point  ressemblante. 

Il  tombe  encore  en  une  plus  grand'peine, 

Offrir  son  corps  à  la  cruelle  gêne, 

Où  ses  tendons  et  ses  nerfs  sont  froissés  ; 

En  cet  état  en  fosse  on  le  dévale. 

Las!  qu'cst-il  donc  qui  en  misère  égale 

Ceux  qui  du  monde  en  celtui  sont  passés? 

Il  y  en  a  qui  ont  les  fers  aux  jambes. 
Les  autres  sont  dans  les  mortelles  flambes 
De  maladie  et  de  maints  accidents  ; 
Les  autres  sont  en  disette  si  grande 
Que  maintes  fois,  par  faute  de  viande, 
Le  froid  les  prend  et  les  saisit  aux  dents. 

L'étrange  bruit  et  les  grands  tintamarres 
Des  fers,  des  clefs,  des  portes  et  des  barres. 
Et  des  verrous,  la  rumeur  et  les  cris. 
Et  des  geôliers  la  tempête  et  la  rage 
Font  au  captif  maudire  son  image, 
Tant  de  fureur  il  a  le  cœur  épris  ! 

Les  pleurs  amers,  les  complaintes  de  bouche 
Les  durs  sanglots,  le  désespoir  farouche. 
Infections,  querelles  et  débats 
Suivent  partout  le  captif  misérable; 
C'est  son  odeur  et  sou  mets  délectable, 
Son  aliment,  ses  jeux  et  ses  ébats. 

D'autre  côté,  on  oit  autre  murmure 

De  maints  captifs  qui  se  disent  injure  ; 

Les  uns  du  joug  blessent  leurs  compagnons. 

Outre  le  bruit  de  cent  mille  algarades 

On  voit  languir  d'autres  qui  sont  malades  ; 

On  oit  encore  des  autres  les  chansons. 

Donc  le  désir  qui  maintenant  m'allume, 
N'est  que  de  voir  une  prison  de  pluro.e 
Et  qu'un  grand  vent  souillant  horriblement 
Pour  la  raser  et  l'abattre  par  terre 
Et  qu'à  l'instant  les  hommes  qu'elle  enserre, 
Fussent  sans  elle,  elle  sans  fondement. 


Or,  quelquefois  qu'on  s'éjouit  ensemble. 
Un  bruit  s'entend,  dont  le  plus  hardi  tremble; 
C'est  le  bourreau  qui  entre  dans  le  parc 
Ainsi  qu'un  loup  qui  emporte  sa  proie  ; 
Chacun  adonc  perd  le  rire  et  la  joie, 
■  Pleurant  celui  qui  porte  au  col  la  hart. 

Ce  tableau  final,  d'ailleurs  vigoureusement  tracé,  qui  rappelle  le 
dénouement  de  certains  drames  de  l'époque  romantique,  se  vit  maintes 
fois  à  la  Bastille,  la  plus  tristement  célèbre  des  prisons  d'État.  Nous  ne 
croyons  pas  que  le  château  de  Vincennes  en  ait  jamais  été  témoin; 
et  cependant  le  séjour  de  cette  forteresse  royale  n'en  était  guères 
plus  récréatif,  ni  le  régime  moins  sévère.  La  surveillance  s'y  mon- 
trait aussi  ombrageuse,  le  règlement  aussi  tyrannique,  le  gouver- 
neur aussi  parcimonieux.  Le  Donjon  recevait  en  quelque  sorte  le 
trop-plein  de  la  Bastille;  nous  avons  trouvé,  dans  la  correspon- 
dance administrative  de  celle-ci,  plusieurs  lettres  des  lieutenants  de 
police  demandant  au  ministre  de  la  maison  du  roi  l'autorisation  de 
transporter  à  Vincennes  tel  ou  tel  détenu  pour  désencombrer  la  Bas- 
tille ;  dans  celte  même  correspondance,  nous  avons  rencontré  d'au- 
tres lettres,  mais  celle-ci  émanant  de  prisonniers,  qui  sont  autant 
de  protestations,  en  apparence  très  sincères,  contre  l'arbitraire 
excessif  et  l'oppression  insupportable  dont  ils  étaient  victimes. 

Toutefois,  certains  d'entre  eux  prenaient  galment  parti  de  leur 
captivité.  Nous  en  citerons  deux  exemples,  d'autant  que  leurs  noms 
appartiennent  à  l'histoire  de  la  France,  et  un  peu  à  l'histoire  de  la 
musique  :  à  vrai  dire,  celle-ci  les  a  rarement  revendiqués  comme 
siens. 

Pendant  la  Fronde,  Condé,  le  vainqueur  de  Rocroi,  avait  été 
enfermé  à  Vincennes,  avec  son  frère  le  prince  de  Conti  et  le  mari 
de  .sa  sœur,  le  duc  de  Longueville.  Tous  trois  avaient  été  incar- 
cérés comme  conspirateurs,  sur  l'ordre  d'Anne  d'Autriche,  qui 
obéissait,  en  réalité,  aux  suggestions  de  Mazarin.  Or,  Condé  était 
le  seul  des  trois  qui  supportât  vaillamment  cette  disgrâce  :  «  il 
chantait,  jurait  et  priait  Dieu  »,  écrit  un  de  ses  contemporains.  Sa 
belle  humeur  stimulait  de  son  mieux  la  torpeur  de  ses  compagnons 
d'infortune. 

Il  les  provoquait  au  jeu  de  volant,  ou  les  invitait  à  danser.  En 
effet,  il  avait  obtenu  qu'on  lui  envoyât  son  violon,  dont  il  jouait 
passablement  ;  et  il  exécutait  sur  son  instrument  favori  des  sara- 
bandes pour  «  délier  les  jambes  »  à  ses  compagnons,  prétendait-il. 
Mais  le  duc  de  Longueville  était  toujours  triste  et  le  prince  de 
Conti  ne  cessait  de  pleurer.  Il  gardait  le  lit,  et  comme  le  gouver- 
neur, le  croyant  malade,  lui  demandait  ce  qu'il  pouvait  désirer  : 

Envoyez-moi,  lui  dit  le  prince,  une  Imitation  de  Jésus- 
Christ. 

Et   à    moi,    monsieur,  ajouta  Condé,  une  Imitation  de    M.  de 

Beaufort. 

Deux  ans  auparavant,  le  duc  de  Beaufort,  si  connu  sous  le  nom 
du  Roi  des  Halles,  s'était  évadé  de  Vincennes. 

Un  autre  pensionnaire  du  Donjon,  qui  s'y  montra  aussi  résigné 
que  le  prince  de  Condé  et  qui  devait  être  plus  heureux  que  lui 
dans  sa  lutte  contre  le  pouvoir  royal,  ce  fut  le  fameux  Mirabeau, 
déjà  un...  pilier  de  prison,  si  le  terme  n'est  pas  trop  irrévéren- 
cieux. 

Enfermé  à  Vincennes  en  1780,  il  y  était  surveillé  de  très  près 
par  le  gouverneur,  M.  de  Rougemont,  un  de  ces  fonctionnaires  tra- 
cassiers  et  pointilleux  qui  étaient  plus  policiers  que  la  police  même. 
Mais  Mirabeau,  dont  nous  avons  signalé  l'expérience  en  matière  de 
prison,  trouvait  plus  d'une  ruse  pour  déjouer  la  méfiance  de  son 
cerbère.  Il  avait  une  fort  jolie  voix  et  savait  s'en  servir.  —  Quel 
sujet  d'étonnement  !  le  monstre,  comme  devait  l'appeler  plus  tard 
Maury,  le  monstre,  qui  de  ses  rugissements  allait  ébranler  un  trône 
huit  fois  séculaire,  soupirait  la  romance  avec  la  perfection  d'un  ténor. 
Ce  talent  de  société  lui  suggéra  l'idée  d'un  stratagème  qu'ont  mis 
bien  souvent  en  œuvre  les  librettistes  d'opéra-comique,  et  ce  fut 
jusque  dans  le  camp  ennemi  que  Mirabeau  alla  chercher  des  alliés. 
Il  s'en  expliq-ae  assez  agréablement  avec  Boucher,  un  commis  du 
lieutenant  de  police,  dans  une  lettre  du  1=''  avril  1780,  qu'a  publiée 
M.  de  Loménie  fils,  en  rééditant  le  bel  ouvrage  de  son  père,  les 
Mirabeau  : 

Il  y  a  un  mois  environ.  M""'  de  Ruault,  belle-sœur  de  M.  de  Rougemont, 
m'adressa  un  compliment  sur  ma  voix  et  sur  ma  manière  de  chanter.  Jo 
répondis  comme  je  devais;  le  temps  commençait  à  s'adoucir;  je  décal- 
feutrais ma  fenêtre  à  pêne  que  j'avais  calfeutrée  pour  l'hiver,  et  dont  le 
pêne,  tandis  que  tout  le  reste  est  à  châssis  clos,  dit  assez  qu'elle  est  faite 
pour  être  ouverte  ou  fermée  à  volonté;  et  je  chantais  plus  souvent,  M""  de 
Ruault  entremêlait  quelques  sons.  Ainsi  commença  une  correspondance 


188 


LE  MÉNESTREL 


de  choses  indifférentes  avec  une  personne  qui  ne  pouvait  être  suspecte  à 
M.  de  Rougemont. 

Mais  le  limier  sut  éventer  la  ruse  du  captif,  et  celui-ci  d'écrire 
aussitôt  à  son  correspondant  : 

Je  vous  préviens,  mon  ami,  que  quoiqu'il  y  ait  des  prisonniers,  entre 
autres  deux,  qui  chantent  toute  la  journée,  M.  de  Rougemont  prétend  m'in- 
terdire  de  chanter,  comme  acte  contraire  à  la  police  des  prisons  d'État.  Je 
vous  préviens,  de  plus,  que  je  lui  ai  dit  que  j'avais  chanté,  que  je  chantais 
et  que  je  chanterais  jusqu'à  la  mort  exclusivement. 

Il  est  vrai  que  plusieurs  dames  se  mettent  à  la  fenêtre  pour  m'entendre; 
mais  ce  n'est  pas  ma  faute  si  j'ai  une  jolie  voix,  et  le  magistrat,-  qui  a 
bien  voulu  m'ofl'rir  toutes  sortes  d'instruments  de  musique,  n'a  pu  appa- 
remment prétendre  m'interdire  l'usage  de  mon  organe. 

iS'ous  ignorons  comment  se  termina  ce  singulier  conflit;  mais  il  est 
présumable,  étant  donnée  l'indomptable  ténacité  dont  Mirabeau  fit 
toujours  preuve,  que  son  adversaire  ue  sortit  pas  à  son  avantage  de 
la  lutte.  Au  reste,  comme  nous  l'apprend  la  lettre  précédente,  et 
comme  nous  le  verrons  en  nous  occupant  de  la  Bastille,  l'usage  des 
instruments  de  musique  fut  toléré  dans  les  prisons  d'Etat,  vers  le 
milieu  du  XVIII"  siècle,  suivant  le  bon  vouloir  du  gouverneur  et 
avec  l'approbation  des  lieutenants  de  police. 

Ce  consentement  tacite  autorisait  parfois  de  bien  extraordinaires 
inventions.  Bory,  gouverneur  de  Pierre-en-Cize,  une  forteresse  de 
Lyon  que  rasa  la  Révolution  de  1789,  écrivait,  le  4  février  17o6,  au 
lieutenant  de  police  : 

Le  sieur  Caillât  est  le  prisonnier   du    château  le  plus  tranquille  et  le 
moins  sombre,  malgré  sa  solitude  :  il  s'amuse  avec  des  livres  que  je  lui 
prête,  et  des  os  de  mouton  dont  il  a  l'adresse  de  faire  des  sifflets. 
(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


CORRESPONDANCE 


Nous  recevons  la  lettre  suivante,  que  nous  nous  empressons  d'insérer. 
Monsieur  le  Directeur, 

On  met  sous  mes  yeux  un  numéro  du  Ménestrel  où  votre  collaborateur,  ren- 
dant compte  du  concert  de  musique  antique  donné  par  M.  Gevaert  à  Bruxelles, 
s'exprime  ainsi:  «  On  a  entendu...  le  fameux  Hymne  à  Apollon,  rétabli  intégra- 
lement par  M.  Gevaert  et  non  bouleversé  comme  l'avait  fait  tout  d'abord 
M.  Reinach  lors  de  ses  premières  auditions.  "  Permettez-moi,  dans  l'intérêt  de 
M.  Gevaert,  plus  encore  que  dans  le  mien,  de  rectifier  ce  que  cette  information 
a  d'inexact.  Le  «  bouleversement»  en  question  —  c'est-à-dire,  pour  parler  sim- 
plement, l'interversion  des  deux  blocs  sur  lesquels  est  gravé  le  célèbre  Hymne 
—  a  été  corrigé  non  par  M.  Gevaert,  mais  par  moi,  d'abord  dans  l'Ami  des  mo- 
numents de  1894,  page  235  (article  antérieur  au  numéro  du  Rhenisches  Muséum  où 
M.  Pomton  a  proposé  le  même  changement),  ensuite  dans  le  Bulletin  et  Corres- 
pondance hellénique  de  décembre  1894,  enfin  dans  la  seconde  édition  de  la  trans- 
cription pour  piano  et  chant  parue  chez  Bornemaun  en  1895.  M.  Gevaert  a  si 
peu  songé  à  s'attribuer  le  mérite  de  cette  correction  qu'il  écrivait  en  propres 
termes,  dans  i'Appendice  de  son  livre  sur  la  mélopée  antique  (1895),  page  396  : 
«  Par  une  méprise  qui  s'est  révélée  à  un  examen  plus  approfondi  du  monument 
on  avait  interverti  la  véritable  position  des  blocs...  Une  obligeante  communication 
de  M.  Reinach  m'a  procuré  la  possibilité  de  mettre  sous  les  yeux  de  m£S  lecteurs  une 
version  rectifiée.  » 

■Veuillez,  je  vous  nrie,  insérer  cette  lettre  et  agréer  l'expression  de  ma 
considération  la  plus  distinguée. 

Théodore  Reinace. 

Bien  curieuses  ces  confusions  de  bloc,  et  qui  prouvent  à  quelles  aven- 
tures peuvent  être  exposés  les  meilleurs  savants  et  les  mieux  intentionnés 
dans  leurs  recherches  sur  l'antiquité  !  Avec  quelles  réserves  et  quelle  cir- 
conspection faut-il  donc  accueillir  leurs  assertions,  même  quand  elles  peu- 
vent nous  paraître  fondées  !  Il  y  en  a  beaucoup  probablement  dont  les 
anciens  Grecs  se  tiendraient  les  côtes,  s'ils  pouvaient  revenir  pour  un 
jour  sur  notre  terre  moderne. 


NOXJVEELES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Londres  (11  juin)  :  L'accueil  enthousiaste 
fait  à  la  reprise  i'Aida  démontre  le  tort  qu'on  a  eu  d'écarter  cet  ouvrage 
du  répertoire  pendant  ces  dernières  années.  L'interprétation  d'hier  soir,  à 
Govent  Garden,  est  de  celles  qu'on  peut  louer  sans  réserve  et  sans  arrière- 
pensée.  M.  Alvarez,  magnifiquement  en  voix,  nous  a  donné  le  Radamès 
idéal,  celui  qui  éveille  au  fond  des  cœurs  l'émotion  et  l'enthousiasme. 
M°"^  Adini  a  eu  de  beaux  élans  dramatiques  dans  le  rôle  d'Aïda,  qui 
convient  à  merveille  à  son  tempérament.  J'ai  particulièrement  goûté  la 
voix  et  les  qualités  scéniques  de  M"»»  Mantelli;  c'est  la  plus  belle  Amnéris 
que  j'aie  vue  depuis  M"":  Scalcbi.  M.  Ancona  (Amonasro)  a  été  très  remar- 
quable dans  son  grand  duo  du  3=  acte.  MM.  Plançon  (Ramiis),  Arimondi  (le 
roi)  et  M«"î  Bauermeister  (la  prétresse)  ont  aussi  contribué,  pour  une  large 


part,  à  l'éclat  de  cette  représentation.   Les  chœurs    étaient   satisfaisants, 
mais  l'orchestre  laissait  à  désirer  et  la  mise  en  scène  aussi. 

LÉON  SCHLESINGER. 

—  Nous  avons  dit  que  la  place  de  directeur  (principal)  du  Conservatoire 
de  musique  de  Guildhall,  à  Londres,  qui  est  vacante  depuis  quelques  mois, 
était  chaudement  disputée  par  une  foule  de  candidats.  Le  choix  de  conseil 
d'administration  du  Conservatoire  s'est  porté  sur  M.  William  Hayman 
Cummings.  Cette  promotion  est  généralement  approuvée  par  les  musiciens 
anglais. 

—  Verdi,  en  excursion  à  Milan  pendant  quelques  jours,  a  déposé  à  la 
Banque  populaire  de  cette  ville  une  somme  de  400.000  francs,  destinés  à 
payer  les  frais  de  construction  de  la  maison  de  retraite  qu'il  fait  élever, 
hors  la  Porte  Magenta,  pour  les  vieux  artistes.  On  sait  qu'il  n'a  pas  con- 
sacré moins  d'un  million  à  cette  œuvre  intéressante. 

—  Un  ténor  assassiné.  C'était  dans  la  soirée  du  1"'  juin,  à  Palerme.  Le 
ténor  Rosario  Termini  rentrait  chez  lui  en  voiture,  lorsqu'arrivé  à  l'extré- 
témité  de  la  rue  de  la  Liberté,  du  côté  du  Jardin  Anglais  et  de  la  villa 
Cuccia,  quatre  coups  de  feu  retentirent  coup  sur  coup.  Frappé  au  cœur, 
le  chanteur  mourut  aussitôt.  On  n'a  pu  découvrir  jusqu'ici  l'auteur  du 
crime,  ni  les  motifs  qui  l'ont  fait  agir.  On  croit  à  un  acte  de  vengeance 
personnelle. 

—  Au  Politeama  de  Trieste,  grand  succès  pour  un  opéra-comique  en 
deux  actes,  Salvatorello,  du  maestro  Sofîredini,  rédacteur  en  chef  de  la 
Gazetta  musicale  de  Milan.  Ce  petit  ouvrage,  joué  par  des  enfants  intelligents 
et  soigneusement  instruits,  a  été  accueilli  avec  la  plus  grande  faveur. 
L'auteur  en  personne  dirigeait  l'exécution. 

—  Un  journal  de  Modène,  le  Panaro,  nous  apprend  que  l'Académie 
royale  des  sciences,  lettres  et  arts  de  cette  ville  vient  de  décernerun  «  prix 
d'honneur  »  à  M.  Gelso  Stanguellini  pour  une  timbale  de  son  invention, 
à  mécanique  et  à  une  seule  vis.  «  Il  a  été  établi  que,  au  moyen  de  l'utile 
et  très  simple  appareil  appliqué  au  système  de  vis  unique  à  appui  exté- 
rieur, déjà  breveté,  l'inventeur  a  atteint  l'objectif  qui  consiste  à  donner  faci- 
lement et  promptementà  cet  instrument,  qui  dans  les  orchestres  modernes 
a  acquis  une  si  grande  importance,  la  sonorité  et  la  tonalité  désirées  et 
jusqu'ici  non  encore  obtenues.  » 

—  L'Opéra  royal  de  Copenhague  prépare  la  représentation  d'un  opéra 
nouveau  en  trais  actes,  intitulé  Dyveke,  paroles  de  M.  Einar  Christiansen, 
musique  de  M.  Jean  Bartholdy. 

—  M.  Spiro  Samara,  le  jeune  compositeur  grec  dont  deux  opéras,  Flora 
mirabilis  et  Martire,  ont  obtenu  du  succès  en  Italie,  a  formé  le  projet,  dont 
l'exécution  est  prochaine,  de  créer  à  Athènes  un  grand  orchestre  sympho- 
nique  composé  de  cent  artistes,  dans  le  but  de  susciter  dans  la  capitale  du 
royaume  de  Grèce  Is  culte  de  la  grande  musique.  Le  personnel  de  cet 
orchestre  sera  recruté  en  France  et  en  Italie,  et  c'est  M.  Samara  lui-même, 
résolu  à  se  fixer  définitivement  dans  son  pays  au  mois  de  décembre  pro- 
chain, qui  en  prendra  la  direction.  Un  peu  plus  tard  il  compte  joindre  à 
cet  orchestre  un  chœur  important. 

—  La  direction  du  Conservatoire  de  La  Haye,  devenue  vacante  par  suite 
de  la  mort  de  M.  W.-F.-G.  Nicolaî,  vient  d'être  conférée  à  M.  Henri  Viotta, 
qui  joint  à  la  qualité  de  musicien  celle  d'avocat,  et  qui  a  publié  à  La  Haye, 
sous  le  titre  de  Lexikon  der  Toonkunst,  un  grand  dictionnaire  de  musique  à 
la  fois  technologique  et  biograph  ique. 

—  De  Genève  ;  Aux  concerts  symphoniquesde  Genève,  beau  succès  pour 
M"""  Roger-Miclos  qui  interprétait  un  concerto  de  Beethoven  et  Africa,  de 
Saint-Saëns.  Rappelé  quatre  fois,  M"°  Roger-Miclos  a  dû  ajouter  deux 
numéros  supplémentaires  à  son  programme.  » 

PARIS   ET   DÉPABTEIÏIENTS 

M"'  Melba  appelée  par  les  exigences  de  son  engagement  au  théâtre 
de  Govent  Garden,  à  Londres,  a  chanté  hier  pour  la  dernière  fois  à  l'Opéra 
le  rôle  d'Ophélie  à'Hamlet.  La  série  de  représentations  qu'elle  a  données 
à  Paris  a  été  des  plus  brillantes. 

—  Voici  à  présent  M.  Van  Dyck  qui  prend  à  son  tour  possession  de  la 
scène  de  l'Opéra.  Son  apparition  dans  Loher.grin,  lundi  dernier,  a  été  pour 
lui  un  véritable  triomphe,  partagé  par  l'admirable  Rose  Caron.  MM.  Del- 
mas.  Noté  et  M^^Dufrane  ont  pris  aussi  leur  bonne  part  du  succès.  Demain 
lundi,  début  de  M""  Kutscherra  dans  la  Yalkyrie. 

—  C'est  au  cours  de  cette  semaine,  paraît-il  assuré,  que  nous  aurons  à 
r(3péra-Comique  la  première  représentation  de  la  Femme  de  Claude.  La 
reprise  de  Don  Pasquale  accompagnera  sur  l'affiche  l'ouvrage  de  MM.  Cahen 
d'Anvers  et  Louis  Gallet. 

—  M.  Garvalho  vient  de  s'assurer  le  concours,  pour  la  saison  prochaine, 
de  M""=  Jane  Mérey,  une  des  brillantes  élèves  de  M"""  Rosine  Laborde. 
M""  Mérey  vient  du  théâtre  de  la  Monnaie,  où  elle  eut,  deux  années 
durant,  une  vogue  continue.  C'est  elle  qui  créa  VÉvangétine  de  M.  Xavier 
Leroux. 

—  Puisque  M.  Carvalho  semble  chercher  de  nouveaux  sujets,  signalons- 
lui  le  jeune  baryton  Félix  Barré,  qui  vient  de  débuter  aux.Folies-Drama- 


LE  MENESTREL 


189 


tiques,  où  il  a  remplacé  M.  Jean  Périer  dans  la  Falote.  M.  Félix  Barré  est  le 
fils  de  l'ancien  artiste  de  ce  nom  qui  tint  si  longtemps  sa  place  —  et  une 
bonne  —  à  l'Opéra-Ccmique  de  la  salle  Favart.  Il  a  toutes  les  qualités  de 
son  père:  une  franche  et  jolie  voix  et  des  qualités  de  comédien  de  finesse 
et  de  bonne  humeur. 

—  C'est  mercredi  matin,  à  10  heures,  que  sont  sortis  de  loge  au  Conser- 
vatoire les  six  jeunes  artistes  concurrents  au  grand  prix  de  Rome, 
MM.  Max  d'OUone,  Schmitt,  d'Ivry,  Levadé,  Mouquet  et  Halphen.  L'audi- 
tion des  cantates  au  Conservatoire  aura  lieu  le  vendredi  26  juin,  à  midi, 
et  le  jugement  sera  rendu  en  séance  plénièra  de  l'Académie  des  beaux- 
arts,  toutes  sections  réunies,  à  l'Institut,  le  samedi  27,  à  midi. 

—  Las  examens  pour  l'admission  aux  concours  ont.  commencé  cette 
semaine  au  Conservatoire.  Voici,  pour  les  classes  d'opéra,  les  noms  des 
élèves  qui  prendront  part  à  ces  concours  :  classe  de  M.  Giraudet, 
MM.  Beple,  Cremel,  Sizes,  Vieuille,  M"™  Guiraudon  et  Achté;  classe  de 
M.  Melchissédec,  MM.  Galinier,  Gresse,  Chrétien,  Mme  Nady  et  M"»  Truck. 
L'examen  des  classes  de  déclamation  a  eu  lieu  avant-hier  vendredi  et  hier 
'samedi. 

—  Un  décret  vient  d'approuver  le  legs  fait  au  ministre  de  l'instruction 
publique  par  M°"  Gérard,  née  Elisabeth  Bauchain,  d'un  capital  de 
10.000  francs  pour  la  fondation  d'un  prix  annuel,  à  l'aide  des  arrérages, 
«  Ce  prix,  dit  le  décret,  sera  donné  chaque  année  à  une  élève  femme  ayant 
obtenu  un  second  prix  de  piano  et  réunissant  les  conditions  indiquées  par 
le  testament.  Il  pourra  être  décerné  au  moment  des  examens  et  sera  appelé 
«  prix  de  M""=  Gérard  ». 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  des  artistes  drama- 
tiques aura  lieu  jeudi  prochain  IS  juin,  à  2  heures,  ea  la  salle  des  con- 
cours du  Conservatoire,  sous  la  présidence  de  M.  Ritt.  Gomme  les  années 
précédentes,  M.  Saint-Germain  lira  le  rapport  sur  l'exercice  1893-1896.  Le 
comité  s'occupera  en  outre  de  la  matinée  organisée  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, au  profit  de  l'Association. 

—  Grosse  émotion  dans  les  cercles  méridionaux  de  Paris.  Une  dépêche 
deM.Capty,  maire  d'Orange,  vient,  parait-il,  d'être  adressée  à  M.  Maurice 
Faure.  Dans  cette  dépêche,  le  maire  d'Orange  déclare  qu'après  le  refus  de 
M.  le  Président  de  la  République  d'assister  aux  fêtes  dramatiques  qui 
devaient  être  données  au  théâtre  romain,  le  conseil  municipal  a  décidé  de 
renvoyer  ces  fêtes  à  l'année  prochaine.  D'urgence  on  a  convoqué  les  mem- 
bres de  la  Cigale  et  ceux  du  Félibrige  de  Paris.  Ces  deux  sociétés  pren- 
dront connaissance  de  la  dépêche  de  M.  Capty  et  décideront  entre  ces  deux 
solutions  :  ou  passer  outre  et  faire  les  fêtes  quand  même,  ou  renvoyer  les 
fêtes  à  l'an  prochain  ! 

—  Nous  avons  annoncé  que  le  28  juillet  doit  s'ouvrir  au  Palais  de  l'In- 
dustrie, sous  le  patronage  du  président  du  conseil,  des  ministres  de  l'ins- 
truction publique  et  du  commerce,  du  directeur  des  beaux-arts,  du  com- 
missaire général  de  l'Exposition  de  1900,  etc.,  une  Exposition  internationale 
du  théâtre  et  de  la  musique,  qui  promet  d'être  extrêmement  brillante.  Les 
travaux  sont  poussés  avec  une  grande  activité,  et  le  secrétaire  général 
vient  de  publier  le  programme  très  intéressant  et  très  complet  de  la  pro- 
chaine Exposition,  programme  accompagné  de  vues  très  curieuses  des 
reconstitutions  auxquelles  elle  donnera  lieu,  telles  que  le  Théâtre  antique, 
le  Parvis  Notre-Dame,  où  se  donnaient  les  représentations  des  mystères, 
la  rue  romaine  conduisant  de  l'orchestre  au  théâtre  antique,  la  rue  moyen 
âge,  conduisant  de  l'orchestre  au  parvis  Notre-Dame,  etc.  Disons,  à  ce 
propos,  que  la  Belgique  participera  à  cette  Exposition,  et  qu'une  commis- 
sion vient  d'être  nommée  à  cet  effet  avec  l'appui  du  ministère  de  l'instruc- 
tion publique  à  Bruxelles.  Cette  commission  est  ainsi  composée  :  prési- 
dent, M.  Emile  Mathieu,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  de  Louvain; 
vice-présidents,  MM.  de  Ramaix,  député,  secrétaire  général  de  l'Exposition 
de  Bruxelles  de  1897,  et  Bruylant,  éditeur  et  échevin  de  Bruxelles;  secré- 
taires, MM.  Katto,  éditeur  de  musique,  et  Rotiers,  directeur  de  l'Éventail; 
membres  :  MM.  Mabille,  chef  de  division  aux  beaux-arts  ;  Bender,  inspec- 
.teur  des  musiques  de  l'armée;  KufTerath,  directeur  du  Guide  musical; 
Mahillon,  fabricant  d'instruments  de  musique;  Devis,  Lynen,  Dubosq, 
artistes  peintres;  Feignaert,  costumier;  Emile  Robert,  vice-président  de  la 
chambre   de  commerce  belge  à  Paris;  commissaire  général,  M.  J.  Tasson. 

—  La  ville  d'Arras  s'est  fort  intelligemment  avisée  d'élever  un  monu- 
ment à  la  mémoire  d'un  de  ses  enfants  les  plus  justement  fameux  parmi 
les  érudits,  un  peu  trop  ignoré  de  la  foule,  qui  fut  un  trouvère  au  talent 
exquis,  à  la  fois  poète  et  musicien,  et  que  l'on  peut  considérer  comme  l'un 
des  pères  de  notre  théâtre,  surtout  comme  le  premier  initiateur  du  genre 
de  notre  opéra-comique.  Je  veux  parler  d'Adam  de  la  Halle,  celui  qu'on 
avait  accoutumé  d'appeler  «  le  bossu  d'Arras  »  bien  qu'il  ne  fût  nullement 
bossu,  très  grand  artiste  en  son  genre,  auteur  d'un  grand  nombre  de 
chansons,  rondels,  motets,  pastourelles,  jeux-partis,  et,  qui  plus  est,  de 
petites  pastorales  pleines  de  grâce,  dont  il  ne  se  contentait  pas  toujours 
d'écrire  les  vers,  et  dont  il  composait  aussi  la  musique.  L'un  de  ses  petits 
poèmes  scèniques,  le  Jeu  d'Adam,  peut  être  justement  considéré  comme 
notre  plus  ancienne  comédie,  tandis  qu'un  autre,  le  Jeu  de  Robin  et  de  Ma- 
rion,  est  véritablement  îe  type  primitif  et  rudimentaire  de  notre  opéra- 
comique,  bien  que  cela  nous  reporte  à  une  distance  de  six  cents  ans,  à  la 
fin  du  treizième  siècle,  puisque  Adam  de  la  Halle  mourut  en  1285  à  Naples, 

où  il  avait  suivi  la  fortune  de  Charles  d'Anjou  et  de  sa  cour  toute  fran-    ^ 


çaise.  Arras  a  été  bien  inspirée  de  vouloir  faire  revivre  la  mémoire,  on 
pourrait  dire  la  gloire  de  cet  artiste  extrêmement  remarquable,  dont  le 
nom,  ne  fût-ce  qu'à  cause  du  Jeu  de  Robin  et  de  Marion,  a  droit  à  l'hommage 
le  plus  respectueux  de  la  postérité.  Le  comité  parisien  du  monument  a 
organisé,  sous  la  direction  de  M.  Emile  Blémont,  l'un  des  promoteurs  de 
la  commémoration,  une  grande  représentation  qui  aura  lieu  au  théâtre 
d'Arras  dimanche  prochain  21  juin,  avec  le  concours  de  plusieurs  artistes 
de  la  Comédie-Française  et  de  l'Opéra-Comique.  Voici,  tel  que  le  donne 
la  Reime  du  Nord,  le  programme  fort  intéressant  de  cette  représentation 
d'un  caractère  exceptionnel  : 

Ouverture  inédite  de  M.  Paul  de  Wailly  sur  des  airs  populaires  de  l'Artois.  — 
Causerie  sur  Adam  de  la  Halle  poète  et  auteur  dramatique,  par  M.  Emile  Blé- 
mont.—  La  Bosse  de  Maître  Adam,  à-propos  en  un  acte,  en  vers,  de  M.  Lecocq.  — 
Intermède  littéraire  et  musical  par  les  artistes  de  la  Comédie-Française  et  de 
rOpéra-Comfque.  —  Le  Portrait  de  la  France,  fragment  du  Jeu  de  la  FeuiUée,  par 
Coquelin  cadet.  —  Une  causerie  sur  Adam  de  la  Halle  musicien,  par  M.  F.  de 
Menil.  —  La  Ballade  du  Bossu  d'Arras,  d'Henri  Malo,  dite  par  l'auteur.—  Un  inter- 
mède littéraire  et  musical  par  les  artistes  de  la  Comédie-Française  et  de  l'Opéra- 
Comique.— ie  Jeu  de  Robin  et  il/orion,  adapté  par  MM.E.  Blémont  pour  les  paroles 
et  J.  Tiersot,  pour  la  musique,  interprété  par  les  artistes  de  l'Opéra-Comique. 
—  Couronnement  du  buste  dAdam  de  la  Balle,  œuvre  de  E.  Engrand.  —  Poème  de 
Jean  Riohepin  en  l'honneur  d'Adam  de  la  Halle.  —  Cantate  commémorative, 
poésie  de  F.  Lefranc,  musique  d'Alexandre  Georges,  interprêtée  par  M""  Wyns, 
de  l'Opéra-Comique,  la  société  des  Orphéonistes  d'Arras,  et  l'orchestre  du  théâtre. 

—  D'autre  part,  nous  recevons  à  ce  sujet  une  note  que  voici  et  qui  com- 
plète les  renseignements  qu'on  vient  de  lire  :  «  En  l'honneur  du  vénérable 
ancêtre  de  l'opéra-comique,  M.  Carvalbo  s'est  chargé  lui-même  de  distri- 
buer les  rôles  aux  artistes  de  sa  troupe  :  les  principaux  interprètes  seront 
M'""  Molé-TrulBer  et  Vilma,  MM.  Vialas,  Ducis,  Bernaert,  etc.  L'adapta- 
tion littéraire  est  due  à  M.  Emile  Blémont;  celle  de  la  musique  à  M.  Julien 
Tiersot,  qui  a  composé,  pour  soutenir  les  mélodies  vocales,  seules  notées 
dans  les  anciens  manuscrits,  l'accompagnement  orchestral  aujourd'hui 
nécessaire  à  la  représentation.  En  outre,  comme  dans  la  scène  des  jeux 
rustiques  qui  termine  la  pièce  la  partie  musicale  est  quelque  peu  réduite, 
M.  J.  Tiersot  a  intercalé  deux  mélodies  populaires  :  Rossignolet  du  bois  joli  et 
En  passant  par  la  Lorraine,  qui,  bien  que  recueillies  à  une  époque  beaucoup 
plus  moderne,  ne  font  aucunement  disparate  dans  l'ensemblo  de  l'œuvre 
musicale  composée  et  représentée  pour  la  première  fois  il  y  a  plus  de 
six  siècles. 

—  Voici  qu'enfin  la  date  de  la  naissance  de  Chopin  semble  établie 
aujourd'hui  d'une  façon  authentique  et  certaine,  défiant  toute  discus- 
sion. Jusqu'à  ce  jour,  on  était  peu  d'accord  sur  ce  sujet.  La  plupart  des 
biographes  de  l'illustre  pianiste,  le  comte  Wodzinski  (les  Trois  Romans 
de  Frédéric  Chopin),  M.  Joseph  Bennett  (Chopin),  M""^  Audley  (Frédéric 
Chopin),  Albert  Sowinski  (Musiciens  polonais  et  slaves),  M.  Dannreuther 
(Dictionarij  of  Musicians,  de  George  Grove),  M.  Auguste  Reissmann  (Hand- 
lexicon  der  Tonkunst),  donnaient  la  date  du  1«''  mars  1809;  M.  Vôjcicfci 
disait  le  2  mars  1809;  Liszt  indiquait  simplement  l'année  1810;  Fétis  pré- 
cisait et  disait  le  8  février  1810.  Ce  dernier  surtout  approchait  de  la  vérité, 
sans  toutefois  la  toucher  encore.  Une  lettre  adressée  au  Musical  Courier  de 
New-York  par  miss  Janotha  est  venue  apporter  dans  la  question  une  lu- 
mière déoisive.  L'auteur  de  cette  lettre  écrit  :  <r  Le  projet  d'ériger  un 
monument  à  Chopin  à  Zelazowa  Wola  (son  lieu  de  naissance)  a  inspiré 
au  révérend  père  Bielawski,  curé  actuel  de  l'église  de  Zelazowa  Wola,  la 
pensée  de  faire  une  recherche  sérieuse  dans  les  documents,  d'où  il  résulte 
ce  qui  suit.  En  vue  de  l'intérêt  du  public,  qui  a  le  projet  d'élever  un  mo- 
nument à  Frédéric  Chopin  au  lieu  où  l'on  suppose  qu'il  est  né,  à  Zelazowa 
Wola,  dit  le  curé,  il  me  paraît  nécessaire  de  rectifier  la  date  inexacte  de 
la  naissance  attribuée  jusqu'à  ce  jour  au  grand  compositeur  polonais.  De 
ce  qui  a  été  dit  dans  la  biographie  de  "Wôjcicki  et  dans  d'autres  écrits,  il 
ressortirait  que  la  naissance  de  Chopin  devrait  être  fixée  au  2  mars  1809, 
tandis  que  d'après  des  documents  absolument  authentiques,  particulière- 
ment son  acte-  de  baptême,  et  d'autres  témoignages  très  autorisés,  nous 
savons  positivement  que  Frédéric-François  Chopin,  fils  de  Nicolas  Chopin 
et  de  Justine  Krzyzanowska,  est  né  à  Zelazowa  Wola,  district  de  Sochacsen, 
le  22  février  1810,  et  qu'il  fut  baptisé,  dans  l'église  de  Brochow,  le  23  avril 
de  la  même  année  ».  Voilà_qui  est  clair  et  précis,  et  qui  ne  peut  plus  per- 
mettre aucune  équivoque.  Ajoutons  qu'après  les  minutieuses  recherches 
faites  par  le  P.  Bielawski,  tous  les  détails  relevés  par  lui  touchant  la  nais- 
sance et  les  premières  années  de  Chopin  sont  considérés  désormais,  en 
Pologne,  comme  absolument  officiels.  A.  P. 

—  Le  concours  ouvert  par  la  Schola  cantorum  pour  la  composition  d'un 
motet  :  Exultate  Deo,  a  donné  les  résultats  suivants  :  premier  prix,  M.  l'abbé 
Boyer,  de  Bergerac;  mention  décernée  à  l'unanimité  au  motet  portant 
pour  épigraphe  :  Deo  gloria  soli.  La  Schola  ouvre  un  nouveau  concours  pour 
des  Versets  d'orgue  pour  l'hymne  Ave  maris  Stella;  les  concurrents  devront 
s'inspirer  plus  particulièrement  de  la  tonalité  grégorienne  de  l'hymne.  Les 
manuscrits  devront  être  envoyés  aux  bureaux  de  la  Schola,  1.3,  rue  Stanislas, 
avant  le  15  juillet  prochain. 

—  Superbe  festival  au  Trocadéro,  jeudi  dernier,  au  profit  de  l'hôpital 
Saint-Joseph,  avec  un  superbe  programme  qui  s'ouvrait  par  la  3"  sympho- 
nie pour  orchestre  et  orgue  de  M.  Widor,  œuvre  de  construction  solide, 
de  belles  proportions  et  de  riche  inspiration,  dont  l'excellente  exécution 
était  dirigée  par  l'auteur,  et  dont  le  succès  a  été  complet.  La  partie  d'or- 


190 


LE  MENESTREL 


gue  était  tenue  par  un  jeune  aveugle,  M.  Vierne,  élève  de  la  ciisse  de 
M.  "Widor  au  Conservatoire,  où  il  a  obtenu  un  brillant  premier  prix.  Le 
programmecomprenaitencoreSorfAo,  le  tableau  musicaldeRimsky-Korsakoff, 
un  trio  de  l'Oratorio  de  Xoël  de  Saint  Saêns,  fort  bien  chanté  par  M""'  Auguez, 
MM.  Lafarge  et  Auguez,  le  3'  divertissement  des  ErinnyesAe  Massenet,  le 
concerto  en  sol  mineur  de  Saint-Saëns,  brillamment  exécuté  par  M.  Harold 
Bauer,  un  poème  symphonique  de  Richard  Mandl,  Griselidis,  dont  les  soli 
ont  valu  de  vifs  applaudissements  à  M"'=  Boidin-Puisais,  et  une  danse  po- 
lonaise du  Prince  Igor,  de  Borodine.  A.  P. 

—  M""»  Marchesi  donnait  mercredi  dernier,  dans  la  salle  d'Harcourt,  ab- 
solument comble  pour  la  circonstance,  son  14"=  concert  annuel  de  bienfai- 
sance au  proEt  des  œuvres  de  Montmartre.  L'une  des  curiosités  de  cette 
séance  était  assurément  la  présence  de  M.  Delsart,  exécutant  avec  neuf  de  ses 
élèves,  dont  trois  jeunes  filles,  M"'^  Noël,  Larronde  et  Fonlupt,  la  Médita- 
tion de  Thdis,  une  valse  de  M.  Widor,  VAbend  lied  de  Sohumann  et  la  Pi- 
leuse de  Popper.  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  le  succès  qu'a  obtenu  cette 
nouveauté  charmante,  succès  qui  a  accueilli  d'ailleurs  toutes  les  parties 
dn  concert.  Après  M.  Gautier,  qui  a  chanté  avec  un  excellent  style  les 
stances  de  Polyeucle,  de  Gounod,  on  a  applaudi  comme  elle  le  méritait 
M"'  Blanche  Marchesi  dans  la  Fiancée  du  timbalier  de  Saint-Saëns,  le  Nil  de 
X.  Leroux,  Si  mes  vers  avaient  des  ailes  de  Reynaldo  Hahn,  l'Homme  de  sable 
de  Brahms,  la  Chanson  de  la  Glu  de  Gounod,  et  des  Bergerettes  de  Wecker- 
lin.  Puis  c'a  été  la  tout  aimable  M"»  Jane  Horwitz,  qui  a  chanté  avec 
une  crànerie  charmante  la  cavatine  du  Barbier,  une  Chanson  arabe  d'Ed. 
Nordi,  et  l'Éclat  de  rire  d'Auber.  Sans  oublier  un  violoniste  expert,  M.  Ada- 
mowski,  qui  a  eu  sa  part  de  justes  applaudissements.  A.  P. 

—  Soirée  des  plus  intéressantes  chez  M""'  Madeleine  Lèmaire,  où  l'on  a 
entendu  des  œuvres  de  Saint-Saëns  :  Sonate  pour  piano  et  violoncelle, 
jouée  par  l'auteur  et  M.  Delsart;  le  Rouet  d'Omphale  et  un  scherzo,  joués 
par  l'auteur  et  M.  Diémer  ;  le  duo  de  la  Lyre  et  la  Harpe,  chanté  par 
M"«=  Eustis  et  Molinos  ;  l'air  d'Etienne  Marcel,  chanté  par  M""«  Kinen  ;  la 
belle  paraphrase  pour  piano  composée  par  le  maître  sur  la  mort  de  Tlm'is 
de  Massenet  et  qui,  remarquablement  exécutée  par  le  transcripteur  lui- 
même,  a  eu  les  honneurs  de  la  soirée.  Ces  belles  pages  ont  alterné  avec 
des  poésies  du  comte  Robert  de  Montesquieu,  extraites  de  son  curieux 
livre  :  Hortensias  bleus,  poésies  dites  par  M.  Le  Bargy  et  M"»  Reichenberg. 

—  La  soirée  donnée  à  la  salle  Pleyel  par  M""=  Rosine  Laborde  pour  l'au- 
dition de  ses  élèves  a  été  particulièrement  brillante.  On  a  applaudi  tout 
d'abord  le  chœur  des  bouquetières  de  Tabarin,  d'Emile  Pessard,  chanté  avec 
beaucoup  d'ensemble  par  les  élèves  du  premier  cours  de  M""=  Laborde. 
Parmi  les  jeunes  filles  qui  se  destinent  au  théâtre,  il  faut  citer  M"'^  Ger- 
ville-Réache,  un  bon  mezzo-soprano  ;  Leander,  dont  l'organe  est  pur,  flexible 
et  joli  ;  Theisson  et  Wilm,  belles  voix  de  falcon  ;  Texier,  mezzo,  et  Noldi, 
sopranos,  ainsi  que  M'"*  Georgette  Wallace,  Torrini,  Clément,  qui  font 
grand  honneur  à  l'excellente  méthode  de  M"'°  Rosine  Laborde.  M""  Victor 
Roger  dans  ses  jolis  monologues,  M"'  Desmoulins,  la  charmante  pianiste, 
et  le  baryton  Lantelme  prêtaient  leur  concours  à  cette  intéressante  soirée. 

—  Hier  samedi,  dans  la  salle  des  fêtes  de  l'exposition  de  Rouen,  a  dû 
être  donné  le  festival  consacré  aux  œuvres  de  M™  Augusta  Holmes,  avec 
le  concours  de  M""'^  Armande  Bourgeois  et  Neva  Mathieu,  de  l'Opéra,  de 
M.  Georges  Courtois,  de  l'Opéra,  et  de  M.  Albert  Lambert  fils,  de  la 
Comédie-Française.  Programme  :  l'"  partie  :  Ludus  pro  palria,  ode-sym- 
phonie pour  chœurs  et  orchestre,  avec  récit  en  vers,  poème  et  musique 
d' Augusta  Holmes  ;  le  récitant  :  M.  Albert  Lambert  fils.  La  deuxième 
partie  du  programme  comporte  des  œuvres  diverses  de  M"'  Augusta 
Holmes  (symphonies,  mélodies,  etc.).  accompagnées  par  l'auteur,  et 
une  audition  de  la  troisième  partie  des  Argonautes.  L'orchestre  et  les 
chœurs  formant  un  ensemble  de  150  exécutants,  sous  Is  direction  de 
M.  N.  Brument. 

—  La  dernière  matinée  donnée  par  M°"'  Rose  Delaunay  a  été  la  plus 
réussie  de  toutes.  Un  y  a  fort  remarqué,  parmi  les  élèves,  M""''  Y.  Terrier, 
Dangerville  et  Bertha  Gahen,  —  cette  dernière  particulièrement  bien  douée 
pour  le  théâtre.  Pb.rmi  les  artistes  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  fête 
musicale  citons  Louis  Diémer,  le  grand  virtuose,  et  son  tout  petit  élève, 
Lazare  Lévy,  qui  est  prodigieux,  puis  M'""  Arbel  et  le  joyeux  Coquelin 
cadet. 

—  Très  brillante  matinée  musicale  annuelle  donnée  mardi  dernier  à 
l'institulion  de  M"'=»  Thavenet  et  Taylor.  M.  Charles  Neustedt,  directeur  de 
l'enseignement  musical,  avait  formé  un  programme  des  plus  attrayants. 
Un  grand  nombre  de  jeunes  filles,  en  majorité  anglaises  et  américaines, 
se  sont  fait  applaudir  en  exécutant  avec  un  vrai  charme  des  œuvres  de 
Mozart,  Massenet,  Saint-Saëns,  Th.  Dubois,  Lefebvre,  Godard,  Thomé, 
Neustedt,  etc.  M'"=Derivis (de l'Opéra),  M"=  Girerd  (diction),  MM.  "White  (vio- 
lon), d'Einbroot  (violoncelle),  Cottin  (chant).  M"""  Legrand  (piano),  M"'-Got- 
tin  (mandoline),  tous  professeurs  à  l'institution,  prêtaient  le  concours  de 
leur  talent  à  cette  jolie  réunion  qu'honorait  de  sa  présence  lady  Dufl'erin, 
ambassadrice  d'Angleterre. 

—  Charmante  audition  de  la  Chanson  des  joujoux  de  Blanc  et  Dauphin 
chez  M"'i:  Mauvernay,  le  si  distingué  professeur  de  chant  de  Lyon.  Tous 
ces  petits  poèmes  si  frais  et  si  délicats  ont  été  interprétés  à  ravir. 


NÉCROLOGIE 

L'excellent  flûtiste  Dorus  (de  son  vrai  nom  Vincent- Joseph  Van  Steenkiste), 
qui  n'a  pas  survécu  longtemps  à  sa  sœur,  M""'  Dorus-Gras,  est  mort  cette 
semaine  à  Ktretat,  où  depuis  quinze  jours  à  peine  il  s'était  rendu.  Élève  de 
Guillou  au  Conservatoire,  il  avait  obtenu  le  premier  prix  de  flûte  en  IS^S,  et 
l'on  sait  quelle  renommée  de  virtuose  il  avait  su  conquérir.  Devenu 
première  flûte  à  l'Opéra,  à  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  et  à  la 
chapelle  impériale,  il  succéda  en  1858  à  Tulou  comme  professeur  de  la 
classe  de  flûte  au  Conservatoire,  où  il  eut  entre  autres,  pour  élève,  M.  Taf- 
fanel,  qui  hérita  de  son  merveilleux  talent.  Dorus  a  publié  pour  son  ins- 
trument un  assez  grand  nombre  de  compositions,  entre  autres  16  airs  variée. 
Il  était  le  beau-père  de  M.  Rabaud,  professeur  de  violoncelle  au  Conserva- 
toire. Dorus  était  né  à  Valenciennes  le  l"  mars  1812. 

—  Nous  avons  le  regret  d'annoncer  la  mort,  à  l'âge  de  60  ans,  de 
M.  Adolphe-Léopold  Danhauser,  professeur  de  solfège  au  Conservatoire, 
ancien  inspecteur  principal  de  l'enseignement  du  chant  dans  les  écoles 
communales.  M.  Danhauser  avait  fait  des  études  brillantes  au  Conserva- 
toire, où  il  avait  été  élève  de  Bazin  pour  l'harmonie  et  l'accompagnement, 
d'Halévy  et  Reber  pour  la  fugue  et  la  composition.  Premier  prix  d'har- 
monie en  1857,  deuxième  et  premier  prix  de  fugue  en  1838  et  1859,  il  avait 
obtenu  le  second  prix  de  Rome  à  l'Institut  en  1862  et  s'était  presque 
aussitôt  consacré  à  l'enseignement.  On  lui  doit  plusieurs  ouvrages  didac- 
tiques, entre  autres  une  Théorie  de  la  musique,  un  recueil  de  chœurs  à  trois 
voix  égales  sous  le  titre  de  Soirées  orpliéoniques  et  quelques  mélodies  vocales. 
Il  n'a  pu  réussir  à  se  produire  au  théâtre,  bien  qu'il  eut  fait  exécuter  dans 
une  institution  religieuse  à  Auteuil  (1866),  un  drame  musical  avec  chœurs 
intitulé  le  Proscrit,  et  qu'il  eût  fait  recevoir  naguère  à  l'Athénée  un  opéra 
en  trois  actes  intitulé  Maures  et  Castillans,  qui  ne  put  être  joué  par  suite  de 
la  disparition  de  ce  théâtre.  Né  à  Paris  le  26  février  1835,  Danhauser  y  est 
mort  le  9  juin. 

—  Un  aimable  homme  vient  de  disparaître,  Camille  de  Roddaz,  l'auteur 
de  la  Nuit  de  Noël,  qui  fut  aussi  l'un  des  collaborateurs  avec  Van  Dyck  de 
ce  joli  ballet  du  Carillon  dont  Massenet  écrivit  la  musique  et  qui  fut  rep'ré- 
senté  à  l'Opéra  de  Vienne.  Il  fut  aussi  de  cette  Fiancée  ai  loterie  qu'on 
donna  dernièrement  avec  succès  aux  Folies-Dramatiques  et  aux  répétitions 
de  laquelle  il  attrapa  ce  refroidissement  qui  devait  l'emporter.  Cet  hiver 
on  donnera  â  l'Opéra  de  Paris  un  ballet,  l'Etoile,  où  il  eut  pour  collabora- 
teur M.  Adolphe  Aderer  et  pour  musicien  M.  Wormser.  Ses  obsèques  ont 
été  célébrées  mercredi  dernier  à  Houlbec,  près  Vernon,  où  il  s'était  retiré 
dans  une  propriété,  avec  l'espoir  d'y  recouvrer  la  santé. 

—  Les  journaux  du  Brésil  nous  apportent  la  nouvelle  de  la  mort  d'un 
artiste  intéressant,  le  compositeur  Carlos  Gomes,  qui  a  succombé  à  Para, 
le  19  mai,  au  moment  où  il  arrivait  en  cette  ville  pour  y  prendre  la 
direction  du  Conservatoire.  Brésilien  de  naissance  et  d'origine,  Gomes 
était  né  à  Campinos  le  11  juillet  1839.  Après  avoir  commencé  son  édu- 
cation musicale  dans  son  pays,  il  avait  été  envoyé  par  l'empereur  en 
Italie  pour  y  parfaire  ses  études.  Il  se  rendit  à  Milan,  où  il  travailla  assidû- 
ment avec  Lauro  Rossi,  alors  directeur  du  Conservatoire,  et  fit  sesdébuts  de 
compositeur  en  écrivant  pour  une  petite  scène  de  cette  ville,  le  théâtre  Fossati, 
la  musique  d'une  revue  en  dialecte  milanais  :  Se  sa  minga  (On  ne  sent  pas!}, 
dont  une  certaine  chanson,  dite  du  fusil  à  aiguille  (c'était  après  la  cam- 
pagne de  Sadowa,  au  mois  de  janvier  1867),  obtint  un  succès  fou.  Aussitôt 
le  nom  de  Gomes  devint  populaire.  Le  19  mars  1870  il  donnait  à  la  Scala 
son  premier  grand  ouvrage,  Guarany,  opéra-ballet  en  quatre  actes  dont 
les  deux  principaux  rôles  étaient  tenus  par  M""  Marie  Sasse  et  M.  Victor 
Maurel  et  qui  fut  fort  bien  accueilli  quoique  la  partition,  non  sans 
mérite,  en  fût  du  moins  très  inégale.  Son  second  ouvrage,  Fosca,  donné 
aussi  à  la  Scala,  le  16  février  1873,  fit  un  fiasco  colossal,  malgré  la  pré- 
sence de  M""=  Krauss,  de  MM.  Maurel  et  Maini,  et  quoiqu'il  fût  supérieur 
dans  son  ensemble  au  précédent.  Il  retrouva  le  succès  avec  Salvator  Rosa, 
qui  fut  joué  au  théâtre  Carlo  Felice  de  Gènes,  le  21  février  1874,  et  donna 
encore  à  la  Scala,  le  27  mars  1S79,  Marin  Tudor.  Avec  certaines  qualités 
sérieuses,  on  reprochait  à  Gomes  de  trop  se  tenir  dans  l'imitation  des 
procédés  de  Meyerbeer,  de  Verdi  et  parfois  de  Gounod,  On  conçoit  néan- 
moins que  les  Brésiliens  éprouvassent  une  profonde  sympathie  pour  leur 
compatriote,  qui  avait  su  so  faire  applaudir  sur  une  des  premières  scènes 
musicales  de  l'Europe.  A  la  demande  de  l'empereur  du  Brésil,  il  écrivit 
sous  ce  titre  :  il  Salulo  del  Brasile,  à  l'occasion  des  fêtes  du  centenaire  de 
l'indépendance  américaine  et  de  l'Exposition  universelle  de  Philadelpuie, 
un  hymne  patriotique  qui  fut  exécuté  en  cette  ville  en  1S76.  Lorsque, 
l'an  dernier,  la  direction  du  Conservatoire  de  Pesaro  se  trouva  vacante 
par  suite  de  la  mort  de  Pedrotti,  on  l'offrit  à  Gomes,  qui  refusa  pour 
accepter  celle  du  Conservatoire  de  Para,  qu'on  lui  offrait  en  même  temps, 
Mais  il  était  déjà  très  souffrant,  et  en  se  rendant  d'Italie  au  Brésil  il  fut 
obligé  de  s'arrêter  à  Lisbonne.  Dernièrement  enfin  il  s'embarqua,  malgré 
l'avis  des  médecins,  qui  lui  conseillaient  d'attendre  encore;  mais  à  peine 
arrivé  à  Para,  le  mal  fit  des  progrès  rapides  et  l'emporta  en  peu  de  jours. 

Henki  Heugel,  directeur-gérant. 

On  achèterait  piano  Érard  dem.  queue  pas  vieux,  6,  r.  Villersexel.  Duber. 


IHPIUBIEIUE  CENTRALE   1 


BE[tG£]tE,    20,   1 


Dimanche  21  Juin  1896. 


ym.  —  62-  APiNÉE  —  [\°  2i).  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  fratico  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Jlusique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3°  partie  ("•  article),  Arthur 
PouoiN.  —  IL  Seruaine  théâtrale  :  Débuts  de  M"°  Kutscherra  et  du  ténor 
Duflaut  dans  la  Walkyrie,  répétition  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  à  l'Opéra- 
Comique,  .\.-P.  —  III.  Sur  le  Jeu  de  Robin  et  Mnrion  d'Adam  de  la  Halle 
(1"  article),  Julien  Tiersot.  —  IV.  La  musique  et  le  théâtre  au  Salon  des 
Champs-Elysées  (8°  et  dernier  article),  Camille  Le  Sen>e.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MATUTINA 

de   Gesare  Galeoth.   —  Suivra  immédiatement:   Danse  japonaise,  de  Paul 

Wachs. 

MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Aubade  printaniére,  de  Paul  Lacombe.  —  Suivra  immédiatement  : 
Au  bord  du  ruisseau,  de  Lucien  Lambert,  poésie  de  Maurens. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


TROISIEME  PARTIE 
II 

(Suite) 

Mais  nous  arrivons  à  l'un  des  grands  succès  de  l'époque, 
succès  qui  n'est  pas  encore  épuisé,  en  dépit  des  railleries 
innocentes  qui,  sans  parvenir  à  l'entamer,  s'attaquent  chaque 
jour  au  genre  toujours  aimé  de  ropéra-comique.  Je  veux 
parler  du  Postillon  de  Lonjumeau,  dont  la  première  représentation, 
qui  porte  la  date  du  -13  octobre,  fut  un  véritable  triomphe 
pour  tous  :  auteurs,  compositeur  et  interprètes.  Ce  n'est 
pourtant  pas  un  chef-d'œuvre  que  le  Postillon  de  Lonjumeau, 
mais  c'est  une  œuvre  aimable,  ingénieuse,  vive,  alerte,  pleine 
de  gaîté  et  d'entrain,  et  qui  reproduit  les  meilleures  qualités 
du  genre.  Le  livret  de  Leuven  et  de  Brunswick  est  vraiment 
amusant,  avec  un  grain  de  vulgarité,  et  la  partition  d'Adam, 
qui  se  rapproche  parfois  un  peu  de  lui  par  ce  dernier  côté, 
n'en  est  pas  moins  pleine  de  verve  et  de  bonne  humeur,  et 
par  instants  tout  empreinte  d'une  grâce  piquante  et  fine.  En 
réalité,  l'ensemble  est  charmant,  et  le  public  fît  à  l'œuvre  un 
accueil  d'une  chaleur  enthousiaste.  Il  faut  dire  aussi  que  le 
Postillon  était  merveilleusement  joué,  et  que  Ghollet,  Henri  et 


M"«  Prévost  étaient  excellents  dans  les  rôles  de  Chapelou,  de 
Biju  et  de  Madelaine.  L'ouvrage  touche  aujourd'hui,  à 
l'Opéra-Comique,  à  sa  six-centième  représentation,  et  nul 
n'ignore  que  son  succès  n'a  pas  été  moindre  en  AUemagoe 
qu'en  France.  Il  continue,  en  effet,  de  faire  partie  du  réper- 
toire de  la  plupart  des  théâtres  d'outre-Rhin. 

Ce  succès  allait  bientôt  être  suivi  d'un  autre,  presque  aussi 
retentissant.  Entre  les  deux  pourtant,  il  faut  signaler  l'appa- 
rition d'un  petit  acte  sans  conséquence,  les  Pontons  de  Cadix, 
dû  à  Ancelot  et  Paul  Duport  pour  les  paroles,  à  Eugène 
Prévost  pour  la  musique.  La  naissance  de  celui-ci,  dont  l'exis- 
tence fut  courte,  se  place  au  8  novembre,  et  ce  n'est  pas  à 
lui  que  s'adressèrent  les  applaudissements  qui  éclatèrent  ce 
soir-là  dans  la  salle  de  l'Opéra-Comique.  C'est  à  un  enfant 
prodige,  une  petite  violoniste  de  neuf  ans,  annoncée  comme 
n'en  ayant  que  sept,  qui  se  faisait  entendre  pour  la  première 
fois  à  Paris  et  sur  ce  théâtre,  et  dont  le  talent  précoce 
excitait  la  joie,  l'étonnement  et  l'enthousiasme  du  public. 
Je  veux  parler  de  la  jeune  Teresa  MilanoUo,  qui  se  préparait 
à  devenir  célèbre  et  dont  le  succès  fut  éclatant  dans  cette 
soirée,  que  le  Courrier  des   Théâtres  racontait  en  ces   termes  . 

Hier,  l'affiche  de  rOpéra-Comique  était  grande  et  toute  remplis  de 
promesses  attrayantes,  qui  se  sont  entièrement  réalisées  le  soir.  Une 
débutante,  M""^  Julia,  qui  a  remporté  le  grand  prix  du  Conservatoire, 
paraissait  dans  Élise  du  Dilettante  d'Avignon  ;  on  donnait  une  petite 
pièce  nouvelle  ;  une  enfant  de  sept  ans,  M"=  Thérèse  MilanoUo,  se 
faisait  entendre  sur  le  violon,  et  enfin  on  reprenait  le  Tableau  parlant, 
où  se  retrouvait  M"'  Julia.  Tant  de  richesses  avaient  attiré  la  foule, 
qui  n'a  pas  eu  lieu  de  regretter  son  empressement.  La  débutante  a 
montré  des  dispositions  à  titre  d'actrice,  et  comme  chanteuse  a  obtenu 
un  plein  et  équitable  succès.  La  jeune  violoniste  est  ce  qu'on  peut 
voir  et  entendre  de  plus  surprenant.  Si  l'affiche  n'eût  pas  dit  qu'elle 
est  âgée  de  sept  ans,  on  lui  en  aurait  donné  à  peine  six.  La  sûreté, 
la  grâce,  la  légèreté,  l'exactitude  de  son  exécution  tiennent  vraiment 
du  miracle.  M.  Liszt  a  raison  :  Dans  trente  ans,  les  enfants  au 
maillot  seront  des  virtuoses. 

Le  lendemain,  le  Courrier  revendit  sur  le  même  sujet: 
Il  ne  faudrait  pas  s'étonner,  disait-il,  si  la  petite  violoniste  de 
l'Opéra-Comique  y  attirait  du  monde,  car  c'est  vraiment  une  mer- 
veille. M"°  MilanoUo  ne  se  contente  pas  d'exécuter  si  bien  à  l'âge  de 
sept  ans,  elle  est  déjà  professeur.  Elle  a  une  sœur  de  trois  ans  dans 
les  menottes  de  laquelle  elle  met  déjà  son  violon.  C'est  chez  cette 
enfant  une  vocation  décidée;  elle  n'a  pas  voulu  d'autre  instrument. 
M.  Lafont,  l'un  de  nos  premiers  virtuoses  en  ce  genre,  la  suit  avec 
beaucoup  d'intérêt.  Il  était  avant-hier  dans  les  coulisses  de  l'Opéra- 
Comique,  où  il  avait  accordé  le  violon  de  l'enfant,  et  témoignait  sa 
surprise  d'un  talent  si  précoce. 

La  jeune  Teresa  MilanoUo  se  fit  entendre  ainsi  dans  plu- 
sieurs représentations,  avec  un  succès  toujours  croissant.' 
C'était  le  début  d'une  carrière  qui  devait  être  brillante,  sur- 


494 


LE  MÉNESTREL 


tout  lorsque  plus  tard  elle  parcourut  le  monde  en  compagnie 
de  sa  sœur  Maria,  son  élève,  qui  mourut  à  la  fleur  de  l'âge. 
On  sait  que  depuis  longtemps  la  petite  virtuose  de  1836  est 
devenue  madame  la  générale  Pàrmentier,  et  porte  le  nom 
d'un  vaillant  officier  qui  joint  à  de  grands  talents  militaires 
un  rare  amour  de  l'art  basé  sur  des  études  sérieuses.  Excel- 
lent musicien  en  effet,  le  général  Pàrmentier  a  publié  un 
certain  nombre  de  compositions  intéressantes. 

Enfin,  le  21  décembre,  paraissait  un  ouvrage  dont  le  bril- 
lant succès,  venant  se  joindre  à  celui  du  Portillon  de Lon jumeau, 
allait  obliger  l'Opéra-Comique  à  rester  six  grands  mois  sans 
donner  une  seule  pièce  nouvelle,  tellement  était  grand  l'em- 
pressement du  public  pour  aller  voir  l'un  et  l'autve.  Cet 
ouvrage  était  rAmba,^sadrice,  dont  le  livret  intéressant,  quoique 
un  peu  démodé  aujourd'hui,  avait  été  fourni  àAuberpar  Scribe 
et  Saint-Georges.  Outre  sa  valeur  propre,  l'Ambassadrice  avait 
cet  avantage  de  présenter  deux  rôles  féminins  importants 
tenus  par  deux  femmes  charmantes  qui  étaient  deux  artistes 
remarquables  et  dont  le  succès  personnel  fut  considérable: 
M™  Damoreau  et  Jenny  Colon.  «  M"'  Jenny  Colon,  disait  un 
journal,  obtient  dans  cette  pièce  le  plus  beau  triomphe  qu'elle 
ait  jamais  remporté  à  ce  théâtre  :  celui  d'être  applaudie  avec 
transports  à  côté  de  M™"  Damoreau.  Sans  doute  M""=  Damoreau 
chante  divinement;  mais  la  voix  de  M"'=  Jenny  Colon  est  si 
fraîche,  si  délicieusement  timbrée,  son  jeu  est  si  plein  de 
grâce  et  de  ravissante  coquetterie!...  »  L'Ambassadrice  était 
d'ailleurs  fort  bien  montée  dans  son  ensemble,  et  l'on  y  voyait, 
à  côté  de  ces  deux  exquises  cantatrices,  Couderc,  Moreau- 
Sainti,  Roy,  M""'^  Boulanger  et  Monsel.  L'ouvrage  a  fourni  une 
carrière  de  plus  de  quatre  cents  représentations  (1). 

Ce  n'est  qu'aux  derniers  jours  du  sixième  mois  de  l'année 
4836,  le  23  juin,  que  l'Opéra-Comique  se  décida  enfin  à  ins- 
crire sur  son  affiche  le  titre  d'un  ouvrage  nouveau,  l'An  mil, 
un  acte  sans  grande  conséquence,  qui  avait  pour  auteurs 
Mélesville  et  Paul  Foucher  d'une  part,  Grisar  de  l'autre.  Le 
4  août,  l'Opéra-Comique  faisait  relâche  pour  la  répétition 
générale  de  iSOS  ou  France  et  Espagne,  pièce  en  trois  actes  qui 
avait  dû  s'appeler  la  Croix  d'or  et  qui,  le  11  août,  jour  de 
son  apparition  devant  le  public,  s'appela  définitivement  le 
Remplaçant.  Les  librettistes  étaient  Scribe  et  Bayard,  le  musi- 
cien Batton,  et  celui-ci  élait  loin  d'avoir  à  se  louer  de  la 
besogne  de  ses  collaborateurs.  Leur  pièce  était  tellement 
mauvaise  en  effet  que  le  Remplaçant  ne  put  dépasser  sa  cin- 
quième représentation. 

Heureusement,  le  théâtre  allait  trouver  sa  revanche  avec 
l'œuvre  de  début  d'un  jeune  compositeur,  prix  de  Rome  de 
1832,  qui  était  appelé  à  devenir  l'un  des  maîtres  de  l'art  fran- 
çais et  dont  la  carrière,  récemment  brisée,  ne  devait  pas  durer 
moins  de  soixante  années.  On  devine  qu'il  est  ici  question 
d'Ambroise  Thomas,  qui,  le  23  août,  faisait  représenter  la 
Double  Echelle,  un  acte  plein  de  grâce  et  de  saveur  dont  il  avait 
écrit  la  musique  sur  un  gentil  livret  d'Eugène  de  Planard.  Le 
Ménestrel,  que  l'on  n'accusera  pas  de  flatterie  à  l'égard  de  l'au- 
teur en  un  temps  si  éloigné,  rendait  ainsi  compte  de  son 
œuvre:  —  «  La  partition  de  M.  Ambroise  Thomas  contient 
des  morceaux  d'un  ordre  élevé,  des  motifs  empreints  d'une 
suave  mélodie  et  tout  à  fait  appropriée  au  genre.  L'ouver- 
ture déjà  porte  un  cachet  de  facture  peu  com.mune,  et  le 
corps  de  l'ouvrage  ne  dément  pas  ces  brillantes  promesses. 
Un  duo  habilement  traité,  de  charmants  couplets  chantés  par 
Couderc,  un  trio  fort  original,  le  grand  air  de  M"'=  Prévost  et 
le  quintette  final,  parodiant  un  ancien  menuet,  ont  été  cou- 
verts d'applaudissements...  On  dit  que  la  partition  de  la  Double 
Echelle  a  été  achetée  au  prix  de  5.000  francs  le  lendemain  de 

(1)  A  signaler  ea  celte  année  1836  la  mort  de  Vizentini,  artiste  fort  aimé  du 
public,  qui  tenait  au  grand  contentement  de  celui-ci  l'emploi  des  laruettes.  Peu 
de  voix,  mais  un  rare  sentiment  comique  que  quelques-uns  ne  jugeaient  pas 
indigne  de  la  Comédie-Française,  tellement  sa  gaîté  naturelle,  franche  et 
communicative  était  exempte  de  toute  exagération  et  toujours  maintenue  dans 
les  bornes  du  bon  goût.  Vizentini  ne  se  bornait  pas  à  avoir  du  talent;  il  avait 
de  l'esprit  aussi,  et  l'avait  prouvé  dans  plusieurs  vaudevilles  dont  il  était  l'au- 
teur. Ses  débuts  à  l'Opéra-Comique  dataient  de  1817. 


la  première  représentation.  Le  même  prix  avait  été  offert 
pour  le  Préaux  Clercs.  Tout  en  félicitant  M.  Ambroise  Thomas, 
nous  regrettons  qu'on  n'ait  pas  été  plus  g;énéreux  envers 
Herold.  »  Le  succès  de  la  Double  Échelle  fut  tel  qu'elle  resta 
dix  ans  au  répertoire  et  devint  deux  fois  centenaire. 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


BULLETIN    THEATRAL 


Opéra.  Début  de  M""  Kutscherra  dans  la  Valkyrte. 
M"°  Elise  Kutscherra,  qui,  je  crois  est  Hongroise,  est  depuis  plu- 
sieurs mois  à  Paris,  oîi  elle  a  passé  la  saison  d'hiver,  Elle  a  conquis 
sa  réputation  de  cantatrice  en  Allemagne  comme  interprète  des 
œuvres  wagnériennes,  et  c'est  aussi  en  ce  sens  qu'elle  s'est  fait  con- 
naître du  public  parisien  en  chantant,  au  cours  de  la  saison  dernière, 
le  Crépusciûe  des  Dieux  aux  concerts  du  Chàtelet,  oii  elle  a  dit  aussi 
diverses  mélodies  de  Liszt  et  de  Berlioz.  Il  me  semble  qu'à  ce  moment 
certains  lui  ont  fait  un  accueil  chaleureux,  tout  ce  qui,  de  près  ou 
de  loin,  touche  à  Wagner  devant  être  à  leurs  yeux  par  soi-même 
excellent.  Ces  mêmes  critiques  pourtant,  ayant  à  apprécier  le  début 
de  l'artiste  à  l'Opéra,  la  traitent  cette  fois  avec  une  incontestable 
fraîcheur.  Pourquoi  ce  changement? 

Comment  en  un  plomb  vil  l'or  pur  s'est-il  changé? 

Je  ne  saurais  le  dire,  et  sans  chercher  davantage  à  expliquer  cette 
contradiction,  je  me  bornerai  à  faire  connaître  mon  sentiment  sur  la 
nouvelle  venue,  en  constatant  tout  d'abord  que  le  rôle  de  Sieglinde, 
dans  lequel  elle  se  montrait,  n'est  ni  l'un  des  plus  importants,  ni  l'un 
des  plus  intéressants  du  répertoire,  même  du  répertoire  wagnérien. 

M""  Kutscherra  est  une  belle  personne,  aux  formes  élégantes,  aux 
attaches  fines,  ù  la  physionomie  intelligente  et  mobile  —  trop  mo- 
bile même,  car  le  reproche  qu'on  peut  lui  faire  est  de  vouloir 
exagérer  parfois  sans  raison  l'expression  du  regard,  de  môme  qu'elle 
exagère  l'usage  du  geste  en  le  prodiguant  à  tout  propos.  C'est  ici 
que  le  mieux  est  l'ennemi  du  bien;  sous  ce  rapport,  M"'=  Kutscherra 
devra  modérer  son  action,  et  elle  fera  bien  de  modeler  son  jeu  sur 
celui  de  ses  camarades  français.  La  voix  est  belle  et  de  bonne 
qualité,  quoique  manquant  un  peu  de  chaleur  et  de  rayonnement, 
très  juste  d'ailleurs  et  généralement  bien  conduite.  Un  défaut  est  à 
signaler  toutefois  :  il  arrive  assez  souvent  qu'au  lieu  d'attaquer 
franchement  la  note,  |la  cantatrice  la  prend  en  dessous,  ce  qui  est 
toujours  d'un  fâcheux  effet.  En  résumé,  si  l'on  se  rend  compte  de  la 
difficulté  d'un  tel  début,  surtout  pour  une  artiste  qui  n'est  pas  encore 
complètement  familiarisée  avec  la  prononciation  française  et  dont 
la  préoccupation  sous  ce  rapport  doit  être  constanle,  il  me  semble 
qu'elle  a  droit  à  des  encouragements  et  qu'on  peut  la  féliciter  du 
résultat  obtenu.  Il  m'a  paru,  du  reste,  que  c'était  là  l'impression  du 
public. 

C'était  presque  un  début  aussi  que  faisait  M"'=  Ganne,  qui  pour  la 
première  fois  chantait  Brunehilde,  à  la  place  de  M"=  Bréval,  indis- 
posée. Elle  y  a  fait  preuve  d'intelligence  et  de  courage,  car  la  lâche 
était  ardue;  elle  s'est  tirée  de  cette  tâche  à  son  honneur,  et  fera 
mieux  encore  par  la  suite,  lorsque  l'émotion  sera  moindre.  La  voix 
sonne  bien,  et  l'artiste  fait  preuve  de  réelles  qualités.  Je  n'avais  pas  en- 
core eu  l'occasion  d'entendre  M.  Duffaut  dans  Siegmund.  On  aurait 
peine  à  me  croire  si  je  disais  qu'il  égale  M.  Van  Dyck,  surtout  dans 
l'interminable  récit  du  premier  acte,  l'une  des  choses  les  plus 
efl'royablement  difficiles  assurément  qui  soient  au  théâtre,  et  qui  de- 
mande un  souffle  et  une  énergie  presque  surhumains.  Mais  il  y  a  eu 
parfois  d'heureux  moments,  et  le  lied  du  printemps  lui  a  valu,  ainsi 
qu'à  M""  Kutscherra,  de  sincères  applaudissements.  Sa  vois  est 
d'ailleurs  d'un  joli  timbre,  et  elle  prend  dans  les  notes  élevées  une 
couleur  charmante  ;  seulement,  elle  n'est  pas  toujours  absolument 
juste.  Mais  c'est  sous  le  rapport  du  jeu  scénique  surtout  que  M.  Duf- 
faut a  encore  à  faire. 

LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 
On  répétait  généralement  vendredi  dernier  à  l'Opéra-Comique 
(avec  un  simple  accompagnement  de  piano)  le  Jeu  de  Itobin  et  de  Ma- 
rion  d'Adam  de  la  Halle,  pour  la  représentation  qui  doit  avoir  lieu  ce 
soir  même  à  Arras,  en  l'honneur  du  vieux  trouvère  qu'on  peut  nom- 
mer à  bon  droit  le  parrain,  sinon  le  père  de  notre  opéra-comique.  J'ai 
assisté  à  cette  répétition,  et  j'y  ai  pris  d'autant  plus  de  plaisir  que  je 
me  suis,  à  diverses  reprises,  beaucoup  occupé  d'Adam  de  la  Halle,  et 


LE  MENESTREL 


195 


que  son  œuvre  m'est  très  familière.  La  représentation  dont  le  publie 
artésien  va  jouir  ce  soir  est  sans  doute  la  première  qui  aura  été 
donnée  depuis  six  cents  ans  du  Jeu  ae  Robin  et  Marion.  Mais  il  y  a 
déjà  vingt-quatre  ans  que  nous  nous  étions  donné,  à  la  Société  des 
compositeurs,  le  régal  d'une  exécution  musicale  de  ce  petit  bijou. 
Le  texte  nous  en  avait  été  fourni  par  Goussemaker,  l'éditeur  des 
œuvres  d'Adam  de  la  Halle  ;  mou  vieil  ami  Barlhe,  aujourd'hui  pro- 
fesseur d'harmonie  au  Conservatoire,  improvisait  les  accompagne- 
ments au  piano,  et  c'est  sa  femme,  la  toute  charmante  M""'  Barlhe, 
qui  chantait  le  rôle  de  Marion,  iandis  que  M.  Valdéjo  était  chargé 
de  celui  de  Robin.  Ce  fut  pour  la  plupart  de  mes  collègues  une  révé- 
lation et  comme  une  sorte  d'enchantement.   La  séance  fut  exquise. 

L'arrangement  de  M.  Blémont  pour  les  paroles,  de  M.  Tiersot 
pour  la  musique  est  fait  avec  beaucoup  de  goût,  très  sobre  et 
fort  intéressant.  Il  n'y  a  pas  là  de  pièce  à  proprement  dire,  pas  d'ac- 
tion soutenue;  c'est  un  simple  divertissement  poétique  et  musi- 
cal, mais  d'une  véritable  saveur  et  d'une  grâce  tout  aimable. 
M.  Blémont,  en  transportant  dans  la  nôtre  la  langue  d'Adam  de 
la  Halle,  a  su  conserver  au  dialogue  une  gentille  couleur  archaïque, 
et  si  je  ne  puis  juger  de  l'orchestre  par  lequel  M.  Tiersot  a  appuyé 
les  mélodies  originales,  je  puis  du  moins  me  rendre  compte  de  la 
sagesse  et  de  la  sobriété  de  ses  accompagnements.  C'est  juste  ce  qu'il 
faut,  et  il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  faire  ressortir  la  naïveté  et 
en  même  temps  l'étonnante  modernité  des  chants  aimables  d'Adam 
de  la  Halle,  qui,  sous  le  rapport  de  la  liberté  du  dessin  mélodique  et 
surtout  du  sentiment  tonal,  était  vraiment  un  précurseur.  Pour  cor- 
ser un  peu  le  divertissement  final,  M.  Tiersot  y  a  ajouté,  comme  nous 
l'avons  dit  il  y  a  huit  jours,  deux  charmantes  chansons  populaires 
de  date  postérieure:  Rossignolet  du  bois  pli  et  En  passant  pa?' la  Lor- 
raine, mais  qui  cadrent  bien  avec  le  reste. 

C'est  M""'  Molé-Trutïier  qui  est  chargée  du  rôle  de  Marion  :  elle  y 
est  tout  à  fait  charmante,  soit  comme  chanteuse,  soit  comme  comé- 
dienne, et  présente  vraiment  l'idéal  du  personnage,  c'est-à-dire  la 
grâce  dans  la  simplicité.  M.  Vialas  est  amusant  dans  celui  de  Robin, 
M.  Ducis  fort  convenable  dans  celui  du  chevalier,  et  il  faut  signaler 
M""  Vilma  et  M.  Bernaert.  En  son  ensemble  enfin,  rexécution  est 
vive  et  curieuse. 

Mais  ne  croyez  pas  qu'il  n'y  en  ait  que  pour  les  compatriotes 
d'Adam  de  la  Halle,  et  que  les  Parisiens  doivent  être  complètement 
privés  du  Jeu  de  Robin  et  de  Marion.  Je  vous  apprends  que  vous  pour- 
rez voir,  dans  quelques  semaines,  cette  gentille  pastorale  à  l'Exposi- 
tion du  théâtre  et  de  la  musique,  qui  nous  prépare  d'autres  surprises, 
auxquelles  votre  serviteur  ne  sera  pas  complètement  étranger. 

Arthur  Pougin. 


SUR  LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 

D'ADAM  DE  LA  HALLE 


Aujourd'hui  même,  pour  lajpremière  fois  après  six  cents  ans,  l'on 
va  donner  une  représentation  du  Jeu  de  Robin  et  Marion.  Composée  au 
XIIP  siècle,  l'œuvre  célèbre  du  trouvère  Adam  de  la  Halle  est,  de 
beaucoup,  la  plus  ancienne  de  toutes  les  productions  dramatiques 
et  musicales  françaises  qui  se  puissent  actuellement  voir  sur  un 
de  nos  Ihéâtres:  à  ce  titre,  une  telle  «  reprise  «  mériterait  donc 
un  légitime  succès  de  curiosité.  Il  se  pourrait  même  qu'elle  obtînt 
mieux  encore,  car,  malgré  les  siècles,  elle  a  conservé,  semble-t-il, 
tout  son  charme,  toute  sa  grâce,  toute  sa  fraîcheur. 

Nul  autre  monument  de  l'art  lyrique  n'était  plus  digne,  eu  tout 
cas,  de  l'honneur  de  représenter  le  moyen  âge  sur  la  sc'ene  moderne. 
Il  n'est  pas  d'œuvre  de  cette  période,  —  la  seule  Chanson  de  Roland 
exceptée  —  qui  aitjoui,  jusqu'à  notre  époque,  d'une  notoriété  compa- 
rable à  celle  du  Jeu  de  Robin  et  de  Marion.  Une  simple  constatation 
va  l'indiquer:  bien  que  n'étant,  jusqu'à  ce  jour,  véritablement  con- 
nue que  des  érudits  et  des  gens  qui  s'occupent  spécialement  des 
choses  du  moyen  âge,  la  pastorale  de  maître  Adam  a  été,  en  notre 
siècle,  imprimée  dans  sou  texte  original  sept  fois  en  France,  une 
huitième  fois  en  Allemagne,  puis  traduite  en  allemand  (en  attendant 
d'autres  travaux  annoncés  dans  ce  même  pays  (1)  ;  enfin  la  musique 
(d'ailleurs  reproduite  en  totalité  ou  en  partie,   sous  sa  forme  primi- 

(1)  M.  Ernest  I.anglois,  le  plus  récent  éditeur  français,  annonce  en  etl'et  avoir 
reçu  d'un  philologue  allemand,  M.  Rudolf  Berger,  l'avis  que  celui-ci  travaille 
"  depuis  plusieurs  ans  à  une  édition  critique  des  œuvres  complètes  de  ce  poète 
d'Ari'as  aussi  difficile  au  rapport  de  son  langage  original,  pour  lequel  il  doit 
gxploiter  un  grand  nombre  de  chartes  françaises  locales  d'ArrasI...  » 


tive,  dans  la  plupart  des  éditions  littéraires)  a  donné  lieu  à  deux 
publications  spéciales,  avec  accompagnement  de  piano  (l'une  en 
France,  par  M.  .I.-B.  Weckerlin,  l'autre,  en  Allemagne,  par  M.  W. 
Tappert),  —  sans  parler  des  nombreux  extraits,  poétiques  ou  musi- 
caux, et  des  non  moins  nombreuses  études  qui  en  ont  été  publiées 
un  peu  partout. 

Cet  intérêt  s'explique  par  la  triple  raison  que  le  Jeu  de  Robin  et 
Marion  nous  est  parvenu  en  très  bon  état,  par  trois  manuscrits  du 
moyen  âge  parfaitement  conservés,  —  qu'il  comporte  une  partie 
musicale  dont  deux  manuscrits,  sur  les  trois  nous  ont  transmis  une 
notation  très  claire  et  très  sûre,  —  enfin,  et  surtout,  que  l'œuvre  a 
une  valeur  réelle,  qu'elle  est  très  caractéristique  de  la  poésie,  de  la 
musique  et  des  mœurs  du  moyen  âge,  et,  par  là  même,  aussi  bien 
destinée  à  plaire  au  public  qu'à  intéresser  les  savants. 

Mais,  en  ces  six  siècles,  les  habitudes  musicales  et  littéraires  se 
sont  si  considérablement  modifiées  qu'il  est  nécessaire  de  faire  un 
certain  effort  pour  arriver  à  la  parfaite  compréhension  de  l'œuvre 
telle  qu'elle  avait  été  conçue  par  l'auteur  et  comprise  par  les  con- 
temporains. «  C'est  un  commun  vice,  non  du  vulgaire  seulement, 
mais  quasi  de  tous  les  hommes,  d'avoir  leur  visée  et  leur  arrêt  sur 
le  train  auquel  ils  sont  nés.  »  Ainsi  parle  Montaigne,  et  il  a  gran- 
dement raison.  Mais  s'il  est  vrai  qu'il  nous  faut,  et  parfois  à  grand'- 
peine,  nous  abstraire  des  habitudes  ambiantes  et  des  spectacles 
contemplés  journellement  pour  nous  faire  une  idée  exacte  des  mœurs 
et  des  coutumes  si  ditîérentes  des  aïeux,  combien  cela  n'est-il  pas 
plus  vrai  lorsqu'il  s'agit  de  leur  art,  surtout  d'un  art  complètement 
oublié,  n'ayant  laissé  d'autres  traces  que  dans  les  vieux  bouquins, 
et,  pour  tout  dire  en  un  mol,  d'un  art,  semble-t-il,  mort? 

A  la  vérité,  la  forme  d'art  à  laquelle  se  rattache  le  .Teu  de  Robin  et 
Marion  n'est  pas  aussi  morte  qu'il  semble  au  premier  abord,  —  et 
c'est  par  là  principalement  que  l'œuvre  est  digne  de  revivre  :  cette 
forme,  ou  du  moins  l'esprit  qui  l'anime,  on  la  retrouve  encore  vi- 
vante dans  la  chanson  populaire,  qui  est,  on  ne  saurait  trop  le  redire, 
la  première  manifestation,  la  plus  ancienne,  la  plus  spontanée,  la 
plus  naturelle  —  la  plus  durable  par  conséquent—  du  génie  poétique 
de  notre  race. 

La  pièce,  dans  Robin  et  Marion,  n'est  autre  chose  en  effet  que  le 
développement  scénique  de  situations  emprunlées  à  certaines  chan- 
sons populaires,  dont  beaucoup,  sous  une  forme  rendue  peut-être  un 
peu  plus  littéraire  par  les  trouvères,  nous  ont  été  transmises,  sous  le 
nom  de  pastourelles,  par  un  grand  nombre  de  manuscrits  du  moyen 
âge,  et  qui,  aujourd'hui  même,  différentes  dans  la  forme  mais  iden- 
tiques par  les  éléments,  se  retrouvent  encore  fréquemment  dans  la 
tradition  populaire. 

Voici  un  résumé  de  l'action  principale. 

Dans  la  prairie,  la  bergère  Marion  garde  ses  moutons  en  chantant 
une  chanson  d'amour  en  l'honneur  de  son  berger  Robin.  Survient 
un  chevalier,  qui  fait  la  cour  à  la  bergère:  celle-ci  contrefait  la 
niaise  et  se  moque  de  lui. 

Le  chevalier  parti,  Robin  survient;  le  berger  et  la  bergère  mangent 
et  boivent,  chantent  des  chansons,  et  finalement  se  mettent  à  danser. 
Pour  que  la  fête  soit  plus  complète,  Robin  s'en  va  chercher  des 
bergers  et  bergères  de  leurs  amis. 

Ici  s'intercale  une  scène  qui  caractérise  bien  la  naïveté  primitive 
de  la  mise  en  scène  au  moyen  âge.  On  sait  qu'en  ce  temps-là  le 
théâtre  n'avait  qu'un  seul  décor,  dont  les  diverses  parties  représen- 
taient des  lieux  divers  et  très  éloignés  :  c'est  ainsi  qu'on  a  pu  recons- 
tituer le  décor  traditionnel  des  Mystères  de  la  Passion,  lequel  ne 
réunissait,  sur  les  mêmes  tréteaux,  rien  moins  que  le  Paradis,  la 
Terre  et  l'Enfer  (1).  Par  le  fait,  cet  usage  s'est  continué  jusqu'au 
XVII'  siècle,  et  le  Cid  lui-même  fut  représenté  conformément  à  cette 
convention. 

Donc,  Robin,  ayant  quitté  Marion,  se  met  à  courir,  fait  trois  pas, 
et  se  trouve  ainsi  de  l'autre  côté  de  la  plaine,  devant  la  maison  de 
ses  cousins  Baudouin  et  Gautier.  Il  leur  fait  son  invitation,  puis 
reprend  sa  course,  fait  de  nouveau  trois  pas,  et  se  trouve  alors  dans 
le  village  de  Péronnelle,  l'amie  de  Marion,  avec  qui  il  recommence 
le  même  jeu.  Cette  scène  étant  d'ailleurs  inutile  à  l'action,  et  d'assez 
nombreuses  expériences  ayant  montré  que  ces  conventions  primi- 
tives, si  curieuses  qu'elles  soient  par  leur  naïveté,  ne  sont  plus 
comprises  aujourd'hui  (où  l'on  tend  à  restreindre  le  plus  possible,  au 
théâtre,  le  domaine  de  la  convention),  on  a  pris  le  parti  de  la  sup- 
primer à  la  représentation. 

Nous  revenons  donc  à  la  prairie   de   Marion,  oii,   en   l'absence  de 

(1|  Une  maquette  de  ce  décor  est  exposée  dans  la  salle  de  lecture  de  la  B.- 
bliotlièque  de  l'Opéra. 


196 


LE  MENESTREL 


RobiD,  le  chevalier  a  reparu.  Il  devient  plus  pressant,  Marion  résiste 
plus  vivement  :  mais  voici  Robin  de  retour  :  le  chevalier  ne  craint 
pas  d'employer  la  Yiolence;  il  frappe  Robin  du  plat  de  son  épée  et 
enlève  Marion.  Celle-ci  se  débat  ;  elle  fi  nit  par  échapper  aux  poursuites  ; 
—  et  l'on  peut  dire  qu'à  ce  moment  la  pièce  est  finie.  Elle  poursuit 
cependant,  et  fort  longtemps  dans  l'original  :  les  bergers  réunis  se 
livrent  à  des  jeux  rustiques.  —  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui 
des  (1  jeux  innocents  »,  —  dînent  sur  l'herbe  et  chantent  des  chansons. 
Un  épisode,  qui  forme  coup  de  théâtre,  montre  une  des  brebis  de  Ma- 
rion enlevée  par  un  loup  :  Robin  se  précipite,  sauve  la  brebis  et  la 
rapporte  dens  ses  bras;  puis  on  continue  la  petite  fête,  qui  s'achève, 
comme  dans  toute  bonne  comédie,  par  le  mariage  de  tous  les  couples 
amoureux. 

(A  suivre.)  Julien  Tieiisot. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

AU    SALON    DES     CHAMPS-ELYSÉES 


(Huitième  et  dernier  article.) 

C'est  à  une  statue  symbolique  —  mais  du  symbolisme  le  plus 
acceptable,  le  moins  nuageux,  la  moins  «  littéraire  »,  — à  une  œuvre 
d'aspect  décoratif,  de  construction  puissante  et  de  technique  irré- 
prochable, que  les  sculpteurs  ont  décerné  cette  année  la  médaille 
d'honneur.  La  Pensée  de  M.  Gustave  Michel  est  assise  sur  un  trône  • 
les  attributs  de  tous  les  arts  l'entourent  sans  surcharger  la  compo- 
sition: une  palette,  une  harpe,  des  manuscrits.  Un  petit  génie  qui 
représente  sans  doute  la  Renommée,  mais  qui  aurait  le  droit  de 
figurer  pour  le  simple  ornement,  car  il  est  d'une  facture  charmante 
souffle  dans  une  conque,  aux  pieds  de  la  Pensée.  Elle  médite,  sinon 
lasse,  du  moins  consciente  de  l'effort  immense  qu'il  faudra  faire  pour 
renouveler  les  tons  de  la  palette,  demander  de  nouveaux  accents 
à  la  harpe,  faire  éclore  sur  ce  papier  blanc  du  noir  tout  neuf  des 
chefs-d'œuvre  inédits.  Et  yraitnent,  en  cette  pose  mélancolique 
elle  résume  la  grande  poussée  fin  de  siècle  pour  la  fortune  et  pour 
la  gloire,  la  poussée  féroce,  mais  sourde  et  muette,  du  million  de  con- 
currents pour  une  audition,  pour  un  diplôme,  pour  une  médaille 
l'écrasement  dans  une  impasse. 

Aussi  bien,  les  statuaires  qui  travaillent  à  ne  pas  parler  pour  ne 
rien  dire  et  demandent  au  marbre  et  au  bronze  d'exprimer  autre 
chose  que  la  beauté  animale,  sans  dessous  psychologiques,  sans 
reflet  d'âme,  sont  en  nombre  respectable  aux  Champs-Elysées.  Voyez 
le  haut-relief  de  M.  Gasq,  Héro  et  Léandre  :  du  Chapu,  mais  du  Chapu 
supérieur,  avec  plus  de  maîtrise  dans  la  composition  générale  et 
plus  de  virilité  dans  l'exécution.  Un  sentiment  tout  moderne  y  domine 
l'arrangement  classique,  et  c'est  bien  Léandre  et  c'est  bien  Héro. 
mais  c'est  surtout  une  fin  «  d'Idylle  tragique  »,  et  sans  le  vouloir 
M.  Gasq  commente  Paul  Bourget.  Voyez  aussi  l'Effroi  de  M.  Hercule 
qui,  au  double  point  de  vue  de  la  plastique  et  de  l'intensité  d'effet 
obtenue  par  les  moyens  les  plus  sobres,  est  une  des  œuvres  hors  de 
pair  exposées  au  Palais  de  l'Industrie.  Celte  figure  de  femme  n'a  pas 
seulement  une  grâce  exquise  :  elle  résume,  elle  formule  d'une  façon 
que  j'appellerais  définitive,  si  l'art  n'était  un  perpétuel  recommen- 
cement, toute  la  psychologie  de  la  pudeur  délayée  en  tant  et  de  si 
compacts  volumes  par  nos  plus  subtils  romanciers. 

M.  Roger-Bloehe  a  obtenu  la  bourse  de  voyage  pour  son  groupe  : 
Dans  le.';  images,  d'une  inspiration  délicate  et  d'une  sutlisante  exécu- 
tion, non  sans  quelques  défaillances.  C'est  un  peu  Paolo  et  Francesca 
emportés  dans  le  tourbillon;  c'est  aussi  un  émouvant  symbole  de  la 
ferveur  passionnelle.  Et  voici  tout  un  groupe  d'artistes  qui  se  sont 
efforcés  avec  plus  ou  moins  de  bonheur  de  donner  une  forme  maté- 
rielle aux  pures  abstractions.  M.  Mathurin  Moreau  avec  son  projet  de 
groupe  déaoralit  :  les  Harmonies  ;  M.  M.iqaei  avec  sa  jeune  fille  aux 
yeux  songeurs,  qu'inspire  une  Méditation  ou  une  Muse  :  Vers  l'idéal  ■ 
M.  Hippolyte  Lefebvre  avec  son  haut  relief  de  la  Douleur;  M.  Barn- 
liorn  avec  sa  Madone  au  lis  qui  serait  plutôt  une  statue  de  la  Pureté- 
M.  Blanohot  avec  un  Regret  assez  délicatement  formulé;  M.  Doroiay 
avec  une  Désespérance  très  présentable  ;  M.  Caplier  avec  une  autre 
Désesijérance  —  quel  statuaire,  moins  imbu  de  lectures  romantiques, 
nous  rendra  de  simples  Désespoirs,  des  Désespoirs  au  masculin,  ce 
qui  n'empêcherait  pas  de  les  représenter  par  des  femmes?—  traduc- 
tion de  ces  deux  vers  de  Baudelaire  : 

Quant  à  moi,  j'ai  les  bras  rompus 
Pour  avoir  étreint  des  nuées... 


A  côté  de  ces  symbolistes  convaincus,  de  hautes  visées  et  souvent 
d'exécution  puissante,  il  convient  de  placer,  comme  repoussoir  et 
aussi  comme  amusette  de  passage,  les  bons  petits  allégorisles,  bien 
naïfs,  qui  ne  regardent  pas  si  loin  et  s'en,  tiennent  aux  figurations 
littérales.  Voici  par  exemple  M.  Guillaume  Boldi,  un  élève  de  l'École 
des  beaux-arts  deFlorence.  Il  voulait  représenter/'.lmoîfr  lyi/;' eHc/i«î;ie 
le  monde  :  il  a  fait  un  Cupidon  grassouillet,  bien  en  chair  et  bien  en 
forme,  il  Va  assis  sur  une  vraie  mappemonde  oîi  les  continents  sont 
dessinés  bien  en  relief;  et  il  a  entouré  ce  globe,  qu'on  pourrait 
utiliser  dans  les  écoles  primaires,  d'une  vraie  chaîne  de  pur  laiton. 
Vous  pouvez  toucher.  Moins  gauche,  mais  aussi  simpliste.  M""'  Moria 
a  modelé  un  baby  atteint  du  carreau  et  l'a  accroupi  sur  le  sol  dans  la 
pose  classique  du  sphynx.  Ce  baby,  c'est  V Avenir.  Moi,  je  veux  bien. 
Ce  serait  le  présent,  et  un  présent  trop  dodu,  je  n'y  contredirais  pas 
davantage. 

M.  Pézieux  ne  saurait  être  confondu  avec  ces  pseudo-primitifs. 
Sa  statue  de  plâtre.  Songe  d'avenir,  est  une  belle  œuvre,  d'aspect  un 
peu  fruste,  mais  qui  prendra  au  marbre  la  précision  nécessaire,  et 
qui  apporte  aux  Champs-Elysées  comme  un  reflet  du  Champ-de- 
Mars.  La  Tempête  de  M.  Larche  est  encore  un  effort  puissant,  dans  un 
tout  autre  ordre  d'idées  et  d'exécution.  Mais  comment  voir  autre 
chose  que  des  prétextes  à  modelés  gracieux  ou  suggestifs  dans  la 
Fleur  de  sommeil  de  M.  Devaux,  qui  rappelle  le  mouvement  de  la 
femme  au  masque  des  Tuileries,  la  Itêverie  de  M.  Alliot,  femme  nue 
jouant  de  la  mandoline,  VÊlégie  de  M.  Marioton,  autre  femme  nue 
jouant  du  luth? 

Encore  une  Mélodie,  marbre  de  M.  Hexamer,  et  un  Chant  de  la  vague, 
élain  de  M.  Obiols,  et  l'Écho  très  vivant  de  M.  Plé,  et  un  antre  Écho, 
mourant  ou  plutôt  mourante,  car  M"'=  Cranney-Franceschi  en  a  fait 
une  nymphe.  Une  Romance  d'avril  de  M.  Salières,  femme  nue  jouant 
de  la  mandoline;  la  Goutte  d' eau  de  M.  Sentis  de  Villemur  s'appré- 
tant  à  creuser  le  rocher  qu'elle  domine  et  semble  hypnotiser  : 

...  Le  rocher 
Vous  regarde.  Hélas!  pendant  qu'il  s-onge, 
Il  sent  la  goutte  d'eau  sinistre  qui  le  ronge. 

Et  en  effet,  ce  rocher,  d'ailleurs  modelé  avec  une  certaine  puissance, 
n'a  pas  l'air  content.  Une  tempête  sur  un  crâne, 

La  Méditation  de  M"'"  Syamour,  femme  assise,  en  costume  Restaura- 
tion, le  Vice  et  la  Vertu  de  M.  Octobre,  la  Vérité  de  M.  Ruftîer,  le  haut- 
relief  te  Comédie  de  M.  Pesné,  l'Etoile  filante  de  M.  Charpentier,  l' Etoile 
du  matin  de  M.  Perron,  la  Rosée  de  M.  de  Seuné  mériteraient  mieux 
qu'une  mention.  Et  nous  avons  encore,  avec  l'Amour  endormi  de 
M""=  Tarnioli,  le  Frisson  d'amour  de  M.  Arnault,  —  que  de  titres  de 
romance! 

Une  station,  sans  but  mais  si  reposante!  devant  quelques  bonnes 
petites  bê-hêteries  suavement  candides,  i^rassurez-vous  :  je  laisse- 
rai aux  auteurs  le  bénéfice  de  l'anonymat)  :  un  enfanta  la  bulle  de  savon 
avec  bulle  en  bois,  un  enfant  au  crabe,  un  oiseau  d'Yvonne,  qui  est 
une  petite  colombe  à  moins  que  ce  ne  soit  un  gros  moineau,  avec 
une  libellule  qui  a  dans  le  dos,  cruellement  plantées  (oh!  combien 
cruellement!)  des  ailes  en  forme  de  couteau  à  papier.  J'en  passe,  et 
qui  pourtant  m'ont  fait  du  bien  en  me  prouvant  qu'il  y  a  encore  de 
belles  âmes  et  de  l'art  ingénu,  M.  Gaillard,  plus  savant,  expose 
l'inévitable  Cigale,  et  M.  Fontaine,  plus  compliqué,  la  traditionnelle 
Charmeuse  de  panthère.  De  M.  Jouvray  une  «  Source  rêveuse  »  qui 
aurait  aussi  manqué  à  l'appel,  et  de  M.  Van  der  Straeten  un  Amour 
maternel,  bon  sujet,  sujet  do  rapport  ayant  toujours  du  pain  sur 
Delaplanche. 

La  théorie  des  statues  mythologiques  s'avance  majestueusement,  en 
ordre  d'ailleurs  dispersé.  «  Hypnos,  le  jeune  dieu  du  sommeil  »,  buste 
en  bronze  de  miss  Kate  ïizard,  préside  assez  malicieusement  à  ce 
défilé.  Pourtant,  la  Bacchante  entraînant  le  cortège  de  Bacchus  de 
M.  Raoul  de  Gontaut-Biron,  le  Cupidon  de  M.  Canfield  se  débat- 
tant dans  un  filet,  l'autre  Bacchante  de  M"»  liasse,  la  Sirène  de 
M.  Mangin,  la  fla^j/fwt' changée  en  laurier  de  M.  Dercheu,  le  Dieu  Pan  de 
M.  Riflard  «  poursuivant  Syrinx  jusqu'au  fleuve  Ladon,  »  — à  nous 
Ovide  et  Demoustiers  !  —  la  petite  Diane  de  M.  Sanson,  la  Diane 
triom'.phante  de  M.  Seysses,  n'ont  rien  de  somnolent.  Et  la  Vénus  au 
myrte  de  M.  Basiei  est  si  bien  réveillée  qu'elle  ouvre  les  bras  pour 
embrasser  l'univers.  Quant  à  la  seconde  Vénus,  celle  de  M.  Marc- 
Monniès,  faisant  des  grâces  près  d'un  Adonis  qui  a  l'air  d'un  étu- 
diant d'Oxford  en  tenue  de  pleine  eau,  cette  erreur  naturaliste  serait 
mieux  à  sa  place  aux  Folies-Bergère  que  dans  la  nef  des  Champs- 
Elysées. 

Une  Flore,  de  M.  Mathet,  an  Prométhée  de  M.  Wheatley,  enfin  une 


LE  MÉNESTREL 


197 


délicate  composition  de  M.  Godet  :  le  Ravissement  de  Psyché,  groupe 
en  bronze  d'après  le  tableau  de  M.  Bouguereau.  Puis  des  sujets  clas- 
siques :  le  Gladiateur  de  M.  Breton,  tournant  son  pouce  vers  le  sol 
pour  implorer  la  pilié  des  spectateurs  ;  la  Mort  d'Hector  de  M.  Char- 
ron, l'Éducation  de  Vei-cingétorix  de  M.  Baujault.  où  l'étrangelé,  pour 
ne  pas  dire  la  cocasserie,  de  la  composition,  annihile  les  plus  sé- 
rieuses qualités.  La  statuaire  biblique  a  trouvé  un  remarquable  in- 
terprète on  M.  Mengue,  doat  le  Caïn  fayaut  le  coin  de  terre  que  vient 
d'ensanglanter  le  premier  meurtre,  ne  manque  ni  de  vigueur  ni  d'ac- 
cent personnel.  Le  Job,  à  barbe  pendante,  à  expression  gâteuse,  de 
M.  Desriielles,  n'est  qu'un  vieux  conseiller  municipal  peu  ragoûtant, 
mais  VÈve  de  M.  de  Mauneville,  la  Sulamite,  de  M.  Pépiu,  qui  fait 
une  rentrée  intéressante  au  Salon,  le  Harpiste  de  M.  Reinitzer  (en 
réalité  un  David  devant  Saiil),  même  le  Samson  outrancier  de  M.  Ca- 
ravanniez,  ne  sont  pas  des  efTorls  négligeables.  A  signaler  encore 
une  gracieuse  Salomé  de  M.  Ferrary,  en  marbre  et  bronze,  et  une 
Judith  de  M.  Moreau. 

Deux  œuvres  dédiées  aux  touristes  du  mont  Saint-Michel  :  le  Saint 
Michel  de  M.  Frémiet,  d'heureuse  silhouette  et  d'aspect  monumental, 
qui  satisfera  leurs  sentiments  cultuels,  et  l'Enlisé  de  M.  Fouberl, 
qui  leur  inspirera  une  crainte  salutaire  des  sables  mouvants.  Des 
Jeanne  d'Arc  de  tout  style,  de  tout  arrangement  et  de  tout  format  :  la 
Jeanne  à  Vaucouleurs  de  M.  Albert  Lefeuvre,  serrant  sur  son  cœur  le 
glaive  de  la  délivrance  ;  la  Jeanne  à  genoux  de  M.  Bogino,  eu  extase 
au  milieu  des  champs;  la  Jeanne  de  M""  Jozon,  enfant  et  les  mains 
jointes  ;  celle  de  M.  Jacquot  disant  adieu  à  Domrémy,  et  celle  de 
M.  Lafont,  brandissant  son  oritlamnie  au  seuil  de  la  cathédrale  de 
Reims  ;  «  Il  avait  été  à  la  peine,  c'était  bien  raison  qu'il  fût  à  l'hon- 
neur. »  Jusqu'à  des  Jeanne  d'Arc  en  médailles,  de  M.  Michel  Yam- 
piilsky,  deM.  Yeneesse,  etc.  Pour  faire  logiquement  suite  à  cette  série 
patriotique,  le  beau  groupe  de  M.  Anlonin  Mercié  (monument  com- 
mémoratif  de  la  défense  de  Châteaudun),  la  maquette  de  M.  Gauthier 
(monument  de  Louhans),  l'Ame  de  la  Patrie  «  soutenant  le  courage 
des  guerriers  et  leur  donnant  le  courage  »,  de  M.  Kley,  et  tous  les 
soldats  blessés  (Maillard,  Autoine,  Carillon),  qui  portent  les  titres  va- 
riés de  Défense  du  sol.  Victime  du  devoir,  etc. 

Le  «  genre  »  est  abondamment  représenté  au  Palais  de  l'Industrie, 
et  cette  fois  c'est  un  maître  qui  ouvre  la  marche  :  M.  Falguière  en 
personne  naturelle  et  académique.  On  a  tant  parlé  de  sa  Danseuse 
avant  et  pendant  le  Salon,  qu'il  ne  reste  pas  grand'chose  à  en  dire. 
Aussi  bien,  s'il  convient  de  faire  quelques  réserves  sur  le  caractère 
général  de  l'œuvre,  ne  saurait-on  contester  l'exactitude  du  portrait  ou 
la  grâce  suggestive  de  l'étude  réaliste.  M"'  Cleo  de  Mérole  n'est-elle 
pas  prise  sur  le  vif  avec  ses  cheveux  ondulés  cachant  l'oreille,  sa 
coiffure  si  caractéristique  empruntée  à  la  Simonetta  de  Botticelli? 
N'y  a-t-il  pas  des  accents  exquis,  de  vraies  caresses  de  ciseau  dans 
le  torse  juvénile,  un  modelé  de  grande  statuaire  dans  les  jambes  sou- 
ples et  nerveuses?  —  Autres  danseuses  :  un  plâtre  de  M.  Miseiey,  un 
marbre  de  M.  Pendariès,  un  bronze  de  M.  Fossé.  L' Estudiantina  de 
M.  Thubert,  la  Dugason  de  M.  Deloye,  les  Adieu.i-  de  ('léopàtre  et  la 
Harpiste  égyptienne  de  M.  Loiseau-Rousseau,  l'Enfant  jouant  de  la  flûte, 
assis  sur  une  stèle,  de  M.  Lecoq  la  Mignon  de  M.  Villanis,  l'Héloïse 
au  Paraclet  de  M.  Allouard,  l'Ours  et  l'amateur  de  jardins  de  M.  Paris, 
sont  encore  d'agréables  fantaisies.  Et  je  me  reprocheiais  de  ne  pas 
consacrer  une  mention  spéciale  à  M.  Monthières,  le  courageux  mo- 
derniste, l'auteur  d'Alto.'  allô!  qui  a  essayé  de  résumer  dans  une  sim- 
ple figure  en  plâtre  les  efforts  quotidiens  des  milliers  d'abonnés  du 
téléphone  pour  réveiller  l'attention  languissante  de  ces  demoiselles 
du  bureau  central. 

Deux  Napoléons —  c'est  le  minimum  —  une  statuette  très  gratinée, 
de  M.  Peirilli,  et  une  figure  équestre  de  M.  Masson.  Dans  la  caté- 
gorie des  figures  historiques,  un  Beaumanoir  de  M.  Potet,  pour  le 
Panlhéon  breton,  un  Fontenelle  de  M.  Pilel,  pour  l'Opéra,  un  Shakes- 
peare de  M.  Marc-Monniès,  pour  la  bibliothèque  Nallé,  de  Washing- 
ton, un  Rembrandt  de  M.  Lami,  pour  nulle  part.  Deux  Félix  Faure, 
un  bronze  officiel  de  M.  Lanson,  et  un  autre  bronze  à  cire  perdue,  de 
M.  Hercule,  d'une  remarquable  finesse.  Près  de  l'amiral  Resnard,  de 
M.  Durand,  catalogué  «  ancien  ministre  de  la  marine  »,  et  qui  l'est 
redevenu  depuisl'ouverture  duSalon,  le  Casimir-Périer,  deM. Boucher, 
ex-président  de  la  République,  et  qui  ne  parait  pas  très  soucieux  de 
le  redevenir. 

Revenons  aux  morts  illustres,  avec  le  beau  buste  d'Ambroise  Thomas, 
de  M.  Bernslamn,  celui  de  M.  Lafont,  pour  l'Institut,  et  une  autre 
étude,  plus  contestable,  d'après  le  maître  regretté,  un  bas-relief  en 
bois  de  M.  Auguste  Delapoite.  h' Hector  Berlioz  de  M.  Feinberg, 
commandé  par  l'Etat,  est  conforme  au  modèle  classique,  je  veux  dire 
romantique.  Le  projet  de  monur.ient  à  Chopin,  de  M.  Damé,  repré- 


sente le  grand  virtuose  assis  au  piano;  la  muse  est  debout  derrière 
lui;  des  visions  flottent  en  spirales  indécises.  Trop  ressenties,  au 
contraire,  les  figures  de  M.  Cordonnier  pour  le  monutLent  deNadaud. 
Elles  écrasent  cette  aimable  gloire  de  chansonnier.  M""'  Marceline 
Desbordes-Vahnore,  dontles  lointaines  amours  ou  plutôt  les  poétiques 
faiblesses  ont  suscité  récemment  de  vives  polémiques,  revit  dans  le 
bronze  aux  tons  argentés  de  M.  Henri  Houssin,  pour  le  monument  à 
ériger  à  Douai.  Le  Paul  Baudry  de  M.  Gerôme  ira  à  la  Roche-sur-Yoo  ; 
la  M'^"  Favart  de  M.  Férigoule  pourrait  trouver  place  dans  l'Opéra- 
Comique  rebâti,  et  voici,  avec  un  Chapu  deM.  Patey,  un  Chaplin,  pas 
assez  fruste,  dominant  une  composition  symbolique  de  M.  Puech. 
Quant  aux  vivants,  à  peine  me  reste-t-il  assez  de  place  pour  les 
nommer  ;  Henri  de  Bornier  (Julien);  Sully  Prudhontme  (Marochetti); 
Jules  Lemaitre  (Rouosse);  Barrias  (Baralis)  ;  Ernest  Daudet  (Dubois); 
iMuis  Gallet  (Graf);  puis  M.  Clément,  de  l'Opéra-Comique  (LabatuI)  ; 
"^^^^  Bourgeois,  de  l'Opéra  (Bastet);  M.  Sadi-Pelit,  de  l'Odéon  (Richoux)  ; 
M.  Duard,  du  même  théâtre  (Deschamps);  M.  André  Gaillaird  (Sentis 
de  Villemur);M'"°  -limcePcZ/y(PaulBacquet).. .  Ily  a  même  un  portrait 
de  Ménélik,d'un  sculpteur  portugais  qu'onn'accusera  pasde  négliger 
l'actualité,  M.  de  Queiroz-Ribeiro,  et  je  ne  saurais  trop  recommander 
à  nos  divers  Damoye  d'aller  l'étudier  sur  place  pour  bien  se  pénétrer 
de  la  couleur  locale.  Il  approche,  le  drame  sur  Ménélik,  le  mélo 
boulevardier  à  gros  orchestre  et  à  grand  spectacle;  il  plane;  il  est 
dans  l'air! 

Camille  Le  Senne. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Londres  (18  juin).  Opéra  de  Govent-Garden  : 
l'opéra  des  Maîtres  chanteurs  est  avant  tout  une  pièce  symbolique,  une  pièce 
à  thèses  philosophiques.  Les  personnages  y  discutent  à  qui  mieux  mieux 
les  idées  chères  à  Wagner,  ses  revendications  d'artiste  indépendant,  son 
idéal  particulier.  Tout  cela  est  présenté  d'une  façon  fort  intéressante  et 
parfois  spirituelle;  c'est  parsemé  d'épisodes  pittoresques  et  de  jolis  détails 
scéniques,  mais  comme  livret  d'opéra,  c'est  tout  simplement  navrant.  La 
plus  grande  partie  du  texte  est  écrit  dans  un  style  bourgeois  et  frondeur 
pour  lequel    l'enveloppe   musicale  est   plutôt    une  gène,   une  contrainte. 

Dussè-je  être  foudroyé  sur  l'heure  par  le  feu  céleste  de  Bayreuth,  je  pré- 
tends que  dans  les  Maîtres  chanteurs,  Wagner  pamphlétaire  s'est  affirmé  au 
détriment  de  Wagner  musicien.  Il  semble  que  Wagner  ait  senti  lui- 
même,  mais  inconsciemment,  le  peu  de  musicalité  de  son  livret,  car  il  y 
a  entassé  incidents  sur  incidents  pouvant  prêter  à  des  développements 
musicaux.  C'est  dans  ces  occasions-là  d'ailleurs  que  son  génie  brille  du 
plus  bel  éclat,  malgré  les  formes  conventionnelles  auxquelles  il  revient 
alors  et  malgré  le  manque  d'intérêt  dramatique.  Dans  cet  ordre  d'idées, 
je  citerai  les  chants  de  concours  de  Waiher,  qui  ont  de  la  grâce  et  de  la 
fraîcheur,  la  sérénade  humoristique  de  Beckmesser,  le  finale  du  2=  acte, 
l'admirable  quintette  qui  termine  la  scène  de  l'atelier  de  Hans  Sachs  et 
tout  le  dernier  tableau,  dont  le  caractère  est  purement  décoratif  et  dont  les 
wagnériens  ne  toléreraient  la  tendance  chez  nul  autre...  que  AVagner.  — 
M.  Jean  de  Reszké  est  absolument  parfait  dans  le  rôle  de  Walther  ;  sa 
voix,  sa  prestance,  son  style  le  servent  merveilleusement  dans  la  réalisa- 
tion du  personnage.  J'en  dirai  autant  des  qualités  déployées  par  son  frère 
Edouard  dans  le  rôle  de  Hans  Sachs  et  par  M.  Plançnn  dans  celui  de  Po- 
gner.  Voilà  un  trio  d'artistes  absolument  incomparables.  M.  Bispham  est 
bien  exagéré  dans  le  rôle  de  Beckmesser;  trop  de  zèle,  pas  assez  de  pon- 
dération! M"'  Eames  donne  tout  le  relief  qu'elle  peut  à  son  rôle  de  pcupée 
de  Nuremberg,  et  MM.  Gilibert,  Piroïa  et  Bonnard  sont  des  plus  satisfai- 
sants dans  les  rôles  secondaires.  —  L'interprétation  du  Tannhduser  a  été 
très  remarquable  de  la  part  de  MM.  Alvarez,  Plançon  (Hermann)  et 
M""=  Adini  (Vénus).  Ces  trois  artistes  ont  sauvé  l'honneur  d'une  représen- 
tation auirement  bien  pénible!  Le  premier  tableau  a  été  un  régal  sans 
pareil.  M""»  Adini  et  M.  Alvarez  se  sont  surpassés  dans  leur  duo  fameux. 
Le  rôle  d'Elisabeth  était  tenu  par  M°"'Lola  Beeth,  qui  y  manque  un  peu 
d'acquis  et  de  force.  Léon  Schlesixger. 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (18  juin). —  Les  concours  publics 
du  Conservatoire  de  Bruxelles  ont  commencé  cette  semaine.  Ils  ont  été 
inaugurés  par  le  petit  concert  tradilionnel,  où  se  font  entendre  tous  les 
ans  les  excellentes  classes  d'ensemble  vocal  et  instrumental  de  MM.  Sou- 
bre  et  .fourez,  Golyns  et  Agniez.  M.  Gevaert  a  l'intelligence  de  donner  tou- 
jours à  ces  séances  non  seulement  un  intérêt  pédagogique  d'exécution  cor- 
recte et  soignée,  mais  aussi  un  intérêt  artistique  par  la  composition  des 
programmes.  Il  s'y  trouve  chaque  fois  quelque  œuvre  peu  connue  et  cu- 
rieuse, et  souvent  aussi  des  œuvres  nouvelles.  Cette  année,  notammeni, 
les  classes  d'ensemble  vocal  nous  ont  fait  entendre  d'anciennes  chansons 
françaises  du  XVII"  et  du  XVIIP  siècles,    arrangées    et   harmonisées    par 


198 


LE  MÉNESTREL 


M.  Gevaert  avec  la  science  qu'il  apporte  à  ces  travaux,  très  affectionnés 
par  lui,  et  parmi  lesquelles  il  y  en  a  de  tout  à  fait  délicieuses.  Le  succès 
de  ces  exquises  œuvrettes  a  été  partagé,  voire  surpassé,  par  un  autre  mor- 
ceau de  la  composition  même  de  M.  Gevaert,  un  Stabal  à  quatre  voix, 
sans  accompagnement,  écrit  dans  un  sentiment  religieux  d'une  profondeur 
et  d'une  intensité  admirables.  A  entendre  cette  chose  si  remarquable,  il  n'est 
personne  qui  n'ait  éprouvé  l'espoir  de  voir  l'éminent  directeur  du  Conserva- 
toire produire  une  œuvre  de  plus  grande  importance,  dans  laquelle  il  mettrait 
entièrement,  outre  l'inspiration  qui  lui  dicta  autrefois  tant  de  partitions 
charmantes,  la  science  et  l'expérience  qu'il  a  acquises  depuis,  au  milieu  de 
ses  longues  et  laborieuses  études.  Malheureusement,  il  n'y  faut  pas  compter. 
Ces  jours  derniers,  M.  Gevaert  nous  faisait  part  à  ce  sujet  d'idées  nette- 
ment résolues  et  assurément  respectables.  Consacrant  .tout  son  temps, 
toute  son  énergie,  à  diriger  l'établissement  qu'il  a  placé  à  un  si  haut  rang, 
il  lui  est  devenu  impossible  d'abstraire  sa  pensée  ailleurs,  comme  l'exige 
l'absorbant  travail  do  la  composition.  Les  travaux  scientifiques  permettent, 
eux,  quelque  répit,  peuvent  être  interrompus  et  repris  sans  inconvénient. 
Aussi  sont-ce  les  seuls  auxquels  M.  Gevaert  puisse  s'adonner  (et  il  l'a  vic- 
torieusement prouvé  !)  concurremment  avec  les  soins  de  sa  direction  et  de 
son  administration  ;  —  mais  la  composition,  à  part  de  courtes  œuvres 
comme  celles  dont  je  parlais  plus  haut,  et  où  il  semble  vouloir  mettre 
pour  ainsi  dire,  toute  son  âme  et  tout  son  savoir  quintessencié  et  con- 
densé il  a  dû  y  renoncer  définitivement.  Il  y  a  quelque  dix  ans,  un  livret 
d'opéra  le  tenta  ;  c'était  la  Fille  de  Jephté,  de  M.  Blau...  Il  dut  bientôt 
l'abandonner  !  C'a  été  sa  dernière  et  suprême  tentative.  Aujourd'hui,  le 
sacrifice  est  fait  et,  si  regrettable  qu'il  soit,  il  faut  nous  y  résoudre. 

L.  S. 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne  est  entré  en  vacances  et  restera  fermé 
jusqu'au  Ib  avril.  Pendant  ce  temps  on  va  décorer  la  salle  à  neuf  et  res- 
taurer les  peintures  du  plafond^  qui  ont  beaucoup  souffert  par  le  gaz.  On 
annonce,  parmi  les  œuvres  nouvelles  que  l'Opéra  produira  pendant  la 
saison  prochaine,  le  Chevalier  d'Harmenlhal  de  Messager,  Chatterton  de 
Leoncavallo  et  la  Fiancée  vendue  i 


—  Liste  d'œuvres  françaises  jouées  sur  les  théâtres  lyriques  d'outre-Bhin 
pendant  ces  dernières  semaines.  A  Vienne  :  Mignon,  Coppelia,  la  Juive,  Faust, 
Guillaume  Tell,  l'Africaine,  Sylvia,  la  Fille  du  Régiment:  à  Berlin  :  Robert  le 
Diable,  Mignon,  Carmen,  les  Huguenots,  Faust,  le  Postillon  de  Lonjumeau,  la  Fille 
du  Régiment  ;  à  Dresde  :  Carmen,  Mignon,  la  Fille  du  Régiment,  les  Dragons  de 
Villars;  à  Stuttgart  :  l'Africaine,  la  Muette  de  Portici,  la  Fille  du  Régiment, 
le  Mariage  aux  lanternes,  Joseph,  le  Postillon  de  Lonjumeau;  à  Carlsbuhe  :  la 
Poupée  de  Nuremberg,  le  Maçon,  les  Huguenots,  Djamileh,  les  Deux  Savoyards, 
Faust;  à  Hambourg  :  [Africaine,  Werther,  la  Fille  du  Régiment;  à  Hanovre  : 
l'Africaine;  à  "VViesbaden  :  Guillaume  Tell,  les  Huguenots,  le  Prophète,  la  Part 
du  Diable;  à  Cologne  :  Faust,  la  Fille  du  Uégimetit;  à  Breslau  :  Faust,  Joseph, 
les  Huguenots,  Mignon,  Carmen. 

—  L'Opéra  de  Berlin  a  reçu  un  nouvel  opéra  en  un  acte  :  l'Enchantement 
des  runes,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  Emile  Hartmann. 

—  L'Opéra-Royal  de  Budapest  a  décidé  d'offrir  aux  visiteurs  de  l'Exposi- 
tion du  millénaire  deux  cycles  wagnériens  assez  complets  en  juillet  et  en 
août.  On  jouera  chaque  fois  l'œuvre  entier  de  Richard  Wagner,  en  dehors 
des  Fées,  de  Tristan  et  Yseult  et  de  Parsifal,  qui  ne  font  pas  partie  du  réper- 
toire de  l'Opéra  de  Budapest. 

— Le  même  théâtre  jouera,  au  commencement  de  la  saison  pro- 
chaine, un  opéra  inédit  en  un  acte,  intitulé  Mathias  Corvinus,  paroles  de 
M.  Charles  Gros,  musique  de  M.  Charles  Frozler. 

—  Les  étudiants  de  Budapest  ont  donné,  dans  la  vaste  galerie  des  fêtes 
de  l'Exposition  de  la  capitale  hongroise,  un  concert  monstre  pour  lequel 
ils  avaient  formé  un  chœur  qui  ne  réunissait  pas  moins  de  1.400  voix. 
L'ensemble  de  ces  voix  jeunes,  fraîches  et  sonores  a  produit  un  effet 
superbe. 

—  On  annonce  que  M.  Siegfried  VVagner,  le  fils  du  maître,  fera  fonc- 
tions de  chef  d'orchestre  lors  des  représentations  qui  vont  avoir  lieu  à 
Bayreuth.  Les  autres  chefs  d'orchestre  seront  MM.  Hans  Richter,  de 
Vienne,  et  Félix  Mottl,  de  Carlsruhe. 

—  Nous  avons  mentionné  il  y  a  quelque  temps  l'Odyssée,  œuvre  en 
quatre  soirées,  que  M.  Bungert  a  écrite  et  mise  en  musique.  L'Opéra  de 
Dresde  va  en  jouer  la  troisième  partie,  intitulée  le  Retour  d'Ulysse.  Ce  succès 
a  encouragé  M.  Bungert  à  terminer  une  Uiade  en  deux  soirées  qui  sont 
intitulées  :  Achille  et  Clytemnestre.  Voilà  deux  ouvrages  qui  promettent  de 
n'être  pas  d'une  gaîté  folle. 

—  Un  nouvel  opéra  intitulé  le  Corregidor,  tiré  de  la  célèbre  nouvelle 
d'Alarcon,  le  Tricorne,  vient  d'être  joué  avec  succès  au  théâtre  de  Mann- 
heim.  La  musique  eu  est  due  à  un  compositeur  viennois,  M.  H.  Wolf, 
qui  s'est  fait  connaître  par  beaucoup  de  mélodies. 

—  La  veille  de  la  Pentecôte  a  eu  lieu  à  Dusseldorf  une  grande  fcte 
musicale  dans  laquelle  on  a  exécuté  un  poème  symphonique  intitulé  Don 
Juan,  dont  le  jeune  compositeur  Richard  Strauss  a  écrit  la  musique  sur 
des  vers  de  M.  Nicolas  Lindau.  Le  programme  de  cette  fête  était  com- 


plété par  la  jolie  légende  de  Schumann  le  Paradis  et  la  Péri,  et  par  le  con- 
certo de  piano  en  la  majeur  de  Liszt,  fort  bien  exécuté  par  M.  Eerruccio 
Busoni. 

—  Dans  l'église  de  la  petite  ville  d'Arnstadt,  en  Thuringe,  se  trouve 
encore  l'orgue  qui  servit  à  Jean-Sébastien  Bach  dans  les  premières  années 
du  dix-huitième  siècle,  c'est-à-dire  de  1704  à  1707.  Cet  instrument  compte, 
dit-on,  parmi  les  plus  beaux  de  l'Allemagne,  qui  en  possède  tant  de  remar- 
quables, et  les  souvenirs  qui  s'y  rattachent  le  rendent  particulièrement 
intéressant.  Malheureusement  il  a  élé  restauré  pour  la  première  fois  il  y  a 
une  vingtaine  d'années,  et  d'une  façon  si  fâcheuse  et  maladroite  qu'une 
réfection  complète  est  devenue  aujourd'hui  indispensable.  Un  comité  s'est 
alors  formé  à  Arnstadt,  dant  le  but  de  réunir  les  fonds  nécessaires  à  ce 
travail  important.  On  assure  aussi  que  cette  ville  prépare  en  l'honneur  de 
Bach  de  grandes  fêtes  qui  ne  manqueront  pas  d'attirer  des  diverses  parties 
de  l'Allemagne  les  dévots  du  grand  homme,  et  que  Je  produit  de  ces  fêtes 
sera  consacré  aux  frais  de  reconstruction  de  l'orgue  dont  la  gloire  du 
maître  a  fait  un  instrument  historique. 

—  Nous  avons  dit  qu'au  spectacle  de  gala,  qui  a  été  donné  au  théâtre 
impérial  de  Moscou  à  l'occasion  des  fêtes  du  couronnement  du  czar,  on 
devait  représenter  avec  un  grand  luxe  de  mise  en  scène,  un  grand  ballet 
nouveau  intitulé  la  Perle.  Ce  ballet  a  obtenu  un  vif  succès.  La  musique  en 
a  été  écrite  par  M.  Riccardo  Drigo,  un  compositeur  italien  depuis  long- 
temps établi  en  Russie. 

—  Le  directeur  du  Conservatoire  de  Kief,  M.  Prichalski,  vient  de  don- 
ner un  opéra  en  deux  actes,  Valérie,  dont  le  sujet  est  pris  de  Tourguenief. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  le  municipe  de  Terra- 
nuova  possède  quatre  lettres  autographes  de  Bellini  qui,  après  avoir  passé 
par  plusieurs  mains,  lui  ont  été  données.  Le  municipe  de  Catane,  ville 
natale  de  l'auteur  de  Xorma,  serait  désireux  de  les  posséder,  et  celui  de 
Terranuova  ne  serait  pas  éloigné  d'accéder  à  son  désir.  A  ce  sujet,  un 
rédacteur  du  journal  Roma,  M.  Maugeri  Zangara,  publie  dans  ce  journal 
un  article  par  lequel  il  fait  connaître  qu'outre  ces  lettres,  vues  et  publiées 
par  lui,  il  se  trouve  à  Terranuova  divers  objets  intéressants  rappelant  le 
souvenir  de  Bellini.  Il  cite  entre  autres  un  petit  médaillon  en  plâtre  repro- 
duisant le  portrait  de  Bellini,  donné  par  Bellini  lui-même  au  duc  de 
Garcaci,  amateur  éclairé  de  lettres  et  de  sciences  ;  puis  un  porte-cartes 
avec  initiales  et  autres  ornements  en  or,  qui  avait  été  off'ert  à  Paris  au 
compositeur  par  une  princesse;  enfin  l'autographe  d'une  romance  restée 
inachevée,  mais  particulièrement  intéressante  en  ce  sens  que  le  motif  de 
cette  romance  est  devenu  l'un  des  morceaux  de  Norma. 

—  M"<^  Marie  Weingaertner  vient  de  donner  à  Londres  un  récital  qui 
lui  a  valu  beaucoup  de  succès.  Parmi  les  auteurs  les  plus  applaudis  : 
Bach,  Beethoven,  Chopin,  Rubinstein,  Godard  et  Pugno  avec  son  déli- 
cieux Air  à  danser. 

—  Le  théâtre  Esbekieh,  au  Caire,  vient  de  jouer  avec  succès  un  nouvel 
opéra  intitulé  Fedor,  musique  de  M.  Enrico  Curti. 

—  Qne  correspondance  de  Chicago  nous  fait  connaître  quelques  détails 
intéressants  sur  le  Chicago-Orchestre  dirigé  par  le  fameux  chef  d'orchestre 
américain  Théodore  Thomas,  dont  la  saison  s'est  terminée  le  13  mai  par 
un  concert  de  musique  de  chambre  donné  dans  la  salle  de  l'Auditorium. 
Le  programmé  de  ce  concert  comprenait  le  2'=  quatuor  pour  instruments  à 
cordes  de  Benjamin  Godard,  un  trio  avec  piano  de  Constantin  Sternberg  et  le 
sextuor  de  Beethoven  pour  deux  cors  et  instruments  à  cordes.  L'ambition 
des  habitants  riches  de  Chicago,  dit  le  correspondant,  plus  que  leur  intelli- 
gente passion  pour  la  musique,  a  donné  naissance,  il  y  a  cinq  ans,  à  cette 
association  orchestrale,  qui,  dans  les  première  années,  a  subi  des  pertes 
énormes;  on  parle  de  plusieurs  cinquantaines  de  mille  francs  disparues, 
sans  que  les  promoteurs  aient  seulement  sourcillé.  Pourtant  le  public,  qui 
peu  à  peu  s'accoutumait  à  goûter  la  bonne  musique,  à  commencé  à  fré- 
quenter plus  assidûment  la  salle  de  l'Auditorium,  et  finalement  cette 
année  les  recettes  auront  égalé  les  dépenses.  Plus  d'une  fois  la  salle,  qui 
cependant  contient  4,000  personnes,  était  absolument  pleine,  malgré  le 
prix  élevé  des  places.  Chaque  programme  était  exécuté  deux  fois  par 
semaine,  le  vendredi  à  2  heures  et  demie  et  le  samedi  à  8  heures.  Après 
cinq  années,  l'orchestre,  resté  presque  complètement  le  même,  est  parvenu 
à  un  ensemble  superbe,  sous  l'excellente  direction  de  son  chef.  Le  réper- 
toire de  la  saison  1895-06  était  particulièrement  choisi,  et  comprenait  plus 
de  cent  œuvres  classiques  ou  modernes,  de  Bach,  Beethoven,  Mozart, 
Mendelssohn,  Weber,  Schubert,  Berlioz,  Bizet,  Chopin,  Massenot,  Saint- 
Saëns,  Tschaïkowsky,  Rubinstein,  Dvorak,  Chabrier,  Liszt,  Smétana,, 
'Wagner,  Brahms,  César  Franck,  ILendel,  Grieg,  Goldmark,  Raff,  etc. 
Parmi  les  virtuoses  on  a  entendu  Paderewski,  Marsick,  Ondricek, 
M""»  Materna,  la  grande  cantatrice  wagnérienne,  et  une  pianiste  allemande 
de  premier  ordre,  M°'"  Zeisler,  qui  s'est  établie  et  mariée  à  Chicago. 

PARIS    ET   DÉPARTEMENTS 

Aujourd'hui  dimanche,  à  la  Sorbonne,  sous  la  présidence  de  M.  Léon 
Bourgeois  et  en  présence  du  résident  de  la  République  et  des  ministres 
de  l'instruction  publique  et  de  l'intérieur,  la  Ligue  française  de  l'ensei- 
gnement tiendra  une  grande  séance  destinée  à  célébrer  le  trentième  anni- 


LE  MÉNESTREL 


199 


versaire  de  sa  fondation.  Au  cours  de  la  séance  on  entendra  une  cantate 
inédite,  paroles  de  M.  Frédéric  Bataille  et  musique  de  M.  Emile  Bour- 
geois, dont  l'exécution  a  été  confiée  à  M.  Mondaud,  de  l'Opéra-Comique, 
aux  chœurs  Chevé  du  10"  arrondissement,  à  un  orchestre  à  cordes  spécia- 
lement choisi  parmi  les  meilleurs  artistes  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique 
et  à  la  musique  de  la  garde  républicaine. 

—  On  a  annoncé  récemment  que  les  régiments  dits  régionaux  (N"'  144 
à  169),  de  formation  récente,  jusqu'ici  dépourvus  de  musique,  allaient  en 
recevoir  une.  Voici  les  mesures  prises  à  ce  sujet  par  le  ministre  de  la 
guerre.  Les  musiques  des  régiments  subdivisionnaires  (1  à  144)  ne  compor- 
teront que  34  musiciens  au  lieu  do  38;  elles  conserveront  leurs  24  élèves, 
dont  4  rempliront  les  fonctions  de  musiciens;  les  réductions  prescrites 
auront  lieu  par  extinction.  Chaque  régiment  subdivisionnaire  passera, 
d'après  un  tableau  de  répartition  envoyé  aux  corps  d'armée,  quatre  instru- 
ments bons  à  un  régiment  régional  qui  pourra  ainsi  organiser  sa  musique 
sans  grandes  dépenses.  Les  régiments  régionaux,  dont  plusieurs  possè- 
dent déjà  des  fanfares,  donneront  à  leurs  musiques  le  même  effectif  que 
celui  indiqué  pour  les  musiques  subdivisionnaires,  en  prenant  tout  d'abord 
les  exécutants  dont  ils  disposent  actuellement.  Puis,  les  chefs  de  corps 
s'efforceront  de  compléter  le  nombre  de  leurs  musiciens  avec  des  engagés 
de  quatre  ou  cinq  ans.  Si  ce  mode  de  recrutement  ne  sulFit  pas,  le  com- 
mandant de  corps  d'armée  pourra  faire  passer  des  régim.ents  subdivision- 
naires aux  régiments  régionaux  les  instrumentistes  que  les  premiers 
auraient  en  excédent.  On  recourra  même  au  ministre  en  cas  de  difficultés. 
A  partir  de  1896,  les  régiments  régionaux  recevront,  comme  les  autres, 
des  recrues  connaissant  la  musique  et  toucheront  leur  prime  mensuelle 
augmentée  de  413  francs, 

—  M.  Landrin,  conseiller  municipal,  en  prévision  de  la  fin  prochaine 
du  bail  du  théâtre  du  Chàtelet,  a  déposé  sur  le  bureau  du  conseil  une 
proposition  tendant  à  la  création  d'un  théâtre  populaire  municipal. 
M.  Landrin  estime  que  le  théâtre  du  Chàtelet, .avec  sa  vaste  scène  si  bien 
agencée,  sa  salle  pouvant  contenir  trois  mille  six  cents  spectateurs,  ce  qui 
permet  de  mettre  le  prix  des  places  à  la  portée  de  tous,  est  tout  désigné 
pour  cette  tentative.  La  musique  serait  naturellement  de  la  partie,  à  côté 
du  grand  drame  populaire. 

—  On  sait  que  le  jury  du  concours  de  la  ville  de  Paris  procède  d'abord, 
dans  ses  travaux,  par  élimination  préalable  des  œuvres  qu'il  juge  immé- 
diatement insuffisantes.  Il  a  donc,  dès  ses  premières  séances,  écarté  tous 
les  manuscrits  qui  lui  semblaient  dans  ces  conditions  et  n'a,  dit-on,  con- 
servé que  quatre  partitions  pour  son  examen  détaillé  et  définitif;  l'une  a  pour 
auteur  M.  Silver,  prix  de  Rome,  la  Belle  au  bols  dornmnt,  une  autre  M.  Lucien 
Lambert  (te  Spahi,  poème  tiré  du  roman  de  Pierre  Loti  par  M.  André 
Alexandre),  et  les  deux  autres  sont  anonymes.  Ces  deux  dernières  ont  pour 
titres  Sextus  et  la  Mort  de  Moina. 

—  Voici  les  dates  qui  sont  fixées  pour  les  prochains  concours  de  fin 
d'année  au  Conservatoire  ; 

CONCOURS  A  HUIS-CLOS 

Lundi  29  juin.—  Harmonie  (hommes). 

Mardi  30  juin.  —  Solfège  chanteurs. 

Mercredi  1"  juillet.  —  Solfège  chanteurs. 

Jeudi  2.  —  Solfège  instrumentistes. 

Vendredi  3.  —  Solfège  instrumentistes. 

Samedi  4.  —  Piano,  classes  préparatoires  (hommes). 

Lundi  6.  —  Harmonie  (femmes). 

Mardi  7.  —  Fugue. 

Mercredi  8.  —  Piano,  classes  préparatoires  (femmes). 

Jeudi  9.  —  Violon,  classes  préparatoires. 

Vendredi  10.  —  Orgue. 

Samedi  11.  —  Accompagnement  au  piano. 

CONCOURS    PUBLICS 

Lundi  20  juillet,  à  9  heures.  —  Contrebasse,  alto,  violoncelle. 

Mardi  21,  à  1  heure.  —  Chant  (hommes). 

Mercredi  22,  à  1  heure.  —  Chant  (femmes). 

Jeudi  23,  à  10  heures.  —  Harpe,  piano  (femmes). 

Vendredi  24,  à  9  heures.  —  Tragédie,  comédie. 

Samedi  25,  à  1  heure.  —  Opéra-Comique. 

Lundi  27,  à  midi.  —  Piano  (hommes). 

Mardi  28,  à  midi.  —  Violon. 

Mercredi  29,  à  1  heure.  —  Opéra. 

Jeudi  30,  à  midi.  —  Flûte,  hautbois,  clarinette,  basson. 

Vendredi  31,  à  midi.  —  Cor,  cornet  à  pistons,  trompette  et  trombone. 

On  remarquera  ici  une  nouveauté,  le  concours  d'alto,  placé  entre  ceux 
de  contrebasse  et  de  violoncelle.  Ce  concours  a  lieu  pour  la  première  fois. 
On  sait  que  la  classe  d'alto  est  de  création  récente,  et  qu'elle  est  aux  mains 
de  M.  Laforge,  un  des  plus  brillants  premiers  prix  de  violon  du  Conser- 
vatoire. 

—  M.  Van  Dyck  a  continué  le  cours  de  ses  belles  soirées  à  l'Opéra  avec 
Tannliduser,  où  son  succès  n'a  pas  été  moins  grand  que  dans  Lohengrin. 
Quel  bel  art  simple  et  sobre! 

—  M"«  Berthet,  au  même  théâtre,  a  pris  la  succession  deM™°  Melba  dans 
Jlamlet,  La  gracieuse  artiste,  très  en  forme  et  très  en  voix,  y  a  été  des  mieux 
accueillies. 


—  A  l'Opéra,  les  décors  des  Huguenots  sont  entièrement  prêts.  Cependant 
l'œuvre  de  Meyerbeer  ne  reparaîtra  pas  sur  l'affiche  de  l'Académie  nationale 
de  musique  avant  l'automne  prochain.  Le  ténor  Alvarez  chantera  pour  la 
première  fois  le  rôle  de  Raoul  de  Nangis  et  M"°  Bréval  celui  de  Valentine 
de  Saint-Bris.  Les  rôles  du  comte  deNeverset  de  Saint-Bris  seront  chantés 
par  MM.  Renaud  et  Delmas.  Attendons-nous  à  de  belles  recettes.  On 
continue  aussi  à  se  préoccuper  de  la  reprise  du  Don  Juan  de  Mozart,  pour 
laquelle  tout  le  matériel,  décors  et  costumes,   sera  entièrement  refait. 

—  L'excellent  ténor  Lafarge  vient  de  signer  un  engagement  avec  l'Opéra. 
Il  répète  tous  les  jours  le  Tannhauser,  pour  y  débuter  probablement  après 
le  départ  de  M.  Van  Dyck. 

—  M.  Gailhard  est  partip  our  Londres  cette  semaine.  Le  directeur  de  l'Opéra 
s'est  rendu  dans  cette  ville,  afin  d'examiner  le  mode  d'éclairage  employé  à 
l'Empire-Theatre  et  au  Savoy-Theatre.  Depuis  l'accident  survenu  au  lustre 
de  rtjpéra,  l'administration  des  beaux-arts,  aussi  bien  que  l'administration 
de  l'Académie  de  musique,  s'étaient  préoccupées  d'en  prévenir  le  retour  et 
elles  avaient  songé  à  adopter  pour  l'Opéra  le  système  de  Londres,  qui  consiste 
en  une  grande  ampoule  en  verre,  renfermant  la  lampe  Edison  et  qui  descend 
de  trois  ou  quatres  mètres  au-dessous  du  plafond.  Cette  ampoule  est  fixe  et 
appuyée  par  un  large  rebord  armé  sur  le  plancher  supérieur  que  supportent 
des  poutres  métalliques.  Le  poids  de  cet  appareil  est  de  5  à  600  kilos,  et  ce 
système  semblerait  le  plus  sur  contre  les  accidents. 

—  L'Opéra-Comique  fera,  comme  tous  les  ans,  sa  clôture  annuelle  le 
30  juin.  Donc,  en  cette  dernière  semaine,  seront  encore  données  deux  repré- 
sentations d'Orphée,  sans  compter  la  «  première  e  de  la  Femme  de  Claude  et 
la  reprise  de  Don  Pasquate.  Aux  derniers,  les  bons. 

—  Mme  Ambroise  Thomas,  très  souffrante,  n'avait  pu  songer  encore  à 
quitter  les  appartements  du  Conservatoire.  Mais,  se  trouvant  à  présent  en 
meilleure  santé,  elle  prend  les  mesures  nécessaires  pour  transporter  bientôt 
ses  pénates  au  quartier  des  Champs-Elysées.  Le  nouveau  directeur,  M.  Théo- 
dore Dubois,  ne  compte  pas  cependant  prendre  possession  du  local  avant 
le  mois  d'octobre  prochain. 

—  Le  jubilé  de  M.  Saint-Saëns  a  été  célébré  une  seconde  fois,  d'une  façon 
plus  intime  que  la  première,  dans  une  matinée  donnée  le  12  juin  chez 
M.  Gigout,  et  exclusivement  consacrée  à  l'audition  des  œuvres  du  maître. 
M.  Gigout,  qui  se  vante  fort  justement  d'être  élève  de  M.  Saint-Saëns  et 
d'avoir  appris  de  lui,  en  suivant  jadis  ses  offices  de  la  Madeleine,  l'art 
d'improviser,  avait  convié  ses  propres  élèves  à  lui  faire  honneur  en  lui 
faisant  entendre  plusieurs  de  ses  belles  compositions  d'orgue,  parmi  les- 
quelles les  plus  récentes.  C'est  ainsi  que  M"'=  Germaine  Moutier  a  exécuté 
trois  préludes  et  fugues  (dédiés  à  MM.  Widor,  Guilmant  et  Gigout)  d'un 
très  bel  effet,  M.  Joseph  Deniau  une  fort  belle  fantaisie  (op.  101)  non  encore 
entendue,  M"''  Ziegler  trois  rhapsodies  sur  des  cantiques  bretons,  dont 
l'effet  aussi  a  étécoiisidérable.  Ces  jeunes  gens,  et  aussi  MM.  Joseph  Rousse, 
Levatois,  Paul  Verdeau,  Aymé  Kunc,  ont  vraiment  prouvé  qu'ils  font 
honneur  à  l'enseignement  de  M.  Gigout.  M'i^Éléonore  Blanc,  MM,  Clément 
et  Badiali  de  l'Opéra-Comique  ont  fait  entendre  ensuite  divers  morceaux 
de  chant  de  M.  Saint-Saéns,  ces  deux  derniers,  entre  autres,  un  bien  joli 
duo  intitulé  Vénus,  absolument  nouveau,  et  pour  lequel  le  musicien  s'est 
fait  lui-même  son  poète.  Enfin,  M.  Saint-Saëns  a  voulu  prendre  une  part 
personnelle  à  la  fête  en  exécutant  avec  M.  Albert  Geloso,  qui  l'a  merveil- 
leusement secondé,  sa  superbe  sonate  op.  7o,  qui  lui  a  valu  un  véritable 
triomphe.  Pour  les  personnes  qui  avaient  assisté  au  concert  du  jubilé 
Saint-Saëns,  cette  séance  complétait  l'impression  produite  par  le  génie  du 
maître  en  les  familiarisant  avec  ses  remarquables  compositions  d'orgue, 
qui  ne  le  cèdent  en  rien  à  ce  qu'il  a  écrit  de  plus  beau  dans  tous  les  genres. 

—  Le  festival  Augusta  Holmes,  organisé  à  l'Exposition  de  Rouen,  a 
merveilleusement  réussi.  Ludus  pro  patria,  Au  Pays  bleu,  les  Argonautes, 
Irlande,  ont  été  très  bien  accueillis,  avec  M"e Bourgeois  et  M.  Courtois,  de 
l'Opéra,  et  M.  Albert  Lambert  fils  (le  récitant  du  Ludus  pro  patria)  pour 
interprètes .  L'orchestre  et  les  chœurs,  dirigés  par  M.  Brument,  se  sont  dis- 
tingués, et  la  salle  tout  entière  a  fait  à  l'auteur,  à  la  fin  comme  entre  les 
deux  parties  de  ce  beau  concert,  de  belles  ovations. 

—  Les  Chanteurs  de  Saiut-Gervais  exécuteront  à  Saint-Gervais,  aujour-  , 
d'hui  dimanche,  à  10  heures,  pour  la  fête  patronale,  un  office  entièrement 
composé  d'œuvres  choisies  du  grand  maître  espagnol  du  XVI'  siècle, 
T.  L.  da  Vittoria,  et  notamment  la  messe  Quarti  toni,  qui  compte  parmi 
les  plus  belles  du  maître.  L'orgue  sera  tenu  par  M.  E.  Lacroix,  qui 
exécutera   plusieurs  versets  de  vieil  organiste  espagnol  Cabeson. 

—  Vient  de  paraître  chez  Charpentier  et  Fasquelle,  en  une  élégante  pla- 
quette illustrée,  la  charmante  comédie  en  vers  d'Edouard  Noël,  Attendez- 
moi  sous  l'orgue,  qui  fut  représentée  cet  hiver  avec  un  vif  succès  au  Cercle 
militaire. 

—  M"»  Paulette  Baldocchi,  la  charmante  élève  de  M™=  Colonne,  si  ap- 
plaudie au  concert  que  l'éminent  professeur  a  donné  récemment  au  béné- 
fice de  l'Orphelinat  des  Arts,  vient  d'être  engagée  par  le  directeur  du  théâ- 
tre d'Alger  pour  y  chanter  Carmen,  Mignon,  etc. 

—  L'inauguration  des  concerts  d'orgue  à  l'exposition  de  Rouen,  par 
M.  Alexandre  Guilmant,  a   été  un   grand  succès.  Le  savant  organiste,  par 


200 


LE  MÉNESTREL 


sa  connaissance  parfaite  des  ressources  multiples  du  bel  instrument  cons- 
truit par  M.  Krischer,  a  produit  des  effets  inattendus  et  nouveaux,  surtout 
dans  l'improvisation  sur  un  thème  donné. 

—  Mme  jjarie  Roze  a  clôturé  lundi  dernier  ses  auditions  musicales.  Cela 
a  été  parfait,  et  on  a  pu  constater  les  progrès  accomplis  par  les  élèves.  A 
signaler  au  programe  l'air  d'Hérodiade  (Vision  fugitive),  chanté  par 
M.  Cyrille  Edwards  l'air  de  Sigurd  par  le  ténor  Bivière,  l'air  de  Lakmé  par 
M.  de  Lacroix,  la  jolie  mélodie  de  Dubois  Par  le  sentier,  dite  par 
M"=  Lachause,  «le  Pourquoi  »  de  LaAiîu' par  M"»  Jeanne  Wehrung,  etc.,  etc., 
M™  Marie  Roze  a  chanté  elle-même,  préchant  d'exemple,  l'Ave  Maria  de 
Gounod,  une  mélodie  de  M""  Ferrari  et  un  duo  de  M.  Lenepveu  avec  le 
ténor  Rivière.  Les  cours  ont  un  tel  succès  et  sont  tellement  suivis  que  le 
professeur  a  décidé  de  les  continuer  tout  l'été,  sans  vacances. 

—  A  la  soirée  d'élèves  donnée  par  M""'  d'Hostingue-Bourlier,  l'excellent 
professeur  de  piano,  grand  succès  pour  le  maître  Ch.  Dancla,  dans  sa  belle 
transcription  du  Nocturne  de  Chopin  et  dans  sa  Gazelle  ;  grand  succès  éga- 
lement pour  M.  Mazalberl,  dans  l'air  de  Joseph. 

—  La  brillante  école  de  M.  A. -M.  Auzende  s'est  vaillamment  compor- 
tée dimanche  dernier,  dans  une  matinée  consacrée  aux  œuvres  de  Beetho- 
ven. Les  grandes  pages  du  maitre  allemand  ont  été  interprétées  avec 
beaucoup  de  sûreté  de  style. 

—  On  écrit  d'Amiens  :  «  Le  festival  organisé  en  l'honneur  du  composi- 
teur Henri  Maréchal  par  1'  «  Harmonie  »  de  la  ville,  a  été  l'occasion  d'un 
très  grand  succès  pour  le  héros  de  la  soirée,  ses  œuvres  et  ses  brillants  inter- 
prètes. Au  programme,  de  nombreux  fragments  d'œuvres  du  compositeur: 
la  Natiuité,  Déidamie,  Calendal,  les  Vivants  et  les  Morts,  la  Taverne  des  Trabans,  et 
de  nombreuses  mélodies.  On  a  beaucoup  applaudi  le  baryton  Auguez,  le 
ténor  Vergnet,  et  deux  jeunes  cantatrices,  M^^s  Baldo  et  Astruc,  qui  ont 
du  bisser  plusieurs  de  leurs  morceaux.  Coquelin  cadet  était  venu  dire  ses 
amusants  monologues  ». 

—  De  Lille:  «  Le  concert  donné  jeudi  soir  au  Palais-Rameau  par  l'or- 
chestre des  Concerts  d'été  a  été  de  tous  points  très  réussi.  L'excellent 
orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Oscar  Petit,  a  joué  avec  beaucoup  de 
brio  et  de  goût  les  différents  morceaux  inscrits  au  programme.  M.  Cornu- 
bert,  premier  ténor  de  l'Opéra-Comique,  ancien  pensionnaire  de  notre 
Grand-Théâtre,  prêtait  à  ce  concert  le  concours  de  sa  voix,  d'une  si  belle 
sonorité,  conduite  avec  une  science  et  un  art  qu'on  rencontre  bien  rare- 
ment aujourd'hui.  H  a  chanté  de  façon  exquise,  avec  un  souci  des  moin- 
dres nuances,  la  cavatine  de  Roméo  et  Juliette,  la  Belle  du  Roi,  d'Augusta 
Holmes,  Voisinage,  de  Cécile  Ghaminade  ;  enfin  il  a  dit  de  façon  magistrale 
le  récit  du  Graal,  de  Loliengrin.  Le  public  a  fait  fête  au  distingué  artiste.  >. 

—  A  la  matinée  d'élèves  que  donne  annuellement,  chez  Érard,  M""*  La- 
faix-Gontié,  l'interprétation  s'est  montrée  constamment  bonne  et  souvent 
supérieure.  Quantité  de  jolies  choses  au  programme,  .qu'il  serait  impossi- 
ble d'onumérer  toutes.  Gomme  chœurs,  on  a  beaucoup  remarqué  l'exquis 
Chant  des  fées  de  Paul  Vidal,  si  bien  rendu  par  les  trois  fées  :  M''=''  Gabrielle 
D.  du  S.,  Hortense  D.  et  Hélène  P.,  ainsi  que  par  les  voix  d'accompa- 
gnement qui  ont  produit  un  grand  effet.  Très  amusante  et  très  gaiement 
chantée,  la  ronde  des  Muguets  et  Coquelicots  (Blanc  et  Dauphin),  par  de  tout 
jeunes  garçons  que  dirigeait  M"»  Antoinette  Lafaix-Gontié. 

—  Belle  et  intéressante  matinée  aussi  chez  M.  Raoul  Delaspre,  pour  la 
majeure  partie  consacrée  à  l'audition  des  œuvres  de  Théodore  Dubois. 
Parmi  celles-ci  on  a  trissé  la  Tarentelle,  fort  bien  chantée  par  M"=  Lafon,  et 
la  délicieuse  mélodie  :  Prés  d'un  ruisseau,  dite  à  ravir  par  W""  Chrétien- 
Vaguet.  Citons  encore  la  Chanson  de  la  grive  de  .Xavière,  Par  le  sentier,  le 
Baiser,  Triiiiazo.  Dans  la  partie  pianistique,  M"""  Renesson  a  véritablement 
triomphé  avec  la  Sérétiade  à  la  lune  de  Raoul  Pugno  et  la  Danse  rustique  de 
Th.  Dubois.  On  a  fini  par  le  deuxième  acte  de  Lakmé,  joué  en  costumes 
par  M"'«  de  Marthe,  MM.  Viannenc  et  Lecomte.  Grand  succès  pour  tous. 

—  Au  quatrième  et  dernier  concert  de  la  saison  dans  l'hôtel  de  la  rue 
Antoine-Boucher,  M"»  Dignat  a  fait  apprécier  son  jeu  lin  et  délicat  dans 
le  quatuor  en  sol  mineur  de  Mozart,  où  elle  avait pourpartenairesMM.  Alf. 
Brun,  de  l'Opéra,  Papin  et  Queeckers.  Grand  succès  pour  M""^  Dress-Brun, 
dans  des  romances  de  Bourgault-Ducoudray  et  de  Rubinstein  ;  belle  exé- 
cution d'un  trio  de  Mendelssohn  (op.  (iC)  ;  mais  surtout  triomphe  éclatant 
pour  la  sonate  de  César  Franck,  pour  piano  et  violon,  qui  a  été  jouée 
supérieurement  par  M""^  Dignat  et  M.  Alf.  Brun. 

—  Toujours  continuation  des  succès  de  M"=  BressoUes  avec  les  Chansons 
grises  de  Hahn  qu'elle  a  chantées,  cette  semaine  chez  M^e  Staaf,  puis  chez 
M"'  AUouard,  avec  le  même  succès  de  délicatesse  qu'elle  obtient  partout. 

NÉCROLOGIE 

Un  artiste  de  grande  modestie,  quoique  d'un  talent  certain,  vient  de 
s'éteindre  à  l'âge  de  Si  ans.  Léon  Delahaye,  qui  était  professeur  d'accom- 
pagnement au  Conservatoire  et  chef  des  chœurs  à  l'Académie  nationale  de 
musique,  fut  en   effet  un  compositeur  de  mérite.   Il  laisse  un  nombre  de 


compositions  pour  le  piano  d'une  rare  élégance  et  d'un  style  fort  distingué, 
telles  que  les  Révérences,  VHommage  à  Rossini,  Sous  les  saules,  Colombine,  les 
Océanides,  etc.,  etc.  Il  lit  même  représenter  à  l'Opéra-Comique,  dans  les 
premières  années  de  sa  jeunesse  un  opéra  dont  le  titre  nous  échappe, 
mais  qui  abondait  en  mélodies  gracieuses.  Le  succès  en  fut  cependant 
négatif,  à  cause  de  l'insignifiance  du  sujet  et  aussi  du  coté  trop  pianistique 
do  la  partition.  Comme  professeur  et  comme  chef  des  chœurs,  il  fut  l'homme 
des  traditions  sérieuses.  Il  était  de  caractère  droit  et  tout  d'une  pièce,  de 
relations  sûres,  et  sera  fort  regretté  de  tous  ceux  qui  l'ont  connu  et  approché. 
Une  des  dernières  lettres  qu'il  ait  écrites  aura  été  certainement  celle  qu'il, 
nous  adressait  le  21  mai,  à  la  veille  de  la  représentation  de  gala  donnée  à 
l'Opéra,  au  profit  du  monument  d'Ambroise  Thomas,  alors  qu'il  était  déjà 
sur  son  lit  de  douleur,  rongé  par  le  cancer  qui  le  dévorait  : 

Le  Vésinet,  21  mai  1896. 

C'est  un  grand  chagrin  pour  moi.  mon  cher  ami,  de  ne  pouvoir  être  à  mon 
poste  ce  soir,  apportant  mon  respectueux  tribut  d'hommages  à  la  mémoire 
vénérée  de  mon  cher  maitre  Ambroise  Thomas. 

Obligé  de  suspendre  mes  fonctions,  depuis  quelque  temps  déjà,  par  une  assez 
grave  indisposition,  je  ne  veux  pas  laisser  passer  la  solennité  d'aujourd'hui 
sans  vous  adresser  ce  petit  mot  de  souvenir  et  une  cordiale  poignée  de  mains. 

LÉON  DliLAHAÏE. 

Chef  des  chœurs  à  t'Opéra, 
Tout  Delahaye  est  là:  artiste  de  devoir  et  de  souvenir. 

—  Dimanche  dernier  est  morte  à  Paris,  âgée  de  près  de  74  ans.  M""  Du- 
fresne,  née  Demay.  ancien  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire. 
M"=  Catherine-Célina-Caroline-Emma  Demay  était  née  à  Paris  le  29  juil- 
let 1S"22.  Admise  de  bonne  heure  au  Conservatoire,  elle  y  obtint  un  second 
prix  de  solfège  en  1838,  et  deux  ans  après,  en  1840,  le  premier  d'harmonie 
et  accompagnement.  Dès  l'année  suivante  elle  était  nommée  répétiteur 
d'une  classe  préparatoire  d'harmonie  pour  les  femmes,  quelques  années 
plus  tard,  devenue  M^'Dufresne,  elle  prenait  le  titre  de  professeur-adjoint, 
et  enfin,  en  ISol,  elle  devenait  titulaire  d'une  classe  d'harmonie.  M"»  Du- 
fresne,  dont  la  classe,  excellente,  avait  fourni  de  nombreux  lauréats,  avait 
pris  sa  retraite  après  quarante  années  de  services,  aux  environs  de  18SÛ, 
et  non  en  1876,  comme  on  l'a  dit,  car  sa  classe  obtenait  encore  des  nomi- 
nations en  1877  et  1878. 

—  Annonçons  la  mort,  à  Brest,  d'un  artiste  distingué,  M.  Barthélémy 
Gbalmet,  qui  tint,  durant  de  longues  années,  les  orgues  de  Saint-Louis  de 
cette  ville.  Outre  son  grand  talent  d'organiste,  il  était  de  plus  un  composi- 
teur de  mérite.  Quelques  pièces  de  piano,  comme  le  Pardon  en  Bretagne  et 
les  Vagues,  valent  qu'on  les  signale. 

—  A  Vienne  est  mort,  à  l'âge  de  68  ans,  M.  Joseph  Dachs,  professeur 
de  piano  au  Conservatoire,  qui  avait  été  élève  de  Czerny.  C'était  un 
des  meilleurs  pianistes  de  l'Autriche,  et  depuis  1860,  époque  où  il  entra 
comme  professeur  au  Conservatoire,  il  a  formé  nombre  d'élèves  excellents. 
Dans  sa  jeunesse,  il  donnait  souvent  des  concerts  avec  beaucoup  de 
succès. 

Henri  Heugel,  direcleur'-gérant. 
On  achèterait  piano  Érard  dem.  queue  pas  vieux,  6,  r.  Villersexel.  Duber. 


Eu  veille  Au  Ménestrel,   2"'^,  rue   Vivieune,  EEEGEL  &   C",    éilileurs. 

AFFICHES  ARTISTIQUES 

Pour  collections. 


I 


CHOUBRAC.   .   .   . 

G.  CLAIRIN 

EDEL 

GORGUET 

GRASSET  

Alpii.  de  NEUVILLE 
ORAZZI 

REUTLINGER.    .    . 
STEINLEN 


La  Quenouille  de  Verre  (en  couleurs) 5 

Les  Turcs  (en  couleurs) 5 

fflam'zelle  Gavroche  (en  couleurs) 5 

La  Tzigane  (en  couleurs) 5 

Françoise  de  Rimini  (en  couleurs) 5 

La  Farandole  (en  couleurs) 5 

Viviane  (en  couleurs) 5 

La  Reine  Indigo  (en  couleurs) 5 

Le  Fétiche  (en  couleurs) 3 

Les  Douze  Femmes  de  Japhet  (en  couleurs)  .   .  3 

Le  Cid  (en   couleurs) 5 

Le  Mige  (en  couleurs) 5 

Le  Roi  d'ïs  (en  noir) 3 

Werther  (en  couleurs) 5 

Hamlet  (en  couleurs) 5 

Aben-Hamet  (en  couleurs) 5 

Thais  (en  couleurs) 5 

La  Navarraise  (cliché  photographique).    ...  5 

Le  Rêve  (en  couleurs) 5 


ISlPniMEIUE   I 


BEllCEllK,    20,    1 


Dimanche  28  Juin  1896. 


3405.  -  62-  ANNÉE  -  N°  26.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Heniii  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  .Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Dn  on.  Telle  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  3»  partie  (8"  article),  Auteur 
PouGiM.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  la  Femme  de 
Claude  et  reprise  de  Don  Pasqualc,  à  l'Opéra-Comique,  .\nTHDR  Pougin.  —  JII.  Sur 
le  Jeu  de  Robin  et  Manon  d'Adam  de  la  Halle  (2"  article),  Julien  Tieusot.  — 
IV.  Musique  et  prison  {S'  article)  :  La  Bastille  et  les  prisons  d'État  sous  l'an- 
cien régime,  Paui.  d'Estrée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique-  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AUBADE  PRINTANIËRE 

de  Paul  Lacombe,  adaptation  de  Jules  Ruelle.  —  Suivra  immédiatement  : 
Au  bord  du  ruisseau,  de  Lucien  Lambert,  poésie  de  Maurens. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Danse  japonaise,  de  Paul  "Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse 
mélancolique,  tirée  des  Impressions  et  Souvenirs,  de  Marmontel. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

lSOl-1838 


TROISIEME  PARTIE 
II 

(Suite) 

Nous  trouvons  ensuite  Guise  ou  les  Etats  de  Blois,  «  drame 
lyrique  »  en  trois  actes  et  cinq  tableaux,  paroles  de  Pla- 
nard  et  Sainl-Ueorges,  musique  d'Onslow,  représenté  le 
8  septembre.  Ouvrage  très  estimable  au  point  de  vue  musical, 
mais  qui  convenait  peu  au  genre  de  l'Opéra-Comique  (nous 
en  avons  vu  bien  d'autres  depuis  lors!)  et  que  l'on  jugeait 
trop  ambitieux  pour  le  cadre.  Guise  n'obtint  que  ce  que  l'on 
est  convenu  d'appeler  un  succès  d'estime,  mais  il  compte 
dans  l'œuvre  d'Onslow  et  fait  honneur  au  talent  de  cet 
artiste  fort  distingué.  Peu  de  jours  après  son  apparition,  le 
22  septembre,  on  notait  celle  d'un  petit  acte  assez  alerte  inti- 
tulé le  Bon  Garçon,  auquel  se  rattache  un  souvenir  que  le 
Courrier  des  Théâtres  enregistrait  en  ces  termes  :  —  «  La  pièce 
que  doit  donner  aujourd'hui  l'Opéra-Comique  est  celle  qu'on 
avait  composée  pour  y  encadrer  quelques  morceaux  de  mu- 
sique laissés  par  notre  cher  Herold.  Elle  a  été  jusqu'aux  répé- 
titions avec  cet  ornement  ;  mais,  soit  que  les  paroles  y  fussent 
mal  adaptées,  soit  que  le  célèbre  compositeur  n'etit  pas  mis 
la  dernière  main  à  ces  fragments,  on  a  renoncé  au  désir  de 


les  tirer  de  l'oubli.  Le  musicien  qui  s'était  engagé  à  arranger 
la  partition  a  dû  en  faire  une  tout  entière,  et  c'est  dans  cet 
état  que  va  se  présenter  le  Bon  Garçon.  Que  l'ombre  d'Herold 
le  protège  !  »  Ce  musicien  était  Eugène  Prévost,  et  ses  collabo- 
rateurs étaient  Anicet  Bourgeois  et  Lockroy.  Lenr  Bon  Garçon 
obtint  un  accueil  assez  favorable. 

On  ne  peut  guère  en  dire  davantage  de  Piquillq,  trois  actes 
dont  le  livret  portait  cependant  la  signature  d'Alexandre 
Dumas  et  Gérard  de  Nerval,  la  musique  celle  d'HippoIyte 
Monpou,  et  dont  la  distribution  réunissait  les  noms  de 
ChoUet,  Révial,  Jansenne,  Fleury,  M''''-^  Jenny  Colon  et  Rossi. 
Cette  fois  encore,  comme  il  arrive  trop  souvent,  les  poètes 
avaient  fait  tort  au  musicien,  et  malgré  le  talent  dont  celui-ci 
avait  fait  preuve,  leur  œuvre  était  de  si  peu  de  valeur  que 
Piquillo  ne  put  se  soutenir  au  delà  d'une  trentaine  de  repré- 
sentations. 

Mais  pendant  que  celui-ci  tenait  l'affiche,  on  s'occupait 
avec  ardeur  des  études  du  Domino  rose,  qui  n'allait  pas  tarder 
à  changer  de  couleur  et  à  devenir  le  Domino  noir.  Cette  fois 
nous  touchons  à  l'un  des  succès  les  plus  éclatants,  et  les  mieux 
justifiés,  que  l'Opéra-Comique  puisse  enregistrer  dans  ses 
riches  annales.  Si  le  livret  de  Scribe  est,  il  faut  bien  l'avouer, 
écrit  dans  une  langue  rocailleuse  et  parfois  triviale,  il  n'en 
est  pas  moins  construit  de  main  de  maître,  varié  de  la  façon 
la  plus  heureuse,  suffisamment  ému,  et  charmant  dans  son 
ensemble.  Quant  à  la  partition  d'Auber,  fine,  élégante,  pleine 
de  grâce  et  lorjours  inspirée,  c'est  l'une  des  plus  exquises 
qui  soient  sorties  de  la  main  de  ce  maître  ouvrier,  que  cer- 
tains jeunes  renards  s'efforcent  de  railler  aujourd'hui,  mais 
qu'ils  seraient  bien  en  peine  d'égaler.  Les  raisins  sont  trop 
verts...  C'est  de  ce  joli  chef-d'œuvre  —  ici  le  mot  n'est  pas 
de  trop  —  qu'un  critique  pouvait  parler  en  ces  termes  lors 
de  la  mort  d'Auber  :  —  «.  Nous  placerons  en  tête  (des  opéras- 
comiques  du  maître)  quatre  œuvres  qui  nous  semblent  mériter 
une  mention  hors  ligne  :  Fra  Diavolo,  l'Ambassadrice,  le  Domino 
noir  et  Baydée...  Le  Domino  noir  surtout,  ciselé  comme  une 
sonate  de  Mozart,  est,  dans  son  cadre  assez  restreint,  une  de 
ces  merveilles  d'esprit,  de  jeunesse,  de  grâce  et  de  charme 
indéfinissables,  comme  l'art  en  produit  de  temps  en  temps 
pour  rappeler  aux  mortels  profanes  sa  divine  origine.  Auber 
a  écrit  là  son  Barbier  et  s'est  placé,  pour  un  jour,  à  côté  de 
Rossini.  Si  nous  avions  à  désigner  le  type  accompli  de  l'opéra- 
comique,  nous  nommerions  le  Domino  noir  dans  le  genre 
tempéré,  comme  le  Pré  auj;  Clercs  dans  le  genre  noble.  On 
pourra  s'étonner  de  notre  enthousiasme  devant  une  si  petite 
toile,  mais  pour  nous  la  grandeur  n'est  pas  dans  la  taille,  elle 
est  dans  la  proportion  (1).  » 

Le  Domino  noir,  dont  je  ne  saurais  faire  ici  une  analyse,  car 

(1)  Le  Correspondant,  25  juillet  1871. 


202 


LE  MÉNESTREL 


elle  excéderait  les  bornes  de  ce  travail,  fut  reçu  avec  en- 
thousiasme dans  la  soirée  du  2  décembre  4837.  C'était  pour 
le  public  un  véritable  enchantement,  d'autant  que  la  valeur 
de  son  interprétation  était  égale  à  sa  valeur  propre  (1).  Tout 
se  tenaiJ  dans  cette  œuvre  exquise  et  d'un  ensemble  si  har- 
monieux. Aussi,  peut-on  dire  que  le  succès  en  fut  spontané 
autant  qu'il  devait  être  prolongé.  Le  Domino  noir,  en  effet,  n'a 
pour  ainsi  dire  jamais  quitté  le  répertoire,  si  bien  qu'à  la  fin 
de  l'année  'ISOÎ)  il  comptait  onze  cent  quarante-six  représenta- 
tions (2). 

1838  n'a  pas  à  son  avoir  deux  succès  comme  ceux  de  la 
Double  Echelle  et  du  Domino  noir,  celui-ci  surtout,  qui  éclaira 
les  derniers  jours  de  1837,  sa  devancière,  d'une  lueur  si 
vigoureuse.  Mais  ce  fut  une  bonne  année  courante,  et  qui  se 
maintint  dans  une  moyenne  fort  honorable,  à  part  les  com- 
mencements, qui  ne  furent  pas  très  heureux. 

L'année  s'ouvre,  le  11  janvier,  par  le  Fidèle  Berger,  trois 
actes  dont  un  livret  fâcheux  ne  put  être  sauvé  par  une  mu- 
sique d'ailleurs  assez  ordinaire.  L'un  élait  deScribo  et  Saint- 
Georges,  l'autre  d'Adolphe  Adam.  Adam  eut  beau  dire  qu'il 
fut  victime  en  cette  circonstance  d'une  cabale  de  confiseurs, 
la  vérité  est  que  l'ouvrage  n'était  pas  né  viable,  et  que  les 
efforts  de  Ghollet,  de  Jenny  Coton  et  de  M"^  Rossi  furent 
impuissants  à  prolonger  son  existence  au  delà  de  treize 
représentations.  Moins  fortuné  fut  encore  un  Conte  d'autrefois, 
sorte  de  farce  de  carnaval  en  un  acte  qui  réunissait  les  noms 
de  Leuven  et  Lhérie  pour  les  paroles  et  de  Monpou  pour  la 
musique.  Un  journal  nous  apprend  qu'ici  les  auteurs,  sans 
se  rendre  justice  à  eux-mêmes,  étaient  mécontents  les  uns 
des  autres:  «  On  assure,  disait-il,  que  plusieurs  jours  avant 
la  représentation  de  ce  petit  ouvrage,  les  auteurs  du  poème 
étaient  d'avis  qu'on  retirât  la  pièce  à  cause  de  la  musique, 
et  que,  de  son  côté,  l'auteur  de  la  musique  manifestait  la 
même  velléité  à  cause  du  poème.  »  Il  ne  paraît  pas  que 
Monpou  eût  été  mieux  inspiré  que  ses  collaborateurs,  car  le 
même  journal  ajoutait:  «  D'où  vient  cette  tendance  rétrograde 
dans  les  progrès  de  ce  compositeur?  Le  Luthier  de  Vienne  valait 
incontestablement  moins  que  les  Deux  Reines,  Piquillo  élail  au- 
dessous  du  Luthier,  et  la  partition  nouvelle  nous  semble  au- 
dessous  de  tout.  » 

Un  Conte  d'autrefois  avait  été  représenté  le  20  février.  Le 
21  mars  paraissait  un  autre  acte  sans  plus  de  conséquence. 
Lequel?  paroles  de  Paul  Duport  (et  Ancelot,  qui  restait  dans 
la  coulisse),  musique  de  Leborne.  C'était,  en  trois  mois,  le 
troisième  insuccès.  Il  était  temps  de  voir  changer  la  veine. 
Le  résultat  fut  obtenu  avec  le  Perruquier  de  la  Régence,  trois 
actes  de  Planard  et  Paul  Duport  pour  les  paroles,  d'Am- 
broise  Thomas  pour  la  musique,  dont  les  deux  principaux 
rôles  étaient  tenus  par  Ghollet  et  Jenny  Colon  et  qui  furent 
joués  le  30  mars.  «;  Des  mélodies  gracieuses,  un  ^tyle  cor- 
rect, une  instrumentation  riche  et  pleine,  sans  abus  de 
cuivre,  voilà,  disait  un  critique,  les  qualités  qui  distinguent 
M.  Ambroise  Thomas,  et  certes  il  y  a  là  de  brillantes  espé- 
rances pour  le  théâtre  de  la  Bourse.  Le  deuxième  acte  du 
Perruquier  de  la  Régence  renferme  les  éléments  les  plus  remar- 
quables. Là,    nous   avons  entendu   un   duo,    un   trio  et   un 


(1)  Voici  quelle  était  la  distribution  de  l'ouvrage  : 

Juliano Moreau-Sainti 

Horace  de  Massareua Couderc 

Lord  Edford Grignon 

Gil  Pérès Roy 

Angèle   .   .   .   ■ IVl»"  Damoreau 

Dame  Jacinthe Boulanger 

Brigitte Berthault 

Ursule Olivier 

Gertrude Roy 

(2)  L'année  1831  doit  enregistrer  la  mort  de  deux  artistes  célèbres:  le  compo- 
siteur Lesueur,  l'auteur  de  la  Caverne,  des  Bardes  et  de  Paul  et  Virginie,  le  maître 
de  Berlioz,  de  Gouuod  et  d'Ambroise  Thomas;  et  le  grand  chanteur  Martin, 
l'ami  et  le  compagnon  d'Elleviou,  chez  lequel  il  alla  mourir,  dans  sa  propriété 
de  Ronzières  (département  du  Rhône).  Ce  sont  là  deux  artistes  trop  fameux, 
chacun  eu  leur  genre,  pour  que  j'aie  à  m'étendre  ici  sur  leur  compte. 


morceau  d'ensemble  de  la  plus  grande   beauté.    L'ouverture 
nous  semble  un   peu    décousue,  mais   elle   rachète  ce  défaut 
par  des  motifs  pleins  de  fraîcheur  et  d'originalité.  » 
(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra-Comique.  La  Femme  de  Claude,  drame  lyrique  en  trois  actes,  paroles 
de  M.  Louis  Gallet,  d'après  Alexandre  Dumas  fils,  musique  de  M.  Albert 
Gahen.  —  Don  Pasquale,  de  Donizetti  (23  juin). 

Qui  le  premier  a  eu  l'idée  —  singulière  —  de  transformer  la  Femme 
de  Claude,  ce  drame  purement  psychologique,  en  un  livret  d'opéra,  et 
de  remplacer  la  prose  nerveuse  et  serrée  d'Alexandre  Dumas  par  un 
dialogue  destiné  à  servir  l'inspiration  d'un  musicien  ?  Ce  qui  m'é- 
tonne, c'est  que  cette  idée,  quelque  pru  fantasque,  n'ait  pas  effarouché 
Dumas,  très  justement  soucieux  de  la  valeur  et  du  respect  de  ses 
œuvres,  et  qu'il  ait  donné  sans  sourciller  son  consentement  a  une  telle 
transformation,  qui  ne  pouvait  être  qu'une  déformation. 

Il  a  bien  fallu  en  effet,  pour  faire  de  ce  drame  en  prose  un  drame 
lyrique,  lui  faire  subir  des  changements  et  des  retramhements  qui 
en  allèrent  singulièrement  la  physionomie,  outre  que  la  coiupr.-s-ion 
nécessitée  pour  l'introduction  de  la  musique  rend  l'action  plus  bru- 
tale encore  et  la  laisse  par  instants  peu  compréhensible  pour  (jui  ne 
connaît  pas  l'œuvre  première.  La  pièce  ne  se  passe  plus  de  nos  jours, 
mais  à  l'époque  de  la  Révolution.  Claude  n'est  plus  un  inventeur  de- 
génie,  mais  un  général  de  la  première  République,  iustallé  avec  son 
état-major  dans  les  environs  de  Wissembourg,  qu'il  est  chargé  de 
débloquer,  et  qui  confie  à  un  de  ses  lîeutenanis,  le  jeune  Autonin,  la 
mission  périlleuse  de  porter  à  Wissembourg,  à  travers  les  ligues 
ennemies,  un  message  d'oii  dépend  le  succès  de  l'opération.  C'est  ce 
message  qui,  ici,  se  trouve  être  le  nœud  de  la  pièce.  La  femme  de 
Claude,  Césarine,  la  Messaline  infâme,  dont  M.  Gallet  a  changé  le 
nom  en  celui  de  Delphine,  aura  à  s'en  emparer  l'iutérêt  que  voici. 
Cantagnac,  qui  est  devenu  un  espion  ennemi,  s'introduit  ou  ne  sait 
comment  chez  Claude,  précisément  pour  connaître  son  plan.  Il 
connaît  le  secret  de  la  dernière  infamie  de  Delphine,  et  il  la  menace 
de  tout  dévoiler  à  son  mari  si  elle  ne  trouve  le  moyen  de  lui  livrer 
le  papier  précieux  dont  Antonin  est  porteur. 

Antonin,  on  le  sait,  malgré  son  honnêteté,  aime  Delphine.  Il  ne  le 
lui  a  jamais  avoué,  mais  une  femme  n'ignore  jamais  l'amour  qu'elle 
inspire.  Elle  a  donc  deviné  le  sentiment  qu'elle  a  fait  naître  chez  le 
jeune  officier.  Pressée  par  les  dernières  menaces  de  Cantagnac,  éper 
due,  craignant  ses  révélations,  elle  se  décide  enfin  à  une  dernière 
infamie.  Elle  se  jette  dans  les  bras  d'Autonîn,  joue  avec  lui  la  passion, 
et,  au  plus  fort  d'une  scène  d'emportement  fiévreux,  réus.sit  à  lui 
ravir  la  lettre  dont  il  est  porteur.  D'un  bond  elle  s'élance  alors 'vers  la 
fenêtre  pour  jeter  le  papier  à  Cantagnac,  lorsqu'elle  trouve  devant 
elle  Claude  qui,  froidement,  lui  casse  la  tète  d'un  coup  de  pistolet. 
Elle  tombe  morte,  et  Claude,  montrant  à  Antonin  le  papier  qu'elle  a 
laissé  échapper,  dit  à  celui-ci  :  —  «  J'ai  fait  mon  devoir,  fais  le  lieu.  » 

Ainsi  transformée,  la  pièce  présentait-elle  l'intérêt  d'une  œuvre 
dramatique?  offrait-elle  les  éléments  d'une  œuvre  musicale?  Je 
n'oserais  l'affirmer  d'une  façon  absolue.  M.  Albert  Caheu  l'a  pensé 
cependant,  puisqu'il  s'est  chargé  d'écrire  la  musique  de  cette  nou- 
velle Femme  de  Claude,  et  que  cette  musique  est  écrite  depuis  trois 
ans,  et  que  l'ouvrage  est  en  répétitions  depuis  deux  années,  et  qu'en- 
fin après  retards  sur  retards,  remises  sur  remises,  le  public  vient 
d'être  appelé  à  le  contempler  et  à  l'apprécier. 

M.  Albert  &ihen,  si  son  nom  n'est  pas  très  connu  de  ce  public, 
n'est  pourtant  plus  tout  à  fait  un  débutant.  Après  avoir  publié  un 
petit  recueil  de  mélodies  intitulé  Marines,  il  fit  représenter  lès  1880, 
à  rOpéra-Coraique,  le  Bois,  un  acte  qui  était  l'adaptation  lyrique  de  la 
jolie  comédie  qu'Albert  Glatigny  avait  donnée  sous  ce  tilre  à  l'O  léon. 
Dix  ans  après  il  donnait  au  Théâtre  des  Arts,  à  Rouen,  un  ouvage 
beaucoup  plus  important,  le  Vénitien,  grand  opéra  en  quatr--  actes,  et 
enfin,  en  ces  dernières  années,  il  faisait  représenter  à  Marseille  un 
ballet  intitulé  Fleur  des  Neiges.  La  femme  de  Claude  est  doue  son  qua- 
trième ouvrage,  et  j'ai  regret  à  dire  que  eelai-cl  manque  absolument 
de  saveur  et  de  personnalité. 

M.  Albert  Cahen  a  de  l'ambition.  On  sent  qu'il  a  voulu,  jusqu'à  un 
certain  point,  se  modeler  sur  les  idées  ayant  cours,  qu'il  a  cherché 
à  tenir  compte  de  l'évolution  dont  l'art  musical  fait  en  ce  moment  les 
frais,  qu'il  tûche  à  s'éloigner  le  plus  possible  des  sentier-  cterueile- 
ment  battus  et  qu'il  ne  serait  pas  fâché  de  trouver  une  route  nouvelle 


Lt;  MENESTREL 


203 


à  parcourir.  Malheureusement  ii  semble  que  le  souflle  lui  manque,  et 
aussi  la  fraîcheur  et  l'abondance  de  l'inspiration.  Ses  idées  sont 
courtes,  et  la  nouveauté  n'en  est  pas  la  qualité  première;  et  quand 
une  phrase  paraît  bien  commencer  et  prendre  son  élan,  elle  s'arrête 
■  couit  sans  que  l'on  sache  pourquoi  et  ne  trouve  pas  une  autre  phrase 
pour  lui  répondre.  De  même,  son  orchestre  est  sans  relief,  sans 
coulfur  et  sans  intérêt,  manquant  à  la  fois  de  corps,  de  piquant  et  de 
nouveauté.  L'arliste  a  fait  de  son  mieux,  assurément,  et  l'on  sent  qu'il 
est  auimé  des  meilleures  intentions;  mais  ce  n'est  pas  en  art,  et 
surtout  en  musique,  que  l'intentioE  peut  être  réputée  pour  le  fait.  Ce 
qui  manque  le  plus  à  M.  Albert  Cahen,  c'est  le  tempérament;  et  dame  ! 
le  lempérameut,  il  n'y  a  pas  à  dire,  c'est  la  qualité  maîtresse,  sans 
laquelle  toutes  les  autres  ne  servent  que  de  peu. 

Son  œuvre  a  été  bien  défendue  par  ses  interprètes.  Par  M.  Bouvet, 
qui  est  un  Claude  plein  de  dignité  froide;  par  M"'=  Nina  Pack,  qui  se 
moutie  vraiment  remarquable  dans  le  rôle  odieux  et  terriblement 
difiicile  de  Delphine;  par  M.  Jérôme,  qui  met  de  la  chaleur  dans  le 
rôle  d'Antonin;  enfin  par  M.  Isnardon,  qui,  à  son  habitude,  donne  de 
l'origiiualité  à  celui  de  Ganlagnac.  Une  jeune  femme  fort  distinguée, 
M"'  Pascal,  débutait  par  le  rôle  de  Jeanne. 

Don  Pasquate  est  l'un  des  derniers  opéras  de  Donizetti,  qui  n'en  a  pas 
écrit  moins  de  soixante-six.  Ce  n'est  point  l'un  de  ses  meilleurs;  ce 
n'est  pas  non  plus,  tant  s'en  faut,  l'un  des  plus  mauvais  :  il  occupe, 
en  somme,  dans  son  œuvre,  une  place  fort  honorable,  en  dépit  de  la 
prodigieuse  rapidité  avec  laquelle  il  a  été  enfanté.  Comme  notre  Adam, 
avec  lequel  il  a  plus  d'un  point  de  coniact  et  de  rapport,  Donizetti 
était  de  la  race  de  ces  improvisateurs  forcenés  et  bien  doués,  qui  ne 
savaient  et  ne  pouvaient  prendre  le  temps  de  réfléchir  sur  une  œuvre 
et  qui  écrivaient  au  courant  de  la  plume,  s'en  remettant  au  hasard  de 
leur  inspiration  sur  le  résultat  à  obtenir.  Il  n'y  a  pas  à  discuter  avec 
de  tels  tempéraments.  Quand  Donizetti  était  bien  disposé,  on  avait 
Lucie,  l'Elisir  d  amore  ou  la  Fille  du  fiégiiiieiil,  de  même  qu'avec  Adam 
on  avait  le  Chalet,  Giralda  ou  U  Postillon  de  Lonjumeau.  Quand  ils 
n'étaient  pas  en  train,  dame... 

Do7i  Pasquale  fut  composé  expressément  pour  notre  Théâtre-Italien. 
Donizetti  était  alors  dans  une  veine  de  fécondité  extraordinaire.  En 
moins  de  quatre  années  il  donnait  coup  sur  coup  huit  opéras  :  le 
11  février  1840,  la  Fille  du  Régiment  à  l'Opéra-Gomique,  et  le  2  dé- 
cembre la  Favorite  à  l'Opéra;  au  commencement  de  1841  Adelia  à 
Rome,  et  le  26  décembre  Maria  Padilla  à  Milan;  le  19  mai  1842  Linda 
di  Chamounix  à  Vienne  ;  le  3  janvier  1843  Don  Pasquate  à  notre  Théâtre- 
Italii-n,  le  S  juin  suivant  Maria  di  TSohan  à  Vienne,  et  avant  la  fin  de 
la  même  année,  le  13  novembre,  Dom  Sébastien  de  Portugal  a  l'Opéra. 
Sans  compter  le  rafistolage  qu'il  fit  subir  à  son  Poliuto  pour  le  donner 
aussi  à  l'Opéra,  le  10  avril  1840,  sous  le  titre  des  Martyrs.  On  peut 
croire  du  reste  que  cetie  production  effrénée  ne  fut  pas  étrangère,  avec 
d'autres  causes,  au  dérangement  cérébral  qui  peu  d'années  après 
devait  le  conduire  au  tombeau,  à  peine  âgé  de  cinquante  ans. 

C'est  qu'à  ce  moment  Donizetti  était  passé  en  quelque  sorte  à  l'état 
de  musicien  international.  Rossini  depuis  longtemps  se  taisait,  Bel- 
lini  était  moit.  Verdi  débutait  à  peine,  et  de  fous  les  musiciens  ita- 
liens alors  existants  et  produisants  :  Paciûi,  Mercadanle,  Ricci, 
Persiani,  le  plus  remarquable  était  assurément  Donizetti.  Aussi  se 
l'arrachait-on  de  tous  côtés,  à  Paris,  à  Londres,  à  Vienne,  à  Naples, 
à  Milan...  Il  arrivait  précisément  de  Vienne,  où  il  venait  de  donner 
avec  un  grand  succès  sa  Linda  di  Ctiamounix,  dont  certaines  pages  sont 
vraiment  touchantes,  lorsqu'il  vint  à  Paris  dans  les  derniers  mois  de 
1842.  Il  fut  particulièrement  bien  accueilli  par  la  direction  du  Théâtre- 
Italien,  qui  était  en  assez  fâcheuse  situation  et  qui  pensait  remettre 
ses  affaires  en  meilleur  état  si  elle  pouvait  obtenir  de  lui  un  opéra 
nouveau,  ce  qu'elle  s'empressa  de  lui  demander.  Donizetti,  qui  ne 
savait  pas  se  faire  prier,  lui  promit  en  effet  un  opéra  bouffe,  et 
comme  il  connaissait  l'état  des  choses,  il  dit  au  directeur,  qui  était, 
je  crois,  Rouconi,  qu'il  ne  lui  demanderait  ni  décors,  ni  costumes,  ni 
aucuns  frais  de  mise  en  scène,  et  pas  même  la  dépense  d'un  livret, 
qu'il  se  chargeait  de  trouver.  L'ouvrage  pourrait  être  offert  au  public 
dans  un  délai  de  trois  mois. 

Pour  ce  qui  es.  du  livret,  Donizetti  avait  .son  idée.  Il  avait  toujours 
conservé  le  souvenir  d'un  mauvais  opéra  bouffe  de  Pavesi,  Ser  Mer- 
cantonio,  qu'il  avait  entendu  naguère  à  Naples,  et  dont  le  livret  l'avait 
amusé.  Il  fit  venir  celui-ci  d'Italie,  avec  l'intention  de  le  rajuster  et 
de  l'arranger  à  son  usage.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  qu'il  se 
ferait  ainsi  son  propre  librettiste.  Déjà,  à  Naples,  pour  sauver  un 
imprésario  in  angustie,  il  avait  tiaduit  et  arrangé  ainsi  un  de  nos 
vaudevilles  français,  la  Sonnette  de  nuit,  dont  il  avait  fait  il  Campanello. 
et  il  n'avait  pas  hésité  à  mettre  en  deux  actes  le  Chalet  pour  en  faire 


sa    Betlg.    Il    allait   donc   opérer    une   troisième  fois    de    la    même 
façon. 

Mais,  malgré  l'engagement  qu'il  avait  pris  avec  le  Théâtre-Italien, 
il  ne  se  p'essait  point,  flânait  avec  délices,  et  laissait  le  temps 
s'écouler.  Si  bien  que  le  pauvre  directeur,  aux  abois,  vint  un  jour  le 
trouver  pour  lui  exprimer  son  désespoir  et  lui  rappeler  la  date  très 
prochaine  que  lui-même  avait  fixée. 

—  Ah  bah!  lui  fait  Donizetti.  Vraiment,  nous  n'avons  plus  que  vingl- 
cinq  jours?  Eh  bien,  nous  sommes  encore  presque  en  avance. 
Écoute!  je  t'ai  dit  que  tu  n'aurais  à  l'occuper  de  rien.  Moi,  en  cinq 
jours  j'aurai  remis  le  livret  en  état,  en  dix  jours  j'écrirai  la  partition, 
dix  jours  nous  suffiront  pour  les  répétitions,  et  tout  marchera  comme 
sur  des  roulettes.  C'est  entendu. 

Et  tout  marcha  bien  en  effet,  au  moins  au  point  de  vue  du  succès, 
puisque  Delécluze  pouvait  écrire  ceci  dans  le  Journal  des  Débats,  trois 
jours  après  la  représentation  :  —  «  Depuis  les  Puritains  de  Bellini 
jusqu'à  ce  jour,  aucun  opéra  écrit  expressément  pour  le  Théêtre- 
Italien  n'a  eu  un  succès  aussi  bruyant.  Quatre  ou  cinq  morceaux 
redemandés,  rappels  aux  chanteurs,  rappels  au  compositeur,  en 
somme  une  de  ces  ovations  qui,  en  Italie,  se  prodiguent  à  la  dou- 
zaine même  aux  moindres  compositeurs,  mais  qui,  à  Paris,  se  réser- 
vent aux  seuls  et  vraiment  grands...   » 

Il  est  vrai  que  l'ouvrage  était  joué  et  chanté  d'une  façon  merveil- 
leuse par  ces  grands  artistes  qui  s'appelaient  Lablache,  Mario,  Tam- 
burini  et  Giulia  Grisi.  Mais  il  est  vrai  aussi  que  si  la  musique  de 
Don  Pasquale  n'est  point  de  qualité  absolument  supérieure,  si  elle  ne 
vaut  poiut  celle  de  l'Elisir  d'aniore,  elle  est  pourtant  fine,  délicate, 
élégante,  et  contient  des  morceaux  écrits  de  verve  et  d'un  excellent 
caractère  bouffe.  La  sérénade  du  ténor,  devenue  naguère  si  célèbre, 
sans  doute  pour  la  façon  dont  la  chantait  Mario,  n'est  point  ce  qu'il  y 
a  de  meilleur,  et  paraît  aujourd'hui  un  peu  banale,  et  tel  autre  mor- 
ceau que  l'on  pourrait  citer  sent  un  peu  trop  l'improvisation.  Mais  le 
premier  acte  contient  un  joli  trio,  on  trouve  au  second  un  quatuor 
délicieux,  et  les  deux  duos  bouffes  du  troisième  sont  d'une  facture 
excellente  et  d'un  sentiment  comique  irrésistible.  Ce  n'est  certaine- 
ment point  la  la  veine  merveilleuse  de  Rossini  et  du  Barbier,  mais, 
ma  foi,  cela  en  approche,  et  c'est  déjà  beaucoup  dire. 

En  réalité,  cette  musique  alerte,  vivante,  bien  en  scène,  piquante 
parfois  et  toujours  distinguée,  a  réjoui  le  public,  qui  a  paru  l'en- 
tendre avec  le  plus  vif  plaisir.  Il  faut  dire  aussi  que  nos  comédiens 
ont  fait  de  leur  mieux  pour  atteindre  ce  résultat.  M.  Fugère,  surtout, 
est  un  don  Pasquale  excelleut.  Ce  diable  d'homme  est  supérieur  en  tout, 
partout  et  toujours.  Quel  que  soit  le  genre  de  rôle  dont  il  est  chargé, 
on  peut  être  sur  d'avance  non  seulement  qu'il  lui  donnera,  au  point 
de  vue  scéuique  et  musical,  précisément  la  physionomie  qu'il  doit 
avoir,  mais  qu'il  ira  dans  l'interprétation  jusqu'au  point  qui  touche 
la  perfection.  L'amoureux  Octavio,  qui  n'est  qu'au  second  plan,  est 
bien  représenté  par  M.  Clément,  qui  en  a  bien  la  désinvolture  aimable 
et  familière.  Le  rôle  du  docteur  est  agréablement  tenu  par  M.  Ba- 
diali,  qui  lui  donne  pourtant  une  correction  peut-être  un  peu  froide 
et  qui  y  manque  de  diable  au  corps  ;  il  ne  faut  pas  oublier  que  nous 
sommes  ici  en  pleine  fantaisie,  et  qu'un  peu  d'outrance  ne  messied 
pas;  néanmoins,  M.  Badiali  s'est  heureusement  échauffé  dans  le  duo 
du  troisième  acte  avec  don  Pasquale,  qui  a  fait  la  joie  de  la  salle.  C'est 
M""  Parentani  qui  est  chargée  du  personnage  de  Louise.  Elle  le  joue 
avec  grâce  et  le  chante  avec  une  véritable  habileté.  Dans  son  ensemble 
enfin,  l'interprétation  de  Don  Pasquale  est  intéressante  et  aussi  satis- 
faisante que  possible.  Il  est  certain  que  le  public  a  accueilli  l'œuvre 
avec  un  véritable  plaisir.  Cela  le  repose  de  certaines  productions 
mélancoliques,  que  tous  les  efforts  n'ont  pu  réussir  à  imposer  h  son 
admiration. 

Arthur  Poumn. 


SUR  LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 


D'ADAM  DE  LA  HALLE 

(Suite.) 


Or,  les  éléments  essentiels  de  la  pièce  ne  sont  autres  qu'une  mise 
en  scène  de  chansons  populaires  bien  connues  dès  avant  Adam  de  la 
Halle.  La  principale  situation  est  celle  de  la  bergère  en  butte  aux 
attaques  du  chevalier  :  il  n'en  est  pas  de  plus  commune  dans  les  pas- 
tourelles du  moyen  âge.  S'il  m'est  permis  de  me  citer  moi-même  ici, 
je  rapprocherai  de  l'exposé  du  sujet,  de  Robin  et  Marion  le  paragraphe 
de  mon  Histoirede  ta  Clianson populaire ,  où  ce  genre  de  chanson  est  défini  : 

«   Le  thème   des    pastourelles  est   généralement   d'une   simplicité 


20  i 


LE  MÉNESTREL 


extrême,  et  la  plupart  de  ces  chansoDS,  tant  modernes  que  primitives, 
se  ressemblent  beaucoup  entre  elles.  Elles  commencent  généralement, 
sous  forme  narrative,  par  celte  pbrase  type:  L'autre  jour  j'allais  pro- 
mener. Exemples  : 

L'autrier  chevauchoie  de  lez  Paris. 

L'autrier,  quant  je  chevaucHoys 
A  l'orée  d'ung  vert  bois. 

»  Souvent  le  narrateur  précise  l'heure  de  cette  promenade,  qui  a 
lieu  généralement  le  matin: 

Je  me  levay  par  un  matin, 

La  fresche  matinée. 
L'autrier,  par  la  matinée, 
Entre  un  bois  et  un  vergier. 

»  Ce  dernier  vers  nous  indique  le  lieu  de  la  scène,  qui  e?t  ainsi 
fixé  immuablement  dès  le  début,  et  n'est  jamais  autre  qu'un  pré,  ou 
un  vergier,  ou  un  jardin.  C'esl  là  que  le  personnage  récitant  pénètre: 
il  j  trouve  une  bergère  gardant  ses  moutons  ;  la  place  de  celle  der- 
nière est  «  à  l'ombre  d'un  buissonnet  »,  ou  «  au  bord  d'une  fontaine  ». 
Dans  le  cas  plus  rare  oîi  le  récit  est  fait  par  la  bergère  elle-même, 
c'est  elle  qui  fait  la  rencontre  de  son  berger,  ou  du  seigneur.  Suit  un 
dialogue  amoureux,  dont  les  détails  varient,  mais  d'oii  résulte  géné- 
ralement l'un  des  trois  dénouements  que  voici  :  si  l'interlocuteur 
est  un  berger,  il  sera  heureux;  si  c'est  un  seigneur,  il  est  renvoyé  à 
son  château;  ou  bien  lui-même  est  témoin  des  tendres  confidences 
de  la  bergèr«  et  du  berger.  Un  quatrième  cas  peut  se  présenter: 
celui  où  le  seigneur  a  affaire  à  une  femme  mariée  ;  il  est  alors  sûr 
du  succès.  » 

Nous  ne  serions  guère  embarrassés  s'il  fallait  ciler  des  spécimens 
de  chansons,  soit  antérieures,  soit  po.stérieures  à  Adam  de  la  Halle, 
où  celte  situation  se  trouve  exposée  :  elles  sont  innombrables.  Sans 
aller  plus  loin,  nous  trouverons  un  couplet  de  ce  genre  chanté  dans 
le  «  Jeu  »  même  de  Robin  et  Marion  ;  c'est  à  la  fin  de  la  première  en- 
trevue de  Marion  et  du  chevalier,  quand  celui-ci  s'éloigne  accompagné 
par  l'ironique  Trairideluriau  de  la  bergère  :  lui-même  répond  en 
commençant  une  chanson  qui  semble  commenter  sa  propre  mésaven- 
ture : 

Hui  main  je  kevaucoie  lès  l'oriere  d'un  bois, 
Trouvai  gentil  bergiere,  tant  belle  ne  vit  rois. 

(Ce  matin  je  chevauchais  vers  la  lisière  d'un  bois,  je  trouvais  gen- 
tille bergère;  un  roi  n'en  vit  pas  de  si  belle). 

La  poésie  courtoise  de  la  même  époque  nous  offre  de  nombreux 
exemples  analogues.  Telle  esl  celle  chanson  d'un  grand  seigneur  con- 
temporain de  saint  Louis,  Thibaul,  comte  de  Champagne  et  roi  de 
Navarre  :  la  mélodie,  majeure,  a  une  fraîcheur  el  une  grâce  toute 
moderne,  el  la  poésie  reproduit  si  exactement  la  situation  de  la 
première  scène  du  .Jeu  de  Robin  et  Marion  qu'on  en  retrouve  même 
les  expressions  caractéristiques  : 

L'autrier,  par  la  matinée. 

Entre  un  bois  et  un  vergier, 

Une  pastoure  ai  trouvée 

Chantant  pour  soi  envoisier  ; 

Et  disoit  un  son  premier  : 

«  Ghi  me  tient  li  maus  d'amor  !  » 

Tantost  celé  part  m'entor 

Ke  je  l'oï  desraisnier. 

Si  li  dis  sans  delaier, 

«  Bêle,  Diex  vous  doint  bonjor.  » 

(L'autre  jour,  par  la  matinée,  entre  un  bois  et  un  verger,  j'ai  trouvé  une 
bergère  chantant  pour  s.e  distraire  ;  et  elle  disait  une  première  chanson  : 
i<  Combien  me  tient  le  mal  d'amour  !  »  Aussitôt  que  je  me  trouvai  à  cette 
place  où  je  l'entendis  chanter,  je  lui  dis  sans  hésiter  ;  «  Belle,  que  Dieu 
vous  donne  bon  jour.  ») 

Deux  siècles  plus  tard,  nous  retrouvons  la  même  scène,  presque 
dans  les  mêmes  termes,  au  début  d'une  chanson  (n°  XXIX  des  Chan- 
sons du  XV  siècle,  publiées  par  M.  Gaston  Paris,  musique  notée 
par  M.  Gevaert)  : 

L'autrier,  quant  je  chevauchoys 
A  l'orée  d'un  vert  boys, 

Trouvay  gaye  bergère  : 

De  tant  loin  qu'ouy  sa  voix 

Je  l'ai  araisonnée. 

Tanderelo  ! 

Dieu  vous  adjust,  bergère! 

Au  XVIP  siècle,  ce  début  est  légèrement  modifié,  ainsi  qu'il  suit: 
Il  estoil  une  fillette  —  qui  alloit  glaner; 
A  fait  sa  gerbe  trop  grosse,  —  ne  la  peut  lier. 


Par  ici  y  est  passé  —  un  brave  chevalier. 
Il  l'a  priée  d'amourette,  —  ne  l'a  refusé  (1). 

Un  siècle  plus  tard,  même  énoncé,  au  début  d'une  chanson  inter- 
calée dans  Annetle  el  Lubin,  de  M""^^  Favart  (1762)  : 

Il  était  une  fille,  —  une  fille  d'honneur 

Qui  plaisait  fort  à  son  seigneur. 
En  son  chemin  rencontre  —  ce  seigneur  déloyal 
Monté  sur  son  cheval. 

Mettant  le  pied  à  terre,  —  entre  ses  bras  la  prend: 

«  Embrasse-moi,  ma  belle  enfant. 
»  —  Hélas!  ce  lui  dit-elle,  —  le  cœur  transi  de  peur, 
»  Volontiers,  Monseigneur.  ;> 

Double  rapprochement  curieux  :  dans  i'opéra-comique  de  M""  Favart, 
ces  couplets  sont  chantés  sur  l'air  bien  populaire  d'une  de  nos  chan- 
sons les  plus  anciennes  et  les  plus  célèbres,  la  Pernette  ;  d'autre  part, 
il  y  a,  dans  la  dernière  partie  des  Saisons,  d'Haydn,  une  chanson 
que  chantent  les  villageoises  à  la  veillée  d'hiver  :  cette  chanson  est- 
elle  traduite  de  la  chanson  française,  ou  bien  imitée  de  quelque  chan- 
son populaire  allemande  sur  le  même  sujet?  Je  ne  le  saurais  dire: 
ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  poésie  du  lied  d'Haydn  est  absolu- 
ment identique,  pour  le  sujet,  le  développement  et  tous  les  détails 
importants,  à  celle  dont  on  vient  de  lire  les  premiers  couplets. 

Enfin,  de  nos  jours  mêmes,  ce  molif  se  retrouve  au  début  de  mainte 
chanson  populaire;  voici  les  premiers  couplets  de  deux  chansons  que 
chantent  encore  les  bergères  de  la  Bresse  : 

«  L'autre  dit  jour,  je  m'y  promène 
Tout  le  long  de  ces  bois  charmants. 
J'ai  entendu  chanter 
Un'  tant  belle  bergère  : 
Je  me  suis  approché. 
Croyant  la  caresser.  » 
Quand  la  berger'  s'en  va  faux  champs. 

Filant  sa  quenouillette, 
Tout  en  gardant  ses  blancs  moutons 

Qui  paissent  sur  l'herbette. 
Un  beau  monsieur  vint  à  passer 
A  dit  à  la  bergère,  etc. 
On  voit  que  depuis  le  XIIP  siècle  jusqu'à  nos  jours  la  tradition  n'a 
pas  été  ioterrompue  un  seul  iostant,  et  que  le  sujet  du  Jeu  de  Robin 
el  Marion,  emprunté  lui-même  à  des  chansons  populaires  antérieures, 
se  retrouve  encore  dans  les  chansons  d'aujourd'hui.  Et  si  nous  vou- 
lions pousser  plus  loin  les  observations,  nous  retrouverions  plusieurs 
autres  scènes  du  Jeu  dans  les  chansons.  C'est  ainsi  que  le  dialogue 
entre  le  seigneur  et  la  bergère,  celle-ci  contrefaisant  la   niaise  pour 
se  moquer  de  lui,  se  trouve  dans  une  infinité  de  chansons  populaires, 
avec,  le  plus  souvent,  ce  détail  caractéristique  que  la  bergère  répond 
en  palois  au  seigneur  qui  chante  en  français  (j'ai  donné  un  spécimen 
de  celte  chanson  dans  mon  premier  recueil   des  Mélodies  populaires, 
sous  le  titre  de  la  «  Bergère  et  le  Monsieur  »,  variante  provenant  de 
l'Auvergne,  et  en  ai  recueilli  un  grand  nombre  de  nouvelles  versions 
depuis  la  publication  de  cet  ouvrage).  La  scène  du  repas  champêtre 
du  berger  et  de  la  bergère,  avec  ses  détails  réalistes,  ne  peut-elle  pas, 
de  même,  être  rapprochée  du  couplet  suivant  d'une  chanson  de  forme 
plus  moderne:   «  La  Bergère  aux  champs  »  ? 
«  Berger,  mon  doux  berger, 
Qu'aurons-nous  à  manger? 
—  Un  pâté  d'alouettes, 
Uri  aloyau  de  veau. 
Du  bon  vin  de  Champagne 
Par  dessous  mnn  manteau.  » 

Enfin  l'épisode  de  la  brebis  sauvée  du  loup  est  visiblement  pris  à 
une  chauson  dont  on  trouve  déjà  le  développement  complet  dans  le 
recueil  des  Carmina  hurana,  imitations  de  chansons  populaires  (en 
latin  ou  eu  langue  vulgaire)  connues  par  des  manuscrits  antérieurs 
même  à  la  première  représentation  de  Robin  et  Marion:  et,  après  avoir 
pu  en  suivre  le  développement  ù  travers  les  siècles,  nous  le  voyons 
reparaître  dans  un  grand  nombre  de  versions  recueillies  de  nos  jours 
(par  exemple  la  chanson  satirique  :  Mon  père  avait  cinq  cents  moutons, 
de  mon  'i"  recueil  de  Mélodies  populaires). 

L'on  voit  donc  que  le  genre  auquel  appartient  la  pastourelle  théâtrale 
d'Adam  de  la  Halle  n'est  pas  si  mort,  puisque,  par  une  tradition  inin- 
terrompue, nous  en  retrouvons  aujourd'hui  de  nombreux  restes  par- 
faitement vivants,  conservés,  sans  le  secours  d'aucun  artifice,  par  la 
seule  fidélité  de  la  mémoire  populaire. 

(A  suivre.)  Julikn  Tieiisot. 

(1)  Le  Recueil  des  plus  belles  chansons  de  dances,  Caen,  .lacques  Mangeant,  1615. 


LE  MÉNESTREL 


205 


1\.S.  —  Ce  n'est  pas  à  moi  qu'il  appartient  de  rendre  compte  de  la 
représentation  du  Jeu  de  Robin  et  Marioii  qui  a  eu  lieu  dimanche  der- 
nier à  Arras,  et  dont  nos  confrères  de  la  presse  parisienne  ont  eu  un 
avant-goùt  par  la  répétition  générale  (incomplète  d'ailleurs)  dont  il 
a  été  rendu  compte  ici.  Du  moins,  puisque  les  circonstances  ont  fait 
de  moi,  po\ir  un  soir,  le  subrogé  de;  l'auteur,  qu'il  me  soil  permis  de 
parler  en  son  nom  ;  non  pas  qu'Adam  de  la  Halle  m'en  ait  chargé:  il 
est  mort  !  Mais  je  suis  bien  certain  que  si,  du  haut  du  ciel,  sa 
demeure  dernière,  il  a  pu  assister  à  la  résurrection  de  son  œuvre,  il 
a  dû  tressaillir  de  joie  en  se  voyant  si  bien  compris  et  interprété  avec 
tant  de  bonne  grâce,  d'intelligence  et  de  talent  par  les  artistes  de 
rOpéra-Gomique  dont  on  a  déjà  dit  les  mérites:  M""' Molé-Truffier, 
M"°  Vilma  MM.  Vialas,  Bernaerl,  Ducis,  Viannenc  et  Dupuis.  Sa 
reconnaissance  n'aura  pas  manqué  d'aller  surtout  à  M.  Carvalho,  qui 
n'a  rien  su  refuserau  plus  ancien  prédécesseurdes  Monsigny,  des  Gré- 
try,  desBoieldieu,  —  voire  des  Messager  et  des  Cahen...  Enfin  son  cœur 
d'Artésien  a  sûrement  battu  très  fort  lorsqu'il  a  vu  son  œuvre  accla- 
mée par  les  modernes  habitants  de  sa  ville  natale,  pour  qui  le  pro- 
verbe :  «  Nul  n'est  prophète  en  son  pays  »  n'est  pas  vrai,  —  du 
moins  quand  il  y  a  six  cents  ans  qu'on  est  mort!  —  En  mon  nom 
personnel,  enfin,  je  dois  tous  mes  remerciements  à  la  Société  philhar- 
monique d'Arras,  qui  a  prêté  son  concours  le  plus  dévoué  à  l'exécu- 
tion orchestrale,  et  qui,  dans  de  trop  rapides  répétitions,  a  eu  la 
patience  de  travailler  sous  la  férule  d'un  chef  exigeant  et  grincheux, 
—  lequel  ne  regretlf  pas  de  l'avoir  été,  d'ailleurs,  puisque,  par  là, 
une  excellente  exécution  a  pu  être  obtenue. 

(A  suivre.)  J.  T. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


II 

La  Bastilte  de  ta  légende  et  la  Bastille  de  rhistoire.  —  Pélisson  et  la  mitsette  du  Basque. 

—  Araignées  et  smiris  mélomanes.  —  La  guitare  du  Manque  de  fer.  —  L'histoire  de 
l'InquisiLîon  française.  Portrait  de  rauteur  ,  Constantin  de  Rennevilte,  et  de  ses 
compagnons  de  captivité;  Schraderde  Peck  et  ses  violons  en  os  de  vache;  les  virtuoses 
Kreyser  et  Monicard;  le  répertoire  lyrique  d^un  capucin;  leshymnes  du  ministre Cardel. 

—  Le  duo  d'Iphigénie  à  la  Bastille.  —  Le  flageolet  de  Latude.  —  Les  psaumes  d'un 
mystique.  —  Les  vocalises  de  la  comtesse  de  la  Moite.  —  La  sourdine  de  Tort  de  la  Sonde. 

—  Un  prisonnier  professeur  de  clavecin  pour  les  jeunes  filles  de  la  maison . 

On  a  beaucoup  écrit,  et  partant  raisonné  ou...  déraisonné  sur  la  vie 
intérieure  de  la  Bastille.  Des  écrivains  ont  affirmé  que  le  célèbre 
château  fort  était  creusé  d'oubliettes  et  peuplé  de  cachots,  qui  s'ou- 
vraient pour  engloutir,  vivants  ou  morts,  les  martyrs  du  pouvoir  des- 
potique. D'autres  ont  représenté  cette  prison  d'Etat  comme  une  sorte 
de  maison  de  santé,  où  les  grands  seigneurs  venaient  se  remettre  des 
émotions  d'une  vie  trop  agitée.  Certains  en  ont  fait  même  la  retraite 
des  gens  de  lettres,  qui  trouvaient  dans  ce  paisible  asile  une  table  et 
un  logis  autrement  confortables  que  leur  pitance  quotidienne  et  leur 
misérable  grenier. 

Or,  la  Bastille  n'était  —  et  nous  parlons  surtout  de  la  Bastille  du 
XVIH''  siècle  —  ni  ce  réceptacle  d'horreur,  ni  ee  lieu  de  plaisance 
que  nous  exhibe  la  légende,  commentée  par  des  imaginations  com- 
plaisantes. Si,  quelquefois,  des  gentilshommes  impatients  de  toute 
autorité  et  des  pamphlétaires  d'humeur  trop  maligne  expiaient 
joyeusement  et  brièvement  leurs  prétendus  crimes  à  la  table  du  gou- 
verneur, le  plus  grand  nombre  subissait  une  captivité  réelle,  c'est-à- 
dire  étroite,  rigoureuse  et  souvent  fort  longue.  Sans  doute,  si  le  gou- 
verneur ne  prélevait  pas  sa  dime  sur  les  sommes  affectées  par  la 
maison  du  Roi  à  la  nourriture  et  à  l'entretien  des  prisonniers,  ceux-ci 
n'avaient  pas  trop  à  souffrir,  quant  aux  exigences  de  la  vie  maté- 
rielle; mais  la  contrainte  morale  n'en  était  que  plus  pénible.  C'était 
déjà  pour  eux  une  grâce  inespérée  que  de  pouvoir  correspondre  avec 
leurs  parents  et  leurs  amis  :  mais  les  lettres  passaient  sous  les  yeux 
de  la  police  et  restaient  entre  ses  mains,  du  moment  où.  elles  parlaient 
de  toute  autre  chose  que  des  intérêts  pécuniaires  du  détenu  :  encore 
celui-ci  devait-il  rendre  un  compte  exact  du  papier  qui  lui  était 
remis  pour  cette  correspondance.  Il  ne  pouvait  recevoir  qu'un  certain 
nombre  de  livres,  qui  tous  étaient  examinés  feuille  par  feuille.  Les 
visites,  très  rares,  de  la  famille  ou  des  hommes  d'affaires,  n'étaient 
autorisées  qu'en  présence  d'un  officier  du  château.  C'était  à  cette 
seule  faveur  que  se  bornaient  les  rapports  des  prisonniers  avec  le 
dehors;  et,  bien  entendu,  elles  étaient  le  prix  de  leur  docilité,  de  leur 
patience  et  de  leur  résignation.  Mais,  sauf  ces  rares  exceptions,  tous 
vivaient  dans  la  solitude  et  dans  l'isolement  :  ils  savaient  à  quelle 


heure  avait  commencé  leur  supplice,  ils  ignoraient  quel  jour  le  ver- 
rait finir  :  le  bon  plaisir  d'un  ministre  en  déterminait  seul  la  durée. 
Aussi  no  se  lassaient-ils  pas  de  lui  écrire,  à  lui  ou  au  lieutenant  de 
police,  pour  implorer  leur  miséricorde.  Mais  les  fonctionnaires  res- 
taient sourds  à  leurs  supplications  :  souvent  même  ils  n'y  répondaient 
pas.  Sans  doute,  la  plupart  de  ces  misérables  étaient  fort  peu  intéres- 
sants :  c'étaient  des  espions,  des  intrigants,  des  maîtres  chanteurs; 
mais  leur  peine,  qui  n'était  sanctionnée  par  aucun  jugement,  était- 
elle  proportionnée  à  leur  faute?  Une  captivité  dont  il  est  impossible 
de  prévoirie  terme  n'est-elle  pas  la  pire  de  toutes?  Et  il  suffit  de  par- 
courir les  lettres  désespérées,  contenues  dans  les  Archii'e.s de  ta  Bastille, 
pour  reconnaître  qu'à  cet  égard  le  Château  du  Roi  était  un  lieu  de 
tristesse  et  de  désolation,  le  vrai  type  des  prisons  d'État. 

Plusieurs  de  ses  pensionnaires  demandèrent  à  la  musique  l'oubli 
momentané  de  leurs  maux. 

En  1601,  Pélisson,  qui  devait  être  plus  tard  l'historien  de  l'Acadé- 
mie Française,  avait  été  enfermé  à  la  Bastille,  en  même  temps  que 
le  surintendant  Fouquet,  dont  il  était  nn  des  premiers  commis.  Bien 
qu'il  n'existât  contre  lui  d'autre  preuve  de  prévarication  que  celle  de 
son  dévouement  à  une  grande  infortune,  Pélisson  resta  plusieurs 
années  à  la  Bastille.  Il  avait  conservé  avec  lui  deux  de  ses  valets, 
l'Allemand  et  le  Gascon,  qui,  suivant  le  règlement  observé  dans 
toutes  les  prisons  d'Etat,  ne  pouvaient,  sous  aucun  prétexte,  sortir 
du  château.  Pélisson  obtint  cependant  que  l'un  d'eux  fut  remplacé 
par  le  Basque,  dont  le  talent  sur  la  musette  offrait  à  ses  ennuis  une 
puissante  diversion. 

Le  futur  académicien,  l'amant  platonique  de  la  célèbre  M"»  de  Sgu- 
déry,  est  certainement  moins  connu  par  cette  particularité,  très  véri- 
dique,  que  par  l'historiette,  très  fausse,  de  son  araignée,  sa  compagne 
de  prison,  méchamment  écrasée  sous  le  pied  d'un  porte-clefs  brutal. 
Cette  légende  a  dû  se  greffer  sur  une  autre  anecdote,  dont  Bourdelot 
certifie  l'authenticité  dans  son  Histoire  de  la  musique  et  qui  met  égale- 
ment en  scène,  à  la  Bastille,  un  détenu,  un  geôlier,  une  et  même 
plusieurs  araignées,  le  tout  accompagné  d'une  légion  de  souris. 

TJn  capitaine  du  régiment  de  Navarre  avait  été  embastillé  pour 
avoir  parlé  un  peu  trop  librement  de  Louvois.  En  dépit  des  règlements 
qui  interdisaient  toute  espèce  de  musique  dans  les  prisons  d'État  — 
nous  avons  dit  qu'ils  fléchissaient  au  gré  du  gouverneur  —  celui-ci 
autorisa  le  capitaine  à  jouer  du  luth.  L'officier  usa  largement  de  la 
permission. 

Et  quel  ne  fut  pas  son  étonnement!  Pendant  qu'il  exécutait  un  air 
de  Lulli.  il  vit  apparaître,  timidement  d'abord,  puis  un  peu  plus 
hardiment,  des  souris,  qui  sortaient  de  leur  trou  et  des  araignées  qui 
descendaient  de  leurs  toiles,  auditoire  inattendu  de  ce  concert  im- 
provisé. La  musique  cessant,  les  bestioles  regagnaient  chacune  leur 
logis  respectif.  Notre  virtuose  en  compta  bientôt  une  centaine  autour 
de  lui  ;  et  comme  il  était  vraisemblablement  doublé  d'un  observateur, 
il  pria  le  geôlier  de  lui  apporter  un  chat  dans  une  cage.  Comme  on 
voit,  la  Bastille  présentait  quelques  points  de  ressemblance  avec 
l'arche  de  Noé. 

Le  désir  de  l'officier  fut  satisfait.  La  présence  du  félin,  «nfermé 
comme  un  simple  prisonnier  de  la  Bastille,  n'intimidait  que  médio- 
crement les  souris,  qui  étaient,  parait-il,  des  Lullistes  convaincues. 
Mais  le  capitaine  ouvrait-il  brusquement  la  porte  de  la  cage,  que  la 
gent  souriquoise  fuyait  dans  toutes  les  directions,  dénouement  tragi- 
que qui  achevait  de  désopiler  la  rate  du  musicien. 

En  terminant  son  récit,  Bourdelot  ajoute,  non  sans  naïveté,  qu'il 
n'eût  jamais  cru  à  l'anecdote,  si  l'intendant  de  la  duchesse  de  ViUeroi, 
un  homme  digne  de  foi,  ne  lui  en  eût  certifié  l'exactitude. 

Nous  faut- il  admettre  également  avec  Voltaire,  bien  informé,  pré- 
tendait-il, sur  ces  menus  faits,  que  le  Masque  de  fer  cherchait  à 
tromper  les  ennuis  de  son  éternelle  solitude  en  jouant  de  la  guitare? 

L'auteur  qui  nous  renseigne  encore  le  mieux  sur  les  habitudes  mu- 
sicales des  prisonniers  de  la  Bastille,  vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV, 
est  ce  Constantin  de  Renneville  qui  fit  paraître  en  Hollande,  sous  le 
titre  de  VInquisition  française  ou  Histoire  de  la  Ba-ilille,  le  récit  de  sa 
propre  détention,  longue  de  onze  années.  C'était  un  assez  vilain  per- 
sonnage que  Constantin  de  Renneville.  Tantôt  catholique,  tantôt  cal- 
viniste, mais  toujours  à  court  d'argent  et  ne  reculant  devant  aucune 
vilenie  pour  satisfaire  autant  ses  goûts  de  dépenses  que  sa  soif  d'in- 
trigues, cet  aventurier  espionnait  en  Allemagne  au  profit  de  la  France, 
et  réciproquement.  Le  cabinet  de  Versailles  finit  par  le  convaincre 
d'infidélité  et  le  fit  conduire  à  la  Bastille. 

Constantin  de  Renneville  y  resta  jusqu'à  «  la  conclusion  de  la 
paix  ii;  c'était  la  formule  consacrée  qui  justifiait  l'internement  pro- 
longé des  espions  avérés  et  quelquefois,  hélas!  de  simples  «uspects. 


206 


LE  ftlÉNESTREL 


Malgré  sa  longueur,  son  parti  pris  de  dénigrement  et  la  platitude 
de  son  style,  VHistoire  de  rinqulsilion  française,  que  Renneville  écrivit 
à  l'aide  de  ses  souvenirs,  n'est  pas  dénuée  d'intérêt.  Elle  nous  ren- 
seigne aroplement  sur  la  vie  intime  de  cette  mystérieuse  forteresse 
que  la  volonté  du  maître  et  la  raison  d'État  tenaient  fermée  à  tous  les 
regards.  Sans  doute,  la  sincérité  de  l'auteur  est  sujette  à  caution, 
mais  tout  n'est  pas  erreur  ni  mensonge  dans  ses  récits,  et  nous  avons 
pu  nous  assurer,  en  les  contrôlant  avec  les  pièces  officielles,  que 
Constantin  de  Renneville  disait  quelquefois  la  vérité.  S'il  est  souvent 
injuste  pour  ses  gardiens,  il  n'est  que  trop  véridique  quand  il  dévoile 
les  turpitudes  de  ses  compagnons  de  captivité,  cette  tourbe  d'Anglais 
ou  d'Allemands,  de  huguenots  ou  de  juifs,  qui  faisaient  alors  métier 
d'espionnage  et  qui,  depuis,  ont  trouvé  tant  de  successeurs. 

Tous  vivaient  en  commun,  aux  diiTérents  étages  de  chaque  tour, 
mangeant,  buvant,  chantant,  s'enivrani,  s'injuriaiil  et  s'entre-tuani, 
jusqu'au  moment  où  le  gouverneur,  excédé  d'un  tel  scandale,  faisait 
jeter  les  plus  turbulents  au  cachot.  Les  cinq  volumes  de  l'Inquisition 
française  abondent  en  scènes  de  ce  genre,  descriptions  souvent  pas- 
sionnées, mais  toujours  écœurantes.  Renneville  y  distribue  le  blâme 
ou  l'éloge  suivant  ses  affections  particulières;  et  parfois,  comme  nous 
l'avons  déjà  constaté,  il  rencontre  juste.  C'est  précisément  dans  la 
galerie  de  portraits  où  il  fait  figurer,  pêle-mêle,  amis  et  ennemis, 
que  nous  trouvons  les  originaux  des  musiciens  embastillés  à  cette 
époque. 

L'un  d'eux  était  le  frère  d'un  capitaine  allemand,  Schrader  de  Peek, 
dont  la  détention,  plus  longue  encore  que  celle  de  notre  auteur,  n'était 
pas  moins  justifiée.  Renneville  tient  en  très  haute  estime  son  «  com- 
pagnon de  Bastille  »,  qu'il  dit  «  du  meilleur  naturel  du  monde  et  fort 
adroit  de  ses  mains  ». 

En  tout  cas,  son  esprit  industrieux  trouvait  autour  de  soi  matière  à 
s'exercer  :  «  Avec  le  fil  qu'il  tirait  de  ses  draps  et  de  nos  serviettes, 
affirme  Renneville,  il  faisait  divers  ouvrages,  entre  autres  du  galon  et 
des  cordes  d'une  bonté  merveilleuse.  Ce  fut  lui  qui  commença  les 
échelles  avec  lesquelles  M.  l'abbé  comte  de  Bucquoi  s'est  sauvé  de  la 
Bastille.  » 

On  sait  que  cette  évasion,  qui  a  stimulé  la  verve  de  tant  d'écrivains. 
entre  autres  celle  de  Gérard  de  Nerval,   fut  difficile  et  mouvementée. 

Schrader  élait  le  génie  même  de  l'invention: 

«  Sans  le  secours  d'autres  outils  que  ceux  que  lui  fournissaient  les 
os  des  vaches  qu'on  nous  donnait  à  manger,  il  laisail  des  aiguilles, 
des  couteaux,  des  cuillers,  plusieurs  instruments  de  musique,  entre 
autres  des  flageolets,  des  flûtes  et  des  violons,  dont  il  jouait  fort 
agréablement.  » 

{A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (2S  juin).  —  M.^"  Kutscherra  ayant 
cessé  de  plaire  dès  sa  première  soirée  de  début  à  l'Opéra,  c'est  la  Monnaie 
qui  hérite  de  l'exubérante  «cantatrice  wagnérienne  ».  MM.  Stoumon  et 
Calabrési  lui  ont  ouvert  les  bras  en  lui  signant  un  engagement  qui  la  con- 
solera probablement  de  l'ingratitude  des  Parisiens..  Elle  débutera  à 
Bruxelles  dans  le  rôle  d'Eisa  de  Lohengrin. 

Le  Conservatoire  vient  de  faire,  par  la  mort  de  Ferdinand  Kufîerath,  une 
perte  particulièrement  sensible  et  cruelle.  Ferdinand  Kufiferath  y  dirigeait 
depuis  vingt-cinq  ans  le  cours  de  contrepoint  et  de  fugue  avec  un  talent 
qui  n'avait  d'égale  que  l'extrême  modestie  de  son  caractère  et  de  sa 
personne.  C'était  un  homme  d'une  valeur  supérieure,  un  vrai  «  puits  de 
science»,  ne  faisant  jamais  parler  de  lui,  se  dissimulant,  vivant  avec  lui- 
même  et  répandant  en  silence  les  trésors  de  son  esprit.  Combien  rares 
sont  aujourd'hui  les  hommes  de  cette  sorte  1  II  y  a,  dans  le  Thomas  Grain- 
dorge  de  Taine,  une  figure  d'artiste,  Wilhelm  Kittel,  qui  semble  le  por- 
trait même  de  Ferdinand  Kufferath  :  «  Il  n'a  pas  songé  à  la  gloire.  L'in- 
trigue lui  a  fait  peur.  Il  a  préféré  ne  pas  claler  ;  il  est  resté  chez  lui,  lisant 
ses  partitions,  allant  étudier  les  oratorios  aux  bibliothèques.  Il  a  même 
fini  par  ne  plus  venir  aux  concerts  ni  aux  théâtres  :  une  exécution  de 
parade,  des  gargouillements  de  chanteuse,  la  niaiserie  des  applaudisse- 
ments lui  dérangeant  ses  rêves;  il  prétend  qu'on  n'entend  bien  un  opéra 
qu'au  piano.  Cinq  ou  six  compositeurs  célèbres  le  connaissent,  de  temps 
en  temps  vont  le  relancer  chez  lui,  le  respectent  et  sont  contents  quand 
il  dit:  «C'est  bien!  »  Il  accepte  rarement  un  diner  en  ville  de  peur  qu'on 
ne  lui  demande  une  sonate  au  dessert  comme  accompagnement  du  café 
et  de  la  chartreuse.  Selon  lui  la  musique  est  une  conversation  intime  ; 
on  ne  s'épanche  pas  pour  une  tasse  de  thé  nu  pour  une  poularde,  et  sur- 
tout on  ne  fait  pas  ses  confidences  à  des  inconnus.  » 


Avec  Kufferath.  disparait  certainement  une  des  figures  de  musiciens  les 
plus  honnêtes,  les  plus  fières,  les  plus  estimables.  Il  avait  "S  ans  et 
était  né  à  Mulheim.  Après  avoir  fait  à  Leipzig  de  brillantes  études  avec 
Mendelssohn  dont  il  fut  le  dernier  élève,  il  s'était  établi  à  Bruxelles  de- 
puis plus  de  cinquante  ans.  Il  a  laissé  des  compositions  symphoniques 
distinguées,  et  eut  de  vifs  succès  comme  pianiste  et  comme  organiste. 
Pendant  deux  ou  trois  ans,  il  fut  (détail  peu  connu)  attaché  à  la  personne 
du  roi  des  Belges  Léopold  I",  à  qui  il  venait  jouer,  tous  les  soirs,  au  piano, 
les  partitions  d'opéra  les  plus  nouvelles  ;  notre  premier  roi  avait  des 
goûts  musicaux,  qu'il  n'a  point  légués  à  son  fils. 

M.  Gevaert  faisait  le  plus  grand  cas  de  Ferdinand  Kufferath,  et  le  vide 
que  cette  mort  creuse  au  Conservateire  sera  très  difficilement  comblé. 
Il  est  probable  que  c'est  M.  .Joseph  Dupont,  actuellement  premier  profes- 
seur d'harmonie,  qui  prendra  la  classe  de  contrepoint  ;  M.  Paul  Gilson, 
le  jeune  compositeur  qui  s'est  si  brillamment  révélé  en  ces  derniers  temps, 
entrerait  au  Conservatoire,  où  il  occuperait  la  place  de  M.  Joseph  Dupont. 
Un  autre  candidat  parait  cependant  avoir  des  chances  non  moins  sérieuses  : 
c'est  M.  Léon  Du  Bois,  deuxième  chef  d'orchestre  de  la  Monnaie  et  premier 
chef  des  concerts  du  Waux-Hall.  L.  S. 

Dernière  heure  :  D'après  de  nouveaux  renseignements,  ce  ne  serait  ni 
à  Gilson,  ni  à  Du  Bois  que  reviendrait  la  succession  de  M.  Kufferath,  au 
Conservatoire  de  Bruxelles.  Ce  serait  M.  Edgar  Tinel,  directeur  de  l'école 
de  musique  religieuse  de  Malines,  qui  serait  nommé  professeur. 

—  L'archiviste  de  la  surintendance  générale  des  théâtres  impériaux  de 
Vienne,  M.  A.-J.  Weltner,  vient  de  publier  un  rapport  sur  l'Opéra  impé- 
rial pendant  la  dernière  saison.  Le  théâtre  a  donné  319  représentations, 
dont  7  matinées,  et  a  joué  61  opéras  différents  et  21  ballets!  De  ces  ou- 
vrages, i  opéras  et  un  ballet  ont  été  joués  pour  la  première  fois  au 
cours  de  cette  saison,  et  parmi  eux  la  Navarraise,  de  Massenet.  M""  Kau- 
lich  a  chanté  101  fois,  et  la  basse  Reichenberg  100  fois  ;  ces  deux  artistes 
détiennent  un  «  reiord  ».  Les  premiers  ténors,  MM.  Van  Dyck  et  "Winckel-: 
mann,  n'ont  chanté  que  50  fois.  Il  est  intéressant  de  constater  que  les  œu- 
vres françaises  ont  été  jouées  à  Vienne  beaucoup  plus  souvent  que  celles 
de  Richard  Wagner,  qui  est  néanmoins  le  compositeur  allemand  le  plus 
favorisé.  On  a  joué  9  opéras  de  Richard  Wagner  qui  ont  fourni  en  tout 
37  représentations  ;  à  lui  seul,  Lohengrin  a  été  joué  8  fois.  Rieiizi  et  l'Or  du 
Rhin  sont  les  œuvres  de  Wagner  qu'on  ne  joue  à  Vienne  que  très  rarement, 
et  les  Fées  y  sont  encore  inconnues. 

—  La  Chambre  des  députés  de  Bavière,  dans  sa  discussion  relative  à 
la  subvention  accordée  à  l'Opéra  de  Munich,  a  critiqué  l'augmentation  du 
prix  des  places  au  théâtre  Wagner,  de  Bayreuth.  Or,  on  écrit  de  Bayreulh 
aux  journaux  allemands  que  cette  critique  n'est  pas  fondée.  Le  prix  des 
places  n'a  pas  été  modifié  depuis  1876,  ni  en  plus  ni  en  moins,  parce  que 
les  dépenses  d'exercice  pour  une  période  si  courte  d'activité  sont  considé- 
rables et  n'ont  pas  permis  jusqu'ici  de  penser  à  une  réduction.  Les 
représentations  de  1876  avaient  laissé  un  déficit  de  230.000  marks  (312.500 
francs).  Wagner  espérait  qu'il  lui  serait  accordé  une  subvention  du 
Reichstag  ou  d'un  prince  allemand  quelconque,  mais  n'ayant  pas  obtenu 
le- plus  léger  subside,  i!  vendit  au  directeur  Angelo  Neumann  tous  les 
décors  et  accessoires  des  Nibelungen  et  conclut  un  emprunt  àl  a  Caisse  royale 
de  Munich,  emprunt  garanti  et  amorti  par  la  cession  de  tous  les  droits 
d'auteur  qui  lui  reviendraient  pour  la  représentation  de  ses  ouvrages  sur 
la  scène  de  Munich.  Depuis  1883  jusqu'aujourd'hui,  les  représentations  à 
Bayreuth  de  ParsifaI,  de  Ttislan,  des  Maîtres  Chanteurs,  de  Tannltiiuser  et  de 
Lohengrin  ont  donné  régulièrement,  en  moyenne,  un  bénéfice  de  30,000  marks 
par  année;  mais  cette  somme  a  toujours  été  versée  au  fonds  de  réserve, 
qui  s'élève  actuellement  à  3UO.O0O  marks  et  qui  sert  pour  la  mise  en  scène 
des  opéras  qui  jusqu'à  ce  jour  n'ont  pas  encore  figuré  au  répertoire  du 
théâtre  de  Bayreuth.  Cette  année,  par  exemple,  où  l'on  a  dû  refaire  com- 
plètement les  décors  et  les  costumes  de  t'Anneau  du  Nibelung,  il  ne  restera 
pas  grand'cliose  de  ce  fonds  de  réserve  :  la  dépense  est  considérable,  et 
le  produit  net  des  représentations  sulfira  à  peine  à  couvrir  les  frais  ordi- 
naires de  l'exercice.  M"""  Cosima  Wagner,  ajoute-t-on,  a  toujours  considéré 
Bayreuth  comme  une  entreprise  purement  artistique  et  désintéressée, 
uniquement  destinée  à  glorifier  l'œuvra  du  maître. 

^  A  Bayreuth  ont  commencé  les  répétitions  pour  la  reprise  du  cycle 
l'Anneau  du  Nibelung.  Aucun  artiste  de  la  création,  de  1876,  ne  prend  part  à 
cette  reprise,  à  l'exception  de  M.  Vogl,  le  célèbre  ténor  de  l'Opéra  de 
Munich,  qui  chantera  encore,  dans  l'Or  du  Rhin,  le  rôle  de  Loge,  qu'il  a 
créé  d'une  façon  si  remarquable  il  y  a  vingt  ans.  M°"=  Materna  vit  toujours 
—  elle  donne  même  actuellement  des  concerts  quelque  part  dans  l'ouest 
de  l'Amérique  —  mais  elle  ne  conduira  plus  Grane,  le  cheval  noir  de  la 
Valkyrie,  sur  les  planches  de  Bayreulh.  L'une  des  sœurs  Lehmann  est 
encore  sur  la  brèche,  mais  elle  ne  chantera  pas  non  plus  à  Bayreuth  ; 
l'autre  sœur  s'est  retirée  de  la  scène.  Plusieurs  artistes  de  1870  ne  sont 
plus  de  ce  monde,  entre  autres  la  célèbre  ba.sse  Scaria,  qui  a  créé  le  rôle 
de  Wotan.  Mais  ce  qui  manquera  surtout  à  la  reprise  de  cette  année, c'est 
le  génie  du  vieux  maître  qui,  en  1876,  avait  animé  tout  le  monde  sur  la 
scène  ;  la  tradition  subsiste  encore,  mais  nous  doutons  fort  qu'elle  soit  à 
même  de  suffire,  en  dehors  de  l'orchestre,  confié  à  M.  Ilans  Richter. 

—  A  Wechmar,  près  do  Gotha,  le  conseil  municipal  a  fait  apposer  une 
inscription  sur  la  maison  qu'habitait,  vers  1600,  Veil  Bach,  l'ancêtre  de  la 
famille  du  grand  canfor  de  Leipzig.  Veit  Bach,  dont  J.-S.  Bach  a  souvent 


LE  MENESTREL 


207 


parlé,  étail  boulanger,  et  lui  et  son  fils  Ilans  ont  exercé  leur  métier  dans 
la  vieille  maison  familiale  de  Wechmar,  qui  est  encore  debout.  Lé  fils, 
Hans  Bacb,  avait  appris  la  musique  à  Gotba  et  jouissait  d'une  certaine  ré- 
putation d'artiste.  On  compte,  en  sept  générations,  plus  de  cent  descen- 
dants de  "Veit  Bach,  dont  la  plupart  sont  connus  dans  l'histoire  de  la  mu- 
sique allemande. 

—  Le  prince  de  Monténégro  a  fait  construire  un  théâtre  à  Cettigne,  sa 
capitale.  Ce  théâtre  est  petit,  comme  son  pays  ;  il  ne  peut  abriter  que  six 
cents  personnes,  mais  il  contient  tout  de  même  une  vingtaine  de  loges.  Il 
sera  inauguré  par  une  troupe  russe  qui  y  chantera  l'opéra. 

—  Nous  sommes  en  mesure,  dit  le  Trovatore  de  Milan,  de  donner  les  pre- 
mières nouvelles  de  la  saison  d'automne  au  Théâtre-Lyrique-international. 
L'éditeur  Sonzogno  nous  fera  entendre  cinq  ou  six  étoiles  de  première 
grandeur  :  M"""^  Van  Zandt,  Sanderson,  Arnoldson,  Nuovina,  Nevada  et 
Simonnet.  Quant  aux  œuvres,  nous  aurons  comme  nouveautés  la  Phryné 
de  Saiot-Saëns,  la  Vivandière  de  Godard,  et  te  Gj-illon  du  foyer  de  Goldmark. 

—  Une  impresaria  qui  a  beaucoup  fait  parler  d'elle  en  Italie  au  cours  de 
ces  dernières  années,  M"'=  Stolzmann,  dont  les  hauts  faits  à  Naples,  à 
Milan  et  à  Gènes  ont  grandement  défrayé  la  chronique  artistique,  vient  de 
terminer  ses  exploits  en  police  correctionnelle.  Sur  une  plainte  dont  elle 
avait  été  l'objet,  la  sixième  chambre  du  tribunal  civil  et  correctionnel  de 
Gènes  l'a  condamnée  ces  jours  derniers  à  deux  années  de  réclusion  et  à 
une  amende  considérable.  M°"  Stolzmann  était  contumace. 

—  Nous  avons  donné,  il  y  a  quelques  semaines,  les  détails  du  record 
tenu  par  aeux  pianistes  italiens,  qui  s'étaient  engagés  à  rester  attelés  uti- 
lement â  leur  instrument  pendant  cinquante  heures  consécutives.  Voici 
qu'un  concours  du  même  genre,  et  d'un  intérêt  aussi  palpitant,  vient  d'avoir 
lieu  à  Turin,  cette  fois  entre  mandolinistes,  ce  qui  devait  être  encore  un 
peu  plus  agaçant,  car  le  grattage  ininterrompu  d'un  bec  de  plume  sur  les 
cordes  d'une  mandoline  a  de  quoi  rendre  à  la  longue  enragé  l'être  physi- 
quement le  plus  insensible.  Quoi  qu'il  en  soif,  quatorze  mandolinistes, 
dont  sept  du  sexe  barbu  et  sept  du  sexe  aimable,  s'étaient  réunis  à  Turin 
pour  battre  ce  record  mémorable.  Les  héros  de  la  fête  avaient  la  faculté  de 
boire  et  de  manger  pendant  l'épreuve,  mais  sans  cesser  de  jouer,  ce  qui 
ne  devait  pas  laisser  que  de  leur  offrir  quelque  difficulté.  Un  premier  prix, 
consistant  en  une  médaille  d'or,  était  destinée  au  vainqueur;  il  a  été 
attribué  à  M.  Luigi  Novara,  de  Turin,  qui  n'a  cessé  un  instant  de  marty- 
riser sa  mandoline  —  et  ses  auditeurs  —  pendant  23  heures  5o  minutes! 
Les  femmes  n'ont  pas  brillé,  parait-il,  dans  cette  lutte  qu'où  aurait  peine 
à  qualifier  d'homérique.  Trois  d'entre  elles  ont  cependant  résisté  pendant 
18  heures,  ce  qui  est  déjà  un  assez  joli  tour  de  force;  mais  les  quatre 
autres  ont  été  mises  prompfement  hors  de  combat.  Ce  qui  est  prodigieux, 
c'est  qu'on  puisse  recruter  des  amateurs  (?)  pour  faire  fonctions  de  juges 
dans  un  pareil  tournoi.  Et  dire  qu'ils  n'y  sont  pas  forcés,  et  que  seul 
l'amour  de  l'art  les  anime!  C'est  beau,  le  dilettantisme  appliqué  à  la  man- 
doline ! 

—  A  Rovigo,  au  théâtre  Social,  dans  une  soirée  donnée  au  bénéfice  de 
l'Asile  infantile,  on  a  représenté  une  opérette  enfantine,  iFanniulli  venduti, 
expressément  écrite  pour  la  circonstance  par  M.  Belluzzi  pour  les  paroles, 
et  pour  la  musique  par  M.  Parisini,  qui  s'est  fait  une  spécialité  en  ce 
genre.  Ce  qui  était  curieux,  c'est  que  l'exécution  de  ce  petit  ouvrage  était 
uniquement  confiée  à  des  enfants  des  écoles,  au  nombre  de  cent  cinquante, 
tant  acteurs  et  chanteurs  que  danseurs,  choristes,  comparses,  etc.,  et  que 
cette  exécution,  préparée  avec  un  soin  et  une  patience  dont  on  peut  se 
rendre  compte,  a  été  excellente  de  tous  points,  les  interprètes  y  prenant, 
on  le  comprend,  autant  de  plaisir  que  leurs  auditeurs. 

—  Au  Tivoli  de  Barcelone,  on  signale  l'apparition  d'une  zar^uela  cata- 
lane en  deux  actes,  Matrimonis  à  Montserrat,  paroles  de  M.  Roure,  musique 
de  M.  Gomella,  à  laquelle  le  public  a  fait  un  accueil  des  plus  chaleureux. 
Le  compositeur  a  fait  figurer  dans  sa  partition  nombre  de  thèmes  popu- 
laires catalans  fort  bien  traités  par  lui,  qui  donnent  à  son  œuvre  une  sa- 
veur toute  particulière,  et  dont  la  présence  a  fait  la  joie  des  auditeurs.  — 
Au  Jardin  Espagnol  de  la  même  ville,  première  représentation  de  deux 
zarzuelas  catalanes  en  un  acte.  Verdalet  pare  y  fût  del  comsis  de  Barcelona  et 
un  Début,  toutes  deux  mises  en  musique  par  M.  Urbano  Fando. 

—  De  Londres  :  La  baronne  d'Anzon-Caccamisi,  née  Blanche  Marchesi, 
a  eu  un  immense  succès  à  son  premier  concert  à  Londres.  Elle  avait  rem- 
porté un  triomphe  pareil  chez  M.  Blumenthal  et  chez  M""*  Ronalds. 
M"'=  Melba  lui  avait  offert  vendredi  dernier  un  grand  diner  au  Savoy 
Hôtel. 

—  La  nouvelle  de  la  mort  du  compositeur  brésilien  Carlos  Gomes,  que 
nous  avons  donnée  dans  notre  dernier  numéro  et  qui  était  parvenue  en 
Europe  par  les  journaux  de  Babia  et  de  Pernambuco  en  date  des  20  et 
21  mai,  était  inexacte,  et  elle  est  formellement  démentie.  Par  malheur, 
elle  n'était  sans  doute  que  prématurée,  car  l'excellent  artiste  est  atteint 
d'un  mal  qui  ne  pardonne  pas,  un  cancer  à  la  langue,  croyons-nous,  qu'il 
est  impossible  d'opérer.  Carlos  Gomes,  en  ce  moment  à  Para,  est  en  proie 
à  des  souffrances  terribles,  et  les  médecins  qui  le  soignent  (il  n'y  en  a  pas 
eu,  dit-on,  moins  de  vingt  et  uni)  affirment  qu'il  est  impossible  de  le  sau- 
ver, et  ne  lui  donnent  pas  plus  de  trois  ou  quatre  mois  d'existence. 


PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

C'est  avant-hier  vendredi  qu'a  eu  lieu  au  Conservatoire,  devant  le  jury 
spécial,  l'audition  des  cantates  des  six  élèves  concurrents  au  grand  prix  de 
Rome,  et  c'est  hier  samedi  que  cette  exécution  a  été  renouvelée  à  l'Insti- 
tut, eu  présence  des  membres  de  toutes  les  sections  de  l'Académie  des 
beaux-arts.  Voici,  avec  les  noms  de  leurs  interprètes,  l'ordre  dans  lequel 
les  cantates  ont  été  exécutées  : 

1.  —  M.  d'Ivry,  élève  de  M.  Théodore  Dubois.  Interprètes  :  U"^"  Marcy, 
MM.  Leprestre  et  Mondaud. 

2.  —  M.  Schmidt,  élève  de  M.  Massenet.  Interprètes  :  M"^  Ducy, 
MM.  Cornubert  et  Darraud. 

3.  —  M.  Mouquet,  élève  de  M.  Théodore  Dubois  (mention  honorable  de 
1894).  Interprètes  :  M"«  Loventz,  MM.  Vialas  et  X. 

i.  —  M.  Levadé,  élève  de  M.  Massenet  (premier  second  prix  de  1893). 
Interprètes  :  M"°  Lafargue,  MM.  Delmas  (ténor)  et  Jacquin. 

•5.  —  M.  Halphen,  élève  de  M.  Massenet.  Interprètes  :  M"«  Blanc, 
MM.  Clément  et  Auguez. 

6.  —  M.  Max  d'Olonne,  élève  de  M.  Massenet  (premier  second  prix  de 
1893).  Interprètes  :  M"=  Ganne,  MM.  Engel  et  Delpouget. 

Voici  les  résultats  du  concours  : 

Grand  prix  :  M.  Mouquet,  élève  de  M.  Théodore  Dubois. 

!='■  second  prix  :  M.  d'Ivry,  élève  de  M.  Théodore  Dubois. 

2<î  second  prix  :  M.  Halphen,  élève  de  M.  J.  Massenet. 

—  C'est  mercredi  prochain  que  M.  Van  Dyck  fera  ses  adieux  au  public 
de  l'Opéra  dans  Lohengrin. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  qui  viennent  d'être  célébrées  à  Arras  à  la  mé- 
moire et  en  l'honneur  du  vieux  trouvère  Adam  de  la  Halle,  la  Revue  du 
Nord  a  publié  sous  ce  titre:  Comméiiioratioii  d'Adam  de  la  Halle,  un  numéro 
spécial  et  intéressant  qui  lui  est  entièrement  consacré.  Ce  numéro  contient 
l'arrangement  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  fait  par  M.  Emile  Blémont  pour  la 
représentation,  ainsi  que  les  deux  scènes  du  Jeu  de  la  Feuillée,  trois  rou- 
dels  d'Adam,  une  courte  notice  de  M.  Larivière,  deux  notes  de  MM.  Emile 
Blémont  et  Julien  Tiersot,  diverses  poésies  en  l'honneur  d'Adam  de 
MM.  Jean  Richepin,  Henri  Malo,  Fernand  Lefranc,  Henri  Pofez,  M.  J.  Le 
Coq,  et  enfin  une  conférence  rimée  de  M.  V.  Barbier  sur  «  Arras  au 
XIII''  siècle  ».  De  la  jolie  pièce  de  vers  adressée  par  M.  Jean  Richepin  à 
Adam  de  la  Halle,  nous  citerons  avec  plaisir  ce  fragment  relatif  à  l'opéra- 
comique,  dont  il  fut  le  précurseur: 


C'est  bien  le  moins  qu'un  brin  de  jolis  lauriers  verts 

A  ton  nom  de  chanteur  et  de  faiseur  de  vers 

Mette  après  six  cents  ans  sa  joyeuse  cocarde. 

Qu'à  jamais  de  la  mort  cet  hommage  te  garde. 

Tu  ne  mérilais  pas,  certe,  un  pareil  oubli, 

Toi  par  qui  le  premier  chez  nous  s'est  accompli 

L'hymen  joué  de  la  musique  avec  le  verbe. 

—  Mince  trouvaille,  bah  !  dira  quelque  superbe. 
Qu'est  cela?  L'opéra-comique  !  Des  flonflons! 

C'est  d'un  art  plus  hautain  que  nous  nous  régalons. 
Aujourd'hui  notre  muse  est  d'allure  plus  flère. 
Robin  et  Marion,  fi  donc  !  Petite  bière  ! 

—  Mais  la  petite  bière  a  du  bon,  hein  !  les  fleux! 
Çarafraichit  comme  un  grand  vin,  quelquefois  mieux. 

Ton  œuvre,  maître  Adam  de  la  Halle,  est  ainsi. 

Qu'ils  la  méprisent,  ceux  qui  ne  sont  point  d'ici  I 

Mais  pour  les  gens  du  Nord,  c'est  le  Nord  qu'elle  fleure, 

C'est  sa  petite  bière  et  le  sel  de  son  beurre  ; 

Et  tant  qu'on  en  aura  chez  nous  le  nez  friand. 

Ton  nom  ressuscité  dans  ce  jour  souriant 

Reverdira  toujours  comme  une  primevère, 

Maître  Adam-le-bossu-d'Arras,  maître  trouvère  ! 

—  Une  petite  curiosité  découverte  par  notre  confrère  de  Bruxelles  VÉche 
musical,  qui  la  fait  connaître  en  ces  termes.  On  sait,  dit-il,  que  la  célèbre 
ouverture  de  Litolff,  Maximilien  Robespierre,  relève  du  genre  dit  «  musique 
à  programme  »;  une  simple  audition  de  cette  œuvre  véhémente  et  tour- 
mentée suffit  pour  s'en  convaincre.  Aussi  nous  a-t-on  fréquemment 
demandé  le  «  programme  »,  ou,  si  vous  voulez,  l'argument  de  Maximilien 
Robespierre,  —  que  nous  n'avons  jamais  pu  fournir,  l'éditeur  lui-même  ne 
lé  possédant  pas.  Aujourd'hui  qu'un  hasard  nous  le  met  sous  la  main, 
nous  ne  manquerons  pas  de  l'enregistrer  ici,  pour  l'édification  et  l'utilité 
éventuelle  de  nos  lecteurs.  Voici  ce  curieux  document  : 

Andante.  Désolation  et  terreurs  extrêmes.  —  Allegro.  Agitation.  Lutte  de 
Robespierre  et  des  triumvirs  contre  les  membres  des  comités.  —  Paco  ritenuto. 
La  Marseillaise  éclate,  fougueuse  d'abord,  lugubre  ensuite.  —  A  tempo.  Mise 
hors  la  loi  de  Robespierre  et  de  ses  complices.  —  Sempre,  On  dresse  l'échafaud. 
Un  peuple  immense  encombre  la  place.  —  Accelerando.  La  tète  de  Robespierre 
tombe  sons  le  couteau  de  la  guillotine.  —  Andante.  Stupeur  mêlée  d'effroi. 
Rassemblement  des  troupes  sur  une  sonnerie  de  trompettes.  —  Allegro.  La  fin 
de  l'affreux  régime  de  la  Terreur  est  arrivée  et  des  cris  de  joie  retentissent. 

—  La  riche  bibliothèque  de  l'enseignement  des  beaux-arts  publiée  par 
la  maison  Quantin  vient  de  s'enrichir  d'un  nouveau  volume.  Histoire  de  la 
musique  allemande,  dont  l'auteur  est  notre  collaborateur  et  ami  Albert 
Soubies,  ce  qui  ne  saurait  nous  empêcher  d'en  dire  le  bien  qu'il  mérite. 
Jusqu'ici  nous  ne  possédions  en  France  aucun  ouvrage  consacré  spéciale- 


208 


LE  MENESTREL 


ment  à  telle  ou  telle  des  nations  musicales  de  l'Ivirope.  Voici  tout  au 
moins  une  lacune  comblée  en  ce  qui  concerne  l'Allemagne,  dont  l'impor- 
tance n'a  pas  besoin  d'être  démontrée  sous  ce  rapport.  La  besogne  ici 
n'était  point  commode,  et  M.  Soubies  s'en  est  acquitté  en  conscience  et 
avec  le  soin  le  plus  scrupuleux.  Partant  des  origines  mêmes  de  l'art  dans 
le  pays  qui  a  surtout  donné  un  développement  si  admirable  à  la  sympho- 
nie et  à  l'oratorio,  rappelant  les  services  rendus  dans  l'enfance  de  cet  art 
par  les  minnesinger  et  les  mcislersinger,  l'auteur  nous  met  an  courant  des  tra- 
vaux aujourd'hui  oubliés  des  artistes  qui  ont  été  les  précurseurs  de  cette 
grande  lignée  de  créateurs  auxquels  pendant  deux  siècles  l'Allemagne  a 
dû  une  gloire  impérissable  et  dont  les  noms  sont  dans  toutes  les  mé- 
moires: les  Bach,  Hipndel,  Haydn,  Gluck,  Mozart,  Beethoven,  "Weber, 
Schubert,  Mendelssohn,  Schumann,  "Wagner  et  tant  d'autres.  Mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  M.  Soubies  s'est  borné  à  rendre  à  tous  ces  artistes 
incomparables  l'hommage  qu'ils  méritent.  A  coté  des  créateurs,  il  a  fait  à 
leurs  interprètes,  aux  chanteurs,  aux  virtuoses,  la  place  qui  leur  est  légi- 
timement due  et  qu'ils  ont  droit  d'occuper  dans  une  histoire  sérieuse  et 
impartiale.  Il  n'a  pas  oublié  non  plus  les  compositeurs  qui  ont  brillé  dans 
des  genres  secondaires,  tels  que  le  lied,  la  chanson,  la  musique  de  danse,  etc. 
Enfin,  s'il  nous  met  au  courant  de  ce  qui  s'est  fait  à  l'église,  au  concert,  au 
théâtre,  il  ne  néglige  pas  les  côtés  en  quelque  sorte  secondaires  de  son 
sujet,  nous  indique  les  progrès  accomplis  dans  la  facture  instrumentale, 
nous  rappelle  les  noms  des  grands  éditeurs  auxquels  on  doit  les  publica- 
tions admirables  consacrées  aux  œuvres  des  grands  maîtres,  nous  entretient 
des  travaux  des  théoriciens,  des  critiques,  des  historiens,  et  n'oublie  rien, 
en  définitive,  de  ce  qui  se  rattache  au  sujet  si  complexe  et  si  abondant 
qu'il  avait  mission  de  nous  faire  connaître  en  ses  multiples  détails.  Si 
j'ajoute  que  le  livre  de  M.  Soubies  est  orné  d'une  centaine  de  gravures 
qui  lui  servent  de  véritable  complément  historique,  je  crois  que  j'aurai 
donné  une  idée  suffisante  de  sa  valeur  et  de  l'intérêt  qu'il  doit  inspirer. 

A.  P. 

—  Hier  samedi  a  dû  avoir  lieu,  avec  le  concours  de  M.  Ch.-M.  "Widor, 
le  quatrième  festival  de  l'Exposition  de  Rouen.  Le  programme  compre- 
nait :  1°  3'  symphonie  pour  orgue  et  orchestre,  de  M.  "Widor,  l'orgue  étant 
tenu  par  l'auteur;  2°  Danses  anciennes,  par  M"™  Peppa  et  Invernizzi,  en 
costumes  Louis  X'V  :  3"  divers  morceaux  de  Couperin,  J.-S.  Bach,  Ilaendel, 
Martini,  Daquin,  etc.,  exécutés  par  la  Société  des  instruments  anciens  de 
MM.  Diémer,  Delsart,  van  "Waefelghem  et  Griliet. 

—  La  première  chambre  du  tribunal  de  la  Seine  a  indiqué  pour  le 
22  juillet  un  procès  que  la  famille  de  M.  "Wilder  intente  à  M'^"  Cosima 
"Wagner.  Elle  lui  reproche  d'avoir  autorisé  la  représentation  des  Maîtres 
chanteurs  et  de  plusieurs  autres  œuvres  de  Wagner  avec  une  traduction  de 
M.  Ernst  et  revendique  pour  elle  seule  le  monopole  de  la  traduction,  tout 
au  moins  en  France. 

—  Un  nouvel  engagement  à  l'Opéra-Comique,  celui  de  M.  Fernand 
Lucenay,  ténor,  qui  débutera  au  commencement  de  la  saison  prochaine. 
Ce  sera,  si  nous  comptons  bien,  le  huitième  ténor  de  la  saison,  avec 
MM.  Gérome,  Leprestre,  Clément,  Mouliérat,  Maréchal,  Carbonne  et 
Vialas.  Et  encore  en  oublions-nous  un  neuvième,  dont  le  nom  ne  nous 
revient  pas. 

—  Nous  apprenons  que  M.  Eugène  Lacroix,  compositeur  de  musique  et 
organiste  des  concerts  Lamoureux,  vient  d'être  nommé  titulaire  du  grand 
orgue  de  Saint-Merry.  Il  y  eut  d'illustres  prédécesseurs,  Couperin,  Chau- 
vet,  Saint-Saéns  entre  autres. 

—  M'i«  Fanny  Lépine,  la  distinguée  cantatrice  dont  on  se  rappelle  les 
succès  à  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  a  donné  cet  hiver  chez 
elle  de  très  remarquables  auditions,  consacrées  à  l'exécution  du  deuxième 
acte  entier  du  Roi  l'a  dit,  de  Delibes,  de  VEloa  de  Ch.  Lefebvre  et  d'œuvres 
inédites  de  notre  confrère  Henry  Eymieu.  Les  interprètes,  élèves  du  cours 
de  chant  de  M"'-  Lépine,  M"'*  Hautier,  Créhange,Nivert,  Ladame,  Crâne  et 
MM.  Vuillaume  et  Hermann,  violonistes,  Dumoutier,  Edwy,  Debay,  Ber- 
ton,  pour  la  plupart  prix  du  Conservatoire  y  compris  M""  Luce  Rousseau, 
pianiste,  ont  donné  de  ces  ouvrages  des  exécutions  non  loin  d'être  parfaites 
et  sous  l'habile  direction  de  M""  Lépine  ou  des  auteurs  eux-mêmes. 

—  Mardi  23,  soirée  donnée  par  M.  Paul  Braud  à  la  Bodinière  pour  faire 
entendre  quelques  élèves  se  destinant  à  la  carrière  artistique.  —  Grand  suc- 
cès pour  M"=  Éléonore  Blanc  et  M.  Engel  dans  l'air  de  Xavière,  (Ahl  quelle 
fraîcheur}  et  dans  le  duo  qui  suit,  qui  a  été  bissé  d'acclamations.  Après 
plusieurs  rappels.  M"*  Blanc  et  M.  Engel  ont  dû  chanter  de  nouveau  la 
Chanson  de  la  grive  du  même  ouvrage,  dans  laquelle  ils  ont  obtenu  un  énorme 
succès  et  encore  des  rappels.  —  M"=  Blanc  a  délicieusement  chanté  aussi 
Brunette  et  Par  le  sentier,  de  l'auteur  de  Xavière.  Tous  nos  compliments  aux 
jeunes  élèves,  qui  font  honneur  à  leur  maître.  A  signaler  particulièrement 
M.  Marcel-Samuel  Rousseau,  le  ûls  du  compositeur  bien  connu,  dans 
Chaconne  (Th.  Dubois)  et  Caprice-Valse  (Samuel  Rousseau),  M.  René  "Van- 
zande  (Source  enchantée  de  Th.  Dubois),  M"°  B.  Augier  (Esquisse  et  Scher- 
zetto  des  l^  petites  pièces.  Th.  Dubois),  M"«  M.  Boulet  (l'Allée  solitaire), 
M'"  Renée  Pellier  (les  Myrtilles).  —  On  a  chaleureusement  applaudi  Humo- 
resque  et  Sérénade  en  trio  (Ch.-M.  "Widor),  admirablement  bien  interprétées 
par  M"' Letalle,  MM.Carembat  et  Casella,  et  pour  finir.  M""  Augier,  Pel- 


tier.  Boulet  et  M.  Vanzande  ont  enlevé  leur  auditoire  avec  l'étincelante 
danse  des  Saturnales,  des  Erinnyes,  transcription  à  8  mains  par  J.  Taravant. 

—  Très  vif  succès  pour  M'i^Bressolles  à  la  matinée  donnée  parM"'"  Pau- 
let-Marie.  Elle  y  a  chanté,  en  outre  de  l'air  de  Faust,  la  Pensée  d'automne 
de  Massenet,  l'Heure  ea-i/u/sc de  Reynaldo  Hahu  et  deux  des  délicieuses  CAan- 
sons  d'enfants  d'Edouard  Grieg. 

—  M"'  Cadot,  qui  continue  à  Versailles  les  traditions  de  l'école  Marmon- 
tel,  a  réuni  jeudi  dernier,  02,  rue  de  l'Orangerie,  un  groupe  nombreux  de 
ses  élèves,  qui  toutes,  suivant  leur  degré  de  force,  ont  fait  apprécier  la 
correclion  de  style  et  les  qualités  d'exécution  qui  caractérisent  son  ensei- 
gnement. Marmonlel  père,  présent  à  cette  audition,  était  heureux  d'adres- 
ser les  encouragements  et  les  éloges  à  ces  jeunes  pianistes  qui,  par  leur 
bon  travail  et  leurs  louables  efi'orts,  répondent  aux  soins  alîeclueux  et 
dévoués  de  leur  excellent  professeur.  ^ 

—  La  causerie-concert  de  M""!  Léo  de  Broc,  donnée  lundi  dernier  à  la  salle 
Rudy,  a  été  le  sujet  d'une  ovation  pour  l'artiste,  qui  a  développé  son  nouveau 
système  pour  faciliter  et  abréger  les  études  du  piano  et  a  joué  avec  beau- 
coup de  verve  une  polonaise  de  sa  composition.  —  Au  programme, 
M"=^  Leandry  et  Kerrion,  dont  le  succès  a  été  très  grand,  ainsi  que  M.  Mai- 
gnien,  qui  a  interprété  sur  la  harpe  deux  charmantes  compositions  de 
Bourgault-Ducoudray. 

NÉCROLOGIE 
Sir  Augustus  Harris,  le  célèbre  manager  aoglais,  a  succombé  à  Fol- 
kestone  aux  suites  du  diabète  qui  le  minait  depuis  quelque  temps  déjà. 
Né  à  Paris  en  1852,  Harris  avait  fait  ses  études  au  collège  Chaptal  et  obtint 
une  place  de  correspondant  pour  les  langues  étrangères  dans  une  grande 
maison  de  banque.  Mais  il  avait  hérité  de  son  père  un  vif  penchant  pour 
l'art,  théâtral  et  en  1873  il  débuta  à  Manchester  dans  un  rôle  secondaire 
de  Macbeth.  M.  Mapleson  lui  découvrit  un  grand  talent  de  régisseur  et 
l'engagea  pour  ses  entreprises  d'opéra.  Quelque  temps  après,  Harris 
quitta  Mapleson  pour  reprendre,  au  théâtre  de  Saint-James, Zes  Baniche/f  avec 
les  artistes  de  rOdéon.  Le  succès  de  cette  entreprise  fut  grand,  mais  Harris 
n'en  retourna  pas  moins  au  théâtre  comme  acteur  et  joua  en  1877,  avic 
succès,  un  rôle  dans  la  fièce  le  Dominorouge.il  remarqua  cependant  bien  vite 
que  sa  vocation  l'appelait  ailleurs.  Après  avoir  donné  une  pantomime  au 
Palais  de  Cristal,  Harris  prit,  en  1879,  le  théâtre  Drury  Lane,  où  tant  de 
fortunes  s'étaient  déjà  englouties.  Son  futur  beau-père,  M.  Rendal,  lui  avança 
les  fonds  nécessaires,  et  l'entreprise  fut  couronnée  d'un  succès  complet. 
Tout  réussit  à  l'heureux  directeur,  qui  possédait  au  plus  haut  degré  ce 
qu'on  appelle  «  le  flair  »  pour  trouver  les  pièces  qui  devaient  plaire  à  son 
public,  sans  jamais  s'inféoder  à  aucune  école  et  à  aucun  genre.  Cet  éclec- 
tisme fut  aussi  une  des  raisons  de  son  succès  comme  entri^preneur 
d'opéra.  C'est  en  1887  qu'il  entreprit  de  relever  l'Opéra  italien  à  Londres, 
à  un  moment  où  il  était  en  décadence  complète  et  semblait  perdu  à  tout 
jamais.  Harris  devait  en  efl'et  subir  des  pertes  considérables  pendant  sa 
première  saison,  mais  l'année  suivante  il  prit  sa  revanche,  grâce  au  con- 
cours de  M""''  Albani  et  des  frères  de  Reszké.  Il  réalisa  des  bénéfices 
importants,  quitta  alors  le  système  dit  des  «  étoiles  »  et  offrit  au  public 
de  Londres  des  représentations  d'opéra  avec  des  interprètes  hors  ligne  dans 
tous  les  rôles  et  une  mise  en  scène  somptueuse.  M'"»*  Albani,  Nordisca, 
Sigrid  Arnoldson,  Minnie  Hauck,  Van  Zandt,  Caivé,  Marie  Roze  et  Sybil 
Sanderson,MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké,  Maurel,  Lassalle,  Plançon  et 
beaucoup  d'autres  artistes  renommés  furent  ses  pensionnaires.  Harris 
rompit  le  premier  avec  la  tradition  séculaire,  à  Londres,  de  jouer  l'opéra 
exclusivement  en  langue  italienne,  et  introduisit  l'usage  de  la  langue 
française.  Non  seulement  les  œuvres  françaises  furent  jouées  en  français, 
mais  aussi  quelques  œuvres  allemandes,  comme  Lohengrin  et  la  Valki/rie  pat 
exemple.  Harris  avait  conservé  une  grande  prédilection  pour  Paris  —  il 
disait  un  jour  qu'il  avait  aussi  souvent  traversé  la  Manche  que  le  pont  de 
Waterloo  —  et  pour  l'art  français.  Dans  les  derniers  temps,  il  se  glorifiait 
volontiers  d'avoir  joué  pour  la  première  fois  la  Navarraise,  de  Massenet. 
Mais  son  opéra  de  Govent  garden  ne  suffisait  pas  â  son  activité  dévorante 
et  Harris  menait  de  front,  en  même  temps,  le  théâtre  de  Drury  Lane,  Her 
Majesty's,  Olympia,  deux  ou  trois  autres  endroits  où  l'on  s'amuse  et  plu- 
sieurs entreprises  théâtrales  en  province.  Plusieurs  pantomimes  et  plu- 
sieurs pièces  qu'il  a  écrites  en  collaboration  avec  divers  auteurs  réclamaient 
également  son  temps  et  son  travail. En  1890,  Harris,  qui  était  très  popu- 
laire à  Londres,  surtout  dans  le  grand  monde,  fut  élu  shériff  pour  le 
district  du  Strand,  et  c'est  en  cette  qualité  qu'il  fut  nommé  Chevalier  par  la 
reine  Victoria,  à  l'occasion  de  la  visite  de  son  petit-fils  Guillaume  II 
d'Allemagne,  en  1891.  Malheureuroment,  sir  Augustus  Harris  avait  trop 
chauffé  la  machine  et  sa  mort  prématurée,  que  les  amis  de  l'art  théâtral 
déplorent  même  en  dehors  de  l'Angleterre,  prouve  de  nouveau  que  tout 
se   paie  en  ce  bas  monde,  même  et  surtout  l'extraordinaire  succès. 

0.  Bn. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

On  achèterait  piano  Erard  dem.  queue  pas  vieux,  6,  r.  Villersexel.  Duber. 

Deux  fonds  d'éditeurs  de  musique  à  vendre.  —  S'adresser  à  M.  Ikelmer, 
7,  rue  de  Clichy,  Paris. 


ISIPRiaiERlE 


~  (Encre  Lorilleui). 


Dimanehe  S  Juillet  1896. 


3406.  —  62"-»  AMÉE  —  i\°  27.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Unan.Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  ProTince.  —  Texte  et  Musique  de  Citant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Pavart  et  l'Opéra-Comique,  3"  partie  (9«  article),  Arthur 
PouGiN.  —  II.  Sur  le  Jeu  de  Robin  et  Manon  d'Adam  de  la  Halle  (3"  article),  Julien 
TiERsoT.  —  III.  Musique  et  prison  (9"  article)  :  La  Baslille  et  les  prisons  d'État 
sous  l'ancien  régime,  Paul  d'Esirée.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANSE  JAPONAISE 

de  Paul  "Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :   Valse  mélancolique,   lirée   des 

Impressions  et  Souvenirs,  de  Marhontel. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

CHANT  :   Au  bord  du  ruisseau,  de  Lucien   Lambert,   poésie  de  Maurens.   — 

Suivra  immédiatement  :  Si  je  savais,  mélodie  de  Louis  Diémer,  poésie  de 

Henri  Becque. 

LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


TROISIÈME  PARTIE 
II 

(Suite) 

Le  Perruquier  de  la  Régence  fut  donc  très  bien  accueilli.  On  en 
peut  dire  autant  d'un  autre  ouvrage  en  trois  actes,  Marguerite, 
représenté  le  18  juin,  qui  servait  au  début  d'ua  jeune  com- 
positeur encore  inconnu  malgré  la  célébrité  du  uom  qu'il 
portait.  Je  veux  parler  d'Adrien  Boieldieu,  fils  de  l'auteur 
de  la  Dame  blanche,  qui  se  présentait  au  public  sous  le  patro- 
nage de  deux  collaborateurs  chevronnés,  Scribe  et  Dupin. 
Ce  début  était  heureux  et  semblait  promettre  plus  que  ce 
que  donna  par  la  suile  le  compositeur. 

n  fut  suivi  d'un  autre,  plus  heureux  encore,  celui  de 
Clapisson,  qui  se  présentait  pourtant  au  public  dans  des 
conditions  singulièrement  difficiles,  et  avec  un  ouvrage  en 
cinq  actes,  fait  sans  exemple  dans  les  annales  de  l'Opéra- 
Comique.  Connu  seulement  jusqu'alors  par  quelques  agréa- 
bles romances,  Clapisson  avait  accepté  des  mains  de  Scribe 
et  Dupin  un  livret  qui,  répété  d'abord  sous  le  titre  de  Judith, 
-  prit  à  la  scène  celui  de  la  Figurante  ou  V Amour  et  la  danse. 
Tiré  par  les  auteurs  d'une  nouvelle  de  Scribe  lui-même, 
intitulée  Judith  ou  une  Loge  d'opéra  et  qui  avait  été  publiée  en 
feuilleton  dans  un  journal  important,  ce  livret  n'était  venu, 


en  désespoir  de  cause,  aux  mains  de  Clapisson  qu'après  une 
foule  de  péripéties.  On  peut  en  juger  par  ce  petit  historique 
de  l'ouvrage  que  le  Ménestrel  traçait  après  sa  représentation: 

De  même  que  les  individus,  les  pièces  de  théâtre  ont  leur  biogra- 
phie, leur  vie  aventureuse  et  accidentée.  Celle  dont  nous  nous  occi^- 
pons  a  subi  bien  des  transformations  et  passé  par  toutes  soites  d'é- 
preuves. Née  feuilleton,  elle  s'est  d'abord  métamorphosée  en  vaude- 
ville, puis  elle  est  passée  à  l'élat  de  livre,  pour  être  ensuite  arrangée 
en  cinq  actes,  essuyer  les  refus  de  deux  directeurs  de  théâlres  et  le 
dédain  de  deux  compositeurs.  Il  ne  fallait  pas  une  médiocre  dose  de 
courage  pour  livrer  aux  chances  de  la  publicité  un  libretto  qui  offrait 
des  situations  déjà  exploitées  dans  le  Domino  noir  et  l'Ambassadrice, 
des  invraisemblances  choquantes  et  enfin  des  détails  d'une  trivialité 
inouïe. 

Or,  il  se  trouvait  là,  à  la  porte  du  théâtre,  un  jeune  artiste  connu 
par  des  productiocs  originales  et  des  succès  de  salon  ;  lui  confier  le 
poème  de  la  Figurante  était  presque  une  perfidie  ;  on  le  lui  confia,  et  de 
plus  on  lui  prescrivit  un  délai  de  deux  mois.  Qui  n'eût  pas  reculé 
devant  une  semblable  responsabilité?  Mais  il  y  a  de  ces  joueurs 
déterminés  qui  sacrifient  tout  à  une  idée  fixe.  M.  Clapisson  a  joué 
tout  son  avenir  sur  une  mauvaise  carte,  et  il  a  gagné. 

Clapisson,  en  effet,  n'eut  pas  à  regretter  une  audace  qui 
eut  pu  lui  coûter  cher  et,  au  lieu  de  l'aider,  entraver  pour 
longtemps  sa  carrière,  si  une  chute  en  eût  été  la  conséquence. 
En  réalité,  il  avait  déjà  donné  des  preuves  de  talent  dans  ce 
premier  ouvrage,  si  bien  que  loin  d'essuyer  une  chute,  la 
Figurante,  offerte  au  public  le  24  août,  fut  si  bien  accueillie 
par  lui  qu'elle  put  fournir  une  série  de  près  de  cinquante 
représentations,  ce  qui  en  tout  temps,  et  surtout  à  cette 
époque,  pouvait  être  considéré  comme  un  succès  fort  hono- 
rable. La  pièce  était  d'ailleurs  fort  bien  jouée  et  chantée  par 
Roger,  alors  à  ses  débuts,  Grigaon,  M"°*  Jenny  Colon  et  Rossi. 

Le  26  septembre  paraissait  Thérèse,  deux  actes  de  Planard 
et  de  Leuven,  aussi  piteux  que  la  musique  de  leur  collabo- 
rateur Carafa,  suivie,  le  4  octobre,  de  la  Dame  d'honneur,  un 
acte  de  Paul  Duport  et  Edouard  Monnais  pour  les  paroles,  de 
Despréaux  pour  la  musique,  que  les  spectateurs  reçurent 
d'une  façon  très  favorable.  Vint  ensuite,  le  31  octobre,  le 
Brasseur  de  Preston,  trois  actes  dus-  aux  auteurs  du  Postillon 
de  Lonjumeau,  c'est-à-dire  de  Leuven  et  Brunswick  d'une  part, 
Adolphe  Adam  de  l'autre.  L'œuvre,  accorte  et  réjouissante 
au  point  de  vue  général,  mais  un  peu  trop  vulgaire,  était  de 
seconde  main  en  ce  qui  concerne  la  musique  :  très  alerte, 
très  vivante,  mais  manquant  à  la  fois  de  nouveauté  et  de 
distinction.  Aussi  n'a-t-elle  point  résisté  aux  ravages  du 
temps,  en  dépit  du  succès  très  réel  qu'elle  obtint  à  sou  appa- 
rition. Gomme  c\a,DS  le  Postillon,  les  trois  rôles  principaux 
étaient  tenus  par  Chollet,  Henri  et  M"'  Prévost.  Deux  petits 
ouvrages  terminent  le  bilan  de  cette  année  :  Zurich,  paroles  de 
Léon  PiUet,  futur  directeur  de  l'Opéra,   musique   du  violon- 


210 


LE  MENESTREL 


celliste  Scipion  Rousselot  (10  décembre),  et  la  7»/a»f(7?(?,  paroles 
de  Planard  et  Goubaux,  musique  du  compositeur  italien 
Luigi  Bordèse  (31  décembre).  Le  premier  subit  une  chute 
complète;  le  second,  au  contraire,  obtint  un  assez  vif  succès. 

C'est  encore  Adam,  qu'on  ne  saurait  accuser  de  paresse, 
qui  ouvrait  l'année  1839,  comme  il  avait  ouvert  la  précédente. 
Le  17  janvier  il  donnait  Régine,  deux  actes  dont  Scribe  lui 
avait  fourni  le  livret  et  dont  le  succès,  s'il  ne  s'est  point 
prolongé,  fut  du  moins  très  réel.  On  remarqua  surtout  dans 
la  partition,  relativement  peu  importante,  un  air  de  soprano 
charmant  et  plein  d'élégance  et  un  joli  trio  pour  voix  de 
femmes,  d'un  style  coquet  et  léger.  Le  rôle  principal  de  Régine 
était  écrit  pour  M""'  Damoreau;  mais  celle-ci  étant  tombée 
malade,  il  fut  confié  à  M"'=  Rossi,  qui  s'en  tira  à  merveille. 
Les  autres  étaient  tenus  par  Roger,  Henri,  M""!  Boulanger  et 
M"'^  Bertbault.  Régine  fut  suivie  d'un  autre  ouvrage  en  deux 
actes,  ie  Planteur,  qui  fut  joué  le  1"  mars  :  celui-ci  était  de 
Monpou,  qui  venait  de  donner  Perugina  à  la  Renaissance  et 
et  qui  avait  Saint-Qeorges  pour  collaborateur.  Le  Planteur  reçut 
un  assez  bon  accueil,  fort  bien  joué  qu'il  était  d'ailleurs  par 
Moreau-Sainti,  Grignon,  Ricquier,  Jenny  Colon,  qui  venait 
d'épouser  le  flûtiste  Leplus  et  qui  prenait  son  nom  sur  l'af- 
fiche, et  M'i=  Bertbault. 

En  même  temps  que  le  Planteur,  on  avait  répété  les  Treize, 
un  acte  dont  Halévy  avait  tellement  fait  craquer  le  cadre  que 
ses  auteurs,  Scribe  et  Paul  Duport,  crurent  devoir  lui  en 
ajouter  un  second,  puis  enfin  un  troisième.  C'est  donc  en  trois 
actes  que  ces  Jrei';e  parurent  le  15  avril,  joués  par  Ghollet,Roy, 
Jansenne  et  Jenny  Colon.  Le  succès  en  fut  secondaire,  mais 
CboUet  eu  obtint  un  personnel  le  soir  de  la  première  en 
venant  nommer  les  auteurs  et  en  annonçant  que  la  musique 
était  de  M.  Léon  Halévy.  La  salle  partit  d'un  éclat  de  rire, 
en  le  voyant  confondre  involontairement  les  deux  frères  et 
attribuer  au  poète  l'œuvre  du  musicien. 

Les  deux  grands  succès  de  l'année  furent  pour  deux  actes 
charmants  qui  se  succédèrent  à  quelques  semaines  d'inter- 
valle :  l'un,  le  Panier  fleuri,  paroles  de  Leuven  et  Brunswick 
musique  d'Ambroise  Thomas,  joué  le  6  mai,  l'autre,  Poli- 
chinelle, écrit  par  Montfort  sur  un  livret  de  Scribe  et  Duvey- 
rier,  et  représenté  le  14  juin.  Tous  deux  devinrent  plus 
que  centenaires.  Montfort,  qui  avait  obtenu  le  grand  prix  de 
Rome  en  1830  comme  élève  de  Berton  et  de  Boieldieu, 
débutait  ainsi  de  li  façon  la  plus  heureuse,  et  sa  pièce 
servait  aussi  de  début  à  un  jeune  chanteur  dont  la  carrière 
devait  être  brillante  :  Ernest  Mocker  (1).  \ 

Un  autre  ouvrage  en  trois  actes  écrit  par  Halévy  sur  un 
poème  de  Scribe,  le  Shérif,  n'obtint  aucun  succès  le  2  sep- 
tembre, bien  qu'il  eût  pour  interprètes  Roger,  Moreau-Sainti, 
Henri,  M"'^  Damoreau  et  M"'  Rossi.  Adam  fut  plus  heureux  en 
donnant  quelques  jours  après,  le  19  septembre,  la  Reine  d'un 
jour,  qui  était  aussi  en  trois  actes  et  dont  le  livret  était  signé 
par  Scribe  et  Saint-Georges.  La  partition  de  la  Reine  d'un  jour 
était  une  œuvre  aimable,  fort  gracieuse,  écrite  avec  élégance, 
et  qui  me  semble  mériter  mieux  que  l'oubli  complet  qui  a 
suivi  sa  brillante  apparition.  Elle  servit  au  début,  comme 
chanteur,  d'un  violoniste  qui -était  alors  chef  d'orchestre  aux 
Variétés,  et  qui  tout  d'un  coup  s'était  découvert  une  voix 
charmante.  Je  veux  parler  de  M.  Masset,  qui  depuis  lors  s'est 
fait  la  grande  réputation  de  professeur  que  chacun  connaît. 

A  mentionner  pour  les  derniers  mois  de  celte  année  :  le 
12  octobre,  la  Symphonie,  un  acte,  paroles  de  Saint-Georges, 
musique  de  Clapisson,  qui  servit  au  début  du  chanteur 
Marié;  le  16  novembre,  les  Travestissements,  un  acte  dont  Des- 
landes, acteur  de  TOpéra-Comique,  avait  tiré  ie  sujet  d'une 
sorte  de  farce  intitulée  Frontin  maître  et  valet,  musique  d'Albert 
Grisar,  fort  bien  joué  par  Ghollet  et  M""  Prévost;    enfin,  le 

(1)  Musicien  instruit  et  bien  doué,  Montfort  ne  paraît  pas  avoir  donné  la 
mesure  réelle  de  sa  valeur.  Né  en  1803,  il  mourut  le  13  fémer  1856,  après  avoir 
fait  jouera  l'Opéra-Comique  plusieurs  autres  ouvrages:  la  Jeunesse  de  Charles- 
Quint,  Sainte-Cécile,  la  Charbonnière,  l'Ombre  d'Argentine  et  Deucalion  et  Pyrrhu. 


9  décembre,  Era,  drame  lyrique  en  deux  actes  dont  le  rôle 
principal  était  tenu,  pour  son  début,  par  M'^^  Eugénie  Garcia, 
épouse  de  Manuel  Garcia  fils  et,  par  conséquent,  nièce  par 
alliancs  de  la  Malibran.  Cette  Eva  n'était  autre  chose  que 
l'adaptation  française  d'une  A'»!a,  passaper  amore  qu'un  compo- 
siteur italien  de  quatrième  ordre,  Coppola,  avait  cru  devoir 
refaire  après  Paisiello,  lequel  s'était  simplement  emparé  du 
sujet  d'un  petit  chef-d'œuvre  de  d'Alayrac,  Nina  ou  la  Folle 
par  amour,  où  M""  Dugazon  avait  fait  naguère  couler  les  larmes 
de  tout  Paris.  On  avait  cherché  un  ouvrage  d'un  caractère 
dramatique,  propre  à  faire  ressortir  la  superbe  voix  de  contralto 
et  le  sentiment  passionné  de  la  nouvelle  cantatrice.  Mais  la 
musique  de  Coppola,  banale  au  delà  de  toute  expression,  était 
sans  valeur  aucune,  et  quoiqu'elle  eût  été  arrangée  par  Girard, 
alo.fs  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Comique,  qui  y  avait  même 
ajouté  deux  ou  trois  morceaux  bien  écrits,  quoique  l'interprète 
principale  y  déployât  un  talent  incontestable,  son  succès  fut 
absolument  négatif.  J'oubliais  de  dire  que  le  poème  italien 
avait  été  lui-même  arrangé  et  adapté  par  de  Leuven  et 
Brunswick.  Quant  à  Marsollier,  l'auteur  du  livret  français 
original,  il  n'en  fut  pas  plus  question  que  si  jamais  il  n'eût 
existé. 

L'Opéra-Comique  comptait  dans  son  répertoire  un  chef- 
d'œuvre  intitulé  Jl/ane.  On  s'en  souvint,  et  l'on  se  souvint  de 
son  auteur,  qui  n'était  autre  qu'Herold,  au  moment  de  repré- 
senter un  autre  ouvrage  sous  le  mâme  titre.  On  changea  ce 
titre,  et  celte  seconde  3Iarie  fut  offerte  au  public,  le  H  fé- 
vrier 1840,  sous  celui  de  la  Fille  du  Régiment,  Les  auteurs  étaient 
Bayard  et  Saint-Georges  pour  les  paroles,  Donizetti  pour  la 
musique,  et  le  rôle  principal  était  confié  à  une  jeune  débu- 
tante pleine  d'avenir,  M"°  Borghèse,  qui  avait  pour  partenaires 
Marié,  Henri,  Ricquier  et  l'excellente  M""  Boulanger.  Charles 
Maurice,  dans  son  Courrier  des  théâtres,  appréciait  courageusement 
la  partition  en  ces  termes  :  —  «  La  musique,  d'une  large  médio- 
crité, a  dû  être  arrangée  par  M.  Donizetti  à  la  manière  des  confi- 
seurs qui  prennent  dans  tous  leurs  tiroirs  pour  former  un  sac 
de  bonbons.  Il  y  a  un  peu  de  tout,  beaucoup  de  bruit  et  très 
peu  de  bien...  »  On  sait  si,  en  dépit  de  ce  jugement,  la 
musique  de  la  Fille  du  Régiment  est  devenue  et  est  restée  popu- 
laire. Neuf  cents  représentations  obtenues  jusqu'à  ce  jour  n'ont 
pas  épuisé  le  succès  de  l'ouvrage,  qui,  s'il  manque  un  peu 
d'unité  au  point  de  vue  musical,  n'en  est  pas  moins  d'une 
inspiration  généreuse  et  charmante  (1). 

Les  débuts  se  multipliaient  alors  à  l'Opéra-Comique,  pres- 
que tous  heureux  d'ailleurs.  Moins  de  deux  semaines  après 
la  Fille  du  régiment,  le  24  février,  le  théâtre  donnait  la  première 
représentation  d'un  nouvel  ouvrage  en  trois  actes,  Carline, 
paroles  de  Leuven  et  Brunswick,  musique  d'Ambroise  Tho- 
mas, dont  l'héroïne  devait  être  personnifiée  par  une  jeune 
débutante,  M""  Castellan,  qui  avait  obtenu  au  Conservatoire 
un  premier  prix  de  chant  et  les  deux  seconds  prix  de  voca- 
lisation et  d'opéra-comique.  Puis,  M""  Castellan  étant  partie 
inopinément  pour  l'étranger,  on  confia  le  rôle  à  une  autre 
débutante,  M""=  Henri  Potier,  jeune  femme  charmante  et  qui 
s'y  montra  tout  à  fait  aimable.  Le  livret  de  Leuven  et 
Brunswick  mettait  en  scène  la  belle  et  séduisante  Carline, 
l'ancienne  soubrette  de  la  Comédie-Italienne,  dont  les  succès 
furent  si  éclatants  et  si  prolongés,  et  qui  avait  épousé  Nive- 
lan,  le  fameux  danseur  de  l'Opéra. 

C'est  une  débutante  encore.  M""  Darcier,  la  future  et  élé- 
gante Berthe  de  Simiane  des  Mousquetaires  de  la  Reine,  qui  crée 
le  rôle  féminin  d'un  petit  acte  représenté  le  24  avril  sous  le 
titre  de  V Élève  de  Prcshourg  et  qui  offrait  au  public  un  épisode 
romanesque  de  la  jeunesse  d'Hayiln.  Le  livret  de  cet  ouvrage 
était  signé  du  seul  nom  de  Théodore  Muret,  bien  que  Vial 
en  eût  sa  part,  sans  vouloir  se  faire  nommer;  la  musique 
était  l'œuvre  d'un  amateur  instruit,  nommé  Luce,  qui  avait 

(1)  Je  remarque  que  le  12  février,  c'est-à-dire  le  lendemain  même  de  l'appari- 
tion de  la  Fille  du  RégimenI,  Jenny  Colon  quitte  l'Opéra-Comique  et  donne  sa 
dernière  représentation. 


LE  MENESTREL 


2M 


fait  de  bonnes   études   au   Conservatoire   et  qui  était  fixé  à 
Douai,  sa  ville  natale  (1). 

(A  suivre.)  Arthdr  Pougin. 


SUR  LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 

D'ADAM  DE  LA  HALLE 
(Suile.) 


Le  poème  d'Adam  de  la  Halle  n'est  donc  qu'un  développement 
scénique  des  chansons  les  plus  populaires  qu'il  y  ait  jamais  eu  en 
France,  puisque,  vivant  encore  dans  la  mémoire  du  peuple,  elles 
existaient  bien  antérieurement  à  l'époque  où  fut  composé  le  Jeu  de 
Robin  et  Marion.  Nous  avons  cité  surtout  celles  qui  ont  suivi;  il  eût 
été  facile  de  faire  de  même  pour  celles  qui  ont  précédé:  il  eût  suffi, 
pour  cela,  de  faire  des  emprunts  à  n'importe  quel  livre  sur  la  litté- 
rature française  du  moyen  âge.  M.  Gaston  Paris,  étudiant  le  mouve- 
ment poétique  dont  Arrasfut  le  centre  au  XIII"  siècle,  appelle  Adam 
de  la  Halle  «  son  dernier  et  meilleur  représentant.  »  Et,  parlant  des 
pastourelles,  il  déclare  tout  d'abord  que  «  leur  ejenre  est  ancien.  — 
Quelques-unes,  ajoute-t-il,  généralement  picardes,  présentent  des 
tableaux  vifs  et  colorés  des  plaisirs  et  des  «  jeux  »  des  villa- 
geois (2).  » 

Ce  n'est  pas  seulement  le  sujet  qu'Adam  a  emprunté  aux  chan- 
sons: il  leur  a  pris  les  noms  mêmes  de  ses  héros.  Il  existait,  en  effet, 
au  moyen  âge,  tout  un  cycle  de  pastourelles  dont  les  principaux 
personnages  se  nommaient  Robin  et  Marron.  Monmerqué,  l'un  des 
premiers  éditeurs  du  Jeu,  en  a  collectionné  vingt-sept  (plus  neuf 
motels  sur  le  même  thème)  dont  il  a  réuni  les  poésies  dans  son 
avant-propos  (3).  La  popularité  du  couplet  pastoral  n'avait  pas  cessé 
encore  au  XV  et  au  XVI'  siècle:  le  manuscrit  publié  par  MM.  G. 
Paris   et    Gevaert  commence  par   une  chanson  dont   les   premiers 

vers  sont: 

Puisque  Roiin  j'ai  à  nom, 
J'aimerai  bien  Marion. 

L'e  xquise  chanson  :  l'élite  Camnsette,  qu'Ockeghem  et  Josquin  des 
Prés,  entre  autres,  ont  mise  en  parties,  renferme  ce  vers  : 
Robin  et  Marion  s'en  vont  au  bois  joli. 

Enfin  Adam  de  la  Halle  a  fait  à  la  tradition  populaire  un  emprunt 
plus  important  encore  :  il  y  a  pris  les  chansons  mêmes,  paroles  et 
musicjiie,  qui  forment  la  partie  lyrique  du  Jeu  de  Robin  et  Marion.  Cela 
est  admis  définitivement  aujourd'hui  par  toutes  les  personnes  com- 
pétentes. Une  telle  pratique  peut  nous  étonner,  nous  modernes, 
habitués  à  un  tout  autre  mode  de  composition.  Cependant,  loin 
d'être  exceptionnel  ou  anormal,  l'usage  d'intercaler  des  chansons 
populaires  dans  des  œuvres  littéraires  (dramatiques,  lyriques  ou 
narratives)  était  fréquent  au  moyen  âge.  C'est  ainsi  que,  dans  le 
roman  de  Guillaume  de  Dole,  remontant  à  la  fin  du  XIL"  siècle,  l'au- 
teur a  mis  au  cours  du  récit  des  chansons  ou  fragments  de  chan- 
sons de  tout  genre,  «  en  quoi,  ajoute  M.  Gaston  Paris,  il  a  été  imité 
par  lis  auteurs  de  la  Violette,  de  la  Poire,  de  la  Panthère  d'amours,  du 
Cliùlelain  de  Couci,  de  Métiacin,  etc.  ».  Le  roman  satirique:  Renard 
le  Noviel,  composé  à  la  fin  du  XIII=  siècle  par  le  Lillois  Jacque- 
mard  Gelée,  celui  de  Fauvel,  du  commencement  du  XIY'  siècle, 
sont  d'autres  exemples  du  même  procédé.  Des  chansons  même, 
surtout  des  pastourelles  composées  par  des  lettrés,  introduisent  au 
cours  de  leur  développement  des  fragments  ou  refrains  d'autres 
chansons,  populaires  ou  non,  mais  antérieures  et  étrangères  à  leur 
propre  composition  (4). 

(1)  On  lisait  à  ce  sujet  dans  le  Courrier  des  théâtres:—  «  L'Élève  de  Presbotirg,  que 
vient  de  donner  l'Opéra-Comique,  y  est  singutièrement  arrivé.  L'auteur  de  la 
musique,  M.  Luce,  est  maire  de  la  ville  de  Douai.  En  cette  qualité,  quelqu'un  a 
contracté  envers  lui  des  obligations  électorales,  pour  des  services  rendus  en 
tout  bien  tout  honneur,  mais  enlin  avec  dévouement.  Pressé  de  dire  quel  prix 
gracieux  il  attachait  à  cette  bienveillance,  M.  Luce  a  désiré  l'intervention  de  son 
obligé  pour  obtenir  que  sa  musique  fût  exécutée  à  l'Opéra-Comique.  Son  vœu  a 
été  satisfait. 

(-2)  Gaston  Paris,  la  Littérature  française  au  moyen  âge,  pages  178  et  184.  Sur  l'an- 
cienneté des  pastourelles  et  leur  antériorité  par  rapport  au  Jeude  Robin  etMarion, 
voyez  encore:  A.  Jeanroy,  lea  Origines  de  la  poésie  lyrique  en  France,  chap.  I  ;  —  la 
récente  édition  du  Jeu  de  liobin  et  Marion,  par  Ernest  Langlois,  p.  16  et  suivantes  ; 
enfin  le  recueil  de  flomances  et  Pastourelles  des  XII"  et  XIII"  siècles  publié  en  Alle- 
magne par  Carl  Bartsch. 

(3)  Mo.MiERQiiÉ  ET  F.  IVIiCHEL,  Tbéûtre  français  du  moyen  âge,  pages  31  à  48. 

(4)  Voir  à  ce  sujet  le  chapitre  des  Refrains  dans  A.  Jeashoï,  les  Origines  de  la  poésie 
yrique,  p.  102  etsuiv.,  ainsi  que  nnon  Ilisloirede  ta  chanson  populaire,  p.  425  et  suiv. 


Les  premiers  monuments  de  la  littérature  dramatique  donnent  lieu 
à  d'analogues  observations.  Ni  dans  les  mystères,  ni  dans  les  pre- 
mières comédies  satiriques  on  ne  connaît  d'exemples  d'une  partie 
musicale  spécialement  composée,  mais  les  chants  qui  figurent  dans 
ces  œuvres  sont  toujours  empruntés  à  des  éléments  préexistants  :  au 
répertoire  des  chants  liturgiques  quand  il  faut  chanter  les  louanges 
de  Dieu,  ce  qui  est  le  cas  le  plus  fréquent,  —  au  domaine  populaire 
s'il  s'agit  de  chants  profanes  (1). 

Le  Jeu  de  Robinet  Marion  ne  fait  pas  exception  à  cet  antique  usage. 
Et,  de  fait,  si  nous  pouvons  être  étonnés  de  constater  ici  un  procédé 
décomposition  si  différent  des  nôtres,  il  serait  plus  surprenant  encore 
qu'Adam  de  la  Halle  eiit  seul  fait  exception  aux  coutumes  de  ses 
contemporains,  pour  se  conformer,  plusieurs  siècles  d'avance,  à  nos 
pratiques  modernes!  Aussi  M.  Gaston  Paris,  —  déjà  souvent  nommé, 
mais  qui  ne  saurait  trop  l'être  en  une  telle  matière,  —  a-t-il  pu  écrire 
dans  son  résumé  de  la  Littémture  française  au  moijen  âge  :  «  Ce  sont 
des  bergers  qu'Adam  met  en  scène,  et,  à  toute  occasion,  employant, 
mais  d'une  façon  plus  piquante,  le  procédé  de  Guillaume  de  Dole  et 
autres  romans,  il  leur  met  dans  la  bouche  des  refrains  ou  des  frag- 
ments de  chansons  qui  appartiennent  à  ce  qu'on  peut  appeler  le 
cycle  de  Robin  et  Marion  (2).  »  Et  le  plus  récent  éditeur  du  Jeu, 
M.  Ernest  Langlois,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Lille, 
renouvelle  la  même  affirmation  en  ces  termes  :  «  L'hauteur  n'a  fait 
chanter  à  ses  personnages,  bien  que  lui-même  fût  un  m-jsicieh  très 
goûté,  que  des  refrains  populaires.  La  preuve  indiscutable  que  ces 
refrains  n'ont  pas  été  composés  pour  le  .Jeu  de  Robin  et  Marion  ressort 
de  l'effort  visible  que  le  poète  a  souvent  dû  faire  pour  les  y  enchâsser, 
de  la  présence  de  quelques-uns  dans  des  compositions  antérieures 
au  drame,  parfois  même  de  rimes  étrangères  au  dialecte  picard  (3).  » 

Deux  au  moins  de  ces  chansons  figurent  dans  des  monuments 
antérieurs. 

C'est  d'abord  la  plus  célèbre  :  Robinm'aime,  Robin  m'a,  par  laquelle 
s'ouvre  le  .feu,  et  qui,  nous  dit-on,  est  restée  populaire  jusqu'à  nos 
jours  dans  les  provinces  du  nord  de  la  France  et  la  Belgique. 
Monmerqué  dit  à  ce  sujet  :  «  Si  on  ne  représente  plus  depuis  long- 
temps le  Jeu  de  Robin  el  Marion,  il  en  existe  au  moins  des  souvenirs 
dans  les  villages  du  Hainaut.  M.  Arthur  Dinaux  (dans  les  Trouvères 
cambrésiem,  1834)  nous  apprend  que  la  chanson  : 

Robin  m'aime,  Robin  m'a, 
est  encore  fréquemment  dans  la  bouche  des  jeunes  paysannes  du 
Hainaut,  surtout  aux  environs  de  Bavai.  On  y  a  seulement  changé  le 
nom  de  Robin  en  celui  de  Robert  (4).  »  Gustave  Chouquet  dit,  de  son 
côté  :  «  Les  paysans  du  No  rd  de  la  France  répètent  encore  cette 
romance  populaire,  et,  dans  leur  manière  de  la  chanter,  ils  semblent 
se  conformera  la  tradition  du  moyen  âge  (8).  »  De  Coussemaker  parle 
aussi  de  la  popularité  dont  ont  joui  ces  chansons,  «  et  dont  quelques- 
uns  sont  encore  en  possession  aujourd'hui  dans  le  nord  de  la 
France  »  ;  il  précise  en  disant  :  «  On  chante  encore  en  Artois  la 
douce  mélodie  de  Robin  m'aime  (6).  »  M.  E.  Langlois,  bien  placé  pour 
connaître  ces  détails,  puisqu'il  professe  à  la  Faculté  de  Lille,  ajoute: 
«  Le  couplet  «  Robin  m'aime  »  se  chante  encore,  paraît-il,  dans 
l'Artois,  dans  le  Hainaut,  et  sans  doute  ailleurs  (7).  » 

(1)  Pour  les  détails  relatifs  à  ce  sujet,  voir  mon  Histoire  de  la  Chanson  populaire, 
p.  490  et  suiv. 

(2)  G.  Paris,  Loc.  dt.,  p.  192.  Je  laisse  pour  le  moment  de  côté  les  distinctions 
subtiles  de  la  chanson  populaire,  semi-populaire,  littéraire  ou  courtoise, 
question  à  laquelle  le  sujet  pourrait  fournir  des  éléments  intéressants,  mais 
qui  demanderait,  pour  être  traitée,  plus  de  développements  que  nous  n'en, 
pouvons  donner  ici. 

(3)  Le  Je  ii  de  Robiii  et  Marion,  publié  par  Ernest  Langlois,  Paris,  Pontemoing. 
1896.  —  En  passant,  je  ferai  à  M.  E.  Langlois  un  léger  reproche  :  c'est  qu'ayant 
cité,  à  l'appui  de  son  argumentation,  les  écrits  de  M.  Gaston  Paris  et  de 
M.  Jeanroy,  il  ait  laissé  dans  un  sombre  oubli  mon  Histoire  de  la  Chansmi  popjir 
laire,  où  ce  sujet  est  traité  d'une  façon  spéciale  et  avec  plus  de  développement 
que  partout  ailleurs  {p.  422  et  suiv.)  Cependant  ce  livre  a  précédé  les  deux 
autres  puisque,  rédigé  en  vue  d'un  concours  ouvert  en  1883,  il  a  été  couronné 
par  l'Institut  en  1885;  et,  s'il  n'a  paru  qu'en  1889,  du  moins  les  lecteurs  du 
Ménestrel  ont-ils  eu,  dès  1888,  la  primeur  du  chapitre  dont  précisément  il  est 
question  ici.  Or,  la  thèse  de  M.  Jeanroy  ne  fut  soutenue  qu'en  1889,  et  c'est 
dans  la  même  année  que  parut  la  première  édition  du  livre  de  H.  Gaston 
Paris.  L'on  voudra  bien  m'excuser  d'avoir  tenu  à  faire  valoir  mes  droits  d'an- 
tériorité à  cet  égard,  et  rappelé  que  j'ai,  le  premier,  nettement  formulé  et  déve- 
loppé une  vérité  que  tout  le  monde  admet  aujourd'hui. 

(4)  Théâtre  français  au  moyen  âge,  p.  29. 

(5)  Histoire  de  la  Musique  dramatique  en  France,  p.  37. 

(6)  De  Coussemaker,  Adam  de  la  Halle,  Introd.,  p.  lxviii,  et  l'Art  harmonique  aux 
XII'  et  Xni'  siècles,  p.  214. 

(7)  Introd.  du  Jeu  de  Robin  et  Marion,  p.  29-30.  —  Je  dois  avouer,  malgré  ces 
affirmations,  qu'aucun  folk-loriste  contemporain  n'a  retrouvé  dans  la  tradition 
populaire  la  moindre  trace  de   cette  chanson.  J'ai   seulement  remarqué  une 


212 


LE  MENESTREL 


Ses  deux  premiers  vers  figurent  déjà  dans  une  pastourelle  ano- 
nyme que  Bartsch  range  parmi  les  œuvres  des  plus  anciens  trouvères, 
ei.  d'autre  part,  ils  forment  le  refrain  du  troisième  cou]^let  d'une  pas- 
tourelle de  Periin  d'Angecourt,  dont  tous  les  refrains  (au  nombre  de 
cinq),  conformément  à  une  pratique  précédemment  expliquée,  sont 
eux-mêmes  empruntés  à  des  chansons  populaires  antérieures  :  or,  ce 
morceau,  datant  du  milieu  du  XIII"  siècle,  est  par  conséquent  d'une 
trentaine  d'années  antérieur  à  la  composition  de  Robin  et  Marion  (1). 
—  Le  même  fragment,  avec  la  musique  notée,  se  trouve  aussi  dans 
un  motet  du  manuscrit  de  Montpellier  (2),  dont  la  composition  a  élé 
encore  attribuée  à  Adam  de  la  Halle  sans  aucune  raison  plausible. 
L'autre  morceau  manifestement  emprunté  à  un  poème  antérieur 
est  le  fragment  de  la  chanson  de  gesle,  ou  plutôt  de  la  parodie  de 

chanson   de  geste  :  Aiid/()ier.  dit  Raimberge L'épopée    burlesque 

d'Audigier.  que  M.  Gaston  Paris  dit  «  fort  ancienne  »,  est  une  pro- 
duction grossière  et  d'une  verveultra-gauloise,dont  le  vers  mentionné 
nous  donne  une  idée  suffisante  :  elle  était  si  bien  jugée  pour  telle 
dès  le  moyen  âge  que  le  personnage  qui  la  chante  dans  le  Jeu  de  Robin 
et  Marion  est  interrompu  dès  le  premier  vers  par  Robin,  qui  lui 
reproche  de  dire  des  choses  inconvenantes  devant  Marion,  et  le  traite 
de  (I  sale  ménestrel  »,  «  oi's  menestreus !  »  Ce  fragment  n'en  est  pas 
moins  précieux  pour  nous,  car  il  n'est  pas  douteux  que  son  chant, 
dont  la  gravité  fait  un  contraste  comique  avec  les  paroles,  soit  le 
même  que  celui  des  chansons  de  geste  proprement  dites  :  nous  pos- 
sédons ainsi  le  seul  vestige  qui  nous  soit  parvenu  des  formules 
mélodiques  sur  lesquelles  se  chantaient  nos  antiques  épopées,  à 
commencer  par  la  Chanson  de  Roland. 

Nous  pouvons  ajouter  sans  crainte  le  couplet  chanté  par  le  chevalier 
à  sa  première  sortie:  Hm  main  je  kevaucoie  lès  l'orière  d'un  bois,  qui 
n'a  pas  élé  identifié,  que  je  sache,  avec  une  autre  chanson  positive- 
ment connue  comme  antérieure,  mais  qui  ressemble  si  parfaitement 
aux  premiers  couplets  de  toutes  les  pastourelles  qu'il  n'est  pas  douteux 
qu'il  ait  été  pris  à  l'une  d'elles. 

Le  morceau  de  musique  le  plus  développé  et  le  plus  scénique 
qu'il  y  ait  dans  Robin  et  Marion  est  le  dialogue  dans  lequel  le  berger 
demande  à  la  bergère  sou  chapeau  de  fleurs;  mais  pas  plus  que  le 
reste  il  n'a  été  composé  spécialement  pour  la  pièce  :  on  s'en  con- 
vaincra par  la  confrontation  suivante  des  couplets  formant  refrain  au 
commencement  et  à  la  fin  du  duo  avec  un  fragment  d'une  autre  pas- 
tourelle : 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


Bergeronnette, 

Bouche  baisselette, 

Donnés  le  mi,  vostre  capelet, 

Donnés  le  mi,  vostre  capelet. 


Bargeronnette, 
Très  douce  compaignette, 
Donueiz  moi  vostre  chaipelet, 
Donneiz  moi  vostre  chaipelet  (3). 


Quant  aux  autres,  s'ils  ne  nous  ont  pas  été  conservés,  il  ne  sont  pas 
moins  sûrement  dans  le  même  cas:  leur  musique  même,  franche  de 
tonalité  et  de  rythme,  serait,  à  elle  seule,  une  garantie  suffisante  de 
leur  origine  populaire.  Quelques-unes  de  ces  chansons  ont  un  assez 
grand  nombre  de  couplets  pour  que  nous  puissions  les  croire  com- 
plètes ;  ce  sont  principalement  :  la  chanson  Robin  ni  aime,  dont  la  forme 
libre  correspond  à  trois  couplets  (le  -3'  reproduisant  le  premier,  le 
second  plus  long  d'un  vers  et  du  refrain  :  A  leur  i  va)  ;  —  les  deux  cou- 
plets allernativement  dits  par  Marion  et  Robin  à  l'entrée  du  berger,  et 
leur  dialogue  amoureux:  Bergeronnette, douche  baisselette,  qui,  au  point 

de  vue  musical,  peut  être  partagé  en  quatre  couplets  irréguliers; 

la  chanson  de  danse  :  Robin,  par  l'âme  ten père,  k  cinq  couplets  alternés; 
enfin  les  deux  couplets  de  la  chanson  :  J'ai  encore  un  tel  paslé. 

Tous  les  autres  morceaux  sont  très  courts  et  semblent  formés  soit 
de  simples  refrains  (généralement  de  chansons  à  danser),  soit  de 
couplets  isolés  empruntés  à  des  morceaux  plus  longs  :  dans  ce  dernier 
cas,  on  peut  ranger  en  toute  confiance  le  couplet  do  pastourelle  du 
chevalier,  avec  son  refrain  rustique  deux  fois  repris  :  Trairi  deluriau 
deluriau  deluréle,  et  le  vers  de  la  gesle  à'Audigier. 

(A   suivre.)  JULIE.N    TiERSOT. 


formule  mélodique  analogue,  sur  d'autres  paroles  (namandes),  dans  certains 
morceaux  de  l'inléreîsant  recueil  de  ChayUs  populaires  /lanuinds,  recueillis  et 
publiés  en  Belgique  par  MM.  Adolphe  Loote.ns  et  J.-M.-E.  Feïs.  De  même,  une 
ronde  llimande  recueillie  par  de  Coussemaker  (Chants  populaires  des  Flamands 
de  France,  page  :3il)  reproduit  presque  note  pour  noie  la  mélodie  de  la  chanson 
de  danse  qui  termine  fc  Jeu  de  Robin  et  Marion  :  »  La  sentèle,  la  sentéle  »,  etc. 
(11  Carl  Baiitscu,  Romances  et  Paslourellcs,  p,  190  et  295. 

(2)  N°  CCXXVil  du  Recueil  de  Mulets  français,  publié  par  M.  Gasto-N  Raynaud. 

(3)  G,  Bartsch,  Homaiice 


Un  autre  Allemand,  répondaut  au  nom  de  Kreyser,  se  donnait 
beaucoup  moins  de  mal  pour  cultiver  la  musique.  Il  avait  obtenu, 
par  faveur  spéciale,  la  permission  d'avoir  dans  sa  chambre  un  cla- 
vecin sur  lequel  il  exécutait,  non  sans  mérite,  tout  le  répertoire 
lyrique  du  temps. 

En  outre,  un  ancien  trésorier  des  guerres  à  Metz,  Monicard,  enfermé 
comme  suspect  de  malversations  à  la  Bastille,  y  chantait  et  y  dansait 
jusqu'à  une  heure  avancée  de  la  nuit  pour  la  plus  grande  satisfac- 
tion de  ses  voisins.  L'an  d'eux,  un  révérend  père  capucin,  Florent  de 
Biandebourg,  le  pire  des  espions  allemands,  prenait  plus  que  per- 
sonne sa  part  de  ces  audilions.  11  y  perfectionna  son  éducation  mu- 
sicale, et  de  la  plus  .singulière  façon  du  monde.  Renneville  s'amusait 
à  le  voir,  la  tète  sur  le  plancher,  l'oreille  contre  un  trou  pratiqué  par 
un  détenu,  passer  des  nuits  entières  à  apprendre  les  «  chansons  les 
plus  moelleuses  »  de  Monicard,  qu'il  répétait  ensuite  de  «  sa  voixca- 
pucinale  ». 

L'Histoire  de  l'Inquisition  française  nous  a  conservé  un  choix  des 
chansons  favorites  du  R.  P.  Florent.  Elles  datent  de  1711.  Voici 
d'abord  la  note  grivoise  : 

Lucas  a  dans  sa  famille 
Douze  enfants  se  portant  bien. 
Il  court  le  bruit  par  la  ville 
Que  si  chacun  reprend  le  sien. 
Le  sieur  Lucas  n'aura  plus  rien. 


Puis  la  note  bachique  : 

L'éclat  des  grandeurs  m'importune; 
Mille  ennuis  troublent  la  fortune; 
Elle  est  moins  stable  que  Neptune. 

Sous  les  étendards 
D'amour  on  souffre  trop  de  peine; 

Et  sous  ceux  de  Mars 

La  vie  est  incertaine. 

Chercher  les  hasards 

Est  une  chimère  vaine. 

Tombeau  du  chagrin. 
Bon  vin,  bon  vin. 
Toi  seul,  tu  peux  faire  un  heureux  destin. 

Prendre  pour  garant  de  sa  vie, 
Sur  mer,  une  planche  pourrie, 
Ah  Dieu  !  quelle  étrange  folie  ! 

Fi,  fi  des  marins  ! 
Les  vents  sont  grands,  la  mer  profonde, 

Souvent  les  marsouins 

Leur  y  servent  de  tombe. 

Pour  moi,  qui  surtout  crains 

De  m'enivrer  de  l'onde. 

S'il  n'est  une  mer  de  vin. 
De  vin,  de  vin, 
Je  veux  finir  sur  terre  mon  chagrin. 

Ce  religieux,  à  morale  indépendante,  avait  pour  imitateurs  des 
laiques  que  n'eût  pas  désavoués  Tartufe  et  qui  trouvaient  le  moyen 
de  scandaliser  Renneville  : 

...J'ai  connu  certain  prisonnier,  dit  notre  auteur,  qui  n'était  pas  plus 
tôt  rentré  dans  sa  chambre,  à  la  sortie  de  la  sainte  table,  que,  loin  de 
prendre  les  exercices  de  Sainte  Thérèse  après  la  communion,  ou  la  pra- 
tique de  Saint  François  de  Sales,  il  se  mettait  à  chanter  des  chansons  que 
LuUi  et  d'autres  musiciens  moins  dévots  encore  que  lui  n  avaient  pas 
composées  pour  être  chantées  devant  le  tabernacle  du  Dieu  vivant.  Au 
contraire,  ces  hymnes  dévergondés  étaient  plutôt  à  l'honneur  de  Bacchus 
et  de  'Vénus,  et  auraient  mieux  convenu  à  des  bacchantes   qu'à    un   béat 


Après  quoi,  il  dansait  tes  Malassins  avec  toute  autre  chaussure  que  des 
escarpins. 

Jamais  Panlalon  avec  sa  barbe  de  bouc,  ni  Scaramouche  ne  firent  des 
gambades  plus  risibles. 

Mais  on  n'exécutait  pas  que  de  la  musique  amoureuse,  bachique 
ou  bouffonne  à  la  Bastille.  Là,  plus  que  partout  ailleurs,  la  tragédie 
côtoyait  souvent  de  près  la  comédie  ;  et  le  Miserere  du  château 
d'Amboise  y  donnait  aussi  sa  note,  rarement  il  est  vrai,  mais 
trop  encore  pour  l'honneur  du  grand  lègne.  Nous  n'en  voulons  pour 
preuve  que  le  martyre  du  ministre  Cardel.  Peut-être  eussions-nous 
douté  de   sa  réalité,  si  nous  avions  dû  nous  en    rapporter   au  seul 


LE  MÉNESTREL 


213 


témoignage  de  Reuneville;  mais  des  autorités  moins  discutables, 
entre  autres  celle  du  Dictionnaire  de  Haag,  nous  en  ont  confirmé  la 
certitude  et  la  sincérité. 

Gardel  était  un  religionnaire  obstiné,  violent,  irréductible;  son 
zèle  excessif  et  ses  prédications  furibondes  eurent-ils  le  caractère 
d'une  opposition  séditieuse  et  antipalriotique  ?  Ce  point  histo- 
rique serait  difficile  à  déterminer;  car,  lorsque  la  révocation  de 
redit  de  Nantes  eut  pris  les  proportions  d'une  persécution  reli- 
gieuse, nombre  de  ministres  furent  presque  convaincus  d'avoir 
comploté  l'alliance  sacrilège  des  protestants  français  avec  leurs 
frères  d'Angleterre  et  d'Allemagne  en  guerre  contre  Louis  XIV. 
Toujours  est-il  que  Cardel,  considéré  comme  un  ennemi  de  l'Elat,  et 
assurément  plus  fou  encore  que  fanatique,  fui  enfermé  à  la  Bastille. 
Sa  captivité  fut  très  rigoureuse  et  dura  trente  années. 

En  janvier  1709,  pendant  l'hiver  terrible  qui  désola  toute  la 
France,  Gardel  fut  emprisonné,  par  mesure  de  répression,  dans  «  le 
pourpoint  de  pierre  qui  était  auprès  de  la  quatrième  chambre  (le 
quatrième  étage)  d'une  des  tours.  » 

C'était  un  cachot  pratiqué  dans  la  muraille,  «  qui  n'avait  pas 
plus  de  six  pieds  en  hauteur,  largeur  et  profondeur  ».  Le  patient 
pouvait  à  peine  s'y  tenir  debout.  Le  lit  était  creusé  dans  le  mur  et 
ne  contenait  comme  meubles  qu'uae  table  d'un  pied  carré  et  une 
toute  petite  chaise.  La  fenêtre  qui  l'éclairait  fut  presque  entière- 
ment bouchée  sur  l'ordre  du  gouverneur  Bernaville  :  le  jour  n'y 
pénétrait  plus  que  par  une  ouverture  oblique  large  de  trois  doigts. 
■Reuneville,  le  13  juillet  1713,  veille  de  sa  mise  en  liberté,  entendait 
encore  Gardel  chanter  des  psaumes  dans  le  pourpoint  de  pierre  ;  et  le 
chirurgien  de  la  Bastille,  rencontré,  le  jour  même,  par  notre  auteur, 
dans  une  des  cours,  lui  déclarait  que  jamais  Cardel  ne  s'était  si 
bien  porté,  bien  que  lui,  le  chirurgien,  ne  l'eût  pas  vu  depuis 
quinze  mois  :  ce  bulletin  de  santé,  délivré  si  lestement  par  un 
fonctionnaire  indigne,  n'empêcha  pas  le  ministre  protestant  de 
mourir  eu  1715. 

Mais  laissons  l'Histoire  de  l'Inquisition  française  et  les  obseirs  per- 
sonnages qu'elle  met  en  scène  :  aussi  bien,  sur  le  même  théâtre, 
de  plus  illustres  acteurs  sollicitent  notre  attention. 

La  conspiration,  avortée,  de  Gellamare  avait  conduit  à  la  Bas- 
tille, en  1718,  le  duc  de  Richelieu.  Ce  jeune  et  déjà  trop  célèbre 
seignaur  n'y  venait  pas  pour  la  première  fois  ;  et  comme  il  n'avait 
gardé  de  son  passage  dans  la  prison  d'État  que  le  souvenir  d'un 
invincible  ennui,  il  avait  demandé  tout  d'abord  au  gouverneur  de 
lui  «  faire  venir  les  violons  ».  Le  duc  de  Richelieu  ignorait  sans 
doute  que,  plusieurs  années  auparavant,  un  gentilhomme  de  sou 
rang  et  de  son  âge,  enfermé  à  la  Bastille  pour  des  peccadilles  de 
jeunesse  —  c'était  le  privilège  des  fils  de  famille  —  avait  présenté 
sans  le  moindre  succès  une  requête  du  même  genre.  Il  avait 
réclamé  son  tympanon,  un  instrument  à  la  mode,  et  il  s'était  adressé 
pour  l'obtenir,  à  qui?  au  Père  la  Chaise.  Or,  le  confesseur  du  roi 
lui  avait  gravement  répondu  qu'il  ferait  beaucoup  mieux  de  penser 
à  Dieu. 

Le  duc  de  Richelieu  fut  payé  de  pareille  monnaie  :  toutefois  il 
obtitit  une  compensation.  M"'  de  Launay,  la  première  femme  de 
chambre  de  la  duchesse  du  Maine,  qui  était  l'âme  même  de  la  cons- 
piration, avait  été  conduite,  elle  aussi,  à  la  Bastille.  Elle  trouva 
le  moyen  d'apprendre  à  Richelieu,  dans  un  duo  d'Iphigénie,  qu'elle 
se  mit  à  chanter  avec  lui,  le  piteux  dénouement  de  l'intrigue  ourdie 
entre  sa  maîtresse  et  le  cardinal  Alberoni. 

En  tout  cas,  malgré  que  le  galant  gentilhomme  eiit  de  sérieuses 
raisons  d'appréhender  les  suiles  de  sou  équipée,  le  séjour  de  la 
Bastille  lui  fut  moins  rnde  qu'il  ne  devait  l'êlre,  quelque  quarante 
ans  plus  tard,  à  un  homme  dont  le  plus  grand  crime  fat  certaine- 
ment d'avoir  offensé  la  Pompadour.  Nous  voulons  parler  de  Daury, 
dit  Latude,  que  ses  «  trente  années  de  captivité  »  ont  rendu  presque 
immortel. 

Certes,  le  personnage  ne  valait  pas  la  réclame  que  lui  firent  ses 
évasions  et  l'infatigable  dévouement  de  M""  Legros.  C'était  un  vul- 
gaire escroc.  Mais  il  expia  trop  longuement  les  tentalives  de  chan- 
tage dont  il  s'était  rendu  coupable  envers  la  maîtresse  du  roi.  Ses 
Mémoires,  ou  mieux  son  apologie,  confirmée  en  partie  par  des  mé- 
moires contemporains,  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Latude, 
lui  aussi,  chercha  dans  le  culte  de  la  musique  l'atténuation  de  ses 
soufTrances  : 

...  Un  jour,  dit-il,  que  l'on  était  venu  changer  ma  paille,  je  remarquai 
dans  celle  que  l'on  venait  de  m'apporter  un  morceau  de  sureau  qui  servait 
à  la  lier.  Cette  découverte  me  causa  une  émotion  que  je  ne  puis  exprimer  : 
l'idée  d'en  faire  un  flageolet  se  présenta  sur-le-champ  à,  mon  esprit  et  le 
transporta. 


Je  n'avais  entendu  dans  mon  cachot  d'autre  bruit  que  celui  de  ver- 
rous et  de  chaînes;  je  pourrais  donc  désormais  en  dissiper  l'horreur  par  _ 
une  mélodie  douce  et  touchante;  je  pourrais  cadencer  au  moins  mes  sou- 
pirs, et,  peut-être,  en  abrégeant  par  ce  moyen  les  heures  trop  lentes  de 
l'infortune,  enchanter  quelquefois  et  suspendre  ma  douleur.  Quelle  source 
abondante  de  jouissances!  Mais  comment  le  faire,  ce  flageolet?  Mes  mains 
étaient  resserrées  dans  deux  gros  anneaux  de  ter  fixés  par  une  barre  de 
même  métal;  si  je  pouvais  les  mouvoir,  on  conçoit  au  moins  que  ce  n'était 
pas  sans  beaucoup  de  peine;  d'ailleurs  je  n'avais  aucun  instrument,  mes 
geôliers  ne  m'auraient  pas  donné,  pour  des  trésors,  un  simple  morceau 
de  bois. 

Je  m'avisai  de  détacher  la  boucle  qui  serrait  la  ceinture  de  ma  culotte  : 
je  me  servis  des  fers  de  mes  pieds  pour  la  préparer,  la  plier,  et  en  faire 
une  sorte  de  petit  ciseau  ;  mais  il  était  si  faible  que  ce  ne  fut  qu'après 
beaucoup  de  peines  que  je  parvins  à  couper  le  sureau,  en  faire,  sortir  la 
moelle  et  le  façonner.  Enfin,  après  plusieurs  mois  de  travail  et  d'essais, 
j'eus  le  bonheur  de  réussir;  je  dis  le  bonheur,  et  on  conçoit  que  c'en  était 
un  bien  véritable;  j'en  jouais  tous  les  jours  encore  avec  plus  d'intérêt. 
Depuis  trente-quatre  ans  il  ne  m'a  pas  quitté  une  minute.  Il  a  chassé 
longtemps  mes  ennuis,  il  rend  plus  vif  aujourd'hui  mes  plaisirs.  J'aurai 
soin  qu'après  avoir  servi  à  embellir  les  derniers  jours  de  mon  existence, 
il  soit  déposé,  à  ma  mort,  entre  les  mains  d'un  apôtre  de  la  liberté,  pour 
que,  placé  par  la  suite  dans  un  de  ses  temples,  il  puisse,  avec  tant  d'autres 
monuments  du  despotisme,  en  retracer  les  attentats. 

Son  vœu  fut  presque  accompli  de  son  vivant.  Ce  flageolet  consola- 
teur fit  le  tour  de  la  société  parisienne,  quand  Latude  sortit  de  la 
Bastille.  M""  de  Slaël  écrivait  à  cette  époque  qu'elle  avait  eu  enti'e 
les  mains,  à  l'issue  d'un  dîner,  ce  «  monument  du  despotisme  », 
avec  lequel  son  propriétaire  s'entendait  si  bien  à  battre  monnaie. 
Mais  qu'est-il  devenu  depuis  celte  heure  mémorable  célébrée  par 
M.  d'Haussonville  !  A-t-il  été  recueilli  par  un  «  apôtre  de  la 
liberté  »,  c'est-à-dire  par  un  de  ces  commis-voyageurs  du  maçon 
Palloy,  qui  allaient  placer  dans  les  départements  les  pierres  de  la 
Baslille,  devenues  la  propriété  de  leur  patron?  Et  quel  temple  — 
lisez  église  —  s'est  enrichi  du  flageolet  de  Latude?  Voilà  une 
relique  qui  ferait  bonne  figure  à  côté  de  la  fameuse  «  boîte  »  du  mar- 
tyr, conservée  religieusement,  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  dans 
les  archives  de  la  Bastille. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


Les  créanciers  de  MM.  Grau,  Abbey  et  Schoefîel,  dont  nous  avons 
annoncé  la  déconfiture,  ont  beaucoup  de  confiance  dans  la  loyauté  et  la 
capacité  de  ces  messieurs.  Selon  un  arrangement  qui  vient  d'être  conclu, 
MM.  Grau  et  Abbey  reprennent  le  théàîre  du  Metropolitan  Opéra  House 
à  New-York  pour  la  prochaine  saison,  comme  si  rien  ne  s'était  passé. 

—  Tout  ce  qui  touche  à  la  curiosité  arrive  actuellement  à  des  prix  qu'on 
n'avait  pas  rêvés  il  y  a  seulement  vingt-cinq  ans.  Dernièrement,  on  a 
vendu  à  Londres  quelques  autographes  de  musiciens  célèbres.  Deux  petits 
manuscrits  de  Beethoven,  un  air  avec  variations  et  l'esquisse  d'un  quatuor, 
ont  été  payés  la  bagatelle  de  1.000  francs. 

—  M.  liUigi  Arditi,  qui  a  été  pendant  vingt-cinq  ans  chef  d'orchestre  du 
HerMajesty's  Théâtre  de  Londres,  l'auteur  du  fameux  Bacto  queM^^^  Adelina 
Patti  a  promené  dans  l'univers  entier  et  auquel  elle  a  tait  une  si  grande 
popularité,  se  prépare  à  célébrer  le  soixantième  anniversaire  du  jour  où, 
tout  enfant,  à  Milan,  il  faisait  ses  débuts  comme  violoncelliste.  On  assure 
qu'il  doit  publier  prochainement  un  volume  de  Mémoires  artistiques. 


—  Le  Bulletin  récemment  publié  par  l'administration  des  Fe 
Bayreuth  nous  apporte  quelques  renseignements  précis  et  assez  curieux 
sur  les  collaborateurs  du  «  grand  œuvre  »  pour  la  campagne  nouvelle  qui  se 
prépare.  La  direction  de  l'orchestre  sera  confiée  successivement  à  MM.  Hans 
Richter,  Félix  Mottl  et  Siegfried  "Wagner.  Le  directeur  de  la  scène  est 
M.  Julius  Kniese;  il  y  a  G  répétiteurs  des  solistes  et  assistants  sur  la 
scène,  3  régisseurs  et  inspecteurs.  Le  personnel  technique,  comportant 
30  hommes,  est  sous  la  direction  des  chefs  de  service  des  machines, 
MM.  Kranich  (de  Dresde)  et  Parcival  de  Vry  (Prague).  Pour  les  rôles  des 
'<  hommes  »  de  Gunther  dans  te  Crépuscule  des  Dieux,  on  a  engagé  20  chan- 
teurs d'opéras  royaux  et  impériaux,  8  chanteurs  d'opéra  et  un  chanteur  de 
cour;  pour  les  rôles  de  h  femmes  »,  12  chanteuses  d'opéras.  L'orchestre 
comporte  le  chiffre  respectable  de  121  instrumentistes,  répartis  comme 
suit  :  33  violons,  12  altos,  13  violoncelles,  8  contrebasses,  H  flûtes,  6  hautbois 
et  cors  anglais,  4  clarinettes,  1  clarinette-basse,  ibassons,  1  contrebasson, 
8  cors,  4  tuben  ténors  et  basses,  4  trompettes,  1  trompette-basse,  o  trom- 
bones, 1  trombone-contrebasse,  1  tuba-contrebasse,  7  harpes,  3  timbales. 
Les  artistes  sont  recrutés  un  peu  partout.  Outre  les  Allemands,  il  en  vient 


214 


LE  MENESTREL 


de  Boston,  Budapesth,  Lausanne,  Linz,  Liverpool,  Londres,  Manchester, 
Moscou,  Paris,  Prague,  Presbourg,  Cbristania,  Vienne,  etc.  Les  décors 
sont  du  peintre  de  la  cour  Bri'ickner,  de  Cobourg,  les  costumes  de  J. 
Scholz,  de  Leipzig,  exécutés  d'après  les  dessins  de  H.  Thomas,  de  Francfort. 

—  Un  nouvel  opéra  en  un  acte  intitulé  Fra  Francesco,  musique  de 
M.  Henry  Waller,  vient  d'être  joué,  sur  ordre  de  Guillaume  II,  à  l'Opéra 
de  Berlin.  Succès  nul,  déception  énorme. 

—  Oc  a  fait,  à  Nuremberg,  des  essais  dans  le  but  de  relier  téléphonique- 
ment  l'Exposition  industrielle  de  la  ville  avec  le  Théâtre  royal  de  Munich. 
Voici  comment  un  des  expérimentateurs  a  rendu  compte  de  l'effet  obtenu  : 
«  La  musique  instrumentale  ne  donnait  qu'une  résonance  assez  voilée, 
les  cuivres  se  percevaient  difficilement.  Un  peu  après,  la  communication 
s'est  améliorée,  de  manière  à  rendre  le  quatuor  perceptible,  même  dans  les 
piano.  Les  voix  n'étaient  nettes  que  dans  les  forle,  le  soprano  s'entendant 
mieux  que  le  ténor.  Lorsque  les  artistes  chantaient  forle  et  que  l'accompa- 
gnement instrumental  restait  un  peu  à  l'arrière-plan,  chaque  syllabe  était 
perceptible,  b 

—  Le  célèbre  professeur  de  chant  Stockhausen  a  fait  entendre  dernière- 
ment, dans  son  école  de  Francfort-sur-le-Mein,  une  œuvre  de  J.-S.  Bach 
qu'on  ignore  généralement.  Il  s'agit  de  la  cantate  pour  soli  et  chœurs 
intitulée  Coffea  canlala  qui  n'est  pas  autre  chose  qu'un  persiflage  de  la  vogue 
alors  toute  récente  du  café.  On  sait  que  vers  la  fin  du  XVII°  siècle,  la 
mode  hollandaise  de  boire  plusieurs  fois  par  jour  du  café  s'était  répandue 
parmi  les  Allemandes,  et  que  les  pasteurs,  les  médecins  et  les  moralistes 
luttaient  en  vain  contre  cette  fantaisie,  à  cette  époque  assez  coûteuse.  Les 
femmes  n'en  raffolaient  pas  moins  du  café  et  n'entendaient  pas  l'aban- 
donner. La  cantate  du  futur  compositeur  de  la  Passion  est  débordante  de 
bonne  humeur  et  de  charme  ;  quelquefois  le  compositeur  s'y  couvre,  comme 
à  l'ordinaire,  de  sa  grave  perruque  et  fournit  alors  de  petits  chefs-d'œuvre  de 
contrepoint.  La  donnée  de  la  cantate  est  fort  simple:  une  jeune  fille  défend 
avec  conviction  et  grâce,  contre  deux  moralistes  grincheux,  le  droit  de  la 
femme  de  se  gorger  d'autant  de  tasses  de  café  que  le  cœur  lui  en  dit.  Inutile 
d'ajouter  que  la  petite  femme  obtient  gain  de  cause  et  que  son  droit  au  café 
ad  libitum  est  glorieusement  inscrit  dans  son  contrat  de  mariage.  L'action  de 
la  cantate  est  naturellement  presque  nulle,  mais  elle  comporte  tout  de 
même  une  petite  mise  en  scène,  et  les  costumes  régence  y  produisent  un 
joli  effet.  Signalons  la  Coffea  cantala  aux  salons  où  l'on  fait  de  bonne 
musique  et  où  on  n'est  pas  efi'rayé  par  un  grand  nombre  de  répétitions, 
car  les  chœurs  du  père  Bach  ne  sont  jimais  faciles,  même  quand  il  ne 
fait  que  badiner. 

—  Le  théâtre  de  la  cour  de  "Weimar  va  jouer,  au  commencement  de  la 
saison  prochaine,  un  nouvel  opéra  en  trois  actes  intitulé  le  Poète  et  le 
Monde,  paroles  de  M.  Jules  Pétri,  musique  de  M.  "Waldemar  de  Baussnern. 

—  Au  théâtre  royal  de  Wiesbaden,  le  dieu  Loge  appelé  par  Wotan  pour 
produire  le  fameux  enchantement  du  feu  dans  la  Valkijrie  a  été  dernière- 
ment fort  imprudent.  Il  avait  par  mégarde  enflammé  le  manteau  de  Wotan. 
Heureusement,  un  brave  pompier  était  là  qui  surveillait  la  scène.  Voyant 
Wotan  eu  danger,  il  o'élança  vers  lui,  arracha  le  manteau  et  l'emporta  dans 
la  coulisse,  où  le  feu  fut  vite  étouffé.  Wotan  termina  l'apostrophe  célèbre 
sans  manteau,  mais  il  n'obtint  pas  autant  d'applaudissements  que  le 
pompier  courageux,  auquel  le  public  fit  des  ovations  et  qu'il  rappela  plu- 
sieurs fois  en  scène  après  la  fin  de  l'acte. 

—  Le  nouvel  opéra  en  un  acte,  intitulé  Lili-Tsee,  paroles  de  M.  W.  Kirch- 
bach,  musique  du  compositeur  suisse  Franz  Gurti,  a  été  joué  avec  un  succès 
marqué  au  théâtre  royal  de  Dresde. 

—  Un  nouvel  opéra,  Florentina,  musique  de  M.  A.  Thierfelder,  a  été  joué 
avec  succès  au  petit  théâtre  de  Brandenbourg. 

—  Un  jeune  compositeur  wallon,  M.  Nicolas  Daneau,  fondateur  de  la 
Société  des  concerts  populaires  de  Charloroi,  vient  d'être  nommé  directeur 
de  l'École  de  musique  de  Tournai. 

—  Il  semble  probable  que  c'est  au  mois  d'octobre  prochain  que  l'École 
de  musique  d'Anvers,  dont  le  directeur  est  M.  Peter  Benoît,  sera  élevée 
au  rang  de  Conservatoire  royal.  Des  négociations  se  poursuivent  entre  la 
ville  et  le  gouvernement  pour  régler  les  conditions  financières  de  ce  chan- 
gement. 

—  Ilparaitque  M.  Mascagni  a  entrepris  la  composition  d'un  nouvel  opéra, 
celui-ci  sur  un  sujet  à  la  fois  japonais  et  fantastique.  Le  livret  est  de 
M.  Luigi  lUica,  l'ouvrage  est  en  deux  actes  et  un  prologue,  il  a  pour  titre 
la  Giapponese,  et  l'on  pense  qu'il  sera  représenté  à  la  Scala  de  Milan  au 
cours  de  la  prochaine  saison  de  carême.  On  assure  que  le  même  Mascagni 
prépare  en  même  temps  la  publication  d'un  volume  de  vers.  Comme 
M.  Sainl-Saëns,  alors  ! 

—  La  Gazzetia  musicale  de  Milan  se  plaint  de  voir,  en  Italie,  le  gouverne- 
ment et  le  parlement  anti-artistiques.  «  La  junte  générale  du  bilan 
fcommission  du  budget),  dit-elle,  a  décidé  de  ne  pas  approuver  le  chapitre 
du  budget  en  faveur  de  l'école  communale  de  Naples,  celui  relatif  à 
l'école  de  récitation  de  Florence,  et  de  supprimer  l'école  de  déclamation 
de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  qui  était  confiée  à  la   signera 


Virginia  Marini.  Tout  ce  qui  est  artistique,  tout  ce  qui  est  intellectuel,  en 
Italie,  a  toujours  pour  adversaires  irréconciliables  les  législateurs.  Pour- 
quoi ne  supprime-t-on  pas  le  budget  de  l'instruction  publique"?  »  Dame! 
quand  on  veut  faire  trop  grand  d'un  côté,  il  arrive  qu'on  est  réduit  à  faire 
trop  petit  de  l'autre... 

—  Feu  le  ministère  Crispi  avait  prolongé  par  décret  les  droits  d'auteur 
pour  l'Italie,  en  ce  qui  concerne  /'.'  Barbier  de  Scville,  afin  que  le  Conserva- 
toire de  Pesaro  à  qui  ces  droits  appartiennent  continue  à  en  profiter.  Mais 
quelques  députés  viennent  d'attaquer  ce  décret  comme  illégal,  et  il  parait 
que  le  Barbier  de  Séville  va  tomber  dans  le  domaine  public,  même  en  Italie. 

—  C'est  le  2  août  prochain  que  doit  avoir  lieu  à  Pirano  (Istrie)  l'inaugu- 
ration du  monument  élevé  à  la  mémoire  de  l'illustre  violoniste  Giuseppe 
Tartini.  La  statue  en  bronze  du  grand  artiste,  œuvre  du  sculpteur  DalZotto, 
est  arrivée  à  destination  et  est  déjà  placée  sur  son  piédestal. 

—  M™'  Gemma  Bellincioni,  la  renommée  cantatrice  italienne,  a  des 
pensées  funèbres.  Elle  se  propose,  dit-on,  d'acquérir  au  cimetière  de 
Montenero  un  terrain  sur  lequel  elle  fera  construire  une  chapelle  qui  devr* 
lui  servir  de  sépulture  —  probablement  le  plus  tard  possible.  Dans  cette 
chapelle,  elle  fera  ériger  une  statue  personnifiant  l'art  lyrique. 

—  Naples,  la  patrie  de  Gimarosa  et  de  Paisiello,  Naples,  qui  donna  le 
jour  naguère  à  tant  de  chefs-d'œuvre  lyriques,  se  vautre  aujourd'hui  dans 
l'orgie  chansonnière.  «  Dans  les  théâtres  de  Naples,  écrit  le  Trovatore,  à 
l'exception  du  Fondo  où  l'on  donne  un  peu  de  comédie,  tout  le  reste  est 
cafés-chantants.  Le  Nuovo,  le  Rossi,  le  l'arthénope  sont  des  temples  pour 
la  canzonetta,  qui  règne  aussi  aux  Variétés,  à  l'Eldorado,  au  Cosmopoli  tain, 
à  l'Eden,  au  Scotto,  au  Maiella,  au  Vigilante  et  ainsi  de  suite.  »  Allez 
donc  en  Italie  pour  entendre  de  la  musique! 

—  A  Varallo-Sesia  (Novare),  pour  la  cérémonie  d'inauguration  de  la 
façade  de  l'église  du  Sacro  Monte,  on  a  exécuté  une  Messe  inédite  de 
M.  Zeffirino  Longhetti,  directeur  du  concert  municipal,  et  dans  la  même 
journée,  à  vêpres,  une  symphonie  du  même  compositeur.  Les  deux  œuvres 
ont  produit  une  bonne  impression. 

—  De  Barcelone.'  M.  Gigout  vient  de  faire  apprécier,  en  deux  festivals 
donnés  à  la  salle  des  Beaux-Arts,  avec  le  concours  de  l'orchestre  d'Antonio 
Nicolau,  les  œuvres  d'orgue  et  d'orchestre  de  Saint-Saëns,  dont  la  superbe 
troisième  symphonie,  Ch.  Lefebvre,  Boëllman,  César  Franck  et  les  siennes 
propres.  Déplus  en  plus  fêté  à  Barcelone,  M.  Gigout  a  promis  son  concours 
pour  notre  prochaine  E.xposition  des  Beaux-Arts. 

—  On  a  cité  dernièrement  une  opinion  singulièrement  élogieuse  de  la 
musique  chinoise,  attribuée  au  pianiste  Paderewski.  Cette  opinion  ne 
paraît  pas  absolument  partagée  par  un  journal  californien,  qui  a  imprimé, 
au  sujet  de  la  musique  chinoise,  les  réflexions  que  voici  :  «  Qu'on  se 
figure  un  atelier  de  chaudronnerie  où  400  mains  manient  400  marteaux,  à 
droite  une  ferblanterie  en  pleine  activité,  à  gauche  un  moulin  à  vapeur 
pour  pulvériser  la  roche,  en  face  600  individus  en  état  d'ébrieté  armés  de 
toutes  sortes  d'instruments,  sur  le  toit  4.000  chats  enragés,  et  l'on  aura 
une  faible  idée  de  l'effet  produit  par  un  corps  de  musique  chinois.  »  A  en- 
tendre ça  de  sang-froid,  ça  ne  paraît  pas  devoir  être  fort  agréable.  Mais 
ma  foi,  comparé  à  la  musique  que  nous  font  aujourd'hui  certains 
musiciens... 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

La  série  des  concours  à  huis  clos  a  commencé  cette  semaine  au  Conser- 
vatoire. Voici  les  résultats  du  concours  d'harmonie  (hommes)  : 

1" prix  :  MM.  Pech  et  Mulet,  élèves  de  M.  Xavier  Leroux; 

2" prix  :  M.  Morpain,  élève  de  M.  Albert  Lavignac; 

•/"■  accessit  :  MM.  Aubert  et  Gallon,  élèves  de  M.  Lavignac  ! 

2  accessit  :  M.  Domerg,  élève  de  M.  Tandon. 

Le  concours  de  solfège  pour  les  chanteurs,  a  donné  lieu  au.x  récompenses 
suivantes  : 

Élèves  hommes  :  13  concurrents. 

Pas  de  l''  médaille.  2=  médaille  :  M.  Bdwig,  élève  de  M.  Danhauser. 
3«  médailles  :  MM.  Boyet  et  Andrieu,  élèves  de  M.  Villaret. 

Élèves  femmes  :  26  concurrentes. 

y"=s  médailles  :  M"'*  Truck  et  Pouchier,  élèves  de  M.  Paul  Vidal  ;  M"»  Guyon, 
élève  de  M.  Mangin.  2"  médaille  :  M"s  Gottrand,  élève  de  M.  Mangin. 
3™  médailles:  M"™  Telmat  et  Marciale,  élèves  de  M.  Mangin;  Torrès,  Thau- 
ziat  et  Poigny,  élèves  de  M.  Paul  Vidal. 

Résultats  des  concours  de  solfège  pour  les  instrumentistes  : 

Elèves  hommes  :  .31  concurrents. 

/"5  médailles  :  MM.  Lepilre,  élève  de  M.  Schwartz,  Leclerc,  élève  de 
M.  Alkan,  et  Lermyte,  élève  de  M.  Schwartz. 

20S  médailles  :  MM.  Bilha,  élève  de  M.  Rougnon,  et  Brin,  élève  de  M.  de 
Martini. 

3«  médailles  :  MM.  Edger,  élève  de  M.  Alkan,  Salzedo  et  Mangeot,  élèves 
de  M.  Schwartz,  et  Faure-Brac,  élève  de  M.  Rougnon. 

Élèves  femmes  :  52  concurrentes. 

^'■«s  médailles  :  M"»  Novello,  élève  de  M""^  Barat,  de  Orelly,  élève  de 
M"«  Hardouin,  Ploquin,  (M"':  Barat),  Inghelbrecht  (M"=  Ilardouin),  Kastier 
(M"=  Barat),  et  Pestre  (M""'!  Got-Roy). 


LE  MENESTREL 


215 


2=s  mcdaitles  :  61""=  Besson  (M""=  Renart),  Dupuids  (M"»  Barat),  Fleury 
(M'^Got-Roy),  Bloch  (M"=  Papot),  Huber  (Mu^  Barat),  Adam  (M™  Got-Roy), 
et  Pitron-Derval  (M""  Barat). 

3"^  médailles  :  M"»  Grumbach  (M"»  Devrainne),  Bouge  et  Cbave-Praly 
(W"  Got-Roy),  Poulain  (M'"=  Barat),  Scball  (M"°  Hardouin),  Peretton 
(M""»  Renart),  Turban  (M"""  Got-Roy),  Vanvert  (M""  Leblanc),  Iloussin 
(M™  Renart)  et  Haas  (M™  Got-aoy). 

—  Voici  la  liste  des  morceaux  qui  ont  été  choisis  pour  les  concours 
d'instruments  : 

Piano  (hommes),  classes  préparatoires  :  concerto  en  si  mineur,  de  Hummel . 

Piano  (hommes),  classes  supérieures  :  4"  ballade  de  Chopin. 

Piano  (femmes),  classes  préparatoires  :  5'  concerto  d'Henri  Ilerz. 

Piano  (femmes),  classes  supérieures  :  Carnaval,  de  Schumann. 

Harpe  :  concerto  de  Zabel. 

Violon,  classes  préparatoires  :  24-  concerto  (lettre  D,  en  si  mineur)  de  Viotti. 

Violon,  classes  supérieures  :  29»  concerto  (lettre  I,  en  mi  mineur)  de  Viotti. 

Alto  :  concerto  de  Firkel. 

Violoncelle  :  9°  concerto  de  Romberg. 

Contrebasse  :  1"  solo  de  concours  de  Verrimst. 

Flûle  :  6'  solo  de  Demerssmann. 

Hautbois  :  l*  concerlino  de  Vogt. 

Clarinette  :  concertino  de  Weber. 

Basson  :  Fantaisie  hongroise,  de  Weber. 

Cor  r  concerto  de  Gallay. 

Cornet  à  pistons  :  2"  Fantaisie  de  M.  Emile  Jonas  . 

Trompette  :  2"  solo  de  M.  Paul  Rougnon. 

Trombone  :  solo  on  ré  bémol  de  IVI.  C.  Gennaro. 

—  Voici  maintenant  le  nombre  des  élèves  appelés  à  prendre  part  aux 
concours  publics  : 

Chant  :  33  concurrents  (17  hommes,  16  femmes). 

Piano  (hommes)  ;  13. 

Piano  (femmes)  ;  27. 

Violon  ;  31  (dont  8  femmes). 

Alto  ;  8. 

Violoncelle  :  12  (dont  2  femmes). 

Contrebasse  :  6. 

Flûte  :  6. 

Hautbois  :  4. 

Clarinette  :  7. 

Bisson  :  9. 

Cor  :  7. 

Cornet  à  pistons  :  6. 

Trompette  :  7. 

Trombone  ;  6. 

Opéra  :  11  (7  hommes,  4  femmes). 

Opéra-Comique  :  11  (7  hommes,  4  femmes). 

Tragédie  :  10  (5  hommes,  5  femmes). 

Comédie  :  21  (9  hommes,  12  femmes). 

—  La  distribution  des  prix  au  Conservatoire  aura  lieu  le  mercre  di 
b  août,  à  une  heure  précise. 

—  Par  arrêté  du  ministre  de  l'instruction  publique,  le  privilège  conféré 
à  M.  Garvalho  pour  l'exploitation  du  théâtre  national  de  l'Opéra-Gomique 
est  prolongé  de  trois  années,  pour  prendre  fln  au  31  décembre  1901. 

—  On  devrait  bien  alors,  en  suite  de  cet  arrêté,  faire  activer  les  travaux 
de  reconstruction  du  nouveau  théâtre.  Gomment,  voilà  qu'à  présent  l'ar- 
chitecte ne  trouve  pas  moyen  d'épuiser  les  crédits  mis  annuellement  à  sa 
disposition  pour  les  travaux  qu'il  dirige  !  Il  vient  de  remettre  de  ce  chef, 
à  l'administration,  une  somme  déplus  de  quatre  cent  mille  francs  qu'il 
n'a  pu  employer  dans  les  délais  fixés  !  S'il  mettait  sur  les  chantiers  un  plus 
grand  nombre  d'ouvriers,  cela  n'arriverait  pas...  et  on  verrait  enfin  appro- 
cher le  grand  jour  de  l'inauguration,  toujours  dans  les  limbes. 

—  M.  Garvalho  a  l'intention  de  donner,  au  commencement  de  la  saison 
prochaine,  quelques  représentations  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  d'Adam  de  la 
Halle,  d'après  l'adaptation  de  notre  collaborateur  Julien  Tiersot. 

—  Le  jury  du  concours  musical  de  la  Ville  de  Paris,  qui  a  t^nu  vendredi 
sa  dernière  séance,  a  décerné  le  prix  à  M.  Lucien  Lambert,  auteur  de  la 
partition  intitulée  le  Spahi,  sur  un  livret  de  MM.  Louis  Gallet  et  André 
Alexandre  (d'après  la  nouvelle  de  iVI.  Pierre  Loti).  Une  mention  a  été 
attribuée  à  une  autre  partition  ayant  pour  titre  Sextus  (auteur  anonyme), 
dont  la  partie  symphonique  a  surtout  paru  remarquablement  traitée. 

—  Dans  la  dernière  séance  du  conseil  des  Facultés,  le  président, 
M.  Gréard,  a  annoncé  qu'une  personne  qui  désire  garder  l'anonyme  met  à 
la  disposition  de  la  faculté  des  Lettres  une  somme  de  10.000  francs  destinée 
à  subventionner  pendant  deux  ans,  à  raison  de  o.OOO  francs  par  an,  un 
cours  complémentaire  d'esthétique  et  de  psychologie  musicale  qui  serait 
confié  à  M.  Lionel  Dauriac. 

—  Vendredi,  à  l'Opéra,  c'étaient  les  débuts,  dans  Sigurd,  d'un  jeune  ténor, 
M.  Gautier,  récemment  sorti  du  Conservatoire  et  élève  de  M.  Bax,  s'il 
nous  souvient  bien.  M.  Gautier  est  de  très  petite  taille,  surtout  pour  un 
rôle  de  héros,  mais  il  a  cette  bravoure  qu'on  trouve  souvent  chez  les  petits 
hommes.  Il  a  aussi  du  charme,  à  côté  d'une  certaine  puissance,  et,  tout 
compte  fait,  ses  débuts  ont  été  bien  accueillis  du  public. 


—  Le  Gasino-Gluh  de  Cauterets  vient  de  faire  un  coup  de  maître  en 
engageant  M.  Danbé  comme  chef  d'orchestre  pour  ses  concerts  et  ses 
représentations.  Les  beaux  jours  de  ce  casino,  autrefois  si  achalandé, 
vont  donc  renaître  sous  la  baguette  magique  du  remarquable  maestro. 

—  En  annonçant  dimanche  dernier  la  nomination  de  M.  Eugène  Lacroix 
au  poste  d'organiste  de  l'église  Saint-Merry,  nous  avons  omis  de  dire  qu'il 
y  remplaçait  M.  Paul  Wachs,  l'élégant  compositeur,  qui  se  retire  pour  des 
raisons  de  convenance  personnelle,  après  nombre  d'années  de  bons  et 
loyaux  services. 

—  Le  quatrième  grand  festival  musical  donné  à  l'exposition  de  Rouen 
a  obtenu  le  plus  grand  succès.  Le  concert  débutait  par  une  symphonie  de 
M.  Gh.  Widor,  que  l'orchestre,  dirigé  avec  une  rare  maîtrise  par  M.  Bra- 
ment, a  exécutée  dans  la  perfection.  M.  "Widor  tenait  l'orgue.  Cette  sym- 
phonie a  été  très  applaudie.  —  La  seconde  partie  du  programme  était 
remplie  par  les  danses  anciennes.  M""'*  Peppa  et  Lotta  Invernizzi  ont 
trouvé  auprès  du  public  rouennais  un  accueil  enthousiaste.  Rien  de  plus 
gracieux  que  le  menuet,  la  gavotte,  la  bourrée,  la  sarabande  et  la  pavane 
dansés  dans  de  jolis  costumes  Louis  XIV  par  les  deux  délicieuses  balle- 
rines. Aussi  les  deux  artistes,  plusieurs  fois  rappelées,  ont-elles  du  bisser 
la  pavane  et  la  bourrée.  . —  Enfin,  le  festival  se  terminait  par  l'exécution  de 
vieux  airs  du  XVIII"  siècle  exécutés  par  la  Société  des  instruments  anciens. 
MM.  Diémer,  Grillet,  Van  Waefelghem  et  Delsart  jouant  du  clavecin,  de 
la  vielle,  de  la  viole  d'amour  et  de  la  viole  de  gambe,  ont  ravi  le  public 
parla  perfection  de  leur  exécution.  Cette  troisième  partie  du  festival  a 
laissé  les  auditeurs  sous  une  impression  d'art  incomparable. 

—  Dernière  soirée  chez  M"""  Rosine  Laborde,  le  remarquable  professeur, 
et  vif  succès  pour  un  groupe  de  nouvelles  élèves.  Au  programme,  signalons 
duo  du  Roi  d'Ys,  les  Oiselets,  Ouvre  tes  yeuxbleus  et  Élégie  de  Massenet,  Par  le 
sentier,  la  Menteuse,  air  de  Xaviére  et  duo  à'Aben-Hamet  de  Théodore  Dubois, 
la  Barque  des  amours  d'Augusta  Holmes,  Malgré  moi  de  Maréchal,  air  et  duo 
i'Hellé  de  Duvernoy,  etc.,  etc.  MM.  Théodore  Dubois,  Alphonse  Duvernoy 
et  Maréchal  accompagnaient  eux-mêmes  leurs  œuvres  au  piano. 

—  Mardi  dernier  a  eu  lieu,  à  Sèvres,  l'audition  des  élèves  de  l'institution 
des  Dominicaines.  Cette  séance  était  présidée  par  M.  Weekerlin,  dont  on 
a  chanté  plusieurs  chœurs;  parmi  les  morceaux  de  piano  :  Villanelle,  de  Mas- 
senet, le  Rouet  enchanté  de  Mathias,  la  sérénade,  de  Widor,'par  W^"^  Ghaigneau, 
plusieurs  pièces  de  M.  Rougnon,  etc.,. un  tout  petit  programme  de  39  mor- 
ceaux ! 

—  L'excellent  tériof  suédois  M.  Furstenherg  vient  d'obtenir  un  nouveau 
succès  au  concert  municipal  de  bienfaisance  du  Vésinet,  en  chantant  avec 
beaucoup  de  charme  difi'érentes  mélodies  de  Massenet,  et  principalement 
«  Pourquoi  me  réveiller  »  de  Werther,  qu'il  a  remarquablement  interprété. 

—  Nous  avons  plusieurs  fois  mentionné  les  succès  de  M"°  Rosa  Bonheur 
aux  auditions  de  Marmontel  père.  Aujourd'hui  nous  devons  adresser  à  la 
brillante  virtuose  nos  éloges  pour  l'instruction  musicale  donnée  aux  élèves 
qui  lui  sont  confiées.  Signalons  parmi  les  morceaux  interprétés  par  ces 
jeunes  filles,  dans  les  salons  de  Marmontel,  Fantaisie  mignonne.  Valse  mélan- 
colique, Au  réveil,  Mélodie  sentimentale.  Chanson  agreste.  Rêverie,  Médilation. 
Toutes  ces  pièces,  extraites  de  la  publication  Impressions  et  Souvenirs,  ont  été 
interprétées  avec  une  délicatesse  exquise,  un  goût  parfait.  Nous  devons 
semblables  compliments  aux  pianistes  qui  ont  exécuté  les  compositions  de 
Marmontel  fils.  Signalons  Au  matin.  Chanson  arabe,  Le  long  du  chemin,  Balan- 
celle.  Tarentelle,  Étude  de  concert.  Tous  ces  morceaux,  d'un  style  élégant  et 
d'une  touche  vraiment  charmante,  ont  fait  valoir  le  toucher  expressif  et 
l'excellente  manière  de  phraser  de  ces  intéressantes  pianistes. 

—  Très  joli  concert,  le  27  juin,  à  l'Institution  Sainte-Croix  (Neuilly-sur- 
Seine),  à  l'occasion  de  la  fête  du  supérieur.  L'orchestre  militaire  fourni 
par  la  Garde  républicaine  s'est  signalé  par  son  exécution  artistique, 
notamment  dans  les  fantaisies  sur  la  Farandole,  de  Dubois,  et  la  ballet  de 
Sylvia,  de  Delibes.  M.  Fournets  (de  l'Opéra)  a  chanté  avec  le  plus  grand 
sentiment  et  la  superbe  voix  qu'on  lui  connaît  les  stances  de  Lakmé.  Enfin, 
grand  succès  pour  l'orphéon  de  la  maison,  habilement  dirigé  par  M.  A. 
Trojelli,  qui  s'est  fait  vivement  applaudir  dans  trois  morceaux,  dont  le 
chœur  des  marins,  tout  de  verve  et  d'entrain,  de  la  Perle  du  Brésil  (F.  David) 
et  une  cantate  à  grand  effet  de  M.  A.  Trojelli  :  le  Triomphe  de  David. 

NÉCROLOGIE 

M.  Charles  Lévêque,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Collège  de 
France,  bien  connu  par  les  remarquables  études  de  psychologie  musicale 
dont  il  a,  à  diverses  reprises,  donné  communication  à  l'Académie  des 
sciences,  vient  d'être  douloureusement  éprouvé  par  la  perte  de  sa  femme, 
née  Octavie  de  Lassime,  morte  à  Bellevue,  le  26  juin,  à  l'âge  de  71  ans, 
M"!»  Charles  Lévêque  était  une  femme  supérieure,  qui  joignait  à  un  remar- 
quable esprit  et  à  un  dévouement  touchant  la  grâce  la  plus  aimable  et  la 
plus  séduisante. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 
On  achèterait  piano  Érard  dem.  queue  pas  vieux,  6,  r.  Villersexel.  Du  ber. 


.^f.  -A  -Xj^  ■^ijyfyyX/'X/'^^'X^x^-'Xj'XAX/A.^^X/^k/'Xj^x^  AAA-ArtKAXAK,  A\TA«A^.^TAy. 


.  'Wr-mA  :"_  .^.iM'iMM 


w 


g'jiyyyyyyy-y^^yy^yyy^yyV^yyyy-Y^'^yyy^j^V^y^yYyYyV^'^'Y^^ 


SUR    LES    OPÉRAS    EN    VOGUE 


pcydoai 


Edition  A 


PIANO,  VIOLON  &  VIOLONCELLE 


0<K>(>(><>C>0-(>0-CK>0-C>-CK>0-0-a-|  3, 

i 


Edition  B 

POUR 

PIANO,  VIOLON  &  FLUTE 


<><>0<><>0-C><X>0-0<K>0<><>000-0-CK>0. 

Édition  C 


PIANO,  FLUTE  &  VIOLONCELLE 


^xm 


PREMIÈRE   SÉRIE 

1.  Mignon A.  Thomas. 

2.  Sigurd E.  Reyer. 

3.  Hérodiade  .......  J.  Massenet. 

4.  Hamlet.  ........  A.  Thomas, 

5.  Werther J.  Massenet. 

6.  Coppélia Léo  Delibes. 


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1 


,Jp<)<K>0<>0<><>CK>0<>0<>0<M>0<K>0<><>0<><><>CKX>0-(5 

Composés  par 


DEUXIÈME   SÉRIE 

7.  Manon J.  Massenet. 

8.  Le  Roi  d'Ys E.  Lalo. 

9.  Un  Ballo  in  Maschera.     G.  Verdi. 

10.  Lakmé Léo  Delibes. 

11.  Le  Caïd A.  Thomas.     $ 

12.  Sylvia Léo  Delibes.   § 

si 


(à  suivre) 


<>0<>0<><>00<K>(>0<X><X>00<K>q-OOCO/ 


E.  ALDER 


Chaque  Trio,  Prix  :  12  francs 

■ <»4t 

PARIS 
AU  MÉNESTREL  —  2  bis,  rue  Vivienne  —  HEUGEL  &  C= 

ÉDITEURS-PROPRIÉTAIRES 
Tous  droits  de  reproduction  réservés  en  tous  pays,  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège 

Cof_yi  ght  iy  HEUGEL  tt  C  •    18^4  a  id  iSç^ 


^^^;.j,^,^j„P^.j,^™,^.-^^j„y,y,y,y^^ 


mPfllIlBniB    CHAIS     RUE    BBttGBaB     20 


Dimanche  12  Juillet  1890. 


3107.  -  62""=  A^NÉE  —  ÎS"  28.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Viïieane,  les  Manuscrits,  Lettre»  et  Bons-poste  d'abonnemenL 

Un  an,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Ghant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Teite,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  ProTince.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEITE 


I.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Cotnique,  'i°  partie  (10"  aiticle),  Amiiun 
rouGiN.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  Première  représentation  A&VOulrage  k  la  Porte- 
Saint-Martin,  A. -P.  —  III.  M""  Desbordes-Valmore  comédienne,  Arthur 
PouGiN.  —  IV.  Sur  le  Jeu  de  Robin  et  Manon  d'.Adam  de  la  Halle,  {4'  article), 
Julien  Tieusot.  —  V.  Musique  et  prison  (10"  article)  :  La  Bastille  et  les  prisons 
d'État  sous  l'ancien  régime,  Paul  d'Estrée.  —  VI.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

AU  BORD  DU  RUISSEAU 

de  Lucien  Lambert,  poésie  de  Maubens.  —  Suivra  immédiatement  :  Si  je 
savais,  mélodie  de  Louis  Diémer,  poésie  de  Henri  Becque. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piano  :  Valse  mélancolique,  tirée  des  Impressions  et  Souvenirs,  de  Marmontel.  — 
Suivra  immédiatement  :  Bras  dessus  bras  dessous,  de  Paul  "Wachs. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA- COMIQUE 

1801-1838 

(Suite) 

QUATRIÈME  PARTIE 

I 

Retour  en  arrière.  —  La  question  de  la  reconstmctmi  de  la  salle  Favart 
après  l'incendie  de  1838  et  de  son  attribution  à  tel  ou  tel  théâtre.  —  Projets 
fantastiques  et  combinaisons  étranges.  On  parle  d'une  fusion  de  l'Opéra 
français  et  de  l'Opéra  italien,  puis  d'une  fusion  de  celui-ci  avec  l'Opéra- 
Comique.  —  Un  prétendant  inattendu  se  présente.  C'est  Berlioz,  qui, 
comme  chef  d'une  société  «  Berlioz  et  C'°  »,  demande  le  privilège  du  Théâtre- 
Italien,  en  offrant  de  reconstruire  à  son  usage  la  salle  Favart.  Son  projet, 
présenté  par  le  ministère  à  la  Chambre  des  députés,  est  repoussé  par  un 
vote  de  celle-ci. 

Le  24  avril  1840,  nous  l'avons  vu,  l'Opéra-Comique  offrait 
à  son  public  la  première  représentation  de  l'Elève  de  Presbowg. 
Six  jours  après,  le  30,  il  doiinait  dans  la  salle  de  la  Bourse 
son  dernier  spectacle,  et  le  lendemain,  1"  mai,  il  fermait  les 
portes  de  ce  théâtre.  Que  s'étail-il  donc  passé?  Tout  simple- 
ment ceci,  qu'on  venait  de  reconstruire  à  son  intention  la 
salle  Favart,  disparue  dans  l'incendie  du  15  janvier  1838  et 
qui,  toute  brillante  et  tout  battant  neuve,  n'attendait  plus 
que  sa  prise  de  possession.  C'est  ici  qu'il  nous  faut  faire  un 
nouveau   retour   en   arrière  pour    retracer    l'historique,    très 


inconnu  et  singulièrement  embrouillé,  des  faits  qui,  après 
l'abandon  d'une  foule  de  projets  nés  d'un  désastre  que  cer- 
taines ambitions  voulaient  exploiter  à  leur  profit,  aboutirent 
enfin  à  celte  reconstruction  de  la  salle  Favart  et  à  son  retour 
définitif  au  genre  qui  avait  fait  jadis  sa  fortune  et  sa  gloire. 

