LE
MÉNESTREL
JOURlSrAL
MONDE MUSICAL
MUSIQUE ET THÉATEES
62° ANNEE — 1896
BUREAUX DU MÉNESTREL : 2 bis, RUE VIVIENNE, PARIS
HEUGEL et C'^ Éditeurs
TABLE
DU
JOUENAL LE MAîTESTEEL
62'= ANNÉE — 1896
TEXTE ET MUSIQUE
X» 1. — 5 janvier 1896. — Pages 1 à 8.
I. La chanson ; Est-ce Mars, ce grand Dieu des
alarmes (2- et dernier article), Julien Tiersot. —
II., Semaine théâtrale : première représentation
d'Evangéline au théâtrede la Monnaie, Lucien Solvay;
première représentation des Dessous de l'année, au
Nouveau-Théâtre, Paul-Émile Chevalier. — III. La
Pierre, musicien-chorégraphe (6e et dernier article),
A. Ball'ffe. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Antonin Slarmontel.
Arabesque.
X° 2. — 12 janvier 1896. — Pages 9 à 16.
I. Une chanson du seizième siècle, Julien Tiersoi. —
II. Semaine théâtrale : Le Théâtre-Lyrique, infor-
mations, impressions, opinions (10' article), Louis
Gallet. — III. Molière et la trompette marine, E. de
Beicqueville. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Robert Fischhof.
Égtiintines.
m» 3. — 19 janvier 1896. — Pages 17 à 24.
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de
Delphes (1" article), Julien Tiersot. — II. Semaine
théâtrale : première représentation de Jean-Marie,
au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, Lucien Sol-
vay. — III. L'art français sur les scènes lyriques
allemandes, 0. En. — IV. Revue des grands con-
certs.— V. Correspondance de Barcelone : premières
représentations des opéras Pépita Gimenezet Aurcrra,
A. -G. Bert.al. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — Cesare Oaleotti.
Par le sentier fleuri,
W 4. — 26 janvier 1896. — Pages 25 i 32.
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de
Delphes (2» article), Julien Tiersot. — II. Bulletin
théâtral ; La résurrection des Folies-Marigny,
Arthur Pougin. — III. Ce que m"a dit la viole d'a-
mour, Charles Grandmougin. — IV. La nouvelle loi
autrichienne sur les droits d'auteurs (1" article).
Oscar Berggruen. — V. Revue des grands concerts.
— VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Eruest Reyer.
Le Dernier Rendez-vous.
iX" 5.-2 février 1896. — Pages 33 à 40.
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de
Delphes (3° article), Julien Tiersot. — II. Semaine
théâtrale : Première représentation du Modèle, à
rOdéon, Athur Pougin ; premières représentations
i'une Semaine à Paris, aux Variétés, et de Coco,
pantomime au Nouveau-Cirque, Paul-Emile Cheva-
lier. — III. La nouvelle loi autrichienne (suite et
fin), 0. Berggruen. — V. Revue des grands concerts.
— VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Philippe l<'ahrbach.
Brises du cœur, valse.
!«• 6. — 9 février 1896. — Pages 41 à 48.
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de
Delphes (4° article), Julien Tiersot. — il. Le
Théâtre-Lyrique, informations, impressions, opi-
nions (11' article), Louis Gallet. — III. Bulletin
théâtral : reprises de la Favorite et de Coppélia à
l'Opéra, H. M.; premières représentations d'Inno-
centl au théâtre des Nouveautés. Paul-Ésiile Cheva-
lier. — IV. L'orchestre de Lully (l" article), Arthur
Pougin. — V. Revue des grands concerts. — VI.
Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Cbant. — Ch.-.M. Widor.
La Nuit.
TK' î. — 16 février 1896. — Pages 49 à 56.
I. La mort d'Arnbroise Thomas, Henri Heugel. —
II. Ambroiso. Thomas, notes et souvenirs, Arthur
Pougin. —111. Semaine théâtrale : Débuts deM'''Gar-
nier dans Lahmc à l'Opéra-Comique, .\. P.; pre-
mières riprésenlations du Dindon, au Palais-Royal
et de II Fiancée en loterie, aux Folies-Dramatiques,
Paul-Émile Chevalier. — IV. Revue des grands con-
certs. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Le Joyeux L</ron, quadrille.
IV" 8. — 23 février 1896. — Pages 57 à 64.
I. Les obsèques d'Arnbroise Thomas : Discours de
MM. Bourgault-Ducoudray, Théodore Dubois et
J. Massenet, H. M. — II. Semaine théâtrale : la
Cendrillon de Nicole à la Galerie-Vivienne, .Arthur
Pougin ; premières représentations de Grosse Fortune,
à la Comédie-Française, Paul-Éjiile Chevalier. —
III. L'orchestre de Lully (2° article), Arthur Poogin.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — l^éon Relafosse.
A' 9.
■ 1" mars 1896. — Pages 65 à 72.
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de
Delphes (5* article), Julien Tiersot. — II, Bulletin
théâtral : Premières représentations du Voyage à
Venise, au théâtre Déjazet, du Royaume des femmes, à
l'Eldorado, et de Ninotte, aux Bouffes-Parisiens,
Paul-Émile Chevalier. — III. L'orchestre de Lully
(3' article), Arthur Pougin. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — Philippe Fahrbach.
Fine Mouebe, polka.
i\' 10.
8 mars 1896. — Pages 73 ;
I. Orphée de Gluck, à l'Opéra-Comique, JulienTiersot.
— II. Semaine théâtrale : premières représentations
de Manette Salomon, au Vaudeville, et de la Figu-
rante, à la Renaissance; reprises de Thermidor, à la
Porte-Saint-Martin, et des Danicheff, à l'Odéon,
P-iul-Émile Chevalier. — III. L'orchestre de Lully
(4' article), Arthur Pougin.— IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Robert Fischhof.
Sur le Danube.
ï«° 11. — 15 mars 1896. — Pages 81 à 88.
I. Musique antique (6" article), Julien Tiersot. —
II. Semaine théâtrale : Thaïs au théâtre de la Mon-
naie de Bruxelles, Lucien Solvaï; premières repré-
sentations de la Tortue, aux Nouveautés, et d'Ariette,
à l'Olympia, Paul-Émile Chev.iuer.— III. L'orchestre
de Lully (5° article), Arthur Pougin. — IV. Et la
direction du Conservatoire'? H.Moreno. — V. Revue
des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — IV. Celeg;a.
Le Réveil, n° 1 des Heures de rêve et de joie.
I»I° 13, — 22 mars 1893. — Pages 89 à 96.
I. Musique antique (7' article), Julien Tiersot. — IL Le
Théâtre-Lyrique, informations, impressions, opi-
nions (12" article), Louis Gallet. — III. L'orchestre
de Lully (6» article), .-Vrthor Pougin. — IV. Le monu-
ment de M"' Carvalho. — V. Revue des grands
concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Xavier I>eroux.
Surla tombed'un enfant, n'3 des Poèmes de Bretagne.
X' 13.
29 mars 1896. — Pages 97 à 104.
I. .Musique antique (8" et dernier article), Julien
Tiersot. —II. Semaine théâtrale : premières repré-
sentations de Disparu, au Gymnase, d'Amoureuse,
au Vaudeville, de la Gnin Via, à l'Olympia et de
Hùlons-nousd'eii rire, aux Folies-Marigny. Paul-Émile
Chevalier. — III. L'orchestre de Lully (7" et dernier
article), Arthur Pougin. — IV. Le monument de
M"' Carvalho.— V. Revue des grands concerts. —
VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Antonin Alarmoniel.
Balancclle, valse de concert.
A' 11.
5 avril 1
Pages 105 à 112.
I. La Danse grecque antique, Julien Tiersot. —
II. Musique et prison (1" article!, Paul d'Estrée. —
III. Le monument de M°° Carvalho. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
Chant. — l^con Delafosse.
Veux-tu ?
X' 15.-12 avril 1896. — Pages 113 à 120.
I. Une œuvre contestée de Palestrina et ses deux
messes de l'Homme armé (1" article), Julien Tiersot.
— H. Semaine théâtrale : première représentation
de Ghiselle au théâtre de Monte-Carlo, Julien 'Tiersot.
— m. Musique et prison (2' article) : captivités rovales
et princières, Paul d'Estrée. — IV. Le concert du
vendredi saint au Châtelet, A. Boutarel. —
V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — E/con Delafosse.
Nocturne.
!%• 16. — 19 avril 1898. — Pages 121 à 128.
I. Une œuvre contestée de Palestrina et ses deux
messes de l'Homme armé (2« et dernier article),
Julien, Tiersot. — IL Semaine théâtrale : reprise
de VEpreuve villageoise, au théâtre de la Galerie
Vivienne, Arthur Pougin; premières représenta-
tions de laMeute, àla Renaissance, du Grand Galeoto,
auThéâtre des Poètes, etdu PelitMoujik, aux Bouffes-
Parisiens, Paul-Émile Chevalier. — III. Musique et
prison (3= article) : prisons militaires, Paul d'Estrée.
— IV. Le monument de M"= Carvalho. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Raynaido Rahn.
Cantique sur le bonheur desjmtes et le malheur des réprouvés.
I\' lï, — 26 avril 1896. — Pages 129 à 136.
I. Musique antique; une lettre de M. Th. Reinach,
Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première
représentation d'Hellé à l'Opéra, la centième de la
Korrigane, Arthur Pougin ; première représentation
de la Falote, aux Folies-Dramatiques, reprise de
l'Œil crevé, aux Variétés, Paul-Émile Chevalier. —
III. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — i\. Cclega.
Contemplation, n" 4 de Matinée aux Alpes.
J*' 18. — 3 mai 1896. — Pages 137 à 144.
I. La première Salle Pavart et l'Opéra-Comique,
3" partie (1" article), Arthur Pougin. — II. Semaine
théâtrale; premières représentations de Deux Sœurs
et de Ruse de femme, à l'Odéon, et de Catherine de
Russie, au Châtel.et; reprise du Prince d'Auree, au
Gymnase, Paul-Émile Chevalier. — III. La musique
et le théâtre au Salon du Champ-de-Mars (1" arti-
cle), Camille Le Senne. — IV. Le monument de
M»' Carvalho. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Xavier l^eronx.
La Légende des trois petils mousses.
X' 1». — 10 mai 1896. — Pages 145 à 152.
I. Le nouveau directeur et la réorganisation du
Conservatoire, H Mobeno. — II. Semaine théâtrale :
Première représentation du Chevalier d'Harmental,
à l'Opéra-Comique, .\rthur Pougin; première repré-
sentation de Manon Rolund, à la Comédie-Française,
reprise de Lysistrala, au Vaudeville, Paul-Éwile Che-
valier. — III. La musique et le théâtre au Salon du
Champ-de-Mars (2° article), Camille Le Senne. —
IV. Le monument d'Ambroise Thomas. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Edouard Slranss.
Le Cœur et la Dot, polka-mazurka.
X° 30. — 17 mai 1896. — Pages 153 à 160.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3' partie (2" article), Arthur Pougin. — II. Bulletin
théâtral : reprise du Roman d'unjeune homme pauvre,
à l'Odéon, et première représentation de Nuit d'a-
mour, aux Bou Iles-Parisiens, Paul-Émile Chevalier.
— III. La musique et le Ihéâtre au Salon du Champ-
de-Mars (3" article), Camille Le Senne. — IV. Musique
et prison (4° article) : prisonniers politiques, Paul
d'Estrée. — V. Le monument de M"" Carvalho. —
VI. Nouvelles diverses et concerts.
Chant. — A. Périlhou.
Muselle du X VII' siècle.
i\' a 1 . — 24 mal 1896. — Pages 161 à 168.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3' partie (3" article), Arthur Pougin. — H Semaine
théâtrale : répétition générale d'IIamlet à l'Opéra,
souvenirs, H. Moheno; première représentation du
Grand Galeoto, au Théâtre-Internalional, Paul-Emile
Chevalier. — III. La musique et le théâtre au Salon
des Champs-Elysées (4" article), C.wiille Le Senne.
— IV. Musique et prison (5' article): prisonniers
politiques, Paul d'Estrèi;. — V. Le monument de
M"" Carvalho. — VI. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Piano. — A. l<audry.
Printemps nouveau.
K" •£•£. — 31 mai 1896. — Pages 169 à 176.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
2» partie (4° article), Artbur Pougin. — II. La musique
et le théâtre au Salon des Champs-Elysées (5" ar-
ticle ), Camille Le Senne. — III. Musique et prison
(6" article) : prisonniers politiques, Paul d'Estrée.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Liéoa Ikelufossc.
Près de Veau, n° 2 des Soirs d'amour.
X" 23. — 7 juin 1896. — Pages 177 à 184.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3" partie (5" article), Arthur Pougin. — II. Bulletin
théâtral . premières représentations de Au bonheur
des dames, au Gymn ase, et de la Demoiselle de magasin,
à l'Olympia, Paul-Émile Chevalier. — III. La musique
el le théAtre au Salon des Champs-Elysées (6° ar-
ticle), Camille Le Senne. — IV. Musique antique : une
nouvelle communication de M. Th. Reinach, Julien
TiERSOT. ^ V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Piano. — I. Pliilipi».
En dansant, extrait des Pasttls.
tu- 34. — 14 juin 1896. — Pages 185 à 192.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3^ partie (6" article), .Arthur Pougin. — II. Semaine
théi\trale : reprise du Pardon de Ploërmel à l'Opéra--
Comique, .A -P. — III. La musique et le théâtre an
Salon des Champs-Elysées (7° article), Camille Le
Senne. — IV. Musique ej prison (7» article) : La Bas-
tille et les prisons d'Étal sous l'ancien régime.
Paul d'Estuée. — V. Correspondance : une lettre de
M. Th. Reinach. — VI. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Chant. — Ernest Moret.
Si je ne f aimais pas.
K' 35. — 21 juin 1896. — Pages 193 à 200.
l. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3° partie (7' article), Arthur Pougin. — il. Semaine
théâtrale: Débuis de M"° Kutscherra et du ténor
Dufiant dans ^ï Wallcifrie, répétition du Jeu de Robin
et Marion à l'Opéra-Comique, .A. P. — III. Sur le
Jeu deRobin et Marion d'Adam de la ?Ialle(l" article),
Julien Tiersot. — IV. La musique et le théâtre au
Salon des Champs-Elysées (8° et dernier article),
Camille Le Senne. — V. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
Piano. — Cesare Cialeotti.
Maluiina.
X" 36. — 28 juin 1896. — Pages 201 à 208.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique,
3' partie (8° article), .\rthur Pougin. — II. Semaine
théâtrale : première représentation de la Femme
de Claude et reprise de Don Pasquale, à l'Opéra-Co-
mique, .\rthur Pougin. — III. Sur le Jeu de Robin et
Marion d'Adam de la Halle (2° article), Julien Tiersot.
— IV. Musique et prison (8» article) : La Bastille et
les prisons d'État sous l'ancien régime, Paul d'Es-
trée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Chant. — E'aiil l^aooiiibe.
Aubade printanière.
X' 27. — 5 juillet 1896. — Pages 209 à 216.
I. La première salle Favartetropéra-Comique, 3" par-
tie (9° article), Arthur Pougin. — II. Sur le Jeu de
Bobin et Marion d'.\dam de la Halle (3" article), Julien
Tiersot. — III. Musique et prison (9° article) : La
Bastille et les prisons d'État sous l'ancien régime,
Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — l'aul Wachs.
Danse japonaise.
i\"° 38. — 12 juillet 1896. — Pages 217 à 22i.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 4° par-
tie (lO» article), Arthur hougin. — II. Bulletin théâ-
tral; Première représentation del'Outrageà laPorte-
Saint-Martin, A. P. — III. M"" Desbordes-Valmore
comédienne, Arthur Pougin. — IV. Sur le Jeu de
Robin et Marion d'Adam de la Halle, (4° article). Julien
Tiersot. — V. Musique pt prison (10" article) : La
Bastille et les prisons d'État sous l'ancien régime,
Paul d'Estrée. — VL Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Ch.\nt. — tiiicien l^aïubert.
Au bord du ruisseau.
i\° 39. — 19 juillet 1896. — Pages 225 à 232.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 4° uar-
tie (11" article), Arthur Pougin. — II. Le Théâtre-
Lyrique, inl'ormations, impressions, opinions (13"
article), Louis Gallet — 111. Sur le Jeu de Robin el
Marion d'.Adam de la Halle (4° et dernier artio le,
Julien Tiebsot. — IV. Musique et prison (Usarticie) :
prisons révolutionnaires, Paul d'Estrée. — V. Nou-
velles diverses, concerta et nécrologie.
Piano. — Marmoiitel.
Valse mélancolique, tirée des Impressions et Souvenirs.
X' 30. — 26 juillet 1896. — Pages 233 à 2i0.
l. La première salle Favartet l'Opéra-Comique, 4" par-
tie (12" article), Arthur Pougin. — II. A Bayreuth,
JhlienTiehsot. — III. Les concours du Conservatoire,
Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Chant. — Ijouîs Diénier.
Si je savais.
1V° 31. — 2 aoiit 1896. — Pages 241 à 248.
1. La première salle Favartet l'Opéra-Comique, 4" par-
tie (1.3" article), Arthur Pougin. — II. Les Concours
du Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Nouvelles
diverses et concerts.
PlA\o. — I»aul Waclis.
Bras dessus, bras dessous.
X" 32. — 9 aoiit 1896. — Pages 249 à 256.
I. La distribution des prix au Conservatoire, Arthur
Pougin. — H. Musique et prison (12" article):
Prisons révolutionnaires, Paul d'Estrée. — III. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Oepret.
Si vous étiez fleur.
A'° 33. — 16 août 1896.— Pages 257 à 264.
I. La première salle Favartet l'Opéra-Comique, 4° par-
tie (14" article), Arthur Pougin. — II. Semaine théâ-
trale : Le mois d'août et la musique, Arthur Pougin
— III. Musique et prison (13" article); Prisons révo-
lutionnaires, Paul d'Estrée. —IV. Journal d'un musi-
cien (1°' article), A. Montaux. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — Cli. A'custedt.
Un Rêve.
iV" 34. — 23 août 1896. — Pages 26? à 272.
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 4" par-
tie (15" etdernier article), ArïhurPougin.— II. Semaine
théâtrale : Autour d'une traduction, H. M. — III.
Musique et prison (14" article) : Prisons révolu-
tionnaires, Paul d'Estrée. — IV. Journal d'un musi-
cien (2" article), A. MoNT,vux. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Chant. — Ernest lloret.
Sérénade florentine.
S' 35. — 30 août 1896 — Pages 273 à 280.
I. Étude sur Orpltée de Gluck (1"' ariicle), Julien Tier-
sot. — II. Semaine théâtrale : L'auteur de la Sonate
du Diable, Arthur Pougin. — III. Musique et prison
(15" article) : Prisons politiques modernes, P.4UL
d'Estrée. — IV. Journal d'un musicien (-3" article)
A. Montaux. — V. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — C'h. fiirisart.
Pastorale.
X" 3(J. — 6 septembre 1896. — Pages 281 à 288.
I. Étude sur Orphée (i' article), Julien Tiersot. — II.
Semaine théâtrale : La prochaine saison théâtrale,
Paul-Emile Chev.\lier. — III. Musique et prison
(16" article) ; Prisons politiques modernes, Paul
d'Estrée. — IV. Journal d'un musicien (4" article),
A. Montaux. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Cesare C<aleotti.
Attente.
M" 3ï. — 13 septembre 1896. — Pages 289 à 296.
1. Étude sur Orphée (3" article), Julien Tiebsot. — II.
Bulletin théâtral : Don Juan à Munich, S. M. — III.
Musique et prison (17" article) : Prisons politiques
modernes, Paul d'Estrée. — IV. Journal d'un musi-
cien (5" article), A. Montaux. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
Piano. — l»anl Waclis.
Femmes et Fleurs.
TK' 38. — 20 septembre 1896. — Pages 297 à 304.
I. Étude sur Orphée (4" article), Julien Tiersot. — II.
Semaine Ihéâlrale : Première représentation de
Jacqu-s Callot, à la Porte-Saint-Mari in; réouverture
de l'Opéra-Comique; reprise de la Vie parisienne aux
Variétés, Paul-Émile Chevalier. — III. Le Théâtre-
Lyrique : Informations, impressions, opinions (14°
article), Louis Gallet. — IV. Musique et prison
(18' article): Prisons politiques modernes, P.aul
d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts etnécro-
logie.
Chant. — Charles IjCTaiIé.
Jows d'automne.
X' 39. — 27 septembre 1896. — Pages 305 à 312.
I. Étude sur Orphée (5" article), Julien Tiersot. — II.
Bulletin théâtral : reprise de la Famille Pont-Biquet
au Gymnase ; Paris-Péhin au Nouveau-Cirque, P.uil-
Émile Chevalier. — Itl. Gilbert Duprez, notes et
souvenirs, Arthur Pougin. — IV. Musique et prison
(19' arlicle); l'risons politiques modernes, P.iul
d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Piano. — Cesare Cialeottî.
Chanson d'automne.
X' 40. — 4 octobre 1896. — Pages 313 à 320.
I. Étude sur Orphée (6" article), Julien Tiersot. —
II. Semaine théâtrale : la Dame aux camélias, à la
Renaissance, et Montjoije, à la Comedie-Française,
Paul-Émile Chevalier. — III. Musique et prison
(20" article) : Religions, Paul d'Estrée. — IV. Le
Conseil supérieur d'enseignement au Conserva-
toire. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Chant. — Ij. Delaquerrîére.
Sérénade d'automne.
X' 41. — 11 octobre 1896. — Pages 321 à 328.
I. Étude sur Orphée (7" article), Julien Tiersot. —
II. Ssmaine théâtrale: Les galas de l'Opéra et delà
Comédie-Française; supplique au tsar, H. Morbno;
première représentation de Mignonnette, au thfâtie
des Nouveautés, Paul-Émile Chevalier. — III. L'Ex-
position du théâtre et de la musique au palais de
l'Industrie (1" article), Arthur Pougin. — IV. Musique
et prison (21" article) ; Prisons pour dettey, Paul
d'Estrée. — V. Jnunal d'un musicien (6" article),
A. MoNT.AUx. — VI. Nouvelles divers, s, concerts et
nécrologie.
Piano. — Rejnaldo llalin.
Alljert Cuijp, n" 1 des Portraits de peintres.
X' 43. — 18 octobre 1896. — Pages 32'J à 336.
l. Étude sur Orphée [8" article), Julien Tiersot. —
II. Semaine théâtrale : les Deux Chasseurs et la Laitière
de Dunl, t'Irato de Méhul, la Perruc e, de Clapisson
au Théâtre-Lyrique de la Galerle-Vivienne, Arthur
Pougin ; premières représentations du Capitaine Fra-
casse l\, rOdéon et de la Reine des Reines à l'Eldorado,
Paul-Émile Chevalier. — III. Journal d'un musicien
17" article), A. Montaux. — IV. L'Exposition du
théâtre et de la musique au palais de l'Industrie
(2° article), Arthur Pougin. — V. Antoine Bruckner,
0. BerggrueiN. — VI. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Chant. — Ijéon Delafosse.
Si j'ai parlé.
X' 43. — 25 octobre 1896. — Pages 33? à 344.
I. Étude sur Orphée (9" article), Julien Tiersot. —
II. Semaine théâtrale; première représentation de
la Vie pour le Tsar à l'Opéra russe, Arthur Pougin;
premières représentations de la Poupée à la Gsîié,
des Bienfaiteurs à la Porte-Saint-Martin et de la Villa
Gaby au Gymnase, H. Moreno. — III. L'Exposition
du théâtre et de la musique (3" article), Arthur Pougin.
— IV. Nouvelles diverses, concerts -t nécrologie.
Piano. — Rcynaldo llabn.
Antoine Watleau, n° 4 des Portraits de peintres. '
X' 44. — 1"' novembre 1896. — Pages 345 à 352.
I. Étude sur Orphée (10" article), Julien Tiebsot. —
H. Semaine théâtrale; reprise de flore J«fm à l'Opéra,
.Vrthur Pougin ; premières rporésentations du Par-
tage an Vaudeville et de Rivoli aux Folies-Dramati-
ques, H. MoRENO. — III. L'Exposition du théâtre et
de la musique (4" article), Arthur Pougin.— IV. Mu-
sique et prison (22" article): Prisons d'artistes,
Paul d'Estrée. — V. Revue des grands concerts. —
VI. Nouvelles diverses et concerts.
Chant. — P. Alascagni.
Il m'aime, m'aime pas.
X' 45.-8 novembre 1896. — Pages 353 à 360.
I. Étude sur Orphée (11" article), Julien Tiersot. —
II. Semaine théâtrale ; première représentation du
Papa de Francinc au Théâtre Cluny, H. M. —
III. L'Espofition du théâtre et de la musique
(5" artlclf), Arthur Pougin. — IV. Journal d'un mu-
sicien (8° article), A. Montaux. — V. Un théâtre-
lyrique populaire, H. M. — VI. Revue des grands
concerts. — VII. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — U. Giorilano.
Pastorale et Gavotte, extraites d'And'-é Ckénier.
X' 4«. — 15 novembre 1896. — Pages 361 à .368.
I. Étude sur Orphée (12" article), Julien Tiebsot. —
II. Semaine théâtrale : Le Bijou perdu, au théâtre
de la Galerle-Vivienne, Arthur i-ougin ; première
représentation de Erreurs du mariage aux iSlouveau-
tés, Paul-Émile Chevalier ; reprise de Don César de
Bazan à la Porte-Saint-Marlln ; première repré-
sentation du Carillon aux Variétés, H. Moreno. —
III. Le Théâtre-Lyrique ; Inl'ormations, Impressions,
opinions (15' article), Louis Gallet. — IV. L'Exposi-
tion du théâtre et de la musii|ue (6° arlicle). Arthur
Pougin. —V. Revue des grands concerts.— VI. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — • Kenée Eldèse.
Prélude.
X' 4Î. — 22 novembre 1896. — Pases 369 à 376.
I. Étude sur Orphée (13" article), Julien Tiersot. r-
II. Semaine théâtrale: Don Juan k l'Opéra-Comique;
Aude et Roland (concours Rnssinl) au Conservatoire,
Arthur I'ougin ; la Biche au Bois au Châtelet, P.-É. C.
— III. L'Exposition du théâtre et de la musique
(7° et dernier arlicle), Arthur Pougin. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et
concerts.
Piano. — Eiouis Diémer.
Les Révérences nuptiales, n° 1 des Vieux Maîtres.
X' 48. — 29 novembre 1896. — Pages 377 à 384.
I. Étude sur Orphée (14" article), Julien Tiersot. —
II. Musique et prison (23" arlicle) : Crimes de droit
commun, Paul d'Estrée. — III. Jo'imal d'un musi-
cien i9" article), A. Mont.aux. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — U. Giordano.
Improvisation de Chénier, extrait.-, \i'André Ghénier.
'X' 49. — 6 décembre 1896. — Pages 385 à 392.
I. Étude sur Orphée (15" et dernier article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale ; Rentrée de
M"" Van Zandt à l'Opéra-Comique ; Lorenzaccio à
la Renaissance, H. Moreno; premières repr'senta-
tlons de Monsieur J^ohengrin aux Bouffes-Parisiens,
des Yeux clos, du Danger et de la Révolte k l'Odi^on ;
le Feu au moulin au Nouveau-Cirque. Paul-Émile
Chevalier. — III. Musique et prison (24' article) :
Grimes de droit commun, Paul d'Estrée. — IV. La
.Messe de saint François d'Assise, de Paladlihe. —
V. Revue des grands con.eris. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — U. Giordano.
Muscadins et Mmcadines, extrait d'André Chénier.
X' 50. — 13 décembre 1896. — Pages 393 à 400.
I. Étude sur Don Juan (1" article), Julien Tiersot. —
H. Semaine theâirale : premières rep'-éseniations
de l'évasion à la Comédif-, rançaise et de Ferdinand
le noceur an Palais-Royal, Paul-Émile Chevalier. —
III. Journal d'un musii-len (10" article-), A. Montaux.
— W .he chœur la Charité, df Rosslni, J.-B.Weceerlin.
— V. Revue des gra..ds conceris. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologip.
Chant. — U. Giordano.
Cantabile de Madeleine, extrait d'André Chénier.
X' 51. — 20 décembre 1896. — Pages 401 à 408.
I. Élude sur Don Juan (2" urticlf), Julien Tiersot. —
II. Snmaine théâtrale : audition dfS envols de Rome
au Conservai oire, Fiaria de M. BHcnelet, Arthur
Pougin; premiè'^e repiésentalinn du Sursis aux Nou-
veautés, Paul-Émile Chevalier. — 111. Musique et
prison |25° article) : Crimes de droit commun, Paul
d'Estrée. — IV. Revue 'les grands concerts. —
V. Nouvelles diverses ei cmcrif.
Piano. — l^ouis Diénier.
Gavotte pour les Heures et les Zéphyrs, de Rameau.
.\"° 53. — 27 décembre 1896. — Pages 409 à 416.
I. Etude sur Don Juan (3° srticli ), Julien Tiersot. II.
Semaine théâlrale; Première repn si-ntatii'n d'7d»/lte
tragique, au Gymnase, et ou Truc de Séraphin, aux
Variétés, H. Moreno; premières leprési-ntations du
Colonel Roquebrune, à la Porte S«int-Martin, des
Vacances de Toto ft de Paris pour le Tsar, au theâlre
Deiazel; reprise deX)tOTr(;ons,au Vaudeville, Paul-Emile
Chevalier. — m. Journal d'un muslilen (ll°article),
A. Montaux. — IV. Re ne des grands conceris. — V.
Nouvelles diverses, ••once-rls et -léi-rologie.
Chant. — II. de Eontcnaillcs.
Fleur dans un livre.
Soixante-troisième année de pixlbllcatlon
PRIMES 1897 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en luiit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur renseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanclie, un morceau de choix (inédit) pour le CHAl^T ou pour le PIA.\0, de moyenne difficullé, et offrant
à ses abonnés, cliaque année, de beaux recueils-primes CHAMT et PIAiVO.
O Jri A. JN JL d^ mode D'ABOMEMEND
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
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4- ET NOUVEAU VOLUME
Recueil în-S"
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Partition française chant et piano
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Ou à l'un des trois premiers Recueils de Mélodies de /. Massenet
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n"»), un volume relié in-S**, avec illustrations en couleur d'ADRIEN MABIE
X^ I A. PS O (2^ MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
P. MASCAGNI
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Partition pour piano solo în-S»
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recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes - compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire de
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBAGH, STROBL et KAULIGH, de Vienne, ou STRAUSS, de Paris.
REPRÉSENTANT CUACUXE LES PRIMES DE PIANO ET DE CHAKT RÉHES, PODR lES SEOIS AROIÉS A l'ARONlMENT COMPLET (3^ Mode) :
U. GIORDANO
ANDRÉ CHÉNIER
Drame historique en 3 actes
Traduction française de PAUL MILLIET
GRAND SUCCÈS DE MILAN
W.-A. MOZART
DON JUAN
Opéra complet en 2 actes
de DA POIVTEl
Seule édition conforme à la partition originale de l'auteur et
LA SEULE QU'ON NE JOUE PAS
PARTITION CHANT ET PIANO DOUBLE TEXTE FRANÇAIS ET ITALIEN
NOTA IMPORTANT. — Ces primes snnt iléliTrêes s-ratuitement dans nos liiireaui. 3 bis, rue Vliieiine, à partir du ÎO Uécembre 1896, à tout ancien
on nouTel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au SIËIVESTREli pour l'année 189Ï. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'U!« ou de DEUX francs pour l'envoi franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour l'F.trangrer, I cnTol franco
des primes se ré^le selon les frais de Poste.)
les abonnés aiiChant peuvenl prendre la primePiano el îice versa- Cent au Piano el au Cbanl réunis onl seuls droil à la grande Prime.- Les abonnés au leile seul n'ont droit h aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNENIENT AU » MÉNESTREL » PIANO
1" Moded-abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux de chamt : 1 2" Moded'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux de piano
Scènes, Mélodies, Komarices, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil- fantaisies. Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Reouell-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Krais de poste en sus. | Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Etranger : brais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3- Mode d'abonnemeni contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 RecueUs-Primes ou une Grande Prime. -Un an: 30 francs, Paris
et Province; Ètr.mger: Poste en sus.
i' Mode. Texte seul, sans droit aux primes, un an: 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 'i bis, rue Vivienne.
IMPnniERIE CEMTBALE DES CIIEMinS DE FER. — IMPRIMERIE CHAIX, RDE BERGÈRE, 20, PARIS. — (IncH lonllcos).
3380. — 62™= mîl — ^"1.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche S Janvier 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
',Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du MÉNESTnEt.. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et M'jsique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Etranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. La chanson : Est-ce Mars, ce grand Dieu des alarmes {%' et dernier article),
Julien Tiersot.— IL Semaine tliéâtrale : première représentation d'Évangélinc au
théâtre de la Monnaie, Lucien Solvay; première représentation des Dessous de
l'année, au Nouveau-ThéiUre, Paul-Émile Chevalier.— III. La Pierre, musicien-
chorégraphe (61! et dernier article), A. Baluffe. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avecle numéro de ce jour:
ARABESQUE
d'ANTO.MN Marmontel. — Suivra immédiatement : Par le sentier fleuri, de
Cesare GALEorxi.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CH.4NT : Églantines, nouveau lied de Robert Fischhof. — Suivra immédiate-
ment : Le Dernier Rendez-tious, sonnet de CiMiLLE DD LocLE, musique de
Ernest Reyer.
PRIMES POUR L'ANNÉE 1896
( Voir à la 8' pig'^ de ce niiine'ro.J
Tx
Dans l'impossibilité de répondre à l'obligeant envoi de toutes les caries
de nouvelle année qui nous parviennent au Ménestrel, de France et de
l'Étranger, nous venons prier nos lecteurs, amis et correspondants, de
vouloir bien considérer cet avis comme la carte du Directeur et des Colla-
borateurs semainiers du Ménestrel.
LA CHANSON:
« Est-ce Mars, ce grand Dieu des alarmes.
(Suite)
Dans le même temps, la mélodie française, devenue chanson
populaire flamande, était également connue en Allemagne,
où un organiste célèbre, un prédécesseur de Bach, Samuel
Scheidt, la prenait pour thème de dix variations, qui parurent
en J(J24 dans sa Tahulaiura nova. Afln de la montrer sous une
autre forme, et aussi pour ne pas me borner à reproduire
les seuls éléments contenus dans l'intéressante étude de
M. Van Duyse, je la transcris ici telle qu'elle est e.xposée
dans l'œuvre de l'organiste allemand.
Mais c'est surtout comme cantique qu'elle eut du succès.
Nous avons vu que la première notation imprimée se trouvait
dans un chansonnier pieux; voici Ltn autre livre, célèbre
dans son genre, et vraiment digne de l'être, qui va la repro-
duire sans tarder. Il a pour titre, et ce titre dit tout : La
Pieuse Alouette avec son tire lire. Les petits cors et plumes de notre
Alouette sont chansons spirituelles, qui toutes lui font prendre le vol et
aspirer aux choses célestes et éternelles (Valenciennes, 1621). L'on
a très fort blâmé les vieux maîtres de l'école polyphonique
d'avoir composé des messes sur des thèmes profanes, et l'on
a eu bien tort, car ces maîtres, qui étaient des esprits
croyants, religieux et austères, loin d'avoir les intentions
irrévérencieuses qu'on leur a prêtées, ne traitaient ces thèmes
que comme une matière musicale indifférente, destinée
uniquement à servir de base, de soutien à l'échafaudage
harmonique, mais en même temps complètement étouffée,
absorbée, et, en réalité, absolument méconnaissable. Mais
que dire de l'usage postérieur — peut-être non aboli partout
aujourd'hui même — de faire chanter des cantiques sur des
airs profanes connus de tout le monde et n'ayant rien perdu
de leur caractère mondain? Les paroles appropriées sont, en
général, parfaitement dignes de l'air qu'elles accompagnent.
C'est sous l'influence de l'esprit des Jésuites que cette forme
regrettable de l'art religieux a été inaugurée, et Pascal a flétri
avec force ces pratiques si contraires à la véritable dévo-
tion (1). Il aurait eu beau jeu s'il avait connu l'adaptation de
la chanson «Est-ce Mars» au martyre de saint Sébastien, telle
qu'elle est chantée dans la Pieuse a/o«eMe. Comparez au couplet
original, et il sera facile de reconnaître que, loin de tendre
à faire oublier le souvenir de la chanson profane, le poète,
tout au contraire, s'efforce d'en imiter la forme et le mouve-
ment. C'est sainte Irène qui, apercevant Sébastien « couvert
et hérissonné de sagettes », s'écriait:
Est-ce là ce grand foudre de guerre,
Sébastien?
Si de piès bien je le considère,
Je le tien.
Toutefois, dardé de la façon
Plutôt il semble un hérisson !
(Il Pascal n'a eu qu'à citer un couplet d'une des poésies de ce genre pour en
faire ressortir le ridicule et l'inconvenance. Voici les premiers vers de son ex-
trait d'une ode du P. Le Moine (onzième Provinciale). Il s'agit d'une description
des anges :
Les chérubins, ces glorieux, I Et qu'il éclaire de ses yeus;
Composés de tète et de plume, 1 Ces illustres laces volantes
Que Dieu de son esprit allume |. Sontloujour3rouse3etbrûlantes,etc.
LE MENESTREL
La mélodie était mieux à sa place au carillon du beffroi de
Gand, où, arrangée de deux manières différentes, elle servait
successivement à sonner les demi-heures et les quarts d'heure.
Le carillonneur lui-même en a témoigné sa satisfaction en
inscrivant, sous le tableau qui donne la notation de l'arran-
gement spécial (reproduite par M. Van Duyse), ces simples
mots : Seer goet ! « Très bien ! »
Il en est encore question une fois ou deux, au commence-
ment du dix-huitième siècle ; puis la mélodie fut oubliée peu
à peu, et il n'en aurait plus jamais été question si M. Gevaert
ne l'eût déterrée dans quelque vieux bouquin et ne lui eût
donné un nouvel éclat.
Telle est, dans ses grandes lignes, l'histoire de cette mé-
lodie française, si bien acclimatée sur la terre flamande
qu'elle a fini par y devenir presque un chant national. Avec
tout cela, nous n'en avons pas encore pénétré l'origine, les
premiers documents qui nous l'ont transmise nous la mon-
trant sous une forme secondaire.
Je crois pouvoir soulever en partie le voile qui cachait
ce secrec. On a vu que la première notation musicale
portait en titre: « Sur l'air du ballet français ». C'était
là une indication précise et qu'il ne fallait pas négliger si
l'on voulait remonter à la source. A la vérité, la musique
des airs de danse antérieurs à Louis XIV n'abonde pas dans
les anciennes collections. Il n'y avait guère que deux sortes
d'ouvrages où l'on pouvait espérer trouver quelque trace du vieil
air de ballet : l'un est VOrchésographie, dans laquelle se trouve
un autre air à danser devenu, lui aussi, populaire et presque
national: le branle coupé nommé C'assanrfre, qui n'est autre que
le chant de Vive Henri IV! L'autre source est la collection Phili-
dor, que possède la Bibliothèque du Conservatoire, et dont
les premiers volumes renferment des danses de cour depuis
François P' jusqu'à la jeunesse de Louis XIV.
Or, le deuxième volume de cette collection nous a transmis
la musique d'un Ballet des nègres dansé en 1601, dans lequel j'ai
remarqué le thème ci-dessous :
A quelques notes près, la première reprise est semblable à
la portion correspondante de la première mélodie notée. Le
passage en croches de l'avant-dernière mesure, dans celle-
ci, n'était en effet qu'une variation des deux blanches montant
diatoniquement, lesquelles se retrouvent dans toutes les ver-
sions et sont originales; les deux croches initiales, qui ont
disparu dans la plupart des versions postérieures, sont com-
munes à la mélodie de danse et à cette première notation
vocale, par conséquent originales aussi; il ne reste que la
deuxième mesure, dans laquelle un dessin nouveau, d'un
rythme d'ailleurs identique, a été introduit. Quant à la deu-
xième reprise, elle est tout autre, jusqu'à la cadence finale
qui se termine encore sur les mêmes notes.
Malgré ces différences, il y a tout lieu de supposer que
nous sommes là en présence de la mélodie originale: la date,
conforme aux inductions de M. Van Duyse, la nature de
l'œuvre, mentionnée par la première notation, tout concorde
à faire adopter cette conclusion. Quant aux paroles: « Est-ce
Mars, etc. », nous ne pouvons être étonnés de ne pas les
trouver là : il est évident qu'elles sont postérieures, et furent
composées sur l'air instrumental, qui sans doute, grâce à son
allure crâne et franche, avait obtenu du succès tout d'abord.
Il est même probable que c'est l'adaptation des paroles qui
fit modifier l'air, le rythme des vers étant accordé maladroi-
tement avec la forme première de la mélodie.
Si pou que soit cette petite trouvaille, je n'ai pas voulu
négliger d'en faire part à ceux qui s'étaient préoccupés les
premiers du sujet, heureux si j'ai réussi à apporter une
contribution efficace à leurs intéressantes recherches.
JCLIEN TiERSOT.
SEMAINE THEATRALE
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE
ÉVANGÉLINE
Lëgemle acadienne en 'i actes, paroles de MM. Louis de Gramont,
G. Hartmann et A. Alexandre ; musique de M. Xavier Leroux.
Bruxelles, 2 janvier 1896.
Dans une réunion cordiale qui a eu lieu samedi, après la repré-
sentation d'ICvani/éline, M. Stoumon, portant un loast aux auteurs,
a spirituellement baptisé la Monnaie : « le théâtre des impatients ».
Que de patiences, en ellet, — de patiences françaises — ont lassées
les deux uniques scènes lyriques de Paris ! Que de partitions moi-
sissent dans les cartons de l'Opéra et de l'Opéra-Gomique, après
avoir moisi dans ceux de leurs auteurs! La Monnaie s'est trouvée
heureusement là, juste à point, pour ouvrir les bras à quelques-uns,
parmi les plus pressés, de ces dédaignés et de ces oubliés, las d'at-
tendre, et empêcher la moisissure de s'étendre à des ouvrages qui
certainement ne la méritaient pas. Bruxelles est à deux pas de Paris,
et l'on y est mieux qu'en province, — même qu'en province fran-
çaise ; c'est un petit Paris, comme la Monnaie s'est trouvée être
souvent le véritable Théâtre-Lyrique si longtemps souhaité. Grâce à
elle — et elle peut s'en faire gloire ! — nous avons pu applaudir des
œuvres maîtresses comme Hérodiade. Sigwd, Salammbô, grâce à elle
aussi (car elle n'a pas servi de refuge seulement aux vieux impa-
tients, mais aux jeunes), nous avons pu aider à Téclosion, dans la
carrière lyrique, de compositeurs tels que Ghabrier avec Gweitdoline,
et MM. Hillemaclier avec Saint-Mégrin . Après une certaine accalmie,
la voici, celte année, qui voit les impatients revenir à elle ; ou plutôt ^
(car il n'en a jamais manqué qui sont venus frapper à sa porte !)■
la voici qui leur redevient accueillante. Et c'est à de vrais débutants
qu'elle accorde l'hospitalité. M. Xavier Leroux est de ceux-là, et son
Èvangéline est sa première oeuvre jouée sur la scène. Elève, un des
meilleurs, de M. Massenet, auteur de mélodies charmantes, applaudi
dans les concerts pour quelques fragments symphoniques de par-
titions sur le métier, il n'était guère connu cependant du grand public.
L'accueil que lui a fait la direction de la Monnaie n'en est que plus
louable et courageux, et le succès à.'Evangéline — car la réussite a
été complète et fort brillante — n'en est que plus flatteur.
Le libretto d'Éoangéline a été tiré du poème célèbre de l'Américain-
Longfellow. C'est l'éternelle histoire, toujours aimable et toujours
touchante, de l'amour rendu malheureux par la séparation. Deux
jeunes gens s'adorent, Èvangéline et Gabriel, deux cœurs purs et
innocents; les circonstances les éloignent l'un de l'autre; ils souf-
frent, et la mort seule les réunit. Le poème de Longfellow est le
digne pendant de Paul et Virginie; il analyse les mêmes sentiments,
dans une atmosphère psychologique et pittoresque à peu près sem-
blable. La portée seule diffère. Le drame qui encadre et assombrit
l'idylle caractéiise la douleur d'un peuple opprimé, d'une patrie
avilie par des tyrans, de toute une race chassée de ses foyers pour
n'avoir pas voulu subir le despotisme du conquérant. Il faudrait peu
de chose, un simple changement de noms, pour modifier la légende
et en faire de l'histoire contemporaine —
Tout là-bas, à l'extrémité du Canada, dans une contrée qui s'ap-
pelle aujourd'hui la Nouvelle-Ecosse et s'appelait jadis l'Acadie, les
Français du dix-septième siècle avaient foudé une colonie, — une
seconde patrie. Mais, un jour, l'Acadie devint possession anglaise, et
les soldats de Georges II se mirent en devoir de s'y implanter par
l'incendie, le massacre, la confiscation des biens et l'exil. Ce fut
une date douloureuse, rendue plus cruelle par l'anfagonisme des
deux religions, catholique et protestante, greffé sur l'antagonisme
des races.
Tel est le décor réel sur lequel se détachent les amours légen-
daires d'Évangéline et de Gabriel, très adroitement découpées on
quatre actes par les librettistes et que M. Xavier Leroux a musicalement
illustrées, décrivaot et exprimant les nuances, l'atmosphère ambiante,
les « états d'âme » exprimés en langage littéraire par Longfellovsr,
nécessairement disparus dans la sécheresse d'un libretto et que le
compositeur avait pour tâche de « transposer » dans son langage à
lui.
Un court prologue évoque « la forêt primitive, » dont la voix
mystérieuse planera tout le temps sur le drame, et annonce, comme
le prologue de Roméo et Juliette, les événements qui vont se dérou-
ler. Puis, le premier acte nous transporte aussitôt en pleine paix
LE MÉNESTREL
familiale, dans le cadre rustique des vertus champêtres, où naît et
se développe, parmi les chansons rappelant la terre française, la
naïve affection des deux héros. La couleur de cet acte est discrète,
et aboutit à une scène d'amour entre Évangéline et Gabriel ; sous
les clartés des étoiles, les jeunes gens se disent leurs premières
émotions ; et rien n'est plus délicieux que la façjn dont le composi-
teur les a traduites, avec un charme et une poésie qui font de cette
jolie page la plus réussie, la plus complèle peut-être de la par-
tition.
A ces scènes charmantes succède un deuxième acie, tout de mou-
vement. On célèbre les noces des fiancés; un alléluia d'allégresse,
d'un rythme plein de fraîcheur, chante la joie générale, lorsque tout
à coup les vainqueurs apparaissent, changeant le bonheur en déso-
lation ; en vain les Français essaient de lutter; l'Anglais est le plus
fort, et déclare proscrits et séparés à jamais, les hommes d'une
part, les femmes de l'autre. C'est l'épisode fameux de l'église de
Grand-Pré, longuement décrit par Longfello-n' dans son poème.
Au troisième acte, nous sommes dans la Louisiane, sur les bords
arides de la Tèche. La nature semble participer à la tristesse des
proscrits, qui errent, cherchant un abri. C'est là qu'Évangeline arrive,
soutenue par sa fidèle servante Dahra, aux accents de laquelle se
mêlent ceux d'un pâtre hospitalier. Toute cette scène est d'une
poésie pénétrante. Mais, soudain, la voix de Gabriel a retenti au
loin... C'est lui, en effet, qu'emporte, avec d'autres proscrits, une
barque rapide. Il appelle, il pleure son Evangéline; trop tard, hélas!
celle-ci le voit disparaître à l'horizon, sans que sa voix suppliante
ait pu rejoindre la sienne... El la pauvrette tombe inanimée, après
une scène pathétique, d'une superbe vigueur, montrant le jeune
compositeur aussi apte à exprimer les sentiments dramatiques les
plus intenses que les accents de la rêverie la plus caressante.
Le quatrième acte nous conduit d'ans une maison de refuge de la
Pensylvanie; Évangéline s'est consacrée à Dieu; des chants reli-
gieux s'élèvent vers le ciel... Mais voici qu'un voyageur, exténué,
à demi mort, vient implorer la protection des saintes femmes : c'est
Gabriel... Au seuil de l'éternité, les amoureux sont réunis; leur
amour, qu'ils expriment dans une longue scène très passionnée,
très développée, où les différents thèmes de l'ouvrage interviennent,
fleurira dans la mort, à jamais... Et peu à peu le décor change, ei l'on
revoit le tableau du prologue, la forêt primitive, exhalant «ses longs
-regrets » parmi les murmures et les soupirs des amants.
Le principal mérite de cette partition, c'est la sincérité, la sponta-
néité de l'inspiration, la séduction enveloppante de la forme. Assu-
rément, elle n'est pas d'un bout à l'autre personnelle. M. Leroux a
gardé encore çà et là, non pas tant dans les idées, mais surtout dans
la couleur de l'instrumentation, dans certains dessins de phrases
et certains procédés, la marque de son origine éducatrice. On est
toujours fils de quelqu'un ; il n'y a pas à rougir d'avoir pour père
un maître comme Massenet et d'en avoir conservé quelques traits de
famille. Et ce ne sont que des traits de famille; la ressemblance ne
va pas jusqu'à une imitation qui, chez d'autres, trahirait la faiblesse
d'invention. Quels sont les jeunes qui ne procèdent de personne?
Mieux vaut cent fois, étant Français, procéder de maîtres incarnant
les qualités de la race française, la clarté, la grâce et la distinction,
que de maîtres qui les méconnaissent, ou en sont l'antipode.
M. Xavier Leroux est Français jusqu'au bout des ongles, il a
raison ; et cela ne l'empêche point d'être, raisonnablement, « dans le
mouvement o, de chercher, avec les plus avancés, l'expression juste,
la vraisemblance théâtrale, en dehors des moules anciens et surannés,
de donner à l'orchestre une importance qu'il n'avait pas jadis, et d'y
trouver des moyens d'action et de coloration nombreux et nouveaux.
Et justement, à cet égard, cette partition d'ÉtangéUne est heureuse,
parce qu'elle vient nous prouver qu'il n'est point du tout impossible
de faire de « l'art neuf » sans cesser d'être clair, sans tomber dans
l'obscur et le quintessencié, sous le vain prétexte de profondeur,
qui déguise trop souvent un vide complet d'idées et d'imagination.
Des idées, de l'imagination, M. Leroux en paraît avoir, avec abon-
dance. Ses idées sont d'une distinction raffinée, d'une santé élégante
et robuste tout ensemble, d'une éloquence communicative souvent
pleine d'émotion, le tout habillé de vêtements harmoniques exquis,
d'une richesse peu commune. Et c'est un homme de théâtre, dans la
bonne acception du mot. Avec un sujet presque na'if, il est parvenu à
faire une œuvre vivante et colorée, dépeignant par une simplicité de
lignes voulue des caractères simples dans la gamme même de sen-
timents doux et tendres où ce sujet le forçait à se maintenir. Sa mu-
sique rend bien l'atmosphère pittoresque et psychologique qu'il
fallait obtenir, qui concourt au but poursuivi et à l'effet h atteindre,
et qui pouvait facilement risquer d'être méconnue, dans la succession
d'épisodes langoureux ou plaintifs dont la monotonie ne constituait
pas le moindre danger.
Si celte œuvre de début, écrite à 27 ans, ne marque pas déjà (il
serait cruel de l'exiger !) comme une œuvre entièrement originale
dans le fond comme dans la forme, l'originalilé s'y indique cependant
d'une manière très nette, très caractéristique, par la chaleur, la
franchise et la jeunesse, en même temps que par une étonnante
sûreté de main. Ils ne sont pas communs, par le temps qui court,
les jeunes compositeurs qui ont quelque chose à dire, qui osent
le dire, comme ils le pensent et comme ils le sentent, — et qui
le dire aussi bien.
Voilà pourquoi Évangéline me semble particulièrement digne d'être
louée, et voilà ce qui a décidé surtout de son succès auprès du
public bruxellois, pourtant bien méfiant et bien difficile pour tout
ce qui n'est pas « du dernier bateau », du bateau qui nous vient de
la Sprée...
C'est une victoire pour la musique française, sans aucun doute.
Et je crois qu'on peut compter sur M. Leroux pour la rendre féconde,
dans la suite, avec les autres œuvres, plus fortes, plus personnelles,
qu'on attend de lui. Les acclamations dont sa partition a été l'objet
pendant tout le cours de la représentation et les ovations auxquelles
il a dû lui-même se prêter à la fin de la soirée, de la part de la
salle très enthousiaste, lui seront le plus utile des encouragements
à tenir toutes ses promesses.
Ajoutons que l'interprétation d' Évangéline a été excellente. L'intel-
ligence de M. Bonnard, la jolie voix et la grâce émue de M"» Merey,
un peu faible dans les passages dramatiques, mais remarquable dans
les pages de finesse et de poésie, l'admirable autorité de M"» Ar-
mand et le talent de M. Gilibert et de M'"' Mileamps dans des rôles
secondaires, ont servi l'œuvre à souhait. La direction de la Monnaie
n'a épargné ni études, ni soins ; elle avait fait brosser des décors
presque neufs ; et l'on a pu remarquer, dans la mise en scène,
d'heureusbs innovations, que jusqu'à présent la sainte Routine n'avait
pu faire admettre. L'influence bienfaisante des auteurs y serait-elle
pour quelque chose ? Ce serait alors un bon exemple à suivre. N'ou-
blions pas l'orchestre, qui a rempli sa tâche, très difficile et très
délicate, comme il sait le faire le jour des grandes batailles.
Lucien Solvay.
Nouveau-Théâtre. Les Dessous de l'année, revue en 3 actes et 8 tableaux,
de MM. Clairville, Vély etValin.
Lâcher ses administrés accablés par plus de 40° de chaleur et
complètement ruinés par le fameux Charlatan prometteur de fas-
tueux dividendes aux actionnaires des mines d'or, et courir Paris
en pénétrant partout, grâce à la baguette magique de dame Vérité,
telle est la conduite de M. Lustueru, maire d'un Fouilly-les-Oies
quelconque. Ce que peut voir notre homme à l'écharpe, vous vous en
doutez bien un peu ; c'est le défilé habituel des revues annuelles,
mais cette fois, présenté avec beaucoup de bonne humeur et de
»aîté'. L'omnibus nocturne, la demi-mondaine actrice par occasion,
fa politesse dans l'armée, le Gaulois grand format, les chanteurs,
danseurs et peintres des cours au profit des pauvres, les aboyeurs-
gentlemen pris pour des princes en déplacement, sont autant de
scènes à succès très lestement enlevées parM"« Laporle, la triompha-
trice de la soirée, Aimée Eymard. une commère de belle allure,
Sidlev Andrhée Viviane. Debary, MM. Regnard, très boule en-train
en m"aire Lustueru, Hurleaus, Modot, Maurice Lamy, Herissier,
Dorlé, Waller. Jolie mise en scène qui contribuera, pour sa part, à
la réussite des Dessous de l'année. r. -r. n
Paul-Emile Chevalier.
LA PIERRE, MUSICIEN-CHORÉGRAPHE
Ei«ir x.Aisrc3^xjE:E>c»G - is-^o-issx
(Suite et fin)
VII
A certaine période, vers l'exact milieu duXVIP siècle, il règne dans
tout le Midi, et surtout en Languedoc, une irrésistible et umverselle
voo-ue en matière de ballets, bals et danses en tous genres. On y
déployait un luxe de costumes et de mises en scène inoui. Les grandes
damesen prenaient prétexte pour l'exhibition de leursplus somptueuses
toilettes et de leurs bijoux les plus étincelants. Tel intendant richis-
sime donnait des soirées plus que princières, royales. Et du pet.t au
o-rand la mode était souveraine. Sur les théâtres aussi les danses
LE MENESTREL
devinrent une nécessité; et à côté de |la tragédie ou de la comédie,
il fallut méQager pour la satisfaction du public, même du parterre,
des intermèdes chorégraphiques combinés avec un art ré'el. Les ama-
teurs n'étaient pas toujours faciles à contenter. Toutes les pièces du
Théâtre de Béziers se terminaient invariablement par des danses où
les personnages de l'action se constituaient allègrement en corps de
ballet en apparence improvisé, mais pour lequel ils n'étaient pas,
certes, pris à l'improviste. On sait que dès ses tournées en Languedoc.
M"* Du Parc se fit applaudir dans les représentations de Molière par
des morceaux choisis de chant et de danse. Elle dut même, à l'in-
vention d'un maillot excitant les désirs, des succès de plastique
extraordinaires. Et il fallait bien inaugurer de piquantes nouveautés
pour rompre avec la routine et captiver les spectateurs !
M"' Du Parc chantait à l'occasion, mais exceptionnellement. Ce
n'était pas sou affaire, et une règle alors rehue interdisait, en effet,
le chant aux acteurs comiques.
Le bon comédien ne doit jamais clianter
dit La Fontaine dans sa célèbre Epitre sur l'Opéra à M. de Aierl (1),
où il formule quelques préceptes de l'art contemporain sur l'emploi
des instruments dans les ballets. On raffinait déjà en ces questions
d'esthétique élémentaire. Il fallait se garder des hérésies. A Toulouse,
par exemple, où l'on raffolait de danse, on n'eût pas admis de trop
criantes fautes par omission ou ignorance contre les théories imposées.
Pas de ville au monde peut-être, soit dit en passant, où la chorégra-
phie eût alors de plus fervents amateurs et disciples. Voilà juste-
ment pourquoi il importait d'avoir des artistes irréprochables,
d'experts chefs de ballets. Molière savait ses devoirs et il n'était pas
homme à compromettre la position acquise de sa troupe — la pre-
mière de la province — faute d'un maître de danse à la hauteur des
exigences publiques. La Pierre était là.
L'alternance des parties de chant, de musique et de déclamation
(les récits incombaient à des acteurs de la troupe tragi-comique) ré-
clamait un homme du métier dès que la composition des ballets fut
plus compliquée. Quand La Fontaine, à l'enfance de l'art, dit que
Le ballet fat toujours une action muette;
quand il proscrit (selon les doctrines du P. Ménestrier) le théorbe et
la viole, n'admettant que la trompette et le tambour.
Car la viole, propre aux plus tendres amours,
N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours ;
en s'exprimant ainsi, La Fontaine a peut-être fait la part trop petite
à l'initiative combinée d'un Dassoucy, joueur de luth, et d'un
La Pierre, aussi habile maître de musique et de chant que de danse.
Le P. Ménestrier a beau décréter que le théorbe et le luth « sont trop
graves », il n'y a pas d'instrument grave avec Dassoucy; et les foli-
chonneries grivoises qu'il exécutait sur son luth, comme il lui arri-
va à la cour de Savoie (ce qui causa sa disgrâce finale), n'étaient pas
incompatibles avec « la vigueur de la danse ». S'il donnait « l'âme
aux vers de Corneille », comme il s'en vantait à propos d'Andromède,
il savait aussi, suivant un mot de Mascarille, donner « l'âme aux
pieds » des danseurs. Il tirait de son luth des effets réjouissants. Entre
ses mains, ce n'était pas « un instrument de repos destiné aux plai-
sirs sérieux et tranquilles et dont la languissante harmonie est en-
nemie de toute action et ne demande que des auditeurs sédentaires ».
Pas plus que Dassoucy lui-même, avec lui, on ne tenait guère en
place. Tout est permis aux maîtres; les lois, si elles sont faites pour
eux, c'est avec la faculté de les transgresser.
A Toulouse, où Dassoucy séjournait souvent, il était accepté; on ne
trouvait rien d'incorrect, rien à reprendre à ses fantaisies. En fait de
musique et de danse, ce que Guez de Balzac appelle « l'humeur du
Languedoc », en ajoutant « qu'il faut s'y faire », c'est, comme tou-
jours et en tout, une certaine indépendance de goûts et d'impressions
qui ont force d'opinion légale. On ne dansait pas gravement, on ne
chantait pas trislemeat dans le Midi. On voulait « s'amuser et rire ».
Et tout le monde, au besoin, s'en mêlait. Les ballets étaient laits
pour tout le mo.lde; et les ballets de cour eux-mêmes, plus fermés,
plus exclusifs, englobaient dans leur organisation toute une foule de
figurants et figurantes, jaloux d'y avoir leur part de plaisir. '
11 fallait bien compter sur la vanité aussi. En province, les jolies
femmes n'ont jamais eu trop d'occasions de faire montre de leur
beauté. Un ballet était un grand événement pour elles. Leur coquet-
terie mettait toutes voiles dehors, et parfois tous les voiles aussi de
côté pour ne point perdre un coup d'œil de ceux dont elles avaient à
(1) Nyert était un des amis et maîtres de Dassoucy, et ce « gentilhomme de
maison noble » avait été parfois salué — à « Grenoble» — par la troupe de
La Pierre allant en Italie par le col de Tende.
cœur de se faire admirer. Les ballets étaient dos numières do rendez-
vous. Sous le couvert d'allégories poétiques, le librettiste interprétait
eomplaisemment de véritables déclarations d'amour, transparentes et
non douteuses pour les dostinalaires averties. Coniracnl n'auraient-elles
pas fait des miracles pour être là avec tous leurs avantages! Avec la
licence habituelle des mœurs, surtout en carnaval, les bals tournaient
aux « saturnales », (1) elles ballets se prêtaient à tous les jeux et
à toutes les joies de l'amour et du hasard. Les grandes dames « folles
de leurs corps » y faisaient feu de leurs prunelles et de leurs dia-
mants, au risque d'aventurer ceux-ci dans le scabreux tumulte d'une
fin de soirée pareille au dénouement de certain bal donné chez un
gentilhomme des environs de Béziers, qui se termina, raconte M'"' de
Scudéry, par l'extinction des lumières et par la mise au pillage de
leurs parures. Agréablement trompées, tout d'abord, sur les intentions
des auteurs de ces subites téuèbres, elles furent volées comme dans
un bois et détroussées. D'audacieux valets, scapins férus du seul
amour de la bijouterie, les avaient, dans l'ombre, outrageusement
dégrafées de leurs diamants.
Parfois donc, par galanterie comme par intérêt bien entendu, La
Pierre fut obligé de faire la partie belle aux dames. Dans le Baltet des
Incompatibles, si elles ne sont pas en grand nombre, elles parlent du
moins pour toutes, et le dernier mot leur reste pour bien finir. On ne
parle guère que de séduction amoureuse, dans ce ballet. Il en appert
qu'ici l'amour de cour a singulièrement succédé aux cours d'amour
de jadis. Je n'ose pas dire que bien des jolies femmes de Montpellier,
de celles qui faillirent faire brûler vif Dassoucy, étaient capables de
regretter qu'on ne s'habillât pas pour une entrée de ballet comme à
l'entrée de Gharles-Quint à Anvers. Mais le fait est que plus d'une
eût volontiers joué jusqu'au bout le rôle de cette aimable et belle
demoiselle de Béziers qui, le soir de l'arrivée du jeune Charles IX
dans cette ville, représentait en costume plus que succinct Diane chas-
seresse sortant d'un bois, et qui, moins vierge peut-être que la déesse,
ne fut en tout cas farouche que jusqu'à la nuit!
Le Ba/let des Incompatibles, qui peut donner une idée de ce qu'étaient
les fêtes chorégraphiques organisées pendant la tenue des États, dont
tant de membres étaient aptes à composer eux-mêmes des livrets
selon les galanteries à la mode, ce ballet monté, arrangé, dirigé par
La Pierre, par la seule présence de certains gentilshommes de haute
lignée et de générosité chevaleresque, comme le « baron deFerrals, »
partenaire de Molière dans une même entrée, réveille des souvenirs
légendaires de la somptuosité languedocienne. Un ancêtre de ce baron
au siècle dernier, pour fêter au château de Ferrais, près de Carcas-
sonne, le roi Charles IX encore, avait machiné sa vaste salle de récep-
tion comme un féerique décor d'opéra. Après un festin où le^ mets
les plus fantastiquement rares et exquis avaient défilé à profusion,
l'immense table où ont pris rang les plus illustres convives est
enlevée comme par un coup de baguette magique; à la place du pla-
fond, disparu par enchantement, flotte une nuée orageuse, traversée
de fulgurants éclairs et qui, soudain, crevant sous l'explosion d'un
tonnerre fabuleux à faire honneur aux carreaux mythologiques de
Jupiter lui-même, laisse tomber une véritable grêle de dragées non
fictives, mêlées à une pluie torrentielle de senteurs suaves.
Ces prestigieux souvenirs où s'évoque, grâce aux prodiges de l'art
et de l'argent, une vision du céleste palais des dieux antiques, ne sont
pas les seules réminiscences que ravive ce ballet. Le baron df Ferrais,
qui semble appartenir à la fable, a un frère ici-même : c'est le baron
d'Angerville, officier brillant et poète à ses heures (2), et qui, lui,
touche au domaine de l'Histoire littéraire; car il faillit épouser la fille
de M'"" de Sévigaé. Et, sans le compter, que de futurs héros sont là,
réunis autour de La Pierre et de Molière, comme si le grand siècle en
formation voulait donner à celui qui sera le plus grand de ses poètes
l'escorte d'une incomparable compagnie d'honneur, à son point de
départ pour la gloire ! Des maréchaux de France, Villars, Bellefonds;
des diplomates, Guillerague (•'>), Créqui-Canaples, d'antre.s encore,
après avoir été dans ce ballet les satellites de Molière, deviendront les
satellites de Louis XIV; et Versailles les reverra tous à l'œuvre —
môme La Pierre, que l'estime de Molière n'y jugera pas déplacé !
Aur.usïiî BaluI'Fe.
(1) Le mot est du Père Ménestrier en son livre des Devises, ballets, etc.
(2) Dans les Allaitions aux Mémoires de l'abbé de Marolles, on lit, page 438 : —
« Pour la poésie, outre ceux que j'ai marqués avec honneur dans le corps de ces
Mémoires, nous avons MM. de Corneille, de Boisrobert, de Uensei'ade, de Bertaut,
de Segrais et le baron d'Angeroitle, ce dernier si digne des faveurs de M. le
prince de Conti, qui l'honora de son estime et de son amitié. »
(3i Voir nos articles ?ur Guillerague et Molière dans le Ménestrel de juillet et
août 1894.
LE MÉNESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le dernier concert de l'Opéra s'ouvrait par une composition de M. Fer-
nand Le Borne, « Temps de guerre, tableaux symphoniques pour orchestre,
orgue et double chœur ». Il serait superflu de dire que c'est là de la mu-
sique descriptive, de la musique à programme, programme qui se résume
dans les titres de ces cinq morceaux: l. Choral de l'armée; 2. Au village ;
3. AUeiile de la fiancée ; 4. Carillon; 5. Marche triomphale. Cela m'a paru sur-
tout un peu long. Des cinq morceaux ainsi indiqués, un seul me semble
vraiment original et bien venu, te Carillon; son rythme à cinq temps est
curieux, curieux aussi le dessin obstiné des cors imitant les cloches, tan-
dis que celui des flûtes est allègre et joyeux. Ici, l'effet produit est fort
agréable, et le public l'a prouvé en demandant bis. Après un bel air de
Vlphigcnieeii Tauride de Piccinni, nous avons entendu un fragment du second
acte du Duc de Ferrare, opéra inédit écrit par M. Georges Marty sur des
paroles de M. Paul Milliet. IMalgré la très réelle sympathie que j'éprouve
pour le talent de M. Marty, je dois confesser que ceci m'a laissé absolu-
ment froid. Dans ce fragment important j'ai cherché vainement^ la trace
d'une idée vraiment musicale, la trace d'une émotion, d'un sentiment dra-
matique quelconque, rien ne m'a fiappé, rien ne m'a touché. Est-ce ma
faute? Je ne saurais le dire, et j'aime mieux ne pas insister. Je passe sur
les Danses anciennes, en signalant seulement la jolie musique d'une jolie
Pavane de M. Gabriel Fauré, et j'arrive à la Nuit de Noël IS70 de M. Gabriel
Pierné, qui a été, on peut bien le dire, le triomphe de la journée, car son
succès a été colossal et s'est traduit par un triple rappel à l'adresse de
l'auteur. C'est encore là de la musique descriptive, ou plutôt, si l'on peut
ainsi parler, de la musique accompagnante, car elle souligne des vers réci-
tés. L'œuvre est qualifiée d'« épisode lyrique », et les vers sont de M. Eugène
Morand. Ce o fragment de lettre » en explique le sujet : « Cette nuit, nos
avant-postes étaient près des leurs. On échangeait, sans se voir, de rares
coups de feu, quand une cloche au loin ayant sonné la messe de minuit, il
revint au souvenir de l'un des nôtres un vieux Noël de chez nous. Et voilà
que tout à coup, là-bas, les autres chantent aussi Noël. Les voix se répon-
dent : Noël ! Noël ! Et c'est pendant un instant, entre eux et nous, comme
un apaisement fraternel, comme une trêve de Dieu... » Très dilEcile à trai-
ter, un tel sujet, parce que, au pur point de vue musical, il semble un peu
bizarre, un peu incohérent. M. Pierné en a saisi la signification avec une
intuition merveilleuse, et il lui a donné une existence sonore d'une inten-
sité prodigieuse. Cela ne s'analyse pas, parce que cela n'a point de plan
rutionnel, point de suite naturelle, point de régularité. C'est une série
d'impressions, de sensations, d'oppositions qui semblent n'avoir pas de
liens entre elles, et qui cependant s'accordent et s'enchainent de façon à
former un tableau plein de couleur, de poésie et d'animation. Il y a de tout
là-dedans, du pittoresque, de la chaleur, de l'émotion, du pathétique, de la
grandeur, et l'auditeur, quoi qu'il en ait, est pris, comme disaient nos
pères, par les entrailles, et tellement secoué par son émotion personnelle
qu'il éclate en d'inévitables applaudissements. En réalité, M. Pierné a
écrit une œuvre étrange, puissante, et dont l'effet sur la masse du public
est absolument infaillible. Le concert s'est terminé par le beau finale du
second acte de la Vestale, de Spontini, qui a valu à M°"= Caron, toujours
admirable, et à M. Delmas, toujours remarquable, un succès bien mérité.
A. P.
— Concert Pister.Parmi les œuvres que M. Pister a fait entendre dans ses
derniers concerts, il faut citer un beau fragment de Rédemption de César
Franck, la Rapsodie et l'Aubade si charmante de Lalo, Béatrice, le très inté-
ressant poème symphonique d'Emile Bernard, dit d'une façon extrême-
ment remarquable, une symphonie de M. Le Borne, une suite de Massenet
et la Danse macabre, dont le solo était interprété par le distingué violo-
niste Fernandez.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Relâche.
Concert Colonne : Relâche.
Concert Lamoureux : Relâche.
Opérj: Temps de guerre (Le Borne), tableaux symphoniques dirigés par l'au-
teur.— Récitatif et air d'/p/jijénie m rawricte (Piccinni) : M. Delmas jOreste) et
M. Gandubert (Pylade). — Le Dite de Ferrare (Mariy), drame lyrique de M. Paul
Milliet, fragments du deuxième acte, dirigé par l'auteur; M"" Caron (Reginella).
M"" Beauvais (Cinlia), M. Vaguet (Alfonse), M. Douaillier (Marsile). — Danses
anciennes, réglées par M. Hansen, exécutées par M"" Mauri, Subra et le corps
de ballei. — jV(rt( de Noël tSTO (Pierné), épisode lyrique dirigé par l'auteur;
poème de M. Morand: M. Brémond (le récitant), W Laoombe (une voix),
M. Barlet (un soldat). — Finale du deuxième acte do la Vestale (Spontini);
M"° Caron (Julie), M. Delmas (le grand pontife). Le concert sera dirigé par
M.Vidal.
Concerts d'hlSircourt: Symphonie rotnanlirjue (V. Joncières). — Air d'£^/c (Men-
delssohn), par M. Muratet. — Ouverture du Vaisseau- Faniùme (R. Wagner). —
Le Rouet d'Omphale (Saint-Saëns). — Waltlier's Preislied, des Maîtres chanteurs
(R. Wagner).— Symphonie en si bémol (n" 4, Beethoven).
Concert du Jardin d'Acclimatation. Chef d'orchestre : Louis Pister.
L'Etoile du Xord, ouverture (Meyerbeer); Ar/uso, de Haendel; Sérénade (Glazou-
Tiow); Phaëlon, poème symphonique (Saint-Saëns) ; Jleformatim, andante (Men-
delssohn); La Zamaoueca (Th. Ritter); La Farandole, adagio, valse des olivettes,
cloches et violoneux, valsedes infidèles (Th. Dubois).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Nouvelle liste d'œuvres françaises jouées en Allemagne et en Au-
triche pendant les dernières semaines de 189b. A Vienne : Faust, le Petit
Chaperon rouge, Carmen, Mignon, Roméo et Juliette, la Navarraise, Fra Diavolo,
Manon, la Fille du Régiment, Werther, la Juive ; à Berlin : le Postillon de
Lonjumeau, Mignon, la Fille du Régiment ; à Dresde : la Part du diable, Car-
men, les Dragons de Villars, la Fille du Régiment, le Domino noir ; à Munich :
Mignon ; à Mannheim : Guillaume Tell, Joseph, Orphée aux Enfers ; à Stutt-
gart : Zaïre, les Huguenots, les Dragons de Villars, le Postillon de Lonjumeau ;
à WiESBADEN : Fra Diavolo, le Prophète, le Postillon de Lonjumeau, la Muette
de Portici, Carmen, Migimi, Faust, les Huguenots; à Carlsruhe : Guillaume Tell,
Carmen, Fra Diavolo, les Deux Savoyards, la Poupée de Nuremberg, le Domino
noir ; à Brème : Mignon, le Pardon de Ploêrmel, Faust, Fra Diavolo, la Part
du diable, le Domino noir ; à Cologne : Carmen, la Fille du Régiment, les Hugue-
nots, Faust, Guillaume Tell; à Breslac : l'Attaque du moulin, Fra Diavolo,
Carmen, les Dragons de Villars ; à Hanovre : Carmen, Faust, Guillaume Tell ;
à Cassel : Robert le Diable, Faust, les Dragons de Villars, le Cheval de bronze ;
à Budapest : Sylvia, Coppélia, Roméo et Juliette, l'Étoile du Nord, Guillaume Tell,
les Huguenots, Mignon, la Fille du Régiment.
— A l'Opéra de Vienne, commenceront prochainement les répétitions de
deux ouvrages importants : Walther von der Vogelweide, de M. Kauders, et
le Grillon du foyer, de M. Goldmark. L'opéra de M. Kauders a déjà été joué
avec succès à Prague.
— Un nom célèbre dans la musique se trouve mêlé à un duel sérieux
qui vient d'avoir lieu à Thionville enire deux officiers allemands et qui a
été fatal à l'un des combattants. L'arme choisie était le pistolet, et le
terrain était le champ de manœuvre situé derrière le fort de Jeutz. Au
premier échange de balles, le lieutenant Khun, du 6« dragons, atteint
mortellement, est tombé pour ne plus se relever. Son adversaire, le lieu-
tenant Joachim, du IZo" d'infanterie, n'est autre que le fils du grand
violoniste Joachim.
— A Bayreuth on se prépare déjà activement pour les représentations
de cette année. Dernièrement, M"» Cosima Wagner a fait jouer le premier
acte de Siegfried dans une salle de Bayreuth — pas au théâtre même, ni à
l'ancien Opéra des margraves devant quelques invités. L'orchestre était
remplacé par deux pianos, mais les décors qui doivent servir au théâtre
de "Wagner ont été plantés. Siegfried Wagner, le fils du maître, dirigeait
cette représentation. Les deux autres actes de Siegfried seront répétés de
la même manière. On assure que l'affluence à Bayreuth sera cette année-ci
plu? grande que jamais.
— Le théâtre de Coblentz va donner, le 12 janvier prochain, la première
représentation en langue allemande du Winkelried de Louis Lacombe, dont
le théâtre de Genève eut la primeur. Les principaux interprètes sont
MM. Demuth, Leffler, Krauss, M"== Holtzenstein et Neiseh M"= V» Louis
Lacombe quitte Paris ces jours-ci pour aller surveiller les dernières
répétitions.
— On vient d'exécuter pour la première fois dans son intégralité, au
Gewandhaus de Leipzig, la Dammdion de Faust de Berlioz, dont jusqu'ici on
n'avait entendu que des fragments. Cette exécution, qui était dirigée par
M. Nikisch, le nouveau chef d'orchestre, a obtenu un succès d'enthousiasme
et tel, dit un journal, qu'il serait impossible de le décrire. Les rôles
étaient tenus par M"« Marcella Pregi (Marguerite), M. Brandowsky (Faust)
et M. Schelper (Méphistophélès), qui ont été couverts d'applaudissements.
— D'après les journaux italiens, l'Hennj VIII de M. Saint-Saëns ne
parait pas avoir très bien réussi à la Scala de Milan. Cela n'ôte rien à la
très grande valeur de cette belle partition, la plus belle peut-être de son
auteur.
— Nous avons sous les yeux un télégramme de Naples d'après lequel la
première représentation de la Yalkyrie, au San Carlo de Naples, a donné lieu
à des scènes, scandaleuses. Le public était resté assez tranquille jusqu'à
la seconde moitié du deuxième acte; mais alors il devint impatient, se
moquant de tout ce qu'on chantait sur la scène. Pendant le troisième
acte, les démonstrations devinrent tumultueusbs ; on entendait à peine la
musique. A la fin le public se mit à crier: « Ev viva Verdit » — « Abasso
Wagner l » et quitta la salle en sifflant et en hurlant. L'imprésario n'ose
pas représenter la Valkyrie une seconde fois. Il devra donc faire son deuil
des frais assez importants qu'il avait faits pour la mise en scène.
— Le théâtre Mercadante, de Naples, adonné, non sans quelque succès,
la première représentation d'un opéra nouveau, Onore, paroles de M. Fré-
déric Verdinois, musique de M. Consiglio. Les détails nous manquent
encore, mais l'accueil fait à l'œuvre et aux artistes parait avoir été très
favorable.
— La société orchestrale romaine a ouvert à la salle Dante une série
do quatre concerts dont le premier a eu lieu le âs décembre et dont les
autres sont fixés aux 11 et 2o janvier et 8 février prochains. Parmi les
LE MENESTREL
œuvres qui seront exécutées dans ces intéressantes séances, on signale la
Béformation-Symphonie de Mendelssohn, la symphonie en ré de, Brahms,
celle de M. Guilmant pour orgue et orchestre, le Rouet d'Omphale de Saint-
Saêns, les ouvertures de rilaliana in Londra de Gimarosa, de Phèdre de
Massenet, de la Fiancée vendue de Smatana, des mélodies de Grieg, etc.
— Lé Cercle philharmonique-artistique de Padous a donnée dans sa pre-
mière séance de la saison d'hiver, la première représentation d'un gentil
opéra en trois actes, yUo, dont la musique est due à l'un de ses membres,
le marquis Francesco Dandi Dall'Orologio, et qui parait avoir été accueilli
avec beaucoup de faveur. Un journal italien dit que c'est un ouvrage qui,
sans manifester de grandes prétentions, " fait très bien augurer de l'avenir
de son jeune auteur ».
— On écrit de Genève : « W" C. Ketten, la fille du remarquable profes-
seur du Conservatoire, vient de débuter dans Mignon. La jeune artiste a eu
le plus grand et le plus mérité des succès. Le public l'a littéralement
couverte de fleurs. »
— Les Hollandais aiment la musique, et ils le prouvent intelligemment.
La municipalité d'une petite ville comme Arnheim vient de voter, par
16 voix contre 11, une subvention de 10.000 florins (un peu plus de
21.000 francs) pour l'année 1S96 en faveur de VOrkcslvereeniging. Si les mo-
destes villes de nos départements en faisaient autant, elles offriraient à
leurs administrés des jouissances artistiques plus relevées que celles des
ignobles cafés-concerts qui sont souvent leur unique distraction.
— Voici le tableau complet de la nouvelle troupe du théâtre San Carlos,
de Lisbonne. Soprani, M^'^ Bonaplata-Bau, Dardée, Fausta-Labia, Strom-
feld-Klamsiska et Lina Bignardi ; mezzo-soprani, Santarelli et Pagnoni ;
ténors, MM. Marconi, "Werner-Alberti et Perez ; barytons, Blanchart et
Modesti; basses, Lanzoni, De Grazia, Dubois et Rinaldi. Les chefs d'or-
chestre sont MM. Juan Goula et Vicenzo Pintorno.
— Un petit lot de nouvelles espagnoles. La Société des concerts de Ma-
drid prépare la prochaine audition de deux poèmes symphoniques: l'un,
la Corza blanca, de M. Saco del Valle, l'autre, las Cruzadas, de M. Steger
Taboada. — A Valence, à l'occasion de la Sainte-Cécile, le Conservatoire
a donné une grande fête musicale dans laquelle il a fait exécuter deux
compositions dues à deux élèves de l'établissement: un Prélude pour
orchestre de M. Palanca, et un poème symphonique, intitulé : Orfeo en et
Averno, de M. Fayos. Le public a fort bien accueilli ces deux essais. —
A l'Eldorado de Barcelone, apparition heureuse de deux zarzuelas nou-
velles : el SeTior Baron, en un acte, paroles de M. Jaques, musique de
M. Zabala, et el Estudiante endiabtado, musique de M. Vidal y Llimona. —
Au Tivoli de la même ville, autre zarzuela ; Carazon de fuego, musique de
M. Nicoalau. — A Almeria, première représentation d'un " jeu oomico-
lyrique » en un acte, l'erdon, tio ! dont la musique a pour auteur M""' Car-
men L. de Brocca. — Ce n'est pas tout encore. A Santander, grand succès
pour une zarzuela iutiiulée el Duque de Gandia, paroles de M. Diceuta, mu-
sique de MM. Llanus et Chapi, et à Saint-Sébastien, bon accueil pour une
pochade musicale, el Husar, dont on ne nous fait pas connaître les auteurs.
— A l'occasion des fêtes de Christmas, le théâtre Drary-Lane a donné
sa grande pantomime annuelle, qui a obtenu son grand succès annuel.
Celle-ci s'appelle Cinderella (Cendrillon). Les auteurs sont MM. Augustus
Hairis et Raleigh pour le scénario, Glover pour la musique, Goppi pour
les danses, Gomelli et Alias pour les costumes, X... pour les décors, etc.,
etc. Tous ont droit à être nommés, car tous concourent également au
succès.
— On nous annonce de Londres que M. Luigi Arditi, le compositeur et
chef d'orchestre bien connu, aécritsesmémoires, qui serontbientôtpubliés.
La carrière du compositeur de la valse // Bacio est longue et bien remplie.
Dès 18S0 il dirigeait l'Opéra italien de Castle-Garden, à New-York, et y
faisait la connaissance de la famille Patti.Il devint ensuite chef d'orchestre
à Covent-Garden, et en 18.59 il assista, en cette qualité, aux débuts de la
Patti à Londres. Maurice Strakosch, le beau-frère et l'imprésario de cette
artiste, l'engagea alors pour sa troupe d'opéra, et en 1862 il eut pour la
première fois beaucoup de succès à Vienne, avec sa valse il Bacio, que
la Patti n'a cessé de chanter à la fin du Buriner de Seville. M. Arditi a connu
presque tous les grands artistes de ces cinquante dernières années et a
parcouru tous les pays civilisés et mi-civilisés du monde. Ses mémoires
offriront sans doute un grand intérêt.
— h'Écho musical de Bruxelles nous apprend qu'un clown actuellement
en représentation à Londres montre un cheval qu'il a dressé à jouer l'hymne
national anglais sur un harmonium à pédales spécialement construit à cet
effet. C'est peut-être très lort, mais en tout cas pas très respectueux envers
l'auguste mélodie.
— Les mémoires de Charles Halle, dont nous avons déjà annoncé l'appa-
rition, occupent la presse anglaise, et nous y trouvons une jolie anecdote
qui se rattache plutôt à son fils, M. Clifford Halle, qui est un chanteur
distingué. Celui-ci avait, un jour, donné un concert dans une ville de la
colonie du Cap, dont le théâtre est relégué dans un quartier excentrique
où les animaux domestiques abondent. Comme la soirée était très chaude,
la porte du vestibule du théâtre était restée ouverte. M. Clifford Ilallé
avait déjà terminé la première partie de son programme lorsqu'il eut l'idée
de chanter, à la suite d'applaudissements bien nourris, un lied allemand
dont la dernière phrase est ainsi conçue : Bruder, sage : la ! (frère, dis : oui 1).
Le chanteur venait de lancer une belle note aigui' sur le mot final la,
lorsqu'un âne, montrant sa tête à la porte entr'ouverte de la salie, se mit à
pousser des Yali ! Yah ! frénétiques avec une forte voix de baryton. Cette
réponse à l'appel poétique du chanteur provoqua une scène des plus déso-
pilantes. La femme du commandant de la garnison anglaise fut prise d'un
accès de fou rire, les ollJciers applaudissaient à tout rompre et le comman-
dant adressa à l'artiste tout ébaubi ce compliment : i. Mon cher monsieur,
c'est le plus beau de vos jours, et vous n'aurez plus jamais un succès
pareil; maisje ne vous conseille pas d'emmener votre « frère » quand vous
rentrerez à Londres. »
— Un juge londonien a dernièrement prononcé un arrêté digne du roi
Salomon. Le directeur d'un grand Music Hall de Londres avait renvoyé un
flûtiste parce que celui-ci était arr'ivé ivre à une représentation. Le chef
d'orchestre, cité comme témoin par le musicien, qui réclamait une indem-
nité, alDrma que le flûtiste était sinon complètement ivre, au moins
légèrement pompette, pour employer un mot de notre langue verte cor-
respondant à celui de la langue anglaise. Le juge adressa alors deux ques-
tions au chef d'orchestre: d'abord, le flûtiste avait-il fait son service à
l'orchestre ? ensuite, avait-il fait plus de fautes qu'à l'ordinaire ? Le chef
d'orchestre ne pouvait nier que, dans cette mémorable soiiée, le
flûtiste n'eût joué comme d'habitude. « Dans ces conditions, déclara alors
le juge, il a été renvoyé sans motif valable; l'indemnité lui est due. » Le
chef d'orchestre fut consterné. « Est-ce que Votre Honneur appliquerait
la même théorie à celui de mes musiciens qui joue de la grosse caisse ? »
demanda-t-il ironiquement. « Attendez qu'il vous arrive pompette, comme
vous dites, et alors envoyez-le moi; vous verrez alors, » répliqua le juge.
— Une anecdote relative à M. Sims Reeves, le fameux ténor anglais, qui
était engagé récemment pour un concert à la cour de sa Gracieuse Majesté
la reine Victoria. Au programme, qu'on avait dressé d'avance, se trou-
vaient deux morceaux que l'artiste jugea en dehors de sa voix. 11 en
référa au prince de Galles, qui alla vers la reine pour lui soumettre les
observations de l'artiste. Pour toute réponse, la souveraine montra du
doigt les deux initiales Y. B. (Victoria Rcgina) que portait le programme.
Le prince de Galles comprit aussitôt, et retourna vers l'artiste pour lui
dire qu'il n'y avait rien à faire, qu'il fallait s'exécuter... Reeves s'exécuta
en elïet et chanta les deux airs, mais le second un demi-ton plus bas que
l'original. La reine s'en aperçut aussitôt, et le fit comprendre à l'artiste
en s'abstenant de donner le signal des applaudissements, de manière que
le malheureux chanteur quitta l'estrade au milieu d'un silence glacial.
Nous ne mettrons pas en doute ce fait, que nous rapporte un de nos con-
frères de l'étranger ; nous constaterons seulement l'extrême habileté mu-
sicale et la finesse d'oreille de la reine, qui, sans hésiter, s'aperçoit de la
différence d'un demi-ton dans un morceau chanté devant elle, alors que
certains professionnels seraient incapables de saisir cette différence! Qui
donc prétendait que sa Gracieuse Majesté avait aujourd'hui l'oreille un
peu dure ?
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dès dimanche dernier, nous avons annoncé la nomination au
grade de grand-olllcier de la Légion d'honneur de M. Ernest Legouvé,
l'illustre doyen de l'Académie, qui plusieurs fois a bien voulu apporter au
Ménestrel le concours de sa glorieuse collaboration, celle aussi de M. Mas-
senet au grade de commandeur et celle de M. Théodore Dubois au grade
d'ollicier, tous les deux aussi nos collaborateurs accoutumés pour la partie
musicale de ce journal. Complétons aujourd'hui la liste de ces nominations
faites a l'occasion du centenaire de l'Institut, en en prenant seulement ce
qui regarde directement les lettres et les arts. Nous trouvons encore l'élé-
vation au grade de grand-oiïïcier de M. Charles Garnier, l'éminent archi-
tecte de l'Opéra. Dans la section des commandeurs, nous devons citer
MM. Jules Claretie, l'administrateur général de la Comédie-Française,
Frémiet, le remarquable statuaire, et SuUy-Prudhomme, le délicat poète;
parmi les officiers enfin, M. Henri Houssaye, le dernier élu de l'Académie
française.
— Gomme nous l'avions annoncé, M. Théodore Gouvy, le très apprécié
symphoniste, devait aussi figurer sur cette liste en qualité de membre
correspondant de l'Institut. Mais au dernier moment, on s'est trouvé arrêté
par des questions de formalité. On ne savait où prendre M. Gouvy, qui
n'habite pas la France, et on n'a pu avoir de lui les renseignements néces-
saires. C'est donc partie remise.
— Mais la musique n'aura pas chùmé pour cela. Et à défaut de M. Gouvy,
nous trouvons parmi les chevaliers de la Légion d'honneur du ["janvier,
M. Josset, compositeur de musique, parait-il. Les mérites de M. Josset ne
sont peut-être pas très connus, mais ils n'en sont pas moins certains
puisqu'un ministre aussi éclairé que M. Combes a su les découvrir. De son
coté, la chancellerie de la Légion d'honneur a fait chevalier M. Golomer,
qui professe dans les maisons d'éducation de ladite Légion d'honneur, et
qui est d'ailleurs un musicien délicat.
— A signaler encore, parmi les heureux élus du l" janvier, M. Bernheim,
l'aimable commissaire du gouvernement près les théâtres subventionnés,
des artistes comme M. Cornu, statuaire, et Chigot, peintre, des hommes de
LE MENESTREL
lettres comme MM. Belon, Case et Ferrari, enfla le charmant desinateur
Fraipont, bien connu des anciens abonnés du Ménestrel, car, de son gracieux
crayon, il illustra nombre de titres de nos morceaux de musique.
— Cette semaine, à l'Opéra-Comique, le jeune ténor Leprestre a pris
possession du rôle d'Araquil dans la Navarraise et y a très bien réussi. En
même temps, le baryton Karloni remplaçait M. Bouvet dans le rôle du
général; belle voix et comédien intelligent. Tous les deux ont été très
applaudis. Anita, c'est toujours M'"^ de Nuovina, farouche et superbe
d'énergie.
— M. Carvalho aurait, dit-on, quelque velléité de reprendre Bon Juan
avec M. Bouvet. M"'= de Nuovina chanterait donna Anna et M""= Bréjean-
Gravière donna Elvire.
— Les dates des concours pour les grands prix de Bome en 189ti vien-
nent d'être fixées par l'Académie des Beaux-Arts, ainsi que celles des
opérations du jury. En ce qui concerne le concours de composition musi-
cale, le concours d'essai est fixé au samedi 2 mai, et le jugement définitif
au samedi 27 juin. Los cantates (poésie) devront être déposées au plus tard
le m mai.
— Parmi les nouveautés qui seront données aux prochains concerts de
l'Opéra, on cite, une Sulamile de M. Audigier, une Saiide Cécile de Charles
Lefebvre, une suite de ta Belle au bois dormanl, de M. Georges Hue, le Saint
Georges, de M. Paul Vidal et des suites d'orchestre de MM. Busser et Hirsch-
mann.
— La matinée organisée par le comité du monument de Florian pour le
samedi 11 janvier, au théâtre de la Gaité, sera certainement une des grosses
attractions de la saison. Voici, entre autres numéros du programme, la
distribution presque complète de la pantomime il//r/,o l'Enchanteresse,
de M. Georges Boyer, musique de M. André PoUonais, dans laquelle
M"»» Adelina Patti reparaîtra devant le public parisien :
Mirka M"" Adelina Patti
Frida, sœur de Mirka Sibyl Sanderson
Hedwige, mère de Mirka X...
Une Vivandière croate Simon-Girard (Bouffes)
Un Génie Robin (Opéra)
Carlomir MM. .\lbert Lambert
Un Vieillard ' Paul Mounet
Zug Taillade
Le Chef croate Taskin
Le rôle de la mère de Mirka reste à distribuer. II sera fort probablement
joué par une personnalité dramatique très en vue. Au premier acte, grand
divertissement des fiançailles, réglé par M»"^ Mariquita et dansé par
M°"^ Adelina Patti, M"^ Lamotte et le corps de ballet de la Gaité. Au
deuxième acte, M™" Patti chantera. Voilà une distribution de pantomime
comme on n'en a jamais vu. Le bureau de location de la Gaité ne va pas
désemplir.
— M. Ed. Colonne est de retour à Paris, venant de Moscou, où ses
concerts ont eu, comme toujours, le plus grand succès. A signaler particu-
lièrement trois airs du ballet du tjid (Massenet), qui tous ont été bissés
d'acclamation.
— Parmi les ouvrages publiés ces temps-ci pour les enfants de 12 à
15 ans, il en est peu d'aussi amusants en même temps qu'aussi instructifs
que celui d'Oscar Comettant, notre confrère. Le brillant écrivain a su,
dans l'Homme et les Bétes, se mettre à la portée des jeunes intelligences
auxquelles il s'adresse ; il leur parle en véritable père de famille, leur
montre tous les bienfaits rendus par les meilleurs serviteurs de l'homme
et malheureusement aussi toute l'ingratitude que nous professons si sou-
vent à leur égard. De charmants dessins, très nombreux, illustrent ce
gracieux volume, qu'un père de famille peut donner à son enfant, garçon
ou fille, avec la certitude de l'instruire en l'amusant. Cet ouvrage de
notre excellent collaborateur, dont le nom est bien connu des lecteurs du
Ménestrel, est publié à la librairie Garnier frères.
— La Femme compositeur, par Eugène de Solenière. C'est le titre d'une bro-
chure qui contient une dizaine de notices sur divers compositeurs fémi-
nins, suivies d'une liste de femmes qui se sont produites sous ce rapport
avec plus ou moins d'abondance et de succès. Bien que cette liste soit
assez nombreuse, on est étonné d'y constater l'absence de certains noms,
dont plusieurs fameux, qui avaient droit à y trouver place. Pour n'en citer
que quelques-uns, nous rappellerons ceux de M""" Jacquet de Laguerre,
de M"« Duval, de M"» Beaumesnil, de M""^ de Vismes, qui toutes quatre
se sont produites à l'Opéra, de Lucile Grétry, de Florine Dézèdes, de ,Tulie
GandeiUe, qui se sont tait jouer à la Comédie-Italienne ou àl'Opéra-Gomique,
puis ceux de M"'= de Montgeroult, de la reine Hortense, de M""' Damoreau,
et encore ceux de M^'^ Pauline Viardot, Ugalde, Zélie CoUinet, Renaud-
Maury, etc., etc. Il manque encore à notre littérature musicale un travail
complet, exact et bien fait, sur ce sujet qui est loin de manquer d'intérêt.
A. P.
— Aujourd'hui dimanche, l'orchestre Colonne donnera à Lille un grand
concert au profit d'une œuvre de bienfaisance, avec le concours d'un jeune
virtuose violoncelliste de grand talent, M. Marix Laêvensohn, que de
récents succès à Londres ont mis tout à fait en lumière.
De Lyon : La Vivandière, de M. Gain et Benjamin Godard, a obtenu au
Grand-Théiitre un très réel succès. Le sujet, rapide, bien conçu, remar-
quable même au point de vue scénique avec ses alternances de comique et
de pathétique, a beaucoup plu. La musique de Benjamin Godard n'offre
rien de particulièrement transcendant; mais elle a l'avantage de s'adapter
admirablement à l'action. La partition abonde en motifs aimables, mélo-
diques, bien venus sinon toujours très originaux. Plusieurs pages, comme
le finale du ^' acte et l'amusante Fricassée, qui ont été bissés, la partie
symphonique du 3'= acte, sont du meilleur filon. L'orchestration, due,
ainsi qu'on sait, à la plume habile de M. Paul Vidal, est remarquablement
pondérée, sonore sans tomber dans l'excès. M. Vizentini a monté /a Vivan-
dière avec un grand luxe de décors et de costumes. L'interprétation est de
tout premier ordre. M°"' Deschamps-Jéhin prête au rôle de Marion l'éclat
de sa magnifique voix et l'intérêt d'un personnage fouillé jusqu'à ses
moindres détails. Son succès a été considérable. A côté de l'éminente
artiste il convient de louer M. Gluck (Georges de Rieul) ; M. Ghalmin,
très amusant dans le sergent La Balafre ; M. Huguet (le capitaine Bernard) ;
M"= Duperret, une touchante Jeanne ; enfin MM. Romieu, Larbaudière,
Thomérieu et Garret. La Vivandière va certainement fournir une fructueuse '
carrière, qui permettra à la direction de préparer à loisir le Rêve de
M. Bruneau, et la Statue de M. Reyer, encore inédite ici. J. Jemain.
— A Pau, toujours grande allluence aux beaux concerts symphoniques
si artistement dirigés par M. Ed. Brunet. Sur les deux derniers programmes,
nous relevons les noms de Em. Bernard, B. Godard, Cherubini, Glinka,
Massenet (Nocturne de la Navarraise), Meyerbeer, Léo Delibes (Suite de
Sylvki), Saint-Saëns, Berlioz, Goldmark, Borodine, Franck, Wagner et
Lalo (ouverture du Boi d'Ys).
— On nous écrit de Bordeaux : Après le grand succès remporté au der-
nier concert du Cercle philharmonique, M"' Clotilde Kleeberg a donné un
récital. Plusieurs des morceaux de son programme, qui comprenait du
Bach, Beethoven, Schumann, Brahms, Th. Dubois (les Poèmes sylvestres en
entier), G. Fauré, E. Redon, etc., ont été bissés, et, de plus, la gracieuse
artiste a dû ajouter trois études de Chopin à la fin de la séance. Dimanche
dernier elle faisait ses adieux au public bordelais en se faisant entendre
au 3'' concert populaire de la Société de Sainte-Cécile, et là encore, sous
la direction de l'excellent chef d'orchestre M. Gabriel-Marie, le succès de
l'éminente virtuose a été vraiment étourdissant.
— La société d'Art vient de donner sa 21= audition. M. Mimart, secondé
par un jeune pianste, M. Wurmser, y a mis en lumière une sonate pour
piano et clarinette de M. Anselme Vinée. L'œuvre nouvelle, inédite encore,
est fort intéressante. On y a apprécié aussi des mélodies vocales et sédui-
santes de M.Camille Andrès, dites par M"« Éléonore Blanc avec le plus
délicieux talent, et des morceaux de piano de MM. Emile Bernard
(impromptu) I. Philipp (Barcarolle) Edmond Laurens (Papillon), une pièce de
concert d'un brillant effet, remarquablement joués par M™ Carembat, des
jolies valses à quatre mains de M. Charles René, un andarite pour violon
de M. Boëllman, bien dit par M. Tracol. La séance avait commencé par
un trio de M. Boëllmann.
— Soirées et concerts. — M"' Vieuxtemps vient de faire entendre ses élèves.
On a surtout remarqué M"" Salomon, Ferrand, de Fleurelle (/es trois Belles Demoi-
selles, Pauline Viardot) et Quainon (air deJeande Nivelle, Léo Delibes). — M»' Mars
chaud a donné une audition d'élèves dont toute une partie était consacrée aui
œuvres de Diémer. Succès pour l'auteur et les charmantes interprètes, et aussi
pour M"" Rose Delaunay, qui prêtait son gracieux concours et a fort bien chanté
la Fauvette. — M"° Duranton a donné, salle Érard, une audition des œuvres de
Gabriel Fauré et de A. Périlhou. Dans la première partie, à signaler quelques
élèves de l'excellent professeur: M"" Panny d'.A., .Antoinette B., Marie-Thérèse B.
et M"° G. L. Dans la deuxième partie, la Fantaisie, de Périlhou, exécutée par
M"° Duranton et l'auteur, a eu un immense succès, après une exécution
magistrale; M"° Duranton, seule, a tenu l'auditoire sous le charme en jouant
avec une délicatesse exquise Werther, paraphrase de A. Périlhou. — M. Bernard
a donné une soirée au cours de laquelle on a tout particulièrement applaudi
M. Manoury et M"" Bernard dans le duo d'Hamlel et M"° Bernard, seule, dans
l'air du Mysoli de- la Perle du Brésitet dans l'Ave Maria de Gounod, accompagné
par M»° Dreyfus et Verdie de Saula.
NÉCROLOGIE
On annonce de Bruxelles la mort, à l'âge de 34 ans seulement, de Frantz
De Mol, compositeur, maître de chapelle et organiste aux églises de
Notre-Dame-de-la-Chapelle et de Notre-Dame-de-Bon-Secoun. Ce jeune
artiste appartenait à une famille qui semblait vouée au culte de la
musique, en même temps qu'elle est éprouvée d'une façon singulièrement
douloureuse. Il était frère de Guillaume De Mol, ancien prix de Rome,
de F. -M. De Mol, auteur d'un opéra, le Chanteur de Médine, représenté
naguère à la Monnaie ("tous deux morts à l'heure présente), et de M. Joost
De Mol, ancien chef d'orchestre au Théâtre flamand, et neveu de M. P.
De Mol, ancien prix de Rome, directeur de l'École de musique d'Alost
— A Cologne vient de mourir, à l'âge de 32 ans, Gustave Jensen, artiste
distingué qui depuis de longues années était professeur de théorie musi-
cale au Conservatoire de cette ville. Sans atteindre à la haute renommée
de son frère, le compositeur Adolphe Jensen, il s'était fait pourtant une
notoriété de compositeur de lieder et de musique symphonique.
Henbi Heugei,, directeur-gérant.
LE MENESTREL
Soixaïite-d-euxlèrrie axinée d© publication
PRIMES 1896 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
, les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers prolesseurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, ch.ique dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le ClIA^T ou pour le PIAIVO, de moyenne dilBculié, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CIIA\T et PIAiWO.
C xi A. JN T d" MODE D'ABOMEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
J. MÂSSENET
LA NAVARRAISE
ÉPISODE LYRIQUE 2 ACTES
Poème de
J. CLARETIE et ET. CAl^V
AUGUSTÂ HOLMES
LA VISION DE LA REINE
GRANDE SCÈNE POUD VOIX DE FEMMES
(So/i et chœurs)
Acc piaxxo, violoxicelle, liarpe
ÉDODARD 6RIEG
CHANSONS D'ENFANTS (7 N-)
ANDRÉ GEDÂLGE
VAUX DE VIRE (8 N-)
(Les deux recueils pour une seule prime.)
J. MASSENET
POÈME D'UN SOIR (3 N°»)
C. RLANC & L. DAUPHIN
CHANSONS D'ECOSSE (lo N-)
(Les deux recueils pour une seule prime.)
Ou à l'un des trois Recueils de Mélodies de J.
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n"'), un volume relié in-8", avec illustrations en couleur d'ADHIEN IflARIE
X^ JL A. JN O (£= MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
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LA NAVARRAISE
ÉPISODE LYRIQUE 2 ACTES
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LES BEAUX JOURS
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LES JOURS PLUVIEUX
34 petites pièces pour piar
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OU à l'un des volumes in-S» des CLASSIQUES-MARMONTEL: MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à l'un des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrilp autographes des principaux pianistes - compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire de
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne, ou STRAUSS, de Paris.
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A L'
{i' Mode) :
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Iciylle ca.r"Ei,in.Êit;±cï:-u.^ erx S ^.cti
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d'après le roman de FERDINAND FABRE
THÉÂTRE
L'OPÉRA-COMIQUE
MUSIQUE
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THÉor>ortE] i>xj^ois
Avec un dessin inédit de Jules Lefebvre.
NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont «lélivrées sratuitpnMut iliiiis nos bnre:iux, 3 bis. Pue Vivieune, à partir ilu 15 Héccmbi-e lgt).>,à tout ancien
ou nourel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement an IIBiXESTRBli pour l'année I89G. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'l].\ ou de DEUX francs pour l'euToi franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour l'Utranger, l'cnTOi franco
des primes se rè^le selon les frais de Poste.)
Ifs abonnés auChanl peuvent prendre la primePiimo el ïice versa.- Ceux au Piano et au Clianl réunis ool seuls droit à la grande Prime.- Les abonnés au le Jlc seul n'ont droit à aucune prime.
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Prima. Paris et Pruvinne, un an : 20 francs; Étranger : l-'rais de posie en sus.
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Scènes, Mélodies, llomances, paraissant de quinzaine en quinziine; i Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Etranger, i''i
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el Province; Étranger ; Poste en sus.
i" fJcie. TE.ÏTE SEUL, sTns droit îiux primes, un an: 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 32 numéros de chaque année forment collecti,in.
Adresser franco un bon sur la poste à iH. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
X, HUE QEitcÈnE, 20, PARIS. — iiicre '.oriUeni;
Diinaiiche 12 Janvier 1896.
3381. — 62"^ ANNÉE — i\"> 2. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Une chanson du seizième siècle, Julien Tieiisoi. — II. Semaine tliéâlrale : Le
Tliéâtre-Lyrique, informations, impressions, opinions (10" article), Louis
Gallet. — III. Molière etia trompette marine, E. de Bricqueville. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour :
ÉGLANTINES
nouveau lied de Robert Fischhof. — Suivra immédiatement : Le Dernier
Reiidcz-vous, sonnet de Camille du Locle, musique de Ehnest Reyer.
MUSIQUE DE PIANO
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PIANO : Par le sentier fleuri, de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement :
Brises du cœur, valse de Philippe Farbach.
PRIMES POUR L'ANNEE 1896
{ Voir à la 8° page du précédent numéro. )
UNE CHANSON DU SEIZIÈME SIÈCLE
RESTÉE DANS LA TRADITION POPULAIRE
Dans un précédent article, expliquant les différences caracté-
ristiques entre les chansons populaires et semi-populaires,
j'énonçais l'opinion que ces dernières, non sorties du peuple
mais simplement adoptées par lui, avaient chance d'être
oubliées bien plus toi, et qu'il était rare de voir ces chansons,
même celles qui avaient eu la plus grande vogue en leur
temps, traverser les siècles en se transmettant oralement,
comme les premières.
Mais il n'est pas de règles si rigides qui n'aient leurs
exceptions; et précisément aujourd'hui je viens signaler une
chanson semi-populaire qui a pu être retrouvée de notre
temps, cette année même, dans les souvenirs des chanteurs
populaires, mais qui, à l'origine, il y a au moins trois
siècles et demi, avait existé sous une forme artistique
éminemment distinguée, car, sous cette forme première,
elle n'est autre qu'une composition polyphonique du plus
grand mailre de la musique profane au XVP siècle : Rolmd
de Lassus.
Les Lecteurs modernes ont pu, tout récemment, refaire
connaissance avec celte chanson, car elle ouvre le livre de
Meslanges d'Orlamle de Lassus par lequel M. Henry Expert a
inauguré sa belle collection des Maîtres musiciens de la
Renaissance française. Encore ce livre, dont l'original parut en
JS76, n'esl-il pas le premier dans lequel la chanson ait
été imprimée, mais elle figurait déjà, vingt et un ans aupara-
vant, dans une des premières publications musicales du
maître montois, le Primo libro dovesi contengono Madrigali, Villa-
nesche, Canson francesi, Molleti a qmUlro voci, imprimé à Anvers
en 1853.
Voici le texte de cette chanson :
Las ! voûlez-vous qu'une personne chante,
A qui le cœur no fait que souspirer ?
Laissez chanter celui qui se contente.
Et me laissez mon seul mal endurer.
Là s'arrête le texte chanté sur la musique de Roland de
Lassus. Mais nous savons par de nombreux exemples que
les chansons en parties de ce temps-là n'étaient le plus sou-
vent composées que sur les premiers couplels de leurs poésies,
ce qui n'empêchait pas celles-ci d'avoir un développement
beaucoup plus considérable.
Or, en parcourant récemment un des meilleurs livres de
chansons populaires recueillies de nos jours d'après la tradition
orale (livre dont le seul tort est de ne donner presque jamais
de musique et de se borner aux seules poésies des chansons),
les Chants populaires recueillis dans le pays messin, par M. le comte
de Puymaigre, j'ai été frappé au passage par la similitude du
début avec celui do la chanson savante du seizième siècle. Et
voici le texte complet de cette poésie, telle qu'elle fut. chantée,
il y a quelques années seulement, à l'auteur du recueil par
un paysan de Luttange, village de la Lorraine annexée :
Pourquoi vouloir qu'une personne chante
Lorsqu'ell' n'a pas le cœur en liberté?
Laissez chanter ceux que l'amour contente.
Et laissez-moi dans mon malheur pleurer.
Pleurez, mes yeux, pleurez mon sort funeste,
J'ai tout perdu en perdant mon Iris.
Ne cess'rez-vous de dire, ma maîtresse.
Ah ! rendez-moi ce que vous m'avez pris.
Que faut-il donc, belle Iris, pour vous plaire?
Faut-il mon sang? Il est prêt à couler.
Mais si mon sang ne peut vous satisfaire.
Faut-il ma mort? Vous n'avez qu'à parler.
Après ma mort vous pleurerez, je l'jure ;
Vous gémirez, il ne sera plus temps.
Vous pleurere''. dessus ma sépulture
En regrettant le plus funeste amant.
Prenez mon cœur et n'en prenez point d'autre;
Il est à vous, je n'y prétends plus rien.
Mais si j'apprends que vous en aimez d'autres.
Tout aussitôt je reprendrai le mien.
L'i comparaison du premier couplet de cette poosie iivec
10
LE MÉNESTREL
les quatre vers de la chanson de Roland de Lassus ne peut
laisser aucun doute sur l'identité des deux textes : l'on ne
peut même qu'admirer la sûreté de la mémoire populaire,
quand on songe qu'elle a su garder fidèlement ces vers pen-
dant si longtemps, — car les différences entre les deux stro-
phes sont insignifiantes, procédant seulement de la nécessité
instinctive éprouvée par les chanteurs de rajeunir par endroits
les expressions d'une langue devenue archaïque; mais chaque
vers a conservé son sens, sa forme et ses rimes, et le mouve-
ment général de la strophe est, dans les deux cas, identique.
L'on ne peut douter, de même, que la série des couplets
suivants appartienne à la chanson ancienne, et qu'on ait
chanté sur ces vers mêmes, au seizième siècle, les reprises
successives de la musique de Lassus.
Mais de toutes ces observations résulte évidemment cette
conclusion imprévue: que ni l'écriture ni l'impression n'ont
su nous conserver ce morceau, pourtant d'origine essentielle-
ment littéraire et savante, et que seule la mémoire du peuple
l'a apporté jusqu'à nous.
Je regrettais vivement, au moment oii j'ai été amené à
faire cette première confrontation, que le recueil moderne
n'eût pas donné la mélodie sur laquelle la chanson est res-
tée populaire en Lorraine : il n'eût pas été moins curieux de
constater s'il y restait aussi quelques traits communs avec la
musique contrepointée de Roland de Lassus.
Par un heureux hasard, j'ai été amené moi-même à remplir
cette lacune. Au cours de mon récent voyage dans les Alpes
françaises, accompli sous les auspices du ministère de l'instruc-
tion publique dans le but de recueillir les chansons popu-
laires conservées dans cette région jusqu'alors inexplorée à
ce point de vue, j'ai en effet retrouvé la chanson de la « belle
Iris » : même la version qui m'en fut chantée dans le Brian-
çonnais, outre que j'en pus noter l'air, était, au point de vue
des paroles, plus développée que la version lorraine : elle
avait en effet quatre couplets de plus. J'ai tout lieu de sup-
poser, d'ailleurs, que les trois derniers appartiennent à une
autre chanson, et sont venus artificieltement se souder à
la suite de la précédente, cas fréquent dans la chanson
populaire : la forme des vers et des couplets est la même ;
mais le sentiment est tout autre, et le caractère de ces trois
couplets est d'une inspiration bien plus franchement popu-
laire :
Dedans Paris, il y-a-t-il une fontaine,
Toute entourée de lauriers alentour.
Dans mon jardin, le rossignol y chante, etc.
Le principal intérêt de la trouvaille — indépendamment du
fait inattendu que la galante chanson de cour du XVP siècle
s'est conservée dans la mémoire des habitants d'un pays si
éloigné de tout centre de civilisation, — réside donc dans
la notation de la mélodie. La voici :
Assez leut.
Quand eU' n'a pas son cœur en ti.ber. té? Laissez chiin.
moi, et lais.sez moi dans mon malheur pieu . rer.
Et maintenant, comparons avec la musique de Roland de
assus.
On sait quels étaient les procédés de composition les plus
familiers aux musiciens du XV" et du XVI^ siècle. Les plus
anciens avaient coutume d'emprunter à un répertoire spécial
une mélodie préexistante et de la faire chanter plus ou moins
textuellement par une voix qu'accompagnaient les contre-
points des autres parties. L'usage original était de mettre ce
« chant donné » au ténor; puis peu à peu la partie de Supe-
rius tendit à l'emporter et prit le chant: pourtant, il resta tou-
jours quelque chose au ténor de son ancienne prépondérance.
Peu à peu, l'importance du chant antérieur diminua ; au
temps de Lassus, bien que l'usage n'en eût pas absolument
cessé, il arrivait souvent qu'aucun élément étranger ne s'in-
troduisait dans la composition harmonique, dont l'invention
appartenait dès lors entièrement au compositeur.
En est-il ainsi pour la chanson qui nous iatéresse? Eq tout
cas, dès la première inspection, il faut écarter l'hypothèse
que la musique écrite par Roland de Lassus ait pu devenir
populaire : elle est trop savante pour cela, et je tiens pour
certain qu'aucun esprit inculte, comme est celui des chan-
teurs populaires, n'en put jamais dégager aucune mélodie
précise. Si donc nous parvenions à déterminer une aaalogie
quelconque entre cette musique et la mélodie notée dans
les Alpes, il faudrait en conclure que c'est Roland de Lassus
qui a emprunté le thème de la chanson à la mélodie même
sur laquelle se chantaient antérieurement les paroles.
La composition est d'un style essentiellement polyphonique,
et l'on ne peut guère, tout d'abord, reconnaître une partie
pour être plus mélodique que les autres. En observant avec
soin, cependant, on voit un chant se préciser peu à peu, cela
tout justement dans la traditionnelle partie de ténor. Éla-
guant les notes parasites, mélismes, répétitions, etc. et donnant
à la notation, par l'emploi de valeurs plus brèves, uq aspect
plus moderne, voici quelle mélodie j'ai pu extraire de cette
partie :
seul mal eu - du , tet, mon seul mal
L'on ne saurait dire évidemment qu'il y ait identité entre
les deux formes de mélodies. Et cependant, malgré les diffé-
rences considérables, il existe entre elles de grandes analo-
gies. La tonalité est la même; les cadences finales de chaque
vers tombent presque toujours sur les mêmes notes ou sur
des notes appelant harmoniquement le même accord (cela est
très important, car si, dans la transmission des chants popu-
laires, les altérations portent presque toujours sur les des-
sins purement mélodiques, par contre le sentiment harmo-
nique latent, virtuellement contenu en quelque sorte dans
le chant, est toujours fidèlement respecté); même il est cer-
tains mouvements mélodiques qui, sans être absolument
semblables, présentent néanmoins de frappantes analogies:
je citerai notamment le dernier vers: « Et laissez moi dans
mon malheur pleurer », comme comportant de notables res-
semblances, surtout au commencement et à la cadence finale.
Au reste, il est plus que probable que les paysans des
Hautes-Alpes ne chantent plus la chanson exactement comme
LE MENESTREL
dd
on la disait à la cour d'Henri II : nul doute qu'ils y aient
introduit des intonations qui correspondent mieux à la rus-
ticité de leur nature; il se pourrait donc que leur mélodie
dérivât elle-même d'un autre chant plus conforme à celui de
Roland de Lassus. Et pour ce dernier il n'est pas douteux
que, loin de reproduire exactement l'air antérieur, il en soit,
en passant dans l'œuvre polyphonique, devenu en quelque
sorte la variation.
Quoi qu'il en soit, l'ancienneté de la chanson , paroles
et musique, est bien établie, et cet exemple, fùt-il unique
dans son genre, est suffisant pour démontrer combien est
reculée l'origine des chansons exclusivement conservées par
la mémoire populaire. Car si cette mémoire a pu garder si
longtemps et fidèlement un chant tout artificiel, littéraire et
nullement destiné à la transmission orale, combien ne doivent
pas être plus anciens ceux qui, sortis du peuple, conçus
pour lui et par lui, nous sont parvenus parfois en si mauvais
état, incomplets, altérés, — en ruines, en quelque sorte, —
conservant toutefois cette forte saveur qui reste toujours à
ce que la nature a produit directement?
Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
LE THEATRE-LYRIQUE
INFOBMATIONS — IMPBESSIONS — OPINIONS
La clôture de l'exercice 1893 va donner très probablement, au
conseil municipal, l'occasion toute neuve de reprendre l'étude
de la création du Théâtre-Lyrique. On m'affirme que le rapport sur
cette affaire émanera très prochainement de M. Deville. La grosse
question financière y sera certainement traitée, et les membres de
la grande assemblée municipale pourront prendre une résolution et
en réaliser les effets, avec cette promptitude qu'ils savent mettre aux
choses qu'ils ont vraiment à cœur; et celle-ci est du nombre, il n'en
faut pas douter.
Trop de sympathies l'entourent, trop d'encouragements d'en hant
lui viennent, pour que nous n'ayons pas, cette année, ce Théâtre-
Lyrique dont la nécessité s'impose, de plus en plus impérieuse, en
présence du flot montant des œuvres nouvelles, de la diffusion de
plus en plus grande du goût musical.
Au théâtre, la musique est partout chez elle maintenant. Le drame
l'a épousée; il n'est pas à la Comédie-Française, par exemple,
d'œuvre un peu marquante qui se passe de sa compagnie. D'autre
part, le nombre des concerts se mulliplie et on s'ingénie a y pré-
senter, dans les meilleures conditions possibles, à l'état fragmen-
taire, certains onvrages dramatiques inédits.
Les concerts de l'Opéra, notamment, ont affirmé cette tendance
louable à la vulgarisation des œuvres de la nouvelle génération de
compositeurs qui, encore un peu, va devenir, comme celle des jeunes
médecins, comparable à la postérité d'Abraham. Les uns fatalement
vont manquer de malades et les autres de théâtres, dût-on inventer
de nouveaux microbes ou fonder dix théâtres lyriques au lieu d'un.
Si brillants et réussis que soient ces concerts de notre Académie
nationale de musique, quelque considérable succès qu'ils aient ob-
tenu, ils ont été, il faut bien le dire, en ce qui touche la musique
dramatique, un excitant plutôt qu'une satisfaction. Ils ont fait voir
plus clairement l'absolue nécessité de la création d'un troisième
grand théâtre musical, car, mettant en lumière quelques jeunes
symphonistes, ils ont, en quelque sorte, d'autre part amoindri les
compositeurs de pure essence dramatique.
Les œuvres conçues pour le concert seul y ont, en effet, éclaté de
toutes leurs qualités réunies. Rien de ce que leurs auteurs y ont
voulu mettre ne leur a fait défaut. Il n'en a pas été malheureusement
de même des pages choisies dans les partitions destinées au théâtre.
A l'audition de ces fragments, on a sans doute pu constater la valeur
professionnelle des compositeurs, mais il y a manqué le principal
agent du succès : la vie, le mouvement dramatique, l'action, en un
mot, sans laquelle un opéra, un drame lyrique, ne peut se faire juger
, en son inlégrité absolue. Il y a des Irons, des vides, ce qu'on appelle
à la scène « des loups ». L'attention s'y fatigue, et l'œuvre y perd
considérablement.
Il est à croire que les jeunes essayistes, d'abord pleins d'ardeur
pour ces expériences qui allaient les mettre face à face avec le
public, y regarderont à deux fois maintenant avant de monnayer au
concert un ouvrage dramatique, à moins que ce soit seulement pour
en détacher une grande page instrumentale, comme cela fut fait pour
l'ouverture du Roi d'Ys et pour celle de Sigurd. S'ils sont prudents
et ménagers de leur avenir, ils se garderont comme du feu de risquer
une scène comme celle de Fervaal ou celle du Duc de Ferrare ; ils ne
peuvent sortir que diminués d'une telle épreuve.
Mais un vaste champ reste aux organisateurs de ces beaux concerts,
comme aux musiciens appelés à en défrayer les programmes. A côté
de fragments d'ouvrages dramatiques classiques ou bien connus, et
qui, eux, ne risquent rien à cette réédition, au contraire, puisqu'elle
évoque parfois 1res heureusement le souvenir d'une exécution drama-
tique intégrale et en prépare la reprise, comme cela s'est passé poui
certains fragments du Roi de Lahore et plus récemment de Prose?'pine,
on entendra, avec un intérêt de plus en plus vif, des œuvres poly-
phoniques écrites sans préoccupation de la scène, etparoîi cependant
des tempéraments dramatiques se peuvent révéler.
Les concerts de l'Opéra concourront donc ainsi à l'argumentation en
faveur du Théâtre- Lyrique, non par le débit imprudent des ouvra-
ges inédils destinés au théâtre, mais par la mise en relief de person-
nalités armées pour la conquête du théâtre.
Maintenant, si tout nous dit et concourt à nous prouver que nous
aurons, cette année, le Théâtre-Lyrique, rien ne nous dit de quelle
façon nous l'aurons, sous quelle forme, et oh.
On parle de combinaisons qui mettraient les trois grands théâtres
de musique enlre les mêmes mains. Il faut réserver l'examen des
avantages et des inconvénients de cette problématique Triplice pour
le moment oîi elle se produirait.
Il y a encore la conception que nous appellerons celle des étoiles
doubles, dont l'une brillerait à la place Favart, et l'autre à la place
du Châtelet, sous l'œil d'un unique dieu.
Il y a le projet Morlet, plus modeste, qui par&it en passe d'aboutir.
Il a au moins la valeur de l'indépendance, se présentant affranchi
de toute servitude née de la poursuite d'une subvention.
11 y a enfin d'autres idées ; des nébuleuses, qui vont se condenser
certainement, dès que se sera ouverte une voie propre à leur évolution.
Ce qu'il y a par-dessus tout, non de tangible encore, malbeureuse-
m ent, c'est une bonne et ferme intention de bien faire, intention
affirmée dans les sphères officielles, qu'on les explore dans la région
de l'Hôtel de Ville ou dans celles du Corps législatif et delà direction
des Beaux-Arts.
« Bien insuffisante, dit notamment M. Maurice Faure, rapporteur
de la Commission du budget pour les Beaux-Arts, bien insuffisante
est une seule scène pour l'opéra-comique, où excellent particulière-
ment nos auteurs, et très désirable serait la fondation d'un Théâtre-
Lyrique. Il conviendrait de hâter, pour la faciliter, la construction
du nouvel Opéra-Comique, en activant les travaux, dont la lenteur
est vraiment déplorable. On donnerait ainsi au conseil municipal de
Paris, qui a mis à l'étude la création d'un Opéra Populairejle
moyen de réaliser ce projet dans la vaste et belle salle, devenue
libre, de la place du Châtelet. »
Pour .aujourd'hui nous resterons sur ces bonnes paroles, qui asso-
cient très heureusemant la Ville et l'État dans une commune pen-
sée très favorable à notre renaissance musicale.
Louis Gallet.
MOLIÈRE ET LA TROMPETTE MARINE
Peu de personnes, même parmi les musiciens, savent au juste en
quoi consiste une trompette marine. Mais, silôt le nom prononcé, tout
le monde est prêt à citer le Bourgeois gentilhomme :
LE MAITRE DE MUSIQUE
!' Il nous faudra trois voix... qui seront accompagnées d'une basse de
viole et d'un clavecin pour les basses continues.
M. JOURDAIN
Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est
un instrument qui me plaît et qui est harmonieux.
g_ Il n'en a pas fallu davantage pour vouer l'instrument à un ridicule
éternel. Ouvrez par exemple, le catalogue du Musée du Conserva-
12
LE MENESTREL
toire, dressé par Gustave Chouqiiel. Vous y lirez ceci : « la trompette
marine, dont Molière s'est spiritucUemeiil moqué ». H est probable
que si l'illustre comique n'avait jamais trouvé de trait plus spirituel,
sa gloire eût été un peu amoindrie.
Kastner lui-même, le docte Kastner, si bien documenté d'ordinaire,
tombe dans l'erreur commune : « C'était, — dit-il dans sa Parémio-
logie mw^icale, — c'était l'instrument de M. de Pourceaugnac (le
lapsus est un peu fort, mais passons), ce qui prouve que du temps
de Molière, la trompette marine était déjà tournée en ridicule. »
Or, est-il vrai que Molière se soit à ce point moqué de la trom-
pette marine ? Assurément, si l'on se représente l'instrument comme
une conque, un coquillage en spirale, tel qu'en emboucbent les
dieux de plomb des bassins de Versailles, le choix de M. Jourdain
parait au moins bizarre.
Mais tout autre est l'appareil. Figurez-vous la caisse d'une harpe,
surmontée d'un maache fluel, qui, lui-même, se termine en une
tète on crosse, le tout mesurant de ■[",80 à 2 mètres et quelquefois
plus de hauteur.
A vrai dire, la construction de l'appareil sonore est généralement
très simple. Le fond se compose de trois, cinq ou sept pans de bois
d'érable, passé au même vernis que les violons ou les violoncelles;
la table est de sapin ou de cèdre, quelquefois ornée d'une rosace
découpée ; enfin, il n'est pas rare qu'une tête d'homme ou un masque
de lion décore l'extrémité du cheviller. Il n'y a rien là. ou l'avouera,
de plus grotesque, quant à l'aspect, que ce qu'on voit en une contre-
basse, un basson, un serpent ou un trombone.
Le long de la pyramide que nous avons décrite, une seule corde est
tendue : elle porte, vers son extrémité inférieure, sur un chevalet en
forme d'arc surbaissé, dont les deux pieds sont de hauteur inégale :
l'un adhère à la table d'harmonie ; mais l'autre, plus court d'une
ligne ou deux, tremblote sur une petite plaque d'ivoire, de corne ou
de verre.
L'exécutant, étendant l'instrument devant lui de manière que la
crosse porte à peu près au-dessus du sein gauche, attaque la corde
avec un archet do forte dimension, non pas à hauteur du chevalet,
mais immédiatement au-dessous du sillet, et le pouce de la main gauche
eflleure la corde aux endroits précis où. celle-ci peut donner ses
harmoniques naturels. Il ne s'agit donc plus ici de monocorde
proprement dit, simple appareil de physique à l'aide duquel les
théoriciens du moyen âge étudiaient la hauteur mathématique des
sons, mais d'un véritable instrument de musique.
Donc, de ces trois artifices :
i" Frottement de la corde vers son extrémité supérieure,
2° Production systématique des aliquotes du son principal,
3° Frémissement du chevalet sur une plaque de matière dure qui
en renforce l'intensité,
résulte une sonorité spéciale qui imite à s'y méprendre celle d'une
trompette ordinaire.
Nous en avons pour garant, outre notre propre expérience, le
témoignage de tous les autours anciens qui ont traite de l'organo-
graphie, en particulier de La Hire, le savant physicien qui consacre à
l'étude de la trompette vingt pages grand in-4° des Mémoires de l'Aca-
démie des Sciences (t. IX 1699) et, plus récemment, de l'Encyclopédie.
Le rédacteur de l'article inséré dans ce recueil n'a point du tout l'air
de trouver dans la phrase de Molière une « plaisanterie spirituelle ».
Toutefois, la construction de l'appareil présentait d'assez grosses
difficultés. Le point délicat, c'était de régler exactement le chevalet.
Pour peu que le pied destiné à trembler touchât à la table, l'elfet
ne se produisait pas et l'on ne percevait plus que le grincement de la
corde. L'intervalle, au contraire, était-il trop grand, dans ce cas la
série des chocs n'étant plus assez rapide pour constituer un sou
musical, il ne résultait do l'ébranlement du chevalet qu'un bruit
rauque, discontinu, épouvantable.
La plupart des trom;^)ette3 marines qui sont arrivées jusqu'à nous
ont perdu leur chevalet. Si cet accessoire indispensable n'a pas élé
replacé selon toutes les règles, il est certain que le résultat obtenu
justifie l'opinion do ceux qui voient, dans la phrase de Molière, une
désignation au ridicule.
Ce n'est pas tout. Le chevalet bien ajusic, il fallait encore déter-
miner le point précis oîi il devait recevoir l'encoche pour la corde. El
cette corde, il était nécessaire, en la choisissant, d'en bien calculer
la force en vue des harmoniques qu'elle devait produire. Le Père
Merscnne conseille « d'user de grosses corJos de raquettes qui sont
faites de douze boyaux de mouton ».
On devine que toutes ces opérations prélimioaiies exigeaient du
temps, de la patience et surtout une main expérimentée. Il fallait
alors fdire sonner l'instrument, ol ici, d'après tous les auteurs
anciens, la difficulté était telle que l'on rencontrait peu de musiciens
capables de la surmonter à l'entière satisfaction des auditeurs.
Nous ne jugerions pas de la qualité d'un violon, fùt-il de Stradi-
varius, en l'entendant racler par un ménétrier. Pouvons-nous avoir
une idée juste de la valeur musicale d'un instrument qui nous arrive,
après deux siècles d'abandon, tout désemparé, monté d'une corde
de hasard, d'un chevalet grossier et joué en dehors des principes
élémentaires?
Il est certain que la trompette marine fut, en son temps, appréciée
surtout dans les couvents de femmes oîi se donnaient fréquemment
des auditions musicales. Il était plus facile aux nonnes de frotter
une corde que d'emboucher un tube de cuivre. Nous ne connaissons,
en fait de musique spécialement composée pour l'instrument, que
trente-six petits morceaux insérés par un auteur a Uemand.J. M. GetHe,
d'Augsbourg, dans un recueil intitulé : Musica genialis germanico
lalino. 4674.
Le compositeur italien Cavalli avait déjà introduit dans son opéra
do Serse une entrée de matelots jouant de la trompette marine. L'ouvrage
fut représenté devant la cour de Fiance, au Louvre, le 29 novem-
bre 1660.
Celte idée d'armer des matelots d'une trompette marine implique
une pétition de principe. On n'a jamais su pourquoi la trompette
monocorde s'était décorée de cette épithète, et aucune des explica-
tions qu'on a voulu donner n'est admissible. Quelques-uns y ont vu
une altération du mot mariana, la trompette en question étant
employée surtout dans les couvents à accompagner les hymnes en
l'honneur de la Vierge Marie. Nous donnons l'étymologie pour ce
qu'elle vaut... et elle ne parait pas valoir grand'chose. En Allemagne,
on l'appelle encore aujourd'hui Trummscheit, Nonnenbass, NonnentrompetI
ou mieux Nonnengeige, « violon de religieuse », d'après son affectation
la plus usuelle ; le terme primitif était Timpanischiza. Quoi qu'il en
soit, l'art des constructions navales n'a rien à voir là-dedans.
Saisit-on maintenant les raisons qui engageaient Molière à tourner
on ridicule la trompette marine, plutôt que la basse de viole, le
ihéorbe ou le clavecin ?
Trouvait-il dans ce mot quoi que ce soit qui pût exciter le rire
parmi un public familiarisé de longue date avec l'aspect et le son de
l'instrument? Ce qui est comique, c'est la prétention du bourgeois
gentilhomme de vouloir introduire dans sa musique de chambre,
parmi les violons, les théorbes et les clavecins, cet instrument
bruyant destiné à sonner en plein air ou à faire sa partie dans un
orchestre complet. C'est comme si l'on engageait un trombone à
venir concerter avec des violons et des mandolines. L'idée serait
saugrenue, sans que le trombone perdît pour cela la considération
qu'il mérite.
Et encore, qui pourrait affirmer que, du temps de Molière, il ne se
trouvait pas un virtuose capable de se faire applaudir sur la trompette
marine, même dans un salon, comme ont su le faire, de nos jours,
Vivier sur le cor et Bottesini sur la contrebasse?
En somme, il n'y a pas d'instruments ridicules.
Il n'y a que de sots musiciens.
EUG. DE BftICQUEVILLE.
:t^OUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (0 janvier) :
Une nouvelle, tout d'abord. A la suite du succès à'Evangéline, la direc-
tion de la Monnaie a immédiatement reçu le drame lyrique, nouvellement
terminé, de M. Xavier Leroux, William Ratctiff, dont les concerts Colonne
ont exécuté naguère des fragments. L'ouvrage, tiré du poème de Henri
Heine, est en trois actes et quatre tableaux ; il fera partie du programme
de la prochaine saison théâtrale et aura pour principaue interprètes,
choisis dès à présent, M. Seguin et M"" Georgette Leblanc, — si M"" Le-
blanc, comme on l'espère, fait encore partie l'an prochain de la troupe de
la Monnaie.
Hier on a i épris le Roi d'Ys pour M'"" Landouzy, qui nous quitte mal-
beureusement à la fin du mois. On saitque c'est elle qui créa à Bruxelles,
il y a quelques années, le rôle de Rozenn dans le charmant et savoureux
ouvrage de Lalo. Elle y a été, hier comme alors, pleine de gentillesse et
de grâce, dessinant avec une finesse élégante les pittoresques mélodies
bretonnes qui donnent tantde pittoresque et de couleur à cette belle par-
tition. On a applaudi, à coté d'elle, M. Seguin, un superbe Karnac, et
M"" Armand, pleine d'autorité et d'expression dans le rôle de Margared.
Celui de Mylio convient peu à M. Gibert. L'orchestre a été remarquable,
et l'exécution très brillante.
En attendant le Tannhailser, — qui sera, avant Tlidïs, que Ton répète
Lt; MÉNESTREL
13
régulièrement, la prochaine grande « première » attendue, — nous aurons,
ce mois-ci encore, une reprise de la Fille du Régiment avec M'"» Landouzy,
la reprise du ballet de M. Flon, Myosotis, et l'acte inédit de feu Rag-
ghianti, Jean-Marie (orchestré par M. Paul Gilson), d'après le drame de
M. André Theuriet. Enfin, j'apprends à l'instant que, le mois prochain,
M"' Van Zandt viendra nous donner quelques représentations. Ce sera
pour la Monnaie une attraction spéciale, la créatrice de Lakmc n'étant
jamais venue à Bruxelles.
Nous avons eu, en ces temps derniers, deux concerts particulièrement
intéressants. Au Conservatoire, l'exécution de la grand'messe de Bach a
été admirable, et l'impression en a été profonde. M. Gevaert avait préparé
longuement, laborieusement, cette séance importante et en avait fait une
solennité. Le chef-d'œuvre du vieux maître a été rendu dans tout son
caractère, l'ampleur de son style et la grandeur de ses belles lignes,
sobres et imposantes. Le Conservatoire de Bruxelles, outillé comme il est,
et dans les conditions où se donnent ses concerts, est véritablement seul
capable aujourd'hui de pareils tours de force, — seul capable surtout d'y
apporter une pareille perfection, rappelant les belles solennités d'autre-
fois, aux festivals rhénans. Et c'est d'ailleurs la gloire, — et c'est, pour-
rait-on dire aussi, la récompense, — du grand artiste qui lo dirige, et qui
y met à la fois tant de science et tant d'ardeur.
Au Cirque royal, enfin, ont été inaugurés, dimanche, les concerts de la
Société symphonique de M. Eugène Ysaye. L'orchestre, composé de musi-
ciens pris en m-ijeure partie en dehors de l'orche.atre de la Monnaie, a
exécuté d'une façon très vivante et très correcte en même temps, et un
peu dans les traditions nouvelles allemandes, plus simples que les tradi-
tions ordinaires, la symphonie en ut mineur de Beethoven, un pittoresque
poème de M. Henri Du-parc, Lénore, la Marche joyeuse de Ghabrier et des
fragments symphoniques de notre compatriote M. Gustave Huberti. Dans
tout cela, M. Eugène Ysaye a fait preuve d'autant d'intelligence comme
chef d'orchestre qu'il montre habituellembnt de talent comme violoniste.
On a fait également un très grand succès à -M"* Kleeberg, la pianiste
soliste de ce premier concert. Avec l'élégance, le brio et le syle qui ont
fait d'elle depuis longtemps une des reines du clavier. M"' Kleeberg a
joué le concerto en ta mineur de Schumann, des morceaux de Schubert
et de Saint-Saëns et un délicieux fragment des Poèmes sylvestres de
Théodore Dubois, qui lui ont valu des rappels aussi nombreux qu'enthou-
siastes.
Les théâtres de province ont fait, jusqu'à présent, assez peu de bruit.
Mais voici le Grand-Théâtre de Gand qui sonne le réveil en représen-
tant, pour la première fois en Belgique, le grand opéra de M. Henri Maré-
chal, Calendal, qui parut à Rouen l'année dernière. L'œuvre, gracieuse,
charmante, par moments très dramatique, — et que je n'ai plus à analyser
ici, où elle le fut excellemment, — de l'aimable compositeur français, a
obtenu jeudi, à Gand, un réel succès. L'accueil fait aux deux premiers
actes avait été assez froid; on avait goûté toutefois le madrigal, l'air des
joueurs et le finale du premier acte, ainsi que le duo du deuxième. Mais
le troisième, avec le grand air de Calendal, celui de Severan, la scène
d'orgie, le ballet, et surtout le quatrième, dont le ravissant duo a été
acclamé, ont échauiïé le public et achevé la soirée victorieusement. L'in-
terprétation est très satisfaisante. M"= Levering et la ténor, M. Gauthier,
se sont spécialement distingués. Et le compositeur qui assistait à la pre-
mière de son œuvre en Belgique et en avait surveillé les dernières répé-
titions, s'est vu décerner par le public les honneurs du triomphe. L. S.
— La famille royale anglaise va donner des concerts dont le produit est
destiné à acheter de nouveaux instruments à vent pour les nombreuses
bandes de musiciens allemands (Germon bandsj qui infestent Londres et les
autres villes du Royaume-Uni, comme le sait quiconque a jamais mis le
pied en Angleterre. Le prince de Galles a suivi l'exemple de son neveu,
le compositeur de l'Hymne à Aegir, et a composé une cantate pour soli,
chœur et orchestre qui sera exécutée dans un de ces concerts. Son fils, le
duc d'York, donnera un récital de piano, et sa femme, la duchesse May
d'York, se fera entendre sur le banjo, instrument des nègres américains
qui est devenu très populaire dans les salons du grand monde anglais. La
princesse Christian chantera enfin un solo de soprano dans le Messie de
Hœndel, qu'une société chorale va produire à Slough. Ces princes et prin-
cesses ne sont pas les seuls membres de la famille royale d'Angleterre qui
pourraient débuter ainsi dans les concerts, sans parler de la re'ine Victoria
elle-même, qui est une excellente pianiste. Son professeur Félix Mendels-
sohn en était fort content, il y a soixante ans,
— Le tabac, au théâtre... a Londres. Sir Augustus Harris, directeur de
Covent-Garden, dans une interview récente, s'est prononcé carrément
pour le droit de fumer au théâtre. « Ce n'est que le jour où l'on pourra
fumer, manger et boire dans nos théâtres, a-t-il dit, que nous souffrirons
moins de la concurrence des cafés-concerts et des théâtres de variétés. Je
voudrais que le prince de Galles, qui s'est fait récemment servir un sou-
per dans sa loge, trouvât beaucoup d'imitateurs. Combien de gens ne vont
pas au théâtre, une fois leur besogne finie, que parce qu'il n'y trouvent
rien à manger. C'est parmi ces gens-là que se recrutent la plus grande
partie des habitués des cafés-concerts. .Je comprends qu'il ce soit pas
permis de fumer partout: le parterre et l'orchestre pourraient être réser-
vés aux non-fumeurs, mais je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on
fume dans les galeries et dans les loges. » Ce sera du propre! Musique,
art, rosbeef et tabagie mélangés ! Conception bien anglaise.
— La production musicale en Italie prend des proportions quasi fabu-
leuses, et nos confrères d'outre-monts n'enregistrent pas moins de 78 ou-
vrages dramatiques au compte de l'année 1895. Il est vrai que, d'une
part, l'opérette sévit chez nos voisins avec une fureur que nous avons
nous-mêmes à peine connue, et que sur c'est total de 78, on en compte envi-
ron une cinquantaine, et que, d'autre part, les journaux enregistrent
tout : les petits ouvrages représentés par des amateurs, ceux exécutés dans
les Conservatoires et dus aux élèves de ces établissements, etc. En fait,
la production sérieuse ne dépasse guère Je chifîre d'une vingtaine d'ou-
vrages. Voici d'ailleurs la liste complète des œuvres nouvellement repré-
sentées en 189S, telle que nous la résumons d'après nos confrères italiens:
1. El Sogn de Milan, opérette en un acte, en dialecte milanais, de M. Buzzi-
Pescia, Milan, th. Garcano. — 2. Santuzza, opéra en un acte, de M. Oreste
Bimboni, Palerme, Politeama Garibaldi. — 3. L'Agenzia del Commendalore,
scherzo-comique en un acte, de M. Castellani, Mantoue, th. Andreani. —
4. La Topaledda, vaudeville-opérette, de M. Giuseppe Ferri, Campoligure.
— S. L'Ispezione scolaslica, opérette en 2 actes, de M. Giuseppe Berrini,
Varese. — 6. Il Sindaco innamorato, id., de M. Icilio Monti, Fiesole. —
7. Le Baruffe Chiozzotte, opéra-boufl'e en 2 actes, en dialecte vénitien, de
M. E. Benvenuti, Florence, th. Pagliano. — 8. A mesura, vaudeville-opé-
rette en un acte, en dialecte napolitain, de M. Giuseppe Tinto, Naples,
th. Parthénope. — 9. Il Maggiore Crénom, opérette en deux actes, de
M. Bracco, Gènes, th. ApoUo. — 10. La Banda rossa, « bizarrerie comi-
que », de M. V. Cunzo, Naples, th. Rossini. — II. Una Nolla nel deserlo,
opéra sérieux en 2 actes, de M. Nicola Urien, Milan, Alhambra. — 12. Ei-a,
« bizarrerie comique » en 3 actes, de divers compositeurs (?), Naples,
th. de la Fenice. — 13. I Roumakal, opéra sérieux en 3 actes, de Fede-
rico Rossi (posthume), Vercelli, th. Civique. — 14. Fragolina e Peripicchio,
" fable-ballet », paroles et musique de M. Camenis, Colle Val d'Eisa. —
lo. Il Suggerilore, vaudeville-opérette en un acte, paroles et musique de
M. Copcevich, Padoue, th. Verdi. — 16. Vendetta Sarda, opéra sérieux en
2 actes, de M. Cellini, Naples, th. Mercadante. — 17. Il Sindaco del villagio,
opérette de M. Virgili, Pontedera. — 18. Rébus, revue en 4 tableaux, de
M. Giovanni Bossa, Rome, th. Quirino. — 19. Sopra i tetli, opérette en
3 actes, de M. Oscar Floridio, Padoue, th. Garibaldi. —20. Guglielmo Ral-
clif, opéra sérieux en 4 actes, de M. Mascagni, Milan, Scala. — 21. Il
Maestro di cavallara, scherzo comique en un acte, de M. Alessandro
Peroni, Pérouse. — 22. Luna di miele, opérette en 3 actes, de M. Paolo
Lanzini, Venise, th. Malibran. — 23. La Fata azzurra, fable-opérette, de
M. Pizzetli, Reggio d'Emilie. — 24. Don Cardillo, opérette en 2 actes,
de M. Tantaripe, Note, th. Victor-Emmanuel. — 25 Tui-Ko, id. en
3 actes, de M. Manganelli, Todi, th. Communal. — 26. La vera Gran Via,
« zarzuela génoise » en 2 actes, de M. Zambelli, Gênes, Politeama
Margherita. — 27. Rita, « idylle » en 3 actes, de M. Dondi DalfOrologio,
(paroles et musique), Padoue. — 28. Nonna, opérette, de M. D'Echens,
Volterra. — 29. Rvgantino, id. en un acte, de M. De Gregorio, Venise,
th. Rossini. — 30 Tarass Bulba, opéra sérieux en 4 actes, de M. .Arturo
Berutti, Turin, tb. Regio. — 31 Silvano, id. en 2 actes, de M. Mascagni,
Milan, Scala. — 32. Nozze Istriane, id. en 3 actes, de M. Antonio Smare-
glia, Trieste, th. communal. — 33. / Due Sordi, vaudeville-opérette en
un acte, de M. Emilie Muratori, Modène. — 34. Vede Napoli e po..., revue
en 3 actes, en dialecte napolitain, de M. Giuseppe Tinto, Naples, th.
Parthénope. — 35. Il Fiorentino in mare, opérette, de M. Gilardetti, Empoli.
— 36. Mitsica ed amore, id. en 3 actes, de M. F. Martini, Prato. — 37. / Cava-
lieri délia leva, id.,de M. Enrico La Rosa, Gênes, Jardin d'Italie. — 38. Ruis
Hora, opéra sérieux en 2 actes, de M, Ettore Ricci, Pise, tb, Nuovo. —
39. Al Campo, id. en un acte, paroles et musique de M. R.Romanini, Brescia,
th. Guillaume. — 40. La Sagra di Valaperta, id., de M. Filippo Brunetto,
Milan, th. Lyrique. — 41. Ettore Fieramosca, id. en i actes, de M. 0. Cer-
quetelli. Terni, th. Communal. — 42. Fortunio, id. en 3 actes, de M. Nicolo
van Westerhout, Milan, th. Lyrique. — 43. Eros, id. en 4 actes, de Nicolo
Massa (posthume), Florence, th. Pagliano. — 44. Emma Liona, id. en
3 actes, paroles et musique de M. Antonio Lozzi, Venise, th. de la F'enice.
— 43. Musica e Pazzia, opérette en un acte, paroles et musique de M. Giu-
seppe Ferri, Campoligure. — 46. Gran Piazza, id., id. du même, id.
— 47. Mariedda, opéra sérieux en 2 actes, de M. Giovanni Bucceri,
Catane, Ib, National. -- 48. Reciproci Inganni, opérette, de M. Luigi Dali'
Argine, Milan, th. Fossati. — 49. El sogn del Tecoppa, vaudeville opérette
en un acte, en dialecte milanais, de M. Giuseppe Vigoni, Milan, th. Pez-
zana. — 50. Don Alonzo, opérette en 3 actes, de M. Prosperi, Civitavecchia.
— 51. Atala, scène lyrique, de M. Arturo Luzzati, Milan, Conservatoire.
— 52. La Vedovella, opérette en un acte, paroles et musique de M. Giuseppe
Ferri, Campoligure. — 53. Ermengarda, scène dramatique, de M. Renato
Brogi, Milan, Conservatoire. — 54.Per l'erede, opérette, de M. Diego Vitrioli,
Reggio de Calabre. — oo. L'Aspitlato Candidalo di Terranova, id. en un acte,
paroles et musique de M. Giovanni Zobel, Vérone, th. Manzoni. — .50. La
Serca del prête, id., de M. Americo Giucci, Navacchio. — 57. Manda, opéra
sérieux en un acte, paroles et musique de M. Mario Grablovitz, Ronchi.
— 58. Don Asdrubale, opérette, de M. Guido Savori, Palazzuolo. — 59. Maria
Sanz, opéra sérieux en 2 actes, paroles et musique de M. Giovanni Rossi,
Bergame, th. Riccardi. — CO. La Breccia di Porta Pia, scènes, de M. Albino
Agrara, Padoue, th. Garibaldi. — 61. Paron Giovanni, opéra sérieux en un
acte, de M. A. Castracanc, Osimo. — G2. Un Sogno, opérette en un acte,
de M. Nino Alberti, Cagliari. — 63. Los lijalcineros, id. en 3 actes, de
M. Achille Adorni, Milan, th. Pezzana. — Ci. // Ventaglio magico, opérette.
u
LE MENESTREL
de M. Gioacchimo Morra, Messine, th. Goldoni. — 65. — Evaldo, scène
pour baryton et chœurs, de M. Alfredo Terri, Pise, th. Ernesto Rossi. —
66. Claudia, opéra sérieux en 2 actes, de M. Gellio Goronaro, Milan, th.
Lyrique. — 67. La Furia domata, comédie lyrique en 3 actes, de M. Spire
Samara, Milan, th. Lyrique. — 68. — Tarcisio, esquisse musicale en un acte,
paroles et musique de M. Alfredo Soffredini, Milan, th. Garcano. — 69. La
Trecciaiuola di Firenze, opérette en 3 actes, de M"' Gisella Dalle Grazie,
Trieste, th. Philodramatique. — 70. Dm Tiburzio, opérette, paroles et
musique de M. Bernardo Trigona, Catane, th. du Prince de Naples. —
71. Consiielo, opéra sérieux en 3 actes, paroles et musique de M. Giacomo
Orefîce, Bologne, th. Communal. — 72. Nozze /..., opéra sérieux en 2 actes,
de M. Enrico Loschi, Bologne, th. du Corso. — 73. Un Giorno di nozze, opé-
rette, de M. Giuseppe Righetti, Melilli. — 74. Levais l'ancora, id. en un acte,
de M.Faggi, Colonnata. — 'o.Ninon de Lenclos, comédie lyrique en 3 actes, de
M. Gaetano Cipollini, Milan, th. Lyrique. — 76. Frine, opérette en 3 actes,
de M. Gustave Tofano, Palerme, Politeama. — 77. Eva, id., de M. Giovanni
Mascetti, Rome. th. Quirino. — 78. La Caccia allô stivale, « bizarrerie
comique », de M. Giovanni Bossa, Naples, Politeama.
— Voici qu'on parle, à Rome, d'une solennité musicale assez prochaine
et d'un genre particulier. Il s'agirait d'un festival de musique moderne
anglaise, organisé dans des proportions grandioses et pour lequel les
compositeurs eux-mêmes viendraient diriger leurs œuvres. Déjà, pour
prendre les premières dispositions, on a eu à Rome la visite d'un des
professeurs du Collège royal de musique de Londres, M. Visetti, dont le
nom sonne d'ailleurs d'une façon tout italienne. On attache à ce projet
une grande importance internationale. Il est vrai que l'Angleterre a à
s'occuper en ce moment d'une musique d'un caractère plus grave, et que
sa partie dans le concert européen ne parait pas absolument un allegro
brillante.