En  terminant  la  première  partie  de  ce  travail,  je  consta- 
tais que,  grâce  à  un  concours  de  généreuses  bonnes  volontés, 
rOpéra-Italien,  peu  de  jours  après  ce  désastre,  avait  trouvé 
un  refuge  au  moins  provisoire  dans  cette  salle  Ventadour 
naguère  si  funeste  à  l'Opéra-Comique  et  où,  à  la  suite  de  la 
déblâcle  de  la  Renaissance,  il  prendrait  définitivement  domi- 
cile. Je  rappelais  aussi  qu'à  la  date  du  22  janvier  les  six 
membres  de  la  section  de  musique  de  l'Académie  des  beaux- 
arts  avaient  adressé  au  ministre  une  pétition  par  laquelle 
ils  réclamaient  la  réédiflcation  immédiate  de  la  salle  incen- 
diée et  son  attribution  non  plus  au  Théâtre-Italien,  mais  à 
l'Opéra-Comique,  son  premier  occupant.  Tous  les  musiciens 
étaient  d'accord  sur  ce  point,  qu'il  fallait  rendre  à  notre 
Opéra-Comique  son  ancien  asile,  la  demeure  qui  l'avait  abrité 
pendant  plus  de  vingt  ans. 

Mais  le  gouvernement  était  fort  hésitant,  et  il  faut  lui 
rendre  cette  justice  que  son  hésitation  dura  un  peu  plus 
qu'il  n'eût  fallu.  Hélas!  nous  n'avons  pas  le  droit  de  nous 
en  trop  étonner,  puisque  aujourd'hui,  dans  des  circonstances 
exactement  semblables,  nous  avons  vu  le  même  fait  se  repro- 
duire, et  considérablement  aggravé.  On  comprend  toutefois 
que  les  bruits  les  plus  divers  purent  courir  bientôt  en  foule 
sur  ses  intentions,  et  que,  le  temps  aidant,  les  projets  les 
plus  fantastiques  en  vinrent  à  se  donner  carrière. 

Le  premier,  et  le  plus  singulier,  est  celui  qui  consistait  à 
transporter  l'Opéra  de  la  salle  Le  Peletier,  qu'on  n'avait  jamais 
cessé  de  considérer  comme  provisoire,  à  la  salle  Favart  réé- 
difiée :  —  t  On  dit  aujourd'hui  que  le  Grand  Opéra  sera  transféré 
sur  l'emplacement  de  la  salle  Favart,  augmenté  des  maisons 
qui  y  sont  adossées  ot  ont  leur  façade  sur  le  boulevard;  c'est 
de  ce  côté  que  se  trouverait  la  façade  du  théâtre  reconstruit. 
Les  Italiens  iraient  au  théâtre  de  la  place  de  la  Bourse, 
et  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  serait  transféré  à  la  salle 
Ventadour,  dont  les  dispositions  seraient  changées  pour  la 
rendre  favorable  à  la  musique.  On  compterait  vendre  très 
avantageusement  le  terrain  occupé  en  ce  moment  par  l'Opéra 
rue  Le  Peletier  pour  y  construire  des  maisons  particu- 
lières (1).  » 

Puis,  on  parla  une  première  fois  d'une  fusion  de  l'Opéra  et 
du  Théâtre-Italien  reconstruit  à  Favart,  à  l'instar  de  ce  qui 
s'était  fait  naguère  pendant  plusieurs  années.  Un  capitaliste 
demandait  la  concession  du  privilège  du  Théâtre-Italien,  qu'il 
voulait  exploiter  ainsi  avec  le  concours  de  Rossini  et  du  direc- 

(1)  Revue  du  Théàlre,  27  janvier  1838. 


218 


LE  MÉNESTllEL 


teur  de  l'Opéra,  s'engageant  à  relever  le  théàlre  à  ses  frais 
tout  en  faisant  l'abandon  de  la  subvention. 

Les  projets  se  faisaient  si  nombreux,  tous  leurs  auteurs 
prétendant  d'ailleurs  être  agréés  par  l'administration,  que  le 
Moniteur  iiiiicersel,  alors  journal  officiel,  crut  devoir,  dans  les 
premiers  jours  de  février,  publier  la  note  suivante,  destinée, 
malgré  son  obscurité  peut-être  intentionnelle,  à  établir  la 
situation  ;  —  «  C'est  par  erreur  que  plusieurs  journaux  ont 
annoncé  que  M.  le  conseiller  d'État,  président  du  conseil  des 
bâtiments  civils,  avait  présenté  à  M.  le  ministre  de  l'intérieur 
un  plan  pour  la  reconstruction  du  Théâtre-Italien.  Aucune 
détermination  n'a  été  prise  encore  par  le  gouvernement  sur 
l'avenir  de  cette  salle;  c'est  une  question  qui  embrasse  des 
intérêts  de  diverses  natures;  on  ne  parait  d'accord  que  sur  un 
point,  c'est  d'élever  un  monument  qui  puisse  satisfaire  à  toutes 
les  convenances  et  être  à  l'abri  du  danger  d'un  nouvel 
incendie.  » 

Le  même  jour,  d'aucuns  affirmaient  que  Duponchel,  alors 
directeur  de  l'Opéra,  aurait  obtenu  le  privilège  du  Théâtre- 
Italien  et  qu'il  se  disposait  à  mener  de  front  les  deux  entre- 
prises tandis  que,  d'autre  part,  un  journal  spécial,  la  France 
musicale,  donnait  comme  très  sérieux  le  projet  que  voici  :  — 
»  M.  Cambiaso,  ancien  directeur  du  théâtre  de  Milan,  a  pré- 
senté au  ministère  un  projet  pour  la  construction  d'un  nou- 
veau théâtre,  qui  serait  situé  à  la  place  de  la  mairie  du 
2'  arrondissement,  dans  la  rue  Grange-Batelière.  L'entreprise 
serait  montée  par  actions  formant  un  capital  de  10  millions, 
et  le  théâtre  serait  construit  d'après  les  plans  réunis  des 
plus  beaux  théâtres  d'Italie.  Le  privilège  serait  Iransmissible 
et  accordé  pour  cinquante  ans.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  im- 
portant, c'est  que  M.  Cambiaso  ne  demande  pas  de  subven- 
tion pour  l'exploitation  de  son  privilège.  » 

Nous  enverrons  bien  d'autres,  et  d'abord  celui-ci, qui  prêtait 
à  Crosnier,  directeur  de  l'Opéra-Gomique,  et  à  son  associé 
Gerfberr,  l'idée  d'une  fusion  non  plus  de  l'Opéra  et  du  Théâ- 
tre-Italien, mais  de  ce  dernier  avec  l'Opéra-Comique  : —  «La 
commission  des  théâtres  s'est  assemblée  ces  jours-ci  au  mi- 
nistère de  l'intérieur,  sous  la  présidence  de  M.  le  comte  de 
Montalivet  (le  ministre).  La  question  à  l'ordre  du  jour  était, 
dit-on,  l'examen  d'une  proposition  faite  par  MM.  Crosnier  et 
Cerfberr,  tendant  à  la  reconstruction  de  la  salle  Favart,  avec 
retour  à  l'État  d'ici  à  quarante  et  un  ans,  moyennant  le  privilège 
de  rOpéra-Italien,  sans  subvention,  pendant  le  même  laps 
de  temps.  Tous  les  membres  de  la  commission  étaient  pré- 
sents, à  l'exception  de  M.  de  Kératry,  qu'une  indisposition 
assez  grave  avait  retenu  chez  lui  (1). 

Cependant,  les  choses  n'avançaient  pas.  Plus  de  trois  mois 
s'écoulent,  et  voici  qu'un  autre  journal,  la  Gazette  des  Théâtres, 
publie  sous  ce  titre  :  Reconstruction  du  théâtre  Favart,  une  note 
ainsi  conçue  : 

Une  grande  affaire  est  sur  le  point  de  se  terminer.  Le  pouvoir 
veut  en  finir,  cette  semaine,  sur  la  question  qui  en  porte  plusieurs 
autres  dans  ses  flancs,  celle  de  la  reconstruction  de  la  salle  Favart, 
Ce  point  décidé,  on  saura  : 

1°  Ce  que  deviendront  les  Bouffes  (le  Théâtre-Italien); 

2°  Si  rOpéra-Comique  restera  où  il  est  (à  la  Bourse)  ; 

3°  Si  Ventadour  aura  son  nouveau  théâtre  (la  Renaissance)  ; 

i"  Et  enfin  quel  sort  est  réservé  à  l'Odéon. 

Depuis  l'incendie  de  Favart,  des  idées  de  toutes  sortes  ont  surgi 
d'une  foule  de  têtes,  plus  ou  moins  bien  organisées,  pour  lâcher  de 
tirer  parti  du  sinistre.  Le  temps,  la  réflexion  et  de  bons  conseils  ont 
fait  justice  des  projets  les  plus  ébouriffants.  Au  fond  de  cet  examen 
restent  aujourd'hui  trois  combinaisons,  entre  lesquelles  M.  le  ministre 
de  l'intérieur  a  définitivement  à  se  prononcer.  La  saison  le  presse  en- 
core plus  que  les  solliciteurs,  dont  le  courage  s'est  quelque  peu 
refroidi  en  voyant  que  l'autorité  désirait  mettre,  avant  tout,  de  la 
sagesse  dans  sa  décision.  S'il  faut  réédifier  la  salle  Favart,  on  n'a 
plus  que  cinq  mois  entre  le  premier  coup  de  pioche  et  la  représen- 
tation de  réouverture.  De  son  côté,  l'Opéra-Comique  est  empêché,  par 
l'incertitude,  dans  ses   idées   d'amélioration  de  la  localité  oii  il  se 

(1)  Revue  du  Thddlre,  27  janvier  1838. 


trouve.  Du  sien,  le  théâtre  de  la  Renaissance  poursuit  sa  marche; 
il  va  mettre  les  ouvriers  à  Ventadour,  et  sa  troupe  se  forme  d'une 
heureuse  conscription  frappée  sur  la  province  et  l'étranger.  Il  im- 
porte donc  que  tous  ces  intérêts  soient  fixés,  dans  le  plus  court  délai 
possible,  et  c'est  ce  qu'a,  le  premier,  compris  M.  le  ministre,  qui  en 
fait  l'objet  de  sa  sollicitude  parmi  tant  d'autres  il). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


BULLETIN   THEATRAL 


Porte-Saint-Martix  :  Reprise  de  l'Outrage,  drame  de  Théodore  Barrière  et 
Eiouard  Plouvier. 

L'Outrage  n'est  peut-être  pas  ce  qu'on  appelle  un  bon  drame,  mais 
c'est  un  drame  dont  la  donnée  est  saisissante  et  dont  certaines 
situations  sont  d'un  intérêt  palpitant.  Il  date  aujourd'hui  de  près  de 
quarante  ans,  puisque  son  apparition  première  remonte  au 
"lo  février  1839.  Le  succès  alors  n'en  fut  pas  douteux,  malgré  la  har- 
diesse du  sujet,  hardiesse  qui  peut  sembler  pâle  aujourd'hui  après  les 
exploits  du  Théâtre-Libre  et  de  ses  congénères.  Il  s'agit  ici  d'une 
jeune  fille,  Hélène  Latrade,  qui  est  devenue  folle  à  la  suite  d'un 
horrible  atlen  lai  dont  elle  a  été  victime  delà  part  du  fils  d'un  magistrat, 
Raoul  de  Brives.  Elle  revient  cependant  a  la  raison,  sinon  à  la  mé- 
moire, glace  aux  soins  et  à  l'amour  d'un  brave  garçon,  Jacques 
d'Albert,  qu'elle  consent  à  épouser.  Mais  voici  que  le  soir  même  des 
noces...  elle  se  rappelle,  fond  en  larmes  et,  sur  les  supplications  de 
son  époux,  lui  fait  connaître  son  malheur  passé.  Jacques  se  jure  alors 
de  ne  pas  êlre  le  mari  de  sa  femme  tant  qu'il  n'aura  pas  découvert 
l'infâme  qui  l'a  déshonorée.  Il  serait  trop  long  de  raconter  par  quels 
moyens  il  finit  par  trouver  le  coupable  et  comment  celui-ci,  pour 
échapper  au  déshonneur  et  au  châtiment  f|ui  l'attendent  lui-même,  se 
suicide  devant  son  justicier.  Le  dénouement,  qui  était  diifioile  h 
trouver,  peut  paraître  singulier,  mais  le  drame  n'en  reste  pas  moins 
puissant  et  émouvant  en  certaines  parties,  en  dépit  de  quelques 
modifications  assez  fâcheuses  qu'on  lui  a  fait  subir. 

Il  est  bien  joué  par  M'"  Lara,  qui  est  décidément  une  artiste  de 
race  et  qui  représente  la  jeune  Hélène  de  la  façon  la  plus  délicieuse, 
par  M.  Desjardins,  qui  a  bien  dessiné  la  physionomie  indigne  de 
Robert  de  Brives,  et  par  M.  Burguet,  qui  joue  Raymond  de  Brives 
Bvec  beaucoup  de  naturel.  Quant  à  M.  Philippe  Garnier,  il  est  bien 
inégal  et  parfois  bien  singulier  dans  le  personnage  de  Jacques 
d'Albert,  sur  lequel  il  n'attire  pas  la  sympathie  évidemment  rêvée  par 
les  auteurs.  A.  P. 


M™E  DESBORDES-VALMORE  COMÉDIENNE 


Demain  lundi  on  inaugure  à  Douai  la  statue  d'un  des  plus  ad- 
mirables poètes  qu'aient  produits  la  France  et  le  XIX°  siècle. 
Demain,  la  ville  de  Douai  ne  se  contentera  plus  de  la  plaque  eom- 
mémoralive  qu'elle  a  fait  pieusement  placer  sur  la  façade  de  la  mai- 
son qui  porte  le  n°  36  de  la  rue  de  Valenciennes,  où  est  née 
M""'  Desbordes- Valmore,  elle  possédera  l'image  de  sa  noble  com- 
patriote, la  belle  statue  de  bronze  argenté  due  à  M.  Houssin,  un 
sculpteur  douaisien,  qu'on  a  pu  contempler  il  y  a  quelques  semaines 
au  dernier  Salon  du  Champ  de  Mars. 

Dans  dix  jours,  le  20  juillet,  il  y  aura  cent  dix  ans  que  Marce- 
line Desbordes  naquit  à  Douai,  et  je  regrette  qu'on  n'ait  pas  choisi 
exactement  cette  date  pour  l'inauguralicn  du  monument  qui  lui  est 
consacré.  Mais  il  n'importe,  l'essentiel  est  que  cet  hommage  lui 
soit  rendu,  et  que  rien  ne  manque  à  la  gloire  du  poète  le  plus  éton- 
namment pathétique  dont  notre  pays  puisse  être  fier.  Aussi  bien, 
n'est-ce  point  du  poète  que  je  veux  parler  ici.  Je  désire  seulement 
profiter  de  la  circonstance  qui  se  présente  pour  dire  quelques  mots 
de  M"'°  Desbordes-Valmore  comédienne,  de  celle  qu'en  ses  jeunes 
années  on  n'a  pas  craint  de  comparer  à  deux  des  plus  grandes 
artistes  de  sou  temps.  M"'"  Saint-Aubin  et  M""  Mars,  ce  qui  prouve 
le  cas  qu'on  pouvait  faire  de  son  talent  sous  ce  rapport. 

C'est  le  hasard  qui  amena  la  jeune  Marceline  Desbordes  à  abor- 
der le  théâtre,  alors  qu'elle  était  à  peine  âgée  de  treize  ans,  et  c'est 
à  Lille,  que  pour  la  première  fois,  elle  parut  en  public.  Je  n'ai  pas 
ici  la  place  nécessaire  pour  m'étendre  sur  ses  débuts,  et  je  renvoie 
le  lecteur  curieux  de  détails  à  un  travail   important  publié  par  moi, 

(1)  Gazette  des  Théâtres,  13  mai  1838. 


LE  MÉNESTREL 


2i9 


à  l'aide  de  documents  inédits,  sur  la  Jeunesse  de  M'""  Desbordcs-Val- 
more  (1).  De  Lille,  où  elle  n'avait  fait  en  quelque  sorte  qu'appa- 
raître, la  jeune  Marceline  fut  engagée  à  Rochefort,  puis  à  Bordeaux, 
et  enfin  dans  une  troupe  qui  desservait  les  théâtres  de  Pau,  de 
Tarbes  el  de  Bayoune.  A  Bayonne,  elle  s'embarqua  avec  sa  mère 
pour  la  Guadeloupe,  d'où,  à  seize  ans,  elle  devait  revenir  seule, 
•orpheline  et  désolée,  après  avoir  éobappé  à  des  périls  de  toute  sorte. 

A  peine  de  retour,  obligée  de  gagner  sa  vie  et  désireuse  de  venir 
en  aide  à  son  vieux  père,  elle  ne  trouva  rien  de  mieux  à  faire  que 
d'embrasser  déSnitivemeut  cette  carrière  du  théâtre  qu'elle  n'avait 
fait  qu'ébaucher,  où  elle  devait  obtenir  de  si  vifs  succès,  et  pour 
laquelle  cepeadant,  en  dépit  de  ces  succès,  elle  éprouva  toujours 
une  constante  répugnance.  Après  s'être  montrée  de  nouveau  à  Lille, 
elle  est  engagée  à  Rouen  pour  jouer  les  ingénues  dans  la  comédie 
et  l'opéra-comique.  Ou  sait  qu'à  cette  époque  nos  grands  théâtres 
de  province  n'étaient  pas  exclusivement  consacrés  à  l'opéra;  ils 
jouaient  aussi  la  comédie  (voire  la  tragédie),  et  certains  emplois 
devaient  être  tenus  par  les  artistes  dans  les  deux  genres.  En  dépit 
de  la  sévérité  traditionnelle  et  bien  connue  du  public  rouennais, 
M"=  Desbordes  trouva  de  sa  part  l'accueil  le  plus  favorable;  et  il 
faut  bien  croire  que  cet  accueil  était  justifié  par  un  talent  sérieux 
puisque  quelques  artistes  de  l'Opéra-Gomique,  parmi  lesquels  Elleviou, 
étant  venus  donner  des  représentations  à  Rouen,  furent  si  enchantés 
du  jeu  de  la  jeune  artiste  qu'ils  la  firent  aussitôt  engager  à  ce  théâtre. 

Elle  vint  débuter  en  effet,  le  29  décembre  4804,  dans  le  P^'honnier, 
de  Délia  Maria,  et  Lisbeth,  de  Grétry.  Son  succès  fut  complet,  et  le 
vieux  maître  se  montra  si  satisfait  de  l'artiste  et  de  la  femme  que 
non  seulement  il  voulut  la  faire  travailler  lui-même,  mais  qu'il  la 
recueillit  chez  lui,  dans  sa  maison,  et  la  traita  comme  sa  propre 
fille.  Peu  de  semaines  après,  elle  créait  l'unique  rôle  de  femme  d'un 
petit  opéra  de  Spontini,  Julie  ou  le  Pol  de  jleurs,  et  c'est  en  rendant 
compte  de  cette  pièce  que  Geoffroy,  le  critique  grincheux  du  Journal 
des  Débals,  disait  d'elle  :  «  Cette  débutante  m'avait  échappé,  et  ne 
méritait  pas  une  pareille  indifférence.  ^;jm  Af^"  Mars,  il  n'y  a  point, 
à  Paris,  d'ingénuité  quelle  n'égale  ou  ne  surpasse.  »  Et  le  Journal  de  Paris 
disait  de  son  côté,  après  lui  avoir  vu  jouer  Golombine  dans  une 
reprise  du  Tableau  parlant  :  «  ...  A  défaut  de  poumons,  elle  fait  un 
usage  très  heureux  de  son  goût  naturel;  elle  chante  avec  beaucoup 
de  pureté  et  d'expression,  et  d'ailleurs  elle  est,  après  M""=  Saint- 
Aubin,  la  meilleure  comédienne  de  la  troupe,  ce  qui  n'est  pas  un 
petit  avantage.  » 

Dans  Lisbeth  elle  avait  obtenu  un  succès  de  larmes;  ici,  dans  cette 
parade  si  curieuse  et  si  amusante  du  Tableau  parlant,  c'était  l'esprit, 
la  grâce  et  la  gaieté  qui  l'emportaient  en  elle.  Bientôt  elle  se  montra, 
toujours  de  la  façon  la  plus  heureuse,  dans  divers  autres  ouvrages 
du  répertoire  et  de  genres  différents  :  l'Amoureux  de  quinze  ans,  l'Habit 
du  chevalier  de  Granimonl,  un  Quart  d'heure  de  silence,  Alexis  ou  l'En'cur 
d'un  bon  père,  le  Petit  Matelot,  «îie  Heure  de  mariage.  Puis  elle  créa  un 
petit  opéra  de  Jadin,  le  Grand-Père,  et  fut  appelée  à  sauver  un  autre 
petit  ouvrage  de  Kreutzer,  les  Surprises,  oii  elle  remplaça,  dès  la 
seconde  représentation,  une  artiste.  M"'  Jaspin,  qui  en  avait  com- 
promis le  succès  par  son  insuffisance. 

Mais  les  affaires  de  l'Opéra-Gomique  n'étaient  pas  brillantes  alors, 
et  malgré  la  situation  honorable  qu'elle  s'y  était  faite,  M""  Desbordes 
se  crut  obligée  de  le  quitter.  Elle  en  donnait  les  raisons  dans  une 
lettre  qu'elle  adressait  plus  tard  à  son  ami  Sainte-Beuve  :  «  ...Tout 
m'y  prometlait  un  avenir  brillant;  j'étais  sociétaire  sans  l'avoir 
demandé  ni  espéré.  Mais  ma  faible  part  se  réduisait  alors  à  80  francs 
par  mois,  et  je  luttais  contre  une  indigence  qui  n'est  pas  à  décrire. 
Je  fus  forcée  de  sacrifier  l'avenir  au  présent,  et,  dans  l'intérêt  de 
mon  père,  je  retournai  en  province...  » 

Elle  retourna  en  effet  à  Rouen,  où  elle  fut  reçue  comme  l'enfant 
prodigue,  puis  partit  pour  Bruxelles.  C'est  de  là  qu'elle  eut  avec 
Grétry  une  correspondance  bien  intéressante,  dont  je  ne  puis  donner 
ici  qu'un  échantillon,  suffisant  d'ailleurs  à  faire  connaître  quelles 
étaient  leurs  relations.  Elle  avait,  en  apprenant  la  mort  de  sa  femme, 
écrit  aussitôt  au  vieux  maître,  et  celui-ci  lui  adressait,  en  réponse, 
ces  quelques  lignes  touchautcs  : 

Paris,  13  mai  1807. 

Oui,  mademoiselle  et  bonne  amie,  je  crois  à  vos  sentiments  pour  moi  ; 
vous  ressentez  une  partie  de  mes  maux;  ils  sont  affreux,  et  je  suis  cer- 
tain que  je  ne  retrouverai  le  repos  que  dans  la  tombe.  Je  parts  (sic)  pour 
la  campagne;  des  amis  veulent  bien  m'y  suivre;  mais  que  trouverai-je 
là?  Jeannette,  toujours  Jeannette,  qui  ne  me  répondra  plus. 

Adieu,  chère  bonne  amie,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Ghétry. 

(1)  Dans  la  Nouvelle  Revue  des  1"  et  15  février  1894. 


Engagée  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  aux  appointements 
de  400  francs  par  mois.  M""  Desbordes  y  avait  débuté  le  4  mai  1807 
dans  la  Femme  jalouse,  comédie  de  Desforges,  et  dans  une  Heure  de 
mariage,  de  d'Alayrao.  Elle  n'y  devait  rester  cette  fois  qu'une  année. 
Elle  alla  passer  quelques  années  ensuite  à  Bordeaux,  puis  fut  engagée 
à  Paris,  à  l'Odéon,  pour  y  tenir  l'emploi  des  jeunes  premières  de  co- 
médie et  de  tragédie.  Son  début,  très  heureux,  eut  lieu  dans  une  co- 
médie de  Pigault-Lebrun,  Claudine  de  Florian,  le  27  avril  181.3.  Elle 
resta  deux  ans  à  ce  théâtre,  où,  pour  sa  représentation  à  bénéfice,  le 
16  mai  1815,  on  donnait  pour  la  première  fois  une  comédie  en  trois 
actes  et  en  vers  de  Dorvo  et  Dumaniant,  les  Querelles  de  ménage.  Elle 
retourna  à  Bruxelles,  où  elle  allait  demeurer  du  IS  août  181S  au  mois 
d'avril  1819,  et  où  elle  devint  tout  è  fait  l'enfant  gâtée  du  publie.  On 
aura  une  idée  de  l'impression  qu'elle  produisait  par  ces  lignes  qu'un 
critique  belge,  J.-B.-D.  Vautier,  publiait  sur  elle  trente  ans  après,  en 
1847  ;-  le  jugement  est  intéressant  : 

Je  me  rappelle  l'époque  où,  actrice  de  la  façon  qu'elle  est  poète, 
M™'  Desbordes-Valmore  embellissait  notre  scène  par  son  organe  et  son 
jeu.  Je  fus  témoin,  comme  beaucoup  de  mes  lecteurs,  de  ses  triomphes 
dans  la  comédie  et  la  tragédie;  et  nous  admirions  tous  cette  exquise  sen- 
sibilité qui  lui  faisait  prêter  son  àme  aux  personnages  qu'elle  représen- 
tait. Au  temps  des  brillantes  soirées  de  Joanny,  M°"^  Desbordes-Valmore, 
sous  les  traits  de  la  fille  d'Agamemnon,  enleva  nos  suffrages  par  sa  dé- 
clamation pleine  de  douceur,  véritable  élégie  en  action.  Ce  qui  lui  avait 
été  refusé  du  côté  de  la  physionomie,  les  grâces  décentes  de  sa  diction  et 
de  son  maintien  nous  le  rendaient  amplement.  Elle  n'était  pas  élève  de 
l'art,  mais  celui  de  son  instinct,  et  cet  instinct,  tout  dramatique,  la  secon- 
dait à  merveille.  Dans  les  rôles  passionnés,  dans  ceux  surtout  qui  avaient 
quelque  rapport  de  situation  avec  les  événements  qui,  par  intervalle,  ont 
rembruni  son  existence.  M™"  Desbordes-Valmore  se  laissait  aller  à  une 
émotion  tellement  visible  que,  sans  la  présence  d'esprit  de  ses  camarades, 
l'actrice  aurait  pu  faire  oublier  la  pièce  et  le  personnage.  Nos  yeux  ont 
bien  souvent  surpris  de  véritables  larmes  dans  les  siens.  Chose  assez  rare, 
la  gaité  folâtre  n'était  pas  moins  son  élément  que  la  tristesse  et  la  mélan- 
colie. Légère  alors  et  sémillante,  elle  animait  la  scène  par  un  langage 
plein  d'une  vivacité  malicieuse.  Voilà  ce  que  je  n'ai  pas  oublié... 

On  conviendra  que  pour  mériter  de  tels  éloges,  le  talent  que  portait 
à  la  scène  M°"=  Desbordes-Valmore  devait  être  particulièrement  remar- 
quable. On  a  vu  d'ailleurs  ceux  que,  toute  jeune  et  à  l'aurore  de  sa 
carrière  dramatique,  elle  avait  obtenus  lors  de  sa  courte  apparition  à 
l'Opéra-Gomique.  Ses  qualités  n'avaient  évidemment  pu  que  grandir 
par  le  travail  et  l'expérience.  Il  est  assez  rare,  au  surplus,  qu'un 
même  artiste  réussisse  à  se  faire  applaudir  sur  deux  scènes  de  genres 
aussi  différents  que  celles  de  l'Opéra-Gomique  et  de  l'Odéon,  et  l'on 
peut  dire  que  M""'  Desbordes-Valmore  offre  un  exemple  peu  commun 
sous  ce  rapport.  En  quittant  Bruxelles,  où,  en  1817,  elle  avait  épousé 
Valmore,  son  camarade  de  la  Monnaie,  artiste  distingué  lui-même, 
elle  suivit  son  mari  au  Grand-Théâtre  de  Lyon,  où  elle  continua,  pen- 
dant deux  années,  de  tenir  son  emploi  de  jeune  première.  Puis, 
en  1822,  elle  quitta  définitivement  le  théâtre,  pour  se  consacrer  unique- 
ment aux  soins  de  la  famille  et  à  l'éducation  de  ses  enfants. 

Ges  quelques  détails  relatifs  à  la  carrière  scénique  de  M""' Desbordes- 
Valmore  complètent  l'histoire  de  la  vie  de  cette  femme  si  remarquable 
et  si  intéressante. 

Arthur  Pougin. 


SUR  LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 

D'ADAM  DE  LA  HALLE 

(Suite.) 


Il  résulte  de  ces  observations  que  si,  par  sa  forme,  le  Jeu  de 
Robin  et  Marion  mérite  le  nom  de  premier  opéra-comique  par  le 
procédé  de  composition,  l'œuvre  diffère  essentiellement  de  l'opéra- 
comique  moderne,  puisque  toute  la  partie  musicale,  au  lieu  d'être 
composée  spécialement,  a  été  empruntée  à  des  chansons  préexistantes. 
Ce  procédé  se  rapprocherait  plutôt  de  celui  du  vaudeville;  mais 
encore  n'est-ce  pas  tout  à  fait  cela,  car,  dans  le  vaudeville,  des 
couplets  nouveaux  sont  composés  sur  des  airs  connus,  tandis  qu'ici 
l'emprunt  porte  sur  la  chanson  tout  entière,  musique  et  paroles. 
Celte  méthode,  en  réalité,  est  particulière  au  moyen  âge. 

En  faisant  ces  observations,  je  ne  crois  porter  aucun  atteinte  à  la 
considération  que  l'on  doit  à  Adam  de  la  Halle.  Si,  en  composant  le 
Jeu  de  Robin  et  Marion,  il  ne  fut  pas  un  génie  créateur  dans  le  sens 
moderne  du  mot,  du  moins  a-t-il  eu  un  mérite  qui  n'est  pas  moindre  : 
celui  de  condenser,  de  résumer  en  une  seule  œuvre  ce  qu'il  y  eut  à 
son  époque  de  plus  significatif,  de  plus  spontané,  de  plus  digne  de 


220 


LE  MENESTREL 


passer  à  la  postérité.  D'ailleurs,  par  la  composition  de  la  partie  dia- 
logoée,  il  reste  un  poète  exquis,  et  d'autre  part  il  a  fait  ses  preuves 
comme  musicien,  cela  en  des  genres  très  différents,  car  il  a  composé 
des  chansons,  des  jeux-partis,  des  rondeaux,  des  motets,  c'est-à-dire 
de  la  musique  savante  :  et  pour  cela  précisément  nous  devons  lui 
savoir  d'autant  plus  de  gré  de  n'avoir  pas  dédaigné  les  productions 
delà  muse  rustique,  et,  par  son  ingénieux  arrangement,  de  nous 
avoir  conservé  la  plus  précieuse  collection  de  chansons  populaires  du 
moyen  âge  qui  nous  ait  été  conservée  par  l'écriture. 

Cette  étude  doit  être  complétée  par  quelques  observations  relatives 
à  la  musique  du  Jeu  de  Robin  et  Marion  et  aux  particularités  qu'elle 
présente. 

Deux  manuscrits  nous  ont  conservé  cette  musique,  sur  les  trois 
qui  nous  ont  apporté  le  texte  du  Jeu  :  l'un,  du  SIIP  siècle,  renfer- 
mant presque  toutes  les  œuvres  de  maître  Adam,  appartient  à  la  Bi- 
bliothèque Nationale  (ms.fr.  2o. 566,  ancien  fonds  LaVallière);  l'autre, 
du  XV%  est  à  la  Bibliothèque  Méjanes  d'Aix-en-Provence.  Les 
variantes  existant  entre  les  deux  notations  musicales  sont  générale- 
ment de  peu  d'importance,  et  portent  seulement  sur  trois  morceaux, 
des  seize  que  comporte  le  Jeu  de  Robin  et  Marion.  Cette  musique  est 
notée  d'après  le  système  rythmique  de  la  notation  franconienne;  le 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale,  en  très  bel  état  de  conserva- 
tion, nous  montre  que  cette  notation  a  été  exécutée  avec  le  plus 
grand  soin  et  la  plus  grande  netteté.  De  Coussemaker  en  a  donné 
une  transcription  excellente  dans  son  livre  sur  Adam  de  la  Halle,  le 
monument  le  plus  important  et,  à  coup  sur,  le  plus  méritoire,  qui  ait 
été  jusqu'ici  à  la  mémoire  du  trouvère  d'Arras  (1). 

Cette  transcription  n'a  qu'un  défaut:  exécutée  d'après  les  mêmes 
données  que  s'il  s'agissait  de  chants  religieux  ou  de  graves  et  lentes 
mélopées  des  trouvères,  elle  a  pris  uniformément  pour  unité  de  temps 
des  valeurs  trop  longues  pour  représenter  les  rythmes  légers  et  ani- 
més de  la  chanson  populaire.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le  pre- 
mier refrain  chanté  par  Marion  à  l'entrée  du  Chevalier  se  présente 
sous  cet  aspect  lourd  et  pesant  : 


Hé!      Ro.bins,  se     tu.  m'ai-mes,   Par       a-mours  mai-ne    m'ent. 
N'est-il  pas  évident  que   cette  petite  phrase,  qui  a   tous  les  carac- 
tères d'un  refrain   de   chanson  de  danse,  est  un  six-huit  et  doit  être 
notée  ainsi  : 


Ah!  Ro.bin,  si     tu     m'ai-mes, Par        a-mour,viens  a      moi. 

Il  en  est  de  même  pour  la  grande  majorité  des  mélodies  de  Robin  et 
Marion. 

Le  principe  étant  admis,  il  était  aisé  de  l'appliquer  aux  différents 
morceaux,  et  par  là,  sans  toucher  aucunement  à  la  ligne  mélodique, 
de  rendre  à  leur  notation  son  véritable  aspect. 

Au  point  de  vue  de  la  tonalité,  ces  mélodies  présentent  une  parti- 
cularité infiniment  intéressante  :  elles  sont  presque  toutes  dans  le 
mode  majeur.  Notons  bien  que  nous  sommes  au  XIIP  siècle,  époque 
où  les  théoriciens  ne  reconnaissent  pas  d'autres  modes  que  ceux  du 
plain-chant,  et  que  les  historiens  de  la  musique  les  plus  autorisés 
ont,  jusqu'à  notre  temps,  soutenu  cette  thèse  inexacte  que  la  tonalité 
moderne  (c'est-à-dire  la  substitution  du  majeur  et  du  mineur  aux 
anciennes  modalités)  était  un  effet  des  progrès  de  l'harmonie  et  avait 
été  créée,  presque  de  toutes  pièces,  au  XVII"  siècle,  par  un  musi- 
cien de  génie.  Mais  la  nature  est  au-dessus  de  ces  belles  théories; 
et,  comme  la  tonalité  moderne  est  simplement  la  tonalité  naturelle, 
il  ne  faut  pas  s'étonner  que  les  chanteurs  de  chansons  populaires 
n'aient  attendu  la  permission  ni  de  Monteverde,  ni  de  Fétis,  pour 
chanter  en  majeur.  Il  n'est  pas  de  preuve  plus  éclatante  de  cette  vérité 
que  celle  qui  nous  est  fournie  par  l'ensemble  des  mélodies  de  Robin 

(1)  J'y  relève  une  seule  faute:  dans  la  chanson  de  Marion  :  «  Vous  perdez  vos 
peines,  sire  Aubert  »  (1"  scène  de  Marion  avec  le  Chevalier),  le  transcripteur  n'a 
pas  tenu  compte  du  changement  de  clef  indiqué  au  milieu  de  la  mélodie,  ce 
qui  fait  que  la  seconde  partie  se  trouve  notée  une  tierce  trop  haut,  et  que  la 
tonalilé  en  est  complètement  bouleversée.  Bien  convaincu  de  la  faute  par  la 
seule  inspection  de  la  mélodie,  je  me  suis  reporté  au  manuscrit,  qui  a  confirmé 
le  bien  fondé  de  mon  hypothèse.  La  faute  se  retrouve,  bien  entendu,  dans 
toutes  les  éditions  faites  d'après  de  Coussemaker  :  Meienreis,  Adam  de  la  Ballet 
Spiel  Robin  vnd  Marion,  Munich,  1893;  E.  Langlois,  Loc.  cit.  —  Un  plus  grave 
reproche  peut  être  adressé  à  ce  dernier,  qui,  dans  sa  récente  édition,  d'appa- 
rence cependant  à  inspirer  confiance  au  point  de  vue  de  l'eiactitude,  n'a  pas 
craint  d'ajouter  à  la  chanstm  dialoguée  :  «  Bergeronnette  »  plusieurs  membres 
de  phrases  (vers  et  musique)  qui  en  dénaturent  la  forme  et  le  développement 
original. 


et  Marion.  A  cet  égard,  bien  significatifs  sont  les  tâtonnements  des 
scribes  du  XIIP  siècle  pour  fixer  par  la  notation  des  formes  diffé- 
rentes de  celles  qui  seules  étaient  admises  par  les  principes.  C'est 
ainsi  que  les  premières  mélodies  du  Jeu  sont  notées  en  fa  :  ce  ton 
n'est  pas  encore  trop  étranger  au  plain-chant,  puisqu'il  correspond 
aux  5"  et  6"  tons,  avec  l'adjonction  autorisée  du  si  bémol  (exprimé  ou 
sous-entendu).  Mais  au  début,  ce  bémol  n'est  pas  écrit  à  la  clef,  bien 
que  la  tonalité  des  mélodies  l'appelle  impérieusement.  Puis,  peu  à 
peu,  l'écrivain  s'aperçoit  que  la  présence  de  ce  signe  est  nécessaire; 
le  bémol  figure  en  effet  dans  la  plupart  des  mélodies  qui  se  trouvent 
au  milieu  de  l'œuvre,  parfois  accidentellement  omis  :  ainsi,  dans  le 
long  Trairideluriau  de  Marion  et  du  Chevalier,  on  le  trouve  à  la  clef 
de  la  première  portée;  puis  rien  aux  trois  portées  suivantes  :  il 
reparaît  à  la  cinquième,  jusqu'à  la  fin  du  morceau  suivant,  mais 
oublié  deux  fois  encore.  Enfin ,  gêné  sans  doute  par  cette  compli- 
cation (combien  considérable!),  le  scribe  se  décide  à  prendre  un 
grand  parti  :  il  écrira  en  ut  majeur;  et  en  effet,  les  dernières  mélodies 
du  Jeu  de  Robin  et  Marion  sont  transcrites  dans  ce  ton,  lequel  n'était 
nullement  admis  par  les  principes  de  la  tonalité  grégorienne.  Mais 
cette  fois,  si  les  règles  sont  enfreintes,  la  musique  est  notée  confor- 
mément à  son  vrai  caractère  modal. 

Je  n'insisterai  pas  sur  cette  particularité  que  les  mélodies  n'ont  pas 
toutes  la  tonique  pour  finale,  mais  que  quelques-unes  s'arrêtent  soit 
sur  la  dominante,  soit  sur  le  2=  degré  appelant  harmoniquement  l'ac- 
cord de  dominante.  Le  cas  est  fréquent  dans  la  chanson  populaire,  et 
n'altère  aucunement  le  caractère  essentiel  de  la  tonalité,  qui  reste 
parfaitement  conforme  aux  principes  de  la  tonalité  moderne,  et  sans 
qu'il  soit  nécessaire  de  faire  intervenir,  pour  l'interpréter,  les  systèmes 
des  modes  antiques  ou  du  moyen  âge. 

Reste  encore  une  question  :  celle  de  savoir  si,  dans  les  représenta- 
tions du  XIIP  siècle,  les  mélodies  du  Jeu  de  Robin  et  J/arion  étaient 
soutenues  par  un  accompagnement  quelconque.  Il  me  semble  que, 
sur  ce  point,  les  opinions  ont  beaucoup  erré.  C'est  ainsi  qu'il  y  a 
une  quarantaine  d'années,  c'est-à-dire  tout  au  commencement  des 
éludes  musicales  sur  le  moyen  âge,  Théodore  Nisard,  ayant  trouvé 
dans  le  manuscrit  de  Montpellier  un  motet  où  la  mélodie  «  Robin 
m'aime  »  se  trouve  combinée  avec  deux  autres  parties  vocales  (par 
succession  de  quartes  et  de  quintes,  conformément  à  l'agréable  usage 
de  ce  temps),  et  ayant  conclu  d'abord,  sans  aucune  raison,  que  le  dit 
motet  était  de  la  composition  d'Adam,  ajouta  que  la  chanson  de  la 
bergère  était  chantée  en  trio,  par  elle-même  en  scène,  et  par  Robin  et 
le  Chevalier  cachés  derrière  les  décors!...  Gustave  Chouquet,  faisant 
mention  de  cette  opinion  bizarre,  la  réprouve,  mais  en  ajoutant  : 
«  C'étaient  des  instruments,  selon  nous,  et  non  des  chanteurs,  qui 
harmonisaient  d'une  façon  encore  bien  barbare  l'ariette  de  Robin 
m'aime,  ainsi  que  toutes  les  autres  mélodies  de  cette  pastorale  (1).  » 

De  Coussemaker  a  fait  justice  de  toutes  ces  hypothèses  saugrenues: 
il  constate  d'abord  que,  dans  aucun  manuscrit  du  Jeu,  on  n'aperçoit 
la  moindre  trace  d'harmonie,  et  que  «  si  réellement  les  mélodies  de 
cette  pièce  avaient  été  destinées  à  être  chantées  à  plusieurs  parties, 
le  copiste  du  manuscrit  de  la  Vallière,  qui  a  noté  les  rondeaux  et  les 
motets  avec  les  parties  harmoniques,  n'aurait  pas  manqué  de  noter  de 
même  les  airs  du  Jeu  de  Robin  et  Marion.  »  Il  insiste  avec  raison 
sur  l'incompatibilité  scéuique  de  la  pièce  avec  des  morceaux  à  plu- 
sieurs parties  chantant  des  paroles  différentes.  Et  cependant,  un  peu 
plus  loin,  énumérant  les  noms  des  instruments  rustiques  dont  il  est 
question  dans  la  pièce  (flageolet,  cornemuse,  tambourin,  cornets),  il 
ne  peut  s'empêcher  d'ajouter  :  «  Il  est  très  probable  et  presque  cer- 
tain que  les  airs  étaient  accompagnés  ou  du  moins  soutenus  par  des 
instruments.  Sans  cela  il  eût  été  presque  impossible  de  rester  dans 
le  ton  (2).  »  Et,  plus  récemment,  M.  Weckerlin  écrivait  encore  : 
(1  Dans  aucun  manuscrit  il  n'y  a  trace  d'harmonie.  Il  est  cependant 
difficile  d'admettre  que  ces  airs  aient  été  chantés  sans  aucun  accom- 
pagnement quelconque,  mais  rien  ne  vient  nous  prouver  le  con- 
traire (3)  ». 

C'est  bien  ici  le  cas  de  revenir  à  la  phrase  de  Montaigne  citée  au 
début  de  cette  étude  :  «  C'est  un  commun  vice  quasi  de  tous  les 
hommes  d'avoir  leur  visée  et  leur  arrêt  sur  le  train  auquel  ils  sont 
nés...  »  Si  nous  avons  tant  de  peine  aujourd'hui  à  nous  figurer  une 
représentation  théâtrale  dont  les  chants  ne  seraient  soutenus  d'au- 
cun accompagnement,  c'est  que  le  progrès  des  temps  a  rendu  pour 
nous  cet  élément  indispensable  ;  mais  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  en  ait 
toujuurs  été  ainsi,  et  il  est  certain  que  les  chanteurs  qui  interprétèrent 

(1)  G.  Chouquet,  Histoire  de  la  mtisiqi/e  dramatique  en  France,  p.  37, 

(2)  De  CoussEJUKEii,  Adam  de  la  Halle,  p.  LXVII  et  LXVIU  de  l'Introduction. 

(3)  Le  Jeu  de  Robin  et  Marion  ^m'Adam  fit,  publié  par  J.-B.  Weceehlin,  Intro- 
duction. 


LE  MENESTREL 


221 


les  premiers  le  Jeu  de  Robin  et  Marion  n'avaient  aucun  orchestre  à  leur 
disposition  pour  les  accompagner,  par  celte  simple  raison  que 
l'harmonie  instrumentale  destinée  à  accompagner  le  chant  était 
inconnue  alors.  L'on  aurait  grand  tort  de  parler  ici  du  déchant,  qui 
est  un  genre  de  composition  tout  spécial,  exclusivement  vocal,  et 
dont  la  précédente  citation  de  de  Coussemaker  a  suffisamment 
démontré  l'incompatibilité  avec  le  genre  du  Jeu  de  Robin  el  Marion 
pour  qu'il  soit  utile  d'insister  ;  mais  cet  auteur  lui-même  cède  au 
courant  des  idées  modernes  lorsqu'il  avance  que  les  voix  étaient 
soutenues  par  les  instruments,  vu  que  ces  instruments  avaient  ici 
leur  rôle  particulier,  celui  d'accompagner  les  danses,  et  n'étaient 
aucunement  faits  pour  suivre  les  voix.  Aussi  hien,  s'il  faut  absolu- 
ment trouver  aujourd'hui  même  des  exemples  d'exécutions  pure- 
ment vocales,  nous  n'aurons  qu'à  voir  de  quelle  manière  les  chansons 
populaires  sont  exécutées  par  ceux  qui  ont  gardé  les  traditions  :  ces 
chansons,  souvent  très  longues,  sont  toujours  chantées  par  la  seule 
voix,  sans  aucun  accompagnement  instrumental.  Il  n'est  pas  douteux 
qu'il  en  ait  été  de  même  pour  les  chansons  de  même  nature  qui 
composent  exclusivement  la  partie  musicale  du  Jeu  de  Robin  et 
Marion, 
(A  suivre.)  Juliein  Tiersot. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


Pendant  que  Latude  ne  demandait  à  la  musique  qu'une  source  de 
jouissances  personnelles,  un  de  ses  co-délenus  en  faisait  un  instru- 
ment de  propagande  religieuse.  C'était  un. prêtre,  nommé  Goffin,  à 
qui  des  hallucinations  mystiques  avaient  tourné  la  tête.  Il  préten- 
dait régénérer  le  catholicisme  par  le  calvinisme,  et  comme  pour 
mieux  marquer  ses  premiers  pas  dans  la  carrière  de  l'apostolat,  il 
avait  commencé  par  enlever  des  religieuses  de  leur  couvent.  Natu- 
rellement cet  exploit,  non  moins  que  la  profession  de  ses  nouveaux 
dogmes,  lui  valut  les  honneurs  de  la  Bastille  ;  et  là,  il  passait 
toutes  ses  nuits  à  hurler  des  psaumes,  pour  la  plus  grande  édifica- 
tion des  prisonniers  que  cette  ferveur  insolite  empêchait  de  dormir. 
Sa  folie  devint  tellement  insupportable  qu'il  fallut  le  transporter  à 
Charenton,  où  il  ne  tarda  pas  à  mourir. 

La  fameuse  comtesse  de  la  Motte,  que  le  vol  du  collier  de  la 
Reine  avait  conduite  à  la  Bastille,  s'y  livrait  aussi  à  des  excentricités 
vocales  assourdissantes  pour  ses  voisins  ;  mais  ce  n'était,  ni  pour 
correspondre  avec  eux,  ni  pour  égayer  sa  solitude,  qu'elle  passait  en 
revue  son  répertoire  musical.  Malgré  qu'elle  fût  bronzée  contre  les 
émotions  de  toute  nature,  celte  aventurière  de  grande  race  ne  pou- 
vait se  défendre  de  l'impression  nerveuse  qui  se  traduit,  chez  bien  des 
gens  préoccupés,  par  l'irrésistible  besoin  de  chanter.  Ses  Mémoires 
notent  ainsi  ce  cas  psychologique  : 

...  Le  crédit  de  la  maison  de  Rohan,  disais-je  en  moi-même,  procurera 
la  liberté  du  cardinal,  et  je  devrai  la  mienne  à  la  générosité  de  la  Raine. 
C'est  ainsi  que  je  raisonnais.  Quelquefois,  ces  réflexions  et  d'autres  du 
même  genre  me  tranquillisaient,  au  point  que  je  chantais  chanson  sur 
chanson  avec  une  volubilité  et  une  gaieté  dont  s'étonnaient  les  Invalides 
qui  étaient  de  service  dans  les  environs  de  ma  chambre.  Plusieurs  dirent 
au  gouverneur  que  je  passais  en  revue  au  moins  soixante  ariettes  par 
jour,  que  cependant  ils  ne  pouvaient  distinguer  les  paroles,  mais  qu'il 
semblait  que  je  m'adressais  à  quelqu'un,  que  je  me  soulevais  souvent  jus- 
qu'à la  hauteur  de  ma  fenêtre  de  manière  qu'ils  pouvaient  me  voir. 

Le  gouverneur  leur  ordonna  en  conséquence  de  faire  attention  à  ce 
que  je  chantais.  J'entendis  un  matin  parler  à  voix  basse  sous  ma  fenêtre  : 
je  me  doutais  que  c'étaient  des  espions. 

—  Tant  mieux,  me  dis-je,et  je  me  rais  à  chanter  0  Richard,  ô  mon  Roi, 
en  substituant  le  nom  de  Valois  à  celui  de  Richard  ;  j'eus  soin  également 
d'introduire  le  nom  du  gouverneur  dans  mon  ariette  et  le  finale  de  ma 
chanson  fut  un  grand  éclat  de  rire. 

Le  soir,  De  Launay,  le  gouverneur  de  la  Bastille,  entrait  chez  la 
prisonnière  et  l'invitait  à  lui  répéter  un  de  ses  airs  favoris.  Elle  lui 
chanta  un  air  de  bravoure  à  tue-tête  et  termina  la  séance  par  ce  coup 
droit  : 

—  Maintenant,  vous  no  pouvez  plus  me  dire  que  le  règlement  inter- 
dit de  chanter,  puisque  vous  avez  été  le  premier  à  le  violer  en  me 
demandant  une  ariette. 

De  Launay  ne  trouva  rien  à  répondre  el  sortit.  Mais  il  rentra  pres- 
que aussitôt  pour  prier  M"""  de  La  Motte  de  ne  pas  chanter  à  l'heure 
oh  le  cardinal  de  Rohan,  compromis  comme  elle  dans  cette  scanda- 
leuse affaire  du  Collier,  venait  se  promener,  suivant  son  habitude, 
sous  les  fenêtres  de  la  prisonnière. 


Nous  ne  retrouvons  plus  cette  nervosité  —  indice  d'une  conscience 
peu  tranquille  —  chez  le  D'  Hallot,  que  la  Jalousie  professionnelle 
de  M.  de  Lassone,  médecin  du  roi,  fit  enfermer  en  1"81  à  la  Bastille. 
Le  docteur,  quand  on  vint  l'arrêter,  jouait  de  la  flûte  :  il  mit  l'instru- 
ment dans  sa  poche  et  suivit  l'exempt.  Arrivé  à  destination,  il  reprit 
sa  flûte  et  termina  son  morceau.  Une  telle  sérénité  augmenta  le  nombre 
de  ses  défenseurs,  et  Lassone  dut  céder  à  la  pression  de  l'opinion 
publique.  Hallot  ne  resta  que  douze  jours  à  la  Bastille. 

Tort  de  la  Sonde  devait  y  passer  plus  de  neuf  mois  pour  un  motif 
presque  analogue.  Singulier  personnage,  en  vé.-ité,  que  cet  intrigant 
qui,  au  dire  de  ses  contemporains,  s'employa  si  activement,  pendant 
l'Empire  et  la  Restauration,  pour  un  de  ces  innombrables  Louis  XVII 
dont  la  race  pullule  encore  !  Secrétaire  du  comte  de  Guines,  notre 
ambassadeur  à  Londres,  Tort  de  la  Sonde  avait  commis  de  graves 
indiscrétions  qui  amenèrent  sa  disgrâce  et  son  iucarcération  à  la 
Bastille.  Il  comprit  dès  lors  que  la  carrière  de  la  diplomatie  régulière 
lui  était  définitivement  fermée  et  s'ingénia  à  se  trouver  des  ressources 
pour  le  jour  où  il  ne  serait  plus  le  pensionnaire,  malgré  lui,  du  roi 
Louis  XV.  Il  jouait  passablement  du  violon  el  il  entreprit  de  perfec- 
tionner son  talent  pendant  toute  la  durée  de  sa  détention.  S'autori- 
sant  d'espérances  que  lui  avait  laissé  entrevoir  Rochebrune,  commis- 
saire de  la  Bastille  par  métier  et  musicien  par  tempérament.  Tort  de 
la  Sonde  sollicita  du  lieutenant  de  police  la  permission  de  jouer  du 
violon.  Il  s'engageait  à  user  d'une  sourdine  si  bien  préparée  qu'on  ne 
pourrait  entendre  les  notes  «  d'un  bout  de  la  chambre  à  l'autre  », 
argument  sans  doute  irrésistible!  car  notre  homme,  plus  discret 
comme  virtuose  que  comme  diplomate,  vit  sa  demande  favorablement 
accueillie. 

Bien  mieux,  peu  do  temps  avant  la  chute  de  la  Bastille,  les  pri- 
sonniers étaient  devenus  les  professeurs  de  musique  de  la  maison. 
Le  3  mai  1788,  Laffitte  de  Pelleport  écrivait  au  chevalier  du  Puget, 
lieutenant  du  roi  au  château  : 

...  Si  M"«  du  Puget  peut  se  passer  de  son  solfège  pour  quelques  jours, 
je  vous  serai  bien  obligé  de  me  le  prêter.  Quand  vous  voudrez,  je  suis  à 
ses  ordres  pour  finir  ses  principes  de  clavecin. 

Encore  une  figure  originale  que  ce  Laffitte  de  Pelleport,  le  futur 
beau-père  de  Bernardin  de  Saint-Pierre!  Il  faisait  partie  de  celte 
bande  de  pamphlétaires,  doublés  de  maîtres  chanteurs,  qui  exploitè- 
rent si  effrontément  à  Londres  la  cour  de  Versailles  et  jusqu'à  Marie- 
Antoinette  elle-même.  Ce  fut  Laffitte  de  Pelleport  qui  écrivit  le  Diable 
dans  un  bénitier.  Il  dut  à  ce  libelle  el  à  bien  d'autres  de  passer  plu- 
sieurs années  à  la  Bastille  ;  mais  il  avait  gardé  un  assez  bon  souvenir 
des  fonctionnaires  quis'y  trouvaient  alors,  puisque,  le  jour  où  la  for- 
teresse fut  envahie  par  le  peuple,  Pelleport  entreprit  de  sauver  M.  de 
Losme,  le  major  de  la  Bastille;  il  ne  put  arrêter  le  bras  de  ses  meur- 
triers et  faillit  lui-même  tomber  sous  leurs  coups. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


La  mort  de  sir  Augustus  Harris  pourrait  bien  amener  la  disparition 
complète  de  Covent  Garden  et  de  l'Opéra  de  Londres.  Il  parait  que  lady 
Harris  n'a  pas  la  moindre  envie  de  risquer  sa  fortune  personnelle  dans 
une  entreprise  de  ce  genre,  ce  qui  est  tort  raisonnable,  et  que  M.  Faber,  le 
titulaire  du  bail  de  l'immeuble,  ne  veut  le  confier  qu'à  un  homme  offrant 
toutes  les  garanties  voulues.  Cet  homme  ne  se  trouvera  pas  facilement,  et 
il  se  pourrait  bien  que  M.  Faber  cédât  son  bail  au  duc  de  Bedford,  qui  ne 
demande  pas  mieux  que  de  convertir  Covent  Garden  en  un  marché  des 
quatre-saisons,  comme  il  a  fait  déjà  pour  Floral  Hall.  Il  parait,  en  effet, 
qu'à  Londres  les  choux  et  les  oranges  sont  à  même  de  payer  un  loyer  plus 
considérable  que  l'art  lyrique.  Verrons-nous  alors  une  season  à  Londres 
sans  opéra  et  sans  dames  très  largement  décolletées  dans  les  loges?  Quoi 
DU  avertant  ! 

—  D'autre  part  on  raconte,  à  Londres,  que  M.  Maurice  Grau  se  trouve  à 
la  tête  d'un  syndicat  formé  dans  le  but  d'exploiter  l'Opéra  de  Covent- 
Garden.  Le  contrat  n'est  pas  encore  signé,  mais  il  paraît  probable  que 
M.  Grau  prendra  la  direction  de  Covent-Garden.  Il  resterait  en  même  temps 
avec  M.  Abbey,  à  la  tête  du  Metropolitan  Opéra  House  de  New-York,  la 
saison  de  Londres  ne  commençant  qu'à  l'expiration  de  celle  de  New-York, 
Le  fait  que  M.  Grau  réunirait  dans  ses  mains  les  directions  de  ces  deux 
importants  théâtres  d'opéra  pourrait  même  être  fort  utile  au  point  de  vue 
de  l'acquisition  des  oeuvres  à  jouer  et  des  engagements  d'artistes. 


LE  MENESTREL 


Voilà  qiïl  est  d'un  bel  exemple  de  charité  et  aussi  de  modestie,  par 

les  temps  de  statuomanie  que  nous  traversons.  Les  amis  de  sir  Augus- 
tus  Harris  avaient  songé  à  ouvrir  une  souscription  pour  l'érection  d'un 
monument  à  sa  mémoire.  Sur  le  désir  exprimé  par  sa  veuve,  le  produit 
de  la  souscription  servira  à  construire  une  maison  de  refuge  pour  les 
comédiens  infirmes  ou  malheureux.  Harris,  qui  fut  un  simple  au  milieu 
d'une  vie  très  mouvementée  et  un  esprit  pratique  qui  ne  s'attardait  pas 
à  l'apparat,  approuvera   certainement   du    fond   de  sa  tombe. 

—  Le  prince  de  Galles,  en  sa  qualité  de  premier  chancelier  de  la  nou- 
velle université  de  Galles,  a  promu  la  princesse  sa  femme  au  grade  de 
doctoresse  en  musique  de  cette  université.  Le  prince  et  la  princesse 
portaientle  costume  traditionnel  de  docteur  et  semblaient  fortement  amusés 
du  cérémonial,  qui  a  été  célébré  avec  beaucoup  d'éclat.  Le  prince  a  prononcé 
en  latin  la  formule  d'usage  :  «  Allissima  priiwipissa,  admisso  te  in  graium 
doctoris  nmsices  et  ad  oninia  privilégia  hujus  diijnilaiis.  »  Ajoutons  que  la  prin- 
cesse de  Galles  est  déjà  doctoresse  en  musique  de  l'université  d'Irlande. 

—  On  vient  de  produire,  une  fois  de  plus,  l'oratorio  de  Mendelssohn, 
£&,  au  Palais  de  Cristal  de  Londres.  Parmi  les  choristes  se  trouvait  un 
amateur,  M.  Pountney,  qui  avait  pris  part,  en  qualité  de  basse,  à  ia  pre- 
mière exécution  i.'Elieen  1846,  sous  la  direction  de  Mendelssohn.  Ce  vétéran 
est  encore  si  bien  conservé  qu'il  a  pu  venir  de  Birmingham  à.  Londres 
pour  chanter  au  Palais  de  Cristal  et  retourner  à  son  domicile  immédiate- 
ment après  avoir  célébré  ses  noces  d'or  avec  cet  Elle.  Inutile  de  dire  que 
parmi  les  23.000  personnes  qui  assistaient  au  concert  se  trouvaient  aussi 
plusieurs  amateurs  qui  avaient  vu  Mendelssohn  diriger  la  première  exécution 
de  son  célèbre  oratorio. 

—  Il  s'est  formé  à  New- York  une  société  anonyme  pour  l'exploitation  du 
Metropolitan  Opéra  House  au  capital  de  2.500.000  francs,  qui  est  d''visé  en 
actions  de  i300  francs  chacune.  Comme  nous  l'avons  dit,  MM.  Grau  et  Abbey 
sont  engagés  en  qualité  de  directeurs  de  cette  nouvelle  entreprise. 

—  A  Genève  a  été  représentée  au  Bâtiment  électoral,  arrangé  en  théâtre 
pour  la  circonstance,  une  œuvre  importante  de  deux  auteurs  suisses, 
MM.  Baud-Bowy  pour  le  texte  et  Jacques  Dalcroze  pour  la  musique.  Le 
Poème  alpestre  est  une  sorte  d'ode  patriotique,  de  vastes  proportions,  avec 
soli,  chœurs,  danses  et  orchestre.  La  musique  de  M.  Jacques  Dalcroze  est 
abondante  en  inspirations  mélodiques,  claire  sans  vulgarité,  originale  sans 
recherche  et  remarquablement  orchestrée.  Les  soli  étaient  tenus  par 
M.,  M""«et  M"»Ketten,et  les  ensembles  comprenaient  les  chœurs  de  la  Lyre 
sacrée  et  de  la  Société  du  Conservatoire  ;  au  total,  avec  l'orchestre  de 
l'Exposition,  bbO  exécutants  sous  la  conduite   du  jeune  compositeur. 

—  Le  grand  succès  d'un  des  derniers  concerts  de  l'Exposition  de  Genève 
a  été  pour  la  Rapsodie  cambodgienne  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  exécutée 
sous  la  direction  de  l'auteur,  qui  a  été  l'objet  de  deux  bruyants  rappels. 
Constatons  en  même  temps  que  M.  Gustave  Doret,  le  chef  d'orchestre  des 
concerts,  a  dirigé  d'une  façon  remarquable  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Beethoven,  la  Joyeuse  Marche  de  Chahrier,  et  la  Marche  funèbre  de  M.  Hugo 
de  Singer. 

—  Autre  correspondance  de  Genève.  La  musique  a  notre  exposition 
nationale  tient  une  place  fort  large;  outre  les  grands  concerts  symphoniques 
dirigés  par  M.  Gustave  Doret  ainsi  que  ceux  donnés  par  le  même  orchestre 
dans  le  parc  des  Beaux-Arts,  dirigés  par  M.  L.  Rey,  premier  violon-solo  à 
l'orchestre,  nos  nombreuses  sociétés  chorales  et  instrumentales  rivalisent 
de  zèle  et  d'entrain  en  donnant  chaque  semaine  des  auditions  musicales 
très  variées  et  intéressantes,  soit  dans  l'enceinte  de  l'Exposition,  au  village 
suisse  ou  dans  les  jardins  publics.  Le  théâtre  poursuit  une  carrière  très 
brillante.  Mignon  d'Ambroise  Thomas,  Manon  et  Mertlter  de  Massenet,  et 
tant  d'autres  chefs-d'œuvre  dramatiques  se  succèdent  avec  succès  sur  notre 
scène  genevoise.  L'orchestre,  excellent  à  tous  les  points  de  vue,  est  dirigé 
d'une  main  ferme  et  sûre  par  le  vétéran  de  nos  chefs  d'orchestre,  M.  Francis 
Bergalonne.  —  A  partir  du  22  juillet  prochain,  M.  Otto  Barblan,  l'organiste 
de  la  cathédrale  de  Saint-Pierre,  recommencera  ses  concerts  d'orgue 
annuels.  —  L'Exposition  ne  serait  pas  complète  si,  outre  les  auditions 
musicales  multiples,  elle  n'avait  pas  aussi  fait  surgir  quelques  compositions 
originales  destinées  à  rappeler  aux  nombreux  visiteurs  les  délices  qu'offre 
aux  regards  enchantés  le  vaste  champ  du  travail  et  de  la  paix.  Nous  n'en 
citerons  que  les  principales  :  Poème  alpestre,  pour  soli,  chœurs  et  orchestre 
de  M.  Jacques  Dalcroze  ;  Ode  patriotique  pour  soli,  chœurs  d'hommes  et  or- 
chestre de  M.  Otto  Barblan  ;  Salut  à  Genève,  marche  ;  au  Village  suisse,  idylle, 
composition  bien  venue  de  M.  H.  Kling.  —  Mentionnons  encore  les  con- 
certs quasi  religieux  donnés  avec  le  concours  d'artistes  et  amateurs 
distingués,  dans  l'église  du  Village  suisse,  et  qui  obtiennent  le  suffrage  des 
connaisseurs. 

—  Au  théâtre  de  Sion  (Suisse),  on  a  donné  la  première  représentation 
d'un  opéra  en  deux  actes.  Fleur  maudite,  dont  la  sujet  est  tiré  d'une 
légende  du  Valais  et  dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  Charles  Htenny, 
directeur  de  l'École  de  musique  de  Sion.  L'auteur  était  déjà  connu  par  un 
premier  opéra,  Blanche  de  Mans,  représenté  au  mois  de  mars  1894. 

—  Le  gentil  Portugal  s'apprête,  comme  tant  d'autres,  à  célébrer  un  de 
ses  glorieux  anniversaires.  H  s'agit,  en  l'espèce,  du  quatrième  centenaire 
de  la  découverte  des  Indes  par  Vasco  de  Gama,  ou  tout  au  moins   de  la 


route  qui  y  mène  par  le  cap  de  Bonne-Espérance.  On  sait  que  c'est  en  1497 
que  le  grand  navigateur  fut  chargé  de  cette  expédition  par  le  roi  Emma- 
nuel de  Portugal,  et  c'est  cette  date  importante  que  l'on  songe  à  célébrer 
l'année  prochaine.  A  cet  elTet,  une  grande  commission  centrale  s'est  for- 
mée à  Lisbonne,  qui  doit  provoquer,  de  la  part  des  artistes  et  des  lettrés, 
la  composition  d'œuvres  nationales  de  divers  genres,  entre  autres  un 
hymne  de  commémoration,  une  marche  triomphale,  un  drame  historique 
sur  un  sujet  patriotique,  enfin  un  grand  opéra  ou  drame  lyrique  d'un  carac- 
tère national,  etc.  De  plus,  on  organisera  des  concerts  de  musique  portu- 
gaise ancienne  et  des  représentations  d'œuvres  de  l'ancien  théâtre  national. 
En  ce  qui  concerne  l'opéra  nouveau,  qui,  peut-être  donnera  lieu  à  un 
concours,  on  annonce  que  déjà  plusieurs  compositeurs  sont  à  l'œuvre  : 
M.  Auguste  Machado,  M.  Alfred  Keil,  l'auteur  de  Donna  Ilranca,  M.  le 
vicomte  d'Arneiro,  auteur  de  l'Elisire  di  giovinezza,  et  M.  Miguel  Angelo. 
Pour  nous,  il  nous  semble  qu'en  cette  circonstance  et  en  dehors  de  toute 
question  d'art  national,  il  y  a  une  œuvre  qui  s'impose  :  c'est  l'Africaine,  de 
Meyerbeer.  Il  sera  difficile  de  jamais  mieux  faire  chanter  le  héros  de  la 
découverte  des  Indes. 

—  On  a  donné,  les  18  et  20  juin,  au  club  de  Lisbonne,  deux  représenta- 
tions d'un  ouvrage  lyrique  en  trois  actes,  Lancha  Favorita,  dû  à  M.  Arthur 
Marinho  da  Silva  pour  les  paroles  et  à  M.  Filippe  Daarte  pour  la  musique. 
Les  auditeurs  ont  fait  à  cette  œuvre  importante   un   accueil   très  brillant. 

—  Le  gouvernement  de  Madrid  a  pris  un  arrêté  décidant  que  toutes  les 
représentations  théâtrales  devront  désormais  être  terminées  à  minuit  et 
demi  et  que  l'usage  abusif  de  les  prolonger  jusqu'à  deux  heures  du  matin 
ne  serait  plus  toléré.  Cet  arrêté  a  été  provoqué  par  un  grave  scandale  qui 
eut  lieu  au  théâtre  Girco  de  Colon,  à  l'occasion  de  la  première  représen- 
tation d'un  nouvel  opéra,  la  Grande  Foire.  Le  public  ayant  énergiquement 
protesté  contre  cette  œuvre  médiocre,  la  claque  lui  a  opposé  une  résistance 
acharnée  et  à  la  fin  la  police  dut  intervenir. 

—  Jean-Sébastien  Bach  va  avoir  à  Berlin  un  monument  assez  original. 
Guillaume  II  a  conçu  en  effet  le  plan  d'orner  l'avenue  des  Victoires,  dans 
le  jardin  Thiergarten,  de  trente-deux  groupes  de  statues  qui  représenteront 
chacun  un  souverain  entouré  de  deux  des  hommes  qui  se  sont  le  plus 
illustrés  pendant  son  règne.  Or,  Guillaume  II  a  ordonné  d'entourer  la 
statue  de  Frédéric  II,  le  roi  compositeur  et  flûtiste,  d'un  général  et  du 
grand  cantor  de  Leipzig.  Il  est  évident  qu'aujourd'hui  le  pauvre  musicien 
est  beaucoup  plus  illustre  que  le  général  prussien  et  que  Frédéric  II  ne 
pourra  se  plaindre  de  l'avoir  à  sou  côté.  Mais  que  vient  faire  J.-S.  Bach 
dans  cette  galère?  11  n'a  pas  été  «  sujet  »  prussien,  il  ne  doit  rien  à  la 
Prusse,  et  sa  courte  rencontre  avec  Frédéric  II  a  été  plutôt  fortuite.  J.-S. 
Bach  est  bien  un  contemporain  de  Frédéric  II.  Mais  quel  rapport  existe- 
t-il  entre  lui  et  le  roi  de  Prusse,  et  de  quel  droit  le  place-t-on  à  Berlin 
comme  une  illustration  du  règne  de  Frédéric  II?  On  se  le  demande. 

—  On  vient  d'inaugurer  la  statue  du  compositeur  hongrois  FranzErkelà 
Békés-Gyula,  son  pays  natal.  Erkel  a  écrit  plusieurs  opéras  que  le  théâtre 
royal  de  Budapestjoue  encore  avec  beaucoup  de  succès. 

—  Le  théâtre  royal  de  Cassel  vient  de  jouer  un  nouvel  opéra  intitulé  les 
Mousquetaires  au  couvent,  paroles  de  M.  Cassmann,  musique  de  M.  Fritz  Baselt. 

—  Une  petite  plaisanterie  qui  nous  est  apportée  par  les  journaux  étran- 
gers. M.  Garl  Goldmark,  l'auteur  de  Merlin  et  de  la  Reine  de  Saba,  l'un  des 
compositeurs  allemands  de  ce  temps  les  plus  en  vue,  a  écrit  aussi  plusieurs 
œuvres  symphoniques,  parmi  lesquelles  une  suite  d'orchestre  qui  lui 
inspire,  parait-il,  une  affection  toute  particulière,  à  ce  point  qu'il  l'emporte 
partout  avec  lui  dans  ses  voyages.  Or,  on  raconte  que  dernièrement, 
comme  il  arrivait  à  Salzhourg,  pour  les  fêtes  de  Mozart,  avec  l'excellent 
chef  d'orchestre  Hellmesberger,  celui-ci  se  chargeant  d'inscrire  leurs  deux 
noms  sur  le  registre  de  l'hôtel  où  ils  descendaient,  écrivit  ainsi  celui  de 
son  ami  :  »  Goldmark  et  sa  suite.»  Et  jusqu'au  départ  des  deux  voyageurs, 
l'hôtelier  attendit  en  vain  «  la  suite  »  de  Goldmark,  pour  laquelle  il  avait 
réservé  des  chambres.  È  oero  ?... 

—  Après  le  piano,  après  la  mandoline,  voici  le  tour  de  force  du  gosier. 
Il  parait  qu'à  Budapesth  un  certain  chanteur  nommé  Solak  a  donné,  à 
l'Hôtel  Europa,  une  séance  vocale  de  douze  heures  dans  laquelle  il  a  fait 
entendre,  sans  s'arrêter,  230  chansons.  Ici,  nous  enverrions  à  Bicètre  un 
toqué  de  ce  genre,  et  c'est  assurément  ce  qu'il  y  aurait  de  mieux  à  faire. 

—  La  Société  musicale  d'Odessa  a  ouvert  une  souscription  dont  le  produit 
est  destiné  à  une  «  Fondation  Antoine  Rubinstein  ».  Les  meilleurs  élèves 
de  l'École  de  musique  d'Odessa  recevront  des  bourses  pour  pouvoir  ter- 
miner leurs  études  et  pour  aller  se  perfectionner  à  l'étranger. 

—  Le  compositeur  Niccolo  Van  'Westerhout,  auteur  des  deux  opéras, 
Fortunio'ei  Dona  Flor,  est  nommé  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire 
de  Naples,  dont  il  a  été  naguère  un  des  plus  brillants  élèves. 

—  Au  théâtre  Bellini  de  Palerme,  apparition  et  éclipse  immédiate  d'un 
opéra  en  un  acte  et  deux  tableaux,  Mariedda,  auquel  on  reproche  d'être 
par  trop  servilement  copié,  livret  et  partition,  sur  la  fameuse  Cavalkria 
rusticana,  et  de  manquer  absolumentde  personnalité.  L'auteurdela  musique, 
M.  Gianni  Buceri,  est  un  jeune  artiste  élève  de  M.  Nicola  d'Arienzo. 
Ladite  Mariedda,  dont  les  interprètes  étaient  M^''^  Scalera  et  Riso,  MM.  Go- 


LE  MENESTREL 


223 


ruso  et  Morghen,  est  défunte  après  sa  première  représentation,  qui  a  été 
la  dernière.  Par  contre,  à  Naples  aussi,  mais  au  théâtre  des  Variétés,  gros 
succès  pour  une  opérette  nouvelle  intitulée  Rugantino,  livret  de  M.  Alme- 
rigo  Bibera,  musique  fort  gracieuse,  parait-il,  du  maestro  De  Gregorio, 
«  remarquable,  dit  un  journal,  par  d'excellentes  qualités  artistiques  qu'il 
serait  très  fâcheux  de  ne  pas  voir  encourager.  » 

—  A  Cesena,  dans  un  spectacle  de  bienfaisance,  on  a  donné  la  première 
représentation  d'une  opérette  intitulée  un  Casino  di  campagna,  musique  de 
M.  Gamberini,  jouée  par  quelques  élèves  des  écoles  féminines  supérieures. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  mardi  prochain  14  juillet,  on  donnera  en  spectacle  gratuit 
l'Hamlet  d'Ambroise  Thomas  avec  la  Marseillaise,  en  guise  d'entr'acte,  bien 
entendu.  Cette  année,  par  contre,  on  ce  jour  de  réjouissance  publique 
l'Opéra-Comique  chômera  pour  cause  de  graves  réparations  au  plancher 
de  la  scène.  On  s'est  aperçu  qu'on  jouait  depuis  pas  mal  de  temps  non  pas 
pas  sur  un  volcan,  mais  sur  un  terrain  mal  solide  qui  ne  demandait  qu'à 
s'effondrer  et  à  ensevelir  dans  les  dessous  du  théâtre  tous  ceux  qu'il 
portait.  Il  n'était  que  temps  d'aviser.  C'est  d'une  réfection  presque  complète 
qu'il  s'agit. 

—  L'hiver  prochain  nous  aurons  deux  Don  Juan,  l'un  à  l'Opéra,  l'autre 
à  l'Opéra-Comique.  —  A  notre  Académie  nationale  de  musique,  MM.  Ber- 
trand et  Gaiihard  feront  exécuter  le  chef-d'œuvre  de  Mozart  par  MM.  Be- 
naud,  Delmas  et  M""=  Caron.  Sur  notre  seconde  scène  lyrique,  M.Carvalho 
fera  chanter  Don  Juan  par  MM.  Maurel  et  Fugère,  M"'"  Nina  Pack  et 
M"'  Lejeune  qui  fera  ses  débuts  dans  le  rôle  de  Zerline.  —  Ce  n'est  pas 
la  première  fois  que  nos  différentes  scènes  de  musique  donnent  en  même 
temps  le  chef-d'œuvre  de  Mozart.  Vers  la  Bn  de  l'Empire,  l'Opéra,  le 
Théâtre-Lyrique,  dirigé  par  M.  Carvalho  et  le  Théâtre-Italien  jouèrent  Don 
Juan  presque  simultanément.  L'exécution  féminine  fut  surtout  des  plus 
brillantes  au  Théâtre-Lyrique  avecM"">  Miolan-Garvalho  (Zerline), Nilsson 
(Elvire),  et  M™"  Charton-Demeur  (Donna  Anna)  et  au  Théâtre-Italien  avec 
I^mes  Patti  (Zerlina),  Tiberini  (Elvira)  et  Penco  (donna  Anna).  Les  deux 
don  Juan  les  plus  remarqués  furent  l'admirable  Faure  à  l'Opéra  et  Gra- 
ziani  au  Théâtre-Italien,  où  Zucchini  dans  Leporello  et  Gardoni  (Ottavio) 
complétaient  une  exécution  parfaite.  A  l'Opéra,  les  trois  rôles  de  femmes 
étaient  tenus   par  M'™^  Marie  Battu,  Gueymard  et  Marie  Sasse. 

—  M.  Carvalho  se  rapprochera  le  plus  possible,  pour  le  Don  Juan  qu'il 
projette,  de  la  version  originale  de  Mozart,  telle  qu'on  va  la  représenter 
à  Munich.  C'était  à  l'origine  un  opéra  semi  séria,  sans  grande  prétention, 
avec  vingt-cinq  musiciens  à  l'orchestre.  L'Opéra  y  mettra  plus  de  pompe, 
selon  son  habitude. 

—  Vendredi,  à  l'église  Saint-Augustin,  on  a  célébré  un  service  de  bout 
de  l'an  à  la  mémoire  de  M™=  Miolan  Carvalho.  La  nef  entière  était  remple 
d'une  foule  émue,  tant  le  souvenir  de  la  grande  artiste  reste  toujours 
vivace  dans  le  cœur  de  ses  nombreux  amis.  M.  Carvalho  et  son  fils  en 
étaient  profondément  touchés. 

—  Puisque  nous  parlons  de  M""^  Carvalho,  disons  que  le  sculpteur 
Mercié  a  déjà  terminé  son  projet  pour  le  monument  qu'on  se  dispose  à 
élever  en  l'honneur  de  la  célèbre  cantatrice.  C'est  une  maquette  d'un  jet 
superbe,  où  le  long,  d'une  stèle,  M""*  Carvalho  est  représentée  en  pied  dans 
une  sorte  d'extase  religieuse,  comme  elle  était  dans  la  prison  de  Marguerite 
lorsqu'elle  chantait  :  Anges  purs,  anges  radieux, 

—  On  peut  voir,  en  même  temps,  dans  l'atelier  de  M.  Mercié,  et  déjà  forte- 
ment ébauché,  le  monument  pour  Charles  Gounod.  Au  pied  du  buste  du 
compositeur,  un  ange  joue  sur  l'orgue,  entouré  des  trois  grandes  héroïnes 
célébrées  par  le  maître  :  Marguerite,  Juliette  et  Sapho.  Le  tout  d'une  très 
belle  envolée. 

—  Ambroise  Thomas  a  légué  au  Conservatoire  de  musique  ses  parti- 
tions d'orchestre.  En  suite  de  cette  disposition,  M'"<=  Ambroise  Thomas 
vient  de  remettre  à  M.  VVeckerlin.  bibliothécaire  du  Conservatoire,  les 
ouvrages  dont  les  titres  suivent  :  le  Guérillero,  le  Songe  d'une  nuit  d'été,  la 
Tonetli,  le  Caïd  (moins  l'ouverture),  la  Cour  de  Célimène,  Psyché  (en  deux  ver- 
sions), le  Carnaval  de  Venise,  le  Roman  d'Elmre,  Mignon,  Hamlel,  Françoise  de 
i?tmmî  et  le  ballet  de  la  Tempête.  — L'ouverture  du  Cdid  avait  été  prêtée  à 
un  chef  de  musique  qui  a  oublié  de  la  rendre;  Ambroise  Thomas  n'a 
jamais  pu  se  rappeler  son  nom,  pas  plus  que  son  adresse.  Ne  prêtez 
jamais  vos  livres  ni  vos  partitions. 

—  Cette  semaine,  à  l'Opéra,  dans  un  entr'acte  i'Aida,  M.  Gaiihard  a 
réuni  le  personnel  des  chœurs  dans  un  des  foyers  de  répétition  et  a  présenté 
à  ces  artistes  leur  nouveau  chef,  M.  Claudius  Blanc,  qui  remplacera  doré- 
navant le  regretté  Delahaye.  M.  Claudius  Blanc  a  pour  successeur  dans  ses 
fonctions  antérieures  de  second  chef  des  chœurs,  M.Mestre,  qui  était  souf- 
fleur, lequel  est  lui-même  remplacé  par  M.  Idrac.  M.  Claudius  Blanc  est 
prix  de  Rome  et  l'auteur,  avec  M.  Léopold  Dauphin,  de  Sainte  Geneviève  de 
Paris,  partition  exécutée  au  théâtre  d'ombres  du  ChatNoir,et  de  nombre  de 
jolis  petits  recueils  comme  la  Chanson  des  joujoux.  Rondes  et  Chansons  d'avril, 
Cliansom  d'Ecosse  et  de  Bretagne,  etc.  Ajoutons  qu'il  a  été  pendant  plusieurs 
années  directeur  du  Conservatoire  de  Marseille. 


—  La  commission  supérieure  des  théâtres,  au  conseil  municipal  de  Paris, 
se  trouve  composée  de  la  façon  suivante  pour  l'exercice  1896-97  :  MM.  Gré- 
beauval,  Despatys,  Paul  Strauss,  Georges  Villain  et  Qutntin-Bauchart.  On 
sait  que  l'un  des  membres  de  cette  commission,  M.  Georges  Villain,  est 
l'auteur  d'un  projet  de  reconstitution  du  Théâtre-Lyrique,  qu'il  voudrait, 
avec  l'appui  de  la  Ville,  voir  installer  dans  la  salle  du  Châtelet,  à  l'expiration 
du  bail  d{!  celle-ci. 

—  L'auteur  anonyme  de  la  partition  Seœiœ,  qu'on  avait  fort  remarquée  au 
concours  musical  de  la  Ville  de  Paris  etàlaquelle  on  avait  attribué  une 
prime  de  3.000  francs,  s'est  fait  connaître.  C'est  M.  Colomer,  le  musicien 
très  distingué  et  trop  modeste,  qui  n'est  certainement  pas  au  plan  qu'il 
devrait  occuper.  Nous  avons  publié  de  lui,  il  y  a  quelques  années,  sous 
le  titre  Rondels  de  mai,  une  petite  suite  de  mélodies  qui  sont  des  pages 
fines  et  délicates  et  qui  mériteraient  certainement  d'être  plus  connues. 

—  Suite  des  résultats  des  concours  à  huis  clos  au  Conservatoire  ; 
Piano,  classes  préparatoires  (hommes).  4  Juillet.  6  concurrents. 

7™  médaille:  M.  de  Lausnay  ;  2"  médaille  :  M.  Galland;  3^  médaille  : 
M.  Moscan.  Tous  élèves  de  M.  Decombes. 

Harmonie  (femmes).  6  Juillet  :  12  concurrentes. 

Pas  de  1='  prix.  2-"  Prix  :  M"»s  Meyer,  élève  de  M.  Banhe,  et  Lhote, 
élève  de  M.  Chapuis.  Pas  de  1=''  accessit;  2«^  accessits  :•  M''«s  Grumbach  et 
Hansen,  élèves  de  M.  Chapuis. 

Fugue.  7  Juillet.  13  concurrents. 

^«r  Prix  :  M.Caussade,  élève  de  M.  Théodoré  Dubois.  2"  Prix  :  MM.  Estyle, 
et  Gonard,  élèves  de  M.  Ch.  Lenepveu.  Pas  d'accessits. 

Piano,  classes  préparatoires  (femmes).  8  Juillet.   21  concurrentes. 

'/'==  Médailles:  M"'-' Debrie  et  Ploquin,  élèves  de  M''""  Tarpet-Leclerc ; 
2"s  médailles  :  M"»''  Nosny,  Franquin,  Bousquet,  élèves  de  M"»  Tarpet- 
Leclerc,  et  Jofïroy,  élève  de  M"'  Trouillebert;  3==  médailles  :  M"=*  delà 
BougUse,  élève  de  M""»  Chéné,  Robillard,  élève  de  M'»=  Tarpet-Leclerc, 
Bournac,  élève  de  M™  Trouillebert,  Grumbach  et  Brisard,  élèves  de 
M'"»  Chéné. 

Violon,  classes  préparatoires.  9  Juillet.  14  concurrents. 

'/'■"  médaille  :  M"'  Schneider,  élève  de  M.  Desjardins  ;  2"  médailles  : 
M"<^  Védrenne,  M.  Quesnot,  élèves  de  M.  Desjardins,  et  M"s  Schiick,  élève 
ae  M.  Hayot.  3'*  médailles  :  M.  Kronenberger,  élève  de  M.  Hayot, 
M""!  Coudart,  M.  Chailley,  élèves  de  M.  Desjardins,  et  M.  Dorson,  élève  de 
M.  Hayot. 

Orgue.  10  Juillet.  S  concurrents. 

Pas  de  l"'  prix.  2"  Prix  i  M.  Quex;  4"'  accessit  :  M.  Harnisch.  Tous  deux 
élèves  de  M.  Widor. 

—  Une  erreur  de  transcription  nous  a  fait  attribuer  à  la  classe  de 
Paul  Vidal  le  nom  de  M"»  Poigny,  qui  a  obtenu  une  3=  médaille  au  concours 
de  solfège  pour  les  chanteurs.  M"'  Poigny  est  élève  de  M.  Edouard  Mangin. 

—  Concours  de  l'École  classique  de  musique  et  de  déclamation  dirigée  par 
M.  Edouard  Chavagnat  : 

Ensemble  instrumental,  section  violon  :  1"  prix  M"=  Bourdelas  et 
M.  Hasslauer;  2=  prix,  MM.  Agarant  et  Mancel;  2»  accessit,  M.  Claveau. 
—  Section  piano  :  1'-'  prix.  M""  Soulé;  2«  prix,  M"==  Petit  et  Laffolay;' 
2"  accessit,  M"*^  Tousaint  et  Combesferrier.  Tous  élèves  de  M.  Chavagnat. 

Violon  supérieur  :  I™  prix,  M"'^^  Lavarenne;  2'  prix  M"=  Baréges  et 
M.  Hasslauer;  l"  ace,  M.  Mancel;  2'  ace.  M-  Neuberth.  Tous  élèves  de 
M.  Berges. 

Déclamation,  tragédie  (hommes)  :  2=  prix.  M.  Grandjean;  2«  ace, 
MM.  Baillet  et  Dervy;  (femmes)  :2"  prix.M"'  Tugot.  —  Comédie  (hommes): 
!'=■'  prix,  M.  Grandjean;  2"  prix,  MM.  Clerc  et  Duvernet;  I"  ace,  M.  Deroy; 
2<!  ace,  M.  Versanne;  (femmes)  1"  prix,  M"'=  Tugot;  2=  prix,  M"'  Delaspre  ; 
I"  ace,  M"8  Morizot  ;  2=  ace,  M""  Schatz.  Tous  élèves  de  M"»  Victor  Roger. 

Déclamation  lyrique,  opéra  (hommes):  i="'  prix,  M.  Debray;  2»  ace, 
M.  Germain;  (femmes)  :  2=  prix.  M""  Brack;  1"  ace.  M'"  Braquehais.  — 
Opéra-comique  (hommes)  :  1"  prix,  M.  Debray;  (femmes)  :2»  prix,  M"'^  Bra- 
quehais; i"  ace,  M""  de  Witte;  i'  ace.  M"'  Saint-Martin. 

—  Nous  apprenons  que  notre  confrère  Albert  Soubies,  dont  les  travaux 
sur  le  théâtre  et  la  musique  slaves  avaient  été  justement  remarqués,  vient 
d'être  nommé  chevalier  de  l'ordre  de  Saint-Stanislas,  de  Russie. 

—  Le  distingué  pianiste-compositeur  Ferdinand  de  Croze  clôturait  jeudi 
dernier  ses  cours  d'harmonie  et  d'exécution  par  une  soirée  qui  fut  un 
concours  entre  ses  élèves.  M"=  Jane  Michel  (d'Uzès)  a  remporté  le  plus  vif 
succès  en  interprétant  avec  style  et  grâce  le  Menuet  de  Boccherini  (trans- 
cription de  Planté),  la  Gigue  américaine  de  Redon  et  la  triomphale  Grande 
Marche  de  Ferdinand  de  Croze  ;  aussi  est-ce  par  des  applaudissements 
répétés  qu'on  a  salué  le  prix  d'honneur  décerné  à  cette  jeune  exécutante 
du  plus  grand  avenir.  L3  maître,  quand  sts  élèves  eurent  pleinement 
démontré  l'excellence  de  sa  méthode,  tint  lui-même  l'auditoire  sous  le 
charme  en  donnant,  avec  les  compositions  des  grands  maîtres,  la  primeur 
de  quelques-unes  de  ses  œuvres  inédites. 

—  Matinée  très  réussie  chez  le  virtuose  et  professeur  M'"^  Z^vierko^Yska, 
Ont  été  très  applaudis  :  la  Source  capricieuse,  deL.  Filliaux-Tiger,  etEnlr'acte- 
Mignon,  de  Thomas.  L'air  à'Hérodiade,  de  Massenet,  a  remporté  un  véritable 
succès. 


224 


LE  MENESTREL 


—  De  Versailles  on  nous  signale  la  matinée  récemment  donnée  par 
M"'  Laure  Taconet  pour  l'audition  de  ses  élèves  de  chant  qui  ont  tiré, 
semble-il,  le  meilleur  profit  de  l'excellent  enseignement  qu'elles  reçoivent. 
Après  ses  élèves,  M"«  Taconet  s'est  fait  entendre  avec  le  concours  d'artistes 
tels  que  MM.  Alfred  Brun,  Rich.  Loys,  Delacroix,  Queeckers  et  Balbreck. 
MM.  G.  Piercé,  P.  Vidal  et  Kaiser  étaient  venus  accompagner  ou  diriger 
leurs  œuvres.  Ils  ont  été  brillamment  fêtés,  ainsi  que  leurs  vaillantes 
interprètes.  A  mentionner  spécialement  dans  ce  riche  programme  :  les 
Xut'es,  les  Fées,  le  Fidèle  Cœur,  Printemps  nouveau  de  P.  Vidal,  les  Voix  du 
Printemps,  de  Kaiser,  Yanthis,  de  Pierné  et  nombre  des  plus  belles  mélodies 
de  Gounod,  Massenet,  Reyer,  Delibes,Lalo,  Ch.  Lefebvre,  Holmes,  Godard. 
Quelque  jours  après  a  eu  lieu  l'audition  des  élèves  de  piano  de  M"«  Taconet, 
qui  n'a  pas  été  moins  appréciée  que  la  première. 

—  M""  Régina  Cahen,  artiste  de  grand  talent,  élève  de  M.  G.  Mathias, 
vient  de  donner  au  Havre  un  récital  de  piano  et  de  remporter  un  véritable 
succès  en  interprétant  des  œuvres  de  Beethoven,    Chopin,  Grieg,    Saint- 


Saêns.  Citons  particulièrement  Source  capricieuse  de  M™  Filliaux-Tiger,  qui 
a  été  un  triomphe  pour  la  virtuose. 

—  Comme  toujours,  le  concert  de  la  Lyre  lavalloite  a  brillamment  réussi. 
M"°  Marguerite  Lavigne,  des  concerts  du  Conservatoire  et  des  concerts 
Colonne,  y  a  été  l'objet  de  véritables  ovations.  Son  succès,  à  juste  titre,  a 
été  très  grand.  Elle  a  chanté  avec  un  art  infini  les  Stances  de  Sapho  de 
Gounod,  Jeanne  d'Arc,  heWe  inspiration  de  M"'  de  Grandval,  et  Évocation, 
œuvre  intéressante  du  distingué  compositeur  lavallois  Prosper  Mortou, 
le  directeur  de  la  Lyre. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  de  Reims  la  mort  d'un  artiste  habile  et  fort  distingué, 
M.  J.  Grison,  organiste  du  grand  orgue  de  la  cathédrale  de  cette  ville,  où 
il  avait  acquis  une  renommée  méritée. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En   vente   au  MÉNESTREL.,    2"',    rue    Vivienne,    HEUGEL    et    C'%    Éditeurs-Propriétaires  pour   tous  Pays. 


AMBROISE   THOMAS 


im:  I  a- nsr  o  isr 


Opéra-comique  en  3  actes. 

Partition  piano  et  chant,  française net. 

—  —  —      italienne net. 

—  —  —      allemande net. 

—  —  —      anglaise net. 

—  pour  chant  seul,  française net. 

—  piano  solo  (à  2  mains) net. 

—  —  simplifiée net. 

—  —  (à  4  mains) net. 


Opéra  en  S  actes. 
Partition  piano  et  chant,  française net. 

—  —  —      française,  version  de  ténor    .   .   .  net. 

—  —  —      italienne net. 

—  —  —      allemande net. 

—  pour  CHANT  seul,  française net. 

■ —  PIANO  SOLO  (à  2  miiins net. 

—  —      (ai  mains) net. 

Le  Ballet  (Fête  du  printemps)  extrait net. 


Arraneoments    divers    pour    piaxio    et    autres    instruments. 

Opéra  en  4  actes  avec  prologue  et  épilogue. 


Partition  piano  et  chant net.      20    >i 

—  —  italienne net.      20    » 


Partition  pour  chant  selx net.        i 

—  piano  solo  (à  2  mains),  in-8° net.      12 


Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 


LE     O-^ID 

Opéra  bouffe  en  2  actes. 

Partition  chant  et  piano,  in-S" net.  15  » 

—  pour  chant  seul net.  i  » 

—  pour  PIANO  SOLO net.  10  » 


Ï^S^TOHIE 


Opéra  en  4  actes. 

Partition  piano  et  chant net,  20 

—        PIANO  solo  (à  2  mains) net.  12 

En  préparation  :  Partition  italienne net.  d 


Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    ixistruments. 

LE     SOlSrOE     L'XJIsrE     ITXJIT     ID'iÉTiÉl 


Partition  piano  et  chant. 


Opéra  en  3  actes, 
net.      20    ï     I    Partition  pour  chant  seul   ....  net.        i    »     |    Partition  pour  piano  solo  ....  net.      10 
Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    in.struments. 


:rj\.i^iskoi<tjd 


Opéra-comique  en  3  actes. 

Partition  piano  et  chant net.      IS    »  Partition 'piano  et  chant, 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instrumeixts 


L.A.     TOITELLI 

Opéra  bouffe  en  2  actes. 


LE    Ï^^^ItTIEI^    ELEXJI^I 

Opéra-comique  en  i  acte. 

Partition  piano  et  chant net.    8  » 

Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments. 


L./^  TE:M:i=^Ea?E 

Ballet  fantastique  en  3  actes. 

Partition  piano net    10    » 

1      Arrangements    divers    pour    piano    et    autres    instruments 


MELODIES   DIVERSES 
i^e:  soii£  —  r» j\.ssiFi-oiiE  —  CIÏO-V.A.3VCX:  —  fx.e:t7I£  i>e  n'eige,  etc. 

COMPOSITION    POUR    PIANO 

Xi.A.    'D'Él'R.O'^lÉl'E ^    Fantaisie    sur    un    air    breton. 

MUSIQUE  RELIGIEUSE 


CENTItAXE  DES  CUEMINS  DE  F£B.  —  IflIPtUMERIE  COAIX^   IILE    BEllCERE,   20,   PAItlS.     -  (Encre  LoriUcui). 


Dimanche  19  Juillet  1896. 


3 {08.  —  62™  mU  —  i\°  29.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉA-TRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  me  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  nn,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Jlusique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  te,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMIIRE-TEXTE 


I.  La  première  Ealle  Favart  et  rOpéra-Comif|ue,  i'-  partie,  (11=  arlicle).  Amnun 
PoL'ci.-v.  —  IL  Le  Tliéâtre- Lyrique,  information?,  impressions,  opinions 
(13°  arlicle),  Louis  Gaixet.  —  III.  Sur  le  Jeu  de  Robin  ei  Marion  d'Adam  de  la 
Halle  l't'  et  dernier  article),  Julien  Tieusot.  — IV.  Musique  et  prison  (11=  article)  ; 
prisons  révolutionnaires,  P.vul  d'Esthée.  —  V.  Nouvelles  diverse?,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  ruNO  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

VALSE   MÉLANCOLIQUE 

tirée  des  Impressions  et  Souvenirs,  de  Marmontel.  —  Suivra  immédiatement  : 
Bras  dessus  bras  dessous,  de  Paul  Waciis. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

CHANT  :  Si  je  savais,  mélodie  de  Louis  Diémer,  poésie  de  Henri  Becque.  — 

Suivra  immédiatement  ;  Si  vous  étiez  fleur,   mélodie  de  Depret,   poésie  de 

Jacques  Normand. 


LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-183S 


QUATRIÈME  PARTIE 

I 

(Suile) 

Mais  voici  que,  à  propos  du  Théâtre-Italien,  nous  allons 
voir  entrer  en  ligne  un  prétendaat  qu'on  ne  se  fût  certes 
pas  attendu  à  voir  surgir  en  cette  affaire,  où  sa  présence,  en 
efïet,  est  bien  étrange  et  bien  imprévue.  Ce  serait  le  cas  de 
rééditer  les  termes  de  la  fameuse  lettre  de  M'"°  de  Sévigné  à 
son  cousin  M.  de  GouIaDges  :  «  Je  m'en  vais  vous  mander  la 
chose  la  plus  étonnante,  la  plus  surprenante,  la  plus  mer- 
veilleuse, la  plus  miraculeuse,  la  plus  triomphante,  la  plus 
étourdissante,  la  plus  inouïe,  la  plus  sicgalière,  la  plus  in- 
croyable... »  Incroyable,  en  effet,  celle  que  j'ai  à  faire  con- 
naître ici,  et  qu'aucun  biographe,  à  L^a  connaissance,  n'a 
révélée  jusqu'à  ce  jour,  bien  qu'on  ait  fouillé  jusqu'en  ses 
moindres  replis  la  vie  du  héros  de  cette  aventure,  lequel 
n'était  autre  qu'Hector  Berlioz,  qui  se  garde  bien,  lui-même, 
d'en  souffler  mot  dans  ses  fantaisistes  Mémoires.  Oui,  au  mois 
de  juin  1838,  trois  mois  avant  l'apparition  à  l'Opéra  de  Bence- 
nuto  Cellini,  dont  la  représentation  allait  avoir  lieu  le  10  sep- 
tembre, Berlioz,  l'ennemi-né  du  génie  musical  italien,  le 
contempteur  et  le  caricaturiste  de  Pergolèse  et  de  tant  d'au- 


tres, Berlioz  demandait...  le  privilège  du  Théâtre-Italien,  dont 
il  aspirait  à  devenir  le  directeur.  Quelque  invraisemblable 
que  cela  paraisse,  il  faut  bien  se  rendre  à  l'évidence  des 
faits,  et  bien  que,  je  le  répète,  aucun  biographe  du  maître 
n'ait  cru  devoir  révéler  celui-ci,  il  n'en  est  pas  moins  irrécu- 
sable et  patent.  J'en  trouve  la  première  preuve  dans  cette 
note  que  publiait  la,  Beviu'  et  Ga-::ette  musicale  dans  son  numéro 
du  10  juin  1838:  —  «  La  direction  du  Théâtre-Italien  vient 
d'être  concédée,  pour  quinze  années,  à  M.  Berlioz,  noire 
collaborateur.  Une  clause  expresse  du  cahier  des  charges 
interdit  positivement  la  représentation  d'ouvrages  d'auteurs 
français  sur  le  Théâtre-Italien.  C'est  donc  à  plaisir  que  plu- 
sieurs journaux  ont  ai'.cusé  le  ministre  d'avoir  accordé  ce 
privilège  en  faveur  de  M.  Bertin,  puisque  la  fille  du  proprié 
taire  du  Journal  des  Débats  ne  pourra  écrirj  aucun  opéra  pour 
ce  théâtre  tout  le  temps  de  la  gestion  de  M.  Berlioz  (1)  ». 

La  Gazette,  toutefois,  allait  un  peu  vite  en  besogne.  Au 
moment  oit  elle  parlait,  rien  n'était  fait  encore  —  et  rien  ne 
devait  se  faire.  C'est-à-dire  que  si  le  ministè're  se  montrait, 
pour  l'instant,  favorable  au  projet  do  Berlioz,  qui,  collabora- 
teur assidu  du  Journal  des  Débats,  bénéficiait  en  la  circonstance 
de  la  puissance  de  ce  journal,  il  fallait  un  vote  des  chambres 
pour  permettre  à  la  combinaison  d'aboutir.  Or,  dès  le  premier 
jour  la  Chambre  des  Députés  se  montrait,  pour  sa  part,  net- 
tement hostile  à  cette  combinaison,  ainsi  que  le  prouve  la 
discussion  qui  eut  lieu  tout  d'abord  à  ce  sujet  dans  ses 
bureaux.  Un  autre  journal  spécial,  la  France  musicale,  va  nous 
faire  connaître  les  conditions  de  l'entreprise  projetée. 

L'exposé  des  motifs  du  projet  de  loi  qui  accepte  l'olîre  faite  par 
MM.  Berlioz  et  compagnie  (2)  de  reconstruire  à  leurs  frais,  risques  et 
périls  la  salle  Favart  et  ses  dépendances,  nous  fait  connaître  les  con- 
ditions de  ce  traité.  La  compagnie  Berlioz  aura  pendant  trente  et 
un  ans  la  jouissance  gratuite  de  la  salle  reconstruite;  au  bout  de 
ces  trente  et  un  ans,  l'État  rentrera  non  seulement  dans  la  propriété 
de  l'emplacement,  mais  dans  la  propriété  du  théâtre  réédilîé. 

M.  Robert,  l'entrepreneur  actuel,  continuera  de  toucher  jusqu'en 
1840  sa  subvention  annuelle  de  70.000  francs,  et  il  jouira  gratuile- 
mcnt  de  la  salle  reconstruite  jusqu'à  l'expiration  de  sou  traité.  A  par- 
tir de  1810,  il  ne  sera  pa.s  alloué  de  subvention,  et  la  compagnie 
Berlioz  exploitera  le  privilège  à  ses  risques  et  périls. 

(1)  On  sait  que  M't"  Louise  Bertin,  qui  se  posait  en  compositeur  dramatique, 
avait  déjà  pu,  grâce  à  l'influence  alors  si  grande  du  Journal  des  Débals,  faire  re- 
présenter trois  ouvrages  sur  nos  trois  tli^Atres  lyriques:  le  Loup-GaroukVOpéra,- 
Comique  (1827),  Fauslo  au  Tliéàlre-Iialien  il831)  et  Esméralda  à  1  Opéra  (183C). 
Les  musiciens  de  profession  étaient  d'avis  que  c'était  beaucoup  pour  un  ama- 
teur —  et  le  public  aussi. 

(2)  Berlioz  avait  pour  associé  dans  cette  affairo  le  comte  Henri  de  Ruolz, 
compositeur  amateur  qui  avait  fait  de  sérieuses  éludes  musicales,  qui  fit  repré- 
senter à,  rOpéra-Comique  Altendre  el  courir,  à  l'Opéra  la  Vendetla,  et  qui  plus  lard 
abandonna  l'art  pour  l'industrie;  on  sait  que  le  procédé  d'argenture  Ruolz, 
dont  il  fut  l'inventeur,  est  devenu  célèbre.  La  société  du  Théitre-Italien  prenait 
pour  raison  sociale  :  «  Berlioz  et  compagnie  ». 


-226 


LE  MENESTREL 


Le  rapport  annonce  qu'il  a  été  reconnu  que  la  salle  de  l'Opéra- 
Gomique  pourra  être  agrandie,  el  il  insinue  qu'on  pourrait  appliquer 
à  l'amélioration  de  cet  établissement  l'économie  que  l'État  fera  sur  la 
subvention  du  théâtre  Favart. 

La  nourelle  salle  des  Italiens  doit  être  reconstruite  pour  le  ■l'"''  fé- 
vrier 1839.  Ainsi,  pour  ia  saison  prochaine,  les  Italiens  iront  quatre 
mois  à  lOdéon  et  les  deux  derniers  mois  à  la  salle  Favart. 

Dès  le  7  juin,  la  Chambre  s'était  réunie  dans  ses  bureaux 
pour  nommer  la  commission  chargée  de  procéder  à  un  exa- 
men préalable  du  projet  de  loi  qui  lui  était  soumis.  Cette 
commission  se  trouva  composée  de  MM.  Berger  (l"'  bureau), 
Janvier  (2*),  de  Jussieu  (3''),  Pérignon  (4'^),  Sainl-Marc-Girar- 
din  (S"),  Mateau  (6°),  Charles  Liadières  (7'),  Edmond  Blanc 
(8'),  et  Vatry  (9*).  Des  objections  importantes  furent  formu- 
lées contre  le  projet,  entre  autres  par  M.  Muteau,  qui  s'éleva 
avec  force  contre  son  article  2,  ainsi  conçu  :  «  L'indemnité 
de  200.000  francs  due  par  la  compagnie  d'assurances  du  Phé- 
7UX  pour  l'immeuble  de  la  salle  Favarl  est  acquise  au  conces- 
sionnaire; l'Etat  en  garantit  le  recouvrement;  l'action  à  inten. 
ter  à  la  compagnie  d'assurances,  sera  poursuivie  au\  requête, 
diligence  et  frais  de  l'Etat.  »  Plusieurs  autres  membres  se 
montrèrent  hostiles  au  projet.  La  commission  se  constitua, 
nomma  M.  Mateau  président,  M.  Saint-Marc-Girardin  secré- 
taire, et  se  réunit  le  14  juin  pour  délibérer.  Elle  ne  prit 
dans  cette  séance  aucune  résolution  précise,  et  l'on  parut 
croire  un  instant  que  la  discussion  en  séance  publique  ne 
pourrait  avoir  lieu  au  cours  de  la  session.  «  Comme  on  ne 
peut  rien  faire,  disait  encore  la  France  musicak  (1),  avant  l'a- 
dop:ion  du  projet  de  loi  par  les  chambres,  il  est  à  craindre 
que  les  futurs  directeurs  du  Théâtre-Italien  ne  puissent  pas 
faire  commencer  la  reconstruction  de  la  salle  avant  la  ses- 
sion prochaine.  » 

Il  n'en  fut  rien  cependant,  et  il  est  à  croire  que  le  minis- 
tère, sentant  la  Chambre  hostile,  avait  le  désir  d'en  finir 
rapidement  avec  ce  projet  Berlioz,  projet  mal  digéré  d'ailleurs, 
insuffisant  et  incomplet,  comme  nous  allons  le  voir.  La  i]ham- 
bre,  présidée  par  M.  Dupin,  fut  donc  appelée  à  le  discuter 
dans  sa  séance  du  19  juin  1838,  et  il  ne  me  semble  pas  sans 
intérêt  de  reproduire  ici,  d'après  le  Moniteur  lui-même,  celte 
partie  de  la  séance  et  le  vote  qui  s'ensuivit  : 

M,  LE  Président.  '■ —  L'ordre  du  jour  appelle  la  discussion  du  projet 
de  loi  relatif  à  la  reconstruction  de  la  salle  Favart.  M.  Muteau,  rap- 
porteur, a  la  parole. 

M.  MuTEAi:,  rapporteur.  —  Je  crois  devoir  e.'cposer  en  peu  de  mots,  à 
la  Chambre,  les  motifs  qui  ont  déterminé  la  commission  à  lui  propo- 
ser le  rejet  de  la  loi  qui  est  en  discussion. 

Il  s'agissait  de  la  construction  d'un  édifice  et  de  l'appréciation  de 
la  dépense  qui  doit  en  résulter.  Le  premier  soin  de  votre  commission 
devait  donc  être  d'examiner  les  plans  et  de  rechercher  dans  les  devis 
la  mesure  des  sacrifices  à  la  charge  de  l'Etat,  soit  que  le  gouverne- 
ment renonçât  à  la  jouissance  pendant  un  certain  nombre  d'années, 
soit  qu'il  puisât  dans  les  coffres  du  Trésor  les  sommes  nécessaires 
au  rétablissement  du  théâtre,  ce  qui,  en  délînitive,  revient  au  même. 

Cependant,  aucun  plan,  aucun  devis  n'ont  été  produits,  et  tout  ce 
que  nous  avons  pu  rencontrer  dans  le  projet  à  cet  égard,  c'est  une 
approximation  de  dépense,  jusqu'à  concurrence  de  1.200.000  francs, 
applicable  à  la  reconstitution  d'un  théâtre  suivant  les  plans  qui 
seraient  fournis  par  le  concessionnaire  à  l'administration,  et  dont 
l'exécution  serait  subordonnée  à  l'approbation  de  M.  le  ministre  de 
l'intérieur,  postérieurement  à  la  loi. 

Dans  une  semblable  position.  Messieurs,  votre  commission  ne  pou- 
vait hésiter  sur  la  conduite  qu'elle  avait  à  tenir,  et  ne  voulant  pas 
prononcer  en  aveugle,  elle  a  dû  conclure  au  rejet  d'une  proposition 
trop  incomplète  pour  être  soumise  à  vos  délibérations. 

Inutile,  après  cela,  de  vous  eulretenir  des  contradictions  ou  des 
irrégularités  qui  s'étaient  glissées  d'ailleurs  dans  les  diverses  dispo- 
sitions du  projet.  Il  est  inacceptable  dans  son  ensemble,  et  ce  serait 
abuser  de  vos  moments  que  de  le  discuter  dans  ses  détails. 

Sans  doute  le  gouvernement,  préoccupé  des  vœux  qui  s'élèvent  do 
toutes  parts  en  faveur  du  Théâtre-Italien,  aura  craint  de  laisser  clore 
la  session  sans  vou.'  apporter  le  témoignage  de  l'intérêt  qu'il  porte 

(1)  n  juin  1838. 


lui-même  à  un  établissement  devenu  si  populaire  en  France,  et  dans 
son  empressement  trop  tardif,  selon  nous,  il  n'aura  pu  éviter  les  im- 
perfections que  nous  avons  signalées;  mais  cela  ne  donne  pas  au 
projet  les  garanties  qui  lui  manquent,  et  l'essentiel  aujourd'hui  est, 
en  libérant  l'administration  d'engagements  que  la  Chambre  ne  peut 
ratifier,  de  mettre  le  gouvernement  en  position  de  proposer  d'ici  à  la 
session  prochaine  un  autre  projet  mieux  fondé  que  celui-ci,  et  amé- 
lioré de  tous  les  avantages  que  la  concurrence  peut  lui  donner. 

M.  LE  MiriiSTRE  DE  L'iNTÉmEUR.  —  Oui.  Il  u'j  a  pas  de  contradiction. 

M.  DE  Lauobue.  —  Messieurs,  dans  le  projet  présenté  par  le  Gou- 
vernement, il  se  trouve,  à  mon  s;ré,  une  grave  négligence.  Si  l'on 
doit  le  reproduire  l'année  prochaine,  j'espère  qu'on  le  rédigera  sur 
d'autres  bases. 

Il  est  accordé  au  concessionnaire  (et  je  trouve  cela  très  bien)  un 
privilège  d'une  assez  longue  durée  pour  qu'il  fasse  procéder  à  la 
reconstruction  de  ce  théâtre  sans  aucune  charge  de  l'État;  mais  il  me 
paraîtrait  important  pour  les  arts  et  pour  la  beauté  de  la  capitale 
d'accorder  au  concessionnaire  quelques  années  de  plus,  alin  que  la 
façade  fût  sur  le  boulevard  et  que  l'édifice  fût  isolé. 

On  néglige  beaucoup  trop  les  occasions  d'embellir  les  villes,  et 
lorsque  des  étrangers,  des  hommes  de  goût,  parcourent  la  capitale, 
ils  s'aperçoivent  des  fautes  qu'on  commet  à  cet  égard.  Les  théâtres 
sont  des  monuments  dont  on  doit  orner  l'aspect  el  les  abords;  et 
lorsqu'on  peut,  dans  celui-ci,  l'embellir  d'une  façade  sur  la  prome- 
nade publique,  il  serait  honteux  de  le  l'econstruire  justement  sur 
les  fondations  anciennes,  ainsi  que  le  portait  le  projet  de  loi.  Je  sou- 
mets cette  observation  à  Monsieur  le  ministre,  dans  les  intérêts  de 
l'art  (1). 

M.  LE  Président.  —  Je  mets  aux  voix  les  articles. 

«  Article  premier.  —  L'offre  faite  par  les  sieurs  Berlioz  et  C"  de 
reconstruire  à  leurs  frais,  risques  et  périls  la  salle  Favart  et  ses 
dépendances  est  acceptée. 

»  En  conséquence,  toutes  les  cla-.;ses  et  conditions,  soit  à  la  charge 
de  l'État,  soit  à  la  charge  des  sieurs  Berlioz  et  C'%  stipulées  dans  le 
cahier  des  charges  arrêté  le  2  juin  1838  par  le  ministre  secrétaire 
d'Etat  au  département  de  l'intérieur,  et  accepté  le  4  juin  suivant  par 
les  sieurs  Berlioz  et  O",  recevront  leur  pleine  et  entière  exécution.  » 
(Rejeté.) 

«  Art.  2.  —  Le  cahier  des  charges  et  l'acceptation  des  sieurs  Ber- 
lioz et  G'"  resteront  annexés  à  la  présente  loi.  » 

Ces  articles,  rejetés  au  vole,  par  assis  et  levé,  sont  ensuite  rejetés 
dans  un  scrutin  qui  donne  pour  résultat  : 

Nombre  de  votants 232 

Majorité .  117 

Pour 3o 

Contre 196(2) 

Ainsi  il  ne  se  trouvait  pas  une  voix,  pas  même  celle  du 
ministre,  pour  prendre  la  défense  du  projet,  et  celui-ci  était 
enterré  sans  discussion,  avec  tous  les  honneurs  qu'il  méritait. 

Il  eût  pourtant  été  curieux  de  voir  ce  que  Berlioz  aurait  pu 
faire  du  Théâtre-Italien. 

(A  suivre.)  '  Arthur  Pougin. 


LE    THÉÂTRE-LYRIQUE 


INFORMATIONS   —    IMPRESSIONS 


XIII 

—  Sommes-nous  bientôt  arrivés?  demandent,  à  un  passant  qui 
les  croise  et  parait  connaître  le  pays,  des  jeunes  gens  qui  chemi- 
nent depuis  le  matin  el  maintenant  marchent  à  travers  la  nuit  gran- 
dissante. 

Et  le  passant,  leur  montrant,  au  loin,  une  petite  lueur  rose. 

—  Il  y  a,  par  là-bas,  vers  cette  lumière,  une  auberge.  C'est  là 
qu'est  le  gîte. 

(1)  C'était  la  sagesse  et  le  goût  artistiques  qui  parlaient  par  la  bouche  de 
M.  de  Laborde;  et  cependant,  lorsque  la  Chambre  de  1839  vota  définitivement 
la  reconstruction  de  la  salle  Favart,  elle  ne  tint  aucun  compte  de  sa  très  juste 
observation.  Nos  législateurs  actuels  ont  été,  à  cet  égard,  aussi  sottement  mala- 
droits et  aussi  peu  artistes  que  leurs  aînés.  Ils  pouvaient,  en  adoptant  le  projet 
d'une  façade  sur  le  boulevard,  faire  de  ce  point  de  Paris  l'un  des  plus  délicieux 
et  des  plus  pittoresques  qui  se  puissent  imaginer  :  ils  ont  préféré  agir  en  igno- 
rants et  en  Vandales. 

(2)  Moniteur  universel,  20  juin  1838,  p.  1765. 


LE  MÉNESTREL 


227 


Et  voilà  les  voyageurs  reparlis,  d'un  pas  allègre,  respirant  mieux, 
heureux  de  penser  que  tout  à  l'heure  ils  veut  délasser  leurs  membres 
endoloris,  apaiser  leur  soif  et  leur  faim,  dormir  tranquilles,  après 
avoir  confié  au  maître  du  logis  leur  précieux  bagage,  bien  léger, 
mais  leur  pesant  si  lourdement  aux  épaules,  depuis  les  longues 
heures  qu'ils  le  pottent. 

Ils  vont,  ils  vont!  Et  toujours  la  petite  lueur,  de  plus  en  plus 
rose  dans  la  nuit  opaque,  les  excite  à  la  marche!  et  toujours  elle 
parait  aussi  loin  d'eux.  Vue  de  près,  elle  doit  être  énorme  et  res- 
plendissante, autant  qu'immense  et  bien  pourvue  l'hôtellerie  dont 
elle  illumine  la  porte. 

Hélas  !  bientôt,  ils  s'aperçoivent  qu'ils  se  sont  trompés,  que  le 
passant  les  a  mal  renseignés,  qu'ils  courent,  entraînés  par  une 
fallacieuse  espérance,  à  la  poursuite  d'une  chimère.  La  lueur  rose 
n'est  pas  celle  de  la  lanterne  d'une  auberge  hospitalière  ;  c'est  tout 
bonnement  celle  d'un  falot,  qui  pend  à  l'arrière  d'une  charrette, 
laquelle  continue  lentement,  posément,  à  rouler,  là-bas,  au  bout  de 
la  route,  gardant  sa  distance  —  impitoyablement. 

Les  voyageurs  alors  s'arrêtent,  désorientés,  découragés;  ils  jettent 
leur  bagage,  se  couchent  sur  le  talus,  éreintés,  s'anéantissent  dans 
la  nuit,  mangés  par  le  gouffre  noir.  Deux  ou  trois  seulement  ont  la 
fore3  de  persévérer;  ils  assurent  d'un  coup  d'épaule  la  courroie  où 
pend    leur  bagage. 

—  Ouste  !  nous  finirons  bien  par  arriver  !  il  n'est  pas  possible  qu'il 
n'y  ait  pas  enfin  un  gite  pour  nous,  marqué  par  un  falot  qui  ne 
sera  pas  celui  d'une  charrette. 

El  tout  en  marchant,  tirant  le  pied,  ils  ratiocinent  ainsi  : 

—  D'ailleurs,  ils  n'est  pas  possible  qu'il  n'y  ait  rien!  Ceux  qui 
nous  entrais  le  sac  sur  l'épaule  et  le  pied  sur  la  route,  nous  ont 
affirmé  que  la  roule  menait  quelque  part,  où  nous  pourrions  nous 
délester  de  noire  bagage. 

Ainsi  vont,  espèrent  et  se  découragent  les  compositeurs,  en  quête 
de  ce  Théâtre-Lyrique  que  les  jours,  les  mois  et  les  ans  écoulés 
semblent,  avec  une  ironique  persistance,  tenir  hors  de  leur  portée, 
ironie  d'autant  plus  grande,  déception  d'autant  plus  vive  que  les 
encouragements  leur  viennent  plus  nombreux  et  les  espérances 
plus  hautes. 

El  toujours  la  charrette  lumineuse  roule  là-haut,  au  bout  de  la 
côte,  perpétuant  le  leurre,  mais  du  moins  entretenant  les  courages. 
Depuis  le  28  avril  189S,  je  jette  dans  le  Ménesirel  mes  notes  sur  le 
Théâtre-Lyrique,  feuilles  volantes  que  le  courant  eniporte,  où  les 
mêmes  choses  sont  redites  comme  à  satiété,  où  les  informations  et 
les  impressions  se  succèdent,  sans  que  le  but  paraisse  sensiblement 
se  rapprocher.  Et  je  me  demande  pourquoi,  aujourd'hui,  j'ajoute  une 
nouvelle  page  à  ces  pages,  qui  redira  ou  du  moins  résumera  ce 
qu'elles  ont  dit.  Elle  pessimiste  «  A  quoi  bon?»  se  dresse  ici.  Pour- 
quoi recommencer  à  remuer  ces  cendres,  à  crier  devant  cette  porte 
encore  pour  longtemps  close,  sinon  pour  toujours? 

Dans  les  journaux,  çà  et  là,  des  articles  éclatent  comme  des 
pétards;  des  mauvais  plaisants  en  mettent  jusque  sous  la  porte  de 
rOpéra-Comique  ;  on  entend  des  cris  de  haro!  Gela  amuse  la  galerie, 
mais  ne  fait  pas  faire  un  pas  à  la  question. 

Et  il  m'est  assuré  que  le  rapport  relatif  à  la  fondation  du  Théâtre- 
Lyrique  municipal  ne  sera  pas  déposé  avant  octobre  !  —  Ne  disais-je 
pas  la  même  chose,  l'an  dernier? 

Encore  une  année  perdue  !  Et  ce  n'est  pas  la  faute  de  nos  conseil- 
lers. Ils  sont  animés  des  meilleures  intentions  du  monde.  On  les 
trouve  partout  où  il  y  a  quelque  bien  à  faire  et  quelque  idée  gêné 
reuse  à  soutenir.  Mais  c'est  le  propre  des  assemblées,  des  commis- 
sions, d'aller  lentement,  là  où  les  individualités  iraient  vite.  Il  faut 
donc  encore  se  résigner,  patienter. 

Et  puis,  comme  si  cette  malheureuse  musique  ne  devait  jamais 
connaître  la  tranquillité  parfaite,  un  contre-projet  est  venu  lui  faire 
obstacle.  On  a  parlé  de  la  nécessité  de  donnera  Paris  un  grand 
théâtre  de  drame.  Gela  n'est  point  pour  déplaire,  bien  que  les  théâtres 
de  drame  ne  nous  manquent  pas.  Ce  qui  est  à  craindre,  c'est  un 
conflit,  ou  tout  au  moins  un  partage  entre  les  deux  principes. 

Le  drame  et  la  musique  ne  sauraient  vivre  ensemble  sur  le  même 
terrain,  c'est  entendu.  L'orientation  des  idées,  telles  qu'elles  se 
manifestent  aujourd'hui,  nous  fait  donc  entrevoir  que  le  théâtre  du 
Châlelet,  —  quand  le  bail  en  sera  terminé,  —  restera  consacré  au 
drame,  ou  à  la  grande  féerie,  et  son  voisin  d'en  face  réservé  à  la 
musique,  ce  pourquoi  il  fut  d'ailleurs  créé,  quand  l'Opéra-Gomique  de 
la  place  Favart  aura  achevé  sa  croissance. 

A  qui  ira  le  patronage  effectif  du  conseil  municipal?  A  la  mu- 
sique ou  au  drame  ?  A  l'une  ou  à  l'autre  certainement,  car  se  parta- 
ger serait  inolïicace  et  peut-être  nuisible  à  tous  les  deux  ! 


La  consécration  du  Ghâlelet  au  drame,  à  la  féerie,  peut-être  hélas! 
à  l'opérette,  —  fiu  dernière,  — •  l'expérience  l'a  prouvé,  —  d'un  autre 
théâtre,  «  La  Gaîté,  »  que  le  conseil  municipal  de  1880  avait  solen- 
nellement sacré  temple  du  drame  moralisateur  ;  cette  consécra- 
tion, dis-je,  du  Ghàtelet  à  l'art  dramatique  pur,  apportera  sans 
doute  quelque  déception  à  ceux  qui,  dans  leurs  projets,  en  faisaient 
le  sanctuaire  élu  de  la  musique.  Pour  ma  part,  j'estime  comme  un 
bienfait  pour  eux  qu'il  leur  échappe.  Et  je  répète  volontiers,  à  ce  pro- 
pos, qu'il  n'y  a  pas  de  bonuo  musique  dramatique  à  bon  marché, 
que  c'est  pure  illusion  que  de  croire  que,  chaque  jour,  trois  mille 
spectateurs  s'entasseraient  dans  l'immense  vaisseau  où  se  dévelop- 
pent actuellement  les  tableaux  du  Toui'  du  Monde  en  80  jours,  pour 
entendre  de  la  musique  qui,  même  légère  ou  gaie,  fait  toujours  un 
spectacle  comparativement  grave. 

Non  !  la  place  de  la  musique,  municipale  ou  libre,  est  à  l'Opéra- 
Gomique  actuel.  Et  que  l'un  des  administrateurs  actuels  des  théâtres 
musicaux  subventionnés  l'y  installe,  eu  vertu  d'une  de  ces  com- 
binaisons que  l'on  peut  attendre  de  gens  rompus  au  métier,  qu'elle 
y  soit  amenée,  mise  en  valeur  par  quelque  imprésario  nouveau, 
—  les  prétendants  ne  manquent  pas,  —  c'est  là  .'seulement  qu'elle  peut 
avantageusement  élire  domicile,  puisqu'il  ne  saurait  être  question 
Ce  la  Gaîté,  où  elle  fut  naguère  bien  à  sa  place,  ni  de  la  Porte- 
Saint-Marlin,  où,  assurément,  elle  serait  mieux  que  partout  ailleurs. 

Ce  ne  sontpas  les  œuvres  qui  lui  manqueront:  œuvres  anoienaos, 
classiques,  pour  l'éducation  des  masses,  domaine  public  immense 
que  j'ai  nagoère  fait  entrevoir;  œuvres  nouvelles  dues  à  des  com- 
posileurs  d'hier,  d'aujourd'hui  ou  de  demain. 

Eu  attendant  qu'il  leur  consacre  ce  nouveau  théâtre,  le  conseil 
municipal  s'est  soucié  d'augmenter  le  nombre  de  ceux  qui  y  vont 
pouvoir  prétendre. 

Il  a  élargi  le  champ  offert  jusqu'ici  aux  concurrents  du  pris 
musical  de  la  'Ville  de  Paris.  Et  tout  récemment,  le  Spcilii,  partition 
dramatique  de  M.  Lucien  Lambert,  a  mérité  ce  prix. 

Le  fait  est  à  noter.  II  crée  au  conseil  municipal  un  nouveau  devoir: 
il  l'engage  plus  profondément  dans  la  voie  qui  le  doit  mener  à  la 
restauration  du  Théâtre-Lyrique;  théâtre  qui,  cette  fois,  sera  sien  et 
lui  fera  certainement  honneur,  s'il  est  géré  uniquement  eu  vue  delà 
vulgarisation  des  chefs-d'œuvre,  de  l'enseignement  musical  et  de  la 
mise  en  relief  de  nos  compositeurs  nationaux. 

.lusque-là,  c'est  vers  l'Opéra,  vers  l'Opéra-Gomique  que  s'achemi- 
neront encore  les  compositeurs.  L'Opéra  restera  sur  sa  haute  cime, 
forcément  clos  aux  jeunes  conquérants,  qui  n'ont  prise  sur  lui  que 
du  côté  des  concerts  dominicaux,  si  heureusement  institués  l'an 
dernier. 

L'Opéra-Gom.ique,  il  le  faut  espérer  fermement,  s'entr'ouvrira  à 
quelques-uns,  de  par  l'éclectisme  de  M.  Garvalho  qui,  durant  cet 
exercice  1893-1890  a,  en  son  infatigable  activité,  abattu  déjà  tant 
de  besogne. 

Nous  parlerons  un  de  ces  prochains  jours,  puisque  le  Mi'iieslrel  a 
désiré  que  je  reprisse  la  plume,  de  la  façon  dont  le  Théâtre-Lyrique 
municipal  pourrait,  à  notre  sens,  être  utilement  et  avantageusement 
géré. 

Louis  Gallet. 


SUR  LE  JEU  DE  ROBIN  ET  MARION 

D'ADAM  DE  LA  HALLE 
(Suite  et  fin.) 


Pour  terminer  cette  étude,  je  dois  ajouter  quelques  mots  au  sujet 
du  travail  d'adaptation  auquel  l'œuvre,  six  fois  centenaire,  a  dû  être 
soumise  pour  être  représentée  devant  un  auditoire  moderne.  Certes, 
il  eût  été  beau  de  la  prendre  dans  sa  forme  originale  et  de  l'offrir 
ainsi,  sans  aucune  retouche,  au  public  de  la  fin  du  dix-neuvième 
siècle;  —  de  même  qu'il  serait  plus  conforme  aux  grands  principes, 
esthétiques  et  autres,  de  donner,  à  la  Comédie-Française,  les  œuvres 
de  Sophocle  ou  de  Shakespeare  en  grec  ou  en  anglais.  Mais  comme, 
jusqu'ici,  la  réalisation  de  ce  bel  idéal  a  rencontré  des  obstacles,  il 
a  bien  fallu  recourir  au  concours  des  adaptateurs,  —  comme  à  un 
mal  nécessaire.  Du  moins  ceux  auxquels  cette  fonction  est  échue  se 
sont-ils  fait  un  devoir  de  respecter  de  leur  mieux  l'esprit  et  la  forme 
de  l'œuvre  du  vieux  trouvère. 

C'est  ainsi  que  le  poète  a  conservé  exactement,  dans  le  dialogue, 
la  forme  si  française  du  vers  de  huit  pieds,  suivant  scrupuleusement, 
vers  par  vers,  le  texte  original,  gardant  même  les  rimes,  et  chaque 
fois  que  cela  était  possible,  des  vers  entiers.  Il  est  vrai  qu'il  n'a  point 


228 


LE  MENESTREL 


cédé  à  ce  goût  de  faux  archaïsme,  si  démodé  aujourd'hui,  qui  eût 
poussé  les  adaplateurs  des  temps  romantiques  à  émailler  les  vers  de 
mois  destinés  à  «  donner  la  couleur  de  l'époque  »  :  Oncgues,  moult, 
mider,  mengier,  pastoure  ou  compaignie!  Mais  si  sa  traduction  est 
écrite  en  langue  moderne,  ce  qui  est,  ce  me  semble,  l'habituelle 
qualité  des  traductions,  elle  n'en  est  pas  moins  respectueuse  de 
l'œuvre  primitive,  dont  elle  donne,  j'en  suis  convaincu,  l'idée  la  plus 
juste  et  la  plus  fidèle. 

L'objectif  du  musicien  a  été  identiquement  le  même.  Les  habi- 
tudes modernes  des  chanteurs  et  du  public  n'ayant  pas  permis  de 
mettre  à  exécution  l'idée  de  faire  entendre  la  musique  de  liobin  et 
Marioti  sans  aucun  accompagnement  instrumental,  comme  elle 
l'avait  été  au  XIIl'"  siècle,  il  a  bleu  fallu  composer  cet  accompa- 
gnement de  toutes  pièces.  El,  là  encore,  il  imporlait  de  ne  pas  tom- 
ber dans  le  pastiche.  Que  pasticher,  en  effet?  Nous  avons  vu  qu'au 
temps  d'Adam  de  la  Halle,  l'harmonie  accompagnante  n'existait  pas. 
B'autre  part,  l'harmonie  vocale,  diaphonie  ou  déchant,  était  basée 
sur  des  principes  transitoires  et  en  opposition  avec  ceux  de  l'art 
moderne. 

Fallait-il  donc,  sous  prétexte  d'  «  ancienne  musique  »,  d'  «  an- 
cêtre de  l'opéra-comiqae  »,  imiter  le  style  de  Lully,  ou  bien  celui 
de  Grélry.  Personne,  aisurémenl,  ne  l'eût  voulu.  Le  seul  moyen  de 
résoudre  le  problème  consistait,  pour  le  moderne  collaborateur 
d',\dam  de  la  Halle,  à  s'inspirer  intimement  des  formes  des  mélodies, 
en  dégager  exactement  le  sens  harmonique,  sans  préoccupation  de 
vaine  archéologie,  et  en  mettre  en  relief  les  formes,  soit  par  des  ac- 
cords, soit  par  des  dessins  secondaires  bien  appropriés,  soutenant  la 
ligne  mélodique  sans  jamais  la  couvrir.  C'est  ce  but  que  je  me 
suis  efforcé  d'atteindre.  Et  si  parfois  cette  recherche  m'a  conduit  à 
adopter  des  formes  qui  semblent  mieux  en  rapport  avec  l'esprit  de 
la  musique  moderne  qu'avec  l'idée  que  nous  nous  faisions  de  celle 
du  moyen  âge,  c'est  qu'en  réalité  certaines  mélodies  du  Jeu  de  Robin 
et  Marion  soii\,  très  modernes, —  demeurées  vivantes,  jeunes,  fraîches 
comme  au  premier  jour. 

La  principale  licence  qui  ait  élé  prise  a  consisté,  djns  les  cas, 
assez  nombreux,  oîi  les  morceaux  de  musique  se  composent  d'une 
simp'e  phrase  de  quelques  mesures,  à  redire  deux  ou  trois  fois  cette 
phrase  en  ajoutant  aux  paroles  quelques  nouveaux  couplets.  Sans 
cela,  l'auditeur  aurait  eu  à  peine  le  temps  de  fixer  son  attention  sur 
certains  chants,  si  brefs  qu'à  peine  commencés  ils  se  seraient  trouvés 
déjà  finis. 

Enfin,  pour  donner  un  peu  plus  d'intérêt  musical  à  la  longue 
scène  finale  des  jeux  pastoraux,  scène  presque  entièrement  dénuée 
de  musique,  les  auteurs  de  l'adaplatioa  se  sont  permis  d'introduire 
deux  chansons  populaires  recueillies  de  notre  temps  d'après  la  tra- 
dition orale.  La  faute  est-elle  très  grave  ?  Je  ne  le  crois  pas.  Tout 
d'abord  nous  n'avons  jamais  eu  le  noir  dessein  de  faire  accroire 
a\ix  gens  que  ces  deux  chansons  étaient  do  la  composition  d'Adam 
de  la  Halle,  et  le  reproche  d'avoir  introduit  subrepticement  dans 
l'œuvre  des  éléments  étrangers  ne  saurait  nous  atteindre,  puisque 
ces  deux  chansons  ont  été  prises  dans  un  recueil  de  chansons  popu- 
laires qui  n'est  point  ignoré  du  publie,  et  nîi  il  n'est  pas  une  seule 
fois  question  du  Jeu  de  liobin  et  Marion.  Même  la  franchise  du  procédé 
fut  telle  qu'une  des  chansons  choisies,  publiée  pour  la  première 
fois  dans  ledit  recueil,  est  redevenue  populaire  et  se  chante  couram- 
ment aujourd'hui  dans  les  rues  de  Paris  (1). 

Peut-être  est-ce  précisément  pour  cela  que  la  présence  de  cette 
chanson  dans  une  œuvre  du  XIII'^  siècle  a  pu  sembler  déplacée  :  il 
n'est  pas  habituel,  en  effet,  que  les  chansons  des  rues  de  Paris  aient 
une  origine  qui  leur  puisse  permettre  de  figurer  sans  anachronisme 
dans  une  œuvre  d'une  pareille  ancienneté. 

Celle-ci  cependant  fait  exception,  je  puis  l'affirmer. 

Les  chansons  populaires,  en  effet,  ont  des  origines  qu'il  est  le  plus 
souvent  très  difficile,  sinon  impossible,  de  déterminer  avec  exacti- 

(1)  La  ctianson  «  En  passant  par  la  Lorraine  -,  recueillie  dans  la  tradition 
populaire,  a  été  exécutée  pour  la  première  fois  devant  un  auditoire  parisien 
dans  un  concert  organisé  par  l'auteur  de  cetle  étude,  au  cercle  Saint-Simon,  le 
2  mai  18S7;  elle  eut  pour  première  et  charmante  interprète  M""  MathildeAuguez, 
alors  toulc  jeune  élève  du  Conservatoire.  Plusieurs  années  après,  M.  Louis  Ganne, 
mon  ancien  camarade  de  Conservatoire,  m'ayant  demandé  de  lui  indiquer  une 
chanson  populaire  qu'il  désirait  intercaler  dans  une  Marche  lorraine,  composée 
pour  la  visite  du  Président  Carnot  à  Nancy,  je  l'engageai  à  emprunter  cette 
mélodie  à  mon  recueil  ;  c'est  au  succès  qu'a  obtenu  ce  morceau  qu'est  dû  son 
renouveau  de  popularilé.  llallieureusement  d'autres  arrangements  de  mauvais 
goût,  et  notamment  l'adaptation  de  nouvelles  paroles,  ont  eu  parfois  pour  effet 
de  gâter  l'aspect  si  charmant  de  la  chanson,  qui,  sous  sa  forme  originale,  est 
loin  d'avoir  le  caractère  vulgaire  avec  lequel,  par  suite  de  promiscuités 
fâcheuses,  elle  nous  apparaît  trop  souvent  aujourd'hui. 


tude,  mais  qui  sont  quelquefois  très  anciennes.  Il  en  est  dont  les 
caractères  indiquent  avec  évidence  une  existence  de  plusieurs 
siècles,  et  qui  n'avaient  jamais  été  écrites  ni  imprimées  nulle  part 
avant  d'avoir  été  recueillies  par  nos  modernes  folk-loristes.  Par  une 
exception  fort  rare,  et  qui  ne  s'étend  peut-être  pas  à  plus  de  vingt 
chansons,  les  paroles  des  premiers  couplets  et  la  première  partie  de 
la  mélodie  de  la  chanson  '/  En  passant  par  la  Lorreioe  »  se  trouvent 
notées  dans  un  livre  de  musique  du  XVl'-  siècle,  le  Tiers  livre  de 
chansons  nouvellement  composé...  chez  Adrien  le  Roy  et  Robert  Bal- 
lard,  lo61;  elles  y  servent  de  thème  à  une  composition  h  quatre  voix 
d'Arcadelt.  Voilà  donc  une  preuve  positive  de  l'anciennelé  de  cette 
chanson,  qui,  sans  doute  populaire  longtemps  avant  l'époque  de  celte 
publication  toute  fortuite,  est,  en  tout  cas,  fort  autérieure  soit  au 
mouvement  polyphonique  palestrinien,  soit  aux  opéras  du  XVII"  et  du 
XVIIP  siècle,  soit  aux  ariettes  de  l'ancien  opéra-comique,  si  vieil- 
lottes au  bout  de  cent  ans,  alors  que  l'antique  chanson  populaire  a 
conseivé  toute  sa  jeunesse. 

Pour  l'autre  chanson  :  «  Rossignolel  du  bois  joli,  »  il  suffit  d'ouvrir 
les  Chansons  du  XV  siècle  de  MM.  Gaston  Paris  et  Gevaeit,  le  plus 
ancien  recueil  de  ce  genre  qui  soit  actuelle;nent  à  notre  disposition, 
pour  voir  que  ce  thème  était  des  plus  communs  dans  la  plus  vieille 
chanson  française  :  sur  les  cent  quarante-trois  chansons  de  tout 
genre  (une  bonne  moitié  non  populaires)  dont  se  compose  ce  livre, 
on  n'en  trouve  pas  moins  de  douze  (1)  où  s'intercale  un  couplet  de 
Rossignolet,  ayant  le  même  sens,  les  mêmes  caractères  et  la  même 
expression  que  la  chanson  populaire.  Quant  à  la  ligne  mélodique, 
avec  sa  tonalité  si  caractéristique  (elle  apparlient  au  premier  ton  du 
plain-ehanl),  elle  porte  en  elle-même  de  suffisantes  marques  de  son 
origine  reculée. 

Il  est  vrai  encore  que  le  XV  et  le  XVI"  siècle,  cela  n'est  pas  le 
XIIP.  Mais,  outre  que  ces  chansons,  dont  les  premières  traces  écrites 
se  manifestent  seulement  à  cette  époque,  existaient  déjà  depuis 
longtemps  peut-être  dans  la  tradition  orale,  il  est  constant  que  la 
chanson  populaire,  loin  d'être  soumise  aux  conventions  changeantes 
et  aux  fluctuations  de  style  des  arts  savants,  reste,  à  travers  les 
âges,  toujours  semblable  à  elle-même,  et  comme  immuable  ;  et  de 
même  que  le  livre  de  Chansons  du  XY"  siècle  renferme  encore  des 
morceaux  appartenant  au  cycle  de  Robin  et  Marion,  de  même  des 
chansons,  peut-être  composées  nu  peu  postérieurement,  ne  présentent- 
elles  aucun  désaccord  essentiel  avec  celles  de  la  période  précédente. 

Quant  à  la  nature  même  de  la  musique,  il  a  été  suffisamment  dé- 
montré que  celle  daJeu  appartient  au  fonds  populaire  pour  que  l'on 
puisse  définitivement  admettre  que  l'immixtion  des  deux  morceaux 
en  question  n'était  aucunement  menaçante  pour  l'unité  du  style.  Ce 
n'était  pas  introduire  un  élément  étranger  que  de  placer,  k  côté  de 
chansons  populaires,  d'autres  chansons  populaires,  et  la  présence  de 
celles-ci  ne  fait  aucun  tort  à  la  considération  due  au  génie  d'Adam 
de  la  Halle,  puisque  ce  génie  est  aussi  parfaitement  étranger  à  la 
composition  des  unes  que  des  autres. 

Nous  pensons  donc  que  l'on  peut  accepter  sans  crainte,  comme 
très  sincère,  cette  res.tauration  du  .feu  de  Robin  et  Marion,  et  tirer 
de  là  une  double  conclusion  :  d'une  part,  glorifier  l'esprit  charmant 
du  vieux  trouvère  qui  a  si  ingénieusement  encadré  les  mélodies 
populaires  de  son  temps  ;  d'autre  part,  célébrer  le  génie  musical 
de  la  race  française,  qui  se  manifeste  encore,  dans  cette  œuvre 
vénérable,  non  peut-être  sous  un  aspect  très  élevé,  mais,  après  une 
si  longue  révolution  des  siècles,  toujours  aimable,  alerte  et  spontané. 
FIN  JULUÎ.N  Tjiîiisor. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONS  RÉVOLUTIONNAIRES 

I 

Contraste  de  ta  musique  en  prison  avec  ta  musique  en  plein  air  pendant  la  Révotulion. 
—  jUarie-ylniomc'«e;ouci,'Ilï.MSEDEsMABSEii,L.usa!i  Tenipte;  était  ce  unctarecinouun 
piano-forte?  —  L'éducation  musicale  donnée  par  Simon  au  Dauphin.  —  Le  talent  de 
M"  Ctéry  et  la  prudence  de  Lcpitre.  —  Les  concerts  du  Temple  en  nos ,-  toujours 
M"'  Cliry  et  toujours  Lepitre;  romances  politiques;  i..ijEiNi:  Phisonniéiu;  de  M"'  de 
délivrance. 


Des  plumes,  plus  autorisées  que  la  nôtre,  ont  défini  ici  même, 
avec  une  rare  précision,  le  caractère  bien  tranché  de  la  musique 
révolutionnaire  :  de  la  force,  de  l'énergie,  do  la  couleur,  accentuées 

Cliansons  du  XV  siècle,  n»5,  72,  77,  lO'i,  106,  117,  120,  121,  123,  124,  132,  139. 


LE  MÉNESTREL 


229 


par  la  vigoureuse  exécution  des  masses  chorales,  que  venait  ren- 
forcer encore  la  voix  vibrante  des  instruments  de  cuivre  largement 
multipliés. 

Cette  innovation  harmonique,  s'épanouissant  au  plein  air,  dut  une 
bonne  partie  de  son  succès  à  la  mise  en  scène,  qui  préparait  l'àmc 
enthousiaste  d'un  peuple  libre  à  subir  l'enlrainement  musical. 

Il  n'en  allait  pas  de  mémo,  comme  bien  on  pense,  de  ces  infortunés 
pour  qui  la  prison  était  l'antichambre  de  la  mort.  Et  cependant,  eux 
aussi  avaient  fini  par  se  montrer  insoucieux  du  lendemain,  à  l'exemple 
des  soldats  que  les  strophes  ailées  de  nos  hymnes  guerriers  lançaient 
sur  l'ennemi.  Les  hôtes  des  prisons  révolutionnaires  n'avaient  adopté 
de  la  musique  que  les  rythmes  légers  et  sautillants,  soupirs  amou- 
reux et  refrains  grivois.  Ils  se  donnaient  entre  eux  des  concerts  dont 
le  programme  s'inspirait  surtout  des  traditions  du  passé;  si  quel- 
quefois ils  y  introduisaient  une  actualité,  c'était  à  titre  de  parodie, 
plutôt  encore  que  par  curiosité. 

Ou  ne  saurait  trouver  néanmoins  d'autre  motif  que  celui-ci  à  la 
fantaisie  étrange  qu'eut  un  jour  Marie-Antoinette,  pendant  sa  déten- 
tion au  Temple,  de  jouer  la  Marseillaise  sur  son  clavecin.  Le  récit  de 
Lepitre,  qui  représente  la  Reine  exécutant  «  l'hymne  des  Marseillais  » 
devaut  un  des  commissaires  de  service,  a  trouvé  longlemps  des 
incrédules,  mais  il  n'est  plus  possible  de  douter  devant  la  publication 
d'une  pièce  officielle  découverte  par  M.  le  baron  de  la  Morinerie. 

Nous  lisons,  en  effel,  dans  te  Mémoire  des  Dépa7i.se  /'aille  par  moi 
Malhey,  pour  Luis  Capet  et  sa  famille,  Dapres  sa  demande,  accordé  par 
le  Conseil  du  Temple  : 

Du  8  novembre.  Les  pièce  Do  Concerto  et  Sancto  De  Playelle  et  d'hadne 

et  l'andante  d'hadne  en  16  party dS3  1.     » 

h'himne  des  HJarseiltait ■ 1  1.  10  s. 

Ne  vous  semble-t-il  pas  que  ce  Mémoire,  sous  son  aspect  fruste  et 
grossier,  —  car  nous  avons  tenu  à  respecter  l'orthographe  du  docu- 
ment pour  lui  laisser  lonte  sa  saveur,  —  évoque,  par  le  jeu  naturel 
des  contrastes,  l'image  d'un  autre  clavecin,  celui  de  Trianon?  Et 
quels  souvenirs  de  jeunesse,  de  grâce  et  de  fraîcheur  n'éveille  pas 
dans  le  plus  adorable  des  cadres  ce  meuble  historique!  Car  il  existe 
toujours,  svelte,  élégant,  aristocratique,  avec  sa  voix  fluette  et  ses 
délicates  peintures.  —  Mais  le  clavecin  du  Temple,  qu'est-il  devenu  ? 
Et  pourquoi  une  main  pieuse  n'a-t-elle  pas  sauvé  de  l'oubli  le  témoin, 
peut-être  le  confident,  d'une  des  plus  grandes  infortunes  humaines! 

D'abord,  était-ce  bien  un  clavecin?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  un 
piano-forte?  Une  anecdote  du  conventionnel  Harmand  (de  la  Meuse), 
qui  fui  envoyé  en  mission  au  Temple  après  le  9  thermidor  an  II, 
serait  favorable  à  cette  dernière  hypothèse  Le  député  ne  savait  quelles 
preuves  donnera  la  fille  de  Louis  XVI  de  sa  respectueuse  sollicitude  : 
il  convient  d'ajouter  qu'Harmand  publiait  ce  récit  au  lendemain  de  la 
Restauration  : 

Dans  l'angle  de  cette  seconde  pièce,  du  même  côté  que  le  lit  de  IMadame, 
était  un  fort  beau  piano  à  queue.  Embarrassé,  et  cherchant  une  occasion 
nouvelle  de  faire  parler  Son  Altesse  et  de  lui  prouver  que  ma  maladresse 
était  moins  l'effet  de  l'ineptie  que  celui  de  ma  position,  je  touchai  le  cla- 
vier du  piano,  et  quoique  je  n'y  connusse  rien,  je  dis  à  Madame  que  je 
croyais  que  son  piano  n'était  pas  d'accord,  et  je  lui  demandai  si  elle  dési- 
rait que  je  lui  envoyasse  quelqu'un  pour  l'accorder. 

—  Non,  monsieur;  ce  piano  n'est  pas  à  moi,  c'est  celui  de  la  Reine  :  je 
n'y  ai  pas  touché  et  je  n'y  toucherai  pas. 

Mais,  de  tous  les  membres  de  la  famille  royale,  le  plus  digne 
d'intérêt  et  de  pitié  était  assurément  ce  pauvre  être  inoffensif,  qu'une 
politique,  cruelle  à  force  d'être  ombrageuse,  arracha  des  bras  de  sa 
mère.  L'histoire  n,e  pardonnera  jamais  au  corps  constitué  représentant 
cette  politique,  à  la  Commune  de  Paris,  d'avoir  confié  le  Dauphin  au 
cordonnier  Simon,  une  brute  inepte,  qui  trouve  aujourd'hui  encore 
des  apologistes.  On  ne  sait  que  trop  l'éducation  donnée  par  ce  gou- 
verneur à  son  pupille.  Son  esthétique  musicale  se  ressentait  de  ce 
sans-culotlisme  intellectuel. 

Un  jour  il  apporte  une  guimbarde  à  l'enfant. 

—  Tiens,  dit-il,  petit  jean  f...  !  Tes de  mère  et  de  tante  jouent 

du  clavecin  :  il  faut  que  tu  les  accompagnes  avec  la  guimbarde,  cela 
fera  nu  beau  tintamarre. 

Ce  témoignage  de  Prudhomme,  que,  par  respect  pour  ,e  lecteur, 
nous  n'avons  pas  voulu  citer  textuellement,  pourrait  paraître  suspect, 
étant  donné  le  peu  d'autorité  de  ce  journaliste  ondoyant  et  divers. 
Mais  combien  de  documents  officiels  sont  venus  le  corroborer,  en  éta- 
blissant que  Simon,  le  digne  pi'éeurssur  d'Hébert,  le  Père  Duchesne, 
fut  le  corrupteur  du  petit  Dauphin!  Un  seul  nous  suffira. 

Le  11  décembre  1793,  on  était  venu  se  plaindre  au  conseil  général 
de  la  Commune  que  l'enfant  chantait  souvent  et  très  fort.  La  crainte 


que  cette  jeune  voix  no  réveillât  «  le  fanatisme  contre-révolution- 
naire »  fit  décider  que  les  abat-jour,  précédemment  établis  pour 
empêcher  toute,  communication  du  Dauphin  avec  la  famille  royale  et 
supprimés  depuis  l'exécution  de  Marie-Antoioelte,  seraient  immélia- 
tement  relevés. 

Ces  chansons  étaient  donc  royalistes? 

Un  arrêté  do  la  Commune  (registre  20)  va  nous  édifier  à  cet  égard. 
Il  ne  s'agit  pas  de  la  Carmagnole  et  «  mille  autres  horreurs  »,  que  le 
Dauphin  chantait  avec  Simon,  comme  le  signale  le  Journal  de  la 
Duchesse  d'Angouléme,  mais  du  répertoire  obscène  qui  avait  scandalisé 
jusqu'à  un  membre  de  la  Commune,  dont  l'indignation  avait  jiaru 
suspecte. 

Le  Bœuf,  présent  à  la  séance,  prend  la  parole  pour  se  disculper  :  il  dit 
que,  par  état,  il  n'aimait  pas  à  entendre  (.hanter  des  chansons  indécentes 
et  qu'il  avait  témoigné  son  déplaisir  au  citoyen  Simon,  qui  s'était  souvent 
permis  d'en  répéter  de  semblables  devant  le  petit  Capet,  auquel  il  aurait 
désiré  qu'on  donnât  une  éducation  plus  conforme  aux  bonnes  mœurs. 

Quel  contraste  avec  celte  autre  scène  racontée  en  1817  par  Lepître, 
dans  ses  Quelques  souvenirs  ou  notes  fidèles  sur  mon  service  au  Temple! 

Je  n'ai  point  parlé  de  la  romance  composée  pour  le  jeune  roi,  après  la 
mort  de  sou  auguste  père. 

M""  Cléry  (la  femme  du  valet  de  chambre  de  Louis  XVI),  habile  virtuose 
sur  le  clavecin  et  la  harpe,  en  avait  fait  la  musique.  Je  la  portai  au  Tem- 
ple et  l'offris  à  la  Reine.  Huit  jours  après,  lorsque  je  revins,  Sa  Majesté 
me  fit  entrer  dans  la  chambre  de  M"":  Elisabeth.  Le  jeune  prince  chanta  la 
romance,  et  M"""  Première  l'accompagna. 

Nos  larmes  coulèrent,  et  nous  gardâmes  longtemps  un  morne  silence 

Voici  ces  couplets  : 

La  Piété  filiale. 

Eh  quoi  !  tu  pleures,  ô  ma  mère  ! 
Dans  tes  regards  fixés  sur  moi 
Se  peignent  l'amour  et  l'effroi  : 
J'y  vois  ton  âme  tout  entière. 
Des  maux  que  ton  fi's  a  soufferts 
Pourquoi  te  retracer  l'image? 
Lorsque  ma  mère  les  partage, 
Puis-je  me  plaindre  de  mes  fers? 


Un  jour  peut-être...  (l'espérance 
Doit  êlre  permise  au  malheur). 
Un  jour,  en  faisant  son  bonheur, 
Je  me  vengerai  de  la  France. 
Un  Dieu  favorable  à  ton  fils 
Bientôt  calmera  la  tempête  ; 
L'orage  qui  courbe  leur  tète 
Ne  détruira  jamais  les  lis. 


Quoique  beaucoup  de  documents  du  même  genre  et  de  la  même 
époque  aient  été  fabriqués  après  coup,  nous  croyons  à  l'authenticité 
de  celui-oi,  parce  que  plusienrs  témoignages  sont  venus  nous  con- 
firmer la  véracité  de  l'auteur.  Lepître,  officier  municipal  que  son  ser- 
vice appelait  au  Temple,  était  un  royaliste,  mais  un  royaliste...  pru- 
dent. Cette  circonspection  lui  permit  d'approcher  plus  souvent  des 
princes  qu'il  vénérait  en  silence,  et  de  les  laisser  jouir  d'une  liberté 
relative.  La  langue  des  dieux,  pour  laquelle  il  avait  une  passion  mal- 
heureuse, lui  servit  même  de  truchement  à  une  époque  oii  la  licence 
poétique  pouvait  seule  autoriser  les  allusions  les  plus  transparentes. 
La  fille  de  Louis  XVI  avait  survécu  a  toute  sa  famille.  Elle  attendait 
patiemment  dans  son  cachot  sa  prochaine  délivrance,  sachant  que  de 
puissants  amis  et  des  politiciens  prévoyants  s'entendaient  pour  en 
avancer  l'heure.  Déjà,  dans  les  derniers  mois  de  1793,  des  fidèles 
avaient  signalé  leur  présence  par  une  manifestation  qui  avait  profon- 
dément touché  la  jeune  prisonnière.  Le  jour  de  sa  fête,  dit  le  Bulletin 
du  Temple  dans  Y.Umanacli  des  honnêtes  gens,  «  on  lui  a  donné  un  con- 
cert dans  lequel  on  a  associé  les  airs  les  plus  touchants  et  les  plus 
analogues  à  la  situation  :  la  musique  était  placée  dans  un  grenier  des 
bâtiments  du  Temple.  Marie-Thérèse  a  paru  dans  le  jardin,  où  elle 
s'est  promenée  longtemps.  Elle  a  montré  qu'elle  était  sensible  à  la 
marque  d'intérêt  qu'on  lui  donnait  à  une  époque  qui  lui  fut  chère  au- 
trefois, mais  qui  avait  dii  lui  devenir  bien  tnste  depuis  qu'elle  était 
devenue  l'anniversiire  de  sa  captivité  ». 

La  police  ferma  les  yeux,  et  les  royalistes,  enhardis  par  le  succès, 
recommencèrent  à  bref  délai  leurs  séances  matinales.  Un  ancien  offi- 
cier de  la  chambre  du  roi,  nommé  Hue,  en  a  laissé  la  description, 
conforme  presque  de  tous  points  avec  la  version  de  Lepitre. 

Hue  et  M"'°  Cléry  avaient  loué,  à  la  Rotonde  du  Temple,  un  apparte- 
ment dont  les  fenêtres  donnaient  sur  la  prison  et  qui  n'en  était  séparé 
que  par  la  largeur  de  la  rue.  Dans  um  des  chambres,  nommée  par 
ces  pieux  serviteurs  la  salle  de  concert.  M"'  Cléry,  que  nous  savons 


230 


LE  MÉNESTREL 


déjà  une  virtuose,  accompagnait  sur  la  harpe  celte  romance  de  Lepitre 
chantée  par  Hue,  romance  dont  elle  avait  écrit  la  musique  : 

Las!  avec  moi  gémissez,  cœurs  sensibles  ; 

Ils  sont  passés,  les  jours  de  mon  bonheur. 

Plus  ne  verrai  moments  doux  et  paisibles, 

Et  désormais  vivrai  pour  la  douleur. 

Lugubres  chants,  répétés  sur  ma  lyre. 

Par  vous  seront  mes  regrets  e.xprimés. 

Autre  refrain  que  ces  mots  ne  puis  dire  : 

Ils  ne  sont  plus,  ceux  que  j'ai  tant  aimés. 

Mais  bientôt  le  chanteur  entonnait  cet  hymne  d'espérance,  dû  à 
l'infatigable  collaboration  de  Lepitre  et  de  M"""  Gléry  : 

Calme-toi,  jeune  infortunée, 
Bienlôt  ces  portes  vont  s'ouvrir. 
Bientôt,  de  tes  fers  délivrée. 
D'un  ciel  pur  tu  pourras  jouir. 
Mais  en  quittant  ce  lieu  funeste. 
Où  régna  le  deuil  et  l'effroi. 
Souviens-toi,  du  moins,  qu'il  y  reste 
Des  cœurs  toujours  dignes  de  toi. 

Hue  cédait  alors  sa  place  à  M"=  de  Brévannes,  qui  chantait  ses  pro- 
pres compositions,  entre  autres /a /ei()!ePciso«»/è/-e,  dont  nous  donnons 
ici,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  pour  les  romances  précédentes,  le 
premier  couplet  : 

Du  fond  de  cette  tour  obscure. 

Où  m'a  confinée  (1)  le  malheur, 

Vainement  toute  la  nature 

Me  parait  sourde  à  mes  douleurs. 

Ah!  cependant  des  cœurs  sensibles 

Que  je  sais  s'occuper  de  moi. 

Rendent  mes  chaînes  moins  pénibles 

En  me  prouvant  encor  leur  foi. 

«  Madame,  écrit  gravement  Lepitre,  écoutait  sur  un  pot  à  fleurs 
renversé.  » 

Les  jours  de  concert,  la  foule  se  rassemblait  —  cette  vieille  habitude 
parisienne  n'élonnera  personne  —  pour  prendre  sa  part  d'une  mani- 
festation à  laquelle  ses  goûts  d'opposition  systématique  trouvaient 
une  certaine  saveur  contre-révolutionnaire.  Il  arriva  même  qu'à  l'an- 
niversaire de  la  Saint-Louis,  la  muse  jusqu'alors  timorée  de  Lepitre 
se  permit  de  telles  hardiesses  que  le  gouvernement  en  prit  ombrage 
et  interdit  les  concerts. 

C'était  pure  comédie  :  car,  quelques  jours  après,  Madame  partait 
pour  lafronlière,  où  les  commissaires  de  la  Convention  devaient  échan- 
ger la  jeune  princesse  contre  des  officiers  et  des  députés  français, 
prisonniers  de  l'Autriche. 

Lepitre,  chez  qui  le  sentiment  de  la  fidélité  n'exclut  pas  celui  de 
l'intérêt  personnel,  a  soin  d'accompagner  sa  relation,  que  s'arrachaient 
les  âmes  bien  pensantes  de  la  Restauration,  de  ce  nota  piqué  au 
dessous  de  ses  poésies  : 

Ces  romances  et  deux  autres,  composées  dans  le  même  temps  et  que  j'ai 
placées  à  la  fin  de  cet  ouvrage,  se  vendent  avec  la  musique  et  les  accom- 
pagnements chez  Siéber,  rue  des  Filles-Saint-Thomas,  n"  21. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ETRANGER 


De  notre  corespondant  de  Belgique  (16  juillet).  —  La  période  des  con- 
cours annuels  du  Conservatoire  de  Bruxelles  vient  de  se  terminer.  L'en- 
semble des  résultats  a  été  excellent,  démontrant  les  qualités  remarquables 
d'un  enseignement  auquel  la  direction  de  M.  Gevaert  ne  cesse  de  donner 
une  impulsion  progressive.  Alors  même  que,  dans  certaines  classes  et  à 
certains  moments,  les  éléments  exceptionnellement  doués  viennent  à 
manquer,  la  «  tenue  »  générale  est  toujours  élevée;  on  n'y  vise  pas  à  faire 
uniquement  des  virtuoses,  mais  à  former  surtout  des  musiciens.  A  cet 
égard,  les  classes  d'instruments  ont  été  cette  année  très  productives, 
dans  une  moyenne  solide  et  sérieuse,  dont  profiteront  nos  orchestres,  de 
plus  en  plus  exigeants  et  absorbants.  Une  seule  nature  d'artiste,  tenant  un 
peu  du  classique  «  prodige  »,  est  à  signaler,  dans  la  classe  de  violoncelle 
de  M.  Ed.  Jacobs  ;  c'est  M"=  Ruegger,  une  gamine  encore,  qui  a  décroché 
un  premier  prix  avec  la  plus  grands)  distinction  et  qui  possède  tout  ce  qu'il 
faut  pour  faire  le  bonheur  des  publics  de  concerts.  Dans  les  classes  de 
violon,  pépinières  habituelles  de  Paganinis,  rien  de  très  en  dehors  ne  s'est 
révélé,  bien  que  les  premiers  prix  aient  été  nombreux  :  de  bons  exécutants 

(1]  «  Me  confina  »  demandait  la  prosodie. 


faisant  honneur  à  leurs  professeurs  MM.  Ysaye,  Gornélis  et  Golyns.  Parmi 
les  pianistes,  une  petite  «  prodige  »,  remarquée  déjà  l'an  dernier, 
M"°  Laenen,  a  continué  à  étonner  ses  juges  non  moins  par  son  assurance 
que  par  sa  facilité  à  transposer  instantanément  les  fugues  de  Bach  dans 
tous  les  tons  imaginables  ;  un  élève  de  M.  De  Greef,  M.  Lenaerts,  a  brillé 
par  des  mérites  rares,  qui  lui  assurent  très  probablement  une  belle 
carrière  ;  le  reste  est  simplement  honorable.  Quant  aux  chanteurs  et  aux 
chanteuses,  ils  ont  paru  assez  faibles  ;  on  a  couronné  dans  la  classe  de 
M""  Warnots  d'agréables  vocalistes,  et  dans  celle  de  M""  Cornélis  des 
sopranos  dramatiques  ayant  du  sentiment  et  du  style,  même  à  défaut  de 
moyens  naturels  ;  le  succès  du  concours  a  été  un  succès  de  promesses, 
dirai-je,  pour  l'an  prochain,  remporté  par  une  élève  de  M»«  Gornélis, 
M"'  Collet,  douée  d'une  voix  charmante.  Enfin,  cette  année,  les  classes  de 
déclamation  ont  fait  un  peu  parler  d'elles.  Dans  le  tas  de  sujets  très 
faibles,  une  tragédienne  réellement  douée,  M"«  Denys,  s'est  révélée.  Sera- 
ce  une  future  Dudlay,  ou  davantage  même?  Souhaitons-le.  On  a  remar- 
qué aussi  une  comédienne,  extrêmement  fine  et  délurée,  qui  répond  au 
nom  familier  de  Polyte.  Cette  demoiselle  Polyte  avait  déjà  paru  sur  les 
planches,  au  théâtre  Molière  ;  elle  y  retournera  certainement  et  y  fera 
carrière.  Retenez,  à  Paris,  ces  deux  noms-là.  L.  S. 

—  De  l'Eventail,  de  Bruxelles  :  «  La  Belgique  ne  participera  pas  à  l'ex- 
position du  théâtre  et  de  la  musique  qui  s'ouvrira  à  Paris  à  la  fin  du  mois. 
Le  nombre  des  adhésions  n'était  pas  sulCsant.  Il  est  vrai  qu'on  s'y  est 
pris  un  peu  tard.  Le  comité  belge  dont  nous  avions  annoncé  la  formation 
a  été  dissous.  » 

—  Un  journal  de  Bruxelles  annonce  que  M.  Paul  Gilson  a  été  chargé 
par  le  gouvernement  belge  de  composer  une  cantate  pour  l'ouverture  de 
l'Exposition  internationale  de  1S97.  Elle  sera  exécutée,  le  jour  de  l'ouver- 
ture, par  toutes  les  musiques  militaires  de  la  garnison,  plus  500  chan- 
teurs, formant  un  ensemble  de  1.200  exécutants. 

—  L'empereur  Guillaume  II  a  dédié  à  l'impératrice  de  Russie  une  Marche 
de  couronnement,  de  sa  propre  facture.  On  ne  sait  pas  encore  si  cette  nou- 
velle composition  sera  livrée  à  la  publicité,  comme  le  fameux  Hymne  à 
Aeçjir.  Nos  lecteurs  se  rappellent  que  Guillaume  II  a  composé  pour  l'em- 
pereur Nicolas  II  un  tableau  allégorique  représentant  les  dangers  de  la 
race  jaune  pour  la  civilisation  européenne.  La  cour  de  Russie  aura  donc 
l'occasion  d'admirer  tous  les  talents  du  dilettante  couronné. 

—  Le  musée  Richard  Wagner,  à  Eisenach,  est  déjà  complètement  ins- 
tallé dans  l'ancienne  villa  du  poète  Fritz  Reuter,  qui  appartient  à  la  ville 
d'Eisenach.  La  biblothèque,  à  elle  seule,  remplit  le  premier  étage;  au  rez- 
de-chaussée  on  trouve  les  autres  objets  de  la  grande  collection  réunie  par 
M.  OEsterlein,  de  Vienne.  Le  musée  Richard  Wagner  sera  bientôt  ouvert 
au  public,  et  les  nombreux  pèlerins  de  Bayreuth  pourront  facilement  le 
visiter,  car  la  distance  entre  les  deux  villes  n'est  pas  bien  importante,  et 
la  Wartburg,  à  elle  seule,  vaut  bien  un  petit  détour. 

—  L'exposition  du  centenaire  de  Franz  Schubert  à  Vienne  promet  d'être 
fort  brillante.  Jusqu'à  présent,  le  comité  s'est  assuré  l'exposition  d'environ 
six  cents  objets  dill'érents  qui  se  rattachent  au  maître  du  lied  et  parmi 
lesquels  se  trouvent  plusieurs  œuvres  d'art  de  premier  ordre.  Les  mélo- 
dies de  Schubert,  qui  ont  popularisé  beaucoup  de  poésies  qui  seraient 
oubliées  à  l'heure  qu'il  est  sans  le  concours  de  la  musique,  ont  inspiré 
un  grand  nombre  de  peintres,  et  dans  les  musées  de  Munich  et  de  Berlin 
se  trouve  maint  tableau  qui  se  rattache  ainsi  au  compositeur  viennois.  Le 
comité  va  s'adresser  au  prince-régent  de  Bavière  et  à  Guillaume  II  pour 
obtenir  l'exposition  de  ces  peintures  à  Vienne,  et  le  ministère  des  affaires 
étrangères  d'Autriche-Hongrie  a  promis  d'appuyer  cette  demande. 

—  Un  correspondant  allemand  de  la  Perseveranza,  de  Milan,  lui  donne 
des  nouvelles  assez  peu  satisfaisantes  de  deux  opéras  dont  nous  avons 
annoncé  la  récente  apparition.  A  prepos  à'Incjo,  de  M.  Philippe  Rùfer, 
donné  à  l'Opéra  de  Berlin,  il  écrit  :  «  Le  sujet  est  tiré  d'une  vieille 
légende  allemande;  la  musique  est  savante,  bien  faite,  mais  d'aucun  effet. 
Rûfer  est  un  musicien  instruit,  qui  connaît  bien  la  fugue,  la  sonate,  la 
symphonie,  l'instrumentation  et  les  voix.  Mais,  diable  !  toutes  ces  connais- 
sances ne  suffisent  pas  pour  créer  un  chef-d'œuvre.  Il  manque  la  fameuse 
étincelle.  Sans  elle,  l'œuvre  d'art  demeure  une  chose  inachevée,  (jui  peut 
inspirer  l'estime,  le  respect,  mais  jamais  ni  sympathie,  ni  enthousiasme. 
Aussi  peut-on  dire  de  cet  Ingo:  Il  naquit  et  il  mourut!  »  Voilà  pour  le 
compositeur  belge;  passons  au  compositeur  italien,  dont  le  mûme  corres- 
pondant parle  ainsi  :  «  Crescenzio  Buongiorno  s'est  présenté  au  théâtre  de 
Leipzig  avec  son  opéra  Festa  del  carro,  travail  du  genre  de  ceux  qui  pullu- 
lent aujourd'hui  en  Italie  dans  le  camp  des  vcristes  (les  véristes  sont  les  na- 
turalistes de  nos  voisins)  :  scènes  de  jalousie  avec  brigands,  coups  de 
poignard,  coups  de  couteau,  batailles  et  ainsi  de  suite;  musique  d'ell'et  et 
appropriée  au  sujet,  mais  d'une  trivialité  qui  rappelle  la  musique  de 
cirque.  Au  résumé,  talent,  mais  défaut  absolu  de  doctrine.  Voilà  donc 
deux  extrêmes  qui  se  touchent,  et  ni  l'un  ni  l'autre  n'a  l'ombre  de 
vitalité.  » 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  vient  de  jouer  avec  beaucoup  de  succès  un 
nouveau  ballet  intitulé  la  Rose  de  Chiraz,  livret  de  M.  E.  Graeb,  musique 
de  M.  R.  Eilenberg. 


LE  MENESTREL 


231 


—  Le  ministère  des  cultes  et  des  beaux-arts,  à  Berlin,  a  accordé  quelques 
bourses  aux  élèves,  hommes  et  femmes,  du  Conservatoire  de  cette  ville^ 
pour  qu'ils  puissent  assister  aux  représentations  de  Bayreutb.  Le  gouver- 
neur d'Alsace-Lorraine  a  également  accordé  cinq  bourses  de  250  francs 
cbacuue  pour  faciliter  à  cinq  musiciens  du  pays  le  pèlerinage  de  Bayreuth. 

—  Une  aventure  assez  étrange  est  arrivée  récemment  à  Berlin.  On  sait 
que  depuis  l'inauguration  de  la  TripKœ,  un  échange  de  bons  procédés 
artistiques  a  lieu  volontiers  entre  l'Allemagne  et  l'Italie.  La  première 
envoie  peu  des  siens  dans  la  seconde,  mais  celle-ci  saisit  toutes  les  occa- 
sions de  se  produire  dans  celles-là.  Or,  récemment,  une  bande  musicale 
italienne  en  uniformes  de  bersagliers,  dirigée  par  un  chef  nommé  Manni, 
se  faisait  entendre  au  parc  de  l'Exposition  de  Berlin,  dans  un  établisse- 
ment qui  porte  le  nom  de  Weltmusik.  Pour  une  raison  que  nous  ignorons, 
le  chef  Manni  avait  été  congédié  tandis  que  ses  musiciens  continuaient 
leurs  auditions.  Il  arriva  donc  un  soir  que  ledit  Manni,  flanqué  d'un 
huissier,  se  présenta  pour  faire  séquestrer  les  instruments  et  même  les 
uniformes,  déclarant  qu'ils  étaient  la  propriété  d'un  certain  Boekel,  qui 
l'accompagnait  —  pas  au  piano.  Devant  cet  exploit,  les  bersagliers  se  pré- 
cipitèrent comme  un  seul  homme  sur  leur  ancien  chef  dans  une  intention 
qui  paraissait  beaucoup  plus  hostile  que  vraiment  affectueuse,  le  public 
prit  parti  pour  lesdits  bersagliers,  et  il  en  résulta  une  épouvantable 
mêlée.  En  présence  de  ce  spectacle,  l'huissier  prit  rapidement  la  poudre 
d'escampette,  on  appela  les  gendarmes,  qui  se  trouvèrent  impuissants  à 
agir,  et  enfin  la  direction  de  l'établissement  protesta  avec  vigueur  contre 
le  séquestre  réclamé. 

—  Elle  est  bien  informée  la  Gazelle  de  Francforll  Voici  qu'elle  annonce 
que  M.  Massenet  est  à  présent  à  Constantinople,  et  qu'il  y  travaille  à  un 
opéra  dont  la  reine  de  Roumanie  a  écrit  le  livret!  Non,  bonne  gazette, 
M.  Massenet  n'est  pas  à  Constantinople.  Il  est  besucoup  plus  près  que  cela. 
Et  la  partition  qu'il  compose  n'est  autre  que  la  Sapho  tirée  du  roman  de 
Baudet  par  MM.  Henri  Gain  et  Arthur  Bernède. 

—  M.  Joseph  Bayer  vient  de  terminer  la  partition  d'un  nouveau  ballet, 
intitulé  la  Fiancée  coréenne,  qui  est  destiné   à  l'Opéra  impérial  de  Vienne. 

—  Johann  Strauss  ne  chôme  toujours  pas.  On  nous  écrit  de  Vienne  que 
le  maître  travaille  actuellement,  dans  sa  villa  d'Ischl,  à  une  nouvelle  opé- 
rette dont  le  titre  n'est  pas  encore  fixé.  MM.  Willner  et  Buchbinder  lui 
en  ont  fourni  le  livret.  Johann  Strauss  espère  pouvoir  diriger  la  première 
en  octobre  1S97. 

—  La  ville  de  Weimar,  qui  abrite  déjà  les  archives  de  Schiller  et  de 
Gœthe,  dans  unsplendide  hôtel  construit  à  cet  effet  et  récemment  inauguré 
avec  beaucoup  d'éclat,  ainsi  que  le  musée  Franz  Liszt,  va  donner  l'hospi- 
talité aux  archives  du  malheureux  philosophe  Nietzsche,  qui  a  exercé  tant 
d'influence  sur  les  adeptes  de  Schopenhauer  et  de  Richard  Wagner.  Les 
archives  de  Nietzsche  sont  actuellement  entre  les  mains  de  sa  sœur, 
Jlmc  l?oerster,  qui  s'est  fixée  à  Weimar  avec  le  docteur  Kœgel,  auquel  elle 
a  confié  la  publication  des  œuvres  inédites  de  son  frère. 

—  De  notre  correspondant  de  Genève  :  La  dernière  représentation  de 
Werther  nous  a  offert  un  début  à  sensation,  celui  de  M"«  Cécile  Ketten 
dans  le  rôle  de  Charlotte.  Le  tout  Genève  des  premières  s'est  retrouvé  au 
théâtre,  malgré  les  villégiatures  commencées.  Mais  le  grand  et  décisif 
succès  de  la  jeune  artiste  ne  doit  rien  aux  sympathies  personnelles.  Nous 
avons  eu  une  Charlotte  irréprochable  comme  voix,  comme  science  de  chant 
et  comme  jeu.  E.  D. 

—  Au  premier  essai  (snggio)  de  fin  d'année  du  Conservatoire  de  Milan, 
on  a  entendu  deux  compositions  de  deux  jeunes  élèves  de  la  classe  du 
professeur  Ferroni,  MM.  Aristide  Colombo  et  Giuseppe  Ramella.  Pour  le 
premier,  c'était  une  ouverture  qui  indique  de  bonnes  études,  mais  qui, 
parait-il,  est  assez  pauvre  d'idées.  Le  second  a  produit  une  Paraphrase  du 
psaume  117,  dont  on  loue  la  clarté,  l'expansion  de  l'idée  mélodique  et  la 
forme  générale,  bien  que  la  sonorité  orchestrale  soit  parfois  excessive.  La 
dernière  partie,  avec  l'ensemble  des  choeurs  et  de  l'orchestre,  a  paru  très 
heureuse. 

—  Petite  citation  du  Trovatore  de  Milan,  dédiée  à  ceux  qui  s'en  vont 
sans  cesse  dénigrant  le  Conservatoire  de  Paris  :  «  A  l'Opéra  de  Paris 
vient  de  débuter,  dans  Sigurd,  un  nouveau  ténor  du  nom  de  Gautier,  élève 
du  Conservatoire,  et  les  journaux  en  disent  du  bien.  Prière  de  nous  dire 
quels  sont  les  artistes  qui  sortent  de  nos  si  nombreux  conservatoires  et 
qui  pourraient  affronter  la  scène  de  quelqu'un   de  nos  grands  théâtres?  » 

—  Sous  le  titre  de  Società  del  Liuto  il  vient  de  se  fonder  à  Florence  un 
nouveau  cercle  artistique.  S'agit-il  d'une  tentative  de  résurrection  du  luth, 
l'instrument  si  cher  à  nos  pères  —  et  à  nos  mères,  —  et  dont  la  vogue 
égalait  il  y  a  deux  et  trois  cents  ans  celle  du  théorbe  et  de  la  mandore, 
disparus  comme  lui?  Toujours  est-il  que  le  nouveau  cercle  doit  élre  inau- 
guré prochainement  par  un  grand  concert  auquel  prendront  part  M.  Mas- 
cagni,M'"'  Gemma  Bellinoioni  et  M.  Roberto  Stagno.  M.  Mascagni  a  même 
promis  d'écrire,  pour  cette  fête  inaugurale,  une  composition  qui  aura  pour 
titre  C Apothéose  du  luth. 

—  A  Bologne,  dans  une  soirée  brillante  donnée  par  M.  le  commandeur 
Carlo  Lo/.zi,  procureur  général  du  roi,  on  a  représenté  avec  succès  un  opéra 
en  un  acte,  Malala,  dont  le  poème  était  dû  à  un  avocat,  M.  Giovannini,  et 
la  musique  au  fils  même  du  magistrat,  le  docteur  Antonio  Lozzi.  Le  piano 


était  tenu  par  le  compositeur  en  personne,  le  principal  rôle  féminin  avait 
pour  interprète  l'épouse  de  l'auteur.  M""'  Giovannini-Zacchi,  et  les  per- 
sonnages masculins  étaient  représentés  par  le  ténor  Rossi  et  le  baryton 
Buti.  On  a  demandé  le  Us  de  l'ouvrage  entier. 

—  Nous  avons  dit  déjà  qu'un  des  ministres  actuels  du  cabinet  italien, 
M.  Gianturco,  était  un  compositeur  amateur  pratiquant.  Dans  une  soirée 
récemment  donnée  par  M"'"  ïeresina  Tua,  comtesse  Valetta,  ancien  pre- 
mier prix  du  Conservatoire  do  Paris,  cette  excellente  violoniste  a  exécuté 
une  sonate  pour  piano  ot  violon  de  M.  Gianturco,  qui  lui-même  tenait 
avec  habileté  la  partie  de  piano.  Une  jeune  cantatrice,  M"=  Maria  Vittoria 
Galzolaio,  a  chanté  avec  beaucoup  de  grâce  plusieurs  airs  anciens,  accom- 
pagnée par  le  mari  de  M"'°  Tua,  le  comte  Ippolito  Valetta,  qui  est  un  cri- 
tique musical  distingué. 

—  La  musique  n'adoucit  pas  toujours  les  mœurs.  Il  y  a  un  an  ou  deux, 
un  certain  Augusto  Cremonini,  marchand  de  musique  et  de  pianos  à 
Livourne,  avait  accompli  une  tentative  de  meurtre  sur  son  associé,  M.Vin- 
cenzo  Ferrigni,  avec  lequel  on  peut  croire  qu'il  n'était  pas  en  accord 
parfait.  Maintenant,  ses  affaires  se  trouvant  en  assez  piteux  état,  le  même 
individu  vient,  sans  y  réussir,  de  tenter  de  se  suicider  en  s'ouvrant  les 
veines  des  bras. 

— -Comme  on  l'avait  prévu,  la  direction  du  Théâtre  Royal  de  Madrid 
vient  d'être  confiée  à  M.  Zozaya,  celui-là  même  qui,  l'an  dernier,  à  la  mort 
de  M.  Rodrigo,  le  directeur  d'alors,  avait  pris  les  rênes  de  l'administration 
et  terminé  la  saison  à  la  satisfaction  générale. 

PARIS   ET   DÉPARTEIÏIENTS 

La  commission  supérieure  des  théâtres  s'est  réunie  à  l'Opéra,  cette 
semaine,  pour  examiner  la  situation,  au  double  point  de  vue  de  la  sécu- 
rité du  public  et  du  personnel.  L'intention  de  la  commission  serait,  dit- 
on,  d'exiger  la  stricte  exécution  des  prescriptions  édictées  en  1888  par 
ordonnance  préfectorale,  et  auxquelles  on  s'était  dérobéjusqu'à  ce  jour,  et 
les  commissaires,  qui  étaient  au  nombre  de  vingt-cinq  à  trente  environ, 
c'est-à-dire  presqu'au  complet,  se  sont  livrés  pendant  plus  de  deux  heures 
à  un  examen  approfondi  du  th.iàtre,  visitant  la  scène,  les  dépendances, 
les  dessous,  les  dessus,  la  coupole,  etc.,  guidés  par  M.  Gailhard,  qui  les  a 
obligeamment  accompagnés  partout.  M.  Lépine,  préfet  de  police,  prési- 
sident  de  la  commission  supérieure,  et  le  colonel  des  sapeurs-pompiers 
assistaient  aussi  à  la  visite.  La  commission  se  réunira  prochainement  â 
la  préfecture  pour  arrêter  les  termes  de  son  rapport  et  formuler  ses  desi- 
derata; nous  pouvons,  d'ores  et  déjà,  affirmer  ses  intentions  de  prescrire 
les  améliorations  suivantes  et  d'exiger  :  1"  une  canalisation  d'eau  permet- 
tant d'inonder,  en  cas  d'incendie,  toute  la  scène.  La  Ville  a  amené  la 
pression  d'eau  au  bas  de  l'Opéra,  il  ne  reste  plus  qu'à  la  distribuer.  Mais 
on  se  heurte  ici  aune  grosse  difficulté  :  la  scène  est  encombrée  de  décors. 
Si  toutes  ces  toiles  étaient  inondées  d'un  seul  coup,  le  poids  énorme  qui 
résulterait  de  cette  imbibitiou  —  il  ne  serait  pas  moindre  de  rinq  à  six 
millions  de  kilos  —  ébranlerait  les  murs  de  l'édifice  et  ferait  peut-être 
écrouler  la  coupole.  On  aurait  l'intention  de  trancher  la  question  en  ne 
permettant  le  séjour  sur  la  scène  que  des  décors  de  quatre  opéras;  2"  l'éta- 
blissement d'un  rideau  de  fer  destiné  à  séparer  la  scène  des  spectateurs 
en  cas  d'incendie  et  à  prévenir  ainsi  l'asphyxie  par  l'oxyde  de  carbone, 
ce  qui  s'est  produit  lors  de  l'incendie  de  l'Opéra-Comique;  le  rideau  ac- 
tuel est  en  fer  maillé,  tandis  que  l'ordonnance  exige  un  rideau  en  fer 
plein  ;  3°  une  installation  électrique  nouvelle.  Présentement,  l'Opéra  pro- 
duit lui-même,  dans  les  sous-sols  du  monument,  l'électricité  dont  il  a 
besoin,  et  il  approvisionne  même  le  Cercle  militaire.  Il  s'ensuit  que  l'Opéra 
est  soumis  à  une  constante  trépidation  que  l'on  considère  comme  de  na- 
ture à  préjudicieraumonument,  notamment  au  grand  escalier,  que  ces  vibra- 
tions incessantes  ébranlent.  On  désirerait  donc  voir  disparaître  l'installation 
présente;  4°  le  déblayement  des  dessous.  Actuellement,  les  dessous  de 
l'Opéra  sont  encombrés  par  les  parquets  que  l'on  établit  pour  les  bals.  En 
cas  d'incendie,  cet  amas  considérable  de  bois  très  sec  fournirait  au.x 
flammes  un  aliment  qui  développe)  ait  le  sinistre  dans  de  grandes  propor- 
tions ;  S"  une  installation  nouvelle  du  lustre.  L'installation  actuelle  est  la 
même  que  pour  l'éclairage  au  gaz;  le  lustre  est  mobile.  Il  pèse  8,000  kilos 
et  est  supporté  par  six  contrepoids  de  1.200  kilos  chacun,  masse  énorme 
qui  est  suspendue  sur  la  tête  des  spectateurs.  La  commission  supérieure 
des  théâtres  demandera  que  le  lustre  soit  fixé  au  plafond,  installation  qui 
existe  dans  la  plupart  des  théâtres.  Enfin,  la  commission  se  serait  aussi 
préoccupée  des  difficultés  d'entrée  et  de  sortie  de  l'amphithéâtre,  dont  la 
circulation,  en  cas  de  panique,  offrirait  un  certain  danger;  elle  voudrait 
des  portes  plus  larges  et  plus  commodes.  M.  Eugène  Deschapelles,  chef 
du  bureau  des  théâtres  au  ministère  des  beaux-arts,  qui  assistait  à  cette 
visite,  a  affirmé  l'intention  de  l'administration  de  consacrer  aux  amélio- 
rations demandées  les  fonds  de  réparations  disponibles,  quitte  à  demander, 
an  supplément,  les  crédits  nécessaires  pour  compléter,  s'il  y  avait  lieu. 

—  En  cette  fie  de  saison  M.  Carvalho  est,  comme  d'habitude,  la  proie 
des  auditions  d'opéras.  Il  a  entendu  l'Hôte,  de  MM.  Michel  Carré  et  Edmond 
Missa,  un  petit  drame  très  saisissant,  puis  la  Photis  de  MM.  Louis  Gallet 
et  Edouard  Audran.  Il  va  entendre  la  Dalila  de  M.  Paladilhe,  les  Pécheurs 
de  Saint- Jean  de  M.  Widor  (livret  d'Henri  Gain),  Caprice  de  roi,  de  M.  Paul 
Puget  (livret  de  M.  Armand  Dartois),  les  Guelfes  de  Godard,  le  Spahi  de 
M.  Lucien  Lambert,  et  bien  d'autres  encore.  Que  sortira-t-il  de  tout  cela? 
Voyez  et  choisissez,  mon  directeur. 


232 


LE  MÉNESTREL 


—  En  atlendant,  M.  Garvalho  porte  surtout  son  attention,  avec  la  reprise 
de  Don  Juan,  sur  )a  Cendrillon  de  M.  Massenet,  dont  la  distribution  est 
presque  arrêtée.  Il  semble  qu'on  pense  aussi  à  réorganiser  et  à  régénérer  le 
petit  corps  de  ballet  de  la  maison.  Du  moins  l'engagement  de  M"»  Jeanne 

-Lamolhe,  étoile  chorégrapbique  du  théâtre  de  la  Gaité,  semble  l'indiquer. 

—  Il  convient  de  signaler  le  très  grand  succès  de  M"=  Grandjean  à 
l'Opéra  dans  le  rôle  d'Eisa  de  Lohengrin.  Le  public  a  Tété  la  jeune  artiste 
d'un  bout  à  l'autre  de  la  rf présentation.  Cela  a  été  une  soirée  des  plus 
intéressantes. 

—  De  M.  Jules  Iluret,  du  Figaro  ;  «  Le  fils  o'un  sportsman  1res  connu  a 
obtenu,  il  y  a  quelques  jours,  une  audition  dès  directeurs  de  l'Opéra.  11 
s'est  fait  entendre  dans  le  grand  air  de  lu  Juive  et  y  a  révélé  des  qualités 
vocales  extraordinaires.  M.  Gailhard  se  montrait  enthousiaste  de  la  force 
et  de  l'étendue  inouïe  de  cette  voi.v.  Malheureusemenl,  le  futur  ténor  ne 
sait  rien  de  son  ari.  On  va  le  faire  entrer  au  Conservatoire  pour  commencer 
ses  études  de  solfège,  et  comme  il  a  vingt  quatre  ans  il  lui  faudra  une 
dispense  qu'on,  obtiendra  sûrement,  en  raison  des  dispositions  tout  à  fait 
miraculeuses  du  sujet.  Il  parait  en  effet  que  la  voi.x  de  ce  «  merle  blanc  » 
va  du  contre-/a  d'en  bas  au  rv  d'en  haut!  La  voi.\  de  Faure  augmentée  de 
celle  de  Duc!  On  espère  qu'après  deux  ans  d'études  au  Conservatoire,  ce 
gosier  sans  précédent  pourra  faire  à  lOpéra  des  débuts  qui  seront  à  coup 
sur  sensationnels.  " 

—  Les  concours  à  huis  clos  prenaient  fin  samedi  dernier,  au  Conserva- 
toire, par  la  séance  consacrée  à  l'acconip^ignemenl  au  piano.  Les  récom- 
penses ont  été  cette  année  peu  nombreuses,  une  seule  pour  chaque  se.xe. 
Pour  les  hommes,  un  second  prix  a  été  décerné  à  M.  Jumel;  pour  les 
femmes,  un  second  accessit  à  M"=  Louise  Lhote. 

Rappelons  que  c'est  demain  lundi  que  commence  la  série  dos  concours 
publics,  et  que  la  semaine  est  ainsi  occupée  :  lundi,  à  9  heures  :  contrebasse, 
alto,  violoncelle;  mardi,  à.  1  heure  :  chant  (hommes)  ;  jnercrfdi,  à  1  heure: 
chant  (femmes);  jeudi,  à  10  heures  :  harpe,  piano  (hommes);  vendredi,  à 
9  heures  :   tragédie,  comédie;  samedi,  k  i  heure  :  opéra-comique. 

—  M.  Saint-Siëns  est  en  ce  moment  à  Saint-Germain,  où  il  travaille  à 
son  nouveau  ballet,  les  Filles  d'Arles  (livret  de  M.  J.  Croze),  dont  la  première 
représentation  sera  donnée  au  théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles. 

—  On  est  vif  et  précipité  dans  le  Midi.  i\Iais  c'est  égal,  profiter  de  ce 
qu'on  est  d.î  Toulouse  pour  anno'.icer  tant  d'années  à  l'avance  la  mort  d'un 
artiste  comme  Francis  Planté,  c'est  aller  un  peu  vite  en  besogne.  Ainsi 
avait  fait  cependant  notre  ami  Salvayre  dans  le  Gil  Blas  de  cette  semaine, 
portant  la  tristesse  dans  le  cœur  je  tous  les  amis  du  célèbre  virtuose,  tris- 
tesse d'autant  plus  noire  que  l'étonnant  critique  n'enterrait  pas  précisément 
sous  des  fleurs  le  soi-disant  défunt.  Heureusement  Planté  est  toujours  là, 
solide  au  poste  et  bien  portant,  et  il  demeure,  n'en  déplaise  à  M.  Salvayre, 
le  plus  surprenant  virtuose  du  piano  que  nous  puissions  opposer,  en  France, 
aux  Rubinstein  et  aux  Liszt.  Ceux-ci  le  savaient  bien  et  étaient  les  pre- 
miers à  reconnaître  que  leur  émule  Planté  avait  des  qualités  qu'eux-mêmes 
ne  possédaient  pas  :  cette  clarté,  cette  pure  correction,  ce  charme  et  cette 
élégance  qu'on  ne  trouve  que  chez  nous.  Est-ce  donc  si  peu  de  chose  qu'on 
puisse  en  parler  avec  tant  de  désinvolture? 

—  Puisque  nous  parions  de  Planté  et  de  Rubinstein,  rappelons  le  joli 
propos  que  nous  tint  ce  dernier,  quand  nous  lui  demandâmes  pourquoi  il 
ne  mettait  plus  sur  ses  programmes  sa  fameuse  Valse-caprice  :  «  La  Valse- 
caprice  ?  ma  foi  non!  Je  n'ose  plus  l'aborder  après  ce  magicien  de  Planté. 
J'ai  l'air  d'un  éléphant  qui  veut  jouer  avec  des  fleurs.  J'écrase  où  Planté 
voltige  ». 

—  M.  0.  Lartigue,  secrétaire  général  de  l'Exposition  du  théiUre  et  de  la 
musique,  nous  prie  de  rappeler  aux  nombreux  collectionneurs  qui  ont  bien 
voulu  promettre  de  faire  figurer  des  objets  de  leurs  collections  dans  les 
sections  artistiques,  documentaire  et  rétrospective,  placée  sous  la  direction 
de  M.  Yveling  RamBaud,  que  le  moment  est  venu  de  faire  parvenir  ces 
objets  à  notre  confrère,  au  palais  de  l'Industrie,  porte  i,  ou  d'indiquer  le 
jour  et  l'heure  où  il  pourra  les  faire  prendre  chez  eux.  L'ouverture  de 
l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  est  toujours  fixée  au  23  juillet 
irrévocablement.  Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  sur  ce  sujet,  et  nous 
rendrons  compte  de  cette  intéressante  manifestation  artistique. 

—  Hier  samedi,  à  l'Exposition  de  Rouen,  festival  Saint-Saêns,  avec  le 
concours  de  M""'  Cbrétien-Vaguel,  de  M.  Vaguetet  de  M.  Notté,  de  l'Opéra, 
de  M""  Jenny  Passama  et  de  M.  Louis  Diémer.  Programme.  —  1"  partie  : 
la  Lijre  et  la  Harpe,  ode  symphonique,  poésie  de  Victor  Hugo,  i'  partie  : 
le  Rouet  d'Omphale.  —  4'  concerto  pour  piano.  —  Danse  macabre.  —  duo  de 
Samson  et  Dalila,  —  finale  du  ballet  d'Etienne  Marcel.  —  L'orchestre  et  les 
chœurs,  comprenant  cent  cinquante  exécutants,  sous  la  direction  de  M.  N. 
Brumenl. 

—  Lundi  dernier  a  eu  lieu  l'ouverture  du  Casino-club  de  Caulerets,  et  le 
maestro  Danhé,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  a  été,  la  soirée  entière, 
l'objet  d'acclamations  enthousiastes.  Ou  a  fait  recommencer  à  l'excellent 
orchestre  la  Parade  militaire  de  Massenet,  et  si  l'on  n'avait  craint  d'allon- 
ger démesurément  le  programme  on  en  aurait  fait  autant  pour  les  Airs  de 
danse  du  Roi  s'amuse  de  Delibes,  et  pour  le  Caprice  de  Saint-Saêns,  très  bien 


joué  par  iM.  Italiander.  Beau  succès  aussi  pour  M""  Brussac  et  M.  Claverie 
dans  le  duo  de  Sigurd  de  Reyer,  pour  M.  Claverie  dans  l'air  d'IIérodiado 
de  Massenet,  et  pour  M.  Bogny  dans  Pensée  d'automne  de  Massenet.  Tiès 
belle  soirée,  qui  laisse  deviner  combien  sera  brillante  la  saison  de  Cau- 
terets. 

—  Un  concours  aura  lieu  le  lundi  27  juillet  prochain,  à  deux  heures  du 
soir,  à  la  basilique  de  Saint-Denis,  pour  une  place  d'organiste-mallre  de 
chapelle  et  pour  deux  places  de  chantres.  S'adresser,  pour  tdus  renseigne- 
ments et  inscriptions,  chiz  M.  Clovis  Floquel,  trésorier,  110,  rue  de  Paris, 
à  Saint-Denis. 

—  M"°  Ilortense  Parent  vient  de  publier,  chez  l'éditeur  Thauvin,  le  texte 
des  deux  conférences  fort  intéressantes  qu'elle  a  faites  à  la  Sorbonne,  avec 
le  succès  que  l'on  sait,  sur  l'inseignemect  du  piano.  Elle  a  dédié  son 
opuscule  à  M.  Gréard,  membre  de  l'Académio  française. 

—  Chez  M'""  Audousset,  à  Neuilly,  très  brillante  matinée  musicale.  Les 
élèves  ont  toutes  très  bien  joué.  Citons  parmi  les  morceaux  les  plus 
applaudis  la  Sicilienne  de  Lack,  les  airs  de  ballet  de  Sijlvia  de  Léo  Delibes, 
etc.  Réunion  très  intéressante. 

NÉCROLOGIE 

Les  lettres  ont  fait  celte  semaine  une  perte  sensible.  Le  dernier  survivant 
des  frères  de  Concourt,  Edmond,  est  mort  mercredi  dernier,  subitement 
à  Ghamprosay,  chez  M.Alphonse  Daudet,  où  il  allaitchaque  année  passer 
quelques  semaines.  Il  était  âgé  de  74  ans.  Nous  ne  saurions  décrire  ici 
la  carrière  littéraire,  à  la  fois  très  curieuse,  très  intéressante  et  très  iné- 
gale de  cet  écrivain  qui  avait  du  moins  le  respect  et  le  souci  le  plus 
absolu  de  la  profession  littéraire.  Nous  nous  bornerons  :i  rappeler  qu'il 
s'occupa  quelque  peu  de  théâtre  et  qu'il  fit  représenter  plusieurs  pièces 
dont  voici  les  titres  :  Henriette  Maréchal  {Comédie-FrULVça^ise);  Germini',  Lacer- 
ie«x(Odéon);  Manette  Salomon  (Vaudeville);  A  bas  le  progrès  et  la  Patrie  est  en 
danger  (Théâtre-Libre).  A  l'aurore  de  leur  carrière,  les  deux  frères  de 
Concourt  avaient  publié,  en  société  avec  leur  ami  le  comte  de  ViUedeuil 
(qui  signait  :  Cornélius  Hoff),  un  volume  intitulé  les  Mystères  des  théâtres,  qui 
était  une  revue  critique  de  la  production  théâtrale  en  I.S52. 

—  C'est  avec  une  véritable  tristesse  que  nous  annonçons  la  mort  pres- 
que subite  d'im  des  deux  frères  Lionnet,  Anatole,  enlevé  jeudi  dernier  par 
une  angine.  La  génération  présente  u'a  pas  connu  ces  deux  aimables  ju- 
meaux, d'une  ressemblance  si  prodigieuse,  qui  firent  pendant  un  quart 
de  siècle  la  joie  des  grands  salons  parisiens,  mais  qui,  depuis  déjà  plus  de 
dix  ans,  s'étaient  réduits  au  silence.  Petits  de  taille,  de  tournure  élégante, 
les  yeux  et  les  cheveux  noirs,  doués  chacun  d'une  voix  un  peu  faible, 
mais  caressante  et  bien  conduite,  ils  chantaient  avec  un  goùl  véritable 
des  romances  que  bien  des  musiciens  écrivaient  pour  eux,  et  aussi  des 
duos  dans  lesquels  leurs  voix  se  mariaient  de  la  façon  la  plus  harmonieuse 
et  la  plus  charmante.  Il  fut  un  temps  où  il  ne  se  donnait  pas  un  concert, 
pas  une  soirée  un  peu  distinguée  sans  que  «  les  Lionnet  »  soient  de  la 
partie.  Inséparables  d'ailleurs,  on  ne  voyait  jamais  Anatole  sans  Hippolyte 
ou  Hippolyte  sans  Anatole.  Et  ils  n'étaient  pas  seulement  des  artistes 
aimables  et  distingués  ;  ils  étaient  des  gens  de  cœur  qui,  au  temps  de  leurs 
grands  succès,  mettaient  à  profit  leur  gentille  renommée  pour  saisir  toutes 
les  occasions  d'être  utiles  à  aulrui.  Non  seulement  ils  ne  réfusaient  jamais 
leur  concours  à  qui  en  avait  besoin,  mais  ils  venaient  spontanément  en 
aide  à  toutes  les  infortunes  artistiques,  et  l'on  se  rappelle  la  peine  qu'ils 
prirent  pour  organiser  de  superbes  représentations  au  bénéfice  de  Frédérik 
Lemaître,  de  Rouvière,  de  Renard,  et  de  bien  d'autres.  C'est  eux  aussi  qui, 
régulièrement,  chaque  année,  organisaient  à  Bicêtre  et  à  la  Salpétrière 
une  petite  fête  musicale  touchante  qui  faisait  la  joie  des  pauvres  fous  et 
des  pauvres  folles  et  qui  leur  procurait  deux  heures  d'oubli  et  d'une  sorte 
d'extase  délicieuse.  Justement,  il  y  a  quelques  jours  à  peine,  au  concert 
qu'ils  avaient  monté  à  la  Salpétrière,  Anatole  était  obligé  d'expliquer  l'ab- 
sence de  son  frère,  qui  était  malade...  et  c'est  lui  qui  est  parti  pour  ne  plus 
revenir  !  et  c'est  lui  qu'on  a  conduit  hier  à  sa  dernière  demeure  !  Tous  celix 
qui  ont  connu  les  deux  frères  donneront  un  souvenir  à  celui  qui  n'est  plus, 
sans  avoir  l'espoir  de  consoler  celui  qui  reste.  A.   P. 

—  On  annonce  de  Milan  la  mort  de  M.  Raffaéle  Parravicini  qui  fut, 
pendant  plusieurs  années,  critique  théâtral  du  journal  il  Sccolo.  Lettré  dis- 
tingué, bon  musicien  et  s'occupant  aussi  de  peinture,  il  était  auteur  de 
plusieurs  livrets  d'opéras,  et  il  avait  composé  la  musique  d'un  certain 
nombre  de  romances  ainsi  que  celle  de  quelques  opérettes,  entre  autres 
une  opérette  en  dialecte  milanais,  i  Disgrazzii  del  sur  Sprella,  qui  avait  ob- 
tenu un  succès  mérité. 

IIenki  Heugel,  directeur-gérant. 

JEUNE  MUSICIEN  HOLLANDAIS,  directeur  d'un  grand  orchestre 
en  Hollande,  compositeur  de  dilléientes  opérettes,  cherche,  pour  tout  de 
suite  ou  pour  plus  tard,  place  comme  directeur  de  concerts  ou  d'opére/Zes.  Certi- 
ficats de  premier  ordre.  Offres  à  la  Soc.  anon. 

DE  NIEUWE  MUSIEKHANDEL 
AMSTERD.'VM 


Uiiilunche  26  Juillet  1896. 


im.  —  62""=  mm  —  iv  3o.        parait  tous  les  dimanches 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTR 


MUSIQUE    ET    THÉj^lTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Cn  on,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  ProTince.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  première  salle  Favart  et  rOpéra-Comique,  4'  partie  (12'  article),  Arthur 
PouGEN.  —  II.  A  Bayreulh,  JulienTieusot.  —  III.  Les  concours  du  Conservatoire, 
Arthur  Poucin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 
St  JE  SAVArS 
mélodie  de  Louis  Diémer,  poésie  de  Henri  Becque.  —  Suivra  immédiate- 
ment ;  St  vous  étiez  fleur,  mélodie  de  Depret,  poésie  de  Jacques  Normand. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piano  :  Bras  dessus  bras  dessous,  de  Paul  "Wachs.  —  Suivra  immédiatement  : 
Un  Rêve,  de  Ck.  Neustedt. 


LA   PREMIERE    SALLE    FAVART 

et 
L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


QUATRIEME  PARTIE 

(Suite) 

II 

Un  iwufel  incendie,  celui  du  Vaudeville,  vient  compliquer  ta  situation.  Trois 
théâtres  se  trouvent  alors  sam  asile  :  le  Thédtre-Ilalien,  réfugié  provisoi- 
rement à  l'Odéon;  l' Opéra-Comique,  provisoirement  à  la  Bourse;  et  le 
Vaudeville,  provisoirement  au  boulevard  Bonne-Nouvelle.  —  Ce  dernier 
s'assun  par  un  bail  de  la  possession  de  la  salle  de  la  Bourse,  occupée  par 
l'Opfra-Comicjue,  et  l'on  se  demande  ce  que  deviendra  celui-ci.  —  Le  minis- 
tère se  décide  enfin  à  mettre  en  adjudication  les  travaux  de  reconstruction 
de  la  salle  Favart.  Les  Chambres  volent  une  loi  à  cet  effet,  l'adjudication 
est  prononcée  au  nom  des  directeurs  de  l' Opéra-Comique,  et  au  bout  de 
huit  mois  le  théâtre  est  complètement  réédifiè.  —  Le  16  mai  1840  a  lieu 
l'inauguration  de  la  nouvelle  salle  Favart,  avec  le  chef-d'œuvre  de  son 
répertoire,  le  Pré  aux  Clercs.  —  La  crise  est  terminée,  l' Opéra-Comique 
est  chez  lui! 

La  question  restait  donc  entière,  et  tout  était  à  recom- 
mencer. Un  événement  nouveau  allait  lui  donner  un  dernier 
degré  d'acuité  et  la  compliquer  d'une  étrange  façon.  Dans  la 
nuit  du  47  au  18  juillet  1838,  six  mois,  presque  jour  pour 
jour,  après  l'incendie  et  la  destruction  de  la  salle  Favart, 
un  autre  Ihéâtre,  celui  du  Vaudeville,  situé  alors  rue  de 
Chartres-Sain  t-Honoré  et  dont  le  directeur  était  Etienne  Arago, 
disparaissait  à  son  tour  dans  les  flammes,  qui  le  dévoraient 
sans  qu'il  en  restât  vestige.  Nous  allons  voir  quel  nouvel  et 


singulier  élément  de  trouble  cet  événement  allait  introduire 
dans  cette  question  déjà  si  troublée  de  l'Opera-Gomique,  à 
laquelle  pourlaot  rien  ne  semblait  devoir  le  rattacher  (I). 

En  attendant,  les  projets  continuaient  d'aller  leur  train.  Au  - 
mois  de  septembre,  les  journaux  annonçaient  comme  très 
sérieuse  une  combinaison  nouvelle  qui  consistait  dans  la 
fusion  définitive  de  l'Opéra  et  du  Théâtre-Italien,  réunis  tous 
deux  dans  la  salle  de  l'Opéra  et  sous  la  direction  de  Du- 
ponchei,  déjà  directeur  de  ce  dernier,  cette  fois  avec  Louis 
Viardot  comme  associé.  Il  faut  croire  pourtant  que  ce  projet 
fut  de  nouveau  et  vite  abandonné,  car,  le  4  octobre,  les  Italiens 
faisaient  leur  réouverture  hivernale  dans  la  salle  de  l'OJéon, 
théâtre  alors  en  déconfituie,  et  leur  apparition,  ou  plutôt 
leur  réapparition  sur  un  point  de  Paris  si  éloigné  de  leur 
clientèle  ordinaire,  ne  semblait  pas  leur  porter  tort,  à  en 
juger  par  ce  compte  rendu  : 

Ce  n'a  pas  été  un  médiocre  événement  dans  le  quartier  voisin  du 
Luxembourg  que  l'ouverture  duThéâtre-Ilalien  à  la  salle  de  l'Odéoû. 
Vers  sept  heures  du  soir,  la  rue  qui  y  conduit,  la  place  et  les  envi- 
rons qui  l'entourent  étaient  garnis  de  curieux,  les  uns  aux  portes 
des  boutiques,  les  autres  se  tenant  sur  les  trottoirs,  et  tous  regardant 
lis  deux  files  de  voitures   qui  s'avançaient   avec   lenteur   vers   les 

(1)  «  1S  Juillet  4S3S.  —  Le  Vaudeville  avait  donné  hier  soir  les  Impressions  de 
voyage,  Arthur  et  Lvslucru,  trois  pièces  dont  la  mise  en  scène  ne  devait  olTrir 
aucune  chance  d'inquiétude.  A  minuit,  les  pompiers  avaient  fait  leur  rondo 
accoutumée,  et  aucun  indice  d'incendie  ne  s'était  révélée,  quand,  à  trois  heures 
du  matin,  l'un  des  trois  pompiers  de  garde  dans  la  salle  sentit  tout  à  coup 
une  légère  odeur  de  brûlé,  qui  semblait  partir  des  combles  situés  au-dessus 
de  la  salle,  dans  la  direction  du  lustre.  Il  se  dirigea  vers  ce  point,  et  ayant 
eu  la  présence  d'esprit  d'abaisser  en  passant  le  rideau,  qui  élalt  levé  comme 
d'habitude,  U  se  dirigea  vers  le  point  d'où  l'odeur  s'était  exhalée.  Mais  déjà 
tout  était  en  feu  dans  les  combles,  et  rebroussant  chemin  au  plus  vite,  il  alla 
prévenir  ses  camarades.  Au  même  moment,  réveillé  par  les  cris  d'alarme  qu'on 
poussait  au  dehors,  et  surtout  par  la  fumée  qui  avait  gagné  son  appartement, 
M.Barthe,  le  caissier,  qui  couchait  près  du  théâtre  avec  sa  femme  et  sa  domes- 
tique, s'élança  à  la  hâte  dans  les  coulisses,  et,  trouvant  le  rideau  baissé,  il 
appliqua  l'œil  à  l'une  des  lunettes  de  la  toile,  et  aperçut  avec  terreur  une  pluie 
de  feu  qui  tombait  au  milieu  de  la  salle.  Quani  au  lustre,  il  était  à  demi  brisé, 
la  corde  qui  le  retenait  aux  combles  ayant  été  probablement  divisée  par  l'etret 
delà  combustion.  L'incendie  avait  donc  commencé  dans  les  combles;  mais  rien 
n'indiquait  la  première  cause  de  ce  terrible  événement. 

Quinze  personnes  habitaient  l'édifice  incendié,  et,  par  un  bonheur  inouï, 
aucune  d'elles  n'a  péri.  Ainsi  réveillé  en  sursaut,  M.  Barlhe  a  eu  le  temps  de 
sauver  sa  femme  et  sa  bonne,  et  de  donner  l'éveil  au  concierge,  à  sa  femme  et 
à  sa  fille,  qui  se  sont  levés  à  la  hite  et  ont  pu  gagner  la  rue  avant  que  lallamme 
les  eût  atteints.  Quant  à  M.  Mahret,  le  propriétaire  du  café  du  Vaudeville,  après 
avoir  mis  en  lieu  de  sûreté  sa  femme  et  sa  fllle,  il  est  parvenu,  aidé  de  quel- 
ques voisins  et  de  ses  deux  garçons,  à  sauver  les  glaces  de  son  établissement 
qui  ont  été  transportées  sur  la  place  du  Palais-Royal. 

Il  paraîtrait,  d'après  les  bruils  recueillis  sur  le  théâtre  même  du  sinistre,  que 
de  l'atelier  des  peintres  le  feu  s'est  rapidement  communiqué  à  l'atelier  do 
menuiserie;  les  llammes  ont  gagné  le  cintre  du  théâtre  et  toute  la  partie 
supérieure  de  l'édifice. 

La  caisse  et  les  registres  ont  pu  être  sauvés  ;  mais  beaucoup  d'artistes  ont 
fait  des  pertes  considérables.  On  cite  entre  autres  MM.  E.  Taigny,  Uippolytc, 
M'"' Bail  hasard  et  Albert.  Quant  aux  décors,  ils  ont  tous  été  consumé.''...  » 
'Lesur  :  Annuaire  hkl/riqua,  pour  1838.) 


^34 


LB  MÉNESTREL 


portes  du  théâtre.  Au  fond,  l'arrivée  de  deux  ou  trois  arrondisse- 
ments de  Paris  venant  rendre  visite  à  l'un  des  quartiers  dont  ils  sont 
le  plus  éloignés  est  un  événement  qui  n'est  pas  indifférent,  puisque, 
sans  parler  du  bruit,  du  mouvement  et  des  scènes  variées  et  inatten- 
dues que  celle  transfusion  accidentelle  d'un  quartier  dans  un  autre 
amène,  il  peut  encore  aider  à  faire  répartir  plus  également  l'activité 
et  l'existence  dans  notre  grande  ville  de  Paris... 

A.  en  juger  par  l'empressement  que  les  dilettantes  ont  mis  à  se 
procurer  des  loges  et  des  stalles,  et  au  mouvement  que  se  sont 
donné  les  amateurs  afin  d'obtenir  des  billets  pour  l'ouverlure,  on  peut 
dire  que  jusqu'ici  le  changement  de  quartier  n'a  produit  aucun 
eflel.  Mardi  dernier  on  a  donné  pour  la  première  représentation  de 
celte  saison  musicale  Otello,  opéra  de  Rossini,  dans  lequel  ont  reparu 
la  plupart  des  virtuoses  italiens  que  l'on  entend  avec  tant  de  plaisir 
depuis  plusieurs  années.  M"'  Grisi,  ainsi  que  Rubini,  Tamburini  et 
Lablache,  ont  successivement  obtenu,  h  mesure  qu'ils  sont  entrés  en 
scène,  les  félicitations  et  les  applaudissements  du  public... 

Il  y  a  à  peu  près  vingt-quatre  ans  que  des  acteurs  italiens  n'avaient 
chanté  sur  le  théâtre  de  l'Odéon.  Mardi  dernier,  lorsqu'ils  y  ont 
reparu,  un  assez  petit  nombre  de  ceux  des  amateurs  qui  ont  assisté 
aux  anciennes  représentations  a  pu  se  trouver  à  cette  dernière...  Au 
nombre  des  spectateurs  présents  à  l'ouverture  de  la  saison  de  1838, 
se  trouvait  M™"  Grassini,  qui  tant  de  fois,  sur  la  scène  qu'elle  regar- 
dait hier,  nous  a  si  vivement  émus,  il  y  a  vingt  ans,  par  le  concours 
de  sa  voix  et  de  son  jeu,  dans  les  Horaces  de  Cimarosa  et  dans  le 
Roméo  de  Zingarelli  (1). 

Mais  la  question  de  l'Opéra-Comique  et  de  la  reconstruc- 
tion de  la  salle  Favart  continuait  de  préoccuper,  on  pourrait 
dire  de  passionner  la  presse  et  le  public,  qui  ne  comprenait 
rien  à  l'inertie  de  l'administration  et  à  un  retard  si  préjudi- 
ciable à  ses  plaisirs.  Ce  retard  avait  réveillé  les  convoitises 
des  propriétaires  de  Ventadour,  enragés  dans  leur  entêtement, 
et  ceux-ci  recommençaient  à  réclamer,  comme  s'il  leur  était 
réellement  dû,  le  retour  de  l'Opéra-Comique  dans  leur  salle, 
louée  pourtant  par  eux  au  nouveau  théâtre  de  la  Renais- 
sance, qui  y  faisait  son  ouverture  le  8  novembre  1838  avec  le 
Ruy-Blas  de  Victor  Hugo.  Un  journal  croyait  alors  pouvoir 
avancer  à  ce  sujet  que  si,  par  impossible,  leur  réclamation 
était  admise,  il  en  résulterait  «  une  combinaison  qui  place- 
rait le  Théâtre-Italien  à  Favart,  l'Opéra-Comique  à  la  salle 
Ventadour  et  la  Renaissance  à  la  place  de  la  Bourse.  » 

C'est  ici  que  la  question  se  complique  de  la  situation  du 
Vaudeville  incendié  et  de  son  intervention  dans  une  affaire 
que  chaque  jour  semblait  venir  embrouiller  à  plaisir.  Lorsque 
le  Vaudeville,  détruit  par  le  feu  et  ne  pouvant,  j'ignore  pour 
quelle  raison,  se  réédifler  sur  l'emplacement  qu'il  occupait 
depuis  près  d'un  demi-siècle,  s'était  vu  sans  asile,  il  avait, 
naturellement,  cherché  les  moyens  de  se  rétablir  ailleurs.  Le 
ministère  lui  avait  proposé  tout  d'abord,  aux  Champs-Elysées, 
un  terrain  qu'il  avait  très  judicieusement  refusé,  jugeant 
avec  raison  l'endroit  peu  favorable  au  succès  d'une  exploita- 
tion théâtrale.  Il  fut  alors  question  successivement  de  la 
transporter  rue  Traversière,  puis  rue  Grange-Batelière,  puis 
au  Cloître  Saint-Honoré.  Pendant  ce  temps,  néanmoins,  il 
avait  pris  un  logis  provisoire  boulevard  Bonne-Nouvelle,  à 
côté  du  Gymnase,  et  s'était  installé  là  dans  le  local  d'un 
café-spectacle  dont  les  alTaires  n'étaient  pas  très  florissantes 
et  qu'il  avait  fait  aménager  à  son  usage.  Mais  ceci  ne  pouvait 
être  qu'un  expédient  momentané,  et  il  songeait  plus  sérieu- 
sement que  jamais  à  retrouver  et  à  s'assurer  une  demeure 
définitive. 

C'est  vers  le  milieu  de  janvier  1839  qu'il  avait  pris  posses- 
sicin  de  cet  abri  temporaire.  Tout  à  coup,  au  bout  d'un  mois, 
le  public  apprend  avec  une  surprise  mêlée  de  stupeur  que  le 
Vaudeville  est  sur  le  point  de  déposséder  l'Opéra-Comique 
de  la  salle  que  celui-ci  occupe  à  la  place  de  la  Bourse,  et 
qu'il  a  signé  le  bail  de  la  location  de  cette  salle.  Or,  si  le 
public  aimait  le  Vaudeville,  il  lui  préférait  encore  l'Opéra- 
Comique,  et  il  se  demandait  ce  qu'allait  définitivement  de- 
venir ce  dernier  et  s'il  allait  enfin  disparaître  dans  la  tour- 
mente. 

(1)  Lesur:  Annuaire  historique. 


Devant  cette  nouvelle  imprévue,  les  journaux  recommen- 
cèrent à  s'occuper  avec  ardeur  de  la  question,  et  l'un  d'eux, 
à  cette  époque  généralement  bien  informé,  la  Revue  et  Gazelle 
des  Théâtres,  crut  devoir  calmer  en  ces  termes  des  alarmes  qu'il 
croyait  trop  vives  : 

Un  journal  publiait,  dans  un  de  ses  derniers  numéros,  les  lignes 
suivantes,  à  propos  de  l'Opéra-Comique  et  de  la  reconstruction  de  la 
salle  Favart: 

«  L'Opéra-Comique  est  placé  dans  une  étrange  situation  par  l'or- 
gueilleuse maladresse  de  ses  directeurs.  Croyant  forcer  la  main  à 
l'autorité  dont  ils  attendaient  la  permission  de  rebâtir  la  salle  Favart, 
ces  messieurs  ont  laissé  louer  la  leur  au  Vaudeville.  Le  bail  est  passé 
pour  cinquante  années,  qui  doivent  commencer  en  avril  ou  mai  1840. 
De  sorte  que,  d'ici  à  cette  époque,  si  l'Opéra-Comique  n'a  pas  trouvé 
un  asile,  il  couchera  dans  la  rue.  Ce  qui  donne  lieu  de  le  croire,  c'est 
que  la  salle  des  Bouffes  ne  sera  pas  reconstruite  parles  deux  associés 
susdits  ;  le  pouvoir  en  a  senti  tous  les  périls,  il  a  vu  que,  par  ce  fait, 
le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  serait  rayé  de  la  liste  des  vivants.  Des 
mesures  plus  prudentes,  plus  en  rapport  avec  notre  dignité  nationale, 
seront  prises  aussitôt  que  les  circonstances  le  permettront.  Mais  où 
sera  l'Opéra-Comique  1  » 

Nous  devons  répondre  aux  faits  allégués  dans  les  lignes  précé- 
dentes, et  qui  sont  de  nature  à  alarmer  et  les  auteurs  et  les  artistes 
dont  l'existence  est  attachée  à  celle  de  l'Opéra-Comique. 

Nous  dirons  d'abord  qu'il  n'a  jamais  été  question  de  refuser  à 
l'Opéra-Comique  la  salle  des  Bouffes,  et  que  tout  fait  présumer,  au 
contraire,  que  celte  mesure,  qui  est  un  acte  de  justice,  ainsi  que 
nous  l'avons  prouvé  par  des  faits  dans  plusieurs  articles,  sera  adoptée. 
La  place  des  Bouffes  est  à  l'Odéon,  et,  sans  aucun  doute,  ils  y  res- 
teront . 

Il  est  vrai  cependant  que  la  salle  de  la  Bourse  est  louée  à  la  direc- 
tion du  Vaudeville,  qui  espère  l'occuper  en  septembre.  Mais,  dans  le 
cas  même  où,  contre  toute  attente,  les  Chambres  n'autoriseraient  pas 
la  reconstruction  de  Favart  par  MM.  Cerfberr  et  Crosnier,  et  dans  le 
cas  où  l'Opéra-Comique  ne  serait  pas  réintégré  à  Favart,  il  ne  serait 
point  pour  cela  exposé  à  >-estei-  daru  la  rue.  Toutes  les  chances  ont  été 
prévues  par  la  direction  de  l'Opéra-Comique,  qui  a,  dès  cet  instant, 
à  sa  disposition,  un  terrain  parfaitement  situé,  terrain  dont  elle  use- 
rait, dès  l'instant  où  les  Chambres  n'adhéreraient  pas  à  son  vœu. 

Ainsi,  tous  les  intérêts  sont  garantis  (1). 

Le  même  journal  revenait  sur  ce  sujet  dans  son  numéro 
suivant  (21  février),  et  disait  de  nouveau  :  —  «  La  salle  de 
la  Bourse  n'est  louée  au  Vaudeville  que  pour  l'an  18i0 
et  les  Chambres  se  seront  prononcées  sur  la  proposition 
de  M.  Crosnier  dans  la  prochaine  session.  Si  la  proposi- 
tion est  accueillie,  l'on  reconstruira  Favart,  si  elle  est  rejetée, 
l'on  élèvera  le  nouveau  théâtre.  Pour  l'une  ou  l'autre  de 
ces  constructions,  l'on  aura  une  année,  ce  qui  est  certes 
bien  suffisant,  et  ainsi  l'Opéra-Comique  ne  quittera  la  place 
de  la  Bourse  que  lorsque  sa  nouvelle  résidence  sera  prête 
à  le  recevoir.  » 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


A    BAYREUTH 


Voilà  tout  juste  vingt  ans  que,  sur  la  colline  qui  domine  la  petite 
ville  franconienne,  s'ouvrit  le  théâtre  promis  à  une  si  grande  desti- 
née. Point  n'est  besoin  do  rappeler  par  quelles  sortes  de  commen- 
taires s'exprima  d'abord  l'étonnement  d'une  entreprise  si  audacieuse. 
Cependant  toutes  les  résistances  ont  été  successivement  vaincues, 
et  Bayreuth  est  le  point  lumineux  vers  lequel  sont  attirés  aujourd'hui 
les  regards  du  monde  entier.  Pour  célébrer  un  tel  anniversaire  l'on 
a,  pour  la  première  fois,  remis  à  la  scène  l'œuvre  colossale  qui  n'avait 
pu  être  révélée  que  dans  ce  lieu  d'exception,  et  qui  cependant,  après 
une  seule  série,  avait  cessé  d'y  être  représentée  :  la  tétralogie  de 
l'Anneau  du  Nibelung. 

Je  n'ai  point  vu  Bayreuth  en  1876;  j'imagine  cependant  que  la  phy- 
sionomie des  représentations  et  de  la  ville  môme  s'est  fort  modifiée 
depuis  ce  temps.  D'autres,  plus  anciens,  nous  ont  raconté  leurs  im- 
pressions d'alors.  «  Ce  fut  vraiment  une  vie  inimitable  que  celle  qu'on 
mena    à    Bayreuth    au    mois    d'août    1876    »,    écrivait    récemment 

(1)  Revue  el  Guzetledes  Théâtres,  17  février  1839. 


LE  MENESTREL 


23S 


M.  Gabriel  Monod,  évoquaDt  les  souvenirs  de  la  ferveur  véritable 
avec  laquelle  un  auditoire  biendiflférent  de  celui  d'aujourd'hui  assisla 
à  la  révélation  du  chef-d'œuvre  de  l'art  nouveau  (1).  Depuis  ce  temps^ 
l'œuvre  de  Wagner  s'est  vulgarisée,  et  ceux  qui,  nagu'jre,  manifes- 
taient de  la  méfiance,  sont  les  premiers  à  accourir  et  à  crier  que 
cela  est  beau,  comme  dit  le  personnage  de  Molière,  «  avant  que  les 
chandelles  soient  allumés  ».  En  effet,  jamais  la  foule  cosmopolite 
n'a  été  plus  grande  à  Bayreuth  que  cette  année.  Les  Français  y  for- 
ment un  contingent  plus  que  respectable  :  on  assure  que,  pour  l'en- 
semble de  la  saison,  quinze  cents  places  environ  ont  été  louées  par 
la  France,  c'est-à-dire  environ  un  quart  des  places  disponibles  pour 
les  cinq  séries!  Même,  ce  n'est  pas  seulement  dans  la  salle  que  sont 
les  Français,  mais  pour  la  première  fois  deux  artistes  parisiens  pren- 
nent part  à  l'exécution  de  Bayreuth  :  M.  Edouard  Risler,  le  jeune  et 
éminent  pianiste  sorti  naguère  de  noire  Conservatoire,  a  rempli  des 
fonctions  de  chef  de  chant  aux  répétitions,  et  M.  Friedrich,  premier 
violon  à  la  Société  des  Concerts,  a  pris  place  au  même  pupitre  dans 
l'orchestre  caché. 

Ce  n'est  pas  dans  une  simple  correspondan<;e  que  je  puis  songer  à 
étudier  une  œuvre  aussi  complexe,  aussi  différente  de  tout  ce  qui 
avait  été  fait  antérieurement,  et  qui  soulève  de  si  nombreux  problèmes. 
Je  me  bornerai  donc  aujourd'hui  à  noter  les  impressions  générales 
ressenties  au  cours  de  celle  quadruple  représentation. 

Dimanche  19  juillet.  —  Das  Rheingold  (l'Or  du  Rhin). 

Les  trompettes  ont  rassemblé  le  public  dans  la  salle  par  la  courte 
et  incisive  fanfare  qui  forme  le  motif  de  Donner,  le  dieu  des  élé- 
ments. Un  dernier  appel  résonne,  desliné  à  stimuler  les  retardataires, 
mais  il  n'y  en  a  aucun:  chacun  est  à  sa  place;  l'on  s'assied  silen- 
cieusemeut,  et  ce  petit  fiissou  qui  précède  toujours  l'attente  des 
grandes  choses  court  dans  l'auditoire...  La  nuit  se  fait,  et  la  note 
grave  des  basses  résonne  avec  une  profondeur  mystérieuse.  Le  pré- 
lude se  déroule  avec  des  scintillements  de  sonorité  merveilleux  : 
c'est  bien  là  qu'il  faut  l'entendre,  estompé  par  l'éloiguemeut,  atténué 
par  la  cloison  de  l'orchestre,  et  non  à  découvert,  comme  dans  nos 
concerts.  Le  lideau  s'ouvre,  et  l'on  voit  le  fond  du  Rhin,  avec  les 
trois  ondines  qui  nagent  en  disant  leur  chant  onduleux.  La  lumière 
est  parfaitement  réglée,  les  mouvements  des  nageuses  réglés  de  façon 
à  produire  la  plus  complète  illusion;  les  voix  sont  belles  et  harmo- 
nieuses ;  le  gnome  Albérich  leur  répond  avec  une  rude  énergie  : 
bref,  dès  cette  première  scène,  nous  sommes  introduits  sans  effort, 
et  de  la  façon  la  plus  complète,  en  ce  milieu  mystique  dans  lequel 
l'œuvre  se  développe  pendant  quatre  jours. 

Les  dieux  du  Walhalla  apparaissent  sur  leur  montagne  fleurie, 
tandis  qu'au  loin  se  dresse  leur  burg  tout  neuf.  Les  épisodes  divers 
se  succèdent,  pleins  de  mouvement,  de  fougue,  de  fantaisie,  d'ima- 
gination. Ce  prologue  de  la  grande  œuvre  épique  n'est,  en  effet, 
qu'une  comédie  ;  les  dieux  qui  y  jouent  leur  rôle  sont  loin  d'avoir  la 
majesté  que  conservent  toujours  les  dieux  de  l'Olympe  :  ce  sont  des 
hommes,  beaucoup  plus  proches  de  nous,  et  ne  cherchant  à  cacher 
leurs  fautes  et  leurs  vices  sous  aucun  dehors  d'apparat.  La  musique 
a  des  coins  charmants  et  ingénieux  :  parfois  elle  est  si  fine  qu'elle 
se  perd  dans  la  grande  salle  et  sous  la  cloison  de  l'orchestre.  Mais  à 
la  fin  elle  retrouvera  toute  sa  puissance.  Donner,  de  son  marteau,  ras- 
semble les  éléments,  l'éclair  jaillit,  l'arc-en-ciel  est  le  pont  qui  ser- 
vira à  conduire  les  dieux  dans  leur  nouveau  palais;  toutes  les  voix 
de  l'orchestre  se  combinent  en  une  resplendissante  symphonie  des- 
criptive. Et  c'est  la  preuve  d'un  art  admirable  que  cette  idée  d'avoir 
encadré  ce  beau  conte  de  fées  entre  deux  tableaux  de  nature  mer- 
veilleusement décrits:  le  fond  du  Rhin,  avec  ses  transparences  fan- 
tastiques, et  l'orage  par  l'effet  duquel  les  dieux  peuvent  pénétrer  dans 
leur  hautaine  demeure. 

Lundi  20  juillet.  —  Die  Walkure  (la  Valkyrie). 

Le  deuxième  acte  de  }a  Valkyrie,  si  décrié,  nous  a  révélé  des  im- 
pressions tout  à  fait  neuves  :  cela  se  conçoit,  car  on  peut  dire  que, 
sous  sa  véritable  forme,  il  nous  était  à  peu  près  inconnu.  Je  conçois 
que,  dans  l'œuvre  considérée  comme  un  opéra  isolé,  le  long  récit  de 
Wotan  à  Brilnhilde  puisse  être  jugé  comme  une  sorte  de  superféta- 
lion.  Les  amours  de  Siegmund  et  de  Sieglinde,  qui  ne  sont  qu'un 
simple  épisode,  ainsi  que  le  châtiment  de  Brtinhilde,  deviennent 
dès  lors  l'œuvre  entière,  et  absorbent  complètement  l'attention. 
Mais,  dans  l'ensemble  de  la  tétralogie,  ce  récit  est  capital  ;  nulle  part 
ailleurs  on  n'a  davantage  l'impression  de  ce  sentiment,  à  la  fois  pri- 
mitif et  comphqué,  qui  est  celui  du  mythe  comme  Wagner  l'a  com- 
pris et  traité.  Et  puis,  ce  même  acte  renferme  encore  la  scène  la  plus 

(1)  Le  Jubilé  des  Nibdungen,  article  de  M.  G.  Monou  dans  le  premier  numéro  de 
la  revue  Cosmopolis. 


émouvante  peut-être  de  l'œuvre  entière,  l'annonce  de  la  mort  de 
Siegmund  par  Briinhilde,  et  c'est  ici  seulement,  dans  ce  milieu 
attentif  et  captivé  d'avance,  qu'on  en  peut  comprendre  la  sublime 
grandeur  et,  en  même  temps,  embrasser  sans  peine  le  long  dévelop- 
[jement.  Pour  les  deux  autres  actes,  ils  sont  assez  connus  de  nos 
lecteurs  parisiens  pour  que  je  n'aie  rien  de  bien  neuf  à  leur  commu- 
niquer :  je  me  borne  à  dire  que  les  excellentes  dispositions  inté- 
rieures du  théâtre  de  Bayreuth  et  la  belle  interprétation  de  tous  les 
artistes  ont  permis  aux  belles  scènes  du  premier  acte,  ainsi  qu'à  la 
fantastique  chevauchée  et  à  la  prestigieuse  scène  finale,  de  produire 
tout  leur  effet. 

Mardi  21  Juillet.  —  Siegfried. 

Siegfried,  c'est  l'éclair  de  joie  au  travers  de  l'œuvre;  c'est  une 
comédie  au  milieu  du  drame  le  plus  tragique;  c'est,  dans  l'immense 
symphonie  en  quatre  journées,  un  scherzo,  entre  le  profond  adagio 
de  la  VaUiijrie  et  le  puissant  finale  qui  a  nom  le  Crépuscule  des  Dieux. 
La  nature  exubérante  et  libre  du  héros  donne  aux  scènes  du  premier 
acte  une  animation  et  une  vie  extraordinaires  :  au  second,  c'est  un 
tableau  d'une  merveilleuse  poésie,  auquel  la  musique  apporte  l'élé- 
ment de  ses  couleurs  les  plus  subtiles  et  les  plus  variées.  Parfois  passe, 
avec  une  grandeur  mélancolique  et  douloureuse, la  puissante  figure  de 
Wotan,«  le  Voyageur  »,le  dieu  conscient  de  sa  déchéance,  et  qui  sait 
que  la  fin  des  dieux  approche.  Mais  surtout,  au  dernier  acte,  l'élément 
humain  reprend  toute  sa  suprématie,  et  la  musique  acquiert  une 
richesse  et  une  puissance  d'accent  incroyables  ;  rien  n'est  plus  vibrant, 
plus  chaud,  plus  passionné  que  ce  long  duo  d'amour,  cet  appel  à  la 
lumière,  à  la  joie  de  vivre  (contre-partie,  en  quelque  sorte,  de 
celui  de  Tristan,  qui  appelle  la  mort  pour  conclusion),  où  les  mélo- 
dies les  plus  ardentes  passent  tour  à  tour,  avec  une  infinie  variété, 
de  l'orchestre  aux  voix,  et  qui,  après  un  épisode  que  domine  la  mé- 
lodie la  plus  caressante,  s'achève  en  une  fanfare  de  triomphe  d'une 
passion  presque  sauvage  dans  son  intensité! 

Mercredi  22  juillet.  —  Gôtïerdammerung  (Le  Crépuscule  des  dieux). 

Et  voici  la  dernière  journée,  qui  résume  en  sa  conclusion  tragique 
le  senlimem.  général  de  l'œuvre:  moins  mythique  cependant  en  sa 
forme  extérieure,  puisqu'ici  les  dieux  n'apparaissent  plus  comme  per- 
sonnages agissants  et  que  les  principaux  acteurs  du  drame  appar- 
tiennent à  une  époque  moins  éloignée  de  nous,  —  historique  déjà. 

De  ce  fait  même,  la  forme  dramatique  et  musicale  s'est  quelque 
peu  modifiée:  le  2°  acte  du  Crépuscule  des  dieux:  se  rapproche  fort, 
par  certains  côtés,  du  style  habituel  de  l'opéra  ;  il  y  a  des  chœurs, 
des  ensembles,  des  cortèges,  toutes  choses  dont  les  trois  premières 
journées  nous  avaient  complètement  privés...  La  privation  n'était 
point  trop  dure,  d'ailleurs,  et  l'on  ne  saurait  dire  que  ce  2'=  acte  soit 
celui  qui  nous  ait  réservé  les  meilleures  impressions,  —  au  contraire. 
Mais  quel  sublime  chef-d'œuvre  que  le  3"  acte  tout  entier  !  Il  est 
lumineux  d'un  bout  à  l'autre,  et  atteint,  à  la  fin,  aux  plus  prodigieux 
sommets  auxquels  il  ait  jamais  été  donné  à  un  esprit  humain  d'arriver. 
C'est  d'abord  le  ravissant  tableau  des  filles  du  Rhin,  si  différent  de 
celui  de  la  première  journée,  —  en  plein  soleil,  clair,  délicat,  har- 
monieux, non  sans  quelques  aconts  qui  font  pressentir  déjà  la 
beauté  tragique  du  dénouement;  puis  le  récit  de  Siegfried,  rappelant 
les  motifs  les  plus  significatifs  de  l'œuvre  précédente;  la  mort  de 
Siegfried,  et  le  morceau  qui  l'accompagne,  sur  la  beauté  duquel  il  ne 
me  semble  pas  qu'il  y  ait  plus  rien  à  dire  ;  enfin,  celte  colossale  et 
sublime  scène  de  la  mort  de  Briinhilde,  qui  s'achève  par  la  prodi- 
gieuse symphonie  de  l'écroulement  du  Walhalla,  et  à  la  fin  de  laquelle 
se  succèdent,  en  une  synthèse  musicale  qui  résume  avec  une  éton- 
nante clarté  l'idée  de  toute  l'œuvre,  les  trois  motifs  des  dieux,  des 
héros,  enfin  de  l'amour  humain  qui  doit  désormais  régner  en  souverain 
maître! 

Pour  la  première  fois  nous  avons  pu  avoir  une  idée  complète,  une 
vue  d'ensemble  générale  de  cette  œuvre  exceptionnelle  :  une  interpré- 
tation très  digne  de  cette  œuvre  y  a  coopéré,  (j'est  bien  en  effet  du 
fond  de  l'orchestre  caché  de  Bayreuth  que  doivent  sortir  les  sonorités 
merveilleuses  combinées  dans  ce  but  par  l'auteur  :  sauf  dans  quelques 
coins  de  Rhelngold,  tout,  en  effet,  a  été  excellemment  pondéré. 
M.  Hans  Richler,  qui  déjà  avait  conduit  en  1876,  a  également  dirigé 
l'exécution  de  cette  première  série,  et  c'est  assez  dire  que  l'esprit 
même  de  l'auteur  l'animait  (1). 

M.  Hans  Ricbter  n'est  pas  le  seul  artiste  qui  ait  pris  partà  l'exécution 
d'il  y  a  vingt  ans.  Une  plaque  commémorative,  placée  récemment 
devant  le  théâtre,  nous  fait  connaître  qu'en  effet  trois  autres  artistes 
que  nous  avons  revus  y  tiguraient  déjà  :  M.  VogI,  et  les  deux  sœurs 

il)  Comme  toujours,  les  Instrumenta  à  vent  sont  bien  médiocres  dans  l'or- 
chestre de  Bayreuth .  Quand  donc  une  de  nos  Dûtes  et  un  de  nos  hautbois  français 
voudront-ils  y  aller  faire  leur  partie  ?  Alors  ce  sera  parfait. 


23tj 


LE  MENESTREL 


Lilli  et  Marie  Lehmann.  Le  premier  a  repris  soa  rôle  de  Loge  dans 
le  Rheinrjokl,  qu'il  interprète  avecunelégèretéetune  finesse  incroyables 
pour  qui  lui  a  vu  jouer  avec  tant  de  force  tragique  —  et  une  si  mau- 
vaise vois  — le  rôle  de  Tristan.  Quant  aux  sœurs  Lehmanu,  elles 
jouaient,  en  1876,  les  rôles  de  deux  filles  du  Rhin  :  M"°  Marie 
Lehmann  a,  cette  fois,  pris  celui  d'une  dos  trois  ■N'ornes;  pour 
M""  Lilli  Lehmann-Kalisch,  elle  s'est  trouvée  celte  fois  au  premier 
plan  avec  le  rôle  de  Brilnhilde.  Nous  en  parlerons  tout  à  l'heure. 

L'interprétation  générale  a  été  impeccable:  elle  a  eu  ceci  d'excellent 
que  les  moindres  rôles  ont  été  tenus  par  des  artistes  excellents.  Les 
trois  filles  du  Rhin,  M""'  Artner,  Rôsiag  et  Fremstadt,  —  les  huit 
valkyries,  M™"  Meyer,  "Weed,  Heinck-Schumanu,  Aldridge,  Reuss- 
Belu,  plus  les  trois  déjà  nommées,  —  les  trois  Nornes,  prises  également 
dans  le  personnel  mentionné,  ont  interprété  toutes  les  scènes  d'en- 
semble delà  façon  la  plus  magistrale  :  les  valkyries,  notammeul,  ont 
une  énergie  d'accent  à  laquelle  les  valkyries  parisiennes  nous  ont  peu 
habitués.  Deux  artistes  à  tirer  hors  de  pair  sont  M""  Bruma,  qui  nous 
a  montré  une  Fricka  d'une  superbe  allure,  et  M""  Heinck-Schumann, 
qui  a  dit  les  prophéties  d'Erda  avec  une  voix  d'une  rare  puissance. 

Parmi  les  hommes,  les  deux  Nibeluugen,  Alberich  et  Mime,  ont 
trouvé  en  MM.  Friedrichs  et  Brener  d'excellents  interprèles.  Ce  der- 
nier, élevé  à  l'école  de  Bayreuth,  débutait;  il  fait,  certes,  honneur  à 
ses  maîtres  :  c'est  un  acteur  du  plus  grand  talent.  Quant  aux  rôles  de 
premier  plan,  ils  sont  si  écrasants  que  l'on  ne  saurait  exiger  de  leurs 
interprètes  une  pareille  perfection.  Plusieurs,  cependant,  ont  été 
dignes  de  les  personnifier,  et  cela  est  le  plus  bel  éloge  qu'en  en  puisse 
faire.  Comme  toujours,  le  ténor  reste  l'oiseau  rare  :  assurément, 
M.  Gerhàuser  a  été  un  Siegmund  de  belle  attitude;  il  ne  nous  a  ce- 
pendant pas  fait  oublier  M.  VanDyck,  dont  Siegmund  ne  fut  pourtant 
pas  le  meilleur  rôle.  M.  Griining  a,  le  jour  de  Siegfried,  joué  le  rôle 
principal,  non  sans  qualités,  mais  avec  quelques  erreurs  qui  l'ont 
fait  remplacer,  dans  le  Crépuscule  des  Dieux,  par  un  autre  débutant  de 
l'école  de  Bayreuth,  M.  Burgstaller  :  celui-ci  a  une  belle  voix  et  in- 
terprète le  rôle  avec  une  belle  ardeur  juvénile  ;  il  a  pourtant  beaucoup 
encore  à  apprendre,  comme  chanteur  surtout.  M.  Perron  nous  montre 
un  Wotan  blond,  bien  disant  et  de  bel  aspect,  mais  dont  la  voix, 
d'un  beau  timbre  d'ailleurs,  a  trop  souvent  des  intonations  dou- 
teuses. 

Par  conire,  Sieglinde  et  Bruahilde  ont  trouvé  des  interprètes  tout 
à  fait  supérieures.  La  première,  c'est  M'""  Sucher,  l'admirable  Yseult 
que  l'on  sait;  elle  fait  une  Sieglinde  ardente  et  a  donné  aussi  un 
accent  passionné,  qui  nous  était  presque  inconnu,  à  la  scène  du  pre- 
mier acte  de  la  Valkyrie.  Pouv  Briiobilde,  ce  rôle  écrasant  a  été  inter- 
prété par  M™  Lilli  Lehmann  avec  une  vaillance  qui  n'a  de  comparable 
que  le  talent  de  l'artiste.  M™'  Lehmann  est  certes,  comme  pure  can- 
tatrice, une  des  plus  impeccables  que  l'on  puisse  entendre;  ne  croyez 
pas  que  cela  soit  inutile  dans  l'œuvre  de  Wagner:  elle  nous  l'a  bien 
montré  dans  ce  rôle  de  la  vierge  guerrière  qui,  parfois,  aurait  pu 
être  rendu  avec  plus  de  violence,  mais  dont  les  parties  expressives 
et  passionnées  ont  été  dites  d'une  incomparable  manière.  La  scène 
finale  de  Siegfried,  ainsi  que  la  mort  de  Brilnhilde,  ont,  grâce  à 
cette  grande  artiste,  produit  l'impression  profonde  que  l'on  devait 
attendre  de  lenr  sublime  conception. 

Julien  Tiersot. 


LES  CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


Jusqu'à  l'heure  oîi  j'écris,  et  bien  que  la  série  des  concours  de  1896 
soit  déjà  assez  avancée,  nous  n'avons  vu  se  produire  encore  à  aucun 
d'eux  une  de  ces  manifestations  aigrelettes  ou  héroï-comiques  comme 
on  en  voit  régulièrement  chaque  année.  Et  pourtant,  la  chaleur  cette 
fois  aurait  bien  pu  monter  les  têtes,  car  elle  s'est  montrée  vraiment 
impertinente  et  sans  pitié,  et  les  ombrages  frais  du  Conservatoire 
n'étaient  pas  pour  calmer  les  nerfs  des  gens  naturellement  irascibles. 
J'oubliais  cependant  :  il  s'est  bien  produit  une  petite  manifestation, 
mais  complètement  isolée  et  absolument  personnelle,  à  ce  point  qu'elle 
n'a  été  connue  que  de  ceux  qui  en  étaient  tout  proches.  C'était  à 
l'issue  du  concours  de  chant  pour  les  hommes.  Lorsque  la  séance,  qui 
avait  été  chaude,  —  oh  oui  !  —  fut  terminée,  et  que  M.  Théodore 
Dubois,  le  nouveau  directeur,  eut  proclamé  les  récompenses,  une 
petite  voix  féminine  s'éleva,  furieuse,  dans  un  coin  de  l'orchestre, 
et  s'écria  rageusement  :  —  «  C'est  une  infamie  !  ou  n'a  rien  donné 
à  X...,  ou  a  oublié  X...,  qui  a  été  un  des  meilleurs  du  concours.  C'est 
une  infamie  !  »  Puis,  la  petite  voix  rageuse,  qui  ne  trouvait  point 
d'écho  (car  X..,  avait  été  fort  mauvais),  se  perdit  dans  le  brouhaha 


ordinaire  des  fins  de  séance.  Renseignements  pris,  et  si  ce  que  l'on 
m'a  dit  est  vrai,  la  voix  en  question  était  la  propriété  de  l'épouse  abso- 
lument légitime  de  X...,  dont  la  fureur  alors,  si  elle  n'est  pas  aussi 
légitime,  est  du  moins  compréhensible.  En  somme,  ce  pseudo-scan- 
dale a  passé  complètement  inaperçu. 

Et  sans  m'étendre  sur  ce  sujet  d'un  intérêt  médiocre,  j'attaque 
aussitôt  le  compte  rendu  des  concours  de  la  présente  année. 

CONTREBASSE 

C'est,  comme  d'ordinaire,  par  le  concours  de  contrebasse  que  s'ou- 
vrait la  série  des  grands  concoui s  publics.  Il  est  certain  qu'au  point 
de  vue  strictement  musical  cette  séance  n'ofïre  qu'un  intérêt  médiocre, 
et  que  le  plaisir  est  relatif  d'entendre  une  demi-douzaine  de  jeunes 
gens  s'escrimer  sur  un  instrument  dont  le  charme  et  la  douceur  ne 
sont  évidemment  pas  les  qualités  dominantes.  Mais  cet  intérêt  est 
grand  pour  qui  sait  les  services  que  cet  instrument  puissant  rend 
dans  nos  orchestres,  auxquels  il  donne  l'aplomb,  la  force  et  l'équi- 
libre, et  combien  sont  nécessaires  l'habileté  et  la  solidité  des  contre- 
bassistes. On  n'a,  pour  s'en  rendre  compte,  qu'à  songer  au  rôle  si 
important  que  joue  la  contrebasse  dans  la  Symphonie  pastorale  et 
dans  le  prodigieux  récitatif  de  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Beelho- 
ven.  Je  cite  au  hasard  ces  deux  exemples:  mais  combien  d'autres 
seraient  à  invoquer  pour  justifier  la  sympathie  que  la  contrebasse  inspire 
à  tous  les  musiciens,  sanssouhailer  qu'on  en  veuille  faire  un  instru- 
ment de  virtuosité,  à  l'exemple  des  Dragonctti  et  des  Bottesini  I 

La  classe  de  M.  Viseur,  qui  présentait  cette  fois  six  élèves,  m'a 
paru  en  progrès  sensibles  sur  l'année  dernière.  Aussi  a-t-elle  obtenu 
quatre  nominations,  qui  ont  pain  à  tous  parfaitement  justifiées.  Le 
premier  solo  de  Verrimst,  qui  était  choisi  pour  l'épreuve,  est  un  mor- 
ceau bien  fait,  bien  conçu  pour  mettre  ea  relief  les  qualités  de 
l'exécutant,  et  qui  a  le  mérite  d'être  écrit  avec  style,  ce  qui  n'est 
pas  à  dédaigner,  même  lorsqu'il  s'agit  de  la  contrebasse.  C'est 
M.  Charon,  second  prix  de  l'an  dernier,  qui,  à  l'unanimité,  s'est  vu 
décerner  le  premier.  Celait  justice.  Si  l'on  pourrait  souliailer  chez 
lui  un  peu  plus  de  son,  si  l'archet  est  peut-être  parfois  un  peu  couri, 
du  moins  le  jeu  est  sur  et  précis,  les  doigts  sont  solides,  il  n'y  a  qu'à 
louer  le  style  et  la  justesse,  et  l'ensemble  est  excellent.  J'ajoute  qu'il 
a  déchiffré  avec  beaucoup  de  sûreté  le  morceau  écrit  pour  la  circons- 
tance par  M.  Pierné. 

Le  second  prix  a  été  attribué  à  M.  Laporte,  dont  le  jeu  dans  son 
ensemble  est  très  satisfaisant.  Bon  détaché,  phrasé  intelligent,  un 
certain  sentiment  du  style,  telles  sont  ses  qualités.  Lui  aussi  a  lu 
avec  habileté.  Deux  premiers  accessits  ont  été  décernés,  l'un  à 
M.  Chagny,  qui  concourait  pour  la  première  fois,  l'autre  à  M.  Bou- 
cher, qui  avait  obtenu  le  second  l'année  précédente.  M.  Chagny  se 
tient  mal,  en  se  courbant  et  en  se  couchant  pour  ainsi  dire  sur  son 
instrument,  qui  n'en  peut  mais.  Celte  réflexion  faite,  il  faut  louer  la 
correction  de  sonjeu,  qui  n'est  point  sans  chaleur,  et  dont  l'ensemble 
est  bien  équilibré.  On  peut  en  dire  à  peu  près  autant  de  M.  Boucher. 
L'un  et  l'autre  promettent  de  bons  artistes  pour  nos  orchestres.  Tous 
deux  ont  déchiffré  d'une  façon  satisfaisante. 

ALTO 

Entre  toutes  les  réformes  que  les  réformateurs  infatigables  du 
Conservatoire  ne  cessent  de  réclamer  depuis  longues  années,  se 
trouvait  la  création  d'une  classe  d'alto.  Les  voilà  satisfaits,  et  la 
classe  est  créée.  Pour  ma  part,  j'avoue  n'en  avoir  jamais  reconnu  la 
nécessité.  Qu'est-ce,  en  effet,  que  l'allo?  un  instrument  dont  le  format 
est  un  peu  plus  grand  que  celui  du  violon,  mais  dont  le  mécanisme 
est  absolument  le  même,  et  qui  ne  présente  aucune  difficulté  parti- 
culière. Il  s'agit  seulement,  pour  obtenir  la  justesse,  d'écarter  les 
doigts  d'une  façon  imperceptible,  puis,  au  point  de  vue  de  la  lecture, 
de  connaître  la  clé  à'ul  4°  ligne,  ce  qui  n'est  pas  absolument  la  mer 
à  boire.  Mais  quel  est  le  violoniste  qui  n'a  pas  joué,  qui  ne  joue  pas 
l'alto?  Pour  ma  part,  à  treize  ans,  je  gagnais  ma  vie  en  faisant  ma 
partie  d'alto  à  l'cchestre,  malgré  la  petitesse  de  mes  mains  à  cet  âge, 
car  c'est  ainsi  que  je  débutai  dans  cette  brillante  carrière,  et  à  dix- 
huit  ans,  j'avais  joué  l'alto  de  tous  les  quatuors  d'Haydn  et  de  Mozart, 
parce  que,  dans  nos  petites  réunions  déjeunes  gens  pour  faire  de  la 
musique  d'ensemble,  chacun  de  nous  tenait  l'alto  à  tour  de  rôle.  Il 
en  est  assurément  de  même  aujourd'hui.  A  quoi  donc  sert  une  classe 
d'alto?  Est-ce  qu'on  créera  aussi  une  classe  spéciale  de  petite  flûte, 
sous  prétexte  que  ladite  petite  flûte  justifie  son  nom  en  étant  plus 
petite  que  la  grande?  Cela  me  paraîtrait  tout  aussi  utile. 

Quant  à  la  musique  spéciale  d'alto,  elle  n'est  pas  absolument  com- 
mune et  elle  l'est  si  peu  qu'au  Conservatoire  de  Bruxelles,  où  il 
existe  une  classe  d'alto,  je  vois  qu'au  concours  de  fin  d'année  on  fait 


LE  MÉNESTREL 


237 


jouer  aux  élèves  des  études  de  violon  de  Kreutzer,  de  Fiorillo  et  de 
Campaguoli —  eu  les  transposant  d'une  qminte,  naturellement.  Cela 
ne  justifie-t-il  pas  l'inutilité  que  je  constate?  La  classe  d'alto  est  donc 
simplement  une  classe  de  violon  à  la  quinte.  Il  n'était  vraiment  pas 
besoin  de  faire  tant  de  bruit.  Mentiounons  toutefois  l'existence  de 
quelques  Méthodes  d'allo  dues  à  Woldemar,  à  Marlinn  et  à  Bruni. 
Il  y  a  aussi  quatre  concertos  do  Rolla  pour  l'alto,  un  autre  concerto 
de  Ghebart,  un  de  Bernard  Lorenziti,  un  de  Woldemar,  des  duos 
d'altos  deScbœnebeck,  Cambini,  Marlinn,  Christian  StuœpfT,  Teniers... 
Mais  je  crois  qu'on  aurait  de  la  peine  à  former  uu  répertoire  étendu 
pour  l'instrumenl.  Comme  petite  excentricité,  on  peut  signaler  un 
quintette  d'Uhran  pour  trois  altos,  violoncelle  et  contrebasse,  avec 
timbales  ad  libitum. 

Enfin,  les  altopldles  seront  satisfaits,  et  le  Conservatoire  possède 
aujourd'hui  une  classe  d'alto,  qu'on  n'aurait  sn  d'ailleurs  placer  en  de 
meilleures  mains  qu'en  celles  de  M.  Laforge.  (Je  crois  bien  que 
M.  Laforge  préférerait  avoir  une  classe  de  violon.  Enfin  !...)  On  avait 
fait  choix,  comme  morceau  de  concours,  d'un  conœrtstiiok  de  L.  Firket. 
Qui  ça,  Firket?  J'ai  eu  quelque  peins  à  le  savoir.  J'y  suis  parvenu 
pourlaut.  Firket  était  un  artiste  belge  qui  a  tenu  jusqu'à  son  extrême 
vieillesse  la  partie  de  premier  alto  à  l'orchestre  de  la  Monnaie  de 
Bruxelles  et  qui  était  en  même  temps  titulaire  de  la  classe  d'allo  au 
Conservatoire,  où  il  a  été  remplacé  à  sa  mort,  il  y  a  trois  ans,  je 
crois,  par  M.  'Van  Hout,  le  professeur  actuel.  Voilà  tout  ce  que  j'en 
puis  dire,  et  j'arrive  enfin  au  concours,  dont  le  morceau  de  lecture  à 
vue  élait  écrit  par  M.  Charles  Lefcbvro. 

Point  de  premier  prix  pour  ce  concours,  mais  deux  seconds  prix, 
attribués  à  MM.  Denayer  et  Henri  Brun.  M.  Denayer  est  assurémenl 
supérieur  à  tous  ses  camarades.  Il  a  de  bons  doigts,  un  archet  facile, 
une  grande  justesse  et  une  rare  sûreté  d'exécution.  Avec  cela  un 
heureux  phrasé  et  le  sentiment  du  style.  Ensemble  excellent  et  lecture 
irréprochable.  Sa  supériorité  est  telle  que  je  suis  étonné  qu'on  ne  lui 
ait  pas  donné  un  premier  prix.  Je  regrette  de  n'en  pouvoir  dire 
autaat  de  M.  Henri  Brun,  dont  le  jeu  est  gros,  lourd,  sans  grâce, 
l'exécution  petite,  incomplète,  l'archet  savonneux,  avec  des  doigts 
insuffisants.  Je  crois  que  ce  jeune  homme  peut  acquérir,  en  tra- 
vaillant', les  nombreuses  qualités  qui  lui  manquent,  mais  il  a  bien 
besoin  de  Iravailler. 

Deux  premiers  accessits,  à  MM.  Pierre  Brun  et  Casadesus. 
M.  Pierre  Brun,  qui  n'est  point  parent  de  M.  Henri  Brun  (on  les 
croyait  jumeaux  parce  que,  portant  le  même  non,  ils  sont  exactement 
du  même  âge  (1~  ans  et  8  mois),  me  parait,  avec  sa  récompense 
moindre,  lui  être  de  beaucoup  supérieur.  Il  a  de  la  hardiesse,  de 
l'élégance,  un  bon  archet,  du  style  et  du  brillant.  C'est  un  tempé- 
rament d'artiste.  Chez  M.  Casadesus  l'exécution  est  grosse,  incom- 
plète et  sans  distinction;  certaines  qualités  secondaires  pourtant,  de 
l'assurance  et  le  sentiment  du  style. 

Des  quatre  autres  concurrents  je  ne  vois  à  signaler  que  M.  Yiguier, 
qui  a  de  la  vigueur  et  de  l'assurance  et  qui  ne  manque  pas  de  qua- 
lités, mais  dont  la  justesse  a  laissé  à  désirer  dans  les  traits. 

Et  maintenant,  vive  la  classe  d'alto,  qui  ne  sera  aulre  chose  qu'un 
déversoir  pour  les  jeunes  gens  qui  auront  éprouvé  des  malheurs  à 
l'examen  d'entrée  pour  les  classe  de  violon. 

VIOLONCELLE 

Le  concours  de  violoncelle  mettait  en  ligne  onze  élèves,  qui  nous 
ont  fait  entendre  l'allégro  du  9''  concerto  de  Romberg,  morceau  bien 
fait  pour  l'instrument  mais  qui  ne  brille  pas  par  la  fraîcheur  des 
idées  et  dont  les  traits  semblent  calqués  trop  servilement  sur  ceux 
des  concertos  de  -violon  de  Viotti.  Le  morceau  à  déchiffrer,  d'un 
rythme  uu  peu  trop  vague,  était  dû  à  MM.  HiUemacher. 

Trois  premiers  prix  ont  été  décernés  :  à  M.  Desmonts,  élève  de 
M.  Rabaud,  M.  Pollain,  élève  de  M.  Delsart,  et  M'"  de  Bufl'on,  élève 
de  M.  Rabaud.  M.  Desmonts  avait  obtenu  un  second  prix  eu  1894;  les 
deux  autres  n'ont  fait  qu'un  saut  de  leur  second  accessit  de  l'an 
dernier  au  premier  prix  de  cette  année.  M.  Desmonts  a  de  la  hardiesse, 
du  feu,  de  l'élan,  de  l'expérience,  un  joli  sou,  un  phrasé  délicat,  un 
jeu  élégant  et  un  bon  archet.  C'est  presque  très  bien  sans  être  parfait, 
à  cause  de  certains  détails  qui  ont  été  manques.  M.  Pollain  se  fait 
remarquer  par  des  doigts  habiles,  un  archet  élégant,  du  gofit,  et  en 
général  par  un  joli  jeu,  bien  égal,  qui  n'escamote  rien,  et  dans 
lequel  tout  est  bien  soigné,  bien  fait  et  mis  en  pleine  lumière.  Comme 
celui-ci,  M"^  de  Buffon  est  en  très  grand  progrès.  Chez  elle  le  jeu 
est  sûr,  hardi,  la  justesse  est  bonne,  l'ensemble  très  net,  sinon  tou- 
jours élégant.  Je  lui  reprocherai  seulement  de  sabrer  certaines  phrases 
et  de  manquer  de  délicatesse.  Elle  devra  s'attacher  à  acquérir  le 
charme  qui  lui  manque  encore. 


Dirai-je  que  le  second  prix  attribué  à  M.  Deblauwe  m'a  un  peu 
étonné?  Je  suis  toujours  désolé  quand  l'opinion  que  j'exprime  peut 
chagriner  quelqu'un  de  ces  jeunes  gens,  que  nous  devons  toujours, 
noua  autres  critiques,  traiter  avec  indulgence.  Mais  je  lâche  toujours 
aussi  à  dire  la  vérité,  ou  ce  que  jo  crois  tel,  et  lorsqu'il  m'arrive 
d'ôlre  sévère,  je  le  fais  dans  leur  propre  intérêt  et  pour  leur  faire 
connaîlre  leurs  défauts.  Or,  je  trouve  que  le  jeu  de  M.  Deblauwe  est 
sage  jusqu'à  la  froideur,  qu'il  manque  d'élan  et,  ce  qui  est  plus  grave 
encore,  parfois  de  jusiesse.  Je  vois  là  certaines  qualités  d'ensemble, 
mais  c'est  lout,  et  je  crois  que  M.  Deblauwe,  qui  est  élève  de  M.  Ra- 
baud, aura  à  mettre  les  bouchées  doubles,  el  même  triples,  s'il  veut 
atteindre  son  premier  prix. 

A  côlé  do  cela,  le  jury  se  refuse  à  décerner  uu  premier  accessit,  et  il 
n'eu  accorde  qu'un  se'îond  à  M.  Âgnellet  élève  de  M.  Delsarl,  qui,  à 
mon  sens,  a  été  l'un  des  parlicipants  les  plus  distingués  de  ce  concours. 
Ce  jeune  homme  a  un  joli  son,  de  bons  doigls,  do  l'élégance,  de  la 
tûreté,  et  l'ensemble  de  son  jeu  se  distinguo  par  le  goût  et  la  grâce 
du  phrasé.  Il  ne  manque  qu'un  peu  plus  d'ampleur  et  de  hardiesse. 
J'ajoule  qu'il  a  très  bien  lu. 

Et  on  n'a  rien  donné  à  un  aulre  élève  do  M.  Delsart,  M.  Rabatel, 
qui,  lui  aussi,  a  déployé  de  bonne  qualités  :  un  beau  son,  uu  gentil 
phrasé,  du  goût,  dos  doigt  habiles  et  un  jeu  distingué  !  Ce  n'est  pas 
sa  faute  si  ses  cordes  sifflaient  par  cette  température  sénégalienne, 
et  si  sa  transpiration  était  telle  que  la  touche  de  son  ioslrumenl 
ruisselait  quand  il  a  eu  termiué  son  morceau. 

Je  n'ai  rien  à  dire  des  autres  élèves  non  récompensés,  sinon  que 
tous  m'ont  paru  jouer  faux  à  dire  d'expert,  ce  qui  explique  suffisam- 
ment l'indifférence  du  jury  à  leur  égard. 

CHANT  (Hommes). 

Le  concours  de  chant  pour  les  hommes  n'a  donné,  dans  son  en- 
semble, que  des  résultats  médiocres.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  éton- 
ner outre  mesure  si  l'on  songe  que  sur  les  dix-sept  élèves  qui  y 
prenaient  pari,  treize  n'avaient  obtenu  encore  aucune  récompense, 
dont  huit  concouraient  pour  la  première  fois.  Et  sur  les  quatre 
autres,  il  y  avait  seulement  un  second  prix  et  Irois  seconds  acces- 
sits. On  ne  pouvait  donc  guère  s'attendre  à  une  lutte  brillante  comme 
il  s'en  établit  parfois  entre  plusieurs  élèves  qui  doivent,  par  leur 
passé,  aspirer  aux  plus  hautes  récompenses. 

C'e;t  M.  Beyle,  élève  de  M.  Bussino,  le  second  prix  de  l'an  passé, 
qui  a  décroché  la  timbale,  sous  forme  de  l'unique  premier  prix  dé- 
cerné, et  il  n'y  avait  vraimerit  pas  moyen  d'en  donner  d'autres.  C'est 
un  ténor  vigoureux,  qui  a  déployé  de  la  chaleur  dans  l'air  d'Héro- 
diade,  qu'il  a  chanté  avec  une  certaine  grandeur,  avec  une  bonne  et 
solide  arliculalion.  Nous  le  retrouverons  dans  les  deux  concours 
d'opéra  et  d'opéra-comique,  ainsi  que  M.  Vieuille,  élève  de  M.  Mas- 
son,  un  baryton  qui  a  enlevé  un  second  prix  avec  uu  morceau  d'un 
choix  excellent  et  comme  on  voudrait  en  entendre  plus  souvent,  un 
air  superbe  de  la  Fêle  d'Alexandre,  de  Hœndel.  Il  n'y  a  pas  à  tricher 
avec  celte  musique-là,  el  il  faut  payer  de  sa  personne,  argent  comp- 
tant. Si  elle  est  diantremeut  difficile  dans  sa  siruplicité,  au  moins 
est-elle  de  nature  à  mettre  en  relief  les  qualités  de  celui  qui  s'atta- 
que à  elle,  c'esl-à-dire  li  poss  de  la  voix,  l'habileté  de  la  vocalisa- 
lion,  le  style  et  le  phrasé.  Tout  cela  n'est  certainement  pas  complet 
encore  dans  l'exécution  très  intéressante  de  M.  Vieuille,  mais  tout 
cela  s'y  trouve  dans  dcs  proportions  très  satisfaisantes.  Avec  une 
suite  do  bon  travail,  ce  jeune  homme  est  en  bon  chemin. 

Trois  premiers  accessits  ont  été  adjugés  à  MM.  Grosse,  élève  de 
M.  Edmond  Dnvei'noy,  Cremel,  élève  de  M.  Warot,  et  Dumontier, 
élève  de  M.  Masson.  M.  Grosse,  qui  est,  si  je  ne  me  trompe,  le  fils 
de  l'artiste  do  1  Opéra,  s'est  fait  entendre  dans  un  air  de  la  Reine  de 
Srtba.Sa  voix  est  une  basse  chantante  solide  et  étendue.  L'articulation 
est  bonne  et  le  chanteur  n'est  point  sans  qualités,  mais  il  traîne  trop  la 
plupart  de  ses  phrases,  ce  qui  donne  à  l'ensemble  de  l'exécution  une 
lourdeur  et  une  froideur  fâcheuses.  Ah  !  que  nos  jeunes  chanteurs  ont 
donc  rie  peine  à  se  décider  à  chanler  en  mesure.  «  La  mesure  !  quelle 
est  cette  bête-là  ?  »  disait  une  cantatrice,  c'est-à-dire  une  braillarde, 
du  temps  de  Rameau.  Or,  «  cette  bète-là  »,  c'est  tout  simplement 
l'âme  de  la  musique,  et  il  serait  bon  qu'on  voulût  enfin  s'en  rendre 
compte.  —  Je  crois  bien  que  c'est  surtout  à  la  puissance  et  à  la  qua 
lité  de  la  belle  voix  de  ténor  qu'il  a  déployée  dans  l'air  du  quatrième 
acte  de  l'Africaine  que  M.  Cremel  doit  la  récompense  qui  est  venue 
le  trouver  à  son  premier  concours.  Pour  ce  qui  est  de  l'artiste,  j'ai 
regret  à  dire  que  tout  est  à  faire  chez  lui,  et  qu'il  ne  sait  encore  n; 
émettre  un  son  ni  attaquer  une  note.  Heureusement,  l'étoffe  est  bonne 
chez  lui,  et  s'il  consent  à  Iravailler  comme  il  convient,  il  a  tout  ce 
qu'il  faut  pour  en  tirer  un  bon  parti.  —  M.  Dumontier  est  un  joli 


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LE  MÉNESTREL 


ténor  de  grâce,  qui  a  chanté  ou  plutôt  qui  a  soupiré  l'air  adoralile  : 
Unis  dès  la  plus  tendre  enfance,  cle  ïlpliigénie  en  Tauride  de  Gluck.  C'est 
qu'en  effet,  pour  obtenir  le  charme  et  la  douceur,  il  lui  arrive  d'étein- 
dre la  voix  de  telle  façon  qu'on  a  peine  à  l'entendre.  Il  fera  bien  de 
se  méfier  de  l'excès  de  ce  procédé.  Il  fait  ce  qu'il  peut  d'ailleurs,  et 
dans  cet  air  almirable,  mais  d'un  stylo  si  difficile,  il  a  fait  preuve 
d'intelligence  et  de  bonne  volont". 

La  série  des  récompenses  s'est  clore  par  deux  seconds  accessits 
décernés  à  M.  Béchard,  élève  de  M.  Bax,  et  à  M.  LaiTitte,  élève  de 
M.  Crosti.  Je  ne  voudrais  pas  bêcher  M.  Béchard,  mais  j'avoue  que 
je  ne  trouve  pas  grand'  chose  à  dire  de  lui,  sinon  qu'il  a  chanté  l'air 
de  harjton  de  Don  Carlos  sans  que  j'aie  trouvé  le  moyeu  de  découvrir 
chez  lui  une  qualilé  saillante  ou  un  défaut  caractérisé.  Cela  m'a  paru 
simplement  d'un  incolore  absolu.  —  Quant  à  M.  Laffitte,  un  jeune 
ténor  dont  la  voix  est  d'assez  bonne  qualité,  il  m'a  semblé  qu'il  ne 
comprenait  rien,  mais  là,  absolument  rien  à  l'air  du  Freischulz,  qui 
est  évidemment  d'un  style  trop  difficile  pour  un  chanteur  auss-i  neuT, 
et  qui  d'ailleurs  n'est  pas  parfaitement  adapté  à  sa  voix.  Voilà  deux 
chanteurs  —  qui  sont  les  deux  plus  jeunes  du  concours  —  qu'il  fau- 
dra rcentendre  l'an  prochain  pour  lesjuger  en  connaissance  de  cause 
et  d'une  façon  moins  sommaire.  D'ici  là,  ils  auront  eu  le  temps  de 
se  former. 

Je  regrette  de  n'avoir  pas  vu  attribuer  aussi  un  second  accessit  à 
M.  Reder,  élève  de  M.  "Warol,  qui  me  paraissait  digne  de  cet  encou- 
ragement. Ce  jeune  homme  a  chanté  l'air  du  premier  acte  du  Pardcm 
de  Ploërmel  :  »  De  l'or,  de  l'or  !  »  avec  une  très  belle  vois  de  baryton 
franche  et  sonore,  sans  crier,  eu  phrasant  bien,  avec  goût  et  sobiiété. 
J'ai  idée  que  celui-là  se  distinguera  à  uue  prochaine  épreuve,  car  il  a 
de  l'étoffe  et  de  l'avenir.  Parmi  les  élèves  non  couronnés  et  qui  me 
semblent  doués  pour  plus  tard,  je  signalerai  M.  Sizes  (Duveruoy), 
qui  a  dit  l'air  à'Hérodiade  :  Vision  fugitive.  M.  Edwy  (Archaimbaud), 
qui,  comme  son  camarade  Reder,  )nais  moins  heureusement,  a  chaulé 
l'air  du  Pardon,  et  M.  Hans  (Léon  Duprez),  qui  s'est  fait  entendre 
dans  l'air  de  Guillaume  Tell  :  Asile  héréditaire.  Il  y  a,  je  crois,  chez 
ces  jeunes  gens  encore  inexpérimentés,  des  promesses  qui  se  réali- 
seront. 

CHANT  (Femmes). 

Le  concours  des  femmes  a  été  plus  faible  encore,  s'il  se  peut,  que 
celui  des  hommes,  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  le  nombre  et  la  nature 
des  récompenses,  q-di  ne  dépassent  pas  quatre,  avec  absence  de  pre- 
mier prix.  Mais  ici,  la  même  réflexion  est  à  faire  que  pour  la  précé- 
dente journée  :  sur  seize  élèves  qui  entraient  en  lice,  quatorze 
n'avaient  encore  obtenu  aucune  récompense,  dont  onze  concouraient 
pour  la  première  fois.  Et  comme  les  deux  seules  élèves  antérieure- 
ment couronnées.  M""  Guiraudon  et  Allusson,  second  prix  et  premier 
accessit  de  1893,  ne  se  sont  pas  trouvées  à  la  hauteur  de  ce  qu'on 
était  en  droit  d'attendre  d'elles,  la  débâcle  a  été  générale.  Il  est  à 
craindre,  malheureusement,  que  les  deux  séances  d'opéra  et  d'opéra- 
comique  ue  se  ressentent  douloureusement  de  cette  faiblesse  du  double 
concours  de  chant,  et  que  nos  théâtres  n'aient  pas  grand'chose  à 
récolter  cette  fois  au  Conservatoire.  C'est  une  année  maigre,  il  faut 
en  prendre  son  parti.   La  suivante  sera  probahlement  meilleure. 

J'ai  dit  qu'il  n'avait  pas  été  décerné  de  premier  prix,  et  je  suis 
obligé  d'ajouter  que  le  second  prix  lui-même  n'est  pas  de  qualité  su- 
périeure. Il  me  semble  que  le  jury  a  dû  avoir  quelque  peine  à  le 
découvrir.  C'est  une  Suédoise,  M"=  Ackté,  élève  de  M.  Edmond 
Duvernoy,  qui  a  bénéficié  de  cetle  recherche  délicate.  Je  croirais 
volontiers  que  c'est  surtout  à  la  qualité  de  sa  voix,  qui  est  fort  jolie, 
qu'elle  doit  cetle  distinction,  car  elle  a  chanté  la  valse  de  l'Ombre, 
du  Pardon  de  Ploërmel,  d'une  façon  bien  singulière,  sans  rythme  et 
sans  mesure,  avec  une  vocalisation  dont  les  détails  sout  loin  d'être 
satisfaisants,  et  sans  l'ombre  de  sentiment  musical.  C'est  à  croire 
que  cette  jeune  fille  ne  connaît  pas  môme  les  premiers  éléments  du 
solfège.  Je  ne  nie  pas  qu'il  y  ait  en  elle  de  l'étoffe  (il  y  a  d'abord  l'ins- 
trument, ce  qui  est  l'essentiel),  mais  je  crois  qu'il  lui  faudra  diantre- 
ment  travailler  pour  se  tenir,  l'an  prochain,  à  la  hauteur  du  succès 
qu'elle  vient  d'obtenir. 

Le  premier  accessit  a  été  attribué  à  uue  autre  élève  de  M.  Duver- 
noy, M""  Dofodou,  qui  s'est  fait  entendre  dans  un  air  de  la  Prise  de 
Troie,  de  Berlioz,  ici  nous  sommes  en  présence  d'une  superbe  voix  de 
mezzo-soprano,  une  belle  voix  corsée,  étendue  et  juste,  d'uue  pâte  à 
la  fois  Oiictueuse  et  solide,  qui  fera  raervc  Ho  à  la  scène  lorsqu'un 
travail  i]ileiligent  aura  complété  ses  qualités  naturelles.  Je  crois  qu'il 
y  aura  d'ailleurs  dans  cette  jeune  personne  un  tempérament  d'artisle. 
C'est  encore  neuf  et  parfois  un  peu  gauche  d'exécution,  mais  avec  de 
bonnes  intentions  dans  la  dict'ou  et  dans  le  phrasé. 
.  Deux  seconds  accessits  ont  récompensé  les  efl'oits  de  M"«  Chris- 


tiaune.  élève  tle  M.  Léon  Duprez,  et  de  11"'-  Trmdc,  élève  de  M.  Mas- 
son.  M""  Christianne,  dont  la  voix  est  bien  jolie,  a  chanté  l'air  du 
troisième  aele  du  Songe  d'une  Nuit  d'été,  dans  lequel  elle  a  fait  preuve 
d'une  vocalisation  encore  bien  incomplète  et  bien  imparfaite;  mais 
certaines  phrases  ont  été  dites  d'uue  façon  heureuse  et  non  sans 
quelque  élégance.  —  M""  Truck,  qui  est  fort  jolie  et  qui  paraissait 
avoir  grand'peur,  s'est  produite  dans  l'air  admirable  d'Obéron.  La 
voix  est  belle,  solide,  étendue,  le  chant  est  sage,  correct,  il  était 
même,  au  commencement,  correct  jusqu'à  la  froideur;  heureusement 
la  cantatrice,  en  prenant  un  peu  possession  d'elle-même,  s'est  animée, 
et  a  fait  preuve,  vers  la  fin,  de  chaleur  et  d'élan.  C'a  été  là  l'une  des 
notes  intéressantes  de  la  journée,  et  je  considère  cetle  jeune  femme 
comme  l'une  des  espérances  de  l'an  prochain. 

L'espérance  do  cette  année  était  en  M"°  Guiraudon,  qui  ue  pouvait 
aspirer  qu'au  premier  prix  et  qui,  malheureusement,  était  souffraute 
et  fatiguée.  Chanteuse  de  tempéramcut,  elle  s'est  efforcée  de  donner 
à  l'air  du  Freiscltiitz  la  chaleur  et  l'expression  scéuique  qu'il  réclame. 
Mais  ses  efforts  out  trahi  sa  volonté,  cl  il  était  manifestement  impos- 
sible de  lui  accorder  la  seule  récompense  qu'elle  put  ambitionner.  — 
M"'^  Alussou,  qui,  de  son  côté,  courait  après  un  second  prix,  n'a  pu 
l'atteindre  en  chantant  la  valse  du  Pardon  de  Ploërmel.  Elle  a  de 
l'habileté,  de  l'adresse  etde  l'aplomb,  elle  a  même  beaucoup  d'aplomb, 
mais  sou  exécution  est  sèche,  roide,  et  manque  essentiellement  de 
grâce.  Il  me  semble  pourtant  qu'en  travaillant  elle  a  ce  qu'il  faut  pour 
arriver. 

Parmi  les  autres  élèves  uou  récompensées,  je  manifesterai  un  re- 
gret à  l'égard  de  M""  Dreux,  qui  me  paraissait  mériter  un  accessit 
pour  la  façon  aimable  dont  elle  a  chanté  l'air  du  Pré-aux-Cleixs 
(massacré  un  peu  plus  loin  par  une  autre  concurrente  qu'il  est  inutile 
de  nommer).  Cette  jeune  fille  a  une  jolie  voix,  el  sa  vocalisation 
agréable  ne  manque  ni  de  hardiesse  ni  d'habilelé. —  Pour  le  reste,  le 
silence  est  de  rigueur. 

HARPE 

Le  concours  de  harpe,  bien  qu'il  ne  réunit  que  cinq  élèves,  aura 
été  l'un  des  plus  brillanis  et  des  plus  inléressants  de  l'année,  et  la 
classe  de  M.  Hasselmaus  se  maintient  à  la  hauteur  de  la  renommée 
qu'elle  a  si  légitimement  conquise  dès  l'arrivée  de  cet  excellent  pro- 
fesseur. Sur  ces  cinq  sujets,  cette  fois  (ous  féminins,  quatre  se  sont 
montrés  plus  ou  moins  remarquables,  bien  que  trois  récompeuses 
seulement  aient  été  décernées,  —  ce  que,  pour  ma  part,  j'ai  regretté 
infiniment,  —  et  la  séance  a  été  de  qualilé  vraiment  supérieure. 

Le  morceau  d'exécution  était  un  eoncerlo  de  Zabel,  aoconrpagué 
par  le  quatuor  à  cordes  auquel  ou  avait  adjoint  un  harmonium  dont, 
je  l'avoue,  la  sonorité  ne  me  plait  que  médiocrement  en  la  circons- 
tance, car  elle  ue  se  marie  vraiment  pas  avec  celle  des  autres  instru- 
ments. La  page  de  leclure  à  vue,  d'un  joli  sentiment,  avait  été  écrite 
par  M.  Pugno.  Qu'est-ce  que  ce  Zubel,  auteur  du  coucerto  en  ques- 
tion ?  Il  me  serait  impossible  de  le  dire.  J'ai  eu  beau  chercher  et 
m'enquérir,  j'ai  été  moins  heureux  cette  fois  que  pour  le  concerto 
d'allo  de  Firket,  et  de  ma  chasse  je  suis  revenu  bredouille.  Il  n'im- 
porte; le  morceau  ne  manque  point  d'intérêt,  et  il  a  cet  avantage  de 
bien  faire  ressortir  les  qualités  de  l'exécutant,  tant  sous  le  rapport 
du  style  qu'au  point  de  vue  du  sentiment  ou  de  la  virtuosité.  Ou  ne 
saurait  lui  demander  plus. 

Nous  avons  ici  un  brillant  premier  prix  en  la  personne  d'une  fil- 
lette de  quinze  ans.  M"''  Pauline  Linder,  jolie  comme  un  cœur,  et 
qui  s'est  trouvée  emporter  d'emblée  la  suprême  récompense,  que  le 
public,  je  le  crois  bien,  lui  avait  décernée  de  lui-môme  avant  que  lo 
jury  se  fût  prononcé.  Son  jeu  bien  fondu,  et  dont  l'ensemble  est  excel- 
lent, joint  la  grâce  à  la  hardiesse,  le  goût  à  l'éclat;  agilité  des  doigis, 
brillant  dans  l'exécution,  sonorité  charmante,  avec  cela  la  chaleur  et 
la  vigueur  nécessaires,  elle  réunit  toutes  les  qualités  qui  d'avance 
assuraient  son  succès.  Cela  est  tout  à  fait  charmant.  J'ajoute  qu'elle 
a  très  gentiment  lu. 

Plus  jeune  de  trois  ans,  M"°  Stroobants,  qui  n'en  a  que  douze,  s'est 
vu  attribuer  le  second  prix,  qui  succède  pour  elle  au  premier  acces- 
sit lie  l'an  dernier.  Celle-ci  a  montré  de  la  grâce,  de  l'agilité,  de  la 
facilité  dans  une  exécution  correcte  et  bien  sentie.  Bien  que  la  vi- 
gueur ne  lui  soit  point  étrangère,  ou  lui  souhaiterait  seulement  un 
son  plus  ample  et  plus  corse,  et  c'est  à  cela  qu'elle  devra  surtout 
s'attacher.  Elle  a  lu  avec  beaucoup  de  goût. 

C'est  encore  une  enfant.  M"''  Houssin,  âgée  de  treize  ans,  qui  a 
obtenu  le  premier  accessit.  M""  Houssin  est  la  fille  de  l'excellent 
artiste  à  qui  l'on  doit  la  belle  statue  de  M""  Desbordes-'Valmore  que 
la  ville  de  Douai  inaugurait,  il  y  a  quinze  jours  à  peine.  Elle  décèle 
aussi  une  gentille  nature  d'artiste.  Son  exécution,  d'un  ensemble 
agréable,  très  nette,  très  correcte,  se  distingue  par  une  bonne  qualité 


LE  MÉNESTREL 


239 


de  son,  un  goût  déjà  formé  el  uu  heureux  sentiment  musical. 
C'est  avec  peine  que  j'ai  vu  le  jury  se  montrer  plus  sévère  que  de 
raison  envers  M"°  Luigini,  qui  avait  obtenu  un  premier  accessit  en 
1894  et  qui  se  trouvait,  par  conséquent,  à  son  dernier  concours.  Par 
l'autorité  de  son  jeu,  par  son  habileté,  par  la  grande  sûreté  de  son 
exécution,  par  l'excellence  de  son  mécanisme,  celte  jeune  fille,  à  qui 
il  ne  manque  peut-être  qu'un  peu  de  chaleur,  me  paraissait  bien  mériter 
de  partager  le  second  prix  avec  M"'  Stroobants.  En  réalité  son 
concours  a  été  remarquable,  et,  à  moins  de  raisons  que  le  jury  peut 
seul  connaître,  il  me  parait  qu'il  y  a  eu  là  de  sa  part  un  oubli 
fâcheux. 

PIANO  (Hommes). 

Les  classes  masculines  de  piano  n'ontfait  figurer  cette  fois  sur  la  liste 
du  concours  que  les  noms  de  treize  jeunes  lutteurs.  Il  y  a  longtemps, 
je  crois,  que  pareil  fait  ne  s'était  produit,  et  je  serais  bien  aise  qu'il 
s'établit  en  coutume  et  qu'on  ne  produisît  en  effet,  à  cette  épreuve 
importante,  que  ceux-là  seuls  qui  sont  dignes  d'y  prendre  part  sinon 
toujours  avec  succès,  du  moins  d'une  façon  parfaitement  honorable. 
On  épargnerait  ainsi  au  publie,  et  surtout  au  jury,  l'audition  de  non- 
valeurs  qui  ne  peuvent  que  le  fatiguer,  quand  elles  ne  faussent  pas 
son  jugement  par  la  confusion  qu'elles  amènent  naturellement  dans 
son  esprit. 

Cette  fjis,  c'est  la  classe  de  M.  Diémer  qui  triomphe  sur  toute  la 
ligne.  Sur  sept  élèves  présentés  elle  obtient  six  des  huit  récompenses 
décernées,  et  quelques-unes  de  ces  récompenses  lui  préparent  en- 
core une  année  prochaine  très  brillante.  L'ensemble  du  concours  a 
été  d'ailleurs  remarquable,  et  a  mis  en  évidence  une  fois  de  plus  la 
supériorité  de  notre  enseignement  instrumental  au  Conservatoire. 
Le  morceau  choisi  était,  à  tous  les  points  de  vue,  d'une  rare  diffi- 
culté: difficulté  d'exécution  et  difficulté  d'interprétation,  c'est-à-dire 
de  style,  de  couleur  et  de  caractère.  C'était  la  quatrième  ballade  de 
Chopin  (en  fa  mineur).  Je  regrette  toujours  qu'on  joue  du  Chopin 
au  Conservatoire,  oîi  l'on  ne  devrait  pas  sortir  du  classique  —  et  l'on 
m'accordera  bien,  pour  admirable  qu'elle  soit,  que  la  musique  de 
Chopin  n'est  ni  de  formes  ni  de  tendances  classiques.  Mais  enfin,  puis- 
qu'on voulait  encore  s'adresser  à  ce  maître,  il  était  sans  doute  dif- 
ficile de  mieux  choisir. 

Le  triomphateur  de  la  journée  a  été  le  jeune  Cortot,  élève  de 
M.  Diémer,  qui  s'est  vu  attribuer,  à  l'unanimité,  l'unique  premier 
prix  décerné.  Il  m'a  semblé  tout  d'abord  qu'il  prenait  le  mouvement 
uu  peu  trop  lent,  ce  qui  me  faisait  craindre  que  le  morceau  ne  perdit 
ainsi  une  partie  de  son  nerf  et  de  son  accent.  Mais  cette  crainte  a 
vite  disparu.  Bientôt  l'artiste  s'est  animé,  ses  doigts  superbes  ont 
douné  à  celte  œuvre  si  curieuse  la  couleur  et  la  vigueur  qu'elle 
comporte,  et  il  l'a  jouée  jusqu'à  la  fin  avec  un  feu,  un  éclat,  une  verve, 
un  brio  qu'aucun  de  ses  camarades  n'a  pu  atteindre.  Son  succès  a 
été  très  grand  auprès  du  public,  et  l'on  voit  qu'il  n'a  été  ni  moins 
complet  ni  moins  considérable  auprès  du  jury. 

C'est  un  autre  élève  de  M.  Diéiuer,  un  bambin  de  quatorze  ans,  le 
petit  Lazare  Lévy,  qui  a  obtenu  le  second  prix,  unique  aussi,  de  la 
journée.  Il  est  drôle  comme  tout,  ce  petit,  et  tout  à  fait  intéressant. 
Je  n'oserais  affirmer  qu'il  a  donné  au  morceau  la  couleur  qui  lui 
convient,  mais  il  l'a  joué  avec  grâce,  avec  goût,  avec  sentiment,  et 
l'agilité  de  ses  doigts,  la  vigueur  de  ses  poignets,  la  netteté  et  la 
sûreté  de  son  exécution  ont  fait  merveille.  Avec  cela,  myope  d'une 
façon  ridicule,  il  a  dû  se  tenir  debout  pour  lire  le  morceau  à  vue,  se 
collant  le  nez  sur  son  papier  sans  pouvoir  regarder  son  clavier,  ce  qui 
ne  l'a  pas  empêché  de  déchiffrer  très  bien  et  avec  goût  le  morceau  à 
vue  écrit  par  M.  Widor. 

Un  fait  assez  rare  s'est  produit  ensuite;  les  quatre  seconds accessils 
de  l'auuéo  dernière,  MM.  Lhérie,  Estyle,  Gallon  et  Greviez,  se  sont 
vu  décerner  les  quatre  premiers  accessits.  Le  premier  appartient  à 
la  classe  de  M.  de  Bériot,  les  trois  autres  sont  élèves  de  M.  Diémer. 
M.  Lhérie  se  distingue  par  un  joli  son,  de  bons  doigts,  de  la  grâce 
dans  le  phrasé,  des  traits  fins  et  délicats,  qualités  qui  constituent  un 
très  bon  ensemble. — M.  Estyle  reproduit  les  mêmes  qualités,  à  un 
degré  peut-être  supérieur.  Le  son  chez  lui  est  clair  el  transparent, 
le  phrasé  plein  d'élégance,  et  l'agilité  des  doigts  est  remarquable.  — 
Si  le  jeu  de  M.  Gallon  est  brillant  il  est  aussi  un  peu  lourd,  et  si  sou 
exécution  est  ferme  et  précise  on  peut  lui  reprocher  de  manquer  d'un 
peu  de  grâce.  —  Chez  M.  Greviez  au  contraire  l'exécution  est  très 
distinguée,  entremêlée  d'élégance  et  de  vigueur,  et  le  mécanisme  est 
d'une  rare  habileté. 

Enfiu  deux  seconds  accessits  sont  venus  trouver  MM.  Roussel, 
élève  de  M.  Diémer,  et  Bernard,  élève  de  M.  de  Bériot.  M.  Roussel 
a  dos  doigts  élégants,  un  bon  phrasé,  un  joli  son,  un  jeu  moelleux, 
bren  fondu  et  d'un  ensemble  excellent.  —  L'exécution  de  M.  Bernard 


manque   absolument  de  personnalité;  mais  elle  très  correcte,    bien 
équilibrée,  et  tous  les  détails   sont  rendus  avec  le  plus  grand  soin. 

Les  deux  seconds  prix  des  années  précédentes,  M.  Motte-Lacroix 
(1894)  et  M.  Decreus  (1895},  se  sont  laissé  distancer  cette  fois, 
M.  Motte-Lacroix  a  fait  preuve  pourlanl  d'excellentes  qualités  ;  il  a  la 
grâce  et  l'élégance,  et  il  m'a  paru  surtout  avoir  très  heureusement 
compris  le  caractère  du  morceau.  Mais  son  jeu  voudrait  plusd'ampleur 
et  louche  parfois  à  la  mièvrerie.  Quant  à  M.  Decreus,  on  peut  louer 
chez  lui  la  beauté  du  son  et  rhabileté  du  mécanisme  ;  mais  lui  aussi 
manque  de  neif,  et  surtout  de  pcrsouualité. 

Néanmoins,  on  a  vu  que  la  journée  avait  été  brillante,  et  que 
notre  école  de  piano  continue  de  soutenir  sa  vieille  renommée.  Nous 
verrous  la  semaine  prochaine  ce  qu'il  en  sera  des  classes  fémioines. 

Arthur  Pougin. 

P--S.  —  Il  m'est  impossible  de  donner  aujourd'hui  le  compte  rendu  du 
double  concours  de  déclamation  dramatique,  cjui  s'est  terminé  vendredi 
à  sept  heures  du  soir.  Je  dois  me  borner,  pour  le  moment,  à  en  faire 
connaître  les  résultats  : 

TRAGéDiiï  (Hommes). 

Pas  de  1"'  prix. 

2=  Prix  :  M.  Dorival,  élève  de  M.  Silvaîn. 

'/'"  Accessits  :  MM.  Vayre,  élève  de  M.  Worms,  et  Froment,  élève  de 
M.  Silvaîn. 

Pas  de  2=  accessit. 

Femmes. 

Pas  de  !"■  prix. 

2=  Pria;  ;  M"'  Maille,  élève  de  M.  Silvaîn. 

■I'^' Accessit  :  M""  Page,  élève  de  M.  Dupont-Vernon. 

2"=  Accessit  :  M""  Even,  élève  do  M.  Leloîr. 
Comédie  (Hommes). 

I"'  Prix  ;  M.  Prince,  élève  de  M.  Worms. 

2'  Prix  :  M.  Garbagny,  élève  de  M.  de  Féraudy. 

4"  Accessit  :  M.  Berthier,  élève  de  M.  do  Féraudy. 

2"  Accessit  :  M.  Gaillard,  élève  de  M.  Leloir. 

Femmes. 
Pas  de  1''  prix  : 

2"  Prio)  :  M"»  Maufroy,  élève  de  M.  de  Féraudy. 

■/!*'■  Accessit  :  M™"  Dehelly-Stratsaert,  élève  de  M.  Delaunay,  et  M""  Even, 
élève  de  M.  Leloîr. 
2«  Accessit  :  M"'  Norahc,  élève  de  M.  de  Féraudy. 
A  huitaine  le  compte  rendu.  A.  P. 


NOUVELLES    r>IVE]RSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Loadres  (17  juillet).  —  Il  n'y  a  pas  à  mettre 
en  doute  le  pouvoir  tascînateur  de  la  Manon  de  M.  Massenet.  Témoin  la  re- 
présentation donnée  devant  une  des  chambrées  les  plus  brillantes  qui  se 
soient  jamais  trouvées  réunies  à  Govent  Garden.  La  loge  royale,  où  les 
applaudissements  n'ont  pas  cessé,  était  occupée  par  le  prince  et  la  princesse 
de  Galles,  le  duc  et  la  duchesse  de  Fifo,  la  princesse  Maud  et  son  fiancé 
le  prince  Charles  de  Danemark,  la  princesse  Victoria  et  le  prince  Christian. 
Un  intérêt  tout  spécial  s'attachait  à  cette  reprise  en  raison  de  la  première 
apparition  à  Londres,  dans  les  rôles  de  Manon  et  de  Des  Grieux,  de 
M"=  Melba  et  de  M.  Alvarez. 

Plus  on  entend  M.  Alvarez,  plus  on  est  frappé  par  cette  prodigieuse  in- 
telligence et  ce  merveilleux  instinct  artistique  grâce  auxquels  il  sait  assi- 
miler à  sa  nature  les  rôles  les  plus  opposés  comme  style  et  comme  caractère. 
Nous  l'avons  vu,  cette  saison,  dans  Roméo,  dans  Faust,  ia.nl  Aida,  dans  la 
Valkyrie,  dans  Tannhciuser,  dans  Carmen,  on  nous  le  présente  maintenant 
dans  le  rôle  de  Des  Grîeux,  un  rôle  de  tendresse  et  de  demî-leintes.  Il  y 
a  dans  l'interprétation  de  M.  Alvarez,  surtout  au  point  de  vue  musical, 
au  point  de  vue  des  difficultés  surmontées, —  des  choses  remarquablement 
intéressantes  et  curieuses.  Je  signalerai  particulièrement  l'adresse  avec 
laquelle  il  s'est  tiré  de  la  phrase  du  rêve  au  deuxième  acte.  M""^  Melba  a 
surtout  triomphé  dans  les  passages  d'agilité  ;  le  tableau  du  Cours-la-Reine 
lui  a  valu  des  bis  et  des  rappels  sans  nombre.  Enregistrons  un  effort  et 
un  progrès  considérables  à  l'actif  de  la  comédienne  dans  la  scène  de  Saint- 
Sulpice.  On  ne  pouvait  souhaiter  un  meilleur  Lescaut  que  M.  Albers. 
Quel  joli  chanteur  et  quel  excellent  acteur  !  On  se  figure  le  parti  que 
M.  Plançon  a  su  tirer  des  deux  airs  du  comte  Des  Grieux  et  la  tenue  ad- 
mirable qu'il  prête  au  rôle.  C'est  fout  à  fait  du  grand  art.  Compliments 
sincères  à  MM.  Gilibert  (Guillot)  et  J.  Bars  (de  Brétigny),  ils  ont  été,  tous 
deux,  très  justement  remarqués  et  applaudis. 

Userait  injuste  d'oublier  M.  Gastelmary,  régisseur  de  Covent-Garden.  Je 
ne  puis  louer  assez  vivement  ie  soin,  le  tact  exquis  avec  lesquels  il  a 
réglé  les  moindres  détails  de  la  mise  en  scène.  Et  ce  n'était  pas  une  tache 
facile  de  monter  sur  un  pied  si  supérieurement  artistique  un  ouvrage  sabré 
de  coupures  maladroites  et  dont  l'exécution  était  confiée  à  des  éléments 
si  disparates  et  qu'il  fallait  instruire  en  quelques  répétitions  !  Bravo  donc 
à  M.  Gastelmary,  car  il  lui  revient  un  peu  de  part  du  triomphal  succès  de 
cette  reprise  de  Manon. 


Î40 


LE  MENESTREL 


"Le  Palace-Théâtre  vient  de  représenter,  pour  la  première  fois,  une  saynète 
mimée,  l'Idéal,  qui  a  pour  auteur  M.  Newnham-Davis  et  pour  compositeur 
M.  André  Wormser.  11  n'y  a  pas  à  insister  longuement  sur  cette  œuvrette, 
dont  l'unique  raison  d'être  est  de  faire  briller  lee  talents  plastiques  de  miss 
Ross-Sehvick.  Miss  Ross-Selwick  a  eu  un  grand  succès  de  jolie  femme. 
Quant  à  M.  Clerjet  (de  l'Odéon),  il  a  très  intelligemment  composé  le  rôle 
du  peintre.  Les  qualités  d'expression  et  d'élégance  qu'il  y  a  déployées  font 
de  lui  un  mime  de  tout  premier  ordre.  La  partitionnelte  de  M.  Wormser 
abonde  en  motifs  gracieux  et  spirituels;  elle  est  de  plus  fort  intéressante 
au  point  de  vue  des  intentions  scéniques,  et  l'orcbeslralion  en  est  recher- 
chée. L'orchestre  de  M.  Plurapton  l'a  exécutée  avec  beaucoup  de  soins. 

LÉON  SCIILÉSINCER. 

—  Au  concert  annuel  que  l'Académie  royale  de  musique  do  Londres 
offre  à  l'occasion  de  la  fin  des  examens,  on  s'est  servi  pour  la  première 
fois  du  diapason  normal  français.  Jusqu'à  présent  l'Académie  avait  ré- 
sisté à  cette  innovation,  qui  est  adoptée  dans  presque  tous  les  pays,  et 
avait  conservé  son  ancien  la,  qui  est  sensiblement  plus  élevé  que  le  la 
français. 

—  Un  nouvel  instrument  musical  vient  d'être  introduit  à  l'orchestre 
de  l'Opéra  royal  de  Dresde  à  la  dernière  représentation  de  [tienzi,  de 
Richard  Wagner,  pour  remplacer  dans  l'ouverture  et  dans  la  scène 
de  l'appel  au  combat  le  cor  en  métal.  Cet  instrument,  que  son  inventeur, 
le  facteur  C.  "W.  Morilz  de  Berlin,  appelle  «  cor  de  guerre,  »  a  une  lon- 
gueur de  l-2o  centimètres  et  n'est  autre  chose  que  la  corne  d'une  antilope 
africain  perforée  avec  beaucoup  d'adresse.  Son  embouchure  est  en  métal 
et  ressemble  exactement  à  celle  d'une  trompette.  Sa  gamme  naturelle 
donne  cinq  notes  en  tii  majeur  :  «(,  sol,  ut,  mi,  sol  et  il  paraît  que  le  son 
est  beaucoup  plus  beau  et  pénétrant  que  le  son  du  cor  en  métal.  Guil- 
laume II,  en  sa  qualité  de  compositeur  de  musique,  s'intéresse  beaucoup 
à  cette  invention  et  a  donné  ordre  de  l'essayer  dans  larmée.  On  dit  à 
Berlin  que  le  nouveau  «  cor  de  guerre  »  remplacera  bientôt  le  clairon 
réglementaire  de  l'armée  prussienne.  La  longueur  démesurée  du  nouvel 
instrument  étonnera  d'abord  les  soldats;  ceux  qui  sont  de  religion  juive 
se  croiront  en  pleine  synagogue.  Car  il  parait  que  le  son  produit  par  la 
corne  d'antilope  rappelle  celui  de  la  corne  de  bélier  dont  les  Israélites 
se  servent  encore  de  nos  jours  dans  leurs  synagogues  pour  sonner,  à 
leur  fête  du  nouvel  an,  les  fanfares  liturgiques  qui  sont  vieilles  de  quatre 
mille  ans  environ.  Le  son  du  cor  religieux  des  Israélites  (chôphar)  qui 
n'est  pas  franc  et  rappelle  le  basson,  nous  a  paru  peu  harmonieux  ; 
espérons  que  la  corne  de  la  noble  antilope  donnera  des  résultats  meil- 
leurs que  celle  da  bélier  ordinaire.   -  Bn. 

—  On  annonce  de  Bayreuth  que  les  représentations  cycliques  de  l'Anneau 
de  Niebdung  seront  répétées  en  1897.  Une  reprise  de  ParAfal  aura  lieu  éga- 
lement l'année  prochaine. 

—  La  représentation  complète  de  la  tétralogie  de  l'Anneau  de  Niebelung, 
qui  devait  commencer  dimanche  dernier  à  l'Opéra  royal  de  Budapesth, 
n'a  pas  pu  avoir  lieu  parce  que  le  ténor  M.  Broulik,  qui  devait  chanter 
dans  l'Or  du  Rhin,  a  fait  savoir  au  dernier  moment  qu'il  n'était  pas  en 
mesure  d'entrer  en  scène.  Le  surintendant  général  des  théâtres  royaux  a 
publié  une  déclaration  officielle  dans  laquelle  il  accuse  M.  Broulik  d'avoir 
empêché  la  reprêaenlation  par  malveillance.  Mais  l'artiste  déclare  de  son 
cùté  qu'il  avait  produit,  il  y  a  quelques  jourd,  un  certificat  de  trois 
médecins  constatant  qu'il  était  hors  d'état  de  chanter,  par  suite  d'un  sur- 
menage antérieur  imposé  par  la  direction  de  l'Opéra.  Les  médecins 
déclarent  même  qu'un  travail  prolongé  auraitété  un  danger  pour  la  vie  de 
M.  Broulik.  Il  parait  que  la  justice  aura  à  s'occuper  de  cet  incident,  qui 
a  provoqué  une  sensation  énorme  dans  la  capitale  hongroise,  car  les 
arbitres  ont  condamné  M.  Broulik  à  la  restitution  de  trois  mille  francs 
(ses  honoraires  pour  un  mois)  et  l'artiste,  qui  ne  veut  pas  reconnaître  le 
jugement,  va  s'adresser  aux  tribunaux. 

Dépèche  de  Venise  :  «  Hier  jeudi,  théâtre  Malibran,  fanatisme  pour 

la  Manon  de  Massenet.  Quatre  bis.  Ténor  GaruUi  et  M™'-  GaruUi-Bendazi 
acclamés  soirée  entière.  » 

Le  second  des  exercices  de   fin   d'année   du  Conservatoire  de  Milan 

parait  avoir  été  particulièrement  brillant  et  beaucoup  plus  intéressant  que 
le  précédent.  En  ce  qui  concerne  les  élèves  do  composition,  on  a  entendu 
une  fantaisie  stjmphonique  de  M.  Iginio  Corsi,  élève  de  M.  Coronaro,  qui  ne 
donne  encore  que  des  promesses  assez  vagues  du  talent  de  l'auteur.  Mais 
on  dit  beaucoup  de  bien  d'une  scène  biblique  pour  soprano,  baryton  et 
orchestre,  la  Figlia  di  Jefle,  due  à  M.  Pozzoli,  élève  de  M.  Ferroni,  qui  se 
distingue  par  de  rares  qualités  de  forme  et  de  facture,  et  l'on  n'adresse 
pas  de  moindres  éloges  à  une  composition  religieuse  d'un  autre  élève  de 
M.  Ferroni,  M.  Donini,  un  Kyrie  et  Christe  pour  chœur  à  quatre  voix  a 
(lapella,  qui  a  fait  sur  ses  auditeurs  une  excellente  impression.  Cette  der- 
nière pareil  tout  particulièrement  remarquable. 

Le  12  juillet,  à  Padoue,  les  chanteurs  ordinaires  de  la  chapelle  Anio- 

niana  ont  exécuté  une.  nouvelle  messe  intitulée  Patrem  omnipoleniem ,  due 
au  jeune  organiste  de  la  basilique  de  Saint-Marc  à  Venise,  M.  Oreste  Ra- 
vanello.  «  Cette  œuvre  distinguée,  dit  un  journal  italien,  a  conlirmé  plei- 


nement, à  l'audition,  les  jugements  déjà  exprimés  par  la  critique  lors  de 
sa  publication.  Composée  et  développée  sur  la  mélodie  du  Credo  grégorien 
dit  cardinal,  à  trois  voix  différentes,  elle  atteint  en  plusieurs  points  un 
haut  degré  d'efficacité  par  la  noblesse  du  style,  par  l'intensité  sonore  et 
par  l'expression  liturgique.  L'accompagnement  de  l'orgue,  bien  que  facile 
et  simple,  conserve  le  caractère  et  la  propriété  du  style  qu'exige  la  mu- 
sique sacrée,  même  dans  les  modulations  tout  à  fait  diatoniques.  » 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Une  erreur  typographique  s'est  glissée  dans  notre  liste  des  récom- 
penses pour  le  concours  des  classes  préparatoires  de  violon.  Ce  n'est  point 
M"=  Schneider,  c'est  M.  Schneider  qui  a  obtenu  dans  ce  concours  une 
l"  médaille. 

—  M.  Gailuard  a  quitté  Paris  vendredi,  partageant  ses  vacances  entre 
l'Ariège  et  les  Pyrénées.  M.  Bertrand  était  rentré  le  même  jour  d'Uriage, 
pour  reprendre  à  son  tour  la  direction  de  l'Opéra. 

—  De  son  côté  M.  Carvalho,  qui  était  à  Etretat,  est  venu  passer  quelques 
jours  à  Paris,  appelé  par  le  concours  d'opéra-comique  au  Conservatoire, 
avant  de  se  rendre  à  Contrexéville. 

—  Mardi  prochain,  à  2  heures,  aura  lieu  le  concours  pour  l'obtention  de 
la  place  d'organiste  du  grand  orgue  de  la  basilique  de  Saint-Denis,  sous 
la  présidence  de  M.  Widor.  Les  épreuves  imposées  sont:  1°  accompagne- 
ment d'un  plain-chant  soit  à  la  basse,  soit  à  la  partie  aiguë;  2°  improvi- 
sation d'une  fugue;  3°  improvisation  d'une  pièce  symphoniqi'e;  4"  exécution 
par  cœur  d'une  pièce  de  Bach. 

—  Le  ministre  de  l'instruction  publique  fera  procéder,  le  II  août  pro- 
chain, à  l'adjudication  des  travaux  de  couverture,  de  plomberie  et  de  par" 
quetage  de  l'Opéra-Comique,  sur  un  devis  s'élevant  à  224.300  francs. 

—  L'exposition  des  plans  du  palais  de  1900,  qui  occupe  en  ce  moment 
une  partie  des  locaux  du  palais  de  l'Industrie,  se  trouvant  prolongée  jus- 
qu'au 27  juillet,  l'exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  se  voit  obligée 
de  retarder  de  quelques  jours  son  ouverture.  L'inauguration  en  est  reportée 
au  mercredi  29  juillet,  à  2  heures,  sous  la  présidence  de  M.  André 
Lebon,  ministre  des  colonies. 

—  Voici  les'  résultats  des  derniers  concours  de  l'École  classique  de  la 
rue  de  Berlin  : 

Accompagnement  :  1"'  prix  :  M"=  Miel;  2=  prix  :  M""  Pélicier;  l»'  accessit: 
M.  (^uénoUe,  élèves  de  M""=  A.  Magnien. 

Piano  supérieur  :  classe  hommes,  pas  de  premier  prix;  second  prix  : 
M.  Quénolle;  1'="'  accessit  :  M.  Bourgeois,  élèves  de  M.  Rosen.  —  Classe 
femmes  (morceau  d'exécution  :  Caprice  romantique  de  Charles  René)  : 
1«  prix  à  l'unanimité  M""  Toussaint;  l^f  prix  :  M"»  Hayem;  'i-  prix  à  l'una- 
nimité :  M""  Soulé;  2"  prix  ;  M"'"  Coindriau  et  Petit;  1"'  accessit  : 
M'"*  Mathieu  et  Pélicier;  2"  accessit  :  M""  Leroux,  M"'*  Laûolay  et  Miel, 
toutes  élèves  de  M.  Chavagnat. 

Opéra  (femmes)  2"  prix  à  l'unanimité  :  M""^  Brack;  1"'  accessit  à  l'una- 
nimité .•  M"^'  Braquehais. 

Opéra  (hommesj  i<"  prix  à  l'unanimité  :  M.  Debray;  2"  accessit  à  l'una- 
nimité M.  Germain. 

Opéra-Comique  (femmes),  2<!  prix  à  l'unanimité  M""^^  Braquehais;  l'-'  acces- 
sit :  M'"^  de  Witte;  2«  accessit  à  l'unanimité  :  M"=  Saint-Martin. 

Opéra-Comique  (hommes),  1"''  prix  :  M.  Debray,  tous  élèves  de  M.  G. 
Herbert. 

La  distribution  des  prix  aura  lieu  au  théâtre  des  BatignoUes,  le  jeudi 
30juillet,  sous  la  présidence  de  M.  Beurdeley,  maire  du  8'=  arrondissement. 

—  On  a  donné  mardi  dernier,  au  casino  de  Vichy,  la  première  repré- 
sentation d'un  opéra-comique  inédit  en  un  acte.  Dernier  Amour,  paroles  de 
M.  Paul  Berlier,  musique  de  M'""^  Gabrielle  Ferrari,  compositeur  aimable 
bien  connue  par  nombre  d'œuvres  intéressantes.  Ce  joli  ouvrage,  qui  a 
obtenu  un  succès  complet,  était  joué  à  ravir  par  M"'  Charlotte  Wyns 
(Colombine),  M.  Clément  (Pierrot)  et  M.  Melchissédec  (Scaramouche). 

NÉCROLOGIE 

C'est  avec  un  vif  regret  que  nous  annonçons  la  mort  d'un  excellent 
artiste  qui  était  un  parfait  galant  homme,  Théodore-César  Salomé,  orga- 
niste du  petit  orgue  de  la  Trinité.  Salomé,  qui  était  né  à  Paris  le  20  jan- 
vier 1834,  avait  fait  au  Conservatoire  d'excellentes  études  sous  la  direction 
de  Bazin  pour  l'harmonie  et  d'Ambroise  Thomas  pour  la  fugue  et  la 
composition,  et  il  avait  couronné  une  brillante  carrière  scolaire  en  obte- 
nant à  l'Institut,  en  1861,  le  premier  second  grand  prix  de  Rome.  Malgré 
ce  succès,  il  ne  se  produisit  pourtant  guère  comme  compositeur,  il  ut 
seulement  exécuter  à  la  Société  nationale  de  musique  divers  fragments  de 
symphonie  et  publia,  avec  quelques  morceaux  de  peu  d'importance,  un 
recueil  de  dix  pièces  d'orgue.  Salomé  était  un  excellent  camarade,  très 
cordial,  qui  sera  vivement  regretté  de  tous  ceux  qui  ont  été  à  même  de  le 
connaître.  Il  est  mort  à  Saint-Germain,  où  ses  funérailles  ont  eu  lieu  mer- 
credi dernier.  ■"-•  P- 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Dimanche  2  Août  1896. 


3410.  -  62"^  ANNÉE  —  N°  31.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettre»  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Prorince.  —  Texte  et  Musique  de  Ciiant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


î.  La  première  salle  Favart  et  l'Opéra-Comique,  4'  partie  (13"  article),  Arthob 
PouGiN.  —  II.  Les  Concours  du  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour  : 

BRAS  DESSUS,  BRAS  DESSOUS 

de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :   Un  Rêve,  de   Ch.  Neustedt. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
chant  :  Si  vous  étiez  fleur,  mélodie  de  Depret,  poésie  de  Jacques  Normand. 
—  Suivra  immédiatement  :  Sérénade  florentine,  mélodie  d'EnNEST  Moret, 
poésie  de  J.  Lahor. 


LA   PREMIÈRE    SALLE   FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1838 


QUATRIEME  PARTIE 
II 

(Suite) 

La  Revue  et  Gazette  faisait  preuve  en  la  circonstance  d'un 
optimisme  peut-être  un  peu  bien  robuste.  Elle  comptait  en 
tout  cas  sans  les  habituelles  lenteurs  administratives,  avec 
lesquelles  il  faut  toujours  compter  en  France.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que  cinq  mois  s'écoulèrent  encore  avant  que  les 
Chambres  fussent  à  nouveau  saisies  de  la  question.  Il  y  en 
avait  alors  juste  dix-huit  que  la  salle  Favart  n'existait  plus. 
Enfin,  dans  sa  séance  du  20  juillet,  la  Chambre  des  députés 
était  appelée  à  se  prononcer  sur  le  nouveau  projet  de  loi  qui 
lui  était  présenté  à  ce  sujet  par  M.  Duchâtel,  ministre  de  l'in- 
térieur, et  dont  le  rapporteur  était  M.  Vitet,  qui  concluait  à 
l'adoption.  Mais  il  ne  s'agissait  nullement  dans  ce  projet  de 
MM.CerfbeeretCrosnier  ou  d'une  proposition  quelconque  faite 
par  eux,  et  celui-ci  avait  simplement  trait  à  la  mise  en  adjudi- 
cation de  li  reconstruction  de  la  salle  Favart.  Je  ne  crois  pas 
superflu  d'en  reproduire  le  texte  très  bref.  Le  voici: 

Article  premier.  —  Le  ministre  de  l'intérieur  est  autorisé  à  mettre 
en  adjudication,  avec  publicité  et  concurrence,  la  reconstruction  de 
là  saÛe 'Fdi-v&vt,  pour  y  établir  l'Opéra-Comique,  sons  les  conditions  et 
les  clauses  du  cahier  des  charges  annexé  à  la  présente  loi.  Le  rabais 
portera  sur  la  durée  de  la  jouissance  à  concéder  à  l'adjudicataire. 


Art.  2.  — ^  A  l'expiration  du  terme  fixé  par  l'adjudicalion,  la  salle 
reconstruite  et  ses  dépendances  feront  retour  à  l'État. 

Art.  3.  —  L'adjudicataire  pourra  employer  les  matériaux  provenant 
de  l'ancienne  salle.  Il  recevra,  en  outre,  une  somme  de  300.000  francs, 
égale  à  l'indemnité  versée  au  Trésor  par  la  compagnie  d'assurances 
du  Phénix  pour  le  sinistre  de  l'ancienne  salle,  et  qui  demeure  défini- 
tivement acquise  à  l'État.  Cette  somme  sera  payée  à  l'adjudicataire 
après  la  réception  des  travaux. 

Art.  4.  —  Pour  subvenir  à  la  dépense  énoncée  en  l'article  précé- 
dent, il  est  ouvert  au  ministre  de  l'intérieur,  sur  l'exercice  1840,  un 
crédit  extraordinaire  de  300.000  francs. 

Art.  5. —  L'autorisation  donnée  par  la  présente  loi  cessera  de  plein 
droit  si,  dans  les  trois  mois  à  partir  de  sa  promulgation,  l'adjudi- 
cation définitive  n'a  pas  eu  lieu. 

Le  texte  était  clair.  Il  s'agissait  de  la  reconstruction  de  la 
salle  Favart,  étant  bien  entendu  que- c'était  «  pour  y  établir 
rOpéra-Gomique  ».  Ceci  en  dépit  des  protestations  de  la  com- 
pagnie Boursault,  propriétaire  de  la  salle  Ventadour,  qui 
prétendait  toujours  que  le  privilège  de  ce  théâtre  était  atta- 
ché à  cette  salle  et  par  conséquent  lui  appartenait.  Cette 
compagnie  s'était  même  pourvue  à  ce  sujet  devant  le  conseil 
d'Etat,  qui  avait  mis  ses  prétentions  à  néant.  C'est  ce  qu'ex- 
pliqua à,  la  Chambre  le  rapporteur  du  projet  de  loi,  M.  Vitet; 
c'est  ce  qu'établissait  d'ailleurs  l'exposé  des  motifs  de  ce 
projet,  en  faisant  remarquer  en  outre  qu'il  s'agissait  unique- 
ment de  l'adjudication  des  travaux  de  construction  de  la 
nouvelle  salle,  et  en  ajoutant  :  «  L'intérêt  de  l'État  ne  sera 
pas  compromis,  car  nous  n'adjugerons  pas,  avec  l'entreprise 
de  la  construction,  le  privilège  de  l'exploitation  théâtrale.  » 

La  discussion  s'engagea  donc  à  la  Chambre,  et  l'on  y  vit 
prendre  part,  avec  le  ministre  de  l'intérieur  et  le  garde  des 
sceaux  (M.  Teste),  M.  Vitet,  rapporteur,  et  MM.  de  Vatry,  de 
Laborde,  Berryer,  Mauguin,  Berger,  de  Marmier,  Vatout  et 
Bignon.  Les  articles  furent  'adoptés  successivement,  mais 
lorsqu'arriva  le  vote  sur  l'ensemble  de  la  loi,  on  s'aperçut 
qu'il  n'y  avait  que  203  votants  et  que  l'assemblée  n'était  pas 
en  nombre.  Le  scrutin  fut  donc  annulé  et  reporté  à  l'ouver- 
ture de  la  séance  du  22  juillet.  Cette  fois,  le  projet  fut 
adopté  par  153  voix  contre  80. 

Ce  n'était  pas  tout,  et  il  fallait  maintenant  l'assentiment  de 
la  Chambre  des  pairs.  C'est  dans  sa  séance  du  I"  août,  pré- 
sidée par  le  comte  Portails,  que  celle-ci  fut  saisie  du  projet. 
Ici  nous  trouvons  surtout  deux  orateurs  opposants,  aussi  dé- 
daigneux du  genre  de  l'opéra-comique  que  nos  wagnériens 
actuels,  et  parfaitement  indifférents  de  l'avenir  de  la  mu- 
sique française.  Ces  deux  sceptiques  en  matière  d'art  étaient 
deux  nobles  gentilshommes,  le  comte  de  La  Riboisière  et  le 
comte  de  Sparre,  qui  traitaient  cette  question  avec  un  déta- 
chement complet,  la  jugeant  sans  doute  indigne  des  délibé- 
ration d'une  assemblée    dont   ils  faisaient  le  plus  bel  orne- 


242 


LE  MÉNESTREL 


ment.  Leurs  arguments  furent  pourtant  insufBsants  à 
convaincre  leurs  collègues,  et  finalement  la  loi  fut  votée  par 
62  voix  contre  44.  On  touchait  au  dénouement. 

Une  fois  adoptée  par  les  deux  Chambres,  la  loi  fut  promul- 
guée le  7  août,  et  il  est  juste  de  dire  qu'on  ne  perdit  pas  de 
temps  pour  lui  faire  rendre  ses  effets,  car  dès  les  premiers 
jours  de  septembre  l'adjudication  avait  eu  lieu.  La  Revue  et 
Gazette  des  Théâtres  en  faisait  ainsi  connaître  le  résultat  dans 
son  numéro  du  8  : 

La  reconstruction  de  la  salle  Favart  a  élé  adjugée  à  M.  Cerfberr, 
qui  ne  demandait  qu'une  jouissance  de  39  ans  et  8  mois.  Son  concur- 
renl,  M.  Dabrujeaud,  exigeait  une  jouissance  de  48  ans.  Les  travaux 
doivent  être  terminés  au  1"  avril  1840.  Un  incident  s'était  présenté  : 
M.  le  duc  et  M™"  la  duchesse  de  Marmier  ont  protesté  contre  l'adju- 
dication comme  ayant  à  réclamer  aux  droits  de  M.  le  duc  de  Ghoiseul, 
leur  auteur,  la  propriété  et  la  jouissance  d'une  loge  et  de  ses  dépen- 
dances dans  la  salle  Favart.  Communication  de  cette  protestation 
avait  été  faite  à  tous  les  enchérisseurs,  et  M.  le  ministre  de  l'intérieur 
avait  décidé,  par  un  arrêté,  qu'il  serait  passé  outre  à  l'adjudication, 
attendu  que  Ions  les  droits  des  tiers  sont  garantis  par  l'article  13  du 
cahier  des  charges.  Cet  article  13  est  en  effet  ainsi  conçu  :  «  L'adju- 
dicataire s'engage  ù  supporter  tous  les  droits  réels,  charges  et  ser- 
vitudes qui  peuvent  grever  la  salle  Favart  et  le  magasin  de  Louvois, 
et  il  sera  personnellement  responsable  de  toutes  celles  qu'il  pourrait 
laisser  créer  sur  lesdits  immeubles. 

Cerfberr,  nous  l'avons  vu  déjà,  était  l'associé  de  Grosnier 
dans  la  direction  de  l'Opéra-Gomique,  et  tous  deux  étaient 
prêts,  en  cas  de  rejet  de  la  loi  de  reconstruction,  à  élever  un 
autre  théâtre  sur  un  autre  emplacement  que  celui  de  la  salle 
Favart.  Tous  leurs  plans  étaient  donc  évidemment  préparés, 
et  ils  pouvaient  aller  vite  en  besogne.  Outre  que  l'intérêt  de 
leur  entreprise  les  y  engageait,  celle-ci  se  trouvant  fort  mal 
logée  dans  la  salle  de  la  Bourse,  ils  y  étaient  obligés  par  la 
situation  que  leur  créait  le  Vaudeville,  qui  s'était  assuré  la 
location  de  cette  salle  et  qui  pouvait  les  mettre  en  demeure 
de  l'évacuer  à  un  moment  donné.  C'est  ce  qui  motivait  cette 
note,  que  publiait  le  Mqiiiteur  universel  dans  son  numéro  du 
22  novembre  :  —  a  Le  Vaudeville  a  loué  pour  cinquante  années, 
qui  commenceront  le  d"  mai  prochain,  la  salle  où  s'exploite 
actuellement  l'Opéra-Comique.  De  son  côté,  M.  Cerfberr,  ad- 
judicataire de  la  reconstruction  de  la  salle  Favart,  s'est  obligé 
de  livrer  la  nouvelle  salle  au  directeur  de  l'Opéra-Comique 
pour  le  1*^"  mai.  Le  commencement  du  cinquième  mois  de 
l'année  1840  verra  donc  s'opérer  le  déménagement  de  deux 
de  nos  principaux  théâtres.  La  reconstruction  de  la  salle 
Favart  marche  avec  activité.  » 

On  remarquera  que  l'entrepreneur  avait  à  peine  huit  mois 
pour  accomplir  son  œuvre,  puisque  l'adjudication  avait  été 
prononcée  au  commencement  de  septembre  1839,  et  que  la 
salle  devait  être  prête  le  1"  mai  suivant.  Il  vint  pourtant  à 
bout  de  sa  tâche,  puisqu'on  ne  vit  se  produire  qu'un  retard 
insignifiant  de  quelques  jours,  et  c'est  ce  qui  démontre  l'écla- 
tante supériorité  de  l'initiative  privée  sur  le  travail  de  l'État, 
être  formaliste,  paperassier  et  confit  en  routine,  qui  ne  peut 
accomplir  un  travail  quelconque  qu'à  la  condition  d'y  mettre 
dix  fois  le  temps  nécessaire.  Qu'on  voie  ce  qui  se  produit  au- 
jourd'hui même  pour  la  reconstruction  de  cette  même  salle 
Favart,  et  que  l'on  calcule  le  temps  qu'il  aura  fallu,  depuis 
le  premier  coup  de  pioche,  pour  la  mener  à  bien!  Or,  dès  le 
milieu  de  mars  1840,  on  pouvait  prévoir  que  tout  serait  prêt 
pour  l'époque  fixée,  ou  à  bien  peu  près,  et  un  journal  l'an- 
nonçait en  ces  termes  :  —  «  Les  travaux  de  la  nouvelle  salle 
de  l'Opéra-Comique  avancent  avec  une  grande  rapidité.  Le 
titre  brille  en  lettres  d'or  sur  le  fronton,  qui  est  achevé.  Tous 
les  murs  ont  été  grattés  et  blanchis  à  l'extérieur.  La  scène  est 
entièrement  couverte  ;  la  salle  ne  tardera  pas  à  l'être  égale- 
ment. Quant  aux  travaux  d'intéi-ieur,  les  plus  importants  étant 
achevés,  il  y  a  espoir  que  le  théâtre  sera  prêt  pour  l'époque 
fixée  par  les  marchés.  »  (1). 

L'architecte    (Théodore  Charpentier)   et    l'entrepreneur   ne 

(1)  Monileuir  des  Théâtres,  14  mars  1840. 


perdaient  donc  pas  leur  temps.  Il  est  probable  qu'ils  étaient 
stimulés  et  serrés  de  près  par  Grosnier,  homme  fort  actif  lui- 
même,  très  expert  en  affaires  et  qui  ne  plaisantait  pas  avec 
les  obligations  qu'on  prenait  envers  lui.  Peut-être  n'est-il 
pas  sans  quelque  intérêt  de  rappeler  ce  que  fut  ce  person- 
nage, dont  l'habileté  fut  telle  qu'après  une  période  si  désas- 
treuse pour  l'Opéra-Comique  il  sut  rendre  à  ce  théâtre  son 
lustre  et  sa  splendeur,  et  pendant  onze  années  lui  faire  con- 
naître une  fortune  qui  depuis  si  longtemps  l'avait  abandonné. 
L'existence  est  singulière  d'ailleurs  de  cet  homme,  qui,  parti 
des  rangs  les  plus  infimes  de  l'échelle  sociale,  devint 
auteur  dramatique,  fut  successivement  directeur  de  la  Porte- 
Saint-Martin,  de  l'Opéra-Comique  et  de  l'Opéra,  et  mourut 
propriétaire  opulent,  président  du  conseil  général  d'Indre-et- 
Loire,  député  au  Gorps  législatif  et  commandeur  de  la  Légion 
d'honneur. 

Le  vrai  nom  de  François-Louis  Grosnier  était  Croisneu.  Il 
était  né  à  Versailles,  le  12  mai  1792,  sans  doute  de  simples 
ouvriers,  puisqu'on  1824,  alors  qu'il  était  déjà  coté  comme 
auteur  aux  théâtres  des  boulevards,  ses  parents  deve- 
naient concierges  de  l'Opéra.  (On  sait  que  lorsqu'il  devint 
lui-même,  en  1854,  directeur  de  ce  théâtre,  sa  mère,  veuve 
et  fort  vieille,  refusa  obstinément  de  quitter  sa  loge,  rendez- 
vous  alors  de  tous  les  artistes  et  surtout  des  danseuses, 
qui  l'appelaient  familièrement  «  maman  Grosnier».)  A  partir 
des  environs  de  1820,  Grosnier  fit  jouer,  toujours  avec  l'aide 
de  collaborateurs  (Saint-Hilaire,  Jouslin  de  Lasalle  et  autres), 
de  nombreux  mélodrames  à  la  Gaîté  et  à  la  Porte-Saint- 
Martin  :  le  Meurtrier,  le  Solitaire,  Minuit,  le  Contrebandier,  le  Mau- 
vais Sujet,  l'Étranr/ère,  l'École  du  scandale,  la  Fille  du  musicien,  le 
Caissier,  le  Monstre  et  le  Magicien,  etc.  Le  30  janvier  1830, 
à  la  suite  de  la  débâcle  du  baron  de  Montgenet,  il  prenait 
la  direction  de  la  Porte-Saint-Martin,  dont  il  avait  été  un 
instant  l'administrateur,  et  c'est  lui  qui,  entre  autres  pièces, 
monta  à  ce  théâtre  Antomj,  Marion  Delorme,  Richard  d'ArUngton, 
la  Tour  de  Nesle,  Perinet  Leclerc,  avec  une  troupe  qui  avait  à  sa 
tête  deux  artistes  dont  les  noms  sont  restés  justement  fameux 
dans  les  annales  du  romantisme  théâtral,  Bocage  et  Marie 
Dorval. 

Cette  direction,  exceptionnellement  fructueuse,  fut  la  source 
de  la  fortune  de  Grosnier,  qui  cependant,  au  bout  de  deux 
ou  trois  ans,  passa  la  main  à  Harel,  non  sans  y  trouver  son 
compte,  et  tout  en  demeurant  titulaire  du  privilège  du  théâtre. 
C'est  peu  de  temps  après  qu'il  sollicitait  et  obtenait,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu,  celui  de  l'Opéra-Comique,  où  son  ad- 
ministration, pour  être  plus  longue,  ne  fut  pas  moins  heu- 
reuse. Il  resta  à  la  tête  de  ce  dernier  jusqu'en  1845,  époque 
où,  à  beaux  deniers  comptants,  il  la  céda  à  Basset.  Devenu 
en  1852  député  officiel  de  l'Empire  pour  le  département  d'Indre- 
et-Loire  (où  il  fut  réélu  en  1857  et  en  1863),  il  était  nommé, 
le  11  novembre  1854,  directeur  de  l'Opéra  pour  le  compte  de 
la  maison  de  l'Empereur,  fonctions  qu'il  se  voyait  obligé  de 
résigner  au  bout  de  dix-huit  mois,  aux  derniers  jours  de  juin 
1856,  à  la  suite  d'un  différend  grave  avec  Achille  Fould,  mi- 
nistre d'État  (1).  C'est  alors  que,  pour  pallier  sa  disgrâce, 
le  souverain  lui  octroyait  la  cravate  de  commandeur  de  la 
Légion  d'honneur.  Grosnier,  dont  la  première  femme  était 
couturière,  avait  épousé  en  secondes  noces  la  veuve  de  l'il- 
lustre Broussais.  Il  mourut  en  septembre  1867. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LES  CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


TRAGÉDIE 
Bien  qu'il  n'ait  donné  lieu  à  aucune  récompense  supérieure  (il  n'y 
a  eu  de  premier  prix  ni  pour  les  hommes  ni  pour  les  femmes),  le  con- 

(1)  Alphonsk  Royer  dit,  dans  sa  piètre  Histoire  de  l'Opéra  :  «  Le  1"  juillet  1856 
on  venait  me  cherclier  à  l'Odéon,  que  je  dirigeais  depuis  trois  ans,  et  on  me 
donnait  (bien  malgré  moi)  la  succession  de  Grosnier,  tombé  en  disgrit  ce  à  la 
suite  d'une  violente  altercation  avec  II.  Fould.  » 


LE  MÉNESTREL 


243 


cours  ds  tragédie  n'a  pas  laissé  que  d'oflfrir  cette  année  un  intérêt 
assez  vif.  Il  a  mis  surtout  en  lumière  le  tempérament  d'une  jeune 
femme  qui,  je  crois,  est  appelée  à  faire  parler  d'elle  dans  un  avenir 
prochain,  M.""  Page,  que  nous  retrouverons  tout  à  l'heure,  et  dont 
le  nom  a  été  l'occasion  d'un 'de  ces  incidents  comme  il  s'en  produit 
périodiquement  au  Conservatoire  pour  protester  contre  certaines 
décisions  plus  ou  moins  étranges  du  jury.  Mais  commençons  par  le 
commencement. 

En  l'absence  du  premier,  le  second  prix,  du  côté  des  hommes,  a 
été  attribué  à  M.  Dorival,  qui  a  joué  avec  chaleur,  avec  une  vigueur 
exempte  d'excès,  avec  puissance  et  même  une  certaine  grandeur,  la 
scène  du  meurtre  de  Glytemnestre  dans  les  Erinnyes,  scène  très  diffi- 
cile, où  il  a  fait  preuve  d'une  louable  sobriété  tout  en  déployant  un 
sentiment  dramatique  très  intense.  Il  avait  précisément  là  pour  par- 
tenaire M"°  Page,  qui,  avant  de  concourir  pour  .son  propre  compte, 
a  partagé  le  succès  de  son  camarade.  M.  Dorival  est  élève  de 
M.  Silvain. 

Deux  premiers  accessits  ont  été  décernés  à  MM.  Vayre,  élève  de 
M.  Worms,  et  Froment,  élève  de  M.  Silvain.  M.  Vayre  a  dit  avec 
un  accent  très  juste  une  scène  de  Louù  XI,  dans  laquelle  il  a  montré 
de  la  chaleur,  de  l'intelligence  et  un  bon  sentiment  de  la  scène. 
Mais,  comme  un  trop  grand  nombre  de  ces  jeunes  apprentis  comé- 
diens, il  parle  souvent  trop  vite  et  de  façon  à  ne  pas  se  faire  com- 
prendre. Il  devra  s'attacher  à  soigner  son  articulation.  M.  Froment 
a  paru  vraiment  intéressant  dans  le  Triboulet  du  Hoi  s'amuse.  Une 
bonne  diction,  avec  de  l'âme,  de  la  sensibilité  et  un  heureux  senti- 
ment des  contrastes,  telles  sont  ses  qualités,  avec  parfois  un  peu 
d'excès,  mais  point  de  façon  à  choquer  trop  durement. 

Du  côté  féminin  nous  trouvons  aussi  un  second  prix,  dont  la  titu- 
laire assez  inattendue  est  M"'  Maille,  élève  de  M.  Silvain,  qui  nous 
a  joué  au  grand  galop  et  en  grasseyant  la  scène  du  quatrième  acte 
d'Horace,  qu'elle  semblait  ne  pouvoir  jamais  finir  assez  vite.  On 
aurait  dit  qu'elle  avait  un  rendez-vous  avec  Curiaee,  et  elle  vous 
déballait  les  vers...  Il  fallait  voir  les  imprécations!  ahl  ça  n'a  pas 
été  long,  je  vous  assure.  Une,  deusse,  en  avant,  arche  !... 

Je  ne  sais  ce  qu'il  adviendra  de  M"'  Maille,  en  dépit  de  son  second 
prix,  et  je  me  sens  incapable  de  hasarder  à  son  sujet  aucun  pro- 
nostic. Mais  ce  que  je  sais  bien,  c'est  qu'il  y  a  chez  M"'=  Page,  élève 
de  M.  Dupont- Vernon,  un  vrai  tempérament  d'artiste,  qui  ne  tardera 
pas  à  se  révéler  dans  toute  sa  vigueur.  M"°  Page,  qui  s'était  fait  vive- 
ment applaudir  en  donnant  la  réplique  à  M.  Dorival  dans  les  Erynnies, 
a  obtenu  un  remarquable  succès  personnel  dans  une  scène  du  second 
acte  de  Bajaset.  Douée  d'une  physionomie  mobile  et  expressive,  avec 
un  œil  profond,  un  regard  plein  d'éclairs,  la  démarche  noble,  le  geste 
ample  et  harmonieux,  cette  jeune  femme  semble  née  pour  le  théâtre. 
Son  débit  est  sage,  sa  diction  est  sobre  et  d'une  rare  justesse  ;  elle 
a  la  vigueur,  elle  a,  qualité  bien  rare  chez  une  jeune  artiste  — 
l'ironie  hautaine,  elle  a  enfin  ce  qui  emporte  tout  :  l'autorité.  C'est 
une  nature  et  un  tempérament.  Ce  sont  ces  qualités  rares,  dont  la 
réunion  fait  déjà  d'elle  un  sujet  précieux,  et  que  le  public  avait  vive- 
ment remarquées,  qui  ont  fait  éclater  un  incident  lors  de  la  procla- 
mation des  récompenses.  Lorsque  ce  public,  qui  avait  accueilli  avec 
un  silence  glacial  l'annonce  du  second  prix  décerné  à  M""  Maille, 
entendit  appeler  M""=  Page,  à  qui  l'on  attribuait  seulement  un  premier 
accessit,  il  lui  fit  une  telle  ovation  et  l'accueillit  avec  une  telle  volée 
d'applaudissements  que  pendant  plusieurs  minutes,  et  malgré  les 
efforts  de  la  sonnette  du  président,  il  fut  impossible  de  rien  entendre. 
C'est  alors  que  M.  Théodore  Dobois  annonça  que  la  séance  était  levée 
et  qu'il  n'achèverait  la  proclamation  des  prix  que  lorsque  la  salle 
serait  évacuée. 

Un  second  accessit  a  été  accordé  à  M"=  Even,  pour  une  scène  de 
Phèdre.  W^'-  Even,  qui  est  élève  de  M.  Leloir,  est  douée  d'une  voix 
excellente.  Elle  est  intéressante,  el  assurément  intelligente.  Elle  a 
fort  à  faire  encore,  mais  elle  a  l'étoffe  nécessaire.  C'est  le  fonds  qui 
manque  le  moins. 

COMÉDIE 

Voici  pour  la  comédie,  où  l'on  a  vivement  regretté  de  ne  pas  voir 
se  représenter  M'"  Page,  quelles  ont  été  les  récompenses  décernées  : 

Hommes. 
1"  Prix.  —  M.  Prince,  élève  de  M.  Worms. 
2'=  Prix.  —  M.  Garba^ny,  élève  de  M.  de  Féraudy. 
1"  Ace.  —  M.  Berthier,  élève  de  M.  de  Féraudy. 
2=  Aec.  —  M.  Caillard,  élève  de  M.  Leloir. 

Femmes. 
Pas  de  l"'  prix. 
2°  Prix.  —  M"''  Maufroy,  élevé  de  M.  de  Féraudy. 


1"  Ace.  —  M"'"  Dehelly-Stratsaert ,  élève  de  M.  Delaunay  ,  et 
M"=  Even,  élève  de  M.  Leloir. 

2°  Ace.  —  M"°  Norach,  élève  de  M.  de  Féraudy. 

Ici,  la  supériorité  du  sexe  fort  s'affirme  presque  avec  éclat,  grâce 
surtout  à  la  présence  de  MM.  Prince  et  Garbagny,  qui  sont  venus, 
l'un  après  l'autre,  terminer  la  séance.  C'était  bien  le  cas  dédire: 
Aux  derniers  les  bons.  Nous  n'avons  pas  entendu,  d'ailleurs,  moins 
de  vingt  scènes  de  comédie,  dont  une  au  moins  me  semble  amener  une 
réflexion.  Le  matin,  dans  le  concours  de  tragédie,  on  nous  avait 
donné  deux  scènes  d'Hernani  et  du  Roi  s'amxise,  et  le  soir,  dans  la 
séance  consacrée  à  la  comédie,  nous  trouvons  une  scène  de  Lucrèce 
Borgia.  Voilà  qui  peut  sembler  singulier.  Il  n'y  a  pas,  que  je  sache, 
le  plus  petit  mot  pour  rire  dans  Lucrèce  Borgia,  qui  n'est  assurément 
pas  d'une  gaité  folle,  et  il  y  a  quelque  hardiesse  à  classer  une  telle 
oeuvre  dans  le  répertoire  comique.  Mais  passons,  et  voyous  ce  que 
sont  nos  jeunes  comédiens. 

M.  Prince,  qui,  comme  figure  et  comme  tournure,  ressemble  d'une 
façon  remarquable  à  M.  Coquelin  cadet,  s'est  produit  dans  un  arran- 
gement assez  singulier  de  deux  scènes  du  Médecin  malgré  lui,  où  il 
jouait  Sganarelle.  Doué  d'un  excellent  organe,  clair  et  sonore,  il 
joint  à  un  naturel  remarquable  une  verve  pleine  de  chaleur,  une 
diction  nette,  un  débit  facile  et  sans  précipitation.  J'ajoute  qu'il  a 
de  l'aisance  sans  laisser-aller,  qu'il  ne  tombe  jamais  dans  la  charge, 
qu'il  tient  merveilleusement  la  scène,  et  que  son  geste  et  sa  démarche 
complètent  un  excellent  ensemble.  C'est  un  artiste  aujourd'hui  formé 
et  qui  peut  sans  crainte  affronter  le  grand  public. 

C'est  par  des  qualités  différentes  que  brille  M.  Garbagny,  qui  a 
joué  le  rôle  de  Jean  Bonnin  daus  une  scène  de  Fraîiçois  le  Champi,  où 
il  a  montré  de  la  chaleur,  une  rare  franchise  et  un  sentiment  expansif 
et  vrai.  Celui-là  n'a  plus  que  bien  peu  de  chose  à  faire  pour  être  en 
état  de  monter  sur  de  vraies  planches. 

M.  Berthier  a  dit  la  grande  scène  de  maître  André  et  de  Jacqueline 
dans  le  Chandelier.  Le  commencement  était  bien  un  peu  morne,  un 
peu  froid,  mais  il  s'est  relevé  ensuite  et  a  montré  à  la  fin  de  la 
bonhomie  et  du  naturel.  Quant  à  M.  Caillard,  que  nous  avions  vu  le 
matin  dans  la  scène  d'Hamlet  avec  sa  mère,  c'est  lui  qui  a  joué  celle 
d'Alphonse  avec  Lucrèce  dans  Lucrèce  Borgia.  De  la  chaleur,  de  la 
sobriété,  une  diction  naturelle  et  expressive,  sèche  à  l'occasion  et 
vigoureuse  sans  raideur,  telles  sont  ses  qualités. 

J'ai  regretté,  je  l'avoue,  qu'on  n'ait  pas  cru  devoir  accorder  son 
premier  prix  à  M.  Eozenberg,  qui  avait  obtenu  le  second  il  y  a  deux 
ans  et  qui  a  fort  joliment  joué,  avec  désinvolture,  avec  grâce,  avec 
distinction,  une  scène  du  Gringoire  de  Théodore  de  Banville.  Que 
reproche-t-on  à  cejeune  homme,  qui  n'a  vraisemblablement  plus  rien 
à  apprendre  au  Conservatoire  ?  Est-ce,  peut-être,  parce  que  la 
Comédie-Française  ne  se  soucie  pas  de  l'engager,  qu'on  lui  refuse  un 
prix  qu'il  a  bien  mérité?  Il  y  a  de  ces  mystères,  auxquels  nous  ne 
comprenons  rien,  nous  autres  profanes.  Quoi  qu'il  en  soit,  celui-là 
peut  hardiment  se  présenter  devant  le  public,  et  j'ai  dans  l'idée  qu'il 
saura  s'en  faire  bien  accueillir.  Parmi  les  élèves  non  couronnés,  je 
ne  veux  pas  négliger  de  signaler  M.  Barlay,  qui  a  montré  de  l'aisance 
et  de  la  chaleur  dans  la  scène  du  chapeau  du  Mariage  forcé,  et  qui  se 
distingue  par  un  bon  organe  et  une  bonne  articulation. 

Côté  des  femmes.  Ici,  la  surprise  de  la  journée  a  été  l'apparition  char- 
mante d'une  toute  jeune  fille,  M"°  Maufroy,  qui,  à  son  premier  concours, 
a  décroché,  dans  une  scène  d'An  printemps,  le  seul  prix  décerné. 
Voilà  une  vraie  ingénue,  d'un  naturel  exquis,  naïve  sans  recherche, 
comique  par  cette  naïveté  même,  par  un  accent  de  sincérité  qui 
charme  et  qui  étonne  à  la  fois  l'esprit  et  l'oreille,  et  dont  les  répli- 
ques d'un  ton  si  inattendu  produisent  un  effet  délicieux.  Le  public, 
surpris,  a  fait  à  cette  jeune  fille  un  succès  bien  mérité  et  qu'est  venue 
confirmer  la  décision  du  jury  à  son  égard.  Je  voudrais  lui  voir  jouer 
ï École  des  femmes  (pas  au  jury).  Elle  y  serait  certainement  exquise  et 
pleine  d'originalité. 

Je  ne  saurais,  malheureusement,  adresser  les  mêmes  éloges  à 
M™  Dehelly,  qui  a  joué  d'une  façon  bien  pâle  el  bien  insignifiante 
la  scène  du  troisième  acte  du  Mariage  de  Victorine,  où  elle  s'est  vue 
récompenser  pourtant  par  un  premier  accessit.  Avant  elle  une  aimable 
jeune  femme,  M"°  Clary,  avait  joué  cette  même  scène  d'une  façon 
toute  charmante,  avec  des  larmes  dans  la  voix,  avec  une  diction  tou- 
chante et  sobre,  avec  un  sentiment  dramatique  plein  de  candeur.  A 
quoi  donc  sert-il  de  déployer  de  telles  qualités,  si  le  jury  ne  parait 
pas  s'en  apercevoir?  Mais  qu'elle  travaille  et  qu'elle  continue, 
M"°  Clary,  elle  a  ce  qu'il  faut  pour  vaincre  les  résistances. 

Comme  M"""  Dehelly,  M"'  Even  a  obtenu  un  premier  accessit,  pour 
la  scène  d'Alcmène  avec  son  époux  dans  Amphitryon.  M"°  Even,  qui 


244 


LE  MENESTREL 


n'esl  pas  tout  à  fait  la  première  venue,  fera  bien  de  se  surveiller 
beaucoup  :  elle  parle  beaucoup  trop  vite  el.  de  plus,  laisse  éteindre 
et  tomber  la  fin  de  toutes  ses  phrases,  si  bien  qu'on  n'entend  pas  la 
moitié  de  ce  qu'elle  dit.  C'est  pour  la  grande  scène  à'Adrienne  Lecou- 
vreur  que  M""  Xoraho  (qui  me  paraît  bien  s'appeler  de  son  vrai  nom 
Charon,  par  anagramme)  s'est  vu  décerner  un  second  accessit.  Elle 
ne  manque  ni  de  sensibilité  ni  de  grâce,  mais  crie  parfois  un  peu 
trop. 

M"*  Rabuteau,  premier  accessit  de  l'an  dernier,  est  restée  sur  le 
carreau.  Coiffée  comme  un  singe  el  d'une  façon  absolument  ridicule, 
elle  est  venue  bredouiller  une  scène  de  FranciUon  en  parlant  quatre 
fois  trop  vita.  Ses  progrès  sont  nuls.  Et  c'est  dommage,  car  elle  a  à 
son  service  une  des  voix  les  plus  étoffées  el  les  meilleures  que  l'on 
puisse  souhailer. 

Je  ne  puis  que  signaler,  parmi  les  élèves  non  couronnées,  M"°Méry 
dans  le  Fils  naturel  el  M""  Vandoren  dans  la  Princesse  Georges.  La  pre- 
mière est  inléressante  :  elle  dit  bien,  avec  un  bon  sentiment  et  des 
accents  d'une  tendresse  touchanle.  La  seconde  n'est  ni  sans  intelli- 
gence, ni  sans  qualités,  mais,  comme  beaucoup  d'autres,  elle  parle 
trop  vite. 

OPÉRA.-GOMIQUE 

I^e  concours  d'opéra-comique,  que  tout  le  monde  supposait  devoir 
être  quelque  peu  insignifiant  en  raison  de  la  faiblesse  des  concours 
de  chant,  a  été  beaucoup  meilleur  qu'on  ne  l'espérail  et  n'a  pas 
laissé  au  contraire  que  d'inspirer  un  intérêt  assez  vif.  Voici  d'ailleurs, 
sur  douze  concurrents,  la  liste  des  récompenses  décernées  : 

Hommes. 
1"  prix.  —  M.  Beyle,  élève  de  M.  Taskin. 

2=  prix.  —  MM.  Grosse,  élève  de  M.  Taskin,  el  Vieuille,  élève  de 
M.  Achard. 
Pas  d'accessits. 

Femmes. 

l"  prix.  — ■  M"=  Guiraudon,  élève  de  M.  Taskin. 

Pas  de  second  prix. 

i"'  accessit.  —  M""  AUusson,  élève  de  M.  Achard,  et  Petit,  élève 
du  même. 

Chose  assez  rare  :  des  douze  élèves  qui  se  présentaient  à  ce  con- 
cours, pas  un  seul  n'avait  été  récompensé  antérieurement.  Quant  aux 
deux  premiers  prix,  M.  Beyle  et  M""  Guiraudon,  l'un  et  l'autre  l'ob- 
tenaient d'emblée  à  leur   première  épreuve. 

C'est  dans  le  tableau  de  Saint-Sulpice,  de  Manon,  qu'ils  se  présen- 
taient ensemble.  Ici,  M"'  Guiraudon,  qui  est  déjà  une  artiste  hien 
intéressante,  a  pris  une  revanche  éclatante  de  l'échec  inattendu  qu'elle 
avait  subi  au  concours  de  chant.  Cette  jeune  femme  au  regard  et  au 
sourire  si  intelligents,  qui,  sans  être  jolie,  a  une  physionomie  si 
expressive,  est  évidemment  quelqu'un,  et  l'on  sent  qu'au  théâtre  elle 
sera  dans  son  élément.  On  n'apprend  pas  à  marcher,  à  se  tenir  ainsi 
en  scène,  à  avoir  le  geste  aussi  juste,  aussi  naturel  et  aussi  harmo- 
nieux. Mais  ceci  n'est  que  pour  le  côté  plastique,  qui  sert  surtout  a 
compléter  les  qualités  scéniques.  Ces  qualités,  M"'^  Guiraudon  les  pos- 
sède aussi  :  elle  a  la  chaleur  et  le  pathétique,  le  charme  et  la  passion. 
elle  trouble  et  elle  émeut.  Tout  est  chez  elle  aisé  et  naturel,  le  chant, 
la  diction,  l'action  scénique.  Je  serais  étonné  si  elle  ne  faisait  pas 
bientôt  parler  d'elle.  Son  partenaire,  M.  Beyle,  sans  être  à  sa  hau- 
teur, l'a  d'ailleurs  secondée  d'une  façon  très  satisfaisante.  Lui  non 
plus  ne  manque  pas  de  chaleur;  il  a  une  certaine  ampleur  dans  le  jeu 
et  n'est  nullement  maladroil.  Qui  sait  si  nous  ne  verrons  pas  prochai- 
nement l'un  et  l'autre  à  rOpéra-Comique. 

Entre  les  deux  seconds  prix  attribués  à  MM.  Gresse  et  Vieuille  je 
ne  fais  guère  de  différence,  et  je  trouve  que  le  jury  a  fort  bien  fait  de 
leur  accorder  à  tous  deux  la  môme  récompense.  M.  Gresse  s'est 
montré  dans  le  rôle  du  vieux  chevrier  Jacques  Sincère  au  premier 
acte  du  Val  d'Andorre.  Il  dit  le  dialogue  avec  justesse,  chante  bien 
au  point  de  vue  scénique,  avec  intelligence,  et  articule  d'une  façon 
très  nette;  dans  sa  scène  de  bonne  aventure  avec  les  deux  femmes,  il 
a  eu  de  très  heureuses  intentions  ironiques,  sans  dépasser  la  mesure. 
—  De  son  côté,  M.  Vieuille  a  joué  avec  aisance,  avec  facilité,  avec 
sobriélé,  la  grande  scène  de  Falslaff  au  premier  acte  du  Songe  d'une 
nuit  d'été.  Il  a  prouvé  là  qu'il  a  ce  qu'il  faut  pour  devenir  un  bon 
comédien  :  de  la  verve,  de  la  gaieté,  un  bon  sentiment  comique,  qui 
ne, tourne  pas  à  la  charge;  le  jeu  est  ample,  intelligent  et  naturel,  le 
geste,  la  démarche,  la  diction,  tout  est  harmonique  et  concourt  à  un 
bon  ensemble.  Ces  deux  jeunes  gens  sont  dans  le  droit  chemin,  ils 
n'ont  qu'à  continuer. 

Oii  je  ne  trouve  pas  qu'il  y  ait  égalité,  c'est  dans  les  deux  premiers 
accessits  qui  ont  été  décernés  à  M""  AUusson  et  Petit.  La  première 


s'est  présentée  dans  le  second  acte  de  Manon,  où  elle  a  dit  avec  une 
certaine  grâce  l'épisode  de  la  table;  mais  elle  ne  sait  rien  de  la  scène, 
elle  n'a  pas  le  sens  du  dialogue  et  ignore  jusqu'à  l'art  de  marcher. 
Elle  a  fort  à  faire  pour  acquérir  tout  ce  qui  lui  manque  de  ce  côté.  — 
Tout  au  contraire.  M"»  Petit  nous  a  joué  d'une  façon  charmante  toul 
un  grand  fragment  du  Tableau  parlant.  C'est  une  gentille  soubrette, 
vive,  accorte,  à  la  mine  éveillée  et  inlelligenle,  au  regard  plein  de 
franchise,  qui  n'est  embarrassée  ni  de  ses  mains  ni  de  ses  jambes,  et 
dont  la  diction  est  aussi  fine  que  spiriluelle.  Elle  a  fort  joliment  chanté 
les  couplets  au  vieux  Cassandre  :  Ils  so7it  passés,  ces  jours  de  fêle,  et 
aussi  le  duo  avec  Pierrot.  Elle  a  la  grâce,  la  vivacité  et  la  coquetterie. 
Avec  du  travail  encore,  cela  fera  une  dugazon  comme  on  en  voit  peu, 
et  je  trouve  qu'un  second  prix  n'eût  pas  été  de  trop  pour  récompenser 
un  tel  résultat.  Je  me  demande  seulement  pourquoi  M'"  Petit  a  pu 
prendre  part  au  concours  d'opéra-comique  sans  s'être  montrée  au 
concours  de  chant. 

Ce  qui  m'élonne  aussi,  c'est  que  le  jury  n'ait  pas  cru  devoir  accorder 
même  un  second  accessit  à  M'"  Poigny,  qui,  charmante  physiquement, 
a  prouvé  de  l'adresse  dans  la  jolie  scène  de  Jeannette  et  des  amou- 
reux au  second  acte  do  Joconde,  qu'elle  a  jouée  avec  grâce,  bonne 
humeur  et  gentillesse.  Il  y  a  là  aussi,  je  crois,  l'étoffe  d'une  aimable 
dugazon. 

Je  signalerai  encore  M.  Andrieu,  qui  concourait  avec  M"''  Petit  dans 
le  Tableau  parlant,  où  il  s'est  montré  adroit  et  aimable,  et  M.  Edwy, 
qui  n'a  manqué  ni  d'aisance  ni  de  verve  comique  dans  une  scène  de 
la  Fausse  Magie,  mais  en  chantant  d'une  façon  un  peu  lourde  celte 
musique  légère  qu'il  faut  se  garder  d'écraser  par  un  excès  de  sonorité 
vocale. 

PIANO   (Femmes.) 

Une  des  séances  les  plus  redoutables  de  l'année.  Commencée  à 
midi,  celle-ci  ne  s'est  terminée,  après  délibération  du  jury,  qu'à  sept 
heures  du  soir.  El  pourtant,  il  n'y  avait  cette  fois  que  vingt-sept 
concurrentes,  au  lieu  de  trente-cinq  qui  est  le  chiffre  normal  — 
lorsqu'il  n'est  pas  dépassé.  Il  est  vrai  que  le  morceau  était  d'une 
longueur  inusitée.  Quand  je  dis  le  morceau...  je  ne  sais  vraiment 
quel  nom  donner  à  la  singulière  macédoine  qu'on  a  faite,  pour  la 
circonstance,  du  Carnaval  de  Schumann,  quia  été  arrangé  de  la  façon 
la  plus  baroque  qu'on  puisse  imaginer.  Cette  olla  podrida  d'un  nou- 
veau genre,  se  composait  des  ingrédients  que  voici  :  d'abord,  le 
Préambule,  d'où,  par  un  grand  saut,  on  allait  prendre  les  seize  mesures 
d'introduction  d'Eusebius  (n°  5),  pour  retourner  en  arrière  et  prendre 
Arlequin  (n°  3);  de  là  on  passait  aux  Papillons  (n°  9),  puis  on  prenait 
Chiarina  (n°  11),  Chopin  (n°  12),  Reconnaissance  (n°  14),  Pantalon  et 
Colombine  (n"  l.o);  on  passait  ensuite  par-dessus  Paganini  pour  prendre 
la  reprise  de  la  Valse  allemande,  puis...  ah  !  ma  foi,  je  ne  me  rappelle 
plus.  Toujours  est-il  que  l'œuvre,  ainsi  transposée,  conlournée, 
tronquée,  dénaturée,  formait  le  morceau  de  concours  le  plus  étrange 
qu'on  puisse  trouver.  Le  répertoire  du  piano  n'est-il  donc  pas  assez 
abondant,  assez  étendu,  assez  riche  pour  qu'on  ne  puisse  y  trouver  de 
quoi  satisfaire  aux  conditions  d'un  concours,  et  pour  qu'on  soit 
obligé  de  se  livrer  à  un  tel  jeu  de  massacre  à  l'endroit  d'une  œuvre 
intéressante  el  célèbre,  qui  n'a  plus  ainsi  ni  queue  ni  tête,  ni  sens  ni 
raison  ?  D'autre  part  —  et  c'est  mon  humble  avis  que  je  donne  ici  — 
je  trouve  que  le  Carnaval,  ainsi  décharné,  déchiqueté,  décortiqué, 
s'il  lient  mettre  en  relief  la  virtuosité  de  l'exécutant,  ne  lui  permet 
pas  de  prouver  l'ombre  d'une  qualité  de  sentiment  et  d'expression  ; 
et  quant  au  style,  je  déclare,  pour  ma  part,  qu'il  m'est  impossible 
d'apprécier  celui  d'une  seule  des  vingt-sept  concurrentes  qui  ont 
exécuté  celte  étonnante  arlequinade.  Ceci  soit  dit  pour  m'excuser  de 
n'en  pas  prononcer  une  seule  fois  le  mot  dans  le  compte  rendu  qu'on 
va  lire. 

Les  récompenses,  au  nombre  de  treize,  atteignent  la  moitié  du 
chiffre  des  concurrentes.  Sur  ces  treize  récompenses,  quatre  premiers 
prix  décernés  à  M"°'  Hansen,  élève  de  M.  Delaborde,  Varin,  Rigalt 
et  Toulain,  toutes  trois  élèves  de  M.  Pugno.  M"'=  Hansen  a  un  jeu 
plein  de  grâce  et  d'agrément,  une  grande  sûreté  de  mécanisme  et 
un  ensemble  d'exécution  particulièremonl  Ualteur.  —  M""  Varin, 
dont  le  début  était  lourd,  raideel  sans  grâce,  malgré  l'habileté  de  son 
jeu  et  l'ampleur  qu'elle  donnait  au  phrasé,  s'est  relevée  dans  la  suite; 
la  dernière  partie  du  morceau  a  été  dite  par  elle  avec  une  vaillance  et 
un  éclat  remarquables.  Il  me  semble  pourtant  qu'elle  devra  s'attacher 
à  donner  du  liant  à  son  exécution  parfois  un  peu  sèche.  —  Je  ne 
saurais  en  vouloir  à  M"°  Rigalt  pour  quelques  attaques  de  notes 
manquées;  elle  a  la  légèreté,  la  souplesse  el  la  grâce,  un  mécanisme 
solide  et  brillant  à  la  fois,  une  exécution  bien  équilibrée  et  bien 
fondue,  un  jeu  facile  et  plein  d'élégance.  —  C'est  par  de  très  bonnes 
qualités  d'ensemble  que  se  distingue  le  jeu  intéressant  de  M"°Toutani, 


LE  MÉNESTREL 


245 


qui  n'est  certes  pas  au-dessous  de  ses  compagnes  et  qui,  comme  elles, 
était  digne  de  la  première  récompense. 

Les  seconds  prix,  au  nombre  de  trois,  ont  été  attribués  àM"°'Decroix, 
élève  de  M.  Delaborde,  Fulcran,  élève  de  M.  Pugno,  et  Gahun,  élève 
de  M.  Alphonse  Duvernoy.  M"'=  Deeroix  est  une  gentille  enfant  de 
quinze  ans,  qui  a  de  la  grâce,  du  goût,  des  doigts  obéissants,  un  mé- 
canisme habile,  avec  un  ensemble  d'exécution  fort  aimable.  —  Les 
qualités  de  M"*  Fulcran  ne  sont  pas  de  même  nature.  Le  jeu  de  celle-ci 
est  crâne,  hardi,  brillant,  plein  de  chaleur  ;  elle  joint  la  légèreté  à  la 
vigueur,  ses  doigts  sont  superbes,  et  chez  elle  le  phrasé  est  à  la  fois 
ample,  élégant  et  bien  musical.  Il  y  a  là  un  vrai  tempérament 
d'artiste.  —  J'en  dirai  autant  de  M"'=  Gahun,  dont  l'exécution  se  fait 
remarquer  par  le  feu,  l'éclat  et  la  solidité,  par  de  jolies  oppositions 
de  nuances  et  par  un  excellent  sentiment  musical. 

Trois  premiers  accessits,  à  M""  Rennesson,  élève  de  M.  Pugno, 
Vergonnet  et  Percheron,  élèves  de  M.  Delaborde.  Elle  est  fort  gentille 
M""  Rennesson,  elle  a  d'excellentes  qualités  :  un  joli  son,  du  goût, 
un  heureux  sentiment  musical,  un  jeu  bien  d'aplomb  où  la  grâce 
sans  fadeur  se  mêle  à  la  vigueur  saus  roideur.  —  Chez  M"'  Vergonnet 
un  bon  ensemble  très  agréable,  du  moelleux,  de  bons  doigts,  une  exé- 
cution intéressante  et  distinguée.  —  Du  côté  de  M"=  Percheron  des 
qualités  solides  d'étude  et  de  mécanisme,  aiais  un  phrasé  inégal,  qui 
demande  à  être  soigné. 

Enfin,  trois  seconds  accessits,  dont  les  titulaires  sont  M"«*  Epstein 
et  Herth,  élèves  de  M.  Delaborde,  et  Forest,  élève  de  M.  Pugno. 
Toutes  trois  sont  aimables,  eu  bon  chemin,  et  n'ont  qu'à  continuer 
de  travailler. 

Mais  il  y  a  eu,  comme  toujours,  des  déceptions  dans  ce  concours. 
Troi?  seconds  prix  des  années  précédentes  sont  restés  sur  le  carreau, 
jjues  Gresseler  et  Masson  et  M"''  Meyer-Belville.  Je  ne  m'explique 
pas,  je  l'avoue,  l'échec  des  deux  premières.  Le  jeu  de  M"°  Gresseler 
est  à  la  fois  hardi  et  solide,  et  l'ensemble  de  son  exécution  brillante 
et  colorée  est  intéressant  et  vraiment  musical.  La  couleur,  la  sûreté, 
la  fermeté  sont  aussi  les  qualités  qui  distinguent  M""  Masson,  une 
enfant  dont  le  jeu  est  surtout  bien  équilibré,  bien  complet,  et  qui  ne 
laisse  rien  dans  l'ombre  et  au  hasard.  Pourquoi  cette  malchance? 

J'en  signalerai  quelques  autres  parmi  celles  qui  n'ont  point  été 
récompensées.  M""  AUard,  1"  accessit  de  1893,  qui  avait  débuté  d'une 
façon  solide  et  brillante,  mais  qui  a  faibli  ensuite  ;  M'"'  Roux,  2°  acces- 
sit de  1894,  dont  l'exécution  moelleuse  et  fine,  dont  le  phrasé  élé- 
gant et  gracieux,  dont  les  doigts  habiles  et  par  instant  \igoureux 
me  semblaient  mériter  mieux  que  l'oubli  dont  elle  a  été  l'objet; 
M"'=  Jaulin,  â"  accessit  de  189o,  dont  le  jeu  bien  fondu  a  le  défaut  de 
manquer  de  nuances  et  de  couleur;  M""  Alliés,  qui  a  de  la  vigueur, 
de  l'agilité,  et  dont  l'exécution  nette  et  correcte  se  distingue  par  un 
heureux  phrasé;  M""  Richez,  une  gentille  enfant,  fort  intelligente, 
qui  a  de  l'habileté  dans  le  mécanisme,  de  la  carrure  dans  la  phrase, 
de  jolis  détails,  mais  qui  devra  s'attacher  à  acquérir  la  netteté  qui 
lui  manque;  M^^"  Demarne,  dont  quelques  faiblesses  de  détail  ont 
fait  tort  à  un  jeu  par  lui-même  solide  etchaleureux  ;  enfin  M""  Oberlé, 
chez  qui  il  faut  louer  une  exécution  bien  étudiée,  bien  sage  et  qui 
n'est  pas  sans  intérêt. 

Par  tout  ceci,  on  peut  voir  que  l'ensemble  de  ce  concours  offrait 
lui-même  un  vif  intérêt.  Mais,  saperlotte!  quel  diable  de  morceau! 
et  qui  a  pu  avoir  l'idée  de  ce  ravaudage  insensé  ? 

VIOLON 

Encore  une  rude  journée,  qui,  commencée  comme  la  précédente  à 
rnidi,  s'est  terminée  comme  elle  à  sept  heures  du  soir.  Morceau  de 
concours  :  le  superbe  29°  concerto  deViotti,  qui  nous  permet  au  moins 
déjuger  si  les  élèves  ont  du  style  et  s'ils  savent  chanter.  Morceau  a 
déchiffrer,  écrit  par  M.  Lenepveu.  Sur  la  brèche  :  trente  et  un  concur- 
rents, dont  huit  femmes. 

J'ai  peine  à  m'expliquer  l'ardeur  que  les  femmes  apportent  aujour- 
d'hui à  l'étude  du  violon,  et  l'avantage  qu'elles  peuvent  trouver  dans 
la  culture  de  cet  instrument,  qui  par  sa  nature  semblerait  pourtant 
devoir  être  réservé  à  la  partie  mâle  du  genre  humain.  Il  faut  bien 
supposer  pourtant  qu'elles  y  trouvent  leur  compte,  car  depuis  une 
trentaine  d'années  déjà  les  classes  de  violon  sont  envahies  par  l'élé- 
ment féminin.  A  ce  point  qu'au  concours  de  1888  elles  obtenaient  à 
elles  seules  huit  nominations,  dont  un  premier  prix,  trois  seconds 
prix  et  quatre  accessits,  et  que  l'année  suivante  elles  n'avaient  pas 
moins  de  trois  premiers  prix,  deux  seconds  prix  et  un  accessit. 
D'ailleurs,  la  liste  est  longue  des  premiers  prix  remportés  par  les 
femmes  en  ces  vingt  dernières  années  :  M"°  Pommereul  (aujourd'hui 
M""  Rouvierj,  187S;  M"«  Teresina  Tua  (aujourd'hui  comtesse  Valetta), 
1880;  M"»Harkness,  1881;  M"=  Hillemacher,   1882;  M""  Carpentier, 


1884;  M"'=Vinay,188S;  M"=  (iauthier,  1887  ;  M"»  Juliette  Dantin,  1888; 
M»« Langlois,DuportetBourgaud,  1889;  M"=Schytte,  1890;  M'i=  Charlotte 
Vormèse,  1891  ;  M"»  Jaffé,  1892;  enfin,  M"=  Roussillon,  1894.  Au  reste, 
je  remarque  qu'au  premier  concours  public  du  Conservatoire,  qui  eut 
lieu'  en  l'an  V,  un  second  prix  de  violon  fut  décerné  à  «  la  citoyenne  » 
Félicité  Lebrun,  et  que  ladite  citoyenne  obtint  le  premier  en  l'an  VII. 
Mais  depuis  lors  jusqu'aux  environs  de  1860,  on  n'a  à  signaler  aucune 
récompense  accordée  à  une  femme  violoniste.  On  voit  qu'à  partir  de 
ce  moment,  ces  dames  ont  pris  leur  revanche.  —  Passons  enfin  au 
compte  rendu  de  ce  concours  de  violon,  qui  est  toujours  l'un  des  plus 
intéressants  et  des  plus  brillants  de  l'année. 