— Parmi les cités italiennes qui font les plus grands sacrifices pour
l'art, la ville de Turin est assurément à signaler en première ligne. Le
municipe de l'ancienne capitale du Piémont dépense en effet, annuelle-
ment, 42.000 francs pour son Lycée musical, 42.000 francs pour l'orchestre
du Théàtre-Royal, 43.000 francs pour la subvention attribuée à ce théâtre,
et enfin 47.000 francs pour la bande musicale civique.
— La basilique de Saint-Marc, à Venise, est l'une des églises d'Italie
où l'on couseive le plus le sentiment du grand art religieux, et où les
exécutions musicales se distinguent par leur rare valeur. La veille de
Noël, le maître de chapelle de cette église, don Lorenzo Perosi, y a fait
entendre, à la fonction pontificale, une Missa Marciana de sa composition,
pour quatre voix et orgue, à l'exécution de laquelle prenaient part
70 chanteurs; après l'Offertoire, on a entendu aussi une « chanson latine
antique », dite par cent voix partagées en deux chœurs. Dans l'église de
Santa Maria Gloriosa dei Frari a eu lieu aussi une excellente exécution de
diverses compositions religieuses de MM. Perosi, Ravanello et Tomadini,
exécution confiée aux élèves de la nouvelle école de Sainte-Cécile, fondée
depuis peu de mois, et auxquels s'étaient joints les chanteurs de la Sclwla
Cantorum de Saint-Marc.
— On nous écrit de Budapest que les éditeurs de musique Roszavôlgyi
et G'= ont entrepris d'organiser des concerts gratuits dans lesquels ils feront
connaître les œuvres des jeunes compositeurs hongrois. Le programme du
premier concert ne comprenait pas moins de trente morceaux; il n'avait
cependant pas effrayé le public, qui remplissait la grande salle de la
redoute jusqu'au dernier strapontin et est resté jusqu'à la dernière note. Un
prélude de Mihalovich pour un nouveau drame musical, une sonate pour
violoncelle de Bator et plusieurs mélodies de Jambor, Engel, Moor, Zimay,
Kun, Lanyi et Tarnay, ont été fortement applaudis. Cette tentative intelli-
gente de la maison Roszavôlgyi, qui est actuellement dirigée par M. Dunkel,
a procuré à plusieurs jeunes compositeurs l'avantage d'être rapidement
connus du public. Parmi les exécutants se trouvaient quelques artistes de
l'Opéra royal de Budapest, entre autres la célèbre, basse chantante M.Ney,
et les excellentes cantatrices Mac-Abranyi et M""^ Komaromi, ce qui n'a
pas peu contribué au succès de la soirée.
— De Budapest: Il y a quelques jours, une scène conjugale s'est pro-
duite dans les couloirs du théâtre lyrique de Budapest, entre une actrice
et son mari, un membre de la société hongroise. Cette scène intempes-
tive avait retardé d'une demi- heure le lever du rideau, au grand mécon-
tentement du public. A la suite de cet incident, le baron Nopcsa, inten-
dant des théâtres de la Cour, vient d'adresser la circulaire suivante aux
maris des pensionnaires de l'Opéra :
Monsieur,
Par suite des récents incidents, que vous devez d'ailleurs connaître, je me
vois contraint d'adopter les mesures suivantes :
Les maris des chanteuses de l'Opéra de Budapest ne pourront désormais
accompagner leurs femmes jusqu'à leur loge qu'avant le commencement du
spectacle et ne pourront venir les reprendre qu'après la fm de la représentation.
Au cours du spectacle et pendant les entr'actes, les maris ne seront pas
davantage admis à séjourner dans la loge de leurs femmes, ni même autorisés
à stationner dans les couloirs donnant accès à la scène.
-Dans l'espoir que vous voudrez bien avoir la bonté de tenir strictement compte
de ce règlement, j'ai l'honneur d'être votre dévoué.
Baron Nopcsa.
Commissaire du gouvernement
Inspecteur des théâtres nationaux.
Le même règlement existe déjà depuis longtemps dans les autres théâtres
nationaux de Budapest, mais la consigne y est encore plus sévère, car on
interdit aux acteurs mêmes de stationner sur la scène quand on y joue des
pièces ou qu'on y donne des répétitions où ils ne figurent pas.
— Le Garltheater de Vienne va jouer une nouvelle opérette, Satatiiel,
dont la musique est due à M. Adolphe Perron, chef d'orchestre à ce théâtre,
— De la pudeur au théâtre ou de la jalousie des époux d'actrices.
M'^" Marie Ottmann, qui vient de débuter dans Waldmeisler, la dernière
opérette de Strauss, a déclaré à la directrice du Théâtre an der Wien,
M""' Schoenerer, que, pour des raisons de moralité, il lui est impossible
de continuer à jouer le rôle qu'elle remplissait jusqu'à présent. Le mari
de M™' Ottmann ne veut pas que sa femme joue ce rôle, « parce qu'on l'y
force à montrer ses mollets au public. »
— On lit dans l'Éventail, de Bruxelles : c Tandis que la Monnaie donne
asile aux productions des compositeurs français, le drame lyrique de Franz
Servais, l'Appollonide, va enfin être exécuté au Théâtre Grand-Ducal de
Galsruhe, sous la direction de M. Félis Mottl. Bizarrerie du sort des livrets
d'opéras : les vers de Leconte de Lisle, sur lesquels l'auteur a composé sa
musique, et sur l'amplitude et la sonorité desquels il comptait assurément
pour le succès de son œuvre, devront être traduits en allemand pour cette
première exécution. Le traducteur parviendra-t-il à donner une traduction
suffisante des vers parnassiens? Nous le désirons, tout en en doutant
quelque peu ».
— Le théâtre royal d'Oporto, en Portugal, a joué pour la première fois,
la semaine dernière, Lakmé, et l'œuvre charmante de Léo Delibes a de suite
conquis tous les suffrages. Le succès a été des plus grands et une grande
part en revient àM""!Huguet Arnold, qui a été une exquise Lakmé. Il faut
aussi mentionner tout particulièrement M. Francesco Nicoletti, un superbe
Nilakhanta, et louer la mise eu scène et l'interprétation musicale.
— De Madrid : Les événements de Cuba font déserter les théâtres aux
Madrilènes. Aussi, l'imprésario du Théàtre-Royal vient-il de faire faillite
et l'Opéra a-t-il dû fermer ses portes. On cherche un nouveau directeur et
un concours est ouvert à cet effet, par le ministère du Tomento (instruc-
tion publique), dont dépend le théâtre.
PARIS ET DÉPARTEIÏIENTS
Bilan des pièces jouées à l'Opéra, du i" janvier au 3i décembre 1895:
COJlPOSITEDnS FRANÇAIS
Faust 32 exécutions.
Montagne noire ... 12 —
Roméo et Juliette . . 16 —
Salammbô 3 —
15 -
4 —
COMPOSITEURS ETRANGERS
12 exécutions.
87 exécutions.
Résumé:
Wagner 54 exécutions.
Verdi 33 —
87
Thais
Samson et Dalila
Frèdégonde ....
Total 101 exécutions.
Résumé :
Gounod ^8 exécutions.
Reyer 18 —
Holmes 12 —
Saint-Saëns .... 11 —
Massenet 8 —
Guiraud ^ —
101
Auteurs français: 8 pièces, 101 exécutions.
Auteurs étrangers 6—87 —
Non compris dans ce tableau les ballets, qui n'ont été que des complé-
ments de spectacles pour Samsm et Dalila, Thais et Rigoletio. Donc, 101 soi-
rées françaises contre 87 soirées étrangères. Subvention des contribuables
français:' 900.000 francs. Subvention des contribuables étrangers: 0. A
chacun de tirer de là les déductions qui lui conviendront. Pour nous,
nous nous bornerons à demander encore et toujours la création immédiate
d'un bon théâtre lyrique, fermement soutenu par l'Etat, avec une subven-
tion importante qu' on pourrait prendre au besoin sur celle de l'Opéra,
puisque notre Académie nationale de musique a trouvé d'autres ressources
dans l'importation chez nous des œuvres étrangères, ce dont nous som-
mes loin de la blâmer, du moment qu'elle y trouve son compte. Mais
alors portons ailleurs les finances françaises pour le soutien d'œuvres
françaises. Ceci serait assez logique et contenterait tout le monde.
— Voici, pour Paris, le bilan des nouveautés musicales en ce qui con-
cerne les théâtres durant l'année 189.'3 :
Opéra. —La Montagne noire, 4 actes, paroles et musique de M"= Augusta
Holmes (8 février). — Tannhiimer, de Richard 'Wagner (reprise, le 13 mai).
— Frèdégonde, S actes, paroles de M. Louis Gallet, musique d'Ernest Gui-
raud et M. Camille Saint Saëns (18 décembre).
Opéra-Comique. Ninon de Lenclos, opéra-comique en 4 actes et 5 tableaux,
paroles de MM. André Lénéka et Arthur Bernède, musique de M. Edmond
Missa (19 Février). — La Vifandi&e, opéra-comique en 3 actes, paroles de
M. Henri Gain, musique de Benjamin Godard (l"^' avril). — Pris au piège,
opéra-comique en un acte, paroles de M. Michel Carré, musique de M. André
Gedalge (7 juin). — Guernica, drame lyrique en 3 actes, paroles de MM. P.
LE MENESTREL
15
Gailhard et P. B. Gheusi, musique de M. Paul Vidal (7 juin). — La Navar-
raise, épisode lyrique en "2 actes, paroles de MM. Jules Glaretie et He nri
Gain, musique de M. J. Massenet (octobre). — Xavière, opéra-comique en
3 actes, paroles de M. Louis Gallet, musique de M. Théodore Dubois
(26 novembre). — La Jacquerie, opéra en 4 actes, paroles de M. Edouard
Blau ot M'"<! Simone Ariiaud, musique d'Edouard Lalo] et M. Arthur
Coquard (23 décembre).
Variétés. — Le Carnet du Diable, pièce fantastique en 3 actes et S tableaux ,
de MM. Erne.st Blum et Paul Ferrier, musique de M. Gaston Serpette
(Octobre).
Bouffes-Parisiens, ia DiKhesse de Fen are, vaasiqae de M. Edmond Audran
(janvier). — La Saint-Yalenlin, 3 actes et 4 tableaux, paroles de MM. Mau-
rice Ordonneau et Fernand Beissier, musique de M. Frédéric Toulmouche
(mars). — La Doi de Brigitte, 3 actes, paroles de MM. PaulFerrier et Antony
Mars, musique de MM. Serpette et Victor Roger (mai). — La Belle Épicière,
3 actes, paroles de MM. Paul Decourcelle et Henri Kéroul, musique de
M. Louis Varney (novembre).
Folies-Dramatiques. — Nicol-Nick, i actes, paroles de MM. Hippolyte
Raymond et Antony Mars, musique de M. Victor Roger (janvier). — La
Perle du Cantal, 3 actes, paroles de M. Ordonneau, musique de M. Fré-
déric Toulmouche (mars). — Le Roi Frelon, 3 actes, musique de M. Antoine
Banès (avril). — Le Baron Tzigane, 3 actes et 4 tableaux, paroles de M. Ar-
mand Lafrique, musique de M. Johann Strauss (décembre).
Ghatelet. — Don Quichotte, pièce fantastique en 3 actes et 20 tableaux,
de M. Victorien Sardou, musique de M. Albert Renaud (février).
Théâtre Glunï. — Les Petites Brebis, opérette en 2 actes, paroles de
M. Boucheron, musique de M. Louis Varney (juin).
Nouveau-Théâtre. — Le Dragon verl, fantaisie en 3 actes et S tableaux ,
paroles de M. Michel Carré, musique de M. André Wormser (février).
Théâtre-Lyrique de la Galerie Vivienne. — La Mare au diable, opéra en
3 actes, paroles de M. André Lénéka, musique de.M. N. T. Ravera (avril) .
Thévtre-Mondain. — La Redingote grise, opéra-comique en un acte, pa-
roles de MM. Lénéka et Bernède, musique de M. F. Le Rey. — L'Ermite,
épisode lyrique en un acte, paroles de M. Durocher, musique de M. Le
Tourneux. — Le Capitaine Roland, opéra-comique en 2 actes, paroles de
M. Armand Lafrique, musique de M. Louis Gregh(mars).
— Les décorations données à l'occasion du centenaire de l'Institut
n'avaient pas encore décroché leur dernier ruban. Voici à présent la
fournée des membres étrangers, des « correspondants » comme on dit, qui
paraît au Journal officiel. Détachons de la liste deux musiciens seulement, mais
qui sont de marque. Il y a d'abord le compositeur délicat de la Norvège,
Edouard Grieg, qui est fait chevalier de la Légion d'honneur, ensuite le
général César Gui, élevé au grade de commandeur. C'est •un artiste d'inspi-
ration très élevée que le général. On ne le connaît guère parmi nous que
par sa partition du Flibustier, une œuvre peu ordinaire et non coulée dans
le moule banal, ce qui explique peut-être sa non-réussite. Mais de ces
oeuvres-là, on en a vu revenir.
— Parmi les nominations d'officiers de l'Instruction publique et d'Aca-
démie parues dans les numéros des 7 et 8 janvier du Journal officiel, voici
celles qui ontplus particulièrement trait à la musique et au théâtre :
Sont nommés officiers de l'Instruction publique : MM. André Antoine,
artiste dramatique, ancien directeur du Théâtre-Libre ; E. Baillât, auteur
dramatique à Paris; J.-V. Bertain, professeur de musique à Paris; Colin,
chef de musique des Canonniers sédentaires de Lille; E. Deplaix, éditeur
de musique à Paris ; L.-P. d'Herdt, professeur de chant dans les écoles
communales de Viucennes; M^s Ducasse, M. A. Duchesne, professeurs de
chant à Paris; MM. G. Fragerolles, compositeur de musique à Paris;
Lucien Fugère, artiste lyrique à l'Opéra-Gomique ; Pierre Gailhard, directeur
de l'Opéra ; Laurent Grillet, compositeur de musique, rédacteur du Ménestrel,
à Paris; P. Hugounet, auteur dramatique, secrétaire du Cercle Funam-
bulesque; J.-N. Karren, compositeur de musique à Paris; Albert Lambert
père, artiste dramatique de l'Odéon; Ch. Le Brun, secrétaire du comité de
l'Association des artistes musiciens, à Paris; M""* Le Grix, directrice de
cours de musique à Paris; MM. Lénéka, auteur dramatique à Paris ; Ch. Mal-
herbe, compositeur de musique, rédacteur du Ménestrel, à Paris; Edmond
Missa, compositeur de musique à Paris; M"» Marie MoU, professeur de
musique à Paris; MM. Mouliérat, artiste lyrique à l'Opéra-Comique; A. Ray-
naud, chef d'orchestre au théâtre du Gapitole à Toulouse ; P. Renard, dit
Lemaitre, professeur de musique à Paris ; J. Ritz, compositeur de musique
à Annecy ;J. Sermet, inspecteur des théâtres; R. Torchet, compositeur de
musique, à Paris; Julien Torchet, critique musical à Paris; M'^'^ Vasseur,
professeur de musique à Versailles; Vincent-Garol, et M. E. Wartel, pro-
fesseurs de musique à Paris.
Sont nommés officiers d'Académie : M""» Abadie, née Moisset, ancienne
artiste lyrique ; MM. Ed. Adenis, auteur dramatique à Paris; Alvarez, artiste
lyrique à, l'Opéra; Audigé, médecin de l'Opéra ; M"» H. Auguez, profes-
seur de chant à Paris; M^^iAvisse, professeur de piano à Orléans ;
MM. Bachimont, dit Brémont, artiste dramatique à Paris ; L. Badart, com-
positeur de musique à Paris : M""- Ballay (Nina Pack), artiste lyrique à
l'Opéra-Comique ; MM. L. Bally, Baretti, M"« Beetz, professeurs de muai que
à Paris ; MM. F. Benêt, auteur dramatique à Marseille ; Bergeret, directeur
de la Fanfare « le Réveil de Pavilly » à Rouen : M"= A. Bertrand, professeu r
de chant à Paris; MM. Maurice Bouchor, auteur dramatique à Paris; Bou-
lard, directeur de l'École nationale de musique à Moulins ; P. Braud, pro-
fesseur de musique à Paris ; Brouca, dit Broca, professeur de musique à
Bayonne ; BruneL, artiste musicien à Saint-Donat; G.-BuatoiSj directeur
de l'Harmonie de Javel à Paris; Ed. Cacan, compositeur de musique à
Marseille ; M°"=^ Cadot-Laffite, Cartelier, professeurs de musique à Paris ;
MM. Henri Carvalho, administrateur de l'Opéra-Comique ; Ch. Gaspar,
compositeur de musique à Lunéville; Gastex, ancien directeur des théâtres
de Nantes; M"° Chrétien, professeur de musique à Paris ; MM. N. dé-
menti, professeur de musique à Marseille; L. Cordier, directeur do la
Société chorale des Quinze-Vingts à Paris ; M. Coste, ex-professeur au
Conservatoire à Marseille; P. Costecal, directeur de l'Orphéon «l'Avenir»
à Milhau ; J. Darcq, professeur à l'École de musique à Lille; A. Dariès,
professeur de musique à Pau ; Debray, directeur des Sociétés musicales à
Poissy ; DeCfaux, artiste musicien à Reims ; M"" Marie Delna, artiste lyrique
à l'Opéra-Comique; MM. Démarquez, professeur de musique à Poitiers;
Desachy, secrétaire du Théâtre- Libre ; A. Docquois, professeur de chant à
Boulogne-sur-Mer ; E. Domergue, chef d'orchestre au théâtre du Palais-
Royal ; E. Dorion, contrôleur en chef au théâtre de l'Ambigu ; H. Drapier,
professeur de musique à Paris; E. Duard, artiste dramatique à l'Odéon :
Fr. Dubois, compositeur de musique à Tourcoing; Dufour, correspondant
de la Société des auteurs et compositeurs de musique à Vichy; d'Estrée,
publiciste, rédacteur du Ménestrel, à Paris: H. Eymard, professeur de
musique à Paris; E. Eymond, président de la musique municipale du
18" arrondissement à Paris; Floquet, directeur de l'Harmonie de Grenelle
à Paris ; Fonlaine, professeur de déclamation à Arras; Fraiture, profes-
seur de musiqueà Paiis ; L. Garnier, auteur dramatique à Paris ; A. Casser,
chef de la Fanfare «l'Espérance» à Grenoble; Giraud, professeur de mu-
sique à la Mure ; G. Goublier-Gouiu, compositeur de musique à Paris ;
jimc Grammaccini-Soubre, professeur de chant à Paris ; MM. A. Grare, chef
de l'Harmonie à Abbeville; E. Gruyer, professeur de musique à Paris;
J. Guérin, directeur de la Société chorale à Nogent-Ie-Rotrou: M"'^^ J.Gué-
roult, G. Herbault, professeurs de musique à Paris ; MM. Georges Hesse ,
H. Hirschmann, compositeurs de musique à Paris; Holmières, directeur
de la «LyreMeldoise» à Meaux ; Jacob, dit Janoey, professeur de diction
à Paris ; Cb. Jaunet, vice-président de l'Union musicale républicaine à
Olivet : Jérôme, artiste lyrique à l'Opéra-Comique; A. Jolie t, pensionnaire
de la Comédie-Française ; M""* Joubert, M"« Kryzanowska, professeurs de
musique à Paris.
MM. Labbé, secrétaire-trésorier des Orphéonistes à Arras; E. L^ch-
mann, professeur de musique à Montbrison; L. Lafon, chef de musique à
Cadillac; A. Laidet, professeur de chant au Conservatoire à Versailles;
G. Lambert, chef de musique à Montesson; J. Lambert, directeur delà '
Société mixte d'harmonie et d'orphéon « l'Avenir musical » à Saint-Ju-
nien ; M""^ H. Landolff, dessinateur-industriel i. Paris; MM. J. Leitner,
pensionnaire de la Comédie-Française ; Leroy, chef de la Fanfare muni-
cipale à Gentilly; M"" J. Ludwig, sociétaire de la Comédie-Française ;
MM. Mansson, professeur de musique à Paris; Th. Mathieu, directeur de
la Société chorale à Meaux; G. Mathieu, professeur de musique à Cler-
mont-Ferrand; P. Monteux, chef d'orchestre à Paris; Muuch, directeur
de la Fanfare municipal à Rambouillet; G. Nast, professeur de musique à
Hénin; M^'^ A. Nathan, R. Orange, professeurs de musiqueà Paris ;
MM. Paumier, artiste dramatique à l'Odéon ; Rayonne, professeur de mu-
sique à Bourg-du-Péage ; E. Petit, professeur de musique à Perpignan;
A. Philippe, directeur de la musique municipale des Sapeurs-Pompiers
à Béthune ; Picard, chef de musique à Montrouge ; A. Piccaluja, artiste
lyrique à Paris ; F. Pons, président de l'Orphéon « les Moissonneurs » à
Marseille; E. Rebstock, professeur de musique à Compiègne ; Reghéere ,
chef de la musique des Sapeurs-Pompiers àBar-le-Duc; E. Régnier, pro-
fesseur de musique à Amiens ; Renaud, artiste lyrique à l'Opéra; E. Ri-
chard, chef delà Fanfare «les Amis réunis » à Château-Thierry; Ch. Riche,
président de la Société chorale « l'Abeille » à Paris ; M""= C. Ritter-Ciampi,
professeur de musique à Paris; MM. Rivière, chef de la musique muni-
cipals à Vic-Bigorre ; M™ Victor Roger, professeur de diction à Paris;
M. A. Rossel, compositeur de musique à Cherbourg ; M™ Marie Ro ze,
M. G. Sailland, professeur de musique à Paris ; M. -F. Sali, compositeur de
musique à Paris ; M"'= J. Séguin, professeur de chant à Paris ; MM. E .
Spencer, compositeur de musique à Paris; A. Tarride, artiste dramatique
à Paris; M™" Tempviré, professeur à l'Ecole de musique à Angoulème ;
MM. A. Thévenin, directeur de l'Harmonie « la Grayloise » à Gray; L .
Toussaint, artiste musicien à l'Opéra; Tracol, professeur de musique à
Paris ; E. Tréfeu, auteur dramatique à Paris ; A. Trojelli, compositeur d e
musique à Paris ; M"'' Turpin et Ch. Vormèse, professeurs de musique
à Paris.
— Au Conservatoire. Par arrêté du ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts, MM. Victorien Sardou et Jules Lemaitre, membres de
l'Académie française, ont été nommés membres du comité d'enseignement
pour la déclamation dramatique au Conservatoire, en remplacement de
MM. Camille Doucet et Alexandre Dumas. M. Henri Lavedan a été nommé
membre du comité d'examen des classes et du jury d'admission.
— Depuis quelques semaines les travaux de reconstruction de l'Opéra-
Comique à la place Favart ont pris une activité à laquelle nous n'étions
pas habitués. Des foyers lumineux ont été installés sur le chantier et on
travaille jusqu'à sept heures du soir. Il résulte de nos renseignements
16
LE MENESTREL
que plus de cent ouvriers sont actuellement occupés à tailler et à poser les
pierres. L'entresol sur la rue Marivaux est achevé et on est en train de
poser les balcons. La façade Boieldieu est moins avancée, mais on peut
cependant déjà se rendre compte de l'effet général de l'architecture du
rez-de-chaussée. Espérons que cette activité, surtout parce qu'elle est
tardive, ne se ralentira plus, et qu'il nous sera bienliit donné d'assister à
l'achèvement de ce monument si impatiemment attendu. Nous ne pouvons
que féliciter l'architecle et l'entrepreneur de cette activité donnée au
chantier, et surtout les engager à persévérer.
— Notre confrère le Malin croit pouvoir nous donner dès à présent les
dates C-ces des prochaines solennités de l'Opéra : selon lui, c'est le lundi
10 février que nous aurions l'heureuse reprise de la Favorite «it celle de
Coppi'lia; mercredi 11 mars, ce serait le tour d'Hellc, l'opéra de M. Alphonse
Duvernoy; enfin, il porte au 2) mai la rentrée de M"» Melba dans Hamiet,
en compagnie du baryton Renaud. Mais il y a tant d'imprévu au théâtre !
Ce qui paraît plus certain, c'est le début du ténor Courtois dans Sigurd,
pour demain lundi.
Tout bonheur que la main n'atteint pas est un rùve.
Et encore il suffirait d'un bon rhume! 11 n'y a pas si loin entre le
coryza et la gorge d'un ténor!
— Demain lundi aussi nous aurons à l'Opéra-Comique les débuts de
M'" Marie Garnier dans Lakmé.
— Dimanche prochain nous parlerons en détail de la nouvelle loi de
protection pour la propriété artistique en Autriche, qui vient d'être votée
à Vienne par la Chambre des seigneurs. Ce n'est pas encore tout ce qu'on
pouvait rêver, mais il y a là toutefois des améliorations importantes sur
la législation précédente.
— M"= Pdtti est arrivée mercredi à Paris. Elle a été la proie dos coutu-
rières pendant toute la journée de jeudi. Vendredi elle a répété à la Gaîté
la pantomime Mirka l'Enchanteresse et hier samedi elle a joué cette char--
minte fantaisie, au bénéfice du monument de l<'lorian, devant une salle
pâmée et enthousiaste. Patti, Patti for everl
— Nous pouvons confirmer la nouvelle que donne d'autre part notre
collaborateur Solvay dans sa correspondance de Belgique: dans la pre-
mière quinzaine de février, M"« Van Zandt donnera au théâtre de la
Monnaie de Bruxelles plusieurs représentations de Mignon et de Lakmé.
Bru.xelles n'est pas si loin de Paris que M. Carvalho ne puisse, tout au
moins à l'aide d'un bon téléphone, se rendre compte de l'action que peut
toujours avoir sur le public son ancienne pensionnaire. Et alors... il pour-
rait y avoir encore de beaux soirs pour la scène du Châtelet.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conserva'oire: Symphonie en ré (Beethoven). — La Mer (Joncières), solo:
M—Landi. — Ouverture de Coriolan (Beethoven).— Deuxième acte d'Orphée
Gluck), soli: M"" Landi et Rieu. — Polonaise de Stniensée (Meyerbeer).
Châtelet, concert Colonne : 75' audition de la Damnation de Faust (Berlioz), soli:
M"' Marcella Pregi, MM. Cazeneuve, Auguez et Nivette.
Cirqu; des Champs-Elysées, concerts Lamoureux (festival en dehors de
l'abonnement): Ouverture de Manfred (Schumann). — Symphonie avec orgue
(Saint-Saëns). — Défi de Phœbus et àe Pan (J.-S. Bach), soli: M"° Lovano,
M"' Remy, MM. Lafarge, Charles Morel, Bailly. — Variations sympho-
niques, pour piano et orchestre (César Franck), exécutées parM»"Henry Jossic.
— Chœur des Pileuses in Vaisseau-Fantôme (R. Wagner). — Espafia {Emm. Cha-
brier).
Concerts d'Hircourt: Symphonie en «(mineur, n» 5 (Beethoven). — a. Mélopée
duPâtre,!). Entrée d'Elisabeth, de ranîiftûusîr (Wagner), par M"' Ééonore Blanc.
— Dames slaves (Dvorak). — Ouverture des Maîtres chanteurs (R. Wagner). — .\ir
de Fidelio (Beethoven), par M"' Éléonore Blanc. — Symphonie romantique (V. Jon-
cières).
Concert du Jardin d'Acclimatation : Chef d'orchestre, Louis Pisler. — /îu»/ Blas,
ouverture (Mendelssobn;. — Chant sans paroles (Tschaïkowsky). — Romance
(Saint-Saëns). — Namoiina, suite d'orchestre (Lîlo). — Léonore, n" 3, ouverture
(Beethoven). — La Korrigane, suile d'orchestre (Widor) : Mazurka, Scher
zando, Valse lent;, Finale. — Marche (Borodine).
— C'est le 16 janvier que l'on entendra pour la première fois la nouvelle
sonate pour piano et violoncelle de M. Emile Bernard, à la quatrième séance
de MM. Philipp, Berthelier et Loeb. Deux autres œuvres importantes figu-
rent au programme : le quatuor de Rubinstein, op. 6B, et le quintette de
César Franck.
— La prochaine représentation du théâtre des Poètes, qui aura lieu du
13 au 20 janvier à la Comédie-Parisienne, comprendra Pa-Hos et Zuclla,
légende en vers en trois tableaux de M. Gabriel Martin, musique de
MM. Ch.-M. Widor et F. Thomé, et la Jeunesse de Luther, drame en deux
a:tes de M. Albert Fua.
— L'Eldorado, qui semblait le foyer et l'âme de l'abject café-conceit, va
abjurer ses anciennes erreurs et brûler ses faux dieux d'immondice et
d'imbécillité. On transforme la salle et la scène en un véiitable théâtre,
non pour y représenter encore les drames lyriques de Richard Wagner (cela
viendra plus tard), mais pour y commencer modestement nar l'opérette.
Spectacle d'inauguration -.le Royaume des femmes des frères Cogniard, remanié
par MM. Paul Ferrier et Clairville, mis en musique par M. Serpette. Chef
d'orchestre : M. Thibaut.
— Un de nos confrères, en donnant une liste des pseudonymes adoptés
au théâtre par certains artistes, et en mettant en regard de ces pseudonymes
leurs noms véritables, croit pouvoir avancer que la cantatrice M"' Cécile
Mézeray s'appelle réellement M"= Coslard, et que le premier nom n'est
justement qu'un pseudonyme. Notre confrère se trompe, et l'artiste en
question a un droit égal — et légal — à ces deux noms. Son père, l'un des
plus fameux chefs d'orchestre de province, et célèbre à Bordeaux pendant
trente ans sous ce rapport, s'appelait, en effet, Louis-Charles-Lazare
Costard de Mézeray.
— Quand les ministres se dérangent, on leur donne des « galas ». C'est
ce qui est arrivé à M. Doumer, qui dirige nos finances, à ce qu'il paraît,
et qui avait porté ses pas du côté de la « Côte d'azur ». Il a passé par Nice,
et tout aussitôt on l'a régalé d'une belle représentation d'Hérodiade, avec
« abonnements et entrées de faveur suspendus », disait l'affiche; ce qui
fait que M. le ministre semble bien avoir été le principal artisan de la
recette pour ce soir-là, et, comme elle était fort belle, l'habile directeur
du théâtre a fort bien compris l'utilité d'un ministre des finances, ce qui
n'est pas donné à tous les contribuables.
— A signaler encore à Nice, cette fois au Casino municipal, un fort
beau festival donné en l'honneur de M. Massenet. Au programme, l'ouver-
ture de Phèdre, les Scènes alsaciennes, le prélude de Werther et des fragments
du Roi de Lahore, à'Esclarmondt; de Don César, du Cid, de Manon, etc., etc. ;
le tout acclamé.
— Les nouvelles de Rouen signalent la réussite au théâtre des Arts de
la Mégère apprivoisée, la nouvelle comédie lyrique du jeune musicien M. Le
Rey. Parmi les interprètes, on cite surtout miss Maud-Roude (Catherina)
et M"" de Graponne. Encore une bonne soirée à l'actif artistique de l'in-
telligent directeur, M. d'Albert.
— M. Paul Viardot vient de rentrer à Paris, après une très brillante
tournée en France, Suisse et Belgique, et reprend ses cours et ses leçons
de violon.
— Vendredi prochain, chez M"'= Marie Rueff, aura lieu une intéressante
audition de ses élèves. Le programme est entièrement composé des œuvres
de M. Paul Vidal.
— Soirées et concerts. — M"" Laure Taconnet_ vient de donner, à Versailles,
une très réussie matinée musicale, à laquelle M. Léon Dela^osse a prêté le con-
cours de son talent exquis. Le jeune pianiste a non seulement triomphé comme
virtuose, mais encore comme compositeur en exécutant une de ses jolies Yalses-
prétudes. Sérénade, et en accompagnant àM"° Laure Taconnet, qui les a fort bien
dites, deux de ses dernières mélodies, Chanson et l'Étang mystérieux. On a beau-
coup applauli aussi les élèves de l'excellent professeur dans un chœur récem-
ment paru de Massenet, Noël. — Au 3' concert de la Société philharmonique,
fondée par M. L. Breitner, et auquel prenaient part M"" Breitner, MM. Dup'îyron,
Luzzato, Remy, ïracol, Bailly, Abbiate et Alary, on a surtout applaudi M"" S.
Kerrion qui a fort bien chanté le grand air d'Hérodiade, de Massenet. — Bonne
audition d'élèves de M"" Lafaix-Gontié. A signaler M"" B. (le Soir, Ambroise
Thomas), M"" Hélène P. (Mélodie sentimentale de Xavière, Théodore Dubois),
Louise B. (Barcurolle Massenet), Hortense D. ((Chanson dn bouvreuil, de Xaviére,
Théodore Dubois) et Hélène P. et Marguerite D. (duo de Jea)i de Nivelle, Léo De-
libes), qui font particulièrement honneur à renseignement de leur excellent
professeur. — M. Charles Grandmougin a repris ses mercredis à l'Institut Rudy,
interrompus par les fêtes du l"de l'an. La huitième séance a été aussi brillante
que les autres. Signalons, entre autres pièces de vers, les Sirènes, petit poème
exquis, remarquablement interprété par M"° Verlain, des Variétés, et l'auteur;
M. Truffter s'est fait vivement applaudir dans les Fantassitis de marine.
NÉCROLOGIE
Une messe de bout de l'an sera dite mardi prochain 14 janvier, à
dix heures et demie très précises, en l'église de la Trinité, pour le repos
de l'âme de Benjamin Godard.
— Le chef d'orchestre militaire Jean Népomucène Kràl est mort à TuUn,
près Vienne, à l'âge de 69 ans. Pendant bon nombre d'années le défunt
fut très populaire à Vienne, et sa musique de danse, ainsi que ses marches
et ses arrangements pour musique militaire, étaient fort répandus. Sa
marche : Vive Habsbourg, est restée une des plus populaires de l'armée
autrichienne, et plusieurs valses de Kràl sont encore souvent jouées en
Autriche.
— A Vienne s'est éteinte, à l'âge de 7'J ans. M}"" Streicher, veuve du
célèbre facteur de pianos J.-B. Streicher, (|ui était fils d'André et JeNanette
Streicher. André Streicher avait été un ami de jeunesse du poète Frédéric
Schiller, et sa femme pouvait se vanter de l'amitié de Beethoven. Tous
deux avaient fondé à Vienne une manufacture de pianos qui est encore
aujourd'hui très florissante.
Henri IIeugei., directeur-gérant .
A
■VENDRE œuvres complètes Paleslrina pour orchestre. Trente
volumes reliés. S'adresser à M. Gaston Roux. 57, rue Pierie Charron.
3382. — 62-^ ANNÉE — N" 3. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 19 JaDvier 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directe ur
Adresser franco à M. Henri HELJGKL, directeur du MÉiNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'aboniiemenL
Un on, Texte seul : 10 fr.incs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les Trais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEITE
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de Delphes (1" article), Julien
TiERSOT. — II. Semaine théâtrale ; première représentation de Jean-Marie, au
théâtre de la Monnaie de Bruxelles, Ldciem Solvaï. — III. L'art français sur
les scènes lyriques allemandes, 0. Bn. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Correspondance de Barcelone : premières représentations des opéras
Pépita Gimenez et Aurora, A. -G. Beutal. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
PAR LE SENTIER FLEURI
de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement : Brises du cœur, valse de
Philippe Fahrbach.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
Le Dernier Rendez-vous, sonnet de Camille du Locle, musique d'En-
CHANT
NESi Beyee.. — Suivra immédiatement
Ch.-M. Widor, poésie de Paul Bourget.
La Nuit, nouvelle mélodie de
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
L'on n'a pas oublié tout le bruit qui fut fait, il y a un peu
plus d'une année, à propos de l'exécution d'un hymne grec
antique trouvé dans les fouilles de Delphes. Le monde en fut
étonné, — tout au moins le monde musical. De nombreuses
exécutions de ce vénérable débris d'un autre âge furent don-
nées devant les publics les plus divers, et des discussions
non moins variées s'ensuivirent. S'il m'était permis d'em-
prunter à notre renommé confrère Francisque Sarcey les
familiarités coutumières de ses discours, je m'écrierais : « En
a-t-on dit, des bêtises I En a-l-on dit! » Dans de pareilles
dispositions de l'esprit public, le moment eût été mal choisi
pour parler sérieusement; il fallait attendre que la curiosité
indiscj'ète des foules se fût calmée, — ce qui ne pouvait pas être
long, d'ailleurs. En effet, personne n'y songe plus maintenant.
Les précieuses découvertes de notre Ecole française d'Athènes
redevisnnent donc le domaine des archéologues, — ce qu'elles
n'auraient jamais dû cesser d'être, car il est évident que le
public manque actuellement de l'iniiiation nécessaire pour
les apprécier à leur juste valeur. Mais, désormais, il nous
est permis de les étudier dans le calme et le recueillement
favorables.
Et précisément le feu de paille des premiers jours est si
complètement éteint qu'il vient de paraître récemment la
notation d'un nouvel hymne delphique (I) sans que personne
en ait dit un mot, — ce qui est peut-être un excès contraire.
Je vais tâcher de réparer cette injustice en étudiant avec
quelque détail ce nouveau document, et en le prenant pour
point de départ de quelques observations sur la musique
antique qui, sans doute, pourront intéresser le public musical,
auquel des notions claires et exactes sur la matière font trop
généralement défaut.
Il faut avouer, cependant, que cette découverte a moins
d'importance que la précédente, car le premier hymne à
Apollon nous était parvenu en bien meilleur état de conser-
vation. Les deux morceaux ont été retrouvés dans le trésor
des Athéniens, gravés sur des plaques de marbre; mais tandis
que le premier renfermait des parties parfaitement intactes,
le nouveau est très mutilé : la partie droite de la plaque,
notamment, est brisée en neuf morceaux, qu'il a fallu assem-
bler àgrand'peine. La patience et l'érudition, de MM. HomoUe,
directeur de l'École d'Athènes, et Bourguet, sont parvenues à
restituer à chaque fragment sa place primitive; mais une
grande lacune est restée, formant une sorte de bande qui
tient toute la hauteur du marbre, de sorte qu'il n'est pas
une seule ligne complète, et qu'à chaque vers il manque
quelques mots, tout au moins quelques syllabes, ainsi que
les notes musicales correspondantes.
Grâce aux doctes intuitions de M. Henri "Weil, les lacunes
de la poésie ont été remplies. De son côté, M. Théodore Rei-
nach, qui a transcrit la musique en notation moderne, a voulu
tenter une restitution analogue : s'appuyant sur les règles
concernant la correspondance entre l'accent et la mélodie, il
a comblé les interruptions de la ligne mélodique par des notes
hypothétiques qui, peut-être, aident à avoir une idée plus
complète de l'ensemble du morceau. Je n'en retiens pas moins
cet aveu, émanant de lui-même:
« Aidée par le sens et le mètre, la science divinatoire de
M. H. Weil a pu restituer tantôt avec certitude, tantôt avec
une haute vraisemblance le texte poétique de notre hymne; il
serait imprudent de prétendre aborder la reconstitution de la
mélodie avec les mêmes chances de succès. Notre connais-
sance de l'art musical des Grecs fùt-elle beaucoup plus avan-
cée qu'elle ne l'est, il reste évident que la mélopée est plus
libre et plus variée dans ses combinaisons que la versifi-
cation, soumise au.x règles précises de la syntaxe et du mètre. »
C'est pourquoi, dans les citations qui vont suivre, nous no
reproduirons que les fragments transcrits expressément d'après
la pierre (sauf dans de rares cas, où quelques notes ajoutées
donneront une idée plus complète de l'ensemble d'une période
ou d'un rythme cdractéristiques). La composition musicale
^1) Bulletin de Correspondance hellénique, 1895, pp. 345 et suiv. - - Tirage à part.
18
LE MENESTREL
nous est arrivée en ruines, si l'on peut_ain^parler : prenons-
la pour ce qu'elle est, el montrons-la telle quelle. Aussi bien7
n'est-il pas de certaines mines qui sont beaucoup plus signi-
ficatives dans leur état de ruines qu'après que la main des
restaurateurs y a passé ?
I
Le nouveau morceau est, comme le précédent, un hymne
à Apollon. Il se divise en sept périodes ou couplets d'inégale
longueur, et tous chantés sur une musique différente : l'une
de ces périodes, très développée, peut être divisée musicale-
ment elle-même en trois parties parfaitement distinctes. La
dernière période, qui est une prière destinée à servir de con-
clusion religieuse, est dans un mètre différent des précé-
dentes, composées toutes les six dans le même rythme. Nous
déterminerons plus tard la nature de ces rythmes, ainsi que
plusieurs autres particularités musicales ; pour l'instant, il
importe bien plutôt de faire connaître l'œuvre dans ses parties
essentielles.
Dans la première strophe, l'aède invoque les Muses et ra-
conte la naissance d'Apollon :
Venez sur ces hauteurs qui regardent au loin, d'oii surgissent les
deux cimes du Parnasse, et présidez à mes chants, ô Muses, qui
habitez les roches neigeuses de rHélicon. Venez chanter le Pythien,
le dieu aux cheveux d'or, le maître de l'arc et de la lyre, Phébus.
qu'enfanta l'heureuse Latone près du fameux lac, quant, dans les
luttes de l'enfantement, elle eut touché de ses mains une branche
verdoyante du glauque olivier.
La musique du commencement de la strophe est détruite ;
puis quelques fragments incomplets apparaissent, formant
plutôt une série d'inflexions musicales qu'une mélodie com-
plète, se succédant, toutefois, dans un ordre assez harmonieux
pour qu'on en puisse deviner la progression naturelle :
La fin de la période est mieux conservée : en remplissant
quelques vides de peu d'importance, on en peut avoir une
idée complète jusqu'à la cadence finale. Les premières mesures
semblent répondre au fragment précédent (1) :
La seconde strophe décrit la joie de la nature après la nais-
sance du dieu :
Le ciel était tout en joie, sans nuages, radieux ; dans l'accalmie des
airs, les vents avaient arrêté leur vol impétueux ; Nérée apaisa la
fureur de ses Hots mugissants ; ainsi fit le grand Océan, qui en-
toure la terre de ses bras humides.
Ici, la musique est en très mauvais état. Par quelques dé-
bris épars nous voyons que la mélopée se tient toujo.urs de
préférence sur les notes n', mi, fa, ce que l'on avait pu ob-
server déjà par les fragments initia ix. Cependant un chan-
gement parait s'introduire dans la tonalité : le mi prend une
importance qu'il n'avait pas dans la première strophe ; on re-
marque -un saut d'octave caractéristique sur ce degré ; enfin
le Si naturel se substitue au si bémol. Pour parler le langage
(1) Les notes restituées sont indiquées par de petites notes.
moderne.il semble que l'on module à la quinte; et, en effet,
alors que la période précédente s'était achevée sur un la,
celle-ci va conclure par la note mi :
La troisième période se divise musicalement en trois sec-
tions. La poésie raconte le voyage d'Apollon au pays des
Athéniens :
Alors, quittant l'ile du Gynthe, le dieu gagna la patrie du fruit de
Déméter, la noble terre attique, près de la colline de Pallas.
La phrase musicale, bien conservée, mérite d'être repro-
duite en entier :
On voit que les particularités tonales signalées dans la
strophe précédente s'accusent, et que les notes mi si t; pren-
nent une importance de plus en plus grande dans la gamme.
Mais, dans la période suivante, le chrom'atique va faire son
entrée. La poésie évoque une voix mystérieuse accompagnant
le dieu de ses acclamations :
Le souflfle suave de la flûte de Lybie se mêlait aux doux accents de
la lyre en accords modulés pour accompagner sa marche, et, tout à
la fois, la voix qui réside dans le roc fit à trois reprises entendre le
cri : lé Péàii !
Malheureusement l'inscription est effacée après ce court
début, et ne comprend plus, jusqu'à la fin de la période, que
deux groupes de notes, séparés par une autre lacune et aux-
quels manque la conclusion. Leur principal intérêt consiste
dans l'emploi alternatif du sib et du si ij :
La fin de la période décrit la joie d'Apollon après son arrivée
dans l'Attique :
Le dieu se réjouit: confident de la pensée de son frère, il reconnut
l'immortel dessein de Zeus. C'est pourquoi, depuis lors, Péan est in-
voqué par tout le peuple autochtone et par les artistes qui habitent la
ville de Gécrops, sainte troupe que Bacehus frappa de son thyrse.
La musique revient au genre diatonique, et la quinte inisi\
reprend son importance antérieure. Parmi les fragments épars
que l'inscription a conservés, on rencontre parfois quelques
mesures formant une ligne élégante et pure, bien en rapport
avec l'idée que nous nous faisons de l'art grec :
Ou bien une progression de notes se répondant avec une
harmonieuse symétrie :
La période finale de la strophe est complète, à quatre
notes près :
(A suivre.)
Julien Tiersot.
LE MÉNESTREL
19
SEMAINE THEATRALE
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE
' Drame lyrique en un acte, de M. Mortier, musique d'Ippolito Raggtiianti,
d'après le drame de M. André Theuriet.
Bruxelles, 16 janvier.
La Monnaie a donné mardi la « première » de Jean-Marie, dranae
lyrique en un acte d'Ippolito Ragghianti.
Cette œuvre inédite et posthume a toute une histoire, assez tou-
chante. Ragghianti était né à Viareggio, près de Pise, de parents
pauvres, vingt ans après le dernier de ses frères. D'une santé ex-
trêmement débile, il avait montré tout jeune de vives dispositions
pour la musique. Gela commence, vous le voyez, comme toutes les
biographies de compositeurs. A sept ans, il faillit mourir d'une ménin-
gite, conséquence de son travail précoce ; mais contre sa faiblesse _
de constitution luttait son esprit toujours en éveil. A quinze ans, il
remportait à l'Académie de Florence un prix de composition.
Peu de temps après, à Milan, il entendait un jour, dans un concert,
notre compatriote, le violoniste César Thomson, se passionnait pour
son art avec l'exaltation dont son âme enthousiaste et ardente était
capable, et partait avec lui pour Liège, malgré les supplications de
ses parents, qui craignaient justement pour sa santé chancelante les
agitations et les émotions de la vie artistique.
Dans la classe de M. Thomson, il perfectionne ses dons naturels,
devient un virtuose accompli, remporte au Conservatoire toutes les
distinctions, et, après s'être fait acclamer maintes fois dans sa ville
d'adoption, où il s'était créé autant d'amis que d'admirateurs, se met
à voyager et part pour Londres, où commence pour lui une série
de succès, interrompus hélas! par la maladie.
Il va à Nice, demander au soleil un peu de forces, revient vers le
Nord, miné de plus en plus par la tuberculose, retourne à Viareggio
près de ses vieux parents et, après nne lente agonie, meurt dans
leurs bra."!, à la fin de l'année i894, à peine âgé de vingt-huit ans...
Tout en travaillant le violon, Ragghianti s'était, à Liège, adonné
à la composition avec l'ardeur qu'il apportait dans toutes choses et
n'y montrait pas moins de dispositions. On connaît de lui un con-
certo, un quatuor, des mélodies très remarqués. Son activité céré-
brale est incessante.
Et c'est ainsi que, même malade, étant à Nice, il est frappé du
caraelère émouvant — et musical — de la petite pièce de M. André
Theuriet, Jean-Marie, qui lui tombe sous la main, et aussitôt il rêve
de la mettre en musique ; l'auteur lui accorde l'autorisation néces-
saire ; un ami, un poète niçois, M. Mortier, se charge de transformer
le drame pour la scène lyrique ; et alors il se met au travail avec
acharnement et écrit sa partition, comme dans une fièvre...
Il n'eut pas le temps d'aller jusqu'au bout... L'œuvre resta inachevée,
c'est-à-dire non instrumentée; et même le manuscrit n'était-il guère
qu'un simple brouillon, plein de notes contradictoires, de surcharges,
qui durent être photographiées, examinées à la loupe, déchiffrées à
grand'peine, — sans compter une foule de détails incomplets, hàlifs,
que l'auteur eût certainement revus et corrigés, et qui ont dû exercer
longuement la patience et la sagacité de M. Paul Gilson, à qui la
famille — l'œuvie ayant été présentée et reçue à la Monnaie — ■ confia
le soin de l'orchestrer et de la mettre au point.
Grâce à l'intérêt très réel que cette partition présentait en elle-
même, ajouté à celui de ce travail de collaboration, la direction de la
Monnaie a bien fait de jouer celte œuvre d'un mort. L'entreprise
n'était point banale; et elle a eu un cachet de manifestation artis-
tique qui en a assuré le succès.
On connaît le sujet de Jean-Marie. C'est l'histoire souvent racontée
d'un disparu qu'on regrette, qui revient et qui, trouvant la place prise,
s'en retourne. C'est la chanson saintongeoise de la Femme du marin;
c'esl Jacques Damour: c'est même, avec d'autres héros, le Flibustier.
Ce petit drame, développant des passions et des sentimenis peu
compliqués, bien humains, plutôt que des événements, se prêtait par-
faitement à une illustration musicale. Le jeune compositeur parait eu
avoir saisi exactement la portée en lui donnant son expression juste
et sa couleur.
Mais ce qui est tout à fait surprenant, c'est la façon dont il s'y est
pris, très différente de celle que l'on attendait d'un compositeur
italien, aidé surtout d'un sujet qui pàr-aissait prêter plutôt à des can-
lilènes mélancoliques et à des mélodies simples, aimables et tendres...
Cette partition d'un Italien est tout ce qu'il y a de moins... italien!
Wagner chantant les amours d'un autre Tristan et d'une autre Yseult
ou traduisant les souffrances et les jalousies des dieux de la Wahalla
ne s'y fût pas pris autrement que feu Ragghianti pour dépeindre les
joies et les tristesses de Jean et de Thérèse...
Cet Italien renie du premier coup ses ancêtres et ses prédécesseurs;
il se lance à corps perdu dans le chromatisme, dans la mélodie con-
tinue, dans le récitatif, avec le drame dans l'orchestre et, à peu de
chose près, l'accompagnement sur la scène. C'est d'un modernisme à
faire bondir dans sa tombe Bellini et à donner des crispations ner-
veuses à M. Leoncavallo... Finis Italiœ!
La chose s'explique par l'éducation du jeune auteur, par son « em-
ballement » pour des œuvres et un système dont la nouveauté et l'in-
térêt agirent puissamment sur lui, au point de contre-balancer les
influences de son instruction première et de l'hérédité.
Certes, en cette première œuvre, toutes ces études, tout ce wagné-
risme, n'avaient pas eu le temps d'être complètement « digérés » ; il
en résulte une assimilation encore trop servile des formes du « Maître »,
un manque de liberté et de spontanéité qui nuit à l'inspiration per-
sonnelle de l'auteur, — en dehors de la prolixité, des longueurs, du
manque de plan dans la construction générale, qui sont l'apanage
habituel des débutants.
Mais cela ne veut pas dire qu'il s'agisse ici d'un simple décalque
plus ou moins habile ; — loin de là. Le sentiment instinctif de l'au-
teur, la mélodie de race, pourrait-on dire, abondent, malgré tout,
généreusement dans la trame de l'œuvre, et cela d'une manière si
curieuse déjà que l'on pressent ce que cette union d'une vive person-
nalité et d'une éducation musicale formée à des sources nouvelles
aurait pu produire dans la suite. Le cas, à cet égard, est des plus
intéressants, et il est unique jusqu'à présent.
Et ce qui n'a pas peu contribué à le rendre séduisant, c'est l'appui
qu'est venue prêter à cette tentative si audacieuse la collaboration
de M. Paul Gilson. Avec une sûreté de main merveilleuse, M. Gilson
a, pour ainsi dire, dissimulé les faiblesses et l'iaexpérience de l'au-
teur, dirigé ses pas, fixé son langage, fait la toilette de l'œuvre, en
la parant d'un vêtement harmonique prestigieux, d'une couleur,
d'une vie, d'une diversité d'accents absolument remarquables. A cet
égard, étant donnés surtout le système et l'importance ici tout à fait
primordiale de l'orchestre, M. Gilson a fait œuvre, non de simple col-
laborateur, mais de véritable créateur. On peut dire, sans faire honte
à la mémoire de feu Ragghianti, que le succès de celui-ci a été dû
en grande partie à celui-là... Cela s'est déjà vu en d'autres œuvres,
— non certes lointaines de nous !
Jean-Marie, interprété par M"= Mastio, MM. Isouard et Cadio, et
surtout par l'orchestre, a donc réussi beaucoup, — moins peut-être
assurément auprès du gros public que des artistes, comme toute
œuvre qui dépasse la moyenne portée ; il y avait assez longtemps,
en tout cas, qu'on ne nous avait rien donné de plus sérieusement
digne d'attention. Ce début n'aura malheureusement pas de suite
si ce n'est cependant pour l'un des collaborateurs, le plus effacé,
mais non le moins victorieux, M. Paul Gilson, qu'on attend main-
tenant avec plus d'impatience que jamais, au théâtre, avec une œuvre
à lui.
Lucien Solvay.
L'ART FRANÇAIS
SUR
LES SCÈNES LYRIQUES ALLEMANDES
Nos lecteurs savent, par les notes que nous publions chaque mois parmi
nos nouvelles de l'étranger, que les œuvres lyriques françaises contribuent
pour une large part à la formation du répertoire courant des scènes lyriques
allemandes. On aura remarqué que des œuvres qui, chez nous, sont vouées
depuis longtemps au dédain de nos deux théâtres lyriques subventionnées,
VArmide de Gluck, par exemple, et ses deux Iphigénies, Joseph de Mébul,
tes Deitx Journées de Gherubini et, dans un ordre moins élevé, le Postillon
de Lonjumeau d'Adam ou Fra Diavolo d'Auber, n'ont pas cessé, depuis leur
création chez nous, d'être jouées de l'autre côté duRhin. Plusieurs vieilles
partitions françaises qui y avaient été négligées pendant quelque temps
ont été récemment reprises avec plus ou moins de succès, comme Vtlial de
Méhul, le Clwval de bronze d'Auber, le Petit Chaperon rouge de Boieldieu,
voire les Deux Petits Savoyards de Dalayrac et les Deux Avares de Grétry.
Certes, la part que les scènes allemandes donnent à l'art français n'est
pas partout la même. Parmi les grands théâtres subventionnés par les
souverains. Vienne lui accorde l'hospitalité la plus large, Munich la plus
restreinte; mais il n'existe pas une scène allemande, pas une seule, qui
ne tablerait sur plusieurs opéras français, surtout des opéras-comiques,
pour varier agréablement son répertoire. Un opuscule (1) publié par
(1) Opern-SlatKlik der dmlschm Biwhnen, von Max Friedlrnnder, Leipzig, Bre:t-
kopf und Ilœrtel, 1895.
20
LE MENESTREL
M. Max Friedlœnder, de Berlin, chez MM. Breitkopf et Haertel à Leipzig,
sous le titre Statistique de l'opéra sur les scènes allemandes en 'IS94, nous donne
sous ce rapport des indications presque complètes qui ne manquent pas
d'un grand intérêt.
L'auteur s'est donné la peine de se renseigner sur toutes les représenta-
tions lyriques qui ont eu lieu en 1894 sur les scènes européennes où l'on
clianteen langue allemande, même en Russie et en Suisse, de les grouper
d'après les noms des compositeurs et d'indiquer dans cet ordre, pour chaque
œuvre du même compositeur, combien de fois elle a été jouée sur toutes
les scènes de langue allemande pendant l'année en question. Celte statis-
tique n'est pas absolument complète, comme M. Friedlœnder l'explique
lui-même, et nous avons, par exemple, trouvé, à l'aide de la comptabilité
du Ménestrel au sujet des droits d'auteur, que Mignon a été jouée sur deux
petits théâtres allemands que M. Friedlaînder ne mentionne pas. Mais
malgré ces lacunes, que l'auteur comblera sans doute quand il publiera sa
statistique pour ISOd, son petit ouvrage nous offre des données fort signi-
ficatives sur la popularité dont certaines œuvres françaises jouissent de
l'autre côté du Rhin.
Nous apprenons par la statistique de M. Friedlaender que Faust n'a pas
perdu sa grande popularité en Allemagne ; on l'a joué, en tout, 204 fois,
dont 10 à Berlin. La collaboration de Goethe semble y être pour quelque
chose, car Pliilémon et Baucis n'a eu en tout que 15 représentations, Roméo et
Juliette 9 seulement, et Mireille aucune. Après Faust il faut citer Carmen
avec 180 et Mignon avec 107 représentations. Ces trois partitions sont res-
tées les plus populaires en Allemagne. Meyerbeer est en baisse. Les Hugue-
nots avec 96 représentations et l'Africaine avec 7i font encore assez bonne
figure ; mais le Prophète est tombé à 48 représentations, Bobert le Diable à 23,
et le Pardon de Pioërmel à 8, tandis que l'Etoile du Nord a complètement
disparu. La Juive avec S" représentations et Guillaume Tell avec b"2, se
maintiennent fort bien. Parmi les compositeurs d'opéra-comique, Adam
compte en tout 134 représentations avec le Postillon de Lonjumeau et la Pou-
pée de Nuremberg. Auber arrive à 149 représentations, dont 96 de Fra-Diavolo,
Boieldieu à 52 représentations dont 4i de la Dame blanche. C'est peu quand
on pense qu'on a joué 103 fois la Fille du Bégiment et 72 fois les Dragons de
Villars. En 1894, Manon et Werther avaient à peine commencé leur carrière
sur les scènes allemandes, et nous ne trouvons enregistrées que leurs
premières représentations à Vienne avec celles d'Hérodiade à Breslau.
Le rôle de l'art frarçais dans le répertoire des scènes allemandes nous
paraît d'autant plus important que Richard Wagner n'a pas cessé de
dominer l'art lyrique en Allemagne. Dans certaines grandes villes comme
Berlin, Munich et Leipzig, on joue du Wagner deux et trois fois par
semaine. Le maître de Bayreuth arrive cependant seulement à 1.037 re-
présentations, malgré l'appoint du théâtre de Bayreuth qui, comme on sait,
a donné des représentations en 1894. Les œuvres françaises comptent, en
totalité 1 .496 représentations ; ils dépassent donc, et de beaucoup, le réper-
toire de Richard Wagner.
Il ne nous paraît pas superflu d'emprunter à l'opuscule de M. Fried-
laender encore quelques chiffres significatifs. Mozart, avec huit ouvrages,
com.pte 449 représentations, Weber 409, Lortzing 490, Beethoven, avec
l'unique Fidelio, 149 représentations. Voilà les seuls compositeurs d'opéras
allemands, en dehors de Richard Wagner, qui soient restés debout. Le
répertoire italien, qui dominait tout en Allemagne il y a un quart de
siècle à peine, est fortement en baisse. On a joué neuf ouvrages de Verdi,
qui ont fourni 572 représentations. Bellini est tombé à 39 représentations
etDonizetti, avec sept ouvrages, à 51. Nous avons naturellement, excepté
la Fille du Régiment, qui appartient à l'opéra-comique français. CauaKeria
rusticana compte bien 515 représentations et i Pagliacci 467, mais c'était
justement l'année de leur vogue extraordinaire, et la statistique pour 1895
nous fera voir déjà de ce côté une diminution importante. 0. Bn.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
■ Le programme de la sixième séance de la Société des concerts s'ouvrait
par la symphonie en ré de Beethoven, la seconde dans l'ordre adopté,
celle que le maître dédia au prince Lobkowîtz et qui fut exécutée pour la
première fois à Vienne en 1800 selon les uns, selon d'autres le ."j avril 1803.
Dire que dès lors l'immortel créateur se trouvait en proie au mal qui
devait empoisonner son existence, qu'il était atteint de cette surdité par
laquelle sa vie fut transformée en un long supplice et qui ne l'empêcha
pourtant pas d'enfanter tant et de si incomparables chefs-d'œuvre .' Celte
seconde symphonie revêt un caractère tout particulier parmi toutes celles
de Beethoven. A par' l'admirable et pathétique adagio, par lequel elle
s'ouvre, tout y semble souriant, aimable et plein d'une grâce joyeuse.
L'œuvre est d'une jeunesse et d'un chariïie vraiment entraînants. Elle a
été dite par l'orchestre avec sa verve, son feu et son éclat habituels. Venait
ensuite la Mer, l'ode-symphonie bien connue de M. Joncières, que le
Conservatoire avait fait entendre pour la première fois voici quinze ans
déjà, le 9 janvier 1881. Le solo en était chanté par M"« Landi, qui s'en
est fort bien acquittée et qui a partagé les applaudissements adressés à
l'œuvre elle-même. Nous retrouvions alors jiour la seconde fois le nom de
Beethoven avec l'ouverture si étonnamment puissante et si prodigieusement
dramatique de Coriolan, dont le début seul serait un trait de génie, puis
nous avions le second acte de l'Orphée de Gluck, ce chef-d'œuvre d'un autre
genre. Ici, on est tenté d'établir une comparaison et de se demander ce
qu'aurait fait Wagner, l'artiste à la complication effrénée, en présence
d'un pareil poème et avec les moyens simples à l'aide desquels Gluck est
parvenu à inspirer à ses auditeurs une émotion si profonde, si intense et
parfois si profondément douloureuse. L'auteur à'Orphér n'emploie pour
ainsi dire jamais son orchestre au complet. Peu ou point de cuivres; avec
le quatuor, sur lequel il s'appuie résolument, les bassons et les flûtes jouent
un rôle important, tandis que le hautbois et la clarinette n'interviennent
que par instants pour obtenir un effet particulier. Et pourtant cet orchestre
est parfois saisissant, et il arrive à des effets d'une couleur enchanteresse.
M"° Landi a chanté le rôle d'Orphée d'une voix pénétrante et sûre, avec
un style excellent et sobre, qui lui ont valu un succès brillant, légitime et
de très bon aloi. Elle a été très heureusement secondée par M™ Gabrielle
Rieu, qui a su justement aussi se faire applaudir. Il serait injuste de ne
pas adresser en même temps les éloges qu'il mériireà M. Hennebains, dont
la ffùte s'est tout particulièrement distinguée dans les délicieux airs de
ballet des Champs-Elysées. Ce programme magnifique se terminait par la
superbe et fulgurante polonaise de Strucnsér. de Meyerbeer, que l'orchestre
a enlevée, selon sa coutume, avec une verve, une crânerie et une fougue
merveilleuses. A. P.
— Concerts du Chàtelet. — La musique de la Damnation de Faust semble
posséder le don de l'éternelle jeunesse, don précieux que la fée Mélodie
a rarement laissé tomber sur une œuvre naisssante avec une telle pléni-
tude. Que sont devenues, en effet, les œuvres contemporaines de celle de
Berlioz, à deux ou trois exceptions près? Ecrite avant 1846, la Damnation
de Faust conserve encore toute son originalité, toute sa fraîcheur. On n'a
pas eu le temps de s'en lasser, pourrait-on dire ; mais ce n'est pas le nom-
bre des auditions qui vieillit un ouvrage ; ce sont les formules trop in-
dulgentes, les pauvretés instrumentales, la débilité des mélodies, toutes
choses qui finissent par causer l'anémie de l'œuvre et nécessiter sa mise
en réforme. Les temps sont loin, sans doute, où la Damnation de Faust per-
dra sa place d'honneur aux programmes des concerts, mais alors même,
elle apparaîtra de loin en loin à titre d'œuvre typique ayant rempli toute
une époque de sa célébrité; elle reviendra, comme revient parfois la Pas-
sion de Bach, toujours acclamée comme géniale, toujours impressionnante
et toujours goûtée d'une élite. Les séances consacrées à la Damnation se
ressemblent toutes : mêmes applaudissements, même bis aux mêmes en-
droits, et ces bis sont tellement d'usage que le public s'abstient quelquefois
de les demander, mais se fâche et interrompt violemment si M. Colonne
fait mine de passer outre. En ce cas, les protestations nous arrivent des
hautes régions de la salle, ce qui faisait dire à un habitué des fauteuils
qu'exaspérait la froideur de ses voisins, que l'enthousiasme vient du ciel.
L'interprétation est en partie renouvelée. M. Cazeneuve n'est pas arrivé à
cette pureté d'émission, à cette épuration du style qui agissent plus effica-
cement qu'une sonorité forte, mais peu maîtrisée. Ses intentions se feront réa-
lité après quelques efforts nouveaux, car il est en bonne voie pour réussir.
M. Auguez n'est jamais médiocre. Le voici excellent dans la chanson de
la Puce et dans la sérénade, qui ne semblaient pas lui convenir, et su-
perbe dans l'air des Roses. M. Nivette conduit avec entrain YAmen. Quant
à M"'= Marcella Pregi, elle est la perle de cette interprétation. La musique,
parée d'attraits exquis, grâce à sa délicieuse méthode, nous donne la vision
même de cette poétique image que Berlioz a dessinée avec une prédilec-
tion toute particulière et aux traits si habilement modelés.
Amédée Boutarel.'
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Opéra: A la Villa Médicis (Biisser), suite symphonique, dirigée par l'auteur. —
Fragment du deuxième acte d'CEdipeà Colone (Saochini), chanté par M"°Lafargue
et M. Delmas. — Le Songe de /a Sutamiie (Bachelet), chanté par M"° Bosman et
M. Affre, sous la direction de l'auteur. — Danses anciennes, par M"" Mauri,
Subra et le corps de ballet, — Prologue de Françoise de Rimini (Amb. Thomas),
chanté par M"" Heglon et Lafargue, MM. Renaud et AtTre. — Suite d'orchestre
(Hirschmann), dirigée par l'auteur
Chàtelet, concert Colonne : 76' audition de la Damnation de Faust (Berlioz), soli :
M"' Marcella Pregi, MM. Cazeneuve, Auguez et .Xivêtte.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux: Ouverture de la Flûte en-
chantée (Mozart). — Symphonie en ut mineur (Beethoven). — Stella (Lutz), chanté
par M"° Passama. — Concerto en sol mineur pour piano (Saint-Saëns), exécuté
parM. Louis Livon.— S(ey/n:ed/di///( Wagner).— Ouverture de 7'a)inftSuser( Wagner)
Concert du Jardin d'accUmatation, chef d'orchestre : Louis Pister. Programme :
Oberon . ouverture (Weber); Le Roman d'Arlequin (Massenet); a. Rêverie de
Golombine, B. Sérénade d'Arlequin ; fiî/mne iiupliw/ (ïh. Dubois); Suite pour
violon et orchestre (P. Chabeaux); violon, M. A. Lefort; Symphonie en sol
mineur (Mozart, andante, menuet ; Chanson de Printemps (Mendeissohn) ; Benri VIII
suite d'orchestre (Saint-Saëns) ; Jocelyn, carillon (B. Godard).
Jeudi dernier, quatrième et fort belle séance de la société de musique
de chambre moderne de MM. I. Philipp, Berthelier, Loeb et Balbreck,
avec le concours de M. Lammers. Elle s'ouvrait par le quintette pour
piano et cordes de César Franck, œuvre bien longue et bien inégale, dans
laquelle l'intérêt est émoussé par des développements arides et qui ne
paraissent pas avoir leur raison d'être. Le meilleur morceau est certaine-
ment le lento, dont la couleur générale est tondue et harmonieuse. Le pro-
gramme comprenait ensuite la première audition d'une fort belle sonate
pour piano et violoncelle de M.' Emile Bernard, dont l'e.'ccellente exécu-
,tion de MM. Philipp et Loeb a fait ressortir, avec sa rare distinction,
toutes les nobles qualités. J'en citerai tout particulièrement l'adagio, qui
est d'une mélancolie, voire d'une tristesse parfois poignante, et l'allégro
LE MENESTREL
21
final, qui, tout au contraire, se distingue par le mouvement, la grâce et
une vivacité pleine d'élégance. Le quatuor op. 66 de Rubinstein est,
comme toutes les productions de ce maitre, l'œuvre inégale d'un homme
de génie, qui, en regard de quelques faiblesses, étonne par sa puissance
et certains éclairs admirables. Surtout l'allégro con fuoco qui le termine est
très crâne, très coloré, très original et d'un effet infaillible. A. P.
— MM. Carembat, Bailly, Papin, Lafleurance, Paradis, Couppas,Pénable
et Soyer. de l'Opéra et de la Société des Concerts, viennent de donner,
avec le concours de M. I. Pbilipp, le premier des trois concerts annoncés
par eux. Un nonetto de Maumann, une œuvre tout à fait réussie, d'une
jolie sonorité, était d'abord inscrit au programme. Puis l'on a entendu et
très vivement applaudi les Veillées de Schumann, pour piano, clarinette et
alto, remarquablement interprétées par MM. I. Philipp, Paradis et Bailly,
et l'octuor pour piano, cordes, flûte, clarinette et cor de Rubinstein, dont
l'exécution a été très brillante. Rarement joué, cet octuor renferme cepen-
dant des parties exquises, notamment un scherzo du plus charmant effet.
CHRONIQUE DE BARCELONE
Barcelone, 10 janvier 1896.
Après l'audition accoutumée des ouvrages plus ou moins réputés du ré-
pertoire ordinaire, la direction de notre Gran Teatro dei, Liceo nous a enfin
donné une œuvre complètement nouvelle, depuis longtemps annoncée :
Pépita Gimenez, comédie lyrique en 7 tableaux, rie M. Isaac Albéniz.
Le récent succès de M. Albéniz', — succès du meilleur aloi et qui faisait
concevoir les plus belles espérances — avec son opéra HeJiri CHIford, avait
attiré l'attention sur lui.
Aussi l'eslreno (étrenne) de Pépita Gimenez avait attiré au Liceo tout ce que
Barcelone compte d'aficionados du divin arte de la musica.
Le livret de Pépita Gimenez est tiré d'un petit volume portant le même
titre, œuvre justement célèbre de M. Valera,mais qui, tout exquise qu'elle
soit dans sa formé, n'est guère qu'une espèce d'idylle, dépourvue d'action,
de mouvement, de passion, et ne renferme aucunement les éléments scé-
niques d'un drame, d'une comédie, et encore moins d'un opéra.
Or, s'identifiaut avec beaucoup de talent d'ailleurs à son livret, le jeune
compositeur n'a pu le traduire musicalement que d'une façon... poétique,
certes, mais naturellement un peu terne et grise.
M. Albéniz s'efforce tant qu'il peut de se montrer wagnérien. Mais, en
musique, pour faire du Wagner, il faut être 'Wagner lui-même. C'est un
genre, à notre avis, impossible à s'assimjler. Hélas! c'est précisément cet
engouement irréfléchi, cette manie à la mode inconsidérée qui ont fait
dévoyer, qui ont perdu tant de charmants talents ! Et nous craignons fort
que le compositeur d'Henri CUfford et de Pépita Gimenez, qui est avant tout
un mélodiste, ne se laisse entraîner par le symphonisme à outrance, et
n'arrive à s'y noyer.
Ce serait grand dommage.
La nouvelle œuvre n'est, en efi'et, qu'un long enchainoment de phrases
entrecoupées, inachevées, sans suite, reliées entre elles par une harmonie
bien ordonnée, parfois élégante, mais le. plus souvent sans chaleur, sans
spontanéité.
C'est une revanche à prendre. M. Albéniz est solvable ; s'il ne gaspille
pas trop sa belle monnaie d'art, il ne nous la fera pas attendre. C'est ce
que nous désirons et enregistrerons avec grand plaisir. Mais, pour Dieu !
qu'il ne cherche pas à wagnériser ; qu'il albénize tout simplement, et tout
le monde sera content.
L'interprétation de Pejjifa Gimenez n'a été que médiocre : le défaut d'études
et de répétitions se faisait par trop sentir. Sauf M"'= Zilly, une Pépita cor-
recte, et le baryton Tissi;yre, excellent dans un rôle trop court, personne
n'est à citer.
Presque en même temps que le Liceo, le théâtre populaire d'El Tivoli nOMS
offrait également une nouveauté — et un opéra en 3 actes, s. v. p. — inti-
tulée Aurora, du maestro fsicj Espi, ouvrage « étrenné » à Madrid au cours
de la saison dernière, avec un colossal succès, disent modestement les
afSches. Au contraire de celle de M. Albéniz, la partition de M. Espi n'est
qu'une en01ade de morceaux détachés, plus ou moins coulés dans les vieux
moules du bon vieux temps. La mélodie, sans être d'une bien grande ori-
ginalité, est cependant parfois d'assez bonne venue, et se laisse écouter
sans fatigue ni ennui. Mais quelle singulière orchestration que celle du
maestro Espi, et quelle bizarre entente des sonorités! Ah! celui-ci ne
cherche pas à faire du Wagner ! Nous n'avons point le courage de lui en
trop vouloir ; mais c'est égal, il devrait bien prier son confrère du Liceo de
lui repasser un peu de ses tendances ultra-modernistes.
Aurora est montée avec soin, bien jouée, et très convenablement chantée.
A.-G. Bertal.
NOUA^ELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 janvier) :
M. Vincent d'Indy, n'entendant plus parler de son Fervaal, est venu ces
jours derniers à Bruxelles, et il a appris que l'œuvre était remise à l'an
prochain, ce à quoi il a accédé, après que les directeurs lui eurent démon-
tré l'impossibilité matérielle qu'il y avait à étudier une partition aussi dif-
ficile que la sienne à la fin de l'année théâtrale, encombrée de reprises et
de représentations extraordinaires. Plutôt que d'être « étranglé » ou mal
soigné, M. Vincent d'Indy a préféré naturellement attendre quelques mois
encore, la vie de compositeur dramatique étant faite de patience et de
longanimité. Frrvaal (MM. Stoumon et Calabresi s'y sont formellement
engagés), sera la première nouveauté de la prochaine saison, ce qui nous
annonce en même temps qu'il nous faudra attendre jusqu'au mois de dé-
cembre pour avoir autre chose que des reprises ou du répertoire.
En fait de concerts, j'espérais avoir à vous signaler avec joie celui qu'est
venu diriger dimanche dernier, à la Grande-Harmonie, M. Borch, un jeune
chef d'orchestre de Christiania, et qui était consacré exclusivement à Svend-
sen, à Grieg... et à M. Borch lui-même; malheureusement, ce concert a
été compromis par une exécution vraiment par trop sommaire. Les œuvres
de Svendsen (une symphonie et un Andanie funèbre), et celle de Grieg (la
Suite-Holberg), inscrites au programme, ne comptent pas parmi les meil-
leures de ces délicieux compositeurs ; et celles de M. Borch (des fragments
de Féerie et un concerto pour piano), n'ont point paru assez originales pour
éompenser l'insuffisance de l'interprétation. Lucien Solvay.
— Est-ce que la saison de carnaval va ramener une série de désastres
pour les théâtres italiens ? Voici qu'on annonce déjà la déconfiture, à
Venise, du théâtre Rossiui. qui a fermé prématurément ses portes et dont
la troupe reste sur le pavé.
— Pour cette saison de carnaval, voici le nombre des théâtres ouverts
dans les principales villes d'Italie : 8 à Rome, dont deux consacrés à l'opéra,
le Nazionale et l'Argentina; 10 à Milan, dont 3 avec opéra, Scala, Dal
Verme et Philodramatique; 8 à Turin, dont deux avec opéra et ballet
Rbgio et Vittorio-Emanuele; 8 seulement à Naples (600,000 habitants),
dont deux avec opéra, San-Carlo et Mercadante ; 11 à Gênes, dont un seul
avec opéra et ballet, le Garlo-Felice; 6 à Florence, dont un seul aussi avec
opéra, le Pagliano; 2 seuls à Livourne, dont un avec opéra, le Goldoni ;
enfin 3 seulement à Venise, dont deux avec opéra, le Goldoni et le Rossini;
encore ce dernier vient-il de fermer, â peine ouvert. En somme, comme
on le voit, les scènes lyriques sont peu nombreuses dans les grandes villes.