Nous  avons  à  euregisti'er  quatre  premiers  pris,  décernés  à  MM.  Sé- 
chiari,  élève  de  M.  Berthelier,  Soudant,  élève  de  M.  Lefort,  Mouteux, 
élève  de  M.  Berthelier,  et  Thibaud,  élève  de  M.  Marsick.  Pour  moi, 
je  ne  cache  pas  mes  préférences  pour  M.  Séchiari,  qui  est  un  artiste 
déjà  complet  et  formé  et  qui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Il  réunit  eu  effet 
toutes  les  qualités  :  uu  bel  archet  bien  indépendant,  un  beau  son,  la 
hardiesse  du  jeu,  la  grandeur  du  siylo,  l'élégance  du  phiasé  et  le 
goût  dans  le  chant.  En  somme,  uo  ensemble  superbe.  M.  Soudant  n'est 
guère  moins  remarquable.  Lui  aussi  a  de  la  hardiesse,  du  feu,  de 
l'éclat,  une  rare  noblesse  de  style,  avec  un  chaut  expressif  et  plein 
d'élégance.  A  ajoutera  tout  cela  un  staccato  merveilleux.  Les  qualités 
de  M.  Thibaud,  qui  consistent  dans  un  joli  son,  uu  style  élégant  et 
gracieux,  un  jeu  chaleureux,  sont  malheureusement  gâtées  par  uu 
vibrato  perpétuel  et  insupportable.  Il  ue  peut  pas  tenir  sa  main  gauche 
tranquille,  ce  jeune  homme,  et  il  a  toujours  l'air  de  faire  des  trilles, 
même  quand  il  s'agit  de  filer  un  son.  M.  Monteux  est  un  artiste  habile, 
qui  connaît  son  affaire,  mais  dont  la  personnalité  à  de  la  peine  à  s'ac- 
cuser. 

M.  Forest  et  M""  Linder  (la  sœur  ainée  de  la  jolie  fillette  qui  a  rem- 
porté le  premier  prix  de  harpe)  ont  obtenu  le  deuxième  prix  à  l'una- 
nimité. Pour  M.  Forest,  qui  est  déjà  presque  un  artiste  et  dont  les 
qualités  sont  aussi  solides  que  brillantes,  je  le  comprends  sans  peine. 
Je  me  l'explique  plus  difficilement  pour  M""  Linder,  que  je  ne  vou- 
drais pas  chagriner,  mais  dont  le  je'i  est  bien  inégal  et  qui  a  vraiment 
un  drôle  de  style,  tantôt  tout  petit,  tantôt  s'élargissant,  et  sans  aucune 
unité.  Des  qualités  sans  doute,  mais  aussi  des  défauts  assez  graves, 
surtout  en  ce  qui  concerne  le  goût.  M.  Forest  est  élève  de  M.  Berthelier, 
M"°  Linder  de  M.  Garcin. 

Trois  premiers  accessits  ont  été  attribués  à  MM.  Pliai,  élève  de 
M.  Berthelier,  Rénaux  et  Gandela,  élèves  de  M.  Lefort.  M.  Phal  a  . 
des  qualités  de  travail  et  d'acquis  qui  demandent  à  mûrir  encore  et 
qui  sont  à  encourager.  M.  Rénaux  a  un  poignet  excellent,  un  archet 
bien  à  la  corde,  uu  jeu  très  soigné,  très  élégant,  avec  de  la  grâce, 
du  style  et  du  goût.  Ce  n'est  ni  par  la  grâce  ni  par  la  dislinction  que 
brille  M.  Gandela,  dont  le  jeu  trop  impersonnel  tombe  parfois  dans 
la  banalité.  Il  a  besoin  de  soigner  surtout  la  qualité  du  son. 

Les  seconds  accessits  sont  échus  à  M""  Dellerba ,  élève  de 
M.  Garcin,  à  M"°  Cossarini  et  M.  Heck,  élèves  de  M.  Berthelier,  et  à 
M"'  Laval,  élève  de  M.  Marsick.  M""  Dellerba  a  un  jeu  assez  facile 
et  assez  aimable.  —  W^°  Cossarini  méritait,  à  mon  sens,  beaucoup 
mieux  que  cette  récompense  très  secondaire.  Elle  a  de  la  grâce  et  un 
joli  son,  un  jeu  délicat  et  ferme  à  la  fois,  plein  d'élégance  dans 
l'archet  comme  dans  le  phrasé,  un  trille  excellent  et  le  sentiment  du 
style.  Je  crois  bien  que  si  elle  avait  mieux  lu  elle  eût  été  mieux 
partagée.  Elle  a  de  l'avenir.  —  M.  Heck,  lui,  ne  finit  pas  ses  trilles, 
et  son  archet  écrase  la  corde  d'une  façon  abominable.  Il  a  fort  à  faire 
pour  prendre  place  dans  le  rang.  —  M""  Laval  a  le  jeu  très  correct 
et  très  sûr,  mais  elle  a  diantrement  besoin  de  s'échauffer  ;  et  puis, 
elle  a  l'archet  tellement  collé  à  la  corde  que  son  jeu  ne  respire  pas 
et  que  ça  fait  étouffer  l'auditeur.  Avec  cela  on  sent  un  excellent 
travail,  qui  méritait  un  encouragement. 

Le  jury  a-t-il  tenu  rigueur  à  M.  Duttenhofer  parce  qu'il  s'est  bra- 
vement arrêté  au  milieu  de  son  morceau  pour  remonter  sa  chanterelle, 
qui  avait  baissé  d'une  façon  insolite"?  Je  le  croirais,  car  du  moment 
qu'on  donnait  un  premier  prix  à  M.  Monteux  et  à  M.  Thibaud,  on 
n'avait  aucune  raison  de  le  lui  refuser.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que 
ce  jeune  homme  a  un  jeu  distingué  et  délicat,  un  joli  son  et  un  beau 
mécanisme,  et  que  l'ensemble  de  son  exécution  est  remarquable.  S'il 
est  inférieur  à  MM.  Séchiari  et  Soudant,  et  je  le  crois,  il  me  paraît 
supérieur  à  leurs  deux  camarades.  Ce  sont  là  les  hasards  des  con- 
cours ! 

D'autres  encore  pourraient  se  plaindre  d'avoir  été  oubliés.  M.  Boffy, 
premier  accessit  de  1894,  qui  a  un  bon  archet,  un  joli  son,  du  style 
et  de  la  vigueur  dans  les  traits;  M.  Oliveira,  dont  la  tenue  est  excel- 
lente, et  qui  joint  à  des  doigts  habiles  une  grande  justesse  et  la  fer- 
meté dans  les  traits;  M.  Guelenaere,  qui  est  presque  remarquable. 


24() 


LE  MENESTREL 


dont  le  jeu  est  ferme  et  serré,  avec  l'archet  bien  à  la  corde,  du  style 
et  de  l'élégance;  M""  Gillart,  premier  accessit  de  1805,  dont  l'exécu- 
tion est  charmante,  très  sentie,  très  finie,  très  élégante,  très  féminine, 
avec  un  joli  archet,  un  joli  slyle  et  un  ensemble  plein  de  grâce;  enfin 
M.  Hazelton,  un  gentil  enfant  qui  a  de  la  sûreté  dans  l'archet,  un  bon 
mécanisme,  une  exécution  nette  et  parfois  élégante,  avec  le  sentiment 
du  style.  Je  sais  bien  qu'on  ne  peut  pas  récompenser  tout  le  monde, 
mais  il  y  a  tout  de  même  des  oublis  qui  sont  douloureux,  surtout  pour 
certains  qui  se  trouvent  à  leur  dernière  année  et  qui  sont  obligés  de 
quitter  les  classes. 

OPÉRA. 

Comme  le  concours  d'opéra-comique,  le  concours  d'opéra  nous 
réservait  une  agréable  surprise,  en  ce  sens  qu'il  était  de  beaucoup 
supérieur  à  ce  que  pouvait  nous  faire  espérer  la  faiblesse  de  la  dou- 
ble épreuve  du  chant.  Il  est  certain  que  la  séance  n'était  pas  dénuée 
d'intérêt,  surtout  du  côté  masculin,  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que  sur 
onze  élèves  qui  s'y  présentaient,  le  jury  n'a  pas  décerné  moins  de 
dix  récompenses.  Voici  d'ailleurs,  sous  ce  rapport,  le  bilan  de  la 
journée. 

Hommes. 

l^prix:  M.  Sizes,  élève  de  M.  Giraudet. 
2°  prix:  M.  Beyle,  élève  de  M.  Giraudet. 

l"  ace.  :  MM.  Vieuille  et  Cremel,  élèves  de  M.  Giraudet,  et  Gresse, 
élève  de  M.  Melehissédec. 
2=  ace.  :  M.  Chrétien,  élève  de  M.  Melehissédec. 

Femmes . 

l'^'^prix:  M""  Guiraudon,  élève  de  M.  Giraudet. 
2'  prix:  'M}^<'  Ackté,  élève  de  M.  Giraudet. 
l"'  ace.  :  M"'°  Nady,  élève  de  M.  Melehissédec. 
2''  ace.  :  M"'=  Truck,  élève  de  M.  Melehissédec. 

J'afais  décidément  parlé  trop  tôt,  la  semaine  dernière,  en  me  féli- 
citant prématurément  de  l'absence  des  petits  scandales  qui  émail- 
lent  trop  volontiers  certaines  séances  des  concours  publics.  On  a  vu 
ce  qui  s'était  passé  à  celui  de  tragédie,  à  propos  de  M""  Page  ;  mais 
ici  du  moins,  la  protestation  venait  de  l'auditoire,  et  si,  en  priucipe, 
je  trouve  toujours  ces  manifestations  fâcheuses,  je  dois  dire  qu'en 
l'espèce  celle-ci  avait  sa  raison  d'être.  A.u  concours  d'opéra  l'incon- 
venance, une  inconvenance  parfaite,  venait  d'une  élève  couronnée, 
M™  Nady,  qui  n'estimait  pas  la  récompense  que  lui  octroyait  le  jury 
à  la  hauteur  du  mérite  dont  elle  avait  preuve,  ce  en  quoi,  au  contraire, 
elle  avait  parfaitement  tort.  Lorsque,  après  avoir  proclamé  le  pre- 
mier et  le  second  prix  décernés  aux  femmes,  M.  Théodore  Dubois  fit 
appeler  M"""  Nady,  qui  avait  concouru  dans  le  quatrième  acte  de  la 
Favorite,  une  voix...,  amie,  une  seule,  s'avisa  tout  à  coup  de  pro- 
tester du  haut  de  l'amphithéâtre  et  de  réclamer  pour  elle  un  pre- 
mier prix,  ce  qui  parut  un  peu  burlesque  à  la  masse  du  public  et  ce 
qui  amena  une  petite  rumeur  dans  la  salle,  rumeur  aussitôt  apaisée 
par  quelques  paroles  de  M.  Théodore  Dubois.  Tout  se  serait  sans 
doute  borné  là.  Mais  pendant  ce  temps  M"""  Nady,  répondant  à  l'appel 
de  son  nom,  était  venue  se  poster  sur  le  devant  de  la  scène,  les 
poings  sur  les  hanches,  l'œil  enflammé,  fixant  sur  le  jury  un  regard 
plein  d'arrogance,  pour  ne  pas  dire  de  défi.  Et  quand  M.  Théodore 
Dubois,  prononçant  la  phrase  sacramentelle,  lui  eut  dit:  «  Madame, 
le  jury  vient  de  vous  décerner  un  premier  accessit  »,  M""=  Nady,  se 
drapant  dans  sa  dignité  offensée,  s'écria  d'un  air  de  furie  :  «  Vous 
pouvez  le  garder,  votre  accessit  !  »  et  sortit  majestueusement,  lais- 
sant tout  le  monde  absolument  stupéfait  de  cette  incartade. 

Je  dis  que  ceci  est  parfaitement  inconvenant,  et  devrait  amener 
l'exclusion  immédiate  de  l'élève  récalcitrante.  Rien  ne  vous  force  à 
entrer  au  Conservatoire;  vous  trouvez  dans  votre  admission  à  l'École, 
surtout  vous  autres  chanteurs,  un  avantage  assez  grand  pour  vous 
soumettre  sans  peine  au  règlement  de  la  maison  et  aux  devoirs 
qu'il  vous  impose.  D'ailleurs,  par  cela  même  que  vous  prenez  part  à 
un  concours,  vous  devez  accepter  d'avance,  quelles  qu'elles  soient, 
les  décisions  du  jury  chargé  de  juger  ce  concours.  Si  vous  trouvez 
que  celles-ci  ne  vous  sont  pas  suffisamment  favorables,  redoublez  de 
travail  pour  être  mieux  partagée  à  l'avenir.  Mais  vous  n'avez  pas  le 
droit  de  protester  publiquement,  ni  surtout  de  manquer  de  respect, 
et  d'une  façon  aussi  incongrue,  au  directeur  de  l'école  dont  vous 
faites  partie.  Il  est  certain  d'ailleurs,  et  de  l'aveu  de  tous,  que 
M""  Nady  avait  obtenu  précisément  la  récompense  qu'elle  méritait, 
ni  plus  ni  moins,  et  elle  a  pu  parfaitement  s'en  apercevoir  à  la  par- 
faite indifïérence  du  public  à  son  égard.  De  tout  ceci  je  ne  veux 
retenir  que  ce  mot  que  j'ai  entendu  dire,  à  la  sortie,  par  un  de  ces 
gentils  gamins   du  Conservatoire,    qui  sont   quelquefois  plaisants  : 


—  «  Moi,  si  j'avais   été   du  jury,  j'aurais  donné  un  premier  prix  de 
toupet  à  M""' Nady  ». 

Mais  il  se  fait  temps  de  parler  de  la  séance. 

M.  Sizes  qui  en  était  à  son  premier  concours,  a  enlevé  haut  la 
main  son  premier  prix  en  jouant  d'une  façon  vraiment  remarquable 
une  scène  admirable  d'Ipliigéiie  en  Taiiride,  scène  extrêmement 
di  fficile  et  dans  laquelle  il  a  fait  preuve  non  seulement  d'un  véritable 
tempérament  scénique,  mais  déjà  d'un  rare  talent  dans  la  composi- 
tion d'un  rôle.  Une  ampleur  supeibe  dans  la  diction,  une  réelle 
puissance  dramatique,  un  jeu  très  intelligent,  avec  une  physionomie 
expre  ssive  et  une  articulation  solide  qui  permet  de  ne  pas  perdre  un 
mot  de  ce  qu'il  chante,  telles  sont  les  qualités  de  ce  jeune  homme, 
qui  a  été  toute  une  révélation. 

Peut-être  M.  Beyle  aurait-il  obtenu  aussi  le  premier  prix,  s'il  n'avait 
eu  un  concurrent  aussi  redoutable.  Tout  au  moins  son  second  prix 
est-il  bien  mérité,  mais  moins  peut-être  pour  sa  scène  de  Favst, 
que  pour  les  deux  excellentes  répliques  qu'il  a  données,  l'une  à 
M""=  Guiraudon  dans  Roméo  et  Juliette,  l'autre  à  M.  Vieuille  au  troi- 
sième acte  de  Robert,  où  il  a  jcué  et  chanté  d'une  façon  charmante 
le  rôle  de  Raimbaud.  M.  Beyle  sera  certainement  un  artiste  souple 
et  intelligent.  Il  n'a  d'ailleurs  plus  rien  à  faire  dans  les  classes  :  ce 
qu'il  lui  faut  maintenant,  c'est  l'expérience  des  planches. 

J  e  n'en  saurais  dire  autant  de  M.  Cremel,  qui  me  parait  avoir  bien 
à  travailler  encore.  Non  seulement  il  est  très  neuf  au  point  de  vue 
scénique,  mais  son  chant  est  vulgaire,  et  je  défie  l'auditeur  le  plus 
attentif  de  comprendre  un  mot  de  ce  qu'il  dit.  Il  a  donné  néanmoins 
une  certaine  ampleur,  dans  le  troisième  acte  du  Prophète,  à  la  phrase 
superbe  :  Roi  du  ciel  et  des  anges.  C'est  dans  Bertram  de  Robert  que 
nous  avons  vu  M.  Vieuille,  qui  s'y  est  montré  très  satisfaisant.  Il  a 
de  l'aisance,  il  tient  bien  la  scène,  et  son  jeu  intelligent  a  déjà  de 
l'ampleur.  M.  Gresse,  lui  aussi,  a  passé  un  très  bon  concours  en 
jouant  Saint-Bris  dans  toute  la  première  partie  du  quatrième  acte 
des  Hvguenots  (avec  les  chœurs,  s'il  vous  plait).  Il  y  a  déployé  de 
la  fermeté,  de  la  vigueur,  de  l'accent.  Le  regard,  le  geste,  la  démarche 
sont  excellents. 

Il  me  semble  que  M.  Chrétien  méritait  mieux  que  le  second  accessit 
qui  lui  a  été  attribué  pour  la  scène  de  la  pomme  de  Guillaume  Tell. 
Il  y  a  montré  peut-être  plus  de  vigueur  que  de  tendresse  ;  mais  il  a 
de  la  chaleur,  de  la  physionomie,  le  geste  très  juste,  et  il  joint  à  cela 
une  articulation  superbe  avec  un  très  bon  sentiment  dramatique  et 
se  énique.  Il  avait  aussi  donné  une  excellente  réplique  à  M""  Truck 
dans  Aïda. 

Du  côté  des  femmes,  le  premier  prix  revenait  de  droit  et  sans  par- 
tage à  M"'  Guiraudon.  Elle  a  fort  bien  joué,  avec  beaucoup  d'inlelli- 
g  ence,  la  scène  de  l'alouette  de  Roméo  et  Juliette,  en  y  apportant  la 
chaleur,  la  passion  et  le  sentiment  pathétique  qu'elle  comporte.  Sa 
physionomie  expressive,  ses  attitudes  intéressantes  donnent  une 
preuve  de  ses  incontestables  qualités  scéniques.  Il  est  certain  que 
malgré  son  échec  au  concours  de  chant,  échec  dû  à  une  disposition 
fâcheuse,  cette  jeune  femme  n'a  plus  rien  à  apprendre  au  Conser- 
vatoire. 

Ce  n'est  assurément  pas  le  cas  de  M""  Ackté,  dont  le  second  prix 
m'a  un  peu  surpris,  tout  d'abord  en  raison  de  la  scène  qu'elle  avait 
choisie,  le  trio  final  de  Faust,  qui  ne  peut  absolument  rien  indiquer 
au  point  de  vue  des  aptitudes  théâtrales.  Je  sais  bien  que  M"°  Aclité, 
dont  la  voix  est  charmante,  a  donné  un  accent  délicat  au  retour  de 
la  phrase  :  Ne  permettrez-vous pas,  ma  belle  demoiselle,  mais  elle  a  man- 
qué absolument  de  force  dans  celle  du  trio  :  Ange  pur,  ange  radieux, 
et  d'ailleurs  je  le  répète,  le  morceau  ne  peut  rien  prouver  eu  ce  qui 
concerne  le  sentiment  scénique. 

Je  n'hésite  pas,  malgré  la  frasque  dont  M"""  Nady  s'est  rendue  cou- 
pable, a  déclarer  que  son  concours  dans  le  quatrième  acte  de  la 
Favorite  a  été  très  satisfaisant,  sans  être  aussi  prodigieusement  supé- 
rieur qu'elle  se  plaît  trop  facilement  à  le  croire.  La  voix  est  belle, 
la  prononciation  bonne  ;  le  chant  a  de  l'accent,  de  la  chaleur  et  de  la 
couleur,  enfin  l'artiste  fait  preuve  d'émotion  et  parfois  de  pathétique. 
Son  premier  accessit  était  parfaitement  mérité. 

M""  Truck  a  de  l'intelligence  et  d'heureuses  qualités.  Mais  elle 
manque  à  la  fois  de  chaleur  et  de  mouvement.  Elle  devra  s'attacher 
à  animer  sa  physionomie,  qui  reste  trop  impassible,  et  à  donner  plus 
d'ampleur  à  son  action  scénique.  Elle  a  ce  qu'il  faut  pour  arriver, 
mais  il  lui  faut  travailler  encore  avec  ardeur. 

Arthur  Pougin. 

P.-S.  —  En  terminant  cette  revue  des  concours  de  1896,  j'ai  une  rectifi- 
cation à  faire  et  un  renseignement  à  donner. 

Une  erreur  typographique  m'a  tait  dire  une  sottise  à  propos  du  concours 


LE  MENESTREL 


247 


d'alto,  où  je  me  trouve  avoir  parlé  de  clé  d'ut  i'  ligne  alors  qu'il  s'agissait  de 
clé  d'«(  3°  ligne.  Aucun  de  mes  lecteurs  ne  s'y  sera  certainement  trompé, 
mais  je  rectiEe  quand  même,  pour  les  pointus  qui  seraient  tentés  de  m'at- 
tribuer  une  faute  si  grossière.  —Le  renseignement  a  trait  à  l'auteur  du 
concerto  joué  au  concours  de  harpe,  Zabel,  sur  lequel  j'avais  déclaré^  ne 
rien  savoir.  Je  suis  mieux  informé  maintenant,  et  je  puis  faire  connaître 
que  Charles  Zabel  est  un  musicien  allemand,  né  à  Berlin  le  19  août  1822, 
qui  a  écrit  des  danses,  de  la  musique  de  ballet,  diverses  pièces  pour  mu- 
sique militaire,  et  qui  a  occupé  les  fonctions  de  second  chef  d'orchestre 
au  théâtre  de  Brunswick.  On  m'assure  qu'il  est  devenu  ensuite  professeur 
de  harpe  au  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg. 
Voilà  qui  est  fait.  ^-  '^- 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (30  juillet).  —  M.  Stoumon,  qui  est 
allé  entendre  la  tétralogie  à  Bayreuth,  a  engagé  là-bas  M"'=  Marie  Bréma 
pour  venir  donner  au  théâtre  de  la  Monnaie,  dans  le  courant  de  l'hiver 
prochain,  —  en  janvier  probablement,  —  une  série  de  représentations. 
Elle  chantera  (en  français,  dit-on)  Amnéris  à' Aida,  Ortrude  de  Lohen- 
grin,  Orphée  et  Dalila,  —  peut-être  aussi  Fricka  de  la  Valkyrie,  si  l'on  se 
décide  à  remonter  l'œuvre  wagnérienne,  dans  laquelle  M"°  Kutscherra 
remplirait  le  rôle  de  Sieglinde  qui  lui  a  servi  de  début  (sans  lendemain) 
à  l'Opéra;  mais  la  direction  n'a  pas  encore  résolu  la  question  de 
savoir  quel  drame  de  Wagner  elle  inscrira  dans  son  répertoire.  On  a 
parlé  du  Crépuscule  des  Dieux,  mais  aura-t-on  la  force  et  le  courage  de  le 
monter  à  la  Monnaie?  Dès  à  présent  le  programme  de  l'année  est 
très  chargé.  Le  Fervaat  de  M.  Vincent  d'Indy  empêchera  sans  doute  de 
donner  une  couple  d'autres  œuvres  inédites  que  les  directeurs  comptaient 
jouer  :  tels  le  Ratcti/f  de  M.  Xavier  Leroux  et  un  opéra  de  M.  Gabriel 
Pierné,  que  l'on  dit  charmant  ;  ce  sera  pour  la  saison  suivante.  En 
revanche,  outre  les  trois  petits  ouvrages  de  M.  Saint-Saëns,  la  Princesse 
Jaune,  Phryné  el\e  ballet  provisoirement  intitulé /es  Fited'AWes,  nous  aurons 
le  Don  César  de  Basan  de  M.  Massenet,  avec  M.  Frédéric  Boyer.  Quant  aux 
œuvres  de  nos  compatriotes,  il  y  en  a  deux  ou  trois  qui  avaient  été 
annoncées  ou  présentées,  entre  autres  la  Servante  d'auberge  de  M.  Jan 
Blockx,  la  Fiancée  d'Abydos  de  M.  Paul  Lebrun  et  un  grand  drame  lyrique 
de  M.  Jean  Van  den  Ende;  mais  il  est  peu  probable  qu'ils  puissent 
trouver  place;  les  Belges  sont  habitués  à  attendre,  et  la  patience  est  une 
de  leurs  vertus. 

Non  seulement  la  musique  n'a  pas  chômé  pendant  cet  été,  même  à 
Bruxelles,  où  les  concerts  du  Vaux-Hall  jouissent  d'une  vogue  extraordi- 
naire; mais  dans  nos  principales  villes  balnéaires  elle  donne  lieu  à  des 
manifestations  artistiques  parfois  très  importantes.  C'est  ainsi  qu'on  a 
exécuté  dimanche  dernier  au  Kursaal  d'Ostende,  Marie-Magdelaine,  le  beau 
drame  sacré  de  M.  J.  Massenet,  dans  un  festival  qui  avait  attiré  une  foule 
énorme  et  dont  le  succès  a  été  considérable.  L'exécution,  préparée  de 
longue  main,  sous  la  direction  de  l'habile  chef  d'orchestre  M.  Reinskop  f, 
a  été  remarquable.  Les  soli  étaient  chantés  par  M""^^  Marie  Henduyse,  une 
des  meilleures  lauréates  du  Conservatoire  de  Gand,  M"'=  Jeanne  Goulan- 
court,  de  la  Monnaie,  MM.  Van  Loo,  ténor,  et  Breson,  basse,  tous  deux 
du  théâtre  de  La  Haye.  Les  chœurs  étaient  ceux  du  cercle  Cœcilia,  du 
cercle  choral  des  dames  d'Ostende  et  de  la  société  La  Roya  de  Bruges.  On 
entendra  à  ce  même  Kursaal  d'Ostende,  où  ne  dédaignent  pas  de  venir 
briller  pour  un  soir  ou  deux  les  étoiles  de  l'art,  M.  Van  Dyck  le  4  août, 
M'i^Gabrielle  Lejeune  de  l'Opéra-Comique  les  9  et  13  août,  puis  M.  Isnardon, 
M""  Garnier,  etc. — Au  casino  de  Blankenbergheles  concerts  sont  également 
très  suivis  ;  M""=  Georgette  Leblanc  doit  y  venir  chanter  prochainement;  et 
l'on  y  annonce  une  séance  consacrée  tout  entière  aux  œuvres  de  M,  Léon 
Du  Bois,  le  jeune  et  très  remarquable  compositeur,  sous  la  direction  de 
l'auteur  et  avec  le  concours  de  M.  Dufranne,  de  la  Monnaie,  et  de 
M"=  Hachel-Neyt.  Celle-ci,  toujours  curieuse  d'œuvres  nouvelles  et  non 
banales  à  faire  connaître,  y  a  interprété,  il  y  a  quelques  jours,  et  avec 
un  vit  succès,  de  très  jolies  mélodies  de  M.  Fernand  Le  Borne,  —  comme 
elle  avait  fait  applaudir  précédemment  à  Bruxelles,  au  Vaux-Hall,  une 
a  primeur  »  exquise,  fes  Trois  Contes  de  Jean  Lorrain,  mis  en  musique  par 
M.  Gabriel  Pierné.  Un  conseil  utile  aux  chanteurs  et  chanteuses  qui 
vont  à  Blankenberghe  :  se  faire  accompagner  au  piano,  simplement; 
l'orchestre  y  a  généralement  des  surprises  et  des  distractions  qu'il  est 
prudent  d'éviter.  L.  S. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (30  juillet).  —  L'Opéra  de  Govent 
Garden  a  fermé  ses  portes  avant-hier  sur  une  représentation  de  Roméo  et 
Juliette,  le  même  opéra  qui  avait  servi  à  l'ouverture.  Cette  dernière  saison 
passe  pour  avoir  été  la  plus  fructueuse  qu'on  ait  enregistrée;  elle  a  été 
en  même  temps  une  des  plus  insignifiantes  au  point  de  vue  artistique. 
Aucune  nouveauté,  aucun  début  intéressant  ;  les  succès  des  deux  saisons 
précédentes  défrayaient  presque  entièrement  le  répertoire.  A  signaler, 
toutefois,  les  belles  représentations  de  Tristan  et  Yseult  avec  les  frères  de 
Reszké  et  la  reprise  attardée  de  Manon,  qu'on  n'a  eu  le  temps  de  jouer  que 
deux  fois,  mais  chaque  fois  devant  des  salles  combles  et  en  présence  du 
prince  et  de  la  princesse  de  Galles  et  de  toute  la  cour.  Ce  dernier  fait  est 


d'autant  plus  significatif  que  la  deuxième  représentation  a  eu  lieu  le  jou^ 
même  du  mariage  de  la  princesse    Maud. 

Après  Manon,  on  a  repris  Don  Juan.  C'est  M.  Ancona  qui  chantait  don 
Juan;  sa  voix  est  agréable,  mais  il  chante  avec  négligence  et  le  style  est 
indécis.  M.  Pini-Corsi  (Leporello)  a  la  boufîonnerie  lourde,  et  la  façon 
dont  il  a  rendu  son  grand  air  ne  dénotait  pas  chez  lui  la  moindre  com- 
préhension de  l'esprit  de  la  musique  confiée  à  son  interprétation.  M"'"  Al- 
bani  nous  a  présenté  une  donna  Anna  plus  gesticulante  qu'agissante,  et 
M"°  Macintyre  a  chanté  froidement  et  sèchement  la  musique  d'Elvire. 
Une  gracieuse  débutante  nous  a  été  présentée  dans  le  rôle  de  Zeiiine.  La 
voix  est  remarquablement  homogène  et  pure  et  la  méthode  parfaite.  Le 
nom  de  cette  jeune  fille  est  M"'=  Reid.  J'ai  été  très  frappé  des  qualités 
de  distinction  que  révèlent  son  chant  et  son  jeu;  c'est  très  rare  de  nos 
jours,  les  débutantes  qui  ont,  comme  M"'=  Reid,  le  sentiment  du  style 
classique  et  la  voix  qui  convient  à  ce  style.  M.  Cremonini  (Ottavio)  pos- 
sède un  organe  charmant,  insufïisara  ment  exercé,  et  il  a  de  l'intelligence 
scénique.  Léon  Schlésinger. 

—  A  Naples,  comme  à  Milan,  on  a  l'excellente  habitude,  au  Conserva- 
toire de  San  Pietro  a  Majella,  de  faire  exécuter,  aux  exercices  de  fin  d'an- 
née scolaire,  les  travaux  des  élèves  les  plus  avancés  des  classes  de  compo- 
sition. C'est  ainsi  qu'au  dernier  exercice  on  a  fait  entendre  une  suite  en 
quatre  parties  et  une  ouverture  de  M.  Troiani,  élève  de  M.Serrao,  et  un 
AveMaria  pour  soprano,  orgue,  harpe  et  quatuor  à  cordes  de  M.  Fatuo, 
élève  de  M.  d'Arienzo.Ces  deux  compositions  ont  paru  du  reste  assez  pâles. 

—  Nous  avons  annoncé  que  M.  Mascagni  travaillait  à  la  musique  d'un 
nouvel  opéra,  sur  un  sujet  japonais,  intitulé  précisément  la  Giapponese.  Il 
paraît  qu'aujourd'hui  le  titre  est  changé  et  que  la  Giapfonese  est  devenue 
Iride.  De  plus,  le  journal  l'Italie  nous  apprend  que  «  M.  Mascagni  ne  tra- 
vaille pas  à  cet  ouvrage  seulement  comme  musicien,  mais  également  comme 
librettiste  en  collaboration  avec  M.  lUica.  » 

—  L'Opéra  impérial  de  Vienne,  qui  va  rouvrir  ses  portes,  a  subi  une 
restauration  complète  et  est  actuellement  aussi  resplendissant  qu'en  1869, 
lorsque  le  nouveau  monument  fut  inauguré.  On  a  profité  de  cette  occasion 
pour  s'occuper  du  lustre,  qui  est  devenu  suspect  depuis  la  mésaventure 
de  son  confrère  parisien.  Les  ingénieurs  ont  prescrit  plusieurs  mesures  de 
sûreté  qui  ont  été  exécutées. 

—  Le  théâtre  An  derWien,  à  Vienne,  jouera  au  commencement  de  la 
nouvelle  saison  une  opérette  en  trois  actes  intitulée  le  Papillon,  paroles  de 
MM.  V^fillner  et  Buchbinder,  musique  de  Charles  Weinberger. 

—  L'affaire  du  ténor  Broulik  à  l'Opéra  de  Budapest,  dont  nous  avons 
parlé  la  semaine  dernière,  prend  les  dimensions  d'une  cause  célèbre.  Sur 
la  proposition  du  directeur  de  ce  théâtre,  M.  Haldy,  le  surintenaant  géné- 
ral, M.  le  baron  Nopcsa,  a  notifié  au  chanteur  qu'il  était  considéré  comme 
démissionnaire.  M.  Broulik  a  répliqué  que  cette  démission  forcée  était 
illégale  et  qu'il  s'adresserait  aux  tribunaux.  Le  chanteur  a  publié  en 
même  temps  une  note  pour  faire  savoir  qu'après  avoir  chanté  le  11  juillet 
dans  le  Vaisseau  fantôme,  le  jour  suivant  dans  Tannhduser,  le  surlendemain 
dans  Lohengr'm  et  le  jour  suivant  encore  dans  les  Maîtres  Chanteurs,  il  lui 
était  impossible  de  chanter  dans  l'Or  du  Rhin,  et  que  les  deux  médecins 
spécialistes  avait  constaté  cette  impossibilité.  Trois  grands  rôles  de  Richard 
Wagner  en  quatre  jours  —  le  petit  rôle  d'Erik  dans  le  Vaisseau  fantôme 
n'est  qu'un  supplément,  —  c'est  en  effet  plus  que  la  gorge  du  ténor  le 
plus  fort  parmi  les  ténors  forts  ne  peut  supporter. 

M.  Alexandre  Erkel,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  royal  de  Budapesth, 

fils  du  célèbre  compositeur  hongrois  de  ce  nom,  vient  d'être  nommé  direc- 
teur général  de  la  musique  de  l'Opéra  royal. 

—  On  a  dû  représenter  cette  semaine  à  Lisbonne,  sur  le  théâtre  de  la 
Trinité,  une  nouvelle  opérette  en  trois  actes,  os  Fiiftos do  capilao  mor,  paroles 
de  M.  Eduardo  Schvi'albach  Lucci,  musique  de  MM.  Auguste  Machado  et 
Thomaz  del  Negfo. 

PARIS   ET   DEPARTENIENT.S 

Voici  les  résultats  des  concours  d'instruments  à  vent  qui  ont  te  r- 
miné,  jeudi  et  vendredi,  la  série  des  concours  publics  du  Gonseivatoire.  Le 
jury  était  composé  de  MM.  Théodore  Dubois,  président,  Ch.  Lefebvre, 
Raoul  Pugno,  Joncières,  Emile  Jonas,  Wettge,  Turban,  Dupont  et  de 
Vroye. 

Flûte.  —  Professeur  :  M.  Tafîanel.  Morceau    de   concours  :    G"  solo    de 
Demerssemann.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Raoul  Pugno. 

'!•" prix:  MM.  Daniel  Maquarre  et  Grenier. 

2"  prix:  M.  Million. 

Pas  de  1"'  accessit. 

2'  accessit:  MM.  Boudier  et  Blanquart. 

Hautbois.  —  Professeur  M.  Gillet.  Morceau  de  concours:  4«  concerto  de 
Vogt.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Gh.  Lefebvre. 

Pas  de  !«'■  prix. 

2°  prix  :  M.  Greusot. 

'I<"  accessit  :  MM.  Dutercq  et  Mondain. 

Clarinette.  —  Professeur  :  M.  Rose.  Morceau  de  concours  :  concertino  de 
Weber.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Georges  Marty. 

4<"prix:  MM.  Guyot  et  Delacroix. 

2"  prix:  MM.  Leroy  et  Carré. 

^ei-  accessit  :  M.  Greinner. 


248 


LE  MENESTREL 


2"  accessit:  MM.  Noël  et  Paquet. 

Basson.  —  Professeur  :  M.  Eugèae  Bourdeau.  Morceau  de  concours  : 
Fantaisie  hongroise,  de  Weber.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Paul  Vidal. 

/"prix  :  M.  Joly. 

2'  prix  :  MM.  Desoubrie  et  Mesnard. 

1^  accessit  :  M.  Sublet. 

2'   accessit  :  M.  Deûez. 

CoB.  —  Professeur  :  M,  Brémond.  Morceau  de  concours  :  concerto  de  Gal- 
lay.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Paul  Vidal. 

/»  Prie  :  M.  Penable. 

2^  Prix  :  M.  Gérin. 

Pas  de  l'"'  accessit. 

2^  Accessit  :  M.  Fontaine. 

Cornet  a  pistons.  —  Professeur  :  M.  Mellet.  Morceau  de  concours  :  2°  fan- 
taisie de  M.  Emile  Jonas.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Wormser. 

/«■  Prix  :  M.  Mignion. 

2' Prix  :  M.  Fouache. 

■/"  Accessit  :  M.  Briol. 

2'  Accessit  :  MM.  Excoula,  Duriez  et  Astrée. 

Trompette.  —  Professeur  :  M.  Franquin.  Morceau  du  concours  :  2»  solo  de 
M.  Paul  Rougnon.  Morceau  à  déchiffrer,   de  M.  Hillemacher. 

^<"  Prix  :  M.  Delfosse. 

2«  Prix  :  M.  Degageux. 

/'=■'  Accessit  :  M.  Jamme. 

Trombone.  —  Profbsseur:  M.  AUard.  Morceau  de  concours:  solo  de 
M""  Gennaro.  Morceau  à  déchiffrer,  de  M.  Xavier  Leroux. 

Pas  de  premier,  ni  de  second  prix. 

i^'  Accessit  :  M.  Hudier. 

Rappelons  que  la  distribution  des  prix  aura  lieu  mercredi  prochain,  S 
août,  à  une  heure  précise. 

—  A  l'Opéra  M.  Lafarge,  dont  les  débuts  avaient  été  retardés  par  suite 
d'indisposition,  a  fait  sa  première  apparition,  vendredi,  dans  le  rôle 
de  Siegmund  de  la  Valkyrie.  L'excellent  ténor,  dont  on  se  rappelle  l'inter- 
prétation des  Troi/ensà  rOpéra-Comique,  a  fait  montre  de  très  grandes  qua- 
lités de  diction,  de  sentiment  et  d'émotion  qui  lui  ont  valu  de  nombreux 
applaudissements.  Le  même  soir  M.  Paty,  chantait  Hounding  pour  lapre- 
mière  fois  et  a  été  bien  accueilli.  M.  Delmas  demeure  un  incomparable 
Wotan. 

M""  Berthet  prend  un  congé  à  partir  du  1°"'  août,  ainsi  que  M"'=  Maury 
et  la  nouvelle  étoile  de  la  danse,  W^''  Zambelli. 

Désormais  les  sujets  de  la  danse  devront  aller  travailler  chez  les  pro- 
fesseurs indiqués  par  la  direction  ;  de  plus,  le  nouveau  règlement  interdit 
les  leçons  particulières  aux  artistes,  soit  à  l'Opéra,  soit  au  dehors.  Pour 
les  classes  de  danse,  les  catégories  ont  été  ainsi  réparties  :  Coryphées  ; 
professeur.  M"'  Théodore.  Quadrilles  :  professeur,  M"°  Peron.  Enfants  : 
professeur,  M"=  Bernay.  Grands  et  petits  sujets  :   professeur,  M.  Vasquez. 

—  M.  Clément  vient  de  signer  son  réengagement  avec  l'Opéra-Comique. 

—  Le  Journal  officiel  a  enfin  publié,  celte  semaine,  la  liste  des  décorations 
accordées  par  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  à 
l'occasion  du  14  juillet.  Nous  avons  à  enregistrer  les  promotions  de 
MM.  Eugène  Manuel  et  François  Coppée  au  grade  de  commandeur,  et  la 
nomination  de  chevalier  de  M.  Maurice  Donnay.  Les  deux  premières 
seront  certainement  accueillies  avec  les  sympathies  qu'elles  méritent. 
Inspecteur  général  de  l'instruction  publique,  M.  Eugène  Manuel  n'eât  pas 
seulement  un  fonctionnaire  émérite,  c'est  aussi  un  poète  délicat,  et  à  ce 
double  titre  sa  nomination  sera  bien  accueillie.  Quanta  M.  Coppée,  son 
éloge  n'est  plus  à  faire,  et  le  succès  récent  de  Pour  la  couj-omie  justifierait 
la  nouvelle  distinction  dont  il  est  l'objet.  C'est  aussi  comme  auteur  drama- 
tique que  M.  Maurice  Donnay,  l'auteur  de  Lysislrata  et  d'Amants,  reçoit  la 
décoration.  Ce  que  nous  avons  lieu  de  regretter,  c'est  qu'on  n'ait  pas 
trouvé  parmi  tous  nos  musiciens  une  seule  boutonnière  digne  de  recevoir 
le  ruban  rouge.  Il  y  a  bien  des  peintres  et  des  sculpteurs  (ceux-là,  on  ne 
les  oublie  jamais),  il  y  a  même  un  chef  de  bureau  au  ministère,  ce  qui 
est  fort  intéressant,  mais  de  musiciens,  point.  Il  parait  que  notre  pauvre 
France  est  bien  déshéritée  sous  ce  rapport. 

—  M.  Massenet,  qui  est  venu,  la  semaine  dernière,  passer  quarante-huit 
heures  à  Paris  pour  prendre  part  au  vote  de  l'Institut,  a  examiné,  eu  com- 
pagnie de  M.  Carvalho  et  de  M.  Henri  Gain,  les  maquettes  des  décors  de 
Cendrillon,  confiées  pour  la  préface,  les  premier  et  troisième  actes  à 
MM.  Rubé  et  Moisson,  pour  le  deuxième  acte  à  M.  Garpezat  et  pour  le 
quatrième  acte  à  M.  Jambon. 

—  L'inauguration  officielle  de  l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique, 
au  palais  de  l'Industrie,  a  été  faite,  mercredi  dernier,  par  M.  André  Lebon, 
ministre  des  colonies,  en  l'absence  des  ministres  du  commerce  et  des 
beaux-arts,  empêchés,  et  qui  s'étaient  fait  représenter  par  des  fonction- 
naires de  leurs  administrations.  M.  André  Lebon  a  été  reçu  par  M.  M.  Abaye, 
directeur  de  l'exposition,  M,  0.  Lartigue,  secrétaire  général,  M.  Lucien 
Layus,  commissaire  général,  et  M.  Yveling  RamBaud,  commissaire  des 
Sections  artistiques,  auxquels  s'étaient  joints  les  présidents  et  les  commis- 


saires des  diverses  sections,  A  son  entrée  dans  la  nef,  que  remplissait 
déjà  une  foule  élégante,  le  ministre  des  colonies  a  été  salué  par  la  Mar- 
seillaise, exécutée  par  l'orchestre  symphonique  que  dirige  M.  Kerrion. 
Par  la  voie  antique,  le  ministre  et  le  cortège  officiel  se  dirigent  vers  le 
théâtre  pompéien,  sur  lequel  M.  Silvain,  sociétaire  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, dit  une  pièce  de  M.  Armand  Silvestre,  Paris-Athènes.  M"«  Moreno, 
de  la  Comédie-Française,  entourée  de  M'''^  Isaac,  Fitz,  Delettre,  Aubert, 
Darcy  et  "VViera,  fort  gracieuses  sous  leurs  draperies  dejoueuses.de  llùte 
antique,  dit  ensuite  une  poésie  de  M.  Jean  Lorrain,  intitulée  ;  l'Ame  an- 
tique.  Pour  ces  deux  œuvres,  que  l'auditoire  a  chaleureusement  applaudies, 
M.  Paul  Vidal  avait  écrit  une  musique  de  scène  fort  originale,  qui  a  été 
très  goûtée.  La  représentation  terminée,  le  cortège  se  reforme  et  l'on  se 
rend  au  parvis  Notre-Dame,  ou  les  tréteaux  sont  dressés  et  où  MM.  Depas 
et  Martel,  Mi''=s  Frederick  et  Déneige  enlèvent  avec  verve  une  joyeuse 
tabarinade  de  M.  Jules  Hoche.  Le  ministre  parcourt  ensuite  les  sections 
où  se  trouvent  rassemblés  tous  les  produits  commerciaux  qui  se  rapportent 
au  théâtre  et  à  la  musique;  on  admire  la  décoration  que  M.  Chaperon  a 
brossée  et  qui  donne  au  palais  de  l'Industrie  un  aspect  aussi  imprévu  que 
pittore.sque.  La  transformation  de  l'immense  hall  est  complète;  même  les 
coins,  qui  ordinairement  sont  négligés,  ont  eu  leur  part  de  décoration. 
Cette  visite  terminée,  M.  André  Lebon  se  rend  au  premier  étage;  M.  Yve- 
ling RamBaud  fait  au  ministre  les  honneurs  des  sections  rétrospectives  et 
artistiques  dont  il  a  dirigé  l'organisation  et  où  l'on  remarque,  notamment, 
les  objets  prêtés  par  le  prince-régent  de  Bavière,  les  partitions  originales 
de  Wagner,  de  Rossini,  une  abondante  série  de  portraits  de  musiciens,  la 
montre  de  Molière,  prêtée  par  M.  Coquelin,  une  très  riche  série  d'instru- 
ments de  musique  anciens,  prêtés  par  un  grand  nombre  de  collectionneurs. 
Une  salle  spéciale  a  été  réservée  aux  instruments  de  musique  des  colonies, 
que  M.  André  Lebon  a  libéralement  prêtés  aux  organisateurs  de  l'expo- 
sition. 

—  A  la  dernière  séance  de  l'Académie  des  beaux-arts,  M.  Charles  Lenepveu, 
au  nom  de  la  section  de  composition  musicale,  a  donné  lecture  du  rapport 
sur  les  envois  des  pensionnaires  musiciens  de  l'Académie  de  France  à 
Rome.  Il  résulte  de  ce  rapport  que  les  œuvres  envoyées  par  nos  jeunes 
compositeurs  méritent  en  général  des  éloges.  La  première  partie  de  l'envoi 
de  M.  Busser,  élève  de  troisième  année,  consistant  en  une  ouverture  de  fêle, 
sera  exécutée, au  mois  d'octobre  prochain,  au  début  de  la  séance  publique 
annuelle  de  l'Académie. 

—  M.  Silver,  ancien  grand  prix  de  Rome  pour  la  composition  musicale, 
vient  d'être  autorisé  par  l'Académie  des  beaux-arts  à  bénéficier  pendant 
quatre  ans  d'une  rente  annuelle  de  3.000  francs,  fondée  par  M.  Joseph 
Pinette  en  faveur  des  pensionnaires  musiciens  de  l'Académie  de  France 
ayant  rempli  leurs  obligations  envers  l'Etat. 

—  M.  Guillaume,  statuaire,  membre  de  l'Institut,  est,  conformément  à 
la  proposition  de  l'Académie  des  beaux-arts,  maintenu  dans  les  fonctions 
de  directeur  de  l'Académie  de  France  à  Rome  pour  une  nouvelle  période 
de  six  années,  commençant  le  1"  janvier  18a7. 

—  Mardi  dernier  a  eu  lieu,  ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  en  la  basi- 
lique de  Saint-Denis,  le  concours  pour  la  nomination  d'un  organiste  du 
grand  orgue.  Le  jury  se  composait  de  MM.  Ch.-M.  Widor,  Dallier 
X.  Leroux,  Périlhou,  Ch.  Bordes,  L.  Viernes  et  Cavaillé-Coll.  Sur  les  huit 
concurrents  qui  s'étaient  fait  incrire,  quatre  seulement  ont  affronté  les  très 
sérieuses  épreuves  imposées,  à  la  suite  desquelles  le  n"  1  a  élé  accordé  à 
M.  Libert  et  le  n°  2  à  M.  Schmidt.  M.  Libert  est  un  premier  prix  du  Con- 
servatoire, lauréat  de  1894,  virtuose  remarquable  et  contrapuntiste  très 
distingué.  Il  a  déjà  publié  dans  «  l'Orgue  moderne  »  plusieurs  pièces  de 
haut  style,  et  dernièrement,  à  l'exposition  de  Rouen,  critiques  et  amateurs 
admiraient  son  impeccable  exécution. 

—  Au  casino  de  Vichy,  triomphe  pour  la  première  à'Hérodiade,  de  Mas- 
senet, fort  artistiquement  mise  en  scène  par  le  directeur  M.  Bussac  et 
très  soigneusement  exécutée  par  l'orchestre  de  M.  Gabriel-Marie, 
jlmcs  Armand,  Bossi,  MM.  An.saldi,  Montfort  et  Fabre  ont  eu  leur  large 
part  du  succès  enthousiaste. 

—  De  Saint-Malo  et  de  Luchon  on  nous  écrit  pour  nous  signaler  les  très 
grands  succès  remportés  par  les  œuvres  symphoniques  de  Théodore  Dubois. 
L'Ouverture  symphonique,  la  Suite  villageoise,  la  suite  sur  la  Farandole  figurent 
sur  les  programmes  de  MM.  Gianini  et  Broustet  et  sont,  chaque  fois, 
acclamées  par  le  public. 

—  La  petite  ville  de  Beaune  vient  d'avoir  la  bonne  fortune  a'entendrt 
deux  artistes  fort  distingués  qui  avaient  généreusement  prêté  leur  con- 
cours à  une  soirée  musicale  organisée  par  M"'°  Monniot  au  profit  des 
pauvres.  M""^  Castillon,  l'éminent  professeur,  venue  aimablement  pour  la  cir- 
constance, de  Paris,  nous  a  tenus  sous  le  charme  avec  deux  mélodies  de 
M.  Gaston  Paulin,  le  grand  air  du  i^reiscAiifa  et  l'airdes  Bijoux  deFaust.  M.  de 
Grave,  belle  voix  de  basse,  a  soulevé  les  applaudissements  dans  la  cavatine 
de  la  Juive,  la  Jolie  Fille  de  Ferlh  et  la  Manola.  M.  Suiste,  premier  prix  du 
Conservatoire  de  Paris,  tenait  le  piano  d'accompagnement.  La  soirée  s'est 
terminée  par  une  fort  belle  interprétation  du  duo  dos  Huguenots,  par 
M°'°  Castillon  et  M.  de  Grave.  R.  G. 

Henri  Heugel,  direcleur-géranl. 


GENTRA1,E  DES  CDEUDiS  DE    FBR,   —  IBIPRIUERIE  I 


un.  —  62"'  APiNÉE  —  I\°  32.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  9  Août  1896. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Heniii  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  ManuscriU,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an  Texte  seul  •  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teïte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  L'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  La  distribution  des  prix  au  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  IL  Musique  et 
prisons  (12"  article)  :  Prisons  révolutionnaires,  Paul  d'Esibée.  —  IIL  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

SI  VOUS  ÉTIEZ  FLEUR 

mélodie  de  Depret,  poésie    de  Jacques  Normand.   —   Suivra  immédiate- 
ment :  Sérénade  florentine,  mélodie  d'EaNEsi  Moret,  poésie  dé  J.  Lahor. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Un  Rêve,  de  Ch.  Neustedt.  —  Suivra  immédiatement  :  Pastorale,  de 
Ch.  Grisart. 


LA  DISTRIBUTION  DES  PRIX  AU  CONSERVATOIRE 


La  distribution  des  prix  a  eu  lieu  mercredi  dernier  au  Conserva- 
toire, sous  la  présidence  de  M.  Rambaud,  ministre  de  l'Instruction 
publique  et  des  Beaux-Arts,  qui  avait  tenu  à  rehausser  par  sa  pré- 
sence l'éclat  de  cette  séance  toujours  si  intéressante.  Assisté  de 
M.  Henri  Roujon,  directeur  des  Beaux-Arts  et  de  M.  des  Chapelles, 
chef  du  bureau  des  théâtres,  le  ministre,  accompagné  de  M.  Tirman, 
chef  adjoint  de  son  cabinet,  a  été  reçu  par  MM.  Théodore  Dubois, 
directeur  du  Conservatoire,  et  Emile  Réty,  chef  du  secrétariat.  Sur 
l'estrade,  à  côté  du  ministre,  avaient  pris  place  MM.  Guillaume, 
Leuepveu,  membres  de  l'Institut;  Jules  Claretie,  administrateur  de 
la  Comédie-Française;  Bertrand,  directeur  de  l'Opéra  ;  les  membres 
du  comité  des  études  et  les  professeurs  du  Conservatoire.  Cette  céré- 
monie se  trouvait  être  en  quelque  sorte  comme  la  consécration  offi- 
cielle de  la  nouvelle  direction.  Le  ministre  l'a  fait  justement  remar- 
quer dans  son  discours,  et  il  en  a  saisi  l'occasion  pour  faire  en  peu 
de  mots  du  nouveau  directeur,  M.  Théodore  Dubois,  un  éloge  à  la 
fois  plein  de  grâce  et  de  discrétion,  qui  a  été  tout  naturellement 
accueilli  par  les  applaudissements  unanimes  de  l'assemblée. 

Eq  rappelant  le  nouveau  règlement  de  l'école,  qu'il  s'est  félicité 
d'avoir  signé,  et  en  soulignant  ses  principales  dispositions,  le  ministre 
n'a  pas  hésité,  en  dépit  des  critiques  et  des  criailleries  dont  elle  ne 
cesse  d'être  l'objet  de  la  part  de  gens  qui  n'en  connaissent  ni  la 
nature,  ni  le  fonctionnement,  à  faire  l'éloge  de  cette  école  qui  est  en 
son  genre  la  première  de  l'Europe,  et  qu'il  a  qualifiée  de  la  façon 
la  plus  heureuse  en  l'appelant  1'  «  Université  de  France  des  arts  du 
théâtre  ».  On  ne  saurait  vraiment  ni  plus  ni  mieux  dire,  et  l'expres- 
sion était  tout  particulièrement  caractéristique. 

Où  l'orateur  s'est  trouvé  involontairement  à  côlé  de  la  vérité,  c'est 
lorsqu'il  a  cru  pouvoir  affirmer  que  «  le  Conservatoire  a  été  en  faveur 
sous  tous  les  gouvernements.  »    Hélas  !    il   en  est  un  qui  pourrait 


s'étonner  de  recevoir  cette  marque  d'estime  qu'il  est  loin  d'avoir 
méritée:  c'est  celui  de  la  Restauiatiou,  qui,  en  haine  de  l'origine 
révolutionnaire  de  cette  institution  si  admirable  et  si  utile,  mit  tout 
en  oeuvre  pour  la  ruiner  méthodiquement,  systématiquement  et  de  la 
façon  la  plus  complète.  L'excellent  abbé  de  Montesquieu,  ministre 
de  l'intérieur  de  Sa  Majesté  Très  Chrétienne,  celui  qui  passait  pour 
le  principal,  sinon  l'unique  rédacteur  de  la  Charte,  employa  tous  ses 
efforts  pour  réduire,  pour  amoindrir  l'école  au  point  de  la  rendre 
méconnaissable  et  de  lui  enlever  en  quelque  sorte  toute  possibilité 
d'être  utile.  Il  n'est  pas  jusqu'à  ce  nom  de  Conservatoire  qui  n'offensât 
l'oreilb  de  ce  singulier  prolecteur  des  arts  et  qui  dut  être  proscrit  et 
remplacé  par  celui  d'École  royale  de  musique.  Sarrelte,  son  fondateur, 
son  directeur  si  intelligent,  si  dévoué,  si  désintéressé,  voulut  récla- 
mer :  il  fut  non  seulement  révoqué  brutalement,  mais  chassé  comme 
un  valet,  de  la  façon  la  plus  indigne  et  la  plus  odieuse,  et  sans 
qu'on  lui  accordât  à  peine  le  temps  de  déménager.  Le  Conservatoire 
fut  alors  placé  sous  la  tutelle  d'un  fonctionnaire  subalterne  auquel  on 
donna  simplement  le  titre  d'inspecteur  général.  Une  réforme  (!)  géné- 
rale fut  opérée,  et  tandis  que  le  nombre  des  professeurs  était  ridicu- 
lement réduit,  les  traitements  de  ceux  qui  restaient  subissaient  une 
réduction  analogue.  Quant  aux  trois  inspecteurs  de  l'enseignement, 
les  trois  artistes  illustres  qui  avaient  nom  Gossec,  Cherubini  et 
Méhul,  à  qui  l'École  devait  tant  de  reconnaissance,  on  leur  enlevait 
ce  litre  avec  les  prérogatives  attachées  à  la  fonction  pour  en  faire  de 
simples  professeurs  de  composition.  Enfin,  le  budget  du  Conservatoire 
était  rogné  à  ce  point  qu'on  n'avait  même  plus  de  quoi  chauffer  les 
classes  l'hiver,  et  que,  pour  ne  pas  geler  absolument,  on  en  fut  réduit 
à  faire  du  feu  avec  des  instruments  superbes,  devenus  inutiles,  et  qui 
aujourd'hui  auraient  acquis  une  valeur  inappréciable. 

Voilà  ce  que  le  gouvernement  de  la  Restauration  fit  du  Conserva- 
toire, fondé  par  la  République.  Voilà  ce  qu'il  n'est  pas  inutile  que 
l'on  sache.  Voilà  pourquoi  il  n'est  malheureusement  pas  exact  de 
dire  que  «  le  Conservatoire  a  été  en  faveur  sous  tous  les  gouverne- 
ments. » 

Le  ministre  a  rendu  dignement  à  la  mémoire  d'Ambroise  Thomas 
le  digne  hommage  qu'elle  méritait.  Il  a  loué  comme  il  convenait  le 
grand  artiste  qui  a  tenu  une  si  large  place  dans  l'histoire  de  l'art 
contemporain,  et  en  énumérant  ses  œuvres,  en  rappelant  la  millième 
de  Mignon,  et  cette  représentation  i'Hamlet  qui,  après  la  mort  du 
maître,  fut  «  comme  une  fête  d'apothéose  »,  il  lui  a  donné  un  souvenir 
ému  et  attendri.  Et  il  a,  d'une  façon  très  heureuse,  associé  à 
l'éloge  de  l'illustre  mort  «  celui  d'un  vivant,  et  bien  vivant,  » 
M.  Emile  Réty,  dont  les  services  inappréciables  n'ont  pas  pris  fin 
par  son  départ  absolument  volonlaire,  puisqu'il  a  «  sa  place  marquée 
d'avance  dans  le  nouveau  conseil  supérieur».  Sur  ces  mots  encore 
les  applaudissements  ont  éclaté,  chaleureux  et  unanimes. 

Après  le  chef,  les  serviteurs  et  les  disciples.  La  ministre  a  donné 
un  regret  à  tous  ceux,  anciens  professeurs,  anciens  élèves,  que  le 
Conservatoire  a  perdus  au  cours  de  l'année  écoulée  :  Ernest  Mocker, 
Obin,  Henri  Fissot,  Dorus,  Anaïs  Fargueil,  M"'°  Dorus-Gras  (1).  Il  a 


(1)  Chose  assez  singulière:  en  rappelant  trois  ouvrages  dans  lesquels  Mocker 
avait  brillé  à  l'Opéra-Comique  ;  le  Maçon,  le  Déserteur,  le  Pré  aux  Cleres,  M.  Ram- 
baud n'a  justement  pas  cité  un  seul  de  ceux  dans  lesquels  il  avait  fait  des  créa- 
tions :  te  Mousquetaires  de  la  Reine,  la  Tonelli,  Polichinelle,  Gilles  ravisszur,  le  Nabab, 


ï^oO 


LE  MENESTREL 


enfin  tracé  un  brillant  élotie.  très  intéressant  et  très  étudié.  d'Alexan- 
dre Dumas  et  de  son  œuvre  théâtral. 

Voici  le  teste  complet  du  discours  de  M.  le  ministre  des  beaux-arts, 
dont  le  succès  a  été  très  grand  : 

Mesdames  et  Messiecrs, 

Cette  cérémonie  n'est  pas  seulement  la  distribution  annuelle  des  récom- 
penses au  Conservatoire  ;  elle  est  destinée  à  inaugurer  une  direction  nou- 
velle, celle  que  j'ai  confiée  à  M.  Théodore  Dubois.  Cette  maison  l'a  eu 
d'abord,  depuis  1871,  comme  professeur  d'harmonie,  depuis  1«91  comme 
professeur  de  composition  :  il  lui  appartient  depuis  plus  de  vingt  ans.  Il 
n'est  pas  seulement  l'auteur  de  tant  d'œuvres  exquises,  mais,  dans  ses 
Noies  et  Éludes  d'harmonie,  un  savant  théoricien  de  l'art.  Il  est  aussi  un 
administrateur  avisé  et  vigoureux,  qui  saura  maintenir  dans  la  grande 
tradition  de  l'art  français  cette  institution  dont  les  origines  remontent 
à  l'une  des  années  les  plus  glorieuses  et  les  plus  fécondes  de  la  Révo- 
lution. 

Nous  inaugurons  aussi,  en  quelque  sorte,  la  charte  nouvelle  qui  a  été 
donnée  au  Conservatoire  par  le  décret  du  S  mai  1S96. 

Désormais,  le  directeur,  comme  il  l'a  voulu  lui-même,  est  assisté  d'un 
conseil  supérieur  où  siégeront  les  maîtres  les  plus  illustres  de  la  littéra- 
ture, de  la  musique  et  du  théâtre.  C'est  sur  les  propositions  de  ce  conseil, 
c'est-à-dire  sur  des  présentations  faites  par  leurs  pairs,  que  le  ministre 
nommera  les  professeurs,  comme  il  le  fait  déjà  pour  les  grands  établisse- 
ments scientifiques  et  pour  les  facultés.  Le  règlement  nouveau  du  Con- 
servatoire est,  dans  ses  lignes  essentielles,  celui  qui  régit  l'école  des 
beaux-arts,  cet  autre  conservatoire  de  l'esprit  artistique  dans  notre  pays. 

Si  j'ai  eu  l'honneur  d'apposer  ma  signature  au  décret  de  constitution, 
je  ne  puis  oublier  qu'il  avait  été  préparé  par  une  imposante  consultation 
des  plus  hautes  compétences,  et  que  votre  nouveau  et  cher  directeur,  après 
avoir  contribué  à  l'élaboration  de  ce  règlement,  a  été  heureux  de  l'apporter 
au  Conservatoire  comme  don  de  joyeux  avènement. 

Tout  ce  que  le  ministre,  tout  ce  que  votre  directeur  ont  ainsi  abandonné 
de  leurs  prérogatives  anciennes,  je  crois  qu'ils  l'ont  remis  entre  bonnes 
mains.  Je  crois  désirable  que  l'administration  des  beaux-arts  soit,  plus 
que  jamais,  conseillée  et  inspirée  par  les  artistes. 

Le  Conservatoire,  dès  sa  naissance,  a  été  comme  le  centre  et  le  cœur  de 
la  production  artistique  en  France.  Il  est  peu  de  grands  artistes  de  théâtre 
qui  n'y  aient  fait  leur  éducation  première;  presque  tous  les  grands  compo- 
siteurs dramatiques  ou  lyriques  y  ont  siégé  comme  maîtres  ou  comme 
membres  des  jurys.  Les  gloires  contemporaines  ont  le  souci  de  cette 
maison  comme  d'une  pépinière  d'interprètes  pour  leurs  œuvres;  et  c'est 
vers  ces  gloires  que  s'orientent  nos  élèves.  On  pourrait  dire  que  tout 
sort  du  Conservatoire  et  que  tout  se  reporte  vers  lui.  Par  lui,  artistes  dra- 
matiques et  lyriques,  professeurs,  compositeurs,  auteurs,  forment  comme 
une  grande  corporation  vouée  au  culte  du  Beau,  comme  l'Université  de 
France  des  arts  du  théâtre. 

C'est  poui  cette  raison  que  les  deuils  de  l'art  sont  les  nôtres,  et  que, 
dans  nos  séances  de  clôture  annuelles,  le  bilan  des  pertes  subies  par  l'es- 
thétique française  prend  toujours  une  si  large  place. 

Cette  année,  nous  devons  un  souvenir  à  Ernest  Mocker,  mort  à  quatre- 
vingt-quatre  ans,  témoin  d'un  autre  âge  et  d'un  autre  Paris  artistique, 
qui,  pendant  plus  de  trente  années,  charma  les  habitués  de  la  salle  Favart 
dans  ses  rôles  du  Déserteur,  du  Maçon,  du  Pré  aux  Clercs,  et  qui,  rappelé  au 
Conservatoire,  y  devint  un  éminent  professeur  d'opéra-comique  ; 

A  Obin,  dont  nos  pères  n'ont  point  oublié  l'immense  succès  à  l'Opéra, 
dans  les  Huguenots,  dans  Don  Juan,  dans  Moise,  dans  Herculanum.  dans  Don 
Carlos,  et  qui,  sorti  à  vingt  ans  du  Conservatoire,  y  rentra  en  1871  comme 
professeur  d'opéra; 

A  M"""  Anaïs  Fargueil,  qui,  en  1833,  l'avait  quitté  avec  le  premier  prix 
de  chant,  qui  débuta  non  sans  éclat  à  l'Opéra-Comique,  mais  qui,  par  un 
avatar  inattendu,  ayant  perdu  sa  voix  de  cantatrice,  entra  au  Vaudeville, 
y  fut  la  merveilleuse  comédienne  que  nous  avons  connue,  car  nous  n'a- 
vons point  oublié  la  belle  invocation  à  la  «  sainte  mousseline  >.  dans  la 
Famille  Benoiton.  Elle  a  suivi  le  génie  du  maître  dans  ses  évolutions,  et 
après  avoir  donné  à  M.  Victorien  Sardou  une  admirable  interprète  de  ses 
comédies,  elle  lui  donna  la  tragédienne  qu'il  rêvait  pour  ses  drames,  la 
superbe  Dolorès  de  ce  chef-d'œuvre  :  Patrie  1 

A  Henri  Fissot,  ce  musicien  consommé,  co  pianiste  et  cet  organiste  de 
premier  ordre,  ce  compositeur  de  grand  style,  que  des  succès  précoces 
avaient  signalé  dès  sa  dix-huitième  année  et  qu'une  mort  prématurée  enle- 
vait, en  janvier  dernier,  à  sa  classe  féminine  de  piano  du  Conservatoire; 

A  M""=  Dorus-Gras,  d'abord  la  gloire  de  l'Opéra  de  Bruxelles,  bientôt 
rappelée  à  l'Opéra  de  Paris,  où  elle  fut  la  créatrice  des  rôles  d'Alice  dans 
Robert  le  Diable,  de  Térésina  dans  le  Philtre,  d'Eudoxie  dans  la  Juive,  de 
Marguerite  dans  les  Huguenots;  puis  à  l'Opéra-Comique,  où  elle  créa  celui 
d'Isabelle  dans  le  Préaux  Clercs; 

A  son  frère  Dorus,  le  célèbre  flûtiste,  qui  ne  lui  a  survécu  que  trois 
mois.  Il  était  un  des  vôtres  de  toute  façon  :  élève  de  cette  maison,  lauréat 

il  signor  Pascariello,  te  Toréador,  le  Val  d'Andorre,  les  Porcherons,  l'Etoile  du  Nord,., 
Et  puis,  une  petite  erreur:  .U"*  Dorus-Gras  n'a  pas,  à  proprement  dire,  créé  le 
Pré  aux  Clercs;  elle  n'a  joué  Isabelle  qu'à  partir  de  la  seconde  représentation, 
après  le  refus  inqualifiable  et  resté  toujours  inexpliqué  de  M»'  Casimir. 


du  Conservatoire  en  182s,  virtuose  de  notre  orchestre  de  l'Opéra,  puis  de  la 
Société  des  concerts,  maître  de  tant  d'artistes  :  je  me  contenterai  d'eu  citer 
un  des  plus  illustres,  M.  Talfanel. 

Parmi  ceux  qui  ont  quitté  cette  rive,  la  vie,  pour  passer  sur  l'autre 
bord,  il  en  est  deux  qui  ont  laissé,  dans  le  double  domaine  de  l'art  drama- 
tique et  de  l'art  lyrique,  un  vide  qui  ne  se  pourra  combler.  Us  appartiennent 
à  l'histoire  intellectuelle  non  plus  seulement  de  la  France,  mais  du  monde. 

Alexandre  Dumas,  par  un  sentiment  de  noble  modestie  ou  peut-être  par 
dédain  pour  la  parole  publique  dont  il  avait  noté  l'abus,  exigea  par  testa- 
ment qu'aucun  discours  ne  fut  prononcé  sur  sa  tombe.  Si  respectueux  que 
nous  soyons  de  ses  volontés  suprêmes,  nul  ne  s'étonnera  que,  dans  celte 
réunion  presque  intime,  dans  cette  maison  qu'il  aimait  tant,  on  rende 
hommage  à  sa  vie  laborieuse,  à  sa  conscience  sévère  de  moraliste,  à  son 
éclatant  génie  dramatique,  ne  fût-ce  que  pour  tirer  de  sa  vie  des  enseigne- 
ments utiles  à  ces  jeunes  élèves  du  Conservatoire  dont  il  suivait  avec  une 
sollicitude  paternelle  les  travaux  et  les  concours. 

La  prodigieuse  fécondité  littéraire  de  son  père,  qui,  de  ses  récits  de 
voyages,  de  ses  contes  et  chroniques,  de  ses  romans  taillés  en  plein  cœur 
de  nos  annales,  se  reposait  en  donnant  au  théâtre  des  drames  dont  nous 
subissons  encore  l'émotion;  cette  fantaisie  si  riche,  étincelante,  qui  se  pro- 
diguait sans  compter,  fertilisant  tous  les  sujets  et  tous  les  genres  de  litté- 
rature, s'épandant  comme  un  fleuve  sur  la  France,  sur  l'Europe,  sur  le 
monde,  où  ses  œuvres  furent  traduites  en  toutes  les  langues  civilisées,  — 
tout  cela,  dans  le  fils  sérieux  et  réfléchi,  se  concentra  en  une  énergie 
intense  d'observation  et  de  méditation.  On  a  dit  que  le  père  avait  été 
comme  une  force  de  la  nature  :  le  fils  fut  la  conscience  de  la  nature  et  du 
genre  humain.  La  postérité  le  placera  au  même  rang  que  nos  grands  clas- 
siques du  dix-septième  siècle;  mais  tandis  que  les  uns,  dans  la  tragédie, 
n'ont  su  exprimer  que  l'héroïsme  ou  les  passions  d'êtres  supérieurs  et 
presque  étrangers  à  l'humanité,  d'êtres  de  légende;  tandis  que  les  autres, 
dans  la  comédie,  se  sont  attaqués  à  des  travers  qui  sont  presque  à  la  sur- 
face de  notre  nature,  —  lui,  il  est  le  fils  d'un  sièclt  où  la  sévère  méthode 
des  sciences  domine  jusqu'à  la  littérature;  d'un  siècle  où  l'on  devrait 
moins  souffrir  qu'il  y  a  deux  cents  ans  et  où  l'on  sent  davantage  la  souf- 
france; qui,  comme  réveillé  toul  à  coup,  s'est  effrayé  et  effaré  d'une  infinité 
de  questions  qui  laissaient  paisibles  nos  ancêtres,  qui  s'est  ému  de  pitiés 
qu'ils  ignoraient,  d'injustices  qui  ne  les  touchaient  point;  qui  parait  moins 
moral  que  ses  devanciers,  mais  qui  l'est  bien  plus,  précisément  parce  qu'il 
s'inquiète  de  ce  qu'il  y  a  d'évolution  et  en  apparence  d'incertain  dans  la 
loi  morale.  Sous  la  complexité  de  notre  société,  de  nos  mœurs,  de  nos 
croyances,  de  nos  superstitions,  à  travers  ce  Icaléidoscope  de  vices,  de 
ridicules,  de  misères,  sans  cesse  secoué  comme  par  une  main  invisible  et 
folle,  c'est  l'humanité  qu'Alexandre  Dumas  a  prise  corps  à  corps. 

Il  l'a  vue,  sous  la  frivolité  de  ses  modes  changeantes,  simple  comme 
l'humanité  antique,  souffrante  des  mêmes  maux,  c'est-à-dire  de  l'amour, 
de  ses  perversions,  de  leurs  conséquences  tragiques,  et  personne  n'a  res- 
senti pour  elle  plus  de  pitié  virile.  Il  a  été  presque  uniquement  le  poète 
de  l'amour,  d'un  amour  non  pas  entouré  des  Ris  et  des  Jeux,  mais  escorté 
de  meurtres  et  de  suicides,  de  l'Eros  dévasteur  qu'ont  entrevu  les  plus  aus- 
tères des  poètes  antiques.  Son  théâtre,  si  osé  parfois,  est  cependant  le  plus 
sain  qu'il  y  ait  au  monde.  C'est  avec  raison  qu'on  a  salué  en  lui  le  mora- 
liste par  excellence  :  non  celui  qui  déclame  sur  le  vice,  mais  celui  qui  en 
voit,  avec  une  acuité  de  vision  jusqu'alors  inouïe,  le  caractère  réel  et  les 
inévitables  conséquences. 

Il  est  original  surtout  parce  qu'il  eut  l'intuition  de  ce  qu'il  y  a  d'éternel 
et  d'immuable  dans  la  nature  humaine,  et  qu'en  même  temps  il  l'aperçut 
sous  le  caractère  ie  plus  moderne  et  le  plus  français.  C'est  pourquoi  il  est 
vraiment  un  classique  du  dix-neuvième  siècle.  De  là  cette  variété  dans  la 
langue  qu'il  parle,  ces  pensées  qui  tantôt  sont  un  reflet  de  la  vie  qui  passe 
et  tantôt  une  évocation  de  la  vie  perpétuelle;  ces  mots  profonds,  ces  mots 
de  surprise  qui  font  passer  un  frisson  d'infini.  Les  rôles  créés  par  Alexandre 
Dumas  sont  de  ceux  que  nos  élèves  ont  le  plus  à  redouter  et  le  plus  à 
envier.  C'est  à  la  manière  dont  ils  les  interpréteront  qu'on  reconnaîtra  les 
comédiens  de  race. 

Ambroise  Thomas  l'a  suivi  de  près  dans  la  tombe.  Celui-là,  c'était  la 
musique  même.  Sous  la  direction  de  son  père,  à  quatre  ans,  il  commença 
l'étude  du  solfège  et  à  sept  ans  celle  du  piano  et  du  violon.  Par  lui,  nous 
sommes  en  communication  directe  avec  les  aèdes  de  la  Révolution,  ces 
pères  glorieux  de  la  musique  moderne;  car,  en  ce  même  Conservatoire  où 
nous  sommes,  il  eut  Gherubini  pour  directeur  et  Lesueur  pour  maître  de 
composition.  Vous  savez  par  quelle  série  d'œuvres  il  a  conquis  le  renom 
d'un  des  charmeurs  de  ce  siècle  :  le  Caïd,  leSonge  d'une  nuit  d'été.  Psyché,  La 
millième  de  Mignon  a  été  une  fête  nationale.  Ce  fut  une  autre  fête,  mais 
comme  d'apothéose  après  la  mort,  que  cette  représentation  à'Hamlet  qui, 
sur  la  tombe  à  peine  fermée,  fit  retentir,  ainsi  qu'un  chant  de  résurrection, 
les  fraîches  mélodies  du  ballet  du  Printemps.  Ce  patriote  que  la  guerre  a 
privé  de  sa  ville  natale,  qui,  soldat  en  cheveux  blancs,  étalant  sur  sa  va- 
reuse de  mobile  la  croix  de  commandeur,  monta  la  garde  aux  bastions  de 
Paris  assiégé,  a  du  moins  retrouvé  une  patrie  dans  la  maison  qui  abrita 
son  enfance.  Directeur  du-Conservatoire  depuis  près  d'un  quart  de  siècle,  il 
en  a,  pour  ainsi  dire,  fixé  la  tradition;  vingt-quatre  générations  d'élèves 
sont  sorties  de  ses  mains.  Si  à  tous  il  laissa  la  liberté  de  leur  vocation  per- 
sonnelle, à  tous  il  donna  le  haut  exemple  de  l'amour  du  métier,  de  la 
probité  artistique,  du  plus  noble  patriotisme. 


LE  MENESTREL 


251 


Inséparable  de  ce  grand,  nom  est  celui  d'un  vivant,  et  bien  vivant,  celui 
de  votre  secrétaire  général  M.  Réty.  "Vous  savez  quel  précieux  auxiliaire 
il  fut  pour  son  chef  et  quel  précieux  conseiller  pour  vous  tous.  De  cette 
maison  où  il  est  né,  où  il  n'a  jamais  eu  que  des  amis,  il  ne  pouvait  sortir 
que  par  sa  volonté  expresse,  et  il  a  fallu  qu'elle  fût  bien  tenace  pour 
vaincre  nos  résistances.  Du  moins  ne  pourra-t-il  nous  abandonner  entière- 
rement.  Au  moment  où  il  quittera  son  cabinet  d'administrateur,  il  trou- 
vera sa  place  marquée  d'avance  dans  le  nouveau  conseil  supérieur. 

Mesdames,  Messieurs, 

Si  la  Convention  nationale,  au  moment  où  elle  avait  à  lutter  contre 
l'Europe  coalisée,  a  trouvé  cependant  le  temps  de  fonder,  il  y  a  un  siècle 
et  une  année,  le  Conservatoire;  si  cette  grande  école  a  été  en  faveur  sous 
tous  les  gouvernements,  à  commencer  par  celui  de  Napoléon  ;  si  les 
ministres  de  la  République  tiennent  à  honneur  de  présider  à  votre  fête 
annuelle,  c'est  que  les  intérêts  de  l'art  français  sont  au  premier  rang 
parmi  ceux  dont  l'État  doit  avoir  le  souci.  Notre  démocratie  n'est  pas 
comme  cette  rude  République  romaine  à  laquelle  un  de  ses  plus  grands 
poètes  conseillait  de  se  borner  à  commander  aux  nations  et  de  laisser  à 
d'autres  le  soin  de  modeler  des  statues  et  de  donner  la  vie  à  l'airain.  La 
France,  qui  a  repris  son  rang  de  grande  puissance  militaire  et  qui,  en 
Asie  et  en  Afrique,  a  pour  vassaux  des  rois,  ne  croirait  pas  à  sa  grandeur 
si  celle-ci  ne  resplendissait,  comme  il  y  a  deux  cents  ans,  de  l'éclat  que 
donnent  les  arts  et  les  lettres.  Elle  est  fîère  de  ses  soldats,  de  ses  hardis 
explorateurs,  de  ses  savants,  de  la  prospérité  de  ses  industries;  elle  est 
Gère  aussi  de  ses  artistes.  Chaque  Français  peut,  dans  la  carrière  qu'il  a 
choisie,  être  quelque  chose  dans  la  gloire  de  la  patrie  commune. 

Les  artistes  de  là,  musique  et  du  drame  ajoutent  à  sa  puissance  de 
propagande,  à  son  rayonnement  dans  le  monde.  Les  uns  apprennent  aux 
orchestres  de  l'Europe  entière  les  mélodies  du  pays  de  France  ;  les  autres, 
devant  les  foules  d'Europe  et  d'Amérique,  qui  cependant  ignorent  notre 
idiome,  les  font,  par  la  puissance  du  verbe  artistique,  par  un  miracle 
renouvelé  du  jour  où  des  langues  de  feu  se  posèrent  sur  les  têtes  des 
hommes,  tressaillir  des  mêmes  émotions  qu'une  foule  parisienne  un  jour 
de  représentation  populaire.  Votre  art,  tenu  en  apparent  dédain  en  des 
temps  où  l'on  redoutait  sa  future  puissance,  est  un  des  plus  nobles  parmi 
les  arts  libéraux.  Vous  êtes  les  interprètes,  vous  êtes  les  collaborateurs  des 
grands  dramaturges,  des  grands  compositeurs.  Sans  vous,  ils  ne  se  révé- 
raient au  monde  que  par  la  froide  lecture  ou  resteraient  dans  les  limbes 
du  manuscrit. 

Après  leur  avoir  donné  la  vie,  vous  leur  maintenez  l'immortalité.  Par 
vous,  ni  Corneille  ni  Molière,  pas  plus  que  Rossini  ou  Ambroise  Thomas, 
ne  sont  morts.  Vous  faites  encore  vibrer  leur  parole  dans  les  vers 
héroïques  du  Cid;  vous  faites  chanter  leur  âme  dans  le  duo  d'amour  des 
Huguenots  ou  dans  les  soupirs   de  Mignon  vers   «  le  pays  des  fruits  d'or  ». 

Souvenez-vous  donc  que  vous  avez  en  garde  le  renom  de  cette  sécu- 
laire maison,  qui  sans  cesse  se  rajeunit  de  votre  jeunesse;  et  que  vous 
avez  en  garde  l'art  français,  élevé  si  haut  par  vos  devanciers  et  dont 
Marie-Joseph  Ghénier  annonçait  à  la  Convention  qu'il  «  a  gagné  des 
victoires  et  qu'il  fera  les  délices  de  la  paix  ». 

A  la  suite  de  ce  discours,  fréquemment  interrompu  par  les  applau- 
dissements, le  ministre  a  procédé  aux  nominations  d'usage.  Il  a 
commencé  par  remettre  la  croix  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur 
à  M.  Charles  Lefebvre,  professeur  de  la  classe  d'ensemble  instru- 
mental, et  il  n'est  pas  besoin  de  dire  si  cette  distinction  a  été  bien 
accueillie.  Puis  il  a  proclamé  les  nominations  suivantes  :  officiers  de 
l'instruclion  publique  :  MM.  Berthelier,  professeur  de  violon,  Diémer, 
professeur  de  piano,  et  Alphonse  Duvernoy,  professeur  de  piano  ; 
officiers  d'académie  :  MM.  Viseur,  professeur  de  contrebasse,  Frau- 
quin,  professeur  de  trompette,  M""'  Féraud,  répétiteur  de  solfège,  et 
M.  le  docteur  Gouguenheim,  médecin  du  Conservatoire. 

Est  venue  ensuite,  à  la  grande  joie  des  élèves,  la  distribution  des 
récompenses, 'la  proclamation  des  prix  étant  faite,  d'une  voix  excel- 
lente, eu  dépit  d'une  fluxion  insolite,  par  M.  Dorival,  second  prix  de 
tragédie,  qui,  selon  la  coutume,  a  été  accueilli  par  de  vifs  applaudis- 
sements lorsqu'il  s'est  nommé  lui-même.  Puis,  la  partie  officielle 
^étant  terminée,  le  cortège  s'est  formé  et  tous  les  personnages  pré- 
sents se  sont  rendus  dans  la  grande  loge,  où  ils  ont  pris  place  pour 
assister  au  concert-spectacle  qui  allait  clôturer  cette  séance  intéres- 
sante et  dont  voici  le  programme  : 

1.  Carnaval  .{o\i.  9)  (R.  Schumann). 

M'"^  Hanseu. 

2.  Concerlino  pour  clarinette  (Weber). 

M.  Guyot, 

3.  Premier  morceau  du  29"  Concerto  (Viotti). 

M.  Sechiari. 

4.  Scènes  du  Médecin  malgré  lui  (Molière). 

Sganarelle  ,  MM.  Prince. 

Géronte  Garbagny. 

Lucas  Berthier. 

Valère  Barbier. 

Lucinde  M"=  Maufroy. 


o.  Scènes  du  3«  acte  de  Manon  (J.  MassenetJ. 

Manon  M""  Guiraudon. 

Des  Grieux  M.  Beyle. 

6.  Scènes  d'Iphigénie  en  Tauride  (Gluck). 

Oreste  M.  Sizes. 

Iphigénie  M"«  Ackté. 

Pylade  MM.  Cremel 

Un  prêtre  Vieuille. 

Gros  succès  pour  tous,  mais  surtout  pour  M.  Guyot  et  M.  Sechiari, 
qui  se  sont  montrés  l'un  et  l'autre  extrêmement  remarquables,  pour 
M""*  Guiraudon  et  M.  Beyle  dans  la  scène  de  Manon,  et  pour  M.  Sizes 
dans  celle  d'Iphigétiie  en  Tauride. 

Arthur  Pougin. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONS  RÉVOLUTIONNAIRES 

II 

Musique  de  Chambre  à  la  Bourbe  (documents  inédits).  —  Aux  Madelonnelles,  concert 
pour  M"'°  la  Concierge.  —  Improvisations  de  Real  sur  le  violon  au  Luxembourg.  — 
Musique  girondine  à  la  Conciergerie:  le  culte  d'Ibrascha;  le  pot-pourri  de  Ducos;  la 
dernière  nuit.  —  Mourir  pour  la  patrie  l  —  La  romance  de  Montjourdain.  —  Un  admi- 
nistrateur quin^aime  pas  la  musique...  de  K""  Roland.  — Des  royalistes  convaincues.  — 
Compositeurs  etartistes  travaillant  sous  les  verrous:  Hougeide  Liste, Dietrich,  Dubuisson, 
Plet/el.  —  La  rue  sous  les  pi-isoiis  et  les  prisons  dans  la  rue.  —  Le  Chant  des  représailles. 

—  Patriotisme  des  prisonniers  ;  la  Prière;  alU-gresse  universelle  et  chant  de  triomphe; 
composés  à  roccasion  de  la  prise  de  Toulon.  —  Après  Thermidor  :  ceux  qui  restent  ont 
foi  dans  leur  prrochaine  délivrance;  un  hymne  du  chevalier  de  Maison-Rouge  ;  le  rossignol 
de  Ferrières-Sauvebœuf.  —  Garât  au  violon.  —  Le  dilettantisme  musical  dans  les  prisom 
d'Amiens,  Blois  et  Troyes.  —  Le  Babouvisme  à  Vendôme  et  la  Bépublique  des  Egaux. 

Comme  nous  l'avons  laissépressentir,  l'aspect  des  prisons,  peuplées 
par  l'active  méfiance  du  Comité  de  salut  public,  eût  déconcerté  nos 
modernes  psychologues.  Sauf  de  rares  exceptions,  rien  n'y  trahissait 
le  regret  du  bonheur  disparu,  ni  l'appréhension  d'un  dénouement 
tragique.  Primitivement,  l'aristocratie,  la  magistrature  et  le  clergé 
avaient  fait  les  frais  des  premières  «  fournées  »  ;  puis  les  bourgeois, 
les  commerçants,  les  artistes,  les  gens  de  lettres,  toutes  les  classes 
de  la  société,  jusqu'aux  ouvriers  des  villes  et  des  campagnes,  s'étaient 
entassés  pêle-mêle  dans  ces  «  cavernes  de  mort  »,  comme  l'écrivait 
alors  André  Chénier.  Le  premier  moment  de-  stupeur  passé,  ces 
malheureux  de  tout  âge,  de  tout  pays  et  de  toute  condition  s'étaient 
fait  presque  gaîment  à  leur  nouvelle  existence,  vivant  côte  à  côte, 
t  anlôt  fur  le  pied  de  l'égalité  la  plus  parfaite,  tantôt  avec  leurs  pré- 
jugés ou  leurs  rancunes,  divisés  en  petites  coteries,  ou  réunis  pour 
deviser,  travailler  etjouer  en  commun. 

Les  contemporains  qui  ont  écrit  sur  les  prisons  révolutionnaires 
b  nt  multipliéles  tableaux  de  cette  vieintime.  Dans  les  premiers  temps, 
on  se  rendait  des  visites  comme  à  la  cour;  on  s'invitait  à  dîner,  et 
les  tables  étaient  somptueusement  servies;  le  soir,  les  dames  travail- 
laient à  la  lueur  des  lampes,  pendant  que  les  hommes  lisaient, 
écrivaient,  dessinaient  ou  faisaient  de  la  musique.  Ce  calme  relatif 
ne  devait  pas  durer.  Le  conseil  général  de  la  Commune  trouva 
mauvais  que  les  aristocrates  se  divertissent  pendant  que  les  sans- 
culottes  ne  s'amusaient  pas.  El,  dès  lors,  commença  pour  ceux-là 
une  existence  nouvelle,  toute  de  tracasseries  et  de  vexations,  dont 
le  reflet  assombrit  graduellement  le  style  des  intéressés  :  car,  il  faut 
le  dire,  la  plupart  de  ces  relations  sont  écrites,  au  jour  le  jour,  par 
des  détenus.  Et  elles  s'accordent  à  reconnaître  qu'aux  moments  les 
plus  difficiles  1a  musique  a  été  la  plus  puissante,  comme  la  plus 
salulairedes  distractions.  Le  caractère  —  nousl'avons  déjà  remarqué 

—  en  est  léger,  facile,  gai,  presque  bruyant,  mais  avec  une  pointe 
de  la  sentimentalité  dont  Jean-Jacques  Rousseau  imprégna  si  forte- 
ment l'esprit  français  à  la  veille  de  la  Révolution.  Cette  double 
tendance  se  fait  jour  dans  une  relation  manuscrite,  conservée  à  la 
bibliothèque  Carnavalet,  relation  que  nous  croyons  absolument 
inédite.  La  scène  se  passe  à  la  Bourbe,  dans  les  premiers  jours  de 
■1794,  et  l'auteur  l'a  dédiée  à  <s  M""=  Carvalho  ».  Quelle  était  cette 
dame  Carvalho?  Nous  avons  vainement  cherché  son  nom  sur  les 
liste  des  détenus  si  minutieusement  dressée  par  M.  Campardon. 

Quelquefois  on  faisait,  non  pas  des  concerts,  mais  de  la  musique;  nous 
avions  des  amateurs  qu'on  entendait  avec  plaisir,  une  clarinette,  une  viole 
d'amour  qui  faisait  très  grand  effet  entre  les  mains  d'un  homme  connu 
par  ce  talent  (le  baron  de  Witterspach),  deux  ou  trois  violons.  J'ai  vu 
souvent  les  yeux  de  nos  jeunes  dames  s'attendrir,  lorsque  cette  viole 
d'amour  jouait  la  romance  de  Nina  oa  quelque  autre  faite  pour  le  cœur. 


252 


LE  MENESTREL 


...  L'àme  de  ces  petits  concer;s  était  Penne,  parfumeur  à  Paris,  jouant 
parfaitement  de  la  clarinette  et  qu'on  vit  toujours  de  l'humeur  la  plus  gaie. 
Son  arrestation  avait  fait  grand  éclat  dans  son  quartier;  on  y  avait  mis 
■iOO  hommes  sur  pied,  infanterie  et  cavalerie,  pour  s'assurer  de  sa  personne. 
Son  arrivée  à  la  Bourbe  fut  annoncée  par  le  son  de  sa  clarinette.  Quelques 
mois  auparavant  il  avait  passé  par  le  tribunal  révolutionnaire,  et  il  y  avait 
été  acquitté.  Son  chagrin,  si  on  l'eût  condamné,  aurait  été  de  ne  pouvoir, 
pendant  sa  dernière  promenade,  jouer  de  son  instrument  chéri. 

Plus  d'une  fois,  dans  les  beaux  jours,  le  son  ravissant  de  cette  clarinette 
m'a  tiré  de  mon  sommeil.  Il  allait,  à  l'ouverture  des  portes,  jouer  dans 
le  jardin,  et  sans  doute  nos  jeunes  compagnes  lui  savaient  gré  de  les 
réveiller  par  de  charmants  airs... 

On  exerçait  de  petits  métiers  :  il  y  avait  un  maître  de  flûte  et  de  guitare. 

Aux  Madelonnettes,  en  novembre  1793,  les  séances  musicales  étaient 
plus  restreintes  et  moins  brillantes.  Un  groupe  d'amateurs  exécutait 
tant  bien  que  mal  entre  soi  desquatuors  de  Pleyel,  et  ne  jouait  guère 
pour  la  galerie,  s'il  en  faut  croire  cette  confession  assez  singulière  d'un 
des  virtuoses  :  «  Notre  charmante  concierge  ne  nous  abandonnait  pas 
et  assistait  régulièrement  à  nos  concerts;  c'était  la  seule  femme  que 
nous  voyions.  » 

An  Luxembourg,  Real,  le  futur  comte  de  l'empire,  qui  n'avait  pu 
désarmer,  malgré  son  absolu  dévouement  à  la  cause  républicaine,  la 
haine  de  ses  ennemis  politiques,  stimulait  par  ses  improvisations 
musicales  la  gaité  de  ses  compagnons  d'infortune.  Il  jouait  sur  son 
violon  des  romances  ou  des  vaudevilles  de  sa  composition,  que  tous 
répétaient  en  chœur. 

Cette  belle  humeur  dépassait  souvent  les  limites  de  la  bouffonnerie, 
et  principalement  chez  les  plus  illustres  victimes.  Était-ce  le  besoin 
de  s'étourdir  aussi  bruyamment  que  possible,  ou  bien  l'insouciance 
du  lendemain,  ou  encore  le  dédain  de  la  mort,  qui  surexcitait  la  verve 
des  Girondins  sur  le  seuil  même  de  l'éternité?  Toujours  est-il  que 
jamais  étudiants  en  goguette  ne  se  montrèrent  plus  extravagants  ni 
plus  farceurs.  C'est  ainsi,  comme  nous  l'apprend  une  lettre  deRiouJffe 
à  son  ami  Souque,  que  des  détenus  de  la  Conciergerie,  inculpés  de 
fédéralisme,  imaginèrent  une  véritable  gaminerie  pour  se  soustraire 
à  la  manie  coaverlissante  d'un  brave  homme  de  chanoine  qui  parta- 
geait leur  captivité. 

Le  jeune  Ducorneau,  un  Bordelais  «  borgne,  petit,  basané,  à  la 
figure  pétrie  de  malice,  »  avait  organisé,  le  premier,  cette  petite  cam- 
pagne contre  le  «  nouveau  saint  Antoine,  dont  il  était  le  diable  ».  Il 
lui  volait  son  bréviaire,  éteignait  sa  bougie  et  coupait  la  mélopée  de 
ses  psaumes  d'un  refrain  de  chanson  gaillarde. 

Donc,  Ducorneau  fonda  la  religion  d'Ibrasdia,  le  dieu  des  sept  lu- 
mières, dont  les  maximes  appartiennent  au  domaine  de  la  fumisterie 
chatnoiresque.  En  voici  une  entre  autres  : 

«  Tous  les  ans,  on  représentera  dramatiquement  la  mort  de  Sacrale, 
homme  juste,  tué  par  les  prêtres.  Vive  Ibrascha  !  » 

Cette  religion  eut  son  culte,  ses  hymnes  et  ses  chantres.  Le  vieux 
chanoine  faisait  semblant  de  dormir  quand  la  cérémonie  commençait, 
mais  dès  que  le  «  grand'chantre  d'ibrascha  »  eiitonnait  les  chants 
profanes,  la  victime  se  levait  en  sursaut  et  hurlait  à  pleins  poumons 
le  De  j)rofundis.  Sa  voix  était  bientôt  étouffée  parles  notes  sonores  de 
ces  larynx  de  vingt  ans.  Alors  le  bonhomme  les  injuriait,  voulait 
briser  l'autel  d'ibrascha  et,  dans  sa  fureur,  accompagnait  les  litanies 
fantaisistes  des  mystificateurs  de  grands  coups  de  bûches  contre  la 
porte. 

Mais  bientôt  on  se  réconciliait  à  table;  Ducorneau  lançait  à  pleine 
voix  ses  hymnes  à  la  Liberté,  choquait  le  verre  du  bon  chanoine,  et 
tous  reprenaient  en  chœur  le  refrain  du  poète  bordelais.  Mais  hélas! 
chaque  jour  le  nombre  des  chanteurs  diminuait,  et  les  voix  se  mouil- 
laient de  larmes  en  répétant  les  couplets  de  l'auteur.  Car  Ducorneau 
avait  été  condamné  et  guillotiné  comme  fédéraliste,  de  même  que 
le  vieux  prêtre  avait  disparu  dans  la  prétendue  conspiration  du  Luxem- 
bourg. 

Ducos,  ce  noble  cœur,  qui,  sans  être  porté  sur  la  liste  des  proscrip- 
tions, ne  voulut  pas  séparer  sa  cause  de  celle  de  ses  amis  politiques, 
avait,  lui  aussi,  cette  étourdissante  gaité.  Quelques  jours  avant  sa 
comparution  devant  le  tribunal  révolutionnaire,  il  chantait  aux 
Girondius  son  îameax  pot-pourri  surl'arrestation  du  député  Bailleul, 
qu'il  faisait  parler  en  ces  termes  : 

Air  :  Un  jour  de  cet  automne. 
Un  jour  de  cet  automne, 
De  Provins  revenant... 
Quoi  !  Sur  l'air  de  la  Nonne 
Chanter  mon  accident! 
Non,  mon  honneur  m'ordonne 
D'être  grave  et  touchant. 


Air  :  Du  Haut  en  bas: 

Clopin,  dopant, 
Je  cheminais  dans  la  campagne, 

Clopin,  dopant, 
D'honneur  et  d'effroi  palpitant, 
Maudissant  un  peu  la  Montagne, 
Je  m'enfonçais  dans  la  Champagne, 

Clopin,  dopant. 

Air  :  Malborough  s'en  va  t'en  guerre. 
■  EaQn,  sans  perdre  haleine, 
Mironton,  mironton,  mirontaine, 
La  fortune  inhumaine 
Me  conduit  à  Provins.  (Bis) 
0  honte!  affreux  destin! 
C'est  là  que,  dans  l'auberge. 
Portant  mon  sac  et  ma^flamberge, 
En  paix  je  me  goberge  : 
Vient  un  municipal. 
Lequel  d'un  ton  brutal. 

Air  de  la  Carmagnole. 
Dit  :  Citoyens,  vous  avez  tort  (bis) 
De  voyager  sans  passeport,  (bis) 

Pour  punir  cet  oubli 

Il  me  faut,  aujourd'hui, 
Danser  la  Carmagnole 
Au  bruit  du  son  du  violon. 

Air  :  On  doit  soixante  mille  francs. 
Dans  un  mauvais  cabriolet 
On  me  jette  comme  un  paquet. 
Sans  pitié  pour  mes  larmes.  (I)is) 
Vers  les  lieux  d'où  j'étais  venu. 
On  me  ramène  confondu 
Entre  mes  deux  gendarmes  (tns) 

Air  :  Je  suis  Lindor. 
De  mes  malheurs  telle  fut  l'Iliade; 
Et  les  railleurs,  pour  aigrir  mes  chagrins. 
Vingt  fois  le  jour  me  parlent  de  Provins. 
Hélas  !  j'ai  fait  une  belle  ambassade  ! 

Il  semblait  que  ce  prodigieux  entrain  eût  gagné  jusqu'aux  plus 
graves  des  Girondins,  car  ils  accueillirent  leur  arrêt  de  mort  par  une 
ironie  suprême  qui  est  comme  un  écho  du  persiflage  de  Ducos. 
Laissons  encore  parler  RioufTe,  dont  le  témoignage  est  autrement 
précieux  et  sincère  que  celui  de  Charles  Nodier  célébrant  un  banquet 
qui  n'a  jamais  existé  que  dans  son  imagination  : 

...  Les  Girondins  furent  condamnés  à  mort  dans  la  nuit  du  30  octobre, 
vers  les  onze  heures.  Ils  le  furent  tous;  ou  avait  en  vain  espéré  pour  Ducos 
et  Fonfrède,  qui,  peut-être,  eux-mêmes,  ne  s'étaient  pas  défendus  de  quelque 
espérance. 

Le  signal  qu'ils  nous  avaient  promis  nous  fut  donné.  Ce  furent  des  chants 
patriotiques  qui  éclatèrent  simultanément,  et  toutes  leurs  voix  se  mêlèrent 
pour  adresser  les  dernières  hymnes  à  la  liberté.  Ils  parodiaient  la  chanson 
des  Marseillais  de  cette  sorte: 

Contre  nous  de  la  tyrannie 
Le  couteau  sanglant  est  levé. 

Toute  cette  nuit  affreuse  retentit  de  leurs  chants,  et  s'ils  les  interrom- 
paient, c'était  pour  s'entretenir  de  leur  patrie,  et  quelquefois  aussi  pour 
une  saillie  de  Ducos. 

Celte  note  héro'ique,  nous  l'entendons  vibrer  encore  quelques  jours 
après,  chez  un  autre  Girondin,  le  jeune  et  brillant  rédacteur  du  Pa- 
triote français,  Gii'ey-Dupré,  qui  avait  dit  de  son  maître  Brissot  à 
l'instruction  :  «  J'ai  connu  Brissot;  j'atteste  qu'il  a  vécu  comme  Aris- 
tide et  qu'il  est  mort  comme  Sidney,  martyr  de  la  liberté  ».  Il  n'en 
fallait  pas  tant  pour  envoyer  le  disciple  rejoindre  le  maître.  Avant 
même  que  la  sentence  de  mort  fût  prononcée  contre  lui,  Girey- 
Dupré  chantait  ce  couplet  de  sa  composition  ; 

Pour  nous,  quel  triomphe  éclatant! 
Martyrs  de  la  liberté  sainte. 
L'immortalité  nous  attend. 
Dignes  d'un  destin  si  brillant, 
A  l'échafaud  marchons  sans  crainte, 
L'immortalité  nous  attend. 
Mourons  pour  la  patrie, 
C'est  le  sort  le  plus  beau,  le  plus  digne  d'envie. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


LE  MÉNESTREL 


253 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


On  nous  écrit  de  Vienne  qu'à  l'occasion  du  prochain  séjour  des  sou- 
verains russes  dans  la  capitale  autrichienne,  aura  lieu,  le  27  août,  une 
représentation  de  gala  à  l'Opéra  impérial.  On  jouera,  par  ordre  de  l'em- 
pereur, la  Manon  de  Massenet  avec  M"=  Renard  et  M.  Van  Dyck.  Comme 
aucun  opéra  russe  ne  se  trouve  au  répertoire  viennois,  qui  ne  joue  plus 
depuis  quelques  années  le  Néron  de  Ruhenstein,  il  était  tout  indiqué  d'of- 
frir aux  souverains  russes  une  œuvre  française,  et  Manon  se  recommandait 
non  seulement  par  la  valeur  de  la  partition,  mais  aussi  par  son  succès 
constant  à  l'Opéra  de  Vienne. 

—  Franz  de  Suppé  va  avoir  son  monument  à  Vienne,  sur  le  tombeau 
d'honneur  que  la  ville  lui  a  décerné.  Le  statuaire  Richard  Tautenhajn 
l'a  sculpté  sur  la  demande  de  la  veuve  du  compositeur,  et  l'œuvre  est  par- 
faitement réussie.  Le  huste  en  bronze  de  Franz  de  Suppé  est  d'une  res- 
semblance frappante,  et  les  génies  allégoriques  qui  décorent  le  socle  pro- 
duisent un  effet  très  gracieux.  Un  enfant  qui  joue  de  la  flûte  rappelle  que 
c'est  cet  inslrument  qui  a  ouvert  au  compositeur  la  carrière  musicale.  Une 
feuille  de  papier  à  portées,  sculptée  dans  le  socle,  reproduit  les  premières 
mesures  de  la  chanson;  0  mon  Autriche  I  qui  a  obtenu  une  popularité  im- 
mense dans  la  patrie  du  compositeur. 

—  A  Budapest  vient  d'avoir  lieu  un  duel  au  sabre  entre  M.  le  baron 
de  Nopcsa,  surintendant  des  théâtres  royaux,  et  M.  Diosy,  critique  musical 
du  Neues  Pester  Journal.  M.  le  baron  de  Nopcsa  a  reçu  plusieurs  blessures 
peu  graves  au  nez  et  à  la  poitrine.  Le  duel  a  eu  pour  motif  une  discussion 
vive  au  sujet  de  M.  Mahler,  ancien  directeur  de  l'Opéra  royal,  actuellement 
premier  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  de  Hambou;-g. 

—  Nos  lecteurs  se  rappellent  que  l'ancien  théâtre  KroU,  à  Berlin,  a  été 
transformé  en  une  succursale  de  l'Opéra  royal.  Or,  le  surintendant  des 
théâtres  royaux  vient  de  décider  que  le  nouveau  théâtre  prendrait  désor- 
mais officiellement  le  titre  de  Nouvel  Opéra  royal.  Les  représentations  de 
ce  théâtre  sont  déjà  annoncées  sous  sa  nouvelle  dénomination. 

—  Le  théâtre  grand-ducal  de  Weimar  va  jouer  prochainement  un  nouvel 
opéra  intitulé  Malhaswintha,  musique  de  M.  Xavier  Schar\venka,le  célèbre 
compositeur  prussien. 

—  Un  concours  singulier  est  ouvert  au  Conservatoire  de  Dresde.  M.  Al- 
fred Steltzner  a  construit  deux  nouveaux  instruments  à  cordes  qui  doivent 
servir  d'intermédiaire  entre  l'alto  et  le  violoncelle.-  L'un  de  ces  instruments 
est  baptisé  «  violette  »  et  ressemble  à  l'alto  ;  l'autre  se  nomme  «  cellone  » 
et  ressemble  au  violoncelle.  L'inventeur  offre  deux  primes  de  500  marcs 
chacune  aux  compositeurs  d'un  quatuor  pour  violon,  alto,  «  violotte  »  et 
violoncelle,  et  d'un  sextuor  pour  deux  violons,  alto,  «  violotte  »,  violon- 
aelle  et  ><  cellone  ».  On  se  demande  comment  les  compositeurs  pourront  se 
rendre  compte  de  l'effet  de  ces  nouveaux  instruments,  qu'ils  ne  peuvent 
pas  encore  connaître,  pour  en  faire  un  usage  approprié,  et  s'il  est  réelle- 
ment utile  d'ajouter  de  nouveaux  instruments  à  cordes  à  eaux  qui  ont  suffi 
à  l'orchestre  de  Beethoven,  voire  même  de  Richard  Wagner.  Ce  n'est  pas 
là  d'ailleurs  tout  à  fait  une  nouveauté,  et  l'on  sait  bien  qu'il  a  existé  na- 
guère un  instrument  qui  tenait  le  milieu  entre  l'alto  et  le  violoncelle  et 
qu'on  nommait  baryton.  Les  musées  spéciaux  de  divers  pays  en  possèdent 
des  spécimens.  Au  dernier  siècle  déjà,  on  connut  une  viola  di  bordone  ou 
uiofa  di /'ajo/ïo,  à  laquelle  on  donnait  aussi  le  nom  de  baryton;  c'était  une 
sorte  de  basse  de  viole  de  petit  format,  montée  de  six  ou  sept  cordes  de 
boyau  et  ayant,  sous  la  touche,  une  série  de  cordes  sympathiques  de  mé- 
tal. Deux  musiciens  de  la  chambre  du  prince  Esterhàzy,  Anton  Lidl  et 
Karl  Krantz,  acquirent  une  très  grande  habileté  sur  le  baryton,  ce  qui  fait 
qu'Haydn  n'écrivit  pas  moins  de  63  pièces  pour  cet  instrument.  Karl 
Krantz  publia  lui-même  douze  concertos  pour  le  baryton.  On  voit  que  la 
prétendue  invention  nouvelle  n'est,  comme  il  arrive  souvent,  qu'un  grand 
retour  en  arrière. 

—  M.  Robert  Sipp,  l'ancien  professeur  de  violon  de  Richard  Wagner  à 
Leipzig,  vient  de  célébrer  le  90'^  anniversaire  de  sa  naissance  et  a  reçu  à  cette 
occasion  beaucoup  de  cadeaux  de  ses  anciens  élèves  et  collègues.  M""  Co- 
sima  Wagner  et  son  fils  Siegfried  n'avaient  pas  oublié  non  plus  le  vieux 
musicien  que  Richard  Wagner  estimait  beaucoup  et  avait  même  invité 
à  assister  à  la  première  représentation  de  l'Anneau  du  Xiebelung,  en  1S76.  Les 
leçons  n'avaient  cependant  pas  profité  au  maitre  de  Bayreuth,  qui,  déjà 
pianiste  fort  médiocre,  avait  complètement  délaissé  le  violon. 

—  Le  doyen  des  choristes  allemands,  M.  Antoine  Lutz,  du  théâtre  grand- 
ducal  de  Weimar,  vient  de  célébrer  le  80°  anniversaire  de  sa  naissance. 
Il  a  commencé  sa  carrière  comme  chantear  en  1836,  à  l'âge  de  vingt  ans, 
et  en  185S  Frantz  Liszt  le  fit  engager  à  Weimar,  où  il  se  trouve  depuis 
plus  de  quarante  ans.  M.  Lutz  remplit  encore  fort  bien  ses  devoirs  artis- 
tiques. 

—  Est-ce  que  l'enthousiasme  wagnérien  pâlirait,  même  aux  lieux  où 
l'on  devrait  lui  reconnaître  la  plus  grande  ardeur?  Au  récent  congrès  de 
la  Société  Richard  Wagner  de  Bayreuth,  là  direction   a  communiqué    à 


l'assemblée  l'attristante  nouvelle  que,  de  8.900,  le  nombre  des  sociétaires 
est  descendu  aujourd'hui  à  3.000.  En  présence  d'une  diminution  aussi 
alarmante,  le  baron  de  Deckendorf,  qui  n'y  va  pas  par  quatre  chemins,  a 
fait  une  proposition  radicale:  la  dissolution  de  la  société!  L'assemblée 
pourtant  n'a  pas  été  de  cet  avis;  elle  a  simplement  décidé  la  publication 
d'une  «  proclamation  »  par  laquelle  on  inviterait  le  public  allemand,  et 
spécialement  les  personnes  riches,  à  venir  au  secours  de  la  société,  qui  a 
pour  but  de  culiiver  l'art  du  plus  grand  compositeur  allemand.  —  Il  faut 
toujours  avoir  la  main  à  la  poche,  dans  cette  maison-là! 

—  En  1893  ont  paru  en  Allemagne  G867  nouvelles  compositions  pour 
tous  instruments,  3946  pour  chant  et  313  ouvrages  sur  la  musique! 

—  A  l'exposition  nationale  de  Bavière  qui  se  tient  eu  ce  moment  à  Nu- 
remberg, on  pourra  étudier  une  expérience  intéressante.  Une  salle  d'ex- 
position a  été  mise  en  communication,  par  téléphone,  avec  l'Opéra  de 
Munich,  et  on  croit  que  les  visiteurs  de  l'exposition  entendront  fort  bien 
de  Nuremberg  les  œuvres  jouées  dans  la  capitale  de  la  Bavière. 

—  Au  Grand-Théâtre  de  Genève  on  a  donné,  le  18  juillet,  la  première 
représentation  d'un  opéra-comique  inédit  en  un  acte,  le  Vin  de  la  cure,  pa- 
roles de  MM.  Sarnette  et  Delécraz,  musique  de  M.  A.  Kranl?,  professeur 
de  llûte  au  Conservatoire  de  cette  ville.  Cet  ouvrage  paraît  avoir  complète- 
ment réussi.  —  Au  village  suisse  de  l'Exposition,  la  société  chorale  Lie- 
derkranz  a  fait  entendre  avec  succès  une  composition  nouvelle,  Sennen- 
Fahrten,  scènes  alpestres,  dont  l'auteur  est  M.  F.  Schneeberger,  de  Bienne, 
rédacteur  du  journal  rfer   Vulksgesang. 

— ■  On  prépare  déjà,  à  Genève,  les  programmes  des  concerts  d'abonne- 
ment pour  la  prochaine  saison  d'hiver.  Parmi  les  noms  des  virtuoses  qui 
se  feront  entendre  on  cite  ceux  de  trois  artistes  français,  MM.  Saint-Saëns, 
Risler  et  Brun,  puis  ceux  de  MM.  Cari  Reinecke,  Petchnikoff,  etc. 

—  Les  Italiens  sont  décidément  infatigables,  et  les  ardeurs  de  l'été  font 
éclore  chez  eux  autant  d'opéras  nouveaux  que  les  rigueurs  de  l'hiver.  Nous 
avons  ainsi  à  enregistrer  la  naissance  de  deux  œuvres  nouvelles.  A  l'Eden 
de  Milan,  sorte  de  «  Moulin-Rouge  >i  transformé  pour  la  circonstance  en 
un  véritable  théâtre,  on  a  donné,  le  20  juillet,  la  première  représentation 
d'une  «  idylle  joyeuse  »  en  deux  actes,  Stralegia  d'amore,  paroles  de 
M.  C.  A.  Blengini,  musique  de  M.  Romualdo  Marenco,  compositeur  qui 
n'était  connu  jusqu'ici  que  par  la  musique  de  nombreux  ballets  tels  que 
Sieba,  Exceisior,  etc.,  que  nous  avons  pu  apprécier  sous  ce  rapport  il  y  a 
quelques  années,  lors  de  la  vogue  éphémère  de  notre  propre  Eden,  aujour- 
d'hui défunt.  Stralegia  d'amore  avait  pour  interprètes  M°"=  Perigozzi,  le 
ténor  Quadri  et  le  baryton  Rebonati.  —  D'autre  part,  à  Savona,  le  théâtre 
Ghiabrera  a  eu  la  primeur  d'un  opéra  sérieux  en  un  acte,  la  Tradila,  dont 
le  maestro  Giacomo  Medini  a  écrit  la  mus'que  sur  un  livret  de  M.  Giacomo 
Schianelli.  Ici  le  succès,  d'après  les  journaux,  a  paru  prendre  les  propor- 
tions d'un  triomphe. 

—  11  parait  qu'à  Parme  un  grave  différend  s'est  élevé,  disent  les  jour- 
naux, «  entre  les  musiciens  professionnels  et  les  professeurs  du  Conserva- 
toire, qui  acceptent  de  faire  partie  de  l'orchestre  du  théâtre  Reinach,  ce 
qui  porte  préjudice  aux  intérêts  des  premiers.  »  Ceci  tendrait  à  faire  croire 
qu'un  professeur  au  Conservatoire  n'est  pas  un  professionnel,  ce  qui  peut- 
sembler  singulier.  D'autre  part,  est-ce  que  les  appointements  de  profes- 
seur au  Conservatoire  de  Parme  sont  tellement  brillants  qu'on  n'ait  qu'à 
se  croiser  les  bras  en  dehors  des  heures  de  leçons  ? 

—  A  Venise,  dans  un  concert  donné  par  la  société  Giuseppe  Verdi,  on 
a  exécuté,  sous  la  direction  de  l'auteur,  une  grande  cantate  de  M.  Riccardo 
Drigo,  dont  les  soli  étaient  confiés,  à  défaut  de  M.  Kaschmann,  indisposé, 
au  baryton  Scaramella.  M.  Riccardo  Drigo  est  un  compositeur  italien  de- 
puis longtemps  fixé  à  Saint-Pétersbourg,  où  il  s'est  fait  une  véritable  re- 
nommée en  écrivant  la  musique  de  nombreux  ballets,  entre  autres  celui  qui 
a  été  représenté  récemment  à  l'occasion  des  fêtes  pour  le  couronnement 
du  czar. 

—  M.  Luigi  Torchi,  président  de  la  célèbre  Académie  philharmonique  de 
Bologne,  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  Commémorazione  di  Alessandro  Bnsi 
(Bologne,  typographie  royale,  in-S"  de  32  p.),  la  notice  lue  par  lui  en  séance 
de  cette  Académie  sur  cet  artiste  modeste  autant  que  distingué.  Busi  était 
un  compositeur  non  sans  talent,  mais  surtout  un  excellent  théoricien,  qui 
fut  pendant  longues  années  professeur  de  contrepoint,  de  composition  et 
de  chant  au  lycée  musical  de  Bologne.  La  notice  de  M.  Torchi  dépeint 
bien  la  vie  tranquille  et  laborieuse  de  ce  bon  serviteur  de  l'art,  cette  exis- 
tence consacrée  tout  entière  à  cet  art  qu'il  chérissait  et  auquel  il  dut  ses 
plus  vives  et  ses  plus  nobles  jouissances.  A.  P. 

—  On  annonce  déjà,  pour  la  prochaine  saison  de  carnaval-carême  à  la 
Scala  de  Milan,  les  engagements  de  M™  Ehrenstein,  des  ténors  Borgatti, 
Duc  et  De  Lucia,  du  baryton  Caméra  et  de  la  basse  Scarneo.  Le  chef  d'or- 
chestre sera  M.  Vittorio-Maria  Vanzo. 

—  C'est  les  mardi  6,  mercredi  7,  jeudi  8  et  vendredi  9  octobre  prochain 
qu'aura  lieu  à  Norwich,  dans  la  salle  Saint-André,  sous  le  patronage  de 
S.  M.  la  reine  Victoria,  du  prince  de  Galles,  et  de  tous  les  princes  et  les 
princesses  de  la  famille  royale,  le  vingt-cinquième  festival  musical  trien- 
nal. La  liste    des  œuvres   qui  seront  exécutées   à  ce   festival   comprend 


254 


LE  MÉNESTREL 


Jephté,  oratorio  de  Hœndel,  la  Rose  de  Sharon,  cantate  de  M.  Mackenzie, 
Peer  Gynt,  d'Edouard  Grieg,  Elie,  oratorio  de  Mendelssolin,  la  Rcdemptioii, 
de  Gounod,  Fridolin,  cantate  de  M.  Alberto  Randegger,  Fidelio,  de  Beetho- 
ven, Ero  e  Leandro,  de  M.  Luigi  Mancinelli,  et  enfin  le  troisième  acte  de 
Lohengrin,  de  Wagner.  Les  artistes  engagés  pour  l'exécution  de  ce  pro- 
gramme substantiel  sont  M""=*  Emma  Albani,  Izard,  Ella  Russel,  et 
MM.  Edward  Lloyd,  Reginal  Brophy,  Ben  Davies,  le  fameux  violoniste 
tchèque  Tivadar  Nachez,  l'organiste  Bennett,  Watkin  Mille,  Andrew 
Black,  etc.  C'est  M.  Alberto  Randegger  qui  sera  le  conductor  du  festival. 

—  Les  principaux  amateurs  de  Londres  viennent  de  former  un  syndicat 
pour  organiser  une  campagne  d'opéra  aans  la  capitale  anglaise  pendant 
la  saison  prochaine.  Gomme  «  directeurs  ».  c'est-à-dire  chefs  responsables 
de  l'administration,  figurent  lord  Grey  et  M.  H.-V.  Higgins,  un  avoué  mé- 
lomane ;  M.  Faber,  titulaire  du  bail  de  Govent-Garden,  sera  nommé  troi- 
sième administrateur  délégué  dès  que  la  location  du  théâtre  de  Govent- 
Garden  sera  chose  décidée.  La  direction  artistique  sera  confiée  à  M.  Maurice 
Grau,  directeur  du  Metropolitan  Opéra  liouse  de  New-York,  qui  est  en 
fort  bons  termes  avec  les  principaux  artistes  et  les  grands  éditeurs  de 
musique  européens,  et  auquel  plusieurs  chanteurs  de  tout  premier  ordre 
ont  déjà  promis  leur  concours. 

-  —  Nous  avons  annoncé  l'année  dernière  que  le  célèbre  ténor  anglais 
Sims  Reeves  vsnait  de  convoler  en  secondes  nocss  à  l'âge  de  soixante- 
treize  ans.  Aujourd'hui  l'artiste,  qui  n'a  pas  cessé  de  chanter,  annonce  la 
naissance  d'un  fils.  C'était  à  prévoir! 

—  On  annonce  pour  le  mois  d'octobre  prochain  l'ouverture  à  Jassy  (Rou- 
manie) d'un  nouveau  théâtre,  qui  sera,  paraît-il,  consacré  à  l'opéra  français. 
Plusieurs  engagements  d'artistes  sont  déjà  signalés,  entre  autres  celui  de 
M"»  Délia  Rogers  qui,  ces  deux  dernières  années,  remporta  de  brillants 
succès  à  la  Scala  de  Milan,  où  elle  créa  Ratcliff. 

—  Chacun  sait  ce  qu'est  l'activité  des  Américains.  Un  qui  ne  flâne  pas, 
c'est  un  certain  Henry  Glay,  qui  rendrait  des  points  au  regretté  défunt 
Augustus  Harris.  Gelui-là  est  propriétaire  et  directeur,  dit-on,  de  cinq 
théâtres  aux  États-Unis;  mais  ça,  c'est  la  moindre  de  ses  occupations.  Il 
est  en  outre  à  la  tête  d'une  fabrique  de  produits  pharmaceutiques,  d'une 
photographie  modèle  et  d'une  puissante  maison  d'édition,  il  publie  un 
Annuaire  dramatique  et  un  journal  important,  il  dirige  une  grande  maison 
de  banque,  il  est  l'homme  d'affaires  de  M""'  Duse,  la  célèbre  actrice  ita- 
lienne, et  enfin  il  est  membre  de  la  Chambre  des  représentants.  En  voilà 
un  qui  ne  doit  pas  être  partisan  do  la  journée  des  trois  huit! 

—  De  Durban,  dans  l'ile  Natal,  où  la  musique  commence  à  avoir  de 
nombreux  adeptes,  on  nous  signale  les  succès  d'une  pianiste  mauricienne 
de  talent.  M""»  de  Letowska. 

PARIS    ET   DEPARTEIVIENTS 

Voici  la  liste  des  dons  et  prix  particuliers  dont  bénéficient  plusieurs 
lauréats  des  derniers  concours  du  Conservatoire  : 

Legs  Nicodami,  300  francs,  à  MM.  Joly,  premier  prix  de  basson,  et  Del- 
fosse,  premier  prix  de  trompette; —  Prix  Guérineau,  300  francs,  à  M.Beyle 
et  à  M"=  Guiraudon,  premiers  prix  d'opéra;  —  Prix  Georges  Hainl,  900  fr., 
à  M.  Desmonts,  premier  prix  de  violoncelle;  —  Prix  Popelin,  1.200  fr., 
à  M"'"  Hansen,  Toutain,  Varin  et  Rigalt,  premiers  prix  de  piano;  — 
Prix  Henrilierz,  300  francs,  à  M"=  Juliette ïoutain,  premierprix  de  piano; 

Enfin  le  prix  donné,  eu  mémoire  de  son  mari,  par  M"»  Ambroise 
Thomas,  aux  lauréats  des  classes  de  solfège,  a  été  réparti  entre  MM.  Le- 
pitre,  Leclerc  et  Lermyte,et  M"'^'i  Novello,  de  Orelli,  Ploquin,  Ingelbrecht, 
Kastler,  Pestre,  Truch,  bouchier  et  Guyon. 

—  M.  Théodore  Dubois  a  quitté  Paris  hier  samedi,  se  rendant  à  Rosnay, 
près  de  Reims,  où  il  va  passer  ses  vacances.  M.  Théodore  Dubois  revien- 
dra à  Paris  vers  la  fin  du  mois  de  septembre  pour  préparer  la  rentrée 
des  classes  du  Conservatoire. 

—  Avant  de  quitter  définitivement  le  Conservatoire  pour  se  rendre 
d'abord  dans  ses  iles  de  Bretagne,  si  chères  à  l'auteur  de  Mignon,  puis 
pour  s'installer  avenue  Victor-Hugo,  M""'  Ambroise  Thomas  a  tenu  à  re- 
mettre elle-même,  entre  les  mains  de  M.  Théodore  Dubois,  l'admirable 
dessin  du  portrait  de  Gherubini  par  Ingres,  que  ce  maître  avait  donné  à 
Ambroise  Thomas  et  que  celui-ci  a  légué  au  Conservatoire.  De  plus,  en 
souvenir  de  l'intérêt  que  le  maître  regretté  a  toujours  porté  aux  classes  de 
solfège,  pour  lesquelles  il  a  consacré  une  série  de  leçons  considérées 
comme  des  modèles,  M"'°  Ambroise  Thomas  a  donné,  ainsi  qu'on  l'a  vu 
plus  haut,  une  somme  de  cinq  cents  francs  destinée  à  être  répartie  cette 
année  entre  les  élèves  chanteurs  et  instrumentistes  ayant  remporté  la 
première  médaille  de  solfège. 

—  Il  est  tort  probable  que  M.  Francis  Planté,  qui  a  traversé  Paris  cette 
semaine,  en  parfaite  santé,  viendra  s'y  faire  réentendre  durant  la  prochaine 
saison.  Ce  sera  là,  pour  d'aucuns,  une  excellente  occasion  de  faire  plus 
j.uste  connaissance  avec  le  merveilleux  talent  du  célèbre  virtuose. 

— Mi"=  Van  Zandt,  se  rendant  au  Mont-Dore,  a  également  passé  par 
Paris  cette  semaine. 


—  La  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  vient  d'arrêter 
son  exercice  1893-1896,  dans  lequel  nous  constatons  que  les  recettes  des 
théâtres  de  Paris  sont  en  augmentation  sur  la  précédente  année  de 
902.913  fr.  13  c,  et  que  le  chiffre  des  droits  d'auteurs,  toujours  à  Paris,  est 
également  en  augmentation  pour  un  chiffre  de  112.788  fr.  50  c.  Dans  les 
départements,  il  a  été  perçu  945.138  fr.  72  c,  soit  21.103  fr.  89  de  plus  que 
l'exercice  précédent.  Les  théâtres  de  banlieue  ont  produit  98.060  fr.  70  c. 
de  droits,  également  en  augmentation  de  3.681  fr.  90  c.  Quant  aux  cafés- 
concerts,  l'augmentation  a  été  de  27.728  fr.  25  c,  avec  une  recette  de 
156.693  fr.  35  c.  Soucieuse  des  droits  des  auteurs  à  l'étranger,  la  Société  a 
encaissé  en  plus,  sur  l'année  précédente,  8.876  fr.  80  c.  Voici  d'ailleurs,  par 
le  détail,  l'intéressant  tableau  des  recettes  réalisées,  en  regard  de  celles  de 
l'exercice  précédent  : 


Opéra 

Comédie-Française.  .   .   . 

Opéra-Comique 

Odéon  

Renaissance 

Vaudeville 

Variétés 

Gymnase 

Palais-Royal 

Nouveautés 

Porte-Saint-Martin.   .   .   . 

Gaîté 

Ambigu 

Châtelet 

Bouffes-Parisiens   .... 
Folies-Dramatiques  .   .   . 

Cluny 

Théllre  de  la  République. 

Jleuus-Plaiairs 

Déjazet 

BoufTes-du-Nord 

Folies-Marigny 

Folies-Bergère 

Folies-Voltaire 

Théâtre  Mondain 

Théitre  d'Application  .   . 

Tour  Eillél 

Comédie-Parisienne  .   .   . 

Casino  de  Paris 

Olympia 

Parisien 

Eldorado  


Total . 


lï.  c. 
;.  109, 209  42 
;.  061. 265  17 
.539.363  30 
545.301  25 
.325.308  75 
.333.620  55 
982.281  50 
665.700  75 
642.704  20 
660.228  50 
816.703  » 
869.824  75 
587.792  95 
953.441  75 
560  008  75 
448.542  85 
365.140  50 
319.200  85 
106.868  25 
134.363  55 
146.658    » 

.132.863  65 
14.994  50 

24.376  » 
21.033  » 
6.. 593  65 
574.865  50 
494.350  75 
25.839  50 
109.767  ai 


20.638.292  ,19 


fr.   c. 

3.272.875  36 
2.141.339  28 
1.492.732  . 

517.947  55' 

822.014  » 
1  241.132  40 
1.253.883  » 
1.103.821  75 

770.786  . 

651.801  50 

993.118  50 
1.167.785  25 

565.082  . 
1.052.766  75 

415.611  25 

453.214  25 
313.529  75 
314.603  95 
135.564  » 
120.389  10 

147.215  75 
24.272  » 

1.099.516  70 
1.740  55 
2.620  50 
13.098  » 
19.143  20 
97.671  50 
687.556  75 
.629.350  25 

19.025  50 


21.541.208  34 


—  D'autre  part,  l'annuaire  de  la  même  société,  qui  vient  de  paraître,  nous 
donne  la  liste  des  sociétaires  admis  durant  l'exercice  1895-1896.  Ce  sont 
MM.  Edmond  Rostand,  Edmond  Missa,  Alfred  Delilia,  Albert  Barré,  Paul 
Hervieu,  Edgard  Pourcelle,  Georges  Hartmann  et  Alphonse  Duvernoy. 
Parmi  les  membres  appelés  à  toucher  la  pension  à  dater  de  cette  année, 
nous  relevons  les  noms  suivants  :  Erckmann  (Emile),  né  le  20  mai  1822. 
Thomas  (Louis),  dit  Lafontaine,  né  le  29  mai  1824.  Mistral  (Frédéric), 
né  le  8  septembre  1830.  Ghivot  (Henri),  né  le  13  novembre  1830.  Rochefort 
(Henri),  né  le  30  janvier  1830.  Meilhac  (Henri),  né  le  21  février  1831. 
Véron  (Pierre),  né  le  19  avril  1831.  Sardou  (Victorien),  né  le  7  septem- 
bre 1831.  Busnach  (William),  né  le  7  mars  1832.  M°"'  Perronnet  (Amélie), 
née  le  8  avril  1832.  Lecocq  (Gharlesj,  né  le  3  juin  1832.  Scholl  (Aurélien), 
né  le  14  juillet  1833.  Hermil  (Edouard),  dit  Milher,  né  le  23  septembre 
1833.  Halévy  (Ludovic),  né  le  1"  janvier  1834.  Pailleron  (Edouard),  né  le 
17  septembre  1834.  Saint-Saëns  (Camille),  né  le  9  octobre  1835.  Blau 
(Edouard),  né  le  30  mai  1836.  Blum  (Ernest),  né  le  15  août  1836. 

La  Société  des  auteurs  dramatiques  compte  actuellement  306  sociétaires 
et  2.0S7  membres  stagiaires.  Enfin,  pour  ceux  qui  s'intéressent  à  la  pro- 
duction dramatique,  la  société  a  enregistré,  pour  1895,  594  pièces  nouvelles. 

—  M"°  Augusta  Holmes  travaille  en  ce  moment  à  une  féerie  lyrique  en 
trois  actes  et  cinq  tableaux  :  la  Belle  Roncerose.  M"=  Holmes,  selon  son  habi- 
tude, écrit  le  poème  et  la  musique  de  cet  ouvrage,  dont  le  scénario  détaillé 
est  entièremet  achevé  depuis  la  fin  de  l'année  1894. 

—  Les  concerts  Lamoureux  feront  leur  réouverture,  au  cirque  des 
Champs-Elysées,  le  dimanche  11  octobre  prochain,  par  un  festival  popu- 
laire dont  le  programme  sera  redonné  le  dimanche  suivant.  Le  premier 
concert  de  l'abonnement  aura  lieu  le  dimanche  25  octobre.  Le  personnel 
choral  et  instrumental  comprendra  250  exécutants. 

—  M.  Georges  Grisier  est,  depuis  mercredi,  directeur  du  théâtre  des 
Menus-Plaisirs,  qu'il  dirigera  concurremment  avec  celui  des  Bouffes- 
Parisiens.  M.  Grisier  jouera  sur  cette  scène  tous  les  grands  succès  de 
l'opérette,  interprétés  par  des  artistes  de  la  salle  du  passage  Choiseul.  Le 
secrétariat  des  théâtres  des  Bouffes-Parisiens  et  des  Menus-Plaisirs  sera 
confié  à  notre  excellent  confrère  M.  Georges  Mathieu, 


LE  MENESTREL 


233 


Très  "ros  succès,  vendredi,  à  l'Exposition  du  tliéàtre  et  delà  musique, 

pour  le  second  grand  festival,  donné  sous  la  direction  de  M.  Achille  Ker- 
rion  et  dont  toute  la  première  partie  était  réservée  à  l'audition  des  oeuvres 
de  M.  Théodore  Dubois.  Cette  première  partie  comprenait  une  suite 
d'orchestre  de  la  Farandole;  l'aubade  de  Xavière;  Dormir  et  rêver;  Nous  nous 
aimerons,  fort  joliment  chantés  par  M.  Devilliers;  une  Méditation  reli- 
gieuse d'un  grand  style  et  d'un  beau  caractère,  dont  le  solo  de  violon  a 
donné  au  talent  de  M.  Laforge  l'occasion  de  se  manifester  dans  toute  son 
ampleur  ;  enfin,  une  remarquable  sélection  du  second  acte  d'Aben-Jlamel 
(prélude  orchestral,  chant  mauresque  et  duottino,  finale  avec  chœurs), 
dont  les  soli  étaient  chantés  par  M"'^^  Denante,  Morena  Ibanez  et  Stépha- 
nie Kerrion,  MM.  Devilliers,  Daraux  et  Manson.  L'effet  a  été  très  grand 
et  le  public,  très  nombreux,  a  manifesté  sa  satisfaction  de  la  façon  la 
plus  bruyante,  en  applaudissant  vigoureusement  l'auteur,  présent  à  la 
séance,  et  ses  excellents  interprètes.  On  a  applaudi  aussi,  dans  la  seconde 
partie,  les  Phzicati  de  Sylvia,  dits  par  l'orchestre  avec  beaucoup  de  délica- 
tesse, l'air  du  Chevalier  Jean,  fort  bien  chanté  par  M^^  Morena  Ibanez,  et 
l'air  de  Samson  et  Dalila,  qui  a  fait  valoir  la  voix  superbe  de  M""  Kerrion. 

A.  P. 

—  La  distribution  des  prix  de  l'excellente  Ecole  de  musique  classique 
fondée  par  Niedermeyer  et  si  bien  dirigée  par  son  gendre,  M.  Gustave 
Lefèvre,  a  eu  lieu  le  27  juillet. La  séance  s'est  ouverte  par  un  intéressant  dis- 
cours du  directeur,  dans  lequel  celui-ci  a  recommandé  à  ses  élèves  de  ne 
jamais  oublier  leur  origine  et  de  rester,  toujours  et  quand  même,  des 
musiciens  français,  soucieux  de  maintenir  les  traditions  nationales,  celles 
que  comporte  le  génie  de  leur  pays  et  que  certains  ont  trop  de  penchant 
à  oublier  aujourd'hui.  «  Les  études  classiques,  leur  a-t-il  dit,  n'ont  d'autre 
but  que  d'élargir  vos  connaissances,  de  vous  enseigner  les  procédés  utiles, 
de  fortifier  votre  idéal,  de  vous  faire  connaître  ce  qui  a  été  fait,  écrit, 
pensé  par  les  maîtres  qui  vous  ont  précédés,  par  ceux  qui,  musicalement, 
parlaient  glorieusement  la  langue  de  leur  raceet  de  leur  pays.  »  Le  jury 
était  composé  de  MM.  Ravina,  Delioux,  Guilmant,  de  Boisjolin,  Colomer, 
'William  Gart,  Planchet,  Busser,  Caftot,  l'roment,  Morichelle  et  des  profes- 
seurs de  l'École.  La  distribution  a  été  précédée  d'un  concert  dans  lequel  se 
sont  fait  entendre  les  lauréats  des  classes  de  piano,  orgue  et  accompagne- 
ment. Parmi  les  élèves  qui  ont  obtenu  les  principales  récompenses, 
nous  citerons  les  noms  de  MM.  Palanque,  Guillaume,  Massuelle,  Frontin, 
Ott,  Martin,  Altenberger,  etc.,  qui  font  honneur  à  l'enseignement  de  leurs 
professeurs,  MM.  G.  Lefèvre,  Alexandre  Georges,  Gh.  de  Bériot,  Savoye, 
Loret,  Stoltz  et  Paul  Viardot.  Le  prix  d'honneur  accordé  par  le  ministre 
des  beaux-arts  a  été  attribué  à  l'élève  Georges  Palanque. 

—  A  l'école  Beethoven,  fondée  et  dirigée  par  M""  Balutet,  a  eu  lieu  la 
séance  d'examens  pour  l'obtention  des  certificats  de  capacité  à  l'enseigne- 
ment du  piano. Lejuryj  composé  de  MM.  Guilmant  (président),  X.  Leroux, 
H.  Maréchal,  G.  Marty,  Gh.  René,  P.  Braud,  a  reçu  les  élèves  suivantes  ; 
Piano  (élémentaire),  M""=s  de  Saline,  S.  Soailliot,  H.  Caffin  ;  Pédagogie  (élé- 
mentaire), Durand,  S.  Scailliet,  A.  de  Guerny,  J.  Valland  ;  Harmonie 
(supérieure),  A.  Boucher,  M.  Longhurst. 

—  Très  belle  et  très  artistique  matinée  de  clôture  chez  M°"  Lafaix-Gontié. 
A  signaler  l'air  de  la  folie  d'Hamlet,  chanté  par  M"»  Hortense  D.,  celui  de 
Salomé  dans  Hérodiade,  très  bien  dit  par  M"'=  Alphonsine  P.,  et  Ahl  qui  brûla 
d'amour,  par  M"'^  Gabrielle  D.  du  S.  qu'accompagnait  l'exquis  violoncelle 
de  M.  Choinet.  Enfin,  succès  pour  trois  nouveaux  morceaux  du  maître 
Charles  Dancla  ;  une  transcription  pour  violon  d'un  Nocturne  de  Chopin, 
puis  le  Slave,  et  enfin  la  Gazelle,  que  le  maître  a  enlevés  avec  une  admirable 
maestria.  M.  Davrigny  apportait  aussi,  à  cette  attrayante  réunion,  le  con- 
cours de  son  talent. 

—  Je  reçois  de  Belgique  le  second  volume  de  l'excellent  et  précieux  Ca- 
talogue descriptif  et  analytique  du  Musée  instrumental  du  Conservatoire  royal  de 
musique  de  Bruxelles,  dont  l'auteur  est  M.  Victor-Charles  Mahillon,  conser- 
vateur du  Musée.  Ce  second  volume  est  à  la  hauteur  du  premier,  et  l'en- 
semble forme  un  répertoire  vraiment  admirable,  auquel  on  ne  saurait  ac- 
corder de  trop  sincères  éloges.  La  compétence  de  l'auteur,  ses  connaissances 
si  étendues  en  instrumentologie  (pardon  du  néologisme),  l'excellence  de  sa 
classification,  la  conscience  et  le  soin  qu'il  apporte  dans  la  rédaction  de 
ses  notices  si  claires  et  si  substantielles,  enfin  le  secours  qu'il  demande, 
pour  compléter  son  texte,  aux  nombreuses  figures  prodiguées  par  lui  de 
tous  côtés,  tout  concourt  à  faire  de  cet  ouvrage  un  modèle  à  suivre  et 
comme  une  sorte  de  petit  chef-d'œuvre  en  son  genre,  qui  laisse  bien  loin 
derrière  lui  tout  ce  qui  a  été  fait  jusqu'à  ce  jour  dans  cet  ordre  d'idées. 
Voilà  un  livre  qu'on  peut  recommander  sans  se  compromettre,  et  qui  ap- 
porte vraiment  avec  lui  une  somme  de  connaissances  nouvelles  et  inté- 
ressantes. On  n'en  saurait  dire  autant  de  tous  ceux  qui  paraissent  chaque 
jour,  même  —  et  surtout  —  sur  la  musique.  A.  P. 

—  On  nous  télégraphie  de  Metz  que  la  rue  de  la  Cathédrale  est  définitive- 
ment débaptisée.  Les  ouvriers  ont  installé  des  plaques  bleues  portant, 
l'une  en  allemand,  l'autre  en  français,  le  nom  d'Ambroise  Thomas. 

—  Au  Casino  de  Vichy,  réussite  complète  pour  Werther  et  ses  deux  prin- 
cipaux interprètes.  M"'-  Wyns  et  M.  Leprestre,  qui  ont  supérieurement 
rendu  l'ieuvre  attachante  de  Massenet. Quelques  jours  auparavant  Manon  avait 
également  triomphé,  avec  le  même  M.  Leprestre,  M.  Montfort  et  M"«  Mer- 
guillier. 


—  Au  Casino  Club,  de  Cauterets,  continuation  des  triomphes  de  l'orchestre 
Danhé.  Au  6»  concert,  le  public  a  bissé  les  Pizzicati  de  Sylvia,  la  Méditation 
de  Thais,  jouée  par  M.  Italiander,  et  les  stances  de  Lakmé,  chantées  par 
M.  Fournets.  Très  gros  succès  aussi  pour  l'air  du  Cid,  chanté  par  M""  Bru- 
sac,  et  pour  Pensée  d'automne,  chantée  par  M'"  Bogey. 

—  A  Rouen,  grand  succès  pour  le  festival  Joncières  et  Pierné,  à  l'Expo- 
sition, qui  a  valu  de  chaleureux  applaudissements  à  M"«  Pacary,  M°'"  Roger- 
Miclos,  MM.  Paz  et  Albert  Lambert  fils.  L'orchestre  et  les  chœurs,  sous 
l'habile  direction  de  M.  Brument,  ont  eu  une  large  part  dans  le  succès  de 
cette  intéressante  soirée  musicale. 

—  A  Nevers,  salle  Vauban,  M""=  Combrisson,  professeur  émérite,  vient 
de  donner  une  audition  des  œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger.  L'exécution  a 
été  excellente;  aussi  les  applaudissements  n'ont  pas  manqué  au  professeur 
et  au  compositeur.  Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  Source 
capricieuse,  Crépuscule  ut  Roman  d'Arlequin,  de  Massenet,  Vieille  Chanson,  quaire 
mains,  et  Danse  russe,  d'Armingaud,  brillamment  exécutés. 

—  On  nous  écrit  de  Châteauroui  pour  nous  signaler  le  grand  succès  ob- 
tenu par  l'audition  des  élèves  de  l'institution  de  Mi'«Turmeau.  On  a  ap- 
plaudi M"«s  M.  L.  et  L.  B.  (Dimanche  matin  des  Scènes  alsaciennes,  Massenet)  ; 
B.  G.  (L'oiseau  s'envole  de  Paul  et  Virginie,  V.  Massé)  ;  A.  D.  (l'Ame  des  oiseaux, 
Massenet)  ;  M.-L.  T.  (Enir'acle-gavotte  de  Mignon  pour  violon,  A.  Thomas)- 
G.  N.  et  A.  M.  (duo  du.  Roi  l'a  dit,  Delibes)  ;  G.  T.  (Pourquoi?  de  Lakmé, 
Delibes);  M.  B.  (Souvenir,  Lack);  V.  M.  (le  Missel,  Faure)  ;  M.  A.,  E.  N. 
J.  B.  et  L.  G.  (Roman  d'Arlequin,  Massenet);  C.  N.  (Source  capricieuse,  Fil- 
liaux-Tiger); M.  L.  et  L.  B.  {Romance  et  Guitare  de  Conte  d'avril,  Widor); 
B.  T.  (Légende  de  Saint  François  d'Assise  de  Xaxiére,  Th.  Dubois)  ;  J.  P.  (Mu- 
sette dit  A17/°  siècle,  Périlhou)  ;  E.  P.  (l'Oiseau- mouche,  Lack)  ;  G.  N.  (Expan- 
tion  de  Xavière,  Th.  Dubois),  et  aussi  les  cours  de  chant  d'ensemble  dans 
les  Pantins,  de  Blanc  et  Dauphin,  l'Ave  Maria  de  Gounod  et  les  chœurs 
d'Athalie  de  Mendelssohn. 

—  Pour  la  Fête  de  l'Adoration,  M^^  G«  Lebaudy  a  fait  exécuter,  en 
la  coquette  église  de  Rosny-sur-Seine,  une  messe  inédite  de  M.  Ferdi- 
nand Schneider.  L'œuvre,  où  passe  un  souffle  vraiment  religieux,  est 
écrite  suivant  les  grandes  traditions.  Exécution  remarquable  :  chœurs,  soli 
et  orchestre  composés  exclusivement  de  lauréats  du  Conservatoire. 

—  Le  Salut  solennel  organisé  en  la  petite  église  de  Vaux  (Seine-et-Oise) 
par  M°"s  De  Marochetti  et  Girard,  a  été  des  plus  réussis.  Parmi  les  numé- 
ros à  sensation  il  convient  de  citer  Charité,  de  Rossini,  les  soli  de 
M""  Vormèse,  l'habile  violoniste,  le  quatuor  du  Stabat  de  M""  de  Grand- 
val,  l'Extase,  de  Salomon,  chantée  par  M.  Séguy,  l'Inflammatus  de  Rossini, 
par  M°"=  Marie  Morel,  et  le  Crucifix,  de  Faure,  par  M"""  Girard  et  M.  Paul 
Séguy  et,  par  ce  dernier  seul,  l'O  Salutaris  du  même  auteur. 

NÉCROLOGIE 
Dans  sa  villa  de  Gênes  s'est  éteint  Joseph-Alfred  Novello,  à  l'âge  de 
S6  ans.  Né  à  Londres  en  ISIO,  il  débuta  d'abord  comme  basse  chan- 
tante et  se  fit  ensuite,  à  l'âge  de  19  ans,  éditeur  de  musique.  Sa  maison 
devint  bientôt  prospère  ;  il  fut  nommé  fournisseur  de  la  cour  par  la  reine 
Adélaïde  et  commença,  en  1836,  la  publication  du  journal  the  Musical 
World.  Novello  publia  un  grand  nombre  de  compositions  classiques  et 
révolutionna  le  commerce  de  musique  en  Angleterre  par  la  publication 
de  son  Manuel  choral  (Choral  Hand-Rook)  au  prix  de  trois  pence  30  (centimes) 
la  page.  Il  publia  aussi  beaucoup  de  chansons  pour  amateurs,  et  ses 
trois  sœurs,  excellentes  chanteuses,  l'aidaient  beaucoup  en  propageant 
surtout  les  chansons  publiées  par  leur  frère.  En  1844,  Novello  commença 
la  publication  du  Musical  Times,  qui  est  resté  fort  vivant.  Quelques  années 
plus  tard,  en  18S0,  Novello  adressa  à  la  Chambre  des  communes  sa  fameuse 
pétition  demandant  l'abolition  de  l'impôt  inique  qui  grevait  alors,  en 
Angleterre,  le  papier,  les  annonces  et  les  journaux,  et  il  eut  la  satisfaction 
d'obtenir  gain  de  cause.  En  1857  Novello  prit  sa  retraite,  bien  gagnée,  et 
vécut  d'abord  à  Nice  et  ensuite  à  Gênes,  d'où  il  suivait  avec  intérêt  la 
maison  et  les  journaux  qu'il  avait  fondés.  B^. 

—  A  Padoue  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  80  ans,  un  artiste  qui  s'était 
fait  en  Italie  une  certaine  réputation  comme  compositeur,  chef  d'orchestre 
et  professeur  de  chant,  Achille  GralEgna,  né  à  San  Martine  dall'  Argine 
le  5  mai  1816.  Ancien  élève  de  RoUa  au  Conservatoire  de  Milan,  il  avait 
à  peine  18  ans  qu'il  était  engagé  comme  chef  d'orchestre  au  théâtre  de 
Cagliari.  Il  continua  pendant  quarante  ans  cette  carrière  de  maestro  con- 
certatore  tout  en  faisant  représenter,  d'ailleurs  sans  grand  succès,  d'assez 
nombreux  ouvrages  dont  voici  la  liste  :  un  Lampo  d'infedeltâ;  lldegonda  e 
Rizzardo  (Milan,  1841);  Eleonora  di  San  Bonifacio{YéTone);Mignon  e  Fanfan 
(1844);  gli  Dltimi  Giorni  di  Suli  (Odessa);  Ester  d'Engaddi  (Odessa)  ;  i  Due 
Rivali  (Mantoue)  ;  Maria  di  Brabante  (Trieste,  1852)  ;  l'Assedio  di  Malta 
(Padoue,  1853);  Veronica  Cybo  (Mantoue,  1858),  qu'il  fit  représenter  à  Paris 
en  186b,  sur  notre  Théâtre-Italien,  avec  un  fiasco  complet,  sous  le  titre  da 
laDuchessa  di  San  Giuliano;  il  Barbiere  di  Simglia  (Padoue,  1879);  il  Matrimo- 
nio  segreto  (Florence,  1883);  la  Pazza  per  progetto  (Lucques,  1884);  la  Buona 
Figliuola  (Milan,  1886);  i  Nipoti  del  borgomastro  (Florence,  1887);  Mandragola 
(Turin,  1888).  A  tout  cela  il  faut  ajouter  un  ballet,  la  Conquista  di  Granata, 
représenté  à  Milan  en  1839,  puis  plusieurs  messes  et  un  assez  grand 
nombre  de  mélodies  vocales. 


2of) 


LE  MENESTREL 


—  A  Vienne,  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  60  ans,  le  baron  Victor  de 
Rokitansky,  ancien  professeur  de  chant  au  Conservatoire  de  cette  ville. 
Son  père  était  le  célèbre  médecin  Charles,  baron  de  Rokitansky,  qui  fut 
professeur  de  pathologie  à  l'université  de  Vienne,  et  sa  mère  avait  été 
une  excellente  cantatrice.  Deux  de  ses  fils  ont  hérité  du  talent  maternel  ; 
le  baron  Ilans,  basse  chantante  à  l'Opéra  royal  de  Londres  et  à  l'Opéia 
impérial  de  Vienne,  qui  se  maria  à  Londres  avec  une  fille  du  fameux 
Lablache,  et  le  baron  Victor,  doué  d'une  très  belle  voix  de  ténor.  Tandis 
que  son  frère  aîné  poursuivait  sa  brillante  carrière  théâtrale,  le  baron 
■Victor  de  Rokitansky,  après  des  débuts  excellents,  ne  put  surmonter  l'aver- 
sion qu'il  éprouvait  pour  la  scène  et  se  consacra  à  l'enseignement.  Pen- 
dant neuf  ans  il  fut  professeur  de  chant  au  Conservatoire,  où  il  obtint  des 
succès  éclatants  :  il  fonda  ensuite  une  école  de  chant  à  Vienne,  école  qui 
a  fourni  plusieurs  chanteurs  et  chanteuses  de  renom.  Les  grandes  familles 
de  Vienne  le  choisissaient  de  préférence  comme  professeur  de  chant,  et 
l'archiduc  Eugène,  grand-maître  de  l'Ordre  teutonique,  doué  lui-même 
d'une  belle  voix  de  baryton,  compte  parmi  ses  élèves  les  plus  brillants. 
Le  baron  Victor  Rokitansky  a  publié  un  grand  nombre  de  mélodies  et  de 
compositions  religieuses  donnant  la  preuve  d'un  talent  agréabla.  —  O.Bn. 

—  La  Russie  vient  de  perdre  un  artiste  fort  estimable.  A  Ligowo,  près 
de   Saint-Pétersbourg,  est  mort   le  compositeur  Alexandre  Serguewitch 


Faniintzine,  qui  s'est  fait  connaître  d'abord  par  la  publication  d'un  certain 
nombre  de  morceaux  de  piano  et  de  pièces  de  musique  de  chambre  favo- 
rablement accueillis  par  le  public,  et  qui  ensuite  s'est  essayé  au  théâtre. 
Au  mois  de  décembre  1875  il  faisait  représenter  au  théâtre  Marie,  de  Saint- 
Pétersbourg,  un  grand  opéra  en  trois  actes  intitulé  Sardanapale,  dont  le 
succès,  d'abord  très  grand,  ne  s'est  pas  soutenu.  Plus  tard,  il  donna  un 
autre  ouvrage  dramatique  sous  le  titre  à'Uriet  Acosta.  Famintzine  a  rempli 
aussi  les  fonctions  de  critique  musical  dans  un  des  principaux  journaux 
de  la  capital  russe,'  et  ses  articles  faisaient,  dit-on,  honneur  à  son  goût  et 
à  son  savoir. 

—  De  Bàle  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  73  ans,  d'un  artiste  distingué, 
M.  Bagge,  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville  et  compositeur. 

Henri  Heugel,  direcleur-gérant. 

A  "VENDRE  un  violoncelle  de  bonne  marque  avec  l'inscription  :  Nicolaus 
Amatus  Cremonem  Hironymi  Filius  Antonii  nepos  fecit  (1075).  S'adres- 
ser aux  bureaux  du  iournal. 

Sous  le  titre  de  :  Sous  la  lance,  impressions  du  pompier  de  service,  notre 
confrère  Louis  Schneider  vient  de  publier  un  amusant  recueil  de  soirées 
parisiennes  sur  les  spectacles  des  années  1894-95-96. 


En  vente,  AU   MÉNESTREL,  S  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  0'",  Éditeurs-Propriétaires. 


PAGES  ENFANTINES 

PETITES  TRANSCRIPTIONS  TRÈS  FACILES  POUR  LE  PIANO  ET  A  L'USAGE  DES  PETITES  MAINS 

I>E:S    CE3XT^7"K,BS    JSIV    "VOCS-XJE 


J.MASSENET.   .    .   .  Menuet  de  Manon. 

Amiroise  THOMAS..  Styrienne  de  Mignon. 

Léo  DELIEES.  .   .   .  Pastorale  de  Sylvia. 

J.  MASSENET. .    .    .  Valse  du  Roi  de  Laliore. 

Ed.  LALO Aubade  du  iîoi  rfTs. 

E.  BEÏER Pas  guerrier  de  Sigurd. 

E.  PALADILHE.    .    .  La  Fiorentina. 

J.MASSENET..    .   .  Aragonaise  du  C)(i. 

Ch.  GOUNOD.  .    .   .  Ave  Maria. 

Félicien  DAVID.  .    .  La  Caravane  du  Désert. 


11.  B.  GODARD.    .   .   . 
la.  J.  IBASSEKET. .    .    . 

13.  Fr.  BRISSON.  .   .   . 

14.  Georges  BIZET.  .   . 

15.  G.  VERDI 

16.  J.  MASSENET. .   .   . 

17.  Léo  DELIEES. .   .   . 

18.  Ambroise  THOMAS  . 

19.  Paul  LA^OMBE.   .    . 

20.  Ch.  NEUSTEDT.   .    . 


Danse  des  Bohémiens  du  Tasse. 

Les  Phéniciennes  à'Hérodiade. 

Pavane. 

Le  Retour  (Chants  du  Rhin). 

Cavatine  de  Jérusalem. 

.\ir  de  Manon. 

Jlazurka  de  Coppélia. 

Marche  danoise  i'IIamlet. 

Aubade  printanière. 

Idylle. 


21.  J.  MASSENET.. 

22.  E.  BOURGEOIS. 

23.  E.  PALADILHE. 

24.  J.  MASSENET. 

25.  Léo  DELIEES.  . 

26.  Ch.  LECOCQ.  . 

27.  E.  GODARD..   . 

28.  Léo  DELIEES. . 

29.  J.  MASSENET.. 

30.  G.  SERPETTE.. 


.  Crépuscule. 

.  La  Véritable  Manola. 

.  Havanaise. 

.  Sarabande  espagnole. 

.  Les  Fifres  de  Lakmé. 

.  Histoire  de  Trois  Bluels. 

.  Canzonelta. 

.  Le  Rossignol. 

.  Le  Crocodile. 

.  Princesse-polka. 


Par    Emile   TA  VAN 


Chaque  transcription,  prix  :  2  fr.  oO  c.  —  Le  Recueil  de  trente  numéros,  prix  net  :  S  francs. 


LES  PETITS  DANSEURS 


et  floifllées  très  facileieil  pir  les 


L.    STREABBOG,    A.    TROJELLI     FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


N»  1. 

_   Ibis 

STREABBOG. 
STREABBOG. 

—  2. 

FAUGIEB.  . 

—  3. 

TROJELLI.  . 

—  4. 

TROJELLI.  . 

—  5. 

STREABBOG. 

—  6. 

FAUGIER.  . 

—  7. 

FAUGIER  .  . 

—  8. 

FAUGIER.  . 

—  9. 

STREABBOG. 

—  10. 

STREABBOG. 

—  11. 

FAUGIEB.  . 

—  12. 

FAUGIER  .  . 

Le  beau  Danube  bleu,  valse  (.Johann  Strauss 

La  même  à  4  mains 

Tout  à  la  joie  I  polka  (Pu.  Fahrdach).  .   .   . 

Valse  du  Couronnement  (Strauss) 

Orphée  aux  Enfers,  quadrille  (Ofi"exbach).  . 
La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss).  .  . 
Pour  les  Bambins,  polka  (Ph.  Fahrbach)  .    , 

Les  Ivresses,  valse  (S.  Pillevesse) 

La  Dame  de  cœur,  polka  (Ph.  Fahrbach)  .  . 
Les  Feuilles  du  malin,  valse  (Johann  Strauss 
Le  sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  .  . 
Mam'zelle  Nilouclie,  quadrille  (FLîrvé)  .  .  . 
Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schindler)  . 


)•       -i 


13. 

VALIQUET.  . 

14. 

TROJELLI.  . 

15. 

VALIQUET.  . 

IG. 

STREABBOG. 

17. 

VALIQUET.  . 

18. 

FAUGIER.  . 

19. 

STUTZ.  .  . 

20. 

STUTZ.  ..  . 

21. 

GODARD  .  . 

22. 

GODARD  .  . 

23. 

VALIQUET.  . 

24. 

VALIQUET.  . 

23. 

TROJELLI.  . 

Le  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)   ...  5  » 

Gloire  aux  dames!  mazurka  (Strobl) 3  » 

La  Journée  de  il/""  Lili,  valse.   .    .   , 3  » 

Aimer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss).  4  » 

Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 4  » 

Le  Verre  en  main,  polka   (F'aiirbach) 4  » 

Les  Petites  Reines,  valse 3  » 

Les  Jeunes  Valseurs,  valse 3  » 

Bébé-Polka 2  50 

Bébé-Valse 2  ijO 

Dans  mon  beau  château,  quadrille 4  » 

La  Journée  de  ilf'"  Lili.,  polka 3  » 

Les  Cancans,  galop  (Strauss) 3  j> 


L'AIBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  de  BOUISSET,  prix  net:  lO  fr. 


E,  20,  l'AUiS.  —  [Encre  Lorillcuj) 


3^12.  —  62"' 


—  1V°  33. 


Diinanehe  16  Août  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dn  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  .Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  deCliant,  20  l'r.;  Tente  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étrrjiger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


l.  La  première  salle  Fayart  et  l'Opéra-Comique,  4"  partie  (14»  article),  Arthur 
PouGiN.  —  n.  Semaine  théâtrale:  Le  mois  d'août  et  la  musique,  AnTHun  PoroiN. 

—  III.  Musique  et  prisons  (13"  article)  ;  Prisons  révolutionnaires,  Pall  d'Estrée. 

—  IV.  Journal  d'un  musicien  (1"  article),  A.  Momtaux.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

UN  RÊVE 

de  Ch.  Neustedt.   —  Suivra  immédiatement  :   Pastorale,  de   Ch.    Grisart. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Sérénack  florentine,  mélodie  d'EiiNEST  Moret,  poésie  de  J.  Lahor.  — 
Suivra  immédiatement  :  Attente,  mélodie  de  Gesare  Galeotti,  poésie  de 
M.  de  MoRiANA. 


LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA- COMIQUE 

1801-1838 


QUATRIEME  PARTIE 
II 

(Suite) 

Je  reviens  à  l'Opéra-Gotnique  et  à  la  salle  Favart,  dont  les 
travaux  continuaient  de  marcher  avec  célérité.  Aussi  les 
notes  adressées  aux  journaux  par  la  direction,  en  vue  d'at- 
tirer l'attention  du  public,  commencent-elles  à  devenir  fré- 
quentes. Il  s'agissait  d'abord  de  l'augmentation  du  personnel 
des  chœurs  et  de  l'orchestre,  qui,  à  la  Bourse,  se  trouvaient 
forcément  réduits  aux  dimensions  modestes  de  la  scène  et 
de  la  salle.  Première  note,  à  ce  sujet,  publiée  le  2.5  mars  : 

L'administration  prévient  les  artistes  qui  voudraient  faire  partie  des 
chœurs  de  ce  théâtre  à  partir  du  i"  mai  prochain,  qu'il  y  aura  un 
concours  pour  les  dames  et  les  hommes  le  dimanche  !29  mars.  Les 
personnes  qui  auraient  l'intention  de  se  présenter  sont  invitées  à  se 
faire  inscrire  au  secrétariat  de  l'administration,  rue  des  Colonnes,  4. 

La  question  se  présente  ensuite  de  la  revision  du  registre 
des  entrées,  revision  qui  motive  cette  seconde  note,  à  la  date 
du  18  avril  : 

Les  personnes  qui  ont  leurs  entrées  au  théâtre  royal  de  l'Opéra- 
Comique  sont  invitées  à  faire  connaître  à  quel  titre  elles  en  jouissent. 
Ne  seront  inscrites  sur  la  nouvelle  liste  des  entrées  que  les  personnes 
qui  se  seront  conformées  au  présent  avis  avant  le  1"  mai  prochain. 


Une  troisième  note,  publiée  le  22  avril,  donne  des  détails 
sur  l'élat  et  la  nature  des  travaux  de  décoration  de  la  nouvelle 
salle  : 

M.  Charles  Séchan,  un  des  peintres  chargés  des  décors  de  l'Aca- 
démie royale  de  musique,  vient  de  commencer  à  peindre  la  coupole 
du  théâtre  royal  de  l'Opéra-Comique,  place  des  Italiens.  Cette  cou- 
pole, d'une  élégante  et  riche  construction,  a  18  mètres  83  centimètres 
de  hauteur,  depuis  le  parterre  jusqu'au  cintre.  Les  décors  du  pour- 
tour de  la  salle  viennent  aussi  d'être  entrepris;  ils  se  composent 
de  magnifiques  attributs  divers,  gravés  sur  hois  et  sur  cuivres  dorés. 
Enfin,  cette  salle  sera  d'un  goût  tout  à  fait  moderne  pour  Paris  ;  ses 
décorations  et  dispositions  se  font  d'après  la  copie  de  la  salle  du 
théâtre  de  Venise. 

A  ce  moment  les  travaux,  très  avancés,  étaient  poussés  avec 
la  plus  grande  activité.  Malgré  tout,  il  fut  impossible  d'être 
prêt  absolument  pour  le  i"  mai,  époque  fixée.  Le  retard  ne 
fut  toutefois  que  d'une  quinzaine,  et,  ce  1"  mai,  l'Opéra- 
Comique  abandonnait  la  salle  de  la  Bourse,  de  même  que  le 
'Vaudeville  abandonnait  la  salle  provisoire  qu'il  occupait  au 
boulevard  Bonne-Nouvelle,  l'un  et  l'autre  pour  préparer  les 
aménagements  de  leurs  nouvelles  demeures.  L'un  et  l'autre 
aussi,  durant  les  quinze  jours  de  leur  fermeture,  firent  leurs 
répétitions  dans  la  salle  des  concerts  du  Conservatoire  (1). 

Crosnier  profita  de  ce  silence  forcé  pour  lancer  à  grand 
nombre,  dans  le  public,  une  brochure  par  laquelle,  tout  à  la 
fois,  il  faisait  par  avance  l'éloge  de  la  nouvelle  salle  Favart 
et  indiquait  ses  projets  artistiques  pour  un  prochain  avenir. 
Ce  petit  document  est  assez  curieux  et  appartient  à  l'histoire 
de  l'Opéra-Comique.  Voici  comme  il  s'exprimait  relativement 
à  la  salle  : 

Au  moment  oit  l'Opéra-Comique  quitte  la  petite  salle  de  la  Bourse 
pour  la  salle  Favart,  son  ancien  berceai",  que  la  protection  du  gou- 
vernement et  le  vote  des  chambres  ont  exclusivement  consacré  à  la 
musique  française;  au  moment  où  une  nouvelle  ère  de  prospérité 
s'annonce  pour  un  genre  de  spectacle,  d'origine  nationale,  aussi  indis- 
pensable qu'il  est  populaire  en  France,  il  n'est  pas  inutile  de  donner 
au  public  quelques  détails  sur  la  construction  et  la  disposition  de  la 
salle,  sur  les  ouvrages  lyriques  qu'on  y  prépare,  et  sur  les  arti3les 
auxquels  l'exécution  en  sera  confiée. 

La  salle  Favart,  reconstruite  sur  les  dessins  et  sons  la  direction 
de  M.  Théodore  Charpentier,  n'a  conservé  de  l'ancien  théâtre  que 
les  murs  extérieurs.  Toutes  les  constructions  et  les  dispositions 
intérieures  sont  de  création  nouvelle,  et  tout  le  monde  reconnaîtra 
que  rien  n'a  été  négligé  pour  rendre  cette  salle  la  plus  commode, 
la  plus  élégante  et  la  plus  riche  de  Paris. 

Un  vaste  vestibule,  des  corridors  spacieux,  huit  escaliers,  presque 
tout  en  pierre  et  en  fonte,  un  foyer  qui  se  prolonge  sur  toute  la 
façade  du  monument,  rendront  la  circulation,  l'arrivée  et  la  sortie 
faciles  pour  le  public. 

(1)  Le  dernier  spectacle  donné  par  l'Opéra-Comique  à  la  place  de  la  Bourse, 
le  30  avril,  comprenait  la  Fille  du  jiégime7it  et  le  Domino  noir. 


:258 


LE  MÉNESTREL 


L'entrée  principale  est  toujours  sur  la  place  ;  mais  une  seconde 
entrée  a  été  réservée  à  l'angle  du  boulevard  et  de  la  rae  Marivaux. 
Une  vaste  galerie,  qui  permettra  au  public  d'attendre  à  couvert  le 
moment  de  l'ouverture  des  portes,  offre  une  communication  com- 
mode du  boulevard  à  la  salle;  au  milieu  de  cette  galerie,  un  salon 
a  été  pratiqué;  c'est,  à  la  sortie,  le  salon  d'attente  pour  les  personnes 
en  voiture.  Là  se  trouvent  des  sièges  ;  un  tapis,  un  foyer  pour 
l'hiver;  et  aux  deux  extrémités  sont  placés  les  domestiques,  séparés, 
des  maîtres  par  une  barrière. 

Le  chauflfage,  la  ventilation  et  la  sonorité  ont  été  l'objet  d'ua  soin 
tout  particulier.  De  nombreux  calorifères,  sur  un  modèle  nouveaa  et 
perfectionné,  distribuent  en  hiver  une  t'gale  chaleur  dans  toulen 
les  parties  de  la  salle  ;  dans  l'été,  l'air  froid  y  sera  introduit  en 
aussi  grande  quantité  que  l'exigera  la  température,  au  moyen  d'un 
mécanisme  ingénieux  placé  dans  les  caves  et  que  font  mouvoir  plu- 
sieurs chevaux  :  invention  toute  récente  dont  l'application  aux  salles 
de  spectacle  est  faite  pour  la  première  fois  à  la  salle  Favart.  Une 
voiite  a  été  pratiquée  sous  l'orchestre,  et  de  nouvelles  mesures 
propres  à  développer  11  aonorité  ont  été  adoptées:  dans  toutes-  les 
parties  de  la  salle. 

La  coupe  intérieure  de  la  salle  et  sa  disposition  en  amphithéâtre 
ont  été  si  heureusement  combinées,  que  àe  toutes  les-  places  on 
voit  également  bien  la  scène  et  le  publ'c,  et  l'espace  réservé  à 
chaque  spectateur  est  notablement  plus  grand  que  dans  aucun 
théâtre. 

Le  fond  de  la  décoration  est  blanc  et  or;  tous  les  ornements  sont 
en  cuivre  doré.  Les  peintures  d'art  ont  été  réservées  au  rideau,  à  la 
coupole  et  au  grand  foyer  public. 

Presque  toutes  les  stalles  de  galerie  et  d'orchestre  sont  remplacées 
par  des  fauteuils.  Quarante  des  meilleures  loges  ont  chacune  un 
salon;  ces  salons,  séparés  des  loges  par  des  portières  de  velours, 
sont  ornés  de  glaces,  de  tapis  et  de  divans.  Un  cordon  de  sonnette. 
placé  dans  chaque  salon  évitera  aux  personnes  qui  l'occuperont  la 
peine  de  se  déranger  pour  demander  des  rafraîchissements,  qui  leur 
seront  fournis  par  un  des  meilleurs  cafés  de  Paris. 

La  salle  est  éclairée  au  milieu  par  un  lustre  à  bougies  mêlées  de 
globes  en  cristal,  et  dans  le  haut  par  des  candélabres  portés  par  des 
enfants  ailés,  qui  soutiennent  la  coupole.  Un  lustre  et  des  giran- 
doles à  bougies  éclairent  le  foyer,  qui  réunit  tout  ce  que  l'art  et 
le  goût  pouvaient  rassembler  d'élégance  et  de  richesse. 

Voilà  pour  les  détails  de  la  construction,  au  sujet  de 
laquelle  uu  journal,  le  Courrier  des  Théâtres,  croyait  devoir  faire 
ressortir  cette  particularité  :  «Toute  la  construction. intérieure 
est  en  fer  :  planchers,  cloisons,  colonnes,  fermes  et  supports 
quelconq;^ues  ;  il  n'y  a.  que  le  bois  indispensable  pour  couvrir 
les  parties  en  contact  avec  le  public,  et  celui  que  nécessite 
l'équipage  de  la  scène.  U71  nouvel  incendie  aurait  lieu  que  la  salle 
entière  resterait  debout.  La  couverture  de  l'édifice  est  an  fer  gai:- 
vanisé.  »  Hélas!  nous  savons  aujourd'hui  de  façon,  cruelle  ce 
qu'on  en  devait  penser,  et  l'incendie  de  1887  nous  l'a  prouvé. 

Revenons-en  au  «boniment  »  de  Grosnier,  avec  lequel  nous 
n'en  avons  pas  fini.  Après  avoir  dit  ce  qu'était  l'édifice,  il 
faisait  savoir  ce  qu'il  y  comptait  faire  : 

Le  public  appréciera  facilement  tous  les  soins  qui  ont  été  pris  pour 
lui  plaire;  mais  l'administration  de  l'Opéra-Comique  a  compris  que 
là  seulement  ne  se  bornait  pas  la  tâche  qui  lui  était  imposée  ;  elle  a 
voulu  que  les  pièces,  les  artistes,  l'orchestre,  les  chœurs  et  la  mise 
en  scène  fussent  en  harmonie  avec  l'éclat  de  sa  nouvelle  salle. 

La  composition  de  la  troupe  actuelle,  à  laquelle  restent  attachées 
pour  plusieurs  années  M°"  Damoreau  et  M""=  Garcia,  présente  en 
artistes  distingués  une  réunion  plus  brillante  et  plus  complète  qu'elle 
ne  le  fut  à  aucune  époque;  l'orchestre  et  les  chœurs  ont  été  augmentés; 
au  nombre  des  artistes  de  l'orchestre,  diriajé  par  M.  Girard,  on 
compte  aujourd'hui  les  premiers  exécutants  de  Paris. 

Presque  toutes  les  décorations  seront  neuves,  et  l'exécution  en  a  été 
confiée  à  nos  principaux  peintres  de  décors. 

Deux  opéras  nouveaux  seront  représentés  dans  les  premiers  jours 
de  l'ouvertL're  :  l'un,  intitulé  Zanetta,  sera  joué  par  M"""  Damoreau 
et  Rossi,  MM.  Couderc,  Mocker  et  Grignon  ;  l'autre,  l'Opéra  à  la  Cour, 
sera  joué  par  M'"'^^  Garcia  et  Henri  Potier  et  MM.  Ghollet,  Masset, 
Roger,  Botelli,  Henri,  Ricquier.  Plusieurs  reprises  importantes  se 
succéderont  :  le  Pré  avx  Clercs,  l'Éclair,  ta  Reine  d'un  jour,  Richard 
Cœur  de  Lion,  Lestocq,  la  .\'eiffe,e{.c.,  etc.  Ces  reprises- viendrontenrichir 
et  varier  le  répertoire,  en  attendant  les  opéras  que  préparent,  pour 
l'hiver  prochain,  MM.  Auber,  Halévy,  Adam,  Donizetti,  etc.,  etc. 


Un  dernier  soin  était  imposé  à  l'administration  :  après  avoir  pourvu 
à  ce  que  le  public  fût  confortablement  placé,  elle  a  songé  à  la  conve- 
nance de  ne  pas  lui  faire  payer  ce  plaisir  un  prix  trop  élevé.  Une 
réduction  considérable  a  donc  eu  lieu  sur  les  prix  de  presque  toutes 
les  places  ;  et  l'augmentation  du  tiers  en  sus  pour  la  location  a  été 
uniformément  convertie  en  une  simple  augmentation  de  1  franc  pour 
les  places  importantes,  et  de  SO  centimes  pour  les  places  secondaires. 
La  même  modération  a  été  apportée  dans  la  fixation  des  locations  à 
l'année. 


(A  suivre.) 


Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


LE  MOIS  D'AOUT  ET  LA  MUSIQUE 

Le  mois  d'août  n'a  pas  toujours  été  aussi  stérile  pour  la  musique 
qu'il  l'est  depuis  quelques  années,  surtout,  en  ce  qui  concerne  la 
France,  depuis  l'extension  des  chemins  de  fer,  qui  dès  cette  époque 
emportent  loin  de  Paris  la  plus  grande  partie  de  sa  population  artiste 
ou  éclairée.  Le  mois  d'août  nous  a  légué,  dans  son  passé,  des  sou- 
venirs non  seulement  intéressants,  mais  parfois  éclatants  et  glorieux, 
et  ce  serait  peut-être  une  histoire  assez  curieuse  que  d'en  dresser,  si 
la  chose  était  possible,  une  table  complète  d'éphémérides  pour  tous 
pays  au  seul  point  de  vue  musical.  Sans  avoir  cette  prétention,  on 
peut  cependant  donner  une  idée  de  ce  que  pourrait  être  un  travail 
de  ce  geni-e,  en  groupant  jour  par  jour  un  certain  nombre  de  faits 
dont  quelques-uns  au  moins  ont  laissé  dans  l'histoire  de  l'art  une 
trace  lumineuse  et  qui  n'est  pas  encore  près  de  s'éteindre.  La  preuve 
s'en  trouve  dans  le  petit  tableau  qui  va  suivre  et  qui  est  à  peine  une 
ébauche  de  ce  qu'on  pourrait  obtenir  si  les  documents  certains, ne 
faisaient  trop  souvent  défaut. 

1^''  août.  —  1752.  La  troupe  de  bouffons  italiens,  dirigée  par  Manelli 
et  Tonelli,  joue  pour  la  première  fois  à  l'Opéra  la  Serva  padrona,  à.s 
Pergolèse,  dont  l'apparition  donne  le  signal  de  la  fameuse  «  guerre 
des  bouffons  »  qui  occupa  pendant  deux  années  tout  le  Paris  artiste 
et  lettré.  Deux  ans  après,  le  14  août  1734,  la  Comédie-Italienne  donne, 
sous  le  titre  exact  de  la  Servante  maîtresse,  une  traduction  de  ce  petit 
chef-d'œuvre,  qui,  joué  à  ravir  par  Rochard  et  M""  Favart,  obtient  un 
tel  succès  qu'on  le  joue  plus  de  deux  cents  fois. 

2  août.  —  1774.  Première  représentation,  à  l'Opéra,  de  l'Or;)/;ee,  de 
Gluck,  dont  il  est  superflu  de  rappeler  le  succès.  C'était  le  second 
chef-d'œuvre  que  le  grand  homme  offrait  au  public  parisien,  auquel 
il  s'était  fait  connaître  quatre  mois  ainpiTa.v&nt  aL\'ec  Iphigéiiie  en  Aulide. 
Les  deux  rôles  d'Orphée  et  d'Eurydice  étaient  tenus  par  Legros  et 
Sophie  Arnould.  Ce  fut  le  signal,  non  plus  de  la  guerre  des  bouffons, 
mais  de  la  fameuse  querelle  dite  des  gluckistes  et  des  piccinnistes. 

3  août.  —  1778.  Inauguration  du  théâtre  de  la  Scala,  de  Milan,  par 
la  première  représentation  d'Europa  riconosciuta,  de  Salieri.  —  1829. 
Première  représentation,  à  l'Opéra,  de  Guillaume  Tell,  de  Rossini,  avec 
Nourrit,  Dabadie,  Levasseur  et  M"'"  Damoreau  dans  les  rôles  d'Arnold, 
Guillaume,  Walter  et  Mathilde.  Guillaume  Tell  a  dépassé  aujourd'hui 
sa  800'-  représentation. 

4  août.  —  1783.  Première  représentation  à.  la  Comédie-Italienne  de 
l'Amant  statue,  opéra-comique  de  d'Âlayrac. 

5  août.  —  1818.  A  la  Scala,  de  Milan,  première  représentation  à'U 
finto  Stanislao,  opéra  bouffe  de  Gyro-wetz.  On  sait  que  Verdi  remit 
plus  tard  ce  poème  en  musique,  et  l'on  sait  aussi  quel  fiasco  accueillit 
sa  partition  à  ce  même  théâtre  de  la  Scala,  lorsque  l'ouvrage  parut 
sous  ce  titre  :  Giorno  di  regno. 

6  août.  —  të'Ao.  Première  représeutation,  à  rO)iéra-Comique,  des 
Deu.r  Reines,  d'Hippolyte  Monpou.  — 1838.  A  l'Opéra,  100"  de  Moïse, 
de  Rossini. 

7  août. — 18.32.  Première  représentation  à  Rome,  sur  le  théâtre 
Ârgeutiua,  de  Putifar,  Giuseppe  e  Giaoobbe,  «  trois  oratorios  en  un,  » 
de  Raimondi. 

8  août.  —  1810.  Première  représentation,  à  l'Opéra,  des  Bayadères, 
de  Catt-I,  avec  un  succès  énorme.  Les  frais  d'établissement  de  cet 
ouvrage  s'élevèrent  à  142,379  francs,  ce  qui  est  excessif  pour  l'époque. 
Les  Baijadéres.  qui  obtinrent  un  chiffre  total  de  140  représentations, 
étaient  jouées  par  Nourrit  père,  Laforêl.  Derivis  et  M""=  Branchu. 

9  août.  —  18(j2.  Béatrice  et  BéiicdicI,  opéra  de  Berlioz,  fait  sa  pre- 
mière apparition  sur  le  théâtre  de  Bade,  où  son  succès  est  considérable. 

10  août.  —  1813.  Prem.ière  représentation,  à  l'Opéra,  de  Médée  et 
Jason,  de  Fonlenelle.  L'auteur  du  poème  de  cet  ouvrage  s'appelait 
Miloent,  et  comme  la  partition  ne  brillait  pas  par  la  fraîcheur  des 


LE  MENESTREL 


259 


idées,  de  mauvais  plaisants  prétendirent  que  si  les  paroles  étaient  de 
Milcent,  la  musique  était  de  cent  mille.  —  1847.  A  l'Opéra-Comique, 
première  représentation  de  ta  Cachette,  àe  M.Ernest  Boulanger,  qui, 
toujours  vert  et  vigoureux,  pourra  célébrer  familialement,  l'an  pro- 
chain, ce  cinquantième  anniversaire. 
H  août.  —  m 

12  août.  —  1826.  Première  représentation,  à  l'Opéra-Gomique,  de 
Marie,  d'HeroId,  l'un  de  ses  trois  cliefs-d'œuvre,  dont  l'existence  s'est 
arrêtée  à  393  représentations.  —  18o9.  Au  même  théâtre,  apparition 
du  Voyage  autour  de  ma  chambre,  d'Albert  Grisar. 

13  août.  —  1780.  Au  théâtre  San  Garlo,  de  Naples,  première  repré- 
sentation à'Armida  abbandonata,  opéra  de  .Jomelli.  —  1782.  Au  même 
théâtre,  Oreste,  de  Cimarosa.  —  1783.  Au  mênae  théâtre,  Lucie  Vero, 
de  Saoohini.  —  1838.  ALondres,  apparition  de  tlie  Devil's  opéra  (l'Opéra 
du  diable),  de  Macfarren . 

14  août.  —  1714.  Première  représentation  à  l'Opéra  des  Fêtes  de 
Thalie,  opéra-ballet  de  Mouret,  que  se?  contemporains  avaient  si  bien 
surnommé  «  le  musicien  des  grâces  ».  —  1775.  La  Comédie-Italienne 
offre  pour  la  première  fois  à  son  publie  laBeUe  Arsène,  opéra-comique 
de  Monsigny  et  l'un  de  ses  plus  charmanis  ouvrages.  —  1814.  A  la 
Scala  de  Milan,  première  représentalion  d'  //  Tureo  in  Italia,,  opéra 
houtfe  de  Rossini,  joué  par  David,  Galli,  Pacini  et  la  Festia-Maffei. 

lo  août.  — ■  1810.  Au  théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  première  repré- 
sentation de  Marco  Albino  in  Siria  ,  opéra  sérieux  de  Tritto. 

16  août.  —  1873.  Première  exécution  avec  un  immense  succès,  à 
Anvers,  d'un  grand  oratorio  de  M.  Peter  Benoit  intitulé  de  Oorlog  (la 
Guerre). 

17  août.  —  1822.  A  l'Opéra-Comique,  isremière  représentation  du 

Solitaire,  de  Gara  fa. 

C'est  le  solitaire, 
Qui  voit  tout. 
Qui  sait  tout. 
Entend  tout. 
Est  partout, 

un  des  brillants  succès  de  l'époque. 

18  août.  —  1811.  Première  représentation  à  la  Scala,  de  Milan,  de 
la  Casa  dell'astrologo,  opéra  bouffe  de  Nicolini. 

19  août.  —  1819.  Au  théâtre  San  Carlo,  de  Naples,  première  repré- 
sentation de  l'Apoteosi  d'E^xole,  opéra  sérieux  de  Mercadante. 

20  août.  —  1768.  —  A  la  Comédie-Italienne,  première  représentalion 
du  Uuron,  opéra-comique  de  Grétry^  joué  par  Clairval,  Caillot, 
Laruette  et  M'"=  Laruette.  C'était  le  début  fort  heureux  du  compositeur, 
dont  le  succès  fut  complet,  à  ce  point  que  dès  le  lendemain  même  un 
marchand  de  tabac  avait  pris  pour  enseigne  le  titre  de  sa  pièce. 
C'est  lui-même  qui  le  raconte  dans  ses  Mémoires:  «...  Je  sortis  avec 
mon  ami;  il  me  conduisit  dans  une  petite  rue  derrière  la  Comédie- 
Italienne;  puis  lu'arrêtant  vis  à  vis  d'une  boutique,  je  vis:  Au  grand 
Huron,  N...  marchand  de  tabac.  J'entrai,  j'enpris  une  livre,  parce  que  je 
le  trouvai,  comme  de  raison,  meilleur  que  parlent  ailleurs.»  — 1828. 
A  l'Opéra,  le  Comie  Ory,  de  Rossini,  adaptaiiou,  amplificalion  et  trans- 
formation du  Viaggio  a  Reims,  opéra  italien  de  circonstance  qu'il  avait 
écrit  à  l'occasion  Ju  sacre  de  Charles  X  et  qui  avait  été  joué  au 
Théâtre-Italien,  le  19  juin  182S.  Le  Comte  Ory  a  atteint  le  chiffre  res- 
pectable de  373  représentations.  —  18o2.  Au  théâtre  de  Bade,  appa- 
rition d'Erostrate,  opéra  de  M.  Ernest  Reyer. 

21  août.  —  1827.  A  l'Odéon,  première  représentation  des  Deux 
Figaros,  opéra-comique  de  Carafa  et  Victor  Tirpenne. 

22  août.  —  1761.  Première  représentation,  à  la  Comédie-Italienne, 
du  Maréclial  ferrant,  opéra-comique  en  deux  actes  de  Philidor,  ouvrage 
excellent,  plein  de  verve  et  d'une  inspiration  chaude,  dont  le  succès 
éclatant  se  traduisit  par  une  s-érie  de  200  représentations.  Le  rôle 
principal  était  joué  d'une  façon  remarquable  par  l'excellent  Laruette, 
qui  n'était  pas  seulement  un  comédien  de  premier  ordre,  mais  aussi 
un  compositeur  habile  à  qui  l'on  doit  la  musique  d'une  dizaine 
d'opéras-comiques. 

23  août.  —  1733.  A  l'Opéra,  première  représeutalioa  des  Indes 
galatites  «  ballot  héroïque  »  de  Rameau,  joué  par  .Jélyotte,  Chassé, Dun, 
Tribou,  M"'*Tremans,  Pélissier,  Petitpas  et  Bourbonnais.  — 1790.  A  la 
Comédie-Italienne,  les  Rigueurs  du  cloître,  opéra-comique  de  Berton. 

—  1794.  A  l'Opéra.  Denys  le  tyran,  maître  d'école  à  Corinihe,  de  Grétry. 
—  1801.  Au  même  théâtre,  les  Mystères  d'Tsis,  adaptation,  défonuation 
et  profanation,  par  les  soins  du  nommé  Lachnilh,  du  chef-d'œuvre  de 
Mozart  connu  depuis  lors  sous  le  titre  de  la  Flûle  enchantée.  —  1837. 
Al'Opéra-Comique,  apparition  delaDouble  i?c/(eZ/e,d'Ambroise Thomas. 

24  août.  —  1838.  Première  représentalion,  à  l'Opéra-Comique,  de 
la  Figurante  ou  l'.imour  et  ta  Danse,  premier  ouvrage  de  Glapisson.  — 


1842.  Au  théâtre  royal  de  Dresde,  100=  représentation  du  Freischûts, 
de  'Weber. 

2-5  août.  —  1846.  Première  exécution  à  Birmingham  d'Élie,  oratorio 
de  Mendelssohn.  —  1848.  Première  audition,  à  l'Opéra,  de  l'Eden, 
«  mystère  »  en  deux  parties,  de  Félicien  David.  Les  personnages  étaient 
représentés  par  Poultier  (Adam),  Alizard  (Lucifer),  Porléhaut  (le  dé- 
mon de  la  tentation)  et  M'"  Grimm  (Eve). 

26  août. —  1783.  Première  représentation,  à  l'Opéra,  à'Ale:mndreaux 
Indes,  de  Lefroid  de  Méreaux. 

27  août.  —  1848.  Au  même  théâtre,  apparition  de  Pygmalioii,  opéra- 
ballet  en  un  acte,  de  Rameau.  Ce  charmant  petit  ouvrage  obtint  un 
tel  succès  qu'il  se  maintint  pendant  près  de  quarante  ans  au  réper- 
toire et  réunit  un  chiffre  de  près  de  200  représentations. 

28  août.  —  1830.  Au  théâtre  grand-ducal  de  Weimar,  par  les  soins 
et  sous  la  direction  de  Liszt,  première  représentation  de  Lohengrin,  de 
Richard  Wagner.  L'auteur,  on  le  sait,  avait  dû  alors  se  réfugier 
en  Suisse,  à  la  suite  de  la  part  trop  active  qu'il  avait  prise  au  mou- 
vement révolutionnaire  de  Dresde  et  qui  avait  fait  mettre  la  police  à 
ses  trousses. 

29  août.—  1786.  Première  représentation,  à  l'Opéra,  de  Za  Toisond'or, 
de  Vogel. 

30  août.  —  18o6.  A  Crémone,  première  représentation  d'i  Promessi 
Sposi  (les  Fiancés),  opéra  de  Ponchielli,  dont  le  livret  était  tiré  du  cé- 
lèbre et  délicieux  roman  de  Mauzoni,  qui  porte  ce  titre.  Ponchielli, 
alors  complètement  obscur,  était  simple  chef  de  la  bande  municipale 
de  Crémone.  /  Promessi  Sposi  était  son  premier  ouvrage,  et  cet  ou- 
vrage, non  plus  que  deux  ou  trois  autres  qu'il  lit  représenter  ensuite, 
n'avait  pas  réussi  à  le  faire  sortir  de  son  obscurité,  lorsqu'il  eut  la 
chance  de  le  faire  accepter  par  le  théâtre  Dal  Verme,  qui  venait  de 
s'ouvrir  à  Milan,  en  concurrence  de  la  Scala.  Il  remania  sa  partition, 
et  ses  Promessi  Sposi,  représentés  sur  le  nouveau  théâtre  le  5  sep- 
tembre 1872,  obtinrent  un  succès  éclatant  qui  décida  de  la  suite  de  sa 
carrière.—  1866.  A  l'Opéra-Comique,  300=  représentation  à'Haydée,  l'ou- 
vrage le  plus  remarquable  de  la  dernière  manière  d'Auber  et  l'un  des 
plu.s  intéressants  de  tout  son  répertoire. 

31  août.  —  1836.  Dans  la  cathédrale  de  Gran,  première  exécution 
de  la  messe  solennelle  de  Liszt,  connue  sous  le  nom  àe  Messe  de  Gran, 
l'une  des  œuvres  les  plus  puissantes,  les  plus  grandioses  et  les  plus 
majestueuses  du  maître. 

Je  n'ai  fait  ici  qu'esquisser  le  tableau  d'éphémérides  dont  je  parlais 
au  début  de  cet  article.  Mais  on  voit,  par  ce  simple  essai  d'une  no- 
menclature forcément  bien  incomplète,  que  le  mois  d'août  n'a  pas  été, 
dans  le  passé,  l'un  des  moins  productifs  dn  calendrier  au  point  de  vue 
musical,  et  que,  sous  ce  rapport,  il  tient  fort  honorablement  sa  place 
dans  l'histoire.  Il  est  infiniment  probable  qu'il  n'en  sera  plus  tout  à 
fait  de  même  à  l'avenir,  le  chômage  général  des  théâtres  à  l'époque 
oîi  il  vient  périodiquement  prendre  sa  place  dans  le  monde  se  rédui- 
sant d'année  en  année  à  une  portion  plus  congrue. 

Arthur  Pougin. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

PRISONS  RÉVOLUTIONNAIRES 

II 

(Suite) 

Chez  certains,  cependant,  le  détachement  de  la  vie  ne  se  faisait 
pas  sans  un  retour  mélancolique  vers  les  jours  heureux  déjà  lointains, 
mais  qui  auraient  pu  avoir  des  lendemains  ;  et  alors  on  comprend  cette 
belle  et  touchante  romance  qu'adressait  à  la  bien-aimée  un  autre 
martyr  de  la  Conciergerie,  Nicolas  Montjourdain,  commandant  du  ba- 
taillon de  la  section  Poissonnière  : 

Air  du  VauderiUe  de  ta  Soirée  orageuse. 

L'heure  avance  où  je  vais  mourir. 

L'heure  avance  et  la  mort  m'appelle; 

Je  n'ai  point  de  lâche  désir. 

Je  ne  fuirai  point  devant  elle, 

Je  meurs  plein  de  foi,  plein  d'honneur;         ^ 

Mais  je  laisse  ma  douce  amie 

Dans  le  veuvage  et  la  douleur. 

Ah!  je  dois  regretter  la  vie. 

Demain,  mes  yeux  inanimés 

Ne  s'ouvriront  plus  sur  tes  charmes  ; 

Tes  beaux  yeux  à  l'amour  fermés, 

Domain  seront  noyés  de  larmes. 


260 


LE  MENESTREL 


La  mort  glacera  cette  main 
Qui  m'unit  à  ma  douce  amie. 
Je  ne  vivrai  plus  sur  ton  sein. 
Ah  !  je  dois  regretter  la  vie. 

Je  revolerai  près  de  toi 
Des  lieux  où  la  vertu  sommeille, 
Je  ferai  marcher  devant  moi 
Un  songe  heureux  qui  te  réveille. 
Ah  1  puisse  encore  la  volupté 
Ramener  à  ma  douce  amie 
L'amour  au  sein  de  la  beauté! 
Je  ne  regrette  plus  la  vie, 

M™=  Roland,  l'Egérie  delà  Gironde,  avait  espéré  un  moment  partager 
les  loisirs  forcés  que  lui  faisait  sa  détention  à  Sainte-Pélagie,  entre 
l'étude  de  la  musique  et  la  rédaction  de  ses  Mémoires.  Le  premier  jour 
de  son  arrivée,  elle  avait  été  traitée  avec  une  certaine  déférence  et 
placée  dans  une  chambre  proprement  meublée,  où  se  trouvait  un 
piano.  Mais  elle  avait  compté  sans  les  fameux  administrateurs  de  la 
Commune  qui  ne  savaient  qu'imaginer  pour  faire  sentir  aux  détenus 
le  poids  de  leur  autorité.  L'un  de  ces  iyranneaux  survint  au  mo- 
ment où  M°"  Roland  exécutait  une  sonate. 

—  Eh  quoi  !  s'écria  l'austère  patiiote,  celte  fédéraliste  s'amuse  à  un 
forte-piano  qui  ne  pourrait  tenir  dans  une  cellule.  Elle  s'en  passera. 

Et  se  tournant  vers  le  concierge: 

—  Faites  !a  lemonter  dès  aujourd'hui  dans  un  corridor.  Vous  devez 
maintenir  l'égalité. 

La  consigne  fut  même  si  sévère  qu'au  diie  de  M.  .\natole  France, 
un  certain  Lecoq,  domestique  de  M""  Roland,  fut  guillotiné,  la 
veille  de  la  fêle  de  l'Etre  suprême,  pour  avoir  porté  un  cahier  de  mu- 
sique à  sa  maîtresse  dans  la  prison. 

Mais  ce  farouche  administrateur,  que  la  lyre  même  d'Orphée  n'au- 
rait su  attendrir,  ne  pouvait  empêcher  la  vive  et  pétulante  chanson 
de  réveiller  les  échos  de  Sainte-Pélagie.  M°"=  Roland  raconte  dans 
ses  Mémoires  qu'elle  entendit  un  soir  bondir,  d'étage  en  étage,  toute 
une  cascade  de  rires  et  de  chansons.  C  était  la  Comédie  Française 
qui  faisait  son  entrée,  à  la  suite  d?s  représentations  tumultueuses 
de  Paméla,  la  prétendue  pièce  contre-révolutionnaire  de  François  de 
Neufchàteau. 

Pour  un  esprit  philosophique  comme  celui  de  M""=  Roland,  cette 
petite  scène  était  une  forme  nouvelle  du  Roman  comique  et  la  trouvait 
plus  indulgente  que  n'était  la  comtesse  de  Ecihm  pour  ses  compagnes 
de  captivité  au  Plessis.  A  viai  dire,  la  situation  de  cette  dame  était 
des  plus  difficiles.  Ses  voisines  étaient  ce  que  l'ancien  régime  appe- 
lait «  des  filles  du  monde  »,  toutes  plus  royalistes  l'une  que  l'autre. 
Or,  M"""  de  Bôhm  avoue,  qu'en  ruisou  sans  doute  de  cette  commu- 
nauté d'affections  politiques,  elle  se  laissait  volontiers  attendrir  par 
les  sollicitations  de  ces  malheureuses  toujours  à  court  d'argent.  Ces 
filles  achetaient  alors  force  cognac,  et,  sous  l'influence  pénétrante 
de  l'alcool,  elles  entonnaient  des  chants  obscènes  qu'elles  entrecou- 
paient de  fréquents  vivats  en  l'honneur  du  Roi. 

Tout  au  contraire.  Rouget  de  Lisle  faisait  de  l'opportunisme  musical 
dans  sa  prison.  Ce  fut  là  en  effet,  comme  l'a  si  bien  établi  M.  Tiersot, 
que  l'autour  de  la  Marseillaise  composa,  peu  de  temps  avant  le  9  Ther- 
midor, les  paroles  et  la  musique  de  l'Hymne  à  la  Raison,  celte  idole 
des  Chaumette  et  des  Hébert. 

Par  une  coïncidence  assez  étrange,  l'ancien  maire  de  Strasbourg, 
Diétrich,  chez  qui  la  légende  nous  montre  Rouget  de  Lisle  chantant 
pour  la  première  fois  sa  Marseillaise,  t'occupe,  lui  aussi,  de  compo- 
sition jusqu'à  la  veille  de  sa  mort.  Il  écrivait  alors  à  ses  enfants  sa 
dernière  lettre  : 

(1   Mon   cher  fils,  tu   recevras   par  la  première  diligence  quelques 

morceaux  de  musique  gravés  et  tout  ce  que  j'ai  copié,  arrangé  et  composé 
de  musique,  le  tout  écrit  de  ma  main  avant  ma  captivité...  » 

Ce  legs  dn  condamné  à  mort  vous  donne  le  frisson,  comme  cette 
petite  phrase,  courte  et  sèche,  que  nous  trouvons  dans  un  inventaire 
des  «  meubles  et  objets  »  laissés  par  les  détenus  du  Luxembourg  ; 

Vacation  du  25  Thermidor  au  18  Fructidor  an  II. 

A.  Dubuisson,  condamné  :  un  violon  et  son  archet,  une  llûte  dite  clarinette. 

Pleyel  dut  à  son  art  d'échapper  au  même  sort.  Maître  de  chapelle 
à  la  cathédrale  de  Strasbourg  avant  la  Révolution,  il  avait  perdu  sa 
place  en  1793;  et,  de  j  lus,  dénoncé  comme  aristocrate,  il  avait  été 
arrêté  dans  sa  maison  de  campagne  et  conduit  devant  la  municipalité 
de  Strasbourg.  Interrogé,  il  piotesta  de  son  patriotisme  tt  de  son 
civisme. 

—  Bah!  hah  !  lui  dit  le  maire,  qui,  sous  l'apparence  d'un  ogre, 
cachait  une  bonne  ùme,  nous  ne  to  croirons  que  si   tu   composes    la 


musique  du  poème  écrit  par  le  citoyen  A"^**  pour  célébrer  l'anni- 
versaire du  10  Août. 

Comme  on  pense  bien,  Pleyel  accepta.  S'il  tenait  à  la  vie,  il  n'avait 
pas  moins  conscience  de  son  talent.  On  l'enferma  dans  la  cathéirale 
qui  devint  sa  prison  et  on  le  fit  garder  par  deux  gendarmes.  La  vue 
des  cloches  prises  à  diverses  églises  et  suspendues  au  milieu  de  la 
nef  lui  donna  une  soudaine  et  géniale  inspiration.  11  introduisit  dans 
sa  composition  les  voix  lugubres  du  tocsin  et  se  servit  de  sept  cloches 
do  la  cathédrale  qui  lui  donnèrent  les  sept  notes  de  la  gamme.  L'exé- 
cution produisit  un  effet  magique,  tt  la  foule  enthousiasmée  voulut 
poiter  en  triompliePleyel  quij  bien  entendu,  s'empressa  de  se  sous- 
traire à  cette  ovation. 

La  partition  de  cette  œuvre  n'a  jamais  été  gravée;  mais  la  famille 
l'a,  paraît-il,  précieusement  et  pieusement  conservée. 

Tous  les  suspects  n'eurent  pas  la  bonne  fuitane  de  Pleyel  :  bien 
heureux  encore  furent  ceux  dont  les  fureurs  de  la  rue  respectaient  la 
captiviié  !  Mais  que  defois  la  bête  humaine  déchaînée  alla  les  insulter 
jusque  dans  leurs  cachots  par  ses  rires,  par  ses  menaces  et  par  ses 
chants,  auxquels  la  haine  donnait  de  plus  sauvages  intonations. 

Cette  scène  saisissante,  nous  la  trouvons  dans  le  Tableau  historique 
de  la  maison  Lazare  et  de  la  maison  d'arrlt  de  la  rue  de  Sève  (Sèvres) 
depuis  son  ouverture  jusqu'au  9  Thermidor  par  le  citoyen. . .,  détenu  dans 
les  deux  maisons. 

La  section  du  Bonnet  rouge  donna  une  fête  à  la  mémoire  de  Marat, 

le  2  frimaire  an  II  : 

Le  cortège  à  son  retour  passa  sous  nos  fenêtres;  deux  forges  ambulantes 
étaient  à  la  suite.  Les  commissaires  du  Comité  révolutionnaire  eurentgrand 
soin  de  les  faire  arrêter  devant  nous,  d'y  faire  forger  une  pique  et  des 
chaînes,  d'insulter  à  nos  malheurs  par  les  injures  les  plus  atroces  et  la 
scène  se  terrrina  par  une  danse  ronde  provoquée  par  Lebrun  (commissaire 
de  la  Section)  et  ses  compagnons,  qui  chantèrent  la  Carmagnole  en  nous 
montrant  au  doigt  et  en  criant  :  à  la  guillotine  !  » 

Souvent,  par  un  de  ses  ceontrasles  fréquents  dans  l'histoire  de  la 
Révolution,  à  ces  notes  enrouées  et  furibondes  répondaient  des  timbres 
doux  et  purs  On  eût  dit  les  voix  des  premiers  chrétiens,  conduits  en 
longues  théories  à  l'amphithéâtre  .  Ce  fut  ainsi  qu'une  abbesse, 
M""'  de  Soulanges,  marcha  au  supplice  avec  plusieurs  de  ses  reli- 
gieuses. Elles  entonbèrent  toutes  le  1  en;  Creoior  pendant  la  terrible 
toilette.  Elles  chantaient  eu  montant  dans  la  charrette  ;  elles  chan- 
taient durant  le  trajet  de  la  prison  à  l'échafaud;  elles  chantaient  en  gra- 
vissant les  dernières  marches,  au  milieu  des  refrains  ignobles  qui  s'ef- 
forçaient de  couvrir  leurs  voix.  Et  le  chœur  diminuait.  Il  n'en  resta 
bientôt  plus  qu'une,  M'""  de  Soulanges,  dont  les  lèvres  murmuraient 
encore  l'hymne  sacrée, quand  le  fer  delà  guillotine  s'abaissait  sursa  tête. 
Tous  cependant  ne  tendaient  pas  avec  autant  de  résignation  leur 
cou  au  bourreau.  Lorsque,  après  la  fête  de  l'Être  supiême,  la  multi- 
plicité des  exécutions  laissa  croire  qu'un  nouveau  «  massacre  des 
prisons  »  était  imminent,  plusieurs  détenus  juièrent  d'opposer  la 
force  à  la  force.  L'un  d'eux,  un  défenseur  officieux,  nommé  Cahier, 
noté  par  le  sinistre  Coffiubal  pour  la  fournée  du  11  Thermidor,  résu- 
mait l'idée  de  tous  dans  cette  romance  qu'il  chantait  sur  l'air  de 
Moutjourdain  ;    «  L'heure  approche  où  je   vais  mourir  ». 

Ouvrez,  enfin,  ouvrez  les  yeux. 

Amis,  Septembre  recommence  ! 

N'entendez-vous  pas  vers  ces  lieux 

Le  char  de  la  mort  qui  s'avance"? 

Dans  le  sang  de  nos  compagnons 

Un  tyran  veut  noyer  ses  crimes; 

On  vient  pour  lui  dans  nos  prisons 

Chercher  de  nouvelles  victimes. 

(Juand  des  traîtres,  auprès  de  nous, 
Livraient  vos  noms  à  la  vengeance, 
L'aveugle  mort  des  mêmes  coups 
Frappait  la  vieillesse  et  l'enfance  ; 
Grâce,  beauté,  talents,  vertus, 
Qui  nous  charmiez  dans  nos  misères, 
Douce  amitié,  vous  n'êtes  plus; 
Trois  jours  ont  dévoré  vos  frères. 


(A  suivre.) 


Tremblez,  juges,  bourreaux,  tyrans, 
Vous  qui  déchirez  ma  patrie; 
Et  vous,  mânes  encor  sanglants 
Du  vieux  père  de  Virginie, 
Levez-vous,  des  mêmes  couteaux 
Frappez  et  tyrans  et  complices; 
Que  les  juges,  que  les  bourreaux 
Meurent  de  leurs  propres  supplices. 


Paul  d'Esibée. 


à 


LE  MÉNESTREL 


261 


JOURNAL  D'UN  MUSICIEN 


FRAGMENTS 

Sur  le  seuil  de  ce  petit  livre  où  je  noterai  au  jour  le  jour  mes 
idées,  mes  impressions  et  mes  souvenirs  artistiques,  je  veux  ins- 
crire comme  une  dédicace  votive,  cette  exquise,  très  noble  et  très 
exacte  pensée  de  Fromentin,  qui  est  la  glorification  de  l'Art  : 

A  qui  appartient  notre  reconnaissance?  A  ce  qu'il  y  a  de  plus  digne, 
à  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand?  Quelquefois.  A  ce  qu'il  y  a  de  plus  beau? 
Toujours.  Qu'est-ce  donc  que  le  beau,  ce  grand  levier,  ce  grand  mobile, 
ce  grand  aimant,  on  dirait  le  seul  attrait  de  l'histoire.  Serait-il  plus 
près  que  quoi  que  ce  soit  de  l'idéal,  oii  malgré  lui,  l'homme  a  jeté  les 
yeux?  —  Et  le  grand,  n'estil  séduisant  que  parce  qu'il  est  plus  aisé  de 
le  confondre  avec  le  beau?  Il  faut  être  très  avancé  en  morale  ou  très 
fort  en  métaphysique  pour  dire  d'une  bonne  action  ou  d'une  vérité 
qu'elles  sont  belles.  Le  plus  simple  des  hommes  le  dit  d'une  action  grande. 
Au  fond  nous  n'aimons  naturellement  que  ce  qui  est  beau.  Les  imagina- 
tions ij  tournent,  les  sensibilités  en  sont  émues,  tous  les  cteurs  s'y  préci- 
pitent. Si  l'on  cherchait  bien  ce  dont  l'humanité  considérée  en  masse 
s'éprend  le  plus  volontiers,  on  verrait  que  ce  n'est  pas  ce  qui  la  touche, 
ni  ce  qui  la  convainc,  ni  ce  qui  l'édifie,  c'est  ce  qui  la  charme  ou  ce  qui 
l'émerveille.  (Les  Maîtres  d'autrefois.) 

On  dit  souvent  qu'il  devient  de  plus  en  plus  difficile  de  trouver 
des  mélodies  originales,  à  cause  de  l'énorme  quantité  de  musique 
qui  a  été  compo.-ée  depuis  deux  siècles  et  de  celle  qui  se  compose 
encore  quotidiennement  ''ans  le  monde  entier.  Le  génie  lui-même 
serait  stérilisé  le  jour  uh  seraient  épuisées  toutes  les  combinaisDus 
d'arrangement  entre  les  sons  pouvant  former  une  mélodie,  et  ce 
jour  serait  près  d'arriver. 

Je  n'en  crois  rien. 

Voilà,  non  deux  cents  an?,  mais  quatre  mille  ans  que  notre 
monde  existe  et  que  des  générations  s'y  succèdent.  Pour  ne  parler 
que  du  moment  présent,  des  cntaines  de  millions  d'êtres  humains 
y  vivent  et  s'y  reproduisent. 

Entre  eux  pourtant  combien  jeu  de  ressemblances!  Entre  deux 
d'entre  eux  y  eut-il  jamais  complète  identité?  —  A  peine  quelques 
aspects  communs  à  une  race,  à  une  famille!  —  Pourtant  ce  sont 
toujours  les  mêmes  éléments  qui  constituent  ces  physionomies,  et 
c'est  toujouis  dans  la  même  disposition  que  se  placent,  en  un  ovale 
de  visage,  une  bouche,  un  nez,  des  yeux,  des  oreilles,  des  cheveux. 

Ainsi  de  la  mélodie  et  des  sons  relativement  peu  nonibreux  qui 
la  peuvent  former:  —  à  peine  quelques  aspects  communs  à  une  épo- 
que, à  une  école,  à  une  nationalité. 

C'est  que  ia  mélodie  est  aussi  le  produit  d'une  c;m<20(i  ;  et  il  y  a 
dans  la  créaliuu  intellectuelle,  comme  dans  la  création  de  tout  ce 
qui  vit  ici-bas,  un  mystère  au-dessus  de  notre  entendement,  je  ne 
sais  quel  perpétuel  renouveau  dû  sans  doute  à  son  origine  divine 
oii  s'entrevoit' une  parcelle  d'infini. 


Entendu  hier  le  nouvel  opéra  de  G... 

Il  y  a  là  beaucoup  de  talent,  mieux  encore,  un  tempérament.  On 
n'apprend  pas  à  donner  à  l'orchestre  une  telle  vie.  Le  musicien 
comme  le  peintre,  naît  coloiisfe;  il  ne  le  devient  pas. 

Le  mal  est  qu'il  y  a  outrance  ;  les  eflfets  pittoresques  se  succèdent 
sans  répit,  souvent  hors  de  propos. 

Une  situation  ordinaire,  une  chanson,  la  Romance  à  Madame  ne 
comporte  pas  tant  de  moyens.  Ces  moyens,  les  voici  sans  action  sur 
nous,  quand  le  musicien  deva  suivre  un  coup  d'aile  de  la  poésie, 
donner  à  l'oreille  l'impression  du  tableau  qu'évoquent  le  décorateur, 
le  inetteur  en  scène,  ou  traduire  avec  énergie  le  conflit  de  passions 
surexcitées. 

En  allant  plus  avant  dans  cette  voie,  on  s'éloignerait  autant  des 
vrais  principes  du  drame  chanté  que  s'en  éloigna  l'ancienne  école 
italienne  si  justement  raillée,  car  il  est  aussi  contraire  à  ces  princi- 
pes d'amuser  l'auditeur  par  un  accouplement  inaitendu  de  timbres, 
une  surprise  de  rylhmes,  ou  un  jeu  de  lumière  harmonique  non  jus- 
tifiés par  les  paroles,  que  par  la  séduction  purement  vocale  d'une 
mélodie  en  désaccord  avec  les  sentiments  à  exprimer. —  Esthétique- 
ment, les  deux  procédés  se  valent  ;  il  n'y  a  qu'un  oiiPL\CEMENT 
l'eureubs. 


A  beaucoup  de  ceux  qui  se  réclament  bruyamment  de  Gluck, 
je  recommande  les  passages  suivants  de  la  préface  d'Alcesle,  que  je 
viens  de  relire  : 


«...  toujours  simple  et  naturelle  autant  qu'il  m'est  possible,  ma 
musique  ne  tend  qu'à  la  plus  grande  expression, 

...  J'ai  cru  encore  que  la  plus  grande  partie  de  mon  travail 
devait  se  réduire  à  chercher  une  belle  simplicité,  et  j'ai  évité  défaire 
parade  de  difficultés,  aux  dépens  de  la  clarté;  je  n'ai  attaché  aucun 
prix  à  la  découverte  d'une  nouveauté,  à  moins  qu'elle  ne  fût  naturelle- 
ment donnée  par  la  situation  et  liée  à  l'expression  :  enfin  il  n'y  a 
aucune  règle  que  je  n'ai  cru  devoir  sacrifier  de  borne  grâce  en 
faveur  de  l'effet. . . 

...  Heureusement  ce  poème  se  prêtait  à  mon  dessein.  Le  célèbre 
auteur  à'Alceste  ayant  conçu  un  nouveau  plan  de  drame;  lyrique, 
avait  substitué  aux  descriptions  fleuries,  aux  comparaisons  inuLiles, 
aux  froides  et  sentencieuses  moralités,  des  passions  forte-,  des  situa- 
tions intéressantes  et  un  spectacle  toujours  varié.  Le  suc  es  a  justifié 
mes  idées  et  l'approbation  universelle  m'a  démontré  que  la  simplicité 
»l  la  vérité  sont  les  grands  priueipes  du  beau  dans  les  productions 
des  Arts.  » 

Eh!  eh!...,  m'est  avis  que  cet  exposé  de  principes  ne  s'applique 
pas  exactement  en  entier  aux  œuvres  de  certains  auteurs  qui  décla- 
rent —  et  croient  peut-être  sincèrement  —  l'avoir  pris  pour  règle. 


Ce  soir-U,  on  donnait  à  Florence  le  Faust  de  Gounod.  Entre  le  troi- 
sème  et  le  quatrième  acte,  la  toile  s'est  levée  et  Marguerite,  en  cos- 
tume de  conçoit,  a  reparu  dans  le  jardin  oîi  nous  venions  de  la  lais- 
ser pàuiée  aux  bras  de  sou  amant.  Elle  s'est  incliuée  gracieusement, 
a  souri,  et...  a  chanté  le  boléro  des  Vêpres  siciliennes.  —  Et  cela  a  été 
un  vrai  délire;  la  foule  tré,,ignait,  criait,  envoyait  des  fleurs,  des 
bonbons  ;  des  colombes  sont  descendues  du  cintre;  la  cantatrice  a  é;é 
aux  étoiles. 

a 

Il  doit  y  avoir,  dans  la  compréhension  qu'ont  de  la  musique  les 
peuples  étrangers,  certains  aspects  qui  nous  écha;  peut.  Je  sors  d'une 
belle  représentation  à'Otello,  à  Milan.  —  Rien  à  noter  que  tout  le 
monde  ne  sache  sur  le  grand  ténor  Tamagno,  qui  ne  déclame  pas 
comme  nous  le  récit,  ni  sur  notre  compatriote  Victor  Maurel,  dont 
l'interprétation  est  simplement  du  premier  ordre.  Mais  voici  une  can- 
tatrice, la  Pantaleoni,  que  Verdi  a  choisie  entre  toutes,  en  Italie,  pour 
persomifier  De.'démone.  Son  talent  de  tragédienne  lyrique  n'est  que 
distingué  ;  sa  beauté  n'a  rien  de  remarquable  ;  sa  voix  est  ordinaire,  et 
elle  a  souvent,  très  souvent,  des  intonations  plus  que  douteuses  qui 
gâtent  le  plaisir  ou  l'émotion  qu'on  va  éprouver.  A  coup  sûr  Verdi 
a-t-il  eu  une  intention,  avec  la  ceititude  de  la  réaliser.  Cette  inten- 
tion, quelle  est-elle?  et  qu'a  donc  cette  artiste  de  supérieur,  que  nous 

ne  sentiers  pas  ? 

X 
X    X 

Beaucoup  do  musiciens,  même  parmi  les  plus  instruits,  apprécient 
injustement  bien  des  œuvres  du  temps  passé,  surtout  celles  de  la 
génération  qui  les  a  immédiatement  précédés.  C'est  qu'ils  ne  savent 
pas  s'abstraire  des  formules  dont  la  mode  a  revêtu,  de-ci  de-là,  les 
productions  de  diverses  époques.  Us  ressemblent  à  des  gens  qui  ce 
sauraient  pas  distinguer  une  jolie  femme,  si  elle  portait  le  fourreau 
du  Consulat,  les  manches  à  gigot  de  la  Restauration,  les  capotes  de  la 
monarchie  de  Juillet,  ou  les  crinolines  du  second  Empire. 


Une  plaisante  histoire  que  m'a  contée  M....  C'était  à  Marseille,  en 
1^4.^ —  Liszt  donnait  un  concert  au  Grand-Théâtre;  la  salle  était 
bondée  de  spectateurs  ;  l'orchestre  s'élageait  au  fond  de  la  scène,  sur 
une  estrade  au  pied  de  laquelle  beaucoup  d'artistes  et  d'amuteurs 
avaient  pris  place. 

Le  programme  comprenait,  entre  autres  attractions,  le  Concerlstuck 
de  Weber  et  la  Truite  de  Schubert,  transcrite  p&f  Stephen  Heller. 
Pour  l'un  de  ces  morceaux  — je  ne  sais  plus  lequel  —  Liszt  voulut 
avoir  le  texte  sous  les  yeux. 

Il  met  le  cahier  sur  le  pupitre,  et  fait  signe  au  premier  violon  de 
l'orchestre  de  venir  lui  tourner  la  page.  Soit  désir  de  ne  pas  aban- 
donner sa  partie,  soit  ennui  de  se  produire  ainsi,  l'artiste  feint  de  ne 
rien  voir.  Deux  ou  trois  fois,  Liszt  renouvelle  son  manège  ;  personne 
ne  bouge.  Tout  à  coup,  un  chet  de  musique  d'infanterie  de  ligne  qui, 
d'aventure,  se  trouvait  là  et  avait  vu  le  geste,  quitte  le  groupe  des 
musiciens,  et,  moins  timide  que  les  pékin.s,  se  diiige  vers  le  piano.  Il 
est  de  haute  stature,  en  uniforme,  et  se  dandine.  Liszt  flaire  un  naît 
et  une  bonne  occasion  de  faire  un  effet.  Il  se  dresse,  va  à  la  rencontre 
de  son  sauveur  et  lui  serre  les  mains  à  plusieurs  reprises.  Elonne- 
ment  du  public. 


262 


LE  MÉNESTREL 


Liszt  invite  le  militaire  à  s'asseoir  le  premier;  celui-ci  n'ea  veut 
rien  faire  ;  lutte  de  courtoisie.  Hilarité  générale. 

Cependant  Liszt  parait  vaincu  dans  ce  tournoi.  Il  se  rassied  et  joue 
avec  sa  verve  ordinaire.  Le  morceau  fini,  les  applaudissements  écla- 
tent ;  on  acclame  le  pandour  cht  piano,  et  des  iouqueLs  pleuvant  sur  la 
scène. 

Alors  Liszt  saisit  le  plus  gros  de  ces  bouquets  et  l'offre  avec  mille 
simagrées  au  tourneur  de  pages.  Celui-ci  se  défend,  Liszt  le  presse 
et  tout  le  moude  s'esclaffe  de  rire.  La  scène  pourtant  menace  de  se 
prolonger,  quand  le  soldat  tire  son  sabre,  coupe  en  deux  le  bouquet, 
en  remet  la  moitié  à  Liszt,  et,  triomphant,  emporte  l'autre  ! 

E  tum  Irovato,  è  vero  ! 

«  a 

Ce  soir-là,  nous  dînâmes  à  la  villa  Médicis.  M.  et  M""  Hébert  nous 
accueillirent  avec  une  exquise  bonne  grâce,  et  le  maître  devint  élo- 
quent en  nous  parlant  de  Rome,  de  sa  poésie  suggestive.  Parmi  les 

convives,  unjeuuemusicienD ,  les  cheveux  taillés  àla  Britannicus. 

Gomme  tous  les  prix  de  Romefraîchement  couronnés,  celui-ci  en  était 
à  cette  période  d'heureuse  griserie  oii  on  croit  avoir  reçu  le  sacre  du 
génie.  Hugues,  le  statuaire,  me  confiait  récemment  avoir  eu,  lui 
aussi,  cette  maladie,  et  en  avoir  goéri,  à  son  retour  à  Paris,  après 

quelques    années  de  travail  et  de  luttes.  D disait  souffrir  d'une 

migraine  obstinée  et  laissait  tomber  de  ses  lèvres  des  jugements  sans 
appel.  Il  voulait  bien  estimer  Saint-Saëns,  et  pensait  qu'un  seul  opéra, 
Tristan  et  Iseult  —  qu'il  m'avoua  d'ailleurs  n'avoir  jamais  entendu,  — 
valait  d'être  écoulé.  Quanta  Brahms,  dont  je  parlai  avec  admiration, 
il  déclara  tout  net  n'en  rien  connaître.  —  0  gioventu,  fior  délia  vital. 

Joué  et  rejoué  cette  semaine,  la  Fantaisie  chromatique  et  divers 
numéros  de  Kibistler  Fugue.  Non,  jamais,  je  n'ai  rencontré  harmonies 
plus  hardies,  plus  géniales,  plus  belles!  Et  quelle  force  de  déduction! 
quelle  solide  structure!  L'ami  M...  a  bien  raison  de  dire  que  nous 
appartenons,  lui  et  moi,  à  l'Eglise  de  Notre  Saint-Père  le...  Bach! 


Je  me  suis  souvent  demandé  pou'quoi  l'étude  du  contrepoint  ne 
précède  pas  l'étude  de  l'harmonie,  au  lieu  de  la  suivre. 

Il  semblerait  logique  d'enfermer  tout  d'abord  l'élève  dans  les  limites 
étroites  et  sévères  des  cinq  espèces  du  contrepoint  simple,  sinon  du 
contrepoint  fleuri,  à  2,  3,  4  parties,  et  même  au  delà,  avant  d'aborder 
les  licences  et  les  raffinements  de  notre  harmonie  moderne.  —  Tel 
un  navire  en  construction  qu'on  étaie  d'abord,  sur  son  berceau,  et 
dont  on  enlève  successivement  les  soutiens  avant  de  le  laisser  glisser 
dans  la  mer. 

En  débutant  par  le  contrepoint,  l'élève  apprendrait  à  écrire  d'abord 
à  deux  paj-ties  avec  la  plus  rigide  pureté,  —  ce  que  ne  font  pas  tou- 
jours sans  quelque  embarras,  des  musiciens  ayant  épuisé  leur  cours 
complet  d'harmonie.  Il  acquerrait  dès  le  principe  à  l'école,  le  senti- 
ment des  successions  saines,  des  relations  justes,  c'est-à-dire,  une 
base  très  pure  de  style.  Rien  ne  laisse  plus  de  traces  que  l'enseigne- 
ment donné  au  premier  âge. 

L'harmonie,  avec  ses  dissonances,  ses  altérations,  ses  fausses 
relations  aujourd'hui  tolérées,  serait  la  suite  naturelle  de  cette  étude, 
le  rigorisDûe  des  premières  règles  se  relâchant  peu  à  peu,  et  le 
coloris,  aux  nuances  si  variées  et  si  expressives  de  notre  palette 
harmonique  étant  abordé  après  le  dessin  au  contour  très  précis,  un 
peu  marmoréen  du  contrepoint. 

En  tout  cas,  ce  serait  à  tenter  comme  procédé  pédagogique. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


M"=  Sibyl  Sanderson  a  signé  avec  l'Opéra  Impérial  de  Yienno  un  en- 
gagement, aux  termes  duquel  elle  doit  donner,  dans  le  courant  de  la  pro- 
chaine saison  théâtrale,  une  série  de  représentations.  Esclarmonde  sera 
montée  à  son  intention  par  la  direction. 

—  Malgré  la  saison  estivale  les  théâtres  des  petites  capitales  allemandes 
ne  chôment  pas  tous  et  risquent  même  des  premières.  C'est  ainsi  que  le 
théâtre  de  Darmstadt  vient  de  jouer,  non  sans  succès,  un  nouvel  opéra- 
comique  intitulé  Don  Alvaro  le  capitaine  de  Zukimea,  paroles  de  M.  A.  Duroy, 
musique  de  M.  Fritz  Baselt  et  qu'un  nouvel  opéra  intitulé  RiscuUo,  paroles 
de  M.  Joseph  Kellerer,  musique  de  M,  Otto  Goetze  a  été  représenté  avec 
heaucoup  de  succès  au  théâtre  de  la  cour  de  Soudftrshausen. 


—  Un  nouveau  «  musée  des  costumes  »  sera  ouvert  prochainement  à 
Berlin.  C'est  la  célèbre  collection  du  baron  Lipperheide  qui  va  être  ren- 
due publique. Cette  collection  con  tient  plus  de  huit  cents  tableaux  et  pein- 
tures qui  ont  de  l'importance  pour  l'histoire  et  renferme  une  grande 
quantité  de  gravures  et  de  livres  qui  s'y  rattachent  également.  C'est  la 
collection  la  plus  complète  de  ce  genre  qu'on  connaisse  et  les  théâtres  de 
Berlin  se  réjouissent  déjà  de  pouvoir  dorénavant  puiser  à  volonté  à  cette 
source. 

—  Le  roi  de  Wurtemberg  vient  de  conférer  à  M™"  Gosima  Wagner  la 
médaille  d'or  de  l'ordre  de  la  Couronne  de  Wurtemberg. 

—  On  nous  écrit  de  Bayreuth  que  la  chanteuse  suédoise  M"°  Ellen  Gul- 
branson  a  remporté  un  succès  éclatant  et  absolument  inattendu  dans  le 
rôle  de  la  ValUyrie.  Les  amateurs,  qui  ont  assisté  à  la  première  représenta- 
tion de  la  Valkyrie  en  1876,  prétendent  que  M""  Gulbranson  n'a  pas  été  in- 
férieure à  M»"  Materna,  telle  que  celle-ci  était  il  y  a  vingt  ans.  Cette 
louange  n'est  pas  mince,  car  M'"'  Materna,  douée  d'un  grand  talent  d'imi- 
tation, avait  parfaitement  reflété  toutes  les  intentions  de  Richard  Wagner 
qui  s'était  donné  la  peine  de  travailler  avec  sa  Valkyrie  le  rôle  entier 
jusque  dans  ses  moindres  détails.  Pas  une  note,  pas  un  mouvement  qui 
n'avait  été  approuvé  parle  maître.  Espérons  qu'on  n'exagère  pas  le  mérite 
de  W'  Gulbranson. 

—  L'installation  du  musée  Wagner  à  Eisenach  est  enfin  terminé.  C'est 
la  classification  de  la  bibliothèque  qui  a  demandé  le  plus  de  temps  et  de 
peine.  Elle  contient  l'ensemble  complet  de  toute  la  littérature  wagnérienne, 
montant,  comme  on  sait,  aune  somme  énorme  d'ouvrages  de  toutes  sortes, 
plus  toutes  les  œuvres  du  maître,  en  partitions,  —  parmi  lesquelles  de 
très  précieux  autographes,  —  les  réductions  pour  piano,  ses  écrits  sur  la 
musique.  Cette  bibliothèque  occupe  tout  le  premier  étage  du  vaste  immeu- 
ble où  le  musée  est  installé.  Au  rez-de-chaussée,  à  coté  de  la  chambre  à 
coucher  et  du  cabinet  de  travail  du  poète  Reuter,  qui  doivent  rester  intacts, 
se  trouve  le  restant  des  collections  du  musée  Wagner.  On  y  trouve  les 
portraits-médaillons,  bustes  du  compositeur,  des  efBgies  des  membres  de 
sa  famille,  de  ses  amis,  des  principaux  interprètes  de  ses  œuvres  dans  le 
costume  de  leur  rôle,  des  tableaux  et  gravures  représentant  des  scènes 
extraites  de  ses  drames  lyriques,  une  vaste  collection  d'autographes.  Le 
public  sera  incessamment  admis  à  visiter  le  musée. 

—  Dame  Marthe  Schwerdtlein,  la  voisine  mûre  de  Marguerite,  que  Famt 
a  rendue  célèbre  un  peu  partout,  est  en  train  de  défrayer  les  journaux 
allemands  à  une  époque  de  l'année  oii  le  service  d'informations  autbeii-- 
tiques  tarit  ordinairement.  Un  journal  de  Berlin  alancé  le  premier  la  grosse 
nouvelle  que  le  docteur  Neckiscb  aurait  découvert,  dans  une  église  de 
Padoue,  le  tombeau  du  cavalier  Scbwerdtlein,  époux  deladitedame  Marthe, 
à  laquelle  ce  bon  diable  de  Méphistophélès  rapporte  fidèlement  les  der- 
nières salutations  du  défunt.  Plusieurs  journaux  allemands,  qui  ont  eu  tort 
d'oublier  qu'en  allemand  Schwerdtlein  signifie  petite  épée  et  Neckisch  mau- 
vais plaisant,  sont  tombés  dans  le  piège  tendu  à  la  naïveté  de  leurs  rédac- 
teurs et  ont  très  sérieusement  reproduit  la  nouvelle  étonnante.  Mais 
finalement  un  journal  plus  avisé  a  attaché  le  grelot  à  cette  plaisanterie  et 
voilà  que  les  journaux  qui  se  sont  laissé  duper  prétendent  qu'ils  n'avaient 
parlé  du  tombeau  du  sieur  Schwerdtlein  que  pour  amuser  leurs  lecteurs  et 
qu'ils  étaient  dans  le  secret  de  la  plaisanterie.  D'où  plusieurs  polémiques 
assez  vives  dans  la  presse  allemande.  On  voit  par  là  plus  clairement  que 
par  le  thermomètre  que  la  canicule  sévit. 

—  De  l'Écho  musical,  de  Bruxelles  : 

«  Les  journaux  ont  parlé  d'un  grand  festival  musical  à  organiser  l'an 
prochain  sur  la  Grand'  Place.  On  y  exécuterait  la  Rubens  Cantate  de  Benoit, 
avec  les  chœurs  placés  sur  une  estrade  devant  la  Maison  du  Roi,  et  des 
trompettes  postées  dans  la  cour  de  l'Hùtei  de  Ville,  ce  qui  sera  d'un  effet 
«  prodigieux  ».  Le  projet  qui  est,  paraît-il,  à  l'étuda  à  l'Hôtel  de  Ville,  est 
certainement  fort  heureux.  On  a  trop  rarement  l'occasion  d'applaudir  les 
admirables  fresques  symphoniques  de  Peter  Benoit,  dont  les  proportions 
monumentales  et  le  caractère  particulièrement  solennel  et  grandiose  s'ac- 
commodent mieux  du  plein  air  que  des  étroites  salies  de  concert  dont  nous 
disposons.  Mais  l'effet  «  prodigieux  »  des  trompettes  dans  la  tour  nous 
laisse  rêveur.  Gomment  fera-t-on  pour  compenser,  au  point  de  vue  de 
l'auditeur  placé  sur  le  plancher  des  vaches,  le  retard  causé  à  la  sonorité 
de  ces  instruments  par  leur  éloignement  relativement  à  l'orchestre  et  aux 
chœurs  groupés  sur  la  place?  On  fera  bien  de  se  montrer  prudent,  l'acous- 
tique ayant  déjà  joué  do  mauvais  tours  dans  celles  qui  encadrent  la  Grand'- 
Place...  » 

—  Le  brillant  festival  de  musique  du  19  juillet  à  Bruxelles,  avait  donné 
lieu  à  l'impression  d'une  brochure  indiquant,  avec  les  titres  et  les  direc- 
teurs des  sociétés  participantes,  les  lieux  et  heures  de  leurs  exécutions  res- 
pectives, avec  les  auteurs  et  les  titres  des  morceaux  au  programme.  Ces 
derniers  portent  parfois  des  intitulés  tout  à  fait  imprévus.  Nous  sommes 
restés  rêveurs  devant  les  Souvenirs  de  ma  première  jeunesse,  la  Grotte  de  Cyprès 
(probablement  situé  dans  une  «  forêt  de  basaltes  »),  l'Ombre  delà  nuil,  polka 
(sinistre,  ce  titre,  pour  une  danse!)  V Eau  douce,  fantaisie  (!),  le  Secret  d'un 
co/j're-fort  (1!)  et  enfin  cette  perle,  qui  sygthétise  avec  une  concision  mer- 
veilleuse la  coquille  typographique  et  la  mauvaise  rédaction  :  opéra  sur 
Lucie  de  la  Mer  Moor  (si  au  moins  il  y  avait  :  de  la  Mer  Morte?)'.'.'. 


LE  MÉNESTREL 


263 


Du  journal  l'Ilalie  :  o  Quand  les   directeurs  de  théâtres  populaires  se 

mettent  à  se  faire  concurrence  dans  l'abaissement  des  prix,.,  ils  ne  s'arrê- 
tent plus.  Nous  avions  déjà  au  Costanzi  la  comédie  avec  loges  à  S  francs 
et  au  Manzoni  le  drame  à  2  francs  la  loge.  M.  Destefani  nous  donne  au 
Girco  Reale  l'opéra  à  50  centimes!  C'est  pour  rien  !  Et  ce  serait  invraisem- 
blable si  ce  n'était  vrai.  Dimanche,  pour  la  reprise  de  la  Lucia  de  Donizetti 
on  payait  1  fr.  SO  les  fauteuils  d'orchestre  numérotés,  1  franc  le  parterre 
(entrée  comprise),  et  bO  centimes  l'amphitéàtre.  Il  est  difficile  de  dire 
qu'un  spectacle  à  si  bas  prix  a  grande  valeur,  mais  M""  Fornari  a  prouvé 
avec  son  filet  de  voix  qu'elle  sait  chanter;  le  ténor  Prati  amis  de  l'expres- 
sion dans  les  belles  mélodies  de  Donizetti,  et  la  basse  AUegri  a  bien  tenu 
son  rôle.  Quant  à  M.  Molajoli,  le  chef  d'orchestre,  il  a  pu  retenir  son 
monde  dans  la  mesure.  C'est  tout  ce  qu'on  pouvait  demander  pour  .50  cen- 
times. Aussi  le  succès  a-t-il  été  assez  grand  pour  obliger,  hier  soir,  la 
direction  à  donner  une  seconde  représentation  de  la  Lucia.  Beaucoup  de 
monde  encore.  Tant  mieux.  On  ne  saurait  trop  encourager  l'opéra  à  bon 
marché.  On  est  sûr,  au  moins,  d'avance  d'en  avoir  pour  son  argent.  » 

—  Au  cirque  Colon,  de  Madrid,  on  vient  de  représenter  une  zarzuela 
nouvelle  de  MM.  Jimenez  Prieto  et  Valverde,  intitulée  los  Coraceros.  La 
pièce  gracieuse  et  la  musique  aimable  ont  été,  plusieurs  fois,  l'objet  des 
applaudissements  du  public  de  la  première  représentation. 

—  Un  petit  orchestre  composé  d'instrumentsà  cordes  a  été  formé  à  New- 
York  par  seiza  dames  sous  le  nom  «  Ladies  String  Orchestra  Society.  »  Il 
sera  dirigé  par  M.  Charles  de  Lachmund  et  donnera  des  concerts  avec  le 
concours  de  virtuoses  célèbres.  Les  frais  de  la  première  saison  sont  déjà 
couverts  par  des  souscriptions. 

—  Les  législateurs  américains,  dont  l'originalité  fait  quelquefois  rêver 
leurs  confrères  européens,  viennent  de  s'occuper  d'une  grave  question  qui 
a  été  résolue  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne  par  un  arrêté  du  surintendant 
général  et  dans  plusieurs  théâtres  allemands  par  des  décrets  de  police, 
mais  qui  se  trouve  ailleurs  encore  fort  problématique.  C'est  la  question 
irritante  des  chapeaux  de  dames  au  théâtre.  A  la  Chambre  de  l'Etat  de 
Louisiane,  le  gouvernement  avait  déposé  un  projet  de  loi,  dit  des  hauts 
chapeaux  de  dames  (high  hat  Mit),  qui  devait  interdire  aux  dames  le  port  de 
chapeaux  au  théâtre,  pour  permettre  aux  malheureux  spectateurs  de  voir 
ce  qui  se  passe  sur  la  scène.  Un  sénateur  galant,  M.  b'enner  —  nous 
sommes  étonnés  qu'il  ne  porte  pas  un  de  ces  vieux  noms  français  encore 
si  fréquents  en  Louisiane  —  est  intervenu  en  faveur  des  dames  et  a 
réussi,  après  un  discours  brillant  fréquemment  souligné  aux  tribunes  par 
de  petites  mains  finement  gantées,  à  faire  accepter  un  amendement  auto- 
risant le  port  d'aigrettes  et  de  «  chapeaux  d'opéra  féminins  »  dans  les 
théâtres.  Or,  il  y  a  aigrettes  et  aigrettes  comme  il  y  a  fagots  et  fagots,  et 
on  verra  sans  doute,  à  l'Opéra  de  la  Nouvelle-Orléans,  mainte  aigrette 
ressemblant  au  légendaire  plumet  des  tambours-majors  de  la  vieille  garde 
impériale.  Mais  ce  qui  fait  dès  à  présent  la  joie  des  hommes  de  loi  à  la 
Nouvelle-Orléans,  c'est  le  texte  qui  admet  «  le  chapeau  d'opéra  féminin  »,  car 
ils  prévoient  une  série  interminable  de  procès  à  ce  sujet.  Un  journal  de 
la  Louisiane  n'a  pas  manqué  de  faire  une  enquête  chez  les  grandes  mo- 
distes de  la  Nouvelle-Orléans  et  est  arrivé  à  formuler  la  définition  suivante: 
Un  8  chapeau  d'opéra  féminin  »  est  un  chapeau  qui  s'adapte  strictement 
à  la  tête  d'une  femme  et  n'a  pas  de  bord  (brim),  mais  qui  peut  être  décoré 
selon  la  fantaisie  de  la  dame  qui  le  porte,  de  sorte  qu'il  peut  avoir  l'élé- 
vation d'un  chapeau  du  type  dit  Marie-Antoinette.  Cette  communis  opinio 
des  experts  rend  la  nouvelle  loi  complètement  ihusoire  ;  on  verra  une  vraie 
guerre  des  dames  avec  les  commissaires  de  police  chargés  de  constater  les 
excès  des  «  chapeaux  féminins  »  dans  les  théâtres,  et  les  procès  les  plus 
savoureux  vont  égayer  les  habitants  de  la  Nouvelle-Orléans.  En  attendant, 
le  galant  auteur  de  l'amendement  Fenner  a  reçu  un  bouquet  énorme  de 
fleurs  artificielles  offert  par  les  modistes  de  la  Nouvelle-Orléans. 

PARIS   ET  DEPARTEMENTS 

L'Opéra-Gomique  ne  rouvrira  ses  portes  que  le  IS  septembre  au  lieu 
du  1"'.  La  cause  de  ce  retard  provient  des  travaux  de  réfection  que  l'on  a 
été  obligé  de  faire  sur  la  scène  et  surtout  dans  la  salle.  On  avait  tout 
d'abord  voulu  réparer  les  deux  escaliers  du  public,  mais,  au  cours  des  ré- 
parations, on  s'est  aperçu  qu'il  fallait  refaire  en  entier  ces  deux  escaliers. 
Malgré  touie  la  diligence  de  l'architecte  de  la  Ville,  M.  Auburtin,  il  a  été 
impossible  de  terminer  plus  loties  travaux,  mais  on  est  certain  d'être  prêt 
pour  le  1.5. 

—  Nos  directeurs  de  théâtres  subventionnés  voyagent.  M.  Bertrand  est 
rentré  à  Paris,  vendredi  dernier,  revenant  de  Bayreuth  où  il  avait  été  voir 
les  Maîtres  chanteurs,  et  M.  Carvalho,  après  la  saison  qu'il  fait  en  ce  moment 
à  Contrexéville,  se  rendra  à  Munich  où  il  verra  représenter  Don  Juan,  re- 
présenté dans  sa  version  originale. 

—  L'Opéra  a  joué  14  fois  dans  le  courant  de  juillet  1896  et  encaissé 
230.355  francs,  ce  qui  donne  le  chiffre  de  16.453  francs  par  représentation. 

—  M"«  Guiraudon,  premier  prix  d'opéra  et  d'opéra-comique  aux  derniers 
concours  du  Conservatoire,  est  engagée  à  l'Opéra-Comique,  ainsi  que 
M.  Gresse  fils.  A  l'Opéra,  on  prendra,  parmi  les  lauréats,  MM.  Sizes  et 
Beyle. 


—  Le  ministre  des  beaux-arts  a  demandé,  selon  l'usage,  à  l'administra- 
teur de  la  Comédie-Française,  s'il  était  dans  l'intention  d'engager  un  des 
lauréats  du  Gonserv'atoire  de  cette  année.  On  sait  qu'en  effet  la  Comédie- 
Française  a  le  droit  de  préemption.  M.  Claretie  a  répondu  qu'il  n'engage- 
rait personne  cette  année  tout  en  réservant  pour  l'avenir  le  droit  de  la 
Comédie. 

—  D'autre  part,  MM.  Ginisty  et  Antoine  ont  fait  dire  que  eux  aussi  n'en- 
gageraient aucun  lauréat,  en  dehors  de  ceux  qui  leur  seraient  imposés  par 
la  direction  des  Beaux-Arts. 

—  Enfin,  on  annonce  les  engagements  de  M'i=  Maille,  à  la  Porte-Saint- 
Martin,  et  de  M""  Nady,  à  la  Monnaie  de  Bruxelles. 

—  Mardi  dernier  a  eu  lieu  à  la  direction  des  Beaux-Arts,  ainsi  que 
nous  l'avions  annoncé,  la  mise  en  adjudication  des  travaux  de  couverture 
du  nouvel  Opéra-Comique.  Couverture!  Serait-ce  donc  déjà  la  fin  des  tra- 
vaux? Quoi  qu'il  en  soit,  les  travaux  semblent  avancer  pour  le  moment,  et 
la  grande  bâtisse  commence  à  prendre  tournure,  tout  au  moins  dans  les 
parties  en  bordure  des  rues  Favart  et  Marivaux,  où  les  murs  ont  atteint  la 
hauteur  du  toit.  La  façade  est  beaucoup  moins  avancée.  On  dit  que  la 
toiture  pourra  être  terminée  à  la  fin  de  la  présente  année  1896  et  qu'alors, 
on  s'occuperait  des  travaux  intérieurs. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  vient  de  terminer  la  partition  de  ballet  qu'il 
a  écrite  sur  un  livret  de  M.  J.-L.  Croze.  L'ouvrage,  qui  s'appellera  défini- 
tivement Javotte,  comporte  trois  tableaux,  et  la  représentation,  entr'actes 
compris,  ne  durera  pas  plus  d'une  heure.  Javotte  passera,  comme  nous 
l'avons  dit  déjà,  à  Bruxelles,  à  la  Monnaie,  fin  octobre  ou  commencement 
de  novembre. 

—  Tout  Paris  s'agite  depuis  que  l'arrivée  en  France  du  tsar  Nicolas  II 
est  officielle  et,  bien  entendu,  le  monde  musical  est  loin  de  rester  indiffé- 
rent au  mouvement  général.  M.  Joncières,  interwievé  par  un  de  nos  con- 
frères de  la  Patrie  qui  nous  en  donne  la  nouve,lle,  va  proposer  au  comité 
de  la  Société  des  compositeurs  de  mettre  au  concours  un  morceau  destiné 
à  fêter  la  présence  du  souverain  russe.  Il  est  aussi  fort  probable  que  la 
gouvernement  offrira  à  Sa  Majesté  une  soirée  de  gala  à  l'Opéra  et,  dans  ce 
cas,  nous  ne  pouvons  que  nous  ranger  à  l'opinion  du  Figaro  qui  trouve 
qu'il  serait  désirable  qu'on  fit  exclusivement  choix,  pour  cette  solennité 
des  ouvrages  français.  Ambroise  Thomas,  Gounod,  Massenet,  Reyer,  Saint- 
Saëns,  Delibes,  Widor  et  Vidal  sont  au  répertoire  avec  Hamlet,  Faust, 
Roméo  et  Juliette,  Tliàis,  Sigurd,  Salammbô,  Samson  et  Dalila,  Coppélia,  la  Kor- 
rigane et  la  Ualadetta.  A\ec  de  tels  éléments,  il  semble absolumentpossible 
de  composer  un  spectacle  qui  ne  doive  rien  à  l'art  étranger. 

—  M"' Marie  Van  Zandt  donnera,  dans  le  courant  du  mois  de  février  pro- 
chain, une  série  de  représentations  au  théâtre  de  Monte-Carlo. 

—  M.  Grisier  vient  d'engager  M.  Nerval  comme  régisseur  général  des 
Bouffes-Parisiens  et  des  Menus-Plaisirs.  C'est  là  un  très  excellent  choix, 
M.  Nerval  ayant  fait  amplement  ses  preuves  sur  les  scènes  les  plus  im- 
portantes de  la  province. 

—  Le  Jacques  Cullot  que  MM.  Henri  Gain  et  Adenis  frères  feront  repré- 
senter dès  la  rentrée,  au  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin,  contient  une 
partie  musicale  confiée  à  M.  Le  Rey.  M.  Le  Rey  a  déjà  fait  représenter,  au 
théâtre  des  Arts  de  Rouen,  plusieurs  ouvrages  dont  le  dernier  en  date  est 
la  Mégère  apprivoisée. 

—  Le  successeur  du  regretté  Salomé,  à  l'orgue  du  chœur  de  la  Trinité, 
est  M.  Claude  Terrasse,  maître  de  chapelle  et  organiste  de  RR.  PP.  Do- 
minicains d'Arcachon.  Comme  M.  Lacroix,  récemment  appelé  au  grand 
orgue  de  Saint-Merry,  M.  Terrasse,  qui  est  un  parfait  musicien,  s'est  sou- 
vent fait  remarquer  aux;  auditions  d'élèves  de  M.  Gigout.  Une  autre  très 
intéressante  élève  de  l'école  d'orgue  de  M.  Gigout,  M""  Germaine  Moutier, 
vient  de  se  faire  entendre  avec  un  vif  succès  dans  une  séance  à  la  cathé- 
drale de  Bayeux,  sur  un  des  beaux  instruments  de  Cavaillé-CoU. 

—  Dimanche  2  courant,  a  eu  lieu  au  théâtre  des  Batignolles,  sous  la 
présidence  de  M.  Beurdeley,  maire  du  VIII=  arrondissement,  la  distribution 
des  prix  de  l'Ecole  Classique  de  la  rue  de  Berlin.  M.  Chavagnat,  direc- 
teur de  l'Ecole,  a  fait  ressortir,  dans  une  allocution,  l'utilité  incontestable 
de  cet  établissement  qui,  en  dehors  de  la  modicité  du  prix  de  ses  cours, 
instruit  gratuitement  et  sans  aucune  subvention,  plus  de  60  boursiers, 
admis  chaque  année  au  concours.  Après  avoir  cité  les  noms  de  quelques 
élèves  de  l'Ecole,  engagés  à  l'Opéra-Comique,  à  l'Ambigu,  à  la  Porte- 
Saint-Martin,  etc.,  M.  Chavagnat  a  remercié  en  termes  chaleureux  toutes 
les  personnes  qui  ont  bien  voulu  jusqu'ici  prêter  leur  précieux  appui  à 
cette  œuvre  à  la  fois  artistique  et  philanthropique.  M.  Beurdeley  a  en- 
suite pns  la  parole  et  a  félicité  chaudement  le  directeur  de  l'Ecole  Clas- 
sique et  ses  collaborateurs  d'avoir  pu,  en  si  peu  de  temps  (6  ans  à  peine), 
sans  subvention,  obtenir  d'aussi  importants  résultats.  Il  a  ajouté  que  le 
moment  lui  paraissait  venu,  pour  l'Etat  ou  la  Ville  de  Paris,  de  s'intéresser 
à  une  œuvre  appelée  a  rendre  les  plus  grands  services.  Après  la  procla- 
mation des  récompenses,  qui  ne  comprenait  pas  moins  de  "S  lauréats,  les 
principaux  d'entre  eux,  tant  pour  la  musique  que  pour  la  déclamation,  se 
sont  fait  entendre  avec  un  très  vif  succès  dans  un  concert  des  plus  inté- 
ressants. 


2t)4 


LE  MENESTREL 


—  Le  Festival  de  l'Exposition  de  Rouen  consacré  aux  œuvres  de  Ben- 
jamin Godard  et  à  celle  de  M'"=  de  Grandval,  présente,  a  complètement 
réussi.  M°"=  Schmith,  M.  Paul  Séguy  et  l'excellent  orchestre  de  M.  Bru- 
ment,  ont  eu  une  large  part  du  succès. 

—  Marseille,  va  parait-il,  avoir  durant  la  prochaine  saison  théâtrale,  un 
Opéra  italien,  qui  s'installera,  vraisemblablement,  dans  la  salle  de  l'Al- 
hambra,  et  compte  jouer,  concurremment  avec  le  Grand  Théâtre,  pendant 
les  mois  d'hiver. 

—  La  Semaine  musicale  de  Lille  nous  apprend  que  M.  Lamnureux,  à  la 
tête  de  son  orchestre,  ira  donner  le  samedi  14  novembre  prochain,  à  huit 
heures  du  soir,  un  grand  concert  à  l'Hippodrome  de  Lille. 

—  A  l'église  de  Cabourg,  M.  Paul  Seguy,  s'est  fait  entendre  dans  le 
Pater  Noster,  de  Niedermeyer,  le  Credo,  de  Dumont,  et  VO  Sahdaris,  de 
J.  Faure  et  a  produit  une  grande  impression.  Le  même  artiste  a  prêté  son 
brillant  concours  au  concert  au  bénéBce  des  artistes  du  casino  d'Houl- 
gate  :  les  Trois  Soldats,  de  J.  Faure,  et  quelques  vieilles  chansons  ont  été 
acclamés. 

NÉCROLOGIE 

Un  accident  de  mise  en  pages  nous  a  empêchés  d'annoncer,  dimanche 
dernier,  la  mort  du  pauvre  Hippolyte  Lionnet,  qui,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre  n'a  survécu  que  peu  de  jours  à  son  frère.  Après  une  existe.ice 
intéressante,  dans  laquelle  l'amour  de  l'art  et  le  dévouement  à  son  prochain 
ont  tenu  !a  place  la  plus  importante,  ces  deux  frères,  qui  ne  s'étaient 
jamais  séparés,  reposent  l'un  auprès  de  l'autre  dans  une  tombe  commune. 


Ils  laissent  à  tous  ceux  qui  les  ont  connus  le  souvenir  de  deux  braves 
gens  qui  n'ont  pas  été  tout  à  fait  inutiles,  et  à  qui  les  amateurs  d'un  art 
secondaire  sans  doute,  mais  aimable  et  délicat,  ont  du  d'agréables  jouis- 
sances. C'étaient  deux  braves  cœurs,  chez  qui  la  bonté  s'unissait  au  talent. 
On  sait  qu'ils  ont  laissé  sous  ce  titre  :  Souvenirs  et  Anecdotes  (Ollendorff, 
18S8,  in-12),  un  petit  volume  qui  ne  manque  ni  d'intérêt  ni  de  renseigne- 
ments curieux.  A.  P. 

—  A  Orsay  est  morte,  cette  semaine,  dans  un  âge  avancé,  une  femme 
distinguée,  d'origine  étrangère,  qui  s'était  fait  remarquer  par  l'élégance  et 
la  facilité  avec  laquelle  elle  maniait  la  langue  française.  M"'°  Camille  Sel- 
den,  qui  dans  sa  jeunesse  avait  vécu  dans  l'intimité  de  Henri  Heine, 
avait  publié  divers  ouvrages  parmi  lesquels  un  roman  intitulé  Daniel 
Vlaihj,  histoire  d'un  musicien,  et  une  Étude  sur  Mindclssohn. 

—  Nous  avons  à  enregistrer  la  mort  à  Paris  d'un  pasteur  qui  s'est  fait 
remarquer  par  plus'.eurs  ouvrages  solides  sur  le  protestantisme  français, 
Emmanuel  Orentin  Douen,  qui  était  né  à  Templeux-le-Guérard  (Somme), 
le  2  juin  1830.  L'un  des  plus  importants  de  ces  ouvrages  est  un  livre 
intitulé  Clément  Marot  et  le  Psautier  huguenot  (Paris,  1878,  2  vol.  in-8°),  devenu 
rare  aujourd'hui. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

PIANO  Erard    demi-queue   à    vendre    dans    de    bonnes    conditions.  — 
S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2^'^,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'%  éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 

CH.    NEUSTEDT 


BLUETTES  MUSICALES 


SOLOS   DE   CONCOURS 


(faciles) 

1 .  Gavotte  du  Bon  'Vieus  Temps 3 

2.  Andantino  de  Sonatine 3 

3.  Menuet  d'Eofants 3 

4.  Deuxième  Thème  varié 3 

g.  Kondo  brillant •   •  3 

6.  Chasse  à  courre 3 

7.  Simple  Chanson 3 

8.  Menuet  du  Petit  Trianon 3 

9.  Chanson  hongroise 3 

10.  Souvenir  d'Enfance 3 

11.  Rondo  de  Sonatine 3 

12.  Ronde  de  Nuit 3 

13.  Berceuse  de  Bébé 3 

14.  Les  Cloches  du  Couvent 3 

15.  Tyrolienne  variée 3 

16.  Rondo  villageois 3 

17.  Petite  Peureuse 3 

18 .  Pavane  Pompadour 3 

•  19.  Canzonetta 3 

20.  Chanson  de  Chasse 3 


TRANSCRIPTIONS  CLASSIQUES 

1.  Romance  de  Wèber 3  7o 

2.  Sonatine  do  Beethoven 6     » 

3.  Les  Saisons  de  Haydn 5    » 

4.  La  Romanesca 4  bfl 

5.  Andante  de  Mozart 6    » 

G.  AUegro-Agitato  de  Me.ndelssoiin 6    » 

7.  Chaconae  de  Haendel S    » 


COURS  DE  PIANO 


ELEMENTAIRE    ET    PROGRESSIF 

1.  Méthode  de  Piano 12 

2.  Récréations  classiques  et  six  Études 9 

3.  Gymnastique  d;s  Pianistes 9 

4.  Le  Progrès  (vingt-cinq  études  pour  les  pctiles  mains) 12 

b.  Vingt-cinq  Etudes  de  Mécanisme 12 

6.  Vingt-cinq  Etudes  de  Vélocité Ig 

7.  Vingt-cinq  Etudes  Variations  classiques 12 

8.  Préludçs  Improvisations  (!*'  Livre) 6 

9.  Préludes  Improvisations  '2'  Livre) g 


PIECES  MUSICALES 

SOLOS     DE     CONCOURS 

(faciles) 

1.  Gavotte  de  la  Grand'maman 3 

2.  Adagietto 3 

3.  Minuettino 3 

4.  Mascarade 3 

b.  Les  Arlequins 3 

6.  Les  Polichinelles 3 

7.  Les  Colombines 3 

8.  Les  Pierrettes 3 

9.  Choral 3 

10.  Dimanche , 3 

1 1 .  Chanson  Vénitienne 3 

12.  Les  Binious : 3 

13.  Berceuse 3 

14.  Valse  Expressive 3 

i5.  Havanaise » 

16.  Conte  d'Enfant 3 

17.  Rondinetto 3 

18.  Petite  Rêverie 3 

19.  Pastorale 3 

20.  Mélodie  Espagnole , 3 


PENSÉES  MUSICALES 


1.  Pavane  

2.  Chanson  d'autrefois. 

3.  Sérénade  espagnole  . 
i.  Gigue. 


5.  Simple  Mélodie b 

6.  Chaconne b 

Conceitino  (Solo  de  Concours) 5 

Sonatine  d" S 

Thème  varié  d"  b 

Première  Rêverie 5 

Deuxième  Nocturne S 

Primavera  {l"  Idylle) b 

Fête  des  fiançailles b 

La  Ballerina  (Air  de  ballet) b 

Harpe  éolienne 6 

Carillon  de  Louis  XIV b 

u  »  à  quatre  mains 7 

B  »      Orchestre  complet  net 2 

Pavane,  Orchestre  net 2 

Romance  de  Gaiiat E> 

Marche  de  Rakocsy S 

)i  »        à  quatre  mains 7 

Fantaisie  sur  Obéron 7 

Fantaisie  sur  Sylcana 7 


ihphiheiue  CEniLUE  DES  cnEnns  de  fbr.  —  mpRiMEiuE  eaux,  i 


E,  !0. 


3443.  —  62" 


—  I\°  34. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


DiniaDche  23  Août  1890. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  me  Vivienne) 
(Les  maiiuicrils  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  nou,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auLeur^.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉ^A^TKES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Tente  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  l'r.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étrr.iiger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEITE 


J.  La  première  salle  Favart  et  lOpéra-Comique,  4"  partie  (15*  et  dernier  article), 
Arthur  Pougin.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  Autour  d'une  traduction,  H.  M.  — 
III.  Musique  et  prisons  (14"  article)  :  Prisons  révolutionnaires,  Paul  d'Estrée. 
—  IV.  Journal  d'un  musicien  (2*  article),  A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour: 

SÉRÉNADE     FLORENTINE 

mélodie  d'EnNEST  Moret,  poésie  de  J.  Lahor.  —  Suivra  immédiatement  : 
Atlente,  mélodie  de  Cesare  G.aleotti,  poésie  de  M.  de  Moruna. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique   de 
piano  :   Pastorale,  de  Ch.    Grisart.   —  Suivra  immédiatement  :  Femmes  et 
Fleurs,  de  Paul  Wachs. 


LA   PREMIÈRE    SALLE    FAVART 

ET 

L'OPÉRA-COMIQUE 

1801-1S38 


QUATRIEME  PARTIE 
II 

(Suite  et  fin.) 

Cependant,  les  derniers  travaux  louchaient  à  leur  fin.  Le 
vendredi  8  mai,  l'Opéra-Gomique  affichait,  pour  la  première 
fois  depuis  sa  fermeture  à  la  place  de  la  Bourse,  et  il  annon- 
çait sa  réouverture  et  l'inauguration  de  la  nouvelle  salle 
pour  le  lundi  11.  Mais  tout  n'était  pas  encore  prêt,  et  l'on  dut 
informer  le  public  que  la  solennité  était  remise  au  14.  C'est 
la  veille  de  ce  jour,  le  mercredi  13,  que  le  préfet  de  police 
faisait  au  théâtre  sa  visite  administrative  et  que,  après  un 
examen  minutieux,  il  recevait  officiellemeni,  la  salle,  qui, 
dès  lors,  pouvait  appeler  à  elle  les  spectateurs.  Ce  n'est 
pourtant  que  le  samedi  16,  qu'eut  enfin  lieu  l'inauguration. 
Elle  se  fit  par  une  représentation  du  Pré  aux  Clercs,  donnée  au 
profit  des  pauvres  du  deuxième  arrondissement,  qui  était 
alors  celui  dont  dépendait  l'Opéra-Comique,  Chose  assez  sin- 
gulière :  malgré  une  fermeture  qui  durant  quinze  jours  avait 
privé  le  public  d'un  théâtre  qu'il  a  toujours  eu  en  grande 
affection,  malgré  l'attrait  que  pouvait  lui  offrir  la  vue  d'une 
nouvelle  salle,  celle-ci  était  peu  garnie  à  cette  représentation 
d'ouverture.  On  pourrait  croire  avec  quelque  raison  que 
l'élévation  excessive  du  prix  des  places,  qui  avait  été   mala- 


droitement doublé  pour  la  circonstance,  avait  refroidi  l'em- 
pressement de  nombre  de  spectateurs;  mais  le  lendemain, 
qui  pourtant  était  un  dimanche,  et  où  les  prix  étaient  rétablis 
à  leur  cours  normal,  ne  fut  pas  plus  heureux.  C'est  un 
journal  spécial,  le  Moniteur  des  Th/Mlres,  qui  nous  le  fait  savoir 
en  ces  termes  : 

La  représentation  d'ouveituie  de  la  salle  Favart  a  eu  lieu  samedi 
par  lePré  aux  Clercs.  Lareprésentation  était  au  bénéfice  des  indigents 
du  deuxième  arrondissement.  Elle  n'a  pas  attiré  autant  de  specta- 
teurs qu'on  l'espérait,  mais  elle  n'en  a  pas  moins  été  remarquable. 
On  a  applaudi  généralement  au  choix  de  l'œuvre  d'Herold  pour  inau- 
gurer le  nouveau  temple  que  possède  aujourd'hui  la  capitale  (1). 
Dimanche,  le  spectacle  se  composait  de  la  Perruche,  cette  amusante 
folie  dans  laquelle  ChoUet  et  M"°  Prévost  savent  occuper  la  scène 
avec  tant  d'esprit  et  de  bonheur,  et  de  Caiiine.  Bien  que  ce  spectacle 
fut  attrayant,  il  y  avait  peu  de  monde  dans  la  salle. 

Toutefois,  le  public  ne  se  fit  pas  longtemps  prier  pour  re- 
prendre le  chemin  de  la  salle  Favart  et  de  l'Opéra-Gomique, 
de  cet  Opéra-Comique  qui  lui  était  cher  et  qu'il  retrouvait 
enfin  dans  un  théâtre  et  dans  un  milieu  dignes  de  lui,  après 
l'avoir  vu  exilé  successivement  à  Feydeau,  puis  à  Ventadour, 
puis  à  la  Bourse,  tandis  que  la  salle  qui  avait  été  construite 
pour  lui  soixante  ans  auparavant  avait  abrité  tour  à  tour  l'Opéra, 
l'Odéon,  le  Théâtre-Italien  et  nombre  de  troupes  étrangères. 
Sur  les  ruines  de  cette  salle,  dévorée  parles  flammes  en  une 
nuit  d'hiver,  on  lui  avait  élevé  une  nouvelle  demeure  (qui 
devait, hélas!  subirleméme  sort),  et  ses  spectateurs  ordinaires 
n'allaient  par  tarder  à  lui  revenir,  nombreux  et  fidèles, 
attirés  par  une  excellente  administration  dont  les  efforts  in- 
telligents allaient,  après  tant  d'années  difficiles,  lui  rendre 
une  existence  brillante  et  prospère. 

La  troupe  de  l'Opéra-Comique,  au  moment  où  Crosnier  pre- 
nait possession  de  la  nouvelle  salle  construite  par  ses  soins, 
était  ainsi  composée  : 


MM.  Chollet. 

M°'"  Damoreau. 

Moreau- 

Sainti. 

Rossi-Caccia. 

Roger. 

Eugénie  Garcia. 

Couderc 

Anna  Thillon. 

Masset. 

Boulanger. 

Mocker. 

Darcier. 

Euzel. 

Zoé  Prévost. 

Botelli. 

Henri  Potier. 

Emon. 

Félix  Melotte. 

Sainte-Foy. 

Bei-thault. 

Daudé. 

Blanchard. 

Henri. 

Lestage. 

(1)  Le  Pré  aux  Clercs,  dont  la  distribution  avait  été  renouvelée  pour  la  circuns- 
tance,  était  joué  par  Roger  (Mergy),  Moreau- Sainti  (Comminges),  Mocker  (Can- 
tarellii,  Henri  (Girot),  et  M-''  Rossi  (Isabelle),  Zoé  Prévost  (Marguerite)  et  Henri 
Potier  (Nicette). 


266 


LE  MENESTREL 


MM.  Bicquier. 
Grignon. 
Haussard. 
Duchenet. 
Victor. 
Palianti. 

Cette  troupe  remarquable  allait  s'augmenter,  dans  le  cou- 
rant de  l'année,  de  trois  jeunes  femmes  charmantes  sortant 
du  Conservatoire,  M"=  Descot,  qui  débuta  au  mois  d'août, 
M"=  Henry  le  30  octobre,  et  M"«  Révilly  le  10  décembre.  Si 
les  deux  premières  n'ont  guère  laissé  de  traces  de  leur  pas- 
sage, la  dernière  a  fourni  à  l'Opéra-Comique  une  des  carrières 
non  seulement  les  plus  distinguées,  mais  les  plus  longues 
qu'on  y  puisse  enregistrer,  car  cette  carrière  ne  s'est  pas  pro- 
longée pendant  moins  de  trente-cinq  ans  (1). 

Avec  un  personnel  aussi  brillant  que  celui  que  je  viens  de 
rappeler,  avec  un  orchestre  excellent  dirigé  par  un  chef  tel 
que  Girard,  que  secondaient  Henri  Potier  comme  chef  du 
chant  et  Génot  comme  chef  des  chœurs,  avec  les  nouvelles 
œuvres  qu'il  tenait  en  réserve  et  qui  étaient  signées  des  noms 
d'Auber,  Halévy,  Adolphe  Adam,  Ambroise  Thomas,  Grisar, 
Clapisson,  l'Opéra-Comique,  définitivement  reconstitué,  logé 
somptueusement  et  enfin  dans  ses  meubles,  pouvait  affronter 
résolument  l'avenir  et  l'envisager  sans  crainte.  Cet  avenir 
promettait  d'être  brillant,  et  il  le  fut  presque  constamment 
jusqu'au  jour  où  un  nouveau  désastre,  plus  terrible  et  plus 
cruellement  dramatique  que  le  premier,  vint  une  seconde  fois 
détruire  cette  pauvre  salle  Favart  que  nous  avons  tant  de 
peine,  après  tantôt  dix  années,  à  voir  relever  de  nouveau. 

J'ai  voulu,  dans  ces  pages,  retracer  tout  à  la  fois  et  le 
second  chapitre  de  son  existence  pendant  tout  le  temps  que 
l'Opéra-Comique  s'en  est  trouvé  éloigné  par  les  circonstances, 
et  l'histoire  même  de  l'Opéra-Comique  durant  cette  période  si 
troublée,  si  difficile,  parfois  si  douloureuse  de  sa  longue 
carrière.  A  défaut  d'autre  mérite,  je  crois  que  ce  double 
récit  est  aussi  exact  et  aussi  complet  qu'il  était  possible  de 
le  faire. 

FIN  Arthur  Pougin. 


SEMAINE    THEATRALE 


AUTOUR  D'UNE  TRADUCTION 
M.  Louis  Pilate  de  Brinn'Gaubast  (Ajax)  continue  son  œuvre  d'é- 
claircissement ou  peut-être  mieux  d'assainissement  des  poèmes  de 
Richard  Wagner.  Comme  il  avait  fait  pour  les  quatre  poèmes  de  la 
Tétralogie,  il  vient  de  consacrer  son  temps  et  ses  veilles  à  démêler  à 
son  tour  celui  des  Mallres  Chanteurs.  Il  nous  en  donne  une  traduction 
nouvelle  (un  vol.  in-8°  chez  Dentu),  sorte  de  traduction  libre  où  i! 
rogne  et  ajoute  tout  à  son  aise  pour   la  meilleure  compréhension  de 

(1)  M'"  Clarisse  Henry,  dont  on  vient  de  lire  le  nom,  était  une  chanteuse  fort 
aimable,  et,  comme  femme,  douée  d'une  rare  beauté.  Son  histoire  est  touchante. 
Devenue  peu  de  temps  après  ses  débuts  l'épouse  de  son  camarade  Sainte-l'oy 
l'excellent  trial,  elle  quitta  presque  aussitôt  la  scène,  mais  prit  l'habitude  d'ac- 
compagner son  mari  chaque  soir  au  théâtre,  pour  l'aider  à  s'habiller.  Un  jour, 
sous  un  prétexte  quelconque,  celui-ci  lui  dit  :  e  Tu  ne  viendras  pas  ce  soir 
avec  moi  »,  et  jamais  il  ne  remit  les  pieds  chez  lui.  Dès  le  lendemain  il  était  en 
ménage  avec  une  autre  de  ses  camarades.  M"'  T...  Point  de  bruit,  point  de  scan- 
dale, aucune  réclamation  delapart  de  la  pauvre  jeune  femme  abandonnée,  qui 
d'ailleurs  espérait  toujours  le  retour  de  l'infidèle.  Plus  tard  un  notaire  intervint 
et  obtint  à  l'amiable,  de  Sainte-Foy,  qu'il  ferait  à  sa  femme  une  pension,  laquelle 
ne  fut  jamais  payée.  M"'  Sainte-Foy,  restée  seule  ainsi,  vécut  alors  avec  sa 
sœur.  M"'  Laure  Henry,  chanteuse  comme  elle.  Toutes  deux  donnaient  des 
leçons,  toutes  deux  entrèrent  dans  les  chœurs  de  la  Société  des  concerts,  me- 
nant une  existence  aussi  modeste  que  tranquille.  L'une  et  l'aulre  se  retirèrent 
de  la  Société  des  concerts  en  1870,  et  avec  le  reliquat  qui  leur  en  revenait  elles 
achetèrent  à  Barbizon  une  maisonnette  oii  elles  s'installèrent  définitivement  et 
où,  —  fait  touchant  —  M""  Sainte-Foy  aménagea  une  chambre  destinée  à  son 
mari,  en  disant  que  s'il  revenaitjamais  il  serait  toujours  le  bien  reçu  etaccueilli 
à  bras  ouverts.  Lui,  pendant  ce  temps,  partait,  toujours  avec  M""  T.,.  (qu'il  fai- 
sait passer  pour  sa  femme  et  qui  portait  son  nom,i  pour  la  Kussie,  où  il  n'obtint 
point  de  succès  et  d'où  il  revint  s'échouer  aux  Folies-Dramatiques,  où  il  ne  fut 
pas  plus  heureux.  On  sait  qu'il  mourut  à  Neuilly  le  1"  avril  1877.  Quant  à  sa 
femme,  qui  excusa  toujours  sa  conduite  envers  elle  en  la  mettant  sur  le  compte 
d'une  étonnante  faiblesse  de  caractère,  elle  est  morte  à  Barbizon  au  mois  de 
janvier  1896. 


l'idée.  Ceci  s'éloigne  terriblement  du  mot  à  mot  farouche  de  M.  Alfred 
Ernst  et  cela  n'en  a  que  plus  de  grâces  et  d'élégance. 

Hâtons-nous  d'ajouter  que  cette  traduction  émolliente  n'a  nullement 
la  prétention  de  s'adapter  sous  la  musique.  Vous  me  demanderez 
alors  à  quoi  elle  peut  bien  servir.  Mais  simplement,  je  vous  l'ai  dit, 
à  éelaircir  certaines  obscurités  du  texte,  à  en  faire  disparaître  les 
rugosités  et  à  présenter  le  tout  sous  des  dehors  aimables  et  nou  ré- 
barbatifs. C'est  à  la  fois  une  œuvre  pie  et  une  œuvre  d'humanité, 
destinée  à  amadouer  les  novices  et  à  les  mener  peu  à  peu,  par  des 
sentiers  fleuris,  au  chemin  plus  rude  et  plus  abrupt  de  la  vraie  parole. 
C'est  du  Wagner  facilité  à  l'usage  des  petites  gens,  non  encore  ini- 
tiés et  préparés  à  tout. 

Et  il  n'y  a  pas  qu'une  traduction  dans  le  nouveau  volume  de 
M.  Louis  Pilate  de  Brinn'Gaubast.  Comme  vous  devez  bien  vous  ima- 
giner, il  s'y  trouve  encore  nombre  de  commentaires  pour  expliquer 
cette  traduction,  qui  bien  qu'explicative  par  elle-même,  ne  le  serait 
pas  encore  suffisamment,  paraît-il,  sans  les  notes  innombrables  qui 
l'accompagnent  et  qui  prennent  plus  de  place  que  le  texte  même. 
Ah  !  ce  n'est  pas  des  œuvres  de  Wagner  qu'on  peut  dire  qu'elles  se 
passent  de  commentaires!  C'est  devenu  une  véritable  carrière  pour 
beaucoup  que  d'épiloguer  sur  chaque  mot  et  sur  chaque  croche  du 
maître  allemand,  vaste  association  où  chacun  vit  du  mieux  qu'il 
peut  des  reliefs  du  grand  homme  et,  pauvre  grelottant,  se  réchauffe 
aux  rayons  de  sa  gloire. 

Il  faut  lire  ces  notes  curieuses  du  volume  de  M.  Brinn'Gaubast  pour 
savoir  tout  ce  qu'on  peut  trouver  d'états  d'âme  dans  un  simple  éter- 
nuement  du  cordonniet  Hans  Sachs.  E(,  s'il  vous  donne  le  bonjour,  il 
ne  faudrait  pas  croire  qu'il  y  a  là  seulement  le  bonjour  de  tout  le 
monde.  Oh!  non;  c'est  un  bonjour  qui  a  des  ramifications  profondes 
avec  l'histoire  des  peuples,  un  bonjour  philosophique  plein  de  des- 
sous et  de  mystères.  Quelle  rage  de  vouloir  ainsi,  en  matière  artis- 
tique, disséquer  son  propre  plaisir  et  en  rechercher  les  raisons  algé- 
briques par  A  -f-  B,  au  lieu  d'en  jouir  tout  franchement  sans  ergoter, 
comme  on  prend  le  soleil  qui  nous  vient  du  ciel  !  Pour  nous,  nous 
nous  refusons  à  croire  que  Wagner  ait  pense  à  tant  de  billevesées  en 
composant  ses  chefs-d'œuvre,  et  il  faut  qu'il  soituubien  grand  musi- 
cien pour  résister  au  ridicule  dont  on  essaie  de  le  couvrir. 

Nous  disons  un  bien  grand  musicien,  car  après  comme  avant  l'ai- 
mable traduction  de  M.  Brinn'Gaubast  il  ne  nous  apparaît  pas  comme 
un  bien  grand  poète,  dans  la  stricte  acception  du  moi.  Et  nous  trou- 
vons un  peu  osé  de  le  vouloir  mettre  à  côté  de  Shakespeare,  — ■  c'est 
dit  quelque  part.  Admettons  le  livret  des  Maîtres  Chanteurs,  puisqu'il 
sert  souvent  de  prétexte  à  d'admirable  musique,  mais  cette  histoire 
ua'ive  de  cordonnerie  et  de  coucours  d'orphéons  mélangés,  encore 
qu'elle  ne  soit  pas  autrement  désagréable,  n'a  rien  qui  puisse  nous 
transporter  et  il  nous  est  impossible  d'y  voir  le  dernier  mot  de  l'art 
dramatique. 

N'oublions  pas  qu'il  y  a  aussi,  à  côté  du  commentaire  littéraire, 
un  autre  commentaire  musical  de  M.  Edmond  Barthélémy,  qui  suit 
pas  à  pas  la  nouvelle  traduction  et  nous  guide  à  travers  les  motifs 
conducteurs  de  la  partition,  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  se  présentent. 
C'est  ainsi  que  les  thèmes  de  la  «  Sagesse  humaine  »  de  «l'Entrain 
au  travail  »,  du  «Souvenir  de  la  jeunesse  »,  de  «  l'Impétuosité  juvé- 
nile »,  de  «  l'Interrogation  d'amour  »,  du  «  Don  de  soi-même  »,  etc., 
etc.,  n'ontplusde  secretpour  nous.  C'est  donc,  au  résumé,  un  livre  qui 
a  son  utilité  que  celui  de  M.  Louis  Pilate  de  Brinn'Gaubast,  et  c'est 
comme  tel  quenousavons  cru  devoir  le  recommander  au  lidèle  lecteur. 

H.  M. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

PRISONS  RÉVOLUTIONNAIRES 
II 

(Suite) 

Ce  qui  rendait  ces  exécutions  non  moins  illogiques  que  barbares 
c'était  qu'une  partie  des  victimes,  marquées  pour  la  guillotine,  se 
composait  de  républicains  sincères,  de  citoyens  désintéressés,  de 
patriotes  honnêtes  et  convaincus.  L'adversité  n'avait  pas  ébranlé  leur 
foi  dans  l'avenir  du  pays,  ni  diminué  leur  amour  pour  la  France.  Et 
ils  ne  laissaient  échapper  aucune  occasion  d'aflirmer  l'une  et  l'autre. 

Le  jour  oii  tous  les  instruments  de  musique  furent  retirés  aux  hôtes 
de  la  Conciergerie,  ceux-ci  chantèrent  soir  et  matin,  en  chœur,  des 
hymnes  patriotiques:  ils  appelaient  cet  hommage  à  la  nation  «  la 
prière  ». 


LE  MENESTREL 


267 


Les  fêtes  et  les  gloires  de  la  France  ne  leur  étaient  pas  indiffé- 
rentes. L'auteur  anonyme,  dont  le  manuscrit,  dédié  à  Madame  Carvalho, 
nous  raconte  le  séjour  à  la  Bourbe,  nous  dit  que  la  fête  de  l'Être  su- 
prême y  fut  célébrée  presque  solennellement. 

[1  y  eut  dans  le  réfectoire  un  concert  de  cinq  ou  six  instruments  et  trois 
ou  quatre  voix.  Madame  Béthizy,  une  jeune  personne  qui  a  une  voix  char- 
mante et  cultivée,  chanta  un  hjmne  de  la  composition  de  Vigée  et  dont  la 
musique  était  de  M.  Leclerc,  un  de  nos  violons. 

La  reprise  de  Toulon  sur  les  Anglais  fut  accueillie  et  chantée  dans 
les  prisons  avec  un  enthousiasme  indescriptible. 

Le  Journal  de  Paris  mentionne  1'  «  Ode  patriotique  sur  la  prise  de 
Toulon  par  les  Français,  paroles   du  citoyen  Fontaine,  instituteur, 
musique  du  citoyen  Boulleux,  tous  deux  détenus  au  Luxembourg.  » 
La  Conciergerie  trouva  aussi  son  poète  pour  célébrer  cette  victoire 
nationale:  voici  l'un  des  couplets  de  cette  pièce  de  circonstance. 
Air  :  Où  courent  ces  peuples  égarés 
Chantons  nos  immortels  succès; 
Prisonniers,  connaissez  l'allégresse; 
Dans  les  fers  nous  sommes  Français  ; 
Il  a  fui  l'insolent  Anglais. 
Toulon,  cité  lâche  et  traîtresse, 
Reçois  le  prix  de  tes  forfaits  ; 
Pleure  ton  infamie 
Ah  !  ah  !  quand  on  est  Français,  chango-t-on  de  patrie  ?  (bis). 

A  Sainte-Pélagie  la  joie  et  l'exubérance  n'étaient  pas  moins  vives. 
Le  poète  Roucber  nous  en  donne  un  pittoresque  tableau  dans  cette 
touchante  correspondance  qu'il  entretenait  du  fond  de  son  cachot 
avec  sa  famille  et  surtout  sa  bien-aimée  fille. 

La  nouvelle  de  la  prise  de  Toulon  a  mis  en  mouvement  toutes  les  verves 
poétiques  qui  bouillonnent  dans  Sainte-Pélagie.  Cinq  ou  six  chansons, 
que  bonnes,  que  mauvaises,  à  l'ouverture  des  corridors,  ont  inondé  le 
mien.  Toutes  les  voix  chantaient, glapissaient,  détonnaient:  c'était  à  qui 
mieux  mieux.  Georges,  Pitt,  Cobourg,  BeauUeu,  anglais,  espagnols,  napo- 
litains et  piémontais  ont  été  salués  à  l'envi  l'un  de  l'autre.  Le  grand 
poêle  était  le  point  de  ralliement,  d'où  partait  par  éclats  de  musique  et  de 
rire  la  joie  chantante  qui  saluait  la  patrie.  J'étais  au  bord  de  cette  ile 
sonnaille  partageant  l'allégresse  commune  au  fond  du  cœur,  mais  n'y  pre- 
nant aucune  part  active. 

Peut-être  Roucber  avait-il  le  pressentiment  du  sort  qui  l'attendait. 
La  même  tombe  devait  se  refermer  sur  lui  et  sur  son  ami  André 
Chénier,  quelques  jours  seulement  avant  la  chute  de  Robespierre. 
Après  le  9  thermidor,  des  fanfares  et  des  chants  éclataient  encore  à 
la  porte  des  prisons  ;  mais  ce  n'étaient  ni  la  Carmagnole,  ni  des  cris  de 
mort.  Les  détenus  sortaient  en  masse  aux  acclamations  répétées 
de  :  «  Vive  la  Convention  !  »  pendant  que  les  orchestres  en  plein 
veni,  accompagnant  des  voix  humaines,  répétaient  à  l'envi  les 
hymnes  patriotiques,  telles  que  la  Marseillaise,  le  Chant  du  départ  et 
d'autres  compositions  de  Méhul. 

Cependant  les  prisons  n'avaient  pas  lâché  complètement  leur  proie: 
quelques-uns  de  leurs  pensionnaires  restaient  encore  sous  les  ver- 
rous, comme  nous  l'apprend  l'auteur  des  Soimenb-s  d'un  jeune  prison- 
nier, mais  celui-ci,  «  rendu  à  l'espérance,  chantait  l'amour  »  et  la 
romance  qu'il  avait  écrite  «  en  se  préparant  à  la  mort  »  fit  ses  déli- 
ces dans  cette  sorte  de  résurrection.  Il  prévient  obligeamment  le  lec- 
teur que  Dreux  a  composé  la  musique  de  cette  romance  «  avec 
accompagnement  de  harpe  et  de  forte  »  et  que  le  tout  se  vend  «  chez 
Frère,  passage  du  Saumon.  »  Nous  n'en  connaissons  que  les  paroles, 
la  dernière  des  pauvretés.  L'auteur  des  Souvenirs  affirme  que  la 
musique  en  était  ravissante  ;  et  nous  le  croyons  volontiers  :  car  il  est 
bien  certain  que,  sauf  de  rares  exceptions,  les  compositions  musi- 
cales de  l'époque  révolutionnaire  sont  infiniment  supérieures  aux 
poèmes  dont  elles  se  sont  inspirées. 

En  voici  une  autre  preuve.  On  sait  si  la  partition  des  Visitandines 
est  délicate  et  gracieuse.  Eh  bien  !  Gouzze  de  Rougeville  • —  le  vrai 
chevalier  de  Maison-Rouge  —  eut  la  cruauté  d'en  adapter  un  air  à 
la  plus  maussade  romance  qui  se  puisse  imaginer.  «  Je  l'ai  fait  im- 
primer à  la  Conciergerie  »,  écrit-il.  (Il  y  était  incarcéré  en  1796.) 
Nous  ne  citerons  qu'un  couplet  de  cette  lamentable  poésie,  antithèse 
du  fameux  sonnet  du  Misanthrope. 

Amis,  qui  souffrez  pour  l'honneur. 

Dont  l'infortune  est  le  partage. 

Ah  !  c'est  assez  dans  le  malheur, 

Quand  on  ne  perd  pas  le  courage. 

Nos  oppresseurs  et  nos  tyrans 

Ne  craignent  que  notre  constance. 

S'il  faut  encore  souffrir  longtemps, 

\h[  ne  perdons  pas  l'espérance. 


Ferrières-Sauvebaeuf,  ce  misérable  gentilhomme  qui  s'avilit  jusqu'à 
devenir  le  «  mouton  »  du  Comité  de  Salut  publie,  regretta  peut-être, 
dans  la  suite  de  sa  vie  aventureuse,  cette  prison  d'où  tant  d'autres 
sortirent  si  allègrement,  n'en  déplaise  à  la  prose  rimée  de  Rougeville. 
D'après  les  Mémoires  de  Beugnot,  Ferrières-Sauvebœuf  occupait  à  La 
Force  un  appartement  somptueux  qu'il  avait  fait  meubler  à  l'orientale 
et  011  il  élevait  des  rossignols  qui  chantaient  toute  la  journée. 

Mais  de  toutes  ces  captivités,  la  plus  courte  et  la  moins  triste  fut 
assurément  celle  du  chanteur  Garât,  le  soir  où  il  fut  emmené  par 
une  palrouille  au  violon.  Il  avait  laissé  chez  lui  sa  carte  de  sûreté, 
et  la  consigne  était  formelle.  Arrivé  au  corps  de  garde  il  eut  beau  se 
nommer;  personne  ne  voulait  le  croire. 

—  Prouvez-moi  votre  identité,  dit  l'officier  qui  commandait  le  poste. 
L'auteur  du  Iroubadour  en  prison  comprit  à  demi-mot,  et  chanta  la 

Gasconne,  c  Uu  soir  de  cet  automne  »,  une  autre  comnosition  qu'il 
avait  mise  à  la  mode. 

—  Ce  n'est  qu'une  demi-preuve,  objecta  l'officier. 

Garât  comprit  tout  à  fait;  et  bientôt  le  Champagne  pétillait  dans 
les  verres,  mais  Garât  n'en  avait  pas  moins  passé  sa  nuit  au  corps 
de  garde. 

En  province,  la  musique  était,  comme  à  Paris,  la  distraction  ordi- 
naire des  prisonniers.  Le  livre  de  M.  Taine,  Un  Séjour  en  France  de 
4792  à  1796  par  une  Anglaise,  nous  introduit  dans  un  couvent  d'Amiens 
devenu  maison  d'arrêt,  la  Providence,  où  nous  voyons  les  provinciaux 
se  livrer  aux  mêmes  occupations  que  les  Parisiens.  Tous  font  toilette 
et  se  rendent  visite  ;  puis  on  s'amuse  à  la  versification  ou  à  la  musique 
de  chambre.  Soudain  une  grande  émotion  gagne  de  proche  en  proche. 
Il  vient  d'arriver  au  corps  de  garde  un...  âne  chargé  de  violons  et  de 
sonates. 

Les  Mémoires  du  comte  Dufort  de  Cheverny  nous  donnent  le  croquis 
de  la  prison  de  Blois  en  1794  : 

M.  de  Rancogne,  jouant  du  violon,  fumant,  donnant  dans  les  sciences, 
dans  les  mathématiques  et  dans  la  physique,  se  détermine  à  faire  venir 
son  microscope  solaire.  En  deux  jours  notre  prison  prit  l'air  d'un  atelier 
de  musique  et  de  sciences.  Les  expériences  microscopiques  nous  prirent 
deux  heures,  et  nos  quatre  compagnons  y  assistèrent  régulièrement.  Gidouin 
jouait  assez  mal  du  violon;  faute  d'autre,  il  prit  le  second  violon,  et  lui  et 
M.  de  Rancogne  y  employèrent  une  heure  le  matin,  autant  le  soir. 

Passons  à  Troyes. 

La  Motte,  le  mari  de  la  fameuse  comtesse  que  nous  avons  entendue 
vocaliser  à  la  Bastille,  était  encore  dans  la  prison  de  Troyes  après  la 
chute  de  Robespierre.  Mais  ce  séjour  ne  lui  laissa  pas  des  souvenirs 
trop  désagréables,  s'il  faut  ajouter  foi  aux  Mémoires  de  cet  aven- 
turier. Il  s'y  trouvait  avec  de  riches  détenus,  entre  autres  la  marquise 
d'Héreault,  et  M"""  de  la  Huproie  et  de  Sainte-Maure  qui  lui  offraient 
de  fort  bons  dîners.  A  l'issue  de  ces  repas  où  les  vins  délicats  et  les 
liqueurs  fines  n'étaient  pas  épargnés,  commençaient  des  concerts  où 
chacun  payait  de  sa  personne. 

Ma  nièce,  ainsi  qu'une  demoiselle  Picarde,  dit  la  Motte,  faisaient  la 
partie  de  chant,  pendant  qu'un  nommé  Laberge,  premier  violon  de  Troyes, 
prisonnier  comme  nous,  et  moi  qui  avais  fait  venir  une  harpe,  nous  les 
accompagnions  sur  nos  instruments.  Quelquefois,  au  lieu  de  musique, 
nous  avions  une  séance  littéraire.  C'était  un  M.  de  Lagrange  qui  en  faisait 
les  honneurs  en  lisant  les  meilleures  tragédies  et  les  comédies  les  plus 
estimées... 

A  Vendôme,  le  spectacle  change;  ce  n'est  plus  de  la  musique  de 
chambre,  calme,  douce  et  pondérée,  comme  la  comprenaient  les 
amateurs  du  temps. 

C'est  la  muse  des  faubourgs  qui,  dans  le  costume  et  dans  l'allure 
prêtée  par  l'iairbe  farouche  d'Auguste  Barbier  à  la  Liberté,  entonne 
la  Marseillaise  des  babouvistes,  ces  socialistes  de  la  première  Révo- 
lution. Babœuf  et  ses  amis  sont  enfermés  dans  les  prisons  de  Vendôme 
où  ils  attendent  leur  mise  en  jugement.  Une  femme  est  avec  eux,  qui 
soutient  leur  courage  par  ses  chants  de  haine  et  de  révolte  contre  la 
société.  Déjà,  Sophie  Lapierre,  à  la  lêle  d'un  groupe  de  femmes  qui 
s'étaient  affiliées  au  club  du  Panthéon,  était  venue  chaque  jour  y 
entretenir  les  espérances  et  l'ardeur  des  sectaires,  en  leur  prodiguant 
les  notes  chaudes  et  colorées  de  sa  belle  voix.  Elle  continua  son  apos- 
tolat musical  à  Vendôme.  Elle  chantait  aux  prévenus  qui  les  repre- 
naient en  chœur,  ces  strophes  composées  pour  la  République  des 
Égaux,  la  meilleure  peut-être  des  poésies  révolutionnaires  que  nous 
ayons  citées. 

Un  code  infâme  a  trop  longtemps 

Asservi  les  hommes  aux  hommes, 

Tombe  le  règne  des  brigands! 

Sachons  enfin  où  nous  en  sommes 


268 


LE  MENESTREL 


Tu  nous  créas  pour  être  égaux, 
Nature,  ô  bienfaisante  mère! 
Pourquoi  des  biens  et  des  travaux 
L'inégalité  meurtrière? 

Réveillez-vous  à  notre  voix 
Et  sortez  de  la  nuit  profonde. 
Peuples,  ressaisissez  vos  droits  : 
Le  soleil  luit  pour  tout  le  monde. 


(A  suivre.) 


Paul  d'Estrée. 


JOURNAL  D'UN  MUSICIEN 


FRAGMENTS 

(Suite.) 

...  Je  veux  bien  vite  répondre  à  votre  lettre,  et  vous  donner  un 
mot  d'explication  sur  cette  appréciation  qui  vous  a  déplu.  —  Vous 
voilà  contrarié  parce  que  j'ai  appelé  votre  cher  Delibes  l'héritier 
d'Herold  et  d'Auber.  Il  faut,  j'en  conviens,  un  vrai  courage  pour 
louer  l'un  et  l'autre  en  ce  temps.  Ce  courage  pourtant,  je  l'ai,  et, 
laissez-moi  vous  le  dire  bien  franchement,  quand  vous  vous  récriez, 
affirmant  qu'  «  (7  ij  a  dans  Lakmé  tout  le  contraire  du  Domino  noir  et 
d'Haydée  »,  c'est  vous,  malgré  votre  sens  si  fin  de  notre  art,  —  qui 
vous  trompez! 

Non,  La/,?n<' n'est  pas  «  toutle  contraire  »  àuDomino  Noir  elA'Haydée; 
si  nous  rencontrons  quelque  chose  de  plus  ici  que  là,  c'est  que  ce 
quelque  chose  est  dû  à  la  différence  des  temps. 

C'est  presque  un  lieu  commun  de  dire  que  tout  artiste,  si  personnel 
qu'il  soit,  subit  l'influence  de  l'air  ambiant.  Si  Auber  élait  notre 
contemporain,  à  coup  sûr,  écrirait-il  à  peu  près  comme  Delibes.  — 
L'œuvre  d'Ambroise  Thomas,  —  assez  heureux  pour  être  et  avoir 
été  le  confrère  de  l'un  et  de  l'autre  —  offre  un  curieux  exemple  de 
ce  que  peut  amener  de  modifications  dans  la  manière  d'un  auteur 
cette  influence.  Si  dissemblables  pourtant  que  soient,  en  apparence, 
te  Caïd,  le  Songe  d'une  nuit  d'été,  et  Mignon  ou  Hamlet  (aussi  dissem- 
blables qix'Haydée  et  Lakmé)  une  observation  attentive  y  reconnaîtra 
le  même  tempérament,  je  dis  plus,  la  même  main;  elle  l'y  recon- 
naîtra mieux  encore,  lorsque,  les  générations  successives  amenant 
de  nouveaux  courants  dans  l'art  musical,  la  manière  de  Mignon  et 
d'HamIet  se  sera  fanée,  et  que  toute  l'œuvre  de  Thomas,  sans  rien 
perdre  de  sa  valeur,  se  sera  uniformisée  sous  la  paline  du  temps. 
Il  faut  toujours  faire  la  pai't  de  cet  apport  contingent  du  moment  et 
des  milieux,  pour  juger  sainement  une  œuvre  d'art. 

Dans  Lakmé,  la  parenté  d'esprit  entre  Auber  et  Delibes  se  trahit 
quelquefois  d'une  façon  matérielle. 

Le  duo  des  deux  femmes,  au  1'''  acte,  n'est-il  pas  un  peu  cousin  de 
«  C'est  la  fête  au  Lido  »  de  cette  Haydée  avec  laquelle  vous  repoussez 
énergiquemect  tout  parallèle?  —  La  répétition  de  la  phrase  dans  la 
coulisse,  la  poétique  ritournelle  confiée  aux  cors  et  chargée  d'harmonies 
pénétrantes,  voilà  ce  qui  est  du  temps  présent! —  La  scène  du  Marché 
ne  descend-elle  pas,  elle  aussi,  en  ligne  direcle  de  celle  de  la  Muette, 
sauf  la  construction  de  la  phrase  mélodique  qui  eût  été  considérée 
comme  une  hérésie  en  1828,  la  rapidité  des  modulations  successives 
et  certains  détails  d'orchestre,  notamment  l'appel  réitéré  des  timbales 
qui  sont  bien  aussi  du  temps  présent.  Mais  l'esprit  général  du  mor- 
ceau, son  alerte  vivacité  et  jusqu'à  sa   tonalité,  sont  les    mêmes.  

Et  le  quintette  du  1"  acte? 
J'entends  :  —  Vous  me  parlez  couleur  et  sentiment. 
A  quoi  je  réponds  que,  —  da7u  la  mode  de  leur  temps,  —  Herold  et 
Aqber  avaient  l'un  et  l'autre. 

Il  y  a  bien  de  la  couleur,  et  de  la  meilleure,  dans  le  dernier  acte 
du  l'ré  aux  Clercs  (revoir  le  morne  dessin  d'alto,  dont  l'accord  est 
baissé,  pendant  que  passe  mystérieusement  la  barque  portant  le 
corps  de  Comminges)  et  c'est  devenu  un  cliché  banal  de  dire  que  la 
Muette  évoque  la  vision  ensoleillée  de  Naples,  avec  ses  mœurs  dévo- 
tieuses  et  turbulentes.  Cette  Muette,  qui  avait  enchanté  sa  jeunesse, 
Wagner  n'a  jamais  pu  complètement  l'oublier  ni  la  mépriser! 

Quant  au  sentiment,  personne,  que  je  sache,  ne  l'a  conteste  encore 
à  l'auteur  de  cette  touchante  caniilène  :  «  Souvenirs  du  jeune  âge  », 
qui  a  acquis  la  popularité  sans  la  payer  de  la  vulgarité  ;  —  et  j'en 
trouve  bien  aussi  un  peu  dans  l'air  du  Sommeil. 

D'ailleurs,  ne  peut-on  être  de  la  même  famille  sans  avoir  même 
cœur  et  même  visage  ?  J'admets  voloniiers  que  Delibes  ait  plus  de 
sens  du  pittoresque  (Ij,  par  exemple,  que  l'auteur  de  la  Part  du  Diable. 


(I)  Ce  sens-là,  nos  pères  l'avaient  beaucoup  moins  que  nous. 


Mais  si  celui-ci,  comme  celui-là,  me  tire  quelques  larmes,  ce 
seront  des  larmes  douces  comme  celles  que  je  pourrais  verser  à  «  /a 
Souris  »  ou  à  «  l'Abbé  Constantin  ».  —  Et  qu'on  ne  se  récrie  pas. 
«  N'écrit  pas  TAbbé  Constantin  qui  veut  »,  ■ —  disait  naguère  M.  Gan- 
derax,  —  «  ceiix  qui  en  douteraient  n'ont  qu'à  essayer.  »  —  N'est  pas 
non  plus  Auber  qui  veut. 

Ainsi  qu'Auber,  qu'Herold,  que  tous  les  talents  du  même  ordre, 
Delibes  a  la  grâce,  l'esprit,  le  souci  constant  de  la  forme,  la  mesure, 
le  goût.  C'est  un  charmeur/  Et  en  effe^,  quand  on  parle  de  ses 
œuvres,  c'est  toujours  ce  qualificatif  de  charmant  qui  vient  sous  la 
plume  ou  à  la  bouche! 

Si  je  ne  rencontre  pas  chez  lui  ce  que  je  rencontre  dans  certains 
passages  de  l'Arlcsienne  ou  de  Carmen,  ce  je  ne  sais  quoi  de  souffre- 
teux, «  qui  me  fait  mal  à  la  poitrine  »  comme  la  bise  provençale  dont 
parlait  M""  de  Sévigné,  oîi  est  le  lualheur  ?  et  pourquoi  m'en  plain- 
drais-je? 

C'est  cette  grâce  toujours  aimable  qui  fait  la  personnalité  de  Delibes; 
c'est  par  là  qu'il  est  lui  et  point  un  autre,  et  qu'il  a  continué  les 
traditions  d'Herold  et  d'Auber. 

Savez-vous  ce  que  je  ferais  si  j'étais  directeur  de  l'Opéra?  —  Je 
demanderais  à  Delibes  d'écrire  sa  Muette et  il  me  l'écrirait!... 


C'était  en  1870,  peu  avant  l'investissement  de  Paris.  Un  de  nos 
compositeurs  les  plus  connus,  dont  les  gracieuses  mélodies  sont 
presque  populaires,  quitta  la  ville  et  gagna  la  province.  —  Un  ami 
l'avait  accompagné  à  la  gare.  Notre  homme  s'installa  commodément 
dans  le  wagon,  casa  en  bonne  place  ses  menus  bagages,  puis,  comme 
le  train  s'ébranlait,  tendit  le  bras  hors  de  la  portière,  et,  serrant  la 
main  de  celui  qu'il  laissait  :  J'espère  bien,  s'écria-t-il,  que  les  Parisiens 
vont  énergiquement  se  défendre.' 


C'est  inouï  à  quel  point  les  Maîtres  se  jugent  mal  entre  eux;  c'est 

SANS  DOUTE  QUE  CHERCHANT  A  ATTEINDRE  LE  BEAU  SOUS  UN  CERTAIN  ASPECT  ET 
PAR  CERTAINS  MOYENS  QUI  LEUR  SONT  PARTICULIERS,  ILS  NE  CONÇOIVENT  PAS 
qu'on  le  puisse  RÉALISER  AUTREMENT. 

Ingres  écrit  quelque  part,  en  parlant  de  Rubens,  qu'il  pourrait  bien 
être  venu  au  monde  pour  détruire  la  peinture. 

Il  demande  qu'on  enlève  du  Louvre  le  tableau  de  la  Méduse  et  ces 
deux  grands  dragons  o  ses  acolytes  »,  «  pour  qu'ils  ne  corrompent  plus  le 
goût  du  public.  » 

11  s'insurge  contre  «  les  Byron  et  les  Goethe  de  toute  espèce,  qui  dans  les 
lettres  et  les  arts  pervertissent,  corrompent  et  découragent  le  cœur  de 
l'homme...  que  d'autres  les  vantent  si  bon  leur  semble  »,  —  ajoule-t-il,  — 
«  moi  je  les  maudis  !  » 

Volliiire  écrivait  à  Bettinelli  :  «  ,1e  fais  grand  cas  ducourage  avec  lequel 
vous  avez  osé  dire  que  le  Dante  était  un  fou,  et  son  ouvrage  un  monstre/...  » 

Beethoven  estimait  qu'Euryanthe  n'était  qu'une  accumulation  de 
septièmes  diminuées.  — Weber,  de  son  côté,  —  que  Schubert  aussi 
décriait,  —  médisait  des  plus  admirables  sym|dionies  de  Beethoven 
—  Wggner  a  jugé  Mendeissohn  vide  et  futile.  —  Schumann  a 
dessiné  une  croix  mortuaire  au  dessus  d'un  article  sur  le  Prophète, 
qui  se  terminait  par  ces  mots  :  Ci-git  le  Prophète,  et  éprouvait  pour 
toute  l'œuvre  de  Meyerbeer  une  insurmontable  aTersiou,  Berlioz  a  fait 
contre  Wagner  une  âpre  déclaration  de  principes,  et  a  signalé  comme 
absolument  inintelligible  la  géniale  introduction  de  Tristan  et  Iseult, 
si  logique  en  ses  développements. 

Et  que  sont  encore  ces  appréciations,  à  côté  de  celles  que  j'ai  euteu- 
dues  de  compositeurs  sur  leurs  collègues,  vivants  ou  morts  ! 

Mais  celles-ci  sont  seulement  des  paroles  qui  volent,  et  je  les  veux 
oublier! 


On  connaît  ce  personnage  des  Faux  Bonshommes  qui  loue  les  gens 
à  bouche  que  veux-tu,  pour  se  reprendre  par  un  :  «  Seulement....  » 
derrière  lequel  il  entasse  les  plus  vilaines  calomnies. 

Toutes  les  fois  que  j'entends  Péponnet  commencer  le  panégyrique 
de  quelqu'un,  je  me  dis  ;  «  Bon!  le  voici  qui  va  lâcher  son  :  Seule- 
ment, »...  et  le  retour  fréquent  de  cet  effet  jy/-(''i'w.  gâte  mon  plaisir. 

Il  en  est  ainsi  pour  certains  leitmotive.  —  Je  les  vois  venir,  et  j'en 
suis  las  ! 

A 

La  chapelle  d'Agreneff  vaut  d'être  écoutée. 

Le  programme  comprend  certains  chants  populaires  russes  (notam- 
ment celui  des  bateliers  du  Volga),  d'un  tour  et  d'un  accent  très  par- 


LE  MÉNESTREL 


269 


ticuliers.  Il  y  a  vraiment  une  profonde  et  très  dolente  mélancolie 
dans  l'àme  de  ce  peuple  qui  vit  dans  une  nature  froide  et  triste. 

La  compagnie  d'Agreneff  compte  quelques  voit  de  basses  d'une 
étendue  exceptionnelle,  comme  nous  n'en  possédons  pas  en  France. 
Il  y  a  là  des  gaillards  qui  font  ronfler  comme  des  pédales  d'orgue 
des  ré.  et  des  ut  au-dessous  des  lignes. 


En  lisant  ces  volumes  de  Mélodies,  que  leurs  auteurs  ont  enflés  de 
rognures  de  leurs  autres  œuvres,  sur  lesquelles  on  a   rajusté  une 
poésie  quelconque,  je  songe  à  ces  boites  de  jouets  que  le  marchand 
grossit  et  lasse  avec  des  morceaux  de  papier. 
«S 

De  l'influence  des  milieux  sur  l'effet.  —  Cet  été,  me  trouvant  dans 
le  Tyrol,  j'allai,  le  15  août,  entendre  la  messe  dans  un  petit  village 
près  Toblach,  perdu  dans  la  montagne.  Gomme  c'était  la  fête  de  l'en- 
droit, l'unique  nef  était  comble;  les  fidèles,  accourus  de  tous  les 
environs,  débordaient  au  dehors,  les  hommes  en  veste  de  drap,  avec 
le  chapeau  orné  de  fleurs  ou  de  plumes,  les  femmes  avec  le  corsage 
bariolé,  le  petit  chapeau  rond,  la  jupe  de  couleur  sombre,  ample, 
courte  et  ballante.  Jusque  dans  l'humble  cimetière  qui  entoure 
l'église,  tous  demeuraient  debout  en  des  attitudes  recueillies,  priant 
au  milieu  des  tombes,  sous  le  grand  ciel  ensoleillé. 

Il  y  avait  messe  en  musique;  un  chœur  rustique,  un  orchestre  où 
se  coudoyaient  sans  doute  le  bourrelier,  le  forgeron,  le  maitre  d'école, 
le  boulanger,  l'aubergiste,  que  sais-je?  —  l'orgue,  un  violon,  un 
violoncelle,  une  contrebasse,  une  flûte,  un  cor,  un  cornet  à  piston  et 
des  timbales. 

La  composition,  due  peul-être  à  quelque  obscur  Kapellmeîster,  mort 
ignoré  dans  son  hameau,  était  de  la  plus  naïve  simplicité,  l'organiste 
peu  exercé;  les  instruments  à  cordes  n'étaient  pas  toujours  très 
justes,  non  plus  que  les  voix  d'enfants  et  de  paysans  adultes  qui 
complétaient  l'ensemble,  La  flûte  seule,  avait,  avec  un  peu  d'expé- 
rience, un  certain  velouté;  le  cor  tentait  timidement  quelques  sons 
ouverts,  et  les  timbales,  soutenues  par  la  trompette,  produisaient 
leurs  roulements  avec  une  bruyante  satisfaction,  toutes  les  fois  que 
le  texte  liturgique  comportait  des  accents  de  triomphe. 

Certes  cet  eusemble  n'était  pas  pour  séduire  une  oreille  exercée. 

Pourtant  le  lieu  était  si  magnifiquement  pittoresque,  la  foi  de  ces 
robustes  montagnards  si  manifeste  sur  leurs  francs  visages,  l'effort 
de  ces  artistes  d'occasion  si  convaincu,  que  de  ces  supplications  et 
de  ces  hosannas  se  dégageait  je  ne  sais  quoi  de  vibrant  dont  l'im- 
pression était  irrésistible. 

Ah!  la  sincérité  dans  l'art!  j'ai  entendu  souvent,  à  Paris  et  ailleurs, 
de  superbes  pages  de  musique  religieuse  supérieurement  interpré- 
tées; je  n'en  ai  jamais  entendu  qui  m'aient  plus  profondément  touché 
que  la  modeste  messe  en  musique  de  Aufkirchen. 


Wormser  écrit  l'Enfant  prodigue,  "Widor  Jeanne  d'Arc.  —  Après  la 
pantomine,  l'art  équestre. —  Il  y  a  là  un  signe  des  temps;  la  musique 
marche  vers  des  voies  nouvelles.  —  Il  n'y  a  pas  d'art  plus  merveil- 
leusement souple,  et  dont  l'emploi  puisse  être  plus  varié! 


Il  y  aurait  une  bien  intéressante  élude  à  faire  sur  les  œuvres  de 
valeur  qui  n'ont  point  réutsi  an  théâtre.  On  commencerait  par  les 

plus  puissantes Euryanthe,  par  exemple,  la  msg'mae  Eurijanthe !  — 

Et  on  raconterait   tout  ce   qu'ont  de  charme,  d'esprit,  de  grâce,  de 

douce  émotion,  certaines  pages  de  ces  opéras  oubliés  ou  inconnus 

Les  Saisons  de  Massé,  fraîche  églogue  qui  devança  Mireille,  Valentine 
d'Aubicjny  d'Halévy,  la  Petite  Fadelte  de   Semet,  Erostrate  de   Reyer, 

Djamileh  de  Bizet,  Pedro  de  Zalamea  de  Godard et  tant  d'autres 

dans  le  présent  et  dans  le  passé,  dont  je  n'oserais  presque,  par  respect 
humain,  évoquer  les  noms!  —  Pauvres  fleurs  fanées,  dont  bien  peu 
ont  respiré  la  péuélrante  odeur. 


Assisté  à  une  représentation  de  Fra  Diavolo,  au  théâtre  de  VArgen- 
lina,  à  Rome.  Je  pense,  —  comme  jadis  à  Munich,  après  le  Domino 
noir,  et  à  Paris,  après  Lohengrin,  —  qu'il  faut  entendre  la  musique 
italienne  rendue  par  des  Italiens,  la  musique  française  par  des 
Français,  et  la  musique  allemande  par  des  Allemands.  Dans  le  cas 
contraire,  il  en  est  de  l'interprétation  comme  du  poème;  c'est  une 

TRADUCTION. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


NOXJA^ELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (20  août).  —  On  a  rarement  fait 
autant  de  musique  —  et  de  bonne  musique,  — pendautl'été,  dans  nos  deux 
grandes  «cités  balnéaires  »,  Ostende  et  Blankenberghe,  que  cette  année. 
Musique  de  concert,  exclusivement,  les  théâtres,  peu  importants,  y  étant 
voués  exclusivement  au  vaudeville  et  à  l'opérette.  Après  les  grandes  solen- 
nités que  je  vous  ai  signalées  précédemment,  le  Kursaal  d'Ostende  en  a  eu 
d'autres  encore,  non  moins  attractives,  en  ce  mois  d'août  tiui  est  l'époque 
privilégiée  des  fêtes  sek-cl;  plusieurs  artistes  de  premier  ordre  y  ont  défilé 
devant  le  public,  justement  enthousiaste  ;  et,  parmi  eux,  M.  Van  Dyck  et 
M"=  Gabrielle  Lejeune,  ont  été  les  plus  acclamés,  comme  je  le  prévoyais 
l'autre  jour.  M.  Van  Dyck  à  Ostende,  c'était  tout  un  événement!  L'admi- 
rable ténor  a  chanté  l'air  de  Joseph  de  Méhul,  le  «  preislied  »  des  Maîtres 
Chanteurs  »  et  le  chant  d'amour  de  Siegmund,  de  la  Valkyrie  ;  les  ovations 
qu'on  lui  a  faites  ont  été,  à  peu  de  chose  près,  interminables,  après  l'air  de 
Joseph,  on  l'a  rappelé  six  fois,  et  le  reste  à  l'avenant  ;  à  la  fin  ne  sachant 
comment  satisfaire  l'enthousiasme  de  l'auditoire,  il  a  eu  une  idée  gé- 
niale: il  a  redit  en  allemand  le  chant  de  Siegmund  qu'il  avait  dit  la  pre- 
mière fois  en  français  :  alors,  c'a  été  du  délire!  On  en  parlera  longtemps 
sur  la  plage.  L'accueil  fait,  la  semaine  suivante,  àM""  Lejaune  n'a  pas  été 
moins  chaleureux.  Comme  M.  Van  Dyck,  M"'=  Gabrielle  Lejeune  est  Belge  ; 
mais  si  le  patriotisme  aété  pour  quelque  chose  dans  le  succès  fait  aux  deux 
artistes  par  le  public  cosmopolite  d'Ostende,  il  n'y  a  eu  qu'une  part  mi- 
nime, le  mérite  a  fait  le  principal.  M">=  Lejeune  a  chanté  deux  fois,  et 
deux  fois  elle  a  triomphé  par  le  charme  de  sa  personne  et  de  son  taient. 
Depuis  son  départ  de  la  Monnaie,  où  elle  a  passé  deux  ans,  elle  n'avait 
plus  guère  paru  en  public  :  à  la  veille  de  débuter  à  l'Opéra-Comique,  cette 
réapparition  avait  un  intérêt  particulier.  Nous  l'avons  retrouvée  avec  sa 
voix  pénétrante,  son  sentiment  si  personnel,  ses  qualités  faites  tout  en- 
semble de  grâce  et  d'émotion,  qui  en  avaient  fait  à  la  Monnaie  une  des 
plus  captivantes  interprètes  du  rôle  de  Charlotte  de  Werther,  et  qu'elle  a 
appliquées  ici  dans  l'interprétation  de  deux  airs  de  caractère  pourtant  bien 
différent,  celui  de  la  Traviala  et  celui  du  Freischiitz.  Son  succès  n'a  pas  été 
moins  vif  dans  diverses  mélodies,  détaillées  par  elle  d'une  façon  exquise  : 
le  Nil  et  Floraison  de  Leroux,  Pensée  (l'automne  et  la  gavotte  de  Manon  de 
Massenet,  Dansez  marquise  de  Lemaire,  et  la  Sérénade  inutile  ie  Brahms  ;  bis 
et  rappels  semblaient  ne  point  vouloir  prendre  fin.  Voilà  qui  est  de  bon 
augure  pour  l'entrée  prochaine  de  M"«  Gabrielle  Lejeune  à  l'Opéra- 
Comique. 

—  A  Spa,  également,  la  musique  bat  son  plein  et,  parmi  les  derniers 
concerts  au  Iiursaal,il  faut  signaler  tout  particulièrement  celui  de  M.  Isnar- 
don,  qui  aété  couvert  d'applaudissements  après  le  Poète  et  le  Fantôme,  de 
Massenet,  les  stances  de  Lakmé,  et  le  trio  de  Faust  chanté  avec  M"=  Adams 
et  M.  Affre.  Quelques  jours  après  M.  Isnarion  triomphait  encore,  dans 
la  salle  du  Pouhon  où  est  installée  l'Exposition  de  Poupées.  Dans  un  pro- 
gramme très  spécialement  et  curieusement  composé,  l'excellent  artiste  a 
chanté /es  Sabots  et  les  Toupies,  les  Polichinelles  etfe  Dernier  Joujou,  de  Cl.  Blanc 
et  L.  Dauphin.  A  coté  de  lui,  on  a  fêté  aussi  M"'  de  Ter  dans  les  Enfants 
de  Massenet. 

—  Un  opéra  inédit  en  un  acte  Razzia,  musique  de  M.  VanDamme,  a  été 
joué  avec  succès  à  Gand. 

—  Une  erreur  d'impression  nous  a  fait  dire,  dans  notre  dernier  nu- 
méro, que  M""=  Sibyl  Sanderson  avait  signé  un  engagement  avec  l'Opéra 
Impérial  de  Vienne.  C'est  l'Opéra  Impérial  de  Saint-Pétersbourg  qu'il  faut 
lire,  et  ce  sont  les  Kusses  qui  auront  la  primeur  d'Esclarmonde,  avec  la 
créatrice  dans  le  rôle  de  la  protagoniste.  M.  Van  Dyck  a  été  également 
engagé  pour  une  série  de  représentation,  au  cours  desquelles  il  chantera, 
entre  autres  ouvrages,  Manon  et  Werther. 

—  La  saison  du  Théâtre-Lyrique  à  Milan  ouvrira  vers  le  milieu  de  sep- 
tembre avec  les  représentations  de  M""  Nevada  dans  Lakmé;  puis  vien- 
dront celles  de  M"""  de  Nuovina  avec  /a  Navarraise  et  celles  de  M"'  Simon- 
net  dans  Mignon.  Plus  tard  M""  Sanderson  dans  Manon  et  Phrijné.  On  voit 
que,  comme  toujours,  M.  Sonzogno  fait  large  part  au  répertoire  français. 
On  devrait  bien  lui  rendre  un  peu  la  pareille  à  Paris  pour  ses  opéras 
italiens.  Mais  il  parait  que  c'est  impossible  !  Tout  prendre  et  ne  rien 
donner,  c'est  une  devise  commode,  mais  pas  très  morale  en  soi. 

—  Un  nouvel  opéra  intitulé  Marietta,  musique  de  M.  G.  Buceri  a  subi 
un  échec  à  sa  première  représentation  au  théâtre  Bellini,  de  Palerme. 

—  On  annonce  que  la  Bohême  de  Leoncavallo  sera  joué  pour  la  première 
fois  à  la  Scala  de  Milan  qui  jouera  aussi  le  nouvel  opéra  japonais  de 
Mascagni.  L'Argentina  de  Rome  jouera  pour  la  première  fois,  Camargo  de 
M.  de  Levé  et  le  théâtre  San-Carlo  de  Naples  produira  pour  la  première 
fois  Pourceaugnac  de  M.  Franchetti. 

—  Le  ministre  de  l'instruction  publique  à  Berlin  a  ordonné  la  conslruc- 
sion  d'un  nouveau  monument  pour  le  Conservatoire  de  musique  et  a  ouvert 
à  cet  effet  un  concours.  Nous  connaissons  plus  d'un  conservatoire  de 
musique,  à  commencer  par  celui  de  Paris,  qui  aurait  grandement  besoin 
d'un  nouvel  abri. 


270 


LE  MENESTREL 


—  M.  Goldmaik,  l'heureux  auteur  du  Grillon  da  foyer,  a  commencé  la 
composition  d'un  nouvel  opéra  dont  M.  Willner,  le  librettiste  de  l'œuvre 
nommée,  lui  a  fourni  les  paroles. 

—  M.  Ignace  Brûll  a  terminé  la  partition  de  son  nouvel  opéra  Gloria. 
Cette  œuvre,  dont  on  nous  dit  beaucoup  de  bien,  sera  jouée  au  commen- 
cement de  la  prochaine  saison  à  l'Opéra  de  Hambourg. 

—  On  vient  de  terminer  à  Dresde  une  grande  salle  de  concert  qui  man- 
quait depuis  longtemps  à  cette  capitale.  La  nouvelle  salle  dont  l'acous- 
tique est  excellente,  contient  1.400  places  et  sera  pourvue  d'un  orgue.  Dès  à 
présent  plus  de  cent  concerts  y  sont  déjà  annoncés  pour  la  saison  pro- 
chaine. 

—  A  l'Exposition  des  Arts  industriels  de  Dresde,  les  Wendes,  un  peuple 
de  race  slave  qui  était  autrefois  fort  nombreux  dans  une  partie  du  royaume 
actuel  de  Saxe  et  qui  habitent  encore  en  nombre  de  plus  en  plus  restreint 
la   province   saxonne    de  Lusace,   attirent  l'attention    non   seulement  des 

ethnographes,  mais  aussi  des  musiciens.  Comme  tous  les  peuples  de  race 
slave,  les  "Wendes  ont  un  talent  inné  pour  la  musique,  et  un  concert  qu'ils 
viennent  de  donner,  a  de  nouveau  alBrmé  leurs  aptitudes  pour  la  musique. 
On  y  a  d'abord  chanté,  avec  paroles  slaves,  de  ravissantes  mélodies  popu- 
laires, tristes  pour  la  plupart  et  dans  le  genre  des  dumkas  russes,  mais 
aussi  quelques  chansons  gaies  que  la  jeunesse  accompagne  de  danses. 
Deux  de  ces  chansons  à  danser  :  Stiip  dalej  (Approche-toi)  et  Hanka  ty  sy 
moja  (Sois  à  moi,  Annette),  chantées  à  capdla  avec  une  précision  extra- 
ordinaire ont  ravi  le  public  qui  ne  comprenait  naturellement  pas  le  pre- 
mier mot  du  texte.  Puis  les  compositeurs  nationaux  ont  produit  leurs 
œuvres:  K.-A.  Kocor,  Frejschlak  et  Krawec,  un  jeune  compositeur  qui  fit 
en  même  temps  fonction  de  chef  d'orchestre  et  dont  la  symphonie  nsAio- 
•D.à\e  Aux  bords  de  la  Lubosla  a  eu  beaucoup  de  succès.  Les  Wendes  donneront 
peut-être  un  jour  quelque  œuvre  musicale  d'intérêt  général  comme  les 
Tchèques  qui  ont  trouvé  en  Smetana  et  en  Dvorak  des  compositeurs 
connus  bien  au  delà  des  frontières  de  leur  patrie. 

—  A  l'occasion  du  dixième  anniversaire  de  la  mort  de  Franz  Liszt  le 
Journal  de  Weimar  propose  l'érection  d'une  statue  du  maître  à  Weimar,  où 
se  trouve  déjà  un  musée  destiné  à  perpétuer  son  souvenir.  Les  innombrables 
élèves  de  Liszt  qui  lui  doivent  tant  et  dont  plusieurs,  comme  M"^»  Sophie 
Monter,  la  châtelaine  d'Itter,  ont  fait  de  grandes  fortunes,  ne  devraient- 
ils  pas  à  eux  seuls,  s'acquitter  de  cette  dette  de  reconnaissance  ? 
Contre  le  choix  de  Weimar  les  Hongrois  réclameront  peut-être,  bien 
qu'ils  aient  déjà  une  statue  de  Liszt,  placée  devant  l'Opéra  royal  de  Buda- 
pesth;  mais  l'Allemagne  a  certes  des  droits  incontestables  sur  l'œuvre  du 
maître.  Ce  qui  est  le  plus  étonnant  c'est  que  ni  Richard  Wagner  ni  Franz 
Liszt  ne  possèdent  encore  de  monument  en  Allemagne.  On  se  moque 
souvent  des  Français  qui  ont,  dit-on,  le  marbre  et  le  bronze  faciles;  après 
tout,  il  vaut  mieux  qu'un  seigneur  de  moindre  importance  dans  le  royaume 
des  arts  et  des  lettres  obtienne  sa  petite  statue  ou  son  buste  que  de  ne 
pas  payer  ce  tribut  à  un  maître  véritable.  Bn. 

—  La  ville  de  Leipzig  va  célébrer  le  centième  anniversaire  de  son 
théâtre  municipal.  Jusqu'en  1725,  la  Compagnie  du  théâtre  royal  de  Dresde 
avait  possédé  le  privilège  de  jouer  aussi  à  Leipzig.  Ce  n'est  qu'en  1796  que 
la  ville  obtint  le  droit,  moyennant  une  redevance  annuelle  de  cinq  cents 
thalers,  d'avoir  un  théâtre  à  elle.  Le  théâtre  actuel,  un  des  plus  beaux 
d'Allemagne,  n'est  pas  le  même  que  celui  qui  existait  en  1796. 

—  La  société  allemande  d'acteurs  et  autres  travailleurs  de  théâtre  qui  a 
été  fondée  à  "Weimar  en  1871,  va  célébrer  le  vingt-cinquième  anniversaire 
de  son  existence. 

—  A  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  qui  a  rouvert  le  13  de  ce  mois. 
Ml''  Emma  Teleky;  du  Théâtre-Royal  de  Dresde,  vient  d'être  engagée.  La 
jeune  artiste,  élève,  à  Vienne,  du  baron  Victor  Rokitansky,  dont  nous  avons 
annoncé  dernièrement  le  décès,  a  fait  déjà  une  carrière  assez  brillante.  On 
pourra  donc  reprendre,  à  Vienne,  Hamlet  qui  manquait  d'une  Ophélie 
convenable  et  maint  autre  opéra  nécessitant  la  présence  d'une  chanteuse 
légère  di  primo  cartello, 

-  —  Le  Carllhéâtre  de  Vienne  prépare  un  nouvel  opéra-comique  les  Sor- 
ciers de  Nil,  musique  de  M.  Victor  Herberth. 

— On  vient  de  trouver  chez  M""*  Mayerhofer,  à  Vienne,  trois  lieder  inconnus 
de  Franz  Schubert.  Nous  ne  sommes  pas  encore  renseignés  sur  la  valeur  ar- 
tistique de  cette  trouvaille,mais  nous  nous  rappelons  que  Mayerhofer,  poète 
viennois  insignifiant,  a  été  lié  avec  Schubert  quia  mis  en  musique  plusieurs 
poésies  médiocres  de  son  ami.  La  propriétaire  actuelle  des  autographes  de 
Schubert  est  une  petite-flUe  du  poète.  Il  ne  faut  nullement  s'étonner  de 
ce  qu'on  trouve  encore  des  œuvres  inconnues  de  Schubert,  car  sa  fécondité 
n'a  été  égalée  que  par  sa  facilité. 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  était  menacé,  il  y  a  quelques  jours,  d'une 
grève  des  membres  de  l'orchestre.  On  leur  avait  promis,  pour  la  durée  de 
l'exposition,  une  augmentation  d'appointements  de  20  0/0,  mais  on  ne  leur 
avait  donné  qu'un  supplément  de  10  0/0,  sous  prétexte  que  le  théâtre  faisait 
de  mauvaises  affaires.  Les  membres  de  l'orchestre  ont  alors  adressé   une 


requête  au  surintendant  général,  M.  le  baron  Nopcsa,  pour  réclamer  leur 
du  et  pour  annoncer  leur  retraite  au  cas  où  l'Opéra  ne  tiendrait  pas  ses 
promesses.  Grâce  à  l'intervention  du  surintendant  général,  l'orchestre 
obtint  satisfaction  et  la  grève  n'eut  pas  lieu. 

—  On  a  inauguré  à  Budapest  un  nouveau  théâtre  exclusivement  destiné 
à  la  comédie  jouée  en  langue  hongroise.  La  nouvelle  salle,  qui  est  fort  jolie, 
contient  18o0  places,  dont  600  à  l'orchestre  et  46  loges. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Cracovie  vient  de  jouer  avec  succès  un  opéra 
inédit  Goplana,  paroles  de  M.  German,  musique  de  M.  Stanislas  Zelenski. 

—  Le  classique  veilleur  de  nuit  est  mort  un  peu  partout,  sauf  cependant 
en  Espagne,  où  le  brave  sereno  se  promène  encore  nuitamment  dans  les 
rues  et  ouvre  les  portes  aux  retardataires  qui  ont  oublié  la  clé  de  leur 
maison.  Nous  ne  connaissons  plus  que  par  l'opéra  ce  fonctionnaire  dont 
l'importance  fut  grande  dans  le  temps.  Le  couvre-feu  dans  les  Huguenots 
et  la  fameuse  algarade  des  voisins  de  Hans  Sachs  dans  tes  Maiires  chanteurs, 
où  l'apparition  du  veilleur  de  nuit  produit  un  effet  vraiment  poétique, 
nous  conservent  encore  ce  type  de  fonctionnarisme.  En  Allemagne  et  en 
Autriche,  les  veilleurs  de  nuit  qui  se  promenaient,  jusqu'en  1848,  armés 
d'une  hallebarde,  d'un  cor  et  d'une  lanterne,  avaient  l'habitude  de  chanter 
après  chaque  heure,  une  petite  chanson  dont  le  texte  et  la  mélodie,  très 
différents  selon  la  localité,  étaient  souvent  de  leur  propre  invention.  Ces 
chansons  avaient  quelquefois  une  certaine  valeur  poétique  et  les  amateurs 
de  la  poésie  populaire  ont  vivement  regretté  leur  disparition.  Or, 
M.  Joseph  AVichner,  à  Krems-sur-le-Dauube,  entreprend  une  collection 
des  anciennes  chansons  et  mélodies  des  veilleurs  de  nuit  en  Autriche  et 
en  Allemagne  et  espère  pouvoir  publier  bientôt  les  résultats  de  ses 
recherches.  Cette  publication  ne  manquera  certes  pas  d'intérêt. 

—  L'acte  constituant  le  comte  de  Grey,  M.  H.-V.  Higgins  et  M.  Maurice 
Grau,  le  directeur  américain  bien  connu,  propriétaires  et  administrateurs 
du  Royal  Italian  Opéra  de  Govent-Garden,  à  Londres,  vient  d'être  enre- 
gistré. Le  capital  est  de  377.000  francs,  divisé  en  IbO  actions  ordinaires 
de  2.500  francs  et  100  actions  de  2b  francs  chacune. 

—  Le  Royal  Collège  of  Music  de  Manchester  a  remplacé  sir  Charles  Halle, 
premier  professeur  de  piano,  par  M.  "William  Dayas,  compositeur  et  pia- 
niste. 

—  Au  Novelty  Théâtre  de  Londres,  il  vient  de  se  passer  un  drame  aussi 
terrible  qu'inexplicable.  Dans  un  mélodrame,  les  Péchés  de  la  nuit,  un 
acteur,  M.  Temple  E.  Crozier,  qui  devait  être  tué  à  la  fin  par  son  collègue 

M.  "Wilfred  M.  Franks,  a  reçu  un  véritable  coup  de  poignard  en  pleine 
poitrine  et  a  succombé  sur  la  scène  après  avoir  proféré  un  cri  que  le 
public  a  vigoureusement  applaudi  à  cause  de  son  effet  naturaliste.  La  vic- 
time, âgé  de  24  ans  seulement,  vivait  en  parfaite  intelligence  avec  son 
malheureux  collègue  dont  il  était  le  meilleur  ami  et  ils  n'avaient  jamais 
eu  la  moindre  dispute.  Les  acteurs  qui  se  trouvaient  sur  la  scène,  ne 
remarquèrent  pas  tout  d'abord  que  Crozier  était  mortellement  frappé. 
Comme  il  ne  se  relevait  pas,  le  régisseur  s'approcha  de  lui  et  remarqua 
que  le  sang  couvrait  une  partie  de  son  costume.  Tous  les  efforts  pour 
rappeler  à  la  vie  le  malheureux  jeune  homme  furent  inutiles.  Le  jury  qui 
devait  se  prononcer,  selon  la  loi  anglaise,  sur  les  causes  de  la  mort,  n'a 
pas  pu  démêler  comment  le  coup  fatal  s'est  produit;  mais  il  fut  constaté 
que  même  à  la  répétition  générale  M.  Franks  n'avait  pas  eu  entre  les 
mains  le  poignard  et 'avait  seulement  indiqué  le  coup.  M.  Franks  a  été 
traduit  devant  un  jury,  et  il  a  été  décidé  qu'il  ne  serait  pas  poursuivi.  Cet 
accident  terrible  prouve  une  fois  de  plus  qu'au  théâtre  il  ne  faut  pas 
pousser  trop  loin  le  «  vérisme  »,  comme  disent  les  Italiens,  et  qu'on  ne 
peut  jamais  trop  soigner  les  «  accessoires  »  aux  répétitions. 

—  Sir  "William  Robinson,  le  compositeur  de  l'opéra,  la  Fille  du  brigand, 
vient  de  terminer  un  nouvel  opéra  la  Fille  brune,  paroles  de  M.  Newton. 
Cette  œuvre  sera  représentée  à  Londres,  au  commencement  de  la  saison 
prochaine. 

—  La  bicyclette,  qu'on  met  maintenant  à  toute  sauce  est  sérieusement 
recommandée  en  Angleterre  aux  jeunes  élèves  du  chant.  Un  professeur  do 
chant  assez  connu  à  Londres,  vient  de  faire  une  conférence  à  Saint-James 
Hall  pour  exposer  ses  idées  sur  l'influence  de  la  bicyclette  sur  la  voix  et 
a  présenté  à  la  nombreuse  assistance  plusieurs  de  ses  meilleures  élèves 
auxquelles  la  bicyclette  avait  énormément  profité.  Une  d'elles  avait  consi- 
dérablement augmenté  l'étendue  de  sa  voix  par  l'usage  de  la  pédale  et 
une  autre,  qui  avait  dû  abandonner  cette  machine  à  la  mode,  avait  telle- 
ment vu  s'augmenter  la  capacité  deses  poumons  en  prenant  des  leçons  de 
chant  qu'elle  pouvait  actuellement  faire  des  courses  considérables  à 
bicyclette  et  même  gravir  des  pentes  assez  dures.  Nous  avouons  que  cette 
conférence  nous  semble  être  une  réclame  bien  sentie  pour  les  fabricants 
de  bicyclettes  et  pour  les  faiseuses  de  chanteurs  ou  de  chanteuses. 

—  Le  «  Cercle  artistique  musical  »  de  Barcelone  a  organisé  un  concours 
pour   la  composition  d'une   cantate  pour  quatre  solî,   chœur  et  orchestre     ' 
(prix  :  500  francs),  d'une  suite  d'orchestre  en  quatre  mouvements  (prix: 
400  francs),  d'une  messe  en  l'honneur  de  sainte  Cécile  (prix  :  300  francs) 

et  de  si.x  mélodies  pour  chant  avec  accompagnement  de  piano  (prix:  200  fr.). 
Le  concours  est  international  et  les  paroles  peuvent  être  écrites  dans  n'im- 


â 


LE  MÉNESTREL 


271 


porte  quelle  langue  latine.  Les    compositions   doivent  arriver  à  Barcelone 
avant  le  13  octobre  de  cette  année. 

—  La  jeune  reine  des  Pays-Bas  dont  le  mariage  occupe  actuellement 
les  chancelleries  européennes,  même  dans  les  pays  qui  n'ont  pas  de  prince- 
époux  à  proposer,  vient  de  terminer  sou  éducation  musicale.  Inutile  de 
dire  qu'elle  a  décoré,  à  cette  occasion,  son  professeur  de  piano,  M.  Storten- 
beker.  Espérons  que  la  jeune  reine  imitera  l'exemple  de  la  reine  Victoria 
qui,  étant  déjà  mariée  et  mère  de  famille,  n'a  pas  abandonné  ses  chères 
études  musicales  et  prit  même  des  leçons  chez  Mendelssohn. 

—  M"°  Nikita  vient  de  donner  à  Copenhague  un  grand  concert  et  le 
public  l'a  acclamée  après  la  gavotte  de  Manon.  A  l'orchestre,  on  a  trissé 
le  prélude  du  3°  acte  d'Iiérodiade. 

—  Au  théâtre  de  Helsingfors  (Finlande),  le  jeune  chef  d'orchestre,  M.  Fer- 
dinana  Neisser,  a  produit  avec  beaucoup  de  succès  une  ouverture  inédite  à 
laquelle  il  a  donné  le  nom  indien  Urvasi. 

PARIS   ET   DEPARTEWENTS 

—  A  l'Opéra,  on  annonce,  pour  le  2  septembre,  la  rentrée  de  M.  Renaud 
qui  se  fera  par  le  rôle  à'Hatnlet  qu'il  interprète  de  si  artistique  manière,  et 
pour  le  7  du  même  mois,  si  toutefois  M""  Rose  Caron  est  de  retour  de 
congé,  la  reprise  d'Betlé  de  M.  Alphonse  Duvernoy,  qui  servira  également 
de  rentrée  à  MM.  Alvarez  et  Delmas,  dont  les  vacances  prennent  fin  le 
!='■  septembre. 

—  M.  Massenet  parcourt  à  présent  les  montagnes  d'Auvergne,  tou- 
jours fort  occupé,  chemin  faisant,  de  sa  nouvelle  partition  Sapko  qui  lui 
tient  au  cœur  et  »  le  tenaille  »,  comme  il  dit:  «  On  ne  la  quitte  pas  faci- 
lement, écrit  quelque  part  Alphonse  Daudet.  Elle  s'attache  à  vous  et  l'on 
Eouffre  pour  elle.  » 

—  M.  Gh.-M.  Widor  a  quitté  Paris  la  semaine  dernière  se  rendant  à 
l'Arbresle,  près  de  Lyon,  où,  durant  les  vacances,  il  va  mettre  la  dernière 
main  auï  Pécheurs  de  Saint-Jean,  3  actes,  sur  le  livret  de  M.  Henri  Gain, 
que  l'Opéra-Comique  doit  monter.  M.  "Widor  ne  rentrera  à  Paris  que  dans 
les  premiers  jours  d'octobre  pour  reprendre  sa  classe  du  Conservatoire. 

—  Dans  les  Deux  Palémon,  la  comédie  antique  en  1  acte  et  en  prose,  de 
M.  Jules  TruEer,  que  répète  en  ce  moment  la  Comédie-Française,  il  y 
aura  une  petite  partie  musicale  écrite  par  M.  Charles  Mole.  M.  Charles 
Mole,  ancien  chef  de  musique  de  la  Garde  impériale,  est  le  père  de 
Ijme  Mole,  de  l'Opéra-Comique,  et,  par  conséquent,  le  beau-père  de 
M.  Truffier. 

—  A  son  passage  à  Reunes,  le  Président  de  la  République  a  nommé 
MM.  Jouannin  et  Henry,  professeurs  au  Conservatoire,  le  premier  officier 
d'académie,  le  second  officier  de  l'instruction  publique. 

—  D'Aix-les-Bains  :  Au  Grand  Casino,  les  représentations  de  M"'«  de 
Nuovina  dans  Faust,  Carmen  et  la  Navarraise,  ont  été  triomphales.  Son 
succès  personnel  a  été  considérable.  MM.  Bouvet,  Maréchal,  Hermann- 
Devriès,  Grivot  et  M™'^  Eva  Miquel,  Eyrams  ont  partagé  les  honneurs  de 
ces  belles  soirées. 

—  A  Royan  a  eu  lieu,  la  semaine  dernière,  la  première  représentation 
de  Pliryné,  ballet-pantomime  en  3  tableaux,  de  M.  Auguste  Germain,  mu- 
sique de  M.  Louis  Ganne,  qui  a  complètement  réussi.  Parmi  les  interprètes, 
il  faut  signaler  M""  de  Mérode  et  Sandrini,  de  l'Opéra,  et  M'if  Médal,  du 
Gymnase. 

—  Ce  n'est  pas  qu'au  Casino-Club,  de  Cauterets,  que  le  maestro  Danbé  et 
son  orchestre  triomphent.  La  semaine  dernière,  ils  ont  pris  possession 
de  l'église,  à.  l'occasion  d'une  œuvre  de  bienfaisance.  On  n'a  pas  applaudi, 
mais  peu  s'en  est  fallu.  MM.  Mondaud  et  M""  Sirbain  prêtaient  leur  gra- 
cieux concours.  Recette  superbe.  Nul  doute  que  le  curé  de  Cauterets  ne 
redemande  encore  à  M.  Danbé,  l'appui  de  sa  baguette  magique. 


—  La  maîtrise  si  réputée  de  Notre-Dame  de  Versailles  a  chanté,  pour 
l'Assomption,  la  Messe  Pontificale  de  Théodore  Dubois.  Le  maître  de  cha- 
pelle, M.  A.  Fauchet,  avait  confié  la  baguette  de  direction  à  son  fils,  un 
gamin  âgé  d'à  peine  quinze  ans,  qui  a  mené  l'œuvre  entière  avec  une 
sûreté,  une  autorité  absolument  surprenantes.  Le  jeune  Paul  Fauchet 
élève,  pour  l'orgue,  de  M.  L.  Vierne,  est,  au  Conservatoire  dans  la  classe 
d'harmonie  de  M.  Taudou. 

—  Très  brillantes  les  fêtes  musicales  qui  ont  eu  lieu  dimanche  et  lundi 
à  Moulins,  grâce  surtout  à  l'heureuse  innovation  des  concours  entre  sym- 
phonies, quatuors  à  cordes  et  soli,  lesquels  ont  été  présidés  par  le  violo- 
niste compositeur  Emile  Levêque.  Les  Sociétés  philharmoniques  de  Bourges 
et  de  Nevers  ont  tour  à  tour  exécuté  la  Marche  aux  flambeaux  (Meyerbeer), 
l'Ouverture  de  Ruy  Blas  (Mendelssohn),  la  Marche  tzigane  (Reyer),  des  frag- 
ments de  la  Symphonie  en  «(  majeur  (Beethoven)  et  la  Réformation  (Mendels- 
sohn) et  ont  obtenu  le  plus  vif  succès.  Les  quatuors  à  cordes  Orléanais  et 
tourangeaux,  dans  l'interprétation  du  4«  quatuor  de  Beethoven  et  de  l'op.  27 
de  Grieg,  n'ont  pas  été  moins  bien  accueillis.  Le  violoniste  Magnus, 
d'Orléans,  et  M.  Thomas  Basile,  violoncelliste  à  Tours,  se  sont  fait  vive- 
ment applaudir  dans  leur  déchiffrage  (assez  difficile  mais  fort  intéressant) 
écrit  pour  la  circonstance  par  M.  Levêque.  La  salle  du  théâtre  extra- 
comble, pendant  ces  fêtes,  a  dû  refuser  l'entrée  à  plus  de  deux  mille  per- 
sonnes. Nombre  d'harmonies,  d'orphéons  et  de  fanfares,  se  sont  particu- 
lièrement distingués  dans  d'autres  locaux.  Il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser 
aux  organisateurs  du  concours  musical  de  Moulins  et  particulièrement  au 
président,  M.  Lavergue,  et  à  M.  Henry  Loulier,  le  novateur  des  concours 
d'instruments  à  cordes.  C.  L. 

—  Le  dimanche  9  août  a  eu  lieu,  à  l'église  Saint- Valéry-eu-Caux,  une 
cérémonie  au  cours  de  laquelle  a  été  chanté  avec  grand  style  le  Panis  ange- 
licus  de  César  Franck  par  M"«  Jeanne  Teyssèdre,  élève  de  M.  Masson. 
L'orgue  était  tenu  par  M.  L.  Vierne. 

NÉCROLOGIE 

Cette  semaine  est  mort,  à  l'âge  de  72  ans,  notre  confrère  Anatole 
Cerfbeer  qui  publia,  en  collaboration  avec  J.  Christophe,  le  Répertoire  de 
la  Comédie  humaine,  et  dirigea,  de  1861  à  186b,  le  journal  hebdomadaire  le 
Théâtre.  Anatole  Ceribeer  s'était  fait,  en  ses  derniers  temps,  une  spécialité 
avec  de  petites  notes  documentaires  sur  le  théâtre,  d'un  tour  très  particu- 
lier, qu'il  donnait  à  différents  journaux. 

—  La  semaine  dernière,  est  morte  M°"=  Wallet,  la  costumière  en  chef  de 
l'Opéra-Comique,  où  elle  avait  été  successivement  employée  sous  les 
directions  Crosnier,  Perrin,  Roqueplan,  Beaumont,  Ritt  et  enfin  Carvalho. 

—  A  Boston  vient  de  mourir  le  fameux  directeur  de  théâtre  John  B. 
Stettson,  un  homme  fort  original,  qui  n'avait  pas  la  moindre  éducation, 
mais  qui  sut  néanmoins  si  bien  conduire  sa  barque,  qu'il  laisse  une  fortune 
assez  rondelette.  Les  artistes  américains  racontent  les  histoires  les  plus 
abracadabrantes  sur  ce  «  patron  »  incomparable,  dont  la  plupart  sont 
inventées:  mais  il  y  en  a  aussi  beaucoup  d'authentiques  dans  le  tas.  Une 
fois  il  fit  mettre  en  scène  une  imitation  de  la  célèbre  Passion  que  les  paysans 
jouent  à  Ober-Ammergau,  en  Bavière,  tous  les  dix  ans,  et  voulut  faire 
grandement  les  choses.  Son  régisseur  lui  présenta  un  jour,  avant  une 
répétition  et  devant  tous  les  artistes  du  théâtre,  une  douzaine  de  beaux 
vieillards  qui  devaient  figurer  les  apôtres.  «  Comment,  vous  n'avez  que 
douze  apôtres  comme  les  paysans  en  Bavière?  apostropha  le  «  patron  »,  fi 
donc!  Nous,  à  Boston,  nous  aurons  cinquante  apôtres!  » 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


A 'VIS  AUX  PROFESSEURS.  —  Belle  salle  pour  auditions,  cours  e 
leçons,  matinées  et  soirées.  Location  au  mois  et  à  la  séance.  —  S'adres 
ser  Maison  musicale,  39,  rue  des  Petits-Champs.  Paris. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  3*",   rue   Vivienne,    HEUGEI.  et  C'^  Éditeurs-propriétaires. 

RENÉE    ELDÈSE  E.    WALDTEUFEL 


Quatre  mélodies 

TE  SOUVIEJIT-IL  ? ï,     ■       I      LE  VERGER  DE  L'AURORE ...       6 

PRÉLUDE .3  I      ROMANCE  DES  QUATRE  SAISONS      S 


J.    ALBENIZ 
To  Nellie 

Six  mélodies  avec  paroles  anglaises. 

1.  HOME  4.  TO  NELIIE 

2.  COUNSEL  5.  A  S0N6  OF  CONSOLATION 

3.  MAÏ-DAï  SONG  6.  A  SONG 

Lic  recueil  coniplel,  net  :  5  francs  (4  shl). 


Nouvelles  danses 

BABANERA-VALSE C  I      BLEUETS  ET  COQUELICOTS,  vahe     6 

POUR  UNE  ROSE,  vahr ....       0  |      COUTE  QUE  COUTE,  polka  ...      g 

LÉON     DELAFOSSE 

Soirs    d'amour 

Si.K  mélodies. 


1.  LE  BIENVENU  D'AMOUR  .   .      5 

2.  PRÉS  DE  L'EAU S 

3.  SI  J'AI  PARLÉ b 

liC  i-ecueil  c. 


4.  LES  FONTAINES 6 

5.  AU  BOIS  DES  FRÊNES  ...  5 

6.  ÉCHO  D'AMOUR S 

i|>lt-«.  nel  :   5  fr.iucs. 


272 


LE  MÉNESTREL 


IIIWIII 


S>Vv$'S'^S^VV^'w>V$V*VVV'$l' 


nmm^ummummmuumummmmm^mumummnmmui 


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XAVIÈRE 


^     Idylle  Dramatique 


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3   ACTES 


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TH-   DUBOIS 


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€(ntr'acte  -J^igaudon 


a.  Édition  originale,  piano  seul 

b.  Édition  facilitée,  piano  seul 

c.  Pour  piano  4  mains   .    . 

d.  Pour  violon  et  piano .    . 

e.  Pour  flûte  et  piano.    .    . 
/.  Pour  violoncelle  et  piano 
g.  Pour  mandoline  et  piano 
Orchestre  complet.    .    .  Net 
Chaque  partie  séparée   .  Net 


3. 
3. 
5. 
5. 
5. 
5. 
5. 
12. 


.50 


Transcriptions 

POUR 

Piano   Seal 

ET 

INSTRUMENTS  DIVERS 


PARIS 

AU  MÉNESTREL-  2'^  rue  Vivienne  -  HEUGEL  &  C" 


PROPRIÉTÉ  POUR  TOUS  PAYS 


Tous  droits  de  traduction,  de  reproduction  et  de  représentation 
réservés  en  tous  pays,  y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


Copyright  bj/  HEUGEL  S-  C",  rfj(5. 


X)anses  Oévenoles 

a.  Pour  piano  seul 6 .  » 

l.  Pour  piano  4  mains  ...  9 .  » 

Orchestre  complet.   .    .  Net  20.  » 

Chaque  partie  séparée  .  Net  1 .  » 

III 

i^arche  des  ^Batteurs 

fl.  Pour  piano  seul 5.   » 

h.  Pour  piano  4  mains.    .    .  6.   » 

Orchestre  complet.    .    .  Net  15.   » 

Chaque  partie  séparée   .   Net  ».75 


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I$l 


;  DERGEnE     30, 


Dimanche  30  Août  1896. 


3444.  —  62"«  ANNÉE  —  N°  3S.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteur;^.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  on  Texte  seul  •  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teïle  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  -  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Élude  sur  Or-phée  de  Gluck  (1"  article),  Julien  Tiebsot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  L'auteur  de  la  Sonate  du  Diable,  Arthur  Pougin.  —  III.  Musique  et  pri- 
sons (15'  article)  :  Prisons  politiques  modernes,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Journal 
d'un  musicien  (3»  article),  A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PASTORALE 

de  Ch.    Grisart.   —  Suivra   immédiatement  :   Femmes  et  Fleurs,  de   Paul 
Wachs.  

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

chant  :  Attente,  mélodie  de  Gesark  Galeotti,  poésie  do  M.  de  Mohiana.  — 

Suivra  immédiatement  :  Jours  d'automne,  mélodie  de  Charles  Levadé,  poésie 

de  Jules  Oudot. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De    GLUCK   {') 


Il  n'est  pas,  dans  la  poésie  antique  ou  moderne,  de  sujet 
qui  ait  séduit  les  musiciens  à  l'égal  de  la  légende  d'Orphée. 
Gela  se  conçoit.  En  effet,  sans  même  parler  de  la  beauté 
essentielle  du  drame,  où  trouver  un  plus  éclatant  symbole 
du  prestige  de  la  musique  que  ce  mythe,  à  la  fois  naïf  et 
profond,  qui  la  représente  comme  possédant  un  pouvoir 
tellement  irrésistible  qu'elle  commande  à  la  nature  entière? 
Car  non  seulement  les  éléments,  les  rochers,  les  bêtes  féroces 
et  les  arbres  des  forêts  sont  soumis  à  son  empire,  mais,  par 
un  prodige  stupéfiant,  ses  accents  magiques  en  arrivent  à 
vaincre  jusqu'à  la  Mort! 

Dès  les  premières  manifestations  du  mouvement  musical 
duquel  sortit  l'opéra,  poètes  et  musiciens  se  placèrent  à 
l'envi  sous  le  patronage  de  leur  mythologique  initiateur.  Le 
premier  «  drame  en  musique  »  des  temps  modernes  est, 
quant  à  la  date,  une  Euridice  qu'Ottavio  Rinuccini  et  Jacopo 
Péri  firent  représenter  à  Florence,  le  6  octobre  de  l'an  1600, 
lors  des  fêtes  données  en  l'honneur  des  noces  d'Henri  IV  et 
de  Marie  de  Médicis.  Dans  la  même  année,  un  autre  compo- 
siteur, Giulio  Gaccini,  écrivait  sur  les  mêmes  vers  une  nou- 
velle partition. 

(1)  Cette  étude  est  destinée  à  servir  de  préface  à  l'édition  d'Orplux  de  Gluck, 
•  élaborée  par  M.  Camille  Saint-Sacns,  conjointement  avec  notre  collaborateur 
Julien  Tiersot,  pour  la  grande  collection  des  œuvres  de  Gluck  dont  la  publica- 
tion est  due  à  l'initiative  de  M"'  Fanny  Pelletan. 


Sept  ans  plus  tard,  un  musicien  de  génie,  Monteverde, 
composa  un  Orfeo  ;  et  l'on  put  voir  dès  lors  quel  avenir  était 
promis  au  nouveau  genre  lyrique,  tant  cette  œuvre,  par  la 
hardiesse  de  ses  harmonies  et  la  nouveauté  de  ses  combinai- 
sons instrumentales,  surpassait  les  timides  inventions  des 
précurseurs  florentins. 

Vers  le  milieu  du  siècle,  Mazarin  voulut  introduire  en 
France  cette  forme  d'art  qui,  en  peu  d'années,  avait  pris  un 
si  grand  développement  dans  son  pays  :  il  fit  venir  à  Paris 
des  chanteurs  italiens,  et,  le  2  mars  1647,  leur  fit  donner 
une  représentation  au  Palais-Royal,  dans  la  même  salle  où 
Richelieu  avait  fait  jouer  sa  tragédie  de  Minime.  Ge  premier 
opéra  joué  en  France  fut  encore  un  Orfeo,  dont  le  compositeur 
avait  nom  Luigi  Rossi. 

La  création  de  l'opéra  allemand  ne  remonte  guère  au  delà 
des  dernières  années  du  dix-septième  siècle  ;  l'on  en  attribue 
l'honneur  au  Saxon  Reinhard  Keiser.  Celui-ci,  en  1699,  com- 
posa un  opéra  qui  fut  représenté  à  Brunswicli  sous  le  titre 
de  la  Lyre  enchantée  d'Orphée  (Die  verwandelte  Leyer  des  Orpheus)  ; 
puis,  reprenant  son  œuvre,  il  la  développa  et  la  divisa  en 
deux  parties,  sous  le  nom  général  à'Orpheus  (Hambourg,  1702)  ; 
enfin,  en  1709,  il  la  réduisit  de  nouveau  en  une  seule  soirée, 
sous  le  titre  d'Orphée  en  Thrace  (Orpheus  in  Thracien). 

En  France,  Lulli  n'aborda  point  ce  sujet;  mais  ses  deux 
fils,  Louis  et  Jean-Baptiste,  écrivirent  un  Orphée,  en  trois 
actes  et  un  prologue,  qui  fut  donné  à  l'Opéra  de  Paris  le 
8  avril  1690. 

Mais  c'est  surtout  sous  forme  d'opéra  italien  que  la  légende 
d'Orphée  fut  traitée  avec  continuité,  depuis  les  origines  jus- 
qu'à la  fin  du  dix-huitième  siècle.  On  attribue  à  Zarlino,  le 
célèbre  théoricien  de  l'harmonie,  la  composition  d'un  Orfeo  éd. 
Euridice.  Sous  le  même  titre  fut  représenté  un  opéra  d'Ant. 
Sartorio,  à  Venise,  en  1672;  puis  vinrent:  la  Lira  d'Orfeo,  par 
Ant.  Draghi,  à  Laxenbourg,  près  Vienne  (1683)  ;  Orfeo  ed  Euridice, 
de  Joh.  Jos.  Fux  (Vienne,  171S)  ;  i  Lamenti  d'Orfeo,  de  Wagenseil 
(Vienne,  1740);  Orfeo,  de  Karl  Heinrich  Graun  (Berlin,  17S2)  ; 
VOrfeo  ed  Euridice,  de  Gluck  (Vienne,  5  octobre  1762);  Orfeo, 
de  Jean-Chrétien  Bach  (Londres,  1770);  Orfeo  ed  Euridice,  de 
Tozzi  (Munich,  1775)  ;  Orfeo  ed  Euridice,  de  Berloni  (Venise, 
1776);  Orfeo,  de  Guglielmi  (Londres,  1780);  Orfeo  ed  Euridice, 
d'Haydn,  composé  à  Londres  en  1793-94  et  resté  inachevé; 
Orfeo,  de  Luigi  Lamberti  (vers  1800). 

A  ces  œuvres  écrites  sur  des  poèmes  italiens,  il  faut  joindre 
un  Orphem  anglais  de  J.  Hill  (Londres,  1740)  ;  un  Orphée  fran- 
çais, composé  par  Dauvergne  vers  1770,  et  non  représenté; 
Orpheus,  opéra  danois  de  Naumanu  (Copenhague,  1785)  ;  enfin, 
outre  les  compositions  déjà  citées  de  Keiser,  les  opéras  alle- 
mands suivants:  Orpheus,  de  Georges  Benda  (Gotha,  1787);  un 
autre  Orpheus,  de  Fried.  Wilh.    Benda  (Berlin,  1788);   la  Mort 


274 


LE  MENESTREL 


irOi-phée  (Der  Tod  des  Orplicus},  de  Max.  Fr.  von  Droste-Hûlshoff 
(écrit  en  'ITOl,  non  représenté);  une  autre  3Iort  d'Orphée,  de 
Gottlob  Bachmann  (Brunswick,  1798);  Orpheim,  de  Kannabich 
(Municli,  vers  1800);  enfin,  Orpheus,  de  Fr.  Aug.  Kaune, 
(Vienne,  1810). 

Avec  de  moindres  développements,  le  même  sujet  a  été 
employé  dans  plusieurs  œuvres  musicales  parfois  signées  de 
grands  noms.  L'une  des  plus  belles  cantates  françaises  du 
XVIIP  siècle  est  un  Orphée  de  Clérambault.  Berlioz  eut  une 
Mort  d'Orphée  à  mettre  en  musique  pour  un  concours  de 
Rome.  Liszt  en  a  tiré  un  poème  symphonique;  Léo  Delibes, 
une  scène  lyrique  pour  chant,  chœur  et  orchestre.  Même  il  y 
eut  des  pantomimes  et  des  ballets  composés,  dès  le  XVII'  siècle, 
sur  les  amours  d'Orphée  et  d'Eurydice  :  le  plus  ancien  est 
d'Henri  Schûtz,  le  précurseur  du  grand  Bach,  et  fut  joué 
à  Dresde,  en  1638,  pour  les  fiançailles  du  prince  Georges  II 
de  Saxe.  Eosuite  parurent,  en  Angleterre,  plusieurs  divertis- 
sements ou  mascarades,  composés  tour  à  tour  par  Martin 
Bladen  (Londres,  1705),  J.  Dennis  (1707),  John  Weaver  (1717), 
Rich  (1741),  Reeve  (1792)  et  Peter  von  Winter  (1805);  enfin, 
en  France,  un  ballet  d'Orphée,  musique  de  Biaise,  fut  joué  au 
théâtre  de  la  Foire  en  1738. 

Et,  comme  les  plus  nobles  sujets  ne  sont  pas  à  l'abri  de  la 
satire,  plusieurs  parodies  furent  représentées  en  AUemague 
et  en  France.  Il  suffit  de  citer  pour  mémoire  l'opéra  bouffe 
d'OfFenbach,  joué  précisément  au  moment  oiil'Orphée de  Qluck, 
après  un  si  long  oubli,  allait,  grâce  à  l'admirable  interpréta- 
tion de  M""*^  Pauline  Viardot,  retrouver  à  Paris  un  accueil 
mémorable  autant  que  significatif. 

Par  la  chronologie  ci-dessus,  l'on  peut  juger  que,  si  VOrphée 
de  Gluck  n'est  pas  la  dernière  œuvre  qui  fut  inspirée  par  la 
légende  du  chantre  de  Thrace,  du  moins,  après  lui,  aucun 
grand  musicien  n'osa  plus  aborder  ce  sujet:  bientôt  même 
celui-ci  fut  abandonné  par  les  médiocres  dont  le  seul  idéal 
est  l'imitation,  et  pour  lesquels  la  supériorité  du  génie  n'éclate 
que  lorsqu'un  succès  définitif  l'a  consacrée.  Parmi  ceux  qui, 
après  Gluck,  y  songèrent  encore,  nous  ne  trouvons  plus  qu'un 
grand  nom,  celui  d'Haydn  :  encore,  bien  qu'il  semble  que  son 
Orfeo  ed  Euridke,  dont  quelques  fragments  nous  restent,  dût 
affecter  un  caractère  bien  différent,  n'osa-t-il  même  pas  l'ache- 
ver. A  partir  du  ^W'  siècle,  le  nom  de  Gluck  est  si  complè- 
tement associé  à  l'idée  d'Orphée  qu'aucun  musicien  n'oserait 
plus  toucher  à  cette  légende,  au  sujet  de  laquelle  il  semble 
que,  désormais,  tout  soit  dit. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


L'AUTEUR  DE  Là  SONATE  DU  DIABLE 
Il  n'est  aucun  violoniste  qui  ne  sache  par  avance  que  c'est  de 
•Tartini  que  je  veux  ici  parler.  L'auteur  de  la  Sonate  du  Diable  est  assez 
célèbre  par  cette  seule  composition  pour  que  nul  ne  s'y  puisse  mé- 
prendre, et  que  son  nom  soit  aussitôt  prononcé.  Tartini  a  été  l'un  des 
maîtres  et  l'un  des  chefs  de  la  grande  école  italienne  de  violon,  et 
l'hommage  que  Pirano,  sa  ville  natale,  vient  de  rendre  à  cet  artiste 
admirable  eu  lui  élevant  une  statue  sur  l'une  de  ses  places  publiques, 
donne  une  sorte  d'intérêt  d'actualité  à  quelques  notes  concernant  sa 
vie  et  sa  carrière,  aussi  singulières  et  agitées  dans  leurs  commence- 
ments que  paisibles  ensuite  et  laborieuses. 

Celui  qui  était  appelé  à  devenir  l'un  des  plus  illustres  virtuoses 
de  son  temps  était  destiné  par  les  siens  à  l'état  ecclésiastique.  Né  à 
Pirano,  en  Istrie,  le  12  avril  1692,  Giuseppe  Tartini  fut  en  effet  placé 
dès  son  enfance  chez  les  oratoriens  de  sa  ville  natale,  et  envoyé 
ensuite  à  Capo  d'Istria  pour  achever  ses  études  au  collège  dei  Padri 
délie  scuole,  en  attendant  qu'il  entrât  dans  un  couvent  de  franciscains. 
Tout  en  poursuivant  son  éducation  littéraire,  il  prenait  des  leçons  de 
musique  et  se  familiarisait  avec  le  mécanisme  du  violon,  pour  lequel 
il  se  sentait  déjà  un  goût  prononcé.  Ce  goût  toutefois  n'égalait  point 
la  pa,ssion  qu'il  éprouvait  dès  lors  pour  l'escrime,  oii,  très  jeune,  il 
atteignit  une  remarquable  habileté.   En  même  temps,  il  témoignait. 


on  le  conçoit,  d'une  répugnance  invincible  pour  la  carrière  religieuse, 
si  bien  que  sa  famille  dut  renoncer  aux  projets  qu'elle  avait  formés 
sous  ce  rapport.  On  décida  alors  de  l'envoyer  à  Padoue  pour  y  étu- 
dier la  jurisprudence.  Il  avait  à  cette  époque  dix-huit  ans,  le  sang 
chaud  et,  parait-il,  l'bumeur  assez  batailleuse.  Il  fréquentait  assidû- 
ment les  salles  d'armes,  et  la  supériorité  qu'il  avait  acquise  comme 
tireur,  la  confiance  qu'il  avait  en  lui  n'étaient  point  pour  lui  conseiller, 
à  l'occasion,  la  patience  et  la  longanimilé.  Loin  d'éviter  les  que- 
relles, il  les  recherchait  volontiers  au  contraire,  ne  craignant  aucun 
adversaire,  ne  redoutant  ni  le  bruit  ni  le  scandale,  si  bien  qu'il  eut  à 
Padoue  plusieurs  duels  qui  ne  furent  pas  sans  avoir  quelque  reten- 
tissement. En  fait,  il  mena  pendant  plusieurs  années  une  existence 
tellement  dissipée  qu'elle  finit  par  lui  faire  prendre  en  dégoût  toute 
étude  sérieuse,  et  quebientôtil  songea  àembrasserune  carrière  indigne 
de  sa  haute  intelligence  :  il  eut  l'idée  d'aller  s'établir  dans  une  capi- 
tale, soit  à  Naples,  soit  même  à  Paris,  comme  maître  d'armes. 

Mais  l'homme  propose  et...  l'amour  dispose.  Il  arriva  que  le  jeune 
Tartini  devint  un  beau  jour  éperdumeut  épris  d'une  demoiselle  de 
Padoue,  jeune  fille  d'excellente  famille,  qui  était  parente  du  cardinal 
Giorgio  Cornaro,  évêque  de  cette  ville.  Il  sut  lui  faire  partager  sa 
passion,  à  ce  point  qu'elle  consentit  à  se  laisser  enlever,  à  le  suivre 
et  à  l'épouser  secrètement.  Mais,  par  ce  fait,  Tartini,  privé  des  secours 
qu'il  recevait  de  sa  famille,  se  trouvait  sans  ressources.  Pour  comble 
de  malchance,  le  cardinal  Cornaro,  instruit  de  ce  qui  s'était  passé, 
mit  la  police  à  ses  trousses  et  le  fit  poursuivre  activement,  en  l'accu- 
sant de  séduction  et  de  rapt.  Il  fallut  fuir  et  se  cacher.  Prévenu  à 
temps,  Tartini  dut,  pour  échapper  au  danger  qui  le  menaçait,  aban- 
donner sa  jeune  épouse  et  chercher  un  refuge.  Il  se  dirigeait  vers 
Rome  lorsque,  arrivé  à  Assise,  il  eut  la  bonne  fortune  de  rencontrer 
un  moine,  son  proche  parent,  qui  était  sacristain  du  couvent  des  mino- 
rités de  celte  ville  et  qui,  touché  de  sa  situation,  lui  procura  un  asile 
dans  le  monastère. 

C'est  là  que  Tartini  resta  caché  pendant  deux  années.  La  vie  tran- 
quille du  couvent  rafraîchit  son  esprit  et  fil  prendre  à  ses  idées  une 
direction  toute  différente  de  celle  qu'elles  avaient  eue  jusqu'alors. 
Les  pratiques  religieuses  auxquelles  il  prenait  part  transformèrent 
son  caractère,  et  l'étude  de  la  musique,  à  laquelle  il  se  livra  avec 
ardeur,  contribua  à  apaiser  la  fougue  de  sa  jeunesse  et  à  la  rempla- 
cer par  une  douceur  qu'on  admira  par  la  suite. 

Tartini  mit  en  effet  sa  retraite  à  profil  pour  reprendre  sérieuse- 
ment l'étude  du  violon,  pour  laquelle  ses  dispositions  naturelles 
étaient  remarquables.  En  même  temps  il  recevait  de  l'habile  orga- 
niste du  couvent,  le  P.  Boemo,  des  leçons  d'accompagnement  et  de 
composition  dont  il  sut  profiter  largement  et  qui  le  mirent  à  même 
de  prendre  part  aux  fêtes  musicales  que  les  moines  célébraient  dans 
leur  chapelle.  C'est  précisément  ce  qui  vint  changer  sa  situation 
d'une  façon  imprévue.  Un  jour  de  grande  solennité,  comme,  placé 
dans  le  chœur  de  l'église  et  dissimulé  derrière  un  rideau,  il  exé- 
cutait un  solo  de  violon,  un  coup  de  vent  vint  soulever  rapidement 
ce  rideau  et  le  découvrit  aux  regards  des  assistants,  parmi  lesquels 
se  trouvait  un  habitant  de  Padoue,  qui  le  reconnut  et  divulgua  aus- 
sitôt son  secret. 

Heureusement  pour  Tartini,  le  temps  avait  apaisé  les  colères  qui 
s'étaient  amoncelées  contre  lui.  Le  cardinal  Cornaro  consentit  à  lui 
accorder  son  pardon,  il  rentra  en  grâce  auprès  de  sa  famille,  et 
enfin  il  lui  fut  possible  de  retourner  à  Padoue  et  permis  de  se  réu- 
nir à  sa  jeune  femme.  «  Peu  de  temps  après,  dit  Fétis,  il  partit 
avec  elle  pour  Venise,  où  il  entendit  le  célèbre  violoniste  Veracini, 
de  Florence.  Le  jeu  hardi  et  rempli  de  nouveautés  de  ce  virtuose 
l'étonna  et  lui  fit  apercevoir  de  nouvelles  ressources  pour  son  instru- 
ment. Ne  voulant  pas  entrer  en  lutte  avec  cet  artiste,  dont  il  ne  pou- 
vait se  dissimuler  la  supériorité,  il  s'éloigna  de  Venise  et  se  retira 
à  Ancône,  où  il  se  livra  avec  ardeur  à  de  nouvelles  études.  Depuis 
cette  époque  (1714),  il  se  fit  une  manière  nouvelle,  el  par  de  cons- 
tantes observations  établit  les  principes  fondamentaux  du  maniement 
de  l'archet  qui,  depuis  lors,  ont  servi  de  base  à  toutes  les  écoles 
de  violonistes  d'Italie  et  de  France.  » 

Tartini  avait  vingt-neuf  ans  lorsque,  en  1721,  de  retour  à  Padoue, 
il  fut  nommé  violon-solo  el  maître  de  la  chapelle  de  Saint-Antoine 
de  cette  ville,  qui  comprenait  alors  seize  chanteurs  et  vingt-quatre 
instrumentistes  et  était  considérée  comme  l'une  des  meilleures  de 
toute  l'Italie.  Il  renonça  pourtant,  deux  ans  plus  tard,  à  cette  situa- 
lion,  pour  se  rendre  à  Prague,  où  il  était  appelé,  avec  son  ami  le 
violoncelliste  Vandini,  à  l'occasion  des  fêtes  du  couronnement  de 
l'empereur  Charles  VI,  et  où  tous  doux,  acceplant  les  offres  brillantes 
qui  leur  étaient  faites  par  le  comte  de  Kinsky,  entrèrent  au  service 
de  ce   personnage.  Ils  n'y  restèrent   toutefois  que  trois  années,  au 


M 

à 


LK  MÉNESTREL 


275 


bout  desquelles  ils  revinrent  à  Padoue,  que  Tartini  ne  voulut  plus 
quitter  désormais,  en  dépit  de  tous  les  avantages  qu'on  pouvait  lui 
offrir.  Sa  renommée,  en  effet,  s'était  répandue  au  loin,  et  on  assure 
qu'un  grand  seigneur  anglais,  lord  Midlessex,  lui  garantissait 
3.000  livres  sterling  s'il  voulait  se  fixer  à  Londres.  Mais  Tartini 
répondit  au  marquis  degli  Obizzi,  qui  avait  été  chargé  de  poursuivre 
avec  lui  cette  négociation  :  «  Ma  femme  et  moi  nous  avons  la  même 
faconde  penser  et  nous  n'avons  pas  d'enfanls.  Nous  sommes  contents 
de  notre  sort,  et  si  nous  désirons  une  chose,  ce  n'est  certainement 
pas  de  posséder  plus  que  ce  que  nous  possédons  actuellement.  » 

Le  reste  de  sa  longue  carrière  s'écoula  paisiblement  dans  la  ville 
qu'il  avait  définitivement  choisie  pour  sa  résidence.  Dès  1728,  il  avait 
établi  à  Padoue  une  école  de  violon  qui  devint  rapidement  célèbre 
et  qui  y  attirait  de  tous  les  points  de  l'Italie,  et  même  de  la  France, 
les  jeunes  artistes  désireux  de  profiter  d'un  si  haut  enseignement. 
En  ce  qui  concerne  nos  compatriotes,  Pagin  et  La  Houssaye  firent 
expressément  le  voyage  d'Italie  pour  aller  à  Padoue  prendre  des 
leçons  de  Tartini  et  se  fortifier  sous  sa  direction.  Parmi  ses  meilleurs 
élèves,  il  faut  citer  le  fameux  Nardiui,  Alberghi,  Giorgio  Meneghini, 
M""  Lambardini-Sirmen,  Pollani,  Domenico  Ferrari,  Gapuzzi,  Pas- 
qualino  Bini,  Carminati,  etc. 

Tartini  avait  retrouvé  sa  place  de  violon  solo  à  l'église  Saint-Antoine 
qui  ne  lui  rapportait  que  400  ducats  (environ  1.600  francs)  et  qu'il 
conserva  pendant  quarante-huit  ans.  Le  produit  de  cette  place,  celui 
(le  ses  leçons  et  quelques  biens  qu'il  tenait  de  sa  famille,  lui  procu- 
curaient  une  aisance  modeste  qui  suffisait  à  ses  désirs  et  à  son  ambi- 
tion. L'enseignement,  d'ailleurs,  n'occupait  pas  tout  son  temps,  et  il 
se  livrait  à  la  composition  avec  une  ardeur  et  une  activité  qui  tenaient 
du  prodige.  On  peut  s'en  rendre  compte,  en  considérant  le  nombre 
d'oeuvres  publiées  par  lui  do  son  vivant,  par  cette  note  d'un  de  ses 
biographes  :  —  «  Ou  lit  dans  le  Journal  encyclopédique  de  Venise  de 
1773  CTartini  était  mort  le  26  février  1778)  que  le  capitaine  P.  Tartini, 
neveu  du  célèbre  Tartini,  a  déposé  chez  Antoine  Nozzari,  excellent 
violoniste,  les  sonates  et  concertos  suivants,  composés  et  écrits  de  la 
main  de  son  oncle,  savoir  :  1°  quarante-deux  sonates  ;  2°  six  autres 
plus  modernes;  3°  un  trio  ;  4°  cent  quatorze  concertos;  o"  treize  autres 
plus  récentSj'eto.  Ou  était  prié,  pour  en  faire  l'acquisition,  de  s'adresser 
à  M.  Carminer,  à  Venise,  qui  avait  parlé  plusieurs  fois  de  Tartini 
dans  son  Europe  littéraire  et  y  avait  même  inséré  des  morceaux  de 
ce  grand  artiste.  » 

Beaucoup  de  ces  compositions  sont  restées  inédites,  et  on  en  trouve 
ea  manuscrit  dans  les  archives  municipales  de  Pirano  et  dans  celles 
de  l'Arca  del  Santo,  de  Padoue.  Ses  œuvres  ont  été  l'objet  de  grands 
idoges  de  la  part  des  critiques.  Algarotti  disait  que  ses  sonates  font 
àlir  celles  de  Corelli  et  font  souvenir  des  sonnets  de  Pétrarque.  «  Elles 
-ont  remarquables,  ajoutait-il,  par  une  conduite  originale,  fanlaisiste, 
bérale,  réglée  par  les  lois  de  l'art,  mais  sans  servitude  et  sans  pé- 
lantisme.  j)  Il  disait  encore  que  Tartini,  avant  de  composer,  avait 
■..lutuine  de  lire  quelque  pièce  de  Pétrarque  avec  lequel  il  sympathi- 
sait beaucoup  pour  la  finesse  du  sentiment;  et  cela  pour  avoir  un 
nbjet  déterminé  à  peindre  et  ne  jamais  perdre  de  vue  le  motif  ou  le 
ujet;  u  c'est  ainsi  que  dans  ses  sonates  la  plus  grande  variété  se  joint 

I  l'unité  la  plus  parfaite  ». 

Le  savant  La  Lande  s'exprimait  ainsi  dans  son   Voyage  d'Italie  : 

II  On  ne  peut  guère  parler  de  musique  à  Padoue  sans  citer  le  célèbre 
Joseph  Tartini  qui  est  depuis  longtemps  le  premier  violon  de  l'Europe, 
•ia  modestie,  ses  mœurs,  sa  piété  le  rendent  aussi  estimable  que  ses 
lalents.  On  l'appelle  en  liaMs  il  maestro  délie  nazioni  aoii  pour  l'exé- 

ution  soit  pour  la  composition.  » 

De  son  côté,  Guingueni  disait,  dans  l'Encyclopédie,  en  parlant  de 
i'trtini  :  —  «  On  sait  que  ce  grand  homme  fit  une  double  révolution 
-ins  la  composition  musicale  et  dans  l'art  du  violon.  Des  chants 
iibles  et  expressifs,  des  traits  savants  mais  naturels  et  dessinés  sur 
une  harmonie  mélodieuse,  des  motifs  suivis  avec  un  art  infini,  sans 
air  de  l'esclavage  et  du  pédautisme  que  Corelli  lui-même,  plus 
'  'Cupé  du  contrepoint  que  du  chant,  n'avait  pas  toujours  évité;  rien 
le  négligé,  rien  d'affeclé,  rieu  de  bas;  des  chants  auxquels  il  est 
iiipossible  de  ue  pa?  attacher  un  sens  et  où  l'on  s'aperçoit  à  peine  que 
I  parole  manque  :  tel  est  le  caractère  des  concertos  de  Tartini.  >> 

L'une  des  œuvres  les  plus  importantes  de  Tartini  est  son  fameux 
[rt  del'archet  (Arte  del  l'arco),  que  J.-B.  Cartier,  son  ardent  admira- 
eur,  a  publié  en  France.  La  plus  curieuse  sans  contredit,  au  moins 
ar  son  origine,  est  sa  célèbre  Sonate  du  Diable,  dont  il  a  été  fait,  en 
"rance  aussi,   plusieurs  éditions.  C'est  encore  La  Lande  qui  a  fait 

unattre  cette  origine,  en  rapportant  ainsi  l'anecdote  qu'il  tenait  à 
e  sujet  de  Tartini  lui-même.  Voici  comme  il  s'exprime  :  «  Une 
iUit,  en  1713,  me  dit-il,  je  rêvais  que  j'avais  fait  un  pacte  et  que  le 


diable  était  à  mon  service;  tout  me  réussissait  à  souhait,  mes  volontés 
étaient  toujours  prévenues,  et  mes  désirs  toujours  surpassés  parles 
services  de  mon  nouveau  domestique.  J'imaginai  de  lui  donner  mon 
violon  pour  voir  s'il  parviendrait  à  me  jouer  de  beaux  airs;  mais 
quel  fut  mon  étonnement  lorsque  j'entendis  une  sonate  si  singulière 
et  si  belle,  exécutée  avec  tant  de  supériorité  et  d'intelligence  que  je 
n'avais  même  rien  conçu  qui  put  entrer  eu  parallèle!  J'éprouvais 
faut  de  surprise,  de  ravissement,  de  plaisir,  que  j'en  perdais  la  respi- 
ration; je  fus  réveillé  par  cette  violente  sensation.  Je  pris  à  l'instant 
mon  violon,  espérant  retrouverune  partie  de  cequejevenaisd'entendre, 
mais  ce  fut  en  vain  :  la  pièce  que  je  composai  alors  est,  à  la  vérité,  la 
meilleure  qu(3  j'ai  jamais  faite,  et  je  l'appelle  encore  la  Sonate  du 
Diable;  mais  elle  est  si  fort  au-dessous  de  ce  qui  m'avait  frappé,  que 
j'eusse  brisé  mon  violon  et  abandonné  pour  toujours  la  musique,  si 
j'avais  été  eu  état  de  m'en  passer.  »  De  même  que  l'Art  de  l'archet, 
cette  fameuse  et  curieuse  Sonate  du  Diable  fut  publiée  en  France  par 
l'excellent  violoniste  Cartier,  à  qui  elle  avait  été  communiquée  par 
Baillot,  qui,  dit-on,  l'avait  obtenue  à  Rome  de  Pollani,  l'un  des  bons 
élèves  de  Tartini. 

Tartini  était  âgé  de  près  de  78  ans  lorsqu'il  mourut  à  Padoue, 
succombant  à  une  longue  et  douloureuse  maladie.  Dès  la  première 
nouvelle  qu'il  avait  eue  de  son  état,  son  élève  le  plus  célèbre, 
Nardini,  était  accouru  de  Rome  pour  lui  prodiguer  ses  soins,  et  c'est 
dans  les  bras  de  Nardini  que  le  grand  artiste  rendit  le  dernier  soupir. 
Peut-être  le  dévouement  de  ce  disciple  affectueux  n'était-il  pas 
superflu  si  l'on  s'en  rapporte  à  ce  que  Choron  nous  apprend  au  sujet 
de  la  femme  de  Tartini,  qui,  cependant  l'avait  épousée  dans  les  condi- 
tions qu'on  a  vues  :  «  Il  paraît,  dit  Choron,  que  la  femme  de  Tartini 
était  une  vraie  Xautippe  à  son  égard,  et  qu'il  avait  pour  elle  la  dou- 
ceur et  la  patience  de  Socrate.  »  Fétis  dit  de  son  côté  :  i  Le  caractère 
acariâtre  de  sa  femme  ne  le  rendait  pas  heureux;  mais  il  eut 
toujours  avec  elle  une  patience  et  une  douceur  inaltérables.  »  Et 
Choron  dit  encore,  au  sujet  de  Tartini  lui-même  :  «  Sa  conduite 
particulière  prouve  combien  il  était  désintéressé.  Il  nourrissait  plu- 
sieurs familles  indigentes,  et  fit  élever  plusieurs  orphelins  à  ses  frais; 
il  donnait  aussi  des  leçons  gratuites  à  ceux  qui  voulaient  apprendre 
la  musique  et  n'avaient  pas  les  moyens  de  payer.  »  Nous  voilà  loin 
du  Tartini  des  jeunes  années,  dissipé,  querelleur,  duelliste  enragé  et 
livré  sans  réserve  à  ses  passions. 

Tel  est  le  grand  artiste  auquel  ses  concitoyens  viennent  de  rendre 
un  éclatant  et  solennel  hommage.  C'est  le  2  de  ce  mois  qu'a  eu  lieu, 
à  Pirano,  l'inauguration  de  la  statue  de  Tartini.  L'idée  de  ce  monu- 
ment remonte  à  l'année  1888,  et  l'on  avait  voulu  être  prêt  pour  le 
12  avril  1892,  date  du  second  centenaire  de  la  naissance  de  l'artiste; 
mais  il  a  fallu  compter  sur  les  retards  toujours  inévitables  en  pareil 
cas  bien  qu'au  premier  appel  du  comité  aient  aussitôt  répondu  avec 
enthousiasme  non  seulement  Trieste,  mais  toutes  les  communes, 
toutes  les  bourgades,  et  aussi  toutes  les  sociétés  du  Frioulet  del'Istrie, 
justement  fières  de  leur  compatriote.  La  statue,  œuvre  du  sculpteur 
Antonio  Dali  Zotto,  fondue  en  bronze,  à  Venise,  par  M.  Munaretti, 
mesure  deux  mètres  quarante  et  estplacée  sur  un  piédestal  en  marbre 
gris,  travaillé  dans  un  style  plein  de  grâce  par  M.  Tamburlini,  de 
Trieste.  Sur  la  face  intérieure  on  lit  cette  simple  inscription: 
A  Giuseiipe  Tartini  —  l'Istria  —  1896. 
C'est  un  vrai  monument  national.  Arthur  Pougin. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite} 


PRISONS  POLITIQUES   MODERNES 
I 

La  chuine  des  Iradilions.  —  Les  détenus  polUiqucs  «  Siiinle-Pèlagle.  —  Souvenirs  de  Ras- 
pail:  hommage  remlu  à  lu  musique;  les  mornes  à  ta  prière  du  soir.  —  Le  drapeau  des 
prolétaires  et  le  buste  du  comte  de  Chambord.  —  Les  concerts  du  vicomte  Sosthènes 
de  Larochefoucauld.  —  Sainte-Pélagie  à  l'Opéra.  —  Les  hymnes  patriotiques  à  Belle- 
Isle-en-Mer  et  te  cancan  à  Doullens. 

Qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  ce  chant,  aujourd'hui  inconnu,  de  U  Répu- 
blique des  Égaux,  va  devenir,  par  une  sorte  de  suggestion  invisible 
et  insaisissable,  l'évangile  des  détenus  politiques,  à  partir  de  1831  : 
car,  pour  nous,  la  prison  moderne  date  de  cette  époque;  et  que  ses 
pensionnaires  républicains  y  fassent  retentir  la  Marseillaise,  le  Chant 
du  Départ  ou  la  Parisienne,  à  défaut  d'autres  hymnes  répondant  mieux 
à  leurs  aspirations,  la  phrase  musicale,  émise  par  eux  en  sourdine, 
ou  lancée  à  pleins  poumons,  est  toujours  dans  leur  pensée  une  des 
protestations  les  plus  accentuées  du  socialisme  vaincu. 


276 


LE  MENESTREL 


L'avènement  de  la  monarchie  de  Juillet  avait  causé  dans  tous  les 
camps  d'amères  déceptions.  Les  républicains  et  les  bonapartistes,  qui 
avaient  travaillé  d'un  commun  accord  a  renverser  la  branche  aînée 
des  Bourbons,  ne  pouvaient  se  consoler  d'avoir  tiré  les  marrons  du 
feu  pour  la  branche  cadette;  d'autre  part,  les  légitimistes  gardaient 
rancune  à  celle-ci  de  sa  victoire.  Tous  se  coalisèrent  donc  contre 
a  l'usurpation  »  triomphante,  fort  inutilement  d'ailleurs,  car  Sainte- 
Pélagie  ne  tardait  pas  à  ouvrir  ses  portes  aux  débris  de  conspirations 
aussi  vite  avortées  que  hâtivement  conçues. 

L'une  des  victimes,  le  républicain  Raspail,  a  tracé,  dans  son  livre 
des  Prisons,  un  tableau  très  mouvementé  de  Sainte-Pélagie  à  cette 
époque.  Nous  nous  j  arrêterons  volontiers,  parce  qu'on  ne  s'atlend 
guère  à  trouver  des  pages  aussi  émouvantes  et  aussi  attendries  chez 
ce  farouche  démocrate.  On  le  savait  habile  chimiste  ;  il  reste  encore 
aux  yeux  de  tous  l'apologiste  convaincu  du  camphre  qui  fit  sa  for- 
lune  et  l'ennemi  irréconciliable  des  jésuites  qui  ne  l'empoisonnèrent 
pas  ;  mais  se  serait-on  jamais  douté  qu'il  était  un  amateur  passionné 
de  musique  et  que  son  enthousiasme  se  manifestait  par  un  déborde- 
ment de  lyrisme  d'une  superbe  envolée? 

Se  rappelant  sans  doute  les  rôles  respectifs  d'Orphée  et  d'Amphion 
dans  l'antiquité,  Raspail  assigne  aux  musiciens  modernes  une  mission 
qu'ils  déclineraient  vraisemblablement,  mais  qui  n'en  est  pas  moins 
un  hommage  très  sincère  rendu  à  l'excellence  de  leur  art  : 

...  Je  proclame  les  musiciens,  s'écrie-t-il,  les  premiers  réformateurs  du 
monde,  les  pontifes  de  la  civilisation  nouvelle...  Pauvres  ménestrels,  vous 
ignorez  votre  puissance  et  l'esprit  de  Dieu  qui  est  en  vous.  Inspirez-vous 
et  allez  annoncer  aux  nations  l'heureuse  nouvelle,  l'évangile  du  monde 
qui  se  régénérera  et  se  reconstruira,  pierre  à  pierre,  aux  accords  de  vos 
lyres  et  à  vos  chants  de  liberté  ;  la  terre  vous  attend  sur  les  pelouses  de 
fleurs  et  sous  les  dômes  de  verdure,  dont  le  génie  de  Juillet  a  jeté  la  graine 
à  la  volée,  sur  la  surface  du  globe  entier.  Allez,  on  vous  attend;  portez 
la  paix  et  la  concorde  dans  le  monde,  vous  prêtres  de  l'harmonie  et  de 
l'unité. 

Si  Raspail  parle  avec  celte  éloquence  enflammée  de  la  musique  et 
de  son  action  morale  sur  les  masses,  c'est  qu'il  la  considère  comme 
une  des  formes  les  plus  pénétrantes  de  la  «  prière  politique  »,  cette 
tradition  toujours  respectée  de  Sainte-Pélagie. 

La  prière  politique  est  vieille  comme  le  monde.  Le  sauvage,  au  pouvoir 
de  ses  ennemis,  obtient  de  ses  bourreaux  le  temps  nécessaire  pour  exécuter 
une  danse  religieuse  et  se  préparer  à  mourir  en  brave,  en  répétant  les 
chants  de  son  pays.  Le  guérilla  espagnol,  que  l'exécution  attend  parderrière, 
le  canon  du  fusil  appliqué  sur  l'omoplate,  récite  ses  litanies  et  sa  profes- 
sion de  foi,  l'œil  fier  et  fixé  sur  la  voûte  des  cieux,  la  voix  vibrante  et  qui 
n'a  plus  rien  de  terrestre.  Dans  les  prisons  de  Paris,  l'usage  de  la  prière 
du  soir  est  resté  incrusté  dans  les  murs  des  préaux,  à  quelque  couleur 
qu'ils  appartiennent.  Dès  qu'un  politique  y  entre,  cet  usage  suinte  des 
murs  et  vient  le  saisir  au  passage:  en  1793,  ou  chantait  chaque  soir  à  la 
Conciergerie,  des  romances  et  des  airs  patriotiques,  ce  qu'on  appelait  faire 
l'ofpee  et  cet  office  était  chaque  jour  l'office  des  morts:  chez  nous,  Voffice 
s'appelle  la  /méj'e  du  soir. 

Elle  portait  encore  le  nom  de  Prière  de  Rouget  de  Liste;  c'était  la 
UaiseiUaise,  que  les  détenus  entonnaient  en  chœur,  pendant  leur  pro- 
menade quotidienne;  mais  d'un  autre  point  de  la  cour  partait  la  Car- 
magnole chantée  par  «  les  moutons  de  la  police  »  ;  et  les  guichetiers, 
persuadés  que  les  républicains  allaient  tomber  dans  le  piège,  prépa- 
raient déjà  leur  procès-verbal  de  contravention.  Or,  les  détenus  se 
gardaient  bien  de  leur  donner  cette  satisfaction  ;  ils  imposaient  silence 
aux  mouchards  et  les  obligeaient  à  rester  dans  leurs  chambres. 

Par  contre,  ils  assistaient  à  des  concerts  enfantins  qui  leur  ravis- 
saient l'âme. 

Deux  cent  cinquante  enfants  de  huit  à  douze  ans,  des  «  peiits 
mômes  »,  comme  les  appelait  l'argot  des  prisons,  se  trouvaient  alors 
renfermés  à  Sainte-Pélagie:  les  patrouilles  les  avaient  ramassés  en 
étal  de  vagabondage  dans  les  rues  de  Paris.  Les  pauvres  petits  misé- 
rables, avec  leurs  gros  sabols  et  leur  «  complet  »  en  toile  d'embal- 
lage, avaient  bien  la  tournure  la  plus  grotesque  du  monde;  mais  ils 
étaient  très  fins  et  très  rusés,  d'ailleurs  fort  reconnaissants  de  la 
pitié  que  leur  témoignaient  les  détenus  et  suivant  avec  une  rare  doci- 
lité les  leçons  que  leur  donnait  charitablement  un  professeur  impro- 
visé. 

Là  encore.  Raspail  écrit  une  page,  pleine  de  sentiment  et  de  poésie, 
qu'on  dirait  échappée  de  la  plume  d'une  femme  : 

A  la  brune,  ils  nous  chantent  en  chœur  les  plus  beaux  morceaux  de 
musique  qu'ils  aient  dans  leur  répertoire  et  que  leur  ait  appris  leur  bon 
père  avec  le  plus  de  soin,  et  la  pureté  de  ces  jeunes  voix,  jointe  à  la 
pureté  de  ce  pan  de  ciel  étoile  que  juillet  étend  chaque  jour,  comme  une 
tente  d'azur  piquetée  d'argent,  au-dessus  de  notre  gouffre,  me  ramène  par 


la  pensée  à  ce  pays  que  j'aimais  tant  et  qui  m'aime  si  peu  ;  où  la  brise  du 
soir  m'apportait  au  fond  de  la  retraite,  dont  la  guerre  civile  m'avait  fait 
une  prison,  et  une  bouffée  du  parfum  des  champs,  et  une  bouffée  de  la 
mélodie  des  rues;  et  j'ai  depuis  lors  entendu  peu  de  mélodies  plus  pures,, 
plus  saisissantes  que  ces  mélodies  populaires  qui  saluent,  dans  le  midi 
de  la  France,  chacune  des  belles  nuits  d'été. 

Ici  ces  chants,  dignes  d'un  autre  théâtre,  nous  préparent  l'esprit  et  le 
cœur  à  la  prière  du  soir  qui  commence  dès  que  nos  protégés  sont  montéS- 
dans  leur  dortoir  :  et  nous  avons  toutes  les  peines  du  monde  pour  les  dé- 
terminer à  ne  pas  unir  leur  voix  à  la  nôtre,  car  les  petits  démons  sont 
devenus  aussi  patriotes  que  nous,  ils  chantent  ta  Marseillaise  avec  l'àme  de 
ceux  qui  ont  une  patrie,  eux,  pauvres  petits  vagabonds  qui  n'ont  d'autre 
patrie  que  la  prison.  Il  faut  les  voir  relever  leur  petite  taille  à  ces  mots  : 
Allons,  enfants  de  la  patrie  !  On  surprend  souvent  des  larmes  dans  leurs  yeux, 
car  c'est  peut-être  la  première  fois  qu'ils  ont  entrevu  une  mère  et  dans  les 
bras  de  cette  mère,  un  nom  qui  les  rendit  fiers  d'être  nés! 

Il  est  des  rapprochements  étranges  !  Raspail  raconte  que,  dans  le 
cours  de  ses  pérégrinations  cellulaires,  il  rencontra  à  la  souricière 
de  la  Conciergerie,  un  de  ses  co-accusés,  dont  le  cas  rappelle  d'assez 
près  celui  de  Ferrières-Sauvebœuf.  Ce  personnage  vivait  à  la  pistolc 
en  véritable  sybarite.  Le  parquet  de  sa  chambre  disparaissait  sous 
un  épais  tapis  d'Aubusson.  La  cellule  était  tendue  comme  un  boudoir 
et  le  Jour  n'y  pénétrait  qu'à  travers  une  gaze  brodée.  Le  lit,  élégam- 
ment sculpté,  s'enveloppait  de  larges  et  soyeux  rideaux.  Sur  la  che- 
minée, que  surmontait  une  glace,  apparaissait  entre  des  flambeaux 
et  des  porte-bouquets,  une  superbe  pendule,  le  Char  du  Soleil.  Enfin, 
dans  l'embrasure  de  la  fenêtre,  un  piano  de  Pleyel,  tenu  par  une 
nymphe  en  galant  négligé, 

■Versait  des  torrents  d'harmonie 
Au  fond  des  longs  corridors  noirs. 

Dans  cette  étude  très  documentée  et  très  vivante  encore,  à  soixante 
ans  d'intervalle,  Rispail  ne  nous  parait  pas  insister  suffisamment  sur 
la  mise  en  scène  de  la  «  prière  du  soir  »,  qui  a  bien  son  importance  ; 
car  il  s'en  dégage  une  impression  musicale  d'une  rare  intensité. 

Pour  se  distinguer  du  commun  des  détenus,  les  prisonniers  politi- 
ques s'étaient  habitués  à  vivre  en  soldats  à  Sainte-Pélagie.  Un  officier 
instructeur  les  initiait  aux  manœuvres  militaires  ;  et  ils  continuaient 
l'entrainement  dans  l'exécution  même  de  la  prière  du  soir.  Groupés 
au  milieu  de  la  cour,  ils  plaçaienl,  dans  le  cercle  ainsi  formé,  le  dra- 
peau tricolore  ;  puis  ils  entonnaient  successivement  la  Marseillaise  el 
la  Parisienne.  Quand  ils  arrivaient  au  couplet:  «  Tambour  du  convoi 
de  nos  frères  »,  ils  se  mettaient  à  genoux,  se  découvraient  et  chan- 
taient d'une  voix  lente  et  basse.  Djs  spectateurs  élrangors,  qui  assis- 
tèrent à  ce  spectacle  et  entendirent  cet  unisson,  ne  purent  se  dé- 
fendre d'une  émotion  profonde,  d'autant  plus  vive  que  la  mise  en 
scène,  très  arlistement  réglée,  se  terminait  par  une  apothéose  quasi 
patriotique.  «  Quand  l'hymne  est  fini,  le  porte-drapeau  fait  le  tour  du 
cercle,  chacun  baise  les  trois  couleurs,  puis  on  se  relève  ;  le  drapeau 
est  reconduit  avec  la  même  cérémonie.  » 

Au  tableau  des  «  prolétaires  »,  comme  les  appelle  Armand  Jlarrast, 
à  qui  nous  empruntons  le  trait  final,  il  importe  d'opposer  le  croquis 
des  légitimistes,  tel  que  nous  l'a  laissé  le  fameux  Bérard.  Ce  pam- 
phlétaire mort,  il  y  a  quelques  années  à  peine,  fidèle  encore  à  la 
religion  du  drapeau  blanc,  payait  alors  d'une  longue  détention  la 
publication  de  son  journal  les  Caneans. 

«  Le  buste  du  comte  de  Ghambord,  écrit-il,  placé  sur  une  colonne  en- 
tourée de  fleurs  et  surmontée  de  drapeaux  blancs,  recevait  les  hommages 
des  serviteurs  du  prince  qui,  tour  à  tour,  la  main  tendue  vers  son  visage, 
juraient  d'e  lui  rester  fidèles.  Le  sérieux  avec  lequel  s'accomplissait  cette 
cérémonie  lui  imprimait  un  caractère  religieux  qui  élevait  le  dévouement 
de  chacun  à  la  hauteur  d'un  devoir  de  conscience.  Tout  se  terminait  par 
la  reprise  en  chœur  d'un  chant  de  guerre  fort  répandu  alors  : 
Près  d'Henri  serrons  nos  bataillons. 
La  mort  ou  la  victoire  ! 

De  leur  côté,  les  bonapartistes,  collaborateurs  ou  non  du  journal  la 
Révolution  de  1830,  entretenaient  leurs  espérances  avec  les  odes  de 
Béranger  et  se  joignaient  souvent  encore  aux  républicains  pour  la 
prière  du  soir. 

En  tout  cas,  les  représentants  de  ces  divers  partis,  qui  se  seraient 
peut-être  entre-dévorés,  si  l'un  d'eux  était  arrivé  au  pouvoir,  vivaient 
dans  la  meilleure  intelligence  à  Sainte-Pélagie.  Ainsi  qu'on  voit,  en 
certains  pays,  des  prêtres  de  diverses  religions  se  succéder  au  même 
autel,  républicains,  légitimistes  et  bonapartistes  chantaient  dans  la 
même  prison  les  louanges  de  leurs  dieux  respectifs,  sans  haine  ni 
jalousie  réciproque,  et  au  milieu  de  l'ordre  le  plus  parfait. 

Cependant  Saiule-Pélagie  ne  désemplissait  pas.  A  vrai  dire,  l'oppo- 
sition anti-dynastique  ne  désarmait  point  :  bien  mieux  ses  leader 
redoublaient  de  violence  et  d'acrimonie;  ils  semblaient  qu'ils  eussent 


LE  MÉNESTREL 


277 


la  nostalgie  de  la  paille  humide  des  cachols.  Nous  parlons,  comme 
on  pense  bien,  au  figuré  :  car  ces  victimes  du  devoir  en  étaient 
arrivés,  grâce  à  la  tolérance  administrative,  à  gagner  le  plus  agréa- 
blement du  monde  les  palmes  du  martyre. 

Le  vicomte  Soslhène  de  Larochefoucauld  en  convient  très  volon- 
tiers dans  SCS  Mémoires. 

Ou  sait  si  cet  ancien  surintendant  des  beaux-arts  aimait  la  musique 
et  le  théâtre,  bien  que  ses  détracteurs  l'eussent  accusé  à  tort, 
paralt-il,  d'avoir  fait  allonger,  sous  son  règne,  les  jupes  des  danseuses 
de  l'Opéra. 

Toujours  est-il  que  M.  de  Larochefoucauld,  incarcéré  pour  délit 
politique  à  Sainte-Pélagie  en  1833,  eut  la  fantaisie  d'y  satisfaire  son 
goût  très  vif  pour  la  musique. 

«  Jadis,  écril-il,  nos  soldats  étaient  allés,  violons  en  tête,  à  l'attaque 
des  lignes  ennemies  :  les  prisonniers  du  juste-milieu  pouvaient  bien 
se  donner  le  passe-temps  de  quelques  symphonies  sous  les  verrous 
doctrinaires.  •> 

L'essentiel  était  d'avoir  l'autorisation  de  la  police.  Le  directeur  de 
Sainte-Pélagie,  qui  avait  offert  au  vicomte  son  appartement  comme 
salle  de  concert,  s'entremit  pour  obtenir  l'agrément  de  l'administra- 
tion. Il  cautionna  l'innocence  de  l'entreprise,  répondit  de  la  sagesse 
de  l'imprésario  et  de  ses  artistes  ;  et  déplaçant  même  la  question 
pour  la  porter  sur  un  terrain  où  l'avaient  déjà  précédé  les  philan- 
thropes des  pénitenciers,  il  invoqua  l'effet  salutaire  que  produirait 
certainement  la  musique  sur  les  rapports  des  prisonniers  entre  eus. 
Bref,  il  plaida  si  bien  la  cause  de  son  pensionnaire  que  l'autori- 
sation, après  s'être  fait  longtemp?  attendre,  fut  détinitivement 
accordée. 

Le  premier  concert  fut  très  brillant.  Parmi  les  artistes  hommes 
se  trouvaient  d'excellents  virtuoses,  amis  particulier  du  directeur, 
enlr'autres  Clavel,  violon  de  rOpéra.  Le  côté  dames  éiait  représenté 
par  M""=  Charbouillé  Saiut-Phai,  une  pianiste  hors  ligne,  dout  le 
talent  se  réservait  d'ordinaire  pour  les  fêtes  de  charité;  la  fille  du 
vicomte  et  la  gouvernante  de  cette  demoiselle,  (jui  avait  une  fort 
belle  voix,  jouaient  toutes  deux  de  la  harpe.  Les  soli,  les  duos,  les 
trios,  les  quatuors  se  succédaient  sans  interruption,  à  la  grande 
satisfaction  des  spectateurs,  hôtes  pour  la  plupart  de  Sainte-Pélagie  ; 
car  l'organisateur  de  la  soirée  avait  voulu  que  tous  fussent  appelés 
sans  distinction  de  classes,  ni  d'opinions.  Et  la  salle  avait  gagné,  à  uoe 
invitation  aussi  large,  d'offrir  l'aspect  le  plus  inattendu  :  «  On  aurait 
peine,  dit  le  narrateur,  à  se  figurer  le  coup  d'oeil  que  présentait  celte 
réunion,  oli  l'on  distinguait,  avec  le  plus  complet  assoitimenl  do 
couleurs  dépareillées,  bottes  de  couleurs,  pantoufles  brodées,  cas- 
quettes et  capotes  de  tous  les  goûts.   » 

Malheureusement  on  parla  trop  de  ce  concert  au  dehors  ;  les  anti- 
chambres ministérielles  s'en  émurent,  et  firent  ordonner  une  enquête. 
Le  directeur  dut  se  défendre,  mais  il  avait  pris  la  chose  tellement 
à  cœur  et  il  se  montra'  si  éloquent,  que  non  seulemenl  il  imposa 
silence  aux  méchantes  langues,  mais  qu'il  obtint  encore  un  blanc- 
seing  pour  une  nouvelle  série  de  concerts. 

On  arrivait  ainsi  à  cet  âge  d'or,  o'u  Ton  vit  des  prisonniers  poli- 
tiques, les  accusés  d'avril  entre  autres  (1833).  se  promener  dans  le 
jour  sur  les  boulevards  et  assister  le  soir  aux  représentations  de 
l'Opéra.  En  18d8,  le  fameux  Jacquot,  dit  Eugène  de  Mirecourt,  devait, 
à  la  même  prison,  obtenir  les  mêmes  faveurs. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAOMENTS 

(Suite.) 

H ,  le  statuaire,  m'affirmait  tout  à  l'heure  qu'il  y  a  pour  l'artiste 

une  grande  difficulté  à  produire  en  province  une  œuvre  vraiment 
intéressante,  car  il  lui  e.it  impossible  de  tout  tirer  de  son  propre 
fonds,  et  il  lui  manque,  en  province,  la  suggestion  incessante  qui 
est  autour  de  lui,  à  Paris. 

Est-ce  que  cette  difficulté  ne  pourrait  être  compensée  par  Pavan- 
tage  d'être  là-bas  plus  personnel,  étant  plus  à  l'abri  des  courants 
de  la  mode,  du  joug  des  tendances  du  moment,  qui  imposent  leur 
esthétique  et  leurs  formes  aux  ouvriers  de  la  pensée,  en  sorte  qu'ils 
s'uniformisent  plus  ou  moins,  y  accommodant,  même  à  leur  insu, 
leurs  tempéraments? 

!S 
X    X 

Ce  jour-lù,  je  passais  dans  la  principale  rue  de  Stuttgart,  quand, 


tout  à  coup,  les  horloges  sonnant  midi,  j'entendis  un  large  choral  à 
quatre  parties  chanté  par  les  voix  graves  d'instruments  de  cuivre. 
Je  levai  la  tête  dans  la  direction  du  son,  et  j'aperçus  au  haut  de  la 
tour  du  vieux  Munster,  sur  la  plate-forme,  une  rangée  de  musiciens. 
C'étaient  eux  .qui,  suivant  un  usage  traditionnel,  interprétaient  à 
cette  heure  un  choral;  dès  leur  tâche  finie, ils  descendirent  rapide- 
ment et  se  mêlèrent  à  la  foule,  retournant  à  leurs  occupations. 

Cette  prière  au  milieu  du  jour,  rappelant  d'en  haut  Dieu  à  la  ville 
affairée,  et  l'invoquant  pour  elle,  donnait  une  rare  impression  de 
noblesse  et  de  foi  sereine. 

S! 

X  a 

L'ami  Chabrier,  comme  bien  d'autres,  n'a  pas  conscience  de  son 
vrai  tempérament.  Il  y  a  en  lui  une  verve  bouffonne  et  exubérante,  un 
esprit  gaulois,  une  vis  comica  qui  ne  demandent  qu'à  s'épandre  au 
dehors.  —  Témoin    Espana,  la  Marche  joyeu.se,  les  Dindons,  les  Petits 

Cochons  roses etc.  —  Pourquoi  chercher  à  renouveler  l'inimitable 

épopée  wagnérienne?  —  Ah!  que  je  voudrais  à  celui-ci,  qui  pourrait 
prendre  une   place  à  part  dans   notre   grande  famille  de    musiciens 

fiançais,  un  poème  selon  sa  vraie  nature! de  brutales  kermesses 

à  laTéniers,  de  bruyants  cabarets,  des  foires  turbulentes,  des  marchés 
de  village  avec  leurs  dispule>  criardes,  des  fêtes  et  de  magnifiques 
processions  flamandes,  des  scènes  truculentes,  picaresques,  des 
Falslafl',  des  Tabarin,  des  Rabelais,  des  Argan,  des  Diaforus,  des 
Harpagon que  sais-je"?  avec  une  poussée  de  franc  naturalisme! 

Chabrier,  dont  le  tempérament  est  essentiellement  français,  pourrait 
fournir  une  note  verveuse,  comique,  absolument  nouvelle,  et  toujours 
musicale. 


On  abuse  de  ce  scepticisme  paresseux  et  un  peu  snob,  qui  se  traduit 
par  l'aphorisme  :  «  Qui  sait  si  l'erreur  d'aujourd'hui  ne  sera  pas  la 
vérité  de  demain  ?  »  —  C'est  cette  disposition  d'esprit  qui  encourage 
les  tentatives  prétentieusement  ridicules,  et,  —  en  littérature,  mal- 
honnêtes, —  de  quelques  impuissants. 

Il  ne  faut  pas  toujours  railler  la  critique  qui  s'est  exercée  sur  des 
œuvres  acclamées  plus  tard.  Le  temps  remet  toutes  les  choses  au 
point,  atténuant  les  admirations  du  lendemain  et  ramenant  souvent 
à  la  postérité  une  partie  des  appréciations  de  la  veille. 

Quand  Berton  disait  que  Rossini  faisait  de  la  «  musique  mécanique  », 
il  n'avait  pas  tout  à  fait  tort.  Il  fut  ridicule  après  Guillaume  Tell.  Mais, 
aujourd'hui,  qui  ne  pense  qu'il  y  avait,  en  effet,  peu  de  vraie  musique, 
et  abus  de  quelques  procédés,  des  plus  vulgaires,  dans  Matilde  di 
Sabran,  Zelmira,  Tancredi,  et  autres  macaronades? 

En  Suisse.  —  Hier  soir,  nous  sommes  revenus  de  Bellefue  à  Gur- 
nigel,  près  Berne,  par  la  forêt.  La  nuit,  une  claire  nuit  d'août  sans  lune, 
était  comme  parfumée.  Sous  les  dômes  de  sapin  une  lumière  douce 
filtrait,  et  le  ciel  bleu,  strié  d'étoiles,  apparaissait  de-ci,  de-là,  agran- 
dissant la  voirie.  —  Tout  le  monde  s'est  mis  à  chanter. 

Quelles  que  soient  les  beautés  du  grand  art  polyphonique,  il  fau- 
dra toujours  à  l'homme  des  chants  monodiques ,  qui  répondent  à  un 
besoin  de  son  cœur.  Nous,  les  raffinés,  nous  redisons  bien  mentale- 
luent  les  passages  polyphoniques  les  plus  admirés,  mais  ce  sont  natu- 
rellement des  chants  monodiques,  qui,  à  certains  moments,  nous 
montent  aux  lèvres. 

Ce  sont  aussi  ces  chants  que  fredonnent  l'ouvrière  courbée  sur 
son  ouvrage,  le  travailleur  devant  son  établi,  le  paysan  à  la  veillée, 
et  qui  leur  apportent,  à  leur  insu,  —  avec  une  consolation,  —  une 
lumineuse  parcelle  d'idéal. 

Si,  depuis  vingt  ans,  un  plus  grand  nombre  d'opéras  avaient  été 
conçus  avec  la  préoccupation  d'une  ligne  mélodique  clairement  des- 
sinée, et  très  en  relief,  —  comme  Carmen,  par  exemple,  —  sans  doute 
entendrions-nous  moins  de  refrains  ineptes  ou  obscènes,  qui  se  sont 
substitués  dans  la  bouche  du  peuple  aux  doux  et  simples  chants 
d'autrefois. 


Mon  maître  m'a  raconté  avoir  discrètement  indiqué  à  Mcyerbeer 
l'impression  d'inquiétude  que  lui  causait  toujours  la  longue  et 
meurtrière  tenue  sur  Yut  au-dessus  des  lignes  imposée  à  Valentine 
pendant  le  duo  avec  Marcel,  au  second  acte  des  Huguenots.  Mcyerbeer 
confessa  aue  ce  passage  avait  été  de  sa  part  une  concession  à 
M"=  Falcon  qui,  après  l'éclatant  succès  de  Robert,  avait  droit  à  sa  vive 
gratitude.  M"°  Falcon  l'avait  littéralement  persécuté  pour  qu'il  plaçât 
exactement  cet  effet  dans  le  prochain  rôle  qu'il  lui  confierait. 


278 


LE  MÉNESTREL 


La  plupart  des  compositeurs  les  plus  célèbres  de  l'école  russe 
n'étaient  pas  des  professionnels.  SerofT  était  conseiller  d'État, 
Moussorgski  officier,  Borodine  professeur  de  chimie  à  l'Académie 
de  médecine  de  Saint-Pélersbourg:  César  Cui  est  général  et  profes- 
seur de  topographie  militaire.  Presque  tous  accomplissaient  assidû- 
ment les  devoirs  de  leur  charge  et  ne  pouvaient  donner  qu'un  temps 
limité  à  l'art  qu'ils  aimaient  avec  tant  de  désintéressement.  Ils  n'en 
ont  pas  moins  acquis  une  notoriété,  on  peut  même  dire,  une  renom- 
mée internationale. 

En  France,  quelle  que  fût  leur  habileté  technique,  le  qualificatif 
d'amateur  se  serait  certainement  accroché  à  leurs  noms,  avec  tout  ce 
qu'il  renferme  de  dédaigneuse  indifTérence. 

Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  qu'il  n'en  va  pas  de  môme  pour  les 
autres  productions  de  l'esprit. 

Des  bureaucrates  écrivent  bon  nombre  de  nos  pièces  de  théâtre 
les  plus  joyeuses;  je  sais  tel  d'entre  eux  qui  a  fait  bonne  figure  aux 
Français  avec  une  légende  mystique,  et  tel  autre  qui  expose  chaque 
année  au  Champ-de-Mars  des  paysages  très  délicats  et  personnels. 
L'Académie  française  a  admis,  —  avant  l'âge  où  un  homme  de 
lettres  peut  aspirer  à  devenir  immortel,  —  le  lieutenant  de  vaisseau 
Jules  Viaud,  alias  Pierre  Loti. 

Je  ne  parle  pas  de  l'antiquité.  Il  y  eut  jadis  à  Rome  certain  ama- 
teur, du  nom  de  Jules  César,  qui  publia  des  Commentaires  jouissant 
encore  de  quelque  considération  dans  le  monde  des  lettres. 

Il  y  a  des  prêtres,  qui  feraient  haïr  la  religion.  Il  y  a  des  artistes 
qui  feraient  ha'ir  l'art. 

><\ 

Cette  partition  de  Tristan,  c'est  comme  une  femme  dont  on  voit  les 
travers,  les  défauts,  —  même  les  vices,  —  et  à  laquelle  on  revient 
parée  qu'il  se  dégage  d'elle  un  charme  qui  ensorcelé. 


Après  Haydn  et  Mozart,  le  musicien  qui  a  trouvé  les  mélodies  les 
plus  intéressantes,  en  les  concevant  sur  des  harmonies  qui  se  meu- 
vent de  la  tonique  à  la  dominante,  est  peut-être  notre  Boïeldieu.  On 
est  étonné,  en  relisant  ses  partitions,  d'y  trouver  un  aussi  grand 
nombre  de  chants  très  simples,  d'une  grâce  aimable,  et  dont  le 
dessin  diversement  rythmé  fait  la  variété. 


La  plupart   des   auteurs  qui  donnent  en  ce  moment  des  pièces  où 

passent  des   scènes  du   Nouveau-Testament,  ne  comprennent  rien  à 

l'Evangile.  En  le  paraphrasant,  en  délayant  sa  concise  simplicité,  en 

ajoutant  aux  paroles   éternelles  un  coloris  poétique  dont  la  moder- 

,  nité  fade  se  fanera  comme  la  mode,  ils  le  dénaturent. 

N'est-ce  pas  l'un  d'eux  qui  a  écrit  ces  vers: 

Laissez  venir  à  moi  les  petits  enfants  blonds?  (i) 
Et  un  autre: 

Laissez  venir  à  moi  jusqu'aux  petits  enfants  (2). 

Rien  ne  prouve  mieux  l'origine  divine  de  l'Evangile  que  cette  im- 
possibilité d'y  rien  modifier. 

Et  c'est  aussi  pourquoi  une  traduction  musicale  en  est  fort  difficile. 

Quand  nos  contemporains  y  louchent,  il  me  semble  voir  un  ouvrier 
malingre  qui  s'évertuerait  à  orner  de  vernis  Martin  les  puissants  pi- 
liers d'une  cathédrale  gothique. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 

NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


On  nous  télégraphie  de  Vienne  :  c<  La  soirée  de  gala  devant  un  public 
d'invités,  donnée  jeudi  à  l'Opéra  impérial  en  l'honneur  des  souverains 
russes,  a  été  un  véritable  triomphe  pour  la  délicieuse  partition  de  M.  Mas- 
senet,  Manon.  Il  faut  dire  que  l'air  ambiant  de  la  salle  était  fort  favorable 
à  l'impression  produite  par  le  chef-d'œuvre  français  qui  évoque  si  puis- 
samment le  souvenir  de  l'ancien  régime,  sous  lequel  les  grands  et  puis- 
sants de  la  terre  menaient  une  existence  douce  et  voluptueuse  à  jamais 
disparue  de  la  société  moderne,  tendant  de  plus  en  plus  à  se  démocratiser. 

(1)  M.  Haraucourt. 

(2)  M.  Armand  Silvestre. 


Le  parterre  était  un  étincelant  mélange  d'uniformes,  chamarrés  d'or  et 
rehaussé  de  l'éclat  de  décorations  ;  dans  les  loges  les  grandes  dames  vien- 
noises et  hongroises  charmaient  les  regards  par  leur  beauté,  l'élégance  de 
leurs  toilettes  et  le  feu  scintillant  des  pierreries  dont  elles  étaient  constel- 
lées, ayant  chacune  épuisé  les  trésors  du  Famitienschmudi,  de  ces  parures 
précieuses  qui,  dans  les  grandes  familles  autrichiennes  et  hongroises,  se 
transmettent  de  génération  en  génération  en  qualité  de  majorât  inalié- 
nable. Vers  huitheures,  les  souverains  et  la  cour  firent  leur  entrée  dans  la 
salle,  tout  récemment  restaurée  et  redorée  et  illuminée  «  9!o™o.  M.  Jahn, 
directeur  de  l'Opéra  impérial  qui  conduisait  en  personne,  fit  immédiate- 
ment attaquer  les  premières  notes  de  Manon  dont  on  ne  jouait  que  les  trois 
premiers  actes,  et  la  représentation  se  déroula  sans  le  moindre  accroc. 
M"'^'  Renard  et  M.  Van  Dyck,  qui  étaient  merveilleusement  en  voix,  ont 
interprété  leurs  rôles  avec  le  charme  et  la  maestria  qu'on  connaît,  et  l'em- 
pereur de  Russie  a  donné  à  plusieurs  reprises,  surtout  après  lî  scène  à 
Saint-Sulpice,  le  signal  des  applaud-issements.  Pendant  l'entr'acte  qui  a 
duré  presque  une  demi-heure,  le  thé  a  été  brillamment  servi  aux  sou- 
verains et  à  la  cour  dans  le  grand  salon  qui  précède  la  loge  de  gala  au 
centre  de  la  salle,  loge  occupée  par  les  Majestés  et  les  membres  de  la 
famille  impériale  d'Autriche-Hongrie.  Le  ballet  Valse  viennoise,  qui  est  de- 
venu une  espèce  de  ballet  national  au  même  titre  que  la  valse  du  Beau 
Danube  bleu,  de  Strauss,  clôtura  cette  très  brillante  soirée.  » 

—  De  notre  correspondant  de  Belgique  (27  août). —  Les  théâtres,  un  à  un, 
se  rouvrent  ou  s'apprêtent  à  se  rouvrir.  Après  le  Vaudeville  et  les  Gale- 
ries, viendra,  la  semaine  prochaine,  le  tour  de  la  Monnaie  et  de  l'Alham- 
bra.  La  Monnaie  inaugurera  sa  nouvelle  saison  le  5  septembre,  et  son 
premier  spectacle  sera  vraisemblablement  iofteni/riH.  La  direction  vient  de 
publier  le  tableau  otïïciel  de  sa  troupe;  ce  tableau  est,  à  peu  de  chose 
près,  celui  que  je  vous  ai  annoncé,  successivement  au  fur  et  à  mesure  des 
engagements;  le  voici  d'ailleurs  au  complet. 

MM.  Flon  et  Du  Bois  restent  à  la  tête  de  l'orchestre,  M.  Baudu  est 
régisseur  général. 

Les  artistes  du  chant  sont  : 

Du  côté  des  femmes  :  M""»*  Landouzy,  Raunay,  Kutscherra,  Jeanne  Ilar- 
ding,  Gianoli,  Holmstrand,  Goulancourt,  Mastio,  Milcamps,  Hendrickx, 
Mauzié,  Maubourg,  Bélia. 

Du  côté  des  hommes  :  ténors  :  MM.  Imbartde  la  Tour,  Bonnard,  Isouard, 
Dantu,Caisso,  Disy,  Gillon. 

Barytons  :  MM.  Seguin,  Frédéric  Boyer,  Dufranne,  Gadio,  Gilibert. 

Basses  :  MM.  Dinard,  Journet,  Elancard,  Danlée. 

Artistes  de  la  danse  :  M""^^  Térésita  Riccio,  Antoinette  Porro,  Jeanne 
Dierickx,  Zumpichell  ;  MM.  Laffont,  Artiglio  Lorenzo,  Desmet,  Stenee- 
bruggen. 

Les  chœurs  comptent  quatre-vingt-six  personnes,  l'orchestre  quatre- 
vingt-six  musiciens. 

Le  nombre  des  nouveaux  venus,  étrangers,  débutants  et  inconnus,  est, 
comme  on  le  voit,  assez  considérable.  Espérons  que,  dans  sa  recherche  de 
talents  inédits  et  d'élèves  d'avenir,  la  direction  aura  eu  la  main  heureuse; 
cela  lui  a  réussi  parfois;  les  artistes  de  réputation  sont  rares  à  trouver  et 
ils  coûtent  cher  ;  avec  les  «  jeunes  »,  entrant  dans  la  carrière  avant  même 
quêteurs  aînés  n'y  soient  plus,  on  a  du  moins  la  certitude  de  ne  pas  gaspiller 
d'argent  et  la  chance  de  trouvailles  heureuses.  MM.  Stoumon  et  Galabrési 
fondent,  cela  va  sans  dire,  sur  leurs  nouvelles  acquisitions,  beaucoup 
d'espérances.  Vous  connaissez  M"<=  Kutscherra  et  M"'  Harding.  M"'  Gia- 
noli est  une  Genevoise,  élevée  en  Italie,  où  elle  s'est  essayée,  à  Crémone 
et  à  Milan,  dans  de  petits  rôles  et  dans  les  concerts.  M"'  Holmstrand  est 
une  Suédoise;  elle  a  chanté  au  théâtre  de  Stockholm,  a  travaillé  à  Paris 
avec  M.  Saint- Yves-Bax  et  s'est  fait  entendre  un  soir  de  l'hiver  dernier  au 
Cercle  artistique  de  Bruxelles,  où  l'on  a  remarqué  la  pureté  de  sa  voix. 
M""  Mauzié  s'est  produite  dans  quelques  salons  parisiens,  mais  n'est  jamais 
montée  sur  les  planches.  M"'^  Maubourg  a  eu  des  succès  dans  les  cafés- 
concerts  d'Alger,  du  midi  de  la  France  et  de  Namur.  MM.  Dantu,  ténor,  et 
Blaucard,  basse,  ont  chanté,  l'un,  au  concert  Colonne,  dans  la  Damnation 
de  Faust,  l'autre,  au  concert  Lamoureux,  dans  la  Circé  de  M.  Théodore 
Dubois.  Enfin,  deux  de  nos  compatriotes.  M""  Goulancourt,  une  brillante 
élève  de  M"'°  Gornélis-Servais,  douée  d'une  très  puissante  voix  de  falcon, 
et  M.  Dufranne,  un  baryton  très  applaudi  au  Conservatoire,  complètent  la 
série.  Les  premières  semaines  de  la  saison  serviront  sans  doute  à  présen- 
ter au  public  et  à  essayer  tous  ces  débutants.  Puissent  ces  essais  réussir 
tous,  ne  pas  durer  trop  longtemps,  ne  point  retarder  les  «  nouveautés  » 
annoncées,  et  aider  à  la  fortune  de  la  direction  ! 

A  Anvers,  à  côté  du  Théâtre  Royal,  dont  on  ne  connaît  pas  encore  les 
intentions,  l'Opéra  flamand  se  prépare  à  rentrer  en  campagne,  avec  non 
seulement  des  œuvres  classiques,  comme  le  Don  Juan  de  Mozart,  et  le 
Fidelio  de  Beethoven,  mais  aussi  avec  des  œuvres  inédites  telles  que  le 
drame  lyrique  de  M.  Peter  Benoît,  Poinpéia  (Dernier  jour  de  Pompëi)  et  la 
Servante  d'auberge  {De  Herbergprinces)  de  M.  Jan  Blockx,  deux  nouveautés 
sensationnelles.  C'est  par  ce  dernier  ouvrage  que  l'Opéra  flamand  compte 
ouvrir  sa  saison,  le  2  octobre.  L.  S. 

—  Courrier  d'Espagne. —  Barcelone,  23  août  1890.—  Depuis  le  commence- 
ment de  la  saison  d'été,  nous  sommes  tout  à  l'Opéra  populaire.  Nous  avons 
en  ce  moment,  trois  théâtres  d'opéra  italien,  au  prix  de  -2ii  centimes,  cinq 
sous. 

C'est  d'abord  le  Nuevo  Retire,  qui  a  eu  des  hîurs  et  malheurs,  mais 


LE  MÉNESTREL 


279 


qui,  cahin-caha,  surnage  comme  il  peut.  «  Surnage  »  est  bien  le  mot  qui 
convient,  car,  lorsqu'il  pleut  —  et,  malheureusement,  ce  n'est,  cette  année, 
que  trop  fréquent  —  ce  brave  théâtre  est  à  peu  près  submergé.  Nous  avons 
une  fois  assisté  à  une  de  ces  représentations  — on  donnait  Gli  Vgonolti  — 
avec  accompagnement  inopiné  et  inattendu  d'une  pluie  torentielle.  Le 
spectacle  qu'a  alors  présenté  la  salle  est  inénarrable  :  Interdits,  les  artistes 
en  scène  s'arrêtent;  le  public  crie:  Continuez!  et  l'orchestre  repart.  Mais 
tout  à  coup,  une  avalanche  d'eau  envahit  la  salle,  et  tous  les  spectateurs 
montent  sur  les  sièges  et  s'installent  bravement  sur  les  bras  et  les  dossiers 
d'iceux,  en  se  cramponnant  les  uns  aux  autres  et  avec  des  cris,  des  rires 
etdes  exclamations  du  plus  cocasse  effet.  Les  chanteurs  se  tordaient.  Pen- 
dant l'entracte,  les  pompiers  de  service  ont  dû  vider  la  salle.  (Ilislorique). 

Nous  avons  ensuite  le  Jardin  Espagnol,  avec  le  même  répertoire,  des 
artistes  à  peu  près  de  même  valeur  —  quelques-uns  non  sans  mérite,  et 
au  même  prix.  L'établissement  est  moins  exposé  aux  intempéries,  et  les 
choses  y  sont  plus  calmes.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Fr.  Perez-Cabrero, 
un  musicien  parfait. 

Puis,  le  théâtre  Gran-Via,  très  à  l'abri  celui-ci,  la  troupe  Giovannini 
(opérette  et  opéra  demi-caractère)  qui  fait  florès,  et  qui,  possède  parmi 
ses  pensionnaires,  une  petite  chanteuse  légère  —  élève,  dit-on  du  baryton 
"Verger  —  qui  est  de  tout  point  exquise,  la  signorina  Galvani. 

Eniîn,  cela  n'étant  pas  assez  pour  le  dilettantisme,  amateur  de  bon  mar- 
ché, des  Barcelonais,  voici  qu'on  nous  annonce  au  théâtre  de  Novedades, 
un  autre  spectacle  de  grand  opéra  italien,  avec  une  compagnie  dî  p-mîo 
carlello  composée  comme  suit  :  maestro  concertatore  directore,  M.  Vicente 
Pétri  ;  tenori  :  MI\1.  Bicletto,  Morales  et  Brotat;  soprani  :  M™*  d'Arneiro, 
Jacquemot;  contralti:  M^i^Mas  (Goncetta)et  d'Herrera;baritoni:  MM.Arago, 
Mestres,  Borghioli  :  bassi  :  MM.  Perelli,  Yisconti  et  Oliveras.  On  donnera 
la  Dolores,  du  maestro  Breton,  en  italien,  pour  la  première  fois.  Ici,  le  prix 
d'entrée  sera  de  0  fr.  7S  c.  Gageons  qu'on  trouvera  ça  cher. 

En  outre,  on  annonce  la  prochaine  arrivée  du  comédien ErmeteNovelli, 
dont  la  troupe  jouera  à  l'Eldorado. 

Tous  nos  théâtres  d'été  seront  donc  occupés  par  des  compagnies  ita- 
liennes. Pour  entendre  jouer  ou  chanter  en  espagnol,  il  faudra  désormais 
prendre  le  chemin  de  fer  et  s'en  aller  n'importe  où  ! 

Une  poignée  de  nouvelles  : 

Au  Jovellanos,  de  Madrid,  on  yient  i'étrenner  une  zarzuela  de  MM.  Perrin 
y  Palacio,  musique  des  maestros  Gaballero  et  Chàlons,  intitulé  -Et  Saboijano. 
Grand  succès  d'interprétation;  mais  l'œuvre  est  terne,  et  la  musiqus 
aussi. 

M.  Tomàs  Breton  termine  la  musique  d'un  livret  espagnol  dû  à  M.  Eu- 
sebio  Serra  Titre  encore  inconnu. 

A  Bilbao,  au  sanctuaire  de  Bogoiia,  on  s'apprête  à  célébrer  un  congrès 
international,  dans  le  but  de  faire  un  choix  d'œuvres  de  musique  religieuse, 
anciennes  et  modernes.  Ce  «  tribunal  »  devra  surtout  décider  des  pièces 
musicales  qui  doivent  être  retirées  des  églises,  à  cause  de  leur  saveur  pro- 
fane. Il  sera  présidé  par  les  maestros  Pedrell,  Valle  et  Bordes.  L'orphéon 
bilbaino  fera  entendre  des  œuvres  de  Palestrina,  Ladesma,  et  divers  chants 
grégoriens.  Sans  doute,  ce  sera  beau  ;  mais  ce  que  ce  sera  divertissant! 

Sur  un  poème  de  M.  Aladern  Vidal,  intitulé  la  Heroina  ,  le  directeur  de 
la  musique  municipale  de  Reus,  M.  Vergés,  est  en  train  de  composer  un 
opéra  en  un  acte  et  deux  tableaux.  Lo  sujet  est  basé  sur  un  épisode  du 
moyen  âge. 

Le  maestro  Ghapi  vient  de  terminer  un  nouvel  ouvrage  :  la  Virgen  de 
,  Piedra  (la  Vierge  de  pierre),  dont  le  livret  est  de  MM.  Vela  et  Servet. 

Une  œuvre  nouvelle  de  M.  Roberto  de  Palacio,  intitulée  :  Fotografias 
intéressantes,  et  mise  en  musique  par  le  maestro  Moreno  Ballesteros,  vient 
d'être  représentée  au  théâtre  Maravillas,  à  Madrid.  Succès  d'estime. 

Même  accueil,  à  ce  même  théâtre,  a  été  fait  à  une  zarzuela-revue  inti- 
tulée :  A  Gaza  de  tipos  (Chasse  aux  types)  de  MM.  Deusdedit  Criado  et  Varela 
Diaz,  musique  du  pianiste,  M.  Fascina. 

On  a  parlé  beaucoup,  ces  jours  derniers  de  la  démission  deM.Rodoreda, 
chef  de  notre  bande  municipale,  et  de  son  remplacement  par  l'excellent 
artiste  Antoine  Niculau.  Mais,  informations  prises,  M.  Rodoreda  conserve 
son  bâton  et  son  casque.  A.-G.  Bertal. 

—  Le  théâtre  de  la  Trinité,  à  Lisbonne,  vient  de  donner  avec  succès  la 
nouvelle  opérette,  les  Fils  du  capitaine  Mor,  musique  de  MM.  Machado  et 
del  Negro,  dont  nous  avions  annoncé  la  prochaine  apparition. 

—  Le  30  août  prochain,  aura  lieu,  à  Bilbao,  un  concours  où  les  musi- 
ques françaises  du  8T  de  ligne  et  de  l'École  d'artillerie  de  Toulouse  doi- 
vent se  rencontrer  avec  six  musiques  militaires  espagnoles  (l'École 
d'artillerie  deSégovie  et  les  régiments  de  ligne  Andalucia,  Bailen,  Ganta- 
bria,  Garellano  et  Valencia).  La  municipalité  offre  deux  premiers  prix  de 
3,000  pesetas,  plusieurs  autres  de  2.000  ;  total  23.330  pesetas.  Dans  le  jury 
on  remarque  MM.  Breton,  l'auteur  de  los  Amantes  de  Teruel  ;  Chapi,  l'Offen- 
bach  de  Castille  ;  le  savant  chanoine  Barrera,  maître  de  chapelle  de  la 
cathédrale  de  Burgos;  Gailhard  et  Paul  Vidal,  de  l'Opéra;  Vincent  d'Indy, 
Parés,  de  la  Garde  républicaine  ;  Bordes,  des  Chanteurs  de  Saint-Ger- 
vais,  etc. 

—  Les  représentations  de  Bayreuth  ont  pris  fin  avec  la  quatrième  et 
cinquième  série  de  l'Anneau  du  Nibelung  dirigées  toutes  les  deux  par  M.  Sieg- 
fried Wagner.  Aucun  nouvel  artiste  ne  s'est  produit  pendant  ces  deux  der-     , 


nières  séries.  Les  journaux  remarquent  que  le  nombre  des  visiteurs  alle- 
mands a  été  fort  restreint;  les  Français  en  première  ligne,  les  Américains 
et  les  Anglais  formaient  la  majorité  du  public. 

—  M.  Hans  Richter  a  publié  dans  le  Times  une  lettre  intéressante  au 
sujet  de  la  participation  de  M.  Siegfried  Wagner  à  la  direction  du  théâtre 
deBayrenth.  Plusieurs  journaux  anglais,  entre  autres  le  Kmes,  avaient  blâmé 
ouvertement  la  part  prépondérante  que  le  fils  de  Richard  Wagner  com- 
mençait à  prendre  à  Bayreuth  et  un  correspondant  avait  même  critiqué  la 
manière  dont  ce  jeune  chef  d'orchestre  avait  conduit  la  quatrième  série  des 
représentations  de  l'Anneau  du  Nibelung.  Les  journaux  anglais  avaient  aussi 
raconté  que  M.  Richter  s'était  opposé  à  la  participation  de  Siegfried  Wa- 
gner aux  travaux  artistiques  de  Bayreuth.  Or,  M.  Hans  Richter  déclare  que 
toutes  ces  assertions  sont  fausses.  Selon  son  opinion,  M.  Siegfried  Wagner 
est  d'ores  et  déjà  un  chef  d'orchestre  compétent,  voire  même  remarquable, 
et  qui  promet  beaucoup  comme  directeur  du  théâtre  et  régisseur  généraL 
Le  célèbre  kapellmeister  viennois  ne  manque  pas  de  constater  avec  ironie 
que  les  critiques  dirigées  contre  M.  Siegfried  Wagner,  comme  chef  d'or- 
chestre, étaient  datées  du  6  août,  tandis  qu'il  n'avait  commencé  que  trois 
jours  après  à  diriger  la  quatrième  série  des  représentations  qui  lui  avait 
été  réservée.  Dans  ces  conditions,  il  se  pourrait  bien  que  le  fils  de  Richard 
Wagner  devînt  bientotle  chef  d'orchestre  principal  du  théâtre  de  Bayreuth. 

—  A  Breslau,  la  représentation  donnée  en  l'honneur  de  l'empereur  de 
Russie  comportera  le  second  acte  du  Vaisseau  fantôme  et  une  saynète  mili- 
taire de  Moser,  Sage  au  feu. 

—  Les  théâtres  d'outre-Rhin  commencent  à  rouvrir  et  les  œuvres  fran- 
çaises occupent  de  nouveau  une  place  considérable  dans  le  répertoire  de 
ces  théâtres.  A  Vienne,  c'est  Manon  qui  a  été  jouée  lors  de  la  soirée  de 
gala  donnée  en  l'honneur  des  souverains  russes.  Au  théâtre  grand-ducal 
de  Bade  le  jubilé  du  grand-duc  sera  célébré  par  une  série  de  représenta- 
tions extraordinaires,  sous  la  direction  de  M.  Félix  Mottl,  et  nous  trouvons 
parmi  les  œuvres  choisies  les  Troijens,  de  Beriioz,  les  Deux  Avares  de  Grétry, 
les  Petits  Savoyards,  de  d'Alayrac  et  Djamileh,  de  Bizet,  A  Beriin,  on  préparé 
Benvenuto  Cellini,  de  Berlioz. 

—  Une  société  de  facteurs  de  musique  allemands  se  propose  d'établir  à 
Beriin,  un  magasin,  à  l'instar  des  grands  magasins  de  nouveautés  pari- 
siens, où  la  vente  de  toutes  sortes  d'instruments  de  musique  sera  concen- 
trée. Il  parait  que  les  importants  capitaux  nécessaires  à  cette  entreprise 
sont  déjà  souscrits. 

—  Un  décret  du  ministre  de  la  justice  d'Autriche  ordonne  la  formation 
de  commissions  permanentes  d'experts  à  Vienne,  à  Prague  et  à  Lemberg, 
pour  fournir  aux  tribunaux  des  rapports  sur  toutes  les  questions  se  ratta- 
chant à  l'art  musical  qui  pourraient  surgir  au  cours  des  procès  eoncernantles 
droits  d'auteurs.  Ces  commissions  sont  prévues  par  la  nouvelle  loi  autri- 
chienne sur  les  droits  d'auteurs  que  nous  avons  amplement  traitée  dans 
le  Ménestrel,  il  y  a  quelques  mois. 

—  On  vient  d'inaugurer,  sans  aucune  cérémonie,  une  plaque  comme 
morative  apposée  sur  la  façade  d'un  palais  du  Gampo  Sanl'Angelo,  à 
Venise,  portant  l'inscription:  «  Ici  Cimarosa  demeura  et  mourut».  Le 
grand  compositeur,  condamné  pour  avoir  mis  en  musique  des  hymnes 
révolutionnaires,  s'était,  en  effet,  réfugié  à  Venise  où  il  mourut  en  1801. 
Son  tombeau  n'existe  plus,  l'église  du  Campo  Sant'Angelo  où  il  se  trou- 
vait, ayant  été  démolie,  en  1828,  sous  la  domination  autrichienne. 

—  Le  conseil  municipal  de  Gênes  a  fixé  à  80.000  francs  la  subvention 
qu'il  accorde  à  l'imprésario  du  '  théâtre  Gario  Felice.  Ce  n'est  pas  beau- 
coup pour  une  ville  comme  Gènes,  où  le  public  a  de  grandes  prétentions. 

—  L'opéra  inédit,  eu  trois  actes,  Mosqueton  de  M.  Francesca  Saccanti, 
paroles  de  M.  Cemarena,  a  été  joué  avec  un  succès  brillant  au  théâtre 
Rossini  de  Naples. 

—  L'opéra  Tosca,  dont  la  composition  a  été  entreprise  par  M.  Puccini, 
ne  sera  pas  joué  en  1897,  comme  on  l'avait  annoncé.  Le  compositeur  vient 
de  déclarer  que  MM.  Giacosa  et  Illica  ne  lui  ont  fourni,  jusqu'à  présent, 
que  les  paroles  du  premier  acte  et  ne  pourront  pas  terminer  les  deux  der- 
niers actes  avant  la  fin  de  l'année.  On  assure  que  U.  Sardou  a  consenti  a 
figurer  sur  l'affiche  parmi  les  collaborateurs  du  texte.  La  nouvelle  œuvre 
a  été  acquise  par  la  maison  Ricordi  qui  se  propose,  dit-on,  de  faire  repré- 
senter l'œuvre  pour  la  première  fois  à  Rome. 

—  Pour  la  prochaine  saison  du  théâtre  Bellini,  à  Naples  sont  annoncés 
quatre  nouveaux  opéras  :  les  Pâques  des  fleurs,  musique  do  M.  Luporini, 
Padron  Maurizio,  musique  de  M.  Giannetti,  Fadelte,  musique  de  M.  de  Rossi 
et  A  San  Francisco,  musique  de  M.  Sebastiani. 

—  Le  compositeur  Gaetano  CipoUini,  l'auteur  du  Petit  Haydn,  vient  de 
terminer  un  opéra  en  un  acle,  intitulé  la  Maîtresse  du  roi  et  un  opéra  en 
deux  actes,  intitulé  In  magna  Sila.  C'est  son  frère,  M.  Antonio  Cipollini, 
qui  lui  a  fourni  les  livrets  de  ces  deux  œuvres. 

—  On  nous  écrit  de  Londres,  que  la  princesse  de  Galles  a  fait  dernière- 
ment, incognito,  une  excursion  à  Bayreuth,  pour  assister  à  une  série  du 
cycle  de  l'Anneau  du  Nibelung,  dirigé  par  le  fils  du  maître.  La  princesse 
n'était  accompagnée  que  par  une  de  ses  dames  d'honneur,  par  sa  femme 
de  chambre  de  confiance  et  par  un  vieux  serviteur.  Elle  n'a  pas  pris  place 


280 


LE  MENESTREL 


dans  la  fameuse  Fuerstenloge,  la  grande  loge  au  centre  de  la  salle,  où 
Guillaume  I"  était  assis  à  côté  de  Richard  Wagner  à  la  première  repré- 
sentation de  l'Or  du  Rhin  en  1876,  mais  très  simplement  parmi  tous  les 
spectateurs,  et  personne  ne  se  doutait,  à  Bayreuth,  que  les  deux  dames 
anglaises ,  en  costume  de  voyage ,  qui  se  promenaient  pendant  les 
ent'ractes,  comme  tout  le  monde,  devant  le  théâtre,  étaient  la  princesse 
de  Galles  et  une  de  ses  dames  d'honneur. 

—  La  saison  de  Londres  est  terminée  selon  les  conventions  usuelles, 
car  le  parlement  ne  siège  plus,  mais  les  théâtres  de  la  capitale,  en  dehors 
de  l'Opéra  de  Govent-Garden,  ne  chôment  pas  et  produisent  même  des 
pièces  nouvelles.  C'est  ainsi  que  l'Opéra-Comique  vient  de  jouer  avec 
un  succès  médiocre  une  opérette  inédite  Newmarket,  qui  se  dénomme  sur 
l'affiche  «  comédie  originale,  sportive  et  musicale  »  ;  elle  a  pour  auteur 
des  paroles  M""  Frank  Taylor,  et  pour  compositeur  M.  Erne.st  Boyd-Jones. 
L'Avenue-Théàtre  vient  de  jouer,  avec  beaucoup  de  succès,  une  nouvelle 
opérette,  intitulée  Monte-Carlo,  écrite  en  collaboration  par  MM.  Sidney 
Garlton,  Harry  Greenbank  et  Howard  Talbot. 

—  La  théâtre  royal  de  Copenhague,  jouera  pendant  la  saison  prochaine 
deux  opéras  inédits  de  compositeurs  Scandinaves.  L'un,  en  trois  actes, 
intitulé  Vifandaka,  a  pour  auteur  de  la  musique,  M.  Alfrd  Toffs;  l'autre, 
en  un  acte,  a  pour  titre  Bagahijol,  et  la  musique  est  de  M.Emile  Harlman. 

—  Le  nombre  des  compositeurs  appartenant  à  une  famille  souveraine 
augmente  continuellement.  Voilà  qu'on  nous  apprend  que  le  prince  Mirko 
de  Monténégro,  qui  sera  bientôt  le  beau-frère  du  futur  roi  d'Italie,  est  un 
musicien  consommé.  Malgré  sa  jeunesse  —  il  ne  compte  pas  dix-sept 
printemps  —  il  a  déjà  composé  des  quatuors  pour  instruments  à  cordes, 
voire  des  opérettes.  Actuellement,  il  serait  en  train  de  terminer  un  opéra 
qui  doit  être  joué  au  nouveau  théâtre  deCettigne,  à  l'occasion  du  deux  cen- 
tième anniversaire  de  l'avènement  de  la  dynastie  régnante. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

M.  Carvalho,  obligé  de  renoncer  à  son  projet  d'aller  à  Munich  voir 
jouer  Don  Juan,  est  rentré  à  Paris  la  semaine  dernière  pour  surveiller  per- 
sonnellement les  travaux  de  réparation  entrepris  dans  son  théâtre  et  les 
activer  de  façon  à  pouvoir  rouvrir  à  la  date  du  Ib  septembre. 

Tous  les  artistes  ont  été  individuellement  avisés  que,  par  suite  de  ces 
travaux,  la  rentrée  était  reculée  de  quinze  jours.  Voilà  qui  va  bien  comme 
prolongation  de  congé,  mais  qui  enchante  moins  les  pensionnaires  de 
rOpéra-Comique  allégés,  de  ce  fait,  de  la  moitié  de  leurs  appointements 
du  mois  de  septembre. 

Les  chœurs  ont  repris  leur  service,  au  théâtre,  dès  lundi  dernier  sous 
la  direction  de  MM.  H.  Carré  etMarietti. 

—  On  commence  à  parler  de  la  prochaine  saison  des  concerts  à  l'Opéra, 
et  voici  que  notre  confrère  Jules  Huret,  du  Figaro,  nous  fait  part  d'un 
plan  plutôt  original  que  caresserait  M.  Henri  Busser.  Le  jeune  compositeur 
rêverait  d'écrire  une  suite  d'orchestre  qu'il  iénommsrail  Falguicre ;  chacune 
des  parties  de  la  suite  décrirait  une  des  œuvres  principales  du  maître  ;  le  Jeune 
Martyr,  le  Vainqueur  au  combat  de  coqs,  Léda,  Diane.  Voilà  pour  nos  modernes 
musiciens,  toujours  en  quête  de  titres  étranges,  une  mine  toute  trouvée, 
car  rien  n'empêchera,  après  s'être  servi  des  noms  de  nos  grands  sculpteurs 
et  de  nos  grands  peintres.,  de  s'attaquer  aux  romanciers.  A  qui  un  Zola, 
avec  la  suite  des  Rougon  Macquart,  ou  un  Georges  Ohnet,  avec  celle  des 
Batailles  de  la  vie  ? 

—  Pour  ces  mêmes  concerts,  on  dit  que  MM.  Bertrand  et  Gailhard 
auraient  entre  autres  projets,  celui  de  monter  acte  par  acte l'Or/j/iée de  Gluck, 
avec  M.  Alvarez  dans  le  rôle  créé  primitivement  par  la  sopraniste  Guadi- 
gni.  Lorsque,  successivement,  les  trois  actes  auraient  été  chantés  aux 
séances  dominicales,  l'ouvrage  étant  prêt,  musicalement  tout  au  moins, 
pourra  entier  ainsi  tout  naturellement  au  répertoire  de  l'Opéra.  Même  pro- 
cédé serait  employé  pour  Iphigénie  en  Tauride,  qui  aurait  pour  interprète 
M.  Sizes.  On  parle  aussi  du  premier  acte  de  la  Brisé'is  d'Emmanuel  Gha- 
brier;  mais,  là,  M.  Lamoureux  réclame  la  priorité  pour  ses  propres  concerls- 

—  M.  Edouard  Mangin,  de  retour  de  Contrexéville,  a  repris  dès  lundi  der- 
nier, possession  du  pupitre  de  chef  d'orchestre  à  l'Opéra.  C'est  lui  qui 
conduira  Hamlet,  mercredi,  pour  la  rentrée  de  M.  Renaud. 

—  Au  Conservatoire  :  Les  nominations  des  professeurs  aux  chaires  deve- 
nues vacantes  à  la  suite  de  retraites  ou  décès,  auront  lieu  désormais  par 
élections.  Les  années  précédentes,  la  direction  du  Conservatoire  choisis- 
sait les  candidats  Jont  les  noms  étaient  soumis  à  M.  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique  qui,  en  dernier  ressort,  les  nommait.  A  partir  de  cette 
année,  une  commission  se  formera  ;  elle  sera  composée  des  professeurs 
titulaires  et  du  haut  personnel  du  Conservatoire,  des  membres  du  jury 
qui,  chaque  année,  assistent  au  concours,  des  membres  de  l'Académie 
des  beaux-arts  (section  de  musique  et  de^littérature),  d'auteurs  et  critiques 
choisis  par  le  ministre  de  l'instruction  publique.  A  cette  commission  se- 
ront soumis  les  noms  des  candidats  aux  différentes  chaires,  quelle  que  soit 
la  classe.  Puis,  par  élection,  on  procédera  à  la  nomination  des  futurs  pro- 
fesseurs susceptibles  d'être  proposés  au  ministre  de  l'instruction  publique, 
lequel  les  nommera  définitivement. 


—  Il  n'y  a  encore  r'ien  de  décider  au  sujet  du  gala  que  le  gouvernement 
français  ne  peut  manquer  d'offrir,  dans  la  salle  de  l'Opéra,  à  l'empereur  et 
à  l'impératrice  de  Russie.  Mais,  comme  on  craint  que  le  séjour  assez 
court  des  souverains  russes  ne  permette  pas  de  les  convier  aussi  à  la 
Comédie-Française,  les  artistes  de  la  maison  de  Molière  ont  demandé  à 
figurer  dans  le  programme  de  l'Opéra.  M.  des  Chapelles  et  M.  Jules  Claretie 
ont  déjà  discuté  ce  très  légitime  désir. 

—  De  son  côté,  M.  Grisier,  directeur  des  Bouffes-Parisiens  et  des  Menus- 
Plaisirs,  aurait,  parait-il,  l'intention  de  donner,  en  ce  dernier  théâtre, 
une  représentation,  lors  de  l'arrivée  de  l'empereur  de  Russie,  de  fa  Vie 
pour  le  Tzar,  de  Glinka.  On  dit  même  que  le  rêve  de  M.  Grisier  serait  de 
profiter  de  ce  point  de  départ  pour  créer,  dans  la  salle  du  boulevard  de 
Strasbourg,  «  l'Opéra  russe  ». 

—  La  Société  des  compositeurs  de  musique  met  au  concours  pour  l'an- 
née 1896  : 

1"  Un  Quatuor  à  cordes.  —  Prix  unique  de  500  francs.  (Allocation  de 
M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts.) 

i"  Une  Sonate  pour  piano  et  violoncelle.  —  Prix  unique  de  500  francs. 
(Fondation  Pleyel-Wolff.) 

3"  Un  Motet  pour  voix  seule  ou  plusieurs  voix,  avec  accompagnement 
d'orgue.  —  Prix  unique  de  200  francs.  (Reliquat  du  prix  Ernest  Lamy, 
non  décerné). 

4"  Un  Sextuor  en  trois  petites  parties  pour  instruments  à  vent.  —  Prix 
unique  de  300  francs,  offert  par  la  société.  —  Le  choix  des  intruments 
est  laissé  à  la  volonté  des  concurrents.  —  Une  réduction  au  piano  devra 
accompagner  le  manuscrit. 

On  devra  adresser  les  manuscrits  avant  le  31  décembre  1890  ,  à 
M.  Weckerlin,  archiviste,  au  siège  de  la  Société,  22,  rue  Rochechouart, 
maison  Pleyel,  Wolff  et  C'«.  —  Pour  le  règlement  et  tous  renseignements, 
s'adresser  à  M.  D.  Balleyguier,  secrétaire  général,  9,  impasse  du  Maine. 

—  A  Royan,  succès  colossal  pour  VÈie  de  Massenet.  Interprétation  remar- 
quable de  la  part  des  chœurs  et  de  l'orchestre  sous  la  très  artistique  direc- 
tion de  M.  Ph.  Flon.  Gros  succès  pour  MM.  Leprestre,  Albers,  et  W^"  Oswald. 
Quelques  jours  avant,  Werther  avait  aussi  grandement  réussi. 

—  A  son  passage,  à  Laval,  M.  le  Président  de  la  République  a  remis 
les  palmes,  d'officier  d'académie  à  M.  Prosper  Mortou,  chef  de  la  Lyre 
Lavalloise,  et  fort  agréable  compositeur  de  musique. 

—  Du  Havre  :  Au  Casino  Frascati,  M"'  Buhl,  dont  les  abonnés  de 
l'Opéra-Comique  n'ont  pas  perdu  le  souvenir,  donne  une  série  de  repré- 
sentations des  mieux  accueillies.  11  y  a  longtemps  que  les  Havrais  mélo- 
manes ne  s'étaient  trouvés  à  pareille  fête  auditive  :  samedi  soir,  dans 
Lakmé,  ils  ont  acclamé  l'exquise  élève  de  M""  Carvalho,  qui  ajoute  à  la 
bonne  tradition  vocale  sa  note  si  personnelle  de  sensibilité  spirituelle  et 
douce;  jeu  délicat,  diction  savante,  et  vocalise  impeccable.  L'Air  des  clo- 
chettes, pierre  de  touche  des  cantatrices,  lui  a  valu  bravos  et  rappels;  et  la 
fine  partition  du  regretté  Léo  Delibes  a  rencontré  une  interprète  que  le 
redoutable  Berlioz  aurait  pu,  sans  hésiter,  mettre  «  au  nombre  de  ces 
chanteurs  adroits,  utiles  et  charmants  »  dont  il  parle,  —  «  ceux  qui  savent 
la  musique  et  qui  chantent.  »  R.  B. 

^-  On  nous  écrit  de  Montivilliers  :  les  fidèles  de  l'église  Saint-Sauveur 
conserveront  le  souvenir  de  la  musique  qu'ils  y  ont  entendue  le  jour  de 
l'Assomption.  M.'^"  Louise  Comettant,  élève  de  l'éminent  organiste  L. 
Vierne,  de  passage  en  notre  ville,  a  chanté  pendant  la  grand'messe  plu- 
sieurs morceaux  remarquables  avec  un  sentiment  profond  et  une  voix 
pénétrante.  Elle  a  ensuite  tenu  l'orgue  pour  l'accompagnement  d'une 
composition  instrumentale  de  beaucoup  d'effet,  exécutée  par  W"  Lau- 
rence Vénière. 

—  Tout  Paramé  et  tout  Dinard  s'étaient  donné  rendez-vous  mercredi  der 
nier  au  casino  de  Saint-Malo  pour  aller  entendre  M.  Louis  Diémer  qui,  en 
villégiature  à  Dinard,  prétait  son  concours  à  un  concert  donné  par  le 
jeune  violoniste  M.  Jules  Boucherit.  Le  merveilleux  pianiste  s'est  fait 
acclamer  dans  des  pièces  de  Mozart,  de  Hisndel,  de  Dacquin,  de  Liszt,  de 
Beethoven,  de  Godard,  son  Caprice  pastoral  et  sa  vertigineuse  Valse  de  concert. 
M.  Boucherit  a  délicieusement  joué  des  morceaux  de  Sarasate  et  la  Romance 
de  Louis  Diémei'. L'orchestre,  dirigé  par  M.Gianini,  a  eu  sa  part  des  bravos 
après  le  Nocturne  de  la  Navarraise,  de  Massenet. 

—  A  l'église  Saint-Etienne  de  Fécamp  superbe  messe  en  musique,  dans 
laquelle  l'excellent  ténor,  M.  Mazalbert,  s'est  taillé  un  véritable  succès  en 
interprétant  d'une  manière  remarquable  VAve  Verum,  de  Th.  Dubois,  et  le 
célèbre  Notre  Pire,  de  J.  Faure,  qui  ont  produit  une  profonde  impression. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître,  chez  E.  Fasquelle,  dans  la  Bibliothèque  Charpentier, 
Brichanteau  comédien,  par  Jules  Claretie,  un  vol.  in-12,  prix  :  3  fr.  .50. 

A  "VIS  AUX  PROFESSEURS.  —  Belle  salle  pour  auditions,  cours  et 
leçons,  matinées  et  soirées.  Location  au  mois  et  à  la  séance.  —  S'adres- 
ser Maison  musicale,  39,  rue  des  Petits-Champs,  Paris. 


IMPBJMERIE  CENTRA 


i  CnE»INS  DE    FER.   —  lUPRlHERJE   CHAIX,   RLE   BERGERE,   20,   I 


■  (Encre  LoriHeui), 


3418.  -  62-  AMÉE  —  N"  36.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  6  Septcmbic  1896. 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  njaiiuicrils  doivciU  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteui-s.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  un.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teste  et  Musique  de  Piano,  20  fr„  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Êtrcnger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  Étude  sur  Orphée  (i'  artiole\  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  pro- 
chaine saison  théâtrale,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Musique  et  prisons 
(16"  article)  :  Prisons  politiques  modernes,  Paul  d'Estbée.  —  IV.  Journal  d'un 
musicien  (4°  article),  A.  Montaux.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

ATTENTE 

mélodie  de  Cesare  Galeotti,  poésie  do  M.  de  Mobiana.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Jours  d'automne,  mélodie  de  Charles  Levadé,  poésie  de  Jules 
OuDOT.  

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
fiano  :  Femmes  et  Fleurs,  de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Chan- 
son d'automne,  de  Cesare  Galeotti. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De    GLUCK 

(Suite) 


L'opéra  d'Orphée  lient  une  place  particulière  dans  l'œuvre  de 
Gluck.  Écrit  vers  le  milieu  de  la  carrière  du  grand  musicien, 
il  représente  la  première  manifestation  complote  de  son  génie, 
peut-être  aussi  la  plus  significative,  car  elle  fut  la  plus  spon- 
tanée. Pour  en  bien  comprendre  la  portée,  il  importe  de  rap- 
peler d'abord  à  grands  triiits  ce  qu'avait  été  l'évolution 
antérieure  de  son  génie,  et  de  dire  en  même  temps  quel  était 
l'état  général  de  l'art  musical  au  moment  où  l'œuvre  parut. 

Fils  de  paysans,  né  dans  les  noires  forêts  de  la  Bavière, 
Gbristophe-Willibald  Gluck  est  essentiellement  ce  que  les 
littérateurs  de  son  siècle  appelaient  un  «  enfant  de  la  nature  ». 
Avec  son  père,  ancien  soldat  du  prince  Eugène,  devenu  garde- 
chasse  au  service  de  seigneurs  allemands,  il  vint,  en  son  plus 
jeune  âge,  dans  les  montagnes  de  la  Bohême,  où  d'abord  il 
grandit  sans  contrainte  et  poussa  en  toute  liberté,  courantpieds 
nus  à  travers  bois  et  vallées, et,  par  cette  rude  enfance,  faisant 
provision  de  forces  pour  les  futurs  combats.  Ayant,  dans  ce 
milieu  rustique,  appris  seul  les  premiers  éKiments  de  la  mu- 
sique, il  débu(a  dans  la  vie  comme  musicien  ambulant  :  il  erra 
par  les  villages  de  Bohème,  un  violoncelle  sur  le  dos,  faisant 
danser  les  filles  le  soir,  après  la  journée  de  marche,  ou  char- 
mant les  paysans  eu  leur  jouant  quelque  vieux  chant  popu- 
laire. Los  hasards  de  la  destinée  mirent  sur  son  chemin  un 
seigneur  qui  devina  ses  aptitudes  et  lui  fit  entreprendre  des 


études  sérieuses.  C'en  était  fait  de  la  vie  indépendante  et 
vagabonde  ;  mais  Gluck  était  un  fort  :  il  se  soumit  sans  plainte 
à  la  discipline  salutaire.  Pendant  vingt-cinq  années  il  entassa 
les  unes  sur  les  autres  les  pariitions  d'opéras  italiens,  bornant 
tout  d'abord  son  ambition  à  se  conformer  au  goût  de  son 
époque,  et  ne  chorchantrien  autre  chose  qu'à  faire  ce  qu'a- 
vaient fait  ses  prédécesseurs,  ce  que  continuaient  servilement 
ses  contemporains. 

On  sait  ce  qu'était  l'opéra  italien  au  milieu  du  dix-huitième 
siècle  :  une  sorte  de  concert  scénique  d'où  tout  intérêt  dra- 
matique était  exclu,  et  dont  le  seul  objectif  était  démettre  en 
valeur  les  voix  et  la  virtuosité  des  chanteurs.  Une  série  d'airs 
reliés  par  d'insignifiants  récitatifs,  et  dont  l'ordre,  le  mouve- 
ment, les  formes  musicales  même,  étaient  prévus,  réglés, 
dosés  par  avance,  telles  étaient  les  seules  matières  que  ce 
genre  offrait  au  génie  des  componteurs.  Métastase,  poète 
lauréat,  était  l'homme  qui  avait  le  mieux  réalisé  l'idéal  de  ces 
compositions,  toutes  de  forme  et  d'extérieur,  où  les  fleurs 
d'une  rhétorique  brillante  étaient  constamment  substituées  à 
l'accent  sincère,  au  cri  du  cœur.  Tous  les  musiciens  de  ce 
temps  furent  contraints  d'en  passer  par  ces  exigences  conven- 
tionnelles :  il  en  résulta  que  pas  un  ne  produisit  une  seule 
œuvre  durable.  Hœndel,  qui  écrivit  près  de  cinquante  opéras 
de  ce  genre,  n'aurait  laissé  que  la  renommée  d'un  musicien  de 
second  ordre  s'il  n'avait,  en  outre,  produit  ses  oratorios  ;  et 
ce  n'est  ni  la  Clémence  de  TUwi,  ni  même  Idoménée,  qui  ont 
rendu  Mozart  immortel,  mais  Don  Juan,  Figaro,  la  Flûte  enchantée, 
œuvres  conçues  suivant  une  poétique  toute  différente. 

Gluck  passa  donc  la  première  moitié  de  sa  vie  à  mettre  ou 
remettre  en  musique,  dans  les  formes  convenues,  les  poèmes 
de  Métastase,  et,  pas  plus  que  les  autres,  il  ne  réussit  à 
donner  la  vie  à  un  genre  mort  dès  sa  naissance.  Il  écrivit 
encore,  lui,  le  futur  auteur  des  Iphigénies,  quelques  ariettes  et 
couplets  pour  de  petits  opéras-iomiques  que  l'on  jouait  à 
Vienne,  tandis  qu'à  Paris  ces  mêmes  pièces  étaient  repré- 
sentées avec  leur  musique  originale  composée  par  les  Mon- 
signy,  les  Duni,  les  Philidor. 

Ainsi,  à  la  veille  d'Orphée,  Gluck  pouvait-il  avoir,  auprès 
d'une  partie  du  public,  la  renommée  d'un  compositeur  d'opé- 
ras-comiquos.  De  même  notre  grand  Corneille,  dans  le  temps 
qu'on  répétait  le  Cid,  recevait  d'un  admirateur  une  épitre 
en  vers  où  son  génie  comique  était  ainsi  célébré  I 

Et  que  ta  bonne  humeur  ne  te  lasse  jamais. 

Nul  doute  que,  dès  longtemps,  Gluck  eût  rêvé  un  autre 
idéal. 

Mais  combitn  le  but  n'était-il  pas  éloigné!  Même,  au  pre- 
mier abord,  il  pouvait  passer  pour  inaccessible,  car,  réduit 
à  ses  seules  forces,  Gluck  eût  été  impuissant  à  l'atteindre. 
Sans  doute,  un  siècle  plus  lard,  un  Wagner,  par  un  colossal 


5>82 


LE  MENESTUEL 


effort  de  génie,  pourra  réaliser  en  toutes  ses  parties  une  con- 
ception analogue,  plus  complexe  et  plus  grandiose  même  ; 
mais  le  fils  du  pauvre  garde-chasse  de  Bohème  n'avait  pas 
reçu  l'instruction  littéraire  qui  lui  eût  permis  d'exécuter  seul 
sa  réforme  de  l'art  lyrique.  Aussi  bien,  jusqu'alors,  —  si 
l'on  excepte  l'exemple  peu  probant  du  Devin  du  village.  —  nul 
cas  ne  s'était  présenté  de  la  réunion  en  une  seule  tête  du 
double  génie  de  poète  et  de  musicien. 

L'occurrence  était  d'autant  plus  grave  qu'en  ce  temps-là 
Métastase  était,  non  seulement  le  maître  incontesté  de  la 
poésie  lyrique, mais,  en  réalité,  le  seul.  Oii  donc  fallait-il  que 
Gluck  portât  ses  vues  pour  trouver  le  collaborateur  rêvé? 
Comme  toujours,  il  ne  devait  le  rencontrer  qu'en  dehors  des 
professiounels.  Ceux-ci,  d'ordinaire,  ne  sont  pas  trop  disposés 
à  s'associer  à  des  entreprises  hasardeuses  comme  sont  toujours 
les  essais  de  réformes  théâtrales,  tandis  qu'au  contraire  les 
initiatives  fécondes  ont  presque  toujours  été  prises  par  des 
gens  étrangers  à  la  carrière,  et  qui  ne  sont  pas  retenus  par 
les  entraves  d'une  tradition  qu'ils  n'ont  point  pratiquée. 
N'est-ce  pas  un  groupe  de  seigneurs,  de  lettrés  et  d'artistes  divers 
qui,  à  Florence,  en  l'an  1600,  créa  de  toutes  pièces  le  genre 
de  l'opéra,  tandis  que  les  musiciens  d'école  s'attardaient  aux 
combinaisons  inertes  de  leurs  contrepoints  démodés?  De 
même,  l'homme  qui  eut  l'honneur  d'être  associé  le  premier 
aux  innovations  tentées  par  Gluclc  ^Hait  ce  que  nous  appelle- 
rions aujourd'hui  un  «  amateur.  »  Il  était  conseiller  impérial 
à  la  cour  des  comptes  des  Pays-Bas,  faisait  des  vers  à  ses 
heures  de  loisir,  et  d'ailleurs  était  d'autant  plus  familier  avec 
les  véritables  nécessités  de  la  poésie  lyrique  qu'il  avait  étudié 
d'une  façon  approfondie  l'œuvre  de  Métastase,  dont  il  avait 
publié  une  édition.  Il  se  nommait  Raniero  de  Calzabigi. 

Ce  que  furent  les  premières  confidences  échangées  entre  le 
poète  et  le  musicien,  nous  l'ignorons,  car  aucun  document 
précis,  lettre  ou  résumé  de  conversation,  ne  nous  en  a  été 
rapporté.  Mais  il  nous  est  facile  de  le  deviner,  tant  par  ce 
que  l'instinct  avait  spontanément  introduit  en  certaines  par- 
ties de  l'œuvre  antérieure  de  Gluck  que  par  les  résultats 
mêmes  de  la  collaboration.  Car,  malgré  sa  longue  soumission 
apparente  aux  idées  reçues,  on  pense  bien  que  Gluck  n'avait 
pas  été  parfois  sans  manifester  de  quelque  manière  la  véritable 
tendance  de  son  génie. 

Une  anecdote  relative  à  sa  première  œuvre  de  jeunesse 
semble  indiquer  que  déjà,  outre  son  esprit  indépendant  et 
frondeur,  il  avait  le  sentiment  très  prononcé  de  la  composi- 
tion générale  et  des  effets  produits  par  les  oppositions  des 
valeurs  et  des  tons  successifs,  qualités  dont  il  a  donné  plus 
tard  des  preuves  si  éminentes.  Dans  un  opéra  représenté  à 
Milan  en  1741,  Artasen-e,  il  avait,  par  malice,  placé  un  air  dans 
le  gotit  italien,  qui,  exécuté  d'abord  devant  les  prétendus 
connaisseurs,  avait  réuni  tous  les  suffrages, —  à  telle  ensei- 
gne que  les  bonnes  âmes  n'avaient  pas  manqué  de  propager 
le  bruit  que  cet  air  n'était  pas  de  lui,  mais  de  son  maître 
Sammartini.  Mais  il  prit  sa  revanche  à  la  représentation,  car 
il  avait  encadré  ce  morceau  de  si  adroite  façon  que,  devant 
un  public  sincère,  l'air  italien  resta  complètement  inaperçu, 
tandis  que  les  parties  oii  s'accusait  son  tempérament  d'artiste 
allemand  étaient  allées  aile  stelle! 

D'autres  récits  montrent  que,  dès  longtemps,  il  avait  le 
pressentiment  du  rôle  futur  de  l'orchestre.  En  1751  il  fit 
représenter  à  Naples  la  Ckmenza  di  Tito,  dont  le  rôle  principal 
fut  chanté  par  le  fameux  castrat  Caffarelli.  Dans  un  air  de 
cet  opéra  se  trouvait  une  tenue  vocale  pendant  laquelle  les  ins- 
truments se  combinaient  en  dessins  plus  compliqués  qu'il 
n'était  coutume.  Les  régulateurs  du  goût  protestèrent,  et  dé- 
clarèrent ce  passage  contraire  aux  règles;  ils  allèrent  jusqu'à 
en  référer  à  Durante,  mais  ils  ne  trouvèrent  pas  auprès  de  lui 
l'accueil  espéré.  «  Je  ne  puis,  répondit  en  eff'etle  vieux  clas- 
sique, décider  si  ce  passage  est  tout  à  fait  conforme  aux 
règles  de  la  composition,  mais  j'ose  vous  dire  que  nous  tous, 
àcommencerpar  moi,  serions  fiers  de  l'avoir  imaginé  et  écrit.» 


Au  reste,  à  cet  égard,  nous  avons  mieux  que  des  anecdotes, 
et  la  meilleure  preuve  de  la  prépondérance  que  Gluck  assi- 
gnait instinctivement  à  l'orchestre  nous  est  fournie  par  le 
simple  examen  de  plusieurs  morceaux  composés  à  celte 
époque  de  sa  vie.  Nous  en  trouverons  un  exemple  caracté- 
ristique dans  la  suite  de  cette  étude,  car  nous  verrons  que 
tous  les  éléments  constitutifs  de  l'air  d'entrée  d'Orphée  aux 
Champs  Elysées,  avec  son  dessin  obstiné  des  violons  en  trio- 
lets et  le  solu  de  hautbois  concertant  avec  la  lente  déclama- 
tion de  la  voix,  tout  cela  se  trouve  déjà  dans  un  air  d'Antigone, 
opéra  réprésenté  à  Rome  en  1754. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


LA  PROCHAINE  SAISON  THÉÂTRALE 

Yoii;i  septembre  revenu  et  la  ruche  tliéàtrale  recommence  à  bour- 
donner. Des  bureaux  directoriaux,  peu  à  peu  la  poussière  est 
chassée  par  les  piles  de  manuscrits  dont  beaucoup,  à  leur  tour,  re- 
disparaîtront avant  peu  sous  cette  même  poussière;  la  foule  ner- 
veuse des  auteurs  venant  rappeler  une  promesse  ou  cherchant  à  en 
arracher  une,  celle  anxieuse  des  artistes  en  quête  o  du  rôle  »  recom 
mencenl  à  encombrer  les  antichambres,  et  monsieur  le  secrétaire, 
entre  deux  coups  de  brosse  à  sa  moustache  conquérante,  astique 
sa  griffe  à  signer  les  billets  et  retaille  ses  deux  bonnes  plumes  dont 
l'une,  dithyrambique,  bombarde  les  courriéristes  de  communiqués 
flambants  et  dont  l'aulre,  lassée,  est  condamné  au  fastidieux  : 
«  Impossible,  mille  regrets.  ». 

Que  donnera-t-elle,  celte  saison  1896-97?  Sera-t-elle  meilleure  que 
sa  devancière?  Apparaîtra-t-elle  pire?  A  la  terrible  loterie,  qui 
décrochera  le  ou  les  gros  lots? 

Et  le  public,  flottant,  indécis,  incapable  de  laisser  sentir  oii  il 
veut  qu'on  le  mène,  se  laissant  berner  momentanément  par  une 
poignée  d'encombrants  braillards,  puisse  resaisissant  mollement  sans 
avoir  la  force  et  la  volonté  d'imposer  son  goût,  ce  public,  cause 
presque  principale  de  l'anémie  du  théâtre  moderne,  aura-t-il,  enfin, 
le  courage  de  son  opinion  en  barrant  carrément  la  roule  à  ceux  qui 
lui  déplaisent,  en  venant  encourager  de  ses  bravos  et  de  son  argent 
ceux  pour  lesquels  il  éprouve  de  la  sympathie? 

Mais  foin  de  beaux  rêves  !  Et  voyons  tout  simplement  ce  qui, 
quant  à  présent,  nous  est  promis. 

A  l'Opéra,  l'ensemble  de  la  saison  est  arrêté,  sauf  de  légères  modi- 
fications impossibles  à  prévoir  dès  maintenant.  Au  programme  deux 
nouveautés,  Messidor,  opéra  de  MM.  Zola,  Gallet  et  Bruneau  ; 
l'Etoile,  ballet  de  MM.  AJerer  et  Wormser.  Gomme  reprises,  celles 
de  Thamara,  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  des  Huguenots,  dont  les 
décors,  incendiés  rue  Richer,  sont  complètement  refaits,  et  de  Don 
Juan,  dont  les  études  sont  actuellement  très  poussées, 

A 1  Opéra-Comique,  la  reprise  de  ce  mêmeZJon  Juan,  que  les  chœurs: 
travaillent  depuis  la  semaine  dernière,  et  la  première  de  Cendrillon ,  de 
MM.  Gain  et  Massenet,  semblent  seules  décidées  pour  le  moment. 
Pour  remplir  sa  saison,  M.  Garvalho  aura  à  choisir  parmi  la  liste 
assez  longue  des  nouveautés  qui  lui  ont  été  présentées  :  Dalita,  de 
MM.  Feuillet,  Galk't  et  E.  Paladilhe;  les  Pécheurs  de  Saint-Jean,  de 
MM.  H.  Gain  et  Ch.-M.  "Widor;  Caprice  de  roi,  de  MM.  A.  d'Artois 
et  P.  Vagei;  les  Pauvres  Gens,  d.Q  MM.  H.  Gain  et  R.  Vagao;  l'Hâte, 
de  MM.  Michel  Carré  et  E.  Missa  ;  Kermaria,  de  M.  Erlanger;  le 
Spahi,  de  MM.  A.  Alexandre  et  L.  Lambert;  Photis,  de  MM.  Gallet 
et  B.  Audran  ;  et  d'autres  encore  que  nous  oublions,  sans  compter 
celles  que  nous  ignorons.  On  parle  aussi  beaucoup  du  Vaisseau  fan- 
tôme pour  la  rentrée  du  baryton  Lassalle. 

A  la  Comédie-Française,  qui  vient  de  prendre  à  l'Odéou  Charles  Vil 
chez  ses  grands  vassaux  et  oîi  l'on  répète  actuellement  Montjoie,  d'Oc- 
tave Feuillet,  et  les  Deux  Palémoii,  de  M.  Jules  Truffîèr,  la  première 
nouveauté  importante  sera  vraisemblablement  l'Évasion,  trois  actes 
de  M.  Brieux,  à  laquelle  succédera  Frt'rfeV/OHcfe,  cinq  actes  île  M.  A. 
Dubout.  Puis,  le  comité  n'aura  qu'à  puiser  dans  les  pièces  reçues 
ù  l'heure  actuelle  :  Tristan  de  Léonais,  3  actes  et  6  tableaux  de 
M.  Armand  Silvestre  ;  Othello.  S  actes  de  M.  J.  Aicard  ;  la  Vassale, 
4  actes  de  M.  J.  Case;  Struensée.  S  actes  de  M.  P.  Meurice; 
Don  Ruy,  S  actes  de  M.  Parodi  :  l'Amoureuse  Amitié,  un  acte  de 
M.  G.  Vaucaire;  la  Martyre,  S  actes  de   M.    J.  Richepin  ;    Douceur 


LE  MÉNESTREL 


283 


de  vivre,  3  tableaux  de  M.  J.  Normand;  Celle  qu'on  n'épouse  pas,  uu 
acte  de  M.  P.  Alexis,  et  la  Loi  de  l'honneur,  3  actes  de  M.  Hervieu. 
L'Odéon,  dont  la  nouvelle  direction  est  très  curieusement  attendue 
à  l'oeuvre,  le  passé  de  l'un  de  ses  directeurs,  M.  Antoine,  laissant 
prévoir  de  curieuses  tentatives,  l'Odéon  ne  rouvrira  ses  portes  que 
le  30  septembre  avec  le  Capitaine  Fracasse  de  M.  E.  Bergerat,  suivi, 
dès  le  lendemain,  du  Danger,  3  actes  de  M.  Arnaud.  Ce  sont  les 
spectacles  classiques  et  d'abonnement  qui  semblent  avoir,  avant  tout, 
préoccupé  MM.Ginisty  et  Antoine.  Ou  cite,  comme  devant  constituer 
les  spectacles  d'abonnement  :  Jules  César,  de  Shakespeare,  traduction, 
vers  et  prose,  de  M.  L.  de  Gramont  ;  Richelieu,  de  Bulwer-Lytton, 
traduction  de  M.  Gli.  Simson  ;  La  Mort  de  Danton,  de  Biichner,  tra- 
duction de  M.  A.  Dietrich  ;  la  Maréchale  d' Ancre,  d'A.  de  "Vigny  ;  la 
Reine  Jeanne,  Aï  M.  Frédéric  Mistral;  Esope,  de  Th.  de  Banville  ;  etc., 
et  sans  ordre  précis,  une  comédie,  sans  titre,  de  M.  Anatole  France, 
une  pièce  de  M.  Paul  Arène,  également  sans  titre  ;  Mon  Enfant  de 
M.  A.  Janvier  ;  les  Corbeaux  de  M.  Becque  ;  la  Promesse  de  M.  Rosny, 
Vallobra  de  M.  P.  Alexis  et  un  Don  Juan  de  M.  Haraucourt.  Pour  les 
matinées  classiques,  on  parle  de  monter  les  Perses  d'Eschyle,  avec  une 
paitition  musicale  de  M.  Xavier  Leroux;  VApollonide  d'Euripide,  tra- 
duction de  Leconte  de  Liste  ;  te  Plutus  d'Aristophane  ;  Y Eupliormion  de 
Térence  ;  V And7'omède  de  Corneille  ;  la  Sœur  de  Roirou  ;  Turandot, 
princesse  de  Chine,  de  Gozzi  ;  des  reconstitutions  du  théâtre  de  Hardy  ; 
des  farces,  etc. 

Pour  les  théâtres  de  genre,  nous  sommes  moins  renseignés,  mes- 
sieurs les  directeurs  libres  s'offrant  de  plus  importantes  vacances 
que  leurs  confrères  subve)ilionnés. 

Le  Vaudeville  rouvrira  avec  I^ysistrala,  puis  donnera  le  Partage  de 
M.  Guinon,  l'Amour  de  Manon  de  M.  de  Porto-Riche,  Aphrodite  de 
M.  P.  Louys,  la  Douloureuse  de  M.  Maurice  Donnay  et  une  reprise 
de  Sapho. 

Le  Gymnase  s'î  contente  d'annoncer  la  reprise  de  la  Famille  Pont- 
biquet. 

La  Renaissance  commence  avec  le  Passé  de  M.  de  Porto-Riche. 
Suivront  une  pièce  de  M.  Sardou,  san?  titre,  Plus  que  reine  de  M.  E. 
Bergerat,  ioAe«;ao'/o  d'Alfred  de  Musset,  et  une  comédie  de  M.  Guiches, 
dont  le  titre  «  snob  »  a  soulevé  tant  de  réclamations. 

La  Porte-Saint-Martin  va  donner  cette  semaine  le  Jacques  Callot  de 
MM.  Henri  Gain  et  Adenis  frères  (prière  à  MM.  les  typographes,  ici 
et  dans  l'alinéa  relatif  à  rOnéra-Comi.jue,  de  ne  point  gratilier  M.  Gain 
d'un  tréma  sur  1';';  vieux  Breton,  il  tient,  avec  raison,  à  ce  que  l'on 
n'estropie  pas  son  nom,  ainsi  qu'on  le  fait  trop  souvent).  La  solution 
de  l'affaire  Goquelin  fera  naiire  vraisemblablement  des  projets  aux- 
quels on  n'osait  trop  .songer. 

Aux  Nouveautés  on  rouvrira  avec  Mignonnette  de  MM.  G.  Duval  et 
G.  Street,  suivie  de  pièces  de  MM.  A.  Bisson.  Gandillot,  Gapus  (Une 
jeune  fille  avec  tache)  et  P.  Weber. 

Aux  Bouffes  on  a  repris,  jeudi,  Miss  Helyet,  en  attendant  le  i/o?i- 
sieur  Loliengrin,  de  MM.  Fabrice  Carré  et  El.  Audran. 

Aux   Variétés,  reprise    de   VOEU  crevé,  puis  une    pièce-féerie    de 
MM.  Blum  et  Ferrier  et  des  reprises  d'Oirenbach  et  d'Hervé. 
Au  Palais-Royal,  M.  Varney  fera  son  entrée  avec  une  opérette. 
A  la   Gaité,  deux  nouveautés  :    la  Poupée  de  MM.  M.  Ordonueau  et 
Audran,  et  le  Maréchal  Chaudron,  musique  de  M.  Lacome. 

Aux  Folies-Dramatiques,  dont  M.  Victor  Silvestre  devient  effective- 
ment directeur  à  partir  du  20  de  ce  mois,  on  montera,  ^près  la  Falote 
en  cours  de  représentations,  Rivoli  de  MM.  Burani  et  André  Wormser, 
et  on  songe  surtout  à  faire  de  fructueuses  reprises. 

Reprise  encore  au  Châtelet,  dont  c'est  assez  la  facile  habitude, 
avec  la  Riche  au  bois. 

A  l'Ambigu,  trois  drames  :  la  Corde  au  cou  de  MM.  E.  Pourcelle  et 
A.  Jaime,  la  Maîtresse  d'école  de  M.  E.  Tarbé  et  la  Joueuse  d'orgue  de 
MM.  X.  de  Montépin  et  J.  Dornay. 

A  Cluny,  la  première  nouveauté  sera  une  opérette  en  3  actes  et 
6  tableaux,  signée  de  MM.  Chivot,  Gavault,  de  Cottens  et  Varney. 

Au  Chàleau-d'Eau,  Nina  la  blonde  de  M.  Fontanes,  Luaile  Desmoulins 
de  M.  Jules  Barbier  et  Mistress  Robinson  de  M.  G.  Marot. 

A  l'Eldorado,  qui,  en  dépit  de  bruits  contraires,  demeure  théâtre, 
on  donnera  la  Reine  des  reines,  de  MM.  Fiers  et  Audran. 

Enfin,  l'ancienne  Comédie-Parisienne,  prenant  le  nom  d'Athénée- 
Comique,  inaugurera,  sous  la  direction  de  M.  Lerville,  avec  Madame 
V Avocat  de  MM.  Depré  et  Galipaux,  que  suivront  la  Course  aux  ju- 
pons de  M.  L.  Gandillot,  un  vaudeville  de  MM.  Ordonneau  et  Froyez, 
et  Père  naturel  de  MM.  Depré  et  Gharton. 

Voilà  ce  dont  on  parle,  d'ores  et  déjà,  mais  vous  .savez  qu'au  théâtre 


les  surprises  sont  monnaie  courante.  Perette  et  le  Pot  aulait  !...  Au 
seuil  de  cette  campagne  nouvelle,  souhaitons  cependant  à  tous, 
auteurs,  artistes  et  directeurs,  réussite  sur  réussite.  Les  succès, 
quoi  qu'on  en  pense,  ne  se  nuisent  pas  les  uns  aux  autres. 

Paiil-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

PRISONS   POLITIQUES   MODERNES 

I 

(Suite) 

En  province,  les  maisons  de  force  étaient  loin  d'avoir  de  telles 
attentions  pour  leurs  pensionnaires.  Les  Souvenirs  de  l'un  d'eux, 
Martin  Bernard,  nous  apprennent  que  les  condamnés  politiques 
étaient  soumis  à  une  discipline  très  sévère  dans  ces  prisons  et  sur- 
tout au  Mont-Saint-Michel,  que  son  isolement  rendait  cependant  plus 
facile  à  surveiller.  Cette  solitude  dans  un  des  plus  beaux  sites  du 
monde,  au  milieu  d'une  mer  souvent  irritée,  mais  toujours  impuis- 
sante contre  le  colosse  de  granit,  cette  solitude,  dis-je,  n'eût  peut 
être  pas  effrayé  une  âme  contemplative  ;  mais  pour  des  esprits  in- 
quiets, agités,  remuants,  habitués  à  l'activité  des  sociétés  secrètes 
et  se  croyant  de  bonne  foi  indispensables  au  bonheur  des  peuples, 
une  immobilité  qui  enchaînait  leur  initiative  était  le  pire  des  sup- 
plices.Ils  durent  néanmoins  à  la  musique,  comme  les  Italiens  du 
Spielberg,  un  de  ces  éclairs  de  bonheur  qui  traversent  si  rarement 
le  ciel  bas  et  sombre  des  longues  captivités.  Martin  Bernard  nous 
raconte  en  termes  émus  ce  doux  souvenir  : 

Un  soir,  dit-il,  alors  que  tout  reposait  dans  la  forteresse,  nous  fûmes 
réveillés  de  notre  premier  sommeil  par  le  bruit  de  chants  qui  partaient 
de  la  grève.  Il  n'y  avait  pas  à  se  méprendre  sur  la  destination  de  ces 
chants  :  c'étaient  la  Marseillaise  et  le  Chant  du  départ.  Oh  !  qu'ils  furent  doux 
à  nos  oreilles  et  à  nos  âmes  !  Nous  n'en  perdîmes  pas  une  syllabe.  Et 
nous  ne  pouvions  point  douter  qu'ils  ne  vinssent  de  cœurs  qui  sympathi- 
saient vivement  avec  notre  position.  L'illusion  pour  nous  devint  si  grande, 
que  nous  crûmes  reconnaître  la  voix  de  plusieurs  de  nos  camarades  de 
Paris.  Nous  lançâmes  quelques  noms  aux  échos  de  notre  rocher.  Mais,  soit 
que  nos  mystérieux  amis  craignissent  de  nous  rendre  l'objet  des  rigueurs 
de  nos  geôliers,  soit  qu'ils  ne  voulussent  pas  s'exposer  eux-mêmes  aux 
investigations  inquisitoriales  du  commandant  de  place,  exerçant  un  pou- 
voir presque  discrétionnaire  sur  les  étrangers  qui  venaient  au  rocher,  les 
chants  cessèrent  et  nous  n'entendîmes  plus  que  ces  mots  :  «  Adieu  ! 
Courage  !  » 

Le  règlement  était  tellement  précis  et  formel,  qu'en  l'absence  même 
d'étrangers  pouvant  communiquer  avec  les  détenus,  ceux-ci  avaient 
rarement  l'autorisation  de  chanter  quelques  strophes  de  la  Marseil- 
laise, dont  l'écho  se  perdait  dans  la  grande  voix  de  la  mer.  ADouUens, 
oîi  Martin  Bernard  subit  le  reste  de  sa  peine,  la  règle  était  moins 
rude  :  le  régime  de  la  vie  en  commun  facilitait  les  expansions  musi- 
cales des  détenus.  Les  dates,  toujours  fêtées,  du  14  juillet  et  du 
10  août,  servaient  de  prétexte  à  un  banquet  fraternel,  aussi  copieux 
et  aussi  délicat  que  p-juvaient  le  permettre  les  tolérances  péniten- 
ciaires  ;  et  ces  solennités  politico-gastronomiques  se  terminaient, 
comme  on  pense  bien,  par  la  Marseillaise  et  le  Chant  du  départ. 

A  neuf  heures  du  soir,  quand  sonnait  la  cloche  du  couvre-feu,  se 
produisait  la  mise  en  scène  que  nous  avons  déjà  signalée  à  Sainte- 
Pélagie.  Au  milieu  de  la  cour,  tète  nue  et  genou  en  terre,  les  détenus 
enlevaient  avec  une  conviction  souvent  plus  robuste  que  leurs  pou- 
mons, la  fameuse  strophe  : 

Amour  sacré  de  la  patrie... 
Toutefois,  la  musique  légère  n'était  pas  entièrement  bannie  des 
cachots  de  DouUens.  Les  prisonniers,  pour  s'y  livrer  avec  la  fantaisie 
qui  naît  de  l'improvisation,  avaient  décidé  qu'ils  célébreraient  sur 
le  modo  badin  leurs  anniversaires  respectifs.  Ils  se  réunissaient  donc, 
à  la  chute  du  jour,  dans  la  chambre  de  l'un  d'eux,  et  de  là,  précédés 
d'un  orchestre  aussi  bruyant  que  burlesque,  ils  se  rendaient  chez 
le  compagnon  d'infortune  qu'ils  voulaient  fêter  et  qui  sembait  pro- 
fondément étonné  de  ce  témoignage  de  cordiale  sympathie.  Surprise 
bien  jouée,  car  tout  aussitôt,  après  la  réception  du  bouquet  et  des 
compliments  d'usage,  il  distribuait  des  rafraîchisssments  comman- 
dés depuis  le  matiu  au  chef  cantinier. 

Une  fois  le  dernier  toast  porté,  les  musiciens  montaient  sur  la 
table  et  jouaient  des  quadrilles  auxquels  les  détenus  répondaient 
par  une  chorégraphie  non  moins  extravagante  que  les  effusions 
lyriques  de  l'orchestre. 


i^84 


LE  MÉNESTREL 


II 

Penâant  le  secona  empire. —  Une  promenade  chantante  à  Bicëlre:  A  bas  Bérangerl 
y  ne  Pierre  Dupont  !—  Le  jcvrnat  de  Delisdvze  :  la  messe  au  forlLamalgue.—  Souvenir 
d'un  prisonnier  a' État  :  lis  gondoliers  de  Corle.  —  Ruifuelle  Trabiicco  et  son  cor  d'Iiar- 
monie. 

Les  prisoDS  réseivccs  aux  vaineus  de  la  politique,  ne  chômant  pus 
plus  sous  le  second  empire  que  sous  la  monarchie  do  juillet,  eurent 
aussi  leurs  tardes  et  leurs  rapsodes.  Dès  le  2  décembre  1851,  aux 
preraiùrcs  heures  de  la  lutte,  Bicèlie  reçoit  une  fournée  de  comhat- 
tanls  qui,  d'après  leur  historien  Hippolyle  Babou,  jettent  une  noie 
eaic  dans  le  soubre  asile  de  la  folie. 

Ils  sont  conduits  et  enfermés  dans  les  casemates  noires  de  ténèbres: 
au  milieu  de  l'obscurité,  un  orateur  in\isible  propose  une  promenade 
chantante  au  son  de  la  marseillaise. 

—  Bravo  !  crie  la  foule,  nous  sommes  de  l'Orphéon  de  Bicètre. 

Et  cent  vingt  vois  entonnent  le  chant  {.atriotique,  «  chant  d'hy- 
giène, i.  ditBaliou,  puis  le  Chant  du  dépai-t,  les  Girondins,  la  fanfare 
contemporaine  de  Jcmmapcs  et  de  Fleurus  : 

Bruxelles-en -Brabant 

Pas  de  compliment. 

.l'entre  chez  lui  lambour  battant. 

Un  artisie  inconnu  larce  sur  l'air  de  Compère  Guilleri  une  bou- 
tade contre  le  héros  de  Brumaire  : 

Gai,  gai,  mes  amis. 

Soyons  réjouis. 

Chantons  le  renom 

Du  grand  Napoléon  ; 

C'est  le  héros  des  petites-maisons. 

L'auditoire  s'amuse  fort  du  timbie  suraigu  du  chanteur,  qui  a  dee 
acuités  de  fifre. 

Mais  le  virtuose  n'a-t-il  pas  la  malencontreuse  idée  de  continuer 
par  le  Vieux  Caporal  et  les  Souvenirs  du  peuple;  tous  alors  de  sifUer; 
ou  crie  même:  «A  bas  Béranger!  »  et  on  réclame  le  Chant  des 
ouvriers  de  Pierre  Dupont,  que  le  chœur  répète  jusqu'aux  premières 
lueurs  de  l'aube. 

Cette  gailé  fébrile  o*  un  pou  forcée  devait  avoir  de  tristes  lende- 
mains. L'ère  des  commissions  mixtes  s'ouvrit;  et  bientôt  de  longues 
théories  de  déportés  partaient,  soit  pour  la  terre  d'Afrique,  soit  pour 
les  forteresses  de  l'Océan  et  de  la  Méditerranée.  Parmi  les  condamnés 
se  trouvait  Delescluze,  qui  publia  plus  tard  le  Journal  de  sa  captivité, 
récit  très  animé,  très  vivant,  d'un  bon  style  et  d'un  chaud  coloris. 
Entre  autres  souvenirs  se  rattachant  à  notre  sujel,  celui  d'une  messe 
militaire  au  fort  Lamalgue  mérite  d'être  rapporté  : 

Autant  qu'il  m'en  souvient,  écrit  Delescluze,  les  messes  militaires  ont 
l'immense  mérite  de  s'expédier  au  galop;  mais  au  fort  Lamalgue  c'est  bien 
différent.  A  défaut  d'orgue  et  de  serpent  il  y  avait  un  orchestre  vocal, 
composé  d'une  dizaine  de  prisonniers  militaires.  Pendant  les  vingt-cinq 
ou  trente  minutes  que  dura  l'office,  j'entendis  exécuter  une  foule  de  can- 
tiques dont  je  ne  peux  pas  critiquer  l'intention,  mais  dont,  je  puis  le  dire 
sans  impiété,  la  poésie  était  plus  que  médiocre...  C'était,  pour  tout  dire, 
un  tas  de  rapsodies  du  dernier  commun,  habillées  d'airs  mondains  em- 
pruntés aux  opéras  et  aux  chansons  en  vogue,  et  bravement  enlevées  par 
des  choristes  en  pantalon  rouge. 

Le  mol  de  BufTon  :  «  Le  style  est  l'homme  même,  »  trouve  ici  sa 
pleine  et  entière  justification.  Nature  sèche  et  revêche,  autoritaire 
et  atrabilaire,  Delescluze  était  encore  la  personnification  de  cet 
autre  aphorisme,  passé  à  l'état  de  proverbe  : 

Cet  homme  assurément  n'aime  pas  la  musique, 
non  pas   que  celle  du  fort  Lamalgue   nous   semble    susceptible   de 
réhabilitation,  mais   la   tournure   d'esprit   particulière   à  Delescluze 
lui  interdisait  tout  sens  musical. 

Combien  en  diffère  un  de  ses  coreligionnaires  politique.",  non 
moins  intransigeant  que  lui,  mais  d'une  âme  plus  ardente,  plus 
cxpansive,  plus  ouverte  aux  sentiments  généreux  et  aux  nobles  ins- 
pirations qui  font  la  gloire  ou  la  consolation  de  l'humanité!  Nous 
voulons  parler  du  sergent  Boichot,  mort  depuis  quelques  mois  seule- 
ment. Revenu  furtivement  d'exil  en  ISoi-,  il  s'était  laissé  surprendre 
à  Paris,  et  son  imprudence  avait  cié  payée  de  la  détention  à  Belle- 
Islc-CL-Mer.  Ceries  il  n'abandonne  rien  da  ses  rancunes  ni  de  ses 
revendications  daus  le  livre  qu'il  a  laissé  sous  le  titre  de  Souvenirs 
d'un  prisonnier  d'État;  mais  il  donne  librement  carrière  aux  grandes 
a?pirations  de  sa  nature  rêveuse  et  poétique,  que  semblent  élargir 
encore  tes  scu  ations  niusirales.  Ces  sensation?,  Boichot  les  trouve 
et  11  s  éprouve  partout.  Tantôt  c'est  la  chanson  de  Pierre  Dupont  qui 
vibre  à  son  oreille  avec  son  vers  puissant  et  sa  mélodie  fruste,  sym- 


bole musical  du  socialisme  sous  la  seconde  république;  tantôt  c'est 
le  mugissement  de  la  tempête  dont  il  cherche  la  tonalité;  puis  le 
chaut  des  oiseaux  qui  le  transporte  et  le  ravit.  Toutes  ces  impres- 
sions, d'ordre  varié,  sont  notées  au  jour  le  jour.  Boichot  est  avec  ses 
compagnons  d'infortune  sur  le  bâtiment  qui  les  emporte  à  Bellc-Isle. 

Pendant  la  traversée,  écrit-il,  la  plupart  des  détenus  entonnèrent  les 
chants  de  Dupont,  la  Marsiillaise  et  d'autres  airs  républicains,  qui,  chose 
étrange,  eurent    un    immense  succès   parmi    les    hommes    de    l'escorte... 

Dans  la  forteresse,  «  le  son  de  la  flûte  de  notre  collègue  commis- 
saire se  mêle  au  bruit  de  la  rafale  et  forme  un  concert  plein  d'un 
étrange  et  fantastique  harmonie  n 

Des  ordres  de  l'administration  déplacent  les  prisonniers,  qui  seront 
transportés  en  Algérie.  Mois  le  vent  les  arrête  trois  jours  en  vue 
de  Coite,  dont  la  population,  à  qui  Boichot  reconnaît  «  l'instinct 
des  idées  et  des  institutions  républicaines  «,  accueille  les  exilés  avec 
une  touchante  compassion  : 

A  l'heure  du  crépuscule,  nos  amis  et  leurs  familles,  montés  sur  des 
espèces  de  gondole,  vinrent  stationner  aux  limites  établies  par  la  police, 
et  chantèrent  en  chœur  des  airs  patriotiques  du  pays.  L'écho  de  ces  sérénades, 
se  mêlant  aux  symphonies  de  la  mer,  nous  arrivait  plein  de  charme 
et  de  poésie  et  nous  prouvait  que  nous  étions  chez  un  peuple  ami  de  la 
liberté. 

Tous  ces  conspirateurs,  quelque  discutable  que  fût  leur  opinion 
ou  leur  cause,  avaient  un  caractère  épique.  Il  me  soutient  de  l'un 
d'eux,  un  musicien  précisément,  un  certain  Rafaolle  Trabuco,  qui 
était  professeur  de  cor  d'harmonie  et  qui  passait  même  pour  avoir  du 
talent.  Il  s'était  trouvé  impliqué  dans  un  complot  mazzinien  contre  la 
vie  de  l'empereur.  Or,  c'était  en  1863,  au  moment  où  je  cessais  d'être 
étudiant.  Un  de  mes  camarades,  jeune  avocat  stagiaire,  me  fit  entrer 
dans  la  salle  d'audience,  à  l'heure  psychologique  des  plaidoiries, 
du  résumé  —  il  existait  encore  —  et  du  verdict.  J'étais  juste  en 
fac3  de  Trabuco,  une  manière  de  petit  homme,  un  peu  épais,  mais 
très  remuîint,  dont  la  face  rondelette  disparaissait  sous  une  touffe 
de  poils  d'ébène. 

Il  fut  condamné,  avec  la  plupart  de  ses  complices,  à  la  détention 
perpétuelle  ;  et  comme  le  présiden',  demandant  à  Trabuco,  pour 
paraître  atténuer  la  rigueur  de  la  sentence,  s'il  n'avdit  pas  quelque 
requête  à  présenter  à  l'empereur: 

—  Qu'il  me  rende  mon  cor!  s'écria  d'une  voix  tragique  le  musi- 
cien, qui  se  révélait  là  tout  entier. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAGMENTS 

(Suile.) 

Delibes,  Guiraud,  Li!o,  Poise,  Duprato  viennent  de  disparaître 
successivement.  Il  me  semble  qu'ils  emportent  avec  eux  quelque 
chose  d'un  art  charmant,  auquel  succède  un  art  pénible  comme  le 
temps  où.  nous  vivons. 

ï! 

Certains  puristes  pharisiens  affectent  le  plus  grand  dédain  pour 
les  musiciens  qui  composent  au  piano. 

Je  croyais  que,  depuis  Alcesle,  il  était  admis  que  «  le  temps  ne 
fait  rien  à  l'a/faire  >■.  —  Si  le  temps  n'y  fait  rien,  qu'y  peut  faire  tel 
ou  tel  procédé  do  travail? 

Celui-ci  a  besoin,  pour  créer  son  œuvre,  de  l'isolement  de  la  cam- 
pagne ;  celui-là,  de  l'excitation  sans  cesse  renouvelée  d'un  miliiu 
artistique  vivaoe.  A  l'un,  il  faut  lo  silence  de  la  nuit,  à  l'autre,  la 
petite  flamme  que  le  café  allume  dans  le  cerveau.  —  En  voici  qui 
ruminent  une  première  idée  pendant  la  déambulation,  si  propice  à 
l'activité  de  la  pensée  flottant  autour  d'un  germe  de  conception.  J'en 
sais  qu'une  plume  de  fer  dans  les  doigts  glacerait. 

Qu'importent  telles  ou  telles  habitudes  d'esprit,  ou  même  d'outil 
matériel,  si  l'œuvre  est  saine  et  bonne  ? 

Le  grand  argument  des  Aristarques,  est  qu'au  piano  les  doigis 
agissent  plus  que  l'imaginDlion,  refaisant  les  mouvements  dont  ils 
sont  coutumiers,  .reproduisant  fatalement  des  formes  connues,  des 
harmonies  usées,  dos  figures  mélodiques  banales. 

11  est  acquis  à  l'histoire  musicale  que  Schumann  composait  tou- 
jours au  piano  et  ne  pouvait  s'en  passer.  C'est  ainsi  que  furent  con- 
çus le  Carnaval.  Kresleriana.  Jlumoreshc,  les  Etudes  sijmphotiiques,  les 
Xovellette.f,  Fanlasiesliicke,  Kiiider-icenen,  et  les  Lieder,  et  le  Paradis  et  la 


LE  MÉNESTREL 


285 


Péri,  et  Faust,  en  un  mot,  toute  cette  œuvre  si  copieuse,  si  roman- 
tique ! 

Que  ceux  qui  proscrivent  la  méthode  de  travail  de  Scliumanu 
essayent  de  faire  mieux!  Qu'ils  trouvent  des  rythmes  pics  personnels, 
des  harmonies  plus  colorées,  des  accenls  plus  intimement  profonds, 
des  mélodies  plus  savoureuses! 

C'est  que  ceux-là  ignorent  le  plus  souvent  comment  composeï, t 
les  musiciens  qui  ont  la  pratique  quotidienne  du  piano  et  pour  qui 
cet  inslrument  est  à  la  fois  un  incitant  et  le  rapide  véhicule  de  la 
pensée. 

Les  poètes,  les  romancieis,  1rs  phiîosopheF,  les  critiques,  en  un 
mot  les  écrivains  de  tous  ordres  portent  ou  eux  la  pensée  générale 
d'une  œuvre  ou  d'un  fragment  d'œuvrc.  iTais  cctle  pentép,  qui  les 
hante,  flotte  vîgucment  dans  li  ur  imagiialion. 

Les  voici,  cependant,  la  plume  à  la  main,  à  leur  table  de  travail. 
C'est  là  que  l'idée  se  dégage  peu  à  peu  et  se  précise.  Par  une  mysté- 
rieuse alfiuito,  née  d'une  heuri  use  habitude,  l'oulil  de  travail  a  Irans- 
mis,  de  la  main  qui  le  tieni,  je  ne  sais  quel  lluiJc  au  cerveau,  et  en 
a  fait  jaillir  l'élincelle.  —  Supprimez  la  plume,  supprimez  le  pli  fécond 
de  l'habitude  oîi  l'imagination  se  sent  à  l'aise,  cl  souvent,  bien  sou- 
vent, vous  aurez  supprimé  l'inspiration. 

«  Mon  Dieu  »,  dit  M.  de  Goncourt  dans  son  intéressant  Journal, 
0  [leut-Èlre  deux  ou  trois  années  d'aveuglement  avant  ma  mort,  ce 
ne  serait  pas  mauvais  celle  séparation,  ce  di\orce  de  ma  vision  avec 
la  naluro  colorrc  qui  a  élé  pour  moi  une  uiaîtresse  si  captivante.  Il 
me  serait  peut-être  donné  de  composer  un  volume,  ou  plulôt  une 
série  de  notes,  toutes  spiritualisles,  loutes  philosophiques,  et  écrilea 
dans  l'ombre  de  la  pensée.  Malheureusement,  je  crois  déjà  l'avoir 
dit,  je  ne  peux  pas  formuler  quelque  chose  .sans  que  mai  écriture  soit 
une  façon  de  dessin  d'où  sort  mon  talent  d'écrivain.  » 

Eh!  bien  !  ce  que  l'éciiture  est  à  un  des  écrivains  les  plus  origi- 
naux de  ce  temps,  le  piano  l'est  au  compositeur. 

Une  pensée,  —  que  dis-je,  soavent  moins  qu'une  pensive,  un  con- 
tour, —  une  couleur,  souvent  moins  qu'une  couleur,  une  nuance,  — 
une  impression,  —  souvent  moins  qu'une  impression,  une  vapeur,  — 
sont  dans  son  imagioalion  et  l'ob;  èdent  sans  qu'il  en  puisse  rien 
fixer.  Il  la  sent  là,  tout  piès  de  lui,  imperceptible,  cette  poésie  de 
songe,  '.t  il  ne  peut  même  l'enlrevoir.  C'est  alors  qu'il  s'assied  au 
piano  et,  levant,  il  s'abandonne  en  de  vagues  préludes.  Longtemps 
sa  recherche  est  vaine.  Que  de  fois  le  but  reste  caché  comme  der- 
rière un  brouillard  opaque!  Que  de  fois  le  cerveau  demeure  vide, 
glacé,  les  doigis  sans  direction  reproduisant  machinalement  des 
formules  incolores!  Ces  jours-là,  —  hélas,  les  plus  nombreux,  —  la 
page  reste  blanche  et  le  découragement  gagne  l'artiste  ! 

Mais  un  jour  vient  où  d'une  succession  de  note<^,  du  choc  d'une 
harmonie  ayant  je  ne  sais  quelle  secrète  et  féerique  corrélation  avec 
l'idée  latente,  l'intérêt  s'éviille  brusquement  ;  la  clarté  se  fait,  comme 
fila  fumée  d'un  nuage  s'évanouissaiU  Alors  l'artiste  ne  voit  plus 
rien  aulour  de  lui  ;  il  est  emporté  dans  un  monde  surnaturel,  il  saisit 
son  rêve!  Dans  une  sorte  d'ivresse  il  le  vil,  ce  lêve,  revecant  sans 
cesse,  sans  jamais  se  lasser,  à  ce  coin  de  ciel  encore  inexploré,  qu'il 
a  pu  le  premieratteindre  !  La  pensée  se  répète  sous  les  doigts  enfié- 
vrés, passant  et  repassant  sans  cesse  par  le  prisme  de  mille  couleurs 
changeantes. 

Le  musicien  peut  courir  à  présent  à  sa  table  de  travail;  l'œuvre 
est  née  ! 

Heureux  quand,  l'enivrement  dissipé,  il  ne  reconnaît  pas  tristement 
que,  si  haute  et  si  exquise  que  soit  peut-être  la  beauté  exprimée, 
elle  ne  réalise  encore  que  bien  imparfaitement  celle  qu'il  a  sentie, 
car  jamais,  hélas  1  jamais  l'artiste  n'atteint  cette  perfection  d'idéal  à 
laquelle  il  a  aspiré  ! 

a 

La  plupart  des  musiciens  qui  dénigrent  avec  ostentation  l'usage 
du  piano  pour  composer,  y  recourent  eux-mêmes  quotidiennement. 

Je  défendais  un  jour  ce  procédé  de  travail  à  un  ami  excellent, 
—  X ,  de  talent  solide,  qui  me  soutenait  ne  l'avoir  jamais  em- 
ployé, le  tenant  en  parfaite  mésestime. 

En  disputant  sur  ce  sujet,  nous  entrâmes  dans  son  cabinet.  Un 
piano  était  là  ;  machinalerrent  je  l'ouvris,  et,  grand  Dieu!  que  vis- 
je?...,  un  clavier  maculé  d'énormes  taches  d'encre  ! 

Ce  fut  mon  tour  do  triompher.  Notre  homme  eut  beau  se  défendre. 
Il  était  clair  pour  moi  qu'il  ne  se  contentait  môme  pas,  comme  la 
plupart  des  compositeurs,  de  not.'r  au  piano  quelques  points  de 
repère  d'une  très  sommaire  esquisse,  pour  lesquels  quelques  coups 
de  crayon  suffisent,  mais  qu'il  y  devait  chercher  et  arrêter,  en  tous 
ses  détails,  la  forme  définitive  do  ses  productions. 


En  un  autre  temps,  j'avais  l'honneur  de  loger  chez  moi  mon  cher 
et  vénéré  Maître.  Lui  aussi  blâmait  l'usage  du  piano  pour  composer. 
Au  cours  de  nos  conversations  il  revint  à  diverses  reprises  sur  ce 
sujet  avec  la  plus  pai  Taie  bonne  foi,  car  il  é'.ait  incapable  de  fein- 
dre, et  nous  épuisâmes  l'un  et  l'autre  tous  les  arguments  fans  que 
nos  convictions  réciproques  fussent  ébranlées.  —  A  deux  jours  de  là, 
passant  devant  sa  chaml  rr-,  je  l'entendis  s'escrimer  sur  le  piano  de 
ses  doigis  gourds,  mâchant  et  remâchant  sans  cese  les  mômes 
thème?.  —  «  Qu'est  cela"?  dis  je  en  entrant;  je  ne  reconnais  pas 
ces  motifp.i)  —  «  C'est,  me  dit-il  simplement,  oubliant  noire  conver- 
sation de  l'avant-veille,  l'andanle  de  mon  quatuor  auquel  je  tra- 
vaille. 1) 

Un  autre  jour,  j'allai  faire  visite  à  un  des  maîtres  dont  le  noble 
talent  honore  l'art  français,  et  qui  professe  hautement  et  sincèrement 
le  même  mépris  pour  le  piano.  Comme  j'étais  sur  le  palier  de  son 
appartement,  je  l'entendis  jouer  de  cet  insfrumeit  si  décrié,  1 1  ayant 
élé  immédiatement  iniroduit,  je  le  surpris  devant  une  csquiFse  au 
crayon  d'une  supeihe  scène  qu'il  me  fil  entendre  sans  plus  de 
façon?. 

C'est  que,  au  vrai,  la  plupart  des  compositeurs  procèdent  ainsi. 
Tous  certes  peuvent  écrire  n'importe  quelle  œuvre  sans  le  concours  d'aucun 
instrument.  Mais,  piour  beaucoup,  c'est  alors  précisément  que  leur  pro- 
duction est  plus  fiw.'.e  et  moins  personnelle. 

Tout  le  monde  sait  l'hittoire  de  Beethoven  fredonnaiit  ob.itiné- 
ment  er.tre  ses  dents  pendant  une  promenade,  —  puis,  hâtant  le 
pas  et,  des  sa  rentrée  au  logis,  se  précipitant  au  piano  oîi  sous  ses 
doigis  éclata  tumultueusement  le  finale  en  germe  de  l'admirable  sonate 
en  fa  mineur  op.  57. 

Meycrboer  avait  un  jiano  carré  «  dont  il  se  servait  en  même  temps 
pour  jouer  et  pour  écrire.   » 

Pour  Halévy  le  facteur  Relier  avait  fait  «  un  magnifique  bureau  de 
travail  dont  les  flancs  recelaient  un  pi.ino  ;  l'un  des  tiroirs,  en  s'ou- 
vrani,  montrait  un  clavier.» 

Ambroise  Thomas  a,  ou  a  eu,  un  meuble  de  ce  genre  ;  et  beaucoup 
de  nos  auteurs  français  contemporains  se  servent  de  ces  commodes 
pianinos  que  la  maison  Pleyel  a  si  ingénieusement  disposés  avec  un 
couvercle-puiiilre. 

Dans  un  des  fascicules  qui  ont  clé  publiés  à  Bayreulh  en  commé- 
moration dos  fêles,  on  peut  voir  le  très  curieux  fac-similé  de  l'épique 
Marche  funèbre  de  Siegfried  (Crépuscule  des  Dieux)  en  premier  jet. 
Bien  qu'écrite  sur  trois  portée?,  —  ainsi  d'ailleurs  que  plusieurs 
maîtres,  notamment  Schumann,  ont  noté  quelques  pièces  de  piano  et 
toutes  leurs  œuvres  pour  orgue  et  piano  à  pédale,  —  celte  esquisse, 
tracée  par  un  des  plus  puissants  et  des  plus  polyphoniques  manieurs 
d'orchestre  qui  existent,  diffère  peu  d'une  réduction  au  piano. 

Enfin,  si  Berlioz  ne  s'est  jamais  servi  personnellement  de  cet  ins- 
trument qu'il  ne  p.'atiquait  pas,  il  se  servait  d'une  guitare,  ce  qui 
certes  ne  valait  pas  mieux.  Je  garde  même  la  conviction  que,  si  l'au- 
teur de  la  Damnation  de  Faust  avait  eu  l'usage  du  piano,  sa  vive  ori- 
ginalité n'aurait  pu  en  être  atténuée,  mais  sa  forme  aurait  été  souvent 
moins  laborieuse,  son  écriture  plus  naturellement  pure,  et  son  ins- 
piration se  serait  plus  librement  épanouie,  sans  cetle  gestation  péni- 
ble, je  n'ose  dire  douloureuse,  dont  peuvent  se  rendre  compte  ceux 
qui  ont  eu  en  mains  ses  manuscrils  originaux. 

Ne  médisons  pas  du  piano.  Il  est  l'ami,  le  confident  de  tous  les 
jours,  —  heures   grise?,  heures   roses.   C'est   lui  qui  nous  ouvre  le 
facile  accès  de  tous  les  chefs-d'œuvre.  G'ett  lui  qu',  en  avivant  en 
noire  âme  l'émotion,  fait  germer  la  flenr  exquise  de  l'inspiration. 
(A  suivre.)  .  A.  Montaux. 


NOUVELLES    LI^^ERSES 


ÉTRANGER 

La  représentation  de  gala  qui  a  eu  lieu  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne 
à  roccasiou  de  la  visite  des  souverains  russes  et  dont  \a.  Manon  de  Massenet 
avait  fait  les  frais  artistiques,  a  produit  une  impression  tellement  favorable 
sur  Nicolas  II  qu'il  a  envoyé  aux  fonctionnaires  principaux  de  la  surin- 
tendance générale,  le  baron  Bezecny,  le  docteur  "Wlassack  et  le  baron 
Puumann  ainsi  qu'au  directeur,  M  Jahn,  et  au  premier  kapellmeister, 
M.  Richtpr,  des  décorations  russes  d'un  grade  élevé. 

—  Une  nouvelle  opérette  intitulée  le  Guignol,  paroles  de  M.  Tellheim, 
musique  de  M.  Richard  Ilaller,  sera  prochainement  représentée  à  Vienne 
pour  la  première  fois. 

—  Le  préfet  de  police  de  Budapest  a  fait  procéder  à  un  recensement 
de  toutes  les  bandes  de  musique  qui  existent  dans  la  capitale  hongroise. 


286 


LE  MENESTREL 


On  a  constaté  l'existence  de  13Û  bandes  de  Tziganes  qui  jouent  dans  les 
différents  établissements  de  plaisir,  restaurants,  cafés,  etc.;  le  nombre  de 
ces  musiciens  est  de  99".  En  dehors  des  Tziganes  il  existe  32  bandes 
non  militaires  qui  donnent  un  total  de  216  musiciens,  et  21  orchestres 
de  dames,  qui  jouent  principalement  dans  les  cafés,  comptant  134  artistes. 
On  a  aussi  compté  onze  pianistes  qui  se  font  entendre  dans  différents  éta- 
blissements, et  22  musiciens  de  nationalité  serbe  qui  se  produisent  sur  le 
tambourin  national.  Les  musiques  militaires  ne  sont  pas  comprises  dans 
cette  statistique,  mais  elles  jouent  fréquemment  dans  plusieurs  établis- 
sements et  bals  publics  ;  les  musiciens  qui  se  produisent  à  l'Exposition 
du  millénaire  n'ont  pas  été  comptés  non  plus,  car  ils  ne  restent  pas  tou- 
jours à  Budapest.  On  peut  évaluer  à  deux  mille  le  nombre  de  personnes 
qui  gagnent  leur  pain  à  Budapest  en  faisant  de  la  musique  populaire. 
C'est  un  chiffre  assez  considérable  pour  une  ville  qui  compte  à  peine  un 
demi-million  d'habitants. 

—  L'empereur  Guillaume  II  doit  aller  prochainement  à  la  Porta  west- 
phalica,  près  Minden,  en  Westphalie,  pour  voir  le  monument  grandiose 
qu'on  a  érigé  à  son  grand-père  Guillaume  I"  et  à  l'inauguration  duquel 
il  n'avait  pu  assister.  A  cette  occasion,  sept  cents  trompettes  et  trombones 
du  pays  exécuteront,  dit-on,  des  fanfares  en  son  honneur  et  tous  les  orphéo- 
nistes westphaliens  se  rassembleront  pour  chanter  des  chœurs.  Est-ce  que 
tous  les  habitants  de  ce  pays,  célèbre  par  ses  jambons  et  par  le  pain  bis 
qu'on  nomme  Pumperniekel,  joueraient  de  la  trompette  ou  du  trombone? 

—  Le  chef  d'orchestre  Bilse,  de  Berlin,  vient  de  célébrer  le  80=  anni- 
versaire de  sa  naissance,  et  a  reçu  à  cette  occasion  des  félicitations  innom- 
brables. Sans  être  précisément  «  un  virtuose  de  la  baguette  »,  pour  nous 
servir  d'une  expression  de  Hans  de  Bûlow,  M.  Bilse  a  le  grand  mérited'avoir 
rendu  populaire  à  Berlin  les  chefs-d'œuvres  symphoniques,  en  organisant 
des  concerts  populaires  où  un  orchestre  assez  nombreux  jouait  sous  sa 
direction  fort  convenablement  du  Haydn,  du  Mozart,  du  Beethoven,  du 
Schubert,  du  Mendelssohn  et  du  Schumann.  Le  prix  d'entrée  variait  entre 
60  centimes  et  I  fr.  25  c,  et  les  ouvriers  mêmes  se  payaient  une  ou  deux 
fois  par  semaine  le  plaisir  d'assister  à  un  «  concert  Bilse.  » 

—  Nos  lecteurs  se  souviennent  du  projet  que  l'on  a  d'ériger  un  monument 
funéraire  à  .J.-S.  Bach  dans  la  nouvelle  église  Saint-Jean  à  Leipzig.  On 
annonce  que  le  comité  a  déjà  réuni  à  cet  effet  plus  de  20.000  francs. 

—  U.  Wilhelm  Speidel,  directeur  du  Conservatoire  de  Stuttgard,  tort 
connu  en  Allemagne  comme  compositeur  populaire  et  comme  pianiste 
vient  de  célébrer  le  soixante-dixième  anniversaire  de  sa  naissance  et  a 
reçu  à  cette  occasion  des  marques  nombreuses  de  sympathie,  surtout  de  la 
part  des  orphéons  allemands,  qui  ont  popularisé  ses  compositions. 

—  M.  Gianturco,  ministre  de  l'instractiou  publique  du  royaume  d'Italie, 
qui,  nous  avons  eu  occasion  de  le  dire,  est  à  la  fois  virtuose  et  composi- 
teur et  prend  le  plus  grand  intérêt  aux  choses  artistiques,  vient  de  décider 
la  création  d'une  classe  de  plain-chant  au  Lycée  musical  de  Sainte-Cécile, 
de  Rome.  11  a  confié  cette  classe  au  professeur  Filippo  Mattoni,  l'un  des 
meilleurs  chanteurs  de  la  chapelle  Giulia. 

—  M.  Blanchi,  auteur  d'un  opéra  intitulé  Sarah,  qui  a  déjà  été  joué  avec 
succès,  vient  de  terminer  la  partition  d'un  nouvel  opéra  en  trois  actes, 
Almanzor. 

—  Un  opéra  inédit  en  un  acte,  intitulé  Refugium  peccatorum,  paroles  de 
M.  Louis  Jugand,  musique  de  IM.  Antonio  De  Lorenzi  Fabris,  sera  prochai- 
nement joué  à  Venise. 

—  Un  nouvel  opéra  du  compositeur  napolitain  Giannini,  intitulé  Ruit 
hora  (L'heure  s'envole),  sera  prochainement  joué  au  théâtre  de  Portici, 
près  Naples.  Le  jeune  compositeur  dirigera  en  personne  la  première. 

—  Au  festival  musical  de  Norwich  on  jouera  pour  la  première  fois  un 
opéra  inédit,  Héro  et  Léandre,  paroles  de  IVI.  Arrigo  Boito,  le  librettiste  de 
Verdi,  musique  de  M.  Luigi  IMancinelli,  le  chef  d'orchestre  bien  connu. 
Cet  ouvrage  sera  joué  ensuite  au  théâtre  Covent-Garden. 

—  On  a  donné  au  Savoy-Théâtre  de  Londres  une  nouvelle  opérette  inti- 
tulée Wheaier  or  No,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  Luald  Selby  sur 
un  livret  de  MM.  Adrian  Rossa  et  W.  Beach. 

—  Les  artistes  anglais  n'ont  véritablement  pas  de  chance  en  ce  moment. 
Nous  apprenons  en  effet  que  pendant  une  représentation  au  Grand- 
Théâtre,  à  Croydon,  une  actrice  a  reçu  dans  la  cuisse  toute  la  charge  d'un 
pistolet.  Ce  nouvel  accident  provient  uniquement  de  la  maladresse  d'un 
acteur. 

—  Lors  de  son  voyage  en  Angleterre,  le  vice-roi  chinois  Li-Hung-Tchang 
a  été  gratifié,  à  Dalmeny,  d'un  concert  de  musique  écossaise.  Toute  une 
bande  a  joué  les  meilleurs  pièces  de  son  répertoire  sur  la  cornemuse  écos- 
saise (bagpipe',  et  quelques  douzaines  de  montagnards  écossais  dans  leur 
costume,  qui  manque  absolument  de  pantalon,  ont  dansé  la  célèbre  danse 
nationale  (Uig,jla,id  fliny),  qui  manque  tout  à  fait  de  femmes.  Le  vieil  homme 
d'Etat  chinois  a  semblé  beaucoup  admirer  les  jambes  nues  des  danseurs, 
mais  les  sons  du  bagpipe  n'avaient  pas  précisément  l'heur  de  lui  plaire.  A 
un  grand  seigneur  écossais  qui  lui  posait  la  question  embarrassante  : 
«  Comment  plait  à  Voire  Excellence  notre  musique  nationale?  ;  le 
mandarin  a  répliqué  avec  un  léger  sourire  :  <'  Probablement  autant  qu'à 
Votre  Seigneurie  la  musique  chinoise  ».  De  gustihus,  etc. 


—  Une  certaine  agitation  sefait  actuellement  remarquer  en  Angleterre  ten- 
dant à  la  modification  de  la  fameuse  loi  sur  l'observation  du  repos  dominical, 
TlieLord's  Day  Act,  qui  date  de  1781.  Cette  loi  a  déjà  occasionné  beaucoup  de 
procès  au  sujet  des  concerts  et  autres  délassements  musicaux  qu'on  donnaitle 
dimanche,  et  les  juges  ont  souvent  interprété  d'une  manière  contradictoire 
ses  prescriptions.  On  désire  donc  un  texte  plus  clair  et  plus  large 
de  la  loi  dominicale,  car  même  les  personnes  qui  croient,  avec  raison, 
que  la  bonne  musique  n'empêche  pas  la  sanctification  du  dimanche,  ne 
réclament  pas  l'abolition  du  Lord's  Datj  Act.  Tout  récemment  on  a  ouvert,  le 
dimanche,  au  public  la  Galerie  nationale  de  Londres,  et  les  travailleurs,  qui 
n'avaient  jamais  pu  voir  les  trésors  d'art  appartenant  à  la  nation,  ne  pou- 
vant pas  les  visiter  les  jours  non  fériés,  profitentlargement  de  cette  aubaine. 
Ne  doit-on  pas  rendre  accessibles  aux  humbles  ouvriers  les  chefs-d'oeuvre 
de  la  musique  aussi  bien  que  ceux  de  la  peinture?  Au  point  de  vue  du 
repos  dominical,  qui  est  certes  fort  désirable,  un  bon  concert  classique 
vaut  certainement  la  plupart  des  sermons  qu'on  débite  dans  les  églises 
anglaises  et  est  de  beaucoup  préférable  aux  distractions  auxquelles  les 
gens  de  condition  modeste  se  livrent  en  Angleterre  le  dimanche,  quand 
ils  ne  s'ennuient  pas  mortellement  chez  eux. 

—  On  a  fêté  récemment,  à  Stockholm,  le  soixante-dixième  anniversaire 
de  la  naissance  de  M.  Ivar  Hallstrœm,  le  compositeur  suédois  le  plus 
populaire  et  l'auteur,  dit-on,  du  premier  opéra  national.  M.  Hallstrœm  a 
écrit  d'ailleurs  plusieurs  ouvrages  dramatiques  :  Hertig  Magmis,  dont  le 
sujet  était  tiré  d'un  épisode  de  l'histoire  de  la  Suède,  et  qui  fut  représenté 
au  théâtre  royal  de  Stockholm  en  1867  :  la  Montagnarde  enlevée,  1874;  la 
Fiancée  du  gnome,  opéra  fantastique,  1873;  les  Vikings,  1877.  On  lui  doit 
aussi  quelques  autres  compositions  de  moindre  importance. 

—  L'Opéra  néerlandais  de  Rotterdam  devra,  cette  saison,  sa  subvention 
à  une  loterie  originale.  Un  comité  vend  23.000  numéros  au  prix  de  deux 
francs.  Les  lots  seront  formés  par  cent  titres  d'abonnement  pour  la  saison 
entière,  et  c'est  le  directeur  qui  touchera  les  SO.OOO  francs  que  cette  loterie 
doit  rapporter. 

—  M.  Grau,  le  directeur  du  Metropolitan  Opera-house  de  New- York  et 
du  théâtre  Covent-Garden  de  Londres  pendant  la  prochaine  saison,  est  en 
train  de  compléter  ses  engagements  d'artistes  chanteurs.  Or,  plusieurs 
grands  artistes  internationaux,  ayant  appris  qu'un  des  candidats  à  ia  pré- 
sidence des  États-Unis  préconisait  le  monnayage  libre  de  l'argent  et  redou- 
tant les  conséquences  de  cette  mesure  pour  la  valeur  du  dollar,  ont  renvoyé 
les  contrats  préparés  en  exigeant  que  les  mots  «  en  or  »  fussent  ajoutés 
partout  où  il  s'agissait  du  bienheureux  dollar.  Mille  dollars  en  argent 
ne  représentent  en  effet,  au  prix  actuel  du  métal  blanc,  que  cinq  cents 
dollars  en  or,  et  à  ce  prix  les  rossignols  ne  veulent  pas  chanter  à  New-York, 
même  s'ils  appartiennent  au  sexe  fort.  Ce  fait  amusant  prouve  que  les 
artistes  modernes  sont  très  ferrés  sur  l'économie  polilique;  on  s'étonne 
môme  que  certains  Etats  aux  finances  délabrées  n'aient  pas  encore  songé 
à  donner  le  portefeuille  des  finances  à  un  ex-tort  lénor,  ou,  ce  qui  vaudrait 
peut-être  mieux,  à  une  ancienne  chanteuse  légère. 

—  Un  journal  américain  publie  une  note  d'après  laquelle  il  prétend  nous 
faire  connaître  les  bénéfices  que  leurs  tournées  dans  l'Amérique  du  Nord 
procurent  à  nos  artistes  européens.  Selon  ses  calculs,  M.  Paderewski  aurait 
empoché  là-bas  1.400.000  francs,  M'"'^'^  Calvé  et  Melba  chacune  un  million, 
MM.  Maurelet  Plançon  aussi  un  million, les  frères  de  Reszké  1.230.000  francs, 
et  ainsi  de  suite.  A  la  suite  de  ces  renseignements,  notre  confrère  d'outre- 
Océan  hasarde  cette  réllexion  dont  on  ne  saurait  méconnaître  la  justesse: 
«  Notre  argent  cessera  d'aller  dans  la  poche  des  artistes  européens  le  jour 
où  l'Amérique  pourra  produire  des  pianistes  et  des  chanteurs  d'égale 
valeur.  »  Parfaitement.  Il  ne  s'agit  que  de  savoir  quand  l'Amérique  pourra 
fare  da  se. 

—  Il  paraît  que  la  fameuse  «  sillleuse»  américaine  dont  on  a  tant  parlé 
il  y  a  une  année  environ,  fait  des  élèves  et  des  prosélytes.  Un  de  nos  con- 
frères américains  nous  fait  savoir  qu'il  devient  de  mode  là-bas  d'enseigner 
aux  jeunes  filles  à  siiller  au  lieu  de  chanter.  Il  raconte  à  ce  sujet  que  ré- 
cemment, à  New-York,  dans  une  cérémonie  nuptiale,  une  douzaine  de 
demoiselles  d'honneur  avait  «  siillé  "  en  perfection,  avec  un  ensemble 
superbe  et  des  nuances  exquises,  la  Marche  nuptiale  de  Mendelssohn. 
Voilà  qui  va  bien,  et  qui  donne  une  grande  idée  du  goût  musical  des 
Américains  —  et  des  Américaines.  A  quand  le  prochain  orchestre  de 
silUeuses  ? 

—  Les  Américains  en  prennent  à  leur  aise  avec  les  chefs-d'œuvre, 
lorsque  ceux-ci  les  gênent  quelque  peu.  Il  parait  que  récemment,  dans 
une  ville  des  États-Unis,  lors  d'une  exécution  de  la  Symphonie  avec 
chœurs  de  Beethoven  dirigée  par  M.  Théodore  Thomas,  le  fameux  chef 
d'orchestre  dont  la  renommée  est  si  grande  au  delà  de  l'Atlantique,  on  a 
joué  la  dernière  partie...  en  la  transposant  un  ton  plus  bas.  .Je  ne  doute 
pas  que  ce  ne  fût  beaucoup  plus  commode  pour  les  chanteurs  :  solistes 
ou  choristes,  mais  c'est  égal,  le  procédé  est  sans  façon,  et  il  serait  curieux 
de  savoir  ce  qu'en  eut  pensé  Beethoven  s'il  eût  pu  croire  qu'on  le  mît  un 
jour  en  pratique  1 

—  Antoine  de  Kontski,  le  doyen  des  pianistes  vivants,  dont  nous  avons 
annoncé  la  tournée  artistique  autour  du  monde,  est  arrivé  en  Australie  et 
a  donné  à  Melbourne  une  série  de  concerts  avec  un  succès  énorme.  Il  s'est  . 


LE  MÉNESTREL 


287 


rendu  de  là  à  Sydney,  où  il  a  annoncé  plusieurs  concerts.  Nos  lecteurs 
savent  déjà  que  M.  de  Kontski  à  l'intention  de  donner  quelques  concerts 
à  Paris  au  printemps  prochain. 

—  Les  nouvelles  qu'on  reçoit  de  la  santé  de  M.  Carlos  Gomes  sont  loin 
d'être  rassurantes  sur  l'état  du  compositeur.  Le  gouvernement  brésilien, 
outre  qu'il  ne  le  laisse  manquer  de  rien,  a  assigné  une  pension  à  ses  fils 
ainsi  qu'une  dot  à  sa  fille  lorsque  celle-ci  jugera  à  propos  de  prendre  un 
époux. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  c'est  M.  Noté  qui  a  tenu  le  rôle  à'Hamlet,  mercredi  der- 
nier, en  place  de  M.  Renaud,  indisposé.  M.  Noté,  prévenu  à  la  dernière 
heure  seulement,  sans  une  répétition,  sans  même  un  raccord,  a  chanté 
l'ouvrage  d'Ambroise  Thomas,  et,  par  ses  applaudissements,  le  public  lui 
a  montré  qu'il  s'était  tiré  de  cette  très  lourde  tâche  tout  à  son  avantage. 
M"'  Berthet,  faisant  sa  rentrée  dans  Ophélie  où  elle  s'est  montrée  char- 
mante, et  M'"  Subra,  exquise  dans  la  Fête  du  Printemps,  ont  retrouvé  le 
succès  auquel  elles  sont  habituées.  M""  Dufrane  abordait  pour  la  pre- 
mière fois  le  rôle  de  la  reinp. 

—  M.  Gailhard,  en  ce  moment  à  Biarritz,  rentrera  à  Paris  à  la  fin  de 
celte  semaine. 

—  Les  travaux  entrepris  à  l'Opéra-Comique  devant  être,  maintenant, 
très  certainement  achevés  pour  permettre  de  rouvrir  à  la  date  du  18, 
M.  Garvalho  a  dû  partir,  hier  samedi,  pour  Munich,  où  il  va  assister  à  une 
des  représentations  de  Don  Juan  qui  s'y  donnent  en  ce  moment,  M.  Gar- 
valho sera  de  retour  à  Paris  à  la  fin  de  cette  semaine. 

—  M.  et  M""»  Massenet  sont  rentrés  à  Paris  où  ils  ne  comptent  séjourner 
que  quelques  jours  seulement.  M.  Massenet  a  profité  de  son  passage 
pour  arrêter  avec  M.  Garvalho  différents  détails  relatifs  à  Cendrillon. 

—  Vendredi  soir,  M"<=  Van  Zandt  a  signé  avec  M.  Garvalho  un  engage- 
ment au  terme  duquel  elle  donnera,  du  20  novembre  au  20  janvier,  une 
série  de  représentations  de  Lakmé,  dont  elle  fut  l'inoubliable  créatrice,  et 
de  Manon,  qu'elle  chantera  pour  Ja  première  fois. 

—  A  l'occasion  de  diverses  expositions  récentes,  le  Journal  officiel  a  enre- 
gistré plusieurs  distinctions  académiques  parmi  lesquelles  nous  relevons 
les  suivantes  :  oûîcier  de  l'instruction  publique  :  M.  Poulalion,  éditeur  de 
musique  à  Paris;  officiers  d'académie:  MM.  Depas,  artiste  dramatique  à 
Bordeaux  ;  Duclos,  directeur  de  l'orphéon  du  1"  canton  de  Bordeaux  ; 
Florus-Blanc,  professeur  au  Conservatoire  de  Bordeaux;  et  Gauvin,  éditeur 
de  musique  à  Paris.  — Mentionnons  en  même  temps  quelques  autres  nomi- 
nations d'officiers  d'académie  qui  remontent  déjà  à  quelques  semaines  : 
MM.  Henri-Louis  Martin,  professeur  de  musique  aux  écoles  normales,  Jean 
Ajon,  professeur  de  musique  au  lycée  d'Alais,  Léon  Mérignac,  professeur 
de  musique  au  lycée  d'Angoulême,  et  Jacques  Périlhou,  professeur  de  mu- 
sique au  lycée  de  Mont-de-Marsan. 

—  M.  Guiffrey,  administrateur  des  Gobelins,  a  livré  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, sur  l'ordre  du  ministre  des  beaux  arts,  une  admirable  tapisserie  des 
Gobelins  exécutée  sur  la  composition  du  peintre  Joseph  Blanc.  Cette  tapis- 
serie, de  plus  de  cinq  mètres  de  haut  sur  plus  de  trois  mètres  de  large, 
représente  le  Couronnement  de  Molière  un  jour  de  cérémonie.  Les  deux  per- 
sonnages principaux  entourant  le  buste  de  Molière  sont  Tartuffe  et  Dorine. 
Pour  Tartuffe,  l'artiste  a  pris  pour  modèle  M.  Silvain  dans  ce  rôle  ;  pour 
Dorine,  M.  Blanc  avait  fait  le  portrait  vivant  et  frappant  de  la  pauvre 
Céline  Montaland.  L'administrateur  de  la  Comédie  saisira  la  première  oc- 
casion de  montrer  ces  œuvres  de  notre  manufacture  nationale  de  tapis- 
serie. 

—  M.  Prince,  premier  prix  de  comédie  aux  derniers  concours  du  Con- 
servatoire, vient  d'être  engagé  à  l'Odéon. 

—  Le  pianiste  portugais  Viana  da  Motta,  que  le  public  parisien  n'a  sans 
doute  pas  oublié,  vient  de  publier  un  livre  consacré  au  fameux  chef 
d'orchestre  Hans  de  Bulow.  Celui-ci  n'était  pas  toujours  l'excentrique 
qu'il  se  plaisait  à  paraître;  il  avait,  on  le  sait,  un  haut  sentiment  de  l'art. 
M.  Viana  da  Motta  cite  de  lui  quelques  réflexions  intéressantes.  A  propos 
delà  justesse  chez  les  virtuoses  ;  «  On  peut  jouer  juste,  bien  et  d'une  façon 
intéressante.  Ne  jouez  donc  pas  d'une  façon  si  intéressante  que  cela 
cesse  d'être  bien,  et  ne  jouez  pas  si  bien  que  cela  cesse  d'être  juste...  » 
Et  à  propos  de  Mozart  :  «  Ce  n'est  pas  impunément  que  Mozart  était  à 
moitié  Italien.  On  le  joue,  non  comme  s'il  était  de  Salzbourg,  mais  comme 
s'il  avait  vu  lo  jour  à  Stockholm.  Cela  est  trop  glacial,  trop  mort.  Le  ton 
est  trop  mince,  trop  enfantin.  Étudiez  ses  opéras,  ou  jouez  ses  sonates 
pour  piano  et  violon  :  chez  Mozart,  et  même  dans  ses  sonates  pour  piano, 
il  y  a  toujours  un  processus  dramatique.  Chaque  thème  de  Mozart  est  une 
individualité.  » 

—  A  la  Villa  des  Fleurs,  à  Aix-les-Bains,  la  première  représentation 
de  Le  Roi  l'a  dit,  le  délicieux  ouvrage  de  Léo  Delibes,  a  dépassé  comme 
succès  tout  ce  que  l'on  pouvait  attendre.  Interprétation  parfaite  avec 
M"""  Landouzy,  MM.  Soulacroix  et  Isnardon,  très  jolie  mise  en  scène  de 
M.  Nerval,  et  exécution  musicale  très  délicate,  grâce  aux  soins  de 
M.  Luigini. 

-  Au  Circle  d'Aix-les-Bains,  le  succès  de /«  Nauarraise  avec   sa  remar- 


quable interprète,  M""  de  Nuovina,  MM.  Bouvet  et  Maréchal,  s'accentue 
de  plus  en  plus.  On  a  déjà  donné  trois  représentations  devant  des  salles 
combles  et  complètement  subjuguées. 

—  De  notre  confrère  Nicolet.  du  Gaulois  :  «  Le  bruit  court  que  la  muni- 
cipalité marseillaise,  désireuse  de  rendre  à  notre  école  communale  de  mu- 
sique sa  réputation  d'autrefois,  songerait  à  lui  restituer  le  titre  de  «  suc- 
cursale du  Conservatoire  de  Paris,  qu'elle  a  porté  de  1842  à  1872;  c'est 
grâce,  en  efi'et,  à  l'enseignement  supérieur  donné  pendant  ces  trente  ans 
que  plusieurs  élèves  sont  devenus,  tels  que  Boudouresque,  Maurel,  Pu- 
jol,  etc..  des  artistes  en  renom  à  Paris  et  à  l'étranger.  » 

—  Décentralisation.  Le  théâtre  d'Amiens  annonce,  pour  cet  hiver,  la 
première  représentation  de  Franpo)2Hei(e,  opéra-comique  en  quatre  actes,  tiré 
d'un  conte  de  Jasmin  par  MM.  J.  Goujon  et  A.  Bernède,  musique  de 
M.  R.  Lavello.  Les  mêmes  auteurs  firent  jouer  l'année  dernière,  à  Rouen, 
une  Marie  Siuarl. 

—  Au  Casino  municipal  de  Bagnères-de-Bigorre,  très  brillante  réussite 
de  la  Navarraisc,  avec  M"'=  Lyvenat  dans  le  rôle  de  l'héroïne  de  MM.  Masse- 
net,  Claretie  et  Gain.  L'exécution  musicale,  très  soignée  par  M.  Gh.  Ha- 
ring,  a  été  parfaite.  Trois  jours  après  avait  lieu  au  Parc,  toujours  sous  la 
très  artistique  direction  de  M.  Haring,  un  superbe  festival  Massenet,  au 
cours  duquel  on  a  applaudi  et  bissé  l'ouverture  du  Cid,  le  ballet  du  Mage, 
des  suites  sur  Manon,  sur  Uérodiade,,  le  ballet  du  Roi  de  Lahore,  Sous  les  til- 
leuls des  Scènes  alsaciennes,  VHyménée  d'Esclarinonde  et  la  Parade  militaire. 

—  On  nous  écrit  de  Cabourg  :  Dimanche,  M.  Bourdeau  avait  organisé 
une  messe  en  musique  en  l'honneur  de  Faure,  de  passage  à  Cabourg, 
dont  les  œuvres  remplissaient  le  programme  de  cette  belle  et  pieuse  céré- 
monie. M.  Alvarez,  un  brillant  élève  du  maitre,  amateur  doué  d'une 
belle  voix  de  baryton,  a  interprété  dans  un  style  large  l'O  Saluiaris. 
M.  Jean  Rondeau  a  montré  l'ampleur  de  son  talent  et  de  sa  voix  dans  le 
Sancla  Maria,  accompagné  au  violon  par  M.  Hayot  et  à  l'orgue  par  M.  J. 
de  Santesteban,  et  M""»  Smith  a  fort  religieusement  dit  VAve  Maria.  On  a 
terminé  par  le  Crucifix,  interprété  par  M'"'^^  Smith,  Calafa,  Kerckhoff, 
MM.  Rondeau,  Alvarez  et  Vieuille,  et  accompagné  par  les  artistes  de  l'or- 
chestre du  Casino.  L'orgue  était  tenu,  durant  la  messe,  par  MM.  J.  de 
Santesteban  et  Deslandes.  Vendredi,  au  concert  du  Casino,  M.  J.  Faure 
fut  également  l'objet  d'une  ovation  des  plus  chaleureuses  de  la  part  du 
public,  après  l'interprétation  de  son  Sancta  Maria  par  M.  Jean  Rondeau. 
Toute  la  salle  a  confondu  dans  de  chauds  applaudissements  le  grand  mai- 
tre et  son  interprète. 

—  La  saison  thermale  de  Bagnoles-de-l'Orne  bat  son  plein.  Au  concert 
donné  le  22  août,  parmi  les  productions  de  nos  meilleurs  compositeurs 
tels  que  Massenet,  Godard,  Gounod,  Gh.  René,  F.  Thomé,  grand  succès 
pour  Ch.  Balanqué  dans  la  mélodie  les  Enfants,  de  Massenet,  et  pour 
M.  Guérin  dans  Aube  d'amour,  de  Révillon. 

—  A  l'église  de  Saiut-Paul-en-Gornillon,  sur  la  Loire,  très  jolie  messe 
en  musique  organisée  par  M.  J.  Vincent,  dont  on  a  exécuté  plusieurs 
compositions  nouvelles.  Très  gros  efi'et  pour  le  chœur  à  l'unisson  de  Rey- 
naldo  Hahn,  sur  les  vers  de  Racine. 

NÉCROLOGIE 
La  semaine  dernière  est  morte  à  la  Garenne-Colombes,  après  deux  années 
d'une  maladie  douleureuse,  M"«  Marie  Anna  Papot,  professeur  de  solfège 
au  Conservatoire  dont  l'enseignement  était  très  justement  apprécié,  rue  du 
Faubourg-Poissonnière,  et  qui  avait  publié  un  Solfège  manuscrit,  37  leçons  d 
changement  de  clefs.  De  relations  très  agréables,  M""  Papot,  qui  n'avait  que 
quarante-deux  ans,  sera  fort  regrettée  non  seulement  de  ses  élèves,  mais 
encore  de  tous  ceu.x  qui  l'ont  connue.  Minée  par  un  mal  qui  ne  pardonne 
pas,  M"'  Papot  avait  dû  depuis  longtemps  confier  la  conduite  de  sa  classe 
aux  soins  de  sa  répétitrice,  M"|=  Robert. 

—  On  annonce  le  décès  de  M'"  Jeanne  Monnier,  sujet-mime  à  l'Opéra, 
morte  à  vingt-huit  ans.  Cette  jeune  et  consciencieuse  artiste  avait  créé  la 
rôle  de  la  Reine  des  Tziganes  dans  les  Deux  Pigeons,  d'André  Messager, 
en  1886. 

—  M.  Juan  Escalas,  un  modeste  mais  très  distingué  musicien,  qui  fut 
un  flûtiste  remarquable  et  composa  un  grand  nombre  de  morceaux  pour 
orchestre  et  bande  militaire,  vient  de  mourir  à  Barcelone,  en  Espagne.  Il 
fit  longtemps  partie  de  la  musique  municipale,  où  il  n'a  pas  été  remplacé. 
C'était  un  brave  et  excellent  homme,    qui  laisse  d'unanimes  regrets. 

A.   G.  B. 

—  A  Reichenhall,  en  Bavière,  s'est  éteint  à  l'âge  de  soixante-quinze 
ans  le  compositeur  et  pianiste  Rodolphe  Schachner,  qui  était  fort  connu 
et  estimé  comme  professeur  de  piano  à  Londres  et  à  Vienne.  Parmi  ses 
compositions  assez  nombreuses  mais  peu  répandues,  son  oratorio  le  Retour 
d'Israël  de  Babylone  a  été  joué  assez  souvent  en  Allemagne  et  en  Angle- 
terre et  y  a  fait  connaître  le  nom  de  son  auteur. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant, 

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ŒUVRES  DIVERSES  —  TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO 


HEHODIADE 

Opéra  en  5  Actes 

Partition  piano  solo,  complète net 

Ballet  pour  piano  à  2  mains net 

Le  même,  à  4  mains net 

Les  Phéniciennes,  pour  piano  {très  facile)  .... 
Les  Phéniciennes  et  les  Gauloises,  piano-violoncelle 

Danses  sacrées  pour  piano  à  2  mains 

Les  mêmes,  à  4  mains 

Marche  sainte  pour  piano 

La  même.,  à  4  mains 

Prdlude  pour  piano  à  2  mains 

Le  même,  à  4  mains 

{.e  même  (très  facile),  piano  à  2  mains 

Le  même,  pour  piano  et  \iolon 

te  même,  pour  piano  et  violoncelle 

Le  même,  pour  piano  et  flûte 

Le  même,  pour  piano  et  cor 

Le  même,  pour  piano,  violon  et  violoncelle 


LE   ROI   DE   LAHORE 

OrÊBA  EN  5  Actes 

Partition  piano  boIo,  complète net 

Divertissement  extrait,  pour  piano net 

Le  même,  à  4  mains net 

Adagio  et  Valse  extraits  du  ballet 

Valse  (trèa  facile),  pour  piano 

IjCs  Esclaves  persanes,  extrait  du  ballet  .... 

3*  Acte  transcrit  pour  piano  à  4  mains net 

Ouverture,  piano  à  2  mains 

La  même,  piano  à  4  mains 

Cortège,  piano  à  2  mains 

Le  même,  piano  à  4  mains 

Entr'acte  (5*  acte),  piano  à  2  mains 

Le  même,  piano  à  4  mains 

Marche  céleste,  piano  à  2  mains 

La  même,  à  4  mains 

Môlodie  hindoue  variée,  piano  à  2  mains 

La  même,  à  4  mains 


7  60 
9  B 
6     » 

T  50 


LE   CID 

Opéra  en  5  Actes 

Partition  piano  solo,  complète net  : 

Dallet  pour  piano  à  2  mains net 

Lu  même,  à  4  mains uet 

Andalouse  et  Aubade,  piano  à  2  m;uns 

U'S  mêm,es  (très  faciles),  piano  à  2  main» 

Les  mêmes,  piano  à  4  mains 

Aragonaise,  piano  à  2  mains 

La  même  (très  facile),  piano  à  2  mains 

La  même,  à  4  mains 

Lu  même,  pour  piano  et  violon 

Lu  même,  pour  piano  et  violoncelle 

Rîarche,  piano  à  2  mains  .   .  -, 

La  même,  à  4  mains 

Ouverture,  piano  à  2  mains 

La  même,  à  4  mains 

Hapsodie  mauresque,  piano  à  2  mains 

La  même,  à  4  mains 


Partition  piano  solo  à  2 


MANON 

OrÉRA  EN  5  Actes 


Partition  piano  tolo  à  l  mains. 


net    20  £r. 


Ballet  du  Roy,  piano  à  2  mains 7  60 

Le  même,  à  4  mains 9  » 

Entr'acte  du  2*  acte,  piano  à  2  maina 4  » 

Eutr'acte-Chansou,  piano  à  2  mains 6  » 

LES   ERINNYES 

Tragédie  astiqce  en  2  Actes 

Partition  complète,  piano  à  2  mains net    7  » 

Partition,  piano  à  4  mains net  10  » 

Divertissement  extrait,  piano  à  2  mains  .   .       net    6  > 

Divertissement,  piano  à  4  mains net    6  s 

Danse  grecque  (très  facile),  pour  piano 3  p 

Les  Saturnales,  2  pianos,  8  mains 15  * 


Menuet,  piano  à  2  mains 6  » 

Le  même,  à  4  mains G  » 

Le  même  (très  facile),  piano  à  2  matns 3  » 

Le  même,  pour  piano  et  violon 7  50 

"WERTPIER 

OitnA    EN    3    Actes 

Partition  complère,  piano  solo  2  mains    ....  net  10  * 

Prélude,  piano  à  2  mains 4  a 

Clair  de  lune,  piano  à  2  mains 4  » 

Clair  de  lune,  édition  de  concert 5  » 

Clair  de  lune  (très  facile),  piano  à  2  mains ....  3  ■ 

Clair  do  lune,  pour  piano  et  violon 6  » 


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ESCLARMONDE 

OrÉRA    ROMANESQUE    EN    4    AcTES 

Partition  piano  solo,  complète net 

Suite  d'orchestre  lianscrite,  pour  piano  2  mains net 

Suite  d'orchestre  transcrite,  pour  piano  4  mains net 

Transcriptions,  I"  suite  (2  mains) 

'i'ranscriptlons,  2'  suite  (2  mains) 

Phrase  du  Quatuor,  piano  à  2  mains 

Danse  des  Esprits,  piano  à  2  mains 

Évocation  et  Chasse,  piano  à  2  mains 

Appassionato,  duo  {-i*  acte),  piano  à  2  mains 

Ile  magique,  piano  à  2  mains 

Ile  magique,  piano  à  4  mains 

Hyménée,  piano  à  2  mains 

Hyménée,  piano  à  4  mains 

Pastorale,  piano  à  2  mains 

la  même  (très  facile),  piano  à  2  maius 

La  même,  pour  piano  et  violon 

La  même,  pour  piano  et  flûte 

La  même,  pour  piano  et  hautbois 


7  50 
7  60 
7  50 
7  50 
7  50 


Gavotte,  piano  à  2  mains 

La  même  (très  facile),  piano  à  2  mains 

Scène  de  la  Séduction,  piano  à  2  mains.  .   .    . 
Scène  du  rire  de  Manon,  piano  à  2  maius.   .    . 

MARCHE   HÉROÏQUE 

DE    SZABADY" 

Marche  héroïque,  piano  à  2  mains , 

Marche  héroïque,  réduite , 

Marche  héroïque,  transcrite  par  Liszt , 

Marche  héroïque,  piano  à  4  mains , 

Marche  héroïque,  2  pianos,  8  mains 

Marche  héroïque,  partition  d'orchestre.    ...  ne 

THAÏS 


Comédie  lyrique  kn  4  Actes 

Partition,  piano  solo,  complété 

Méditation  religieuse,  piano  à  2  mains 

La  même,  édition  facilitée 

La  méyne,  piano  à  i  mains 

La  même,  piano  et  violon 

La  même,  [)iano  et  flûte 

La  même,  piano  et  violoncelle 

La  même,  piano  et  orgue 

La  même,  piano  et  mandoline 

Marche  des  Comédiens,  piano  à  2  mains 

La  même,  piano  à  4  mains 

Pantomime  d'Aphrodite,  piano  à  2  mains 

La  même,  pour  2  pianos  À  4  mains 

Valse  de  la  Perdition, 
Scherzetto,  piano  à.  2  ma 
Gavotte  des  Gnomes,  piano  à  2  mains. 
Séduction,  valse,  piano  à  2  mains  .... 


<  à  2  mains  . 


LA  VIERGE 

Léqende  sacrée 

Danse  galiléenne,  piano  à  2  mains 6 

La  même  ftrès  facile) 3 

Dernier  Sommeil  de  la  Vierge,  piano  à  2  mains  4 

Le  même  [très  facile),  piano  à  2  mains 3 

Le  même,  pour  piano  à  4  mains G 

Le  même,  pour  piano  et  violon 6 

Le  même,  pour  piano  et  violoncelle 6 

Le  même,  pour  piano  et  flûte 5 

Le  même,  pour  orgue-barmonium 5 

LE   MAGE 

Oi'ÉRA  EN  5  Actes 

Partition  piano  boIo,  complète net  12 

Ballet  extrait net  3 

Trois  Airs  de  Ballet 6 


OUVERTURE  DE  PHÈDRE 


Pour  pi  ai 
Pour  piai 
Pour  deu 


pianos  ù  4  mains 

PARADE  MILITAIRE 


Pour  piano 
Edition  fac 
Pour  piano 


à  4 


60 


DON   CESAR  DE   BAZAN 

OrÉKA-CoMIQUE    EN    4    AcTES 

Ouverture,  piano  à  2  mains 7  50 

hntr.acte-Marche 5     » 

Ballade  aragonaise G     » 

Entr'acte-Sevillana,  piano  à  2  mains 6     » 

Le  même  (très  facile) 3     a 

Le  même,  piano  à  4  mains 7  50 

Le  même,  2  pianos  8  mains 9     » 

Le  même,  pour  pinno  et  violon 7  50 

Le  même,  pour  flûte  et  piauo 7  50 

LE    CARILLON 

Légende   mimée   et   daksée 

Partition  complète,  pour  piano  solo net    8     » 

Valse  au  Cabaret,  piano  à  2  iii:iii;s 6     » 

La  même  (très  facile),  —  3     » 

Les  Ramoneurs,  —  6     » 

Les  Boulançrers,  —  6     . 

La  Moque 

Dialogue 

Le  Lever  du  Jour 

Danse  flamande. 

Valse  de  Bertha, 


LA   NAVARRAISE 

Épisode  lyrique 
Partition  complète,  piano  solo 


Prélude  pour 

Nocturne  pour  piano  à  2  mains 5 

Le  même,  édition  facilitée 5 

•iême,  pi; 


Le  même,  pir 
Le  même,  pi: 
Le  même,  pir 
Le  même,  pii 


et  violo 


ROMAN    D'ARLEQUIN 

Pantomime  ah  piano 


l'our  piano  à  2  mains.  .  .  . 
Pour  piano  à  4  mains.  .  .  . 
Sérénade,  piano  et  violon  . 


10  > 
7  60 


SARABANDE  ESPAGNOLE 

Pour  piano  à  2  mains 5     » 

Pour  piano  à  4  mains 7  60 

Pour  piano  et  Tiolou 7  50 

LE  CROCODILE 

Réduction  complète,  piano  à  2  mains <î     > 

Entr'acte-Berceuse 4    » 

Entr'acte-Nocturne 6    » 


SCÈNES    DE    BAL,  !'•  îiiiic,  réduction  pour  piano,  par  Geoiigks  Bizet,  à  2  mains net    6 

SCÈNES   HONGROISES.  ■2-  suite,  réduction  puur  piano,  par  Okorqbs  Bizet,  à  2  mains.   .   .  net    6 

SCÈNES    DRAMATIQUES,  S-  suite,  rédu^nion  pour  piano  a  2  maina net    6     »:  —  à  4  mains 

SCÈNES    PITTORESQUES,  4- suite,  re-uction  pour  piano  à  2  maino net    6     »;  —  (i4main8 

N-  I.  MurrJic.    .     i\     «.  —  N»  2.  A:r  de  Bullel.    .     6     -.  —  N-  3.  Ancelui.    .     7  60.  —  Fàlc  Baliéii 

SCÈNES    NAPOLITAINES,  5'  suite,  réduction  pour  pluuu  a  -i  majus net    6     .;  -  à  4  mains 

SCÈNES    DE   FEERIE,    (i*  suite,   réduction    pour  piano,  par  Xaviei:  LtKOUX,  à  2  mai  a 'ict 

SCENES  ALSACIENNES,  7- suite,  réductiou  pour  piano,  par  Xavier  Lerou.n,  ù  2  maiuo.       .  n.t 


—  à  4  mains net    6     •. 

—  à  4  mains net    6     .. 

.   .   .   .  net    6     ». 

,    ...  net    6     ». 

5    ».  —  Air  de  Ballet,  violon  et  piano  ou  violoncelle  et  piano. 


~  (Encre  Lorllkuï, 


3416.  -  62-  ANNÉE  -  N°  37.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 


Dimanche  13  Seplerabre  1896, 


(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteur 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉ^TI^ES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an.  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr,,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étr-nser ,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  Étude  sur  Orphée  (3°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Bulletin  théAtral  :  Don  Juan 
àMunicli,  S.  M.  —  III.  Musique  et  prison  (17'  article)  :  Prisons  politiques 
modernes,  Paul  d'Estrée.  —  IV.  Journal  d'un  musicien  (5«  article),  A.  Mon- 
TAUx.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

FEMMES  ET  FLEURS 

de  Paul  Wachs.  —  Suivra  immédiatement  :  Chanson  d'automne,  de  Cesare 
Galeotii. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
chant  :  Jours  d'automne,  mélodie  de  Charles  Levadé,  poésie  de  Jules  Oudot. 
—  Suivra  immédiatement  :  Sérénade  d'automne,  laéXoài^  de  L.Delaquerkière, 
poésie  d'ÂNDRÉ  Alexandre. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Mais  ce  qui  domina  chez  lui  dés  les  premiers  instants,  ce 
fut  la  préoccupation  de  la  juste  expression  des  sentiments. 
Burney  a  raconté  de  quelle  manière  fortuite  ses  idées  sur  ce 
point  se  précisèrent  pendant  le  séjour  qu'il  fit  en  Angleterre 
en  1746.  Il  avait  été  chargé  de  composer  un  pasticcio  sur  le 
sujet  de  Pyrame  et  Thisbé,  c'est-à-dire  de  réunir  sur  un  nouveau 
canevas  un  certain  nombre  d'airs  choisis  parmi  ceux  qui 
avaient  eu  le  plus  de  succès  dans  ses  opéras  antérieurs.  Or, 
il  advint  que,  dans  les  situations  nouvelles  pour  lesquelles  ils 
n'avaient  pas  été  composés,  ces  airs,  naguère  applaudis,  ne 
produisirent  plus  le  moindre  effet.  Et  Burney  ajoute  qu'éclairé 
par  cette  expérience  «  et  trouvant  que  le  naturel  et  la  simpli- 
cité étaient  ce  qui  avait  le  plus  d'action  sur  les  spectateurs,  il 
s'est  depuis  moins  attaché  à  flatter  les  partisans  d'une  science 
approfondie  qu'à  écrire  pour  la  voix  dans  les  tons  naturels 
des  affections  et  des  passions  humaines.  (1)  » 

Le  naturel,  la  simplicité  et  l'expression,  furent  en  effet,  de 
tout  temps,  le  triple  but  de  ses  recherches.  Dans  la  préface 
i'Alceste,  où,  pour  la  première  fois,  il  énonça  publiquement 
sa  doctrine,  il  écrivit  : 

«  Je  cherchai  à  réduire  la  musique  à  sa  véritable  fonction, 
celle   de  seconder  la  poésie,  pour  fortifier  l'expression    des 

(1)  Sur  ces  difTèrentes  matières,  voir  G.  Desnoiresterres,  Gluck  et  Piccini,  pp.  9, 
23  et  16  de  la  2-  édition. 


sentiments  et  l'intérêt  des  situations,  sans  interrompre  l'action 
et  la  refroidir  par  des  ornements  superflus...  J'ai  cru  encore 
que  la  plus  grande  partie  de  mon  travail  devait  se  réduire  à 
chercher  une  belle  simplicité...  Je  a'ai  attaché  aucun  prix  à 
la  découverte  d'une  nouveauté,  à  moins  qu'elle  ne  fût  natu- 
rellement donnée  parla  situation  et  liée  à  l'expression...  » 

Dans  une  conversation  sur  la  musique  française  qui  eut 
lieu  en  1767  et  nous  a  été  rapportée,  il  parla  de  nos  anciens 
maîtres  de  façon  à  étonner  ceux  qui  ne  voyaient  encore  en 
lui  qu'un  compositeur  d'opéras  italiens.  «  Il  louait  dans  Lulli 
une  noble  simplicité,  un  chant  rapproché  de  la  nature  et 
des  intentions  dramatiques...  »  (1). 

Son  premier  collaborateur  français,  le  bailli  du  RouUet, 
exprimait  évidemment  ses  idées  quand,  dans  une  lettre  pu- 
blique destinée  à  préparer  sa  venue  à  Paris,  il  blâmait  les 
auteurs  d'opéras  qui  préféraient  «  l'esprit  au  sentiment,  la 
galanterie  aux  passions,  et  la  douceur  et  le  coloris  de  la 
versification  au  pathétique  de  style  et  de  situation  »,  et  quand 
il  louait  dans  sa  musique  «  un  chant  simple,  naturel,  tou- 
jours guidé  par  l'expression  la  plus  vraie,  la  plus  sensible, 
et  par  la  mélodie  la  plus  flatteuse  »  (2). 

Lui-même,  dans  une  lettre  écrite  vers  le  même  temps  et  dans 
le  même  but,  se  mettant  sous  le  patronage  de  Jean-Jacques 
Rousseau,  lequel  était,  comme  lui  «  l'homme  de  la  nature  », 
disait  :  «  Nous  chercherons  ensemble  une  mélodie  noble, 
sensible  et  naturelle,  avec  une  déclamation  exacte  selon 
la  prosodie  de  chaque  langue  et  le  caractère  de  chaque 
peuple...  ». 

Enfin  ce  même  Rousseau,  dans  son  étude  sur  Alceste,  a  loué 
intentionnellement  le  génie  avec  lequel  Gluck  avait  exprimé 
les  passions  sur  lesquelles  roule  presque  exclusivement  le 
sujet,  infiniment  simple,  de  cet  opéra,  —  tandis  que,  de 
son  côté,  Burney  constatait  que  la  plupart  des  airs  à.'Orphée 
oc  sont  aussi  simples,  aussi  naïfs  que  des  ballades  anglaises  ». 

«  Expression,  simplicité,  naturel»,  tels  sont  donc  les  mots  qui 
reparaissent  dans  chacune  de  ces  citations.  Or,  l'opéra  italien 
était  si  loin  d'être  un  art  simple,  naturel  et  expressif,  que  la 
recherche  de  cette  triple  qualité,  de  la  part  d'un  compo- 
siteur dramatique,  constituait  une  remarquable  nouveauté. 
C'est  évidemment  vers  ce  but  qu'il  dirigea  Calzabigi,  à 
la  collaboration  duquel  il  rendit  hommage  en  ces  termes,  à 
la  fin  de  la  préface  A' Alceste  :  «  Ce  célèbre  auteur,  ayant 
conçu  un  nouveau  plan  de  drame  lyrique,  a  substitué  aux 
descriptions  fleuries,  aux  comparaisons  inutiles,  aux  froides 
et  sententieuses  moralités,  des  passions  fortes,  des  situations 


(1)  Loc.  cit.,  p.  77. 

(2)  Lettre  publiée  dans  le  Mercure  de  France,  octobre  1772,  reproduite  dans  les 
Mémoires  pour  servir  à  Vtiistoire  de  la  Révolution  opérée  dans  la  musique  par  M.  le  Che~ 
valier  Gluck,  MDCCLXXXI,  p.  2  et  5. 


"290 


LE  MÉNESTREL 


intéressantes,  le  langage  du  cœur  et  un  spectacle  toujours 
varié.  »  Et,  dans  la  lettre  publique  par  laquelle  il  pro- 
posa sa  première  Iplikjénie  à  l'Opéra  :  «  Je  me  ferais  encore 
un  reproche  plus  sensible  si  je  consentais  à  me  laisser  attri- 
buer l'invention  du  nouvean  genre  d'opéra  italien  dont  le 
succès  a  justifié  la  tentative  :  c'est  à  M.  de  Galzabigi  qu'en 
appartient  le  principal  mérite;  et  si  ma  musique  a  eu  quelque 
éclat,  je  crois  devoir  reconnaître  que  c'est  à  lui  que  j'en  suis 
redevable,  puisque  c'est  lui  qui  m'a  mis  à  la  portée  de  déve- 
lopper les  ressources  de  mon  art  (1)  ». 

En  effet,  Galzabigi  ne  fut  pas  simplement  l'exécuteur  des 
volontés  de  Gluck,  mais  semble  bien,  au  contraire,  avoir  pris 
une  part  directe  et  effective  à  la  réforme.  Longtemps  après, 
à  la  suite  d'un  dissentiment,  il  en  revendiqua  sa  part,  qu'il 
s'attribua  très  large  : 

Je  ne  suis  pas  musicien,  mais  j'ai  beaucoup  éludié  la  déclamation. 
On  m'accorde  le  talent  de  réciter  fort  bien  les  vers,  parliculière- 
ment  les  tragiques,  et  surtout  les  miens. 

J'ai  pensé,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  que  la  seule  musique  convenable 
à  la  poésie  dramatique,  et  surtout  pour  le  dialogue  et  pour  les  airs 
que  nous  appelons  d'azione,  était  celle  qui  approcherait  davantage 
de  la  déclamation  naturelle,  animée,  énergique  ;  que  la  déclamation 
n'était  elle-même  qu'une  musique  imparfaite  ;  qu'on  pouvait  la  noter 
telle  qu'elle  est,  si  nous  avions  trouvé  des  signes  en  assez  grand 
nombre  pour  marquer  tant  de  tons,  tant  d'inflexions,  tant  d'éclats, 
d'adoucissements,  de  nuances  variées,  pour  ainsi  dire,  à  l'inlini, 
qu'on  donne  à  la  vois  en  déclamant.  La  musique,  sur  des  vers  quel- 
conques, n'étant  donc,  d'après  mes  idées,  qu'une  déclamation  plus 
savante,  plus  étudiée,  et  enrichie  encore  par  l'harmonie  des  accom- 
pagnements, j'imaginai  que  c'était  là  tout  le  secret  pour  composer  de 
la  musique  excellente  pour  un  drame  ;  que  plus  la  poésie  était 
serrée,  énergique,  passionnée,  touchante,  harmonieuse,  et  plus  la 
musique  qui  chercherait  à  la  bien  exprimer,  d'après  sa  véritable  dé- 
clamation, serait  la  musique  vraie  de  cette  poésie,  la  musique  par 
excellence. 

J'arrivai  à  Vienne  en  1761,  rempli  de  ces  idées.  Un  an  après,  S.  E. 
M.  le  comte  Durazzo,  pour  lors  directeur  des  spectacles  de  la  cour 
impériale,  et  aujourd'hui  son  ambassadeur  à  Venise,  à  qui  j'avais 
récité  mon  Orphée,  m'engagea  à  le  donner  au  théâtre.  J'y  consentis,  à 
la  condition  que  la  musique  en  serait  faite  à  ma  fantaisie.  Il  m'en- 
voya M.  Gluck,  qui,  me  dit-il,  se  prêterait  à  tout. 

Je  lui  fis  la  lecture  de  mon  Orphée,  et  lui  en  déclamai  plusieurs 
morceaux  à  plusieurs  reprises,  lui  indiquant  les  nuances  que  je 
mettais  dans  ma  déclamation,  les  suspensions,  la  lenteur,  la  rapi 
dite,  les  sons  de  la  voix  tantôt  chargés,  tantôt  affaiblis  et  négligés 
dont  je  désirais  qu'il  fit  usage  pour  sa  composition.  Je  le  priai  en 
même  temps  de  bannir  i  passagi,  le  cadense,  i  ritonielli,  et  tout  ce 
qu'on  a  mis  de  gothique,  de  barbare,  d'extravagant  dans  notre  mu- 
sique. M.  Gluck  entra  dans  mes  vues. 

Mais  la  déclamation  se  perd  en  l'air,  et  souvent  on  ne  la  retrouve 
plus  ;  il  faudrait  être  toujours  également  animé,  et  cette  sensibilité 
constante  et  uniforme  n'existe  point.  Les  traits  les  plus  frappans 
s'échappent  lorsque  le  feu,  l'enthousiasme  s'affaiblissent.  Voilà  poui- 
quoi  on  remarque  tant  de  diversité  dans  la  déclamation  de  différents 
acteurs  pour  le  même  morceau  tragique  :  dans  un  même  acteur, 
d'un  jour  à  l'autre,  d'une  scène  à  l'autre.  Le  poète  lui-même  récite 
ses  vers  tantôt  bien,  tantôt  mal. 

Je  cherchai  des  signes  pour  du  moins  marquer  les  traits  les  plus 
saillans.  J'en  inventai  quelques-uns  ;  je  les  plaçai  dans  les  interlignes 
tout  le  long  d'Orphée.  C'est  sur  un  pareil  manuscrit,  accompagné  de 
notes  écrites  aux  endroits  où  les  signes  ne  donnaient  qu'une  intelli- 
gence incomplète,  que  M.  Gluck  composa  sa  musique. 


(1)  Mercure  de  France,  février  1773.  Le  bailli  du  Roullet  écrivait  de  son  côté  : 
«  D'après  ces  réflexions,  ayant  communiqué  ses  idées  à  un  homme  de  beau- 
coup d'esprit,  de  talent  et  de  goût,  M.  Glucli  en  a  obtenu  deux  poèmes  italiens 
qu'il  a  mis  en  musique.  Plus  tard  encore,  quand  les  critiques  français,  gluckistes 
ou  piccinistes,  racontèrent  les  circonstances  qui  avaient  précédé  la  venue  du 
maître  à  Paris,  ils  n'oublièrent  pas  de  rendre  hommage  à  son  premier  colla- 
borateur, témoignant  ainsi  que  la  réforme  était  aussi  bien  dramatique  que 
musicale.  «  Il  a  trouvé  un  poète  digne  de  l'entendre  et  de  le  seconder,  et  ils 
ont  donné  VOrphéc  et  l'Alceste...  »  —  «  On  vit  arriver  un  musicien  célèbre  en 
Allemagne,  qui,  secondé  d'un  poète  veraé  dans  l'étude  de  nos  théâtres...  » 
—  •'  Ses  opéras  sont  les  premiers  qui  aient  été  construits  sur  un  plan  à  la 
fois  musical  et  dramatique,  soit  qu'il  ait  lui-même  dessiné  ce  plan,  comme 
ses  partisans  lui  en  font  honneur,  soit  qu'il  ait  suivi  celui  de  Calaabigi  dans 
Orphée...  »  Voy.  Mémoires  pour  la  rcvoluUon  de  Gluck,  etc.,  pp.  3,  107,  159,  263. 


J'espère  que  vous  conviendrez,  monsieur,  d'après  cet  exposé,  que 
si  M.  Gluck  a  été  le  créateur  de  la  musique  dramatique,  il  ne  l'a 
pas  créée  de  rien.  Je  lui  ai  fourni  la  matière,  ou  le  chaos,  si  vous 
voulez  ;  l'honneur  de  cette  création  nous  est  donc  commun  (2). 

Il  est  à  croire  que  le  poète  mécontent  —  genus  irritabile! 
—  exagère  quelque  peu  son  importance.  Il  est  difficile, 
notamment,  que  Gluck  ait  eu  besoin  de  ses  conseils  pour 
bannir  «  les  passages,  les  cadences,  les  ritournelles»  et  pour 
avoir  des  idées  personnelles  sur  la  déclamation  musicale. 
Le  plus  juste  sera  d'admettre  que  Gluck  et  Galzabigi,  ayant, 
chacun  de  son  côté,  fait  un  rêve  analogue,  se  seront,  dès  la 
première  rencontre,  parfaitement  compris  l'un  l'autre  :  aussi 
bien  pouvons-nous,  sans  aucune  difficulté,  accepter  la  conclu- 
sion formulée  par  le  poète,  à  laquelle  son  illustre  collabo- 
rateur avait  par  avance  souscrit. 

De  cet  échange  de  vues  sortit  tout  d'abord  la  partition  d'Or- 
fco  Cil  Euridice. 

Gluck  était  âgé  de  près  de  cinquante  ans  lorsqu'il  produi- 
sit cette  œuvre,  et  cependant  il  s'y  trouve  tant  de  sincérité, 
de  spontanéité,  de  fraîcheur  d'inspiration,  qu'on  la  prendrait 
pour  une  œuvre  de  jeunesse.  Elle  l'est,  en  vérité,  car  d'Orfeo 
date,  pour  Gluck,  le  commencement  d'une  nouvelle  vie  artis- 
tique. 

Il  serait  vain  de  prétendre  établir  une  échelle  de  mérite  entre 
les  cinq  chefs-d'œuvre  qui  ont  consacré  sa  gloire.  Du  moins, 
après  avoir  examiné  avec  soin  quel  fut  le  développement  de 
son  génie  depuis  Orfeo  jusqu'à  Tphigénie  en  Tuuride,  est-il  per- 
mis de  constater  que  cette  évolution  constitua,  dans  une 
certaine  mesure,  une  transformation.  Les  raisons  s'en  dédui- 
sent aisément.  Les  opéras  qu'il  écrivit  pour  la  France, 
d'ailleurs  aussi  débordants  de  génie  que  VAlceste  et  VOrphée 
italiens,  étaient  en  quelque  sorte  des  machines  de  guerre, 
des  œuvres  de  combat.  Là,  il  s'agissait  de  réaliser  l'applica- 
tion de  principes  publiquement  formulés;  il  fallait  subir  les 
entraves  inhérentes  à  tout  système  :  de  là  quelque  chose  de 
plus  calculé,  d'une  inspiration  moins  immédiate,  —  l'expres- 
sion d'une  volonté  tenace,  parfois  non  sans  quelque  sécheresse, 
dispositions  dont  les  deux  Iphigénies,  notamment,  portent  dans 
leur  musique  des  traces  apparentes. 

Avec  Orfeo  ed  Euridice  il  en  est  différemment,  car  au  mo- 
ment oii  il  l'écrivit,  Gluck  n'avait  pas  encore,  à  proprement 
parler,  de  système  à  appliquer.  L'on  sait,  en  effet,  que  la 
préface  d'Alceste,  sa  deuxième  grande  œuvre  italienne,  est  le 
premier  document  par  lequel  il  ait  formulé  sa  doctrine.  Il 
se  trouva  donc  libre  de  toutes  parts.  Pour  la  première  fois, 
il  sentit  la  joie  d'être  affranchi  des  conventions  qui  avaient 
pesé  sur  son  génie  durant  toute  sa  jeunesse,  tandis  que,  d'un 
autre  côté,  tout  en  ayant  déjà  l'intuition  complète  de  l'œuvre 
à  réaliser,  il  ne  s'était  pas  encore  posé  formellement  à  lui- 
même  les  nouvelles  règles  auxquelles  il  devait  s'astreindre 
par  la  suite. 

Orphée  constitue  donc,  dans  l'évolution  du  génie  de  Gluck, 
une  œuvre  de  transition,  —  mais  en  même  temps  une  œuvre 
définitive,  car  elle  participe  à  la  fois  des  qualités  de  l'une  et 
de  l'autre  période,  à  chacune  desquelles  elle  se  rattache  par 
des  liens  multiples. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


BULLETIN   THEATRAL 


DON  JUAN  A  MUNICH 
A  Paris,  oii  i'Opéra  et  l'Opéra-Comique  préparent  des  représenta- 
tions de  Don. Juan,  on  n'apprendra  pas  sans  un  vif  intérêt  le  résultat 
de  la  reprise  du  chef-d'œuvre  de  Mozart  au  théâtre  royal  do  la 
Résidence.  Disons-le  tout  de  suite,  malgré  l'insuffisance  incontestable 
des  solistes,  qui  semblent  avoir  perdu  «  l'art  et  la  manière  »  de  chan- 
ter Mozait,  fa  résurrection  de  Don  .Tuan  à  Munich  a  été  des  plus  inté- 

(2)  Lettre  de  Cilzabigi  au  rédacteur  du  .Ifo-cwrc  de  France,  août  1784  (au  sujet 
du  poème  des  Daiiaidcs,  opéra  de  Salieri). 


LE  MÉNESTREL 


201 


ressantes.  Noire  surintendant  général,  M.  Possart,  avait  pris  comme 
principe  de  faire  jouer  l'œuvre  dans  des  conditions  absolument  sem- 
blables à  celles  où  elle  avait  été  représentée  à  son  apparilion  au 
théâtre  impérial  de  Prague,  le  29  octobre  1787,  sous  la  direction  per- 
sonnelle de  Mozart. 

Dans  ce  but,  il  a  d'abord  choisi  le  petit  théâtre  de  la  Résidence 
royale,  un  chef-d'œuvre  architectural  de  style  Louis  XV,  dont  les 
dimensioiis  se  rapprochent  davantage  de  celles  du  vieux  théâtre  de 
Prague  que  celles  du  grand  théâtre  royal.  Ensuite,  il  a  fait  jouer  Don 
Juan  exactement  d'après  la  partition  originale  de  Prague:  quatre  pre- 
miers violons,  quatre  seconds,  deux  contrebasses,  soit,  en  tout,  avec 
l'harmonie,  vingt-quatre  musiciens  à  l'orchestre.  Le  premier  finale 
avec  le  célèbre  chœur:  Vive  la  liberté  !  qu'on  fait  partout  chanter  par 
une  centaine  de  personnes,  comme  s'il  s'agissait  d'une  révolution  et 
non  de  la  simple  liberté  de  garder  son  loup  pendant  le  bal  masqué, 
n'était  chanté  à  Prague  que  par  sept  personnes  ;  c'est  ainsi  qu'on  le 
chante  aussi  à  Munich.  Le  «  grand  >:  opéra  Don  Juan  redevicût  ainsi 
l'opéra  grandiose  Don  Giovanni,  que  l'affiche  de  la  première  représenta- 
tion qualifia  de  dramma  giocoso.  Même  les  récilatifs  simples,  accom- 
pagnés au  cembalo  (clavecin)  ont  été  restitués  et,  en  général,  assez 
bien  dits.  Au  point  de  vue  musical,  tout  était  pour  le  mieux,  n'étaient 
les  solistes,  qui  sont  tellement  imprégnés  de  wagnérisme  qu'il  a  été 
impossible  de  leur  inculquer  le  style  de  Mozart,  qui  demande  une 
préparation  et  une  éducation  musicales  de  chanteur  donlj  de  nos  jours, 
fort  peu  d'entre  les  plus  célèbres  artistes  peuvent  se  vanter. 

Ce  qui  n'existait  pas  du  temps  de  Mozart,  c'est  la  richesse  et  l'au- 
thenticité des  costumes  —  on  avait  choisi  à  Munich  l'époque  pitto- 
resque de  Louis  XIII  —  et  la  magie  de  l'art  scénique.  Les  deux  actes 
de  Don  Juan  contiennent,  comme  on  sait,  neuf  lablcaux,  et  jusqu'à  ce 
jour  on  baissait  sept  fois  le  rideau  et  les  intervalles  étaient  pour 
la  plupart  assez  longs.  Or,  M.  Lautenschlaeger,  le  célèbre  directeur 
de  la  scène  à  Munich,  a  trouvé  moyen  de  réduire  ces  intervalles  à 
uu  quart  de  minute.  Il  a  inventé  une  scène  tournante  qui  permet  de 
planter  quatre  tableaux  à  la  fois  avec  les  décors,  les  accessoires  et  les 
artistes;  un  moteur  électrique  imprime  à  tout  ce  monde  le  mouve- 
ment voulu  en  un  clin  d'œil.  Nous  voyons  le  jardin  de  don  Juan;  le 
théâtre  et  la  salle  s'obscurcissent  pour  un  moment  et  voilà  que  la 
salle  des  fêtes  apparaît  avec  son  éclairage  a  giorno,  ses  meubles  su- 
perbes et  les  invités  en  toilettes  brillantes.  Celte  transformation 
prend  à  peine  trente  secondes.  L'effet  de  ces  changements  à  vue  est 
vraiment  magique,  et  l'on  regrette  que  Mozart  n'ait  pu  en  jouir  à  la 
première  de  son  chef-d'œuvre. 

Le  succès  de  cette  restitution  de  Don  Juan  prouve,  une  fois  de  plus, 
que  ce  chef-d'œuvre  doit  être  joué  dans  une  salle  de  dimensions  mo- 
destes et  absolument  d'après  la  partition  originale,  que  le  Conserva- 
toire de  Paris  possède  à  tout  jamais,  grâce  à  la  générosité  de 
M™  Viardot.  Si  la  direction  de  votre  Opéra-Comique  peut  tirer  pro- 
fit de  l'exemple  donné  à  Munich,  la  reprise  de  Don  Juan  qu'elle  prépare 
pourrait  offrir  un  intérêt  artistique  tout  particulier  que  l'Opéra,  à 
cause  de  ses  dimensions,  ne  saurait  lui  disputer.  Et,  pour  quelques 
rôles  au  moins,  M.  Garvalho  dispose  d'une  distribution  qui  devrait  sur- 
passer de  beaucoup  celle  de  Munich.  S.  M. 

MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONS   POLITIQUES   MODERNES 
III 
Sous  la   troisième  République.  — Le  Casino  joyeux   devenu  le  cabaret  joyeux.  —  Une 
revue  à  Fort-Bayard  en  4S7i.  —  Une  Variante  de  la  Marseillaise.  —  Une  vie  de  Béné- 
dictin à  Clairvaux:  Chants  anarchistes.  —  Le  Kyrie  des  .Moines  à  Sainte-Pélngie. 
En  d867,  le  préfet  de  police  Pielri,  obéissant  peut-être  à  des  ordres 
venus  de  haut,  voulut  soumettre  les  détenus  politiques  à  une  disci- 
pline plus   sévère.  Heures   de  récréation,   visites,   repas,  correspon- 
dance, réception  de   liv^'es   et  de  journaux,    tout  fut  réglementé  de 
nouveau   et   dans  le   sens  le   moins   libéral.   Sainte-Pélagie   ne  s'en 
émut  pas   autrement.    Ce   que   ses  habitués   appelaient  le  «  Casino 
joyeux  »  devint  le  «  cabaret  joyeux.  »  Au  lieu  de  se  réunir  en  com- 
mun, quand  ils  avaient  des   invités  du  dehors,  les  prisonniers  les 
recevaient  dans  leur  cellule  et  faisaient  eux-même  leur  cuisine.  Aussi, 
à  certaines  heures   du  jour,   n'était-ce  plus,  du  premier   au  dernier 
étage,  qu'un  immense   concert   vocal  et    instrumental.    Un   solo  de 
clarinette  ou  de  piston,  ou  bien   encore  une  chansonnette  de  l'Eldo- 
rado  était  devenu  l'accompagnement  obligé  d'un  discours    révolu- 
tionnaire ou  d'un  toast  subversif. 


La  chute  de  l'empire  amena,  bien  entendu,  la  chute  du  règlement, 
mais  ne  ferma  pas  les  prisons.  Elles  ne  tardèrent  pas  au  contraire 
à  s'ouvrir  toutes  grandes  pour  recevoir  les  vaincus  de  l'insurrection 
communaliste.  Certains,  condamnés  à  la  déportation,  durent  atten. 
dre  leur  départ  pour  la  Nouvelle-Calédonie  dans  les  casemates  de 
Fort-Bavard.  Deux  gens  d'esprit,  Henri  Baiier  et  Georges  Cavalier, 
(Pipe-en-Bois),  avaient  conservé  dans  leur  infortune  un  fonds  inalté- 
rable de  gaité.  Ils  mirent  en  commun  leur  belle  humeur  ;  et  de  cette 
collaboration  sortit  une  revue,  mêlée  de  chant,  qui  fut  jouée  à  Fort- 
Bayard  sous  le  titre  de  la  Commune  à  Nouméa. 

Mais  tous  n'acceptaient  pas  leur  sort  avec  une  aussi  philosophique 
sérénité.  L'ancien  officier  de  marine  Lullier  avait  trop  d'exaltation 
pour  être  un  résigné.  Condamné  à  mort,  il  avait  vu  sa  peine  com- 
mué en  celle  des  travaux  forcés  à  perpétuité.  Cette  mesure  de  clé- 
mence acheva  de  l'exaspérer. 

Résolu  à  mourir  plutôt  qu'à  se  laisser  conduire  au  bagne,  il 
s'enferma  dans  sa  cellule,  et  s'arma  d'une  barre  de  fer,  menaçant 
d'assommer  le  premier  qui  porterait  la  main  sur  lui.  Entre-temps, 
il  écrivait  au  président  de  la  République  une  lettre  de  protestation 
contre  la  décision  de  la  commission  des  grâces;  et  comme  pour 
mieux  s'encourager  à  la  résistance,  il  ne  cessait  de  chanter  une 
strophe  de  la  Marseillaise  qu'il  avait  ainsi  détigurée  pour  les  besoins 
de  sa  cause  : 

Que  veut  cette  horde  d'exaltés 
De  traîtres,  de  royalistes  conjurés? 
Pour  qui  ces  ignobles  entraves 
Et  ces  fers  dès  longtemps  préparés? 

Le  député  Cochin  mit  fin  à  une  situation  qui  menaçait  de  s'éter- 
niser, en  obtenant  à  Lullier  le  bénéfice  d'un  mandat  de  transfert  pour 
Clairvaux. 

A  plus  de  vingt  ans  de  distance,  nous  retrouvons  dans  cette  même 
maison  centrale  un  autre  détenu  politique,  qui  fait  de  la  musique 
non  plus  une  arme  de  résistance,  mais  un  instrument  de  propa- 
gande. Dans  cet  intervalle  de  vingt  ans,  les  idées  ont  singulière- 
ment marché.  Le  babonvisrae,  dont  nous  avions  signalé  l'infiltra- 
tion dans  les  couches  populaires  en  1830,  les  a  depuis  complète- 
ment imprégnées.  Et  maintenant  il  ne  leur  suffit  même  plus.  Le 
chant  de  la  République  des  égaux  leur  semblerait  trop  fade  et  trop 
incolore.  Le  répertoire  à  la  hauteur  de  la  situation  se  compose  de  : 
Au  temps  d'Anarchie,  Y  Antipatriote,  tes  Iconoclastes.  Seulement,  il  en 
coûte  de  le  chanter  au  grand  soleil. 

Donc,  cette  littérature  musicale,  doublée  de  publications  telles  que 
le  Père  Peinard,  le  Chambard,  etc.,  etc.,  conduisit  à  Clairvaux  les 
anarchistes  Grave,  Breton,  Fortuné  Henry,  ce  dernier  le  frère 
d'Emile,  de  tragique  mémoire.  Le  séjour  de  la  prison  leur  fut 
cependant  ce  qu'une  maison  de  convalescence  est  pour  les  cerveaux 
surexcités.  Leur  existence,  au  dire  de  l'Echo  de  Paris,  qui  fit  inter- 
viewer Fovi\iné  Renij,  s'écoula  douce  et  paisible. 

Tous  trois  occupaient  deux  chambres  immenses,  dont  l'une  leur 
servait  de  salle  à  manger  et  l'autre  de  chambre  à  coucher.  Elles 
prenaient  jour  sur  la  route  par  six  grandes  fenêtres. 

Entièrement  libres  de  leur  temps,  les  détenus  se  levaient  à  huit 
heures  et  trouvaient  leur  café  tout  prêt,  un  café  exquis,  paraît-il. 
Puis  ils  descendaient  au  jardin  faire  une  partie  de  quilles  et  remon- 
taient déjeuner. 

Nous  faisions  ensuite  notre  courrier,  dit  Fortuné  Henry;  nous  lisions. 
Parfois  on  jouait  au  piquet  jusqu'à  quatre  heures,  heure  de  la  soupe. 
Après,  nouvelle  partie  de  quilles  ;  et  eniin,  jusqu'à  deux  heures  du  matin 
souvent,  on  travaillait,  ou,  nos  petits  lits  rapprochés  de  la  table,  on  lisait 
à  la  lueur  du  gaz,  car  nous  étions  éclairés  au  gaz... 

Quelquefois,  je  chantais  des  chansons  anarchistes...  Alors,  on  m'enten- 
dait de  la  route... 

Quelle  impression  musicale  s'en  dégageait  pour  les  auditeurs?  Ce 
seraient  peut-être  les  Mémoires  de  ceux-ci  —  s'il  en  existait  —  qui 
seraient  les  plus  intéressants  à  consulter.  Qui  sait  si,  parmi  ces  pas- 
sants, il  ne  se  trouvait  pas  quelque  pauvre  diable,  traînant  sur  les 
chemins  sa  faim  et  ses  guenilles,  qui  n'eût  troqué  sa  liberté  misé- 
rable contre  l'esclavage  opulent  de  ces  digestions  fortunées...  comme 
le  nom  du  chanteur. 

Les  détenus  politiques  de  Sainte-Pélagie  ne  sont  actuellement  ni 
plus  maltraités,  ni  moins  joyeux.  Lisez  plutôt  les  Souvenirs  de  Gegout 
et  de  Malato.  Le  calme  reposant  de  leur  vie  quotidienne  n'est  jamais 
troublé  que  par  leurs  querelles  intestines.  Et  c'est  surtout  à  l'issue 
du  banquet  des  Pelagiens  —  leur  repas  de  corps  —  que  surgissent  ces 
tempêtes.  Aussi,  pour  les  prévenir,  Malato  entonnait-il,  dès  qu'il 
entendait  gronder  l'orage,  le  Kyrie  des  Moines,  un  vrai  chant  de  cir- 
constance. 


292 


LE  MENESTREL 


Là  DÉPORTATION 

La  plus  ancienne  et  la  plus  moderne  des  pénalités.  —  La  relégation  d'Ouide.  —  L'expa- 
triation des  Saxons  par  Charlemagne. —  Exilés  sibériens  et  convicts  trAiistralie.  —  Les 
fructidorisès  à  Cayenne  :  les  vaudevilles  d'Ange  Pitou;  Barbé-Marbois  luthier,  ses 
expériences  et  son  diiettaTitisiTie. —  Lepoète  Lachanibeaudie  et  le  journaliste  Hibcyrolles. 
—  Concert  franco-italo-russe  en  Sibérie.  —  La  déportation  en  Nouvelle-Calédonie  : 
à  bord  de  la  Danaé;  le  théùtre  de  Numbo;  les  virtuoses  de  l'île  des  Pins;  le  dimanche 
au  camp  de  Saint-Louis;  chants  et  danses  arabes. 

De  toutes  les  peines  que  peuvent  faire  encourir  les  disgrâces  de  la 
politique,  il  n'en  est  pas  de  plus  cruelles,  après  la  mort,  que  la 
déportation. 

Tant  qu'il  ne  quitte  pas  le  sol  de  la  mère-patrie,  le  détenu,  même 
soumis  à  la  plus  dure  des  captivités,  conserve  toujours  une  lueur 
d'espoir.  Il  peut  croire  qu'une  évasion  couronnée  de  succès,  qu'un 
changement  de  gouvernement  ou  bien  encore  la  clémence  du  vain- 
queur, abrégera  sa  peine.  Lors  même  que  cette  perspective  lui  serait 
retirée,  il  lui  resterait  encore  la  consolation  de  voir  ses  amis  et  ses 
parents,  de  s'entretenir  avec  eux;  il  respire  toujours  l'air  natal, 
dans  lequel  passe  par  moments  le  souftle  delà  liberté;  son  oreille, 
habile  à  saisir,  dans  le  tumulte  du  jour  ou  dans  le  silence  de  la 
nuit,  les  bruits  les  plus  lointains  et  les  moins  perceptibles,  y  croit 
reconnaître  l'écho  d'une  voix  aimée  qui  lui  crie  :  «  Courage  ». 

Il  n'en  va  pas  de  même  du  déporté.  Si  sa  course  quotidienne  est 
moins  bornée  et  si  la  surveillance  qui  l'enveloppe  paraît  se  faire 
plus  discrète,  c'est  qu'il  est  séparé  delà  patrie  par  des  abîmes  infran- 
chissables. Mais  aussi,  il  est  seul  et  bien  seul  sur  cette  terre  incon- 
nue, et  trop  souvent  ennemie  :  car  il  semble  que  tous  les  éléments 
et  toutes  les  forces  de  la  nature  s'y  rencontrent  pour  sa  perte.  Le 
sol  infertile,  l'air  empesté,  le  ciel  brûlant,  les  animaux  farouches, 
les  indigènes,  plus  cruels  encore,  que  de  périls  toujours  renaissants 
pour  un  être  isolé,  déjà  miné  par  la  maladie  ou  la  douleur,  la  plu- 
part du  temps  sans  armes,  sans  énergie,  sans  ressources! 

Eh  bien  !  au  milieu  de  ces  terribles  angoisses,  au  plus  fort  de  la 
crise  suprême,  à  l'heure  même  où  il  paraît  succomber  sous  le  poids 
de  ses  misères,  il  suffit  d'une  simple  phrase  mélodique  douce  et 
touchante,  offrant  quelque  vague  ressemblance  avec  l'air  préféré 
du  sol  natal,  pour  que  ce  corps  abattu  se  ranime,  pour  que  cette  âme 
affaissée  retrouve  sa  vigueur. 

On  sait  l'effet  produit  par  des  chants  nationaux  sur  des  pâtres 
suisses  ou  des  highlanders  écossais  éloignés  de  leur  pajs.  Combien 
plus  vive  cette  émotion,  chez  l'homme  condamné  à  ne  plus  revoir  le 
sienl 

Exil  éternel!  Ainsi  le  veut  la  déportation,  cette  pénalité  qui  est 
en  même  temps  la  plus  ancienne  et  la  plus  moderne  de  toutes. 

En  effet,  nous  la  trouvons  aux  premiers  âges  du  monde.  Le  peuple 
hébreu,  emmené  en  captivité  a  Babylone,  n'était-il  pas,  de  ce  fait 
même,  déporté?  Le  conquérant,  pour  lui  enlever  tout  espoir  de 
retour,  entreprit  de  l'assimiler  aux  sujets  de  son  vaste  empire. 
Peine  perdue  !  la  nation  juive  fut  éternellement  réfractaire  à  la  fusion 
des  races.  Pendant  sa  longue  captivité  elle  se  lamenta,  elle  «  sus- 
pendit ses  harpes  aux  saules  du  rivage  »,  et  elle  attendit.  Mais  il 
ne  faut  se  fier  qu'à  demi  au  prestigieux  éclat  des  métaphores  orien- 
tales. Les  Israélites  aimaient  et  pratiquaient  trop  volontiers  la  mu- 
sique dans  leur  pays  pour  l'avoir  négligée  pendant  soixante-dix  ans  à 
l'étranger.  Des  auteurs  ont  prétendu  démontrer,  à  l'aide  de  l'épigra- 
phie,  que  les  Hébreux  avaient  adopté  les  instruments  et  les  procédés 
musicaux  des  Assyriens  leurs  vainqueurs.  En  tout  cas  ils  n'avaient 
pas  renoncé  au  chant,  puisque  les  fameuses  strophes,  dont  le  Super 
flumlna  est  la  traduction,  furent  l'œuvre  de  leur  triste  esclavage. 

Les  empereurs  romains  appliquèrent  aux  individus  le  mode  de 
transportation  qu'avaient  imaginé  les  despotes  de  l'Asie  pour  les 
peuples  qu'ils  voulaient  dépayser.  L'exil  d'Ovide  dans  la  province 
du  Pont  est  encore  une  forme  de  la  déportation.  Auguste  relégua 
sur  cette  terre  ingrate  ce  courtisan  trop  curieux  et  trop  indiscret, 
sans  se  préoccuper  de  ses  tristesses  et  de  ses  larmes.  Et  cependant 
le  doux  poète  trouva  encore  le  moyen  de  chanter  et  déjouer  du  luth 
sous  ces  latitudes  barbares. 

Charlemagne,  qui  avait  repris,  comme  empereur  d'Occident,  les 
traditions  de  la  Rome  des  Césars,  remit  également  en  vigueur  les 
mœurs  et  les  coutumes  de  l'Orient:  il  déporta  en  masse  les  Saxons 
qui  méconnaissaient  son  autorité. 

Puis,  neuf  siècles  .s'écoulent  avant  que  cette  pénalité,  tombée  en 
désuétude,  soit  adoptée  de  nouveau.  Et  alors  ce  sont  deux  peuples 
de  caractère  et  de  gouvernement  essentiellement  antipathiques  qui  la 
pratiquent  en  même  temps.  La  Russie,  soumise  au  régime  despotique, 
envoie  ses  criminels,  quels  qu'ils  soient,  en  Sibérie;  la  libre  Angle- 
terre peuple  l'Australie  de  ses  convicts. 


Mais,  coïncidence  autrement  suggestive,  la  Révolution  française, 
dont  le  nom  seul  semble  synonyme  de  tous  les  progrès  et  de  toutes 
les  libertés,  ira  emprunter  à  ces  deux  nations,  ses  plus  formidables 
ennemies,  une  peine  que  ses  propres  enfants  flétrissent  du  sobriquet 
de  «  guillotine  sèche  ».  Et  jamais  mot  ne  fat  mieux  justifié.  La  plu- 
part des  déportés  de  la  première  République,  jetés  sur  les  sables  brû- 
lants ou  dans  les  marais  pestilentiels  de  la  Guyane, y  succombèrent. 
Ce  fut  surtout  après  le  coup  d'Etat  du  18  Fructidor  que  ces  tristes 
convois  furent  dirigés  sur  Cayenne.  Et  combien,  qui  ne  purent  sur- 
vivre à  l'exil  où  les  rancunes  du  Directoire  avaient  compris  jacobins 
et  royalistes,  cher'chèrent  et  trouvèrent  des  consolations  dans  le  culte 
de  la  musique! 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAGMENTS 

(Suite.) 

La  génération  présente,  qui  voit  les  artistes  d'aujourd'hui  affecter 
des  allures  très  simples,  adopter  une  tenue  correcte  et  conserver  une 
parfaite  dignité  de  vie  privée,  ne  peut  se  douter  de  ce  que  furent  les 
bohèmes  d'autrefois. 

Je  me  rappelle  avoir  entendu,  presque  enfant,  un  pianiste  français 
résidant  à  Munich,  —  dont  je  veux  oublier  le  nom,  —  et  qui  avait, 
avec  un  talent  classique  et  sobre,  une  rare  érudition.  Il  donna  un 
concert,  dont  le  programme  résumait  l'histoire  du  piano,  depuis  les 
premiers  clavecinistes  de  toutes  les  écoles  (en  y  comprenant  les 
Anglais),  jusqu'à  Schubert  et  Schumann.  L'auditoire  de  cette  matinée 
—  une  élite,  —  fut  ravi. 

Le  même  soir,  notre  homme  employait  le  produit  du  concert  à 
faire  bruyamment  la  fête  avec  une  dulcinée  de  rencontre,  et  dans 
la  nuit  les  sergents  de  ville  le  ramassaient  dans  un  ruisseau  où, 
complètement  ivre,  il  était  affalé,  et  mangeait  gloutonnement  des 
huîtres. 

iS   » 

Vers  le  même  temps  j'ai  connu  un  violoniste  italien,  plein  de 
talent,  qui  visitait  la  Péninsule,  le  Levant  et  le  midi  de  la  France. 
Au  retour  d'un  voyage  en  Egypte,  il  ne  quittait  plus  le  fez  rouge  et 
de  grandes  bottes  à  éperons  dorés.  C'est  dans  cet  accoutrement  qu'il 
préparait  ses  concerts.  A  Marseille  il  fut  accueilli  à  bras  ouverts 
par  le  courtier  Nathan  (1),  qui  adorait  l'art  et  les  artistes,  et  logea 
longtemps  dans  sa  fastueuse  villa  du  Prado  la  toute  charmante  Marie 
Cabel.  Nathan  s'éprit  du  talent  de  notre  virtuose,  peut-être  à  cause 
de  sa  bizarrerie  débraillée,  et  le  patronna  de  tout  son  cœur. 

Un  malin,  sachant  son  protégé  gourmand,  il  commanda  à  son 
intention  un  déjeuner  copieux  et  raffiné. 

Les  deux  convives  en  étaient  à  peine  au  premier  service,  qu'ils  se 
prirent  de  querelle.  Nathan,  peu  endurant,  se  leva  brusquement, 
prit  son  chapeau  et  sans  plus  sonner  mot,  planta  là  son  homme. 
«  Qu'avez-vous  fait  alors?  »  demanda-t-on  à  l'Italien  qui  contait  sa 
mésaventure. 

«  Mon  Dieu  !  »  répondit-il,  je  suis  resté,  et  j'ai  mangé  les  deux 
déjeuners!  » 


Le  Beau  peut  être  exprimé  de  façons  très  diverses.  Il  n'y  a  pas  de 
bon  et  de  mauvais  système;  il  n'y  a  que  des  auteurs  avec  ou  sans 
génie. 

Î8  ÎS 

Un  trait  qui  peint  bien  le  caractère  français. 

Chaque  année,  à  l'époque  des  concours  du  Conservatoire,  un  jury 
est  constitué  avec  les  personnalités  les  plus  qualifiées  de  l'art  musical 
et  dramatique.  On  peut  dire  qu'autour  de  cette  table  sont  groupées 
les  autorités  les  plus  indiscutables  qui  honorent  l'art  français  et 
portent  au  loin  son  renom.  Cependant,  chaque  année  les  concours  ont 
le  même  épilogue. 

Il  n'y  a  pas  dans  la  presse  de  débutant  inexpérimenté,  de  journa- 
liste ignorant  les  premières  notions  des  arts  dont  il  s'agit,  de  repor- 
ter superficiel,  qui  ne  blâment  aigrement  les  décisions  du  jury,  en 
le  prenant  de  très  haut  avec  lui,  et  en  réclamant  impérieusement  des 

(1)  M.  Natlian  était  le  frère  de  M»"  Nathan-TreiUet,  qui  a  longtemps  chanté  à 
l'Opéra,  avec  son  maître  Duprez.  Elle  tenait  avec  talent  l'emploi  des  faioons. 


LE  MÉNESTREL 


293 


réformes!  Oh!  ces  réformes!  quelle  plalfonn  de  toutes  les  médio- 
crités rageuses,  de  toutes  les  banales  outrecuidances  ! 

Les  mœurs  sont  telles  que  les  critiques  les  plus  sérieusement 
comnétents  et  les  plus  chevronnés  s'associent  à  ce  débordement  de 
coups  de  sifilets,  sans  penser  aux  diflicultés  que  crée  celle  opposition, 
à  l'esprit  d'indiscipline  qu'elle  engendre,  aux  puérils  et  dangereux 
amours-propres  qu'elle  surexcite. 

On  n'a,  dans  notre  pays,  ni  le  sentiment  des  supériorités  ni  le  res- 
pect des  hiérarchies. 

En  art,  ce  n'est  que  ridicule. 

Mais  lorsque  ce  travers  de  notre  caractère  s'applique  à  des  décisions 
d'où  peut  dépendre  la  grandeur,  sinon  le  salut  de  la  patrie,  il  peut 
attirer  les  plus  graves  périls. 


Avec  son  jeu  extraordinairement  fougueux  et  emporté,  Rubinstein 
transformait  tout  ce  qu'il  inlerprétait,  et  donnait  dans  des  œuvres 
relativement   simples  l'impression  qu'il  soulevait  des  montagnes. 

Planté  m'a  conté  avoir  fait  un  long  et  charmant  séjour  en  Russie, 
accueilli  d'exquise  façon  par  la  cour  et  l'aristocratie,  choyé  par  les 
artistes.  Il  voyait  très  souvent  Rubinstein,  qui  l'aimait  et  se  plaisait 
à  lui  faire  exécuter  ses  œuvres. 

Un  jour,  Rubinstein  lui  fit  entendre  une  nouvelle  production  —  une 
tarentelle,  je  crois,  —  qu'il  affectionnait  comme  on  affectionne  tou- 
jours un  dernier  né.  Il  la  rendit  dételle  façon  que  lorsqu'il  demanda 
à  Planté  de  la  répandre  dans  ses  concerts,  celui-ci  se  récria  modes- 
tement, tant  elle  lui  avait  paru  hérissée  de  diffîcullés  et  inabordable 
avec  quelque  sécurité  dans  une  audition  publique.  Mais  voilà  que 
quelque  temps  après,  Planté  ayant  mis  la  main  en  Allemagne  sur 
cette  tarentelle,  qui  venait  d'être  gravée,  fut  très  surpris  de  la  trou- 
ver presque  facile.  Etant  retourné  en  Russie,  il  la  joua  à  son  tour  à 
Rubinstein  qui,  touché  et  ravi,  l'embrassa  avec  effusion. 

Sous  les  doigts  de  l'élégant  pianiste  français,  celte  pièce  revêtait  un 
caractère  tout  différent  et  semblait  aisée. 

Singuliers  effets  d'optique,  qui  laissent  aux  interprètes  une  noble 
part  de  création,  et  leur  permettent  de  rajeunir  sanscesse  les  œuvres 
auxquelles  ils  s'altachent,  en  leur  imprimant  un  cachet  personnel. 


Oh  !  ce  retour  de  courant  idéaliste,  qui  aura  sans  doute  son  influence 
sur  la  musique,  je  le  salue  avec  joie  comme  un  royaliste,  à  l'ardent 
loyalisme,  saluerait  le  retour  de  son  roi  après  un  long  exil! 


Dans  vingt  ans,  la  mylhologie  Scandinave,  le  Walhall,  les  Vierges 
guerrières,  et  toutes  les  ferblanteries  épiques  paraîtront  aussi  démodés 
que  le  paraissent  aujourd'hui  la  mylhologie  grecque,  l'Olympe,  et  les 
gloires  de  carton  d'où  descendaient  les  dieux  empanachés  de  Qui- 
nault,  de  Lulli,  de  Rameau  et  de  Gluck.  Les  chefs-d'œuvre  deWagner 
ne  seront  pas  plus  diminués  que  le  furent  jadis  ceux  de  Gluck,  par 
exemple.  Mais  il  y  aura  un  retour  à  une  comception  plus  humaine,  à 
l'expression  de  passions  plus  proches  des  nôtres,  en  un  mot,  à  un 
drame  lyrique  dont  l'affabulation  nous  touchera  davantage. 

Et  5,  Y,  Z  seront  aussi  déchus  que  le  sont  Salieri  ou  Sacchini, 
imitateurs  de  Gluck. 


Un  morceau  de  piano  doigté  est  déjà  à  moitié  su.  Je  ne  comprends 
pas  que  toutes  les  publications  pour  cet  instrument  ne  soient  pas 
doigtées. 

Il  ne  convient  cependant  pas  toujours  de  s'astreindre  rigoureuse- 
ment aux  indications  de  ce  genre,  car  il  en  va  de  la  main  comme  de 
la  voix.  Chacun  doit  suivre  et  seconder  ses  aptitudes  naturelles.  Une 
main  maigre  et  très  grande  est  disposée  à  d'autres  flexions  qu'une 
main  petite  et  grasse. 

Chose  singulière!  il  semble  qu'en  général,  l'une  a  plus  de  puissance 
et  de  facilité,  l'autre  plus  de  netteté  et  de  fini. 


La  musique  n'a  pas  encore  eu  son  Fromentin  —  peintre  d'une  rare 
distinction,  d'un  sens  pittoresque  captivant —  écrivain  admirable  qui 
a  su  traduire  dans  une  langue  étonnamment  pure,  précise,  en  même 
temps  que  mélodieuse,  les  sensations  que  donne  son  art. 

Que  de  pensées  exactes,  exquises  aussi,  communes  à  toutes  les 
œuvres  de  l'espiit,  je  relève  dans  ses  Maitrcs  d'autrefois,  celle-ci  par 
exemple  :         . 


«  Il  y  a  dans  la  vie  des  grands  artistes  de  ces  œuvres  prédestinées 
non  pas  les  plus  vastes,  ni  toujours  les  plus  savantes,  quelquefois  les 
plus  humbles,  qui,  par  une  conjonction  fortuite  de  tous  les  dons  de 
l'artiste,  ont  exprimé,  comme  à  leur  insu,  la  plus  pure  essence  de 
leur  génie.  » 

A 

Dans  un  siècle  ou  deux,  les  musiciens  étudieront  et  admireront  les 
Maîtres  Chanteurs  de  Wagner,  comme  nous  admirons  la  Passion  ou  la 
Messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach.  Dans  aucune  de  ses  œuvres  Wagner 
ne  s'est  montré  plus  varié,  plus  puissant,  plus  coloré,  et  n'a  adopté 
une  forme  plus  adéquate  à  son  génie  polyphonique. 


NOUVELLES    DIA^ERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  septembre).  —  La  réouverture 
de  la  Monnaie  s'est  faite  le  b,  avec  Samsonct  Dalila.  Cela  change  un  peu  les 
traditions,  qui  voulaient  qu'un  théâtre  lyrique  se  rouvre  avec  une  pièce 
du  vieux  répertoire.  Traditions  de  province,  si  l'on  veut,  mais  nécessaires 
lorsqu'il  s'agit  de  présenter  au  public  de  nouveaux  artistes,  dans  des  rôles 
qu'ils  connaissent  la  plupart  du  temps  au  bout  des  doigts,  pour  les  avoir 
trimbalés  de  ville  en  ville,  sur  d'autres  scènes.  Il  est  vrai  que  Bruxelles 
n'est  plus,  depuis  longtemps,  la  province.  M.  Saint-Saëns  dégotte  Meyer- 
beer:  —  c'est  un  signe  du  temps.  Bientôt  ce  sera  Wagner.  Et  n'avait-il  pas 
été  vraiment  question  de  commencer  par  Lobengrin? ,.. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Samson  et  Dalila  nous  a  fait  faire  tout  de  suite  la 
connaissance  de  M.  Imbart  de  la  Tour,  le  ténor  sur  les  épaules  duquel 
une  bonne  part  des  destinées  de  la  Monnaie  vont  reposer  cette  année. 
L'impression  première  a  été  excellente.  Jolie  voix  de  demi- caractère, 
bonne  diction,  intelligence  artistique,  de  la  chaleur  et  de  la  distinction. 
Avec  cela  on  peut  marcher,  et  Fervaal  n'aura  pas  à  se  plaindre  de  n'avoir 
plus  M.  Gibert.  On  a  revu  aussi  avec  plaisir  M'"  Armand  dans  le  rôle  de 
Dalila,  qu'elle  chante  avec  un  très  beau  style,  en  dépit  de  sa  voix  encore 
malade,  quoique  meilleure  depuis  l'hiver  dernier.  Bonne  «  rentrée  »  enfin 
pour  l'excellent  M.  Seguin  et  MM.  Dinard  et  Journet. 

Les  soirées  suivantes,  avec  le  Barbier  et  Manon,  ne  nous  ont  pas  donné  de 
surprises,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  «  débuts  »;  mais  elles  n'en  ont  pas 
été  moins  agréables.  L'interprétation  du  Barbier  et  celle  de  Manon  comp- 
taient certainement,  l'an  dernier,  parmi  les  meilleures  du  répertoire  ;  elles 
n'ont  pas  changé  avec  M"""  Landouzy,  piquante  Rosine  et  gentille  Manon, 
MM.  Boyer,  Gilibert  et  Bonnard.  Ces  deux  ouvrages  sont  restés,  de  leur 
côté,  toujours  adorables. 

La  reprise  de  Faust  n'a  pas  été  aussi  heureuse,  malgré  l'intérêt  de  plu- 
sieurs débuts.  M""  Raunay  a  mis  dans  le  rôle  de  Marguerite,  qui  ne  con- 
vient guère  à  sa  voix  ni  à  sa  personne,  de  l'intelligence,  et  elle  y  a  ap- 
porté beaucoup  d'intentions  ;  un  ténor  nouveau  ,  M.  Dantu,  tout  à  fait 
insuffisant,  le  baryton,  M.  Dufranne,  fort  bien  accueilli  en  Valentin,  et  la 
dugazonM'"  Maubourg,  assez  adroite,  ont  pâh  devant  l'autorité  et  le  talent 
de  M.  Seguin-Méphistopbélès,  qui  a  eu  les  honneurs  de  la  soirée.  Samedi, 
nous  aurons  d'autres  intéressants  débuts,  ceux  de  M""^  Kutscherra  et 
Goulancourt  dans  Lobengrin.  Il  ne  nous  restera  plus  guère  après  cela  que 
d'entendre  M""  Jane  Harding,   dans  la  Traviata.  L.   S. 

—  C'est  décidément,  parait-il,  M.  Edgar  Tinel  qui  est  appelé  à  succéder 
à  Ferdinand  Kufferatb,  comme  professeur  de  contrepoint  et  fugue  au 
Conservatoire  de  Bruxelles.  M.  Edgar  Tinel,  qui,  si  nous  ne  nous  trom- 
pons, est  un  ancien  prix  de  Rome,  est  directeur  de  l'École  de  musique  reli- 
gieuse de  Matines  et  inspecteur  des  écoles  de  musique  du  royaume  de 
Belgique.  Comme  compositeur,  il  est  surtout  connu  par  une  œuvre  impor- 
tante, un  oratorio  intitulé  Franciscus,  dont  le  succès  a  été  très  grand  non 
seulement  en  Belgique,  mais  aussi  en  Allemagne.  Très  pieux,  très  croyant, 
M.  Tinel,  nous  dit-on,  a  horreur  du  théâtre,  et  ne  songera  jamais  à  tra- 
vailler pour  la  scène.  Il  est  âgé  aujourd'hui  de  quarante-deux  ans. 

—  La  ville'  de  Liège  célèbre  en  ce  moment,  en  une  série  de  solennités 
religieuses  et  autres,  le  1200=  anniversaire  du  martyre  de  saint  Lambert, 
son  patron.  Ces  fêtes,  qui  ont  commencé  le  6  septembre,  se  continueront 
jusqu'au  20.  La  Legia  et  les  Disciples  de  Grétry,  les  deux  plus  célèbres 
sociétés  chorales  du  pays,  prennent  part  tour  à  tour  aux  exécutions  musi- 
cales qui  sont  organisées  à  cette  occasion  et  parmi  lesquelles  il  faut  citer 
une  cantate  composée  pour  la  circonstance  par  M.  Eugène  Antoine,  maître 
de  chapelle  de  la  cathédrale,  que  ses  compositions  religieuses  ont  placé 
au  premier  rang  des  musiciens  belges. 

—  De  l'Écho  musical  de  Bruxelles  :  «  Paul  Gilson  a  terminé  sa  cantate 
pour  l'ouverture  de  l'Exposition  de  1897.  Elle  est  entièrement  bâtie  sur 
deux  anciens  thèmes  populaires  flamands.  Toute  la  partie  chorale  est 
écrite  à  l'unisson,  —  un  unisson  de  quatorze  cents  voix  d'hommmes  et 
d'enfants  !  Le  poème  est  de  M.  G.  Antheunis,  le  traducteur  du  Fidelio  de 
Beethoven.  Les  chœurs  seront  appris  sous  la  direction  de  M.  Bauwens,  et 


-29'.. 


LE  MENESTREL 


l'exécution  sera  dirigée  par  M.  J.  Duiont.  M.  Gilson  a  également  terminé 
une  autre  cantate,  texte  d'Arnold  GolBn,  pour  le  cinquantenaire  des  télé- 
graphes. 

—  Le  Conservatoire  de  Munich,  qui  est  l'un  des  meilleurs  de  l'Alle- 
magne, vient  de  publier  le  compte  rendu  de  la  dernière  année  scolaire, 
d'où  il  résulte  que  cet  établissement  a  été  fréquenté,  en  IS'JS-Oti,  par 
311  élèves  ou  auditeurs.  Ces  311  élèves  se  répartissent  ainsi  par  nationa- 
lités :  22S  Bavarois,  41  Allemands  de  divers  pays,  13  Américains,  S  Au- 
trichiens, 7  Russes,  5  Suisses,  2  Italiens,  1  Grec,  1  Belge,  1  Hollandais, 
1  Anglais,  1  Serbe,  1  Africain  et  1  Australien. 

—  M.  Guillaume  Kienzl,  l'auteur  de  l'Homme  de  l'Évangile  opéra  qu'on 
joue  avec  beaucoup  de  succès  en  Autriche  et  en  Allemagne,  vient  de  ter- 
miner un  nouvel  opéra  intitulé  Don  Quichollu,  qui  sera  joué  pondant  la  sai- 
son courante. 

—  Un  opéra  inédi;,  la  Nuit  de  Saini-Jean,  musique  de  M.  "W.  Freuden- 
berg,  sera  prochainement  joué  au  théâtre  de  Hambourg. 

—  Cela  ne  pouvait  pas  manquer.  Un  à-propos  musical  intitulé  Fran- 
çois Schubert,  paroles  et  musique  de  M.  Gustave  Burchard,  vient  de  paraître 
à  l'occasion  du  centièms  anniversaire  du  maître  viennois,  et  les  scènes 
allemandes  s'empressent  naturellement  de  le  jouer. 

—  Richard  Wagner  était  un  épistolomane  enragé.  Jusqu'à  présent  1800 
lettres  du  maître  de  Bayreuth  ont  été  déjà  publiées,  et  la  plupart  sont  fort 
intéressantes.  Un  musicographe  viennois  auquel  on  doit  déjà  plusieurs 
travaux  importants  et  utiles,  a  entrepris  la  publication  d'un  catalogue  des 
lettres  écrites  par  Richard  Wagner  entre  les  années  1830  et  18S3,  catalogue 
qui  contient  la  date  de  chaque  lettre,  le  nom  de  la  personne  à  laquelle  elle 
a  été  adressée  et  l'indication  de  l'ouvrage  où  elle  a  été  publiée. 

—  Johannès  Brahms  a  remis  à  la  Société  des  amateurs  de  musique  de 
Vienne  une  somme  de  15.000  francs,  en  laissant  à  cette  société  la  libre  dis- 
position de  cet  argent  dans  l'intérêt  de  l'art  musical. 

—  M.  Hans  Richter,  le  premier  kapellmeister  de  lOpéra  impérial  de 
Vienne,  qui  a  dirigé  le  concert  donné  à  la  cour  d'Autriche  en  l'honneur 
de  l'empereur  de  Russie,  vient  de  recevoir  un  étui  à  cigares  en  or  orné  de 
l'aigle  russe  en  diamants.  jS'ous  avons  déjà  annoncé  qu'il  a  été  décoré  à 
cette  occasion  par  le  souverain  russe. 

—  La  série  des  opéras  en  un  acte  n'est  pas  encore  épuisée.  Un  compo- 
siteur viennois,  M.  Joseph  Roscher,  vient  d'en  terminer  un,  intitulé  iîosiîa, 
sur  des  paroles  de  M.  Ernest  Neuffer. 

—  On  écrit  de  Vienne  qu'une  place  importante  est  réservée  à  la  musi- 
que dans  la  distribution  des  différents  cours  de  l'Université.  Les  étudiants 
en  musique  auront  par  semaine  :  trois  cours  sur  le  Classicisme  moderne; 
deux  sur  le  Chant  grégorien  ;  un  sur  les  Méthodes  nouvelles  pour  l'élude  de  l'har- 
monie ;  deux  Cours  de  chant  pour  les  commençants,  avec  enseignement  des  connais- 
sances musicales  élémentaires  pour  le  chant  d'ensemble;  un  cours  à'Harmonie.  Les 
chargés  de  ces  différents  cours,  —  dont  la  fréquentation  est  absolument 
gratuite,  —  sont  choisis  parmi  les  meilleurs  théoriciens  et  musicographes 
autrichiens  ;  le  \ieux  professeur  Bruckner  fera  le  cours  d'harmonie. 

—  Un  compositeur  tchèque  distingué,  M.  Zdenko  Fibich,  vient  de  ter- 
miner la  partition  d'un  opéra  intitulé  Cliarka,  qui  sera  représenté  au  théâtre 
national  de  Prague. 

—  L'Opéra  hongrois  de  Budapest  prépare  une  saison  qui  promet  d'être 
singulièrement  active,  car  il  n'annonce  pas  moins  de  neuf  opéras  de  compo- 
siteurs nationaux  :  Hunyadi  Laszlo  et  Bankban,  d'Erkel,  père  du  directeur 
général  de  la  musique  à  ce  théâtre  ;  Ilka,  de  Doppler  ;  Balassa  Balint,  de 
Farkas  ;  Told,  de  Mihalovich  ;  Alar,  du  comte  Zichy  ;  ^1  falu  rosza,  de  JenO 
Hubay;  enfin,  Mathias  Corvin,  de  Frotzler. 

Une  myriade  d'opéras  nouveaux  se  prépare,  écrit  un  de  nos  confrères 

italiens.  Outre  ïlride  de  Mascagni,  le  Pourceaugnac  de  Franchetti,  la  Bohême 
de  Leoncavallo,  le  maestro  GipoUini  prépare  deux  nouvelles  partitions, 
l'Amata  del  Re  et  la  Magna  Sila,  sur  des  livrets  de  son  frère.  Le  maestro  De 
Lara  donnera  peut-être  à  Rome  sa  Camargo.  M.  Fabri  de  Lorenzi  a  tout 
prêt  un  opéra  en  un  acte,  Refugium  peccatorum.  Le  théâtre  Bellini,  de  Na- 
ples,  promet  pour  l'automne  prochain  Pasqua  dei  h'iori  de  Luporini,  Padron 
Maurizio  de  Giannetti,  A  San-Francisco  de  Sebastiani,  et  Fadette  de  De  Rossi. 
Le  compositeur  Blanchi  a  terminé  un  opéra,  Almanzor,  sur  un  livret  de 
Daspuro.  Enfin,  il  y  a  les  six  opéras  en  un  acte  du  concours  Steiner.  Est- 
il  possible,  dit  en  terminant  notre  confrère,  que  de  tant  de  travaux  on  ne 
voie  pas  sortir  quelque  chose  de  vital? 

—  A  San  Benedetto  del  Tronto  a  eu  lieu  la  première  représentation  d'une 
fantaisie  lyrique  en  un  acte,  la  Malala,  dont  la  musique  est  due  à  un  jeune 
compositeur  encore  inconnu,  le  maestro  A.  Lozzi. 

—  A  Worcester  vient  d'avoir  lieu  un  grand  festival  musical  auquel  ont 
pris  part  les  sociétés  chorales  de  Worcester,  deGloucester  et  de  Hereford. 
Ce  festival,  qui  a  duré  une  semaine,  a  commencé  par  le  fameux  Te  Dcum 
de  Putcell,  et  le  programme  contenait  quelques  oratorios  obligatoires  : 
Élie,  Saint  Paul,  le  ilfesi'e,  Samson  et  l'Oratorio  de  NoiH  de  J.-S.  Bach,  ainsi 
que  le  Bequiem  de  Verdi,  quelques  compositions  pour  chœur  mixte  de 
Spohr   et    Schubert,   enfin    une   œuvre   inédite,   un    oratorio   intitulé   Lux 


Cliristi,  lire  de  l'Évangile  d'après  saint  Jean  parle  révérend  E.  Gapel-Cure, 
musique  de  M.  Edouard  Elgar.  L'oratorio  compte  seize  morceaux  avec 
soli  pour  ténor,  basse,  soprano  et  contralto,  des  chœurs  et  uno  introduc 
tion  orchestrale  intitulée  Méditation,  comme  le  célèbre  morceau  de  Thais, 
de  Masseuet.  L'orchestration  de  l'oratorio  est  magistra'ie  et  a  remporté 
tous  les  suffrages,  deux  chœurs  ont  été  applaudis,  mais  les  morceaux  pour 
les  solistes  n'ont  pas  produit  beaucoup  d'elVet,  malgré  leur  excellente 
interprétation.  La  critique  anglaise  dit  que  le  jeune  compositeur  de  Lux 
Christi  donne  plutôt  des  espérances  comme  compositeur  de  musique  laïque 
que  comme  compositeur  de  musique  sacrée,  et  insiste  sur  la  virtuosité  avec 
laquelle  il  manie  l'orchestre.  Mais  cette  virtuosité,  tout  comme  jadis  l'es- 
prit, court  actuellement  les  rues. 

—  Au  dernier  festival  donné  à  l'Albert-Hall  de  Londres,  très  grand  suc- 
cès pour  le  baryton  Paul  Geste,  qui  a  chanté  les  airs  i'Uérodiade  et  du  Bal 
masqué.  M.  Geste  était  le  seul  artiste  français  ayant  pris  part  à  ce  concert, 
où  figuraient  M""'  Patti,  MM.  Irving  et  W.  Barrett. 

—  Les  musiques  militaires  françaises  n'ont  pu  se  rendre  au  concours 
de  Bilbao.  Les  grands  prix  ont  été  décernés  à  la  musique  de  l'artillerie  dt 
Ségovie,  aux  harmonies  de  Libourne  et  de  Narbonne,  aux  orphéons  de 
Pampelune  et  de  Limoges;  l'exécution  merveilleuse  de  Pampelune  a  pro- 
voqué une  manifestation  enthousiaste.  Dix-huit  mille  personnes  étaient 
entassées  dans  la  plaza  de  toros.  Aux  jurés  que  nous  avons  cités  déjà, 
nous  devons  ajouter  Monasterio,  directeur  du  Conservatoire  de  Madrid, 
Zubiaurre,  maître  de  la  chapelle  royale,  Francis  Planté,  Guilmant  et  Lau- 
rent de  Rillé,  qui  présidait  les  jurys  réunis. 

—  M.  A.  Goschi  vient  de  terminer,  sur  un  livret  de  M.  A.  Rossi,  la 
composition  d'un  ballet  à  grand  spectacle,  les  Modèles,  dont  la  première 
aura  lieu  prochainement  à  Lisbonne. 

—  On  annonce  de  Saint-Pétersbourg  qu'un  monument  à  la  mémoire  de 
Pierre  Tschaïkowski  va  être  élevé  prochainement  dans  la  salle  principale 
du  Conservatoire. 

—  Voici  que  les  nouvelles  du  compositeur  Carlos  Gomes  sont  aujour- 
d'hui meilleures.  Un  journal  italien,  laSera,  annonce  qu'une  dépêche  reçue 
de  Para  fait  connaître  que  l'auteur  de  Guarany  et  de  Salvator  Basa  est  en 
voie  de  guérison  et  qu'il  espère  pouvoir  revenir  en  Italie  au  mois  de 
novembre  ou  décembre  prochain. 

—  Un  fatal  accident  de  théâtre  vient  encore  de  se  produire  à  Poszare- 
valz,  en  Serbie.  Au  cours  d'une  représentation  de  la  Bataille  de  Kossov, 
dans  la  scène  où  le  chef  des  insurgés  serbes,  Milosch  Obilitsch,  poignarde 
le  sultan  Mourad,  l'artiste  qui  remplissait  le  rôle  de  Milosch  ayant  en 
main,  au  lieu  du  poignard  ordinaire  de  tragédie,  une  arme  véritable,  a, 
dans  le  feu  de  l'action,  tué  raide  l'acteur  qui  jouait  Mourad. 

—  En  Amérique,  le  théâtre  de  l'Opéra  de  Benton  Harbour  (Michigan)  a 
été  détruit  par  un  incendie.  Onze  pompiers  ont  été  tués  en  combattant  le 
feu. 

—  L'Amérique  est  le  pays  des  excentricités  eu  tous  genres.  Le  ministre 
protestant  et  les  fidèles  de  l'église  de  Pleasant-Valley,  aux  États-Unis,  ont 
eu  la  surprise  douloureuse  et  stupéfiante  de  ne  plus  trouver  dans  leur 
temple  un  fort  bel  orgue,  qu'ils  avaient  payé  de  leurs  propres  deniers.  Des 
voleurs,  restés  inconnus,  s'étaient  introduits  dans  l'église,  avaient  démonté 
le  noble  instrument  et  l'avaient  emporté  morceau  par  morceau,  sans  que 
personne  se  soit  aperçu  de  cet  exploit  assurément  original  et  nouveau. 
Mais  qu'est-ce  que  ces  larrons  audacieux  pourront  bien  faire  de  leur  con- 
quête ? 

—  Depuis  le  rôle  politique  que  Richard  Wagner  a  joué  pendant  la  révo- 
lution de  1848  à  Dresde  tout  en  étant  kapellmeister  du  théâtre  royal,  on 
ne  s'étonne  plus  de  ce  qu'un  musicien  prenne  part  à  des  manifestations 
politiques.  C'est  ce  qui  vient  d'arriver  à  la  Havane,  où  le  gouverneur  géné- 
ral, M.  Weyler,  a  fait  arrêter,  sous  l'inculpation  de  haute  trahison,  le  di- 
recteur du  Conservatoire  de  musique,  M.  de  Blanc.  Il  se  trouve  en  bonne 
compagnie,  car  plusieurs  professeurs  de  l'Université,  avocats  et  écrivains, 
ont  été  arrêtés  en  même  temps. 

PARIS   ET   DÉPARTENIENTS 
A  l'Opéra, 

Dans  le  calme  du  cabinet  directorial,  on  élabore  quelques  beaux  projets 
de  programme  et  de  décoration  pour  le  gala  en  l'honneur  des  souverains 
russes.  On  parle  de  faire  conduire  à  chacun  des  membres  de  l'Institut  un 
fragment  d'une  de  ses  œuvres. 

La  scène  sera  prise  cette  semaine  par  Don  Juan,  dont  voici  la  distribu- 
tion e.vacte,  avec  les  doubles  et  même  quelques  triples  : 

Don  Juan  MM.  Renaud  et  Nolé. 

Leporello  Delmas  et  Fournets. 

Ottavio  Alvarez  et  "Vayuet. 

Masetto  Bartet  et  Douaillier. 

Le  Commandeur  Chambon  et  Delpouget. 

Donna  Anna  M""  Rose  Caron,  Grandjean  et  Lafarge. 

Zerline  Berthet,  Loventz  et  Adans. 

Donna  Elvire  Bosman  et  Thérèse  Ganne. 


LE  MENESTREL 


295 


On  a  encaissé  pendant  le  mois  d'août  229.823  francs,  ce  qui  donne,  pour 
13  représentations,  une  moyenne  de  17.678  francs  par  représentation. 

C'est  dans  le  courant  du  mois  d'octobre  que  doivent  reprendre  les  abon- 
nements du  samedi. 

—  A  rOpéra-Gomique  : 

Malgré  les  craintes  qu'avaient  fait  naître  les  dégâts  assez  importants 
causés  par  le  cyclone  de  jeudi  dernier,  la  réouverture  aura  lieu  mardi  pro- 
chain 1.5  septembre,  très  vraisemblablement  avec  le  Pardon  de  Ploërmel. 
Les  spectacles  qui  composeront  les  affiches  de  la  première  semaine  seront, 
avec  l'œuvre  de  Meyerbeer,  Orphée,  Mignon,  Don  Pasqimle  et  la  Femme  de 
Claude. 

Voici,  d'autre  part,  la  distribution  complète  de  Don  Juan,  dont  les  études, 
comme  à  l'Opéra,  vont  entrer  dans  la  période  active  : 

Don  Juan  MM.  Maurel 
Leporelio  Fugère 

Ottavio  Jérôme 

Masetto  Badiali 

Le  Commandeur  André  Grosse. 

Donna  Anna  M""  Nina  Pack 
Zerline  Gabrielle  Lejeune. 

Donna  Elvire  Marignan 

M.  J.  Danbé,  qui  a  brillamment  clôturé  sa  très  artistique  saison  mu- 
sicale de  Cauterets,  est  rentré  à  Paris  au  commencement  de  la  semaine 
dernière  pour  s'occuper  de  son  orchestre. 

—  M.  Sellier,  qui,  une  fois  déjà,  s'était  assez  grièvement  blessé  à  la 
chasse,  vient  encore  d'être  victime  d'un  accident  à  la  main  droite.  L'an- 
cien ténor  de  l'Opéra  a  juré  de  déposer  à  tout  jamais  son  fusil.  On  se 
souvient  que  Roger,  le  créateur  du  Prophète,  dut  subir  l'amputation  du  bras 
à  la  suite  de  pareil  accident. 

—  M.  Jules  Barbier  lira,  après-demain  mardi,  sa  Lucile  Desmoulins  aux 
artistes  du  théâtre  de  la  République. 

—  D'après  une  statistique  publiée  par  le  Cercle  de  la  librairie  de  Paris, 
qui  a  emprunté  ce  renseignement  au  service  du  dépôt  légal,  il  aurait  été 
publié  en  P'rance,  comme  morceaux  de  musique  : 

Années  1890 3.471  morceaux. 

—  1891 4.943        — 

—  1892 S. 093        — 

—  1893 5.12G        — 

—  189-^ 7.220        — 

—  1893 6.446        — 

— ■  M.  Colonne  doit  se  rendre  le  mois  prochain  à  Londres,  avec  son  or- 
chestre, pour  y  donner  plusieurs  concerts  dont  les  programmes  seront  en- 
tièrement consacrés  à  la  musique  française  et  qui  comprendront  aussi  un 
chœur  de  cent  voix.  Il  doit,  au  retour,  passer  par  la  Hollande,  où  il  se  fera 
entendre  aussi. 

—  M.  Paul  'Viardot  vient  de  rentrer  à  Paris,  après  une  fort  belle  tour- 
née dans  l'Amérique  du  Sud. 

—  A  l'Exposition  du  Théâtre  et  de  la  Musique,  continuation  du  succès 
des  festivals  du  vendredi,  si  artistiquement  dirigés  et  composés  par  M.  Achille 
Kerrion.  Vendredi  dernier,  avec  le  concours  de  M"'^  Kerrion,  Ibanez,  de 
MM.  Longprez  et  Génécaud,  toute  la  première  partie  était  consacrée  à 
Gounod.  Dans  la  seconde,  effet  considérable  pour  la  Médilalion  de  Thàis  et 
l'arioso  du  Roi  de  Lahore,  de  Massenet,  chantés  par  M.  Génécaud. 

—  Très  brillante,  la  fête  ottomane  donnée  à  Paris  sous  le  haut  patronage 
de  l'ambassade  de  Turquie,  pour  l'anniversaire  de  l'avènement  au  trône 
du  Sultan.  Le  31  août,  un  grand  concert  réunissait  nombre  d'artistes  de 
valeur.  M"'  Alice  Verdier  de  Saula,  la  remarquable  violoniste,  a  été  le 
clou  de  cette  fête.  Cette  jeune  artiste  venait  en  outre  d'avoir  un  succès 
comme  compositeur  :  son  Élégie  pour  violon  avec  accompagnement  de 
piano,  soumise  au  concours  musical  de  la  société  Osmanié,  avait  eu 
l'honneur  d'être  couronnée. 

—  Nous  annoncions  que  M.  Luigi  Arditi,  le  chef  d'orchestre  renommé, 
auteur  du  fameux  Bacio  et  de  la  non  moins  célèbre  valse  :  Parle!  préparait 
la  publication  de  ses  Mémoires.  M.  Arditi,  qui  depuis  un  demi-siècle  est  fixé 
à  Londres,  s'y  est  trouvé  en  relations  étroites  avec  tous  les  grands  artistes 
de  ce  temps,  et  ses  souvenirs  peuvent  être  intéressants.  L'ouvrage  annoncé 
est  aujourd'hui  publié.  Il  vient  de  paraître  sous  ce  titre  :  Souvenirs  de  cin- 
quante années,  et  il  contient  une  quantité  d'autographes  de  compositeurs 
et  de  chanteurs  célèbres  :  Rossini,  Marietta  Alboni,  Angiolina  Bosio, 
Henriette  Sontag,  M"'=  Pauline  Viardot,  M""":  Adelina  Patti,  M™«  Emma 
Albani,  M.  Tamagno,  M.  Engelbert  Humperdinck,  etc.  Ce  livre  contien 
aussi  des  souvenirs  personnels  sur  Garibaldi,  le  comte  Cavour  et  autres 
grands  personnages  étrangers  à  l'art. 

—  Royan.  —  La  saison  musicale,  en  même  temps  que  la  saison  bal- 
néaire, bat  son  plein.  Je  n'ai  à  vous  parler  que  de  la  saison  musicale  : 
deux  casinos  sont  en  présenco,  et  forcément,  deux  sortes  de  musique.  La 
musique  sévère,  classique,  règne  au  vieux  casino.  M""  Héglon  a  été  l'étoile 


du  théâtre.  On  a  beaucoup  applaudi  une  cantatrice  de  talent,  M"<:  Main- 
dron,  lauréate  du  Conservatoire  de  Paris,  professeur  de  chant,  qui  s'est 
fait  entendre  dans  le  grand  air  d'Iphigénie  de  Gluck,  un  air  d'Etienne  Marcel, 
de  Saint-Saëns,  et  un  fragment  à'Hellé  deDuvernoy.  Au  nouveau  casino, 
l'opérette  et  le  ballet  régnent  souverainement.  Le  chef  d'orchestre , 
M.  Louis  Ganne,  obtient  un  grand  succès  dans  son  ballet  de  P/irî/né,  qui  est 
une  œuvre  des  plus  intéressantes.  H.  B. 

—  Avant  que  les  derniers  échos  s'en  éteignent  sur  nos  plages,  signalons 
les  remarquables  concerts  offerts  cette  année  aux  baigneurs  de  Villers. 
L'orchestre  de  M.  Meiners  est  peu  nombreux,  mais  d'excellente  qualité,  et 
la  partie  vocale  spécialement  confiée  à  M.  Louis  Derivis  présecte  toujours 
un  grand  intérêt,  grâce  au  choix  très  artistique  et  très  varié  des  morceaux. 
Nous  nous  souvenons  surtout  des  fragments  de  Sigurd,  de  Lakmé,  du  Cid, 
à'Herodiade,  de  Y  Elégie  et  de  maintes  autres  pages  de  Massenet,  du  Sonnet 
ancien  de  Maréchal.  Avec  le  concours  très  apprécié  de  M"^'  Romey,  M.  De- 
rivis a  chanté  aussi  les  duos  d'Iiamlet,  de  .Xavière,  d'.iben-Hamet,  qu'on  a 
plusieurs  fois  redemandés.  Non  loin  de  là,  au  Tréport,  par  exemple,  nous 
avons  eu  une  excellente  exécution  de  l'Enfance  du  Christ,  par  M.  et  M°"=  Au- 
guez  et  M.  Warmbrodt,  qui  sut  aussi  triompher  avec  les  mélodies  de  Mas- 
senet {Ilérodiade,  Pensée  d'Automne,  etc.)  et  de  Th.  Dubois  (Douarnenez  Par 
le  sentier).  P.  C. 

—  Au  Casino  de  Paramé,  très  grand  succès  pour  Manon,  et,  parmi  les 
interprètes,  pour  M"=  Gaconnetti,  dont  la  voix,  assez  petite,  est  délicieuse. 

—  Nous  apprenons  que  le  succès  de  la  tournée  de  VEmpereur  de  Charles 
Grandmougin  se  continue  dans  l'Est.  La  pièce  a  fait  salle  comble  à  Lille, 
Amiens,  Boulogne,  Sedan,  Verdun,  Nancy,  Épinal. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  la  mort,  à Bielefeld,  d'un  artiste  distingué,  Lud-wig-Siegfried 
Meinardus,  qui  était  né  dans  le  grand  duché  d'Oldenbourgd  le  17  sep. 
tembre  1827.  Ancien  élève  du  Conservatoire  de  Leipzig,  il  s'était  perfec- 
tionné à  VVeimar,  auprès  de  Liszt,  puis  était  devenu  directeur  de  l'Académie 
de  chant  de  Glogau,  où  il  resta  jusqu'en  1858,  époque  à  laquelle  il  alla 
passer  plusieurs  années  à  Dresde,  pour  se  fixer  ensuite  défînitivemenf  à 
Hambourg.  Artiste  sérieusement  instruit,  Meinardus  se  fit  connaître  par 
un  certain  nombre  d'œuvres  importantes  et  d'une  réelle  valeur  :  un  opéra 
intitulé  Bahnesa:  quatre  oratorios  :  Simon  Pierre,  le  Roi  Satomon,  Gédéon, 
Luther  à  Worms;  une  ballade  pour  voix  seule,  chœur  et  orchestre  :  Roland' s 
Schwanenlied;  deux  symphonies,  un  quatuor  pour  instruments  à  cordes,  un 
trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  etc. 

—  D'Ancône  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  6S  ans,  du  compositeur 
Benedetto  Zabban.  Il  était  l'auteur  de  deux  opéras  qui  avaient  été  représen- 
tés au  théâtre  des  Muses  de  cette  ville,  l'un,  bouffe,  il  Conte  di  Stenedoff, 
joué  en  1838,  l'autre,  sérieux,  Eleonora  diToledo,  en  1861.  C'était,  dit-on,  un 
excellent  professeur,  mais  aussi,  parait-il,  un  type  de  «  bohème  »  achevé  et 
d'une  rare  excentricité. 

—  A  Londres  est  mort,  il  y  a  quelques  semaines,  M.  Lewis  Thomas, 
directeur  du  journal  Un;  Lute  et  critique  musical  du  Daily  Telegraph. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

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ERNEST    MORET 


Nouvelles  Mélodies 


SI  JE  NE  T'AIMAIS  PAS    .    .    . 
SÉRÉNADE  FLORENTINE.   .    .    . 

CHANSON  GRECQUE  

NUIT  D'AVRIL  , 


JE  T'AUBE  CHASTEMENT  .  , 
SÉRÉNADE  NÉLANCOLIQUE  , 
J'AI  PARFOIS  DES  PLEURS  . 


STREABBOG 


Broutilles 


Petites  pièces  faciles  et 

1.  SÉRÉNADE 4 

2.  SÉGUEDILLE 4 

3.  LES  MÉNÉTRIERS 4 


octaves  pour  les  petites  mains. 

4.  LES  PERLES  FINES,  valse  .  4 

5.  LA  ROSE  ROUGE,  hm^;»-/»  .  4 

6.  LE  ?XPllim,  pollM.       .    .  i 


CHARLES    LEVADÉ 


CHANSON  D'AMOUR  (1-2) . 

SUR  LA  MONTAGNE  (1-2).   .    .       4 

JOURS  D'AUTOMNE 


Mélodies 

4    »      I      LES  CLOCBES  DU  PAYS  (1-2). 


AUBADE  MÉLANCOLIQUE  (1-2).      3 


(1-2) 


296 


LE  MENESTREL 


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e°  livre.  Leçons  et  solfèges  des  précé- 
dents livres    sur  toutes    les    clefs, 
in-8°,  avec  accompagnement,  net.  .    10    » 


Edition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 3 

7»  et  *■  livres.  Derniers  solfèges  de  Ciie- 
Bi'BiNi,  sur  toutes  les  clefs  et  à  chan- 
gements de  clefs,  2  vol.  in-8',  avec 
accompagnement,  chaque,  net  ...     10 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, chaque  volume,  net 3 

Grand  format,  basse  chiffrée,  chaque 
volume,  net 10    »  et    15 

9"  livre.  Solfèges  pour  basse,  baryton 
ou  contralto,  in-8",  avec  accompagne- 
ment, net 10 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment,  net 3 

^0'  livre.  Solfèges  de  Chehubini  pour 
soprano  ou  ténor,  in-S",  avec  accom- 
pagnement, net 10 

U'  et  fi'  livres.  Solfèges  d'Italie  ; 

l"  volume,  in-8",  avec  accompagnement, 
pour  baryton  ou  contralto,  net  ...      5 

2"  volume,  in-  8°,  avec  accompagnement, 

pour  ténor  ou  soprano,  net 5 

EDOUARD  BATISTE.  Petit  solfège  harmonique  en 
3  livres  : 

■I"  livre.  65  exemples  d'harmonie,  avec 
théorie.  50  exercices-leçons  à  2,  3  et 
4  voix  sur  les  différents  accords  et 
sur  tous  les  premiers  éléments  de 
l'harmonie,  in-8',  avec  accompagne- 

,  ment,  net 6 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 3 

2'  livre.  30  leçons  à  2  et  3  voix  égales, 
sur  tous  les  intervalles  et  leurs  di- 
verses modifications  employées  dia- 
toniquemenl   ou  chromatiquement, 

,  in-8",  avec  accompagnement,  net.   .      5 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 2 

S"  livre  25  leçons  à  2  voix  égales,  dans 
tous  les  tons  et  toutes  les  mesures, 

,  in-S",  avec  accompagnement,  net  .  .      5 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment,  net i2 

—  L'étude  élémentaire  des  clefs,  solfège  prépa- 
ratoire de  transposition,  in-8°,  avec  accom- 
pagnement, net 7 

—  Leçons  de  solfège  sur  toutes  les  clefs  et  à  chan- 
gements de  clefs,  en  2  livres  : 


1"  livre  :  leçons  faciles  et  de  moyenne 
force,  in-8",  avec  accompagnement, 

net 6    » 

Edition  populaire,  sans  accompagne- 
ment,  net 2    >i 

2=  livre  ;  leçons  difficiles  et  très  difli- 
ciles,  in-8",  avec   accompagnement, 

,  net 6    » 

Edition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 2    » 

D.-F.-E.  AUBER.  Leçons  de  solfège  à  changements 

de  clefs,  in  8",  avec  accompagnement,  net  .      2    » 
Edition  populaire,   sans  accompagne- 
ment,  net ,1  75 

CH.  LEBODC-NOURRir.  Petit  manuel  de  mesure  et 
d'intonation  à  l  usage  des  jeunes  enfants  : 

60  tableaux-calques  (grosses  notes),  à  re- 
produire et  à  compléter  au  crayon, 
précédés  des  principes  élémentaires 
de  la  musique.  5  cahiers  de  12  ta- 
bleaux, avec  papier  transparent  pour 
le   décalque    des   tableaux.    Chaque 

,  cahier,   net 2    » 

Édition  populaire,   sans   transparent, 

chaque  cahier,  net 1    » 

A.  PAPOT.  Solfège  manuscril,  27  leçons  h  chan- 
gements   de  clefs,   édition   autographiée, 

net -5    > 

RODOLPHE.  Solfège  ou  méthode  de  musique,  avec 
les  leçons  trop  hautes  baissées  par  Panseros, 

basse  chiffrée,  net 5    » 

Le  même,  avec  accompagnement  de 
piano    ou    orgue   par    Ed.    Batiste, 

in-8",  net 8    » 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 3    » 

AMBROISE  THOMAS.  Leçons  de  solfège  à  change- 
ments de  clefs,  édition  autographiée  d'après 
la  copie  en  usage  dans  les  classes  du  Con- 
servatoire, 2  livres  : 

1"  livre  ;  leçons  pour  les   classes  de 

chanteurs,  net 10    » 

2'  livre  :  leçons  pour  les  classes  d'ins- 
trumentistes, net 10    » 

Édition  gravée  des  deux  livres  réunis 
en  un  seul,  in-8°,  avec  accompagne- 

,  ment,   net 8    » 

Édition  populaire,  sans  accompagne- 
ment, net 2  50 


ElsrSEIG-l^EIMIElsrT     3D  TJ     OHZ^^ZSTT 


BANDERALI.  24  vocalises  élémentaires  et  graduées 

pour  mezzo-soprano,  2  livres,  chaque.   .   .     15     » 

r.  BATAILLE  et  P.  ROUGNON.  Les  chansons  de 
l'école  et  de  la  jamille,  sur  des  airs  populaires 
des  provinces  de  France,  arrangements  à 
1,  2  et  3  voix,  illustrations  de  Bouisset,  net.      »  75 

C.  de  BÉRIOT  et  C.-V.  de  BÊRIOT.  L'art  de  l'ac- 
compagnement, méthode  pour  apprendre  aux 
chanteurs  à  s'accompagner 15    » 

BRUNI.  Leçons  élémentaires,  avec  36  exercices  de 

L.  Bobdése 18    » 

CHERUBINI,  GARAT,  MÉHUL ,  MENGOZZI , 
PLANTADE,  etc.:  Grande  méthode  de  chant  du 
Conservatoire,  net 12    » 

CINTI-DAMOREAD  (M-').  Grande  méthode  d'ar- 
tiste, net 20    >i 

—  Développement  progressif  de  ta  voix,  nou- 
velle méthode  de  chant  pour  les  jeunes 
personnes,  net 8    » 

J.  CONSUL.  Etudes  spéciales  de  vocalisation  ...     15    » 

CRESCENTINI.  Célèbres  exercices  et  vocalises,  avec 
accompagnement  de  piano  d'après  la  basse 
chiffrée  par  Ed.  Batiste,  pour  soprano  ou 
ténor,  avec  doubles-notes  pour  mezzo-so- 
prano ou  baryton,  net 8    o 

DANZI.  ieçons  de  TOca/Jsoîion,  pour  contralto.    .     12    » 

DARONDEAU  (M"").  6  vocalises  mélodiques,  pour 

soprano  ou  ténor 12    » 

G.  DUPREZ.  L'art  du  chant,  méthode  complète, 

net 25    » 

1"  partie  :  Style  large  et  d'expression, 
net 10    >' 


2"  partie  :  Style  de  grâce  et  d'agilité, 

net 8 

3"  partie  :  Diction  lyrique,  net  ....     12 

—  La  mélodie,  études  complémentaires  (vo- 
cales et  dramatiques),  net 25 

1"  partie:  Etudes vocaliséesetgrandes 
études,  8  morceaux  de  concert  et  de 

salon,  net 18 

2"  partie  :  Classiques  du  chant  de  1225 
a  1800,  avec  texte  original  et  traduc- 
tion, net 12 

MANUEL  GARCIA  fils.  Nouveau  traité  de  l'art  du 

chant,  net 12 

MANUEL  GARCIA  père.  3M  exercices,  thèmes 
variés  et  vocalises,  avec  basses  chiffrées 
réalisées  au  piano  par  Vauthrot,  net  ...      8 
J.  FAURE.  La  voix  et  le  chant,  traité  pratique 
avec  avant-propos  et  introduction,  net .   .    20 

—  Une  Année  d'études,  exercices  et  vocalises 
avec  théorie  (tirés  de  «  La  voix  et  le  chaut  »)  : 

N°  1.  Edition  pour  basse  ou  baryton, 
net 8 

N"  2.  Edition  pour  voix  de  femmes  et 
ténor,  net 8 

—  Aux  jeunes  chanteurs,   notes  et  conseils 
(tirés  de  «  La  voix  et  le  chant  d),  net.  .   .      2 

G.  LEMAIRE  et  H.  LAVOIX  fils.  Le  chanl,  ses 
principes  et  son  histoire,  net 25 

P.  LESPINASSE.  Enseignement  complet  de  l'art  du 
chant,  avec  texte  français  et  anglais,  ac- 
compagnement de  piano  par  R.  de  Vilbac  : 
Méthode  à  l'usage  des  voix  aiguës,  net.    15 


Méthode  à  l'usage  des  voixgraves,  net.    18    » 
Méthode  à  l'usage  des  voix  du  médium, 

net 18    » 

MATHIS  LUSSY.  Traité  de  l'expression  musicale, 
accents,  nuances  et  mouvements  dans  la 
musique  vocale  et  instrumentale,  net.   .   .    10    » 
M.  MARCHESI  (M"").  Op.  32.  30  vocalises,   pour 

mezzo-soprano,  net 5    » 

—  Op.  33.  12  vocalises  à  2  voix,  pour  soprano 

et  contralto,  net 4    » 

C.-S.  MARCHESI.  Résumé  de  l'art  du  chant,  pour 

toutes  les  voix,  net 7    » 

F.  MAZZI.   L'indispensable  du  chanteur,   solfège 

méthode  de  chant 20    » 

—  Vocalises  progressives,  pour  mezzo-soprano 

L.  NIEDERMEYER  et  J.  d'ORTIGÙÈ.  Traité' théo- 
rique cl  pratique  de  l'accompagnement  du  plctin- 
chant,  net 7    » 

C.  PATTI  (M'"").  12  études  pour  soprano,  net .   .   .      5    » 

ROZE.   Méthode   île  plain-chant,    à    l'usage    des 

églises  de  France 12    » 

F.  STŒPEL.  Jl/ft/ioi/ecomp/c/e,  adoptée  pour  l'en- 
seignement de  la  musique  vocale  dans  les 
écoles  normales  et  institutions,  net.  ...      8    » 

—  Principes  élémenlaires  de  musique,  pour  les 
jeunes  élèves,  net 2  50 

VALENTI.  Solfeggi,  pour  voix  de  basse,  avec 

accompagnement  de  piano  par  Imbibo.   .   .    12    » 

PAULINE  VIARDOT  (M-).  Une  heure  d'étude, 
exercices  pour  voix  de  femmes,  2  séries, 
chaque,  net 5    i 


ENSEIGNEMENT  DE  L'HARMONIE  ET  DE  L'INSTRUMENTATION 


CATEL.  Traité  d'harmonie  du  Conservatoire,  com- 
plété par  Leborne,  net 10 

J.  CATRUrO.  Traité  complet  des  voix  et  des  instm- 
ments,  à  l'usage  des  personnes  qui  veulent 
écrire  la  partition,  net 5 

—  Tableau  général  des  voix  et  des  instruments  ,      2 
CHERUBINI.  Cours  de  contrepoint  et  de  fugue  du 

Conservatoire,  net 20 

—  Traité  pratique  d'harmonie,  marches  d'har- 
monie pratiquées  dans  la  composition, 
avec  réduction  pour  piano  ou  orgue  par 
Elwart,  net 12 


V.  DOURLEN.  Traité  d'accompagnement  pratique 

du  Conservatoire,  net 10    • 

TH.  DUBOIS.  Notes  et  études  d'harmonie,  pour 
servir  de  supplément  au  traité  de  Reber, 

net 15    » 

—    87  leçons  d'harmonie    (basses   et    chant), 
suivies  de  34  leçons  réalisées,  net 15    » 

CH.  DDVOIS.  Le  mécanisme  du  piano  appliqué  à 
l'étude  de  l'harmonie  (enseignement  simul- 
tané du  piano  et  de  l'harmonie),  net  ...    25    » 

G.  KASTNER.  2  tableaux  analytiques,  renfermant 
tous  les  principes  de  la  musique  et  de 
l'harmonie,  chaque,  net 1    »  et     1  50T 


G.  KASTNER.  Cours  d'instrumentation,  à  l'usage 
des  jeunes  compositeurs,  avec  un  supplé- 
ment pour  les  instruments  Sax,  net  .  .  . 

MATHIS  LDSSY.  Traité  de  l'expression  musicale, 


net 

-  Le  rythme  musical,  son  origine,  sa  fonc- 
tion et  son  accentuation,  net 5 

-  Corrélation  entre  la  mesureet  le  rythme,  net.      1 


TABUTIIRES  ET  CAIIMES  l'OUR  TOUS  LES  lii'STRUllEîiTS,  chaqii. 


lUPniUEIUE  CENTRAI.E  DES  CDEUINS  DE    FER.  —  lUPRlUERlE  t 


,  RUE  BERGERE,  30, 


un.  —  62 


Dimanche  20  Septembre  1891). 


-  1V°  38.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étrcnger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SQMMAIRE-TEITE 


l.  Étude  sur  Orphée  (S"  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  Ihéiltrale  :  Première 
représentation  de  Jacques  Callot,  à  la  Porte-Saint-Martin;  réouverture  de 
l'Opéra-Comique;  reprise  de  ta  Vie  parisietine  aux  Variétés,  Paul-Émile  Cheva- 
lier. —  IIL  Le  Théâtre-Lyrique  :  Informations,  impressions,  opinions  (14"  ar- 
ticle), Louis  Gallet.  —  IV.  Musique  et  prison  (18*  article):  Prisons  politiques 
modernes,  Paul  d'Estbée.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

JOURS  D'AUTOMNE 

mélodie  de  Charles  Levadé,  poésie  de  Jules  Oudot.  —  Suivra  immédiate- 
ment :  Sérénade  d'automne,  mélodie  de  L.  DelaquerriÈre,  poésie  d'ANDRÉ 
Ale.\andre.  

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Chanson  d'automne,  de  Cesare  Galeotti.  —  Suivra  immédiatement  : 
Valse  des  mouclies,  de  A.  Landry. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Certes,  Galzabigi  avait  merveilleusement  compris  ce  que 
voulait  son  illustre  collaborateur.  La  simplicité,  il  n'est  pas 
possible  de  la  rêver  plus  complète  que  dans  le  poème  d'Or/eo, 
où  la  légende  est  suivie  pas  à  pas,  sans  nul  ornement  d'em- 
prunt, sans  aucun  incident  étranger  au  sujet.  Les  parties 
lyriques,  loin  d'être,  comme  dans  l'opéra  de  Métastase,  de 
froids  commentaires  des  situations,  de  véritables  superféta- 
tions,  «  à  côté  »  de  l'action  réelle,  expriment  directement 
les  sentiments  naturels  des  personnages.  Les  chœurs  sont 
vivants  et  prennent  grandement  part  au  drame.  Par  tous  ces 
éléments,  traités  musicalement  avec  une  supériorité  que 
l'auteur  ne  dépassa  jamais,  Orfeo  appartient  bien  véritable- 
ment à  la  grande  manière  de  Gluck. 

Mais,  d'autre  part,  les  habitudes  premières  et  les  anciennes 
fréquentations  ont  laissé  dans  plusieurs  endroits  de  la  musique 
des  traces  reconnaissables.  L'influence  de  l'Italie  s'y  manifeste 
par  une  abondance  mélodique  et  une  beauté  de  formes  que 
Gluck  ne  retrouvera  plus  guère  au  même  degré  dans  ses 
œuvres  purement  françaises.  Personne  n'a  jamais  songé  à 
contester  la  beauté  expressive  de  l'air  :  <t  J'ai  perdu  mon 
Eurydice  »;  cependant  il  faut  bien  convenir  que  cet  air,  avec 
sa  triple  reprise  du  motif  principal,  en  (otwq  de  «  rondeau  », 


est  d'une  forme  bien  régulière  pour  traduire  la  douleur 
tumultueuse  qui  devrait  agiter  Orphée  au  moment  où  il  vient 
de  perdre  pour  la  seconde  fois  Eurydice.  On  pourrait,  ce 
semble,  lui  appliquer  quelques-unes  des  critiques  que  Gluck 
formula  plus  lard  avec  tant  d'ironie,  raillant  ces  morceaux 
dans  lesquels,  «  même  dans  ces  moments  de  désordre  où  le 
personnage  chantant,  animé  de  différentes  passions,  passe 
successivement  de  l'une  à  l'autre,  le  compositeur  doit  tou- 
jours conserver  le  même  motif  de  chant  »,  et  promettant 
«  que,  dans  son  désespoir  »  l'héroïne  tragique  «  chantera  un 
air  si  régulier,  si  périodique,  et  en  même  temps  si  tendre,  que 
la  petite-maitresse  la  plus  vaporeuse  pourra  l'entendre  sans 
le  moindre  agacement  de  nerfs  (1)...  »  Félicitons-nous  cepen- 
dant qu'à  l'époque  &' Orphée  Gluck  n'ait  pas  encore  eu  tant  de 
scrupules,  puisque  c'est  à  cette  tolérance  que  nous  devons 
la  sublime  mélodie.  —  A-t-on  jamais  remarqué  que  les  trois 
chants  principaux  d'Orphée,  d'un  caractère  également  plaintif 
(Objet  de  mon  amour,  Laissez-vous  loucher  far  mes  pleurs,  J'ai  perdu 
mon  Eurydice),  sont  tous  trois  en  majeur?  Et  pourtant  leurs 
mélodies  renferment  en  elles-mêmes  une  expression  aussi 
intense  que  les  plus  sombres  mineurs  à-'Alcesle  ou  d'Iphigénie 
en  Aulide.  C'est  qu'ici  Gluck  était  encore,  dans  une  certaine 
mesure,  sous  l'influence  du  génie  italien,  qui  connaît  l'art 
d'associer  la  beauté  de  l'expression  avec  celle  de  la  forme  et 
de  mettre  de  la  lumière  jusque  dans  les  tableaux  les  plus 
sombres.  Le  texte  même  sufBt  à  mettre  ces  qualités  en  valeur  : 
bien  que  l'Orphée  français  soit  un  évident  perfectionnement 
de  VOrfeo  original,  il  est  de  certaines  parties  qui,  dans  la 
forme  italienne,  conservent  encore  une  saveur  plus  pénétrante. 
N'y  a-t-il  pas  une  douceur  mélancolique,  une  expression  à 
la  fois  triste  et  charmante  dans  ces  vers  qui  terminent  le 
chœur  funèbre  chanté  devant  le  tombeau  d'Eurydice  : 

Come  quando  la  compagna 

Tortorella  amorosa  perde... 

Par  deux  fois  les  instruments  répondent  harmonieusement 
à  la  plainte  des  voix,  après  les  mots  :  Toriorella...  amorosa... 
comme  pour  évoquer  la  pensée  du  tendre  roucoulement  de 
l'oiseau  de  Vénus.  —  Berlioz  a  parlé  quelque  part  avec  admi- 
ration de  <t  ce  chœur  des  ombres  heureuses  dont  les  paroles 
italiennes  augmentent  le  charme  mélodieux  : 

Torna,  o  bella,  al  tuo  consorte, 
Che  non  vuol  che  piii  diviso 
Sia  di  te  pietoso  il  ciel  (2)  ». 

De  même,  dans  son  bel  article  sur  la  représentation  d'Orphée 
au  Théâtre-Lyrique   en  d859,  l'auteur  des   Troyens  commente 


(1)  Lettre  de  M.  le  chemlier  Gluek  à  M.  de  la  Harpe,  Journal  de  Paris  du  12  octobre 
1777,  et  Mémoires  pour  la  révolution,  etc.,  p.  271. 

(2)  H.  Berlioz.  A  MM.  les  membres  de  ''Académie  des  Beaux-Arts,  dans  A  travers 
chants,  p.  286. 


298 


LE  MÉNESTREI 


éloquemment  les  beautés  de  la  scène  si  poétique  du  premier 
acte,  où,  du  fond  du  bocage,  l'écho  répond  tristement  à  la 
voix  de  l'époux  désolé  ;  «  Voilà  l'élégie, Yoilà  l'idylle  antique: 
c'est  Théocrite,  c'est  Virgile  (i)  ».  Mais  ce  caractère  idyllique, 
ce  sentiment  virgilien,  n'était-ce  pas  encore  l'Italie  qui  en 
avait  jusqu'alors  le  mieux  gardé  le  secret? 

Enfin,  une  double  observation  nous  démontre  que  le  senti- 
ment public  et  la  voix  de  la  postérité  se  sont  unis  pour 
mettre  Orphée  hors  de  pair  :  du  vivant  do  l'auteur,  cette  œuvre 
fut  la  seule  qui  échappât  à  toutes  les  polémiques  (2),  —  et, 
de  nos  jours,  elle  est  également  la  seule  qui  ait  retrouvé 
un  succès  éclatant  et  sincère.  Il  est  même  intéressant  de 
constater  que  cette  première  œuvre  de  Gluck,  vieille  aujour- 
d'hui de  cent  trente-quatre  ans,  est  aussi  la  plus  ancienne 
œuvre  lyrique  qu'il  nous  soit  donné  de  voir  représenter  sur 
nos  scènes. 

Orfeo  ed  Euridice  fut  représenté  pour  la  première  fois,  sur  le 
théâtre  Impérial  de  Vienne,  le  S  octobre  1762.  Les  rôles 
étaient  distribués  de  la  manière  suivante  : 

Euridice La  Bianehi. 

Orfeo Il  Guadagni. 

Amore.   .....     La  Glebero  Glavarau  (3). 

Comme  presque  toutes  les  œuvres  de  Gluck,  celle-ci  fut 
accueillie  d'abord  avec  cette  hésitation  et  cette  réserve  que 
le  public,  dérouté  dans  ses  habitudes,  témoigne  d'ordiaaire 
en  présence  de  beautés  nouvelles  qu'il  pressent,  mais  avec 
lesquelles  il  a  besoin  de  se  familiariser.  En  effet,  le 
succès  grandit  de  représentation  en  représentation,  et  finit 
par  devenir  triomphal,  si  bien  qu'0//eo  ne  tarda  pas  à  faire 
son  tour  d'Europe;  il  fut  joué  sur  les  principales  scènes 
d'Angleterre  et  d'Allemagne,  et  l'on  cite  d'Italie,  comme 
un  de  ses  succès  les  plus  mémorables,  l'accueil  qui  lui  fut 
fait  à  Parme,  ovl  il  fut  choisi  pour  rehausser  l'éclat  des 
fêtes  données  pour  les  noces  de  l'Infant,  qui  attirèrent  dans 
cette  ville  toute  la  noblesse  de  l'Italie:  Orfeo  j  fut  joué  vingt- 
sept  foi.s  de  suite,  tandis  que  Traetta,  l'un  des  plus  célèbres 
compositeurs  italiens  d'alors,  s'agita  vainement  pour  y  faire 
accueillir  une  de  ses  œuvres. 

Entre-temps,  l'auteur  s'occupa  de  faire  graver  sa  partition  : 
autre  innovation,  car  alors  il  n'était  pas  d'usage  de  faire 
graver  les  opéras  italiens,  et  Orfeo  ed  Euridice  fut  la  première 
œuvre  de  ce  genre  qui  ait  été  admise  à  cet  honneur.  Elle  fut 
gravée  en  France,  par  l'intermédiaire  et  avec  le  concours  de 
Favart  et  de  Philidor.  Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  plus 
longuement  sur  cette  publication. 

Enfin,  plus  de  dix  ans  après  la  représentation  à'Orfeo  à 
Vienne,  Gluck,  de  plus  en  plus  hanté  par  ses  idées  de  révo- 
lution musicale,  vint  à  Paris,  qu'il  savait  être  le  champ  de 
bataille  où  il  triompherait  avec  le  plus  d'éclat.  Le  9  avril 
1774,  il  y  donna  Iphigénie  en  Aulide,  spécialement  composée 
pour  l'Opéra  (4).  Trois  mois  et  demi  après,  le  2  août,  un  se- 
cond ouvrage  témoignait  de  sa  prise  de  possession  définitive 
de  la  scène  lyrique  française,  et  cet  ouvrage  était  Orphée  et 
Eurydice,  traduit  et  adapté  par  Moline,  et  remanié  par  le  com- 
positeur en  plusieurs  de  ses  parties. 

Voici  quelle  fut  la  distribution  de  l'œuvre  lors  de  cette 
représentation. 

Orphée M.  le  Gros. 

Eurydice M^"  Arnould. 

L'Amour M"'  Rosalie  (S). 

(1)  H.  Bekuoz.  a  travers  chants,  p.  120. 

(2)  Il  n'y  eut  que  Marmontel  qui,  au  plus  fort  de  la  bataille,  osilt  juger  que 
«  l'opéra  d'Orphée  est  trop  dénué  dôchant  ii(Essaisur  les  révolutions  de  la  mvsigue  en 
France).  La  Harpe  lui-même  concède  que  «  M.  Gluck  est,  sans  doute,  un  homme 
de  génie,  puisqu'il  a  fait  Orphée,  »  ajoutant  qu'  "  h  l'exception  d'Orphée,  M.  Gluck 
semble  avoir  pris  à  tâche  de  bannir  le  chant,  etc  i,  et  qu'il  n'a  osé  risquer  en 
Italie  «  que  son  Orphée,  oii  il  y  a  de  la  musique.  "  Vcy.  Mémoires  pour  la  révolu- 
tion, etc.  pp.  159,  263,  2G5. 

(3j  D'après  le  manuscrit  original  d'Orfeo,  dramma  per  musica,  conservé  à  la 
Bibliothèque  Impériale  de  Vienne.  , 

(4)  Voy.  Mémoires  pour  la  Révolution,  etc.  pp.  105, 169  et  4"4.  —  DESNOiRESTEnEES 
Gluck  et  Piccini,  p.  51. 

(5)  Orphée  et  Eurydice  l.livTei),  MDCCLXXIV. 


Cette  fois,  le  succès  fut  universel  et  spontané.  L'interpré- 
tation fut  satisfaisante.  Sans  doute  Gluck  avait  eu  grand 
peine  à  initier  le  ténor  Le  Gros  à  la  méthode  expressive  et 
simple  suivant  laquelle  le  rôle  d'Orphée  doit  être  chanté  ;  il 
y  parvint  cependant,  et  fit,  du  même  coup,  réaliser  un  pro- 
grès inattendu  à  cet  artiste,  qui,  jusqu'alors,  en  vrai  ténor 
d'opéra,  n'avait  cherché  le  succès  que  dans  les  éclats  de  voix, 
et  avait  trouvé  fort  mauvais,  d'abord,  qu'on  voulût  l'obliger 
à  renoncer  à  ses  effets  préférés.  Il  ne  fit  que  gagner,  certes, 
à  modifier  son  talent  dans  le  sens  qui  lui  fut  imposé  par 
Gluck.  «J'avoue  qu'en  pensant  à  ce  que  la  musique  à.'Orphée 
a  fait  de  monsieur  Le  Gros,  je  serais  tenté  de  croire  que  la 
manière  du  chevalier  Gluck  est  en  effet  plus  animée  et  plus 
théâtrale  que  celle  des  autres  compositeurs  ».  Ainsi  parle  un 
des  personnages  qui  dialoguent  dans  h  Souper  des  enthousiastes, 
de  l'abbé  Arnaud  (1).  Pour  Sophie  Arnould,  elle  ne  retrouva 
pas  d'ans  le  rôle  d'Eurydice  le  succès  éclatant  qu'elle  avait 
obtenu  dans  Iphigénie  ;  de  là  commença  pour  elle  une  déca- 
dence qui  s'accentua  avec  la  troisième  œuvre  de  Gluck,  ^/ccs/p, 
dont  le  rôle  principal  ne  lui  fut  pas  donné,  mais  fut  confié  à 
l'artiste  qui,  dans  Orphée,  paraissait  au  second  plan,  Rosalie  Le- 
vasseur,  chargée  de  chanter  les  ariettes  de  l'Amour,  et  qui 
bientôt  allait  devoir  à  Gluck  la  révélation  d'un  talent  supé- 
rieur (2). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


Porte-Saini-Martin.  Jacques  Callot,  drame  à  spectacle  en  5  actes  et  6  tableaux, 
de  MM.  Henri  Gain,  Eug.  et  Ed.  Adenis,  musique  de  M.  Fr.  Le  Rey.- — 
Oi'KKA-CojilQLE.  Réouverture  avec  Orphée.  —  Variétés.  La  Vie  parisienne, 
opérette  bouffe,  de  MM.  Meilhac  et  Halévy,  musique  d'Offenbach. 

A  l'auberge  de  la  Poularde,  aux  environs  de  Nancy,  le  jeune 
Jacques  Callot,  qui  a  fui  la  demeure  paternelle,  mène  turbulente  vie 
au  milieu  d'une  bande  de  bohémiens  qu'il  régale,  insouciant,  de 
fastueux  soupers  impayés  à  l'aubergiste  et  dont  il  crayonne,  amou- 
reusement, les  truculents  accoutrements.  Mais  son  père,  de  par  la 
volonté  des  auteurs  maréchal  du  régiment  de  Lorraine  et  incons- 
cieul  de  l'avenir  artistique  de  Jacques,  n'entend  point  voir  mener 
à  son  fils  une  existence  aussi  déréglée.  Il  vient  le  relancer  et,  sans 
ambages,  lui  propose  ou  la  prison  pour  dettes  ou  le  mariage.  Jacques 
Callot  promet  d'épouser  sa  cousine  Blanche. 

Or,  Blanche  est  aimée  et  aime  le  meilleur  ami  de  Jacques,  qui. 
pour  ne  chagriuer  ni  l'un  ni  l'autre  et  fort  heureux  de  s'en  tirer  à  si 
bon  compte,  renonce  au  mariage.  Le  maréchal,  enlèlé  et  sévère,  ne 
veut  écouter  aucune  raison,  il  accuse  le  gamin  de  lâcheté,  et  celui-ci, 
fouetté  par  l'outrage,  s'enrôle  dans  un  des  bataillons  de  son  père 
qui  va  guerroyer  en  Valteline  contre  les  Impériaux.  11  est  réclamé 
par  le  capitaine  de  Garriel,  qui,  je  vous  en  préviens  de  suite,  est  le 
traître  de  l'affaire. 

Jacques  Callot  se  bat  comme  un  jeune  lion;  séduit  par  le  superbe 
panache  d'un  colonel  ennemi,  il  le  fait  prisonnier  et  est  nommé 
sergent.  Cependant,  un  soir,  après  la  retraite,  il  garde  auprès  de  lui 
la  petite  Ridza,  une  gentille  amie  des  jours  d'escapade,  qui,  avec  la 
bande  des  bohémiens,  rencontre  en  Italie  l'armée  française.  Le 
capitaine  Garriel  surprend  le  télé  à  tète  et,  pour  venger  une  leçon 
que  lui  infligea  jadis  le  jeune  homme,  le  pousse  tellement  à  bout  que 
Jacqaes  Callot  porte  la  main  sur  lui. C'est  la  mort  pour  le  soldat  rebelle. 

(1)  Mémoires  pour  ta  Révolution,  etc.,  p.  50.  —  Voir  aussi,  sur  le  succès  de 
Le  Gros  dans  Orphée,  les  comptes  rendus  du  Mercure  de  France,  reproduits 
ci-après. 

(2)  Ces  remaniements  dans  la  classification  établie  des  emplois  à  l'Opéra, 
exécutés  sous  l'infl  uence  de  Gluck,  ne  furent  pas,  on  le  pense  bien,  sans  causer 
de  nombreux  raécontements,  soit  parmi  les  intéressés,  privés  d'un  droit  qu'ils 
croyaient  acquis,  soit  dans  une  certaine  partie  du  public,  dont  on  changeait 
les  habitudes.  C'est  ainsi  que  Sophie  Arnould,  »  qui  a  eu  tant  d'obligations  au 
rôle  ji'Iphigénie,  et  à  qui  tous  les  autres  rôles  ont  tant  d'obligation  -,  comme 
l'écrivait  galamment  un  gluckiste,  ne  manqua  pas  d'accabler  de  ses  sarcasmes 
l'ancienne  camarade  qui  avait  pris  sa  place  au  premier  rang.  Citons  aussi 
cette  critique  prêtée  aux  amateurs  amis  de  l'ancien  ordre  des  choses  :  «Quelle 
idée  peut-on  avoir  d'un  genre  de  musique  où  M"°  Arnould,  par  exemple,  n'est 
plus  la  première  actrice,  où  M.  Le  Gros  perd  tous  les  avantages  de  sa  belle  voix, 
puisqu'il  n'a  ni  cadence  à  faire, ni  sons  prolongés  à  soutenir?..  >  Voy.,  Mémoires 
pour  la  révolution,  etc.,  pp.  50  et  233.  —  DESNOiRESTEniiES,  Gtuck  et  Piccini,  p.  142. 


LE  MÉNESTREL 


299 


Et  le  maréchal,  consulté,  ne  peut  el  ne  veut  faire  flécliir  la  discipline 
militaire  en  faveur  de  son  fils.  En  attendant  qu'on  le  juge,  Jacques 
est  enfermé  prisonnier  dans  un  vieux  moulin  d'où,  à  l'aide  des  ailes 
tournantes,  les  braves  bohémiens  le  font  évader. 

Pourchassé,  errant,  escorté  de  ses  loqueteux  amis,  le  hasard  lui 
fait  apprendre  que  ce  Garriel,  cause  de  son  malheur,  est,  dans  les 
rangs  français,  à  la  solde  de  l'ennemi  et  qu'il  trahit  autant  qu'il  le 
peut.  Grâce  à  l'aide  de  ses  compagnons  et  au  dévouement  de  la  petite 
Ridza,  les  complots  de  l'iufàme  sont  déjoués,  les  régiments  de 
France  et  de  Lorraine  battent  à  plate  couture  les  Impériaux  dans  les 
environs  de  Sondrio,  et  Jacques  Gallot,  sauveur  de  la  patrie,  est 
pardonné  par  son  père.  Il  épousera  même  Ridza  et  pourra  retourner 
à  ses  chers  crayons,  qui  en  firent  l'une  de  nos  gloires  nationales. 

Tel  est  fort,  succinctement  narré,  ce  drame  nouveau  que  le  public 
de  la  Porte-Saint-Martin  a  accueilli  très  chaudement.  Se  réclamant 
avant  tout  de  la  manière  d'Alexandre  Dumas  père,  MM.  Henri  Gain, 
Eug.  et  Ed.  Adenis  ont  tenu  à  faire  simple,  vivant  et  amusant,  et  ils 
y  ont  pleinement  réussi.  Si,  dans  Jacques  Callot,  il  y  a  telles  scènes, 
comœe  celles  de  l'enrôlement  et  celle  de  la  révolte  de  Jacques  contre 
son  supérieur,  qui  sont  de  parfait  théâtre,  ce  qu'il  faut  retenir  avant 
tout  de  ces  cinq  actes  c'est  la  bonne  humeur,  la  franchise,  le  sens 
du  mouvement  et  le  pittoresque  avec  lequel  ils  ont  été  composés.  Ce 
sont,  aujourd'hui,  qualités  assez  rares  pour  qu'on  y  applaudisse  de 
tout  cœur  quand  ou  a  la  chance  de  les  rencontrer. 

De  la  nombreuse  distribution,  il  faut  mettre  hors  de  page  M.  Coque- 
lin,  superbe  de  verve,  de  finesse  et  d'adresse,  en  un  personnage 
épisodique  dont  il  a  su  tirer  un  étourdissant  parti.  A  côté  de  lui,  on 
a  fait  fête  à  M.  Gauthier,  plein  de  chaleur  juvénile  en  Jacques  Callot, 
et  à  M.  Jean  Coquelin,  qui  a  délicieusement  composé  la  figure  sym- 
pathique d'un  vieux  précepteur.  Il  faut  nommer  encore  MM.  Péricaud, 
Segond,  Prad,  M"°*  Dauphin,  Ker-wich  et  Miroir,  et  ces  étonnants 
Price,  dont  l'un,  M.  James  Priée,  dans  un  rôle  d'ours  d'importance  et 
déjà  populaire,  est  absolument  étonnant  de  vérité. 

Fort  jolie  mise  en  scène,  et  gros  effet  pour  le  truc  original  du  mou- 
lin de  Lugano,  qu'on  applaudit  autant  que  les  auteurs  et  les  inter- 
prètes. Bref,  un  succès  auquel  contribue,  pour  sa  petite  part,  la  mu- 
sique de  M.  Le  Rey. 

L'Opéra-Gomique,  en  suite  des  dégâts  causés  par  le  cyclone  de  la 
semaine  dernière,  a  dû  rouvrir  ses  portes  avec  un  jour  de  retard  sur 
l'époque  primitivement  fixée.  C'était  Orphée  qui  faisait  les  frais  de  ce 
premier  spectacle,  donné  devant  une  salle  absolument  comble  qui 
n'a  ménagé  ses  applaudissements  ni  à  M'"'  Delna,  dont  la  voix  mer- 
veilleuse et  les  accents  tragiques  ont  soulevé  tout  le  public,  ni  à  l'or- 
chestre très  fin  de  M.  Daubé.  M"'  Marignan  en  Eurydice,  M""  Laine 
en  Ombre  heureuse,  et  M'"  Tiphaine,  peu  à  sa  place,  semble-t-il, 
sous  le  travesti  de  l'Amour,  ont  diversement  contribué  au  bon  en- 
semble de  cette  fort  belle  représentation. 


Aux  Variétés,  reprise  de  la  Vie  parisienne.  Offenbach  !  OfTenbach  I 
Et  en  écoutant  cette  musique  endiablée,  spirituelle,  délicate,  on  ou- 
blie que  la  pièce  de  MM.  Meilhao  et  Halévy  date  du  beau  temps  de 
l'Empire,  et  que,  dame  1  elle  commence  à  avoir  les  allures  d'une 
bonne  vieille  dame  en  crinoline,  et  on  n'a  pas  davantage  le  courage 
de  reprocher  aux  interprètes  femmes  des  Variétés  de  manquer  de 
brio  et  de  chic.  Je  m'en  voudrais,  cependant,  de  ne  point  signaler 
l'aimable  façon  dont  M'"  Méaly  a  chanté  sa  tyrolienne.  Les  hommes 
demeurent  plus  dans  le  ton,  surtout  cet  étonnant  Albert  Brasseur  et 
le  tonitruant  M.  Baron.  Peut-on  demander  à  M.  Guy,  qui  a  une  très 
heureuse  nature  personnelle,  pourquoi  il-  s'est  tant  appliqué  à  si 
bien  marcher  dans  les  souliers  de  M.  Dupuis  ?  N'empêche,  on  ira  en- 
tendre la  partition  d'Offenbach,  et  on  ne  perdra  certes  pas  sa  soirée, 

Paul-Émile  Chevauer. 


LE    THÉÂTRE-LYRIQUE 


iriFORMATIONS  —    IMPRESSIOiNS 


Nous  sommes  à  la  veille  des  séances  du  conseil  municipal,  oîi  le 
sort  du  Théâtre-Lyrique  va  se  décider.  Tout  ce  que  nous  avons  trouvé 
à  dire,  nous  l'avons  dit  ici,  en  faveur  de  cette  fondation,  à  la  fois 
d'utilité  publique  et  d'utilité  artistique. 

On  ne  compte  plus  les  candidats  à  la  direction  de  ce  théâtre  encore 


à  naître.  Il  faut  se  placer  maintenant  au-dessus  des  personnalités  que 
l'on  désigne,  si  intéressantes  qu'elles  puissent  être  et  que  réelle- 
ment elles  soient,  pour  considérer  avant  tout  le  principe  qui  va  pré- 
sider à  la  création  du  Théâtre-Lyrique  municipal.  Si  un  vote  de  nos 
conseillers  consacre  l'idée  de  cette  création,  sous  quelle  forme  en 
lira-t-on  le  résultat  dans  le  Bulletin  officiel?  Les  destinées  de  ce  théâ-  ■ 
Ire  seront-elles  confiées  à  une  entreprise  privée  ?  Sera-t-il  régi  pour 
le  compte  de  la  Ville  ? 

Voici  la  formule  qui  nous  semble  répondre  le  mieux  aux  exigences 
de  la  situation  et  au  prudent  souci  de  l'avenir  d'une  œuvre  tant  de  fois 
remise  en  question.  Ce  n'est  ici  qu'une  conception  idéale.  Convena- 
blement amendée,  ne  pourrait-elle  devenir  une  avantageuse  réalité? 
Nous  donnons  à  grands  traits,  vaille  que  vaille,  cet  avant-projet,  ce 
programme,  qui  aura  ses  contradicteurs,  mais  certainement  aussi  ses 
défenseurs. 

FONDATION   d'uN 

THÉÂTRE-LYRIQUE  MUNICIPAL 

Il  est  créé,  par  la  Ville  de  Paris,  un  Théâtre-Lyrique  municipal 
destiné  à  la  vulgarisation  des  chefs-d'œuvre  de  la  musique  dramati- 
que et  à  la  production  d'ouvrages  nouveaux  de  compositeurs  français. 
Son  répertoire  se  composera  des  œuvres  anciennes  tombées  dans  le 
domaine  public  ou  qui,  non  représentées  depuis  un  certain  nombre 
d'années  à  l'Opéra  ou  à  l'Opéra-Gomique,  seront  obtenues  de  leurs 
auteurs  ou  des  ayants  droit  de  ces  derniers. 

Ce  répertoire  s'augmentera  annuellement  des  œuvres  nouvelles  dues 
aux  auteurs  français  parmi  lesquels  l'administration,  sans  esprit 
d'exclusion  d'ailleurs,  s'efforcera  de  mettre  en  valeur  les  compositeurs 
lauréats  de  la  Ville  de  Paris  et  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  à  qui 
manque  communément  la  facilité  de  se  produire  en  public,  nonobs- 
tant leurs  succès  dans  les  concours  et  le  brevet  obtenu  de  la  Ville 
ou  de  l'État. 

Des  auditions  d'œuvres  non  dramatiques,  avec  ou  sans  paroles, 
pourront  alterner  ou  se  combiner  avec  les  représentations  consacrées 
à  la  musique  dramatique.  Ces  auditions  permettront  de  faire  connaî- 
tre au  public  les  grandes  œuvres  symphoniques  de  l'école  française 
et,  complémenlairement,  des  écoles  étrangères. 

Lb  Théâtre-Lyrique  municipal  constituera  ainsi  une  sorte  de  mu- 
sée musical  rétrospectif  pour  l'enseignement  général  et  d'exposition 
annuelle  pour  les  œuvres  inédites  des  compositeurs  nationaux. 

Une  école  professionnelle  pour  les  choristes,  fera  partie  des  ser- 
vices du  nouveau  théâtre.  L'enseignement  y  sera  donné  par  des 
professeurs  spéciaux.  Des  concours  périodiques  y  auront  lieu  pour  le 
recrutement  des  chœurs,  dont  le  premier  groupe,  au  moment  de 
l'organisation  des  services,  sera  constitué  également  par  voie  de  con- 
cours. 

Le  Théâtre-Lyrique  municipal  sera  installé  dans  l'un  des  immeu- 
bles appartenant  à  la  Ville  de  Paris. 

Il  ne  sera  accordé  aucune  subvention  fixe  pour  l'exploitation  de 
ce  théâtre. 

La  direction  en  sera  rattachée  aux  services  de  la  Ville,  section  des 
Beaux-Arts,    et    une   somme  à   déterminer   sera  inscrite  au  budget 
annuel,  pour  les  frais  de  cette  direction. 
L'administration  du  théâtre  comprendra  : 

1»  Une  direction  artistique  responsable.  Tout  le  personnel  profes- 
sionnel du  théâtre  sera  organisé  et  nommé  parles  soins  de  ce  direc- 
teur. 

2°  Un  administrateur  comptable  et  ses  agents,  nommés  par  la 
Ville  de  Paris. 

Le  directeur  et  le  comptable  auront  à  fournir  un  cautionnement 
en  rapport  avec  l'importance  des  fonds  dont  le  maniement  sera  re- 
connu nécessaire  pour  le  fonctionnement  courant  des  services. 

Nulle  dépense  ne  sera  engagée  ni  soldée  sans  l'autorisation  et  le 
visa  du  directeur  responsable. 

Une  commission  supérieure  sera  chargée  d'examiner  les  proposi- 
tions du  directeur  en  vue  de  l'exploitation  du  théâtre  et  les  opéra- 
tions du  comptable. 

Elle  pourra  se  subdiviser  en  deux  sous-commissions,  l'une  artis- 
tique,   l'autre  financière,  dont  la  réunion  formera  commission  plé- 
nière. 
La  commission  plénière  se  réunira  tous  les  mois,  du  10  au  13. 
Les  comptes  de  la  gestion  du  théâtre,  pendant  le  mois  précédent, 
devront  être  présentés  à  son  approbation,  avec  pièces  à  l'appui. 

Les  sommes  provenant  d'un  excédent  de  recettes  seront  versées  à 
la  caisse  de   la  Ville.  A   cette  même  caisse  seront  acquittées  toutes 
'  les  dépenses  autorisées,  dont  l'importance  atteindra  un  certain  chif- 
I  '  fre  à  déterminer. 


300 


LE  MENESTREL 


Dans  le  cas  où  les  opérations  du  mois  feraient  eonslator  un  excé- 
dent de  dépenses,  la  différence  serait  soldée  au  moyen  d'un  ordon- 
nancement sur  le  crédit  ouvert  au  budget. 

Dans  cette  séance  mensuelle,  la  commission  examinera  les  propo- 
sitions da  directeur  relatives  au  répertoire  courant  et  les  dépenses 
engagées  ou  à  engager  pour  le  service  de  ce  répertoire. 

Le  directeur  aura  une  complète  initiative  en  ce  qui  concerne  le 
choix  des  œuvres  à  monter.  Mais  il  devra,  pour  chacune  d'elles, 
dresser  et  faire  approuver  par  la  commission  le  devis  des  dépenses 
qu'elle  exigera,  lesquelles  devront  rester  proportionnées  aux  ressour- 
ces budgétaires. 

Il  aura  toute  liberté  pour  reprendre,  en  temps  opportun,  les  œuvres 
déjà  inscrites  au  répertoire  et  dont  le  matériel  sera  disponible,  comme 
pour  en  produire  de  nouvelles  en  utilisant  le  matériel  existant;  il 
aura  par  conséquent  le  droit  d'employer,  pour  une  pièce  nouvelle, 
les  décors  et  le  matériel  ayant  déjà  servi  pour  un  autre  ouvrage. 

Tout  ce  qui  a  trait  aux  décors  et  aux  costumes  de  service  courant 
ou  de  premier  établissement  sera  également  à  autoriser  sur  devis. 

En  vue  de  l'organisation  définitive  des  services,  préalablement  à 
toute  mise  en  train  de  l'exploitation  du  Théâtre-Lyrique  municipal, 
le  directeur  nommé  devra  établir  le  budget  fondamental  dv,  théâtre, 
en  tablant  sur  une  exploitation  de  dix  mois  au  minimum. 

Seront  prévues  au  budget  les  recettes  à  provenir  des  recettes 
moyennes  que  le  nombre  et  le  prix  des  places  doivent  permettre  de 
réaliser  et  les  dépenses  nécessitées  par  l'exploitation  dont  le  carac- 
tère hautement  artistique  devra  se  maintenir  digne  d'une  institution 
créée  et  entretenue  par  la  Ville  de  Paris. 

Ces  dépenses  seront  aussi  minutieusement  détaillées  que  faire  se 
pourra.  Un  des  articles  s'appliquera  aux  frais  à  prévoir  pour  une 
série  de  représentations  gratuites,  indépendamment  des  représenta- 
tions à  prix  réduit,  qui  ne  doivent  pas  être  onéreuses  pour  le  budget. 
(Pour  ces  représentations  gratuites,  des  billets  seront  distribués 
d'avance,  par  les  soins  de  la  municipalité,  dans  les  écoles,  institutions 
et  ateliers.  Les  places  disponibles  après  cette  distribution  seront 
occupées  par  les  premiers  arrivants  aux  guichets  du  théâtre.  Un  avis 
affiché  en  indiquera  le  nombre  pour  épargner  aux  derniers  venus  une 
attente  inutile). 

Après  l'adoption  de  ce  budget,  la  date  de  l'ouverture  du  théâtre 
sera  fixée  et  le  personnel  de  tout  ordre  entrera  immédiatement  en 
fonctions. 

En  fin  d'année,  un  compte  financier  général  sera  produit  et  fora 
ressortir  nettement  le  résultat  de  la  gestion,  qui  ira  du  l"  janvier  au 
31  décembre,  replaçant  ainsi  le  commencement  de  la  saison  théâ- 
trale au  début  réel  de  l'exercice. 

La  durée  de  la  première  année  pourra  être  réduite  à  huit  on  six 
mois  d'exploitation  effective,  si  la  date  tardive  à  laquelle  une  réso- 
lution exécutoire  pourra  être  prise  et  le  budget  voté  exige  cette 
réduction. 

Le  directeur  recevra  des  appointements  fixes,  dont  le  chiffre  est 
à  déterminer,  et  des  remises  sur  les  bénéfices  qui  pourraient  être 
constatés  à  la  fin  de  l'exercice  annuel. 

Le   comptable  recevra  uu   traitement  fixe    et   une  indemnité    de 

caisse. 

Les  autres  employés  de  tout  ordre  recevront  des  appointements  fixes. 

La   section  des  Beaux-Arts  de  la  Ville  de  Paris  restera   chargée 

d'assurer  ou  de  surveiller  l'exécution  des  décisions  prises  en  ce  qui 

concerne  la  fondation  du  Théâtre-Lyrique  municipal. 

Il  s'agit,  en  un  mot,  en  cet  exposé,  d'une  régie  administrative  qui 
doit,  avant  tout,  sauvegarder  les  intérêts  de  l'art  et  ne  pas  faire  du 
Théâtre  Lyrique  municipal  une  exploitation  commerciale  indivi- 
duelle. 

Il  y  aura,  répétons-le,  beaucoup  de  récriminations  contre  un  tel 
projet,  beaucoup  d'arguments  personnels.  Il  est  possible  que  sa 
réalisation  coûte  un  peu  plus  à  la  Ville  qu'une  subvention,  qu'elle 
est  disposée  à  donner;  il  est  possible  également  qu'elle  lui  coûte 
beaucoup  moins.  C'est  affaire  d'habileté,  de  prudente  gestion...  et 
de  chance.  Mais,  on  peut  dire  de  Paris  ce  qu'on  a  dit  de  la  France, 
qu'il  est  assez  riche  pour  payer  sa  gloire. 

Et  il  vaudrait  mieux  que  le  Théâtre-Lyrique  ne  fût  pas,  que  si, 
cette  fois  encore,  il  devait  être  dans  les  conditions  aventureuses  où, 
naguère,  sa  restauration  fut  entreprise. 

Une  nouvelle  tentative  avortée  le  replongerait,  pour  toujours  peut- 
être,  dans  le  néant.  Mais  jamais  l'occasion  ne  fut  aussi  belle  pour 
donner  à  la  Ville  de  Paris  le  luxe  et  l'honneur  d'un  théâtre  bien 
à  elle. 

Louis  Gallet. 


MUSIQUE    ET    PRISON 


PRISONS   POLITIQUES   MODERNES 

m 

(Suite) 

Un  chanlour  popuhiiro,  que  ses  couplets  patriotiques,  non  moins 
que  ses  opinions  réactionnaires,  avaient  depuis  longtemps  désigné 
iiux  proscriptours,  contribua  de  tout  son  pouvoir  à  cet  entraînement 
musical.  Ange  Pitou  (car  c'est  lui  que  nous  mettons  en  scène)  nous 
apprend,  dans  quelques  pages  de  son  Voyage  à  Cayeniie,  comment  il 
jouait  son  rôle  et  l'impression  bienfaisante  qu'eu  éprouvaient  ses 
compagnons  d'infortune. 

A  peine  le  vaisseau  qui  les  emporte  a-t-il  gagné  la  pleine  mer, 
qu'Ange  Pitou  fait  appel  à  sa  verve  d'aulau  pour  les  égayer  aux 
dépens  du  vainqueur.  Il  date  le  jour  et  l'heure  de  cette  première  ma- 
nifestation, écrite  en  couplets  do  vaudeville. 

4  mai  1798. 
Ce  matin  nous  formons  tous  un  cercle  dans  les  batteries,  en  chantant 
avec  attendrissement  ces  paroles  qui  tirent  une  grande  partie  de  leur  mé- 
rite de  la  circonstance  : 

Air  :  Sous  la  pente  d'une  treille. 

Pour  la  Guiane  française 

Nous  mettons  la  voile  au  vent, 

Et  nous  voguons  à  notre  aise 

Sur  le  liquide  élément. 

L'Etat  qui  nous  a  vus  naître, 

Comme  nous  chargé  de  fers, 

A  nos  yeux  va  disparaître 

Dans  l'immensité  des  mers. 

Mais  les  dieux  ont  quelque  empire 
Contre  l'ordre  du  Soudan, 
Et  le  pilote  déchire 
L'arrêt  de  mort  du  divan. 
N'importe  sur  quel  parage 
Le  Ciel  fixe  nos  destins 
Nous  sortons  du  plus  sauvage. 
De  celui  des  Jacobins. 

Arrivés  à  destination,  les  déportés  continuent  leurs  concerts.  Il  est 
tel  morceau,  les  Regrets  de  David  à  la  mort  de  Bethsabée,  par  exemple,  qui 
leur  fait  réaliser  les  miracles  attribués  par  la  Fable  au  divin  Orphée  : 
«  Nous  arrachions  des  larmes  au\  sauvages,  dit  Ange  Pitou,  quand 
nous  le  chantions  sur  le  bord  de  la  mer.  L'écho  des  forêts  et  des 
montagnes  lui  donnait  quelque  chose  de  mélodieux  et  les  cultiva- 
teurs quittaient  leurs  travaux  pour  nous  écouter  ». 

C'était  assurément  la  musique  qui  opérait  ces  prodiges;  car,  n'en 
déplaise  à  notre  chansonnier,  qui,  sans  nommer  l'auteur,  ajoute  :  «  je 
me  croirais  poète  si  j'eusse  fait  les  couplets  »,  lesdits  couplets  sont 
d'une  platitude  désespérante. 

Chez  un  autre  fructidorisé,  Barbé-Marbois,  le  sentiment  musical  se 
développe  avec  plus  d'ampleur. 

Cet  ancien  intendant  de  Saint-Domingue  sous  la  monarchie  était 
président  du  Conseil  des  Anciens  pondaut  le  Directoire,  Ses  attaches 
bien  connues  avec  le  parti  royaliste  lui  valurent  d'être  compris  parmi 
les  victimes  du  coup  d'État;  cl  son  «  Journal  d'un  déporté  non  jugé  » 
nous  fournit  de  précieux  détails  sur  leur  séjour  à  Cayenne  et  à 
Sinuamari. 

Tous  ceux  que  la  fièvre  ne  condamnait  pas  h  grelotter  dans  leur 
hamac  s'ingéniaient  à  chercher  une  occupation  quelconque.  Barbé- 
Marbois,  qui  avait  la  passion  de  la  musique  et  ne  pouvait  la  satisfaire, 
s'avisa  de  suppléer  par  sou  industrie  à  l'insuffisance  des  moyens 
d'exécution.  Il  fabriqua  donc  lui-même  uu  violon;  mais  il  ne  parait 
pas  que  ce  premier  essai  fût  un  coup  de  maître.  Car,  un  de  ses  voi- 
sins, virtuose  à  ses  heures,  ayant  aperçu  dans  la  case  de  Barbé  le 
prétendu  violon,  s'en  saisit  et  voulut  en  jouer.  Mais  presque  aussitôt 
il  le  rejeta  de  dépit  en  s'écriant  :  —  Quel  est  donc  le  sauvage  qui  a 
construit  uu  pareil  instrument? 

Des  témoins  qui  assistaient  à  la  scène  prétendent  que  le  voisin  de 
Barbé  avait  dit  sabot,  et,  de  fait,  le  violon  en  avait  la  forme. 

Cet  échec  ne  découragea  pas  notre  luthier  improvisé,  qui  se  remit 
à  la  besogne  et  ne  tarda  pas  à  confectionner  un  autre  instrument, 
dout  il  avait  vu  le  modèle  à  Philadelphie. 

Je  dressai  au  rabot,  dit-il,  une  planche  de  trois  pieds,  large  de  huit 
pouces;  je  collai  des  chevilles  à  deux  pouces  de  chaque  extrémité,  et  j'y 
adaptai  huit  cordes  de  boyau  et  autant  de  fds  de  laiton  ;  des  chevilles  ser- 
virent à  les  accorder.  La  lyre  fut  suspendue  verticalement  entre  deux  volets 
à  demi  ouverts. 


LE  MÉNESTREL 


301 


Je  ne  connais  point  d'harmonie  aussi  suave  que  celle  qui  est  produite 
par  radiation  d'une  brise  légère,  lorsque,  pénétrant  dans  mon  cabinet, 
elle  agite  mollement  à  son  passage  cet  instrument  si  bien  nommé  harpe 
(ÏÉole.  Le  moindre  vent  lui  sulTit.  Mon  oreille  n'a  point  àsouffrir  des  bat- 
tements de  langue  nécessaires  à  la  Hùte  :  il  n'y  a  ni  poumons,  ni  lèvres 
en  travail  pour  mon  plaisir,  point  d'archet  enrésiné,  point  de  touches 
ou  de  pédales,  et  je  n'entends  pas  le  bruit  de  ces  soufflets  sans  lesquels 
l'orgue  est  muet. 

Il  est  vrai  que  le  musicien  à  qui  je  dois  mes  nouveaux  plaisirs  est  capricieux 
comme  pourrait  l'être  un  rossignol.  Il  se  lait  au  moment  où  je  jouis  le 
plus  de  l'entendre;  mais,  aimable  jusque  dans  ses  fantaisies,  il  reprend 
son  chant  quanl  je  n'y  pense  plus. 

Toulefûis,  les  mol'es  vibrations  qui  se  dégagent  de  la  harpe  éolieane 
ne  tardèrent  pas  à  devenir  monotones  à  notre  dileltanle.  Le  souille 
inconscient  de  la  brise  peut-il  souteuir  la  comparaison  avec  la  muse 
inspiratrice  de  l'artiste,  dont  la  main  ou  les  lèvres  sont  les  fidèles  et 
intelligents  interprèles?  Barbé-Marbois  avait  le  sens  des  harmonies  de 
la  nature,  il  savait  les  analyser,  mais  il  leur  préférait,  non  sans  raison, 
les  émotions  plus  variées  que  donnent  les  créations  de  l'art  humain. 
Il  s'en  explique  assez  plaisamment  : 

Depuis  deux  ans,  dit-il,  je  n'avais  entendu  aucun  instrument  de  musique; 
mes  oreilles  étaient  fatiguées  du  chant  ingrat  des  pintades,  et,  toutes  les 
nuits,  les  chœurs  discordants  des  singes  rouges  troublaient  mon  sommeil; 
leurs  cris  sont  soutenus  par  le  râle  des  énormes  crapauds  qui,  en  se  gon- 
llant,  élancent  du  fond  des  marais  un  son  grave  assez  semblable  à  celui 
des  serpents  de  cathédrale;  les  pipeaux  mélancoliques  des  sauvages 
m'étaient  devenus  importuns. 

Déjà  il  en  avait  déterminé  la  noiation  :  «  Les  Galibis,  dit-il,  n'ont 
que  quatre  Ions  et  ils  n'en  ont  pas  varié  l'emploi.  J'ai  entendu  leurs 
flûtes  à  Sinnamari,  à  Iracoubo  et  à  Cayenne.  Une  seule  phrase,  qui 
dure  quelques  secondes,  compose  toute  leur  musique.  » 

Aussi  quel  ne  fut  pas  le  ravissement  de  l'exilé,  lorsque,  un  matin, 
ses  oreilles  furent  frappées  du  son  mélodieux  de  deux  flûtes  traver- 
sières,  les  premières  peut-être  qui  eussent  résonné  dans  le  canton  : 

C'était  à  deux  déportés,  assez  bons  musiciens,  que  je  devais  cette  jouis- 
sance inattendue;  iU  exécutaient  des  airs  que  je  connaissais.  Je  suspendis 
mon  travail  pour  les  écouter  :  je  me  rappelai  les  beaux  opéras  d'Italie, 
les  magnifiques  symphonies  d'Allemagne,  les  concerts  de  Paris.  Au 
souvenir  des  pianos  harmonieux  et  des  harpes  aux  accords  célestes,  je 
revins  sur  les  songes  brillants  de  ma  jeunesse,  et  plein  d'une  émotion  dont 
la  douceur  laissait  peu  de  place  aux  regrets,  je  joignis  dans  ces  déserts 
mes  chants  à  ceux  que  j'entendais. 

Ce  mirage  de  la  musique  avait  peuplé  les  solitudes  de  la  Guyane 
de  l'image  de  la  France...  Mais,  comme  tous  les  mirages,  celui-ci 
s'évanouit  rapidement,  et  quoi  qu'en  dise  Barbé-Marbois,  «  laissa  la 
place  aux  regrets  ».  Aussi,  le  jour  où  la  patrie  lui  rouvrit  ses  poites, 
le  déporté  ne  fut-il  pas  des  derniers  à  quitter  la  terre  d'exil  :  il  devait, 
à  vrai  dire,  retrouver  sur  le  sol  natal  de  larges  et  lucratives  compen- 
sations. 

La  seconde  République,  aux  dernières  heures  de  son  existence,  eut 
aussi  ses  déportés  et  son...  Ange  Pitou.  Le  lendemain  du  Deux-Dé- 
cembre, un  fabuliste  déjà  célèbre,  Pierre  Lachambeaudie,  fut  arrêté  et 
jeté  sur  le  Duguesdin,  qui  était  en  partance  pour  Cayenne. 

Sa  douce  sérénité  et  sa  bonhomie  souriante  ne  se  démentirent  pas 
un  seul  instant.  Il  égayait  ses  compagnons  d'infortune  et  les  matelots 
par  les  chansons  qu'il  composail.  On  comprit  enfin  que  ce  philosophe 
humanitaire,  poète  naïf  et  rêveur,  prédioant  attardé  d'un  socialisme 
inofl'ensif,  n'était  pas  si  dangereux  pour  l'ancien  monde  qu'il  fallût 
l'envoyer  au  nouveau.  M.  de  Persigny,  qui  le  protégeait,  fit  commuer 
en  bannissement  la  peine  de  la  déportation;  et  Lachambeaudie  put 
se  retirer  à  Bruxelles. 

A  la  mémo  époque,  un  autre  vaincu  du  Deux-Décembre,  le  journa- 
liste RibeyroUes,  moins  heureux  que  le  poète,  faisait  partie  d'un 
convoi  considérable  de  condamnés  qui  fut  transporté  en  Algérie. 
L'es-rédacteur  de  la  Réforme  reconnaît,  dans  ses  Souvenirs,  que  la  mu- 
sique aida  ses  compagnons  et  lui  à  supporter  vaillamment  les  épreuves 
de  ce  pénible  exil.  Ils  cheminèrent,  par  l'Algérie,  jusqu'au  camp 
d'Aïn  Sultan,  chantant  tout  le  long  de  la  route  des  hymnes  patrioti- 
ques, et  plus  particulièrement  le  répertoire  de  Pierre  Dupont,  le 
Tyrtée  de  la  seconde  République. 

La  troisième  suivit  l'exemple  de  ses  aînées;  mais,  avant  de  rap- 
peler ces  jours  de  tristesse  ot  de  deuil,  remontons  pour  quelques 
instants  des  terres  brûlées  par  le  soleil  aux  régions  glacées  par  les 
rigueurs  de  l'hiver.  Nous  y  recueillerons  une  impression  musicale 
d'une  certaine  originalité,  dans  ces  climats  désolés  où  le  gouverne- 
ment russe  relègue  ses  détenus  politiques. 

Des  Français  et  des  Italiens  —  des  peuples  frères  en  ce  temps-là, 


—  compromis  dans  la  dernière  insurrection  polonaise  de  1863,  avaient 
été  condamnés  à  la  dépsrtalion  en  Sibérie. 

Le  convoi,  parti  de  Varsovie,  était  péniblement  arrivé  à  Vilikota, 
un  village  de  la  frontière  asiatique.  L'officier  commandant  le  poste 
invita  Emile  Andreoli,  l'auteur  du  Journal  à  qui  nous  devons  ces 
détails,  à  lui  rendre  visite  avec  ses  compaguons  d'infortune.  Il  avait 
engagé,  pour  la  circonstance,  deux  ou  trois  popes  curieux  de  connaî- 
tre des  Français  qu'ils  n'avaient  jamais  vus,  encore  plus  surpris  que 
les  condamnés  n'appartinssent  pas  à  la  religion  grecque. 

L'otficier,  qui  avait  singulièrement  fêté,  ce  jour-là,  les  liqueurs 
fortes,  raisonnait,  ou  plutôt  déraisonnait  surtout  à  perta  de  vue. 

—  Napoléon,  disait-il  à  ses  nouveaux  administrés,  vient  de  rem- 
porter une  grande  victoire  sur  les  Italiens,  et  Cavour  a  sollicité  votre 
délivrance. 

Là-dessus,  popes  et  soldats  de  chanter  un  cantique  d'actions  de 
grâces. 

—  A  votre  tour,  maintenant,  dit  le  gouverneur  aux  prisonniers. 
Ceux-ci,   sans  se  faire  autrement  prier,    entonnent,,  les  uns  l'air 

italien  Sopran  le  tombe,  et  les  autres  la  Marseillaise. 

L'opposition  de  ces  chants  de  difl'érentes  nationalités  était  réelle- 
ment saisissante. 

L'ivrogne,  qui  les  accompagnait  de  la  tête,  en  parut  visiblement 
charmé. 

—  Allons,  dit-il,  je  suis  content  de  vous:  vos  hymnes  n'attaquent 
ni  notre  Dieu,  ni  notre  empereur;  je  vous  remercie  et  j'entends  que 
nous  trinquions  ensemble. 

A  force  de  redoubler  les  rasades,  M.  le  gouverneur  ne  pouvait  plus 
se  tenir;  il  eut  cependant  encore  assez  de  lucidité  pour  faire 
knouter  des  Cosaques  qui  avaient  profité  du  concert  pour  voler  les 
déportés. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


NOUA^ELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (16  septembre).  —  Les  débuts,  à 
la  Monnaie,  de  M»'  Kutscherra  dans  Lohengrin  ont  été,  comme  on  y  s'atten- 
dait, «  sensationnels  »,  tout  au  moins  par  la  foule  qu'ils  avaient  attirée, 
l'intérêt  qui  s'y  attachait  et  les  discussions  auxquelles  ils  ne  pouvaient 
manquer  de  donner  lieu.  Une  interview  de  l'artiste,  publiée  quelques  jours 
auparavant  dans  un  journal  quotidien,  nous  avait  appris  quel  désir  avait 
M"«  Kutscherra  de  se  voir  vengée  par  le  public  bruxellois  «  si  connaisseur, 
avait-elle  dit  au  reporter,  si  différent  du  public  parisien  »,  de  la  «  vilenie  » 
dont  elle  fut  victime  à  l'Opéra,  —  victime  «  d'un  chauvinisme  stupide  », 
—  elle  qui  «  s'était  donné  la  tache  admirable  d'initier  la  France  (ingrate 
France!)  aux  beautés  de  l'art  wagnérien  »...  Ou  voit  que  M"«  Kutscherra  a 
vite  oublié  qu'elle  fut  applaudie  aux  concerts  Colonne  et  Lamoureux,  et 
que  c'est  ce  même  public  parisien  «  si  peu  connaisseur  »,  qui  fit  sa  répu- 
tation... Mais  voilà,  le  public  parisien  n'a  pas  eu  l'esprit  de  l'applaudir 
toujours,  et  alors,  vous  comprenez,  il  n'y  a  plus  que  le  public  bruxellois 
qui  pouvait  conserver  à  ses  yeux  la  chance  d'être  intelligent.  Je  crains 
fort  que  cette  chance  ne  soit  assez  mince.  Le  public  bruxellois  a  été  fort 
aimable,  samedi,  pour  la  nouvelle  Eisa,  «  révélatrice  »  de  Wagner;  mais 
l'admiration  est  loin  d'avoir  été  très  unanime.  On  a  trouvé  cette  nouvelle 
Eisa  extraordinairement  bien  portante,  réalisant  peu  le  type  rêvé,  si  poé 
tique,  si  frêle,  si  jeune,  ot  n'en  ayant  ni  la  plastique,  ni  surtout  la  voix, 
que  le  rôle  demande  pure,  fraîche,  sans  les  outrages  que  le  temps  peut  faire 
subir  à  un  organe  déjà  fort  surmené  par  de  précédentes  et  anciennes 
«  révélations  ».  Du  reste,  M"<^  Kutscherra  n'est  point  banale;  elle  a  de  la 
physionomie,  du  style,  de  l'autorité.  Le  tout  est  de  savoir  si  ces  qualités- 
là,  qui  sont  assurément  d'une  artiste,  feront  oublier  les  autres,  qu'elle  n'a 
pas,  notamment  une  articulation  nette  et  une  prononciation  compréhen- 
sible. —  A  côté  de  ce  début  nous  en  avons  eu  un  autre,  celui  de  M""  Gou- 
lancourt,  une  lauréate  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  élève  de  M""  Corné- 
lis-Servais,  dans  le  rôle  d'Ortrude.  Pour  être  plus  modeste,  M"=6oulancourt 
ne  s'est  pas  moins  fait  remarquer  très  avantageusement;  depuis  longtemps 
on  n'avait  plus  entendu  sur  la  scène  de  la  Monnaie  une  voix  aussi  riche, 
aussi  étendue,  et,  chez  une  débutante,  un  tempérament  aussi  accentué  et 
des  promesses  aussi  sérieuses.  Eufln,  M.  Imbart  de  la  Tour  a  confirmé, 
sous  le  casque  de  Lohengrin,  l'excellente  impression  qu'il  avait  produite 
dans  Samson.  C'est  décidément  un  chanteur  de  goût,  plein  de  distinction 
et  de  charme,  et  sa  jolie  voix,  au  timbre  velouté,  n'est  pas  incapable,  quand 
il  le  faut,  de  force  et  d'éclat.  L'ensemble  de  cette  reprise  de  Lohengrin  a  été 
bon.  Le  lendemain,  la  reprise  de  Lakméa.  fait  applaudir  à  nouveau  la  gra- 
cieuse M'"«  Landouzy,  et  par  la  même  occasion  les  débuts  d'une  nouvelle 
basse,  M.  Blancart,  qui  a  chanté  le  rôle  de  Nilakanta  très  convenablement, 
avec  une  voix  superbe.  L.  S. 

—  M.  F.-A.  Gevaert,  le  savant  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles, 


302 


LE  MENESTREL 


Tient  d'ajouter  à  son  ouvrage  sur  la  Mélopée  antique  dans  le  chant  de  l'Église 
latine  un  deuxième  appendice  consacré  notamment  au  nouvel  hymne  delphi- 
que  dont  le  texte,  tant  poétique  que  musical,  a  été  étaljli  par  IIM.  Alexandre 
"Weil  et  Théodore  Reinach.  Cet  ouvrage  avait  été  précédé  d'une  bro- 
chure sur  les  Oriijines  du  chant  liturgique  de  l'Eglise  latine  qui  provoqua  de 
■vives  discussions  dans  le  monde  religieux,  M.  Gevaert  s'étant  permis  de 
soumettre  à  une  critique  respectueusement  impitoyable  la  légende  qui 
attribue  au  pape  saint  Grégoire  le  Grand  la  paternité  de  l'Antiphonaire. 
Un  bénédictin  de  Maredsous,  dom  Morin,  moine  érudit  mais  passionné, 
fit  preuve  en  cette  affaire  d'une  sorte  d'acliarnement,  et  alors  que  le 
clergé  séculier  se  montrait  plus  clément,  le  clergé  régulier  semblait  pren- 
dre fait  et  cause  pour  la  thèse  bénédictine.  Or,  depuis,  M.  Gevaert  a  été 
nommé  chevalier  de  l'ordre  de  ce  même  saint  Grégoire  le  Grand,  auquel  il 
n'avait  pas  craint  de  s'attaquer,  et  l'éditeur  de  l'appendice  et  de  ses  tra- 
vaux antérieurs,  considérant  qu'ils  s'adressent  avant  tout  «  aux  personnes 
vouées  à  l'étude  du  chant  liturgique,  ecclésiastiques  pour  la  plupart  »,  a 
eu  l'idée  d'y  annexer  le  texte  du  bref  par  lequel  le  cardinal  de  Ruggiero 
notifie  à  M.  Gevaert,  au  nom  du  pape  Léon  XIII,  la  distinction  qui  lui  est 
conférée.  Bien  que  les  bénédictins  de  Maredsous  n'aient  jamais  eu  qua- 
lité pour  excommunier  un  directeur  de  Conservatoire  ou  le  frapper  d'une 
peine  ou  censure  ecclésiastique  quelconque,  il  est  clair  que  ce  bref  papal 
adressé  au  o  dilecto  filio  Augusto  Gevaert,  musid  imtituti  Bruxellis  tnoderatori  n, 
est  faitpour  calmer  dom  Morin  et  lui  apprendre  à  ne  pas  se  montrer  plus 
grégorien  que  le  successeur  de  saint  Grégoire  le  Grand. 

—  On  annonce  que  l'Opéra  impérial  de  Berlin  donnera,  au  printemps 
prochain,  la  première  représentation  de  Manon,  de  Massenet.  Les  deux  in- 
terprètes seraient  M"'  Sembrich  et,  très  vraisemblablement,  M.  Van  Dyck. 

—  Le  vieux  répertoire  français  se  maintient  de  l'autre  côté  du  Rhin  beau- 
coup mieux  que  chez  nous.  L'Opéra  royal  de  Stuttgard  annonce,  à  l'occa- 
sion de  la  fête  du  roi,  une  reprise  brillante  des  Diamants  de  la  Couronne, 
d'Auber,  avec  costumes  et  décors  nouveaux.  On  aurait  pu  craindre  que 
les  chanteurs  allemands,  habitués  au  style  de  Richard  Wagner,  seraient 
incapables  de  rendre  la  musique  pimpante,  légère  et  passablement  agré- 
mentée de  8  cocottes  »  de  la  partition  d'Auber.  Il  faut  espérer  qu'il  n'en 
est  rien. 

—  Le  nouveau  théâtre  allemand  de  Munich,  qui  est  devenu  le  plus  beau 
théâtre  de  la  capitale  bavaroise,  mais  qui  n'est  pas  encore  entièrement 
terminé,  se  trouve  déjà  en  proie  à  des  difficultés  financières.  Les  créanciers 
ont  cependant  décidé  d'accorder  aux  entrepreneurs  un  crédit  de  200.000  francs 
pour  qu'ils  puissent  commencer  l'exploitation  en  octobre.  On  jouera  aussi 
l'opérette  à  ce  théâtre. 

—  Un  nouvel  opéra  en  un  acte,  intitulé  l'Amour  défendu,  dont  la  musique 
a  été  écrite  par  un  compositeur  viennois,  M.  François  Soucoup,  a  telle- 
ment plu  à  la  célèbre  chanteuse  italienne  M""î  Gemma  Bellincioni,  qu'elle 
en  a  fait  l'acquisition  pour  le  jouer  dans  ses  tournées  et  au  théâtre  qu'elle 
va  diriger  en  province. 

—  Pour  M.  Hans  Richter,  premier  kapellmeister  à  l'Opéra  impérial  de 
Tienne,  la  visite  de  Nicolas  II  à  la  cour  d'Autriche  a  été  une  source  inta- 
rissabJe  de  distinctions  honorifiques.  Nous  avons  déjà  mentionné  sa  déco- 
ration russe  et  le  cadeau  superbe  que  l'empereur  de  Russie  lui  fit  remettre 
quelques  jours  après  le  concert  à  la  cour.  Or,  l'empereur  d'Autriche  vient 
de  conférer  à  M.  Richter  l'ordre  de  la  Couronne  d'or,  en  vertu  djquel  le 
célèbre  chef  d'orchestre  a  droit  au  titre  héréditaire  de  chevalier. 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  vient  de  jouer  avec  succès  un  nouvel 
opéra  patriotique  intitulé,  il/aifttos  Comnws,  musique  de  M.  Charles  Frotz- 
ler.  Le  compositeur,  qui  a  pris  sur  l'affiche  le  nom  d'Auer,  est  chef  d'or- 
chestre du  théâtre  particulier  du  comte  Esterhazy  à  Totis,  en  Hongrie.  On 
se  rappelle  que  Joseph  Haydn  a  commencé  sa  carrière  dans  des  conditions 
analogues  chez  le  chef  de  la  famille  Esterhazy.  Reste  à  souhaiter  à 
M.Frotzler  qu'il  atteigne  un  jour  à  1  agloire  de  Joseph  Haydn. 

—  Une  nouvelle  à  sensation  parcourt  en  ce  moment  les  journaux  italiens. 
Elle  a  été  lancée  par  le  Pungolo  jiarlamentare  de  Naples,  qui  a  reçu  de  son 
correspondant  de  Milan  la  dépêche  suivante  :  «  Une  personne  très  respec- 
table, et  qui  est  en  mesure  de  le  savoir,  m'assure  que  Verdi  n'écrira  plus, 
quoi  qu'on  en  ait  dit,  aucune  œuvre  théâtrale,  mais  qu'il  a  presque  ter- 
miné un  oratorio  pour  grandes  masses,  sur  le  type  de  YElie  de  Mendel- 
ssohn  ». 

—  On  a  donné  à  Fermo  la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau 
en  deux  actes,  Wanda,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  un  jeune  composi- 
teur débutant,  M.  Romolo  Bacchini,  qui  parait  avoir  fait  preuve  de  talent 
et  dont  l'œuvre  a  été  accueillie  par  le  public  avec  beaucoup  de  faveur. 
Cinq  morceaux  ont  été  bissés  et  l'auteur  a  été  l'objet  de  vingt  rappels, 
pour  lesquels  il  s'est  présenté  avec  une  modestie  qui  lui  a  gagné  toutes 
les  sympathies. 

—  Un  imprésario  qui  parait  avoir  de  l'estomac,  c'est  M.  Romiti,  le 
nouveau  directeur  du  théâtre  Brunetti,  de  Bologne,  qui,  entre  autres  ou- 
vrages, n'annonce  pas  moins  de  trois  opéras  nouveaux  qu'il  entend  offrir 
au  public  au  cours  de  la  prochaine  saison  de  ce  théâtre.  Ces  ouvrages  sont 
Innocente,  de  M.  De  Angelis;  la  Visione  di  Oberto,  de  M.  Campagnoli,  et 
'ïanko,  de  M.  Bandini. 


—  C'est  M.  Hans  Iluber,  professeur  de  piano  à  l'École  de  musique  de 
Bâle,  qui  vient  d'être  appelé  à  la  direction  de  cotte  école,  devenue  vacante 
par  suite  de  la  mort  de  M.  S.  Bagge,  que  nous  avons  annoncée  récem- 
ment. 

—  La  saison  des  concerts  à  Londres  s'annonce  comme  devant  être  vigou- 
reuse. Au  Crystal  Palace,  la  série  commencera  dès  le  3  octobre.  Au 
Queen's  Hall,  où  M.  RobertNewmann  a  organisé  des  concerts-promenades,' 
la  soirée  d'ouverture  a  eu  lieu  dès  le  29  août;  chaque  semaine  un  pro- 
gramme sera  consacré  à  Beethoven,  un  autre  à  'Wagner.  C'est  au  Queen's 
Hall  que  M.  Colonne  et  son  orchestre  donneront  quatre  concerts,  dont  le 
premier  aura  lieu  le  12  octobre.  Pendant  ce  même  mois  d'octobre  et  durant 
le  mois  de  novembre,  M.  Richter  conduira  trois  concerts,  M.  Lamoureux 
en  donnera  six,  et  M.  Félix  Mottl  viendra  en  diriger  deux.  Les  habitués 
n'auront  pas  à  se  plaindre.  Saint-Jame's  Hall  aura  aussi  ses  soirées  à  sen- 
sation. C'est  là  que  M.  Sarasate  donnera  trois  concerts,  et  que  M.  Ysaye 
se  fera  entendre  deux  fois,  après  quoi  le  violoniste  belge  entreprendra,  dit- 
on,  une  grande  tournée  dans  les  provinces  anglaises. 

—  On  sait  quelles  réceptions  enthousiastes  ont  été  fairtes  par  toute  la 
Norvège  au  courageux  explorateur  Nansen,  au  retour  de  son  hardi  voyage 
au  pôle  Nord.  La  poésie  et  la  musique  se  sont  mises  de  la  partie  pour  le 
fêter  en  ce  qui  les  concerne.  Un  journal  de  Christiania,  qui  avait  ouvert 
un  concours  pour  la  meilleure  pièce  de  prose  ou  de  vers  destinée  à  glorifier 
le  célèbre  voyageur,  n'a  pas  reçu  moins  de  S43  manuscrits.  Quant  à  la  mu- 
sique, il  parait  que  c'est  par  milliers  que  l'on  vend  à  Christiania  diverses 
compositions  inspirées  par  le  voyage  de  Nansen,  et  particulièrement  une. 
marche  de  M.  Oscar  Borg  intitulée  Nordpol  March,  et  un  morceau  qui  porte 
ce  titre  auEsi  original  que  météorologique  :  86"  14'. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  petite  modification  dans  la  distribution  de  Don  Juan.  Le 
rôle  d'Ottavio  ne  sera  pas  chanté  par  M.  Alvarez,  mais  bien  par  M.  Va- 
guet,  doublé  par  M.  Gautier.  On  a  commencé  les  études  en  scène. 

—  A  l'Opéra-Comique. 

Tous  les  artistes  qui  doivent  interpréter  Don  Juan  ont  été  convoqués 
pour  la  première  fois,  mercredi  dernier,  et  on  leur  a  remis,  comme  tra- 
duction de  l'opéra  de  Mozart,  celle  de  M.  Durdilly,  qui  est,  parait-il,  la 
meilleure  de  toutes  celles  qui  existent.  Les  études  individuelles  ont  com- 
mencé, dans  les  foyers,  sous  la  direction  de  M.  Fauchey. 

Don  Juan  aura  neuf  décors,  dont  voici  la  nomenclature  avec  les  noms  des 
peintres  à  qui  ils  ont  été  confiés  :  1='  tableau  :  place  à  Burgos,  la  nuit, 
de  Rubé  et  Moisson  ;  9.',  campagne  aux  environs  du  château  de  Don  Juan, 
de  Rubé  et  Moisson  ;  S"  place  à  Burgos,  le  jour,  de  Rubé  et  Moisson  ; 
i",  entrée  du  parc  de  Don  Juan,  de  Carpezat;  5»,  le  jardin  du  château,  de 
Garpezat  ;  6°  un  carrefour,  maison  d'Elvire,  de  Jambon  ;  7",  ruines,  effet 
de  nuit,  de  Jambon;  8i^,  la  statue  du  Commandeur,  de  Jambon;  9=,  salle 
à  manger  de  Don  Juan,  de  Carpezat.  —  Les  costumes  seront  dessinés  par 
Thomas. 

Avant  son  départ  pour  l'Amérique,  M"=  Calvé  donnera  quelques  re- 
présentations de  la  IXavarraise,  Carmen  et  Cavalleria  rusticana. 

M"=  Van  Zandt,  avec  Manon  et  Lakmé,  chantera  également  Mignon  et 
le  Pardon  de  Ploérmel. 

M.  Carvaibo  semble  avoir  arrêté  son  choix,  parmi  les  ouvrages  nou- 
veaux à  donner  la  saison  prochaine  après  Cendrillon,  sur  Kermaria,  légende 
bretonne  de  M.  Gheusi,  musique  de  M.  C.  Erlanger. 

—  Ce  n'est  qu'au  conseil  des  ministres,  qui  aura  lieu  demain  lundi,  que 
seront  réglés  définitivement  le  gala  de  l'Opéra  et  le  demi-gala  de  la  Comé- 
die-Française, auxquels  doivent  assister  les  souverains  russes. 

—  Nous  avons  annoncé  que,  à  l'Odéon,  l'un  des  premiers  spectacles  an- 
tiques de  la  saison,  les  Pei-ses,  serait  accompagné  d'une  partie  musicale  de 
M.  Xavier  Leroux.  Les  directeurs  du  second  Théâtre-Français,  qui  sem- 
blent avoir  un  heureux  penchant  pour  la  musique,  ainsi  que  M.  Porel  qui 
n'eut  pas  à  s'en  plaindre,  viennent  de  commander  à  M.  Coquard  une  par- 
tition pour  accompagner  la  représentation  de  Philoctèle,  qui  formera  le 
second  spectacle  antique. 

—  Nos  étoiles  parisiennes  au  Théâtre-Lyrique  de  Milan.  M"'  Sibyl  San- 
derson  a  quitté  Paris  au  commencement  de  la  semaine,  se  rendant  à 
Milan,  où  elle  va  chanter,  au  Lyrique  de  M.  Edouard  Sonzogno,  Manon 
de  Massenet,  puis  Phryné  de  Saint-Saëns.  M""^  de  Nuovina,  qui  doit 
débuter  au  même  théâtre,  le  27  de  ce  mois,  par  la  Navarraisc  de  Massenet, 
a  pris  le  train  hier  samedi.  La  saison  de  M.  Sonzogno  commence  le  mardi 
22  septembre. 

—  Le  gentil  petit  Théâtre-Lyrique  de  la  galerie  Vivienne  nous  annonce 
sa  réouverture  pour  le  15  octobre  prochain,  par  un  spectacle  ainsi  com- 
posé :  les  Deux  Chasseurs  et  la  Laitière,  de  Duni,  l'Irato,  de  MéhuI,  et  la  Per- 
ruche, de  Clapisson.  Les  Deux  Chasseurs  sont  parvenus  aujourd'hui  à  l'âge 
vénérable  de  cent  trente-trois  ans  !  L'apparition  de  ce  petit  ouvrage,  dont 
Duni  écrivit  la  musique  sur  un  amusant  livret  d'Anseaume,  souffleur  et 
régisseur  de  la  Comédie-Italienne,  remonte  en  effet  au  23  juillet  1763. 
L'Irato,  dont  le  poème  était  dû  à  Marsollier,  vit  le  jour  à  l'Opéra-Comique 
le  17  février  ISOl.  (Juant  à  la  Perruche,  où  Clapisson  avait  pour  collabora- 
teurs Dupin  et  Dumanoir,  la^  première  représentation  en  eut  lieu  à  la 
salle  Favart  le  2S  avril  1840.  C'est  donc   pjesque  un  spectacle  historique 


LE  MENESTREL 


303 


que  nous  promet  le  petit  théâtre  de  la  galerie  Vivienne,  en  nous  offrant 
dans  la  même  soirée  trois  ouvrages  qui  représentent  trois  époques  bien 
distinctes  de  notre  musique.  Il  nous  annonce  pour  la  suite  la  Servaiilc 
maîtresse,  le  délicieux  chef-d'œuvre  de  Pergolèse,  le  Marichal-Fermnt,  un 
excellent  opéra-comique  de  Philidor,  musicien  de  génie  injustement  oublié 
depuis  plus  de  quatre-vingts  ans,  et  le  Bijou  perdu,  d'Adolphe  Adam,  qui 
fut  un  des  triomphes  de  M""-  Gabel  à  l'ancien  Théâtre-Lyrique  du  boule- 
vard du  Temple,  alors  dirigé  par  M.  Carvalho. 

-—  Une  audition  assez  intéressante  a  eu  lieu  la  semaine  dernière  à 
l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique,  au  Palais  de  l'industrie.  Il 
s'agissait  d'entendre  un  nouveau  piano  pédalier  d'un  nouveau  système, 
imaginé  par  M.  Gateura,  facteur  à  Barcelone.  Il  s'agit  ici  d'un  jeu  de  pé- 
dales, au  nombre  de  six,  toutes  indépendantes,  dont  chacune  produit  un 
effet  particulier.  Il  n'y  a  pas  à  parler  des  pédales  forte,  céleste  et  tonale, 
dont  l'usage  est  courant  et  qui  sont  suffisamment  connues.  Les  trois  nou- 
velles du  système  sont  la  pédale  sourdine,  qui  affaiblit  et  étouffe  les  sons 
d'une  façon  véritablement  curieuse,  et  leur  donne  une  fluidité  qui  les 
ferait  presque  disparaître;  la.  pédale  claire,  qui  au  contraire  donne  au  son 
une  glande  intensité  en  même  temps  qu'une  sécheresse  qui  rappelle 
d'une  façon  frappante  la  sonorité  nette  et  détachée  du  clavecin  ;  enfin  la 
pédale  harmonique,  qui  fait  ressortir  les  harmoniques  du  son  frappé  sur  la 
touche  et  qui  est  d'un  effet  neuf  et  assez  agréable.  Les  six  pédales  sont 
placées  de  la  façon  suivante  :  pour  le  pied  droit,  pédale  forte ,  pédale 
claire,  pédale  sourdine  ;  pour  le  pied  gauche,  pédale  céleste,  pédale  har- 
monique, pédale  tonale  (de  rétention),  et  le  mécanisme,  dit-on,  ne  de- 
mande, qu'un  peu  d'habitude  et  n'offre  point  de  difficultés.  C'est  un  jeune 
et  habile  pianiste  espagnol,  M.  Emilio  Sabater,  ancien  élève  de  notre 
Conservatoire,  qui  s'était  chargé  de  nous  faire  connaître  le  nouvel  instru- 
ment. Son  programme  était  ainsi  composé:  Fantaisie  villageoise  (NoUet); 
Prélude  et  Gavotte  (Bach);  Wachterlied,  romance  (Grieg);  Intermezzo  (Le- 
mairel  :  Romance  sans  paroles  (Mendelssohh);  Sérénade  (Albeniz);  Menuet 
(Padere-n-ski)  ;  Au  xillage  (B.  Godard).  Ce  programme,  exécuté  avec  goût,  a 
fait  ressortir  comme  il  convenait  les  qualités  spéciales  de  l'instrument 
jnauguré  par  M.  Gateura.  A.  P. 

—  Dans  notre  dernier  numéro,  à  propos  des  concerts  de  l'E-xposition  du 
Théâtre  et  de  la  Musique,  une  erreur  d'impression  semble  attribuer  à 
M.  Génécaud  le  succès  de  la  Méditation  de  Thais.  C'est  M.  Laforge,  violon 
solo  à  l'Opéra  et  professeur  au  Conservatoire,  qui  a  exécuté  la  page  célè- 
bre de  Massenet  ;  c'est  donc  à  lui  que  sont  justement  allés  les  bravos. 

—  La  maison  Pleyel-Wolff  vient  de  faire  paraître  le  troisième  recueil 
de  la  publication  qu'elle  a  pris  l'habitude  de  nous  offrir  chaque  année  et 
qui  reproduit  intégralement  les  programmes  de  tous  les  concerts  qui  ont 
lieu  dans  la  salle  Pleyel  au  cours  de  la  saison  précédente.  Cela  n'a  rien 
assurément  de  frivole,  mais  cela  constitue  un  document  utile  et  fort  inté- 
ressant qui,  comme  tous  ceux  de  ce  genre,  sera  singulièrement  utile  dans 
l'avenir.  On  sera  certainement  bien  aise  de  trouver  plus  tard  dans  ce  re- 
cueil, sans  avoir  besoin  de  les  chercher  ailleurs,  les  programmes  des 
concerts  de  MM.  Delaborde,  Joseph  Wieniawski,  Joseph  Thibaud,  de 
M""»^  Szarvady,  Roger-Mi  clos,  Clara  Ghattelyn,  Henry  Jossic,  de  la  Société 
des  compositeurs,  de  la  Société  nationale,  de  la  Société  d'art,  de  la  Société 
académique  musicale,  ceux  des  séances  de  musique  de  chambre  de 
MM.  Weingaertner,  Parent,  Scbneklud,  Hayot,  de  la  Société  d'instru- 
ments anciens  de  MM.  Delsart,  Diémer,  Van  Waefelghen  et  Grillet,  etc. 
Le  volume,  très  élégant,  est  précédé  d'une  excellente  préface  de  M.  Oscar 
Gomettant  et  d'une  introduction  intéressante  de  M.  Henry  Eymieu,  qui 
n'est  autre  chose  qu'une  étude  très  documentée  sur  les  concerts  et  la  mu- 
sique de  chambre.  Voila  une  publication  qui  fera  la  joie  des  historiens  à 
venir.  A.  P. 

-^  De  notre  confrère  Nicolet,  du  Gaulais  :  a  De  Marseille.  On  avait  prêté 
à  notre  édilité  socialiste  la  pensée  intelligente  de  redonner  l'éclat  d'autan 
à  notre  Ecole  communale  de  musique  en  lui  restituant  son  titre  de  «  suc- 
»  cursale  du  Conservatoire  de  Paris  »;  il  parait  qu'il  n'en  est  rien.  »  Un 
mauvais  point  à  la  municipalité  marseillaise  ! 

—  Au  casino  de  Lamalou-les-Bains,  succès  sans  précédent,  nous  écrit-on, 
pour  la  première  représentation  de  M'erlher.  M.  Monteux  et  M""  Burty- 
Monteux  ont  été  acclamés  la  soirée  entière.  On  a  donné  déjà  quatre  repré- 
sentations du  chef-d'œuvre  de  M.  Massenet. 

—  Rouen.  —  Après  la  musique  française,  la  musique  allemande  :  mais, 
en  chantant  la  fraternité  humaine,  Beethoven  n'est-il  pas  un  sans-patrie 
sublime?...  Tout  est  dit,  semble-t-il,  et  l'on  vient  trop  tard  pour  parler  de 
la  Neuvième,  que  les  cerveaux  classiques  regardent  comme  une  aventure 
musicale,  comme  la  flamme  suprême  d'une  éloquence  qui  s'éteint,  —  alors 
que  les  tempéraments  romantiques  y  découvrent  lé  sommet  fulgurant  de 
la  musique  et  le  Sinaï  de  l'Art  moderne  :  n'est-il  point  remarquable  que 
pareilles  divergences  ont  salué  l'apparition  d'Alceste  et  de  Parsifal?...  Tou- 
jours est-il  que  la  Symphonie  avec  chœurs  reste  la  définitive  émanation  du 
génie  de  Beethoven,  le  portrait  le  mieux  ressemblant  de  sou  âme 

Où  l'éclair  gronde,  oii  luit  la  mer,  oii  l'astre  rit. 

Et  qu'emplissent  les  vents  immenses  de  l'esprit... 

Vigueur  prométhéenne  de  VAllegro  macstoso,  riant  jpaysage  du  llolto  vivace, 

mélancolie  passionnée  de  i'Adarjio  molto  e  cantabile,  poignant  comme    des 

mémoires  d'outre-tombe,  hosanua  prodigieux  du  Finale  qui  chante   l'âge 


d'or,  le  chef-d'œuvre  a  triomphé.  Les  festivals  de  Rouen  ont  donc  bien 
mérité  de  l'art  en  l'admettant  au  septième  et  avant-dernier  programme, 
sous  la  chaleureuse  direction  de  M.  N.  Brument,  avec  des  solistes  tels  que 
MM.  Gaudubert  et  Fournets,  M""  Lina  Pacary,  et,  avant  tous.  M""  Jenny 
Passama,  que  les  Concerts  Lamoureux  ont  mise  au  premier  rang.  —  Pour 
conclure,  la  somptueuse  Marche  de  Tannhiiuser.  Raymond  Bouyer. 

—  Charmante  matinée  musicale  à  Tours,  chez  M.  Hardion,  le  distingué 
architecte  de  la  ville.  Le  maître  Charles  Daucla  a  fait  presque  tous  les 
frais  du  programme  eu  jouant  du  Beethoven,  du  Mendelssohn,  et  sa  belle 
transcription  du  Nocturne  de  Chopin.  Très  grand  succès  pour  l'exécutant 
et  le  compositeur. 

—  A  propos  de  la  fête  patronale  de  Sassetot,  très  jolie  messe  en  musique 
à  la  paroisse.  On  y  a  entendu  M"e  Brueil  dans  le  Souvenez-vous  de  Massenet, 
et  M.  et  M""  Marquet  dans  le  Pater  Noster  de  Faure. 