— Les wagnériens convaincus vont crier raca sur les dilettantes romains,
indignes d'apprécierdans les conditions qui conviennent les chefs-d'œuvre
du maitre. Il parait en effet qu'un certain nombre d'abonnés et d'amateurs
du théâtre Argentina, où l'on joue en ce moment la Valkyrie, ont exprimé,
par une lettre adressée au Don Chisciotte, le désir de voir mettre un terme
à l'obscurité qui règne au théâtre pendant les représentations de l'ouvrage.
Ces philistins prétendent que, « d'après les lois mêmes de la nature, les
ténèbres, loin de réveiller l'intelligence, la poussent à s'endormir ». Ils
demandent donc avec instance un po' di luce. A.-t-on idée de pareille sot-
tise? — Pendant ce temps, on annonce que les étudiants de l'Association
universitaire de Turin, où l'on joue d'autre part le Crépuscule des Dieux,
préparent une parodie tant du poème que de la musique de cet ouvrage,
parodie qu'ils représenteront devant le public qui visite l'exposition de
photographie ouverte par eux dans leur salle de réunion. « Comme avec
irrévérence parlent des dieux ces marauds I »
— A Naples, où il s'est rendu en quittant Milan, M. Saint-Saëns a assisté
à un concert symphonique donné dans la salle Romaniello sous la direc-
tion de M. Rossomandi. Après l'exécution de la Danse macabre, qui était
inscrite au programme, le compositeur a été l'objet d'une grande démons-
tration de la part du public, qui l'a acclamé et qu'il a dû venir saluer sur
l'estrade.
— Au Théâtre-Royal de Turin aura prochainement lieu la première
représentation de Saivitri, drame lyrique de M. Ganti. M"» d'Ehrenstein,
de l'Opéra impérial de Vienne, a été invitée à créer le rôle de Sawitri,
une Eurydice indienne qui obtient de Brahma la vie de son époux défunt.
La direction de l'Opéra de Vienne a accordé un congé à sa pensionnaire
pour qu'elle puisse chanter à Turin.
— On' organise à Pesaro, pour le 29 février, anniversaire de la naissance
de Rossini (qu'on ne peut célébrer exactement que dans les années bis-
sextiles), une grande solennité musicale. M-. Mascagni, directeur du Lycée
Rossini, fera entendre une de ses compositions, et il est probable qu'on
exécutera la « petite messe solennelle » du maître, qui serait chantée par
quelques-uns des artistes les plus célèbres de l'Italie.
— On vient d'ouvrir à Naples, entre les musiciens italiens, un concours
de composition pour le prix Bellini fondé par Francesco Florimo. Ce con-
cours comprend : 1° une cantate « pour chœurs, voix seules, dialogues et
orchestre », sur les vers du poème de Giovanni Prati : Convegm degli spirili;
2° un poème symphonique, du troisième au quatrième acte de VAdclchi de
Manzoni. Le concours est circonscrit entre les artistes qui n'ont pas dépassé
leur trentième année.
— On vient d'instituer, au Lycée musical de Turin, une chaire d'histoire
et d'esthétique musicales. Cet enseignement est confié à un jeune écrivain
que l'on dit fort instruit, M. L. A. Villanis, avocat, critique musical de
la Gazzetta di Torino,
— Au théâtre Mercadante, de Naples, première représentation d'un opéra
nouveau intitulé Onore, paroles de M. F, Verdinois, musique de M. Gon-
siglio. L'ouvrage a été bien accueilli.
LE MlDNESTREL
— Un comité s'est formé, à Vienne, pour faire représenter une grande
œuvre lyrique, la Terre (Gaea), du compositeur Adalbert de Goldschmidt,
l'auteur, des Sept Péchés capitauœ qu'on connaît à Paris. Cette société vient
de publier, en vue de réunir les fonds nécessaires, un appel aux amateurs
du grand art qui porte, entre autres, les signatures de MM. Massenet, La-
moureux. Zola, Alphonse Daudet, Maîterlinck, Johann Strauss et du ténor
Van Dyck, qui fait aussi partie du comité en question.
— Une collection remarquable d'instruments musicaux îst mise en
vente à Vienne. Elle appartient à M. Charles Zach, facteur d'instruments
à archet, et a figuré à l'exposition du théâtre et de la musique à Vienne,
il y a quelques années. On y trouve le piano à queue dont Beethoven s'est
servi pendant longtemps et dont il fit cadeau à un de ses élèves ; le pro-
priétaire en demande vingt mille francs. Un comité est en train de se
former à Vienne pour faire l'acquisition de cette collection au complet,
que convoite aussi un musée étranger.
— Le compositeur et chef d'orchestre militaire Charles Komzàk quitte
l'armée autrichienne, où il est fort populaire, pour se consacrer au théâtre
et à la composition musicale. A cette occasion, trois de ses collègues ont
organisé à Vienne une soirée d'adieu, à laquelle assistait un public fort
nombreux. Les musiques militaires de quatre différents régiments, en tout
près de trois cents musiciens, ont exécuté sous la direction successive de
Komzàk et de ses collègues plusieurs morceaux, surtout des compositions
de Komzàk. L'exécution était irréprochable, malgré le grand nombre de
musiciens appartenant à quatre régiments différents qui n'avaient jamais
eu l'occasion de jouer ensemble. La presse viennoise remarque que la
vieille réputation des musiques militaires autrichiennes n'est pas moins
méritée de nos jours qu'autrefois.
— Une nouvelle opérette, le Major de table d'hôte, paroles tirées de la
célèbre pièce de Gogol, le Reviseur, musique d'Alexandre Neumann, a été
jouée avec beaucoup de succès au théâtre de la Joseftadt à Vienne.
— Un fait sans précédent est arrivé à la chapelle royale de Berlin : son
dernier concert a dû être dirigé par le premier violon, M. Halir, le chef
d'orchestre "Weingartner, s'étant blessé à la main, son collègue M. Sucher
étant la victime de l'influenza, et le troisième chef d'orchestre, M. Muck,
ayant obtenu un congé pour donner un concert à Budapest. Les deux chefs
d'orchestre pour les petits opéras et le ballet ne voulaient pas risquer
l'entreprise, et le premiir violon s'est bravement offert. Tout a marché,
du reste, à souhait, mais l'affaire a fait beaucoup de bruit parmi les
abonnés et les autres amateurs de Berli n.
— Grand succès pour VHamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra royal de
Budapest, avec le célèbre chanteur italien Fumagalli dans le rôle principal.
Cette reprise brillante d'Hamlet fait beaucoup d'honneur au théâtre, et les
journaux de la capitale hongroise s'expriment dans des termes enthou-
siastes sur cette belle soirée.
— Le théâtre municipal de Nuremberg prépare la première représen-
tation d'un nouveau drame lyrique, une Expédition de Viking, musique de
M. Félix Woyrsch.
— Richard Strauss est en train de terminer un opéra-comique, la Sor-
cière de Scharfenberg, sur des paroles de M. 0. J. Bierbaum.
— Le Musikverein de Ma nheim a eu l'idée d'exécuter, presque en entier
et sous forme de concert, dans sa dernière séance, un des opéras les moins
connus aujourd'hui de Mozart, Idomeneo, re di Creta. Il paraît que, en
dépit de la valeur de l'exécution, cet essai n'a obtenu aucun succès. On
sait qu'/doménée fut représenté pour la première fois à Munich le 26 jan-
vier 1781. alors que Mozart venait, depuis deux jours, d'accomplir sa vingt-
cinquième année. Ce qu'on sait moins, c'est que le livret de cet ouvrage,
dû au poète Varesco, n'était qu'une traduction presque exacte d'un de nos
opéras, Idoménée, que Danchet, membre de l'Académie française, avait écrit
pour l'excellent compositeur Campra, et qui fut représenté à notre Opéra
le 12 janvier 1712.
— Un nouvel opéra, Dans une grande époque, paroles de M. Hausmann,
musique de M. Ernest Heuser, vient d'être joué avec un certain succès au
théâtre municipal d'Elberfeld.
— Un nouvel opéra-comique, le Trésor de Rliampsinit , musique de
M. Albert Gorter, a été joué avec succès au théâtre grand-ducal de Carls-
ruhe.
— M. Hermann Levi, le célèbre chef d'orchestre de l'Opéra de Munich,
qu'une grave maladie nerveuse empêchait depuis quelques mois d'exercer
ses fonctions, vient d'obtenir un congé illimité pour rétablir sa santé.
M. Levi n'ira donc pas cet été à Bayreuth.
— Le ministre de la justice de Suède ayant consulté plusieurs associa-
tions sur l'opportunité d'une révision de la législation intérieure en vue
de l'adhésion de la Suède à la convention de Berne, concernant le droit
d'auteur, les directeurs des deux théâtres royaux et les sociétés d'éditeurs
ont successivement déconseillé toute démarche tendant à signer ladite
convention. Ces intéressantes associations préfèrent naturellement pouvoir
s'approprier en toute tranquillité le mouchoir du voisin. D'ailleurs, nos
bons alliés les Russes sont du même avis et pratiquent aussi avec succès
le maniement de l'art à la tire. Alors, qu'aurions-nous à dire aux Suédois,
qui ne sont pas nos alliés ?
— Un riche dilettante russe, M. le baron Paul von der Wies, vient, dit-on,
de faire don au Conservatoire de Moscou, pour sa nouvelle salle de con-
certs, d'un grand orgue du prix de 30.000 roubles (environ 120.000 francs).
— L'un des concerts donnés à Saint-Pétersbourg par le jeune pianiste
Hofman, a rapporté la somme de 7.300 francs. Pour exprimer la vénéra-
tion qu'il porte à la mémoire de son maître, Antoine Rubinstein, le jeune
artiste a versé toute cette somme à l'œuvre du Fonds-Rubinstein.
— Très remarqué à Pétersbourg, le jeune violoncelliste belge, M. Jean
Gérardy, qui s'est fait entendre avec grand succès aux concerts du Conser-
vatoire.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, la direction du Théâtre-Royal de
Madrid estdéclarée en faillite, ce théâtre est fermé et la troupe se débande.
Il nous semble que la cause de ce sinistre doit être,plus sérieuse que celle
que le Trovatore nous raconte en ces termes : « Les artistes qui composaient
la compagnie du Théâtre Royal de Madrid doivent vraiment une grande
reconnaissance à la sottise d'une blanchisseuse qui, pour n'avoir pas été
payée de deux blanchissages, a causé la fermeture du théâtre. Ainsi, cette
blanchisseuse a porté un dommage énorme à tous les artistes, a ruiné le
pauvre directeur et a fait rester sans théâtre le public madrilène. Il faut
lui élever promptement un monument... »
— La Société pour madrigaux d'Eton s'est fait entendre avec un succès
énorme devant la reine Victoria, au château de Windsor. Parmi les exécu-
tants se trouvait la princesse Victoire de Sleswig-Holstein. On a forte-
ment applaudi un charmant madrigal du roi Henri VIII. Ce terrible
Barbebleue fut, comme on sait, un des meilleurs compositeurs anglais
qui précédèrent Henry Purcell, et ses madrigaux ont une tournure senti-
mentale qui surprend doublement quand on pense au sort qu'il réservait
aux reines qui avaient cessé de lui plaire.
— A Londres existe un théâtre juif connu sous le litre pompeux de Tlw
Hebrew Opéra Company., Cette compagnie d'opérahébreu a quelque tempspar-
couru l'Amérique, où se trouvent beaucoup d'émigrants juifs venus de la
Russie et delà Pologne, et s'est fixée à l'East End de Londres, qui est, comme
on sait, le quartier des pauvres, quelque chose comme notre ancienne rue
Mouffetard. Le théâtre juif joue des pièces tirées de la Bible, de la légende
et de l'histoire des Juifs, et aussi des farces modernes d'un naturalisme
outrancier. Ces pièces rappellent, par la simplicité de leur charpente et
la naïveté du dialogue, le théâtre du moyen âge; celles qui sont tirées de
l'histoire sainte ressemblent, sous plus d'un rapport, aux poésies naïves
des maîtres chanteurs de Nuremberg, dont Richard Wagner s'est moqué
avec humour dans son célèbre opéra. Toutes sont jouées dans ce jargon
juif que les Israélites russes et polonais parlent entre eux et qui est, en
somme, le vieux dialecte allemand de l'Alsace émaillé de mots russe et
polonais. Ils appellent ce mélange de langues Yiddisch. La musique ne
manque pas non plus au théâtre hébreu; elle est intercalée dans toutes les
pièces du répertoire et contient non seulement des cantiques et des chants
liturgiques hébreux, qui remontent au temps du temple de Jérusalem,
mais aussi des compositions très modernes. Nous y avons constaté la
présence de plusieurs airs de la Juive, ce qui n'a rien d'étonnant puisque
Halévy s'est servi, dans cet opéra, de plusieurs mélodies fort anciennes de
sa race; mais Meyerbeer n'y manque pas non plus. Los Juifs polonais et
russes ont une grande prédilection pour les « cocottes, » et Bellini etRossini
ont été mis aussi à contribution pour la musique de leur opéra hébreu;
à notre grande stupéfaction, nous y avons enfin rencontré, sous un dégui-
sement léger, l'air de Philine de ilignon et un air du t-'àid, d'Ambroise
Thomas, qui ne se doute guère de sa popularité dans un milieu pareil.
L'Opéra hébreu ne pèche pas par un grand luxe de mise en scène; les
costumes n'ont aucune prétention à ce vérisine que les Italiens adorent
actuellament, et les décors sont d'une naïveté presque ridicule. Moïso est
tiré d'un bassin de Hyde Park; la belle Ruth se promène sous les .irbres
de Bushy Park et le roi Salomon fait sa joyeuse entrée dans une rue de
Jérusalem qui n'est autre que le Strand de Londres, avec ses lanternes
multicolores et des maisons dépourvues de toute architecture. Mais, sous
un certain rapport, l'Opéra hébreu ressemble à celui de Bayreuth : dès que
le rideau se lève, tous les becs de gaz cessent de fonctionner et, entre les
acteurs et le public, s'ouvre « l'abîme mystique » dont parle Richard
Wagner. Nous croyons que le brave régisseur de l'Opéra hébreu n'a pas
pensé â la théorie du maître de Bayreuth en créant son «abîme mystique»,
mais plutôt à la note de la compagnie du gaz. Si ce public manque
furieusement de snobisme, il ne laisse rien à désirer au point de vue de
l'enthousiasme. Impossible de trouver des amateurs plus passionnés et
plus faciles à émouvoir que ces pauvres artisans juifs, pour la plupart
tailleurs et cordonniers, qui travaillent pendant douze heures par jour
pour pouvoir se payer, une fois par semaine, le luxe d'une soirée d'opéra.
Comme il y a plus de quarante mille Juifs russes et polonais à Londres,
l'Opéra hébreu au Standard-Théâtre fait de bonnes affaires; il attire même
quelques amateurs du Westend, qui désirent connaître ce théâtre excen-
trique.
— Dépêche de New-York : « La représentation du Mcphistopliélh de Boito
a été un triomphe pour M"" Emma Calvé, qui a interprété le rôle de Mar-
guerite en grande cantatrice et en grande comédienne. Au cours de cette
belle soirée, elle n'a pas été rappelée moins de dix fois par une salle en-
thousiaste qui, à la fin du spectacle, lui a fait une véritable ovation. »
Lt MÉNESTREL
23
— On ne s'ennuyait pas à Johannesburg lorsque l'invasion du capitaine
Jameson est venue apporter quelque trouble dans- les coutumes de la vie
quotidienne. Il paraît que les concerts faisaient rage (dans le Sud-Afrique !)
et que, entre autres, on entendait chaque soir, à l'Amphithéâtre, un petit
orchestre de dames viennoises dont le succès était complet. Cette petite
phalange symphonique était fort bien dirigée par une jeune fille, M"° Clara
Kirclimayer, vaillante violoniste, qui se faisait personnellement et vive-
ment applaudir en exécutant des solos, particulièrement dans une fantaisie
sur Fausl qui lui valait de réelles ovations.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Nous recevons communication de la note suivante :
MM. les compositeurs de musique qui prennent part au concours musical
ouvert, en 1894-1896, par la ville de Paris entre les musiciens français, pour
la composition d'une œuvre musicale avec soli, chœurs et orchestre, sous la
forme symphonique ou dramatique, sont prévenus qu'ils devront, aux termes
du programme de ce concours, déposer leurs manuscrits à la Préfecture de la
Seine, Bureau des beaux-Arts (Escalier D), du 1" au 16 mars prochain, de midi
à4 heures (le dimanche excepté).
Les concurrents qui désireront garder l'anonyme devront revêtir leurs manus-
crits d'une épigraphe reproduite dans un pli cacheté.
Dans ce cas, ils devront :
Soit en faire elTectuer le dépôt par un représentant parisien dont l'adresse
sera connue; soit, s'ils envoient leurs manuscrits par la poste, se faire connaître
confidentiellement k l'Inspecteur des Beaux-.\rts de la Ville de Paris.
Chaque partition devra être complètement orchestrée. Une réduction au piano
et chant sera fournie en un cahier séparé, ainsi qu'un exemplaire du livret sur
lequel la partition aura été écrite.
— Encore un lauréat du Conservatoire qui vient de faire d'excellents
débuts à l'Opéra. Décidément, cette Ecole (nous parlons du Conservatoire,
l'Opéra est, on le sait, une académie) semble avoir entrepris de se moquer
des critiques influents qui la décrient tant chaque année à l'époque des
concours et prétendent qu'elle ne produit plus rien'. Voilà encore un de ses
produits cependant, et cette fois un ténor, rara avis, qui n'a pas la voix
dans sa poche. Elle est claire, assouplie, forte quan.d il le faut, émue par ici,
énergique par là, colorée toujours. M. Courtois, c'est son nom, qui est par
surcroît un élégant cavalier et un comédien non maladroit, a donc rem-
porté un véritable succès dans le rôle fort important de Sigurd. C'est tou-
jours bon à enregistrer.
— Nous donnons ci-dessous l'état des recettes réalisées durant l'année 1896
pour les théâtres de Paris.
Nous mettons en regard le bilan de l'année 1894 :
Opéra •. . .
Comédie-Française .
Opéra-Comique. . .
Odéon
Renaissance . . . .
Vaudeville
Variétés
Gymnase
Palais-Royal ....
Nouveautés
Châtelet
Gaîté
Pbrte-Saint-Martin .
Arribigu
Bouffes
Folies-Dramatiques.
Menus- Plaisirs . . .
Château-d'Eau . . .
Cluny
Déjazet
Bou£fes-du-Nord . .
1894
3.146.670
2.009.773
1.545.267
428.609
1.305.551
1.487.984
930.144
578.390
778.349
494.486
953.391
715.328
766.531
604.644
521.644
493.176
143.741
301.044
330.775
1.33.322
150.952
1895
DIFFÉRENCE
3.183.895
-r 37.225
2.126.295
+ 116.522
1.448.669
— 96.698
612.201
+ 183.592
873.052
— 432.499
1.198.447
— 289.537
1.189.332
+ 259.188
987. OH
+ 408.654
710.836
- 67.513
803.647
+ 309.161
905.260
— 48.131
1,109.467
+ 394.139
1.040.370
-f 273.839
518.706
- 85.938
453.915
— 67.729
425.157
— 68.019
94.103
— 49.638
289.913
— 11.131
388.669
— 22.106
100.075
— 33.247
133.771
— 17.181
Total de 1894: 17.819.771 francs.
— 1895: 18.S12.624 -
Soit, en plus, au profit de 1893 : 692.853 francs.
— Le Figaro raconte cette anecdote peut-être piquante :
On racontait l'autrejour, dans un bureau de l'administration des Beaux-Arts,
un mot bien amusant du directeur d'une de nos scènes lyriques. Un jeune mu-
sicien de talent, déjà connu, était venu lui apporter un ouvrage qui mettait en
scène des ouvriers en costume de travail :
— Comment voulez-vous, lui objecta le directeur, qui passe pourtant pour un
homme d'esprit, comment voulez-vous faire accepter qu'un liomme habillé en
plombier soit un personnage lyrique, et qu'il chante au lieu de parler argot ?
L'auteur, un pince-sans-rire remarquable, ne répondait rien, hocliait la tète,
voulant voir jusiju'où iraient les théories esthétiques de son interlocuteur.
Et tout à coup, comme illuminé d'une idée imprévue, le directeur dit, en effet :
— Si vous habilliez vos ouvriers en costume Louis XIII ou Louis XIV, ou
Louis XV n'importe ! Hein?... Il y avait aussi des plombiers dans ce temps-là...
Comme cela, tout s'arrangerait I...
Le jeune musicien ne rit pas, et continua à hocher vaguement la tête.
Eh ! mon Dieu, ce directeur n'était peut-être pas si mal avisé. Jusqu'à
plus ample informé, nous estimons aussi que la blouse de « l'ouverrier »
de nos jours contient dans ses plis bien peu de musicalité.
^ Les personnes qui, sur la foi des programmes et des affiches, se ren-
daient, dimanche dernier, aux concerts d'Harcourt, se sont heurtées à une
clôture inattendue des portes de l'établissement. Le concert, en effet,
n'avait pas lieu, par suite de difficultés intérieures, les artistes de l'or-
chestre ayant, au dernier moment, refusé de continuer leur service. Voici
la note que l'administration des concerts a fait parvenir à ce sujet à la
presse : « Par suite de la grève d'une partie de l'orchestre, les concerts
sont momentanément suspendus. Le remboursement proportionnel des
abonnements est elîectué tous les jours, de deux heures à six heures, salle
d'Harcourt, 40, rue Rochechouart. »
— M. Massenet vient d'arriver à Milan pour les dernières répétitions de
la Navarraise au théâtre de la Scala. La première représentation aura lieu
mardi prochain. Auparavant M. Massenet s'était arrêté à Gènes, où il a pu
surveiller les études de W'rt/ier, qui sera représenté aussi au courant de
cette semaine.
— M. Raoul Pugno n'a fait que traverser Paris cette semaine, venant de
jouer à Marseille et à Nimes, où ses succès ont été de plus en plus écla-
tants. Après le concerto de Schumann avec orchestre, les rappels et les bis
ont été tels qu'il a dû jouer encore son Air à danser et sa Sèrinade à la lune,
demandée par le public. M. Pugno a été réengagé pour un nouveau récital
qu'il doit donner aujourd'liui à Marseille. De là, il se rendra à Montpellier.
— L'éloquent poète parisien M. Georges Vanor est allé donner sur la
scène de l'Opéra de Genève une conférence sur Sigurd dans la légende Scan-
dinave, dans l'épopée germanique et dans la musique française. Notre spirituel
confrère a instruit le procès de la musique actuellement composée en
France : il a montré l'assaut germanique emportant les bastions italiens et
ne laissant debout à l'Opéra de Paris que les forteresses françaises édifices
par Reyer, Saint-Saëns, Massenet. Puis il a comparé les mythes dans toutes
les nations et dans toutes les époques, équivalant Sigurd et Brunehîlde à
Persée et Andromède, etc. Enfin, il a signalé les leitmotive de Sigurd,
qu'un pianiste indiquait, et encadré de commentaires analytiques les prin-
cipales mélodies, chantées par les artistes de l'Opéra de Genève. Grand
succès pour le conférencier et les interprètes, et bel exemple pour les
directeurs des théâtres de province.
— M. Julien Tiersot, continuant la série de ses travaux sur la chaTison
populaire française, vient de publier dans le dernier numéro des deux
périodiques spéciaux : Méiusine et la Reoue des tradilitms populaires, des ar-
ticles sur l'histoire et les formes musicales de deux chansons des plus
répandues, soit anciennement, soit encore de nos jours : la Péronnelle, uni-
versellement populaire au XV siècle, et la belle complainte du Roi Loys,
qui a reçu de notre temps de nouvelles et nombreuses consécrations. En
rapprochant ces études de celles que te Ménestrel a publiées dans ses der-
niers numéros, l'on voit que M. J. Tiersot tient à considérer le sujet sous
tous ses aspects. Il faut espérer qu'en multipliant ainsi les recherches de
détail, l'on arrivera quelque jour à élucider la question, toujours si obscure,
de l'origine de nos chansons populaires.
— La Société des instruments à vent va revivre, à la grande joie des ama-
teurs. Fondée par M. Taffanel et dissoute lorsque, coup sur coup, l'éminent
virtuose fut nommé chef d'orchestre à l'Opéra et au Conservatoire, elle va
se reconstituer. MM. G. Gillet, Turban, Hennebains, Reine et Letellier, ses
anciens collaborateurs, viennent en effet de s'associer avec MM. I. Philipp,
Berthelier, Loëb et Balbreck, dont les séances de musique de chambre ont
eu un succès si brillant et si mérité, et annoncent à la salle Erard une
série de trois concerts de musique ancienne et moderne.
— Le Barde, opéra en quatre actes et six tableaux, poème et musique de
M. Léon Gastinel, sera représenté du l""' au .5 février sur le grand théâtre
municipal de Nice. Les répétitions d'ensemble sont commencées.
— Dimanche dernier 12 janvier, aux Concerts Lamoureux, M""" Henry
Jossic, la très remarquable pianiste, a exécuté fort brillamment les Varia-
tions symphoniques pour piano et orchestre deCésar Franck. L'œuvre si belle
du regretté maître a trouvé en M"" Jossic une interprète de choix, qui,
avecautant de netteté que de charme, a su jouer en musicienne consommée.
— La librairie Fischbacher vient de faire paraître sous ce titre ; La
Musique à Paris(tS94-9a), un volume de M. Gustave Robert, qui rend compte
du mouvement des concerts pendant la dernière saison.
— L'École classique de la rue de Berlin, dirigée par M. Ed. Chavagnat,
mettra au concours le jeudi 23 janvier courant : deux bourses supplémen-
taires pour le piano supérieur 1™ division (femmes) et deux pour le piano
(hommes). Le morceau d'exécution, laissé au choix du candidat, devra cor-
respondre comme difficulté au concerto en fa mineur de Chopin. Pour
renseignements complémentaires s'adresser à l'administration, 20, rue de
Berlin, où l'on s'inscrit.
— Très grand succès, à la Société des concerts populaires de Lille, pour
Louis Diémer dans le concerto de Schumann, et pour le jeune violoniste
Boucherit, qui a dit d'abord le concert-stûck de Diémer, avec orchestre,
puis la jolie Page d'amour, de Fischhoff, qu'il lui a fallu bisser d'acclama-
tion. Ce jeune artiste, dont le talent est si plein de charme, sera un grand
virtuose avant qu'il soit longtemps.
— Vendredi dernier a eu lieu, chez M""' Anna Fabre, la deuxième séance
des Causeries qu'elle a créées avec le concours de M. Charles Grandmougin
sur l'esthétique et l'histoire de la musique. A l'appui de cette causerie
24
LE MENESTREL
qui comprenait la période de Scarlatti, Rameau, Couperin et Hœndel,
différents morceaux ont été ciiantés avec un grand sentiment d'art par
M"' de Francmesnil, M"' Mary Ador, M. Challet et les chœurs, dirigés par
M. Weckerlin. Enfin, MM. Van "Waefelghem et Lucien Wurmser, avec un
goût vraiment exquis, ont pour ainsi dire transporté l'élégant auditoire en
se faisant entendre sur la viole d'amour et sur le clavecin. Ces deux très
intéressants instruments avaient d'ailleurs inspiré à M. Ch. Grandmougin
deux poésies charmantes qui lui ont valu de nomhreux applaudissements.
— Voici le programme de la 10= séance des œuvres de Ch. Grandmou-
gin (22 janvier, à 3 heures). Institut Rudy, 4, rue Caumartin : Scène de
Jeanne d'Arc et ses voix, dite par M"" Gerfaut, de l'Odéon, avec le concours
de M""^ Lannes, Duhamel et de M. Gallia, pour les voix (musique de Ca-
rissimi, XVII" siècle) ; Orf'' ri Den/fT^. dite par l'auteur; Berceuse alsacienne,
dite par M"'^ Gerfaut ; et la Marseillaise, poésie, dite par M. Falconnier.
— Vendredi dernier, intéressant concert donné à la salle Pleyel par
M"= Luranah Aldridge, dont la belle voix de contralto a fait merveille.
M"« Luranah Aldridge, qui travaille depuis quelque temps sous la savante
direction de M"' Yveliug RamBaud, vient d'être engagée par M"' Cosima
Wagner pour chanter cette année, au théâtre de Bayreuth, plusieurs dos
œuvres du cycle wagnérien.
— Au Grand-Théâtre de Nantes, vif succès pour la Proserpine de M. Saint-
Saêns, grâce au mérite de l'œuvre et à une interprétation de choix, fré-
quemment applaudie : M.""^' Vaillant-Couturier et Buhl, MM. Scaremberg,
Grimaud et Artus. Particulièrement remarquée M"= Buhl, dans le rôle
gracieux d'Angiola.
— Jeudi dernier, salle Pleyel, première séance de la Société de quatuors
del'éminentvioloniste A.Weingaertner. Au programme, entre autres œuvres
intéressantes, la belle sonate en ut mineur de Grieg.
— On nous annonce le départ de M. Jean Rondeau pour la côte d'Azur,
où l'appelle une série d'engagements.
— On nous écrit pour nous signaler les succès qui ont accueilli MM. René
et Henri Schidenhelm, violoncelliste et pianiste, dans la tournée qu'ils
viennent de faire à Besançon, Dijon, Belfort, Montbéliard, Dôle, Vesoul,
etc. Partout la déjà célèbre Méditation de Thais a été redemandée au jeune
violoncelliste. A côté des deux excellents virtuoses, on a aussi beaucoup
applaudi M°" Magdanel dans le grand air de Sigurd.
— M. A. Lefort, professeur au Conservatoire, qui doit se faire entendre
le 19 janvier aux concerts Pister dans une suite pour violon et orchestre
de M. Paul Chabeaux, reprend ses concerts de musique de chambre le ven-
dredi 17 janvier, à la Salle de géographie.
— Soirées et concerts. — M"" Marie Rnefl' vient de donner, suivant son habi-
tude, une séance d'élèves dont la seconde partie était uniquement composée
des œuvres de M. Paul Vidal. Après le grand succès obtenu, le mois dernier,
par l'audition Massenet, l'audition Vidal n'a pas moins bien réussi. Parmi les
mélodies qui ont produit le plus d'effet, citons les Baisers, des fragments d'Eros,
Gardénias, Oublions les jours moroses, les Toutes Petites, k Chant de l'arquebusier,
Ariette et le Chant de Noël, dit par toutes les élèves. Dans la première partie,
M"° Renée Bonheur (airs de Paul et Virginie et de Lakmé] et M""°Blad {Pensée d'au-
tomne, 3. Massenet), se sont surtout fait remarquer. Le 5 février, M"' Rueff fera
entendre les compositions de Ch. Lefebvre. — M"" Querrion s'est fait entendre
avec un vif succès à la Société académique, musicale et littéraire de France,
où elle a exécuté, avec son élégance. coutumière, une Ballade de Chopin, une
Improvisation de Massenet et la valse-caprice de Schubert-Liszt.
NÉCROLOGIE
Triste fin! M. Henri Jahyer, un fort aimable garçon, qui avait fait
dans plusieurs journaux du reportage théâtral et qui fut durant trois ans
le secrétaire du théâtre de l'Opéra-Comique, s'est tiré dans la nuit du
mercredi un coup de revolver dans la tête. Il avait pris, cet hiver, la direc-
tion difficile des théâtres de Nantes, où les dilettantes prétendent avoir
beaucoup en donnant peu. Sont-ce les soucis qu'il eut de ce côté, des
embarras d'argent ou des chagrins de cœur qui l'ont réduit à cette funeste
détermination ? Toujours est-il que M. Henri Jahyer s'en va avec les sym
pathies de tous ceux qui l'ont connu, très attristés qu'un jeune homme
comme lui ait désespéré si vite de la vie et n'ait pas cherché davantage
autour de lui des soutiens qu'il eût certainement trouvés.
— Nous apprenons la mort d'une ancienne artiste fort estimable qui avait
eu son heure d'agréables succès, M™ veuve Sainte-Foy, née Clarisse
Henri, qui vient de s'éteindre à Barbizon, à l'âge de 79 ans. M""-' Cla-
risse Henri avait débuté à l'Opéra-Comique aux environs de 1840,
et y avait été fort bien accueillie, ses qualités d'artiste étant doublées d'une
beauté rare. Devenue l'épouse de son camarade Sainte-Foy, dont les an-
nales du théâtre n'ont pas perdu le souvenir, elle crut devoir quitter la
scène, mais continua son service à la Société des concerts, où elle resta
jusqu'en 1870. Elle se retira alors à Barbizon avec sa sœur qui, comme
elle, appartenait aux concerts du Conservatoire. A la suite de son mariage,
M"" Sainte-Foy s'était consacrée sans réserve à l'enseignement.
— La seconde fille de Meyerbeer, M"'= la baronne Blanche de Korff, est
morte à Rome, à l'âge de 64 ans. Son mari est général de brigade dans
l'armée prussienne et fait actuellement un voyage autour du monde. Son
fils unique est chef d'escadron dans la cavalerie allemande, à Metz.
— De Rome on annonce la mort, à l'âge de 60 ans, d'un artiste nommé
Ercole Ovidi, qui fut tour à tour journaliste, compositeur, et... spéculateur.
On lui doit la musique de plusieurs opérettes : Befana, Re Maccarone, etc.,
qui ne furent pas sans avoir quelque succès. Ce personnage, qui s'était
enrichi jusqu'à devenir millionnaire dans la transformation édilitaire de
Rome, se vit complètement ruiné lorsqu'arriva l'inévitable débâcle, et est
mort dans la plus profonde misère.
— A Budapest est mort, à l'âge de 57 ans, le pianiste Willy Deutsch,
qui commença sa carrière comme enfant prodige, mais qui plus tard devint
néanmoins un pianiste distingué et un excellent professeur. Deutsch jouait
souvent aux concerts philharmoniques de Budapest, et s'est aussi produit
avec succès à Vienne, où il était bien connu.
— A Vienne est morte, à l'âge de 71 ans, M°"= Sophie Wlezek, profes-
seur de chant au Conservatoire de cette ville, qui dans sa jeunesse fut
une excellente cantatrice et fournit une carrière de plus de trente ans au
théâtre de la cour de Bade.
Henri IIeugel, directeur-gérant.
THÉÂTRE ROYAl D'ANVERS
LA CONCESSION POUR LA CAMPAGNE 1896-97 EST VACANTE
Le cahier des charges est envoyé aux intéressés sur simple demande
adressée au Bourgmestre. Les demandes pour la concession doivent être
reçues à l'Hôtel de Ville d'Anvers au plus tard le 23 janvier courant.
En l'ente au MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivieniie.
CONCERTS LAMOUREUX
ciBQUÇ d'Été
Dimanche J g janvier iSg6
Ouverture de la FLUTE ENCHANTÉE
Parties d'orchestre, net: 8 ». — Chaque partie supplémentaire, cet: 2
Piano, disposé pour la conduite de l'orchestre : 7 50.
L. DIÉMER, transcrip lion de concert 7 SO | G. MATHIAS, transcription . . 7 oO
G. MATHIAS. transcription pour piano à 4 mains : 9 »
LA MORT DE TMÏS
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J. MASSENET
PRIX :
9 Irancs
9 francs
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En Tenlo AU MÉNESTREL, 2 bis,
HEUGEL & C'«, ■'■dilcnrs-propiiéljirts.
CONCERTS DE L'OPERA
Dimanche i g janvier iSgO
AMBROISE THOMAS
FRANÇOISE DE RIMINI
Op6ra en 4 actes, avec prologue et *:'i>ilOjp.'ue
PROLOGUE
AlRDEVlRGlLE:Pri«éd<;(ot((cai*'('cj6 » | DUO DES AMES: 4m(com;ja((SsaH( (Sel 1)6 ^
Partition complète piano et chant, prix net : 20 »
Partition pour piano seul, prix net; 12 »
J. MASSENET
POÈME D'UN SOIR
Extrait des Gloses orphiques, de George VAN OR
Un recueil in-o°. — Prix net : 3 francs.
III. Defuncta nascuntnr.
li. Fleuramye.
QEUGERE, 20, 1
Dimanche 26 Janvier 1896.
3383. — 62™^ mm — S" 4. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis^ rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du MÉrtESTREL. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, :20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Gliant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de Delphes (2" article), Julien
TiERsOT. — II. Bulletin théâtral : La résurrection des Folies-Marigny, Arthur
PouGiN. — III. Ce que m'a dit la viole d'amour, Charles Granbmoogin. — IV. La
nouvelle loi autrichienne sur les droits d'auteurs (l"' article), Oscar Berggruen.
— V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE DERNIER RENDEZ-VOUS
sonnet de Camille du Locle, musique d'ERNESi Reyer. — Suivra immédia-
tement : La Nuit, nouvelle mélodie de Gn.-M. Widor, poésie de Padl
BOURGET.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Brises du cœur, valse de ï^ilippe Fahrbaoh. — Suivra immédiate-
ment : Le Joyeux Luron, quadrille du même auteur.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
I
(Suite) .
Les trois strophes suivantes, en très mauvais état, retracent
l'arrivée d'Apollon à Delphes, la fondation de son temple,
son combat avec le serpent Python, enfin la protection dont
il couvre le pays.
Mais, ô maître du trépied fatidique, marche vers la crête du Far-
dasse, foulée par les immortels, amie des saintes extases.
Là, ô Seigneur, tes blondes boucles ceintes d'un rameau d'olivier,
tu traînais de ta main immortelle d'immenses blocs, fondements de
ton temple, quand tu te vis en face de la monstrueuse fille de la
Terre.
Mais, ô fils de Latone, dieu à l'aimable regard, tu affrontas le
dragon, et l'inabordable enfant de Géa expira sous les traits de ton
arc... Et tu veillais près du saint ombilic de la terre, ô Seigneur,
quand la horde barbare, profanant le siège de ton oracle pour en
piller les trésors, périt dans une tourmente de neige.
La musique de la première de ces trois strophes est si mal
cûûservée que nous n'en reproduirons rien : bornons-nous à
indiquer qu'on y retrouve des traces de la formule mélodique,
déjà signalée, roulant sur les notes aiguës : ré mi fa, et que
la cadence finale s'opère sur le mouvement d'octave descen-
dante : mi mi, avec lequel les phrases précédentes nous ont
aussi familiarisés.
De la strophe qui suit, où reparait le genre chromatique,
nous citerons ces deux fragments :
La fin est effacée, sauf les deux dernières notes, qui mon-
trent la cadence finale s'achevant sur un sol.
Enfin l'octave mi mi reparaît dès le début de la dernière
strophe, oii l'échelle redevient diatonique :
Mais la suite est de plus en plus mutilée. Par places on
retrouve la formule ré mi fd mi, qui semble former la base
de la mélopée. A la fin, le ton s'élève, et la voix monte jus-
qu'aux dernières notes du registre aigu :
La fin manque. M. Reinach croit que la cadence s'opère
sur le la du médium, comme dans la première strophe de
l'hymne : cela est probable en effet. Comme dans cette même
strophe, le si est constamment bémol. Nous voilà donc reve-
nus à la tonalité initiale.
Le récit est fini ; l'hymne se termine par une prière :
Mais, ô Pbébus, protège la ville fondée par Pallas et son noble
peuple, et toi aussi, ô reine des arcs et des chiens de Crète, Artémis
chasseresse, et loi, ô vénérable Latone. Prenez soin des habitants
de Delphes, afin qu'eux, leurs enfants, leurs femmes, leurs maisons
soient à l'abri de tout revers. Soyez propices aux serviteurs de Bac-
chus, couronnés aux jeux sacrés de la Grèce. Qu'avec votre aide le
glorieux empire des belliqueux Romains, toujours fort et Jeune et
florissant, puisse croître en marchant de victoire en victoire (1).
Pour ce dernier épisode, le rythme a changé : il a pris un
aspect plus lyrique. Comme, pour en faire sentir exactement
l'impression musicale, il importe que les valeurs rythmiques
soient représentées par des notes, j'adopterai ici la restitu-
tion de M. Th. Reinach, en donnant entièrement les quatre
premiers et les quatre derniers vers de la prière, et en sup-
(1) La traduction française de l'hymne, comme la restitution des vers grecs
(qu'il ne nous a pas sembléopporlun de reproduire dans ce journal), est due à
M. Henri Weil.
26
LE MÉNESTREL
primant le milieu, dont il ne reste que quelques notes épar-
pillées çà et là :
Ainsi s'achève cet hymne en l'honneur des dieux d'autre-
fois: relique vénérable et précieuse, à laquelle il semble que
son délabrement même ajoute un charme imprévu. C'est
comme un chant très lointain, dont les vibrations subtiles
nous seraient apportées du fond d'une vaste plaine. Parfois
on dirait que la voix s'arrête, emportée par le vent : cepen-
dant, prétons l'oreille, et, de la mélopée indécise et incomplète,
nous saurons bien dégager une impression générale, qui se
précisera par l'analyse, et grâce à laquelle il nous sera permis
enfin de pénétrer le sens de cette antique inspiration.
II
Pour cela, il nous faut considérer les questions diverses
que soulève la découverte et la transcription de ce chant.
Tout d'abord, quelle en est la véritable ancienneté? Nous
pouvons le savoir, du moins d'une façon approximative, sans
chercher d'autre document que le texte même. D'une part,
il est parlé à la fin de la poésie du « glorieux empire
des belliqueux Romains », en faveur de qui le poète invoque
la protection d'Apollon : c'est donc que le morceau est posté-
rieur à l'établissement du protector'at de Rome sur les villes
grecques, proclamé aux jeux isthmiques en 196. D'autre part,
en une autre partie de l'hymne, il est fait mention d'une
horde barbare qui envahit l'Hellade pour piller les trésors
de Delphes, et que le dieu fit périr dans une tourmente de
neige: ces barbares, c'étaient nos propres ancêtres, — sans
nulle vanité, — lesquels firent leur incursion en Grèce en 278.
Les fâcheux souvenirs qu'avait laissés le passage des Gaulois
n'étaient pas oubliés, on le voit, au bout d'un siècle, puis-
qu'il estmanifeste qu'on chantait encore à Delphes des chants
de triomphe sur leur déroute après 196. Il est probable, cepen-
dant, que l'hymne n'est pas de beaucoup postérieur à cette
dernière date, et qu'il fut composé dans le courant du
deuxième siècle avant Jésus-Christ.
L'auteur, maintenant. Ici, le champ est ouvert à toutes les
conjectures. N'a-t-on pas vu, après l'audition du premier
hymne, un journaliste déclarer gravement que l'auteur n'était
autre que... Socrate? Car il avait lu dans un dialogue de Pla-
ton (ces journalistes savent toutI)que Socrate, — lequel avait
coutume de dire de son illustre disciple : « Combien ce jeune
homme me fait dire de choses auxquelles je n'ai jamais
pensé! » — avait composé une poésie en l'honneur d'Apollon,
dont les idées principales se retrouvaient, approximatives,
dans l'hymne de Delphes. C'était assurément une conclusion
qui s'imposait.
Une hypothèse plus digne d'attention a été émise par un
des membres de l'École d'Athènes, M. Couve, dans un article
consacré à l'étude des inscriptions découvertes à Delphes (1).
Parmi ces inscriptions, M. Couve avait remarqué un décret
en l'honneur d'un certain Cléocharès, fils de Bion, Athénien,
foètede chants (poiètèsmélôa), et auteur couronné de trois hymnes
en l'honneur d'Apollon, savoir : un prosodion, un péan et un
hymne, destinés à être chantés par un chœur d'enfants à la
fête des Théoxénies. Cette inscription ayant été trouvée dans
le Trésor des Athéniens, à l'endroit même où étaient les
(1) Bulletin de corr
nce hdténirjue, 1894, p. 70 et suiv.
fragments musicaux, et présentant avec ceux-ci les mêmes
caractères paléographiques, le rapprochement s'opérait natu-
rellement: M. Couve concluait que Cléocharès, fils de Bion,
Athénien, était l'auteur même des hymnes.
Les observations postérieures ont établi, cependant, que
cette conjecture, tout ingénieuse qu'elle fût, n'était pas fondée.
Tout d'abord, les fragments musicaux trouvés ne constituent
par trois morceaux distincts, mais deux seulement. Aucun
de ces morceaux n'est ni un prosodion, ni un péan, ni un
hymne proprement dit, mais l'un comme l'autre semblent de-
voir être classés dans le genre de l'hyporchème. Enfin l'examen
de la mélodie témoigne surabondamment qu'elle n'a pas pu
être composée pour un chœur d'enfants.
Une phrase de la strophe finale du second hymne peut
seule jeter quelque lumière sur ce point: c'est la prière en
faveur des « serviteurs de Bacchus couronnés aux jeux sacrés
de la Grèce. » Ces serviteurs de Bacchus étaient les chan-
teurs, musiciens et danseurs, auxquels avait été confié le soin
d'exécuter l'hymne dans le temple d'Apollon : ils appar-
tenaient au synode des artistes dramatiques et lyriques
d'Athènes, et M. Weil dit qu' « on peut se tenir assuré que
l'auteur de l'hymne était membre de la même association.
Beaucoup de documents prouvent que les synodes dionysia-
ques avaient des poètes à eux; et qui donc aurait fait figurer
les artistes dans son œuvre à deux reprises et avec tant de
sympathie, si ce n'est un sociétaire qui parlait de ses cama-
rades? » (1).
La conclusion est que l'auteur de l'hymne était Athénien,
mais que son nom ne nous est pas connu. Aussi bien nous
est-il indifférent qu'il s'appelle Cléocharès ou de toute autre
manière, du moment que ce nom n'est que celui d'un obs-
cur poète lyrique d'une époque de décadence. Je ne voudrais
pas, certes, déprécier le résultat de recherches dont l'impor-
tance est, malgré tout, considérable pour l'histoire de la
musique ; cependant, il faut bien avouer que les deux hymnes
à Apollon, infiniment précieux parce qu'ils sont les plus
anciens monuments musicaux venus jusqu'à nous, ne sont
que des œuvres d'une valeur secondaire, produites par des
artistes sans génie et sans gloire: morceaux de concours
couronnés aux jeux publics, fabriqués dans le moule con-
venu, composés selon les règles, mais sans personnalité et
sans essor : de simples cantates de prix de Rome 1 Combien plus
précieux serait pour nous un simple fragment d'un nome de
Terpandre, ou d'une mélodie de flûte d'Olympe, ou bien
encore une ode de Damon, le maître de Périclès, ou quelque
mélodieux chant de ce Phrynis, qui semble avoir été le
Mozart de l'antiquité I
Pour le genre auquel appartiennent les deux hymnes (on
peut les réunir dans la même étude, car leurs analogies sont
manifestes), il se détermine par le rythme et la structure
générale : ce sont, nous l'avons déjà dit incidemment, des
■ hyporchèmes, sortes de compositions lyriques d'un caractère
religieux, où la poésie, la musique et la danse se combi-
naient harmonieusement. L'ensemble des genres dans les-
quels ce triple élément s'associait était l'orchestique, forme
essentiellement propre au génie grec, et contenant, en une
intime union, l'ensemble le plus complet possible des élé-
ments de l'art lyrique.
Quelques auteurs ont pensé que ces hyporchèmes étaient
destinés à accompagner la procession des fidèles pendant sa
marche vers le temple d'Apollon. Mais la mesure à cinq
temps, qui est celle du premier hymne et de la plus grande
partie du second, est peu favorable à la marche ; d'autre part,
la grande étendue du chant et l'acuité de certaines notes
semblent indiquer que la mélodie était chantée par une seule
voix (d'homme) accompagnée par les instruments (cithare et
peut-être wdos) ainsi que par une danse collective : telle est
l'opinion exprimée par M. Gevaert dans l'appendice de son
livre récent: la Mélopée anlùjue dans le chant de Féglise latine, et
(1) Bulletin de correspondance hellénique, 1895, p. 348.
LE MÉNESTREL
27
M. Th. Reinach la juge « très défendable. » Une combinai-
son de ce genre est mentionnée au 18'= chant de VJliade, au
cours de la description du bouclier d'Achille:
« Hèphaistos représenta un chœur de danse semblable à ceux
que jadis Dédale forma pour Ariadnèàla belle chevelure. Des
adolescents et des vierges attrayantes, se tenant par la main,
frappent du pied la terre. De longs -vêtements d'un lin fin
et léger et des couronnes de fleurs parent les jeunes filles.
Les danseurs ont revêtu des tuniques d'un tissu riche et brillant
comme de l'huile ; leurs épées d'or sont suspendues à des
baudriers d'argent. Tantôt le chœur entier tourne rapidement,
semblable à la roue d'un potier; tantôt les danseurs se sépa-
rent et forment de gracieuses lignes qui s'avancent l'une au-
devant de l'autre. Un divin aède, en s'accompagaant de la
lyre, les anime par ses chants. Deux agiles danseurs, dès
qu'il commence, répondent à sa voix en pirouettant au milieu
du chœur. »
(A suivre.) Julien Tiersot.
BULLETIN THEATRAL
LA. RÉSURRECTION DES FOLIES-MARIGNY
Oh ! ces Folies-Marigny ! Quelle histoire ! et quels souvenirs !
Quels trésors reeèlenl dans leur sein les annales de cet ancien et
mignon théàtricule qui renaît aujourd'hui de-ses cendres, agrandi et
transformé, et quel chroniqueur, nouveau Eroissart, voudra entre-
prendre d'écrire son histoire héroï-comique"?
Les souvenirs abondent el les noms se présentent en foule au
sujet de ce petit théâtre qui, tout modeste qu'il était, altira tout
Paris, el qui avait été construit d'abord, sous le nom de salle Lacaze,
pour les séances d'un prestidigitateur habile. Puis, c'est Otfenbaoh
qui s'en empara pour y fonder ses Bouffes-Parisiens, on sait avec
quel succès ! Il y crée tes Deux Aveugles avec Pradeau et Léonce, le
Violoneux avec Darcier, il y fait défiler Berlhelier, Désiré, Hortense
Schneider, Gorahe Guffroy et tant d'autres. Après lui, c'est Charles
Deburau, qui donne son nom au théâtre, qui y relève la pantomime
et qui fait jouer les premières pièces de Charles Lecocq : te Baiser à
la porte, Ondines au Champagne, Liline et Yalenlin, le Cabaret de Ramjjon-
neau Vient ensuite la comtesse de Ghabrillan, alias Céleste Mogador,
qui produit et joue elle-même ses prétendues comédies, avec de mer-
veilleux effets de jambes.
Après elle, quoi? Audray-Deshorties, puis le photographe Numa,
puis le vaudevilliste Amédée de Jallais, puis le compositeur Eugène
Moniot, connu jusqu'alors comme simple auteur de romances, st qui
déballe là une demi-douzaine d'opérettes sans grande conséquence,
tout en faisant jouer celles de ses confrères : J. Nargeot, chef d'or-
chestre des Variétés, Robillard, chef d'orchestre du Palais-Royal,
Oray, chef d'orchestre des Folies-Dramatiques, Kriesel, chef d'or-
chestre des Délassements-Comiques, Auguste l'Eveillé, chef d'or-
chestre... de la maison. Us y passent tous.
Arrive Moatrouge, qui rend à la noble entreprise tout son lustre
et toute sa splendeur. Vaudeville, opérette, revue, parodie, fantaisie,
tout lui est bon. Il engage tout un bataillon de jolies femmes, dont
quelques-unes, par surcroît, étaient comédiennes (on peut citer Cé-
line Chaumont et Constance Bade), et il commence la série de ses
innombrables succès : les Virtuoses du pavé (à toi, Busnach !), En
classe, mesdemoiselles, les Gammes d'Oscar, l'Orphéon de-Fouillg-les-Oies,
le Sire de Barbe-Bleue, et combien d'antres chefs-d'œuvre.
Nous ne sommes pas au bout. On voit encore défiler là, comme
directeurs, le « citoyen « Garnier, qui fut directeur de l'Opéra sous
la Commune, puis l'infortuné Gaspari, ancien directeur du théâtre
Beaumarchais, puis... jusqu'au chanteur Montaubry, l'ancien Fra
Diavolo, l'ancien Shakespeare de l'Opéra-Comique, qui, se souvenant
qu'il avait joué aussi à ce théâtre Horace du Domino noir, découvre
tout à coup en lui la verve du compositeur et écrit une opérette
intitulée Horace, qu'il joue lui-même, avec un succès médiocre d'ail-
leurs. A ce moment, le beau temps des Folies-Marigoy était passé,
leur astre était complètement obscurci, Montaubry s'éclipsa bientôt
pour aller jouer Orpliée aux enfers à la Gaîté, le théâtre passa de main en
main — jusqu'au plus vilain, c'est-à-dire jusqu'à celui qui, après une
série ininterrompue de fermetures et de réouvertures, finit par le fer-
mer définitivement. Je ne saurais, je l'avoue, révéler le nom de cet
illustre inconnu. Toujours est-il qu'un beau jour l'ancienne salle
Lacaze, devenue les Bouffes-Parisiens, devenue le théâtre Deburau,
devenue les Folies-Marigny, disparut, comme on disait sous le règne
édilitaire du baron Haussmann, sous la pioche des démolisseurs,
et que Paris perdit un des plus beaux fleurons de sa couronne artis-
tique.
■ Une telle situation ne pouvait durer. La disparition d'un établisse-
ment aussi essentiellement parisien créait un vide dans la Ville-
Lumière. Les chevaux du Cirque se sentaient isolés, et les Champs-
Elysées, veufs de leur plus bel ornement, faisaient entendre de
plaintives doléances. Vint un homme audacieux qui jura de rendre
aux premiers leur aimable voisinage, aux seconds la noble institution
dont ils regrettaient si amèrement l'existence féconde en triomphes
et en péripéties. Ce brave homme et cet homme brave se promit à
lui-même de relever les Folies-Marigny de leurs ruines et de les
rendre au public idolâtre. Mais comme ce siècle est l'ami du progrès,
au lieu de la salle exiguë et mignonne à laquelle nous étions
naguère accoutumés, il fit construire une salle vaste sans
exagération, d'une forme élégante, décorée de la façon la plus
délicieuse, en des tons doux et harmonieux, dont le fondu
plein de délicatesse est pour charmer le regard le plus difficile.
Il commanda à deux auteurs, MM. Michel Carré et Collas, un
« à-propos-revue » en quatre actes et cinq tableaux auquel on donna
pour titre le Dernier des Marigntj et qu'on accompagna, avec quelques
bons vieux ponts-neufs, d'une musique écrite par M. Edmond Missa,
il encadra le tout dans de jolis décors, avec des costumes tout bat-
tant neufs et d'une élégance pleine de goût, et enfin, le mercredi
22 janvier de l'an de serai-froidure 1896, il convia le bon peuple de
Paris à l'inauguration des Folies-Marigny deuxième manière.
Du Dernier des Marigny considéré en lui-même, je ne dirai pss
grand'chose, parce qu'il me semble, à parler franc, que cela ne vaut
pas grand'chose. U y a des revues meilleures assurément, et je crois
en avoir vu de préférables. Mais la mise en scène est très soignée,
mais il y a là nombre de minois aimables, et l'on rencontre quelques
artistes qui ne sont pas à dédaigner. Deux entre autres, ceux qui
mènent la revue, le compère et la commère, M. Pierre Achard et
M"'^ Marguerite Deval, méritent de sincères éloges. Il y a aussi
M"'= Ferai, fort agréable, une Anglaise authentique, miss Halton,
d'une fantaisie un peu cherchée, mais douée d'une voie assez jolie,
puis encore MM. Angély, Vandenne, Lagarde, etc., et un petit pelo-
ton de danseuses qui ne sont pas pour déplaire aux yeux. Le tout
est précédé d'un prologue en vers de M. Armand Silvestre, dit par
M"'= Marianne Chassaing et souligné d'une discrète musique de
M. Francis Thomé. Enfin, il faut mentionner un bon petit orchestre
qui marche avec entrain, et dont le chef paraît bien connaître
son métier. Le malheur, c'est que si la salle est charmante, elle est
exécrable au point de vue de l'acoustique, et que malgré les efforts
des artistes, on n'y entend pas la moitié de ce qui se dit sur la
scène.
Quoi qu'il en soit, je souhaite au nouveau théâtre tout le succès
qu'il peut désirer. Les Folies-Marigny sont mortes, vivent les Folies-
Marigny !
Arthur Pougin.
CE QUE M'A DIT LA VIOLE D'AMOUR C)
A Van Waeffelghem.
Du Lido de Venise aux brumes d'Angleterre
.T'ai frissonné longtemps sous des doigts enchantés,
J'ai pleuré de tendresse et vu des cœurs domptés
Par ma sonorité fine au léger mystère.
J'ai rythmé pour le bal des menuets charmants
Jusqu'à l'heure où la nuit enivrante s'achève.
J'ai su dire sans mots la douleur des amants
Et traduit en accords l'infini d'un beau rêve;
Sept cordes de métal vibrent célestement
Sous le premier réseau de mes cordes tendues;
Tel, derrière les bois aux sombres étendues
Vibre un doux crépuscule au fin rayonnement ;
J'ai frémi longuement comme frémit une âme
Devant des yeux de fée à présent endormis ;
Oîi sont ils, les regards qui me furent amis ?
Doux astres morts, où brûle à présent votre flamme'?
(l) Cette poésie a été dite à la deuxième séance de M. Cliarles Orandmougin
(Estliétique musicale, cours Fabre).
28
LE MENESTREL
Tout un passé sommeille en moi, mystérieux,
Passé vaste où l'ivresse à l'angoisse est unie;
Quand je devins l'écho palpitant d'un génie
Sur la terre un moment j'ai fait briller les eieux.
Par de pieuses mains soudain ressuscitée
J'exhale avec bonheur les doux chants d'autrefois ;
Aux modernes amours je puis prêter ma voix
Et devenir la plainte en pleurant écoutée.
Ainsi que les forêts sous l'azur radieux
Dorment sans mouvement, taisant leur harmonie,
Et lorsque passe un souffle en leur voûte infinie
Éveillent leurs sanglots longs et mélodieux.
Ainsi dans sa prison, mon àme ensommeillée
Attendait de chanter, sous un archet vainqueur,
Et rêvait de répondre aux grands appels d'un cce'ir
Comme répond au vent l'ondoyante feuillée .
J'étais dans mon oubli la Belle au bois dormant
Que tant de beaux seigneurs, jadis, avaient servie,
Mais un bon chevalier brise l'enchantement
Et me rend, jeune et belle, au charme de la vie.
Charles Grandmougin.
LA NOUVELLE LOI AUTRICHIENNE
SXJR, I_iBS IDR,OITS D'-A-XJTBXJR,
La loi du 26 décembre 1893 sur les droits d'auLeur, qui vient
d'être promulguée en Autriche, est vraiment en grand progrès sur
celle de 1846 dont les iniquités ont fait tant de tort aux auteurs et
compositeurs. Cependant, la nouvelle loi ne reconnaît pas encore
complètement le droit absolu de l'auteur sur son œuvre au même
degré que la loi française, ou même que les nouvelles lois actuelle-
ment en vigueur dans l'empire allemand et dans le royaume hongrois.
Dans l'examen que nous allons en faire, nous nous occuperons
spécialement des œuvres dramatiques et de la composition musicale;
à cet effet, et en raison de l'importance des intérêts qui sont en jeu,
nous croyons devoir, tout d'abord, donner à nos lecteurs un aperçu
général du texte de la loi au point de vue qui nous intéresse :
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Le droit d'auteur s'étend sur l'œuvre considérée dans sa totalité et dans
fontes ses parties .
La protection des œuvres des auteurs étrangers est réglée par les traités
conclus avec les Etats respectifs.
Parmi les œuvres de littérature et d'art auxquelles s'applique la nouvelle
loi, figurent les œuvres dramatiques lyriques (dramatico-musicales) et
chorégraphiques, et enfin toutes les œuvres scéniques et œuvres musicales
avec ou sans paroles.
Est considéré comme date de l'apparition d'une œuvre le jour où elle a
été éditée licitement, c'est-à-dire où elle a été répandue avec le consente-
ment de l'ayant droit.
Pour les œuvres musicales et pour les œuvres scéniques, ce jour sera
eelui de la première représentation publique licite.
Le droit d'auteur, en ce qui concerne une œuvre composée en commun
par plusieurs personnes, appartient à tous les collaborateurs collective-
ment et par indivis. Ils ne pourront disposer de l'œuvre, en particulier
pour l'éditer, la reproduire, la représenter, qu'en vertu de leur consente-
ment réciproque, mais chacun d'eux est autorisé à poursuivre judiciaire-
ment les atteintes portées au droit commun à tous.
Jusqu'à preuve contraire, est considéré comme auteur d'une œuvre pu-
bliée celui dont le vrai nom est indiqué comme nom d'auteur lors de l'ap-
parition de l'œuvre. Quand l'œuvre paraît en plusieurs exemplaires ou
reproductions, il faut que tous portent le nom inscrit soit sur la feuille
de titre, soit sous la dédicace, soit sous la préface, soit à la fin de l'œuvre.
Lorsque l'apparition d'une œuvre a lieu sous la forme de représenta-
tion publique, la publication du nom doit être faite lors de l'annonce de
la première représentation.
Les œuvres n'ayant pas paru avec indication du vrai nom de l'auteur
sont réputées anonymes ou pseudonymes. A leur égard, l'éditeur, et, s'il
n'est pas indiqué, le libraire-éditeur est autorisé à exercer les droits
appartenant à l'auteur.
Aussi longtemps que le droit d'auteur appartient à l'auteur ou à ses
héritiers, il ne pourra donner lieu à des mesures de saisie-exécution ou de
saisie-gagerie. Mais ces mesures pourront atteindre, même vis-à-vis de
l'auteur et de ses héritiers, les exemplaires et reproductions d'une œuvre
déjà publiée et tous les droits matériels acquis en vertu du droit d'auteur .
Le droit de l'auteur passe à ses héritiers; la déshérence ne profite pas à
l'État.
L'auteur, ou son héritier, peut transmettre l'exercice du droit d'auteur à
des tiers, avec ou sans restrictions, par contrat ou par disposition testa-
mentaire.
On peut disposer licitement d'avance d'une œuvre déterminée non encore
créée.
Toutefois, en vertu de la présente loi, le contrat par lequel un auteur
s'engage à transmettre ses droits sur toutes ses œuvres futures ou sur
toute une catégorie de ces œuvres, peut être résilié en tout temps. Le droit
de résiliation appartient aux deux parties, qui ne peuvent y renoncer; il
devra être exercé dans le délai d'une année, à moins qu'un délai plus
court n'ait été stipulé.
Lorsque la propriété d'une œuvre de littérature ou d'art musical est cédée
sans rétribution à un tiers, cette cession n'implique pas, sauf stipulation
spéciale, la transmission du droit d'auteur; mais celle-ci est présumée
lorsque la cession a lieu contre rétribution, a moins que les circonstances
du transfert n'indiquent manifestement le contraire.
Lorsque l'auteur a transmis son œuvre à un tiers en vue de la faire
éditer ou représenter publiquement et que, dans le délai de trois ans,
l'édition ou la représentation n'a pas eu lieu, contre le gré et sans la faute
de l'auteur, celui-ci rentre dans son droit primitif de disposer de l'œuvre,
et il sera libre soit d'exiger l'exécution du contrat ou des dommages- inté-
rêts, soit de disposer autrement de l'œuvre sans être tenu de restituer la
rétribution déjà reçue. Il n'est pas permis de stipuler d'avance, par des
conventions, ni la renonciation à ce droit de libre disposition, ni la pro-
rogation du délai fixé ci-dessus. Ces dispositions sont également appli-
cables lorsqu'une œuvre de littérature ou d'art musical épuisée n'a pas
été rééditée, contre le gré et sans faute de l'auteur, pendant un délai de
trois ans, à moins que, lors de la conclusion du contrat d'édition, on n'ait
entendu exclure la faculté de faire une nouvelle édition.
Quiconque s'arroge illicitement, c'est-à-dire sans le consentement de
l'auteur, de son ayant droit ou de la personne autorisée à exercer les droits
de l'auteur, un des droits réservés exclusivement à l'auteur, commet une
atteinte à ce droit et en sera responsable conformément aux prescriptions
générales existantes et aux dispositions particulières contenues dans la
présente loi.
Quand une œuvre reçoit la dénomination, surtout le titre, ou la form e
extérieure d'une œuvre parue auparavant, sans que ce fait se justifie par
la nature même de la chose, et qu il est, au contraire, propre à induire le
public en erreur au sujet de l'identité de l'œuvre, l'auteur de celle qui a
été publiée antérieurement a droit à une indemnité .
Il en est de même quand la dénomination ou la forme extérieure de
l'œuvre parue auparavant sont imitées avec des modifications si minimes
ou si peu distinctes que le public ne peut saisir la différence qu'en y appli-
quant une attention particulière.
ÉTENDUE DU DROIT D' AUTEUR
Le droit d'auteur comprend le droit exclusif de publier l'œuvre, de la
reproduire, de la mettre en vente et de la traduire. Pour les œuvres scé-
niques, le droit d'auteur comprend en outre le droit exclusif de représen-
tation publique.
Les traductions licites sont protégées comme les ouvrages originaux.
Constituent, en particulier, une atteinte au droit d'auteur (contrefaçon) :
La publication d'une œuvre non encore parue ;
L'édition d'un recueil de lettres sans le consentement de leur auteur ou
de ses héritiers ;
L'édition d'un extrait ou d'une transformation (Bearbeitung) qui ne fait
que reproduire l'œuvre étrangère en tout ou en partie, sans présenter le
caractère d'une œuvre originale ;
La réimpression d'un ouvrage par l'auteur ou par l'éditeur, contraire-
ment aux stipulations du contrat d'édition.
La confection, par l'éditeur, d'un nombre d'exemplaires supérieur au
nombre convenu.
N'est pas considéré comme contrefaçon la confection de reproductions
isolées, qui ne sont pas destinées à la vente ; ni la réimpression de paroles
déjà publiées auparavant, accompagnant comme texte une œuvre musi-
cale, pourvu que la réimpression comprenne aussi cette dernière ou qu'elle
soit faite seulement en vue d'être utilisée lors de l'exécution de l'œuvre
musicale avec indication de ce but. Sont exceptés, toutefois, les textes des
oratorios, opéras, opérettes et vaudevilles.
En règle générale, le droit exclusif d'éditer une traduction d'un ouvrage
paru licitement n'appartient à l'auteur que quand il s'est réservé expres-
sément ce droit par rapport à toutes les langues ou à certaines langues
déterminées. Cette réserve doit être visiblement apposée sur tous les
exemplaires, soit sur la feuille de titre, soit dans la préface, soit en tête
de l'ouvrage"; à l'expiration de trois ans à partir de la publication de l'ou-
vrage, elle devient sans effet par rapport aux langues dans lesquelles la
traduction réservée n'a pas été publiée complètement.
La représentation publique d'une œuvre scénique constitue une atteinte
au droit d'auteur, bien que, lors de l'apparition de l'œuvre, aucune ré-
serve n'ait été faite du droit de représentation publique. Il y a également
atteinte quand un remaniement ou une traduction illicites sont repré-
sentés.
LES OEUVRES MUSICALES
Le droit d'auteur sur des œuvres musicales comprend le droit exclusif
LE MÉNESTREL
29
de publier l'œuvre, de la multiplier, de la mettre en vente et de l'exécuter
publiquement.
En particulier, constituent une atteinte au droit d'auteur : l'édition
d'extraits, de pots-pourris et d'arrangements, etles exécutions illicites.
Ne constituent pas une atteinte au droit d'auteur : l'édition de varia-
tions, transcriptions, fantaisies, études et orchestrations, pourvu que ces
travaux se présentent comme compositions originales (eigenthûmliche Werke);
la citation de passages isolés d'une œuvre musicale publiée ; l'insertion
de compositions détachées, déjà publiées, ne dépassant pas une limite
justifiée par le but poursuivi, dans le corps d'une œuvre qui, prise en
elle-même, représente une œuvre originale de science, ainsi que dans le
corps de recueils d'œuvres de divers compositeurs, destinés à l'usage des
écoles, sauf les recueils destinés aux écoles de musique. Toutefois, le nom
de l'auteur ou la source mise à contribution doivent être indiqués; enfin
la confection de reproductions isolées, non destinées à la vente.
Le droit exclusif d'exécuter publiquement une œuvre scénique appar-
tient à l'auteur sans restriction. Pour les autres œuvres musicales, ce droit
n'appartient sans restriction à l'auteur qu'aussi longtemps que l'œuvre n'a pas
été publiée licitement; dès qu'elle l'aura été, ce droit ne lui appartiendra
que dans le cas où il l'aura réservé expressément lors de l'édition. La
réserve doit être visiblement apposée sur tous les exemplaires, soit sur la
feuille de titre, soit en tête de l'œuvre.
Le droit d'exécution s'étend également à toutes les transformations
IBearbeitungen) d'une œuvre musicale dont l'édition est réservée à l'auteur
et qu'il a créées ou fait créer et qui, dans le cas où elles ont été publiées
licitement, portent la mention de réserve du droit d'exécution. Les trans-
formations que l'auteur n'a ni créées ni fait créer, pourront être librement
exécutées lorsque l'œuvre musicale ou une transformation licite de celle-ci
aura été publiée.
La fabrication et l'utilisation publique d'instruments destinés à repro-
duire mécaniquement les œuvres musicales ne constituent aucune atteinte
au droit d'auteur sur ces œuvres.
DURÉE DU DROIT d'aUTEUR
En règle générale, le droit d'auteur sur les œuvres de littérature et
d'art expire trente ans après la mort de l'auteur. Pour les œuvres pos-
thumes parues dans les derniers cinq ans du délai de protection, le droit
d'auteur ne prend fin que cinq ans après la publication. Pour une œuvre
due à la collaboration de plusieurs auteurs, le droit expire trente ans
après la mort du dernier survivant des collaborateurs. Lorsque le droit
d'un de ceux-ci expire plus tôt, sa part dans le droit d'auteur passe aux
autres collaborateurs.
Le droit d'auteur sur les œuvres littéraires et artistiques anonymes et
pseudonymes prend fin trente ans après leur publication. Toutefois, l'au-
teur, et, avec le consentement de celui-ci, son ayant cause, sont autorisés
à notifier, dans ce délai, le vrai nom de l'auteur, pour inscription dans un
registre public des auteurs, qui sera tenu par le ministère du commerce ;
l'accomplissement de cette formalité portera le délai de protection à la
durée fixée ci-dessus.
Dans le calcul des délais légaux de protection et de réserve, on ne fait
pas entrer en ligne de compte ce qui reste à courir de l'année où a eu
lieu le fait qui sert de base pour fixer le commencement du délai.
PROTECTION DU DROIT d'aUTEHR
Quiconque commet sciemment une atteinte au droit d'auteur ou répand
sciemment contre rétribution les produits résultant d'une telle atteinte,
eommet un délit et encourt une amende de 100 à 2.000 florins ou un em-
prisonnement de un à six mois.
Commetune contravention quiconque, contrairement à l'obligation établie
par la loi, omet d'indiquer le nom de l'auteur ou la source utilisée; qui-
conque, après l'interdiction judiciaire, continue à se servir de la dénomi-
nation et du titre ou à imiter la forme extérieure d'un ouvrage. La peine
consiste dans une amende de S à 100 florins.
Quiconque, avec l'intention de tromper, appose sur une œuvre étran-
gère son propre nom ou le nom d'autrui sur sa propre œuvre, en vue de
la mettre en vente, ou quiconque, sciemment, met en vente une telle
œuvre, commet un délit, même dans le cas où aucune atteinte n'est
portée au droit d'auteur, sous réserve de l'application des dispositions
plus rigoureuses du code pénal. Commet également un délit quiconque,
dans la même intention, fait opérer une fausse inscription au registre
public des auteurs. La peine consiste dans une amende de 100 à 2.000 flo-
rins ou dans un emprisonnement de un à six mois.
La procédure au sujet de ces contraventions est confiée aux tribunaux
compétents en matière de presse. La poursuite n'a lieu que sur la demande
de la partie lésée.
En statuant sur une poursuite, le tribunal prononcera, sur la demande
de la partie lésée, la confiscation des reproductions et exemplaires desti-
nés à la vente, quel que soit le possesseur qui les détient, ainsi que la
destruction de la composition ; il décidera, en outre, de rendit impropres
à tout usage ultérieur dans le même but les appareils (épreuves, clichés,
planches, pierres et formes) destinés exclusivement à la reproduction ou à
la multiplication illicites. Lorsqu'il s'agit d'une représentation illicite, le
tribunal peut aussi prononcer la confiscation des manuscrits, livrets, par-
titions et rôles. Les mêmes décisions peuvent être prises en cas de con-
damnation pour faux. Quand une partie seulement de l'œuvre doit être
considérée comme une reproduction ou multiplication illicite, les décisions
mentionnées ci-dessus doivent se limiter à cette partie.
Sur la demande de la partie lésée, le juge, en condamnant le contrefac-
teur à la peine prévue par la loi, peut le condamner en outre à des dom-
mages-intérêts, pourvu que les résultats de l'instruction permettent déjuger
d'une manière sûre les réclamations de droit privé. Le montant des dom-
mages-intérêts sera déterminé non seulement en vue de compenser, pour
la partie lésée, le dommage proprement dit et le gain espéré, mais le tri-
bunal lui allouera, en outre, en toute liberté d'appréciation et en tenant
compte de toutes les circonstances de la cause, une somme équitable pour
la dédommager du préjudice et d'autres torts personnels qu'elle a pu souf-
frir. Les deux parties peuvent interjeter appel de la décision relative aux
dommages-intérêts.
La partie lésée peut être aussi autorisée à faire publier la condamnation
aux frais du coupable. Le tribunal déterminera, dans l'aiiét, le mode de
publication et le délai dans lequel elle doit avoir lieu, en prenant en con-
sidération à cet effet les conclusions de la partie lésée.
La partie lésée a le droit de requérir, avant le prononcé du jugement
pénal, la saisie ou le séquestre des objets destinés à la contrefaçon, ainsi
que toutes les mesures nécessaires pour empêcher que l'acte délictueux
. soit commis ou répété. Cette requête doit faire l'objet d'une décision im-
médiate du tribunal pénal, lequel est libre de n'autoriser les mesures re-
quises que moyennant une caution.
Indépendamment des poursuites pénales, l'auteur a le droit d'intenter
une action civile en dommages-intérêts à quiconque aura porté une atteinte
coupable à sou droit, ainsi qu'à toutes les personnes qui, d'une manière
coupable, auront, moyennant rétribution, répandu des reproductions ou
exemplaires illicites de son œuvre.
L'auteur a, en outre, le droit d'intenter une action civile en reconnais-
sance de son droit d'auteur et en cessation de toute atteinte qui y serait
portée, et de demander à la partie défenderesse, même dans le cas où elle
serait exempte de toute faute, la restitution des profits réalisés par elle.
Lorsque les demandes en dommages-intérêts sont portées devant le juge
civil, celui-ci se prononcera sur l'existence et l'étendue du dommage, de
même que sur l'existence et le produit des bénéfices réalisés, en toute liberté
d'appréciation et en tenant compte de toutes les circonstances de la cause.