—  Quelques  jours  auparavant,  les  mêmes  artistes,  avec  VAve  verum  de 
Faure  et  VEccePanis  de  Th.  Dubois,  avaientprêté  leur  concours  à  une  messe 
dite  à  Saint-Martin-aux-Buneaux. 

—  Couns  ET  LEÇONS. —  Réouverture  des  cours  Sauvrezis,M,  rue  de  la  Pompe,  le 
7  octobre.  M""  Sauvrezis  ajoute  à  ses  nombreux  collaborateurs  les  noms  de 
M  Van  den  Ileuvel  ichant  d'ensemble)  et  de  M.  Ck.  Bordes  (musique  sacrée  et 
plain-chanl).  U"'  Sauvrezis  recevra,  à  partir  du  2  octobre,  le  vendredi,  de  4  à 
7  heures,  i,  rue  de  la  Sorbonne,  et  le  samedi,  de  2  à  4  heures,  44,  rue  de  la 
Pompe.  —  M"-  Girardin-Marchal  reprendra  ses  cours  et  leçons  de  piano,  solfège, 
harmonie,  à  partir  du  1"  octobre,  115,  rue  Notre-Dame-des-Champs  et  21,  rue 
d'Aboulcir.  —  M.  Manoury,  13,  rue  Washington,  reprend  ses  cours  et  leçons  pour 
gens  du  monde  et  artistes.  Parmi  ces  derniers,  ont  été  engagés:  M.  Gautier  à 
l'Opéra,  M""  Demours  à  .\lger,  M.  Declery  à  Rouen,  miss  Emma  Stanley  à  Gand  et 
M.  Stoll  à  Tournai. 

NÉCROLOGIE 
Cette  semaine  est 'mort,  à  l'âge  de  69  ans,  un  excellent  artiste,  Etienne 
Portéhaut,  qui,  après  avoir  occupé  à  Paris  une  situation  très  honorable, 
était  devenu  directeur  de  la  Société  de  Sainte-Cécile  de  Bordeaux,  sa  ville 
natale.  Elève  d'Alard  au  Conservatoire,  Portéhaut  avait  obtenu  un  second 
prix  de  violon  en  1847,  et  le  premier  l'année  suivante.  A  cette  occasion  se 
produisit  même  un  fait  assez  rare,  c'est  que  les  trois  seconds  prix  de  la 
même  année  se  trouvaientobtenir  ensuite  les  trois  premiers  prix  ensemble; 
seulement,  l'ordre  des  noms  était  changé  ;  tandis  qu'en  1847  les  trois  lau- 
réats étaient  ainsi  nommés:  Reyuier,  Portéhaut,  Altès,  en  1848  ils  étaient 
proclamés  dans  l'ordre  suivant  :  Portéhaut,  Altès,  Reynier.  De  ces  trois 
camarades,  Reynier  étant  mort  il  y  a  deux  ans,  un  seul  reste  aujourd'hui, 
M.  Ernest  Altès,  qui  fut  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  et  qui  est  vice-prési- 
dent de  la  Société  des  compositeurs  de  musique.  Quanta  Portéhaut,  il  de- 
vint chef  d'attaque  des  premiers  violons  au  Théâtre-Italien,  puis  second 
chef  d'orchestre  à  ce  théâtre.  C'est  à  la  suite  de  la  disparition  de  notre 
scène  italienne  qu'il  accepta  les  fonctions  de  directeur  de  la  Société  de 
Sainte-Cécile  de  Bordeaux,  où  il  a  laissé,  comme  partout,  le  souvenir  d'un 
galant  homme  et  d'un  excellent  artiste.  Portéhaut  avait  un  frère  cadet, 
qui,  après  avoir  fait  aussi  ses  études  au  Conservatoire,  fut  ténor  à  l'Opéra 
pendant  plusieurs  années. 

—  D'Italie  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  qui  jouit  naguère  d'une  réelle 
notoriété,  Raffaele  Vitali,  un  chanteur  qui,  après  avoir  obtenu  de  grands 
succès  comme  ténor,  termina  sa  carrière  comme  baryton.  Il  avait  fait  ses 
études  à  Bologne  et  fit  ses  premiers  armes  à  Odessa,  où  naquit  sa  fille, 
Mlle  Giuseppina  Vitali,  une  cantatrice  aimable  que  nous  avons  connue 
naguère  â  feu  notre  Théâtre-Italien.  Vitali  n'était  pas  seulement  un  chan- 
teur habile,  il  était  aussi  un  remarquable  comédien,  et  faisait  preuve  de 
rares  qualités  pathétiques,  entre  autres  dans  Otello  et  dans  Lucia.  Un  soir, 
à  Rome,  tandis  qu'il  chantait  Luisa  Miller,  il  fut  frappé  subitement  d'un 
abaissement  de  la  voix  qui  le  mit  dans  l'impossibilité  d'achever  son  rôle; 
il  était  devenu  tout  à  coup  baryton.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  put,  au  bout 
de  quelque  temps,  reparaître  à  la  scène  ;  mais  au  bout  de  deux  années, 
sa  voix  ne  lui  permettant  plus  de  se  livrer  à  ses  élans  dramatiques,  il 
abandonna  définitivement  le  théâtre.  Depuis  lors,  il  s'était  consacré  à  l'en- 
seignement. 

—  La  doyenne  des  chanteuses  d'outre-Rhin,  M""^  Caroline  Kischer-Achten, 
vient  de  s'éteindre  dans  sa  quatre-vingt-dixième  année.  Elle  était  née  à 
Vienne  eu  1806,  entra  en  1821  à  l'ancien  Opéra  impérial  en  qualité  de 
prima-donna  soprano,  chanta  à  Francfort  et  à  Brunswick  et  se  retira  de 
la  scène  eu  1833. 

—  Les  journaux  américains  nous  apportent  la  nouvelle  de  la  mort,  à  New- 
York,  d'un  facteur  d'orgues  et  de  pianos  nommé  Johann  Luther,  qui 
vient  de  s'éteindre  à  l'âge  raisonnable  de  90  ans,  et  qui  était,  â  ce  qu'on 
assure,  le  descendant  direct  de  Martin  Luther,  le  chef  de  la  Réforme.  Ce 
Johann  Luther,  qui  était  né  en  Allemagne,  à  Asler,  près  de  "Wetzlar  s'é- 
tait établi  à  New- York  en  1837  et  y  avait  fondé  la  première  fabrique  de 
pianos  qui  ait  existé  en  cette  ville. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

AVIS  AUX  PROFESSEURS.  —  Belle  salle  pour  auditions,  cours  et 
leçons,  matinées  et  soirées.  Location  au  mois  et  à  la  séance.  —  S'adres- 
ser Maison  musicale,  39,  rue  des  Petits-Champs.  Paris. 


304 


LE  MÉNESTREL 


Ed  vente  AU  HÉIVESTREL,  2"",  rne  Vivienne,  HEIGEL  et  G'%  fiditeors-Foornisseors  do  CONSERVATOIRE  de  Paris. 


ENSEIGNEMENT    DU    PIANO 

MÉTHODES  -  TRAITÉS  -  ÉTUDES  —  EXERCICES  -  OUVRAGES  DIDACTIQUES,  ETC. 


L.  ADAM.  Grande  méthode  de  piano  du  Conserva- 
toire, net 20    » 

La  même,  texte  espagnol,  net 20    » 

J.-L.  BATTMANN.  Op .  100.  Premières  études  avec 

préludes  pour  les  petites  mains 9    » 

—  Op.  67.  Si  éludes  mélodiques  pour  les  pe- 
tites mains,  deux  suites,  chaque 9    » 

H.  BERGSOK.  Nouvelles    études    caractéristiques 

(8  n") 18    • 

C.  de  BÉRIOT  et  C.-V.  de  BÉRIOT.  Méthode  d'ac- 
compagnement pour  piano  et  violon,  exer- 
cices chantants  en  forme  de  duettinos.  .    15    » 

—  L'art  de  l'accompagnement  appliqué  au 
piano,  pour  apprendre  aux  chanteurs  à 
s'accompagner 15    » 

P.  BERNARD.  Op.  56.  Style  et  mécanisme  : 

12  études  caractéristiques 20    » 

6  études  de  genre,  chaque 6    » 

1.  CAZENAUD.  <S  études  caractéristiques 6    » 

FÉLIX  CAZOT.  Méthode  de  piano,  complète  ...  25  • 
1"  partie  (élémentaire),  les  cinq  doigts.  12  » 
2-  partie  (degré  supérieur),  extension 

des  doigts 18    » 

r.  CHOPIN.  Op.  10.  Grandes  études  (1"  livre)  .   .     18    » 

—  Op.  25.  Grandes  éludes  (2-  livre) 18    » 

—  ti  préludes,  2  livres,  chaque 9    » 

—  3  études 7  60 

J.-B.  CRAMER.  Etudes  pour  le  piano  (2'  livre)  .     18    r 
CE.    CZERNY.    Op.     337.    Exercice  journalier, 

40  études 12    » 

—  Op.l  39.  100  exercices  doigtés  et  gradués 
pour  les  commençants  : 

1",  2"  et  3"  livraison,  chaque 6    » 

<•  livraison 7  50 

C.  DECOMBES.  Petite  méthode  élémentaire  de  pia- 
no, édition  cartonnée,  net 3  60 

Edition  brochée,  net 2  60 

F.  DOLUETSCH.  Op.  33.  12  petites  études  récréa- 
tives pour  les  jeunes  pianistes  (1"  cahier).      6    » 

—  Op.  51.  ^nouvelles  études  récréatives  (2"  ca- 
hier)     10    » 

T.  DOURLEN.  Traité  d'accompagnement  pratique 
de  la  basse  chiffrée  et  de  la  partition  à 

l'usage  des  pianistes 2*    » 

F.  DURANTE.  6  études  et  divertissements,  2  livres, 

chaque 9    » 

BH.  DDVOIS.  Le  mécanisme  du  piano  appliqué  à 
l'étude  de  l'harmonie  (enseignement  simul- 
tané du  piano  et  de  l'harmonie)  : 

Introduction.  Principes  théoriques  et 

pratiques  de  la  musique,  net.  ...      3    • 
1"  cahier.   Exercices  de   mécanisme, 

sans  déplacement  de  main,  net.  .  .      3    > 
2'  cahier.  Progressions  mélodiques,  exer- 
cices pour  la  progression  de  la  main, 

net 3   » 

3*  cahier.  les  gammes,  d'après  une  no- 
tation qui  en  facilite  l'étude 3    » 

4"  cahier.  Harmonie,  théorie  et  pratique 
des  accords  et  arpèges  appliqués  au 

piano,  net 6    > 

5*  cahier.   Elude  de»  doubles  notes.  Jeu 
lié,  jeu  du  poignet,  tierces,  sixtes, 

octaves  et  accords,  net 4    > 

6*  cahier.  Marches  d'harmonie,  exemples 

pris  des  grands  maîtres,  net.  ...      4    » 
7*  cahier.  Appendice  à  l'étude  de  l'har- 
monie, net 3    ' 

8*  cahier.  L'art  de  phraser,  net 3    » 

L'ouvrage  complet,  net 25    » 

S.  FALKENBERG.  Les  pédales   du  piano,  avec 

exemples,  net 10    « 

A.  de  FOLLT.  Le  réveille-matin  du  pianiste,  étude 

de  doigts,  net 1    » 

BENJAMIN  GODARD.  Op.  42. 12  éludes  artistiques, 

net 15    » 

—  Op.  107.  12  nouvelles  études  artistiques,  net.    15    » 

Les  24  études  réunies,  net 25    » 

F.  GODEFROID.  L'école  chantante  du  piano  : 

1"  livre.  Théorie  et  72  exercices  et  mé- 
lodies-types   26    » 

2'  livre.  15  études  mélodiques  pour  les 

petites  mains 12    > 

3"  livre.  12  études  caractéristiques  (plus 

difficiles) 12    » 

A.  GORIA.  Op.  63.  6  grandes  études  artistiques  .     25    > 

—  Op.  72.  Le  pianiste  moderne,  12  études  de 
style  et  de  mécanisme,  avec  préludes  et 
annotations,  2  livres,  chaque 20    » 

J.  GRËGOIR.  Ecole  moderne  du  piano  : 

Op.   101.    Etudes   progressives,    moyenne 
difficulté,  24  études  de  style  et  d'expres- 
sion, 4  livres  de  6  études,  chaque  ...      9    » 
Op.  99.  Grandes  études  difficiles,  4  livres 
de  6  études,  chaque 12    » 

—  Exercices  des  cinç  (iotg(5  applicables  au  V#- 
loce-Mano  et  au  Clavier  déliateur,  net.  ...      1    > 


J.-CH.  HESS.  Etude  journalière 

F.  HILLER.  Op.  15.  25  grandes  études  d'artiste.  . 
M.  JAELL.  Le  toucher,  nouvelles   théories   et 
nouveaux  principes  pour  l'enseignement 
du  piano  : 

■Vol.  I.  Nouveaux  principes  élémentai- 
res, net 

Vol.  II.  Leur  application  &  l'étude  dea 

morceaux,  net 

Les  2  premiers  vol.  réunis,  net.  . 
Vol.  III.  Principes  complémentaires  et 
leur  application  à  l'étude  des  mor- 
ceaux, net 

KESSLER.   Etudes 

ELEMCZTNSEI.  2i petites  études  mélodiques,  2  sui- 
tes, chaque  

A.    de   KONTSKI.    Op.    77.    rieurs    mélodiques, 

12  études  caractéristiques,  2  suites,  en.  . 

Op.  105.  Le  Derquin  du  piano  ou  l'Ami  des 

enfants,  exercices  pour  les  petites  mains, 

suivis  de  petits  morceaux  à  2  et  4  mains. 

EOSZUL.  Préludes,  2  livres,  chaque 

THÉODORE  LACK.  Cours  de  piano  de  M"'  Didi  : 

Exercices  de  M""  Didi 

Gammes  de  M"*  Didi 

Etudes  de  M"*  Didi  (1"  livre) 

Etudes  de  M"' Didi  (2' livre) 

L.  LACOMBE.  Op.  10.  e  études  de  style   et   de 

mécanisme 

—    Préiudes  e(/uj!«s  de  Bach,  doigtés.   .  .  . 
E.   LAMINE.    S    études    mélodiques,    précédées 

d'exercices  préparatoires 

TH.  LÉCUREUX.  Op.  30.  12  grandes  études  carac- 


2  50 
20    » 


MATHIS  L0SSY.  Exercices  de  piano  dans  tous 
les  tons  majeurs  et  mineurs,  à  composer 
et  à  écrire  par  l'élève,  précédés  de  la  théorie 
des  gammes,  des  modulations,  etc.,  etc., 
et  de  nombreux  exercices  théoriques,  net. 

—  Carton-pupitre-exercice  du  pianiste,  résu- 
mant en  SIX  pages  toutes  les  difficultés 
du  piano  et  donnant  toutes  les  formes  de 
gammes  et  d'exercices,  net 

—  Traité  de  Cexpression  musicale,  accents, 
nuances  et  mouvements  dans  la  musique 
vocale  et  instrumentale,  net 

—  Concordance  entre  la  mesure  et  le  rythme, 
net 

—  Le  rythme  musical,  son  origine,  sa  fonc- 
tion et  son  accentuation,  net 

A.  MARMONTEL.  Op.  60.  L'art  de  déchiffrer, 
100  petites  études  de  lecture  musicale, 
2  livres,  chaque 12  »  et 

—  Op.  80.  Petites  étude*  mélodiques  de  méca- 
nisme, précédées  d'exercices-préludes.  .  . 

—  Op.  85.  Grandet  éludes  de  style  et  de  bra- 
voure, net 

—  Op.  108.  50  études  de  salon,  de  moyenne 
force  et  progressives,  net 

—  Op.  111.  L'art  de  déchiffrer  à  quatremaint, 
50  études  mélodiques  et  rythmiques  de 
lecture  musicale,  2  livres,  chaque 

—  Op.  157.  Enseignement  progressif  et  rationnel 
du  piano,  école  de  mécanisme  et  d'accen- 
tuation : 

1"  cahier.  Tons  majeurs  diésés,  net  .  . 
2'  —  Tons  majeurs  bémolisés,  net. 
3»  —  Tons  mineurs  diésés,  net.  . 
4*  —  Tons  mineurs  bémolisés,  net. 
5*  —  Gammes  chromatiques,  net. 
L'ouvrage  complet,  net 

—  Le  mécanisme  du  piano,  7  grands  exercices 
modulés,  résumant  toutes  les  difficultés 
usuelles  du  piano  : 

I.  Les  cinq  doigts 

II.  Le  passage  du  pouce 

III.  L'extension  des  doigts 

IV.  Les  traits  diatoniques 

V.  Nouvelle  étude  journalière 

VI.  Difficultés  spéciales 

Les  3  exercices  élémentaires  réunis, 

net 

Les  3  exercices   supérieurs  réunis, 

net 

Les  6  exercices  réunis,  net 

■VII.  Gammes  en  tierces  et  arpèges 
(exercice  complémentaire) 

—  Conseils  d'un  professeur  sur  l'enseignement 
technique  et  l'esthétique  du  piano,  net  .... 

—  Vade-mecum  du  professeur  de  piano,  cata- 
logue gradué  et  raisonné  des  meilleures 
méthodes,  études  et  œuvres  choisies  des 
maîtres  anciens  et  contemporains,  net  .  . 

Conseils  et  Vade-mecum  réunis,  net  .   . 

—  Eléments  d'esthétique  musicale  et  considéra- 
tions sur  le  beau  dans  les  arts,  net 

—  Mistoire  du  piano  et  de  ses  origines,  net  .  . 


G.  MATHIAS.  Etudes  spéciales  de  style  et  de  mé- 
canisme, 2  livres,  chaque If 

—  Op .  58.  /î  pièces  symphoniques 10 

C.  MOISSENET.  S  études  de  salon 7 

ED.  MOnZIN.  Préludes  et  fugues,  introduction  il 

l'étude  des  fugues  de  Bach,  2  livres,  cha- 
que      a 

CH.  NEUSTEDT.   Cours  de  piono   élémentaire  et 
progressif  : 

1.  Méthode  de  piano 12 

2.  Gymnastique  des  pianistes 10 

3.  Le  progrès,  25  études  pour  les  pe- 
tites mains 12 

4.  25  études  de  mécanisme 12 

5.  25  études  de  vélocité 12 

6.  25  études  variations  classiques  ...    12 

7.  Préludes-improvisations  (1"  livre)  .     6 

8.  Préludes-improvisations  (2-  livre).  .      9 

—  Op,  31.  20  études  progressives  et  chantantes. 
N.  NUTENS.  Avant  la  gamme,  6  petits  morceaux 

faciles 


12 


7  ! 

—  Esquisses  musicales,  12  études  de  style  .  .    12 

I.  FHILIFP.  Exercices  de  virtuosité,  net 3 

H.  ROSELLEN.  Méthode  élémentaire 25 

—  Manuel  du  pianiste,  exercices  journaUers, 
gamines   et  arpèges,  description  anato-      ' 
mique  de  la  main 12 

G.  ROSSINI.  Etudes,  exercices,  variations  ....     10 
J.  RUMMEL.  2i  préludes  dans  tous  les  tons  .  .      7  1 

A.  SCHMIDT.  Etudes  et  exercices I 

C.  STAMATY.  Le  rythme  des  doigts,  exercices- 
types  à  l'aide  du  métronome 15 

—  Abrégé  du  rythme  des  doigts 10 

—  Chant  et  mécanisme  : 

1"  livre.  Op.  37.  25  études  pour  les  pe- 
tites mains 12 

2"  livre.  Op.  38.  20  études  de  moyenne 
difficulté. 12 

3-  livre.  Op.  39.  24  études  de  perfec- 
tionnement   18 

—  Les  concertantes,  24  études  spéciales  et 
progressives,  à  quatre  mains,  2  livres, 
chaque 15  »  et  18 

—  Op.  2{.  12  études  pittoresques 20 

FR.  STŒPEL.  Méthode  complète  de  piano 24 

—  Ouvrage  complet  pour  les  cours  de  piano, 
renfermant  l'enseignement  mutuel  et  con- 
certant pour  plusieurs  pianos,  3  livres, 
chaque,  net 5 

—  Enseignement  individuel  et  collectif,  3  suites, 
chaque,  net 5 

A.  TROJELLI.  Petite  école  élémentaire  du  piano  à 
i  mains  (la  1"  partie  d'une  extrême  facilité, 
sans  passage  de  pouce  et  sans  écarts  ;  la 
2*  partie  écrite  dans  la  moyenne  force  pour 
le  professeur  ou  un  élève  plus  avancé), 
2  cahiers  de  12  n",  chaque 7  ! 

H.  VALIQUET.  La  mère  de  famille,  alphabet  des 
jeuncf  pianistes  ou  les  25  premières  le- 
çons de  piano,  théorie  élémentaire  de  A.  El- 
WART,  net 3 

—  Exercices  rythmiques  et  mélodiques  du  pre- 
mier dge 12 

—  Le  premier  dge  OU  te  Berquin  des  jeunes  pia- 
nistes : 

1.  Op.  21.  Le  premier  pas,  15  études 
très  faciles 9 

2.  Op.  17.  Les  grains  de  sable,  6  petits 
morceaux  sur  les  cinq  notes  ....      7  ! 

3.  Op.  22.  Le  progrès,  15  études  faciles 
pour  les  petites  mains 9 

4.  Op.  18.  Contes  de  fées,  6  petits  mor- 
ceaux favoris 9 

5.  Op.  23.  Le  succès,  15  études  pro- 
gressives pour  les  petites  mains  .  .    10 

6.  Op.  19.  Les  soirées  de  famille,  6  petits 
morceaux  brillants 12 

Les  brins  d^herbe,  6  petits  morceaux  fa- 
ciles       7  1 

VIGUERIE.  Méthode 15 

—  1"  partie  de  la  méthode,  augmentée  de 

12  récréations  très  faciles  par  A.  Thys.  .  .  9 
A.  VILLOING.  Ecole  pratique  du  piano,  net  ...  20 
GÉZA  ZICHY.  G  études  pour  la  main  gauche  seule, 

net 10 

•••  Le  pianiste  lecteur,  2  recueils  progressifs 
de  manuscrits  autographiés  des  auteurs 
en  vogue,  pour  apprendre  à  lire  la  musique 
manuscrite,  chaque  recueil,  net 7 


CLAVIER  DÉLIATEUR  de  JOSEPH  GREGOIR 

VÊLOCE-MANO  de  M.  PAIVRE 
ACCÉLÉRATEUR  DU  TOUCHER  de  M.  JAELL 


Diniaiiche  27  Septcniiirc  1896. 


3^!8.  -  62""  ANNÉE  —  i\°  39.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienue,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  on  Texte  seul  ;  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teile  et  IHusique  de  Chant,  20  fr.;  Ter.te  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étr-nger,   les  frais  de  poste  en  s 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Orphée  {'s'  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Bulletin  théâtral  :  reprise 
de  la  Famille  Pont-Biquet  au  Gymuase  ;  Paris-Pékin  au  Nouveau-Cirque,  Padl- 
Êhile  Chevalier.  —  10.  Gilbert  Duprez,  notes  et  souvenirs,  .\htiiur  Pougin.  - 
IV.  Musique  et prison(19° article):  Prisons  politiques  modernes,  P.iul  d'Estbée. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CHANSON  D'AUTOMNE 

de  Cesare  Galeotti.  —  Suivra  immédiatement  :  Albert  Cvyp,   n°  1  des  Por- 
traits de  peintres,  pièces  pour  piano  de  Reynaldo  Hahn. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Sérénade  d'automne,  mélodie  de  L.  Delaquebhière,  poésie  d'ANDRÉ 
Alexandre.  —  Suivra  immédiatement  :  Si  fai  parlé,  mélodie  nouvelle  de 
LÉON  Delafosse,  poème  de  Henri  de  Régnier. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De    GLUCK 

(Siùte) 


Quant  à  l'œu'vre  en  elle-même,  elle  réunit  tous  les  suffrages 
en  un  accord  unanime.  C'était  le  temps  où  l'art  de  Gluck 
avaii  encore  pour  le  public  parisien  tout  le  charme  de  la 
nouveauté;  et  si  déjà  quelques  rumeurs  indicatrices  commen- 
çaient à  se  faire  entendre  sourdement,  du  moins  la  guerre 
qu'elles  annonçaient  n'était-elle  pas  encore  déclarée.  Orpliée  se 
trouva  donc,  aussi  bien  par  la  date  de  sa  représentation  que 
par  celle  de  sa  composition,  en  dehors  des  disputes  des 
gluckistes  et  des  piccinistes.  Son  succès  fut  franc,  sincère  et 
immédiat;  il  fut  obtenu  en  dehors  de  toute  influence  de  la 
cour,  puisque  Marie-Antoinette,  reine  depuis  quelques 
semaines,  ne  put,  en  raison  du  deuil  de  Louis  XV,  assistera 
la  première  représentation.  En  réalité,  Orphée  fut  la  seule 
œuvre  de  Gluck  qui  n'ait  pas  été  discutée.  Il  semble  même 
que  ses  véritables  beautés  furent  comprises  dès  l'abord, 
car  la  plupart  de  ceux  qui  nous  ont  laissé  des  témoignages 
de  leurs  impressions  ne  se  contentent  pas  d'admirer  le  chant: 
«  J'ai  perdu  mon  Eurydice  »,  par  lequel  il  était  naturel  qu'ils 
fussent  frappés  en  premier  lieu,  mais  parlent  surtout  des  deux 
tableaux  des  Enfers  et  des  Champs  Elysées,  dont  les  beautés 
neuves  et  profondes  auraient  pu  ne  pas  être  si  promptement 
comprises. 

Le  Mercure  de  France,  bien  que  tenant  visiblement  pour  l'an- 


cienne musique  française,  semble  exprimer  assez  fidèlemeiii 
le  seaiiment  de  la  généralité  du  public  dans  les  deux 
comptes  rendus,  pleins  d'éloges,  qu'il  consacra  successive- 
ment à  l'œuvre.  Après  avoir  analysé  le  poème,  il  dit  d'aboi-'l  : 

L'action  est  sans  doute  beaucoup  tiop  simple  poar  trois  actes... 
Mais  la  musique  supplée  à  ces  défauts.  Elle  conflrnie  l'idée  que 
l'opéra  d'Iphigénic  avait  déjà  donnée  du  génie  de  M.  le  chevalier  Glu  k 
pour  peindre  et  pour  exprimer  les  affections  de  l'àme. 

L'ouverture  ett  un  beau  morceau  de  symphonie  qui  annonce  tiès 
bien  le  genre  de  ce  spectacle.  Il  nous  a  paiu  seulement  que  le  moiif 
ou  le  trait  principal  de  musique  se  représente  trop  souvent  et  y  iiii't 
un  peu  de  raonotoûie.  Le  chœur  de  la  pompe  funèbre  est  de  la  plut 
riche  et  de  la  plus  touchante  harmonie.  Les  cris  d'Orphée  qui  appelie 
son  Eurydice,  sont  d'un  grand  pathétique.  Tout  ce  magnifique  moi- 
ceau  et  les  airs  attendrissants  qui  le  suivent,  répandent  dans  l'ûnio 
la  trisrtesse.  On  est  enchanté  des  chants  doux  et  insinuants  de,  l'amoi  r 
consolateur.  L'air  de  la  fin  du  premier  acte.  L'espoir  renaît  dans  mon 
âme,  ne  peut  être  plus  brillant,  mieux  ordonné,  mieux  contrasté  i-i 
plus  propre  à  faire  ressortir  le  talent  d'un  habile  chanteur  et  d'une 
voix  superbe,  tel  que  M.  Le  Gros. 

Le  chœur  terrible  et  le  fameux  iVon.'des  démons,  en  opposition  aveo 
les  prières  et  les  accents  si  tendres  et  si  touchants  d'Orphée,  doni 
l'accompagnement  est  imité  de  la  lyre,  produisent  le  plus  gran  ■■ 
effet.  Il  y  a  bien  de  l'art  encore  dans  la  manière  dont  le  musicien  a 
su  rendre  la  pitié  oontiainte  des  démous  qui,  ne  pouvant  résister  au 
talent  vainqueur  d'Orphée,  lui  ouvrent  eux-mêmes  le  chemin  des 
Enfers.  Le  bonheur  tranquille  des  Champs  Eljsées  se  peint  et  se 
réfléchit  en  quelque  sorte  dans  la  mcsique  douce  du  chœur  et  des 
chants  des  Ombres  fortunées. 

Cette  pompe  funèbre,  ces  Enfers,  ces  Champs  Élysées  rappellent  les 
mêmes  tableaux  exécutés  pareillement  dans  l'opéra  de  Castor  de  Ra- 
meau, et  ne  les  font  pas  oublier.  Nous  croyons  même  que  la  musique 
du  compositeur  français  est  mieux  sentie,  plus  appropriée,  el,  pour 
ainsi  dire,  plus  locale  que  celle  de  M.  le  chevalier  Gluck.  Elle  est  ici 
empruntée  du  genre  pastoral,  et  il  lui  fallait  peut-être  une  autre 
nuance. 

La  scène  du  troisième  acte,  entre  Eurydice  et  Orphée,  est,  comme 
nous  l'avons  dit,  languissante,  malgré  le  duo  sublime,  de  la  plus 
étonnante  et  de  la  plus  vive  expression,  qui  seul  sulifirait  pour  carac- 
tériser un  homme  de  génie. 

Le  récitatif  employé  dans  cet  opéra  se  rapproche  beaucoup  de  celui 
de  Lulli,  mais  de  son  récitatif  débité,  déclamé  et  parlé,  comme  vrai- 
semblablement ce  musicien  le  faisait  exécuter,  et  non  chanté,  comme 
il  l'a  élé  abusivement  après  sa  mort.  Les  morceaux  de  symphonie  et 
d'accompagnement  sont  très  bien  faits,  quoiqu'ils  paraissent  quel- 
quefois chargés  de  beaucoup  de  traits  et  d'accords  recherchés  et 
contrastés,  qui  embarrassent  souvent  l'expression,  d'autant  plus  sûre 
qu'elle  est  moins  compliquée. 

Les  airs  de  danse  de  cet  opéra  sont  en  général  plus  soignés  et  plus 
variés  que  ceux  d'Iphigéiiie  ;  il  en  est  plusieurs  d'un  tour  original  et 
piquant  que  Rameau  lui-même  eût  enviés.  Il  n'y  a,  dans  cet  opéra, 
que  deux  rùles  principaux.  Eurydice  est  parfaitement  jouée  et  chantée 
avec  beaucoup  d'âme,  d'intelligence  et  de  précision  par  M""  Ainould, 


306 


LE  MÉNESTIŒl 


qui,  dans  soa  absence,  nepeut  être  mieux  remplacée  que  par  M""  Beau- 
mesnil,  actrice  aimable  et  sensible  et  musicienne  excellente.  Orphée 
est  très  bien  représenté  par  M.  Le  Gros  qui,  à  la  voix  la  plus  par- 
faite, au  talent  le  plus  brillant  et  au  chant  le  plus  sur,  unit  encore 
le  jeu  le  plus  animé  et  le  plus  expressif.  M""  Rosalie  joue  et  chante 
avec  beaucoup  d'agrément  son  rôle  favori  de  l'Amour.  M"'  Château- 
neuf  la  remplace  dans  ce  rôle,  et  y  est  applaudie. 

Les  ballets  de  la  pompe  funèbre  et  des  Enfers  sont  de  la  composi- 
tion de  M.  Gardel,  ceux  des  Champs  :Élysées  et  de  l'Amour  sont  de 
M.  'Vestris,  et  leur  font  honneur.  Les  plus  grands  talents  de  la  danse 
ont  montré  dans  cet  opéra  le  zèle  le  plus  vif  et  le  plus  heureux. 
M'"'  Guimard,  excellente  danseuse,  qui  répand  tant  de  grâce  et  de 
volupté  sur  ses  pas;  M"'  Heinel  dont  la  danse  est  si  noble,  si  impo- 
sante ;  M.  Vestris,  ce  danseur  que  la  nature  et  l'art  ont  pris  plaisir 
à  former  ;  M.  Gardel,  qui  a  le  talent  le  plus  hardi  et  le  plus  décidé, 
tous  ces  premiers  talents  de  la  danse,  et  après  eux  la  brillante  M"«  Do- 
rival  et  M.  Gardel  le  jeune,  ensemble  et  séparément,  ont  ravi  l'admi- 
ration et  les  suffrages  du  public  enchanté  (11. 

Le  mois  d'après,  le  journaliste,  suivant  le  courant  de  l'opi- 
nion, ajoutait  : 

L'Académie  royale  de  musique  conlinue  avec  succès  les  représen- 
tations d'OrpAee  ei  £«r!/d/ce.  La  musique  de  cet  opéra  gagne  à  ê're 
entendue;  elle  produit  d'aulant  plus  d'effet  que  l'on  a  eu  plus  sou- 
vent occasion  de  la  détailler  et  de  la  méditer.  L'auditeur  attentif  y 
découvre  le  génie  fécond  d'un  grand  maître,  qui  maîtrise  son  art, 
qui  sait  toujours  employer  le  langage  énergique  du  sentiment  et  des 
passions. 

M.  Le  Gros,  animé,  et  osons  le  dire,  inspiré  par  le  musicien,  s'élève 
jusqu'à  lui,  et  ajoute  encore  à  la  magie  de  son  rôle  par  un  jeu  plein 
d'ùme,  de  force  et  de  pathétique.  Ce  n'est  plus  seulement  le  chanteur 
le  plus  admirable,  mais  l'acteur  le  plus  vrai  et  le  plus  passionné. 
M"s  Beaumesnil  semble  jouer  d'après  elle-même  et  d'après  le  senti- 
ment profond  de  son  amour.  M"'"  Chàteauneuf,  qui  la  remplace  dans  le 
rôle  d'Eurydice,  doit  aussi  à  cette  musique  d'avoir  développé  des 
talents  et  une  expression  qui  ne  demandent  qu'à  être  exercés  (2j. 

Bien  d'autres  formulèrent  leur  admiration  avec  moins  de 
contrainte,  et  laissèrent  libre  cours  à  toute  l'ardeur  de  leur 
enthousiasme.  Telle  M"'=  de  Lespinasse,  dont  l'âme  tendre 
vibre  à  l'unisson  des  accents  d'Orphée  :  ses  lettres,  durant 
trois  mois  de  suite,  expriment  l'extase  d'une  jouissance  incom- 
parable et  inconnue  : 

«  L'impression  que  j'ai  reçue  de  la  musique  d'Orphée,  écrit- 
elle,  a  été  si  profonde,  si  sensible,  si  déchirante,  si  absor- 
bante, qu'il  m'étoit  absolument  impossible  de  parler  de  ce 
que  je  sentois  :  j'éprouvais  le  trouble,  le  bonheur  de  la  pas- 
sion... Cette  musique,  ces  accens  attachoient  du  charme  à  la 
douleur,  et  je  me  sentois  poursuivie  par  ces  sons  déchirans: 
«  J'ai  perdu  mon  Eurydice.  »  —  Je  vais  sans  cesse  à  Orphée,  et 
j'y  suis  seule:  mardi  encore  j'ai  dit  à  mes  amis  que  j'allois 
faire  des  visites,  et  j'ai  été  m'enfermer  dans  une  loge...  —  Mon 
ami,  je  sors  d'Orphée:  il  a  amolli,  il  a  calmé  mon  âme...  — 
Je  vous  quittai  hier  par  ménagement  pour  vous,  j'étois  si 
triste!  je  venois  d'Orphée.  Cette  musique  me  rend  folle...  mon 
âme  est  avide  de  cette  espèce  de  douleur  (3).  » 

Jean-Jacques  Rousseau  témoigne  de  dispositions  analogues. 
On  a  rapporté  de  lui  des  mots  tels  que  ceux-ci  :  «  Puisqu'on 
peut  avoir  un  si  grand  plaisir  pendant  deux  heures,  je  con- 
çois que  la  vie  peut  être  bonne  à  quelque  chose.  —  Je  ne 
connais  rien  de  plus  parfait  que  l'ensemble  des  Champs  Ely- 
sées  de  l'opéra  d'OrpItéi-  :  partout  on  y  voit  la  jouissance  d'un 
bonheur  pur  et  calme,  avec  un  tel  caractère  d'égalité  qu'il 
n'y  a  pas  un  trait  ni  dans  le  chant,  ni  dans  les  airs  de  danse 
qui  passe  en  rien  la  juste  mesure  i>  A  ceux  qui  repro- 
chaient à  la  musique  de  Gluck  de  manquer  de  mélodie,  il 
répondait  :  «  Je  trouve  que  le  chant  lui  sort  par  tous  les 
pores  (4)  ».  Il  fit  plus  que  d'exprimer  ces  opinions  favorables 
dans  un  entourage  plus  ou  moins  restreint,  car  il  écrivit  une 
étude  développée  sur  un  des  morceaux  les  plus  importants, 

(1)  Mercure  de  France,  septembre  1774. 

(2)  Mercure  de  France,  octobre  1774. 

(3)  Lettres  de  M"'  de  Lespinasse,  août  à  octobre  1774. 

(4)  Journal  de  Paris,  du  18  août  1788. 


qu'il  analysa  avec  force  détails  historiques,  lesquels  ne  sem- 
bleront peut-être  plus  très  probants  aujourd'hui:  mais-  le 
morceau  est  curieux,  et  mérite  de  trouver  place  parmi  ce 
résumé  des  opinions  exprimées  par  les  contemporains  sur 
l'œuvre  de  Gluck: 

...  Quant  au  passage  enharmonique  de  VOrphée  de  Gluck  que 
vous  me  dites  avoir  tant  de  peine  à  entonner,  et  même  à  entendre, 
j'en  sais  bien  la  raison...  Vous  sentez  du  moins  la  beauté  de  ce  pas- 
sage, et  c'est  déjà  quelque  chose,  mais  vous  ignorez  ce  qui  la  produit, 
je  vais  vous  l'apprendre. 

C'est  que  du  même  trait,  et,  qui  plus  est,  du  même  accord,  ce  grand 
musicien  a  su  tirer  dans  toute  leur  force  les  deux  effets  les  plus  con- 
traires, la  ravissante  douceur  du  chant  d'Orphée,  et  le  stridor  déchi- 
rant du  cri  des  Furies.  Quel  moyen  a-t-il  pris  pour  cela?  Un  moyen 
très  simple,  comme  sont  toujours  ceux  qui  produisent  les  grands 
effets.  Si  vous  eussiez  mieux  médité  l'article  Enharmonique  que  je  vous 
dictai  jadis,  vous  auriez  compris  qu'il  fallait  chercher  cette  cause 
remarquable,  non  simplement-dans  la  nature  des  intervalles  et  dans  la 
succession  des  accords,  mais  dans  les  idées  qu'ils  excitent,  et  dont 
les  plus  grands  ou  les  moindres  rapports,  si  peu  connus  des  musi- 
ciens, sont  pourtant,  sans  qu'ils  s'en  doutent,  la  source  de  toutes  les 
expressions  qu'ils  ne  trouvent  que  par  instinct. 

Le  morceau  dont  il  s'agit  est  eu  mi  bémol  majeur,  et  une  chose  digne 
d'être  observée  est  que  cet  admirable  morceau  est,  autant  que  je  puis 
me  rappeler,  tout  entier  dans  le  même  ton,  ou  du  moins  si  peu 
modulé  que  l'idée  du  ton  principal  ne  s'efface  pas  un  moment;  du 
reste,  n'ayant  plus  ce  morceau  sous  les  yeux,  et  ne  m'en  souvenant 
qu'imparfaitement,  je  n'en  puis  parler  qu'avec  doute. 

D'abord  ce  No!  (1)  des  Furies,  frappé  et  réitéré  de  temps  à  autre 
pour  toute  réponse,  est  une  des  plus  belles  inventions  en  ce  genre 
que  je  connaisse;  et  si  peut-être  elle  est  due  au  poète,  il  faut  convenir 
que  le  musicien  l'a  saisie  de  manière  à  se  l'approprier.  J'ai  ouï  dire 
que  dans  l'exécution  de  cet  opéra  l'on  ne  peat  s'empêcher  de  frémir 
à  chaque  fois  que  ce  terrible  No!  se  répète,  quoiqu'il  ne  soit  chanté 
qu'à  l'unisson  ou  à  l'octave,  et  sans  sortir  dans  son  harmonie  de 
l'accord  parfait  jusqu'aupassage  dont  il  s'agit;  mais  au  moment  qu'on 
s'y  attend  le  moins,  cette  dominante  diésée  forme  un  glapissement 
affreux  auquel  l'oreille  et  le  cœur  ne  peuvent  tenir,  tandis  qu'au 
même  instant  le  chant  d'Orphée  redouble  de  douceur  et  de  charme; 
et  ce  qui  met  le  comble  à  l'étonnement  est  qu'en  terminant  ce  court 
passage  on  se  retrouve  dans  le  même  ton  par  oii  l'on  vient  d'y  entrer, 
sans  qu'on  puisse  presque  comprendre  comment  on  a  pu  nous  trans- 
porter si  loin  et  nous  ramener  si  proche  avec  tant  de  force  et  de  rapi- 
dité. 

Vous  aurez  peine  à  croire  que  toute  cette  magie  s'opère  par  un  pas- 
sage tacite  du  mode  majeur  au  mineur  et  par  le  retour  subit  au 
majeur  :  vous  vous  en  convaincrez  aisément  sur  le  clavecin,  au 
moment  que  la  basse  qui  sonnait  la  dominante  avec  son  accord,  vient 
à  frapper  l'ut  bémol.  Vous  changez  non  de  ton,  mais  de  mode,  et 
passez  en  mi  bémol  tierce  mineure,  car  non  seulement  cet  lU,  qui  est  la 
sixième  note  du  ton,  prend  le  bémol  qui  appartient  au  mode  mineur,, 
mais  l'accord  précédent,  qu'il  garde  à  la  fondamentale  près,  devient 
pour  lui  celui  de  7' diminuée  sur  le  ré  appelant  naturellement  l'accord 
parfait  mineur  sur  le  mi  bémol.  Le  chaut  d'Orphée  :  Furie,  larve,  appar- 
tenant également  au  majeur  et  au  mineur  reste  le  même  dans  l'un 
et  dans  l'autre  ;  mais  aux  mots  :  Ombre  sdeç/nose,  il  termine  tout  à  fait 
le  mode  mineur.  C'est  probablement  pour  n'avoir  pas  pris  assez  tôt 
l'idée  de  ce  mode  que  vous  avez  eu  peine  à  entonner  ce  trait  dans  son 
commencement;  mais  il  rentre  en  finissant  au  majeur,  c'est  dans 
cette  nouvelle  transition  à  la  fin  du  mot  sdegnose  qu'est  le  grand  effet 
de  ce  passage;  et  vous  éprouverez  que  toute  la  difficulté  de  le  chanter 
juste  s'évanouit  quand,  en  quittant  ce  la  bémol,  on  prend  à  l'instant 
l'idée  du  mode  majeur  pour  entonner  le  sol  naturel  qui  en  est  la 
médiante. 

Cette  seconde  superflue  ou  7'  diminuée  se  suspend  en  passant 
alternativement  et  rapidement  du  majeur  au  mineur,  et  vice  versa  par 
l'alternative  de  la  basse  entre  la  dominante  si  bémol  et  la  sixième 
note  ut  bémol;  puis  il  se  résout  enfin  tout  à  fait  sur  la  tonique  dont 
la  basse  donne  la  médiante  après  avoir  passé  par  la  sous-dominante 
la  bémol  portant  tierce  mineure  et  triton,  ce  qui  fait  toujours  le  même 
accord  de  7°  diminuée  sur  la  note  sensible  ré. 

Passons  maintenant  au  glapissement  No!  des  Furies  sur  le  sibé- 
quarrc.  Pourquoi  ce  si  béquarre  et  non  pas  ut  bémol  comme  à  la 
basse?   Parce  que  ce  nouveau  sou    (quoiqu'on  vertu  de  l'enharmo- 


(1) 


On  voit  que  Jean-Jacques  écrivit  cette  étude  d'après  la  partition  italienne. 


LE  MÉNESTREL 


307 


niquG  il  entre  dans  l'accord  précédent),  n'est  pourtant  point  dans  le 
même  ton  et  en  annonce  un  tout  difTérent.  Quel  est  ce  ton  annoncé 
par  le  si  béquarre'?  C'est  le  ton  d'ut  mineur,  dont  il  devient  note 
sensible  ;  ainsi  l'âpre  discordance  du  cri  des  Furies  vient  de  cette 
duplicité  de  ton  qu'il  fait  sentir,  gardant  pourtant,  co  qui  est  admi- 
rable, une  étroite  analogie  entre  les  deux  tons,  car  Vut  mineur, 
comme  vous  devez  au  moins  le  savoir,  est  l'analogue  correspondant 
du  mi  bémol  majeur,  qui  est  ici  le  ton  principal. 

Vous  me  ferez  une  objection.  Toute  cette  beauté,  me  direz-yous, 
n'est  qu'une  beauté  de  convention,  et  n'existe  que  sur  le  papier, 
puisque  ce  si  béquarre  n'est  réellement  que  l'octave  de  Vut  bémol 
da  la  basse.  Car  comme  il  ne  résout  pas  comme  note  sensible,  mais 
disparait  ou  redescend  sur  le  si  bémol,  dominante  du  ton,  quand  on 
le  noterait  par  ut  bémol  comme  à  la  basse,  le  passage  et  sou  effet 
serait  le  même  absolument  au  jugement  de  l'oreille  :  ainsi  toute  cette 
merveille  enharmonique  n'est  que  pour  les  yeux. 

Cette  objection,  mon  cher  prête-nom,  serait  solide  si  la  division 
tempérée  de  l'orgue  et  du  clavecin  était  la  véritable  division  harmo- 
nique, et  si  les  intervalles  se  modifiaient  dans  l'intonation  de  la  vois 
sur  les  rapports  dont  la  modulation  donne  l'idée,  et  non  sur  les  alté- 
rations du  tempérament.  Quoiqu'il  soit  vrai  que  sur  le  clavecin  le  si 
béquarre  fait  l'octave  de  l'ut  bémol,  il  n'est  pas  vrai  qu'entonnant 
chacun  de  ces  deux  sons  relativement  au  mode  qui  le  donne,  vous 
entonniez  exactement  ni  l'unisson,  ni  l'octave.  Le  si  béquarre,  comme 
note  sensible  s'éloignera  davantage  du  si  bémol,  dominante,  et  s'ap- 
prochera d'autant  par  excès  de  la  tonique  at  qu'appelle  ce  béquarre  ; 
et  l'ut  bémol,  comme  0''  note  en  mode  mineur,  s'éloignera  moins  de 
la  dominante  qu'elle  rappelle,  et  sur  laquelle  elle  va  retomber;  ainsi 
le  semi-ton  que  fait  la  basse  en  montant  du  .Si' bémol  à  l'ut  bémol  est 
beaucoup  moindre  que  celui  que  font  les  Furies  en  montant  du  si 
bémol  à  sou  béquarre.  La  7°  superflue  que  semblent  faire  ces  deux 
sons  surpasse  même  l'octave,  et  c'est  par  cet  excès  que  se  fait  la  dis- 
cordance du  cri  des  Furies,  car  l'idée  de  note  sensible  jointe  au  bé- 
quarre porte  naturellement  la  voix  plus  haute  que  l'octave  de  l'ut 
bémol  ;  et  cela  est  si  vrai,  que  ce  cri  ne  fait  plus  son  efl'et  sur  le  cla- 
vecin  comme  avec  la  voix,  parce  que  le  son  et  l'instrument  ne  se 
se  modifient  pas  de  même. 

Ceci,  je  le  sais  bien,  est  directement  confraii'e  aux  calculs  établis 
et  à  l'opinion  commune  qui  donne  le  nom  de  semi-ton  mineur  au 
passage  d'une  note  à  son  dièze  ou  à  son  bémol  supérieur,  ou  un 
dièze  inférieur;  mais  dans  ces  dénominations  on  a  eu  plus  d'égard  à 
la  différence  du  degré  qu'au  vrai  rapport  de  l'intervalle,  comme  s'en 
convaincra  tout  homme  qui  aura  de  l'oreille  et  de  la  bonne  foi,  et 
quant  au  calcul,  je  vous  développerai  quelque  jour,  mais  à  vous 
seul,  une  théorie  plus  naturelle  qui  vous  fera  voir  combien  celle  sur 
laquelle  on  a  calculé  les  intervalles  est  à  contre-sens. 

Je  finirai  ces  observations  par  une  remarque  qu'il  ne  faut  pas 
omettre  :  c'est  que  tout  l'effet  du  passage  que  je  viens  d'examiner 
lui  vient  de  ce  que  le  morceau  dans  lequel  il  se  trouve  est  de  mode 
majeur  ;  car  s'il  eût  été  en  mineur,  le  chant  d'Orphée  restant  le 
même  e  ùt  été  sans  force  et  sans  effet.  L'intonation  des  Furies  par  le 
béquarre  eût  été  impossible  et  absurde,  et  il  n'y  aurait  rien  eu  d'har- 
monique dans  ce  passage.  Je  parierais  tout  au  monde  qu'un  Français 
ayant  eu  ce  morceau  à  faire  l'eût  traité  en  mode  mineur;  il  y  aurait 
pu  mettre  d'autres  beautés  sans  doute,  mais  aucune  qui  fût  aussi 
simple  et  qui  valût  celle-là. 

Voilà  ce  que  ma  mémoire  a  pu  me  suggérer  sur  ce  passage  et  sur 
son  explication.  Ces  grands  effets  se  trouvent  par  le  génie,  qui  est 
rare,  et  se  sentent  par  l'organe  sensitif,  dont  tant  de  gens  sont  privés  ; 
mais  ils  ne  s'expliquent  que  par  une  étude  réfléchie  de  l'art  (1). 

Nous  terminons  ces  citations  par  une  observation  de  Grétry 
se  rapportante  un  autre  morceau  d'Orphée.  L'auteur  de  Richard 

Cœur  de  Lion,  bien  que  plusieurs  de  ses  amis  et  collaborateurs 
fussent  engagés  très  avantdans  le  parti  picciniste,  se  tint  digne- 
ment à  l'écart  pendant  toute  la  bataille,  et,  dans  la  suite, 
témoigna  à  plusieurs  reprises  de  son  admiration  pour  le 
génie  de  Gluck.  La  critique  ci-dessous  a  pour  seul  objet  de 
fournir  un  exemple  à  l'appui  de  cette  thèse,  contestable 
d'ailleurs  :  qu'aucune  langue  humaine,  même  la  musique, 
n'est  digne  d'exprimer  le  langage  des  dieux. 

«  Il  ne  faut  faire  chanter  ni  Apollon,  ni  Orphée...  Lorsque 

Orphée  veut  forcer  le  Ténare,  l'air  de  Gluck  ne  satisfait  pas 

(1)  Extrait  {Tune  réponse  du  Petit  faiseur  à  son  prête-^om  sur  un  morceau  de  l'Or- 
phée rf«  Gluck,  dans  les  Mémoires  pour  la  Révoluticrn,eta.,  p.  21  et  suiv. 


les  spectateurs,  qui  attendent  un  prodige  inouï  en  musique  ; 
cet  air  parait  froid,  et  le  serait  effectivement  si  les  démons 
ne  le  réchauffaient  par  leur  cris.  Ce  sont  donc  les  diables  qui 
opèrent  fortement  sur  les  spectateurs,  et  non  Orphée.  U  fait 
naître,  il  est  vrai,  les  oppositions  qui  frappent  ;  mais  ne  de- 
vrait-il pas  frapper  lui-même  pour  être  auteur  principal?»  (1). 
(A  suivre.)  Juuen  Tiersot. 


BULLETIN   THÉÂTRAL 


Gymnase.  —  La  Famille  Pont-Biquet,  comédie  en  3  actes,  de  M.  Alexandre 
Bisson.  —  Nouveau-Cirque,  Paris-Pékin,  bouffonnerie  à  grand  spectacle  en 
3  tableaux. 

Le  Gymnase  a  très  gaiement  fait  sa  réouverture,  lundi  dernier, 
avec  la  Famille  Pont-Biquet,  empruntée  a  son  bon  ami  le  Vaudeville, qui, 
de  son  côté,  a  commencé  sa  saison  nouvelle  avec  la  Lysistrata  de 
M.  Maurice  Donnay,  de  dialogue  toujours  lestement  pimpant,  d'ex- 
hibition féminine  toujours  aussi  chatoyante. 

Le  succès  de  la  fort  amusante  et  très  curieusement  adroite  comédie 
de  M.  Alexandre  Bisson  a  été  aussi  vif  que  lors  de  sa  première  appa- 
rition, il  y  a  quatre  ans  déjà.  De  la  primitive  distribution,  voici 
heureusement  retrouvés  M.  Boisselot,  dont  le  rôle  de  Pont-Biquet 
demeure  certainement  l'un  des  meilleurs,  M.  Galipaux,  l'amusant 
homme-poisson,  MM.  Lagrange,  H.  Mayer,  Peutat,  M'""=  Daynes-Gras- 
sot,  de  comique  bien  eu  dehors,  l'agréable  M'"=  Bréval  et  la  drola- 
tique M"°  Maire.  C'est  M.  Hugiienet,  transfuge  de  l'opérette  s'adon- 
nant  définitivement  à  la  comédie,  qui,  sous  l'habit  de  l'avocat  phré- 
nologiste  La  Raynette,  succède  à  M.  Dupuis.  Avec  peut-être  moins 
de  niaise  finesse  et  d'imprévu  et,  aussi,  moins  de  procédés,  M.  Hu- 
guenet  accuse  le  personnage  plus  bourgeois,  bon  enfant  et  bien 
naturel  ;  le  public  l'a  accueilli  de  façon  à  lui  prouver  que  si  l'opé- 
rette le  pleure,  la  comédie  n'a  qu'à  se  louer  d'avoir  su  l'attirer  à  elle. 

Malgré  bourrasques,  rafales,  cyclones  presque,  le  Nouveau-Cir- 
que, grand  introducteur  de  l'hiver  parisien,  nous  a  invité,  vendredi, 
à  venir  applaudir  sou  premier  spectacle  de  la  saison,  Paris-Pékin, 
trois  tableaux,  trois  stations.  Première  station  ;  une  gare  de  la  mé- 
tropole où,  si  l'on  en  croitl'employé  chargé  de  prévenir  les  voyageurs, 
il  y  a  un  train  direct  pour  la  Chine;  c'est  là  également  que  se  pro- 
mène, en  quête  d'acquéreur,  l'auteur  de  la  statue  d'une  célèbre  dan- 
seuse, «  morceau  de  roi  ».  Deuxième  station  :  la  capitale  de  la  Chine, 
avec  divertissements  obligatoires  de  gentilles  mousmées  se  trémous- 
sant sur  les  airs  agréables  de  M.  Laurent  Grillet.  Troisième  station  : 
apothéose  très  réussie,  avec  feuilles  de  lotus  émergeant  des  eaux  et 
laissant  s'épanouir,  très  plastiques,  de  jeunes  personnes  aux  poses 
langoureuses  ;  Ménessier  invenit. 

Parmi  les  «  numéros  »,  il  faut  signaler  la  «  Tête  mystérieuse  » 
par  les  Luttgens,  les  «  Jeux  icariens  »  par  la  Kellino  family,  et 
l'impayable  Foottit  faisant  manœuvrer  son  peloton  de  gamins. 
Celui-là  est,  sans  conteste,  le  «  clown  de  la  soirée  ». 

Paul-Émile  Chevalier. 


I}XTX*I^X2^ 


Un  artiste  admirable  et  qui  n'a  pas  encore  trouvé  son  successeur, 
Duprez  —  le  grand  Duprez,  pourrait-on  dire  —  vient  de  mourir  dans 
sa  quatre-vingt-dixième  année.  Il  y  en  avait  quarante-tieuf  q\i' il  avait 
dit  adieu  à  la  scène  et  au  public,  et  l'on  sait  après  quels  succès.  On 
ne  saurait  trouver  extraordinaire  la  disparition  d'un  homme  qui  a 
vécu  presque  tout  un  siècle.  Ce  n'est  pourtant  pas,  même  pour  ceux  qui 
pourraient  être  indifférents,  sans  un  sentiment  de  cruel  et  sincère 
regret  qu'on  voit  s'éteindre  un  de  ces  grands  artistes  qui  ont  atteint 
les  plus  hauts  sommets  et  qui  ont  procuré  à  leurs  contemporains  une 
de  ces  jouissances  intellectuelles  si  pures,  si  complètes,  si  puissantes 
qu'elles  restent  forcément  sans  pareil  et  sans  équivalent.  La  carrière 
de  Duprez  a  été  courte,  elle  n'a  pas  dépassé  dix  années  pour  la  France, 
mais  elle  a  eu  un  tel  éclat  que  le  souvenir,  après  un  demi-siècle,  n'en 
est  point  effacé  et  que,  pour  n'avoir  pu  l'entendre,  les  hommes  de  la 
génération  présente  savaient  bien  quelle  avait  été  sur  leurs  pères 
l'action  de  ce  chanteur  incomparable. 

(1)  GRÉTRY.  Essais  sur  la  musique,  I,  302. 


308 


LE  MÉNESTREL 


Louis- Gilbert  Duprez  était  né  rue  Grenéta,  le  6  décembre  1806,  le 
cl nizième  de  vingt-trois  enfants.  Il  commença  d'assez  bonne  heure 
l'étude  de  la  musique  pour  pouvoir  être  admis  à  l'âge  de  neuf  ans  au 
Conservatoire,  dans  la  classe  de  solfège  d'un  professeur  nommé  Rogat, 
qui  n'a  pas  laissé  une  trace  profonde  dans  l'histoire  de  l'art.  Il  n'y 
resta  pas  longtemps  d'ailleurs,  et  quitta  assez  rapidement  le  Conser- 
vatoire pour  se  faire  admcllre  à  l'École  de  musique  de  Choron,  qui  le 
prit  aussitôt  en  affection  à  cause  de  ses  dispositions  et  de  son  excel- 
lent travail,  ainsi  qu'en  témoigne  cette  lettre  que,  peu  de  temps  après, 
Choron  adressait  à  une  personne  qui  s'intéressait  à  l'enfant: 

Vous  pouvez  être  parfaitement  tranquille  sur  le  sort  du  jeune  Gilbert 
Duprez.  Cet  enfant  a  pour  la  musique  et  l'art  dramatique  en  général  les 
plus  heureuses  dispositions. 

J'ai  longtemps  demandé  sa  nomination  et,  quoique  je  n'en  aie  point 
encore  la  nouvelle  officielle,  je  ne  doute  pas  de  l'obtenir.  J'y  tiens  d'autant 
plus  que,  l'ayant  appelé  provisoirement  à  remplir  la  place  qui  lui  est 
destinée,  j'ai  toute  sorte  de  satisfaction  de  lui  sous  le  rapport  du  talent  et 
cle  la  conduite.  Je  ne  doute  pas  qu'il  ne  devienne  un  des  sujets  les  plus 
ilistingués  qui  sortiront  de  mes  mains,  et,  quelle  que  soit  la  carrière  qu'il 
choisisse,  il  doit  y  obtenir  les  plus  grands  succès.  Je  suis  on  ne  peut  plus 
satisfait  d'avoir  à  vous  rendre,  d'un  sujet  auquel  vous  vous  intéressez,  un 
témoignage  aussi  avantageu.x  et  qui,  comme  vous  le  savez,  ne  peut  qu'être 
sincère. 
Je  vous  souhaite  le  bonsoir,  ainsi  qu'à  Claire. 


A.  Choron. 


3  mars  1818. 


On  sait  la  renommée  qu'a  laissée  l'école  de  Choron,  et  l'exceliente 
et  sérieuse  éducation  qu'y  recevaient  les  élèves.  Duprez  se  trouva  là 
avec  Hippolvte  Monpou,  Scudo,  Kicou,  Boulanger-Kunzé,  Jansenne, 
Ca'naple,  même  Laferrière,  qui  y  passa  quelque  temps  ,M"^'  Duperrou, 
qu'il  épousa  plus  tard,  Clara  Kovello,  Victorine  Noeb  (M""'  Rosine 
Slolz),  M"=  Massy,  plus  tard  M""'  Hébert-Mas^y,  la  future  Niceite  du 
Pré-auœ-Clercs.  Il  y  étudia  le  chant  avec  Choron  lui-même,  puis  le 
contrepoint  et  la  composition  avec  Porta  et  Fétis,  et  c'est  ce  dernier 
((ui  le  fit  paraître  pour  la  première  fois  en  public.  «  Le  premier  essai 
(lu'il  fit  en  public  de  son  talent,  dit  Fétis,  eut  lieu  dans  des  représen- 
tations de  YAthalie  de  Racine  (eu  1820),  au  Théâtre-Français,  où  l'on 
avait  introduit  des  chœurs  et  des  polos.  Duprez  y  chanta  une  partie 
de  soprano  dans  un  trio  composé  pour  lui  et  deux  autres  élèves  de 
Choron  (c'était  de  la  Gastiue  et  Boulanger-Kunzé)  par  l'auteur  de 
de  cette  notice,  et  l'accent  expressif  qu'il  mit  daus  l'exécution  de  ce 
morceau  fit  éclater  les  applaudissements  dans  toutes  les  parties  de 
la  salle.  » 

Son  éducation  terminée,  Duprez  songea  aussitôt  à  se  produire  au 
théâtre.  L'Odéon  était  alors  une  scène  semi-lyrique,  qui  avait  le  droit 
de  jouer  non  des  opéras  inédits,  mais  des  ouvrages  tombés  dans  le 
domaine  public  et  des  traductions.  Duprez  s'y  présenta,  fut  engagé  et 
débuta,  le  i"  décembre  182o,  dans  le  Barbier  de  Séville.  Il  n'avait  pas 
encore  accompli  sa  dix-neuvième  année.  Bien  accueilli  par  le  public, 
sans  que  rien  pourtant  fît  prévoir  le  bel  avenir  qui  l'attendait,  il  joua 
successivement  Zémire  et  Azor,  Don  Juan,  la  Folle  de  Claris,  et  resta  à 
l'Odéon  jusqu'en  1828,  époque  où  ce  théâtre  renonça  à  toute  aspiration 
lyrique.  C'était  au  moment  où  l'Opéra-Comique  changeait  de  direction 
et  passait  aux  mains  du  «  chevalier  »  Ducis.  Duprez  y  débuta  le 
)i3  septembre  1828  dans  la  Dame  blancke,  se  montra  ensuite  dans  les 
Yisitandines  et  quelques  autres  ouvrages,  puis  eut  un  différend  avec 
son  directeur  et,  au  bout  de  deux  mois,  rompit  son  engagement.  C'est 
alors  qu'il  partit  pour  l'Italie  avec  sa  femme,  car  il  était  déjà  marié, 
et  comjaença  dans  ce  pays  une  carrière  dififioile,  très  modeste  d'abord, 
puis  peu  à  peu  brillante,  et  enfin  triomphale. 

Duprez  resta  huit  ans  en  Italie,  qu'il  parcourut  dans  toas  les  sens, 
sous  la  direction  du  fameux  imprésario  Lanari.  Il  joua  tout  le  réper- 
toire italien  de  l'époque,  puis  le  Comte  Ory,  puis  Guillaume  Tell,  et 
y  créa  plusieurs  ouvrages,  entre  autres  Parisina,  Ttosmunda  d'Inghil- 
terra  et  la  Lucia  di  Lammennoor  de  Douizetti,  avec  lequel  il  se  lia  d'une 
étroite  amitié.  Il  y  connut  et  y  eut  pour  compagnons  tous  les  grands 
artistes  de  l'époque,  la  Pisaroni,  la  Pasta,  la  Malibran,  Carolina 
IJpgher,  qui  fut  la  marraine  de  sa  fille  Caroline,  puis  Rubini,  Cosselli, 
Davide,  mais  surtout  il  y  fit  son  apprentissage  de  grand  chanteur,  et 
y  conquit  une  immense  renommée. 

Cette  renommée  s'étendit  Daturellcment  jusqu'à  Paris,  et  lorsqu'il 
roviot  d'Italie,  Duponchel,  alors  directeur  de  l'Opéra,  lui  fil  faire  des 
propositions  par  Halévy,  Ils  ne  s'entendirent  pas  tout  d'abord,  et 
Duprez  alla  passer  de  nouveau  quelques  mois  de  l'autre  côté  des 
Alpes.  Mai.s  enfin,  à  son  second  retour,  les  difficul.és  furent  aplanies. 


l'engagement  fut  signé,  et  il  fut  convenu  que  Duprez  débuterait  daus 
Guillaume  Tell.  On  sait  que  cet  engagement  fut  cause  de  la  rupture  de 
celui  de  Nourrit,  et  les  faits  à  cet  égard  sont  trop  connus  pour  que 
j'aie  à  m'étendre  sur  ce  sujet  et  à  rappeler  le  départ  de  Nourrit,  son 
propre  voyage  en  Italie  et  sa  fin  lamentable. 

Mais  Nourrit  était  très  aimé  à  l'Opéra,  où  son  successeur  parais- 
sait un  peu  comme  nn  intrus,  le  personnel  même  était  hostile  à 
celui  ci  dès  avant  qu'il  eût  paru,  et  Duprez  a  raconté  à  ce  sujet,  dans 
ses  Souvenirs  d'un  chanteur,  un  incident  typique  et  assez  curieux  : 

Je  savais,  dit-il,  que  mon  succès  ne  pouvait  être  dû  à  ma  personne  phy- 
sique. Un  petit  incident,  quelques  jours  avant  la  répétition  générale, 
m'eût  d'ailleurs  enlevé  toute  illusion  à  cet  égard,  si  j'en  avais  eu.  Durant 
un  entr'acte  de  ballet,  Halévy  et  moi  nous  parcourions  le  théâtre,  bras 
dessus  bras  dessous,  derrièrre  le  rideau,  pendantqua  plusieurs  artistes  de 
la  danse  se  mettaient  en  jambes.  L'une  d'elles,  une  belle  figurante  qu'on 
appelait  ordinairement  la  grande  S....  s'arrête  tout  à  coup,  et,  nous  regar- 
dant passer  :  —  «  Quel  est  donc  celui-là  ?  demanda-t-elle  à  une  camarade 
en  me  désignant.  —  Eh  bien!  c'est  le  nouveau  ténor,  celui  qui  remplace 
Nourrit;  on  dit  qu'il  a  des  apppointements  formidables.  — Bah!  répli- 
qua la  grande,  ce  crapaud-là?  C'est  pas  possible,  il  est  bien  trop  laid  !  » 

On  sait  quel  fut  le  succès.  Lui-même  nous  le  raconte  encore,  sans 
gloriole  et  avec  une  eniière  siiicéritj;  on  se  rappelle  que  sa  première 
apparition  dans  Guillaume  Tell  eut  lieu  le  17  avril  1837: 

...  Une  fois  seul  en  scène,  l'épaisseur  du  silence  qui  se  fit  m'effraya. 
Je  chantai  le  récit:  //  nie  parle  d'hymen,  jamais,  etc.  De  même  qu'à  la  répé- 
tion  générale,  une  sorte  de  frou-frou,  dont  je  ne  compris  pas  le  sens,  l'ac- 
cueillit du  haut  en  bas  de  la  salle,  et  j'entamai  mon  duo  avec  le  baryton 
(Dérivis  fils),  sans  savoir  si  j'avais  plu  ou  si  j'allais  échouer.  Il  faut  le  dire, 
j'eus  peur  !...  Mais  après  la  phrase  ;  0  Mathilde,  idole  de  mon  âme!...  le  doute 
ne  fut  plus  possible,  un  tonnerre  d'applaudissements  avait  éclaté...  L'op- 
pression me  quitta,  je  respirai  enfin!... 

Mais  une  victoire  ordinaire  ne  pouvait  succéder  à  une  si  belle  attaque, 
sans  ressembler  à  une  déroute;  ma  tâche  n'en  devenait  donc  que  plus  difficile. 
Heureusement,  l'enthousiame  du  public  a  toujours  pour  effet  de  décupler 
les  moyens  de  l'artiste;  il  s'établit  dans  ces  cas-là  entre  eux  une  commu- 
cation  intime,  la  chaleur  de  l'un  excite  naturellement  la  chaleur  de  l'autre. 
Au  deuxième  acte,  dans  mon  duo  avec  Mathilde,  si  bien  représentée  par 
M'°'  Dorus,  des  exclamations  approbatives,  qui  venaient  souligner  cha- 
que phrase  de  mes  récits,  m'enlevèrent  peu  à  peu  tout  reste  d'appréhen- 
sion. Le  trio  s'en  ressentit.  Mon  père,  tu  m'as  dû  maudire....  futaupsi  applaudi 
que  0  Mathilde....,  au  premier  acte.  Je  pouvais  déjà  comparer  cette  soirée 
à  celle  de  mes  débuts  à  Rome,  en  1834;  mais  lorsque  j'eus  chanté  mon 
grand  air,  je  ne  puis  dire  ce  qui  so  passa!.,.  Ce  que  j'éprouvai  est  impos- 
sible à  exprimer  ;  le  triomphe  dont  je  fus  l'objet,  ce  n'est  pas  à  moi  de  le 
décrire.  Jamais,  dans  mes  rêves  les  plus  ambitieux,  je  n'eusse  osé  aspirer 
à  rien  de  semblable  !  Jamais  même  je  n'en  aurais  eu  l'idée!... 

11  semble  que  le  succès  de  Duprez  devait  être  fatal.  Cette  émis- 
sion large  de  la  voix,  cette  articulation  superbe,  ce  style  admirable 
et  plein  de  grandeur,  cette  façon  noble  et  puissante  de  dire  le  réci- 
tatif, par-dessus  tout  celte  chaleur  entraînante  dont  il  parle  et  le 
sentiment  passionné  qui  débordait  en  lui,  tout  cela  assurait  infailli- 
blement son  triomphe.  Nul  n'ignore  ce  qu'il  fut  durant  dix  années 
pleines.  Après  Guillaume  Tell,  Duprez  chanta  les  Huguetiols,  puis  la 
Juive,  puis  la  Muette.  Ensuite  vinrent  les  créations,  nombreuses  et 
presque  toutes  heureuses  (à  part  le  Benvenuto  Cetlini  de  Berlioz)  : 
Guido  et  Ginevra,  la  Reine  de  Chypre,  Charles  VI,  d'Halévy;  le  Lac 
des  Fées,  d'Auber  ;  les  Martyrs,  la  Favorite,  Dom  Sébastien  de  Portugal, 
Lucie  de  Lammermoor,  do  Donizetti,  avec  laquelle  il  avait  triomphé  en 
Italie,  enfin  la  traduction  de  l'Otello  de  Rossini  et,  pour  finir  sur  un  coup 
d'éclat,  .Jérusalem,  de  Verdi,  où  le  grand  artiste  déploya  son  talent 
dans  toute  sa  puissance  et  sa  magnificence.  Puis  il  quitta  la  scène 
pour  toujours,  ne  se  produisant  plus  que  dans  deux  tournées  avec 
ses  élèves,  et  ne  se  faisant  plus  entendre  que  dans  quelques  concerts 
ou  dans  l'intimité,  avec  des  amis,  mais  laissant  un  nom  qui  a  sa 
place  marquée  daus  l'histoire  de  l'arl,  et  uue  place  glorieuse  entre 
toutes. 

Dupiez  pourtant  était  jeune  encore,  puisqu'il  avait  à  peine  déjiassé 
la  quarantaine.  Il  résolut  de  se  consacrer  désormais  à  l'enseignement 
et  à  la  composition.  Depuis  plusieurs  années,  c'est-à-dire  depuis 
l'avènement  d'Auber  à  la  direction  du  Gonservatoin»,  il  était  titulaire 
d'une  classe  de  chant  dans  cet  établissement,  où  il  avait  formé 
Balanqué,  le  créateur  de  Méphistophélès  au  Théàlre-Lyrique,  M""  Fé- 
lix-Miolau,  qui  devait  être  M'""  Carvalho,  M""  Puinsol,  M"°  Dameron, 
etc.  Mais  il  rêvait  la  création  d'une  école  spéciale  et  personnelle,  et 
dans  ce  but,  il  donna  sa  démission  de  professeur  au  Conservatoire. 
De  cette  école,  qu'il  a  longtemps  dirigée,  sont  sortis  nombre  d'artistes 
de  la  plus  haute  valeur  :  sa  fille,  d'abord,  Caroline  Duprez,   morte 


LE  MÉNESTREL 


309 


avantl'âgc,  et  qui,  comme  il  l'a  dit  lui-même,  était  une  chanteuse  de 
race;  puis  les  deux  sœurs  Jeanne  et  Fidès  De  Vriès,  M'"  Emma 
Albani  (M"""  Gye),  M»«  Adèle  Isaac,  M"«  Marimon,  M.  Engel,  M.  du 
Wast,  et  tant  d'autres  dont  les  noms  m'échappent. 

Quant  à  la  composition,  ce  fut  toujours  une  des  passions  de  Duprez, 
passion  que  je  n'ose  qualifier  de  malheureuse,  mais  qui  certainement 
l'eût  laissé  dans  l'obscurité  s'il  n'avait  eu  un  autre  talent  pour  se 
faire  un  nom.  Non  que  son  instruction  technique  fût  incomplète;  il 
connaissait,  comme  on  dit,  son  affaire,  mais  il  avait  des  idées  bizarres 
en  matière  d'harmonie,  des  procédés  parfois  singuliers  en  matière 
d'accompagnement;  et  puis  l'inspiration  lui  faisait  un  peu  trop 
défaut.  Ah!  je  conserverai  longtemps  la  mémoire  d'une  certaine 
représentation  de  Jeanne  d'Arc,  qui  eut  lieu  —  hélas!  il  y  a  près  de 
trente  ans!  —  là-ba?,  là-bas,  rue  de  Lyon,  dans  un  théâtre  aujourd'hui 
disparu,  une  espèce  d'immense  grange,  qui  prenait  le  titre  de  Grand- 
Théâtre-Parisien,  où  les  fauteuils  étaient  remplacés  par  des  «  confor- 
tables »,  et  où  nous  avons  passé  une  soirée  homérique.  Jamais,  non, 
jamais  on  n'a  tant  ri  qu'aux  exploits  de  cette  malheureuse  Jeanne 
d'Arc,  dont  on  renouvela  ainsi  le  supplice  sous  une  autre  forme. 

Mais  Duprez  a  écrit  beaucoup  d'autres  opéras  :  l'Abime  de  la  Mala- 
detta,  en  3  actes,  joué  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  18S1;  Joanita  ou  ta 
Fille  des  boucaniers,  3  actes,  Théâtre-Lyrique,  18S2;  la  Lettre  au  bon 
Dieu,  2  actes,  Opéra-Comique,  1833;  la  Cabane  du  pêcheur,  un  acte, 
joué  à  Versailles  ;  puis  Jélyotte,  Amelina,  opéras-comiques,  Sanison, 
Zéphora,  Tariotti,  grands  opéras,  enfin  la  Pazsa  delta  Regina,  opéra 
italien,  ouvrages  qui  n'ont  pas  été  livrés  au  public.  Il  faut  ajouter  à 
tout  cela  plusieurs  messes  et  un  oratorio  intitulé  le  Jugement  der- 
nier, plus  un  grand  nombre  de  morceaux  de  chant  de  divers  genres. 
Enfin,  Duprez  a  publié  deux  grands  ouvrages  didactiques,  dont  l'un 
a  pour  liire  t'A7't  du  chant  et  l'anlre  la  Mélodie. 


Duprez  avait  encore  non  des  prétentions,  mais  des  goûts  litté- 
raires, et  l'innocente  manie  de  publier  des  vers  —  médiocres.  Il 
était  jovial  de  sa  nature,  aimait  à  rire,  el  l'on  assure  qu'au  Caveau, 
dont  il  était  membre,  il  chantait  des  chansons  qui  n'étaient  pas 
exemptes  d'une  certaine  grivoiserie.  Ces  chansons,  il  ne  les  a  pas 
publiées,  que  je  sache;  mais,  de  temps  à  autre,  il  lançait  certains 
petits  recueils  de  vers  d'une  allure  cocasse  et  qu'on  doit  lire  avec 
indulgence.  En  voici  la  liste  : 

Graines  d'artistes,  silhouettes  vocales,  par  G.  Duprez,  cultivateur 
lyrique  (Paris,  Tresse,  in-12,  1882),  avec  un  joli  portrait  signé  : 
Innocent. 

Récréations  de  mon  grand  âge,  par  l'octogénaire  G.  Duprez  (Paris, 
Flammarion,  2  vol.  in-12, 1888).  «  Premier  volume,  bienséant  »,  avec 
cette  épigraphe  : 

Ce  livre  est  bien  léger,  mais  frise  la  sagesse  ; 
La  tante  en  permettra  la  lecture  à  sa  nièce 

et  orné  d'une  reproduction  du  beau  buste  de  Duprez.  —  «  Second 
volume,  rigolo  »,  avec  cette  épigraphe: 

Ce  livre  à  la  pudeur  a  peu  droit  de  prétendre; 
La  mère  en  détendra  la  lecture  à  son  gendre. 

et  accompagné  de  la  statuette  de  Duprez  dans  Guillaume  Tell.  Ce 
second  volume  porte  ce  sous-titre:  «  Contes  historiques  sur  l'Acadé- 
mie royale  de  musique,  de  164a  (?)  jusqu'à  nos  jours,  dédiés  par 
l'auteur  à  messieurs  les  ténors,  barytons  et  basses  de l'O'péra, présents 
et  à  venir.  » 

Un  chanteur  peint  par  lui-même,  opuscule  en  vers  libres  (Paris, 
in-12,  1888). 

Choses  di-ôtes,  quatre  petits  contes  en  vers  (Paris,  in-12,  1889). 

Joyeusetés  d'unchanteur  dramatique  (Paris,  Tresse,  in-12). 

Sur  la  voix  et  l'art  du  citant,  essai  rimé  (Paris.  Tresse,  in-!2). 

Je  possède,  de  la  main  même  de  Duprez,  qui  me  l'envoyait  il  y  a 
deux  ou  trois  ans,  une  pièce  de  vers  intitulée  :  la  Musique  de  l'avenir, 
satire  à  Wagner,  qui  n'a  pas  été  imprimée. 

Ce  qui  est  plus  intéressant  que  tout  cela,  ce  sont  les  Souvenirs 
■''v"  chanteur,  qu'il  donna  d'abord  à  la  Nouvelle  Revue,  et  qui  furent 
publiés  ensuite,  en  1880,  à  la  librairie  Calmann  Lévy  (in-12).  Ceci 
est  beaucoup  |ilus  artistique  et  beaucoup  moins  égotiste  que  le  fameux 
Carnet  d'un  chanteur  de  Gustave  Roger. 


Dans  ces  notes  rapides,  je  n'ai  pas  parlé  du  célèbre  ut  de  poitrine, 
introduit  p;ir  Duprez  à  l'Opéra,  où  on  ne  l'avait  jamais  entendu  et  où 
l'on  sait  que  son  effet  fut  formidable.  Je  ne  m'étendrai  passurce  sujet. 


connu  depuis  trop  longtemps,  mais  je  rappellerai  une  double  plaisan- 
terie à  laquelle  il  donna  lieu  lorsque,  en  186.o,  le  grand  artiste  fut 
nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  C'est,  je  crois,  M.  Ernest 
d'Hervilly,  qui  lança  alors  dans  le  Diogène,  de  joyeuse  mémoire,  ce 
quatrain  facétieux  : 

Duprez,  l'ancien  ténor,  a  reçu  pour  cadeau 
Un  tout  petit  ruban  de  couleur  purpurine. 
La  décoration  que  porte  sa  poitrine. 
Il  l'a  gagnée  avec  son  do. 

A  quoi  un  autre  se  hâta  d'ajouter  : 

On  décore  Duprez;  nous  crions  tous  bravo! 

Mais  une  chose  me  chagrine  : 
C'est  que  l'on  n'ait  pu  lui  redonner  le  do 
En  même  temps  que  la  croix  de  poitrine. 

Il  n'empêche  que  la  renommée  de  Duprez  restera  celle  d'un  des 
plus  grands  artistes  qu'ail  produits  le  dix-neuvième  siècle. 

Arthur  Pougin. 

On  peut  consulter,  sur  Duprez  ;  1°  Duprez,  sa  vie  artistique,  par 
A.  Ehvart  (Paris,  Magen,  1838,  in-16,  avec  portrait):  ^o  Duprez,  par  Eugène 
Briffault,  noticepubliée  dans  la  Galerie  des  artistes  dramatiques  de  Paris  (Paris, 
Marchant,  1840,  in-4»,  avec  portrait);  3°  Duprez,  par  Castil-Blaze  {Revue  de 
Paris  du  29  avril  1838).  A.  P. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

PRISONS   POLITIQUES   MODERNES 
III 

(Suite) 

Si  les  débris  de  l'insurrection  oommunalis te  de  1871,  relégués  en 
Nouvelle-Calédonie,  ne  nous  y  présentent  pas,  au  point  de  vue  mu- 
sical, des  contrastes  aussi  pittoresqaes,  ils  nous  offrent,  en  revanche, 
des  analogies,  peut-être  inconscientes,  mais  certainement  tiès  pro- 
noncées avec  les  déportés  de  la  première  Républiqu»,  à  Cayenne.  Ils 
ont,  tantôt  la  gaieté  provocatrice  d'Ange  Pilou,  tantôt  la  patience 
industrieuse  de  Barhé-Marbois.  Et  tous,  sous  l'intluence  sans  doute 
de  l'éducation  artistique  si  développée  en  France  depuis  trente  ans, 
recherchent  de  préférence,  comme  élément  de  distraction,  l'art  qui 
parle  le  plus  éloquemment  à  l'imagination  humaine. 

Les  flonflons  du  Vaudeville  ont  même  raison  des  préoccupations 
les  plus  graves.  Nous  l'avons  déjà  constaté  par  la  revue  en  plusieurs 
tableaux,  mêlée  de  chant  et  intitulée  Paris  à  Nouméa,  que  MM.  Bauër 
et  Cavalier  firent  jouer  au  Fort-Bayard  avant  de  partir  pour  la  Nou- 
velle-Galédouie. 

Il  n'en  alla  pas  de  même  quand  les  condamnés  durent  jeter  un 
dernier  adieu  à  U  France.  M.  Bauër  le  confesse,  tout  le  premier, 
dans  son  livre  si  pathétique,  V  Histoire  d'un  jeune  homme.  Il  était  à  bord 
de  la  Danaë,  el  la  consigne,  très  sévère,  obligeait  les  déportés  à  se 
tenir  renfermés  la  plupart  du  temps  dans  l'intérieur  du  navire,  au 
fond  de  cellules  solidement  grillées.  M.  Bauër  y  connut  Cipriani  et 
UQ  vieux  républicain,  le  père  Maizier,  qui  possédait  et  lui  apprit 
tout  le  répertoire  de  Pierre  Dupont.  Aussi,  des  profondeurs  de  leur 
«  cage  »,  pour  nous  servir  des  termes  du  narrateur,  ce  trio  d'amis, 
devenu  un  trio  de  chanteurs,  lançail-il  à  plein  poumons  ce  couplet  de 
circonstance,  empreint  d'une  mélancolie  si  profonde: 

Mal  nourris,  logés  dans  les  trous. 

Sous  les  combles,  dans  les  décombres. 

Nous  vivons  avec  les  hiboux 

Et  les  larrons,  amis  des  ombres. 

Cependant  notre  sang  vermeil 

Coule  impétueux  dans  nos  veines; 

Nous  nous  plaisions  au  grand  soleil 

Et  sous  les  rameaux  verts  des  chênes. 

Aimons-nous,  et  quand  nous  pouvons 

Nous  unir  pour  boire  à  la  ronde, 

Que  le  canon  se  taise  ou  grorde. 
Buvons  (ter) 

A  l'indépendance  du  monde. 
A  peine  débarqué,  M.  Bauër  fut  dirigé  sur  Numbo,  une  des  deux 
vallées  de  la  presqu'île  Ducos.  Là,  en  plein  air,  au  grand  soleil  ou 
par  la  délicieuse  fraîcheur  des  nuits  étoilées,  devant  l'immensité  de 
la  mer  el  derrière  le  cadre  romantique  d'une  végétation  luxuriante, 
l'auteur  analyse  dans  une  langue  imagée  les  impressions  qu'éveillent 
en  lui  les  harmonies  de  la  nature,   harmonies   dont  Barbc-Marbois 


310 


LE  MÉNESTREL 


avait  noté,  lui  aussi,  les  passionnantes  tonalités  ou  les  discordances, 
irritantes. 

Mais  aux  émotions  intimes  du  captif  solitaire  succèdent  ses 
bruyantes  expansions  avec  les  amis  qu'il  retrouve  sur  ces  pentes 
boisées.  Autour  d'un  tas  de  pierres,  formant  table,  tous  sont  assis 
sur  des  lapis  de  verdure,  l'unique  siège  que  leur  offre  cette  immense 
salle  à  manger  de  la  nature  :  une  gigantesque  omelette  fume  sur  la 
table  improvisée;  et,  tenant  en  main  un  verre  oîi  pétille  du  vin  de 
France,  notre  auteur  répète  le  couplet  de  la  Danaë: 

Buvons 
A  l'indépendance  du  monde. 

Les  déportés  se  constituèrent  en  troupe  et  ouvrirent  un  théâtre 
"  qu'ils  appelèrent  le  théâlic  de  Xumbo.  On  y  jouait  la  comédie,  le  vau- 
deville, voire  même  l'opérette.  Ce  fut  sur  cette  scène,  ingénieusement 
aména°'ée,  que  M.  Bauër,  dont  les  feuilletons  dramatiques  font 
aujourd'hui  autorité,  donna  la  seule  pièce  qu'il  ait  jamais  écrite,  la 
Revanche  de  Gontran.  Olivier  Pain  y  avait,  paraît-il,  collaboré  et  Fer- 
dinand Okolovicz  en  composa  la  musique.  Ce  même  Okolovicz  était 
directeur  du  théâtre  de  Nouméa  ;  quand  il  revint  en  France,  il  pro- 
duisit sa  troupe  dans  une  représentation  donnée  au  bénéfice  des 
amnistiés  en  juillet  1880.  Nous  ignorons  ce  qu'il  devint  par  la  suite: 
nous  nous  rappelons  seulement  l'avoir  rencontré  à  cette  époque  en 
compagnie  d'un  autre  compositeur  polonais  et  ancien  déporté  comme 
lui,  Dombrowski.  Ils  écrivaient  surtout  de  la  musique  de  danse,  vive, 
facile,  légère,  rappelant  celle  de  Mélra,  mais  sans  caractère  personnel 
bien  prononcé. 

Ce  fut,  du  reste,  comme  une  contagion  lyrique  gagnant  tous  les 
établissements  néo-calédoniens  affectés  au  service  de  la  déportation. 
Les  virtuoses  s'exercèrent  d'abord  à  huis  clos;  puis  ils  se  réunirent 
pour  faire  de  la  musique  de  chambre;  enfin  ils  formèrent  des 
orchestres  pour  des  auditions  publiques.  Et  ce  qui  est  assez  piquant, 
c'est  que  chacun  s'ingénia  à  construire  les  instruments  qui  man- 
quaient, avec  cette  persévérance  et  ce  bon  vouloir  dont  avait  témoigné 
jadis  Barbé-Marbois.  Une  lettre  de  déporté  que  publiait  il  y  a  tantôt 
dix-huit  ans  le  Figaro,  nous  en  donne  un  amusant  croquis  : 

Ile  des  Pins,  3  mai  1878. 

Les  airs  variés  de   Miijnon,  que  je  jouais  sur   ma    flûte,  ont   fait 

sortir  de  terre  dix  musiciens  enragés  qui,  d'abord,  ne  voulaient  que 
s'amuser,  puis  ont  voulu  se  montrer  en  public.  La  permission  demandée 
fut  accordée  et  le  premier  concert  fut  donné  le  24  février. 

Tout  se  passa  dans  l'ordre  le  plus  sérieux  du  monde  :  je  me  croyais  dans 
un  salon  où  il  n'y  a  que  du  monde  comme  il  faut!,..  Le  24  mars  et  le 
14  avril  furent  de  mieux  en  mieux  en  renchérissant  sur  les  décors  que 
l'on  continue.  Nous  donnons  la  prochaine  fois  une  vieille  comédie  :  Brouillés 
depuis  Wagram. 

Et  savez-vous  où  se  trouve  cet  emplacement  nécessaire  à  2.000  per- 
sonnes? Dans  ma  concession,  dansmaforétl  Notre  orchestre  se  compose 
de  trois  violons,  une  contrebasse,  deux  flageolets,  deux  flûtes,  une  caisse, 
un  triangle,  tout  cela  fabriqué  ici.  Les  violons  sont  en  sandal  et  bois  de 
de  rose;  ils  ont  été  faits  par  un  menuisier  ébéniste;  la  flûte,  par  un 
graveur-tourneur;  la  contrebasse  est  faite  en  sapin  avec  le  bois  d'une  caisse 
ayant  contenu  du  savon.  L'essentiel,  c'est  d'avoir  du  monde,  qui  ne  paie 
pas,  c'est  vrai,  mais  qui  est  content,  et  cela  suffit. 

Au  camp  de  Saint-Louis,  le  dimanche,  c'est  encore  la  musique  qui 
fait  à  elle  seule  les  frais  de  toutes  les  distractions,  dans  une  note 
moins  raffinée  peut-être,  mais  aussi  plus  vibrante  et  plus  colorée. 
M.  Alphonse  Humbert  en  a  traduit  l'impression,  alors  très  vive,  dans 
■l'Intransigeant  de  1882.  Los  chanteurs  du  camp  de  Saint-Louis  —  car  la 
musique  instrumentale  y  faisait  à  peu  près  défaut  —  s'inspiraient  sur- 
tout de  l'amertume  de  leurs  déceptions  politiques  et  économiques  : 
on  croirait  que  leur  Muse  continue  les  traditions  d'Ange  Pitou  et  des 
vieilles  barbes  de  1830. 

Quand  d'autres  condamnés  avaient  égrené  le  chapelet  des  romances 
sentimentales  et  des  chansons  d'alelier- ou  de  café-concert,  les 
détenus  politiques  commençaient  leur  partie.  Ils  passaient  en  revue 
le  cycle  des  couplets  satiriques  :  d'abord  le  grand  morceau  A  l'Elysée 
on  danse  et  la  Foire  aux  parjures  de  Dereux  ;  puis,  le  répertoire  de  la 
Commune:  Rendez  le  fer  au  laboureur  et  Ne  tirons  pas  ;  enfin,  les  chants 
de  la  défaite  :  les  Pontons,  Messieurs  de  Versailles,  etc.,  etc.  M.  Alphonse 
Humbert  payait  aussi  de  sa  personne.  Ses  amis  lui  réclamaient  la 
République  des  paysans.  Il  s'exécutait  avec  la  meilleure  grâce  du  monde, 
et  tous  reprenaient  après  lui  le  refrain  : 

Ah!  quand  viendra  la  belle! 
Voilà  des  mille  et  des  cent  ans 
Que  Jean  Guétré  t'appelle. 
République  des  paysans  ! 


Souvent  l'iambe  d'Archiloque  faisait  place  à  uu  hymue  de  Pierre 
Dupont,  ou  à  quelque  vieille  chanson  en  patois  picard,  normand  ou 
bourguignon.  Parfois  encore  uu  intermède  d'une  saveur  spéciale 
venait,  comme  le  ballet  liual  de  nos  féeries  à  grand  spectacle,  ter- 
miner, sur  uu  mode  moins  âpre,  la  série  de  ces  divertissemcnis 
dominicaux. 

Nous  laissons  ici  la  parole  au  narrateur,  un  maître  écrivain. 

Les  Arabes  (c'étaient  les  acteurs  de  cette  pantomime)  sont  allés  cherclisr 
au  camp  malabar  un  tambour  de  basque  dont  ils  accompagnent,  sur  une 
note  unique,  leurs  mélopées  gutturales  rythmées  sur  une  cadence  uniforme. 
Les  autres  noirs  du  camp  se  sont  mêlés  à  eux.  Tous  écoutent  béatement, 
roulant  leurs  grands  yeux  blancs  noyés  de  mélancolie.  Bientôt  ces  plaisirs 
ne  sufQsent  plus,  il  en  faut  de  moins  poignants,  il  en  faut  de  plus  vifs. 
Les  tètes  crépues  palpitent,  les  pieds  nus  frémissent  sur  le  sol.  On  va 
danser.  On  se  lève,  on  se  trémousse  toujours  sur  la  même  note  jusqu'à  ce 
qu'on  ait  perdu  haleine. 

Et,  en  effet,  un  de  leurs  premiers  sujets,  Ben  Aïssa,  qu'ils  appellent 
«  le  major,  »  se  livre  à  une  mimique  effrénée  auprès  de  laquelle  la  danse 
du  ventre,  les  exercices  chorégraphiques  des  bayadères  et  le  tournoiement 
échevelé  des  derviches  pourraient  passer  pour  de  simples  menuets. 

Cela  dure  dix  minutes.  Le  danseur  épuisé  se  ralentit.  La  sueur  coule 
sur  son  visage  et  sur  ses  membres.  On  l'encourage.  La  musique  redouble 
son  tapage  excitant.  Vains  efforts.  Haletant,  soufflant,  râlant,  le  major 
tombe,  et  pendant  qu'on  l'emporte  pour  le  coucher  on  l'entend  murmurer 
faiblement  : 

«  Major  fatigué!  Danser  n'a  pas!  Danser  n'a  pas!  » 

Plus  de  quinze  ans  ont  passé  sur  ces  épisodes,  qui  semblent  déjà 
bien  loin  dans  les  annales  de  l'histoire;  et  depuis,  le  livre  de  la 
déportation  ne  s'est  rouvert  que  deux  fois.  Espérons  que  pour  le 
bonheur  de  l'humanité  et  l'honneur  du  nom  français,  il  restera  main- 
tenant à  jamais  fermé  ! 

(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


L'Opéra  impérial  de  Saint  Péters  bourg  a  fait  sa  réouverture  le  1"  sep- 
tembre, par  une  représentation  A'Eugène  Onéguine,  le  plus  bel  ouvrage  de 
Tschaïkowsky. 

—  Aux  archives  du  ministère  de  la  guerre  d'Autriche-Hongrie  existe 
un  département  consacré  à  la  musique  militaire.  On  y  conserve,  non  seu- 
lement les  fanfares  réglementaires  de  l'armée  autrichienne  depuis  plus 
de  deux  siècles,  mais  aussi  des  marches  et  autres  morceaux  historiques 
qui  furent  joués  par  les  musiques  militaires  autrichiennes  et  certaines 
chansons  qui  furent  populaires  dans  l'armée.  C'est  dans  ces  archives  que 
M.  Fucbs,  chef  d'orchestre  de  1'  Opéra  impérial,  a  puisé  la  belle  mélodie 
0  Lille,  ville  ravissante,  qui  fut  chantée  par  les  régiments  autrichiens  pen- 
dant le  siège  de  Lille  par  1  es  troupes  du  prince  Eugène,  et  quelques  autres 
mélodies  du  temps  de  ce  célèbre  général,  pour  les  utiliser  dans  un  à-propos 
musical  en  l'honneur  du  dit  prince.  Tout  récemment,  les  archives  musicales 
de  la  guerre  s'ouvrirent  à  l'occasion  du  200'  anniversaire  d'un  régiment 
viennois  dont  le  propriétaire  perpétuel  est  le  grand  maître  de  l'Ordre  teu- 
tonique,  et  ont  fourni  à  la  musique  militaire  de  ce  régiment  toutes  les 
fanfares  réglementaires  et  les  marches  qui  lui  servirent  à  partir  de  169H, 
année  de  sa  formation.  La  musique  militaire  joua  tous  ces  morceaux 
dans  la  grande  rotonde  de  l'Exposition  de  1873,  qui  est  restée  debout,  et 
ces  morceaux,  produits  dans  leur  ordre  chronologique,  ont  été  d'un  effet 
superbe.  Certaines  marches  du  di.x-huitième  siècle,  par  leur  allure  militaire 
et  leur  mélodie  entraînante,  ont  même  provoqué  un  grand  enthousiasme 
dans  l'assistance,  qui  était  fort  nombreuse.  Il  paraît  que  le  régiment  en 
question  a  l'intention  de  publier  son  histoire  musicale,  et  cette  entreprise 
mérite  d'être  encouragée. 

—  Avec  la  saison  d'automne  les  théâtres  reprennent  de  tous  côtés,  comme 
à  Paris,  le  cours  de  leurs  travaux.  A  Berlin  il  n'y  en  a  pas  moins  de  seize 
ouverts  en  ce  moment,  qui  sont  les  suivants  :  Opéra  royal.  Comédie  royale. 
Théâtre  allemand.  Théâtre  Lessing,  Jardin  d'Hiver,  Théâtre  Apollon, 
Olympia,  Alhambra,  Théâtre  de  Berlin,  Théâtre  de  la  Résidence,  Théâtre 
Friedrich- Wilhemstadt,  Nouveau-Théâtre,  Ostend-Théâtre,  Théâtre  Schiller, 
Théâtre  Central,  Théâtre  de  la  Belle-Alliance. 

—  Le  comité  qui  s'est  formé  pour  ériger  à  Robert  Schumann  un  monu- 
ment dans  sa  ville  natale,  Zwickau,  a  déjà  réuni  la  somme  de  iO.OOO  francs 
environ. 

— On  vient  de  trouver  dans  la  bibliothèque  de  l'Ordre  teulonique,  à  Troppau 
(Silésie  autrichienne),  deux  manuscrits  intéressants  de  Beethoven.  Le  frère 
Eugène,  qui  est  chargé  de  la  conservation  de  cette  bibliothèque,  décou- 
vrit par  hasard,  en  examinant  le  contenu  d'une  vieille  armoire,  deux  par- 
titions portant   une   dédicace   à   l'archiduc  Antoine-Victor,  grand  maître 


LE  MENESTREL 


3H 


de  l'Ordre  teutonique  de  1804  à  183S,  et  la  signature  de  Beethoven.  Ce 
sont  deux  marches,  dont  l'une  fui  composée  en  1809,  tandis  que  l'autre, 
écrite  pendant  la  villégiature  de  Beethoven  à  Baden,  près  Vienne,  est 
datée  du  31  juillet  1810.  Lespartitions  sont  autographes  d'un  bouta  l'autre. 

—  La  ville  de  Dresde  va  posséder  dans  le  Palais  de  l'Exposition,  où  on 
est  en  train  de  l'aménager,  une  salle  de  concerts  qui  sera  l'une  des  plus 
vastes  de  l'Allemagne  et  dont  l'inauguration  se  fera  solennellement,  le 
i  novembre  prochain,  par  une  exécution  des  Béatitudes  de  César  Franck. 

—  A  Hambourg,  la  Singakademie  vient  de  publier  le  programme  dos 
quatre  concerts  qu'elle  donnera,  pour  sa  saison  d'hiver,  les  27  novembre, 
19  février,  19  mars  et  13  avril,  avec  le  concours  de  la  Société  philharmo- 
nique. Les  œuvres  exécutées  seront  les  suivantes  :  Messe  solennelle,  de 
Beethoven  ;  Estlier,  oratorio  de  Hiendel  ;  le  Chant  des  Parques,  de  J.  Brahms  ; 
Symphonie  avec  chœurs,  de  Beethoven  ;  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  de 
J.-S.  Bach. 

—  Une  société  de  téléphone  à  Budapest  a  été  autorisée  à  établir  une 
communication  directe  avec  l'Opéra  royal,  de  sorte  que  les  abonnés  de 
ladite  société,  au  nombre  de  huit  mille,  peuvent  entendre  chez  eux  ce 
qu'on  chante  à  l'Opéra.  Cette  gracieuseté  pourrait  tout  de  même  nuire  aux 
intérêts  de  l'Opéra  royal. 

—  L'orphéon  de  Mayence  a  récemment  offert  une  sérénade  au  grand-duc 
de  Hesse,  qui  se  trouve  pour  quelque  temps  dans  sa  bonne  ville  de 
Mayence.  Le  prince  se  Et  présenter  le  président  de  cette  société,  un  brave 
bourgeois  bien  nourri,  et  lui  dit  en  contemplant  la  phalange  des  chan- 
teurs :  «  Je  vois  avec  plaisir  que  vous  avez  grossi  depuis  ma  dernière  vi- 
site à  Mayence.  "  Le  président,  très  flatté,  s'incline  profondément  et  ré- 
pond :  «  Oh  !  oui.  Altesse,  de  dix  livres.  » 

—  Les  foudres  de  la  justice  peuvent  tomber  sur  un  critique  musical  qui 
se  sert  d'une  langue  trop  pittoresque  en  rendant  compte  d'une  représenta- 
tion théâtrale.  C'est  ainsi  que  le  critique  musical  du  Taylilatt  d'Ulni  a 
été  condamné  à  30  marks  d'amende  par  le  tribunal  d'Ulm,  parce  qu'il  avait 
parlé  dans  son  journal  d'une  chanteuse  de  concert  dans  des  termes  légè- 
ment  irrespectueux  et  l'avait  même  désignée  comme  «  la  vierge  qui  chante 
comme  un  coq  ».  Cette  métaphore  est  dure  peut-être  et  le  critique  aurait 
pu  exprimer  sa  pensée  dans  un  langage  moins  vif,  mais  on  ne  voit  pas 
trop  en  quoi  cette  comparaison  pouvait  attenter  à  l'honneur  de  la  chan- 
teuse, qui  n'aurait  certainement  pas  déposé  une  plainte  si  le  critique  l'avait 
comparée  au  rossignol  ou  à.  l'alouette. 

—  Le  théâtre  Argentina,  de  Rome,  vient  d'établir  définitivement  son 
programme  pour  la  prochaine  saison  de  carnaval  et  carême.  Les  ouvrages 
représentés  seront  les  suivants  :  Falstaff,  de  Verdi,  Asrael,  de  M.  Fran- 
chetti,  Andréa  Chinier,  de  M.  Giordano,  le  Crépuscule  des  Dieux  et  Camargo. 
Voici  les  noms  des  artistes  engagés  :  soprani,  M'""'  De  Frate,  Barducci, 
Ricci  de  Paz;  mezzo-soprano,  M°"  Locatelli;  ténors,  MM.  Mariacher,  Bor- 
gatti,  Sigaldi,  Granados;  barytons,  Scotli  et  Cioni.  Manquent  encore  quel- 
ques artistes. 

—  Trois  nouveaux  professeurs  viennent  d'être  nommés  au  Conservatoire 
de  Milan  :  M.  Gaetano  Coronaro  pour  une  classe  de  composition,  avec  un 
traitement  de  3.000  francs,  M.  Gaetano  Pasculli  pour  une  classe  de  violon 
et  alto,  et  M.  Giacomo  Baragli  pour  une  classe  de  violoncelle,  chacun  avec 
un  traitement  de  l.SOO  francs. 

—  Nous  avons  annoncé  qu'un  imprésario  italien,  M.  Stainer,  avait 
ouvert  à  Milan  un  concours  pour  la  composition  de  plusieurs  opéras  en  un 
acte  destinés  à  être  représentés  par  ses  soins.  Cent  quatre-vingt-treize  parti- 
tions ont  été  envoyées  à  ce  concours,  ce  qui  prouve  qu'il  y  a  encore  en 
Italie  un  certain  nombre  de  compositeurs  qui  nourrissent  le  désir  et  l'es- 
poir de  voir  leurs  œuvres  offertes  au  public.  Néanmoins,  aucune  de  ces 
partitions  n'a  été  jugée  digne  du  premier  prix,  qui  était  de  3.000  francs. 
Le  second  prix,  de  1.500  francs,  a  été  adjugé  à  M.  Vanbianchi,  pour  son 
opéra  il  Yascello,  et  trois  troisièmes  prix,  de  bOO  francs  chacun,  ont  été 
attribués  à  MM.  Giannetti  (il  Liutaio  di  Cremona),  Orefice  (il  Gladialore)  et 
CoUini  (la  Créole).  En  outre,  quatre  ouvrages,  sans  obtenir  de  prix,  ont  été 
retenus  pour  être  représentés. 

—  M.  Emilio  Pizzi,  qui  a  déjà  composé  pour  M"":  Adelina  Patti  un  opéra 
en  un  acte  intitulé  Gabriella,  vient  d'écrire  encore  à  son  intention,  sur  un 
livret  de  M.  Luigi  lUica,  un  autre  ouvrage  du  même  genre  et  de  même  di- 
mension. Titre  de  ce  dernier  :  la  Rosalija. 

—  A  San  Pietro  in  Bagno,  première  représentation  d'un  opéra  en  trois 
actes,  Graziella,  paroles  de  M.  Corrado  Pazzi,  musique  de  M.  Giuseppe 
Casetti.  A  Marmirolo,  apparition  d'une  opérette,  i  FanaulU  redenti,  paroles 
du  capitaine  Ettore  Boldrini,  musique  de  M.  Francesco  Pinto.  Au  théâtre 
Armonia,  de  Trieste,  autre  opérette,  il  Passaporto  del  droghiere,  musique  de 
M"'"  Gisella  délie  Grazie. 

—  M"»»  de  Serrés,  la  si  remarquable  ■artiste  qu'on  a  maintenant  trop  rare- 
ment l'occasion  d'applaudir,  a  donné  à  Evian  un  superbe  concert  au  profit 
des  pauvres,  où  elle  a  enthousiasmé  son  auditoire. 

—  A  Scheveningue,  près  de  La  Haye,  a  eu  lieu  un  intéressant  festiTal  de 
musique  belge  dont  l'Écho  musical  rend  compte  en  ces  termes  :  —  «  Le  fes- 
tival de  musique  belge  organisé  dans  la  coquette  cité  balnéaire  a  admira- 
blement réussi;  c'est  un  succès  considérable  pour  nos  compatriotes.   Le 


public  a  chaleureusement  applaudi  l'ouverture  du  Polyeucte  d'Edgar  Tinel  ; 
le  Poème symphonique  de  Peter  Benoit;  une  fantaisie  de  M.  de  Greef,  exécu- 
tée au  piano  par  l'auteur  lui-même  et  accompagnée  par  l'orchestre  ;  une 
Orientale  et  un  Springdans  du  même  ;  Milenka  de  Jan  Blockx;  une  Marche 
inaugurale,  d'Emile  Wambach;  un  Rêve,  de  Karel  Mesdagh,  et  un  fragment 
symphonique  d'Adolphe  Samuel.  La  partie  vocale  était  tenue  par  la  re- 
marquable cantatrice  flamande  M"=  Flamant,  qui  a  fait  valoir  sa  belle 
voix  et  sa  diction  pleine  d'autorité  dans  l'air  de  la  cantate  de  Philipp  Yan 
Artevelde,  de  M.  Gevaert,  dans  des  lieder  de  MM.  Gevaert,  Radoux  et  Huberti, 
et  un  fragment  de  Staixil  Mater  du  regretté  Waelput  ». 

PARIS   ET  DÉPARTEWENTS 

Ce  n'est  qu'au  conseil  des  ministres  de  vendredi  dernier  qu'on  a 
réglé  définitivement  les  détails  des  représentations  de  gala  à  l'Opéra  et  à 
la  Comédie-Française.  A  l'Opéra  la  représentation,  qui  ne  commencera 
que  lors  de  l'arrivée  de  l'empereur,  durera  en  tout  une  heure  et  demie  ; 
en  voici  le  programme  : 

1'  Hymne  russe,  chanté  par  tous  les  artistes; 

a-  Ouverture  :  Marche liérdique  (Saint-Saëns)  ; 

3»  Deuxième  acte  de  Sigurd  (Reyer),  avec  M""  Caron  ; 

4»  Méditation  de  Thais  [Massenet); 

5°  Divertissement  du  1-  acte  de  la  Korrigane  (Widor),  avec  M'""  Rosita  llauri. 

A  la  Comédie-Française,  le  spectacle  est  ainsi  composé  : 

1'  Compliment  composé  par  M.  Jules  Claretie,  récité  par  M.  Mounet-Sully, 
doyen  de  la  Comédie-Française; 

2»  Un  Caprice,  comédie  en  un  acte  (Alfred  de  Musset),  joué  par  M-"  Bartet  et 
Barretta,  et  M.  \Yorms  ou  IVI.  Le  Bargy  ; 

3°  Scène  du  duel  du  Cid,  jouée  par  MM.  Mounet-SuUy  et  Silvain  ; 

4°  Quatrième  acte  des  Femmes  savantes,  avec  MM.  Coquelin  cadet  et  de  Féraudy 
dans  les  rôles  de  Vadius  et  Trissotin. 

A  l'Opéra,  les  souverains  feront  leur  entrée  par  la  place  de  l'Opéra  et 
seront  reçus,  en  même  temps  que  le  Président  de  la  République,  au  bas 
de  l'escalier,  par  MM.  Bertrand  et  Gailhard.  A  la  Comédie-Française, 
l'entrée  se  fera  par  la  place  du  Théâtre-Français;  M.  Jules  Claretie  rece- 
vra également  les  augustes  invités  au  bas  de  l'escalier.  Dans  les  deux 
théâtres,  des  gardes  républicains  formeront  la  haie  jusqu'à  la  loge,  qui  sera 
spécialement  aménagée.  C'est  la  Présidence  de  la  République  qui  fera 
toutes  les  invitations. 

—  A  l'Opéra-Comique  on  est  tout  au  Don  Juan  de  Mozart,  et  on  pioche 
ferme  dans  les  foyers,  bien  qu'il  ne  paraisse  pas  qu'on  se  soit  arrêté  encore 
aune  version  définitive.  Mais  les  décorateurs  brossentleurs  toiles  du  matin 
au  soir,  avec  vigueur  et  aussi  avec  toute  la  grâce  désirable. 

—  A  l'Opéra,  on  ne  pousse  pas  moins  chaudement  les  études  du  même 
Don  Juan;  on  peut  s'en  rapporter  à  l'activité  de  M.  Gailhard.  C'est  à  qui 
des  deux  théâtres  arrivera  bon  premier.  Lutte  curieuse  et  émotionnante. 
On  en  est  «  à  la  cravache  »,  comme  il  est  dit  sur  le  terrain  des  courses,  et 
on  peut  s'attendre  à  un  deadheat. 

—  En  attendant  la  venue  de  Dmi  Juan,  M.  Carvalho  a  fait  débuter  dans 
le  Pardov,  de  Ploêrmel  une  jeune  artiste  du  nom  de  Courtenay,  jeune  Amé- 
ricaine, douée  d'une  fort  jolie  voix.  Elle  a  réussi  et  le  public  l'a  chaleureu- 
sement rappelée,  après  la  valse  du  deuxième  acte. 

—  Nicolet,  du  Gaulois,  nous  donne  de  bonnes  nouvelles  sur  la  reconstruc- 
tion de  l'Opéra-Comique,  place  Favart  :  «  Ce  ne  sera  donc  pas  un  vain 
rêve?  Les  hommes  de  notre  génération  auront  donc  la  joie,  avant  de  mourir, 
de  voir l'Opéra-Comique  reconstruit?  Sérieusement,  on  peut  presque  dire— 
à  la  grande  surprise  sans  doute  des  Parisiens  qui  n'ont  pas  coutume  de  pas- 
ser souvent  sur  la  place  Boieldieu  —  que  le  monument  est  aujourd'hui 
à  peu  près  terminé.  Tout  au  moins,  le  gros  de  l'œuvre  est  fait.  La  carcasse, 
l'ossature,  c'est-à-dire  toute  la  grosse  maçonnerie  :  murs  d'extérieur  et 
d'intérieur,  sous-sols,  vestibules,  couloirs,  tours  de  salle,  galeries  des  di- 
vers étages,  tout  cela  est  achevé  jusqu'à  la  grande  frise  du  sommet  :  il  ne 
manque  à  l'immeuble  que  la  couverture.  Dès  lors  il  n'y  aura  plus  à  faire, 
outre  la  charpente  dos  toits,  que  la  décoration  extérieure,  c'est-à-dire  les 
sculptures  des  pierres,  et  l'aménagement  intérieur,  c'est-à-dire  les  travaux 
en  fer  et  les  boiseries.  Déjà  même  on  a  posé  les  légères  et  solides  arma- 
tures de  fer  qui  formeront  les  loges  ou  baignoires  du  rez-de-chaussée.  On 
n'a  pas  encore  enlevé  les  immenses  clôtures  de  planches  qui  écartent  les 
curieux  de  la  zone  des  travaux,  que  la  monte  des  pierres  de  taille  rend 
dangereuse,  mais  dès  maintenant,  cependant,  on  peut  pénétrer  sans  in- 
convénient dans  le  monument,  sous  la  conduite  obligeante  des  architectes, 
et  circuler  dans  ses  diverses  parties.  L'édifice  présente  trois  façades  : 
place  Boieldieu,  rue  Favart  et  rue  Marivaux.  Il  y  a  cinq  portes  à  la  façade 
principale,  surmontée  d'un  attique  et  décorée  de  statues  en  cariatides. 
Elles  ouvrent  sur  un  granJ  vestibule,  d'où  deux  escaliers  mèneront  au 
premier  étage,  où  se  trouvera  le  foyer  du  public.  Dans  le  soubassement 
des  locaux  sont  ménagés  pour  le  logement  des  postes  de  la  garde  répu- 
blicaine, de  la  police,  des  médecins  et  des  divers  services.  L'administra- 
tion a  son  entrée  et  ses  bureaux  rue  Marivaux.  Sur  la  rue  Favart  se  trouve 
l'entrée  des  décors  et  de  la  loge  spéciale  qu'un  traité  séculaire  réserve  à 
perpétuité,  comme  on  sait,  à  la  famille  de  Choiseul.  La  scène  a  onze  mè- 
tres d'ouverture  sur  la  salle.  Cette  salle,  circulaire,  contiendra  quinze 
cents  places.  » 


3)2 


LE  MENESTREL 


—  Les  concours  pour  l'admission  aux  classes  du  Conservatoire  sont  iàxés 
aux  dates  suivantes  : 

Déclamation  dramatique  (hommes),  le  16  octobre;  (femmes),  le  IT  octo- 
bre :  admissibles,  le  20. 

Chant  (hommes),  les  26  et  27  octobre;  (femmes),  les  28  et  29  octobre. 

Harpe,  piano  (hommes),  le  2  novembre. 

Violon,  les  4  et  3  novembre. 

Alto,  violoncelle,  contrebasse,  le  6  novembre. 

Piano  (femmes),  les  9  et  10  novembre. 

Flûte,  hautbois,  clarineite,  basson,  le  12  novembre. 

Cor,  cornet  à  pistons,  trompette,  trombone,  le  13  novembre. 

Les  aspirants  doivent,  à  partir  du  1"  octobre  et  dans  les  délais  ci-après, 
se  présenter  au  secrétariat  et  faire  leur  demande  d'inscription  sur  une 
formule  spéciale,  en  y  joignant  un  extrait,  sur  papier  timbré,  de  leur  acte 
de  naissance  et  un  certificat  de  vaccination.  La  clôture  des  inscriptions 
aura  lieu,  savoir  : 

Déclamation  (hommes),  le  9  octobre,  à  quatre  heures;  (femmes),  le  10  oc- 
tobre à  quatre  heures. 

Chant,  (hommes),  le  19  octobre,  à  quatre  heures;  (femmes),  le  21  octo- 
bre, à  quatre  heures. 

Harpe,  piano  (hommes),  le  26  octobre,  à  quatre  heures. 

Violon,  le  28  octobre,  à  quatre  heures. 

Alto,  contrebasse,  violoncelle,  le  30  octobre,  à  quatre  heures. 

Piano  (femmes),  le  2  novembre,  à  quatre  heures. 

Flûte,  etc.,  etc.,  le  3  novembre. 

Cor,  etc.,  etc.,  le  6  novembre, 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  fait  en  ce  moment,  et  avec  un  grand  succès, 
une  tournée  de  concerts  d'orgue  et  de  chant,  en  Suisse,  avec  le  concours 
de  M"=  Baldo.  Au  programme,  des  œuvres  du  maître,  une  grande  fantaisie 
pour  orgue  de  Liszt,  et  des  compositions  religieuses  de  César  Franck  et 
de  Gounod. 

—  M.  Ch.-M.  Widor  vient  d'être  engagé  par  la  Société  impériale  de 
musique  de  Moscou,  pour  y  aller  diriger  sa  seconde  symphonie  au  concert 
du  16  novembre.  Il  donnera  ensuite  un  récital  d'orgue  à  l'église  de  Saint- 
Pierre  et  Saint-Paul. 

—  Nous  lisons  dans  un  journal  étranger  :  «  Peu  d'hommes  furent  au 
monde  plus  infatigables  que  M.  Gladstone.  Le  grand  homme  d'État  an- 
glais, qui  est  âgé  aujourd'hui  de  87  ans  et  qui,  du  matin  au  soir,  s'occupe 
de  choses  si  graves  et  si  diverses,  trouve  le  moyen  de  s'intéresser  aussi 
à  la  musique.  Un  concours  musical  avait  lieu  récemment  à  Hawarden, 
résidence  du  great  ûW  num,  qui  est  le  principal  propriétaire  du  pays,  et 
M.  Gladstone  distribua  lui-même  les  prix  et  prononça  à  cette  occasion  un 
discours  sur  la  musique  écossaise,  qui  excita  l'enthousiasme  des  auditeurs. 
IL  appela  la  musique  un  «  don  de  Dieu  »,  affirmant  qu'elle  n'est  pas  seu- 
lement une  des  distractions  de  l'humanité,  mais  aussi  une  des  conditions 
du  bonheur.  Il  électrisa  l'assistance  par  ses  paroles.  Les  maîtres  de  prédi- 
lection de  M.  Gladstone  sont  Palestrina,  Soriano,  Vittoria,  et  en  général 
il  prise  les  antiphouaires  de  Venise  et  de  Rome,  étant  un  grand  admira- 
teur du  simple  chant  grégorien.  S'il  n'aime  pas  Wagner,  qu'il  ne  trouve 
pas  assez  simple,  il  est  séduit  par  la  musique  de  Gounod,  et  spécialement 
par  son  grand  oratorio  Mors  et  Vita.  Naturellement,  il  doit  goûter  peu  les 
musiciens  anglais  contemporains,  auxquels  il  conseillerait  peut-être 
d'étudier  un  peu  plus  les  grands  maîtres,  qu'il  idolâtre.  » 

—  C'est  aujourd'hui  que  doit  avoir  lieu  à  Alais  l'inauguration  de  la 
statue  de  Florian.  Cette  inauguration  formera  la  suite  naturelle  de  celle 
qui  vient  d'avoir  lieu  dans  les  jardins  du  château  de  Voltaire  à  Ferney. 
Un  monument  destiné  à  rappeler  le  séjour  fait  à  Ferney  par  Florian  enfant 
et  l'amitié  que  lui  portait  Voltaire,  son  parent,  a  été  inauguré  le  6  sep- 
tembre. L'œuvre,  due  à  M.  Emile  Lambert,  auteur  de  la  statue  de  Voltaire 
jeune  placée  dans  la  cour  de  la  mairie  du  IX«  arrondissement  de  Paris, 
représente  l'enfance  du  poète  «  Florianet  ».  Après  les  discours  prononcés 
par  M.  Goujon,  sénateur  du  département  de  l'Ain,  qui  présidait  la  cérémo- 
nie, et  par  M.  Louis  Binoche,  avocat,  adjoint  au  maire  du  IX'  arrondisse- 
ment, un  groupe  de  jeunes  filles  costumées  en  bergères  a  couronné  le  buste 
du  poète,  et  la  fanfare  de  Ferney  a  exécuté  trois  jolies  compositions  musi- 
cales dans  le  goût  du  temps,  dues  à  M.  Charles  Neustedt. 

—  Great  altraclioii  pour  l'Opéra  de  Nice.  M""  Adelina  Patti  y  créera  un 
nouvel  opéra  en  deux  actes,.  Dolorès,  dont  M.  Georges  Boyer  a  écrit  le 
poème  et  M.  Gaston  Pollonais  la  musique. 

—  Répertoire  de  M''"  Calvé  pour  la  prochaine  saison  d'Amérique  : 
Harnlet,  la    Navarraise,  Hérodiade,  Carmen,  Faust,    l'Africaine  et  les  Noces  de 


—  Les  admirateurs  de  Frederick  Lemaitre  ouvrent  une  souscription  pour 
élever  un  buste  à  sa  mémoire,  oubliée  depuis  vingt  et  un  ans. 

—  On  annonce,  pour  la  saison  prochaine,  de  nouvelles  auditions  de 
Moussorgski,  le  Russe  original  à  qui  M.  Pierre  d'Alheim  vient  de  con- 
sacrer une  nouvelle  plaquette,  résumé  des  opinions  de  la  presse  et  d'une 
élite  sur  les  concerts-conférences  de  l'hiver  dernier,  qui  ont  mis  en  valeur. 


avec  l'enthousiasme  érudit  du  conférencier,   le  jeu   vibrant   du  pianiste 
Foerster  et  la  diction  si  pénétrante  de  M"""  Olénine.  R.  B. 

—  M"«  Julie  BressoUes,  qui  vient  de  charmer  les  châtelains  de  Valmon- 
dois  en  chantant,  dans  plusieurs  salons,  des  fragments  du  Tasse  de  B.Go- 
dard, tes  Cliansons  grises  et  des  mélodies  de  M.  Hahn,  des  mélodies  de 
Mme  Ugalde,  vient  de  rentrer  à  Paris.  La  charmante  cantatrice  se  propose 
de  donner,  pendant  l'hiver,  des  matinées  par  invitation,  au  cours  desquelles 
elle  fera  entendre  des  œuvres  artistiques  et  intéressantes.  La  première 
matinée  sera  consacrée  à  Godard,  la  seconde  à  M.  E.  Moret,  puis  vien- 
dront successivement  MM.  G.  Charpentier,  X.  Leroux,  etc.,  et  enfin,  à 
titre  d'enseignement,  des  auditions  du  recueil  de  M.  Gevaert  :  Les  Gloires 
de  r  Italie. 

—  L'École  classique  de  la  rue  de  Berlin,  dirigée  par  M.  Ed.  Chavagnat, 
rouvrira  ses  cours  le  jeudi  1"'' octobre  prochain.  Les  inscriptions  sont  reçues 
dès  à  présent  au  siège  de  l'école,  20,  rue  de  Berlin,  tous  les  jours,  do 
9  heures  à  midi  et  de  2  heures  à  '3  heures,  fêtes  et  dimanches  exceptés. 

—  M"'  Ed.  Colonne  reprendra,  chez  elle,  -43,  rue  de  Berlin,  ses  cours  ot 
leçons  de  chant. 

—  M™"  Rosine  Laborde  reprendra  ses  leçons  et  cours  de  chant,  chez  elle, 
66,  rue  de  Ponthien,  à  partir  du  5  octobre. 

—  Au  dernier  concert  de  la  garde  républicaine,  direction  Parés,  le  pro- 
gramme comportait  pour  la  première  fois  une  suite  sur  la  Navarraise  qui  a 
été  fort  goûtée:  rien  de  plus  poétique  que  ces  accents  de  langueur  et  de 
passion,  que  ce  vaporeux  nocturne  aux  timbres  argentins,  encadrés  par 
d'énergiques  clameurs,  d'allure  fatale...  R.  B. 

—  On  écrit  de  Rouen  :  «  L'éminent  professeur  du  Conservatoire,  Mar- 
sick,  vient  de  remporter  ici,  au  dernier  concert  festival,  un  immense  suc- 
cès. Le  célèbre  violoniste  a  exécuté  avec  autant  do  pureté  que  d'éclat 
diverses  œuvres  de  Lalo,  de  Dubois,  de  Sarasale,  qui  lui  ont  valu  d'una- 
nimes applaudissements.  Le  public  a  eu  ensuite  le  plaisir  d'associer  dans 
le  même  succès  le  compositeur  et  l'exécutant,  notamment  dans  un  nocturne 
d'une  inspiration  originale  et  profonde.  » 

—  Au  Palais  des  beaux-arts  de  l'exposition  de  Rouen,  jeudi  dernier,  très 
beau  récital  d'orgue  donné  par  M.  L.  Vierne.  Au  programme,  quinze  nu- 
méros, dont  la  Symphonie  gothique  de  C.-M.  Widor,  le  prélude  et  la  fugue 
en  si  de  Saint-Saëns,  plusieurs  pièces  de  Bach,  etc.,  jouées  avec  un  art 
consommé  et  une  virtuosité  rare. 

NÉCROLOGIE 

L'état  du  compositeur  Carlos  Gomes,  que  les  nouvelles  récentes  avaient 
annoncé  comme  s'améliorant,  a  empiré  tout  à  coup,  et  l'excellent  artiste  est 
mort  ces  jours  derniers.  Gomes  était  néàCampinos  (Brésil)  le  U  juillet  1839, 
et  avait  commencé  dans  son  pays  une  éducation  musicale  qu'il  vint,  avec 
l'aide  de  l'empereur,  terminer  en  Italie,  à  Milan,  sous  la  conduite  de  Lauro 
Rossi,  alors  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville.  C'est  là  qu'il  fit  ses 
débuts  de  compositeur  dramatique  en  écrivant,  pour  le  petit  théà're  Fos- 
sati,  la  musique  d'une  revue  de  fin  d'année  intitulée  en  dialecte  :  Se  sa 
III  inga  (On  ne  sait  pas  !),  qui  fut  bien  accueillie  et  dont  une  certaine  chan- 
son, dite  du  fusil  à  aiguille  (c'était  après  Sadowa),  obtint  un  succès  fou.  Du 
coup,  Gomes  était  populaire.  Un  plus  grand  succès  encore  l'attendait  à 
r  apparition  à  la  Scala,  en  1870,  de  son  premier  opéra,  Giiaraiiy,  ouvrage 
d  ans  lequel  les  belles  choses  et  les  platitudes,  une  originalité  réelle  et 
l'imitation  servile  du  style  de  Verdi  se  croisent  et  s'entremêlent  de  la 
façon  la  plus  singulière.  Les  deux  rôles  principaux  de  cet  ouvrage  étaient 
te  nus  par  M™  Marie  Sasse  et  M.  Maurel.  Jamais  depuis  lors  Gomes  ne 
retrouva,  de  la  part  du  public,  un  accueil  aussi  sympathique  et  une  bien- 
veillance aussi  complète,  quoique  son  Salvator  Rosa  ait  été  fort  bien  reçu 
en  187i.  Mais  Fosca,  Maria  Tudor  et  lo  Schiavo  n'ont  point  laissé  de  traces. 
En  réalité,  Gomes  était  un  artiste  instruit,  non  dépourvu  d'inspiration, 
mais  inégal  et  manquant  d'originalité.  A.  P. 

—  A  Hambourg,  est  morte,  à  l'âge  de  40  ans  environ,  M'»°  Catherine 
Klafsky,  la  f  alcon  de  l'Opéra  de  cette  ville,  des  suites  d'un  abcès  au  cer- 
veau qui  avait  nécessité  l'opération  dangereuse  du  trépan.  M"=  Klafsky 
était  fort  connue  e  n  Allemagne  comme  chanteuse  dramatique,  et  cultivait 
spécialement  le  répertoire  de  Richard  Wagner;  elle  avait  aussi  souvent 
chanté  au  théâtre  de  Bayreuth.  Dans  les  derniers  temps,  elle  était  engagée 
à  l'Opéra  de  Hambourg. 

—  A  Schaerbeek  est  mort,  ces  jours  derniers,  un  artiste  de  talent,  Jean- 
Gaspard-Isidore  De  Swert,  violoncelliste  distingué,  qui  avait  été  professeur 
au  Conservatoire  de  Bruxelles  et  à  l'Académie  de  musique  de  Louvain,  et 
qui  fut  pendant  de  longues  années  violoncelle-solo  au  théâtre  de  la  Mon- 
naie. Il  était  né  à  Louvain  le  6  janvier  1830. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Â'VIS  AUX  PROFESSEURS.  —  Belle  salle  pour  auditions,  cours  et 
leçons,  matinées  et  soirées.  Location  au  mois  et  à  la  séance.  —  S'adres- 
ser maison  Musicale,  39,  rue  des  Petits-Champs.  Paris. 


1  CHEMINS   DE    ; 


Dinianche  4  Octobre  1896. 


•im.  -  62-  ANNÉE  -  N°  40.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  TcBte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEITE 


L  Étude  sur  Orphée  (6'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  La  Dame 
aux  camélias,  à  la  Renaissance,  et  Montjoije,  à  la  Comédie-Française,  Paul-Émile 
Chevalier-  —  III.  Musique  et  prison  (20«  article)  :  Religions,  P.\ul  d'Estrée.  — 
IV.  Le  Conseil  supérieur  d'enseignement  au  Conservatoire.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

SÉRÉNADE  D'AUTOMNE 

mélodie  de  L.  Delaquerbière,  poésie  d'ANDKÉ  Alexandre.  —  Suivra  immé- 
diatement :  Si  fai  parlé,  mélodie  nouvelle  de  Léon  Delaecsse,  poème  de 
Henri  de  Régnier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piano  :  Albert  Cuyp,  n"  4  des  Pou-traits  de  j)eintres,  pièces  pour  piano  de  Rey- 
NALDO  Hahn.  —  Suivra,  immédiatement  ;  Antoine  Watteau,  n"  i  de  la  même 
suite. 


ETUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Orphée  fut  une  des  rares  tragédies  lyriques  de  l'ancien  ré- 
pertoire qui  furent  jouées  sans  encombre  pendant  toute  la 
durée  de  la  Révolution,  —  sans  doute  parce  qu'il  ne  s'y  trou- 
vait aucune  parole  compromettante  à  l'adresse  des  «tyrans». 
Un  jour,  pourtant,  il  advint  que  les  événements  de  la  rue  en 
empêchèrent  la  représentation  :  le  6  octobre  1789,  l'afûche 
de  l'Opéra  annonçait  Orphée  et  le  ballet  de  la  Rosière  ;  mais, 
dans  la  journée  même,  Louis  XVI,  avec  la  Reine  et  le  Dau- 
phin, arrachés  par  force  de  Versailles,  étaient  ramenés  à 
Paris  par  le  peuple,  et  les  spectacles  fermèrent.  Mais  ce 
n'était  là  qu'une  simple  coïncidence:  Orphée  eut  une  reprise 
très  fructueuse  en  1792,  car  il  fut  joué  sans  interruption  d'une 
seule  année  depuis  cette  époque  jusqu'à  l'an  IX.  Sous  l'Empire, 
il  ne  disparut  pas  du  répertoire,  malgré  la  préférence  bien  con- 
nue de  Napoléon  pour  la  musique  italienne  :  repris  en  1809,  il 
fut  joué  tous  les  ans  jusqu'au  6  août  1817  ;  enfin,  repris  de 
nouveau  le  14  mai  1824,  il  eut  encore  83  représentations 
jusqu'au  2  novembre  1831,  jour  oîi  il  fut  donné  pour  la  der- 
nière fois  complètement  (des  exécutions  fragmentaires  en 
eurent  encore  lieu  le  7  juin  et  le  6  décembre  1833,  enfin  le 
28  juillet  1848).  On  voit  qu'il  ne  céda  qu'au  moment  où  l'in- 
fluence, alors  triomphante,  de  l'école  de  Rossini   fit  dispa- 


raître d'un  seul  coup  tous  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  clas- 
sique. Durant,  cet  intervalle,  il  obtint  un  total  général  de 
297  représentations  (1). 

Mais  une  revanche  éclatante  était  réservée  au  chef-d'œuvre. 
Eq  1859,  un  siècle  moins  trois  années  après  la  première  repré- 
sentation, alors  que,  depuis  près  de  trente  ans,  l'on  n'avait  plus 
entendu  un  seul  opér.i  de  Gluck  sur  les  scènes  parisiennes, 
M.  Garvalho,  alors  directeur  du  Théâtre-Lyrique,  fit  une  re- 
prise d'Orphée  dont  le  succès  est  resté  mémorable.  Pour  diriger 
les  études  et  remettre  de  l'ordre  dans  la  partition,  il  s'adressa 
au  maître  le  plus  digne,  à  celui  qui  avait  le  plus  fidèlement 
conservé  le  culte  et  les  traditions  de  Gluck,  à  Hector  Berlioz. 
Le  futur  auteur  de  Samson  et  Dalila,  M.  Camille  Saint-Saëns,  ne 
fut  pas  étranger  au  travail  de  restauration  entrepris  par  l'au- 
teur des  Troyens.  A  cette  époque,  l'artiste  qui  seul  avait  la 
puissance  nécessaire  pourpersonnifier  Orphée  était  une  femme; 
on  se  souvint  qu'à  l'origine  le  rôle  était  écrit  pour  un  castrat, 
c'est-à-dire  pour  une  voix  dont  l'étendue  était  celle  d'un 
contralto;  il  sutSt  d'en  revenir  à  la  version  première  à'Orfeo 
pour  que  ce  rôle  fiit  merveilleusement  approprié  aux  moyens 
de  M"^  Pauline  Viardot,  qui  remporta,  avec  l'œuvre  du  vieux 
maître,  le  triomphe  le  plus  éclatant  d'une  carrière  si  digne- 
ment remplie.  Orphée  obtint  ainsi  un  succès  d'enthousiasme. 

Enfin,  dans  l'année  même  où  ces  lignes  sont  écrites,  une 
nouvelle  reprise  de  l'œuvre  a  eu  lieu,  également  sous  la  di- 
rection de  M.  GarvalhOj  à  l'Opéra-C-omique,  conformément  aux 
traditions  précédemment  établies  au  Théâtre-Lyrique.  Le  suc- 
cès n'en  a  pas  été  moins  complet,  et  sans  doute  n'est  pas 
encore  épuisé. 

Gette  continuité  de  l'admiration  publique  est,  certes,  le  plus 
bel  hommage  qui  ait  été  rendu  au  génie  de  Gluck  et  aux 
principes  de  son  art.  Et  cet  hommage  est  d'autant  plus  signi- 
ficatif que,  par  le  fait,  il  est  unique,  Orphée  étant  la  seule 
œuvre  de  musique  dramatique  de  cette  époque  à  qui  soit 
échue  une  telle  fortune.  Mais  surtout,  il  faut  considérer  que, 
depuis  un  siècle  bientôt  et  demi  que  cet  opéra  est  composé, 
la  musique  a  passé  par  une  série  d'évolutions  et  de  transfor- 
mations telles  que  jamais  aucun  art  n'en  a  subi  d'aussi  radi- 
cales :  cependant,  le  public  d'aujourd'hui,  accoutumé  à  une 
langue  musicale  infiniment  plus  riche,  a  pu,  sous  les  formes 
vieillies  et  démodées  de  la  musique  du  XVIIP  siècle,  retrou- 
ver et  reconnaître  le  génie,  toujours  vivant,  toujours  jeune  ; 
et,  par  là,  il  a  donné  une  grande  preuve  de  bon  sens,  affir- 
mant que  le  génie  est  indépendant  des  formes,  au-dessus 
desquels  il  plane  et  qu'il  domine  éternellement. 

Est-il  vrai,  toutefois,  que  nous  trouvions  dans  l'œuvre  an- 
cienne exactement  les  mêmes  choses  qu'y  voyaient  les  con- 
temporains? Non  certes;  mais  cela  même  est  un  témoignage 

(1)  Th.  de  Lajarte,  Catalogue  de  la  Bibliothèque  de  VOpéra,  art.  Orphée. 


314 


LE  MENESTREL 


de  sa  puissance,  puisque,  vue  sous  uu  aspect  différent,  elle 
n'a  rien  perdu  de  sa  beauté.  Il  est  évident  que  toute  œuvre 
qui  prétend  être  digne  de  l'immortalité  doit  porter  en  soi 
quelque  chose  qui  se  puisse  assimiler  aux  différents  carac- 
tères des  époques  qu'elle  est  destinée  à  traverser.  Gela  est 
vrai  surtout  pour  les  œuvres  de  théâtre,  soumises  à  tant  de 
fluctuations.  Sophocle,  Shakespeare,  Racine,  tels  qu'on  les 
Joue  actuellement  sur  nos  scènes,  apparaissent  avec  un  tout 
autre  aspect  que  celui  sous  lequel  les  connaissaient  leurs 
contemporains:  cependant,  ils  sont  également  admirables.  11 
en  est  de  même  pour  l'œuvre  de  Gluck  :  malgré  les  change- 
ments du  goût  et  les  divergences  des  conventions  scéniques, 
elle  est  restée  intacte  et  parfaitement  belle.  Même  l'on  pour- 
rait dire  que  certaines  parties  ont  gagné  avec  le  temps,  et  qu'au- 
jourd'hui nous  y  trouvons  de  certaines  choses  auxquelles, 
en  son  temps,  l'auteur  n'avait  aucunement  songé  !  C'est  ainsi 
que  les  airs  de  ballet  des  Champs  Élysées,  dans  lesquels  les 
premiers  spectateurs,  tout  en  louant  la  parfaite  convenance 
du  style  avec  le  sentiment  de  la  situation,  ne  voyaient,  après 
tout,  que  des  menuets  et  des  gavottes,  sont  devenus  pour 
nous  des  sortes  de  symphonies  descriptives,  tout  au  moins 
expressives,  aux  intentions  les  plus  subtiles.  Berlioz  a  écrit 
un  pénétrant  commentaire  de  l'admirable  solo  de  flûte  qui 
forme  le  deuxième  épisode  du  «  ballet  des  Ombres  heu- 
reuses »  :  il  y  croit  entendre  la  plainte  d'une  âme  à  qui  la  fé- 
licité du  séjour  des  bienheureux  n'a  pas  fait  oublier  les  joies 
de  la  terre,  et  qui  songe  tristement  à  ceux  qu'elle  a  aimés, 
qu'elle  a  quittés  1...  Telle  Didon  errant  désolée,  pensant  à 
l'infidèle  dont,  la  fuite  a  causé  son  trépas...  Or,  il  est  bien 
évident  que  Gluck  n'a  jamais  pensé  à  rien  de  pareil,  et  Ber- 
lioz lui-même  rapporte  avec  indignation  qu'aux  représenta- 
tions de  l'Opéra,  conformes  aux  traditions  primitives,  aux- 
quelles il  assista  dans  sa  jeunesse,  tandis  que  le  flûtiste  de 
l'orchestre  exécutait  avec  élégance  son  solo,  auquel  il  ajoutait 
des  trilles,  la  scène  était  occupée  par  une  danseuse  qui  fai- 
sait des  pointes  ! 

C'était  pourtant  Berlioz  qui  avait  raison  :  en  analysant  pro- 
fondément le  sens  expressif  de  ce  chant,  il  en  a  dégagé  une 
beauté  qui  s'y  trouvait  réellement,  mais  qui  était  demeurée 
latente.  Et  si  Gluck  revenait  au  monde,  il  n'est  pas  douteux 
qu'il  approuverait  une  interprétation  si  conforme  à  ses  plus 
secrètes  pensées,  et  qu'il  se  réjouirait  de  voir  ses  descendants 
comprendre  ses  intentions  mieux  qu'il  ne  les  avait  pénétrées 
lui-même! 


Eurydice  va  paraître, 


L'on  sait  que  les  partitions  gravées  du  vivant  de  Gluck  sont 
parfois  dans  un  élat  de  désordre  et  d'incorrection  qui,  trop 
souvent,  devient  un  véritable  obstacle  h  leur  intelligence  et  à 
leur  juste  interprétation.  Berlioz,  qui  les  connaissait  mieux 
que  personne,  a  le  premier  constaté  le  fait;  et  voici  comment 
il  s'en  explique  au  sujet  di'Orphée  : 

Gluck  semble  avoir  été  d'une  paresse  extrême,  et  fort  peu  soucieux 
de  rédiger,  non  seulement  avec  la  correction  harmonique  digne  d'un 
maître,  mais  même  avec  le  soin  d'un  bon  copiste,  ses  plus  belles 
compositions.  Souvent,  pour  ne  pas  se  donner  la  peine  d'écrire  la 
partie  de  l'alto  de  l'orchestre,  il  l'indique  par  ces  mots  :  «  col  basso  », 
sans  prendre  garde  que,  par  suite  de  cette  indication,  la  partie  d'alto 
qui  se  trouve  à  la  double  octave  haute  des  basses  va  monter  au- 
dessus  des  premiers  violons.  En  quelques  endroits,  dans  le  dernier 
ehœar  des  ombres  heureuses,  par  exemple,  il  a  même  écrit  en  toutes 
notes  cette  partie  trop  haut  et  de  façon  à  produire  des  octaves  entre 
les  deux  parties  extrêmes  de  l'harmonie,  faute  d'enfant  qu'on  est  aussi 
surpris  qu'affligé  de  trouver  là. 

Berlioz  relève  d'autres  fautes,  provenant  de  remaniements 
exécutés  avec  négligence  : 

Aux  voix  de  contralto,  d'un  si  heureux  effet  dans  les  chœurs,  et  que 
Gluck  employa  dans  Orfeo;  comme  tous  les  maîtres  italiens  et  alle- 
mands, on  substitua  à  Paris  les  voix  criardes  de  haute-contre.  Bien 
plus,  dans  le  chœur  des  Champs  Élysées  : 

Viens  dans  ce  séjour  paisible, 
au  passage  de  coryphées  chantant  : 


si  bien  écrit  daus  la  partition  italienne,  cette  partie  de  haute-contre 
fut  modifiée,  sans  qu'on  puisse  concevoir  pourquoi,  de  manière  à 
produire  quatre  fois  la  faute  d'harmonie  la  plus  plate  qui  se  puisse 
commettre. 

Qaant  aux  fautes  de  gravure  existant  dans  les  deux  partitions, 
l'italienne  et  la  française,  aux  indications  essentielles  omises,  aux 
nuances  mal  placées,  je  n'en  finirais  pas  de  les  signaler. 

11  termine  ainsi  : 

On  conçoit  maintenant  le  genre  de  travail  qu'il  a  fallu  faire  pour 
remettre  cet  ouvrage  en  ordre,  approprier  à  la  voix  de  contralto  les 
récitatifs  et  airs  nouveaux  ajoutés  par  Gluck  au  rôle  principal,  lors 
de  sa  transformation  en  Orphée  ténor,  etc..  (1) 

Les  remaniements  dont  parle  Berlioz  furent  faits,  nous  l'a- 
vons dit,  en  vue  de  la  reprise  d'Orphée  avec  M""  Viardot,  et 
personne  ne  doute  qu'ils  aient  été  exécutés  par  la  main  d'un 
artiste  aussi  parfaitement  compétent  que  respectueux  du  chef- 
d'œuvre.  Aussi,  cet  arrangement  semble-t-il  avoir  été  adopté 
comme  définitif.  Plusieurs  éditions  en  ont  été  publiées,  tant 
en  partition  d'orchestre  qu'avec  réduction  pour  le  piano,  et 
il  est  devenu  d'une  tradition  constante  que  le  rôle  d'Orphée 
soit  aujourd'hui  interprété  par  une  femme  :  il  eu  a  été  ainsi 
non  seulement  à  l'Opéra-Comique  de  Paris,  où  M"'  Delna  a 
chaussé  le  cothurne  du  chantre  thrace,  mais  aussi  bien  dans 
la  plupart  des  théâtres  d'Allemagne  et  d'Italie  qui  ont  remis 
Orphée  à  leur  répertoire  depuis  18S9. 

Cette  moderne  tradition  constitue-t-elle  réellement  un 
progrès?  On  peut  le  contester,  et  douter  même  qu'elle  soit 
conforme  aux  intentions  secrètes  de  Gluck.  Il  est  croyable 
qu'en  écrivant  tout  d'abord  le  rôle  d'Orphée  pour  un  castrat, 
le  maitre  a  consenti  une  concession  dernière  aux  mœurs  et 
coutumes  de  l'opéra  italien  :  ne  l'a-t-il  pas  assez  bien  manifesté 
lorsque,  ayant  rompu  définitivement  avec  cet  art,  il  n'a  pas 
hésité  à  refaire  son  œuvre,  à  la  récrire  lui-même  (ses  manus- 
crits, qui  nous  ont  été  conservés,  témoignent  qu'il  n'a  voulu 
laisser  à  nul  autre  le  soin  d'exécuter  ce  travail  de  transposition, 
pourtant  purement  matériel  en  beaucoup  de  ses  parties),  tant  le 
désir  le  tenait  de  voir  son  héros  décidément  personnifié  par 
un  artiste  qui,  en  même  temps,  fût  un  homme...  Il  faut  lire 
dans  les  pamphlets  du  temps  sur  quel  ton  de  raillerie  mépri- 
sante les  giuckistes  français  parlent  de  cette  pratique  in- 
humaine en  usage  exclusivement  sur  les  théâtres  italiens  (2), 
et  qui  d'ailleurs  en  était  à  son  déclin,  car,  un  quart  de  siècle 
après  la  mort  de  Gluck,  il  n'était  plus  possible  d'entendre  un 
seul  castrat,  sauf  à  la  chapelle  Sixtine  :  le  dernier  qui  ait  paru 
sur  la  scène  fut  Crescentini,  qui  fit  les  beaux  soirs  de  Saint- 
Cloud  et  de  Fontainebleau,  sous  le  premier  empire,  et,  qui, 
honoré  de  la  protection  de  Napoléon,  fut  décoré  de  l'ordre  de 
la  Couronne  de  fer.  Au  temps  de  Rossini,  l'emploi  des  cas- 
trats, dans  les  opéras  italiens,  avait  définitivement  cessé. 

Mais  si  «  il  Guadagni  »  ne  réalisait  que  trop  incomplète- 
ment son  rôle  d'époux  d'Eurydice,  nos  modernes  contralti  en 
donnent  bien  moins  encore  l'illusion,  et  il  est  plus  choquant 
encore  de  voir  représenter  ce  personnage  «  en  travesti.  » 
Aussi  n'est-il  qu'une  seule  manière  de  restituer  l'œuvre  de 
Gluck  dans  toute  sa  sincérité  :  c'est  de  lui  rendre  la  forme 
que  le  maitre  lui-même  lui  a  donnée  en  dernier  lieu,  c'est-à- 
dire  celle  sous  laquelle  elle  a  été  représentée  à  l'Opéra,  en 
sa  présence,  le  2  août  1774.  L'examen  de  la  partition  italienne 
ne  doit  pas  être  négligé  pour  cela  :  il  peut  nous  éclairer 
parfois  efficacement  sur  les  véritables  intentions  de  Gluck; 
mais  ce  n'en  est  pas  moins  la  partition  française  qu'il  faut 
regarder  comme  l'œuvre  définitive. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


(1)  H.  Berlioz,  A  travers  chants,  p.  114  et  115. 

(2)  Voir  notamment:    Lu  Brochure  et  M.   Jérôme,  petit  conte  moral,  dans    les 
Mémoires  pour  la  révolution  du  Clievatier  Gluck,  etc.,  p.  102  et  suivantes. 


( 


LE  MENESTREL 


315 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


RENAISSA^'CE.  La  Dame  aux  camélias,  drame  en  5  actes,  d'Alexandre  Dumas 
fils.  —  Comédie-Française.  Montjoye,  comédie  en  5  actes,  d'Octave 
Feuillet. 

M'""  Sarah  Bernhardt,  modifiant  ses  projets  primitifs,  a  fait  la 
réouverture  de  la  Renaissance  avec  une  reprise  de  te  Dame  aux  camélias. 
Et  de  fait,  au  point  de  vue  purement  administratif,  la  combinaison 
n'a  rien  de  maladroit,  l'innombrable  foule  des  étrangers,  dont  Paris 
est  envabi  pour  le  momeni,  devant  être  certainement  plus  attirée 
par  la  pièce  d'Alexandre  Dumas  fils,  célèbre  dans  le  monde  entier, 
que  par  une  comédie  nouvelle,  fût-elle  signée  de  M.  Porto-Riche 
ou  de  M.  Guiclies. 

Donc,  une  fois  de  plus,  nous  avons  réentendu  les  couplets  printa- 
niers  de  l'idyllique  Nichelte,  assisté  aux  ébats  bruyants  de  l'insou- 
ciante Olympe  et  du  vieux  Saint-Gaudens,  revu  l'étonnanle  Prudence, 
.de  marchande  de  modes  devenu  manicure  dans  les  comédies  modernes, 
le  désagréable  Varville,  l'excellent  monsieur  Duval,  le  gentil  Rieux,  la 
dévouée  Nanine  et  le  mécène  comte  de  Giray.  Et,  tous  et  toutes,  nous 
les  avons  retrouvés  avec  le  plaisir  que  l'on  a  à  revoir  de  bonnes  et 
anciennes  connaissances,  leur  sentant  bien  l'air  quelque  peu  vieilli, 
mais  voulant  attribuer  principalement  aux  costumes  1840,  dont  on  les 
a  curieusement  habillés,  ces  petits  outrages  causés  par  le  ternes  irres- 
pectueux. 

Car  elle  date  de  1849,  cette  Dame  aux  camélias,  et  si  les  trois  pre- 
miers actes  nepeuvent  que  très  peu  faire  mentir  leuraete  de  naissance, 
les  deux  derniers  demeurent,  d'ensemble,  d'une  vigueur  et  d'une 
jeunesse  inouïes.  Peut-être  bien  aussi,  la  manière  dont  la  pièce  est 
.jouée  est-elle  pour  beaucoup  dans  l'impression 'ressentie  au  début. 
M.  Guitry  oublie  qu'Armand  Duval  est  un  «  jeune  premier  »  ;  le  scep- 
ticisme blagueur  et  l'émotion  moderne  à  fleur  de  peau  du  héros 
A.\\mants  ne  sont  plus  guère  de  mise  ici,  et  jurent  terriblement  avec 
l'habit  à  large  col  et  les  cheveux  ondulés;  il  faut  se  livrer  et  se  livrer 
tout  entier,  comme  il  le  fait  d'ailleurs  au  quatrième  acte,  où  il  appa- 
raît supérieur.  Mais  ce  n'est  point  de  M.  Guitry,  ce  n'est  point  non 
plus  de  la  Dame  aux  camélias  que  les  étrangers,  et  même  les  Parisiens, 
parleront  en  sortant  de  laRenaissance,  c'est  uniquement  de  M"'°  Sarah 
Bernhardt.  El  la  grande  artiste,  dans  ce  rôle  qu'elle  a  fait  sien, 
qu'elle  vit  de  sa  propre  vie,  qu'elle  souffre  de  sa  propre  souffrance, 
qu'elle  pleure  de  ses  vraies  larmes,  reste,  en  plus  d'une  page, 
absolument  incomparable,  et  d'émotion  poignante  et  sincère. 

J'ai  parlé  de  M"|^  Sarah  Bernhardt  et  de  M.  Guitry  ;  je  m'en  voudrais 
de  ne  point  nommer,  avec  eux,  d'abord  MM.  Brémond  et  Deneubourg, 
puis,  encore,  M.  Angelo  et  M™'  M.  Caron,  Grandet,  Boulanger  et 
Seylor. 

Plus  jeune  d'à  peu  près  vingt-cinq  années  que  la  Dame  aux  camélias, 
Montjoye,  que  la  Comédie-Française  vient  de  remonter  on  ne,pourra 
jamais  savoir  pourquoi,  Montjoye  n  terriblement  pris  de  l'âge,  et  les 
dernières  générations  qui  n'ont  pu  assister  ni  à  la  première  de  1863, 
ni  à  la  reprise  de  1878,  seront  fort  bien  venues  à  se  grandement 
étonner  du  succès  qui,  jadis,  accueillit  la  comédie  d'Octave  Feuillet. 
Ce  n'est  point  que  la  pièce  soit  précisément  mal  faite  et  qu'elle 
manque  de  «  situations  »,  car  il  y  en  a  plusieurs  et  d'assez  hardies 
même,  mais  elle  est  si  horriblement  banale,  malgré  quelques  mots 
heureux,  si  platement  poncive,  malgré  quelques  scènes  très  adroite- 
ment conduites,  et  si  invraisemblable  avec  ses  types  usés  de  rasta- 
quouères  d'opérette,  de  vieux  noceur  que  guette  l'apoplexie,  de  petit 
noceur  qui  va  se  faire  purifier,  ne  pouvant  rien  faire  autre  chose, 
sous  les  plis  du  drapeau  de  France,  de  vieux  serviteur  poussant 
l'honnêteté  jusqu'à  la  malhonnêteté,  ou  vice  versa,  comme  vous 
l'entendrez  le  mieux,  d'amoureux  bucoliques,  de  capitaine  de  pom- 
piers, de  rosière  et  de  lampions  !  (Ces  lampions,  un  des  gros  succès 
de  la  soirée,  au  lever  de  rideau  du  second  acte;  j'ai  vu  le  moment 
où  la  salle  entière,  pour  tâcher  à  secouer  sa  torpeur,  allait  crier  : 
Vive  le  Tsar!) 

Montjoye  ou  s  l'homme  fort  »,  lui-même,  s'accuse  aujourd'hui  si 
outré  qu'il  en  parait  faux  et,  encore,  à  la  fin  de  l'action,  si  ganache 
qu'il  en  devient  ridicule.  Je  sais  bien  que  M,  Laloir,  malgré  ses 
grandes  qualités,  a  poussé  le  rùle  au  noir  et  au  mélodrame  plus  que 
de  raison  ;  n'empêche  que  le  bonhomme  se  fait  diablement  illusion 
sur  sa  propre  force. 

A  comédie  banale,  interprétation  banale.  Et  ceci  ne  touche  en  rien 
au  mérite  d'artistes  tels  que  MM.  deFéraudy,  Lambert  fils,  Laugier, 
Louis  Delaunay  et  M"=  Pierson.  Le  presqae  seul  intérêt  de  la  soirée 
s'est  reporté  sur  M"'  Lara,  interprète  de  la   romanesque  Lucie.  Avec 


une  voix  un  peu  sourde  et  paraissant  mal  placée,  avec  une  articu- 
lation demandant  des  soins  spéciaux,  M""=  Lara  a  fait  montre  de  qua- 
lités de  sentiment  et  mieux  encore,  de  tempérament,  principalement 
aux  3"  et  S'  actes,  qui  laissent  deviner  quelle  place  importante  elle 
peut  prendre  un  jour,  surtout  dans  les  personnages  d'amoureuses. 

Paul-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


RELIGIONS 


La  musique,  accompagnement  obligé  des  sacri/îces  humains  en  Gaule,  au  Mexique,  chee 
tes  Peaux-Rouges,  au  Daliomey.  —  Autodafés  de  Vlnquisition.  —  Ministres  protestants 
aux  ites  Sainte-Marguerite.  —  Autres  pasteurs  aua;  galères  ,■  symphonie  et  exercices  de 
forçats.  —  Prêtres  catltoliques  au  donjon  de  Vincennes;  le  serin  de  l'abOé  d'Astros. 

Les  religions  primitives  entouraient  de  pompes  théâtrales  les  sacri- 
fices des  prisonniers  de  guerre  et  autres  victimes  immolées  à  leurs 
dieux.  La  musique  contribuait  à  l'éclat  de  ces  fêtes  barbares  :  mais, 
dans  l'esprit  des  bourreaux  ou  des  martyrs,  son  emploi  répondait  à 
des  états  d'âme  variant  avec  les  latitudes. 

Quand  les  druides  égorgeaient  sur  les  dolmens  les  guerriers 
vaincus,  les  bardes,  s'accompagnant  de  leur  harpe,  chantaient  la 
gloire  et  la  toute-puissance  de  Teutatès. 

L'orchestre  beaucoup  plus  compliqué  des  Aztèques,  le  peuple 
prépondérant  au  Mexique  avant  la  conquête  des  Espagnols,  jouait 
un  rôle  tout  différent  dans  les  sacrifices  humains.  Le  grand  prêtre 
choisissait  le  plus  bel  homme  du  pays  qui  devait  ce  tribut  de  sang, 
et  le  faisait  enfermer  dans  une  cage  où  il  était  l'objet  de  soins  tout 
particuliers.  On  le  nourrissait  des  mets  les  plus  délicats,  et  on  lui 
donnait  d'aimables  compagnes  pour  charmer  les  ennuis  de  cette 
étroite  réclusion.  Enfin,  on  lui  offrait  chaque  jour  des  récréations 
musicales  où  figuraient  les  divers  instruments  de  la  région,  sifliels, 
petites  flûtes  et  tambours  couverts  de  peau  de  cerf  tannées,  que  les 
doigts  seuls  mettaient  en  vibration.  Les  prêtres  s'imaginaient  appa- 
remment qu'en  prodiguant  à  la  victime  toutes  les  délices  de  la  vie, 
elle  se  résignerait  avec  joie  à  son  sort,  et  que  l'offrande  n'en  serait 
que  plus  agréable  à  la  divinité.  Cet  entraînement  durait  souvent  six 
mois.  Au  jour  tixé  pour  l'exécution,  le  prisonnier,  revêtu  de  ses 
plus  riches  habits,  sortait  de  la  cage  avec  son  escorte  de  jolies 
femmes  et  de  musiciens  ;  puis,  le  grand  prêtre  retendait  sur  la 
pierre  des  sacrifices,  lui  ouvrait  la  poitrine  avec  un  couteau  d'obsi- 
dienne et  en  arrachait  le  cœur,  qu'il  allait  porter  tout  fumant  aux 
pieiis  de  la  statue  du  Soleil. 

Lorsque,  à  une  époque  plus  rapprochée  de  la  nôtre,  les  Peaux- 
Rouges  attachaient  encore  au  poteau  fatal  les  prisonniers  des  tribus 
voisines,  ceux-ci  entonnaient  leur  chant  de  guerre,  qui  ne  cessait 
qu'avec  leur  mort.  Plus  les  vainqueurs  s'ingéniaient  à  inventer  de 
nouvelles  tortures,  plus  les  vaincus  redoublaient  de  sarcasmes  et  de 
mépris.  Leur  invocation  lyrique  au  Grand-Esprit  les  armait  de  cou- 
rage et  de  constance  au  milieu  des  plus  atroces  supplices. 

Hier  encore,  les  sacrifices  humains  étaient  en  honneur  au  Daho- 
mey. C'était  au  bruit  infernal  de  tam-tams,  de  tambours  et  de  gui- 
tares informes,  que  les  griots  ou  sorciers  faisaient  égorger  de  mal- 
heureux noirs  jetés  tout  empaquetés  des  remparts  d'Abomey.  Il 
n'était  pas  de  plus  sûr  moyen,  prétendaient-ils,  de  conjurer  les  sor- 
tilèges de  l'esprit  malin. 

Dans  les  civilisations  d'ordre  supérieur,  les  religions  ne  vouent 
plus  à  la  mort  que  leurs  ennemis  personnels,  c'est-à-dire  les  dissi- 
dents qui  se  prévalent  de  leur  hérésie  ou  de  leur  schisme.  Pour 
définir  d'un  seul  trait  le  rôle  joué  par  la  musique  dans  le  cours  de 
ces  sanglantes  exécutions,  rappelons  qu'en  Espagne  et  en  Portugal, 
les  autodafés  ordonnés  par  l'Inquisition  comportaient  une  mise 
en  scène  terrifiante,  dont  de  lugubres  harmonies  augmentaient  encore 
les  épouvantements.  Tambours  voilés  de  crêpe,  glas  sinistre  de 
cloches,  chants  funèbres  des  processions,  rien  ne  manquait  à  cette 
symphonie  de  l'agonie  lente,  commencée  dans  les  prisons  du  Saint- 
Office,,  et  s'achevant  au  fond  du  cjuemadero.  L'émotion  grave,  péné- 
trante, mystérieuse,  qui  s'en  dégageait,  entretenait  chez  les  specta- 
teurs cette  terreur  sacrée,  but  suprême  d'une  institution  non  moins 
politique  que  religieuse. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  XV1I°  siècle,  ces  pratiques  devien- 
nent plus  rares  et  môme  disparaissent,  du  moins  en  France.  Ce  n'est 
pas  que  le  prosélytisme  religieux  s'y  soit  ralenti.  Il  est  toujours 
aussi  fervent  qu'il  est  autoritaire.  Seulement,  il  n'envoie  plus  les  récal- 
citrants au  bûcher,  mais  au  cachot.  Et  là,  changeant  une  fois  encore 


3d6 


LE  ]\IENESTREL 


de  rôle,  la  musique  offre  aux  détenus  ses  eonsolalions  ou  leur  permet 
d'affirmer  leur  foi. 

Saint-Mars,  gouverneur  des  iles  Sainte-Marguerite,  disait  à  Barbe- 
zieux,  secrétaire  d'Elat,  dans  un  rapport  qu'il  lai  adressait,  le 
4  juin  1692,  sur  des  prisonniers  protestants  devenus  ses  pensionnaires  : 

...  Le  premier  de  ces  ministres  (protestants)  qu'on  a  condnit  ici  chante 
nuit  et  jour,  à  haute  voix,  des  psaumes,  exprès  pour  faire  connaître  ce  qu'i' 
est...  Je  lui  ai  défendu  de  continuer  sous  peine  d'une  grosse  discipline 
que  je  lui  ai  donnée,  ainsi  qu'à  son  camarade  Salve,  qui  a  l'écriture  en  tête 
sur  sa  vaisselle  d'étain  et  sur  son  linge. 

Un  autre  secrétaire  d'État  du  grand  roi,  Pontehartrain,  mit  fin  à 
ces  «  grosses  disciplines  »,  trois  semaines  plus  tard,  en  invitant  Saint- 
Mars  à  ne  pas  les  fouailler  s'ils  chantaient,  mais  à  les  mettre  oîi  ils 
ne  pouvaient  être  entendus. 

Certains  ministres  furent  encore  plus  cruellement  traités.  Envoyés 
sur  ces  bagnes  flottants  qu'on  appelait  jo^eres,  ils  durent  partager  la 
vie,  c'est-à-dire  le  labeur  et  les  misères  des  forçats  condamnés,  pour 
crime  de  droit  commun,  à  remplir  l'office  de  rameurs. 

Les  mémoires  d'un  de  ces  galét'iens  innocents,  publiés  enl86S,  four- 
nissent à  l'histoire  des  bagnes  de  précieux  documents.  Il  en  est  qui 
entrent  plus  particulièrement  dans  le  cas  de  notre  étude  et  qu'il 
importe  de  signaler. 

Notre  protestant  jetait  en  1713  à  Dunkerque,  «  sur  les  galères  du 
Roi  »;  et  ces  bâtiments  avaient  alors  leur  musique,  leur  orchestre, 
leur  fanfare,  ou,  pour  parler  le  langage  du  temps,  «  leur  symphonie.  » 
Les  lieatenants  de  galères  donnaient  des  fêtes  à  bord  chaque  fois 
qu'ils  recevaient  des  personnages  de  distinction,  et  il  va  sans  dire 
que  la  «  symphonie  »  en  était  l'accompagnement  obligé  : 

...  Nous  étions  sur  notre  galère,  qui  était  la  Commandante,  presque  tou- 
jours chargés  de  cette  fatigue  extraordinaire,  à  cause  que  notre  comman- 
dant, qui  était  très  magnifique,  y  entretenait  une  belle  symphonie  de  douze 
joueurs  de  divers  instruments,  tous  galériens,  distingués  par  des  habits 
rouges  et  des  bonnets  de  velours  à  la  plaque  galonnés  d'or  et  leurs  habits 
galonnés  de  jaune,  qui  était  sa  livrée. 

Le  chef  de  cette  symphonie,  et  qui  l'avait  formée,  était  un  nommé  Gondi, 
un  des  vingt-quatre  symphonistes  du  Roi,  qui,  par  débauche  ou  liber- 
tinage, avait  été  chassé  de  la  Cour  et,  s'étant  enrôlé  dans  les  troupes,  en 
avait  déserté.  Ayant  été  repris,  il  fut  condamné  aux  galères  et  mené  sur 
la  Commandante  de  celles  de  Dunkerque.  C'était  un  des  plus  habiles  musi- 
ciens de  France,  et  il  jouait  toutes  sortes  d'instruments.  La  symphonie 
nous  attirait  donc  beaucoup  de  visites  fatigantes. 

Lorsque  le  commandant  s'en  trouvait  avisé,  il  ordonnait  aussitôt 
«  une  bourrasque  »,  c'est-à-dire  «  le  nettoiement  de  la  galère.  »  La 
«  cbiourme  »  était  aussitôt  rasée,  tête  et  barbe;  elle  devait  changer 
de  linge,  revêtir  la  casaque  rouge  et  prendre  le  bonnet  de  même  cou- 
leur. Puis,  tous  les  forçats  allaient  s'asseoir  sur  leurs  bancs  de  telle 
sorte  qu'on  n'aperçût  d'un  bout  de  la  galère  à  l'autre  que  leurs 
tètes  coiffées  du  bonnet  rouge. 

Aussitôt  qu'un  visiteur  de  distinction  arrivait  à  bord,  toute  ia 
chiourme,  sur  un  coup  de  sifflet,  poussait  avec  ensemble  «  le  cri 
lugubre  et  rauque  de  hau  ».  Elle  le  répétait  trois  fois  si  ce  personnage 
était  un  général,  ou  un  duc  et  pair,  mais  jamais  plus  ;  «  le  roi  même 
n'en  avait  pas  davantage  ».  Aussi  appelait-on  ce  salut  «  le  salut  du 
roi  *.  Les  forçats  criaient  deux  fois  liau,  s'il  s'agissait  d'un  marquis 
ou  d'un  comte,  mais  une  fois  seulement  pour  les  seigneurs  de 
moindre  importance. 

Alors  les  tambours  battaient  aux  champs,  les  soldats  formaient 
la  haie, le  fusil  sur  l'épaule. Lesmâts  étaientdressés,  garnis  de  pavillons 
de  toutes  couleurs,  de  banderoles  et  de  grandes  flammes  rouges 
brodées  de  fleurs  de  lis  jaunes  flottant  au  vent.  La  chambre  de  poupe 
était  couverte  «  d'une  banderoJle  de  velours  cramoisi  »,  garnie  de 
franges  d'or.  »  Joignez  à  cette  magnificence  les  ornements  en  sculpture 
de  la  poupe,  tous  dorés  jusqu'à  fleur  d'eau,  les  rames  abaissées  dans 
les  bancs  et  élevées  en  dehors  en  forme  d'ailes,  toutes  peintes  de 
diverses  couleurs.  » 

Et  le  malheureux  qui  écrit  cette  relation  oppose  à  ce  pompeux 
spectacle  le  tableau  navrant  de  la  misère  des  pauvres  galériens  sous 
leur  uniforme  de  cérémonie,  «  rongés  de  vermine,  le  dos  labouré  de 
coups  de  corde,  maigres  et  basanés  par  la  rigueur  des  éléments  et  le 
manque  de  nourriture,  enchaînés  jour  et  nuit  et  remis  à  la  direction 
de  trois  cruels  comités  qui  les  traitent  plus  mal  que  les  bêtes  les  plus 
viles...  » 

En  effet,  apr'es  que  les  seigneurs  et  les  dames  visitant  la  galère 
commandante  en  ont  fait  le  tour,  au  son  de  la  «  symphonie  »  de 
Cxondi  le  déserteur  la  bète  humaine  avec  ses  trois  cents  têtes,  exé- 
Icute,  pour  le  plus  grand  plaisir  des  nobles  étrangers,  l'exercice  que 
ui  ordonne  chaque  coup  de  sifllet  ; 


Au  premier  coup,  chacun  ôte  son  bonnet  de  dessus  la  tête,  au  second 
la  casaque,  au  troisième,  la  chemise.  On  ne  voit  alors  que  des  corps  nus. 
Ensuite  on  leur  fait  faire  ce  qu'on  appelle  en  provençal  le  Moiiine,  ou  les 
singes.  On  les  fait  coucher  tout  à  coup  dans  leurs  bancs.  Alors  tous  ces 
hommes  se  perdent  à  la  vue.  Après,  on  leur  fait  lever  le  doigt  indice  (index), 
on  ne  voit  que  les  doigts;  puis  le  bras,  puis  la  tête,  puis  une  jambe,  puis 
les  deux  jambes,  ensuite  tout  droit  sur  leurs  pieds  ;  puis  on  leur  fait  à 
tous  ouvrir  la  bouche,  puis  tousser  tous  ensemble,  s'embrasser,  se  jeter 
l'un  l'autre  à  bas  et  encore  diverses  postures  indécentes  et  ridicules,  et 
qui,  au  lieu  de  divertir  les  spectateurs,  font  concevoir  aux  honnêtes  gens 
de  l'horreur  pour  ces  exercices,  où  l'on  traite  des  hommes,  et  qui  plus  est, 
des  hommes  chrétiens,  comme  s'ils  étaient  des  bêtes  brutes. 

Sur  le  terrain  religieux,  Napoléon  n'était  guère  moins  intraitable 
que  Louis  XIV,  surtout  pendant  ses  démêlés  avec  le  pape.  Un  des 
membres  du  clergé  français,  un  prêtre  très  fin,  très  souple  et  très 
délié,  l'abbé  d'Astros,  avait  pris  parti  pour  le  Saint-Père  contre  le 
tout  puissant  empereur.  Celui-ci,  exaspéré,  écrasa  le  rebelle  de  tout 
le  poids  de  sa  colère,  et  le  fit  mettre  au  secret  au  donjon  de  Vincennes. 

La  prison  était  dure,  la  solitude  complète,  la  nourriture  plus  que 
frugale. 

Or,  l'abbé,  qui  commençait  à  se  lasser  d'un  tel  régime,  d'autant 
qu'il  s'ennuyait  mortellement,  eut  la  plus  heureuse  des  inspirations. 
Il  se  souvint  qu'il  avait  laissé  dans  son  petit  appartement  de  la  rue 
Chanoinesse  un  serin,  son  favori,  qui  égayait  ses  repas  en  sautillant 
autour  de  lui  et  qui  charmait  ses  rares  instants  de  loisir  par  une 
virtuosité  exceptionnelle.  Il  demanda  au  gouverneur  de  Vincennes 
l'autorisation  de  se  faire  apporter  l'artiste  emplumé. 

Le  fonctionnaire  crut  pouvoir  accorder  à  son  prisonnier  sa  demande, 
et  le  serin,  admis  dans  l'intimité  du  prisonnier,  recommença  eu 
prison  ses  vocalises  des  jours  heureux.  D'Astros  y  prenait  un  plaisir 
extrême.  Aussi,  dans  l'élan  de  sa  reconnaissance  pour  le  virtuose 
dont  le  gazouillement  reculait  sans  doute  pour  lui  les  limites  d'un 
horizon  trop  étroit,  l'abbé  s'empressa-t-il  de  tracer  en  son  honneur 
ce  quatrain  sur  les  murs  de  sa  cellule  : 

Chantez,  mon  beau  serin.  Votre  joyeux  ramage 
Instruit,  en  l'égayant,  l'hôte  de  ce  donjon  ; 
Et  comme  vous  vivez  content  dans  votre  cage. 
Le  sage  saura  vivre  heureux  dans  sa  prison. 

La  poésie  du  détenu  était,  parait-il,  séditieuse.  Un  gardien  vint 
l'effacer.  D'Astros  se  consola  aisément  de  cette  mesquine  tracasserie. 
Mais  un  chagrin  autrement  grave  l'attendait.  Les  oiseaux,  même 
privés,  sont  comme  les  fleurs  d'appartement  :  l'atmosphère  de  la 
prison  leur  est  fatale.  Le  serin  de  l'abbé  mourut  avant  que  son 
maître  fût  délivré,  et  celui-ci,  que  la  disgrâce  avait  toujours 
trouvé  souriant,  pleura  toute  une  journée  sur  le  corps  inanimé  de 
l'ami  des  mauvais  jours. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


LE  CONSEIL  SUPÉRIEUR  D'ENSEIGNEMENT  AD  CONSERVATOIRE 


Par  arrêté  en  date  du  29  septembre  1893,  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  et  des  beaux-arts  a  décidé  de  la  façon  qui  suit  la  com- 
position du  conseil  supérieur  d'enseignement  au  Conservatoire  : 
Membres  de  droit  des  deux  sections. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-  arts,  président  ; 

Le  directeur  des  beaux-arts,  vice-président; 

Le  directeur  du   Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation 
vice-président  ; 

Le  chef  du  bureau  des  théâtres. 


MM. 


Section  des  éludes  musicalus. 


Reyer,  membre  de  l'Institut  ; 
Massenet,  membre  de  l'Institut; 
Saint-Saëns,  membre  de  l'Institut; 
Paladilhe,  membre  de  l'Institut  ; 
Joncières,  compositeur  de  musique  ; 

E.  Réty,  administrateur  honoraire  du  Conservatoire  national  de  musi- 
que et  de  déclamation: 
Lenepveu,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Conservatoire; 
Widor,  professeur  au  Conservatoire  ; 
TafTanel,  professeur  au  Conservatoire. 
Et  les  trois  professeurs  qui  seront  élus  par  leurs  collègues. 

Section  des  études  dramatiques. 
MM. 
Sardou,  de  l'Académie  française; 
L.  Ilalévy,  de  l'Académie  française  ; 


LE  MÉNESTREL 


3d7 


J.  Clarelie,  de  l'Académie  française; 
J.  Lemaître,  de  l'Académie  française; 
Got,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  ; 
Mounet-SuUy,  sociétaire  de  la  Comédie-Française; 
Worms,  professeur  au  Conservatoire. 

Et  le  professeur  de  déclamation  qui  sera  élu  par  ses  collègues. 
Le  chef  du  secrétariat  du  Conservatoire  national  de  musique  et  de  décla- 
mations remplira  les  fonctions  de  secrétaire. 

Les  membres  du  conseil  supérieur  d'enseignement  sont  nommés  ou 
élus  pour  trois  ans. 

C'est  le  minisire  qui  le  convoque.  Il  se  réunit  aussi  souvent  que 
les  circonstances  l'exigent,  et  une  fois  au  moins  tous  les  trois  mois 
pendant  la  durée  de  l'année  scolaire. 

Les  deux  sections  de  musique  et  de  déclamation  se  réunissent  en 
assemblée  plénière  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  questions  communes 
aux  deux  ordres  d'enseignement  et  relatives  à  l'intérêt  général  du 
Conservatoire. 

Il  y  a  un  jury  pour  cbaque  section  d'enseignement.  Ces  jurys  sont 
ainsi  composés  : 

1°  Pour  la  musique  : 

Les  membres  de  droit  du  conseil  supérieur  d'enseignement. 

Quatre  membres  du  conseil  d'enseignement,  désignés  par  leurs 
collègues. 

Quatre  membres  étrangers  au  Conservatoire,  nommés  par  le  mi- 
nistre. 

Le  professeur  titulaire  de  la  spécialité. 

2°  Pour  la  déclamation  dramatique  : 

Les  membres  de  droit  du  conseil  supérieur  d'enseignement. 

Les  membres  du  conseil  supérieur  d'enseignement  et  les  professeurs 
de  déclamation. 

Les  jurys  d'admission  ne  sont  nommés  que  pour  un  an. 

Outre  ce  conseil  et  ces  jurys,  il  a  été  institué  un  comité  d'examen 
des  classes,  qui  doit  être  nommé  par  le  ministre  pour  cbaque  section 
de  l'enseignement. 

Chaque  comité  d'examen  se  compose  : 

1°  Pour  les  études  musicales  : 

Des  membres  de  droit  du  conseil  supérieur  d'enseignement. 

De  trois  membres  du  conseil  supérieur  d'enseignement  désignés  par 
leurs  collègues. 

De  six  membres  nommés  par  le  ministre,  choisis  parmi  les  professeurs 
titulaires  du  Conservatoire  et,  pour  moitié  au  moins,  parmi  les  artistes 
étrangers  à  l'école.  Ces  six  membres  sont  renouvelables  par  tiers  tous  les 
deux  ans. 

Les  professeurs  du  Conservatoire  ne  peuvent  faire  partie  du  comité  appelé 
à  examiner  les  élèves  de  leur  classe  ou  les  élèves  des  classes  du  même 
enseignement. 

2°  Pour  la  déclamation  dramatique  : 

Des  membres  de  droit  du  conseil  supérieur  d'enseignement; 

Des  membres  du  conseil  supérieur  d'enseignement,  moins  les  professeurs 
et  de  quatre  membres  nommés  par  le  ministre. 

Ces  quatre  membres  sont  :  MM.  Ginisty  et  Antoine,  directeurs  de 
rOdéon,  qui  ne  compteront  que  pour  une  voix;  MM.  Jules  Barbier, 
Henri  Lavedan  et  Georges  de  Porto-Riche,  auteurs  dramatiques. 

Le  conseil  supérieur  se  réunira  pour  la  première  fois  le  12  octo- 
bre, sous  la  présidence  du  ministre.  Il  aura  à  désigner  ce  jour-là,  à 
la  nomination  du  minisire,  le  successeur  de  M.  Delaunay  au  poste 
de  professeur  de  déclamation.  Il  parait  probable  que  ce  sera  M.  Le 
Bargy. 

Trois  autres  postes  de  professeur  sont  vacants  dans  la  sectionmusi- 
cale,  par  suite  de  la  démission  de  M.  Massenet,  de  la  nomination  de 
M.  Théodore  Dubois  comme  directeur  du  Conservatoire,  et  de  la 
mort  de  M.  Delahaye,  professeur  d'accompagnement.  C'est  également 
le  conseil  supérieur  qui  devra  examiner  les  demandes  déjà  formées 
et  soumettre  son  choix  au  ministre. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (l"''  octobre).  —  Tous  les  débuts 
n'ont  pas  encore  eu  lieu  jusqu'à  ce  jour,  à  la  Monnaie;  il  est  très  rare  que 
l'on  ait  attendu,  pour  connaître  tous  les  nouveaux  venus  de  la  troupe,  aussi 
longtemps  que  cette  année.  C'est  ainsi  qu'il  nous  reste  à  voir  encore 
M""  Jane  Ilarding,  Ilolmstrand  et  Mauzié  ;  il  court  même  au  sujet  des 
débuts  de  la  première  des  bruits  étranges,  d'après  lesquels  M"°  Harding 


ne  paraîtrait  pas  devant  le  public  bruxellois  ;  toujours  est-il  que  son  appa- 
rition, annoncée  plusieurs  fois,  a  été  retardée,  et  que  maintenant  on  n'en 
parle  même  plus.  —  Quoi  qu'il  en  soit,  une  autre  débutante  s'est  montrée 
il  y  a  quelques  jours,  M"'=  Gianoli  ;  elle  arrivait  obscurément,  sans  que 
l'on  sût  d'elle  grand'chose  et  sans  qu'on  eût  attiré  sur  sa  personnalité 
beaucoup  l'attention.  La  surprise  a  été  vive  et  charmante.  M""  Gianoli  a 
chanté  Carmen  d'une  façon  remarquable,  avec  une  très  jolie  voix  et  en 
artiste  vraiment  peu  ordinaire;  de  plus,  la  femme  est  tout  à  fait  gracieuse, 
et  la  comédienne  vaut  la  cantatrice.  C'est  dire  que  son  succès  a  été  très 
grand  et  très  mérité,  et  d'autant  plus  grand  qu'il  était  inattendu.  M"=  Gia- 
noli est  une  Genevoise;  elle  a  chanté,  dit-on,  à  Genève,  Werther;  cela 
nous  donne  l'espoir  qu'elle  jouera  ici  l'œuvre  de  Massenet,  dont  la  reprise 
avec  elle  serait  certainement  excellente.  En  tout  cas,  je  crois  que  la  direc- 
tion peut  compter  sur  elle  cet  hiver,  car  c'est  assurément  la  meilleure 
des  acquisitions  nouvelles  qu'elle  ait  faites. 

A  part  la  représentation  un  peu  imprévue  d'un  sémillant  et  gentil  petit 
acte  de  Poise,  les  Deux  Billets,  agréablement  enlevé  par  M""  Maubourg, 
MM.  Gilibert  et  Gaisso,  on  n'est  pas  encore  sorti,  à  la  Monnaie,  du  réper- 
toire courant.  Il  y  aura  cependant  quelque  curiosité  à  entendre  la 
semaine  prochaine  Romeo  et  Juliette  avec  M^'^  Landouzy,  qui  n'a  Jamais 
chanté  encore  le  rôle  de  Juliette. Quant  aux  «nouveautés»  promises, on  en 
est  aux  études.  C'est  Don  César  de  Bazan  de  Massenet,  qui  paraît  tenir  la 
corde;  on  le  répète  régulièrement,  et  le  maître,  arrivé  hier  à  Bruxelles 
vient  d'en  faire  lui-même  la  lecture  aux  artistes.  La  préparation  de  i^erma/ 
très  laborieuse,  paraît-il,  se  poursuit  doucement.  Pour  le  reste,  rien  ne 
transpire. 

Nous  avons  eu  dimanche  dernier,  au  Palais  des  Académies,  une  solen- 
nité importante,  agrémentée  d'une  primeur  musicale  :  la  célébration  du 
cinquantenaire  des  télégraphes  belges.  Outre  les  discours  d'usage  par  le 
ministre  des  chemins  de  fer  et  le  directeur  général  de  l'administration  des 
postes,  on  a  entendu  une  cantate  écrite  pour  la  circonstance  par  M.  Paul 
Gilson,  notre  jeune  et  talentueux  compositeur  à  la  mode,  sur  des  paroles 
de  M.  Arnold  Goffin.  Célébrer  dans  une  forme  musicale  «  la  conquête  de 
l'électricité  parle  génie  humain  et  son  asservissement  au  progrès»  n'était 
pas  chose  facile.  Le  poète  s'y  est  appliqué  du  mieux  qu'il  a  pu,  en  com- 
parant la  télégraphie  à  une  «  harpe  immense  aux  mille  fils  »;  dans  la 
pensée  du  poète,  les  fils  de  la  harpe  représentaient,  non  sans  ingéniosité 
les  iils  du  télégraphe;  au  besoin,  ils  auraient  pu  figurer  des  «  portées  » 
musicales,  sur  lesquelles  se  fussent  accrochées  les  notes  de  M.  Gilson. 
Celui-ci,  qui  est  un  wagnérien  déterminé,  s'est  attaché  naturellement  à 
caractériser  par  des  motifs  conducteurs,  sinon,  comme  quelques-uns  l'ont 
cru,  les  différents  systèmes  de  télégraphie  qui  se  sont  succédé  depuis  le 
commencement  du  siècle,  tout  au  moins  la  lutle  de  la  volonté  humaine 
contre  l'élément,  très  recouuaissable,  paraît-il,  dans  le  fracas  des  cuivres 
et  le  soubresaut  des  cymbales,  —  le  tout  couronné  par  une  sorte  de  chant 
populaire,  au  rythme  franc  et  large,  disant  la  joie  et  la  reconnaissance 
des  peuples  envers  l'appareil  Morse.  Telle  est,  m'a-t-il  semblé,  la  signifi- 
cation de  l'œuvre.  Beaucoup  de  gens  ont  essayé  d'y  découvrir  plus  encore' 
je  ne  crois  pas  que  le  but  du  compositeur  ait  été  de  démontrer 
davantage,  mais  simplement  d'écrire  une  partition  sonore  et  brillante,  très 
touffue,  avec  un  très  long  prélude  instrumental,  des  sonorités  d'une  belle 
plénitude  et  de  grands  éclats  de  voix,  l'ensemble  de  tout  cela  formant  un 
compromis  habile  entre  ses  principes  esthétiques  et  la  nécessité  de  plaire 
malgré  tout  au  personnel  des  postes. 

La  cantate  de  MM.  GolBn  et  Gilson,  très  bien  exécutée  par  un  orchestre 
fourni,  des  chœurs  bien  stylés  et  des  solistes  vaillants,  MM.  de  Backer  et 
Douy,  a  été  acclamée  chaleureusement  et  suivie  d'une  ovation  reconnais- 
sante aux  deux  auteurs. 

A  propos  de  M.  Paul  Gilson,  dont  la  science  d'harmonisation  s'utilise 
volontiers  à  faire  revivre  d'anciens  vestiges  de  notre  littérature  musicale 
très  riche  et  très  curieuse,  voici  une  nouvelle  qui  n'est  pas  sans  intérêt  et 
qui  réjouira  les  amateurs  d'archéologie  :  Les  vieux  Bruxellois  savent  que 
Janneke  et  Mieke,  Mon  Onde  et  Ma  Tante,  et  le  Grand  Turc,  nos  bons  géants 
communaux,  sont  traditionnellement  précédés,  lorsqu'ils  figurent  dans 
quelque  cortège  ou  «  cavalcade  »,  d'un  tambour  et  d'une  petite  flûte 
qui  exécutent  une  sorte  de  musique  primitive,  dont  le  rythme  oblige  les 
géants,  ou  plus  exactement  les  uaarl-capoenen  qui  les  portent,  à  cadeucer 
leur  marche.  Les  airs  exécutés  par  la  petite  flûte  et  le  tambour  qui  l'ac- 
compagne sont  la  reproduction  plus  ou  moins  altérée  des  thèmes  conservés 
dans  nos  archives  de  l'ancienne  marche  des  Serments  et  de  la  retraite 
communale,  c'est-à-dire  de  deux  airs  communaux  du  temps  jadis.  Or,  les 
édiles  de  Bruxelles  ont  pensé  qu'il  serait  intéressant  de  ressusciter  en 
quelque  sorte  ces  dontjes  dont  le  souvenir  ne  s'est  guère  perpétué  que  dans 
le  monde  des  débardeurs,  et,  sur  la  proposition  de  leur  très  distingué  chef 
de  division,  M.  Lepage,  échevin  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts 
a  chargé  M.  Paul  Gilson  d'harmoniser  ces  vieux  airs.  L'artiste  vient  de 
terminer  son  travail,  qu'il  a  admirablement  réussi,  et  sous  peu  de  jours 
M.  Fritz  Senuewald,  l'excellent  chef  de  l'harmonie  communale,  fera  enten- 
dre aux  concerts  du  Parc  la  marche  des  Serments  et  l'air  de  la  retraite 
qui  ne  tarderont  probablement  pas  à  devenir  les  airs  obligés  de  tout  cor- 
'.ège  de  sociétés  bruxelloises.  Au  besoin,  on  ne  verrait  pas  grand  mal  à  ce 
qu'ils  remplaçassent  notre  odieuse  Brabançonne  nationale. 

La  saison  des  grands  concerts  d'hiver  s'ouvrira  de  bonne  heure,  cette 
année.  Nous  aurons  tout  d'abord  le    18   de   ce   mois,   à    l'Alhambra,  un 


318 


LE  MENESTREL 


concert  donné  par  l'orchestre  de  M.  Colonne,  actuellement  en  t  tournée  » 
en  Angleterre  et  en  HoUande,  avec  le  concours  du  violoniste  Marix  Loe- 
vensohn,  et  dont  le  programme,  consacré  à  la  musique  française,  com- 
prendra notamment  la  Symphonie  fantastique  de  Berlioz,  des  fragments  de 
Psyché  de  César  Franck,  le  ballet  du  Ciel  de  Massenet,  etc..  Puis  viendra,  le 
23  octobre,  le  premier  concert  populaire,  en  l'honneur  de  M.  Saint-Saêns, 
qui  s'y  fera  entendre  comme  pianiste,  ainsi  que  M.  Arthur  De  Greef.  Les 
Concerts  populaires  nous  réservent  ensuite  une  matinée  dirigée  par 
M.  Richard  Strauss  et  consacrée  en  partie  à  ses  œuvres,  et  une  autre  diri- 
gée par  JI.  Hans  Richter,  qui  conduira  la  Neuvième  sjTnphonie  de  Beethoven; 
comme  solistes,  ils  nous  promettent  entre  autres.  M"'"  Ternina,  une  canta- 
trice allemande,  et  le  jeune  violoncelliste  liégeois  déjà  célèbre,  M.  Gérardy. 
Au  Conservatoire,  M.  Gevaert  prépare  une  exécution  complète  de  la 
Passion  selon  saint  Mathieu,  de  Bach.  Aux  Concerts  Ysaye,  nous  entendrons 
l'excellent  pianiste  français  M.  Raoul  Pugno,  le  baryton  Maurel,  le  vio- 
loniste Thomson,  qui  jouera  avec  M.  Eugène  Ysaye  le  concerto  pour  deux 
violons  de  Bach.  M"^  Gulbranson,  la  chanteuse  norvégienne,  etc.;  enfin 
M. Motll  viendra  diriger  une  des  séances  réservées  àl'audition  de  fragments 
de  VÀpoUonide  de  Franz  Servais  et  d'œuvres  de  Berlioz,  dont  M.  Mottl  est 
le  protagoniste  en  Allemagne,  —  indépendamment  d'un  concert  spirituel 
du  Vendredi-Saint,  dans  lequel  on  exécutera  les  Béatitudes  de  César  Franck 
et  le  Judas  de  notre  compatriote  M.Sylvain  Dupuis,  avec  le  concours  de  la 
légia  de  Liège. 

Voilà  des  promesses  nombreuses,  —  sans  compter  les  surprises.  On 
n'aura  pas  le  temps  de  s'ennuyer  cet  hiver,  à  Bruxelles!  L.  S. 

—  Bruxelles  a  aujourd'hui,  comme  Paris,  ses  théâtres  irréguliers  et 
fantaisistes.  L'un  d'eux,  le  théâtre  du  Diable-au-Corps,  a  dû  faire  sa  réou- 
verture cette  semaine  avec  une  pièce  nouvelle,  Noël-Blanc,  de  M.  Albert 
Giraud,  musique  de  M.  J.  Veher.  Il  en  prépare  plusieurs  autres,  parmi 
lesquelles  le  Cripiscule  des  vieux  (ceci  est  irrévérencieux),  paroles  et  musique 
M.  Pietro  Lanciani,  l'Horloger  d'Yperdam,  légende  du  beau  pays  de  Flandre, 
poème  de  M.  Fritz  Lutens,  musique  de  M.  Jules  Baur,  et  Conte  de  Noël, 
poème  de  M.  Francis  de  Croisset,  musique  de  M.  Luiz  Martinz. 

—  Les  derniers  échos  des  fêtes  musicales  de  Spa  nous  apprennent  les 
succès  remportés  par  M""*  Mary  Garnier,  qui  a  chanté,  entre  autres  mor- 
ceaux, avec  infiniment  de  virtuosité  l'air  des  clochettes  de  Lakmé  et  la 
Sevillana,  de  Massenet,  que  la  salle  entière  lui  a  bissée. 

—  La  Navarraise,  le  petit  opéra  émouvant  de  MM.  Massenet,  Jules  Cla- 
retie  et  Henri  Gain,  vient  de  remporter  au  théâtre  lyrique  de  Milan  un 
véritable  triomphe  :  «  M""î  de  Nuovina,  nous  écrit-on,  s'y  est  de  suite 
imposée  par  son  grand  talent,  et  on  lui  a  bissé  d'enthousiasme  bien  des 
passages  de  son  rôle.  Elle  a  trouvé  d'excellents  partenaires  dans  le  ténor 
Metellio  et  la  basse  Dufriche.  L'orchestre  a  été  parfait  sous  la  direction  du 
maestro  Ferrari,  et  on  a  fort  goûté  le  délicieux  nocturne  qui  sert  d'inter 
mède.  Du  haut  en  bas  du  théâtre,  applaudissements  frénétiques  et  six 
rappels  chaleureux  après  le  baisser  du  rideau.  » 

—  Pour  l'inauguration  du  monument  de  Donizetti,  qui  doit  avoir  lieu 
prochainement  à  Bergame,  on  a  demandé  une  cantate  au  compositeur 
Pietro  Floridia,  auteur  de  l'opéra  Jfaruj^a,  qui  a  promis  de  l'écrire. 

—  Le  16  octobre  doit  commencer,  à  Rome,  la  saison  lyrique  du  Théâtre 
National.  Le  répertoire  comprend  les  ouvrages  suivants  :  la  Traviata,  Fra 
Diavolo,  il  Barhiere,  Luisa  Miller,  Lucia  di  Lammermoor  et  Don  Cesare  di  Bazan, 
opéra  du  baryton  Sparapani.  Voici  le  tableau  de  la  troupe  :  soprani,  M™^  Ma- 
ria De  Macchi,  Isabella  Svicher,  Teodolinda  Micucci  ;  mezzo-soprano, 
Maria  Quaini  ;  ténors,  MM.  Signoretti  et  Mieli  ;  barytons,  Carobbi,  Sam- 
marco  et  C  orradetti  ;  basse,  Wulmann  ;  basse  comique,  Cremona. 

—  11  n'y  a  pas  maintenant  une  bourgade  italienne  qui  ne  veuille  se 
donner  le  luxe  sinon  d'un  opéra,  au  moins  d'une  opérette  inédite.  On  vient 
d'en  représenter  une  à  Palombara  Sabina,  sous  le  titre  de  l'Oca  del  maestro 
Castiano,  qui  est  l'œuvre  d'un  compositeur  absolument  inconnu  jusqu'à  ce 
jour,  M.  Giuseppe  Imperiali. 

—  Il  existait  depuis  1828,  à  Naples,  un  théâtre  qui  portait  le  titre  de  la 
Fenice  et  qui,  depuis  longtemps  déjà,  semblait  surtout  consacré  à  l'opé- 
rette bouffe  en  dialecte  et  aux  parodies  musicales.  Ce  théâtre,  en  mauvais 
état,  vient  d'être  supprimé  par  arrêté  préfectoral,  sa  restauration  étant, 
paraît-il,  impossible. 

—  Le  conseil  municipal  de  Gênes,  qui  dispose,  comme  on  sait,  du  violon 
de  Paganini,  légué  par  le  grand  artiste  à  cette  ville,  a  récemment  fait 
ouvrir  l'urne  qui  contient  le  précieux  instrument  pour  remplacer  deux 
cordes  cassées.  A  cette  occasion,  le  virtuose  Léandre  Gampaneri  a  joué  sur 
le  violon  de  Paganini  la  Clochette  du  maître,  l'Ane  Maria  de  Schubert  et 
la  grande  Étude  de  Bazzini. 

—  Un  journal  de  Trieste,  il  Mattino,  rapporte  un  fait  vraiment  curieux, 
et  qui  paraît  authentique,  de  la  facilité  d'oreille  des  musiciens  tziganes.  Il 
y  a  peu  de  jours,  dit  ce  journal,  l'orchestre  des  tziganes  de  Raab,  dirigé 
par  Farkas,  était  engagé  pour  se  faire  entendre  à  Vienne,  dans  une  fête 
aristocratique  pour  laquelle  Johann  Strauss  avait  composé  une  valse  nou- 
velle. Pendant  un  intermède,  le  comte  Cs...  dit  à  Farkas:  —  «  Écoute  : 
dans  un  instant,  Strauss  va  exécuter  une  valse  tout  flambant  neuve.  Si 
aussitôt  après  tu  peux  l'exécuter  à  ton  tour,  je  te  donne  300  florins.  — 
Meg  less,  Méltosàg  (ce  sera  fait,  Excellence),  répond  Farkas.  »  Et  en  effet. 


Strauss  avait  à  peine  terminé,  que  l'orchestre  tzigane  exécutait  de  son  côté 
la  nouvelle  valse  très  exactement,  comblant  seulement  quelques  lacunes 
avec  le  cymbalum.  Strauss  resta  stupéfait,  puis  parla  de  corruption,  de  vol 
de  partition,  etc.  Mais  le  comte  Cs...  le  tranquillisa  aussitôt,  en  lui  expli- 
quant le  fait  par  l'extraordinaire  facilité  d'oreille  des  Tziganes.  Après  les  ■ 
trois  billets  de  banque  de  100  florins  du  comte,  d'autres  vinrent  encore,  de 
divers  côtés,  tomber  dans  la  poche  de  Farkas,  et  Strauss  lui-même  voulut 
se  mettre  de  la  partie,  mais  Farkas  voulut  seulement  accepter  de  lui  une 
poignée  de  main,  en  lui  demandant  une  réduction  de  sa  valse  pour  piano, 
afin  de  pouvoir  l'étudier  exactement. 

—  Dès  le  commencement  de  la  nouvelle  saison,  les  théâtres  d'outre-Rhin 
ont  repris  les  œuvres  françaises  dont  nous  avons  signalé  si  souvent  les 
représentations.  On  a  déjà  joué,  à  Vienne:  Manon,  Faust,  le  Prophète,  l'Afri- 
caine, Fra  Diavolo,  Coppélia,  Guillaume  Tell  ;  à  Beulin  :  Faust,  l'Africaine,  Car- 
men, Robert  le  Diable,  le  Prophète,  Guillame  Tell,  Mignon;  à  Dresde  :  Carmen, 
la  Fille  du  Régiment,  Mignon,  Faust,  Coppélia  ;  à  Hambouhg  :  Carmen,  les  Hugue- 
nots, Mignon,  le  Prophète,  la  Juive.  l'Africaine,  la  Fille  du  Régiment,  les  Dragons 
de  Villars,  Médée  {Gheiubini},  le  Postillon  de  Lonjumeau;  à  Leipzig:  le  Prophète, 
Carmen,  Fra  Diavolo,  Mignon,  Faust,  Jean  de  Paris,  les  Dragons  de  Villars;  à 
FnANCFOKT  :  la  Juive,  la  Fille  du  Régiment,  te  Prophète,  Faust,  les  Dragons  de 
'Villars,  la  Dame  blanche,  la  Part  du  Diable,  Joseph;  à  Wiesbaden  :  Mignon,  Car- 
men, Fra  Diavola,  les  Dragons  de  Villars, Faust,  le  Postillon  de  l/injumeau  ;  i 
Hanovre  :  Iphigénie  en  Tauride  (Gluck)  ;  à  Cologne  :  les  Huguenots,  les  Dragons 
de  Villars. 

—  Le  nouveau  théâtre  allemand  de  Munich,  qui  passe  pour  être  le  théâtre 
le  plus  perfectionné  de  l'Allemagne,  vient  enfin  d'être  inauguré  après  beau- 
coup de  dilïicultés  causées  par  l'insuffisance  des  moyens  de  l'entreprise. 
L'ouverture  de  Beethoven,  la  Consécration  de  la  maison,  a  été  jouée  à  cette 
occasion  par  l'orchestra  du  théâtre. 

—  L'Opéra  royal  de  Dresde  y  a  mis  le  temps,  mais  enfin  il  vient  de 
iouer  Coppélia.  La  première  du  délicieux  ballet  de  Delibes  a  eu  un  suc- 
cès énorme.  Le  directeur  général,  M.  de  Schuch,  a  conduit  en  personne, 
et  l'orchestre  s'est  surpassé  sous  sa  vaillante  direction. 

—  On  nous  écrit  de  Hambourg  qu'une  jeune  artiste  viennoise.  M"» Cécile 
de  Wenz,  a  remporté  un  grand  succès  dans  le  rôle  de  Philine  de  Mignon, 
Le  directeur,  M.  Pollini,  l'a  engagée  aussitôt  au  théâtre  de  cette  ville. 

—  Franz  Schubert,  dont  le  centième  anniversaire  approche,  est  à  la  mode. 
Le  théâtre  royal  de  Dresde  vient  de  jouer  pour  la  première  fois  la  petite 
pièce  intitulée  En  faction  depuis  quatre  ans,  dont  les  paroles  furent  fournies  à 
Schubert  par  le  célèbre  poète  saxon  Théodore  Koerner.  Le  succès  a  été  très 
vif,  ce  qui  est  d'autant  plus  remarquable  que  pièce  et  musique  sont 
d'une  simplicité  qui  a  complètement  disparu  des  scènes  modernes.  La 
bagatelle  musicale  de  Schubert  et  les  effets  raffinés  de  Cavalleria  rusticana, 
qui  tient  encore  l'affiche  à  Dresde,  quel  contraste  ! 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  jouera  prochainement  un  opéra  inédit 
intitulé  Eukuska,  paroles  de  M.  Félix  Falzari,  musique  de  M.  Franz  Lehar. 
La  même  œuvre  est  aussi  en  préparation  au  théâtre  municipal  de  Leipzig. 

—  La  direction  des  concerts  philharmoniques  à  Budapest  va  faire  gran- 
dement les  choses  pendant  la  prochaine  saison.  Elle  a  engagé  comme 
chefs  d'orchestre  pour  ses  concerts  MM.  Richter  (Vienne),  Sucher  (Berlin) 
et  Siegfried  Wagner  (Bayreuth).  Il  est  inutile  de  rappeler  que  ces  trois 
artistes  appartiennent  à  l'école  de  Richard  Wagner. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Mayence  prépare  un  opéra  inédit  en  un  acte 
intitulé  Rasbold,  paroles  de  M.  Félix  Dahn,  musique  de  M.  fieinhold 
Becker.  —  De  son  côté,  le  théâtre  royal  de  Dresde  va  jouer  un  drame 
musical  inédit,  le  Retour  d'Ulysse,  paroles  et  musique  de  M.  Auguste  Bum- 
gert.  —  Enfin,  on  annonce  de  Berlin  un  nouveau  grand  opéra  intitulé 
Wulfrin,  paroles  de  M.  E.  Wolfram,  musique  de  M.  R.-L.  Herman. 

—  Les  manifestations  musicales  à  l'adresse  du  fameux  explorateur  Nan- 
sen  continuent  en  Norvège.  On  joue  en  ce  moment  avec  un  énorme  succès, 
à  l'Eldorado  de  Ghristiana,  un  ballet  qui  a  pour  titre  Sous  le  56"  parallèle  et 
qui  se  termine  par  une  apothéose  du  célèbre  voyageur. 

—  Il  existait  en  Hollande  un  aimable  trio  vocal  féminin  qui  vient  de  se 
dissoudre  —  pour  cause  de  mariage  de  la  part  d'un  de  ses  gracieux  mem- 
bres. En  revanche,  il  vient  de  se  former  à  Amsterdam  un  quatuor  mixte 
qui  comprend  les  noms  de  M""^*  Reddingius  et  Loman,,  et  de  MM.  Mea- 
schaert  et  Rogmans. 

—  A  Scheveningue,  très  grand  succès  pour  M"''  Esther  Sidner,  qui  a 
supérieurement  chanté  l'air  de  la  Vierge  de  Massenet,  et  en  bis  une  mélo- 
die du  même  maître,  l'Ave  Maria,  de  Gounod,  qu'on  lui  a  fait  répéter,  et 
des  compositions  de  Schumann  et  du  prince  Alexandre-Frédéric  de  Hesse. 

—  Voici  qu'enfin,  après  bien  des  tergiversations  et  bien  des  dilïicultés,  le 
diapason  normal  français  commence  à  prendre  droit  de  cité  à  Londres, 
pour  le  plus  grand  bien  de  l'art,  et  particulièrement  des  chanteurs.  Dans 
un  compte  rendu  des  concerts-promenades  de  t^ueen's  Hall,  le  Musical  News 
nous  apprend  qu'au  bas  du  programme  se  trouvait  cette  note  intéressante  : 
—  «  A  partir  de  ce  jour  le  diapason  français  (normal)  sera  exclusivement 
usité.  »  Et  le  journal  ajoutait  :  «  De  manière  que  celui-ci  est  adopté  à  la 
Société  philharmonique,  au  Choral  Bach,  aux  concerts  Mottl,  Henschel,  Nikisch, 
au  Choral  de  la  Queen's  Hall,  aux  orchestres  Lamoureux,  Colonne  et  aux 


LE  MÉNESTREL 


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Concerts  du  dimanche  après  midi,  comniençant  en  octobre.  Les  principales 
sociétés  musicales  de  la  métropole  ont  rapidement  opéré  le  changement 
de  diapason,  et  une  à  une  les  associations  de  moindre  importance  suivront 
leur  exemple.  Nous  sommes  près  d'atteindre  le  but  dans  cette'  question 
du  diapason,  et  il  est  probable  que  d'ici  à  un  au  les  sociétés  qui  n'auront 
pas  le  diapason  normal  international  seront  rares  en  Angleterre.  » 

—  C'est  les  6,  7,  8  et  9  octobre,  sous  le  patronage  de  lareine  d'Angle- 
terre, qu'aura  lieu,  le  fameux  festival  musical  de  Norwich,  dont  la  direction 
reste  confiée  à  M.  Alberto  Randegger.  Les  œuvres  qui  seront  exécutées  à 
ce  festival  sont  les  suivantes  :  Jephté,  oratorio  de  Hiundel  ;  Élie,  oratorio  de 
Mendelssobn  ;  la  Rose  de  Saron,  de  M.  Mackenzie  ;  Fridolin,  cantate  de 
M.  Randegger  ;  la  Rédemption,  oratorio  de  Gounod  ;  ouverture  de  Léonore,  de 
Beethoven;  le  troisième  acte  de  Lohengrin,  de  Richard  Wagner  ;  enfin,  ifero 
etLéandre,  scène  lyrique  inédite  de  M.  Luigi  Mancinelli. 

—  Celle-ci  nous  arrive  d'Amérique,  c'est  tout  dire.  Un  journal  de  ce  pays 
nous  apprend  qu'à  Sioux-City  on  vient  d'organiser  un  corps  de  musique... 
cyclistique,  dont  les  membres  sont  tous  familiers  avec  la  bécane.  Ce  corps 
comprend  12  premiers  violons  et  6  seconds  violons,  en  neuf  tandems; 
4  violoncelles  et  4  contrebasses  en  automobiles  (pour  les  contrebasses  sur- 
tout, le  cycle  serait  gênant);  une  grande  tlùte  en  bicyclette  ;  une  petite 
flûte  en  monocycle;  2  clarinettes  et  un  hautbois  en  triplette;  et  ainsi  de 
suite. 

PARIS   ET   DÉPARTEBIENTS 

L'acte  de  Sigurd  qu'on  va  servir,  lors  du  gala,  à  l'empereur  de  Russie, 
sera,  annonce-t-on  très  sérieusement,  élagué  de  presque  toute  sa  musique. 
Ce  qu'on  a  tenu  à  conserver  avant  tout,  c'est  la  succession  des  admirables 
décors  qu'il  comporte.  C'est  cela  surtout,  paraît-il,  qui  doit  frapper  l'ima- 
gination du  Tsar.  On  aurait  pu  alors  le  conduire  tout  aussi  bien  aux  Sept 
Chàleauœ  du  diable  qu'on  donne  au  Ghàtelet.  C'est  là  qu'il  y  en  a,  des  décors 
et  des  trucs  merveilleux  !  Nous  avons  vu  des  enfants  qui  en  ont  rêvé  pen- 
dant huit  jours. 

—  Quant  à  la  Korrigane,  qui  doit  terminer  le  spectacle,  elle  sera  dansée 
à  partir  du  moment  où  l'on  «  sabote  »  et,  après  quelques  minutes  de  cet 
aimable  divertissement,  on  éteindra  les  quinquets.  Comme  disait  une  spi- 
rituelle danseuse  du  corps  de  ballet  que  l'Europe  nous  envie  :  «  Ce  n'est 
pas  avec  cela  que  le  Tsar  attrapera  une  méningite  !  » 

—  Quoi  qu'il  en  soit,  on  a  commencé  l'aménagement  de  la  salle  pour  le 
gala.  Toutes  les  cloisons  des  loges  comprises  entre  les  colonnes  de  droite 
et  de  gauche,  c'est-à-dire  le  rang  complet  de  face,  vont  être  enlevées.  La 
loge  impériale  officielle  s'élèvera  seule  fermée  et  les  deux  côtés  droit  et 
gauche  ne  formeront  chacun  qu'une  loge.  Une  rampe  électrique  d'appa- 
reils supplémentaires  sera  installée  pour  augmenter  le  luminaire. 

—  Nous  avons  donné  dimanche  dernier  le  programme  du  gala  de  l'Opéra 
en  l'honneur  du  Tsar.  Ajoutons  qu'il  y  aura  en  plus,  pendant  les  entr'actes, 
un  orchestre  au  foyer  du  public  sous  la  direction  de  M.  Marty.  Au  pro- 
gramme :  une  marche  de  Gounod,  la  marche  sainte  d'Hérodiade  de  Massenet, 
les  danses  de  Xavière  de  Théodore  Dubois  et  la  Danse  persane  de  Guiraud. 

—  Coquelin  a  déjeuné  à  Rambouillet  chez  M.Félix  Faure,  comme  autre- 
fois Molière  chez  Louis  XIV,  —  toutes  proportions  gardées  de  part  et 
d'autre.  De  ce  petit  raout  culinaire,  il  est  sorti  un  projet  de  soirée  litté- 
raire à  Versailles,  toujours  en  l'honneur  du  Tsar.  Trois  artistes  seulement 
au  programme,  mais  quels  artistes!  Sarah  Bernhardt,  Réjane  et  Coquelin. 
Il  faudra  hausser  les  portes  du  palais. 

—  Puis  ensuite,  le  petit  programme  littéraire  de  Versailles  s'est  corsé 
d'une  partie  musicale  et  chorégraphique,  et  il  a  été  arrêté  comme  suit  en 
son  entier  : 

Poésie  de  M.  José-Maria  de  Hérédia  et  Sur  trois  marches  de  marbres  rose,  d'Al- 
fred de  Musset,  par  M""  Sarah  Bernhardt. 

Lolotte,  coTiédie  en  un  acte,  de  MM.  Henri  Meilhac  et  Ludovic  Halévy,  jouée 
par  il"'"  Réjane,  M""  Avril  et  M.  Henri  Mayer, 

Scènes  du  Mariage  forcé,  par  MM.  Coquelin  aîné  et  Jean  Coquelin. 

Chansons  d'aïeule,  par  M"  Amel,  de  la  Comédie-Française. 

Elégie,  de  Massenet,  exécutée  sur  le  violoncelle  par  M.  Jules  Delsart  et  ses 
élèves. 

A.ir  de  Jocondc  (Nioolo),  chanté  par  M.  Fugère,  de  l'Opéra-Comique. 

Air  de  Samson  et  Dalila  (C.  Saint-Saëns),  chanté  par  M'"  Delna  de  l'Opéra- 
Comique. 

Air  des  Saisons  (Haydn),  chanté  par  M.  Delmas,  de  l'Opéra. 

D;VNSES  ANCIENNES 

Danses  Louis  XV  : 
M""  Mauri,  Subra,  Hirsoh,  Robin. 

Danses  Louis  XIV  : 
M""  Salle,  Gallay,  Régnier  II,  Rat. 

Joart,  Mestais,  Beauvais,  P.  Régnier. 
Danses  Louis  .\III  ; 
M""  Van  Goethen,  de  Mérode,  Piodi,  Carré, 
Boos,  Vandoui,  Charrier,  Mante. 

Tous  ces  morceaux  seront  chantés  et  joués  à  l'orchestre,  qui  sera  l'orches- 
tre des  concerts  de  l'Opéra,  sous  la  direction  de  M.  Paul  Vidal.  Cette  petite 
fête  artistique  sera  donnée  dans  le  salon  d'Hercule,  au  palais  de  Versailles. 


—  Souvenir  de  Nicolet  du  Gaulois  :  «  On  connaît  maintenant  le  pro- 
gramme du  gala  qui  sera  donné  à  l'Opéra  en  l'honneur  de  l'emperem-  et  de 
l'impératrice  de  Russie.  Cette  soirée  évoquera  pour  plus  d'un  vieux  Pari- 
sien le  souvenir  et  la  vision  de  la  représentation  à  laquelle  assista, 
le  S  juin  1867,  le  tsar  Alexandre  II.  M.  Perrin,  alors  directeur  de  l'Opéra 
de  la  rue  Le  Peletier,  s'était  mis  en  frais.  La  décoration  de  la  saUe  coûta 
vingt  mille  francs.  On  avait  démoli  les  cloisons  des  huit  loges  de  face  qui, 
avec  une  partie  de  l'amphithéâtre,  formèrent  la  loge  impériale.  Au  centre 
de  cette  loge,  somptueusement  décorée  avec  le  mobilier  de  la  Couronne, 
trois  trônes  avaient  été  dressés,  autour  desquels,  selon  les  prescriptions  de 
l'étiquette,  on  avait  disposé  quinze  fauteuils  pour  les  princes  et  grands 
personnages  qui,  en  ce  moment-là,  étaient  les  hôtes  de  la  France.  Le  pro- 
gramme comportait  le  quatrième  acte  de  l'Africaine,  avec  M""=  Marie  Sasse, 
le  ténor  Warot  et  Faure  ;  l'ouverture  de  Guillaume  Tell,  le  deuxième  acte 
de  Giselle,  ballet  de  Téophile  Gautier  et  d'Adam,  avec  M""«  Granzow,  Laure 
Fonta,  MM.  Mérante,  Coralli  et  Rémond.  Quand  leurs  Majestés  impériales 
entrèrent  dans  leur  loge,  l'orchestre  de  l'Opéra,  dirigé  par  Georges  Hainl, 
exécuta  l'hymne  russe,  que  tout  le  monde  écouta  debout.  Alexandre  II  prit 
place  au  centre  de  la  loge,  ayant  à  sa  droite  l'empereur  Napoléon  III,  la 
princesse  royale  de  Prusse,  le  tsaretwich,  la  princesse  Louise  de  Hesse, 
le  grand-duc  Wladimir,  le  duc  de  Leuchtenberg,  le  prince  J.  Murat^ 
à  sa  gauche  l'impératrice  Eugénie,  le  prince  royal  de  Prusse,  le  prince 
Louis  de  Hesse,  la  princesse  Mathilde,  le  prince  F.  de  Hesse,  la  princesse 
L.  Murât,  le  prince  de  Saxe-'«-eimar  et  le  prince  héritier  du  Japon.  La 
représentation  fut  fort  brillante;  Faure  et  Marie  Sasse  se  surpassèrent.  Un 
détail  de  mise  en  scène  mérite  d'être  noté  :  pour  le  deuxième  acte  de" 
Giselle,  on  avait,  avec  l'autorisation  de  M.  Alphand,  coupé  les  roseaux  des 
lacs  du  bois  de  Boulogne,  et,  c'est  du  milieu  de  leurs  touffes  verdoyantes 
que  s'élançaient  les  divinités  des  eaux.  » 

—  Hier  samedi,  â  l'Opéra,  c'était  la  première  soirée  d'abonnement  de 
cette  saison  en  dehors  des  trois  grands  jours,  lundi,  mercredi  et  vendredi. 
On  donnait  Hamlet,  qui  a  été  admirablement  accueilli. 

—  Jusqu'à  présent,  ce  dont  on  parle  le  plus  à  propos  du  nouvel  opéra  de 
M.  Bruneau,  Messidor,  c'est  du  ballet  qui  s'y  trouve  intercalé.  Les  génies 
aiment  à  se  divertir,  paraît-il,  comme  le  commun  des  autres  compositeurs. 
Qui  dansera  ce  divertissement?  Sera-ce  M"»  Mauri,  ou  M"'  Subra?  Les  uns 
tiennent  pour  la  première,  les  autres  pour  la  seconde.  Grave  question. 

—  La  reprise  projetée  des  Huguenots  à  l'Opéra  ne  viendra  qu'après  Messi- 
dor. C'est  dommage.  Car  nous  avons  comme  une  idée  qu'on  ne  reverra  pas 
sans  plaisir  ces  bons  vieux  Huguenots,  qui  ont  la  vie  plus  dure  qu'on  ne 
saurait  croire. 

—  M"'  Louise  Grandjean  fera  sa  rentrée  à  l'Opéra  dans  les  premiers 
jours  d'octobre, 

—  Mi'e  Bréval,  qui  est  complètement  rétablie  et  dont  le  congé  est  expiré, 
fera  très  prochainement  sa  rentrée  par  le  rôle  de  Brunehilde,  dans  la 
Valkyrie. 

—  Il  est  probable  que  M"'  Amélie  Lowentz  ira  cet  hiver  à  Lisbonne 
chanter  en  italien  le  rôle  d'Ophélie;  d'Hamlet. 

—  C'était  fatal.  On  annonce  la  Vie  pour  le  Tsar  à  l'Opéra  russe  (?)  de  la 
rue  Blanche.  Distribution  des  principaux  rôles:  Soussanine,  Devoyod; 
Sabinine,  Engel;  Antrida,  M"e  Manger. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  a  fixé  au  samedi  31  octobre  le  jour  de  sa 
séance  publique  annuelle.  C'est  dans  cette  séance  que  M.  le  comte  Henri 
Delaborde,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie,  donnera  lecture  de  sa  notice 
historique  sur  la  vie  et  les  œuvres  d'Ambroise  Thomas. 

—  C'est  aujourd'hui  dimanche,  4  octobre,  que  doit  avoir  lieu  à  Roubaix 
l'inauguration  de  la  statue  de  Gustave  Nadaud,  qui  s'élève  à  l'entrée  du 
parc  de  Barbieux.  A  ceite  occasion,  on  exécutera  une  cantate  dont  la 
musique  a  été  écritepar  M.  Koszul,  directeur  du  Conservatoire  de  Roubaix. 
La  partie  vocale  de  cette  cantate  est  confiée  au  Choral  Nadaud,  que  dirige 
M.  Minssart;  l'orchestre  sera  composé  du  personnel  de  la  Grande  Harmo- 
nie et  de  celui  de  l'Association  symphonique  du  Conservatoire.  C'est 
M.  Koszul  qui  dirigera  en  personne  l'exécution  de  son  œuvre. 

—  L'administration  des  concerts  Colonne  annonce  sa  réouverture  au 
théâtre  du  Chàtelet  pour  le  dimanche  23  octobre,  à  2  heures.  S'adresser 
pour  l'abonnement  au  siège  de  la  société,  43,  rue  de  Berlin,  de  9  à 
11  heures  ou  de  3  à  5  heures. 

—  Un  de  nos  confrères  du  Nord,  M.  A.  Gaudefroy,  semble  s'être  donné 
la  tâche,  depuis  quelques  années,  de  réunir  tous  les  éléments  d'une  sorte 
d'histoire  générale  de  la  musique  à  Lille,  qui,  on  le  sait,  est  l'un  de  nos 
centres  artistiques  les  plus  sérieux  et  les  plus  importants.  A  cet  effet,  il 
a  publié  toute  une  série  de  monographies  vraiment  intéressantes  se  rap- 
portant à  son  sujet  et  qui,  par  leur  ensemble  et  leur  rapprochement,  don- 
nent une  notion  exacte  de  l'état  de  l'art  dans  la  métropole  de  l'ancienne 
Flandre.  C'est  ainsi  qu'il  a  donné  successivement  l'Académie  de  musique  de 
Lille,  les  Concerts  du  Cercle  du  Nord  à  Lille,  les  Premières  au  théâtre  de  Lille,  etc. 
Aujourd'hui,  M.  Gaudefroy  publie  sous  ce  titre  :  la  Société  des  Orphéonistes 
Lillois,  un  historique  complet  et  très  documenté  de  cette  excellente  société 
chorale,  bien  connue  par  toute  la  France  et  surtout  sous  son  nom  original 


320 


LE  MÉNESTREL 


et  singulier  de  Crick-Mouils,  dont  Fauteur  nous  fait  connaître  les  origines. 
La  nouvelle  publication  de  M.  Gaudefroy  offre  plus  d'un  point  curieux  et 
intéressant,  sans  compter  qu'à  certains  points  de  vue  elle  ne  manque  pas 
d'utilité  pratique.  Toutefois,  elle  ne  pourra  pas  être  dans  toutes  les  mains, 
car  son  tirage,  très  limité,  ne  dépasse  pas  cinquante  exemplaires,  ce  qui 
la  met  déjà  à  l'état  de  rareté  bibliographique.  A.  P. 

—  MM.  Grivot  et  Barnolt,  deux  artistes  qui  ont  longtemps  appartenu  à 
la  troupe  de  l'Opéra-Comique,  oii  ils  tenaient,  le  premier  l'emploi  des 
laruettes,  le  second  l'emploi  des  trials,  n'ont  pas  été  rengagés.  Ils  ne  renon- 
cent pas  pour  cela  au  théâtre.  Et  en  attendant  qu'ils  trouvent  une  scène 
où  ils  utiliseront  leur  talent  de  fin  chanteur  comique,  tous  deux  forment 
des  élèves  pour  le  genre  dans  lequel  ils  ont  été,  toute  leur  carrière,  très 
goûtés  et  très  applaudis. 

—  Engagement  au  théâtre  Cluny  de  M""  Lebey,  pour  la  nouvelle  opé- 
rette Je  M.  Louis  Varney  :  le  Papa  de  Francine.  M"«  Lebey  est  une  très 
gentille  petite  artiste,  qu'on  a  entrevue  un  instant  au  théâtre  de  la  Gaîté. 
Yocaliste  très  habile  et  jolie  voix. 

—  Vendredi  dernier,  à  l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique,  très 
beau  Festival-Massenet,  conduit  par  M.  Kerrion,  et  au  cours  duquel  on  a 
applaudi  M"<^  S.  Kerrion  et  M.  Morisson.  Au  programme,  l'ouverture  du 
Cid,  l'arioso  du  Roi  de  Lahore,  les  airs  du  ballet  du  Mage,  l'air  de  Marie- 
Magdeleine,  chœur  et  marche  céleste  du  Roi  de  Lalwre  et  toutes  les  Scènes 
napolitaines. 

—  A  Montmorency,  très  beau  concert  de  bienfaisance,  dans  lequel  on  a 
surtout  applaudi  M""-»  Preinsler  da  Silva  dans  la  Mandolinata  de  Paladilhe- 
Saint-Sai'ns  et  des  pièces  de  clavecin,  M.  Paul  Séguy  dans  les  Trois  Sol- 
dats de  Faure,  et  M"=  Marguerite  Mathieu  dans  l'air  i' Esdarmonde  de  Masse- 
net,  et  dans  Annie,  chanson  écossaise  de  Paladilhe. 

—  Au  Havre,  franc  succès  pour  le  Pardon  de  Ploërmel  et  pour  ses  inter- 
prètes, MM.  lUy  (Hoël),  Coutellier  (Corentin),  M""  Armeliny  (le  pâtre),  et 
M"^"  Eenée  Buhl  (Dinorah),  cette  dernière  très  justement  applaudie  après 
la  valse  de  virtuosité  du  second  tableau. 

—  M"'  Marie  Bôze,  qui  n'a  pas  cessé  de  donner  ses  leçons  particulières 
pendant  tout  l'été,  reprendra  ses  cours  de  chant  et  de  mise  en  scène  à 
p  artir  du  i"  octobre. 

—  Couns  ET  LicONS.  —  Le  pianiste-compositeur  Ch.  Neustedt  reprendra  ses 
cours  et  leçons  particulières,  130,  boulevard  Malesherbes,  à  partir  du  1"  octobre. 
—  M°°  Dereims  de  Vriès,  reprend  ses  leçons  de  chant  à  partir  du  1"  octobre, 
17,  rue  de  Chlteaudun.  —  M""  Eugénie  Mauduit,  reprend  ses  leçons  de  chant  et 


d'opéra,  à  partir  dut"  octobre,  160,  rue  de  la  Pompe.  —  M"'  Chaucherau  et 
M.  Dèze,  reprendront  leurs  cours  et  leçons  de  chant  et  de  mise  en  scène,  16,  rue 
de  la  Tour-d'Auvergne,  à  partir  du  1"  octobre.  —  M.  Hermans  Devriès,  de 
l'Opéra-Comique,  reprend  chez  lui,  14,  boulevard  Sébastopol,  ses  leçons  de 
chant  et  de  déclamation  lyrique.  —  M.  Georges  Falkenberg,  ouvre  cbez  lui,  8,  rue 
Poisson,  un  cours  de  piano.  Il  donnera,  à  l'Institut  Rudy,  pour  faire  entendre  ses 
élèves,  quatre  matinées.  — M.  P  Marcel,  reprendra  ses  cours  et  leçons  de  chant, 
14,  rue  de  Rome,  à  partir  du  5  octobre.  —  Réouverture  des  cours  de  piano  de 
M""  Henriette  Thuillier,  24,  rue  Le  Peletier,  et  150,  avenue  Victor-Hugo.  Audition 
des  œuvres  de  Raoul  Pugno,  Th.  Dubois  et  Bourgault-Ducoudray.  —  A.  l'École 
Beethoven,  réouverture  des  cours  préparatoires,  le  15  octobre.  Inscriptions  chez 
M""  Balutet,  80,  rue  Blanche,  qui  reprendra  ses  cours  et  leçons  particulières  à 
partir  du  8.  —  M°°  Preinsler  da  Silva  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  piano  et  de 
clavecin,  47,  rue  de  Maubeuge.  —  M.  Raoul  Delaspre  a  repris  ses  leçons,  66,  bou- 
levard des  BatignoUes.  —  M—  Tarpet  a  repris  ses  cours  et  leçons,  69,  rue 
Lafayette.  —  M""  Mathilde  Bernardi  reprend  ses  cours  de  musique  d'ensemble, 
accompagnement  et  lecture  à  vue,  salle  Herz,  28,  rue  Victor  Massé.  —  M"'  Marie 
Heurion,  de  l'Opéra-Comique,  professeur  de  chant  et  de  diction,  a  repris  ses 
leçons  particulières  et  cours  chez  elle,  86,  avenue  de  Villiers.  Se  faire  inscrire  le 
mercredi  de  2  à  6  heures. 

NÉCROLOGIE 

Jeudi  dernier  est  morte  à  Paris,  à  l'âge  de  88  ans,  M"'«  Duponchel,  veuve 
de  Duponchel,  dessinateur  et  architecte  distingué  qui  fut,  il  y  a 
environ  un  demi-siècle,  co-directeur  de  l'Opéra,  d'abord  avec  Edouard 
Monnais,  puis  avec  Roqueplan,  duquel  il  ne  tarda  pas  beaucoup  à  se 
séparer  pour  le  laisser  seul  à  la  tête  de  notre  première  scène  lyrique. 

—  Les  journaux  russes  annoncent  la  mort  d'un  jeune  compositeur, 
M.  Touschmalow,  qui  avait  été  élève  de  la  classe  de  M.  Rimsky-Korsakow  au 
Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg  et  qui  s'était  fait  un  nom  comme  chef 
d'orchestre  à  l'Opéra  de  Varsovie  et  à  celui  de  Tiflis. 

—  On  annonce  la  mort  à  Darmstadt,  le  4  septembre,  d'Albert  Eilers,  qui, 
depuis  1882,  tenait  l'emploi  de  basse  chantante  au  théâtre  de  cette  ville. 
Cet  artiste  s'était  fait  connaître  aussi  comme  compositeur,  non  seulement 
par  deux  opérettes,  Spielmanns-Lied  et  la  Nuit  de  saint  Jean,  mais  encore  par 
deux  Messes,  dont  un  Requiem. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

—  Un  concours  pour  quelques  places  de  violon  et  d'alto,  aux  concerts 
Lamoureux,  aura  lieu  très  prochainement.  S'adresser  pour  les  inscriptions 
à  l'administration,  62,  rue  Saint-Lazare,  de  H  à  6  heures. 


En    vente    AU    MlÉNESTIlELi,    3    liis,    rixe    Vivienne,     IIEUOEL     et    C'',    Éditeurs. 

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PARTITION  POUR  PIANO  4  MAINS Net      15    » 

Livret  français ...  Net        1     » 

Morceaux  de  chant  détachés 

TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  ET  AUTRES  INSTRUMENTS 

CÉLÈBRE  INTERMEZZO 


U.   GIORDANO 

ANDEÉ  CHÉNIEE 

DRAME  HISTORIQUE 
Poème   italien   d'ILLICA 

Version  française  Je  Paul  MILLIET 

PARTITION  ITALIENNE Net  lo  » 

PARTITION  FRANÇAISE  (à  paraître) Net  20  » 

PARTITION  POUR  PIANO  SEUL Net  12  » 

PARTITION  POUR  PIANO  4  MAINS Net  25  » 

Livret  français Net  1  » 

Morceaux  de   chant  détachés 

TRANSCRIPTIONS  POUR  PIANO  ET  AUTRES  INSTRUMENTS 

MUSCADINS  ET  MUSCADINES 


Av  is  aux  directeurs  de  théâtre.—  S'adresser  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  VlOienne,  pour  la  location  des  parties  d'orchestre  et  de  chœurs 

de  la  mise  en  scène,  et  des  dessins  des  costumes  et  décors. 


RIMERIE  CENTRAIB  DES  CUEMIAS  DE    FER.  —  IBIPAIUEIUE  * 


20,  PARIS.  —  CEncre  LorUleor) 


Uimaiiche  11  Octobre  1896. 


3^20.  -  62-  mÎE  -  l\^  M.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  fkanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Mbnestrbi,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  nn,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Prorince.  —  Teite  et  Musique  de  Cliant,  20  fr.;  Tente  et  Musique  de  Piano,  20  fr„  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Teite,  Musique  de  Cliant  et  de  Piano,  30  tr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étrcnger,   les  frais  de  poste  en  .sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


l.  Étude  sur  Orphée  (7°  article),  Jolien  Tiersot.  —  II.  Semaine  thééllrale  :  Les 
galas  de  l'Opéra  et  delà  Comédie-Française;  supplique  au  tsar,  H.  MonBM; 
première  représentation  de  Migiwnnetle,  au  théâtre  des  Nouveautés,  Paul- 
ÉMiLE  Chevalier.  —  III.  L'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  au  palais  de 
l'Industrie  (1"  article),  Arthur  Pougi.w  —  IV.  Musique  et  prison  (21°  article)  ; 
Prisons  pour  dettes,  Paul  o'Estrée.  —  V.  Journal  d'un  musicien  (6"  article), 
A.  MoNTAUx.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ALBERT  CUrP 

n"  1   des  Portraits  de  peintres,  pièces  pour  piano  de  Revnaldo  PIahn.  —  Suivra 
immédiatement  :  Antoine  Watteau,  n°  4  de  la  même  suite. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  ;  Si  j'ai  parlé,  mélodie  nouvelle  de  Léon  Delafosse,  poème  de  Henri 
DE  RÉGNIER.  —  Suivra  immédiatement  :  Il  m'aime,  m'aime  pas,  mélodie 
italienne  de  P.  Mascagni,  traduction  française  de  Pierre  Barbier. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De   GLUCK 

(Suite) 


Voici  quels  documents  ont  été  utilisés  pour  établir  cette 
édition  critique  : 

1"  D'importantes  parties  autographes  de  la  partition  fran- 
çaise, conservées  à  la  Bibliothèque  de  l'Opéra  et  à  celle  du 
•Conservatoire  de  Paris,  et  se  répartissant  ainsi  : 

A  l'Opéra  : 

Le  premier  acte  tout  entier  (sauf  l'air:  «  L'espoir  renaît 
dans  mon  âme  »,  dont  il  sera  longuement  question  par  la 
suite)  ; 

Le  second  acte,  jusques  et  y  compris  l'air  d'entrée  d'Orphée 
aux  Champs  Elysées  :  «  Quel  nouveau  ciel  pare  ces  lieux  ». — 
L'air  de  ballet  qui  termine  le  tableau  des  Enfers,  non  plus 
que  la  dernière  scène  des  Ombres  heureuses,  ne  figure  dans 
ce  manuscrit. 

Enfin,  la  même  Bibliothèque  possède  un  cahier  autographe 
de  Gluck,  renfermant  trois  morceaux  dont  deux  appartiennent 
à  la  partition  d'Orphée.  Celui  par  lequel  il  commence  est 
précédé  du  titre  :  Ouvertuhe,  écrit  en  gros  caractères,  de  la 
main  de  Gluck;  il  commence  par  une  page  dans  un  mou- 
vement lent  et  grave,  introduction  à  laquelle  succède  un 
mouvement  à  trois  temps  vifs  et  rythmé    à  la  manière  d'une 


toccata.  Le  maître  eut-il  l'intention  de  ne  pas  conserver  pour 
l'Opéra  de  Paris  le  morceau  instrumental  qui  précède  l'opéra 
italien,  et  ce  fragment  serait-il  l'esquisse  d'un  nouveau  projet 
d'ouverture  à' Orphée?  Toujours  est-il  que,  dans  l'œuvre  défi- 
nitive, la  première  ouverture  est  restée;  quant  à  la  nouvelle 
esquisse,  l'auteur  en  a  abandonné  la  partie  lente  et  conservé 
l'épisode  à  trois  temps  pour  en  faire,  avec  quelques  modifi- 
cations, Vair  vif,  troisième  morceau  du  ballet  d'Orphée.  — 
Le  second  morceau  du  cahier  a  été  utilisé  plus  tard  dans 
Armide,  où,  avec  l'adjonction  d'une  partie  vocale,  il  est  devenu 
un  air  d'Hidraot.  Enfin  le  troisième  est  resté,  sans  modifi- 
cations notables,  le  Menuet  en  ut  majeur,  n"  4  du  ballet 
d'Orphée. 

Ces  morceaux  ont  été  signalés  et  identifiés  par  M.  Charles 
Malherbe,  archiviste-adjoint  à  l'Opéra,  qui  a  bien  voulu  nous 
faire  part  de  ses  observations. 

La  bibliothèque  du  Conservatoire  possède  le  récitatif  et  le 
duo  par  lequel  commence  le  3'^  acte. 

2°  La  partition,  gravée  sous  ce  titre  : 

ORPHÉE   ET  EURmiCE 

Tragédie 

Opéra  en  3  actes 

mise  en  musique 

par  Gluck 

Les  paroles  sont  de  M.  Moline. 

Représentée  pour  la  première  fois 

par  l'Académie  Royale  de  musique 

le  mardy  2  Aoust  1774. 

Prix  40  ff. 

à  Paris 

chez  Des  Lauriers,  M''  de  papiers,  rue  S'-Honoré,  à  côté  de 

celle  des  Prouvaires. 

Une  édition  postérieure,  mais  qui  n'est  qu'un  nouveau 
tirage  des  mêmes  planches,  porte  cet  autre  nom   d'éditeur  : 

«  A  Paris,  chez  Boieldieu  jeune,  rue  de  Richelieu,  n°  8,  au 
coin  de  celle  Feydeau.   » 

3"  Une  copie  de  la  partition,  en  trois  volumes,  ayant  servi 
au  chef  d'orchestre  pour  les  exécutions  de  l'œuvre  à  l'Opéra. 

4°  Les  parties  séparées  (manuscrites)  de  chant  et  d'orchestre, 
ayant  servi  aux  chanteurs,  choristes  et  instrumentistes  pour 
les  mêmes  exécutions.  ' 

Nous  devons  communication  de  ces  pièces,  ainsi  que  des 
autographes  précédemment  signalés,  à  l'obligeance  de 
M.  Ch.  Nuitter,  archiviste  de  l'Opéra. 

5°  Le  livret:  Orphée  et  Euridice,  drame  héroïque  en  trois 
actes,  représenté  pour  la  première  fois  par  l'Académie  royale 
de  musique,  le  mardi  2  Août  1774.  —  Prix  .xxx  sols.  —  Aux 
dépens  de  l'Académie.  A  Paris,  chez  Delormel,  imprimeur  dei 


322 


LE  MENESTREL, 


ladite  Académie,  rue  du  Foin,  à  l'Image  Sainte-Geneviève. 
MDCCLXxiv.  Avec  approbation  et  privilège  du  Roi. 

En  ce  qui  concerne  VOrfeo  italien,  rien  n'a  été  retrouvé  de 
l'autographe  de  Gluck;  mais  on  a  pu  consulter  les  documents 
suivants  : 

1°  La  partition  gravée,  sous  ce  titre  : 

ORFEO    E    El'RIDlCE 

Àzione  teatrale 

fer  musica 

Del  Sign'  Cav.  Cristofano 

GLUCK 

Al  servisio  délie  MM.  LL.  II.  RR. 

Rappresentata  in  Vienna  nelV  anno  1764  (i) 

Te,  dulfiis  conjuœ,  te  solo  in  littore  secum, 

Te  veniente  die,  te  decedente  cmehat. 

Gravé  par  Chambon. 

Si  irova 

in  Parigi 

Appresso    Buchesne,    Libraro,   nclla    strada   di   San    Giacomo    al 

dissotto  délia  Fontana   di  san  Renedetto,    al  Temple  del  Gusto  ed  ai 

Mercanti  ordinari. 

MDCCLXIV. 

2°  Une  copie  de  la  partition,  sous  ce  titre  : 

ORFEO 

Dramma  per  Musica, 

deux  volumes  ayant  servi  aux  exécutions  du  Théâtre  impé- 
rial de  Vienne  et  renfermant  de  nombreuses  annotations  et 
indications  de  nuances  et  de  mouvements  écrites  de  la  main 
de  Salieri,  lequel  fut  chef  d'orchestre  à  ce  théâtre  du  vivant 
même  de  Gluck.  Nous  devons  à  M.  Ëusebius  Mandyczewski, 
archiviste  de  la  Société  des  Amis  de  la  Musique,  à  Vienne, 
une  description  détaillée  de  cette  partition,  ainsi  qu'une  copie 
de  l'air  :  «  Che  faro  senza  Euridice  ». 

3°  Plusieurs  copies,  quelques-unes  présentant  avec  la  par- 
tition gravée  des  différences  assez  notables. 

Nous  citerons  encore,  mais  simplement  à  titre  de  souvenir, 
l'arrangement  de  Berlioz,  dont  quelques  pages  autographes 
ont  été  conservées  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire  :  ce 
travail  ne  peut  d'ailleurs  nous  être  utile  en  rien,  puisque, 
loin  de  tendre  à  reconstituer  dans  sa  pureté  originelle  l'un  des 
deux  textes  primitifs,  il  avait  au  contraire  pour  but  de  les 
fondre  l'un  dans  l'autre.  Cette  observation  s'applique  aux 
éditions  postérieures,  publiées  sous  la  même  influence. 

Chacun  de  ces  documents  a  une  valeur  particulière.  Le 
plus  précieux  à  coup  sûr  est  l'autographe,  qui  révèle  direc- 
tement les  intentions  de  l'auteur.  A  la  vérité,  la  notation  de 
Gluck  est  souvent  exécutée  d'une  façon  très  sommaire,  voire 
quelque  peu  désordonnée,  et  certaines  parties  de  la  compo- 
sition y  sont  plutôt  indiquées  que  formellement  réalisées. 
D'autre  part,  il  est  admissible  qu'entre  la  conception  première 
de  l'idée  musicale  et  l'exécution  définitive,  notamment  pen- 
dant le  travail  des  répétitions,  l'auteur  a  apporté  à  son  œuvre 
diverses  modifications.  Nous  devons  donc,  pour  connaître  cette 
forme  dernière,  avoir  recours  aux  autres  documents,  parmi  les- 
quels le  plus  digne  de  foi  est  la  partition  conductrice,  ainsi 
que  les  parties  séparées  sur  lesquelles  l'œuvre  musicale  a  été 
exécutée  en  présence  de  Gluck.  Quant  aux  remaniements 
apportés  au  cours  des  représentations  postérieures,  et,  consé- 
quemment,  étrangers  à  la  pensée  de  l'auteur,  ils  ont  laissé 
sur  les  copies  des  traces  matérielles  assez  apparentes  pour 
qu'il  n'y  ait  pas  à  s'y  tromper:  la  partition  gravée  peut  servir 
de  preuve  à  cet  égard.  Quant  à  cette  dernière,  Berlioz  en  a 
dit  plus  haut  les  défauts  sans  rien  exagérer,  loin  de  là  ;  elle 
doit,  sans  doute,  être  consultée,  et,  dans  les  cas  douteux, 
confrontée  avec  les  autres,  mais  sans  faire  autrement  autorité  : 
d,e    nombreuses    observations    de    détail    nous    montreront 

(1)  Cette  date  est  erronée,  Orfeo  ayant  été  représenté  à  Vienne  le  5  octobre  1762. 
Nous  expliquerons  plus  tard  les  causes  de  cette  erreur. 


qu'outre  ses  incorrections  matérielles,  qui  sont  nombreuses, 
il  n'est  pas  rare  qu'elle  n'exprime  les  intentions  du  maître 
que  d'une  façon  très  incomplète. 

Avant  d'entrer  dans  l'examen  de  détail  des  documents 
français,  il  importe  d'examiner  conjointement  la  partition 
italienne  et  la  partition  française,  afin  de  connaître  exacte- 
ment ce  que  celle-ci  doit  à  la  précédente,  et  quels  remanie- 
ments ou  quels  perfectionnements  furent  apportés  à  la 
première  conception. 

Ouverture.  —  Identique  dans  les  deux  partitions.  —  Cette 
ouverture  est  bien  spéciale  à  Orphée,  et  non,  comme  quelques 
personnes  l'ont  cru,  empruntée  à  quelque  autre  opéra  italien. 
Il  est  d'ailleurs  manifeste  que,  par  son  style,  ce  morceau 
se  rattache  à  la  jeunesse  de  Gluck,  c'est-à-dire  à  une  époque 
où  il  n'avait  pas  encore  posé  en  principe  que  «  l'ouverture 
doit  prévenir  les  spectateurs  sur  le  caractère  de  l'action  qu'on 
va  mettre  sous  leurs  yeux...» 

Scène  i".  —  Choeur  :  Ah  !  dans  ce  bois  lugubre  et  sombre.  —  Les 
deux  versions  sont  écrites  dans  le  même  ton  (ut  mineur),  et, 
au  point  de  vue  de  la  composition  générale,  ne  présentent 
pas  de  différence  notable.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  pour 
l'orchestration,  dont  l'examen  soulève  un  problème  intéressant 
et  des  plus  délicats. 

C'était  un  antique  usage,  en  Allemagne,  qu'aux  jours  de 
fêtes  solennelles  des  musiciens  allassent  jouer  des  chorals 
sur  les  tours  ou  devant  le  parvis  des  églises.  Les  instru- 
ments employés  à  ces  exécations  étaient  principalement  des 
cornets,  sortes  d'instruments  très  anciens  et  très  imparfaits, 
auxquels  étaient  dévolue  la  partie  de  chant;  des  trombones, 
à  trois  parties,  les  soutenaient  de  leurs  accords.  Parfois  ce 
groupe  instrumental  accompagnait  les  voix  :  Bach  l'a  admis 
dans  l'orchestre  de  ses  cantates,  où  il  n'est  pas  rare  de  voir 
un  cornet  doubler  la  partie  de  premier  dessus,  tandis  que 
trois  trombones  jouent  à  l'unisson  des  contralti,  ténors  et 
basses. 

Gluck  eut  l'idée  d'introduire  cette  combinaison  dans  le 
premier  chœur  à'Orfeo,  où  la  sonorité  des  trombones  joués 
doucement  s'accorde  merveilleusement  avec  le  caractère 
funèbre  de  la  scène.  En  effet,  dès  la  première  note  du  pré- 
lude, le  coraeWo  elles  trois  trombones  s'unissent  en  des  accords 
sombres,  doublant  d'abord  les  instruments  à  cordes,  puis 
s'unissant  aux  voix,  qu'ils  suivent  fidèlement  jusqu'à  la 
dixième  mesure  avant  la  conclusion:  là,  se  détachant  soudain, 
ils  répondent  par  deux  fois  à  la  plainte  du  chœur,  avec 
lequel  ils  forment  un  dialogue  aussi  ingénieux  qu'expressif. 

Ces  quatre  parties,  dans  la  partition  italienne,  sont,  pen- 
dant les  quatorze  mesures  du  prélude,  notées  sur  les  portées 
réservées  aux  voix.  A  partir  de  l'entrée  du  chœur  il  n'en  est 
plus  fait  mention,  jusqu'au  moment  où  s'engage  le  dialogue 
des  voix  avec  les  instruments  ;  mais  il  n'est  pas  douteux 
qu'ils  aient  dû  chacun  doubler  leur  partie  vocale  respective, 
par  la  triple  raison  que  l'intention  de  Gluck,  bien  qu'impar- 
faitement exprimée  par  la  notation,  est  évidente  ;  que  le  fait 
de  graver  les  instruments  sur  les  portées  destinées  au  chœur 
indique  surabondamment  la  volonté  de  leur  faire  doubler 
les  voix  ;  qu'enfin,  à  la  reprise  du  chœur  qui  suit  la  panto- 
mime funèbre,  la  tablature  porte  cette  indication  positive  : 
cornello,  Iromboni,  colla  parle,  qui  n'aurait  aucun  sens  si  elle 
s'appliquait  seulement  à  ce  fragment  insignifiant  et  qui  doit, 
en  conséquence,  s'étendre  à  tout  l'ensemble  de  la  com- 
position. 

Il  est  digne  de  remarque,  soit  dit  en  passant,  que  si  le 
cometto,  déjà  presque  hors  d'usage  au  milieu  du  XVllP  siècle,  ne 
reparaît  plus  dans  aucune  des  partitions  de  Gluck,  du  moins 
l'effet  funèbre  des  trois  trombones  doublant  les  voix  se 
trouve  reproduit  dans  le  chœur  d'Alceste  :  «  Pleure,  ô  patrie, 
ô  Thessalie,  Alceste  va  mourir  I  » 

La  minutie  de  ces  observations  ne  sera  pas  superflue  pour 
débrouiller  le  chaos  (car  c'en  est  un  véritable)  dont  les  par- 
titions vont  nous  donner  le  spectacle. 


LE  MENESTREL 


323 


Une  combinaison  identique  n'était  guère  praticable  à  l'Opéra 
de  Paris,  où  le  cornet  était  inconnu,  et  où  les  trombones 
n'avaient  encore  joué  qu'un  rôle  des  plus  effacés.  Aussi,  les 
divers  documents  portent-ils  des  traces  remarquables  des 
hésitations  auxquelles  ce  passage  donna  lieu. 

Le  manuscrit  de  Gluck,  après  avoir,  dans  le  prélude,  noté 
les  parties  d'instruments  à  cordes,  réserve  trois  portées  lais- 
sées en  blanc  :  au-dessous  d'elles,  une  quatrième  portée 
reproduit  la  partie  de  basse,  qu'elle  double,  mais  suivant 
un  rythme  différent,  qui  précisément  est  celui  de  la  partie 
de  trombone-basse  dans  Orfeo.  Sur  les  portées  laissées  en 
blanc  quelques  notes  sont  jetées  à  la  fin,  témoignant  de 
l'intention,  nulle  part  réalisée,  d'enrichir  la  fin  de  la  période 
de  quelques  sons  indépendants  des  quatre  parties  fonda- 
mentales. Aucune  mention  d'instruments  n'accompagne 
l'entrée  du  chœur;  par  contre,  sur  la  ritournelle  finale,  on 
lit  ces  simples  mots  :  Sensa  les  instr. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


LES   GALAS   DE   L'OPÉRA   ET   DE   LA  COMÉDIE-FRANÇAISE 

Paris  vient  de  vivre  un  rêve  des  Mille  et  une  Nuits.  Il  s'était  trans- 
formé en  ville  enchantée,  avec  des  chatoiements  de  couleurs  dans 
tous  les  coins,  des  bosquets  embaamés  qui  s'élevaient  de  terre,  des 
oriflammes  qui  flottaient  dans  les  airs  et,  le  soir  venu,  de  magiques 
illuminations  qui  éclairaient  les  cieux.  Sur  cette  atmosphère  de  nuage 
rose,  ses  monuments  se  dessinaient  avec  les  teintes  indécises  du 
songe,  comme  dans  les  tableaux  de  Turner,  le  peintre  merveilleux  de 
l'impalpable.  Et  sur  la  voie  passaient,  portés  comme  en  triomphe,  un 
jeune  monarque  et  une  jeune  reine  dans  toute  la  fleur  de  leur  souve- 
raineté, et  on  les  acclamait  aux  cris  mille  fois  répétés  de  «  vive 
l'Empereur!  »  et  «  vive  l'Impératrice I  »,  où  se  sentaient  non  seule- 
ment la  simple  courtoisie  qu'on  doit  à  des  hôtes  couronnés,  mais,  on 
peut  le  dire,  l'amour  et  même  l'idolâtrie  de  tout  un  peuple.  Pendant 
toute  une  semaine,  le  tsar  a  tenu  la  France  dans  sa  main  puissante. 

Gela  a  été  un  rêve,  un  beau  rêve,  et  en  entendant  ces  cris  de  joie 
immense,  en  voyant  cet  enthousiasme  et  ce  délire  des  citoyens  de  la 
grand'ville  en  face  d'un  empereur  qui  nous  était  prêté  par  la  Russie, 
on  se  demande  s'il  ne  faudra  pas  bientôt  leur  en  donner  un  pour  de 
bon  et  qui  soit  bien  à  eux. 

De  toutes  ces  fêtes,  de  toutes  ces  réceptions,  de  toutes  ces  apo- 
théoses dont  les  journaux  furent  remplis,  nous  n'avons  guère  à  rete- 
nir, en  ce  qui  nous  concerne,  que  les  galas  de  l'Académie  nationale 
de  musique  et  de  la  Comédie-Française,  et  nous  en  dirons  quelques 
mots  seulement  après  les  articles  compendieus  qui  leur  furent  consa- 
crés par  nos  confrères  de  la  presse  quotidienne. 

Spectacle  toujours  imposant  que  celui  de  la  grande  nef  de  l'Opéra 
avec  son  superbe  escalier  à  double  évolution,  spectacle  plus  imposant 
encore  quand  on  en  voit  gravir  lentement  les  marches  de  marbre 
blanc  par  une  Majesté  d'où  semblent  dépendre  les  destinées  de  la 
patrie  et  oar  une  tsarine  toute  faite  de  grâce  et  de  radieuse  douceur. 
La  marche  sainte  de  Gounod,  qui  déroulait  ses  ondes  sonores  et 
un  peu  mystiques  pondant  cette  ascension  vers  l'empyrée,  ajoutait 
encore  au  caractère  impressionnant  de  cette  scène. 

...  Et  devant  leurs  Majestés  assemblées,  y  compris  celles  de  M.  et 
jjmc  pélix  Faure,  le  programme  annoncé  s'est  déroulé  sur  la  scène  de 
l'Opéra.  Mais  c'était  uniquement  la  loge  impériale  qui  était  le  point 
de  mire  de  toute  la  salle,  et  on  paraissait  s'occuper  fort  peu  du  côté 
artistique  de  la  soirée.  On  admirait  la  jeunesse  de  bon  aloi  du  tsar, 
sa  simplicité  suprême,  son  air  de  franchise,  et  aussi  un  peu  cette 
timidité  non  sans  grâce  qui  sied  si  bien  au  bel  âge.  De  son  côté,  la 
tsarine  conquérait  tous  les  cœurs  avec  sa  haute  mine  de  grande 
princesse  et  en  même  temps  l'innocente  bonté  qui  rayonne  sur  son 
visage;  c'était  une  idole  de  neige  merveilleusement  parée,  la  reine 
des  steppes  étincelante  sous  les  diamants  de  sa  couronne,  une  de  ces 
images  saintes  à  la  fois  naïves  et  resplendissantes  qu'on  adore  pieuse- 
ment dans  la  cabane  des  moujiks.  Et,  tout  autour,  des  uniformes 
chamarrés,  des  grands  cordons  de  toutes  couleurs,  les  ambassadeurs 
empanachés,  les  généraux,  les  amiraux,  les  admirables  chefs  des  tribus 
arabes  drapés  dans  leurs  burnous  de  blancheur  immaculée.  Ah  !  c'était 
bien  là  le  spectacle  merveilleux,  contre  lequel  rien  ne  pouvait  lutter. 


Et  pourtant  l'orchestre  de  l'Opéra  s'évertuait  de  son  mieux,  meilleur 
qu'il  ne  fut  jamais,  mettant  partout  des  caresses  inaccoutumées  et 
même  de  la  fougue  où  il  en  fallait,  ce  qui  ne  s'entend  pas  tous  les 
jours.  C'étaient  tour  à  tour  la  marche  du  maître  Saint-Saëns,  la  déli- 
cieuse méditation  de  Thaïs,  un  acte  de  Sigurd  presque  entier  inter- 
prété de  toute  âme  par  M°"=  Caron,  MM.  Alvarez  et  Renaud  ;  c'était  la 
Korrigane  et  Mauri.  Tout  cela  est  passé  presque  inapergu  et  s'est 
éteint  dans  les  glaces  du  protocole  et  de  l'étiquette.  Interdiction  au 
tsar  d'applaudir  ;  interdiction  aux  autres  de  manifester  avant  le  tsar. 
On  voit  où  cela  peut  mener. 

Puis,  le  tsar  s'est  levé  et  s'en  est  allé  magnifiquement  comme  il 
était  venu,  toujours  poursuivi  par  la  musique  et  l'orchestre  de 
M.  Marty,  niché  sous  une  des  cages  de  l'escalier,  qui  lui  a  lancé 
comme  dernier  salut  une  belle  fanfare  de  Sylvia  résonnant  admirable- 
ment sous  les  voûtes  élevées.  Un  accord  final...  etla  vision  prestigieuse 
s'est  évanouie,  en  nous  laissant,  humbles  mortels,  nous  débattre  avec 
les  tristes  réalités  de  la  vie,  c'est-à-dire  la  chasse  interminable  aux 
cochers,  qui  ne  pouvaient  ni  avancer  ni  reculer, —  chaos  impénétrable 
de  véhicules  de  toutes  les  sortes  se  dérobant  à  tous  les  appels. 

Et  le  lendemain,  ce  fut  le  tour  de   la  Comédie-Française  à 

faire  ses  preuves.  Tout  se  passa  cette  fois  sans  musique  et  n'en  alla 
que  mieux,  paraît-il.  Le  tsar  ne  se  donne  pas  en  effet  pour  un  fervent 
de  la  muse  Euterpe,  mais  il  prise  volontiers  notre  fine  littérature 
française,  à  ce  point  qu'il  en  a  oublié  les  règles  de  l'étiquette  et  s'est 
mis  à  applaudir  selon  sou  plaisir.  La  tsarine  en  a  profité  pour  rire 
aussi  à  belles  dents.  C'était  peut-être  moins  majestueux  que  la  veille, 
mais  infiniment  plus  cordial. 

On  a  donc  tout  goûté  ce  soir-là,  et  la  poésie  de  circonstance  de 
M.  Glaretie,  et  le  délicat  badinage  de  Musset,  et  notre  Corneille,  et 
notre  Molière.  Mounet-Sully,  Worms,  Bartet  et  Baretta,  Coqaelin 
cadet  et  Reichenberg  ont  été  aux  nues. 

Et  maintenant  que  le  rêve  est  terminé,  que  le  couple  auguste  s'en 
est  allé  chercher  dans  les  joies  familiales  de  Darmstadt  un  repos 
bien  gagné  après  tant  d'honneurs  et  de  démonstrations  fatigantes, 
le  moment  est  peut-être  bien  choisi,  en  guise  d'épilogue  à  ces  soi- 
rées glorieuses,  de  présenter  une  humble  requête  à  l'Empereur  de 
toutes  les  Russies  : 

SUPPLIQUE  AU  TSAR 

Majesté,  vous  aurez  été  touché  sans  doute  de  l'accueil  ému  que 
vous  a  fait  notre  peuple  de  France,  et  de  l'amour  spontané  qu'il  vous 
a  voué.  Vous  avez  été  grand  et  généreux,  vous  êtes  venu  à  nous  dans 
notre  isolement  et  nous  avez  tendu  votre  main  forte  et  loyale.  Ce 
peuple  peut  avoir  bien  des  défauts,  mais  il  n'a  pas  celui  de  l'ingra- 
titude. Son  cœur  sait  battre  au  bon  endroit.  Tous  les  dévouements,  il 
vous  les  doit  et  on  peut  presque  dire  que  vous  comptez  aujourd'hui, 
en  plus  qu'hier,  trente-huit  milhons  de  nouveaux  sujets, —  sinon  par 
de  vulgaires   confins  géographiques,  au  moins  d'âme  et  d'afi'ection. 

Vous  nous  avez  vus  tous  ici,  chacun  dans  la  mesure  de  ses  forces, 
s'ingénier  à  vous  montrer  la  sincérité  de  cet  attachement,  et  tous,  de 
cette  grande  semaine,  vous  devez  ncus  considérer  comme  vos  enfants 
d'adoption.  Vous  êtes  notre  «  petit  père  »  d'élection,  comme  on  dit 
dans  votre  beau  pays. 

A  côté  de  tout  ce  qui  porte  ici  une  épée,  vous  avez  vu  aussi  tout 
ce  qui  porte  une  plume  vous  célébrer  et  vous  remercier  sur  tous  les 
modes  ;  vous  avez  entendu  nos  poètes  faire  tressaillir  la  lyre  eu 
votre  honneur,  lyre  d'airain  avec  Hérédia  aux  mâles  accents,  lyre  de 
douceur  et  d'harmonie  avec  Coppée  et  Sully-Prudhomme.  Notre  Aca- 
démie vous  a  souhaité  la  bienvenue  par  la  bouche  éloquente  de  son 
doyen  vénéré,  Ernest  Legouvé.  Vous  avez  daigné  sourire  aux  imagi- 
nations de  nos  auteurs  dramatiques.  Et  nos  musiciens  ont  fait  ce 
qu'ils  ont  pu  pour  vous  charmer. 

Enfin,  de  tous  les  hommages  délicats  qu'on  a  pu  vous  rendre,  ce  ne 
sont  pas  ceux  de  nos  penseurs  et  de  nos  artistes  qui  ont  dû  le 
moins  vous  toucher. 

Eh  bien.  Majesté,  c'est  pour  eux  que  nous  vous  demandons  grâce 
et  protection  en  votre  vaste  empire  où  les  droits  de  la  pensée 
française  ne  sont  plus  reconnus.  Longtemps  une  convention  littéraire 
et  artistique  a  lié  les  deux  nations;  mais,  par  suite  d'un  malentendu 
sans  doute,  elle  n'a  pas  été  renouvelée  et  depuis  chacun,  en  Russie, 
peut  prendre  impunément  nos  livres  et  nos  œuvres  d'art,  —  sans  que 
les  dépouillés  aient  même  le  droit  de  crier.    , 

Est-ce  trop  vous  demander,  Impériale  Majesté,  de  faire  cesser  un 
tel  abus,  et  de  traiter  vos  fils  de  France  comme  vos  fils  de  Russie? 
Ce  serait  là  un  don  de  joyeux  avènement  sur  nos  cœurs,  et  qui  y 
laisserait  d'impérissables  traces. 

H.  MORENO. 


324 


LE  MENESTREL 


NouvEAiTÉs.  —  Miijnonnette,  vaudeville-opérette  en  3  actes,  de  M.  G.  Duval, 
musique  de  M.  G.  Street. 

De  même  que  le  célèbre  Faust  de  Gounod  sollicita  la  verve  satiri- 
que et  parodique  de  Crémieux,  Jaime  et  Hervé,  de  même  Tuaiverselle 
Mignon  d'Ambroise  Thomas  vient  de  tenter  MM.  Georges  Duval  et 
Georges  Street.  Nous  avions  et  nous  avons  encore  le  Petit  Faust,  vrai 
chef-d'œuvre  du  genre,  qui  remonte  déjà  à  1869;  nos  neveux  retrou- 
veront-ils seulement  quelque  fugitif  souvenir  de  Mignonnelle? 

Ce  qai  manque  le  plus  au  vaudeville  de  M.  Duval,  c'est  la  fantaisie 
indispensable  à  ce  genre  de  théâtre.  Point  ne  suffit  de  faire  do 
Mignon  une  petite  Montmartroise  recueillie  dans  la  forêt  de  Fontai- 
nebleau par  le  peintre-mécène  Oscar  de  Bois-Colombes  et  reconnue 
au  dernier  acte  par  son  vieux  papa  Gharlemagne.  modèle  pour  l'en- 
semble; il  aurait  fallu  semer  là-iedans  de  la  joyeuse  folie  et  de  l'im- 
prévu, sans  craindre  de  franchement  s'écarter  par  moments  de  l'ori- 
ginal, suffisamment  populaire  pour  que  que  le  public  s'y  soit  toujours 
retrouvé . 

Si  la  musique  de  M.  Georges  Street  n'a  pas  la  folie  exubérante  et 
spirituelle  de  celle  d'Hervé,  et  la  faute  en  revient  pour  la  plus  grande 
part  au  librettiste,  elle  est  du  moins  d'une  facture  très  adroite, 
comme  dans  l'enchaînement  des  différents  couplets  de  café-concert 
au  premier  acte,  et  d'une  inspiration  aimable,  comme  dans  le  duetto 
du  second  acte. 

MM.  Germain  (Charlemagne-Lothario),  Tarride  (Oscar-Vilhelm), 
Guyon  (Lorimus-Laerte),  Lauret  (Panalellas-Frédéric),  M"'"*  Filliaux, 
iMignonnet(e-Mignon),  prenant  heureusement  possession  de  la 
rive  droite  après  avoir  triomphé  sur  la  rive  gaucho,  et  Aimée 
Martial  (Florestine-Philiue)  défendent  du  mieux  qu'ils  peuvent  les 
trois  actes. 

Mais  où  le  succès  a  été  absolument  complet,  c'est  dans  les  couloirs 
des  Nouveautés,  et  c'est  là,  en  effet,  qu'avait  lieu  la  véritable  pre- 
mière. Il  faut  complimenter  sans  réserve  M.  Micheau  pour  le  goût 
exquis  avec  lequel  il  a  fait  décorer,  à  nouveau  et  dans  une  note  tout 
artistiquement  moderne,  les  dégagements,  couloirs  et  foyers  de  son 
petit  théâtre. 

Paul-Émile  Chevalier. 


L'EXPOSITION  DU  THÉÂTRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 


Le  Palais  de  l'industrie  jouit  en  ce  moment  de  son  reste,  et  grâce 
à  l'iixposilion  théâtrale  et  musicale  qui  s'y  est  ouverte  depuis  quel- 
ques semaines,  jette  un  dernier  éclat.  Avant  que  l'année  présente 
soit  écoulée,  cette  horrible  bâtisse,  qui  depuis  si  longtemps  déshonore 
tout  un  côté  de  cette  incomparable  promeaade  des  Champs-Elysées, 
unique  au  monde,  aura  disparu  à  jamais  pour  faiie  place  aux  cons- 
tructions destinées  à  lui  succéder  dans  l'ensemble  des  travaux  rela- 
tifs à  la  prochaine  Exposition  universelle  etqui,osou5  l'espérer,  seront 
plus  en  rapport  avec  le  merveilleux  décor  qu'elles  ser  jnl  appelées  à 
compléter. 

Avant  que  ledit  palais  soit  passé  à  l'état  de  souvenir,  jetous  donc 
un  coup  d'œil  sur  cette  aimable  et  intéressante  Exposition  théâtrale 
qui  y  a  élu  domicile  et  dont  le  succès,  étaut  donné  l'attrait  du  sujet 
et  son  caractère  de  nouveauté,  ne  pouvait  être  douteux. 

Entrons  d'abord  dans  l'immense  nef,  et  jouissons  du  coup  d'œil 
curieux  et  pittoresque  qu'elle  présente.  Dès  qu'on  y  pénètre,  la  vue 
se  porte  tout  naturellemenl  sur  l'orcheëtre,  placé  juste  en  face  de 
l'entrée  et  dont  la  vaste  estrade,  décorée  à  l'antique  et  surmontée  d'un 
large  vélum  destiné  à  la  répercussion  des  ondes  sonores,  produit  le 
meilleur  efTel.  C'est  là  que  chaque  jour  un  excellent  corps  de  sym- 
phonistes, habilement  dirigé  par  M.  Achille  Kerrion,  donne  des 
concerts  et  des  festivals  qui  sont  un  des  attraits  de  l'Exposition  et 
que  le  public  accueille  avec  le  plus  vif  plaisir. 

Si  nous  avançons  précisément  du  côté  de  l'orchestre,  nous  nous 
trouvons  juste  au  milieu  de  la  nef,  divisée  en  deux  parties  égales.  A 
droite,  une  rue  formée  de  chaque  côté  de  constructions  moyen  âge 
d'un  caractère  pittoresque  et  saisissant,  nous  conduit  au  parvis  Notre- 
Dame,  en  présence  d'une  gigantesque  reproduction  de  la  vieille  et 
admirable  cathédrale.  C'est  précisément  devant  l'église,  sur  le  parvis, 
que  sont  installés  les  tréteaux  sur  lesquels  Tabarin  et  ses  compagnons, 
représentés  par  MM.  Depas  et  Yves  Martel,  M"""  Frederick  et  Déneige, 
donnent  aux.  visiteurs,  chaque  après-midi,   une  reproduction   aussi 


animée  qu'amusante  des  célèbres  parades  qui  naguère  faisaient  la 
joie  des  bons  badauds  parisiens.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  les 
païades  de  l'Exposition,  tout  en  restant  joyeuses,  sont  moins  incon- 
grues que  celles  qui  jadis  attiraient  la  foule  devant  la  baraque 
de  Mondor  et  de  Tabarin.  Nos  oreilles  ne  sauraient  supporter  ce 
que  les  deux  compères  faisaient  entendre  à  celles  de  nos  exce'lents 
aïeux. 

Revenons  à  l'orchestre  et  engageons-nous  dans  l'autre  rue,  la  rue 
romaine,  qui  nous  conduira  à  l'extrémité  opposée  de  la  nef.  Ici,  Iss 
constructions  antiques,  d'un  caractère  à  la  fois  noble,  élégant  et 
sévère,  contrastent  naturellement,  par  leur  nature  et  par  leur  style, 
avec  celles  de  la  rue  moyen  âge,  si  pleines  d'imprévu  et  d'originalité. 
Il  est  à  peine  besoin  de  dire,  sans  doute,  que  ces  constructions,  d'un 
côté  comme  de  l'autre,  abritent  les  boutiques  et  les  magasins  des 
exposants  industriels.  De  même  que  la  première  rue  nous  condui- 
sait au  parvis  Notre-Dame,  la  seconde  nous  mène  au  théâtre  antique, 
sorte  de  reproduction  en  miniature  du  vaste  amphithéâtre  d'Orange, 
dont  l'aspect  est  fort  intéressant.  Sur  les  gradins  circulaires  de  ce 
théâtre,  destiné  à  des  spectacles  athlétiques,  peuvent  d'ailleurs 
prendre  place  jusqu'à  six  cents  spectateurs. 

En  dehors  même  des  deux  rues,  l'exposition  industrielle  bat  son 
plein,  et  de  tous  côtés  l'œil  est  sollicilé  de  la  façon  la  plus  attrayante. 
Puis,  des  divertissements  variés  appellent  le  promeneur  et  le  flâneur. 
Derrière  l'orchestre  se  trouve  un  café-concert  qui  commence  ses 
séances  lorsque  celui-ci  a  terminé  la  sienne.  Que  voulez-vous?  il  en 
faut  pour  tous  les  goûts,  et  je  n'hésite  pas  à  constater  que  ce  café- 
concert  est,  lui  aussi,  fort  achalandé,  et  que  sa  clientèle  est  nom- 
breuse. Du  même  côté,  l'amateur  peut  se  donner  le  plaisir  de  plu- 
sieurs autres  spectacles  pittoresques.  Il  y  a  là  une  grotte  mystérieuse, 
un  guignol  d'un  caractère  particulier,  un  cinématographe  et  diverses 
distractions  d'un  semblable  acabit. 

Je  constate  toutefois  que,  pour  le  public,  le  grand  attrait  de  cette 
partie  de  l'exposition  est  assurément  la  rue  moyen  âge,  avec  ses 
maisons  si  curieuses,  si  amusantes,  ses  enseignes  si  caracléristiqnes, 
ses  auvents  si  pittoresques.  Il  y  a  là  une  reconstitution  charmante, 
vraiment  artistique,  d'un  style  plein  de  grâce  et  de  vérité,  dont  l'attrait 
n'échappe  pas  aux  visiteurs,  qui  s'y  portent  en  foule  et  s'y  arrêtent 
plus  volontiers  qu'ailleurs.  Il  est  certain  que  M.  Chaperon,  l'excel- 
lent décorateur,  auquel  on  doit  en  ce  genre  tous  les  travaux  de  l'expo- 
sition, a  fait  preuve  ici  d'un  grand  savoir  et  d'un  goût  exquis,  et 
qu'il  est  parvenu  à  produire  une  impression  d'art  absolument  excel- 
lente et  d'une  incontestable  originalité. 

Toute  la  nef  est  d'ailleurs,  d'un  bout  à  l'antre  et  de  tous  côtés, 
ingénieusement  aménagée,  souriante  à  l'œil,  ordonnée  avec  goût  et 
de  toutes  façons  attrayante.  Le  public  s'y  presse  avec  un  véritable 
plaisir,  y  promène  son  oisiveté  à  la  fois  indolente  et  curieuse,  et  voit 
le  temps  s'y  écouler  en  une  flânerie  aimable  et  pleine  de  charme.  Ce 
n'est  pourtant  là,  si  l'on  peut  dire,  que  le  côté  extérieur  et  en  quelque 
sorte  frivole  de  l'exposition.  Quand  on  a  bien  visité  cette  partie, 
qu'on  a  écouté  l'excellent  programme  exécuté  par  l'orchestre,  qu'on 
a  assisté  à  l'amusante  parade  qui  se  déroule  devant  les  portes  de 
Notre-Dame,  il  faut  gravir  le  double  escalier  pratiqué  de  chaque  côté 
de  la  reproduction  de  l'admirable  cathédrale  et  pénétrer  dans  les 
salles  du  premier  élage,  où  sont  exhibées  les  précieuses  collections 
historiques  et  artistiques  qui  en  forment  en  quelque  sorte  le  fond 
solide  et  insiructif.  Là  se  présente  aux  yeux  tout  ce  qui  peut  inté- 
resser l'amateur,  le  curieux  et  même  le  travailleur  sérieux:  estampes 
de  toutes  sortes,  tableaux  et  dessins,  portraits  de  comédiens  et  de 
chanteurs  des  deux  sexes,  de  compositeurs,  de  virtuoses,  livres  rares, 
publications  de  toutes  sortes,  médailles,  manuscrits  précieux,  auto- 
graphes, modèles  et  plans  de  théâtres,  décors,  costumes,  objets 
curieux,  souvenirs  de  grands  artistes,  affiches  et  programmes  de  spec- 
tacles, partitions,  livrets  d'opéras,  instruments  de  musique  anciens 
et  modernes,  caricatures,  marionnettes,  que  sais-jo?  Il  y  en  a  pour 
tous  les  désirs,  toutes  les  spécialités  et  tous  les  goûts. 

C'est  tout  cela,  si  vous  le  voulez  bien,  que  nous  visiterons  et  que 
nous  regarderons  ensemble,  avec  quelque  attention,  et  que  je  m'effor- 
cerai de  vous  faire  connaître  aussi  rapidement  et  aussi  complète- 
ment que  possible.  La  promenade  dans  ces  galeries,  autour  de  ces 
vitrines,  à  travers  ces  riches  collections,  sera  tout  à  la  fois  intéres- 
sante, profitable  et  amusante,  et  le  temps  ne  sera  point  perdu  à 
considérer  une  telle  foule  d'objets  curieux  et  précieux  à  plus  d'un 
titre.  '' 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


LE  MENESTREL 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


PRISONS  POUR  DETTES 

Prisons  disparues.  —  Le  manège  et  les  concerts  de  lord  Muzarin  à  la  Force.  —  L'Anglais 
mélomane  dans  le  fort  du  Hd.  —  Les  grands  jours  de  Clichy  :  les  improvisations  de 
Julien;  les  fanfares  sonnées  par  le  comte  Léon;  un  drame  d'amour  et  une  messe  en 
musique. 

En  celle  fin  de  siècle,  le  mot  de  pmons  pour  dettes  semble  vide  de 
sens.  A  uns  époque  où  la  contrainte  par  corps  n'existe  plus  qu'en 
matièrecorreclionnelle,  nos  contemporains  s'imaginent  difficilement 
que  la  loi  ait  pu  permettre  l'incarcération  de  négociants  gênés  ou  de 
joyeiirs  viveurs  qui  ne  faisaient  pas  honneur  à  leur  signature  ou  qui 
se  refusaient  à  payer  leurs  fournisseurs. 

C'est  seulement  après  1860,  qu'en  France  du  moins,  disparut  une 
disposition  légale  dont  l'origine  remonte  à  la  plus  haute  antiquité. 
Dès  les  premiers  iàges  du  monde,  le  créancier  fut  maître  de  la  liberlé 
du  débiteur  qui  ne  pouvait  ou  ne  voulait  le  satisfaire.  Toutes  les 
législations  reconnurent  le  principe  elle  consacrèrent  par  des  mesures 
variant  suivant  les  mœurs,  les  coutumes  et  la  civilisation  de  chaque 
pays.  Mais  plus  celui-ci  avance  dans  la  voie  du  progrès,  plus  les 
lois,  réglant  les  rapports  de  créancier  à  débiteur,  restreignent  les 
exigences  de  celui-là.  Jadis,  l'homme  qui  ne  payait  pas  ses  dettes 
élail  l'esclave,  en  quelque  sorle  la  bête  de  somme  de  son  créancier. 
Dans  les  temps  les  plus  rapprochés  de  notre  époque,  la  situation 
d'un  débiteur  étaitpresque  privilégiée.  Sans  doute,  le  créancier  qui 
avait  obtenu  un  jugement  élail  autorisé  à  faire  incarcérer  son  débi- 
teur; mais  il  devait  lui  assurer  dans  la  prison  même  une  chambre 
et  une  penS'ion  convenables,  et  s'il  était  d'un  jour  en  retard  pour  le 
paiement  de  la  somme  affectée  à  l'entretien  du  détenu,  celui-ci 
recouvrait  aussitôt  sa  liberté. 

Or,  nombre  de  prisonniers  pour  dettes,  qui  n'ignoraient  pas  com- 
bien cette  pension  obligatoire  exaspérait  leurs  créanciers,  se  plaisaient 
à  rester  sous  les  verrous,  comme  rats  en  fromage,  si  bien  que  leurs 
prétendus  persécuteurs  devenaient,  à  ce  jeu  agaçant  et  dispsndieux, 
de  véritables  persécutés. 

Lord  Mazarin  est  resté  le  type  de  ces  débiteurs  irréductibles  au 
XVIIl'  siècle.  Jamais  le  grand  seigneur  ne  voulut  donner  une  obole  a 
ses  créanciers.  Ce  fut  à  leurs  frais  qu'il  passa  vingt  années  de  sa  vie 
à  la  G'-ande-Force.  Il  y  tenait  table  ouverte,  faisait  du  manège  et  de 
la  haute  école  dans  la  Cour  de  la  Dette  :  il  y  doQua  même  des  concerts 
et  des  bals  qui  furent  très  suivis.  L'amour  vint  embellir  sa  captivité. 
Sans  préjugés,  mais  non  sans  ressources,  le  noble  seigneur  épousa 
la  lille  du  concierge  de  la  prison.  La  Révolution  de  l';89  lui  ouvrit 
les  portes  de  la  Force,  et  les  créanciers  en  furent  pour  leurs  frais. 

A  quarante  ans  de  distance  nous  trouvons  un  excentrique  du  même 
genre,  un  Anglais  bien  entendu,  éeroué  au  fort  du  Hè,  dans  le 
quartier  de  la  Dette,  pour  une  somme  de  six  mille  francs  qu'il 
s'obstinait  à  ne  pas  vouloir  payer.  Il  avait  cependant  vingt-cinq 
mille  livres  de  rente,  et  il  resta  dix-sept  ans  dans  la  prison  dépar- 
tementale de  la  Gironde,  où  il  vivait  d'ailleurs  le  plus  gaiement  du 
monde.  C'était  un  passionné  de  la  musique  populaire.  Tous  les  jours 
il  appelait  des  chanteurs  ambulants,  qui  savaient  d'ailleurs  sa  manie, 
et  leur  faisait  égrener  les  perles  de  leur  répertoire.  Le  concert  fini, 
il  leur  distribuait  à  chacun  une  pièce  de  cinq  francs. 

Mais  de  toutes  les  maisons  de  force,  celle  qui  vit  défiler  le  plus 
(l'uiiginaux  et  célébrer  le  plus  de  fêtes,  ce  fut  la  prison  spéciale 
pour  dettes  de  Clichy,  disparue  aujourd'hui  du  sol  parisien  et  rem- 
placée par  des  établissements  où  la  gaieté  française,  sans  doute  par 
habitude,  cherche  encore  sa  place.  Clichy  a  trouvé  ses  poètes  et  ses 
historiens  :  il  est  regrettable  que  pas  un  compositeur  n'ait  songé  à 
en  éterniser  le  souvenir,  ne  fût-ce  même  que  par  une  chansonnette  : 
car,  dans  celle  prison  où  passèrent  les  g'ens  du  meilleur  monde,  on 
faisait  beaucoup  de  musique,  de  l'excellente,  et  même  de  Is  carnava- 
lesque au  superlatif. 

Un  jour,  le  chef  d'orchestre  do  Tivoli,  le  célèbre  JuUien,  que  la 
rigueur  d'impitoyables  créanciers  retenait  à  Clichy,  y  donna  un 
concert  qui  rappelle  les  harmonies  de  la  fanfare  de  Moncrabeau. 

Sa  chamb'-e  dominait  le  mur  de  ronde  qui  donnait  sur  Tivoli.  Lors- 
qu'il entendit  exécuter  les  quadrilles  dont  il  était  le  compositeur  et 
où  il  s'était  réservé  la  partie  de  tlùle,  il  ne  put  résister  à  la  tenta- 
tion de  coopérer  encore  à  ces  fêtes  de  la  jeunesse,  du  plaisir  et  de 
l'amour. 

11  court  de  chambrj  eu  chambre,  raccole  tout  ce  qu'il  peut  trouver 
d'instrumentistes  pour  improviser  un  orchestre,  et  les  emmène  dans 


sa  chambre.  Là,  on  approche  plusieurs  tables  de  la  fenêtre  qui  fait 
face  à  la  grande  allée  de  Tivoli,  et  sur  celte  estrale  Jallien,  s'ap- 
puyant  aux  barreaux  de  fer,  passe  ses  bras  et  sa  flûte  en  dehors; 
puis  il  joue,  avec  une  incomparable  suavité,  un  solo  à  rendre  jaloux 
tous  les  rossignols  des  jardins  d'alentour.  Les  habitués  de  Tivoli, 
qui  ont  reconnu  leur  virtuose  favori,  l'applaudissent  à  tour  de  bras. 
Tout  à  coup  JuUien  se  rejette  dans  sa  cellule  et  crie  d'une  voix  de 
stentor  :  «  Eu  place  1  en  place  !  » 

Aussitôt  son  orchestre  improvisé,  l'un  avec  une  armoire  devenue 
grosse  caisse,  l'autre  avec  le.s  chandeliers  transformés  en  triangle, 
euliu  JuUien  avec  sa  flûte, enlèvent  en  vigueur  un  quadrille  endiablé. 
Tous  les  danseurs  de  Tivoli  quittent  la  salle  de  concert  et  viennent  se 
trémousser  dans  le  jardin,  aux  sons  violents  de  cette  musique  enragée. 
Ce  divertissement  se  renouvela  plusieurs  dimanches  de  suite  :  mal- 
heureusement, les  détenus  ayant  voulu  réaliser  avec  une  livre 
d'allumettes  chimiques  —  elles  flambaient  alors  —  les  exercices 
pyrotechniques  que  la  direction  de  Tivoli  appelait  l'embrasement  de 
la  terre,  celle  de  Clichy  interdit  aux  prisonniers  des  concerts  et  une 
mise  en  scène  dont  l'apothéose,  ainsi  comprise,  pouvait  avoir  des 
suites  moins  divertissantes. 

Il  semblait  d'ailleurs  que  toutes  les  excentricités  fussent  permises 
dans  celle  hospitalière  prison.  Le  comte  Léon,  dont  les  prodigalités 
et  les  aventures  sont  restées  non  moins  célèbres  que  son  auguste 
naissance,  faisait  retentir  les  échos  de  Clichy  des  bruyantes  fanfares 
de  son  cor  de  chasse,  alors  que  celle  haute  fantaisie  était  formelle- 
ment interdite  dans  les  rues  et  dans  les  maisons  d'.  la  capitale. 

Mais  que  de  fois,  dans  la  vie  comme  dans  les  drames,  les  larmes 
sont  voisines  du  rire!  Un  jour,  en  cette  retraite  de  viveurs  fourbus 
où  l'on  entendait  partir  du  matin  au  soir  des  fusées  de  rire  avec  les 
bouchons  de  Champagne,  une  tragédie  vint  mettre,  sur  les  roses 
effeuillées  par  le  plaisir,  ses  taches  de  sang. 

Francesco  Roberli,  fils  d'un  général  italien  mort  au  service  de  la 
France,  s'était  ruiné  pour  les  beaux  yeux  d'une  comédienne  qu'il 
épousa  le  jour  où  il  ne  lui  resta  plus  rien  que  son  nom.  Mais  l'actrice, 
dépensière  autant  que  capricieuse,  ne  sut  pas  comprendre  les 
devoirs  que  lui  imposait  sa  nouvelle  situation,  et  son  mari,  qui 
l'adorait,  dut  faire  des  dettes  pour  subvenir  aux  exigences  de  la 
jeune  femme.  Au  jour  de  l'échéance,  il  ne  fut  pas  en  mesure  de 
payer  les  billets  qu'il  avait  souscrits,  et  après  maints  ajournements, 
les  créanciers  le  firent  écrouer  à  Clichy. 

La  comédienne  ne  parut  même  pas  se  douter  que  son  mari  était  en 
prison  pour  dettes.  Elle  ne  vint  pas  le  voir.  Francesco  était  jaloux  et 
amoureux.  Sa  tête  travailla,  comme  on  pense  bien,  et  de  telle  sorte 
que  le  malheureux  fut  atteint  d'une  invincible  mélancolie.  Il  s'ima- 
ginait que  l'ingrate  avait  un  amant,  et  même  qu'elle  avait  racheté 
ses  dettes  à  vil  prix  pour  le  tenir  plus  longtemps  sous  les  verrous. 
Il  lui  écrivait  dix  fois  par  jour  des  lettres  passionnées  et  furibondes 
qu'il  déchirait  presque  aussitôi.  Il  fallut  bientôt  le  surveiller.  Il  avait 
essayé  d'entamer  le  plafond  à  coup  de  couteau;  une  autre  fois,  ij 
avait  tenté  de  mettre  le  feu  à  ses  meubles.  Il  voulait  sortir  à  tout 
prix  de  la  prison  pour  aller  poignarder  son  infidèle. 

Le  directeur  fil  transporter  son  pensionnaire  dans  une  chambre 
voisine  de  la  sienne,  pour  le  veiller  de  plus  près.  Maisle  lendemain 
Roberli,  passant  par  la  cuisine,  se  saisit  d'un  couteau  et  se  le  plon- 
gea dans  le  cœur. 

Ses  compatriotes  sollicitèrent  et  obtinrent  l'autorisation  de  lui 
rendre  les  derniers  devoirs  suivant  les  usages  de  leur  pays.  Ils 
lavèrent  et  parfumèrent  son  corps,  ceignirent  son  front  d'une  cou- 
ronne de  fleurs  et  l'exposèrenl,  revêtu  d'habits  de  fête,  dans  sa 
chambre  transformée  eu  chapelle  ardente.  Puis  ils  passèrent  la  nuit 
en  prière  auprès  de  lui. 

Le  lendemain,  à  la  chapelle,  Panlateoni  chantait  la  messe  d; 
Cherubini  et  Graziani  imitait,  sur  un  Pieyel.les  sons  graves  et  plain 
lits  de  l'orgue.  La  scèue  était  déchirante.  Toute  la  colonie  italienne 
pleurait;  et  les  détenus  qui  assistaient  en  masse,  avec  recueillement,- 
à  cette  funèbre  cérémonie,  oublièrent  de  rire  et  de  banqueter  le  soir. 
(A  suivre.)  p^ul  d'Estbée. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 

FRAGMENTS 

(Suite.) 
Je  reviens  du  festival  russe  chez  Colonne.  —  Le  programme  com- 
prenait YAntar  de  Rimsky-Korsakow,  la  symphonie  en  si  mineur  de 
Borodine,  des  pièces  de  César  Cui,  etc. 


326 


LE  MENESTREL 


Décidément  beaucoup  de  musiciens  du  temps  présent  n'utilisent 
dans  la  musique  symphonique  qu'un  nombre  infiniment  restreint  de 
thèmes,  sinon  un  seul.  Ce  n'est  plus  l'idée  mère  engendrant  une  foule 
d'idées  épisodiques.  C'est  l'idée  unique,  variée  seulement  par  les  colo- 
rations changeantes  de  l'harmonie,  des  sonorités  instrumentales,  et 
quelquefois  par  une  désarticulation  rythmique. 

Quand  je  vois  reparaître  ce  thème  d'étage  en  étage,  à  toutes  les 
fenêtres  de  l'édifice  sonore,  grogné  parles  basses,  gémi  par  le  basson, 
soupiré  par  le  violoncelle,  rêvé  par  l'alto,  pastoralisé  par  le  hautbois, 
pépié  par  la  flûte,  il  me  semble  entendre  le  maître  de  philosophie 
dire  à  M.  Jourdain  : 

Belle  marquise,  vos  beaux  yeux  me  font  mourir  d'amour. 
D'amour  mourir  me  font,  belle  marquise,  vos  beaux  yeux. 
Vos  beaux  yeux  d'amour  me  font,  belle  marquise  mourir. 
Mourir  vos  beaux  yeux,  belle  tnarquise,  d'amour  me  font. 
Me  font  vos  beaux  yeux  mourir,  belle  marquise  d'amour. 

A 

La  plupart  des  maîtres  russes  contemporains  paraissent  sous  l'in- 
fluence de  Liszt  et  de  Berlioz.  Chez  eux  la  préoccupation  du  pittores- 
que prime  celle  de  la  beauté  plastique.  Ils  en  arrivent  ainsi  à  s'atta- 
cher même  à  des  effets  d'ordre  inférieur  confinant  à  ces  effets  de  pure 
virtuosité  qu'on  rencontre  jusque  dans  les  meilleures  pages  de  Liszt. 
Leurs  productions  ont  souvent  quelque  chose  de  lâché,  de  démesuré 
dans  les  proportions,  avec  de  fréquentes  redites  qui  les  font  ressem- 
bler à  des  improvisations. 

Mais  il  y  a  chez  eux  de  belles  qualités.  Quand  ils  auront  fait  le  tour 
des  romantiques,  ils  viendront  aux  classiques,  à  Bach,  à  Mozart, 
à  Beethoven,  à  Mendelssohn,  et  alors  ils  donneront  des  chefs-d'œuvre. 

L'École  russe  date  d'hier.  L'adolescent  préfère  toujours  Lucain  à 
Virgile.  C'est  seulement  dans  la  maturité  que  le  lettré  sait  discerner, 
sentir  et  aimer  la  véritable  Beauté. 


Il  y  a  un  grand  nombre  :  • 

D'excellents  traités  d' harmonie  depuis  Rameau  jusqu'à  Reicha,  Pétis, 
Barbereau,  Reber,  Bazin,  Bienaimé. 

D'excellents  traités  de  contrepoint  et  de  fugue,  depuis  Albrechts- 
berger  jusqu'à  Gherubini  et  Fétis. 

D'excellents  traités  à' instrumentation  :  celui  de  Berlioz,  qui  est  un 
chef-d'œuvre,  ceux  de  Gevaert,  qui  sont  un  véritable  monument  de 
science  didactique,  les  manuels  de  Savard  et  du  regretté  Guiraud. 

D'excellents  traités  de  plain-cluint,  notamment  ceux  de  La  Fage  et 
de  Fétis. 

Mais  il  n'existe  qu'uN  seul  Traité  de  Mélodie,  celui  que  Reicha  écri- 
vit jadis,  qui  est  fort  remarquable  et  devrait  être  remis  à  jour.  A  peine 
le  sujet  a-t-il  été  entrevu  par  Fétis  dans  son  Traité  élémentaire  de 
musique  publié  à  Bruxelles  (Encyclopédie  populaire)  et  esquissé  par 
Lobe  dans  son  Traité  pratique  de  composition  musicale,  que  M.  Gustave 
Sandre  a  traduit  dans  notre  langue,  rendant  ainsi  un  signalé  service 
aux  musiciens  français. 

Quant  à  l'art  de  construire  un  morceau  dans  les  divers  genres  de  com- 
position, c'est  Lobe  seul  qui  s'est  etforcé  de  l'enseigner  d'une  façon 
complète  et  pratique  à  la  fois,  quoique  très  rapide,  dans  ce  dernier 
ouvrage. 

Allons!  Voilà  deux  lacunes  que  devraient  bien  combler  les  théori- 
ciens français. 


On  reviendra  à  Gounod  comme  on  revient  à  Lamartine,  dont  la  mu- 
sique rendait  si  bien  la  nombreuse  harmonie!  Oa  onhlieva  Polijeucte 
et  te  Tribut  de  Zamora  comme  on  oublie  Toussaint  Louverture  ou  le 
Cou!-s  de  littérature,  et  on  redemandera  à  certaines  pages  de  Faust, 
de  Mireille,  de  lioméo  leur  charme  exquis,  comme,  à  un  degré  d'art 
supérieur,  on  redemande  aux  Méditations,  aux  Harmonies  poétiques,  à 
Jocelyn,  leur  génial  et  céleste  enchantement. 

La  génération  nouvelle  ne  peut  comprendre  l'impression  que  cau- 
sèrent les  premières  pages  de  Gounod,  —  parce  que  ces  pages,  elie 
les  a  connues  dés  l'enfaace  et  en  a  été  saturée,  —  parce  que  des  formes 
de  Gounod  tous  les  artistes  s'emparèrent,  et  les  usèrent  sans  réserve, 
je  dirai  presque  sans  pudeur,  —  parce  qu'aussi  cette  génération  ne 
veut  pas  se  rendre  compte  de  ce  qu'était  l'air  musical  ambiant  quand 
survint  Gounod,  et  de  la  tenue  que  le  maître  apporta  dans  le  style 
du  drame  lyrique  français. 

Qui  avant  lui  avait  écrit  pour  notre  théâtre  quelque  chose  comme 
la  première  page  de  Faust,  —  j'entends  le  début  de  l'introduction,  — 


ou  comme  le  Prélude  d'orgue  dans  la  scène  de  l'Église?  Qui  avait  trans- 
porté dans  l'opéra  ces  procédés  classiques,  ces  tours  de  phrase  déli- 
cats, ce  style  où  semblait  pour  la  première  fois  palpiter  le  souvenir 
des  grands  maîtres,  Bach,  Mozart,  Mendelssohn,  Schumann? 


Je  n'ai  aucun  éloignement  pour  la  musique  comique.  Il  a  été  écrit 
des  chefs-d'œuvre  en  ce  genre.  Je  crois  même  qu'aujourd'hui  il  y 
aurait  une  mine  toute  nouvelle  à  explorer,  en  traduisant  la  verve 
bouffonne,  —  ou  simplement  l'esprit,  —  avec  les  modalités  de  la 
musique  contemporaine.  Je  suis  même  étonné  que  personne  n'y  ait 
encore  songé. 

Mais  j'ai  l'horreur  de  la  caricature.  La  musique  dégingandée  qui 
cherche  à  parodier  avec  ses  sautillantes  chansons,  au  tour  canaille, 
aux  rythmes  hébétants,  aux  sonorités  platement  crues,  ce  qui  a  fait 
la  poésie  et  ce  qui  a  servi  de  thème  inspirateur  à  tous  les  arts 
dans  la  suite  des  âges,  me  paraît  profondément  méprisable.  Elle  a 
fait  un  mal  incalculable,  qui  a  été  au  delà  de  l'abaissement  d'une 
des  formes  les  plus  charmantes  de  l'art  musical  et  de  l'ennui  éprouvé 
de  plus  en  plus  par  la  foule  aux  plus  purs  chefs-d'œuvre,  car  elle  a 
augmenté  celte  déplorable  disposition  à  blaguer  les  nobles  sentiments, 
à  se  blaguer  soi-même,  qui  est  un  des  travers  les  plus  fâcheux,  les 
plus  nuisibles,  — j'ose  dire,  —  un  des  iléaux  de  la  nation  française. 

(.i  suivre.)  A.  Montaux. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 
Échos  de  Saint-Pétersbourg  :  Mercredi  soir,  à  la  représentation  du 
théâtre  Panaiev/,  le  public,  sous  l'impression  des  nouvelles  de  Paris,  a 
demandé  la  Marseillaise,  qui  a  été  exécutée  trois  fois  aux  acclamations  fré- 
nétiques de  la  salle.  L'Hymne  national  russe  a  été  aussi  exécuté  trois  fois. 
Il  régnait  dans  la  salle  une  grande  émotion  patriotique.  —  Le  même  soir, 
pendant  un  entr'acte  de  la  représentation  du  beau  drame  de  Victorien 
Sardou,  Patrie!  joué  en  russe  au  théâtre  du  Cercle  artistique  et  littéraire 
russe,  l'orchestre  a  exécuté  la  Marseillaise.  Le  public  entier  s'est  levé, 
applaudissant  et  bissant  l'hymne  français.  L'Hymne  national  russe,  réclamé, 
a  été  joué  ensuite.  L'enthousiasme  était  indescriptible. 

—  Le  compositeur  tchèque  Smetana  continue  de  taire  florès  après  sa 
mort.  Son  opéra  la  Fiancée  vendue  vient  d'être  joué  à  l'Opéra  impérial  de 
Vienne  avec  un  succès  marqué.  Le  deuxième  et  le  troisième  acte  ont 
surtout  plu  au  public.  On  n'ignore  pas  que  la  princesse  de  Metternich 
tait  de  grands  efforts  pour  que  cet  opéra  soit  présenté  au  public  pari- 
sien sur  la  scène  de  M.  Carvalbo. 

—  Un  fait  qui  est  à  peu  près  complètement  ignoré,  c'est  qu'une  adap- 
tation française  de  la  Fiancée  vendue  avait  été  projetée  du  vivant  même  de 
l'auteur,  en  vue  de  la  représentation  de  l'ouvrage  à  Paris,  où  il  ambition- 
nait d'être  joué.  A  cet  effet,  Smetana,  pour  étoffer  sa  partition,  y  avait 
ajouté  plusieurs  morceaux  ainsi  qu'une  scène  de  danse,  et  avait  divisé  la 
pièce  en  trois  actes,  au  lieu  desTÎeux  qu'elle  comportait  originairement. 
Or,  c'est  cette  version  «  parisienne  »  de  l'œuvre  qui  est  jouée  actuellement 
sur  presque  toutes  les  scènes  allemandes,  et  si  le  compositeur  n'a  pas  été 
assez  heureux  pour  réaliser  le  rêve  qu'il  avait  caressé  d'être  présenté  au 
public  parisien,  sa  famille  a  du  moins  la  satisfaction  de  voir  que  le  projet 
qui  en  avait  été  formé  a  été  très  utile  au  succès  de  la  Fiancée  vendue  et  à  la 
gloire  posthume  de  Smetana. 

—  Au  petit  théâtre  du  château  de  Scba-nbrunn,  près  Vienne,  que  IVIarie- 
Tbérèse  lit  construire  pour  amuser  ses  jeunes  tilles  et  sa  cour,  le  célèbre 
ténor  Van  Dyck  fera  prochainement  ses  débuts  comme  jeune  premier.  On 
y  jouera,  à  l'occasion  du  mariage  du  duc  d'Orléans  avec  l'archiduchesse 
Marie-DcTOthée,  le  proverbe  d'Alfred  de  Musset  :  //  faut  qu'une  porte  soit  ou- 
verte ou  fermée,  et  M"»  de  Ilohenfels,  de  Burgthéatre,  l'interprétera  en  fran- 
çais avec  M.  Van  Dyck.  Malheureusement,  le  nombre  des  personnes  qui 
assisteront  à  ce  début  intéressant  sera  fort  restreint,  car  le  théâtre  do 
Schœnbrunn  peut  à  peine  contenir  trois  cents  spectateurs.  11  est  fort  genti- 
ment décoré  dans  le  style  Louis  XV,  et  on  vient  d'y  introduire  un  nouveau 
système  d'éclairage. 

—  M""  Lola  Beth,  qui  avait  quitté  il  y  a  seize  mois  l'Opéra  impérial 
de  Vienne,  a  signé  avec  ce  théâtre  un  nouveau  contrat  pour  cinq  années, 
à  partir  d'octobre  1897,  étant  obligée  de  remplir  plusieurs  engagements  à 
l'étranger  avant  de  pouvoir  se  fixer  do  nouveau  à  Vienne. 

—  M.  Lévi,  le  célèbre  chef  d'orchestre  wagnérien,  actuellement  direc- 
teur général  de  la  musique  â  l'Opéra  royal  de  Munich,  a  été  forcé,  par 
suite  du  mauvais  état  de  sa  santé,  de  donner  sa  démission.  Le  prince- 
régent  de  Bavière  lui  a  conféré  l'honorariat  de  sa  charge.  En  même  temps, 
le  régent  a  nommé  kappellmeisters  de  la  Cour  les  chefs  d'orchestre  Erd- 
mannsdoerfer  et  Richard  Strauss.  Ce  dernier,  on  le  sait,  est  encore  jeune 
et  compte  déjà  parmi  les  compositeurs  allemands  les   plus  remarquables. 


LE  MÉNESTREL 


327 


—  Le  Grillon  du  foyer,  l'opéra  nouveau  do  M.  Goldmark,  vient  d'être  joué 
avec  succès  à  l'Opéra  royal  de  Budapest,  en  langue  hongroise.  Le  compo- 
siteur, qui  est  de  nationalité  hongroise,  assistait  à  cette  première,  mais  ne 
la  dirigeait  pas.  Le  puhlic  a  fait  une  ovation  à  son  célèbre  compatriote,  et 
M.  Goldmark  a  dû  se  montrer  quatorze  fois  à  la  fin  de  la  représentation. 

—  A  l'exposition  nationale  de  Buda-Pest  se  trouvait  une  vaste  entreprise 
de  spectacles  variés  qui  avait  pris  le  titre  de  Constantinople.  G&ile  entreprise 
paraît  n'avoir  été  rien  moins  que  fortunée,  car  elle  vient  d'être  déclarée 
en  faillite.  Or,  son  passif  s'élève,  paraît-il  à  la  somme  rondelette  de 
333.000  florins,  soit  quelque  chose  comme  7SO.O0O  francs  environ. 

—  Un  nouvel  opéra-comique  intitulé  le  Flocon  de  neige,  paroles  de 
M.  Willner.  musique  de  M.  Henri  Berté,  vient  d'être  joué  avec  succès 
à  l'Opéra  allemand  de  Prague.  Ou  reproche  cependant  à  cette  œuvre  de 
se  rapprocher  trop  du  genre  de  l'opérette.  L'affiche  était  complétée  par 
un  nouveau  ballet  avec  chant  intitulé  la  Joueuse  de  luth,  musique  de 
M.  Richard  Heuberger,  dont  le  succès  a  été  assez  modeste. 

—  Les  Tchèques  de  Bohème  et  de  Moravie  se  proposent  la  construction 
d'un  théâtre  tchèque  à  Brûnn,  capitale  de  la  Moravie,  qui  ne  possède  jus- 
qu'à présent  qu'un  très  joli  théâtre  allemand,  de  construction  récente. 
A  cet  efl'et.  le  directeur  du  théâtre  national  de  Prague,  M.  Subert,  a  orga- 
nisé, avec  les  artistes  de  ce  théâtre,  un  concert  à  Prague,  dont  le  succès 
matériel  et  artistique  a  été  fort  important.  Le  programme  ne  contenait 
que  des  œuvres  de  compositeurs  tchèques. 

—  On  vient  de  frapper  à  Prague  une  médaille  commémorative  en  l'hon- 
neur du  composil,eur  tchèque  Smetana  et  de  son  opéra  le  plus  populaire, 
la  Fiancée  vendue.  L'avers  de  cette  médaille  présente  le  portrait  de  Smetana 
avec  le  théâtre  national  de  Prague  dans  le  fond  et,  cet  exergue  :  l'Art 
est  victorieux;  le  revers  fait  voir  les  deux  amants  fiancés  dans  leur  costume 
national.  Les  Tchèques  achètent  beaucoup  cette  médaille. 

—  Le  théâtre  grand-ducal  de  "Weimar  vient  d'adopter  une  réforme  de  l'or 
chestre  préconisé  par  Richard  Wagner.  Le  niveau  de  l'orchestre  a  été 
abaissé  d'un  mètre  pour  les  instruments  à  vent  et  de  cinquante  centimètres 
pour  les  instruments  à  cordes.  Mais  la  première  représentation  qui  devait 
inaugurer  cette  réforme  a  joué  de  malheur.  On  avait  d'abord  annoncé  le 
Vaisseau  fantôme,  ensuite  on  a  changé  l'afBche  au  dernier  moment  en  an- 
nonçant Carmen,  et  le  théâtre  était  bondé.  Mais  plusieurs  artistes  qui 
devaient  joué  Carmena.u  pied  levé  sont  restés  introuvables  et  on  dut  rendre 
l'argent. 

—  On  vient  de  trouver  un  document  important  concernant  J.-S.  Bach. 
A  Dornheim,  petit  village  de  Thuringe,  on  a  découvert  dans  les  registres 
de  l'église  protestante  l'inscription  suivante  :  «  Le  18  octobre  1707,  le  très 
honorable  sieur  Johann  Sébastien  Bach,  célèbre  organiste  de  Saint-Biaise 
à  Mulhouse,  iils  légitime  survivant  à  son  père,  feu  le  très  honorable  sieur 
Ambroise  Bach,  célèbre  organiste  de  la  ville  et  musicien  à  Eisenach,  et  la 
vertueuse  demoiselle  Barbe  Bach,  dernière  fille  légitime  survivante  à  son 
père,  feule  très  honorable  sieur  Johann  Michel  Bach,  célèbre  organiste  dans 
le  bailliage  de  Jebren,  ont  été  mariés  ici,  dans  notre  temple  de  Dieu, 
avec  la  permission  de  notre  bienveillant  seigneur,  après  la  publication 
des  bans  à  Arnstadt.  »  L'église  du  village  de  Dornheim  était,  d'après  ce 
document,  une  église,  patronale  et  la  permission  du  seigneur  du  village 
était  nécessaire  pour  la  célébration  du  mariage. 

—  On  vient  de  trouver  à  Zurich  une  composition  inconnue  de  Richard 
Wagner,  qui  porte  ce  titre  :  a  Deuxième  ouverture  de  concert  »  ;  elle  date 
du  premier  séjour  de  Wagner  à  Paris.  Il  paraît,  en  effet,  que  cette  œuvre 
a  été  écrite  avant  Riensi.  Le  chef  d'orchestre  M.  Hegar,  à  Zurich,  qui  a  eu 
la  chance  de  découvrir  cette  composition  dans  un  vieux  carton,  l'a  déjà 
fait  exécuter  par  son  orchestre  dans  une  répétition  à  huis  clos. 

—  Au  théâtre  lyrique  deMilan,  le  succès  de  la  Navarraise  et  de  sa  belle 
interprète.  M'"''  de  Nuovina,  est  allé  croissant  toute  la  semaine,  et  on  en 
est, déjà  à  la  sixième  représentation. 

—  Pour  procurer  à  ses  gardes  une  distraction  utile  et  convenable, 
Léon  XIII  a  fait  construire  dans  les  jardins  du  Belvédère,  au  Vatican,  un 
petit  théâtre  dont  la  direction  a  été  confiée  à  M.  Arturo  Durantini.  On  y 
donnera  aussi  des  concerts  et  des  soirées  musicales.  Jusqu'à  présent,  il  n'a 
pas  été  décidé  s'il  sera  permis  aux  femmes  de  se  produire  sur  cette  scène; 
mais  le  pape  permettra  aux  hommes,  invités  spécialement  aux  représenta- 
tions, d'y  amener  leurs  femmes  et  leurs  filles.  Inutile  de  dire  que  le  réper- 
toire du  théâtre  sera  soumis  à  une  censure  rigoureuse  au  point  de  vue 
des  mœurs  et  de  la  politique. 

—  LTne  traduction  inconnue  du  Malade  imaginaire.  Il  existe  plusieurs  tra- 
ductions italiennes  de  la  dernière  comédie  de  Molière,  et  on  en  connaît 
une  version  en  dialecte  napolitain,  qui  a  été  imprimée  en  183b.  Mainte- 
nant on  vient  de  découvrir  qu'il  en  existe  une  en  dialecte  bolonais,  laquelle 
est  conservée  dans  un  recueil  de  la  Royale  Bibliothèque  Victor-Emmanuel, 
de  Rome.  Elle  forme  un  beau  manuscrit  du  dix-huitième  siècle,  composé 
de  trente-deux  feuillets  numérotés.  «  Il  est  étrange,  dit  un  de  nos  confrères 
italiens,  que  ni  Corrado  Ricci  dans  son  livre  :  i  Teatri  di  Bologna  nei  secoli 
XVII  e  XVIII,  ni  C.  G.  Sarti  dans  son  Teotro  dialeltale  bolognese,  n'en  fassent 
mention.  Aujourd'hui  le  professeur  C4iorgio  Rossi  fait  un  bel  examen  de 
cette  traduction,  mettant  en  relief  comme  il  convient  les  différences  qu'elle 


offre  avec  l'original.  Entres  autres  choses,  elle  compte  trois  personnage 
de  moins.  »  C'est  ce  qu'on  peut  appeler  une  traduction  libre.  Mais  rien  de 
ce  qui  touche  Molière  ne  saurait  être  indifférent. 

—  Le  Politeama  de  Trieste  ouvrira  sa  saison  le  31  octobre  prochain,  avec 
un  spectacle  composé  de  Marta  et  Coppélia.  Parmi  les  ouvrages  annoncés 
pour  cette  saison,  nous  trouvons  Fra  Diauolo  et  les  Diamants  de  la  couronne, 
d'Auber,  una  Partita  a  scacchi  de  M.  Gornaglia,  Slratagemma  d'amore,  de 
M.  Marenco,  etc. 

—  Deux  opéras  nouveaux  viennent  d'être  donnés  en  Italie,  avec  un 
succès  médiocre  pour  le  premier,  absolument  nul  pour  le  second.  Cest  au 
théâtre  Bellini  de  Naples,  que  le  premier  s'est  présenté,  le  26  septembre, 
sous  le  lilve  de  Padron  Maurizio  ;  c'est  un  opéra  en  deux  actes,  dont  la 
musique  est  due  au  compositeur  Giovanni  Giannetti.  Le  second,  un  Mafioso, 
est  un  drame  lyrique,  aussi  en  deux  actes,  qui  a  paru  sur  le  théâtre  Social 
de  Varèse,  le  29  septembre.  Celui-ci  est  l'œuvre  de  M.  Giuseppe  Bonas- 
petti  pour  les  paroles,  et  pour  la  musiqne  de  M.  Enrico  Mineo,  jeune 
musicien  sicilien,  élève  de  M.  Platania.  La  critique  juge  surtout  ce  dernier 
d'une  façon  très  sévère  pour  les  deux  auteurs. 

—  On  écrit  de  Catane  à  la  Gaszetla  musicale  de  Milan  :  «  Comme  nous 
l'avions  annoncé,  le  23  septembre  a  eu  lieu  la  commémoration  de  la  mort 
de  Bellini.  Sur  le  monument  érigé  sur  la  piazza  Stesicorea,  sur  la  tombe  du 
Dôme  et  sur  le  demi-buste  du  jardin  qui  porte  le  nom  de  l'immortel  com- 
positeur, furent  déposées,  par  les  soins  du  municipe  et  de  la  musique 
civique,  des  couronnes  de  fleurs  fraîches.  Le  soir,  le  jardin  Bellini  a  été 
splendidement  illuminé,  les  allées  pavoisées  et  le  concert  communal  a 
exécuté  un  programme  de  morceaux  belliniens,  écouté  par  un  public 
exceptionnellement  nombreux.  La  commémoration  était  modeste,  sans 
doute,  mais  cordialement  accueillie,  parce  qu'ici  l'auteur  de  Norma  est 
idolâtré.  » 

—  Parmi  les  artistes  engagés  au  théâtre  Argentina  de  Rome  pour  la 
prochaine  saison  de  carnaval-carême,  on  cite  les  noms  suivants  :  soprani  : 
Mmes  Barducci,  De  Frate  et  Ricci  de  Paz;  mezso-soprano  :  Locatello;  téncrrs  : 
MM.  Mariacher,  Granados,  Sigaldi  et  Borgatti  :  barytons  :  Scotti  et  Gioni. 
Manquent  encore  les. noms  des  artistes  qui  seront  chargés  de  l'interpré- 
tation du  Crépuscule  des  Dieux,  de  Wagner.  On  sait  cependant  que  le  rôle  de 
Siegfried  sera  tenu  par  le  ténor  Grani,  qui  y  a  obtenu  déjà  un  grand  succès 
en  chantant  cet  ouvrage  au  théâtre  royal  de  Turin. 

—  La  direction  du  théâtre  royal  de  Madrid  vient  de  publier  le  tableau 
de  sa  troupe  pour  la  prochaine  saison  d'hiver.  Voici  les  noms  des  artistes 
engagés.  Soprani  :  M°":s  Teresa  Arkel,  ElenaFons,  ReginaPacini,Bendazzi- 
GaruUi,  Adalgisa  Gabbi,  Tetrazzini  ;  mezzo-soprani  :  Giuseppina  Pasqua, 
Mila  Nicolini,  Inès  Salvador;  ténors  :  MM.  GaruUi,  Russitana  et  Stampa- 
noni  ;  barytons  :  Ramon  Blanchart,  Buti,  Sammarco  et  Tabuyo  ;  basses  : 
Navarrini,  Carlo  Walter  et  Giulio  Rossi.  Les  chefs  d'orchestre  sont 
MM.  Giovanni  Goula  et  Pietro  Urrutia. 

—  Il  y  a  à  l'étranger  des  théâtres  qui  ne  flânent  pas,  et  qui  pourraient 
servir  d'exemple  â  quelques-uns  des  nôtres.  Celui  de  la  Zarzuela,  à  Madrid, 
qui  a  rouvert  sa  saison  le  26  septembre,  promet  pour  cette  saison  à  sou 
public  une  véritable  avalanche  d'œuvres  nouvelles  dont  voici  les  titres  : 
Caracalla,  paroles  de  M.  Felipe  Perez,  musique  de  MM.  Angel  Rubio  et 
Marqués;  Manolos  y  patrimetres,  paroles  de  MM.  Felipe  Perez  et  Fernandez 
Sbaw,  musique  de  M.  Jimenez;  la  Piel  del  diablo,  paroles  de  M.  Fiacre 
Iraizoz,  musique  de  M.  Jimenez;  la  Parranda,  paroles  de  M.  Fernandez 
Sha^\',  musique  de  M.  Zavala;  la  Boda  de  Luis  Alonzo,  paroles  de  M.  Javier 
de  Burgos,  musique  de  M.  Jimenez;  laBora  del  lobo,  paroles  de  M.  Merino, 
musique  de  M.  Angel  Rubio  ;  la  Fantasia  de  Carmen,  paroles  de  MM.  Ar- 
nichos  et  Celso  Lucie,  musique  de  M.  Valverde  fils;  la  Expulsion  de  los 
judios,  paroles  des  mêmes,  musique  de  M.  Gaballero  ;  los  Arraslraos,  paroles 
de  MM.  Lopez  Silva  et  Jackson  Veyran,  musique  de  M.  Chueca;  la  Tribu 
salvage,  paroles  de  M.  Enrique  Gaspar,  nusique  de  MM.  Gaballero  et 
Romea  ;  Sastreria  y  colchoneria  de  Pepe  Garcia,  de  M.  Ricardo  de  la  Vega; 
el  Padrino  del  nese  o  todo  por  et  arte,  paroles  et  musique  de  M.  Romea.  A  ces 
ouvrages  il  en  faut  ajouter  encore  dont  on  ne  donne  pas  les  titres,  paroles 
de  MM.  Miguel  Echegaray,  Iraizoz,  Laria,  Gullon,  Alvarez,  Anaya,  Aguso, 
Labra,  musique  de  MM.  Gaballero,  Larregla,  Breton,  Manuel  Nieto,  Her- 
moso,  Chalons  et  autres.  Décidément,  ce  théâtre  est  infatigable. 

—  On  vient  de  représenter  avec  un  succès  énorme  à  Malaga,  sur  le 
théâtre  Lara,  une  nouvelle  zarzuela  comique  intitulée  la  Boca  del  Lobo,  dont 
la  musique  a  pour  auteur  un  artiste  très  populaire,  M.  José  Cabas  Galvan. 

PARIS   ET   DÉPARTEHIENTS 

Cette  semaine  a  eu  lieu,  au  Conservatoire,  l'élection  des  quatre  pro- 
fesseurs appelés  par  leurs  collègues  à  faire  partie  du  conseil  supérieur 
d'enseignement.  Dans  la  matinée,  on  a  procédé  à  l'élection  du  professeur 
à  la  section  de  l'enseignement  dramatique.  Le  scrutin  a  été  assez  labo- 
rieux. Après  plusieurs  tours,  les  cinq  professeurs  ont  fini  par  se  mettre 
d'accord  sur  le  nom  de  M.  Leloir,  qui  a  été  élu.  —  Dans  l'après-midi,  à 
trois  heures,  les  professeurs  de  l'enseignement  musical  se  réunissaient  et 
après  un  seul  tour  de  scrutin  ont  été  élus  membres  adjoints  de  cette 
section  MM,  Saint- Yves-Bax,  Jules  Delsart  et  Alphonse  Duvernoy. —  Les 
deux  séances  ont  été  tenues  dans  la  petite  salle  des  examens  attenant  au 
cabinet  de  M.  Théodore  Dubois,  qui  les  a  présidées  l'une  et  l'autre.  Ce  sont 


328 


LE  MENESTREL 


les  deux  plus  jeunes  professeurs,  MM.  Vidal   et  Xavier  Leroux,  qui   ont 
dépouillé  le  vote. 

—  A  rOpéra-Gomique,  la  distril]ution  donnée  de  Don  Juan  n'est  exacte 
ne  varietur  que  pour  MM.  Maurel  (Don  Juan),  Fugère  (Leporello)  et  Grasse 
(le  Commandeur).  Les  titulaires  cités  des  autres  rôles  répètent  à  peu  près 
tous  «pour  essai  »,  et  c'est  en  voyant  ses  artistes  au  milieu  du  travail  des 
études,  en  jugeant  leurs  efforts  et  leurs  aptitudes  particulières,  que 
M.  Carvalho  désignera  définitivement  les  interprètes  du  chef-d'œuvre  de 
Mozart,  place  du  Chàtelet.  Voilà  une  communication  grosse  de  désillusions 
et  de  mécomptes  futurs. 

—  Au  moment  où  le  cortège  impérial  a  débouché  jeudi,  sur  la  place 
du  Chàtelet,  une  fanfare,  installée  par  M.  Carvalho  à  la  fenêtre  centrale 
du  foyer  du  théâtre  national  de  l'Opéra-Comique,  a  attaqué  la  Marche  du 
drapeau  du  régiment  des  hussards  de  la  garde  impériale  dont  Sa  Majesté 
est  le  colonel.  Le  tsar,  surpris  d'entendre  cette  marche  de  son  régiment, 
s'est  tourné  vers  le  théâtre  et  a  salué.  La  foule,  qui  comprenait  que  quelque 
chose  de  particulier  se  produisait,  a  redoublé  ses  acclamations. 

—  Les  suites  d'un  gala.  11  est  à  peu  près  certain  que  M.  Alvarez,  qui  a 
été  ce  fameux  soir  le  partenaire  très  remarqué  de  M™  Rose  Caron  dans 
les  fragments  de  Sigurd,  chantera  désormais  en  représentation  régulière  le 
bel  ouvrage  de  M.  Reyer. 

—  Le  petit  raout  littéraire  et  musical,  —  qu'on  pourrait  appeler  l'impromptu 
de  Versailles  tant  il  avait  été  rapidement  préparé,  —  donné  dans  les  salons  du 
grand  roi  en  l'honneur  de  l'empereur  et  de  l'impératrice  de  Russie,  a  tenu  toutes 
ses  promesses.  Avec  Sarah  Bernhard,  Delaunay,  Coquelin  aîné  et  Réjane, 
Leurs  Majestés  ont  pu  compléter  leurs  notions  sur  l'ensemble  des  célébri- 
tés dramatiques  de  Paris.  Et  avec  les  «  danses  anciennes  »  organisées  par 
MM.  Bertrand  et  Gailhard,  ils  ont  eu  comme  une  reconstitution  des  diver- 
tissements qu'on  donnait  autrefois  dans  le  merveilleux  palais.  En  inter- 
mède musical,  M"»  Delna,  MM.  Delmas  et  Fugère  se  sont  fait  entendre 
aussi.  Leurs  Majestés  ont  paru  enchantées  de  cette  petite  fête  impro- 
visée, qui  a  trouvé  son  épilogue  avec  les  clairons  de  la  revue  de  Ghàlons, 
—  autre  genre  de  musique  qui  n'a  pas  laissé  le  tsar  insensible. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  vient  de  rentrer  à  Paris,  après  une  tournée 
triomphale  en  Suisse.  Dans  toutes  les  villes  où  il  a  passé,  ses  concerts 
d'orgue  et  chant  ont  eu  un  énorme  succès. 

—  M""  Emma  Calvé  est  de  retour  à  Paris,  revenant  de  ses  montagnes  de 
l'Aveyron  où  elle  a  passé  l'été.  C'est  le  mois  prochain  qu'elle  s'embarquera 
pour  sa  nouvelle  tournée  d'Amérique. 

—  Un  violoniste  polonais  fort  distingué,  M.  Stanislas  Barcewicz,  s'est 
fait  entendre  avec  un  succès  très  sincère  et  très  légitime  dans  deux  concerts 
russes  donnés  à  l'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique,  au  palais  des 
Champs-Elysées.  Le  talent  de  cet  artiste  est  remarquable  :  un  beau  son, 
une  rare  justesse,  des  doigts  superbes,  une  virtuosité  qui  ne  redoute 
aucune  difficulté  et  qui  les  résout  comme  en  se  jouant,  telles  sont  ses 
qualités,  qui  lui  ont  valu  de  la  part  du  public  un  accueil  bruyant  et  cha- 
leureux et  d'unanimes  applaudissements.  On  peut  regretter  seulement  que 
le  choix  de  la  musique  qu'il  exécute  ne  soit  pas  à  la  hauteur  du  talent  de 
l'artiste.  Le  concerto  de  Wieniawski  est  une  œuvre  bien  peu   musicale. 


sans  plan,  sans  style  et  sans  idées,  où  l'accumulation  des  note.s  est  sim- 
plement pour  déployer  une  virtuosité  vertigineuse.  Quant  à  la  mazurka  de 
Kontzki,  avec  ses  excentricités,  ses  sons  harmoniques  et  ses  ijizzicati  de  la 
main  gauche,  c'est  proprement  de  la  musique  d'acrobate.  Le  talent  pur  et 
sérieux  de  M.  Barcewicz  vaut  beaucoup  mieux  que  cela.  A.  P. 

NÉCROLOGf{ 
De  Londres  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  belge,  Aloys  Kettenus, 
violoniste  et  compositeur,  depuis  fort  longtemps  lîxé  en  Angleterre,  où  il 
occupait  une  situation  importante,  après  avoir  passé  plusieurs  années  de 
sa  jeunesse  en  Allemagne,  où  il  s'était  fait  entendre  avec  succès.  Né  ù 
Verviers  le  "H  février  iS'2'i,  Kettenus,  qui  parait  avoir  eu  un  certain  talent 
de  virtuose,  s'est  fait  connaître  aussi  comme  compositeur.  On  a  de  lui  un 
concerto  de  violon,  un  concertino  de  hautbois,  une  fantaisie  pour  clari- 
nette, un  concertino  pour  quatre  violons  et  orchestre,  un  duo  pour  piano 
et  violon,  des  mélodies  vocales,  etc.  Son  œuvre  la  plus  importante  est  un 
opéra  intitulé  Stella  Manti,  qui  fut  représenté  au  théâtre  de  la  Monnaie  de 
Bruxelles  en  février  1862  et  dont  le  succès  d'ailleurs  a  été  médiocre. 

—  A  Gmûnden  (Autriche)  est  mort  un  artiste  distingué  nommé  J.  E.  Ila- 
bert,  qui  était  directeur  et  organiste  de  la  cathédrale.  Remarquable  et 
fécond,  dit-on,  comme  compositeur  de  musique  sacrée,  il  avait  été  l'édi- 
teur et  le  rédacteur  en  chef  d'une  revue  de  musique  religieuse  qui  avait 
contribué  eiGcacement  au  progrès  du  chant  religieux  en  Allemagne. 

—  Un  artiste  espagnol,  Juan  Bautista  Plasencia  Aznar,  organiste  du 
collège  du  Corpus  Christi,  à  Valence,  vient  de  mourir  dans  des  circonstances 
assez  singulières.  On  s'était  aperçu  d'une  perturbation  fâcheuse  de  ses 
facultés  mentales,  et,  le  14  du  mois  dernier,  on  le  conduisait  dans  le 
train  express  de  Valence  à  Barcelone,  jusqu'à  une  maison  de  fous  située  à 
San  Bay,  lorsque  auprès  de  Tortosa,  entre  les  stations  de  Santa  Barbara 
et  d'Ulldecona,  il  mourut  subitement.  On  dut  transporter  son  corps  jusqu'à 
Tortosa,  où  il  fut  inhumé. 

—  Un  chanteur  italien,  Gennaro  De  Filippo,  qui  revenait  de  Constanti- 
nople  à  Calane  sur  le  vapeur  Scrivia,  s'est  suicidé  pendant  la  traversée. 

—  Une  chanteuse  de  café-concert,  miss  Bessie  Belwood,  qui  dit-on,  était 
populaire  à  Londres  comme  l'est  à  Paris  M"'=  Yvette  Guilbert,  vient  de- 
succomber  en  cette  ville  à  une  maladie  de  cœur. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Étude  de  M"  Tixier,  notaire  à  Évreux. 
ADJUDICATION 

En  l'étude  de  M'  Tixier,  le  jeudi  22  octobre  1890,  à  2  heures,  d'un 
Fonds  de  commerce  de  marchand  de  musique  et  d'instruments 
de  musique,  exploité  à  Evreux,  rue  Chartraine,  n"  il,  par  M™"  Guérin, 
(ancienne  maison  Monvoisin),  comprenant  la  clientèle,  l'achalandage  et 
le  droit  au  bail.  —  Mise  à  prix  :  100  frEmcs. 

L'acquéreur  devra  en  outre  prendre  le  matériel  à  dire  d'experts  et  les 
marchandises  (d'une  valeur  de  4.000  francs  environ),  à  prix  de  facture. 

S'adresser  :  1°  à  M'  Uhl,  à  Evreux,  rue  Joséphine,  -40,  et  2"  à  M'  Tixier. 

—  La  maison  Girod  nous  prie  d'annoncer  qu'elle  a  transféré  ses  maga- 
sins dans  la  cour  de  la  même  maison,  16,  boulevard  Montmartre. 


En    vente    A.U    oMEN ESTREL,    3    lïls,    me    Vivienne,    IIEUGEL    et    Ci",    Ecliteixi-s. 

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JSIilan   :    Edouard    Sonzogno 

ÉCOLE    MODERNE    ITALIENNE 

aMÏÏBS   SUCCÈS  BU   THÉÂTRE  DE  LA   SCALA 


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F»oème   Italien    de   iVIENASCI 

]'nsioil  française  de  Paul  MILLIET 

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PAMITUN  FRANÇAISE Net  12  » 

PARTITION  POUR  PIANO  SEUL Net  6  » 

PARTITION  POUR  PIANO  4  MAINS Net  15  » 

livret  français Net  1  » 

Morceaux  de  chant  détachés 

TKANSCRIPTIONS   POUR   PIANO   ET  AUTRES  INSTRUMENTS 

CÉLÈBRE  INTERMEZZO 


U.   GIORDANO 

ANDEÉ  CHÉNIEE 

DRAME  HISTORIQUE 

IPoème   italien   d'ILLICA 


Vasioiijraiiçaisc  .ic  Paul  MILLIET 

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PARTITION  FRANÇAISE  (à  paraître) Net 

PARTITION  POUR  PIANO  SEUL Net 

PARTITION  POUR  PIANO  4  MAINS Net 

Livret  français Net 


Morceaux   de   chant  détachés 

TRANSCRIPTIONS   POUR   PIANO    ET  AUTRES  INSTRUMENTS 

MUSCADINS  ET  MUSCADINES 


Avis  aux  directeurs  de  théâtre. —  S'adresser  AU  MÉNESTREL,  2  Ms,  rue  VWlenne,  pour  la  location  des  parties  d'orchestre  et  de  chœurs 

de  la  mise  en  scène,  et  des  dessins  des  costumes  et  décors. 


3^21.  -  62"°  ANNÉE  —  N°  42.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  18  Octobre  1896. 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉATI^ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne.  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Tente  et  Musique  de  Piano,  "20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Provmce.  —  Pour  l'iitrn;;er,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


L  Étude  sur  Orphée  (8*  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  Les 
deux  Chasseursetla  laitière  de  Dnni,  t'Irato  deMéhul,  laPerruc^e,  de  Clapisson  au 
ThéiUre-Lyrique  de  la  Galerie-Vivienne,  Arthur  Poucin  ;  premières  représenta- 
tions du  Capitaine  Fracasse  à  l'Odéon  et  de  la  Reine  des  Reines  h  l'Eldorado,  Paul- 
Éjiile  Chevalier.  —  III.  Journal  d'un  musicien  (7°  article),  A.  Montaux.  — 
IV.  L'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  au  palais  de  l'Industrie  (2"  ar- 
ticle), Arthur  Pougin.  —  V.  Antoine  Bruckner,  0.  Berggruem.  —  VI.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SI    J'AI    PARLÉ 
mélodie  nouvelle  de  Léon  Delafosse,  poème  de  Henri  de  Régnier.  —  Sui- 
vra immédiatement  :  Il  m'aime,  m'aime  pas,  mélodieitaliennedeP.  Mascagni, 
traduction  française  de  Pierre  Barbier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piano  :  Antoine  Watteau,  n"  4  des  Portraits  de  peintres,  pièces  pour  piano  de 
Reynaldo  Hahn.  —  Suivra  immédiatement  :  Les  Révérences  nuptiales,  n°  i  de 
la  collection  des  Vieux  maîtres,  transcription  pour  piano  de  Louis  Diémer 
d'après  Boissiortier  (1732),  répertoire  de  la  Société  des  instruments  anciens. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

[Suite) 


Nous  l'avons  dit,  les  manuscrits  de  Gluck  sont  très  incom- 
plets, et  ne  doivent  être  regardés  que  comme  de  simples 
esquisses.  Nul  doute  que  le  maître  fit  e.xécuter  ensuite 
le  délail  de  sa  partition  par  quelque  copiste  expert  en  les 
pratiques  intérieures  des  orchestres,  suivant  l'usage  cons- 
tant du  XVIIP  siècle.  L'arlicle  :  Copiste,  du  Dictionnaire  de 
musique  de  Jean-Jacques  Rousseau,  nous  donne  à  ce  sujet 
des  notions  bien  caractéristiques,  et  qui  étonneraient  fort 
les  compositeurs  accoutumés  au  travail  raffiné  de  l'orches- 
tration moderne.  C'est  pourquoi  l'on  doit  considérer  les 
partitions  conductrices  et  les  parties  d'orchestre  comme 
exprimant  de  la  manière  la  plus  complète  la  pensée  de  Gluck, 
puisqu'elles  représentent  cette  mise  au  point  dernière,  exé- 
cutée sous  sa  propre  direction.  Or,  il  y  a  là  des  divergences 
considérables,  tant  avec  la  version  italienne  qu'avec  les 
intentions  esquissées  dans  le  manuscrit.  Tout  d'abord,  le 
cornetto  est  remplacé  par  les  clarinettes,  ce  qui  n'a  rien  que 
de  normal;  mais,  tandis  que  ces  instruments  suivent  exacte- 
ment la  partie  de  premier  violon  pendant  les  onze  premières 


mesures  du  prélude,  les  trombones,  au  lieu  de  les  soutenir 
de  leurs  accords,  se  taisent  pendant  toute  la  durée  de  cette 
exposition  instrumentale,  et  n'entrent  qu'avec  le  chœur, 
doublant  les  voix  d'hommes.  Cotte  disposition  est  d'autant 
plus  surprenante  que,  dans  son  manuscrit,  Gluck  avait  pris 
la  peine  (nous  l'avons  signalé)  de  noter  une  partie  absolument 
conforme  à  celle  du  3'=  trombone  d'Orfeo,  et  que,  d'autre 
part,  la  sonorité  de  ce  prélude  funèbre,  réduite  aux  seuls 
instruments  à  cordes  auxquels  s'unissent  simplement  les 
clarinettes  et  bassons,  doublant  les  premiers  violons  et  les 
basses,  est  vraiment  bien  pauvre.  Une  autre  indication  du 
manuscrit  semble  corroborer  l'intention  où  était  Gluck  de 
faire  entendre  les  trombones  dans  ce  prélude  :  ce  sont  les 
mots  déjà  mentionnés  comme  écrits  devant  la  ritournelle 
finale  :  Sensa  les  instr.  S'il  était  spécifié  que  «  les  instruments  » 
dussent  se  taire  ici,  c'est  apparemment  qu'ils  avaient  précé- 
demment joué  dans  la  partie  correspondante. 

Cependant  le  témoignage  de  la  partition  conductrice  et  des 
parties  d'orchestre  est  formel  :  les  trombones  restaient  silen- 
cieux pendant  le  prélude  aux  représentations  données  à  l'Opéra 
sous  la  direction  de  Gluck.  Il  nous  semble  qu'il  n'est  pas  im- 
possible de  deviner  les  raisons  pour  lesquelles  le  compositeur 
s'est  résigné  à  cette  suppression,  si  contraire  à  sa  conception 
première  et  au  bon  effet  du  morceau:  elles  sont  tout  simple- 
ment dans  la  faiblesse  des  exécutants  d'alors.  En  effet,  avant 
Gluck,  les  trombones  n'avaient  fait  à  l'Opéra  que  des  appa- 
ritions si  timides  qu'on  peut  avancer  que  l'auteur  d'Orphée 
en  est  le  véritable  introducteur  dans  l'orchestre  français.  Il 
est  donc  aisé  de  concevoir  que  les  trombonistes,  ayant  si  peu 
d'occasions  d'exercer  leur  talent,  n'étaient  pas  de  première 
force,  et  que,  devant  la  difficulté  d'un  passage  à  découvert 
où  il  fallait  retenir  le  son  et  jouer  pMm'ssimo,  ils  aient  reculé 
et  obtenu  la  suppression  d'une  partie  qu'ils  étaient  incapa- 
bles d'exécuter.  C'est  pourquoi,  aujourd'hui  que  les  musi- 
ciens de  nos  orchestres  ne  connaissent  plus  d'obstacles,  nous 
pensons  qu'il  serait  bon  de  rétablir  à  l'exécution  les  parties 
de  trombones  telles  qu'elles  figurent  dans  la  plus  ancienne 
version  de  l'œuvre  :  à  l'égard  de  l'exactitude  du  texte,  ce 
serait  peut-être  s'écarter  de  la  lettre,  mais  assurément  ce 
serait  rendre  hommage  à  la  conception  de  l'auteur  en  ce 
qu'elle  a  de  plus  personnel  et  de  plus  spontané. 

Nous  avons,  dans  cet  examen,  négligé  complètement  les 
indications  de  la  partition  française  gravée:  c'est  que,  dès 
le  premier  morceau,  cette  partition  nous  révèle  son  insuffi- 
sance. Oq  n'y  trouve,  en  effet,  aucune  trace  de  la  partie  de 
clarinette,  et,  quant  aux  trombones,  ils  ne  sont  indiqués  ni 
dans  le  prélude  ni  pendant  le  chœur,  sauf  lorsque  survient 
l'épisode  dialogué  des  dernières  mesures  ;  d'oii  il  résulterait 
que  les  trombones,  après  être  restés  en  silence  pendant  tout 


330 


LE  MENESTREI 


le  développement,  partiraient  soudain,  sans  que  l'on  sache 
pourquoi,  pour  jouer  huit  ou  dix  notes  éparses.  —  C'est  pour 
s'en  être  tenu  à  ce  seul  document  et  n'avoir  pas  consulté  les 
manuscrits  de  l'Opéra  (qui,  à  la  vérité,  n'étaient  probablement 
pas  communiqués  à  l'époque)  que  Berlioz  a  écrit  que  «  le  cornetto, 
n'étant  pas  connu  à  l'Opéra  de  Paris,  fut  supprimé  sans  être 
remplacé  par  un  autre  instrument,  et  les  soprani  du  chœur, 
dont  il  suit  le  dessin  à  l'unisson  dans  la  pariition  italienne, 
furent  ainsi  privés  de  leur  doublure  instrumentale  (1).  j> 
Nous  avons  vu  au  contraire  que,  loin  d'avoir  été  supprimé 
purement  et  simplement,  le  cornetto  fut  remplacé,  dans  des 
exécutions  de  l'Opéra,  par  des  clarinettes. 

Nous  n'aurons  pas  à  insister  aussi  longuement  sur  les 
autres  morceaux  ;  mais  l'examen  de  celui-si,  outre  son  inté- 
rêt particulier,  avait  en  outre  le  mérite  de  nous  révéler  des 
pratiques  générales  d'autant  plus  curieuses  à  observer  qu'elles 
s'éloignent  davantage  de  celles  de  notre  temps. 

Poursuivons  la  comparaison  des  deux  partitions. 

Récitatif:  Vos  plaintes,  vos  regrets.  —  Différent  dans  les  deux 
■versions.  Au  reste,  on  peut  poser  en  principe  que  tous  les 
récitatifs  ont  été  refaits  pour  la  partition  française  d'Orphée. 

Pantomime,  reprise  et  sortie  du  choeur.  —  Semblables,  sauf 
cette  réserve  que  le  récitatif  :  Eloignes-vous,  ce  lieu  coiwient  à  mes 
malheurs,  n'existe  pas  dans  la  version  "italienne. 

Scène  n,  Orphée  seul.  —  Air:  Objet  de  mon  amour,  et  Récita- 
tifs. La  forme  générale  est  la  même  dans  les  deux  partitions 
(ton  de  fa  dans  Orfeo,  i\it  dans  Orphée),  et  les  récitatifs, 
sans  être  parfaitement  semblables,  sont  composés  sur  les 
mêmes  éléments.  Mais  l'instrumentation  présente  dans  les 
deux  textes  des  différences  sensibles.  C'est  ainsi  que,  là 
où  la  partition  française  indique  simplement  un  hautbois, 
on  lit  dans  la  partition  italienne  ce  mot,  quelque  peu  inac- 
coutumé :  Chalumaiix  (il  y  a  même  écrit  :  Schalamaux  dans  la 
copie  de  Vienne).  Berlioz  avait  déjà  remarqué  une  indication 
semblable  dans  VAlceste  italienne.  «  Je  n'ai  pu  savoir  exacte- 
ment, écrit-il,  quel  instrument  Glucli  a  voulu  désigner  par  le 
mot  bizarre  de  chalumaux.  Est-ce  la  clarinette  employée  dans  le 
chalumeau?  le  doute  est  permis  (2)  ».  Sans  aller  jusqu'à  cette 
interprétation  forcée,  on  peut,  ce  semble,  considérer  comme 
fondée  l'assimilation  de  l'instrument  employé  par  Gluck  avec 
le  rustique  chalumeau,  dont  l'utihsation  dans  la  scène  an- 
tique et  pastorale  d'Orphée  n'a,  au  point  de  vue  de  la  couleur, 
rien  de  déplacé.  —  Mentionnons  enfin  l'emploi  de  deux 
cors  anglais,  dans  la  partition  italienne,  à  la  troisième  strophe  : 
Piango  il  mio  ben  cosi,  à  l'endroit  où  la  partition  française  indique 
deux  clarinettes. 

Ces  remarques  ont  un  intérêt  particulier  pour  l'histoire  de 
l'instrumentation:  elles  nous  montrent  que  si  Gluck,  dans  ses 
opéras  français,  a  inauguré  les  procédés  modernes,  au  con- 
traire, jusqu'à  la  fin  de  sa  carrière  italienne,  il  avait  conservé 
les  traditions  des  anciennes  écoles,  auxquelles  l'emploi  de 
ces  instruments  archaïques  ou  exceptionnels  le  rattache  ma- 
nifestement. 

Récitatif  :  Divinités  de  l'Achéron.  —  Développé  différemment 
daas  la  partition  française. 

Scène  m,  Orphée,  l'Amour.  —  Beaucoup  plus  développée 
dans  la  version  française,  où  se  trouve  un  morceau  nouveau, 
l'air  de  l'Amour:  «  Si  les  doux  accords  de  ta  lyre  ».  Récita- 
tifs complètement  remaniés.  Seul,  l'air:  «  Soumis  au  silence» 
(Gli  sguardi  trattieni)  se  retrouve  exactement  dans  les  deux 
versions. 

Scène  iv,  Orphée  seul.  —  Sauf  quelques  détails  du  récita- 
tif :  «  Impitoyables  dieux  »,  le  manuscrit  autographe  repro- 
duit la  version  italienne,  qui  se  compose  de  dix-neuf  mesures 
de  récitatif  obligé  suivi  de  douze  mesures  d'un  dessin  d'or- 
chestre rapide  et  véhément,  pendant  lesquelles  Orphée  saisit 

(1)  H.  Berlioz.  —  A  travers  chants,  p.  lU. 
H.  Beblioz,  a  travers  citants,  p.  210. 


sa  lyre,  ses  armes,  et  s'élance  vers  le  chemin  des  Enfers. 
Les  autres  documents  français  originaux  donnent  tous  l'air: 
«  L'espoir  renaît  dans  mon  àme  ». 

Acte  ii,  Scène  i  (Tableau  des  Eufers).  La  composition  géné- 
rale est  la  même  dans  les  deux  versions;  mais  les  différences 
de  détail  sont  nombreuses  et  notables. 

Au  point  de  vue  de  la  forme  et  de  la  disposition  des  mor- 
ceaux, nous  n'avons  guère  à  signaler  d'autre  divergence 
qu'une  reprise,  dans  la  partition  italienne  gravée,  du  prélude 
orchestral  de  l'acte  avant  l'air  d'Orphée:  ûeh!  plaçait  vi  con 
me,  «  Laissez-vous  toucher  par  mes  pleurs  »,  particularité 
dont  le  manuscrit  de  Vienne  ne  porte  pas  de  trace,  —  ainsi 
qu'un  plus  grand  développement  donné,  dans  la  partition 
française,  au  chant  de  ce  même  air,  qui  a  reçu  l'addition  de 
six  mesures  (le  manuscrit  de  Vienne,  par  une  correction  de 
la  main  de  Salieri,  ajoute  ces  six  mesures  au  texte  original). 
Enfin  la  partition  italienne,  d'accord  avec  l'autographe  fran- 
çais de  Gluck,  termine  le  tableau  immédiatement  après  le 
dernier  chœur:  Ah!  quale  incognito,  «  Par  quels  puissants 
accords  »,  tandis  que  les  autres  documents  français  (partition 
conductrice,  parties  séparées,  partition  gravée,  indication  du 
livret)  donnent  uniformément  pour  conclusion  à  la  scène  un 
air  de  ballet,  sur  l'origine  musicale  duquel  nous  reviendrons. 
En  l'absence  de  toute  conclusion  instrumentale,  la  partition 
italienne  gravée  donoe  les  instructions  suivantes  : 

Cominciano  a  ritirarsi  le  furie  ed  i  mostri,  e  dileguandosi  per  entro  le 
scène,  ripetono  Puliima  strofa  del  Ccrro,  che  continuando  seinprefrattanto, 
che  si  allontano,  finisce  finalmente  in  un  confuso  mormorio.  Sparile  le 
Furie,  sgombrati  i  Mostri,  Orfeo  s'avança  nelTinferno. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre-Lyrique  de  la  Galerie  Vivienne  :  Les  deux  Cliasseurs  et  la  Laitière, 
de  Duni:  l'Irato,  de  Méhul:  ta  Perruclie,  de  Clapissoii. 

Le  gentil  petit  Théâtre-Lyrique  de  la  galerie  Vivienne  a  fait  jeudi 
dernier  sa  réouvertnre  avec  trois  pièces  nouvelles.  Je  dis  «  nouvelles  » 
pour  la  génération  présente,  qui  n'en  connaît  assurément  aucune,  et 
pour  cause.  Les  Deux  Chasseurs  et  la  Laitière,  dont  le  livret,  dû  à 
Anseaume,  a  servi  depuis  lors  à  une  demi-douzaine  de  compositeurs, 
furent  joués  à  la  Comédie-Italienne  le  28  juillet  1763;  l'Irato,  que 
Méhul  écrivit  sur  un  poème  de  MarsoUier,,  parut  à  l'Opéra-Comique 
le  17  février  1801;  enfin,  la  Perruche,  dont  les  paroles  avaient  été 
fournies  à  Glapisson  par  Dupin  et  Dumanoir,  tut  représentée  au  même 
théâtre  le  28  avril  1840.  De  ces  trois  ouvrages,  l'un,  les  Deux  Chasseurs, 
fut  repris  à  l'Opéra-Comique  le  3  août  1868,  quelque  peu  défiguré 
quant  au  poème,  avec  une  instrumentation  retouchée  et  corsée  par 
M.  Gevaert.  A  peu  près  à  la  même  époque  le  Théâtre-Lyrique,  alors 
dirigé  par  M.  Carvalho,  remontait  l'Irato,  dont  l'insuccès  était  absolu 
et  complet  pour  cette  simple  raison  qu'on  avait  eu  la  singulière  idée 
de  jouer  sérieusement  cette  pièce,  qui  porte  la  qualification  de  «  pa- 
rade »  et  qui  doit  être  en  effet  jouée  comme  le  Tableau  parlant,  l'Eau 
merveilleuse,  ou  le  Caïd,  et  que  le  public  n'y  comprit  rien.  Enfin, 
depuis  sa  première  apparition,  la  Perruche  ne  fut  jamais  reprise. 
J'avais  donc  raison  de  dire  que  ces  trois  petits  ouvrages  sont  abso- 
lument nouveaux  pour  le  public  actuel. 

En  ce  qui  concerne  l'auteur  même  des  Deux  Chasseurs,  le  composi- 
teur Duni,  son  nom  aussi  est  certainement  bien  ignoré  de  la  plupart 
de  ceux  qui  vont  être  à  même  d'entendre  sa  mignonne  partition. 
Chose  assez  singulière  pourtant,  ce  petit  opéra  des  Deux  Chasseurs  est 
resté  classique  en  quelque  sorte  par  son  titre,  que  tout  le  monde 
connaît  sans  savoir  une  note  de  la  musique,  et  il  est  le  seul  dans  ce 
cas  des  vingt  ouvrages  que  Duni  donna  jadis  à  la  Comédie-Italienne. 
Duni,  qui  fut  l'élève  de  Durante  et  le  condisciple  de  Pergolèse  au 
Conservatoire  de  Naples,  était  le  dixième  enfant  et  le  seul  musicien 
d'un  père  musicien  lui-même  et  qui  occupait  une  situation  assez 
honorable.  Il  était  né  à  Matera,  dans  le  royaume  de  Naples,  le  9  fé- 
vrier 1709,  et  il  avait  déjà  près  de  cinquante  ans  lorsque,  arrivant 
d'Italie,  où  sa  renommée  était  grande,  il  vint  se  fixer  à  Paris,  ou  il  se 
maria.  11  avait  fait  représenter  à  Rome,  à  Naples,  à  Venise,  un  certain 
nombre  d'opéras  et  d'oratorios  qui  avaient  eu  de  grands  succès,  il 


LE  MÉNESTREL 


331 


s'était  fait  applaudir  à  Vienne,  à  la  cour  d'Autriche,  pour  son  talent 
délicat  de  claveciniste,  il  s'était  vu  aussi  accueilli  à  Londres  avec 
la  plus  grande  faveur,  enfin  il  avait  écrit  pour  la  cour  de  Parme,  qui 
était  à  celte  époque  toute  française,  deux  opéras-comiques  français, 
Ninette  à  la  cour  et  le  Peintre  amoureux  de  son  modèle,  qu'il  envoya  ensuite 
à  Paris  et  qui  furent  très  bien  reçus  par  le  public  de  la  Comédie- 
Italienne.  Ce  fut  ce  qui  le  décida  à  venir  en  personne  et  à  s'établir 
ici,  où  il  devint  avec  Pliilidor,  avec  Monsigny,  avec  le  chanteur 
Laruette,  l'un  des  fournisseurs  attitrés  de  ce  théâtre  et  l'nn  des  créa- 
teurs du  genre  de  l'opéra-comique. 

Il  donna  successivement  à  la  scène  la  Fille  mal  gardée,  le  Docteur 
Sangrado,  la  Veuve  indécise,  Nina  et  Lindor,  l'Ile  des  fous,  la  Bonne  Fille, 
Mazet,  la  Plaideuse  ou  le  Procès,  h  Retour  au  village,  le  Milicien,  et,  en 
1763,  tes  Deux  Clmsseurs,  dont  le  succès  surtout  fut  complet  et  prolongé, 
et  qui  resta  au  répertoire  pendant  près  d'un  demi-siècle.  C'est  à  pro- 
pos de  ce  petit  ouvrage  burlesque  que  les  chroniqueurs  du  temps  ont 
rapporté  une  anecdote  assez  plaisante  :  «  Certain  jour  d'été,  disaient- 
ils,  que  l'on  jouait  sur  un  théâtre  d'Italie,  par  sympathie  pour  le  nom 
de  Duni,  qui  était  Italien,  l'opéra  français  des  Deux  Chasseurs,  un 
orage  épouvantable  éclata  tout  d'un  coup  sur  la  ville.  Précisément  à 
l'inslant  où  l'ours  faisait  son  entrée  sur  la  scène,  un  coup  de  tonnerre 
effroyable  se  faisait  entendre,  et  un  cri  parlait  à  la  fois  de  tous  les 
points  de  la  salle,  jeté  par  les  spectatrices  qui  la  garnissaient.  Mais 
presque  aussitôt  un  éclat  de  rire  général  succéda  à  celte  manifestation 
d'effroi,  lorsqu'on  vit  l'ours,  fort  impressionné  lui-même,  se  lever  sur 
ses  deux  pieds  et  faire  dévotement  le  signe  de  la  croix  avec  les  signes 
de  la  plusprofonde  terreur.»  Je  rapporte  cette  anecdote  assez  originale, 
parce  qu'un  journaliste  belge  a  eu  l'idée  de  la  rajeunir  récemment  et  de 
la  publier  à  nouveau,  en  l'appliquant  à  une  représentation  de  l'Ours  et 
le  Pacha.  Et  ledit  journaliste  se  fâchait  en  remarquant  que  plusieurs 
confrères  lui  empruntaient  son  récit  sans  le  citer,  et  il  en  revendi- 
quait avec  ardeur  la  paternité.  Il  n'était  en  vérité  qu'un  père...  putatif. 

Les  Deux  Chasseurs  ont  été  convenablement  joués,  rue  Vivienne,  par 
M™  Souzy,  MM.  Delbos  et  Duranthy.  Mais  le  succès  de  la  soirée  a  été 
incontestablement  pour  l'Irato,  qui  a  montré  avec  quel  soin  le  travail 
est  mené  dans  ce  gentil  théâtre.  Les  rôles  étaient  ainsi  distribués  :  Pan- 
dolphe,  M.  Berthon  ;  le  docteur,  M.  Castelain  ;  Lysandre,  M.  Viannet; 
Scapin,  M.  Dumas;  Isabelle,  M"'  Jane  Valentin;  Nérine,  M"°  Bar- 
bary.  De  ces  six  artistes,  deux,  MM.  Viannet  et  Dumas,  ne  s'étaient 
jamais  montrés  sur  la  scène  et  paraissaient  pour  la  première  fois  de- 
vant le  public.  Eh  bien  !  je  déclare  que  l'Irato  a  été  joué  avec  un  en- 
semble parfait  et  chanté  de  la  façon  la  plus  agréable,  que  la  repré- 
sentation en  a  été  excellente,  et  que  la  charmante  musique  de  Méhul 
a  eu,  par  ce  fait,  tout  le  succès  qu'elle  méritait.  II  y  a  là  un  petit 
tour  de  force  dont  il  faut  féliciter  le  petit  théâtre  Vivienne,  qui  conti- 
nue d'être  digne  de  tous  les  éloges. 

Des  trois  ouvrages  inscrits  sur  l'affiche,  c'est  le  plus  récent,  la  Per- 
ruche, qui  a  paru  peut-être  le  plus  vieilli,  en  dépit  de  deux  ou  trois 
morceaux  agréables.  Mais  il  nous  a  donné  l'occasion  d'applaudir 
comme  il  le  mérite,  et  très  sincèrement,  M.  Duranthy,  qui  a  joué  et 
chanté  d'une  façon  charmante  le  rôle  de  Bagnolet. 

En  résumé,  la  soirée  a  été  excellente. 

Abthtjr  Pougin. 


Odéon.  —  Le  Capitaine  Fracasse  (i),  comédie  héroïque  en  5  actes  et  7  ta- 
bleaux, en  vers,  d'après  le  roman  de  Théophile  Gautier,  par  M.  E.  Ber- 
gerat.  —  Eldorado.  La  Reine  des  Reines,  opérette-bouffe  en  3  actes,  de 
M.  P.-L.  Fiers,  musique  de  M.  Ed.  Audran. 

«  Il  est  souvent  périlleux  et  toujours  malaisé  de  traduire  à  la  scène 
un  roman  célèbre,  et,  comme  disait  Théophile  Gautier  lui-même,  de 
«  transposer  »  un  thème  d'un  art  dans  un  autre,  quoique  le  public, 
dérouté  et  incertain  de  ce  qu'il  aime,  paraisse  vouloir  de  plus  en  plus 
favoriser  ces  tentatives.  Néamoins,  lorsque  le  roman  doit  la  majeure 
partie  de  son  renom  à  l'éclat  du  style  et  la  moindre  à  l'intrigue,  le 
plus  habile  y  regarde  à  deux  fois,  fùt-il  assuré  de  plaire,  car  le  théâ- 
tre vit  d'action,  et  le  rôti  lui  est  plus  nécessaire  que  des  hors-d'œu- 
vre,  d'ailleurs  si  délicieux  soient-ils  !  » 

Vous  êtes  orfèvre,  monsieur  Bergerat,  et  voilà  qui  est  excellem- 
ment dit;  et  puisque  vous  avez  bien  voulu  prendre  soin  de  l'écrire 
dans  la  préface  qui  précède  votre  comédie  héroïque,  cela  nous  épar- 
gnera la  peine  d'insister.  Le  péril  parait,  quant  à  présent  du  moins, 
imparfaitement  surmonté  ;  le  malaise  subsiste  tout  entier.  Et  ce  ma- 
laise vient  précisément  de  ce  que  votre  «  travail  vous  a  paru  inexécu- 
table en  prose  ».  Durant  vos  cinq  actes,  "vous  vous  amusâtes  aux 
rimes  milliardaires  et    aux   expressions  précieuses,  si  et  tant  que, 

(1)  En  vente  chez  E.  Pasquelle,  11,  rue  de  Grenelle.  Prix  :  2  fr  50. 


souvent,  le  terme  devient  absolument  impropre  et  qu'il  est  difficile 
de  comprendre,  à  l'audition  plus  ou  moins  impeccable,  plutôt  moins 
que  plus,  d'artistes  de  diction  trop  incertaine,  qu'il  est  fort  difficile 
de  comprendre  tout  ce  que  vous  avez  souhaité  dire.  Le  style  de  Théo- 
phile Gautier,  nul  n'en  ignore,  était  éblouissant;  vous  avez  voulu 
surenchérir,  et  j'ai  grand'peur  que  votre  erreur  ne  l'ait  rendu  aveu- 
glant. Mais,  encore  une  fois,  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  retour- 
ner le  fer  dans  un  flanc  que,  gendre  très  pieux,  si  galamment  et  si 
spirituellement,  vous  présentez  à  nos  justes  coups. 


Et,  mesdames,  que  nulle  au  moins  de  vous  n'accable 
A  cause  de  l'essai,  le  poète  impeccable 
Dont  le  renom  illustre  inspira  notre  auteur. 
Tbéophile  Gautier  reste  sur  la  hauteur  ! 
Un  gendre  vient  parfois  d'une  fâcheuse  étoile  ! 
Le  vrai  coupable  est  là,  derrière  cette  toile. 
Lardez-le,  comme  avec  une  flamberge  un  rat, 
Il  s'appetle  monsieur  Emile  Bergerat. 

Les  nouveaux  directeurs  de  l'Odéon  qui,  en  montant  le 
Fracasse  refusé  depuis  plusieurs  années  un  peu  partout,  semblent 
avoir  voulu  s'ériger  en  redresseurs  de  torts,  n'ont  qu'imparfaitement 
tenté  tout  ce  qu'il  fallait  pour  grandement  défendre  cette  comédie. 
Mais  ils  en  sont  à  leurs  débuts,  et  il  est  da  toute  justice  de  leur  faire 
quelque  crédit.  D'ici  peu,  sans  doute,  leur  troupe,  composée  d'élé- 
ments terriblement  disparates,  avec  une  fâcheuse  tendance  au  mélo- 
drame, se  sera  fondue,  élaguée,  enrichie,  et  l'on  reverra  avec  plaisir 
des  artistes  de  tempérament  comme  M'"'  Mellot,  MM.  Janvier,  Ravet, 
un  peu  trop  sage  celui-ci,  de  métier  comme  MM.  Léon  Noël,  Goste, 
Albert  Lambert,  Cornaglia,Amaury,Montigny,M"'=Barny,  de  charme 
comme  M""'*  Depoix  et  Piernold. 

A  l'Eldorado,  il  ne  saurait  être  question  de  littérature  ;  la  Reine  des 
Reines  de  M.  P.-L.  Fiers  déroule  ses  trois  actes  à  la  va-comme-je-te- 
pousse.  Le  public  du  quartier  y  trouvera  son  agrément  et  n'aura  pas 
au  moins  la  préoccupation  très  fatigante  de  chercher  à  comprendre 
ce  qu'on  veut  lui  dire.  Les  amateurs  de  costumes  brillants  et  de  fem- 
mes peu  couvertes  n'auront  pas  le  droit  de  se  plaindre,  non  plus  que 
ceux  qui  aiment  les  flonflons  faciles,  M.  Audran  leur  ayant  fait  ici 
large  mesure,  quelquefois  assez  heureusement. 

La  troupe  de  M,  Marchand,  directeur  fastueux,  en  tête  de  laquelle 
étincelle  la  trilogie  des  grandes  duègnes  parisiennes,  j'ai  nommé 
l'amusante  Mathilde,  M""^  Irma  Aubrys  et  Fanny  Génat,  enlève  avec 
bonne  humeur  la  Reine  des  Reines  ;  on  n'en  saurait  demander  plus 
à  tout  ce  petit  monde  de  blanchisseuses,  dont  les  héros  sont  repré- 
sentés par  MM.  Théry,  Régnard,  Rablet,  Pons-Arlès,  Grandey,  Mau- 
rice Lamy,  Roger  M.  (un  artiste  modeste  I  qui  ne  nous  donne  que 
son  petit  nom  et  l'initiale  de  son  nom  patronymique  II),  M°"^  Alice 
Bonheur  et  Paulette  Darty. 

Paul-Emile  Chevalier. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAGMENTS 


George  Sand  est  venue  plusieurs  fois  à  Marseille.  Elle  logeait 
chez  le  docteur  Cauvière.  Ce  médecin  de  province,  voltairien,  comme 
on  disait  alors,  exempt  de  tout  préjugé,  avait  une  vive  intelligence, 
une  rare  culture  d'esprit  et  un  remarquable  talent  professionnel.  Les 
idées  et  les  allures  de  l'auteur  à'Indiana  n'étaient  point  pour  le  cho- 
quer. Mais  Cauvière  avait  pour  servante  une  vieille  Provençale  aussi 
dévouée  que  dévote,  qui  ne  nommait  jamais  George  Sand  sans  se 
signer.  Cette  servante  parlait  avec  terreur  aux  voisins  de  cette 
femme  toujours  habillée  en  homme,  qui  fumait  comme  un  dragon,  et, 
sans  la  crainte  de  son  maître,  elle  l'aurait  certainement  exorcisée 
comme  si  elle  avait  été  en  face  du  diable  en  personne. 

Parmi  les  familiers  de  la  maison  était  l'avocat  Lecourt,  l'ami  de 
Méry,  de  Barthélémy,  de  Gozlan,  d'Autran,  et  surtout  de  Berlioz. 
Lecourt,  à  qui  Berlioz  a  écrit  plusieurs  de  ses  plus  intéressantes 
lettres,  accourait  à  Paris  toutes  les  fois  que  le  Maître  donnait  une 
oeuvre  nouvelle.  ïl  lui  était  fanatiquement  dévoué. 

Lecourt  était  une  physionomie  originale.  Fils  d'une  actrice  de  talent, 
il  avait  conquis  de  haute  lutte  au  barreau  de  Marseille  une  des  pre- 
mières places.  Taillé  en  hercule,  buvant  sec,  le  verbe  haut,  le  cœur 
grand  ouvert,  impitoyable  aux  médiocres  comme  aux  intrigants, 
généreux  jusqu'à  la  prodigalité,  il  avait  de  l'esprit  à  en  revendre,  la 
repartie  prompte,  du  caractère,  et,  par  surcroit,  de  rares  facultés  mu- 


332 


LE  MENESTREL 


sicales.  Lecteur  impeccable,  il  pouvait  au  besoin  diriger  un  orchestre, 
réduire  la  grande  partition,  et  jouait  du  violoncelle  médiocrement  au 
point  de  vue  de  la  virtuosité,  mais  avec  un  sens  profond  de  l'œuvre 
interprétée,  une  surprenante  autorité  et  un  entrain  endiablé.  Peu  de 
professionnels  ont  fait  mieux  comprendre  que  lui  les  derniers  qua- 
tuors de  Beethoven,  qu'il  appelait  fes  routjes  (les  révolutionnaires!. 

Quand  George  Sand  vint  à  Marseille  avec  Chopin,  Lecourt  fut  bien 
vite  leur  intime.  Il  les  accompagnait  partout. 

Un  jour,  tous  trois  furent  se  promener  sur  les  hauteurs  de  la  Tou- 
rette,  qui  surplombaient  le  Vieux  Port.  Le  mistral  soufflait  en  tem- 
pête et  la  mer  démontée  soulevait  d'énormes  masses  d'eau  qui  ve- 
naient s'abimer  sur  les  rochers  en  projetant  au  loin  des  paquets  de 
pluie  froide  et  salée.  George  Sand  et  Chopin,  émerveillés,  ne  pou- 
vaient s'arracher  au  spectacle  de  cette  belle  horreur,  quand  tout  à 
coup  Chopin,  atteint  déjà  du  mal  qui  devait  l'emporter,  oppressé  par 
le  vent  et  l'àcreté  de  l'air,  tomba  en  défaillance. 

L'endroit  était  alors  désert;  —  à  cette  époque,  il  n'y  avait  pas  non 
pins,  comme  aujourd'hui  à  Marseille,  de  nombreux  fiacres  à  la  dis- 
position du  public.  La  situation  devenait  critique.  Chopin  était  devenu 
incapable  de  faire  un  pas,  et  il  y  avait  loin  de  la  Touretfe  à  la  maison 
hospitalière  du  docteur  Cauvière. 

Que  faire?  —  l'embarras  de  George  Sand  devenait  de  l'anxiété, 
quand  tout  à  coup  Lecourt  redressant  sa  haute  taille,  empoigna  Chopin 
à  bras  le  corps  et  le  planta  sur  ses  épaules.  C'est  en  cet  équipage 
que  tous  trois  traversèrent  la  ville  et  rentrèrent  au  logis.  Chemin 
faisant,  George  Sand  voyant  Lecourt  en  sueur  malgré  la  froide  mor- 
sure du  mistral,  lui  demanda  si  son  ami  était  lourd  à  porter.  — 
Pourquoi  le  demandez-vous?  réparlit  gaillardement  Lecourt,  vous  le 
savez,  parbleu,  mieux  que  moi  !  —  Ce  qui  lui  valut  une  tape  à  la  fois 
amicale  et  offensée  de  l'auteur  de  Consuelo. 


Chopin  et  George  Sand  défendaient  obstinément  leur  porte  pour 
être  à  l'abri  des  curieux  et  des  importuns.  Ne  pouvant  parvenir  jus- 
qu'à eux,  un  jeune  pianiste,  Darboville,  qui  avait  pour  Chopin  une 
admiration  enthousiaste,  se  glissa  dans  l'appartement  par  surprise  et 
se  cacha  derrière  une  porte  pour  l'entendre  jouer.  Mais  voilà  qu'une 
des  personnes  présentes  se  retire  et,  ouvrant  la  porte,  démasque  Dar- 
boville. George  Sand,  qui  fumait  une  cigarette,  se  leva  comme  Juuon 
courroucée  et  apostropha  l'indiscret  avec  la  dernière  vivacité.  Celui-ci 
se  jeta  à  genoux  enjoignant  les  mains  comme  devant  une  divinité  et 
débita  les  plus  folles  litanies  en  l'honneur  de  Chopin  ! 

L'affaire  n'eut  pas  de  suite,  et  Chopin  admit  même  plus  lard  ce 
fervent  disciple  à  jouer  avec  lui  dans  les  concerts  qu'il  donna  au 
cours  d'une  tournée  dans  le  midi  de  la  France. 


Peu  après,  la  nouvelle  arriva  de  la  mort  tragique  de  Nourrit.  Le 
noble  artiste,  avant  d'aller  à  Naples,  avait  chanté  à  Marseille  ses 
plus  beaux  rôles,  notamment  la  Muette,  dans  laquelle  il  avait  trans- 
porté l'auditoire.  Ce  fut  un  deuil  public.  On  organisa  un  service 
funèbre  en  son  honneur  et  ce  fut  Chopin  qui  tint  l'orgue. 

(A  suivre.)  A.  Montaux. 


L'EXPOSITION  DU  THÉÂTRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 


Les  salles  et  les  galeries  du  premier  étage  du  palais  sont  exclusi- 
vement consacrées  à  l'exposition  qu'on  a  qualifiée  improprement  de 
d  rétrospective  ».  C'est  «  historique  »  qu'il  eût  fallu  dire,  attendu 
qu'elle  n'est  pas  uniquement  rétrospective,  et  que  l'actualité  y  occupe, 
et  ne  pouvait  faire  autrement  que  d'y  occuper  une  place  importante. 
On  se  rappelle  le  succès  qu'obtint,  à  l'Exposition  universelle  de  1889, 
l'essai  très  intéressant  d'exhibition  théâtrale  qui  avait  été  organisée 
dans  une  paitie  du  palais  des  Arts  libéraux,  et  comme,  tout  incom- 
plète qu'elle  fut,  le  public  s'y  intéressait  et  chaque  jour  s'y  pressait. 

Ce  succès  se  renouvelle  ici,  bien  qu'on  y  retrouve  le  même  défaut 
que,  dans  une  série  d'articles  publiés  à  cette  place  même,  j'avais 
signalé  alors  :  je  veux  dire  le  manque  absolu  de  méthode  et  de 
classement,  ce  que  les  Allemands,  dans  leur  langage  pédantesque, 
appeleraient  le  côté  scientifique.  Est-il  donc  impossible  d'organiser 
dans  une  exposition  de  ce  genre,  si  variée  qu'elle  soit  et  si  pleine 
de  détails,  une  méthode  rationnelle  de  classement  qui  présente  les 
objets  dans  un  ordre  à  la  fois  systématique  et  historique,  de  façon 


à  offrir  une  leçon  au  visiteur  superficiel  et  à  faciliter  les  recherches 
du  travailleur  sérieux? 

Je  ne  crois  pas,  je  l'avoue,  la  dilïiculté  insurmontable.  C'est  affaire 
de  temps,  d'une  part,  de  l'autre,  d'entente  entre  les  organisateurs 
et  les  collectionneurs,  race  peut-être  un  peu  exigeante  mais  dont  il 
faut  bien,  après  tout,  satisfaire  le  petit  amour-propre  en  récompense 
de  leur  obligeance.  Je  prends  ici  un  exemple,  imparfait  encore, 
mais  déjà  intéressant  sous  ce  rapport  :  la  salle  31,  qui  est  presque 
entièrement  occupée  par  la  collection  très  curieuse,  très  précieuse  de 
M.  Nicolas Manskopf,  directeur  duMusée  musical  et  théâtral  de  Franc- 
fort-sur-le-Mein.  Je  trouve  làun  cadre  spécial  qui  contient  13  portraits 
de  Liszt,  un  autre  avecLj  portraits  de  Weber,  un  autre  avecS  portraits 
de  MéhuI,  un  autre  avec  22  portraits  de  Paganini,  un  autre  encore 
avec  trente-deux  portraits  de  Rossini,  puis  une  série  de  quarante  et 
une  pièces,  portraits  ou  estampes,  relatives  à  Grétry,  accompagnées 
de  livrets,  d'affiches  et  de  médailles  toujours  se  rapportant  à  lui.  Avec 
cela,  dans  d'autres  cadres,  toute  une  suite  de  portraits  de  musiciens  : 
virtuoses,  compositeurs  et  chanteurs  du  temps  passé.  Ailleurs  encore, 
une  autre  suite,  du  même  genre,  mais  exclusivement  contemporaine. 
Enfin,  à  part,  toute  une  série  d'autographes,  lettres  ou  musique,  fort 
intéressante.  Et  toutes  ces  pièces,  même  celles  qui  sont  réunies  dans 
un  même  cadre,  portent  toutes,  sans  exception,  la  marque  de  leur 
possesseur.  Voici  donc  une  collection  particulière  qui,  en  ce  qui 
la  concerne,  est  entièrement  et  régulièrement  classée.  Eh  bien,  si 
l'Exposition,  dans  son  ensemble,  avait  suivi  un  errement  semblable, 
on  aurait  groupé  dans  une  salle  tous  les  portraits  de  compositeurs, 
dans  une  autre  ceux  des  virtuoses,  dans  une  autre  ceux  des  poètes 
dramatiques,  puis  ceux  des  chanteurs  et  cantatrices,  puis  ceux  des 
comédiens  et  des  comédiennes.  On  aurait  groupé  de  même  :  les  plans 
et  les  vues  de  théâtres;  les  caricatures;  les  costumes;  les  décors;  les 
autographes  (lettres);  les  autographes  (musique);  les  livrets  d'opéras; 
les  partitions;  les  pièces  et  documents  historiques;  les  livres  sur  le 
théâtre  et  la  musique  ;  les  tableaux  et  les  sculptures  ;  les  instruments 
de  musique;  les  affiches,  programmes  et  billets  de  théâtre;  les  mé- 
dailles etc.,  chaque  objet  portant,  par  les  soins  de  l'administration, 
la  marque  de  son  propriétaire,  afin,  comme  je  le  disais,  de  satisfaire 
l'amour-propre  des  collectionneurs.  Ainsi  comprise  et  entendue, 
l'Exposition,  déjà  charmante  et  pleine  d'intérêt,  décuplerait  sa  valeur 
et  serait  appelée  à  rendre  d'inappréciables  services. 