Le gouvernement est autorisé à constituer des commissions d'experts
tenues de donner, sur la demande des tribunaux, des rapports préalables
en matière de droit d'auteur. L'organisation et les fonctions de ces com-
missions seront réglées par ordonnance.
DISPOSITIONS FINALES
La présente loi entrera en vigueur le jour de sa promulgation et sera
également applicable aux œuvres parues avant cette entrée en vigueur;
toutefois, en ce qui touche celles-ci, les délais de protection accordés
jusqu'ici sont maintenus s'ils sont plus étendus.
De même, les délais de protection plus restreints fixés jusqu'ici pour le
droit exclusif de représentation d'une œuvre scénique sont, par exception,
applicables dans les rapports de l'auteur avec les théâtres auxquels il
avait cédé, avant la mise à exécution de la présente loi, le droit de repré-
sentation, moyennant rétribution, pour toute la durée de la protection.
Les reproductions et exemplaires existants à la date de la mise en vi-
gueur delà présente loi, et dont la fabrication n'était pas interdite jusqu'a-
lors, continueront à pouvoir être répandus. De même, les appareils destinés
à la multiplication ou à la reproduction et existants à cette date, tels que :
épreuves, clichés, planches, pierres et formes, pourvu que leur fabrication
n'ait pas été défendue jusqu'alors, pourront encore être utilisés pendant
un délai de quatre ans à partir de l'entrée eu vigueur de la présente loi.
Toutefois, le débit de telles reproductions ou de tels exemplaires ainsi
que l'utilisation ultérieure des appareils mentionnés ne seront permis que
dans Is cas où ces objets auront été, à la demande faite par la partie inté-
ressée, dans les trois mois à partir de la mise à exécution de la présente
loi, inventoriés par l'autorité publique du district comprenant la localité
où ils se trouvent, et pourvus d'un timbre spécial.
Les œuvres musicales et scéniques qui auraient été représentées licite-
. ment avant l'entrée en vigueur de la présente loi, pourront être aussi, à
l'avenir, librement représentées.
Une ordonnance du ministère autrichien, publiée en même temps que
la loi, règH les questions qui se rattachent au registre pour les ouvrages
anonymes ou pseudonymes, et fixe à cinq florins (douze francs cinquante
centimes) la taxe pour l'inscription de chaque œuvre séparée. Le registre
est public, et on peut en demander un certihcat d'inscription. La même
ordonnance règle aussi les détails de l'inventaire et du contrôle des repro-
ductions et exemplaires existants, ainsi que des appareils destinés à la
fabrication de ces exemplaires pendant le temps restreint où leur vente
reste permise. Ces dispositions sont purement transitoires.
Après avoir présenté à nos lecteurs les parties essentielles de la
nouvelle loi autrichienne en ce qui concerne les œuvres dramatiques
et musicales, nous examinerons, dans un prochain article, les pro-
grès accomplis, et aussi les modifications que les auteurs et éditeurs
d'œuvres musicales doivent, dès aujourd'hui, désirer voir apporter à
la nouvelle loi, qui n'est pas assez complète.
(A suivie.) 0. Bebggruen.
30
LE MENESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Trois noms de tout jeunes compositeurs brillaient sur le programme du
dernier concert de l'Opéra, ceux de MM. Henri Bûsser et Alfred Bachelet,
tous deux grands prix de Rome, et de M. Henri Hirschmann, l'un des
vainqueurs du concours Rossini. De M. Bcisser, c'était une intéressante
suite symphouiquo intitulée A la Villa Médicis, dont le premier morceau,
plein d'ampleur, contient surtout une belle phrase solidement et nerveu-
sement établie par les violons ; le n» 3, un Soir de mai au Bosco, est d'une
couleur rêveuse et d'un joli sentiment poétique, et l'allégretto qui le suit,
confié surtout aux flûtes, est d'une délicatesse et d'une grâce charmantes;
on retrouve dans le finale la belle phrase de violons du commencement.
La suite de M. Bûsser, bien écrite, bien orchestrée en s'appuyant sérieu-
sement sur le quatuor, est à l'éloge de l'imagination et du savoir du com-
positeur, qui a des idées et qui sait s'en servir. Son succès a été complet.
M. Bachelet a été moins heureux avec une scène lyrique, le Songe de la
Sulamite, dont le poème, tiré du Cantique des cantiques, lui a été fourni par
M. Georges Audigier. Ici, l'inspiration est bien mince, la forme bien
recherchée et bien obscure en ses effets, le tout bien embrumé et d'une
audition difficile. La jolie voix et les efforts intelligents de M""' Bosman,
bien secimdée par M. Affre, n'ont pu secouer l'indifférence et la torpeur
du public en présence d'une composition peu faite en vérité pour lui plaire.
M. Bachelet, qui est jeune, saura reprendre sa revanche. Avec la suite
d'orchestre en quatre parties de M. Hirschmann, nous retrouvons de la
jeunesse, de l'élan, de la chaleur. Le n» 1 (Hongroise), vif, brillant, coloré,
est entrecoupé d'un épisode d'une rêverie pleine de langueur; le n° 2
(Rêverie), auquel on souhaiterait plus d'originalité, n'en est pas moins
d'un joli sentiment; l'Intermezzo se fait remarquer par sa grâce élégante;
enfin, la Bacchanale qui termine a toute la couleur, tout l'entrain, tout le
feu qu'on puisse désirer. C'est là, en somme, une composition intéressante
et qui dénote chez son auteur de sérieuses qualités. M''^' Lafargue et M. Del-
mas nous ont chanté un fragment important et superbe du deuxième acte
d'OEdipe à Colone, de Sacchini, qui a produit sur le public une impression
profonde et légitime. Quel style, quelle noblesse, quelle inspiration mer-
veilleuse dans cette musique admirable, quelle pureté de lignes, quel
sentiment de l'antique! Mais puisque MM. les directeurs de l'Opéra
n'ignorent pas l'existence d'un si incomparable chef-d'œuvre, que ne nous
le rendent-ils en entier, et pourquoi ne le font-ils pas rentrer dans le
répertoire"? Je serais tenté surtout d'eu dire autant en ce qui concerne la
Françoise de Rimini de M. Ambroise Thomas, dont on nous a fait entendre
à ce concert le superbe prologue, d'une inspiration si haute, d'un style
si sévère et si plein d'ampleur. C'est ici l'une des pages caractéristiques et
tout originales du maître à qui l'on en doit tant de puissantes ou de char-
mantes. Bien que la scène soit nécessaire à l'exacte compréhension d'épi-
sodes de ce genre, celui-ci, chanté d'ailleurs d'une façon absolument
remarquable par M^'^ Héglon et Lafargue, par MM. Renaud et Afîre, a
produit chez les auditeurs une émotion intense, et l'eflet en a été tel que
de toutes les parties de la salle on a acclamé le nom du compositeur.
L'insistance était si grande que M. Ambroise Thomas, dissimulé jusqu'alors
au fond d'une loge, a dû s'avancer pour saluer le public, qui lui a fait
une longue et brillante ovation. A. P.
— Chez M. Colonne, c'était la 70" audition de la Damnation de Faust. Voir
nos précédents comptes rendus.
— Concert Lamoureux. — Pourquoi M. Henri Lutz a-t-il décerné le
nom de poème lyrique à cette page des Châlimenls qui, dans le livre de
Victor Hugo, s'appelle simplement S(('//n? Admettons qu'ici poème est
synonyme de poésie, et passons à la musique. Elle n'a absolument rien de
déplaisant, cette musique, et, par le temps qui court, c'est déjà une rare
qualité. Pas de tapage inutile, pas d'excentricités, pas d'affectation dans la
recherche du coloris: un orchestre écrit avec délicatesse, selon la formule
wagnérienne, mais sans éclairs de génie ; une mélopée vocale un peu trop
prodigue peut-être d'intervalles écartés, mais intéressante en somme et
soucieuse de l'expression des paroles. OEuvre très acceptable comme point
de départ, remplie de bonnes intentions, et à laquelle l'auteur s'efforcera
de donner des soeurs d'une beauté plus éclatante. — Nous avons parlé sou-
vent de l'exécution par M. Lamoureux de la symphonie en ut mineur;
elle est presque la perfection sous certains rapports ; nous pensons pour-
tant quela symphonie en la convient mieux à l'orchestre du Cirque dont
les attaques incisives et tranchantes, exclusives de tout sentiment de la
véritable grandeur, altèrent parfois l'ensemble calme et imposant qu'a
voulu créer Beethoven. Des œuvres comme celles-là ne doivent pas être
rapetissées par le souci exagéré du détail au point de devenir des
miniatures. Rien à dire de l'introduction de la Flûte cnduintce. C'est la
grâce et l'élégance faites musique. Siegfried Mi/// commence â paraître en-
nuyeux et l'ouverture de Tannhuuser n'est plus une nouveauté. — Le concerto
en sol de M. Saint-Saëns ofi'rait plus d'intérêt. M. Louis Livon, qui ne
dispose pas d'une grande sonorité, ne semble aucunement songer à racheter
ce défaut par la chaleur communicative de l'exécution : jouer correctement
lui suffit et il y parvient dans la plupart des cas. Il ne dédaigne pas les
facilités permises, par exem.ple lorsqu'il va chercher avec la main gauche
le ri/ culminant de la page 1^, ou qu'il attend pour presser le mouvement
d'avoir franchi une mesure fort scabreuse de la page ',). Il semble qu'il y
ait eu quelque légère révolte de ses doigts dans le trait de la page 18, et l'on -
se demande ce qu'est devenue la main gauche dans celui de la page 20,
première ligne. Mais ce sont là des détails qui ne peuvent nous empêcher
de reconnaître que l'artiste possède un mécanisme arrivé au point, qu'il
sait frapper les accords avec une sonorité homogène pour chaque note et
qu'il joue la musique exactement comme elle est écrite, sans défigurer les
rythmes. Il y a eu quelque léger déséquilibre dans l'ensemble, l'orchestre
arrivant parfois un peu trop tard pour frapper un accord, mais le virtuose
a obtenu malgré tout un honorable succès. Amédée Boutarel.
— Concerts Pister. Le programme s'ouvrait par une fort belle interpréta-
tion de l'admirable ouverture de "Weber, Obcron. Il comprenait ensuite le
pittoresque Roman d'Arlequin, de Massenet, une œuvre fort remarquable
de Théodore Dubois, Hymne nuptial, la suite d'Henri VIII, de Saint-Saëns, et
la symphonie en sol mineur, de Mozart. M. A. Lefort a joué, avec une
virtuosité étincelante et un son charmant, une suite pour violon et orchestre
de M. Paul Ghabeaux. 11 a été chaleureusement applaudi et rappelé.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Ouverture de SIruensée (Meyerbeer). — Roméo et Juliette (Ber-
lioz), le Père Laurence r M. Douaillier. — Symphonie en sol mineur (Mozart).—
Psaume CL (César Franck).
Opéra : A la Villa Médicis (Bûsser), suite symphonique, dirigée par l'auteur. -
Fragment du deuxième acte d'Œdipeà Colone (Sacchini), chanté par M"' Lafargue
et M. Delmas. — Le Songe de la Sulamite (Bachelet), chanté par M-" Bosman et
M. Affre, sous la direction de l'auteur. — Danses anciennes, par M"" Mauri,
Subra et le corps de ballet. — Prologue de Françoise de Himini (Amb. Thomas),
chanté par M»" Héglon et Lafargue, MM. Renaud et Affre. — Suite d'orchestre
(Hirschmann), dirigée par l'auteur.
Châtelet, concert Colonne: 77° audition de la Damnation de Faust (Berlioz), soli:
M"" Auguez de Montalant, MM. Cazeneuve, Auguez et Nivette.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : La Damnation de Faust (Ber-
lioz), interprétée par M"° Jenny Passama (.Marguerite), M. E. Lafarge (Faust),
M. Bailly (Méphistophélès), M. P. Blancard (Brander).
Concerts du Jardin d'acclimatation. — Chef d'orchestre M. Louis Pister : Eu-
ryanthe, ouverture (Weber); Trois airs de ballet (Th. Dubois) : a. Tempo di
Valzo, b. Allegretto, c. Saltarello ; Scherzo et berceuse pour orgue et orchestre
(S. Rousseau); Danse des Morisques (B.Godard) ; Scènes a/saci'CTBes (J. Massenet) ;
a. Prélude, b. Sous les tilleuls, c. Au cabaret; Andante-Cantabile(Tschaïkowsky);
Coppélia, prélude et mazurka (Léo Delibes).
— Beau concert mercredi dernier à la Société Philharmonique fondée
par M. Ludovic Breitner. Le trio en sol mineur (op. HO) pour piano, vio-
lon et violoncelle de Schumann, et le septuor dit de la Trompette, de Saint-
Saëns (op, 95), charmant petit frèro du grand septuor que Beethoven a
dédié à l'impératrice Marie-Thérèse, étaient les morceaux capitaux. Leur
interprétation par MM. Breitner, Teste, Rémy, Tracol, Bailly, Salmon et
Gontrone, ne laissait rie-n à désirer. M""-' Blanche Marchesi a été vivement
applaudie après une cantate de Benedetto Marcello et plusieurs mélodies
de Mozart, Schubert et Brahms, dites avec beaucoup de charme et d'intel-
ligence. 0. B.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
M. Siegfried "Wagner, le fils du maitre de Bayreuth, a été le grand
événement de la semaine musicale à Vienne. Un disciple de son père, le
célèbre chef d'orchestre Hans Richter, l'avait invité à venir diriger un
concert de l'orchestre de l'Opéra impérial et à se présenter au public
viennois pour la première fois. Le succès du jeune homme a été incontes-
table. Il a conduit avec beaucoup de sentiment Vldylle de Siegfried, ce mor-
ceau d'un charme pénétrant que le père heureux avait dédié â son fils quand
celui-ci n'était, selon les paroles du nain Mime, qu'un enfant tétant en
core (einzuUendes Kindj. Ensuite, M. Siegfried Wagner s'est aussi attaqué à la
symphonie en fa de Beethoven et a fait preuve d'un réel talent de chef
d'orchestre et d'une forte personnalité musicale. Les Viennois auraienthien
voulu faire la connaissance de la cantate Nostalgie (Sehnsurht) que M. Siegfried
Wagner vient d'écrire sur les vers célèbres deSchiUer, etqu'on a déjà jouée à
Munich, mais le fils du maitre n'a pas voulu se produire cette fois comme
compositeur. Il y avait presque un quart de siècle que Richard Wagner
avait, pour la dernière fois, conduit un concert à Vienne. C'était en
mai 1872, et il était venu pour récolter quelque argent pour l'entreprise de
Bayreuth. Ce concert unique produisit la bagatelle de plus do cinquante mille
francs. Il est vrai que Wagner y avait offert au public les prémices des
Nibelungen et, entre autres fragments, le fameux enchantement du feu de
la Valkyrie, dont la première exécution est restée légeudaire, car le ciel y
mêlait ses éclairs et son tonnerre. On a beaucoup remarqué, à Vienne, la
ressemblance de Siegfried avec son père, ressemblance que le temps ne man-
quera pas de développer encore, selon toute probabilité; les yeux reflètert
cependant ay^si un vague souvenir du regard inoubliable de son grand-père,
Franz Liszt.
— Le surintendant des théâtres impériaux de Vienne a recommandé aux
directeurs de ces théâtres la plus stricte économie, surtout en ce qui con-
cerne le luxe de la mise en scène. Malgré une augmentation de recettes,
le déficit des théâtres impériaux n'a pas sensiblement diminué en 1895,
et le surintendant croit avec raison qu'il faut faire des économies.
Lt: MENESTREL
31
— Le plafond de l'Opéra impérial devienne subira pendant les vacances
une restauration complète ; il existe depuis bientôt trente ans et a été fort
noirci par le gaz, avant l'introduction de la lumière électrique. En raison
de ces travaux, les vacances de l'Opéra de Vienne seront beaucoup plus
longues cette année qu'à l'ordinaire, ce qui n'est pas pour déplaire aux
artistes.
— Dépêche de Coblence :
Winlidried n'est pas un succès, mais bien un triomphe, dont je suis fier,
moi Allemand. C'est un hommage au grand Français qui fut Louis Lacombe.—
Lisez les journaux allemands!
Signé: Auguste Grassl,
Directeur du théâtre de Coblence.
— A l'issue de cette première représentation, M""" Andrée Lacombe a
reçu cette touchante lettre de M. KuU , le critique si distingué du
Volkszeitung ;
Très honorée, noble dame,
Je m'empresse de vous adresser mes félicitations chaleureuses pour le grand
triomphe remporté liier et comme il ne s'en est jamais produit à Coblentz.
L'âme du grand maître a oerles plané au-dessus de nous I Je me réjouis
d'autant plus de vous l'exprimer, qu'il s'agit d'un enfant de la grande France,
que j'ai toujours tant aimée et adorée, et qui n'a jamais été aussi grande que
dans son malheur.
Avec le plus respectueux dévouement.
Votre serviteur, H.-J. Kull.
— Un procès 1res curieux en matière théâtrale vient d'être jugé à Mu-
nich. Le gouvernement n'avait voulu accorder la concession d'un nouveau
théâtre en cette ville qu'à la condition que le répertoire de ce théâtre ne
porterait pas préjudice aux intérêts du théâtre royal. Les entrepreneurs se
sont pourvus devant la cour administrative, qui remplit en Bavière les
fonctions de notre conseil d'État. La cour a décidé que les autorités
n'avaient pas à s'occuper des intérêts matériels du théâtre, mais seulement
de la censure des pièces immorales et dangereuses. La concession devra
par conséquent être donnée sans léserve au nouveau théâtre de Munich,
qui prendra le nom de théâtre allemand.
— Une nouvelle féerie japonaise, Lilie Tsee, paroles de M. Wolfgang
Kirchbach, musique de M. François Curtis, vient d'être jouée avec suc-
cès au théâtre grand-ducal de Mannheim.
— Les directeurs de théâtres allemands ne paraissent pas ennemis d'une
réclame bien entendue. Il en est même qui font preuve, à ce sujet, d'une
rare faculté Imaginative, témoin celui de l'Alexanderplatz-Theater, à Ber-
lin, qui adresse à la presse ce communiqué savoureux, à propos d'une
pièce française dont le succès ne parait pas douteux : « Les 43 premières
représentations des Pclites Brebis ont attiré 23. 147 spectateurs. Mardi der-
nier, lorsque le 25.000° spectateur, un négociant hambourgeois, s'est pré-
senté au contrôle, il a reçu de la direction, en souvenir, une collection
de magnifiques photographies de M. X..., photographe de la Cour, repré-
sentant les principales scènes de l'ouvrage. La direction se propose d'offrir
le même souvenir au 30.000<^, au 33. 000"^, au 40.000" spectateur, etc. » Cet
« etc. )i est plein d'une réticence habile, et fait supposer que l'entrepreneur
en question est tout disposé à ne s'arrêter qu'au 300.000° spectateur. Et
encore !...
— Dépêche arrivée d'Odessa : « Le compositeur russe M. Alexandre de
Fédoroff vient d'écrire un opéra dramatique, la Fontaine des pleurs, qu'on a
monté avec énormément de succès à Ecathérinoslav. Les journaux font le
plus grand éloge de la musique ; le sujet est tiré d'une fable de Pouschkine.
Le principal rôle féminin est écrit pour M""" Bittner-Brandip, qui le créera
en France (?). On s'occupe déjà de la traduction française. »
— Vient de paraître à Bruxelles (Katto, éditeur) une brochure ainsi
intitulée : A propos de « la Mélopée antique dans le chant de l'Église latine »
de Fr.-Aug. Gevaert, commentaires, par Charles Meerens.
— Hier soir, samedi, à la Scala de Milan, a dû être donnée la première re.
présentation de la Navarraise, de M. Massenet. Le même soir, au théâtre Carlo
Felice de Gênes, on donnait aussi pour la première fois Werther du même
compositeur. Enfin, à La Haye, était également annoncée « la première »
du Mage. Le cœur du compositeur a dû baltre ce soir-là d'une triple émo-
tion. A huitaine, les nouvelles de ces diverses soirées.
— C'est le 16 janvier qu'a eu lieu à Turin, au théâtre Regio, la première
représentation de Savitri, l'opéra nouveau du maestro Conti. « Succès bon,
mais non enthousiaste, dit le Trovatore. Neuf rappels à l'auteur (c'est
maigre!). Exécution louable, d'où ressortent la De Ehrenstein et le ténor
Grani. »
— Les journaux italiens nous apprennent que M. Alberto Franchetti,
l'auteur d'Âsrael et de Cristoforo Colombo, travaille en ce moment â un opéra-
comique intitulé il Signor di Pourceaugnac, dont le livret lui a été confié
par M. Fontana. Ce n'est pas la première adaptation de ce genre qui a été
faite du chef-d'œuvre de Molière. Le 23 avril 1792, l'ancien théâtre Fey-
deau, où l'on jouait à la fois l'opéra italien et l'opéra français, donnait la
première représentation d'un opéra bouffe italien qui portait ce même
titre, il Signor di Pourceaugnac, et dont la musique avait été écrite par un
compositeur français, Jadin. Olivier Métra a aussi laissé dans ses papiers
un Pourceaugnac inachevé.
— Au théâtre Métastase, de Rome, succès complet pour une nouvelle
opérette, Annila di Madrid, paroles de M. Campanelli, musique de M.Cunzo.
— L'aimable éditeur de Madrid, M. Zozaya, a assumé la lourde tâche de
rouvrir le « teatre rcale » sans subvention. Les journaux espagnols sont
pleins de l'événement. L' Imparcial, le Libéral, l'Epoca, la Correspondencia le
commentent, en se demandant comment le nouveau directeur s'y prendra
avec les anciens abonnés, qui ont versé 123.000 pesetas à M. Rodrigo et
qui prétendent en avoir pour leur argent. Or, cette somme, au lieu d'être
régulièrement déposée à la Banque d'Espagne, a été « employée » par l'im-
présario déchu. H faudra à M. Zozaya bien de l'énergie et de l'intelligence
pour tirer le théâtre de cette situation difficile.
— A l'Eldorado de Barcelone, première représentation de De vuelta de vi-
vero, zarzuela en un acte et trois tableaux, paroles de M. Fiacro Irayzos,
musique de M. Geronimo Gimenez. Et à Barcelone encore, Corazonde fuego,
opérette, musique de M. Nicolau.
— Le tribunal de Queens'Bench, à Londres, vient d'accorder à 1^ chanteuse
d'opéra miss Ella Russell une indemnité de cent livres sterling, soit 2.300
francs, parce que son imprésario, M. Percy Notcult, n'avait pas mis son
nom entête des artistes annoncés sur l'affiche. L'étoile prétendait que ce
fait était prémédité et lui portait grand tort. Trois chefs d'orchestre très
connus, MM. Manns, Randegger et Barnby, ont été entendus comme
experts et se sont prononcés en faveur Je l'étoile que l'imprésario n'avait
pas placée en vedette.
— C'est un journal de New-York, le Musical Courier, qui, sur la loi de
M. Mortier, secrétaire du baryton Maurel, croit pouvoir annoncer et aflir-
mer que Verdi vient de terminer un opéra sur le sujet de la Tempête de
Shakespeare. C'est M. Maurel qui serait chargé par le maître de repré-
senter le personnage de Caliban. Nous pensons qu'il faudra attendre la
confirmation de cette nouvelle inattendue.
— A Pernambuco (Brésil), le gouverneur de l'État a donné commission
à l'imprésario Arturo Ferrari de se rendre à Gênes et d'y former une
troupe pour fournir au théâtre Santa-Isabel une saison lyrique de ti'ois
mois. L'inauguration de cette saison se fera avec Mignon, après quoi on
jouera les Pêcheurs de perles et Mefislofele. La même troupe ira donner des
représentations à Para et à Manaos.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans sa dernière séance, l'Académie des Beaux-Arts a décerné le prix
Rossini à la partition inscrite sous len" 3 et qui portait le nom de M. Léon
Honnoré. (C'est la seconde fois, que le jeune compositeur se voit décerner
ce prix, et le fait est jusqu'ici sans exemple.) Les concurrents peuvent, dès
aujourd'hui, retirer leurs manuscrits au secrétariat de l'Institut. L'Acadé-
mie a décidé ensuite l'ouverture du prochain concours Rossini (poésie), qui
sera clos le 31 décembre 1890. Elle a désigné enfin les jurés adjoints pour
les concours de Rome 1896. Pour la musique, ce sont IVIM. Coquard, Maré-
chal et Ch. Lenepveu ; et comme supplémentaires, MM. Fauré et Widor.
— Cette semaine ont eu iieu au Conservatoire les examens semestriels
des élèves des classes de déclamalion. Ont obtenu la pension les élèves
dont les noms suivent : Femmes : M"°s Maille, Vandoren, Rabuteau et
Even. Hommes : MM. Lemarchand, Gaillard et Emmeri.
— Par décret est autoiisé le legs fait à l'Association des artistes musi
ciens par M"° Caroline Beauvais, et consistant dans la somme nécessaire
pour créer trois pensions annuelles de 300 francs chacune dont deux des-
tinées à des artistes âgés indigents ou infirmes, et la troisième pour faci-
liter les études d'une jeune fille peu fortunée et qui aura été reconnue
comme ayant des aptitudes de pianiste.
— M. Asquith, l'ex-ministre de l'intérieur dans l'ex-cabinet libéral an
glais , parait être un croyant convaincu de l'influence bienfaisante de la
musique sur les mœurs. Il a prononcé récemment un discours, dans le
temple de la cité de Londres, avant un des concerts que le député Hazell
a organisés dans le Temple hall pour les ouvriers de ce quartier qui ont
un peu de temps de libre au milieu du jour. M. Asquiih a parlé à cette
occasion de l'apaisante influence qu'exerce la musique sur les âmes
échauffées et de la possibilité qu'il y aurait d'étendre cet avantage à
d'autres classes de citoyens : « Dans les cours de justice, a-t-il dit, où c'est
mon destin de retourner, dans la Chambre des communes, où je passe
une grande partie de ma vie, je crois que l'interposition occasionnelle
d'une heure de musique pourrait bien contribuer â rétablir l'harmonie
entre des esprits combatifs et irréconciliables, à adoucir l'humeur et les
querelles des partis. » Si l'action de la musique était telle, il ne serait que
temps, croyons-nous, d'en recommander aussi l'emploi aux présidents de
nos assemblées délibérantes. Une entente de leur part avec MM. Colonne
et Lamoureux nous semblerait éminemment désirable. Un menuet de
Haydn ou un scherzo de Beethoven au milieu d'une discussion rempla-
cerait avec avantage telle exclamation de MM. Faberot et consorts.
— M. Saint-Saëns, après avoir visité Rome et être resté quelques jours
à Naples, s'est décidé à entreprendre son voyage annuel à la recherche
de la chaleur, et s'est embarqué dans cette dernière ville pour l'Egypte,
où il va passer la fin de l'hiver.
— On se moque constamment, à l'étranger, de l'ignorance des journaux
français pour tout ce qui ne concerne pas la France. Mais voici que les
journaux viennois nous apprennent que M"" Miolan-Carvalho était née
M
LE MEiNESTREL
en Autriche, qu'elle s'appelait de son nom de famille Springer, qu'elle était
divorcée d'avec son mari, M. Alvarès de Carvalho, et qu'elle avait passé les
dix dernières années de sa vie dans une grande maison d'un faubourgvien-
nois ; à sa mort, qui serait survenue en novembre 1893, elle aurait laissé
sa fortune à l'hospice des'Sœurs de la Miséricorde, à Vienne. Quel étrange
amas d'erreurs et de sottises! les journaux de Vienne ont-ils donc si vite
oublié les nécrologies publiées dans les journaux parisiens à la mort en-
core récente de la grande artiste '? Attendons l'explication de ces quiproquos
inimaginables.
— Sait-on que le cardinal Perraud, évêque d'Autun et membre de l'Aca-
démie française, vient d'écrire un livre sur la musique, d'après Platon ?
Ce livre a pour titre : EuTxjlhmie et Harmonie. L'auteur y expose la doctrine
platonicienne de l'assimilation de la musique et de la morale, et y déve-
loppe, en s'appuyant sur l'Ecrilure, cette pensée, que « le sage est un
musicien, et la vertu une harmonie ».
— A l'un des prochains concerts de l'Opéra on entendra une œuvre fort
importante de M.Charles Lefebvre. l'auleai de Zaïre de Judith et de Djelma.
Cette œuvre, sorte de cantate-oratorio, de larges proportions, a pour titre
Sainte Cécile et met en action l'existence entière de la sainte d'après la
tradition religieuse.
— Le programme des prochaines représentations théâtrales d'Orange
vient d'être définitivement arrêté. Les représentations officielles dureront
deux jours: Première journée: 1° le 3' acte de Samson et Dalila, par les
artistes de l'Opéra; 2" le Gid, par les artistes du Théâtre-Français.
Deuxième journée : i" une cantate de circonstance , par les artistes de
l'Opéra; 2° Iphigénie, par les artistes du Théâtre-Français. — Une troisième
représentation, non officielle, sera donnée à Orange, et elle pourrait bien
constituer le véritable elou de ces fêtes. Il s'agit de la première représenta-
tion de la Reine Jeanne, la tragédie de Frédéric Mistral. La commission a
refusé d'organiser elle-même la représentation de cet ouvrage, parce qu'il
n'est du répertoire, ni de l'Oprra, ni du Théâtre-Français. Mais les Félibres ont
décidé de profiter des fêtes officielles d'Orange et de l'atïluence du public
que ces fêtes attireront dans cette ville, pour organiser eux-mêmes cette
représentation de la Reine Jeanne. L'ouvrage sera joué en langue proven-
çale. On cite parmi les princijiaux interprètes de l'œuvre de Frédéric
Mistral : M. Paul Mounet et M™' Lerou , de la Comédie-Française, et
M. Duparc, de l'Odéon.
— Je reçois deux brochures du même écrivain, M. Jean Hubert, singu-
lièrement curieuses et suggestives l'une et l'autre, et qui valent mieux
que bien des volumes compacts. L'une a pour titre : Des réminiscences de
linéiques formes mélodiques particulières à certains maîtres, l'autre est intitulée
Étude sur quelques pages de Richard Wagner (Fischbacher, éditeur). M. Jean
Hubert me semble un nouveau venu dans la critique, mais il me paraît
aussi que c'est un monsieur qui connaît son affaire, qui est en possession
d'une prodigieuse lecture musicale et à qui il serait difficile d'en faire
accroire. Son écrit sur les réminiscences, bourré de citations musicales à
l'appui des assertions, est particulièrement ingénieux et instructif. Qu'on
ne croie pas pourtant que l'auteur veuille faire du pédantisme, et que son
intention soit de crier haro sur tel ou tel maître qui, à un moment donné,
aura subi le souvenir de tel de ses prédécesseurs. Non. Mais il a voulu
seulement faire voir qu'aucun, même parmi les plus grands, n'est à l'abri
de ce souvenir involontaire, et que d'ailleurs, en matière d'art, la mé-
moire est parfois l'une des conditions du talent, par ce fait que l'œuvre
des devanciers contribue forcément à l'œuvre de leurs successeurs. C'est
ainsi que nul, parmi les musiciens, n'est exempt de réminiscences, pas
plus Mozart que Rossini, pas plus Schumann que Mendelssohn, pas plus
Berlioz que Wagner, en passant par Auber, Meyerbeer, Gounod et Verdi.
Ici, il n'y a point de discussion possible; les textes sont là, probants, qui
ne laissent place à aucune équivoque, à aucune échappatoire. Ce sont
précisément ces textes, judicieusement choisis et comparés avec soin, qui
donnent à cet écrit toute sa valeur et toute sa solidité. La seconde bro-
chure ne mettra pas l'auteur en odeur de sainteté auprès des wagnériens
intransigeants. Non qu'il ne compte au nombre des admirateurs les plus
sincères du maître, et il le montre suffisamment; mais son admiration ce
va pas jusqu'au fétichisme, elle est réfléchie, et cette réflexion même
amène de sa part la réserve et la discussion. Or, chacun sait que pour ces
messieurs la réserve à l'égard de leur idole est un blasphème et la discus-
sion un outrage. Il n'en reste pas moins que le lecteur impartial trouvera
là des observations très sensées, traduites, ce qui ne gâte rien, dans une
langue claire, précise et pleine d'élégance. L'auteur s'est souvenu de
l'axiome de Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, » et
c'est un éloge qu'on n'a malheureusement pas l'occasion d'adresser sou-
vent à ceux qui s'occupent des idées et des théories wagnériennes.
A. P.
— M"' Marcella Pregi, obligée de partir en Belgique pour une tournée
de concerts, ne chantera pas aujourd'hui la Damnation de Faust au concert
du Ghâtelet. Elle sera remplacée par une autre excellente élève de
M""^ Colonne, M""" Auguez de Montalant.
— Le violoncelliste Abbiate vient de rentrer à Paris, après une tournée
en Suisse, où sou succès a été très grand. M. Abbiate se propose de donner
les 5, 8 et 19 février, trois récitals, sorte d'historique du violoncelle; les
programmes seront des plus intéressants.
— De passage à Lyon, M. Bourgeois, le président actuel de notre con-
seil des ministres, a fait quelques largesses de rubans violets. Nous
sommes heureux de rencontrer au nombre des heureux élus notre corres-
pondant du Ménestrel, M. Jemain, qui est en même temps un des plus distin-
gués professeurs du Conservatoire de Lyon.
— La première matinée musicale donnée hier par M"" Edouard Colonne
pour l'audition de ses élèves a été un vrai régal artistique. Succès énorme
pour M™<is Jeanne Remacle, Dettelbach, M""* Marcella Pregi, Marguerite
Mathieu, qui ont chanté des œuvres de 6, Faurê, Paladîlhe (Chansons écos-
saises), Gounod et Schumann. La partie instrumentale avait été confiée à
MM. Wurmser et G. Remy, qui ont joué la sonate pour piano et violon de
César Franck, et le premier un nocturne de G. Faurê et la 10= rapsodie
hongroise de Liszt. M""*^ Edouard Colonne, fêtée comme professeur, a rem-
porté un vrai triomphe en chantant et bissant le Cimetière de campagne, de
Raynaldo Hahn, la Chanson de Scozzone , de Saint-Saëns, tiypris et les
Griffes d'or, d'Augusta Holmes. Dans ce dernier morceau, écrit exprès pour
elle, M""' Colonne, plus en voix que jamais, a fait valoir toutes ses grandes
qualités de diction et de sentiment. Elle était accompagnée au piano par
M"» Gabrielle Donnay, sœur de M. MauriceDonnay, l'autour d'Amants. Jean
Hameau a dit des poésies fort goûtées par la nombreuse assistance, dont
faisaient partie le monde élégant et les notabilités artistiques. (Figaro.)
— Séance musicale de M"'" Saillard-Dietz, lundi soir 13 janvier, salle
Pleyel, Programme intéressant; les bravos ont souligné la brillante inter-
prétation de la sonate (op. 24) de Beethoven, par M"« Saîllard-Dietz et
M. Carembat, qui a joué seul la Romance pour violon de Svendsen; la
Procession, de César Franck, largement dite par M. Paul Seguy, et l'O quam
tristis du Stabat mater de M™ de Grandval, bien chanté par M™ Pauline
Smith. Toute la deuxième partie de la soirée était consacrée aux œuvres
nouvelles de M"" de Grandval. Citons, parmi les plus applaudies, les mélo-
dies: Le Vase brisé. Chanson de mer, et les pièces pour violoncelle et cor
anglais, excellemment interprétées par M°"=' Smith et Lhermitte, MM. Lu-
bet, Paul Séguy, Kerrion et Blenzet. R. B.
• — Le concert de M''" Laure Taconet à la salle Erard a été extrêmement
brillant. L'excellent professeur, qui fut elle-même une des meilleures
élèves de M°"^ P. Viardot, s'est fait chaleureusement applaudir dans diverses
mélodies de M"'^ Viardot, de M"° Chaminade, de M. Erlanger; puis dans
Jeanne d'Arc à Domrémy, une belle scène du très jeune second prix de Rome
de 189b, M. Max d'OUone; enfin et surtout dans Narcisse, le délicieux petit
chef-d'œuvre de Massenet, qu'elle interprète d'une voix pénétrante et avec
un sentiment exquis. Les chœurs, composés d'élèves choisies de M"'' Taco-
net, lui donnaient la réplique de la façon la plus charmante, très habile-
ment dirigés par M. Louis Derivis et accompagnés par M. Bourgeois.
Grand succès aussi pour les Trois Relies Demoiselles, de M""-' Viardot. Enfin,
triomphe éclatant — est-il besoin de le dire? — pour M""? H. Renié,
MM. Léon Delafosse, Alfred Brun et Richard Loys.
— Le théâtre de Nantes, qui ne s'est pas encore remis de l'émoi causé
par la mort de son pauvre directeur Jahyer, est sous le coup d'un nouveau
désastre, mais moins tragique. Son fort, ténor. M. Claude Mars, a quitté ses
camarades, à l'anglaise, et en même temps que lui, a disparu un des plus
charmants sujets du corps de ballet. M"" Rosine Kroning. Cette fugue en
partie double défraie toutes les conversations des Nantais.
Du Petit Journal :
NÉCROLOGIE
La mort à Paris, d'un rajah authentique, c'est un fait peu banal à enregistrer.
M. Eugène-Joseph Courjon, appartenant à une famille d'origine française,
depuis longtemps fixée aux Indes, et fait prince (rajah) de Chandernagor en
raison de son influence, titre officiellement confirmé par le gouvernement
français, vient de mourir en son appartement de l'avenue de Tourville. Il était
âgé de cinquante-trois ans. A ses obsèques, qui ont eu lieu à l'église Saint-
Pierre du Gros-Caillou, assistaient deux ou trois Indiens, en turban, attacliés à sa
domesticité. Les armes du prince figuraient aux armoiries du corbillard. Le
cercueil sera transporté à Chandernagor.
Ajoutons à ces renseignements que ce rajah était un musicien fort dis-
tingué, doué d'une imagination facile et abondante. Le Ménestrel a publié
de lui quelques compositions pour piano non sans originalité : Le Dernier
.Jour d'un oiseau, les Cosaques de Skobeleff, Darjorling, Fêle champêtre, etc., etc.
Il les exécutait lui-même de grande verve. Au physique c'était un homme
puissant, de la race des bons géants.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— On demande des enfants chantants, bons lecteurs, à la maîtrise
Saint-Gervais pour les S offices de la Semaine Sainte. Les répétitions ont
lieu tous les jeudis à 4 heures. Les présences sont payées 1 fr. 2 fr. etSfr.
On s'inscrit à la maîtrise Saint-Gervais, 2, rue François-Miron. Auditions
le dimanche 19 janvier à 9 heures du matin et le jeudi 23 à 10 heures du
matin, à la maîtrise.
> CQEniNS DE 1
Dimiinche 2 Février 1896.
3384. — «2- ANNÉE — N° S. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
S O 3V.d: MI-^I R, B - T E X T B
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de Delphes (3" arlicle), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : Premières représentations du Modèle, à l'Odéon
Athur Pohgin; premières représentations ù'Une Semaine à Paris, aux Variétés, ec de Coco, pantomime au Nouveau-Cirque, Paul-kmile Chevalier. — III. La nouvelle
loi autrichienne (suite et fin), 0. Bergcruen. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
BRISES DU CŒUR
valse à danser de Philippe Faiirb.ach. — Suivra immédiatement : Le Joyeux
Luron, quadrille du même auteur.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront dimanche prochain :
LA NUIT
nouvelle mélodie de Ch.-M. Widor, poésie de Paul Bourget. — Suivra
immédiatement : Chanson de Léon Delafosse.
LES
II
( Suite)
Passons à la question
de la notation musicale.
Ce fut un des éton-
nements du public, lors
de l'audition du premier
hymne, de penser qu'à
la fia du XIX'' siècle il
était possible de lire la
musique des Grecs, répu-
tée si mystérieuse! Beau-
coup restèrent sceptiques,
par la crainte qu'on pût
dire que l'on s'était joué
de leur crédulité. Certes,
l'excès de confiance est
un défaut, et l'on doit
louer ceux qui, avant d'ad-
■ mettre un résultat comme
acquis, attendent qu'un
examen approfondi en ait
démontré la réalité. Mais
il est un autre genre de
scepticisme : c'est celui
qui consiste à nier les
choses tout simplement
parce qu'on les ignore.
Or, je suis obligé de ne
point celer à plusieurs de
mes coDtemporains qu'ils
furent dans ce dernier
cas lorsqu'ils contestèrent
la possibilité de transcrire
avec exactitude les notes
musicales découvertes sur
MUSIQUE ANTIQUE
NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
:vi
)s^ <t^.
u
■f *'o>t
'4-xi_<\\]:.i
•.■.O'cV;':'-.;'^:,
i.-i\'.'<.
Iss monuments de Del-
phes. En effet, la notation,
ou, mieux encore, les
divers systèmes de nota-
tion des Grecs sont choses
parfaitement connues, car
le sujet se trouve étudié
avec tous les détails dési-
rables dans plusieurs ou-
vrages techniques de l'an-
tiquité, qui nous ont été
conservés, notamment une
certaine Introduction musi-
cale d'Alypius, et divers
chapitres de Bacchius ,
Aristide Quintilien, Por-
phyre, Gaudence, Boëce,
etc. Je ne veux pas dire
que le nombre de ceux
qui déchiffrent couram-
ment cette notation soit
infini; mais, si peu nom-
breux qu'ils soient, ils
suffisent. La meilleure
raison qu'on puisse avoir,
ce me semble, de se fier
aux résultats de leurs
investigations, c'est que,
ne fusseni-ils que dix en
Europe, si l'un d'eux se
met au travail, les neuf
autres se tiennent en ob-
servation, tout prêts à
marquer les fautes! Or, la
transcription des notes
musicales du premier
34
LE MÉNESTREL
hymne, faite par M. ïh. Reinach, n'a donné lieu à aucune
critique de la part des gens compétents : nous po avons
donc la considérer comme fidèle, et, par analogie, conclure
semblablement pour la seconde transcription.
Ce n'est pas dans ce rapide exposé de nos connaissances
^er^lTHAElCK OTToNTA>
'aikopV<$'on k^eieÎt y.h V
niie?IAESAlMl4>ôBoAOY
ME A-n-ETE AETTY Ol ON.
^OIBONONETIKTE
r-ra
en matière de musique antique (dont le présent monument
musical a été le prétexte et l'occasion) que je puis songer à
étudier les systèmes divers de la notation grecque. Mais les
lecteurs ont sous les yeux la reproduction des documents ori-
ginaux, et j'en puis profiter tout au moins pour leur indiquer,
d'une façon générale, de quelle façon ces documents ont pu
être utilisés.
Ainsi que je l'ai dit en commençant, les tables de pierre
sur lesquelles était gravé le second hymne delphique ont été
découvertes en très mauvais état, brisées en un grand nombre
de morceaux, dont il a fallu d'abord retrouver la place, puis
qu'on a ensuite assemblés. Les figures 1 et 4 sont la repro-
duction photographique de l'inscription après ce travail de
reconstitution; les autres figures sont des transcriptions de
quelques-uns des débris pri.mitifs. Le lecteur retrouvera sans
peine, notamment, laplace du fragment qui constitue laflgure 2,
lequel forme l'angle gauche supérieur de la figure d. Ces
transcriptions n'ont pas d'autre but que de présenter sous un
aspect plus net les caractères de la notation antique : exami-
nons-les avec soin, et nous remarquerons, au-dessus des
mots grecs, des signes d'une forme particulière. Ces signes
sont les notes, purement et simplement. Dans le cas présent,
ces notes, afi'ectant des formes de lettres renversées, ou pure-
ment conventionnelles, appartiennent au système de la nota-
tion dite instrumentale : maison voit par cet exemple, auquel
peut être joint celui d'un autre fragment musical de l'anti-
quité (l'ode de Pindare transcrite par le P. Kircher), que ce
système servait fort bien aussi pour la notation des mélodies
vocales. Les signes de la notation vocale proprement dite
n'étaient autres que les lettres de l'alphabet ionien. La cor-
respondance de chacun de ces signes avec les notes de la
gamme ne fait doute pour aucun de ceux qui ont étudié les
traités spéciaux.
Signalons au passage une double particularité curieuse. Lors-
qu'un son se répète sur plusieurs syllabes successives, le sign e
musical n'est inscrit que sur la première, et reste sous-en-
tendu sur les suivantes tout le temps que le même degré est
maintenu. Par contre, s'il faut chanter deux notes sur une
même syllabe, la syllabe écrite est répétée sur chacune des
deux notes. C'est comme si, dans notre musique moderne,
on écrivait : «. 0 Mathilde, ido-ole de-e mon â-àme », ou le
non moins célèbre vers de la Dame blandie : « Cette main,
cette main si joli-i-i-e » !
Au reste, ce même sentiment de satire et de parodie que
nous éprouvons devant une semblable lecture était ressenti
par les Grecs eux-mêmes. 11 y a, dans les Grenouilles d'Aristo-
phane, une plaisanterie restée célèbre, dans laquelle le poète
comique, reprochant à Euripide de faire chanter ses canti-
lônes sur des airs traînants et prétentieux, répète six fois de
suite la première syllabe d'un mot: « eieieieicieilissete ». Cette
plaisanterie a trait justement à la pratique ^musicale en ques-
tion : elle veut dire qu'Euripide faisait chanter six notes sur
la seule syllabe initiale du mot eilissete, ce qui, en ce
temps-là, paraissaitêtre d'un mauvaisgoùttout à fait blâmable.
Quant à la notation rythmique, elle est indiquée par la
poésie même.
Ce fut, en effet, un principe constant durant toute l'anti-
FlGURIi 3.
quité, que celui de l'union intime, au point de vue ryth-
mique, du vers et de la mélodie. Le mètre poétique commu-
niquait impérieusement sa forme à la mélopée, qui n'avait
plus qu'à s'y adapter et s'y conformer scrupuleusement.
Puisque j'écris ici uniquement dans un but de vulgarisa-
tion, n'ayant aucune prétention à porter des clartés nouvelles
sur un sujet dans lequel je ne puis être que l'écho de voix
plus autorisées, mais pouvant sans doute intéresser le public
à des questions qui piquent sa curiosité et dont les so.lutions
n'ont pas encore été clairement mises à sa portée, je vais
encore profiter de l'occasion pour réfuter une opinion qui
fut plusieurs fois émise dans les discussions provoquées par
le premier hymne. On objectait : « Gomment pouvez-vous
affirmer que le rythme de la musique se conformait si exac-
tement à celui de la poésie, quand, dans la musique mo-
derne, dans la chanson populaire, dans les chants mesurés
de la liturgie, musique et poésie s'associent souvent si mala-
droitement entre elles? Pourquoi n'admettez-vous pas qu'il y
ait eu dans la musique grecque, comme dans la nôtre, des
fautes de prosodie ? »
La réponse est facile. Non, il n'y avait pas de « fautes de
prosodie » dans la musique grecque, parce que l'union in-
time de la mélodie avec le vers était le princife même du
rythme musical. Il est vrai que, dans la musique moderne,
la mélodie a beaucoup plus de liberté vis-à-vis de la poésie,
et l'objection ci-dessus formulée retrouverait sa valeur si,
par exemple, elle s'adressait à quelque système de trans-
cription de chants du moyen âge, basé sur un semblable
principe. Dans l'antiquité, au contraire, la mélodie chantée
était, par son essence même, dans la plus complète dépen-
dance de la parole. Tout nous le prouve : les auteurs sont
unanimes. Tous considèrent cette union parfaite, qui subor-
donne le rythme musical à celui du vers, comme un
axiome qui ne saurait être discuté. Pendant toute la durée
des temps classiques, l'enseignement de la métrique et celui
de la rythmique étaient absolument confondus. Ici, le point
de départ de toute mesure musicale, c'est la syllabe, longue
ou brève, et, une fois ce point établi, les proportions entre les
diverses valeurs sont observées scrupuleusement.
Au reste, il n'en pouvait être autrement avec une langue
comme celle des Grecs. Nous parlions tout à l'heure des fautes
de prosodie; mais, dans notre musique française, les fautes de
prosodie sontsimplement produites par la non-coïncidence du
temps fort de la mesure a.vec V accent tonique da mot : or, l'accent
tonique, malgré son importance, joue un bien moindre rôle
dans la constitution du vers moderne que, dans le vers an-
tique, n'en jouaieutles éléments constitutifs du mètre. LeGrec
aussi connaissait l'accent, lequel n'était pas sans influence au
point de vue musical; mais la quantité primait tout, cai' elle
exprimait réellement les valeurs rythmiques et indiquait les
durées proportionnelles des temps. Les mots : longue, brève,
sont assez significatifs pour qu'il soit inutile d'insister, et il
suffit de constater que tous les théoriciens antiques s'accor-
dent à assigner à la brève la moitié de la valeur de la longue
pour n'avoir plus le moindre doute sur le principe.
LE MENESTREL
35
"■-m
TT^"
/^<''
Dans la pratique, la transcription musicale peut offrir
quelques difficultés, s'il arrive qu'une seule et même poésie,
et, conséquemment, la mélodie correspondante, admettent
l'usage de mètres différents, mélange qui rompt parfois l'unité
de la mesure. Mais avec un peu d'habitude on arrive bien
facilement à se rendre compte du véritable sens rythmique :
les divergences qui peuvent se produire entre les inter-
prétations ne sont, d'ordinaire, que des détails de minime
importance, et je tiens pour très vaines les discussions qui
n'ont pas d'autre objet. Je ne puis mieux faire, pour faire
sentir cette vérité, que de rapporter une observation de
M. Gevaert, qui, dans sa plus récente transcription de la pre-
mière Pythique de Pindare, après s'être flemandé s'il faut
traduire un certain groupe d'une longue et une brève par une
noire pointée suivie d'une croche ou par un triolet d'une
blanche et d'une noire, en arrive
à conclure que la différence entre
les deux formules n'est que d'un
doiizième de blanche, et que, si la
première est plus conforme à nos
habitudes graphiques, la seconde
est celle que tout le monde chanle
d'instinct (1). La notation des mé-
lodies populaires d'après la tradi-
tion orale pourrait donner lieu à
bien des remarques du même
genre. Puis donc qu'il s'agit de
si peu de chose, les divergences
constatées sont d'un médiocre in-
térêt, et, du moment que le mou-
vement général et les proportions
des diverses valeurs sont obser-
vés, il est inutile d'en vouloir
davantage. En matière de musique
grecque, nos connaissances ne son t
pas si complètes que nous nous
perdions ainsi dans l'infmimenl
petit.
Donc , le rythme musical et
le mètre poétique sont une seule
et même chose.
Dans les deux hymnes à Apol-
lon (du moins dans le premier
et la plus grande partie du se-
cond), ce mètre et ce rythme
portent le nom de péonique, carac-
térisé par la division du pied en
la valeur de cinq brèves, et for-
mant par conséquent, au point
de vue musical, une mesure à
cinq temps. Cette mesure, quoique
rare dans la musique moderne,
n'y est pas inconnue. Cependant,
les exemples classiques de me- ''
sures à cinq temps n'ont que peu de rapport avec le
rythme des mélodies grecques. Prenons pour exemple le duo
de Magali, dans Mireille : le morceau est entièrement composé
d'une succession de mesures à neuf-huit et à six-huit, qui, en
effet, accolées deux par deux, forment des séries de mesures
à cinq temps; mais la vérité est que chaque mesure doit être
considérée comme complète par elle-même : les temps forts
des mesures à deux temps sont aussi importants que ceux des
mesures à trois temps, et inversement, et le rythme intérieur
de chaque mesure est assez bien dessiné pour n'avoir pas
besoin d'être complété par celui de la mesure voisine. Dans
le rythme péonique, au contraire, le temps, représenté par
la croche, est, de fait, indivisible, et la mesure entière seule
forme un groupe complet.
(i) F. -A. Gevaf.rt, La Mélopée imlique dans le chant de l'Érjlm lutine, p. 49.
■--'r^' ■
On pourrait plutôt rapprocher ce rythme de celui de la
danse basque appelée Zorsiico, laquelle est à cinq temps brefs;
mais ici encore il n'y a pas identité, car le rythme du Zorstico,
très symétrique et se répétant de mesure en mesure, ne sau-
rait être assimilé à celui de la mélodie grecque, beaucoup
plus irrégulière en sa coupe.
En réalité, si l'on ne peut contester le fait matériel de la
division du chant des deux hymnes en mesures à cinq temps,
il est certain aussi que l'exécution ne donne aucunement
l'impression d'un rythme quinaire, par suite du caractère peu
marqué des temps forts et du manque de symétrie des périodes.
Car non seulement la division intérieure des mesures est
indécise, mais celle des Cola ou membres mélodiques corres-
pondant en principe à la longueur du vers, n'est pas mieux
dessinée. Il semble que ces poésies soient plutôt une prose
rythmée que des vers, et la mé-
lodie est une mélopée dans toute
la force du terme.
Aussi, revenant sur une idée
précédemment émise, j'exprime-
rai encore le regret que les chants
delphiques ne présentent pas plus
d'intérêt au point de vue du rythme
que nous n'en avions constaté au
point de vue général. Étant donné
ce que nous savons de la ri-
chesse de l'art grec à cet égard,
il est évident que nous pouvions
espérer mieux que ces mélodies
aux lignes vagues et sans relief.
Et déjà le dernier fragment du
second hymne, malheureusement
bien mutilé, nous offre un échan-
tillon de cette variété et de cette
beauté rythmique. Il est en gly-
conien, mètre assez compliqué en
apparence, et qui se prête à plu-
sieurs interprétations. J'ai suivi
celle qu'a adoptée M. Reinacb,
mais en modifiant sa notation,
laquelle est, à proprement par-
ler, illisible, ou, tout au moins,
complique considérablement la
lecture (1). Le dactyle, le spondée
et le trochée (ainsi que l'iambe,
dans un passage du milieu queje
n'ai pas reproduit), se mélangent
dans ce fragment, qui, plus que
tout autre, me semble donner
l'impression juste et évoquer la
vision exacte de l'antique mélo-
die.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Odéon. Le Modèle, pièce en trois actes, de MM. Henry Fouquier
et Georges Bertal.
C'est ici, une fois de plus, la lutte éternelle des deux amours:
l'amour des sens, l'amour indigne, et l'amour pur et honnête. Un
jeune artiste d'avenir, le statuaire Raymond Nanteuil, qui, presque
adolescent encore, a été fiancé à la toute jeune fille de son maître,
(1) M. Reinach, amené par diverses raisons à conclure que le glyconien cor-
respond à une mesure à douze-huit, n'en a pas moins été forcé de transcrire
les dactyles et les spondées par des groupes binaires, d'ailleurs fort mal notés
la plupart du temps : en tout cas, ces mesures, qui dominent dans celte partie
de l'hymne, sont très su rnsamment caractéristiques pour imprimer h l'ensemble
de la mélodie un caractère binaire, les trochées et Ïambes, qui seuls sont
ternaires, étant en nombre beaucoup moindre, et pouvant très facilement être
exprimés par des triolets.
36
LE MENESTREL
le sculpteur Mérina. s'est épris fiévrcusenieut d'une femrne galaute,
Albertine Bonnin, qui a conseiili à lui servir de modèle pour ?a
statue deCircé.Une liaison s'en est nalurellement suivie, et Raymond,
presque honteux de lui-même, a négligé son maître et sa fiancée.
Mérina, qui se doute de quelque chose, vient chez Raymond,
le confesse paternellement et lui fait tout avouer. En présence de cet
aveu sincère, il sent que foute remontrance serait inutile ( t qu'il
faut attendre la fin de la crise.
Raymond pourtant n'eft pas absolument coûfiant dans la fidélité
d'Albertine, que poursuit de ses assiduités un jeune fat millionnaire
du nom de Maxime Villars. Il tente de rompre avec elle; mais il est
trop tôt encore, et elle a bientôt repris sur lui tout son empire. Mais
voici qu'il tombe gravement malade, tandis que sa Cuvé, envoyée au
Salon, lui vaut une médaille d'honneur. Albertine le soigne avtc
dévouement. Mais Albertine est habituée au luxe, à la vie facile, et
la misèie d'une existence d'artiste lui est insupportable. Que fait-
elle? Sans cesser d'entourer de soins Raymond, qu'elle aime réelle-
ment, elle devient la maîtresse de Maxime, qu'elle méprise, et elle
lui vend pour 20.000 francs la fameuse Circé, en cachant, bien
entendu, à Raymond le nom de ce riche amateur d'objets d'arl.
Mais le hasard fait tout découvrir à Raymond, qui, rouge de honte
du rôle indigne qu'on lui fait jouer à son insu, chasse de chez lui
.Albertine, et, après avoir rendu à Maxime ses 20.000 francs, se bat
avec lui et le blesse. C'est alors que, guéii de son amour fatal, il se
retourne vers son vieil ami Mérina, vers sa douce fiancée Fernande,
que son abandon avait désespérée. Nous le retrouvons dans son ate-
lier, prêt au travail auprès de celle qui doit faire dé-ormciis le bonheur
de sa vie.
Mais pendant son absence, Albertine s'est introduite de nouveau
chez lui, dans le dessein toujours ardent de lo ramener à elle. Elle
lui a fait dire qu'on avait rapporté sa Circé, placée derrière un rideau,
ce qui u'est pas vrai ; elle revêt la tunique... légère qui lui avait
servi lorsqu'elle lui tenait lieu de modèle pour sa statue et se met à
la place de celle-ci, pensant que lorsqu'il la reverra ainsi, il no
pourra lui résister. C'est lorsqu'elle est dissimulée de la sorte qu'elle
assiste, invisible, à la scène de tendre.=se de Raymond et de Ftrnande,
et qu'elle entend celle-ci avouer à son fiancé qu'elle est jalouse de
sa statue même, en raison du souvenir qu'elle ne saurait cesser de
lui rappeler. Après avoir tenté de chasser cotte pcnsûo de son
esprit, Raymond voyant ses efforts inutiles, lui déclare alors que
rien ne lui coûtera pour la rassurer, et qu'il va détruire sa Circé. Il
saisit un ciseau, ouvre brusquement le rideau et lève le bras pour
frapper, lorsqu'il se trouve en présence d'Albeitine, qui lui arrache
le ciseau des mains en lui disant : — a Non, pas toi; moi! » et qui,
se frappant elle-même, tombe morte devant lui.
Le premier défaut de cette pièce c'est la banalité de l'action, que ne
vient traverser aucun incident, aucune péripétie, et qui marche son
petit bonhomme de chemin sans exciter l'intérêl, l'angoisse ou
l'émotion. Le second, c'est son dénouement qui ne dénoue rien, car
on se demande ce que pourra être le futur ménage de Raymond et
de Fernande avec un tel souvenir entre eux deux, à supposer que
leur union s'accomplisse. Et si elle ne s'accomplit pa?...
A part M. Magnier, qui fait montre d'excellentes qualités dans le
rôle de Raymond, l'interprétation du Modèle, pour fort estimable
qu'elle soit, reste un peu grise, un peu terne, et parait manquer de
montanl. Peut-être est-ce un peu la faute de l'œuvre elle-même.
M"' Dux n'est ni sans vigueur ni sans chaleur dans le personnage
difficile d'Albertine, mais elle n'a guère le physique da rôle, et on
lui souhaiterait plus d'autorité. M. Rameau représente avec bonhomie
le vieux sculpteur Mérina. Quant à M"' Lara, que nous avons vue,
l'an passé, obtenir au Conservatoire un si brillant premier prix, pour
la bien juger en scène il faudrait la voir dans un autre lôle que celui
de Fernande, qui lui servait de début et qui n'a qu'une scène, dans
laquelle d'ailleurs elle a fait preuve de tendresse et d'émotion.
Maxime, c'est M. Rousselle, qui est chargé d'une corvée bien
désagréable.
Arthur Polgin.
Variétés. Une Semaine à Paris, revue en 3 actes et 12 tableaux, de MM. Mon-
réal et Blondeau. — Nouveau-Ciroue. Coco, fantaisie comique.
On dit, même assez haut pour que l'on puisse l'entendre, que
M. Fern:nd Samuel fait les doux yeux au conseil municifal de
Paris, de qui il aimerait tenir le bail, non encore vacant cependant,
du Chàtelet. L'opération en soi semblerait assez risquée, M. Samuel
ayant aux Variétés un théâtre fort achalandé, tandis que là-bas, sur
les quais, la clientèle semble se faire de plus en plus rare. Quoi qu'il
en soit, la façon dont a été montée la nouvelle "revue, une Semaine
o Paris, semblerait donner quelque fondement à ces racontars,
M. Samuel paraissant avoir voulu prouver qu'il était capable, plus
que quiconque, de splendidement mettre en scène une féerie.
Car c'est le côté féerique qui l'emporte celte année dans les
trois actes de srevuistes justement fameux, Mooréal et Blondeau, et
« la bataille d'Iéna », d'après Détaille, « le Centre de la Terre » et
« lo Triomphe romain » rappellent les plus éblouissantes splendeurs
des scènes oîi l'on s'adonne aux pièces à grand spectacle. Ce qui
ne veut pas dire que le côté actualité ait été sacrifié: les chanteurs
des cours au profit du budget, la lutte des chapeaux dans la salle,
les maçons de l'Opéra-Comique, la voie triomphale, les parodies
il'Amanls et de Marcelle sont spirituellement présentés.
Et M. Samuel, prodigue impénitent, n'a pas seulement gaspillé
l'or pour les costumes et les décors, il a encore su réunir sur son
affiche un nombre important d'étoiles de toute première grandeur.
Vuici Brasseur, dont l'invention est géniale lorsqu'il s'agit de se
grimer. Baron, à l'organe si captivant, Milher, transfuge du Palais-
Royal, Lassouche, Guy, compère plein d'entrain, Marguerite Ugalde,
qu'on voit trop peu, Balthy, la fantaisiste et Lender, commère éblouis-
sante. Puis encore MM. Ed. Georges, Simon, Petit, M'"" Lavallière,
Théry, Fugère, Diéterle qui, pour leur petite pari, ne sont pas sans
contribuer au succès d'une Seinaine à Paris.
Le Jardin d'Acclimatation transporté au Nouveau-Cirque! Voilà
qui va faire grandement plaisir aux babys que le mauvais temps
présent empêche d'aller passer la journée dans leur jardin favori.
Rue Saint-Honoré, nulle crainte de l'humidité : confortablement
assis en un bon fauteuil, on y voit défiler moutons, chèvres, lapins,
canards, tortues, chameaux, dromadaires, éléphants, girafes, on y
voit aussi un roi nègre, l'authentique Ghocolal, et un marié légère-
ment éméché qui se trompe de noce. C'est l'amusaut Foottit qui
mène gaiement la fêle aux sons de l'orchestre entraînant de Laurent
Grillet. Comme toujours, le décor de M. Ménessier est de fort agréable
aspect.
Paul-Emile Chevalier.
LA NOUVELLE LOI AUTRICHIENNE
SXJR I-.BS DPLOITS D'^^XJTBXJR,
(Suite et fin. )
En examinant la nouvelle loi autrichienne sur le droit des auteurs,
dont nous avons reproduit les dispositions essentielles dans noire
piécédent article, nous devons d'abord regretter que cette loi n'ait
point formulé clairement le principe de la propriété absolue de l'au-
teur sur Fon œuvre. Sous ce rapport, la nouvelle loi est inférieure à
celle de 1846, dont le premier article déclarait d'une manière géné-
ale : « Les produits littéraires et les œuvres d'art sont la propriété de
leurs auteurs. » Ce principe et les conséquences qui en découlent
auraient été très utiles à l'application de la loi L.ans les cas multiples
et souvent fort compliqués qui peuvent être soumis au jugement des
tribunaux compétents. Aucune ambiguïté ne devrait, en effet, sub-
sister sous ce rapport; il importe que tout le monde s'inspire du
principe que la propriété littéraire et arlistique no diffère guère, en
ce qui concerne sa protection, de la propriété ordinaire, matérielle.
Beaucoup de dispositions iniques dans les législalions étrangères
n'auraient jamais pris naissance si les législateurs avaient envisagé
ce principe simple et clair au lieu de vouloir accorder aux auteurs et
aux artistes une espèce de privilège.
Si la législation autrichienne avait accepté franchement le prin-
cipe de la propriété absolue qui régit la législatton française, elle
n'aurait pas fait de distinction inique entre les auteurs autrichiens
et ceux qui leur sont assimilés, c'est-à-dire les auteurs hongrois et
allemands, et ceux de nationalité différente. Ces derniers ne sont
.proté"-és qu'en vertu de traités spéciaux, et ils ne le sont pas du
tout s'il n'existe pas de traité entre leur pays et l'Autriche. En France,
pareille distinction n'est pas admise; les auteurs étrangers, même
appartenant à des pays qui ne reconnaissentpas la propriété littéraire
et artistique des Français, sont cependant protégés en France au
même litre que les auteurs nationaux. L'honnêteté internationale
nous semble vivement exiger cette protection. N'envoie-t-on pas en
prison dans tous les pays civilisés tout individu qui soutire une
montre à autrui, fùl-ce celle d'un étranger?
Heureusement, le traité entre la France et l'Autriche du 11 dé-
LE MENESTREL
37
cembre 1866 n'est pas touché par la nouvelle loi autrichienne dont
les dispositions sont désormais applicables, en vertu de ce traité
même, aux œuvres françaises. Mais les formalités prescrites par le
traité de 18G6, surtout celle du dépôt, subsistent encore et doivent
être remplies pour que les auteurs et éditeurs français puissent jouir
de la protection de la nouvelle loi autrichienne. Il ne serait proba-
blement pas impossible d'obtenir l'abolilion de ces formalités vexa-
toires et inutiles, que la législaticn française n'exige pas pour la pro-
tection des œuvres étrangères. On n'aurait jamais songé à cette
paperasserie qui n'a aucune raison d'être, si on avait nettement
posé le principe de la propriété littéraire absolue telle qu'elle est
comprise par la législation française.
Plusieurs autres dispositions générales de la nouvelle loi nous
semblent également regrettables ou insuflisantes.
On ne comprend d'abord pas pourquoi il est nécessaire, pour les
œuvres exécutées publiquement, que le nom de l'auteur soit rendu
public lors de l'annonce de la première représentation (Art. 10 : « Bei
der Ankûndigung der erslen Aujfuhrung »). Cette disposition est d'autant
plus inutile que la loi admet d'une manière générale (ait. Il) les
publications anonymes et pseudonymes. L'exception pour les œuvres
scéniques n'a donc aucune raison d'être, et nous en avons vainement
cherché l'explication dans l'exposé un peu trop laconique qui a
accompagné le projet de loi présenté par le gouvernement aux
Chambres. Les auteurs et éditeurs français feront bien de ne pas
oublier cette disposition. Werlher, de Massenet, par exemple, a été
joué pour la toute première fois à Vienne, ainsi que le Carillon. La
coutume française de ne pas indiquer sur -l'affiche de la prem ère
représentation le nom de l'auteur porterait donc un grave préjudice
aux auteurs et aux éditeurs si on la suivait dans le cas d'une « pre-
mière » en Aui riche.
La durée de la protedion est limitée à trente ans après la mort de
l'auteur, ce qui est un progiès énorme en comparaison avec l'an-
cienne loi de 1846, qui fixait à dix ans seulement après la mort de
l'auteur la protection pour le droit de représentation des œuvres
scéniques. Mais nous estimons que cette durée n'est pas suffisante
encore et que la durée de cinquante ans, fixée par la législation
française, n'a rien d'exagéré. L'exposé du gouvernement dit, non
sans une certaine naïveté, que les œuvres scéniques vieillissent vite
et qu'une protection trop longtemps prolongée en rendrait impossible
l'exploitation dans le domaine public. Mais nous ne voyons pas la
nécessité que le premier venu puisse se faire des renies avec le tra-
vail d'un auteur ou d'un compositeur défunt, et il n'est pas exact, en
outre, que toutes les œuvres dramatiques vieillissent si vite que
cela. Aristophane pourrait encore loucher des droits d'auteur à
Paris, de nos jours. Shakespeare, encore à présent, pourrait vivre
en fort grand seigneur avec les droits de ses drames. Molière ne
serait pas non plus à plaindre. Et à Vienne même, Lessing, Gœthe,
Schiller et Gluck gagneraient encore de quoi vivre avec leurs œuvres,
bien qu'elles datent du XVIiï" siècle.
Nous ne pouvons qu'approuver la disposition de l'article 43 qui
établit que la- protection ne cesse que trente ans après la mort du
dernier collaborateur survivant d'une œuvre scénique. C'est surtout
important pour les opéras et opérettes. Carmen, par exemple, ne
serait pas encore tombée dans le domaine public, en Autriche, si une
disposition analogue s'était trouvée dans la loi de 18i6, malgré la
mort de Bizet survenue en 1875 et malgré la limitation à dix ans
après la mort de l'auteur pour la protection des œuvres scéniques.
Une attention spéciale est due aux articles 6S et 67 de la nouvelle
loi qui règlent son application aux œuvres antérieures et statuent
que les nouvelles dispositions sont applicables aux œuvres publiées
avant la promulgation de la loi présente, mais que les œuvres musi-
cales et scéniques déjà représentées antérieurement d'une façon
licite peuvent être représentées librement dans l'avenir. Il en résulte
que les œuvres d'.^uber, de Maillart et de Bizet, qu'on joue encore
fort souvent en Autriche, y restent dans le domaine public, mais
que les œuvres de Gounod et de Delibes, par exemple, profileront de
la protection prolongée à trente ans après l'année de la morl tle ces
compositeurs et de leurs librettistes survivants. C'est ainsi que pour
Faust, pour Roméo et Juliette, pont Lakmé, pour Sylvia et pour Coppélia.
l'année fatale du point de départ des trente ans n'a même pas encore
commencé et, espérons-le pour les librettistes, n'arrivera pas de
sitôt.
Les œuvres musicales sont mieux protégées par la nouvelle loi
autrichienne que par celle de 1846, mais plusieurs dispositions
cependant ne correspondent pas encore aux exigences du droit d'au-
teur bien compris et franchement admis.
Après avoir fort bien dit que le droit d'auteur sur des œuvres mu-
sicales comprend le droit exclusif de publier l'œuvre et de la multiplier,
de la mettre en vente et de l'exécuter publiquement, et après avoir
statué, en particulier, que l'édition d'extraits, de pots-pourris et
d'arrangements est interdite, la loi fait tout à coup des exceptions
fort fâcheuses.
Elle permet d'abord d'éditer des vaiiations, transcriptions, fantai-
sies, éludes et orchestrations, pourvu que ces travaux se présentent
comme compositions originales I eigenthuml ichc Werke). Voilà une
source de procès sans fin. Il est clair que le travail de transformation
est oiiginal si un Beethoven écrit de magistrales et interminables
variations sur un petit motif de valse de Diabelli, ou si un Berlioz se
met à orchestrer l'Invitation à la valse de "W. ber, ou si de nos jours
un Saint-Saëns brode, par exemple, une fantaisie charmante sur la
Thaïs de Massenet. Mais en dehors de semblables maîtres, il existe
beaucoup de compositeurs subalternes qui s'attaquent à des œuvres
d'aulrui sans que leur travail de transformation paraisse d'une origi-
nalité bien frappante. Les tribunaux seront sur ce point souvent fort
embarrassés, et même dans les corporations d'experts que la loi a pré-
vues et auxquelles les juges pourront s'adresser pour éclairer leur
religion, les opinions seront plus d'une fois différentes. Aucune néces-
sité, ni même aucune utilitén'exislait pour enfreindre decette manière
la propriété absolue de l'auteur sur son œuvre.
Ne nous arrêtons pas aux passages de la loi qui règlent les « cita-
tions » et qui permettent la fabrication de copies d'une œuvre musi-
cale pourvu qu'elles ne soient pas destinées à la vente. Les dommages
que ces dispositions peuventeauser sont cependant assez regrettables.
Mais ce qui nous [.araît plus grave, c'est la disposition que l'auteur
d'une composition musicale, en dehors d'une œuvre scénique, doive
se réserver expressément l'exécution et qu'à défaut de cette réserve
l'exécution reste libre. Ainsi le compositeur d'un oratorio, d'une can-
tate, est obligé de s'en réseri-er l'exécution s'il veut que ce droit ne
tombe pas dans le domaine public. C'est justement le contraire qu'il
fallait faire; on aurait dil statuer que toute exécution publique d'une
composilion musicale reste interdite à moins que l'auteur n'en ait
autorisé l'exécution publique expressément, par une note publiée sur
chaque exemplaire de son œuvre. Il est évident qu'une autorisation
pareille serait toujours donnée pour les mélodies, morceaux de
piano ou de violon et autres, qu'on ne pourrait pas répandre par la
vente si les artistes n'avaient le droit de les exécuter publiquement,
sans aucune permission spéciale.
Une restriction fort importante des droits de l'auteur est aussi la
disposition de la loi qui permet la fabrication et l'utilisation publique
d'inslruraents destinés à reproduire mécaniquement les œuvres musi-
cales. Il est évident qiie par cette disposition, on a entendu ne pas
immoler sur l'autel du droit d'auteur les intéressants citoyens qui
tirent leur existence de l'orgue si bien dit de Barbarie. Mais la repro-
duction mécanique des compositions musicales ne se borne plus à cet
instrument primitif. Sans parler du phonographe, qui est certainement
susceptible d'une forte amélioration et deviendra peut-être une con-
currence dangereuse pour les auteurs et éditeurs de compositions
musicales, nous devons attirer l'attention des législateurs sur les
pianos mécaniques, qu'on a justement poussés à unhauttlegré de per-
fe'ction à Vienne. Des facteurs viennois les fabriquent et les reven-
dent actuellement un peu partout, et même à Pari--, et cesins'ruments
forment un véritable danger pour les auteurs et éditeurs d'œuvres
musicale?. Dernièrement nous avons pu voir, à Paris même, un piano
viennois qui ne se distinguait guère de tout autre instrument pareil;
le propriétaire pressa un bouton et le piano se mil à jouer loul seul,
sans aucune force motrice apparente, une valso do Cbopin. Certes,
Rubinslein a joué cetie valse avec plus de charme, mais néanmoins
tout était rendu, mêmes certains capi'ices de tempo rubato, et peu de
dilet'antes auraient aussi bien exécuté le morceau. L'.-lectricilé
fournie par une installation d'éclairage ordinaire et un carton perforé,
voilà quels étaient les artistes. Ces pianos mécaniques se répandent
de plus en plus, car ils servent eu même temjis à l'usage extérieur, et
la fabrication des carions perforés qui se vendent assez cher est une
source de gros bénéfices. Or. il est absoluiucnt immoral et inadmis-
sible qu'il soit permis à ces industriels de traduire une œuvre musi-
cale en leur langue de carton pour s'en faire des rentes :^ans que
l'auteur en profile également. Malheureusement, la protection contre
les pianos mécaniques n'existe même pas en France, et la législation
autrichienne a manqué là une belle occasion de présenter une innova-
tion louable et utile.