Telle  qu'elle  esl,  elle  a  un  caraclère  de  pittoresque  et  d'imprévu 
qui  ne  lui  enlève  certes  pas  sa  valeur,  mais  qui  ne  la  fait  pas  ressor- 
tir comme  elle  le  mériterait,  et  qui  sent  un  peu  trop  le  décousu. 
Tous  les  objets  se  trouvent  disséminés  et  dispersés  au  hasard  des 
collections  de  chacun,  un  peu  à  la  bonne  franquette,  toutes  choses 
se  trouvant  confondues  plus  que  ne  le  comporteraient  la  logique  et 
la  raison.  Si,  comme  l'a  dit  le  «  législateur  du  Parnasse  », 

Souvent  un  beau  désordre  est  un  ell'et  de  l'art, 

l'art  a  lieu  d'être  ici  amplement  satisfait. 

Mais  ces  réflexions,  au  sujet  de  ce  qui  eût  pu  se  faire,  ne  doivent 
pas  nous  rendre  injustes  pour  ce  qui  s'est  fait,  et  je  vois  seulemeni, 
au  très  grand  plaisir  que  prennent  les  visiteurs  nombreux  de  l'Expo- 
sition, combien  ce  plaisir  serait  plus  complet,  et  surtout  plus  profi- 
table encore,  si  un  peu  d'ordre  avait  prévalu  sur  ce  désordre.  Il  est 
incontestable,  en  tout  état  de  cause,  que  l'effort  a  été  intelligent  et 
considérable,  et  ceci  est  surtout  un  enseignement  pour  l'avenir. 

J'en  reviens  à  l'exposition  de  M.  Manskopf,  qui  est  remarquable, 
très  nombreuse  et  digne  de  la  plus  grande  attention.  J'ai  relevé  plu- 
sieurs séries  de  portraits  d'un  seul  et  même  artiste,  et  cela  déjà  est 
fort  intéressant;  mais  il  y  en  a  plusieurs  centaines  d'autres  :  com- 
positeurs, virtuoses,  chanteurs,  cantatrices,  éditeurs  de  musique, 
facteurs  d'instruments  des  divers  pays  de  l'Europe  musicale,  publiés 
tant  en  Allemagne  qu'en  France,  en  Angleterre,  su  Italie,  voire  en 
Russie,  qui  prend  maintenant  sa  place,  et  une  place  importante  au 
soleil  de  l'art.  C'est  là  comme  une  sorte  de  vaste  iconographie  musi- 
cale, d'un  intérêt  très  vif,  d'autant  que  tels  de  ces  portraits,  pour 
ainsi  dire  inconnus,  sont  d'une  excessive  rareté.  Je  le  dis  en  connais- 
sance de  cause,  et  en  collectionneur  expérimenté. 

M.  Manskopf  a  exposé  aussi  une  assez  nombreuse  série  d'auto- 
graphes. Il  y  a  là  des  lettres  de  Grétry,  Paèr,  Plantade,  Stephen 
Heller,  Liszt,  Wagner,  Louis  Lacombe,  Ponchard,  Duprez,  Giulia 
Grisi,  Chevillard,  etc.;  aussi  quelques  autographes  de  musique,  entre 
autres  un  fragment  de  LvofT,  l'auteur  de  l'Hymne  russe. 

Un  reçu  de  Giulia  Grisi  pour  ses  appointements  au  Théâtre-Italien  ; 
de  Paris  nous  apprend  qu'elle  gagnait  2.000  francs  par  mois.  Un,j 
autre  reçu,  de  Liszt,  est  ainsi  conçu  : 

Moi,  soussigné,  j'ai  reçu  de  M.  Paur,  directeur  de   la  Musique   particu- 


LE  MÉNESTREL 


333 


lière  du  Roi,   la  somme  de  deux  cenls  fraucs   pour  le  concert  qui   a   eu 
lieu  le  3  février  1824  chez  son  A.  R'=  Madame  la  duchesse  de  Berry. 

Liszt. 
Paris,  4  mars  184i. 

Ceci  se  rapporte  au  premier  séjour  et  aux  premiers  triomphes  de 
Liszt  à  Paris,  où  il  était  venu  sous  la  conduite  de  sou  père.  Il  devait 
avoir  alors  environ  quatorze  ou  quinze  ans. 

Je  trouve  ensuite  une  lettre  de  Grélry,  dont  j'ignore  le  destinataire, 
et  dont  le  style  peint  bien  l'époque  : 

M.  Darancour,  mon  cher  ami,  voudrait  vous  consulter  sur  un  rôle  de 
grand-prétre  qu'il  va  jouer  dans  Elisca. 

Vous,  qui  vous  plaisez  à  ajouter  quelques  rayons  à  la  faible  auréole  de 
ma  musique,  vous  ne  refuserez  pas  celui  qui  vous  a  tant  d'obligations  et 
qui  vous  embrasse  de  tout  r,Dn  cœur. 


Paris,  26  mars  1812. 


Gréiry. 


On  préparait  en  effet  à  ce  moment,  à  l'Opéra-Gomique,  une  reprise 
à'Elixca,  qui  eut  lieu  le  S  mai  suivant. 

Voici  maintenant  une  pièce  dont  la  forme  est  assez  curieuse.  C'est 
un  certificat  délivré  en  1816  à  Persuis  par  les  trois  anciens  inspecteurs 
survivants  de  l'ancien  Conservatoire  : 

Nous  soussignés,  inspecteurs  de  l'enseignement  dans  l'ancien  Conser- 
vatoire de  musique,  certifions  que  Mons''  Persuis  (Louis)  a  été  admis  par 
la  voie  du  concours  professeur  dans  cet  établissement  le  7  novembre  179o 
(16  brumaire  an  4),  avec  les  appointemens  de  2.500  ',  et  qu'il  a  cessé 
d'exercer  ses  fonctions  le  23  septembre  1802  [\"  vendémiaire  an  XI),  lors 
de  la  réforme  opérée  par  le  ministre  de  l'intérieur. 

Paris,  ce  S  juillet  1816. 
Le  Sceur,  L.  Cherdbini,  Méhul, 

Certifié  véritable  : 
Vbnt, 
Secrétaire  de  l'ancien  Conservatoire. 

Pour  se  rendre  compte  de  la  valeur  de  ces  mots  :  «  ancien  Conser- 
vatoire »,  il  faut  se  rappeler  qu'à  la  rentrée  des  Bourbons  en  France, 
ledit  Conservatoire,  fruit  de  la  Révolution  et  par  conséquent  œuvre 
détestable  aux  yeux  des  arrivants,  avait  été  simplement  supprimé, 
et  que  l'on  songeait  alors  a  le  remplacer  (?)  par  une  «  École  royale 
de  musique  s  réduite  à  sa  plus  simple  expression.  En  ce  qui  touche 
Persuis,  qui  était  titulaire  d'une  classe  de  violon  dès  la  fondation, 
nous  voyons,  par  le  certificat  ci-dessus,  que  son  traitement  annuel 
était  de  2.S0O  francs.  M'est  avis  que  les  professeurs  actuels  de  violon 
ne  seraient  pas  fâchés  de  voir  élever  le  leur  à  ce  chiffre. 

Cette  même  salle  31  est  complétée  par  la  coUectiou  de  M.  Vieille, 
qui  comprend  un  certain  nombre  d'estampes  diverses  :  costumes, 
décor.'=.  vues  de  théâtres,  etc.,  et  surtout  une  pièce  précieuse,  le 
Chant  du  combat,  de  Rouget  de  Lisle,  écrit  de  la  main  même  de  l'au- 
teur. 

Dans  la  salle  2i,  une  énorme  et  double  vitrine  à  hauteur  de  l'œil, 
qui  tient  tout  le  milieu  de  la  salle,  renferma  la  collection  absolu- 
ment superbe  de  M.  Louis  Biho.  D'une  part,  une  série  nombreuse 
et  choisie  de  portraits  de  cornéliens  du  dix-huitième  siècle,  en  grand 
format  et  en  épreuves  de  toute  beauté  :  Préville,  Lekain,  Volange, 
M"'=  Desmares,  Sophie  Arnould,  M'"'  Favart,  M"'-'  Clairon  et  bien 
d'autres.  En  second  lieu,  toute  une  suite  de  caricatures  anglaises 
coloriées,  du  dis-huitième  siècle  aussi,  ayant  le  théâtre  pour  objet, 
et  qui  sont  évidemment  d'une  excessive  rareté.  Les  amateurs  feront 
bien  d'accorder  à  cette  curieuse  collection  toute  l'attention  qu'elle 
mérite. 

Tout  auprès,  M.  Eugène  Bertrand,  directeur  de  l'Opéra,  a. exposé 
plusieurs  cadres  intéressants  renfermant  de  fort  jolies  vues  d'anciens 
théâtres,  entre  autres  de  celui  des  Variétés  à  l'époque  de  sa  oonstruc- 
tiou,  et  toute  une  série  très  amusante,  sur  une  seule  feuille,  des  cos- 
tumes du  Panorama  de  Momus,  le  prologue  joué  le  2i  juin  1807  pour 
l'inauguration  de  la  salle  du  boulevard  Montmarire.  On  voit  que 
M.  Bertrand  s'est  intéressé  à  ee  théâtre,  dont  il  a  été  longtemps  le 
directeur.  Un  peu  plus  loin,  c'est  M.  Montagne  qui  nous  montre  un 
jeu  de  cartes  très  curieux,  dont  les  figures  présentent  les  portraits  de 
comédiens  du  temps  dans  les  costumes  de  leurs  meilleurs  rôles.  En 
voici  le  détail  :  Pique.  Roi  :  Talma,  dans  Néron  de  Britannicus  ;  dame  : 
M'"  Leverd,  dans  Célimène  du  Misantlirope  ;  valet:  Valère,  dans  Ri- 
chard de  Robin  des  Bois  (Odéon).  Coeur.  Roi  :  Nourrit,  dans  Tarare  de 
Tarai-e  ;  dame  :  M"°  Grassari,  dans  Amazili  de  Fernatid  Cartes  ;  valet: 
Potier,  dans  Jacques  du  Conscrit.  Trèfle.  Roi  :  Laïs,  dans  Aristippe 
à'Aristippe;  dame:  M""  Valère,  dans  Anna  de  Robin  des  Bois;  valet  : 
Lecomte,  dans  Almaviva  du  Barbie/'  (Odéon).  Carreau.  Roi  :  Huet, 
dans  le  Calife  du  Calife  de  Bagdad;  dame  :  M""  Brocard,  dans  Alicea 


de  Jane  Shore;  valet  :  Lepeintre,  dans  Birbeth  de  Trilby.  La  date  de  la 
publication  de  ce  jeu  de  cartes  nous  est  fournie  indirectement  par  ce 
fait  qu'il  constate  l'existence  de  l'Odéon  comme  théâtre  lyrique,  soit 
entre  182S  et  1829. 

Dans  cette  même  salle  24  nous  rencontrons  encore  une  assez  nom- 
breuse collection  d'estampes  :  portraits  et  vues  d'anciens  tliéàtres, 
celles-ci  surtout  intéressantes  appartenant  à  M.  Paul  Blondel,  et 
une  collection  du  même  genre,  mais  inégale  par  la  valeur  des 
pièces,  et  qui  gagnerait  à  être  émondée,  dont  le  propriétaire  est 
M.  Saffray. 

(A  suiore.)  Arthur  Pougin. 


ANTOINE   BRUCKNER 


Un  des  grands  compositeurs  contemporains,  Antoine  Bruckner,  vient 
de  succomber  subitement,  à  Vienne,  dans  l'après-midi  du  11  octobre, 
aux  suites  d'une  grave  maladie  de  cœur  qui  le  torturait  depuis  quelques 
années  déjà.  La  mort  a  été  plus  clémente  pour  le  vieux  musicien 
que  sa  longue  vie;  elle  l'a  cueilli  sans  aucune  souffrance,  presque 
sans  aucun  avertissement.  La  veille  de  sa  mort,  Bruckner  avait 
encore  fait  une  promenade  dans  le  beau  jardin  français  qui  entoure 
le  palais  impérial  du  Belvédère,  dans  les  communs  duquel  la  fille  de 
l'empereur,  l'archiduchesse  Marie-Valérie,  lui  avait  fait  installer  une 
délicieuse  demeure.  Et  le  jour  même  de  sa  mort  il  s'était  encore  levé 
comme  d'habitude,  et  avait  médité  longuement  dans  le  fauteuil  de 
son  cabinet,  d'où  il  jouissait  d'une  vue  superbe.  Dans  l'après-midi 
il  s'était  couché  et  avait  demandé  une  tasse  de  thé;  après  en  avoir 
bu  la  moitié,  il  retomba  sur  son  lit,  soupira  profondément  et  ne  se 
réveilla  plus. 

La  carrière  de  Bruckner  a  été  des  plus  singulières  et  des  moins 
heureuses.  Il  était  né  le  4  septembre  1824  à  Ansfelden,  village  de  la 
Haute-Autriche  où  son  père  était  maître  d'école.  A  l'âge  de  onze  ans 
il  était  orphelin  et  recueilli,  comme  enfant  de  chœur,  par  le  chapitre 
de  l'abbaye  de  Saint-Florian  (Haute-Autriche),  où  il  reçut  une  forte 
éducation  musicale.  A  dix-sept  ans  on  le  plaça  comme  aide  du  maître 
d'école  de  Windhag  (Haute-Autriche)  avec  cent  sous  d'appointements 
mensuels.  Pour  exister,  le  jeune  musicien  fut  obligé  de  faire  aussi 
fonction  de  ménétrier;  aux  noces  et  fêtes  patronales  des  environs  de 
son  village  il  raclait  souvent  du  violon  pendant  des  nuits  entières. 
Un  hasard  heureux  le  fit  remarquer  par  Sechter,  un  célèbre  théoricien 
de  l'art  musical,  qui  découvrit  eu  Bruckner,  devenu  organiste  à  Saint- 
Florian,  une  âme  d'artiste  et  lui  prodigua  ses  conseils.  Après  le  der- 
nier examen  de  Bruckner,  un  de  ses  examinateurs,  le  compositeur  et 
chef  d'orchestre  Herbeck,  qui  devint  plus  tard  directeur  de  l'Opéra 
impérial  de  Vienne,  s'exclama  :  Mais  ce  garçon  en  sait  dix  fois  autant 
que  moi  !  et  lui  procura  la  place  de  suppléant  d'organiste  à  la  cha- 
pelle impériale,  dont  il  devint  plus  tard  le  titulaire.  Peu  de  temps 
après  cette  bonne  fortune  il  fut  nommé  professeur  de  contrepoint, 
d'harmonie  et  d'orgue  au  Conservatoire  de  Vienne  et  professeur  de 
composition  musicale  à  l'Université  de  cette  ville.  Il  remplit  ces  fonc- 
tions presque  jusqu'à  l'âge  de  soixante-dix  ans.  A  cet  âge  avancé, 
l'empereur  François-Joseoh  le  décora,  l'Université  de  Vienne  lui 
conféra  le  titre  de  docteur  honoris  causa  et  la  Diète  de  la  Haute-Au- 
triche lui  octroya  une  pension  décente.  Ses  dernières  années  furent 
donc  relativement  heureuses;  il  parait  même  que,  célibataire,  il  a  pu 
économiser  une  trentaine  de  mille  francs  qu'il  a  légués  à  ses  colla- 
téraux et  à  la  vieille  bonne  qui  l'avait  soigné  jusqu'à  la  fin. 

Pendant  longtemps  on  ne  parla  de  Bruckner  que  comme  organiste. 
Sa  connaissance  profonde  du  contrepoint  et  du  répertoire  de  l'orgue 
et  sa  faculté  prodigieuse  d'improvisation  sur  cet  instrument  ont  tou- 
jours émerveillé  ses  confrèies.  A  Paris,  à  Londres  et  à  Nancy  il 
avait  excité  l'admiration  des  connaisseurs  par  ses  improvisations  et 
la  puissance  de  son  jeu  ;  eu  Allemagne,  on  n'hésita  pas  à  dire  que 
Bruckner  était  le  plus  grand  organiste  que  le  monde  avait  vu  depuis 
J.-S.  Bach.  Mais  le  public  ignora  longtemps  que  Bruckner  était  un 
compositeur  infatigable,  qui  amassait  dans  ses  cartons  des  partitions 
qu'il  ne  réussissait  pas  à  faire  jouer.  Il  est  vrai  qu'il  avait  obtenu,  en 
1864,  un  prix  pour  un  chœur  à  voix  d'hommes  ';t  qu'il  pouvait  jouer 
à  Saint-Florian  sa  propre  musique  sacrée,  surtout  sa  messe  en  ré 
mineur;  mais  déjà,  en  1865,  Bruckner  avait  composé  sa  première  sym- 
phonie, en '«<  mineur.  En  1868  11  la  fit  jouer  à  Linz  ;  l'exécution  en 
fut  tellement  défectueuse  que  Bruckner  profondément  découragé 
ne  travailla  plus  pendant  quelque  temps.  Il  sortit  de  cet  état  d'abat- 
tement pour  composer  sa  célèbre  messe  eu  fa  mineur.  En  1872  sa 


334 


LE  MÉNESTREL 


deuxième  symphonie  fut  refusée  par  l'Orchestre  philharmonique  de 
Vienne,  qui  déclara  simplement  qu'on  ne  pouvait  pas  la  jouer.  Mais, 
en  18"3,  à  l'occasion  de  l'Esposition  universelle,  le  même  orchestre 
l'exécuta  avec  un  succès  marqué,  et  on  apprit  alors  que  Vienne  héber- 
geait un  grand  compositeur  «  ce  dont  on  ne  s'était  guère  douté  ».  La 
troisième  symphonie  était  dédiée  à  Richard  Wagner,  qui  avait  pressenti 
le  génie  de  Bruckner  dès  1872,  lorsque  le  futur  maître  de  Bayreuth 
dirigea  à  Vienne  un  mémoiable  concert,  où  il  fit  jouer  des  fragments 
inédits  del'Aimeaudu  Nibelung.  Cette  symphonie  eut  un  grand  succès  en 
Allemagne;  mais  les  œuvres  suivantes  de  Biuckiier  se  heurtèrent  de 
nouveau  à  riudifTérence  et  aussi  au  mauvais  vouloir  des  musiciens. 
Son  plus  grand  triomphe  comme  compositeur,  Bruckner  l'obtint  avec 
l'exécution  de  sa  septième  symphonie,  en  I880,  par  Nikisch  à  Leipzig, 
et  par  Lévi  à  Munich.  Dans  la  capitale  autrichienne,  Hans  Richter, 
grand  admirateur  de  Bruckner,  n'avait  jamais  cessé  de  jouer  ses 
œuvres,  mais  leur  succès  y  fut  plus  contesté  qu'ailleurs  malgré  les 
efforts  de  ses  partisans.  A  Vienne,  Bruckner  par  suite  de  son  admi- 
ration avérée  pour  le  maître  de  Bayreuth,  passait  pour  un  «  vfagné- 
rien  »  forcené,  et  cela  suffisait  à  une  notable  fraction  du  public  pour 
battre  froid  au  compositeur. 

Bruckner,  qui  n'a  connu  la  gloire  que  pendant  les  quinze  dernières 
années  de  sa  vie,  laisse  un  œuvre  considérable.  Il  paraît  même  que 
le  dernier  mouvement  de  sa  neuvième  symphonie,  qu'il  a  dédiée,  dans 
sa  profonde  religiosité,  au  bon  Dieu,  est  à  peu  près  achevé  ;  dans  son 
testament,  il  avait  ordonné  que  son  Te  Deum  devrait  terminer  cette 
neuvième  symphonie,  s'il  ne  parvenait  pas  à  en  écrire  le  dernier  mor- 
ceau. Le  moment  n'est  pas  encore  venu  pour  dire  le  dernier  mot  sur  ce 
compositeur  si  richement  doué  et  si  fécond,  qui  aurait  pu  devenir  soqs 
tous  les  rapports  le  successeur  de  Beethoven,  si  ses  origines  et  les 
destinées  de  la  moitié  de  sa  vie  avaient  été  plus  propices  à  sou  déve- 
loppement. Il  aurait  alors  sans  doute  pu  acquérir  le  sens  critique  et  la 
pondération  qui  font  quelquefois  défaut  à  ses  compositions,  trop 
touffues  pour  être  accessibles  à  tous  et  pour  être  universellement 
appréciées. 

Rien  n'égalait  d'ailleurs  le  manque  de  savoir-faire,  l'ignorance  du 
monde  et  la  maladresse  irrémédiable  de  Bruckner,  si  ce  n'est  sa 
modestie  touchante  et  la  sérénité  presque  enfantine  de  son  àme.  Cet 
homme  puissamment  bâti,  au  masque  de  césar  romain,  aux  yeux 
clairs  reflétant  la  candeur  et  la  bonté  autant  que  les  lueurs  du 
génie,  était  timide  et  embarrassé  comme  un  enfant  quand  le  public 
l'acclamait  et  quand  il  fallait  se  montrer  dans  une  salle  de  concert  sur 
l'estrade  d'un  orchestre.  Sa  grande  iîgure,  d'aspect  monacal,  faisait 
alors  penser  à  la  surprise  d'un  humble  moine  auquel  on  apporterait 
dars  sa  cellule  la  pourpre  cardinalice.  Bruckner,  qui  va  dormir  à 
jamais  dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Florian,  au-dessous  de  l'orgue 
qu'il  a  si  souvent  fait  retentir,  survivra  sans  doute  comme  composi- 
te ur  ;  sa  gloire  posthume  sera  même,  croyons-nous,  plus  répandue  et 
moins  contestée  que  celle  même  qui,  de  son  vivant,  a  adouci  les 
amertumes  de  sa  vie  si  longtemps  contristée. 

0.  Berggruen. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (IS  octobre).  —  Les  débuts  de 
M"'  Jane  Harding,  tour  à  tour  annoncés,  retardés,  puis  renvoyés  aux  calendes 
grecques,  ont  eu  lieu  tout  à  coup  samedi  dernier  dans  la  Traviata.  Soirée  sen- 
sationnelle, qui  avait  attiré  à  la  Monnaie  un  public  brUlaat  pris  dans  tous  les 
mondes.  La  beUe  débutante  a  déployé  un  luxe  de  toilettes  et  de  bijoux  qui  a 
pleinement  confirmé  ce  qu'on  en  avait  dit  par  avance.  Quant  à  la  cantatrice 
et  à  la  comédienne,  tout  ce  qu'on  en  peut  dire  c'est  que  sa  jolie  petite  voix  et 
son  entière  bonne  volonté  ont  paru  peut-être  insuffisantes  pour  une  scène 
comme  celle  de  la  Monnaie.  Cette  curieuse  soirée  s'est  d'ailleurs  passée  sans 
encombre;  mais  elle  n'a  pas  eu  et  n'aura  vraisemblablement  pas  de  lendemain. 
On  se  demande  cependant  ce  que  va  devenir  Phryné'!  M.  Saiut^Saëns  arrivera 
prochainement  à  Bruxelles;  le  concert  populaire  du  23  courant  sera  consacré 
à  ses  œuvres,  et  il  doit  s'occuper  aussi  des  partitions  que  la  Monnaie  va  mon- 
ter de  lui,  la  Princesse  Jaune,  son  ballet  inédit,  et  cette  Phryné  aussi,  disait-on, 
réservée  à  M"»  Hardiug:  on  attend  sa  décision.  Plus  heureuse,  certes,  a  été  la 
reprise  de  Roméo  elJulieUe  avec  M""»  Landouzy  et  M.  Imbart  de  la  Tour.  M"":  Lan- 
douzy  ne  cache  pas  son  vif  désir  d'élargir  son  cadre  d'interprétation  et  d'aborder 
certains  rôles  de  demi-caractère.  Elle  a  tant  do  talent  qu'elle  peut  se  permettre 
bien  des  choses  et  les  réussir,  malgré  tout,  par  quelque  côté.  C'est  ainsi 
qu'elle  nous  a  donné  déjà  une  Manon  charmante.  Sous  les  traits  de  Juliette, 
elle  n'a  pas  été  moins  gracieuse;  la  poésie  rêveuse  et  douce  de  Gounod  l'a 


servie  à  souhait;  sans  forcer  la  noie  dramatique,  elle  a  ou  de  l'émotion  par  la 
simplicité,  la  pureté  et  la  justesse  de  l'expression.  A  côté  d'elle,  M.  Imbart 
de  fa  Tour,  qui  décidément  a  conquis  les  faveurs  du  public  brusellois,  a  mis 
dans  le  rôle  de  Roméo  beaucoup  de  chaleur,  quelquefois  même  un  peu  trop, 
et  a  partagé  le  très  vif  succès  de  sa  gentille  partenaire.  L'ensemble  de  cette 
reprise  de  Roméo  et  Juliette  a  été  des  plus  satisfaisants.  Il  en  a  été  de  même 
pour  la  reprise  du  Réoe,  qui  l'a  suivie  de  près. 

Le  Théâtre-Lyrique  flamand  d'Anvers  a  représenté  samedi  dernier  l'œuvre 
inédite  de  M.  Jan  Blockx,  Eerbergprincess  (Princesse  d'auberge),  que  je  vous 
avais  annoncée  naguère.  C'a  été  une  vérita'ble  solennité,  comme  on  n'en  voit 
qu'en  pays  flamand,  avec  discours,  ovations,  palmes  et  embrassades:  l'enthou- 
siasme des  peuples  du  Midi  n'a  rien  de  comparable  à  l'enthousiasme  anversois 
quand  il  s'y  met.  Je  me  hâte  d'ajouter  que  le  succès  remporté  pai'  l'opéra  de 
M.  Jan  Blockx  a  été  largement  mérité.  Le  livret  de  M.  de  Tière  est  des  plus 
simples,  même  un  peu  naïf:  il  s'agit  de  l'éternel  combat  entre  l'amour  pur  et 
l'amour  vénal,  entre  le  bien  et  le  mal:  un  jeune  musicien,  Merlin,  abandonne 
sa  liancée  pour  une  princesse  de  cabaret,  rusée  et  fascinai  rice:  la  fiancée 
essaie  en  vain  de  reconquérir  son  amant,  et  le  drame  se  termine  par  une 
scène  de  meurtre  d'où  il  appert  qu'en  ce  monde  la  vertu  est  rarement  récom- 
pensée, mais  le  crime  toujours  puni.  Sur  ce  sujet,  prêtant  à  des  épisodes 
populaires,  et  réalistes,  plein  de  mouvement,  et  en  somme  très  musical,  le 
compositeur  a  écrit  une  partition  franche  d'allures,  nourrie  de  thèmes  origi- 
naux, et,  avec  cela,  travaillée  d'une  façon  intéressante,  par  l'emploi  de 
«  thèmes  »  caractérisliques  qui  ajoutent  à  la  couleur  de  l'œuvre  sans  l'alourdir 
cependant.  Cela  procède  de  "Wagner,  mais  est  bien  personnel  à  l'auteur, 
reconnaissable  dans  son  inspiration  mélodique  très  abondante,  siuon  toujours 
très  ralBnée.  On  a  dit  de  M.  Jan  Blockx  que  c'est  le  Teniers  de  la  musique  ; 
la  comparaison  est  juste;  il  a  la  corde  populaU-e  et  il  la  fait  \'ibrer  avec  habi- 
leté et  avec  éclat.  Il  y  a  notamment,  au  deuxième  acte,  une  grande  scène 
pittoresque  de  kermesse,  avec  carillon,  danses  et  chants,  d'une  animation 
étourdissante.  Il  est  à  peu  près  certain  que  le  public  bruxellois  sera  convié  à 
apprécier  bientôt  la  Princesse  d'auberge  de  MM.  de  Tière  et  Blockx,  l'ouwage 
étant  dès  à  présent  traduit  en  français  et  prêt  à  être  représenté.         L.  K. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (15  octobre):  L'orchestre  Colonne  a 
débuté  ici  de  la  façon  la  plus  heureuse.  Le  public  a  montré  dans  la  manifes- 
tation de  son  contentement  une  chaleur  presque  continentale,  et  la  presse 
s'est  mise  en  frais  de  qualificatifs  i louangeurs  pour  rendre  hommage  à  l'émi- 
nent  chef  d'orchestre  français  et  à  ses  musiciens.  Le  programme  du  premier 
concert  débutait  par  la  Jubel  ouverture,  de  "Weber,  dont  le  choix  était  justifié 
par  le  God  save  tlie  Queu  qui  la  termine.  Venait  ensuite  la  symphonie  de  la 
Reformation,  de  Mendelssobn,  dont  l'exécution  si  nette  et  si  lumineuse  a  été 
une  révélation  pour  le  public  d'ici.  Deux  fragments  du  ballet  d'Hérodiade, 
«  les  Gauloises  »  et  «  les  Phéniciennes,  »  ont  provoqué  de  bruyantes  accla- 
mations, et  l'air  de  Salomé  du  même  opéra  a  été  rendu  par  M"'  Pregi  de 
façon  à  lui  valoir  une  ovation.  Les  fragments  de  la  Damnation  de  Faust,  — 
parmi  lesquels  les  deux  airs  de  Marguerite,  chantés  par  M"'=  Pregi  —  uut  été 
aux  nues,  comme  bien  on  pense.  La  berceuse  de  Jocelyn,  jouée  sur  le  violon- 
celle par  M.  Baretti,  et  un  fragment  des  Impressions  d'Italie,  de  M.  Charpen- 
tier, complétaient  le  programme.  —  Le  second  concert  a  eu  lieu  hier  soir. 
L'enthousiasme  y  a  été  encore  plus  grand  qu'au  premier.  On  a  acclamé  la 
Symphonie  fantastique,  acclamé  Sous  les  tilleuls,  de  M.  Massenet,  et  le  ballet 
à'Ascatiio,  et  les  Scènes  d'enfants  de  Schumann,  orchestrées  par  Godard:  enfin 
tout.  Un  jeune  pianiste  anglais  d'un  talent  hors  ligne,  M.  Mark  Hambourg, 
a  exécuté  dans  la  perfection  un  concerto  de  Schûtt,  très  exubérant  d'ins- 
piration. LlSON   SCHLESINGER. 

—  Le  Trovatore  de  Milan  écrit  ce  qui  suit,  dans  le  style  plaisantin  qui 
lui  est  habituel:  «  La  Navarraise  et  la  Vivandière  continuent,  dans  leurs 
campements  respectifs,  à  remporter  au  Théâtre-Lyrique  de  splendides 
victoires,  /.a  Navarraise,  spécialement,  a  conquis  non  seulement  le  cœur 
d'Araquil,  mais  le  public  tout  entier.  La  de  Nuovina  triomphe  sur  toute 
la  ligne  et  occupe  les  avant-postes...  dans  les  sympathies  des  juges  du 
camp.  L'état-major  est  toujours  superbement  commandé  par  M.  Dufriche.» 

—  L'empereur  d'Autriche  vient  de  conférer  à  Cari  Goldmark  la  croix  de 
l'ordre  de  Léopold,  qui  autorise  le  titulaire  à  demander  ses  titres  de  noblesse 
héréditaire.  Les  journaux  de  Vienne,  en  publiant  cette  nouvelle,  adressent 
des  compliments  très  flatteurs  au  célèbre  compositeur,  dont  la  simplicité 
et  la  modestie  égalent  le  mérite. 

—  Nous  avons  publié  récemment  la  nouvelle  qu'à  l'occasion  du  mariage 
du  duc  d'Orléans  avec  l'arcb'duchesse  Marie-Dorothée,  le  théâtre  du 
château  de  Schœnbrunn  serait  rouvert,  et  plusieurs  de  nos  confrères  pari- 
siens nous  ont  emprunté  cette  nouvelle.  Ajoutons  que  d'après  nos  der- 
niers renseignements,  l'empereur  François-Joseph  n'a  pas  approuvé  le 
programme  de  cette  représentation  de  gala,  et  que  le  proverbe;  Il  faut 
qu'une  porte  soit  ouverte  ou  fermée  a  été  rayé.  On  jouera  à  sa  place,  le  Piano  de 
Berthe,  la  gentille  comédie  de  Théodore  Barrière,  toujours  en  français, 
avec  M""  de  Hohenfels  et  le  ténor  van  Dyck,  et  la  charmante  opérette 
d'Oflènbach,  j¥o«sie»r  et  Madame  Denis,  avec  M"=' Renard  en  travesti  et 
M"!!  Mark. 

—  Une  lettre  intéressante  que  M.  Féhx  Draesecke  publie  dans  un  journal 
de  Dresde,  nous  apprend  que  M.  Richard  "Wagner  a  conçu  l'idée  de  son 
orchestre  invisible  à  Paris.  Pendant  son  premier  séjour  chez  nous,  de  1839 
à  1842,  il  fréquentait  beaucoup  les  concerts   du  Conservatoire.  Un  jour,  il 


LE  MÉNESTREL 


33S 


était  arrivé  un  peu  tard,  et  on  l'avait  fait  attendre  dans  un  endroit  où 
une  paroi  en  bois,  qui  n'allait  pas  jusqu'au  plafond  de  la  salle,  le  séparait 
de  celle-ci.  Tout  en  attendant  la  fin  du  morceau  en  exécution,  Wagner 
remarquait  que  l'effet  de  l'orchestre  invisible  pour  lui  était  splendide,  et 
que  le  son  avait  une  unité,  un  fondu  qu'il  ne  possédait  pas  quand  on 
entendait  cet  orchestre  dans  la  salle  même.  C'est  dans  ce  moment  que 
Wagner  se  proposa  d'arriver  un  jour  à  un  effet  pareil,  et  qu'il  conçut  l'idée 
de  construire  un  théâtre  où  il  pourrait  réaliser  cette  réforme  de  l'orchestre. 

—  On  se  moque  de  la  statuomanie  qui  sévit  actuellement  en  France  ; 
mais  il  parait  qu'en  Allemagne  on  n'est  pas  moins  disposé  à  statufier  les 
célébrités  locales.  Il  est  même  arrivé  dernièrement  qu'on  a  érigé  à  Ruhla 
un  monument  au  compositeur  peu  connu  Lux,  dans  la  supposition  qu'il 
était  l'auteur  d'une  mélodie  populaire  de  Thuringe:  Ah  !  comment  est-ce  possible 
alors!...  Un  monument  pour  une  seule  mélodie,  c'était  déjà  beaucoup.  Mais 
voici  qu'on  vient  d'apprendre  que  la  mélodie  en  question  a  pour  auteur 
le  célèbre  compositeur  Kûcken.  Que  va-t-on  faire  de  la  statue  de  Lux,  qui 
devient  vraiment  luxueuse? 

—  Depuis  le  1"  octobre  le  théâtre  du  peuple,  à  Munich,  donne  des  repré- 
sentations d'opéra  populaire.  Les  prix  des  places  sont  tellement  insigni- 
fiants que  même  les  ouvriers  peuvent  devenir  des  habitués  de  l'Opéra.  Le 
répertoire  laisse  encore  à  désirer  —  on  n'a  trouvé  rien  de  mieux  jusqu'ici 
que  des  vieilleries  italiennes  telles  que  Lucie  de  Lammei-moor  et  Norma  — 
mais  la  distribution  est  assez  bonne  et  l'orchestre  convenable. 

—  Un  opéra  inédit  intitulé  Mataswintha,  paroles  imitées  de  Félix  Dàhn, 
musique  de  M.  Xavier  Scharwenka,  a  étf.  joué  avec  succès  au  théâtre  grand- 
ducal  de  Weimar. 

—  Explications  complémentaires  au  sujet  de  notrR  note  de  dimanche  der- 
nier sur  le  manuscril  inconnu  de  Wagner  découvert  à  Zurich:  M.  Hegar,  le 
chef  d'orchestre  de  cette  ville,  avait,  eu  1878,  organisé  une  tête  musicale  à 
l'occasion  du  vingt-cinquième  anniversaire  des  trois  grands  concerts,  que  le 
maître  donna  jadis  en  cette  -ville,  et  Wagner  lui  avait  fait  adresser  par  son 
éditeur  de  Paris,  un  certain  nombre  de  parties  d'orchestre  manuscrites.  Au 
revers  de  ces  feuilles,  se  trouvaient  des  fragments  musicaux  écrits  de  la  main 
même  de  Wagner.  M.  Hegar  n'y  avait  pas  d'abord  attaché  grande  importance  ; 
il  s'esl  avisi'  ri'lip  année  de  les  examiner  et  il  est  arrivé  à  reconstituer  toute 
une  œnvii'  ï\ iii|ili(uiique  qui  porte  ce  titre:  Deuxième  ouverture  de  concert, 
et  duiii  i  in,-irunii'ntation  n'est  pas  complètement  achevée.  On  avait  tout  d'abord 
espéré  qu'il  s'agissait  d'une  des  neuf  compositions  que  Wagner,  antérieure- 
ment à  Riensi,  a  éi.uites  sur  le  Faust  de  Gœthe,  et  dont sixseulemenl  figurent 
dans  les  archives  de  Bayreuth.  Vérification  faite,  le  manuscrit  retrouvé  n'est 
pas  inédit:  c'est  l'esquisse  de  l'ouverture  en  sol  majeur  qui  fut  jouée  en  1832, 
à  Leipzig,  en  1873,  à  Bayreulh  et  en  1877  à  Berlin. 

—  De  'Varsovie,  première  dépêche:  <s  Enthousiasme  Lakmé,  Regina 
Pacini,  protagoniste  admirable.  A  dû  bisser  deux  morceaux  entre  ova- 
tions et  fleurs.  »  Deuxième  dépêche:  »  Grand  succès  Mignon.  Protago- 
niste Monti-Baldini.  Plusieurs  bis,  ovations  infinies.  » 

—  Un  opéra  nouveau  intitulé  Parmi  les  Cosaques,  musique  de  M.  Elling, 
vient  d'être  joué  avec  beaucoup  de  succès  au  théâtre  de  Christiania. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  réuni,  lundi 
dernier,  pour  la  première  fois,  le  conseil  supérieur  d'enseignement  du  Conser- 
vatoire, récemment  institué.  Il  arappelé  le  but  de  cette  organisation  nouvelle, 
comparant  le  conseil  nouveau  —  toutes  proportions  gardées  —  au  conseil 
supérieur  de  l'instruction  publique.  M.  Henry  Roujon,  directeur  des  beaux- 
arts,  a  ajouté  quelques  mots  pour  e-xposer  le  but  de  la  première  réunion.  Le 
conseil  supérieur  a  alors  procédé  à  une  élection  pour  désigner  à  l'agrément 
du  ministre  un  profe.<.-;our  de  déclamation  en  remplacement  de  M.  Delaunay, 
qui  a  pris  sa  retraite.  Sur  12  membres  qui  composent  le  conseil,  11  ont  pris 
part  au  vote  (M  Jules  Lemaitre  était  absent).  M.  Le  Bargy,  au  premier  tour, 
a  réuni  10  voix  et  M.  Prud'hon  1.  Ce  dernier  avaii  d'ailleurs  retiré  depuis 
quelques  jours  sa  candidature.  Comme,  aux  termes  du  décret  ministériel,  le 
conseil  doit  f'ésigner  au  choix  du  ministre  deux  candidats  au  moins,  trois  au 
plus,  on  a  procédé  à  deux  autres  scrutins.  Au  deuxième  scrutin  —  pour  le 
second  rang  —  M.  Baillet  a  eu  7  voix,  M.  Saint-Germain,  3  voix,  M.  Prud'hon 
1  voix.  Puis,  par  six  voix  sur  onze,  le  conseil  a  décidé  qu'il  n'y  avait  pas  lieu 
de  désigner  un  troisième  candidat.  Quatre  voix  sont  allées  à  M.  Prud'hon  et 
une  à  W^"  Favart. 

Deux  jours  après,  mercredi,  avait  lieu  une  nouvelle  réunion  du  conseil, 
présidée  cette- fois  par  M.  Roujon,  directeur  des  beaux-arts,  pour  procéder 
au  choix  des  candidats  à  proposer  au  ministre  en  vue  des  vacances  qui  se  sont 
produites  dans  diverses  classes  musicales  du  Conservatoire.  Par  suite  d'erreur 
dans  les  convocations,  plusieurs  membres  de  ce  conseil,  M.  Camille  Saint- 
Saëns,  entre  autres,  se  sont  rendus  dù-ectement  au  Conservatoire,  rue  du 
Faubourg-Poissonnière,  alors  que  le  lieu  de  réunion  était  rue  de  Valois, 
qu'ils  ont  dû  gagner  fort  désappointés.  La  séance  s'est  donc  trouvée  retardée 
de  quelques  minutes,  par  suite  de  l'absence  des  retardataires.  Étaient  présents  : 
MM.  Roujon,  président.  Des  Chapelles,  Ernest  Reyer,  Massenet,  Camille 
Saint-Saêns,  Théodore  Dubois,  Paladilhe,  Lenepveu,  Ch.-M-  Widor,  Victorin 
Joncières,  Jules  Delsart,  Taffanel,  Alphonse  Duvernoy,  Emile  Réty  et  Saint- 
Yves-Bax.  La  séance  s'est  prolongée  jusqu'à  près  de  quatre  heures  et  demie  et 
n'a  pas  laissé  que  d'être  laborieuse.   Ont  été  proposés  au  choix  du  ministre  : 


Classe  de  composition.  —  Chaire  vacante  par  suite  de  la  démission  de 
M.  Théodore  Dubois,  nommé  directeur  du  Conservatoire  : 

En  première  ligne,  M.  Ch.-M.  Widor. 

En  seconde  ligne,  ex  œquo,  et  par  ordre  alphabétique,  MM.  Henri  Maré- 
chal et  Samuel  Rousseau. 

Classe  de  composition.  —  Chaire  vacante  par  suite  de  la  démission  de 
M.  Massenet  : 

En  première  ligne,  ex  œquo  et  par  ordre  alphabétique,  MM.  Gabriel 
Fauré  et  Charles  Lefebvre. 

En  seconde  ligne,  M.  Paul  Vidal. 

Cfasse  rf'accompagnemeni.  —  Chaire  vacante  par  suite  du  décès  de  M.  De- 
lahaye  : 

En  première  ligne,  M.  Paul  Vidal. 

En  seconde  ligne,  ex  œquo  et  par  ordre  alphabétique,  MM,  Gabriel 
Pierné  et  Piffaretti. 

Classe  de  violon.  —  Chaire  vacante  par  suite  du  décès  de  M.  Garcin  : 

En  première  ligne,  M.  Rémy. 

En  seconde  ligne,  M.  Desjardins. 

En  troisième  ligne,  M.  Hayot. 

Classe  de  solfège  pour  les  chanteurs.  —  En  première  ligne,  M.  de  Martini. 

En  seconde  ligne,  ex  œquo,  MM.  Auzende  et  Cuinache. 

On  sait  que  pour  la  nomination  des  professeurs  aux  chaires  vacantes,  le 
ministre  n'est  nullement  tenu  de  nommer  le  premier  des  candidats  pré- 
sentés. Il  peut  indistinctement  choisir  dans  la  liste  qui  lui  est  offerte,  sans 
s'en  référer  à  l'ordre  hiérarchique  créé  par  les  élections. 

—  L'Académie  des  beaux-arts,  dans  sa  dernière  séance,  a  décidé  que  le 
prix  Estrade-Delcros,  de  la  valeur  de  S. 000  francs,  qui  ne  devra,  en  aucun 
cas,  être  partagé,  aura  pour  objet  de  récompenser  une  œuvre  appartenant 
soit  aux  arts  du  dessin  (peinture,  sculpture,  architecture,  gravure  en  taille- 
douce,  gravure  en  médailles),  soit  à  l'art  de  la  composition  musicale.  Cette 
œu-\Te  devra  avoir  été  produite  dans  les  cinq  dernières  années  et  jugée  par 
l'Académie  particulièrement  digne  d'être  signalée  au  public.  Le  prix 
Esirade-Delcros  sera  décerné  pour  la  première  fois  en  1899  et  ne  pour  ra 
être  attribué  qu'à  un  artiste  «français  »  et  n'appartenant  pas  àl'Académ  le 
des  beaux-arts.  Le  comte  Henri  Dalaborde,  secrétaire  perpétuel,  a  ensuite 
donné  communication  à  ses  confrères  de  la  très  intéressante  notice  sur  la 
vie  et  les  œuvres  d'Ambroise  Thomas  qu'il  se  propose  de  lire  à  la  séanc  e 
publique  annuelle  de  l'Académie  des  beaux-arts.  Cette  séance  aura  lieu  , 
comme  nous  l'avons  déjà  annoncé,  le  samedi  31  octobre  prochain. 

—  Un  décret  autorise  l'Association  des  artistes  dramatiques  à  accepter 
le  legs  universel  qui  lui  a  été  fait  par  M.^'  Pilloy  dite  Alice  Ozi,  ancienne 
artiste  des  Variétés,  réserve  faite  des  legs  particuliers  énumérés  ci-dessous - 
Les  arrérages  seront  exclusivement  employés,  suivant  un  règlement  spé- 
cial qui  sera  -ultérieurement  arrêté  et  au  nom  de  M"«  Alice  Ozi,  à  donner 
aux  fils  orphelins  des  artistes  dramatiques  et  musiciens  faisant  partie  de 
l'Association,  et  principalement  aux  orphelins  nés  dans  les  départements 
de  la  Seine  et  de  Seine-et-Oise,  état,  éducation,  secours,  jusqu'à  ce  qu'ils 
soient  en  mesure  de  se  suffire.  En  outre,  sont  approuvés  plusieurs  legs 
faits  par  M"«  Alice  Ozi,  entre  autres  .50.000  francs  à  l'Association  des 
Artistes  musiciens  et  10.000  francs  à  l'Orphelinat  des  arts. 

—  Pour  l'inauguration  du  monument  au  grand  peintre  Antoine  Watteau, 
qui  va  avoir  lieu  dans  le  jardin  du  Luxembourg,  M.  Gustave  Charpentier 
vient  d'écrire  une  cantate  qui  sera  exécutée  en  même  temps  que  sera  dit 
un  poème  de  M.  Emile  Blémont  en  l'honneur  du  maître  à  qui  l'on  doit 
tant  d'œuvres  exquises. 

—  Le  monument  élevé  à  la  mémoire  de  Gustave  Nadaud  a  été  inauguré 
dimanche  dernier  à  Eoubaix.  Ce  monument  se  trouve  à  l'entrée  du  jardin 
Barbieux.  Il  se  compose  d'une  stèle  ou  pyramide  quadrangulaire  tronquée, 
qui  est  surmontée  du  buste  de  Nadaud  en  marbre  blanc.  En  avant,  deux 
pilastres  supportant  des  figures  allégoriques  sont  reliés  au  pylône  par  une 
sorte  de  balustrade  pleine  en  hémicycle.  Dans  cette  balustrade,  com  me 
dans  le  socls,  sont  incrustés  des  bas-reliefs  en  bronze.  Enfin,  sur  la  face 
interne  de  la  stèle,  une  Renommée,  également  en  bronze,  les  ailes  éployées, 
prend  son  essor  pour  offrir  au  chansonnier  sa  fleur  préférée  ,  la  rose. 
C'est  la  rose  d'ailleurs  qui  domine  dans  l'ornementation  du  monument,  du 
style  Louis  XVI.  C'est  M.  Cordonnier,  sculpteur  lillois,  qui  a  modelé  le 
buste  de  Nadaud,  ainsi  que  les  bas-reliefs  et  les  motifs  principaux.  Les 
détails  de  l'ornementation  ont  été  exécutés  sous  la  direction  de  M.  Poulain. 
Le  chapiteau  du  pylône  est  formé  par  des  attributs  de  la  musique.  A  la 
base  de  la  pyramide,  l'inscription  «  A  Nadaud  »  est  gravée  en  le  ttres  d'or 
au-dessous  d'une  lyre  qui  sert  de  point  d'appui  à  la  Renommée.  Sur  la 
face  extérieure,  un  charmant  motif,  le  Nid  abandonné,  surmonté  d'une 
partition  de  musique,  a  été  sculpté  dans  la  pierre.  L'architecte  de  ce 
monument  est  un  Roubaisien,  M.  Lefebvre. 

^  Jeudi  dernier,  à  l'Opéra,  on  a  répété  pour  la  première  fois,  à  l'orchestre, 
le  Don  Juan,  de  Mozart,  dont  la  reprise  est  officiellement  fixée  au  lundi 
26  octobre.  Tous  les  artistes  étaient  présents,  même  les  artistes  à  qui  les 
rôles  ont  été  distribués  en  double.  Cette  première  répétition,  avec  tous  les 
chœurs  et  la  danse,  a  très  bien  marché. 

—  A  rOpéra-Comique,  pour  le  même  Don  Juan,  on  ne  travaille  pas  moins  cha- 
leureusement, bien  qu'on  ne  soitpas  encore  fixé  exactement  sur  la  distribution 


336 


LE  MENESTREL 


même  de  l'ouvrage.  C'est  ainsi  qu'il  est  très  sérieusement  question  do  donner 
le  rôle  de  Zerline....  à  M""^  Delna.Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  grande  Alboni 
a  interprété,  elle  aussi,  ce  gracieux  personnage,  et  que  c'est  unprécédent  glo- 
rieux qui  peut  être  suffisant  pour  justifier  la  distribution  du  rôle  à  la  jeune 
pensionnaire  de  M.  Carvalho,  encore  que  les  oreilles  françaises  ne  soient 
habituées  à  y  percevoir  que  des  sons  menus  et  les  yeux  à  y  contempler  que 
des  grâces  mignonnes. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  au  cirque  des  Champs-Elysées,  concert  La- 
moureux,  dont  voici  le  programme  : 

Symphonie  pastorale  (Beethoven);  Rédemption,  symphonie,  introduction  de  la 
deuxième  partie  (César  Franck);  Chansons  de  Miarka,  poèmes  de  Jean  Ricliepin, 
musique  d'.\Iexandre  George,  chantées  par  M"'  Jenny  Passama  ;  Capriccio  espa- 
gnol (Rimskj-Korsakow)  ;  Pîjr dices(i,  ariette  composée  vers  1700  (A.  Lotti),  chan- 
tée par  M""  Jenny  Passama  ;  la  Jeunesse  d'Hercule  (Saint-Saëns)  ;  Ouverture  des 
Maîtres  Chanteurs  (Wagner). 

—  C'est  dimanche  prochain,  25  octobre,  que  les  concerts  du  Cliâtelet 
feront  leur  réouverture  sous  la  direction  de  M.  Colonne.  Ce  premier  concert 
sera  un  festival  de  musique  française,  dont  voici  le  programme  : 

Georges  Bizet  (1838-1875),  ouverture  de  Patrie.  —  Hector  Berlioz  (1803-1869), 
symphynie  fantastique.  —  César  Franck  (1822-1890),  Psyché,  poème  symphonique 
pour  orchestre  et  chœurs.  —  Edouard  Lalo  ivers  1830-1892),  Divertissement.  — 
Benjamin  Godard  1 1849-1895),  berceuse  de  Joeelyn  ;  violoncelle  :  M.  Baretti.  — 
Léo  Delibes  (1836-1891),  le  Poi  s'am!«e(airs  de  danse  dans  le  style  ancien).— 
Charles  Gounod  (1818-1893),  Hymne  à  sainte  Cécile  (par  tous  les  instruments  à 
cordes).  —  Ernest  Guiraud  (1837-1892),  Carnaval  (finale  de  la  première  suile 
d'orchestre). 

'Voici  comment  l'excellent  critique  musical  de  ta  Gironde,  M.  Paul  La- 
vigne,  s'exprime  au  suj  et  de  la  belle  reprise  de  la  Navarraise,  qu'on  vient 
de  jouer  au  grand  théâtre  de  Bordeaux  :  «  On  a  repris  hier  soir,  au  Grand- 
Théâtre,  1"  «  épisode  lyrique  »  émouvant,  en  deux  actes,  de  MM.  J.  Claretie 
et  H.  Gain,  si  remarquablement  mis  en  musique  par  M.  Masseuet.  Selon 
notre  habitude,  que  nous  croyons  bonne,  nous  n'établirons  aucune  espèce  de 
comparaison  entre  M°"  de  Nuo\'ina,  l'Anita  d'autan  au  Grand-Théâtre,  et 
Mme  Georgette  Leblanc,  la  créatrice  du  rôle  au  Théâtre-Royal  de  la  Monnaie 
de  Bruxelles.  Toutes  les  deux  sont  très  remarquables  dans  des  genres  diflé- 
rents.  Mais,  à  coup  sûr,  on  ne  peut  pas  être  meilleure  que  M""'  Georgette  Le- 
blanc dans  le  rôle  de  la  Navarraise,  qu'elle  chante  et  joue  en  artiste  incom- 
parable :  ce  qu'elle  y  dépense  de  naturel,  de  spontanéité,  d'énergie  et  de 
nerfs  est  incroyable.  Ici,  je  renonce  à  analyser  un  talent  si  remarquable,  si 
exceptionnel,  et  surtout  si  personnel.  Ne  regardant  pas  à  déployer  tous  ses 
efîorts,  toute  son  impétuosité  et  toutes  ses  forces,  M™"  Leblanc  atteint  les 
effets  les  plus  pathétiques.  Le  spectateur  était  haletant  devant  un  pareil  tem- 
pérament de  grande  artiste.  Nous  n'entrons  pas  dans  les  détails,  nous  en 
aurions  pour  deux  colonnes.  Nous  ne  donnons  que  l'impression  générale, 
très  résumée  mais  très  fidèle.  Tout  Bordeaux  voudra  voir  et  applaudir 
M.me  Georgette  Leblanc  dans  cet  ouvrage,  d'autant  que  les  autres  interprètes, 
électrisés  par  elle,  sont  tous  plus  que  très  satisfaisants.  M.  Sentein  briile  les 
planches.  Un  ne  reconnaîtrait  guère,  dans  Araquil,  l'Arnold  de  l'autre  jour  : 
M.  Ansaldi,  avec  sa  belle  voix,  joue,  s'anime,  court,  vole;  il  est  transfiguré. 
M.  Cazeneuve,  M.  Bédué,  sans  oubUer  M.  Dekeghel,  artiste  dans  l'âme, 
doivent  être  cités  avec  éloges.  M.  Haring  conduit  cette  musique  endiablée  en 
chef  d'orchestre  rompu  à  toutes  les  innovations  musicales  de  notre  admirable 
Masseuet.  La  symphonie  entre  les  deux  tableaux  a  été  extrêmement  goûtée 
et  non  moins  applaudie.  En  somme,  succès  éclatant,  dont  le  principal  hon- 
neur revient  à  M°"  Georgette  Leblanc.  En  résumé,  nous  avons  eu  hier  soir 
une  représentation  tout  exceptionnelle,  et  qui  aura,  j'en  suis  persuadé,  les 
plus  heureuses  conséquences  sur  l'état  actuel  de  notre  Grand-Théâtre.  M"»  Le- 
blanc et  M.  Rieux  sont  deux  sujets  qui,  à  des  points  de  vue  totalement  dif- 
férents, vont  attirer  la  foule  !  Mireille  et  la  Navarraise  vont  faire  salle  comble, 
et  combien  de  fois?...  Pendant  que,  comme  lendemains,  on  aura  les  repré- 
sentations des  autres  ténors,  sans  se  montrer  le  moins  du  monde  flatteurs  de 
l'administration,  les  amateurs  peuvent  dire  que  voilà,  décidément,  un  bon 
et  beau  commencement  d'année  théâtrale.  » . 

—  Avis  aux  compositeurs  en  quête  d'un  bon  livret.  MM.  Jules  Barbier 
et  Paul  de  Choudens  viennent  de  publier,  à  la  librairie  Calmann-Lévy, 
une  Clarisse  Harlowe  qu'ils  ont  parachevée  depuis  quelque  temps,  et  qui 
contient  tous  les  éléments  de  pathétique,  de  couleur  et  de  pittoresque 
que  peut  désirer  un  musicien  moderne. 

_  M"'  Yveling  RamBaud  a  repris  chez  elle,  10,  place  Bréda,  ses  cours 
et  ses  leçons  de  chant,  de  diction  et  de  déclamation  dramatique. 

NÉCROLOGIE 

j.    o A.K.cina' 

C'est  avec  un  sentiment  de  chagrin  véritable  que  j'enregistre  ici  la  mort 
de  mon  vieil  ami  Jules  Garcin,  que  nous  avons  conduit  mardi  dernier  à 
sa  dernière  demeure.  Ce  dénouement  d'une  longue  et  douloureuse  maladie 
était  depuis  trop  longtemps  prévu  pour  qu'il  pût  étonner  beaucoup,  mais 
il  n'en  laissera  pas  moins  de  bien  sincères  regrets  à  tous  ceux  qui  ont 
connu  ce  galant  homme,  cet  excellent  artiste  que,  chose  rare,  son  talent 
et  sa  modestie  n'avaient  pas  empêché  d'atteindre   une  situation  brillante. 


Artiste  de  cœur  et  fort  instruit,  esprit  élevé  et  distingué,  Garcin  valait 
mieux  encore  que  cette  situation,  qui  pour  lui  s'était  fait  attendre  quelque 
peu.  Professeur  au  Conservatoire,  chef  d'orchestre  de  la  Société  des  con- 
certs, il  était,  avec  son  abord  que  la  timidité  rendait  d'apparence  un  peu 
froide,  plein  de  chaleur  de  cœur  et  accessible  à  tous  les  enthousiasmes, 
et  je  me  rappelle  l'appui  très  elTicace  et  plein  de  désintéressement  qu'il 
me  donna,  à  moi  qui  jadis  avais  été  un  peu  son  élève,  lorsque  je  m'oc- 
cupai, pendant  près  de  dix  ans.  de  l'érection  à  Givet  de  la  statue  de  Méhul, 
que  nous  avons  pu  enfin  inaugurer  en  1892. 

Garcin,  qui  appartenait  à  une  famille  de  comédiens  de  province,  la 
famille  des  Garcin  et  des  Chéri  (il  était  le  cousin  de  Rose  Chéri,  morte  si 
jeune,  de  Victor  Chéri,  qui  s'est  pendu  il  y  a  quelques  années,  et  de  la 
pauvre  Anna  Chéri,  M""""  Lesueur,  qui  est  folle  depuis  quinze  ans),  était 
né  à  Bourges  le  11  juillet  1830.  Après  avoir  obtenu  au  Conservatoire  un 
second  et  un  premier  prix  de  solfège,  il  devint  un  des  plus  brillants  élèves 
d'Alard  et  se  vit  décerner  un  accessit  de  violon  en  1848,  le  second  prix 
en  1851  et  le  premier  prix  en  1853.  Il  fut  aussi  élève  de  Bazin  pour  l'har- 
monie et  d'Adolphe  Adam  pour  la  compositiou.  'Violoniste  fort  distingué, 
il  entra  par  concours  à  l'orchestre  de  l'Opéra,  où  il  devint  plus  tard  violon- 
solo  et  troisième  chef,  et  il  fit  entendre,  dans  une  séance  de  la  Société  des 
concerts,  un  concerto  de  sa  composition,  qui  était  une  œuvre  vraiment 
remarquable.  Il  dut  cependant  renoncer  d'assez  bonne  heure  à  se  pro- 
duire en  public,  parce  qu'il  était  atteint  de  cette  petite  infirmité  qu'on 
appelle  la  crampe  des  violonistes.  Cela,  toutefois,  ne  pouvait  l'empêcher 
de  faire  de  bons  élèves,  et  il  l'a  prouvé  dans  la  classe  dont  il  avait  été 
nommé  titulaire  en  1875.  Lors  de  la  retraite  de  M.  Deldevez,  il  prit  sa 
succession  comme  premier  chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts, 
dont  il  sut  maintenir  fidèlement  les  brillantes  traditions.  Il  dut  se  retirer 
lui-même  il  y  a  deux  ans,  atteint  déjà  de  la  maladie  qui  lui  causait  une 
sorte  de  tremblement  convulsif  et  qui  lui  enlevait  toute  confiance  en  lui- 
même.  Il  est  mort  le  10  de  ce  mois,  en  pleine  connaissance  de  lui-même, 
en  quelque  sorte  épuisé  par  un  mal  implacable.  Huit  jours  auparavant,  il 
écrivait  les  dédicaces  de  quatre  morceaux  qu'il  venait  de  publier.  L'assis- 
tance nombreuse  et  recueillie  qui  s'est  rendue  à  ses  funérailles  a  donné 
la  mesure  des  regrets  que  l'excellent  Garcin  a  laissés  derrière  lui. 

Au  cimetière,  M.  Théodore  Dubois,  directeur  du  Gonscrva(oirc,  a  prononcé 
une  allocution  touchante,  et  a  rappelé  en  termes  émus  les  services  que  Garcin 
avait  rendus,  comme  professeur,  à  l'école  dont  il  avait  été  l'un  des  plus 
brillants  élèves.  «  Si  je  parle,  a  dit  M.  Dubois,  de  celui  que  nous  pleurons 
comme  professeur,  il  me  suffira  de  rappeler  les  succès  que  ses  élèves  ont 
constamment  obtenus  aux  concours,  et  l'amour  qu'ils  avaient  pour  leur  maitre. 
Il  était  bon,  dévoué  et  passionné  pour  sa  classe.  Pendant  plus  de  vingt  ans, 
il  a  donné  à  son  enseignement  du  Conservatoire  le  meilleur  de  sa  vie,  de  son 
activité,  de  son  intelligence,  malgré  les  cruelles  souffrances  qu'il  ressentait 
depuis  plusieurs  années  déjà  et  qu'il  supportait  avec  une  résignation  tou- 
chante ».  L'hommage  était  légitime,  et  il  n'aurait  pu  être  rendu  mieux  et  avec 
plus  d'autorité  ([ue  ne  l'a  fait  M.  Théodore  Dubois.  A. P. 

—  Nous  avons  le  regret  d'annoncer  aussi  la  mort  d'une  femme  char- 
mante, qui  jouit  pendant  vingt  ans  de  toute  la  sympathie  du  public  pari- 
sien, M""!  Gaveaux-Sabatier.  bien  connue  naguère,  à  l'époque  de  la  grande 
vogue  de  la  romance,  comme  interprète  aimable  et  élégante  des  chants 
gracieux  de  Masini,  de  Paul  Henrion,  d'Etienne  Arnaud,  de  M""  Loïsa 
Puget,  de  M""  Victoria  Arago.  M""^  Gaveaux-Sabatier,  la  grâce  en  per- 
sonne, donnait,  par  son  exécution  intelligente  et  fine,  à  ces  petits  poèmes 
une  saveur  particulière,  et  contribuait  très  efficacement  aux  succès  qu'ils 
obtenaient  dans  le  monde  et  dans  les  concerts.  Depuis  longtemps  cette 
femme  aimable  avait  fait  ses  adieux  au  public  et  s'était  consacrée  à  l'en- 
seignement d'un  art  qu'elle  connaissait  bien  pour  l'avoir  bien  pratiqué. 
Elle  est  morte  âgée  de  76  ans. 

—  On  annonce  la  mort  de  Johan  G.  Conradi,  musicien  norwégien  qui 
s'est  éteintâ  Christiania  à  l'âge  de76  ans.  Il  a  composé  plusieurs  mélodies, 
de  la  musique  de  scène  pour  plusieurs  drames,  et  a  aussi  publié  une  notice 
historique  sur  la  musique  et  les  musiciens  de  la  Norwège. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

CONCERTS    LAMOUREUX 

(cirque  d'été) 
DIMANCHE    18  OCTOBRE    1896 


<CSÉ:Si.A.Il     ir- rt  ^A.  IV  G 151 

Rédemption 

Morceau  symphonique. 

Partition  d'orchestre,  prh  noi  :  10  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  pris  w\  :  20  fr, 
Chaque  partie  supplémentaire,  prix  net  I  fr.  50. 


Paitition  piano  et   chant,  complète,  prie  net  :  10  francs. 
Fragment  symphonique,  transcrit  pour  deux  pianos,  4  mains,  prixnet:  6  fr 


R.   —  IMPRIMERIE   i 


3^22. 


62  "   AWÉE  —  \°  43. 


Diiiiaiiclic  2S  Oclolirc  i896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  i\Iusique  de  Cliant,  20  fr.;  Teste  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étroiger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE -TEXTE 


].  Étude  3urOrp/iee  (9'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  première 
représentation  de  la  Viepourle  Tsar  à  l'Opéra  russe,  Arthur Pougin;  premières 
représentations  de  la  Poupée  k  la  Gaîlé,  des  Bienfaiteurs  à  la  Porte-Saint-Mar- 
tin  et  de  la  Villa  Gubij  au  Gymnase,  II.  Moreno.  —  III.  L'Exposition  du  théâtre 
et  de  la  musique  (3'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ANTOINE  WATTEAU 

■a"  4  des  Portraits  de  peintres,  pièces  pour  piano  de  Reynaldo  Hahn.  —  Suivra 
immédiatement  :  Les  Révérences  nuptiales,  n"  1  de  la  collection  des  Vieux 
Maîtres,  Irauscriptiou  pour  piano  de  Louis  Diémer  d'après  Boismortier  (1732), 
répertoire  de  la  Société  des  instruments  anciens. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique   de 

CHANT  :  /(  m'aime,  m'aime  pas,  mélodie  italienne  de  P.  Mascagni,  traduction 

française  de  Pierre  Barbier.  —  Suivra  immédiatement  :  Prélude,  nouvelle 

mélodie  de  Benée  Eldèse,  poésie  de  Henri  de  Bégnier. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De   GLUCK 

(Suite) 


Au  point  de  vue  de  la  succession  des  tonalités,  les  diffé- 
rences s'accusent  davantage.  Dans  l'opéra  italien,  l'unité 
tonale  est  si  bien  observée  que  la  musique  du  tableau  tout 
entier  a  pu  être  écrite  d'un  bout  à  l'autre  avec  la  même  ar- 
mure à  la  clef  (trois  bémols)sans  nécessiter  la  trop  fréquente 
intervention  des  altérations  accidentelles.  Le  prélude  d'or- 
chestre, en  mi  bémol,  s'enchaîne  naturellement  avec  le  dessin 
de  la  harpe  et  la  première  attaque  du  cbœur,  qui  sont  en  ut 
mineur.  L'air  de  ballet  suivant,  ainsi  que  la  reprise  et  le  déve- 
loppement du  chœur,  se  maintiennent  dans  cette  tonalité; 
puis  on  revient  en  mi  bémol,  avec  l'air  d'Orphée.  Le  chœur 
reprend  en  mi  bémol  mineur,  puis  module  rapidement,  et 
amène  les  deux  chants  d'Orphée,  avec  lesquels  il  alterne  en 
fa  mineur,  ton  et  mode  qui  se  maintiennent  jusqu'à  la  fin. 

La  transposition  du  rôle  d'Orphée  de  la  voix  de  contralto 
à  celle  de  ténor  et  la  nécessité  de  donner  la  seconde  partie 
du  chœur  aux  hautes-contres  ont  amené  un  remaniement 
général  qui,  il  faut  l'avouer,  n'est  pas  toujours  à  l'avantage 
de  la  version  nouvelle.  C'est  ainsi  que,  le  prélude  instru- 
mental restant  en  mi  bi-mol,  le  chœur  avec  lequel  il  s'enchaine 
est  élevé  d'un  ton,  passant  en  ré  mineur.  L'air  d'Orphée  est  en 


si  bémol,  de  façon  que  dans  le  dessin  vocalisé  de  la  dernière 
période:  «  A  l'excès  de  mes  malheurs  »,  la  voix  monte  jus- 
qu'au contre-ce.  Les  relations  tonales  des  épisodes  suivants 
restent  un  moment  ce  qu'elles  étaient  dans  l'œuvre  origi- 
nale, les  morceaux  se  succédant  à  la  quarte  inférieure  des 
tons  primitifs  :  le  chœur  «  Qui  t'amène  en  ces  lieux,  »  en  si 
bémol  mineur,  et  les  deux  chants  d'Orphée  :  «  Ah  I  la  flamme 
qui  me  dévore,  »  et  «  La  tendresse  qui  me  presse,  »  en  ut  mi- 
neur; mais  les  chœurs:  «  Par  quels  puissants  accords,  i  et 
«  Quels  sons  doux  et  touchants  »,  au  lieu  de  rester  dans  le 
même  ton,  répondent,  le  premier  à  la  dominante,  sol  mineur, 
le  second  à  la  quarte  supérieure,  fa  mineur,  ton  dans  lequel 
s'achève  la  partie  chantée  de  la  scène. 

Enfin,  l'orchestre  des  deux  versions  présente  des  différences 
considérables.  Dans  Orfeo,  la  suprématie  reste,  pleine  et 
entière,  aux  voix,  qui  ne  sont  accompagnées  que  par  les  ins- 
truments à  cordes,  avec,  de  loin  en  loin,  quelques  notes  de 
hautbois  et  de  cors,  ainsi  que  la  harpe  d'Orphée.  C'est  du 
moins  tout  ce  que  spécifie  le  manuscrit  de  Vienne.  Déjà 
pourtant  la  partition  gravée  à' Orfeo  mentionne  les  tromboni  e 
cornetto  comme  renforçant  les  voix  sur  le  «  No  !  »  par  lequel 
les  voix  formidables  des  démons  répondent  à  la  supplication 
d'Orphée  :  les  parties  de  ces  instruments  sont  notées  sur  la 
même  portée  que  celle  des  violons.  Les  cornetti,  avec  les 
hautbois,  sont  encore  portés  comme  doublant  la  partie  des 
premiers  violons  dans  les  chœurs:  Misei-o  giovane  et  Ah!  quale 
incognito. 

Dans  la  partition  française  gravée,  il  n'est  fait  mention  que 
d'une  trompette  (dans  Orfeo,  c'étaient  des  cors)  mêlant,  dans 
le  prélude,  ses  notes  isolées  et  aiguës  aux  sons  graves  et 
tenus  des  instruments  à  cordes  et  des  hautbois,  et,  sur  le 
a  Non!  »  de  l'air  «  Laissez-vous  toucher  »,  aucun  nom  d'ins- 
trument de  cuivre  n'est  porté  à  la  tablature.  Mais  les  autres 
documents  français  donnent  des  indications  toutes  différentes. 

C'est  d'abord  la  partition  conductrice  et  les  parties  séparées 
qui  nous  montrent,  dès  le  prélude,  la  trompette  et  les  cors 
jouant  ensemble,  et  les  trois  trombones  unissant  leurs  puis- 
santes voix  aux  accords  plus  sourds  des  instruments  à  cordes 
dans  le  grave  et  des  hautbois  et  bassons.  Les  trombones  conti- 
nuent et  doublent  les  voix  d'hommes  pendant  toute  la  durée  de 
la  scène,  même  dans  les  morceaux  ayant  un  caractère  doux, 
—  tandis  que  les  clarinettes  unies  aux  hautbois  accompagnent 
les  soprani  et  que  les  bassons  suivent  la  partie  des  basses  à 
cordes.  Ainsi  la  sonorité  de  la  partie  chorale  est-elle  consi- 
dérablement renforcée. 

Gomme  on  l'a  expliqué  précédemment,  la  partition  conduc- 
trice et  les  parties  d'orchestre  sont  des  documents  qui  doivent 
faire  autorité  par-dessus  tout  autre  ;  aussi,  les  ayant  consultés, 
ne  saurions-nous  partager  l'avis  de  Berlioz  lorsqu'il  écrit: 


338 


LK  MUNESTUl'L 


«  Des  trombones  furent  ajoutés  par  l'un  des  anciens  chefs 
d'orchestre  de  l'Opéra  dans  certaines  parties  de  la  scène  des 
Enfers  où  l'auteur  n'en  avait  pas  mis,  ce  qui  affaiblissait 
nécessairement  l'effet  de  leur  intervention  dans  la  fameuse 
réponse  des  démons  :  «  Non  !  j  où  le  compositeur  a  voulu 
les  faire  entendre  (1)  ». 

Il  est  visible,  en  effet,  que  les  parties  d'orchestre  ne  portent 
aucune  trace  d'addition  à  la  version  primitive,  :  elles  ont 
toutes  les  apparences  d'être  celles-là  mêmes  qui  ont  servi  dès 
la  première  représentation.  D'autre  part,  l'autographe,  malgré 
ce  qu'il  a  de  sommaire,  va  nous  donner  encore  une  indication 
précieuse,  quoique  pouvant  rentrer  dans  la  catégorie  des 
«  infiniment  petits  »  :  c'est,  dans  la  marge,  à  l'entrée  du 
choeur:  «  Quel  est  l'audacieux»,  et  devantles  quatre  portées 
réservées  aux  voi.x,  ces  deux  simples  mots  :  «  Les  instru- 
ments »;  puis,  dans  l'air  d'Orphée,  devant  le  «  Non!  »,  le 
mot  tutti  entre  les  portées  où  le  chœur  est  noté  et  celles 
des  parties  d'orchestre.  Or,  déjà  nous  avons  vu  que,  dans 
le  premier  chœur,  ces  mots  :  «  Les  instruments  »  s'appli- 
quaient à  la  combinaison  des  trombones  et  clarinettes  dou- 
blant les  voix.  Leur  présence  ici  n'est  pas  moins  signi- 
ficative, et  vient  confirmer  l'idée  que,  le  manuscrit  de  Gluck 
n'étant  qu'une  simple  esquisse,  la  forme  orchestrale  défini- 
tive fut  exécutée  d'après  ses  indications  et  conformément 
aux  ressources  du  théâtre,  et  que  cette  forme  est  celle  qui 
nous  est  parvenue  par  les  diverses  copies  restées  à  l'Opéra. 

Scène  ii.  —  Le  tableau  des  Champs  Elysées  a  reçu  dans  la 
partition  française  un  développement  plus  considérrible  que 
celui  qu'il  avait  dans  la  partition  italienne;  l'énumération 
suivante  en  donnera  la  preuve: 

Air  de  b.a.llet  en  fa.  —  Existe  identiquement  dans  les  deux 
versions. 

Air  de  ballet  en  ré  mineur  ;  reprise  du  précédent  :  air  en  ut  ; 
SOLO  ET  CHOEUR  :  Cet  asile  aimable  et  tranquille.  —  Manquent  tota- 
lement dans  la  partition  italienne. 

Scène  m.  —  Air  d'orphée  :  Quel  nouveau  ciel,  —  Clie  piiro  ciel. 
Existe  dans  les  deux  partitions,  mais  a  subi  dans  la  deuxième 
des  remaniements  considérables  et  très  intéressants  à  étu- 
dier. Les  dessins  principaux,  celui  des  premiers  violons  en 
sextolets  de  doubles  croches,  celui  des  seconds  violons  avec  le 
gntpetto  si  caractéristique  dont  Beethoven  et  Berlioz  ont  fait, 
après  Gluck,  un  non  moins  heureux  emploi  (dans  la  Symphonie 
pastorale,  la  scène  des  Sylphes  de  la  Damnation  de  Faust,  etc.), 
la  discrète  batterie  des  altos  divisés,  le  chant  expressif  du 
hautbois,  dialoguant  avec  la  calme  mélopée  de  la  voix,  tout 
cela  est  dans  les  deux  œuvres:  mais,  dans  Orfeo,  cette  poly- 
phonie si  limpide  était  compliquée  par  un  dessin  passant 
sans  cesse  de  la  flûte  traversière  au  violoncelle  solo,  et  que 
Gluck  a  supprimé,  simplifiant  son  œuvre  première  pour 
l'amener  au  plus  haut  point  de  perfection. 

Scène  iv.  —  air  de  danse,  récitatif  et  chœdr.  —  Sauf  deux 
mesures  ajoutées  au  chœur  des  Ombres  heureuses  :  Torna  o  bella 
al  tuo  consorte  (  «  11  s'aperçut  fort  tard,  dit  Berlioz,  que  l'absence 
de  cette  mesure  détruisait  la  régularité  de  la  phrase  finale  »), 
le  remaniement  du  récitatif,  enfin  l'addition  des  flûtes  et  des 
clarinettes  dans  l'accompagnement  des  chœurs,  cette  fin  du 
deuxième  acte  est  la  même  dans  les  deux  partitions. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 


Opéra  russe  (au  Nouveau-Théâlre).  La   Vie  pour  le  Tsar,  opr-ra  en  cinq  actes 
de  Micliel  de  Glinka.  (19  octobre  1896) . 

Le  rideau  se  lève  sans  préparation,  sur  un  large  accord  de  l'or- 
chestre ;  entouré  des  chœurs,  un  monsieur  s'avance  sur  la  scène 
(c'est  M.  Devoyod)  en  costume  de   moujik,  longues  bottes,   culottes 

(1)  H.  Befu-ioz,  a  travers  chants,  p.  H5. 


grises,  blouse  rouge,  bonnet  de  fourrure,  et  il  entonne  d'une  vois 
superbe  l'hymne  russe,  que  les  chœurs  répètent  avec  lui,  on  applaudit, 
le  rideau  retombe,  et  bientôt  sont  frappés  les  trois  coups  sacramentels 
qui  donnent  le  signal  de  l'ouverture  de  la  Vie  pour  le  Tsar. 

Il  serait  peut-être  prétentieux  de  dire  que  nous  connaissons  la  Vie 
pour  le  Tsar  après  la  représentation  inégale  (je  suis  indulgent)  que  vient 
de  nous  en  offrir  le  Nouveau-Théâtre,  représentation  dans  laquelle 
l'œuvre  a  été  tronquée  et  mutilée  avec  une  familiarité  que  j'oserais 
qualifier  d'un  peu  sacrilège.  Au  point  de  vue  musical,  suppression  de 
l'air  d'Antonide  au  premier  acte,  suppression  au  troisième  du  superbe 
chœur  de  villageois,  larges  coupures  dans  l'épilogue;  au  point  de 
vue  scénique,  suppression  de  l'entrée  en  bateau  de  Sabinine,  suppres- 
sion plus  grave  de  l'entrée  du  tsar  qui  forme  le  dénouement  superbe 
de  l'œuvre,  etc.  Je  sais  bien  que  l'exécution  d'une  telle  œuvre  est 
ardue,  difficile  sous  tous  les  rapports,  et  je  me  rends  parfaitement 
compte  de  l'effort  qu'il  a  fallu  pour  nous  en  donner  encore  ce  sem- 
blant et  cette  apparence.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  je  défie  bien 
celui  qui  ne  la  connaît  pas,  qui  ne  l'a  pas  étudiée,  de  s'en  faire  une 
idée  même  approximative  après  l'avoir  vue  et  entendue  dans  des 
conditions  aussi  fâcheuses  et  aussi  incomplètes.  Et  pourtant,  malgré 
tout,  la  beauté  lumineuse  de  certaines  pages  s'impose  encore  à  l'at- 
tention et  à  la  sympathie  ;  et  n'y  eùt-il,  dans  celte  noble  partition  de 
la  Vie  pour  le  Tsar,  que  l'admirable  scène  de  Soussanine  au  quatrième 
acte,  lorsqu'il  égare  volontairement  dans  la  forêt  les  Polonais  qui  ne 
vont  pas  tarder  à  l'égorger,  cette  scène  si  pathétique  et  d'une  si 
poignante  mélancolie,  qu'elle  suffirait  à  classer  Glinka  au  nombre  des 
musiciens  de  génie. 

C'est  surtout  en  entendant  cette  scène  superbe  et  si  émouvante 
qu'on  s'étonne  de  la  puissance  d'impression  qu'elle  peut  produire 
après  soixante  ans  écoulés,  ce  qui  prouve  bien  que,  même  en  musi- 
que, la  vérité  d'expression  ne  vieillit  pas,  car  ilya  tout  juste  soixante 
ans  que  la  Vie  pour  le  Tsar  fit  son  apparition  au  théâtre  Impérial  de 
Saint-Pétersbourg,  le  9  octobre  1836  (27  septembre  du  calendrier 
russe).  Les  quatre  rôles  de  l'ouvrage  (il  n'y  a  avec  eux  que  deux 
personnages  absolum'iut  accessoires)  étaient  tenus  par  l'excellente 
basse  Pétrof  (Soussanine),  le  ténor  français  Charpentier,  qui  se  faisait 
appeler  Léonof  (Sabinine),  M"*  Vorobief,  qui  allait  devenir  bientôt 
M™  Petrovna  (^^ania)  et  M""»  Stepanova  (Antonide).  On  sait  que  l'œu- 
vre fut  bientôt  acclamée  comme  essentiellement  nationale,  et  cela 
non  seulement  à  cause  du  caractère  patriotique  du  sujet,  mais  aussi 
en  raison  de  la  couleur  vraiment  autochtone  de  la  musique.  Le  succès 
éclatant  qui  l'accueillit  tout  d'abord  ne  s'est  jamais  démenti,  et  il  est 
encore  aussi  vif  aujourd'hui  qu'à  l'origine.  Le  17  décembre  1879  on 
donnait  à  Saint-Pétersbourg  la  SOO'^  représentation  de  la  Me  pour  le 
Tsar,  et  sept  ans  après,  en  1886, on  célébrait,  avec  la  ."577',  le  cinquan- 
tième anniversaire  de  son  apparition  devant  le  public.  Ce  fut  ici 
comme  une  sorte  de  véritable  solennité  nationale  (le  matériel  scé- 
nique avait  été  complètement  renouvelé  à  cette  occasion),  qui  eut  son 
contre-coup  dans  toutes  les  villes  de  l'empire  qui  possédaient  un 
théâtre  d'opéra  et  qui,  toutes,  représentèrent  aussi  l'ouvrage  ;  il  fut 
même  joué  à  Moscou  sur  deux  théâtres  à  la  fois.  Celle  circonstance 
donna  lieu  à  deux  publications  intéressantes  :  une  Histoire  de  «  la  Vie 
pour  le  Tsar  »  de  M.  P.  Weimarn,  et  une  brochure  de  M.  "Vladimir 
Stassof,  le  fameux  critique,  ornée  des  portiails  de  Glinka  et  de  sa 
sœur,  M""*^  Ludmilla  Schestakow,  si  intimement  liée  à  sa  gloire,  et 
d'une  reproduction  de  la  statue  du  maître  à  Smolensk. 

Le  sujet  de  la  Vie  pour  le  Tsar -peut  se  lésumer  en  peu  de  mots. 
L'action  se  passe  en  1613,  alors  que  les  Polonais,  à  la  suite  de  la  mort 
du  tsar  Boris  Godounof,  avaient  envahi  l'empire  russe  et  s'étaient 
avancés  jusqu'à  Moscou.  Comprenant  le  danger  qui  menaçait  son  indé- 
pendance, la  nation  tout  entière  se  serrait  autour  du  jeune  Mikhaël- 
Fédorovitch  Romanof,  qui  venait  d'être  élu  tsar,  et,  selon  les  chro- 
niques, les  Polonais  avaient  formé  le  projet  de  s'emparer  de  la  per- 
sonne du  nouveau  souverain.  Quelques-uns  de  leurs  chefs,  le  cherchant 
sans  savoir  où  le  trouver,  s'adressent  à  un  paysan,  Ivan  Soussanine, 
et  lui  ordonnent  de  les  mener  auprès  de  son  maître.  Celui-ci,  flairant 
une  trahison,  fait  bravement  le  sacrifice  de  sa  vie  pour  sauver  son 
souverain  et  son  pays  :  feignant  d'obéir,  il  envoie  Vania,  son  fils 
adoplif,  prévenir  le  tsar  du  danger  qui  le  menace,  puis  il  égare  les 
Polonais  au  fond  d'une  forêt  presque  impénétrable,  d'oîi  il  leur  est 
impossible  de  retrouver  leur  chemin.  Et  quand  ceux-ci  s'aperçoivent 
qu'ils  ont  été  trompés,  le  malheureux  est  par  eux  mis  à  mort  et  tombe, 
héros  obscur,  victime  de  son  dévouement  patriotique.  Si  l'on  ajoute 
à  cette  action  principale  les  épisodes  naissant  de  l'amour  d'Anto- 
nide, la  fille  de  Soussanine,  avec  le  jeune  Sabinine,  on  aura  fous  les 
éléments  d'un  poème  en  soi  très  pathétique  et  empreint  d'un  réel 
intérêt.  Et  l'on  comprendra  surtout  l'enlhousiasme  qu'il  a  dû  exciter 


LE  MENESTREL 


ssgf 


chez  le  peuple  russe,  une  fois  allié  à  la  musique  de  Glinka,  d'une 
couleur  si  originale  et  d'un  caractère  si  essentiellement  national  dans 
quelques-unes  de  ses  parties. 

Je  dis  bien  :  «  dans  quelques-unes  de  ses  parties  »,  car  l'œuvre  est 
un  peu  composite,  ce  qui  n'a  rien  d'étonnant  si  l'on  songe  que,  d'une 
part,  c'est  la  première  production  dramatique  de  Glinka  (sous  ce 
rapport,  la  sûreté  de  main  y  est  étonnante),  et  que,  de  l'autre,  il 
l'écrivit  au  retour  de  son  grand  voyage  en  Italie,  oli  son  séjour  fut  de 
deux  années  pleines,  à  l'époque  des  triomphes  de  Bellini  et  de  Doni- 
zetti  et  alors  que  le  rossinisme  était  dans  tout  son  éclat.  Il  n'est  donc 
pas  surprenant  que  les  formes  italiennes  se  présentent  dans  plus 
d'une  page  de  la  partition  très  touffue  de  la  Vie  pour  le  Tsar.  On  les 
rencontre  particulièrement  dans  le  trio  du  premier  acte,  qui  est 
d'ailleurs  d'un  fort  joli  effet,  et  oùla  phrase  principale,  établie  d'abord 
par  le  ténor,  est  reprise  ensuite  par  le  soprano,  puis  par  la  basse  ;  on 
les  retrouve  encore,  indéniables,  dans  l'ensemble  du  beau  quatuor 
du  troisième  acte,  qui  est  très  harmonieux,  très  séduisant,  et  d'une 
superbe  ampleur  de  construction.  Mais  c'est  dans  d'autres  parties  que 
se  fait  jour  l'originalité  aussi  bien  du  fond  que  de  la  forme,  et  qu'on 
peut  jouir  de  la  saveur  toute  particulière  de  l'inspiration  du  compo- 
siteur: c'est  dans  le  joli  chœur  féminin  qui  ouvre  le  premier  acte  et 
dont  l'accent  est  plein  de  grâce  ;  dans  le  duo  de  Soussanine  et  de  Vania 
au  troisième,  qui  est  d'un  caractère  mâle  et  coloré;  dans  la  première 
scène  de  Soussanine  et  des  Polonais,  qui  est  d'une  couleur  chaude, 
inspirée  et  vraiment  théâtrale;  dans  un  chœur  charmant  déjeunes 
filles,  à  cinq  temps,  qui  conclut  d'une  façon  singulière,  sur  la  domi- 
nante; surtout  dans  l'admirable  scène  de  la  forêt  qui  est  le  point  culmi- 
nant de  l'œuvre,  cette  scène  dans  laquelle  Soussanine,  pressentant 
qu'il  va  être  massacré  par  les  Polonais  qu'il  a  trompés,  fait  un  retour 
en  lui-même  sur  son  passé  et  songe  aux  êtres  aimés  dont  il  se  sépare 
volontairement  en  sacrifiant  sa  vie  pour  son  pays  et  pour  son  maître. 
Tout  ce  long  monologue,  toute  celle  mélopée  empreinte  d'un  sentiment 
de  tristesse  indicible,  est  d'un  accent  très  beau,  très  pénétrant,  et 
qui  découle  de  la  plus  noble  inspiration.  Il  y  a  là  un  souffle  plein 
de  puissance,  d'une  émotion  intense,  qui  ne  pouvait  jaillir  que  de 
l'âme  d'un  grand  artiste.  Cette  page  superbe,  superbement  interprétée 
par  M.  Devoyod,  a  produit  une  impression  profonde  el  a  été  pour  le 
chanteur  l'occasion  d'un  succès  très  grand  et  très  mérité.  Quant  au 
tableau  final  du  Kremlin,  dont  l'effet  doit  être  immense,  j'ai  dit  qu'il 
a  été  tellement  tronqué,  je  pourrais  ajouter  tellement  massacré,  qu'il 
nous  était  impossible  d'en  apprécier  la  valeur,  même  d'une  façon 
approximative. 

L'exécution  générale  est  médiocre.  L'orchestre  et  les  chœurs  font 
assurément  ce  qu'ils  peuvent,  mais  l'œuvre  n'est  pas  au  point;  l'en- 
semble n'est  qu'un  à-peu-près,  et  manque  absolument  de  cohésion,  de 
couleur  et  de  caractère;  tout  cela  est  terne,  sans  nuances,  sans  flamme 
et  sans  décision.  Dans  l'interprétation  personnelle,  il  faut  absolu- 
ment tirer  de  pair  M.  Devoyod,  très  remarquable  dans  le  rôle  de  Sous- 
sanine, et  M.  Engel,  toujours  vaillant,  toujours  solide,  dans  celui  de 
Sabinine.  Le  personnage  mélancolique  d'Anlonide  et  celui,  si  inté- 
ressant, de  Vania,  exigeraient  des  artistes  plus  expérimentées  que 
M"'*  Louise  Manger  et  Nady.  En  résumé,  et  après  une  telle  exécu- 
tion aussi  bien  scénique  que  musicale,  nous  ne  pouvons  pas  dire  que 
nous  connaissons  la  Vie  pour  le  Tsar,  que  nous  connaissons  Glinka. 
Nousn'avons  fait  qu'à  peine  entrevoirl'admirable  génie  du  compositeur. 

A.RTHUR   PoUG(N. 


Théâtre  de  Li  Gai'té  ;  La  Poupée,  opéra-comique  en  quatre  actes  et  cinq 
tableaux,  de  M.  Maurice  Ordonneaii,  musique  de  M.  Edmond  Audran.  — 
Porte-Saint-Marun  :  Les  Bienfaiteurs,  pièce  eu  quatre  actes,  de  M.  Brieiix, 
—  Gymnase  :  Le  Prix  de  vertu,  comédie  en  un  acte  de  M.  Fabrice  Carré, 
et  Villa  Gabxj,  comédie  en  trois  actes,  de  M.  L,  Gandillot. 

On  ne  peut  pas  dire  que  ces  histoires  de  PoM/jees soient  précisément 
neuves,  mais  on  les  a  toujours  exploitées  avec  succès  au  théâtre, 
tant  le  public,  même  composé  de  barbons,  reste  un  grand  enfant  qui 
prend  plaisir  à  s'amuser  encore  des  jouets  de  son  jeune  âge.  Que 
nous  en  avons  vus  défiler  sur  la  scène  de  ces  mannequins  ingénieux, 
automates  articulés,  qui  prennent  tout  à  coup  la  vie  pour  de  bon, 
comme  la  statue  de  Pygmalionl  La  Poupée  de  Nuremberg,  les  Pantins 
de  Violette,  Coppélia,  les  Contes  d'Ho/fmann,  Puppenfee,  voilà  quelques- 
unes  des  sources  où  M.  Maurice  Ordonneau  a  puisé  pour  son  nou- 
veau conte  à  mécanique.  Il  n'a  eu  qu'à  habiller  de  façon  différente 
la  poupée  de  ses  prédécesseurs,  à  l'envelopper  d'étoffes  nouvelles  et 
chatoyantes,  à  lui  donner  un  peu  du  tour  particulier  de  son  esprit, 
pour  nous  la  présenter  comme  un  joujou  tout  neuf,  dont  nous  avons 
■  fait  noire  régal  pendant  toute  une  bonne  soirée. 


C'est  dans  un  couvent  de  moines  peu  austères,  —  le  pays  importe 
peu.  Là  végète  le  novice  Lancelot,  candide  et  blond  éphèbe,  qui 
s'est  plongé  dans  les  rigueurs  du  cloître  pour  sauver  son  âme  de  la 
séduction  des  femmes.  Mais  il  a  un  oncle  fort  cossu,  qui  voudrait 
bien  le  tirer  de  là  précisément  pour  le  marier  et  avoir  autour  de 
lui  une  ribambelle  de  petites  nièces  qui  égaieraient  ses  vieux  jours. 
S'il  n'en  passe  par  là,  Lancelot  sera  déshérité,  —  perspective  qui  le 
laisse  d'ailleurs  assez  froid  puisqu'il  a  fait  voeu  de  pauvreté.  Mais 
il  n'en  va  pas  de  même  du  supérieur  du  couvent,  qui  voit  avec 
peine  se  tarir  les  ressources  de  la  communauté  dont  il  a  le  comman- 
dement. Palper  la  dote  de  quatre  cent  mille  écus  promise  à  Lancelot 
lui  paraît  chose  aimable  et  pieuse  à  la  fois.  Et  voici  ce  qu'il  imagine 
pour  arriver  à  ses  fins. 

Il  a  lu  dans  les  gazettes  qu'un  savant  allemand,  émule  deVaucanson, 
—  Hilarius,  pour  l'appeler  de  son  nom,  —  vient  d'inventer  des 
poupées  mécaniques  qui  sont  le  dernier  mot  du  genre  et  donnent 
toute  l'illusion  de  la  vie  véritable.  Il  imagine  donc  que  le  frère 
Lancelot,  dans  l'intérêt  du  couvent,  achètera  l'une  de  ces  poupées  si 
merveilleusement  articulées  et  en  fera  sa  femme  au  neE  et  à  la  barbe 
de  soQ  vieil  oncle,  qui  a  la  vue  fort  basse. 

Vous  voyez  d'ici  toutes  les  péripéties  qui  peuvent  suivre  d'un 
imbroglio  aussi  ingénieux.  Vous  devinez  sans  doute  que  la  fille  de 
l'inventeur  Hilarius,  la  gentille  Alesia,  très  éprise  des  grâces  du 
jeune  novice,  se  substitue  tout  simplement  à  la  poupée  mécanique, 
pour  épouser  tout  bellement  l'élu  de  son  cœur.  Et  personne  ne 
s'aperçoit  du  stratagème,  ni  le  vieil  oncle,  —  cela  va  sans  dire,  — 
ni  le  novice,  ni  même  Hilarius!  Ces  choses  ne  se  voient  qu'à  la  Gaîté^ 
Toujours  est-il  que  Lancelot  rapporte,  avec  la  dot,  une  poupée 
bien  vivante  au  couvent  et  qu'il  s'en  aperçoit  un  peu  tard,  mais  qu'il 
tombe  aussitôt  si  féru  d'amour  pour  son  admirable  joujou,  qu'il 
s'empresse  de  jeter  le  froc  aux  orties. 

Tout  cela  est  vraiment  fort  gentil,  très  badin,  agrémenté  de  détails 
piquants  et  ingénieux,  de  gaîté  aussi  et  parfois  même  d'un  cer- 
tain esprit,  et  nous  ne  voyons  pas  pourquoi  une  longue  suite  de  re- 
présentations ne  couronnerait  pas  un  si  gracieux  effort. 

La  musique  de  M.  Audran,  si  elle  n'y  ajoute  pas  grand'chose,  n'y 
gâte  rien  tout  au  moins.  C'ost  toujours  le  même  petit  filet  de  voix  dont 
se  sert  le  compositeur.  11  n'y  a  pas  là,  certes,  d'inspiration  bien  jail- 
lissante, mais,  au  résume,  c'est  propret,  c'est  menu,  c'est  coquet,  et, 
avec  les  rythmes  chers  à  M.  Audran,  les  pizzicati  obstinés  et  le  ma- 
riao-e  des  timbres  doux  du  triangle  et  de  la  flûte,  cela  a  toutes  les 
grâces  surannées  d'une  vieille  marquise.  Ne  me  demandez  pas  de  vous 
signaler  ici  ou  là  un  ton  plus  saillant,  une  page  plus  sonore;  tout 
s'évanouit  dans  un  nuage  rose  de  poudre  de  riz. 

De  l'interprétation,  à  retenir  surtout  M"^  Mariette  Sully,  une  bien 
mignonne  personne,  qui  rappelle  tout  à  fait  M"'  Jeanne  Granier  à  ses 
débuts,  alors  que  son  talent  ne  s'était  pas  si  fortement  accentué. 
Souhaitons  le  même  avenir  à  M"»  Sully,  tout  eu  lui  conseillant  de 
demeurer  dans  les  teintes  douces  et  ingénues  qui  lui  ont  si  bien 
réussi  l'autre  soir.  A  côté  d'elle,  Paul  Fugère  met  toute  sa  finesse  et 
son  habileté  au  service  du  rôle  de  Lancelot. 

Nous  devons  maintenant  monter  des  gazons  fleuris  où  se  prélasse 
la  Poupée  de  M.  Ordonneau  jusqu'aux  hauteurs  philosophiques  où 
prétend  nous  conduire  M.  Brieux  dans  sa  pièce  des  Bienfaiteurs, 
représentée  jeudi  dernier  à  la  Porte-Saint-Martin.  C'est  la  pièce  à 
thèse,  où  s'est  complu  souvent  notre  grand  Dumas,  mais  avec  une 
autorité,  une  maîtrise  d'esprit  auxquelles  ne  saurait  atteindre  encore 
un  auteur  frais  émoulu  sur  le  terrain  dramatique.  Et  damel  quand 
on  n'a  pas  cette  supériorité  et  celte  pleine  possession  de  soi-même, 
jointes  à  une  verve  étince'ante,  c'est  diablement  froid  et  guindé,  les 
pièces  à  thèses  ! 

Les  quatre  actes  de  M.  Brieux  ne  sont,  au  résumé,  qu'une^  vaste 
conférence  animée,  comme  on  en  pourrait  donner  au  Théâtre  d'appli- 
cation, où  les  personnages  exposent  en  action  les  idées  de  l'auteur 
sur  la  bienfaisance.  Nous  avons  vu,  chez  M.  Bodinier,  M.  Cooper  et 
M'"^  Auguez  nous  donner,  à  l'appui  d'une  conférence  de  M.  Lefèvre, 
des  échantillons  des  chansons  de  1830.  Ici,  à  l'appui  des  thèses  de 
M.  Brieux,  nous  voyons  sur  la  scène  M.  Coquelin  évoluer  avec  son 
aisance  habituelle  et  chanter  sans  musique  des  couplets  sur  la  façon 
plus  ou  moins  favorable  d'exercer  la  charité.  Et  il  y  a  des  tirades 
excellentes  par  instants,  mais  tout  cela  ne  constitue  pas  une  action 
dramatique;  il  n'y  a  la  qu'une  suite  de  tableaux  et  d'épisodes.  Ce 
n'est  pas  pour  nous  déplaire  absolument  et  nous  reconnaissons  le 
talent  qu'y  déploie  M.  Brieux,  dont  il  nous  semble  même  qu'on  peut 
attendre  beaucoup  dans  l'avenir.  Mais  le  public  y  prendra-t-il  le 
même  plaisir  que  les  raffinés  et  les  dilettanles?Toute  la  question  est  là. 


340 


LE  MENESTREL 


Il  n'en  restera  pas  moins,  à  l'Hclif  de  l'auleur,  une  tentative  des 
plus  louables  tentée  dans  une  voie  nouvelle  de  réalisme  et  d'observa- 
tion. Et  cela  est  trop  rare  à  notre  époque  pour  qu'on  n'y  donne  pas 
des  encouragements. 

Au  Gymnase,  autre  chanson.  M.  Gandillot  ne  s'y  préoccupe  guère 
de  théories  ou  de  menées  philosophiques.  Il  est  tout  à  la  joie. 
M.  Gandillot,  d'une  joie  cchevelée  au  moins  pendant  tout  un  acte, 
le  second,  pour  devenir  plus  raisonnable  sans  cesser  d'être  gai  pen- 
dant les  deux  autres,  ce  qui  donne  à  sa  comédie  un  air  de  sandwich  : 
le  jambon  gaillard  et  excitant  entre  deux  croûtes  de  pain  plus  rassis. 
Oh  !  cette  Villa  Gabi/  n'est  pas  de  celles  où  l'on  s'ennuie  !  Que  de  per- 
sonnages amusants  s'y  démènent  dans  une  action  pas  bien  neuve,  mais 
011  l'auteur  met  tant  d'humour  et  parfois  mémo  de  véritable  obser- 
vation qu'on  ne  saurait  lui  en  vouloir  do  broder  sur  un  thème  connu. 

C'est  toujours  l'auteur  exubérant  de  gauloiserie,  dont  le  sans-façon 
réussissait  si  bien  dans  la  taverne  du  théâtre  Déjazet,  mais  il  a  mis 
un  habit  noir  et  une  cravate  blanche  pour  entrer  dans  les  salons  du 
Gymnase.  Et  la  tenue  ne  lui  messied  pas  autrement,  il  faut  le  constater. 

Et  la  troupe  du  Gymnase  donne  excellemment  dans  cette  pochade 
mitigée  de  bonne  comédie.  C'est  Boisselot,  c'est  Noblet,  Galipaux. 
puis  Huguenet  et  Numès,  tous  plus  en  verve  les  uns  que  les  autres  ; 
c'est  la  belle  Rosa  Bruck  et  la  troublante  Yahne.  C'est  enfin  beau- 
coup de  représentations  assurées  à  l'heureux  théâtre. 

Le  spectacle  commençait  par  un  délicieux  petit  acte  de  M.  Fabrice 
Carré,  le  Prix  de  vertu,  où  l'esprit  et  l'attendrissement  se  mêlent 
agréablement  et  qui  vaut  qu'on  arrive  à  l'heure. 

H.  MOREKO. 


L'EXPOSITION  DU  THÉÂTRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 

(Sitilc.) 


Une  section  intéressante,  mais  que  l'on  souhaiterait  volontiers 
plus  nombreuse,  est  celle  des  affiches  illustrées  qui  occupe  la  salle  29. 
On  sait  quels  progrès  ont  été  faits  sous  ce  rapport,  surtout  depuis 
la  venue  du  grand  artiste  qui  a  nom  Ghéret,  dont  la  fantaisie  char- 
mante a  renouvelé  un  art  par  lui-même  plein  de  grâce  et  d'imprévu. 
L'affiche  illustrée,  toutefois,  existait  avant  lui,  et,  sans  remonter  bien 
loin  encore,  nous  en  trouvons  là  quelques  spécimens  intéressants 
dus  à  ses  prédécesseurs. 

Quelques-unes  d'abord  d'un  crayon  mâle  et  superbe,  d'une  imagi- 
nation ardente,  dues  à  ce  maître  dessinateur  et  lithographe  qui 
s'appelait  Célestin  Nanteuil  et  qui  resta  le  dernier  et  le  plus  puis- 
sant des  illustrateurs  romantiques.  Ce  sont  celles  de  Lalla  lioukh,  de 
Lara,  de  José  Maria,  puis  celles  de  Zémire  et  Asor  et  de  Rose  et  Colas, 
faites  lors  des  reprises  de  ces  deux  ouvrages  qui  eurent  lieu  a 
l'Opéra-Comique.  Une  de  Nadar,  très  drôle,  pour  Ba-ta-clan  :  une  de 
Bertall,  pour  .ivant  la  noce  :  une  de  Stop,  spirituelle  et  fine,  pour  l'Oie 
du  Caire  de  Mozart;  une  autre,  de  Cham,  tout  à  fait  burlesque,  pour 
le  Myosotis;  une,  gracieuse,  de  Barbizet,  pour  Babiole.  Toutes  mi- 
gnonnes et  toutes  petites,  ces  dernières.  Dans  des  proportions  plus 
grandes,  une  excellente  de  Victor  Coindre,  pour  les  Saisons. 

Plus  près  de  nous,  nous  trouvons  celle  d'Alphonse  de  Neuville 
pour  Hamlet,  d'un  caractère  saisissant  ;  celle  de  Clairin  pour  le  Cid, 
qui  est  un  vrai  tableau  plein  d'ampleur  ;  deux  autres,  charmantes  et  de 
caractères  tout  à  fait  différents,  de  Boutet  de  Moavel,  pour /«  Petite 
Poucetle  et  Madame  Chrysanthème  :  puis,  celles  de  Willette  pour  l'Enfant 
■prodigue,  de  Steinlen  poai  Hellé,  de  Maurou  (très  intéressantes),  pour 
Salammbô,  les  Troyens,  la  Vivandière,  la  Falote,  l'Attaque  du  moulin,  et 
deux  autres,  signées  Pal,  tout  à  fait  charmantes,  pour  le  cirque  Molier 
et  le  Casino  de  Paris. 

Et  nous  arrivons  aux  petits  chefs-d'œuvre  de  Chéret  :  Viviane,  la 
Farandole,  la  Cigale  madrilène,  les  Deux  Pigeons,  la  Reine  Indigo,  Velléda, 
le  Trône  d'Écose,  le  Casino  de  Paris,  l'Eldorado,  etc.  Et  je  ne  puis 
manquer  de  signaler  comme  elles  le  méritent,  celles  de  la  Navarraise, 
à'Aben  Hainet,  de  Werther,  de  Thaïs,  combien  d'autres  encore?  Mais 
ceci  tourne  trop  au  catalogue,  et  je  m'arrête  en  recommandant  aux 
visiteurs  cette  salle  intéressante. 

De  celle-ci  nous  entrons  tout  droit  dans  la  salle  26,  qu'on  pourrait 
appeler  le  salon  c;irré  de  l'Exposition,  non  seulement  à  cause  de  ses 
vastes  proportions,  mais  surtout  à  cause  des  véritables  richesses 
qu'elle  renferme.  C'est  ici  que  nous  trouvons  les  superbes  instruments 
anciens  des  maisons  ErarJ  el  Pleyel,  ceux  de  MM.  Tolbecque,  Vanet, 
Brenot,  puis  les    collections  Charles  Malherbe,  Etienne  Charavay, 


Arthur  Pougin,  Henri  Béraldi,  Yveling  RamBaud.Ricordi,  Arman  de 
Caillavet,  Adolfo  Calzado.  Perrot,  B.  Brunswick,  Bing,  Georges 
PfeifTer,   etc. 

Ici,  nous  trouvons  d'abord,  exposées  par  la  manufacture  de  Sèvres, 
une  série  d'adorables  petites  statuettes  en  biscuit,  dix-huitième  siècle, 
qui  sont  de  vrais  bijoux  et  dont  voici  la  liste  : 

M""'  du  Barry  en  cantatrice  espagnole,  1774  ; 

Poisson,  en  Crispin,  1773  ; 

Préville,  en  Figaro,  1775; 

La  Danseuse  française,  177.5; 

Volange,  dans  Eustache  Pointu,  1779 

Volange,  dans  Jérôme  Pointu,  1779; 

M""  Dangeville,  dans  ta  Pèlerine,  1780 

Volange,  en  Janot.  1781  ; 

Demoiselle  Laforesl,  en  Janotte,  178!  ; 

M"--  Contât,  rôle  de   Thalle,  1783; 

La  belle  Provençale  (avec  son  tambourin  et  son  flùtet;,  178d. 

A  l'exception  de  celle  de  M'"  Coulât,  qui  est  signée  Boizot,  toutes 
ces  mignonnes  statuettes  sont  l'œuvre  d'un  artiste  nommé  Leriche. 

Je  m'arrête  devant  la  très  riche  collection  d'autographes  el  de 
documents  historiques  de  M.  Etienne  Gharavav,  qui  occupe  deux 
énormes  vitrines.  Il  y  a  là  quelques  jolis  portraits  d'artistes,  des 
pièces  administratives  curieuses,  de  précieux  documents  révolution- 
naires relatifs  au  théâtre.  A  signaler  parmi  les  objets  les  plus  impor- 
tants le  manuscrit  du  Fils  de  Giboyer  d'Emile  Augier,  et  un  autre 
assurément  curieux,  sinon  d'une  grande  valeur  littéraire,  celui  d'un 
mélodrame  dû  à  l'auteur  de  la  Maison  blanche  et  de  Gustave  le  Mauvais 
Sujet,  a  Paul  de  Kock  on  personne  :  cela  s'appelle  Slefano  ou  Erreur 
et  Mystère,  mélodrame  en  trois  actes,  et  il  serait  curieux  peut-être  de 
lire  celle  sombre  élucubralion  d'un  écrivain  auquel  on  doit  tant  de 
romans  joyeux  et...  légers.  Les  lettres  autographes  sont  nombreuses 
et  souvent  fort  intéressantes.  11  y  en  a  d'auteurs  dramatiques  : 
Alexandre  Duval,  Beaumarchais,  Victor  Hugo,  Etienne  Arago  ;  de 
comédiens  et  comédiennes  :  Préville,  Larive,  Quinault  l'aîné,  Grand- 
mesnil,  Samson,  Françoise  Quinault,  Louise  Contât,  Thérèse  Bour- 
goin,  M"'  Mézeray,  M"'=Mars,  Rach'îl  ;  de  compositeurs  et  virtuoses  : 
Spontini,  Herold,  Rossini,  Meyerbeer,  Weber,  Paganini,  Liszt,  Doui- 
zelli,  Grétry,  Gossec,  Cherubini.  Mehul...  Je  ne  résiste  pas  au  désir 
d'en  transcrire  quelques-unes. 

D'abord,  ce  très  curieux  reçu  de  Gounod  : 

Reçu  de  M.  J.  Meissonuier,  rue  Daupliinc,  n"  22,  la  somme  de  cent  francs 
comme  premier  payement  de  ma  valse  pour  le  piano  dOJioe  à  François  Hûnteii 
dont  je  hii  cède  la  propriété  entière  et  exclusive. 

7  mars  44. 

Cii.  Gounod. 

IS"ous  sommes  loin  de  Faust  et  de  Roméo  et  Juliette.  Mais  qui  pourra 
me  donner  des  nouvelles  de  la  valse  dédiée  à  François  Hiinten? 

C'est  en  cette  même  année  1844  que  Félicien  David  devenait  tout 
à  coup  célèbre,  à  la  suite  de  l'exécution  de  son  Désert  au  Conserva- 
toire. Voici  un  billet  qu'il  adressait  quelques  mois  après  à  un  mar- 
chand de  musique,  à  propos  de  cet  ouvrage  : 

Monsieur. 

A  mou  arrivée  à  Aix,  je  lis  dans  le  Nouvelliste  que  vous  venez  de  mettre  ou 
vente  la  partition  avec  piano  du  Désert.  Ma  présence  momentanée  à  Aix 
permettanl  à  mon  ami  Sylv;iiii  (Sainl-Étienue)  d'en  placer  et  de -faire  les 
livraisons  aux  siiuscii|ilcurs  qui  les  oui  demandées,  ayez  l'exlrèmo  obli- 
geance d'en  envoyor  un  corlain  nombre  d'exemplaires  demain  matin  par 
la  diligente  de  6  lieuros.  Comptant  sur  cet  envoi,  Sylvain  vient  de  le  l'aire 
annoncer  dans  te  Mémorial. 

Sous  pou  de  jours  je  serai  à  Marseille,  où  nous  torminorons  nos  traités 
loUilivemeut  aux  coucoris  que  je  me  propose  de  donner. 

Votre  dévoué  serviteur. 

t'.  David. 
Vendredi  '2S  mars  1843. 

Voici  maintenant  une  lellre  charmante  de  Boieldieu,  relative  à  une 
romance  qu'il  s'était  chargé  de  mettre  en  musique.  Je  ne  connais  pas, 
à  l'heure  présente,  oii  tant  de  musicastres  qui  n'ont  rien  produit 
n'en  sont  pas  moins  bouffis  d'orgueil,  beaucoup  de  compositeurs 
capables  d'écrire  une  lettre  empreinte  de  tant  de  bonne  grâce  et  de 
modestie  : 

Monsieur, 

J'ai  reçu  avec  reconnaissance  la  petite  brochure  quo  vous  m'avez  envoyée, 
el  je  désire  sincèrement  trouver  un  air  digue  du  sujol  i[uo  vous  avez  traité 
avec  tant  de  charme.  Je  l'ai  déjà  essayé,  Monsieur,  ot  jo  n'ai  point  élé  satis  . 
fait  de  mou  travail,  il  faut  qu'il  soit  celui  de  t'iuspiralion,  el  nous  sommes 
obligés  souvent  de  l'attendre. 


LE  MÉNESTREL 


341 


Jo  vous  iivdiic,  Mi.msioiir,  qiip  la  .rime  féminine  ;i  la  lin  de  (.■iKiqun  ciiiiplel 
me  gène  lieancouii.,.  je  rclonil)e  tonjours  dans  une  linale  commune  que  je 
voudrais  évilor. 

Enfin,  je  ferai  Ions  mes  ellVu-ls  pour  ]iouvoir  nnissir,  el  à  moins  que  di'ci- 
dénient  mes  vrenx  ne  veuillent  pas  èlre  exaneés.j'espére  sous  peu  vous  envoyer 
la  romance  mise  en  musique. 

Je  me  conformerai  à  vos  désirs.  Monsieur,  pcnu'  la  dédicace. 

Veuillez  recevoir  l'assurance  des  sentiraenls  dislingues  de 
votre  très  liumbleet  très  obéissant  serviteur. 

BOIELDIEU. 

Ce  IS.mai  iSli. 

C'est  précisément  à  propos  de  Boieldieu  —  et  de'  la  cérémonie 
funèbre  de  son  cœur  à  Rouen  —  qu'Adolphe  Adam,  qui  avait  été  son 
élève  préféré,  écrivait  l'intéressante  lettre  que  voici  : 


Monsieur. 


Paris,  le  10  novembre  1S3i. 


Je  viens  de  recevoir  la  lettre  par  laquelle  vous  m'invitez  à  me  joindre  aux 
compatriotes  de  mon  illustre  mailrc  pour  lui  rendre  les  honneurs  qu'a  si  bien 
mérili'S  son  beau  giuiic. 

Permeltez-moi  de  vous  exprimer  tonle  ma  reconnaissance  de  l'honneur  que 
me  fait  la  ville  de  Rouen:  je  me  garderai  bien  de  man(pier  à  col  appel  l'ail  à 
mon  cœu'-,  car  qni  plus  que  nmi  a  pu  sentir  la  ]ierle  immense  que  nous  avons 
laite-.'  La  ville  de  Rouen,  riche  de  tant  de  c.d.'lnih-.  ,-,  penlu  uii  de  >e-  liK. 
el  moi,  c'est  un  père  ijne  je  jdenre.  Si  l'homnn'  de  i^rmi'  -a  niniic  vos  limn- 
magcs,  l'excellent  ami,  l'homme  doué  de  toules  les  ipialilés  du  cieiir  el  de 
l'esprit  n'a  pas  moins  droit  à  mes  larmes.  Je  saisirai  donc  avec  empressement 
celle  occasion  de  lui  donner  une  dernière  marque  de  reconnaissance. 

Daignez  agréer,  Mimsieur,  l'expression  des  sentiments  distingués  avec 
lesquels  j'ai  l'honneur  d'être. 

"N'olre  très  dé\"ûné  serviteur, 

Adoli'he  Adam. 

P. -S.  —  Mes  occupations  ne  me  permettront  pas  de  quitter  Paris  avant 
mercredi  soir,  mais  j'arriverai  à  tems  pour  la  cérémonie.  Le  célèbre  pianiste 
Zimmermann,  aussi  élève  de  Boieldieu,  sera  mini  compagnon  de  \oyage. 

Autre  lettre  de  musicien,,  celle-ci  de  Victor  Massé,  qui  l'adressait 
;"i  M.  Alfred  Blanche,  alors  secrétaire  général  de  la  Préfecture  de  la 
Seine  : 

7  août  1863. 
Mon  cher  Monsieur  Blanche, 

On  me  dit  que  mon  ami  Pasdeloup  a  été  nommé  directeur  du  Théâtre- 
Lyrique.  Pourra-t  il  être  directeur  de  théâtre,  chef  d'orchestre  des  Con- 
certs populaires  et  des  soirées  du  préfet,  et  directeur  de  l'ttrphéon?  Il 
semble  à  première  vue  qu'il  y  a  là  de  quoi  remplir  deux  existences. 

Si  Pasdeloup  était  obligé  de  quitter  l'Orphéon,  je  serais  bien  heureux  de 
le  remplacer.  Voulez-vous  bien  me  continuer  votre  bienveillance,  qui,  du 
reste,  date  déjà  de  loin,  en  me  soutenant  dans  cette  candidature  hypo- 
thétique'.'... 

Vous  avez  toujours  été  si  bon  pour  moi,  que,  le  cas  échéant,  je  sens 
que  je  pourrais  compter  sur  votre  puissant  appui  auprès  du  préfet  de  la 
Seine. 

Permettez-moi  de  vous  serrer  la  main  bien  atïectueusenient. 

Victor  Massi';. 

Passons  aux  comédiens,  ou  plutôt  aux  comédienues.  Voici  une 
lettre  tr%s  digne  et  très  fière  que  la  séduisante  Louise  Contât  adres- 
sait au  commissaire  du  gouvernement  chargé  évidemment  des  inté- 
rêts de  la  Comédie-Française,  lors  de  la  reconstitution  de  ce  théâtre 
à  la  suite  des  événements  révolutionnaires  qui  l'avaient  ruiné  : 

Marseille,  le  3  germinal  (?). 

Mon  frère  m'a  instruite,  citoyen  commissaire,  de  la  réclamation  qu'il 
vous  avait  adressée,  relativement  au  secours  que  vous  avez  fait  distribuer 
aux  artistes  du  théâtre  de  la  République.  Je  m'empresse  de  vous  informer 
qu'en  faisant  cette  demande,  il  a  consulté  son  zèle  pour  mes  intérêts  plus 
que  mes  intentions. 

Je  n'ai  pas  plus  l'habitude  d'exéder  (sic)  mes  droits  que  de  les  aban- 
donner, et  quelque  (sicjsoit  ma  situation,  je  ne  suis  pas  assez  malheureuse 
pour  que  ma  famille  manque  de  ressource  (sic)  quand  mes  elVorts  lui  sont 
consacrés. 

J'ai  eu  l'avantage  de  vous  écrire  avant  mon  départ  de  Lyon,  et  j'ose  me 
flatter  que  vous  m'avez  fait  la  grâce  de  me  répondre  aussi  positivement 
qu'à'mon  frère. 

Agréez,  citoyen  commissaire,  l'assurance  de  mes  sentiments. 

Louise  Gont.vt. 

On  croirait  plutôt  cette  lettre  écrite  de  la  main  d'un  homme.  En 
voici  une  plus  féminine,  d'une  écriture  fine,  régulière  et  pleine  d'élé- 
gance, due  à  cette  toute  charmante  Juliette  Mézeray  que,  quelques 
années  plus  tard,  son  terrible  et  funeste  penchant  à  l'ivrognerie  de- 
vait conduire  à  une  fin  lamentable  : 


Ce  dimanche  deux  décembre  1SI0. 

Je  n'ai  pu  vous  donner  des  nouvelles,  mon  bon  chat,  puisque  je  n'en  ai 
encore  reçu  aucune.  Ce  silence  ne  me  dit  rien  de  bon,  et  je  suis  déter- 
minée à  frapper  maintenant  aux  grandes  portes.  Mais  j'ai  besoin  de  vos 
conseils;  je  les  réclame  donc,  et  vous  engage,  si  toutes  fois  (sic)  vous  n'avez 
rien  de  mieux  à  faire,  à  venir  me  voir  lundy  soir.  Je  ne  joue  que  dans  la 
première  pièce,  bien  que  l'on  donne  les  Trois  Sullanes  :  mais  j'ai  la  poitrine 
et  l'estomac  tellement  fatigués  que  je  ne  puis  chanter,  ce  qui  m'a  obligée 
à  refuser  de  rendre  encore  une  fois  ce  service  à  la  Comédie. 

Bon  jour,  mon  ami,  faites-moi  savoir  si  je  puis  compter  sur  le  plaisir  de 
vous  voir  demain. 


Toute  à  vous,  votre  amie. 


J.  Mézeray. 


Il  est  ici  question  des  Trois  Sultanes,  oîi  M""  Mézeray  se  faisait 
d'ordinaire  applaudir  doublement,  non  seulement  pour  son  jeu, 
mais  pour  son  chant.  Elle  était,  en  effet,  douce  d'une  voix  charmante 
et  dont  elle  se  servait  avec  babileté  ;  à  ce  point  que  pendant  la 
Révolution  et  la  débâcle  de  la  Comédie-Française,  lorsqti'une  colo- 
nie de  celle-ci  s'en  alla  occuper  le  théâtre  Feydeau  conjointement 
avec  la  troupe  lyrique,  chacune  d'elles  jouant  de  deux  jours  l'un,  il 
arriva  qu'à  diverses  reprises  M"''  Mézeray  se  joignit  aux  chanteurs  de 
Feydeau  et  se  montra  dans  plusieurs  opéras-comiques. 

Voici  enfin  un  billet  —  non  signé  —  de  la  grande  Rachel,  qu'elle 
adressait  à  Alexandre  Dumas  à  l'époque  dos  débuts  très  brillants  de 
la  jeune  Madeleine  Brolian  à  la  Comédie-Française.  On  voit  par  ce 
billet  que  Dumas  dovaH  alors  écrire  une  pièce  pour  elle  : 

Venez  me  voir  quand  vous  pourrez,  et  commencez  dès  ce  soir  à  vous 
mettre  à  l'œuvre.  Faites  deux  pièces,  l'une  pour  le  lundi,  l'autre  pour 
le  mardi  ,  et  la  Comédie-Française  aura  quatre  succès  assurés  dans  la 
semaine  :  Madeleine,  Dumas  et  Rachel. 

La  collection  de  M.  Charavay,  on  le  voit,  est  intéressante.  Je  ue 
saurais  pourtant  l'épuiser,  et  il  me  faut  ménager  la  place  pour  les 
autres. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougi.v. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (2-2  octobre)  : 

La  Monnaie  continue  à  déployer  une  activité  vraiment  dévorante.  Pas  de" 
semaine  où  elle  ne  nous  offre  deux  ou  trois  «  reprises  »  :  et  je  dois  dire  que 
celle  activité  ne  rempêcln-  ]\:\-,  de  -soigner  ce  qu'elle  fait,  à  peu  près  irrépro- 
chaldement.  On  ne  s'a]ierrnii  p;i.  \v„\,  de  la  hàle  qu'elle  met  à  remettre  sur 
le  métier  les  anciens  ouvrage^,  jii-ndant  qu'elle  s'occupe,  je  suppose,  un  peu 
lentement,  d'en  préparer  dé  nouveaux.  C'est  ainsi  que  nous  avons  eu  celte 
semaine,  tour  à  tour,  la  reprise  dé  DonPasquale,  de  la  Nuit  de  Noël  et 
d'Or;)/îce .'  L'o]ii'ra  de  Donizeiti  a  valu  un  regain  de  succès  à  ses  excellents 
Hileri)rèlrs  dr  l'an  dmiipr.  M™  Landouzy.  MM.  Boyer  et  Gilibert.  La  Nuit 
de  Nofl.  un  grarienx  l)Ml|p|-di\  eiiissemenl.  ayant  pour  auteur  l'un  des  direc- 
teurs de  la  Monnaie.  M.  Oscar  Stonmon,  renferme  une  valse  célèbre,  dont  la 
vogue  va  se  renouveler,  en  attendant  quelque  partition  de  Delibes,  de  Widor 
ou  de  Lalo,  qui  ne  serait  pas  non  pins  à  dédaigner:  et  quant  à  la  reprise 
d'Orphée,  toujours  admirablement  interjiri'lê  par  M'i»Arniand,  malgré  sa  voix 
malade  et  grâce  à  son  beau  style,  nous  y  avons  cnlendn  une  déliulanle.  une 
nouvelle  Eurydice.  M"' Holmstrand,  ijui  jia  produit  qu'une  assez  médiocre 
impression. 

Nous  avons  eu,  dimanche  dernier,  un  conrerl  donné  ]iar  M.  Colonne  el 
son  orchestre,  lerminant  par  Bruxelles  nnr  lourntT  virlnrn'ii!.e  en  Belgique. 
en  Hollande  el  en  Angleterre.  L'cvitii  I  ion  do  iinigiainini',,1  r[r  iiierveilleuse 
de  nuances  et  de  sentiment  t.tii  a  l'ail  aux  vaiHauls  mnsiriens  un  petit 
triomphe,  auquel  ils  ont  répondu  séance  lenanle  par  une  Brabançonne  et  une 
Marseillaise  reconnaissantes:  il  n'y  manquait  que  l'Hymne  russe. 'Va  petit 
changement  au  p)rogramme,  que  je  vous  ai  indiqni'  l'autre  joni'.  a  paru  ce- 
pendant assez  ê'trange.  An  dernier  moment.  M,  Coinniie  a  sujiprinu''  les 
airs  de  ballet  du  Cid.  de  Masseuel,  ijoi  l'daieiil  annonei'-..  ri  les  a  remplacés 
par  les  5cé«es  d'enfants  i\e  Schununiu.  C'ei.ni  ili''iiiiire  le  caractère  du  con. 
cert.  consacré  entièreinenl  à  la  musiqiM'  ri;iiH;ii-r,  p|  l'allonger  sans  raison 
d'une  œuvre  charmante,  mais  un  peu  mim-r   el  arehieuniine. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (22  oclolire)  :  Bien  que  contrariés 
par  un  temiis   di'ploraljle.  les  quatre  concerts  Colonne   n'e)i   ont  pas  moins 

abouti  à  un  siirces  c.ioplel.  M  lurn  que  le  re '  inorliaiu   de  cl  mrhesl.e  à 

Londres  vieoi  d'^-ire  diTi.ir  Ce  MTa  M-.ii.rnildaldenienl  | r  le  ni^is  de  jan- 
vier. La  vru~>Al.-  de  la  IrMi-i.'oue  .-ra li.-e,  xeinlivi! I  d(T„ier,, a  failli  f'Irr  ronipro- 
mise  par  l'iuMnli-iiirr  , h. hure  de  l'artisle  rhar-.e  du  n'de  ,1e  Oalila  .lans  les 
fragments  du  suiaubi'  ouvrage  de  M.  Sainl-Sai'uis,   Sanisoo.  r'ê'lail    l'exceUeut 


:i4â 


LE  MÉNESTREL 


ténor  Vei'gDet.  el  il  a  été  très  chaleureusement  apprécié,  aussi  liicn  Jaiis  la 
musique  de  ce  rôle  que  dans  celle  de  l'Enfance  du  Christ,  de  Berlioz.  La  Séré- 
nade illyrlenne  et  l'Aubade  de  Conte  d'Amil,  de  M.  Widor,  ont  été  très  i.oéli- 
quement  rendues,  et  la  suite  en  si  mineur  de  Bach  a  valu  un  bis  au  Hiiiisie 
M.  Balleron.  Le  public  a  aussi  beaucoup  goûté  l'interprétation  de  la  sympho- 
nie en  ut  Biineur  de  Beethoven,  bien  que  la  critique  ne  l'ail  pas  jugée  «  ortho 
doxe  ».  Après  l'exécution  du  ballet  d'Henry  VIII  qui  terminait  le  4°  concert, 
une  ovation  prolongée  a  été  faite  à  M.  Colonne.  —  Le  premier  des  trois  con- 
certs Richler  annoncés  pour  la  saison  a  eu  lieu  lundi  .dernier  à  Queens'  Hall 
A  part  un  nouveau  Scherzo  capriccioso  de  Dvorak,  œuvre  étincelante  de  verve 
et  d'un  puissant  intérêt  symphonique.  le  programme  ne  présentait  que  des 
œuvres  fréquemment  entendues,  sur  lesquelles  aucune  remarque  n'est  néces- 
saire.—  Votre  célèbre  jeune  pianiste  parisien,  M.  Léon  Oelafosse,  a  donné 
mardi  à  Saint-James's  Hall,  avec  le  eimnims  du  lanioux  vinlonisie  Ysaye,  un 
concert  qui  avait  attiré  une  allliifin'o  l'nii^Hlc-i'iililo.  M.  Hclalossi-'  a  joué  un 
Nocturne  et  une  Ballade  de  Chopin,  doux  pircos  de  M.  Cahriel  l'auré,  une 
Étuds  de  concert  d'Antouin  Marmontel  et  une  Bapsodie  de  Liszt.  -A.près 
chacun  de  ces  morceaux  le  public,  généralement  très  réserve  vis-à-vis  des 
artistes  étrangers  nouveaux  venus,  a  fait  au  jeune  virtuose  français  les  phis 
chaudes  ovations.  M.  Ysaye.  qui  est  un  favori  du  public  anglais,  a  été  lui 
aussi  très  acclamé.  Il  a  joui'  avec  M.  Delafosse  la  nouvelle  sonate  pour  violon 
de  M.  Saint-Saéns  ei  la  mhiiiIp  dramatique  de  RalV.  II  s'est  aussi  fait  entendre 
dans  un  roncerlstiiik  im'dii  ilim  i-omposileur  nouveau,  M.  Basse.  Le  second 
concert  Delafosso-Vsaye  aura  lieu  mardi  prochain.  LÉON  ScHLÉSINGER. 

—  Au  festival  de  Norwich  on  a  exécuté  pour  la  première  fois,  le  9  oc- 
tobre, sous  forme  de  cantate,  le  nouvel  opéra  inédit  de  M.  Luigi  Manci- 
nelli,  Ero  e  Leandro,  dont  les  rôles  étaient  tenus  par  M"'  Albani,  le  ténor 
Lloyd  et  la  basse  AValkin-Mills.  Le  succès  parait  avoir  été  considérable. 
L'auteur  du  livret  à'Ero  e  Leandro  est  M.  Tobia  Gorrio,  autrement  dit 
M.  Arrigo  Boito,  l'auteur  de  Mefistofele  et  le  collaborateur  de  Verdi  pour 
Otello  et  pour  FalstafJ. 

—  Au  festival  musical  de  Bristol,  le  Requiem  posthume  de  Gounod  en  «(ma- 
jeur vient  di'he  exécuté  pour  la  première  fois  en  Angleterre  avec  un  succès 
marqué.  L'exécution  a  r-tc  irés  satisfaisante. 

—  Le  directeur  do  la  surii'ii'  anonyme  do  New-York  dont  les  intérêts  étaient 
confiés  à  MM.  Ahhey,  C^\■au  et  Srhoetfel  annonce  que  la  mort  de  M.  Ahbey, 
ne  change  rn  rien  la  situation  de  l'entreprise  artistique  du  Metropolitan 
Opéra  Hou-^e  à  Xow-Ym'k.  Les  représentations  commenceront  d'après  le  pro- 
gramme publié,  et  plusieurs  artistes  de  la  troupe  engagée  ont  déjà  quitté 
l'Europe  pour  se  rendre  à  New- York. 

—  Au  Broadway-Tliéàtre  de  New-York  on  a  donné  récemment  la  premier.? 
représentation  d'un  opéra  nouveau,  le  Capitan,  dont  la  musique  est  due  à 
M.  Philippe  Sousa,  compositeur  et  chef  d'orchestre  américain,  très  populaire 
de  l'autre  côté  de  l'Atlantique. 

—  A  l'occasion  d'une  polémique  dans  un  journal  russe,  la  Société  phil- 
harmonique de  Saint-Pétersbourg  a  publié  une  déclaration  d'après  laquelle 
le  prince  Galitzine  avait  fait  don  à  ladite  société,  le  .30  octobre  1S"23,  d'une 
partition  de  la  Missa  solemnis  de  Beethoven,  que  le  grand  artiste  lui  avait 
envoyée  avec  une  lettre  autographe  datée  du  21  juin  18^3.  C'est  d'après 
cette  partition  que  la  messe  fut  exécutée  par  la  Société  philharmonique, 
le  26  mars  lS24,à  Saint-Pétersbourg,  dans  sa  salle  de  concerts  située  près 
du  pont  de  Kazan,  dans  la  maison  Koussofnikof.  Le  concert,  donné  au 
profit  des  veuves  et  orphelins  des  musiciens  appartenant  à  la  société, 
rapporta  la  somme,  fort  considérable  pour  l'époque,  de  2. 231  roubles,  soit 
9. 000  francs  environ.  Cette  déclaration  prouve  que  la  célèbre  messe  a  été 
exécutée  dans  la  capitale  russe  pour  la  première  fois  ;  l'exécution  à  Vienne 
n'a  donc  été  que  la  seconde. 

—  La  Reine  de  Saba,  l'opéra  de  Goldmark,  sera  prochainement  joué  en 
Russie,  en  langue  russe.  MM.  Trawski  et  Borodine  sont  les  auteurs  des 
paroles  russes. 

—  Schiller  n'a  pas  eu,  à  Paris,  beaucoup  de  succès  avec  son  Don  Carlos; 
en  Russie,  son  Guillaume  Tell  vient  aussi  de  passer  un  mauvais  quart 
d'heure.  Dans  une  petite  ville  de  l'empire  une  société  d'amateurs  avait 
représenté,  devant  un  public  d'invités,  l'acte  de  la  conjuration.  Un  gen- 
darme assistait  à  la  soirée  comme  gardien  de  la  loi.  Les  élucubrations  ré- 
volutionnaires des  Suisses  ne  lui  plaisaient  guère,  et  il  était  en  train 
justement  de  méditer  sur  une  résolution  grave  à  prendre,  lorsque  le 
dilettante  qui  jouait  Stauffacher  prononça  la  phrase  séditieuse  :  «  Si 
j'étais  arbitre  entre  l'Autriche  et  nous,  vraiment  nous  obtiendrions  justice. 
Mais  c'est  notre  propre  empereur  qui  nous  opprime.  »  Le  brave  pandore 
ne  fit  qu'un  bond  jusque  sur  la  scène.  «  Assez,  messieurs;  si  vous  conti- 
nuez, je  vous  arrête  tous!  »  Et  le  rideau  tomba  sur  cet  elfet,  dontSchiller 
ne  s'était  guère  douté. 

—  Une  ancienne  et  brilUinle  idèvo  do  notre  Conservatoire,  l'e.\cellente 
violoniste  Teresina  Tua,  aujourd'hui  romlosse  de  la  Valetta,  a  donné  on 
Russie,  pendant  la  dernière  saison,  une  série  do  cent  dix  concerts.  Celte 
tournée  très  fructueuse  a  conduit  l'artiste  jusqu'aux  frontières  do  la  Perse. 

—  Un  conflit  singulier  vient  de  s'élever  à  Vienne.  Plusieurs  chanteurs  do 
l'Opéra,  les  ténors  Winkelmann  et  Schrœdter  et  la  basse  de  Reichenberg, 
font  fonction  de  suppléants  à  la  chapelle  impériale.   Pour  devenir  titulaires 


de  leurs  emplois,  ces  messieurs  devaient,  selon  le  règlement,  subir  un  exa- 
men. Or,  ces  artistes  ont  protesté  en  déclarant  que  leur  situation  à  l'Opéra 
devait  les  exempter  de  cet  examen,  et  M.  Schrœdter  a  même  offert  sa  démis- 
sion à  l'Opéra.  Le  grand  maître  de  la  cour  impériale  a  cependant  décidé  que 
les  artistes  étaient  tenus  de  se  soumettre  à  un  examen  devant  le  premier 
kapellmeister  de  la  cour,  M.  Hans  Richter.  On  ne  prévoit  pas  encore,  à 
Vienne,  comment  ce  conflit  unira  ;  ce  qui  est  clair,  c'est  que  le  cumul  de 
la  musique  d'opéra  avec  la  musique  religieuse  ne  profite  ni  aux  chanteurs, 
ni  à  l'art,  ni  à  l'église. 

—  Pendant  la  dernière  saison  on  n'a  pas  compté,  à  Berlin,  moins  de 
800  concerts.  D'après  les  annonces  qui  commencent  à  affluer,  les  experts 
évaluent  le  nombre  de  ceux  qui  seront  donnés  pendant  la  prochaine 
saison  à  plus  de  mille.  Perspective  terrible  pour  les  amateurs  qui  veu- 
lent tout  connaître,  et  aussi  pour  les  critiques  musicaux,  desquels  tous  les 
artistes  attendent  un  mot  d'appréciation. 

—  Le  théâtre  tchèque  de  Prague,  sous  la  direction  de  M.  Subert,  annonce 
pour  la  nouvelle  saison  les  premières  représentations  des  œuvres  suivantes  : 
Perdita,  paroles  imitées  de  Shakespeare,  musique  de  M.  Nechvera,  et  flou- 
brovsky,  musique  de  M.  Napravnik.  On  jouera  aussi  pour  la  première  fois,  à 
ce  théâtre,  le  Grillon  du  foyer  de  Goldmark,  Armide  de  Gluck,  l'Apothicaire  de 
Joseph  Haydn,  l'Éclair  d'ïi.a.lé\y  et  la  Vivandière  de  Godard. 

—  Un  procédé  singulier  a  été  inventé  par  le  directeur  du  théâtre  de  Giessen, 
ville  universitaire  oi!i  les  étudiants  sont  toujours  en  nombre  au  lln'àtio.  Pour 
punir  une  artiste  récalcitrante,  l'afîiche  annonçait  pour  lo  |:i  m  lnlue  un 
changement  imprévu,  avec  cet  avis  imprimé  en  gros  carartéios:  «  Ce  chan- 
gement a  été  occasionné  par  le  fait  que  M"'  X...  (suit  le  nom  en  toutes 
lettres)  n'a  pas  suffisamment  appris  son  rôle  ».  Il  parait  que  l'artiste  s'est 
fâchée  tout  rouge  —  il  y  a  de  quoi  —  et  a  intenté  un  procès  à  son  directeur. 

—  On  nous  télégraphie  de  Hambourg  que  l'opéra  inédit  d'Ignace  Briill, 
intitulé  Gloria,  vient  être  joué  avec  beaucoup  de  succès  à  l'Opéra  de  cette 
ville,  dirigé  par  M.  PoUini.  Quatorze  rappels  pour  le  compositeur,  qui 
assistait  à  la  première,  et  applaudissements  chaleureux  pour  les  princi- 
paux interprètes  et  le  chef  d'orchestre  Mahler,  qui  dirigeait  la  représenta- 
tion avec  son  talent  habituel.  Un  solo  de  violon,  page  charmante,  a  dû  être 
répété  deux  fois. 

—  Le  théâtre  ducal  de  Brunswick  vient  d'organiser  une  c-iposition 
théâtrale  qui  se  borne  à  l'histoire  de  ce  théâtre,  mais  qui  est  néanmoins 
assez  intéressante.  Cette  exposition  offre  une  collection  de  six  cents  por- 
traits d'artistes  qui  ont  appartenu  au  théâtre  de  Brunswick,  des  costumes 
précieux,  des  portraits  d'artistes  dramatiques  et  de  compositeurs  dont  les 
œuvres  ont  été  jouées  à  Brunswick,  enfin  beaucoup  de  manuscrits,  parmi 
lesquels  se  trouvent  plusieurs  documents  importants. 

—  Une  opérette  inédite,  intitulée  le  Chasseur  de  lions,  musique  de 
M.  Georges  Vérœ,  vient  d'être  jouée  avec  succès  au  théâtre  An  der  "Wien, 
à  Vienne. 

—  La  ville  de  Bromberg  (Prusse)  a  fait  construire  un  nouveau  théâtre 
à  la  place  de  l'ancien  théâtre  municipal,  qui  a  été  détruit  par  un  incen- 
die en  1890.  Le  nouveau  théâtre  a  coûté  près  de  600.0tl0  francs  et  parait 
très  réussi.  Guillaume  II  vient  de  lui  attribuer  une  subvention  annuelle  de 
10.000  marcs. 

—  La  veuve  du  chef  d'orchestre  Jules  Langenbach,  de  Bonn,  vient  de 
donner  trois  maisons  et  une  somme  de  50.000  marcs  pour  fonder  un 
asile  destiné  aux  veuves  de  musiciens  et  professeurs  de  musique  alle- 
mands qui  y  seraient  logées  et  nourries  gratuitement.  Inutile  de  dire 
que  la  somme  mentionnée  est  absolument  insuffisante,  mais  on  commence 
à  réunir  les  fonds  supplémentaires  nécessaires  dans  toutes  les  grandes 
villes  allemandes,  et  on  espère  pouvoir  réaliser  cette  idée  philanthro- 
pique. 

—  On  prépare  au  théâtre  royal  de  Copenhague  la  première  représentation 
d'un  opéra  inédit  intitulé  Kean,  livret  imité  du  drame  d'Alexandre  Dumas 
père,  musique  de  M.  Auguste  Enna,  qui  s'est  fait  connaître  déjà  par  deux 
ou  trois  opéras,  dont  un  surtout,   la  Sorcière,  a  obtenu  un  vif  succès. 

—  La  législation  suédoise  vient  de  prohiber  dans  toute  l'étendue  du 
royaume  les  cafés-concerts,  music-halls  et  autres  établissements  similaires, 
à  cause  de  la  démoralisation  qu'on  doit  leur  attribuer  et  dont  se  plaignent 
spécialement  les  professeurs  qui  ont  l'occasion  d'observer  la  jeunesse. 
Depuis  le  1"'  octobre  de  cette  année,  tous  ces  établissements  ont  dû  fermer 
leurs  portes.  On  se  propose  de  remplacer  la  distraction  fâcheuse  qu'ils 
offraient  au  public  par  des  concerts  d'orchestre  ayant  un  programme 
sérieux,  ce  qui  sera  certainement  préférable  sous  tous  les  rapports. 

—  Nous  recevons  d'Amsterdam  la  nouvelle  que  Mignon  a  remporté  un 
succès  brillant  au  Grand-Théâtre,  avec,  comme  protagoniste.  M""  Sigrid 
Arnoldson,  à  laquelle  le  public  a  bissé  le  duo  des  hirondelles,  la  styrienne 
et  la  prière  du  dernier  acte.  Les  prix  avaient  été  triplés,  et  des  marchands 
de  billets  avisés  vendaient  les  fauteuils  jusqu'à  .30  florins  hollandais,  soit 
environ  63  francs. 

—  La  musique  on  Suisse.  Les  résultats  do  lu  première  aunoo  d'exploi- 
tation de  l'admirable  Tonhalle  que  la  jolie  ville  de  Zurich  s'est  fait  cons- 
truire  récemment,    sont  particulièrement    encourageants   pour    la    société 


LE  MENESTREL 


343 


qui  exploite  cet  élablissemcnt.  Cette  iiremière  année  se  solde  par  un  béné- 
fice net  de  12.061  fr.  97  c.  LaTonhalle  a  été  assidûment  fréquentée  durant 
tout  l'hiver,  et  on  évalue  à  plus  de  160.000  le  nombre  des  personnes  qui 
-l'ont  visitée.  On  comple  aux  concerts  sjTiiphonique  un  tolal  de  931  abon- 
nés. 8.000  auditeurs  se  sont  pressés  aux  concerts  populaires  gratuits.  La 
séance  qui  a  attiré  la  plus  grande  foule  a  été  un  concert  donné  avec  le 
concours  de  M"''  Wedekind,  cantatrice,  où  l'on  a  enregistré  1.810  entrées. 
L'orchestre,  pour  une  période  de  sept  mois,  n'a  pas  coûté  moins  de 
73.763  francs. 

—  Nouvelle  avalanche  do  lu'cmières  représeiilalions  en  Italie.  Au  Ihéàtro 
Mercadanle.  de  Naples.  A  San  Fraticisco  «  scènes  en  un  acte,  »  texte  de  M.  Sal- 
vatoreDiGiacomo,  musique  de  M.  Sebasiiani:  succès.  —  Au  théâtre  Bellini,  de 
la  même  ville,  Fadette,  opéra  sérieux,  musique  de  M.  Dario  De  Rossi,  chute. 

—  Au  théâtre  Social  de  Casalpuslerlengo,  Obré,  opéra  en  deux  actes,  paroles 
et  musique  de  M.  Balladori:  succès.  —  A  Verderio,  chantée  par  des  dilet- 
tantes. \  hiu  d'amore  «  action  pastorale,  »  ]iaroles  deM^^MariaRossi-Bozzotti, 
musique  de  M.  Vittorio  Gnecchi.  —  A  San  Giorgio  à  Cremano,  près  de 
Naples,  la  Festa  de!  villaggio,  opérette,  musique  de  M.  AlcssandroDe  Martino. 

—  Enfui,  à  Pùzzuo  (Frioul),  chantée  par  des  dilettantes,  autre  opérette,  la 
Confessa  di  Santapclagia.  Diusique  du  maestro  De  Lunghi.  Sans  compter  une 
pantomime,  Pierrot  espion,  scénario  de  M.  Francioli.  musique  de  M.  Tcofilo 
De  Angelis,  qui  a  été  jouée  avec  succès  au  théâtre  National  de  Rome. 

—  A  Lucques.  sur  l'iniliative  de  la  société  orchestrale  Boccherini,  un 
comité  s'est  constitué  à  l'elVet  d'ériger  deux  monuments  à  deux  artistes,  enfants 
l'un  et  l'autre  do  la  cité.  Le  premier  est  Boccherini,  l'auteur  si  fécond  d'œu- 
vres  si  délicieuses  de  musique  de  chambre  :  le  second  est  Alfredo  Catalani, 
composileur  élégant,  niorl  récemment  dans  toute  la  force  de  l'âge  et  de  la 
production. 

—  M.  Felipe  Pedrell  a  été  invité  à  donner  un  cours  d'histoire  musicale 
à  la  section  des  éludes  supérieures  de  l'Athénée  de  Madrid.  Le  sujet  qu'il 
a  choisi  est  celui-ci:  Histoire  de  la  musique  dans  ses  trois  périodes  consHtutives : 
a)  musique  homophone  ;  b)  musique  polyplione  ;  c)  musique  liarmonique  et  moderne. 
Il  donnera  eu  tout  22  leçons,  dont  la  première  sera  consacrée  à  une  Intro- 
duction à  l'Histoiie  de  la  musique,  les  quatre  suivantes  à  la  première  période 
de  celle-ci.  six  autres  à  la  seconde  période,  le  restant  à  la  troisième. 

—  Au  théâtre  de  la  Zarziicla  de  Madrid,  apparition  d'une  zarzuela  nouvelle 
du  compositeui'poiiulairo  l'ei'uandez  Calialleri'.  qui  porte  ce  litre  au  moins 
singulier:  l'Expulsion  des  Juifs  en  Ii93. 

—  Un  journal  américain  raconte  que  M'"^  Nordica  est  l'heureuse  proprié- 
taire d'un  petit  chien  qui  est  l'unique  représentant  de  son  espèce  ayant 
assisté  à  une  représentation  du  théâtre  de  Bayreutb.  La  femme  de  cham- 
bre de  l'artiste  avait  réussi  à  l'introduire  en  cachette  pendant  cette  repré- 
sentation, dans  laquelle  M™  Nordica  chantait.  Au  commencement,  tout 
alla  bien.  Le  petit  chien,  enveloppé  dans  une  mantille  de  dentelle,  se 
prélassait  sur  les  genoux  de  la  soubrette  espiègle.  Mais  voici  que 
Mme  Nordica  entre  en  scène  en  poussant  un  cri  sur  le  mode  mineur.  Le 
toutou  reconnaît  la  voix  de  sa  maîtresse  et  se  met  à  hurler  furieusement. 
Toute  la  salle  s'agite,  et  l'audacieuse  camériste  s'enfuit  en  emportant  le 
chien  ;  sans  l'intervention  de  M"'"  Wagner,  elle  aurait  fait  la  connaissance 
du  «  violon  »  de  Bayreutb. 

—  Ce  n'était  pas  assez  de  voir,  sur  certains  théâtres  italiens,  massacrer 
le  Barbier  de  Rossini  en  le  faisant  chanter  uniquement  par  des  femmes. 
Le  directeur  d'une  scène  italienne  de  Buenos- Ayres  a  trouvé  une  masca- 
rade plus  odieuse  encore  au  point  de  vue  musical  :  il  a  offert  à  son  public 
le  second  acte  dudit  Barbier,  en  faisant  jouer  les  rôles  d'hommes  par  des 
femmes  et  les  rôles  de  femmes  par  des  hommes.  Celui-là  mériterait  qu'on 
lui  fasse  suivre  un  cours  d'harmonie  pendant  vingt-cinq  ans  pour  lui 
apprendre  la  disposition  des  voix. 

PARIS   ET   DÉPARTENIENTS 

Le  Journal  officiel  a  publié  cotte  semaine  les  nominations  suivantes  dans 
lé  personnel  enseignant  du  Conservatoire  : 

M.  Le  Bargy,  sociétaire  do  la  Comédie-Française,  professeur  de  déclama- 
tion dramatique,  o,n  remplacement  de  M.  Delaunay. 

M.  Ch.  AVidor.  pnif..~spur  de  composition,  cunlrepuint  et  fugue,  en  rem- 
placemfut  dr   M.  Thi'i.dcire  Dubois,  appeb'  à  d'aiilrf>  fondions. 

M.  G.  Fauié,  professeur  de  composition,  contrepoint  et  fugue,  eu  rem- 
placement de  M.  Massenet,  démissionnaire. 

M.  Paul  Vidal,  professeur  d'accompagnement  au  piano,  en  remplacement 
de  M.  Delahaye,  décédé. 

M.  G.  Rémy,  professeur  de  violon,  en  remplacement  de  M.  Garcin, 
décédé. 

M.  de  Martini,  chargé  de  cours  pour  une  classe  de  solfège  spéciale  aux 
chanteurs,  en  remplacement  do  M.  Danhauser,  décédé. 

De  plus,  par  arrêté  ministériel  en  date  du  3  octobre.  M™  Henry  Jossic 
(Madeleine  Jaeger)  est  nommée  professeur  de  solfège, 

—  Voici  le  résultat  de  l'examen  qui  a  eu  lieu  cette  semaine  au  Conserva- 
toire, pour  l'admission  aux  classes  de  déclamation.  Sur  38  aspirants,  22  ont 
été  reçus,  dont  10  hommes  et  12  femmes.  Voici  les  noms  des  élus,  avec  l'in- 
dication des  classes  auxquels  ils  sont  affectés:  classe  de  M.  Worms  : 
M"»'  d'Ortzal,  Marotel,  MM.  Dessonnes,  Chevalet;  classe  de  M.  Silvain  : 
M"™  Régnier,  Brésil,    MM.   Henry-Perrin,   Saillard  ;   classe   de   M.  Dupont- 


Vernon  :  M'^^'  Dielly,  Myriane,  MM.  Séverin  et  Perrin:  classe  de  M.  Leloir  : 
M"=*  Jousset,  Barbier,  MM.  Groné  et  Gournac  ;  classe  de  M.  de  Férandy  : 
M"=ii  Cergy,  de  Lavergne,  M.  Signoret:  classe  de  M.  Le  Bargy:  M"»*  Gilda 
Darty,  Lalandre,  M.  Vargas. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Châtelet,  concert  Colonne:  Ouverture  de  Pa/ne  (Bizet);  Symphonie  fantastique 
(Berlioz)  ;  Psyché  (César  Franck)  ;  Divertissement  (Lalo;  ;  Berceuse  de  Jocelyn  (B,  Go- 
dard); Airs  de  danse  du  iioi  s'amuse  (LéoDelibes)  ;  Hymne  à  sainte  Cécile  (Gounod)  ; 
Carnaval  (E.  Guiraud). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concerts  Lamoureux:  Symphonie  pastorale  (Bee- 
thoven) ;  Pur  dicesti  (A.  Lotti),  chantée  parM"°  Jenny  Passama  ;  Rédemption,  sym- 
phonie, introduction  de  la  deuxième  partie  (César  Franck  i  ;  Capriccio  espagnol 
(Rimsky-Korsakow)  ;  Béves  (Wagner),  chantés  par  JM"'  Jenny  Passama;  le  Vé- 
nusberg,  de  Tannimuser  {Wagaer);  Ouverture  des  Maîtres  chanteurs  (WAgner]. 

—  Le  premier  concert  de  l'Opéra  sera  donné  le  3  janvier  et  le  dernier  le 
dimanche  des  Rameaux.  Cela  fera  en  tout  une  série  de  dix  concerts,  avec 
cinq  programmes,  chaque  programme  devant  être  exécuté  deux  fois  de  suite. 
Au  premier  concert,  il  esl  très  probable  que  nous  entendrons  des  fragments 
d'un  opéra  inédit  de  Gluck  :  Hélène  et  Paris.  Mais  cette  année,  la  direction  de 
l'Opéra  a  le  projet  d'élargir  cunsiiliTahlement  les  programmes,  en  donnant 
soit  des  actes  d'ouvrages,  soil  même  ib-~  iiiivr;ij;e^  tnut  entiers.  Cette  innova- 
tion remplacera  l'exhibition  des  danïr>  ;iiiri(.|iiii'>  qui  ont  eu  tant  de  succès 
l'an  dernier,  mais  dont  le  programme  i-.-l  plus  l'aiile  à  épuiser. 

—  .De  noire  confrère  Nicolet,  du  Gaulois  :  «  A  l'Opéra  toujours,  bien  qu'on 
soit  en  ce  moment  tout  entier  aux  dernières  répétitions  du  Don  Juan  de  Mo- 
zart, on  n'en  continue  pas  moins  à  pousser  activement  les  études  de  Messidor, 
le  drame  lyrique  de  MM.  Alfred  Bruueau  et  Emile  Zola.  La  mise  en  scène 
de  cet  ouvrage  sera  des  jjlus  pittoresques  et  des  plus  curieuses.  On  cite  déjà 
deux  décors  à  sensation  :  la  Moisson,  par  le  peintre  Jambon,  et  le  Moulin,  par 
Amable,  qui  dépasseront  comme  hardiesse  artistique  tout  ce  qui  a  été  fait 
jusqu'ici.  L'action,  ou  plutôt  l'idée  du  drame  de  Messidor  se  trouve  tout  entière 
dans  les  trois  dernières  pages  du  roman  de  Germinal,  par  M.  Emile  Zola, 
auteur  du  livret  do  M.  Bruueau.  Nous  avons  dit  qu'il  y  aurait  un  ballet 
important  dans  Messidor.  Le  puiiil  dr  iliqnirl  de  ce  ballet  est  le  développement 
d'une  légende  locale,  d'après  UkiucIIi'.  ,iu  di'but  de  l'ère  chrétienne,  l'enfant 
Jésus  jouant  dans  la  vallée  de  Holliiuale,  Idut  le  sable  qu'il  touchait  fut  con- 
verti en  or.  Et  c'est  poui'quoi.  de]iuis  celte  époque,  la  rivière  de  l'Ariège 
charrie  de  l'or,  » 

—  Un  bon  engagement  à  l'Opéra-Gomique,  celui  de  M"»  Jane  Marcy,  qui 
fut  quelque  temps  la  pensionnaire  de  l'Opéra  et  qui  chanta  avec  tant  de  succès 
tout  l'hiver  driider  aux  cunccris  Lauinoieux,  nu  l'cU]  ]iui  remarquer  comme 
son  taleiil  sVlail  t;rii('roii.^ciii('iii  iliv('li'|i|ir.  .Mi'''Mu[v\  sera  nue  excellente 
dona  AiiiKi,  jinur    la  prochaine  rcjai-c  dr  Don  Jua»,  qui' pn'qiare  M.  Carvalho. 

—  Le  compositeur  Gustave  Charpentier  a  donné  jeudi  chez  lui,  devant 
quelques  amis,  une  audition  de  sa  Sérénade  à  Watteau,  qui  sera  exécutée  pour 
la  première  fois  dans  le  jardin  du  Luxembourg,  le  8  novembre,  pour  l'inau- 
guration du  monument  du  peintre  des  Fêtes  galantes.  Ce  jour-là.  la  Sérénade  à 
Watteau  sera  chantée  par  le  ténor  Mauguière  et  par  six  voix  de  femmes,  et 
accompagnée  par  le  double  quatuor  classique,  par  le  quatuor  de  mandolines 
Pietrapertosa,  deux  harpes,  deux  flûtes,  un  mustel  et  un  lamliourin. 

—  WJl.  Paul  Viardot  et  Henri  Marteau  partent  aujourd'hui  pour  une  tour- 
née en  Scandinavie. 

—  De  Lyon  :  M.  Vizentini  a  inauguré  sa  deuxième  année  do  direction  en  nous 
rendant  une  couvre  intéressante,  .4'irfa,  qui  n'avaitpas  été  jouée  depuis  plusieurs 
années.  Grand  succès  pour  la  troupe  d'opéra ,  remarquablement  homogène  avec 
MM.  Cossira,  Beyle,  Fabre,  M"'"  Litvinne  et  Cossira.  M""  Litvinne  va  mal- 
heureusement nous  quitter,  enlevée  à  prix  d'or  par  l'Amérique.  Le  lendemain 
d'Aida  nous  avons  eu  une  excellente  exécution  de  Samson  et  Dalila,  avec 
MM.Bucognani,Beyle,Ramieu  etM"»"  Jane  d'Hasty,  une  Dalila  exquise.  Puis, 
toujours  dans  la  semaine  d'ouverture,  Faust.  Manon  avec  M""  Yalduriez  et 
M.  Micaëlly,  Mignon  avec  M"""  Mary  Boyer.  M.  Yizeulini  annonce  avant  tes 
Mattres-Clianteurs,  le  grand  événement  de  la  saison,  des  reprises  de  Lakmé, 
la  Jacquerie,  Mireille,  la  Favorite,  la  Juive,  et  les  créations  de  JavoUe,  le  nouveau 
ballet  de  Saint-Saéns,  la  Vendée  de  Pioiiié,  André  Chénier  de  Giordano,  l'Hâte 
de  Missa,  Jacqueline  de  Pl'eifVer,  etc.  Nuire  habile  direcleur  promet  aussi  cinq 
grands  concerts  symphoniques  dominicaux,  dont  le  premier  aura  lieu  le 
22  novembre.  On  le  voit,  la  plus  grande  activité  règne  sur  notre  première 
scène,  et  le  public,  par  son  empressement,  montre  bien  le  gré  qu'il  sait  à 
un  directeur  artiste  et  intelligent  de  vouloir  que  Lyon  devienne  le  premier 
théâtre  en  province  française,  J-  Jemain. 

—  Les  concerts  de  la  Société  Philharmonique  fondée  par  M.  L.  Breilner 
seront  donnés,  comme  l'année  précédente,  dans  la  Salle  des  Agriculteurs 
de  France,  8,  rue  d'Athènes,  à  8  b.  1/2  du  soir.  Ces  concerts,  au  nombre 
de  dix,  auront  lieu  aux  dates  suivantes:  les  jeudis  5  et  19  novembre, 
jeudi  3  et  samedi  19  décembre  1896,  jeudi  7  et  samedi  23  janvier,  les  same- 
dis 6  et  20  février,  les  jeudis  4  et  18  mars  1897. 

—  Le  professorat  vient  do  s'enrichir  de  deux  nouveaux  maîtres.  M.  et 
M°"  Escalaïs  viennent  eu  clTet  do  s'installer  définitivement  à  Paris,  52,  fau- 
bourg Saint-Honoré,  et  ces  doux  excellents  artistes  ne  manqueront  pas   de 


3U 


LE  ME\ESTREL 


l'ormer  à  leur  imaye  de  bons  et  solides  clianleurs  iioui'  nos  scènes  lyriques 
françaises. 

—  Mme  Yvcliug  RamBaud  reprend  ses  cours  cl  leçons  de  chant,  de  diction 
et  de  déclamation  dramatique,  chez  elle,  86,  rue  de  la  Victoire. 

—  Cours  et  Leçons.  —  IJKcole  préparatoire  au  professorat  de  piano,  fondée  et 
dirigée  par  M"' Hortense  Parent,  a  rouvert  ses  portes  le  lô  octobre.  Les  deux  écoles 
d'application,  sous  forme  de  cours  pour  les  jeuncs  filles  du  monde,  ont  fait  leur 
rentréele  12  octobre  (rue  deBuci,  12  et  rue  Joubert,  33.)  —  M"'  FélicienneJarry 
a  repris  chez  elle,  22,  rue  TroyoD,  ses  leçons  de  piano,  chant  et  solfège.  — 
M"°  A.  Ducasse,  13  bis  rue  d'Aumale,  a  repris  ses  leçons  de  chant  et  auditions. 

—  M"*  Lannes,  7,  rue  Bréa,  reprend  ses  cours  de  chant  et  leçons  par- 
ticulières. —  M"'' Donne  ont  repris  leurs  cours  de  solfège  et  de  piano  et  leurs 
leçons  particulières,  chez  elles,  18,  rue  Moncey.— M""  Willard  et  Fillan  ont 
repris  leur  cours  de  solfège  à  l'Institut  Rudy.'i,  rue  Caumartin  à  partir  du  mer- 
credi 14  octobre,  —  M""  Bollaert-Plc,  professeur  de  chant,  reprend  ses  cours 

■  ses  leçons  chez  elle,  16,  avenue  Trudaine  ;  accompagnateur,  M.  Ch.  Levadé.  —  Les 
cours  de  piano,  solfège  it  chant  de  M""  Henry  Marchand  ont  recommencé  le 
jeudi  15  octobre,  6,  rue  de  l'isly.  —  M""  Henriette  Thuillier  a  repris  ses  cours 
piano  et  de  de  musique  d'ensemble  chez  elle,  2'i,  rue  Le  Peletier  et  au  cours 
d'Éducat'on  de  M""'  Roche,  15,  rue  Cortambert.  Audition  des  œuvres  de  Raoul 
Pugno,  Théodore  Dubois,  Bourgault-Ducoudray.  —  M"'  Cartelier  reprend  ses 
cours  et  leçons  de  chant,  19,  rue  de  Berlin.  —  M""  et  M"'  Véras  de  la  Bastière 
reprennent,  leurs  cours  et  leçons  de  piano  et  de  chant,  115,  faubourg 
Poissonnière.  —  M—  Marie  Rueff  reprend  ses  leçons  et  cours  de  chant, 
7,  rue  de  Courcelles.  —  M»'  André  Gedalge  a  repris,  chez  elle,  130,  faubourg  saint- 
Denis,  ses  cours  et  leçons  de  chant,  harmonie  et  préparation  aux  certificats 
d'aptitude  pédagogique  à  l'enseignement  musical  (lycées,  écoles  normales,  etc.). 

—  Le  compositeur  A.  Trojelli  reprend  ses  leçons  de  piano,  25,  rue  Ruhmkorff. 

—  M.  Paul  Séguy  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  chant,  suivant  la  méthode 
Faure,  dans  son  nouvel  appartement,  3,  rue  de  la  Terrasse.  —  M.  et  M'»'  Chas- 
sing  ont  repris  leurs  cours  et  leçons  de  chant  et  de  piano,  S3  bis,  boulevard 
Richard-Lenoir.  —  M.  et  M-"  Weingaertner  reprennent  leurs  cours  et  leçons  de 
piano,  violon  et  accompagnement,  20,  rue  Richer.  —  M-'  L.  Jouanne  reprend 
ses  cours  de  piano  et  solfège,  77,  rue  d'Amsterdam.  —  M—  Renée  Richard, 
de  l'Opéra,  a  repris  chez  elle,  63,  rue  de  Prony,  ses  cours  et  leçons  de 
chant  et  de  déclamation  lyrique.  —  M.  Sigismond  de  Stojowski,  rentré  à  Paris, 
a  repris  ses  cours  de  composition  musicale  et  de  piano,  chez  lui,  12,  rue  Léo- 
Delibes.  —  M  J.-Ch.  Hess,  5.  rue  de  Condé,  ouvre  des  cours  de  piano  pour  les 
enfants  de  quatre  à  cinq  ans  qui  ne  savent  ni  lire  ni  écrire.  —  M.  Charles  René 
a  repris  ses  cours  de  piano  à  l'institut  Rudy,  4,  rue  de  Caumartin  (les  mardis 
de  2  à  4  heures),  et  les  cours  d'harmonie  (lundi  de  2  à  4  heures),  chez  lui,  36  bis, 
rue  Ballu. 

NÉCROLOGIE 

Antoine  Bruckner,  le  célèhre  compositeur  viennois  dont  nous  avons 
annoncé  la  mort,  a  eu  à  ses  obsèques  des  honneurs  extraordinaires.  A 
Vienne  le  bourgmestre  lui  a  consacré  un  panégyrique  en  pleine  séance  du 
.conseil  municipal,  et  le  conseil  a  voté  les  frais  de  l'enterrement.  Le  Conser- 
vatoire a  fait  flotter,  en  signe  de  deuil,  un  drapeau  noir  au  sommet  du  monu- 
ment. La  maison  mortuaire,  au  palais  impérial  du  Belvédère,  avait  été 
décorée,  par  ordre  de  l'empereur,  de  fleurs  et  de  plantes  provenant  des  serres 
impériales:  la  société  Richard  'Wagner,  les  orphéons  Wiener  Maennergesang- 
Vereiu  et  Schubcrtbund,  l'orchestre  philharmonique,  les  étudiants  de  l'Uni- 
versité de  Vienne  et  plusieurs  sociétés  musicales  de  province  avaient  fait 
déposer  des  couronnes  par  des  députations.  Le  corbillard,  tout  couvert  de 
fleurs  et  de  couronnes  et  attelé  de  six  chevaux  noirs,  transporta  le  corps  à 
l'église  Saint-Charles-Borromée,  accompagné  par  la  famille,  les  représentanis 
du  gouvern?ment,  de  l'Université,  du  Conservatoire,  du  conseil  municipal, 
delà  surintendance  générale  des  théâtres  impériaux,  de  l'Opéra-Impérial,  des 
sociétés  musicales,  de  tous  les  théâtres  viciinoi.^,  ainsi  que  par  les  plus  nota- 
bles compositeurs  et  musiciens  de  la  capilalo  autrichienne.  Les  sociétés 
chorales  ont  chanté  dans  l'église  un  Libéra  et  le  beau  chœur  de  Schubert  : 
Dots  en  paix;  Hans  Richter  a  fait  hnalemont  exécuter  par  des  artistes  de 
l'orrheslre  philharmonique  la  musique  funèbre  intercalée  dans  l'adagio  delà 
septième  syni|)lionie  de  .Bruckner,  qui  produisit  dans  la  vaste  église  un  effet 
grandiose.  Après  le  service  à  l'église  Saint-Charles,  l'enterrement  a  eu  lieu 
à  l'église  abbaliale  de  Sainl-Floriau  (Haute-Aul riche),  où  de  grands  honneurs 
ont  été  rendus  à  l'ancien  organiste  de  cette  église  par  l'abbé  et  les  religieux, 
ainsi  que  par  tout  le  cl'rgé  du  diocèse.  Plus  de  cinquante  curés  delà  Haute- 
Autriche  assistaient  à  la  solonniU'.  Le  corps  de  Bruckner,  qui  a  été  conservé 
par  les  soins  d'un  de  ses  amis.  i(.|i,ise  dans  un  spicndide  cercueil  en  cuivre 
qui  restera  e.xposé,  selon  le-^  .Ir inincs  Milonli'-  du  ilidiml,  sdus  l'orgue  de 
l'église  abbatiale.  Promesse  in  ;(\:iii  r[r  faiic  i  l^uii^ic  ih'  son  vivant.  Les 
partitions  autographes  de  ses  .rnvios  principales,  do  ses  iicnif  symphonies, 
de  ses  trois  grandes  messes,  de  sou  fameux  quintelle,  du  TeDeum,  du  iisaumelS6 
et  du  chœur  Heligoland  sont  léguées  à  la  bibliothèqueim  pi^riale  do  Vienne.  C'est 
ainsi  que  Bruckner  a  royalement  payé  l'hospitalité  que  l'empereur  accorda 
à  l'artiste  pendant  les  dernières  années  de  sa  vie. 

—  M..  Henry  E.  Abbey,  le  fameux  manoger  américain,  a  sucombé  à  New- 
York,  le  17  octobre,  à  une  hémorragie  d'estomac,  à  peine  âgé  de  cinquante 
ans.  Ses  commencements,  qui  remontent  à  plus  d'un  quart  de  siècle,  furent 
fort  modestes.  Dans  la  petite  ville  d'Akron  (Ohio),  il  fit  ses  premières  armes 
comme  manager  d'un  acteur  américain,  mais  il  arriva  rapidement  à  une  situa- 
tion plus  importante;  au  cours  de  ces  vingt  dernières  années,  Abbay  à  pro- 


mené à  travers  les  États-Unis  des  artistes  comme  la  Palli.  la  Nilsson,  Sarah 
Bernliardt,  Henry  Irving  et  Edwin  Boolli,  pour  ne  ciler  que  les  grandes 
étoiles  C'est  Abbey  qui  avail  porté  ce  système  des  éloiles  à  son  apogée,  mais 
aussi  à  son  raiarlysme.  «Je  ]irends  les  meilleurs  arlisles  du  monde,  nous 
cxpli(|uail-il  nu  jour  sur  la  terrasse  d'un  café  paiision,  je  leur  donne  sans 
aucun  marcliandage  tout  ce  qu'ils  demandent,  et  ensuile  je  publie  dans  les 
journaux  exactement  ce  qu'ils  me  coûtent  pour  exiili(|MPr  mon  larit  île 
places.  C'est  fort  simple,  et  je  m'en  suis  toujours  tort  bien  lniuv('.  »  Cet  enlre- 
tien  nvail  lieu  pendant  l'Exposilion  de  1889  :  le  pauvre  Abbey,  qui  avail  di'jà 
brillamment  réussi  dans  lanl  d'enlvepriscs  théâtrales  et  musicales  —  c'est 
lui  qui  avait  inauguré  le  Méiriipolilau-Opera-House  et  avait  gagné  énormé- 
ment d'argent,  a,vec  le  pianisie  Joseph  Hofniann,  l'enfant  prodige  —  devait  laire 
l'expérience  que  le  système  ijui  lui  avait  réussi  si  longtemps  n'étail  jias 
exempt  de  dangers.  11  y  a  quelques  mois,  Abbey,  qu'en  Europe  on  croyail 
millionnaire,  devait  déposer  son  bilan,  et  l'actif  de  son  entreprise  couvrait  à 
peine  la  moitié  de  son  passif.  Un  chagrin  intime,  une  instance  en  divorce 
avec  sa  seconde  femme,  contribua  à  épuiser  les  forces  vitales  de  cet  homme 
si  énergique  qui  paraissait  bâti,  il  y  a  quelques  années  encore,  pour  résister 
même  au  surmenage  terrible  qu'il  s'imposait  en  vrai  Yankee,  soucieux  de 
réunir  autant  de  dollars  que  possible.  «  Le  roi  des  managers  »,  comme  Abbey 
fut  surnommé  en  Amérique,  où  on  connaît  aussi  les  royautés  du  blé,  du 
pétrole,  des  chemins  de  fer  et  autres,  gardera  néanmoins  une  place  marquée 
parmi  les  impresari  de  haute  volée,  les  Barbaja,  les  Mereili,  les  Strakosch, 
les  Gye,  les  Mapleson,  qui  ont  amusé  noir.»  siècle  expirant.  0.  B. 

—  L'enterrement  d'Henry  Abbey  a  eu  lieu  à  New- York,  dans  l'église 
catholique  de  Saint-Paul.  Le  défunt  s'était  converti  au  catholicisme 
il  y  a  quelques  années,  après  la  mort  do  son  fils  unique,  qui  lui-même 
avait  embrassé  la  foi  catholique.  Une  foule  énorme  se  pressait  dans 
l'église  et  dans  les  rues  avoisinantes,  et  les  principaux  artistes  des  deux 
mondes,  entre  autres  la  Patti,  M°"  Melba,  les  frères  de  Reszké  et  sir  Henri 
Irving,  avaient  fait  déposer  des  couronnes  et  des  fleurs.  Presque  tous  les 
théâtres  de  Londres  et  de  New-York  avaient  envoyé  des  couronnes,  et  deux 
grands  fourgons  remplis  de  fleurs  et  de  ces  couronnes,  suivaient  le  corbillard. 
Un  Requiem  fut  chanté  par  la  maîtrise  et,  à  la  fin,  trente-cinq  musiciens 
exécutèrent  l'inévitable  marche  funèbre  de  Chopin. 

—  Nous  enregistrons  avec  regret  la  mort  d'un  excellent  homme  qui  fut  un 
écrivain  honnête,  et  qui  n'a  connu  que  des  amis  au  cours  d'une  carrière 
aussi  longue  qu'honorable.  Henry  Trianon,  conservateur  honoraire  .i  la 
Bibliothè(iue  Sainte-Geneviève,  est  mort  le  17  de  ce  mois,  à  l'âge  de  86  ans. 
Collaborateur,  jadis,  de  nombreux  journaux  et  revues,  Trianon  s'est  l'ail 
connaître  comme  auteur  dramatique,  d'abord  par  une  comédie  en  deux  actes 
et  en  vers,  le  Coq  de  Mycile,  représentée  au  Théâlre-l'rançais.  Il  était  devenu 
ensuite  le  collaborateur  de  plusieurs  de  nos  musiciens,  à  qui  il  avait  fourni 
des  livrets  d'opéras.  C'est  ainsi  qu'il  avait  donni'  à  l'Opéra-Comique,  avec 
Duprato  Salvat-r  Rosa,  avec  Eugène  Gautier  le  Trésor  de  Pierrot,  au  Théâtre- 
Lyrique  avec  Jules  Cohen  lesBleuets,  dont  le  rôle  principal  futcréé  par  Christine 
Nilsson,  à  l'Opéra  enfin,  avec  Limnander  le  Maître  Chanteur,  et  avec  Théodore 
Labarre  Pantagruel.  Un  incident  singulier  se  produisit  au  sujet  de  cette  der- 
nière pièce,  dont  la  première  représentation  eut  lieu  en  présence  de  l'empe- 
reur et  de  l'iiTipératrice.  On  s"imagina  tout  à  coup  que  la  censure  avait  laissé' 
passer  sans  les  voir  des  allusions  politiques  perfides  et  absolument  inconve- 
nantes. Des  allusions  politiques  !  de  la  part  de  Trianon  !  et  avec  un  musicien 
qui  était  accompagnateur  de  la  chapelle  impériale  I...  C'était  assurément 
invraisemblable.  Néanmoins  il  y  eut  scandale,  forte  semonce  adressée  aux 
censeurs,  et  par-dessus  tout  interdiction  de  rejouer  Pantagruel,  dont  la  pre- 
mière représentation  fut  aussi  la  dernière. 

—  A  Milan  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  56  ans,  un  pianisie  et  organiste 
distniguc,  Eugénie  Maz/.ucchelli,  connu  aussi  jiar  d'assez  nombreuses  com- 
positions 

—  On  annonce  la  mort,  à  Xajiles,  ilu  comiiositeur  Yincenzo  Moscuzza,  qui 
était  né  à  Syracuse  au  mois  d'avril  1827.  Après  avoir  fait  dans  sa  ville  natale 
de  bonnes  études  de  contrepoint  et  de  composilion,  il  eut  l'extraordinaire 
fortune,  à  peine  âgé  de  vingt-lrois  ans,  de  voir  s'ouvrir  huiles  grandes  devant 
lui  les  portes  du  théâtre  San  Carlo  de  Naples,  dont  l'acLcs  est  iriiabilude 
entouré  de  tant  de  difficultés.  C'est  sur  celle  scène  cidelire  ([u'il  d(mna  ses 
premiers  ouvrages,  tous  de  car.actère  sérieux:  Stradella  [iK>()),  Eufeinia di Na- 
poU  (1831),  Carlo  Gonzaga  (1837),  .et  Bon  Carlos,  infante  di  Spagita  ('2o  mai  1862). 
En  1863  il  faisait  représenter  à  la  Pergola  de  l'iorence  Piccardo  Donati,  en 
1869,  à  Syracuse,  Gonzales  Davilla,  que  ses  concitoyens  accueillirent  avec 
enthousiasme,  et  le  .j  juin  187.3  il  abordait  le  genre  houll'e  en  donnant  au 
Politeama  de  Florence  un  ouvrage  inlitulé  Quattro  Rustici,  dont  on  vantail  le 
finesse  et  l'élégance.  Enfin,  au  mois  de  mai  1877,  il  se  présentait  ]iour  la 
dernière  fois  au  public  en  faisant  jouer  à  Malle  sa  Francesca  du  Rimini. 
Chose  singulière  en  ell'et,  cet  artiste,  qui  avait  débuté  d'une  façon  Inillanle, 
ne  reparut  jamais  au  théâtre  à  partir  de  ce  moment,  bien  que,  dit-ou,  il 
ait  écrit  encore  quatorze  (qicras  !  Au  reste,  la  renommée  de  Moscuzza  n'a 
jamais  di'qiassé  les  frontières  de  son  pays,  et  je  ne  sache  pas  qu'un  seul  de 
ses  ouvrages  ait  été  joué  à  l'élranger. 

Henki  Heucel,  directeur-gérant. 


î:ER(E  CE\TR.t 


>  CBEMINS  DE   FEB.  —  lUPRlUEfUC  CHjUZ,  RUE 


ao,  paris,  —  (Eocn  LorUleD4 


3423. 


«•>"    i\m  -  \"  U. 


Diniaiiclic  i  '  \ovemlii'e  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(J.es  rnaiiiiscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  MÉNESinEL.  2  bis,  nie  Vivienne.  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  il'.ilioniieraenL 
Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  .Musique  de  Chant.  20  fr.;  lu. le  et -Musique  de  Piano,  "20  fr,  Paris  et  l'rovince. 
Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  3U  Ir.,   l'aris  ec    l'nj»ince.  —  Pour  l'Étr.-nger,   le.  Irais  île  pciste  eu  s 


SOMMAIRE-TEXTE 


L  Étude  sur  Orphéf  (I0«  article),  Julien  Tiersot.  —  IL  Semaine  théltrale  :  reprise 
de  Don  Juan  à  l'Opéra, -VRTHrn  Pougin;  premières  représentations  du  Partage  au 
Vaudeville  etdeiîico/i  aux  Folies-Dramatiques,  II.  Mobeno.  —  IIl.  L'Exposition 
du  théâtre  et  de  la  musique  (4'  article),  .\iiTHunPooGiN.  —  IV.  Musique  et  pri- 
son 122'  article)  :  Prisons  d'artistes,  Paul  d'Estrée.  —  V.  Revue  des  grands 
concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

IL  M'AIME,  M'AIME  PAS 

mélodie  italienne  de  P.  Mascagni,  traduction  française  de  Pierre  Babbier. 

—  Suivra  immédiatement  :  Prélude,  nouvelle  mélodie  de  Re.née  Eldèse, 
poùsie  de  Henri  de  Régnier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
PIANO  :  Pastorale   et   Gavotte,    transcriptions  pour  piano  extraites   de  lUpiTa 
André  Chémer  de  (tiordano,  le  grand  succès  du   théâtre  de  la  Scala  à  Milan. 

—  Suivra  immédiatement  :  Les  Réoérences  nuptiales,  n"  I  de  la  collei;'(ion 
des  Vieux  Maîtres,  transcription  pour  piano  de  Louis  Diémer  d'après  Boismor- 
TIER  (1732),  répertoire  de  la  Société  des  instruments  anciens. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De    GLUCK 

(Suite) 


ACTE  III.  SCÈNES  I  ET  II. —  Sauf  certaiDS  remaniements  assez 
importants  dans  les  récitatifs  (le  premier  notamment,  après 
l'entrée  animée  des  violons,  est  entièrement  refait)  et  quelques 
transpositions  (Duo  :  Viens,  suis  un  épovx,  en  sol  en  italien,  en 
fa  en  français;  —  Air  :  J'ai  perdu  mon  Eurydice,  en  ul  en  italien, 
en  fa  en  français),  ce  tableau  entier  est  parfaitement  conforme 
dans  les  deu.x  versions. 

Mentionnons  toutefois  deux  corrections,  l'une  fort  impor- 
tante, faites  dans  l'air  :  «  J'ai  perdu  mon  Eurydice.  »  La  pre- 
mière porte  seulement  sur  l'accent  d'une  fin  devers,  celui 
qui  précède  la  troisième  reprise  du  chant  principal  : 


Quel  tour-ment  déchi.re  mon  coeur! 

La  version  italienne  donnait  : 


Ne  daJ  mon  do  ne      dal 

L'autre  consiste  en  l'addition  de  quatre  mesures  qui  modi- 


fient la  conclusion  en  lui  donnant  une  puissance  d'accent 
extraordinaire  :  on  pourra  apprécier  le  progrès  accompli  en 
comparant  à  la  période  finale  de  la  version  française  :  «  Sort 
cruel,  quelle  rigueur,  —  je  succombe  à  ma  douleur...  à  ma 
douleur...  à  ma  douleur  »  les  quatre  mesures  suivantes  qui 
la  remplacent  dans  la  version  italienne  : 


L'amélioration  est  si  évidente  que  cette  version  fut  adoptée 
par  la  suite  dans  les  représentations  italiennes  :  c'est  ainsi 
que  le  manuscrit  de  Vienne,  qui,  nous  l'avons  dit,  servit 
à  diriger  l'œuvre  du  vivant  de  Gluck,  tout  en  conservant 
la  forme  originale,  y  ajoute,  en  manière  de  supplément,  toute 
cette  conclusion,  écrite,  sur  une  feuille  séparée,  de  la  main 
de  Salieri. 

SCÈNE  DERNIÈRE.  —  Le  premier  chœur  :  L'Amour  triomphe,  existe 
dans  les  deux  partitions  (J),  mais  il  a  subi,  en  passant  en  fran- 
çais, une  modification  regrettable.  Entièrement  en  ré  majeur 
dans  la  version  italienne,  il  a  fallu,  par  suite  du  changement 
de  voix  du  personnage  principal,  en  transp'oser  la  première 
phrase  à  la  quarte  inférieure;  il  s'ensuit  que  l'exposition  du 
morceau  est  faite  dans  le  ton  de  la,  après  quoi  le  chœur,  reve- 
nant au  ton  primitif,  sans  respect  pour  l'unité  tonale,  s'y  éta- 
blit définitivement  jusqu'à  la  cadence  finale. 

Le  ballet  est  moins  développé  dans  Orfeo  que  dans  Orphée, 
encore  qu'il  y  tienne  une  bien  plus  grande  place  que  dans  la 
généralité  des  opéras  italiens  d'alors.  Les  trois  seuls  morceaux 
communs  aux  deux  partitions  sont  les  suivants  : 

-1''''  AIR  DE  BALLET,  en  la  mujeur. 

GAVOTTE,  en  la  mineur  (a.  été  considérablement  développée  dans 
la  partition  française). 

AIR,  en  ré  majeur,  à  3/4  (même  observation). 

En  conséquence,  I'air  vif,  en  ul  majeur,  à  3  '4,  le  menuet  en 
ul  (ces  deux  morceaux  sont  précisément  ceux  dont  la  Biblio- 
thèque de  rOpéra  conserve  les  iiutographes),  le  Trio  vocal  : 
Tendre  amour  (placé,  dans  le  livret,  aussitôtaprès  l'intervention 

(1)  Dans  la  version  italienne,  l'exposition  orchestrale  seule  est  jouée  au  com- 
mencement de  la  scène;  le  chœur  n'est  chanté  dans  tout  son  développeiuent 
q'j'àl  a  (In  du  ballet. 


346 


LE  MÉNESTREL 


de  l'Amour  et  avant  le  changement  de  tableau,  mais,  dans 
toutes  les  partitions,  intercalé  au  milieu  du  ballet),  la  petite 
reprise  orchestrale  du  chœur  :  L'Amour  triomphe,  enfin  la 
CHACONNE  finale,  figurent  seulement  dans  la  partition  française, 
—  tandis  que,  dans  la  partition  italienne,  un  air  de  ballet 
à  3/4,  en  ré  majeur,  d'un  mouvement  animé  pourtant  fort 
heureux,  n'a  pas  retrouvé  place  dans  la  partition  destinée  à 
l'Opéra  de  Paris. 

A  cette  analyse  comparée  nous  devons  joindre  de  nouveaux 
renseignements  dont  la  nature  s'y  rattache  naturellement. 

L'on  sait  que,  malgré  ses  scrupules  en  matière  de  musique 
expressive,  Gluck  n'a  pas  craint  de  replacer  parfois,  dans  ses 
dernières  œuvres,  les  morceaux  les  mieux  venus  de  ses  opé- 
ras antérieurs.  Et  par  là  il  n'a  donné  aucun  démenti  à  ses 
principes,  comme  se  plaisent  à  le  répéter  des  esprits  superfi- 
ciels, car,  en  déclarant  que  la  véritable  fonction  de  la  mu- 
sique était*  de  seconder  la  poésie  pour  fortifier  l'expression 
des  sentiments  et  l'intérêt  des  situations  »,  il  n'a  nullement 
entendu  dire  qu'un  morceau  destiné  à  exprimer  les  senti- 
ments de  tel  personnage  fût  incapable  d'exprimer  aussi  bien 
ceux  de  tel  autre,  si  tous  les  deux  ont  le  même  caractère  et 
se  trouvent  dans  une  situation  semblable.  Aussi  bien,  nous 
avons  appris  suffisamment,  par  les  progrès  réalisés  depuis 
Gluck  dans  la  musique  expressive,  combien  l'idée  musicale 
en  soi  est  chose  ondoyante  et  malléable,  et  peut,  avec  la  moin- 
dre modification,  se  prêter  à  des  interprétations  tout  à  fait 
différentes;  et  déjà  Gluck  lui-même  nous  en  a  donné  des 
exemples.  Nous  pouvons  citer,  notamment,  celui  de  l'air  à'Iphi- 
génie  en  Tauride  :  «  0  malheureuse  Iphigénie  »,  emprunté  à 
la  Clemensa  di  Tito:  c'est  le  même  chant,  le  même  mouvement, 
la  même  expression;  mais  quelques  notes  ajoutées  dans  le 
développement  de  la  période  lui  donnent  un  accent  autre- 
ment puissant,  autrement  tragique! 

Les  emprunts  faits  par  Gluck  à  des  œuvres  antérieures  se 
bornent,  pour  Orphée,  aux  suivants  : 

Au  1"  acte,  l'air  :  «  L'espoir  renaît  dans  uion  âme  ».  Celui- 
ci  a  été  le  point  de  départ  d'une  véritable  «  question  »,  qui, 
depuis  un  siècle  et  quart,  n'est  pas  encore  tranchée.  Nous 
nous  efforcerons  de  le  faire  tout  à  l'heure  :  en  attendant, 
comme  ladite  «  question  »  aura  besoin  d'un  assez  grand 
développement  pour  être  traitée  à  fond,  il  sera  préférable  d'en 
finir  d'abord  avec  les  autres  emprunts. 

Au  premier  tableau  du  deuxième  acte,  l'.-liV  des  furies  qui 
succède  au  dernier  chœur  ne  figure  ni  dans  la  partition  ita- 
lienne, ni  dans  l'autographe  de  Gluck  :  nul  doute  que  le 
besoin  d'intercaler  ici  un  air  de  danse  se  soit  fait  sentir 
seulement  aux  répétitions.  Gluck,  au  lieu  d'écrire  un  mor- 
ceau tout  exprès,  se  borna  à  l'emprunter  à  son  ballet  de  Don 
Giovanni,  ossia  il  Convilato  di  pietra,  composé  pour  Vienne  en  1761 , 
vingt-cinq  ans  avant  qu'un  autre  Don  Giovanni  vint  effacer  le 
souvenir  de  toute  autre  œuvre  musicale  inspirée  par  le  même 
sujet.  L'air  intercalé  dans  Orphée  avait  été  composé  sur  une 
situation  qui  s'accordait  merveilleusement  avec  celle  de  l'œuvre 
nouvelle.  C'est  à  la  fin  de  la  pièce  :  don  Juan  a  été  précipité  aux 
Enfers  ;  il  se  débat  au  milieu  des  démons  qui  dansent  autour 
de  lui  la  torche  à  la  main  et  qui  le  poursuivent  sans  cesse. 
Nous  ne  connaissons  pas  la  partition  d'orchestre  de  ce  mor- 
ceau, mais  la  réduction  au  piano  de  la  partition  nous  a  per- 
mis de  constater  que  la  musique  y  est  indentique  à  celle 
des  Furies  d'Orphée. 

Au  deuxième  tableau  du  deuxième  acte,  l'air  d'entrée 
d'Orphée  aux  Champs  Elysées  ;  Che  puro  ciel,  —  Quel  nouveau 
ciel  pare  ces  lieux,  est,  sinon  un  emprunt  absolu,  du  moins  un 
remaniement  d'un  air  d'Antigone,  opéra  représenté  à  Rome 
en  175S.  Nous  avons  vu  déjà  quelles  modifications  a  subies  le 
même  air  pour  passer  de  la  partition  italienne  dans  l'opéra  fran- 
çais :  il  n'est  pas  moins  intéressant  de  comparer  ces  deux 
formes  à  celle  du  morceau  dont  elles  procèdent  l'une  et 
l'autre.  A  l'époque  où  celui-ci  fut  composé,  Gluck  n'avait  pas 
encore  précisé  sa  doctrine  ;  cependant  on  peut  constater  que 


le  dessin  et  le  mouvement  général  du  futur  air  des  Champs- 
Elysées  furent  inspirés  par  des  paroles  qui  ne  sont  point  sans 
analogie  avec  celles  d'Orphée.  C'est  Demetrio  (castrat)  qui 
chante  : 

Gia  cha  morir  degg'io 

L'onda  fatal  ben  mio, 

Lascia  ch'i  ouarchi  almeno 
L'ombra  innocente. 

La  coupe  de  ce  morceau  est  essentiellement  celle  de  l'air 
classique  du  XVllP  siècle,  avec  une  première  partie  présen- 
tant un  développement  complet,  puis  un  milieu,  enfin,  la 
reprise  de  la  première  partie;  mais  le  style  en  est  plus 
allemand  qu'italien,  et  les  sextolets  des  violons  ainsi  que 
le  solo  de  hautbois  concertent  avec  la  voix  d'une  manière 
qui  rappelle  bien  plus  certains  airs  des  cantates  de  Bach  que 
ceux  des  opéras  de  l'école  napolitaine  :  il  est  un  endroit, 
notamment,  où  le  chanteur  devait  être  très  gêné  par  les  vio- 
lons, qui  ne  s'arrêtent  jamais  et  ne  lui  laissent  aucune  liberté 
pour  développer  les  sons,  pratique  tout  à  fait  contraire  à  celle 
du  bel  canto! ...  Mais  les  dessins,  bien  que  les  mêmes,  semblent 
avoir  moins  de  relief  dans  l'air  d'Antigone,  et  l'on  peut  dire 
qu'entre  la  composition  des  deux  œuvres  un  progrès  con- 
sidérable a  été  accompli  au  point  de  vue  du  rôle  expressif  de 
l'orchestre  et  de  son  union  avec  la  voix  dans  la  musique 
dramatique. 

Au  troisième  acte,  le  seul  morceau  emprunté  à  une  œuvre 
antérieure  est  la  chaconne  finale,  qui  n'est  autre  que  celle 
qui,  peu  de  mois  auparavant,  avait  servi  à  terminer  le  ballet 
d'Iphigénie  en  Aulide  :  la  conclusion  seule  en  a  été  modifiée, 
le  morceau,  dans  Iphigénie,  se  trouvant  interrompu,  au  mo- 
ment de  la  péroraison,  par  un  appel  de  Calchas  venant  chan- 
ter :  «  Volez,  vulez,  à  la  victoire  »,  et  amenant  ainsi  un  chœur 
final,  ce  qui  n'a  pas  lieu  dans  Orphée. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


DON  JUAN  A  L'OPÉRA 

Que  dire  de  nouveau  sur  Don  Juan  à  l'heure  présente?  Exprimer 
mon  admiration  pour  cet  incomparable  chef-d'œuvre,  où,  avec  les 
moyens  simples  dont  on  disposait  alors,  avec  un  orchestre  où  l'on 
ne  rencontre  ni  contre-bassons,  ni  tubas,  ni  trompettes  basses,  ni. 
le  reste,  Mozart  a  su  atteindre  les  limites  de  l'émotion,  da  pathéti- 
que et  de  la  terreur?  Essayer  une  glose  du  genre  de  celles  auxquelles 
on  se  livre  avec  fureur  aujourd'hui,  pour  démontrer  à  quel  point 
était  profonde  la  pensée  qui  lui  a  fait  placer,  à  tel  moment,  un  mi  ';> 
inattendu  dans  la  partie  d'alto,  ou  par  quelle  intuition  de  génie  il  a, 
dans  un  autre  endroit,  marqué  aux  timbales  un  silence  de  quatre 
mesures,  silence  qui,  dans  l'espèce,  comporte  évidemment  l'idée 
d'une  conception  philosophique  de  la  plus  haute  puissance"?  Non.. 
Mozart,  à  mon  avis,  n'était  à  ce  point  ni  penseur  ni  philosophe  ;  il 
ne  se  croyait  pas  appelé  à  révolutionner  le  monde,  il  se  contentait 
d'avoir  du  génie,  de  faire  de  la  musique  qui  après  tout  en  valait  bien 
une  autre,  et  fort  heureusement  il  n'existait  de  son  temps  ni  criti- 
ques ni  glossateurs  pour  sonder  les  mystères  impénétrables  de  la 
présence  d'un  demi-soupir  ou  rechercher  avec  avidité  les  causes 
premières  d'une  suite  de  triolets. 

Et  pourtant,  de  son  temps  même,  il  s'est  trouvé  des  gens,  et  des 
gens  qui  s'y  connaissaient,  qui  s'y  connaissaient  même  beaucoup 
mieux  que  certains  critiques  actuels,  pour  déclarer  que  sa  musique 
n'était  point  trop  mal  faite,  et  qu'elle  n'était  pas  sans  exercer  sur 
l'esprit  de  ceux  qui  l'entendaient  une  certaine  impression.  Vous 
n'êtes  pas,  je  pense,  sans  avoir  entendu  parler  d'un  nommé  Hoffmann, 
auteur  de  quelques  coûtes  bizarres  tels  que  la  Chat  Miirr,  le  Chant 
d'Antonia,  Olivier  Brusson,  le  Petit  Zacharie...  Or,  ledit  Hoffmann  n'élait 
pas  seulement  un  conteur  excentrique  et  curieux.  Pianiste  habile, 
organiste  exercé,  chef  d'orchestre,  compositeur,  auteur  de  messes 
et  d'opéras,  il  lui  arrivait  de  parler  musique,  avec  plus  de  savoir  et 
d'autorité  que  tel  ou  tel  que  je  pourrais  nommer,  qui  resterait  bien 
penaud  si  on  lui  demandait  quelle  est  la  différence  de  la  tonique  à 
la  médianle.  Voici  donc  comment  Hoffmann  s'exprimait  au    sujet  de 


I.E  MENESTREL 


347 


Don  Juan  dans  une  lettre  qu'il  adressait,  le  3  mars  nGo,  à  son  ami 
Julius  Hilzig  : 

Je  possède  maintenant  en  propre  le  Don  Juan.  Il  me  fait  passer  bien 
des  heures  délicieuses.  Je  commence  à  pénétrer  vraiment  le  grand  esprit 
de  Mozart  dans  la  composition.  Tu  ne  pourrais  t'imaginer  combien  de 
beautés  nouvelles  se  développent  à  l'oreille  de  l'exécutant,  lors  même 
qu'il  ne  laisse  pas  échapper  la  plus  petite  chose,  et  qu'il  cherche,  pour 
chaque  mesure  en  particulier,  le  sentiment  véritable  avec  une  espèce 
d'étude  approfondie.  La  gradation  qui  va  d'une  mélodie  douce  jusqu'aux 
mugissements,  jusqu'aux  coups  ébranlants  du  tonnerre;  les  sons  plaintifs 
pleins  de  douceur,  l'éruption  du  désespoir  le  plus  furieux,  la  majesté,  la 
noblesse  du  héros,  l'angoisse  du  criminel,  la  succession  des  passions  dans 
son  àme,  tu  trouves  tout  cela  dans  cette  musique  unique.  Elle  embrasse 
tout,  et  elle  te  montre  l'esprit  du  compositeur  dans  toutes  les  modifica- 
tions possibles.  Je  voudrais  pouvoir  étudier  Don  Juan  pendant  six  se- 
maines et  te  le  jouer  ensuite  sur  un  piano  anglais.  Vraiment,  ami,  tu 
resterais  assis  en  silence  et  tranquille  depuis  le  commencement  jusqu'à 
la  fin,  et  tu  le  conserverais  encore  longtemps  dans  ton  cerveau,  tout  an- 
timusical qu'il  est.  Car  tu  en  sentirais  bien  mieux  la  beauté  qu'au  théâ- 
tre; le  théâtre  vous  distrait  beaucoup  trop  pour  vous  laisser  tout  re- 
marquer d'une  manière  convenable.  Si  tu  viens  ici  lundi  prochain,  ce 
que  je  te  prie  de  faire  avec  instance,  tu  causeras  à  ton  ami  qui  t'aime 
de  toute  son  àme  et  tendrement,  un  plaisir  qui  le  rendra  très  heureux. 
Pars  de  bonne  heure  pour  être  ici  à  dix  heures  ;  viens  me  trouver  tout  de 
suite,  tu  pourras  rester  jusqu'à  midi  et  demi.  Il  faut  que  tu  entendes  au 
moins  quelque  chose  de  Don  Juan.  Ne  crains  pas  de  m'entendre  chanter  ; 
j'essaierai  de  moduler  ma  voix  de  façon  qu'elle  netesoitpas  désagréable... 

Je  n'ai  pas  besoin,  quand  j'entends  Don  Juan,  qu'on  m'explique  et 
qu'on  me  dévoile,  a  force  d'analyse,  les  causes  de  mon  admiration, 
comme  on  prend  tant  de  peine  à  le  faire  aujourd'hui  pour  d'autres 
œuvres  qui,  j  ;  suis  bien  obligé  de  l'avouer,  me  procurent  une  jouis- 
sance moins  complète  et  moins  pure.  Je  n'ai  besoin  du  secours  de 
personne  pour  entrer  en  joie  à  l'audition  de  l'air  de  Leporello  : 
Madamina,  pour  écouter  avec  ravissement  le  merveilleux  duo  :  Là  ci- 
darem  la  mano,  pour  être  ému  par  l'admirable  récitatif  de  donna  Anna, 
pour  être  charmé  par  le  délicieux  air  de  Zerline  :  Batii,  batti,  pour 
être  transporté  par  le  suave  trio  des  masques,  inspiration  enchante- 
resse qui  vous  transporte  dans  un  monde  inconnu,  pour  avoir  le  sen- 
timent d'une  grandeur  sublime  quand  j'entends  ce  finale  colossal, 
qui  porte  le  sentiment  dramatique  à  sa  plus  extrême  puissance.  De 
même,  je  n'ai  pas  besoin  qu'on  me  mette  les  points  sur  les  i  pour 
•apprécier  l'adorable  sérénade  :  Vieni  alla  finestra,  et  le  second  air  de 
Zerline:  Vedrai,  carino,  aussi  délicieux  que  le  premier,  et  celui  d'Ottavio: 
Il  mio  tesoro,  si  mélancolique  et  si  touchant,  et  la  scène  si  émouvante 
du  cimetière,  et  la  puissance  tragique  de  la  scène  finale.  Tout  cela, 
je  le  jure,  je  le  comprends,  ou  tout  au  moins  je  crois  le  comprendre, 
sans  qu'on  soit  obligé  de  m'expliquer  la  valeur  de  chaque  note  et 
de  me  faire  saisir  l'importance  de  chaque  silence.  Et  ma  jouissance 
est  d'autant  plus  grande  qu'elle  est  sans  arrière-pensée,  et  que  je 
n'ai  pas  la  crainte  de  me  tromper  en  partageant  l'impression  profon- 
dément raisonnée  de  tel  ou  tel  qui  pourrait  ne  pas  se  trouver 
d'accord  avec  le  sentiment  fortement  motivé  de  tel  ou  tel  autre. 

Tout  cela,  malheureusement,  ne  veut  pas  dire  que  Don  Juan  soit 
parfaitement  à  sa  place  à  l'Opéra,  dans  ce  cadre  immense  qui  écrase 
une  œuvre  si  merveilleuse  etd'unesi  suprême  élégance,  où  forcément 
les  mouvements  sont  ralentis  par  les  besoins  de  l'action  scénique 
sur  un  si  vaste  terrain,  oîi  les  chanteurs  se  croient  obligés  —  et  sont 
obligés  peut-être,  pour  être  entendus  —  de  donner  de  la  voix  là  où 
il  n'en  faudrait  pas,  et  où  il  résulte  de  tout  cela  qae  l'œuvre  perd 
son  allure  vraie,  sa  couleur  exacte  et  son  véritable  caractère.  On 
s'est  assurément  efforcé,  et  nul  ne  le  saurait  contester,  de  faire  pour 
le  mieux.  Mais  ce  mieu.r  pouvait-il  amener  le  bien?  Là  est  toute  la 
question.  Or,  il  y  a  pour  moi  un  vice  rédhibitoire  à  la  représentation 
de  Don  Juan  sur  une  scène  comme  celle  de  l'Opéra.  C'est  la  couleur, 
c'est  la  nature,  c'est  le  caractère  de  l'œuvre,  œuvre  aimable,  presque 
intime,  qui  n'atteint  que  par  instants  aux  proportions  du  drame,  et 
ce  par  l'accent  de  la  musique  bien  plus  que  par  la  puissance  des 
moyens.  Eh  bieu,  à  l'Opéra,  tout  est  forcément  grossi,  agrandi,  en 
dehors  des  proportions  manifestement  couçues  par  l'auteur.  Et  si 
l'on  veut  précisément  se  réduire  par  instants  à  ces  proportions,  on 
arrive  à  des  contrastes  qui  deviennent  des  contresens.  Ou  fait  accom- 
pagner le  recitativo  secco  par  les  seules  basses,  ce  qui  devient,  dans  ce 
vaste  vaisseau,  absolument  maigre  et  insuffisant,  et  l'onremplace,  dans 
la  sérénade,  le  pizzicati  traditionnel  des  violons,  par  la  mandoline  de 
M.  Pielrapertosa,  ce  qui  n'est  ni  moins  maigre  ni  moins  insuffisant. 
Eh  puis,  dame!  que  voulez-vous?  Ce  n'est  pas  en  chantant  des 
Lohengrin  et  des  Valkt/rie  que  nos  chanteurs  acquerront  la  légèreté, 
la    fluidité,   la   grâce  et   le  style   de  la   musique  de  Mozart.  Qu'on 


m'entende  bien  ;  je  ne  fais  nullement  ici  de  la  critique,  je  constate 
simplement  un  fait,  un  fait  sans  réplique.  Voyez,  voilà  deux  artistes 
certes  fort  distingués  :  M.  Renaud,  qui  joue  Don  Juan,  M.  Delmas 
qui  fait  Leporello,  que  nous  sommes  accoutumés  d'applaudir  chaque 
j  our  et  pour  qui  nous  avons  la  plus  grande  estime.  Que  font-ils?  Ils 
alourdissent  tout,  ils  agrandissent  tous  les  mouvements,  ils  donnent 
les  récitatifs  à  pleine  voix  au  lieu  de  les  parler,  de  les  débiter,  comme 
il  faudrait,  et  par  conséquent  ils  exagèrent  la  mesure  d'une  façon 
lamentable  et  qui  détruit  le  secs  musical  de  la  façon  la  plus  absolue. 
Tout  cela  est  lourd,  pâteux,  sans  couleur,  sans  sveltesse  et  sans 
grâce.  Est-ce  leur  faute?  Peut-être  un  peu  ;  mais  c'est  surtout  la  faute 
du  cadre  dans  lequel  ils  doivent  agir  et  du  répertoire  auquel  on  les 
habitue.  On  peut  —  et  l'on  doit  —  les  féliciter  de  leur  conscience, 
de  leur  extrême  bonne  volonté,  du  talentiucontestable  qu'ils  déploient, 
mais  tous  les  efforts  se  heurtent  contre  l'impossibilité  matérielle 
d'atteindre  au  vrai  résultat. 

Le  rôle  strictement  dramatique  de  donna  Anna  n'offrait  pas  à 
W"  Caron  les  mêmes  difficultés  à  vaincre.  Ici,  rien  de  léger,  rien 
de  rapide.  De  larges  récitatifs  mesurés,  de  la  noblesse  dans  le  style 
et  de  chaleureux  élans  pathétiques.  Il  suffisait  à  l'artiste  d'être  ce 
qu'elle  est  toujours  :  une  cantatrice  profondément  émouvante,  con- 
naissant tous  les  secrets  de  son  art,  et  portant  à  son  plus  haut 
degré  l'émotion  qu'elle  éprouve  elle-même.  Elle  a  trouvé  des  accents 
pleins  de  douleur  dans  la  scène  de  la  mort  du  Commandeur,  et  elle 
a  dit  d'une  façon  superbe  son  grand  récit  avec  Ottavio.  Je  lui  repro- 
cherai seulement  de  ne  pas  toujours  faire  entendre  suffisamment  les 
paroles.  C'est  M""  Bosman  qui  est  chargée  du  rôle  un  peu  ingrat 
d'Elvire,  ce  trouble-fête  un  peu  ridicule,  qui  arrive  toujours 
au  moment  où  on  l'attend  le  moins.  Elis  y  a  été 'fort  convenable. 
L'adorable  trio  des  masques  a  été  dit  par  M""  Caron,  par  elle  et  par 
M.  Vaguet  de  façon  à  être  bissé.  M.  Vaguet  s'est  d'ailleurs  acquitté 
tout  à  son  honneur  du  personnage  d'Ottavio.  lien  a  chanté  surtout 
d'une  manière  remarquable  l'air  du  quatrième  acte  (quelle  singu- 
lière et  absurde  division  que  celle  de  l'Opéra  I)  qui  lui  a  valu  un 
succès  très  mérité. 

Mais  ce  qui  me  semble  sortir  absolument  de  l'ordinaire,  c'est  l'in- 
terprétation que  M'"  Berthet  nous  a  donnée  du  délicieux  personnage 
de  Zerline.  On  n'a  pas  plus  de  grâce,  plus  de  charme,  plus  de 
légèreté,  plus  de  câliaerie  qu'elle  n'en  a  apporté  dans  ce  rôle  char- 
mant, que  Mozart  semble  surtout  avoir  couvé  avec  amour  et  qu'il  a 
r  evêtu  des  couleurs  les  plus  séduisantes.  Elle  a  chanté  d'une  façon 
exquise  l'air  :  Batti,  balli,  aussi  bien  que  le  Vedrai,  carino,  et  ne  s'est 
pas  montrée  moins  charmante  dans  le  duo  :  Là  ci  darem  la  mano.  Et 
la  comédienne,  très  alerte,  très  aimable,  n'a  pas  été  chez  elle  au- 
dessous  de  la  chanteuse.  Compliments  aussi  à  M.  Bartet,  qui  lui  ser- 
vait d'excellent  partenaire  et  qui  fait  un  Mazetto  très  adroit  et  très 
amusant.  Le  Commandeur- est  fort  bien  représenté  par  M.  Chambon. 
L'Opéra  nous  a  donné  une  fort  belle  et  très  riche  mise  en  scène.  Le 
ballet,  comme  de  coutume,  est  très  brillant.  Il  a  valu  uu  très  vif  et 
très  légitime  succès  particulièrement  à  M""  Hirsch,  qui  a  vraiment 
déployé  un  brio  et  une  bravoure  extraordinaires. 

Et  en  quittant  le  théâtre,  le  souvenir  se  ravivait  dans  mon  esprit 
du  plus  admirable  don  Juan  que  nous  avions  acclamé  naguère  dans 
la  personne  de  Faure,  et  du  plus  merveilleux  Laporello  que  nous 
avions  applaudi  dans  celle  d'Obin.  Et  cela  me  rendait  rêveur. 

Ah  !  les  belles  soirées,  alors  I... 

Arthur  Pougin. 


Vaudeville  :  Le  Partage,  pièce  en  trois  actes  de  M.  Albert  Guinon.  — 
Folies-Dramatiques:  BitioK,  opéra-comique  en  trois  actes  et  quatre  tableaux 
de  M.  Paul  Burani,  musique  de  M.  André  "Wormser. 

Je  ne  sais  pas  trop  si  c'est  là  ce  qu'on  désigne  sous  le  nom  de 
«  Théâtre  rosse  »,  mais  en  tous  cas  c'est  du  théâtre  bien  cruel  que  ce 
Partage  de  M.  Albert  Guinon.  La  donnée  s'en  rapproche  un  peu  dans 
sa  ligne  générale  de  celle  de  l'adorable  Froufrou  de  MM.  Meilhac  et 
Halévy.  Ici  et  là  une  jeune  femme,  qui  n'est  pourtant  pas  dénuée  de 
bons  sentiments  ni  gangrenée  jusqu'au  fond,  s'éprend,  à  côté  d'un 
mari  trop  vieux  et  dans  un  siècle  trop  facile,  d'un  jeune  homme  qui 
passe  dans  sa  vie  :  coup  de  folie  qu'elle  n'a  pu  réprimer.  Et  de  cotte 
faute  même,  comme  la  pudique  hermine,  elle  ne  tarde  pas  à  mourir. 
Mais  ici  et  là  voyez  aussi  la  différence  des  procédés.  Chez  MM.  Meil- 
hac et  Halévy,  c'est,  avec  beaucoup  d'esprit  parisien,  de  la  grâce  et 
de  la  poésie  jusque  dans  la  mort:  Froufrou,  c'est  une  Ophélie  moderne 
qui  disparaît  dans  les  fleurs.  Et  tout  est  disposé  avec  art,  par  des 
mains  expertes,  autour  de  celte  fin  touchante.  M.  AlbertGuinon  répudie 


348 


LE  MENESTREL 


ces  façons  d'arlisfe;  il  est  de  son  temps,  et  il  lui  faut  toutes  les  bruta- 
lités de  la  vie  réelle. 

Son  Partage  n'est  qu'une  suite  de  tableaux  péaibies,  ainsi  qu'on 
peut  en  trouver  dans  l'ordinaire  de  l'existence.  Il  ne  nous  apprend 
rien  de  nouveau,  il  ne  nous  élève  pas  au-dessus  des  misères  cou- 
rantes de  l'humanité;  il  nous  y  plonge  au  contraire  avec  délice. 

De  l'espiit,  M.  Albert  Guinon  n'en  a  pas,  parce  qu'il  n'en  veut  pas 

avoir.  Il  y  a  de  la  tristesse  et  de  l'amertume  jusque  dans  son  sourire. 

M.  Albert  Guinon  est  l'homme  du  terre  à  terre  ;  ce  n'es!  pas  un  peintre, 

c'est  un  photographe,  ce  n'est  pas  un  écrivain,  c'est  un  simple  reporter. 

A  quoi  bon  ? 

Ah!  donnez-uous  donc  du  rêve  et  de  la  fantaisie,  à  la  place  de  ces 
analyses  sèches  et  revèches  comme  des  orJonaances  de  médecin,  qui 
assombrissent  toute  la  fin  de  ce  siècle  et  pèsent  sur  nous  comme 
des  cauchemars.  Ahl  qu'il  est  faux,  raisonneur,  prétentieux  et  égoïste 
ce  Raymond,  que  vous  nous  donnez  comme  un  amoureux,  etoomment 
une  femme  de  quelque  cœur  et  de  quelque  intelligence  peut-elle  s'en 
éprendre  à  ce  point!  11  faut  l'entendre,  pour  justifier  ses  paresses  et 
son  désir  de  ne  rien  faire,  expliquer  qu'il  est  né  dans  une  fâcheuse 
époque,  qu'il  est  un  enfant  de  l'année  terrible,  un  fils  de  la  défaite, 
qu'il  en  porte  la  tare  et  l'accablement  et  que  dès  lors  il  ne  saurait 
trouver  le  courage  de  rien  entreprendre.  Qu'on  ait  de  lui  celle 
opinion,  c'est  encore  possible.  Mais  qu'il  en  disserte  lui-même  avec 
subtilité  et  qu'il  expose  ainsi  son  cas,  sans  un  espoir  de  relèvement 
quelconque,  c'est  vraiment  Irisle  et  ridicule  aussi.  Et  celte  mère  abo- 
minable, qui  s'en  vient,  par  jalousie,  dénoncer  au  mari  que  sou  fils 
est  l'amant  de  sa  femme!  Oii  en  trouve-t-ou,  des  mères  comme  celle-là? 
Et  ce  cousin,  et  cette  cousine,  qui  ne  resteraient  certainement  pas 
cinq  minutes  dans  une  maisou  honnête  sans  qu'on  les  jette  à  la  porte! 
Et  ce  boa  mari,  éternel  gogo,  qui  ne  voit  n'en,  qui  ne  surprend  rien, 
et  qui  croit  naïvement  que  ce  grand  garçon  de  vingt-cinq  ans  vient 
simplement  chez  lui  à  toute  heure  du  jour  pour  jouer  à  la  poupée 
avec  sa  petite  fille  qui  a  sept  ans!  Non,  vraiment,  tout  cela  est  bien 
extraordinaire  et  passe  l'enti'ndement. 

M.  Albert  Guinon  a  eu  l'heureuse  fortune  de  trouver  en  M"'  RéJane 
une  interprète  remarquable,  qui  cache  à  force  de  talent  bien  des 
défaillances  de  la  pièce.  Et  malgré  cela,  qu'il  est  pénible,  ce  dernier 
acte,  oh.  l'on  voit  la  malheureuse  Louisetle  se  débattre  si  longtemps 
au  milieu  des  affres  d'one  agonie  torturante,  au  milieu  des  flacons, 
des  médicaments,  des  médecins,  des  sœurs  de  charité!  On  a  dans  sa 
vie  s'affisamment  assisté  à  de  semblables  scènes  douloureuses,  pour 
ne  pas  désirer  les  retrouver  encore  dans  toute  leur  horreur  au  Ihéùlre. 
oîi  l'on  vient  d'habitude  chercher  un  repos  et  un  plaisir  de  l'esprit. 

Quand  M.  Magnier  (Raymond)  rancoatrera  un  bon  rôle,  il  sera  sans 
doute  excellent.  La  voix  est  chaude  et  généreuse.  MM.  Henri  Mayer. 
Lagrange  et  Dauvillier,  M'""  Samary,  Henriol  et  la  petite  Renée 
forment  un  ensemble  d'artistes  excellents. 

M.  Barani,  lui,  donne  dans  les  militaires.  C'est  le  beau  nom  de 
Rivoli  qui  flamboie  sur  les  affiches  des  Folies-Dramatiques.  D'une 
main  un  peu  lourde,  reconnaissons-le,  et  sans  grande  imagination, 
l'auteur  en  prend  à  son  aise  avec  Masséna,  l'enfant  chéri  de  la  vic- 
toire, dont  il  entend  faire  aussi  un  enfant  chéri  des  dames.  Mais  il 
a  tort  vraiment  de  vouloir  le  traiter  comme  un  simple  pompier  de 
Nanterre.  Quel  charabias,  bon  Dieu  !  parlent  tous  ces  gens-là,  géné- 
raux de  la  République  ou  grands  seigueurs  d'Italie! 

Le  sujet  peut  tenir  en  quelques  lignes  :  Masséna  s'ennuie  d'at- 
tendre la  bataille,  et  il  imagine,  en  manière  de  passe-temps,  d'aller 
courir  le  guilledou  dans  une  ville  voisine.  A  la  faveur  d'un  déguise- 
ment, il  s'introduit  au  milieu  d'une  fête  donnée  par  le  provedilore 
Garcagnalo,  comme  autrefois  Roméo  s'introduisit  chez  les  C'apulets, 
Et  dame!  avec  une  furia  toute  française,  il  opère  de  véritables  rava- 
ges dans  les  cœurs  féminins.  Pendant  ce  temps,  à  l'armée  de  Bona- 
parte, on  le  porte  comme  déserteur,  et,  à  son  retour,  il  passerait  un 
mauvais  quart  d'heure,  s'il  n'arrivait  encore  à  temps  pour  contribuer 
vaillamment  à  la  victoire  de  Rivoli. 

Voilà  l'histoire  ni  plus  ni  moins.  C'est  frais,  c'est  juuue,  c'est  can- 
dide. Et  là-dessus  M.  Wormser,  le  musicien  élégant  de  l'Enfant  pro- 
dif/ue.  a  brodé  une  très  sérieuse  partition  qu'il  intitule  opéra-comique 
non  sans  raison.  Car  elle  n'a  rien  de  la  gaieté  et  de  l'exubérance 
qui  conviennent  à  ce  genre  de  spectacle.  Il  y  faut  signaler  cependant 
une  très  jolie  romance  qui  se  chante  au  premier  acte,  mais  elle  est  de 
Garât.  Une  débutante,  M""^  DumonI,  contralto  puissant  et  onctueux, 
chante  cette  musique  pompeuse  et  compliquée  comme  elle  ferait  à 
l'Opéra  même,  ce  qui  ne  contribue  pas  peu  à  augmenter  la  confusion 
du  spectateur.  M'"  Leriche  a  tout  sou  entrain  accoutumé  dans  un 
rôle  de  cantinière  et  M.  Jean  Perier  est  assurément  artiste  de  talent. 

H.  MOBENO. 


L'EXPOSITION  DU  THÉÂTRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 

(Suite.) 


Cette  salle  26  est  vraimeut  d'une  richesse  merveilleuse,  et  l'on 
passerait  des  journées  à  contempler  et  à  détailler  tous  les  trésors 
qu'elle  renferme,  toutes  les  curiosités  qu'elle  prodigue  aux  regards 
de  l'amateur.  M.  Bing  expose  toute  une  série  nombreuse  et  superbe 
d'estampes  et  démasques  japonais  d'une  beauté  remarquable.  De  son 
côté,  M.  Beraldi,  l'iconographe  bien  connu,  dont  la  collection  est 
certuinemenl  l'une  des  premières  de  Paris,  offre  à  nos  yeox  une 
soixantaines  d'épreuves  choisies  de  portraits  de  comédiennes  et  de 
cantatrices  célèbres.  M.  Perrot  étale  dans  une  vitrine  une  quantité  de 
curieux  billets  de  spectacle,  particulièrement  pour  les  spesticles  de 
la  cour  et  pour  les  séances  de  la  chapelle  royale  à  l'époque  de  la 
Restauration.  Avec  cela,  quelques  autographes  :  J.-J.  Rousseau, 
Désaugiers,  Nestor  Roqueplan,  etc.  Une  colleclioa  originale  est  celle 
des  lorgnettes  borgnes  exposée  par  M°"'  Arman  de  Gaillavel;  Je  n'en 
ai  pas  compté  moins  de  162,  pour  la  plupart  fort  riches  et  toutes  dans 
un  état  superbe.  M""'  Arman  de  Caillavet  ne  s'en  lient  pas  là.  Dans 
une  autre  vitrine,  elle  nous  montre  une  série  peu  nombreuse,  mais 
choisie,  d'estampes  et  de  portraits,  avec  quelques  dessins  intéressants, 
quelques  livres  rares,  et  d'assez  nombreux  autographes  :  Ronsard, 
Duprez,  M"''  Mars,  Sophie  Arnould,  M°"'  Desbordes-Valmore,  Henry 
Murger,  M""'  Ristori.  Parmi  ceux-ci,  ces  vers  du  ténor  Roger,  qui 
voulait  jouer  au  poète  et  qu'il  adressait  précisément  à  la  grande 
tragédienne  : 

A  MADAME  RISTORI 

.T'avais  souvent  rrvé  les  honneurs  et  la  gloire 
Pour  que  mon  nom  parvint  à  la  postérité  ! 
Ce  rêve  de  mon  cœur,  je  pourrai  donc  y  croire  ' 
Ne  fut-ce  qu'un  seul  jour  vivre  en  votre  mémoire, 
Gela  vaut  mieux  pour  moi  que  l'immortalité. 

G.  Ror.ER. 

C'est  de  la  même  collection  que  Je  transcris  aussi  ces  vers  d'Alexandre 
Dumas  —  père,  tracés  de  son  écriture  élégante  et  superbe  : 
De  profundis  clamavi  ad  le. 
J'ai,  du  plus  profond  do  l'abime. 
Les  bras  tordus  par  la  douleur. 
Crié  vers  mon  maître  sublime 
Pitié  pour  nous,  pitié,  Seigneur! 

Pitié  pour  l'enfant  éphémère 
Dont  l'œil  si  limpide  et  si  doux, 
Ferme  sur  le  sein  de  sa  mère. 
N'a  rien  connu,  pas  même  vous. 

Pitié  pour  le  vieillard  qui  doute, 
Sous  le  fardeau  des  ans  plié. 
Et  qui,  vers  la  fin  de  la  route, 
—  Même  vous  —  a  tout  oublié. 

Pitié  surtout  au  solitaire 
Qui  reste  le  dernier  des  deux. 
L'exilé  que  garde  la  terre. 
Seigneur,  est  le  plus  malbeureux  1 

:i!  X''"',  10  heures  du  soir. 

Al..  DU.MAS. 

Il  y  eu  a  de  tous  côtés  d'ailleurs  dans  cette  salle,  des  aulograplies, 
presque  tous  très  précieux.  Avec  deux  dessins  fort  remarquables, 
représentant  l'un  Chopin,  l'autre  Mendelssohn,  chacun  sur  son  lit  de 
mort,  M.  Georges  Pfeiffer  en  expose  toute  une  série  :  Méhul.  Meyer- 
beer,  Boieldieu,  Pagauini,  Rossini,  Halévy,  Sivori,  Adolphe  Adam, 
M'™  Mainvielle-Fodor,  Talma.  Rachel,  M"'=  Damoreau,  M"''  Mari, 
"Victor  Hugo,  Scribe.  Puis,  c'est  la  maison  Pleyel-Wolffqui  nous  offre 
des  frao-ments  de  musique  de  Jean-Sébastieu  Bach,  Mozart,  Chopin, 
Rossini,  et  des  lettres  d'Haydn,  Beethoven,  Ignace  et  Camille  Pleyel, 
Cramer,  Spontini,  Weber,  Meyerbeer,  Ambroise  Thomas,  Gounod, 
■  Mendelssohn,  Schumano,  Reicha,  Auber...  C'est  encore  M.  Adolfo 
Calzado,  fils  de  l'ancien  directeur  du  Théâtre-Italien,  qui,  avec  une 
intéressante  collection  de  photographies  des  artistes  de  ce  théâtre, 
nous  montre  quelques-unes  de  leurs  lettres.  En  voici  une  de  Mario, 
qui,  toujours  à  court  d'argent  en  dépit  de  celui  ([u'il  gagnait,  emprun- 
tait d'un  coup  20.000  francs  à  sou  directeur  : 

Paris,  ce  4  X'"''  1.S60. 
Mon  cher  M.  Calzado, 
Voici  le  reçu  des  vingt  mille  francs  que  vous  avez  bien  voulu  me  priHer 


LE  MÉNESTUEf; 


349 


avec   une  obligeance    et    un  désintéressement  qui  me  pénètrent  de  recon- 
naissance. 

Kn  attendant  que  je  le  puisse  faire  de  vive  voix,  recevez  ici  et  mes 
remerciements  et  les  salutations  les  plus  afl'ectueuses 

de  votre  dévoué. 
Mario. 

Voici,  d'aulre  pari,  une  lettre   un  peu  vinaigrée   qu'adressait  à 
Calzado  l'admirable  cantatrice  qui  avait  nom  Erminia  Frezzolini  et 
qui  mourut,  on  le  sait,  complètement  folle  il  y  a  quelques  années  : 
Monsieur  le  directeur, 

Le  journal  la  France  musicale  annonae  que  je  vous  ai  rendu  le  rôle  de 
Leonora  du  Trovatore.  Peut-être  avez-vous  cette  pensée;  mais  comme  vous 
n'avez  même  pas  voulu  écouter  les  conditions  que  je  mettais  à  ce  désiste- 
ment comme  juste  compensation  du  préjudice  qui  en  résulterait  pour  moi, 
je  m'empresse  de  vous  prévenir  que  provisoirement  j'entends  garder  ce 
rôle  et  faire  valoir,  s'il  y  a  lieu,  les  droits  que  me  donnent  vis-à-vis  de 
vous  vos  engagements  i  cet  égard. 

Veuillez,  monsieur  le  directeur,  agréer  l'assurance  de  mes  sentiments 
distingués. 

Décembre  1833.  E.  Frezzollm. 

Ou  remarquera  la  forme  de  cetts  lettre,  singulièrement  ferme  pour 
une  étrangère.  Ce  billet  de  M'""  Penco,  orrect  quant  à  l'orthographe, 
est  plus  gêné  quant  au  slyle  : 
Monsieur  Calzado, 

Vous  m'avez  envoyé  plusieurs  rùles  ei  vous  me  faites  appeler  aux  répéti- 
tions quand  pour  Malikle.  quand  pour  autres  rôles,  que  j'en  perds  la  tète. 
Soyez  assez  complaisant  pour  me  dire  lequel  je  dois  apprendre  pour  le 
premier  et  pour  ne  pas  retarder  le  service. 

Répondez-moi  promptement  et  croyez  à  mes  sentiments, 

RosA  Pexco. 

La  collection  de  M.  Arthur  Pougin,  nombreuse,  comprend  d'abord 
une  centaine  d'estampes  et  de  portraits,  dont  quelques-uns  extrême 
ment  rares.  Parmi  ceux-ci  on  peut  citer  surtout  ceux  de  Lully  ;  de 
Thévenard,  la  fameuse  basse  qui  établit  à  l'Opéra  les  lôles  de  la 
plupart  des  ouvrages  de  Cainpra;  de  Françoise  Journet,  qui  tenait 
le  giand  emploi  à  ce  théâtre  à  la  même  époque;  du  grand  chauleur 
Carlo  Broschi,  dont  Scribe  a  fait  le  héros  de  li  Pari  du  Diable:  du 
célèbre  organiste  Bernier  ;  de  Carlin  Bertinazzi,  le  fameux  arlequiu 
delà  Comédie-Italienue;  des  compositeurs  Clemeoti,  Sacchini,  Pic- 
cini;  du  fameux  peintre  décorateur  Seryandoni ;  des  grandes  canla- 
trices  M"'==  Mara,  Laguerre,  Saint-Huberty,  Braachu,  etc.  Avec  cela, 
deux  superbes  maquettes  de  décors  de  J.-B.  Lavastre  pour  Coppélia 
et  pour  Manon  Delorme.  et  une  série  de  dessins  originaux  faits  pour 
le  Diclioiinaire  du  Théàlre.  Puis,  des  affiches  intéressantes,  entre  autres 
celle  annonçant  la  100'  représentation  d'Hamlet  qui  devait  avoir  lieu 
le  jour  même  de  l'incendie  de  l'Opéra;  des  programmes  curieux,  tels 
qui'  ceux  de  divers  spectacles  donnés  au  palais  de  Saint-Cloud  et 
ceux  des  représentations  que  nos  troupiers  se  donnaient  eux-mêmes 
en  Grimée,  pendant  le  siège  de  Sébistopol.  Puis,  dans  une  vitrine, 
M.  Pougiu  expose  tout  un  lot  de  partitions  superbss  de  Lully,  Ra- 
meau, Moudonville,  Grélry:  divers  autographes  de  comédiennes;  des 
médailles  de  Dastouclies,  surintendant  de  la  musique  de  Louis  XIV, 
de  Viotti,  Rouget  de  Liste.  Bellini,  Habeneck,  etc.  ;  une  charmante 
tabatière  ayant  appartenu  à  Cherubini,  dont  le  couvercle  est  orné 
d'une  gouache  charmante  peinte  par  lui-même;  plusieurs  brochures 
et  canards  fort  rares  sur  les  théâtres  de  l'époque  de  la  Révolution; 
enfin,  toute  une  série  de  billets  et  coupons  de  théâtre,  de  bals  ou  de 
concerts,  laissez-pisser,  contremarques,   etc. 

Mais  l'un  des  joyaux  de  cette  salle  si  riche  et  si  intéressante  est 
assurément  la  superbe  collection  de  manuscrits  de  musique  auto- 
graphes de  M.Charles  Malherbe.  Outre  que  ces  manuscrits  sont  nom- 
breux, il  y  a  là  de  véritables  merveilles.  Encore  puis-je  dire  que, 
comme  nous  tous.  M.  Malherbe  n'a  exposé  qu'une  petite  parlie  do 
ses  trésors.  Visitons  ensemble  cette  vitrine  opulente.  Nous  y  trouvons 
d'abord  quelques  partitions  d'orchesire  autographes  comp'ètes:  Pietro 
von  Mbano,  de  Spohr;  Auslin,  de  Marschner; /a  Mule  de  Pedro,  de 
Victor  Massé;  Néron,  de  Rubinstein,  son  meilleur  ouvrage  peut-être  ; 
la  Fille  de  M""  Angot,  de  M.  Charles  Leeocq;  la  Liberté  éclairant  le 
Monde,  de  Grounod,  «  chœur  chanté  à  l'Opéra  pour  le  centenaire  de 
l'indépendance  des  États-Unis,  1876  ■)  ;  enfin,  Hermann  et  Kelly,  la 
cantate  qu'Ambroise  Thomas  écrivit  sur  des  vers  du  comte  de  Pas- 
toret  et  qui  lui  valut  le  grand  prix  de  Rome  en  1832. 

Nous  trouvons  ensuite,  et  ici  je  cite  au  hasard,  sans  m'ocouper  de 
l'ordre  chronologique  :  le  duo  final  de  la  Favorite,  de  Donizeiti  ; 
l'ouverture  d'Armide,  dr  Gluck;  une  scèn3  d'Ali-Baba,  de  Cherubini  ; 
un  eutr'iicte  des  lirirdcx.  de  Lesueur,  le  auatuor  célèbre  d'une  Foii.e.  de 


Méhul;  une  prière  de  l'Enfant  prodigue,  de  Berton  ;  une  romance 
d'Agnès  de  Hokenstau/en,  de  Spontiui  ;  l'air  do  Uuon,  d'Oberon,  de  We- 
ber;  un  entr'acte  de  Guillaume  Tell,  de  Rossini  ;  le  chant  du  cin- 
quième acte  des  Iluf/uenots,  de  Meyerbeer;  l'air  du  deuxième  acte 
d'//a(/rfét',  d'Aube r;  la  scène  finale  de  Manon,  de  Massenet;  un  air  do 
ballet,  de  Grétry;  l'ouverture  écrite  par  Adolphe  Adam  pour  les  Pre- 
mier.i  Pas,  prologue  qui,  dii  une  noie,  «  servit  à  l'inauguration  du 
Théâtre-Lyrique,  dans  la  salle  du  Théâtre-Hislorique,  ISi"/.  »  Il  y  a 
dans  celle  note  une  double  erreur  que  mon  excellent  camarade  et 
confrère  Malherbe  me  permettra  de  rectifier.  C'est  pour  l'inaugura- 
tion non  du  Théâtre-Lyrique,  mais  de  l'Opéra-National,  non  dans  la 
salle  du  Théâtre-Historique,  mais  dans  celle  du  Cirque-National, que 
fut  donné,  le  lo  novembre  1847,  le  prologue  intitulé  les  Premiers  Pas 
ou  les  Deux  Génies,  dont  la  musique  avait  été  écrite  par  Adam,  Âuber, 
Carafa  et  Halévy.  C'est  seulement  le  27  septembre  18.51  que  le 
Théâtre-Lyrique  fit  son  ouverture  dans  la  salle  du  défunt  Théâtre- 
Historique. 

Mais  je  n'en  ai  pas  fini  avec  cette  précieuse  collection.  J'y  trouve 
encore  un  fragment  de  Cimarosa,  deux  fragments  de  Mozart,  des 
esquisses  pour  YEgmont  de  Beethoven,  pour  le  Sabinus  de  Gossec, 
l)uis  encore  différents  fragments  d'Herold,  Schubert,  Halévy,  Mail- 
lart,  Lalo,  Oflfenbach,  Richard  'Wagner,  etc.  Et  quelques  curiosités 
d'un  genre  particulier  :  un  fragment  de  deux  lignes  de  musique  de 
Giierubini,  b'S  dernières  qu'il  ait  tracées,  quinze  jours  avant  sa  mort: 
divers  sujets  de  fugues,  de  Bizet;  enfin  un  carnet  sur  lequel  M.  Saint- 
Saëus  écrivait,  au  crayon,  ses  esquisses  poétiques  et  musicales  pen- 
dant son  séjour  aux  lies  Canaries,  en  1889-90. 

On  voit  ce  qu'est  celte  collection,  et  combien  précieuse.  Aussi  peut- 
ou  dire  qu'elle  est  un  des  succès  de  cette  partie  de  l'Exposition,  et 
qu'elle  attire  les  regards  de  tous  les  visiteurs. 

(A  suivre.)  Arthur  Pûugi.n. 


MUSIQUE    KT    PRISON 

(Suite) 


PRISONS  D'ARTISTES 

Rigueurs  ailmlnislratives. —  M"  Mainvielle-Fodor  à  l'Abbaye—  Ineiileni  Veslris-Dorival 
à  l'Opéra  :  les  délices  de  For-Lévêquc  el  le  tambourin  final.  —  Ipliigénie  en  Champagne. 
Lu  Gabnelli  à  Païenne:  la  fée  de  la  prison. 

Il  y  aurait  assurément  un  livre  très  curieux  et  très  pittoresque  à 
écrire  sous  ce  litre  :  Prisons  d'artistes.  Ici,  notre  programme  est  trop 
restreint  pour  que  nous  puissions  y  encadrer  un  tel  travail.  Nous  ne 
voulons  emprunter,  à  cet  ouvrage  on  expectative,  qu'un  très  petit 
nombre  d'anecdotes  se  rattachant  plus  spécialement  à  notre  sujet. 

Il  ferait  beau  voir  aujourd'hui  que  la  police  mit  sous  les  verrous 
les  artistes  en  contravention  avec  les  nécessités  ou  les  exigences  de 
leurs  devoirs  professionnels.  Ce  serait  le  retour  à  l'encombrement  des 
prisons  en  179:-1.  Et  puis,  "  les  progrès  de  la  civilisation,  comme 
disait  si  comiquement  Geofl'roy  dans  je  ne  sais  plus  quelle  pièce, 
protesteraient  contre  un  tel  arbitraire.  «  Mais  le  pouvoir  absolu  n'eut 
jamais  cure  de  semblables  sentimentalités.  L'artiste,  si  grand  et  si 
protégé  qu'il  fût,  comédien,  chanteur  ou  instrumentiste,  qui  oubliait 
ses  «  devoirs  »,  était  impitoyablement  incarcéré  jusqu'au  moment  oii 
il  faisait  sa  «  soumission  »,  regrettait  ses  erreurs  et  léparait  sa  faute. 

Qui  le  croira  un  jour?  Les  rigueurs  administratives  se  prolongèrent 
par  delà  l'Empire  jusqu'aux  premières  années  de  la  Restauration. 
No'is  avons  sous  les  yeux  uu  billet  du  capitaine  de  hussards  Vala- 
brègue,  prince  consort  de  la  fameuse  Gatalani,  annonçant,  à  la  date  du 
27  décembre  181S,  que  M"''-  Maiuvielle-Fodor  a  été  emmenée  par  les 
gendarmes  à  l'Abbaye,  pour  refus  de  service. 

Je  laisse  à  penser  si  la  cantatrice  récalcitrante  eut  des  attaques  de 
nerfs.  Etcependant  les  daines,  en  telle  occurrence,  étaient  autrement 
vaillantes  que  leurs  camar.ides  du  sexe  fort.  Que  de  ténors  ou  de 
basses,  de  danseurs  ou  do  violonistes  se  montrèrent  de  véritables 
femmelettes  entre  quatre  murs  !  Abattus,  anéantis  par  leur  disgrâce, 
ih  avaient  perdu  l'appétit  et  la  voix;  ou  bien  ils  se  ]amcnt?ient 
toute  la  journée,  implorant  à  mains  jointes  leur  pardon. 

Tout  au  contraire,  les  comédiennes  faisaient  bonne  figure.  La 
Dorival,  une  des  plus  séduisantes  ballerines  de  l'Opéra,  avait  en- 
voyé promener,  certain  jour,  l'irascible  Vestris,  «  le  diou  de  la 
danse.  »  Celui-ci,  son  supéiieur  hiérarchique  en  qualité  de  maître 
do  ballets,  demanda  et  obtint  une  lettre  de  cachet  contre  la  rcfrae- 
taire.  Le  soir  môme,  Veshis  était  à  peine  entré  en  scène,  sous  son 
costume  de  galaut  berger,  que  toute  la  salle  se  levail  comme  un  seul 


350 


LE  MENESTREL 


homme  et  lui  iulimait  l'ordre  d'aller  au  For-Lévêque  et  d'en  rame- 
ner Dorival.  Protestations  de  Yestris  au  nom  de  la  discipline  et  de 
la  fo-o-o-o-orme.  Le  tumultedevint  telque  les  camarades  du  danseur, 
le  directeur  de  l'Opéra  et  l'inspecteur  de  police  lui-même  engagèrent 
l'au-'usle  personnage  à  s'exécuter.  Vestris  se  décida  enfin  et  partit  au 
triple  galop  de  son  cabriolet  pour  le  For-Lévêque.  Il  trouva  son  élève 
en  joyeuse  compagnie,  soupant.  chantant  et  daasant  aux  applaudis- 
sements d'aimables  gentilshommes  qui  faisaient  chorus.  Mais  Dorival 
se  trouvait  si  bien  en  prison  qu'elle  ne  voulait  plus  en  sortir.  Ves- 
tris, qui  sentait  l'impatience  du  public,  suppliait  à  genoux  la  rebelle 
de  presser  son  départ.  Il  ne  gagna  sa  cause  qu'après  avoir  sablé 
deux  bouteilles  de  Champagne  avec  les  convives.  Enfin,  il  put  rame- 
ner Dorival  à  l'Opéra,  où  le  public  l'attendait  plus  patiemment  que 
ne  le  supposait  Vestris.  El  bientôt,,  aux  applaudissements  unanimes 
des  spectateurs,  tous  deux  dansaient  le  tambourin  réclamé  :  dire 
qu'après  les  libations  des  artistes,  ce  pas  fut  exécuté  avec  toute  la 
précision  voulue,  ce  serait  peut-être  dépasser  les  limites  de  l'indul- 
gence et  de  la  crédulité. 

Ce  qui  est  moins  problématique,  c'est  la  pénitence  subie  quelques 
années  après  par  une  autre  étoile  de  l'Opéra,  la  célèbre  M'"=  La- 
guerre.  Cette  cantatrice,  plus  jolie  femme  que  virtuose  accomplie, 
avait  créé  le  rôle  d'Iphigénie  dans  VIphigénie  en  Tauride  de  Picclnni. 
C'était  en  janvier  i781 . 

Elle  obtint  un  réel  succès  à  la  première  représentation.  Mais  à  la 
seconde,  elle  avait  si  bien  fêté  l'épernay  ou  l'aï,  —  c'était  son  péché 
mignon  —  qu'elle  ne  put  aller  jusqu'au  bout.  On  sait  le  mot  de 
Sophie  Arnould,  cette  bonne  petite  camarade,  sur  la...  défaillance  de 
M"'  Laguerre. 

—  Ce  n'est  plus  Iphigénie  en  Tauride,  c'est  Iphigénie  en  Cham- 
pagne. 

L'épigramme  ne  suffit  pas  au  mécontentement  du  parterre.  L'ac- 
trice fut  sifflée,  et,  pour  comble  de  malheur,  envoyée  par  les  gentils- 
hommes de  la  chambre  au  For-Lévêque.  Elle  n'en  devait  pas  moins 
faire  son  service;  c'est-à-dire  qu'elle  sortirait  de  prison  pour  aller 
chanter  à  l'Opéra  et  qu'après  la  représentation  elle  serait  ramenée 
au  For-Lévêque.  Là,  il  lui  était  encore  loisible  de  ne  point  trop  s'en- 
nuyer. Elle  pouvait  y  recevoir  ses  amis  et  continuer  ses  études  musi- 
cales. Mais  le  Champagne  lui  était  formellement  interdit.  Donc, 
M'"'  Laguerre  chanta  et  dîna  dans  sa  prison  jusqu'au  moment  psycho- 
logique où  deux  exempts  de  police  vinrent  la  chercher  pour  la 
conduire  à  l'Académie  royale  de  musique.  Enfin  elle  parut  sur  la 
scène  de  ses  exploits...  en  tout  genre,  s'y  tint  fort  bien  et  chanta 
mieux  encore.  Le  public  d'alors  ne  tenait  pas  rigueur  aux  artistes 
de  leurs  escapades  dans  les  vignes  du  Seigneur.  Il  applaudit  à  tout 
rompre  la  bacchante  repentie  et  demanda  sa  grâce.  Ce  soir-là,  le 
premier  gentilhomme  de  la  chambre  était  de  bonne  humeur;  il  leva 
la  punition. 

L'aventure  de  la  Coctoto,  s  la  petite  cuisinière  »  du  prince  Gabrielli. 
qui  dut  son  nom  à  son  maître,  est  bien  autrement  typique.  Cette  can- 
tatrice, une  ancêtre  de  la  Périchole,  autant  par  son  talent  que  par  ses 
caprices,  faisait  le  désespoir  du  vice-roi  de  Sicile  eu  176.3.  Elle  accep- 
tait les  dîners  donnés  par  ce  personnage  en  son  honneur,  puis 
refusait  subitement  de  s'y  rendre  ;  une  autre  fois,  elle  chantait  si 
négligemment  au  théâtre  de  Palerme,  que  le  public,  si  indulgent  pour 
elle,  finissait  par  se  fâcher.  Mais  le  vice-roi  était  plus  irrité  encore, 
parce  que  la  virtuose  se  permettait  cette  fantaisie  en  sa  présence. 
Enfin,  de  guerre  lasse,  il  la  fit  conduire  en  prison  ;  et  tout  le  peuple 
accompagna  jusqu'à  la  porte  sa  chanteuse  de  prédilection. 

La  Gabrielli  resta  douze  jours  sous  les  verrous,  et  sa  captivité 
laissa  aux  prisonniers  des  souvenirs  inoubliables.  La  cantatrice 
commença  par  payer  les  dettes  des  détenus  condamnés  comme 
insolvables,  mais  les  obligés  de  la  Gabrielli  n'étaient  pas  pressés  de 
profiter  de  leur  liberté;  leur  bienfaitrice  leur  donnait  de  si  belles  fêtes 
dans  la  prison  !  C'étaient  chaque  jour  de  splendides  repas,  suivis  de 
concerts,  où  la  cantatrice  se  prodiguait  pour  les  miséreux,  tout  autre- 
ment que  pour  les  grands  de  la  terre. 

Mais  Palerme  s'irritait  de  la  réclusion  de  son  idole.  Le  vice-roi 
put  croire  un  instant  que  la  Gabrielli  allait  être  cause  d'une  révolu- 
tion ;  il  se  résigna  donc  à  ouvrir  au  rossignol  la  porte  de  sa  cage  ; 
et  la  ville  tout  entière  reconduisit  la  virtuose  à  son  hôtel  avec  la 
pompe  triomphale  qui  l'avait  menée  à  sa  prison. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


(A  suivre.) 


Paul  d'Estrée. 


IjO  festival  de  dimancho  dernier,  au  Chàlelel,  élail  entièremeni  consacn'' 
aux  musiciens  frunçais,  ajoutons:  aux  musiciens  moris,  et  ne  contenait,  par 
conséquent,  aucune  œuvre  inédite.  La  séance  s'ouvrail  yiar  la  superbe  ouver- 
ture de  Bizet  :  Patrie,  qui  est  certainement  l'une  des  pages  orchestrales  les 
plus  nobles  el  les  plus  vigoureuses  qu'on  puisse  eiilendre  ;  divisée  en  plu- 
sieurs épisodes,  elle  manque  peut-être  un  peu  d'unité,  mais  elle  est  pleine  de 
chaleur  et  de  mouvement.  La  Symphonie  fantastique  n'ai  a^>uirmpn[\fàs  la  meil- 
leure œuvre  de  Berlioz,  et  ne  saurait  soulcuir  le  paiallcle  avec  la  Damnalion  de 
Faust  ou  l'Enfance  du  Christ,  voire  avec  floméo  et  Juliette.  Une  exeellenlo  exécu- 
tion n'a  pu  donner  le  change  sur  les  côtés  faibles  de  cette  œuvre  inégale,  dont 
la  meilleure  partie  est  certainement  la  Marche.  Le  poème  de  César  Franck, 
Psyché,  est  bien  long,  bien  gris  et  d'une  couleur  bien  monotone,  en  dépit  de  deux 
jolis  chœurs  lointains  dont  le  caractère  mystique  n'est  pas  sans  grâce.  La 
seconde  partie  du  concert,  composée  de  morceaux  détachés,  a  été  incontes- 
tablement plus  heureuse  que  la  première.  Elle  comprenait  le  Dwerfesemenf 
de  Lalo,  la  jolie  Berceuse  de  Jocelyn,  de  Benjamin  (Todard.puur  violoncelle, 
les  airs  de  danse  exquis  du  Roi  s'amuse,  de  Léo  Dolibes,  d'un  tour  si  déli- 
cieux, l'Hymne  à  sainte  Cécile  de  Gounod,  d'un  caractère  plein  de  tendresse, 
el  l'étincelant  Carnaval  de  Guiraud,  dont  l'effet  est  toujours  infaillible.  A.  P. 

—  Concert  Lamoureux.  —  Au  début  de  la  saison  nouvelle,  M.  Lamom'éux 
semble  interroger  son  auditoire:  vers  quel  maître,  vers  quelle  école,  doit-il 
établir  son  orientation  ?  La  réponse  demeure  indécise:  en  clVet,  après  cette 
première  séance,  aucune  impression  d'art  n'éveille  un  coiu'ant  d'opinion. 
Voulons-nous  Beethoven  ?  Sans,  doute,  mais  avec  la  poésie  et  la  grandeur 
qui  le  caractérisent,  car,  à  la  vérité,  l'exécution  de  la  Symphonie  pastorale  que 
nous  venons  d'entendre  déflore  un  peu  nos  souvenir.^  —  Nous  laisserons- 
nous  séduire  par  la  divine  coquetterie  des  petites  pièces  vocales  d'autrefois  ? 
Oui,  si  vous  disposez  de  voix  souples,  capables  d'aborder  sans  supercherie  les 
trilles  ravissants  et  autres  arlilices  en  vogue  au  bon  vieux  temps  de  la  gloire 
italienne.  L'ariette  «Pur  dicesti  »  de  Lntti,  avec  son  interprétation  simple- 
ment convenable,  nous  a  fait  songer  à  un  sujet  d'orfèvrerie  vu  dans  la  pé- 
nombre au  lendemain  d'une  fête.  —  Notre  prédilection  ira-t-elle  aux  exubé- 
rances de  l'impressionnisme  musical?  Voici  le  Capriccio  espagnolàcti.'Rimsky- 
Korsakow  (ISi-i).  Là  nous  trouvons  des  rythmes,  des  idées,  de  la  couleur, 
une  instrumentation  brillante  et  aussi  peu  banale  qu'on  pouvait  l'espérer  dans 
un  ouvrage  de  ce  genre.  Mais  ce  morceau  de  verve  et  d'entrain,  avec  la  furia 
de  ses  coups  d'archet,  ses  ondulations  rêveuses  et  ses  poussées  véhémentes  et 
[oUes  nous  plait  et  nous  amuse  sans  que  nous  puissions  y  trouver  l'indice 
d'une  direction  dans  un  sens  nettement  progressif.  —  Nous  laisserons-nous 
enchaîner  an  char  du  «  grand  incompris  »,  César  Franck  ?  Le  temple  posthume 
que  l'on  veut  construire  à  sa  mémoire  es!  un  peu  vaste  pour  sa  génialité. 
Les  charmes  de  Psyché,  la  grâce  de  l'ange  penché  sur  le  bord  d'un  berceau,  la 
jolie  procession  et  le  mystique  Panis  angelims  exerceront  toujours  sur  nous 
une  attraction  plus  vive  que  les  œuvres  dans  lesquelles  il  manifeste  de  plus 
hautes  prétentions.  Par  exemple,  cette  introduction  i  la  2=  partie  de  i?édemp(i«i 
n'est-elle  pas  un  peu  décevante  au  moment  où,  le  Ir.ivail  harmonique  et  mé- 
lodique, excellent  d'abord,  au  lieu  de  s'épanouir  en  une  grandiose  efllores- 
cenoe,  se  laisse,  à  trois  reprises,  étouffer  par  une  phrase  déclamatoire  de 
trombones  qui  semble,  en  imposant  silence  à  toutes  les  voix  musicales, 
rendre  énigmatique  cette  page  d'ailleurs  noble  et  de  tendances  élevées.  — 
Enfin,  consacrerons-nous  encore  cette  saison  à  "Wagner?  Alors  il  faudrait 
autre  chose  que  des  fragments  connus  et  ressas>és:  Vénmberg,  Rêves,  ouver- 
ture des  Maîtres-clianteurs.  En  somme,  après  ce  premier  concert,  dont  le  pro- 
gramme est  une  consultation,  tout  reste  à  faire,  car  aucun  numéro  n'a  pas- 
sionné raudil;oire.  Le  directeur  d'une  société  de  concerts  doit  créer  un  cou- 
rant et  non  se  mettre  aux  écoutes.  Mais,  que  tenter,  dira-l-on?  Aucun  champ 
d'exploration  ne  s'ouvre  à  nous,  aucune  évolutiiin  d'art,  ne  justifierait  une 
nouvelle  croisade.  Qu'en  savez-vous  ?  Ajiédke  Boutarel. 

—  Voici  le   programme  d'aujourd'hui  dimanclie.  au  Concert  Lamoureux: 
Ouverture  du  Boi  d'Ys  (E.  Lalo)  ;  Symphonie  en  rc  mineur  (César  l^ranck)  ;  Air 

d'Obéron  (Weber),  chanté  par  M"  Alba  Chrétien;  Esquisse  sur  les  steppes  de  l'Asie 
centrale  (Borodine);  Tristan  et  IseuU  (Wagner):  Prélude,  UoTt,  d'Iseult  par 
M""  Alba  Chrétien;  Capriccio  espagnol  (Rimsky-Korsakow). 

—  En  raison  des  fêtes  de  la  Toussaint,  le  second  concert  du  Chàtelet,  qui 
aurait  dû  avoir  lieu  aujourd'hui,  est  remis  à  dimanche  prochain,  8  novembre. 
M.  Vfinogradsky,  chef  d'orchestre  de  la  Société  musicale  russe  à  Kiew  el 
directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville,  dirigera  ce  concert,  composé  ex- 
clusivement d'œuvres  de  l'école  russe,  exécutées  pour  la  première  fois  aux 
concerts  Colonne.  Rappelons  que  la  presse  a  iHé  unanime  à  constater  le 
très  grand  succès  obtenu  par  M.  Winogradsky,  lorsqu'il  dirigea  àlasalleil'IIar- 
court  des  concerts  de  musique  russe. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De    notre    correspondant   do  Belgique  (29  octobre).  —  C'est  une  heureuse 
idée  qu'ont  eue  les  Concerts  |iopulaires  de  commencer  leur  saison  d'hiver  jiar 


LE  MENESTREL 


351 


une  séance  coosaci-^T  oulirn^uienl  à.  M.  GamiUe  Saiul-Saeus.  Après  avoir  i'ail, 
les  années  précédeules.  LmuI  Jp  musique  allemande,  on  pouvait  bien  en  taire 
un  peu  de  française.  Le  Iriumplie  du  compositeur  a  été  cumplet  :  comme 
auteur,  coimne  chef  d'orchestre  et  comme  exécutant.  M.  Saint-Saëns  a  dirigé 
presque  tout  le  concert,  quand  il  n'était  pas  au  piano.  Et  sa  symphonie  eu  la 
mineur,  d'une  si  jolie  facUire,  sa  spirituelle  Suite  algérienne,  très  souvent  jouée 
à  Bruxelles,  mais  surtout  ses  œuvres  pianistiques,  les  Variations  sur  un  thème 
de  Beethoven  et  son  scherzo  pour  deux  pianos,  exécutés  merveilleusement 
avec  M.  Arthur  De  Greef.  lui  ont  valu  des  ovations  enthousiastes,  pai-tagées 
en  toute  justice  par  son  admirable  partenaire.  Le  maître  a  accompagné  éga- 
lement, à  l'orchestre,  ou  au  piano,  la  Fiancée  du  timbalier,  la  chanson  floren- 
tine à'Ascanio  et  des  mélodies,  chantées  par  M°"=  Héglon  avec  sa  belle  voix 
chaude  et  expressive.  L'interprétation  du  concert  a  été  digne  des  œuvres  (jui 
composaient  le  programme  et  de  leur  sympathique  auteur.  Celui-ci  est  un 
ancien  familier  des  Bruxellois,  qui  conti'ibuèrent  largement  à  ses  premiers 
succès,  à  une  époque  où  sa  réputation  en  France  même  n'était  encore  que 
très  restreinte,  comme  ils  firent,  à  peu  près  vers  le  même  temps,  pour 
M.  Massenet.  SaTiwon  et  Daiila,  encore  inconnu  à  Paris,  fut  exécuté  ici,  à  la 
Société  de  musique,  sous  la  direction  même  de  l'auteur  :  et  depuis,  Bruxelles 
a  toujours  eu  pour  M.  Saint-Saëns  une  vénération  particulière.  Il  n'y  était 
pourtant  plus  venu,  publiquement,  depuis  assez  longtemps.  Mais  nous  allons 
l'avoir  plus  souvent  cet  hiver.  Il  espérait  même  trouver  à  la  Monnaie  les 
études  de  son  ballet  Javotte.  de  sa  Phnjné  et  de  sa  Princesse  jaune,  assez  avan- 
cées pour  qu'il  pût  s'en  occuper  un  peu:  malheureusement,  rien,  ou  presque 
rien,  n'avait  été  fail  encore  :  el  il  a  du  s'en  retourner,  avec  l'espoir  d'un  prompt 
retour.  La  Monnaie  esl.  pour  le  moment,  toute  à  Don  César  de  Bazan.  qui 
passera  le  mois  prochain.  L,  S. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (29  octobre)  :  Le  nouveau  grand  bal- 
let que  vient  de  produire  l'Empire  théâtre  est  tiré  du  roman  d'Alexandre 
Dumas,  Monte-Cristo,  dont  le  sujet  n'oll're  cependant  rien  de  chorégraphique. 
Les  adaptateurs  n'ont  nullement  eu,  du  reste,  l'intention  de  rendre  intelligible 
la  pensée  du  romancier.  Ils  se  sont  contentés  do  présenter  fugitivement  trois 
ou  quatre  des  principaux  épisodes  de  la  vie  du  prisonnier  d'If  en  les  reliant 
ensemble  par  des  divertissements  d'un  caractère  grandiose  et  somptueux.  .Ta- 
mais  l'art  du  décorateur  et  du  costumier  n'avait  atteint  ce  degré  de  magnifi- 
cence et  de  fantaisie.  On  assure  que  près  de  quatre  cent  mille  francs  ont  été 
dépensés.  L'effet  d'éblouissement  produit  par  les  danses  lumineuses  de   la 

,    «  Caverne  des  pierres  précieuses  »  est  indescriptible  et  la  «  fête  Dir-ectoire,  » 

qui  termine  l'ouvrage,  peut  rivaliser  avec  ce  qui  s'est  donné  de  plus  gracieux 

L .  et  de  plus  séduisant  dans  ce  genre  sur  n'importe  quelle  scène.  Comme  tou- 

I'  jours,  la  partie  cliiirr'gra|iliique  proprement  dite  est  reléguée  au  second  plan, 

f    tout  l'intérêt  élaiii  coiMcnIré  sur  la  mise  en  scène.  Quant  à  la  musique,  qui 

est  de  M.  "Weuzel.  elle  u  ulti-e  aucune  particularité  digue  d'être  signalée.  Elle 

est  sautillante  et  sonore,  mais  tout  à  fait  dénuée  d'intentions  scéuiques. 

Le  second  concert  de  MM.  Léon  Delafosse  et  Ysaye  a  eu  lieu  hier  à 
S'James's  Hall.  Plus  de  monde  encore  qu'au  premier,  salle  absolument  comble 
et  succès  encore  plus  marqué  pour  notre  jeune  pianiste  français.  La  renom- 
mée de  M.  Delafosse  est  désormais  solidement  établie  à  Londi'es,  aussi  bien 
comme  compositeur  que  comme  virtuose.  Deux  nouvelles  études  de  lui,  les 
Campanules  ella  Fileuse  du  Diable,  ont  été, la  première  surtout,  très  chaudement 
applaudies.  Il  a  joué  également  deux  pièces  de  Chopin,  la  BarcaroUe  de 
[    Fauré  et  la  Polonaise  de  Liszt,  avec  laquelle   il  a   pris  le  public  d'assaut. 

iM.  Ysaye  s'est  montré  le  virtuose  impeccable  qu'on  connaît  dans  la  sonate 
en  ré  mineur  de  Scliumanu  et  la  sonate  à  Kreutzer,  jouées  en  compagnie 
de  M.  Léon  Delafosse.  Léon  Schlésinger. 

—  La  saison  du  Théàlre-Lyrique  à  Milan  est  particulièrement  brillante. 
Après  le  triomphe  de  M""'=  de  Nuovina  dans  la  Navarraise  et  d'excellentes  soi- 
rées de  M"'  Simonnet  dans  Mignon  et  Philémon  el  Baucis.  voici  M'^'  Sibyl  Sau- 

S     derson  qui  vient  ,  elle  aussi,  de  débuter  avec  éclat  dans  Manon.  Son  succès   a 

|.    été  des  plus  vifs,  et  tous  les  journaux  italiens  sont  unanimes  à  le  constater. 

'        —  Le  comité  qui  s'est  formé  à  Bergarae  pour  l'inauguration  des  grandes 

f'    fêtes  qui  seront  célébrées   en  cette  ville  à  l'occasion  du  centenaire  de  Doni- 

zetti,  a  décidé  d'ouvrir  un  concours  international  — non  de  musique,  mais  de 

peinture,  sur  des  sujols  <(  dnnizetliens  ».  Un  prix  de  2.000 francs  est  destiné 

à  l'œuvre   qui  sera  jugée  la  meilleure,  sans  préjudice  de  quelques  prix  de 

moindre  importance  qui  consisteront  en  médailles,  mentions,  diplômes,  etc 

Yoii.k  une  occasion  de   traduire  en  peinture  le  quatrième  acte  de  la  Favorite 

ou  la  scène  de  la  malédiction  de  Lucie,  ou,  dans  un  autre  genre,  la  dispute 

de  don  Pasquale  avec  le   docteur  ou   l'enlrée  des  troupiers  français  dans  le 

logis  de  l'ex-Fi/te  du  Régiment. 

—  On  s'apprête  à  célébrer  comme  il  convient,  à  Recanati,  le  centenaire  dp 
l'illustre  Giacomo  Leopardi,  le  plus  grand  poète  de  l'Italie  moderne.  M.  Mas- 
cagui  s'est  chargé  d'écrire,  pour  cette  solennité,  un  poème  symphonique  qui 
sera  exécuté  sous  sa  direction. 

—  Le  théâtre  est  raremenl  le  chemin  du  cloître.  Tout  arrive  cependant. 
Les  journaux  italiens  nous  apprennent  qu'une  jeune  chanteuse  d'opérette, 
M""  Emilia  Ricca,  a  rennnci'  aux  succès  de  la  scène  et  s'est  rendue  récem- 
ment au  couvent  de  .Sant'Anlonio,  à  Pausilippe,  oii  elle  doit  prochainement 
prononcer  ses  vœux  et  faire  profession. 

—  Le  flot  continue  eu  Italie,  et  sans  interruption  les  opéras  nouveaux 
naissent,  passent  et  disparaissGul.  Après  ceux  dont  nous  .a.vxms  annoncé  la 
récente  repi'r'sentaliiiii.  rir  voici   inic   nouvelle   série  dcuit  l'apparition  devant 


le  public  est  prochaine.  A  Naples,  Collana  di  Pasqua,  poème  de  M.  Luigi 
Illica,  musique  de  M.  Luporini;  à  l'Académie  Philharmonique  de  Trieste,  la 
Pupilla,  musique  de  M.  G-ialdini,  écrite  sur  un  vieux  livret  oublié  de  Carlo 
Goldoni:  et  à  Novi-Ligure,  l'Innocente,  du  maestro  De  Angeli. 

—  L'ordre  des  représentations  waguérieunes  qui  auront  lieu  au  théâtre  de 
Bayreuth  en  juillet^aoùt  1897  vient  d'être  fixé. Il  yen  aura  vingt,  du  19  juillet 
au  19  août,  comprenant  trois  séries  de  l'Anneau  du  Nibetung  et  huit  représen- 
sentations  de  Parsifal,  ainsi  espacées  : 

Le  19  juillet,  Parsifal. 

Du  21  au  24  juillet,  les  quatre  parties  de  l'Anneau  du  Nibelung. 

Les  27,  28  et  30  juillet,  Parsifal. 

Du  2  au  S  août,  le  Nibelung. 

Les  8,  9  et  11  août,  Parsifal. 

Du  14  au  17  août,  le  Nibelung. 

Et  le  19  août,  pour  finir  Parsifal. 

—  Prochainement,  l'Opéra  royal  de  Dresde  jouera  un  opéra  inédit  intitulé 
la  Femme  de  la  vallée  des  roses  (Die  Rosenthalerin),  dont  la  musique,  est  due  au 
compositeur  viennois  Antoine  Rûckauf.  Le  sujet  met  en  scène  un  épisode  de 
la  vie  du  grand  peintre  Albert  Durer.  La  s  vallée  des  roses  »  semble  indiquer 
un  faubourg  de  Leipzig  qui  est  connu  sous  ce  nom. 

—  Cari  Goldmark,  qui  habitait  en  hiver  la  ville  de  Vienne  et  en  été  une 
modeste  maison  située  près  du  lac  de  Gmunden  (Haute-Autriche),  va  ren- 
trer dans  sa  patrie,  la  Hongrie.  Les  journaux  annoncent  en  effet  que  le 
célèbre  compositeur  vient  de  faire  l'acquisition  d'une  belle  propriété  située 
sur  les  bords  du  lac  de  Balaton,  où  il  se  fixera  complètement  pour  s'y  con- 
sacrer au  travail  en  toute  tranquillité. 

—  Un  opéra  inédit  en  un  acte,  intitulé  l'Enchanteme^it  des  runes,  musique 
de  M.  Emile  Hartmann,  a  été  joué  avec  beaucoup  de  succès  à  l'Opéra 
de  Hambourg. 

—  On  vient  d'inaugurer  dans  le  quartier  du  Thiergarten,  à  Berlin,  un 
nouveau  théâtre,  le  West-Theater,  dont  ou  vante  le  luxe  et  les  vastes  pro- 
portions. Le  nouveau  venu  porte  à  seize  le  nombre  des  théâtres  existant  à 
l'heure  présente  dans  la  capitale  prussienne,  pouvant  contenir  ensemble 
environ  20.000  spectatem's.  Celui  de  l'Opéra  compte  1651  places  ;  le  théâtre 
royal,  1040,  le  théâtre  Allemand  et  le  Central,  chacun  I.OOO;  le  théâtre 
Berlinois,  le  Théâtre  KroU,  le  Théâtre  Frédéric-Suillaume  et  le  Théâtre 
Belle-Alliance,  chacun  1.600;  le  Lessing-Théàtre,  1024;  le  Schiller-Théâtre, 
1.300:  le  Residenz,  6S7  :  le  théâtre  Neuf,  821;  le  Thalia-Théâtre,  1.319; 
l'Unter-den-Linden,  l.SOO;  et  enfin  l'Ostend-Théâtre,  1.100. 

—  On  nous  écrit  de  Stockholm  :  M.  Edouard  Grieg,  qui  depuis  quinze  ou 
vingt  ans  n'était  pas  veuu  en  Suède,  vient  d'arriver  à  Stockholm  pour  y  diri- 
ger deux  concerts.  Les  billets  ont  été  pris  d'assaut,  et  tout  fait  prévoir  que  le 
maître  norvégien  sera  brillamment  fêté  par  les  Suédois.  En  revenant  à  Chris- 
tiania il  prendra  part  aux  fêtes  données  en  cette  ville  à  l'occasion  du  25'  anni- 
versaire de  l'Association  musicale,  dont  il  fut  un  des  fondateurs  et  le  premier 
chef  d'orchestre.  M.  Johan  Svendsen  vient  d'être  sérieusement  malade,  mais 
un  séjour  aux  environs  de  Ctuistiania  l'a  remis  sur  pied.  Nous  attendons 
pourtant  toujours  une  cantate  d'Université,  la  Lumière,  paroles  de  M.  Bjœrnson, 
qu'il  nous  doit.  H.  H. 

—  Une  correspondance  adressée  de  Pernambuco  au  Mondo  artistico  nous 
apporte  des  détails  sur  la  mort  du  compositeur  Carlos  Gomes,  qui,  comme 
on  le  pense,  a  mis  sa  patrie  en  deuil  :  «...  Le  grand  Brésilien  est  mort,  dans 
l'État  ae  Para,  le  16  seplombre,  à  dix  heures  dix  minutes  du  soir,  entouré 
d'amis  qui  ne  pouvaient  se  détacher  de  lui  et  qui  ne  voulaient  pas  croire  â 
une  telle  perte.  Il  a  souffert  une  agonie  horrible,  et  peu  de  minutes  avant  de 
fermer  les  yeux  pour  toujours  il  murmurait  d'une  voix  presque  éteinte  ;  Tout 
est  inutile'.  Quatre  jours  avant  la  catastrophe,  sur  ce  lit  qu'il  ne  devait  plus 
quitter,  il  avait  signé  le  règlement  du  Conservaloire  de  musique  de  Para, 
dont  il  était  le  directeur.  Dès  que  le  télégraphe  eut  répandu  la  triste  nou- 
velle, toute  la  presse  brésilienne  eut  des  paroles  de  sincères  et  douloureux 
regrets;  tous  les  instituts,  tous  les  établissements  publics  et  privés,  nationaux 
et  étrangers,  s'imposèrent  trois  jours  de  deuil.  Le  corps  de  Gomes  a  été  em- 
baumé et  sera  transporté  à  San  Paulo,  son  lieu  de  naissance.  Dans  plusieurs 
villes  on  prépare,  pour  le  Irentième  jour  de  sa  mort,  de  solennelles  cérémo- 
nies funèbres.  Outre  Guarany,  Salvator  Rosa,  Maria  Tudor,  Condor,  loSchiavo  et 
beaucoup  d'autres  compositions,  Gomes  laisse  un  autre  opéra  ;  Noite  do  Cas- 
tello.  qui  n'a  jamais  été  représenté  et  dont  le  manuscrit  est  conservé  dans  la 
bil)liolhè([ue  de  notre  théâtre  Santa  Isabella.  » 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  hier  samedi    qu'a    eu  lieu,   au    palais  Mazarin,   l;i   m. r    publique 

annuelle  de  l'Académie  des  beaux-arts,  présidée  par  M.  Hdnn.ii  i.i'  inugramme 
était  ainsi  composé  :  1° Exécution  d'un  morceau  syniphoiiiqur  iulilulé  Ouver- 
ture de  fête,  composé  par  M.  Busser,  ancien  pensionnairo  de  Rome;  2°  discours 
du  président,  et  3°  proclamation  des  grands  prix  de  Rome;  i"  lecture,  par 
M.  Larroumet,  d'une  notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  M.  Ambroise  Thomas, 
due  â  M.  le  comte  Delaborde,  secrétaire  perpétuel  ;  5°  exécution  de  Mélusine, 
la  scène  lyrique  qui  a  remporté  le  grand  prix  de  composition  musicale  et 
dont  l'auteur  est  M.  Mouquct(Jules-Ernest-GeorgeB),  élève  de  M.  Th.  Dubois. 
Nous  rendrons  compte  dimanche  prochain  de  cette  séance  intéressante. 

—  Le  rapport  de  M.  Georges  Berger  sur  le  budget  des  beaux-arts  a  été  dis- 
tribué cette  semaine.    Le  rapporteur,  après  avoir  déclaré  que  les  crédits  des 


352 


LE  MÉNESTREL 


Uoaiix-aris  sont  réduits  à  la  dernière  limito  ilc  ce  qui  est  diyne  e(  possible, 
passe  à  l'examen  des  chapitres.  Signalons  une  économie  de  S0.9ti0  francs  sur 
le  personnel  de  l'administration  centrale,  due  à  la  suppression  de  la  direction 
des  bâtiments  civils.  M.  Berger  propose  une  réduction  de  2,800  l'rancs  sur 
l'inspection  des  beaux-arts,  à  titre  d'indication  et  pour  arriver  à  la  création 
d'une  commission  composée  d'écrivains  qui  assumerait  l'énorme  travail  de 
la  lecture,  dont  les  inspecteurs  des  théâtres  actuels  seraient  les  agents  exé- 
cutifs. Arrivé  au  Conservatoire,  le  rapport  fait  en  passant  quelques  critiques, 
mais  conclut  surtout  à  l'aliénation  des  locaux  actuels  et  à  la  reconstructio;i 
du  Conservatoire  sur  le  terrain  présentement  occupé  par  la  caserne  de  la 
Nouvelle-France.  Les  subventions  de  l'Opéra,  de  la  Comédie-Française,  de 
rtDpéra-Comiquc,  de  l'Odéon,  sont  proposées  sans  réduction.  Mais  ce  qu'il 
résulte  surtout  de  ce  rapport,  en  ce  qui  concerne  l'Opéra-Comique,  c'est  que 
nous  n'aurons  pas  la  nouvelle  salle  avant  1899.  M.  Berger  le  déclare  formel- 
lement et  demande  pour  deux  ans  encore  l'inscription  au  budget  de  la  somme 
de  80.000  francs,  moulant  de  la  location  de  la  salle  de  la  place  du  Chàtelet. 
Tel  est,  en  substance,  le  contenu  de.  ce  rapport. 

—  Cent  qualre-vingt  dix  aspirants,  dont  105  femmes  et  83  hommes,  se  sont 
présentés,  au  Conservatoire,  au  concours  d'admission  pour  les  classes  de 
chaut.  Il  n'a  pas  fallu  moins  de  quatre  séances  pour  venir  à  bout  de  cette 
épreuve  formidable,  qui  a  pris  fin  jeudi,  à  cinq  heures  du  soir.  Le  jury,  pré- 
sidé par  M.  Théodore  Dubois,  était  composé  de  MM.  Saint-Saëus,  Reyer, 
Lenepveu,  Emile  Réty,  Engel,  Lliérie,  Verg;et,  Nicot,  Saint-Yves-Bax, 
Crosli,  Warot,  Edmond  Duvernoy,  Bussiue,  .\rchainbaud,  et  Feruand 
Bourgeat,  secrétaire.  Sur  ces  190  aspirants,  23  ont  été  reçus,  dont  16  hommes 
et  13  femmes,  dont  voici  les  noms  :  Hommes  :  MM'  Adam,  Bourbon,  Cazotles, 
Do,  Dubois,  Dufoui',  EguiazarolT,  Faureus,  l>auvin,  Gouze,Guillotin,  Régnier, 
Richard,  Rigaux,  Riddez  et  Roussoliéres.  —  Femmes  :  M"«  Cahen,  Caux, 
Grépin,  Chauland,  Deck,  Del  Ambo,  Detanger,  Dingry,  Hatto,  Migiionac, 
Minssart,  Rioton  et  Vaudois.  —  La  semaine  prochaine,  continuation  des 
concours  d'admission:  lundi  2,  harpe  et  piano  (hommes):  mercredi  i  otjeudiS, 
violon:  vendredi  6,  alto,  violoncelle  et  contrebasse. 

—  Petit  changement  dans  le  mode  de  direction  du  théâtre  de  l'Odéon.  Pour 
éviter  tous  froissements  et  tous  désaccords  entre  les  d  'ux  directeurs  associés, 
l'administration  des  beaux-arts  a  défini  les  attributions  distinctes  de  chacun 
d'eux.  M.  Paul  Ginisty  reste  directeur  en  titre,  et  M.  Antoine  passe  direc- 
teur de  la  scène.  Appointements  égaux  de  part  et  d'autre.  De  plus,  un  congé 
d'un  mois  est  «  accordé  i>  ;i  M.  Antoine,  pendant  lequel  M.  Ginisty  remettra 
de  l'ordre  dans  les  divers  services  du  second  Thoàtre-Français,  et  s'occupera 
de  la  nouvelle  réorganisation. 

—  Bonne  nouvelle  pour  les  auteurs  de  Cendrillon.  C'est  M'i^Van  Zandt  qui, 
à  son  retour  de  Monte-Carlo,  en  mars  prochain,  créera  le  principal  l'ùle  du 
conte  de  fées  de  MM.  J.  Massenet  et  Henri  Gain.  C'est  signe  et  paraphé  avec 
le  directeur  de  l'Opéra-Comique.  Bien  entendu,  cela  n'empêchera  pas 
M""  "Van  Zandt  de  donner  en  décembre  les  représentations  déjà  promises  de 
Lakmé,  Manon,  Mignon  et  le  Pardon  de  Ploêrmel. 

—  M.  SaiuC-Saëns  renoncerait  i  écrire  pour  le  théâtre.  «  Je  ne  veux  plus 
maintenant  faire  d'opéras,  écrit-il,  parce  que  c'est  un  travail  trop  laborieux, 
trop  long,  en  un  mot,  trop    fatigant  pour  moi.  Je  ne    peux  plus  passer  de 


longs  mois  à  écrire  de  la  musique  huit  à  dix  heures  [lar  jour.  Ni  mes  yeu.\. 
ni  ma  sauté  générale  ne  veulent  plus  s'en  accommoder.  Je  di'sirc  me  consacrer 
exclusivement  à  des  travaux  qui,  s'ils  demandent  autant  et  plus  mémo  de 
tension  despril,  n'exigeront  pas  aussi  une  grande  déjiense  de  force  physiq\u^. 
Le  Timbré  d'argent,  Élienne  Marcel,  Henri  VIII,  Ascanio, Proserpine  sou!  là  qui 
attendent  i]n'on  veuille  bien  les  représenter,  et  je  iie  vois  pas  la  nécessil.' 
de  m'user  le  tempérament  à  l'aire  d'autres  ouvrages  de  théâtre,  étant  douni' 
([ue  je  n'ai  pas  de  spécialité  et  que  tons  les  autres  genres  do  musique  me 
ri'i-lament.  On  ma  demande  à  cor  et  à  cri  des  quatuors,  des  morceaux  de 
concert  pour  violon,  violoncelle  et  autres  inslruuieuls.  Je  ue  ci'ains  pas  ilc 
manquer  de  besogne,  et,  pour  ce  qui  esl  lUi  Ihéàlre,  j'en  ai  assez.  Le  ballet 
Javotle  sera  \p  post-scriplum  de  ma  carrière  lliciitrale.  »  —  Il  est  bien  ilair  ipie 
nos  directeurs  ne  font  ni  à  M.  Saiiil-Sai'us.  ni  à  M.  Massenet  deux  îles  uuisi- 
ciens  dont  puisse  le  plus  s'enorgueillir  l'école  uiodei-ns  française,  —  la  pbice 
i]ui  leur  serait  due  dans  leurs  programmes,  et  que  des  œuvres  comme 
Henri  VIII,  Manon,  Werther  et  Hérodiade  pour  ne  citer  que  celles-là.  pour- 
raient bleu  figurer  au  répertoiro  à  meilleur  titre  que  les  sempiternels 
ouvrages  qu'on  y  voit.  Mais  nous  sommes  bien  convaincus  lioureusemeni 
que  M.  Saint-Saéns  ne  tiendra  pas  son  scrnieul.  Ce  serait  dommage. 

—  Au  llu'àlie  C;iuuy,  mercredi  prochain,  première  représentation  du  Papa 
de  Francine,  opiuette  nouvelle  en  quatre  actes  et  sept  tableaux,  de  MM.  Victor 
de  Cottens  et  Paul  Gavant,  musique  de  M.  Lnuis  Varney. 

—  Sur  la  demande  de  M.  A.  Guilnianl  et  de  M.  Bordes,  ilirecteur  de  la 
société  des  Chanteurs  de  Saint-Gervais,  M.  MalhisLussy,  auteur  du  Traité  de 
l'expression  musicale  et  du  rythme,  ouvrira  le  lundi  9  injvenibre,  à  .i  h.  1/2,  uu 
cours  de  rythme  musical  à  la  Schola  Cantorum.  11,  rue  Stanislas.  M.  Lussy  y 
exposera  les  lois  (jui  régissent  les  pbénnmèues  du  rythme,  branche  nouvelle 
de  la  science  musicale  et  qui  aujourd'hui  .^ert  de  liase  aux  travaux  ([ui  oui 
pour  but  la  réforme  et  la  restauration  ilu  iihiiu-i:haQt,  haute  préoccupation 
actuelle  du  clergé  français. 


u-oui-s  (lecoui]i,isilions  musical 
■urs  français  (arl.  17  des  statuts) 
iiccouipagiunneul  de  (]uiulette  i' 
ioloncelle,  en  trois  parties:  Aile- 
voix  de  femme  et  voix  d'h(mmie 


es 


—  Académie  de  musique  de  Toulouse.  Cn 
pour  l'année  1897,  ouvert  aux  seuls  ciun|i(isil 
N"  1.  —  Solo  de  concert  pour  llùte  avec 
c  ordes.  —  N"  2.  --  Sonate  pour  iiiaiui  et  \ 
gro,  Andante  et  Finale.  — N"  3.  — Duo  pour 
genre  de  voix  ad  lilntum,  et  paroles  au  choix  île  l'auteur.  —  N»  4.  —  Pièce  de 
vers  pouvant  servir  de  texte  à  une  composition  musicale  (mélodie),  qui  sera 
mise  au  concours  pour  1898.  —  L'Académie  ue  tiendra  pas  compte  des  ouvrages 
qui  ne  répondront  pas  aux  conditions  de  ce  programme.  Les  manuscrits 
devront  élre  envoyés  franco,  jusqu'au  31  mars  inclus,  au  siège  social,  47,  rue 
d'Alsace,  à  M.  le  secrétaire  général  de  l'Académie  (sans  nom  de  personnes), 
qui  fournira  aux  concurrents  tous  les  reuseignementsuécessaires  et  le  règle- 
ment du  concours. 

—  Cours  et  Leçons.  —  il""  Fanny  Lépine  repn'rid,  à  partir  du  9  novembre,  ses!c(,-uns 
de  chant  et  ses  cours  d'ensemble,  89,  boulevard  Malcsherbes.  —  M""  Dignat  reproml 
chez  elle,  1,  rue  Antoine-Koucher,  ses  leçons  el  cours  préparatoires  et  supérieui's  |iipui- 
l'enseignement  de  la  musique  vocale  et  instrumentale. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  pente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vh'ieniie,  HEUGEL  et  C'%  Éditeurs. 


^. 


DON    JUAN 


Er>ITIO>f    MODELE 
Trix  net  :  20  fr. 


-■■»-  SEULE  ÉDITION  EXACTEMENT  CONFORME  A  LA  PARTITION  ORIGINALE  D'ORCHESTRE  DU  COMPOSITEUR 

PARTITION     CHANT  ET  PIANO  Xans  les  arrangements,  dérangements  et  additions  enusage  dana  nos  lliéùtrcs. 

'  ',^^■■  OPÉRA  COMPLET  Ei\  DEll  .ICTES 

Uoialble    texte    italien,    et    français. 


ÉDITION    MODÈLE 
Pi'ix  net  :  20  fr. 


PARTITION,  CHANT  ET  PIANO 


GEORGES  BIZET.  —  Ti'iiiisfrliilioii  ilr  la  |iarlilioii  lif  Hiizarl  |iniir  |iiano  solo,  il'aprts  l'cdilioii  iiriniiiali',  avec  1rs  iiiilicalioiis  il'iiiTlieslrt^.  —  Prix  net  :  8  francs. 


Georges  Bizet.  fiuverture,  transcrite  à  2  mains.  . 

—  Omerture,  transcrite  à  \  njains  . 

—  Si\  transniptions  : 

N'    I.  liiiriiiMo:  Iji  ci  darem  la  muno  . 

\   a.  Air  de  Zirline  :  Batti,  lialli  .    .    . 

N'  3.    l'ri.,  lies  Masques 

N'  4.  Sérénade 

N-  5.  .\ir  de  Zerline  :  Vcilrai,  carino.  . 

.\'  6.  .\ir  d'Oltavio  ;  Il  mio  tesoru  .   ,   . 


TPlA]V.SCrîIF»TI01NriS     ET     AFtElA?s  Ol-TiJVXTa  jV  TS 

POUR     PIANO     A     2     ET     4     IVIAINS     ET     POUR     DEUX     PIANOS  ' 

Ch.-B.    Lysberg. 


7  r,0 


J.-L.  Battmann.  Op.  236.  Deux  petites  fantaisies 

sans  oitaves,  chaque 5     " 

Paul   Bernard.   0[i.    h'i.    lieux   suites  concerlanles 

liirini-i  irliljies),  ù  4  mains,  cbaqno.   .  7  M 

Billema.  il|i.  81.  l'.miaisir  à  4  mains 9    » 

Louis  Diémer.  .\liniirl j     » 

Félix  Godefroid.  dp,  136.  Illusliation 7  ."lO 

W.  Kriiger.  iq,.  l'iO.  Siéiic  ilii  liai,  lnDscri|iliMii  vaiiéf  9     - 

Ch,-B.  Lysberg.  Op.  W.  snini-mis 7  5U 


pian 


79.    Ituo    de    ronrert    pour 


Ch.  Neustedt.  'l'rois  souvenirs: 

—  dp.  24.  hi  ci  iliircm  In  tnaiu 

—  dp.  25.  ;/  m»)  ti'xoro  (aria)  . 

—  dp.  26.  Si'n'nade  rt  Itondo   . 
Th.  Œsten.  dp.  4:'.  l'anlaisic  Ijrillanle. 

S.  Thalberg.  l'anlaisic 

R.  de  Vilbac.  Ilallel,  traiisirit  à  4  maii 


.4m,  Méreanx.  Menm 

—  Vedn. 

—  ISalti, 


TU  AXSOFlIlPTIOlVS     ET     Ait  It  A?s  CJ  l'^iVIElN  TS 

POUR     PIANO     ET     INSTRUMENTS     [JIUERS 


I  et   (JllGUE 

ÎUl: 

VlOI.ONXELl.E    et    dmiUK 


//lo,  pour  l'iANO,  VioLO.N,  Violoncelle  et  Uncui: 
,1.  (ad  liljit.) 

l'IA:iO,      ViOLOS,      VlOL0.\CELLE     61      OnGUE     OU 

id  libil.) 


—  Cticri  LorUIcui) 


3424. 


02'"   AWÉE  —  \°  4o. 


Dimnuclic  8  \oYeinbre  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉjVTRES 


Henri     HEUGEL,     Directeur 


ser  FRANCO  à  M   IIenki  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
i  an  Texte  seul  ■  10  francs,  Paris  et  Province.  -  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teîte  et  Musique  de  Piano,  20  fr..  Pans  et  Province. 
nt  complet  d'un  an     Texte,  Musique  de  Ctiant  et  de  Piano,  30  i:r.,   Paris  et  Province.  -  Pour  l'Etrrjiger,   les  frais  de  poste  en  s 


SOMMAIRE-TEÏTE 


I.  Élude  sur  Orphée  (11»  arlicle.i,  Julien   Tiehsot.  —  U.  Semaine  théâtrale;  pre- 
mière   représentation    du  Papa    de   Francine    au    Théitre  Cluny,  II.  M.    — 

III.  L'Exposition  du  théâtre  et  de  la  musique  (5°. article),  AiuHun  Pougin.   — 

IV.  Journal  d'un  musicien  18°  article),  A.  Mont.vux.  —  V.  Un  théâtre-lyrique 
populaire,  H.  M.  —  'VI.  Revue  des  grands  concerts.—  'Vil.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PASTORALE  ET  GAVOTTE 

Iranscripiioiis  pour  piano  extraites  de  l'opéra  André  Chmier  de  Giordano,  le 
grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan.  —  Suivra  immédiatement: 
Les  Révérences  nuptiales,  n»  1  de  la  collection  des  Vieux  Maîtres,  transcription 
pour  piano  de  Louis  Diémer  d'après  Boismoriier (1732),  répertoire  delà  Société 
des  instruments  anciens.  

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  Prélude,  nouvelle  mélodie  de  Renée  Eldèse,  poésie  de  Henri  de 
Régnier.  —  Suivra  immédiatement  :  l'Improvisation  de  Chénier,  chantée  dans 
l'opéra  do  Giordano,  le  grand  succès  de  la  Scala  à  Milan. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 


De    GLUCK 

(Suite) 


Venons-en  à  l'air  de  bravoure  du  premier  acte  :  «  L'espoir 
renaît  dans  mon  âme  ». 

Ainsi  que  nous  l'avons  constaté,  cet  air,  qui  figure  dans 
toutes  les  partitions  françaises,  n'existe  ni  dans  VOrfeo  ita- 
lien ni  dans  l'autographe  de  Gluck.  Il  est  donc  manifeste 
que  l'auteur  ne  le  mit  pas  là  de  son  plein  gré,  et  qu'il  l'ajouta 
aux  répétitions,  comme  le  furent  quelques-uns  des  airs  de 
ballet  signalés.  Berlioz  connaissait  assez  les  mœurs  des  cou- 
lisses pour  ne  point  s'être  trompé  de  beaucoup  lorsqu'il 
reconstituait  ainsi  la  scène  :  «  Probablement  le  chanteur 
Legros,  qui  créa  à  Paris  le  rôle  d'Orphée,  ne  s'accommodant  pas 
du  simple  récitatif  par  lequel  Calzabigi  et  Gluck  avaient  ter- 
miné leur  premier  acte,  aura  exigé  un  air  de  bravoure  :  Gluck 
s'obstinant  à  ne  pas  vouloir  l'écrire  et  cédant  néanmoins  à 
ses  instances,  lui  aura  dit  peut-être  en  lui  présentant  cet 
air:  «  Tenez,  chantez  cela  et  laissez-moi  tranquille!  » 

Mais  quelle  était  la  provenance  de  ce  morceau? 

Avant  d'y  répondre,  nous  devons  raconter  tout  d'abord  les 
discussions  et  les  querelles  auxquelles  il  a  donné  lieu. 

C'est  un  usage  des   plus  communs,   lorsqu'un  homme  de 


génie  se  présente,  apportant  des  idées  nouvelles  et  des  for- 
mes inconnues,  que  l'on  commence  par  l'accuser  de  plagiat. 
L'esprit  humain  a  de  ces  surprises,  et  sa  logique  est 
toujours  merveilleuse.  Gluck  n'avait  pas  échappé  au  sort 
commun.  Dès  1776  un  journaliste,  Framery,  écrivait  qu'il 
avait  dérobé  un  motif  à  V Olympiade,  de  Sacchini,  pour  en  faire 
le  thème  de  l'air  sublime  qui  termine  le  deuxième  acte  à'Al- 
ceste.  La  voix  publique  ajoutait  à  ces  méfaits  celui  d'avoir 
«  pillé  »  un  chœur  dans  l'opéra  de  Golconde  (1). 

Gluck  crut  devoir  répondre  à  cette  première  attaque  :  il  le  fit, 
non  sans  quelque  hauteur,  mais  avec  une  parfaite  clarté.  «C'est 
M.  Sacchini,  écrivit-il,  qui  a  inséré  le  passage  contesté  dans 
son  air  :  Se  cerca,  se  dicc;  et  cette  phrase  musicale  se  trouve 
dans  VAlcesle  italienne,  imprimée  à  Vienne  en  1769  {['Olympiade 
est  de  1773);  nous  dirons  de  plus  qu'il  y  a  un  autre  passage 
sur  la  fin  du  même  air  pris  de  Paride  ed  Helena,  imprimé  aussi 
à  Vienne.  M.  Framery  ne  sait  pas  qu'un  compositeur  italien 
est  très  souvent  forcé  de  s'accommoder  au  caprice  et  à  la 
voix  du  chanteur,  et  c'est  le  sieur  Millico  qui  a  obligé 
M.  Sacchini  à  insérer  les  susdites  phrases  dans  son  air... 
M.  Sacchini,  génie  comme  il  est,  et  plein  de  belles  idées,  n'a 
pas  besoin  de  piller  les  autres;  mais  il  a  été  assez  complai- 
sant envers  le  chanteur  pour  emprunter  ces  passages,  oîi  le 
chanteur  croyait  qu'il  brillerait  le  plus...  (2)  »  Voilà  déjà  qui 
nous  révèle  des  particularités  curieuses  sur  les  mœurs  musi- 
cales de  ce  temps-là! 

Quelques  années  plus  tard,  au  plus  fort  de  la  bataille  mu- 
sicale, les  mêmes  arguments  allaient  reparaître  et  servir 
d'armes  de  guerre.  Un  piccinniste  obscur,  nommé  Coquéau, 
architecte  de  son  état,  voulut  attirer  l'attention  sur  sa  per- 
sonne par  la  publication  d'un  de  ces  «  Essais  sur  la  musique  » 
qui  parurent  en  si  grand  nombre  à  l'occasion  des  premières 
représentations  â.'Armide  et  d'Iphigénie  en  Tauride.  La  brochure 
avait  pour  litre  :  Entretiens  sur  l'état  actuel  de  l'Opéra  de  Paris.  11 
n'y  dit  pas  plus  de  sottises  que  les  Marmontel  et  les  la  Harpe, 
encore  que  la  forme  littéraire  y  fût  sensiblement  inférieure. 
Mais  parmi  des  appréciations  banales,  monnaie  courante  de 
ces  sortes  de  polémiques,  il  articule  un  reproche  précis  : 
l'air  d'Orphée  :  «  L'espoir  renaît,  etc.  »  n'était  pas'de  Gluck, 
qui  l'avait  pris  au  compositeur  italien  Bertoni,  et  s'était  bien 
gardé  d'avouer  ce  larcin.  Sommé  de  donner  la  preuve  de  son 
accusation,  il  fit  graver  l'air  de  Bertoni,  qui,  en  effet,  pré- 
sentait avec  celui  d'Orphée  de  si  grandes  ressemblances  qu'il 
n'était  pas  douteux  que  l'un  fût,  sinon  copié,  du  moins  fidè- 
lement calqué  sur  l'autre;  il  y  joignit  un  commentaire,  qui 

(1)  Voir  Mercure  de  France,  septembre  mO;  —  La  Soirée  perdue  à  l'Opéra  (pSLT 
l'abbé  .\rnaud),  dans  les  ilèmuires  pour  la  révolution  du.  chevalier  Gluck,  p.  47,  96. 

(2)  Mercure  de  France,  novembre  1776,  et  Mémoires  pour  la  révolution  du.  chevalier 
Gluck,  p.  100. 


354 


LE  MENESTREL 


parut  dans  le  Journal  de  Pnri^.  et  auquel  nous  empruntons  les 
ligues  suivantes  : 

Permettez-moi  de  vous  observer  :  1"  que  l'air  So  clie  dit!  ciel  est 
depuis  dix  ans  entre  les  mains  de  divers  amateurs  de  la  capitale,  que 
j'en  ai  vu  plusieurs  partitions  italiennes,  c'est-à-dire  écrites  en  Italie, 
qu'il  a  été  chanté  dans  plusieurs  concerts,  publics  et  particuliers, 
entres  autres  au  Concert  des  Amateurs,  avant  et  après  la  première 
représentation  à'Orpliée,  sous  les  yeux  de  M.  Gluck,  toujours  sur  le 
nom  de  Berthoni,  sans  que  M.  (Jluck  ait  fait  aucune  réclamation 
contre  ce  plagiat,  lui  qui  mit  tant  d'empressement  à  réi'lamer  deux 
accords  employés  dans  ÏOlympiade  d'après  Jomelli  et  d'autres  maîtres 
italiens;  2°  que  cet  air  n'est  dans  aucune  des  partitions  italiennes 
de  l'Orfeo  de  M.  Gluck,  gravées  à  Londres,  à  Vienne  ou  ailleurs;  que 
lors  des  premières  représentations  à'Orphée  en  France,  ce  fut  un  bruit 
public  que  l'air  en  question  avait  été  fait  par  M.  Gluck,  à  Paris,  et 
pour  M.  Le  Gros. 

Ce  bruit,  monsieur,  devait-il  l'emporter  dans  mon  esprit  sur  la 
publicité  de  l'air  de  Berlhoui,  sur  sou  époque  (car  il  a  été  écrit  en 
1767  dans  ïlfigenia  in  Tawide  pour  Aghinelli),  entio  sur  la  ressem- 
blance frappante  de  l'air  So'c/ie  (fei  de/ avec  celui  de  M.  Gluck?  c'est 
la  seule  assertion  de  cette  espèce  que  je  me  sois  permis  d'avancer, 
monsieur,  et  je  ne  la  crois  point  téméraire.  J'aurais  pu  me  rendre 
plus  coupable,  j'aurais  pu  citer  un  air  d'Hïendel  :  Dove  sei,  etc.,  bien 
antérieur  à  la  belle  marche  des  prêtresses  îïAlceste  qui  lui  ressemble, 
j'aurais  pu...  mais  je  finis  (I). 

La  réponse  ne  se  fit  pas  attendre:  elle  parut,  dès  le  lende- 
main, dans  le  Journal  de  Paris. 

Il  faut  si  peu  de  talent  et  si  peu  de  mérite  pour  composer  des  airs 
de  l'espèce  de  celui  qui  termine  le  premier  acte  de  VOrphéc  frauçais, 
air  parodié  de  l'italien  par  M.  Le  Gros,  que  M.  le  chevalier  Gluck  est 
peu  tenté  de  démentir  l'article  de  votre  journal,  qui  a  la  témérité  de 
l'attribuer  à  Bertoni:  cependant  comme  on  se  doit  à  la  vérité,  il  faut 
nécessairement  vous  apprendre,  messieurs,  que  M.  le  chevalier  Gluck 
a  composé  cet  air  pour  le  couronnement  de  l'Empereur,  et  qu'il  a 
été  chanté  à  celte  occasiou  solennelle  à  Francfort  par  le  sieur  Totsi, 
qu'il  l'a  inséré  ensuite  dans  son  opéra  d'Aiistée,  exécuté  à  Parme  aux 
fêtes  du  mariage  de  l'Infant,  pour  lesquelles  il  avait  été  appelé  de 
'Vienne,  et  que  cet  air  fut  chanté  a  Parme  par  M""=  Girelly.  Ne  trou- 
vez-vous pas,  messieurs,  qu'il  eût  été  plaisant  et  curieux  que  M.  le 
chevalier  Gluck  eût  fait  exécuter  à  Parme,  comme  de  lui,  un  air  de 
Berloni  déjà  connu  de  toute  l'Italie?  Au  reste,  s'il  est  vrai  que  cet  air 
se  trouve  dans  quelqu'un  des  ouvrages  de  Bertoni,  qu'on  se  donne  la 
peine  d'examiner  la  partHion  de  l'Orfeo  de  ce  compositeur,  et  l'on  sera 
bien  convaincu  que  ce  n'est  pas  M.  le  chevalier  Gluck  qui  copie 
Bertoûi  (2). 

Au  ton  de  cette  réponse,  à  la  précision  des  détails  et  à 
plusieurs  autres  particularités  il  est  aisé  d'apprécier  qu'elle 
émanait  de  Gluck  lui-même.  C'est  bien  à  tort  que  Desnoires- 

(1)  Journal  de  Paris,  27  juillet  1779.  DssDoiresterres,  qui  cite  ce  texte,  y  ajoute 
cet  autre,  emprunté  aux  Œuvres  philosophiques,  littéraires,  historiques  et  morales  du 
comte  d'Escherny:  «  ...  J'ai  bien  dit  ci-devant  que  les  plus  beaux  chants  de 
Gluck  ne  lui  appartenaient  pas;  mais  j'ignorais  un  fait  que  je  tiens  de  M.  Gin- 
guené,  également  versé  dans  la  littérature  et  la  musiqueitaliennes;  savoir,  que 
c'est  Guadagni  lui-même  qui  lournit  à  Glucl^  la  meilleure  partie  des  cliants  de 
son  rôle  d'Orphée.  »  Le  génie  créateur  d'un  Guadagni!...  Et  voilà  à  quelles  bas- 
sesses en  étaient  réduits  les  ennemis  du  grand  art,  —  ceux  de  Gluck  !  Le  maliieur 
est  que,  trop  souvent,  de  telles  assertions,  présentées  avec  un  air  d'assurance, 
trouvent  créance  mùme  auprès  de  ceux  qui  devraient  être  le  mieux  sur  leurs 
gardes.  C'est  ainsi  queDesnoiresterres,dont  le  livreaur  Gluck  el  Picciiini  est  d'ail- 
leurs intéressant  au  puint  de  vue  documentaire,  dit,  à  propos  de  la  lettre  ci- 
dessus  :  •  Ce  ne  sont  pas  des  accusations  vagues,  et  Coquéau  donne  les  pièces  à 
l'appiii.  »  Voyons  donc  ce  que  pèsent  ces  alfirmations,  ces  «  accusations  »,  comme 
dit  le  biographe.  "  L'air  a  été  écrit  par  Bertoni,  en  1767,  pour  son  I/igcniu  in  Tau- 
ride  11.  Bertoni  n'a  écrit  aucune  Ifigenia  in  Taiiriûe:  en  1767,  il  ne  fit  représenter 
qu'un  Ezio  sur  le  théâtre  de  San-Benedetlo,  à  Venise.—  >  Il  est  connu  et  chanté 
depuis  dix  ans  sous  le  nom  de  Bertoni.  »  Oui,  mais  l'air  de  Gluck,  nous  Talions 
voir,  date  de  1764,  et  le  reproche  de  plagiat  adressé  à  Gluck  est  formulé  quinze 
ans  plus  tard,  en  1779.  Au  reste,  toute  cette  partie  de  l'argumentation  repose 
uniquement  sur  des  «  on-dit  »  d'amateur  sans  valeur  par  eux-nièmes,  et,  le 
plus  souvent,  en  désaccord  avec  les  preuves  positives  qui  ont  subsisté.—  ■  Les 
partitions  italiennes  d'Orfeo  (gravées  à  Londres,  k  Vienne...  "  Orfcu  ne  fut  gravé  ni 
à  Londres,  ni  à  Vienne.  —  o  Gluck  a  réclamé  pour  deux  accords  de  i'Otunipiude 
de  Jomelli...  o  ISOlympiade  est  de  Sacchini.  —  Pour  le  reproche  fait  à  Gluck  de 
n'avoir  pas  protesté  lui-même  contre  l'attribution  de  l'air  à  Bertoni.  nous  ver- 
rons qu'il  aurait  eu  trop  à  faire  s'il  avait  voulu  dénoncer  tous  les  actes  de  cette 
piraterie  qui  s'exerçait  sur  son  œuvre,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'à  ce  moment, 
où  il  était  à  l'apogée  de  sa  carrière,  il  considérait  comme  indigne  de  lui  de 
s'abaisser  à  de  pareilles  réclamations. 

(2)  Journalde  Paris,  28  juillet  1779. 


terres  pense  que  le  grand  maitre  dut  être  froissé  en  voyant 
ses  défenseurs  faire  si  bon  marché  d'une  page  sortie  de  sa 
plume,  et  c'est  méconnaître  la  véritable  nature  de  son  génie 
que  d'avancer  que  «  le  compositeur  n'était  pas  homme  à 
estimer  si  peu  ce  qu'il  faisait  »,  alors  que  le  style  du  mor- 
ceau incriminé  appartient  tout  justement  à  la  manière  avec 
laquelle  il  avait  rompu  et  qu'il  réprouvait  depuis  longtemps. 
Le  ton  hautain  du  début  de  cette  déclaration  révèle  assez 
clairement,  au  contraire,  l'indiguation  du  génie  irrité  de  se 
voir  incompris  au  point  qu'on  l'accusait  d'avoir  volé  os  qu'il 
y  a  de  moins  estimable  dans  son  œuvre  I  D'autre  part,  les 
détails  très  précis,  et,  nous  le  démontrerons,  très  e.\acts, 
qu'il  donne  sur  les  «  antécédents  »  de  l'air  intercalé  dans 
Orphée  n'ont  pu,  de  toute  évidence,  être  donnés  que  par  lui. 
Enfin,  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  Journal  de  Paris  était  en 
quelque  sorte  le  journal  officiel  de  Gluck  :  c'était  là  que, 
depuis  cinq  ans,  paraissaient  journellement  les  articles  les 
plus  enthousiates,  que  Suard  et  l'abbé  Arnaud  avaient  publié 
leurs  études  les  plus  approfondies  sur  son  œuvre;  enfin 
Gorancez,  qui  fut  son  confident  dès  son  arrivée  à  Paris,  qui 
le  présenta  à  Jean-Jacques  Rousseau  et  raconta,  plus  tard, 
dans  le  même  journal,  les  souvenirs  de  leurs  relations,  en 
était  le  propre  rédacteur  en  chef.  Il  n'est  donc  pas  douteux 
que  les  éléments  de  cette  réponse  aient  été  demandés  à  Gluck, 
et  qu'elle  doive  être  considérée  comme  un  véritable  «  com- 
muniqué ». 

Il  est,  à  la  fin,  une  phrase  qui  mérite  de  retenir  particu- 
lièrement notre  attention  :  «  Qu'on  se  donne  la  peine  d'exa- 
miner la  partition  de  VOrfeo  de  ce  compositeur,  et  l'on  sera 
bien  convaincu  que  ce  n'est  pas  M.  le  chevalier  Gluck  qui 
copie  Berloni.  » 

Que  voulait  dire  cette  insinuation?  Et  d'abord,  qu'était-ce 
donc    que  ce    musicien    à  qui  l'on  a   si    longtemps  attribué 
l'honneur  —  immérité  —  d'avoir  été  pillé  par  Gluck? 
(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre  Clu.nï.  —  Le  Papa  de  Francine,  opérette  en  4  actes  et  7  tableaux, 
de  MM.  V.  de  Gottens  et  P.  &avault,  musique  de  M.  Louis  Varney. 

Voilà  enfin  une  opérette  qui  n'a  pas  la  prétention  d'être  un  opéra- 
comique,  et  qui  ne  s'en  porte  pas  plus  mal.  Sans  rechercher  des 
finesses  et  des  délicatesses  qui  n'eussent  pas  été  de  mise,  les  auteurs 
se  sont  laissés  aller  tout  simplement  à  leur  naturel,  et  ils  nous  ont 
donné,  sans  aucune  pose  et  sans  vouloir  forcer  leur  talent,  ce  qu'ils 
ont  trouvé  en  eux-mêmes,  c'est-à-dire  de  la  gaieté,  beaucoup  de 
bonne  gaieté,  et  il  convient  de  les  en  remercie,  puisqu'ils  ont  réussi 
à  nous  faire  passer  quelques  heures  amusantes. 

Le  papa  de  Francine  est  un  Américain,  sir  Burnett,  qui  se  souvient 
un  beau  jour,  après  fortune  faite,  qu'il  a  laissé  en  France,  11  y  a 
dix-huit  ans,  une  fille  dont  il  ne  s'est  plus  soucié  depuis.  Et,  sur  la 
fin  de  sa  vie,  le  désir  lui  vient,  avec  la  bosse  subite  de  la  paternité, 
de  retrouver  cette  enfant  qui  sera  la  joie  de  ses  vieux  jours  et  l'héri- 
tière de  toute  sa  fortune.  Il  s'adresse  à  une  agence,  la  fameuse  agence 
Mongrapin,  pour  retrouver  la  trace  de  cette  Francine  soudainement 
adorée,  avec  ce  seul  indice  qu'il  peut  donner  :  «  la  maman  raffolait 
des  escargots  de  Bourgogne  ».  C'en  est  assez  pour  qu'un  homme 
aussi  avisé  que  M.  Mongrapin  retrouve  la  trace  perdue,  mais  c'est 
précisément  au  moment  oii  il  allait  en  désespérer.  Burnett,  eu  effet, 
lui  avait  donné,  pour  arriver  à  un  bon  résultat,  un  délai  qui  est  sur 
le  point  de  prendre  fin.  Si  la  journée  s'achève  sans  que  Mongrapin  lui 
porte  enfin  la  bonne  nouvelle,  '  rendez-vous  élant  pris  au  pavillon 
Henri  IV  à  Saint-Germain, alors  Burnett,  n'ayant  plus  d'espoir,  repar- 
tira pour  l'Amérique  et  tout  sera  dit. 

Mongrapin  retrouve  donc  tout  à  point  Francine,  qui  s'appelle  à 
présent  Stella  et  s'est  fait  une  spécialité  de  chanter  à  cheval  des 
chansonnettes  dans  les  music-halls.  Il  s'a;^it  de  la  diriger  en  toute 
hâte  sur  Saiut-Germaiu.  Mais  un  neveu  du  bonhomme  Burnett,  le  bel 
Adhémar,  qui  comptait  bien  sur  l'héritage  opulent  de  son  oncle,  se 
met  eu  travers  du  petit  voyage  et  accumule  les  obstacles  sur  la  route 
de  Francine,  —  aidé  en  cela  par  une  jolie  personne,  M"»  Diane  de 


LE  MENESTREL 


355 


Pomivy,  qui  a  des  bontés  pour  lui  et  qui  est  en  même  temps  une 
rivale  de  cirque  de  la  charmante  Stella. 

Vous  voyez  d'ici  la  course  au  clocher  activée  d'une  part  par  le 
camp  Mongrapin  et  entravée  de  l'autre  par  les  manœuvres  d'Adhémar. 
Toute  la  pièce  est  là,  et  elle  nous  fait  passer  par  de  folles  équipées  : 
à  Asnières,  où  l'on  grise  abominablement  Mongrapin;  à  Nanlerre,  où 
Stella  remplace  dans  un  couronnement  une  rosière  empêchée,  et 
s'échappe  ensuite  en  vélocipède;  à  Chaiou,  où  M'»°  Plumet,  la  mère 
de  Francine,  pique  une  lête  dans  la  Seine,  et  n'en  sort  à  grand'peine 
que  pour  se  battre  en  duel  avec  un  vieux  capitaine  retraité  qui  la 
prend  ni  plus  ni  moins  pour  un  homme,  alors  qu'elle  est  en  train  de 
se  sécher  sous  les  habits  du  restaurateur  Fournaise;  puis  dans  une 
villa  duVésicel,  où  un  général  péruvien  extraordinaire,  avec  sa  femme 
non  moins  extraordinaire,  offre  une  retraite  à  Slella,  —  villa  qui  ne 
tarde  pas  à  être  visitée  et  dévalisée  par  d'étonnants  cambrioleurs  ;  — 
et  enfin  à  Saint-Germain,  où  Stella  peut  à  la  dernière  minute,  tomber 
dans  les  bras  de  son  père. 

C'est  fou,  mais  c'est  d'une  gaieté  irrésistible,  et  le  musicien, 
M.  Louis  Varney,  ne  s'en  donne  pas  moins  à  cœur-joie  que  ses  deux 
collaborateurs.  Il  a  écrit  d'une  main  leste  une  partition  endiablée,  où 
abondent  les  motifs  et  les  rythmes.  Il  y  a  là  surtout  un  duo  espagnol, 
qui  est  une  merveille  de  cocasserie  joyeuse,  enlevé  avec  une  verve 
incandescente  par  ses  deux  interprètes.  M"'  Manuel  et  M.  Hamilton, 
puis  aussi  un  trio  de  cambriole'irs  qui  a  porté  le  délire  de  la  salle  au 
plus  haut  point.  Combien  de  fois  a-t-onfait  répéter  ces  deux  uuméros  ! 
On  ne  pouvait  s'en  lasser.  Etce  n'est  pas  tout.  11  y  a  encore  la  «  Chanson 
du  petit  jockey  »,  le  couronnement  de  la  rosière  avec  fanfare,  et  aussi 
la  noie  plus  sentimentale  avec  le  joli  duo:  Iloveyou,  et  des  romances 
et  des  chœurs  inénarrables.  Jamais  M.  Varney  ne  s'est  montré  plus 
qu'en  cette  circonstance  le  maître  de  la  bouffonnerie. 

Le  petit  théâtre  de  Cluny  a  de  sou  côté  fait  des  merveilles  démise 
en  scène.  Les  décors  et  les  costumes  sont  étiucelants,  et  la  troupe 
vraiment  excellente.  Deux  comiques  de  bel  avenir  s'en  détachent  tout 
d'abord  :  M.  Hamilton,  un  type  extraordinaire  de  général  péruvien, 
et  M.  Muffal,  qui  joue  le  rôle  du  «  délégué  gai  »  dans  le  couronnement 
de  la  rosière.  Ces  deux-là  n'engendrent  pas  la  mélancolie,  oh  !  non. 
On  peut  bien  mettre  à  côté  d'eus  M"'  Cuinet,  pour  compléter  ce  trio 
désopilant.  Un  autre  trio  bien  curieux  aussi,  c'est  celui  des  cambrio- 
leurs (MM.  Prévost,  Houssaye  et  M"=  Norcy),  troupe  d'aimables  mal- 
faiteurs qui  se  corse  encore  par  la  suite  de  toute  la  famille  clownesse 
des  Price.  Et  alors  je  vous  réponds  qu'on  ne  s'ennuie  pas  une  minute. 
Il  n'y  a  pas  de  pareils  gaillards,  dans  toutes  les  banlieues,  pour  vous 
dévaliser  une  villa  avec  plus  de  prestesse  et  d'élégance.  Ah!  ça  ne 
traîne  pas  avec  euxl 

Le  côté  de  la  grâce  est  représenté  par  M"°  Lebey,  qui  chante  avec 
gentillesse  et  avec  goût,  et  par  M"=  Manuel,  une  fort  belle  personne 
qui  a  bien  de  la  désinvolture  et  du  feu  dans  ses' personnages  mul- 
tiples de  bacchante,  de  bicycliste  et  de  Péruvienne. 

Tout  est  donc  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des  succès  possibles. 

H.  M. 


L'EXPOSITION  DU  THEATRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 

(Suite.) 


Je  n'en  ai  pas  fini  avec  cette  vaste  salle  26,  si  importante,  si  inté- 
ressante, et  qui,  par  les  soins  de  M.  Yveling  RamBaud,  a  été  amé- 
nagée d'une  façon  si  ingénieuse  et  si  attrayante.  Parmi  ses  trésors, 
je  ne  saurais  manquer  de  signaler  une  collection  tout  particulière- 
ment curieuse,  et  d'autant  plus  curieuse  qu'elle  est  rare  en  son 
genre.  C'est  la  collection,  fort  belle  et  très  nombreuse,  de  médailles 
d'artistes  exposée  par  M°""  David.  La  vitrine  qui  la  renferme  est  cer- 
tainement l'une  des  plus  précieuses  et  des  plus  originales  de  l'Ex- 
position, d'autant  que  toutes  les  pièces  en  sont  d'une  beauté  remar- 
quable. Je  mentionnerai  surtout,  parmi  les  médailles  d'argent,  celles, 
fort  .belles,  de  M™  Pasta  et  de  M"""  Mainvielle-Fodor,  puis  celles  de 
LuUy,  Haydn,  Mozart,  Rossini,  et  aussi  celle  de  Rachel;  parmi  les 
médailles  de  bronze,  celles  de  Haendel,  Beethoven,  Meyerbeer,  Pa- 
ganini,  Liszt,  Marchesi,  et  ensuite  Talma,  M'"^  Dorval,  Bouffé  et 
Scribe  Je  recommande  aux  amateurs  la  visite  très  attentive  de  cette 
vitrine  singulièrement  intéressante. 

Après  avoir  jeté  un  coup  d'œil  sur  l'exposition  deM"«B.  Brunswick, 
consistant  en  partitions  du  dix-huitième  siècle,  en  recueils  d'anciens 
livrets  d'opéras,  en  chansonniers,  remarquables  surtout  par  la  beauté 


des  exemplaires,  et  où  l'on  rencontre  un  manuscrit  précieux,  une 
fort  belle  partition  d'orchestre  de  Wagner,  datée  «  Riga,  6  fé- 
vrier 1839  »  (est-ce  la  partition  des  Fées?),  je  reviens  aux  auto- 
graphes de  grands  musiciens,  d'une  part  avec  la  riche  exposition 
de  MM.  Ricordi  et  Friedrichs,  de  l'autre  avec  la  collection,  essen- 
tiellement française  et  contemporaine,  de  M'""  Yveling  RamBaud. 

Dans  la  large  vitrine  Ricordi-Friedrichs  on  remarque,  d'abord,  les 
paititions  à  orchestre  de  la  Gazza  ladra  de  Rossini,  de  la  Sonnambula 
de  Bellini,  de  Luci-ezia  Borgia  de  Donizelti  et  de  Rigoletto  de  Verdi, 
plus  un  opéra  de  Piccinni  dont  nous  n'avons  pas  le  titre.  Avec  cela 
un  Ave  Maria  de  Donizetti  et  divers  fragments  d'Alessandro  Soarlatti 
(celui-ci  doit  constituer  une  singulière  rareté),  de  Vaccaj,  Asioli,  Pa- 
ganini,  Basily  (le  directeur  du  Conservatoire  de  Milan  qui  refusa  à 
Verdi  son  admission  dans  cet  élablissemenl),  Luigi  Ricci,  Zinga- 
relli,  ïhalberg,  Charles  Czerny,  Mercadanle,  Fumagalli,  Stephen 
Heller,  MM.  Filippo  Marehetti,  Arrigo  Boito,  Paolo  Tosti,  etc. 

Mais  quelques  pièces  sont  ici  particulièrement  intéressantes. 
Celle-ci  d'abor<l,  dont  je  reproduis  exactement  le  titre  :  Notturno  a  Ire 
uoci,  con  /kiuto  e  piano  forLe,  composta  e  dedicato  al  distinto  cantaiite 
sig.  Cesare  Sangiorgi  da  &iuseppe  Vei'di,  da  Roncole  di  Busseto,  36  Feb- 
braio  l'839.  C'est  le  Nocturne  que  j'ai  catalogué  dans  mon  livre  sur 
Verdi,  sans  eu  connaître  alors  la  date.  On  remarquera  que  cette  date 
est  antérieure  de  huit  mois  à  celle  de  la  représentation  du  premier 
ouvrage  du  maître,  Oberto,  conte  di  San  Bonifazio,  qui  eut  lieu  à  la 
Scala  seulement  le  1"  novembre  1839.  Verdi,  encore  complèlemeut 
inconnu,  jugeait  utile  d'ajouter  à  son  nom  celui  du  lieu  de  sa  nais- 
sance. Je  suppose  que  c'est  à  peu  près  de  la  même  époque  que  date 
cet  autre  manuscrit  :  Set  Roinanze  per  canto,  con  accompagnamento  di 
piano  forte,  composte  dal  maestro  Giuseppe  Verdi.  Peut-être  un  peu  plus 
tard  pourtant,  puisque  Verdi  prend  celte  fois  le  titre  de  maestro.  A 
côté  de  ces  deux  compositions  juvéniles  de  l'auteur  à! Aida,  nous  en 
trouvons  une,  juvénile  aussi,  de  l'auteur  de  la  Vie  pour  le  Tsar.  C'était 
à  l'époque  du  premier  voyage  de  Gliuka  en  Italie,  voyage  entrepris 
en  compagnie  de  son  compatriote  le  fameux  ténor  Ivanoff,  qui,  lui, 
ne  devait  jamais  revoir  la  Russie.  Glinka,  une  fois  à  Milan,  se  mit  à 
écrire  et  à  publier  des  fantaisies  et  des  variations  sur  des  thèmes 
d'opéras  en  vogue,  selon  ta  mode  du  jour,  et  c'est  l'une  de  ces  pro- 
ductions éphémères  dont  nous  trouvons  ici  le  manuscrit  autographe  : 
Variazoni  brillante  per  piano  forte,  composte  dal  signor  Michèle  Glinka  sul 
motivo  delV  aria  «  Nel  veder  la  tua  costanza  »,  cantata  dal  célèbre  sig.  Ru- 
bini  neW  opéra  Anna  Bolena  del  maestro  Donizetti. 

J'ai  dit  que  la  joHe  collection  de  M^^Yveling  RamBaud  était  essen- 
tiellement françai.-se  et  contemporaine.  Elle  réunit  en  effet  les  noms 
des  membres  les  plus  célèbres  de  l'école  musicale  actuelle.  D'abord, 
une  série  de  danses  caractéristiques  :  Vieux  Menuet,  de  Charles  Gou- 
nod;  Saltarello,  d'Ernest  Guirand;  Fandango,  de  J.  Massenet;  Danse 
polynésienne,  d'Ernest  Reyer;  Gaillarde,  de  Ch.-M.  Widor;  Moravienne, 
de  Victoria  Joncières;  puis,  un  fragment  de  Mignon,  d'Ambroise 
Thomas,  et  divers  morceaux  de  Saint-Saëns,  Théodore  Dubois,  Pala- 
dilhe.  César  Franck,  etc. 

Non  loin  de  là  je  rencontre  une  très  riche  série,  dont  j'igaore  le 
propriétaire,  de  portraits  de  Richard  "Wagner  à  différents  âges  de  sa 
vie,  et  de  divers  membres  de  sa  famille.  Quelques-uns  sont  en  des- 
sins originaux  remarquables,  d'autres  en  reproductions  diverses. 
Cette  réunion  de  portraits  est  réellement  précieuse  et  offre  un  très 
grand  intérêt. 

Passons  aux  instruments,  car  cette  salle  26  est  inépuisable,  et  c'est 
encore  là  que  nous  trouvons,  sous  ce  rapport,  des  collections  d'un 
intérêt  puissant  et  qu'il  est  utile  de  faire  connaître. 

Je  signalerai  d'abord  la  série  très  curieuse  (il  y  en  a  trente  et  un) 
d'instruments  de  musique  du  Japon  appartenant  à  M.  P.  Brenot. 
Instruments  en  bois  ou  en  métal,  à  cordes,  à  vent  ou  de  percussion, 
on  en  trouve  de  toutes  sortes,  et  tous  dans  un  état  superbe.  Je  ne 
saurais  malheureusement  m'étendre  à  leur  sujet  et,  à  mon  grand  regret, 
je  suis  obligé  d'avouer  ici  ma  complète  ignorance  et  mon  incompé- 
tence absolue.  Puisse  cet  aveu,  dont  la  sincérité  ne  saurait  laisser 
de  doute,  me  mériter  quelque  indulgence.  Ce  n'est  pas  une  collection 
qu'expose  M.  Vanel,  mais  simplement  quelques  pièces  diverses,  dont 
un  beau  serpent,  un  délicieux  clavecin  Louis  XV  et  un  joli  tympa- 
non  du  dix-septième  siècle,  décoré  d'intéressantes  peintures.  Quant 
au  trophée  qui  nous  présente,  réunies,  les  collections  de  MM.  Ber- 
nardel,  Chapelle  et  Taffanel,  il  faut  bien  constater  qu'il  offre  un  aspect 
UQ  peu  excentrique  et  que  l'unité  n'en  est  pas  la  qualité  dominante. 
Il  y  a  là  un  singulier  mélange  et  une  drôle  de  macédoine  d'ini-tru- 
ments  anciens  et  modernes,  européens  et  exotiques,  dont  je  ne  vou- 
drais certainement  pas  médire,  mais  dont  la  réunion  produit  l'effet 
le  plus  baroque  et  le  plus  étrange. 


356 


LE  MENESTREL 


Mais  passons  à  l'eslrede  opulente  qui  occupe  le  milieu  de  la  salle 
et  où  se  coudoie  la  double  et  superbe  exposition  de  la  maison  Erard 
et  de  la  maison  Pleyel.  C'est  là  surtout  que  le  regard  du  visiteur  est 
enchanté  et  que  les  yeux  ne  saveat  sur  quelle  merveille  se  porter  de 
préférence. 

Il  est  bien  entendu  que  cette  exposition  est  historique,  artistique, 
et  non  pas  industrielle.  La  maison  Érard  nous  montre  d'abord  plu- 
sieurs harpes  enfantines,  dont  l'une,  charmante,  construite  par  Sébas- 
tien Erard  pour  le  jeune  roi  de  Rome,  est,  naturellement,  de  style 
empire.  Celle-ci  est  toute  petite.  Tout  auprès  s'en  trouve  une  autre 
un  peu  plus  grande,  puis  une  autre  encore,  à  chevilles  tournantes, 
qui  est  de  date  plus  ancienne.  Une  dernière  enfin,  de  forme  galloise, 
toujours  dans  des  proportions  mignonnes,  est  tout  à  fait  gracieuse  et 
originale. 

A  signaler  ensuite  deux  épinettes  de  forme  très  ancienne,  dont  une 
à  quatre  octaves,  avec  les  grandes  louches,  noires,  en  ébène,  et  les 
petites  touches,  blanches,  en  os.  Parmi  les  pianos,  deux  instruments 
intéressants  par  les  souvenirs  qu'ils  évoquent  :  un  piano  carré,  pres- 
que moderne,  dont  le  clavier  porte  cinq  octaves  et  demie,  de  fa  à  ut, 
qui  était  celui  de  Spontini,  sur  lequel,  peut-être,  ont  été  composés 
la  Vestale  et  Fernand  Cortez:  et  un  autre  piano  carré,  un  peu  plus 
ancien,  à  cinq  octaves  seulement,  avec  les  pédales  placées  sous  le 
clavier,  qui  a  appartenu  au  célèbre  chanteur  Garât,  l'ami  de  Boiel- 
dieu.  Puis  encore,  un  piano  pédalier,  l'un  des  premiers  sans  doute 
qui  aient  été  construits,  de  forme  carrée,  avec  vingt  touches  pour 
les  pieds. 

La  maison  Pleyel-Wolff  nous  montre  une  délicieuse  épinette  de 
Hans  Ruckers,  qui  porte  la  date  d'Anver.^  1398.  C'est  l'un  des  plus 
jolis  spécimens  de  la  facture  de  ce  vieux  maître,  si  justemeal  célèbre. 
Non  loin  de  cette  épinette  s'en  trouve  une  autre,  qui  porte  la  date  de 
1734  et  dont  l'auteur,  nommé  Abel  Adam,  m'est  complètement  inconu u . 
Celui-là  était  certainement  un  artisan  distingué,  car  l'instrument  est 
curieux  et  digne  d'exciter  l'intérêt.  Puis  nous  trouvons  un  très  gra- 
cieux et  très  élégant  clavecin  Louis  XV,  à  vernis  Martin,  avec  deux 
claviers  de  cinq  octaves  et  six  pédales,  orné  de  délicates  et  jolies 
peintures.  Nous  franchissons  ensuite  un  siècle  et  nous  nous  trouvons 
en  présence  du  piano  h  queue  de  six  octaves  et  demie  que  la  maison 
Pleyel  construisit  pour  Chopiu  en  1846,  trois  années  avant  la  moi t  du 
maître.  Ce  piano,  très  simple,  n'offre  rien  de  particulier  en  dehors  du 
souvenir  qui  s'y  rattache. 

L'histoire  de  la  facture  des  instruments  à  clavier  est  encore  bien 
obscure  et  bien  incomplète,  et  la  chronologie  des  grands  facteurs  est 
surtout  bien  inconnue.  En  voici  encore  uq  dont,  pour  ma  part,  j'igno- 
rais complètement  le  nom,  et  qui  n'était  certainement  pas  le  premier 
venu.  C'est  un  nommé  Debboins,  de  Cortone,  dont  M.  Georges  Pfeiffer 
expose  un  fort  beau  clavecin,  daté  de  1678.  Cet  instrument  superbe, 
dont  le  clavier  porte  quatre  octaves  et  demie,  est  décoré,  intérieure- 
ment et  extérieurement,  de  fort  belles  peintures.  C'est  une  pièce  d'une 
beauté  rare. 

Je  reviens  à  la  maison  Pleyel  pour  signaler  la  très  intéressante 
série  qu'elle  expose  des  sept  diapasons  qui  nous  montrent  la  marche 
ascensionnelle  de  l'étalon  tonal  dans  l'espace  d'un  siècle  et  demi,  de 
1700  à  iSoS.  Le  premier  de  ces  diapasons,  établi  d'après  Sauveur, 
lious  montre  ce  qu'était  le  la  en  1700,  aux  dernières  années  du  règne 
de  Louis  XIV;  la  seconde  donne,  d'après  Pascal  Taskin,  le  fameux 
facteur  qui  avait  le  titre  de  «  garde  des  instruments  du  roi  »,  le  la 
de  la  chapelle  de  Louis  XVI  en  1789  ;  le  numéro  3  et  le  numéro  4,  qui 
datent  l'un  et  l'autre  de  1828,  reproduisent,  d'après  le  célèbre  physi- 
cien allemand  Fischer,  le  la  du  Théâtre-Iialien  et  celui  de  l'Opéra  à 
cette  époque;  le  numéro  S  nous  fait  connaître  le  la  do  ce  dernier 
théâtre  en  1834,  d'après  les  expériences  de  Scheibler,  l'inventeur  du 
phonomètre,  le  numéro  6  i:ous  le  donne  encore  d'après  Delézeune,  et 
enfin  le  numéro  7  nous  présente  celui  que  M.  Lissajous  avait  observe 
en  18oo  pour  le  Conservatoire  et  l'Opéra.  On  sait  que  c'est  à  la  suite 
des  travaux  d'une  commission  spéciale,  et  sur  un  rapport  lumineux 
d'Halévy  que,  dans  le  but  d'arrêter  l'élévation  indéfinie  du  diapason, 
un  décret  du  iii  février  18o9  établit  pour  la  France  l'usage  d'un  dia- 
pason dit  normal,  à  870  vibrations  par  seconde,  diapason  rjui  est  au- 
jourd'hui le  régulateur  des  orchestres  de  presque  tout  le  continent 
européen.  La  série  des  diapasons  exposés  par  la  maison  Pleyel,  qui 
nous  donne  les  points  de  comparaison  exacts  entre  tous  les  diapa- 
sons antérieurs  jusqu'à  l'établisso.neut  du  diapason  normal,  est  tout 
particulièrement  instructive  et  intéressante. 

l'-l   *™^'-'^-^  AriTHUR   POUGIN. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAGMENTS 

(Suite.) 


Il  y  a  de  notre  temps  des  philosophes  ou  simplement  des  hommes 
do  lettres  n'ayant  aucune  qualité  pour  être  des  moralistes,  qui 
s'ingénient  à  prouver  que  la  musique  est  une  cause  de  dégénéres- 
cence morale.  Elle  exercerait  sur  ceux  qui  la  cultivent  une  influence 
malsaine,  énervante;  elle  les  elTéminerait,  en  leur  donnant  les  lan- 
gueurs morbides,  la  passion  stérile  du  rêve,  je  ne  sais  quel  besoin 
maladif  de  sensualité  raffinée. 

On  ne  discute  pas  de  pareils  exercices  d'imagination.  Le  peuple 
chez  lequel  la  musique  est,  dès  l'enfance,  le  plus  en  honneur,  celui 
chez  lequel  elle  semble  une  des  conditions  mêmes  de  l'existence 
intellectuelle  et  morale,  e<t  le  peuple  allemand. 

Il  ne  parait  pas  que  cette  nation  soit  frêle,  ni  qu'elle  ait  perdu  le 
goût  de  l'action. 

Un  joli  artifice  de  style  que  je  relève  dans  Mendelssohn,  surtout 
dans  sa  musique  vocale. 

Quand  Mendelssohn  ramène  un  motif  déjà  entendu,  il  l'ajuste  sur 
une  harmonie  différant  absolument  de  celle  sur  laquelle  il  l'a  pré- 
senté tout  d'abord.  Quelquefois  même,  il  diffère  un  peu  le  retour  de 
la  formule  d'accompagnement  qui  la  rythmait,  et  qu'on  se  serait 
attendu  à  voir  revenir  en  même  temps. 

Sans  doute  tous  les  maîtres  varient  l'harmonie  en  de  telles  occa- 
sions, mais  ce  n'est  point  de  même  manière.  Cliez  la  plupart,  l'har- 
monie de  la  reprise  a  une  évidente  parenté  avec  celle  de  la  première 
apparition  du  thème.  Si,  par  exemple,  c'est  sur  l'accord  parfait  de 
Ionique  qu'est  entré  le  thème,  c'est  sur  d'autres  accords  appuyés  sur 
la  pédale  de  Ionique  et  énoncés  par  le  même  dessin  d'accompagne- 
ment qu'il  rentrera;  —  de  toutes  façons,  l'oreille  perçoit  de  suite 
le  retour  du  motif. 

Chez  Mendelssohn  au  coniraire,  l'oreille,  déroutée  par  une  harmonie 
qui  modifie  complètement  le  sens  du  chant,  ne  constate  le  retour  de 
ce  chant  que  peu  après,  alors  que  le  contour  mélodique  s'est  complètement 
dessiné  pour  dominer  le  coloris  harmonique,  et  elle  en  éprouve  une 
sensation  de  plaisir  très  particulière. 

On  ne  trouverait,  je  crois,  des  effets  analogues  que  dans  Beethoven 
et  Chopin.  Encore  Chopin,  après  Beethoven,  se  plaît-il  à  répéter 
plusieurs  fois  de  suite  le  môme  fragment  de  phrase,  eu  le  faisant 
passer  par  le  prisme  de  couleurs  harmoniques  très  changeantes  qui 
en  modifient  l'aspect  et  le  sens  expressif,  tandis  que  c'est  après  un 
long  intervalle  occupé  par  des  développements  au  cours  desquels  on 
a  perdu  de  vue  le  motif  initial  que  Mendelssohn  glisse,  en  quelque 
sorte  à  la  dérobée,  la  rentrée  de  ce  motif,  en  le  confondant  avec  ce 
qui  a  précédé.  —  C'est  absolument  charmant. 


Viens,Sei<fneuretm'éclai    .      -    ''relDieuse  don  -  ne  aucœur,  aucœursin- 


Ce  fut  un  pauvre  musicien  que  Mermel.  Son  Roland  à  Roncevaux 
n'avait  rien  de  ce  qui  constitue  l'œuvre  d'art.  On  y  sent  bien  par 
instants  une  sincérité  de  conviction  et  une  aspiration  à  quelque  chose 


LE  MÉNESTREL 


357 


d'héroïque  qui  gagneraient  notre  sympathie,  si  elles  n'aboutissaieut 
à  des  formules  vaines,  à  des  sonorités  d'orphéons,  à  un  bruit  stérile. 
Ce  Roland  est  un  Sigurd  de  régiment.  Son  verbe  ne  s'élève  pas  au- 
dessus  de  l'accent  bourgeoisement  chevaleresque  de  Vallegm  militaire 
joué  par  la  fanfare  de  la  garnison. 

Et  cependant,  cette  pcrsonnalitc  de  Mermet  mérite  mieux  que  le 
dédaigneux  oubli  dans  lequel  elle  est  tombée! 

Car,  à  une  époque  où  personne  en  France  ne  savait  exactement 
ce  qu'était  Wagner,  et  oîi  Wagner  n'avait  point  encore  confu  cette 
téli'alofjie  qui  e.-t  pour  l'Allemagne  un  monument  élevé  aux  origines 
nationales,  destiné  à  en  graver  et  en  perpétuer  le  souvenir  dans 
l'imagination  et  le  cœur  de  tout  un  peuple,  Mermet  avait  eu  cette 
splendide  vision  d'une  suite  d'œuvres  maguiliart  les  grands  épisodes 
de  l'Épopée  française!  — Boland!  Jeanne  d'Arc!  —  Quels  musiciens 
n'ont  pas  rêvé  de  faire  icvivre  par  leur  art,  comme  par  la  statuaire 
Fremiet,  Dubois  et  Mercié,  —  ces  nobles  et  légendaires  figures  ! 

Mermet  fut  trop  débile  pour  réaliser  une  telle  conception.  Mais  ce 
fut  déjà  un  honneur  de  l'avoir  eue,  et  il  faut  en  savoir  respectueuse- 
ment gré  à  sa  mémoire  ! 


Assisté,  à  la  Société  Nationale  do  Musique,  à  un  concert  de  Jeunes. 

Ce  qui  me  frappe  le  plus,  c'est  que  presque  tous  sentent,  conçoivent 
et  éciivont  de  même.  N'élaieut  les  noms  inscrits  au  programme,  on 
croirait  souvent  entendre  des  œuvres  diverses  d'un  seul  auteur. 

On  ne  m'ôtera  pas  de  l'esprit  que.  si  les  artisles  vivaient  disséminés 
sur  des  points  différents  du  tenitoire,  il  se  formerait  des  groupes 
ayant  chacun  ses  aspirations,  son  esthétique  et,  parlant,  ses  procédés, 
le  Gascon  ou  le  Piovengal  s'exprimant  autrement  que  le  Breton,  le 
Bourguignon  ou  le  Champenois,  pour  le  plus  grand  épanouissement 
de  l'art  français,  auquel  les  rattacheraient  des  liens  communs. 

X   Si 

Il  est  possible  quo  dans  un  certain  nombre  d'années,  le  souvenir 
de  l'orchestre  visible  de  nos  jours  dans  les  salles  d'opéra,  avec  tout 
son  attirail  et  tous  ses  mouvements,  fasse  aux  générations  suivantes 
l'effet  que  nous  produisent  les  estampes  et  les  récits  nous  représen- 
tant la  scène  de  LuUi,  de  Corneille,  de  Racine,  de  Molière,  de 
Rameau  encombrée  sur  ses  deux  côtés  de  gentilshommes  assis  tout 
auprès  des  acteurs. 

(A  suivre.)  .A..  Mo.\tau.v. 


UN  THÉÂTRE  LYRIQUE  POPULAIRE 


Est-ce  pour  de  bon,  cette  fois?  Et  la  campagne  entreprise  ici-même 
par  notre  distingué  collaborateur  M.  Louis  Ciallet,  en  faveur  de  la 
création  d'un  nouveau  Théâtre  Lyrique,  serait-elle  sur  le  point  d'abou- 
tir à  un  heureux  résultat  ? 

Toujours  est-il  que  le  conseil  municipal  entre  dans  la  voie  de  l'ac- 
tion, et  que  cette  semaine  même,  il  a  été  distribué  aux  conseillers 
un  rapport  de  leur  collègue  M.  Deville,  sur  cette  intéressante  ques- 
tion. M.  Louis  fralletn'est  malheureusement  pas  à  Paris  pour  nous 
donner  sou  avis  sur  ce  rapport.  Pendant  que  ses  efforts  semblent 
devoir  être  ici  couronnés  de  succès,  il  est  à  Carlsruhe,  oîi  il  surveille 
avec  les  frères  compositeurs  Hillemacher  les  dernières  répétitions 
d'un  opéra  fait  en  collaboration,  le  Drac.  Nous  ne  voulonspas  attendre 
son  retour  pour  donner  au  moins  des  fragments  du  rapport  Je 
M.  Deville  sur  une  question  si  brûlante  et  qui  nous  tient  tant  au 
cœur. 

D'abord,  les  considérants: 

Les  soussignés. 

Considérant  que  les  allocations  importantes  du  budget  de  l'Etat,  sous 
le  nom  de  subventions  aux  théâtres  nationaux,  profitent  aux  directeurs  des 
théâtres  et,  indirectement,  à  un  public  presque  exclusivement  bourgeois  : 

Considérant  que  toutes  les  villes  importantes  do  France  ont  des  théâtres 
municipaux  auxquels  elles  accordent  des  subventions  qui  ont  pour  contre- 
partie un  droit  do  contrôle,  au  moins,  sur  le  choix  des  directeurs,  des 
artistes  et  du  personnel,  sur  la  composition  du  spectacle  et  sur  le  prix  des 
places  ; 

Considérant  qu'il  appartient  ;i  la  ville  de  Paris  de  se  mettre,  tant  au 
point  de  vue  artistique  qu'au  point  de  vue  social,  au  niveau  et  même  ;'i  la 
tiHe  des  grandes  villes  de  province;  qu'il  lui  convient,  en  outre,  de  no  pas 
laisser  exclusivement  :i  l'État  le  patronage  artistique  qu'il  exerce  en  dehors 
de  toute  préoccupation  démocratique  et  mùme  patriotique; 

(Considérant  qu'il  a  été  fait  jusqu'ici  d'assez  nombreuses  propositions  ou 
tentatives  de  création  d'un  théâtre  populaire  qui  n'ont  point  abouti  ii  un 


résultat  satisfaisant  faute  d'une  étude  approfondie  et  d'un  concours  direct 
du  conseil  municipal; 

Considérant  que  l'abandon  prochain  par  l'État  de  l'immeuble  municipal 
occupé  par  l't.lpéra-tlomique  permet,  s'il  n'impose  morne,  l'étude  imaiédiate 
de  l'organisation  et  des  aménagements  d'un  théâtre  municipal  populaire; 

Considérant  que  le  théâtre  municipal  à  créer,  précisément  parce  qu'il 
fera  populaire,  devra  unir  tous  les  éléments  les  plus  perfectionnés  de  sécu- 
rité et  de  confortable  au  soin  le  plus  extrême  dans  la  composition  des  troupes 
et  des  spectacles;  qu'il  conviendra  de  rechercher  les  moyens  de  favoriser 
les  auteurs,  compositeurs  et  artistes  parisiens  ou  au  moins  français; 

Considérant,  dans  ces  conditions,  qu'il  y  aura  lieu  pour  le  conseil  muni- 
cipal d'allouer  une  subvention  dont  il  pourra  d'ailleurs,  au  moins  après  la 
période  d'essai,  se  récupérer  par  un  prélèvement  sur  les  recettes  ; 

Proposent  au  conseil  de  charger  ses  2=  et  i"  commissions  d'étudier,  en 
s'aidant  de  tous  renseignements  et  tous  concours,  la  création  d'un  théâtre 
populaire,  son  installation  dans  l'immeuble  communal  de  l'Opéra-Comique, 
les  questions  de  sécurité,  de  subvention,  d'organisation  et  toutes  autres, 
pour  en  faire  rapport  dans  le  plus  bref  délai. 

Signe  :  Deville,  Paul  Escudier,  ITervieu,  Despatys,  Alexis 
Muzet.  Quentin-Bauchart,  Caplain,  Fournière, 
Crébauval,  Levraud,  Cay,  Ilattat,  Bassinet, 
Louis  Lucipia,  Attout-Tailfer,  Vorbe,Gaumeau. 

M.  Deville  développe  ensuite  le  projetdans  ses  détails,  et  il  remonte 
jusqu'aux  temps  héroïques,  passe  ensuite  par  la  Grèce  et  Rome, 
puis  s'en  prend  au  moyen  âge  et  à  la  Renaissance  pour  nous  démon- 
trer que  «  l'art  est  la  plus  noble  partie  du  patrimoine  de  l'humanité, 
celle  qui  distingue  le  plus  l'homme  des  animaux  ».  C'est  entendu, 
et  cous  ne  suivons  pas  M.  Deville  jusque-là.  La  course  serait  trop 
longue. 

M.  Deville  est  d'un  intérêt  plus  direct  et  plus  palpitant  quand  il 
analyse  les  divers  projets  mis  en  avant  par  les  candidats  à  la  direc- 
tion du  théâtre  lyrique  municipal.  Nous  voyons  défiler  tour  à  tour, 
devant  la  barjc  du  conseil,  ces  divers  personnages  qni  exposent  leur 
manière  de  voir  et  leurs  intentions. 

C'est  d'abord  MM.  Floury  fils,  détenteurs  actuels  du  théâtre  da 
Châlelel,  qui  demandent  «  que  la  concession  de  ce  théâtre  leur  soit 
renouvelée  directement,  et  offrent  de  s'engager  à  jouer  alteruative- 
ment  le  grand  opéra,  l'opéra-comique  et  le  drame  historique.  Ils 
continueraient  à  payer  le  loyer  actuel  et  ne  demandent  rien  à  la 
Ville  ». 

C'est  ensuite  M.  Debruyère,  directeur  de  la  Galté,  qui  arrive  avec 
un  piogramme  compliqué  et  des  appétits  formidables.  Il  garderait 
la  Gaité,  oii  il  continuerait  de  jouer  l'opérette  à  grand  spectacle 
prendrait  le  Châtelet  pour  y  représenter  le  drame  historique  ou 
populaire  et  la  féerie,  et  enfin  étendrait  la  main  sur  le  théâtre  actuel 
de  l'Opéra-Comique,  où  règne  M.  Carvalho,  pour  y  exploiter  le  genre 
lyrique.  Il  tiendrait  ainsi  les  trois  théâtres  municipaux  sous  sa 
main  puissante.  C'est  le  Gargantua  de  la  direction  ! 

Viennent  ensuite  les  projets  de  M.  Louis  Morlet,  un  sage,  de 
M.  Georges  Rosenlecker,  de  M.  Chape,  de  M.  Raoul  Gunsbourg,  tou- 
jours abracadabrant,  etc.,  etc.  Mais  nous  ne  voyons  pas  queM.  Deville 
parle  d'un  candidat,  qui  reste  dans  la  coulisse  et  qui  a  cependant 
les  plus  grandes  chances  de  décrocher  la  timbale,  étant  donné  sa 
position  acquise  et  ses  aptitudes  éprouvées.  Nous  ne  sommes  pas 
autorisé  à  le  désigner  plus  clairement. 

M.  Deville  dit  ensuite  excellemment  : 

L'étude  des  précédents  municipaux,  et  surtout  de  l'essai  de  théâtre 
lyrique  au  Ghàteau-d'Eau,  nous  a  donné  la  conviction  très  forte  que,  si 
la  Ville  de  Paris  veut  faire  quelque  chose,  il  faut  qu'elle  le  fasse  elle-même 
et  complotemcnt,  c'est-à-dire  en  prenant  toutes  les  garanties  et  toute  la 
responsabilité.  La  crainte  d'échouer  fait  faire  les  choses  à  demi.  C'est 
ainsi  qu'on  n'a  jamais  voulu  faire  le  théâtre  lyrique  municipal.  On  cher- 
chait des  prête-noms  à  la  Ville,  des  gens  disposés  à  se  substituera  elle 
pour  qu'elle  ne  risquât  pas  directement  la  faillite  morale. 

Il  ne  faut  pas  recommencer,  c'est-à-dire  déléguer  à  une  personnalité 
quelconque,  si  sérieuse  qu'elle  soit,  le  soin  de  faire  ce  que  nous  croyons 
que  la  Ville  a  le  devoir  de  faire. 

Si  l'on  veut  faire  le  théâtre  lyrique  municipal,  il  faut  que  le  conseil 
municipal  en  décide  lui-même  toute  l'organisation,  en  règle  le  fonction- 
nement, arrête  le  cahier  des  charges,  non  d'une  concession  ou  d'une 
subvention,  mais  d'une  régie  intéressée  comme  pour  les  théâtres  natio- 
naux, choisisse  le  directeur  qui  acceptera  le  cahier  des  charges  et  offrira 
des  garanties  de  bonne  administration,  puis  exerce  sur  ce  directeur  tous 
les  droits  de  contrôle,  de  surveillance  et  de  véritable  administration  qu'il 
se  sera  formellement  réservés. 

Si  on  fait  autrement  et  qu'on  réussisse,  nous  en  serons  heureux,  mais 
nous  en  doutons. 

El  le  rapporteur  conclut  en   priant  ses  collègues    de  prendre  une 


358 


LE  MENESTREL 


résolution  prompte  et  décisive,  et  en  déposant  le  projet  de  délibéra- 
lion  qui  suit  : 

Article  premier.  —  Une  commission  spéciale  sera  nommée  pour  étu- 
dier les  voies  et  moyens  de  réalisation  du  théâtre  lyrique  municipal, 
examiner  les  propositions  de  création  d'un  théâtre  de  drame  populaire 
et  toutes  autres  se  rattachant  à  ces  deux  idées,  entendre  leurs  auteurs  et 
toutes  personnes  qui  le  demanderont. 

Art.  -2.  —  Cette  commission  sera  de  huit  membres  désignés,  quatre 
par  la  '2"   commission  et  quatre  par  la  i'  commission. 

Art.  3.  —  Les  huit  membres  du  conseil  désignés  s'adjoindront,  d'ac- 
cord avec  M.  le  préfet  de  la  Seine  et  dos  leur  nomination  : 

Le  directeur  des  alVaires  municipales  ; 

L'inspecteur  général  des  services  d'architecture  ; 

Le  chef  du  bureau  des  spectacles  à  la  préfecture  de  police  ; 

Trois  compositeurs  de  musique  ayant  eu  des  opéras  ou  des  opéras- 
comiques  représentés  à  Paris  ; 

Un  ancien  directeur  de  théâtre  de  musique  à  Paris; 

Un  chef  d'orchestre  ou  ancien  chef  d'orchestre  de  Paris; 

Deux  artistes  de  chant  des  théâtres  de  Paris  ; 

Deux  auteurs  dramatiques  ayant  été  joués  à  Paris; 

Un  acteur  de  drame  ; 

Trois  publicistes  ou  critiques  d'art  musical  ou  dramatique, 
sans  que  ces  indications  soient  d'ailleurs  aucunement  limitatives  pour  les 
membres  de  la  commission,  qui   pourront  recourir  à  tous  autres  concours 
s'ils  le  jugent  utile. 

Art.  4.  —  Toutes  les  propositions  relatives  soit  aux  deux  questions  du 
théâtre  lyrique  et  du  théâtre  de  drame  populaire,  çoit  à  l'affectation  des 
deux  théâtres  municipaux  de  la  place  du  Ghàtelet,  sont  et  seront  ren- 
voyées à  la  commission  ainsi  constituée. 

Art.  -5.  —  Un  rapport  devra  être  présenté  au  conseil  avant  la  fin  de 
l'année  courante,  pour  que  les  décisions  budgétaires  puissent  être  prises 
s'il  y  a  lieu. 

Vogue  donc  la  galère  et  que  nos  conseillers  se  hâtent!  Il  y  a  là 
toute  une  nuée  de  compositeurs  afTamés,  jeunes  et  pleins  d'ardeur, 
qui  attendent  leur  bon  vouloir,  qui  désirent  faire  leurs  preuves  et  qui 
les  feront  bonnes,  nous  en  sommes  certain.  Ce  n'est  pas  le  talent 
qui  manque  à  nos  musiciens,  c'est  le  moyen  de  l'aiHrmer.  Situation 
lamentable,  qu'il  serait  tout  à  l'honneur  de  nos  édiles  de  faire  cesser 
au  plus  vite.  Ce  jour-là,  nous  leur  promettons  une  belle  fanfare  sous 
les  balcons  de  l'Hôtel  de  'Ville. 

H.  M. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Concerts  Lamoureux.  —  Après  une  magistrale  exécutiQn  de  la  belle 
ouverture  de  Lalo,  le  Roi  d'Ys,  M.  Lamoureux  nous  a  donné  une  nouvelle 
audition  de  la  symphonie  en  ré  mineur  de  César  Franck  :  on  avait  distribué 
une  notice,  de  César  Franck  lui-même,  donnant  l'analyse  de  son  oeuvre.  Je 
ne  sais  à  quoi  peuvent  servir  ces  explications  techniques:  ceux  qui  ne  sont 
pas  musiciens  ne  les  comprennent  pas,  ceux  qui  sont  musiciens  n'en  ont  pas 
besoin.  L'œuvre  de  César  Franck  est  trop  contestée  par  les  uns,  trop  admirée 
par  les  autres  :  on  sent  en  tout  cela  le  parti  pris.  Je  ne  juge  cette  symphonie 
que  par  mon  impression  personnelle,  et  mon  impression  lui_est  toute  favo- 
rable. Certes,  il  y  a  bien  à  redire:  on  pourrait  signaler  des  longueurs  exces- 
sives, des  procédés  de  développement  trop  uniformes,  l'abus  d'un  motif 
unique,  ce  qui  engendre  de  la  monotonie  et  cause  un  certain  agacement.  Mais 
la  trame  est  exceUeute,  la  sonorité  très  belle,  le  style  distingué,  la  mélodie 
pénétrante.  L'œuvre  n'a  pas  de  grands  élans,  eUe  ne  transporte  pas,  mais  elle 
plait  par  son  ingéniosité.  C'est  une  belle  conception.  Puissent  les  disciples 
de  César  Franck  concevoir  et  produire  des  œuvres  de  ce  mérite  !  —  Une 
pièce  d'iirriiestre  charmante,  c'est  l'Esquisse  sur  les  steppes  de  l'Asie  centrale  du 
compositeur  russe  Borodine.  Cela  jxiurrait  être  aussi  bien  les  landes  de  Bre- 
tagne, les  vallées  de  la  Suisse,  les  oasis  d'Afrique,  etc..  L'auditeur,  après 
tout,  entend  ce  qu'il  veut  bien  entendre.  Mais  c'est  poétique,  d'une  sentimeu- 
taUté  intense,  d'une  poésie  vraie.  C'est  beau  parce  que  c'est  simple.  Nous  n'en 
dirons  pas  autant  du  Capriccio  espagnol  de  Rimsky-Korsakoff.  Ce  n'est  pas 
poétique,  ce  n'est  pas  sentimental,  ce  n'est  pas  simple;  c'est  prétentieux  et 
c'est  vulgaire.  Donnez-nous  du  russe,  à  condition  que  cela  soit  beau.  —  Je 
n'aurais  garde  d'oublier  M"»»  Alba  Chrétien,  qui  a  un  organe  superbe,  une 
justesse  irréprochable,  et  qui  a  dit  d'une  façon  supérieure  l'air  d'Obéron,  de 
Weber,  si  difficile  et  si  beau.  Il  est  d'usage,  aux  Concerts  Lamoureux,  que 
les  cantatrices  périssent  de  la  mort  d'Iseult,  à  l'avant-dernier  morceau  du 
concert.  M™  Chrétien  a  subi  le  sort  commun.  Nous  l'avons  applaudie  comme 
elle  le  méritait,  sachant  à  l'avance  que  cette  mort  n'était  qu'apparente  et  que 
nous  l'entendrions  à  nouveau  dans  des  circonstances  moins  douloureuses. 

H.  Babbedeite. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Châtelet.  Concert  Colonne.  —  Grand  festival  de  musir|ue  russe,  dirigé  par  M.  AVino- 
gi'adsky.  Ouverture  du  Prince  Kholmsky (GMnka);  Symphonie  pathélvjue  {Tschaïkovvsky) ; 


Rognèda  (Serowi;  Cosatschok  (Diirguuiisky);  Dans  les  steppes  de  l'Asie  (Borodine);  Danse 
des  Bayadï'res  (Rubinstein);  Snégonrotschka  (Rimsky-Korsakow)  chantée  par  M""  Auguez 
di'  MoiUidanl  ;  Berceuse,  (César  Cui)  ;  Boris  Godounow  (Moussorgskj). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux:  Symphonie  héroïque  (Beetlioven)  ; 
Air  d'Oùeron  (Weber).  chanté  i)ar  M""=  .41ba  Cin-éti en  ; /«  Forêt  enchantée  iV.  d'Indy); 
Tristan  et  Iseutl  (Wagner];  Prélude,  Jlorl  d'Iseull,  Iseult  [lar  M""  Alba  Chrétien  ; 
Huldigunc/s~Marsch  (Wagner). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


A  l'Opéra  impérial  de  Vienne  la  première  danseuse,  M"=  Stéphane  Vergé, 
a  donné  une  soirée  d'adieu  et  a  reçu  à.  celte  occasion,  de  la  part  des  abon- 
nés, des  habitués  et  de  ses  camarades,  les  marques  les  plus  vives  de  sympa- 
thie. Sa  loge  avait  été  transformée  en  une  véritable  serre,  et  après  le  pas  de 
deux  du  charmant  ballet  Olga,  de  MM.  Eugène  Brùll  et  Joseph  Bayer,  elle  a 
reçu  une  couronne  superbe  en  argent.  Les  habitués  regrettent  beaucoup  le 
départ  de  cette  brillante  artiste,  départ  qu'il  faut  attribuer,  parait-il,  à  des 
considérations  budgétaires. 

—  L'opéra  hongrois  en  trois  actes  de  M.  Jenij  Hubay  intitulé  le  Rôdeur  du 
village,  vient  d'être  joué  avec  beaucoup  de  succès  au  théàlre  Au  der  Wien  de 
Vienne,  avec  une  bonne  version  allemande  de  L.  de  Neugebauer.  Une  espèce 
d'intermezzo  pour  orchestre,  que  le  compositeur  a  intitulé  Dans  les  steppes  de 
Hongrie  a  été  vivement  applaudi;  M.  Hubay  y  a  magistralement  Iraité 
l'orchestre. 

—  La  Société  des  concerts  philharmoniques  de  Vienne  a  pulili('  le  pro- 
gramme des  huit  concerts  annuels  qu'elle  offre  à  ses  abonnés,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Plans  Ricbter.  Cilons  parmi  les  œuvres  choisies  :  l'ouverture  des 
Francs-Juges,  de  Berlioz,  qu'on  joue  assez  rarement  ;  l'ouverture  du  Prince 
Igor,  de  Borodine,  inconnue  à  Vienne  :  l'ouverlure  île  Lodoiska,  de  Cherubini  : 
trois  nouvelles  œuvres  symphoniques  de  Dvorak  (l'Homme  de  l'eau,  la  Sorcière 
de  midi  et  le  Rouet  d'or);  la  suite  n°  3  (op.  53)  de  Trhaïkowsky  ;  le  Tasse,  de 
Liszt:  et  une  symphonie  de  Richard  Strauss  qui  porto  ce  titre  bizarre,  em- 
prunlé  au  philosophe  Frédéric  Nietzsche,  Ainsi  parla  Zarathoustra.  Si  cette 
dernière  composition  est  aussi  originale  que  son  titre,  nous  n'aurons  qu'à 
féliciter  le  jeune  compositeur.  La  symphonie  n°  7,  en  mi  majeur,  deBruckner, 
qui  a  répandu  sa  gloire  en  Allemagne,  ne  manque  pas  au  programme  :  c'est 
un  hommage  dii  au  maître  défunt. 

—  Le  prince-régent  de  Bavière  avait  ouvert,  en  J894,  un  concours  pour  la 
composition  d'un  opéra  allemand  inédit,  et  désigné  une  commission  pour 
juger  les  œuvres  présentées  à  ce  concours  entre  compositeurs  allemands  et 
autrichiens.  La  commission  qui  siégeait  à  Munich  vient  de  rendre  son  juge- 
ment; elle  n'a  adjugé  de  prix  à  aucun  compositeur,  mais  elle  a  partagé  la 
récompense  entre  trois  concurrents,  tous  trois  absolument  inconnus  jusqu'à 
présent.  Ce  sont  IVIM.  Thuille  à  Munich,  Koennemann  à  Ostrau,  en  IMoravie 
(Autriche),  et  Zemlinski,  à  Vienne,  qui  recevront  chacun  un  tiers  du  prix.  Les 
titres  de  leurs  opéras  n'ont  pas  encore  été  publiés,  et  on  ignore  si  le  prince- 
régent  les  fera  jouer  au  théâtre  de  la  cour  de  Munich. 

—  La  Liederkranz,  l'orphéon  allemand  de  New-York,  va  fêler  en  1897 
son  cinquantenaire  par  une  tournée  artistique  en  Allemagne  et  en  Autriche. 
Le  produit  de  tous  ses  conceris  sera  consacré  aux  pauvres  des  villes  où  l'or- 
phéon se  fera  entendre. 

—  M"'  Adini  a  chanté  au  théâtre  de  Leipzig  Tristan  et  Yseult  eu  présence 
de  M.  Siegfried  Wagner,  le  fils  du  maître. 

—  DeCarlsruhe:  «  La  répétition  générale  du  Drac,  de  MM.  Louis  Gallet 
ctHillemacher,  a  eu  lieu  hier  et  a  été  excellente.  Mais  la  première  est 
renvoyée  à  huitaine  par  suite  de  la  grave  maladie  d'un  enfant  de  M.  et 
jjmo  Mottl,  l'un  chef  d'orchestre  bien  connu  du  théâtre  Grand-Ducal,  l'autre 
principale  interprète  du  Drac.  » 

—  Encore  un  succédané  allemand  de  Cavalleriarusticana  !  On  vient  de  jouer 
à  Augsbourg  un  opéra  inédit  en  un  acte  intitulé  Winapoh,  musique  de  M.  Lion, 
qui  ressemble,  si  on  peut  en  croire  les  l'euiUes  allemaudes,  étonnamment  à 
l'œuvre  de  Mascagni. 

—  Il  parait  qu'on  vient  de  représenter  pour  la  première  l'ois  à  Stuttgard, 
avec  un  très  grand  succès,  le  Malade  imaginaire.  En  constatant  ce  succès,  un 
de  nos  confrères  belges  prétend  que  le  public  a  failli  demander  l'auteur.  Cette 
assertion  ironique  nous  semble  déplacée.  Nul  n'ignore  que  les  Allemands, 
qui  savent  tout,  connaissent  nos  grands  hommes  mieux  que  nouSTinémes, 
puisqu'un  jour,  en  rendant  compte  des  funérailles  du  maréchal  de  IMac-Mahon, 
un  de  leurs  journaux  a  signalé,  en  tête  du  cortège,  la  présence  do  o  Monsieur 
Corbillard,  »  personnage  indispensable  et  fort  important. 

—  Au  théâtre  royal  de  Munich  on  vient  de  reprendre,  cette  fuis  avec  un 
réel  succès,  la  Gwendoline  de  Chabrier,  qui,  lors  de  sa  première  apparition,  il 
y  a  quelques  années,  avait  été  accueillie  avec  une  certaine  réserve. 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Pétersbourg  :  Notre  Opéra  impérial  russe  a  rou- 
verl.  ses  portes  avec  Eugène  Oneguine,  l'opéra  de  Tchaïkovsky,  et  le  répertoire 
prend  un  caractère  national  nettement  a<:cusé.  Sui-  le  programme  figurent  le 
Prince  Igor  de  Borodine,   Rousslan    et    Ludmilla  de  dlinka,  la  Roussallta  de 


i 


LE  MENESTREL 


359 


Dargomisky,  Rogneda.  de  Serof,  Oresteïa  do  Taneycï,  le  Démon  de  Rubinsleiu, 
la  Vie  pour  le  Tsar  do  Glinka  el,  l'un  des  opéras  de  la  jeunesse  de  Tchaïkowsky, 
l'Ofiritchnik.  L'ancien  tliéàtre  de  l'Opéra  ilalien,  qui  a  eu  ses  beaux  juurs  aux 
temps  de  la  Palli,  a  été  entièrement  reconstruit  el  s'appelle  acluellemeul 
Théâtre  impérial  du  Conservatoire.  H  sera  consacré  aux  œuvres  françaises  el 
ilaliennp.s.  cl  une  troupe  lirillante,  placée  sous  la  direction  artistique  de 
M.  Anionii.  l^licMi  ri  dniil  rmil  partie  M^'^Sigrid  Arnoldson, Marcella  Seni- 
brich,  Mariuivri',  Heure  \'idal  et  MM.  Tamagno,  de  Lucia  et  Battistiui,  y 
chantera  Miijnon,  Lakmé,  Carmen^  Faust  et  Roméo  et  Juliette.  M">=  Arnoldson 
s'est  aussi  engagée  à  y  chanter,  pour  la  première  fois,  le  rôle  d'Eisa  de  Lo- 
hengrin,  en  français  ou  en  italien.  Ou  ne  chante  pas  en  langue  allemande 
à  ce  théâtre. 

—  La  ville  de  Naples  est  dans  la  joie!  Le  grand  théâtre  de  San  Carlo, 
doni  la  ili'-iiiKM.  est  depuis  longtemps  si  tourmentée,  verra  ses  portes  s'ou- 
vrii'  l'uliii  |M'nd;int  la  prochaine  saison  de  carnaval  et  carême,  sous  la  ciirec- 
tian  dr  rimprcsario  Musella.  On  ne  connaît  pas  encore  la  composition  de  la 
nouvelle  troupe,  mais  on  cite,  parmi  les  ouvrages  qui  seront  représentés, 
outre  un  opéra  inédit  de  M.  Alberto  Franchctti,  Pourceaugnac,  le  Crisloforo 
Colombo  du  même  arlisle,  Fatsla/f  de  V  rdi,  Manon  Lescaut  de  Puccini,  et 
Andréa  Chénier,  l'opéra  du  jeune  maestro  Umberto  Giordano  dont  le  succès 
est  si  grand  par  louie  l'Ita  lie. 

—  Les  théâtres  de  Rome  paraissent  s'être  heureusement  ressentis  des  fêtes 
du  mariage  du  jeune  couple  royal.  Il  y  en  a  treize  d'ouverts  en  ce  moment, 
ce  oui  ne  s'était  pas  vu  depuis  hmgtemps.  Ces  treize  théâtres  sont  l'Argen- 
tina  et  le  Dramatique-National,  chacun  avec  une  troupe  d'opéra:  le  Quirino 
et  1b  Métasiase,  avec  opérelle:  leCostanzi,  avec  zarzuela  cspagnole:le  Valle, 
le  Manzoui,  le  Politeama.  l'Esquilino  et  le  Nazionale,  avec  compagnies  dra- 
matiques; l'Alhambra  et  l'Amor,  avec  compagnies  de  dialecte  romanesque , 
et  enfin  le  Cirque  rnyol,  avec  Iruupe  équestre. 

—  Le  théâtre  PliilodramaMipui  de  Milan  a- donné  la  première  représenta- 
tion d'un  petit  opéTi  i  m  il  nié'  Dnpo  l'Ace  Marie,  dont  la  musique  est  due  à  un 
jeune  composileni'  i|ui  p(Mé'  uu  nom  célèbre,  M.  Alfredo  Donizetti.  Cet 
ouvrage,  l'un  de  reu\  qui  av.urul  vU)  primi'S  au  récent  concours  Steiuer,  n'a 
pu  sauviT  le  Ihi'àlri'  ilc  la  siliialion  difficile  dans  laquelle  il  se  trouvait  :  deux 
joui'^  a|ii'i'-  siiii  apiiai  iiioii.  rrlui-ci  fermait  ses  portes. 

—  La  Sucié'ti'  philharmonieo-dramatique  de  Trieste  s'est  donné  le  luxe  , 
le  23  octobre,  d'un  (qiéra  inédit  de  l'excellent  chef  d'orchestre  (xialdino  Gial- 
dini,  écrit  expressément  pour  elle  par  le  compositeur  sur  un  livret  du  vieux 
poète  vénilien  Carlo  tloldoni.  C'est  un  opéra  bouffe  en  deux  actes  intitulé  la 
Pupilla,  dont  le  sujet  n'est  antre  que  celui  duBarbier  de  Séville  de  notre  Beau- 
marchais, et  qui  se  déroule  entre  trois  personnages.  Quatre  jours  après,  le  27. 
l'ouvrage  était  représenlé  sur  le  Ihéàlre  de  la  Fenii;e  avec  les  mêmes  inter- 
prètes, M'""  Storchio,  le  ténor  Quiroli  et  le  baryton  Brambara,  el  obtenait  un 
succès  complet.  On  dit  le  plus  grand  bien  de  la  musique  de  M.  Gialdiui,  à 
laquelle  on  reproche  seulement,  pour  un  thème  aussi  léger,  un  certain  excès 
d'instrumentation.  Le  compositeur,  qui  dirigeait  l'orchestre,  a  été  de  la  part 
du  public  l'objet  des  manifestations  les  plus  flatteuses. 

—  De  Bruxelles  on  annonce  que  des  négociations  qui  avaient  été  entamées 
par  les  directeurs  de  la  Monnaie  avec  M.  Angelo  Neumann,  pour  une  série  de 
représenlalions  wagnériennes  à  donner  sur  ce  théâtre,  n'ont  pas  abouti. 

—  Dans  un  très  beau  concert  donné  dernièrement  à  Bruxelles  par  le 
musique  du  l*^^"  régiment  des  guides,  qui  a  exécut(''  une  ouverture  de  Balte, 
des  Danses  hongroises  de  Brahms  et  deux  fantaisies  sur  ia/cmé  et  la  Navarraise, 
s'est  produite  une  manifestation  musicale  assez  originale.  «  Le  clou  de  ce 
beau  concert,  dit  notre  confrère  l'Éclio  musical,  a  été  l'audition  du  Concerto 
de  clarinette  de  Demersseman  arrangé  pour  dix  clarinettes.  MM.  Thiéry, 
Vanden  Abeele,  Otten,  Sohy,  Frédéricq,  Schenis,  Pauwels,  Brodkom,  Mar- 
tin et  Maes,  lauréats  du  Conservatoire  royal  de  musique  de  Bruxelles,  ont 
exécuté  cette  difUcile  composition  avec  un  ensemble,  une  correction  et  un 
nuancé  extraordinaires.  M.  Poncelét,  l'habile  prol'esseiu',  qui  a  formé  cet 
ensemble,  a  atteint  là  un  résultat  superbe  :  les  chauds  applaudissements  qui 
l'ont  salué,  au  moment  de  Tuvation  qui  lui  a  été  faite  ainsi  qu'à  ses  élèves, 
étaient  on  ne  peut  plus  mérités.  » 

—  Ils  vont  bien  à  Verviers,  et  les  spectateurs  auraient  tort  de  se  plaindre 
qu'ils  n'en  ont  pas  pour  leur  argent  !  Pour  la  reprise  de  la  saison,  le  théâtre 
a  donné  un  spectacle  qui  comprenait  le  Maître  de  chapelle,  Mireille  et  le  Bossu. 
On  ne  dit  pas  s'il  y  avait  des  intermèdes. 