38
LE MENESTREL
Un mol encore sur une lacune de la nouvelle loi autrichienne. Elle
a reconnu les droits des librettistes, qui étaient absolument sacrifiés
par l'ancienne loi de 1846. mais elle reste muette sur les droits des
auteurs d'un roman ou d'une nouvelle dont un livret a été tiré. Le
projet de loi présenté par le gouvernement avait réservé aux roman-
ciers le droit de tirer une pièce ou un livret de leur œuvre, mais la
commission de la Chambre des Seigneurs a cru devoir éliminer ce
droit, qui ne figure plus dans la nouvelle loi. Elle n'en parle pas du
tout et. comme le principe de propriété générale n'a pas été établi
tout d'abord, il faut en tirer la conclusion qu'un auteur autrichien
peut parfaitement tirer une pièce ou un livret d'un roman ou d'une
nouvelle d'un auteur français, sans se préoccuper le moins du monde
de celui-ci! Ceci est certainement excessif, car le livret joue souvent
un rôle fort important dans le succès d'un opéra, et il n'est jamais Lne
quantité négligeable. Nous avons vu dans ces derniers temps que les
tribunaux italiens ont accordé une somme fabuleuse à M. Verga,
auteur primordial du sujet de Cavalleria rwtticana, car ils avaient
justement reconnu qu'il était pour beaucoup dans le succès d'argent
sans précédent remporté par l'œuvre musicale de M. Mascagni. Nous
savons aussi qu'une vraie course au clocher a eu lieu au sujet de
la Cigarette de M. Jules Clarelie, qui a servi à M. Massenet pour ta
Navarraise. Eu Autriche, n'importe qui pourrait s'approprier la nou-
velle de M. Claretie pour en faire une pièce ou un livret. Les Iribu-
naux ne pourront pas facilement y porter remèle, car les transfor-
mations (Bearbeitungenj sont en général permises par la nouvelle loi et
il est évident qu'elle n'a pas voulu admettre le droit en question puis-
qu'elle l'a éliminé du projet primitif.
Malgré donc les progrès inconleslables et fort importants que la
nouvelle loi autrichienne a réalisés, nous ne pouvons pas la consi-
dérer comme un modèle de législation en malière de droit d'auteur.
Les lois des États voisins, celles de l'Allemagne et de la Hongrie, lui
sont mêmes supérieures sous certains rapports. Mais les jalons sont
posés, et on peut espérer que les lacunes qu'elle offre seront comblées
quand l'application de la nouvelle loi en aura fait suffisamment res-
sortir les défauts. 0. Bergghuen.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Dans l'ombre du Ténare, l'ombre de Berliozdoit être satisfaite. Dimanche
dernier, le nom de l'illustre artiste flamboyait sur les affiches de nos trois
grands concerts, et tandis qu'au Chàtelet et au Cirque on jouait simultané-
ment la Damnation de Faiist, on exécutait au Conservatoire, Dieu sait avec
quelle verve et quelle ardeur, toute la partie symphonique de Roméo el
Juliette. C'est le 24 novembre 1839 que Berlioz, en la dirigeant lui-même,
donnait au Conservatoire la première exécution de cette œuvre importante.
Deux mois après, il la produisait avec succès à Londres, et il le constatait
dans cette lettre à son ami Humbert Ferrand (Londres, 31 janvier 1840) :
« ... Me voilà content, le succès est complet. Roméo el Juliette ont fait cette
fois verser des larmes (car on a beaucoup pleuré, je vous assure). Il serait
trop long de vous raconter ici toutes les péripéties de ces trois concerts.
Il vous suffit de savoir que cette nouvelle partition a excité des passions
inconcevables et même des conversions éclatantes. Bien entendu que le
noyau d'ennemis quand même leste toujours plus dur. Un Anglais a acheté
120 francs, du domestique de Schlesinger, le petit bâton de sapin qui m'a
servi à conduire l'orchestre. La presse de Londres, en outre, m'a traité
splendidement... Alizard a eu un véritable succès dans son rôle du bon
moine (le père Laurence, dont le nom lui est resté). Il a merveilleusement
compris et fait comprendre la beauté de ce caractère shakespearien. Les
chœurs ont eu de superbes moments ; mais l'orchestre a confondu l'audi-
toire d'étonnement par les miracles de verve, d'aplomb, de délicatesse,
d' éclat, de majesté, de passion qu'il a opérés...» Dimanche aussi, l'orchestre
du Conservatoire s'est montré superbe dans l'interprétation de cette œuvre
si travaillée, si difficile, si délicate parfois, parfois si puissante, et qui
réclame une attention toujours en éveil. Il nous avait fait entendre d'abord
avec éclat l'ouverture, si difficile aussi, de Siruensée, de Meyerbeer, et il a
joué ensuite avec une grâce exquise la délicieuse symphonie en sol mineur
de Mozart (car, par extraordinaire, le nom de Beethoven était absent cette
fois du programme). La séance se terminait par la première audition du
Psaume 150, de César Franck, page d'une jolie couleur et d'un heureux
caractère, mais de proportions très modestes et qui n'appelle point de
réflexion. L'orgue était tenu, comme de coutume, par M. Alexandre Guil-
mant. A. P.
— Concerts Lamoureux. — Nous avons assisté à une exécution irrépro-
chable de la Damnation de Faust, dans laquelle M^^Passamaa été excellente;
M. Bailly ne s'est pas contenté de son mérite reconnu coinme alto; il s'est
révélé comme chanteur. M. Lamoureux, depuis l'année 1884, où M. Van
Dyck et M'"" Brunet-Lafleur s'étaient justement fait applaudir dans l'œuvre
de Berlioz, n'a guère donné la Damnation qu'une dizaine de fois. M. Colonne
approche de 80 exécutions. Quoique le public ne se lasse pas d'entendre
l'œuvre mai tresse de Berlioz, on sent une diminution dans l'enthousiasme.
Nous ne serions pas étonné qu'il se lassât un jour sur les exécutions si
fréquentes de la même œuvre. Certes, nous sommes de ceux qui sont
absolument convaincus que le mérite intrinsèque subsiste malgré le temps
et les circonstance.s. Mais le repos est quelquefois nécesaire et, après un
certain intervalle, des œuvres que le public s'était fatigué d'entendre
réapparaisse'nt jeunes et vivantes comme au premier jour. Shakespeare,
qui était un génie extraordinaire et qui avait des clartés de tout, a souvent
parlé musique ; il dit ceci :
«La corneille chante aussi mélodieusement que l'alouette lorsqu'il n'y a
personne pour écouter, et je crois que si le rossignol chantait durant le jour,
pendant que toutes les oies piaillent, il ne serait pas jugé un meilleur musicien
que le roitelet. Combien de choses doivent leur vraie perfection et leurs
louanges à l'opportunité des circonstances (Portia, le Marchand de Venise}.
Nous n'irons pas si loin que le grand poète. Mais le Faust de Berlioz,
œuvre de pur romantisme, finirait par détonner singulièrement, si on en
abusait par trop, et nous, qui admirons sincèrement l'œuvre du musicien
français, nous commençons à souhaiter qu'on la laisse un instant reposer.
H. Barbedette.
— Chez M. Colonne, c'était également ta Damnai ion de Favsl, toujours avec
la même remarquable exécution.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; Même programme que dimanche dernier.
Chàtelet: Concerl Colonne : 78° audition de la Damnalionde Faust (Berlioz) soli ,
iV" Auguez de Montalant, MM. Cazeneuve, Auguez et Nivelle.
Cirque des Champs-Elysées, Concert Lamoureux: La Damnalionde Faust (Ber-
lioz), interprétée par M"- Jenny Passama (Marguerite), M. E. Lafarge (Faust),
M. Bailly (Méphistophélès), M. P. Blancard (Erander).
Concerts du Jardin d'Acclimatation, chef d'orchestre, Louis Pister. Lorelei,
préludé (Mas-Bruch). Olfcrioire, orgue et orchestre (R. Mandl). Suite d'orchestre
t Attaque du moulin (A. Bruneau). Scherzo en sol bémol (Scharwenkai, piano :
M.Charles Foerster. Léonore, ouverture (Beethoven). Etude (.\. Uenselt), Rhap-
sodie ii") (Litszt), Namouna, suite d'orchestre (Lalo), Sérénade, Prélude. Marche
nuptiale (Rubinstein),
— Gros succès, jeudi dernier, pour la très belle soirée musicale donnée
par la Société des compositeurs, dont le programme était fort intéressant.
A signaler un joli trio de M. Diémer, fort bien exécuté par MM. Joseph
Thibaud, Boucherit et Choinet, la romance du concerlsUick pour violon du
même compositeur, qui a valu de très vifs applaudissements au jeune
Boucherit, dont le jeu est vraiment remarquable, le Voyageur, suite pour
piano de M. Charles René, que deux rappels ont récompensé comme auteur
et comme exécutant. Soirs d'été, de M. Ch.-M. Widor, doat l'effet est char-
mant, enfin Prélude , fugue et variations de César Franck, pour orgue et piano,
magistralement interprétés par MM. Al. Guilmant et Charles René. La
séance a été on ne peut plus brillante.
— Programme exquis à la fois et varié à la cinquième séance de musique
de chambre moderne de MM. I. Philipp, Berthelier, Loeb et Balbreck,
auxquels se joignait cette fois M. Delaborde. D'abord, le très beau trio
(op. 26) de Lalo, dont le presto surtout est charmant et plein de grâce;
puis une Fantaisie et Fugue — superbe ! — de J.-S. Bach et le scherzo
du Songe de Mendelssohn, transcrits pour deux pianos par M. I. Philipp et
magistralement exécutés par lui et M. Delaborde ; ensuite. Nocturnes, trois
pièces en trio de M. Edmond Laurens, du genre romantique, toutes trois
aimables, piquantes et pleines d'élégance, et dites à ravir par MM. Philipp,
Berthelier et Loeb ; enfin, pour terminer, deux très belles, très intéres-
santes Marches à quatre mains (op. 40) de Gliarles-Valentin Alkan, d'un
effet irrésistible, surtout avec l'interprétation brillante et solide de
MM. Philipp et Delaborde. Il n'est pas besoin d'ajouter si le succès d'une
telle séance a été complet. A. P.
— Salle Erard, très intéressante séance de la Société de musique nou-
velle, fondée en 1894 par MM. Widor et Eymieu. M. Th. Dubois a accom-
pagné à M""^ Éléonore Blanc des fragments de Xavière, Brunelle et Par le
sentier. M. Delsart a joué excellement trois pièces de M. Widor avec l'au-
teur, et M. Lefort a été parfait dans des pièces de violon de M. H. Eymieu.
Un concerto de M. Pierné pour deux pianos, exécuté par l'auteur et M. Libert,
la Rieuse, du même, chantée par M'" Blanc, des pièces de piano do Diémer,
Stoyowski, Moskowzski et Widor, prestigieusement jouées par M. Diémer,
ainsi que son beau trio, dans lequel il avait pour partenaires JIM. Delsart
et Lefort, complétaient le programme.
— Les programmes de la Société d'Art sont toujours des plus variés et
des plus intéressants; c'est l'éclectisme qui dirige l'organisateur. Le quatuor
à cordes de M. de la Tombelle, dont c'était la première audition, est une
œuvre remarquablement écrite, d'une trame soutenue, rehaussée d'ingé-
nieux détails. Si les idées ne tranchent pas fortement, du moins leur mise
en œuvre requiert l'intérêt. Les Improvisations pour piano (l'^ audition)
de M. Léon Boêllmann sont une série de délicates et trop courtes pièces
de piano et ont été très goûtées. Le succès a été également grand pour une
séduisante valse (Balancelle) de M. Antonin Marmontel, et pour l'habile
arrangement à deux pianos des préludes el fugues de C. Saint-Saëns, par
l'excellent artiste Charles Malherbe. Des mélodies exquises de Fauré et de
G. Alary, chantées avec goût par M"= Choisnel, et deux intéressantes pièces
d'alto de M. Vierne, dites avec un beau son par M. Balbreck, formaient
le reste du programme.
LK MENESTREL
39
— La première séance des quatuors classiques a obtenu un succès consi-
dérable. Le quatuor eu la majeur a été exécuté par MM.Weingaertner, Furet,
Hervouet et Gasadesus avec une entente parfaite des nuances et une fougue
très entraînante. Le beau style de IVI. Weingaertner s'y est donné libre
carrière ainsi que dans des fragments de quatuors de Haydn, dont un
andantea été bissé avec enthousiasme. Remarquable exécution de la sonate
de Grieg («( mineur), par M"« et M""» Weingaertner, qui y ont rivalisé de
charme et de passion.
— MM. A Geloso, Tracol, Monseur et Schneklud reprendront les séances
delafondationBeethoven (salle Pleyel), les7 et 21 février, 6, 20 et .30 mars.
Audition des quatuors à cordes de Beethoven, 7"" au 17" inclusivement.
NOU^^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (.30 janvier). — Avant de quitter le
public de la Monnaie pour s'en aller passer deux mois à Nice, M°" Lan-
douzy a chanté, cette semaine, la Fille du régiment. Elle y a été char-
mante, comme cantatrice et comme comédienne, pleine de verve et de
grâce, rossignolante à plaisir, telle enfin qu'elle peut l'être, avec sa voix
et son tempérament, dans ces rôles légers qui lui conviennent si bien et
où elle ne laisse guère à désirer. La résurrection du joyeux opéra-comique
de Donizetti, qu'on n'avait plus joué depuis assez longtemps, avec une
interprétation excellente, a fait un plaisir et a obtenu un succès dont le
public lui-même a paru effrayé!... Eh quoi! au lendemain de toutes les
choses graves, wagnériennes, compliquées, qui paraissaient décidément
être seules possibles désormais sur cette imposante scène de la Monnaie,
ces joyeux flonflons, cette orchestration ingénue, ces petits airs, cette
bonne humeur, ont donc encore quelque charme?... On étail venu pour ■
sourire et s'ennuyer, dédaigneusement, et voilà qu'on s'amuse, que l'on
rit, que l'on trouve cela délicieux!... La surprise a été considérable. A
l'heure qu'il est, le bon public n'en est pas encore revenu. Il est furieux !...
Heureusement, le Tannhauser, dont on active les dernières répétitions, lui
fournira très prochainement une revanche.
Un mot des concerts. Le deuxième concert populaire nous a révélé
un virtuose nouveau du violon, M. Burmester, un Allemand, vraiment
extraordinaire. Sur son violon, rien ne lui est impossible; feu Paganini,
dont il joue la musique, l'eût jalousé lui-même, certainement, car il fait
ce que Paganini n'avait jamais songé à faire et il ajoute à la musique de
son prédécesseur des difficultés que l'auteur n'avait pas prévues ! Ce qui
ne l'empêche pas de jouer aussi, très bien, ma foi, de la bonne musique.
En somme, je le répète, un violoniste extraordinaire. Il a remporté natu-
rellement le succès du concert, avec une très belle exécution, par l'orchestre
de M. Joseph Dupont, de la Symphonie fantastique de Berlioz. — Dimanche
dernier, le deuxième concert Ysaye nous a fait entendre un autre violo-
niste, M. Ten Hâve, un des meilleurs élèves de M. Ysaye, et qui promet
un véritable artiste, ainsi qu'une cantatrice, fidèle interprète des concerts
dominicaux de Paris, M"" Marcella Pregi. Celle-ci n'était jamais venue
encore à Bruxelles. Elle a chanté remarquablement un air de Gluck, le
Lamenio de Fauré et la Procession de César F^ranck ; sa voix timbrée et sa
belle diction lui ont valu un accueil extrêmement chaleureux. Le jeune
orchestre du nouveau capellmeister a joué d'excellente façon une sym-
phonie assez pâlotte de Brahms, les Eolides de César Franck et la pitto-
resque Rhapsodie norvégienne da Lalo. Au prochain concert, M. Ysaye cédera
son bâton à M. Vincent d'Indy, qui dirigera le concert dans le programme
duquel il aura, cela va sans dire, une petite part, et se fera entendre
comme soliste. L. S.
— Notre confrère de Bruxelles, l'Éventail, annonce que les conseillers
communaux socialistes de cette ville vont déposer une proposition tendant
à rendre gratuit, dix fois par mois, l'accès des places du quatrième rang
et du paradis au théâtre de la Monnaie. Ils demanderont, en outre, que ce
théâtre donne deux représentations populaires gratuites au cours de
chaque saison.
— Très belle réussite à La Haye du Mage de M. Massenet. « Véritable
soirée triomphale, nous disent les dépèches, et pas moins de seize rappels
pour les artistes. » Parmi ces derniers, M"= Marguerite Picard, dans le
rôle de Varedha, et M. Van Loo, qui jouait Zarastra, ont été réellement
parfaits ; des ovations et des rappels leur ont été prodigués à la fin de
chaque acte. L'orchestre était magistralement dirigé par M. Mertens, le
sympathique directeur, qui se multiplie pour maintenir l'antique répu-
tation du Théâtre Royal français, le seul de tous les Pays-Bas où l'on
chante l'opéra en langue française. Aussi est-ce justice de voir tant d'efforts
couronnés de succès.
— La Navarraise joue de malheur à la Scala de Milan. On n'a pu encore
en donner la première représentation par suite des indispositions succes-
sives des deux grands ténors du théâtre, MM. GaruUi st De Lucia. En
désespoir de cause, M. Massenet a quitté Milan, dont le climat est fort
mauvais, et s'est réfugié très souffrant à Nice, où il est obligé de garder
la chambre en attendant le soleil qui s'obstine à ne pas paraître. Pour en
revenir à la Scala, on espère que le ténor De Lucia pourra enfin chanter
mardi.
— En attendant, cette même Scala a représenté cette semaine pour la
première fois le joli ballet de Léo Delibes, Coppélia. Grand succès pour le
mime et chorégraphe Saraoco et pour M"° Garlotta Brianza, la première
danseuse, gui a donné à la poupée un charme particulier. En revanche
on a reçu plus que fraichement la Damnation de Faust de Berlioz, bien
faiblement exécutée d'ailleurs.
— Le comité du monument Donizetti, àBergame, a fait son choix parmi
les projets qui lui étaient soumis et dont l'exposition a eu lieu récomment
en cette ville. C'est l'esquisse du sculpteur Francesco Jerace qui a réuni
ses suffrages. Ce choix ne va pas sans soulever des critiques assez vives,
dont plusieurs journaux se font les échos.
— A Gênes, très beau succès de Werther, malgré une interprétation
« discrète », comme disent les journaux italiens. Mais la partition est
allée aux nues. Après le duo du clair de lune, toute la salle debout en a
réclamé le bis. A la fin de la soirée, M. Massenet, qui était venu de Milan
pour assister à la représentation, a été acclamé , et il aurait pu reparaître
indéfiniment sur la scène; mais il lui a paru que onze fois, c'était bien
suffisant pour un compositeur français.
— L'Académie de l'Institut royal de musique de Florence vient de rendre
son jugement sur le concours ouvert par elle pour une composition à
quatre voix diverses, avec accompagnement de petit orchestre, sur les
paroles du XV1<= Psaume de David. Le prix a été attribué à M. Guglielmo
Mattioli, de Reggio d'Emilie ; trois mentions ont été décernées, à MM. Carlo
Bersezio (Turin), Eligio Mariaui (Milan) et Terenziano Marusi (Parme).
L'Académie a jugé, dans la même séance, le concours Stefano Golinelli ,
pour la composition de « six études de piano en forme de fantaisie. » Le
prix a été dévolu à un recueil d'études de M. G. B. PoUeri, de Gênes, et
deux mentions ont été accordées à MM. Luigi Romaniello, de Naples, et
Emilie Perotti, de Sulmona.
— Le musée Lizst, à Weimar, vient de recevoir un objet intéressant
qui lui a été offert par un membre de la famille du grand musicien. C'est
un moulage en plâtre de la main droite de Liszt, fait le 22 octobre 1874,
à l'occasion de son ëZ" anniversaire. Le moulage fait ressortir le dévelop-
pement extraordinaire de la main de l'artiste, qui dépasse de beaucoup
les proportions ordinaires. Cette main merveilleuse et la force extraordi-
naire des muscles du bras rompus à l'exercice du piano, dès la plus tendre
enfance, étaient la base du jeu merveilleux de Liszt au point de vue méca-
nique ; il est vrai qu'il fallait aussi son génie musical pour se servir de
l'instrument puissant dont la nature l'avait doué.
— Le petit château Fantaisie, près Bayreuth, bien connu des pèlerins de
La Mecque wagnérienne, vient d'être vendu à un particulier saxon qui a,
dit-on, l'intention de permettre l'accès du beau parc aux visiteurs de
Bayreuth pendant les Festspiele. Richard Wagner a habité ce château pen-
dant les premiers temps de son séjour à Bayreuth et y a travaillé à la par-
tition du Crépuscule des Dieux.
— A l'Opéra de Budapesth, l'opéra national Balassa Balint, musique de
M. Ed. Farkas, a eu peu de succès. Le compositeur habite Klausenburg,
en Transylvanie, et sa partition témoigne que l'orchestre moderne et les
progrès de l'art musical de notre temps ne lui sont pas suffisamment
familiers.
— G'estM. Alexandre Glazounoff, le jeune compositeur qui paraît devoir
être la future gloire de l'art musical russe, qui vient d'être chargé par le
gouvernement d'écrire la cantate dont l'exécution aura lieu â Moscou, au
mois de mai prochain, lors des fêtes pour le couronnement du czar
Nicolas II.
— Les hommages au célèbre compositeur Henry Purcell continuent en
Angleterre, M. W. Harding Benner a fait récemment, à la Tonic Sol-Fa As-
sociation de Londres, une conférence sur le grand artiste, accompagnée
d'exécution de plusieurs de ses œuvres, avec exposition de portraits,
manuscrits, autographes, etc.
— On annonce de New-York le très grand succès remporté par M'"<' Melba
dans Manon en compagnie du ténor Jean de Reszké.
— Un journal de Pretoria annonce une collection de mélodies africo-
hoUandaises. On y rencontre des hymnes nationaux pour les républiques
d'Orange et du Transvaal et quelques chansons patriotiques, comme :
WijU Tafelberg :al staan (Autant que la montagne du Cap reste debout) et Koml
Broeders komt (Venez frères, venez I) Ce qui est curieux, c'est qu'un composi-
teur anglais, M. Reginald Statham, a écrit non seulement la musique, mais
aussi les paroles de ces chansons patriotiques des Boers, et que M. Reilz,
président de la République d'Orange, les a traduites en hollandais.
PARIS ET DEPARTEMENTS
M. Gailhard est de retour de son voyage en Italie. Et, comme il
n'aime pas à perdre son temps, même pendant ses vacances, il en rap-
porte dans ses malles un tas de jolis petits souvenirs pour son cher Opéra
de Paris :
l" Le prologue du Mefistofele de Boito, qu'on exécutera à l'un des pro-
chains concerts ;
2" Une paire de timbales chromatiques ;
3° Un jeu de cloches graves ;
4° Des nouilles et du macaroni ;
40
LE MENESTREL
0° Le portrait de Crispi ennuyé par le Négus d'Abyssinie.
C'étaient de bien grandes malles !
— Aussitôt rentré, M. Gailhard s'est mis à la besogne et il a fait répéter
la Favorite, dont la première représentation aura lieu demain lundi avec la
distribution qu'on sait : M""'* Descbamps-Jehin et Agussol, MM. Alvarez,
Renaud, Gresse et Gandubert. Le même soir aura lieu la reprise de
Coppélia, qu'on n'avait plus jouée depuis Ijncendie des décors; rue
Richer.
— M. Paul Vidal, le jeune compositeur qui a si remarquablement dirigé
les concerts de l'Opéra, vient d'être, sur la proposition de MM. Bertrand
et Gailhard, nommé chef d'orchestre de notre Académie Nationale de
musique, en remplacement de M. Madier de Montjau, admis, sur" sa
demande, à faire valoir ses droits à la retraite.
— M. Jambon, le peintre décorateur, termine l'installation intérieure du
magasin de décors de l'Opéra, situé boulevard Berthier, aujourd'hui com-
plètement construit. Grâce à un ingénieux système de chariot, les décors
arriveront jusqu'à l'Opéra par les rails des dilïérentes lignes de tramways.
Ces ateliers se composent de trois immenses pavillons en pierres, couverts
de tuiles rouges.
— Des remaniements ont élé reconnus nécessaires dans /c Chemlier
d'Hiirmenlal, qu'on répétait à l'Opéra-Conr-ique, et comme ils demandent
quelque temps aux auteurs, il est bien possible que l'Orplice de Gluck
prenne le pas sur la partition de M. Messager. On en pousse activement
les répétitions.
— Note du Figaro : On a donné, dans différents journaux, des renseigne-
ments inexacts sur le procès que les enfants de 'Victor Wilder intentent
à M™' "Wagner. Voici la vérité sur cette affaire, qui vient d'entrer dans la
période active. C'est cette semaine, en effet, que l'assignation a été déposée
au parquet. Les héritiers Wilder avaient, on s'en souvient, soumis leur
différend avec M"" Wagner à la commission de la Société des auteurs, accep-
tant d'avance la sentence que cette commission croirait devoir rendre.
M. Victoribn Sardou, président, offrit à M""= Wagner l'arbitrage de la
commission. M™" Wagner repoussa tout arbitrage. C'est à la suite de ce
refus que les héritiers Wilder ont résolu de s'adresser aux tribunaux,
après avoir consulté l'éminent avocat M. Waldeck-Rousseau, qui a bien
voulu se charger de les représenter à la barre du tribunal.
— Les journaux viennois nous donnent l'explication de l'imbroglio
concernant M"'= Miolan-Carvalho, que nous avons raconté dernièrement.
Il parait qu'à Vienne est morte une dame Carvalho, qu'un reporter fan-
taisiste avait confondue avec la célèbre artiste française. Les rédacteurs
des faits divers, peu familiers avec l'art musical, avaient de bonne foi
accordé une place à la note que ce reporter leur avait communiquée, sans la
soumettre tout d'abord aux critiques musicaux, ce qu'ils auraient dû faire
prudemment. C'est égal; une bévue pareille n'aurait pas dû être commise
par les grands journaux viennois, d'ordinaire rédigés avec tant de soin et
de compétence. Une autre erreur de la même nature se trouve dans le
compte rendu du dernier bal de la ville de Vienne. Les journaux viennois
citent parmi les personnes de marque qui y assistaient « M'"" Delays,
du grand Opéra de Paris ». On se demande où les reporters viennois ont
pu prendre ce nom, dont nous n'avons jamais entendu parler. Les quelques
artistes de marque dont dispose actuellement l'Académie nationale de mu-
sique sont cependant assez connus, même à l'étranger, pour qu'une erreur
pareille puisse facilement être évitée.
— M"« Juliette Dantin, la jeune et très charmante violoniste, vient de
quitter Paris pour se rendre en Italie, où elle va entreprendre une grande
tournée de concerts.
— Au concert de l'Association amicale des anciens élèves du lycée
Charlemagne, on a fort remarqué la jolie voix de M""' Mathieu dans les
charmantes Chansons d'Àcril, de Blanc et Dauphin, Muç/uets et Coquelicots et
les Caprices de la Heine. Beau succès aussi pour le jeune ténor Courtois, dans
l'air et dans le duo de Siyurd, avec M"'-' Ganne pour partenaire.
— Une nouvelle mélodie de Louis Diémer, écrite sur une charmante
poésie du jeune poète André Foulon de Vaulx, Dernières Roses, excellement
chantée par le ténor Clément, vient de remporter un succès d'enthousiasme
dans une soirée musicale donnée boulevard Malesherbes. Il a fallu la bis-
ser d'acclamation.
— Mardi prochain, 4 février, à la galerie des Champs-Elysées, aura lieu
un grand festival brésilien avec orchestre, organisé par le jeune composi-
teur Francisco Brega. On y exécutera différentes œuvres de Carlos Gomes
et de Carlos de Mesquita.
— De Lyon : Mignon vient de servir de début au Grand-Théâtre ;i une
jeune cantatrice d'avenir, M"« Cécile Ketten, Clle de l'éminent professeur
de chant au Conservatoire de Genève, et nièce du regretté pianiste Henri
Ketten. M'ie Ketlen a montré dans le rôle de Mignon, en même temps
qu'une voix d'une pureté et d'une homogénéité remarquables, une diction
parfaite et de réelles qualités dramatiques. Son succès a été des plus légi-
times et la presse lyonnaise a été unanime u le constater. J. Jemai.v.
— La Société des Beaux-Arts de Nantes dont les concerts sont célèbres
depuis plus de cinquante ans, avait tenu, pour sa soirée de vendredi dernier,
à s'assurer le concours de M"« Marie Weingaertner, la brillante élève de
Delaborde. La jeune pianiste a obtenu le plus éclatant succès avec le
4"! concerto de Rubinstein, sa Tarentelle, la Fantaisie de Chopin, le Rigothm
de Thomé et la 6" Rapsodie de Listz. Bissée deux fois, elle a dû ajouter à
son programme la Noce villageoise de Godard et l'Air à danser de Pugno.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un excellent artiste, Henri
Fissot, enlevé prématurément, à l'âge de 52 ans, par une maladie aussi
rapide que cruelle. Professeur d'une classe féminine de piano au Conser-
vatoire, Fissot avait fait dans cet établissement des études exceptionnelle-
ment brillantes. Né à Airaines (Somme) le 24 octobre lSi3, il y avait été
admis avant même d'avoir accompli sa neuvième année, et voici la liste
des récompenses qu'il y obtint : 1833, l" accessit de solfège; 1854, 1^' prix
de solfège et second prix de piano; 1835, l«prix de piano; 1S3(>, 3'' accessit
d'harmonie et accompagnement, et 1« prix l'année suivante ; 1858, l" accces-
sit de fugue et 1='' accessit d'orgue; 1S39, second prix de fugue et premier
second prix d'orgue ; 1860, 1" prix de fugue et 1^ prix d'orgue. Ainsi,
Fissot avait terminé complètement le cours de ses études, en obtenant toutes
les distinctions possibles, avant même d'avoir accompli sa dix-huitième
année. Musicien consommé, pianiste de premier ordre, organiste remar-
quable, il se livra alors à l'enseignement et à la composition, ce qui ne
l'empêcha pas de se faire entendre avec succès dans les séances de musique
de chambre fondées vers 1800 par M. Lamoureux et de faire apprécier son
beau talent d'organiste comme titulaire du grand orgue de Saint-Vincent-
de-Paul. Ses compositions assez nombreuses pour piano se distinguent
par de réelles qualités de forme, de style et de pensée. (Juant à son ensei-
gnement, on peut se rendre compte de sa valeur par les nombreux et
brillants succès qu'obtenaient ses élèves dans les concours. Modeste f t
vivant à l'écart malgré son très grand talent, artiste émineni, konnêtu
homme sous tous les rapports, Fissot ne peut que laisser des regrets sin-
cères à tous ceux qui l'ont connu. A. P.
— Nous apprenons la mort de M. Jules Bordier, compositeur distingué
et fondateur des concerts de l'association Artistique d'Angers, où pen-
dant dix ans il rendit à l'art et aux artistes français, avec un dévouement
et un désintéressement absolus, de très grands, très réels et très signalés
services. M. Jules Bordier sera vivement regretté de tous les artistes dont
il avait, avec une bonnegrâce inépuisable, encouragé et facilité les débuts.
Il n'était âgé que de quarante-neuf ans.
— A Londres vient de mourir soudainement, à l'âge de 58 ans, sir Joseph
Barnby, compositeur, chef d'orchestre et directeur du Conservatoire national
de musique de Guildhall, qui a succombé à une attaque d'apoplexie. Né
en 1838 à York, il fut enfant de chœur dans la célèbre cathédrale de cette
ville jusqu'en 1832, devint élève de l'Académie royale de musique de
Londres jusqu'en 1837 et obtint en 1863 la place d'organiste de l'église
Saint-André de cette ville. En 1872 il succéda à Charles Gounod comme
directeur de la Société chorale d'Albert-hall, et en IS'iS, il fut nomme
directeur des études musicales au collège d'Eton. La cour et le gouverne-
ment s'adressèrent souvent à lui pour diriger des solennités musicales
d'un caractère officiel ; mais il doit surtout sa grande réputation de chef
d'orchestre à la musique religieuse. Ses compositions, qui ne s'élèvent
pas au-dessus du niveau d'un talent moyen et se distinguent plutôt par la
science que par l'inspiration, appartiennent presque exclusivement au
domaine d'art religieux. Citons son oratorio Rébecca (1870), le Psaume XCVII
(1883), et mentionnons que Barnby a écrit une certaine quantité d'hymnes,
motels et autres chants liturgiques fort appréciés en Angleterre. Il est
hors de doute que la mort prématurée de sir Joseph Barnby est dû à un
excès de travail amené par ses occupations multiples et surtout par la direc-
tion du Conservatoire de Guildhall, qui compte plus de trois mille élèves.
— Un des plus célèbres directeurs de théâtre de ce siècle, M. Charles
Maurice, vient de mourir à Hambourg, âgé de 91 ans. Né à Agen, il vint
en 18"2i à Hambourg, où son père s'était fixé, et prit en 1831 la direction
d'un théâtre devenu plus tard le fameux théâtre de Thalie. Le jeune Fran-
çais devint un directeur bois ligne ; les représentations de son théâtre se
distinguaient par une préparation artistique peu commune en Allemagne,
et plusieurs générations de grands acteurs allemands se sont formées à
Hambourg, sous la direction magistrale de Charles Maurice. Le Burg
théâtre de Vienne lui doit la plus grande tragédienne allemande de nos
jours, JA"" Wolter, et les époux Hartmann, les piliers du répertoire mo-
derne. Dawison, le grand virtuose de la scène allemande, avait également
passé par l'école de Maurice. Dans la société de Hambourg, le directeur
du théâtre de Thalie occupait, grâce à son amabilité et à sa distinction,
une place enviable; sa maison hospitalière était un véritable centre artis-
tique et littéraire. Maurice conserva la direction de son théâtre jusqu'à un
âge fort avancé ; il n'y a, en effet, que dix ans que le vieillard s'était
décidé à prendre un repos bien mérité par une longue vie d'un labeur et
d'une probité artistiques auxquels on a depuis longtemps rendu justice en
Allemagne. "■ B.
Hemii Heugei,, direclciir-yèranl.
EMHS DE FER. — lUPRIMEIUE CBAIX,
IS. — ^cre '.orlUcu^
Dimanche 9 Février 1896.
3385. — 62- ANNÉE — IV° 6. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, nie Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri lïEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Èltranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIEE-TEITE
I. Musique antique, les nouvelles découvertes de Delphes (4" article), Julien
TiïRSOT. — II. Le Théâtre-Lyrique, informations, impressions, opinions
(11" article), Louis Gallet. — III. Bulletin théâtral : reprises de la Favorite et
de Coppélia à l'Opéra, H. M.; premières représentations d'Innocentl, au théâtre
des Nouveautés, Paul-Émile Chevalifr. — IV. L'orchestre de Lully (1"' article),
Arthur Pougin. — V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
LA NUIT
nouvelle mélodie de Ch.-M. Widor, poésie de Paul Bouboet. — Suivra
immédiatement : Chanson, de Léon Delafosse, poésie de Paul Bourget.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Le Joyeux Luron, quadrille de Philippe Faiirbacii. — Suivra immé-
diatement : Fine mouclie, polka du même auteur.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
(Suite)
III
Nous arrivons enfin à la question qui prime tout lorsqu'il
s'agit de musique antique : celle du mode.
Le sujet est sans doute peu familier à nos lecteurs, — bien
qu'ils en aient beaucoup entendu parler ! Peut-être, malgré
son apparente aridité, quelques-uns me sauront-ils gré de
profiter de l'occasion pour essayer d'en donner quelques
notions claires et aussi brèves que possible.
Tous les musiciens savent ce que l'on entend par mode, et
la différence qu'il y a entre ce mot et celui de ton, avec lequel
on le confond trop souvent. Les Grecs, eux aussi, connais-
saient les tons et les modes, et de même ils pratiquaient fré-
quemment la même confusion : l'erreur était d'autant plus
facile que si, chez les modernes, le mode et le ton sont ca-
ractérisés par des termes tout différents (on dit mode majeur ou
mineur, ton de la, de ré, de sol, etc.), chez les Grecs, le ton et le
mode étaient désignés parles mêmes dénominations: Dorien,
lydien, phrygien, etc., ces mots s'appliquaient également aux
Ions, ou échelles de transposition, et aux modes. La confusion
s'est perpétuée jusque dans le plain-chant, dont les modes ont
été désignés de tout temps par le mot ton, tonus : 4'^'' ton,
7« ton, etc. De là une première source de confusion qu'il im-
porte d'écarter tout d'abord.
Nous ne nous arrêterons pas sur la théorie ni la pratique
des ions antiques : la question n'a, pour les musiciens mo-
dernes, qu'un intérêt plus que secondaire, presque nul. Que
nous importe, en effet, qu'une mélodie grecque ait été chantée
plus ou moins haut? La question de la hauteur absolue n'a
d'importance que pour certaines productions de la polyphonie
orchestrale moderne, comme les symphonies, que l'on désigne
le plus souvent par leur ton, et où la contexture harmonique,
les éléments sonores eux-mêmes sont combinés tout spécia-
ment en vue de la tonalité choisie. Mais, en matière de
musique antique, la chose offre d'autant moins d'intérêt
que, malgré les plus belles hypothèses et les plus beaux
raisonnements du monde, nous ne pouvons déterminer la
hauteur absolue que d'une façon approximative, le diapason
grec ne nous étant point connu.
Les tons n'ont d'importance réelle qu'au point de vue de
la lecture, car les signes de la notation étaient différents
suivant l'échelle de transposition adoptée. Aussi, je comprends
que M. Reinach y insiste parfois au point de sembler consi-
dérer la question du mode comme à peine aussi importante :
à son point de vue spécial d'épigraphiste, cette préoccupation
s'explique, mais pour nous, musiciens, qui n'avons connu
l'œuvre antique que transcrite à notre usage, et ne nous
sommes préoccupés que modérément delà manière dont cela
a été fait, la question du mode domine de beaucoup tout le
reste.
Finissons-en donc rapidement avec les tons antiques, en
disant que le premier hymne à Apollon est écrit dans le ton
phrygien (échelle naturelle transposée d'une tierce mineure à
l'aigu, transcription moderne avec trois bémols à la clef), et le
second dans le ton lydien (transposition de quarte à l'aigu, un
bémol à la clef), et, pour les personnes qui désirent ne pas
employer les mots sans savoir ce qu'ils veulent dire, ren-
voyons au premier volume de la Musique dans l'antiquité, de
M. Gevaert, où le chapitre des tons n'occupe pas moins de
soixante pages, ou, ce qui sera plus pratique encore, à l'in-
troduction de son dernier livre : la 3Iélopée antique dans le chant
de l'Église latine, où la question est expliquée, sous une forme
résumée, avec une clarté magistrale.
Pour les modes, c'est bien différent, car il s'agit de la
constitution intérieure des gammes, de l'ordre de succession
des tons et demi-tons dans l'octave, et cela a autant d'im-
portance aujourd'hui qu'il y a vingt siècles. Et d'ailleurs, il
existe des systèmes de modes, différents les uns des autres,
dans bien des contrées et à beaucoup d'époques : outre notre
système moderne, restreint à deux modes, le majeur et le
mineur, nous savons que le plain-chant a des modes qui se
confondent plus ou moins avec ceux des Grecs, qu'il en est
de même pour les mélodies populaires, que les peuples orien-
LE MENESTREL
taux ont des modalités spéciales, — et nous éprouvons volon-
tiers pour l'étude de ces questions cette attraclion particulière
que produit toujours le mystère, — car le mot n'est pas trop
fort, la plupart de ces modalités nous étant encore très in-
connues, dans leur principe comme dans leur application.
Ce n'est pas moi, je le crains fort, qui soulèverai jamais com-
plètement le voile : pour la musique grecque, cependant, nous
commençons à être assez bien renseignés, et pouvons avoir
l'espérance de pénétrer assez avant dans le secret des choses.
La théorie grecque divise l'échelle générale des sons en
sept octaves ayant pour point de départ une des sept notes de
la gamme. Les tons et demi-tons se succèdent donc, dans les
sept combinaisons, d'autant de manières différentes. En voici
la nomenclature, avec les dénominations les plus usitées :
Mode de la (Hijpodorien ou Eolien):
— sol (Hypophrytjien ou laslien);
— fa (Hi/polijclk'ii) ;
— mi (Doi-ien) ;
— iv (Phrygien) ;
— do (Lydien);
— si (Mixolydien).
Devons-nous assimiler absolument ces gammes aux deux
modes de la musique moderne, le majeur (gamme d'ut) et le
mineur (gamme de la, avec sol dièse accidentel), basés l'un et
l'autre sur un degré dont les fonctions tonales sont identi-
ques (la tonique), et différant seulement parce que le 3'^ et
le 6^ degré sont d'un demi-ton plus haut dans l'un que dans
l'autre ? Non : nous verrons tout à l'heure pourquoi.
Cependant, il ne faudrait pas tomber dans l'erreur contraire
et considérer les notes des gammes antiques comme privées
de tout caractère tonal. J'ai déjà cité à ce sujet, dans un au-
tre travail, une page de M. Gevaert que je veux reproduire
encore, car la doctrine qui y est contenue constitue la base
en quelque sorte immuable, universelle, éternelle, de tout
système musical :
« Plusieurs savants ont considéré les modes helléniques
comme des formules mélodiques entièrement dépourvues
d'attractions harmoniques, et fixées, pour ainsi dire, au ha-
sard. Une thèse semblable ne pourrait plus guère se soutenir
aujourd'hui : ni les Grecs, ni apparemment aucun peuple civi-
lisé, n'ont connu une musique de cette sorte. La subordina-
tion, plus ou moins étroite, de tous les éléments mélodiques
à un son principal, engendrant en soi-même un accord de
quinte — peu importe d'ailleurs que le son principal appa-
raisse ou non à la lin de la cantilène — cette subordination,
disons-nous, est un principe aussi bien physiologique qu'es-
thétique, et doué, par conséquent, de tous les caractères de
la nécessité. Nous ne pouvons goûter une succession de sons,
nous ne pouvons mnne renlonner sùrcuient, sans la rattacher par
l'esprit à un point de départ fixe, à une tonique, alors même
que celle-ci n'est pas exprimée dans la mélodie. Le principe
que nous venons d'énoncer se manifeste avec plus ou moins
d'énergie selon les temps et les lieux ; mais on peut hardi-
ment affirmer que là oîi il fait absolument défaut, il n'existe ni
musique, ni chant, mais une cantillation sans fixité, sans règle
ni frein, semblable à ces dialectes rudimentaires de l'Afrique
et de l'Australie qui, à quelques lieues et à quelques années
de distance, sont devenus toialement méconnaissables (I). »
En effet, tout nous prouve que la division de l'octave en
deux intervalles essentiels, la quinte et la quarte, fut pra-
tiquée partout et toujours. L'analyse des monuments, à défaut
de documents plus explicites, fait ressortir ce principe sans
aucune exception. Et, bien que les théoriciens grecs ne
disent que des choses vagues sur ce sujet, il est cependant
certain que cette division de l'octave en deux parties, égales
physiquement mais mathématiquement inégales, ne leur
avait pas échappé. Le système des tétracordes, bien que basé
sur une théorie empirique et artificielle, le prouve déjà avec
évidence : il suffit de rappeler que, par l'emploi des télra-
(1) F. -A. Gevaekt, Musique dans l'antiquité, I, 161.
cordes disjoints, il y a un Ion ajouté, qui ne compte pas dans
leur théorie bizarre et fausse (que la routine a maintenue,
hélas! jusqu'à nos jours dans les livres de solfège dils sujié-
neM/-sj, mais qui, existant quand même, doit forcément s'ajou-
ter à un des deux intervalles de quarte, et former avec lui
un intervalle de quinte, complétant l'oclave avec l'autre
tétracorde.
D'autre part, la distinction, admise par tous les écrivains
antiques, entre les intervalles consonanls et dissonants, l'oc-
tave, la quinte et la quarte étant seules consonances (la
tierce est une dissonance pour les Grecs) prouve combien
ils avaient le sentiment vif de cette division essentielle de
l'échelle musicale. Un philosophe de la grande époque,
Adraste le Péripatéticien, semble avoir entrevu le principe
fondamental de la consonance, base immuable de la géné-
ration harmonique, lorsqu'il dit : « Deux sons consonnent
entre eux lorsque l'un ayant été joué sur un instrument à
cordes, l'autre résonne en même temps, en vertu d'une cer
taine afEinité et sympathie naturelle. » Rameau, le grand
théoricien de la tonalité moderne, n'aurait pas mieux dit.
Ainsi donc, si l'on veut pénétrer le véritable sens des
modes antiques, il faut, avant de rechercher la place des
demi-tons, el, plus encore^ des prétendus quarts de ton, être
bien convaincu de cette vérité: que la division primordiale
de l'octave en une quinte et une quarte est le principe de
toute tonalité, et que, par conséquent, la première nécessité
est de chercher à la gamme sa tonique.
Or, nous avons vu qu'il y avait sept gammes grecques. Ces
sept gammes représentent-elles donc sept toniques? Les ob-
servations faites jusqu'ici sont assez concluantes pour qu'on
puisse répondre résolument: non.
Les seules gammes où la cote qui donne son nom au mode
fait fonction de tonique sont celle de la, de sol et de fa (Hypo-
doriens, hypophrygiens, hypolydiens.)
Dans trois autres, la note fondamentale du mode est une
dominante : ce sont les gammes de ré, do, si (Phryien, Lydien,
Mixolydien.)
On peut éprouver quelques doutes au sujet du dorien, dont
la fondamentale mi semble donner une impression tantôt de
tonique, tantôt de dominante. Mais nous aurons l'occasion
de l'observer de plus près, car ce mode est précisément celui
des deux hymnes à Apollon : c'est aussi le mode classique
par excellence, le plus fréquemment employé, de l'avis des
auteurs anciens, celui enfin dont on retrouve le plus de traces
dans les monuments venus jusqu'à nous.
Sauf certaines exceptions sur lesquelles nous ne saurions
insister ici, il est généralement admis (bien qu'aucun texte
antique ne le spécifie) que la note qui donne son nom au
mode en est la finale mélodique.
L'on voit par cet exposé que les modes antiques diffèrent
notablement des modernes, quant à la constitution intérieure
de l'octave. Une observation montrera clairement cette diffé-
rence: le majeur, le mode moderne par excellence, n'existe
pas dans la théorie antique, puisque la gamme A'ul (lydien)
est un des modes basés sur la dominante. 11 ne faut pas
croire pour cela que le sentiment modal des Grecs soit abso-
lument en contradiction avec le nôtre. Assurément leurs
gammes nous étonnent au premier abord; mais la vérité est
qu'elles déroutent bien plutôt nos habitudes que notre senti-
ment musical intime. Je sais, par expérience personnelle,
qu'on s'y accoutume très facilement, et qu'on finit par trouver
les gammes dorienne ou iastienne aussi naturelles que le
majeur et le mineur.
11 en est de même pour les modes basés sur la dominante.
C'est une erreur de considérer la prédominance de ce degré,
secondaire dans la gamme moderne, comme ayant pour effet
de causer une sensation de vague, d'incomplet, de produire
une suspension du sens musical. Beaucoup de nos mélodies
populaires sont basées sur la dominante, et elles sont parfai-
tement nettes, franchement résolues, et satisfont pleinement
LE MENESTREL
43
notre sentiment musical. Même dans la musique harmonique
nous en pouvons trouver des exemples. Le plus caractéris-
tique, à mon avis, nous est fourni par le dernier entr'acte de
Carmen, construit sur un thème de danse espagnole : la phrase
mélodique principale se déroule sur un mouvement descen-
dant de la à ta, en ré mineur, et les accords de conclusion,
prolongeant cette cadence à la dominante, donnent une im-
pression de conclusion parfaitement caractérisée.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE THÉÂTRE-LYRIQUE
IKFORMATIONS — IMPRESSIONS
XI
Il paraît certain que la question du Théâtre-Lyrique Municipal
riîstera stationnaire jusqu'au renouvellement du conseil, qui doit
avoir lieu en mai. Nos édiles actuels auront eu l'honneur d'une
conception qu'il appartiendra à la proo'uaiue assemblée de réaliser.
Mais, comme, selon toute probabilité, les mêmes éléments se retrou-
veront en présence, il est permis de penser que l'idée sera reprise
activement vers le milieu de la session et menée, cette fois, à
bonne fin.
Faisons, en attendant, un peu d'histoire, et résumons, pour l'édifi-
cation des lecteurs que ces détails intéressent, les faits qui se sont
produits, dans des circonstances à peu près analogues, il y a seize
ou dix-sept ans, alors que la restauration du Théâtre-Lyrique était
à l'ordre du jour, — où elle est malheureusement restée, — et s'agi-
tait entre l'État et la Ville. La municipalité de Paris aujourd'hui agit
seule. C'est une chance pour qu'elle agisse enfin plus elficacement.
Dans la séance du conseil du 1 novembre 1878, le préfet de la
Seine déposait sur le bureau une proposition émanant du ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts, et relative à l'ouverture d'un
troisième théâtre lyrique subventionné. Aux termes de cette commu-
nication, le ministre, après avoir exposé les motifs qui venaient de
le déterminer à demander aux Chambres l'inscription au budget
de son département d'une subvention en faveur d'un troisième
théâtre lyrique, priait le préfet de consulter le conseil municipal sur
la question de savoir si, dans le cas oii cette subvention serait volée,
la Ville de Paris consentirait à mettre gratuitement à la disposition
de la direction nouvelle la salle de l'ancien Théâtre-Lyrique, place
du Châtelet.
A ce propos, le préfet avait eu avec le ministre un entretien par-
ticulier.
Ce fut une joute assez instructive et qui, rappelée aujourd'hui,
emprunte aux circonstances actuelles un intérêt tout spécial, le
conseil municipal ayant, comme on le sait, établi en principe que la
Ville de Paris, nonobstant ses autres charges artistiques, doit se
donner le luxe d'un théâtre de musique lui appartenant en propre.
Le ministre, en cette rencontre, faisait remarquer que la Ville de
Paris est la seule des grandes cités de France qui ne subventionne
pas de théâtre. Le préfet, alors, de répondre que si la Ville de Paris
ne subventionne directement aucun théâtre, elle s'impose cependant
des charges assez considérables. Elle a fait, notamment, construire
des salles de spectacles louées s un prix qui ne représente pas l'in-
térêt des sommes dépensées. Eu outre, le gaz est fourni à moitié prix
aux entrepreneurs exploitant les théâtres municipaux. Il y a là une
subvention indirecte qui représente un chiffre cousidérable.
« M. le ministre, dit le compte rendu auquel j'empiunte ces
détails, ayant ajouté que la Ville de Paris doit être d'autant plus
disposée à accorder une subvention au Théâtre-Lyrique qu'elle
perçoit le droit des pauvres, M. le préfet a répondu que la loi sur
le domicile de secours impose à la Ville des charges très lourdes et
que le droit perçu sur les spectateurs sous le nom de droit des
pauvres, ne compense que très iniparfaitement ces charges. — M. le
préfet a fait observer, en outre, que, si l'État doit se placer au point
de vue de l'intérêt des compositeurs quand il subventionne un
théâtre lyrique, l'administration municipale doit se placer au point
de vue de l'intérêt de la population parisienne. Or, l'Opéra est exploité
dans des conditions telles que la plus grande partie de la population
parisienne, qui ne peut payer dix et vingt francs pour une place de
théâtre, se trouve dans l'impossibilité d'entendre le répertoire des
grands opéras classiques. D'autre part, le directeur de l'Opéra jouit
du privilège exceptionnel de pouvoir engager, soit les lauréats des
concours du Conservatoire, soit les sujets les plus remarquables des
autres théâtres lyriques, et cependant il ne les utilise pas tous.
)) Il semble donc qu'il serait possible d'obliger le directeur de l'Opéra
à prêter au nouveau Ttiéâlre-Lyrique ce personnel artistique dispo-
nible et de constituer ainsi une seconde troupe d'opéra, sans supplé-
ment de dépense pour l'État.
» C'est seulement dans les cas où une combinaison de cette nature
pourrait être admise par M. le ministre, que M. le préfet sera-it d'avis
de mettre gratuitement à la disposition de la direction des Beaux-
Arts un des théâtres municipaux. Il devrait être entendu que, trois
fois par semaine, le répertoire du grand Opéra serait exécuté sur le
Théâtre-Lyrique. »
Cette combinaison nous apparaît aujourd'hui des plus irréalisables
que l'on puisse imaginer, et il faut s'étonner qu'elle ait pu être conçue
et formulée même à l'époque où nous nous reportons.
Le théâtre lyrique, surtout municipal et parce que municipal, doit
être absolument autonome, ne rien demander à l'État qui, du reste,
ne pourrait effectivement rien lui accorder, sinon une contribution à
la subvention représentant l'intérêt qu'il attacherait à juste titre à la
prospérité de cette institution ouverte aux compositeurs nouveaux.
Mais, un répertoire? Mais, des artistes ? J'ai dit, naguère, sur le
premier point, ce qui me semble suffisant pour établir la richesse du
fonds constituant le domaine public, où peut s'alimenter le répertoire
du futur théâtre. Sur le second point, l'expérience démontre que
l'Opéra et l'Opéra-Comique, exerçant un droit magistral pour le
choix de leurs artistes, ne prennent pas toujours le vrai dessus du
panier, puisque, dans bien des cas, des premiers sujets remarquables
leur sont venus, soit de la Monnaie, soit de divers autres théâtres,
qui les avaient librement choisis, comme le pourrait faire l'adminis-
tration du Théâtre-Lyrique municipal. Rien n'est parfois décevant
comme les triomphes de l'école. Tel quitte le Conservatoire, chargé
de couronnes, qui va souvent échouer piteusement dans la carrière
largement ouverte. Tel autre, qui ne donnait que de vagues espé-
rances, s'épanouit au grand soleil de la scène et passe parfois au
premier rang.
Nonobstant cet échange de propositions et d'objections que je viens
de rapporter, l'affaire suivait son cours entre l'État et la Ville. Et
M. Viollet-le-Duc, au nom de la commission spéciale, prenait des
conclusions dans un rapport dont l'objet était d'examiner la pro-
position du ministre en vue de la création d'un théâtre lyrique
populaire.
Le rapporteur défend assez vivement la Ville contre le ministre, qui
voudrait la voir participer aux charges que l'État s'impose. Il trouve
que les charges de la Ville sont très appréciables et font bonne
figure en regard de celles de l'Etat.
Bien que n'y arrivant que d'uae façon assez restrictive et froide,
l'auteur du document conclut pourtant à autoriser le préfet à débattre
avec l'Étal les bases d'une convention relative à l'établissement d'un
théâtre lyiique populaire.
Ces bases étaient soumises au ministre. Mais, le 17 décembre 1878,
une lettre de ce dernier coupait court à toute négociation.
« Permettez-moi, monsieur le Préfet, disait cette lettre, de ne pas
entrer, quant à présent, dans la discussion des diverses conditions
que vous avez bien voulu me faire connaître ; la question, pendante
en ce moment, de savoir si le théâtre national de l'Opéra sera, dans
l'avenir, confié à une régie, m'impose une réserve qui, je l'espère, ne
sera pas de longue durée. »
L'affaire sommeilla alors durant quelques mois. Le 23 juin 1879
une lettre du sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts la réveillait tout
à coup, mais pour la compliquer, semble-t-il.
Elle annonçait au conseil municipal qu'une clause nouvelle venait
d'être inscrite au cahier des charges de l'Opéra, obligeant la direction
de notre première scène à abandonner au théâtre lyrique populaire,
— dans le cas où ce théâtre serait créé et subventionné par l'État
ou la Ville, — dix ouvrages du domaine de l'Opéra n'appartenant pas
au répertoire courant.
Clause purement décorative et sentimentale, il n'est pas nécessaire
d'y insister, et qui ne pouvait avancer aucunement les choses.
De plus, un projet de théâtre de drame se greffait sur le projet de
théâtre lyrique. C'était trop beau !
Et M. Viollet-le-Duc, au nom de la commission municipale, après
diverses considérations intéressantes, reprenait la plume pour con-
clure à l'adoption de l'idée du sous-secrétaire d'Etat, déterminant la
part des subventions directes et indirectes de chaque, partie..
Le 26 juillet, le conseil discuta et une commission fut nommée
pour assister le préfet de la Seine dans ses négociations avec les
Beaux-Arts.
44
LE MENESTREL
C'est ici à peu près que l'on pourrait mettre, comme autrefois à
propos du télégraphe aérien : Communication interrompue par le
brouillard !
Il y a eu d'autres faits sans doute, mais rien, depuis 1879, n'a
clairement émané de l'ombre où dort cette question du Théâtre-
Lyrique, que le conseil a heureusement évoquée, en 1893, pour la
faire exclusivement sienne — ce qui est, à noire humble avis, le seul
moyen d'en faire quelque chose. — Un mariage entre la Ville et
l'Etat serait, il faut le reconnaître, sinon impossible, du moins fécond
en difficultés de toute espèce. Louis Gallet.
BULLETIN THÉÂTRAL
Sans en faire trop de bruit et sans vouloir y attirer l'attention des
journalistes, la direction de l'Opéra a risqué cette semaine la reprise
de la Favorile. Dame 1 il y a une jeune critique qui n'aime pas ce
genre de plaisanterie et qui n'aurait pas manqué de montrer ses crocs
si on l'avait convoquée à si maigre festin. Comme cela, se sont
dérangés seulement ceux qui l'ont bien voulu, les vieux de la vieille,
et tout s'est passé très convenablement.
Nous ne savons trop si l'ouvrage est a formulaire » ou non, selon
la belle et nouvelle expression trouvée par la naissante école, mais
il parait contenir encore quelques pages qui ne sont pas trop dégoû-
tantes et dont il a fallu se contenter en attendant les Maîtres chanteurs.
Le ténor Alvarez et le baryton Renaud s'y sont présentés à leur
avantage ; et M"'' Deschamps-Jehin chante le rôle d'Éléonore « avec
ses défauts et ses qualités », comme dit un de nos meilleurs confrères.
Nous lui empruntons très volontiers cette « formule » non compro-
mettante, mais bien commode pour nous sortir d'embarras.
Le même soir, on reprenait Coppélia, cette fine partition de Léo De-
libes, qui commença sa réputation. C'est toujours jeune, frais et pim-
pant, et M"' Subra ajoute sa grâce à la grâce de cette musique, ce
qui compose un tout très français qui en vaut bien un autre, n'est-ce
pas? H .M.
NocvEAL'TÉs. Innocent! vaudeville en 3 actes, de MM. A. Gapus et A. Allais.
Les Nouveautés varient les plaisirs de leurs spectateurs en passant
avec une étonnante facilité de l'opérette au vaudeville. Cette fois
les violons ne se font entendre que durant les entr'actes et, seuls,
MM. Capus et Allais sollicitent l'attention d'un public qu'un second
acte fort amusant a semblé mettre de complète belle humeur.
Dans une petite ville des environs de Tours un homme a essayé
d'escalader les murs de la propriété de M. Ramblay. Le garde cham-
pêtre passant par là a voulu s'emparer du délinquant et n'a réussi à
attraper qu'une vigoureuse volée. Les soupçons de la justice se
portent sur Blaireau, plutôt. braconnier de son état, et on le con-
damne à six mois de prison, malgré ses énergiques dénégations et
malgré les protestations de la romanesque M"° Isaure, nièce de
M. Ramblay, convaincue que l'homme n'était qu'un amoureux qui
se voulait rapprocher d'elle. La nièce avait parfaitement deviné et le
braconnier ne mentait pas en protestant. Le coupable est Brindoie,
professeur de gymnastique qui, pour avancer ses affaires auprès de
son excentrique élève Isaure, avoue sa faute. Et comme la belle
demoiselle aime les héros, il se constituera prisonnier et fera rendre
la liberté à l'injusteœent condamné.
Or le jour même oii Brindoie fait sa démarche est celui oii la
peine de Blaireau expirant, on va le relâcher. Et ici se développe
une série de scènes divertissantes d'une piquante observation, bla-
guant fort alertement notre parfaite administration. Blaireau ne peut
plus être reavoyé que lorsqu'auront été accomplies les innombrables
formalités destinées à bien prouver son innocence, tandis que Brin-
doie, qui lient absolument à faire sa prison, se voit refuser un cachot
jusqu'à ce que d'autres formalités, non moins innombrables, per-
mettent de l'écrouer. Et l'ahurissement de ces deux hommes dont
l'un, innocent, veut sortir, et dont l'autre, coupable, veut entrer, est
d'un comique achevé.
Tout s'arrange au milieu de quiproquos de qualité variée à travers
lesquels s'entrechoque lout un petit monde sans grande importance
réuni à une fête de bienfaisance organisée en l'honneur de la vic-
time de l'erreur judiciaire.
Innocent ! est tout à fait bien joué par MM. Germain-Blaireau,
Gujon-Brindoie et Tarride-le directeur de la prison, un trio de
vomédiens qui, pour une grande part, assurent la fortune des Non
ceautés. Il faut aussi nommer MM. Colombey. Le Gallo, Laurel,
Dupuis, M'"" Clem et Angèle. Pall-Émile Chevalier.
L'ORCHESTRE DE LULLY
Il n'est pas facile d'établir, avec une précision même rela-
tive, ce qu'était l'orchestre de l'Opéra au temps de Lully, d'indiquer
sa composition, de faire connaître l'ensemble de ses exécutants, de
déterminer le nombre de ceux-ci à chaque partie, etc. Il est certain
qu'on trouvait d'abord dans cet orchestre le quatuor des instruments
à cordes tel qu'il existait alors, c'est-à-dire dessus, tailles, quintes et
basses de viole, qui tenaient la place de nos premiers et seconds
violons, altos et violoncelles (1). Les violons (dessus de viole)
employés dès lors chez nous étaient les violons « à la française »,
ainsi désignés par les Italiens : piccoti violinialla Francese, parce qu'ils
étaient montés de quatre cordes seulement, tandis que les leurs en
portaient cinq (2). Quant aux instruments à vent, ils comprenaient
diverses parties de flûtes, hautbois et bassons, avec des cors de
chasse, la percussion étant représentée par les timbales. A cela il
faut ajouter encore des théorbes, dont la présence dans le corps
sym phonique nous est affirmée par Raguenet, bien qu'on ne s'explique
guère l'utilité, dans un corps symphonique, de cet instrument à
cordes pincées. Voilà pour l'orchestre ordinaire, sans que nous
puissions, je l'ai dit, savoir quel nombre d'exécutants se trouvait
à chaque partie, et dans quelle proportion le quatuor avait à lutter
avec l'harmonie; j'inclinerais pourtant à croire que ce quatuor était
relativement nombreux, car c'était sur lui que retombait presque
eutièrementla responsabilité des airs de danse. Mais Lully nesegênait
pas, à l'occasion, pour adjoindre des instruments supplémentaires à
son orchestre, tels que trompettes et tambours (comme dans Je
prélude fameux avec trompettes du cinquième acte de Bellérophon),
et même, lorsqu'il voulait obtenir quelque effet extraordinaire,
certains engins qui n'avaient rien de musical, mais qui produisaient
une sonorité particulière. C'est ainsi que dans Acis et Galathée il fit
entendre jusqu'à des sifflets de chaudronnier, et que dans un autre
ouvrage, au milieu d'une scène infernale, il faisait frapper en
cadence sur des enclumes, ce qui produisait sans doute un bruit...
infernal (3).
Castil-Blaze, qui ne doutait de rien, et qui, sans jamais appuyer
ses assertions d'aucune preuve, avançait comme certains les faits
souvent les plus problématiques, Caslil-Blaze écrivait avec un aplomb
superbe, dans son Académie impériale de musique : « Je puis signaler
ici la plupart des vingt symphonistes de l'orchestre que Lully diri-
geait en 1673 et en 1674. » Or, l'excellent Gascon ne pouvait rien si-
gnaler du tout, du moins avec la précision qu'il semblait apporter
dans ses dires. D'abord, il se trompait d'une façon absolue en rédui-
sant à vingt exécutants cet orchestre de Lully, qui certainement en
comptait au moins le double, sans que nous puissions établir à cet
égard un chiffre rigoureusement exacl. La Vieuville de Freneuse.
que je viens déjà de citer dit encore à ce sujet: « Les Italiens ne
mettent guère que vingt instrumenis dans leurs orchestres; en
France, on y en met cinquante ou soixante. » En admettant que ce
chiffre soit un peu exagéré, on voit ce qu'il en devait èlre. D'ailleurs,
un document dont on ne saurait contester l'authenticité et qui dale
de vingt-cinq ans après la mort de Lully, nous renseigne d'une
façon précise sur ce qui se faisait alors et qui no devait pas différer
beaucoup de ce qui se produisait au temps de Lully. Je veux
parler d'un manuscrit de la biblothèque de l'Opéra, aussi précieux
que curieux, qui est ainsi intitulé : Privilèqe accordé, arrests rendus
et règlement fait par Sa Majesté pour l'Académie royalle de musique pour
l'année I71'2-17I3. Ce manuscrit nous donne, sinon la composition
exacte de l'orchestre, du moins la liste complète et nominative de
(1) On sait que la contrebasse, déjà employée en Italie, n'était pas encore
d'usage en France, et qu'elle ne fut introduite à l'Opéra, par Montéclair, qu'une
vingtaine d'années après la mort de Lully.
(2) <t Je vous supplie de remarquer qu'avec ses quatre ou cinq cordes le violon
fait sentir d'une manière parfaite certaines passions, et les exprime toutes d'une
manière passable et juste, ce qui n'appartient qu'à lui. Au reste, il importe
peu qu'il y ait quatre cordes ou qu'il y en ait cinq. Les Italiens accordent leurs
cinq cordes à la quarte, nous accordons nos quatre cordes à la quinte : cela
revient au mùme point. Le violon, monté de ces deux diverses façons, est tou-
jours et l'abrégé et la perfection de la musique. >■ (La Vieuville de Freneuse:
Compnntkoii de lu musique iUilieme iivee In musique Ininroise.)
(3) « Non seulement, dit La Vieuville de Freneuse, il a fait entrer agréablement
dans ses concerts jusqu'aux tambours et aux timbales, il y a fait entrer jus-
qu'aux sifflels de chaudronnier, et ces silllets de chaudronnier, mêlés dans la
la sixième scène du second acte d'Acis et Gululliée et servant de refrain aux vers
du récit de Polyphème et au chœur :
iju'à l'envi chacun s'empresse
De me suivre dans ces lieux...
font un effet merveilleux. »
LE MENESTREL
45
son personnel, dont malheureusement quelques noms seuls sont
suivis de leur qualité (Nicolas Baudry, dessus de violon; Julien Ber-
nier, flûte allemande; Bernard Âlberty, théorbe; Jean Theobalde,
basse de violon ; etc.)- Nous apprenons ainsi que cet orchestre com-
prenait, au total, 4S exécutants, non compris Lacoste, « batteur de
mesure, » et Jean Rebel, « pour le clavecin. » Les appointements
sont de 600 à 400 livres, excepté pour le timbalier, qui n'a que 130
livres. Lacoste a l.OOO livres, et Jean Rebel, 600 livres (1).
On voit donc qu'en ce qui concerne le nombre des symphonistes,
Castil-Blaze était certainement et manifestement au-dessous de la
vérité. Quant aux exécutants eux-mêmes, à part quelques violons
dont les noms lui avaient été révélés par YHintoire de l'Opéra de Durey
de Noinville, l'écrivain s'est contenté de prendre au hasard quel-
ques autres noms d'artistes appartenant à la musique du roi, et de
les introduire de son propre mouvement dans l'orchestre de LuUy,
en les y classant à sa guise et d'une façon absolument arbitraire. Je
me garderai, pour ma part, d'affirmer avec autant de solennité, et si
mes recherches m'ont conduit à un résultat un peu plus important
que le sien, je suis obligé d'avouer que ce résultat est encore fort
incomplet. Toutefois, il était intéressant au moins de faire connaître
avant tout, et d'une façon un peu intime, les trois chefs d'orchestre
formés et employés à lOpéra par Lully : Lalouette, Collasse et Marais,
et c'est à quoi je me suis effoicé.
Quoiqu'il n'y ait pas à douter de l'existence de ces trois « batteurs
de mesure », je n'en présume pas moins que Lully a été son premier
chef d'orchestre. Habitué qu'il était depuis longtemps à exercer
ces fonctions à la cour^ il n'est pas supposable qu'il ait pu, au com-
mencement de son entreprise, avoir confiance en un autre que lui
pour les remplir à son gré. Je serais aussi disposé à croire que,
dans les premiers temps au moins, et alors qu'il n'était pas très sur
encore de l'habileté et de la solidité de ses exécutants, il avait à
à l'orchestre un clavecin, devant lequel il s'asseyait pour les diriger,
prêt à parer par lui-même à tout accident qui pourrait se produire.
Ce n'est là, je dois le dire, qu'une conjecture, mais elle est basée
pourtant sur ce fait que lorsqu'il conduisait l'orchestre de Molière, il
avait précisément un clavecin. A la vérité, le petit orchestre de
Molière était loin d'avoir l'ampleur et l'importance de celui de
l'Opéra.
Quoi qu'il en soit, je reste persuadé que Lully dut se placer tout
d'abord lui-même à la tète de ses symphonistes, et que ce n'est
qu'au bout d'un certain temps qu'il confia à Lalouette le soin de les
diriger. Il me semblerait même assez naturel qu'il reprit personnel-
lement cette direction aux premières représentations de chacune de
ses œuvres nouvelles, ne cédant de nouveau le bâton de commande-
ment qu'une fois celte œuvre bien assise au point de vue de l'exécu-
tion d'ensemble. C'est qu'en effet un artiste aussi soigneux, aussi
consciencieux que l'était Lully ne devait rien laisser au hasard et
n'avait sans doute confiance qu'en lui-même. Mais, encore un coup,
je n'établis ici que des probabilités, et sous ce rapport je ne saurais
me permettre de rien affirmer.
Nous allons faire connaissance avec les trois chefs d'orchestre
dont j'ai donné les noms, après quoi je grouperai les renseignements
que j'ai pu réunir sur ceux des artistes de cet orchestre dont il m'a
été possible de retrouver la trace.
(A suivi-e.) Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — Très bonne exécution de la Damnation de Faust,
précise, correcte et brillante. M. Lafarge serait à la hauteur de sa tache
dans les parties essentielles de l'œuvre s'il pouvait se défaire de l'habitude
contractée au théâtre d'ajouter des points d'orgue et de chanter les fins de
(I) A la fin de ce manuscrit se trouve une seconde liste, d'ensemble cette
fois, qui nous donne une i|uasi-composition de l'orchestre, avec les traitements
afférents à chaque partie. La voici :
Batteur de mesure 1.000 liv.
10 instruments du petit chœur à 600 1. . . . 0.000
12 dessus de violon à 400 1 4.800
8 basses à 400 1 3.200
2 quintes à 400 1 800
2 (ailles à 400 1 800
.3 hautes-contre à 400 1 1,200
8 hautbois, flustes ou bassons à 40U i 3.200
1 timbalier à 150 1 150
Cette liste, qui donne un total de 46 exécutants, offre donc avec celle que
j'ai signalée plus haut, une dill'érence en moins de deux artistes, différence
que je ne m'explique pas, mais 'iiii, en somme, est insigniliante.
phrases avec affectation, comme un diseur en quête de bravos. M"» Passama
n'a pas pénétré toutes les délicatesses musicales du rôle de Marguerite ; néan-
moins elle est suffisante dans les parties de chant pur. Pourquoi a-t-elle
introduit au premier couplet de la chanson une si mauvaise respiration
après le mot vu-e dont l'e muet ne doit pas enjamber la mesure? M. Bailly,
qui remplit habituellement des fonctions modestes dans l'orchestre des
concerts du Cirque, était si plein de joie d'être sur l'estrade à un autre
titre que sa jubilation est devenue contagieuse et que l'auditoire, désarmé
par cette bonhomie doublée d'inconscience, a applaudi joyeusement ce
diable improvisé. Le chœur de Pâques et le chœur d'apothéose ont été
merveilleusement rendus, mais pas suffisamment appréciés de l'assistance ;
est-ce que la structure de ces morceaux serait trop simple ou leur sentiment
trop élevé? Il ne faudrait pas pourtant que ce genre de musique, qui est
magnifique, fût étouffé par un autre, cet autre fùt-il excellent aussi.
Somme toute, cette audition fait honneur à Berlioz et à M. Lamoureux.
Amédée Boutarel.
— Chez M. Colonne, continuation des auditions de la Damnation de
Faust, toujours avec le même succès.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : relâche.
Opéra: Poème carnavalesque (Ch. Silver), première audition. — Sainte Cènle,
poème lyrique de M. Ed. Guinand, musique de M. Ch. Lefebvre, chanté par
M'" Berthet iCécile), M. Gautier (Valérien), et M. ISartet (Léfiusl, première audi-
tion. — La Belle au bois dormant, féerie dramatique de MM. Bataille et d'Hu-
mières, musique de M. Georges Hue, première audition.— Danses anciennes
régiées, par M. Hansen a. Sarabande (Destouches), 6. Pavane (Paladilhe),
c. Musette (Rameau), d. Menuet (Gluck), e. Passepied (Rameau), dansés par
Ml'" Mauri, Subra, etc. — a. L'Enterrement d'OiMlie, b. liapsodie cambodgienne
(Bourgault-Ducoudray). — Deuxième tableau du premier acte à'Alceste (Gluck),
chanté par M- Rose Caron(A.Iceste),M. Delmas (le grand prêtre) et M. DouaiUier
(l'Oracle). — Chœur triomphal de Mazeppa (C. de Grandval).
Châtelet : Concert Colonne : 79" audition de la Damnation de Faust (Berlioz) ; soli :
M-= Auguez de Montalant, MM. Cazeneuve, Auguez et Nivette.
Cirque des Champs-Elysées, Concert Lamoureux: La Damnation de Faust (Ber-
lioz), interprétée par M"° Jenny Passama (Marguerite), M. E. Lafarge (Faust),
M. Bailly (Méphistophélès), M. P. Blancard (Brander).
Concerts du Jardin d'Acclimalation. Chef d'orchestre, Louis Pister. Patrie,
ouverture de Bizet; Danses anciennes de Rameau, Campra et Grétry ; Concerto
en sol mineur de Saint-Sai-ns, piano, M. Harold Bauer; Suite à la hongroise
(violon et orchestre), Paul Chabeaux, violon, M. Lefort ; Méfodie en fa de
Rubinstein et 6" Rapsodie de Liszt, exécutées au piano par M. Harold Bàuer;
Carmen, suite d'orchestre de Bizet.
Les services rendus à l'art français par la société de M. Ed. Nadaud
expliquent la faveur que le public montre à cette société, qui compte
quinze années d'existence et dont la première séance a eu lieu salle Pleyel
le 21 janvier. Deux premières auditions fort intéressantes : d'abord un quin-
tette-fantaisie pour cordes de M. Alary, œuvre écrite dans un style parfait
et dont l'interlude a été particulièrement goûté ; puis une charmante suite
pour flûte et piano, de M""» Coedès-Mongin, dans laquelle le jeune Gaubert
a remporté un gros succès. Exécution fine et bien musicale de la sonate
de 6. Fauré, par l'auteur et le brillant virtuose Nadaud, et pour finir, le
quintette de G. Pfeiffer, par l'auteur et les collaborateurs de M. Nadaud,
MM. Gibier, ïrombetta et Gros-Saint-Ange.
— Deux séances fort intéressantes ont été données à un jour de distance,
salle de Géographie, par MM. Letort et Balbreck. Au concert de M. Bal-
breck, on a entendu et vivement applaudi un agréable quatuor à cordes
de M. Génin, le quintette beau de Schumann et l'ingénieuse sonate pour
piano et violon de G. Saint-Saëns. Au concert de M. Lefort, le quintette
avec piano, de Jadassohn, le trio de Lalo (op. 26j, des pièces de Hubay,
remarquablement dites par M. Lefort, ont été fort appréciés. Aux deux
concerts, M. I. Philipp a joué avec M'^" Edmond Laurens, une jeune pia-
niste du talent le plus distingué, deux de ses transcriptions à deux pianos,
fantaisie et fugue de Bach et scherzo de Mendelssobn, dont l'effet est déli-
cieux. M. Philipp, qui interprétait la partie de piano des œuvres de Schu-
mann, de Lalo, de Saint-Ssëns et de Jadassohn, et qui est certes un de nos
meilleurs virtuoses, possède dans l'art spécial de la musique de chambre
des qualités de premier ordre, le sang-froid, la notion exacte de son rôle
de pianiste, un beau son, un rythme très sûr, de l'abnégation. Les quar-
tettistes de ce talent sont rares, et méritent une mention spéciale.
La seconde séance de la Société de musique de chambre pour ins-
truments à cordes et à vent, fondée par les artistes de l'Opéra, MM. Carem-
bat, Martinet, Bailly, Georges Papin, Soyer, Lafleurance, Bas, Paradis,
Couppas, Penable et Lachanaud, a eu lieu samedi au milieu d'un public
nombreux. Le programme comprenait le quintette de Beethoven pour
piano, hautbois, clarinette, basson et cor, un nonetto de Spohr, pour
violon alto, violoncelle, contrebasse, llûte, hautbois, clarinette, basson
et cor, et le septuor de Saint-Saëns, la Trompette. Ces compositions, toutes
trois d'un style très élevé, ont été interprétées de la façon la plus remar-
quable et chaleureusem.ent applaudies. M"" Carambat, qui prêtait son
concours à cette séance, a obtenu un succès mérité.
46
LE MENESTREL
NOUVELLES DIVERSEf
ÉTRANGER
Pendant les dernières semaines, les théâtres d'outre-Rliin n'ont pas
cessé d'exploiter le répertoire français. Voici une liste des ouvrages joués
à Vienne : Manon, la Juive, l'Africaine, Mignon, Carmen, le Prophète, les Hugue-
nots; à Berlin : Faust, Mignon, le Prophète, les Huguenots: à Munich : l'Africaine,
Carmen, Faust: àCASSEL : Robert le Diable, les Dragons de Villars, les Huguenots;
à Stuttgard : Fra Diavolo, la Juive, Mignon: à Leipzig : Mignon, Robert le Diable,
la Muette de Portici, la Poupée de Nuremberg: à Breslau ; Carmen, hakmé, Fra
Diavolo, la Dame blanche: à Bonn : les Huguenots, Carmen: à Cologne : Faust,
la Juive, l'Africaine, la Fille du Régiment: à Wiesbadex : le Prophète, les Dragons
de Villars, Carmen, là Muette de Portici; à Brème : la Fille du Régiment, le
Pardon de Ploërmel, Joseph: à Carlsrdhe : les Dragons de Villars; à Dresde :
la Muette de Portici, les Huguenots, Mignon, Carmen, les Dragons de Villars, Fausl,
la Fille du Régiment; à Hambourg : Werther, la Dame blanche, Iphigénie en
Anlide, Mignon, la Fille du Régiment, la Muette de Portici, l'Africaine, Guillaume
Tell, le Prophète, les Dragons de Villars : à Budapest : la Muette de Portici, le
Prophète, Mignon, la Navarraise, la Poupée de Nuremberg, Guillaume Tell.
— Tandis que sur nos aflGches de concert on ne voit jamais paraître le
nom de notre grand Rameau, des œuvres duquel on pourrait extraire des
pages admirables et d'un effet saisissant, la Société des Amis de la musique
de Vienne ouvrait récemment son deuxième concert avec une des ouver-
tures les plus curieuses de l'illustre maître, celle de Nu'is, pour chœur et
orchestre. tîe morceau a produit sur les auditeurs une excellente impression.
— La société qui s'est formée à Vienne pour produire Gaed, l'œuvre
d'Adalbert de Goldschmîdt, a émis des actions au prix de cinq cent florins
(mille francs environ) chacune. Le comité en a déjà placé pour vingt mille
francs et espère pouvoir arriver à la première représentation au cours de
la saison prochaine.
— Une nouvelle opérette, le Général Gogo, musique de M. Adolphe MùUer
fils, a été jouée avec succès au théâtre An der Wien, de Vienne.
— Un nouvel opéra, le Corrégidor, vient d'être terminé par M. Hugo Wolf
et doit être prochainement joué àBerlin. M. "Wolf s'estfait connaître comme
compositeur de lieder d'une grande originalité, qui ont vite fait leur chemin
en Allemagne.
— A Leipzig s'est formé un comité pour l'élévation d'un monument funé-
raire à Jean-Sébastien Bach dans l'église Saint-Jean, pour y déposer le
crâne et les ossements du maître, retrouvés dans l'ancien cimetière de cette
église. Nos lecteurs se rappelent l'article que nous avons consacré à ces
restes du maître et à la reconstitution de son buste par le sculpteur Charles
Seffner. Le même artiste est chargé de l'exécution du monument. Parmi
les membres du comité, nous trouvons Johannès Brahms, Arthur Nikisch
et Cari Reinecke, chefs d'orchestre du Gewandhaus, l'anatomiste M.Hîs,
professeur à l'Université de Leipzig, qui a publié un rapport remarquable
sur les ossements retrouvés, et M. de Hase, chef de la maison Breitkopf
et HiErtel.
— Le surintendant des théâtres royaux de Munich, M. Possart, se pro-
pose de jouer pendant l'été, sur la scène du théâtre de la Résidence, Don
Juan et les Noces de Figaro, de Mozart, tandis que Richard Wagner régnera
en maître sur la scène du grand théâtre royal. M. Possart désire que la
reproduction des chefs-d'œuvre de Mozart se rapproche autant que possible
de leur première représentation sous les auspices du maître, et sous ce
rapport, les Noces de Figaro, que M. Possart a déjà fait jouer à Munich avec
une nouvelle mise en scène, ont été un spectacle admirable. Don Juan sera
joué cette fois d'apiès la partition originale que le Conservatoire de Paris
possède aujourd'hui, grâce à la générosité de M'"' Viardot, et la mise en
scène sera une fidèle reproduction de celle que Mozart avait ordonnée lors
de la première représentation de son œuvre à Prague. On ne peut qu'ap-
prouver cette tentative du théâtre de Munich, et il faut espérer qu'elle
fera disparaître toutes les modifications de Don Juan que certains théâtres
-allemands croient pouvoir se permettre.
— Il est fort rare que les enfants d'un grand chanteur soient doués d'une
belle voix. Cette règle est cependant sujette à des exceptions. Ainsi, le fils
du célèbre baryton Eugène Gura, de Munich, semble avoir hérité de la
voix et du talent de son père, et il vient de chanter avec beaucoup de succès
à Munich. On espère qu'il prendra dans quelques années le poste de son
père, après s'être perfectionné dans quelques théâtres de moindre impor-
tance, selon la vieille coutume allemande.
— Le roi de Wurtemberg a nommé membre honoraire des théâtres
royaux le ténor Sontheim, qui s'est retiré de la scène il y a quelques années.
Sontheim, qui a joui pendant plus de trente ans d'une grande vogue en
Allemagne, avait une voix d'une beauté exceptionnelle : même actuellement
il dispose encore de beaux restes. Il est loin d'ailleurs d'être aussi âgé que
Duprez, le doyen des ténors européens; mais Sontheim vient cependant
de célébrer son 76'= anniversaire.
— Le théâtre ducal de Brunswick vient de jouer pour la première fois,
non sans succès, un nouvel opéra, le Ménétrier, musique de M. A. Schulz.
Le compositeur est chef de l'orchestre ducal.
— Une jeune cantatrice norvégienne, M"' Lalla Wiborg, élève de l'école
de chant de M""' Natalie Ilenisch, s'est produite récemment à Dresde avec
succès. Elle s'est fait applaudir en chantant au Gewerbehaus plusieurs
morceaux en allemand et en italien, et surtout en faisant entendre, en
norvégien, deux lieder d'Edouard Grieg, que le compositeur a orchestrés
expressément à son intention, ce qui prouve la sympathie qu'elle lui
inspire et la confiance qu'il a dans son talent.
— Une bien bonne histoire nous est racontée par les journaux de Leipzig :
n La gare d'une petite ville des environs de la Wariburg peut se vanter
d'avoir un portier qui est en même temps un excellent organiste. Quand
le cantor de l'église protestante de cette ville tombe malade, ce qui
arrive assez souvent, le portier musical tient l'orgue à ia grande satisfaction
des fidèles. Dernièrement, à la fête de Noël, le portier devait, une fois de
plus, remplacer le cantor. Il avait déjà joué un prélude de Bach et quelques
morceaux liturgiques et n'attendait que la un du service pour exécuter son
dernier morceau. Mais, fatigué par ses fonctions à la gare la nuit précé-
dente et bien disposé à un petit somme par le sermon interminable du
pastor loci, il s'endormit sur son siège. Le moment arriva enfin, où l'orga-
niste devait se faire entendre, et le chanteur le secoua fortement en le
voyant endormi. Le pauvre portier, qui rêvait de son métier principal,
s'éveilla mal et, se croyant à la gare, se mit à crier : « Train express
pour Leipzig, deuxième voie, en voitures! »
— Le théâtre royal de Copenhague vient de jouer pour la première fois
Lakmr, de Léo Delibes, avec un succès marqué.
— Nous recevons de Stockholm la correspondance suivante : « On vient
de donner la Manon de Massenet pour la première fois à l'Opéra-Royal, avec
grand succès. Toute la salle était louée deux jours à l'avance. M"" Petrini
a créé le rôle à merveille, et la charmante artiste n'a pas été rappelée
moins de vingt-neuf fois au cours de la soirée ! lia « première» de Manon
a donc été un vrai triomphe pour le compositeur et pour ses interprètes » .
— Un compositeur suédois, M. André Hallen, vient de donner à Hel-
singfors, avec le concours du chanteur Lamberg et de la Société philhar-
monique, un concert pour l'audition de quelques œuvres de sa composition.
On cite une Rapsodie suédoise (n" 2), une ballade, Skogsrael, pour baryton
et orchestre, deux pièces pour orchestre et une suite symphonique «d'après
la légende de Waldemar». Le succès a été considérable.
— Le Werther de M. Massenet, traduit en russe, est en ce moment en
répétition au théâtre impérial de Saint-Pétersbourg. Les deux rôles de
Werther et de Charlotte seront tenus par M. et M"" Figner, les deux artistes
favoris du public.
— Le jeune pianiste Joseph Hofmann continue la série de ses triomphes
en Russie, et devient décidément le héros du dilettantisme moscovite.
H En moins de deux mois, dit le Journal (français) de Saint-Pétersbourg, faire
sept fois salle comble à l'hôtel de l'Assemblée de la noblesse, cela ne s'était
pas vu depuis les Concerts historiques du Rubinstein, et quand on pense
que ce miracle a été opéré par un pianiste débutant, un adolescent, presque
inconnu la veille de son premier concert, il faut convenir que c'est là un
fait sans exemple. » A son concert d'adieux, le jeune Hofmann a produit
un véritable enthousiasme, surtout en exécutant, avec uù sentiment poé-
tique pénétrant, le Nocturne en fa de Chopin et la Marguerite de Schubert,
qui lui a valu une ovation inénarrable. On l'a applaudi de nouveau avec
fureur à la suite d'une mazurka de Chopin et de la Sérénade du matin de
Schubeit.
— Le Fra Diavolo d'Auber vient d'être joué à Moscou, avec un succès
vraiment triomphal. Il est vrai que l'interprétation devait être idéale avec
des artistes tels que Masinî (Fra Diavolo), M""" Sigrid Arnoldson (Zerline),
Dufriche (Mylord) et M""! Solera (Paméla).
— En Russie, le droit des pauvres, qui grève si lourdement le budget
des théâtres parisiens, existe aussi peu que dans les autres pays européens,
mais les salles de spectacle et de concert sont obligées de contribuer, dans
une certaine proportion, aux institutions de charité fondées par l'impéra-
trice Marie. Pour ce motif, on a dressé une liste exacte de tous ces établis-
sements et on a appris qu'il existe actuellement en Russie 17'i théâtres,
90 salles de concert et ll"2 sociétés musicales et dramatiques. Le nombre
total de tous les lieux de plaisir soumis à l'impôt mentionné est de l.'iS.'j.
Certains grands gouvernements russes ne possèdent pas un seul établisse-
ment de plaisir. Le rendement de l'impôt est donc fort différent. A Saint-
Pétersbourg, on obtient 161.548 roubles, soit 646. ICO francs, ce qui est un
joli denier.
— Les journaux hollandais sont unanimes à constater le grand succès
remporté par M"= Clotide Kleeberg à Amsterdam, à La Haye, à Rotterdam
et dans les principales villes de Hollande. Partout, la charmante pianiste
française a été fêtée et acclamée.
— Un déluge de premières représentations en Italie. Au Regio de Turin,
c'est d'abord la Bohême, de M. Puccini, au sujet de laquelle on écrit au
journal l'Italie : « La Bohème a eu un grand succès, surtout aux premier,
troisième et quatrième actes. Magnifique exécution, grâce surtout à M. Tos-
canini. Après le troisième acte, S. A. R. la princesse Lictitia a fait appeler
l'auteur pour le féliciter du succès, de l'exécution et de la mise en scène.
Le public a salué d'applaudissements enthousiastes Puccini, Toscanini
Lt MÉNESTREL
47
et l'orchestre après chacun des actes. Nombreux rappels. La musique et
le librttto sont remarquables par leur originalité, leur vivacité, leur brio,
ce qui n'e,\clut pas les passages émouvants. » — Moins heureuse parait
avoir été au Dal Verme de Milan la Corligiana, opéra en quatre actes de
M. G.-T. Cimino pour les paroles, de M. Scontrino pour la musique (30 jan-
vier). On reproche au livret, qui a pour sujet un épisode romanesque du
siège de la Hochelle par Richelieu, sa structure banale, rendue plus
fâcheuse encore par d'interminables longueurs qu'on retrouve dans la parti-
lion, dont l'inspiration ne brille pas par une fraîcheur juvénile. Les
interprètes sont MM. Tamburlini, Garbin, Sottolana et M™ Stehle, qui ne
laissent rien à désirer. Succès conlrastalo, comme on dit là-bas. — Il en est
à peu près de même au théâtre Social de Côme pour Ettore Fieramosca,
le nouvel opéra en trois actes dont M. Vincenzo Ferroni, professeur au
Conservatoire de Milan, a écrit les paroles et la musique, et qui a été
représenté le,2B janvier. Livret faible, musique n bien faite o, à laquelle la
personnalité fait complètement défaut. Bonne interprétation de la part de
Mm.s Busi et Bruno, de MM. Saagnes, Valassa et Baldassari. — Médiocre
succès encore, le 2S janvier, au Nazionale de Rome, pour Fadetle, opéra
en trois actes, paroles de M. Bartocci-Fontana, musique de M. Dario de
Rossi, auquel l'Italie se borne à consacrer ces quelques lignes dédaigneuses :
« Nous ne dirons rien de Fadelle, le nouvel opéra de M. De Rossi, repré-
senté pour la première fois, hier soir, au Nazionale, les amis de l'auteur
ayant organisé une de ces claques si ridiculement bruyan'tes faisant revenir
sur scène, à chaque mesure, ce malheureux compositeur en herbe. 11 nous
a donc été impossible, devant un tel fracas d'applaudissements fastidieux,
de noter les phrases musicales, quelque mauvaises qu'elles fussent, et de
retenir même un lambeau de phrases de sa partition, destinée, hélas ! à
l'oubli. » — Enfin, à Plaisance, on a représenté Aida, opéra du maestro
Romaniello sur lequel nous n'avons pas encore de détails, mais dont le
succès parait n'avoir pas été non plus des plus brillants.
— Enregistrons aussi l'apparition de deux opérettes nouvelles : l'une,
(/ Seminarista, paroles de M. Umberto Capello, musique de M. Raffaele
Caravaglios, représentée à Alcamo ; l'autre, il Paradiso terrestre, paroles de
M. Ulisse Barbieri, musique de M. Pannaria, représentée au Métastase de
Rome avec M"'= Emilia Persico dans le rôle — sinon dans le costume —
d'Eve.
— On nous écrit de Rome que la vie musicale a pris cette année un
grand essor dans la capitale italienne. Au théâtre Costanzi ont lieu les
séances du Quintette classique dirigé par M. GuUi, et de la société Bach
que dirige M. Costa. A la salle Principe Umberto, vont commencer celles du
Quintette de la Reine, à la tète duquel se trouve M. Sgambati, qu'on peut
considérer comme le chef du mouvement musical à Rome, tandis qu'à la
nouvelle et belle salle de l'Académie de Sainte-Cécile (Conservatoire) on
annonce quatre grands concerts de musique classique. Mais là où le
public accourt surtout enfouie, c'est à la salle Dante, où la Société orches-
trale de M. Ettore Pinelli, qui en est à sa 27'-' année d'existence, vient de
donner un concert extrêmement brillant dans lequel M""^' de Bonucci, une
élève de M. Benjamine Cesi, a remarquablement exécuté le i" concerto
de Beethoven, qui lui a valu un très grand succès ; au programme du pro-
chain concert figure la belle symphonie pour orchestre et orgue de
M. Alexandre Guilraant. Le 29 janvier, à l'église Saiut-Louis-des-Français,
excellente musique au service religieux célébré pour le repos de l'àme de
M""' Jacob Desmaller, belle-mère de M. Eugène Guillaume, l'éminent direc-
teur de l'Académie de France. Toute la colonie française de Rome assistait
à cette cérémonie avec l'ambassadeur de France, M. Billot, et tout le per-
sonnel de l'ambassade.
— Un journal de Milan, il Mondo artislwo, dans un rapide coup d'oeil jeté
sur l'histoire de la Scala, rappelle un souvenir de Rossini. «Après la re-
présentation de la Pietra del piiragone, dit-il, Rossini devint l'idole de la
société milanaise. C'est pour la Scala qu'il écrivit, en 1814, Aareliaiio in
Palmira, qui ne plut pas, et il Turco in Italia, pour la rentrée de Galli, la
célèbre basse. Le personnage représenté par Galli devait chanter eu entrant
en scène :
Bell' Italia ! alfmli miro,
¥i saluto, amiche sponde.
Le public trouva que Rossini avait traité un peu légèrement cette invo-
cation si bien appropriée à la circonstance, et, tout en applaudissant le
chanteur, se montra froid à l'égard du compositeur. Cet incident l'indisposa,
et il partit alors pour Naples ; mais trois ans après il revint à Milan, pour y
donner sa Gazza ladra. Les Milanais se rendirent en foule ay théâtre avec
l'intention de le siffler. Mais la Gazza ladra désarma tous, les vrais dilet-
tantes, qui firent au grand maitre une ovation enthousiaste. La vogue des
opéras de Rossini prit alors de telles proportions que pendant quelque
temps il eut le monopole presque e-xclusif du répertoire de la Scala. Pour-
tant il n'écrivit plus pour Milan qu'un seul opéra, Bianca e Faliero, qui n'ob-
tint qu'un très médiocre succès».
— Un de nos confrères de Milan, le journal îï Teafro, publie le programme
d'un concours très libéralement ouvert par lui entre musiciens italiens et
étrangers pour la composition d'un opéra en un acte. Quatre prix de
o.OOO, l.oOO, l.OUO et 500 francs (dont le montant est déposé dès aujourd'hui
dans une maison de banque) seront attribués aux meilleures partitions,
de même qu'un prix de 1.000 francs est réservé au meilleur livret, qui
devra être écrit originairement en italien. Aucune condition d'âge ni de
nationalité. La propriété des œuvres reste h leurs auteurs. Celles-ci
doivent être entièrement nouvelles, n'avoir jamais pris part à aucun
concours et ne pas dépasser, pour l'exécution, la durée d'une heure. Le
choix du sujet et le genre de la musique (comique, sérieux, romantique,
classsique, etc.) sont complètement libres ; la partition peut contenir des
chœurs ou un ballet; sont exclus seulement les ouvrages qui comporteraient
une mise en scène ou une machination compliquée. Le dispensateur
généreux de ce concours est M. Gagor Steiner, qui s'engage à faire repré-
sentera Vienne, au cours de l'Exposition qui aura lieu en cette ville de
juin à octobre 1896, les six ouvrages considérés comme les meilleurs par
le jury nommé à cet efl'et. Les artistes qui voudraient prendre part à ce
concours peuvent en demander le programme à la direction du journal
il Tealro, 3, via San Rafaele, à Milan.
— Nous engageons l'auteur des éphémérides nouvellement publiées par
le Mondo artistico à se renseigner d'une façon plus certaine. Le 'Petit Duc, de
M. Gh. Lecocq, a été représenté le 23 janvier 1878 non à l'Opéra-Comique,
comme il le dit, mais au théâtre de le Renaissance. Quant à la Bergère
châtelaine (la Pastorctla castellana), ce n'est point, comme il le dit .encore, le
premier, mais bien le troisième opéra d'Auber, qui avait donné auparavant
le Séjour militaire et le Testament et les Billets doua.
— Voici qu'on vient de traduire, de jouer et de publier en Italie un opéra
français d'un compositeur italien, le Maitre de Cliajielle, de Paër, dont
l'apparition à Paris remonte au 29 mars 1821. Mais, chose singulière, on
a suivi la tradition actuelle et sotte de l'Opéra-Comique, où, au lieu des
deux actes qu'il comporte, on joue aujourd'hui l'ouvrage en un seul acte,
c'est-à-dire qu'on n'en donne que le premier, si bien que la pièce reste
interrompue et qu'elle n'a plus ni queue ni tète. On n'indique même pas
sur l'affiche qu'on n'en donne qu'un fragment, et on qualifie bravement
cette moitié du Maitre de Chapelle « opéra-comique en un acte ». Il est
probable que si surtout l'aimable auteur du livret. M""' Sophie Gay, reve-
nait en ce monde, elle serait peu flattée de l'emploi d'un tel procédé, qui
enlève à ce livret toute sa signification.
— Au théâtre Social de Castelfiorentino, première représentation,
accueillie avec faveur, d'une opérette nouvelle, i Ciarlatani di Spagna, avec
musique de M. Pindaro Salvoni.
— Succès à la Zarzuela de Madrid, pour une saynète lyrique, la Rueda
de la Fortuna, paroles de MM. Larra et GuUon, musique de M. Fernandez
Caballero.
— On est en train de construire à Montréal (Canada) un » théâtre
biblique ». Toutes les pièces et opéras qui seront représentés sur ce théâtre
doivent être tirés de la Bible.
— A!San;Antonio, dans le Texas,[existe une Société chorale allemande
Beethoven, qui vient de contruire pourses concerts une salle qui ne lui coûte
pas moins de bOO.OOO francs.
PARIS ET DEPARTEIÏIENTS
Il est fort probable que ce sera M. Raoul Pugno, le remarquable
virtuose et le grand artiste qu'on sait, qui prendra au Conservatoire la
classe de piano laissée vacante par la mort du regretté Fissot, le ministre
ayant donné son approbation à cette proposition de M. Ambroise Thomas.
M. Pugno serait remplacé dans la classe d'harmonie qu'il faisait aupa-
ravant par M. Xavier Leroux, le jeune compositeur d'ÉvangéUne, Ce seraient
là deux choix excellents.
dans le midi de la
e de composition au
— M. Massenel est de retour à Paris de son
France et en Italie. Dès vendredi, il a repris sa
Conservatoire.
— M"'' Van Zandt quitte Paris aujourd'hui dimanche pour se rendre à
Bruxelles, où elle va donner des représentations de Mignon et de Laknté.
— M""» de Nuovina, qui a dû interrompre en plein succès les représen-
tations de la Navarraise à Paris, pour remplir un engagement d'un mois
qu'elle avait contracté avec le Grand-Théâtre de Lyon, vient d'y débuter
« triomphalement », disent les dépêches, dans le rùle de Marguerite de Faust.
Les Lyonnais ont été conquis comme les Parisiens par « sa voix puissante et
son jeu passionné ". Le 14 elle chantera la Navarraise, qui sera accompagnée
sur l'affiche du joli ballet de Massenet, le Carillon, qui fut donné pour la
première fois à l'Opéra impérial de Vienne et qu'on ne connaît pas encore
à Paris. En mars, M"»^ de Nuovina ira donner quelques représentations à
Monte-Carlo, puis elle reviendra se remettre à la disposition de M. Garvalho,
— A l'Opéra-Comique, c'est décidément Orphée qui prend le pas sur le
Chevalier d'Harmeidal, arrêté pour les remaniements dont nous avons parlé.
On répète à force l'œuvre de Gluck. Les rôles sont sus, les décors sont
prêts, les chœurs commencent leurs études et l'orchestre va entrer en
danse. Tout fait donc espérer que la première de cette reprise sera donnée
vers la fin du mois.
— On songe également sérieusement au théâtre de M. Garvalho à une
repiise AaPardon de Ploèrmel, avec la distribution suivante : IIocl, M. Bouvet;
Corentin, M. Carbonne; Dinorah, M"^ Parentani ; le pâtre, M"= Wyns.
— La direction de l'Opéra-Comique a engagé cette semaine pour trois
années. M""" François Oswald, la veuve de notre regretté confrère.
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LE MENESTREL
— Le percement de la rue Réaumur, qui s'achève, va faire disparaître
dans la rue Montmartre, à côté de la maison : A l'Image de la Grosse tète
(numéro 12â), celle fort modeste que Paisiello habita pendant son séjour à
Paris (1802-1S04). Cette maison fut habitée aussi par Strauss, le chef d'or-
chestre des bals de la cour et de l'Opéra sous Napoléon III.
— Deux concerts spirituels seront donnés à l'Opéra le Jeudi Saint 2 avril
et le samedi 4 avril, où seront entendus le Saint Georges de M.Vidal et le Requiem
de M. Bruneau, deux compositeurs qui se sont trouvés en loge ensemble lors
des concours de Rome. Un grand festival clôturera, vers la fin d'avril,
cette brillante série de concerts.
— Jeudi prochain 13 février, à S heures et demie, salle Pleyel, aura
lieu, sous la présidence de M. Victorin Joncières, l'assemblée générale
annuelle de la Société des compositeurs de musique. Le rapport sur les
travaux de l'année sera présenté par M. Arthur Pougin, secrétaire-rap-
porteur. On procédera ensuite aux élections pour le renouvellement partiel
du comité.
— L'École de musique classique fondée par Kiedermeyer et si bien
dirigée aujourd'hui par son gendre, M. Gustave Lefévre, vient d'être trans-
férée du passage des Beaux-Arts, où elle était fixée depuis si longtemps.
au Parc des Princes (Bois de Boulogne) où un superbe local vient d'être
aménagé expressément à son intention. L'Ecole, qui a instruit et placé,
depuis sa fondation, 400 organistes et maîtres de chapelle, se trouvera là
dans d'excellentes conditions artistiques et hygiéniques pour les élèves
qui viennent lui demander leur éducation musicale. Pour fêter sa nouvelle
installation, elle donnera mardi prochain 11 février, à deux heures, une
brillante séance musicale dans laquelle on entendra son nouvel orgue
pneumatique, instrument remarquable qui comprend 12 jeux et deux
claviers à mains de 32 notes chacun, avec un clavier de pédales de 32 notes.
M. Loret, professeur, exécutera sur cet orgue une sonate de Mendelssohn,
les élèves Massuelle et Frommer un thème de fugue de Bach et la l'"^ so-
nate du même maître; M. Paul Viardot, professeur d'accompagnement,
jouera une sonate de Haendel pour piano et orgue, et les variations de
Tartini sur une gavotte de Gorelli. La séance promet donc d'être particu-
lièrement intéressante.
^ La. Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray, qui sera exécutée
aujourd'hui au concert de l'Opéra, doit être aussi interprétée prochaine-
ment à Gènes, avec la transcription de M. Léon Chic, par la musique munici-
pale. Le Caffaro dans un article développé, très élogieux, annonce la
prochaine exécution comme devant faire autant d'honneur au compositeur
qu'à ses interprètes.
— M. Constant Pierre s'est imposé la tâche de ne rien laisser ignorer
au public de ce qui concerne l'histoire de nos institutions nationales de
musique. Les deux nouvelles brochures qu'il publie chez Tresse et Stock
se recommandent, comme les précédentes, par la sûreté des documents et
l'attrait de l'inédit. La première, consacrée aux Anciennes Ecoles de déclama-
tion dramatùjue, réunit une série d'articles publiés récemment dans le
Ménestrel. La seconde retrace l'historique de VÉcole de chant de l'Opéra (1672-
1807). On y trouve reproduit un manuscrit jusqu'ici inconnu de Gossec,
exposant un ensemble de critiques sur VJicole et des vues sur une meil-
leure organisation. I! y fait un procès curieux des méthodes et du per-
sonnel enseignant de l'époque. E. de B.
— A Bordeaux, le Cercle Philharmonique vient de donner son second
concert avec un éclatant succès. Au programme M. Jehan Smit, l'élève
préféré de Vieuxtemps, M"'= Fiérens, qu'on a littéralement acclamée dans
l'air : « Il est bon, il est doux » à'Hérodiade, et le très artistique orchestre
de M. Ch. Haring, qui a superbement joué l'ouverture du Roi d'Ys.
— A Rennes, au concert populaire de dimanche dernier, grand succès
pour la charmante pianiste M"'^ Weingaertner avec une sonate de Chopin,
la Barcarolle et la Tarentelle de Rubinstein, le Nocturne de Tschaîkowski,
et des transcriptions de Liszt. Devant l'ovation qui lui était faite, elle a
dû ajouter encore au programme VAir à danser de Pugno.
— Encore nn joli succès dans un concert à Mantes pour M°"-" Mathieu,
avec les Caprices de la reine et les Poupées de Claudius Blanc et Léopold
Dauphin.
— CoscEBTS ET SOIRÉES. — Très bcau concert, le mardi 28 Janvier, à la salle
Érard, où la société instrumentale d'amateurs la Tarentelle se faisait entendre.
On a chaleureusement applaudi l'orchestre et les arlisles qui avaient bien
voulu prêter le concours de leur talent: M""' d'Ergy, cantatrice très remar-
quable, dans Pensées d'automne de J. Massenet, et dans la cantilène du Clievalier
Jean de Joncières ; M. Ciampi dans ' Pauvre Martyr » de Patrie, de Paladilhe ;
M"' Charlotte Vormèse, la virtuose violoniste si appréciée, et M"° Renée Delerba,
également violoniste, dans le Rondo Capriccioso de Saint-Sacns pour violon et
orchestre. — iM"' Lafaix-Gontié a repris la série de ses matinées mensuelles.
Les deux dernières, très brillantes, ont encore fait valoir la sûreté et l'élégance
de sa méthode. Ont été très applaudis des morceaux de Xaviére, le joli opéra-
comique de M. Th. Dubois, ainsi que le bcau et difficile duo des deux femmes
dans le Proyjltéle! Enfin, le cithariste M. llaufTmann a tenu ses auditeurs sous
le charme de son talent expressif et délicat. — Très charmant « fîve oclock >., la
semaine dernière, chez M"' la comtesse de l'isle de Fieff. On y a entendu
M"° Jenny Dasti, une brillante élève de M°" Emilie Ambre-Bouichère, qui a chanté
plusieurs mélodies d'Émilo Bouichère : Vlnvoadion à Lorelcu, la Berceuse et t'Aulie, |
cette dernière avec accompagnement de violon par M. Paul Oberdceffer. —
Dimanche 26 janvier, salle Érard, brillante audition des élèves de M"' Alice
Marchai. A signaler parmi les morceaux les plus applaudis : la valse de
coneert de Diémer, et la Sérénade éi la tune, de Pugno, par M. Georges G. ; le
Caprice de Mendelssohn en la mineur, par M"- Anne-Marie D.; la fantaisie
Impromptu de Chopin par M"" LéontineB.; l'Aragonaise duCidparM"'"ïvonneB.;
la méditation de Thais par M"' Jeanne R.: le nocturne de Chopin en mi par
M"- Madeleine W. La voix superbe de M"' Julie Weill et les spirituelles chan-
sons de M. Teulet ont ravi l'auditoire, ainsi que l'exécution d'une sonate de
Mendelssohn pour violon et piano par M"-' Alice Marchai et Alice Vigué. —
Très intéressant, le concert donné à la Bodinière par la jeune harpiste
M"' Achard, dont le talent fin et délicat de virtuose se double aujourd'hui de
celui de compositeur. Elle s'est fait applaudir dans divers morceaux, et son
succès a été partagé par M"' Grandjean et M. Ilollman dans la Chanson d'amour
de ce dernier, pour chant, violoncelle et harpe. M. Pugère, de l'Opéra-Comique,
s'est fait acclamer en chantant d'une façon délicieuse Pensée d'automne, de
Massenet, et Plaisir d'amour, de Martini.
NÉCROLOGIE
Le 24 janvier est mort à Naples un artiste fort distingué, Michèle Ruta,
à la fois professeur éminent, compositeur fertile et écrivain sur la mu-
sique. Fils et petit-fils de musiciens, il fut, comme son père et son aïeul,
élève du Conservatoire de Naples, où il eut pour professeurs Lanza, Cima-
rosa fils, Crescentini, Parisi, Francesco Ruggi et Carlo Conti. Nous ne
saurions raconter ici l'existence de cet artiste fort intéressant, et nous
devons nous borner à une énumération sommaire de ses travaux. Né à
Gaserte en 1827, Ruta fit ses débuts de compositeur dramatique en don-
nant à Naples, en 1833, un drame lyrique intitulé Leonilda. Il fit jouer
ensuite Diana di Vitry (Fondo 1839), l'Imprésario in progelto (id. 1873), et
écrivit aussi la partie musicale d'une Rtvista del 'ISliS représentée au même
théâtre. C'est pour le même théâtre encore qu'il composa la musique d'un
grand nombre de drames populaires : Don Giovanni di Marana, Faust, la
Nolte di San Bartolomeo, la ilonaldesca , Antonio Foscarini, la Griselda, un
Santo ed un Palrizio, ainsi que celle d'un ballet intitulé Imelda. On lui doit
encore un grand nombre de Messes, un Te Denni, des motets, et plusieurs
albums de mélodies vocales, un recueil de Canti patriotici et un Ti'aité d'har-
monie. Enfin, Ruta fut rédacteur musical du Carrière del mattino, fonda et
dirigea lui-même un journal spécial, la Musica, et a publié plusieurs écrits
utiles et intéressants.
— Une cantatrice fort remarquable, qui eut en Italie, et même en Alle-
magne, son heure de véritable célébrité, M""= Luigia Abbadia, vient de
mourir à Rome, à l'âge de 74 ans; Fille d'un maître de chapelle de Gênes,
où elle naquit en 1821, elle était à peine âgée de 13 ans lorsqu'elle débuta
de la façon la plus heureuse à Sassari, puis à Mantoue. Elle fut engagée
alors par le fameux imprésario Merelli, l'ami de Verdi, qui lui fit parcourir
toute l'Italie, au bruit des applaudissements. A Novare, à Brescia, à Bologne,
à Turin, à Padoue, à Milan, elle obtint des succès retentissants, non seule-
ment comme cantatrice, mais comme tragédienne lyrique. Douée par la
nature d'une voix de mezzo soprano étendue, sympathique, puissante, elle
en doublait les effets par l'art avec lequel elle la conduisait et par la
grandeur de son sentiment dramatique. Un goût parfait, une âme expan-
sive, une ardeur brûlante, un rare enthousiasme, avec cela des élans d'ins-
piration soudains et imprévus, telles étaient les qualités nombreuses et
peu communes qui faisaient de cette cantatrice remarquable une artiste
exceptionnelle et de premier ordre. Elle était admirable, dit-on, dans
Maria Padilla, que Donizetti écrivit expressément pour elle, dans la 'Vestale
de Mercadante, dans la Saffo de Pacini et dans YErnani de Verdi. En aban-
donnant Id scène elle s'était consacrée à l'enseignement du chant, et l'on
cite entre autres, parmi ses élèves. M""" Giuseppina Pasqua, les deux
sœurs Ravogli, la Monteleone, etc.
Henri Heugel, directeur-gérant.
l'aiis. AU MÉNESTREL, 2 liis, nie Tiïiennr, HEUGEL & C" cdilcuis-pMriiilaires puiir Imis |i«ys.
CONCERTS DE L'OPERA
Dimanche 9 février 1896.
L.-A. BOURGAULT-DUCOUDRAY
Rapsodie Cambodgienne
Partition orchestre, net : 25 francs.
Parties séparées d'orchestre, net: 50 fr.— Chaque partie suppl"- net: 21'r. 50.
Réduction pour piano à quatre mains par G. CHEVILLARD :
l'» Suite : 7 fr. 50. — 2= Suite : 9 fr. — Les deux suites réunies, net : 4 fr.
— La place de professeur de clarinette à l'École nationale de musique
de Caen et de première clarinette à l'orchestre du théâtre municipal sera
vacante à partir du 1""' mars prochain. Les candidats sont priés d'adresser
leurs demandes au directeur de l'École. La qualité de Français est obligatoire.
— En vente chez l'auteur, Alfred Yung, à Bar-le-Duc, les Chants du
snactuaire, 70 morceaux comprenant messes, motets, litanies, psaumes,
antiennes, cantiques, etc., etc., à 1, 2 et 3 voix, alternant avec des solos.
: BERGERE, 20, 1
Dimanche 16 Février 1891).
3386. — 62- ANNÉE — l\° 7. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉ^TR-ES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr,; Texte et Musique de Piano, ^0 fc, Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sus.
SOl!.d:M:.^IR,E-TBX:TB
1. La mort d'Ambroise Thomas, Henri Heucei.. — II. Âmbroise Thomas, notes et souvenirs, Arthur Pougin. — III. Semaine théâtrale : Débuts de M''* Garnier dans
Lakmé à l'Opéra-Comique, A. P.; premières ruprésenlations du Dindon, au Palais-Royal et de la Fiancée en loierie, aux Folies-Dramatiques, Paul-Émile Chevalier. —
l'y. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour;
LE JOYEUX LURON
quadrille de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement : Fine mouche,
polka du même auteur.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront dimanche, prochain :
CHANSON
de LÉON Delafosse. — Suivra immédiatement : Sur la tombe d'un enfant, de
Xavier Leroux.
TLmjS%. ]VC0X^.T7 X3'.^^IKE15X^0IS;
7HOIMC.A.S
Il n'y a pas un mois encore que le public de l'Opéra avait
pu fêter Ambroise Thomas, quand on y exécuta ce superbe
prologue de Françoise de Bimini, qui semblait sortir tout rayon-
nant de la tombe où on avait pensé l'enfermer. On vit alors
le grand vieillard émerger en silhouette blanche du fond noir
d'une baignoire et saluer la foule qui l'acclamait pour la
dernière fois : visage grave comme toujours, mais avec plus
de tristesse, comme si l'aile de la mort l'effleu-
rait déjà.
Déjà en effet il était touché et on le put
voir frissonnant derrière la toile des coulisses,
assis sur une chaise, attendant une voiture
qui s'obstinait à ne pas venir, mélancolique-
ment heureux de son succès, avec autour, du
front, la pâle auréole de ceux qui vont bientôt
disparaître.
Mais c'était un fort de cœur et d'âme, un
corps d'acier qui ne se rendait pas à la pre-
mière sommation. Tout atteint qu'il se sentit,
il n'en voulut pas moins remplir tout son
devoir et, comme c'était période d'examens
au Conservatoire, il continua chaque jour sa
tâche de directeur et de président. Le soir, il
était exténué et sa respiration devenait diffi-
cile. S'aliter avant l'heure, il n'y voulait pas
consentir : « Je ne pourrais plus me relever,
disait-il ».
Quanâ ses forces le trahirent tout à fait, il fallut bien
pourtant en arriver là, et il ne se releva plus, comme il
l'avait prévu. Les jours passèrent, avec des alternatives d'espoir
et d'appréhension pour les siens; mais lui, il ne se faisait pas
d'illusion : « Gomme c'est long pour s'en aller! » Ce furent les
dernières paroles qu'il nous dit, bas à l'oreille, avec un geste
désespéré et, quand nous le quittâmes, son grand regard
Les derniers instants.
bleu nous suivait attendri comme dans un dernier adieu. Et
que de bonté dans tout ce pauvre être qui souffrait et qui
ne voulait pas le laisser paraître : « 'Voyez comme tout est
triste autour de moi et à cause de moi! » Et il tâchait de
sourire à chacun, et de trouver des mots aimables et gais.
Et puis, un jour, la tête tomba sur l'oreiller, et c'était fini.
Ambroise Thomas dormait son dernier sommeil, laissant un
grand souvenir et une douleur profonde dans
le cœur de ceux qui l'avaient tendrement
aimé et si hautement estimé.
Henri Helgel.
On ne sait pas encore au juste le jour des ob-
sèques. Le Gouvernement, dont l'existence est assez
secouée en ce momeni, n'a pu trouver l'instant
favorable de faire aux Chambres la proposition que
ces obsèques fussent nationales, comme on a fait
pour Charles Gounod. C'est ce qu'est venu expliquer,
non sans quelque embarras, le ministre des beaux-
arts à M"»= Ambroise Ttiomas. Sans doute pour nos
hommes d'État, la disparition d'un grand artiste
compte peu, quand elle coïncide avec des événements
politiques aussi considérables que le remplacement
d'un juge d'instruction dans des affaires de tripo-
tages ou l'arrivée du croquemitaine Arton à Paris.
En attendant le boa plaisir de nos maîtres, on a
donc mis en bière le corps d'Ambroise Thomas et
on l'a déposé dans un des caveaux de l'Église Saint-
Eugène, o'u il repose enfoui sous les fleurs et sous les couronnes
qui viennent de partout. Ou ne l'en tirera pas avant jeudi, peut-être
même vendredi ou samedi.
En quelle église célébrera-t-on le service? Même incertitude
encore. Sera-ce à la Madeleine oli à la Trinité? Plus probablement
à Notre-Dame, si on écoute le vœu de la famille de l'illustre dé-
funt. L'orchestre et les chœurs du Conservatoire prendront part au
programme.
oO
LE MENESTREL
AMBROISE THOMAS
ITOTES ET SOXJ"VB3SriPiS
Le courage me manquerait pour entreprendre, en ce jour
de deuil, une étude sur la vie et l'œuvre du grand et noble
artiste que l'art et la France viennent de perdre d'une façon
si imprévue et si rapide. Qui nous aurait dit, lorsqu'il y a
trois semaines à peine, à l'avant-dernier concert de l'Opéra,
le public, qui venait d'entendre le superbe prologue de
Françoise de Rimini, faisait au vieux maître une ovation si spon-
tanée et si chaleureuse, qui nous aurait dit qu'il disparaîtrait
si tôt et que nous le voyions pour la dernière fois ? Le
cœur se serre à cette pensée et, pour ma part, je n'aurais
pas l'esprit assez libre pour essayer de porter un jugement
sur l'œuvre si considérable du maître que j'aimais d'une
affection aussi sincère que respectueuse. Je me bornerai à
grouper ici un certain nombre de notes et de souvenirs qu'on
ne trouvera pas, je pense, sans quelque intérêt, remettant à
plus tard toute espèce d'appréciation raisonnée. L'heure n'est
pas à la critique; elle est tout entière au regret et à la
douleur.
* *
Charles-Louis-Ambroise Thomas était né à Metz, le
5 août 1811, d'un père et d'une mère qui tous deux profes-
saient la musique en cette ville. Je possède une brochure de
huit pages, sans date, mais évidemment de l'époque de la
Restauration, car il y est question delà chapelle du Roi, qui
a pour titre: Prospectus d\m établissement musiccd à Metz, et dont
voici les premières lignes: « M. et M"" Thomas ont l'honneur
d'annoncer qu'ils viennent d'ouvrir une École d'enseignement
mutuel pour la musique, à l'instar de celles de Paris et de
plusieurs autres grandes villes, pour l'un et l'autre sexe. »
L'auteur de cette brochure prend le titre de « correspondant
de l'Ecole royale de musique de Paris, » ce qui indique suffi-
samment que c'était un artiste capable et instruit.
C'est avec son père que, dès l'âge de quatre ans, Thomas
commença l'étude de la musique, et Fétis assure qu'il cod-
tinua l'étude du solfège pendant sept ou huit années. Il tra-
vailla ensuite le violon et surtout le piano, et il était déjà fort
habile sur ce dernier instrument lorsqu'on 1828 il se fît
admettre dans la classe de Zimmermann, car dès l'année sui-
vante, à son premier concours, il obtenait d'emblée le pre-
mier prix. En 1830 il se faisait décerner, comme élève de
Dourlen, le premier prix d'harmonie et accompagnement,
entrait dans la classe de composition de Lesueur, ot)tenait
en 1831 une mention honorable au concours de Rome, et
l'année suivante emportait le premier grand prix. La cantate,
qui avait pour titre Hermann et Kettij, était due au marquis.de
Pastoret.
Thomas partit donc pour Rome, où il se trouva avec Pré-
vost, Berlioz et Montfort. Il y était lorsqu'on 1834 Ingres, qui
succédait, je crois, à Horace Vernet, vint prendre la direc-
tion de l'École. Ingres, qui, on le sait, adorait la musique,
le prit aussitôt en affection, et écrivait à un ami de Paris, à
la date du 2o mars 183S : — « ... Une chose me manque
pourtant; je suis sans musique par le manque de ma grande
caisse, dont je suis privé encore. Heureusement la providence
est grande. Elle a eu pitié de moi en prolongeant le séjour
à Rome d'un pensionnaire musicien compositeur, nommé
Thomas : jeune homme excellent, du plus beau talent sur
le piano, et qui a dans son cœur et dans sa tête tout ce que
Mozart, Beethoven, Weber, etc., ont écrit. Il dit la musique
comme notre admirable ami Benoist, et la plupart de nos
soirées sont délicieuses... »
Thomas ne perdait pas son temps d'ailleurs en Italie. Il
écrivait beaucoup, et faisait exactement chaque année, à
l'Académie des beau.x-arts, les envois réglementaires. Aux
premiers jours d'octobre 1836, dans une séance de l'Institut
où l'on exécutait précisément les envois de Rome, le pro-
gramme comportait un duo italien de sa composition dont
Berlioz, qui était de retour à Paris et qui déjà s'était lancé
dans la critique, parlait en ces termes élogieux dans la
Gazette musicale (16 octobre) :
Le duo de M. Thomas a été fort goûté : M"» Nau et M. A. (lesis)
Dupont l'ont fait valoir à l'envi l'un de l'autre. Ce morceau est écrit
de verve, et déjà, à la répétition, il avait obtenu un succès marqué.
M. Thomas est un des lauréats qui honorent le plus le choix de
l'Académie; je le crois un de ces musiciens pleins d'amour pour
leur art, prêts à faire pour lui toute espèces de sacrifices, et qui
sont évidemment appelés à s'y distinguer quand nos institutions
musicales voudront bien le leur permettre. Sa manière est auimée,
brillante, souvent d'une élégance qui ne ressemble en rien à l'affé-
lerie ni aux grâces musquées qu'un certain public regarde comme
le type des bonnes manières et du style fashiouable. J'ai trouvé de
l'élan dans le mouvement général de son duo, et une allure leste et
dégagée dans son orchestre. J'aurais désiré seulement une mélodie
plus saillante, plus accusée que le thème principal de l'allégro, qui ne
me semble pas, en ouire, d'une bien grande originalité. Mais je suis
loin de regarderie duo en question comme un morceau d'après lequel
on puisse juger M. Thomas ; c'est une de ces partitions qu'on appelle
envois de Home, et que les lauréats n'écrivent jamais qu'à contre-cœur,
par cela même que le règlement les oblige de les écrire. Seulement,
celle-ci est faite a^ec infiniment plus de conscience et de talent que
les élèves n'en mettent d'ordinaire à remplir leur tâche académique.
Thomas, comme il arrive souvent, était déjà de retours
Paris lors de l'exécution de cet envoi de Rome. Il n'y perdit
pas plus son temps qu'il ne l'avait fait dans la ville Éter-
nelle. Il commença par publier un joli recueil mélodique inti-
tulé Scuvenii's d'Italie, qui comprenait six romances italiennes
avec traduction française, lesquelles se faisaient remarquer
non seulement par leur style et leur caractère, mais par des
recherches d'accompngnement et d'harmonie qui n'étaient
pas absolument communes à cette époque. Les six morceaux
de ce recueil, devenu aujourd'hui d'une extrême rareté, por-
taient les titres suivants : Nina, la Serenata, Va via! Usa, Buona
Notte et la Barchetta. Puis il songea, comme tous les compo-
siteurs, à s'ouvrir le chemin du théâtre, et fut assez heureux
pour y débuter par un succès presque éclatant, car son
premier ouvrage, la Double Échelle, un petit acte plein de grâce
et de vivacité, dont Planard lui avait fourni le livret et qui
était joué par Gouderc et M"'= Prévost, n'obtintguère moins de
deux cents représentations. La Double Echelle était jouée le
23 août 1837. Sept mois après, le 30 mars 1838, Thomas
reparaissait à l'Opéra-Comique, cette fois avec un ouvrage
plus important, en trois actes, le Peiruquier de la Régence, dont
les deux principaux rôles étaient tenus par Ghollet et Jenny
Colon, et qui ne ht que confirmer la bonne opinion que le pre-
mier avait pu faire concevoir de son talent. En rendant compte
delà partition, dont il louait d'ailleurs la valeur elles tendances,
Berlioz faisait pourtant à son auteur un reproche que celui-ci
ne devait pas mériter souvent : « M. Ambroise Thomas eut
mieux fait, selon nous, disait-il, de ne pas sacrifier à la
mode en employant aussi souvent qu'il l'a fait les trombones
et la grosse caisse. » On sait que si l'orchestre de Thomas
s'est toujours distingué par son élégance et son ingéniosité,
il s'est rarement fait remarquer par la brutalité.
A ce moment, Thomas travaillait avec une activité remar-
quable. On le voit, en 1839, à l'Opéra avec un ballet, la Gipsij,
dont il avait écrit la musique conjointement avec Benoist et
Marliani, à l'Opéra-Comique avec un acte charmant, le Panier
fleuri, dont le succès fut presque aussi grand que celui de la
Double Échelle, et il publie en même temps une messe de
Requiem d'un style sévère et pur et d'un très beau caractère,
ce qui indique la souplesse d'un talent qui se prêtait à tous
les genres.
Mais au théâtre il était serré de près par ses anciens :
Auber, Halévy, Adam, sans compter Monpou, Grisar et quel-
ques autres. Aussi bien, il ne me paraît pas sans intérêt de
rappeler ce qu'Adam disait de sa carrière et de ses œuvres
LE MENESTREL
31
dans un de ses aimables feuilletons de l'Assemblée nationale ;
on verra ici le compositeur jugé par un de ses pairs. C'est
en rendant compte de la Cour de Célimène qu'Adam parlait
ainsi :
... Ambroise Thomas, plus jeune que les deux illustres confrères
que je viens de nommer (Auber et Halévy), u'a pas encore rencontré
ce type qui résume la manière d'un compositeur, et s'empreint de
son individualité. Son premier ouvrage, la Double Echelle, était un
petit pastiche charmaat du slyle Louis XV ; il obtint un grand succès
et fit présager l'avenir du compositeur. Son second opéra était un
ouvrage en trois actes de Planard, intitulé le Perruquier de la Régence;
il ne réussit pas autant qu'il le méritait, et, cependant, les amateurs
et les artistes n'ont pas oublié la belle ouverture de cet opéra et des
couplets d'un grand caractère que Chollet chantait à merveille. Un
petit opéra en un acte, Angélique et Médor, n'a guère laissé d'autre
souvenir qu'une musique agréable, mais peu caractérisée et ne
tenant pas toutes les promesses des deux productions précédentes.
Puis vint Mina, un charmant opéra en trois actes, dont une reprise
renouvellera quelque jour le succès.
Cependant Thomas semblait découragé de n'avoir pas encore pu
obtenir du public le succès franc et décisif dont sa conscience et les
arlistes ses confrères lui disaient qu'il était digne. Il s'essaya au
grand opéra, oîi il donna un ouvrage en deux actes, Carmagnola, qui
ne fut joué que cinq ou six fois, puis un autre ouvrage de même
dimension, le Guérillero, qui, bien inférieur au premier, n'obtint pas
moins de quarante à cinquante représentations. La musique en était
pénible et cherchée : on voyait que le compositeur, mécontent ou
étonné de n'avoir pas vu mieux accueillir ses premiers essais, s'attri-
buait un tort qu'il n'avait certainement pas, qu'il voulait modifier
sa manière, et qu'il cherchait une voie qu'il ne trouvait pas. C'est
dans ces dispositions d'incertitude et de découragement qu'il écrivit
la musique du Caïd: il crut ne faire qu'une charge de musique ita-
lienne, et ii produisit un petit chef-d'œuvre de gaîté, de verve et de
franchise. Le succès fut aussi décisif et aussi soutenu que mérité.
Puis vient le Songe d'une nuit d'été. Le second acte de cet opéra offrait
une couleur idéale et rêveuse, conforme au caractère poétique mais
un peu indécis du compositeur, qui traduisit ses impressions avec
un bonheur infini. Plus de cent représentations ont consacré à Paris
le succès de cet ouvrage, et il a réussi partout où il a été représenté.
Ce qu'Adam oublie de faire remarquer en parlant du Songe,
c'est que le premier acte, qui oÊfre un contraste si frappant
avec le second, est un chef-d'œuvre de musique franche,
solide et inspirée. L'ouverture, toute la scène de Falstaff, le
délicieux duo des femmes, le trio bouffe, dont le style est si
siir, dont les modulations sont si exquises, forment autant de
morceaux excellents. Je le laisse continuer:
Raymond fat moins heureux à Paris seulement; car il eut un grand
succès en province, où l'on se montra plus juste envers l'œuvre émi-
nente d'Amb. Thomas. Ce qui porte à croire que la distribution des
rôles dut contribuer au peu d'attraction que l'ouvrage exerça à Paris.
Mocker jouait fort bien, mais chantait insuffisamment un rôle qui
aurait exigé de grands moyens vocaux : Bussine, au contraire, chan-
tait fort élégamment, mais jouait assez médiocrement un rôle qui
demandait beaucoup de comique ; M"^ Lomercier figurait une com-
tesse, et ce personnage jurait un peu avec son physique si charmant
dans les rôles de demi-caractère : M"° Lefebvre n'avait pas assez de
force dramatique pour les exigences de la pièce. Aussi, malgré un
finale admirable au premier acte, un des plus beaux qu'il y ait ait
théâtre; malgré la chansonnette pastorale du deuxième acte, peut-être
un peu trop prolongée et sentant le placage ; malgré de beaux chœurs
au troisième acte et un duo dont l'interprétation déguisait les beau-
tés, l'ouvrage disparut-il trop promptement du répertoire.
Vint ensuite la Tonelli, opéra en deux actes, la dernière création
de M™ Ugalde. Le musicien dut y lutter contre l'obscurité et peut-être
le vide de la pièce, et il sortit vainqueur du combat... Nous voici
à la Cour de Célimène. Le personnage est peu musical; mais M. Rosier
est un enchanteur bien habile, et l'on a pu croire que les roueries de la
coquette, que ses manèges adroits fourniraient au compositeur assez
de prétextes pour déployer cette élégance et ce bon goût qui sont les
qualités les plus significatives de son talent. L'ouvrage est encore
trop nouveau pour qu'on puisse présager la durée de son succès ;
mais, musicalement parlant, on peut affirmer dès à présent que
c'est une des plus jolies productions d'Amb. Thomas. Le premier acte
surtout offre une succession de morceaux plus ravissants les uns
que les autres. Peut-être cette musique est-elle trop fine et trop dis-
tinguée pour avoir une action immédiate sur le gros du public; elle a
besoin d'être écoutée comme elle a été conçue, avec attention, avec
délicatesse, avec le respect do la pureté et de la grâce ; mais si elle
ne frappe pas les masses de prime-abord, il n'est pas d'organisation
musicale un peu élevée qui ne soit apte à en sentir sur-le-champ
toute la valeur.
Nous avons ici, et c'est ce qui m'a semblé intéressant, l'opi-
nion d'un artiste qui avait suivi Thomas dès ses premiers pas
dans la carrière, et qui, les connaissant, était à même de,
juger personnellement tous les ouvrages dont il parlait. Or,
on voit à quel point cette opinion était favorable au jeune
confrère qui devait lui survivre pendant quarante années
pleines.
Jusqu'alors pourtant, comme le dit Adam, et malgré les
gros succès du Caïd et du Songe d'wie nuit d'été, Thomas n'avait
pas encore « rencontré ce type qui résume la manière d'un
compositeur, et s'empreint de son individualité. » Malgré les
jolies pages que contiennent les partitions de Psyché, du Car-
naval de Venise et du Roman d'Elvire, aucun de ces trois ouvrages
ne put lui donner celte satisfaction. Mais avec Mignon et Hamiet,
qui paraissent à quinze mois de distance, l'une à l'Opéra-
Comique, l'autre à l'Opéra, le compositeur donne enfin toute
sa mesure et conquiert, avec le suffrage de la foule, la
renommée dont il était digne. Ces deux œuvres maîtresses le
font acclamer non seulement par la France, non seulement
par l'Europe, mais par le monde entier, et il n'est aujour-
d'hui pas un point du globe oij, grâce â elles, le nom de
Thomas ne soit populaire à l'égal des plus grands. Je n'ai à
m'étendre ici ni sur l'une ni sur l'autre ; toutes deux sont
trop bien connues pour que j'aie besoin d'insister à leur sujet.
Je rappelle seulement les titres des trois derniers ouvrages
de Thomas: Gille et Gillotin à l'Opéra-Comique, et, à l'Opéra,
Françoise de Rimini et le ballet de la Tempête.
Après ses succès du Caïd et du Songe d'une nuit d'été, Thomas
était tout naturellement désigné pour la première vacance
qui se produirait à l'Académie des Beaux-Arts. En effet, Spon-
tini étant mort au mois de janvier 18S1, il fut élu à sa place
la 22 mars suivant, ayant pour concurrents Berlioz, Félicien
David, Clapisson et Niedermeyer. Quelques années après, à la
mort d'Adam (1856), il fut nommé professeur de composition
au Conservatoire. Ici, un simple petit document donnera la
preuve de la valeur de son enseignement ; c'est la liste, que
voici, de ceux de ses élèves qui, dans un espace de quinze
ans, obtinrent le premier grand prix au concours de Rome :
Charles Colin (1857); Théodore Dubois (1861); Bourgault-
Ducoudray (1862); Massenet (1863); Victor Sieg (1864) ; Charles
Lenepveu (1865); Rabuteau et Wintzweiller (1868); Charles
Lefebvre (1870) ; Gaston Serpette (1871) ; Gaston Salvayre
(1872). Il faut encore joindre à ces noms-ceux de MM. Salomé
et Charles Constantin, qui obtinrent le second prix en 1861
et 1863.
De même qu'il s'était trouvé désigné pour recueillir la suc-
cession de Spontini à l'Institut, Thomas se trouvait tout
désigné pour prendre la direction du Conservatoire lorsque
Auber mourut, le 12 mai 1871, dans les circonstances ter-
ribles que l'on sait. Cependant, des compétitions se produi-
sirent, des influences se firent agissantes en faveur d'autres
candidats, et l'on put craindre un instant qu'en dépit de
l'unanimité de l'opinion qui se prononçait formellement pour
lui, ses droits ne fussent méconnus. Voici, à ce sujet, le frag-
ment plein de dignité d'une lettre qu'il adressait, à la date
du 28 mai, à un ami qui l'avait questionné sur la situation:
... Puisque vous me parlez aussi de cette affaire du Conservatoire,
bien secondaire aujourd'hui, je n'ai qu'un mot à répondre : Je ne me
remue pas.
11 est des choses que l'on peut solliciter sans manquer au respect
de soi-même, mais la direction du Conservatoire «e se demande pas.
Ces messieurs de notre ministère doivent savoir, à Versailles aussi
52
LE MENESTREL
bien qu'à Paris, quels sont mes titres et mes services; ils ne peuvent
ignorer que depuis longtemps l'opinion publique me désigne à la suc-
cession d'Auber. Que pourrais-je dire et qu'aurais-je éié faire à Ver-
sailles? Me montrer là m'eût semblé malséant, aussi bien après
qu'avant la mort de notre cher illustre maître.
J'ai dit cela à ceux qui me sont venus voir ou qui m'ont écrit à ce
sujet. Il y a, dit-on, des candidatures pour lesquelles on s'agite. Plus
on me prouve qu'il y a indécision, plus je suis résolu à ne me point
montrer.
Laissons donc aller les choses...
Thomas fut nommé, et il n'en pouvait être autrement. On
sait ce qu'est devenu le Conservatoire sous sa direction à la
fois ferme et paternelle. Il fallait d'abord réorganiser l'Ecole,
après la fermeture causée par les événements. Puis il fallait
renforcer et réformer l'enseignement, qu'Auber avait laissé
relâcher plus que de raison. On créa d'abord deux chaires
importantes, celle d'histoire et esthétique musicales et d'his-
toire de l'art dramatique; on fortifia l'enseignement du sol-
fège, qui est admirable aujourd'hui; plus tard, on créa des
classes préparatoires de violon; plus récemment encore on
forma une nouvelle classe d'opéra et on augmenta le nombre
des classes de déclamation. Quant aux professeurs nouvelle-
ment appelés et dont plusieurs, hélas ! sont morts déjà, il
suffira de rappeler leurs noms pour prouver qu'on ne pouvait
mieux choisir; c'était MM. Massenet, Théodore Dubois, Léo
Delibes, Ernest Guiraud, Charles Lenepveu, Widor, Benjamin
Godard, Charles Lefebvre, Léon Achard, Bax, Crosti, Warot,
Taskin, Giraudet, Raoul Pugno, Louis Diémer, Edouard
Mangin, Edmond Duvernoy, Delaborde, Fissot, Alphonse
Duvernoy, Gh. de Bériot, Garcin, Berthelier, Marsick, Delsart,
Lavignac, Taffanel, Gillet, sans compter tous ceux que j'oublie.
En vérité, ceux qui se plaignent aujourd'hui du Conservatoire et
de son enseignement devraient bien indiquer quels maîtres
pourraient être mis en parallèle avec tous ceux-ci. La vérité
est que cet enseignement est absolument remarquable, et que
le personnel qui y prend part a été renouvelé, au fur et à
mesure des besoins, de la façon la plus heureuse. La direc-
tion que Thomas a exercée pendant vingt-cinq ans a donc
été, on peut le dire hautement, à la fois digne, brillante et
profondément honnête, et elle fait le plus grand honneur à
l'École.
C'est ce caractère de profonde honnêteté qui distinguait
d'ailleurs Thomas, soit comme homme, soit comme artiste.
C'est lui qui lui donnait, en ce temps de charlatanisme à
outrance, de mépris apparent du public, de perversion du
goût, de l'art et de l'esprit, une physionomie particulière,
par laquelle il forçait l'estime et imposait le respect aux plus
indifférents. La noblesse des sentiments, la grande et remar-
quable dignité de la vie, le respect absolu de soi-même,
l'horreur de la pose, de la montre et de la mise en scène,
telles étaient les qualités morales qui, jointes à celles qui
constituaient et caractérisaient son talent, faisaient de ce
grand artiste un homme de cœur et de bien.
Il me semble que c'est là le plus bel éloge qu'on puisse
lui adresser, le plus bel hommage dont on puisse honorer sa
mémoire.
Arthur Poïïgin.
SEMAINE THEATRALE
DÉBUT DE M"' GARNIER DANS LAKMÉ
L'Opéra-Comique nous a présenté cette semaine une nouvelle
Lakmé en la personne d'une débutante, M"= Marie Garnier. Je
dis bien une débutante, car la nouvelle venue, élève de M™ Krauss,
n'avait encore jamais paru sur aucun théâtre, et s'était produite
seulement dans quelques concerts. M""^ Garnier est une jeune et
jolie femme, qui fait preuve d'intelligence et de goût, et dont on
voit facilement que l'éducation musicale a été particulièrement
soignée. La voix est un soprano sfogato de bonne qualité, voix
jolie, très juste, un peu faible parfois dans le médium, mais qui
prend dans le registre élevé, une teinte charmante el d'une trans-
parence exquise. J'ajoute que la cantatrice est déjà expérimentée,
qu'elle ne manque pas de goût ni de style, qu'elle vocalise avec
légèreté et que surtout elle bat le trille, même dans les notes les
plus élevées, avec une précision et une justesse qu'on ne nous pro-
digue guère à l'ordinaire.
Dès sou entrée en scène. M"" Garnier a montré ce qu'elle pouvait
faire, s'annonçant de la façon la plus heureuse, en dépit de l'émotion
inséparable... Elle s'est fait applaudir ensuite fort justement dans le
duo avec Gérald, et son succès a été complet, au second acte, dan-î
l'air des clocheltes, qu'elle dira mieux encore lorsqu'elle sera plus
en posse'ssion d'elle-même. A ces qualités de cantatrice, la débutante
joint de très heureuses dispositions au point de vue de la scène, et elle
a joué sans gaucherie et non sans adresse et sans intelligence, ce rôle
de Lakmé, qui, pour sympathique qu'il soit, n'est pas sans présenter
certaines difficultés.
En dehors de M"" Garnier, l'exquise partition de Delibes, toujours
accueillie avec joie par le publie, trouve d'heureux interprètes en
MM. Leprestre, Marc-Nohel etMondaud. Ce dernier, particulièrement,
a su se faire vigoureusement applaudir dans les strophes du second
acte, qu'il a dites avec un élan sincère et une chaleur communicalive.
M"' Leclerc, elle aussi, est toujours tout aimable et toute charmante.
A, P.
Palais-Royal. Le Dindon, pièce en trois actes, de M. G. Feydeau. — Folies-
Dram.atiqles. La Fiancée en loterie, opérette en trois actes, de MM. C. de
Roddaz et A. Douane, musique de M. A, Messager.
Encore une victoire de M. Georges Feydeau! Et l'une de ces
victoires bruyantes et complètes où le rire franc et grandement sain,
à lui seul, desaime toute critique. A quoi bon, d'ailleurs, critiquer?
Pourquoi se plaindre que les situations, pour la plus grande partie, ne
soient pas d'une indiscutable nouveauté, et que les types choisis
aient fort souvent l'allure de très vieilles connaissances? Ne boudons
pas contre notre plaisir, surtout à une époque où notre part de
ce plaisir nous est si parcimonieusement comptée par MM. les
auteurs dramatiques. Prenons M. Georges Feydeau pour le plus
parfait amuseur qui se puisse trouver et, saus arrière-pensée, admi-
rons l'entrain, la verve, l'adresse, l'étourdissante facilité qui, de ses
vaudevilles, font, somme toute, des oeuvres originales. Reconnaissons
même, avec très grand plaisir, qu'au premier acte, il y a deux scènes
de comédie très finement traitées et rions, rions depuis le lever du
rideau jusqu'à son baisser car, dans ces trois actes, — et ceci n'est
point un miace mérite, - il n'y a pas une minute de lenteur.
Le sujet? Fort simple. Vous connaissez, pour l'avoir vu maintes fois,
le vaudeville au cours duquel la femme se vengera des fredaines de
monsieur son mari? Vous connaissez le guerluehon choisi et la chambre
d'hôtel dans laquelle monsieur sera pincé. Vous connaissez encore le
dénouement qui s'arrange à la satisfaction de tous. Ceci est du domaine
public. Si, pourtant, au lieu d'une seule femme, vous en prenez
deux, si ces deux femmes choisissent le même guerluehon, si la
chambre d'hôtel se trouve envahie, non seulement par les intéressés,
mais encore par un lasdepantins lancésdansles plus folles situations;
si, enfin, les deux dames viennent, à la même heure, pour assouvir
leur vengeance chez le beau jeune homme qu'une nuit plus qu'agitée
a rendu corap'èlementaphone, vous aurez làdu Feydeau et du Feydeau
grande marque.
Le Dindon, — eu l'espèce, c'estle mari de l'une de ces deux dames,.
— est tout à fait bien joué par la troupe du Palais-Royal, très
complétée par de nouveaux engagements. MM. Raimoud, Huguenet,-
Gobiu, Miiugé, Dubosc, Francès, M""'* Ghreirel, Lavigne, Bilhaut et
Burty enlèvent de verve ces trois actes d'inénarrable gaité.
A Oviédo, en Espagne, pays des guitares et des lûtes chaudes,.
M"' Zapata cherche à marier richement sa fille dout la dot n'est
rien moins que problématique. C'est son vieil ami Lopez qui lui en
fournira le moyen; Mercedes, qui est la plus jolie personne de la
contrée, sera mise en loterie. Cent billets à mille francs, enlevés
d'assaut, formeront l'apport de la fiancée qui se mariera avec le por-
teur du numéro gagnant. Mercedes aura cependant pour elle un cent-
unième billet; et sa chance, elle s'empresse de la donner à celui
qu'elle aime, le chanteur Angelin. Mais Angelin a peur de n'être pas
favorisé par le sort et, pour pouvoir enlever Mercedes, vend son billet
à un jeune Parisien en excursion.
Les amoureux envolés, Lopez n'a rien de plus pressé que de filer
à son tour avec la caisse. Et toute la ville se lance à la poursuite des
LE MÉNESTREL
53
fuyards que l'on rattrape à bord d^un vapeur en partance pour rAmé-
rique. Ramenés à Oviédo, on les fourre tous en prison, et c'est là que
se tiro la fameuse loierie. Le hasard désigne notre Parisien qui, tou-
ché de l'amour de Mercedes et d'Angelin, renonce à son droit en leur
faveur.
Bien entendu, MM. de Roddaz et Douane n'ont pas omis de surchar-
ger cette trame plaisante des arabesques chères à l'opérette : papa
gâteux, maman coquette, policier déguisé en ours, prison-paradis,
etc., etc., et, pour ces trois actes, M. Messager a écrit une pariition
0 distinguée ». De fait, on aurait peine à se figurer la musique de
M. Messager autrement que « distinguée »; d'aucuns y semblent
regretter la fantaisie, l'originalité, la note qui touche ou séduit;
ceux-là, évidemment, sont par trop exigeants.
Im Fiancée en loterie, cette fois, est mieux défendue qu'à l'ordinaire
par la troupe des Folies-Dramatiques. En toute première ligne, il faut
nommer M. Jean Perier, charmant chanteur et aimable coméilien.
MM. Vauthier, P. Achard, Hittemans méritent des complimenls, et
Jolies Leriche, Cassive, MM.Vavasseur, Liesse. Batreau, Jannin, Baron
fils, une mention.
Pall-Émile Chevalier.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le dernier concert de l'Opéra s'ouvrait par un Poème carnavalesque de
M. Charles Silver, qui n'est autre chose qu'une simple suite d'orchestre.
En vérité, nos jdunes musiciens commencent à abuser de cette forme un
peu trop facile qu'on appelle la suite d'orchgstre, et qui devient d'une
banalité désespérante. S'ils ne veulentpoint, par ciainte dus chefs-d'œuvre
consacrés, se risquer da.is le domaine de la symphonie pure, ne peuvent-ils
donc prendre la peine de chercher une forme symphonique autre que la
suite d'orchestre, qui n'exige ni plan ni méthode, ne présente aucune
difficulté, et par cela même ne peut donner une idée exacte de leur savoir
et de leurs facultés? Le Poème carnavalesque de M. Silver, malgré la pré-
sence et l'intervention de plusieurs mandolines, n'offre d'ailleurs qu'un
bien mince intérêt. Quelle que soit ma sympathie pour le talent très réel
et très élevé de M. Charles Lefebvre, sa Sainte Cécile m'a paru bien com-
passée et pâle, en dépit de la maîtrise avec laquelle elle est écrite. C'est
un poème lyrique à trois personnages, avec chœurs, dont les lignes un peu
froides n'ont pas été réchauffées par l'exécution trop tranquille de la prin-
pale interprète, M''" Berthet, mais qui nous a permis d'apprécier la voix
fraîche etjolie d'un jeune ténor, M. Gautier (dont on a annoncé le prochain
début dans Siyurd). Ce qui est fort joli, d'un caractère à la fois poétique
et tendre, plein de grâce et de distinction, c'est la musique écrite par
M. Georges Hue pour la féerie dramatique de MM. Bataille et d'ffumières,
la Belle au bois dormant. Cette musique charmante et rêveuse a reçu du
public l'accueil très sympathique qu'elle méritait. Mais le grand succès
de la journée est allé à M. BourgauU-Ducoudray, qui faisait exécuter
TEnterrement d'Ophélie, une pièce J'une mélancolie profonde, et sa curieuse
Rapsodie cambodgienne, que d'autres concerts nous avaient fait connaître
depuis longtemps. Après l'audition de cette composition originale et inté-
ressante, la salle a fait une véritable ovation à Fauteur, que des applau-
dissements unanimes et qui semblaient ne pas vouloir prendre tin, ont
ramené à deux reprises sur la scène. Cela a dû consoler un peu M. Bour-
gault-Ducoudray de l'injuste abandon de sa Thamara, l'une des œuvres
les plus mâles et les plus heureusement inspirées que nous ayons enten-
dues depuis longtemps à l'Opéra. Je ne reviendrai pas sur l'effet produit
de nouveau par M"" Caron dans fa scène incomparable iWlasie. où son
interprétation si pleine de grandeur, de noblesse et de pathétique est
absolument admirable. Mais je me demande pourquoi, avec sous la main
une Alceste pareille, avec un grand prêtre comme M. Delmas, l'Opéra
s'obstine à ne pas nous rendre le chef-d'œuvre de Gluck, qui serait monté
en quinze jours et qui ne coûterait pas .500 francs de mise en scène, fl est
vrai que MM. Bertrand et Gailbard ne nous rendent pas davantage le Fidelio
de Beethoven, où M"'° Caron est également remarquable. Le concert se
terminait par un chœur sonore et coloré de Mazeppa, opéra de M"'^ de
Grandval joué avec succès à Bordeaux, il y a quelques anuées.
A. P.
— îl y a eu séance extraordinaire jeudi dernier aux « concerts Lamou-
reux » pour l'audition du jeune pianiste russe Lhevine, qui fut, cet été,
le lauréat couronné du premier concours Rubinstein. Il a exécuté un con-
certo de ce maître avec une très belle virtuosité ; l'art des nuances et de
la couleur n'est pas encore poussé sans doute à son point extrême chez le
jeune artiste, mais il a bien du temps encore devant lui pour acquérir ce
qui peut lui manquer de ce coté. Pour l'orchestre, M. Lamoureux avait
passé galamment le bâton à M. Safonoff, directeur du Conservatoire de
Moscou, qui est un chef remarquable et qui l'a bien fait voir.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : reliche.
Opéra : Poème carnavalesque (Ch. Silver). — Sainte Cécile, poème lyrique
de M. Ed. Guinand, musique de M. Ch. Lefebvre, chanté par M'" Berthet
(Cécile), M. Gautier (Valérien), et M. Bartet (Lélius). - hn Belle au bois dormant,
féerie dramatique de MM. Bataille et d'Humières, musique de M. Georges
Hue. —Danses anciennes, réglées, par M. Hansen. — a.VEntcrnnmnl d'Opheiie,
b. Rapsodie cambodgienne (Bourgault-Ducoudray). — Deuxième tableau du pre-
mier acte à'Alceste (Gluck), chanté par M"" Rose Caron : Alceste), M. Delmas
(le grand prêtre) et M. Djuaillier (l'Oracle). — Chœur triomphal de Mazeppa
(C. de Grandval).