—  Les  journaux  américains  nous  apprennent  qu'une  chanteuse  d'opérette, 
M""'  Lilion  Russell.  moins  célèbre  là-bas  pour  son  talent  que  pour  ses  singn  - 
lièrcs  aveultiiY's  m  itrimouiales,  vient  de  se  fiancer  avec  un  acteur,  M.  'VValter 
Jones,  qui  sera  slui  sû-ième  époux.  D'aucuns  prétendent  queM'°'=Lilian  Russell 
est  une  Jeanne  d'Arc  —  pour  le  courage.  Et  son  mari,  donc! 

—  Un  de  nos  confrères  américain»,  i/ie  jlrttsi's  Journal,  nous  apprend  ([u'un 
entrepreneur  s'occupe  là-bas  de  réunir  d  'ux  grands  orchestres  dont  il  doit 
confier  la  direction  à  M.\I.  Mascagni  et  L»'Oucavallo.  Il  compte  faire  avec 
chacun  d'eux  une  grande  tournée  de  concerts  dans  les  principales  villes  des 
États-Unis,  concerts  dans  lesquels  les  deux  rnmposileiirs,  à  la  lêle  de  leur 
orchestre,  feront  surtout  cojiuailr«  leurs  iiMivresau  pnliiic  aiiM'rii-aMi 

—  Le  Diario  de  Noticias,  de  I^isbonne,  aunnonee  que  M.  de  Freitas-Iirito 
directeur  du  théâtre  San  Carlos  d  ■,  cette  ville,  a  été  invité  à  prendre  la  direc- 


tion du  Théâtre-Lyrique  de  Rio-Janeiro  pour  la  prochaine  saison,  afin  d'y 
faire  représenter  tous  les  opéras  du  défunt  compositeur  Carlos  Gomes,  y 
compris  Maria  Tudor,  qui  est  encore  inconnue  au  Brésil.  La  demande  d'une 
subvention  de  100.000  francs  a  été  présentée  à  cet  efl'et  au  parlement  brésilien, 
subvention  qui  comporterait  l'obligation  de  deux  représentations  à  donner  au 
profit  de  la  famille  de  Carlos  Gomes. 

PARIS   ET   DÉPARTEIIIENTS 

Les  examens  d'admissimi  au  Conservatoire.  C'est  lundi  qu'avait  lieu  la 
séance  consacrée  a  la  liarpr  el  au  ]iianu  (classes  masculines).  Les  aspirants 
étaient  au  nombre  de  7  pour  la  harpe,  et  de  23  pour  le  piano,  sur  lesquels 
quatre  ont  été  admis  pour  la  harpe,  8  dans  les  classes  supérieures  de  piano 
et  4  dans  les  classes  préparatoires.  Voici  les  noms  de  ces  nouveaux  élèves  : 
harpe,  M»»^  Brili  f\  Elli,.,  yiif.  Cœur  et  Tournier  :  piano  (classes  supé- 
rieures), MM.  C.is.lhi.  liilla,  Callois,  de  Lansnay,  fintel,  Simon,  Régis  et 
Garziglia  :  (classrs  pnqiaiaioirr>),  MM.  Bine,  Saizedo,  Drouville  et  Legastelois. 
—  Deux  jours  étaient  consacrés  à  l'examen  de  violon,  (|ui  a  eu  lieu  mercredi 
et  jeudi  et  auquel  ne  se  présentaient  jias  moins  do  cent  onze  aspirants,  pour 
20  places  vacantes  dans  les  diverses  cbis-es  |  i  n,  an  eaux  élèves,  dont  8  hommes 
et  6  femmes,   ont  donc  .'■lé'   adim.   rlan-   f  -   .Lisses   supérieures   et  6,  dont 


hommes  et  3  femmes,  dai 


;itoires.  'Voici  les  noms  des 


M"'=  Bosnian   dans    Don    Juan   et 


élus:  classes  supérieures,  M.  Bailly,  Mii=  Campagnac,  MM.  Dumont,  Féline, 
M'i's  Forte,  Guyonnet,  Jolivet,  hœvy,  MM.  Luquin,  Masson,  Quesnot,  Schnei- 
der, M""!  Sie\'eckiug,  M.  Surmout;  classes  préparatoires,  M"=Allart,  M.  Elcus, 
M"°  Laye,  MM.  Matignon.  Pollin,  Rigo. 

—  Au  Conservatoire  encore,  c'esl  M.  Brun,  ancien  élève  de  la  classe  de 
Massart,  où  il  obtint  naguère  un  brillant  premier  |irix.  ipii  est  nommé  profes- 
seur de  la  classe  préparatoire  de  violon  reslé'c  vacanle  par  la  démission  (et 
non  la  mort,  comme  un  journal  l'a  annoncée),  de  M.  Hayot. 

—  M.  Gailhard  va  quitter  Paris,  pour  méditer  dans  la  paix  et  le  silence 
du  Midi  la  mise  en  scène  future  de  Messidor,  le  prochain  drame  lyrique  et 
chorégraphii[ue  de  M.  Bruneau.  En  attendant,  les  études  du  ballet  de 
M.  André  Wormser,  l'Etoile,  suivent  leur  cours.  On  reprendra  en  même 
temps  l'œ-uvre  intéressante  de  M.  Bourgault-Ducoudray  :  Thamara. 

—  C'est  M"«  Grandjean     qui    double 
Mme  Rose  Caron  dans  Hellé.  à  l'Opéra. 

^  Ce  sera  liicii  prohablemi'iil  au  cours  de  cette  semaine  que  nous  aurons/ 
à  siui  loui'.  \f  Don  Juan  de  l'Opéa-a-Comique,  qui  vienih-a  .à  pniut  pour  varier  les 
.sppclacliv  ili'  1,1  maison.  Nous  aurons  aujourd'hui  diniaiirhe.  en  malinée,  nue 
'li'i'inriv  iv|,rr-ri,i,iiir,ii  d  Orphée  avec  M"eDelua.  C'esl  .M^'^Lejoime  qui  tient  à 
l.rr.^^rni  l-  iVile  dFiirydice.Elle  y  a  débuté  fort  heuroiispiiinii  laulre  semaine, 
prenant  l'emphii  avec  l'autorité  d'une  chanteuse  exei-n'-i-  ri  mir  viailable  intel- 
ligence de  cette  musique  classique.  La  comédienne  a  dr  laisaurr  et  n'a  plus 
rien  à  apprendre.  C'est  donc  là  une  exrellenle  arquisiiiuii  pour  M.  Carvalho, 
et  nous  aurons  sans  doulp  beaunuq,  d'aulres  occasbius  de  reparler  de  M»»  Le- 
jeune. 

—  M"«  Simonnet  est  dr  rrimir  a  l'.iris.  venant  de  Milan,  où  elle  a  donné, 
an  Théâtre-Lyrique,  unr  -iTir  dr  ivpn-seutations  dont  le  succès  a  été  très  vif, 
—  à  ce  point  que  des  propositions  lui  sont  faites  à  présent  de  tous  les  points 
de  l'Italie.  Malheureusement,  le  répertoire  italien  de  M"»  Simonne!  est  encore 
très  restreint.  Pour  la  petite  tentative  heureuse  qu'elle  vient  de  faire,  elle  n'avait 
appris  que  deux  rôles  dans  la  langue  de  Dante  :  Mignon  et  Philémon  et  Baucis. 
Elle  va  se  mettre  dare  dare  à  l'ouvrage  et  ajouter  à  son  répertoire  Manon, 
Lakmé  et  Atidré  Chénier,  que  les  impresari  lui  demandent  aussi. 

—  Est-ce  une  plaisanterie  ?  Cela  en  a  bien  lair.  Toutefois,  comme  la  nou- 
velle fait  le  tour  des  journaux,  reprodnisons-la  sous  tontes  réserves  :  donc, 
M.  Lamoureux  solliciterait  du  ciuiseil  municipal  une  subvention,  on  vue  de 
transformer  en  Opéra  populaire  le  théâtre  de  Belleville.  La  commission  des 
beaux-arts  aurait  été  saisir  de  cette  proposition,  sur  laquelle  elle  présen- 
terait prochainemoni  sou  raiiport.  Le  conseil  municipal  fera  mieux  de  ré- 
server ses  secours  pour  na  Ihéâiro  plus  central. 

—  DausTavant-dernier  numéro  du  Journal  des  artistes  peintres  et  sculpteurs 
nous  remarquons  ces  vers,  extraits  d'un  volume  eu  préparation,  les  Sonnets 
de  Viviane: 

PRINCESSE  BYZANTINE 

A  J.  Massenet. 
Quand  la  nuit  bleue  endort  les  prés  de  elirysoprase 
Où  Sarwét;ur  a  bu  le  sang,  bardé  de  fer, 
Et  qu'à  l'ile  de  rêve  un  radieux  enfer 
D'esprits  roses  llottanls  charme  l'ombre  et  l'embrase  : 

Blanche  comme  Hécala,  front  d'argent  sur  la  mer, 
Pure  comme  ta  Vierge  ornant  l'iconostase, 
Une  forme  apparaît  qui  commande  l'extase 
A  Roland,  le  féal  du  vieux  roi  Cléomer; 

Et  c'est  toi,  Lis  nocturne,  ù  fleur  que  nul  n'émonde  , 
tilpanchant  un  parfum  pluri  grisant  que  le  vin. 
Qui  fait  clamer  l'hymen  aux  \oix  d"or  du  ravin 

Clair  fantôme  vivant  du  Bonheur  roi  du  monde 
Qui  tend  tes  bras  neigeux  pour  le  moment  divin. 
Divine  aux  yeux  voiles,  fée  ou  femme,  Esdarmondc  ! 


360 


LE  MENESTREL 


—  M"<^  Picard  vient  d'oire  ent;;if;E'p  au  Grand  Tliràlre  de  Lyon,  i-onime 
forle  chanlcuse  falcon. 

—  A  la  conférence  dounôe  au  Palais  de  riuduslric  lo  2  uuvemlire,  Harmo- 
nies d'automne,  jjar  M.  do  Solenière,  gros  succès  pour  M'"  Stt']dianie  Kerrion, 

qui  a  chanté  de  sa  belle  voix  de  contralto  l'air  du  ilessie  de  Hicudel. 

—  Après  le  grand  succès  qu'elle  a  obtenu  à  Londres,  au  Concert  Colonne, 
en  chantant  l'air  d'Hérodiade  et  celui  de  la  Damnalion  de  Faust,  M""  Marcella 
Pregi  s'est  rendue  à  Slrasliourg,  où  elle  a  chanté  le  rôle  de  Marguerite  do 
l'œuvre  de  Berlioz.  Lo  juiblic  l'a  merveilleusement  accueillie,  ainsi  que  ses 
partenaires  MM.  Ca/.oueuve  et  Auguez. 

—  La  municipalité  de  Cherbourg  vient  de  faire  placarder  un  arréli'  inlei- 
disant  les  sifflets  au  théâtre,  sous  peine  d'e.\pulsion  immédiate  do  la  salle  et 
de  poursuites  judiciaires.  Voici  l'arrêté  de  M.  lo  nuiire  de  Clierliourg,  qui 
est  revêtu  de  l'approbation  préfectorale  : 

Considérant  (|u'il  existe  des  mojens  de  l'aire  connaître  à  l'administration  la  désoppio- 
balion  des  artistes  du  lliéâtre  autrement  qu'en  les  sifflant  ou  .lutrcs  manifestations 
bi-uyantes  de  découragement  ; 

Considérant  que  ces  manilcslations,  qui  troublent  les  artistes,  ne  peuxent  être  lonqDa- 
Tées  aux  applaudissements  qui  les  encouragent; 

Considérant  que  le  <■  siftlage  »  ou  autres  manifestations  équivalentes  diminuent  la  \;deur 
du  jeu  des  artistes.  »  I  ]iai'  conséquent  l'ont  tort  aux  spectateurs  qui  ont  p;iyc  poui-  venir 
jouir  en  paix  de  la  i(|iré-('iil;ilioM. 

Considérant  doin'  que  ce^  luanilestations  sont  une  pL'rUM-b;ition  réelle  de  l'ordi-e 
public  ; 

Vu  la  loi  du  5  avril  1881; 
AnnÈTO.xs  ; 

Atiticle  PREMiEH.  -  Le  «sifflage»  et  toutes  autres  manifestations  bruyantes  de  nature 
à  influer  làcbensenient  sur  le  moral  des  artistes  et,  par  suite,  sur  la  valeur  de  l'cxécu- 
lion  de  leurs  rôles,  sont  lornicUement  interdits  au  théâtre. 

Ceux  qui  se  livreront  à  les  m;Miifestalione  seront  expulsés  comme  perturbateurs  de 
l'ordre,  sans  préjudice  des  poursuites  et  contraventions  auxquelles  ds  pourraient  être 
soumis. 

Art.  2.  —  M.  le  commissaire  central  est  chargé  d'rissurer  l'exécution  du  présent 
arrêté. 

Hôtel  de  Ville,  le. . .  Le  maire 

Li.us. 

—  Notre  savant  professeur  de  chaut,  M'"=  Andrée  Louis  Lacomlje,  a  Irans- 
porté  son  domicile  derrière  Iccbovet  de  Notre-Dame,  28,  (piai  d'()rli'uiis.| 

—  L'école  Beethoven  —  École  préparatoire  au  professorat  du  piano —  met 
au  concours  3  bourses  et  3  demi  bourses  pour  les  classes  de  piano  ot  de  sol- 
fège. Inscriptions  chez  M"«  Baluet,  80,  rue  Blanche,  les  lundis,  mercredis 
et  vendredis,  do  midi  à  3  heures. 


Inches  porte  les 
iplious,  vers  ot 


M. 


Une  audition 


—  Les  cours  ont  recommencé  à  l'école  d'or 
publique. aura  lieu  en  janvier  prochain. 

—  On  lit  dans  la  Sainte-Cécile,  de  Reims  :  «  MM.  Paintandre  viennent  de 
couler  tout  un  carillon,  composé  de  di.v  cloches,  ot  destiné  à  la  commune  de 
"V'illelongue-de-la-Salanque,  près  Perpignan  (Pyrénées-Orieiitalcs).  Les  dix 
cloches  donnent  les  notes  d'une  absolue  justesse  de  sol,  la,  si,  ut,  u(  dièze,  ré, 
mi,  fa,  fa  dièze  et  sol.  Trois  de  ces  cloches  seulement  sol,  si,  ré  seront  mises  on 
volée.  Le  carillon  sera  mù  par   un   clavier  manuel.  Le  poids  total  de  tout  ce 


beau  bronze  chantant  est  de  2.200  kilog.  Chacune  dos  dix 
noms  qui  lui  seront  donnés  à  son  baptême,  ainsi  ipio  des  ins( 
prose,  en  langue  française,  latine  et  patois  catalan.  ■> 

—  Très  artistique  concert  religieux  dimanche  dernier  à  Ponloise,  à  l'occasion 
de  l'iuaugnralion  des  orgues  do  Saint-Maclou,  reccmstruitos  par  Aristide 
Cavailli'-Coll.  L'instrument,  qu'ont  touché  tour  à  tour  MM.  trigout  et  Boëll- 
mann,  a  produit  un  superbe  effet.  MM.  Fournets  ot  Berthclier,  ainsi  que 
M.  et  M""'  Ghassing,  accompagnés  parfaitement  [lar  l'organisle  titulaire 
M.  Bélier,  se  sont  fait  entendre  pondant  le  Salut. 

—  Couns  ET  LEçoxs.  —  M""  Delphine  Ugalde,  la  célèbre  cantatrice,  a  repris  ses  leçons 
liarticuliércs  et  ses  cours  de  chant  et  de  déclamation,  chez  elle,  22,  rue  PigaUe.  — 
.M"°  ^larie-Louise  Grenier  Goorge-Hainl  a  rouvert  chez  elle,  47,  rue  Laflite,  ses  cours 
de  piano,  musique  d'ensemble,  solfège  et  chant.  —  M"*"  L.  Desrousscaux,  6,  rue  d'.4m- 
sterdani,  a  repris,  avec  le  concours  de  Jl.  ICmile  î'érier,  ses  cours  de  chant,  de  diction,  et 
de  musique  d'ensemble  vocal. 

NÉCROLOGIE 


iniu'l  de  M"'=  Jinicières, 
iricres.   lo   compositeur 

li'linn-ildes  souffrances, 
u  nuui  et  à  ses  enfants, 
un'  uiiiius  de  plnsiem's 
0.  mais  une  délivrance 

elle.  Nous   adressons  à 


Nous  avons  lo  très  sincère  rogrot  d'annoncer  la 
la  femme  de  notre  oxocllent  cimfrère  Victorin  ,\i 
bien  C(unm.  Alleinle  d'une  nialiulic  lei-cilde.on  proie 
la  mallieurouse  femme  a  r\r  ;iriM(  Im'i-  ,iii\  siens,  à  s 
qui  l'aduraienl,  après  une  iiiiigiic  iij;iiiMi'  ipii  n'a  jias  i 
semaines.  Sa  uiori  a  élé'  ('■videniuieni  nue  d(divrau 
poignanle  pour  ceux  (pi'ello  laissait,  dcscdi's,  ilorrièri 
M.  Joncières  l'exiirossion  do  nos  regrets  les  plus  vifs. 

—  A  Lomberg  s'est  éteint,  à  l'âge  de  70  ans,  le  ténor  Miecislavde  Kaminski, 
qui  avait  occu|ié  pondant  trente  ans  une  place  distingui'O  dans  différents 
Ihéàlres  allemands.  Lo  défunt  roi  Louis  II  de  Bavière,  le  grand  ami 
de  Richard  Wagner,  le  prolégeait  beaucoup.  En  d86-i,  lors  du  congrès  dos  sou- 
verains allemands  à  Fraucfort-sur-lo-Mein,  Kaminski  avait  chanté  avec  M""=Ado- 
linaPatti,  devant  les  souverains  réunis  sous  la  présidence  do  l'empereur  Fran- 
çois Joseph  d'Autriche. 

—  De  Bologne  on  annonce  la  mort,  le  lo  ochilue.  ;i  l'âge  de  83  ans,  d'un 
artiste  fort  distingué,  Francesco  Roncagli,  ]uési(lonl  île  la  célèbre  Académio 
philharmonique  de  celle  ville  et  cx-orgauisto  do  la  Iwsilique  do  SanPoIronio 
ot  de  la  métropolitaine  de  SanPiotro.  (jutro  son  très  giand  talent il'organisto, 
Roncagli  se  lit  remarquer  comme  compositeur  de  nuisique  loligieuse.  Ses 
(l'uvres  en  ce  genre  se  distinguent  ])ar  la  pureté'  de  la  forme,  l'élévation  du 
style  et  l'élégance  du  sentiment  mélodique. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


PROF^^  LITTÉRAIRES 


TRAITÉS,    elc,   ilépendant  de    la 
succession  de  M.  L.  de  Roddaz.    A 

adjuger,  étude  de  M.  TttoussELLE,  no'aire,  23,  boulevard  Bonne-Nouvelle,  \b 
23  novembre  1896,  2  heures. —  Mise  à  prix,  pouvant  être  baissée,  300  francs. 
Consignation  300  fr.  —  S'adresser  à  M.  Gautrou,  adminisiraleur  judiciaire, 
13,  rue  Tronchet,  et  au  dit  notaire. 

VIENNENT  DE  PARAITRE  chez  l'éditeur  Eugène  Fasquelle,  11,  rue 
de  Grenelle,  Don  Carlos,  drame  do  Schiller  adapté  ]iar  M.  Charles  Raymond, 
ot  les  Perses,  tragédie  d'Eschyle,  traduite  par  M.  Ferdinaml  Herold,  pièces 
représentées  en  ce  moment  à  l'Odéou. 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C''%  éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 

Pour  paraître  très  p  ochainement  : 

LE  PAPA  DE  FRANGINE 


Grand  succès 

nu 
TirÉATRE 


OPÉRETTE  EN  4  ACTES  ET  7  TABLEAUX 

De  MJI. 

V.    DE    COTTENS    et    P.    GAVA.ULT 

MLSIQIE   DE 

LOUIS    A^^^fVFtNJEY 


Grand  succès 

DC 
THÉÂTRE 


PARTITION    PIANO    ET    CHANT.    —    MORCEAUX    DETACHES    POUR    PIANO    ET    CHANT    ET    POUR    CHANT  SEUL.    —    FANTAISIES,    ARRANGEMENTS,    DANSES 

POUR    PIANO    ET    INSTRUMENTS    DIVERS,    ETC. 


Avis  aux  directeurs  de  théâtres.  —  S'ailre-i-^er  AU  IVIÊNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  pour  la  location  des  parties  d'oirhesli-e, 


mise  en  scène,  etc. 


GERE,  20,  PARIS,  —  CEDcrfl  LoriUeoiJ 


3421).  -  62"  AWÉE  -  A»  46. 


Diinaiiclie  IS  Xovembie  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  me  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteur; 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Direcieur 

Adresser  fkanco  à  M.  Hcnbi  BEDGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6ù,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 
Un  an  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teile  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Tetie  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province, 
nnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étr-nger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Orphée  (12'  arlicle),  Julien  Tiebsot.  —  If.  Semaine  théâtrale  :  Le 
Bijou  perdu,  au  théâtre  de  la  Galerie-Vivienne,  Akthuh  Tougin  ;  première  repré- 
sentation des  Erreursdu  morinje  aux  Nouveaul('s,  Paul-Émile  Chevalier  ;  reprise 
de  Don  César  de  Bazan  à  la  Porte-Saint-Mar  in  ;  première  représentation 
du  Carillon  aux  Variétés,  H.  Moreno.  —  III.  Le  Théâtre-Lyrique  :  Informations, 
impressions,  opinions  (15'  article),  Louis  Gallet.—  IV.  L'Esposition  du  théâtre 
et  de  la  musique  (0«  article),  .■\rthur  Pougis.—  V.  Revue  des  grands  concerts.— 
VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PRÉLUDE 

nouvelle  mélod'e  de  Renée  Eldèse,  poésie  de  Henri  de  Régnier.  —  Suivra 
immédiatement:  l'Improvisalion  de  Chénier,  chantée  dans  l'opéra  de  Giordano, 
le  grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piA?io  :  Les  Révérences  nuptiales,  n°  1  de  la  collection  des  Vieuj-,  Maîtres,  trans- 
cription pour  piano  de  Louis  Diémer  d'après  Boismortier  (1732),  répertoire  de 
la  Société  des  instru7nents  anciens.  —  Suivra  immédiatement  :  Muscadines  et 
Mitscadins,  transcriptions  pour  piano  extrait  s  de  l'opéra  de  Giordano,  André 
Chénier,  le  grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Ferdinand-Joseph  Bertoni,  né  dans  la  petite  île  de  Salo,  1g 
15  aoiit  1725,  mort  en  1813,  composa,  de  174G  à  1790,  trente 
et  un  opéras,  pour  la  plupart  écrits  sur  des  poèmes  de  Métas- 
tase et  représentés  sur  les  théâtres  de  Turin  et  de  Venise. 
Parmi  les  sujets  traités  par  lui  concurremment  avec  Gluck, 
on  peut  citer  :  Orfeo  (sur  le  poème  même  de  Culzabigi), 
Esio,  Tekmacco,  Artaserse,  Armida,  Ifigenia  in  Aulide.  Fétis  ap- 
précie son  genre  de  talent  en  ces  termes,  qui  n'ont  besoin 
d'aucun  commentaire  : 

Comj,03iteur  élégant,  tiomme  de  gotît  et  atiteur  de  mélodies  gra- 
cieoses,  expressives  et  toujours  bien  adaptées  aux  paroles,  laut  dans 
la  musique  d'église  que  dans  les  opéras,  Bertoni  fut  un  de  ces  com- 
positeurs dont  les  œuvres  sont  irréprochables  et  jouissent  d'une  es- 
time générale  ;  mais  l'originalité  des  idées  lui  manquait.  De  Hi  vient 
qu'après  avoir  eu  de  brillants  succès  il  est  aujourd'hui  complèlement 
oublié  et  que  ses  produclions  ne  jouissent  pas  de  l'avantage  réservé 
aux  œuvres  de  génie  qui  ne  sont  plus  exécutées,  de  conserver  tou- 
jours leur  valeur  monumentale  et  de  devenir  des  modèles  pour  les 
artistes  d'un  autre  temps. 


Pendant  le  carnaval  de  1776,  Bertoni  fit  représenter  sur  le 
théâtre  San-Benedetto,  à  Venise,  un  Orfeo  ed  Euridice  composé 
sur  le  même  poème  que  celui  de  Glu.k.  L'emprunt  n'avait 
rien  que  de  parfaitement  normal  et  conforme  aux  habitudes 
du  XVIIl''  siècle  italien,  et  l'on  sait  que  les  poèmes  de  Métas- 
tase étaient  mis  en  musique  indistinctement  par  tous  les 
compositeurs  sans  que  personne  songeât  à  voir  là,  comme  on 
n'eût  pas  manqué  de  le  faire  en  France,  une  sorte  de  concours 
entre  rivaux.  Cependant,  l'audace  d'avoir  refait  cet  Orfeo  qui 
avait  fait  date  dans  l'histoire  parut  si  grande  que,  lorsque  la 
musique  en  fut  gravée,  Bartoni  lit  précéder  sa  partition  d'un 
Avis  au  lecteur,  dont  voici  la  traduction  : 

Ce  n'est  pas  sans  quelque  trayeur  que  j'ai  accepté  la  proposition  de 
mettre  en  musique  YOrfeo  du  célèbre  signer  Calzabigi,  après  l'heureux 
succès  qu'a  justen.eat  obtenu  dans  la  même  entreprise  M.  le  cheva- 
lier Glui-k  cliez  toutes  les  nations  d'Europe.  En  me  mettant  à  l'ou- 
vragf,  me  trouvant  dépourvu  du  secours  du  poète,  que  j'auiais  pu 
consulter  au  besoin,  je  regardai  comme  une  circonstance  aussi  heu- 
reuse qu'utile  pour  nioi  d'avoir  sous  les  yeux  la  partition  du  compo- 
siteur pour  suivre  ses  traces  au  moins  dans  la  marche  qu'il  a  tenue. 
C'est  aux  hommes  d'un  discernement  juste  et  délicat  à  juger  de  la 
différence  qu'il  y  a  dans  le  reste. 

Le  bUicès  de  mon  ouvrage  a  passé  toutes  mes  espérances,  et  d'après 
les  instances  qu'on  m'a  faites  pour  le  publier,  je  n'ai  pu  me  dispenser 
de  le  laisser  graver. 

Je  me  trouverais  fort  heureux  si  je  pouvais,  non  pas  obtenir,  comme 
M.  le  chevalier  Gluck,  les  applaudissements  des  autres  nations,  mais 
du  moins  trouver  auprès  d'elles  une  partie  de  rindulgence  qu'on  m'a 
montrée  à  Venise. 

Pour  prix  de  ma  condescendance,  j'ai  exigé  de  MM.  les  éditeurs 
qu'ils  mettrait  nt  cet  avis  à  la  tête  de  l'ouvrage,  afin  de  rendre  jus- 
tice à  qui  elle  est  due,  et  éviter  toute  imputation  de  vanité,  défaut 
très  étranger  à  mon  caractère  (1). 

Bertoni  avait  raison  d'être  modeste  vis-à-vis  de  Gluck:  il 
faut  avoir  lu  sou  opéra  pour  comprendie  toute  la  portée  de 
cette  déclaralioD,  na'ive  en  apparence,  qu'il  a  «  regardé  comme 
une  circonstance  aussi  heureuse  qu'utile  d'avoir  sous  les 
yeux  la  partition  de  Giuck,  pour  suivre  ses  traces  au  moins 
dans  la  marche  qu'il  a  tenue.  »  Il  n'est  pas  possible,  en  effet, 
d'imaginer  un  décalque  plus  servile.  Les  dessins,  les  formes, 
les  mouvements  généraux  sont  si  exactemeot  modelés  sur 
l'œuvre  originale  qu'en  se  bornant  à  regarder  le  contour 
des  notes  on  jurerait  lire  une  transcription  de  l'Orphée  de 
Gluck  !  Voici  trois  exemples,  pris  parmi  les  morceaux  les 
plus  importants,  et  dans  chacun  des  trois  actes  ;  ils  donne- 
ront une  idée  plus  que  suffisante  do  l'espèce  de  génie  musi- 
cal dont  était  doué  Berttjui. 

D'abord,  l'exposition  du  premier  chœur  : 


(1)  Traduit  d'après  la  préface  d'Orfeo  ( 
la  révolution  du  chevalier  Gluck,  p.  474. 


!  Euridice,  de  Bertoni.  Voir  Mémoires  pour 


362 


LE  MENESTREL 


A  ntezza.   va 


Maintenant,  le  chant  des  démons  au  commencement  du 
second  acte  :  toutes  les  voix  du  chœur  chantent  à  l'unisson, 
tandis  que  les  instruments  à  cordes  les  accompagnent  en  ire- 
molo,  exactement  comme  dans  Gluck  : 


■^• 

V4^ 

. 

^,__y     1 

, 

,     , 

r4#-^ 

H.i  r  r  r  1  '    ^  '   1  r  r  1  1 1    '  r  1  r-4-a-j 

Chi  mai  deli  ' 

E  . 

re.bo 

Fra 

le    ca 

l,.y,.n 

Sull' 

ji-me 

->^ — h^-^fi — t- 

-P—f 

—^ 

-+-\— 

\4- — 

r  f 

t#— l-F- 

^-11 

'   i>b      1 U U ^ '■ H ■- M 1 \ H ^1 

d'Ei-.co.lu        E     dl     Pi   -    li  .    (0.0         Conduce  il      pie? 

Ceci  est  plus  qu'une  variante:  c'est  une  varialiou  !  Enfin, 
voici  la  première  strophe  intermédiaire  de  l'air:  Che  fard 
sema  Euridice.  Le  thème  principal,  à  la  vérité,  ne  ressemble 
en  rien  à  celui  de  Gluck  :  il  a  toute  la  fadeur  du  bel  canlo  à 
la   mode  parmi    les   dikUmUi  d'alors  ;   mais,  dans  les  parties 


expressives,  le  copiste  se  rapproche  de  son  original  de  la  façon 
dont  on  va  juger  : 

Pieslo. 


Andaiûino. 

K 

h                     t 

.o 

ijV'2  l»  ,~.J) 

—é^ f- 

1 V-,    1,  h 

~f — i"'^ 

(^  '  >>  y  \ — '■^— 

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lo  son  

V    1 

tuo           Ce 

del... 

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Vu  p  ^  p  ^  1 

p    •>    p   •> 

■  p  .•>  xi-'y. 

J  '' 

Convenons  qu'il  était  au  moins  piquant  de  voir  Gluck    ac- 
cusé d'avoir  pillé  l'auteur  de  cette  musique  I 

(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 


SEMAINE    THEATRALE 


Théâtre-Lyrique  de  la  galerie  Vivienke.  Le  Bijou  perdu  d'Adolphe  Adam. 

Infaligahle,  ce  gentil  petit  Théàlre-Lyrique,  et  toujours  en  travail  1 
A  peine  nous  avait-il  donné,  pour  sa  réouverture,  un  spectacle  coupé 
qui  avait  presque  la  valeur  d'un  spectacle  historique,  puisqu'il  se 
composait  de  trois  pièces  qui  représentaient  trois  époques  de  noire 
histoire  musicale,  qu'il  s'occupait  déjà  de  quelque  chose  de  bien 
plus  important.  Ce  «  quelque  chose,  »  c'était  tout  simplement  une 
grande  pièce  en  trois  actes,  c'était  le  Bijou  perdu,  qui  avait  fait,  il  y 
a  une  quarantaioe  d'années,  la  fortune  de  son  grand  prédécesseur, 
l'ancien  Théâtre-Lyrique  du  boulevard  du  Temple,  et  la  renommée 
d'une  cantatrice  charmante,  M""  Marie  Cabel,  qui  dès  son  apparition 
fit  la  conquête  du  public  parisien. 

Ce  Bijou  perdu  était  un  ouvrage  de  commande,  fait  précisément 
pour  les  débuts  de  M"''  Cabol.  On  était  pressé,  par  conséquent.  Du 
Leuvea  et  de  Forges,  les  librettistes,  ne  prirent  pas  le  temps  d'écrire 
une  pièce  nouvelle.  Ils  avaient,  uue  quinzaine  d'années  auparavant, 
bâti  pour  Albert  Grisar  le  livret  d'un  opéra-comique  eu  deux  actes 
intitulé  Manoii  Giroux.  Ce  livret  ayant  été  refusé  par  Crosnier,  alors 
directeur  de  l'Opéra-Comique,  ils  en  avaient  fait  un  vaudeville  qu'ils 
donnèrent  sous  le  même  titre  au  Palais-Royal.  Ils  reprirent  leur  vau- 
deville, le  re-lransformèrent  en  opcra-coraique  en  y  ajoutant  un  acte 
pour  le  corser.  Adam  en  écrivit  la  musique  au  courant  de  la  plume 
(ce  qui  se  voit  par  instants  un  peu  plus  qu'il  ne  faudrait),  le  titre  de 
Manon  Giroux  lii  place  à  celui  du  Bijou  perdu,  et  l'ouvrage  fut  repré- 
senté le  (3  octobre  ISoJi,  avec  un  succès  éclatant. 

Adam, qui  s'y  connaissait,  comprit  très  bieu  que  ce  succès  s'adressait 
bien  plus  à  la  cantatrice  qu'à  sa  partition,  qui,  pour  être  aimable  par 
instants,  n'en  était  pas  moius  de  seconde  main.  Aussi,  en  publiant 
cette  partition,  la  dédia-t-il  à  M""'  Cabel  en  ces  termes  modestes  :  L'au- 
teur de  l'ouvrage  à  l'auteur  du  suecés.  Il  est  certain  que  c'est  M'"^'  Cabel 
qui  fit  en  grande  partie  la  fortune  du  Bijou  perdu.  Jolie  comme  un 
cœur  et  d'une  grâce  séduisante,  douée  d'une  voix  nierseilleuse  i]ue 
mettait  en  relief  une  virtuosité  qui  louait  du  prodige,  avec  cela 
cotnédienno  intelligente  et  fine,  elle  éblouit  littéralement  le  public, 
qu'elle  attira  cent  fois  de  suite  au  Théâtre  -  Lyrique .  La 
fameuse  ronde  des   «    Fraises   »,    cette  ronde  qui  n'est  autre  chose 


LE  îiUENESTREL 


363 


que  le  dessin  mélodique  d'une  vieille  chanson  populaire  :  Marie, 
Ireiiip'  Ion  pain...,  mais  qui  était  agrémenlée  de  vocalises  très  brillantes 
qu'elle  lam^àit  avec  une  étonnante  cràcerie,  fut  surlout  un  vrai 
triomphe.  Elle  était  d'ailleurs  bleu  secondée  par  deux  excellents 
artistes,  Meillet  et  Sujol.  qui  surent  se  faire  applaudir  à  ses  cô'és 
dans  les  rleux  rôles  de  Pacôme  et  du  marquis  d'Angennes,  Depuis 
lors  on  ne  levil  plus  le  Bijou  perdu,  si  ce  n'est  vers  J872,  à  l'Athénée, 
oii  l'ouvrage  fut  remonté  pour  une  jeune  femme  charmanle.  M""  Louisa 
Singelée,  qui  devait  mourir  peu  d'années  après,  dans  tout  le  rayon- 
nement de  sa  glace  et  de  sa  bL-auté. 

Ce  n'était  pas  une  petite  affaire  que  de  mettre  un  tel  ouvrage  sur 
pied  dans  un  théâtre  de  proportions  aussi  mignonnt  s  que  celui  de  la 
Galerie-Vivicnne,  avec  des  ai  listes  qui.  en  somme,  sont  presque  tous 
des  commençants.  Eh  bien,  audaces  /'ortuHa^'iU'a// Tous  ces  jeunes  geus 
y  ont  été  crânement,  courageusement,  sans  se  soucier  du  danger, 
et  ils  ont,  en  réalité,  oitenu  un  résultat  très  satisfaisant  et  qui  leur 
fait  le  plus  grand  honneur.  M"=  Jane  Valentin,  qui  est  chargée  du 
rôle  de  Toinon,  y  prodigue  les  vocalises  et  les  eocotes,  comme  si  elle 
n'avait  fait  que  cela  toute  sa  '.  ie  ;  mais  ce  qui  est  niieujs,  c'est  qu'elle 
phrase  fort  joliment  et  avec  élégance,  et  qu'elle  fait  preuve  d'une 
véritable  intelligence  comme  comédienne.  J'en  dirai  autant  de 
M.  Dumas,  qui  joue  Pacôme,  dont  la  voix  est  excellente,  mais  qu'il 
faut  mettre  en  garde  contre  un  défaut  grave:  il  lui  arrive  parfois 
d'attaquer  la  phrase  un  dixième  de  ton  trop  bas,  et  alors  il  la  pour- 
suit impertu.'bablement  dans  le  même  diapason,  en  dépit  de  l'or- 
chestre. M.  Viannet  a  une  fort  jolie  voix,  lai  aus-i,  et  il  s'en  sert 
avec  goût  ;  mais  au  point  de  vue  de  la  scène  il  a  encore  beaucoup  5 
faire.  L'ensemble  est  excellent,  et  fort  bien  complété  par  M"''  Bar- 
bary,  MM.  Berthon,  Gastelain  et  Delbos.  Le  petit  orchestre  marche 
très  bien,  et  l'on  a  fait  des  prodiges  au  point  de  vue  des  décors,  qui 
sont  charmants. 

Ce  petit  théâtre  est  vraiment  étonnant. 

Artuuh  Pougin. 


Nouveautés  :   Les  Erreurs  du  Mariage,  pièce  en  trois  actes  de  M.  Bisson. 

Après  te  Surprises  du  divorce,  les  Erreurs  du  mariage,  et  si  la  seconde 
de  ces  pièces  n'a  pas  l'extraordinaire  bonne  humour  de  la  première, 
il  serait  injuste  de  ne  pas  lui  reconnaître  une  dose  très  suffisante  d'es- 
prit, d'entrain,  d'imprévuet  d'habileté  théâtrale.  On  a  donc  ri  et  beau- 
coup ri  aux  Nouveautés,  principalement  au  premier  acte  bourré  de 
mots  fort  heureux  et  au  troisième,  de  situation  fort  amusante,  qui,  à 
lui  seul,  semble  la  seule  raison  d'être  des  deux  précédants. 

Deux  couples  :  M.  et  M""  Forcinal,  M.  et  M'"°  Morizet  vivent  sous  le 
même  toit.  Forcinal  fait  la  cour  à  M""  Morizet,  et  Morizet,  candidat 
assidu  à  l'Académie  des  sciences  morale?,  pousse  de  toutes  ses  forces 
au  fatal  rapprochement.  Pour  forcer  enfin  les  portes  de  l'Inslitut 
Morizet  compte,  en  effet,  sur  uu  ouvrage  qui  traitera  des  troubles 
amoureux  chez  la  femme  mariée  et,  comme  rien  ne  vaut  le  travail 
fait  d'après  nature,  sa  propre  épouse  lui  servira  de  sujet  et  l'ami  For- 
cinal sera  le  serpent  tentateur. 

C'est  l'hypnotisme,  dont  Morizet  est  un  adepte  aussi  slnpide  qu'en- 
ragé, qui  aidera  à  l'expéiinece  et  permettra  au  roublard  Forcinal 
d'enlever  celle  qu'il  aime  et,  "a  la  faveur  d'un  accident  de  bateau  dans 
lequel  on  le  croit  mort,  lui  et  elle,  d'aller  l'épouser  en  Amérique. 

Pourquoi  Moiizet  et  M'""^  Forcinal,  après  avoir  plus  ou  moins  pleuré, 
s'épousent  eux  aussi,  l'auteur  oublie  de  nous  le  dire.  Donc,  un  beau 
jour,  le  couple  tombe  à  l'improviste.  aux  environs  ds  Chicago,  chez 
Forcinal.  Et  c'est  ici  que  la  fantaisie  de  M.  Bisson  se  donne  vraiment 
libre  carrière  et  que,  grâce  aux  phénomènes  hypnotiques  qui  per- 
mettent les  plus  grandes  extravagances,  la  situation  devient  tout  à 
fait  comique  et  que  la  bonne  folie,  dont  les  grelots  jusque-là  sem- 
blaient quelque  peu  doublés  d'ouate,  se  met  à  joyeusement  et 
bruyamment  carillonner.  Tout  s'arranre-f-il  très  hien  ?  Je  n'ai  qu'im- 
parfaitemeat  compris  commeut  ce  double  couple  bigame  se  compor- 
lera  vis-à-vis  de  M""-'  la  Loi,  mais  c'est  là  détail  insignifiant;  le  vau- 
deville finissairt  dans  la  joie,  n'en  demandons  pas  plus. 

Les  Erreurs  du  mariagesoal  supérieurement  enlevées  par  M.  Ciermain 
d'impayable  coca>serie  et  de  turbuleute  mimique  en  Forcinal  et  par 
M.  Tarride,  couiédien  plus  rassis  et  de  parfaite  silhouette  eu  vieux 
Sijvant,  M.  Culombey  et  M'""  Macé-Montrouge  dépensent  sans  compter 
leur  belle  humeur;  M"'=  Filliaux,  comédienne  adroite,  exhihe  de  bien 
vilaiues  toilettes,  taudis  que  il'"  Dubois  fait  montre  d'élégance; 
■M"'=  Jenny  Rose,  culin,  prouve  sa  grande  bonne  vulonlé. 

Paul-Emile  Chevalier. 


Porte-Saint-Maiitin  :  Don  César  de  Bazan,  dr-ame  en  cinq  actes  de  MM.  Den- 
iiery  et  Dumanoir.  —  'Vaiiiiîti's  :  Le  Carillon,  féerie-opérntte  en  quatre  actes 
et  sept  tableaux   de   MM.   Blum  et  Ferrier,   musique   do  M.  Sei'pette. 

Se  bien  connaître,  voilà  le  difficile,  et  il  est  bien  rare  qu'on  y 
parvienne,  porté  qu'on  est  naturellemeut  à  s'accorder  lous  les  mérites 
et  tous  les  talents.  Ainsi  il  ne  paraît  pas  que  M.  Coquelin  ait  une 
très  juste  idée  de  sa  personnalité  artistique  de  comédien,  pourtant 
enviable  même  limitée  aux  rôles  oîi  il  est  sans  rival  et  auxquels  il 
ferait  bien  de  se  tenir.  S'il  voulait  s'informer  autour  et  alentour  de 
ses  amis  et  même  en  dehors  d'eux,  chacun  lui  dirait  qu'il  est  un 
comédien  1res  fin,  de  race  délicate  et  spirituelle,  de  verve  et  de  force 
comique  irrésistible,  mais  qu'il  n'a  peut-être  pas  l'envergure,  l'am- 
pleur, la  voix  pleine  et  l'allure  qui  conviennent  au  personnage  de 
Don   César  de  Bazan. 

Il  en  est  encore  qui  ont  eu  le  triste  privilège  d'avoir  entendu 
FréJérick  Leniaître  dans  ce  maître  rôle.  Et  dame,  dès  l'entrée  du  per- 
sonnage —  «  Je  viens  déjouer  avec  des  manants  et  ils  m'ont  volé 
comme  de  grands  seigneurs  »  —  on  est  fixé,  et  la  comparaison  n'est 
pas  à  l'honneur  du  temps  présent.  Les  souvenirs  restent  écrasants. 
Il  semble  qu'on  entende  l'éclat  d'une  petite  trompette  aiguë  qui  répond 
à  l'écho  lointain  d'une  gaîté  énorme  de  trombone  en  liesse.  Ah  1 
c'est  qu'il  n'est  pas  un  simple  gamin  de  Paris  qui  s'amuse,  ce 
Don  César!  Jusque  dans  sa  déchéance,  on  doit  sentir  toujours  un 
restant  de  haut  seigneur  et,  dans  les  grands  moments,  ce  n'est 
pas  l'atroiement  d'un  petit  roquet  qui  se  doit  percevoir,  mais  bien 
plulôt  quelque  chose  comme  le  nrgissemenl  du  Uon. 

El.  chose  singulière  —  ce  que  c'est  que  de  s'attaquer  à  des 
rôles  qui  ne  sont  pas  dans  votre  naturel  —  il  semblerait  que  le 
débit  d'ordinaire  si  clair  et  si  net  de  M.  Coquelin  en  soit  altéré 
et  qu'il  n'ait  plus  sa  belle  assurance  d'autrefois.  Il  est  certain 
qu'il  ajoute  à  présent  à  chacune  de  ses  phrases  une  sorte  de  petit 
ricanement  nerveux,  qui  revient  sans  cessa  avec  une  désespérante 
monotonie.  Ah!  se  retremper  dans  le  sein  miséricordieux  de  la 
Comédie-Française  et  abandonner  des  tréteaux  trop  vastes  et  des 
drames  trop  empanachés,  comme  il  en  serait  temps! 

Il  serait  cruel  de  trop  insister,  d'autant  qu'un  artiste  du  grand  talent 
de  M.  Coquelin  reste  toujours  intéressant  par  quelque  côté,  même 
dans  ses  erreurs,  et  qu'on  est  loin  de  passer  une  mauvaise  soirée  à  la 
Porfe-Saint-Martin,  malgré  la  médiocrité  de  l'entourEge,  —  tant  le 
drame  de  MM.  Deunery  et  Dumanoir  est  resté  tout  à  la  fois  divertissant 
et  attachant,  fort  bien  mené  dans  sa  trame  et  tout  parsemé  de  mots  vifs 
et  plaisants  qui  sont  devenus  légendaires.  Il  y  a  par  exemple  au  troisième 
acte,  un  grand  diable  de  ballet  bien  long  et  bien  désagréable,  qu'on 
pourrait  supprimer  presque  en  son  eutier,  sans  aucun  inconvénient. 

n  est  drjà  bien  tard  pour  parler  du  Carillon  des  'Variétés,  qui  fut 
représenté  il  y  a  plus  de  huit  jours.  Huit  jours!  un  siècle  pour  des 
produclions  d'aussi  peu  de  consistance.  Nous  ne  dirons  donc  rien  de  la 
pièce,  qui  n'i  st  pas  coulée  dans  un  moule  bien  neuf  et  qui  se  meut  tout 
entière  autour  d'un  point  délicat  non  commode  à  narrer.  La  musique 
a  des  qualités  appréciables  de  bonne  facture,,  et,  par  sa  pompe  rela- 
tive, elle  s'adapte  bien  au  sujetparfois  épique  qu'elle  doit  accompagner. 

Mais  il  y  a  eu  un  triomphateur  dans  la  soirée,  et  c'est  le  directeur 
lui-même,  M.  Samuel.  Certes,  il  peut  être  donné  à  tous  nos  entrepre- 
neurs de  spectacles  de  faire  des  mises  en  scène  luxueuses,  il  suffit 
d'y  mettre  le  prix  ;  mais  ce  qui  n'est  pas  donné  à  tous,  c'est  d'y 
mettre  la  recherche  artistique  et  le  goiit  très  silr  qui  a  présidé 
à  celle  du  Carillon.  Il  y  a,  au  premier  acte,  un  mariage  de  couleurs  et 
des  combinaisons  de  tons  qui  ne  s'injurient  pas  les  uns  les  autres, 
un  choix  d'étoffes  non  seulement  somptueuses,  mais  harmonieuses, 
un  ragoiit  de  nouveauté  tout  à  fait  rare  et  attirant.  Et  si,  passant  par- 
dessus une  charmante  apothéose,  nous  arrivons  de  suite  au  dernier 
tableau,  nous  assistons  alors  à  une  scène  de  reconstitution  de  l'an- 
cienne Venise  comme  vu  •■  à  Iravers  les  enchantements  d'un  rêve,  qui 
est  bien  la  plus  délicieuse  chose  que  nous  ayons  viie  au  théâtre, 
avec  la  ville  illuminée  qui  s'estompe  au  fond  et  l'Adriatique  qui 
roule  des  Ilots  véritables  au  pied  du  palais  des  Doges,  —  le  tout 
baigné  dans  cette  teinte  mystérieuse  et  bleutée  spéciale  aux  tableaux 
de  Turner.  C  est  une  pure  merveille. 

Et  quand  on  pense  que  tout  cela  est  exécuté  dans  l'espace  de 
quelques  mètres  carrés,  on  se  demande  ce  que  pourrait  faire 
M.  tamiiel  sur  une  scène  plus  vaste,  et,  l'imagination  vagabon- 
dant, on  le  voudrait  bien  voir  à  la  tête  d'un  de  nos  théâtres  impor- 
tant?, o'u  il  apporterait  si  rr  ardeur,  sa  fantaisie,  son  horreur  de  la 
banalité  et  aider'ait  sans  doute  l'art  sous  toutes  ses  formes  à  sortir 
des  ornières  et  des  routines  où  nous  le  voyons  se  traîner  si  miséra- 
b'ement.  H.  Muke.no. 


364 


LE  MENESTREL 


LE    THÉÂTRE-LYRIQUE 


INFORMATIONS 


IMPRESSIONS 


XV 

Les  IfCteurs  dii  Ménestrel  ont  trouvé  ici,  le  20  septembre  dernier,  un 
quatorzième  article  sur  le  Théàlre-Lyrique,  contenant  un  proî^ramme 
idéal  pour  l'organisation  di;  ce  Ihéàlre.  Je  pensais  que  cet  article  résu- 
niatif  pourrait  clore  la  série;  mais  je  vois  bien  que  réellement  cette 
série  ne  sera  vraiment  épuisée  que  lorsque  le  Théâtre  municipal  lyri- 
que sera  fait;  et  peut-être  y  aura-t-il  alors  encore  bien  des  choses 
à  dire. 

Ne  supprimons  donc  pas  prématurémeal  la  rubrique  sous  laquelle 
nous  avons  jusqu'à  présent  librement  exprimé  ce  que  nous  suggérait 
celte  très  inléressanle  question,  et  suivons  au  jour  le  jour  le  mouve- 
ment des  faits  qui  s'y  rapportent. 

Ce  programme  du  20  septembre  a  trouvé  de  nombreux  échos 
dans  la  presse  quotidienne.  Plusieurs  do  nos  confrères  ont  fait  à  l'auteur 
de  ces  lignes  l'honneur  de  lui  prêter  des  paroles  qu'ils  auraient 
recueillies  au  cours  d'une  inlervie^w  L'interview,  vraiment,  eût  été 
difficile,  car  j'étais  alo's  à  près  de  cent  lieues  de  Paris.  Les  paroles 
du  moins  étaient  exactes  en  leur  essence,  puisqu'elles  procédaient 
directement  de  ce  programme,  et  mention  faite  de  la  discrétion  trop 
grande  qu'ils  ont  mise  à  citer  le  Ménestrel,  source  unique  de  leur 
information,  il  n'en  faut  pas  moins  savoir  gré  à  ces  reporters  de 
l'intérêt  qu'ils  ont  pris  et  du  bien  qu'ils  ont  fait  à  la  cause  que  nous 
servons,  en  vulgarisant  une  opinion  qui  loi  peut  êire  profitable. 

Depuis  septembre,  et  dès  la  rentrée  du  conseil  municipal,  un  acte 
important  s'est  produit. 

Comme  l'a  dit  foit  à  propos  la  semaine  d.  rnière,  dans  ce  journal, 
M.  H.  Moreno,  tandis  qu'un  bref  voyage  en  Allemagne  me  faisait 
pour  trois  jours  étranger  aux  choses  de  notre  France,  dont  il  n'arrive 
là-bas  que  des  bruits  très  vagues,  le  conseil  municipal  est  entré  dans 
la  voie  de  l'action,  Uu  rapport  de  leur  collègue,  M.  Deville,  a  éié  dis- 
tribué aux  conseilles  municipaux,  sur  le  projet  de  fondation  du 
Théâtre  Lyrique. 

De  ce  document,  très  nourri  de  considérations  histjriquesetmorales, 
je  ne  veux  aujourd'hui  retenir  que  la  conclusion.  Nous  reviendrons 
au  besoin  sur  l'ensemble. 

M.  Deville  exprime  cette  conviction  très  fjite,  que  si  la  Ville  de 
Paris  veut  faire  quelque  chose,  il  faut  qu'elle  le  fasse  elle-même  et 
complètement,  c'est-à-dire,  en  prenant  toutes  les  garanties  et  toute  la 
responsabilité....  Que  si  on  veut  faire  le  Théâtre  Lyrique  municipal,  il 
faut  que  le  conseil  municipal  en  décide  lui-même  toute  l'organisation, 
en  règle  le  fonctiounement,  ariêtele  cahier  des  charges,  non  d'vne 
concession  ou  d'une  subvention,  mais  d'une  régie  intéressée.... 

Ces  déclarations  si  nettes  sont  faites  pour  nous  combler  de  joie, 
car  elles  correspondent  exactement  au  sens  de  notre  programme.  Et 
ce  n'est  point  pour  une  value  satisfaction  personnelle  que  nous  nous 
exprimons  ainsi,  c'est  parce  que  ces  déclarations  établissent  très  hau- 
tem  :nt  la  supériorité  acquise  d'un  principe  qui  a  été  longtemps  dis- 
cuté et  qui  certaineraeut  le  sera  encore. 

On  proclame  volontiers,  en  effet,  l'inconvénient  du  système  de  la 
régie,  pour  le  com,.te  d'un  Etat  ou  d'une  ville,  parce  que  la  régie,  dit- 
on,  lie  les  b:as  au  régisseur,  le  fait  l'homme-ligede  tous  les  personnages 
officiels,  de  tous  les  représentants  de  l'administration,  l'empêche  de 
goaverner  arlistiquenent  son  Ihéàt 'e,  en  fait  une  façon  de  pantiu 
dont  tout  le  monde  peut  tirer  le  fil,  plus  ou  moins  adroitement.  Posi- 
tion misérable,  en  efî;t,  qu'aucun  homme  désintéressé  et  intelligent 
n'accepterait  et  qui  ne  saurait  être  subie  que  par  un  complaisant  se 
so  :eiant  uniquement  de,  sa  situation  personnelle  et  faisant  bon  mar- 
ché des  intérêts  de  l'art  confie  à  sa  garde  et  à  ses  soins.  Mais  ce 
n'est  point  de  ce  type  inférieur  de  l'e.-pèce  qu'il  peut  être  question. 

Parmi  les  commentateurs,  qu-s  je  visais  plus  haut,  de  notre  pro- 
gramme du  20  septembre,  l'un  de  ceux  qui  eu  ont  franchement 
indiqué  la  source  et  approuvé  les  conclusions,  je  veux  citer  mon 
confrère  et  ami  Victoriu  Joncières.  qui,  en  son  article  hebdoma- 
daire de  la  Liberté,  a  cependant  fait  une  réserve  en  ce  qui  concerne 
l'exercice  de  la  fonction  de  directeur-régisseur.  J'avais  dit  que  ce 
directeur  devait  avoir  toute  son  initiative.  Il  parait  craindre  qu'ainsi 
livré  à  lui-même,  il  ne  tombe  dans  l'arbitraire  et  ne  reste  enclin  par 
conséquent  aux  errements  tant  reprochés  aux  directeurs  de  l'espèce 
commune.  11  n'a  pas  pris  garde  sans  doute  qu'en  diiant  «  initiative  » 
je  dis  aussi  c  responsabilité  »  ;  que  je  soumets  les  actes  de  ce  di- 
recteur au  contrôle  et  à  l'approbation  d'un  comité  armé  de  tous  les 
pouvoirs  restrictifs,  et  que  ce  directeur  exerçant  un  mandat  natu- 


rellement révocable  serait  bien  sot  et  bien  ennemi  do  lui-même  de 
n'en  faire  qu'à  sa  tête  sans  souci  de  la  haute  mission  qui  le  doit 
mettre  au-dessus  de  tout  parti  pris,  de  tout  caprice  et  de  toute  dé- 
viation de  conscience. 

Ah!  ce  n'est  pas  facile  assurément  que  de  rencontrer  un  homme 
assez  droit,  assez  consciencieux,  pour  ne  rien  voir  au  delà  de  la 
tâche  à  remplir.  Mais  tout  peut  arriver,  tout  arrive,  même  de  mettre 
la  main  sur  un  honnête  homme,  si  rare  que  soit  l'oiseau. 

C'est  à  quoi  pourront  tout  d'abord  s'appliquer  les  conseillers  muni- 
cipaux, dès  qu'ils  auront  formulé  leur  organisation  du  Théâtre  Lyrique, 
et  ce  ne  sera  pas  là  la  moindre  de  leurs  charges. 

D'aucuns  ont  dit — hier,  un  homme  très  digne  de  considération 
me  le  disait  encore,  —  que  mis  à  la  tète  d'un  théâtre  en  régie,  le 
directeur  ne  serait  qu'un   «  fonctionnaire  »,   un   »  chef  de  bureau  n. 

C'est  reproduire  sous  une  forme  plus  concise  les  reproches  adressés 
au  système  de  la  régie  et  que  j'ai  déjà  enregistrés;  c'est  proclamer 
le  servage  d'un  administrateur  qui  doit  èire,  j'y  insiste,  libre  et 
responsable.  11  peut  avoir,  il  doit  avoir  des  juges  ;  mais  il  doit  mar- 
cher sans  lisières.  Tant  pis  pour  lui  s'il  trébuche  et  tombe. 

On  choisira  donc  assurément,  pour  cette  fonction  délicate,  un  sujet 
simplement  très  avisé  des  choses  du  théâtre,  un  bon  serviteur  de 
l'art,  indépendant  de  toute  église  musicale,  doublé  d'un  homme  à 
l'esprit  bien  ordonné  et  méthodique. 

M.  Alphonse  Humberl  a,  dans  l'Éclair,  traité  fréquemment  celle 
question  du  Théâtre-Lyrique;  il  l'a  fait  avec  beaucoup  plus  d'autorité 
que  je  n'y  en  puis  melire  et  plus  de  chance  que  moi  d'être  écouté. 
Lui  aussi,  à  diverses  reprises  et  hier  encore,  s'est  associé  aux  idées 
exprimées  par  le  Ménestrel.  Dj  même  M.  Grébauval,  qui,  au  conseil  et 
dans  la  presse,  défend  cetle  noble  cause.  A  ces  écrivaius,  comme  à 
tous  les  membres  de  la  2°  et  do  li  4*  commission,  dont  l'un, 
M.  Hattal,  est  depuis  longtemps  le  champion  de  notre  école,  les 
compositeurs  français,  nos  contemporains,  les  amis  de  la  vieille 
musique  nationale,  les  partisans  de  la  vulgarisation  des  chefs- 
d'œuvre  classiques,  garderont  une  profonde  reconnaissance  pour 
avoir  repris  et  sérieusement  tenté,  cette  fois,  la  réalisation  d'une 
création  si  disculée  par  quelques-uns,  si  indispensable  pour  tous  — 
œuvre  à  la  fois  sociale,  artistique,  morale,  dont  on  ne  saurait  de 
bonne  foi  contester  l'opportunité  en  i;n  temps  oii  le  goût  s'affirme  de 
mettre  la  musique  partout,   même  là  où  vraiment  elle  n'a  que  faire. 

Je  ae  parlerai  pas  et  ne  veux  point  parler,  je  l'ai  dit,  des  diverses 
compétitioQS  qui  déjà  se  oroduisent  au  sujet  de  la  future  direction 
du  Théâtre-Lyrique  municipal.  Le  corps  n'existe  pas  encore,  que 
déjà  il  y  a  dix  ou  quinze  lêtes  ! 

C  ■■  que  le  conseil  va  avoir  à  examiner  tout  d'abord,  avec  l'organi- 
sation fondamentale  de  ce  nouvel  lustitut  lyrique,  c'est  le  choix  du 
théâtre  où  il  s'installera.  —  Nous  reviendrons  à  l'occasion  sur  ce 
dernier  sujet,  dont  nous  avons,  au  surplu-,  déjà  parlé. 

Quant  au  premier  point,  celui  de  l'organisation,  il  est  certainement 
une  question  de  vie  ou  de  mort.  Si  la  Ville  n'adopte  pas  bravement  le 
système  de  la  responsabilité  absolue,  avec  les  conséquences  finan- 
cières qu'elle  entraîne,  si  elle  laisse  la  moindre  prise  à  l'intérêt 
privé,  la  cause  est  compromise,  elle  est  perdue! 

Le  Théâtre-Lyrique  doit  être  un  Conservatoire  d'art;  il  y  faut  uu 
aubtère  gardien,  et  il  convient  d'insister  sur  cette  redite  que  les  insti- 
tutions de  cet  ordre  élevé  sont  faites  pour  le  culte  absolu  des  belles 
choses,  pour  le  service  bien,  entendu  des  intérêts  de  noti-e  école  mu- 
sicale ancipnne  ou  moderne,  et  non  point  pour  l'édification  de  la  for- 
tune personnelle  de  ceux  qui  peuvent  être  appelés  à  les  diriger. 

Louis  G.m.let. 


L'EXPOSITION  DU  THÉÂTRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 

(Suite.) 


Je  ne  saurais  quitter  cette  salle  26,  si  vaste,  si  intérecsante  et  si 
riche,  sans  signaler  à  l'attention,  comme  elle  le  mérite,  la  collection 
étonnamment  curieuse  d'instruments  anciens  exposée  par  M.  Au- 
guste Tolbeeque,  collection  dont  l'originalité  surtout  réside  en  ceci, 
que  tous  les  instruments  qui  la  composent  sont  non  point  des  origi- 
naux, mais  des  reconstitutions,  et  qu'ils  ont  été  construits  par 
M.  Tolbeeque  lui-même. 

Uu  type,  ce  Tolbeeque.  Fils  d'un  violoniste  fort  distingue,  neveu 
de  l'ancien  chef  d'orchestre  des  bals  de  la  cour  sous  Louis-Philippe, 
dont  la  musique  d  !  danse  obtint  do  si  grands  succès  à  cette  époque, 


LE  MÉNESTREL 


365 


il  fit  lui-mèiiie  d'excellentes  éludes  au  Conservatoire,  d'où  il  sortit 
avec  un  premier  prix  de  violoncelle,  après  avoir  étudié  l'harmonie 
avec  Reber.  Cela  ne  l'empêchait  pas  de  travailler  la  lutherie  en  ama- 
teur chez  Rambaux,  celui  que  nous  appelions  naguère  «  le  père  » 
Rambaux  et  qui  demeurait  juste  en  face  le  Conseivaloire,  si  bien  que 
des  fenêtres  de  ma  classe  nous  plongions  dans  son  atelier,  situé  à 
l'entreSMl.  Après  avoir  pa;sé  plusieurs  années  à  l'orchestre  de  l'Opéra, 
M.  Tolbecque  quitta  Paris  tout  à  coup,  un  beau  jour,  pour  aller  se 
fixer...  à  Niort,  qui  n'est  pas  précisément  un  centre  musical.  Quel- 
ques années  après  ou  le  trouve  à  Marseille,  où  il  est  professeur  de 
violoncelle  au  Conservatoire.  Puis  il  revient  à  Paris  en  1871,  entre  à 
la  Société  des  concerts,  et  enfin  s'éloigne  de  nouveau  poar  retourner 
à  Niort,  où  il  est  encore  aujourd'hui. 

Entre-temps,  et  tout  en  vojageani,  M,  Tolbecque  avait  réuni  une 
fort  belle  collection  d'instruments  anciens,  dont  il  avait  lui-même, 
avec  une  rare  habileté  de  main,  rercis  eu  état  ceux  qui  avaient  subi 
quelques  détériorations.  Il  avait  offerl  de  céder  cette  collection  à 
l'Eiat  pour  le  musée  du  Conservatoire  ;  mais  comme  chez  nous  il  n'y 
a  jamais  de  ressources  au  budget  des  beaux-aits  en  pareille  circons- 
tance, le  musée  du  Conservatoire  de  Bruxelles  ayant  eu  vent  de  la 
chose,  s'empressa  de  s'en  reiKlre  acquéreur.  Mais  M.  Tolbecque  ne  se 
bornait  pas  à  soigner  et  à  réparer  le;  instruments  malades;  il  en 
construisait  lui-mêm?.  Excellent  organiste,  un  beau  jour  il  voulut  se 
faire  organier,  et  il  y  réussit  ti  bien  qu'il  édifia  plusieurs  o; gués, 
dont  un,  à  deux  claviers,  est  placé  au  collège  de  Pons,  un  autre  à 
l'iglise  Saint-Martin  de  cette  ville,  un  autre,  de  dix  jeux,  à  la  Trem- 
blade,  un  autre  encore,  à  deux  claviers  avec  quatorze  jeux,  chez  M.  le 
marquis  de  Foucault.  Et  comme  il  faut  croire  que  le  travail  ue  lui 
coûte  pas  grand' jhose,  il  trouvait  encore  le  temps  d'écrire  un  certain 
nombre  de  compositions  importantes  pour  le  violoncelle,  de  publier 
deux  brochures  intéressantes,  l'une  intitulée  Quelques  eonsidé rations 
sur  la  lutherie,  l'autre  Souvenirs  d'un  musicien  de  province,  et  de  pré- 
parer un  grand  Traité  historique  de  la  lutherie  qu'il  compte  livrer  pro- 
chainement au  public. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  M.  Tolbecque  avait  été  frappé  des  nombreuses 
figures  d'instruments  antiques  et  disparus  qu'on  rencontre  de  toutes 
parts,  sur  les  temples  grecs,  dans  les  sculptures  des  églises  gothiques, 
sur  les  tableaux  ou  les  vieilles  estampes,  et  l'idée  lui  vint  de  recons- 
liluer  tous  ces  instruments  qu'il  voyait  reproduits  parle  ciseau,  par 
le  pinceau,  par  le  burin.  Le  projet  était  vaste,  à  ce  point  qu'on  pou- 
vait le  croire  irréalisable.  A  tout  le  moins  il  offrait  certainement 
d'énormes  difficultés,  et  il  fallait  une  singulière  confiance  en  soi  et 
en  son  aptitude  au  travail  pour  oser  l'envisager  et  l'entreprendre.  C'est 
pourtant  ce  que  fit  M.  Tolbecque.  Il  a  reconstruit  tous  ces  iasti'uments 
avec  les  bois  et  les  métaux  qui  conviennent  à  chacun,  et  avec  de  tels 
détails,  une  telle  exactitude  et  de  telle  fjçon  que  ce  ne  sont  point  de 
simples  images  qu'il  nous  offre,  mais  de  véritables  engins  sonores, 
que  chacun  de  ces  instruments  peut  être  joué,  et  que  tous  possèdent 
les  qualités  qui  leur  sont  propres. 

Voici  la  liste,  exactement  reproduite,  de  ceux  qu'il  expose,  au 
nombre  de  trente-trois,  dans  une  fort  belle  panoplie  dont  il  serait 
superflu  de  faire  ressortir  le  très  curieux  intérêt  : 

1.  —  Lyre  à  rinq  i.-nnles;  lyre  primitive  des  temps  héroïques  de  la  Grèce. 

2.  —  Lyri'  ;'i  M.'pi  c>(inli.s,  eu  éventail;  VIII':  siècle  avant  .I.-C. 
::!.  -    \.\rr  :i  nriif  r,,r,lrs,  VI=  siècle  avant  J.-G. 

i.  —  C.illi.iiv  ,1  iliiiiz.'  rurtles,  V°  siècle  avant  J. -G. 

5.  —  Crouth  à  six  cordes,  à  archet  et  cheYalet  plat  des  bardes  gallois  du 
XI=  siècle. 

6.  —  Reber  à  trois  cordes,  XII=  siècle; 
'7.  —  Gigue  à  deux  cordes,  XII'  siècle; 

8.  —  (iiguc  à  une  corde,  XII"  siècle; 

9.  —  Rubébe  à  trois  cordes,  XII'  siècle: 

10.  —  Basse  de  cornet,  XI V=  siècle; 

11.  —  Vitrude  à  cinq  cordes,  XV'  siècle; 

12.  —  Vitruilc  à  cinq  cordes,  XV'  siècle; 
•13.  —  Psaltcriou  du  XV'  siècle; 

14.  —  Basse  de  lyre  à  douze  cordes   dont  les  trois  graves  sont  doublées, 
du  XV' au  XVII' siècle; 
lo.  —  Basse  de  viole  d'amour,  à  six  et  à  douze  cordes,  XVI'  siècle; 

16.  —  Viul-i  da  gamba  à  six  cordes,  XVI'  siècle; 

17,  18,  19,  20.  —  Cornets  (basse,  ténor,  alto,  soprano),  XVI'  siècle; 

21.  —  Nymphalé  ou  orgue  portatif,  XVI'  siècle; 

22.  —  Cornet  basse,  XVII'  siècle; 

2:i  —  Musette  en  flûte  duucc,  XVII'  siècle; 

24.  —  Viole  d'amour  à  six  curdes,  XVII'  siècle; 
2b.  —  Viide  d'amour  à  six  cordes,  XVII'  siècle; 

26.  —  Viole  d'amour  à  sept  cordes,  XVIII'  sièrde  ; 

27.  —  Pochette,  modèle  Lyrone,  XVI»  siècle; 

25.  —  Pochette  en  viole,  modèle  italien,  XVI'  siècle; 


29.  —  Soprano  de  cornet  à  bouquin; 

.30,  31,  32,  33.  —  Gromornes  (basse,  ténor,  alto,  scqiiano),  XVII'  siècle. 

Il  est  inutile  de  parler  de  l'exactitude;  sous  ce  rapport,  on  peut 
s'en  fier  au  savoir  et  à  la  probité  artistique  de  M.  Tolbecque.  Mais 
ce  qui  est  remarquable,  c'est  le  soin,  c'est  le  fini  apportés  par  lui 
dans  son  travail,  c'est  l'étonnante  habileté  avec  laquelle  il  a  su  le 
mener  à  bonne  fin,  c'est  la  délicatesse  dont  il  a  fait  preuve  en  trai- 
tant tous  les  accessoires,  c'est  la  courbure  des  filets,  l'élégance  des 
marqueteries,  l'emploi  de  la  nacre,  enfin  la  grâce  des  ornements  aussi 
bien  que  l'excellente  application  des  vernis.  Le  rendu  est  vraiment 
extraordinaire,  et  il  n'y  a  pas  assez  d'éloges  à  accorder  à  une  recons- 
titution si  parfaite  et  si  heureuse,  si  scrupuleuse  et  si  complète.  Ce 
qu'on  voudrait  maintenant,  c'est  entendre  tous  ces  instruments,  pour 
apprécier  lo  caractère,  les  qualités  et  la  nature  de  chacun  d'eux. 

Nous  allons,  à  présent,  franchir  un  assez  long  espace  pour  nous 
rendre  à  l'une  des  salles  les  plus  franchement  amusantes  de  l'Ex- 
position, la  salle  22,  où  nous  attendent  les  marionnettes  et  tout  leur 
attirail  fantaisiste.  Ici,  nos  regards  ne  savent  d'abord  sur  quoi  se 
porter  et  se  poser,  tant  ils  sont  attirés  de  tous  côtés  par  une  foule 
d'objets  qui  les  sollicitent  à  la  fois.  Nous  arrêterons-nous  au  gentil 
Théâtre  Miniature,  ou  aux  Pupazzi  de  M.  Lemercier  de  Neuville, 
ou  au  Guignol  de  Lyon,  si  chéri  de  ses  compatriotes, ou  aux  pou- 
pées de  Séraphin,  ou  au  théâtre  de  M.  Comte,  «  physicien  du  roi,  » 
ou  aux  nombreuses  marionnettes  exotiques,  ou  aux  souvenirs  de 
Robert  Houdia?...  Tâchons  démettre  un  peu  d'ordre  dans  notre  pro- 
menade et  de  régler  notre  visite,  afin  d'en  tirer  toutleparli  possible. 

Tout  d'abord  nous  lencontrons  là,  exposé  par  un  collectionneur 
ingénieux,  M.  Arthur  Maury,  tout  le  matériel  de  l'ancien  et  célèbre 
théâtre  de  Séraphin.  —  la  joie  des  enfants,  la  tranquillité  des 
parents.  La  série  est  vraiment  curieuse,  et  aussi  complète  qu'on  le 
peut  souhaiter.  En  premier  lieu,  en  belle  place,  le  portrait  à  l'huile 
du  bossu  avisé  qui  fut  le  fondateur  du  mignon  théâtre  auquel  il 
donna  son  nom.  Auprès  de  lui,  toutes  les  ombres  chinoises  et  toutes 
les  poupées  mécaniques  qui  firent  sa  gloire  et  sa  fortune.  Il  en  est 
dans  le  nombre  qui  étaient  à  trucs  et  à  transformations,  car  Séraphin 
ne  se  refusait  rien.  Puis,  le  long  du  mur,  ce  sont  des  affiches,  des 
programmes,  des  proclamations  au  public,  et  des  petits  boniments 
imprimés  que  le  «  directeur  »  faisait  disti-ibuer  à  la  porte  de  son 
théâtre.  Eufin,  dans  une  vitrine,  avec  des  billets  et  différents  autres 
documents,  toute  une  série  de  manuscrits  de  pièces  jouées  chez 
Séraphin,  et,  qui  plus  est,  la  musique  de  quelques-unes  de  ces 
pièces!  Il  n'y  a  que  les  collectionneurs  pour  sauver  de  la  destruc- 
lion  et  de  l'oubli  des  trésors  de  ce  genre.  J'ai  l'air  de  rire;  mais 
quoi  ?  tout  modeste  que  cela  soit,  tout  cela  n'appartient-l-il  pas  à  l'his- 
toire du  théâtre?  et  n'a-l-on  pas  vu  un  grave  bibliothécaire,  un 
membre  de  l'Institut,  Charles  Magnin,  consacrer  dix  années  de  sa 
vie  à  écrire  une ///stoi're  des  marionnettes  qui  est  un  livre  charmant? 
Pour  en  revenir  aux  pièces  de  Séraphin,  les  manuscrits  exposés 
sont  les  suivantes  :  VEcu  de  six  francs,  la  Rage  d' Arlequin,  le  Gagne-petit 
oale  Bien  vient  en  chantant,  le  Bois  dangereux,  le  Prêteur  sur  gages, 
la  Belle  et  la  Bêle,  les  Nouveaux  cris  de  Paris,  les  Caquets  du  matin. 
Pourquoi  M.  Arthur  Maury  n'a-t-il  pas  exposé  le  chef-d'œuvre  du 
répertoire,  le  fameux  Pont  cassé,  qui  était  à  Séraphin  ce  que  Tartuffe 
est  à  la  Gomé  lie-Française,  ce  que  la  Dame  blanche  est  à  l'Opéra 
Comique?...  Et  j'allais  oublier  le  brevet,  le  précieux  brevet,  sur  papier 
timbré,  par  lequel  Séraphin  était  autorisé  à  établir  et  à  ouvrir  son 
théâtre  à  Versailles,  avant  qu'il  vint,  à  la  faveur  de  la  Révolution, 
s'installer  à  Paris. 

Ceci  est  une  pièce  authentique,  J'en  trouve  dans  celte  salle  quel- 
ques autres  du  même  genre,  bien  curieuses,  et  qui  méritent  d'être 
reproduites.  Je  le  repète,  tout  cela  tient,  par  un  petit  côté,  mais 
caractéristique,  à  l'histoire  de  l'art.  Est-ce  que  les  plus  infimes  caba- 
rets de  «  la  butte  sacrée  »  n'ont  pas  déjà  leurs  historiens?  Pourquoi 
donc  n'apporterions-nous  pas  une  contribution  nouvelle  à  l'histoire 
sacrée  des  marionnettes'? 

(A  suivre.)  A(îthur  Poucm,. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concert  Colonne.  —  Graml  festival  de  musique  russe  sous  la  direction  de 
M.  Winogradsky,  i-hpfil'nivlieslre  de  la  Société  impériale  de  musique  de  Kiew. 
C'est  la  seconde  fois  ifiir  rp  innsicicn  éminent  vient  populariser  à  Paris  des 
œuvres  de  ses  comii:iiiii>ics  les  plus  illustres.  Le  succès  a  été  mélangé.  La 
seconde  partie  du  concert  a  paru  plus  intéressante  que  la  première.  Après  une 
ouverture,  froidement  accueillie,  du  célèbre  Glin';a,  M.  Winogradsky  nous  a 


366 


LE  MENESTREL 


fait  enteuJre  la  dixième  symphonie  (palhélique}  Je  Ti;liaïli.invsliy.  J'igU(jro 
pourquoi  l'auteur  a  donné  le  titre  de  symphonie  à  une  suite  de  morceaux 
dont  l'ensemble  n'a  aucun  rapport  de  contexture  avec  la  symphonie  telle  que 
la  concevaient  les  grands  maîtres  du  passé  el  ceux  qui,  plus  récents,  se  soni 
inspirés  de  leurs  exemples  et  ont  cherché  à  suivre  leurs  traces.  De  Inus  les 
morceaux,  un  seul  est  vraiment  intéressant,  le  premier,  sorte  de  poème  psy- 
chologique qu'im  aurait  aussi  bien  pu  intituler  rêves,  désillusion,  désespoir. 
Dans  ce  morceau,  on  sent  que  l'auteur  a  mis  son  àme  et  qu'il  a  vécu  ce  qu'il 
exprime:  il  mourut,  du  reste,  peu  de  temps  après  avoir  composé  sa  sym|ihoiiip. 
Les  autres  parties  sont  faibles  et  n'ajoutent  rien  à  la  valeur  de  l'œuvre. 

La  seconde  partie  du  concert  offrait  plus  d'intérêt  que  la  première.  La  Fan- 
taisie de  Dargomijsky.  iiui  est,  à  plus  proprement  parler,  un  air  de  danse,  a 
généralement  plu  :  elle  a  un  cachet  d'originalité  qui  eût  mieux  ressorti  si 
l'orchestration,  à  certains  moments,  n'eût  paru  un  peu  brutale.  Ce  défaut  ne 
se  retrouve  pas  dans  la  délicieuse  rêverie  de  Borodine,  Dans  les  steppes  de 
l'Asie,  qui  a  retrouvé  au  Châtelct  le  succès  qu'elle  avait  eu  au  Cirque  d'Été, — 
encore  moins  dans  les  airs  de  ballet  de  f eramors  (Rubinstein).  ha.  Dame  des 
bayadères  a  été  redemandée  et,  pour  un  peu  plus,  on  l'aurait  à  nouveau  recom- 
mencée. Rubinslein  s'inspire  surtout  des  procédés  de  l'école  classique.  Sa 
musique  n'a  pas  de  caractère  national.  Rubinstein,  tout  en  étant,  un  grand 
maître,  n'est  pas  un  novateur.  Sou  orchestration  est  parfaite,  délicate  et  fine 
quand  il  le  faut,  puissante  lorsqu'il  est  nécessaire.  Son  tissu  orchestral 
n'offre  que  des  couleurs  bien  fondues,  rien  ne  choque  l'oreille,  les  opposi- 
tions de  teiutes  sont  discrètes,  les  brutalités  sonores  sont  rares.  Avec  la 
Berceuse  de  Cui,  nous  rentrons  davantage  dans  le  style  russe  proprement  dit: 
ce  petit  morceau,  très  court,  est  d'une  saveur  exquise.  —  Le  concert  se  ter- 
minait par  une  introduction  et  Polonaise  de  Moussorgsky  qui  n'a  rien  de  bien 
saillant,  qui  n'approche  même  pas  de  la  Polonaise  de  Struensée  de  Meyerbeer. 
Nous  n'aurions  garde  d'oublier  W^'  Louise  Planés  et  M"'=  Auguez  de  Monla- 
lant,  qui  ont  eu  un  fort  beau  succès  en  interprétant,  l'une,  une  Ballade  varégue 
de  Sérnw,  l'autre,  une  Chanson  du  lienjer  do  Rimsky-Korsakow  :  les  deux 
morceaux  ont  été  bissés  :  mais,  si  nous  de\  iiuis  indiquer  nos  préférences,  ce 
serait  pour  la  Chanson  du  berger  qui  est  d'un  caractère  vraiment  poétique  et 
qui  a  une  saveur  toute  particulière.  Quant  au  chef  d'orchestre,  M.  'Wiuo- 
gradsky,  il  est  des  plus  suggestifs.  Il  n'appartient  pas  à  cette  catégorie  de 
chefs  d'orchestre  qui  dirigent  leurs  musiciens  d'un  geste  à  peine  perceptible. 
M.  Winogradsky  est  plein  d'exubérance  et,  quand  il  conduit  un  air  de  ballet, 
on  poun-ait  presque  croire  qu'il  le  danse,  ce  qui  ne  l'empêche  pas,  après  tout, 
d'être  un  chef  d'orchestre  remarquable,  et  c'était  l'avis  du  public,  qui  lui  a  fait 
le  plus  chaleureux  accueil.  H.  BAnBiiOEiiE. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Il  ne  semble  pas  qu'en  aucun  autre  ouvrage 
rexcelleute  tenue  de  l'orchestre  se  manifeste  mieux  que  dans  la  Symphonie 
hérdique  de  Beethoven.  La  raison  en  est  facile  à  comprendre,  car  cette  vaste 
composition,  que  Diouys  Weber  qualifiait  d'absurdité  (nnding)  parce  qu'elle 
s'offrait  à  lui  dans  une  forme  différente  de  celle  adoptée  par  Mozart,  n'exige 
pas  de  la  part  des  exi^culaiils  de  grandes  qualités  d'initiative,  mais  seule- 
ment l'aplomb  rythmique  pi.  ilc  la  part  du  chef  d'orchestre,  une  réelle  dexté- 
rité qui,  seule,  permet  de  résoudre,  sans  confusion  et  sans  heurts,  l'étonnant 
problème  de  gravitation  musicale  qu'a  posé  Beethoven  en  faisant  évoluer, 
dans  le  finale  de  son  œuwe,  trois  thèmes  dont  l'un  s'agrandit  et  se  dédouble 
avec  un  luxe  somptueux  de  couleurs.—  La  Forêt  enchamtée  de  M.  d'Indy  a  été 
inspirée  par  Uhland.  Il  plane  sur  l'ensemble  un  symbolique  voile  que  je  ne 
me  hasarderai  pas  à  soulever,  mais  l'on  ne  peut  qu'être  charmé  par  la  phrase 
féconde  en  voluptueuses  évocations  qui  caractérise  la  séduction.  L'ouvrage  ne 
manque  pas  de  coloris  et  la  pâte  orchestrale  en  est  partout  riche  et  gém''- 
reuse.  —  M"ie  Alba  Chrétien  a  chante  l'air  A'Obéron  el  la  Mort  diseult.  Sun 
organe  a  des  qualités  de  résistance,  mais,  dans  ri'niiss.'-.ii.  mani|ue  d'égalili'. 
La  voix  procède  par  une  série  d'efforts.  Laisanci'.  Iniil  des  iiualil('s  primor- 
diales -et  d'un  travail  soutenu,  la  simplicité  dans  le  style,  résultat  d'une  mé- 
thode supérieure,  se  font  regretter  dans  l'air  de  'Weber.  La  cantatrice  parait 
mieux  à  sa  place  dans  la  musique  de  'Wagner,  où  l'orchestre  dirige  et  sou- 
tient son  interprétation.  Huldtgungsniarsch,  de  Wagner,  terminait  la  séance. 

AmÉDÉE    BoUTAItEL. 
—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Grand  festival  de  musique  russe,  dirigée  pai-  .M.  WirKj- 
gradsk}.  Symplionk  pathétique  {Tschmkowsky};  Rognêda  (Serow;;  Cosalschok  (Uargo- 
misl,y  ;  Cinn  rio  L-n  ré  mineur,  n"  4,  pour  piano  (Rubtnsteini,  exécuté  par  M.  Mande 
ItfuiiLiiurg:  Snégourotschka  <  Riraskj-Korsatiowi,  chanson  du  berger,  par  M""  .\uguez 
■  le  ilontiilanl  :  Berceuse  'César  Coij  ;  liousslane  el  Luimilla,  ouverture  (Cilinka), 

Ciri|ue  des  Cliamps-Iilysées,  concert  exceptionnel  donné  par  le  uélèbre  quatuor  tclioi|uc  : 
IIM.  Karl  Hotlmaan,  premier  violon;  Joseph  Suk,  deuxième  violon;  Oscar  Nedbnl,  allô; 
Hans  Wiban,  violoncelle.  —  Programme  ;  Quatuor  en  ré  mineui'  (Sch\it)Grti;  Qualaor  en 
mi  mineur  (Smetanai;  Quatuor  en  fa  majfur  iTs.haïkowskji. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANBER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (12  novembre).  —  C'est  décidément 
lundi  que  la  Monnaie  donnera  la  première  du  Dm  César  de  Bazan  de  Masse- 
net:;  les  études  se  sont  poursuivies  discrètement,  si  disci-ètement  mémo  que 
le  public  les  a  ignorées  complètement  juscfu'au  jour  où,  tout  à  coup,  —  hier 
a  peine!  —  rœuwe  a  été  affichée  et  la  première  annoncée  en  même  temps. 


sans  autre  prépai'atiou  ni  avertissement.  C'a  été  imo  surprise  pour  tout  le 
monde.  En  attendant,  nous  avons  eu  la  reprise  de  Tannhiiuser,  —  beaucoup 
plus  annoncée,  'lelle-là.  Elle  n'a  offert  pourtant  rien  de  très  supérieur.  L'opéra 
de  "Wagner,  joué  jusqu'à  la  fin  de  la  saison  dernière,  nous  est  revenu  avec 
à  peu  près  sa  même  physionomie  et  sa  même  interprétation  un  peu  bour- 
geoises et  un  peu  lourdes.  Je  parle  surtout  de  l'ensemble,  des  chœurs,  de 
l'orchestre,  de  la  mise  en  scène,  de  tout  ce  qui  donne  sa  couleur  et  son  mou- 
vement à  une  œuvre  pareille.  Les  détails  ont  paru  meilleurs.  M.  Imbart  de  la 
Tour,  notamment,  n'a  pas  eu  de  peine  à  faire  oublier  M.  tiibert.  et  il  a  rappelé 
à  plus  d'un  endroit  M.  "Van  Dyck  par  sa  compréhension  et  son  intelligem-.' 
du  rôle,  qu'il  a  chanté  d'une  voix  charmante  et  avec  un  sentiment  vrai. 
M""'  Kutscberra  a  fait  'son  deuxième  début  dans  le  rôle  de  Vénus:  elle  \ 
est,  plastiquement,  fort  bien,  et  elle  en  rend  aussi  avec  justesse  le  seutimeul 
et  le  caractère  ;  la  voix  et  la  prononciation  laissent  malheureusement  fort  à 
désirer.  Les  autres  interprètes  sont  les  mêmes  que  ceux  de  l'an  dernier  : 
MM.  Seguin,  Dinard,  Gilibert  et  la  distingués  M""»  Raunay.  —  Au  Conser- 
vatoire, la  distribution  solennelle  des  prix  a  donné  lieu,  dimanche  dernier,  à 
la  cérémonie  traditionnelle  :  discours  et  concert  de  lauréats.  Le  discours  a 
été  prononcé  cette  fois  par  le  bourgmestre  de  Bruxelles,  M.  Buis,  qui  a  fail 
un  très  grand  éloge  de  M.  Gevaert.  —  A  la  même  heure,  la  classe  des  Beaux- 
Arts  de  l'Académie  royale  se  réunissait  en  séance  publique,  pour  entendre, 
d'abord,  un  remarquable  et  très  intéressant  discours  de  son  président, 
M.  Théodore  Radoux,  le  directeur  du  Conservatoire  de  Liège,  sur  la  Mmique 
et  Ifs  écoles  nationales,  —  discours  très  applaudi,  disant  hardiment  les  excès  où 
l'imitation  de  Wagner  a  conduit  nombre  de  compositeurs  d'aujourd'hui,  et 
démontrant  la  nécessité  de  rajeunir  la  musique  nationale,  chez  les  différente^ 
races,  aux  sources  pures  des  chansons  populaires,  — et  ensuite  la  cantate  de 
M.  Doueau,  premier  second  prix  de  Rome  au  concours  de  l'an  dernier.  Celle 
cantate,  écrite  sur  le  poème  couronné,  Callirhoé,  de  mon  excellent  ami 
Lucien  Solvay,  est  très  inférieure  à  celle  de  M.  Lunssens,  premier  prix  de 
Rome,  exécutée  précédemment,  et  dont  je  vous  ai  dit  les  très  grandes  qua- 
lités polyphoniques  et  dramatiques:  la  grâce  et  le  sentiment  conviennent 
mieux  à  M.  Doneau  que  le  mouvement  et  le  pittoresque:  quelques  pages  de 
sa  parliliun  sont,  dans  celte  note,  tout  à  fait  charmantes.  L'interprétation, 
solistes,  orchestre  et  chœurs,  a  été  convenable.  L.  S, 

—  Liste  d'œuvres  françaises  jouées  dans  les  théâtres  d'outre-Rhin  [leu- 
dant  ces  dernières  semaines  :  à  Vienne  :  Werther,  Carmen,  Manon  ;  à 
Berlin  :  l'Africaine,  les  Huguenots,  la  Fille  du  règinœnl,  Carmen  ;  à  Dresde  : 
Mignon,  Roméo  et  Juliette,  les  Huguenots  ;  à  Munich  :  l'Africaine,  Carmen,  les 
Huguenots  ;  k  Wiesbaden  :  Guillaume  Tell,  M'ertlier,  Faust,  la  Fille  du  régiment, 
Carmen,  le  Prophète,  Mignon,  les  Dragons  de  Yillars  ;  à  Leipzig  :  la  Dame 
blanche,  Jean  de  Paris,  Carmen,  les  Huguenots,  les  Deux  Journées,  Mignon  ! 
k  Brème  :  la  Dame  blanche.  Mignon,  la  Juive,  les  Huguenots,  Carmen  ;  à  Franc- 
fort :  Faust,  la  Belle  Hélène,  Fra  Diavolo.  Guillaume  Tell,  les  Huguenots,  l'Afri- 
caine, Coppélia,  la  Fille  du  régiment,  Carmen,  Mignon,  le  Postillon  de  Lonjumeau  : 
à  STurrGARD:  les  Huguenots,  Mignon,  Faust,  Joseph,  Guillaume  Tell;  à  Hanovre: 
les  Huguenots,  Iphigênie  en  Tauride,  Fra  Diavolo,  la  Fille  du  régiment  ;  à  Ha.m- 
BOiiRG  :  Médée,  Carmen,  la  Poupée  de  Nuremberg,  la  Fille  du  régiment  :  k  Cologne  : 
Mignon,  la  Juive  ;  à  Breslad  :  la  Juive,  Mignon. 

—  Le  compositeur  autrichien  de  Reznicek  a  été  nommé  premier  kapell- 
meister  du  théâtre  à  la  cour  de  Mannheim  et  a  commencé  ses  fonctions  avec 
beaucoup  de  succès. 

—  Ignace  BriiU,  le  compositeur  viennois  bien  connu,  vient  de  célébrer  le 
cinquantième  anniversaire  de  sa  naissance  et  a  reçu  à  cette  occasion  les  féli- 
citations de  ses  confrères  Bralmis,  Goldmark  et  Johann  Straus,  ainsi  que  celles 
de  ses  nombreux  librettistes.  Les  journau.x  viennois  lui  consacrent  des 
ailicles  fort  sympathiques,  car  Briill,  qui  n'a  jamais  trempé  dans  aucune 
intrigue  et  a  toujours  employé  son  grand  talent  de  pianiste  au  service  de  ses 
confrères  et  de  la  charité,  ne  compte  que  des  amis. 

—  M""''  Ada  Adiny  vient  de  remporter  un  beau  succès  à  Leipzig,  la  ville 
natale  de  Wagner,  où  l'on  avait  organisé  avec  son  coacours  une  série  de 
représentations  de  Tristan  et  Iseult  qui  ont  attiré  beaucoup  de  critiques  c 
d'artistes.  M.  Siegfried  Wagner  ri  la  famille  du  maître  de  Bayreuth  on 
assisté  aussi  à  ces  soirées  du  SLnliihcaloi-.  M'"°  Adiny  "  réalise  le  type  idéa 
diseult  >',  disent  les  journaux  alli  inands,  et  une  jeune  revue  wagnérienue  do 
Leipzig,  a  .publié  un  article  dos  pins  remariiués  ipii  se  termine  par  ces  mots 
enthousiastes  :  Salve  Regina! 

—  Une  dame  qui  n'.-i  pas  Vdiilii  sr  iairr  ciiiinailiv  a  remis  ciui]  mille  francs 

à    la    caisse  de  sec >  de  rnivlii'-irr  phillian ii(|ni'de  Vienne,  alin  qu'on 

puisse  offrir  au  dernier  jour  de  .liaipir  :iiiiice  la  s,, mine  de  deux  cents  francs 
,i  nu  membre  de  l'orchestre  prenant  sa  retraite.  La  dame  inconnue  dit  qu'elle 
est  redevable  de  beaucoup  de  jouissances  artistiques  à  l'orchestre  philhar- 
ni(ini(|ue,  et  qu'elle  tient  à  lui  exprimer  ainsi  sa  reconnaissance. 

—  Une  opérette  inédite  intitulée  le  Papillon,  paroles  de  MM.  'Willner 
et  Buclibinder,  musique  de  M.  Charles  Weinberger,  vient  d'être  jouée  avec 
beaucoup  de  succès  au  théâtre  An  der  Wieu,  à  Vienne. 

'—  Une  0  légende  musicale  »  intitulée  la  mdcmption,  paroles  de  M.  Me- 
nasci,  le  librettiste  heureux  de  Mascagni,  musique  de  M.  Auguste  Scharrer, 
a  iMé  jouée  au  théâtre  municipal  do  Nurem-berg  avec  un  succès  fort  mé- 
diocre.' 

—  Un  des  plus  vieux  musiciens  allemands,  M.  Léoiiold  Alexander,  premier 


LE  MENESTREL 


367 


violiiu.ii  rordiosU'o  munifi|ial  de  Uusseldurf,  vieiU  de  célébrer  le  60=  amiiver- 
de  son  entrée  dans  cet  orchestre.  En  1831,  cet  artiste  avait  fait  à  Londres  la 
connaissance  de  Mendelssohn,  qui  l'estimait  beaucoup.  En  1833,  lorsque  Men- 
delssohn  accepta  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  à  Dusseldorf,  M.  Alexan- 
der  le  suivit  et  resta  loiijmirs  dans  celte  ville. 

—  M"'«  Adèle  Wette,  la  sœur  du  compositeur  Humperdiuck,  qui  a  fourni 
à  son  frère  le  livret  de  Hœnsel  et  Gretel,  va  faire  jouer  au  théâtre  municipal  de 
Cologne  une  pièce  du  même  genre  intitulée  le  Roi  des  grenouilles,  dont  elle  a 
écrit  les  paroles  et  la  musique. 

—  Un  opéra  inédit  intitulé  le  Favori  des  fées,  musique  de  M.  F.Litterscheid, 
;l  été  joué  avec  succès  au  théâtre  municipal  de  Goblentz.  —  Un  autre  opéra 
inédit,  intitulé  le  Forgeron  de  Gretna-Grem,  paroles  de  M.  Félix  Dahn,  musique 
de  M.  Johannès  Doehber,  a  été  joué  aussi  avec  succès,  au  théâtre  ducal  de 
Cobourg. 

—  Le  concert  symphonique  donné  à  Odessa  par  M.  Colonne  a  eu  le  plus 
grand  succès.  Au  programme,  exclusivement  français  :  Roma  de  Bizet,  trois  airs 
do  ballet  A'Bérodiade  de  Massenel,  ouverture  du  Roi  d'Ys  de  Lalo,  concerto 
romantique  de  Godard,  Ballet  des  sylphes  et  Marche  Iwngroise  de  Berlioz.  Les 
Iniis  airs  de  ballet  i'Hérodiaie  ont  été  bissés. 

— Un  artiste  qui  jouissait  en  Italie  d'une  grande  renommée,  le  ténor  Italo 
Campaniui,  qui  obtint  surtout  un  grand  succès  en  chantant,  le  premier,  Lohen- 
grin  à  la  Scala  de  Milan,  est  tombé  malade  à  Parme,  sa  ville  natale,  et  son 
état  est  tellement  grave  qu'il  ne  laisse,  parait-il,  aucun  espoir  de  le  sauver. 

—  Nous  annoncions  récemment  le  prochain  grand  voyage  que  MM.  Mas- 
cagni  et  Leoncavallo  devaient  entreprendre  en  Amérique,  chacun  à  la  tète 
d'un  orchestre  qu'ils  dirigeraient  pour  faire  entendre  louis  hmivii'-  Or,  on 
écrit  de  Pesaro  que  M.  Mascagni  renonce  à  ce  voyage  puni'  |HMivnir  iruvaiUer 
à  la  partition  de  son  nouvel  opéra,  Iride,  qui  ne  sera  li-M-miiK'  i|ih'  l'année 
prochaine. 

—  On  nous  écrit  de  Milan  :  «  La  saison  du  Ïhéàtre-Lyrique  de  M.  Sou- 
zogno  continue  avec  un  succès  toujours  croissant  pour  les  œuvres  et  pour 
les  artistes,  et  le  répertoire  français  ne  cesse  d'attirer  la  foule.  Les  représen- 
tations de  Manon  sont  un  véritable  triomphe  pour  W"  Sibyl  Sauderson  et  le 
ténor  Pandofini,  que  seconde  à  merveille  le  baryton  MeliUo  dans  le  rôle  de 
Lescaut.  La  serata  d'addio  de  M"«  Simounet  a  été  pour  l'aimable  artiste  l'occa- 
sion d'ovations  sans  lin  et  tout  ornées  de  Heurs,  avec  Philémonet  Baucis.  Celle 
de  M""  de  Nuovina,  qui  devait  avoir  lieu  avec  la  Navarraise,  a  du  étri  remise 
à  cause  d'une  indisposition  de  M.  Pini-Gorsi.  Enfin,  ces  jours  derniers  on  a 
repris  Mignon  avec  une  nouvelle  interprète.  M"'  de  Elena  Theriane,  qui 
s'est  fait  vivement  applaudir  non  seulement  comme  chanteuse,  mais  comme 
comédienne,  ainsi  que  M"'^  Trauner  dans  le  rôle  de  Pbiline,  D'ici  peu  de 
jours  nous  aurons  Phryné  avec  M"«  Sanderson.  Vous  voyez  que  le  répertoire 
français  se  porte  assez  bien.  On  nous  annonce  comme  très  prochaine  l'appa- 
rition d'un  opéra  nouveau  du  maestro  Cilea,  l'Arlesania,  après  quoi  vieudroul 
quelques  ouvrages  du  répertoire  courant,  entre  autres  te  Donne  curiose,  le  joli 
opéra  bouffe  de  M.  Usiglio,  et  la Sonnambula,  avecM^^Strorafeld-Klamsiuska 
pour  protagoniste  ». 

—  Très  grand  succès  au  théâtre  Mercadante,  de  Naples,  pour  un  opéra 
nouveau  eu  trois  actes,  la  Collana  di  Pasqua,  paroles  de  M.  Luigi  Illica,  mu- 
sique de  M.  G.  Luporini.  L'œuvre  est,  dit-on,  très  dramatique  et  très  émou- 
vante, et  la  musique  a  produit  l'impression  la  plus  profonde.  Quatre  morceaux 
ont  été  hissés,  et  l'auteur  a  été  l'objet  de  di.x-neuf  rappels.  lulerprétation 
superbe  delà  part  de  M^'»  Carelli  (Pasqua),  de  MM.  Goppi,  Guariuo,  Roveri, 
Degli  Abbati  et  Menin,  orchestre  excellent,  belle  mise  en  scène  et  mouve- 
ment scénique  remarquable,  tel  est  le  résumé  de  la  première  représentation, 
dont  le  succès  s'est  renouvelé  le  lendemain.  La  Collana  di  Pasqua  sera  jouée 
incessamment  au  théâtre  Dal  Yerme,  de  Milan. 

—  A  Trévise  on  a  donné,  le  7  novembre,  la  première  représentation  d'un 
nouvel  opéra,  Sunanda,  dont  le  succès  parait  avoir  été  médiocre.  La  musique 
est  l'œuvre  d'un  artiste  jusqu'à  ce  jour  inconnu,  M.  Sudessi. 

—  Il  p.irail  que  l'énorme  fiasco  que  le  Vaisseau-Fanlôm?  vient  île  fairo  au 
théâtre  ruyal  do  Madrid  met  ce  théâtre  dans  le  [dus  grand  embarras-  11  ;ivail 
compté  sur  cot  iiuvrage,  dont  l'interprétation  était  |iourtant  exccUniilp,.  piiiii 
établir  solidement  le  commencement  de  sa  saison.  Hcurousemonl  le  succès 
de  la  reprise  de  Manon  avec  le  couple  GaruUi,  va  donner  à  lealreprise  le 
temps  d'aviser  et  peut-être  de  se  relever. 

—  Le  diapason  français  gagne  continuellemeut  du  terrain  en  Angiolerre,  el 
notre  génération  verra  peut-être  tout  de  même  le  jour  oii  cette  ndorme  aille 
sera  arciimplii'  iliiii>  liml  le  Rnyauiuf-riii.  .V  Wiurc^liT,  l'orgue  de  la  calhé- 

drale  oi   .f do  di'jn    :iii   iliii|ii(~iiii    iMHiii  il.   l'i   lin   \ii'iit   d'entreprendre   lu 

restauration  de  rurj^ie  ili'  la  riillu'iliMli'  dr  Hiuif^nr  eu  |ii'escrivant  au  facteui 
d'adopter  ce  diapason. 

—  A  New-York,  M""  Melba  a  déjà  commeuré  la  série  de  ses  coiicerls.  Au 
cours  des  premières  soirées  elle  a  fait  entPiidre  ,i\er  le  plus  Liiand  suives  nue 
uiiuvelle  Sevillana  do  M.  Massenet.  Les  cinq  fuis  il  a  failli  liis,--er  re  uiniTraii. 

—  Le  (ils  lie  rauriCMi  uii.iislre  drs  niiaiirr.  lin  iMMini riialir.  M    Alliann 

Seismit-DiHia,    iiin-irnni    ri    riiin|i.isilniir,    n.^l  en  ,■,■  iniui I  à  Xi'w-Yurk,  où. 

dans  un  ;;iMiiil    ruiirerl .    il  a    fail    en ilro    plin^inirs   iiiinveaiix    d'un    iipiM-a 

ipi'il  vient  lie  lenuiiier.  Celle  l'pi'eiive  lui  a,  dil-nii,  pleineiueut  réussi. 


—  Menliiuiniins  la  publication,  à  Alexandrie,  du  premier  numéro  d'un 
journal  spécial  qui  parait  sous  ce  tilre  :  la  Scène  égyptienne.  On  voit  que  la 
terre  des  Pharaons  est  bien  décidément  reconquise  à  la  civilisation.  L'Angle- 
terre ne  saurait  plus  se  prévaloir  d'aucun  prétexte  pour  renoncer  à  l'évacuer. 

PARIS   ET   DÉPARTEKIENTS 

C'est  M.  Alexandre  Guilmant  qui  est  nommé  professeur  d'orgue  au 
Conservatoire  en  remplacement  de  M.  Ch.  M.  Widor,  a  appelé  à  d'autres  fonc- 
tions »,  c'est-à-dire  nommé  lui-même  professeur  de  fugue  et  de  composition. 
On  sait  les  succès  que  depuis  longtemps  M.  Guilmant  a  obtenus  non  seule- 
ment eu  France,  mais  en  Angleterre  et  en  Amérique,  et  son  choix  sera  cer- 
tainement ratifié  de  tous  côtés. 

—  Voici  le  nom  des  élèves  femmes  admises  dans  les  classes  de  piano,  à  la 
suite  de  l'examen  d'entrée  qui  a  eu  lieu  cette  semaine  au  Conservatoire  : 
Classes  supérieures  :  M"=s  Debrie,  Boutarel,  Bussières,  Hickenlosper,  Magnus, 
Sedlitz,  Plocquin,  Pons,  d'Almeida,  Deligo,  Léon  et  Ortiz.  Classes  prépara- 
toires :  M'i™  Bettard,  d'Ambreville,  Palst,  Lheymann,  Cerf,  RoUier,  Pestre 
et  Gebel. 

—  Hur  la  proposition  de  l'Institut,  le  ministre  de  l'instruction  publique  et 
des  beaux-arts  vient  de  désigner  le  compositeur  prix  de  Rome  qui  doit  dans 
l'année,  donner  un  ouvrage  à  l'Opéra.  Son  choix  s'est  arrêté  sur  le  nom  de 
M.  Samuel  Rousseau,  l'auteur  du  drame  lyrique  Meroivig  (livret  de  M.  Georges 
Montorgueil),  couronné  en  1893  au  concours  musical  de  la  Ville  de  Paris. 

—  La  question  de  la  subvention  annuelle  de  100.000  francs  que  reçoit 
rOdéon  est^eu  ce  moment  agitée  à  la  Chambre.  Quelques  députés  mêm  -j  ea 
présence  des  désordres  qui  ont  marqué  l'ouverture  de  la  saison,  ne  parlent  de 
rien  moins  que  de  la  supprimer  et  projettent  de  déposer  un  amendement  en 
ce  sens  sur  le  bureau  de  la  Chambre.  On  se  demande,  si  une  mesure  aussi 
radicale  vis-a-\i<  du  si-nind  Théâtre-Français  était  prise,  ce  qu'il  adviendrail 
de  la  diriTinni  .irhiellr,  qui  a  pu  légitimement  compter  sur  nu  subside 
linancier,  a\or  loiinel  ilr.jà  il  lui  est  difficile  de  vivre,  et  sans  lequel  en  tout 
cas  il  ne  saurait  exister.  L'expérience  de  tous  les  temps  est  là  pour  le  prou- 
ver. Ce  qui  est  certain,  c'est  que  lorsque  le  ministre  nomme  un  directeur  de 
lUeâlre  subventionné,  il  est  moralement  engagé  vis-à-vis  de  lui  à  lui  assurer 
la  subvenlion  habituelle  pendant  tout  le  lemps  que  dure  son  privilège,  et  que 
le  directeur  nest  lenu  qu'en  raison  même  de  cet  engagement  moral.  Maison 
avait  parlé  dé  la  retraite  de  M.  Antoine  et,  par  conséquent,  de  celle  de 
M.  Ginisty,  par  suite  de  la  prétention  émise  par  le  premier  de  réclamer,  en 
se  retirant,  les  fonds  qu'il  avait  fournis  en  cette  qualité.  Peut-être  quelques 
membres  de  la  commission  du  budget  s'étaient-ils  émus  de  ces  rumeurs.  Ils 
devront  réEéchir  que  la  direction  seule  n'est  pas  enjeu,  qu'il  y  a  aussi  à 
coté  d'elle  la  question  de  toul  le  persnnnel  du  théâtre.  C'est  pourquoi 
M.  Georges  Berger,  rapporteur  du  liml-rl  des  Bean.x-Arts,  persuadé  que 
l'existence  de  l'Odéon  est  d'une  iilalilé  ca|utale  pour  l'art  dramatique  fran- 
çais, a  maintenu  les  conclusions  de  son  rapport  qui  étaient  favorables  au 
maintien  de  la  subvenlion.  La  commission  du  budget  s'est  prononcée  dans  le 
même  sens. 

—  Au  Gaulois,  notre  excellent  confrère  Nicolet  continue  le  cours  de  ses 
iudiscrêtions.  Cette  fois,  c'est  sur  le  ballet  l'Étoile  en  cours  de  répétition  à 
l'Opéra  qu'il  porte  son  attention  :  «  Jeudi,  pour  la  première  fois,  nous  dit-il, 
on  a  répété  une  succession  assez  importante  de  scènes  du  premier  acte  de 
l'Étoile,  ie  nouveau  ballet  de  MM.  André  Wormser,  Adolphe  Aderer  et  Camille 
de  Roddaz.  D'ici  quelques  jours,  ce  premier  acte  sera  tout  à  fait  au  point  et 
I  ou  passera  au  second,  qui  demandera  environ  un  mois  d'étude,  eu  sorte 
qu'on  peut  prévoir  la  première  représentation  de  cette  œuvre  chorégraphique 
dans  les  alentours  du  20  décembre.  —  Le  premier  acte  représentera  un  coin 
de  Paris  en  1798,  sous  le  Directoire,  avec  la  Seine  eu  perspective.  Le  décor 
sera  brossé  par  Garpezat.  Le  second  acte  se  passe  au  foyer  de  la  danse,  dont 
le  décor  de  l'époque  encadrera  l'examen  de  ces  demoiselles.  —  Le  rôle  prin- 
cipal, celui  de  la  jeune  étoile,  sera  créé  par  M'is  Rosita  Mauri.  Le  personnage 
de  ^  estris,  maître  de  ballet,  sera  lenu  par  M.  îlansen,  qui  se  trouvera  aiusi 
liHit  enlier  dans  son  élément.  Un  rôle  de  jeune  amoureux,  Séverin,  contrai- 
romenl  aux  Iradiliims  do  I  (Ipora.  i|iii  allribiienl  généralement  ces  rôles  à  des 
Iraveslis.  sera  jniio  ji.ir  M  (.adam  Lo  raraolère  du  personnage  convieni,  en 
elVet.  plus  àiun  liiimme  qua  une  de  ces  demoiselles,  dont  le  travesti  ne  mar- 
querait pas^sulfisamment  la  physionomie  du  rôle.  Un  rôle  important  celui 
de  la  première  danseuse  de  l'Opéra,  est  distribué  .à  M'"  Robin,  et  celui  d'une 
jeiiue  mariée  à  M"'=  Gléo  de  Mérode,  qui  l'a  rr^poir.o  hier  et  s'y  est  montrée 
rbarmaule.  Enfin,  il  reste  deux  rôles  pniioi|iaiix  a  .lisiribuer,  ceux  de  deux 
jeunes  mères  :  l'une,  la  mère  de  l'Étoile  :  i'aniio,  la  moio  de  la  première  dan- 
seuse, pour  lesquelles  il  faut  des  comédionno^  o\|ioi  inienlées.  Il  y  a,  en  ell'et, 
beauciiup  de  conu'die  à  donner  dans  ces  iloii\  |ioi-..„niiages,  dont  l'interpréla- 
liiiii  ra|i|iiMiera  oerlainomenl  beaucoup  do  ,,11000-  a  celles  qui  les  tiendront 
|iaroo  i|ii  lU  soimii  innt  a  l'ail  nuiiveaux  à  l'Opéra.  Toutefois,  l'administration 

lia  pa-    oiionro   pias   ilo  liransiim,  eu  présence  de  tes  les  compétitions  dont 

elle  rsl  assaillie,  au  sujel  de  la  on'Mlnin  do  00s  ilcii\    ligiiros  luul  à  laii  ijii;;i- 
iiales.  —  M"«  llirsoh,  Saodriui,  l.nli-lon,,  Dohiv.  l'iodi,  d  insoruiil  do-  i,n  ni- 


que le 


m',-. 


ip    d'Iialnl  ' 


IJOllI. 


a    oh',  dit.   ol   |Hiiir    fixer  lo>  lonso: 
liallet,    il    n'y  aura  pas  de  clown,  pas  do  grand  l'cart,  dans  ces  doux  arle- 
formeront  une   véritable  comédie  chorégraphique.  Toulon  plus,  au  pre- 


368 


LE  MÉiNESTREL 


aiuiilcr;i-t-elle   au 


mier  acte,   une  baraque  de    saltimbanques,   avec   pu 
pittoresque  du  Paris  d'il  y  a  un  siècle.  » 

—  Comme  nous  l'avions  annoncé,  c'est  dimanche  dernier  qu'a  eu  lieu 
l'inauguration  du  Monument  à  Watteau  dans  les  jardins  du  Luxembourg. 
Tout  s'y  est  admirablement  passé.  M.  Carolus  Duran,  président  du  comili'. 
et  le  ministre  des  beaux-aris,  M.  Rambaud,  ont  pris  sueessivement  la  parole 
et  ont  parlé  en  termes  excelleuls.  M.  Georges  Baillet,  de  la  Comédie-Fran- 
çaise, a  dit  ensuite  une  pièce  de  vers  de  M.  Emile  Blémont  et  M"-  Beraldi,  de 
rOdéon,  une  aulre  de  M.  Albert  Samain.  Enfin,  esl  venu  le  tour  de  la  mu- 
sique. M.  Mauguiéres  et  M"'  Gharlott?  "Wyns,  accompagnés  d'un  orchestre 
de  ti'ente  instrumentistes,  ont  chanté  la  Sérénade  à  M'atteau,  poésie  de  Ver- 
laine, mise  en  musique  par  le  jeune,  ardent  et  lalentueux  compositeur 
Gustave  Charpentier.  Le  succès  en  a  été  vif,  si  vit'  que  le  ministre  et  le  direc- 
teur des  Beaux-Arts,  M.  Roujou,  décidèrent  d'infliger  sur  l'heure  les 
palmes  académiques  au  jeune  musicien.  Mais,  ù  stupeur!  malgré  toutes  les 
insistances,  celui-ci  les  repoussa  avec  beaucoup  d'à-propos.  Et  ce  fut  bien 
fait  :  0  Faites  jouer  d'abord  ma  musique,  s'écriait  M.  Charpentier  ;  vous  verrez 
ensuite  s'il  y  a  lieu  de  m'bonorer  »,  faisant  ainsi  allusion  aux  partitions 
qu'il  a  toutes  préle.s  et  dont  aucun  directeur  ne  se  soucie,  après  la  réussite 
pourtant  retentissante  de  la  Vie  du  poêle  et  des  Impressions  d'Italie.  Oui,  que 
l'administration  des  Beaux-Arts  insiste  pour  qu'on  représente  l'un  des  opéras 
du  jeune  maître,  et  on  verra  ensuite  s'il  n'y  a  pas  lieu  de  l'honorer  mieux 
qu'avec  ce  bout  de  ruban  violet  qu'on  prodigue  aujourd'hui  à  tout  venant, 
et  s'il  ne  conviendra  pas  d'y  mêler  quelque  teinte  plus  rouge. 

—  Les  témoignages  de  sympathie  adressés  à  notre  éminent  confrère  et  ami, 
Victorin  Joncières,  si  cruellement  éprouvé,  sont  tellement  nombreux  qu'il  se 
trouve  dans  l'impossibilité  matérielle  d'y  répondre.  Il  remercie  du  plus  pro- 
fond de  son  cœur  tous  ceux  qui  veulent  bien  s'associer  à  sa  grande  douleur. 

—  M.  Michel  Delines  fait  part  aux  journaux  d'une  lettre  qu'il  vient  de 
rece¥oir  de  M.  Bessel,  éditeur  de  musique  à  Pétersbourg,  et  dont  voici  la 
conclusion  : 

Si  M.  le  comte  de  Montebello  demande  mainteDant  au  gouvernement  russe  la  ratifica- 
tion d'une  convention  littéraire  et  artistique,  il  est  certain  que  le  gouvernementme  la  lui 
refusera  paî.  Les  auteurs  russes  en  profiteront  doublement,  car,  en  protégeant  les  auteurs 
étrangers,  le  gouvernement  russe  reconnaîtra  sans  doute  les  droits  des  auteurs  russes  en 
Russie,  qui  ne  sont  pas  encore  très  nettement  établis. 

Voilà  qui  est  parfait.  Nos  diplomates  vont-ils  enfin  se  mettre  en  mouve- 
ment! Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  la  communication  faite  par  M.  Bessel, 
c'est  que  ce  même  M.  Bessel  a  été  précisément  l'un  des  plus  ardents  à  empê- 
cher le  renouvellement  de  la  convention  littéraire  et  artistique  qui  liait  autre- 
fois les  deux  pays.  Il  semble  être  revenu  à  de  plus  lionnêles  sentiments. 
Tant  mieux!  Il  y  aura  plus  de  joie  au  ciel  pour  un  pêcheur  repenti  que  poui' 
le  juste  éternel,  a  dit  l'Ecriture. 

—  M.  Lamonreux  et  son  orchestre,  engagés  pour  une  série  de  six  concerts  qui 
doivent  avoir  lieu  au  Queen's  Hall  de  Londres  du  lundi  16  au  samedi  21  no- 
vembre inclusivement,  ont  du,  en  se  rendant  en  Angleterre,  se  faire  entendre 
vendredi  à  Amiens  et  hier  samedi  à  Lille.  Tous  seront  de  retour  à  Paris  pour 
le  concert  du  dimanche  22. 

—  Après-demain  mardi  17  novembre,  à  deux  heures  et  demie,  séance 
curieuse  et  intéressante  au  théâtre  de  l'Exposition  théâtrale  et  musicale,  au 


Palais  de  l'Industrie:  Mozart  enfant,  coal'érence  de  M.  Arthur  Puugin.  sui\ie 
de  la  représentation  de  Mozart  à  Pans,  comédie  en  un  acte  et  en  vers,  de 
M.  Alexandre  Picot,  jouée  par  M}^'^  Marguerite  Picot  et  Suger.  M"°  Margue- 
rite Picot  exécutera,  au  cours  de  cette  comédie,  plusieurs  nuirceaux  de  la 
jeunesse  de  Mozart. 

—  Notre  collaborateur  et  ami  Albert  Soubies  vient,  avec  une  seconde 
édition,  «  revue  et  corrigée,  »  de  son  précédent  écrit:  Mmique  russe  et  mu- 
sique espagnole,  de  publier  un  nouvel  opuscule  qui  porte  ce  titre:  un  Problème 
de  l'histoire  musicale  en  Espagne,  et  qui  nous  reporte  au  quinzième  siècle, 
c'est-à-dire  aux  origines  presque  les  plus  lointaines  de  cette  histoire  beau- 
coup trop  ignorée  chez  nous  en  dépit  de  son  puissant  intérêt.  Comme 
M.  Soubies  a  fait  paraître  récemment  une  Histoire  de  la  musique  en  Allemaijne, 
qu'il  prépare  un  livre  du  même  genre  sur  l'Italie,  il  sera  tout  prêt  pour  nous 
offrir,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  prochain,  une  histoire  générale  de  la 
musique  en  Europe.  Puisse-t-il  en  entreprendre  la  tache!  Quant  aux  deux 
brochures  que  nous  annonçons ,  elles  ont  paru  l'une  et  l'autre  à  la  librairie 
Fischbacber. 

—  La  direction  des  bals  de  l'Opéra  vient  d'arrêter  les  dates  des  grandes 
redoutes  parées  et  masquées  qui  auront  lieu  à  l'Opéra  pendant  le  carnaval 
1897.  Le  premier  bal  est  fixé  au  samedi  16  janvier,  le  deuxième  au  samedi 
6  févjier,  le  troisième  au  samedi  gras  27  février  et  le  quatrième  au  jeudi  de 
la  mi-carême,  23  mars. 

—  On  nous  écrit  de  Strasbourg:  grand  succès,  sur  notre  scène  municipale, 
pour  les  deux  premières  représeulations  de  Werther,  et  ovations  réitérées  aux 
interprètes  de  la  magnifique  œuvre  de  Massenet  :  M"|=  Kratz  (Charlotte)  et 
M.  "Wulff  CWerther),  ainsi  qu'à  M.  Bruch,  chef  d'orchestre,  et  à  M.  KrûchI, 
directeur  du  théâtre.  Salle  comble  les  deux  fois.  A.  Oberdoerffer. 

—  Un  comité  s'est  formé  à  Longjumeau  pour  élever  un  monument  à 
Adolphe  Adam,  l'auteur  du  Pos(«Hon  cfe  ionjumeau;  Adam  a  habité  Longju- 
meau pendant  de  longues  années.  Un  concours  de  sociétés  chorales,  de  mu- 
siques d'harmonie  et  de  fanfares  coïncidera  avec  l'inauguration  de  ce  monument 
qui  est  fixée  au  dimanche  23  mai  1897. 

—  Très  belle  réussite  pour  M™'  Prinsler  da  Silva  aux  concerts  du  Jardin  d'ac- 
climatation, où  elle  a  exécuté  le  concerto  de  Beethoven. 

—  M"'  Marie  Roze  vient  de  donner,  avec  un  plein  succès,  sa  première  au- 
dition d'élèves.  A  côté  de  la  charmante  artiste  on  a  applaudi  M.  Rivière  dans 
l'air  de  Lakmé,  M"=^  Amaury  et  Roose.  M"<'  Legault  a  dit  de  façon  charmante 
plusieurs  poésies  et  M.  AUouard  tenait  le  piano  d'accompagnement. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  de  Melbourne  la  mort  en  cette  ville  de  M°'°  SaviUe,  mère  de 
W""  Francis  SaviUe,  la  chanteuse  bien  connue,  et  qui  elle-même  avait  fourni, 
comme  cantatrice,  une  carrière  distinguée.  Ce  sont  les  journaux  italiens  qui 
nous  apportent  cette  nouvelle,  et  c'est  à  l'un  d'eux  que  nous  empruntons  ces 
détails  :  «  Élève  du  Conservatoire  de  Paris,  M"'»  SaviUe,  durant  vingt  ans  de 
carrière,  chanta  presque  tous  les  rôles  du  répertoire  français  en  Italie  et  en 
Amérique.  Elle  était  fanatique  de  Gounod  et  elle  a  demandé,  eu  mourant,  à 
être  ensevelie  avec  une  partition  de  Faust,  son  opéra  favori  ». 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  G'%  éditeurs-propriétaires  pour  tous  pays. 


Pour  paraître  très  prochainement 


LE  PAPA  DE  FRANGINE 


Grand  succès 

uu 
TIIÉATRIS 


OPERETTE  EN  4  ACTES  ET  7  TABLEAUX 

De  mm. 

V.    DE    COTTENS    et    P.    Gj^VA-JJJL.T 

MUSIQUE   DE 

LOUIS    A  .^FMSFEY 


Grand  succès 

Dr 
THEATl-lE 


PARTITION    PIANO    ET    CHANT.    —    MORCEAUX    DETACHES    POUR    PIANO    ET    CHANT    ET    POUR    CHANT  SEUL. 

POUR    PIANO    ET    INSTRUMENTS    DIVERS,    ETC. 


FANTAISIES,    ARRANGEMENTS,    DANSES 


Avis  aux  diracteurs  de  théâtres.  —  S'adresser  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Yivieiine,  pour  la  localion  des  /lurlies  d'orcheslrj,  mise  en  scène,  etc. 


,  —  CEQcre  LorlllCQi)- 


3426,  —  62-^  mm  —  !V°  47.  PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES  Dimanche  22  Novembre 

(Les  Bureaux,  2  bis,  nie  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'JÎtr-.nger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Élude  sur  Orphée  (13'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  tliéâtrale  :  Bon 
Juan  à  rOpéra-Comique;  Aude  et  Roland  (concours  Roesini)  au  Conservatoire, 
Arthur  Pougin  ;  la  Biche  au  Bois  au  Châtelet,  P.-É.  C.  —  III.  L'Exposition  du 
théâtre  et  de  la  musique  (7'  et  dernier  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  concerts 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES  RÉVÉRENCES  NUPTIALES 

n°  1  de  la  coUectiou  des  Vieux  MaUres,  transcription  pour  piano  de  Louis 
DiÉMER  d'après  Boismortier  (1732),  répertoire  de  la  Société  des  instruments 
anciens.  —  Suivra  immédiatement  :  Muscadines  et  Muscadins,  transcriptions 
pour  piano  extraites  de  l'opéra  de  tiioRDANO,  André  Chénier,  le  grand  succès 
du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CHANT  :  r Improvisation  de  Chénier,  chantée  dans  l'opéra  de  tiiORDANO,  le  grand 
succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan.  —  Suivra  immédiatement  le  Canta- 
bile  de  Madeleine,  extrait  du  même  opéra. 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Mais  les  faiseurs  de  polémiques  ne  s'arrêtent  pas  pour  si 
peu.  Celui  donc  qui  avait  lancé  l'accusation  de  plagiat,  loin 
de  se  tenir  pour  battu,  eut  une  idée  lumineuse  :  il  écrivit  à 
Bertoni.  Et  voici  la  réponse  qu'il  en  reçut,  et  qu'il  inséra 
triomphalement  dans  sa  Suite  des  entretiens  sur  l'état  actuel  de 
l'Opéra  de  Paris  : 

Londres,  ce  9  septembre  1779. 
Monsieur, 

Je  suis  très  surpris  de  me  voir  interpellé  par  la  lettre  que  vous  me 
faites  l'honneur  de  m'écrirc,  et  je  désirerais  fort  n'être  point  compro- 
mis dans  une  querelle  musicale  qui,  par  la  chaleur  que  vous  y  met- 
tez, pourrait  devenir  d'une  grande  conséquence,  puisque  vous  m'as- 
surez d'ailleurs  que  le  fanatisme  s'en  mêle,  ce  qui  est  une  raison  de 
plus  pour  me  soustraire  à  ses  effets.  Je  vous  prierai  donc  de  me  per- 
mettre de  vous  répondre  simplement  que  l'air:  Sache  dal  ciel  discende 
a  été  composé  par  moi  à  Turin  pour  la  signera  Girelh,  je  ne  me  rap- 
pelle pas  dans  quelle  année,  je  ne  pourrais  même  pas  vous  dire  si  je 
l'ai  réellement  faite  pour  Vlphigénie  en  Tauride,  comme  vous  m'en  as- 


surez ;  je  croirais  plutôt  qu'elle  appartient  à  mon  opéra  Tancréde, 
mais  cela  n'empêche  pas  que  l'air  ne  soit  de  moi;  c'est  ce  que  je  puis, 
c'est  ce  que  je  dois  certifier  avec  toute  la  vérité  d'un  homme  d'hon- 
neur, plein  de  respect  pour  tous  les  ouvrages  des  grands  maîtres, 
mais  plein  de  tendresse  pour  les  siens  ;  c'est  avec  ces  sentiments  et 
la  plus  parfaite  reconnaissance  que  je  suis, 

Monsieur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Ferdin.ando  Bertom  (1). 

Le  correspondant  de  Berloni  ajoutait,  avec  un  certain  ton 
d'insolence  : 

«  II  n'y  a  que  la  réclamation  de  M.  Gluck  en  personne  qui 
puisse  détruire  l'effet  de  celte  réponse,  et  ce  n'est  plus  à  ses 
défenseurs  anonymes  qu'il  convient  de  répondre  à  cet  incident.  » 

Mais  Gluck  avait  trop  de  fierté  pour  se  rendre  à  une 
pareille  sommation  et  daigner  démentir  ce  qu'il  considérait 
comme  calomnie  et  mauvaise  foi,  et  n'était  peut-être,  de  la 
part  de  son  contradicteur,  que  légèreté  et  excès  de  présomption. 
Et  si,  dans  la  suite,  il  lui  échappa  des  paroles  amères  au  sujet 
de  l'accueil  qui  lui  avait  été  fait  en  France,  ne  serait-ce  pas, 
peut-être,  que  de  telles  discussions,  où  son  honneur  d'artiste 
était  mis  en  doute,  avaient  laissé  plus  de  traces  dans  ses 
souvenirs  que  les  acclamations  qui  avaient  salué  cinq  chefs- 
d'œuvre? 

Aussi  bien,  la  réponse  de  Bertoni  est-elle  moins  péremptoire 
qu'on  ne  voulait  bien  le  dire.  Elle  est  même  fort  visiblement 
embarrassée  :  la  phrase  dans  laquelle  l'auteur  alfecle  de  ne 
pas  se  souvenir  d'où  sort  un  morceau  de  sa  composition 
est,   particulièrement,  de  nature  à  inspirer  les  pires  doutes. 

En  réalilé,  la  seule  manière  de  tirer  la  chose  au  clair,  c'était 
d'exhiber  et  de  confronter  toutes  les  pièces  du  procès,  —  ce 
qui  ne  futpasfait  à  l'époque,. et  ne  le  ftitpas  davantage  posté- 
rieurement. Nous  allons  le  faire  pour  la  première  fois. 

L'air  d'Orphée  est  connu.  Pour  l'air  de  Tancréde,  de  Bertoni, 
il  est  facile  à  connaître,  car  la  partition  de  cet  opéra  existe  à 
la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris.  Mais  ces  deux  documents 
ce  suffisent  pas  à  trancher  le  litige,  car  nous  avons  vu 
que  Gluck,  dans  la  protestation  communiquée  au  Journal  de 
Paris,  déclare  avoir  composé  son  air  pour  le  couronnement  de 
l'Empereur  et  l'avoir  inséré  ensuite  dans  son  opéra  d'Aristée. 
Enfin,  un  critique  allemand  qui  a  déjà  traité  celte  question 
il  y  a  une  trentaine  d'années,  M.  Furstenau,  dit  en  avoir  re- 
trouvé le  thème  dans  une  autre  œuvre  de  circonstance  de  la 
composition  de  Gluck,  //  Parnasso  confuso.  La  Bibliothèque  du 

(1)  Berlioz  a  reproduit  cette  lettre  dans  A  travers  chants,  p.  131.  Nous  ea  avons 
comme  lui,  respecté  le  texte  jusque  dans  son  orthographe. 


370 


LE  MENESTREL 


Conservatoire  de  Paris  possède  une  copie  moderne  de  ce  der- 
nier ouvrage.  Quant  à  l'air  pour  le  couronnement,  ce  serai 
sans  doute  peine  perdue  d'en  rechercher  des  traces  origi- 
nales ;  mais  nous  n'avons  aucune  raison  de  douter  de  son 
identité  avec  l'air  d'Aristeo,  affirmée  par  le  communiqué  au 
Journal  de  Paris,  toutes  les  autres  affirmations  de  cette  pièce 
étant  d'ailleurs  d'une  parfaite  exactitude.  La  partition  même 
de  ce  dernier  opéra  n'a  pas  été  aisée  à  trouver:  aucun  exem- 
plaire, à  notre  connaissance,  n'en  existe  dans  une  bibliothè- 
que française,  et  ce  n'est  qu'après  de  longues  recherches 
que  nous  avons  pu  enfin  être  avisés  qu'elle  est  conservée 
en  Allemagne,  dans  la  bibliothèque  du  Joachim&lhalschex  Gytn- 
nasium,  à  Berlin.  Grâce  à  une  copie  qui  nous  en  a  été  obli- 
geamment transmise,  nous  nous  trouvons  enfin  en  mesure  de 
présenter  au  public  les  éléments  complets  de  la  cause. 

De  cette  confrontation,  il  ressort  les  constatations  sui- 
vantes : 

i°  L'air  d'Aristeo  :  Nocchier  che  in  mezzo  aU'onde  et  celui 
d'Orphée  :  «  L'espoir  renaît  dans  mon  âme  »  sont  parfaite- 
ment identiques.  Tous  deux  sont  dans  le  même  ton  {si  bé- 
mol); à  peine,  dans  la  partie  de  chant  d'Or/j/iré,  quelques  notes 
ont-elles  élé  disposées  u'une  façon  plus  favorable  à  la  voix  de 
ténor,  l'air  d'Aristeo  étant  écrit  pour  soprano. 

L'accompagnement  d'orchestre  est  semblable  jusque  dans 
le  plus  petit  détail. 

Un  «  milieu  »,  dans  une  mesure  différente,  suivi  du  La 
Capo  de  la  reprise  principale,  figure  dans  le  morceau  italien; 
ce  double  épisode  a  élé  supprimé  dans  l'air  français. 

2°  L'air  d'il  Parnasso  con/uso  présente  des  analogies  notables 
avec  ceux  d'Orphée  et  d'Aristeo  au  point  de  vue  du  dessin 
d'orchestre,  du  mouvement  initial  de  la  partie  de  chani,  du 
caractère  général,  de  la  coupe,  de  la  mesure  et  de  la  tona- 
îité;  mais  on  ne  peut  pas  dire  que  ce  soit  le  même  morceau, 
et  le  développement  en  est  tout  différent,  à  partir  du  second 
motif  (à  la  dominante),  qui  n'a  pas  d'équivalent  dans  les 
précédents.  Ce  document  n'en  était  pas  moins  intéressant  à 
signaler,  ne  fût-ce  que  pour  montrer  combien  est  faible  la 
part  d'invention  personnelle  dans  la  composition  de  ces 
sortes  d'airs. 

3°  Quant  à  l'air  de  Tancredi,  de  Berloni,  il  est  bien  plus 
semblable  aux  airs  d'Aristeo  et  d'Orphée  que  celui  d'il  Par- 
nasso confuso  ne  ressemble  à  ces  derniers.  Bien  que  l'identité  soit 
moins  complète  qu'entre  les  airs  mêmes  des  deux  opéras  de 
Gluck,  il  est  certains  passages,  et  non  des  moins  importants, 
qui  se  retrouvent,  exactement  les  mêmes,  dans  les  trois 
morceaux.  C'est  ce  que  démontrera  l'analyse  comparée  sui- 
vante : 

Ritournelle.  Ces  sortes  d'épisodes  d'orchestre  ont,  dans 
les  airs  italiens,  autant  d'importance  que  dans  des  con- 
certos :  ils  servent  d'exposition  au  morceau,  dont  ils  donnent 
un  avant-goùt  en  faisant  entendre  les  thèmes  principaux 
et  en  posant  la  tonalité  et  le  mouvement  général.  Par  la 
ritournelle  de  l'air  de  Tancredi,  Bertoni  manifeste  qu'il  a 
des  tendances  à  la  majesté,  car  ce  morceau  a  cinq  mesures 
de  plus  que  son  correspondant  dans  Gluck,  —  dix-sept  au 
lieu  de  douze.  Écrit  dans  le  même  ton,  la  même  mesure,  le 
même  caractère,  etc.,  il  commence  par  quatre  mesures  d'un 
dessin  analogue,  mais  non  identique.  Les  mesures  S  et  G 
sont  semblables  à  un  passage  de  Gluck  pris,  non  dans  la 
ritournelle,  mais  dans  l'air  même:  c'est  le  dessin  mélodique 
sur  lequel  se  chante  le  troisième  vers  :  Non  pei-de  la  speransa, 
«  L'Amour  accroît  ma  flamme  ».  Les  mesures  7  et  11  de 
Bertoni,  dans  le  caractère  d'un  dessin  de  vieille  sonate 
classique,  ne  sont  pas  dans  Gluck  non  plus  que  la  cadence 
finale;  mais  dans  l'intervalle  s'intercalent  quatre  mesures 
(12,  13,  14,  15)  exactement  semblables  à  un  passage  du 
développement  final  de  l'air  de  Gluck,  et  d'autant  plus  carac- 
téristiques que  la  mesure  y  est  variée  par  l'intervention  de 
triolets  qui  n'apparaissent  en  nul  autre  endroit  des  deux 
morceaux. 


Air.  a  partir  d'ici,  la  similitude  devient  plus  complète.  Le 
mouvement  initial  est  le  même,  sans  qu'il  y  ait  pourtant  iden- 
tité complète.  Ce  premier  développ£ment  est  plus  serré  dans 
Bertoni  que  dans  Gluck:  c'est  ainsi  que  les  mesures  5  et  (3  de 
Tancredi  ne  sont  que  les  7«  et  8°  d'Orphée.  Là  se  trouve  une 
des  inflexions  mélodiques  où  la  partie  vocale  a  été  modifiée 
pour  passer  de  la  voix  de  soprano  à  celle  de  ténor:  les  me- 
sures correspondantes  de  Tancredi  {T  et  8')  reproduisent  exac- 
tement la  version  Aristco  (mes.  8  et  9).  Après  la  première 
cadence  parfaite  (mes.  10)  commence  un  court  développe- 
ment vocal  différent  (jusque  mes.  16)  ;  mais,  à  partir  de  là,  se 
trouve  un  long  passage  vocalisé,  le  plus  saillant  de  tout  le 
morceau,  absolument  identique,  jusques  et  y  compris  les 
quatre  premières  mesures  de  la  phrase  vocale  suivante  (donc, 
14  mesures  de  suite  communes  aux  deux  compositions).  En- 
suite vient,  dans  Tancredi,  une  courte  phrase  mélodique:  E  il 
cielo...  qui  n'a  pas  d'équivalent  dans  Aristeo-Orpliée,  mais  qui, 
rapprochement  piquant,  n'est  pas  sans  analogie  avec  la  seconde 
phrase  de  l'air  d'il  Parnasso.  Suit  une  vocalise  différente  de  la 
vocalise  correspondante  dans  Gluck,  mais  s'achevant  en  une 
cadence  qui  présente  bien  de  la  ressemblance  avec  celle 
d'Orphée:  Cf  Vigor  mi  da,  «  Je  vais  revoir  ses  appas  ».  La 
ritournelle  du  milieu,  conduisant  à  la  même  cadence  à  la 
dominante,  est  faite  des  mêmes  éléments  que  la  première,  et 
ne  donne  pas  lieu  à  de  nouvelles  observations.  Ici  Bertoni 
s'écarte  de  Gluck  avec  huit  mesures  de  chant,  conduisant  de 
nouveau  à  la  dominante,  et  une  reprise  du  premier  motif,  qui 
ne  se  retrouvent  pas  dans  Orphée;  mais  bientôt  on  revient  à 
la  première  vocalise,  qui  se  déroule,  toujours  absolument 
semblable  en  ses  14  mesures;  après  quoi  le  mouvement 
s'anime  et  amène  une  strette  finale  qui,  sauf  une  très  petite 
différence  dans  une  vocalise,  est  la  même,  13  mesures  encore, 
dans  les  deux  versions.  La  ritournelle  initiale  est  reprise, 
dans  Tancredi,  avec  une  coupure  de  4  mesures. 

L'air  de  Tancredi  a  un  milieu  comme  celui  d'Aristeo:  la  pre- 
mière phrase  est  encore  la  icême  dans  les  deux  airs;  ce  n'est 
qu'à  partir  du  moment  où  celui  de  Gluck  change  de  mesure  que 
Bertoni  se  décide  à  écrire  18  mesures  entièrement  de  sa 
façon;  après  quoi,  ainsi  que  Gluck,  il  écrit  le  signe  convenu 
et  l'on  recommence  à  partir  de  la  seconde  reprise  de  la  pre- 
mière partie. 

En  résumé,  ces  deux  airs  ont  trop  de  ressemblance  entre 
eux  pour  qu'il  soit  possible  de  conclure  à  de  simples  rémi- 
niscences :  il  y  a  imitation  évidente,  directe,  presque  une 
copie.  Sans  doute  le  plagiaire,  quel  qu'il  soit  des  deux,  pou- 
vait invoquer  des  circonstances  atténuantes.  Nous  avons  vu 
la  mésaventure  advenue  à  Sacchini,  qu'un  chanteur  par  trop 
gluckiste  obligea  d'insérer  une  phrase  d'Alceste  dans  un  de  ses 
opéras:  nul  doute  qu'ici  il  en  fut  de  même,  que  la  prima- 
donna  de  Bertoni,  ravie  par  la  vocalise  ferme  et  bien  des- 
sinée, ainsi  que  par  la  brillante  strette  de  l'air  de  Gluck 
—  ou  inversement  —  ait  exigé  que  ces  passages  fussent  in- 
troduits dans  son  grand  air.  Gela  est  d'autant  moins  douleux 
que,  de  l'aveu  des  deux  compositeurs,  l'air  fut  chanté  par  la 
même  cantalatiice  :  «  Cet  air  fut  chanté  à  Parme  (dans  Aristeo) 
par  M"""  Girelli  »,  affirme  Gluck;  et  Bertoni:  «  L'air  a  été 
composé  par  moi,  à  Turin,  pour  la  signera  Girelli  ».  Le  com- 
positeur, trop  faible  avec  les  pritne-domw,  aura  consenti  à 
laisser  la  tignora  produire  son  effet,  déjà  expérimenté,  et  le 
reste    sera   venu   de  soi-même. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra-Comique.  Don  Juan,  de  Mozart.  —  Conservatoire.  Aude  cl  lloland,  poùme 
lyrique,  paroles  de  MM.  G.  Harlmauu  et  lidouard  Adeuis,  musique  de 
M.  Léon  Hoiinoré  (Concours  Rossini). 

Soucieux  de  légiliraer  les  bienfaits  dont  l'État  est  prodigue  envers 
elles,  nos  deux  grandes  scènes  lyriques  se  disputent  depuis  quelque 


LE  MENESTREL 


374 


temps  rhonneur  d'encourager  l'art  national,  et  il  n'est  pas  de  sacri- 
fices qu'elles  ne  soient  prêtes  l'une  et  l'autre  à  accomplir  pour  venir 
en  aide  aux  jeunes  compositeurs.  C'est  à  qui  des  deux  fera  les  plus 
nobles  efforts  pour  atteindre  un  double  résultat  si  méritoire,  et  leur 
■émulation  sous  ce  rapport  est  faite  pour  toucher  les  cœurs  les  plus 
endurcis.  L'Opéra  monle-t-il  Othello,  vite,  l'Opéra-Gomique  s'empresse 
déjouer  Fahtaff;  voit-on  la  Valkyrie  poindre  d'un  côté,  aussitôt  Orphée 
paraît  de  l'autre  ;  et  voici  que  maintenant  les  deux  théâtres  courent 
un  match  pour  savoir  lequel  des  deux  méritera  la  palme  pour  les 
soins  apportés  de  chaque  côté  à  la  mise  à  la  scène  de  ce  fameux 
Bon  Juan,  dont  la  musique  est  due  à  un  tout  jeune  artiste  qui  répond 
au  nom  de  Wolfgang-Amédée  Mozart.  Il  y  a,  je  le  répète,  quelque 
chose  de  touchant  dans  cette  lutte  courtoise  de  deux  grandes  entre- 
prises qui  se  prodiguent  ainsi  en  essais  pleins  d'intérêt,  et  à  qui 
rien  ne  coûte  pour  encourager  le3  efforts  et  les  tentatives  de  tant 
déjeunes  musiciens  qui,  sans  elles,  courraient  le  risque  de  rester 
à  jamais  inconnus.  Grâces  leur  soient  rendues,  et  puisse  le  succès 
récompenser  tant  d'audace  à  la  fois  et  de  générosité  ! 

Donc,  après  avoir  vu  Don  Juan  à  l'Opéra,  voici  que  nous  le  retr.ou- 
vons  à  l'Opéra-Gomique.  Ici,  la  maison  est  au  coin  du  quai;  aussi 
paralt-il  que  c'est  elle  qui  possède  le  seul,  le  vrai,  l'unique  don  Juan, 
dans  la  personne  de  son  représentant,  M.  Victor  Maurcl.  Du  moins 
est-ce  lui  qui  le  dit,  qui  le  crie  et  qui  l'écrit.  Car  ce  M.  Maurel  n'est 
pas  un  artiste  ordinaire;  c'est  un  chanteur  doublé  d'un  écrivain, 
d'un  philosophe,  d'un  esthète  et  d'un  psychologue,  —  pas  davantage. 
Lisez  plutôt  la  série  d'articles  très  profonds  qu'il  a  publiés  dans  le 
Journal,  et  qu'il  vient  de  réunir  en  une  brochure  intitulée  A  propos 
d,e  la  mise  en  scène  de  «  Don  Juan  »,  brochure  ornée  du  portrait  de  l'au- 
liur,  —  la  joie  des  enfants,  la  tranquillité  des  parents.  Dans  cet  écrit 
lumineux,  où  l'auteur  joint  l'éclat  d'un  ïaine  et  la  subtilité  d'un 
Sainte-Beuve  à  la  puissance  d'un  Htlré  et  à  la  profondeur  d'un 
Renan,  M.  Maurel  prouve  clair  comme  le  jour  que  jusqu'à  lui  nul 
n'a  jamais  rien  compris  au  personnage  de  don  Juan,  et  qu'il  fallait 
la  venu 3  de  ce  Messie  pour  frayer  la  voie  aux  interprètes  futurs  et 
leur  faire  saisir,  tout  à  la  fois  par  le  précepte  et  par  l'exemple,  ce 
caractère  resté  jusqu'alors  à  l'état  d'énigme  indéchiffrable.  Peut-être 
avez-vous  entendu  parler  d'un  certain  Garcia,  qui  naguère  avait  sem- 
blé produire  dans  ce  rôle  comme  une  sorte  d'impression  ?  Misère!  On 
vous  aura  cité  peut-être  aussi  les  noms  de  quelques  artistes  :  Ron- 
coni,  Graziani,  Délie  Sedie,  qui  s'y  étaient  essayés  non  sans  con- 
quérir jusqu'à  un  certain  point  l'oreille  du  public  :  pure  plaisanterie  ! 
Quant  à  Faure,  inutile  d'en  parler,  n'est  ce  pas  ?  ça  n'a  jamais 
existé. 

M.  Maurel  nous  trace  donc,  dans  son  écrit,  la  théorie  du  person- 
nage, si  je  puis  ainsi  parler  ;  et,  sur  la  scène,  il  nous  le  montre  agis- 
sant, marchant,  parlant  et  chantant.  Malheureusement,  et  en  ce  qui 
me  concerne,  je  ne  puis,  quelque  effort  que  je  fasse,  me  figurer  que 
M.  Maurel  nous  représente,  au  moins  physiquement,  le  don  Juan 
idéal.  Au  premier  acte,  son-  don  Juan  me  fait  un  peu  trop  l'effet 
d'habiter  proche  la  barrière  Rochechouarl;  et  au  second,  lorsqu'il 
se  présente  dans  son  costume  tendre  et  dégagé,  il  me  semble 
volontiers  voir  un  monsieur  qui  s'apprête  à  faire  du  trapèze  aux 
Folies-Bergère.  Et  puis,  il  y  a  le  coup  du  chapeau,  qui  est  insup- 
portable. Ce  satané  chapeau,  que  son  propriétaire  a  le  tort  de  vouloir 
incliner  trop  fortement  sur  l'oreille  —  toujours  comme  à  Montmartre 
—  menace  à  chaque  instant  de  tomber,  et  doit  être  chaque  fois  remis 
en  équilibre  à  l'aide  d'un  geste  que  sa  fréquence  tinit  par  rendre 
agaçant  —  et  qui  manque  absolument  de  noblesse.  Je  n'insiste  sur 
tout  cela  qu'à  cause  de  l'importance  que  M.  Maurel  s'accorde  à  lui- 
même.  Il  prétend  avoir  découvert  le  vrai  don  Juan  ;  il  s'agit  de 
savoir  si  c'est  bien  le  vrai,  ou  si  ce  n'est  qu'un  don  Juan  de  contre- 
bande. Il  me  semble  que  celui  qu'il  nous  montre  doit  avoir  peur  des 
douaniers. 

On  sait  que  M.  Maurel  ne  manque  pas  d'une  certaine  habileté  de 
comédien,  lorsque  le  personnage  convient  à  sa  nature.  Je  l'ai,  pour 
ma  part,  applaudi  dans  Falstaff,  voire  dans  lago,  où  il  faisait  preuve 
de  réelles  qualités.  Mais  ici  il  manque  vraiment  trop  de  la  première 
qualité  exigible,  l'élégance,  qu'il  croit  conquérir  par  un  laisser-aller 
un  peu  trop  débraillé,  et  tout  le  rôle  s'en  ressent  d'une  façon  cruelle. 
D'autre  part,  quand  viennent  les  situations  dramatiques,  il  prend  des 
allures  de  traître  et  de  troisième  rôle,  avec  des  roulements  d'yeux  et 
des  regards  obliques  qui  ne  sont  guère  dans  la  manière  d'un  grand 
seigneur. 

Que  dire  du  chanteur?  M.  Maurel  n'est  pourtant  pas  absolument  le 
premier  venu  sous  ce  rapport,  et  assurément  il  a  parfois  de  bonnes 
intentions,  qui  parfois  aussi  sont  suivies  d'effet.  Mais,  outre  que  sa 
prononciation  prend  par  instants  une  faJeur  insupportable,  on  peut 


affirmer  qu'il  ne  se  doute  pas  de  ce  qu'est  le  style  de  Mozart.  Grâce  à 
lui  l'adorable  duo  :  La  cl  darem  la  mano  perd  tout  son  caractère  et 
devient  méconnaissable,  et  quant  à  l'air  célèbre  (on  si  bémol)  que 
don  Juan  chante  à  Leporello  peu  de  temps  avant  le  signal  de  la  fête, 
il  en  fait,  par  une  interprétation  absolument  arbitraire,  une  véritable 
caricature. 

Mais  il  est  temps  de  passer  aux  autres  interprètes  et  de  signaler 
tout  d'abord  M.  Fugère,  qui  joue  Leporello  d'une  façon  délicieuse, 
avec  une  verve,  une  prestesse  et  un  entrain  charmants.  Il  ne  le 
chante  pas  avec  moins  de  talent  et  de  goût.  Par  malheur  il  s'y 
trouve  parfois  gêné,  le  rôle  étant  trop  bas  pour  lui.  Dans  l'air 
d'introduction,  par  exemple,  il  est  obligé  de  sombrer  sa  voix  de 
baryton  pour  donner  certaines  notes  de  basse,  qu'il  a  peine  à 
faire  entendre.  A  signaler  aussi  M"'  Marcy,  dont  l'élégante  beauté 
convient  bien  au  personnage  de  donna  Anna,  qu'elle  chante  avec 
talent  et  qu'elle  joue  avec  intelligence.  Elle  a  été  surtout  très 
pathétique  dans  l'admirable  et  difficile  récit  de  la  mort  de  son  père, 
bien  que,  un  peu  fatiguée  sans  doute,  elle  s'y  soit  montrée  moins  à 
son  aise  le  soir  de  la  représentation  qu'à  la  répétition.  C'est  M""  Delna 
qui  joue  Zerline,  et  je  n'étonnerai  personne  en  constatant  que  sa  voix 
merveilleuse  manque  absolument  de  la  souplesse  et  de  la  légèreté 
indispensables  dans  cette  musique;  l'artiste  fait  tout  ce  qu'elle  peut, 
mais  elle  ne  peut  changer  la  nature  de  son  organe.  Les  rôles  d'Elvire, 
d'Ottavio  et  de  Masetto  sont  tenus  par  M"=Marignan,  MM.  Clément 
et  Badiali. 

L'orchestre  est  excellent,  et  les  chœurs  eux-mêmes  se  sont  distin- 
gués. Je  ne  sais  si  Danbé  est  très  partisan  de  l'accompagnement  au 
clavecin  des  récitatifs,  même  avec  l'habileté  que  M.  Bourgeois  déploie 
dans  cet  accompagnement.  Pour  moi,  ce  genre  de  restitution  me 
laisse  froid,  et  je  n'en  vois  nullement  la  nécessité.  D'abord,  cela  est 
maigre;  ensuite,  cette  sonorité  canarde  et  grêle  duc'avecin  me  paraît 
détonner  absolument  sur  le  reste.  A  tout  prendre,  je  préférerais  encore 
un  piano,  et  je  suis  convaincu  que  si  Mozart  en  avait  eu  un  bon  à 
sa  disposition,  il  ne  s'en  serait  pas  privé. 


Le  jugement  du  concours  Rossini  nous  a  offert,  cette  année,  une 
surprise  assez  singulière.  Le  vainqueur  de  ce  concours  est  M.  Léon 
Honnoré,  qui  obtient  le  prix  pour  la  seconde  fois,  se  l'étant  vu  décer- 
ner déjà  il  y  a  quelques  années.  Rien  ne  s'oppose  en  effet,  dans  le 
règlement,  à  ce  qu'un  concurrent  déjà  couronné  se  présente  de  nou- 
veau dans  la  lice  et  aspire  à  une  nouvelle  victoire.  Mais,  même 
dans  ces  conditions,  le  fait  d'un  double  succès  est  assez  rare  pour 
mériter  d'être  signalé. 

Le  poème  mis  en  musique  par  M.  Honnoré,  intitulé  Aude  et  Roland, 
a  un  côté  mystique  et  légendaire,  qui  a  fourni  au  compositeur  l'occa- 
sion d'un  des  épisodes  les  plus  heureux  de  sa  partition.  Ce  poème 
peut  se  résumer  en  peu  de  mots.  Gharlemagne,  qui  a  de  la  patience, 
a  depuis  cinq  années  mis  le  siège  devant  Vienne  (Isère),  qui  refuse 
absolument  de  se  rendre.  Fatigué  pourtant  de  cette  résistance,  il  finit 
par  proposer  aux  assiégés  une  combinaison  qui  est  acceptée  par 
ceux-ci  et  qui  renouvelle  un  peu  l'exploit  héroïque  des  Horaces  et 
des  Curiaces.  Les  Viennois  choisiront  un  champion,  qui  devra  se 
mesurer  avec  celui  que  Gharlemagne  aura  désigné  de  son  côté.  Le 
sort  de  ce  combat  décidera  de  celui  de  la  ville  elle-même,  qui  devra 
se  rendre  si  sou  champion  est  vaincu,  tandis  que  s'il  est  vainqueur, 
Charles  devra  lever  le  siège  et  s'éloigner. 

C'est  Roland  que  choisit  Gharlemagne,  et  c'est  Olivier  qui  combattra 
pour  les  Viennois.  C'est  ici  que  la  situation  se  complique.  La  sœur 
d'Olivier,  la  belle  Aude,  aime  Roland,  dont  elle  est  aimée,  sans  qu'on 
sache  comment  ils  ont  pu  faire  connaissance.  Olivier,  qui  n'en  savait 
rien  jusqu'alors,  apprend  tout  à  coup  cet  amour,  et  en  profite  pour 
verser  sur  la  tête  de  sa  sœur  un  torrent  d'injures.  C'est  alors,  et  au 
moment  où  les  deux  champions  vont  se  mesurer,  que  la  vierge  Marie 
apparaît  à  Aude  et  lui  apprend  que  les  Sarrazins  viennent  d'envahir 
la  France.  A  ces  mots  Aude  ne  fait  ni  une  ni  deux,  elle  va  séparer  les 
combattants  et  leur  apprend  la  nouvelle.  Gharlemagne  et  les  Vien- 
nois se  réconcilient  alors  pour  agir  contre  l'ennemi  commun,  les  deux 
champions  se  tendent  la  main  et  Olivier  accorde  à  Roland  celle  de  sa 
sœur.  Puis,  comme  épilogue,  la  scène  change  et  nous  transporte  à 
Roncevaux,  où  nojs  assistons  à  la  mort  de  Roland. 

Ce  poème  n'est  ni  meilleur  ni  pire  que  ceux  qu'on  voit  d'ordinaire 
en  pareille  circonstance.  Il  a  servi  de  texte  et  de  prétexte  à  M.  Léou 
Honnoré  pour  écrire  une  partition  qui  n'est  pas  sans  offrir  quelque 
intérêt  et  qui,  tout  au  moins,  est  conçue  dans  des  formes  vraiment 
musicales,  en  dehors  des  exagérations  auxquelles  nous  sommes 
depuis  longtemps  accoutumés.  Point  de  modulations  effarouchantes, 


372 


LE  MENESTREL 


une  bonne  entente  des  voix  et  de  l'orchestre,  aucune  exagération, 
aucune  de  ces  excentricités  voulues  qui  font  bondir  l'auditeur  sur 
son  siège.  Avec  cela  une  entente  heureuse  des  conditions  scéniques, 
un  vrai  sentiment  dramatique,  et  parfois  un  heureux  grain  d'inppira- 
lion.  Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  que  l'œuvre  fût  accueillie 
favorablement  par  le  public,  étant  d'ailleurs  modeste  dans  ses  pro- 
portions et  sobre  dans  son  développement. 

Si  l'on  veut  entrer  dans  l'analyse,  il  faut  signaler  d'abord  le  chœur 
d'introduclion  :  Cliarlemagiie  empereur,  qui  est  d'une  forme  noble  et 
d'un  beau  caractère,  puis  le  joli  cantabile  de  Roland  :  Je  viens  ici... 
qui  est  d'un  tour  élégant  et  élégamment  accompagné  par  les  violons. 
Un  charmant  chœur  de  jeunes  gens  ;  Gai  !  chantons  pour  fêler  le  retour 
de  la  pai.r,  d'un  rythme  aler'.e  et  franc,  contraste  heureusement  avec 
le  caractère  sombre  du  drame.  Apiès  la  grande  scène  dans  laquelle 
Olivier  maudit  sa  sœur  et  l'amour  qu'elle  porte  à  Roland,  scène  qui 
est  traitée  avec  vigueur,  vient  un  épisode  choral  d'un  sentiment  suave 
et  pénétrant;  puis  le  tableau  de  l'apparition  de  la  Vierge,  qui  est 
tout  à  fait  charmant,  et  auquel  l'intervention  des  harpes  donne  un 
caractère  tendre  et  poétique.  A  mentionner  encore  le  chœur  vigou- 
reux et  martial  :  Francs  et  Viennois,  comme  naguère,  n'ayons  tous  qu'un 
seul  cri  de  guerre,  dont  l'accent  est  viril  et  le  rythme  plein  de  solidité. 
En  résumé,  si  l'on  n'y  trouve  pas  de  grands  coups  d'aile,  l'œuvre 
n'en  est  pas  moins  intéressante,  bien  conçue  et  digne  d'éloges. 

Les  soli  en  étaient  confiés  à  M"°  Lafargue  (Aude),  à  M™  Drees- 
Brun  (la  "Vierge),  à  MM.  Gautitr  (Rtland)  Noté  (Olivier),  et  Daroux 
(Gharlemagne).  Tous  se  sont  acquittés  de  leur  tâche  de  la  façon  la 
plus  satisfaisante.  L'orchestre  et  les  chœurs  étaient  ceux  de  la 
société  des  concerts  du  Conservatoire,  sous  la  direction  de  M.  Taf- 
fanel.  C'e^t  dire  assez  que  l'exécution  d'ensemble  était  excellente  et 
n'a  laissé  rien  à  désirer. 

Arthur  Pougix. 


Chatellet.  —  La  Biche  au  bois,  féerie  en  4  actes  et  30  tableaux,  do  Cogniard 
frères,  M.  E.  Blum  et  R.  Toché. 

Voilà  pour  les  tout  petits  qui  s'écarquillerout  les  yeux  aux  défilés 
des  légumes  gigantesques  et  riront  à  gorge  déployée  à  la  danse  des 
meubles  dans  le  boudoir  de  la  décence.  Qu'ils  suivent  plus  ou  moins 
attentivement  la  lutte  entreprise  par  le  prince  Souci,  Fanfreluche  et 
Giroflée  pour  sauver  des  mains  méchantes  d'.Vïka  ei  de  Mesrour  la 
pauvre  petite  princesse  transformée  en  biche  de  carton-pâle,  peu  im- 
porte. M.  Pougaud  les  amusera  très  certainemeat  avec  sa  voix  poin- 
tue, et  peut-être  même  trouveront-ils  très  agréables  M°'"  Simon- 
Girard,  Théry,  Tassily,  Damaury.  Ils  seront,  comme  il  convient  au 
jeune  âge,  émerveillés  du  luxe  tapageur  des  costumes  et  tout  ébaubis 
de  voir  de  jeunes  personnes  évoluer  dans  les  airs.  Les  tout  petits 
sont  sans  malice.  Et  puis,  il  faut  que  les  parents  se  hâtent  de  les 
conduire  à  la  Bic/w  au  bois,  car  si,  comme  tous  les  granis  l'espèrent, 
le  Ghâlelet  disparait  pour  faire  enfin  place  au  Lyrique,  oii  donc  pour- 
ront-ils aller,  les  bambins,  applaudir  les  féeries  faites  à  leur  intention? 

P.-E.  C. 


L'EXPOSITION  DU  THEATRE  ET  DE  LA  MUSIQUE 


-A-XJ"    :e».a.i_,^a.is 


(Suite.) 


Voici  donc  une  autorisation  intéressante  accordée  à  un  joueur  de 
marionnettes,  il  y  a  cent  vingt  ans,  en  1776.  La  pièce  est  une  sorte 
de  passe-partout  imprimé,  où  sont  écrites  seulement  à  la  main  les 
indications  spéciales  au  destinataire,  ainsi  que  la  date  et,  naturelle- 
ment, la  signature.  Il  est  donc  évident  qu'on  en  délivrait  assez  sou- 
vent de  cette  sorte,  ce  qui  n'empêche  qu'elles  doivent  être  aujour- 
d'hui singulièrement  rares.  Celle-ci  est  même  dans  un  assez  fâcheux 
état  de  conservation  : 

DE  PAR  LE  ROI 

Monsieur  le  prév6t  de  son  hôtel 

et  Grand-Prévôt  de  l''rance 

ou  Monsieur  son  Lieutenant  général 

civil,  criminel  et  de  police. 

Il  est  permis  à  Claude  Chassinet,  âgé  de  trente-huit  ans,  natif  dn  la  ville 
d'Auxerre  en  Bourgogne,  demeurant  ordinairement  à  Paris,  quartier  du 
Louvre,  paroisse  ^aint-Germnin-1'Auxerrois,  de  suivre  la  cour  pendant  le 
voyage  du  Roi  à  Fontainebleau,  et  d'y  faire  son  commerce  de  jouer  des 
marionnettes  et  optique,  après  qu'il  a  fait  apparoir  des  certificats  de  bonne 


vie  et  mœurs,   et  fait  sa  soumission  d'exécuter  les  règlements   de  police, 
et  s'être  fait  enregistrer  au  grelVe  de  la  Prévùté  de  l'IIotel. 
Fait  à  Fontainebleau,  ce  S  octobre  1776. 

DlVOIONE. 

Chose  assez  singulière,  nous  retrouvons,  cinquante-deux  ans  plus 
tard,  une  autre  pièce  du  même  genre  concernant  sans  doute  un 
membre  de  la  même  famille,  car  le  nom  est  le  même.  Il  s'agit  celle 
fois  d'une  femme,  qui  porte  ce  nom  de  Chassinet,  et  qui  est  aussi 
montreuse  de  marionnettes.  Ici,  la  pièce  est  entièrement  manuscrite, 
et  je  regrette  de  n'en  pouvoir  donner  les  dernières  lignes,  mais  l'es- 
sentiel s'y  trouve  : 
PRÉFECTURE  UE  POLICE  Paris,  le  26  septembre  18'>8. 

P'   DIVISION 
3'    BUREAU 

Nous,  préfet  de  police. 

Vu  la  demande  de  la  F°>'  Chassinet,  tenant  un  spectacle  de  marion- 
nettes et  d'ombres  chinoises,  passage  des  Chartreux,  près  de  Saint-Eus- 
lache,  tendant  à  obtenir  la  permission  de  le  transférer  rue  MoulTetard, 
n»21. 

Autorisons  la  f'  Chassinet  à  transférer  son  spectacle  de  marionnettes 
et  d'ombres  chinoises  dans  un  local  situé  rue  MoulTetard,  n'H,  à  la  charge: 

1°  De  payer  l'impôt  ordonné  par  les  lois  au  profit  des  indigents,  ainsi 
que  la  rétribution  établie  par  l'Académie  royale  de  musique. 

2°  De  ne  point  avoir  de  crieurs,  ni  d'instruments,  ni  de  parade  à  l'exté- 
rieur de  cet  établissement  dans  lequel  la  femme  Chassinet  s'engage  à  main- 
tenir le  bon  ordre. 

3°  De  faire  viser  la  présente  par  le  commissaire... 

Ce  qui  résulte  de  cette  pièce,  c'est  que  la  police  française  a  toujours 
eu  le  privilège  d'être  fort  peu  policée  —  et  polie.  M.  le  préfet  de 
police  aurait  craint  sans  doute  de  voir  rougir  sa  plume  en  traitant  de 
"  madame  »  une  biave  femme  évidemment  fort  honnête,  et  il  croyait 
bon  d'employer  à  son  égard  cette  expression:  «  la  femme  •>,  qui  porte 
en  soi  une  sorte  de  caractère  quelque  peu  méprisant.  On  dirait  que 
ces  gens-là  croient  toujours  avoir  affaire  à  des  malfaiteurs. 

Il  y  a  dans  cette  salle  plusieurs  autres  pièces  du  même  genre, 
toutes  fort  curieuses,  mais  que  je  ne  saurais  reproduire  l'une  après 
l'autre,  d'autant  qu'on  y  trouve  encore  bien  d'autres  choses  à  décrire. 
Sur  la  paroi  de  droite  est  exposée  la  s cèiie,  avec  décor  et  person- 
nages, de  l'ancien  Théâtre  Miniature,  qui  existait,  si  j'ai  bonne 
mémoire,  au  passage  Jouffroy  il  y  a  encore  une  vingtaine  d'années. 
Puis,  non  loin  de  là,  toutes  les  figures  —  et  Dieu  sait  si  elles  sont 
nombreuses!  des  premiers  Pupaszi  de  M.  Leraercier  de  Neuville, 
ceux  qu'il  colportait  sous  le  second  empire  et  qui  lui  valurent  de 
si  francs  succès.  Toutes  ces  figurines  sont  vraiment  d'une  ressem- 
blance frappante,  et  on  les  reconnaît  à  première  vue. 

Parmi  les  hommes  politiques,  c'est  Ju'es  Favre,  Jules  Simon, 
Emile  de  Girardin,  Havin,  directeur  du  Siéc/e,  Ad.  Guéroult,  direc- 
teur de  1  Opinion  nationale,  Altaroche,  directeur  du  Charivari,  Thiers, 
Garnier-Pagès,  M.  Emile  OUivier  ;  pour  les  gens  de  lettres,  Théo- 
phile Gautier,  Victor  Hugo,  Edmond  About,  Charles  Monselet, 
A.rsène  Houssaye,  Champlleury,  Reuan,  Théodore  de  Banville, 
Victorien  Sardou,  Aurélieu  SohoU,  Jules  Moinaux,  Timothée 
Trimm  ;  pour  les  artistes,  Rossini,  Gounod,  Félicien  David,  Dar- 
der, Grassol,  les  frères  Lionnet,  Cham,  Carjat,  Nadar,  Henry  Mon- 
nier  ;  puis  encore  Villemessant,  directeur  du  Figaro,  l'avocat  Lachaud, 
le  photographe  Pierro  Petit,  et  combien  d'autres!...  Pendant  vingt 
ans  M.  Lemercier  de  Neuville  a  amusé  les  Parisiens  avec  ses 
Pupazzi  :  aujourd'hui,  ceux  qui  ne  les  ont  pas  vus  peuvent  se  rendre 
compte  do  ce  qu'ils  étaient  avec  les  deux  gentils  volumes  (i  Pupazzi 
et  le  Xouveau  Thi^àtre  des  Pupazzi)  à.ins\&sqae.\s  l'auteur  a  reproduit, 
avec  les  types  qu'il  exhibait  dans  son  petit  Guignol,  la  plupart  des 
fcènes  et  des  petites  comédies  qu'il  faisait  jouer  à  ses  figurines. 
Car  M.  Lemercier  de  Neuville  était  tout  à  la  fois  son  sculpteur,  son 
peintre,  son  décorateur,  son  costumier,  son  machiniste,  son  auteur 
et  .son  acteur,  faisant  parler  et  agir  lui-même  les  marionnettes  qu'il 
avait  formées,  dans  le  théâtre  qu'il  avait  construit  à  l'aide  de  pièces 
qu'il  avait  écrites. 

Mais  les  marionnettes  de  Séraphin,  celles  du  théâtre  Miniature, 
et  les  poupées  de  M.  Lemercier  de  Neuville  ne  sont  pas  les  seules 
qu'on  puisse  admirer  dans  cette  salle,  qui  semble  avoir  été  aména- 
gée pour  faire  le  bonheur  des  enfants.  Il  y  en  a  de  bien  d'autres 
sortes,  par  exemple  celles  qui  sont  exposées  par  MM.  Galmann  Lévy. 
Il  y  a  là  une  série  bien  curieuse  de  marionnettes  religieuses  de  Java, 
en  cuivre,  articulées,  dont  les  types  étranges,  fantastiques,  sont 
vraiment  dignes  d'attenlion.  Elles  sont  accompagnées  de  toute  une 
suite  de  programmes  imprimésde  leurs  spectacles,  et  d'une  autre  suite 
di'  gravures  qui  les  représentent.  Une  autre  série,  fort  originale  aussi 


LE  MÉNESTREL 


373 


et  très  amusante,  cous  montre  les  ombres  chicoisfs  (en  carton  colo- 
rié) qui  forment  la  troupe  du  fameux  Ivaragheuz,  le  pantin  favori  des 
Turcs  et  la  joie  des  gamins  de  Constantinople.  On  sait  que  Ivara- 
gheuz est  pour  l'Orient  ce  que  Punch  est  pour  l'Angleterre,  Hans- 
wurth  pour  l'Allemagne,  Casperlo  pour  l'Autriche,  Polichinelle  pour 
la  Fiance,  Jan  Klaassen  pour  la  Hollande,  Pulcinella  pour  les  Napo- 
litains. Seulement  il  existe,  entre  la  marionnette  lurque  et  les  ma- 
rionneltes  européennes  une  fiifTérenec  essenlielle  :  c'est  que  celles-ci, 
dans  leurs  plus  grands  excès,  ne  franchissent  jamais  les  limites 
extrêmes  de  la  bienséance,  taudis  que  celle-là  se  dislingue  par  un 
dévergondage  de  paroles  et  de  gestes  qui  lui  apf  arlieut  en  propre  et 
qui  en  fait  une  personnalité  tout  à  fait  à  part  parmi  la  troupe  uni- 
verselle de3  bonshommes  do  bois.  Aussi  pouvons-ni.us  être  assurés 
que,  s'ils  la  possèdent  à  l'é'at  complel,MM.  Calmann  Lévy  n'ont  pas 
exposé  dans  sou  entier  la  compagnie  du  trop  inconliijenl  Karagheuz. 
Il  y  aurait  eu  de  quoi  ameuter  tous  les  sergents  de  ville  de  Paris  et 
de  la  banlieue. 

Non  loin  des  compagnons  de  ce  panliu  illustre  nous  trouvoos, 
dans  une  jolie  vitrine,  toute  une  troupe  de  marionnettes  japonaises, 
jolies  poupées  très  élégamment  habillées  et  costumées.  Puis,  en  flâ- 
nant autour  de  la  salle,  nous  rencontrons  encore  les  amusantes 
ombres  chinoises  de  Willette,  et  aussi  les  deux  héros  burlesques 
chers  au  populaire  lyonnais,  les  deux  amis  inséparables.  Guignol  et 
Gnafron,  les  deux  gones  dont  un  magistrat  sévère  n'a  pas  craint,  sous 
le  couvert  de  l'anonyme,  de  retracer  l'histoire  en  deux  volunaes  si 
attrayants  qu'ils  sont  devenus  aujourd'hui  à  peu  piès  introuvables 
el  qu'ils  se  paient  quasi  au  poids  de  l'or.  Car,  il  faut  bien  le  dire, 
nos  pelits  Guignols  des  Tuileries  et  des  Champs-Elysées  août  de 
simples  contrefacteurs  et  leur  enseigne  est  une  tromperie.  Guignol, 
le  vrai  Guignol,  étant  Lyonnais  de  naissance  et  d'origine,  et  depuis 
tantôt  un  siècle  trônant  en  vainqueur  dans  la  seconde  ville  de  France. 
C'est  à  Lyon  que  Guignol  et  vraiment  chez  lui;  c'est  un  enfant  du 
terroir,  la  reirésentation  comique  du  canut,  gouailleur,  bon  enfaut, 
satirique,  parfois  un  peu  pratique,  ennemi  des  propriétaires  et  des 
gendarmes,  d'ailleurs  malicieux  sans  méchanceté,  amusant  el  gai 
dans  ses  entretiens  avec  sa  femme  Madelon  et  son  ami  Gnafron,  et 
souvent  ayant  plus  d'esprit  dans  sa  petite  lête  de  bois  que  bien  des 
comédiens  en  chair  et  en  os. 

Je  n'en  finirais  pas  si  je  voulais  décrire  en  son  entier  tout  cette 
salle  amusante,  qui  déborde  d'ailUurs  siir  la  suivante,  dont  les  parois 
sont  encore  couvertes  d'une  longue  suite  de  marionnettes  exotiques 
exposées  par  le  prince  Roland  Bonaparte,  et  oli  nous  nous  trouvons 
en  présence  du  petit  Guignol  de  George  Sand,  qui  réjouissait  tant 
les  invités  de  Nohant  et  qui  appartient  aujourd'hui  à  M.  Edouard 
Cadol.  Une  inscription  placée  sur  la  petite  baraque  nous  apprend  que 
les  costumes  des  poupées  exposées  ont  été  confeclionnés  par  George 
Sand  elle-même,  que  les  décors  du  théâtre  étaient  l'œuvre  de  Maurice 
Sand,  que  les  pièces  et  les  scènes  étaient  improvisées  sur  place,  et 
que  quand  on  était  embarrassé  pour  le  dénouement  on  jetait  tout 
bonnement  les  pantins  dans  la  salle,  à  la  tète  des  spoctaleurs,  et  on 
baissait  le  rideau.  C'était  une  façon  expéditive  de  se  tirer  d'affaiie,  et 
qui  désarmait  la  critique. 

Me  voici  à  la  fin  de  ma  promenade  dans  cette  aimable  Exposition 
du  théâtre  et  de  la  musique,  qui  depuis  quatre  mois  attire  une  si 
grande  foule  au  palais  des  Champs-Elysées  et  qui  dans  quelques  jours 
ne  sera  plus  qu'un  souvenir.  J'ai  à  peine  le  temps  de  fignaler  encore 
une  tiès  intéressante  série  de  fort  jolies  charges  do  comédiens  ap- 
partenant à  M.  Péricaud,  l'excellent  régisseur  de  la  Porte-Saint-Mar- 
tin,  et  aussi  de  mentionner  la  trop  vaste  exposition  d'estampes  de 
M.  Hartmann,  sorte  d'immense  fouillis  dans  lequel  un  certain 
nombre  de  pièces  curieuses  se  trouvent  enfouies  sous  une  véritable 
avalanche  de  non-valeurs.  Mais  je  m'en  voudrais  —  el  ceci  est  plus 
sérieux  —  de  ne  pas  constater  en  terminant  la  présence,  dans  l'ex- 
position de  la  maison  Pleyel-Wolff,  d'un  instrument  précieux  dont 
j'ai  été  amené  déjà  à  m'occuper  ici-même,  el  dont  j'ai  mis  en  relief 
l'importance  et  l'utilité.  Je  veux  parler  de  1'  «  enregistreur  musi- 
cal »  de  M.  Arthur  Rivoire,  qui  reproduit  graphiquement  et  avec  une 
exactitude  absolue  la  moindre  improvisation  du  compositeur  sur  son 
piano.  L'inventeur  a  complété  et  perfectionné  le  mécanisme  très  délicat 
de  son  instrument,  qui  fonctionne  maintenant  à  merveille  et  dont  je 
crois  bon  de  signaler  l'existence  à  tous  ceux  qui  peuvent  avoir  besoin 
de  ses  très  utiles  services. 

Et  mainlenani,  souhaitons  que  le  théâtre  et  la  musique,  après 
l'expérience  si  heureuse  à  laquelle  on  vient  de  les  soumettre,  occu- 
pent, h  la  prochaine  Exposition  universelle,  la  place  qui  leur  revient 
à  tous  les  droits  et  à  tous  les  titres. 

Arthur  Pougin. 


REVUE   DES    GRANDS   CONCERTS 


Concerts  Colonne.  —  Quelques  changements  dans  la  disposition  de 
l'orcliestre  :  Les  contrebasses  forment,  de  bas  en  haut,  un  vaste  triangle  avec 
les  violoncelles  et  les  altos  comme  base  ;  à  gauche,  les  cors,  bassons,  haut- 
bois, etc.:  à  droite  les  cuivres  :  devant,  les  violons  el  les  harpes.  M.  Wino- 
gradsky  dirige  avec  une  variélé  d'atlitudes  extraordinaire,  depuis  le  balance- 
ment de  corps  d'un  maître  à  danser  réclamant  un  salut  ou  une  révérence, 
jusqu'au  mouvement  fougueux  d'un  capitaine  commandant  le  feu.  Jeux  avec 
le  bâton,  poses  recherchées  de  la  main,  sommations  impérieuses,  gestes  agres- 
sifs, battements  des  bras  s'agitant  comme  des  ailes...  de  moulin  à  veut,  rien 
ne  manque  à  la  pantomime,  qui  provoquerait  une  joie  épanouie  si  la  convic- 
tion du  musicien  n'était  au  fond  l'àrae  de  tout  cela.  Du  reste,  les  œuvres  com- 
poitcnt  une  a  tention  soutenue.  C'est  d'ajjord  la  Symplionie  patliétique  de 
Tschaïlcowslty.  D'une  originalité  peu  frappante,  elle  dérouterait  beaucoup, 
si  l'on  ne  s'apercevait  qu'il  y  a  usurpation  de  titre  et  qu'il  s'agit  ici  de  mor- 
caux  librement  traités  sans  développement  Sympbonique.  —  Le  concerto  en 
ré  de  Rubinstein  renferme  un  premier  mouvement  admirable.  C'est  là,  pour 
ainsi  dire,  un  péristyle  sous  lequel  il  ne  faudrait  pas  entrer  en  profane,  sans 
ôter  son  chapeau.  Au  milieu  des  motifs  d'une  si  forte  architecture  musicale 
qui  s'y  rencontrent,  M.  Mark  Hambourg  s'est  médiocrement  comporté. 
Alternant  avec  la  phrase  qui  forme  le  fonds,  il  y  avait  trois  mélodies  à  mettre 
en  lumière  :  l'une  est  à  jouer  avec  expression  en  insistant  sur  la  résolution 
des  deux  accords  de  septième;  l'autre  est  passionnée, mais  doitoonserver  une 
ligne  pure  jusqu'à  sa  culmination,  elle  se  dégrade  ensuite  et  produit  un 
grand  effet  dans  la  demi-teinte  :  la  troisième  est  une  aspiration  suprême  de 
l'àme,  une  efflorescence  d'art  incomparable.  Le  pianiste  n'a  pas  senti  ces 
nuances  et  no  les  apas  fait  sentir.  Il  a  été  meilleur  dans  l'anilanle  et  excellent 
dans  le  finale.  Possédant  un  bbau  mécanisme  et  un  tempérament  incontes- 
table mais  incomplet,  il  a  la  fougue  bohéraienue  ou  cosaque,  il  a  la  griffe 
plus  féline  que  léonine,  mais  toujours  acérée.  —  Vive  et  amusante  est  la 
fantaisie  do  Uargoraijsky  «  Cosalschok  »:  mais  la  plus  délicieuse  dos  petites 
choses  est  la  Chanson  de  berger  de  Rimsky-Korsakow.  M™"  de  Montalant  a  été 
charmante  dans  cette  invocation  au  dieu  'l'amour  des  Slaves  païens  :  «  0  mon 
Lell  ».  Ou  a  entendu  avec  quelque  froideur  la  ballade  de  Serow,  chantée  par 
M'i«  Planés,  et  l'ouverture  de  Rousslami  et  Ludmilla,  de  Glinka.  La  Berceuse  de 
César  Cui  et  la  Clmnson  de  berger  ont  été  bissées.  .\médée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche: 

Cliàtetet,  concert  Colonne;  Ouverture  de  Frilhiof  (Tli.  Dubois);  Fragments  de  Conle 
d'avril  I  Widor)  ;  Introduction  et  Rmdo  capricdoso  (Saint-Saëns)  ;  Caligula  (G.  l'auré)  ; 
Troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner),  soli  :  M""  Kutscherra,  Marguerite  Ma- 
thieu, Texier,  Planés,  -MM.  Cazeneuve,  tlyve  et  .M.  Vieuille. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concerts  Lamoureux  ;  Ouverture  de  la  Flûte  eicliantée 
(Mozart)  ;  Symphonie  en  la  (Beethoven)  ;  la  Forêl  enchantée,  légende  symplionique, 
d'après  une  ballade  de  Uhland  (V.  d'Indy)  :  Siegfried- Liyll  (Wagner)  ;  ks  Maîtres  Chan- 
teuis,  fragments  symphoniques  (Wagner)  ;  Buldigungs-Harsch  (Wagner) . 


NOXJ^^ELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (19  novembre).  Le  Don  César  de 
Bazan  de  MM.  Massenet,  Dumanoir,  d'Eunory  et  Chantepie,  que  la  Monnaie 
a  donné  lundi,  était  une  œuvre  toute  nouvelle  pour  les  Bruxellois  ;  ils  n'en 
connaissaient  ni  la  première  version  de  4872,  qui  fut  le  vrai  début  de  M.  Mas- 
senet au  théâtre,  ni  la  deuxième  version  de  1888,  que  l'auteur  écrivit,  rema- 
niant sa  partition  et  refaisant  l'orchestration,  détruite  dans  l'incendie  de 
l'Opéra-Comique.  Il  a  fallu  la  présence,  dans  la  troupe  do  la  Monnaie,  de 
l'excelbnt  baryton  M.  Frédéric  Boyer  pour  la  lui  faire  connaître.  M.  Boyer 
avait  beaucoup  chaulé,  en  province  el  à  l'étranger,  le  rôle  de  Don  Gésa'-, 
qui  demande  à  la  fois  un  comédi'U  expérimenté  et  un  chanteur  de  talent; 
on  comprend  qu'il  fût  désireux  d'y  paraître  à  Bruxelles;  et  c'est  surtout  pour 
lui  que  MM.  Stoumon  et  Calabrési  se  sont  décidés  à  monter  l'œuvre  de  jeu- 
nesse du  compositeur  de  Manon.  Le  public  bruxellois  n'a  pas  eu  à  s'en  plaindre. 
Il  a  pris  un  vif  plaisir,  un  plaisir  mémo  inattendu,  à  entendre  cette  partition 
pleine  de  fraîcheur  et  de  mélodie,  tour  à  tour  spirituelle  et  dramatique,  qui 
contient  en  germe  quelques-unes  des  meilleures  qualités  de  M.  Massenet  et 
qui,  malgré  sa  forme  passée  de  mode  et  quelques  pages  un  peu  vieillies,  est 
restée  intéressante  et  vraiment  très  agréable,  illustrant  d'une  musique  vive  et 
charmante  un  libretio  amusant  et  attachant.  On  a  fait  à  M.  Poycr  tout  le 
succès  que  mérite  cet  arliste  adroit  et  fin,  malgré  une  indisposition  ([iii  para- 
lysait malheureusement  la  moitié  de  ses  moyens.  M"'=  (3-ianoli,  dans  le  rijle 
de  Maritana,  a  été  également  très  applaudie,  pour  son  intelligence  t-t  sa  jolie 
voix,  et  MM.  Bonnard  et  Gilibert  ont  fait  ce  qu'ils  ont  pu  de  deux  rôles  assez 
ingrats,  qni  no  leur  conviennent  guère.  Orchestre  convenable  et  mise  en 
scène  sans  apparat.  La  direction  de  la  Monnaie  évidemment  ne  comptait  pas 
beaucoup  sur  cette  résurrection;  mais  c'esl  tant  mieux,  en  somme,  même 
pour  elle,  si  ce  succès  imprévu  lui  a  donné  tort  et  peut  lui  valoir  quelques 
bonnes  soirées,  avec  un  ouvrage  qui  ne  lui  aura  rien  coûté.  —  La  Monnaie 
est  maintenant  Icmlo  aux  ii'pétilions  de  Javotte  et  de  Phryné,  de  M.  Saint- 
Saëns,  qui  passernnt  |iioclKiiupmout.  L.  S. 
—  Il  est  qufslinii,  à   la  Muniuiif   dr    Knixplles.    dp  i-ppiV'spntT  Ip   nouvel 


•'i  /  'l 


LE  MENESTREL 


opéra  flamand  de  M.  Jaa  Bloo^x.  Herbergprinscs  [Princesse  d'auberge),  ijni 
vient  de  faire  son  apparilion  à  Anvers.  Toutefois,  les  représentations  de  cet 
ouvrage  auraient  lieu  non  pendant  l'hiver,  mais  à  l'époque  de  la  prochaine 
exposition. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (19  novembre)  :  Le  public  musical 
de  Londres  a  fait  bon  accueil  à  l'orchestre  de  M.  Lamoureux.  Quatre  con- 
cerfs  ont  déjà  eu  lieu  à  Qùeen's  Hall  en  l'espace  de  quatre  jours.  Les  pro- 
grammes, élaborés  avec  soin,  comprenaient  les  meilleures  œuvres  jouées 
dans  ces  derniers  temps  au  Cirque  d'été,  tant  classiques  que  modernes. 
Parmi  ces  dernières  on  a  particulièrement  goûté  Dans  les  steppes  de  l'Asie 
centrale  de  Borodine,  page  exquise  cimme  couleur  et  comme  sentiment, 
rialroducliou  de  la  deuxième  partie  de  Rédemption,  de  César  Franck,  d'une 
iuspiratiou  fervente  et  siaitenue.  l'éléiianle  Ballade  symphoni jue  de  M.  Che- 
villard.  l'ouverture  île  Frilhiof,  de  M.  Th.  Duliois,  et  la  très  remarquable 
légende-symphonie  de  la  forri  enc/;nnide,  de  M.  Vincent  d'Indy.  L'interpréta- 
tion par  M.  Lamoureux  de  la  scène  du  Venus'ierg,  de  Tannhiiuser.  de  Siegfried- 
Idijll  et  de  la  Symphonie  italienne  de  Mendelssohn,  onl  fait  exulter  la 
presse;  de  son  côté,  le  public  a  réclamé  (ci  nblsnu!)  le  bis  d'un  menuet 
de  Hœndel.  Je  citerai  également  l'exécution  de  la  symphonie  en  ut  de 
Schumann,    que  l'orchestre  Lamoureux  faisait  entendre   pour  la   premier,? 

fois.  LÉON  SCHLESI.NCER. 

—  Gorrespoudanc;  de  Barcelone  (Ib  novembre  1896)  : 

Je  vous  écris  sous  la  douloureuse  impression  de  la  mort  d?  notre  éminent 
confrère  M.  Antonio  Pena  y  Goni,  dont  la  lin  si  soudaine  a  causé,  dans 
notre  monde  artistique,  une  vive  émotion.  A  Malrid,  l'inaltendue  nouvelle 
a  produit  une  sensatiiin  plus  péniljle  encore,  et  nous  apprenons  que  les 
obsèques  du  délicat  et  remarquable  écrivain  seront  la  manifestation  d'un 
vérilalde  deuil  public.  Nous  nous  y  associons  bien  sincèrement. 

Notre  arrière-saisou  d'automne  s'achève  sans  incident  bien  notable.  Sauf 
une  série  de  tmi-;  rumi'iu.  iImiii  ■'.■;  par  noire  Sociedad  calalana  de  Conciertos,  à 
peu  près  rien  nr  >'i'^i  iinnlnil  i|ni  vaille  la  peine  d'être  signalé.  Los  trois 
concerts  en  quesliou  nous  oui  fait  connaître,  comme  chef  d'orchestre, 
M.  Mathias  Crickboom.  que  la  susdite  «  Sociedad  Catalana  »  a  choisi  pour 
remplacer  M.  Antonio  Nicolau,  à  qui  elle  doit  son  exisl^nce.  mais  qu'elle  n'a 
pas  su  co.iserver. 

Au  premier  de  ces  trois  concerts,  M.  Ernest  Chausson  nous  a  fait  entendre 
sa  symphonie  en  si  bémol.  Beaucoup  de  science!  énormément  de  science I 
trop  de  science,  li(''las!  serions-nous  tenté  d'écrire.  C'est  admirable  de  dilTi- 
cultés  vaiuinc-^!  C'e>l  de  l'enharmonie  savante!  Mais  comme  uue  toute 
mignonne  nududie  simplette  —  voire  même  naïve  —  eût  mieux  fait  notre 
affair.M  C.iui^lalons,  cependant,  que  la  troisième  partie  de  cet  immense 
travail  reuleiine  de  beaux  et  très  heureux  effets  de  sonorité.  Mais,  en 
résume,  cette  chaussonnerie  en  si  bémol  ne  nous  a  pas  botté. 

Une  autre  œuvre  inconnue  nous  a  été  révélée  :  Sauge  fleurie,  de  M.Vincent 
d'Indy.  C'est  évidemment  de  sauge  sauvage  qu'il  s'agit...  Mais  qu'est-ce  que 
cette  pauvre  planle  méilicinale  a  bien  pu  faire  à  M.  d'Indy  pour  l'avoir  aussi 
férocement  musiquée?  N'insislcms  pas.,,  car  la  sauge,  cette  fois,  n'a  pu  faire 
passer  le  poisson. 

Heureusement,  à  coté,  nous  avons  eu  le  violon  de  M.  Eugène  Ysaye,  qui 
a  l'ail  à  Barcelone  un  début  Iriomphal.  Quel  admirable  artiste!  Quelle 
virtuosité  et  quel  sentiment  exquis!  Après  le  délicieux  concerto  pour  violon 
et  orchestre  de  Mendelssohn,  ça  a  été  un  véritable  délire  et  une  intermi- 
nalde  ovation. 

Parmi  les  autres  morceaux  exécuii's  dans  ce  Iriidd  de  concerts,  nous 
sigualeriius  encoi'e  :  une  aï" t'a  jniur  insirumenis  à  cordes,  de  J.-S.  Bach,  un 
toujours  jeune,  mais  pas  moderniste  —  heureusement! — ijui  a  été  bissée  par 
acclamations  les  inévitables  Murmures  de  la  Forêt  et  la  sempiternelle  Marche 
funèbre  de  Siegfried,  de  "Wagner. 

Au  Liceo,  rien  encore.  On  répète  VOlello  de  Verdi,  pour  la  réouverture  et  la 
reutrée  du  lénor  Cardiuali,  du  baryton  Blanchart  et  de  la  toute  gracieuse 
Eva  Tetrazzini.  —  Comme  nouveauti'  on  nous  promet  Samson  et  Dalila,  avec 
le  composileur  lui-même,  M.  S;ii  ni -Siirns  cîi  personne,  comme  chef  d'orchestre. 
Ce  sera  l'évi-nement  musical  il'  la  mu^ou, 

.  Uue  innovation  intéressante.  Ce  rualiu  même,  M.  Antonio  Nicolau  a  inau- 
guré, avec  les  excellents  artistes  de  son  orchestre,  une  série  de  concerts 
populaires —  matinées  dominicales  —  à  prix  réduits,  au  théâtre  des  Novedades. 
Un  très  ufiuiljr,:'ux  publie  a  répondu  à  son  appel,  et  le  succès  a  été  complet. 
Le  public  u'oîildie  pas,-  en  effet,  que  c'est  aux  constanis  efforts  de 
M.  Nicolau  qu'il  doit  son  commencement  d'éducation  musicale  et  son  ini- 
tiation aux.  chefs-d'œuvre  de  la  musique,  et  il  ne  manque  jamais  uue 
occasion  de  l'acclamer.  C'est  justice.  Avant  de  terminer,  nous  annoncerons 
que  M.  Nicolau  vient  d'être  nommé  directeur  de  notre  École  municipale  de 
musique.  A.-G.  Bertal. 

—  Après  le  fiasco  du  Vaisseau-Fantôme  à  Madrid,  voici  le  four  de  Tann- 
hâuser  à  Milan.  Ce  n'est  pas  nous  qui  le  disons,  c'est  le  Trovatore  qui,  après 
l'avoir  signalé  à  sa  première  page,  l'enregistre  ainsi  dans  ses  dernières  nou- 
velles :  «  La  seconde  représentation  du  Tannhiiuser  au  Dal  Verme,  forno  I  » 
Le  fait  est  qu'on  doit  renoncer  à  l'ouvrage  pour  le  remplacer  sur  l'affiche 
par  la  Forza  del  Deslino. 

—  Au  cours  de  la  prochaine  saison  de  carnaval  et  carême,  le  Théàire 
Royal  de  Turin  doit  donner  les  premières  représentations  de  deux  opéras 
nouveaux.  Le  premier,  dont  la  musique  est  duc  à  M.  Buzzi-Peccia,  est  intitulé 


Giuliana;  ou  ne  connait  |ias  encore  le   litre  du  second,  qui  a  pour  auteur  le 
maestro  Alliertini. 

—  On  nous  télégraphie  de  Moscou  :  Très  grand  succès  pour  la  Symphonie 
de  '^'idor,  admirablement  exécutée  sous  la  direction  de  l'auteur  à  la  salle  de 
la  Noblesse.  Quatre  rappels  pour  M.  Widor. 

—  M.  Glazouooff,  le  jeune  compositeur  russe,  a  reçu  du  directeur  des 
théâtres  impériaux  de  Saint-Pétersbourg,  la  commande  de  la  musique  d'un 
ballet  Intitulé  la  Dame  blanche,  dont  M.  Petipa,  le  maître  du  ballet,  a  hiurni 
le  scénario. 

—  On  signale  jdusieurs  nouveaux  opéras  russes.  M,  Kasalcheuko  a  ter- 
miné un  ouvrage  dont  le  titre  n'est  pas  encore  fixé  et  dont  le  sujet  est  em- 
prunté à  la  vie  petite-russienns.  Le  compositeur  P.  J.  Blaremberg  a  mis  en 
musique  un  opéra,  dont  le  livr.H  est  tiré  de  la  pièce  d'Ostrowski  intitulée  un 
Comique  du  X'VIl^  siècle. 

—  La  censure  russe  a  défendu  les  représentalions  de  l'Homme  de  l'Évangile, 
l'opéra  du  compositeur  autrichien  (Tuillaume  KienzI.  Le  sujcl  n'a  aucun 
caractère  politique;  il  faut  donc  supposer  que  c'est  le  caraclèrc  religieux  du 
personnage  principal  de  l'opéra  qui  a  choqué  M""=  Anaelasie  à  Saiul-l'êlers- 
bourg. 

—  Au  théâtre  Grand-Ducal  de  Carlsruhe  vient  d'avoir  lieu  la  première 
représentation  d'un  grand  ouvrage  inédit  dû  à  trois  de  nos  compatriotes, 
le  Drac.  opéra  en  trois  actes,  livret  imité  de  George  Sand  par  M.  Louis 
Gallet,  musique  de  MM.  Paul  et  Lucien  Hillemacher.  L'exécution  a  eu  lieu 
sous  la  superbe  direction  de  M.  Félix  MottI,  qui  avait  lui-même  patroué 
l'ouvrage,  et  le  succès  a  éti>  complet,  La  musique,  conçue  dans  une  forme 
toute  moderne,  n'en  est  pas  moins  remarquable  au  point  de  vue  de  l'ins- 
piration, et  a  produit  sur  le  public  ime  très  grande  impression. 

—  M"'=  Renard,  de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  a  reçu  ûe  l'empereur  d'Au- 
triche un  bracelet  orné  de  seize  diamants  à  l'occasion  du  concours  qu'elle  a 
prêté  dernièremsnt  à  la  soirée  de  gala  organisée,  au  château  de  Schœnbrunn, 
eu  l'honneur  du  duc  d'Orléans  et  de  l'archiduchesse  Marie-Dorothée  d'Autriche. 
M""  Benard  y  avait  joué,  entre  autres,  le  rôle  de  M.  Denis,  dans  la  gentille 
opérette.  Monsieur  et  Madame  Denis,  d'OIfenbach. 

—  Le  31  janvier  prochain  aura  lieu  à  Vienne  un  grand  concert  en  l'hon- 
neur de  Franz  Schubert,  pour  célébrer  le  centième  anniversaire  de  sa  nais- 
sance. Toutes  les  sociétés  musicales  de  la  capitale  autrichienne  y  prendront 
part.  Le  programme  porte  les  œuvres  suivantes  de  Schubert  :  ouvertui'e  de 
l'opéra  de  Fier-à-Bras ;  le  chœur  de  Mignon  (  «.  Celui  seulement  qui  cimnait  la 
nostalgie  »  )  et  le  chœur  Chant  des  esprits  de  l'eau,  deux  fragments  de  la  sym- 
phonie en  si  mineur  et  la  célèbre  Sérénade  \)0\ir  contralto  a^ec  chœur  de 
femmes,  paroles  de  Grillparzer.  Le  même  jour  sera  inaugurée  l'exposition 
Schubert  dont  nous  avons  déjà  parlé  el  où  on  pourra  admirer,  grâce  au  con- 
cours de  la  ville  de  Vienne  et  de  plusieurs  collecliouneurs  notables,  la 
plup.art  des  autographes  et  compositions  manuscrites  de  Schubert  qu'on 
connait  el  plusieurs  objets  personnels  qui  lui  ont  appartenu. 

— A  Berlin,  le  centenaire  du  même  Sch  ubert  sera  cêlébn'.  hii  janvier  prochain, 
d'une  façon  originale.  Plusieurs  membres  de  la  cour  ro\:il('  ioui-nini  puldi- 
quement,  vous  avez  bien  lu  :  pu-bli-que-ment.  le  charni.iui  ii|M'r,j-iMuiiqnr  de 
Schubert,  la  Croisade  des  dames,  el  la  comtesse  de  Midike.  l'cninn'  d'uu  aide 
de  camp  impérial  qui  est,  croyons-nous,  le  propre  neveu  du  ci'dêlire  maré- 
chal de  Guillaume  I",  dirigera  les  répétitions.  On  sait  que  le  sujet  de  cette 
œuvre  de  Schubert  est  emprunté  à  la  même  comédie  d'Aristophane  qu'on 
joue  chez  nous  sous  le  titre  de  Lysistrata,  et  on  se  rappelle  que  finalement 
la  conjuration  des  femmes  est  vaincue  par  la  fermeté  A'irile  de  leurs  victimes. 
Pour  les  dames  d'une  cour  aussi  collet-monté  que  celle  de  Prusse,  la  grève 
matrimoniale  des  châtelaines  contre  les  chevaliers  croisés  revenant  pleins  de 
tendresse  expansive  du  pays  des  infidèles,  qui  l'orme  le  sujet  de  l'opéra  de 
Schubert,  est  certainement  un  peu  scabreuse.  Mais  le  brave  Schubert  a  écrit 
sur  le  sujet  que  lui  a  fourni  Aristophane  une  partitiunnette  tellement  hon- 
nête que  les  dames  aristocratiques  de  Berlin  pourront  hardiment  lu'aver 
l'honnêteté.  Gare,  cependant,  aux  accrocs,  car  les  chœurs  de  femmes  de  cet 
opéra  sont  assez  difficiles  pour  des  dames  de  cour. 

—  Antoine  Bruckner  a  tous  les  honneurs  — post  mortem.  La  socii''té  litté- 
raire et  artistique  catholique  Léon,  de  Vienne,  a  décidé  de  lui  ériger  une 
statue,  et  la  société  des  Amis  de  la  musique  fera  jouer,  en  janvier  1897,  sa 
messe  en  ré  mineur.  Ce  sera  la  première  exécution  de  cette  œuvre  grandiose 
dans  une  salle  de  concerts.  Le  compositeur  ne  l'a  jamais  entendue  avec  un 
orchestre  et  des  chœurs  de  premier  ordre. 

—  L'opéra  royal  de  Berlin  prépare  la  première  représentation  d'un  opéra 
inédit  de  M.  Kienzl,  intitulé  Don  Quichotte  Cette  œuvre  provoque  une  vive 
curiosité  en  Allemagne,  car  l'Homme  de  l' Évangile  de  M. Kienzl  fait  maintenant 
avec  beaucoup  de  succès  le  tour  des  scènes  allemandes. 

—  On  a  trouvé  parmi  les  papiers  de  Franz  de  Suppé  une  trentaine  d'e  mé- 
lodies inédites,  ainsi  qu'une  messe  presque  terminée.  Ces  œuvres  posihumes, 
dont  personne  n'avait  eu  connaissance,  seront  prochainement  publiées. 

—  L  heureux  auteur  de  Haensel  et  Gretel,  M.  Engelbert  Humperdinck,  qui 
depuis  longtemps  exerçait  les  fonctions  de  critique  musical  à  la  Gazette  de 
Francfort,  a  renoncé  à  ses  devoirs  de  critique  pour  se  livrer  désormais  exclu- 
sivement â  la  composition. 


LE  MENESTREL 


375 


—  Il  iiarait  qu'on  conserve  depuis  trois  cents  ans,  dans  la  bibliothèque 
de  l'université  d'Iéua,  un  volumineux  manuscrit  de  266  pages'qui  contient, 
en  notation  musicale  du  quatorzième  siècle,  toute  une  importante  série  de 
chants  de  mmnesani/er  d'une  valeur  historiqu.;  iiiesliniable.  On  a  fait  faire, 
en  ces  derniers  temps,  une  photographie  iuiii|ilrio  de  ce  manuscrit,  afin  que 
les  précieux  documents  qu'il  renferme  puisst-ul  être  livrés  à  la  publicité. 

—  Le  prince  Mirko  de  Monténégro,  fils  cadet  du  prince  régnant  Nicolas, 
vient  de  terminer  la  partition  d'un  drame  musical  dont  le  livret  est  lire  du 
drame  l'Impéralrice  des  Balkans,  que  son  père  a  publié  il  y  a  quelques  années 
en  langue  serbe.  Le  nouveau  théâtre  de  CetUgné  aura  probablement  la  pri- 
meur de  l'opéra  du  prince  Mirko.  Peut-être  le  verra-t-on  aussi  en  Italie,  car 
le  compositeur  est,  comme  on  sail,  le  beau-frère  du  prince  de  Naples  el  futur 
roi  d'Italie. 

—  Ou  nous  télégraphie  de  New-York  que  la  compagnie  Grau  et  Schoeffel 
a  inauguré  la  saison  au  Metropolitan  Opéra  House  avec  le  plus  grand 
succès.  Ou  jouait  Faust  avec  M"'=  Melba,  MM.  Jean  et  Edouard  de  Reszké 
et  Lassalle.  Tous  les  artistes  étaient  merveilleusement  en  voix.  On  a  remar- 
qué avec  plaisir  que  presque  toutes  les  dames,  à  l'orchestre,  s'étaient  con- 
formées à  l'invitation  polie  de  la  direction  de  ne  pas  arborer  de  chapeaux. 
Presque  toutes  les  dames  étaient  «  en  cheveux  »  et  leur  vue  offrait  un  aspect 
charmant.  Désormais  la  législation  de  l'Etat  de  New- York  n'aura  plus  à  s'oc- 
cuper d'une  loi  contre  les  chapeaux  de  femmes. 

—  Un  écho  do  l'élection  présideutielle  aux  Etats-Unis,  qui  prouve  une 
fois  de  plus  que  les  Américains  ne  font  rien  à  demi.  A  New- York,  dans  une 
démonstration  en  faveur  du  nouveau  président,  M.  Mac-Kinley,  un  ensemble 
de  12S  (cent  vingt-cinq)  liandes  musicales  a  exécuté  l'Hymne  national. 
Saperlolle!  il  n'aurait  pas  l'ail  lion  se  trouver  au  centre  de  cet  orchcsire. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Voici  le  tableau  des  dépenses  matérielles-  faites  à  l'Opéra -Comique 
depuis  1S91,  date  de  l'entrée  en  fonctions  de  M.  Garvalho.  à  la  fin  de 
février  1896  : 

Valeur  A«31  aolt  1893     Au  31  dtc.  ISO,')     Au  29».  1890 

Décors Er.  217.707  69  232.354  14  2-'i-2.841  84 

Coslumes. 396.437  72  417.956  87  426.655  82 

Accessoires 11.177  65  -11.788  10  12.393  60 

Matériel.' 1  950    »  1.950    »  2.775    » 

Mobilier 32.990  40  22.990  40  23.925  55 

Iiistrmiieiits  de  musique  .    .  12.713  05  16.653  05  16.653  05 

ToT.vux.   .   .  Fr.      663.036  51      703.692  56      725.154  86 

Pendant  l'exercice  allant  du  1=''  septembre  1894  au  31  août  1893,  il  a  été 
payé  par  rOpr'ra-Comi([ue  : 

AppoinleiHunls  :  Aux  artistes Fr.      682.964  30 

—  A  l'orchestre 204.378  95 

—  Aux  choristes 130.319    » 

—  Ballet 31.499  45 

—  Comparses 9.127  75 

—  Machinistes 54.209  45 

jU/se  en  scène  ;  Décors 53,324  10 

—             Costumes 99.375  20 

Assurances  et  uupùts 19.210  33 

Chautfage  et  éclairage 81.864  50 

Droils  :  Des  auteurs 187.631  80 

—        Des  pauvres  157.100  60 

Les  représentations-soirées  ont  donné  une  recette  brute 

do ' Fr.  1.312.058  50 

Les  matinées 233.558    .> 

lîccetles  totales  brutes  des  représentations.   .    .  Fr.  1.545.616  50 

Avec  la  valeur  du  matériel  neuf  qui  entrera  à  l'actif  de  son  inventaire  sous 
réduction  d'un  lant  pour  cent  d'usure,  dit  M.  Jules  Huret,  du  Figaro,  la 
direction  de  l'Opéra-Gomique  peut  espérer  qu'elle  verra  sa  situation  liuau- 
cière  équilibrée  lors  de  l'expiration  de  son  privilège.  Les  frais  d'exploitation 
qui,  à  l'origine,  étaient  de  3.300  francs  par  jour  et  qui,  sous  la  direetion 
Perrin,  avaient  alleiut  4.000  francs,  somme  considérée  alors  comme  exces- 
sive, ne  sont  pas  inférieurs  aujourd'hui  à  6.000  francs.  Enfin,  la  prise  de 
possession  de  la  nouvelle  salle  de  l'Opéra-Gomique,  place  Boieldieu,  n'est 
guère  attendue  que  pour  le  courant  de  1899...  Oh!  monsieur  Bernier  ! 
monsieur  Bernier  ! 

—  A  l'Opéra,  la  distribution  des  rôles  du  ballet  rEtoitese  trouve  complétée 
par  l'attribution  à  M"=s  luvernizzi  et  Torri  des  personnages  des  deux  mères, 
pour  lesquelles  on  cherchait  des  titulaires.  Voici  donc  à  présent  comment 
se  comportera  la  distribution  de  l'ouvrage  : 

Zénaidc  Bréju,  M'^e  Rosita  Maurl. 

M"^  tUiamoiseau,  Invernizzi. 

LcoeaQie,  première  danseuse  de  l'Opéra,        Robin. 

M"'"  Bréju,  Torri. 

Une  jeune  mariée,  Cleo  de  Mérode. 

Vestris,  MM.  Hansen. 

Séverin,  Ladam. 

Plus,  une  quanlitè  d'aulrcs  petils  rôles  qui  donneront  à  M"«^  Hirsch,  San- 
drini,  Lobsteiu,  Désiré  et  tutti  (juanti  l'occasion  de  se  signaler  dans  des  pas 
et  varialious  multiples. 


—  C'est  dimanche  prochain,  29  novembre,  que  la  Société  des  conceris  du 
Conservatoire  reprendra  ses  séances  et  ouvrira  ainsi  sa  soixante-dixième 
session.  Pour  eetio  réouverhn-e,  elle  a  ménagé  à  ses  luiliitués  une  double 
surprise  douliloinrni  y-i-iMlilr  :  hi  iMriicipalioii  à  ce  concert  de  M.  Louis 
Diémer  et  rexi'ciilnin,  pur  IV\ii'll.'iit  ;iili>le,  d'un  nouveau  concerto  de 
piano  de  M.  Saint-Saéns 

—  L'Association  des  artistes  musiciens,  fondée  par  le  baron  ïaylor,  célé- 
brera cette  année,  selon  sa  coutume,  la  fête  de  Sainte-Cécile,  en  faisant  exé- 
cuter en  l'église  Saint-Eusiache,  le  vendredi  27  novembre,  à  11  heures  du 
malin,  la  il/esse  de  saint  Fronçais  d'Assise  (i'"  audition)  Je  M.  E.  Paladilhe, 
sous  la  direction  de  M.  Daubé.  Les  soli  seront  chantés  par  MM.  "Warrabrodt 
et  Auguez.  A  l'Offertoire  :  M.  Pennequin  exécutera  sur  le  yiolon  la  romance 
en /ode  Beethoven.  On  terminerapar  une  marche  solennelle  de  M.V.  Joncières,. 

—  Hier  samedi,  à  la  séance  solennelle  d'ouverture  de  la  conférence  des 
avocals  pour  l'année  judiciaire  1896-1897,  M.  Maurice  Golrat  a  prononcé  un 
discours  sur  ce  sujet  :  De  l'influence  du  théâtre  sur  les  lois. 

—  C'est  au  26  novembre  qu'est  fixée,  au  théâtre  de  la  Renaissance,  la  pre- 
mière représentation  de  Lorensaccio.  On  sait  que  l'œuvre  est  accompagnée 
d'une  petite  partition  de  musique  de  scène  due  à  M.  Paul  Puget.  Il  y  a  là 
trois  petits  airs  de  bal  finement  écrits  dans  le  style  de  la  Renaissance  et  une 
chanson  fort  originale  qui  ne  passeront  certainement  pas  inaperçus. 

—  Ah!  mais,  il  ne  s'agit  plus  de  badiner.  M.  Lamoureux  songe  décidément 
à  fonder  un  théâtre  où  il  donnera,  comme  elles  doivent  être  données,  les 
œuvres  classiques  et  modernes.  Il  commencerait  par  Don  Juan,  dont  on 
aurait  enfin  la  version  exacte  et  définitive.    Ce   ne  serait  pas  dommage. 

—  Les  jeunes  artistes  qui  désireraieni  se  porler  candidals.  pour  l'année  1897, 
aux  bourses  arlistiques  fondées  par  le  rdm.eil  général  (délibération  du  10  no- 
vembre 1881),  sonl  invilés  à  se  l'aire  inscrire  à  l'Hôtel  de  Ville  (escalier  D, 
troisième  étage,  service  des  beaux-arts),  en  apportant  les  jusiifications  néces- 
saires. Ces  bourses  seront  au  nombre  de  cinq,  d'une  valeur  de  1.200  francs 
chacune,  et  devront  être  réparties  entre  les  jeunes  peintres  (ju  sculpteurs  sans 
fortune,  nés  dans  le  département  de  la  Seine,  qui  aumnl,  dans  leur  spécia- 
lité, remporté  le  plus  de  récompenses  au  cours  de  leurs  éludes.  Les  archi- 
tecles  et  musiciens  ayant  obtenu  un  deuxième  prix  deRome  seront  également 
admis  à  prendre  part  à  ce  conrours.  Tous  les  candidats  devront  être  âgés  de 
moins  de  trente  ans.  Les  demandes  seront  reçues  jusqu'au  31  décembre  1896 
inclus,  dernier  délai. 

—  On  parle  de  la  cession  prochaine  du  théâtre  de  l'Eldorado  à  M.  Bian- 
chini,  le  dessinateur  de  costumes  bien  connu. Tant  mieux!  s'il  y  apporte  dans 
la  mise  on  scène  tout  le  goût  dont  il  a  déjà  donné  tant  de  preuves  dans  l'art 
d'ajuster  les  éloffcs  soyeuses  sur  nos  plus  jolies  comtemporaines. 

—  Dans  peu  de  jours,  l'Exposition  du  thi'âtre  et  de  la  musique,  qui  a 
donné  au  |iulilic  parisien  un'  spectacle  si  neuf  et  si  intéressant,  aura  cessé  de 
vivre.  Mercivili  pidchaiii  23  novembre,  à  six  heures  du  soir,  après  quatre 
mois  d'existencr.  elle  formera  ses  porles  pour  ne  plus  les  rouvrir,  et  les  col- 
lecUous  si  curieuses  qu'elle  a  offertes  aux  regards  des  amateurs  feront  retour 
chez  leurs  heureux  possesseurs.  Elle  a  néanmoins  profité  de  ses  derniers 
instants  pour  inganiser,  dans  la  jolie  peli'e  salle  de  théâtre  du  premier  étage, 
une  série  de  séances  qui  ont  obtenu  un  très  vif  succès.  L'une  d'elles  a  été 
consacrée  à  Chopin,  dont  M.  G.  Hess  a  exécuté  plusieurs  œuvres  à  la  suite 
d'une  conférence  faite  par  M.  Henri  des  Houx.  Une  autre  conférence  a  été 
faite  par  M.  Buot  sur  ce  sujet  :  Le  prêtre  au  théâtre.  Enfin,  mardi  dernier, 
toute  une  séance  d'un  caractère  vraiment  original  était  consacrée  à  Mozart, 
qu'on  pourrait  dire  «  à  la  mode  »  en  ce  moment  si  Mozart  n'était  pas  im- 
mortel. Cette  séance,  qui  avait  attiré  une  aCQuence  considérabb\  commençait 
par  une  conférei  ce  de  M.  Arthur  Pougin  sur  Mozart  enfant,  niurrie  de  faits, 
comme  on  peut  le  penser,  fort  intéressante  et  très  applaudie.  Puis  venait 
une  gentille  comédie  en  vers  do  M.  Alexandre  Picot,  Mozart  à  Paris,  joli- 
ment jouée  et  avec  beaneouji  de  grâce  par  la  jeune  fille  de  l'auteur, 
M"«  Henriette  Picot,  qui  personnifiait  Mozart,  et  M''°  d'Anbricourt.  Celle 
petite  pièce,  d'un  tour  fort  aimable,  donnait  l'occasion  à  M"»  Picot  d'exécuter 
avec  beaucoup  de  finesse,  sur  le  clavecin  et  sur  le  jiiano.  différenls  mor- 
ceaux de  Mozart.  Bref,  cette  séance  a  obicnu  un  suc, -es  comjdcl,  el  confé- 
rencier, poète,  interprètes  et  virtuose  ont  été  accueillis  par  de  vil's  applau- 
dissements. 

—  Très  intéressante  petite  séance  musicale  chez  M"™  Marie  Luguet,  avec  le 
concours  de  M"=  Julie  Bressolles,  ,pn  ;,  l'ail  oiilenjre  les  Chansons  grises  de 
Hahn,  l'air  du  Tasse  de  Godard,  ,•!  ,|iielqiies  inor.-s  cliarmanles    des  Gloires  de 

■  l'Italie  de  Gevaert,  entre  autres  un  Madrigal  de  Gacciui  et  le  bel  air  de  Gansimi 
Victoria,  et  Gelosia  de  Luigi  Rosi,  —  le  tout  au  milieu  des  applaudissements. 

Nous   avons   annoncé,  dimanche  dernier,    qu'un   comité    s  était  lormo 

pour  élever,  dans  la  ville  de  Longjumeau,  un  inouuninit  â  .\dolphe  Adam. 
Sa  célébrité  dans  ce  petit  pays  est  toute  natur,  lie  par  la  popularité  que  Un 
valut  son  aimable  jiartition  du  Postillon  de  Lonjumrau.  dont  W  litre  lut  pris 
naguère  pour  enseigne  par  une  auberge  de  la  liualiO'  l'.riic  aolierge,  qui 
représentait  le  gracieux  Ghapelou  dans  son  ru.iuov  trailitinnu^-l,  et  dont  la 
tôle  se  balançait  librement  au  vent,  lit  en  1S70  la  joie  des  troupes  alle- 
mandes que  la  guerre  avait  amem'a-.,  à  occuper  Longjiiiiirau.  On  sait  com- 
bien est  populaire,  de  l'autre  coté  du  Rhin,  l'opéra  .l'Adam,  chez  nous  cinq 
ou  six  fois  centenaire.  Les  Allemands  ne  trouvèrent  làeii  de   mieux  à   faire 


376 


LE  MENESTREL 


(jue  de  décrocher  l'enseigne  et  de  l'emporler,  comme  ils  auraient  fait  d'une 
pendule.  Mais  là  n'est  pas  l'extraordinaire.  Ce  qui  est  moins  croyable,  et  ce 
qui  est  réel, 'pourtant,  c'est  qu'après  la  guerre  les  habitants  de  Longjumeau, 
désolés  de  la  perte  de  leur  enseigne,  qu'ils  auraient  pu  remplacer  sans 
doute,  mais  qui  était  pour  eux  un  souvenir  historique,  la  firent  réclamer  eu 
Allemagne,  qu'ils  eu  obtinrent  la  restitution  et  qu'elle  recommença  à  orner 
l'auberge  du  Postillon  de  Lonjumeau.  On  trouve  tous  les  détails  de  celle 
histoire  curieuse  dans  le  livre  que  notre  collaborateur  et  ami  Arthur  Pougin 
a  consacré  à  Adolphe  Adam. 

—  La  question  du  monument  à  élever  à  Louis  Lacombe  préoccupe  en  ce 
moment  la  municipalité  et  la  population  de  Bourges,  sa  ville  natale,  et  l'on 
a  discuté,  ces  jours  derniers,  la  question  de  l'emplacement  à  choisir.  C'est 
le  sculpteur  Jean  BafCer,  on  le  sait,  qui  a  été  chargé  do  perpétuer  dans  le 
bronze  les  traits  du  grand  musicien.  La  reconstitution  de  cette  belle  phy- 
sionomie n'était  pas  chose  facile,  car  l'artiste  n'avait  pour  se  guider  qu'une 
photographie  très  imparfaite  ;  disons  tout  de  suite  qu'il  a  vaincu  tous  les 
obstacles  et  fait  une  œuvre  magistrale,  vraiment  digne  d'admiration.  La 
ligure  de  Louis  Lacombe  est  bien  vivante,  le  regard  est  plein  d'expression, 
on  croirait  que  la  bouche  va  s'ouvrir  pour  parler.  Le  buste  repose,  pour  le 
moment,  sur  un  socle  assez  gracieux  en  bois  peint,  représentation  exacte 
du  piédestal  dont  le  comité  a  fait  choix,  et  sur  lequel  on  lit  cette  inscription 
en  lettres  dorées:  Au  composilmr  Louis  Lacombe,  1818-1881,  ses  compatriotes.  A 
la  hase  du  buste,  en  écharpo,  sont  énumérées  les  principales  œuvres  du 
compositeur  :  Winlielried,  le  Tonnelier  de  Nuremberg,  —  qui  sera  jou('  prochai- 
nenement  sur  une  grande  scène  allemande,  —  Manfred,  la  Reine  des  Eaux, 
Sapho,  Arva. 

—  Le  conseil  municipal  île  Lycui  s'est  occupé,  ces  jours  derniers.  Je  la 
question  du  monument  Pierre  Dupont,  qui  attend  une  solution  depuis  quinze 
ans.  Les  amis  du  iioète  ont  réuni  Ib.OOO  francs.  Le  projet  est  achevé  et  il 
restait  à  fixer  l'eniplacemeut  de  monument.  L'administration  proposait  le 
jardin  des  Chartreux,  une  dos  jjlns  jolies  promenades  de  ^Lyon  dominant,  la 
Saône;  les  conseillers  municipaux  de  la  Cioix-Rousse  demandaient  de  l'on- 
ner  la  préférence  à  la  Grande-Place:  d'autres  étaient  partisans  du  parc  de  la 
Téte-d'Or.  Le  conseil  a  finalement  adopté  le  jardin  des  Chartreux. 

—  De  Lyon  :  M.  Vizentini  vient  d'engager  une  nouvelle  falcon,  M"*  Mar- 
guerite Picard,  qui  a  été  accueillie  avec  beaucoup  de  faveur  dans  la  Juive  et 
les  Huguenots.  M"°A.  Bourgeois,  de  l'Opéra,  va  également  donner  ici  quelques 
représentations.  En  attendant  les  Maîtres  Chanteurs  on  répète  activement  la 
Proserpine  de  Saint-Saêns,  avec  la  nouvelle  version.  Le  maître  est  ici  et  dirige 
les  répétitions.  Cet  ouvrage  passera  en  même  temps  que  Javotie,  le  ballet 
inédit  que  Saint-Sacns  a  réserv(?  à  Lvon. 

J.  ,1, 


—  La  première  représentation  de  T/ia'is  donnée  au  théâtre  de  Bordeaux 
a  été  un  grand  succès  pour  l'œuvre  et  ses  interprètes,  M"»  Georgelle  Leblanc 
en  tête,  artiste  bien  originale  et  bien  curieuse.  M.  Massenet  qui  assistait  à  la 
représentation  dans  la  loge  municipale,  a  été  acclamé  i)ar  le  public. 

—  Cette  semaine,  au  Cercle  militaire,  reprise  de;-  concerts  hebdomadaires 
du  mardi. 

Gros  succès  pour  tous  les  artistes:  M.  et  M"'«  Lureau-Escalaïs,  M.  Soula- 
croix,  M.  Barnolt,  M""=  Porsoons,  M.  Prudhou,  M"=  Yvette  Guiberl,  Mi'T.lara. 
etc.,  etc.,  une  véritable  olla  podrida  des  talents  les  plus  variés.  Après  (|uoi. 
M"<^  Suzanne  Golstein  a  dit  avec  talent  un  prologue  en  vers  de  M.  Edmuird 
Noël  :  Compliment  de  Suzon,  qui  a  fait  éclater  d'euthousiasles  applaudisse- 
ments. Nous  détachons  de  cette  pièce  le  passage  suivant,  qui  est  un  dernier 
écho  des  fêles  franco-russes  dans  les  salons  du  Cercle  militaire  : 

. .  .  Depuis  donc  la  séparation. 
Un  grand  événement  s'est  accompli, . .  L'Histoire, 
Sur  ses  tablettes,  l'a  gravé  pour  notre  gloire. 
C'est  lui  que,  dans  ce  jour,  je  veux  remémorer, . . 
11  m'a  fait,  comme  vous,  tressaillir  d'allégresse, 
Et  j'ai  senti  mon  cœur  de  Française  vibrer 
Aux  accents  triomplianls  d'une  commune  ivresse. . . 
Un  homme...  un  empereur,  chef  d'ua  peuple  nou.eaa, 
D'un  gîand  peuple...  est  venu,  vaillant,  superbe,  beau, 
Et  son  regard. . .  celui  de  sa  chère  compagne 
Ont  fait  battre  depuis  l'Alsace  à  la  Bretagne 
Les  cœurs  français  d'amour  et  d'espoir  souverain. . . 
C'était  grand  !. . .  Il  a  mis  sa  main  dans  notre  main. 
Et,  solennel,  scellant  le  pacte  d'espérance, 
Il  unit  pour  toujours  la  Russie  à  la  France- 
Mile  Suzanne  Golstein  a  dit  ensuite  avec  une  grâce  mutine  la.  Passerelle,  de 
Georges  Boyer,  et  a  su  se  faire  apprécier  de  nouveau. 

—  A  la  soirée  artistique  qui  a  eu  lieu  samedi  7  novembre,  à  Saint-Mandé, 
grand  succès  pour  M"=  Jonny  Loulil,  pianiste  do  lalont,  qui  s'est  fait  applaudir 
dans  plusieurs  œuvres  de  Cliopin  et  do  Liszt. 

—  Dimanche  dernier,  en  l'église  d'Écouen,  a  ou  lieu  un  service  organisé 
]iar  le  comité  des  Dames  Françaises  en  uK'moiro  des  soldats  morts  pour  la 
|iatrie  M.  Gabriel  Baron,  élève  de  M.  Léon  IJuiiroz,  a  chanté  le  Miserere 
et  un  Pie  Jesu  de  llcendel. 

—  M"'  Kmilo  do  Journel  vient  de  reprendre  ses  leçons  do  chant  ou  son 
nouveau  domicile,  16,  avenue  Kléber. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vcDle  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivioiiiif,  HEUEEL  ET  C'=,  Éililciirs-propriélaircs. 
CONCERTS    COLONNE 

THÉ.VTRE  DD   CH.ITELET 

DIMANCHE  22  NOVEMBRE    1896 

ch.-mTwidor 

CONTE  D'AVRIL 

Musique  composée  pour  la  comédie  d'A.  Dorchain. 
SUITES    D'ORCHESTRE 

/  6  Suite  :  2'^  Suite  : 

i.  Ouverture.  1.  Allegro. 

2.  Romance.  2.  La  rencontre  des  amants, 

3.  Appassionato.  3.  Guitare. 

4.  Sérénade  illyrienne.  -i.  Aubade. 

5.  Marche  nuptiale.  S.  Marche  nuptiale. 

Partition  d'orchestre,  prix  net  :  25  fr.  —  Parties  séparées,  prix  net  :  50  f 
Chaque  partie  supplémentaire,  net  :  2  francs. 


Partition   pour   piano    solo,    net    :    7    francs. 

PIÈGES  DÉTACHÉES  POUR  PIANO  ET  AUTRES  INSTRUMENTS  : 

I.  La  rencontre  des  amants,  andante  pour  piano 3     » 

^.  Sérénade  illyrienne,  pour  piano 5     » 

2  fcts.   La  même,  à  quatre  mains 6     » 

2  1er.  La  même,  pour  violoncelle  et  piano  (Delsabt) 7  50 

3.  Aubade,  pour  piano 5    » 

3  bis.  La  mâme,  pour  piano,  violon  et  violoncelle,   alto 7  50 

8  ter.  La  même,  pour  piano  et  violon 6     » 

4.  Guitare,  pour  piano 5     >■' 

4  bis.  La  même,  à  quatre  mains 6     » 

4  ter.         —         pour  violon  et  piano 6     » 

4  Cjuuter.   —         pour  violoncelle  et  piano  (Delsart) 7  50 

5.  Romance,  pour  piano 4    » 

3  b(s.  La  même,  à  quatre  mains 6    » 

8  ter.        —        pour  flûte  et  piano 6     » 

b  qualer.    —        pour  violon  et  piano 6     » 

6.  Marche  nuptiale,  pour  piano 7  50 

6  bis.  La  même,  pour  piano  à  quatre  mains 9    » 

6  ter.        —        pour  piano  et  orgue 9    » 

6  qualer.    —         pour  orgue  seul 7  50 

6  quinler.  —         pour  grand  orgue 7  50 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  liis,  i-ae  Viviciiiie,  HEUGEL  ET  C'«,  H(lilrurs-iiro|ificlaires, 
CONCERTS    COLONNE 


THEATRE   DU  Cil  \TCU:T 

DIMANCHE  22  NOVEMBRE    1896 


XJEiEOr>OÏ^E    DTJIBOIS 

Ouverture  de  Frithiof 

Parlllion  d'orclicttre.  net  i  n  fr. 

Parties  séparées  d'orchestre,  net  20  tr, —  Chaque  partie  supplémentaire,  net  1  fr. 50 
Transcription  pour  piano  à  quatre  mains,  net  3  fr. 

CONCERTS    LAMOUREUX 

CIRQUE  d'Été 
DIMANCHE  22  NOVEMBRE   1896 


La   Forêt  enchantée 

P.vlition  J'orclicstrc,  lui  ù.^  Jr 
Parties  séparées  d'orchestre,  net  50  fr. —  Chaque  partie  supplémentaire,  net  2  fr.  50 

IVtOZAFiX 

Ouverture  de  la  Flûte  enchantée 

Parties  séparées  d'orchestre,  net  8  fr.  —  Chaque  partie  supplémentaire,  net  2  fr. 

LOUIS  DIÉMER.  —  Transciiplion  de  concert  pour  piano  deux  mains  Fr.     7  50 

GEORGES  MATHIAS.  —  Transcription  pour  jjî'nnodcto;  mams 7  50 

—  Transcriptiun  pour  piano  (/(/a/;v' ;»rt(7is 9     " 


UINS  DE   FER.  —  IHPIUUERIE  CHAIX     RUE  BERGERE,  20, 


3427.  -  62-  A^^ÉE  -  !\° 


Dimanclie  29  i\'ovcmbre  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  615,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenL 
Un  on,  Teite  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  ïeite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Tewe  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 
Abonnement  com|ilel  d'un  an.  Texte.  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  Tiitm^er,   les  frais  de  pjsts  en 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Orphée  (14°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Musique  et  prison  (23»  ar- 
ticle) :  Crimes  de  droit  commun,  Paul  d'Estbée.  —  III.  Journal  d'un  musi- 
cien 1.9"  article),  A.  Montaux.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avecle  numéro  de  ce  jour: 

L'IMPROVISATION  DE  CHËNIER 

chantée  dans  l'opéra  de  Giordano,  le  grand  succès  du  Ihéàtre  de  la  Scala  à 
Milan.  —  Suivra  immédiatement  le  Cantabile  de  Madeleine,  extrait  du 
même  opéra. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

PIANO  :  Muscadines  et  Muscadins,  transcriptions  pour  piano  e.xtraites  de  l'opéra 
de  Giordano,  André  Chénier,  le  grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan. 
—  Suivra  immédiatement  la  Gavotte  pour  les  Heures  et  les  Zép/ij/rs,  extraitedo 
l'opéra  inédit  de  Kameau,  les  Boréades,  transcription  pour  piano  de  Louis 
DiÉMER,  répertoire  de  la  Société  des  imtruments  anciens. 


PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1897 


f  Voir  à  la  8°  page  du  jouraal.) 


ÉTUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Mais,  de  Gluck  ou  de  Bertoni,  lequel  fut  le  spoliateur  par 
persuasion,  et  lequel  le  spolié  ? 

C'est  ce  que  les  dates  vont  nous  apprendre. 

Orphée  et  Euridice  fut  représenté  à  l'Opéra  de  Paris,  nous  le 
savons,  en  1774. 

Aristeo,  à  Parme  en  1769. 

//  Parnasso  confuso,  à  Schœnbrunn,  en  1763. 

Enfin,  le  couronnement  de  l'empereur  Joseph  II,  à  l'occa- 
sion duquel  fut  composé  l'air  qui  passa  par  la  suite  dans 
Aristeo  et  dans  Orpltée,  eut  lieu  à  Francfort  le  3  avril  1764. 

Cette  dernière  date  devrait  suiSre  à  nous  édifier  sur  l'anté- 
riorité de  l'air  de  Gluck;  mais  nous  avons  à  nous  arrêter 
encore  un  instant  sur  la  date  de  Tancrède  de  Bertoni,  au 
sujet  de  laquelle  il  s'est  produit  une  confusion  qui  a  été 
cause  de  la  propagation  de  l'erreur  accréditée  depuis  près  de 
quarante  ans. 

C'est  Berlioz  qui,  le  premier,  a  attiré  l'attention  sur  cette 


question.  Après  avoir  cité  la  lettre  de  Bertoni  affirmant  sa 
paternité  de  l'air  de  Tancrède  et  constaté  la  similitude  de  cet 
air  avec  celui  à'Orphée,  il  dit  : 

«  Tancrède  fut  joué  à  Venise  pendant  le  carnaval  de  1767.  » 
Berlioz  n'était  point  un  savant.  Nous  n'avons  garde  de  le 
lui  reprocher:  il  a  d'autres  titres,  plus  glorieux,  à  notre 
admiration.  Comment  se  fait-il,  cependant,  qu'en  une  matière 
si  délicate  tout  le  monde  ait  enregistré  son  dire  sans  songer 
à  le  contrôler?  C'est  cependant  ce  qui  est  advenu;  depuis 
l'article  de  l'auteur  des  Troyens  sur  la  reprise  d'Orphée  en 
1859,  il  a  été  admis  sans  conteste,  même  par  les  gens  les 
mieux  au  courant,  que  le  Tancrède  de  Bertoni  datait  de  1767, 

—  sept  ans  avant  Orphée,  deux  ans  même  avant  Aristeo  (1). 
Et   cependant,  si    nous    consultons  la   Biographie  universelle 

des  musiciens  de  Fétis  à  l'article  «  Bertoni  »,  nous  lisons  d'a- 
borJ,  en  face  du  nom  de  Tancredi,  la  date  de  1118.  Puis, 
dans  le  courant  de  l'article,  discutant  l'attribution  du  fameux 
air,  Fétis  écrit  :  «  Je  vois  dans  V Indice  dé  teatri  de  1780  que 
le  Tancredi  fut  joué  à  Turin,  le  26  décembre  1778.  »  Il  esi, 
vrai  que,  dans  la  même  page,  l'écrivain  donne  la  preuve  qu'il  n'a 
rien  lu  des  documents  qu'il  discute,  car,  Bertoni  ayant  parlé 
d'une  prétendue  Iphigénie  en  Tauride  de  sa  composition  (qu'il 
n'a  jamais  composée),  Fétis  a  compris  qu'il  était  question  de 
celle  de  Gluck,  et  que  celui-ci  était  accusé  d'avoir  emprunté  à 
Bertoni  l'air  de  ce  dernier  opéra  :  «  Le  calme  rentre  dans 
mon  cœur  ».  Et  voilà  sur  quelles  bases  solides  les  opi- 
nions s'établissent  et  se  propagent  I  Mais  passons,  et  rete- 
nons cette  date  du  26  décembre  1778,  à  l'égard  de  laquelle 
Fétis  cite  une  source  autorisée.  M.  Riemann,  dans  son  cons- 
ciencieux Répertoire  des  opéras  (Opern-Ifandbiich,  etc.)  la  repro- 
duit, de  son  côté,  identiquement. 

Auquel  donc    faut-il   entendre?  Et  ce  Tancredi,    qui    nous 
donne  tant  de  mal,  — bien  plus  sans  doute  qu'il  ne  mérite! 

—  fut-il  représenté  à  Venise  en  1767,  ou  à  Turin  en  1778? 
Déjà  de  premiers  indices  nous  feraient  pencher  pour  cette 
date-ci:  la  mention  de  la  source,  et  la  conformité  du  ren- 
seignement avec  la  déclaration  de  Bertoni  :  «  J'ai  composé 
l'air  à  Turin.  »  Cependant  nous  en  avons  voulu  avoir  le  cœur 
net:  afin  desavoir  positivement  si  Tancredi  fut  représenté  à 
Venise  en  1767,  nous  avons  écrit  à  M.  Taddeo  Wiel,  ancien 
bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  Saint-Marc,  à  Venise,  oîi  il 
était  chargé  de  la  conservation  des  collections  musicales,  et 
qui,  en  ce  moment  même,  achève  la  publication  d'un  volu- 
mineux catalogue  des  opéras  joués  dans  cette  ville  pendant 
le  XVIII'  siècle. 

(1)  Voir  notamment  G.  DESNomESXERRES,  Gluck  et  Picini,  p.  274  (2'  édition);  la 
préface  de  l'édition  d'Orplieus  and  Euridice  publiée  par  Gustave  Heinze,  à  Leipzig 
en  ISiitJ,  et  l'aiticle  de  M.  Purslenau,  dans  l'Écho  de  1869,  w  33  et  31,  par 
M.  .Vll'red  DxilTel  dan>  H  préface  de  l'édition  Peters,  1873. 


37^ 


LE  MENESTREL 


La  réponse  de  M.  Taddeo  Wiel  ne  peut  plus  rien  nous 
laisser  à  désirer  : 

t  Je  puis  -vous  assurer,  écrit-il,  que  le  Tancredi  le  Bertoni 
ne  fut  pas  joué  à  Venise  en  1767,  et  je  crois  en  outre  que 
cet  opéra  ne  fut  jamais  joué  sur  les  théâtres  vénitiens  au 
XVIIP  siècle.  En  1767,  pendant  le  carnaval,  on  joua  sur  le 
théâtre  San-Benedetto  de  Venise  VEsio,  de  Bertoni;  et,  en 
1776,  dans  le  même  théâtre  et  pendant  le  carnaval,  on  joua, 
de  Bertoni,  Orfeo  ed  Euridice.  » 

Voilà  qui  est  péremptoire  :  Tancredi  ne  fut  pas  joué  à 
Venise  en  1767,  mais  à  Turin  en  1778.  Or,  non  seulement 
Aristeo  est  de  1769,  il  Parnasso  confuso  de  1765,  et  l'air  pour  le 
couronnement  de  1764,  mais  Orphée  même  est  de  1774.  D'où  il 
résulte  que  tous  les  opéras  de  Gluck  daiis  lesquels  figure  l'air  attribué 
à  Bertoni  sont  antérieurs  à  ce  Tancredi  où  Von  avait  cru  trouver 
le  protohjpe  de  cet  air. 

Cette  discussion  fut  peut-être  trop  laborieuse  et  longue. 
Du  moins  espérons-nous  qu'elle  sera  définitive  et  mettra  fln 
à  une  erreur,  trop  longtemps  répandue,  qui  eut  le  tort  de 
faire  peser  sur  la  mémoire  de  Gluck  un  soupçon  d'indélica- 
tesse qu'il  ne  mérita  jamais. 

Si  Berlioz  fut  incomplètement  renseigné  à  l'égard  du  faux 
c  air  de  Bertoni  »  (nul  doute,  s'il  revenait  au  monde,  qu'il 
effacerait  avec  joie  la  seule  phrase  sévère  qu'il  ait  jamais  écrite 
sur  Gluck),  par  contre  il  n'a  pas  outrepassé  les  bornes  de  la 
critique  lorsqu'à  propos  d'un  autre  morceau  d'O/'p/ice  il  signala 
«  un  des  plagiats  les  plus  audacieux  dont  il  y  ait  d'exemple 
dans  l'histoire  de  la  musique...  »  Là  encore,  de  nouveaux 
documents  sont  survenus,  et  ceux-ci  ne  conûrment  que  trop 
le  reproche,  adressé  à  Philidor  par  Berlioz,  d'avoir  «  impu- 
demment volé  Gluck  »  en  s'appropriant  l'air  d'Orphée  «  Objet 
de  mon  amour  »  et  en  le  replaçant  dans  un  opéra-comique 
signé  de  lui,  le  Sorcier.  L'aventure  a  d'ailleurs  son  côté 
plaisant  et  prouve  que  le  fameux  joueur  d'échecs  ne  man- 
quait ni  de  bon  goût  (il  en  avait  plus  que  Bertoni,  à  coup 
sûr)  ni  d'ingéniosité  lorsqu'il  se  mêlait  de  tricher  avec  les 
compositeurs,  ses  demi-confrères  I 
Voici  les  faits  : 

Après  le  succès  obtenu  par  Orfeo  ed  Euridice  à  Vienne  en 
1762,  Gluck  songea  à  publier  sa  partition,  ce  qui  était  con- 
traire à  tous  les  usages,  aucun  opéra  italien  n'ayant  été  gravé 
jusqu'à  ce  moment.  A  cet  effet,  il  envoya  le  manuscrit  à  Paris, 
par  l'intermédiaire  du  comte  Durazzo,  directeur  du  théâtre  de 
la  Cour  de  Vienne  :  celui-ci  l'adressa  à  Favart.  Leurs  lettres, 
publiées  dans  les  Mémoires  et  correspondance  littéraires  de  Favart, 
nous  tiennent  au  courant  de  tous  les  détails  de  l'affaire. 
Favart,  après  avoir  reçu  l'ouvrage,  le  communique  à  Mondon- 
ville ,  qui  déclare  estimer  l'ouvrage  «  une  des  plus  belles 
choses  qu'il  eût  vues.  »  Malheureusement  le  manuscrit  est 
plein  de  fautes  :  il  faut  chercher  un  musicien  d'expérience 
et  de  savoir  pour  les  fonctions  de  correcteur.  Duni  refuse, 
assurant  «  qu'il  ne  voudrait  pas  se  charger  de  corriger  les 
fautes  du  copiste  quand  on  lui  donnerait  SOO  livres.  » 
C'est  ici  que  Philidor  entre  en  scène.  Favart  poursuit  : 
J'ai  fait  voir  cette  partition  à  Philidor  qui  n'est  pas,  à  beaucoup 
près,  si  difficile;  il  offre  de  corriger  les  fausses  notes  gratis  et  d'avoir 
lui-même  inspection  sur  la  gravure  de  l'ouvrage  ;  il  ne  deinande  à 
Votre  Excellence  qu'un  seul  exemplaire.  Il  a  examiné  l'opéra  avec 
attention,  il  trouve  que  les  fautes  du  copiste  se  réduisent  à  un  petit 
nombre,  il  a  été  enchanté  de  la  beauté  de  l'ouvrage;  en  plusieurs 
endroits,  il  a  versé  des  larmes  de  plaisir.  Il  a  toujours  eu  la  plus 
grande  estime  pour  les  talents  du  chevalier  Gluck  ;  mais  son  estime 
se  porte  jusqu'à  la  vénération  depuis  qu'il  connaît  l'Orphée.  Ainsi, 
nous  pouvons  faire  graver  tout  de  suite,  sans  être  obligés  d'attendre 
l'arrivée  de  M.  Gluck. 

Cela  est  écrit  dans  une  lettre  de  Favart  au  comte  de  Durazzo, 
du  19  avril  1763. 

Or,  le  2  janvier  1764,  on  représentait  à  l'Opéra-Gomique  une 
œuvre  nouvelle  de  Philidor,  le  Sorcier,  et  au  beau  milieu  du 
premier  acte  s'étalait,  presque  dans  tout  son  développement, 


la  mélodie  de  Gluck,  adaptée  tant  bien  que  mal  aux  paroles 
françaises.  La  similitude  ayant  été  niée  par  des  défenseurs 
officieux  de  Philidor  (l'affirmation  d'un  musicien  tel  que 
Berlioz  pourrait  suffire  à  détruire  l'effet  de  cette  contestation), 
nous  laisserons  le  public  juge  en  l'espèce,  nous  bornant  à 
mettre  les  pièces  sous  ses  yeux.  Voici  donc,  en  regard,  la 
partie  de  chant  de  la  cantilène  d' Orfeo  et  celle  de  la  romance 
du  Sorcier;  pour  les  harmonies  et  figures  d'accompagnement, 
le  lecteur  voudra  bien,  nous  l'espérons,  s'en  rapporter  aux 
indications  contenues  dans  l'analyse  qui  suivra  ces  textes  mu- 
sicaux. 

Les  vers  du  couplet  français  étint  d'une  coupe  différente 
de  la  strophe  itahenne,  Philidor  n'a  pu,  dans  la  première 
période,  emprunter  la  musique  que  du  premier  vers,  et 
encore  en  y  ajoutant  une  mesure  initiale,  qui  n'en  augmente 
aucunement  la  beauté. 

Un    ijouo    andante  . 


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Mais  la  seconde  partie,  bien  plus  développée,  est  repro- 
duite textuellement.  Il  y  a  seulement,  détail  insignifiant,  une 
répétition  de  deux  mesures,  dans  Orfeo,  qui  n'a  pas  été  re- 
produite dans  le  Sorcier. 


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Gela  dépasse  assurément  les  bornes  de  la  réminiscence 
involontaire  ou  de  la  rencontre  d'idées.  L'accompagnement 
d'orchestre  ne  fait  qu'accuser  la  similitude.  Il  est,  d'un 
bout  à  l'autre,  identique,  à  quelques  notes  d'agrément  près: 
sous  le  premier  vers  d'abord;  puis  dès  la  rentrée  de  basse 
qui  précède  la  deuxième  période,  et  sous  cette  période  en- 
tière :  on  y  retrouve  notamment,  de  la  1"  à  la  2"  mesure,  ce 
mouvement  chromatique  de  basse  :  la  If,  la  b  (en  fa),  où  le  la 
bémol  forme,  avec  le  la  naturel  terminant  la  mesure  pré- 
cédente dans  la  mélodie,  une  fausse  relation  qui  nous  a  tou- 
jours semblé  choquante  dans  Gluck:  Philidor  a  reproduit  la 


LE  MENESTREL 


379 


faute  comme  les  beautés.  Enfin  il  n'est  pas  jusqu'aux  des- 
sins répétés  par  l'écho  qui  ne  soient,  par  deux  fois,  fidèle- 
ment transcrits  par  Philidor,  bien  qu'il  n'y  ait  pas  du  tout 
d'écho  dans  son  morceau. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


CRIMES  DE  DROIT  COMMUN 

PRISONS   d'autrefois.   —  LES  PRISONS   d'AUJOURd'hUI.    —  LES    HOMMES. 

Action  de  la  musique  dans  les  prisons  sur  les  criminels.  —  L'orchesiie  de  Bentham  dans 
son  Panoplicum.  —  L'orgue  de  Gilles  de  Rays.  —  B'Assoucy  au  Gi'and  Chdtelet:  festins 
el  musique:  concerts  de  MM.  de  l'Académie  Royale. —  Fêtes  d'Oumard  à  Sainte-Pélagie. 
—  Le  théâtre  moral  à  Bicitre.  —  Apparition  de  la  philanthropie  dans  les  prisons.  —  Les 
Etats-Unis  donnent  le  signal  des  réformes.' —  Le  système  d'Âuburn  et  le  régime  cellulaire 
rigoureux  emploient  la  musique  religieuse  comme  élément  moralisateur .  —  L'enthousiasme 
de  Howe  el  les  miracles  de  M"'  Dix.  —  Les  Philanthropes  français  préconisent  également 
l'usage  de  ta  musique  sac7'ée  dans  les  maisons  centrales  à  système  cellulaire  ou  non  : 
messes  à  Mazas,  au  fort  de  Vanves,  à  la  Roquette.  —  En  France,  le  régime  cellulaire 
nuit  au  développement  du  sens  musical.  —  Contraste  avec  les  Etats-Unis.  —  La  tympa- 
nomanie  dans  nos  maisons  centrales.  —  Leur  esthétique  littéraire  et  musicale.  —  La 
chanson,  la  cellule.  —  Couplets  en  argot.  —  Les  adieux  de  Paris  au  XV II"  et  au  XÎX" 
siècle.  —  La  Babillarde. 

De  toutes  les  catégories  de  prisonniers  que  nous  avons  passées 
Jusqu'ici  en  revue,  celle-ci  est  assurément  la  moins  digne  d'intérêt, 
sous  le  rapport  moral  bien  entendu  ;  mais  au  poinl  de  vue  qui  nous 
occupe  spécialement,  elle  mérite  de  fixer  notre  attention;  car  si, 
aujourd'hui  du  moins,  son  éducation  laisse  fort  à  désirer,  elle  est 
loin  cependant  d'êlrf  dépourvue  de  sens  musical.  Est  ce  son  goût 
particulier  ou  son  état  de  captivité  qui  la  prédispose  à  cette  impré- 
gnation, d'ailleurs  très  rapide?  Le  problème  est  difficile  à  résoudre, 
chaque  sujet  étant  de  nature  différente,  et  son  crime  ou  sa  faute 
augmentant  encore  la  mobilité  de  ses  impressions.  Ce  qui  est  indis- 
cutable, c'est  que  le  régime  et  la  vie  de  prison  déterminent  chez  ces 
détenus  d'ordre  inférieur  un  ébranlement  cérébral,  ou,  pour  parler 
un  langage  moins  technique,  une  prédisposition  nerveuse  fort  habile- 
ment analysée  dans  cette  page  émue  de  Smilh  (Esquisse  de  la  vie 
d'artiste  1844). 

Evidemment,  dans  une  prison,  la  musique  agit  surtout  par  la  force  du 
contraste.  Quoi  de  moins  musical  qu'un  geôlier  et  qu'un  porte-clefs,  de 
moins  mélodieux  que  le  grincement  des  verrous  et  le  frémissement  des  grilles, 
de  moins  lyrique  que  des  murailles  de  six  pieds  d'épaisseur  que  le  soleil 
n'échaufl'e  pas,  que  le  jour  n'illumine  guère?  Le  poids  énorme  de  tous 
ces  blocs  de  pierre  oppresse  votre  poitrine  et  lui  laisse  à  peine  le  jeu 
nécessaire  pour  respirer.  Dans  cet  état  de  gêne  et  d'angoisse  trouvez  donc 
de  la  voix  pour  chanter,  quand  vous  n'en  avez  plus  assez  pour  vous 
plaindre  ? 

Eh  bien  !  vous  êtes  dans  la  situation  la  plus  favorable  aux  impressions 
musicales.  Que  dans  ce  moment  une  mélodie  quelconque  se  fasse  entendre, 
et  vous  serez  ravi,  transporté  ;  vous  croirez  que  la  main  d'une  fée  vous 
débarrasse  des  masses  de  granit  sous  lesquels  vous  étouffiez  !  La  même 
voix,  le  même  instrument,  le  même  air  qu'à  dix  pas  de  votre  geôle  vous 
n'auriez  écouté  qu'avec  indifférence,  avec  ennui  peut-être,  ici  vous  atten- 
driront jusqu'aux  larmes,  ici  vous  remueront  jusque  dans  la  moelle  des  os. 
Et  que  sera-ce,  si  la  voix  est  jeune,  pure,  tendre  et  passionnée!  Pauvres 
prisonniers,  soyez  heureux,  réjouissez-vous,  pleurez  pendant  quelques 
minutes. 

Évidemment,  le  prisonnier  est  dans  un  état  de  nervosité  qui  semble 
relever  de  la  pathologie  ;  et  de  là  à  conclure  que  les  criminels  sont 
des  malades,  des  déments,  des  irresponsables,  susceptibles  d'une  cure 
musicale,  il  n'y  a  qu'un  pas;  mais  ce  pas,  nous  nous  garderons  de  le 
franchir.  Aussi  bien,  nous  ne  saurions  admettre  que  l'homme,  par  pré- 
disposition atavique  ou  pour  toute  autre  cause,  fasse  le  mal  incons- 
ciemment. Le  libre  arbitre,  la  raison  et  le  bon  sens  ont  souvent  arrêté 
dans  la  voie  du  crime  des  fils  de  malfaiteurs.  Et  ce  n'est  certes  pas 
parce  qu'on  transformerait  les  prisons  en  maisons  d'aliénés,  ou  la  mu- 
sique serait  exclusivement  administrée  aux  patients  sous  toutes  ses 
formes,  qu'on  parviendrait  à  guérir  les  criminels,  c'est-à-dire  à  les 
remettre  en  circulation  dans  la  société.  A  notre  avis,  l'expérience 
serait  chanceuse.  Mais  il  est  des  grâces  d'état  pour  la  philanthrophie, 
el  c'est  probablement  en  raison  de  cet  optimisme  à  outrance  que  le 
célèbre  philosophe  Bentham  demandait  dans  sa  Prison  panoplique 
■ —  une  sorte  de  Mazas  ■ — un  orchestrion  toujours  en  activité,  pour 
«  adoucir  les  passions  des  détenus  ». 

C'est  sans  doute  à  ce  titre  que  le  trop  fameux  Gilles  de  Rays,  de 
sadique  mémoire,  réclamait  ses  musiciens  le  jour  ou  la  justice,  trop 


lente  au  gré  du  peuple,  le  fil  incarcérer  dans  le  château  du  Bouffay. 
Ce  Barbe-Bleue  de  la  Bretagne  du  XV»  siècle  se  complaisait  à  voir 
égorger  de  jeunes  enfants  par  ses  valets;  les  flots  de  sang  humain 
qui  jaillissaient  des  carotides  l'enivraient  de  voluptés,  et  il  chantait 
des  hymnes  sur  le  corps  de  ses  victimes. 

Les  magistrats  eurent  encore  des  égards  pour  ce  monstre  à  face 
humaine.  Ils  firent  aménager  sa  prison  au  mieux  de  ses  goûts  per- 
sonnels, lui  laissèrent  ses  amis  el  ses  gens,  lui  accordèrent  enfiu 
toutes  les  faveurs  compatibles  avec  les  exigences  d'une  surveillance 
bien  comprise. 

Gilles  de  Rays  se  préoccupait  surtout  de  sa  chapelle,  car  il  était 
grand  amateur  de  musique  religieuse;  il  obtint  que  son  orgue  lui 
fût  amené,  avec  le  maître  de  chapelle  qu'il  avait  depuis  plusieurs 
années,  deux  chantres  et  deux  enfants  de  chœur.  Ces  simulacres  de 
dévotion  ne  le  sauvèrent  pas  du  bûcher,  digue  châtiment  des  crimi- 
nels de  son  espèce. 

Le  fameux  musicien-bohème  d'Assoucy,  qui  a  laissé  plusieurs 
livres  de  tablature  de  luth,  avait  la  même  perversité  de  goût  el 
faillit  plusieurs  fois  rencontrer  la  même  fin.  Son  immoralité  fut-elle 
la  cause  du  séjour  forcé  qu'il  fil  au  Grand-Châtelet?  Le  problème  est 
encore  à  résoudre.  Car  si  d'Assoucy  a  écrit  son  livre  sur  sa  Prison,  il 
se  garde  bien  d'y  consigner  les  motifs  de  sa  détention.  Il  parle  en 
termes  vagues  de  dénonciations  et  de  calomnies  dont  il  se  prétend  vic- 
time. En  revanche,  il  se  fait  très  nettement  complimenter  par  un 
compère  qui  lui  tient,  dans  la  geôle,  cet  étonnant  discours  : 
...  «  N'êtes-vous  pas  le  même  d'Assoucy  qui,  à  l'âge  de  dix-sept  ans,  don- 
niez de  la  tablature  au  plus  grands  joueurs  de  luth  de  notre  siècle  et  qui 
aujourd'hui,  avec  votre  vieillt  main,  faites  encore  adorer  les  charmes  de 
tout  ce  que  vous  composez  sur  ce  merveilleux  instrument?  N'est-ce  pas 
vous  qui,  marchant  par  des  routes  inconnues,  laissant  le  chemin  que  la 
musique  ordinaire  nous  a  frayé,  faites  entendre  des  sons  que  les  plus 
habiles  n'ont  jamais  ni  connus,  ni  pratiqués,  ni  entendus? 

Après  bien  des  suppliques,  d'Assoucy  obtint  enfin  ce  qu'on  appelait 
alors  au  Chàtelet  «  la  liberté  du  préau  »  et  à  la  Bastille  «  la  liberté 
des  cours  »,  c'est-à-dire  quelques  heures  de  promenade  aux  pâles 
rayons  d'un  soleil  de  prison.  Sur  le  préau,  d'Assoucy  rencontre  —  ô 
bonheur  inespéré!  —  ses  «  deux  enfants  de  musique  ».  Il  donne  ce 
nom  aux  jeunes  pages  qui  étaient  à  la  fois  ses  écoliers  et  ses  servi- 
teurs, mais  à  qui  la  malignité  publique  attribuait  des  fonctions  moins 
avouables. 

Dès  lors,  le  parangon  des  musiciens  pourra  retourner  à  ses  chères 
études.  Il  s'arme  tantôt  de  son  luth,  tantôt  de  son  théorbe,  et  il  fait 
chanter  des  airs  de  sa  composiliou  à  <.-  ses  enfants  de  musique.  »  Il 
varie  ses  plaisirs  en  jouant  aux  cartes,  ou  bien  encore  en  compo- 
sant ses  livres  ;  car  il  ne  manque  ni  de  verve  ni  d'esprit,  et  il  manie 
agréablement  la  plume,  comme  le  prouve  de  reste  le  livre  de  ses 
Aventures. 

En  somme,  d'Assoucy  reconnaît  volontiers  qu'il  ne  s'ennuyait  guères 
au  Ghâtelet  : 

...D'ailleurs,  dit-il,  M.  le  comte  de  Saint-V...,  ne  contribuait  pas  peu 
à  ma  félicité,  tant  par  ses  bienfaits  que  parles  charmes  de  ses  belles  qua- 
lités et  par  ses  grands  pâtés  de  jambon.  Et  je  savais  gré  à  ma  mauvaise 
fortune  qui  m'avait  conduit  en  prison  pour  y  connaître  et  y  être  connu 
d'un  si  honnête  homme,  si  parfait  et  si  achevé.  Comme  il  aimait  extrê- 
mement la  symphonie  et  que  les  plus  vertueux  de  Paris  lui  donnaient  de 
charmantes  visites,  ce  n'était  dans  son  appartement  que  festins  et  mu- 
sique, où  M""  de  Gartillis,  moi  et  mes  enfants  avions  bonne  part. 

Langues  de  bœuf,  poule  et  dindon. 

Avec  le  pâté  de  jambon, 

La  perdrix,  la  tourterelle. 

Ne  plaisaient  pas  moins  à  Nanon 

Que  le  ton  de  ma  chanterelle. 

Et  l'entremets  d'une  chanson 

Que  chantait  mou  page  Toinon, 

Qui,  tant  au  jour  qu'à  la  chandelle. 

Si  l'on  en  croit  à  la  coupelle. 

Était  un  honnête  garçon, 

Et  dans  cette  mode  nouvelle. 

Introduite  en  cette  maison 

Par  le  digne  entant  d'Apollon 

Qui  mettait  là  tout  par  écuelle, 

On  pouvait  dire,  avec  raison. 

Quoique  la  prison  soit  cruelle, 

Qu'il  est  quelque  douce  prison, 

Au  moins  s'il  n'en  est  pas  de  belle. 

Il  était  réservé  à  d'Assoucy  de  goûter  des  plaisirs  encore  plus  déli- 
cats. Car  si  notre  auteur  était,  comme  la  plupart  de  ses  contempo- 
rains, très  porté  sur  sa  bouche,  il  n'en  avait  pas  moins  l'amour  et  le 


380 


LE  MENESTREL 


culte  de  son  art.  Avec  son  expérience  des  hommes  il  ne  pouvait 
ignorer  que  dans  une  maison,  et  à  plus  forte  raisoa  dans  une  geôle, 
le  concierge  est  un  fonctionnaire  qu'il  importe  de  ménager.  Les  gâ- 
teaux jetés  à  Cerbère  ne  sont  pas  une  vaine  légende.  Or,  le  concierge 
du  Châtclel,  un  certain  Le  Breton,  avait  pris  en  afteclion  les  concer- 
tants da  prisonnier  et  les  gratifiait  de  friandises,  chaque  fois  qu'ils 
lui  donnaient  un  échantillon  de  leur  savoir-faire.  D'Assoucy,  recon- 
naissant, composa  aussitôt,  à  l'intention  de  cet  honnête  concierge, 
une  chanson  ou  une  sarabande  qu'il  lui  fit  chanter  par  son  joueur 
de  théorb:'.  Oh!  ce  joueur  de  ihéorbe.  le  plus  habile  de  ses  deux 
enfants,  d'Assoucy  en  parle  avec  une  juste  fierté  :  «  Quelquefois, 
dit-il,  il  répondait  par  la  chambre  de  ma  fenêtre  treiliissée  aux 
excellentes  voix  de  Messieurs  de  l'Académie  Royale  de  Musique  qui 
ne  dédaignaient  pas  de  m'honorer  do  leur  estime  par  leurs  admi- 
rables concert^.  » 

Je  ne  vos  pas  bien  nos  artistes  de  l'Opéra  venant  chanter  une 
scène  des  Huguenots  ou  de  Lohengrin  à  Mazas,  devant  la  cellule  d'un 
détenu  intéressant.  Et  cependant,  je  dois  rappeler  qu'il  y  a  quelques 
années  à  peine,  fies  chanteurs  de  salon,  que  l'on  était  toujours  sûr  de 
rencontre.-  sur  le  chemin  des  bonnes  œuvres,  organisaient  souvent 
des  concerts  pour  les  pensionnaires  de  la  Roquette  et  autres  asiles  de 
l'enfance  coupable. 

Déjà,  au  commencement  du  siècle,  alors  que  le  financier  Ouvrard 
était  à  Sainte-Pélagie  sous  l'inculpation,  d'ailleurs  sans  preuves  cer- 
taines, de  malversations  dans  les  fournitures  de  l'État,  ce  riche  mu- 
nilionnaire  donnait  en  prison  des  soirées  musicales  et  dramatiques. 
Le  fait  a  été  plusieurs  fois  démenti;  et  cependant  Ouvrard  l'afifirme 
dans -ses  Mémoires. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estrée. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAQMENTS 

(Suite.) 


Aucun  ouvrage  didactique  n'a,  je  crois,  fait  ressortir  complètement 
la  consanguinité  qui  existe  entre  l'accord  de  septième  dominante  et 
l'accord  que  la  plupart  des  théoriciens  depuis  Reicha  représentent 
comme  formé  par  la  superposition  de  trois  tierces,  et  nomment 
accord  de  septième  de  deuxième  espèce,  —  tandis  que  Fétis  et  ses  dis- 
ciples le  représentent  comme  formé  par  ce  qu'ils  appellent  la  substitu- 
tion et  un  retard  et  le  nomment  accord  de  septième  mineure. 

11  me  semble  que,  si  j'avais  à  faire  comprendre  à  des  élèves  l'ori- 
gine de  cet  accord,  sa  constitution  et  sa  fonction,  je  l'analyserais 
et  le  dénommerais  comme  Reicha  et  ses  successeurs,  cette  défini- 
lion  et  cette  étiquette  ayant  le  mérite  d'ôlre  claires  et  de  s'imposer 
aisément  à  la  mémoire,  car  une  classification  numérique  des  divers 
accords  de  septième  serait  au  moins  un  excellent  moyen  mnémo- 
technique, même  si  elle  était  factice.  —  Mais  je  n'omettrais  pas,  — 
pour  expliquer  la  genèse  de  l'accord  de  septième  deuxième  espèce, 
—  de  signaler  l'hypothèse  de  Fêtis,  après  tout  vraisemblable,  —  en 
tout  cas  intéressante. 

J'insisterais  ensuite  sur  la  parenté  qu'il  y  a  entre  l'accord  de 
septième  dominante  et  l'accord  de  septième  de  deuxième  espèce. 

Le  premier  appelle  dans  sa  marche  naturelle  Yaccord parfait  de  tonique 
et  se  résout,  par  suite,  une  quarte  au-dessus  ou  une  quarte  au-dessous. 

Le  second  appelle  dans  sa  marche  naturelle  l'accord  de  septinne 
dominante  et  se  résout,  par  suite,  une  quarte  au-dessus  ou  une  quinte 
au-dessous. 

En  d'autres  termes,  l'accord  de  septième  de,  deuxième  espèce  est  à 
l'accord  de  septième  dominante  ce  que  celui-ci  est  à  l'accord  parfait  de 
tonique. 

Il  est  h  dominante  de  la  dominante. 


La  théorie  de  Fétis  explique  mieux  que  toutes  les  autres  la  règle 
traditionnelle,  —  sinon  la  nécessité,  —  qui  oblige  à  préparer  l'ac- 
cord de  septième  de  deuxième  espèce,  puisqu'à  ses  yeux  cet  accord 
n'est  pas  naturel  mais  artificiel,  et  comprend  un  r'tarJ. 


Il  est  probable  cependant  que,  dans  l'avenir,  les  compositeurs  se 
croiront  de  moins  en  moins  astreints  à  cette  préparation,  comme  de- 
puis fort  longtemps  une  précaution  de  même  ordre  est  abandonnée 
pour  l'accord  de  septième  d'iminante. 

Il  y  a  belle  lurette  aussi  que  Beethoven  a  commencé  sa  48'  sonate, 
op.  33,  par  le  premier  renversement  de  l'accord  de  septième  de 
deuxième  espèce  sans  aucune  préparation  ; 


Depuis,  Wagner  a  osé  plus  encore.   Au  second  acte  de  Tristan  et 
heult  (Introduction),  il  débute  en  pleine  force,  par  l'accord  suivant  : 
Allegro  molto 


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qui,  pour  l'œil,  parait  être  un  accord  de  sLjcte  relardée  par  la  sep- 
tième sans  préparation,  ce  retard,  par  surcroît,  ne  suivant  pas  sa  ré- 
solution naturelle.  En  réalité,  pour  l'oreille,  c'est  un  accord  de  sep- 
tième de  quatrième  espèce,  privé  de  sa  quinte  (1),  et  dont  la  septième 
ne  se  dénoue  pas  régulièrement  sur  la  sixte,  ce  qui  est  doublement 
contraire  aux  règles  grammaticales  édictées  de  générations  en  géné- 
rations par  les  théoriciens  les  plus  éminents,  et  sanctionné  par  un 
long  usage. 

Nous  n'en  sommes  pas  autrement  choqués.  Le  fait  que  cette  absence 
de  préparation  et  cette  irrégularité  de  la  résolution  n'affectent  pas 
cruellement  notre  oreille,  suffirait  à  démontrer  qu'à  rencontre 
de  ce  que  pensait  Fétis,  les  accords  de  septième  sont  naturels  ou, 
—  pour  parler  plus  exactement  —  qu'ils  ont  été  peu  à  peu  acceptés 
ou  tolérés  comme  tels  sous  l'influence  de  l'habitude. 

Ainsi  vont  les  génies,  bouleversant  les  idées  reçues,  et  créant, 
sous  l'impulsion  inconsciente  de  leur  instinct  divin,  des  lois  nouvelles. 

(.i  suivre.)  A.  Montaux. 


REVUE    DES    GRANDS    CONCERTS 


Concerts  du  Chàtolet.  —  L'ouvrture  de  Fritliiof  de  M.  Théodore  Dubois 
est  caracU'risée  par  quatre  thèmes  ayani  chacun  leur  expression  propre  et  leur 
signilicalion  spéciale.  Un  dessin  rythmique  s'interpose  entre  eux,  facilite  les 
contacts  et  ajoute  à  l'intérêt  des  développements  symphoniques.  L'ensemble 
présente  un  plan  musical  bien  construit  et  réalisé  avec  d'éminentes  qualités 
de  style,  de  noblesse  et  de  distinction. — La  musique  de  M.  Ch.  Widorpourle 
Conte  d'avril  soulève  une  petite  tempête.  Oh!  toute  petite  I  On  veut  réentendre 
lui  noclurne  dont  la  miniscule  période  musicale  passe  du  violoncelle  à  la 
clarinette  et  au  violon  avec  de  ravissantes  langueurs,  mais  quelques  auditeurs 
essayent  une  timide  opposition.  Pourquoi  donc?  Cette  pièce,  toute  gracieuse 
et  sentimentale,  n'est-elle  pas  dans  la  forme  purement  mélodique  de  celles 
que  l'on  a  l'habitudo  de  consacrer  par  un  bis  toujours  exaucé  ?  Mais  qu'im- 
porte! cette  bleuette  peut  se  contenter  du  tonnerre  des  applaudissements  qui 
l'ont  accueillie  et  qui  n'ont  pas  manqué  non  plus  à  la  Sérénade  illyrienne  si 
ingénieusement  écrite. —  Les  morceaux  mélodramatiques  composés  par  M.  G. 
Fauve  pour  accompagner  les  principales  scènes  de  la  pièce  d'Alexandre  Dumas, 
Caligula,  on'  paru  ternes  dans  les  parties  instrumentales,  et  les  chœurs  ont 
laissé  l'impression  d'une  sorte  de  grisaille  comparable  aux  récitatifs  de  cer- 
tains opéras.  On  eût  dit  que  la  mélodie  abdiquait  devant  les  paroles.  Cette 
constatation  est  plutôt  un  éloge  pour  le  musicien  et  montre  combien  l'optique 
du  Ibéàlro  dillére  de  celle  du  concert. —  M.  Rémy  a  joué  avec  une  grande 
supériorité  lo  Rondo  Capriccioso  de  Saint-Saëns:  il  s'affirme  avec  des  qualités 
de  maître:  fermeté  dans  le  rendu  musical,  justesse  et  solidité,  virtuosité  sûre 
sans  exagérations  acrobatiques,  et,  de  plus,  style  pur  et  sobre.  —  M.  Colonne 
a  remporté  un  magnifique  succès  personnel  par  son  interprétation  du3°  acte 
du  Crépuscule  des  Dieux.  L'impression  que  doit  produire  chaque  épisode  lyrique 
de  cette  œuvre  se  dégage  avec  nue  telle  intensité  que  la  mise  en  scène  est 
peu  regrettée.  Les  interprètes  étaient  MM.  Gazeneuve,  Dyve  et  'Vieuille,  et 
M"^>  Kutsclierra,  Mathieu,  Texier  et  Planés;  ils  ont  été  à  la  hauteur  do  leur 
làrlie,  mais,  malgré  tous  ses  elforts  pour  reporter  sur  eux  les  applaudissc- 
menls,  c'esl  bien  an  chef  d'orchestre  qu'est  allée  l'ovation  finale. 

AjlÉUÉE  BOUTAREL. 

(1)  On  peut  se  reporter  à  la  partition  d'orchestre.  Aucun  instrument,  le  long 
de  l'érhelle  sonore,  n'articule  le  si. 


LE  MÉNESTREL 


381 


—  Concerts  Laraoureux.  —  Un  critique  de  haute  valeur,  M.  Anatole  France, 
a  écrit  quelque  part  ces  lignes  :  «  Un  poème,  un  roman,  tout  beau  qu'il  est, 
devient  caduc  quand  vieillit  la  forme  littéraire  dans  laquelle  il  fut  conçu: 
les  œuvres  d'art  ne  peuvent  plaire  longtemps.  Car  la  nouveauté  est  pour  beau- 
coup dans  l'agrément  qu'  elles  donnent.  »  —  Se  serait-on  douté  de  cela  en 
entendant,  au  concert  du  Cirque,  la  magistrale  exécution  donnée  par  l'or- 
chestre Lamoureux  de  ces  deux  merveilles,  l'ouverture  de  la  Flûte  enchantée 
de  Mozart  et  la  symphonie  en  la  de  Beethoven  ?  Ce,  qui  est  beau  est  tou- 
jours beau,  et  ce  qui  est  beau  ne  vieillit  pas.  Une  seule  chose  est  soule- 
nable,  c'est  qu'une  œuvre,  tant  belle  soit-elle,  si  elle  est  resassée  sans  mesure 
finit  par  lasser:  elle  ne  perd  rien  de  ses  qualités  intrinsèques;  mais  l'effet 
s'émousse,  et  il  faut  un  temps  de  repos  pour  que  l'oreille  retrouve  ses  premières 
impressions.  C'est  l'histoire  éternelle  du  «  pâté  d'anguilles  ».  Voilà  des  années 
et  des  années  qu'on  nous  ressert  les  mêmes  morceaux  de  Wagner,  la.  Siegfried- 
Idylle,  qui  serait  un  morceau  charmant  si  on  l'amputait  des  deux  tiers,  les 
fragments  symphoniques  des  Maîtres  Chanteurs,  dont  il  serait  injuste  de 
méconnaître  la  valeur  scénique,  la  Hmldigungs-marsch,  dont  le  début  est  a=sez 
beau,  mais  dont  le  trio  ne  serait  pas  déplacé  dans  une  fête  foraine.  Croit-on 
que  ces  sempiternels  morceaux  ne  finiront  pas  par  agacer  les  auditeurs  les 
mieux  disposés,  et  par  produire  à  la  longue  une  sensation  désagréable  '?  Pour 
ceux-là  un  temps  de  repos  deviendra  nécessaire,  et,  s'ils  sont  réellement  beaux, 
c'est  précisément  le  temps  qui  le  dira.  Quant  à  la  Forêt  enchantée,  légende- 
symphonie  de  M.  d'Indy  qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  Flûte  enchantée  de 
Mozart,  le  temps  dira  également  ce  qu'il  faut  en  penser.  C'est  un  poème 
descriptif:  on  y  entend  des  bruits  d'ailes,  des  baisers,  des  soupirs  étouffés. 
M.  d'Indy  affectionne  le  basson:  on  connaît  les  deux  bassons  suggestifs  du 
Camp  de  Wallenstein.  On  a  fait  souvent  remarquer  que  les  grands  musiciens 
avaient  un  instrument  de  prédilection.  Weber  faisait  adorablement  chanter 
la  clarinette  et  le  cor;  le  petit  Auber  tirait  du  hautbois  des  efi'ets  pittoresques  ; 
M.  d'Indy  fait  gémir  le  basson,  et  c'est  par  de  petits  crépitements  de  basson 
qu'il  commence  sa  description  de  baisers  et  de  soupirs  étouffés. 

H.  Barbedeite. 

—  Programmes  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire:  Sj-mphonie  enta  (Beethoven);  Cliœur  de  PatJlus  (llendelssohn);  Cin- 
quième concerto  pour  piano  (Saint-Saëns),  par  M.  Louis  Diémer;  Chœur  et  Marche  d'Ido- 
raénée  (Mozart);  les  Préludss  (Liszt). 

Châlelet,  concerl  Colonne:  Symphonie  inachevée  (Schubert);  Concerto  pour  piano 
(B.  Godard),  par  M.  Lucien  Wurmser  ;  Poème  mystique  (Charpentier),  chanté  par 
MM.  Cazeneuve  et  Challet  ;  Poème  réaliste  (Charpentier),  chanté  par  M.  Cazeneuve  et  les 
chœurs;  Poème  symbolique  (Cbarpentier),  chanté  par  M.  Challet  et  les  cliœurs  ;  Sérénade 
à  Watteau  (Charpentier),  chanté  par  M.  Mauguière,  M""  Marguerite  Mathieu  et  les 
chœurs;  Troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner),  soli  :  M""  Kutscherra,  Mar- 
guerite Mathieu,  Texier,  Planés,  MM.  Cazeneuve,  Djve  et  Vieuille;  la  Chevauchée  des 
Valkyries  (Wagner). 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux,  avecle  concours  de  M.  A.  de  Greef, 
professeur  au  Conservatoire  royal  de  Bruselles  :  Symphonie  italienne,  n'  i  (Mendelssohn)  ; 
Lumen,  symphonie  en  trois  parties  :  Matin,  Midi,  Soir  (Henri  Lu tz),  première  audition  ; 
Concerto  en  sol  mineur  pour  piano  (Saint-Saëns),  par  M.  A.  de  Greef;  la  Reine  Mab  ou  la 
Fée  des  Songes,  scherzo  de  Roméo  et  Juliette  (Berlioz)  ;  les  Maîtres  chanteurs,  fragments 
(Wagner). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


Dépêche  de  Saint-Pétersbourg  :  Grand  succès  au  Petit  Théâtre  pour  la 
Manon  de  Massenet,  chantée  en  italien.  Ovation  extraordinaire  à  Masini,  qui 
a  bissé  le  songe  et  l'air  de  Saint-Sulpice,  et  à  Emilia  Corsi,  qui  a  bissé  la 
scène  de  la  table.  Tous  deux  ont  dû  répéter  aussi  le  duo  du  premier  acte. 
Pourquoi  faut-il  que  toutes  ces  belles  choses  se  passent  au  détriment  des 
droits  des  auteurs,  qui  ne  sont  pas  reconnus,  on  le  sait,  chez  nos  bons 
amis  les  Russes? 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin,  où  l'art  français  est  peu  représenté  depuis 
quelques  années,  vient  de  faire  la  tentative  d'ajouter  le  Benvenuto  Cellini  de 
Berlioz  à  son  répertoire.  Cotte  tentative  fort  louable  a  pleinement  réussi.  La 
première  représentation  do  cette  œuvre  intéressante  a  obtenu  un  succès 
marqué  et  Cellini  tiendra  pendant  longtemps  l'afiiche.  L'interprétation  et  la 
mise  en  scène  méritent  tous  les  suffrages. 

—  S'il  faut  s'en  rapporter  aux  premiers  comptes  rendus  des  journaux  de 
Vienne,  le  succès  du  Chevalier  d'Harmental  dans  cette  ville  ville  ne  parait  pas 
avoir  été  beaucoup  plus  vif  qu'à  Paris. 

—  On  écrit  de  Vienne  que  l'autorité  vient  de  faire  procéder  à  l'arrestation 
de  M.  Joseph  Gennoch,  inspecteur  du  Garl-Théàtre,  impliqué  dans  l'affaire 
du  récent  incendie  de  ce  théâtre,  affaire  qui,  dit-on,  s'embrouille  de  plus  en 
plus.  D'autres  arrestations  ont  été  encore  opérées,  celles  du  feutirr  Kormann 
et  de  deux  gardiens,  les  frères  Yelle3,dont  l'un  pourtant  a  été  relâché.  L'ins- 
pecteur et  les  deux  autres  employés  sont  accusés  d'avoir  malicieusement 
tenté  de  mettre  le  feu  au  théâtre  afin  de  mériter  ensuite  une  récompense  pour 
la  vigilance  apportée  par  eux  à  combattre  l'incen'Me.  Tous  passeront  en 
jugement. 

—  Les  chefs  de  claque  ne  son!  pas  ce  qu'un  vain  peuple  pense.  Celui  de 
l'Opéra  impérial  devienne,  qui  répond  au  nom  de  Schœntag,  a  fêté  récemment 


sonjubilé  de  vingt-cinq  années  deservices  à  ce  théâtre.  Ce  personnage  impor- 
tant n'est  pas,  dit-on,  sans  une  originalité  professionnelle  assez  remarquable, 
et  passe  pour  un  novateur  en  son  genre.  Il  a  fixé,  paraît-il,  une  sorte  de  loi 
pour  les  applaudissements,  qu'il  fait  varier  selon  qu'ils  s'appliquent  à  un 
artiste  de  premier  ou  de  second  rang,  et  il  a  établi  en  outre  une  classe  spé- 
ciale d'éloge  public,  celle  du  bravo,  potir  lequel  il  a  établi  toute  une  théorie 
très  raffinée.  Selon  le  jugement  de  ce  critique  très  expert,  l'impression  serait 
très  fâcheuse  sur  le  public  si,  après  un  piano  qui  va  se  perdant  doucement 
dans  l'air  et  lorsqu'une  chanteuse  a  caressé  voluptueusement  l'oreille  des 
spectateurs,  on  entendait  le  chef  de  claque  troubler  le  silence  avec  un  applau- 
dissement forte.  En  pareil  cas,  ledit  Schœntag  adopte  un  bravo  très  discret, 
qui  semble  s'échapper  presque  involontairement  des  lèvres  d'un  de  ses... 
collaborateurs.  Peu  de  moments  après,  un  autre  laisse  entendre  un  second 
braoo  un  peu  plus  accentué,  puis  un  troisième,  et  ainsi,  de  rinforzando  en 
crescendo,  on  arrive,  à  la  fin  de  l'air,  à  entraîner  la  salle  entière  dans  une  im- 
mense explosion  d'enthousiasme.  C'est  ce  qu'on  peut  appeler  le  comble  de 
l'art. 

—  Un  comité  s'est  formé  à  Vienne,  auquel  appartiennent  plusieurs  députés 
influents,  pour  obtenir  du  Parlement  une  loi  réglant  les  contrats  entre  les 
directeurs  des  théâtres  autrichiens  et  leurs  pensionnaires.  Il  s'agit  de  mettre 
fin  ;i  l'exploitation  indigne  des  artistes  à  laquelle  plusieurs  directeurs  de 
théâtres  se  livrent,  et  de  défendre  certaines  clauses  que  ces  directeurs  imposent, 
par  contrat,  aux  pensionnaires.  Le  comité  vient  d'élaborer  une  pétition  au 
Reichstag  autrichien,  qui  expose  les  griefs  des  artistes  et  qui  est  signée  par 
deux  mille  acteurs  et  actrices  autrichiens,  parmi  lesquels  se  trouvent  plus 
de  six  cents  artistes  engagés  à  Vienne  même.  On  estime  que  cette  pétition 
sera  suivie  d'effet. 

—  Les  di-ux  marches  militaires  de  Beethoven  qu'on  a  découvertes  en  par- 
tition autographe  dans  la  bibliothèque  de  l'ordre  Teutonique,  à  Troppau,  et 
dont  nous  avons  parlé  il  y  a  quelques  semaines,  ne  sont  pas  inédites. 
Après  avoir  pris  connaissance  du  manuscrit,  les  experts  viennois  ont  décou- 
vert que  Beethoven  a  utilisé  ces  marches  plusieurs  fois  avec  dos  variantes, 
surtout  tn  ce  qui  concerne  l'orchestration.  Il  en  existe  donc  plusieurs 
partitions  autographes.  Pour  la  première  fois,  Beethoven  a  écrit  l'une 
de  ces  deux  marches  en  1809  pour  la  milice  territoriale  du  royaume 
de  Bohème  :  la  maisoa  Artaria,  de  Vienne,  qui  fut  l'éditeur  du  maître, 
en  possède  encore  deux  autographes,  car  Beethoven  y  ajouta  après 
coup  un  «  trio  ».  Un  «  trio  »  autographe  se  trouve  aussi  chez  Artaria  pour 
la  deuxième  marche.  Une  seconde  fois,  ces  deux  marches  furent  utilisées 
par  Beethoven  pour  un  régiment  d'infanterie  viennois  appartenant  à  l'archi" 
duc  Antoine,  grand  maître  de  l'ordre  Teutonique.  Ce  sont  les  autographes 
trouvés  à  Troppau.  Peu  de  temps  après,  Beethoven  écrivit  une  nouvelle 
version  de  ces  marches  pour  un  carousel  qui  eut  lieu,  le  23  août  1810,  en 
l'honneur  de  l'impératrice  d'Autriche.  Cette  troisième  version  a  été  publiée, 
en  18~8,  dans  l'édition  complète  de  l'œuvre  de  Beethoven  par  la  maison 
Breilkopf  et  Haertel.  La  première  de  ces  deux  marches,  en  partition  pour 
grand  orchestre  militaire,  a  été  publiée  du  vivant  de  Beethoven,  à  Berlin, 
chez  l'éditeur  Schlesinger,  avec  une  dédicace  «  au  corps  de  York  1813  » 
dans  une  «  collection  de  marches  redoublées  pour  l'armée  prussienne  ».  Il 
est  fort  peu  vraisemblable  qu'on  trouve  encore  des  compositions  inconnues 
de  Beethoven. 

—  Un  novivel  opéra,  en  un  acte,  intitulé  Ratbold,  livret  d'après  Félix  Dahn, 
musique  de  M.  Reinhold  Becker,  a  remporté  un  grand  succès  au  théâtre  de 
Mayence. 

—  Une  danseuse  qui  peut  jouer  à  l'occasion  le  comédie  ne  se  trouve  pas 
tous  les  jours.  Le  théâtre  allemand  de  Prague  dispose  de  cet  oiseau  rare, 
M"'  Bessoni,  une  charmante  Italienne  qui  ne  dit  pas  un  mot  d'allemand  et 
qui  est  la  favorite  du  public.  Or,  on  devait  jouer  à  ce  théâtre  une  petite  pièce 
allemande  où  se  trouve  le  rôle  d'une  danseuse  italienne,  qui  ne  doit  parler 
que  français  et  italien.  M.  Neumann,  le  directeur  du  théâtre  allemand  de 
Prague,  cherchait  une  artiste  pour  lui  confier  ce  rôle,  loi'sque  sa  première 
danseuse  offrit  de  s'en  charger.  L'offre  fut  acceptée  sous  réserve,  et  dès  la 
première  répétition,  M"=  Bessoni  joua  avec  tant  de  verve  et  de  sûreté 
que  tout  le  monde  en  fut  enthousiasmé.  La  première  de  la  petite  pièce  en 
question  vient  d'avoir  lieu,  et  le  public  de  Prague  a  couvert  la  danseuse 
talentueuse  d'applaudissements.  M"=  Bessoni  est  engagée,  à  partir  du  l^'  jan- 
vier 1897  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  en  qualité  de  première  danseuse. 
Peut-être  voudra-t-elle  un  jour  y  chanter,  comme  elle  a  joué  la  comédie  à 
Prague. 

—  Une  opérette  intitulée  Anne-Louise,  musique  de  M.  Fritz  Baselt,  a  rem- 
porté un  joli  succès  au  théâtre  de  Cassel. 

—  Nouvel  échec  de  l'opéra  allemand  à  Amsterdam.  Cette  fois  la  décom- 
flture  de  l'imprésario  est  tellement  lamentable,  que  les  ressources  des  socié- 
tés de  bienfaisance  allemandes  ne  suffisent  pas  et  qu'elles  ont  été  obligées  de 
s'adresser  aux  artistes  de  l'Allemagne  et  de  l'Autriche  pour  pouvoir  rapatrier 
les  malheureux  choristes  et  les  membres  de  l'orchestre. 

—  Les  concerts  de  la  Société  symphonique  Ysaye,  à  Bruxelles,  seront  cet 
hiver  au  nombre  de  six,  dont  le  premier  aura  lieu  aujourd'hui  dimanche 
29  novembre,  avec  le  concours  de  M.  Raoul  Pugno.  Voici  le  programme  de 
cetto  première  séance  :  Ouverture  dramatique  de  M.  Wihtol,  compositeur 
russe  ;  Symphonie  héroïque  de  Beethoven:  Concerto  en  la  mineur,  pour  piano. 


38-2 


LE  MÉNESTREL 


(le  Gii.wr;  Suite  champêtre,  do  Qiabrier  ;  Poème  Je  Fr.  Rasse:  Fanlàisie  en  ut, 
de  Schubert  :  Iffarcbe  écossaise  de  Debussy.  Les  cinq  autres  concerts  sont  fixés 
«onime  suit  :  10  janvier  (axec  le  quatuor  a  capella  néerlandais);  31  janvier 
(avec  M"«  Gullbranson,  du  théâtre  de  Bayreuth);  14  février  (sotis  la  direction 
de  M.  Félix  Mottl,  avec  le  concours  de  M"'  Félix  Mottl,  cantatrice  du  théâtre 
grand-ducal  de  Carlsruhe):  21  mars  (avec  MM.  César  Thomson  et  Eugène 
Vsarj-e);  enfin  le  jeudi-saini  (avec  M.  Sylvain  Dupuis  et  les  chœurs  de  la  Legia, 
de  Liège).  Les  concerts  auront  lieu  dans  la  salle  de  l'Alhambra. 

—  On  mande  d'Anvers  que  Mazeppa  l'opéra  de  MM.  Gh.  Grandmougin  et 
G.  Hai'tmaon,  mis  en  musique  par  M°'<'  de  Grandval,  a  parfaitement  réussi  au 
Théâtre  royal.  Interprétation  excellente  sous  la  direction  du  remarquable  chef 
d'orchestre,  M.  Ruhlmann. 

—  Vif  succès  à  Tournai  pour  la  Résurrection  de  Lazare,  de  M.  Raoul  Pugno. 
Très  belle  exécution.  Les  chœurs  surtout  ont  été  remarquables.  Plusieurs 
salves  d'applaudissements  ont  accueilli  la  péroraison  de  l'œuvre.  En  présence 
de  ce  grand  succès,  la  Société  philharmonique  de  Tournai  a  décidé  de  donner 
l'an  prochain  le  Prométhée  du  même  compositem'. 

—  Le  répertoire  du  théâtre  de  Berne  parait  devoir  être,  cet  hiver,  intéres- 
sant et  chargé  tout  à  la  fois.  On  signale  tout  d'abord  les  ouvrages  suivants  : 
Lili-Tsce,  de  Curti;  l'Évangéliste,  de  Kienzl;  Sans  Sachs  et  Faust,  de  Lortzing  ; 
te  Croisade  des  dames,  de  Schubert;  la  Mégère  apprivoisée,  d'Hermann  Goetz  ; 
Orphée,  de  Gluck;  Raensel  et  Gretel  et  les  Enfants  durai,  de  Humperdiiick. 
Puis  viendra  un  cycle  historique  dans  lequel  la  France  sera  représentée  par 
leBevin  du  village  de  J.-J.  Rousseau,  le  Billet  de  loterie  de  Nicole  et  le  Chalet 
d'Adam,  l'Allemag  le  par  Abou-Hassan  de  Weber  et  la  Répétition  d'opéra  de 
Lortzing,  et  l'Italie  par  la  Serva  padrona  da  Pergolèse,  le  Cantatrici  villani  de 
Fioravanti  et  Zanetto  de  Mascagui. 

—  De  Milan  on  annonce  le  mariage  du  jeune  compositeur  Umberto 
Giordano,  l'heureux  auteur  lïAtidré  Chénier,  avec  M"'  Olga  Spatz,  fille  du 
propriétaire  de  l'hôtel  de  Milan.  Au  nombre  des  témoins  se  trouvait 
M'.  Edouard  Sonzogno,  l'éditeur  imprésario  à  qui  M.  Giordano  doit  d'avoir 
vu  jouer  son  opéra.  Parmi  les  présents  faits  aux  nouveaux  mariés  on  signale 
UU' riche  éventail  envoyé  par  "Verdi  à  la  jeune  épouse,  et...  les  insignes  de 
ehevalier  de  la  Couronne  d'Italie,  qui  sont  parvenus  le  jour  même  à  son  mari. 

—  Une  nouvelle  importante,  qui  est  mise  en  cours  en  ces  termes  par  un 
journal  italien  :  «  On  annonce  que  Verdi  a  exprimé  le  désir  d'apprendre  à 
aller  en  vélocipède.  »  Un  autre  journal  ajoute  gravement  que  «  la  nouvelle 
mérite  confirmation.  »  Attendons-nous  à  voir  prochainement  la  mise  en 
vente  de  la  o  bicyclette  Verdi  a. 

—  Le  petit  théâtre  Fossati,  à  Milan,  met  d'un  seul  coup  à  la  scène  trois 
opérettes  nouvelles  :  Vincit  amor  du  maestro  Federico  Giardina,  la  Presa  di 
Yahpignatta,  du  maestro  Dall'Argine,  et  VAgenzia  di  commenditori,  du  maestro 
Bonfîglioli. 

—  La  préfecture  de  Gatane  a  ordonné  d'un  seul  coup  la  fermeture  de  trois 
lîiéàlres  de  cette  ville,  comme  n'offrant  pas  assez  de  sécurité  pour  le  public 
en  cas  d'incendie.  Ces  trois  théâtres  sont  celui  du  Prince  de  Naples,  le  Cas- 
tagnola  et  le  Nazionale. 

—  Singulière  annonce  trouvée  dans  un  journal  italien.  —  «  Orchestre  des 
dames  italiennes,  4897.  Grande  tournée  dans  l'Amérique  du  Sud.  Pour  le  compte 
d'une  entreprise  renommée,  qui  offre  les  plus  grandes  garanties  de  sérieux  et 
de  solvabiliti.',  on  demande  50  demoiselles  instrumentistes  disposées  à  accepter 
un  engagement  pour  l'Amérique  du  Sud  (Buenos-Ayres,  Montevideo,  Rio- 
Janeiro,  San  Paolo,  Las  Palmas,  Rosario,  etc.,  etc.).  Engagement  garanti 
pour  six  mois.  Embarquement  à  Gènes  ou  à  Bordeaux,  dans  la  première 
dizaine  d'avril  1897.  Voyage  payé  durant  la  tournée  entière  en  seconde  classe, 
avec  traitement  spécial.  Appointements  mensuels  à  débattre,  les  plus  grands 
avantages  étant  accordés  aux  jeunes  instrumentistes  à  vent  (à  moi,  les  souf- 
fleuses de  trombone  et  de  clarinette!).  Une  très  élégante  toilette  de  soirée 
sera  fournie,  aux  frais  de  l'enti'eprise,  pour  tout  le  personnel.  Une  réelle  habi- 
leté technique  est  indispensable,  un  très  abondant  répertoire  de  musique 
classique  devant  être  exécuté.  La  photographie  est  indispensable  « .  Il  ne  faut  pas 
seulement  avoir  du  talent  et  bien  jouer  de  la  contrebasse  ou  de  l'ophioléide,  il 
tant  encore  être  jolie  !  Avis  aux  amateurs  féminins. 

—  On  sait  que  le  gouvernement  espagnol,  pour  parer  aux  frais  de  ses 
guerres  coloniales,  a  établi  de  nouveaux  impôts  et,  entre  autres,  a  frappé 
l'es  théâtres  d'une  lourde  taxe  supplémentaire.  Or,  les  directeurs  des  scènes 
madrilènes  ne  veulent  point  entendre  parler  de  cette  taxe,  et  ils  ne  se 
bornent  pas  à  protester  contre  elle.  Ils  se  sont  réunis  â  ce  sujet  et  ont  pris 
la  résolution  de  fermer  tous  les  théâtres  de  la  capitale  si  la  susdite  taxe 
n'est  pas  immédiatement  supprimée. 

—  Voici  le  tableau  définitif  de  la  troupe,  du  Liceo  de  Barcelone,  pour  la 
saison  qui  vient  de  s'ouvrir  :  soprani.  M"'*  Eva  Tetrazzini,  Bordalba,  Elisa 
Petrj,  Bolska-Skompska,  Cajola  Bayo,  Italia  Del  Torre,  Olietti-Morozzo  ; 
mezzo-soprani  et  contralti,  Campodonico,  Ida  Monteleone,  Blancbai't--\bades  ; 
ténors,  MM.  Cardinali,Giraud,  Bayo,  Armandi  ;  Ijarytons,  Ramon  Blancbart, 
Angelini-Fornari,  Puiggener;  basses,  Perrello,  Oreste  Lupu,  Volpoui.  Chefs 
d'orchestre:  MM.  Campanini  et  Acerbi.  Au  répertoire,  Falslaff,Olello,  Ilamlet, 
le-  Fieischûtz,  Manon,  Mefistefele,  Gioconda,  Roméo  et  Juliette,  Norma,  Jann- 
hâuser,  Garin  et  Samsrni  et  Dalila,  qui  n'a  jamais  été  joué  et  pour  lequel  on 
prépaïe  quatre  décors  entièrement  nouveaux. 


—  On  nous  écrit  du  Caire  :  Notre  saison  d'opéra  va  commencer  la  21  no- 
vembre, et  promet  d'être  particulièrement  brillante.  Le  répertoire  annoncé 
nous  promet  comme  nouveautés  Orphée  de  Gluck,  le  Portrait  de  Manon  de 
Massenet,  Phryné  àe  Saint^Saëns  et  Tannhauser.  Parmi  les  aulres  œuvres  an- 
noncées nous  trouvons  Hérodiade,  Wertlwr,  le  Cid,  Manon,  Sigurd,  Hamlel, 
Samson  et  Dalila,  l'Africaine,  Faust,  la  Juive,  les  Huguenots  et  l'Étoile  dû  Nord. 
L'art  italien  n'est  représenté  que  par  le  Barbier  de  Séville,  Rigoletto  et  ,'l/rf«, 
oiiéra  obligatoire  chez  nous. 

—  Une  correspondance  de  Buenos-Ayres  prétend  que  le  fameux  ténor 
Tamagno  s'associerait  avec  l'imprésario  Ferrari  pour  prendre  la  direction  du 
théâtre  italien  de  cette  ville,  et  que  M"""  Mclba  ferait  partie  de  leur  prochaine 
troupe.  Est-ce  que  ledit  Tamagno  croirait  gagner  plus,  dans  cette  entreprise 
que  les  7.000  francs  qu'il  se  fait  adjuger  d'ordinaire  pour  chacune  de  ses 
représentations  ? 

—  A  Batavia,  capilale  de  l'ile  de  Java,  on  vient  de  jouer  la  il/anou  iln 
Massenet  avec  un  succès  énorme.  Le  rôle  principal  était  confié  à  une  jeune 
artiste  javanaise,  née  à  Batavia  même,  M'"  Maeth  Piazza,  qui  a  enthousiasnn' 
le  public  par  sa  voix  ravissante  et  le  charme  de  son  jeu.  C'est  égal  :  ni  l'alibé 
Prévost  ni  Massenet  n'eussent  rêvé  Manon  sous  les  traits  de  ces  frêles  ligii- 
rines  javanaises  que  nous  avons  tant  admirées  à  l'esplanade  des  Invalides  on 
1889  et  dont  le  charme  captivant  était  tout  autre  que  celui  de  la  jolie  fille  de 
France  qui  devait  finir  si  tristement  dans  le  nouveau  monde.  Et  les  San- 
derson,  les  van  Zandt,  les  Renard  ainsi  que  les  aulres  interprètes  de  ce  rôle 
charmant  et  émouvant  entre  tous,  n'ont  certainemeni  jamais  pensé  qu'une 
concurrente  de  race  jaune  viendrait  un  jour  leur  disputer  la  jilace  pour  celle 
Manon,  fût-ce  à  Batavia.  Et  voici  que  la  diva  javanaise,  encouragée,  annonce 
de  prochaines  représentations  de  la  Navarraise,  tout  comme  si  elle  était 
M"'  Calvé.  Il  faut  espérer  que  nous  verrons  débuter  à  Paris  cette  diva  mer- 
veilleuse à  l'Exposition  de  1900. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

L'Association  des  Artistes  musiciens  a  donné  A'endredi  à  l'église  Sainl- 
Eustache  la  messe  en  musique  qu'elle  a  l'habitude  de  faire  entendre  tous  les 
ans  au  bénéfice  de  l'Association.  Cette  fois,  le  choix  s'était  porté  sur  la  Messe 
de  Saint  François  d'Assise  de  Paladilhe  et  le  succès  en  a  été  très  ^^f.  C'est  une 
œuvre  pleine  de  charme,  conçue  un  peu  dans  la  manière  de  Mozart,  qui 
n'était  pas  la  plus  mauvaise.  A  côté  de  pages  délicates,  on  y  trouve  aussi  des 
ensembles  d'une  belle  sonorité  qui  emplissaient  admirablementla  grande  nef  do 
Saiut-Eustache.  Cette  messe  fait  le  plus  grand  honneur  à  son  auteur.  M.  Danbé 
endirigeaill'orchestre  avec  sa  maîtrise  habituelle,  encore  que  l'unique  répétition 
qu'on  avait,  pu  faire  fût  évidemment  insuffisante.  MM.  Auguez  et  Warmbrodt 
chantaient  les  soli  avec  talent.  Mais,  chose  à  jamais  regrettable,  c'était  uu 
enfant  de  chœur  qui  interprétait  la  partie  'du  soprano.  Et  ce  fut  bien  cruel 
par  instants.  Il  faut  s'en  prendre  au  cardinal-archevêque  de  Paris,  dont  la 
tolérance  ne  va  pas  encore  jusqu'à  autoriser  les  voix  de  femmes  dans  les 
églises.  Pourquoi  ?  Il  est  bien  étrange  qu'on  les  y  trouve  plus  malséantes  que 
les  voix  d'hommes.  Ce  sont  de  ces  mystères  qu'il  faut  renoncer  à  pénétrer.  — 
M.  Pennequin,  en  guise  d'intermède,  a  admirablement  interprété  sur  son  vio- 
lon la  romance  en  fa  de  Beethoven,  et  on  a  terminé  avec  une  superbe  marche 
solennelle  de  Victorin  Joncières.  La  quête  a  été  des  plus  fructueuses. 

—  La  question  de  l'Odéon  est-elle  décidément  vidée?  Voici  que  M.  An- 
toine, quiavait  accepté  la  combinaison  par  laquelle  il  devenait  simple  directeur 
de  la  scène  à  ce  théâtre,  se  ravise  et  adresse  au  ministre,  en  la  communi- 
quant préalablement  à  la  presse,  une  lettre  qui  lui  annonce  qu'il  se  démet 
de  ces  fonctions.  Voilà  M.  Ginisty  seul  directeur,  seul  en  nom  et  seul  res- 
ponsable de  la  situation.  Il  est  probable  que  les  choses  n'en  iront  pas  plus 
mal. 

—  Intéressants  détails  donnés  par  M.Jules  Iluret,  du  Figaro  :  «  La  recons- 
truction de  l'Opéra-Comique  a  été  évaluée  à  3.500.000  francs.  Depuis  1893 
diverses  allocations  ont  été  ouvertes  au  budget,  elles  s'élèvent  à  3.044.114francs. 
Il  reste  donc  435.886  francs  à  dépenser  pour  parfaire  le  montant  des  évalua- 
tions du  devis.  Les  travaux  de  la  nouvelle  salle  en  construction  ne  seront 
terminés  qu'en  1898.  On  pose  actuellement  la  toiture,  et  les  éludes  de  la  déco- 
ration intérieure  sont  faites.  Néanmoins,  l'inauguration  ne  pourra  vraisemlila- 
blcment  avoir  lieu  qu'au  commencement  de  1899.  Il  faut  donc  se  résoudre 
à  voir  la  somme  de  80.000  francs,  prix  de  la  location  à  la  Ville  de  la  salle 
actuelle  de  la  place  du  Châtelet,  figurerencore  au  budget  pendant  deux  années. 
La  salle  de  la  rue  Favart  a  été  incendiée  en  1887  ;  les  travaux  de  terrassement 
et  de  maçonnerie  de  la  reconstruction  n'ont  pu  être  commencés  qu'en  1894.  Si 
donc,  on  avait  su  se  décider  immédiatement  à  cette  reconstruction  inévitable, 
la  dépense  du  loyer  de  la  salle  de  la  place  du  Châlelet  eût  été  économisée 
pendant  six  années  au  moins.  —  Quanta  la  somme  de  3.SOO.O0O  francs,  qui 
a  été  fixée  dans  le  principe  à  titre  d'allocation  générale,  elle  sera  dépassée  de 
plusieurs  centaines  de  mille  francs.  La  dépense  supplémentaire,  en  dehors  de 
l'imprévu  extraordinaire,  aura  eu  deux  causes  :  l'augmentation  de  la  surface 
à  bâtir  par  l'avancement  de  la  façade  sur  la  place  Boieldieu,  avancement  qui 
résulte  d'une  modification  apportée  au  projet  par  l'administration;  et  ensuite 
la  plus-value  considérable  des  frais  d'édification  d'un  nouveau  mur  mitoyen 
entre  le  théâtre  et  la  maison  du  boulèvnrd  des  Italiens,  qui  Itii  restera  adossée». 

—  M.  Cuignache,  chef  de  chant  â  l'Opéra-Comique,  est  nommé  professeur 
de  solfège  (instrumentistes),  au  Conservatoire,  en  remplacement  de  M.  Na- 
poléon Alkan,  admis  à  faire  valoir  ses  droits  à  la  retraite. 


LE  MENESTREL 


383 


—  Gesl  mei-credi  prochain  que  M"»  Van  Zaïidt  fera  sa  rentrée  à  l'Opéra- 
Comique,  dans  cette  Lakmé  qui  fut  une  de  ses  plus  belles  créations.  Soirée 
artistique  de  grande  curiosité. 

—  C'est  hier  samedi  que  M"°GaIvé  s'est  embarquée  au  Havre,  à  destination 
de  New- York.  Avant  de  quitter  Paris,  dit  Nicolet  du  Gaulois,  engagement  a 
été  pris  par  elk  avec  M.  Carvalho  pour  la  création  de  la  Saplio  de  M.  Masse- 
net,  à  rOpéra-Gomique,  pendant  la  saison  1897-1898. 

—  M.  Théodore  Dubois  vient  de  terminer  la  partition  d'un  poème  légen- 
daire, Notre-Dame  de  la  mer  (Louis  Gallet  scripsit),  avec  soli,  chœurs  et  une 
partie  de  récitant.  Gette  œuvre  nouvelle  sera  exécutée  pour  la  première  fois 
cet  hiver  aux  concerts  Lamoureux.  Le  compositeur  de  Xavière  et  des  Sept 
Paroles  a  également  terminé  un  important  concerto  pour  piano  qui  verra  le 
jour  également  cet  hiver.  Ges  deux  compositions  vont  paraître  prochainement 
au  Ménestrel. 

—  On  a  vendu  cette  semaine,  à  l'hôtel  Drouot,  la  partition  antographe  de 
Guillaume  Tell,  de  Rossini.  Ge  manuscrit  précieux,  qui  était  divisé  en  quatre 
volumes,  avait  été  donné  par  Rossini  à  son  éditeur  Troupenas,  prédécesseur 
des  maisons  Schlesinger  et  Brandus  ;  à  la  mort  de  Troupenas,  en  1850,  il 
était  passé  aux  mains  d'un  de  ses  héritiers.  Il  était  vivement  disputé  à  la 
ven(;e  de  ces  jours  derniers.  Sur  une  première  demande  de  2.000  francs  et 
sur  une  mise  à  prix  de  SCO  francs  qui,  a  provoqué  aussitôt  des  enchères  très 
vives,  il  a  monté  rapidement  jusqu'à  4.000  francs  et,  finalement,  a  été 
adjugé  à  4.700  francs.  Dans  la  même  adjudication  se  trouvait  compris  un 
portrait  de  Rossini  par  Ary  Schœffer,  qui  a  été  payé  6.000  francs  pour  être 
offert  au  Gonservatoire.  On  a  vendu  aussi  divers  portraits  ou  bustes  d'Auber, 
de  la  Malibran  et  du  second  époux  de  celle-ci,  le  célèbre  violoniste  Gharles 
de  Bériot. 

—  M.  Léon  Delal'osse  vient  de  se  faire  entendre  aux  concerts  symphoniques 
de  Queens'IIall,  à  Londres,  avec  un  très  grand  succès.  Après  six  rappels,  le 
si  remarquable  pianiste  a  dû  ajouter  au  prograitime  une  délicieuse  étude  de 
sa  compositiun  :  Campanules. 

—  M.  Constant  Pierre  poursuivant  ses  études  sur  les  origines  du  Gonserva- 
toire, nous  donne  à  la  Librairie  Fischbacher  l'histoire  du  Magasin  de  musique 
à  l'usage  des  fêtes  nationales  et  du  Conservatoire,  exploité  collectivement  par 
Méhul,  Gossec,  Gherubini,  et  leurs  collègues  de  l'Institut  national.  Rien  ne 
manque  à  ce  nouveau  travail  de  ce  qui  a  fait  le  succès  des  publications 
antérieures  de  M.  Pierre.  Les  documents  inédits  abondent,  et  on  peut  être 
sur  qu'ils  sont  puisés  aux  meilleures  sources.  La  brochure  renferme  le  cata- 
logue des  oeuvres  publiées  par  le  Magasin.  On  y  trouve,  à  côté  des  hymnes  de 
circonstance  (entre  autres  le  Chant  du  départ),  la  liste  de  ces  célèbres  méthodes 
dites  du  Gonservatoire  qui  ont  porté  partout  le  renom  de  notre  école  de  mu- 
sique et  dont  le  Ménestrel  a  fait  des  rééditions.  Euo.  de  B. 

—  Sous  ce  titre  général  :  Le  Cycle  Berlioz,  et  sous  ce  titre  particulier  :  La 
Damnation  de  Faust,  M.  J.-6.  Prod'homme  publie  le  premier  d'une  série  de 
douze  volumes  consacrée  à  l'étude  de  l'œuvre  complet  de  Berlioz.  Douze 
volumes  pour  un  seul  compositeur,   peut-être  est-ce  beaucoup  !  Car  enfin,  si 

l'on  devait  faire  de  même  pour  tous  les  autres,  la  vie  ne  serait  pas  assez 
longue  pour  tout  lire,  et  quel  que  soit  l'amour  qu'on  porte  à  la  musique,  il 
faut  pourtant  bien  avouer  qu'il  existe  autre  chose  dans  le  monde,  dont  on  a 
le  droit  et  le  devoir  de  s'occuper.  On  m'objectera  l'abondance,  je  devrais 
dire  la  surabondance,  de  la  littérature  wagnérienne.  Mais  aussi,  qui  s'avise 
de  lire  aujourd'hui,  à  part  leurs  auteurs,  les  écrits  qui  se  publient  chaque 
jour  sur  le  maitre  de  Bayreuth?  Ge  que  j'en  dis  n'est  point  d'ailleurs  pour 
déprécier  le  premier  volume  —  dont  l'aspect  matériel  est  un  peu  bizarre  — 
que  nous  présente  M.  Prod'liomme.  Son  livre,  qui  est  plus  historique  que 
ciitique,  est  bien  fait  dans  l'ordre  d'idées  conçu  par  l'auteur,  et  complet  en 
son  genre.  On  y  sent  un  admirateur  convaincu  de  Berlioz,  et  d'une  rare 
sincérité.  Mais  pourquoi  cette  admiration  se  traduit-elle  par  une  sorte  de 
dédain  et  de  moquerie  indirecte  envers  d'autres  maîtres  qui  valaient  au 
moins  Berlioz,  pour  ne  lui  pas  ressembler?  Pourquoi  l'écrivain  parait-il 
railler  en  parlant  de  «  l'eu  Charles  »  Gounod  et  de  «  M.  »  Auber,  alors 
qu'il  dit  Berlioz  tout  court?  Ne  nous  corrigerons-nous  donc  pas  de  cet  exclu- 
visme  maladroit  et  injuste,  qui  nous  porte  à  blaguer  nos  plus  grands  génies 
pour  en  exalter  d'autres,  et  croit-on  le  public  assez  sot  pour  entrer  dans  ces 
vues  étroites  et  ne  pas  faire  la  part  de  chacun.  Rien  ne  fera  que  Faust  et  le 
Domino  noir,  Roméo  et  Juliette  et  Fra  Diavolo,  ne  soient  des  œuvres  exquises, 
et  cela  ne 'fera  nul  tort,  croyez-le  bien,  à  l'admiration  que  l'on  peut  ressentir 
pour  la  Damnation  de  Faust  on  pour  toute  œuvre  d'un  autre  genre.  —  A.  P. 

—  C'est  M.  Ernest  Aider  qui  dirige  à  présent  les  concerts  classiques  de 
l'Association  artistique  de  Marseille,  et  le  choix  paraît  être  heureux,  d'après 
le  succès  du  premier  programme.  On  y  a  fort  goûté  la  belle  introduction  de 
Rédemption  de  César  Franck  et  les  jolies  Scènes  alsaciennes  de  Massenet;  Sous 
les  tilleuls  ont  eu  un  bis  d'acclamation.  Aujourd'hui  dimanche,  M.  Aider  fera 
entendre  d'importants  fragments  de  Parsifal  avec  200  exécutants  (chœur  et 
orchestre). 

—  De  Marseille  :  M.  Lefort,  le  violoniste  bien  connu ,  professeur  au  Con- 
servatoire de  Paris,  s'est  fait  entendre  au  concert  de  l'Association  artistique, 
avec  un  immense  succès.  Il  a  exécuté  une  suite  inédite  de  Paul  Ghabeaux 
avec  accompagnement  d'orchestre,  des  œuvres  de  "Widor,  Gabriel-Marie  et 
une  polonaise  de  Taub  qui  lui  ont  valu  des  acclamations  répct('^es.  Rappelé, 
M.  Lefort  a  l'ait  encore  entendre  un  poème  hongrois  de  Ilubay  et  une 
mazurka  de  "Wieniawski. 


—  Aujourd'hui  dimanche,  29,  le  groupe  du  XV=  arrondissement  de  l'Union 
des  Femmes  de  France  donne  une  matinée  musicale  et  littéraire  dans  la 
salle  des  fêtes,  154,  rue  Leconrbe,  au  proût  des  blessés  des  armées  de  terre  et 
de  mer.  Au  programme,  l'organiste  Glaire  Lebrun,  le  violoniste  Planel, 
Goquelin,  etc.,  et  une  scène  Louis  XV,  une  Résolution,  par  Zari.  Présidente 
d'honneur:  M""  Pasteur. 

—  De  Chartres  on  nous  signale  le  grand  succès  du  concert  donné  par  la 
Lyre  chartraine.  Applaudissements  enthousiastes  pour  l'excellent  violoniste 
A.  WeingEertencr,  ainsi  que  pour  le  baryton  Pecquery  et  la  charmante  Simone 
d'Arnaud,  exquise  dans  la  gavotte  de  Manon. 

NÉCROLOGIE 

Le  fameux  ténor  Italo  Gampanini,  dont  nous  annoncions  récemment  le 
grave  état  de  santé,  est  mort  le  14  de  ce  mois  dans  sa  villa  de  Vigatto,  près 
de  Parme.  Il  était  né  à  Parme  en  1845,  et  après  avoir  fréquenté  pendant 
trois  années  l'école  de  musi(iue  de  cette  ville,  il  était  devenu  l'élève  du 
célèbre  professeur  Lamperti.  Doué  d'une  fort  belle  voix,  il  devint  non  seule 
ment  chanteur  excellent,  mais  acteur  remarquable.  Ses  débuts  à  Odessa  dans 
le  TroTOtore  furent  des  plus  heureux,  et  bientôt  il  parcourut  l'Italie,  l'Europe 
et  l'Amérique  au  bruit  des  applaudissements.  Il  fut  le  premier  à  chanter  en 
Italie  Lohengrin  (à  la  Scala  de  Milan),  et  ce  rôle  fut,  toujours  et  partout,  l'un 
de  ses  plus  grands  triomphes.  Il  se  faisait  acclamer  aussi  dans  Faust,  Carmen, 
Don  Juan,  Lucie  de  Lammermoor,  Mefistofele,  les  Huguenots,  Ruy  Blas,  et  le  succès 
ne  cessa  de  l'accompagner,  qu'il  chantât  à  Madrid,  àBarcelone,  à  Lisbonne,  à 
Londres,  à  Moscou,  à  Saint-Pétersbourg  ou  à  New- York.  Dans  cette  dernière 
ville  on  l'appelait  the  idéal  ténor.  Il  adorait  d'ailleurs  le  théâtre,  etquelques  jours 
avant  sa  mort,  comme  il  faisait  part  do  ses  angoisses  à  un  ami,  il  lui  disait 
qu'il  enviait  le  sort  du  plus  humble  comprimario,  qui  pouvait  encore  arpenter  la 
la  scène  et  se  présenter  devant  le  public.  Gampanini  avait  amassé  une  for- 
tune considérable,  dont  il  faisait  le  plus  noble  usage,  en  employant  une  no- 
table partie  à  des  œuvi-es  de  bienfaisance,  ainsi  qu'il  le  fit  à  Parme,  sa  ville 
natale,  et  à  New-York,  au  profit  de  la  colonie  italienne. 

—  Ou  lit  dans  le  Tromtore  :  «  Dans  un  hôpital  de  Buenos-Ayres  est  morte, 
pauvre  et  abandonnée,  Bianca  Blume,  qui  fut  naguère  une  cantatrice  célèbre 
et  acclamée,  bien  connue  en  Italie  pour  avoir  été  la  première  qui  chanta 
les  opéras  de  "Wagner,  excitant  un  véritable  enthousiasme  au  théâtre  Com- 
munal de  Bologne  et  à  la  Scala  de  Milan.  Il  y  a  plusieurs  années  cotte  excel- 
lente artiste,  déjà  réduite  à  de  tristes  conditions  financières,  veuve  et  en- 
dolorie par  les  chagrins  et  les  désillusions  de  la  vie,  se  rendit  à  Buenos- 
Ayres,  où  elle  se  consacra  à  l'enseignement  du  chant.  Mais  la  .fortune  ne 
lui  sourit  pas,  et  la  pauvre  est  morte  presque  ignorée  de  tous,  sur  un  lit 
d'hôpital,  elle  qui  avait  brillé,  devant  des  publics  enthousiastes,  dans  toute 
la  splendeur  de  la  beauté,  de  la  jeunesse  et  du  talent  !....  » 

—  Un  excellent  artiste,  aussi  modeste  que  distingué,  Louis-Joseph-Marie 
Mas,  est  mort  récemment  à  Paris.  Il  fut  pendant  longtemps  membre  de  la 
Société  des  concerts  et  fit  partie  du  fameux  quatuor  Maurin,  Ghevillard, 
Mas  et  Sabatier,  dont  il  était  le  dernier  survivant.  Mas  était  âgé  de  75  ans. 

—  Le  doyen  des  musiciens  néerlandais,  J.-G.  Boers,  vient  de  mourir  à 
Deift,  à  l'âge  de  84  ans.  Né  à  Nimègue  en  1812,  fils  d'un  musicien  qui  lui 
donna  ses  premières  leçons,  il  devint,  à  l'École  royale  de  musique  de  la  Haye, 
élève  de  Lubeck  pour  le  violon  et  la  composition.  Après  avoir  été  quelque 
temps  chef  d'orchestre,  il  vint  à  Paris,  fit  partie  des  orchestres  du  Casino 
Paginini  et  des  concerts  Valentino,  puis,  tout  en  donnant  des  leçons  d'har- 
monie, accepta  l'emploi  de  correcteur  d'épreuves  de  la  maison  Richault.  On 
le  trouve  ensuite,  en  1839,  chef  d'orchestre  à  Metz,  deux  ans  après  il  re- 
tourne dans  sa  ville  natale,  où  il  reste  jusqu'en  1833,  et  enfin,  à  cette  époque, 
il  est  appelé  à  remplir  les  fonctions  de  directeur  de  musique  à  Delft,  qu'il 
ne  devait  plus  quitter  désormais.  Compositeur  estimé  dans  sa  patrie,  Boers 
a  beaucoup  écrit,  et  l'on  connaît  de  lui,  entre  autres,  plusieurs  ouvertures, 
symphoniequi  a  obtenu  une  mention  honorable  dans  unconcoiirsouvertpar  la 
Société  d'encouragement  pour  l'art  musical,  plusieurs  recueils  île  lieder  et  le 
128™=  psaume  pour  soli  chœurs  et  orchestre.  Il  s'est  occupé  de  littérature 
musicale,  et  pendant  de  longues  années  a  travaillé  à  deux  ouvrages  impor- 
tants, une  Bibliographie  de  tous  les  ouvrages  de  musique  néerlandais  anciens  et 
modernes  et  une  Histoire  des  instrumenls  de  musique  aumoyen  âge.  Nous  ignorons 
si  ces  deux  ouvrages  ont  été  publiés. 

—  De  Renaix  on  annonce  la  mort  d'Abel  Régibo,  directeur  de  l'École  de 
musique  de  cette  ville,  où  il  était  né  en  1835.  Fils  d'un  chef  de  musique  de 
l'armée  hollandaise,  il  fut  d'abord  élève  du  Gonservaloîre  de  Gand,  où  il 
obtint  un  premier  prix  d'harmonie,  travailla  ensuite  le  contrepoint  avec 
M.  Gevaert,  puis,  admis  au  Gonservatoire  de  Bruxelles,  y  étudia  la  compo- 
sition avec  Fétis  et  l'orgue  avec  Lemmens.  Devenu  virtuose  de  premier  ordre 
sur  cet  instrument,  il  donna  des  concerts  à  Paris,  en  Hollande  et  à  Londres. 
Il  était  directeur  de  l'École  de  musique  de  Renaix  depuis  1872. 

Henri  Heugkl,  directeur-gérant. 


OCCASION  EXCEPTIONNELLE.  A  vendre  orgue  de  salon  à  tuyaux  de 
13  jeux,  2  claviers  à  mains,  pédalier,  butl'et  en  noyer.  Montre  décorative. 
Construit  dans  les  ateliers  de  la  manufacture  de  grand  orgue,  J.  Merklin  et  G'^ 
22  rue  Delambre,  à  Paris.  Il  peut  être  examiné  dans  ces  ateliers,  essayé  e 
livré  immédiatement. 


348 


LE  MÉNESTREL 


Soixante-tx^olsièm©    année    de    publication 


PRIMES  1897  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  liuit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CDA.;VT  ou  pour  le  l»IA.\0,  de  moyenne  dilficullé,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CIIA:%T  et  PIAtVO. 


C  xi  A.  JN   T    (.["  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes: 


J.  MASSENET 

VINGT  MÉLODIES 

4-   ET  NOUVEAU   VOLUME 
Recueil  in-S" 


P.  MASCÂGNI 

CAVALLERIA  RUSÏICANA 


DRAME  LYRIQUE 
Partition    française   chant  t 


REYNALDO  HAHN 

VINGT  MÉLODIES 

PREMIEIl    VOLUME 

Recueil  in-8'' 


Ou  à  Tun  des  trois  premiers  Recueils  de  Mélodies  de  J.  Massenet 
ou   à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n°'),  un  volume  relié  io-S",  avec  illustrations  en  < 


LOUIS  VAMEY 

LE  PAPA  DE  FRANGINE 

OPÉRETTE   EN  QUATRE  ACTES 
Partition  in-8" 

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Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT   à  l'une  des  primes  suivantes  : 


P.  MASCAGNI 

CAVALLERIA  RUSTIGANA 


DRAME   LYRIQUE 
Partition  pour  piano  solo  in-S» 


U.  GIORDANO 

ANDRÉ  CHÉNIER 


DRAME    HISTORIQUE 

Partition  pour  piano  solo  i 


EDMOND  mSSA 

L'HOTE 


PANTOMIME    POUR   PTAKO  SOLO 
Livret  de  MM.  Carré  et  Hugounet. 


LOUIS  DŒMER 

LES  VIEUX  MAITRES 


12  TRANSCRIPTIONS  POUR    PIA 

Société  des  Instruments  s 

à  l'un  des  volumes  in-8°  des  CLASSIQUES-MARMONTEL:  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CL.EMENTI,    CHOPIN,    ou    à    l'un    des 
recueils  du  PIANISTE  -  LECTEUR,  rep:     ■       •        ■  ■        '   -  ^        ■  '  '-    "-    "  '  j-  -x_....:„   ^. 

danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNGN 


recueils  du  PIANISTE  -  LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,   ou   à   l'un    des   volumes  du  répertoire   de 
"JNG^L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne,  ou  STRAUSS,  de  Paris. 


A  l' 


U.    GIORDANO 


ANDRÉ  CHÉNIER 

Drame  historique  en  3  actes 

d'ILLIC  A. 


Traduction    française    de     PAUL    MILLIET 

GRAND  SUCCES  DE  MILAN 


PARTITION    CHANT    ET    PIANO 


W.-A.  MOZART 


DON    JUAN 

Opéra  complet  en  2  actes 

de     T>A.    FOISTE 


Seule  édition  confome  à  la  partition  originale  de  l'auteur  et 

LA  SEULE  QU'ON  NE  JOUE  PAS 


DOUBLE  TEXTE  FRANÇAIS  ET  ITALIEN 


NOTA    IMPORTANT.  —  Ce»  prime»  sont  ilélii 


ïratulteni'iiit  dans  nos  bureaux,  2  bis,  rue  VUlenne,  à  partlrdn  20  Décembre  1896,  à  tout  ancien 


ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  an  MÉiXESTBEIi  pour  l'année  189Ï.  .loindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  A'VK  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envol  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  l'Etranger,  l'envol  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

les  aboQttésauChanl  peuvent  prettdre  la  primePianoel  vice  versa.-Ceui  au  Piano  elau  Chanl  réunis  oui  seuls  droit  à  la  grande  Prime.- Les  abonnés  au  leileseul  n'ont  droiliaucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNE.IIENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 

1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  de  ceamt  ;       |       2'  Moded'abonnement  :  Journal;Text9,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  piano 
Scènes,  Mélodies,  Romances,    paraissant    de   quinzaine  en  quinzaine;  1   Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Etranger,  l'rais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3"  Mode  d'abonnement  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano, les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime.  -Un  an:  30  tranos,  farii. 

et  Province;  Étranger:  Poste  en  sus. 

4'  Afcde.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  no  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel^  2  bis,  rue  Vivienne. 


fantaisies.     Transcriptions,    Danses,   de    quinzaine    en    quinzaine!    1    Reouell- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


.  —   IMPRIMERIE  CBAIZ     RUE  BERGERE.  30. 


3428.  —  62-  Mm  —  \°  49. 


Diiiiaoclic  0  Décembre  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    TIIÉATR,ES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel.  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teste  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étrcager,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Orphée  (15'  et  dernier  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine 
théâtrale  :  Rentrée  de  M"°  Van  Zandt  à  l'Opéra-Comique;  Lorenzaccio  à  la 
Renaissance,  H.  Moi\eno;  premières  représentations  de  ilomieur  Lohengrin 
aux  Bouffes-Parisiens,  des  Yeux  dos,  du  Danger  et  de  la  Révolte  à  l'Odéon  ;  le 
Feu  au  moulin  au  Nouveau-Cirque,  P.iuL-Éjiu.E-CuEvALiEn.  —  III.  Musique  et 
prison  ("24'  article)  :  Crimes  de  droit  commun,  P.iUL  d'Esthée.  —  IV.  La  Messe 
de  Saint  François  d'Assise,  de  Paladilhe.  —  V.  Revue  des  grands  concerts.  — 
VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  pi.4no  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MUSCADINS  ET   MUSCADINES 

transcriptions  pour  piano  extraites  de  l'opéra  de  Giordano,  André  Chénier,  le 
grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan.  —  Suivra  immédiatement,  la 
Gavotte  pour  les  Heures  et  les  Zéphyrs,  extraite  de  l'opéra  inédit  de  Rameau, 
les  Boréades,  transcription  pour  piano  de  Louis  Diémer,  répertoire  de  la  Société 
des  instruments  anciens. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 

CHANT  :  le  Cantabile  de  Madeleine,  chanté    dans  l'opéra  de  Giordano,  le  grand 

succès  du  théâtre  de  la  Scala  à  Milan.  —  Suivra  immédiatement  :  Fleur  dans  un 

livre,  mélodie  du  comte  de  l'oNiENAiiLES,  poésie  deM.L.  LeLasseur  de  Ranzay. 


PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1897 


(  Voir  à  la  8"  page  du  Journal.) 


ETUDE   SUR   ORPHÉE 

De    GLUCK 

(Suite) 


Un  dernier  détail  achèvera  de  nous  édifier  sur  les...  habi- 
letés de  Philidor.  Nous  savons  qaOrfeo  ed  Euridice  fut  repré- 
senté à  Vienne  en  1762,  et  nous  avons  vu  que  la  lettre  par 
laquelle  Favart  annonce  que  Philidor  se  charge  de  donner 
ses  soins  à  la  gravure  de  la  partition  est  datée  du  19  avril 
1763.  Or,  ladite  partition,  publiée  sous  la  direction  dudit 
Philidor,  porte  sur  le  titre  cette  mention  mensongère  : 

Mappres entala  in  Vienna  nell' anno  i764  (1). 

(1)  Fétis  a  contesté  que  Philidor  ait  pu  prendre  un  air  de  son  Sorcier  dans 
Or/co  ;  et  sur  quelle  raison  s'appuie-t-il ?  Çu'Or/'eo  fut  représenté  en  I70i!  Mnsi 
la  supercherie  a  réussi  au  delà  de  toute  espérance,  puisque  l'auteur  de  la 
Biographie  universelle  des  musiciens  s'y  est  laissé  prendre!  Il  ajoute  d'ailleurs,  au 
sujet  du  plagiat  reproché  à  Philidor:  «  Il  n'y  a  pas  un  mot  dans  tout  cela  qui 
ne  soit,  de  toute  évidence,  inventé  à  plaisir...  La  comparaison  que  j'ai  faite  avec 
soin  des  deux  partitions  de  Gluck  et  de  Philidor  m'a  démontré  qu'il  n'y  a  pas  une  phrase 
commune  entre  elles.  »  Le  lecteur  a  pu  juger  par  lu'.-même  de  l'exactitude  de 
cette  proposition. 


Et,  malheureusement,  ce  n'est  pas  tout.  On  nous  avait  dit 
que  l'ouverture  d'Orphée  était  la  même  que  celle  d'Emelinde, 
de  Philidor.  Le  fait  fùt-il  exact  qu'il  n'eût  fait  aucun  tort  à 
la  mémoire  de  Gluck,  Emelinde  ayant  été  représentée  à  l'Opéra 
de  Paris  en  1767,  cinq  ans  par  conséquent  après  ÏOrfeo  de 
Vienne  :  au  reste  l'attribution  est  fausse,  et  s'il  se  trouve 
dans  le  morceau  de  Philidor  quelques  dessins  communs  avec 
celui  de  Gluck,  on  ne  peut,  ici,  parler  ni  d'imitation,  ni  de 
réminiscence,  car  ces  dessins  étaient  de  simples  formules 
courantes,  — ne  craignons  pas  de  dire:  banales,  —  n'appar- 
tenant pas  plus  à  Philidor  qu'à  Gluck.  Mais  en  lisant  la  suite 
de  cet  opéra,  nous  avons,  dès  le  premier  morceau,  constaté 
que,  décidément,  la  correction  des  épreuves  d'Or/'eo  avait  eu 
une  influence  sérieuse  sur  l'évolution  du  génie  de  son  auteur!... 
Voici,  en  effet,  la  ritournelle  du  duo  par  lequel  s'ouvre  la 
partition  d'Emelinde  : 


Allegro 

--, 

i 

^^^ 

Ur  p 

# 

^ 

-^ — p- 

r  r  p 

# 

#H 

! 

V-L^J      7 

-'■i — p — 

-P — r — 

-T— 

— 

-kg— p — 

HrU 

^' 

Issi 

^ 

1^ 

'1^ 

Gs  motif  sert  de  thème  principal  à   tout  le  morceau,  dont 
voici  la  première  phrase  de  chant: 


Vous    fuy .      .  ez       de  mes       fai 


386 


LE  MENESTREL 


Mais,  au  troisième  acte  d'Orfeo,  Philidor  avait  lu  les  thèmes 
suivants  : 


Allegro. 


<^^l't  i> 

-f — r-r- 

=r=^ 

h^-^  ivH 

— 1»-^ f     j* 

-y — " 

Che 

fie. 

1=^ — - 

•0  mo  . 

meii  - 

n 

.  (0,         Che 

p        f 

bar  .  ba .ra 

,  P       F'         1 

"^i'I.A    • 

at 

^ 

'fW' 

-B-5 , 

\ 

mor.  le  A       tan.  to  do  .  lor! 


Enfin,  ne  se  bornant  pas  à  s'approprier  un  simple  thème, 
Philidor  a  intercalé  un  morceau  entier  dans  son  ouvrage  : 
c'est  le  charmant  air  de  ballet  n"  2  du  troisième  acte  d'Or/eo 
(reproduit  sous  le  titre  de  «  Gavotte  »  dans  YOrphée  français), 
devenu  «  S"**  rigodon  »  dans  le  ballet  du  premier  acte  à'Erne- 
linde  (p.  100  de  la  partition  d'orchestre)  ;  il  n'a  pas  subi 
d'autres  modifications  qu'une  transposition  de  la  mineur  en  ré 
mineur,  et  quelques  légères  retouches  occasionnées  par  cette 
transposition  même. 

Nous  nous  reprocherions  d'insister  davantage.  Mais  si  cette 
discussion,  en  nous  révélant  le  manque  de  conscience  avec 
lequel  certains  musiciens  de  second  ordre  ont  su  s'approprier 
le  bien  des  autres,  nous  a  conduit  plus  loin  que  nous 
n'aurions  désiré,  du  moins  nous  a-t-elle  démontré  surabon- 
damment qu'à  cet  égard  Gluck  était  sans  reproche.  La 
conclusion  n'a  rien  d'imprévu,  car  le  plus  simple  bon  sens 
aurait  dû  suffire  à  nous  assurer  d'avance  qu'un  Gluck  n'avait 
besoin  d'aller  puiser  ses  inspiralions  ni  chez  un  Bertoni,  ni 
chez  un  Philidor. 

C'est  par  là  que  nous  terminerons  cette  étude,  la  plus  déve- 
loppée, sans  doute,  et  la  plus  approfondie  qui  ait  jamais  été 
consacrée  à  un  ouvrage  de  ce  genre.  Nous  espérons  que  le 
lecteur  qui  aura  bien  voulu  nous  suivre  et  parcourir  avec 
nous  les  sentiers,  parfois  encombrés  de  broussailles,  d'où  il 
nous  a  été  donné  de  contempler  sous  toutes  ses  faces  l'œu- 
vre du  régénérateur  de  la  musique  dramatique,  jugera  que 
nous  n'avons  pas  dépassé  la  mesure  :  mais  à  tous  les  titres 
Orphée,  plus  qu'aucune  autre  œuvre  musicale,  était  digne 
d'une  aussi  longue  attention,  car  sa  place  dans  l'histoire  est 
unique  et  éminente.  Il  est,  de  tous  les  opéras,  le  plus 
ancien  qui  soit  resté  vivant  et  dont  la  résurrection  sur  nos 
scènes  modernes  ne  soit  pas  un  fait  de  pure  archéologie,  —  le 
seul  qui,  après  un  siècle  et  demi  d'existence,  nous  semble 
aussi  admirable  qu'il  apparut  à  ceux  qui  eurent  le  bonheur 
d'assister  à  sa  révélation,  et  de  le  contempler  dans  sa  pre- 
mière splendeur. 

Julien  Tiersot. 

P.-S.  —  Nous  recevons  au  dernier  moment  une  lettre  d'un  obligeant 
correspondant  italien,  M.  Giuseppe  Pavan,  de  Cittadella,  au  sujet  du 
Tmwredi  de  Bertoni.  Nous  avons  vu  précédemment  qu'il  y  avait 
désaccord  entre  les  écrivains  sur  la  date  et  le  lieu  ou  avait  été  donnée 
la  première  représentation  de  celte  œuvre,  les  uns  indiquant:  Venise, 
1767,  les  autres  :  Turin,  1778,  et  nous  avons  établi  que  la  première 
de  ces  attributions  était  erronée.  Or,  voici  qu'on  vient  encore  nous  en 
proposer  une  troisième. 

«  Il  Tancrtdi  {écrit  notre  correspondant),  paroles  de  Balbis,  musique 
de  Ferdinando   Bertoni,   fut   représenté   pour   la   première   fois    au 


Théâtre  roj^al  de  Turin  dans  le  carnaval  de  1767  ;  il  eut  pour  inler- 
prèles  les  actrices  A. -M.  Girelli-Aquilar,  M. -F.  Giacomazzi,  Maria-A. 
Giacomazzi  et  Maria-Cecilia  Giacomazzi,  et  les  acteurs  Gu,^lielino 
d'Ettore,  C.  Rejna  et  G.  Cerri. 

»  MM.  Fétis,  Clément  et  Larousse,  Riemann,  etc..  sont  dans  l'erreur 
en  indiquant  la  date  1778.  » 

Cetle  communication  n'est  malheureusement  appuyée  d'aucune 
preuve  ;  et  comme  elle  nous  arrive  trop  tard  pour  pouvoir  être  con- 
trôlée, nous  ne  pouvons,  jusqu'à  plus  ample  informé,  l'accueillir  que 
sous  réserve.  Mais,  lors  même  qu'elle  devrait  être  admise,  la  date  de 
1767  n'infirmerait  en  rien  nos  conclusions  relatives  à  l'antériorité  de 
l'air  de  Gluck,  puisque  si  Orphée  date  de  1774  et  Aristeo  de  1769,  non 
seulement  (7  Parnaso  confuso.  où  se  trouvent  quelques  formes  simi- 
laires, est  de  176o,  mais  le  couronnement  de  l'empereur  Joseph  II, 
pour  lequel,  d'après  une  déclaration  que  nous  avons  dit  émaner  de 
Gluck  lui-même,  le  morceau  fut  composé,  eut  lieu  à  Francfort- sur- 
le-Mein  le  3  avril  1764. 

Le  souci  de  la  vérité  historique  est  la  seule  cause  qui  nous  ait 
déterminé  à  donner  un  si  grand  développement  à  cette  discussion, 
dont  la  matière  principale  est,  par  elle-même,  de  si  médiocre  valeur. 
Car,  que  Gluck  soit  ou  non  l'auteur  de  ce  malencontreux  morceau,  il 
est  bien  certain  que  cela  ne  saurait  rien  ajouter  ni  retrancher  à  son 
génie  ou  à  sa  gloire!  J.  T. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra-Comique:  Rentrée  de  M""^   Vau   Zaudt   dans  LaA-mé.  —  Renaissance: 
Lorensacdo,  drame  d'Alfred  de  Musset,  adaptation  de  M.  Armand  d'Artois. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  faits  pénibles  qui  se  sont  passés 
à  la  salle  Favart,  en  l'année  1888,  alors  qu'on  vit  toute  une  tourbe 
de  policiers  et  de  reporters  égarés,  avec  quelques  bêtas  entraînés  à 
leur  suite,  s'acharner  contre  une  pauvre  divette  qui  n'en  pouvait 
mais  et  qui  dut  s'incliner  devant  un  verdict  non  justifié  en  dispa- 
raissant de  la  scène  parisienne.  Il  s'agissait,  dit-on,  de  détourner 
d'un  ministre  peu  populaire  les  mouvements  de  la  rue  prête  à  l'é- 
meute, et  ce  fut  M"'  Van  Zandt  qui  servit  à  point  de  dérivatif  et  qui 
joua  à  ce  moment,  sans  s'en  douter,  le  rôle  d'un  rouage  politique. 
Voilà  bien  les  petits  côtés  de  l'histoire.  Une  chanteuse  fut  lapidée, 
mais  le  Tonkin  resta  à  la  France. 

Il  semble  qu'on  s'en  soit  souvenu,  l'autre  soir,  en  faisant  l'accueil 
chaleureux  qu'on  sait  à  la  charmante  cantatrice.  C'était  une  sorte 
de  réhabilitation  éclatante,  comme  si  on  lui  demandait  l'oubli  de 
toutes  les  souffrances  qu'elle  avait  endurées,  par  la  faute  d'une  ville 
un  peu  légère  vraiment,  toujours  prête  à  s'enflammer  sans  motifs 
et  à  pousser  les  choses  jusqu'à  la  dernière  cruauté. 

Elle  nous  est  donc  revenue  avec  son  art  fin  et  délicat  d'autrefois, 
sa  très  originale  personnalité,  et  ce  timbre  si  particulier  de  sa  voix 
de  cristal.  Toutes  ses  très  vives  qualités  se  sont  encore  affirmées, 
malgré  la  peur  et  l'émotion  qui  l'étreignaient  à  la  gorge.  Ce  dont  il 
convient  de  la  remercier  avant  tout,  c'est  de  nous  avoir  rendu  enfin 
cette  délicieuse  Lakmé  dans  son  rêve  un  peu  flottant,  telle  que 
l'avait  conçue  Léo  ûelibes,  avec  toutes  ses  grâces  colorées,  ses 
mièvreries  mêmes  et  cette  sorte  de  nonchalance  grave  de  petite  idole 
hindoue.  Tout  cela  s'était  bien  perdu  et  se  perdait  chaque  jour  davan- 
tage, par  les  interprétations  diverses  données  au  rôle,  depuis  la 
disparition  du  compositeur.  Musique  très  spéciale  que  celle  de 
Delibes.  Si  on  s'en  tient  à  la  note  stricte,  elle  perd  beaucoup  de  son 
charme.  Il  y  faut  l'impulsion,  la  fantaisie  et  l'inattendu  dans  le 
rythme  que  l'auteur  indiquait  si  bien  à  ses  interprèles.  Trop  de  cor- 
rection la  glace.  Et  Lakmé  allait  mourir  d'inanition  dans  ses  paies 
couleurs,  quand  M"'=  Van  Zandt  est  venue  fort  à  point  pour  lui 
rendre  la  vie  et  la  chaleur. 

Espérons  qu'à  présent  on  sa'^ira  la  garder  et  qu'elle  restera  la 
bonne  fée  de  ce  théâtre,  comme  elle  le  fut  jadis.  Ajoutons  encore 
à  ses  qualités  diverses,  une  excellente  prononciation  et  netteté 
dans  la  diction,  et  notons-le  particulièrement,  parce  que  nous 
avons  lu  dans  des  critiques  méridionales  «  qu'on  no  pouvait  démêler 
un  traître  mot  de  ce  qu'elle  disait.  »  Il  est  bien  clair  que  M""  Van 
Zandt  ne  parle  pas  «  le  toulousain  »  et  qu'elle  oublie  de  rouler  les  r 
à  la  façon  de  Tartarin;  mais  c'est  heureux  pour  elle.  Y-a-t-il  un 
accent  plus  déplorable  que  celui  de  ces  terroirs  du  Midi,  oli  l'on 
baragouine  un  français  peut-être  pittoresque,  mais  si  insupportable 
pour  des  oreilles  délicates  ? 

Cette  reprise  de  Lakmé  a  d'ailleurs  été  excellente  dans  son  ensemble 


LE  MENESTREL 


387 


avec  le  ténor  Jérôme,  très  en  voix,  le  baryton  Mondaud  dans  Nila- 
kantha,  et  la  gentille  M""  Leclerc  en  miss  EUen,  oii  elle  a  trouvé 
le  moyen  de  remporter  tout  un  succès,  —  sans  oublier  M"'=  Pierron, 
toujours  une  amusante  miss  Betson  et  M.  Noël,  un  Frédéric  fort 
dislingaé. 

A  la  Renaissance,  on  s'en  est  pris  au  Lorensaccio  d'Alfred  de 
■  Musset,  et  ce  fut  une  soirée  littéraire  du  plus  grand  intérêt.  Le  poète 
n'avait  pas  pensé  au  théâtre  quand  il  écrivit  ce  drame  florentin, 
et  c'est  ce  qui  en  fait  la  grande  allure  et  la  libre  fantaisie.  Pensez 
•donc,  trente-neuf  tableaux.  !  Aussi,  ne  s'est-il  jamais  trouvé  un  direc- 
teur assez  audacieux  pour  risquer  l'aventure,  malgré  les  tentatives 
de  réduction  opérées  par  les  mains  toutes  fraternelles  de  Paul  de 
Musset.  Il  a  fallu  une  héroïne  comme  M"'=SarahBernhardt  pour  tenter 
cette  entreprise  hardie,  et  nous  pouvons  chanter  l'hosanna,  puis- 
qu'elle y  a  réussi  à  souhait. 

Cette  fois,  on  avait  commis  à  M.  Armand  d'Artois  le  soin  de 
resserrer  dans  les  bornes  ordinaires  d'an  spectacle  ce  drame  d'une 
fl.oraison  si  touffue,  et  il  s'est  acquitté  de  la  mission  avec  toute  la 
piété  et  le  scrupule  d'un  lettré  et  d'un  délicat.  Les  trente-neuf  tableaux 
se  trouvent  maintenant  condensés  en  cinq  actes,  ni  plus,  ni  moins, 
sans  qu'on  ait  trop  rien  à  regretter  d'essentiel  dans  les  hautes  inspi- 
rations. 

Et  d'ailleurs,  y  eùt-il  à  se  plaindre  de  ces  mutilations  forcées  dans 
une  pareille  œuvre  d'art,  qu'il  faudrait  encore  tout  pardonner  k 
M.  Armand  d'Artois  pour  nous  avoir  donné  l'occasion  d'applaudir, 
dans  ce  nouvel  avatar,  la  magnifique  artiste  qu'est  M°"'  Sarah 
Bernhardt.  Ce  Lorenzaccio  restera  un  des  points  culminants  de  cette 
carrière  de  comédienne  si  curieuse  et  si  féconde.  C'est  d'une  création 
superbe  de  détails  étranges  et  de  vérités  troublantes. 

Donc,  belle,  bonne  et  grande  soirée  oîi  la  musique  avait  sa  part, 
bien  petite  assurément,  mais  encore  appréciable  avec  un  musicien 
de  talent  très  aiguisé  comme  M.  Paul  Puget.  Trois  airs  de  ballet  dans 
la  coulisse  et  une  chanson,  c'est  peu,  mais  c'est  assez  pour  regretter 
qu'on  ne  donne  pas  à  ce  compositeur  l'occasion  de  s'affirmer  davan- 
tage sur  une  de  nos  scènes  lyriques.  Le  deuxième  des  airs  de  ballet, 
sorte  de  villanelle,  est  tout  à  fait  réussi  dans  sa  grâce  de  pastiche 
aimable. 

^*f  H.  MORENO. 

Bouffes-Parisiens.  Monsieur  Lohengrin,  opérette  en  3  actes  de  M.  Fabrice 
Carré,  musique  de  M.  Ed.  Audran.  —  Odéon.  Les  Yeux  clos,  pièce  en  un 
acte,  en  vers,  d'après  la  légende  japonaise  de  M.  F.  Régamey,  par  M.  Mi- 
chel Carré,  musique  de  M.  Charles  Malherbe  ;  le  Danger,  comédie  en 
3  actes  de  M.  A.  Arnault;  la  Révolte,  drame  en  un  acte,  de  Villiers  de 
risle-Adam.  —  Nouveau-Cirque.  Le  feu  au  moulin,  bouffonnerie  nautique. 

A  Asnières,  en  une  petite  villa  accrochée  aux  rives  de  la  Seine,  la 
blonde  Cécile  Blandin  gémit  sur  l'incompréhensible  abandon  dans 
lequel  la  laisse  l'indifférence  des  hommes.  Comment,  elle,  si  sédui- 
sante, ne  trouvera  pour  ja  sortir  des  griffes  menaçantes  d'une  bande 
de  créanciers  hurleurs,  que  l'affreux  agent  de  police  secrète  Brous- 
sard,  font  prêt  à  lui  donner  son  nom?  Que  non  pas  !  Elle  a  confiance 
•en  son  étoile  de  jolie  femme,  et  en  attendant  qu'elle  débute  à  l'Opéra 
grâce  à  l'infaillible  méthode  de  Billemotte,  le  fameux  «  cher  maître  » 
qui  se  fait  fort  de  transformer  presque  magiquement  «  la  première 
grue  venue  en  véritable  arliste  »,  il  est  impossible  que  le  beau  sau- 
veur ne  vienne  pas  tomber  en  ses  bras  potelés,  touten  jetant  quelques 
poignées  de  louis  aux  fournisseurs  enragés.  Et  de  fait,  le  voici,  le 
bienheureux  Messie.  Majestueux,  il  vogue  sa  barque  à  la  proue  ornée 
•d'un  canard  ;  fier  et  doux  sous  son  complet  de  flanelle  blanche,  il 
aborde  à  la  villa  et,  noblement,  promet  le  règlement  à  tous,  et  son 
amitié  à  la  belle  éplorée.  Il  donnera  son  argent  et  le  reste,  à  une 
seule  condition,  c'est  que  jamais  on  ne  cherchera  à  savoir  comment 
il  s'appelle,  ni  qui  il  est.  On  le  salue  du  nom  de  Monsieur  Loliengnn; 
de  celui-là,  il  se  contente  et  n'en  veut  d'autre. 

Mais  dame  Providence  a  fait  la  femme  trop  curieuse.  Telle  Psyché, 
telle  Eisa,  Cécile,  après  avoir  longtemps  lutté,  supplie  Monsieur 
Lohengrin  de  dévoiler  son  incognito.  Et,  bêta  comme  tous  les  hom- 
mes en  face  de  la  femme  aimée,  Monsieur  Lohengrin  se  laisse  entor- 
tiller. Il  s'appelle  Rothschild  ! 

Rassurez-vous,  ce  n'est  pas  le  vrai.  Simple  commerçant  aisé,  c'est 
le  poids  d'un  tel  nom  qui  l'oblige  au  silence  et,  aussi,  certaine  petite 
femme  légitime  délaissée  au  foyer  sans  raison  bien  valable.  Et  l'é- 
pouse abandonnée,  mise  au  courant  par  le  jaloux  Broussard,  vient 
reprendre  son  mari  qui  se  laisse  faire,  tandis  que  Cécile  cède  enfin 
aux  sollicitations  presssantes  de  son  vilain  amoureux  et  deviendra 
madame  Broussard. 


De  détails  charmants,  d'esprit  vif  et  alerte,  de  mots  amusants,  et 
de  silhouettes  adroitement  croquées,  c'est,  avant  tout,  la  pièce  de 
M.  Fabrice  Carré  qui  a  décidé  du  très  légitime  succès  de  Monsieur 
Lohengrin.  La  musique  de  M.  Audran,  gentillette  à  son  habitude,  à 
son  habitude  aussi  ne  parvient  pas  encore  à  briser  le  moule  un  peu 
fatigué  dans  lequel  l'auteur  coula  déjà  nombre  respectable  de  parli- 
tionnettes.  Si  cette  fois  la  fantaisie  y  simule  d'indécises  apparitions, 
je  crois  bien  que  c'est  aux  interprètes,  M.  Lamy  et  M"=  Deval,  tous 
deux  diseurs  exquis  et  le  premier  comédien  très  fin,  qu'il  en  faut 
rendre  grâce  ;  certains  couplets  de  la  Rose  et  certain  duo  de  la  Ven- 
geance sont  redevables  de  leur  effet  à  la  charmante  originalité  de  ces 
deux  artistes.  Il  convient  pourtant  de  retenir,  pour  son  accompagne- 
ment discret  et  agréable,  le  duo  du  baiser  qui  se  réclame  de  la  teinte 
amoroso-langoureuse  chère  à  l'auteur  de  la  Mascotte  et  de  féliciter 
M.  Audran  d'avoir  évité  dans  Monsieur  Lohengrin  la  trop  facile  paro- 
die musicale. 

J'ai  nommé  déjà,  parmi  les  interprètes,  M.  Lamy  et  M"''  Deval,  les 
héros  de  la  soirée  dans  des  rôles  épisodiques,  l'une  en  épouse  aban- 
donnée, l'autre  en  policier.  A  côté  d'eux  on  a  applaudi  aux  agréables 
progrès  de  M"<=  Gallois,  au  début  de  M.  Dambrine,  au  naturel  un 
peu  compassé  do  M.  Hittemans,  à  la  bonne  humeur  de  M""»  Maurel, 
au  grima'ge  de  M.  Jannin,  et  à  la  souplesse  avec  laquelle  M.  Marins 
Baggers  conduit  son  petit  monde  de  musiciens. 

Et  comme  les  jours  se  suivent  et  ne  ressemblent  point,  hélas!  après 
la  charmante  soirée  des  Bouffes  il  nous  a  fallu,  à  l'Odéon,  subir  le 
spectacle  le  plus  terriblement  ennuyeux  qui  se  puisse  imaginer. 
J'ai  hâte  de  dire  que  je  mets  ici  hors  de  cause  l'aimable  fantaisie 
en  vers  de  M.  Michel  Carré,  que  souligne  une  musique  expressive 
et  poétiquement  instrumentée  de  M.  Charles  Malherbe.  C'est  là  dé- 
lassement d'artistes,  poète  et  musicien,  qui  berce  pour  un  temps  et 
dont  on  garde  comme  un  bon  parfum  exotique  et  fluide. 

Mais  le  Danger!  mais  la  Révolte!  Souhaitons,  pour  M.  Ginisty,  que 
ce  soient  là  héritages  du  disparu  M.  Antoine.  Oh!  ces  trois  actes  de 
M.  Arnault,  sans  intrigue,  sans  situation,  remplis  d'ergotages  inu- 
tiles, dilués  de  tirades  fastidieuses,  tout  d'indécision  et  d'insigni- 
fiance ,  et  navrants  d'efl'royables  longueurs  !  C'est  le  début  de 
M.  Arnault  au  théâtre;  qu'en  peut-on  augurer? 

Et  comme  si  la  dose  d'ennui  n'avait  pas  été  suffisante  avec  ce 
Danger,  nous  avons  été  retenus,  pauvres  qui  n'en  pouvaient  mais, 
pour  une  exhumation  de  la  Réuoltede  Villiers  de  l'Isle-Adam,  rendue 
plus  monotone  encore  par  le  débit  désespérément  lent  et  Iristement 
sourd  de  M°"=  Segond-Weber. 

Que  n'avions-nous,  en  cette  lugubre  fin  de  spectacle,  les  oreilles 
fermées  comme  les  yeux  de  la  petite  O'hana  de  M.  Michel  Carré  ! 

Que  n'avions-nous  encore  un  Foottit  aux  éblouissantes  cabrioles  et 
aux  calembredaines  réjouissantes!  C'eslen  sortant  de  représentations 
telles  que  celle  donnée  par  l'Odéon  qu'on  trouve  des  charmes  in- 
finis à  ces  naïves  affabulations  que  nous  sert  le  Nouveau-Cirque.  Je 
donnerais  vingt  Dangers,  augmentés  d'autant  de  Révoltes,  pour  un  Feu 
au  moulin  et  toutes  les  digressions  psychologiques  de  M.  Arnault 
pour  une  culbute  bien  réussie;  et  je  n'ai  nulle  honte  à  préférer  la 
tète  de  veau  qui  accourt  quand  on  lui  montre  l'huilier,  aux  froides 
jérémiades  de  l'Elisabeth  de  Villiers  de  l'Isle-Adam. 

Paul-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE    ET    PRISON 


Quelques  années  après,  en  1831,  à  Bicêtre,  -dont  une  partie  des 
bâtiments  était  alors  afl'ectée  à  la  réclusion  pénitentiaire,  les  détenus 
donnèrent  une  représentation  théâtrale,  le  jour  de  la  fête  de  la  Reine. 
Un  des  prisonniers,  bien  noté  pour  sa  bonne  conduite,  s'était  impro- 
visé directeur.  Il  établit,  dans  la  grande  cour,  un  théâtre,  où  il  joua 
avec  ses  camarades  un  mélodrame  approprié,  les  Dangers  de  l'Incon- 
duite,  puis  un  vaudeville  avec  couplets,  les  Ouvriers,  et  enfin  une 
pièce  de  circonstance  dont  l'auteur  était  un  forçat.  Beaucoup  de 
dames  assistaient  à  une  représentation  qui  réalisait  cette  idée  du 
Théâlre  moral,  reprise  de  nos  jours  avec  si  peu  de  succès.  Jamais,  à 
Bicêtre,  on  n'avait  autant  parlé  de  vertu,  et  il  convient  d'ajouter  que 
ce  jour-là  les  acteurs,  entraînés  sans  doute  par  !a  situation,  furent 
irréprochables  à  tous  les  points  de  vue. 

Nous  arrivons,  du  reste,  à  l'époque  où  la  philanthropie,  après  avoir 
visité  les  pénitenciers  des  deux  mondes,  entreprend  officiellement 
la  moralisalion  des   maisons  centrales,  c'est-à-dire  des  aggloméra- 


388 


LE  MENESTREL 


lions  de  prisonniers,  vivant  soilen  commun,  soit  en  cellule.  Les  Amé- 
ricains se  mirent  des  premiers  à  la  tête  du  mouvement  réformiste 
et  trouvèrent  dans  la  musique  le  plus  précieux  comme  le  plus  puis- 
sant des  auxiliaires.  Personne  n'isjnore  le  caractère  que  présentent 
toutes  les  institutions  politiques  ou  administratives  des  Etats-Unis  : 
le  sentiment  prononcé  de  l'individualisme  marqué  au  coin  du  parli- 
cularisme  protestant.  Le  régime  intérieur  des  pénitenciers  devait, 
sous  les  auspices  des  sociétés  philanthropiques,  consacrer  cette 
double  tendance  de  l'esprit  national.  Le  système  d'Auburn  fut  donc 
u'odifié  :  et  le  coupable  put  expier  sa  faute  dans  la  solitude  et  dans 
la  prière.  Telles  sont  les  origines  de  la  prison  cellulaire  aux  États- 
Unis;  si  toutefois  le  travail  est  en  commun,  les  détenus  sont  sé- 
parés pour  l'accomplissement  de  leurs  devoirs  religieux.  Et  c'est  alors 
qu'intervient  la  musique,  comme  élément  moralisateur.  Après  les 
prières  et  les  sermons,  commencent  les  cantiques. 

Lorsque  Howe  aborde  cette  question  dans  son  Essai  sur  la  disci- 
pline des  prisons,  son  enthousiasme  va  jusqu'au  lyrisme  : 

L'hymne  de  louange,  dit-il,  est  entonné  à  un  bout  du  corridor,  et  presque 
tous  les  prisonniers  s'y  unissent;  c'est  vraiment  touchant  d'entendre  sortir 
des  cellules  une  musique  volontaire  chantée  par  des  choristes  invisibles. 

L'impression  devient  plus  vive  encore,  quand  l'exécution  de  ces 
mélodies  religieuses  est  confiée  à  des  virtuoses  du  dehois  et  surtout 
aux  dames  qui  visitent  les  prisons  ;  ce  trait  de  mœurs  est  essen- 
tiellement américain  :  avant  do  partir  avec  les  Sociétés  de  tempérance 
pour  enlever  d'assaut  les  cabarets,  la  femme  des  États-Unis  est 
allée,  même  dans  les  pénitenciers  d'hommes,  combattre  pour  le  salut 
de  ces  âmes  égarées. 

Ho-ne  pleure  d'attendrissement  quand  il  parle  de  cette  croisade  à 
grand  orchestre  : 

Un  jour,  nous  étions  à  causer  avec  un  condamné  de  Philadelphie  ;  nous 
entendons  le  son  éloigné  d'une  harpe  éolienne.  Le  son  se  rapprocha,  prit 
plus  de  développement  et  accompagna  les  magnifiques  paroles  du 
XXIII'=  psaume,  et  l'air  parut  bientôt  rempli  par  la  musique  religieuse 
d'un  esprit  invisible,  et  quand  elle  fut  terminée,  le  prisonnier  me  dit  en 
levant  la  tète  : 

—  C'est  M""  Dix. 

J'ai  rarement  entendu  une  musique  qui  ait  fait  vibrer  au  même  degré 
toutes  les  fibres  do  mon  cœur. 

Ce  fut  en  eOfet  à  Philadelphie,  dans  le  pénitencier  de  Gherry-Hill 
que  la  musique  fut  introduite,  vers  1844,  par  le  Révérend  Crawford. 
Les  contemporains  s'accordent  à  reconnaître  l'influence  magique 
qu'elle  exerça  sur  les  esprits  les  plus  farouches  et  les  plus  rebelles  à 
la  discipline. 

L'emploi  s'en  généralisa  aux  États-Unis;  mais  il  ne  parait  pas 
qu'il  fût  alors  très  répandu  en  France,  puisque  M.  Marque!  de  Vas- 
selot  le  propose  instamment  aux  sociologues  de  notre  pays  dans  son 
Etlinologie  des  prisons.  Les  chants  religieux  exécutés  par  des  chœurs 
pourraient,  assure-t-il,  régénérer  l'àme  des  détenus;  il  se  recom- 
mande, à  cet  égard,  des  exemples  du  passé.  A  Rome,  à  Ludwigs- 
bourg  et  à  Ebersbach,  dans  le  midi  de  l'Allemagne,  des  maîtres  de 
chapelle  apprennent  des  psaumes  aux  prisonniers,  qui  les  répètent  à 
l'unisson. 

Trente  ans  plus  tard,  Félix  Platel,  plus  connu  sous  le  nom  d'Ignotus, 
constatait  dans  le  Figaro  que  ce  mode  d'éducation  était  adopté  par 
certaines  do  nos  maisons  centrales  pour  leurs  pensionnaires.  Il  est 
vrai  qu'il  s'en  attribuait  Thonneur  dans  les  meilleurs  termes  :  et  il 
fHut  lui  savoir  d'autant  plus  gré  de  la  limpidité  du  style,  qu'il 
cultivait  de  préférence  le  mysticisme  nébuleux  de  la  langue  apoca- 
lyptique : 

Oui,  la  musique  est  indispensable  au  peuple.  J'ai  demandé  que  la  mu- 
sique fût  employée  dans  les  prisons  comme  outil  de  relèvement,  et  dans 
Ifcs  hospices  comme  |îrocédé  de  soulagement.  On  avait  souri  de  mes  dires. 
Voici  que  mon  idée  est  reprise  dans  deux  mémoires  présentés  à  l'Institu'. 

Dans  la  maison  centrale  de  Melun,  j'ai  assisté  à  un  salut  chanté  par  la 
maîtrise.  La  maîtrise  est  exclusivement  composée  de  réclusionnaires.  Le 
maître  de  chapelle  est  un  prêtre  condamné.  Le  soliste  avait  une  péné- 
trante voix  de  ténor.  Il  a  été  condamné  pour  viol.  Pendant  le  Pange  lingua, 
j'ai  compté  une  vingtaine  de  réclusionnaires  qui  pleuraient. 

Avant  Félix  Plalel,  Maxime  du  Camp  avait  fait  une  expérience  du 
même  genre  à  Mazas  ;  et  il  en  rendit  compte  dans  son  célèbre  ou- 
vrage, Paris,  que  publiait,  vers  la  fin  de  l'Empire,  la  Revue  des  Deux 
Mondes. 

On  sait  la  disposition,  tout  américaine,  de  la  trop  fameuse 
maison  d'arrêt.  Le  haut  de  la  rotonde  qui  occupe  le  centre  du  rond- 
point  est  disposé  en  chapelle  ;  et,  à  l'heure  de  la  messe,  les  poites 
des  cellules  sont  entrebâillées,  de  telle  sorte  que  chaque  détenu  puisse 
assister  à  la  messe. 


Mais  laissons  parler  l'auteur  : 

...Des  prévenus,  choisis  parmi  ceux  qui  savent  la  musique,  chantent 
dms  une  sorte  de  tribune  circulaire  faisant  face  à  l'autel.  L'un  d'euxjoue 
de  l'orgue,  un  autre  donne  le  ton  sur  une  contrebasse. 

Quand  j'ai  assisté  i  la  messe  do  Mazas,  on  avait  joint  à  ces  chanteurs 
de  hasard  un  détenu  qui  souillait  à  toute  poitrine  dans  un  cornet  à  pis- 
tons... J'avais  cra  jusqu'alors  que  les  instruments  de  cuivre,  les  flûtes  et 
les  tambourins  maudits  jadis  par  Apollon,  organes  de  la  matière  et  des 
délires  orgiaques,  étaient  sévèrement  exclus  des  églises,  excepté  pendant 
les  messes  .militaires.  N,éanmoins,  l'impression  est  très  vive.  Le  retentis- 
sement de  l'orgue  et  des  chants  grégoriens  frappe  les  voûtes,  retombe 
comme  une  tempête,  se  précipite  dans  les  galeries  ouvertes  et  va  réveiller 
chez  plus  d'un  détenu  des  souvenirs  amollissants  qui  peuvent  les  émou- 
voir, mais  ne  les  rappellent  pas  au  bien. 

Malgré  ses  idées  préconçues  sur  l'influence  moralisatrice  de  la 
musique,  Maxime  du  Campent  la  curiosité  de  jeter  un  coup  d'œil 
dans  l'intérieur  des  cellules  pour  se  l'ondro  compte  de  l'impression 
produite  parla  cérémonie  sur  les  détenus.  Sept  d'entre  eux,  sur  trente- 
trois,  paraissaient  écouter  la  messe  avec  une  certaine  allentiou  :  un 
surtout  était  plus  touché  que  personne  :  «  La  tête  enfoncée  dans  ses 
bras,  dit  l'observateur,  il  pleurait  avec  des  sanglots  qui  le  secouaient 
tout  entier  ». 

(A  suivre.]  Paul  d'Estrée. 


LA  MESSE  DE  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE 


Dans  son  intéressant  feuilleton  delà  Liberté,  M,  VictorinJoncières  analyse  ainsi  la  bi-lle 
Messe  de  Saint  François  d'Assise,  de  M,  Paladilhe,  que  l'Association  des  Artistes  musi- 
ciens nous  a  fait  entendre,  l'autre  semaine,  à  Saint-Eustache: 

...  Il  règne  dans  toute  la  partition  une  grâce  juvénile,  i|ui  charme  par  la 
fraîcheur  de  l'idée,  l'élégance  de  l'harmonie  et  la  justesse  des  proportions.  Le 
Kyrie  en  ré  mineur  a  bien  l'accent  suppliant  qui  convient  à  l'humble  prière 
du  pécheur. 

Le  Gloria  a  de  la  pompe  et  de  l'éclat:  la  phrase  initiale,  lancée  à  pleine  voix 
par  le  chœur,  soutenue  par  un  tutti  d'orchestre  sur  lequel  voltigent  des 
accords  de  harpes,  est  d'une  belle  envolée,  A  signaler,  dans  ce  morceau,  le 
gracieux  épisode  des  quatre  voix  d'enfants  et  l'intéressant  dialogue  des  par- 
ties, qui  ramène  le  motif  primitif,  mais  sur  un  rythme  plus  lent  et  plus  solen- 
nel, à  six-quatre,  dans  une  fulgurante  explosion  de  souorilé. 

Le  Sanctus  et  le  Beneiiclus  se  distinguent  par  les  qualités  de  charme  cl 
d'élégance  qui  caractérisent  l'œuvre  du  jeune  compositeur.  Elles  se  retrou- 
vent encore  dans  VAgnus  Dei,  dont  le  début,  confié  aux  soprano,  contralto  et 
ténor  soli,  est  d'un  charmant  effet.  Un  joli  solo  de  ténor  s'enchaîne  avec  la 
reprise  du  motif  parle  chœur,  pianissimo,  soutenu  par  un  léger  frémissement 
des  violons  en  trémolo,  qui  semble  un  bruissement  mystérieux  d'ailes. 

C'est  dans  le  Credo  que  le  style  de  l'œuvre  a  Je  plus  d'ampleur  et  de  pui.s- 
sance.  Le  début,  sur  le  mol  «  credo  »,  deux  fois  répété,  a  l'énergique  accent 
d'un  acte  de  foi.  Ce  premier  mouvement  se  développe  librement  dans  sa  fièrc 
allure,  avec  une  remarquable  entente  de  l'intérêt  à  donner  aux  différentes 
parties  vocales.  Le  rythme  s'accélère  sur  les  mots  :  «  Et  resurrexit  »  et  contraste 
par  son  élan  impétueux  avec  le  sentiment  douloureux  exprimé  par  le  sombre 
murmure:  «  Et  sepultus  est  »,  s'éteignanl  dans  les  profondeurs  de  la  voix  de 
basse.  Après  un  expressif  Andante  :  «  Et  in  spiritum  sanctum  »,  le  morceau 
s'achève  sur  un  Allegro  fugué,  à  trois  temps,  un  peu  trop  écourté  à  mon 
avis. 

En  somme,  la  Messe  de  Saint  François  d'Assise  est  une  a'U\rc  très  remar- 
quable, eu  égard  surtout  à  1  extrême  jeunesse  de  celui  qui  l'a  composée.  Elle 
donnait  la  promesse  delà  brillante  carrière  que  devait  pari'iuiiii- M,  Piiladillio, 
chez  lequel  les  heureux  dons  de  l'imagination  n'ont  cessi'  di'  se  l'nrlilier  par 
la  maturité  du  talent. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Inauguration  très  brillante,  dimaucho  dernier,  de  la  soixante-dixième  sessicui 
do  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  dont  uous  avons  retrouvi'  le 
personnel  toujours  aussi  ardent,  aussi  cbatournux.  aussi  désireux  et  aussi  à 
même  de  bien  faire.  Soixante-dix  aus  !  c'est  un  àye  fortuné  pour  une  société 
musicale  qui  compte  parmi  les  meilleures,  sinou  pour  la  meilleure  du  monde 
entier,  et  dont  le  présent  u'a  rien  à  envier  au  passé,  car  sa  supériorité  est 
toujours  éclatante,  vivacc  et  incoulest('^e.  Ou  ne  peut  que  lui  souhaiter  la 
continuation  de  sa  carrière  si  brillante,  si  digne  de  l'intérêt  et  de  la  sympa- 
thie de  tous  ceux  qui,  comme  elle,  ont  le  culte  sacré  de  l'art  et  l'inaltérable 
respect  dos  chefs-d'œuvre.  —C'est  Bee.thoven,  est-il  besoin  de  le  dire?  qui 
ouvrait  le  premier  programme  de  la  saison  avec  son  admirable  symphonie  en 
la.  Quel  feu,  quelle  vigueur,  quelle  grandeur  dans  l'exécution  do  ce  merveil- 
leux orchesire  qui  se  reirouvail,  luul  plein  d'une  vaillance  nouvelle,  après 
six  mois  de  silence  et  île  reims  1  C'r-sl  une  joie  unique  d'entendre  une  telle 
œuvre  interprétée  par  de  tels  arlisics,  ci  le  publii-  la  leur  a  manifestée  par 


LE  MENESTREL 


389 


ili's  applaudissomeiils  nourris  el  rriicli's.  Venait  ensuite  un  chœur  du  Pauius 
de  Mendnlssohn,  d'uu  beau  souille,  d'un  style  noble  et  d'un  grand  caractère, 
exécuté  du  reste  avec  un  rare  ensemble.  Puis,  M.  JjOuis  Diémer  venait  nous 
l'aire  entendre  le  cinquième  concerlo  de  piano  (en  fa)  de  M.  Saint-Saëns, 
œuvre  encore  pres(|ue  inconnue  du  jinldic,  puisiiu'elle  n'avait  élé  exécutée 
ipi'une  fois  encore,  par  l'auteiu'  lui-même,  dans  le  concert  donné  le  2  juin 
dernier  à  la  salle  Pleyel  pour  l'élcr  son  cinquantenaire  musical.  Ce  concerto, 
qui  est  dédii'  ;'i  M.  Diémer  (il  porle  le  chiffre  d'œuvre  103),  a  été  composé  en 
Enyple  au  commencement  de  celle  année,  et  est  divisé  en  trois  parlies  : 
Allegro  animato,  Andanle,  Molto  allegro,  ilont  la  première,  à  trois  temps,  n'est 
pas  la  plus  originale.  Mais  la  seconde  est  extrêmement  curieuse,  d'un  intérêt 
1res  vit  el  d'un  idiarme  incontestable,  avec  un  orchestre  très  singulier  et 
ilonl  l'elVet  es(  délicieux:  c'est  d'elle  i[ue  l'auleur  écrivait,  dans  une  lettre  à 
un  ami:  «  ...  La  seconde  partie  est  une  façon  de  voyage  en  Orient,  qui  va 
même,  dans  l'épisode  en  fa  dièse,  jusqu'en  Extrême  Orient.  Le  passage  en 
sol  est  un  chant  d'amour  nubien  que  j'ai  entendu  chanter  par  des  bateliers 
sur  le  Nil,  alors  que  je  descendais  le  fleuve  en  dababieh...  ».  L'œuvre  en 
sou  ensemble  est  de  premier  ordre,  et  elle  a  été  pour  M.  Diémer  l'occasion 
il'un  succès  doni  l'ampleur  a  pu  surprendre  un  artiste  pourtant  si  accoutumé 
au  succès.  Il  est  vrai  qu'il  a  l'ait  preuve,  dans  son  interprétation,  d'une  vir- 
tuosité, d'une  chaleur,  d'un  sentiment  musical  et  d'un  style  dont  la  perfection 
ue  saurail  êlre  diqiasséo.  Aussi  les  applaudissements,  les  rappels  et  les  accla- 
mations semblaient  ne  pas  vouloir  prendre  fin.  Le  chœur  et  la  petite  (toute 
pe(ite)  marche  (VIdoménée,  de  Mozart,  ont  paru  un  peu  froids,  venant  après 
une  telle  explosion.  Quant  au  poème  symphonique  de  Liszt,  intitule  les  Pré- 
ludes, j'ai  trop  de  respect,  el  parfois  trop  d'admiration  pour  la  mémoire  de  ce 
grand  arlisie,  pour  oser  dire  ce  que  j'en  pense.  Je  me  bornerai  à  constater 
siui  exémition  superbe  par  l'orchestre,  qui  aurait  mieux  à  faire,  me  semble- 
t-il,  que  il'user  s's  forces  sur  une  (elle  musique.  A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  La  symphonie  inachevée  de  Schubert,  la  huitième, 
est  une  œuvre  exquise:  elle  est  conçue  dans  une  forme  absolument  classique, 
ce  qui  n'empêche  qu'elle  ne  soit  une  œuvre  personnelle,  ayant  son  cachet 
particulier,  son  caractère  propre.  Schubert  ne  ressemble  à  personne;  ses 
mélodies  ont  une  saveur  particulière,  une  poésie  qui  n'appartient  qu'à  lui. 
Pour  produire  des  elfets  considérables,  une  impression  pénétrante,  il  n'a 
nul  besoin  de  recourir  aux  fracas  d'orchestre:  l'orchestre  de  son  temps  lui 
suffit,  comme  il  suffisait  à  Beethoven.  L'exécution  de  ce  chef-d'œuvre  a  été 
excellente.  —  Le  concerto  de  Godard  est  une  page  d'un  caractère  profond 
et  élevé  :  c'est  une  leuvre  de  jeunesse,  mais  qui  déjà  présage  les  tristesses 
de  l'âge  mùr:  le  caractère  de  l'adagio  est  désolé.  Je  ne  fais  qu'un  reproche  à 
ce  concerto:  l'orchestration  en  est  trop  puissante  et  ne  permet  pas  toujours 
an  pianiste  de  faire  valoir  son  instrument.  M.  Wurmser  s'est  néanmoins 
fort  honorablement  acquitté  de  sa  tache,  et  il  a  été  très  justement  applaudi. 
—  M.  Colonne  a  cru  devoir  nous  faire  entendre  à  nouveau  les  Poèmes,  de 
M.  Charpentier.  Le  poème  Mi/sJî'çue  est  réellement  intéressant,  le  caractère  eu  est 
.doux  et  pénétrant;  il  a  eu  le  même  succès  qu'à  la  première  audition.  Avec  le 
Poème  réaliste  (  «  les  Chevaux  de  bois  »),  nous  tombons  dans  le  réalisme  le 
plus  bas.  C'est  une  sorte  de  réédiliou  de  la  dernière  partie  de  la  Vie  dupoéle, 
du  même  auteur,  avec  la  même  trivialité  brutale.  Le  Poème  Symbolique  n'a 
pas  le  mé'me  caraclère  de  bestialilê  :  le  symbole  est  d'ailleurs  assez  obscur 
.  l  la  musique  ne  l'c'lueide  pas.  La  série  s'est  complétée  par  une  Sérénade 
à  Watteau,  d  un  ;i-sez  jidi  caractère.  Pendant  l'exécution  des  œuvres  de 
M.  Cbarpeniit-r.  la  salie  eiait  un  peu  houleuse:  les  amis  de  l'auteur  applau- 
dissaient ferme:  la  plus  grande  partie  du  public  protestait.  J'aime  assez  dégager 
l'impression  des  foules:  elle  est  souvent  juste,  surtout  au  Chàtelet,  où  il  n'y 
a  pas  d'auditeurs  de  parli  pris.  Or.  la  résultante  m'a  paru  ceci:  au  poème 
mystique,  on  a  applaudi  et  bissé:  au  poème  réaliste,  on  a  sifflé:  au  poème 
symbolique,  on  s'est  assoupi;  à  la  sérénade  à  Watteau,  on  a  quelque  peu 
sommeillé.  Voilà,  je  crois,  la  note  vraie.  —  Rien  à  dire  des  fragments  du 
Crépuscule  des  Dieii.v.  de  "Wagner,  et  de  la  Chevauchée  des  Valkyries.  Tout  a  été 
dit  à  ce  sujet,  il  est  inutile  d'y  revenir.  On  dirait  trop  souvent  la  même 
chose.  Constatons  seulement  que  l'exécution  a  été  excellente  etque  M"'  Knts- 
cherra  a  eu  un  très  beau  tucccs.  H.  Barbedette. 

—  Concerts  T..amoureux.  —  Le  hasard  a  des  rapprochements  cruels:  voici 
une  ceuvre  classique  par  e.xcellence,  la  Symphonie  italienne,  pour  laquelle, 
certes,  nul  ne  se  passionne  plus,  bien  qu'elle  renferme  à  un  degré  très  émi- 
nent  les  qualiii'^  du  genre,  el  voilà  immédiatement  après,  sur  le  programme, 
une  autre  composilinn  oiiliesUale  :  Lumen,  en  trois  parties  dont  la  seconde 
s'arrête  court  el  se  subdivise,  transportant  dans  le  stylo  musical  cette 
ligure  de  rhétorique  que  les  professeurs  appellent  suspension.  Celle-ci,  très 
hardie  en  apparence,  très  moderne  de  procédés,  affirme  par  ses  tendances 
la  souveraineté  prépondérante  du  coloris  et  le  dédain  des  formes  consacrées. 
Voyous  maintenant  quel  ell'el  est  produit  par  chacun  des  deux  ouvrages.  Ne 
semblo-t-il  jias  que  tout  l'intcréi  doive  aller  à  l'œuvre  moderne  de  M.  Lutz, 
au  détriment  de  celle  de  Mendelssnini  :'  Eli  bien,  non!  Sans  vibrer  chaleureu- 
sement à  l'audition  de  la  Syniplinuir  ilalienne,  on  en  reconnaît  la  belle 
lu-donnancc  et  le  ]ilan  magistral  dans  su  traditionnelle  uniformité.  Au  con- 
traire, dans  Lumen,  l'absence  de  tout  support,  l'impossibilité  de  trouver  une 
luise  mélodique  et  le  manque  de  cohésion  des  développements  aboutissent  à 
lémiettement  et  à  la  désagrégation.  Renouvelons  les  vieilles  formes  ;  et 
pourtant,  combien  d'ouvrages  contemporains  sont  d'éloquents  plaidoyers  en 
leur  faveur!  Mais  avant  tout,  respectons  la  forme  sytnphonique  des  maîtres, 
saus  laquelle  aucune  pâte  orchestrale  ne  conserve  de  cohésion.  C'est  par  elle 
que  notre  musique  se  rattache  à  Beethoven  et  c'est  à  elle  que  Wagner  a  du 


ses  succès.  Sans  elle,  plus  rien  n'a  de  consistance,  l'accessoire  prend  la 
place  du  principal,  la  mélodie  flotte  sans  appui  comme  une  feuille  dans  la 
tempête.  Cela  dit,  nous  pouvons  accorder  qu'il  y  a  de  jolies  phrases  descrip- 
tives dans  Lumen  et  faire  crédit  à  l'auteur  en  attendant  de  lui  une  page  mieux 
assise.  M.  de  Greef  a  obtenu  un  très  grand  succès  dans  le  concerto  en  sol  de 
Saint-Saëns.  Des  trois  morceaux,  le  moins  bon  a  été  le  premier  et  le  meil- 
leur le  dernier.  C'est  dire  que  le  pianiste  possède  une  virtuosité  brillante  et 
un  style  d'une  pureté  contestable.  L'œuvre  est  française,  et  la  tradition  du 
maître  fort  connue  :  elle  n'admet  ni  élégances  d'amateur,  ni  prolongements, 
ni  changements  dans  la  valeur  des  notes.  Un  arpège  rugueux  ou  une  gamme 
dépolie  ont  peu  d'importance  d'ailleurs  et  n'enlèvent  rien  à  l'intérêt  d'une 
interprétation  supérieure  sous  bien  des  rapports.  —Pour  unir,  fragments  des 
Maîtres  Chanteurs  précédés  de  la  Fée  Mab  de  Berlioz,  dont  la  parure  orches- 
trale a  des  couleurs  si  chatoyantes.  Amédée  Boutarel. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la  (Beethoven)  ;  Chœur  de  Po«!tis(Mendelssohn)  ;  cinquième 
concerto  pour  piano  (Saint-Saëns),  par  M.Louis  Diémer;  Chœur  et  Marche  d'Idoménée 
(Mozart);  les  Préludes  (Liszt). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  la  Damnation  de  Fausl  (Berlioz),  soli  :  M"'  Pregi,  MM.  Emile 
Cazeneuve,  Auguez  et  Challet. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux:  Ouverture  i'IpMgénie  en  Àulide 
(Gluck)  ;  Symphonie  héroïque  (Beethoven)  :  Prélude,  premièreet  troisième  scènes  du  premier 
acte  de  la  Valkijrie  (R.Wagner),  Sieglinde  :  M""  Chrétien-Vaguet,  Siegmund  ;  M.  Engel; 
Chevauchée  des  Valkyries  (Wagner). 


NOUVELLES    r>IA^E]RSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgiq  e  (3  décembre).  —  Phryné  n'a  obtenu 
hier  qu'un  succès  d'estime.  Le  cadre  de  la  Monnaie  est  bien  vaste  pour  la 
malicieuse  et  piquante  fantaisie  néo-grecque  de  MM.  Saint-Saëns  et  Auge 
de  Lassus;  les  finesses  et  les  intentions  spirituelles  de  l'orchestre  sont  bien 
délicates,  et  l'interprétation,  très  soignée  dans  les  détails,  a  manqué,  dans 
l'ensemble,  de  vivacité  et  de  gaité.  Les  raffinés  ont  admiré  les  choses  exquises 
que  le  compositeur  a  semées  dans  sa  pétillante  instrumentation  ;  mais  le 
public  est  resté  froid.  On  a  trouvé  que,  pour  une  opérette,  Phryné  manquait 
d'entrain,  et  que,  pour  un  opéra-comique,  elle  manquait  de  nouveauté.  Et 
l'on  n'a  pas  apprécié  jusqu'à  quel  point  M.  Saint-Saëns  a  su  mettre  dans  la 
forme  de  son  œuvre  ce  qui,  en  apparence,  est  absent  dans  le  fond...  Il  n'y 
a  guère  que  les  amusants  couplets  de  Dicépbile  au  deuxième  acte,  et  l'ado- 
rable invocation  à  Aphrodite,  qui  aient  «  porté  ».  Le  reste  n'a  pu  ni  dérider, 
ni  dégeler  le  public  désillusionné.  Il  est  vrai  que  ce  qui  fait  le  plus  défaut  à 
Phryné,  c'est  Phryné  elle-même:  M""  Jane  Harding  est  pleine  de  bonne 
volonté  et  de  grâce,  et  ce  qu'elle  montre  n'a  rien  de  désagréable;  mais  la 
voix,  du  reste  jolie,  semble  bien  miuce  sur  la  scène  de  la  Monnaie,  et  ne 
parvient  pas  à  donner  au  rôle  la  couleur  et  le  relief  néc<issaires.  En  revanche, 
M.  Gilibert  est  un  excellent  Dicéphile,bon  chanteur  etbon comédien,  comme 
toujours,  et  ici  mieux  que  jamais:  M^'i^  Milcamps  et  M.  Isouard  sont  satis- 
faisants; la  mise  en  scène  est  charmante,  et  l'orchestre  a  mis  tous  ses 
soins  à  détailler  la  curieuse  partition  du  regretté  auteur  d'Henri  VIII.  — 
Comme  lendemain,  en  attendant  Javotte,  la  Monnaie  a  pu  enfin  continuer 
les  représentations  de  Don  César  de  Bazan,  interrompues  dès  après  la  pre- 
mière par  l'indisposition  de  M.  Boyer.  L'aimable  artiste  est  maintenant 
rétabli  et  a  repris  avec  un  très  vif  succès  le  rôle  qu'il  chante  si  bien  dans 
l'œuvre  de  jeunesse  de  M.  Massenet. 

Nous  avons  eu,  ces  jours  derniers,  toute  une  série  de  concerts  intéres- 
sants. Au  concert  populaire  on  a  fait  fête  au  jeune  violoncelliste  Jean 
Gérardy,  un  tempérament  d'artiste  et  de  virtuose  tout  à  fait  hors  ligne,  et 
vivement  applaudi  une  Suite  d'orchestre  inédite,  pleine  de  couleur  et  de 
charme,  de  M.  Arthur  de  Greef,  qui  est  en  train  de  doubler  sa  réputation 
de  pianiste  d'une  réputation  non  moins  méritée  de  compositeur.  Au  pre- 
mier concert  Ysaye,  grand  succès  pour  M.  Raoul  Pugno  dans  le  beau 
concerto  de  Grieg,  qu'ilajoué  remarquablement,  avec  une  fougue  superbe; 
C'a  été,  du  reste,  la  semaine  des  pianistes,  puisqn'en  même  temps  que 
M.  Pugno  nous  avons  eu,  au  Cercle  artistique,  M.  Risler,  puis  M™  Roger- 
Miclos,  qui  ont  fait  également  plaisir,  avec  des  qualités  personnelles  et 
dilférentes.  M""=  Roger-Miclos  n'a  joué  que  du  Chopin  ;  elle  était  accom- 
pagnée du  poète  Armand  Silvestre,  qui,  avant  la  séance,  a  donné  sur  l'au- 
teur une  conférence  charmante,  émaiUée  de  vers.  Tout  cela  a  été  vive- 
ment goûté.  —  Les  concerts  populaires  donnent  dimanche  prochain  une 
matinée  extraordinaire,  consacrée  eu  majeure  partie  aux  œuvres  de 
M.  Richard  Strauss,  et  sous  sa  direction.  Le  programme  de  la  matinée 
qui  suivra,  au  mois  de  janvier,  sera  composée  exclusivement  d'œuvres  de 
musique  belge;  on  y  entendra  le  nouvel  oratorio  inédit  de  M.  Edgar 
Tinel,  Godelive,  et  d'importants  fragments,  avec  orchestre  et  chœurs,  de 
l'opéra  llamand  de  M.  JeanBlockx,  Herbergprinses  {Princesse  d'auberge),  que 
l'un  joue  actuellement  à  Anvers  avec  le  grand  succès  que  vous  savez.  Du 
même  M.  Blockx,  l'École  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode-Schaeerbeok 
se  prépare  à  exécuter  prochainement,  au  concert  de  sa  distribution  des  prix, 
la  savoureuse  cantate  Klokhe  Roeland,  qu'on  n'a  plus  entendue  depuis 
plusieurs  années,  en  même  temps  que  de  vieilles  chansons  françaises 
harmonisées  par  M.  Gevaert.  —  Enfin,  je  dois  vous  signaler  une  tentative 


390 


LE  MENESTREL 


curieuse,  la  création  des  Cliauleurs  de  Saint-Boniface,  sur  le  modèle  des 
Chantears  de  Saint-Gervais :  cette  association,  dirigée  par  M.  Cavpay,  se 
propose  de  n'exécuter  que  des  chants  liturgiques  et  des  œuvres  de  Pales- 
trina;  à  sa  première  audition  à  l'église  Saint-Bonil'ace,  elle  a  fait  entendre 
la  messe  du  pape  Marcel,  dans  d'excellentes  conditions,  qui  nous  font 
espérer  que  l'œuvre  prospérera  et  donnera  tous  les  résultats  promis.    L.  S. 

—  C'est  jeudi  prochain,  10  décenrljre,  que  doit  avoir  lieu  à  Bruxelles  le  pre- 
mier concert  de  la  Société  des  instruments  anciens  (Diémer-Delsart-van 
"Waelfelghem-Grillet),  qui  avait  dû.  être  remis  à  cause  d'une  indisposition  de 
M.  Louis  Diémer. 

—  De  notre  correspondant  de  Londres  (3  décembre)  :  Dans  le  double  but 
de  célébrer  le  cent  cinquante-huitième  anniversaire  de  sa  fondation  et  d'aug- 
menter son  fonds  de  secours,  la  Royal  Society  of  musicians  a  donné  jeudi 
soir,  à  l'abbaye  de  Westminster,  une  audition  du  Messie  avec  le  concours 
d'artistes  aimés  du  public,  et  sous  la  direction  du  professeur  Bridge.  Essen- 
tiellement religieuse  de  caractère,  l'œuvre  maîtresse  de  Haendel  se  trouve 
plus  à  sa  place  dans  la  nef  d'une  église  que  dans  n'importe  quel  autre  lieu. 
On  l'écoute  avec  plus  de  recueillement,  et  le  recueillement  est  nécessaire  pour 
pénétrer  la  pensée  du  cœur  qui  est  au  fond  des  conceptions  religieuses  des 
grands  maîtres.  La  partie  de  contralto  était  chantée  par  miss  Hilda  Wilson, 
qui  est,  de  toutes  les  cantatrices  anglaises,  celle  que  je  préfère  pour  la  beauté 
et  la  plénitude  de  l'organe,  la  pureté  de  l'émission  et  la  correction  du  style. 
Les  autres  soli  étaient  chantés  par  MM.  Breretan,  M'"  Juckin,  N.  Salmond, 
et  M"^  Patterson.  Les  chœurs  ont  produit  un  excellent  effet;  j'ai  surtout 
remarqué  la  façon  charmante  dont  a  été  rendu  le  fragment  en  répons:  For 
unto  us  a  child  is  born. 

M.  Léon  Delafosse  vient  de  se  faire  entendre  aux  nouveaux  Concerts  popu- 
laires du  dimanche,  àQueen'sHall.  Il  a  joué,  accompagné  par  l'orchestre 
sous  la  direction  de  M.  Randegger,  le  célèbre  Concertstûck  de  Weber,  et  a 
remporté  un  succès  d'enthousiasme  comme  bien  peu  de  pianistes  eu  ont  eu 
ici.  H  n'a  pas  été  rappelé  moins  de  six  fois.  A  la  suite  de  ce  triomphe,  plu- 
sieurs engagements  ont  été  offerts  à  notre  jeune  virtuose  parisien.  Il  est 
notamment  question,  pour  lui,  de  paraître  aux  concerts  du  Crystal  Palace. 

LÉON    BCHLESINGER. 

—  Au  petit  théâtre  de  Pétersbourg,  après  Manon,  autre  grand  succès  pour 
la  Navarraise  avec  le  fameux  ténor  Masiui  et  M°"=  de  Nuovina.  Là,  cela  a  été 
un  «  véritable  délire  »,  nous  écrivent  nos  correspondants.  La  soirée  a  été 
émaillée  de  bis,  et,  à  la  chute  du  rideau,  on  n'a  pas  compté  moins  de  dix-neuf 
rappels.  Plus  fort  qu'en  Italie!  Et  dire  que  les  auteurs  ne  toucheront  pas  un 
sol  vaillant  de  ces  belles  soirées  données  à  la  Russie,  faute  d'une  bonne  con- 
vention de  protection  artistique.  Voyons,  ô  Tsar,  petit  père,  est-ce  juste? 

—  Les  deux  grandes  entreprises  d'opéras  à  New-York,  celle  de  MM.  Grau 
et  Schœffel  et  celle  de  M.  de  Walter  Damrosch,  qui  s'étaient  fait  une  concur- 
rence terrible  à  New-York  même  et  surtout  dans  les  autres  grandes  villes  des 
États-Unis,  ont  conclu  un  traité  de  paix  et  se  sont  partagé  les  États  de 
l'Union.  Les  deux  entreprises  se  prêteront  l'une  à  l'autre  les  artistes  dont  elles 
pourront  avoir  besoin,  et  dans  les  villes  qui  sont  le  domaine  d'une  entreprise 
l'autre  ne  mettra  pas  les  pieds.  Le  répertoire  de  MM.  Grau  et  Schœffel  à 
l'Opéra  métropolitain  de  New-York  est  international;  chaque  œuvre  sera  repré- 
sentée dans  sa  langue  originale.  A  cet  effet  les  frères  de  Reszké,  M°"'=  Melba 
(Brùnhilde)  et  M"""  Eames  (Sieglinde)  ont  travaillé  en  allemand  les  rôles 
principaux  de  la  tétralogie  waguérienne.  L'entreprise  de  M.  Damrosch  est 
plutôt  consacrée  à  l'opéra  allemand  et  particulièroment  aux  œuvres  de 
Richard  Wagner;  mais  MM.  Grau  et  Schœffel  lui  prêteront  M^'s  Calvé, 
Eames  et  Melba  et  plusieurs  autres  artistes  pour  que  M.  Damrosch  puisse 
faire  jouer  en  italien  et  en  français  Faust,  Carmen,  les  Huguenots,  Hamlet,  la 
Juive,  l'Africaine,  le  Nozze  di  Figaro,  Aida  et  Don  Giovanni.  Les  amateurs  de 
New-York  sont  enchantes  de  cet  arrangement  entre  les  deux  entreprises 
rivales,  car  ils  verront  pendant  cette  saison  une  constellation  d'étoiles  de 
premier  ordre  dont  aucune  autre  ville  du  monde  ne  pourra  se  vanter. 

—  Les  dépêches  annoncent  un  «succès  colossal  »  pour  l'opéra  de  Giordauo, 
André  Chénier,  qu'on  vient  de  représenter  à  New-York.  Le  succès  s'est  dessiné 
dès  le  premier  acte,  où  l'on  a  fait  répéter  le  joli  chœur  des  »  Pastourelles  ». 
Au  dernier,  «  c'était  du  fanatisme  ».  Deux  duos  ont  été  bissés  au  cours  de  la 
soirée,  ceux  du  deuxième  et  du  troisième  acte.  A  la  chute  du  rideau  tous  les 
artistes,  y  compris  le  chef  d'orchestre,  ont  été  rappelés  plusieurs  fois  en  scène. 
—  Aux  représentations  suivantes  le  succès  n'a  pas  été  moindre. 

—  Un  nouvel  opéra-comique,  intitulé  le  Mandarin,  dû  à  la  collaboration 
de  MM.Koven  et  Smith,  a  été  joué  avec  succès  au  Herald  Square  theaterde 
New-York. 

—  De  New- York  on  annonce  que  miss  Liioiff,  une  petite-fille  du  célèbre 
pianiste  et  compositeur,  vient  d'être  reçue  bachelière  en  musique  au  Conser- 
vatoire de  la  Cité. 

—  D'après  la  déclaration  officielle,  la  fortune  laissée  par  le  défunt  impré- 
sario Abbey  ne  dépasse  pas  deux  cents  dollars.  Un  pauvre  billet  de  mille! 
c'est  tout  ce  que  laisse  cet  homme  qui  a  eu,  le  premier,  l'audace  d'offrir 
à  la  Patti  vingt-cinq  mille  francs  par  soirée  pour  une  tournée  dans  les  États- 
Unis.  Et  combien  de  fois  ce  pauvre  Abbey  n'a-t-il  pas,  personnellement,  dé- 
pensé de  ces  billets  de  mille  dans  sa  journée  !  Vraiment,  le  vieux  Solon  avait 
raison  de  dire  qu'il  faut  attendre  la  mort  d'un  homme  pour  savoir  au  juste 
s'il  a  été  heureux. 


—  Ou  annonce  que  la  santé  du  fameux  jdaniste  Paderewski  est  dans  un 
tel  état  de  délabrement,  par  suite  de  trop  grandes  fatigues,  que  l'artiste  a  dû 
résilier  tous  les  engagements  contractés  par  lui  pour  cette  saison. 

—  Au  Théâtre-Lyrique  de  Milan,  la  Phryné  de  M.  Saint-Saons  vient  d'ob- 
tenir un  franc  succès.  On  sait  que  M"=  Sibyl  Sanderson  représente  là-bas 
Phryné,  comme  elle  Fa  personnifiée  à  Paris.  Elle  a  pour  excellents  parte- 
naires le  ténor  Pandollini  dans  le  rôle  de  Nicias  et  le  baryton  Pini-Corsi 
dans  celui  de  Dicéphile.  La  salle  était  superbe  le  jour  de  la  première  repi'é- 
sentalioD,  et  l'on  y  remarquait,  entre  autres  personnages  importants,  la 
princesse  Lœtitia,  qui  était  venue  tout  exprès  de  Turin. 

—  Manon  poursuit  le  cours  ininterrompu  de  ses  triomphes  en  Italie.  Les 
éjioux  Bayo  viennent  de  s'y  faire  applaudir  au  théâtre  Victor-Emmanuel  de 
Turin,  et  à  Ascoli-Piceno  on  y  a  fêté  M"»Toresella,  MM.  Baldini  (Des  Grieux) 
et  Dorini  (Lescaut). 

—  A  Gênes,  très  beau  succès  pour  l'André  Chénier  de  Giordauo.  Au  premier 
acte,  bis  d'acclamation  pour  «  l'improvisation  de  Chénier  »  et  le  chœur  des 
«  Pastourelles  ».  Au  second,  des  acclamations  encore  pour  le  beau  duo 
d'amour,  également  bissé.  Au  troisième,  ou  applaudit  à  tout  rompre  l'épisode 
de  la  mère  aveugle,  le  duo  entre  Gérard  et  Madeleine,  et  enfin,  au  dernier 
acte,  les  belles  stances  de  Chénier  sur  la  mort  el  sou  duo  fiual  avec  Made- 
leine, qui  fut  le  dernier  bis  de  cette  belle  soirée.  Voilà  décidément  un  opéra 
qui  paraît  devoir  faire  son  chemin, 

—  L'administration  du  théâtre  de  San  Carlo,  de  Naples,  vient  de  publier 
sou  «  manifeste  »  pour  la  prochaine  saison  de  carnaval-cai'ême,  qui  com- 
mence le  26  décembre.  Voici  le  tableau  de  la  troupe  :sopram  et  viezso-soprani, 
M.""^  Biaudelli,  Adèle  Cousin,  Giacchetti-Botti,  Adina  Idoné,  Berlondi,  Vir- 

.  ginia  Guerrini,  Anna  Corriguet,  Garolina  Romane  et  Amalia  Kohrleitner  ; 
ténors,  MM.  Borgatti,  De  Lucia,  Mauri,  Francesco  Pandolfiui,  Querzé  et 
Giordani;  barytons,  Pinicorsi,  Pessina  et  Ugo  Ciabo;  basses,  Cromberg, 
Narciso  Serra  et  Nicola  Scotti.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Arnoldo  Conti,  le 
chef  des  chœurs,  M.  Cesare  Bonafous.  Au  répertoire  :  Cristoforo  Colombo  et 
il  Signor  di  Pourceaugnac  (celui-ci  inédit),  de  M.  Francbeiti,  Manon  Lescauti 
de  M.  Puccini,  Falstaff,  de  Verdi,  Andréa  Chénier,  de  M.  Giordano,  et  (Y 
Maestro  di  cappella,  de  Paër. 

—  Les  journaux  italiens  disent  grand  bien  du  nouveau  chef  d'orchestre  du 
théâtre  de  Lodi,  qui  n'est  autre...  qu'une  jeune  femme,  la  signorina  Palmira 
Orso. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  confidentiellement  que  la  surintendance  géné- 
rale aurait  l'intention  de  donner  un  adjoint  au  directeur  actuel  de  l'Opéra 
impérial,  M.  Jahn,  dont  la  sauté  laisse  fort  à  désirer,  et  qu'elle  serait  entrée 
en  pourpalers  avec  M.  Muck,  deuxième  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  royal  de 
Berlin.  M.  Muck  est  Autrichien  de  naissance,  il  a  fait  son  droit  avant  de  se 
consacrer  à  la  musique  et  a  été  reçu  docteur.  Sa  carj-ière  a  commencé  à  Prague 
sous  la  direction  de  M.  Neumann,  et  il  s'y  est  tellement  distingué  qu'il  a  de 
suite  excité  l'attention  des  grandes  scènes  lyriques  de  l'Allemagne.  M.  Muck, 
qui  a  38  ans  environ,  n'est  à  Berlin  que  depuis  quelques  années,  mais  il  y  jouit 
d'une  autorité  considérable. 

—  Le  théâtre  An  der  Wien  jouera  prochainement  une  nouvelle  opérette, 
intitulée  la  Triple  Alliance,  musique  de  M.  Eugène  de  Taund. 

—  Le  théâtre  Thalia,  de  Berlin,  joue  actuellement  avec  beaucoup  de  suc- 
cès un  opéra-comique  en  un  acte  intitulé  l'Hygromètre,  paroles  anglaises  de 
M.  Adrien  Ross,  musique  de  M.  Bertram  L.  Selby.  L'action  se  passe  dans  une 
boite  de  jouets  et  la  scène  est  encombrée  d'arbres,  de  maisouuetles,  de  che- 
vaux de  bois  et  autres  jouets.  Au  milieu  est  placé  l'hygromètre  bien  connu: 
une  maisiinnetto  avec  les  ligures  d'un  bonhomme  et  d'une  bonne  femme  qui 
sortent  à  tour  de  rôle  pour  annoncer  soit  la  i)Uiie,  soit  le  beau  temps.  Ils  se 
plaignent  de  uc  pouvoir  jamais  se  voir  malgré  leur  vif  amour,  organisent 
une  grève  et  quittent  finalement  leur  boite  pour  se  livrer  à  un  duo  d'amour 
comique  et  à  des  ébats  chorégraphiques.  Le  dialogue  est  fort  spirituel  et  la 
musique  très  gaie.  Somme  toute,  un  persiflage  agréable  du  genre  Hœnsel 
et  Gretel. 

—  Ou  vient  de  trouver,  aux  archives  du  Ihéàlreroyal  de  Berlin,  une  feuille 
de  comptabilité  qui  donne  des  renseignements  curieux  sur  les  frais  de  ce 
théâtre  en  l'année  1796.  Toutes  les  dépenses  s'élèvent  à  63.394  thalers  et  les 
honoraires  des  artistes  à  38.500  thalers.  Le  thaler  prussien  valait  3  fr.  75  c, 
ce  qui  porte  les  dépenses  totales  à  200.000  francs  environ.  Il  est  vrai  que  la 
prima  donna  assoluta,  une  madame  Schick,  ne  touchait  que  1.200  thalers  par 
an,  et  le  premier  ténor,  un  M.  Lippert,  1 .196  thalers.  Cette  différence  curieuse 
de  quatre  thalers  devait  évidemment  marquer  la  supériorité  de  l'ét'jile  fémi- 
nine. En  outre,  ces  protagonistes  jouissaient  de  (pielques  soirées  de  bénéfice 
qui  leur  rapportaient  bon  an  mal  an  800  thalers  en  viron,cc  qui  portait  leurs 
appointements  annuels  à  2.000  thalers,  soit  7.500  francs  au  maximum.  Les 
économistes  calculent  que  la  puissance  d'achat  de  l'argent  à  Berlin  a  été  en 
1796,  trois  fois  aussi  grande  qu'eu  1896;  les  7.500  francs  du  siècle  dernier 
équivaudraient  doue  aujourd'hui  à  22.500  francs.  Il  est  certain  qu'à  ce  prix 
l'Opéra  de  Berlin  ne  trouverait  actuellement  aucun  premier  sujet. 

—  Un  journal  étranger  annonce  que  l'e.xoellent  orohestro  de  la  Société 
philharmonique  de  Berlin  ira,  durant  le  mois  d'août  1897,  donner  à  Vienne 
une  série  de  six  concerts  que  dirigeront  MM.  Weingartner,  Arthur  Nikisch, 
Félix  Mottl  et  Manustaedt.  Il  ajoute  que  ce  même  orchestre  se  rendra  eusuiti 


LE  MENESTREL 


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:'i  Paris,  où  il  sa  fera  eulciidre  sous  la  direclion  de  M.  Arthur  Nikisch.  Nous 
pensons  que  la  seconde  partie  de  la  nouvelle  ost  sujette  à  caution. 

—  On  nous  télégraphie  de  Budapest  qu'un  nouvel  opéra  hongrois  en  deux 
actes,  intitulé  Karén,  paroles  de  MM.  Kern  etSomogyi,  musique  de  M.  Charles 
Czohor  a  remporté  un  grand  succès  à  l'Opéra  royal. 

—  Ou  a  inauguré  à  Kiel,  le  30  novembre,  un  monument  au  célèbre  compo- 
siteur Karl  Lœwe  pour  célébrer  le  centième  anniversaire  de  sa  naissance.  Ce 
monument  est  l'œuvre  du  sculpteur  Fritz  Schaper,  de  Berlin,  et  les  nombreuses 
personnes  qui  ont  encore  connu  le  compositeur,  né  le  30  novembre  1796  à 
Lœbejûu,  près  Halle,  mort  à  Kiel  le  20  avril  1869,  vantent  la  ressemblance 
parfaite  du  buste.  Une  copie  en  bronze  de  ce  buste,  sans  le  reste  du  monu- 
ment, sera  placée  sur  une  place  publique  de  la  petite  ville  natale  de  l'artiste 
dont  les  mélodies,  surtout  les  ballades,  retentissent  encore  dans  les  salles  de 
concert  allemandes. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  vient  de  jouer  avec  succès  un  nouveau 
drame  lyrique  en  quatre  actes  intitulé  Couscousca  (le  Coucou),  paroles  de 
M.  Félix  Falari,  musique  de  M.  François  Lehar.  L'action  se  passe  en  Sibérie, 
mais  ost  fort  peu  originale.  Les  deux  auteurs  sont  absolument  inconnus:  le 
librettiste  est,  dit-on,  un  officier  de  la  marine  autrichienne  et  le  compositeur 
habite  Trieste.  Ils  ont  envoyé  leur  œuvre  au  théâtre  de  Leipzig,  qui.  après 
lecture,  l'a  reçue  d'emblée.  Voilà  des  jeunes  qui  ont  de  la  chance  ' 

—  M'"=  Adiui  continue  en  Allemagne  la  tournée  musico-dramatique  qu'elle 
a  entreprise.  A  Kœnigsberg,  elle  a  chanté  pour  ses  deux  dernières  représenta- 
lions  Tristan  et  Iseull  et  la  Trauiata,  «  deux  chansons  d'amour,  nous  écrit 
joliment  notre  correspondant,  mais  combien  différentes  par  la  rime  et  par 
l'air  !  »  Kœnigsberg  possède,  on  le  sait,  une  importante  Université,  dont  les 
étudiants  se  sont  montrés  particulièrenient  enthousiastes  pour  M™  Adini. 

—  Faut-il  croire  qu'il  y  a,  comme  on  dit.  des  sujets  qui  sont  dans  l'air  ? 
Juste  au  moment  où  notre  collaborateur  Arthur  Pougin  faisait  ici.  h  Paris, 
une  conférence  sur  Mozart  enfant,  c'est  aussi  sous  ce  litre  de  «  Mozarl 
enfant  a  que  M.  H.  Kling,  professeur  au  Conservatoire  de  Genève,  donnait 
dans  la  salle  de  l'Université  de  cette  ville  une  conférence-concert  dont  le 
succès  a  été  très  brillant.  Mozart,  voyageant  avec  son  père  dès  ses  jeunes 
années  et  triomphant  partout,  choyé  par  les  cours  d'Autriche,  de  France, 
d'Angleterre,  de  Hollande,  passa  par  la  Suisse  au  cours  de  ces  grandes  tour- 
nées et  séjourna  à  Lausanne,  à  Zurich  et  à  Genève.  Tel  était  le  prétexte  de 
la  très  intéressante  conférence  de  M.  H.  Kling,  qui,  au  fur  et  à  mesure  de 
Min  enlrelien.  a  eu  l'heureuse  idée  de  faire  exécuter  quelques  morceaux  de 
Mozarl  qui  datent  précisément  de  son  enfance:  une  des  trois  sonates  pour 
piano  et  violon  publiées  par  lui  à  Paris  à  l'âge  de  sept  ans,  des  Variations 
sur  un  allegretto  écrites  deux  ans  plus  tard,  un  délicieux  air  pour  soprano 
avec  accompagnement  d'inslrumenls  à  cordes,  enûn  un  Ktjrie  eleison  gran- 
diose, de  la  même  époque.  Cette  séance,  d'un  intérêt  très  vif,  a  olilenu,  nous 
l'avons  dit,  un  plein  succès. 

PARIS    ET   DÉPARTEBIENTS 

C'est  M.  Samuel  Rousseau,  chef  du  chant  à  la  Société  des  concerts  du 
Conservatoire,  qui  est  chargé  d'écrire  le  prochain  ouvrage  en  deux  actes  ré- 
servé, par  le  cahier  des  charges  de  l'Opéra,  aux.  anciens  prix  de  Rome.  On 
sait  que  M.  Samuel  Rousseau  a  obtenu,  il  y  a  quelques  années,  le  prix  du 
grand  concours  de  la  ville  de  Paris,  pour  un  drame  lyrique  intitulée  Merowig, 
dont  M.  Georges  Montorgueil  lui  avait  fourni  le  livret  et  qui  fut  exécuté  au 
Grand-Théâtre  (l'Eden  défunt),  sous  la  direction  de  M.  Porel.  C'est  précisé- 
ment, dit-on,  M.  Montorgueil,  qui.  en  société  avec  M.  Gheusi,  doit  écrire  le 
livret  dont  M.  Samuel  Rousseau  est  chargé  de  composer  la  musique. 

—  Ou  sait  le  beau  succès  littéraire  qu'a  obtenu  au  théâtre  de  la  République 
la  Lucite  Desmoulins  de  M.  Jules  Barbier.  La  brochure  va  paraître  en  librairie 
avec  une  préface  bien  curieuse,  dont  nous  croyons  iulcressaut  de  reproduire 
le  début,  d'une  mélancolie  et  même  d'une  tristesse  si  inlense  dans  .sa  rési- 
gnation philosophique  : 

Que  de  remerdemcnts  ne  dois-jf  pas  —  soit  dit  sans  ombre  d'ironie  —  à  l'Opéra  et  à 
rOpéra-Comique  pour  avoir  résolument  fermé  leui-s  portes,  depuis  une  dizaine  d'années, 
à  toutes  mes  tentatives  d'œuvres  nouvelles  et  m'a\oir  ainsi  ramené  à  mes  conimenceinents 
littéraires,  dont  je  n'aurais  jamais  dû  ni'éeartcr.  Car  il  laut  avoir  le  courage  de  le  dire, 
dût-OQ  se  l'aire  acruser  par  les  malveillants  de  sottise  et  d'infatuation,  de  tous  les  gein'es 
de  composition  qui  se  ratliichent  au  théâtre,  le  genre  lyrique  est  le  plus  complexe,  le  plus 
difficile  et  le  plus  ingrat.  11  ne  faut  pas  croire,  avec  Beaumarcliais,  que  ce  qui  n'est  pas 
bon  à  être  dit  est  bon  à  éti'c-  chanté,  nuns  l»icii  iju'il  n'y  a  de  chantable  que  ce  qui  en  est 
digne. 

Quand  vous  êlç?  Mrri\é  à  vous  pcnclicr  il'  i-r[[,-  \erili-.  rjuand  vous  vous  êtes  efforcé  de 
fondre  en  un  inlinir  ni.in.i^.'  l:i  l.iii^n.'  itnir..  :nr,;  l,-i  l:iii^ii..  musicale,  quand  vous  avez 
animé  du  souille  (ic  \mIiv  ,..-pni.  du  iiAr  <\r  \iiirr  ['ciisrr,  (j 1 1  j c t dc  votre  expression  l'ins- 
piration de  vûlir  r.plhOi.iiiilriir.  .|iiiiii.l  \..ii-  ;n.v  liil  ili'  \.iiri_.  Iiibi^ur  modeste  un  piédestiil 
à  son  geiiir.  Vi.ii-  V'iii-  .11  Ml.  r,.  /  lin  iii;iliii  uni-   \mii~   \    ;[\r/  -;i-ii..  ini    \ci-ii;iblc  brevet  de 

domeslir 1  .iiiMi,  >.,u.  1,11-.    >.,|nnii, ■,■-,,  r. ml, .h;, ml. IV  ;  ,,,n-x  ;nr/ perdu  en  revanclic 

la  premiri'c  \i^'iirni'  de  miOc  iviv.mii,  Ic^  rnivirs  |ic|.<,jrinrllrs  que  ïiins  nuiriez  écrites,  i!l 
les  succès  relativement  faciles  :in\i|u.  N  v.iii-  iniricz  pu  prétendre.  .le  ne  parle  pas  de  la 
question  commerciale,  qui  n'a  rien  ;i  \nii-  ici  't  qui  ne  suffirait  pas,  en  tout  état  de  cause, 
à  dédommager  de  ce  suicide  ninriil  et  inicllcctuel  auquel  vous  vous  êtes  résigné  avec  le 
sourire  des  satisfaits. 

Le  seul  dédommagemeut  réside  dans  les  longues  et  inaltérables  amitiés  qui  sont  nées  de 
ces  dévorantes  collaborations.  Elles  consolent  du  dédain  des  directeurs,  de  l'hostilité  des 
lionUles,  de  la  coinmisérationdesconfières,  du  silence  des  amis  et  des  mépris  du  vulgaire. 


Tel  m'apparalt  mon  passé,  illuminé  par  l'auréole  qui  couronne  les  fronts  à  jamais  bénis, 
pour  ne  parler  que  de  ceux-là,  do  mes  \ieujL  camarades  Victor  Massé,  Charles  Gounod  et 
Ambroise  Thomas. 

—  A  l'occasion  du  cinquantenaire  de  la  Damnation  de  Faust  qu'on  célèbre 
aujourd'hui  dimanche  au  Chàtelet,  M.  Edouard  Colonne  réserve  une  surprise 
artistique  à  ses  auditeurs.  Un  programme  spécial  leur  sera  offert,  contenant 
un  portrait  de  Berlioz  en  1845,  le  programme  du  6  décembre  1846,  la  pre- 
mière page  du  manuscrit  original,  curieux  fac-similé  reproduit  par  la  mai- 
son H.  Raymond,  et  d'importantes  notes  bibliographique  dues  à  la  plume  de 
M.  Charles  Malherbe. 

—  M"">  Blanche  Marchesi,  qui  vient  d'obtenir,  aux  concerts  populaires  de 
Londres,  un  succès  éclatant  qu'a  constaté  toute  la  presse  anglaise,  a  donné 
hier  samedi,  à  la  Bodinière,  une  séance  d'un  caractère  et  d'un  intérêt  artis- 
tiques tout  particuliers,  en  interprétant  les  Contes  mystiques  de  M.  Sléphan 
Bordèse  mis  en  musique  par  douze  de  nos  compositeurs  les  plus  renommés. 
Nous  rendrons  compte  de  cette  séance  curieuse,  que  précédait  une  confé- 
rence de  M.  Henry  Fouquier,  et  qui  sera  renouvelée  samedi  prochain, 
12  décembre,  à  neuf  heures  du  soir. 

—  Le  jeune  et  déjà  si  distingué  violoniste  M.  Boucherit  Ta  entreprendre 
une  tournée  de  concerts  eu  Bretagne.  Le  10  décembre  il  sera  à  Morlaix,  le 
11  à  Brest,  le  12  à  Quimper,  et  le  13  à  Lorient.  Bonne  chance  et  bon 
succès. 

—  Lundi  dernier  M""'Negropoute  a  réuni  quelques  intimes  pour  applaudir 
encore  une  fois  M™»  Francès  Saville  avant  son  départ  pour  la  Russie.  La 
charmante  artiste,  d'une  voix  merveilleuse  et  avec  une  diction  parfaite,  a 
détaillé  d'abord  quatre  mélodies  du  comte  de  Fontenaillss  :  le  Temps  des  roses, 
Fleur  dans  un  livre,  Chanson  aux  étoiles  et  les  Deux  Cœurs  ;  puis  deux  mélo- 
dies de  Reynaldo  Halm  :  Si  mes  vers  avaient  des  ailes  et  Rêverie. 

—  De  Lyon  :  I^e  premier  des  grands  concerts  symphoniques  organisés  au 
(irand-TIu'àtre  par  M.  Yizentfni  a  eu  lieu  avec  un  succès  marqué  et  devant 
une  salle  absolument  comble.  Le  programme  comportait  la  8=  symphonie  de 
Beethoven  :  la  Nuit  de  Noël  de  Pierné,  dirigée  par  l'auteur;  les  airs  de  ballet 
d'Henry  YIII  de  Saint-Saéns:  'un  prélude  à'Eloa  de  Ijefebvre  ;  le  Divertissement 
de  Lalo  ;  le  CarHauoi  à  Parts  de  Svendsen;  qui  ont  été  exécutés  avec  beau- 
coup de  charme  et  de  précision  par  l'orchestre  du  Grand-Théâtre.  M"»  Janssen 
dans  la  itforf  fri'seuii  de  "Wagner,  M.  Dauphin  dans  le  bel  air  à'Élie  de 
Mendelssohn,  M.  Rinuccini  dans  le  concerto  pour  violon  de  Max  Bruch  et 
M.  Chalmin  dans  l'importante  partie  déclamée  du  Noël  de  Pierné  ont  eu  leur 
légitime  part  des  applaudissements  dont  le  public  s'est  montré  justement 
prodigue  au  cours  de  ce  beau  et  artistique  concert,  le  premier  d'une  série 
qui  promet  d'être  féconde.  J.  J. 

—  Les  très  intéressantes  séances  du  Conservatoire  de  musique  de  Nancy  ont 
repris  dimanche  dernier  sous  l'active  et  1res  artistique  direction  de  M.  J.  Guy 
Ropartz.  Au  premier  programme,  d'irréprochable  exécution,  les  noms  de 
Beethoven,  S.-humann,  Franck,  Hœndel  et  de  M.  Massenet  avec  laPastorale  et 
la  Chasse  à'Esclarmonde.  Ajoutons,  puisque  nous  parlons  du  Conservatoire  de 
Nancy,  que  sur  sept  élèves  qu'il  a  présentés  au  Conservatoire  de  Paris,  tous 
les  sept  ont  été  reçus. 

—  Il  faut  signaler  encore  à  Nancy,  à  ces  concerts  si  intéressants  de 
M.  Guy  Ropartz ,  une  belle  exécution  de  la  Rapsodie  cambodgienne  de 
M.  Bourgault-Ducoudray,  sous  la  direction  de  l'auteur.  Ovations  et  applau- 
dissements sans  frein.  —  Cette  même  Rapsodie  vient  d'être  exécutée  aussi  à 
Pau,  sous  la  direction  de  l'excellent  chef  d'orchestre  M.  Edouard  Brunel,  et 
à  Montreux,  sous  colle  de  M.  Oscar  Jultner,  non  moins  remarquable  cap- 
pellmeister.  Cette  très  belle  pièce  symphonique  rencontre  donc  partout  enfin 
l'accueil  chaleureux  qu'elle  mérile. 

—  On  nous  écrit  de  Nancy  le  grand  succès  remporté  par  M^i^  Tarquini 
d'Or  dans  Mignon,  succès  tel  qu'immédiatement  la  direction  a  réengagé 
l'excellente  artiste,  pour  une  nouvelle  série  de  représentations  à  donner  en 
janvier  prochain;  elle  chantera  ^^'ertller,  la  Navarraise,  Mignon,  etc. 

NÉCROLOGIE 

M.  William  Steinway,  chef  de  la  célèbre  manufacture  de  pianos  qui 
porte  son  nom,  est  mort  à  New-York  à  l'âge  de  60  ans,  des  suites  d'une 
fièvre  typhoïde.  Il  était  le  fils  d'Henry  Steinvveg,  qui  fonda  à  New-York  eu 
1862  la  maison  Steinway  après  avoir  anglicisé  son  nom  allemand  et  qui  fut 
élu,  en  1890,  président  de  l'Association  des  facteurs  de  pianos  et  d'orgues 
dans  les  États-Unis.  "William  Steinway  possédait  aussi  une  grande  influence 
politique  dans  l'Etat  de  New-York  où  ses  compatriotes  allemands  sont  si 
nombreux.  Il  laisse  une  fortune  évaluée  à  quinze  millions  de  francs. 

Henri  Heogel,  directeur-gérant. 

OCCASION  EXCEPTIONNELLE.  A  vendre  orgue  de  salon  à  tuyaux  de 
13  jeux,  2  claviers  à  mains,  pédalier,  bulfet  en  noyer.  Montre  décorative. 
Construit  dans  les  ateliers  de  la  manufacture  de  grand  orgue,  J.  Mehklin  et  G'',, 
22  rue  Delambre,  à  Paris.  Il  peut  être  examiné  dans  ces  ateliers,  essayé  et 
livré  immédiatement. 

VIOLONCELLISTE,  ancien  élève  du  Ccuiseivaluire  de  Paris,   irait  s'établir 
dans  une  ville  de  province  où  un  hxe  lui  sérail   assuré.  — ■  S'adresser  aux 
bureaux  du  journal. 


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LE  MÉNESTREL 


Soixante-tr'oisièine    anné©     d©    putoUcatlon 


PRIMKS  1897  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1^^   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  liuit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Conceris,  des  Notices  biographiques  et  Éludes  sui 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  prolesseurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanclie,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CBAIVT  ou  pour  le  PIAi^O,  de  moyenne  diRiculié,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHA:*»  et  PIAIVO. 


O  xi  A.  JN   T    (["  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes: 


J.  MASSENET 

VINGT  MÉLODIES 

4-  ET  NOUVEAU  VOLUME 
Recueil  in-S" 


P.  MÀSGÀGNI 

CAVALLERIA  RUSTICANA 

DRAME  LYniQUE 
Partition   française   chant  et  piano 


REYNÀLDO  HÂHN 

VINGT  MÉLODIES 

PREMIER    VOLUME 

Recueil  in-S" 


LOUIS  VARNEY 

LE  PAPA  DE  FRANGINE 

OPÉRETTE  EN  QUATRE  ACTES 
Partition  in-8" 


Ou  à  l'un  de3  trois  premiers  Recueils  de  Mélodies  de  J.  . 
ou    à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n<"),  un  \oluine  relié  in-S",  avec  iUustraliona  en  couleur  d'ADRIEN  MARIE 

JP  JL  A.  PS    O    (2^  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT    à  l'une  des  primes  suivantes  : 


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Partition  pour  piano  solo  in-8" 


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recueils  du  PIANISTE -LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  du  répertoire  de 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULICH,  de  Vienne,  ou  STRAUSS,  de  Paris. 


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U.    GIORDANO 

ANDRÉ  CHÉNIER 

Drame  historique  en  3  actes 


Traduction    française    de     PAUL    MILLIEï 


GRAND  SUCCÈS  DE  MILAN 


PARTITION    CHANT    ET    PIANO 


W.-A.  MOZART 


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Opéra  complet  en  2  actes 

de     DA    IPOIVTE! 


Seule  édition  conforme  à,  la  partition  originale  de  l'auteur  et 

LA  SEULE  QU'ON  NE  JODE  PAS 


DOUBLE  TEXTE  FRANÇAIS  I-Jf  ITALll-^N 


NOTA  ItAPORTANT.  —  Ces  primes  ■9nt  aélivrées  !;ra.tultciiieiit  daas  noa  liiire.xux,  3  bis,  rue  ViTieiine,  à  pai-tii-ilii  30  Décembre  I89C,  à  tout  aueieu 
ou  DOUTel  abonné,  sur  la  préseutatîon  de  la  quittance  d'abonnement  au  llÉAEKTBEIi  pour  l'année  1897.  Joindre  au  prix  d'abonnement  un 
supplément  d'U;^  ou  fie  DEtJX  francs  pour  l'envoi  franco  de  la  prime  simple  ou  double  dans  les  départements.  (Pour  ri^tran^er,  l'enTol  franco 
des  primes  se  rè^le  selon  les  frais  de  Poste.)  J 

les  abonnés  ail  Chanl  peuveal  prendre  la  prime  Pianoel  vice  versa.-  Ceui  au  Piano  el  au  Chant  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime.-  Les  abonnés  au  leilescul  o'onl  droit  'a  aucune  primr.. 

CHANT  CONDITIONS  D'AB0NNE,11ENT  AU  «  MÉNESTREL  •  PIANO 

1"  Uodid'abonnemenl  :  Journal-Texte,  tousles  dim,inches;  26  morceaux  m:  chvnt  :  |  2"  Molsi'abonneinenl:  Journal-Texte,  tous  les  dimanches;  26  morceaux  db  piano 
Scènes,  Mélodies,  Komances,    paraissant    di!   quinzaine  en  qninzaine;  i    Recueil-  fantaisies,      l'ranscriptions,    Danses,  de    quinzaine    en    quinzaine;     1    Reouell- 

Priine,  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  l''rais  de  poste  en  sus.  |  Prima.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger  :   Frais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

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et  Province;  Étranger:  Poste  en  sus. 

4"  Mode,  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  l""  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  coUection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,   directeur  du  Ménestrel,  1  iis,  rue  Vivienne< 


30  Irancs,  Paris" 


IHPBUIERIE  CENTRALE  DES  CBEHINS  DE  FBH.  —  lUPRlHERlE  t 


RUE  BERGERE,  20, 


à 


3429.  -  62-  mm  -  iV°  50. 


Dimanche  13  Décembre  1896. 


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(Les  Bureaux,  2  bis,  rae  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGELé,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  dii  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrils,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonneraenL 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Teite  et  Musique  de  Piano,  '20  fr„,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étrrjiger,   les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Dcn  Juan  (1"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  ;  pre- 
mières représentations  de  l'Évasion  à  la  Comédie- Française  et  de  Ferdinand  le 
noceuT  au  Palais-Royal,  Paul-Émile  Cbevalieb..—  III.  .lournal  d'un  musicien 
(10"  article),  A.  Montaux.  —  IV.  Le  chœur  ta  CAariW,  de  Rossini,J.-B.WEcKEiii,iN. 
—  V.  Revue  des  grands  conceris.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CANTABILE  DE  MADELEINE 

chanté  dans  l'opéra  do  Giordano,  le  grand  succès  du  théâtre  de  la  Scala  à 
Milan.  —  Suivra  immédiatement:  Fleur  dans  un  livre,  mélodie  du  comte  de 
l'^ONiENAiLLES,  poésie  de  M.  L.  Le  Lasseur  de  Ranzay. 

MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
piano  :  la  Gavotte  pour  les  Heures  et  les  Zéphyrs,  extraite  de  l'opéra  inédit  de 
Rameau,  les  Boréades,  transcription  pour  piano  de  Louis  Diémer,  répertoire  de 
la  Société  des  instruments  anciens.  —  Suivra  immédiatement  la  Passacaille  de 
Paul  Puget,  écrite  pour  les  représenlalinus  de  Lorenzaccio  au  théâtre  de  la 
Renaissance.. 


PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1897 


(Voir  à  la  8'  page  du  Journal.) 


ÉTUDE   SUR  DON  JUAN 

De   MOZART 


I 

Les  destinées  du  chef-d'œuvre  de  Mozart,  ses  succès  inin- 
terrompus depuis  plus  d'un  siècle,  l'admiration  qu'il  n'a  pas 
cessé  de  susciter  et  dont  les  plus  grands  génies  ont  donné 
maintes  fois  des  marques  éclatantes,  sont  un  des  témoignages 
les  plus  probants  que  l'on  puisse  invoquer  contre  celte  idée 
fausse,  trop  répandue  parmi  des  gens  prévenus  ou  insuffi- 
samment informés,  que  la  musique  est  un  art  périssable, 
subordonné  plus  que  les  autres  aux  fluctuations  du  goût,  et 
dont  les  œuvres  les  plus  réputées  sont  appelées  fatalement  à 
disparaître  dans  le  courant  des  idées  nouvelles.  Que  souvent 
le  succès  soit  chose  incertaine  et  éphémère,  cela  n'est  que 
trop  évident;  mais  d'abord,  cette  vérité  trouve  son  applica- 
tion assez  fréquente  dans  de  tout  autres  domaines  que  celui 
de  la  musique:  les  productions  des  arts  plastiques,  les 
œuvres  littéraires  et  les  systèmes  des  philosophes  ont  été, 
tout  comme  elle,  soumis  aux  engouements,  et  souvent,  après 


d'éclatants  débuts,  sont  tombés  dans  un  définitif  oubli.  Bien 
des  œuvres  musicales,  proclamées  chefs-d'œuvre  à  leur  nais- 
sance, ont  éprouvé  le  même  sort:  c'est  que,  produits  d'un 
état  d'esprit  particulier,  elles  n'ont  pu  lui  survivre;  et,  pour 
celles-là,  il  y  a  peu  d'apparence  qu'elles  renaissent  jamais. 
Mais  lorsqu'après  plus  de  cent  années,  malgré  tant  de  chan- 
gements survenus,  tant  de  progrès  accomplis,  au  moment 
mime  où,  vainqueur  d'une  lutte  fort  vive,  un  art  nouveau  a 
fait  triompher  des  formes  si  dilïérentes,  nous  voyons  le  vieux 
chef-d'œuvre  reparaître  plus  radieux,  plus  vivant,  plus  pas- 
sionné, d'ailleurs  bien  plus  clairement  compris  par  la  géné- 
ralité du  public  qu'il  ne  l'avait  jamais  été,  qui  donc  oserait 
dire  encore  que  la  musique  est  un  art  inconsistant  et  éphé- 
mère, une  simple  affaire  de  mode? 

Notre  fin  de  siècle,  dont  on  a  tant  médit,  aura  eu  du  moins 
le  mérite  de  rendre  cette  vérité  évidente.  Grâce  au  progrès 
que  l'étude  un  peu  plus  sérieuse  de  la  musique  a  fait  réali- 
ser au  goût  public,  l'on  en  est  venu  peu  à  peu,  sinon  à 
concevoir  clairement,  du  moins  à  pressentir  que  la  beauté 
des  œuvres  musicales  ne  réside  pas  simplement  en  des 
formes  d'une  nouveauté  plus  ou  moins  attrayante,  mais  qu'il 
y  a  une  beauté  intrinsèque  et  interne  qui  se  manifeste  tou- 
jours, quelles  que  soient  les  apparences  extérieures.  Le 
succès  extraordinaire  remporté,  au  cours  de  cette  même 
année  qui  s'achève  avec  Don  Juan,  par  une  œuvre  plus  an- 
cienne encore,  Orphée  de  Gluck,  est  un  signe  manifeste  de 
cette  hetireuse  disposition.  En  même  temps,  les  chefs- 
d'œuvre  de  Bach,  considérés  naguère  avec  un  respect  qui 
n'avait  d'égale  que  l'ignorance  où  l'on  était  de  leurs  véritables 
mérites,  ont  obtenu  une  admiration  plus  éclairée  en  repre- 
nant leur  place  légitime  au  soleil  de  l'art.  Les  beautés  plus 
anciennes  encore  de  la  musique  palestrinienne  nous  ont 
été  révélées  à  nouveau,  et  ont  répandu  un  charme  auquel 
aucune  âme  éprise  d'idéal  n'a  su  résister.  Les  chansons  po- 
pulaires, vestiges  autrefois  dédaignés  de  l'art  primitif  de  la 
race,  ont  donné  lieu  à  des  recherches  patientes  et  à  des  re- 
constitutions dont  beaucoup  d'esprits  très  modernes  ont  res- 
senti le  charme  naïf.  Cette  curiosité  du  passé  de  notre  art  a 
été  jusqu'à  permettre  de  représenter  publiquement  une  œuvre 
musicale  et  scénique  vieille  de  plus  de  six  siècles,  te  Jeu  de 
Hobin  et  Marion,  où  le  trouvère  Adam  de  la  Halle  a  condensé 
en  quelques  fins  couplets  la  substance  musicale  de  l'esprit 
profane  et  populaire  du  moyen  âge.  Enfin,  remontant  plus 
haut  encore,  des  érudits  se  sont  occupés  de  retrouver,  au 
milieu  des  ruines,  le  secret  des  primitifs  chants  de  l'Église 
chrétienne  ou  de  la  musique  de  l'antiquité,  apportant  ainsi 
les  plus  vénérables  témoignages  que  l'on  puisse  souhaiter  de 
l'éternité  de  l'art  musical. 

Eq  même  temps  qu'elle  prête  ainsi   l'oreille  à  la  «  vieille 


394 


LE  MENESTREL 


chanson  »,  notre  époque  écoute  avec  i.ne  sympathie  non 
moins  sincère  la  voix  puissante  de  l'art  nouveau.  Elle  a 
acclamé  Wagner  :  jamais  les  représentations  de  Bayreuth 
u'ont  été  suivies  par  une  foule  plus  nombreuse  et  plus  atten- 
tive. Berlioz  a  obtenu  sa  réhabilitation  définitive,  et  l'on  vient 
de  célébrer  triomphalement  le  cinquantenaire  de  son  chef- 
d'œuvre  le  plus  populaire.  Nul  n'oserait  toucher  à  la  gloire 
de  Beethoven,  dont  les  œuvres  sublimes,  si  longtemps  incom- 
prises, —  telle  la  Neuvième  Symphonie  —  apparaissent 
aujourd'hui  comme  des  sommets  resplendissants. 

C'est  ainsi  que  l'on  en  est  arrivé  à  comprendre  que  l'ad- 
miration du  temps  présent  n'exclut  pas  le  respect  de  l'œuvre 
(lu  passé,  et  réciproquement  ;  que  l'on  peut  avoir  le  culte 
des  anciens  maîtres  sans  mériter  le  reproche  de  vieux  pédant, 
et  saluer  en  même  temps  le  génie  d'un  "Wagner  sans  être  un 
esprit  subversif;  qu'enfin  rien  de  tout  cela  n'est  de  nature 
à  nous  empêcher  d'aimer  Mozart. 

L'auteur  de  Don  Giovanni  tient  en  eiîet  dignement  son  rang 
dans  le  noble  groupe  des  élus  de  l'art,  dans  lequel  il  semble 
avoir  sa  place  tout  au  milieu,  entre  les  vieux  maîtres,  aux- 
quels certains  traits  de  son  esprit  classique  le  rattachent 
encore,  et  les  modernes,  desquels,  libre  déjà  de  beaucoup 
d'entraves,  il  se  rapproche  résolument,  à  tel  point  que  l'on 
pourrait  presque  l'en  compter  comme  le  premier.  Son  Don  Juan, 
œuvre-  du  dix-huitième  siècle,  compris  et  acclamé  par  le 
public  d'une  petite  ville  allemande  dès  le  soir  de  sa  pre- 
mière apparition,  a  été,  depuis  ce  jour,  l'objet  d'hommages 
rendus  par  les  génies  les  plus  divers,  et  tels  que,  sans 
doute,  aucune  autre  œuvre  de  l'esprit  humain  n'en  provoqua 
jamais  d'aussi  unanimes. 

Voici  un  bouquet  de  ces  pensées  diverses,  exprimées  sur 
le  compte  du  chef-d'œuvre  de  Mozart  pendant  le  siècle  qui 
vient  de  s'écouler. 

La  première,  par  la  date  comme  par  la  renommée, 
émane  de  Napoléon.  En  route  pour  Austerlitz,  dans  le  temps 
même  qu'il  dirigeait  le  mouvement  mémorable  qui,  à  quel- 
ques jours  de  là,  devait  aboutir  à  la  capitulation  d'Ulm, 
l'empereur  trouvait  le  temps  d'aller  entendre  de  la  musique 
au  théâtre  de  la  petite  ville  allemande  qui  lui  servait  de 
quartier  général  : 

«  J'ai  entendu  hier  au  théâtre  de  cette  cour,  écrivait-il  de 
Ludwigsbourg,  le  12  vendémiaire  an  XIV  (4  octobre  180S), 
l'opéra  de  Don  Juan;  j'imagine  que  la  musique  de  cet  opéra 
est  la  même  que  celle  de  l'opéra  qu'on  donne  à  Paris  (1). 
Elle  m'a  paru  fort  bonne  (2).  » 

Cette  condescendance  à  approuver  l'œuvre,  non  encore 
consacrée,  du  divin  Mozart,  est  tout  à  l'honneur  du  goût  mu- 
sical de  Napoléon,  qui  ne   l'eut  pas  toujours  si  sur. 

Un  prince  de  la  pensée,  Gœthe,  s'exprima,  un  peu  plus 
tard,  en  des  termes  moins  cavaliers  : 

«  Gomment,  s'écrie-t-il  dans  un  de  ses  entretiens  avec 
Eckermann,  comment  ose-t-on  dire  que  Mozart  a  composé  son 
Diin  Juan?  Composition!  Comme  s'il  s'agissait  d'un  gâteau  ou 
il'iin  biscuit,  que  l'on  prépare  en  mélangeant  des  œufs,  de 
la  farine  et  du  sucre!...  » 

Le  caractère  musical  de  Don  Juan  avait  d'autant  plus  vive- 
ment frappé  le  poète  qu'il  y  avait  trouvé,  en  quelque  sorte, 
une  interprétation  idéale  de  son  propre  chef-d'œuvre.  Un 
jour  que  son  ami  lui  exprimait  le  vœu  que  Faust  devint  la 
matière  d'une  œuvre  musicale  digne  du  poème,  Gœthe  émit 
d'abord  des  doutes  sur  la  réalisation  d'un  teldésir;puisil  ajouta: 

'<  Cette  musique  devrait  être  dans  le  caractère  de  Don  Juan. 
Mozart  aurait  du  composer  le  Faust  !  (3)  » 

(A  suivre.)  Julien  Tiersoi. 

(11  Dun  .tuan  venait  en  effet  d'être  représenté  àl'Opérade  Paris,  le  30  fructidor 
an  \11I  (17  septembre  1805),  avec  un  arrangement  de  Kallvbrenner,  dont  les  beautés 
furent  longtemps  célèbres,  et  dont  la  principale,  qui  donnera  des  autres  une  idée 
suffisante,  consista  à  faire  chanter  le  trio  des  masques  par  des  gendarmes... 

(2;  Notre  confrère  Adolphe  .\derer  a  le  premier  signalé  cette  lettre  à  l'attention 
des  admirateurs  de  Mozart,  voire  à  ceux  de  Napoléon,  en  la  publiant  récem- 
ment dans  le  Temps. 

(3)  Entretiens  de  Goithe  avec  Eclcermann,  1829  et  1831. 


SEMAINE    THEATRALE 


Comkdie-Française.  —  L'Evasion,  pince  en  3  :^c■te:^.  de  M.  Bripux. 
P.\L.iis-RoY.\L.  —  Ferdinand  le  iVoceur,  comédie  eu  4  actes,  de  M.  Tj.  Gandillot. 

Pièce  à  thèse,  mais  aussi,  et  l'effort  est  de  quelque  mérite,  pièce  à 
portée  morale.  M.  Brieux,  d'ailleurs,  a  accoutumé  de  ne  point  écrire 
pour  ne  rien  dire.  Son  théâtre,  jusqu'à  présent,  avec  Blanchelle.  l'En- 
grenage, les  Bienfaiteurs,  et  plus  encore  avec  !'Ecasion,le  prouve  am 
plement.  Si  Icbut  visé  n'est  point  touché  au  bon  endroit,  l'essai  est 
loyal  et  non  sans  hardiesse  ;  si  les  forces  trahissent  l'écrivain  en 
chemin,  on  lui  doit  cependant  savoir  gré  de  la  tentative. 

L'Évasion  voudrait  prouver  la  fausseté  des  théories  sur  l'atavisme. 
Jean  Belmonl,  dont  le  père  s'est  tué  dans  un  accès  d'hypocondrie 
chronique,  et  Lucienne,  dont  la  mère  fut  de  mœurs  légères,  sont  les 
sujets  élus  par  M.  Brieux.  Suivant  les  diagnostics  péremploires  et  in-; 
discutables  du  célèbre  docteur  Bertry,  Jean,  triste,  morose,  ennuyé 
par  l'inaction,  et  Lucienne,  coquette  et  d'allures  libres,  doivent 
être  frappés  du  principe  héréditaire;  rien  ne  saurait  les  empêcher 
d'être  dégénérés  comme  ceux  dont  ils  naquirent,  et  c'est  au  nom  de 
la  science  infaillible  que  le  docteur  se  refuse  à  laisser  unir  ces  deux 
existences  vouées  au  malheur. 

Cependant  Jean  et  Lucienne  s'aiment  assez  pour,  en  s'appuyantl'un 
sur  l'autre,  tenter  1'  «  évasion  ».  Ils  se  marient  et  se  retirent  à  la  cam.- 
pagne.  Et  c'est  ici  que  les  arguments  choisis  par  M.  Brieux  poiir  dé- 
fendre sa  thèse  le  trahissent  en  n'aidant  que  trop  imparfaitement  à 
démontrer  ce  qu'il  entend  prouver.  Lucienne,  habituée  à  la  vie 
bruyante  et  aux  flirts,  s'ennuie  à  la  campagne,  comme  s'y  ennuierait 
légitimement  toute  autre  mondaine  subitement  condamnée  au  régime 
monotone  des  champs;  il  suffit  du  premier  freluquet  venu  pour 
qu'elle  se  laisse  redire  les  fadaises  qu'on  lui  débitait  couramment 
alors  qu'elle  était  jeune  fille,  qu'elle  y  retrouve  quelque  charme, 
regrette  de  plus  en  plus  Paris  et  se  mette  en  tète  que  décidément  le 
docteur  Bertry  avait  raison,  que  jamais  elle  ne  parviendra  à  être  une 
honnête  femme.  Une  scène  de  jalousie  de  Jean,  dont  la  triste  mélan- 
colie a  été  chassée  par  ses  occupations  de  gros  propriétaire,  amène 
une  rupture.  La  science  triomphera!  Jean  sera  reconquis  par  le 
spleen,  Lucienne  ne  pourra  que  vivre  comme  vécut  sa  mère  ! 

Or  comme  le  théâtre  de  M.  Brieux  est  moral,  je  l'ai  dit,  Jean 
et  Lucienne  l'emporteront  quand  même.  De  nouveau,  il  suffit  que  le 
docteur  Bertry  émette  quelques  doutes  sur  la  science  incapable  de  le 
sauver  d'une  maladie  de  cœur  dont  il  va  mourir,  il  suffit  qu'on  assure 
à  la  jeune  femme  que  sa  mère,  malgré  son  existence,  eut  un  excjl- 
lent  cœur  et  aima  profondément  sa  fille  et  l'iiomme  qui  est  sou  père, 
pour  que  les  deux  pauvres  condamnés  se  ressaisissent  et,  définiti- 
vement enfin,  s'évadent  de  l'élau  cruel  dans  lequel  d'inflexibles 
théories  avaient  essayé  de  les  enserrer. 

Si  l'argumentation  de  M.  Brieux  pèche  ou  par  banalité  ou  par 
timidité,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  son  observation  est  souvent 
subtile  et  juste,  que  son  dialogue  n'est  pas  sans  agrément  ni  sans  esprit, 
et  qu'en  plus  d'une  scène  l'homme  de  théâtre  se  fait  pressentir.  Le 
succès  est  allé  au  premier  acte  d'adroite  mise  en  œuvre  et  de  viru- 
lent plaidoyer  contre  la  médecine  et  les  médecins. 

Eu  suite  du  deuil  si  cruel  de  M""^'  Barlet,  c'est  M"''  Lara  qui  a 
a  hérité  le  rôle  de  Lucienne  et  y  a  prouvé  toutes  ses  qualités  de  sen- 
timent, d'émotion  etde  chaleur  communicative.  Mais,  encore  une  fois, 
que  M'"'  Lara,  dont  la  situation  à  la  Comédie-Française  est  désormais 
acquise,  prenne  grand  soin  de  son  articulation  ;  sa  voix,  qui  n'est  point 
de  parfaite  qualité,  l'oblige  plus  que  tout  autre  à  un  travail  assidu. 
M.  Duflos  a  heureusement  joué  Jean  Belmont  et  M.  Prudhon  a  donné 
une  fort  belle  allure  au  docteur  Bertry.  Dans  les  rôles  épisodiques, 
il  faut  féliciter  MM.  Paul  Mounet,  Joliet,Coquelin,  Truffier,  Delaunay 
et  M"'-  Reichenberg. 

Le  Palais-Royal  vient  de  joyeusement  monter  Ferdinand  le  Noceur, 
qui  durant  plusieurs  années  fit  les  beaux  soirs  et  soutint  la  destinée 
du  Théâtre-Déjazet.  Le  vaudeville  de  M.  Gandillot  est  demeuré  fort 
drolatique  et,  même,  de  quelque  originalité  dans  son  idée  première. 
La  troupe  du  Palais-Royal  enlève  de  verve  ces  quatre  actes,  et  de 
l'amusante  interprétation,  qui  comprend  MM.  Mangé,  Francès,  G-aby, 
M"«  Lender,  Franck-Mell,  Doriel,Narlay  et  Laborie,  il  faut  mettre  hors 
pair  l'étourdissant  Raimond  et  le  tout  rond  G-obin. 

Paul-É.mile  Chevalier. 


LE  MÉNESTREL 


395 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAOMENTS 

(Suite.) 


Quand  on  étudie  avec  l'esprit  d'analyse  la  classification  des  ac- 
cords de  septième  adoptée  par  la  grande  majorité  des  théoriciens  et 
enseignée  dans  presque  tous  les  Conservatoires  du  monds,  cette  clas- 
sification paraît  incomplète,  et,  en  un  certain  sens,  illogique. 

La  voici,  telle,  par  exemple,  que  la  donne  Reber  après  Reicha  et 
bien  d'autres  : 


^ 


¥= 


¥ 


|Vv>^>^ 


7edelÇ  espèce.  7' 
ou7?  dominante 


7Çd8  3?  espèce.  TÇde  4»  i 


Ce  qui  frappe  d'abord  dans  cet  exemple,  c'est  que,  bien  que  le 
théoricien  ait  toujours  adopté  le  ton  type  d'ut  majeu?-  pour  la  facilité  de 
ses  démonstrations,  ii  a  placé  ici  l'accord  appelé  par  lui  septième  de 
troisième  espèce  dans  un  autre  ton,  soit  en  la  mineur. 

Pourquoi  ? 

C'est  que  Reber,  comme  ses  devanciers,  a  fait  une  place  à  part  a 
cette  sorte  d'accord  de  septième  alors  qu'elle  est  tout  simplement  l'accord 
de  septième  de  deuxième  espèce  légèrement  modifié  en  sa  quinte  qui  est 
devenue  mineure  (1). 

Cet  accord  se  résout,  en  sa  marche  naturelle,  sur  l'accord  de  sep- 
tième dominante,  soit,  une  quarte  au-dessus  ou  une  quinte  au-dessous  du 
degré  sur  lequel  il  est  placé  ;  —  ou  encore  sans  changer  de  degré,  en 
se  penchant,  en  quelque  sorte,  sur  le  second  renversement  de  cette 
même  septième  dominante. 

(En La  mineur) 


3?  espèce 


Il  suit  donc  exactement  la  même  marche  dans  le  modo  mineur  que 
l'aecord  de  septième  de  deuxième  espèce  dans  le  mode  majeur  et  en 
a  toutes  les  caractéi-isliques. 


2? espèce 


Lui  aussi  est  la  dominante  de  la  dominante. 

Sa  situation  est  pareille  à  celle  de  l'accord  de  neuvième. 

Il  y  a  un  accord  de  septième  mineure  (ou  de  deuxième  espèce), 
avec  quinte  majeure,  et  il  y  a  un  accord  de  septième  mineure  avec 
quinte  mineure,  comme  il  y  a  un  accord  de  neuvième  majeure  et  un  ac- 
cord de  neuvième  mineure. 

Dès  lors,  pourquoi  en  faire  une  espèce  à  parti  Ces  deux  accords, 
séparés  aujourd'hui  par  la  désignation  de  deuxième  et  de  troisième 
espèce,  devraient  être  rapprochés  au  contraire  par  le  même  vocable, 
et  cités  dans  le  même  ton  au  cours  des  ouvrages  didactiques,  comme 
les  accords  de  neuvième  majeure  et  mineure. 

Autre  chose  : 


L'agrégation   de  sons 


1^  dénommée  par  Reber 


septième  de  troisième  espèce,  comprend,  —  on  le  sait  —  sous  la  même 
disposition  de  notes,  deux  accords  homophones,  mais  absolument  dis- 
tincts, dont  la  signification  varie  suivant  leur  application. 

Tels,  dans  le  langage  parlé,  des  mots  ayant  deux  sens  tout  à 
fait  dissemblables,  comme,  par  exemple,  en  français,  le  mot  vol,  qui 
exprime  à  la  fois  l'action  par  un  être  ailé  de  s'élever,  de  circuler  dans 
l'air,  et  l'action  par  un  filou  de  dérober  un  objet  appartenant  à  autrui. 


(1)  Il  semble  C|u'il  n'ait  pas  voulu  accentuer  ce  rapprochement  en  le  présen- 
tant dans  le  même  ton. 


L'un  ou  l'autre  de  ces  sens  ne  sont  déterminés  que  par  la  phrase 
dans  laquelle  le  mot  est  encadré. 

De  même,  la  signification  de  l'accord  qui  nous  occupe  n'est  déter- 
minée que  par  celle  des  accords  qui  le  précèdent  et  le  suivent;  et 
cette  signification  varie  tellement  dans  l'un  et  l'autre  cas,  que  ces 
de'ix  accords  —  les  mêmes  pour  l'œil  et  les  mêmes  pour- l'oreille, 
—  nous  causent  une  sensation  absolument  différente,  suivant  la 
manière  dont  ils  sont  présentés. 

Tantôt  cet  accord  a  l'origine,  la  marche  et  la  résolution  rappelés 
ci-dessus. 

Tantôt  il  est  sous-tonique  et  se  résout  nécessairement  un  degré 
au-dessus  de  celui  sur  lequel  il  est  placé,  soit  sur  la  tonique: 


Il  est  alors  l'accord  très  particulier  que  les  théoriciens  appellent 
septième  de  sensible. 

Ce  dernier,  je  ne  le  vois  pas  dans  la  classification  de  Reber. 

Je  n'y  vois  pas  davantage  son  congénère,  que  j'appellerais  volon- 
tiers, pour  la  clarté  du  raisonnement,  sa  femelle,  —  l'accord  si  connu 
de  septième  diminuée: 


.J'entends  bien  :  Reber  et  les  autres  nous  représentent,  dans  un 
chapitre  à  part,  que  l'accord  de  septième  de  sensible  est  simplement 
l'accord, de  neuvième  majeure  dont  on  a  retranché  la  base,  comme 
l'accord  de  septième  diminuée  est  un  accord  de  neuvième  mineure  dont 
on  a  coupé  la  fondamentale. 

Il  n'en  demeure  pas  moins  que  l'un  et  l'autre  de  ces  accords  sont 
bel  et  bien  des  accords  de  septième,  —  que,  comprenant  une  agré- 
gation de  trois  tierces,  ils  donnent  à  l'oreille  la  sensation  d'accords 
complets,  se  suffisant  à  eux-mêmes,  et  en  ont  les  caractères;  —  enfin 
que  l'un  d'eux,  l'accord  de  septième  diminuée,  —  est  d'un  usage 
constant,  bien  autrement  fréquent  que  l'accord  de  neuvième  mineure, 
dont  il  est  dérivé. 

S'il  en  est  bien  ainsi,  pourquoi  n'en  parler  qu'en  marge?  pourquoi 
ne  pas  les  comprendre  dans  une  classification  complète  d'accords  de 
la  même  famille? 

Quand  on  a  épuisé  ces  déductions,  on  se  demande  pourquoi  la 
numération  des  accords  de  septième  ne  serait  pas  changée,  et  leur 
classification  établie  comme  suit  : 

Accords    de 


(  '  )  oo,  pour  étibf.run  paraU^ 

(A  suivre.} 


A.    MONTAUX. 


LE   CHŒUR  «  LA   GEABITÉ  »   DE  ROSSINI 


Un  est  quelquefois  très  long  à  connaître  toule  l'iiistuire  d'un  chef-d'œuvre. 
Donnons-en  pour  preuve  nouvelle  celle  du  fameux  choeur  de  Rossini,  la 
Charité,  pour  trois  voix  de  femmes  avec  soli. 

Ces  jours  derniers,  parmi  des  broutilles  provenant  de  l'éditeur  Troupenas, 
mon  ami  Charles  Malherl)e  acheta  à  l'iiotel  Urouot  quelques  feuillets  auto- 
graphes d'Auber,  parmi  lesquels  se  trouvail,  (eu  ropie)  une  pièce  intitulée 
Coro  con  solo,  qu'il  oflrait  à  la  bibliothèque  du  Conservatoire.  A  la  fin  de  ce 
manuscrit  on  lil  :  Gioacchino  Rossini  à  son  ami  Troupenas,  Bologne,  ce  22  juin 


18/14.  Ces  deux 
celui  que  nous 
cent  ainsi  : 


uni  de  la  main  de  Rossini,  et  te  chœur  n'est  autre  que 
^(in>  siius  le  titre  de  la  Charité,  hes  paroles  commen- 

Mnria  dolcissima  madré  (Vamor 
Fido  refufjio  dd  umiin  cor 
0  Sfinia  Vergine  chi  se  non  tu 
Possède  l'inthno  de!  mi'o  Jesù. 

l'ersoune  n'ira  s'imaginer  que  l'éditeur  Troupenas,  qui  composait  lui- 
même  dans  ses  moments  perdus,  ayant  reçu  ce  chœur  charmant  et  l'ayant 
lait  graver,  pût  avoir  l'idée  de  se  servir  de  ces  mêmes  paroles  pour  les  mettre 


.396 


LE  MÉNESTREL 


en  musique,  non  certes  :  c'est  le  contraire  qui  arriva.  Troupenas  avait  mis 
ces  paroles  italiennes  en  musique  avant  Rossini  :  j'ai  acquis  à  la  vente  citée 
plus  haut  des  paperasses  de  Troupenas,  parmi  lesquelles  ce  chœur  se  trouve 
à  l'état  d'embryon  d'aljord,  puis  on  le  voit  se  développer  et  grandir,  après 
maintes  versions  différentes,  qui  toutes  portent  encore  des  corrections  au 
crayon. 

Enfin,  Troupenas,  sans  doute  satisfait  de  son  travail,  le  fit  graver;  j'en  pos- 
sède six  épreuves,  partition  avec  piano,  plus  dix-huit  épreuves  des  parties 
séparées).  Il  n'y  avait  plus  qu'à  faire  tirer  et  mettre  en  vente.  Mais  alors 
Troupenas  se  fit  probablement  ce  raisonnement  :  il  me  paraît  difficile  de  faire 
mieux  sur  ces  paroles,  cependant  je  voudrais  en  être  sûr.  Et  il  envoya  ces 
paroles  italiennes  à  Rossini,  qui.  en  un  tour  de  main,  écrivit  le  ravissant 
choeur  à  trois  voix  qu'on  connait  et  le  lit  tenir  à  son  éditeur. 

Toupenas  se  connaissait  assez  bien  en  musique  pour  deviner  tout  aussitôt 
une  véritable  inspiration  dans  cette  petite  œuvre  de  Rossini. 

Il  y  fallait  un  texte  français,  qu'on  demanda  à  M»"»  Louise  Colet.  Celle-ci  ne 
s'occupa  nullement  de  traduire  la  poésie  italienne,  mais  elle  s'inspira  d'un 
sujet  de  son  choix  et  son  adaptation  est  vraiment  réussie. 

Quand,  après  la  mort  de  Troupenas,  les  œuvres  de  Rossini  passèrent  à  la 
maison  Brandus,  on  y  continua  cette  bonne  vente  du  chœur  de  la  Charité. 
Pour  n'en  rien  perdre,  et  surtout  pour  ne  pas  se  laisser  contrefaire  en  Italie, 
on  commanda  un  texte  italien,  qui  fut  tout  simplement  une  traduction  à  peu 
près  textuelle  des  vers  de  M.'^^  Louise  Colet. 
Force  de  Tàme, 


0  charité. 

Ta  voix  enflamme 

L'humanité  ! 


Per  te  s^accende 
Vumanità  ! 


Il  y  a  encore  un  mot  à  dire  sur  ce  même  sujet.  Eu  1850,  la  société  Sainte 
Cécile,  dirigée  par  Seghers  et  dont  les  chœurs  m'étaient  coniiés,  devait  exécu- 
ter la  Chanté  avec  les  solos  chantés  par  M"""  Carvalho.  Seghers  m'engagea  à 
orchestrer  ce  petit  chœur.  J'allai  montrer  mon  travail  à  Rossini  qui  n'avait 
jamais  écrit  pour  ce  morceau  qu'un  accompagnement  de  piano.  Le  maître 
me  dit  après  ravoir  lu  :  «  C'est  tout  ce  qu'il  faut  »  ;  je  n'avais  pas  ajouté  un 
iota  à  la  partition  du  maître. 

La  maison  Brandus  fit  graver  cette  orchestration,  et  comme  on  n'en  avait 
pas  d'autre,  elle  a  toujours  servi  aux  exécutions.  Grande  a  été  ma  surprise 
de  trouver,  dans  cette  vente  de  l'éditeur  Troupenas,  la  Charité  orchestrée  par 
Auber  !  Rossini  ignorait  cela  évidemment  quand  je  lui  ai  fait  voir  mon  tra- 
vail, sans  cela  il  me  l'aurait  dit.  Cette  orchestration  n'a  d'ailleurs  jamais  été 
gravée,  et  n'a  jamais  été  dans  la  possession  de  la  maison  Brandus. 

■Voici  comment  on  peut  expliquer  cette  singularité  :  au  moment  du  grand 
succès  de  la  Charité,  Auber  était  le  directeur  des  concerts  de  la  Cour,  sous 
le  roi  Louis-Philippe  :  on  y  aura  voulu  entendre  cette  nouvelle  composition 
de  Rossini  (qui  ne  l'a  écrite  que  pour  chant  et  piano)  :  il  est  donc  plus  que 
probable  que  cette  orchestration  a  été  faite  pour  cette  circonstance.  Auber  ne 
tenait  que  médiocrement  à  ce  que  Troupenas  publiât  son  travail,  ne  désirant 
pas,  aux  yeux  du  public,  passer  pour  a  l'orchestreur  »  de  Rossini,  qui  était 
vivant:  et  jusqu'à  preuve  du  contraire,  il  est  permis  d'adopter  cette  expli- 
cation. 

J.-B.  "Weckekun. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


Concerts  du  Chàtelel.  —  Petite  solennité  comméniorativo  à  l'nccasion  du 
cinquantenaire  de  la  Damnation  de  Faust.  Un  joli  programme  nous  rappelle 
que  l'entrée  dans  le  monde  musical  de  cette  œuvre  de  génie  fut  pleine  de 
tristesse.  C'était  à  la  salle  Favart,  le  6  décembre  1846.  Les  assistants  ne  man- 
quèrent pas  de  chaleur  pour  quelques  parties  de  l'ouvrage,  mais  ils  étaient  si 
peu  nombreux  !  M°"=  Duflos-Maillart  et  MM.  Roger  et  Hermann-Léon  rem- 
plissaient les  principaux  rôles.  Roger  a  confessé  plus  tard  que  son  amitié 
pour  Berlioz  l'avait  seule  soutenu  pendant  l'exécution,  car  sa  conviction  dans 
le  mérite  de  l'ouvrage  ne  s'est  faite,  de  son  propre  aveu,  qu'en  1870,  lorsque 
l'enthousiasme  instinctif  de  la  foule  affirma  en  un  jour  ce  que  sa  culture  ar- 
tistique n'avait  pu  lui  révéler  après  des  semaines  d'études.  Hermann-Léon 
possédait  une  voix  de  basse  chantante  remarquable  par  son  timbre,  son 
étendue  et  sa  solidité.  Il  était  parfait  comédien  et  fut  un  bon  Mephistophélès., 
La  82^  audition  a  eu  pour  interprètes  M'"  Marcella  Pregi,  dont  la  voix  pure 
et  l'excellente  diction  ne  laissent  pas  une  note  du  texte  musical  sans  la  mettre 
en  valeur  avec  un  sentiment  délicat  des  nuances  :  M.  Cazeneuve,  dont  il  faut 
apprécier  les  qualités  térieuses,  mais  auquel  ou  saurait  gré  de  ne  pas  changer 
la  musique  sur  ces  mots  :  «  d'un  éclat  guerrier,  les  campagnes  se  parent  »,  car 
il  remplace  une  noble  phrase  par  une  banalité  qui  entache  tout  le  passage 
comme  une  éclaboussure;  enfin  M.  Auguez,  toujours  impeccable  et  sûr  de 
ses  effets,  mémo  quand  la  tache  qu'il  doit  remplir  est  peu  conforme  à  la 
nature  peu  humoristique  de  son  talent.  N'oublions  pas  M.  Ghallet,  qui  a  lancé 
avec  entrain  les  couplets  du  rat  et  sa  partie  dans  la  fugue  de  l'Amen. 
M.  Colonne  a  dirigé  avec  une  conviction  manifestement  décuplée.  Berlioz 
aurait  déclaré  foudroyante  l'exécution  de  la  Marche  hongroise  et,  certes,  s'il 
eut  été  présent,  il  aurait  pu  se  prendre  pour  un  dieu  et  jouir  de  son  apo- 
théose. Les  bis  d'usage  et  des  acclamations  sans  fin  ont  récompensé  le  chef 
d'orchestre  de  sa  fidélité  à  la  gloire  du  Maître;  mais  ce  qui  sera  plus  flatteui- 
encore  et  aussi  mérité,  ce  sera  de  lui  dire  qu'il  a  trouvé  l'interprétation  par- 


faite des  derniers  grands  récils  du  Pandœmonium  et  de  leur  jonction  avec  le 
chœur  final.  Là  est  désormais  le  point  culminani  de  l'œuvre,  à  cet  endroit  ox'i 
l'angoisse  halelanle.  suivie  de  l'attendrissement  le  plus  irrésistible,  porte 
l'émotion  ;ni  plus  luuil  degré  de  puissance.  Jusqu'à  la  dernière  noir, 
M.  ColiMHic  a  i.Miu  s.ui  auditoire  entièrement  sous  le  charme. 

Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Si  M.  Lamoureux  exagère  la  dose  de  AVagner 
qu'il  administre  à  ses  auditeurs  habituels,  on  peut  lui  rendre  jusqu'à  présent 
cette  jusiice  qu'il  n'abandonne  pas  tout  à  fait  Beethoven,  et  que  c'est  encore 
au  Conservatoire  et  chez  lui  qu'on  rencontre  la  meilleure  exécution  de  ce 
maître  incomparable.  Le  concert  de  dimanche  dernier  était  une  excellente 
«  leçon  de  choses  ».  On  pouvait  comparer  les  deux  manières  d'écrire:  celte 
Symphonie  héroïque,  sur  laquelle  on  a  tant  disserté,  qui  a  été  l'objet  d'une 
foule  d'explications  plus  ou  moins  aventureuses,  est  et  reste  une  .merveille: 
tous  les  sentiments  y  sont  dépeints  avec  une  puissance  sans  égale.  Mais  ce 
que  je  tiens  à  faire  ressortir,  c'est  son  admirable  clarté,  cette  orchestration 
transparente  comme  un  pur  cristal,  ces  délicatesses  de  touche,  ces  ornements 
délicieux  qui  courent,  sans  l'obscurcir,  autour  d'une  idée  toujours  noble,  qu'elle 
exprime  la  joie  ou  la  douleur.  Les  cordes  sont  l'âme  de  cette  musique, 
les  instruments  à  vent  n'interviennent  que  pour  varier  les  sensations:  on 
marche  de  surprise  en  surprise,  les  silences  mêmes  sont  éloquents.  Comparez 
à  tout  cela  la  manière  d'écrire  de  'Wagner.  J'en  demande  humblement  pardon 
aux  wagnériens,  mais,  pour  moi,  c'est  un  recul  au  lieu  d'être  un  progrès,  Cet 
orchestremugissant  dans  lequel  tous  les  instruments  jadis  connus  et  beaucoup 
d'autres  qu'on  a  inventés  depuis,  prennent  part  à  la  fête  et  suppriment,  le 
plus  souvent,  le  coloris  musical  par  l'emploi  simultané  do  toutes  les  couleurs  : 
cette  prétendue  mélodie  continue  qui  jamais  ne  s'arrête  et  n'est  que  le  ressas- 
sement  perpéluol  dune  formule  qu'on  étire,  qu'on  allonge  par  un  système  de 
modulations  qu'on  eût  jugées  autrefois  insupportables  :  cet  effet  de  gros  accor- 
déon qui  pousse  des  soupirs  gigantesques,  est-ce  bien  là  un  art  nouveau,  celui 
qui  devra  détrôner  celui  des  grands  maîtres  classiques?  Certes,  il  y  a  dans 
■Wagner  des  pages  admirables  :  la  marche  du  Crépuscule  des  dieux  peut  être 
comparée  à  la  marche  funèbre  de  VHéroique.  Ce  que  je  déplore,  c'est  le  sys- 
tème. Quand,  après  le  meilleur  Wagner,  j'entends  une  symphonie  de  Bee- 
thoven, même  d'Haydn,  j'éprouve  un  plaisir  sans  mélange  et  une  admiration 
sans  limites.  Les  fragments  du  l"  acte  de  la  Valkyrie  soot  loin,  du  reste, 
de  produire  au  concert  l'effet  qu'ils  produisent  au  théâtre.  La  Chanson  du 
Printemps,  le  duo  d'amour,  renferment  des  passages  pathétiques  qui  deman- 
dent le  prestige  de  la  scène  pour  émotionner  le  public.  —  L'exécution  a  été 
excellente.  M.  Engel  et  M""  Chrétien  ont  fait  de  louables  efforts  pour  luttci- 
contre  un  orchestre  formidable  et  aussi,  il  faut  bien  le  dire,  contre  la  mau- 
vaise sonorité  du  cirque,  H.  Barbedette. 

—  Les  impressions  neuves  sont  rares  en  matière  d'art,  et  l'émotion  qui  s'en 
dégage  est  d'autant  plus  puissante.  C'est  le  résultat  qu'a  produit  la  très  inté- 
ressante audition  des  Contes  mystiques  de  M.  Stephan  Bordèse,  donnée  cette 
semaine  à  la  Bodinière  par  M"'  Blanche  Marchés!,  dont  les  récents  succès  à 
Londres  ont  mis  le  talent  en  pleine  lumière.  Ces  Contes  mystiques  forment  un 
cycle  de  tout  petits  poèmes,  tendres  et  savoureux,  racontant  la  naissance  et 
l'enfance  du  Christ,  poèmes  que  l'auteur  a  eu  la  bonne  fortune  de  voir  mettre 
en  musique  par  douze  de  nos  compositeurs,  au  nombre  desquels  se  comptent 
les  plus  célèbres  de  ce  temps  :  M""^  Augusta  Holmes  et  Pauline  Viardol, 
MM.  Massenet,  Théodore  Dubois,  Saint-Saëns,  Paladilhe,  Ch.-M.  'Widor, 
Charles  Lenepveu,  Gabriel  Fauré,  Henri  Maréchal,  Charles  Lecocq  et  Edmond 
Diet.  Après  une  conférence  intéressante  de  M.  Henry  Fouquier,  destinée  à 
faire  connaître  le  sentiment  d'où  étaient  nés  ces  Contes  mystiques,  le  rideau 
s'est  levé  sur  un  décor  imprécis,  de  façon  orientale,  nous  montrant  M"'=  Blan- 
che Marches!  en  longue  tunique  blanche,  un  voile  couvrant  ses  épaules,  la 
main  gauche  appuyée  sur  une  sorte  de  fragment  de  mur  en  ruines.  Puis,  une 
harpe  et  une  flûte  se  font  entendre  au  loin,  bientôt  soutenus  par  les  accords 
d'un  piano,  et  la  cantatrice,  immobile  et  calme,  déroule  devant  nous,  de  sa 
belle  voix  et  de  son  style  si  pur,  sans  qu'on  perde  un  seul  mol  des  vers  du 
poète,  cette  très  curieuse  série  de  contes  lyriques,  en  commençant  par  Ce 
que  l'on  entend  da7is  la  nuit  de  Noël.  Plus  on  avance  et  plus  l'impression  est  in- 
tense, plus  les  auditeurs  sont  saisis  par  le  charme  et  le  calme  qui  se  déga- 
gent de  cette  poésie  et  de  cette  musique  ainsi  interprétées.  Car,  s'il  est  une 
chose  singulière,  c'est  le  sentiment  d'unité  sereine  qui  caractérise  à  un  haut 
degré  l'inspiration  de  tant  de  musiciens  divers.  Ils  ont  si  bien  compris,  cha 
cnn  de  leur  côté,  les  intentions  du  poète,  qu'ils  se  sont  complètement  iden- 
tifiés avec  lui,  et  que  de  cette  œuvre  collective  il  est  résulté  un  ensemble  où 
rien  ne  détonne,  où  tout  est  à  sa  place  et  qui  donne  l'impression  d'une  colla- 
boration unique.  Je  ne  m'aviserai  pas  do  faire  ici  la  part  de  chacun,  ce  qui 
serait  trop  long  d'ailleurs.  Je  dirai  seulement  que  l'efi'et  général  est  absolu- 
ment exquis,  et  que  le  talent  si  pur,  si  élégant  et  si  sobre  de  M""  Blanche 
Marchesi,  en  faisant  ressortir  de  la  laçon  la  plus  heureuse  la  valeur  des 
■vers  et  de  la  musique  de  ces  Contes  mystiques,  nous  a  donné  une  sensation 
d'art  telle  qu'on  en  éprouve  rarement  et  dont  l'émotion  était  délicioiiso. 
Aussi  n'est-il  pas  besoin  de  dire  combien  son  succès  a  été  grand,  sincère  et 
mérité.  A.  P. 

—  M.  Emile  Engel,  l'excellent  chanteur  dont  chacun  connaitlo  renuu'{|iiulil(i 
talent,  a  organisé  sons  ce  titre,  Une  heure  de  musique  moderne,  une  série  de 
douze  séances  exclusivement  consacrées  à  l'audition  d'œiivres  de  nos  comjio- 
siteurs  contemporains.  C'est  une  idée  généreuse,  et  dont  ou  ne  saurait  t]o|i 
le  féliciter.   La  première  de   ces  séances  avait  pour  héros  M.  Widor,  qui  a 


LE  MÉNESTREL 


397 


(l'aboid  exécuté,  ea  compagnie  de  MM.  Rémy  e;  Delsart  —  ce  qui  indique 
suffisamment  que  cette  exécution  était  excellente  —  son  intéressant  trio  en 
si  bémol,  dont  le  scherzo  surtout  est  pétillant  et  plein  de  grâce.  Après  quoi 
M""  Jeanne  Arbel,  de  l'Odéon  (qui  n'est  autre  que  M"«  Sltockvis,  naguère 
premier  prix  de  piano  au  Conservatoire  dans  la  classe  de  M™«  Massart),  est 
venue,  en  s'asseyant  au  piano,  déclamer  un  fragment  de  Conte  d'avril,  de 
M.  Dorcliain,  tout  en  exécutant  la  musique  de  M.  "Widor:  malgré  son  talent. 
l'elTot  m'a  paru  plus  curieux  que  réellement  heureux.  Enfin  M.  Engel,  de  sa 
belle  voix  et  de  son  articulation  superbe,  a  chanté  une  série  de  huit  mélo- 
dies écrites  par  M.  "Widor  sur  les  vers  de  Soirs  d'été,  de  M.  Paul  Bourget. 
Ici,  le  double  succès  du  chanteur  et  du  compositeur  a  été  très  grand.  On  a 
applaudi  surtout  Brise  du  soir,  le  Soir  et  la  Douleur,  et  on  a  bissé  Pourquoi'.' 
dont  le  très  grand  sentiment  dramatique  a  été  merveilleusement  rendu  par 
M.  Engd.  A.  P. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  ;  Symphonie  en  si  bémol  (Schumann)  ;  Chant  élégiaque,  chœur  (Beetho- 
ven); Concerto  pour  violon  (Mendelssohn),  par  M.  Sarazate  ;  Pufer  nosfer  (Verdi)  ;  Ouver- 
ture de  Benvemito  Cellini  (Berlioz). 

ChUtelet,  concert  Colonne  :  lu  Damnation  de  Faust  (B-'rlioz)  ;  soli  :  M""  Pregi, 
MM.  Emile  Cazeoeuve,  Auguez  et  Challet. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux  ;  Ouverture  du  Carnaval  romain 
(Berlioz);  Air  A'Elena  e  Paridi  (1769)  (Gluck),  chanté  par  M"'  Jenny  Passama  ;  Symplio- 
aie  en  ré  mineur  (César  Francis);  le  Chant  de  ta  cloche,  deuxième  tableau  :  l'Amour 
(Vincent  d'Indy),  Lénore  par  M"»  Jenny  Passama,  Wilheim  par  M.  Engel;  Prélude  de 
Parsifal  (Wagner)  ;  Ouverture  du  Vaisseau-Fantôme  (Wagner). 

— •  Les  concerts  de  l'Opéra  seront,  comme  l'année  dernière,  divisés  en  deux 
séries;  la  série  A  aux  dates  suivantes  :  3  et  24  janvier,  14  février,  7  et 
28  mars  ;  la  série  B,  les  10  et  31  janvier,  21  février,  Ib  mars  et  4  avril.  Voici 
le  programme  du  premier  concert  : 

1"  Symphonie  en  îtt,  première  audition  (Paul  Dukas)  ; 

2°  Paris  et  Hélène,  première  audition  (Gluck),  sélection  interprétée  par  M"'  Caron, 
M""  .Vdams  et  Beauvais,  et  les  cliœurs  ; 

3°  Mépinstophétés,  première  audition  (A.  Boito),  prologue.  M.  Delmas  et  les  chœurs. 

4"  Danses  de  Bon  ./«an  (Mozarl).  A.  Introduction;  B.  Sicilienne  variée;  C.  Menuet; 
D.  Marche  turque  (orchestrée  par  Auber).  Dansées  par  M""  Hirsch,  Désiré  Lobstein, 
Chabot,  Sandrini,  Piodi,  Salle,  Invernizzi,  Torri,  Robin;  MM.  Stille,  Marius  et  Girodier. 

~  MM.  I.  Philipp,  Rémy,  J.  Loeb,  G.  Gillet,  Turban,  Hennebains,  Reine, 
Letellier  et  Balbreck  donneront,  avec  le  concours  de  MM.  Delaborde,  Widor, 
Delsart,  Mimart,  Bas,  Delgrange,  Lafleurance,  van  "Waefi'elgbem,  Tracol, 
Franquin,  etc.,  six  séances  extrêmement  intéressantes.  Elle  auront  lieu 
chez  Erard,  et  commencer .mt  le  14  jauvier  1807.  Aux  programmes,  une 
série  d'œuvres  de  Rameau,  J.-S,  Bach,  Haendel,  Mozart  (concerlo  à  3  pianos), 
Beethoven  (septuor),  Mendelssohn  ("ocfuorj,  Schubert,  Schumann.  Chopin  et  de 
Saint-Saëns,  Lalo,  "Widor,  Dubois,  Emile  Bernard,  G.  Fauré.  Gh.  Lefebvre, 
Duvernoy,  Glazounow,  etc. 


NOU^^ELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (10  décembre)  : 

Le  deuxième  Concert  populaire,  dimanche  dernier,  a  pris  les  proportions 
d'un  grand  événement.  On  ne  connaissait  ici  M.  Richard  Strauss  que  de  répu- 
tation ;  on  savait  que  le  «  chef  de  la  jeune  école  allemande  »  était  un  compo- 
siteur fécond  et  un  chef  d'orchestre  autorisé  ;  mais  ses  œuvres,  à  part  une 
Symphonie  italienne  exécutée  par  M.  Joseph  Dupont  il  y  a  trois  ou  quatre  ans, 
et  qui  avait  fait  éprouver  au  public  moins  de  plaisir  que  de  désillusion, 
n'étaient  guère  parvenues  jusqu'à  nous.  L'intérêt  était  donc  très  vif,  et  le 
succès  a  été  considérable.  On  s'est  même  passionné  au  delà  des  habitudes.  Il 
y  a  eu  des  discussions  violentes  et  des  enthousiasmes  sans  réplique.  En  un 
mot,  personne  n'est  resté  indifférent.  C'est,  pour  celui  qui  en  a  été  l'objet,  le 
meilleur  signe  du  talent.  M.  Richard  Strauss  est  un  disciple  de  "Wagner  — 
est-il  besoin  de  le  dire  ?  (Jui  ne  l'est  pas  aujourd'hui?  Mais  peu  à  peu,  dans 
ses  œuvres,  on  le  sent  qui  se  dégage  des  premières  influences  et  apporte  un 
appoint  nouveau  à  l'art  dont  il  suit  les  règles  en  les  ajoutant  à  sa  propre  per- 
sonnalité! Cette  personnalité  s'affirme  surtout,  .ipremière  vue,  dans  la  forme, 
qui  est  d'une  rarj  splendeur  et  d'une  complication  plus  rare  encore.  M.  Strauss 
a  réussi  à  «  faire  plus  difficile  »  que  "Wagner,  et  à  enrichir  son  orchestre  de 
sonorités  et  de  ressources  imprévues.  Quant  au  fond,  il  serait  malaisé  de  se 
prononcer  après  une  ou  deux  seules  auditions  de  celte  musique  extraordinai- 
rement  touffue.  On  n'y  saisit  pas  tout  d'abord  le  développement  de  la  pensée, 
qui  parait  décousue  dans  le  rayonnement  de  l'orchestre,  incomparable  assu- 
rément au  point  de  vue  de  la  splendeur  harmonique.  C'est  de  la  musique  «  à 
programme  »,  procédant  beaucoup  de  Liszt,  —  de  la  musique  dramatique 
pour  concert.  Telles  nous  sont  apparues,  notamment,  les  Équipées  de  Till 
Eulenspiegel,  inspirées  du  personnage  légendaire  allemand,  d'un  merveil- 
leux coloris  instrumental,  et  le  poème  symphonique  Mort  et  Transfiguration, 
où  l'idée  plane  en  des  régions  supérieures  dans  une  superbe  envolée  lyrique, 
qui  semble  dénoter  chez  le  compositeur  autre  chose  qu'un  simple  «  fort  en 
thème  ».  On  a  dit  assez  justement  que  M.  Strauss,  à  l'inverse  de  Wagner,  de 
ses  grandes  lignes  et  de  ses  fameuses  progressions,  procède  par  laches  de 
couleurs  ;  c'est  moins  un  dessinateur  qu'un  impressionniste.  L'avenir  nous 
dira  si  c'est  un  génie  créateur  ou  simplement  un  homme  de  grand  talent  : 


M.  Strauss  n'a  que  trente-deux  ans.  A  côté  de  lui,  acclamé,  presque  porté  en 
triomphe,  le  public  des  Concerts  populaires  a  applaudi  M'"=  Vernina,  la  can- 
tatrice de  Bayreuth,  qui  a  chanté,  d'une  voix  superbe  et  avec  un  très  bon 
style,  malheureuseiTent  glacial,  des  «  mélodies  »  (si  j'ose  m'exprimer  ainsi) 
de  M.  Strauss  et  deux  fragments  du  Tannhduser. 

Le  premier  concert  du  Conservatoire  aura  lieu  le  20  de  ce  mois  :  on  y 
entendra  la  Passion  de  Bach,  dont  M.  Gevaert  prépare  une  exécution  com- 
plète avec  ce  souci  d'art  qu'il  met  dans  ces  admirables  reconstitutions  de 
chefs-d'œuvre  anciens.  Ce  sera  aussi  un  événement,  et  les  dispositions  qui 
sont  prises  à  ce  sujet  ne  sont  certes  point  banales.  Oyez  plutôt.  Le  concert 
durera  une  journée  entière,  coupée  en  deux.  On  commencera  à  dix  heures  et 
demie  du  matin.  Vers  midi,  après  la  première  partie,  il  y  aura  interruption 
jusqu'à  deux  heures  et  demie,  et  la  salle  devra  être  évacuée.  Ensuite,  reprise 
du  plaisir,  qui  durera  jusqu'à  quatre  heures  à  peu  près.  Pendant  ces  deux 
heures  d'interruption,  les  élèves  du  Conservatoire  qui  prennent  part  à  l'exé- 
cution ne  pourront  sortir  de  l'établissement:  on  leur  servira  un  déjeuner 
préparé  par  un  traiteur  des  environs:  il  sera  composé,  naturellament,  de 
nourritures  qui  n'altèrent  pas  la  voix,  et  devra  être  consommé  clans  le  silence 
et  le  recueillement.  Or,  il  parait  que  les  frais  de  ce  déjeuner,  qui  coûtera 
quinze  cents  francs,  seront  supportés  en  grande  partie  par  M.  Léon  Lam- 
bert-Rothschild, qui  montre  en  maintes  occasions  sa  sollicitude  pour  les 
choses  de  la  musique.  Celte  générosité  est  assez  piquante  et  ne  manque  pas 
d'esprit,  étant  donné  la  religion  du  donateur  et  le  caractère  essentiellement 
chrétien  de  l'œuvre  exécutée.  La  Providence  serait-elle  pour  quelque  chose 
dans  ce  juste  retour  des  choses  d'ici-bas,  à  dix-huit  siècles  de  distance?  Peut- 
être  bien. 

A  la  Monnaie,  on  joue  de  malchance.  A  peine  M.  Boyer  était-il  remis  de 
l'indisposition  qui  l'avait  atteint  le  soir  de  la  reprise  de  Don  César  de  Bazan, 
qu'il  est  retombé  malade,  inopinément.  Et  voilà  Don  César  une  seconde  fois 
arrêté!  La  direction  a  dû  accorder  un  congé  à  M.  Boyer.  D'autre  part, 
M.  Imbart  de  la  Tour  paie,  lui  aussi,  son  tribut  au  climat  bruxellois.  Et  la 
marche  du  répertoire  en  est  d'autant  plus  contrariée  que,  de  son  côté,  Phryné 
n'a  pu  réussir  à  y  ajouter  l'intérêt  qu'on  en  attendait.  En  désespoir  de  cause, 
on  s'est  mis  tout  aux  études  de  Fervaal;  on  prépare  une  reprise  de  la  Valkyrie 
avec  M.'""  Raunay-Sieglinde,  M""  Kutscherra-Brunhilde,  MM.  Imbart,  Seguin 
et  Dinard;  enbn,  on  remet  à  la  scène  une  ancienne  et  délicieuse  piécette  de 
Poise,  les  Charmeurs.  C'est  tout  ce  qu'on  pressent,  comme  nouveautés... 
Quant  à  Messidor,  qu'on  nous  promettait  pour  le  lendemain  de  la  première  à 
Paris,  la  direction  semble  y  avoir  déjà  renoncé.  L.  S. 

—  Liste  d'œuvres  françaises  jouées  de  l'autre  coté  du  Rhin  pendant  ces 
dernières  semaines.  A  Vienne:  Eamiel,  la  Juive,  Manon,  Faust, Sylvia,  Werther, 
Carmen,  le  Prophète,  Mignon,  le  Chevalier  d' Harmental,  Monsieur  et  Madame  Denis; 
à  Dresde  :  les  Huguenots,  Carmen,  Coppélia,  Mignon,  les  Dragons  de  Villars;  à 
Hambourg  :  Robert  le  Diable,  les  Dragons  de  Villars,  Médée,  la  Juive,  la  Fille  du 
Régiment,  Fra  Diauolo,  Jean  de  Paris:  à  Brème  :  Mignon,  Carmen,  la  Dame 
blanche,  Bobert  le  Diable;  à  Francfort  :  Carmen,  le  Prophète;  à  Cologne  :  le 
Prophète,  Mignon,  la  Juive,  les  Huguenots:  à  Berlin  :  Carmen,  les  Huguenots, 
l'Africaine,  Faust,  Benvenuto  Cellini,  le  Prophète;  à  Hanovre  :  les  Huguenots,  la 
Dame  blanche;  à  Leipzig  :  les  Deux  Journées,  le  Maçon. 

Le  ministère   de   la   guerre   d'Autriche- Hongrie    vient   d'adresser   aux 

commandants  de  corps  d'armée  une  circulaire  qui  mérite  d'être  signalée. 
On  sait  qu'en  Autriche,  les  musiques  militaires,  fort  nombreuses  et  pour  la 
plupart  excellentes,  jouent  dans  les  lieux  d'amusement  :  restaurants,  brasse- 
ries, etc.,  au  grand  détriment  des  musiciens  civils,  et  que  les  honoraires  que 
ces  musiques  reçoivent  dans  les  villes  importantes  forment  le  plus  clair  des 
revenus  de  leurs  chefs  et  des  musiciens.  Pour  corser  leurs  programmes,  les 
chefs  y  avaient,  dans  ces  derniers  temps,  ajouté  des  morceaux  où  plusieurs 
musiciens  sifflaient  avec  accompagnement  de  l'orchestre,  tout  comme  dans  le 
désopilanttrio  de  cambrioleurs  du  Papa  de  fî-ancine,  ou  chantaient  des  couplets. 
Inutile  de  dire  que  les  mélodies  sifflées  ou  chantées  par  les  soldats  étaient 
reprises  en  chœur  par  l'assistance,  et  que  dans  les  restaurants  d'un  rang 
inférieur,  les  morceaux  de  ce  genre  formaient  ce  que  les  étudiants  allemands 
appellent  initium  fidelitatis,  c'est-à-dire  le  signal  d'une  liesse  populaire  tant 
soit  peu  montmartroise.  Or,  le  minisire  do  la  guerre  s'est  ému  de  cet  état  de 
choses,  et  la  circulaire  dont  nous  parlons  interdit  aux  musiciens  militaires 
de  siffler  ou  de  chanter  autrement  que  par  incident,  de  sorte  qu'ils  ne  doivent 
plus  chanter  ni  siffler  des  mélodies  entières.  Dans  la  valse  fort  populaire 
Wiener  Madel'n  (les  Filles  viennoises),  par  exemple,  la  principale  mélodie  de 
la  valse  doit  être  sifflée  d'abord  par  la  musique  et  à  la  fin  reprise  en  chœur 
par  le  public;  celte  valse  est  dorénavant  mise  à  l'index  musices  prohibitœ,  ot 
les  Viennois  n'entendront  plus  leur  valse  favorite  jouée  par  les  musiques 
militaires.  Par  contre,  le  lied  extrêmement  populaire  :  Den  Weana  'set  Schan' 
(Le  genre  viennois),  qui  ne  contient  qu'un  signal  sifflé  au  commencement, 
reste  permis  aux  musiques  militaires.  On  voit  que  la  distinction  entre  les 
mélodies  permises  et  prohibées  demandera  quelquefois  un  casuiste  musical 
expérimenté,  et,  sans  être  pour  cela  le  colonel  Ramollot,  maint  colonel 
autrichien  n'osera  pas  appliquer  le  nouveau  réglomont  sans  demander  l'avis 
des  experts  qui,  naturellement,  émettront  des  opinions  contradictoires. 
Était-il  bien  nécessaire  de  causer  tant  d'ennuis  aux  musiques  militaires 
d'Autriche-Hongrie,  qui  forment  l'élément  le  plus  populaire  de  l'armée?  On 
se  le  demande. 

—  Une  nouvelle  assez  singulière  fait  en  ce  moment  le  tour  des  journaux 
étrangers.  Ces  journaux  assurent  que  la  direction  de  l'Opi'ra  de  Berlin  aurait 


398 


LE  MIÎNESTREL 


prié  Verdi  de  l'aire  i|uelciues  raudilii-atimis  ii  su  parliliuu  do  Luisd  Mitler,  i-e  ù 
quoi  l'illustre  compusileur  aurait  répondu  par  un  refus  net  et  ealéguriiiue, 
en.  alléguant,  avec  i(ueli|ue  raison,  que  la  longue  et  heureuse  carrière  de  l'el 
ouvrage  lui  démontrait  l'inutilité  de  toute  espèce  de  corrections. 

—  La  saison  des  concerts  sévit  déjà  à  Berlin  (infortunés  Berlinois!).  Il  s'en 
donne  chaqne  jour  quatre  ou  cinq,  et  le  jeudi  de  l'outre  semaine  on  eu  acompte 
jusqu'à  neuf  II  va  sans  dire  que  le  public  se  montre  un  peu  rétif  envers  les 
concertistes,  et  que  ceux-ci  jouent  la  plupart  du  temps  devant  des  salles»., 
peu  garnies:  mais  ils  comptent  sur  les  articles  des  journaux  pour  faire  con- 
naître leur  nom  et  leurs  exploits.  Or  voici  qu'uu  critique  influent  a  proposé 
à  son  journal  de  ne  rendre  compte  que  de  ceux  de  ces  concerts  qui  mérite- 
raient véritablement  d'être  signalés  au  public,  et  que  sa  proposition  a  été 
accueillie  avec  enthousiasme.  «  Et  si  tous  mes  confrères  font  comme  moi, 
dit-il,  les  artistes  y  regarderont  à  deux  fois  avant  de  dépensei'  sottement  leur 
argent  sans  avoirmème  l'espoir  de  voir  leur  nom  imprimé  dans  les  journaux.  » 

—  Le  gouvernement  hongrois  favorise  l'établissement,  à  Budapest,  d'une 
grande  manufacture  de  pianos  qui  disposera  do  capitaux  imporlanls,  alin  de 
pouvoir  lutter  contre  la  fabrication  viennoise. 

.  —  La  ville  de  Bayreuth  se  propose  d'ériger  un  monument  grandiose  à 
l'auteur  de  Parsifal.  Le  projet  consiste  en  un  temple  avec  coupole  et  colon- 
nades, qui  abritera  une  statue  du  maitre.  On  espère  pouvoir  inaugurer  ce 
monument  en  1901,  vingt-cinq  ans  après  l'inauguration  du  théâtre  Riihard- 
Wagner  à  Bayreuth. 

—  Un  opéra  intitulé  Wulfrin,  musique  d'e  M.  R.  Hermann,  a  remiiorlé  un 
succès  marqué  au  Théâtre  Municipal  de  Cologne. 

— On  vient  de  jouer  avec  succès  au  théâtre  municipal  de  Nuremlrcrg  un  opéra 
populaire  en  deux  actes  de  M.  Edouard  Ringler,  qui  est  intitulé  :  Le  C/icca/ier 
Eppetein  de  Gaiiingen.  Le  compLisileur  est  chef  do  chant  à  ce  Ihédlre. 

— -Le  nombre  de  compositeurs  princiers  augmente  continuellement.  A  Salz- 
bourg  vient  de  paraître  une  série  de  valses  intitulées  Mon  Favori,  dont  l'auteur 
est  l'archiduc  d'.^utridie  Pierre-Ferdinand.  KIs  de  l'ancien  grund-duc  de 
Toscane. 

—  Le  théâtre  de  Helsingfors  vient  de  jouer  avec  succès  le  premier  opéra  dû 
à  un  compositeur  finlandais.  Cet  ouvrage  a  pour  titre  Tornissa  olija  impi  (La 
vierge  dans  la  tourj,  et  le  sujet  est  tiré  d'une  ancienne  légende  liulaudaise. 

—  La  Soc  été  musicale  de  Christiania  vient  de  célébrer  le  iS-  anniversaire 
de  son  existence  par  trois  concerts  de  gala  qui  ont  été  dirigés  par 
Mil.  Edouard  Grieg,  Svendson  et  Solmer. 

—  On. écrit  de  La  Haye  :  «  Le  répertoire  français  continue  à  avoir  un  plein 
succès  au  Théâtre  Royal  de  La  Haye.  Pendant  ces  deux  premiers  mois  on  a 
joué  les  Huguenots,  Faust,  le  Songe,  le  Barbier,  Mignon,  Mireille,  Roméo  et  Ju- 
liette, etc.  Les  œuvres  de  nos  musiciens  français  sont  de  plus  en  plus  goûtées 
du  public  hollandais.  La  troupe  formée  par  M.  Mertens  est  d'ailleurs  excel- 
lente :  M"«  d'Avray,  MM.  Jacquin,  Duthoit,  etc.  Mignon  a  été  un  franc  succès 
pour  M"=  Peraldo,  dont  la  belle  voix  a  fait  merveille,  et  poiu'  M.  Dastrez, 
excellent  ténor  et  liagédien  lyrique.  » 

—  André  Chénier,  l'opéra  si  int('rcs3ant  du  jeune  compusitenr  (liiirdanu, 
commence  son  Unir  d'Europe.  Ou  en  iiiinouce  à  la  l'ois  des  n'iiri-sciilalious, 
pour  l'Autriche  et  l'Allemague,  à  Budapest,  à  Prague,  àHauibouri;,  ,i  l-'ranc- 
l'ort,  à  Breslau:  pour  la  Russie,  à  Pétersbourg  et  à  Moscou:  pour  l'Italie, 
à  Rome,  à  Naples,  ù  Turin,  à  Parme,  Mantoue,  Padoue,  Brescia,  Crémone, 
Trieste,  Palerme,  etc.  N'oublions  ]ias  Lisbonne  en  Portugal.  Pas  mal  pour 
commencer,  n'est-ce-pas '? 

—  Le  succès  de  l'opéra  de  M.  Giordauo,  André  Chénier.  est  tel  on  Italie  (et 
aussi  à  l'étranger,  car  ou  vient  de  le  représenter  triomphalemeul  à  Phila- 
delphie), qu'il  provoque  chez  nos  voisins  une  étude  attentive  et  spi''ciale  des 
œuvres  du  pnrlo  do  la  Jeune  Captive.  M.  Teodoro  Dupuy,  professeur  de  litté- 
rature fraiio;iise  :i  l'.Xc.iili'Qiie  royale  scientifique  et  littéraire  do  Milan,  vient 
il'inaugurer  son  iniiis  pur  nue  première  leçon  sur  «  la  poésie  française  durant 
la  période  révolutionnaire  »,  et  s'est  occupé  spécialement  d'André  Chénier. 
Ses  auditeurs  n'ont  pas  en  à  se  plaindre  s'il  a  pu  leur  faire  saisir  tout  le 
charme,  toute  la  saveur  exquise  des  vers  du  grand  poète,  s'il  leur  a  inspiré 
l'admiration  quo  mérite  l'auteur  délicieusement  mélodieux  du  Mendiant.  i\e  la 
Jeune  Tarentinc  et  de  V Hymne  à  la  France. 

—  En  Italie  des  représentations  de  Manon,  celle  de  M.  Massenet,  sont 
annoncées  à  Turin,  à  Ascoli,  Maulmie,  Crémone,  Gatanzaro,  Parme  et  Sau- 
Remo.  Werther  sera  donné  en  même  temps  à  la  Pergola  de  Floronoo  el  à 
San-Remo. 

—  MM.  Cosaii  et  Graziosi,  les  directeurs  du  théâtre  Argentina,  à  Rome, 
viennent  de  publier  leur  programme  de  la  saison  d'hiver.  Le  répertoire  com- 
|irend  cinq  opéras,  dont  quatre  nouveaux  pour  Rome:  Asrael,  de  M.  Fran- 
chetti:  Andréa  Chénier,  de  M.  Giordaun:  Caniurgo,  de  M.  De  Leva;  Falstaff  et 
le  Crépuscule  des  dieux.  La  troupe  cnuipiejul  les  noms  de  M°"=*  Carrera,  Bal- 
ducci,  Localelli,  Manfredini,  del  Fialo.  Ricci,  Pierantuni  et  Paganini,  les 
ténors  Borgatti,  Grani  et  Mariacher,  les  liarytons  Scotli  et  Bensande  et  les 
basses  De  Falco  et  Galli.  L'orchestre  aura  pour  clief  M.  Vitale. 

—  La  direction  de  l'Institut  musi:al  de  Gènes,  qui  était  vacante,  vient  d'être 
confiée  au  maestro  Carlo  Del  Signore,   que  le  conseil  communal  a  nommé 


par  3i  voix  sur  39  \otan(s.  Onze  aspirants  s'étaient  proseulés  pour  rouiplir 
ce  p.isto. 

—  On  a  exiTuto  dans  une  église  de  Trieste,  à  l'occasion  do  la  l'été  de  la 
Madone  du  Sahil,  une  messo  nouvelle  de  la  composition  do  M.  Giuseppe 
Rota,  dont  les  soli  .taionl  iliantés  par  MM.  Lombardi  et  Arturo  De  Filippi. 
Les  journaux  disent  grand  bien  de  cette  œuvre  imporlanto,  dont  (ui  a  surtout 
remarqué  Y  Ave  Maria  et  le  Benedictus. 

—  Une  dépêche  de  Cftsalmonferrat  annonce,  sans  plus  de  détails,  lo  succès 
d'un  nouvel  opéra,  Armida  e  Rinaldo,  dont  la  représentation  a  eu  lieu  le 
4  décembre  et  qui  est  r'ù  au  maestro  Aunibale  Pallizone. 

—  Voici  les  musiciens  d'orchestre  qui  se  font  directeurs  de  théâtre.  On 
écrit  de  Vérone  que  les  artistes  de  l'orchestre  du  grand  théâtre  de  cette  ville 
se  sont  constitués  en  société  coopérative  et  ont  sollicité  de  la  présidence 
une  subvention  de  9.000  francs  pour  l'exploitation  de  la  prochaine  saison, 
oil'rant  comme  cautionnement  la  somme  d'honoraires  qui  leur  reviendrait 
pour  leur  service  ordinaire,  soit  environ  8.000  francs.  En  cas  d'adhésion,  ils 
se  chargeraient  de  donner  une  série  de  quarante  représentations  avec  un  ré- 
pertoire qui  comprendrait  les  cnivrages  suivants  ;  Salvator  Rasa,  Linda  di 
Cliamounix,  Tiilli  in  maschera.  il  Birraio  di  Preston,  la  Sonnambula,  la  Contessa 
d'Amalft.  Gela  manquera  peut-otre  un  peu  de  nouveautés,  mais  l'idée  n'en 
osl  pas  moins  curieuse  et  intéressante. 

—  Une  dépêche  de  Novi-Ligure  annonce  le  très  grand  succès  d'un  opéra 
nouveau  représenté  en  cette  ville,  Innocente,  du  maestro  D'Angoli.  Exécution 
excellente,  nombreux  rappels  à  l'auteur,  trois  morceaux  bissés.  luterprètes  : 
U'""  Carielli,  MM.  Mauri  et  Achilh. 

—  M.  Ruperto  Ghapi,  l'un  des  sarzueleristes  les  plus  populaires  de  l'Espagne, 
\ient  de  terminer  la  partition  d'un  nouvel  opéra  qui  a  pour  titre  la  Virgonde 
Piedra. 

—  Les  mélodies  populaires  grecques  rapportées  d'Orient  jjarM.  Bourgault- 
Ducoudray  viennent  d'obtenir  à  Londres,  dans  un  concert  donné  par  le  chan- 
teur Aramis,  un  très  beau  succès  constaté  par  toute  la  presse  anglaise. 

—  On  a  donné  au  théâtre  Cervantes,  de  Malaga,  la  première  représenta- 
tion d'une  zarzuela  en  un  acte,  el  Amigo  de  Quevedo,  dont  la  musique,  duc 
au  compositeur  José  Cabas,  a  été  très  goûtée. 

—  Voilà  que  c'en  est  fait  déjà  de  la  tournée  d'opéra  Mapleson  aux  Étals- 
Unis.  Elle  avait  mal  commencé,  et  le  succès  d'André  Chénier  est  venu  trop 
tard  pour  la  sauver.  Elle  s'est  arrêtée  à  Boston,  où  le  fameux  colonel  a 
déposé  son  liilan.  Le  nerf  de  la  guerre  lui  faisait  conjplètement  défaut. 

PARIS   ET   DÉPARTEMENTS 

Donc,  on  a  foté  ol  de  la  belle  manière  cette  grande  artiste  qu'est 
M""  Sarah  Beruhardt.  On  lui  a  donné  des  banquets,  et  les  poètes  les  plus 
assermentés  l'ont  célébrée  de  leurs  sonnets  les  plus  ciselés  :  c'était  comme 
un  tournoi  dithyrambique.  Et,  maintenant  que  la  fumée  des  encens  est  dissi- 
pée, que  reste-t-il  de  toutes  ces  ivresses,  de  toute  cette  exaltation,  de  toutes 
ces  exubérances?  Il  reste  tout  simplement  les  belles  représentations  de 
Lorenzaccio  à  la  Renaissance.  C'esllà  où  l'art  de  M""  Sarah  Beruhardt  triomphe 
noblement  dans  sa  belle  liorli''...  et  on  anrail  peut-éire  (nul  aussi  bien  fait 
de  s'en  tenir  là.  Pourquoi'.'  .Mais  a  cause  do  ce  propos  tiinibé  de  la  bouche 
complaisante  d'un  éminent  baryton  qui  assistait  à  ces  agapes  délirantes:  » 
Voilà  qui  est  bien,  qui  est  parfait...  et  puis  cola  établit  un  i>récédent.  »  L'en- 
trevoyez-vous, le  danger?  C'est  une  sorio  qui  i:nmmence,  et  où  s'arrotera- 
t-elle'?  Nous  vivons  décidément  dans  un  siècle  où  le  comédien  règne  en 
triom)dialeur,  et  les  sages  d'autrebds  disaient  que  c'était  un  grand  indice 
de  la  décadence  d'un  pays. 

—  Dans  sa  dernière  séance  et  sur  l'inilialive  du  syndic,  M.  Bellan,  le  con- 
seil municipal  a  renvoyé  à  sa  3"  commission  une  proposition  tendant  à  faire 
donner  à  une  rue  de  Paris  le  nom  d'.\mbroise  Thomas.  Cette  procédure  fait 
prévon-  l'adoption  certaine  du  projet. 

—  Voici  M.  Gailliard  ilc  rolour  à  Paris,  ce  qui  donne  une  nouvelle  impul- 
sion aux  élnih'>  ili'  Messidor,  lo  nouvel  opéra  de  M.  Bruneau.  On  espère  arri- 
ver à  la  ro[irisonlaliou  vers  la  fin  de  janvier,  ou,  au  plus  tard,  dans  les  pre- 
miers jours  de  février. 

—  Le  transatlantique  la  Champagne,  qui  portait  la  troupe  de  M.  Grau  el  sa 
fortune  jusqu'à  New-York,  a  ]iu  enfin  arriver  à  destination,  après  une  tra- 
versée des  plus  pénibles,  par  une  mer  démontée  et  tumultueuse.  Bien  des 
artistes  qui  se  trouvaient  là  ont  dû,  pendant  la  tourmente,  maudire  plus 
d'une  fois  l'Amérique  et  ses  dollars,  et  regretter  la  tant  douce  France,  qui  no 
oimnait  guère  que  les  orages  parlementaires. 

—  On  sait  qu'un  musicien  -singulièrement  intéressant  vient  de  naître  à  l.i 
Belgique  en  la  personne  de  M.  Jan  Blockx,  l'auteur  de  cotte  œnvio  si 
curieuse,  si  mouvomenlée  el  ilo  si  puissante  polyphonie  qu'on  représente  on 
ce  moment  à  l'Opi'Tii  Ibimainl  iV  \ii\ns  som~  lo  lilir  iV Herbergprinses  (Prim-esse 
d'auberge).   Comme    qnolipn's  aniri'sdo  Paiis,   iiUii'('S  là-bas  par  le  bruit  (jue 

•  couniM'nri'  ;'i  l'airo  rcMo  iicMiNollo  ]iarlition  dans  les  milieux  d'artistes,  le 
peinlir-lilin'ili.sir  Hcin'i  ('..un  >'ost  trouvé  absolument  séduit  et  captivé  par 
celle  nnisiipio  ilo  im  sincoio  i-l  de  couleur  intense.  De  là  à  vouloir  faire  la 
connaissance  du  compositeur  ]jour  lui  exprimer  toute  son  admiration,  il  n'y 
avait  qu'un  pas.  Il  est  fait,  et  si  bien  qu'une  collaboration  immédiate  s'est 


LE  MENESTREL 


399 


noiKM-'  ont 
avail,  jusd 
les 
osscnlioll. 
Flaïuhv  : 
.l':ivis  .lp 


lï'  les  deux  amis,  i|iii  ne  se  r(Miii;ii<s,iirr,l  pas  la  veille.  Henri  Gain 
incnl  SOI-  le  iDi'lier,  ,i\e--  nul iv  ,(,l l;i liofaleur  Lucien  Snlvay,  (lonl. 
ponilaures  ili'  lielpii|ne  -uni  ici  l;iul  iipiu'.'cii'es,  un  poème  ilesseuce 
nienl  ilaniainlr.  fuii-iiuii  sur  le  njuiaii  si  poinilaire  en  ces  pays  de 
Thijl  lilensi'irijrl  {Tlnjl  l'Espiègle).  L'un  et  l'autre  librettistes  furent 
e  eenlicr  sans  plus  lardera  Jan  Blockx,  i|ui  apparaît  surtout  comme 
une  Mii-le  de  ïéniers  de  la  nnisii|ue.  excellant  dans  la  peinture  harmonique 
de-  kerines>es,  dans  leur  jiiii',  dans  le  prouiUemeut  des  foules  el  maniant 
f-.  nia^^r.  , ■II,, raies  r\  ,,,rli,,>hM  I,..  à  ,lix  ,-l  ,l(,ii/,,'  pai1i,'s  av,)r  une  ,d.,art('  et 
Mil,'  ;,|.:in,,,    siirpiviia  ni -~,    lOl    \,,,là    n!i,>    ,■,  ,1  i;i  l„,ral  n.n    n,.n,','à    l"ini|,roviste, 

—  Autre  déplacement  de  lihreltisie,  cette  semaine  encore.  M.  Michel  Carre, 
eu  compagnie  ,lu  eoiuposileur  Edmond  Missa,  s'est  rendu  cette  semaine  au 
Grand-TIu'àIre  ,1,,  Ly,,n.  p,,nr  faire  aux  arlistes  de  M.  Albert  'Vizentini  la  lec- 
ture de  son  uoiiv,':in  ,li',ii,ii':  l'Hôte.  M.  Missa  leur  a  l'ait  entendre  ensuite  sa 
miisiipie    El  l,'<  ,len\  :iiii,nii-s  ,iiil  eu  près  de  leurs  futurs    inlerprètes   le  plus 

p.as  paru  moins  l'inouvanl,',  loul  au  ,.-onlraire.  (in  l'a  ,IhI  lilai,',-  iinnhMJial,,- 
ment  à  M°i«  YalUuriez,  Mary  Girard  et  à  MM.  Mi,li;),dly.  C.lialiniii,  ,\riiis. 
tous  artistes  fort  appr,',.-ii"'S  îles  Lyonnais,  et  la  premier,'  r,'pr,'s,nilaiii,u  lai 
sera  donnée  dans  la  première  quinzaine  de  janvier. 

—  Enrte  déconvenue  vendredi  à  l'Opéra-Comique,  où  M»»  'Van  Zandt,  très 

M'-rii'iiMmanil  i;i'ipp,>,'.   ji'.i  pu  ,diaii(,n'  L.tl.mr.  Il  n  f.illu   rendiv  la  plus  grande 

p.irii,'  il'i ivi'.'iii'  .-iip,nli,'  ,pii  -,d,Miiii  ,1  simili  iViiiicx.  I',i,'li,nix  contretemps 

|ioiir   mi  iln'aire   ,] ,,   ,■, nnia iss:i 1 1    plu-    \r.-.    maii\,ais    pairs   et  marchait   à 

pleines  voiles  viTS  l:i    lorlnn,'  :n,',-  1,,^  ivpri'-enlalions  alternées  de  Bon  71(0)1 

et  de  Lakmé.  If ■iMi-,Mii,nii,  ,,ii  ,  -p,n('  ,iii,'  ,1,-  ,,'iie  siuuaine  M'''  Van  Zandt 

])aurra  reprendr..'  son  s(a\i,',' 

—  Le  jeune  ténor  Rivière.  ,dè\  e  ,1e  M""' Marie  Rozo,  a  débuté  cette  semaine 
à  l'Ôpéra-Comique.  dàn-  Rirluml  Cœur  de  Lion,  et  a  fait  très  bonne  impres- 
sion. 11  conduit  avec  sûreté  un  or;;aiie  sympathique. 

—  l'ne  pelile  as.;ocialion  courraternelle  de  plus  à  Paris!  Lis  En  soulein. 
r.Minimi  il'arlisles  prov,m,;aii.v  qui  compte,  ,lans  sou  eomilf'  MM.  .1.  Aicard. 
I'.  .\l,>vi-.  I',,ii,p]n'r.  i;  .Marlin,  Mistral.  Monlimard,  Keyer,  etc.,  M""=Mia- 
ivlla.  .\^iiss,>l,  .luiii'    llailini;  soni  déjà   niscriles    parmi  les  jolies  sociétaires. 

—  De  Lyon  :  la  première  reiu-i'senlation  île  Pmserpine  et  la  eréation  de 
Javotte,  le  nouveau  ballet  de  M.  Saint-Saéns,  ont  eu  lieu  au  Grand-Théâtre.  On 
fit  naturellement  le  meilleur  accueil  au  mailro  compositeur,  qui  a  consenti, 
dérogeant  à  ses  habitudes  en  matière  iliéàtrale,  :i  diriger  lui-même  la  pre- 
mière exécution  de  son  ballet.  Proserpine  est  une  parlilion  connue,  pleine  de 
eliarme  et  d,'  ],a.ssi,,n.  desservie  lu.illiiMir,  ii,.nn,'iii  pai'   un  livret  d'un  intérêt 

bien  min,','  el  peu  ,'apliv:.inl .  I,'iiil,>rpr,n.- i  ,■!,' rxcell, 'nie avec  M'"«»  Dhasty, 

Duperrel,  MM.  Jlik.edly.  Clialiiiui.  .\riii^.  Mi-,'  mi  --■mi,'.  iliv, us  et  costumes 
parfaits.  — Jarntir  esl  un,,  iiaiiilinn  n--e/,  iinn,,ri:iiii,>  :  irm-  t-ildeaux  déve- 
loppi'S.  Nul  ne  reroiinaiirail  i,  i  I,'  L;r:ivi'  et  si'vmv  aiUunr  de  lu  symphonie  en 
iil  mineur!  Une  orcln'-lralinn  |,i-lillante,  des  rythmes  francs  et  bien  venus, 
de  lenlrain.  s,int  le-  ,pi;iiii,'-  |,rincipales  de  ce  ballet  qui  nous  révèle  un 
Saiiil-^aéns  toui  ;',  fait  Mi.iiknnlii.  Le  sujet  de  iai'o»e.  dû  à  M.  Groze,  es:  très 
gracieux  dans  son  exinnne  simplicité.  Il  s'agit  d'une  jeune  paysanne  qui 
aime  ii  ce  poini  la  dans,'  qu'elle  s'enfuit  de  chez  ses  parents,  et  même  par  la 
fenêtre,  pour  aller  ligurer  au  bal  du  village.  Il  est  vrai  qu'elle  y  retrouve  sou 
amoureux,  lequel  à  la  lin  l'épouse  du  consentement  des  parents  de  Javotte, 
qui  voient  leur  courroux  s'évanouir  loi-sq ne  leur  lille.  au  concours  de  danse 
institué  dans  le  pays  en  une  sorle  de  tournoi,  obtientla  récompense  suprême. 
Ce  ballet,  très  bien  ri^glé  par  M.  Loyer  de  Tonde'ur.  qui  mime  et  danse  le 
rôle  de  l'amoureux  avec  beaucoup  de  correction,  a  valu  à  M"'  Damiani 
(Javotte)  un  succès  marqué:  cette  toute  jeune  et  mignonne  ballerine  y  a 
montré  de  rares  qualités  de  grâce  et  d'esprit.  Les  costumes  sont  charmants 
et  les  décors  frais  et  lumineux.  J.  jE.iuifi. 

—  Nous  avons  lu  avec  snrpiise  dans  un  journal  parisien,  qui  par  contre 
annonce  de  «  grands  triomphes  »  pour  des  œuvres  notoirement  tombées  aplat, 
que  le  succès  de  Thais  au  grand  théâtre  de  Bordeaux  était  seulement  ,.  assez 
vif  ,).  D'après  toutes  nos  nouvelles,  il  n'eu  est  guère  au  contraire  de  ■.<  plus  vif  ». 
Voici  déjà  l'ouvrage  arrivé,  en  moins  de  trnis  sem:iin,>s,  à  sa  onzième  repré- 
sentation, toujours  devant  des  salles  couild,-  ,'i  ,!,>  a,'clainations  pour  ses 
deux  remarquahles  interprètes,  M°"=  Georgelie  i.eljlaue  el  M,  Sentein,  Que 
\eni-,in  donc  de  plus  ,'  Les  directeurs  du  théâtre  se  di'clarent,  eux,  extrême- 

ut  satisfaits  et  n'ont  qu'un  i-egret,  c'est  de  voir  partir  au  milieu  de  janvier 

cette  artiste  si  curieuse  et  si  originale,  M'»»  Georgette  Leblanc,  qui  s'en 
va  donner  à  Nice   des  représentations  de  cette  mémo  et  glorieuse   Thàis. 

—  On  a  donné  récemment,  au  (irand-ïhéàtre  de  Bordeaux,  la  première 
représentation  d'un  ballet  nouveau,  le  Réveil  des  fleurs,  dont  le  scénario 
est  dii  il  M.  Lamy  et  la  musique  à  M.  Charles  Haring,  l'un  maître  de  ballet, 
l'autre  premier  chef  d'orchestre  de  ce  théâtre. 

—  Le  jeudi  24  décembre,  au  théâtre  Pompadour,  M.  Grelinger  donnera  une 
audition  de  ses  œuvres  musicales.  Il  fera  entendre  des  fragments  de  son 
opéra  Sombreval,  écrit  sur  un  livret  de  M.  Charles  Grandmougin. 

—  CoNCiiHTS  ET  Soirées.  —  M"'"  et  M""  Lafaix-Gomié  ont  repris  le  coursde leurs  mati- 
nées musicales  mensuelles,  si  profitables  aux  progrès  de  leurs  élèves.  Ont  été  très  joli- 
ment interprétées  de  nombreuses  mélodies  de  Massenet,  Théodore  Dubois,  Weckerlin.etr... 


E\cessi\'cment  goûté  le  charmant  duo  de  Cbimène  et  de  l'Infante,  du  Cid,  ainsi  que  celui 
de  Bcnédict  et  Béatrice,  de  Berlioz.  Très  applaudi  le  gracieux  Cliant  d'avril,  de  Théodore 
Lacii,  et  aussi  un  superbe  adagio  de  Beethovea  dont  le  joli  talent  de  Jl""  Lafaix-Gontié 
a  rendu  admirablement  la  large  et  evpressixc  beauté!  —  Lexamen  mensuel  des  élèves  de 
piano  de  M"»  L.  Aubry,  a  démontré,  une  fois  de  |,lus,  l'exiellence  d'un  enseignement 
sérieux  et  tout  à  fait  supérieur.  Une  vingtaine  de  jeunes  fdles  qui  prenaient  part  à 
cette  séance  ont  interprété,  avec  beaucoup  de  sûreté  et  une  giande  correction  de  style 
des  œuvres  des  maîtres  classiques  et  modernes.  Professeurs  et  élèves  ont  reçu  les 
félicitations  de  M.  Charles  René  qui  présidait  la  séance.  —  Très  intéressante  réunion 
musicale  chez  M.  et  M""  'Weingaertner.  L'excellent  violoniste  a  fait  entendre,  avec  sa 
fille,  la  sonate  de  Brahms  op.  100;  puis  seul,  une  série  de  pièces,  dont  la  Saltarelle  de 
Dubois,  qui  a  été  acclamée  et  bissée.  Non  moins  applaudis  (es  Poèmes  sylvestres  de 
Dubois,  joués  par  Marie  Weingaertnei'  avec  un  brio  et  une  verve  extraordinaires. 
M"'  Storell,  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  a  chanté  excellemment  des  airs  du  Manon,  de 
-Massenct,  et  de  Jean  de  Nivelle,  de  Delibes.  —  .Kn  Jardin  d'.4cclimatalion  très  grand  suc- 
cès pour  Jl""  Julie  Bressoles  dans  l'air  de  Marie-3l<igdeleine.  —  JI"  H,;iiriellc  ThuiUier 
a  donné  sa  première  réunion  d'élèves  de  la  saison,  La  séani^e  consacrée  à  l'audition 
des  œuvres  de  Raoul  Pugno  a  été  des  plus  brillantes,  M""  Éléonorc  Diane,  accompagnée 
par  le  maître  lui-mèrne,  a  divinement  chanté  plusieurs  de  ses  mélodies  dont  Chanson 
d'dulomne,  Slahin'  mui.  Citons  panai  les  élèves  les  plus  applaudies  :  M"°  Made- 
leine S.  {Marlvaudagr];  Renée  J.  (Variations  et  Valse  de  la  Danseuse  de  corde);  AhceL. 
.{iidaide  do  Viviane  et  Valse  de  Mnetle);  Fanny  V.  (Polketta);  Fernande  V.  [Valse  de 
Viviane);  Germaine  L.  S.  (Grande  Valse  de  concert);  Thérèse  B.  (Première  Mazurlce); 
M.  T.  de  \V.  (Libellules);  Madeleine  d'U  iValse  tente  et  Air  à  danser);  Valenline  M. 
'Troisième  Maziirke);  Pauline  U.  (Soir  ,è' ;,r(n/cm;,,^.  ;  M"'=  M.  (So/'r  rf'rfc)  ;  Elisabeth  P. 
i Romance)  ;  Marie  T.  (Soir  d  automne)  ;  .In lia  S.  (Impromptu  et  Gulop  de  Viviane]  ;  etc. 
—  M""  Corlot  ont  donné  une  1res  bunii,'  auiiilion  des  œuvres  de  M.  f^aul  Rou- 
gnou  ;  Ballcrinr,  .]Iasrarvfte,  BagaleUe,  Parmi  le  thym  et  la  rosée.  Astre  des  nuits, 
Polichinelle  ,,iii  el,'  siiri,„il  a|ipliuidis.  —  M—  Marie  KuelT  a  inauguré  la  série  de  ses 
séances  luusii'ules  a\e,'  le  concours  du  compositeur  Guy  d'Hardelot  qui  accompagnait  ses 
œuvres.  Le  duo  Nuit  au  bois,  sur  uue  jioèsie  de  Georges  Boyer,  a  eu  les  honneurs  de  la 
séance.  —  Chai-mante  matinée  chez  M""  A.  I)ucasse,  dont  les  élèves  ont  interprété  avec 
beaucoup  de  goût  un  programme  en  partie  c,,nsaçr,^  aux  ,euvreç  de  Henri  Maréchal. 
Des  fragments  de /^eidaaiie,  deCalcndal,  del'Eh>ilr:  ,!,s  m,  |,„ii,  -,  .l/,j/,f/,  ,j,  -  ,  )i,,.urs,  etc., 
ont  été  chaleureusement  applaudis  par  l'élégaiil  :iiii|ii,,ir.   ,j,n -,    [,,i'->.ni   ,  I,,  /.  l'aimable 

artiste.  —  Très  brillante  soii'èe  musicale  chez  .M Makenzie  de  Dielz.  Les  su,-,;ès  de  la 

soirée  ont  été  pour  les  mélodies  de  Jlassenet  :  Pensées  d'Automne,  Noél  paien.  Je  t'aime,  etc. , 
interprétés  avec  talent  par  M""  Martin  Mural  et  M.  Jean  Rondeau.  Ces  deux  artistes 
ont  chanté  également  le  duo  d'Hamlet  et  celui  de  Don  Juan.  ■ 

—  Cocas  ET  Leçoxs.  —  Les  cours  de  musique  de  M"""  E.  "Vîment  {école  Marmontol,,  70 
rue  du  Bac,  sont  réou\erts  et  comprenaeat  le  piano  (cours  mensuel  par  M.  Aiitonia  Jlar- 
raontel,  l'accompagnement  (M.  J.  Debroux)  et  le  chant  (M"^  Duménil).  Inscriptions  les 
jeudi,  vendredi  et  samedi  de  5  à  7  heures.  —  M""  Marthe  Noël,  1'-^  prix  du  Conserva- 
toire, a  repris  ses  leçons  de  violoncelle  et  d'accompagnement,  7,  rue  Taylor.  —  M.  Fran- 
çois Dressen  a  repris  ses  leçons  et  son  cours  de  violoncelle  et  d'accompagnement,  8,  rue 
Milton. 

NÉCROLOGiE 

A  Stuttgart  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  62  ans,  Denis  Pruckner,  pia- 
niste de  la  cour  royale,  qui  avait  été,  de  ISSi  à  l(So4,  l'élève  de  Liszt  à  'Wei- 
mar.  Pendant  quarante  ans  environ,  il  avait  été  professeur  de  piano  au  Con- 
servatoire de  Stuttgart  et  avait  exercé  une  influence  salutaire  sur  la  vie 
musicale  dans  cette  jolie  petite  capitale. 

—  A  Berlin  s'est  éteint,  à  l'âge  do  Sa  ans.  un  riche  négociant  nommé  Otto 
Wesendonek,  grand  amateur  de  l'art  musical,  qui  avait  compté  parmi  les 
meilleurs  amis  de  Richard  "Wagner  et  avait  fait  des  sacrihces  considérables 
pour  le  soutenir,  alors  que  Wagner,  exilé  après  la  révolution  de  Dresde,  en 
1848,  se  trouvait  à  Zurich  dans  une  situation  fort  précaire.  Le  nom  de  We- 
sendonek est  souvent  cité  dans  la  correspondance  de  Wagner. 

—  Un  jeune  artiste  distingué,  Eugène  Frêne,  ancien  élève  de  M.  Georges 
Mathias  au  Conservatoire,  vient  de  mourir  à  Paris,  à  peine  âgé  de  36  ans. 
Il  avait  fait  ses  débuis  de  compositeur  à  18  ans,  avec  une  opérette  inlitulée 
Quandonaime,  qui  fut  jouée  sur  un  de  nos  petits  théâtres.  Il  écrivit  ensuite  la 
musique  de  plusieurs  pantomimes  de  M.  R.ioiil  île  Naja,-  et  celle  d'un  ballet 
reiu'ésenlè   aux  Eolies-Bergère.    F.iilln     il    ,i    piildié    pln.sienrs    lrans,;riptions 

pour  piano  d'ienvres  de  Berlioz.    S,- imi     ■fliènd,,!,'    I  )nh,,i-,  ( '.harles  "Wi- 

dor  et  Emile  Bernard,  Il  avail  ,M,'  peii,l;iiil  nue  piTiode  direrteni'  ,1e  ki  S,,,-i,'lé 
chorale  alsacienne  de  Pari-  ,n  p,,n,lanl  plusieurs  saisons  il  :)\,ui  diii-e 
l'orcheslre  du  théâtre  d'Usieiide  Henry  brèna  a  été  un  des  hiininienr-  d,,  la 
Société  d'art  de  Paris,  qui  poursuit  avec  succès,  dciuiis  plusieuis  aniu'es,  le 
but  de  faire  eonnaiire  dans  des  conceris  lu-ganisés  à  La  salle  Ple\,d,  les  jeunes 
compositeurs. 

—  La  ropr,''seiilalioii  ilii  cm-erl  iln  Caiillnn  ,i  êli',  lr,,nlili',e,  cell,,  semaine, 
vers  cinq  heures. I,,r:iprès-nm!i.  par  nu  iimiihle  incident.  Le  pianisle,  M.  Tro- 
tebas,  âgii  lie  rin,|n,ini -.-riini  an-,  ;i,'coiinia,Ljmi H  l'un  des  arlistes  de  i.-ct  éta- 
blissemenl,  quami.  âpre.-  une  ni, ni, le, m, '  exiraïu-dinaire,  il  s'arrid.i  tout  à 
coup.  Le  malheureux  èlail  tombé  mort,  le  visage  sur  le  clavier, 

—  De  New-York  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  resté  obscur,  Nicolas 
Barilli,  ,|ni  ,'l;iii  le  liviv  uhnau  ,1e  M'"''  ,\,leliiia  Patti,  La  mère  de  la  eel,d,re 

teuse  kimen-e  ,dle-nieiiie  jailis.  M""'  liarilli.  el  elle  en  avait  eu  dmix  lils,  d,uit 
l'ainé,  Antonio,  ((ni  était  devenu  un  rhef  d'orchestre  habile  et  s'Aiit  fait 
connaître  aussi  comme  eomposileur,  mourut  ;i  Naples  le  15  juin  1S76. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


'.00 


LE  MENESTREL 


Solxante-ti^oisième    a^nnée    d.©    pixtolication. 


PRIMES   1897  DU  MÉNESTREL 

JOURNAL   DE   MUSIQUE    FONDÉ   LE    1"   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  dimanches  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études  sur 

les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  séries  d'articles  spéciaux  sur  l'enseignement  du  Chant  et  du  Piano  par  nos  premiers  professeurs, 

des  correspondances  étrangères,  des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  dimanche,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  cnAî¥X  ou  pour  le  MAKIO,  de  moyenne  difïicullé,  et  offrant 

à  ses  abonnés,  chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  COAli'k'  et  PIAMO. 


C  Jti  A.  JN  T    d"  MODE  U'ABOiNNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes: 


J.  MÀSSENET 

VINGT  MÉLODIES 

h-    ET   NOUVEAU    VOLUME 

Recueil  in-8° 


P.  MASGÀ6NI 

CAVALLERIA  RUSTICANA 

DRAME  LYRIQUE 
Partition   française  chant  et  piano 


RETNÀLDO  HÂHN 

VINGT  MÉLODIES 

PREMIER    VOLUME 

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LOUIS  VARNEY 

LE  PAPA  DE  FRÂNCINE 

OPÉRETTE  EN  QUATRE  ACTES 
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Ou  à  l'un  des  trois  premiers  Recueils  de  Mélodies  de  J.  Massenet 
ou   à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n"'),  un  volume  relié  iD-8%  avec  iUustralions  en  couleur  d'ADRIEN  lïlABIE 

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Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT    à  Tune  des  primes  suivantes  : 


P.  MÂSCÀ6NI 

CAVALLERIA  RUSTICANA 

DRAME  LYRIQUE 
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U.  &IORDÂNO 

ANDRÉ  CHÉNIER 

DRAME   HISTORIQUE 
Partition  pour  piano  solo  in-S" 


EDMOND  mSSÀ 

L'HOTE 

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Livret  de  MM.  Carré   et  Hugounet. 


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Société  des  Instruments  i 


ou  à  l'un  des  volumes  in-8'  des  CLASSIQUES-MARMONTEL :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,     CHOPIN,    ou    à    l'un    des 

recueils  du  PIANISTE  -  LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes  -  compositeurs,   ou  a   1  un   des  volumes  du  répertoire  de 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG^L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAULIGH,  de  Vienne,  ou  STRAUSS,  de  Paris. 


REPRÉSENTAIST  CHACl'l  lES  PRIMES  DE  PU510  ET  DE  CHANT  RÉIIES,  POUR  LES  SEULS  ABOIES  A  L'ABOIEMENT  COMPLET  {^  Mode)  : 

U.    GIORDANO 


ANDRÉ  CHÉNIER 

Drame  historique  en  3  actes 


ïi^aduction    française    de     PAUL    MILLIET 

GRAND  SUCCES  DE  MILAN 


PARTITION    CHANT    ET    PIANO 


W.-A.  MOZART 

DON    JUAN 

Opéra  complet  en  2  actes 

de     DA.    POTVTB 


Seule  édition  conforme  à  la  partition  originale  de  l'auteur  et 

LA  SEULE  QD'ON  NE  JOE  PAS 


DOUBLE  TEXTE  FRANÇAIS  ET  ITALIEN 


la  20  Décembre  1896,  à  tout  ancien 

u  »>Fvu^.uE<...  »«  »-u..-^-' M Joindre  au     prix    d'abonnement  un 

f  Aluco'dè'ïa'primë'Bimpiê'ou'donble'dnnri  le»  ilépartementa.  (Pour  l'Etranser,  l'cnTol  franco 


NOTA    IMPORTANT.  —  Ces  prime»  »ont  délivrées  eratultemeut  dans  no»  bureaux,  3  bis,  rue  ViTieune,  à  part, 
ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance    dabounement  au  MEiVeSTBEL.    pour  l'année  !«« 
supplément  d'UKI  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  € 
de»  primes  se  règle  selon  le»  frai»  de  Po»te.) 

Les  abonnés  auChanl  peuvent  prendre  la  prime  Piano  el  yice  versa-  Ceux  au  Piano  el  au  Cbanl  réunis  onl  seuls  droit  à  la  grande  Prime.-  Les  abonnés  au  lesle  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 

1"  Moded-abonnemenl  ■  Journal-Texte,  lous  les  dimanches  ;  26  morceaux  de  cbami  :       I       2-  Moied'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  dimanches  ;  26  morceaux  depmno 
Scènes,  Mélodies,  Romances,    paraissant    de  quinzaine  en  quinzaine;  î   Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Krais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3'  Mode  d'abonnemeni  contenant  le  Texte  complet,  52  morceaux  de  chant  et  de  piano,  les  2  ReoueUs-Primea  ou  une  Grande  Prime.  -  Un  an:  30  francs,  t>arif. 

et  Province;  Etranger:  Poste  en  sus. 

i'  Mode.  Texte  seoi,,  sans  droit  aux  primes,  un  an;  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,    directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


Fantaisies.     Transcriptions,    Danses,  de    quinzaine    en    quinzaine;    1    Reouell- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Etranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


;  BEnGERE,  20,    I 


3430.  —  62"»  ATOE  —  I\°  5i. 


Dimanche  20  Décembre  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  niaiiuscrils  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  rKANCO  A  H.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Tente  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an.   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Provnice.  —  Pour  l'ÉtrûJiger,   les  frais  de  piste  en  sm. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Étude  sur  Bon  Juan  (2°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
Audition  des  envois  de  Rome  au  Conservatoire,  Fiona  de  M.  Bachelet,  Arthur 
PouGiN  ;  première  représentation  du  Sursis  aux  Nouveautés,  P.\ul-Émile  Che- 
valier. —  lit.  Musique  et  prison  (25°  arlicle)  :  Crimes  de  droit  commun, 
Paul  d'Estrée.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses 
et  concerts. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

GAVOTTE  POUR  LES  HEURES  ET  LES  ZÉPHYRS 

extraite  de  l'opéra  inédit  de  Rameau,  les  Boréades,  transcription  pour  piano  de 
Louis  DiÉMER,  répertoire  de  la  Société  des  imtruments  anciens.  —  Suivra  immé- 
diatement la  Passacaille  de  Paul  Pugeï,  écrite  pour  les  représentalions  de 
Lorenzaccio  au  théâtre  de  la  Renaissance. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de 
CUANT  :  Fleur  dans  un  livre,  mélodie  du  comte  de  Fontenailles,  poésie  de 
if.  L.  LeLasseur  de  Ranzay.  — Suivra  immédiatement:  Chanson  de  Margyane, 
mélodie  d'AïieROisE  Thomas,  poésie  de  M""=  Marie  Barbier. 


PRIMES  POUR  L'ANNÉE  1897 

(  Voir  à  la  8°  page  des  précédents  numéros.) 

ÉTUDE   SUR   DON  JUAN 

De    MOZART 


I 

(Suite) 

Ea  France,  l'œuvre  fut  donnée  d'abord  dans  des  conditions 
telles  qu'il  eût  été  impossible  d'y  rien  comprendre;  mais  plus 
tard,  représentée  sous  sa  forme  originale  au  Théâtre-Italien  (1), 
interprétée  tour  à  tour  par  des  artistes  tels  que  Garcia, 
Lablache,  Rubini,  Tamburini,  la  Sontag,  la  Fodor,  la  Malibran, 
etc.,  elle  ne  tarda  pas  à  reprendre  tout  son  prestige.  Balzac 
y  conduisit  les  personnages  de  sa  Comédie  humaine;  bien 
qu'alors  leurs  faveurs  presque  exclusives  allassent  à  Rossini, 
ils  donnèrent  parfois  un  applaudissement  à  la  musique  du 
maitre  dont  le  nom  était  si  bien  synonyme  de  génie  que  pas 
un  dilettante  ne  se  fût  risqué  à  le  discuter,  —  comme  en 
témoigne,  d'autre  part,  le  malicieux  couplet  de  Béranger  : 

(1)  Don  Giovanni  fut  représenté  pour  la  première  fois  au  ThéAtre-Italien  de 
Paris  le  2  septembre  1811. 


Et  vous,  gens  de  l'art. 
Pour  que  je  jouisse, 
Si  c'est  du  Mozart, 
Que  l'on  m'avertisse. 

En  des  vers  d'une  poésie  plus  distinguée,  Alfred  de  Musset 

qui,  lui  aussi,  a  fait  dialoguer  Don  Juan  et  Leporello  (1)    

un  Don  Juan  désabusé,  —  et  qui,  dans  un  intéressant 
morceau  de  critique  musicale,  a  parlé  dignement  des  pures 
beautés  du  chef-d'œuvre,  mentionnant  le  chant  de  Zerline  : 
Vcdrai  carino,  «  l'air  le  plus  simple  et  le  plus  naïf  du  monde... 
pauvre  petit  air,  que  Mozart  semble  avoir  écrit  pour  une 
fauvette  amoureuse  (2)  »,  Alfred  de  Musset,  dis-je,  a  donné 
(l'une  des  pages  les  plus  célèbres  de  l'opéra,  un  commentaire 
ingénieux,  et  dont  l'idée  a  fait  fortune  : 

Vous  souvient-il,  lecteur,  de  cette  sérénade 

Que  Don  Juan  déguisé  chante  sous  un  balcon? 

Une  mélancolique  et  piteuse  chanson 

Respirant  la  douleur,  l'amour  et  la  tristesse. 

Mais  l'accompagnement  parle  d'un  autre  ton. 

Gomme  il  est  vif,  joyeux!  avec  quelle  prestesse 

II  sautille  !  on  dirait  que  la  chanson  caresse 

Et  couvre  de  langueur  le  perfide  instrument, 

Tandis  que  l'air  moqueur  de  l'accompagnement 

Tourne  en  dérision  la  chanson  elle-même, 

Et  semble  la  railler  d'aller  si  tristement. 

Tout  cela  cependant  fait  un  plaisir  extrême. 

C'est  que  tout  en  est  vrai;  c'est  qu'on  trompe  et  qu'on  aime 

C'est  qu'on  pleure  en  riant;  c'est  qu'on  est  innocent 

Et  coupable  à  la  fois (3) 

George  Sand  ne  contredit  point  au  sentiment  général.  Son 
Maitre  FaviUa  exprime  parfois  sur  le  compte  de  Mozart  une 
admiration  un  peu  bourgeoise  :  qu'il  n'est  «  ni  allemand,  ni 
italien,  mais  de  tous  les  pays  »;  qu'il  ne  cherche  pas  à  vous 
«  étonner  »,  mais  qu'il  «  charme  sans  cesse  »;  que  «  rien  ne 
sent  le  travail  dans  son  œuvre;  il  est  savant  et  vous  n'aper- 
cevez pas  sa  science  ».  Mais  à  la  iîn  le  discoureur  s'anime,  et, 
élevant  ses  idées  à  un  niveau  plus  lyrique,  il  poursuit  : 

«  Il  est  grand,  il  est  beau,  il  est  simple  comme  la  nature! 
Vous  autres.  Allemands,  vous  ne  le  trouvez  pas  assez  mys- 
térieux; vous  aimez  un  peu  ce  que  vous  ne  comprenez  pas 
tout  de  suite.  Mais  voyez  le  soleil  :  est-ce  qu'il  est  jamais 
plus  beau  que  dans  un  ciel  pur!  Si  vous  demandez  des 
nuages  entre  lui  et  vous,  c'est  que  vous  avez  les  yeux  faibles. 
—  Tiens!  regarde  ce  bassin  d'eau  brillante  et  tiaoquille  qui 
reflèle  les  arbres  immobiles  et  les  oiseaux  voyageurs,  comme 
un  miroir  de  cristal  !  Voilà  Mozart  !  (4)  » 

Un  autre  grand  romancier,  Stendhal,   qui    parfois    fit  des 

(1)  Une  malinik  di-  Bon  Juan  (Tragmenl). 

(2)  Concert  de  M"'  Garcia  (Revue  des  Deux  Mondes  du  1"  janvier  1839). 

(3)  Alfred  de  Musset,  Namouna. 

^4)  George  Sand,  Maitre  Favilla,  acte  I. 


402 


LE  MENESTREL 


incursions  malheureuses  dans  le  domaine  de  l'esthétique 
musicale,  fut  mieux  inspiré  à  l'égard  de  Mozart,  dont  il  se 
borna  à  traduire  une  des  plus  anciennes  biographies  ;  ce 
travail,  presque  subalterne,  de  l'auteur  de  la  Chartreuse  de 
Parme  nous  reste  encore  utile  aujourd'hui,  et  quelques-uns 
des  commentaires  personnels  qui  l'accompagnent  témoignent 
d'une  admiration  éclairée.  Telles,  par  exemple,  les  considé- 
tions  suivantes  : 

!<  L'imagination  toute  romantique  de  Mozart  dans  Don 
Juan,  cette  peinture  si  vraie  d'un  si  grand  nombre  de  situa- 
tions intéressantes,  depuis  le  meurtre  du  père  de  donna 
Anna  jusqu'à  l'invitation  faite  à  la  statue  ,  parlant  à  elle- 
même,  la  réponse  terrible  de  cette  statue,  tout  cela  est  mer- 
veilleusement dans  le  talent  de  Mozart. 

»  11  triomphe  dans  l'accompagnement  terrible  de  la  réponse 
de  la  statue,  accompagnement  absolument  pur  de  toute  fausse 
grandeur,  de  toute  enflure  :  c'est,  pour  l'oreille,  de  la  terreur 
à  la  Shakespeare  (1)  ». 

Enfin  un  des  plus  grands  poètes  dont  la  France  s'honore, 
Lamartine,  bien  qu'il  partageât  encore  un  peu  trop  la  pré- 
vention coutumière  des  poètes  contre  la  musique,  n'a  pas 
craint  de  parler  longuement,  et  avec  les  plus  grands  éloges, 
de  Mozart,  auquel  il  a  fait  une  large  place  dans  ses  Entretiens 
sur  la  littérature.  Sur  Don  Juan,  par  malheur,  il  s'en  réfère 
trop  exclusivement  à  l'opinion  de  Scudo,  car  il  nous  serait 
plus  intéressant,  aujourd'hui,  de  connaître  la  sienne  propre. 
Voici  cependant  en  quels  termes  il  formule  la  conclusion  de 
son  étude  : 

«  Lord  Byron,  le  plus  grand  poète  des  temps  modernes,  a 
voulu  rendre  en  poésie  ce  caractère  de  Don  Juan,  que  Mozart 
a  rendu  en  musique  ;  mais  quelle  différence  entre  la  verve 
moqueuse,  ironique,  impie  ou  cynique  du  poète  anglais,  et  la 
foi  dans  l'art  sincère,  convaincue,  communicative  et  reli- 
gieuse du  musicien  de  Salzbourg  1  Le  Don  Juan  du  poète  an- 
glais n'est  que  la  bouffonnerie  du  génie.  Les  notes  du  musi- 
cien ont  vaincu  d'avance  les  vers,  comme  l'âme  croyante  de 
Mozart  a  vaincu  l'âme  incrédule  de  Byron.  Lisez  Byron  pour 
le  faux  rire,  allez  entendre  Mozart  pour  voir  transfigurer  en 
mélodies  diverses  et  délicieuses,  en  sourires  ou  en  larmes, 
toutes  les  passions  du  cœur  humain,  depuis  les  amours  de 
la  terre  jusqu'aux  enthousiasmes  du  ciel  (2)  ». 

Le  sentiment  des  musiciens  n'est  pas  moins  vif,  et 
parfois  il  s'exprime  avec  plus  de  précision,  étant  plus  éclairé. 
Nous  avons  la  bonne  fortune  de  connaître  une  opinion  émise 
dès  la  première  heure  par  un  maître,  le  bon  Haydn,  digne 
et  fidèle  admirateur  de  celui  dont  la  gloire  devait  fatalement 
contribuer  à  diminuer  la  sienne,  —  lui  qui,  un  jour,  déclara 
avec  une  sorte  de  solennité,  devant  Léopold  Mozart,  que  son 
fils  était  le  plus  grand  musicien  qui  eût  jamais  existé,  et  qui, 
plus  tard,  entendant  jouer  un  de  ses  quatuors,  se  mettait  à 
pleurer,  disant:  «  Je  ne  puis  songer  à  mon  cher  Mozart  sans 
que  mon  cœur  se  serre.  »  Un  des  jours  qui  suivirent  la  pre- 
mière représentation  de  Don  Giovanni  à  Vienne,  il  se  trouvait, 
chez  un  prince  quelconque,  dans  une  soirée  à  laquelle  assis- 
tait l'aristocratie  dilettante  de  la  ville  :  là,  le  «  débinage  » 
allait  son  train,  les  femmes  du  monde  et  les  «  connaisseurs  » 
échangeant  les  idées  coutumières.  L'un  disait  que  c'était  trop 
long;  l'autre  reprochait  à  l'œuvre  d'être  incohérente;  un  troi- 
sième criait:  «  Pas  de  mélodie  1  »,  et  un  quatrième  attestait 
que  la  composition  était  trop  disparate;  formalités  prélimi- 
naires qui  sont,  parait-il,  l'accompagnement  indispensable 
de  toute  nouvelle  création  du  génie.  Cumme  de  raison,  Haydn 
ne  prenait  aucune  part  à  ce  précieux  échange  d'idées;  mais 
quelqu'un  ayant  condescendu  à  lui  demander  son  avis,  il 
répondit  avec  sa  bonhomie  naïve,  mais  avec  une  grande 
vivacité  :    «   Pour  décider   d'une    pareille   discussion,    je   ne 

(1)  Stendhal,  Vies  de  Haydn,  de  Mozard  (sic)  et  de  Mélasinse,  p.  366-369. 

(2)  Lamartine,  Cours  de  Hltérature  frimilière,  A'.V/A'e  cl  XXX'  Entretiens,  lu  Musique 
de  Mozart,  p.  ^04. 


pourrais  le  faire:  mais  ce  que  je  sais,  c'est  que  Mozart  est 
le  plus  grand  compositeur  que  le  monde  possède  aujour- 
d'hui »  (1). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Conservatoire.  —  Audition  des  «mois  de  Rome:  1*'  et  i'  acte  de  Fiona, 
légende  irlandaise  en  3  actes  et  6  tableaux  de  M.  Léon  Durocher,  musique 
de  M.  Alfred  Bachelet,  grand  prix  de  1890. 

Adolphe  Adam,  dans  ses  Mémoires,  raconte  une  petite  anecdole 
dont  il  fut  le  héros  et  qui  est  assez  caractéristique  : 

Quand  j'eus  le  bonheur,  dit-il,  d'être  admis  dans  la  classe  de  Boieldieii, 
j'étais  un  peu  comme  tous  les  jeunes  gens  qui  commencent  à  s'occuper  de 
composition  :  la  forme  était  tout  pour  moi,  et  le  fond  fort  peu  de  chose. 
J'avais  une  grande  estime  pour  les  modulations  et  les  transitions  baroques, 
et  un  souverain  mépris  pour  la  mélodie,  dont  je  ne  concevais  même  pas  qu'on 
se  servit.  Un  de  mes  amis  m'avait  mené  une  fois  aux  Italiens,  où  l'on  jouait 
le  Barbier  de  Rossini,  et  je  m'étais  sauvé  après  le  premier  acte,  furieux  contre 
le  public  qui  accordait  ses  applaudissements  à  de  telles  misères.  Voilà  comme 
je  pensais  quand  j'entrai  chez  Boieldieu.  Il  me  demanda  un  échantillon  de 
mon  savoir-faire,  et  deux  jours  après  je  lui  portai  un  morceau  stupide,  où  il 
n'y  avait  ni  chant,  ni  rjthme,  ni  carrure,  mais  en  revanche  force  dièses  et 
bémols,  et  pas  deux  mesures  de  suite  dans  le  même  ton.  Je  croyais  avoir  fait 
un  chef-d'œuvre. 

—  Mou  bon  ami,  me  dit  M.  Boieldieu  quand  il  eut  examiné  mon  papier  de 
musique,  qu'est-que  cela  veut  dire? 

L'indignation  me  saisit.  —  Comment,  monsieur,  lui  ri'pliquai-je,  vous  ne 
voyez  pas  ces  modulations,  ces  transitions  harmoniques....  .' 

—  Si  fait,  vraiment,  reprit-il,  j'y  vois  bien  tout  cela  ;  mais  les  choses  essen- 
tielles, la  tonalité  et  un  motif?  Allez-vous-en  à  votre  piano,  faites-moi  une 
leçon  de  solfège  à  deux  ou  trois  parties,  d'une  vingtaine  de  mesures,  et  sans 
moduler  surtout,  et  vous  m'apporterez  cela  dans  huit  jours. 

—  Mais  je  vais  vous  faire  cela  tout  de  suite,  m'écriai-je. 

—  Non,  me  répondit-il  ;  il  faut  tâcher  que  cela  ne  soit  pas  trop  plat,  et 
huit  jours  ne  vous  seront  pas  de  trop. 

Je  retournai  chez  moi,  et,  riant  d'une  telle  besogne,  je  voulus  me  mettre  à 
l'œuvre:  mais,  dans  l'habitude  que  j'avais  de  tendre  mon  imagination  vers 
un  tout  autre  but,  je  ne  pouvais  pas  trouver  une  idée  mélodique.  Au  bout 
de  huit  jours  j'apportai  ma  vocalise,  qui  élail  bien  faible. 

—  A  la  bonne  heure,  me  dit  Boieldieu:  au  moins,  cela  a  forme  humaine, 
mais  il  y  manque  encore  Ijien  des  choses  :  nous  ferons  encore  ce  travail  pen- 
dant quelque  temps. 

Il  ne  me  fil  faire  autre  chose  pendant  trois  ans.  Puis  il  me  dit  ;  —  Main- 
tenant, vous  avez  peu  de  chose  à  apprendre;  étudiez  l'orchestration  et  les 
etl'ots  de  scène,  et  vous  irez. 

Cette  anecdote  me  revenait  en  tête  l'autre  soir,  au  Conserratoire, 
en  entendant  l'envoi  de  Rome  de  M.  Bachelet.  Non  que  je  trouve 
l'œuvre  sans  intérêt,  car  elle  est  écrite  en  conscience,  conçue  avec 
intelligence,  révèle  de  bonnes  qualités  et  est  orchestrée  d'une  façon 
ingénieuse  et  avec  le  plus  grand  soin.  Je  dois  déclarer,  en  outre, 
qu'on  n'y  rencontre  pas  les  excès  dont  certains  jeunes  compositeurs 
se  rendent  trop  facilement  coupables,  que  les  voix  n'y  sont  pas  tor- 
turées comme  à  plaisir,  que  l'oeuvre  enfin  est  solide  au  point  de  la 
vue  de  la  forme  et  bien  sur  ses  pieds. 

Mais  voilà  I  il  faut  toujours  en  revenir  au  mol  de  Brid'oison: 

—  La  fo-orme  !  la  fo-o-orme  !... 

et  malheureusement  pas  à  celui  de  La  Fontaine  : 
C'est  le  fond  qui  manque  le  moins. 

Je  le  cherche,  ce  fond,  je  cherche  le  motif,  comme  disait  Boieldieu, 
et  l'idée  musicale,  et  c'est  en  vain.  Je  vois,  dans  celte  partition  de 
Fiona  —  intéressante  pourtant,  je  le  répète,  et  non  sans  qualités  — 
un  heureux   sentiment  dramatique,    des  intentions   scéniques  bien 

(1|  Rocni.iTZ,  Anet<dolcn  ans  Mozaiis  l.eben,  dans  la  1"  année  de  VAllerjemeine 
mmikalische  Zeitung  (24  octobre  1798).  Rochlitz,  qui  fut  le  premier  traducteur  alle- 
mand de  Don  Giovanni,  avait  été  en  relations  personnelles  avec  Mozart,  et  son 
recueil  à' Anecdotes  sur  le  compositeur  est  un  des  premiers  ilocuments  biogra- 
phiques que  nous  possédions.  —  Le  lecteur  aurait  tort  de  croire  que  nous  avons 
brodé  son  récit  en  quelque  manière;  si  la  conversation  des  amateurs  pronon- 
çant leur  verdict  sur  le  chef-d'œuvre  semble  avoir  été  tenue  hier,  avec  une  appli- 
cation ditrérente,  elle  n'en  est  pas  moins  fidèlement  traduite  d'après  le  texte 
original  et  contemporain.  Les  expressions  allemandes  sont:  '/.a  volt,  zu  diaolisch, 
su  unmeludiscli,  su  unrjleicli  genrbeitel:  et  l^oehlitz,  après  avoir  reproduit  ces  mots, 
qui  s'appliquent  si  comiquement  à  l'œuvre  de  Mozart,  aggrave  encore  en  disant 
lui-même  «  qu'on  ne  peut  pas  contester  qu'il  y  ait  quelque  chose  de  vrai  dans 
ces  opinions!...  »  C'est  une  preuve  de  plus  qu'il  n'y  a  rien  de  nouveau  sous  le 
soleil, —  suitout  en  fait  de  banalités. 


LE  MENESTREL 


403 


rendues,  une  bonne  déclamation  (avec  une  prosodie  parfois  très 
vicieuse),  un  orchestre  riche,  étoffé,  souvent  curieux,  un  ensemble 
enfin  digne  d'estime  et  d'attention.  Mais  le  charme,  mais  la  nou- 
veauté, mais  la  fraîcheur  d'une  idée  musicale  qui,  rien  qu'en  se 
présentant  aux  voix  et  à  l'orchestre,  fait  courir  dans  toute  une  salle 
comme  un  frisson  de  joie  et  un  susurrement  de  plaisir,  voilà  ce  que 
je  ne  trouve  pas  et  ce  dont  nos  jeunes  musiciens  se  montrent  vrai- 
ment par  trop  avares. 

Qu'est-ce  que  cela  me  fait,  une  harmonie  piquante  ou  un  effet 
d'orchestre  ingénieux,  quand  ils  se  présentent  seuls?  C'est  la  sauce, 
cela,  et  on  ne  dîne  pas  avec  de  la  sauce,  quelle  que  soit  sa  délica- 
tesse. Mais  le  poisson  I  c'est-à-dire  le  motif,  la  mélodie  ?  Oui,  la 
mélodie,  car  nous  n'avons  pas  à  rougir  d'appeler  les  choses  par  leur 
nom,  qu'en  failes-vous,  messieurs? 

Or,  j'en  trouve  trop  peu  dans  l'œuvre  de  M.Bachelet.  Et  je  le  lui  dis 
avec  d'autant  plus  de  franchise  que,  je  le  répète,  son  œuvre  m'inté- 
resse, et  qu'elle  est  écrite  d'une  plume  solide  et  d'une  main  d'artiste. 
Le  sujet  du  drame  n'esl  pas  absolument  neuf,  car,  nous  dit  le  pro- 
gramme, il  symbolise  «  la  lutte  entre  l'amour  pur  et  l'amour  sensuel  ». 
Je  signalerai,  au  second  tableau  du  premier  acte,  la  scène  avec  chœur 
de  Fiona  (l'amoureuse  poursuivie  par  une  magicienne),  qui  est  d'un 
bon  sentiment  dramatique  et  traitée  avec  ampleur,  puis  l'air  du  nain 
Turl  :  Je  suis  Titii,  fils  des  bruyères,  dont  la  forme  est  heureuse  et  l'or- 
cheslre  très  ingénieux  ;  et  au  second  acte  la  grande  scène  de  Fiona 
et  de  son  amant  Patrick  :  Si  c'est  un  rêve...,  qui  est  bien  sentie,  d'un 
bon  accent  dramatique  et  bien  soutenue  par  l'orchestre,  les  violons 
en  tête.  Le  finale  de  ce  second  acte  a  de  la  vigueur  et  produit  une 
heureuse  impression. 

M.  Bachelet  n'a  pas  à  se  plaindre  de  ses' interprètes,  qui  tous  ont 
fait  de  leur  mieux,  un  mieux  qui  était  souvent  très  bien.  Il  n'y  a  que 
des  éloges  à  adresser  à  M"''  Lafargue  (Fiooa),  à  M""'  Georges  Marty 
(Flathal),  à  MM.  Noté  (Patrick),  Gauthier  (Turl)  et  Delpouget  (Trégor). 
L'exécution  d'ensemble,  excellente,  élait  dirigée  par  M.  Tafïanel. 

Arthur  Pougin. 

NouvE.\UTÉs.  Le  Sursis,  vaudeville  en  3  actes  de  MM.  Sylvaue  et  Gascogne. 

Quelque  chose  comme  Champignolle  d'exhilarante  mémoire,  quel- 
que chose  qui  ne  saurait  se  raconter,  mais  qu'il  faut  aller  voir  si  l'on 
a  envie  de  rire,  et  les  occasions  de  se  franchement  amuser  quelques 
heures  sont  tellement  rares  par  les  temps  que  nous  traversons,  qu'il 
serait  presque  criminel  de  ne  point  recommander  à  tous,  jeunes  ou 
vieux,  moroses  ou  joyeux  vivants,  de  courir  aux  Nouveautés. 

Faut-il  dire  qu'il  s'agit  d'un  bon  notaire  de  province  qui,  sous 
couleur  de  1.3  jours,  pour  lesquels  il  a  obtenu  un  sursis,  lâche  son 
étude  et  sa  femme  et  va  se  tapir  avec  M"»  Marinette  en  un  petit 
trou  voisin  ;  que  là.  oîi  il  espérait  trouver  le  calme,  il  tombe  sur  des 
grandes  manœuvres,  qu'il  est  pris,  grâce  à  la  tenue  militaire  avec 
laquelle  il  a  quitté  son  chez  lui,  pour  l'ordonnance  d'ua  comman- 
dant? Faut-il  ajouter  que  là,  encore,  il  retrouve  son  principal  clerc, 
envoyé  en  mission  délicate  par  M'™  la  notairesse,  et  que  c'est  le  bon 
jeune  homme  qui  écopera  tout  le  temps  à  la  place  du  patron  ?  Ceci, 
à  la  rigueur,  se  pourrait  expliquer  ;  mais  où  la  plume  la  plus  lucide 
perdrait  tous  ses  droits,  c'est  lorsqu'elle  essaierait  de  retracer  la  folie 
et  l'incohérence  très  adroite  qui  fait  du  second  acte  du  Sursis  une 
des  choses  les  plus  franchement  bouffonnes  que  l'on  puisse  imaginer. 

M.  Germain,  qui  fat  déjà  Champignolle,  est  un  étourdissant 
notaire;  sa  fantaisie  tapageuse  et  gesticulante,  ses  grimaces  simies- 
ques  et  invraisemblables  se  donnent  libre  carrière  en  ce  rôle  de 
pioupiou  malgré  lui  qui  passa  son  temps  à  faire  endosser  sa  tunique 
et  son  pantalon  garance  à  son  clerc,  très  comiquement  représenté 
par  le  fin  Guyon.  M.  Tarride  excelle  dans  les  caricatures  discrètes 
d'ofRciers,  son  commandant  Lagrifïoul  est  pris  sur  le  vif.  M""  Gassive, 
très  en  dehors,  MM.  Golombey,  Jipay,  et  M"«  Emma  Georges  emboî- 
tent gaiement  le  pas  à  leurs  trois  étonnants  chefs  de  file,  et  tous,  de 
compagnie,  feront  certainement  durer  ce  Sursis  de  longs  mois. 

Paul-Émile  Chevalier. 


MUSIQUE    ET    PRISON 

(Suite) 


Les  prisons  militaires  n'avaient  pas  attendu  la  visite  ni  les  ré- 
llesions  des  philanthropes,  pour  procéder  aux  mêmes  cérémonies. 
Vidal  y  assistait,  en  18oo,  au  fort  de  Vanves  et  dans  une  autre  mai- 


son de  correction  militaire  à  Paris.  Sa  relation  n'a  pas  la  note  atten- 
drie à'Ignotus;  elle  a  plutôt  la  sécheresse  d'un  procès-verbal,  mais 
sa  valeur  documentaire  lui  donne  droit  de  cité  dans  une  étude  comme 
la  nôtre. 

Il  y  a  un  petit  orgue  dans  la  chapelle.  Un  chœur  composé  de  détenus  y 
chante  les  prières  ordinaires  et  y  exécute,  en  outre,  avec  l'accompagne- 
ment de  l'un  d'eux,  des  motifs  et  morceaux  de  musique  religieuse  arrangés 
dans  ce  but. 

Ce  chœur  est  extrêmement  remarquable  comme  ensemble  et  comme 
composition  de  voix  distinguées,  même  très  belles. 

Des  compositeurs  et  des  artistes  éminents  ont  plusieurs  fois  demandé 
l'autorisation  de  les  entendre,  et  ils  n'ont  pas  dû  être  mécontents  de  cette 
audition.  Ce  que  j'ai  entendu  moi-même  de  l'exécution  de  ce  chœur  m'a 
non  seulement  satisfait,  mais  étonné. 

Il  est  certain  qu'il  devait  manœuvrer  avec  une  précision  toute  mi- 
litaire. N'importe,  la  grandeur,  la  majesté  môme  de  la  musique  reli- 
gieuse peut  opérer  une  réaction  salutaire  sur  les  âmes,  presque 
toutes  flétries,  des  condamnés  de  droit  commun.  Outre  que  cette  har- 
monie, grave  et  forte,  ébranle  profondément  les  centres  nerveux,  elle 
évoque  d'abord,  par  l'autorité  qu'elle  donne  aux  paroles  dont  elle 
est  l'accompagnement,  une  sorte  de  terreur  sacrée  dans  les  esprits 
toujours  en  face  de  leur  faute;  puis  elle  les  calme,  les  rassure,  les 
adoucit,  les  charme  et  leur  laisse  l'espérance,  cette  fleur  qui  s'épa- 
nouit, de  préférence  à  toute  autre,  sur  le'  sol  stérile  des  prisons. 

Néanmoins,  le  règlement  permet  aujourd'hui  que  la  musique  pro- 
fane vienne  tempérer  parfois  l'austérité  de  la  musique  sacrée.  Depuis 
1869,  les  soldats  incarcérés  à  la  prison  de  la  Santé  peuvent  étudier 
en  commun  le  chaut  et  les  instruments  d'orchestre  qui  leur  sont  fami- 
liers. Longtemps  avant  eux,  les  détenus  civils  avaient  obtenu  cette 
autorisation.  Sers  nous  dit,  dans  son  Intérieur  des  bagnes,  (1842)  qu'il 
était  permis  aux  forçats  de  travailler  à  la  peinture  et  à  la  musique. 
Celte  assertion  sera  confirmée  par  une  anecdote  d'Appert,  que  nous 
publierons  dans  un  chapitre  ultérieur. 

Vers  la  même  époque,  les  deux  genres  étaient  également  cultivés 
à  la  Roquelte.  Les  Prisons  de  Paris  de  Pierre  Joigneaux  nous  en 
signalent  ainsi  la  grandeur  et  la  décadence  : 

Nous  avions  un  maître  de  chapelle  détenu,  un  homme  du  monde,  musi- 
cien amateur  assez  remarquable.  Avec  beaucoup  de  peine,  il  était  par- 
venu à  trouver  une  douzaine  de  chanteurs  parmi  ses  compagnons  de  cap- 
tivité ;  il  les  avait  exercés,  disciplinés,  de  sorte  que,  chaque  dimanche,  on 
célébrait  la  messe  avec  accompagnement  d'orgue,  de  violoncelle  et  quel- 
queiois  de  piano.  On  entendait  parfois  de  tort  jolis  morceaux  assez  bien 
exécutés.  / 

Après  une  année  environ,  le  maître  de  chapelle  fut  transféré  à  Poissy, 
et  le  sceptre  de  l'orchestre  tomba  entre  les  maius  d'un  infidèle  qui  préfé- 
rait la  romance  à  la  musique  religieuse.  Dès  lors,  il  y  eut  décadence 
rapide. 

Cette  influence  heureuse  du  plus  suggestif  de  nos  arls  s'explique 
encore  par  l'impression  irrésistible  qu'il  imprime  aux  masses  péné- 
trées de  ses  chauds  eilluves.  L'homme  isolé,  et  surtout  celui  que 
n'a  pas  dégrossi  l'éducation,  est  peut-être  moins  accessible  à  des 
sensations  que  certains  psychologues  considèrent  comme  les  symp- 
tômes de  sa  convalescence  morale.  En  effet,  les  rigueurs  de  l'empri- 
sonnement cellulaire  absolu,  qui  suppriment  cet  entraînement  eu 
commun,  sont,  de  ce  fait  même,  peu  favorables  au  développement 
du  sentiment  musical.  Rappelons-nous  les  constatations  faites  à 
Mazas  par  Maxime  -du  Camp.  Déjà,  s'il  faut  en  croire  l'expérience 
du  docteur  Piétra-Santa,  qui  étudia  aussi  de  fort  près  le  Régime  cellu- 
laire à  Mazas,  ce  mode  de  claustration  sévère  détermine  chez  certains 
sujets,  même  pourvus  d'éducation,  une  aberration  partielle  des  fa- 
cultés mentales  : 

Les  affections  dépressives,  nous  dit-il,  sont  les  plus  ordinaires;  mais  à 
côté  des  mélancolies  les  mieux  caractérisées,  j'ai  vu  l'exaltation  la  plus 
complète  :  un  ancien  militaire,  par  exemple,  s'excitant  au  combat,  à  la 
mêlée,  parlait  de  cliquetis  d'armes  et  de  bruits  de  clairons;  un  commis 
détenu  pour  vol  de  cravate  soupirait  sans  cesse  des  vers  à  sa  maîtresse; 
un  choriste  de  l'Opéra  se  livrait  à  la  danse  la  plus  échevelée. 

Il  est  cependant  des  exceptions  à  la  règle  que  nous  venons  d'éta- 
blir, exceptions  qu'il  importe  de  citer,  puisque  l'exception  confirme  la 
règle. 

Nous  devons  celle-là  à  l'observation  d'un  philanthrope  américain, 
eu  tournée  d'inspection  dans  les  maisons  pénitentiaires  des  Etats- 
Unis. 

Il  avise  dans  une  cellule  un  individu  condamné  à  neuf  ans  de 
détention  pour  recel  d'objets  volés.  Il  questionne  cet  homme,  qui  lui 
répond  posément,  mais  à  voix  basse  et  après  un  temps  d'arrêt,  suivant 
l'habitude  de  tous  les  prisonniers.  Celui-ci,  bien  qu'il  n'ait  appris 


40'i 


LE  MENESTREL 


aucun  métier,  eùl  été  capable  de  les  faire  Ions,  grâce  à  son  ingénio- 
sité native  et  à  son  expérience  professionnelle;  le  recéleurne  doit-il 
pas,  pour  garantir  sa  personne  autant  que  son  butin,  s'entourer  de 
mille  précautions,  no  rien  laisser  au  hasard  et  pousser  jusqu'à  la 
minutie  l'étude  du  moindre  détail?  Donc,  ce  prisonnier  était  parvenu, 
par  son  infatigable  patience  cl  son  observation  de  chaque  jour,  à 
fabriquer  toutes  soites  d'inslruinenls.  Avec  des  rognures  de  bois,  de 
carton  et  de  paille,  il  avait  construit  un  coucou.  La  couleur  qu'il 
trouvait  le  moyen  d'estraire  de  la  laine  qu'on  lui  donnait  à  tisser,  il 
l'employait  à  peindre  des  fresques.  Mais  l'appareil  dont  la  fabrication 
le  préoccupait  encore  le  plus  était  un  instrument  de  musique  qu'il 
projetait  d'établir  avec  «  un  marteau  et  du  verre  cassé  ».  Ce  devait 
être  vraisemblablement  quelque  harmonica:  et  il  n'est  pas  indifférent 
de  signaler  ractiou  toute  spéciale  que  produit  sur  le  système  nerveux 
des  prisonniers  la  vibration  du  cristal.  Je  me  rappelle  avoir  lu  dans 
une  relation  de  voyage  que  l'audition  prolongée  du  glass-cord,  attribué 
à  Franklin,  avait  déterminé  dans  un  couvent  de  religieuses  des  crises 
d'hystérie. 

En  résumé,  abstraction  faite  des  États-Unis,  l'iso'ement  cellulaire 
est  moins  propice  que  la  vie  en  commun  à  l'imprégnation  musicale; 
ce  qui  n'empêche  pas  la  lympanomanie,  c'est-à-dire  la  conversation  au 
son,  d'être  en  faveur  dans  les  cellules  des  maisons  centrales.  Les  déte- 
nus, pour  causer  entre  eux,  malgré  la  règle  qui  les  oblige  au  silence, 
ont  un  langage  de  convention  dont  les  murs  de  leur  cellule  sont  en 
quelque  sorte  les  agents  de  transmission.  Cet  alphabet  phonétique 
est  d'une  extrême  simplicité  :  un  coup  frappé  sur  la  muraille  signifie 
A:  deux  coups  B,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  Z. 

(A  suivre.)  Paul  d'Estbée. 


REVUE    DES    GRANDS   CONCERTS 


La  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann,  qui  ouvrait  la  dernière  séance  de 
la  Société  des  concerts,  est  la  première  qu'ait  écrite  ce  maitre  intéressant  et 
incomplet.  Il  avait  trente  ans  environ  lorsqu'il  la  composa,  et  elle  fut  exécutée 
pour  la  première  fois  au  Gewandliaus  de  Leipzig,  le  31  mars  1841,  dans  un 
concert  donné  par  sa  femme.  Cette  exécution  était  dirigée  par  Mendelssohn, 
alors  chef  d'orchestre  du  Gewandhaus  et  avec  qui  Schumann  était  déjà  lié 
d'une  véritable  affection,  et  l'auteur  de  Paulus,  chef  d'orchestre  de  premier 
ordre,  comme  on  sait,  avait  apporté  tant  de  soin,  tant  de  zèle  aux  études  de 
l'œuvre  nouvelle  que  l'effet  fut  excellent  et  que  Schumann  fut  profondément 
touché  du  dévouement  de  son  confrère.  On  raconte  au  sujet  de  cette  sympho- 
nie une  anecdote  assez  singulière.  Schubert,  mort  depuis  quelques  années 
sans  avoir  pu  achever  sa  dernière  symphonie,  inspirait  à  Schumann  une  si 
vive  sympathie  et  une  si  profonde  admiration  que  celui-ci,  se  trouvant  à 
Vienne,  voulut  aller  au  cimetière  de  Wëhring  faire  un  pèlerinage  à  sa 
tombe,  qui  n'était  séparée  de  celle  de  Beethoven  que  par  quelques  sépultures 
Il  s'arrêta  aussi  devant  cette  dernière,  et  il  trouva,  dit-on,  sur  la  pierre  tumu- 
latre  une  plume  de  fer  qu'il  ramassa  pieusement;  et  comme  il  aima  toujours 
Ir-s  associations  symboliques  et  les  connexions  mystiques,  il  se  servit  de 
cette  plume  dans  des  circonftances  foutes  spéciales,  et  c'est  avec  elle,  entre 
autres,  qu'il  écrivit  sa  symphonie  en  si  bémol,  ainsi  que  la  notice  qu'il 
consacra  à  la  symphonie  en  ut  de  Schubert  et  qu'il  publia  en  18i0  dans  la 
Zeitschrift.  Pour  en  revenir  au  Conservatoire,  l'orchestre  a  excuté  la  symphonie 
en  si  hémol  avec  un  feu,  une  verve  et  un  ensemble  incomparables,  dont  le 
publie  l'a  remercié  par  de  vifs  applaudissements.  Mais  ce  succès  n'était  rien 
auprès  du  triomphe  que  M.  Sarasate  a  obtenu  ensuite  en  venant  jouer,  avec 
la  grâce,  le  style  et  l'élégance  qu'on  lui  connait,  le  joli  concerto  de  Mendels- 
sohn. Rien  ne  convient  mieux  à  la  nature  du  talent  de  ce  merveilleux  virtuose 
que  cette  œuvre  si  ingénieuse,  si  délicate,  si  fine,  et  qui  donne  elle-même 
une  idée  si  exacte  du  génie  aimable  de  Mendelssohn.  L'ovation  qu'on  a  faite 
à  M.  Sarasate  est  de  celles  qui  comptent  dans  la  vie  d'un  artiste,  et  il  semblait 
qu'après  trois  rappels  successifs  le  public  ne  fût  pas  encore  las  de  l'applaudir 
et  de  l'acclamer.  Je  n'ai  rien  de  particulier  à  dire,  sinon  pour  en  louer  l'exé- 
cution, des  morceaux  qui  complétaient  le  programme  :  ces  morceaux  étaient 
le  superbe  Chant  élégiaque  de  Beethoven  et  le  Pater  nosler  de  'Verdi,  que 
les  chœurs  ont  fort  bien  dits,  et  l'ouverture  de  Benuenuto  Cellini,  de  Berlioz  où 
l'orchestre  a  déployé  une  fougue  et  un  éclat  superbes.  A.  P. 

—  Concert  Colonne.  —  Les  lecteurs  du  Ménestrel  n'attendent  pas  de  leur 
chroniqueur  habituel  uneanalyse  deto  Damnation  de  Faust  de  Berlioz,  et  une 
appréciation  du  talent  des  interprètes.  Contentons-nous  de  dire  que  M.  Colonne 
a  célélu'é  avec  éclat  le  cinquantenaire  de  l'œuvre  maîtresse  de  Berlioz,  par  une 
83'  audition.  Comme  il  manque  encore  dix-sept  auditions  pour  arriver  à  cent, 
etque  M.  Colonne  tiendra  également  à  célébrer  ce  centenaire,  nous  entendrons 
encore Fat/s( dix-sept  fois. —  Pour  aujourd'hui,  je  mécontenterai  d'emprunter 
à  M.  Paul  Rameau,  le  distingué  chroniqueur  musical  du  Temps,  les  deux 
réflexions  suivantes,  qui  s'appliquent  à  M.  Lamoureux  et  à  M.  Colonne. 
«  Je  suis  reconnaissant  à  M.  Lamoureux  lorsqu'il  nous  joue  quelques  pages 


empruntées  aux  partitions  de  Wagner,  que  nos  théâtres  lyriques  n'ont  pas 
encore  accueillies.  Mais  je  ne  comprends  pas  bien  pourquoi  l'éminent  chol 
d'orchestre  du  Cirque  d'Été  nous  régale  d'un  acte  de  la  Valkyric:  quelle 
nécessité  y  a-t-il  d'entendre  dans  un  cirque,  le  dimanche,  à  trois  heures 
après  midi,  une  œuvre  que  l'on  pouvait  entendre  l'avanl-veille,  ou  qu'on 
entendra  le  lendemain  à  l'Opéra?  Pourquoi  perdre  du  temps  et  des  efforts 
quand  tant  de  chel's-d'œuvre  passés,  présents  ou  futurs  nous  sont  fermés?  » 
—  M.  Paul  Rameau  ajoute,  et  ceci  s'adresse  aussi  bien  à  M.  Lamoureux 
qu'à  M.  Colonne:  «  Je  trouve  que  les  organisateurs  de  concertsdes  dimanches 
ont  tous  une  tendance  à  se  répéter,  est-ce  que  njus  aimerions  cela?  est-co 
que  nous  prendrions  goiitaux  redites?  est-ce  que  nous  aurions  peur  de  l'etl'ort. 
peur  de  l'inconnu,  peur  d'exhumer  des  trésors  oubliés,  peur  de  découvrii  des 
génies  ignorés?  Ce  serait  inquiétant...  »  On  ne  saurait  mieux  dire  :  résignons- 
nous  à  entendre  encore  dix-sept  fois  la  Damnation  de  Faust  ». 

II.    B.VBBEDF.TTE. 

—  Concerts  Lamoureux.  —  Un  fait  domine  la  séance  do  dimanche  dernier: 
le  grand,  rinconlpstable  succès  de  la  symiihonie  en  ré  dp  César  Franck.  Bien 
que  nos  préféreuoos  aillent  i  d'autres  compositions  du  célèbre  organiste,  nous 
associons  volontiers  nos  a|iiilau(lissenients  à  ceux  de  la  salle  entière,  sous 
cette  réserve  qu'ils  s'adresseiil  l'i  l'artisli'  l)pnuiou|i  plus  qu'à  la  symphonie 
exécutée.  Les  réserves  s'imiinscnl  ou  olVi'l.  l(u's(iu'(iii  songe  que  des  ouvrages 
comme  celui-ci,  élevé  au  niveau  des  plus  sublimes  jiniductions  musicales  par 
la  reconnaissance  attendrie  dos  disciples  du  maitre,  constituent  les  bases  es- 
thétiques de  cette  école  décevante  que  l'on  pourrait  nommer  psevdo-wogné- 
rienne.  parce  qu'elle  s'incorpore  ce  qui  est  assimilable  dans  les  procédés  du 
célèbre  compositeur.  Ne  nous  a-t-ellc  pas  donné,  cotte  école,  un  nombre  res- 
pectable de  musiciens,  tous  aussi  habiles  dans  l'art  de  disposer  les  notes  en 
contrepoint  que  généralement  dépoui-vus  de  la  seconde  vue  i|ui  faitle  véritable 
artiste  créateur.  Tous  sont  assidus  au  travail,  capables  d'utiliser  les  ressources 
dp  leur  art  devenues  pour  eux  familières,  mais  ils  ont  la  main  lourde  et 
l'écriture  compacte.  Ils  parviennent  rarement  à  éveiller  la  muse  rebelle. 
Franck  réunissait  à  un  degré  éminent  les  qualités  que  l'on  retrouve  très 
diniinuéps  chez  ses  élèves.  Sa  symphonie  en  ré  est  d'une  facture  solide  et 
forte,  très  classique  dans  ses  développements  et  ti-ès  hpurpusp'dans  le  choix  de- 
tonalités  subordonnées  au  ton  principal,  elle  est,  en  mWrc.  d'une  orchestra- 
tion nourrie  et  brillante,  quoique  parfois  un  peu  crue  :  pu  unisique,  comme  en 
peinture,  le  claii'-obscur  est  le  partage  des  privilégiés  du  génie.  Mais  cela  nous 
permet-il  de  conclure  au  chef-d'œuvre?  Non,  assui'ément.  Remontons  aux 
sources  originelles  de  la  mélodie  et  demandons-nous  si,  dans  ces  quelques 
thèmes  adroitement  choisis,  il  règne  quelque  abondance,  quelque  richesse 
d'inspiration,  un  coloris  chatoyant,  une  révei'ie  poétique,  en  un  mot,  une 
efflorescence.  Les  œuvres  véritablement  géniales  entendues  à  ce  concert  :  le 
Carnaval  romain,  le  prélude  de  Parsifal,  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme  nous 
ofl'rent  les  éléments  de  comparaisons  dont  il  y  a  lieu  de  tenir  compte  quand  il 
s'agit  de  la  conséci'ation  d'un  nouveau  génie.  Gardons  notre  admiration  pour 
les  œuvres  dans  lesquelles  Franck  amis  toute  son  àme  et  voyons  surtout  dans 
cette  symphonie  ses  qualités  de  facture  que  diminue  un  peu  rado]itioii  d'un 
plan  qui  ne  vaut  pas  celui  des  maîtres  classiques. — Le  2"=  tableau  du  Chant  de  la 
Cloche  de  M.  d'Indy  a  été  intei-prété  avec  beaucoup  de  charme  par  M.  Engel 
et  par  M""«  Passama.  La  musique  de  ce  fragment  interprète  avec  noblesse  le 
sentiment  qu'expriment  les  paroles  ;  elle  ne  manque  ni  dp  belles  idées  ni  de 
f(u-tes  sonorités.  Un  air  de  Gluck,  gracieusement  dit  par  M"'-"  Passama,  r(nn- 
plétait  le  programme.  Amédée  Boutarel. 

—  Mardi  dernier,  très  brillante  et  très  curieuse  matinée  au  Théâtre  mondain 
avec  des  compositions  de  M.  'Weckerlin.  Le  conférencier,  M.  Eddy  Lévis,  a 
parlé  en  poète  en  nous  racontant  certains  cotés  intéressants  de  la  vie  artis- 
tique de  M.  Weckerlin.  Le  public  lui  a  l'ait  un  grand  succès.  Les  interprètes 
du  chant  étaient  M"""  Simone  d'Arnaud  cl  M.  Paul  Pecquery,  qui  sait  faire 
valoir  sa  belle  voix  de  baryton,  tout  en  disant  avec  beaucoup  de  goût.  Les 
deux  bénéficiaires  se  sont  fait  bisser  le  duo  de  la  Petite  Lingère,  composé  poin- 
eux  et  qu'ils  rendent  fort  bien.  M""'  d'Arnaud  a  chanté  avec  une  grande 
élégance  deux  pièces  qui  datent  du  commencement  de  la  carrière  de 
M.  Weckerlin,  la  Mère  Bontempi,  puis  le  Médecin  et  le  Dieu  d'amour.  Il  paraît 
qu'on  chante  encore  des  tyroliennes.  M.  Pecouery  a  eu  un  joli  rai)iiel  avec 
la  Meunière  de  Tréguier.  Parmi  les  mélodies  sérieuses  et  d'un  plus  grand 
développement,  il  faut  citer  Quand  Mignon  passait,  Contemplation  et  l'Abeille 
ménagère.  La  deuxième  partie  a  été  consacrée  au  charmant  vaudeville  de 
Michel  Carré  et  L.  Battu,  Jobin  et  Nanette,  avec  de  la  musique  nouvelle  de 
M.  Weckerlin,  musique  pleine  de  sentiment  vrai  et  de  franche  gaité.  Cette 
jolie  partition,  qu'on  réentendra  prochainement,  fera  assurément  parlerdelle. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  si  bémol  (Schumann);  Chcmt  (■te'^iajue.chœur  (Beetho- 
ven); Concerto  pour  violon  (Mendelssolni),  par  M.  Sarasate;  Pater  nos'er  ( Verdi i  ;  Ouver- 
ture de  Benvenulo  Celtini  (Berlioz). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  Benvenulo  Cellini  (Bei'liozi;  les  Perses 
(X.  Leroux);  Concerto  pour  piano  (Saint-Saéns),  par  M.  Louis  Diémer;  Bédemplion  (César 
Franck)  :  l'Archange,  M"°  Étéonore  Blanc;  le  Récitant, M""  Renée  Du  Minil. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux:  Symphonie  en  ré  (Brahms);  la 
Procession  (C.  Franck),  cliantée  par  )I.  Engel;  Concerto  en  ut  mineur,  pour  piano 
(Beethoven),  par  M"°  de  Markoff,  le  Chiinide  la  cloche,  deuxième  tableau  (V.d'Indy)  ; 
Lénore  par  M"»  Jenny  Passama,  Wilhetm  par  M.  Engel;  Prélude  de  Pursiliil  (Wagner)  ; 
Ouverture  du  Vaisseau-Fantôme  (AVagner). 


LE  MÉNESTREL 


405 


NOUVELLES    DIVERSES 


ETRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (18  décembre)  : 

Kn  attendant  Javotle,  la  Monnaie  a  représenté  ce  soir  les  Charmeurs,  de 
Ferdinand  Poise,  un  petit  acte  qui  a  paru  délicieux  dans  sa  grâce  exquise, 
cl  qu'on  a  vivement  applaudi.  Mais  l'intérêt  musical  et  théâtral  a  été  ail- 
leurs celte  semaine  :  il  a  été  tout  au  Théâtre-Flamand,  qui  a  donné  la  «  pre- 
mière »  à  sensation  d'un  ouvrage  du  à  la  collaboration  de  M.  Jules  Demees- 
1er  et  de  M.  Peler  Benoit,  le  célèbre  compositem-  anversois.  Cet  ouvrage, 
intitulé  Het  Meilief  (la  Reine  de  mai),  fut  représenté  pour  la  première  lois,  il 
y  a  deux  ans,  dans  un  village  des  Flandres,  à  Iseghem  :  puis  il  fut  donné  à 
Anvers  avant  d'arriver  à  Bruxelles.  C'est  un  drame  où,  suivant  le  système 
habituel  au  compositeur,  la  musique  intervient  simplement  comme  illustra- 
tion scénique.  C'est  beaucoup  moins  qu'un  opéra,  et  c'est  plus  qu'un  mélo- 
drame. Par  malheur,  la  pièce  est  d'une  absolue  insignifiance,  même  en  fla- 
mand :  une  sorte  de  paysannerie  rappelant  l'hisloire  des  femmes-soldats  du 
[iremier  Empire,  avec  la  vertu  récompensée  et  le  crime  puni,  le  tout  arrosé 
de  larmes.  Sur  ce  fond  naïf  et  désarmant,  M.  Peter  Benoit  a  accroché  une 
suite  de  pages  colorées,  seulimentales,  d'une  inspiration  souvent  pleine  de 
fraîcheur  et  d.^  mouvement  :  musique  de  scène,  chœurs,  chansons,  cortèges, 
qui  jettent  dans  l'oeuvre  une  agréable  variété  d'impressions.  Quel  dommage 
que  tout  cela  soit  pour  ainsi  dire  perdu  pour  le  grand  public,  et  que  tant  de 
talent  ne  se  soit  pas  employé  à  embellir  une  œuvre  plus  digne  !  C'est  le  sort 
de  la  plupart  des  partitions  dramatiques  de  l'auteur  de  l'Escaut,  de  n'avoir 
pu  faire  leur  trouée  dans  le  monde  parce  qu'elles  étaient  enchaînées  à  des 
pièces  impossibles,  qui  n'avaient  même  pas  l'excuse  d'être  de  vrais  drames 
lyriques,  oii  ce  qui  n'est  pas  bon  à  dire  peut  du  moins  être  chanté  !  On  n'en 
a  pas  moins  fait  fête  au  maître,  qui  était  présent  à  l'exécution.  Exécution 
est  le  mot  :  mais  il  ne  faut  pas  trop  en  vouloir  à  des  artistes  de  drame  que 
l'on  force  à  chanter  de  ne  pas  chanter  juste  et  de  n'avoir  pas  la  voix  très 
assouplie. 

En  fait  de  concerts,  il  n'y  a  guère  à  vous  signaler  que  la  belle  soirée  con- 
sacrée, au  Cercle  artistique,  aux  œuvres  de  feu  Auguste  Dupont,  et  la  séance 
de  musique  ancienne  avec  instruments  anciens  donnée  à  la  Grande  Harmonie 
par  MM.  Diémer,  Van  Waefelghem,  Delsart  et  Grillet,  et  dont  le  succès  a  été 
très  vif.  Pour  les  Bruxellois,  ces  sortes  de  séances  sont  depuis  longtemps 
familières.  Bien  avant  même  que  ces  messieurs  les  aient  mises  .i  la  mode  à 
Paris,  les  instruments  anciens,  grâce  au  musée  du  Conservatoire  qui  en  a 
d'admirables  collections,  étaient  connus  et  joués  à  Bruxelles.  Il  fut  un  temps 
où  un  petit  groupe  de  professeurs,  encore  actuellement  sur  la  brèche,  donnait 
des  concerts  nombreux  avec  ces  mêmes  instruments,  prêtés  par  M.  Gevaert. 
M.  De  Greef  tenait  le  clavecin,  M.  Edouard  Jacobs  jouait  la  viole  de  gambe, 
M.  Agniez  la  viole  d'amour,  feu  Dumon  la  flûte  traversière,  M.  Léon  Jouret 
l'orgue  de  régale,  et  les  élèves  flûtistes  faisaient  entendre  cette  fameuse 
Marche  des  lamquenels,  sur  la  famille  complète  des  flûtes  douces  accompa- 
gnées du  grand  tambour.  Et  justement,  une  séance  de  ce  genre,  avec  le  groupe 
où  manquera  seul  le  regrelté  Dumon,  est  annoncée  pour  demain  au  Cercle 
artistique.  L.  S. 

—  La  gloire  théâtrale  est  de  courte  durée,  et  la  postérité,  parfois  même 
les  contemporains,  gardent  fort  peu  de  reconnaissance  envers  les  amuseurs. 
A  la  mort  de  sir  Augustus  Harris,  qui  avait  tant  contribué  au  développement 
de  l'art  théâtral  dans  sou  pays,  le  mouvement  populaire  à  Londres  fut  grand 
et  un  comité  se  forma  pour  ériger  un  monument  à  la  mémoire  du  célèbre 
manager.  Ce  comité  ayant  résolu  la  construction  d'une  fontaine  publique 
commémorative,  s'adressa  au  conseil  municipal  de  Londres  pour  lui  demander 
un  emplacement  prés  de  Trafalgar-Square.  Mais  à  la  demande  un  refus  net 
fut  oppos(''  et  on  n'offrit  même  pas,  comme  fiche  de  consolation,  une  autre 
place  moins  distinguée,  dans  quelque  quartier  perdu  de  l'immense  capitale. 
Plusieurs  orateurs  municipaux  ne  se  gênèrent  pas  pour  exprimer  leur  parfait 
mépris  de  l'art  théâtral  en  général  et  spécialement  de  tout  ce  que  sir  Augus- 
tus Harris  avait  fait  pour  cet  art.  Décidément,  Londres  ne  se  soucie  guère  de 
gagner  le  record  du  cabotinage. 

—  Le  n  Tout-Vienne  des  premières  i>  et  l'arrière-ban  du  monde  des  théâ- 
tres, qui  est  fort  nombreux  dans  la  capitale  autrichienne,  ne  parle  que  de 
l'affaire  Girardi.  Nos  lecteurs  n'ignorent  pas  que  Girardi,  l'ancien  acteur  du 
théâtre  An  der  Wien  actuellement  au  Carltbeater,  est  h  la  fois  le  Dupuis,  le 
Baron  et  le  Brasseur  de  Vienne  en  sa  seule  personne,  et  que  sa  popularité  est 
immense.  Or,  une  petite  conspiration,  dont  les  auteurs  ne  sont  pas  suffisam- 
ment indiqués  dans  les  journaux  viennois,  a  été  forgée  en  ces  derniers  jours 
pour  faire  enfermer  Girardi  dans  un  Charenton  viennois,  et  le  propre  méde- 
cin de  l'artiste  n'a  pas  hésité  à  certifier  que  celui-ci  était  atteint  d'une  mala- 
die mentale  et  qu'il  était  de  son  intérêt  d;  le  confier  à  une  maison  de  sauté. 
Un  professeur  de  l'université  de  Vienne,  qui  n'avait  jamais  visité  Girardi,  a 
osé  appuyer  cett.T  déclaration  du  médecin  et  exprimer  sou  opinion  que  la 
maladie  de  l'artiste  devait  être  attribuée  à  une  intoxication  chronique  par  la 
cocaïne,  dont  Girardi  s'était  en  effet  servi  quelquefois  pour  adoucir  des  dou- 
leurs locales.  Heureusement  l'avocat  de  Girardi,  qui  est  en  même  temps  son 
ami,  est  intervenu  en  temps  utile,  et  les  autorités  ont  ordonné  une  enquête 
officielle  sur  l'état  du  prétendu  malade.  Les  trois  médecins  délégués,  par  le 
gouvernement  ont  causé  avec  Girardi  pendant  deux  heures  et  ont  déclaré  que 


l'artiste  se  trouvait  bien  dans  un  certain  état  d'excitation  nerveuse,  mais  que 
ses  facultés  mentales  n'étaient  nullement  atteintes  et  qu'aucun  motif  n'exis- 
tait pour  l'enfermer  dans  un  cabanon.  L'excitation  de  Girardi  doit  être  attri- 
buée à  des  déboires  intimes  —  cherchez  la  femme,  et  dans  ce  cas,  la  propre 
femme  de  l'artiste  —  et  aucune  trace  d'une  intoxication  par  la  cocaïne  n'a 
pu  être  constatée.  Girardi  s'est  au  contraire  montré  de  belle  humeur,  et  plu- 
sieurs mots  plaisants  de  l'artiste  ont  excité  le  rire  des  trois  médecins  officiels 
pendant  leur  enquête.  Le  préfet  de  police  a  immédiatement  pris  des  mesures 
pour  faire  cesser  les  intrigues  qui  avaient  entravé  la  liberté  d'action  de  l'artiste, 
qui,  après  quelques  jours  de  repos,  reprendra  ses  représentations  au  Garl- 
theater.  Mais  il  l'a  échappée  belle,  et  on  se  demande  à  Vienne  quelle  satisfac- 
tion sera  donnée  à  Girardi  en  ce  qui  concerne  les  deux  médecins  qui  avaient 
presque  réussi  à  le  faire  séquestrer  dans  une  maison  de  fous.  Et  à  Vienne 
comme  à  Paris,  il  est  très  difficile  de  sortir  d'un  endroit  pareil,  quand  on  y 
est,  à  tort  ou  à  raison,  —  surtout  à  tort. 

—  Jeudi  dernier,  Fidelio  de  Beethoven  a  été  joué  à  l'Opéra  impérial  de 
Vienne  pour  la  centième  fois.  La  première  représentation  de  ce  chef-d'œuvre 
y  avait  eu  lieu  le  10  juin  1869.  Cela  fait  à  peu  près  une  moyenne  de  trois 
représentations  par  an,  ce  qui  nous  parait  maigre.  A  l'ancien  Opéra,  démoli 
en  1869,  Fidelio  avait  été  joué  322  fois  depuis  le  23  mai  1814,  ce  qui  donnait 
une  moyenne  de  six  représentations  par  an.  On  sait  que  ce  chef-d'œuvre, 
joué  pour  la  première  fois  le  20  novembre  180S,  au  théâtre  An  der  'Wien, 
n'obtint  qu'un  succès  d'estime  et  ne  fut  pas  plus  heureux  lors  d'une  reprise 
qui  en  fut  faite  à  ce  théâtre  sous  le  titre  de  Lconore,  après  un  remaniement 
auquel  nous  devons  ce  merveilleux  morceau  symphonique  qu'on  désigne 
généralement  en  Allemagne  comme  la  grande  ouverture  de  Léonore.  A  l'Opéra 
Impérial,  en  1814,  Beethoven  restitua  à  son  œuvre  le  titre  primitif  de  Fidelio, 
et  la  consécration  définitive  de  l'œuvre  ne  date  que  de  cette  année.  Le  rôle 
principal  de  cette  œuvre  grandiose  compte  encore  de  nos  jours  parmi  les 
plus  difficiles  du  répertoire  allemand,  et  aucune  falcon  allemande  n'est  défini- 
tivement sacrée  tragédienne  lyrique  si  elle  n'a  pas  su  obtenir  les  suffrages 
des  connaisseurs  sous  le  travesti  lourd  à  porter  de  l'épouse  fidèle  deFlorestan. 
En  Allemagne,  Fidelio  est,  comme  on  sait,  joué  en  opéra-comique,  avec  un 
dialogue  que  les  régisseui's  réduisent  à  son  véritable  minimum,  car  les 
chanteurs  allemands  savent  très  rarement  débiter  de  la  prose.  M.  Gevaert 
a  fait  une  tentative  très  intéressante  et  très  réussie  en  substituant  des  récitatifs 
à  la  prose  du  livret  original,  et  cet  arrangement  de  Fidelio,  mériterail  bien 
d'être  joué  sur  les  scènes  lyriques  d'outre-Rhin. 

Bn. 

—  Les  braves  villageois  de  Laxenbourg,  près  Vienne,  où  se  trouve  un 
château  impérial  habité  par  l'archiduchesse  Stéphanie,  veuve  de  l'infortuné 
archiduc  Rodolphe,  ont  eu  la  surprise  d'entendre  la  princesse  au  chœur  de 
leur  église  pendant  la  grand'messe.  Elle  .chanta  plusieurs  morceaux,  entre 
autres  un  Agnus  Dei,  d'une  belle  et  puissante  voix  de  contralto  qui  émerveilla 
le  reporter  d'un  journal  viennois  que  sa  bonne  fortune  avait  conduit  à  l'église 
de  Laxenbourg  ce  dimanche-là.  On  savait  depuis  longtemps  à  Vienne  que 
l'archiduchesse  s'occupait  sérieusement  de  l'art  du  chaut  et  prenait  très  régu- 
lièrement des  leçons  chez  une  artiste  qui  avait  une  grande  réputation  comme 
professeur,  mais  la  mort  tragique  de  sou  mari  avait  interrompu  ces  études. 
Inutile  de  dire  que  le  curé  de  Laxenbourg  ne  s'opposa  nullement  à  ce  que  la 
princesse  fît  son  apparition  dans  le  chœur  de  l'église,  malgré  une  bulle  papale 
récemment  citée  au  Vatican  qui  exclut  les  femmes  du  chœur  de  toute  église 
catholique.  Rossini  s'en  fût  réjoui,  lui  qui  avait  adressé  à  Pie  IX  plus  d'une 
requête  pour  obtenir  la  révocation  de  la  bulle  en  question  et  avait  même, 
dans  une  lettre  fort  curieuse,  qu'on  vient  de  publier  en  Allemagne,  prié 
Meyerbeer  d'intervenir  dans  ce  sens  près  de  Pie  IX, sans  obtenir  satisfaction. 

—  M.  Koki  Hourouya,  chef  suprême  de  toutes  les  musiques  militaires  du 
Japon  avec  le  grade  de  capitaine,  se  trouve  actuellement  à  Dresde,  pour  y 
étudier  l'organisation  des  musiques  allemandes.  Il  a  fait  ses  études  musicales 
en  France,  où  il  a  séjourné  pendant  sept  ans. 

—  Nos  lecteurs  savent  déjà  que  le  compositeur  Auguste  Bungert,  qu'on  ne 
connaissait  jusqu'à  présent  que  comme  compositeur  de  mélodies,  s'est  pro- 
posé d'écrire  et  de  mettre  en  musique  une  tétralogie  intitulée  l'Odyssée.  Or, 
il  vient  de  faire  jouer  la  troisième  partie  de  cette  tétralogie,  qui  porte  pour 
tilre  le  Retour  d'Ulysse,  avant  de  présenter  les  deux  qui  doivent  précéder.  Le 
Retour  d'Ulysse  comprend  un  prologue  et  trois  actes  :  sa  représentation  au 
théâtre  royal  de  Dresde  a  duré  quatre  heures.  Le  directeur  musical  de  ce 
théâtre,  M.  de  Schuch,  en  a  magistralement  dirigé  en  personne  les  études 
difficiles  ainsi  que  la  première  représentation,  dont  le  succès  a  été  retentissant. 
Rappels  nombreux  pour  le  poète-compositeur  et  les  artistes,  surtout  pour  le 
baryton  Scheidemantel,  qui  jouait  Ulysse.  Les  critiques  de  la  capitale  saxonne 
disent  que  Bungert  a  réussi  à  s'abstenir  presque  complètement  de  cette  ser- 
vile  imitation  de  Richard  "Wagner,  qu'on  doit  reprocher  à  la  plupart  des 
compositeurs  allemands  actuels. 

—  Le  théâtre  royal  de  Hanovre  a  inauguré  dernièrement  un  nouveau  rideau 
représentant  Apollon  et  les  Muses,  qui  estl'œuvre  du  célèbre  peintre  Alexandre 
de  Liezenmayer,  de  Munich.  L'ancien  rideau  sera  conservé  à  cause  de  son 
intérêt  historique.  Il  date  de  1789  et  est  l'œuvre  du  peintre  Ramberg. 
Napoléon  I"  le  goûta  si  fort  qu'il  le  fit  transporter  à  Par's.  Mais  en  181b, 
le  rideau  a  repris  le  chemin  de  l'Allemagne  et  y  fonctionna  jusqu'à  nos  jours 
au  théâtre  royal  de  Hanovre. 

—  Il  vient  de  se  lormer  à  Cologne  une  société  des  instruments  à  vent,  à 


406 


LE  MEMESTREL 


rimilation  lie  cequi  sest  fait  à  Paris,  et  ensuite  à  Bruxelles,  pour  donner 
L'haque  hiv€r  une  série  de  srauces  spéciales.  Cette  société  est  composée  de 
ijuelques  artistes  de  l'arclieslre  du  Giirzcnich. 

—  On  nous  écrit  de  Carlsruh^  qu'on  vienl  de  reprendre  avec  beaucoup  de 
succès  au  tliéâtre  grand-ducal  Tun  des  plus  jolis  opéras  de  Lortziiig,  les  Deux 
Militaires,  dont  le  succès  a  été  complel.  L'ouvrage  date  de  près  de  soixante 
ans.  car  sa  première  rcprésculation  veraoulo  au  20  février  1837,  la  même 
année  où  Lortzing  donnait  son  plus  liel  ouvrage,  Czar  et  Charpentier;  mais  la 
musique  est  fraiche  encore,  pleine  de  vivacité  et  instrumentée  de  la  façon  la 
plus  brillante  :  d'autre  part,  le  livret,  emprunté  à  un  ancien  vaudeville  français, 
les  Deux  Grenadiers,  e.=t  très  comique  et  extrêmement  arausanl.  Bref,  le  puljlic 
a  accueilli  cette  résurrection  avec  la  plus  grande  faveur. 

—  On  vient  d'arrêter  définitivement  le  programme  du  treizième  festival 
silésien,  qui  aura  lieu  à  Gœrlitz  en  1S97.  Ce  programme  comprend  Christus. 
oratorio  de  Frédéric  Kiel,  le  premier  acte  de  Parsifal,  le  Triumph  lied  do 
Brahms,  et  la  symphonie  eu  ut  mineur  de  Beethoven. 

—  On  nous  écrit  de  Saint-Pétersbourg:  s  Le  27  novembre  (9  décembre)  on 
a  donné  à  l'Opéra  russe,  pour  le  soixantième  anniversaire  de  l'apparition  de 
la  Vie  pour  le  Tsar,  la  six  cent  soixianlième  représentation  du  chef-d'œuvre  de 
Glinka.  Six  c.mt  soixajite  représentations,  c'est  un  joli  cliiffrc  déjà  pai-  lui- 
même,  mais  plus  remarquable  encore  si  l'on  considère  que  le  théàlrc  où  il 
s'est  produit  ne  joue  que  pendant  sLx  mois  de  l'année.  Cela  sullil  à  consacrer 
la  valeur  de  l'ouvrage  qui  obtient  un  tel  résultat.  Il  était  lort  bien  joué  cette 
fois  par  M.  Sérébriakow  (Soussanino).  M.  Yei-schow  (Sabininc),  M"''  Doliua 
(Vania)  et  la  toute  belle  M™°  Mraviua  (.Vuluuide),  et  l'effet  a  été  excellent. 
Un  fait  assurément  rare  est  à  signaler  au  sujet  de  cette  représentation:  c'est 
la  présence,  dans  la  salle,  de  M.  Youry  Arnold,  le  doyen  des  musicographes 
russes,  aujourd'hui  plus  qu'octogénaire,  qui  avait  assisté,  il  y  a  soixante  ans, 
non  seulement  à  la  première  représeulalion.  mais  à  toutes  les  répétitions  de 
la  Vie  pour  le  Tsar,  et  qui  nous  rappelait  joyeusement  les  incidents  qui  avaient 
marqué  cette  soirée  mémorable.  Nous  allons  avoir,  dans  la  seconde  quinzaine 
de  janvier,  la  présence  du  farueux  ténor  Van  Dyck,  qui  viendra  nous  donner 
quelques  représentations  de  Tanuhàuscr,  ie.  Manon  et  de  Werther.  D'ici  là  nous 
aurons  eu  peut-être  la  première  représentation  d'un  nouveau  ballet  de  M.  Pelipa. 
Barbe-Bleue,  dont  la  musique  est  écrite  par  un  jeune  compositeur  distingué, 
M.  Schenk.  Notre  saison  de  concerts  est  dans  son  plein.  Hier,  dans  la  salle 
de  l'Assemblée  de  la  noblesse,  nous  eu  avons  eu  un  fort  beau,  dirigé  par 
M.  Nikisch,  de  Leipzig,  et  consacré  aux  œuvres  de  Tschaïkowsky,  qui  com- 
prenait la  S°  symphonie  du  maître,  l'ouverture  de  Roméo  et  Juliette,  les  varia- 
tions de  la  3*  suite  et  le  premier  concerto,  fort  bien  exécuté  par  un  jeune 
artiste  distingué,  M.  Sapellnikow.  Leurs  Majestés  le  tsar  et  l'impératrice, 
ainsi  que  les  grands-ducs   et  les  grandes-duchesses  ont   assisté  à  la  récente 

.  inauguration  du  nouveau  Conservatoire.  C'a  été  une  véritable  solennité.  » 

—  Petites  nouvelles  de  Russie.  M.  Ippolitow-Ivanow,  professeur  au  Conser- 
loire  de  Moscou,  auleur  de  la  cantate  qui  a  élé  exécutée  à  l'occasion  des  fêtes 
du  couronnement,  vient  de  recevoir  du  tsar  une  gralilicaliuu  de  500  roubles. 
—  On  vient  de  construire  à  Toula  un  théâtre  qui  a  coûté  100. 000  roubles:  la 
ville  d'Etkatherinoslaw  vient  aussi  de  s'olîrir  uue  salle  de  spectacle  somp- 
tueuse, éclairée  à  la  lumière  électrique;  enfin,  à  Kalisch,  qui  était  privée  de 
représentations  dramatitpies  depuis  l'incendie  de  son  théâtre  en  1854,  ou 
travaille  en  ce  moment  à  la  construction  d'une  salle  nouvelle. 

—  La  Société  musicale  deVarsovie  vient  de  célébrer  la  vingt-cinquième  année 
de  son  existence.  Elle  compte  actuellement  900  membres  et  les  cotisations 
montent  à  75.000  roubles,  soit  300.000  francs  environ. 

—  La  0  soirée  d'adieu  >>  de  M"»  Sybil  Sanderson  au  Théâtre-Lyrique  de 
Milan  a  eu  lieu  avec  Manon,  qui  a  été  pour  elle  l'occasion  d'un  nouveau 
succès.  «  La  saison,  dit  le  Trovatore,  ne  pouvait  se  clore  d'une  façon  plus 
luillaute.  Cette  saison,  commencée  le  22  septembre,  s'est  poursuivie  rcguliê- 
rouieul,  sans  un  accroc,  et  avec  un  crescendo  de  succès.  Voici  une  statistique 
des  ouvrages  représentés  :  le  Maitre  de  cliapelle,  [S  ïina:  Mignon,  12;  te  Son- 
aambula.  H;  la  Navarraise,^:  CavalleriarusHcaria,9:  Manon,  S:  la  Vivandière,  S: 
Pldlémon  et  Baucis,  4;  Phrijné,  4;  le  Donne  curiose,  4;  les  Noces  de  Jeannette,  1  ». 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  «  On  attend  prochainement  à  Turin,  venant 
de  Paris,  une  compagnie  française  d'opérette  de  tout  premier  ordre,  qui 
commencera  au  théâtre  Carignan  de  cette  ville  son  tour  d'Italie.  Qu'elle  soit 
la  bienvenue,  car  peut-être  de  cette  façon  nos  acteurs  d'opérette  apprendront 
(|uelque  chose  et  verront  quel  abîme  les  sépare  de  leurs  camarades  français  !  » 

—  A  l'occasion  de  la  prochaine  visite  que  le  prince  et  la  princesse  de  Naples 
doivent  faire  à  Naples,  on  exécutera  au  théâtre  San  Carlo,  sur  l'initiative  du 
syndic,  une  cantate  scénique  dont  les  vers  seront  dus  au  poète  Gabrielo 
d'Annunzio  et  la  musique  au  maestro  Pietro  Platauia,  directeur  du  Conser- 
vatoire de  San  Pietro  a  Majella. 

—  A  Florence  le  théâtre  Allieri  a  célébré  récemment,  par  uuegraude  i-epré- 
sentation  do  gala,  le  cent  cinquantième  anniversaire  de  son  existence.  A 
l'époque  de  sa  naissance,  ce  théâtre  s'appelait  théâtre  Santa  Maria. 

—  M.  A.  Colombani,  avocat  et  rédacteur  musical  du  Carrière  délia  Sera, 
vient  de  remettre  aux  éditeurs  Boeca,  de  Turin,  le  manuscrit  d'un  ouvrage 
important,  qui  paraîtra  prochainement  sous  ce  titre  :  Le  Nove  Sinfonie  di 
Beethoven. 

—  Plusieurs  feuilles  artistirpies  nouvelles  viennent  de  voir  le  jour  eu  Italie. 


A  Rome  c'est  une  Gazzella  musicale  e  drammalica;  à  Milan,  c'est  un  journal 
théâtral  qui  s'appelle  iV  Falstalf  melodratnmatico,  ot  un  recueil  très  spécial  intilub' 
il  Mandolinisto  italiano.  Ce  dernier  olVrira  à  ses  abonnés  des  compositions  ori- 
ginales pour  mandoline,  ou  des  morceaux  d'opéras  transcLils  poLir  mandoline 
et  guitare,  et  c'est  ainsi  qu'il  publiait,  dans  sou  preuiii'i  nunorn,  le  délicieux 
duo  :  Lad  darem  lamano,àe DotiJuan.iene  veux  médire  ni  dp  l'un  ni  de  l'autre 
instrument,  mais  La  ci  dareni  la  mano  pour  mandoline  et  guitare...    Brrr!... 

—  La  députation  mai'chesane  di  sloria  palria  a  chargé  M.  Mascagui  de  com- 
poser pour  les  têtes  du  centenaire  du  grand  poète  Leopardi  (né  à  Recanati, 
dans  la  marche  d'Ancone,  eu  1798),  im  poème  symphoniquo  qui  devra  être 
exécuté  à  Recanati  le  29  juin  1898.  M.  Mascagni  a  promis,  et  dirigera  lui- 
même  son  œuvre,  pour  l'exécution  de  laquelle  il  aura  le  concours  des  prid'es- 
seui's  du  Lycée  musical  Rossini  de  Pesaro,  dont  il  est  le  directeur. 

—  Amore  allegro  est  le  titre  d'un  nouvel  opéra-comique  dont  la  première 
représentation  a  été  fort  bien  accueillie  à  Loreto.  L'auteur  de  la  musique  est 
le  maestro  Roberto  Amadei. 

PARIS    ET   DÉPARTEBIENTS 

Cette  semaine,  les  chefs  du  service  des  bâlimcnls  civils  ont  l'ait,  au  nom 
du  ministre,  remise  à  MM.  Bertrand  et  Gailhard,  directeurs  de  l'Opéra,  des 
nouveaux  magasins  de  décors  que  l'Etat  a  l'ail  construire  près  do  la  p(H'le 
d'Asuières.  C'est  cet  inuneuble  qui  remplace  celui  do  la  rue  Richer,  détruit  il 
y  a  quelques  imnées  :  «  A  ce  ]iropos.  dit  M,  .lidcs  llurel,  du  Fijaro,  ilestintV'- 
ressaut  de  rappeler  ijue,  contrairemcni  à  ri'  i|iii  n  l'ié  dit.  Imil  Ir  nKi(i''rip|  créé 
par  les  directeurs  de  l'Opéra,  et  à  1ihii>  Ir.ii-.  ilrvicnl  l;i  iirnprii'ir'  ili'  l'fjlal  à 
la  fin  de  leur  exploitation.  C'est  ainsi  qiir  les  \iiii;l-sopi  ariiw  iTnuisliloi's  par 
l'Opéra  depuis  l'incendie  :  Roméo  et  Juliette,  la  Favorite,  Coppélia,  Hanitet,  Aida, 
la  Korrigane  et  Don  Juan,  ajoutés  à  ceux  qui  restent  à  rétablir,  auront  coiité  à 
MM.  Bertrand  ot  Gailhard  environ  un  million  et  demi  !  Mais  cette  dépense  a 
été  acceptée  par  les  directeurs  à  de  certaines  conditions  qu'il  est  curieux  de 
rappeler.  Au  moment  de  l'incendie  de  la  rue  Richer,  les  fermiers  de  l'Oi^éra 
étaient  tenus,  d'après  leur  cahici-  dis  iliaiges,  à  donner  aiiiiiK  lloiiicnt  vingt- 
quatre  représentations  poiiulaiiv~  à  prix  réduits.  Le  niiiii>iiv  nr  pimvant 
demander  aux  Chambres  les  cnMlii>  riiii>idi'rables  qu'aurait  in'rossili's  la  i-rd'ec- 
tion  des  décors,  offrit  aux  directeurs  —  sur  la  proposition  do  la  Commission 
supériem-e  des  théâtres —  de  substituer  à  cette  obUgatiou,  très  onéreuse  pour 
l'Opéra,  celle  de  donner  quatre  représentations  entièrement  gratuites  et  de 
reconstituer  les  décors  brûlés,  ce  qui  fut  accp])té  par  MM.  Bertrand  et 
Gailhard.  » 

—  A  l'Opéra,  on  machine  tout  le  jour  pour  donner  au  Messidor  de  M.  lini- 
neau  la  mise  en  scène  la  plus  réaliste  qu'il  soit  ])onr  plaire  au  ca-ur  de 
M.  Emile  Zola.  Il  y  aura,  parait-il,  des  moulins  qui  marchml  |iiiiir  de  vi-ai 
et  par-dessus  lesquels  le  compositeur  pourra  tout  à  son  aisrjrlci'  smi  lioiinrl. 
Il  y  aura  des  appareils  d'usine  rpii  fonctionneront  coninn'  dans  l.i  vie  n'cllr 
des  fabriques,  avec  des  roues  loiirnanlus  el  des  |ioiilii's  i;rHii;aiilrs,  Kiiliii  cp 
sera  là,  tout  au  moins,  le  Irionipln'  dr  la  niarluuiMii'.  <)ii  n'a  ]ias  iim'  |iinir- 
tant,  dit-on.  |iousser  le  fjoijl  du  réalisme  jusqu'à  exliihrr  sur  la  scror  de 
l'Opi'ra  lalilniiM'  Idrurilrs  Inivailli'ursetl'onaadopté  ce  compromis  d'iialnller 
les  ouvriers  du  ilramc  avi.'c  la  veste  basque  des  Pyrénéens.  Espérons  i|ne  la 
veste,  la  lâcheuse  veste,  ne  s'introduira  que  dans  le  costume  dei  biuos   ilç. 


masculin  de  l'Opéra. 
I.  en  liii'uie  temps  que 
nieiil  ,1e  M.  Pluque. 

VII  |iln>ieiirsjiHirnaiix 


—  Changements  dans  le  personnel  chorégraphii 
M.  Adam  vient  d'être  nommé  second  maître  de  li 
M.  Bussy  devenait  régisseur  de  la  danse,  en  rempi 

—  Ce  n'est  pas  sans  quelque  surprise  que  nous  iiv 
annoncer  que  la  Damnation  de  Faust  devait  être  e> 
eerts  de  l'Opéra,  et  qu'elle  l'tait  comprise  ilaii 
concerts.  On  ne  nous  accusera  pas  iri.  sans  ilmiii' 
queleiiuqno  au  merveilleux  rlier-d'ienvre  de  lierlie 


•I  h 


ni   lins  el  ,|i 

,1  penl 
an    Cln' 
nliimn' 

Iclel,  1 
inius 

Ilenilre 
lez    M. 

le 
',nli 

pins    ani|ile 

do 

ic 

leuvre    i|l,eeell,Mn    aenlenilni 

veau,  quand-    il    lui  plail,  sinl 

ou  chez  M.  Lamoureux.  Jusqi 

considérer  cette  nouvelle  connue  euulnnivi'e. 

—  M"'\  an  ZandI  a  pu  reprendre  hier  le  cours  de  ses  belles  représentations 
de  LaUmé  à  II  ipina-Cinniqne,  toujours  avec  le  même  vif  succès  ot  les  mêmes 
grandes  recette^.  C'est  en  ceiuoment,  entre  Dore /ua»  et  Lakmé,  une  véritable 
lutte  aux  écus.  Imijunis  dans  les  envinins  de  9,000  l'rancs  chaque  soir,  avec 
avantage  de  qoelqUL's  eeulaiiies  ilnnili's,  lanti'il  d'un  eùli'.  lanlnt  de  l'autre. 
Pour  peu  que  cela  dure  encore  quelque  temps,  les  eullies-l'nrts  du  théâtre 
ne  seront  plus  sninsants  pour  recevoir  cette  mauue  bienl'aisantc. 

—  M.  Ernest  Reyer  est  parti  cette  semaine  pour  prendre,  comme  d'habitude, 
ses  quartiers  d'hiver  dans  le  Midi.  Il  s'anéli  ra  d'abord  à  Marseille,  pour  s'attar- 
der ensnile  à  loisir  an  lion  siileil  de  la  ('.nie  il'.Vznr,  eu  linéique  village  ignoré 
do  la  t'.oMiielie.  Il  ne  sei'a  dune  |i;is  là  pinir  assister  au  2°  concert  de  l'Opéra, 
ijù  l'on  iliiil  jiinei-  nue  leiure  ,1e  sa  j, 'musse,  IrSelaiii.  sorte  de  poème  sym- 
phouiqne  nriiniliil  einiipiis,'  sur  ,1,'sMn's  île  TlnMi|iliile  Gautier  el  qu'on  n'apas 
entendu  depuis  plus  de  quaranh'  ans, 

—  C'est  M.  Jules  Claretle  qui  avail  été  cluirgi'  du  ra|iporL  sur  le  dernier 
concours  musical  de  la  ville  de  Paris.  Ce  rapport  nous  apprend  que  vingt  et  un 
concurrents  avaient  pris  part  à  ce  concours,  et  qu'à  la  suite  d'un  premier  exa- 


LE  MENESTREL 


407 


l'aulour  anonyme  de  la  partition 
ho  à  l'administration  et  qui  n'csl, 
Il  uns  Rossini.  Conformément  à  l'ar- 
■iilo  par  M.  le  préfet  que  M.  Lam- 
jit  10.000  francs.   L'adminislration 


mon,  cinii  inaaiiscrils  sPiilonirnl  avaienl  i''ir'  résrrvps,  savoir:  Sextus,  parti- 
tion d'un  anonyme  ;  /owrs  d'nmouj-,  partition  de  M.  Léo  PongeL:  la  Belle  au 
Bois  dormant,  jiarlilirjn  de  M.  Charles  Silver:  le  Spalii.  partition  de  M.  Lucien 
Lamhei't:  et  la  Mort  de  Moïna.  pnrlilinn  d'un  anonyme.  Cette  dernière 
fut  écartée,  ])arce  que  le  poème,  sijiini  ilu  nom  de  M°"=  Judith  Gantier, 
avait  déjà  été  mis  en  musique  sous  Ir  liiir  ilps  N'oces  de  Finyal.  par  M.  Colo- 
mer,  ]irésenlé  en  1889  au  niurnurs  [(ns^iiii  ri  .iviiil  r;iil  décerner  le  prix  à  ce 
compositeur.  Aussi,  afin  dVinlilir  nin'  jiiri~|iniili mi'  .ili-ulin'  dans  le  cas  où 
pareil  incident  se  reproduu'ail.  lai-lirle  :!  du  pinj^iumuie  a  iMé  ainsi  moditie  : 
«  Sont  exclues  du  concours  les  œuvres  dtVjà  exécutées,  celles  présentant  nu 
caractère  liturgique  et  celles  qui,  soit  pour  le  livret,  soit  pour  la  musique,  ne 
seraient  pas  inédites,  p  Qunti'e  partitions  restaient  donc  en  présence.  Ce  fut 
fe  Spa/u,  ceuvre  dranialiqui'  de  M.  Lucien  Lambert,  qui  fut  couronné, 
prime  de  trois  mille  francs  l'ut  diieerr 
de  Sextus.  qui  se  lll  ullérieuvemeiil  !■■ 
autre  que  M.  Colomer,  déjà  couninnii  ,i 
ticle  9  du  programme,  il  a  du  resie  é- 
bert  ne  recevrait  pas  le  montant  du  pi 
en  cumulera  la  valeur  avec  le  reliquat  disponible  du  crédit  alloué,  pour  attri- 
buer le  total  ainsi  obtenu,  jusqu'à  concurrence  d'un  maximum  de  30.000  francs, 
au  directeur  de  théâtre  qui  se  chargera  de  faire  représenter  le  Spahi  dans  les 
conditions  acceptées  d'un  commun  accord  par  l'auteur  et  par  la  commission 
de  surveillance  constituée  à  cet  effet.  Attendons-nous  donc  à  voir  exécuter,  au 
courant  de  cette  saison  ou  de  la  saison  suivante,  la  partition  de  M.  Lucien 
LaiTibert  sur  une  de  nos  scènes  parisiennes. 

—  C'est  une  très  agréable  leciure,  et  non  sans  utilité,  que  celle  de  la  bro- 
chure que  M.  Jules  Cariez,  direrleur  de  l'École  nationale  de  musique 
de  Caen,  vieiil  de  publier  sons  ce  litre:  la  Société  philharmonique  du 
Calvados,  bisinriqu.'.  ^nuveuirs  (Caen,  Delesques,  in-S"  do  6i  pages).  D'une 
plume  aimable  el  bieile.  sans  prétention  mais  non  sans  goût,  l'auteur  a 
retracé  l'histoire  d'une  compagnie  à  la  fois  artistique  et  mondaine  ([ui.  fondée 
à  Caen  en  1827  el  disparue  en  1869,  n'a  pas  été  sans  rendre  do  réels  services, 
puisque  durant  quarante  années  elle  a  provoqué  et  encouragé  le  goût  des 
études  musicales  dans  la  capitale  de  la  basse  Normandie  et  qu'on  lui  doit  la 
création  de  la  première  École  de  musique  qui  ait  existé  en  cette  ville,  école 
qu'elle  siuileiiail  gi'iii''reiisiMiiriil  de  ses  propres  ressources,  et  qui  a  certaine- 
meiil  .iniiMii'  l:i  Iniiilni  imi  ilr  rrlle  qui  exisie  aujourd'hui  et  que  dirige  si  bien 
l'auteur  de  lÏMTil  que  je  signale  en  ces  lignes.  Cet  écrit  compte  parmi  les 
publications  modestes,  mais  très  utiles,  dont  la  province  nous  gratifie  de 
temps  à  antre  et  que  l'on  ne  saurait  trop  encourager.  A.  P. 

—  M.  Théodore  Radonx,  l'excellent  directeur  du  Conservatoire  de  Liège, 
vient  <1,'  puldier  sous  ce  titre  :  la  Musique  et  les  écoles  nationales,  en  une  élé- 
gante brochure,  le  remarquable  discours  prononcé  récemment  par  lui  à 
Bruxelles  dans  la  séance  publique  de  l'Académie  de  Belgique.  Notre  corres- 
pondant de  Bruxelles  nous  a  déjà  dit,  en  rendant  compte  de  cette  séance, 
tout  le  bien  qu'il  fallait  penser  des  idées  fort  justes  exprimées  avec  franchise 
par  M.  Rndoiix  dans  une  forme  très  élégante.  Nous  ne  pouvons  que  répéter 
ses  éloges  en  félicilanl  sincèrement  l'auteur. 

—  On  va  représenter  prochainement  à  Coblence  un  opéra  inédit  de  Louis 
Lacombe,   le   Tonnelier  de  Nuremberg,  deux   actes  composés   sur  un  livret  de 


M.  Charles  Nuitter.  M"""  Andrée  Lacouilie,  la  veuve  du  regrellé  compositeur, 
est  partie  pour  aller  surveiller  les  études. 

—  De  Bordeaux  :  Les  concerts  classiques  de  la  société  Saijite-Cécile  ont 
fait,  une  brillante  réouverture.  Le  programme  très  indicatif  de  cette  prem- 
ière séance  comprenait  :  la  symphonie  Pastorale  de  Beethoven,  des  .frag- 
ments de  la  suite  en  si  mineur  de  Bach,  l'ouverture  du  Bot  d'Ys  de  Lalo,  la 
Marche  héroïque  de  Saint-Saêns  et  Antar,  le  curieux  poème  symphonique  de 
Rimsky-Korsakow.  Le  remarquable  orchestre  a  obtenu  son  succès  accou- 
tumé, et  M.  Gabriel-Marie,  qui  le  dirige,  comme  les  années  précédentes,  avec 
tant  d'autorité,  a  été  accueilli  à  son  arrivée  au  pupitre,  par  une  ovation 
chaleureuse. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M.  Auguste  M^rcadier  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  solfège, 
harmonie  et  accompagnement,  70,  rue  de  Rivoli,  —  Réouverture  des  cours  de  musique 
chez  M"=  Tribou,  33,  avenue  d'Antin.  Piano:  MM.  Falcke,  Niera;  chant:  M.  Hetticb  ; 
solfège  :  M"°  Robert;  orgue  :  M.  A.  Guilmant;  violon  et  accompagnement  :  M.  Nadaud  ; 
mandoline  et  guitare  :  M.  Talamo;  diction:  MM.  de  Féraudy  et  Laugier.  —  M.  et 
M""  Paul  Hilîemaclier  ont  repris,  32,  rue  Wastiington,  leur  cours  d'ensemble  de  mu- 
sique vocale  classique  et  moderne.  —  M""  Simonet,  vient  de  reprendre  ses  cours  de 
piano,  35  rue  de  la  Boétic. 

Henrt  Heugel,  directeur-gérant. 

En  veille,  AU  MÉNESTREL,  ï  bis,  rue  Vivicuiic,  UElGEl  el  C'*^,  èdileurs-proprictaircs. 


CONCERTS    COLONNE 

THÉÂTRE   DU    CIIATELET 
DIMANCHE  20  DÉCEMBRE   1896 


csÉss-A^rt   1^»  i=t  .A.  p*a"  G  is. 

Rédemption 

Poème  sjnnphdnie   en  2  parties 
D'EDOUARD    BLAU 


Partition  piano  et   chant.  Prix  net  :  10  francs. 
Livret.  Prix  not  :  0  fr.  50. 


Pour  la  location  de  la  grande  partition,  des  parties  d'orchestre  et  des  chœurs, 
s'adresser  directement  au  Ménestrel. 


Fragment    symphonique 

EXTRAIT 

Partition  d'orchestre,  prix  net  :  10  fr.  —  Parties  séparées  d'orchestre,  prix  ael  :  20  fr. 

Chaque  partie  supplémentaire,  prix  net  1  fr.  50. 

Transcription  pour  deux  pianos,  quatre  mains.  Prix  net  :  6  francs. 


En  vente  AV  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'%  éditeurs-propriétaires. 


NOËL  S 


-^JÎ^ÊSr^eiÈStfc»^- 


AUDAN.  Noël,  à  2  voix,  avec  solo  de  baryton  ou  mezzo-soprano.  .  .  . 
A.  BLANC  et  L.  DAUPHIN.  Petit  Noël  pour  chœur  d'enfants.  .  .  .  Net. 
BOISSIER-DURAN.  Le  Saint  Berceau,  Noël  pour  ténor  ou  soprano   avec 

chœur  ad  libitum 

l.  BORDÊSE.  Noël  à  1,  2  ou  3  voix,  en  solos  ou  chœurs 

E.  BRYDAINE.  Les  Gaudes  pour  Noël  à  1  voix,  avec  accompagn'^  d'orgue. 

Gaston  CARRAUD.  Noël 

l.  DAUPHIN,  Rose  et  blanc,  petit  Noël  avec  chœur,  ad  libitum 

DESMOULINS.  Trou  Noëls  : 

1.  Noël  de  Lope  de  Vega.  -  2.  Noël.  -  ,3.  La  Vierge  à  la  crèche 
A.  GIGOUT.  Chants  du  Graduel  :  Jésus  redemptor,  hymne  pour  le  jour 

de  Noël,  à  4  voix,  avec  accompagn'  d'orgue  ad  libitum.    Net. 

ED.  CRIEG.  L'Arbre  de  Noël,  chanson  d'enfant 

J,-B.  WECRERLIN.  Noëll  Noëlt  (l.^) 


6     » 
0  60 


3     » 
3     » 

2  50 


A.  HOLMES.  iVoa  (i'Mande  (1.2) 

CHARLES  LECOCQ.  Le  Noël  des  petils  enfants,  à  1,  2  ou  3  voix  ad  lib.: 

l.Les  Petits  Rois  Mages.  2.  Les  Petits  Bergers.  3.  La  Bûche  de 

Noël.  i.  Prière 

F.  LISZT.  La  Nuit  de  Noël  (d'après  un  ancien  Noël),  pour  ténor  solo  et 
chœur  de  femmes,  avec  accompagnement  d'orgue.  En  parti- 
tion et  parties  séparées 

J.  MASSENET.  La  Veillée  du  petit  .Tésus  {i  .'2} 

A.  PÉRILHOU.  La  Vierge  à  la  crèche 

P.  VIDAL.   Chant  de  Noël,  pour  soprano  solo  avec  chœurs 

Chaque  partie  de  chœur Net. 

Le  même,  à  une  voix  (1.2) 

—        Noël  ou  le  Mijstère  de  la  Nativité,  i  tableaux Net. 


Ch.-M.  WEBER.  Noi'l  pour  mezzo-soprano -, 

-  J.-B.  WECKERLIN.  La  Fête  de  Noël,  avec  acc^  de  piano  et  orgue  ad  lib 


S  » 
3  » 
7  bO 
0  30 
5  >i 
S  » 
2  50 
2  50 


NOËLS    POUR    ORGUE    SEUL 


ANCIENS  NOËLS  (2  Noëls  de  Saboly,   1   de  LuUy  et  1  Noël  languedo- 
cien anonyme)  .    .  3  7S 

ANCIENS  NOELS  (3  Noêls  de  Saboly  et  1  du  roi  René  d'Anjou).   ...  2  50 

B.  MINÉ.  Op.  42    Reciuiil  de  Noéls  (ZO  numéros) 9     y - 


F.  LISZT. 

NO 


L'.irbre  de  Noël. 

\.  Vieux  Noël,  3  fr.  —  N°  2.  La  Nuit  sainte,  3  fr.  —  N»  3. 
Les  Bergers  à  la  crèche,  4  fr.  —  N"  4.  Les  Rois  magas . 
•  R.  de  VILBAC.  V Adoration  des  bergers , 


5    » 
i  50 


408 


LE  MENESTREL 


En  vente  :  Au  Ménestrel,  a  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C",  Editeurs. 


ÉTRENNES  MUSICALES  1897 

REMISES  EXCEPTIONNELLES,  SUPÉRIEURES  A  CELLES  DES  MAGASINS  DE  NOUVEAUTÉS 


LES    VIEUX    MAITRES 

12  transcriptions  pour  piano  par 

LOUIS    DIÉMER 

RÉPERTOIRE    DE    LA    SOCIÉTÉ    DES    INSTRUMENTS    ANCIENS 

Joli  recueil  artistique,  sur  papier  ù  la  cuve,  net  :  5  fi-ancs 


PORTRAITS  DE    PEINTRES 

4  pièces  pour  piano  de 

REYNALDO    HAHN 

AVEC   BEAUX   PORTRAITS   DE  CUYP,  POTTER,  VaN   DyCK,   WATTEAU 

réunies  en  un  élégant  portefeuille,  net  :  5  francs 


LA    CHANSOISr    DES    JOUJOUX 

I^oésies    de    JULES    JOU^i'.    —    ]VIvisi<iue    de    CL.     BLANC    et    L.    J^A-UPHIN 

Vingt  petites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
îln  volume  richement  relié,  fers  de  J.  Chéret  (dorure  sur  tranches).  —  Prix  net:   10  francs. 


PAGES    ENFANTINES 

TRENTE    PETITES    TRANSCRIPTIONS    TRÈS    FACILES 
POUR  PIANO   SUR   LES  ŒUVRES  EN  VOGUE 

A.  THOMAS,  HASSE>ET,  DELIEES,  REYER,  GOCA'OD,  BIZET,  VERDI,  etc. 

PAR 


LES  SILHOUETTES 

VINGT-CINQ    PETITES    FANTAISIES-TRANSCRIPTIONS 

SUR  LES   OPÉRAS,   OPERETTES  ET   BALLETS 

EN  VOGUE 

PAR 


LES    MINIATURES 

QU.\TRE-VINGTS  PETITES  TRANSCRIPTIONS   TRÈS   FACILE 

SUR   LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,   MÉLODIES   ET   DANSES   CÉLÈBRES, 

CLASSIQUES,   ETC., 

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Le  recueil  broché,  net:  8  fr.  —  Richement  relié,  net:  13  fr.  ^  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  —  Kichement  relié,  net;  25  fr,  ,i)  Le  recueil  broché,  net:  20  l'r.  — Richement  relié,  net:  125  (r. 

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Ëdition  de  luxe,  tirée  à  100  exemplaires  sur  papier  de  HoUaude,  format  grand  in-4°,  avec  7  eaux-fortes  hors  texte  et  8  illustrations  en  tête 
d'acte,  par  PAUL  AVRIL,  tirage  en  taille-douce,  à  grandes  marges,  encadrement  couleur,  livraison  en  feuilles,  ïief:  100  francs. 


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5  volumes  in-8°  contenant  100  danses  choisies 

CONTENANT   CHACUN  VINGT  MÉLODIES  \  BEAUX    PORTRAITS    DES  AUTEURS 

Ch.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr.  o  Ch.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr.  è 


LES  PETITS  DANSEURS 

Album  cartonné  contenant  25  danses  faciles  de 

JOHANN    STRAUSS,    FAHRBACH,   OfFENBACH,   HERVÉ,   ETC. 

Couverture  aquarelle  de  Firniin  Bouisset,  net  :  10  fr. 


LES  CHA]^^SO]SrS  DU  CHAT  l^OIB  DE  MAO-N^AB 

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BLANC  ET  DAUPHIN.  Chansons  d'Ecosse  et  de  Bretagne 5 

CÉSAR  CUI.  Vingt  poèmes  de  Jean  Bichepin  .   .   .   .   , 10 

LÉO  DELIBES.  Mélodies.  1  vol.  in-8° 10 

TH.  DUBOIS,  \ingt  mélodies,  1  vol  in-8^ 10 


RETNALDO  HAHN.  Yiiiyt  niolodies.  1  vol.  in-8° net.  10 

A.  GED4LGE.  Vaux-de-Vire  et  Chansons  normandes 5 

ED.  GBIEG.  Chansons  d'Enfants 5 

E.  PALADILBE.  00  mélodies  en  3  vol.,  chaque 10 

J.-B.  WECKERLIN.  Bergerettes  du  XVJiI»  siècle 5 


LES  SOIRÉES  DE  PÉTERSBOURG,  30  danses  choisies,  4=  volume.  —  PH.  FAHRBACH. 


LES  SOIRÉES  DE  LONDRES,  30  dauses  choisies,  S"  volume. 

JOSEPH:    OUIVO'Ij.     —    Célèbres    danses    en    5    volumes    in-S°.    —    JOSEPH    GTJIVGi'I-. 

Chaque  volume  broché,  net  :    10  francs;  richement  relié  :    15  francs 
STRAUSS  DE  PARIS,  célèbre  répertoire  des  Bals  de  l'Opéra,  2  volumes  brochés  in-8».  Chaque,  prix  net  ;  S  fr.  (Chaque  volume  contient  25  danses). 


CEuvres    célèlbres    transcrites    pour    piano,    solgnensement    doigtées    et    accentuées    par 


aEORaES     BIZET 


1.   LES   MAITRES    FRANÇAIS  ?  2.  LES   MAITRES    ITALIENS  |        3.   LES    MAITRES    ALLEMANDS 

50  transcriptions  en  2  vol.  g*  in-4°  50  transcriptions  en  2  vol.  g''  in-i"  50  transcriptions  en  2  vol.  g'  in-1' 

Chaqie  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs,  é  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs.  J,  Chaque  vol.  broché,  net  ;  15  francs.  —  Relié  :  20  francs 


F.    CHOPIN 

Œuvres  choisies,  en  5  volumes  in-S" 

Broché,  net  :  30  fr.  Relié  :  SO  fr. 

Même  édition,  reliée  en  3  volumes,   net  :  40  francs. 

CLEMENTI 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8° 

Broché,  net  ;  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


BEETHOVEN 

Œuvres  choisies,    en  A  volumes   in-S" 

Broché,  net  :  25  fr.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 


HAYDN 


Œuvres  choisies,   en  2  volumes   in-S" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  20  francs. 


-W.  MOZART 

Œuvres   choisies,  en  4  volumes    in-8" 

Broché,  net  :  25  Ir.  Relié  :  45  fr. 

Même  édition,  reliée  en  2  volumes,  net  :  35  francs. 


HUMMEL 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8' 

Broché,  net  ;  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :   20  francs 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

MIGNON,  HAMLET,  LAKMÉ,  MANON,  "WERTHER,  ANDRÉ  CHÉNIER,  XAVIÉRE,  KASSYA,  LE  FLIBUSTIER,  PAUL  ET  VIRGINIE, 
SIGURD,  LE  KOI  D'YS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  LE  PORTRAIT  DE  MANON,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  HÉRODIADE,  FAUST, 
CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  LA  DIT,  SYLVIA,  COPPÉLIA.  LA  KORRIGANE,  CONTE  D'A'V  RIL,  CAVALLERIA 
RUSTICANA,  LE  MAGE,  ESCLARMONDE,  MARIE-MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LA  TEMPÊTE,  LE  SONGE  D'UNE  NUIT 
D'ÉTÉ,  LE  CAID,  LE  PAPA  DE  FRANGINE,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  LA  DANSEUSE  DE  CORDE,  L'ÉCOLE  DES  VIERGES,  etc.,  etc. 


■  CDEMINS  SE   FER.  —  lUPRIHElUE  I 


3431.  —  62-  AWE  —  i\°  52. 


Diiiianclic  27  Décembre  1896. 


PARAIT    TOUS    LES    DIMANCHES 

(Les  Bureaux,  2  bis,  rue  Vivienne) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 

MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 

Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Mbnestrbl,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemenC 

Un  on,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Teite  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,   Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et   Province.  —  Pour  l'Étr-jiger,   les  trais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


l.  Éiude  sur  Don  Juan  (3*  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  Ihéitrale  : 
premières  représentations  d'Idylle  tragique  au  Gymnase  et  du  Truc  de  Svra- 
phinsux  Variétés,  H.Moreko;  premières  représentations  du  Co/onc/  Itoquebrune, 
à  la  Porte-Saint-Martin,  des  Vacances  de  Toto  et  de  Paris  pourle  Tsar  au  théâtre 
Déjazet  ;  reprise  de  Divorçons  au  Vaudeville,  Paul-Émile  Chevalier.  —  III.  Jour- 
nal d'un  musicien  (11*  article),  A.  IMo.ntaux.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts. 
—  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

FLEUR  DANS  UN  LIVRE 

mélodie  du  comte  de  Fontenailles,  poésie  de  M.  L.  Le  Lasseur  de  RiNZAV. 
—  Suivra  immédiatement  :  Chanson  de  Margyane,  mélodie  d'AîiBROiSE  Tho- 
mas, poésie  de  M""=  Marie  Barbier. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  dimanche  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musicjue  de 
PIANO  :  la  Passacaille  écvite  pour  les  représentations  de  Lorrensacczio  par  Paul 
Pliget.  —  Suivra  immédiatement  :  Eau  dormante,  impromptu  pour  piano  de 
.T.  Massenet. 


AV^IS 

No3  Abonnés  recevront  avec  le  numéro  de  ce  jour  la 
TABLE  DES  MATIÈRES  pour  l'année  1896,  en  même 
temps  que  la  liste  de  nos  PRIMES  GRATUITES  pour 
l'année  1897  (63"  année  de  publication). 


ÉTUDE   SUR   DON  JUAN 

De    MOZART 


I 

(Suite)  ■ 

Avec  Beethoven  nous  entendons  une  note  différente,  non 
moins  intéressante  à  connaîlre,  car  l'idéal  élevé  du  grand 
symphoniste  en  est  mis  en  relief  par  un  trait  nouveau.  Il 
disait,  au  témoignage  d'Ignace  de  Seyfried,  que  «  le  saint  Ari, 
ne  devait  jamais  se  dégrader  jusqu'à  la  folie  d'un  aussi 
scandaleux  sujet!  (1)  ».  Parole  austère,  d'une  portée  plus 
morale  que  purement  esthétique,  mais  qu'eu  somme  on  ne 
peut  être  étonné  de  voir  formulée  par  celui  dont  la  carrière 
tient  entre  la  symphonie  héroïque  et  la  neuvième,  et  qui, 
ayant  abordé    une   seule    foi.s    dans    sa  vie   la    composition 

(1]  Ii^NACE  DE  Seyi-ried,  Bcd/ioDCTS  Sludien,  pag-i  22. 


théâtrale,  choisit  un  sujet,  d'une  sensiblerie  assez  banale 
en  soi,  qu'il  transfigura  jusqu'à  en  faire  tout  un  poème  de 
dévouement  et  d'héroïsme  conjugal. 

Aussi  bien,  la  critique  de  Beethoven  passe-t-elle  par-dessus 
la  musique  de  Mozart  et  ne  l'atteint  pas. 

Un  autre,  en  effet,  va  répondre  :  ce  n'est  rien  moins  que 
Richard  Wagner.  «  La  musique  de  Mozart,  écrit-il,  ennoblit 
tous  les  caractères  qu'on  lui  soumit  esquissés  selon  les  con- 
ventions théâtrales...  De  la  sorte,  il  eut  le  pouvoir  d'élever  les 
caractères  de  son  Don  Juan  à  une  telle  richesse  d'expression 
qu'un  Hoffmann  put  s'aviser  de  découvrir  entre  les  person- 
nages les  plus  profonds,  les  plus  mystérieux  rapports...  » 
L'auteur  de  Parsifal  dit  encore: 

«  Voyez  son  Bon  Juan!  Où  la  musique  a-t-elle  jamais  atteint 
à  une  plus  infinie  richesse  d'individualité?  Quand  donc  a- 
t-elle  jamais  reçu  le  pouvoir  de  caractériser  avec  autant  de 
sûreté  et  de  justesse,  avec  une  aussi  riche,  une  aussi  débor- 
dante plénitude?  »  (l) 

En  Italie,  on  n'a  jamais  beaucoup  aimé  ni  compris  Mozart. 
Cependant,  au  grand  moment  des  succès  de  la  musique  ita- 
lienne, il  était  tellement  bien  convenu  que  Mozart  et  Rossini 
étaient  les  deux  seuls  musiciens  qui  comptassent,  qu'ils 
constituaient  à  eux  deux  une  sorte  d'association  qui  était 
l'art  tout  entier,  leurs  noms  étaient  si  bien  inséparables,  ils 
formaient  si  complètement  «  toute  la  lyre  »  qu'il  fallut  bien 
que  l'auteur  du  Barbier  de  Séville  s'étudiât  à  parler  comme  il 
convenait  de  son  glorieux  frère  et  prédécesseur.  De  là  l'in- 
finité de  «  mots  )>  qu'il  répéta  complaisamment  à  qui  voulut 
les  entendre  :  «  Quel  est  le  premier  des  musiciens,  lui 
demandait-on  ?  —  C'est  Beethoven.  —  Et  Mozart  ?  —  Oh  1  celui- 
là,  c'est  le  seul.  »  Ou  bien,  si  l'on  s'informait  quel  était  celui 
de  ses  opéras  qu'il  aimait  le  mieux;  il  se  recueillait  un 
moment,  et  prononçait  :  «  Don  Giovanni !_  »  Et  devant  le 
précieux  coffret  renfermant  le  manuscrit,  il  prenait  un  ton 
pénétré,  et  disait:  «  Je  vais  m'agenouiller  devant  cette  sainte 
relique  »  ;  et,  feuilletant  les  pages,  il  continuait,  pour  la 
galerie  :  «  C'est  le  plus  grand,  c'est  le  maître  de  tous,  c'est 
le  seul  qui  ait  eu  autant  de  science  que  de  génie  et  autant 
de  génie  que  de  science  (2)  ». 

Toutes  ces  grandes  paroles  portent  la  marque  d'une  «  in- 
sincérité »  qui  n'a  rien  pour  nous  surprendre  de  la  part  de 
i'arliste  qui,  ayant  volontairement  terminé  sa  carrière  à 
Irenle-sept  ans,  passa  un  nombre  égal  d'années  sans  autre 
idéal  que  de  faire  des  mots  et  se  «  payer  la  têle  »  de  ses 
contemporains. 

(1)  RiciiAuii  Wagneii,  Opéra  et  Drame,  traduit  par  C.vmille  Benoit  (Musiciens,  Poètes 
et  Philosophes),  pages  111  et  119. 

(2)  .\rlicle  de  Lduis  Viaiidot  sur  le  manuscrit  autographe  de  Don  Giovanni,  dans 
l'Illustration,  18ôj. 


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LE  MENESTREL 


J'attache,  en  vérité,  plus  de  prix  à  cette  simple  exclamation 
échappée  à  un  autre  sceptique,  Auber,  qui,  un  soir,  à  l'Opéra, 
pendant  que  don  Juan  se  débattait  sous  l'étreinte  de  l'homme 
de  pierre,  que  les  violons  déroulaient  leurs  gammes  gémis- 
santes et  que  les  trombones  faisaient  rage,  ne  put  se  retenir 
de  se  pencher  vers  son  voisin  de  loge  en  murmurant:  «  Il  y 
a  du  revenant  dans  cette  musique  (1)!  »  Simple  phrase  qui 
en  disait  long  sur  la  surprise  qu'il  éprouvait  de  se  sentir 
ému,  ce  qui  était  rare. 

Écoutons  maintenant  une  voix  discordante  :  calle  de  Ber- 
lioz. Bien  que  ce  grand  maître  ait  écrit  sur  certaines  pages 
de  Mozart  des  remarques  aussi  admiratives  que  sagaces,  il 
est  évident  qu'il  ne  l'aimait  point.  Fils  des  temps  roman- 
tiques, il  emboîtait  le  pas  aux  poètes  chevelus  qui  s'en 
allaient  criant:  «  Ce  polisson  de  Racine  »;  et  l'on  peut  dire 
que  Racine  est  le  Mozart  de  la  poésie  française.  Il  revint  plus 
tard  à  de  meilleurs  sentiments  :  il  a  fait  là  dessus,  dans  ses 
Mémoires,  sa  confession  franche  et  sincère.  Il  y  parle  «du 
calme  avec  lequel  il  admirait  Mozart  »  et  de  sa  «  tiédeur  pour 
l'auteur  de  Don  Juan  »,  alléguant  pour  son  excuse  son  aver- 
sion pour  la  musique  italienne  en  général.  Or,  continue-t-il, 
«  ses  deux  opéras  le  plus  souvent  représentés  à  Paris  étaient 
Don  Juan  et  Figaro;  mais  ils  y  étaient  chantés  en  langue 
italienne,  par  des  Italiens  et  au  Théâtre-Italien;  et  cela 
suffisait  pour  que  je  ne  pusse  me  défendre  d'un  certain  éloi- 
gnement  pour  ces  chefs-d'œuvre...  En  outre,  et  ceci  est  plus 
raisonnable,  j'avais  été  choqué  d'un  passage  du  rôle  de  donna 
Anna,  dans  lequel  Mozart  a  eu  le  malheur  d'écrire  une 
déplorable  vocalise  qui  fait  tache  dans  sa  lumineuse  parti- 
tion... Il  m'était  difficile  de  pardonner  à  Mozart  une  telle 
énormité.  Aujourd'hui,  je  sens  que  je  donnerais  une  partie 
de  mon  sang  pour  effacer  cette  honteuse  page...  »  Voilà 
encore  de  bien  grands  mots.  Nous  verrons  plus  tard  s'il 
n'est  pas  possible  d'invoquer  au  moins  des  circonstances 
atténuantes  contre  un  aussi  violent  réquisitoire.  Observons 
d'ailleurs  qu'en  intitulant  ce  chapitre  :  Préjugé  contre  les  opéras 
écrits  sur  un  texte  italien,  Berlioz  fait  implicitement  l'aveu  qu'il 
est  revenu  à  de  meilleurs  sentiments,  ce  qu'il  renouvelle 
dans  sa  conclusion  : 

«  L'œuvre  dramatique  de  ce  grand  compositeur  m'avait, 
on  le  voit,  été  mal  présentée  dans  son  ensemble,  et  c'est  plu- 
sieurs années  seulement  après  que,  grâce  à  des  circonstances 
moins  défavorables,  je  pus  en  goûter  le  charme  et  la  suave 
perfection  (2)  » 

Avec  Charles  Gounod,  c'est  tout  le  contraire,  car  nous  tom- 
bons dans  une  admiration  à  jet  continu.  On  sait  que  l'auteur 
de  Faust,  qui  s'est  fait  peindre  tenant  dévotement  entre  ses 
bras  la  partition  de  Don  Giovanni,  a  fait  plus  encore  pour  le 
chef-d'œuvre  de  Mozart,  car  il  lui  a  consacré  tout  un  livre  (3). 
Les  formules  de  l'enthousiasme  le  plus  intense  se  pressent 
et  se  multiplient  dans  cet  ouvrage,  au  style  duquel  nous 
ne  reprocherons  que  l'abus  vraiment  immodéré  de  l'adjectif 
exclamatif  :  «  quel  »,  employé  vraiment  un  nombre  incalcu- 
lable de  fois  au  cours  de  ces  deux  cents  pages  :  «  Quelle 
grâce  1  quelle  puissance  I  quelle  jeunesse  I  quelle  fougue  ! 
quelle  passion  I  quel  homme  I  quel  géniel...  »  Parfois  on 
remarque  de  ces  aperçus  hardis  dont  l'auteur  émaillait  volon- 
tiers sa  conversation,  et,  bien  plus  encore,  ses  écrits;  c'est 
ainsi  qu'il  nous  parle  de  cinq  mesures  de  violon  qui  lui  font 
voir  distiuctement  «  avec  quelle  précaution  cette  petite  Zer- 
line  marche  sur  la  pointe  des  pieds  »  (p.  91);  ou  bien  encore, 
il  décrit  un  épisode  du  duo  de  Leporello  et  don  Juan  devant 
la  statue  :  «  Mesures  32,  33,  Leporello  se  met  en  garde  contre 
le  tour  que  pourraient  lui  jouer  ses  entrailles;  il  appelle  à 
son  secours  les  premiers  et  seconds  violons,  qui  se  rap- 
prochent prudemment.  Mais  voici  que,  mesures  34,  35,  le 
danger  s'annonce  déjà  dans  les  flûtes  et  dans  les  bassons...  » 


(1)  Blaze  de  Biiry,  Musiàens  contemporains,  p.  161. 

(2j  Mémoires  d'Hector  Berlioz,  p.  63-64  de  la  1"  édition. 

(3j  Charles  Gounod,  le  Don  Juan  de  Mozart. 


(p.  l-^lT-loS.)  N'insistons  pas  sur  ces  horribles  détails...  A  côté 
de  cela,  plusieurs  pages  donnent,  d'une  façon  aussi  exacte  et 
aussi  vivante  que  la  parole  en  est  capable,  l'idée  de  la 
musique  de  Mozart,  par  exemple  dans  cette  description  de 
l'air  du  catalogue  : 

«  A  la  seizième  mesure  apparaissent  les  cors  dont  la  fan- 
fare, mêlée  au  rire  des  flûtes  et  des  bassons,  souligne,  avec 
une  sorte  de  vantardise  de  tréteau,  cette  énumération  de  iiUes 
et  de  femmes  séduites,  pendant  que  la  gamme  descendante 
des  premiers  violons  en  staccato  se  produit  à  chaque  série  des 
prouesses  de  cet  infatigable  coureur  :  six  cent  quarante 
par-ci,  deux  cent  trente  par-là,  cent  en  France,  quatre-vingt- 
onze  en  Turquie;  mais  en  Espague  !  Oh  I  en  Espagne,  mille 
et  trois  !  Et  dans  l'orchestre,  c'est  tout  de  suite  un  étalage  de 
gloriole,  et  une  accumulation  de  nuances  dans  ce  fabuleux 
total...  Et  quel  petit  aboiement  moqueur  des  instruments 
à  vent,  pendant  cette  inépuisable  revue  !  quelle  addition 
goguenarde  de  toutes  ces  bonnes  fortunes  de  palais  ou  de 
carrefours!  quelle  face  enluminée  de  joie  triviale  dans  ce 
serviteur  bavard,  et  pourtant  quelle  distinction  musicale 
dans  la  peinture  de  celte  trivialité  !...  (p.  37-38.)  » 

Dans  un  sentiment  opposé,  voici  comment  est  commencée 
la  musique  qui  accompagne  l'entrée  de  la  statue,  et  qui 
d'abord  forme  l'introduction  de  l'ouverture  : 

<c  Tout  y  respire  et  inspire  la  terreur:  le  rythme  monotone 
et  inexorable  des  instruments  à  cordes,  le  timbre  sépulcral 
des  instruments  à  vent  dont  les  intervalles  d'octave,  de 
mesure  en  mesure,  semblent  les  pas  d'un  géant  de  pierre, 
ministre  de  la  Mort;...  ces  gammes,  ces  effroyables  gammes 
montantes  et  descendantes  qui  s'ouvrent  comme  les  flots  de 
la  mer  dans  une  tempête,...  tout,  dans  cette  page  prodigieuse, 
est  de  la  plus  haute  inspiration  tragique  :  l'effroi  ne  va  pas 
plus  loin.  »  (P.  3  à  S.) 

Le  livre  de  Gounod  nous  a  valu  lui-même  une  autre  étude 
qui,  pour  être  moins  développée  n'en  est  pas  moins  intéres- 
sante :  celle-ci  a  pour  auteur  M.  Camille  Saint-Saëns  (1). 
Nous  n'en  détacherons  qu'un  souvenir,  mais  qui  a  son  prix. 
Agé  de  rnoins  de  six  ans,  le  futur  auteur  de  Samson  et 
Dalila  reçut  en  présent,  du  père  d'une  belle  cantatrice  à 
laquelle  il  avait  dédié  une  romance  —  sa  première  œuvre! 
—  la  partition  d'orchestre  de  Don  Juan,  avec  texte  français 
et  italien,  en  deux  beaux  volumes  rouges.  «  Quand  j'y  songe, 
écrit-il,  un  tel  présent  à  un  enfant  de  cinq  ans  me  semble 
une  chose  singulièrement  hardie,  dont  tout  le  monde  ne 
serait  point  capable.  Jamais  idée,  cependant,  ne  fut  plus  heu- 
reuse. Chaque  jour,  dans  mon  Don  Juan,  et  sans  y  penser, 
avec  cette  prodigieuse  facilité  d'assimilation  qui  est  la  faculté 
maîtresse  de  l'enfance,  je  me  nourrissais  de  la  substance  mu- 
sicale, je  me  rompais  à  la  lecture  de  la  partition,  j'apprenais 
à  connaître  les  voix  et  les  instruments.  » 

C'est  ainsi  que,  depuis  le  jour  où  l'œuvre  du  divin  Mozart 
a  fait  son  apparition  radieuse,  les  plus  grands  esprits  l'ont 
saluée  de  leurs  hommages  toujours  fidèles.  A  côté  d'eux,  des 
écrivains  de  moiodre  importance  l'ont  commentée  avec  le 
même  respect  et  la  même  admiration,  —  car  cet  Homère  n'a 
pas  trouvé  de  Zoïle.  Sans  parler  de  ceux  qui,  ayant  écrit  la 
biographie  de  Mozart,  ont  été  forcément  amenés  à  insister  sur 
Don  Juan,  cette  œuvre  a  donné  lieu  à  plusieurs  études  qui 
ont  plus  ou  moins  contribué  à  éclairer  le  public  sur  ses 
beautés;  parmi  celles  qui  ont  obtenu  le  plus  de  succès  à 
leurs  époques  respectives,  il  faut  citer  un  long  article  de 
Scudo,  reproduit  dans  un  de  ses  livres  de  critique  musicale, 
et  qui  a  fait  quelque  temps  autorité  ;  le  demi-volume  que 
Castil-Blaze  a  consacré  à  Don  Juan  dans  son  livre  si  bizarre- 
ment intitulé  Molière  musicien,  ainsi  que  quelques  anecdotes 
amusantes  dans  son  Opéra  italien  de  loiS  à  1856;  enfin  les 
pages  débordantes  d'enthousiasme  du  Russe  Oulibicheff,  dont 
Berlioz  a  dit  plaisamment  qu'  «  il  a  conservé  toute  sa  vie  un 
doute  cruel  :  il  n'était  pas  bien  sûr  que  Mozart  fût  le  bon  Dieu...  » 


(1)  Camille  Sai.nt-Saens,  Charles  Gounod  el  le  Don  Juan  de  Mozart. 


LE  MENESTREL 


-Hl 


Et,  celte  année  même,  tes  écrits  sur  le  chef-d'œuvre  de 
Mozart  ont  plus  que  jamais  abondé.  Les  musiciens  habitués  à 
tenir  la  plume  du  critique,  les  Reyer,  les  Saint-Saëns,  les 
Bruneau,  etc.,  ont,  plus  que  jamais,  protesté  de  leur  vénéra- 
tion ;  les  chroniqueurs  ont  fouillé  les  gazettes  et  évoqué  de 
vieux  souvenirs  ;  l'un  des  interprètes  du  rôle  principal  a  étudie 
en  une  brochure  comment  il  convient  de  le  comprendre  ;  le 
directeur  qui  a  eu  le  premier  l'idée  de  représenter  l'œuvre 
avec  fidélité  (on  appelle  cela  de  nos  jours  «  reconstituer  »  )  a, 
lui  aussi,  développé  son  système  ;  on  a  comparé  les  éditions, 
contemplé  avec  tout  le  respect  nécessaire  le  coffret  qui  ren- 
ferme le  précieux  manuscrit  :  on  a  essayé  des  instruments 
nouveaux,  c'est-à-dire  très  anciens,  et  disserté  sur  la  manière 
de  les  employer;  bref.  Don  Juan  a  donné  lieu  à  toute  une 
éclosion  de  littérature  à  l'abondance  de  laquelle  on  ne  peut 
comparer  que  celle  qu'a  produite  l'étude  des  chefs-d'œuvre 
de  Wagner. 

Nous  serat-il  possible  de  trouver  encore  quelque  chose  à 
dire  sur  un  sujet  si  rebattu?  Essayons:  n'est-ce  pas  un  pri- 
vilège des  œuvres  du  génie  d'être  une  source  toujours  fraîche 
de  nouvelles  observations? 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THEATRALE 

GvMNASE  :  Idylle  tragique,  pièce  en  quatre  actes  et  six  tableaux,  d'après  le 
roman  de  M.  Paul  Bourget,  par  MM.  Pierre  Decourcelle  et  Armand 
d'Artois.  —  Variétés  :  Le  Truc  de  Séraphin,  vaudeville  en  trois  actes  de 
MM.  Maurice  Desv.illières  et  Antony  Mars. 

C'est  toujours  une  bien  délicate  besogne  que  de  vouloir  tirer  un 
drame  pour  le  Ihéàtre,  d'un  roman  de  psychologie,  comme  ceux 
qu'écrit  d'habitude  M.  Paul  Bourget.  On  en  laisse  la  fleur  de  senti- 
ment au  couraot  du  chemin,  accrochée  à  toutes  les  ronces  de  l'action 
qui  doit  dominer  nécessairement  à  la  scène.  Ainsi  du  papillon  aux 
couleurs  brillantes,  qui  laisse  sa  poussière  de  rêve  aux  mains  impru- 
dentes qui  prétendent  le  fixer. 

Quand  on  n'entre  pas  dans  le  cœur  même  d'une  héroïne  telle  qu'Ely 
de  Garlsberg,  d'une  féminité  si  complexe,  on  risque  de  ne  plus 
comprendre  les  mobiles  subtils  qui  la  font  agir;  quand  on  n'analyse 
pas  par  le  menu  les  sensations  intimes  d'un  Hautefeuille  ou  d'un 
Olivier  du  Prat,  ils  peuvent  se  présenter  à  nous  sous  des  apparences 
peut-être  vulgaires  et  banales.  Voilà  le  danger. 

Mais,  pour  ceux  qui  sont  bien  pénétrés  déjà  du  roman  de  M.  Paul 
Bourget,  il  peut  y  avoir  quand  même  de  l'agrément  à  retrouver  vivants 
les  personnages  du  livre,  et  rien  n'empêche  qu'on  leur  prête  par 
l'imagination  tout  le  prestige  qu'ils  pouvaient  avoir  dans  leur  primi- 
tive conception.  C'est  cela  qui  assurera  sans  doute  le  succès  de 
l'adaptation  de  MM.  Pierre  Decourcelle  et  Armand  d'Artois,  hommes 
de  théâtre  expérimentés  et  qui  Font  bien  fait  voir. 

De  l'interprétation  on  doit  tirer  hors  de  pair  M.  Lérand,  qui  donne 
au  personnage  de  «  l'archiduc  rouge  »  une  physionomie  curieuse 
et  très  fouillée.  M"""  Hading  a  toujours  ce  charme  troublant  qui  en 
fait  une  des  artistes  les  plus  intéressantes  de  Paris.  M"<^  Yahne  conti- 
nue à  chanter  un  peu  le  même  air  qui  lui  est  familier,  mais  elle  le 
chante  si  gentiment  qu'on  n'en  est  pas  encore  lassé.  La  belle 
M"«  Sorel  se  met  à  avoir  du  talent.  Il  ne  manquait  plus  que  celai 
M.  Candé  n'est  pas  à  son  avantage  dans  le  rôle  d'Olivier  du  Prat  ; 
mais  M.  Grand  montre  quelque  valeur  dans  celui  de  Hautefeuille. 
■Cela  fait  la  juste  balance,  qui  penche  même  en  faveur  du  théâtre  si 
l'on  ajoute  dans  l'un  des  plateaux  l'appréciable  ingénuité  de 
-M"'  Leconti. 

Aux  Variétés,  de  la  gaité,  encore  de  la  gaité,  toujours  de  la  gaîté. 
Oli  s'arrêteront  dans  cette  voie  de  folie  les  amusants  auteurs  Maurice 
Desvallières  et  Antony  Mars  î 

Oh  !  qtii  pourra  jamais  vous  raconter  l'odyssée  de  Leperchois,  que 
sa  tardive  pétulance  jette  dans  des  aventures  si  extravagantes  I  Oh  1 
cette  belle-mère,  ce  modèle  des  belles-mères,  qui  feint  d'être  devenue 
muette  pendant  des  mois  pour  être  supportée  plus  facilement  par 
son  gendre,  l'éminent  statuaire  Lacreusette,  et  qui  finit  par  éclater, 
n'en  pouvant  plus,  en  des  torrents  d'injures,  quand  elle  soupçonne  la 
fidélité  de  ce  même  Lacreusette  envers  sa  fille!  Oh  I  ce  Piganiol, 
l'homme  du  Midi  1  Oh  !  cette  famille  de  gêneurs,  les  Capuron  !  Oh  !  ce 
Baron  avec  son  violoncelle  ! 


Il  est  bien  difficile  de  rester  insensible  à  de  pareilles  exubérances 
de  joie,  et  c'est  au  milieu  de  rires  inextinguibles  que  le  rideau 
retombe  après  chaque  acte. 

Toute  la  troupe  donne  à  la  fois  dans  la  nouvelle  pièce  :  et  l'éton- 
nant Baron  et  le  curieux  Brasseur,  et  Milher,  et  Guy,  et  Mathilde, 
et  la  jolie  M"°  Demarsy,  qui  porte  des  toilettes  à  faire  tourner  toutes 
vos  têtes,  oui,  mesdames.  Allez  donc  douter  du  succès  après  cela. 

H.  MORENO. 

Porte-Saint-Mariin.  Le  Colonel  Roquebrune,  drame  en  5  actes  et  6  tableaux,  de 
M.  Georges  Ohact,  —  Vaudeville.  Divorçons,  comédie  en  3  actes,  de 
M.  V.  Sardou  et  de  E.  de  Najac.  —  Déjazet.  Les  Vacances  de  Toto,  comédie 
boufi'e  en  3  actes,  de  MM.  Marc  Sonal  et  Laurey  ;  Paris  pour  le  Tsar,  revue 
de  MM.  J.  Oudot  et  de  Gorsse. 

Rentrée  de  M.  Georges  Ohnet  au  théâtre,  et  rentrée  curieusement 
attenlue,  puisque,  cette  fois,  l'auteur  de  Serge  Panine,  de  la  Comtesse 
Sarah,  de  la  Grande  Marniére  et  du  légendaire  Maître  de  forges,  réap- 
paraissait avec  un  drame  absolument  inédit,  ne  devant  rien  aux 
romans  précédemment  publiés  par  l'auteur. 

Ce  colonel  de  Roquebrune,  inventé  de  toutes  pièces,  fut,  parait-il, 
le  grand  bras  droit  de  Napoléon  I"  ;  c'est  lui  qui,  en  181-5,  ayant 
quitté  l'île  d'Elbe,  vint  préparer  la  rentrée  en  France  et  à  Paris  de 
son  empereur.  Vous  pensez  bien  que  mission  aussi  délicate,  à  une 
époque  oîi  les  royalistes  sont  inquiets  et  traquent  de  toutes  parts  les 
paitisans  du  régime  précédent,  ne  va  pas  sans  encombre.  D'autant 
que  le  colonel  aime  M"'^'  Émilienne  de  Réval  et  que  son  amour 
déçu  l'amène  a  dévoiler  un  incognito  qui  seul  pouvait  lui  conserver 
la  vie  sauve.  Duel,  embûches,  arrestation,  condamnation  à  mort,  dou- 
leur presque  mortelle  de  se  savoir  trompé  et  livré  par  celle  qu'il 
adore,  Roquebrune  subit  tout,  triomphe  de  tout  et  oublie  tout  à  l'en- 
trée de  son  héros  dans  la  capitale. 

M.  Coquelin,  qui  s'adonne  décidément  aux  rôles  à  panache  tenant 
plus  du  mélodrame  que  de  la  comédie,  M.  Coquelin  est  Roquebrune 
lui-même,  ou  mieux  si  Roquebrune  avait  existé  il  n'aurait  pu  être 
autre,  tendre  et  brave,  entraînant  dans_  sa  gaîté  ou  dans  sa  tristesse 
ceux  qui  l'écoutent. 

Le  Colonel  Roquebrune,  en  plus  du  maître  de  la  maison,  a  trouvé 
d'excellents  interprètes  surtout  en  la  personne  de  MM.  Saint-Germain, 
Desjardins,  Jean  Coquelin,  Volny  et  Gravier  qui  aideront  au  succès 
du  drame  nouveau. 

Le  Vaudeville  a  pris  au  répertoire  du  Palais-Royal  Divorçons,  la 
très  fine  comédie  de  MM.  Sardou  et  de  Najac,  sur  laquelle  les  années 
ont  passé  légères,  ne  lui  enlevant  rien  ni  de  son  esprit,  ni  de  son 
amusante  observation,  ni  de  sa  gaîté  de  bonne  compagnie.  Les  créa- 
teurs ftirent  M'""  Chaumont,  M.  Raimond  et  Daubray,  disparu  celui-là 
et  n'ayant  point  encore  trouvé  son  vrai  remplaçant;  les  interprètes 
actuels  se  nomment  M"'=  Réjane,  MM.  Noblet  et  Huguenet.  M.  Sardou 
serait  donc  mal  venu  en  se  plaignant  de  ce  qu'aujourd'hui  lui  donne, 
et  s'il  doit,  de  toute  justice,  un  souvenir  reconnaissant  aux  premiers, 
cela  ne  saurait  l'empêcher  d'applaudir  des  deux  mains  au  talent  des 
seconds.  Et,  comme  lui,  nous  ferons.  A  côté  des  trois  personnages 
principaux,  dans  des  rôles  épisodiques  de  très  minime  importance, 
il  faut  cependant  signaler  MM.  Galipaux,  Lagrange,  Torin,  M"°*  S. 
Avril  et  G.  Garon. 

A  Déjazet  deux  premières  représentations.  Un  vaudeville  de 
MM.  Marc  Sonal  et  Pierre  Laurey  qui  ne  se  recommande  ni  par  la 
nouveauté  de  l'idée,  ni  par  l'originalité  de  la  forme;  mais  comme  il  y 
perce  quelque  bonne  humeur  et  sufiSsammeut  de  laissez-aller,  on  ne 
voit  pas  pourquoi  il  ne  réussirait  pas  tout  autant  que  nombre  d'autres 
qui  apparurent  pires.  Ce  Toto,  dont  les  vacances  défraient  ces  trois 
actes,  est  un  avoué  qui  se  paie  une  petite  fugue  extra-conjugale,  et, 
bien  entendu,  est  relancé  par  sa  femme;  les  développements  sont 
connus  et  les  fantoches  qui  servent  de  comparses,  demi-mondaines, 
hospodar  hongrois,  capitaine  du  Far-West,  le  sont  également.  Le 
public  de  ce  théâtre  lointain  y  trouvera  peut-être  son  compte.  Les 
Vacances  de  Toto  sont  jouées,  tant  bien  que  mal,  par  MM.  Hurteaux, 
Leitner  jeune,  Blanchet,  Isidore,  M""^*  Virginie  Roland,  Lacombe  et 
Delcy. 

La  seconde  des  deux  nouveautés  est  une  petite  revue  en  deux 
actes,  de  MM.  Jules  Oudot  et  H.  de  Gorsse,  deux  jeunes  habitués  au 
succès  en  ce  genre  spécial,  deux  tourneurs  de  couplets  comme  il  y 
en  a  peu,  deux  braves  qui  savent  dire,  sans  subterfuge,  leur  fait  aux 
faux  puissants  du  jour.  On  a  ri  beaucoup  et  souvent,  on  a  bissé  énor- 
mément, notamment  la  parodie  du  populaire  terzetto  des  cambrioleurs 
du  Papa  de  Francine,  et  on  a  applaudi,  comme  il  convenait,  à  la  grâce 
de  M"=  Diéterle,  prêtée  par  les  Variétés.  M"°  Lacombe,  plus  haut 


412 


LE  MENESTREL 


nommée,   MM.    Kerny,   Jorge,    Raoul  se  font  distinguer  parmi  les 
nombreux  interprètes  de  Paris  pour  le  Tsar. 

Paul-Émile  Chevalier. 

P.-S. — A  l'occasioa  des  fêtes  de  la  Noël,  l'Ambigu  a,  donné,  en  matinées, 
une  série  de  représentations  de  l'Enfant  Jésus,  do  M.  Charles  Grandmougin. 
Les  vers  du  poète  ont  ému  et  charmé,  à  leur  habitude,  comme  aussi  la 
tendre  musii|ue  de  M.  Francis  Thomé,  qui  dirigeait  lui-même  l'exécution. 
M.  Duquesne  et  M"'=  Mellot  se  sont  surtout  fait  rpmai't]uer.  P.-É.  C. 


JOURNAL    D'UN    MUSICIEN 


FRAOMENTS 

(Suile.) 


Au  sujet  des  divers  accords  de  septièmes,  voici  encore  une  obser- 
vation qui,  sauf  erreur,  me  parait  avoir  échappé  jusqu'à  ce  jour  aux 
théoriciens  : 

C'est   que   chacun   de   ces    accords   prend   place   exactement  sur 
un  des  degrés  de  l'accord  de  septième  dominante. 
Base 


Il  y  a  dans  ce  fait  la  trace  de  relations  latentes,  pourtant  tiès 
directes,  entre  l'accord  de  septième  dominante  et  les  divers  accords 
de  septièmes,  relations  dont  un  jour  quelque  Ihéurieieu  saisira  clai- 
rement et  établira  d'une  façon  détinitive  la  loi  logique. 

On  peut  aisément  se  rendre  compte,  par  leur  résolution,  de  cette 
filiation  des  accords  de  septièmes  avec  l'accord  d'où  ils  viennent  et 
auquel  ils  retournent  :  . 


Ce  sont  des  branches  qui  sortent  du  même  tronc. 

Quand  on  réfléchit  à  cet  ensemble  de  faits,  la  genèse  des  accords 
de  septième  s'explique  aisément. 

Toutes  les  fois  que  les  musiciens  ont  été  en  possession  d'un 
accord  nouveau  leur  fournissant  un  moyen  d'expression  et  d'efTet 
inconnu  jusque-là,  ils  ont  été  incités  à  aller  au  delà.  Par  une  ten- 
dance qu'on  retrouve  chez  tous  les  artistes  dans  l'histoire  de  tous 
les  arts,  ils  se  sont  efforcés  d'élargir  encore  leur  domaine  en  variant 
le  procédé  nouveau,  en  le  raffinant,  et  c'est  ainsi  que  les  musiciens  ont 
varié  l'accord  nouveau,  tantôt  par  des  altérations,  tantôt  en  essayant 
ces  modifications  de  notes  que  Fétis  a  entrevues  avec  une  rare  pers- 
picacité et  qu'il  a  désignées,  pour  expliquer  la  genèse  de  l'accord  de 
neuvième,  par  le  vocable  significatif  de  substitution. 

C'est  ainsi  que  les  musiciens  ont  donné  une  physionomie  nouvelle 
à  l'accord  parfait  en  haussant  la  quinte  supérieure,  ce  qui  a  formé  un 
accord  augmenté  : 


La  première  agrégation  de  trois  tierces  superposées  a  dû  être  l'ac- 
cord do  septième  dominante,  base  de  la  musique  moderne,  aux  expres- 
sives dissonances,  dont  on  a  cherché  de  plus  en  plus  à  accentuer 
l'accent  passionné. 

Cest  sans  doute  l'accord  de  septième  dominante  nue  les  musiciens, 
sous  l'empire  de  cette  préoccupation,  ont  varié  d'abord  en  abaissant 


la  tierce  majeure 


puis  modifiant  cette  mo- 


dification même,  et  épuisant  tous  les  moyens  que  pouvait  régulière- 
ment fournir  la  technique   de   leur  art,  en  abaissant  à  son  tour  la 


quinte; 


et  ces    deux   combinaisons   ont 


fourni  les  accords  que  Reicha  et  Reber  appellent  septième  de  dcii.riéme 
et  de  troisième  espèce. 

Quant  à  l'accord  de  septième  de  quatrième  espèce,  il  est  venu  sans 
doute  plus  tard,  et  a  dû  son  origine  au  second  renversement  de  ce 


mêm3  accord  de  deuxième  espèce. 


été  occasionnellement  substituée  a  la  sixte, 


la  septième  ayant 


comme  ia 


neuvième  majeure,  puis  mineure,  avait  été  occasionnellement 
substituée  à   i'oelave    dans    l'ac-  „ 

-eS- S^ 

cord     de    septième     dominante 

fournissant  ainsi  ces  accords  de  neuvième  majeure  et  mineure,  dont  les 
compositeurs  contemporains,  surtout  Richard  Wagner,  ont  tiré  un 
si    heureux    parti.    La    découverte    de    cette    disposition    de    sons 

a  dû  être  encouragée  et  justifiée  par  les  marches  de 

septièmes  introduites  peu  à  peu  dans  l'harmonie,  et  dont  le  mouve- 
ment symétrique  faisait  plus  aisément  accepter  à  l'oreille  l'accord  de 
septième  de  quatrième  espèce. 
(A  suivre.)  A.  Mom.wx. 


REVUE   DES   GRANDS   CONCERTS 


lU. 


Concerts  Colonne.  —  L'ouverture  de  Benvenuto  Cetlini  venait  do  joter 
véhéhcmentes 'périodes  aux  applaudissements  de  l'audilnii-e,  l'i  la  r 
M.  Leroux  pour  tes  Perses  d'Eschyle  se  déroulait  peu  j  |iru.  D'une  l'ailm'i' 
sage  et  pondérée  d'abord,  elle  obtenait  tous  les  sull'iages  lius(|u'uiie  nuurlie 
funèbre,  échelonnant  ses  sonorités  lugubres,  a  paru  aux  uns  renouveler  l'iior- 
reur  tragique  du  poète  grec  tandis  que  les  autres  blâmaient  l'exagération  du 
coloris  dans  c  ■  morceau  à  tapage  qui,  après  en  avoir  l'ait  ]ieaucou]i  dans  l'or- 
chostre,  en  a  produit,  dans  la  salle,  un  vrainioni  formidable.  Après  des  aiiplau- 
dissemcnts  très  nourris,  et  mérités  à  mon  avis,  des  ciuips  de  silllel  partoni 
d'en  haut,  suivis  d'un  tumultueux  vacarme.  C'est  un  elians  ili-  cris,  ili'  huées 
et  d'invectives  d'où  émerge  enfin,  lumière  au  milieu  des  irmlurs,  l'auapesle 
classi([ue  dos  Lampions.  M.  Colonne  caresse  un  instant  lillnsinii  de  ralnier 
les  es]u'ils  aux  accords  du  concerto  de  Saint-Saëns,  mais,  moins  lieiu'eux 
iju'Uipliée,  il  n'a  pas  affaire  à  des  lions  et  à  des  panthères,  et  M-.  Di(''mer, 
indigné,  s'assied  sous  les  yeux  du  public,  lui  tournant  1  ■  dos  très  confcu-table- 
meut.  Mais  il  faut  eu  finir.  Le  chef  d'orchestre  étend  le  bras  avec  une  on- 
doyante souplesse,  comme  s'il  voulait  apaiser   (piaranto  violons  frémissants: 


(|ue 


el  qui  . 
lé  . 
L'i 


son  quos  ego  a  des  notes  d'iii 
l'on  réclame  iiarce  qu'une  pei 

....  priée  de  sortir  (clameurs,  di'iji'galinns)....  a  iMé  expulsT'e.  u  (N(uiveaux 
cris:  expulsée  violemment,  bousculée,  nuillraiir'e).  L'uruj^e  gnuide  plus  que 
jamais.  L'orateur  a  un  mot  d'une  ironie  vraiment  suave  :  «  .T'ai  ilù  employer 
un  euphémisme  pour  dire  de  quelle  manière  celle  persnnne  a  quitté  la  salle, 
parce  que  nous  sommes  ici  très  proches  voisins  de  la  Prél'eclure  de  police...  » 
Et  l'attitude  et  le  geste  soulignent  cette  savoureuse  boutade,  qui  met  tout  le 
monde  en  joie.  On  applaudit,  M.  Diémer  se  retourne  sous  ce  rayon  de  soleil 
et  commence  le  concerto  n"  3  de  Saint-Saëns,  qu'il  joue  en  merveilleux 
pianiste  ;  il  captive,  dans  une  œuvre  un  peu  fluette  qui  a  besoin  d'être  sou- 
tenue par  le  virliuise.  gràre  au  perlé,  à  l'égalité  de  son  mécanisme,  et  réalise 
d'un  bout  à  l'aulre  l'inlerprélalinn  idéale,  adéquate  à  la  musique.  Une  taqui- 
nerie bien  dans  le  goi'it  de  Saint-Saëns,  c'est  d'avoir  écrit  un  glissando  que 
la  main  gauche  précède  en  éclaireur.  La  forme  de  ce  concerto  est  plus  libre, 
mais  pas  essentiellement  différente  de  celle  des  quatre  premiers  de  l'auteur, 
mais  la  mélodie  semble  iid  un  peu  moins  consistante.  —  Rédemption,  de  César 
Franck,  a  obtenu  un  beau  succès.  M""  Blanc  dans  le  rôle  do  l'archange  et 
M""  du  Minil,  dans  celui  du  récitant,  ont  été  applaudies.  L'ouvrage,  d'allure 
austère  et  d'une  orchestration  agrémentée  d'une  foule  de  jolis  efl'cls,  présente 
des  parties  d'un  charme  mystique  indéniable.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts  Liimouroux.  —  La  symphonie  eu  ré  majeur  de  Brahms  n'est  pas 
une  de  ses  meilleures  œuvres.  C'est  néanmoins  une  œuvre  estimable,  cons- 
ciencieuse, et  que  l'on  écoute  avec  le  plus  grand  intérêt.  Elle  a  été  très  conve- 
nablement exécutée.  La  Procession  de  César  Franck  a  été  entendue  plusieurs 
fois  dans  les  grands  concerts.  M.  Engel  a  chanté  avec  un  goût  parfait  et  une 
méthode  excellente  cette  œuvré  mystique  du  plus  mystique  des  compositeurs. 
Passons  rapidement  sur  le  deuxième  tableau  de  la  Cloche,  de  M.  d'indy.  Ce 
tableau  est  inlitulé  l'Amour.  La  scène  .se  passe  dans  une  forêt.  'Wilbelm  et 
Léiinore  s'y  promènent  lentement:  «  le  grand  calme  de  la  nature  au  coucher 
du  siilcil  les  penèhe  peu  à  peu...  ils  s'arrêtent  et...»  Cette  fois,  pas  de  basson, 
ou  du  moins  1res  peu.  LaCloclie  reslo  encore  ce  que  M.  d'indy  a  t'ait  de  mieux 
jusqu'à  ce  jour.  Le  prélude   do  Parsifal  et  l'iiuverture  du  Vaisseau  fantôme  ne 


LE  MÉNESTREL 


413 


sont  des  uimveaiilés  poui'  persouiio.  Boelliovcu,  lui,  est  toujours  nouveau,  et 
c'était  une  véritalile  joie  que  d'entendre  son  concerto  en  iti  mineur  pour  piano, 
interprété  par  une  jeune  artiste  russe,  M"«  Alexandra  de  Markoff,  qui  est 
pleine  de  talent.  Elle  était  fort  émue  en  affronlant  le  publii-  wauiinTii'ii  du 
Cirque.  Son  succès  a  été  fort  grand.  Son  jeu  est  gracieux  couinir  -;i  iirr^uinic: 
elle  a  une  délicatesse  de  doigté  inlinie:  peut-élre  man(|uc-t-elic  .l';nii|il(Mu-  en 
certains  passages,  mais  elle  rachète  cette  légère  imperfection  par  tant  de  réelles 
qualités  qu'on  ne  peut  qu'applaudir  à  son  beau  succès.  îl.  Barbedette. 

—  Programme  des  concerts  d'aujourd'hui  dimanche:  - 

Conservatoire  :  Relàohe. 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  TannhUuser  (Wagner)  •  /es  Perses  (Leroux)  ; 
Suite  pasloriile  (Chabrier);  Rédemplion  (César  Franck);  l'Archange,  M""  Éléonore  Blanc; 
le  Récitant,  M""  Renée  du  llinil. 

Cirque  des  Champs-Elysées,  concert  Lamoureux:  Ouverture  de  Frithiof  (Théodore 
Dubois)  ;  Symphonie  extraite  de  la  Nuit  de  Noël,  oratorio  (J.-S.  Bach)  ;  Fantaisie  dialoguée 
pour  orgue  et  orchestre  (L.  Boellmann):  l'orgue  tenu  par  l'auteur;  Air  de  la  Fêle  d'A- 
lexandre, 1736  (Hœndcl),  chanté  par  II.  Constantin  Mcolaou;  les  Djinns,  poème  sympho- 
nique  pour  piano  et  orchestre,  d'après  Victor  Hugo  (C.Franck)  :1e  piano  tenu  par . M"""  Henri 
Jossic;  les^Iurmuresde  la  forêt,  deSiegfiied  (Wagner);  Deiixdnnses hongroises [Bvahm?). 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (23  décembre)  :  La  vérité  cruelle 
m'oblige  à  dire  que  le  public  de  la  Monnaie  n'a  pas  fait  à  Javolle,  le  nouveau 
ballet  de  M.  Sainl-Sacns,  un  accueil  plus  chaleureux  que  celui  qu'il  avait  fait 
àPhryné...  Bien  au  contraire!  Pour  celte  dernière  œuvre,  l'interprétation 
pouvait  être  rendue  en  partie  responsable  du  peu  d'enthousiasme;  ce  n'est  pas 
le  cas  pour /sDOite,  que  les  interprélesde  la  danse  et  de  l'orchestre  ont  défendue 
du  mieux  qu'ils  ont  pu.  Le  public  a  donc  paru  désaijpoiuté,  une  fois  de  plus. 
Peut-être  se  faisait-il  illusion  en  attendant  autre  chose  que  ce  que  le  compo- 
siteur avait  eu  l'intention  de  lui  donner,  c'est-à-dire  un  agréable  «  divertisse- 
ment K  sans  prétention,  un  gentil  papotage  musical,  finement  orchestré,  avec 
des  dessins  mélodiques  ingt'uioux,  revêtus  d'une  forme  chatoyante.  Plus 
encore  que  Phryné,  M.  Saint-Saëns  a  composé,  on  le  sait,  cette  œuvre  légère 
comme  un  délassement  à  de  plus  graves  travaux.  Ce  ballet,  en  efl'et,  n'était 
pas  destiné  à  une  grande  scène,  mais  aux  Folies-Marigny,  dont  M.  Groze,  le 
libreltisle,  était  aulrcfois  secrétaire  général.  Javolte  alors  devait  s'appeler 
AUboron.  En  changeant  de  destinée,  elle  a  changé  de  nom  —  et  un  peu  aussi, 
j'imagine,  de  caractère;  mais  elle  a  gardé  sou  allure  champêtre,  son  cachet  de 
paysannerie  qui  ne  cherche  pas  à  se  hausser  au  ton  d'une  partition  importante, 
riche  d'invention,  d'idées  originales  et  d'intérêt  dramatique.  La  division  de 
Javolte  en  trois  tableaux,  qui  sont  en  réalité  trois  actes,  a  peut-être  aussi 
accentué  le  maleulendu  et  fait  croire  qu'il  fallait  attacher  de  l'importance  à  un 
simple  jeu,  —  aimable  badinerie  d'un  grand  esprit  qui  aime  à  rire  et  ne  sait 
vraiment  dire  avec  grâce  que  des  choses  sérieuses. 

Hier,  la  Monnaie  nous  a  donné  une  très  heureuse  reprise  de  Mignon,  avec 
M"'  Gianoli,  qui  a  joué  et  chanté  le  rôle  de  l'héroïne  avec  nue  intelligence, 
un  sentiment  dramaliquc  et  un  charme  peu  ordinaires.  Voilà  une  jeune  artiste 
qui  pourrait  bien  faire  parler  d'elle  quelque  jour. 

Au  Conservatoire,  l'exécution  3S  la  Passion  de  J.-S.  Bach,  dimanche  der- 
nier, a  tenu  toutes  ses  promesses  ;  c'a  été  une  solennité  imposante  et  un  très 
grand  succès.  Il  fallait  ropiniàtreté  et  la  science  de  M.  Gevaert,  le  dévoue- 
ment de  son  admirable  orchestre,  de  ses  chœurs  excellents  et  de  ses  brillants 
solistes  pour  mener  à  bien  une  pareille  entreprise.  Deux  grands  mois  d'études 
continuelles  n'ont  pas  été  de  trop  pour  mettre  sur  pied  celle  œuvre  colos- 
sale, qu'on  n'avait  jamais  entendue  en  Belgique  et  qui  a  pris  toute  ime  jour- 
née, l'audition  étant  partagée  en  deux  séances,  une  le  matin,  l'autre  l'après- 
midi.  L'impression  produite  par  la  géniale  interprélation  du  texte  de  saint 
Mathieu  par  le  grand  musicien  —  que  l'on  peut  considérer  sans  conteste  comme 
le  maitre  de  toute  l'école  moderne,  car  on  y  retrouve  jusqu'à  la  substance 
même  de  "Wagner  —  a  été  profonde  ;  et  les  pages  capitales  de  la  partition 
ont  élevé  l'âme  des  auditeurs  jusqu'aux  sommets  de  l'admiration  et  de  lémn- 
tion.  Ce  n'est  pas  le  moment  d'en  analyser  les  beautés  et  d'en  découvrir  les 
sublimités.  Bornons-nous  à  glorifier  les  remarquables  résultats  obtenus  par 
M.  Gevaert,  la  solide  et  puissante  homogénéité  de  ses  chœurs  et  de  son 
orchestre,  le  style  et  l'enthousiasme  mêlé  de  vénération  dont  il  a  su  animer 
cette  exécution  prestigieuse,  peut-être  un  peu  lente  çà  et  là,  mais  si  vigou- 
reuse et  si  noble!  Les  soli  étaient  chantés  par  MM.  Seguin,  Warmbroodt, 
Disy,  Dufranne  et  plusieurs  des  meilleures  cantatrices  lauréates  du  Conser- 
vatoire. 

Avant  de  terminer,  je  ne  veux  pas  oublier  de  noter  le  nouveau  triomphe 
remporté  à  Anvers,  au  Théâtre  lyrique  flamand,  par  M.  Jan  Blockx,  à  l'occa- 
sion de  la  vingtième  représentation  de  son  beau  drame  lyrique  Princesse  d'au- 
berge (Herbergprinses).  Le  compositeur,  qui  dirigeait  lui-même  l'orchestre,  a  été 
l'objet  d'ovations  enthousiastes,  fleuries  de  palmes  et  de  discours,  devant  une 
salle  superbe  composée  de  toutes  les  notabilités  officielles  et  artistiques 
d'Anvers.  Beaucoup  d'étrangers  à  la  ville  assistaient  également  à  la  représen- 
tation, parmi  lesquels  un  des  directeurs  de  la  Monnaie,  M.  Stoumon,  qui  ne 
s'est  pas  montré  le  moins  enthousiaste  :  voilà  qui  est  de  bon  augure  pour 
l'apparition   de  ta  Princesse  d'auberge  à  la  Monnaie,  l'année  prochaine.   Le 


prince  Albert  de  Belgique  devait  y  assister  aussi  ;  mais,  ayant  été  empêché, 
il  a  promis  de  venir  expressément  pour  l'une  des  représentations  prochaines. 

L.  S. 

—  Les  Italiens  se  lamentent  avec  raison  du  petit  nombre  de  théâtres  lyri- 
ques qui  seront  ouverts  cette  année  à  la  San  Slefano  pour  la  grande  saison 
de  carnaval  et  carême,  autrefois  si  brillante,  et  dont  la  splendeur  semble  dé- 
croître d'année  en  année.  Tandis  que  l'an  dernier  soixante-cinq  théâtres  ou- 
vraient leurs  portes  pour  cette  saison,  ce  qui  était  déjà  médiocre,  on  n'en 
compte  cette  année  que  cinquante  et  un,  ce  qui  est  un  véritable  désastre.  ' 
C'est  ce  qui  arrache  au  Trovalore  ce  cri  de  détresse  :  «  On  va  de  mal  en  pire, 
sinon  de  pire  en  impossible  !  Abolissez,  abolissez  les  doti,  ô  économistes, 
qui  rendez  un  beau  service  à  l'art  et  à  tant  de  gens  qui  vivent  des  revenus 
du  théâtre  !  »  On  voit  en  effet  des  villes  comme  Rome,  Venise,  Turin,  Gênes, 
Bologne,  n'avoir  qu'un  seul  grand  théâtre  en  exercice,  et  d'autres,  aussi  im- 
portantes que  Palerme,  Pise,  Vérone,  Bergame,  Livourne,  Vicence,  n'en 
avoir  pas  même  un,  non  plus  que  Lucques,  Rimini,Sinigaglia,  Pesaro,  Syra- 
cuse, Monza,  Viareggio,  Alexandrie,  Ivrea,  Lecco,  Arezzo  et  tant  d'autres, 
qui  seront  sevrées  cette  fois  de  toute  espèce  de  spectacle  d'opéra.  C'est  une 
véritable  calamité,  et  ce  que  M.  Brunetière  pourrait  appeler  la  banqueroute 
de  l'art.  —  Quoi  qu'il  eu  soit,  sur  les  cinquante  et  un  théâtres  ouverts,  nous 
voyons,  comme  d'habitude,  figurer  nombre  d'ouvrages  Us.acais:  Faust,  Mignon, 
Manon,  Carmen,  Werther,  la  Juive,  Lakmé,  Samson  et  Dalila,  le  Songe  d'une  nuit 
d'été,  les  Pêcheurs  de  perles,  etc.  La  saison  ne  parait  pas  être  fertile  en  ouvrages 
inédits,  et  nous  ne  trouvons  d'annoncés  que  ceux  dont  voici  les  titres  :  au 
théâtre  San  Carlo  de  Naples  il  Signor  di  Pourceaugnac,  de  M.  Alberto  Fran- 
chelti;  au  Dal  Verme  de  Milan  Tirga,  de  M.  Marchese  Lombardi,  et  la  Nave, 
de  M.  Arthur  Vanibianchi  ;  à  l'Argonlina  de  Rome  Camargo,  de  M.  Enrico 
De  Leva  :  au  théâtre  royal  de  Turin  la  Forza  d'amore,  de  M.  Buzzi-Peccia  ; 
à  San  Remo  U  Padrone,  de  M.  Bolognesi  ;  et  enfin,  au  théàlre  Brunetli  de 
Bologne  Yanko.  de  M.  Primo  Bandini. 

—  Nous  venons  de  voir  quelle  sera  la  part  des  opéras  français  dans  la  sai- 
son qui  s'ouvre.  Elle  n'était  pas  moins  brillante  dans  celle  qui  vient  de  finir. 
Pour  ne  citer  qu'un  Ihé'.itre,  le  Victor-Emmanuel  de  Turin,  pour  60  représen- 
tations en  a  donné  17  de  Cavalleria  rusticana,  13  de  Manon,  12  des  PécJieurs 
de  perles,  12  d'iPagliacci  et  6  de  Martirc.  C'est-à-dire  que  deux  seuls  ouvrages 
français  ont  fourni  près  de  la  moitié  du  répertoire. 

—  Le  succès  du  nouvel  opéra  de  M.  Umberto  Giordano,  Andréa  Chénier, 
s'affirme  et  s'accentue  de  plus  en  plus,  ainsi  que  le  constata  en  ces  termes  le 
Trovalore  :  «  Quatre  sont  les  théâtres  qui  s'ouvriront,  le  soir  de  San  Stefano, 
avec  Andréa  Chénier  :  le  Théâtre  royal  de  Turin,  le  Théâtre  royal  de  Parme, 
le  Communal  de  Manlouc  et  le  Grand-Théâtre  de  Brescia.  Plus  tard,  l'ouvrage 
sera  mis  en  scène  à  l'Argenlina  de  Rome,  au  San  Carlo  de  Naples,  à  Cré- 
mone, à  Sassari,  etc.  Aux  premiers  jours  de  janvier,  il  sera  reproduit  à  la 
Scala  de  Milan.  A  l'étranger,  les  théâtres  qui  le  donneront  les  premiers,  c'est- 
à-dire  d'ici  quelques  semaines,  sont  ceux  de  Lyon,  Hambourg,  Buda-Pesth, 
Breslau,  Prague,  Saint-Pétersbourg,  et  Alexandrie  d'Egypte.  »  Ce  qui  veut 
dire  qu'Atidrca  Chénier  commence  son  tour  du  monde. 

—  Pour  railler  M.  Boito,  qui  depuis  vingt  ans  fait  annoncer,  urbi  et  orbi, 
qu'il  travaille  à  un  Néron  dont  personne  n'a  jamais  pu  voir  ni  entendre  une 
note,  un  journal  italien  racontait  plaisamment,  il  y  a  quelque  temps,  que  le 
commencement  de  la  première  scène  du  premier  tableau  du  premier  acte  de 
cet  insaisissalde  A'c'ron  (•lait  etunplèlemenl  achevé, et  qu'il  n'y  manquait  plus  que 
l'orchestre.  Voici  qunn  a|ipienil  que  dans  une  représentation  donnée  au  théàlre 
Victor-Emmanuel  d'Ancouc  au  profit  du  fonds  deslinéà  la  ciéalion d'une  école 
d'art  en  cette  ville,  le  clou  de  la  soirée  était  une  parodie  de  ce  fameux  Néron. 
«  Gomment  diable,  s'écrie  à  ce  sujet  un  journal,  a-t-on  pu  parodier  un  opéra 
dont  personne  ne  peut  affirmer  l'existence?  »  —  «  C'est  bien  simple,  lui 
répond  un  confrère;  on  n'a  eu  qu'à  lever  le  rideau  à  moitié,  sur  une  appa- 
rence de  décor  oualé  par  des  nuages,  et  à  le  baisser  au  bout  d'un  inslanl  au 
milieu  du  silence;  comme  cela,  les  spectateurs  ont  pu  se  faire  une  idée  de  ce 
qu'est  le  Néron  de  Boito.  i> 

—  Le  centenaire  de  Schubert  sera  célébré  prochainement  à  Vienne  non  seu- 
lement par  l'exposition  spéciale  que  nous  avons  déjà  annoncée,  mais  aussi  par 
une  exposition  des  beaux-arts  qui  réunira  tous  les  tableaux,  dessins  et  sculp- 
tures que  l'œuvre  de  Schubert  a  fait  naître;  à  cette  exposition  le  peintre 
célèbre  Maurice  de  Schwind,  un  ami  de  jeunesse  de  Schubert,  sera  toul  par- 
ticulièrement représenté. 

—  Le  célèbre  compositeur  norvégien,  Edvard  Grieg,  se  trouve  actuellement 
à  Vienne  et  y  a  donné  une  série  do  loneeris  dans  lesquels  des  œuvres  de  tout 
genre  étaient  assez  largement  repn'sentr'cs  pour  que  le  public  viennois  ait  pu 
garder  une  impression  complète  et  iind'onde  du  talent  robuste  et  absolument 
personnel  de  cet  artiste  oiiginal.  Parmi  les  œuvres  exécutées  nous  ne  décou- 
vrons aucun  morceau  inédit,  mais  nous  avouons  n'avoir  jamais  entendu  le 
monologue  Bergliot,  où  l'orchestre  ajoute  des  illuslralimis   miisii-ales  inili''|ieii- 

dantes  du  monologue  lui-même   qui   est  récité   sans  ,iiicnii  ;irr |i;i-ih'iiii'iiI. 

Cette  forme  est  alisoluiiieiit  neuve,  et  il  parait  que  le  inmvejn  :i  pu  lip.niniup 
de  succès.  Grieg  s'est  missi  fait  admirer  comme  pianiste:  il  joue  en  composi- 
teur, et  non  en  mi- ^r.  ni.iis  même  au  point  de  vue  puremenl  mécanique,  son 

jeu  esl  tcllemeiil  puiiaii  ipii'  peu  de  virtuoses  peuvent  entrer  en  lice  avec  ce 
pianiste  non  i)rofessioiincl. 


414 


LE  MENESTREL 


—  La  Société  Liszt,  de  Leipzig,  a  exécuté  arec  un  vrai  succès,  à  son  Jeniier 
concert,  un  poème  symphoaique  intitulé  Romnersholm,  dont  fauteur, 
M.  Gustave  Brecher,  est  un  tout  jeune  homme  à  peine  âgé  de  dix-sept  ans, 
qui  poursuit  encore  ses  études  au  gymnase.  Il  parait  que  l'œuvre  est  très 
intéressante  et  indique  un  vrai  sens  artistique. 

—  Le  nouvel  opéra  de  M.  Garl  Goldmark,  le  Grillon  du  foyer,  dont  l'appa- 
rition tn  Allemagne  avait  semblé  faire  sensation,  vient  d'échouer  complète- 
ment à  Munich,  où  son  exécution  d'ailleurs  était  très  insuffisante,  et  où 
l'ouvTage  est  très  vivement  discuté.  Après  le  premier  acte,  les  auteurs  avaient 
été  rappelés  très  timidement;  après  le  second  et  le  troisième,  des  marques  de 
désapprobation  assez  vives  se  sont  mêlées  à  quelques  applaudissements,  et  il 
en  a  été  de  même  pour  l'entracte  sj-mphonique  du  second  acte.  Un  critique 
d'aillem's  très  vivement  le  livret,  qui  est  puéril  et  ne  reproduit  en  aucun 
point  l'intérêt  du  joli  roman  de  Dickens. 

—  Voici  que  la  ville  de  Dessau  conçoit,  à  son  tour,  le  projet  d'élever  à  la 
mémoire  de  Wagner  un  monument  qui,  parait-il,  prendra  des  proportions 
vastes  et  grandioses. 

—  Correspondance  de  Barcelone.  —  (20  décembre).  —  Pas  liien  brillante 
jusqu'à  présent,  notre  saison  théâtrale  d'hiver.  Au  Gran  Theatro  del  Liceo, 
le  fait  le  plus  intéressant  a  été  le  début,  dans  Hamtet,  de  M""!  Adélaïde  Bolska. 
M"'  Bolska  est  bien,  physiquement,  l'Ophélie  rêvée:  comme  cantatrice,  elle 
joint  à  une  l'on  jolie  vuix  ile.s  (jualilés  de  style  et  de  diction.  Et  le  tout  est 
produit  avec  une  simplicité  délicate  et  tout  à  fait  charmante.  A  côté  de 
M""  Bolska,  le  baryton  Blanchart  s'est  fait  aussi  remarquer:  c'est  un  Hamlet 
correct,  secondé  par  un  merveilleux  organe  et  un  très  appréciable  talent  de 
chanteur.  Grâce  à  ces  deux  vrais  artistes,  le  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas 
a  pu  retrouver  son  succès  d'antan  —  mais  c'est  uniquement  grâce  à  eux, 
car  le  maestro  Caxnpanini  (Cléofonte!)  a  dirigé  l'ouvrage  avec  une  fantaisie 
des  plus  étonnantes.  Je  crois  que  l'on  nous  a  donné  aussi  une  reprise  de 
Mefistofele,  mais  je  n'en  suis  pas  certain,  n'ayant  absolument  rien  pu  recon- 
naître dans  l'exécution  de  la  partition  de  Boito.  Il  devait  évidemment  s'agir 
là  d'une  parodie.  Comme  telle,  nous  avouons  que  la  chose  fut  réussie,  et  le 
a  célèbre  »  ténor  Cardinali  s'y  est  montré  en  Petit  Faust  d'une  bouffonnerie 
parfaite.  Et  maintenant  on  est  tout  aux  répétitions  de  Sansone  e  Dalila,  qui 
passera  dans  quelques  jours  ;  espérons  que  la  présence  de  notre  émi- 
nent  et  cher  maître  Saint-Saëns  arrivera  à  maintenir  le  fougueux  Campanini 
(Cléofonte!)  dans  les  justes  limites  d'une  interprétation  exacte  et  vraie. 

A.  S.  Bertal. 

—  Le  cercle  artistique  et  harmonique  de  Barcelone  avait  ouvert  un  concours, 
avec  un  prix  de  500  francs,  pour  la  composition  d'une  œuvre  destinée  à  célé- 
brer le  centenaire  de  sa  fondation.  C'est  un  artiste  italien,  M.  Geremia  Piaz- 
zano,  qui  a  emporté  ce  prix,  pour  une  grande  cantate  à  quatre  voix  avec 
chœurs  et  orchestre. 

—  Le  théâtre  de  l'Eldorado,  de  Barcelone,  vient  d'obtenu-  un  grand  succès 
avec  une  nouvelle  saynète  lyrique,  intitulée  las  Mujeres,  dont  les  auteurs  sont 
MM.  Javier  de  Burgos  pour  les  paroles  et  J.  Jimenez  pour  la  musique.  L'ou- 
vrage est  fort  bien  joué  par  M.  Pinedo,  M'"'==  Campas,  Cubas  et  Cervantes,  et 
chaque  soir  le  public  fait  répéter  trois  ou  quatre  morceaux. 

—  A  l'Alhambra  de  Londres,  la  semaine  dernière,  première  représenta- 
tion et  succès  d'un  nouveau  ballet,  le  Tzigane,  scénario  de  M.  Coppi,  musique 
du  chef  d'orchestre,  M.  Georges  Jacoby,  qui  en  est,  avec  cet  ouvrage,  à  sa 
cent  deuxième  partition  chorégraphique. 

—  Tous  les  journaux  anglais  constatent  le  grand  succès  obtenu  par  notre 
jeune  et  célèbre  pianiste  française,  M"«  Glotilde  Kleeberg,  qui  s'est  fait  en- 
tendre plusieurs  fois  aux  fameux  concerts  populaires  des  lundi  et  samedi,  au 
Cristal  Palace,  à  Glasgow,  Edimbourg,  Birmingham,  Liverpool,  etc. 

—  Une  correspondance  d'Amérique  nous  apporte  quelques  détails  relatifs 
au  fameux  facteur  de  pianos  Guillaume  Stcin'vay,  dont  nous  avons  annoncé 
récemment  la  mort.  Lorsque  les  événements  de  1848,  si  désastreux  pour 
l'AUemagne,  obligèrent  son  père,  Henri  Steinway,  qu'ils  avaient  ruiné,  à 
aller  chercher  fortune  en  Amérique,  celui-ci  emmenait  avec  lui  quatre  de  ses 
fils,  Charles,  Guillaume,  Henri  et  Albert.  Chacun  d'eux  se  plaça  chez  un 
facteur  d'instruments,  et  au  bout  de  peu  d'années,  en  1833,  Henri  Steinway 
fonda  avec  ses  fils  la  fabrique  de  pianos  qui  devait  bientôt  devenir  si  célèbre. 
On  sait  en  effet  quel  en  fut  le  succès,  succès  tel  que  bientôt  l'aîné  des  lils, 
Théodore,  qui  était  resté  à  Brunswick,  alla  rejoindre  sa  famille  à  New- York. 
Celle-ci  fut  décimée  d'ailleurs  en  peu  d'années,  car  Charles  Steinway  mourut 
en  1861,  Henri  en  1863,  leur  père  en  1871  et  Albert  eu  1877  .  Guillaume  de- 
meura le  chef  de  l'entreprise,  et  celle-ci  continua  de  prospérer  de  telle  façon 
entre  ses  mains,  qu'en  1889  un  syndicat  anglais  lui  offrit  quatre  millions  de 
dollars,  soit  20  millions  de  francs  pour  la  cession  de  son  établissement,  en  y 
ajoutant  un  traitement  annuel  de  500.000  francs  pour  qu'il  restât  à  sa  tête, 
comme  directeur  de  la  nouvelle  société.  Steinway  refusa  pourtant  cette  offre 
séduisante.  Guillaume  Steinway  avait  fondé  auprès  de  New-York,  où  se  trouve 
sa  fabrique,  un  véritable  village,  où  était  concentré  tout  son  personnel, 
ouvriers,  et  employés,  iiiii  jimissaient  là,  grâce  à  une  heureuse  et  intelli- 
gente organisation,  d'un  liicu-iHie  remarquable  et  de  grandes  facilités  d'exis- 
tence. C'est  une  atteinte  de  Uèvre  typhoïde  qui,  en  peu  de  jours,  a  enlevé 
Steinway  à  l'âge  de  soixante  ans. 


—  L'émotion  est  tiuijuurs  grande  au  Brésil  par  suite  Je  la  muri  du  luuipo- 
siteur  Carlos  Gomes.  A  Rio  Janeiro  on  a  l'ormé  le  projet  de  représenter,  au 
Grand-Théâtre,  la  série  complète  des  opéras  de  cet  artiste  distingué,  y  com- 
pris Maria  Tudor,  son  dernier  ouvrage,  et  le  directeur  a  demandé  dans  ce  but, 
au  gouvernement,  un  subside  qui  lui  permettra  de  faire  les  frais  nécessaires. 
D'autre  part,  à  Pernambuco,  on  a  décidé,  sur  l'initiative  d'un  admirateur  de 
Gomes,  le  docteur  Bianor  de  Medeiros,  d'élever  au  théâtre,  une  statue  au 
compositeur, 

—  La  situation  du  Conservatoire  de  Mexico,  dont  on  se  plaint  depuis  long- 
temps, paraît  aujourd'hui  tout  à  fait  déplorable,  non  seulement  par  le  fait 
d'une  mauvaise  organisation,  mais  aussi  par  l'éclatante  insuffisance  des  pro- 
fesseurs. Les  examens  annuels,  qui  ont  eu  lieu  récemment,  ont  été  un  véri- 
table désastre  et  ont  fait  un  fiasco  colossal.  On  parle  sérieusement  de  fermer 
l'établissement  pour  lui  faire  subir  une  réorganisation  complète  et  reformer 
le  personnel  enseignant. 

PARIS    ET   DÉPARTEBIENTS 

D'un  commun  accord,  le  directeur  de  l'Opéra-Comique,  M.  Carvalho,  et 
les  auteurs  de  Cendrillon,  MM.  J.  Massenet  et  Henri  Gain,  ont  décidé  de 
remettre  la  première  représentation  de  cet  ouvrage  à  l'ouverture  de  la  salle 
neuve,  place  Favart.  Ils  ont  pensé  avec  raison  que  ce  conte  lyrique,  qui 
prête  à  un  joli  dcploicnionl  de  mise  en  scène,  serait  un  excellent  spectacle 
d'inauguration,  CV'i.iii  la  première  idée  des  auteurs,  et  ils  y  sont  revenus, 
M.  Carvalho  ayanl  bien  voulu  s'y  prêter. 

—  M.  Carvalho  vient  de  s'engager  à  jouer  à  l'Opéra-Comique  le  Spahi, 
l'ouvrage  dont  M.  Lucien  Lambert  a  écrit  la  musique  sur  un  poème  de 
MM.  Adenis  frères,  et  qui  a  obtenu  le  prix  au  dernier  concours  de  la  ville 
de  Paris,  u. 

—  L'Opéra  prépare  activement  les  travaux  de  ses  prochains  concerts  domi- 
nicaux. C'est  au  programme  du  second  de  ces  concerts  que  figurera  le  Selam, 
l'ode-symphonie  de  M.  Ernest  Reyer,  dont  la  partie  solo  est  confiée  à  M"=  Lu- 
cienne Bréval.  On  annonce,  pour  une  des  séances  suivantes,  un  poème  lyri- 
que intitulé  Vénus  et  Adonis,  dont  M.  Xavier  Leroux  a  écrit  la  musique  sur 
des  vers  de  M.  Louis  Gallet,  et  qui  aura  pour  interprètes  M^^^  Région  dans  le 
rôle  de  Vénus  et  M""^  Carrère  dans  celui  d'Adonis.  D'autre  part,  un  journal 
assure  que  ■>  M.  Camille  Saint-Saëns,  qui  sera  rendu  dans  quelques  jours  aux 
iles  Canaries,  où  il  passera  l'hiver,  va  se  mettre  à  écrire  la  musique  d'un 
poème  qui  sera  exécuté  également  aux  concerts  dominicaux.  Les  soli  de  cette 
nouvelle  œuvre  seront  chantés  par  M°"  Héglon.  »  Nous  reproduisons  cette 
nouvelle,  comme  disent  nos  grands  confrères  politiques,  «  sous  toutes 
réserves.  » 

—  M.  Charles  Lamouréux  donnera  au  mois  de  janvier,  dans  un  concert 
consacré  entièrement  aux  œuvres  et  à  la  mémoire  d'Emmanuel  Chabrier,  la 
première  audition  de  Briséis,  l'opéra  que  le  regretté  compositeur  a  laissé  in- 
achevé et  qu'il  écrivait  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie  sur  un  poème  de 
M.  Catulle  Mendès.  L'exécution  de  cet  acte  ne  nécessitera  pas  moins  de  deux 
cent  cinquante  artistes,  soli,  chœurs  et  orchestre.  Les  rôles  sont  distribués 
ain  si  :  Briséis,  M"«  Eléonore  Blanc  ;  Tanastô,  M™  Chrétien-Vaguet  ;  Hylas, 
M.   Engel  ;  le  cathéchiste,  M.  Ghasne  ;  Stratoklès,  M.  Nicolaou. 

—  M.  Winogradsky,  l'habile  chef  d'orchestre  russe  qu'on  applaudissait 
r  écemment  aux  concerts  du  Chàtelet,  vient,  à  peine  de  retour  à  Kiew,  de  con- 
sacrer  le  premier  concert  d'abonnement  de  la  Société  impériale  de  musique  à 
un  grand  festival  de  musique  française.  Voici  le  programme  de  ce  concert, 

qui  avait  lieu  au  théâtre  Solowzow  :  2=  symphonie  de  Saint-Saëns  :  marche 
funèbre  pour  la  dernière  scène  à'Hamlet,  de  Berlioz  :  ouverture  de  Phidre,  de 
Massenet  :  sérénade  de  Namouna,  de  Lalo  ;  scène  et  air  d'Ophélie  (Hamlet), 
d'Ambroise  Thomas,  par  M™^  Bobrowa;  Jeux  d'enfants,  suite  de  Bizet;  Escar- 
polette, de  Léo  Delibes  ;  Danse  des  Bacchantes  (Philémon  et  Baucis),  de  Gou- 
nod.  Notre  correspondant  nous  écrit  que  ce  festival  a  obtenu  un  succès  écla- 
tant, que  l'ouverture  de  Phèdre,  particulièrement,  a  reçu  un  accueil  enthou- 
siaste, et  que  le  public,  à  la  fin  du  concert,  a  demandé  la  Marseillaise,  qui  a 
été  bissée  au  milieu  des  acclamations  générales,  „  _,,_^j 

—  Une  nouvelle  assez  singulière  est  mise  en  cours  par  la  Gazette  de  Cologne, 
à  qui  l'on  télégraphie  de  Saint-Pétersbourg  qu'il  vient  de  partir  de  cette  ville 
pour  l'Abyssinie,  à  l'adresse  de  Ménélîk,  le  «  roi  des  rois  »  d'Ethiopie, 
quatre  wagons  d'instruments  de  musique  de  divers  genres  —  y  compris  des 
pianos.  Il  parait  qu'une  troupe  de  musiciens,  avec  leur  chef  a  aussi  été 
engagée  par  le  Négus.  Voilà  un  débouché  nouveau,  autant  qu'inattendu, 
pour  nos  artistes  et  nos  facteurs.  A  quand  la  prochain  o  beuglant  ?  » 

—  Les  dates  des  bals  de  l'Opéra  primitivement  données,  U  y  a  quelques 
semaines,  sont  aujourd'hui  changées.  Voici  celles  qui  sont  fixées  définitive- 
ment: premier  bal,  samedi  30  janvier;  deuxième,  samedi  13  février;  troi- 
sième, samedi  gras,  27  février;  quatrième,  jeudi  de  la  mi-carême,  23  mars. 

—  M""=  Ed.  Colonne  a  donné  jeudi  soir  la  première  audition  de  son  école 
de  chant  dans  ses  salons  de  la  rue  de  BerUn.  Cette  séance  était  exclusivement 
consacrée  aux  œuvres  de  M.  Paladilhe.  Le  programme  a  été  tout  un  succès 
pour  les  brillants  élèves  de  M"»  Ed.  Colonne:  M"""  Auguez  de  Montalaut, 
Remacle,  Planés,  Mathieu,  Bodelli,  Jacquemin  et  de  Jerlin.  M"'!  Pregi,  très 
s  oullrante,  manquait  seule  à  l'appel.  MM.  Cazeneuve,  Challet  et  Barelti  ont  aussi 


LE  MENESTREL 


41b 


été  ton  applaudis.  Quant  à  M"»  Ed.  Colonne,  elle  a,  de  sa  voix  si  expressive 
et  de  sa  remarquable  diction,  transporté  l'auditoire.  On  lui  a  redemandé  la 
Psyché  et  la  Havanaise.  Le  maitre  Paladilhe.  qui  l'accompagnait,  a  été  l'objet 
d'une  chaude  et  sympathique  ovation. 

—  Un  jeune  -violoniste  polonais,  M.  Robert  Poselt,  a  donné  à  la  salle 
Pleyel,  avec  le  concours  de  M"=  Loda  Palasaro  et  de  M.  Sigismond  de  Sey- 
i'ried,  un  concert  qui  lui  a  valu  un  très  vif  succès.  Il  s'est  fait  particulièrement 
remarquer  dans  un  concerto  de  notre  regretté  Garcin,  dans  une  fugue  de 
Bach  qui  a  été  bissée  et  dans  une  Mazurck  de  Kontski.  M.  Poselt  et  M.  de 
Seyfried  ont  fait  applaudir  ensemble  une  jolie  suite  pour  piano  et  violon  de 
M.  Mlynarski. 

^  — De  Marseille  on  nous  signale  les  très  belles  représentations  de  Afanon  qu'y 
donne  en  ce  moment  M""  Bréjean-Gravière,  devant  des  salles  combles.  Ce 
sont  tous  les  soirs,  pour  la  charmante  artiste,  des  ovations  continues. 

—  De  Toulouse  on  télégraphie  le  succès  obtenu  au  théâtre  du  Capitule  par 
Guernica,  l'opéra  de  MM.  Gailhard,  Gheusi  et  Paul  Vidal.  Succès  surtout, 
parait-il,  pour  deux  actes  qui  avaient  été  supprimés  à  l'Opéra-Comique.  A  la 
chute  du  rideau,  tous  les  auteurs  rappelés  en  scène.  Grande  ovation. 

—  La  vie  musicale  bat  son  plein  à  Pau,  et  les  séances  symphoniques 
données  par  l'exceUent  orchestre  de  M.  Ed.  Brunel  ont  retrouvé  tous  leurs 
fidèles.  Aux  derniers  programmes,  très  artistiquement  composés,  figurent  les 
noms  de  BourgauU-Ducoudray  avec  la  Rapsodie  cambodgienne,  de  Paladilhe  avec 
l'ouverture  de  Suzanne,  de  Massenet  avec  le  Crépuscule,  la  Marche  de  Ssabadi  et 
les  Scènes  hongroises,  de  Théodore  Dubois  avec  ta  Farandole,  de  Delibes  avec 
l'enlr'aclc  de  Jean  de  Nivelle  et  Coppélia,  et  aussi  de  Smetana,  Lalo,  Balakirew, 
Wagner,  I^eroux,  Beethoven,  Lazzari,  Charpentier,  S.  t-Saëns,  Chabrier, 
Joncières,  Bizet,  Cb.  Lefebvre,  etc. 

—  Belle  séance  de  musique  religieuse  donnée  dans  la  cathédrale  de  Gham- 
béry  par  le  Cercle  choral  et  le  Cercle  musical  de  cette  ville.  C'est  dans  l'œuvre 
si  tardivement  admirée  de  César  Franck  que,  pour  la  composition  du  pro- 
gramme, on  a  puisé  la  messe  en  la.  Les  exécutants,  chœurs  et  orchestre,  une 
centaine  environ,  l'ont  interprétée  avec  talent  sous  la  direction  deM.Bonnel, 
habile  chef  d'orchestre . 

—  CO-N'CERTS  ET  SoiRÉES.  —  Au  70"  diner  de  «  la  Betterave  »,  très  joli  succcs  pour 
M""  Yvonne  Grailler  dans  la  Mort  de  Thaïs,  de  Massenet  Saint-Saëns,  pour  M.  Nutté, 
dans  l'air  d'Aben-Hamet,  de  Théodore  Dubois,  pour  M""  Dalbray,  dans  le  Péché, 
d'Amélie  Perronnet  et  aussi  pour  M"'  Wyns,  dans  l'air  d'Orphée  et  M'i"  Golstein  dans  un 
monologue,  le  Compliment  de  Su::on,  d'Edouard  Noël.  —  A  la  soirée  donnée  au  profit  de 
la  société  «La  Bretagne»  on  a  bissé  à  la  charmante  violoniste  M"°  Juliette  Dantin  la  Médi- 
tation de  Thais  el  une  Idiille  d'Adolphe  Daiid.  Très  joU  succès  pour  M""  Oswald  dans  la 
gavotte  de  j1/((no/i. --  A  rinstitution  N -D.  de  Saint-Croix,  à  Neuilly,  très  intéressante 
matinée  musicale  organisée  par  M.  A.  Trojelli.  On  a  surtout  applaudi  le  jeune  fils  du 
composileur  dans  des  pièces  de  Beethoven  et  de  Grieg,  M.  Robichon  dans  la  Chaconne  de 
Théodore  Dubois  elle  petit  orchestre  de  Pinstitution,  avec  solo  de  M.  CoUongues,  dans 
Pendant  la  fêle  de  A.  Trojehi.  —  La  Société  académique  des  enfants  d'Apollon  vient  de 
donner  sa  séance  mensuelle  sous  la  présidence  de  M.  Paul  Collin.  M"'  Th.  Ganne,  avec 
Fleurs  dans  un  livre  et  Sérénade,  de  H.  de  Fontenailles,  et  le  Nil,  de  Xavier  Leroux, 
accompagnés  par  les  auteurs,  et  31.  Ch.  Le  Brun,  dont  le  violon  a  très  bien  nuancé  le 
Prélude  d'Hérodiadeel  la  Méditation  de  Thais,  accompagnée  par  la  harpe  de  M""  Doris, 
ont  été  les  héros  de  la  fête.  —  A  l'Institut  Rudy,  première  matinée  donnée  par 
M.  Georges  Falkenberg  ;  cette  séance  a  fait  valoir  à  nouveau  l'excellent  et  sérieux  ensei- 
gnement du  professeur.  JIM.  Guilmant  et  Paul  Seguy  ont  ravi  l'auditoire,  le  premier 
dans  l'exécution,  avec  M.  Falkenberg,  de  transcriptions  pour  piano  et  harmonium;  le 
second  en  interprétant  magistralement  Trois  Soldats  de  Faure,  ainsi  qu'une  mélodie  de 
G.  Falkenberg.  —  A  la  fête  de  charité  du  Lycée  Lamartine,  très  grand  succès  pour  trois 
chœurs  de  Blanc  et  Dauphin,  extraits  de  la  Chajison  des  Joujoux,  les  Cerfs-volants,  les 
Crécelles  et  les  Petits  Ménages.  Ces  petits  chœurs,  très  bien  exécutés  sous  l'habile  direc- 
tion de  M""  Jaillon,  ont  absolument  ravi  l'auditoire  qui  a  même  voulu  rOentendre  les 
Petits  Ménages.  —  Chez  M""  TouUiin,  très  jolie  soirée  consacrée  à  l'audition  d'œuires 
de  Théodore  Dubois  qui  a  complimenté  l'excellent  professeur  et  ses  ititerprètes.  On  a 
surtout  rematvpié  M""  .liilietle  Toutain  dans  Clair  de  lune.  Réveil,  Allegro  de  bravoure, 
elles  six  numéros  des  Poèmes  sylvestres.  M"^  F.  de  Buffon  dans  Cavutine,  M.  Gandu- 
bert  dans  Dormir  et  Rèmr,  M'"  Forest  dans  Chaconne  et  Scherzo  et  Choral,  M""  S.  Du- 
bois-Nicolo  dans  la  Légende  de  saint  François  d'Assise  de  Xavière  et  le  Baiser,  et  enfin 
cette  dernière  et  M.  Gandubert  dans  le  duo  de  Xavière.  —  Également,  chez  M"""  Ambre- 
Bouichère,  soirée  musicale;  en  l'honneur  de  Théodore  Dubois,  qui  a  mis  en  pleine  valeui- 
M"°'  Jeanne  Aubecq,  Dumont,  Marhyva,  ViUains,  Sequel  et  M.  Oberdœrffer.  La  soirée 
s'est  terminée  par  un  chœur  d'Aben-Hamet  très  joliment  chanté  par  trente  jeunes  filles. 

NÉCROLOGIE 

La  semaine  dernière  est  mort  à  Paris,  à  l'âge  de  8b  ans,  un  dilettante 
jadis  bien  connu,  le  baron  Charles  de  Boigne,  qui  collabora  naguère  à  divers 
journaux,  entre  autre  au  Constitutionnel,  et  qui  s'est  fait  surtout  connaître  par 
un  petit  volume  intitulé  Petits  Mémoires  de  l'Opéra,  auquel  on  a  fait  une  répu- 
tation d'esprit  peut-être  e.xcessive,  mais  qui,  en  somme,  est  écrit  d'une  plume 
alerte,  et,  à  la  condition  de  les  contrôler,  donne  sur  le  personnel  et  les  cou- 
tumes de  l'Opéra  à  cette  époque  (1857)  des  renseignements  intéressants. 

—  Un  des  musicographes  allemands  les  plus  justement  estimés,  Joseph 
Wasielevv'ski,  vient  de  mourir  à  l'âge  de  7i  ans  à  Sondershauseu.  Né  à  Gross- 
Laesen,  près  deDantzig,  le  17  juin  182J,  il  avait  été,  de  1843  à  184b,  élève  de 
Ferdinand  David  et  de  Mendelssohn  au  Couservatoire  de  Leipzig.  Devenu  pre- 
mier violon  à  l'orchestre  du  Gewanhaus  de  cette  ville,  il  devint  ensuite  concert- 
meister  à  Dussoldorf,  où  il  avait  été  appelé  par  Robert  Schumann,  puis  remplit 


les  fonctions  de  directeur  de  musique  à  Bonn,  et  enfin,  en  1873,  fut  appelé  en  la 
même  qualité  à  Dresde.  Dès  1838,  deux  ans  après  la  mort  de  Schumann, 
"Wasielewski  publiait  une  biographie  de  ce  maître  dont  il  a  été  fait  trois  édi- 
tions, et  dont  une  traduction  française,  due  à  M.  F.  Herzog,  a  paru  dans  les 
colonnes  du  Ménestrel.  Il  a  donné  aussi  une  biographie  de  Beethoven.  Mais 
ce  qui  lui  assure  surtout  une  place  distinguée  parmi  les  historiens  modernes 
de  la  musique,  ce  sont  les  deux  ouvrages  d'une  érudition  solide  et  sûre,  qu'il 
a  publiés,  le  premier  sous  ce  titre  :  le  Violon  au  XYII'  siècle  {Bonn,  iSli,  in-S") 
le  second,  plus  important  encore,  intitulé  Histoire  de  la  musique  instrumentale, 
au  XYP  siècle  (Berlin,  1878,  in-8'>  avec  planches).  Il  avait  déjà  donné,  en  1869, 
un  opuscule  intitulé  le  Violon  et  ses  maîtres.  Wasielewski,  qui,  au  cours  de  sa 
longue  existence,  fut  lié  avec  la  plupart  des  grands  artistes  contemporains  : 
Schumann,  Ferdinand  Hiller,  MM.  Brahms,  Garl  Reiuecke,  Joachim  et  autres, 
a  bien  mérité  de  l'art  par  ces  divers  ouvrages.  Quelques  semaines  avant  sa 
mort,  il  publiait  encore  une  sorte  d'autobiographie,  dans  laquelle  il  retraçait 
le  tableau  du  mouvement  musical  à  Leipzig  pendant  la  période  particulière- 
ment intéressante  qui  s'étend  de  1840  à  1850.  A.  P. 

—  A  Bade,  près  Carlsruhe,  vient  de  s'éteindre,  à  l'âge  de  70  ans,  M.  Richard 
Pohl,  l'écrivain  musical  bien  connu.  Pohl  avait  passé  une  partie  de  sa  vie 
à  Weimar,  où  il  s'était  lié  d'amitié  avec  Franz  Liszt,  et  y  a  publié  plusieurs 
écrits  sur  ce  musicien  ainsi  que  sur  Berlioz  et  Wagner.  Plusieurs  autres 
de  ses  ouvrages  sur  l'art  musical  ont  été  aussi  remarqués.  C'est  à  lui  qu'on 
doit  les  livrets  du  Manfred  de  Schumann  et  du  Prométliée  de  Liszt,  ainsi  qu'une 
bonne  traduction  des  publications  de  Berlioz. 

—  Un  écrivain  musical,  M.  J.  van  Santuen  Kolff,  vient  de  mourir  à  La  Haye. 
Il  fut  un  des  wagnériens  de  la  première  heure,  et  collabora  à  divers  journaux 
de  la  cohorte,  entre  autres  à  la  Revue  wagnérienne  de  Paris  et  aux  Baijreutlier 
Rlaetter.  Il  fut  aussi,  en  Allemagne  comme  en  Hollande,  sa  patrie,  un  très 
ardent  propagateur  des  œuvres  de  Berlioz  et  de  la  jeune  école  française. 

—  Les  journaux  étrangers  annoncent,  sans  plus  de  détails,  la  mort  violente 
d'un  chanteur,  le  baryton  Lipowsky,  assassiné  à  Littau,  «  par  erreur  !  » 

—  On  annonce  la  mort  d'un  des  rares  musiciens  grecs,  Spiridon,  qui  se  soient 
livrés  à  la  composition  dramatique.  Celui-ci  s'appelait  Xyndas,  et  il  a  écrit 
trois  opéras  :  les  Deux  Rivaux,  le  Comte  Julien  et  le  Candidat  au  Parlement.  Ce 
dernier  fut  représenté  en  grec,  il  y  a  huit  ans,  au  Politeama  Rossetti,  de  Trieste, 
et  obtint  quelque  succès.  Cet  artiste  fut,  dit-on,  le  premier  maître  de  son 
jeune  compatriote  M.  Spiro  Samara,  qui,  en  ces  dernières  années,  a  fait 
représenter  ej  Italie  divers  ouvrages,  dont  un  surtout,  Martire,  a  été  bien 
accueilli.  Xyndas  était  âgé  de  84  ans. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Eli  vcQle,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  tue  Vivieune,  IlEUGEl  el  C'",  é(lilcitrs-pro|irictaires. 

CONCERTS    LAMOUREUX 

ciRQOE    d'Été 
DIMANCHE  27  DÉCEMBRE   1896 


THEODORE    DUBOIS 

Ouverture   de   Frithiof 


Partition  d'orchestre.  Prix  net  :  10  francs. 
Parties  séparées  d'orch.,prix  net:  20 fr.  — Chaque  partie  supplr^,  prà  net  :  1  fr50. 


Réduction  pour  piano  à  quatre  mains.  Prix  net  :  8  francs. 

ON  DEMANDE  pour  un  conservatoire  de  musique,  à  Newcastle  on  Tyne, 
Angleterre,  un  professeur  de  violon  célibataire.  Entrée  janvier  prochain. 
Appointements  5.000  francs  par  an.  —  S'adresser  à  «  Etal  »  aux  soins  de 
M.  G.  Bechstein,  -iO,  Wigmore  street,  Londres. 

P/iitot(é(és,  tragédie  de  Sophocle,  traduite  par  Pierre  QuîUard  et  le  Danger, 
de  M.  A.  Arnault,  pièces  représentées  à  l'Odéon,  viennent  de  paraître  chez 
l'éditeur  Fasquelle. 

—  M.  Charles  Graudmougiu  vient  de  publier,  chez  l'éditeur  Rouam,  un  nou- 
veau recueil  de  vers.  De  la  terre  aux  étoiles,  digne  en  tous  points  du  poèta  Qo 
l'Enfant  Jésus  et  du  Christ. 

—  Quelques  mois  seulement  après  la  vingt-sixième  édition  A' Acteurs  et 
Actrices  de  Paris,  la  vingt-septième  édition  vient  de  paraître;  chaque  nouvelle 
édition  met  à  jour  un  recueil  qui  fourmille  de  renseignements  authentiques 
et  de  détails  curieux.  De  plus,  Adrien  Laroque  (Emile  Abraham),  quand  il 
parle  d'une  étoile  —  ou  même  d'un  comédien  obscur  encore,  mais  chez  lequel 
il  croit  découvrir  une  promesse  de  talent  —  ne  se  borne  pas  à  une  brève 
notice  biographique,  il  se  livre  à  des  commentaires  et  à  des  appréciations  et 
conte  des  anecdotes,  il  évoque  des  souvenirs...  il  intéresse,  d'où  le  succès 
du  petit  volume  si  en  vogue. 

—  Vient  de  paraître  :  la  Musique  à  Paris,  1S95-96,  études  sur  les  concerts, 
programmes,  bibliographie  des  ouvrages  musicaux  parus  pendant  l'année, 
par  Gustave  Robert  (Paris,  Fischbacber,  un  volume  iu-12). 


416 


LE  MENESTREL 


En  vente  :   Au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C",  Editeurs. 

ÉTRENNES  MUSICALES  1897 

REMISES  EXCEPTIONNELLES,  SUPÉRIEURES  A  CELLES  DES  MAGASINS  DE  NOUVEAUTÉS 


LES    VIEUX     MAITRES 

12  transcriptions  pour  piano  par 
LOUIS    DIÉMER 

RÉPERTOIRE   DE  LA   SOCIÉTÉ   DES   INSTRUMENTS  ANCIENS 

Joli  recueil  artistique,  sur  pajiier  îi  la  cuve,  net  :  5  francs 


PORTRAITS   DE    PEINTRES 

4  pièces  pour  piano  de 
REYNALDO    HAHN 

VEC  BEAUX  PORTRAITS   DE  CUYP,  POTTER,  VaN   DyCK,   "WatTEAU 

réunies  en  un  élégant  portefeuille,  net  :  5  francs 


LA    CHAlN^SOISr    DES    JOUJOUX 

I^oésies     de    JULES    JOUY.    —    ]VIu.siciu.e    de    CL.     BLA-NC    et    L.     DATJPJHtIN 

Vingt  pktites  chansons  avec  cent  illustrations  et  aquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
Un  volume  richement  relié,  fers  de  J.  Chéret  (dorure  sur  tranches).  —  Prix  net:   1  O  francs. 


PAGES    ENFANTINES 

TRENTE    PETITES    TRANSCRIPTIONS    TRES    FACILES 
POUR  PIANO   SUR   LES  ŒUVRES   EN  VOGUE 

A.  nOMAS,  «ASSERT,  «ELIBES,  REYER,  GOIXOD,  BIZET,  VEItfll,  etc. 

PAR 


LES  SILHOUETTES 

vingt-cinq    petites    FANTAISIES.-T[liNSCRIPTIONS 

SUR   LES   OPÉRAS,   OPÉRETTES   ET  BALLETS 

EN  VOGUE 

PAR 


9 


LES    MINIATURES 


Le  recueil  broché,  net:  8  fr.  —  Richement  relié,  net:  13  fr.  ,i,  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  —  liicbcincnt  relié,  net:  25  Ir. 


QUATRE-VINGTS  PETITES   TRANSCRIPTIONS  TRES   FACIL 
SUR   LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,    MÉLODIES   ET   DANSES   CÉLÈBRES, 
CLASSIQUES,   ETC., 
PAR 

Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  — Richement  relié,  net:  25  Ir. 


MANON,    OPÉRA  EN  4  ACTES  DE   J.    MASSENET 

Edition  de  luxe,  tirée  à  100  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  format  grand  in-4°,  avec  7  eaux-fortes  hors  texte  et  8  illustration 
d'acte,  par  PAUL  AVRIL,  tirage  en  taille-douce,  à  grandes  marges,  encadrement  couleur,  livraison  en  feuilles,  nel:  100  franc 


MÉIODIES  DE  J.  MASSEIET 

4  volumes  in-S" 

contenant   chacun   vingt  MÉLODIES 

Ch.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  BichcmenL  relié  :  15  fr. 


MISES  DES  STRAÏÏSS  DE  YIEIIÎE 

5  volumes  in-8"  contenant  100  danses  choisies 

HEAUX    portraits    DES   AUTEURS 

Ch    vol.  brocha,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr. 


LES  PETITS  DAISEÏÏRS 

Album  cartonné  contenant  25  danses  faciles  de 
JOHANN    STRAUSS,    FAHRBACH,  OFFENBACH,    HERVÉ,   ETC. 
Couverture  aquarelle  de  Firniin  Bouisset,  net;  10  fr. 


LES  CHAKSOÎ^S  DU  CHAT  Î^OIE  DE  MAC-]^AB 

Chansons  populaires  illustrées  de  cent  dessins  humoristiques,  par  H.  GERBAULT.  —  Deux  volumes  brochés,  chacun,  prix  net:  6  fr. 


J.  FAUHE.  Mélndies,  4  vol.  chaque  (20  ii«) net.  10 

BLANC  ET  DAUPHIN.  Chansons  d'icosse  et  de  Bretagne 5 

CÉSAR  CUI.  Vingt  poèmes  de  Jean  Richepin  .   .   .   .   „ 10 

LÉO  DELIEES.  Mélodies.  1  vol.  in-S" 10 

TH.  DUBOIS,  \ingt  mélodies,  1  vol  in-S' 10 


REÏNALDO  HAHN.  ViiiyL  miUdilios.  d  vol.  in-S" net.  10 

A.  GEOALGE.  Vaux-de-Viri  et  Chansons  normandes 5 

ED.  GRIEG.  Chansons  d'Enfants 5 

E.  PAIADILBE.  GO  mélodies  en  3  vol.,  chaque 10 

J.-B.  WECRERLIN.  Bergerettes  du  XVJ'I"--  siècle 5 


LES  SOIRÉES  DE  PÉTERSBOURG,  30  danses  choisies,  i"  volume.  -  PH,   FAHRBACH.   -  LES  SOIRÉES  DE  LONDRES,  30  clauses  choisies,  b=  volume. 

JOSEPH    GXJNG'L,.     —    Oélclires    danses    en    S    volumes    in-S».    —    JOSEPH    GJJTSIG'J-., 

Chaque  volume  broché,  net  ■    10  francs;  richement  relié  :    15  francs 
STRAUSS  DE  PARIS,  célèbre  répertoire  des  Bals  de  l'Opéra,  2  volumes  brochés  in-8".  Chaque,  prix  net  :  «  fr.  (Chaque  volume  contient  25  danses). 


h&  TkMMt 


^-S'O  J 


CEuvres    célèlbres    transcrites    pour    piano,    solgnensement 


1.   LES   MAITRES   FRANÇAIS 

50  transcri plions  en  2  vol.  g''  in-4° 
Chaq  -.2  TOl.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relie  :  20  fra 


doigtées    et    accentuées    par 

aEORaE©     BIZET 

?        3.   LES    MAITRES    ALLEMANDS 

■^'J  transcriptions  en  2  v( 
,J,  Chaque  vol.  broché,  net  :  13  francs. 


V  2.  LES   MAITRES    ITALIENS 

s  50  transcriptions  en  2  vol.  g''  in-'i° 

I,  Cluquo  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs. 


çç''  in-4' 

Relié  :  20  francs, 


il 


F.   CHOPIN 

Œuvres  choisies,  en  5  volumes  in-8° 

broché,  net  :  30  fr.  Relié  :  50  fr. 

.Même  édition,   reliée  eu  3  volumes,  net  :  40  francs. 


CLEMENTI 

Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-8° 


BEETHOVEN 

Œuvres   choisies,    en  4  volumes   in-S" 

Broché,  net  ;  25  fr.  Relié  :  45  fr. 
édlLion,  reliée  eu  2  volumes,  net  :  35  francs. 


HAYDN 


Œuvres  choisies,   en  2  volumes   in-S" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 

Môme  édition,  reliée  en  -1  volume,  net  :  20  francs. 


LiSLi 


V7".   MOZART 


Œuvres   choisies,  on  4  volumes    in-8' 
Broché,  net  ;  25  tr.  Relié  :  45  tr. 
j     Même  édition,  reliée  on  2  volumes,  net  :  35  francs. 


HUMMEL 


\  Œuvres  choisies,  en  2  volumes  in-S" 

Broché,  net  :  14  fr.  Relié  :  24  fr. 
,ij    Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  ;   20  francs. 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

MIGNON,    HAMLET,      LAKMÉ,     MANON,    WERTHER,    ANDRÉ    CHÉNIER,    XAVIÉRE,    KASSYA,    LE    FLIBUSTIER,    ^^UL    ET     VIRGINIE, 
SIGURD,  LE  KOI  D'YS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  LE  PORTRAIT  DE  MANON,  FIDELIO,  LA   FLUTE  ENCHANTEE,  HERODIAUt     J:  Aua 
CARMEN,  LES   HUGUENOTS,    LE    CID,    LE    ROI    LA    DIT,    SYLVIA,     COPPÉLIA,    LA     KORRIGANE,     CONTE     »;A^RIL,     CAVAL,i,tKl^ 
RUSTICANA,     LE    MAGE,    ESCLARMONDE,    MARIE-MAGDELEINE,     LE     ROI     DE    LAHORE,    LA    TEMPÊTE,    ^-^     SONGE    DUWtJM^_ 
D'ÉTÉ    LE  CAID,  LE  PAPA  DE  FRANGINE,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  LA  DANSEUSE  DE  CORDE,  L'ECOLE  DE3  VlERGl^b,  etc.,  e 


BOSTON  PUBLIC  LIBRARY 


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