Châielet, concert Colonne : Relâche.
Cirque des Champs-Elysées, Concert Lamoureux: La Damnation de Faust (Ber-
lioz), interprétée par M"" Jenny Passama (Marguerite), M. E. Lafarge (Faust),
M. Bailly (Méphistophélès), M. P. Blancard (Brander).
Concerts du Jardin d'Acclimalation. Chef d'orchestre, Louis Pister. — Les
Joyeuses Commères, Nicolaï. — Mélodies religieuses, Th. Dubois. — Le Roman
d'Arlequin, (Massenet). a. Rêverie de Colombine, b. Sérénade d'Arlequin. — Car-
naval, (Guiraud). — Scènes Napolitaines (Massenet), la Danse, la Procession,
l'Improvisateur, la Pét"^. — Menuet (Boccherini;. — Polijeucte, suite d'orchestre
(GounodJ, a. le Dieu Pan, Invocation, Pastorale; b. 'Vénus, Apparition , les
Néréides, o. Bacchus, Bacchanale, Choral.
— Le 9" concert du Conservatoire, qui devait avoir lieu aujourd'hui
dimanche Ifi février, a été remis au dimanche IS mars, en raison de la
mort de M. Ambroise Thomas, président de la Société des concerts. Une
bande blanche portant en grosses lettres le mot: Relâche, a été placée sur
les affiches du concert, qui étaient déjà posées. La société nous fait savoir
que les billets portant la date du 16 février seront reçus le lo mars.
— Salle Pleyel, séance de musique de chambre très intéressante donnée
par M"= Berthé Poêlle, pianiste. Grand succès pour le beau quatuor de
Schumann, remarquablement exécuté par M"" Poélle et ses partenaires.
M"« Baude, violoncelliste, a été très applaudie dans l'Auliade de Godard,,
et la seconde sonate pour piano et violoncelle de notre collaborateur
H. Barbedette.
— Vendredi 7 février, à la nouvelle salle Pleyel, a eu lieu la première
des auditions annuelles des derniers quatuors de Beethoven, données par
la Fondation Beethoven. Au programme, les 'VI1'= et Xtl". Le succès a été
très grand pour le quatuor Geloso, Tracol, Monteux, Schneeklud, qui a
mis en relief avec une puissance et une bomogénéiié de sonorité remar-
quables, une parfaite intelligence des œuvres et une maîtrise toutà fait
supérieure, ces quatuors de pensée si haute, de développement si riche et
si hardi. La prochaine séance aura lieu, à la même salle Pleyel, le ven-
dredi 21 février.
— Le récital de la jeune et si remarquable virtuose Marie "Weingaertner
a obtenu un succès complet. La charmante pianiste a su, pendant une
soirée tout entière, captiver l'auditoire fort nombreux.
— La suite de flûte exécutée à la première séance de M. Nadaud est de
la composition de M. André Cœdès-Mongin, élève au Conservatoire de
MM. Lenepveu et Widor, et non comme nous l'avions dit par erreur, de
M"'^ Cœdès-Mongin, sa mère, artiste elle aussi de beaucoup de talent.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (13 février). — Le Tannhduser, que
la Monnaie nous a donné mardi, n'était certes pas une nouveauté pour
les Bruxellois. La première représentation date d'il y a juste vingt-quatre
ans; les interprètes étaient M"'-' Marie Battu (Elisabeth), M"« Hamackers
CVénus), et M. Warot (Tannhiiuser). L'œuvre fut bien accueillie, mais on
s'ennuya ferme, non pas à cause de la musique, qui ne parut, même à
cette époque, rien avoir de très subversif, mais à cause du poème, que
l'on trouva d'une médiocre gaité. On n'en était pas encore alors, comme
aujouid'hui, à admettre des librettos crevants, pourvu qu'ils aient une
teinte mystique et symbolique, et à les préférer même à tous les autres.
Aussi, quand, après une faible reprise l'année suivante, Tannhàuser fut
relégué définitivement dans les cartons, personne ne protesta. Depuis,
nous avcms eu davantage et mieux, et le neuf qu'on nous a servi a fait
dédaigner i'ancien. Il a fallu la résurrection inopinée du Tannhàuser à
Bayreuth, puis à Paris, pour relever l'œuvre de ce dédain que les « poin-
tus « du wagnérisme lui vouaient asiez volontiers et provoquer l'actuelle
reprise. Celle-ci a éié entourée de beaucoup de soins ; et si l'interpréta-
tion n'est pas excellente en tous ses détails, elle est du moins très suffi-
sante dans son ensemble. Le succès a été pour M"» Raunay-FîUieau,
récemment engagée. A défaut de fereaai, qu'elle devait créer cette année,
c'est le rôle d'Elisabeth qui lui a servi de début. Début très applaudi, qui
a mis en relief des qualités de distinction naturelle, une intelligence
artistique évidente, un talent de cantatrice dramatique coloré et expressif,
sans la moindre banalité. M. Seguin est un remarquable "Wolfram,
M. Gibert un Tannhàuser qui a plus d'éclat que de charme, mais très
vaillant et beaucoup plus heureux qu'il ne l'a été souvent en d'autres
rôles, et M"" Pacary, une 'Vénus ayant les méritas de son emploi et ne
craignant pas de les montrer. Les chœurs ont chanté assez faux, surtout à
feur départ pour Rome (en revenant, ça allait un peu mieux); l'orchestre
a été extrêmement brillant et bruyant; et la mise en scène a paru, en
général, bien réglée. En somme, reprise intéressante, dont M. Van Dyck,
54
LE MÉNESTREL
dans deux mois, viendra corser l'intérêt. — C'est demain que JM"' Van
Zandt donnera sa première représentation très attendue et qui sera sans
aucun doute « très courue », le prix des places ayant été doublé. Le hasard
fera, à cette occasion, coïncider la reprise de Mignon avec le douloureux
événement qui vient de mettre en deuil la France musicale, en lui enle-
vant l'auteur de cette partition si populaire et si charmante. Ce sera, certes,
pour M"" Van Zandt un sujet de juste et triste émotion que cette circonstance
qui l'amène à interpréter l'œuvre du compositeur au moment même où sa
reconnaissance d'artiste et d'élève le pleure. — Le deuxième concert du
Conservatoire, dimanche, était purement symphonique. Un gros événement,
néanmoins : l'entrée de César Franck dans l'Olympe, — digmis inlrare, —
suivant celle de W'agner, qui date déjà de plusieurs années. M. Gevaert,
avait inscrit au programme sa symphonie en ré majeur, d'exécution très
ardue, pleine de hardiesses harmoniques, pleine de poésie et de sentiment
aussi, et qui a été applaudie avec respect. M. Ysaye a joué !e concerto de
Beethoven en virtuose accoirpli, avec une délicatesse peut-être excessive;
Joachim, qui l'a joué souvent à Bruxelles, y mettait plus de simplicité et
de caractère. Enfin la huitième symphonie complétait le programme.
Inutile d'ajouter que l'interprétation a été, comme toujours, d'une absolue
perfection. L. S.
— Dépêche de Bruxelles : '■ On finit le deuxième acte de Mignon. Très
grand succès pour Van Zandt, qui réapparaît telle qu'elle était il y a
dix ans, avec toute sa voix et tout son charme. Comme hommage au grand
maître disparu, une couronne avait été disposée au-dessus de la partition
d'orchestre. »
— A Gand, un nouvel opéra-comique en un acte. Razzia, paroles de
,MM. Verneuille et Corre, musique de M. Van Damme, a eu un grand suc-
cès. Le compositeur fait partie de l'orchestre du théâtre de Gand.
— Programme des fêtes wagnériennes de Bayreuth en 1S96. Il y aura
cinq séries de représentations de l'Anneau du Niebelungen. Les dimanches
19, 26 juillet, "2, 9 et 16 août : le Rlieingold. Les lundis 20 et 27 juillet, 3,
11 et 17 août : Die Walkiirc; les mardis 21, 28 juillet, .'i, 12 et 19 août :
Golterdâmmerung, (le Crépuscule des dieux). — Rlieingold sera donné sans
entr'actes et commencera à cinq heures de l'après-midi. Les autres ouvrages
commenceront à quatre heure?. Le prix du billet est de 80 marks (100 francs),
pour une stalle numérotée, valable pour la série complète.
— De Bayreuth on annonce que M. Hermann Lévy, le célèbre chef
d'orchestre, atteint de nouveau de troubles nerveux considérables, a
demandé et obtenu, à Munich, un congé illimité. Cet artiste ne pourra
donc prendre part, cette année, aux représentations vi'agnériennes de
Bayreuth.
— L'Opéra royal de Berlin prépare la première représentation d'un nou-
vel opéra, Ingo, dont la musique est due à M. Philippe Ruefer.
— Le théâtre de la place Alexandra, à Berlin, a joué avec succès une
nouvelle opérette, Pi»s, paroles de M. Fritz Otto, musique de M. Hans
Loewenfeld. ^- Succès aussi pour Iwein, opéra de M. Auguste Klughardt,
qui vient d'être représenté au théâtre municipal de Ghemnitz.
— Le succès de M"= Clotilde Kleeberg â son dernier concert donné
dimanche dernier dans la grande salle de la Singacademie, à Berlin, a pris
des proportions tout à fait inusitées. Un grand nombre de morceaux de
son programme ont été bissés etl'artiste a dû y ajouter trois autres morceaux.
Nous constatons avec plaisir le succès tout particulier des compositeurs
français que M"' Kleeberg fait connaître et sait si bien faire apprécier en
Allemagne et partout ailleurs. Nous relevons cette fois les noms de
Rameau, Saint-Saëns, Ernest Redon et Gabriel Fauré, qui alternent avec
Théodore Dubois, B. Godard, etc.
— Les compositeurs allemands ne chôment pas et continuent d'envoyer
leurs œuvres aux grands théâtres subventionnés par les difl'érentes cours,
où elles sont soigneusement examinées et forment, en général, l'objet
d'un rapport spécial. L'Opéra royal de Dresde n'a pas reçu en 1895 moins
de trente-sept partitions d'opéras, qui, presque tous, ont été refusés. Les
autres théâtres allemands ont sans doute reçu une quantité non moindre
de partitions en quête d'une scène hospitalière. Malgré la décentralisa-
tion énorme qui existe en Allemagne, où des théâtres, même de troisième
ordre n'hésitent pas à produire des opéras inédits, la consommation
d'œuvres lyriques ne peut pas égaler la production.
— Au théâtre municipal de Francfort aura bientôt lieu la première
représentation d'un nouvel opéra. Indigo, musique de M. Ed Uhl.
— Aucassin et Nieolelte, l'opéra dont nous avions annoncé depuis long-
temps déjà la prochaine apparition, vient d'être représenté avec succès au
théâtre royal de Copenhague. La musique est l'œuvre de M. Auguste
Enna, un jeune compositeur à qui l'on doit déjà un opéra intitulé la Sor-
cière, et sur lequel on fonde en son pays les plus grandes espérances.
— Au théâtre municipal de Bâle, le nouvel opéra Gudrun, paroles de
M. Etienne Born, musique de M. Hans Huber, a remporté un grand
succès.
— Le théâtre social de Goritz a donné la première représentation de
Jolanda, opéra du compositeur Grablowitz, dont le succès a été complet.
L'auteur a été très fêté, ainsi que ses interprètes, M™ Monari-Rocca, le
ténor De Rosa et le baryton Ciclitara.
— Un facteur d'instruments qui a des idées pratiques, c'est M. .l.-F.
Cuypers, de La Haye, qui vient de construire un nouveau type d'harmo-
nium dont le meuble peut être également utilisé comme bureau à écrire et
même comme armoire à livres.
— Au Politeama Margherita, de Gênes, apparition d'une nouvelle
opérette, una Noitc a Roma, paroles de M. Berardi, musique de M. Ruggeri.
— Nous recevons de Florence le premier numéro d'un journal nouveau
qui se publie en cette ville sous le titre de la Nuova Musica. Nous lui
souhaitons longue vie et prospérité.
— C'est M. Frédéric H. Cowen, le compositeur bien connu, qui a suc-
cédé à sir Charles Hallé dans la direction des concerts de Manchester.
M. Cowen a aussi accepté les fonctions de chef d'orchestre des concerts
philharmoniques à Liverpool.
— Un compositeur anglais, M. George Fox, vient de terminer un opéra
intitulé Nydia, qui sera d'abord joué devant un public d'invités, à Victoria
Hall, de Londres.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Nous donnons ici la liste complète des ouvrages dramatiques d'Am-
broise Thomas, avec la date de leur représentation : 1» la Double Echelle, -an
acte, Opéra-Comique, 23 août 1837 (a obtenu 187 représentations); — 2° le
Perruquier de la Régence, 3 actes, Opéra-Comique, 30 mars 1838; — 3° la Gypsy,
ballet en 3 actes (en société avec Benoist et Marliani), Opéra, 28 jan-
vier 1839 ; — 4» /e Panier fleuri, un acte, Opéra-Comique, 6 mai 1839 (128 re-
présentations) ; — 5° Carline, 3 actes, Opéra-Comique, 24 février ISiO ; —
6° le Comte de Carmagnola, 2 actes. Opéra, 19 avril 1841 : — 7'" le Guérillero,
2 actes. Opéra, 22 juin 1842 ; — 8" Angélique et Médor, un acte, Opéra-Co-
mique, 10 mai 1843 ; — 9° Mina, 3 actes, Opéra-Comique, 10 octobre 1843 ;
— 10° Beltii, ballet en 2 actes, Opéra, 10 juillet 1846 ; — 11» le Cdid, 2 actes,
Opéra-Comique, 3 janvier 1849 (362 représentations); — 12" le Songe d'une
nuit d'été, 3 actes, Opéra-Comique, 20 avril 1830 (227 représentations) ; —
13° Raymond ou le Secret de la Reine, 3 actes, Opéra-Comique, b juin ISol ; —
14° la Tonelli, 2 actes, Opéra-Comique, 30 mars 18S3 ; — 1S° la Cour de
Célimène, 2 actes, Opéra-Comique, 11 avril 185S; — 16° Psyché, 3 actes et
7 tableaux, Opéra-Comique, 26 janvier 18S7 ; — 17° le Carnaval de Venise.
3 actes, Opéra-Comique, 9 décembre 1837 ; — 18° le Roman d'Elvire, 3 actes,
Opéra-Comique, i février 1860; — 19° Mignon, 3 actes, Opéra-Comique,
17 novembre 1866 ; — 20° Hamlet, 5 actes. Opéra, 9 mars 1868 (276 représen-
tations) ; — 21° Gille et Gillotin, un acte, Opéra-Comique, 22 avril 1874; —
22° Françoise de Rimini, b actes. Opéra, 14 avril 1882 ; — 23° la Tempête,
ballet. Opéra, 26 juin 1889.
— Quelques souvenirs et quelques renseignements sur les œuvres les
plus fortunées d'Ambroise Thomas. Mignon d'abord, dont la millième repré-
sentation au même théâtre a eu lieu en présence de son auteur, ce qui est
un fait assurément sans exemple dans l'histoire de l'art. La première
remonte, on l'a vu, au 17 novembre 1866. L'ouvrage avait pour interprètes
Mmes Galli-Marié et Marie Cabel, MM. Léon Achard, Couderc, Bataille,
Voisy et Bernard. La centième eut lieu huit mois après, presque jour pour
jour, le 18 juillet 1867 ; puis la 400<i en novembre 1876, la bOO^ le 22 octobre
1878, la 6Û0« le 21 mars 1882, la 700' le 7 avril 188b, enfin la 1000^ le
13 mai 1894, on se rappelle avec quel éclat. Il va sans dire qu'après
M"" Galli-Marie, qui l'avait jouée plusieurs centaines de fois, un grand
nombre de cantatrices se sont produites à l'Opéra-Comique dans le rôle
de Mignon; sans les pouvoir citer toutes peut-être, nous rappellerons les
noms de M™s Marie Van Zandt, Chapuy, Emma Nevada, Sigvid Arnoldson,
Lise, Frandin, Simonnet, Samé, Esther Chevalier, Vaillant-Couturier,
Tarquini d'Or, .Teanne Horwitz, Marcolini, Charlotte Wyns.... Mignon a
fait sa première apparition à Anvers le 7 mars 1867, à la Monnaie de
Bruxelles le 29 mars 1867, à Liège le 9 mars 1868, â Magdebourg le
l'r janvier 1886. On en donnait la 100° à l'Opé.-a de Vienne le 9 mars 1889,
la lb0° au théâtre royal de Copenhague le 14 avril 1890, la 100" à Stockholm
le 11 septembre 1891. — Le Cdid, qui compte le plus grand nombre de
représentations à Paris après Mignon, fut joué pour la première fois à
Bruxelles le 28 juillet 1849, à Anvers le 22 novembre et à Liège le 24 dé-
cembre de la même année, en anglais à Londres (théâtre Haymarket) le
16 juin ISbl, en allemand (Der Kadij à l'Opéra de Vienne le 29 août 1856,
à l'Opéra de Berlin en septembre 1857. — La première apparition du
Songed'une nuit d'été eut lieu à laMonnaiede Bruxelles le 29 octobre 1850,
au théâtre Friedrich-Wilhelmstadt de Berlin en octobre 1853. — Raymond
ou //■ Secret de la Reine fut donné à Bruxelles le 4 février 1832, à Francfort-
sur-le-Mein le 4 mars 1836, à Vienne (théâtre Josepstadt), en avril 1837.
— On sait qu'Ambroise Thomas avait acheté, dans les Côtes-du-Nord,
une des iles de l'archipel de Saint-Gildas, celle qui a nom Illiec, et qu'il y
avait fait construire une jolie villa. M. Ardouin-Dumazet décrit ainsi, dans
le Temps, la retraite où le maître abordait chaque année, dans un petit port
où s'abritait sa flottille : Mignon et Trécor, noms de la plus populaire de ses
œuvres et du pays celtique de Tréguier:
Bien petite, cette île d'Illiec! Elle est formée par trois massifs de rochers
réunis par un sillon de galets sur lequel une herbe épaisse a pu croître, Entre
deux de ces rochers, sur une plate-forme couverte d'ajoncs, M. Ambroise
Th omas a construit sa villa : maison de granit à un étage et un toit mansardé.
LE MENESTREL
5S
Trois fenêtres à l'étage ; sur la façade regardant le conlinent une vigne court
au-dessus de la porte, près d'une tourelle d'angle. Sur l'autre façade, précédée
d'une terrasse gazonnée, en vue des étendues de l'océan, un pavillon carré fait
saillie. Au pied des rochers, un jardinet dans lequel sont des hortensias gigan-
tesques. Dans les roches quelques pins, la maison blanche et prfpretle du
garde. Entre les ajoncs s'entrecroisent une multitude de petits sentiers, pro-
menade favorite du célèbre compositeur, qui se plaît à suivre ces pistes serpen-
tant au hasard. Il adore ce coin sauvage, les ajoncs sont sévèrement surveillés,
il est défendu d'y toucher...
Tel est ce petit royaume où Ambroise Thomas a composé Mirjiion. La villa a
été meublée par lui au moyen de meubles et d'objels d'art achetés dans la
contrée de Tréguier. Vieux bahuts, vieux sièges, motifs de sculpture ornent le
vestibule et une partie des pièces. Depuis 1872, ces objets sont précieusement
amassés. Dans la cuisine, le manteau de la cheminée, en granit sobrement
sculpté, provient d'une ferme du continent. Toutefois, Ambroise Thomas a
meublé les pièces intimes avec des meubles plus confortables que les sévères
produits de la menuiserie armoricaine. Sa chambre est fort simple, un petit lit
de fer dans un coin, une antique commode ornée de cuivres la remplissent ;
mais aux murs sont tendues de vieilles tapisseries des Gobelins.
Le choix de cet asile est heureux; l'île, malgré son exiguïté, est charmante,
jetée ainsi entre l'océan toujours agile et la mer calme de Port-Blanc; on la
quitte avec regret en jetant un dernier regard aux hortensias et aux yuccas qui
fraternisent avec les choux dans le parterre.
— La Revue et Gazette musicale publiait, dans son numéro du M mai 1879,
la note suivante, destinée à relever une erreur singulière commise par un
écrivain allemand : « Une éphéméride assez curieuse a été relevée ces
jours-ci par plusieurs journaux dans uu almanach-bloc fort répandu :
« 6' mai /<S'77. Mort (T Ambroise Thomas, compositeur français. >> Un de nos con-
frères a cru que l'éphéméride devait s'appliquer à Félicien David; il
n'en est rien, et l'erreur est plus facilement explicable. Le rédacteur fort
peu attentif de ce petit mémento historique a pris Thomas Sauvage, li-
brettiste, collaborateur d'Amhroise Thomas po.ur le Caïd, la Tonelli, Gille
et Gillotin, etc., pour le compositeur lui-même. Bien mieux, Thomas Sau-
vage est mort le "1 mai 1877 ; mais son décès n'a été annoncé que le
6 mai dans la Revue et Gazette musicale, et c'est cette dernière date, copiée
sans plus de réflexion que le nom du défunt, qui a passé dans l'éphémé-
ride. »
— Ainsi que nous le faisions pressentir dimanche dernier ; c est bien
M. Raoul Pugno qui prendra au Conservatoire la classe de piano laissée
vacante par le décès du regretté Fissot, tandis que M. Xavier Leroux
Succédera ;i M. Pugno dans la classe d'harmonie qu'il faisait auparavant.
.C'étaient les désignations faites par M. Ambroise Thomas lui-même, et le
ministre des Beaux-Arts s'est empressé d'y donner son approbation.
Choix d'ailleurs excellents, et comme on n'en pouvait espérer de meilleurs.
M. Pugno est non seulement un virtuose du piano de premier ordre,
mais il est encore un grand artiste ayant des lueurs vives de tout ce qui
concerne son art, et il ne peut manquer de faire une classe élevée et inté-
ressante, oii on ne se contentera pas de tripoter l'ivoire pour le plaisir des
salons. Quant à M. Xavier Leroux, un musicien exquis, son récent succès
i'Évangéliiie, au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, le désignait aussi tout
naturellement pour une classe d'enseignement au Conservatoire.
— Le Jouriud oiJiciel a publié cette semaine une liste supplémentaire de
proraolions et de nominations académiques. Nous y relevons les noms
suivants. O/jicieis lie l'instruction publique: MIM. Charles René, Louis Ganne,
Besançon, compositeurs de musique; Fourneau, dit Xanrof, homme de
lettres; Mouzin, auteur dramatique; M"" Grenier, professeur de musique.
Officiers d'académie : MM. Benistant, Ghristiani, M'^Gignoux, compositeurs;
M°"=Filliaux-Tiger, M"" Henriette Duval, M. Delaspre, professeurs de musi-
que à Paris; MM. Seiglet, professeurs l'École de musique de Lille; Audran,
professeur à l'École de musique de Toulouse; Renard, chef de musique des
mines de Liévin; Blachère, chef de la fanfare de Pont-Saint-Esprit; Rouga,
directeur des concerts Tournon, à Paris; Bouyer, M™" Riquet-Lemonnier,
artistes dramatiques; M. Auguste Slœsser, vice-président du choral de
Plaisance.
— L'assemblée générale delà Société des compositeurs de musique a eu
lieu jeudi dernier, sous la présidence de M. Victorin Joncières, qui a
rendu un hommage mérité à la mémoire de M. Ambroise Thomas, prési-
dent-fondateur de la Société. M. Arthur Pougin, secrétaire rapporteur, a
donné ensuite lecture de son rapport sur les travaux du comité pendant
l'année écoulée, lequel a été adopté à l'unanimité, après quoi on a procédé
au scrutin pour l'élection de douze membres du comité. Ont été nommés
pour trois ans : MM. Joncières, Anthiome, Bûsser, Canoby, Arthur Coquard,
Léon Gastinel, André Gedalge, I. Philipp, de Saint-Quentin, Paul Rimgon;
pour deux ans, M. Michelot; pour un an, M. F. de la Tombelle.
— Notre collaborateur Julien Tiersot va entreprendre une tournée de
conférences musicales sur la chanson populaire française. Les villes oi^i
il s'arrêtera sont les suivantes : La Haye, Amsterdam, Utrecht, Arnheim,
Groningue, Liège, Gand et Lille, où il donnera une séance au Conserva-
toire, avec le concours des choeurs de l'École, dirigés par M. E. Ratez.
— On annonce la prochaine représentation du Barde, opéra de M. Léon
Gastinel, au grand théâtre municipal de Nice.
— M. Léon Delafosse vient de terminer, chez lui, la série de ses matinées
musicales. Il n'est point besoin de dire quel succès a accueilli l'exquis
virtuose, qu'on a aussi grandement tété comme compositeur dans les
Chauves-Souris, chantées par M. Clément et par M"" Eustis, Parmi les ar-
tistes et amateurs applaudis à ces très artistiques séances, il convient de
nommer M""' Dettelbach, M"= Eustis (air de Mignon), M"""- Auslin Lée,
M"= Reichenberg, M"" Jameson, MM. Biaz de Soria {l'Heure exquise et
l'Allée sans fin, de Reynaldo Hahn), Clément, Brun, Bailly, van Goens,
Legrand et van "Waefelghem.
— Naples qui chante! Un joli titre qui a donné occasion à M. George
Vanor de faire, à la Bodinière, une charmante conférence, pleine d'esprit
original, d'humour railjné et délicatement littéraire, sur les chansons
populaires napolitaines. C'est M"'" Maria Severina, un nom à retenir,
rayonnante de charme et de grâce en son costume aux lumineuses couleurs,
qui a chanté, avec une pénétrante compréhension, sept chansons de
sentiments très différents recueillis par l'exquis conférencier. Nos préfé-
rences sont allés aux numéros gais, de rythme absolument typique, tels
Furturella et Ë Spingote frongcse que la salle entière a redemandée d'accla-
mation. Une heure à délicieusement passer. P.-E. C.
— Très intéressante soirée musicale donnée à la salle Erard par
M""= Jeanne Meyer, violoniste, avec le concours de M. Charles René, pia-
niste compositeur, et de M""-' Boidin-Puisais, cantatrice. Au programme,
deux œuvres capitales, lai'' sonate pour piano et violon de Raff et le con-
certo de violon de Max Bruch, plus une délicieuse Rêverie, également pour
violon, de M. René de Boisdefl're. M"'" Jeanne Meyer a été chaleureuse-
ment applaudie dans les œuvres qu'elle a exécutées avec une rare perfec-
tion. Ou a entendu avec le plus vif intérêt plusieurs œuvres vocales d,e
M. Max d'Olonne, remarquablement interprétées par M™' Boidin-Puisais.
M. Charles René a eu sa part de succès en exécutant quelques-unes de ses,
compositions. H. B.
— Très belle la séance donnée mardi dernier, par M. Gustave Lefèvre,
directeur de l'école de musique classique, pour la première audition de
l'orgue électi'O-pneumatique, système Hope Jones, placé par la maison
P. Mader, Arnaud et C'", de Marseille. M. Loret, l'éminent professeur de
l'école, a fait ressortir dans une sonate de Mendelssohn et une belle impro-
visation toutes les qualités et les ressources variées du nouvel instrument.
M. Viardot a montré une rare supériorité dans l'exécution d'une sonate de
Haîndel avec accompagnement d'orgue et une variation sur une gavotte de
Corelli, de Tartini. Deux élèves de l'école, MM.Massuelle etFrommuer, ont
été très chaudement accueillis. Un jeune artiste, M. Andrieu, a chanté
avec beaucoup de style et d'élévation l'air de Joseph, de Méhul, et l'élus-
Maria de Cherubini. Qu'il nous soit permis de signaler également la nou-
velle disposition de la console soutenant les deux claviers; cette pièce est
entièrement mobile, ce qui permet de la transporter à volonté, suivant les
besoins de la cause. La disposition des registres, également très heureuse,
en facilite le maniement à l'organiste, de même que leur composition en
ivoire est d'un très bel effet. Ce qui a surpris et émerveillé l'auditoire, c'est
la franche attaque des notes et l'excellence delà répétition qui se produit
sur cet instrument avec une inconcevable rapidité. Les jeux composant ce
petit orgue, au nombre de douze, sont d'une harmonie juste et très appro-
priée à leur timbre respectif. En un mot, MM. J. Mader, Arnaud et C
ont obtenu un, succès bien mérité. Les deux claviers à mains sont com-
posés de 56 notes chacun, et non de 32 comme nous l'avions dit dimanche
dernier, et le clavier de pédales de 30 notes au lieu de 32.
— Dépèche de Lyon: Navarraise, triomphe complet. M°'» de Nuovina-
admirable, acclamée ; grande et profonde impression.
— Ping-Sin, de MM. Henri Maréchal et Louis Gallet, ne sera pas joué
quant à présent au Grand-Théâtre de Nantes. Henri Jahyer avait inscrit
cet ouvrage au programme d'une représentation où devaient figurer le
prmier acte de Brisé'is de Chabrier et Djamileh, un acte de Bizet joué en
1872 à l'Opéra-Comique. La critique parisienne devait être convoquée à cette
soirée, qui eùtprésenté un grand intérêt artistique. La saison étantaujour-
d'hui trop avancée, les auteurs ont retiré leur opéra.
— De Bordeaux : Au dernier concert donné salle Franklin, le violoniste
-Albert Geloso a remporté un succès considérable dans la Rêverie de Vieux-
temps et la Polonaise de Wieniawski. Il a été aussi acclamé dans deux
czardas, de son frère César Geloso, d'une verve entraînante et originale.
— A l'occasion de l'Exposition nationale et coloniale qui aura lieu à
Rouen, du 16 mai au 15 octobre prochain, la municipalité organise de
grands concours internationaux d'orphéons, musiques d'harmonie et fan-
fares, fixés aux dimanche 25 et lundi 27 juillet pour les orphéons et au
dimanche 2 août pour les fanfares. Les adhésions seront reçues au secré-
tariat de la mairie de Rouen jusqu'au 1"' mai. Les sociétés qui n'auraient
pas reçu le règlement des concours d'ici le 20 février courant pourront en
faire la demande à M. le maire de Rouen.
— D'Aix en Provence : La Nativité de M. Henri Maréchal vient d'être
exécutée ici par 120 exécutants, sous la direction expérimentée de M. H.
Poncet, maître de chapelle de la cathédrale. Trois auditions, honorées de
la présence de Mf'' Gouthe-Soulard, archevêque d'Aix, ont dû être données
de cet important ouvrage, fréquement interrompu par les chaleureux applau-
dissements d'un public nombreux.
— A Caen, grand concert donné samedi dernierpara la Lyre caennaise ».
Au programme. M"» Laure Charton, qui a interprété l'Arioso de Delibes,
56
LE MENESTREL
M. Hérouard, violoncelliste de talent, et l'artistique orchestre de M. Lair.
qui a superbement exécuté le Roman d'Arlequin de Massenet.
— La tournée Lerval part pour représenter Casilda, opéra-comique en
3 actes, de M. le Chevallier de Boisval.
— Concerts et Soirées. — Très jolie matinée musicale chez M"' Rose
Delaunay, dont la première partie était consacrée à l'audition de ses élèves;
M-" Anna C. (Tyrolienne, Wekerlin), Garolioe V. {Xoël pnien, Massenet) et
Madeleine D. (air de Pliiline de Mignon, Ambroise Thomas) ont été surtout
remarquées. Dans la seconde partie, M— Rose Delaunay a délicieusement chanté
le.Voiuei de Diémer et, avec M. 'Vioujard, la Tourterelle elle Papillon de Bourgeois.
On a fait grand succès encore à M. Diémer dans son Cnprice-I'aslorale, à M. Car-
bonne dans la Vierge à la erèehe de Périlhou et dans l'air de Sii:anne de Fala-
dilhe, à M. Jules Boucherit dans la première audition de la Romance pour vio-
lon et piano de Diémer et, enfin, à Wekerlin qui a dit plusieurs chansons
anciennes. — Audition des élèves de M»* Garerabat, composée, en majeure par-
tie, d'œuvres de Théodore Dubois. Très applaudis Chœur el Danse des Iulins
(M"' Gabrielle A.), Chaeonne (M"" Alice F.), Réveil (.M"" .Marie M. de H.) et les
Poèmes sylvestres.— M" Cartelier vient de réunir Ees él'ives, salle Herz, et il faut
mentionner, pour les bravos qu'elles ont recueillis, M"" de P. et A. {Chanson de
Mai, Ei. Lassen), M. {Oiseaur légcr.i, Gumbert), M"" R. et M. B. (duo de Mignon,
Ambroise Thomas), M"° I. {Fèleromaine, Paladilhe), M. G. (air de ymKa?em, Verdi)
et M"' .\. (air de Psyehé, Ambroise Thomas). — Chez M"' J. P., dans ses salons
de l'avenue Henri Martin, très jolie soirée musicale dont la triomphatrice a été
M"' Julie Bressoles qui, accompagnée par l'auleur, a chanté en artiste délicate
les Chansons urises de Reynaido Hahn. Le grand air A'bamiet a mis en valeur les
qualités brillantes de l'excellente cantatrice. — Matinée musicale très intéres-
sante chez M"' Marie Roze, applaudie dans le duo de Roméo el Julielte, avec
M. Rivière, un jeune ténor, doué d'une voix superbe, qui a chanté seul le grand
air de Sigurd. Parmi les élèves de l'excellent professeur, il convient de retenir les
noms de M"'" France {Air du livre A'HamIet), de Héville {Pleure:, mes yeux du Cid)
et Mac Kage. M. Hermann Léon a charmé l'auditoire en chantant des mélodies
de Schumann et de Schubert. M. Allouard tenait le piano.— Réception des plus
artistiques chez M"' Roger-Miclos en l'honneur de Th. Dubois, dont les œuvres
formaient la première partie du programme. M"" Blanc et M. Clément ont, tour
à tour, chanté, accompagnés par l'auteur, des fragments de Xariére et de ravis-
santes mélodies [Q\ies qu& Dormir el rêver, Rosées, Par le senlier, Rrunette. Inutile
d'ajouter que le public a applaudi avec enthousiasme l'auteur et les ialerpretes.
Parmi les autres numéros du programme, sans compter M"" R iger-Miclos, il
faut surtout citer M"" Teste, uoe remarquable élève de M"' Roger-Micloa,
M"' Suger, M. Gerval. — Salle des fêtes de l'Hôtel Continental, les Passionist
Fathess, de l'avenue Hoche, ont organisé un concert de Charily, quia fait sensa-
tion dans le monde anglais. L'ambassadeur d'Angleterre y assistait. Entre
autres œuvres, le Sylphe de Victor Hugo, sous lequel Louis Lacombe nous a
laissé une adaptation musicale qui est un véritable chef-d'œuvre! Celle parti-
tion, exécutée sur l'orgue par M'" Taine, a été pour elle l'objet d'un grand suc-
cès. Le Sylphe déclamé par la si charmante M"" Dufrêne, de la Porte Saint-Mar-
tin, lui a valu, ainsi qu'à M"° Taine, trois rappel:?. — Une jeune pianiste dont le
talent est bien connu, M"" Aline Vivier, a donné un fort beau concert, dont le
programme s'ouvrait par une superoe sonate de Haîndel, pour piano et vio-
loncelle, magistralement exécutée par le bénéficiaire et M. Joseph Salmou.
M'" Vivier s'est fait aussi vivement applaudir avec des variations de Beethoven,
diverses pièces de Chopin, Field, Schumann, et la Chaeonne, le Seherzetto et la
Danse rustique de Th. Dubois. — M. Isnardon a donné une très intéressante audi-
tion des élevés de sa classe de chant scénique à l'Institut lyrique et dramatique.
Professeur et élèves ont obtenu un vif succès. On a remarqué surtout M'"" Ah-
berti dans l'air du Cid et dans la scène du 3" acte de Mignon, qu'elle a dite avec
M. Martin, puis M"= Didier et M. Bonnet dans Lakmé, M. Martin dans l'air de
la Reine de Suhu, etc. — Ssuperbe concert pour la distribution des récompenses
aux nombreuses élèves du cours de M"» Galliano. Ont été très applaudis;
la Méditation de Tha'is, de Massenet, pour violoncelle, admirablement jouée
par M"° Larronde, l'Adieu au foyer, de L. FiUiaux-Tiger, chanié avec charme
par M. Lecomte; la Ronde de mai, bissée à M" Boidiu-Puisais, accompagnée
par l'auteur, Alph.Duvernoy. —Notre excellent confrère, Austin de Croze, a ter-
miné lundi, de façon magistrale, la série tant intéressante de causeries sur la
Poésie et la Chanson populaire de Corse, qu'il donnait à la Bodinière. Ce fut un
triomphe mérité que son éloquence ardente, imagée, impeccable, lui valut de
son auditoire choisi. M"" Claudia d'Olney, chanta, avec un talent accompli une
exquise berceuse et ce splendide chant guerrier Yhymne de Sampiéro, M"' Julia
Marchisio chanta de façon absolumeot parfaite un lamenlo étrange et, en le
jouant avec une farouche beauté, un voeero qui metlait (de par sa savante mise
en scène, due à M5I. Lagrange et Dupas;, sous les yeux des spectateurs, un
coin de vie corse. L'orchestre était composé des virtuoses connus: M"" laxy;
MM. Furet, Heindricks, Casadeéui, Léon Heymann, A. Muslel, Henry Ghys,
Ravel, Kerpeless et Talamo. — Iiitéressan e matines d'élèves donnée par
M"' Brelon-Halma Grand. M"' Jeanne Lyon y a été très applaudie dans la
Chanson damour, de Ch. Levadé. — Très brillant succès à la salle Pleyel,
pour M. Guidé, le violoniste êminent qui donnait son concert annuel. On
a app'audi d'enthousiasme. M'" Ida Wilson, dont la voix charmante et bien
timbrée a fait merveille. Cette jeune fille fait le plus grand honneur à son
professeur M"" Yveling RamBmd. — Salle Erard, succès pour le concert
organisé par M. Decq; on y a surtout remarqué M"* Leduc dans la gavotte de
Manon, et la violoniste. M"" Verdie de Saula.— A « la Trompette " gros succès
pourM"^ Remacle, dans Cimetière de campagne, de Reynaido Hjhn, les Caprices de
lu Reine, de Blanc et Dauphin, et la Fille aux cheveux de lin, de Paladilhe. — Très
belle soirée musicale musicale chezM"° la marquise de Brou, où M"' Deltelbach
a délicieusement chanté les Chauves-Souris, de Delafosse et où M"' la marquise
de Saint-Paul a joué, en artiste, les Valses-Préludes du même composilour. —
Le concert de M. Cari Flesch, le brillant élève de Marsick, a eu, salle Pleyel, un
succès très considérable. L'artiste a été merveilleux, spécialement dans le con-
certo de Paganini, l'adagio de Luzzato et la Bohémienne, de M""' de Grandval,
bissée d'acclamation.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'une artiste qui, bien que
retirée de la scène depuis longues années, avait laissé un nom qui n'était
pas encore oublié. M™" Dorus-Gras. Sœur de l'excellent flûtiste Dorus,
M"' Julie-Aimée-Josèphe Dorus (de son vrai nom Steenkisie, Dorus étant
le nom de sa mère), avait épousé un violon de l'orchestre de l'Upéra, Gras.
Elle était fille d'un chef d'orchestre de province avec qui elle avait com-
mencé son éducation musicale, qu'elle vint terminer au Conservatoire, où
elle eut pour maîtres Henri et Blangini, puis Paër et Bordogni. Elle fit
son premier début à la Monnaie de Bruxelles le 9 novembre 1826, dans
le rôle de la princesse de Navarre de .fean de Paris, et resta quatre ans à ce
théâtre. Engagée à l'Opéra, elle y débuta avec succès en novembre 1830,
dans le Comte Ory, et bientôt prit victorieusement possession de l'emploi
des chanteuses légères, en se montrant tour à tour avec bonheur dans la
Muette, Guillaume Tell, Fernand Cortez, le Rossignol. Ses créations ne furent
pas moins heureuses, et elle établit successivement les rôles d'Alice de
Robert le Diable, de Theresina du Philtre, de Marguerite des Huguenots,
d'Eudoxie de la Juive, du page de Gustave, de Ginevra dans Guida et Ginevra.
M""" Dorus-Gras fournit ainsi à l'Opéra une carrière brillante de quinze
années, jusqu'en 1845, après quoi elle alla donner des représentations en
province et à Londres, pour se retirer définitivement vers 1830. Il est bon
de rappeler que lors de la fantaisie déplorable par laquelle M™ Casimir
interrompit, après l'immense triomphe du premier soir, les représentations
du Pré au.v Clercs, le docteur Véron, alors directeui; de l'Opéra, mit, avec le
consentement de l'artiste, M»" Dorus à la disposition de son confrère de
rOpéra-Gomique, pour suppléer la cantatrice récalcitrante. M°"î Dorus,
toute dévouée, se mit elle-même à la disposition d'Herold, déjà gravement
malade, se rendit auprès de lui pojr étudier sous sa direction le rôle
d'Isabelle, l'apprit en quarante-huit heures et le joua avec un succès
éclatant. C'est là un de ces traits de générosité qu'on ne doit pas oublier
dans la carrière d'un artiste. M"" Dorus, dont la conduite a toujours com-
mandé le respect, était d'ailleurs la bonté en personne. A. P.
— Le compositeur et chef d'orchestre anglais Henry David Leslie vient
de mourir à l'âge de 74 ans. Dès sa jeunesse il s'était fait connaître comme
virtuose sur le violoncelle et comme compositeur d'un Te Deum; en 1847
il entra en relations avec la nouvelle Amateur Musical Society, dont il
devint plus tard le chef. En 185S il fonda à Londres la célèbre société
chorale qui porta son nom et qui exista jusqu'en 1887, après avoir rem-
porté en 1878, à l'Exposition de Paris, le premier prix dans le tournoi
international des sociétés chorales. Cette société a eu le mérite d'intro-
duire beaucoup de compositions étrangères en Angleterre, entre autres la
Symphonie religieuse de M. Bourgault-Ducoudray. En 1864, Leslie fut placé
à la tête du National Collège of Musit:, dont l'existence fut courte, et en
1874 il prit la direction musicale de la Guild of Amatears Musicians. Henry
Leslie exerça une excellente influence sur l'art musical de son pays par
la grande perfection des exécutions musicales qu'il dirigeait. Dans les
dernières années de sa vie, une grave maladie le força de se retirer com-
plètement. Ses compositions sont nombreuses : citons ses oratorios Imma-
nuel et Judith, son opérette Roynance, son opéra Ida, ses cantates Bolyrood et
la Fille des iles, ses différentes pièces d'orchestre et ses œuvres chorales,
parmi lesquelles de nombreux madrigaux et la belle composition les Pèlerins,
qui sont encore souvent exécutés en Angleterre. 11 faudrait encore ajouter
à tout cela une symphonie en fa, une ouverture dramatique intitulée le
Templier, un quatuor et deux quintettes pour instruments à cordes, etc.
Leslie était né à Londres le 18 juin 1822. B.
— A Pétersbourg est morte, à l'âge de S9 ans, la grande artiste lyrique
Dapya Mikaïlovna Leonova, la célèbre cantatrice russe qui a charmé
pendant un quart de siècle les amateurs de son pays par sa voix hors ligne
et par ses qualités dramatiques. Dans le répertoire national, surtout dans
les opéras de Glinka : la Vie pour le Tsar et Rousslan el Loudmilla, M"'° Leo-
nova s'est particulièrement distinguée. Elle avait commencé sa carrière
étant toute jeune, et avait d'abord eu de grands succès dans le répertoire
de Meyerbeer et d'Auber, qui étaient entrés en correspondance avec la
spirituelle artiste russe. En 1879 elle entreprit une tournée triomphale
à travers la Russie d'Asie, qui la conduisit encore au Japon et eu Amé-
rique, mais peu de temps après une maladie cruelle la força de renoncer
au théâtre; après dix ans de soullrances bravement supportées, la célèbre
artiste succomba enfin à sa maladie.
Henri Heuoei,, direcleur-gérani .
— L'éditeur Paul Dupont met eu vente le premier volume des Aventures
de ma vie, àe: M. Henri Rochefort. Bien intéressants, ces mémoires écrits
avec toute la verve habituelle à leur auteur.
En veille AU MENESTREL,
HEUGEL & G «
F^ft.E,^f^mi2^ft^SE IDE consrcEisT i^O'uie fijSs-Ito
SUR L'OPÉRA DE
J. MASSENET
C. SAINT-SAENS
3387. — 62"^ mm — I\° 8.
Dimanche 23 Février 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
■ (Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉATI^ES
Henri JHEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivieune, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, l'es frais de poste en sus
SOMMAIRE-TEXTE
I. Les obsèques d'Ambroise Thomas : Discours de MM. Bourgault-Ducoudray,
Théodore Dubois et J. Massenet, H. M. — IL Semaine théâtrale : la CendriUon
de Nicolo à la Galerie- Vivienne, AniHun Pougin; premières représentations de
Grosse Fortune à la Comédie-Française, Paul-Émilb Chevalier. — IIL L'orchestre
de Lully {%• article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
CHANSON
de LÉON Delafosse, poésie de Paul Boijrget. — Suivra immédiatement : Sur
la tombe d'un, enfant, n" 3 des Poèmes de Bretagne de Xavier Leroux, poésie
I'André Alexandre.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
puno : Fine Mouche, polka de Philippe Fahrbach. — Suivra immédiatement :
Le Réveil, n° 1 des Heures de rêve et de joie du maestro N. Celega.
LES OBSÈQUES D'AMBROISE THOMAS
Elles n'ont pas été « nationales », dans l'acception offi-
cielle qu'on donne à ce mot. Pas un des ministres dont
l'existence était si menacée — et encore moins le ministre
des Beaux-Arts qu'un autre — n'a eu l'honnête pensée de se
désintéresser assez de ses affres personnelles pour monter
â la tribune et tenir ce bon langage : « Messieurs, un grand
artiste vient de disparaître. Oublions pour un instant nos
querelles de parlement et pensons à faire à Ambroise Thomas
les funérailles qui lui sont dues. » C'était une trêve d'une
minute à de vilaines discussions, un peu d'air pur répandu
dans la salle surchauffée des séances, un peu d'idéal enfin
donné au pays, au milieu des scènes de violence, de men-
songes, de concussion et de forfaiture dont on l'accable tant.
Mais pour n'avoir pas reçu l'estampille officielle, les funé-
railles d'Ambroise Thomas n'en ont pas moins été imposantes
et populaires en même temps, et peut-être vaut-il mieux pour
ce noble esprit et ce grand homme de bien de n'avoir eu
aucune compromission, même après sa mort, avec les tristes
politiciens qui nous mènent.
Dès la veille, vendredi, on avait transformé en chapelle
ardente le vaste péristyle de. la salle des concerts au Conser-
vatoire. Tout y était tendu de noir, les lustres voilés de crêpes,
et de grands lampadaires allumés répandant dans cette nuit
des lueurs douces et y piquant comme des pointes de feu.
Le catalfaque disparaissait sous des monceaux de couronnes
fleuries. Et l'aspect était impressionnant de cette crypte
funèbre, où dormaient tant de gloire et tant de bonté.
Là, pendant de longues heures, ont défilé de véritables
masses humaines, prises dans tous les rangs et dans tous
ordres de la population parisienne, — chacun, le plus
humble 'comme le plus haut, venant apporter au maître
disparu un suprême hommage et répandre l'eau sainte sur
ses restes mortels.
Le samedi on enleva le corps, non sans qu'un des profes-
seurs les plus estimés du Conservatoire, M. Bourgault-Du-
coudray, ait, en ces termes émus, donné, au nom de l'École,
le dernier adieu à celui qui la quittait pour toujours, après
y avoir régné pendant vingt-cinq ans, aimé et estimé de tous :
L'administration du Conservatoire n'a pas voulu que notre bien-
aimé Directeur franchît pour jamais le seuil de cette école, sans qu'il
lui fût adressé une parole d'hommage suprême et d'éternel regret.
Désigné par elle pour remplir ce pieux devoir, je n'ai pas voulu me
soustraire à cet honneur. S'il existe ici des voix plus autorisées que
la mienne, il n'est personne qui ait ressenti plus douloureusement le
malheur immense qui nous a frappés, quand nous avon? perdu notre
vénéré Direcieur, qui fut non seulement un grand artiste, mais un
grand homme de bien.
Au nom de l'administration du Conservatoire, au nom des pro-
fesseurs de cette Ecole, au nom de tous les élèves, interprète d'une
douleur et d'un regret unanimes, je viens te dire adieu, cher et vénéré
Maître! Nous garderons toujours la mémoire de tes bienfaits et de
ton exemple! Nous, à qui ton cœur a prodigué les soins et le
dévouement d'un père, nous, tes amis, nous tes enfants, nous te
vouons, dans le sanctuaire dn souvenir, une reconnaissance et un
hommage éternels.
Adieu, cher et vénéré Maître! Paisse ton âme si noble et si haute
planer encore sur cette maison qui va nous sembler bien déserte
quand tu l'auras quittée pour toujours !
Puis le funèbre voyage commença, au milieu d'un concours
inouï d'amis, de représentants des corps constitués et de
délégations accourues de toutes parts, avec la foule amassée
sur les trottoirs. Le défilé des immenses couronnes n'avait
pas de fin. Deux bataillons d'infanterie avec musique et dra-
peau, une demi-batterie d'artillerie et un escadron de cava-
lerie, sous le commandement d'un général de brigade, accom-
pagnaient le convoi. C'étaient là les honneurs dus au « grand-
croix » de la Légion d'honneur.
On passa par les boulevards, la rue Halévy et la chaussée
d'Antin , pour arriver jusqu'à l'église de la Trinité. Là se déroula
le service religieux, au milieu d'un profond recueillement.
L'orchestre et les chœurs du Conservatoire, sous la conduite
de M. Tafi'anel, exécutèrent la marche funèbre de la Symphonie
héroïque de Beethoven et un Requiem d'Ambroise Thomas, œu-
vre de jeunesse écrite à Rome en 1833. M. Delmas chanta,
de belle maîtrise, un Pie Jesu adapté sur l'arioso d'Hamkt.
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LE MENESTREL
. et M. Alvarez, d'une voix délicieuse, un A<jmiv Dei plein de
charme, de la composition de l'illustre défunt.
Au cimetière Jloatmarlre on s'arrêta au grand carrefour,
et la série des discours commença. M. Roujon parla de fort
belle manière au nom du ministère des Beaux-Arts, M. Bonnat
au nom de l'Instilut, M. Mézières en souvenir de Metz, dont
Thomas fut l'un des plus glorieux enfants, M. Théodore Dubois
pour les anciens élèves du Conservatoire, M. Massenet pour
la Société des auteurs et compositeurs de musique, M. Gail-
hard pour l'Opéra, M. Carvalho pour l'Opéra-Gomique.
De tous ces discours, nous en retiendrons deux comme
nous intéressant plus particulièrement, ceux qu'ont prononcés
les orateurs musiciens, M. Théodore Dubois et M. Massenet,
Le premier s'est exprimé en ces termes :
Messieurs.
C'est à moi, comme le plus ancien, qu'est dévolu l'honneur, Lien
triste, d'apporter ici à Ambroise Thomas, au nom de ses élèves, le
suprême et dernier hommage.
Ce n'est pas de voire brillante el glorieuse carrière artistique, ô
Maître bien-aimé, que je veux parler, d'autres se sont acquittés de ce
devoir, mais de votre carrière professorale, qui, elle-même, a été sj
féconde et a laissé dans nos cœurs d'impérissables souvenirs. — Quel
professeur admirable vous étiez; quelle hauteur de vues vous apportiez
dans votre enseignement!
Qui de nous, mes chers camarades, ne se rappelle avec émotion
ces belles heures de notre jeunesse oîi, groupés autour du Maître,
nous écoutions, avides, sa parole à la fois douce, ardente et convain-
cante, où éclatait avec tant de force son amour élevé de l'art et sa
profonde admiration pour les grands maîtres du passé? — Et quel
merveilleux commentaire à sa parole lorsque, se mettant au piano, il
nous faisait entendre les plus beaux fragments que sa surprenante
mémoire avait gardés comme des trésors précieux !
C'est ainsi, Maître, que vous nous avez fait aimer et admirer Bach,
Gluck, Beethoven, et surtout Mozart, pour qui vous manifestiez une
toute particulière prédilection. Weber, Mendelssohn étaient aussi de
vos dieux préférés, et d'autres encore, car vous aviez l'éclectisme des
esprits supérieurs, indispensable à un grand professeur, si fécond
en résultats pour ses disciples. — Aucune pression sur nous : des
conseils, des encouragements donnés avec une bonté toute paternelle.
Tous, nous vous aimions et vous écoutions avec respect, car, par
vos œuvres, vous joigniez l'exemple aux préceptes, et par votre vie
si digne, vous nous montriez le chemin que doit suivre tout artiste
simple, modeste et probe.
Aujourd'hui nous vous pleurons et apportons à votre dépouille
mortelle l'hommage de nos éternels regrets. — Adieu, illustre et bien-
aimé Maître ou plutôt, au revoir. Nous garderons toujours de votre
belle âme, retournée vers Dieu, et de votre grand cœur, un souvenir
profondément ému et reconnaissant.
Voici les paroles prononcées par M. Massenet :
Messieurs,
On rapporte qu'un roi de France, mis en présence du corps étendu
à terre d'un puissant seigneur de sa cour, ne put s'empêcher de
s'écrier : Gomme il est grand!
Gomme il nous paraît grand aussi, celui qui repose ici devant
nous, étant de ceux dont on ne mesure bien la taille qu'après leur
mort. A le voir passer si simple et si calme dans la vie, enfermé dans
son rêve d'art, qui de nous, habitués à le sentir toujours à nos côtés
pétri de bonté et d'indulgence, s'était aperçu qu'il fallait tant lever
la tête pour le bien regarder en face?
Et c'est à moi que des amis, des confrères de la Société des auteurs
ont confié la douloureuse mission de glorifier ce haut et noble
artiste, alors que j'aurais encore bien plus d'envie de le pleurer. —
Car elle est profonde, notre douleur, à nous surtout ses disciples, un
peu les enfants de son cerveau, ceux auxquels il prodigua ses leçons
et ses conseils, nous donnant sans compter le meilleur de lui-môme
dans cet apprealissage de la langue des sons qu'il parlait si bien.
Enseignement doux parfois et vigoureux aussi, ou semblait se mêler
le miel de Virgile aux saveurs plus âpres du Dante, — heureux alliage
dont il devait nous donner plus tard la synthèse dans ce superbe pro-
logue de Françoise de Rimini, tant acclamé aux derniers concerts de
l'Opéra.
Sa muse, d'ailleurs, s'accommodait des modes les plus divers, chan-
tant aussi bien les amours joyeuses d'un tambour-major que les
tendres désespoirs d'une Mignon. Elle pouvait s'élever jusqu'aux
sombres terreurs d'un drame de Skakespeare, en passant parla grâce
allique d'une Psyché ou les rêveries d'une nuit d'été.
Sans doute il n'était pas de ces artistes tumultueux qui font sauter
toutes les cordes de la lyre, pythonisses agitées sur des trépieds de
flammes, prohétisant dans l'enveloppement des fumées mystérieuses.
Mais, dans les arts comme dans la nature, s'il est des torrents fou-
gueux, impatients de toutes les digues, superbes dans leur furie et
portant quelquefois le ravage et la désolation sur les rives appro-
chantes, il s'y trouve aussi des fleuves pleins d'azur qui s'en vont
calmes et majestueux, fécondant les plaines qu'ils traversent.
Ambroise Thomas eut cette sérénité et cette force assagie. Elles
furent les bases inébranlables sur lesquelles il établit partout sa
grande renommée de musicien siucère et probe. — Et quand quel-
ques-uns d'entre nous n'apportent pas dans leurs jugements toute
la jusiice et toute l'admiration qui lui sont dues, portons vite nos
regards au delà des frontières, et quand nous verrons dans quelle
estime el dans quelle vénération ou le tient en ces contrées loiutaines,
où son œuvre a pénétré glorieusement, portant dans ses pages vibran-
tes un peu du drapeau de la France, nous trouverons là l'indication de
notre devoir. N'élouCTons pas la voix de ceux qui portent au loin la
bonne chanson, celle de notre pays.
D'autres avant moi, et pluséloquemment, vous ont retracé la lumi-
nueuse carrière du maître que nous pleurons. Ils vous ont dit quelle
fut sa noblesse d'âme el quel fut aussi son haut caractère. S'il eut tous
les honneurs, il n'en rechercha aucun. Comme la Fortune pour
l'homme de la Fable, ils vinrent tous le trouver sans qu'il y songeât,
parce qu'il en était le plus digne. C'est donc nou seulement un grand
compositeur qui vient de disparaître, c'esl encore un grand exemple.
Et l'assistance se retira fort émue, emportant dans son
cœur le souvenir de ce bel artiste, qui fut si digne de toutes
les affections et de toutes les estimes.
H. M.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre-Lyrique de la Galerie Viviense. — Cendrillon de Nicolo.
Après Ma Tante Aurore, après Jean de Paris, après le Tableau parlant,
après la Fêle du village voisin, et Marie, et tant d'autres, le gentil Théâtre
lyrique de la Galerie Vivienne vient de nous rendre la Cendrillon de
Nicolo. Tout l'ancien répertoire de l'Opéra-Comique y passera, au
grand plaisir du public qui ne cesse d'emplir la petite salle et de
venir entendre ces aimables chefs-d'œuvre, qu'on ne lui donne pas la
possibilité de connaître ailleurs et qui le réjouissent à ce point que la
Fête du village voisin n'a pas obtenu moins de quatre-vingts représen-
tations. On nous promet pour un avenir prochain ce petit bijou qui
a nom l'Epreuve villageoise, l'une des plus pures merveilles du génie
de Grétry, puis l'Eau merveilleuse de Grisar, puis le Maréchal ferrant
et peut-être k Sorcier de Philidor, puis... puis bien d'autres encore.
Voilà une bonne aubaine et une bonne école pour ceux de nos jeunes
musiciens dont l'esprit n'est pas envahi par certaines i.lées saugre-
nues. Qu'ils aillent entendre, qu'ils écoutent tous ces ouvrages char-
mants, et ils apprendront comment on fait de la musique qui parle
à la fois à l'oreille, au cœur et à l'imagination.
Le sujet de Cendrillon a donné naissance à trois opéras. Le premier
en date est celui qui parut à l'ancien Opéra-Comique de la foire
Saint-Germain, le 21 février 1759; il était dû, pour les paroles, à
Anseaume, souffleur et répétiteur de ce théâtre, et pour la snusique,
au chanteur Laruette, qui a laissé son nom à un emploi important
du répertoire. Le second est la Cendrillon d'Êlienne et Nicolo qui fut
représenté pour la première fois le 22 février 1810, c'est-à-dire presque
jour pour jour, cinquante et un ans plus tard. Le troisième est la
Cenerentola de Rossini. Mais ici, le parolier ne s'était servi que de
la donnée générale du conte de Perrault, qu'il avait modernisée eu
lui enlevant tout l'élément féerique. J'oubliais que Steibell avait
remis en musique, à Saint-Pétersbourg, le livret qu'Etienne avait
contié à Nicolo.
On sait quel succès inou'i obtint en 1810 cette aimable Cendrillon,
qui n'est pourtant pas à la hauteur des deux chefs-d'œuvre des
mêmes auteurs : Joconde et Jeannot et Colin. Tout Paris en fut féru et
y courut en foule, grâce surtout à* la présence en celte pièce de
trois femmes charmantes, M"»riegnault et les deux filles de M'™ Saint-
Aubin, Cécile et Alexandrine, dont la première était déjà M"'° Duret.
La jeune Alexandrine surtout, qui personnifiait Cendrillon, faisait
tourner toutes les têtes, et pendant cent représentations l'Opéra-
Ll:; MENESTREL
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Comique ne put contenir la foule qui chaque soir l'envahissait. Un
jour pourtant, — c'était aux approches de l'été — l'Opéra-Gomique
resta à moitié vide, quoique ayant affiché sa merveilleuse Cendrillon.
C'est que Garnerin, le fameux aéronaute, faisait au Champs-de-Mars
sa première ascension en ballon, et que ce spectacle curieux et nou-
veau avait attiré à lui seul une foule immense et accaparé toute son
attention. C'est ce qui arracha à Camerani, le vieux régisseur de
rOpéra-Comique oîi il était resté le seul débris de l'ancienne Comédie-
Italienne, une exclamation douloureuse. Il était monté sur le toit du
théâtre avec quelques-uns de ses camarades, désireux de voir de loin
l'ascension, et il s'écria dans son dépit, avec l'accent dont il n'avait
jamais pu se débarrasser :
— Ces fissous Parisiens, qui vont voir ce moussu dans son panier
à salade et qui laissent là notre Saint-Aubin, oune sarmante petite
tille, et zolie comme oun anze ! Perché? Parce qu'elle a zoué cent
fois la même soze!... C'est -y oune raison ?
Le succès de Cendrillon fut tel à Paris que l'Allemagne voulut la'
connaître. Le 14 juin 1811, l'ouvrage faisait son apparition à Berlin
sous le titre de Roeschen gênante Aescherling, c'est-à-dire Rosette sur-
nommée Cendrillon. Son succès fut moins grand qu'à Paris. Il est vrai
qu'il n'y avait peut-être pas là les trois femmes séduisantes qui, pour
leur bonne part, avaient contribué ici à ce succès. A Saint-Péters-
bourg aussi on voulut voir Cendrillon; mais Sleibelt, alors en grande
faveur et qui avait succédé à Boieldieu comme composileur de la
cour, fut chargé d'écrire une nouvelle musique sur le poème
d'Éticnne.
A rOpéra-Comique, Cendrillon fut reprise avec un certain regain
de succès en 184.5. et reprise de nouveau en 1877. Voici qu'on nous
la rend sur la petite scène de la Galerie Vivienne, oii elle est montée
avec le soin et le scrupule qu'on apporte ici en toutes choses. Et
pourtant, c'est là un ouvrage exceptionnellement difficile à offrir au
public, en raison de la réunion des trois femmes chargées de trois
rôles extrêmement importants. Bh bien, ces trois femmes se sont
trouvées, et elles sont en vérité fort aimables. Cendrillon, c'est une
débutante. M"' Jane Valentin, qui n'avait jamais encore paru à la
scène, et qui s'est tirée tout à son honneur d'une tâche singulière-
ment difficile. Non seulement sa voix est charmante, non seulement
elle s'en sert avec un goilt plein de sobriété, mais elle dit le dialogue
avec une justesse rare et elle fait preuve d'une réelle intelligence
comme comédienne. Tisbé. c'est M"* Silvia, dont la voix brille avec
éclat dans les morceaux de virtuosité que Nicole avait écrits pour le
gosier exquis de M"= Regnault. Je ne dirai pas que tout est parfait
dans le chant de M"" Sylvia, mais l'ensemble est fort intéressant et
l'effort de la jeune artiste est pour lui attirer des louanges sincères.
Quant à M™* Jeanne Darbel, elle est tout aimable et toute charmante
dans le personnage de Glorinde.
Da côté masculin, il faut tirer de pair M Biard, qui déploie dans
le rôle du prince de véritables qualités de chanteur, servies par une
voix excellente et d'un timbre plein de fraîcheur. Les autres rôles,
ceux de l'astrologue Alidor et de l'écuyer Dandini sont tenus très
suffisamment par MM. Delbos et Berthon. Et l'ensemble de l'exécution
ne laisse rien à désirer.
En voilà encore pour deux ou trois mois à la Galerie Vivienne.
Arthur Pougin.
Co.médie-Française. Grosse Fortune, comédie en quatre actes,
de M. Henri Meilhac.
Pierre Mauras, de position modeste, alors qu'il va épouser
M"" Marcelle Lavanneur, de condition à peu près égale, hérite d'un
oncle d'Amérique quelconque la somme assez imposante de trente
millions. Et la grosse fortune tombant a l'improviste sur ces amou-
reux simples les rendra frivoles à l'excès, plus occupés à figurer
tapageusement en un monde oisif et tout d'extérieur qu'à sauvegarder
la paix honnête de leur Intérieur. Monsieur achètera très cher une
amie de sa femme, la belle cosmopolite Georgette Narasly, dont le
mari est familier de ses salons, et affichera sa tapageuse liaison tant
et tant que madame se fâchera, sans cependant que cette fâcherie
conduise le jeune ménage à la rupture, puisqu'au dernier acte tous
deux retomberont dans les bras l'un de l'autre.
Le thème choisi par M. Meilhac a servi plusieurs fois déjà, et il
est plus que probable qu'il sera utilisé maintes fois encore. Aux
époques où l'argent compte pour tout, il est sûr d'être le pivot de
maintes comédies de mœurs, et, comme les mœurs se modifient
incessamment, il y a grande chance pour qu'il ne soit jamais sinon
absolument jeune, du moins complètement usé. t;'était donc par
l'étude et la mise en œuvre des détails que M. Meilhac devait surtout
faire œuvre de nouveauté. La légèreté de ton, alors même que les
situations semblaient commander quelque élan dramatique, l'insi-
gnifiance voulue de personnages à qui l'auteur ne pouvait prêter son
esprit personnel, l'indécision des caractères, la bourgeoisie des sen-
timents semblent malheureusement avoir desservi M. Meilhac, dont la
comédie apparaît grise et timide à l'excès.
M""== Bartet, Pierson et M. Le Bargy avec aussi M"" Brandès,
MM. Duflos, Coquelin cadet et Boucher font ce qu'ils peuvent de rôles
que l'absence de relief rend fort difficiles à jouer.
Pacl-Émile Chevalier.
L'ORCHESTRE DE
(Suite.)
LULLY
LALOUETTE
Jean-François Lalouette fut, en réalité, le premier des chefs d'or-
chestre de l'Opéra, et il parvint fort jeune à cet emploi puisque, né
en 16ol, il était à peine âgé de vingt et un ans lorsque ce théâtre
commença à fonctionner sous la direction de Lully. Il avait déjà la
réputation d'un bon violoniste, ayant reçu des leçons d'un nommé Guy
Leclerc, artiste de la bande des 24 violons du roi, après avoir appris
la musique à la maîtrise de Saint-Eustache. C'est en qualité do
simple violoniste qu'il entra d'abord à l'orchestre de l'Opéra, dont
ensuite Lully lui confia la direction. Il était bon musicien aussi,
puisque Lully le prit pour secrétaire, en le chargeant d'écrire certains
récitatifs de ses ouvrages, ainsi que d'instrumenter certains morceaux
dont il n'écrivait lui-même que les parties vocales et la basse. Ce
fut précisément ce qui les brouilla. Lalouette, parait-il, se serait
vanté outre mesure des services qu'il rendait à Lully, et aurait été
jusqu'à prétendre, lorsque parut his, que les meilleurs morceaux de
cet opéra étaient son propre ouvrage. Avec le caractère de Lully cela
ne pouvait durer, et Lalouette dut quitter l'Opéra (1).
Lalouette se livra alors à la composition, mais certains écrivains
se sont trompés en affirmant qu'il ne s'occupa que de musique reli-
gieuse. Le Mercure nous apprend que dès 1677 il écrivit la musique
d'une pièce représentée chez un particulier: — « ... On représentoit
chez M. de Verneuil, conseiller au Parlement, deux ou trois fois la
semaine, une comédie dont les intermèdes esloient remplis de balets
et de chansons. Les entrées estoient admirables, et composées par
M. des Brosses, c'est tout dire... Elles estoient mises en musique par
le sieur l'Alouette, qui batoit la mesure à l'Opéra. Comme il estoit à
M. de Lully, et qu'il a copié ses airs pendant plusieurs années, ceux
qu'il compose ont tant de raport avec ceux de ce grand maistre,
qu'on voit bien qu'il a étudié sous luy (2). » Quelques années après,
en 168o, Lalouette écrivait une nouvelle musique pour une pièce à
machines de De Visé, le Mariage de Bacchus, créée en 1672 au théâtre
du Marais et dont on faisait à ce théâtre une reprise éclatante (3).
Enfin, en 1708, il faisait exécuter à l'abbaye de Chelles, dont la supé-
rieure était la sœur du maréchal de Villars, une cantate dont les
paroles lui avaient été fournies par le poète Danchet (4). Je serais
bien étonné que Lalouette n'eût pas cherché à faire représenter
quelque ouvrage à l'Opéra, après la mort de Lully. Je constate pour-
tant que son nom n'y parut jamais.
Selon Fétis, Lalouette aurait accepté en 1693 la place de maître de
chapelle de l'église métropolitaine de Rouen. Je ne sais si le fait est
exact ; mais où l'écrivain se trompe certainement, c'est lorsqu'il
ajoute : « Il ne la garda que deux ans, s'étant retiré au mois de mars
1695 pour accepter l'emploi de maître de chapelle à l'église Notre-
Dame de Versailles. » C'est à Notre-Dame de Paris que Lalouette
devint maître de chapelle, après avoir rempli les mêmes fonctions à
Saint-Germain-l'Auxerrois. Aussi est-ce à Paris qu'il mourut, le
31 août 1728, et non à Versailles, le 1" septembre, comme le dit
encore Félis (S).
(1) «... J'avois aussi entendu attribuer à Lalouette le duo : Hélas ! une chaîne,
etc. (de Plmeton), mais on m'a averti qu'il n'étoit pas possible qu'il y eût
la moindre part, puisque I.ulli l'avoit congédié plus de quatre ans avant que de
faire Phaeton. Lalouette avoit été secrél;aire de Lulli, et il l'avolt été avec beau-
coup de distinctions et d'agréments, que son intelligence et son habileté lui
avoient attirez. Mais Lulli crut s'apercevoir que son secrétaire faisoit un peu
trop du maître, et il étoit homme que ces manières n'accommodoient pas. II
revint; à Lulli qu'il s'étoit vanté d'avoir composé les meilleurs morceaux d'/sis,
et il le congédia». — (La Vieuville de Preneuse: Comparaison de lammique
Italienne avec la musiqae françoise.
(2) Le Nouveau Mercure galant, 1677, T. I, pp. 70-71.
(3) /ci., octobre 1685.
(4) W., novembre 1708.
(5) Voyez Mercure, septembre 1728.
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LE MENESTREL
« Ce musicien, dit Titon du Tillet dans son Paritasse français, a
été un peu négligent à donner au public ses ouvrages. Il a fait graver
seuXeroent qu.e\qaes Motets pour les principales fêtes de l'année, à une.
deux et trois voix, avec la basse continue, volume in-folio. 1726. A
l'égard de ses Motets à grrands chœurs, son frère et son héritier, qui en
est le dépositaire, compte en faire part au public, et a commencé à
donner à Ballard, seul imprimeur du Roi pour la musique, le Miserere
en trio et quelques autres morceaux. »
On a gravé, après sa mort, un superbe portrait de Lalouelte, au-
dessous duquel sont placés les vers suivants :
Orphée est descendu jusques aux sombres lieux.
C'est un vieux conte, une chimère.
Le fameux Lalouette est maintenant aux cieux:
Ceci n'est point imaginaire,
Et même par ses tons aussi sçavants que doux.
Il a rendu le chœur des archanges jaloux.
COLLASSE
Pascal Collasse, l'un des musiciens les plus en vue de l'époque et
de l'école de LuUy, qui fut chef d'orchestre à l'Opéra, sous-maître de
la chapelle-musique du roi, maître de musique de la chambre,
auteur de dix opéras et compositeur de nombreuses œuvres de mu-
sique sacrée et profane, était fils d'un modeste bourgeois de Reims, où
il naquit, sur la paroisse de Saint-Pierre-le- Vieil, Ie22jaavierl649 (1).
Il fut amené sans doute fort jeune à Paris, puisqu'on sait qu'il fut
admis comme enfant de chœur à l'église Saint-Paul, ou il fit une partie
de ses études, et qu'à l'aide d'une bourse il acheva celles-ci au collège
de Navarre. Comment se fit sa première éducation musicale, nul ne le
dit; mais on peut croire qu'elle fut sérieuse, puisque Lully, instruit
de ses bonnes dispositions, le prit ensuite pour élève, puis pour
secrétaire, et enfin, après s'être séparé de Lalouelte, le chargea de la
direction de l'orchestre de l'Opéra. Tout cela, et les emplois importants
qu'il occupa par la suite, prouve bien que Collasse était un musicien
sérieux, qui, s'il n'eut pas de génie, ne méritait pas pourtant le
dédain que quelques-uns ont affecté à son égard.
C'est lorsque Lully se fut brouillé avec Lalouette, en 1677, qu'il
plaça Collasse à la tète de l'orchestre de l'Opéra et qu'il en fit
en même temps son secrétaire, le chargeant alors de remplir les
parties de chœurs et d'orchestre de ses ouvrages lorsqu'il jugeait à
propos de n'en écrire que les parties de chant principales et la basse,
ce qui impliquait en lui une grande confiance. Comme on le verra
plus loin, Lully le prit d'ailleurs en grande affection. Pour le prouver,
Fétis, copiant en cela les frères Parfait, dit que Lully obtint pour
lui une des quatre places de sous-maître de la chapelle du roi.
L'intervention de Lully n'eut pas lieu de s'exercer en cette circons-
tance, car Collasse obtint cette place au concours. C'était en 16S3,
alors d'une réorganisation de cette chapelle, pour laquelle Louis XIV
voulait qu'il y eût à l'avenir quatre sous-maîtres, un par quartier sans
doute, et que ces places fussent mises au concours. Trente-cinq
concurrents se présentèrent pour subir l'épreuve, à la suite de
laquelle furent nommés Minoret, Coupillet, Lalande et Collasse. Et
l'on peut croire que ce concours n'était pas une lutte banale, puisque
parmi ceux qui y prirent part sans succès se trouvaient des artistes
tels que Lorenzani, Charpentier, Nivers, Lalouette, Oudot, Gervais,
Lagarde, Salomon, etc., qui certes n'étaient pas les premiers
venus (2).
Collasse continua ses fonctions à l'Opéra jusque bien après la mort
de Lully, dont il n'était pas seulement l'élève et le protégé, mais
aussi le commensal, logeant et vivant chez lui, dans sa propre
maison. Si bien que par son testament, lui manifestant toute sa
confiance, Lully décidait que Collasse continuerait de demeurer
avec les siens, le chargeant de les aider et de les conseiller en tout
ce qui concernait la direction de l'Opéra. Voici ce passage du testa-
ment :
« ...Lelit sieur testateur... voulant que ladite dame son épouse
conduise tout ce qui concerne ladite Académie de musique ou Opéra,
(1) Tous les biographes s'étaient trompés sur la date de la naissance de
Collasse, que les uns fixaient à 1636, d'autres à 1639, d'autres encore à 1652
(tandis que sa mère était morte en 1631). Jal (Dictionnaire critique de biogmptiie et
d'histoire) a établi la vérité en publiant son acte de naissance, qui donne la date
que j'enregistre, et duquel il résulte que le père de tlollasse, Anloine Collasse,
était " marchand tissutier-franger » à Reims, et que sa mère était née Anne de
Martin. Jal publie aussi l'acte de mariage de Collasse avec M"' Blaisine Bérain,
fille de Jean Bérain, le fameux dessinateur du cabinet du roi, qui fut célébré en
l'église Saiat-Germain-l'Auxerrois le 7 janvier 1689, et enfin l'acte de décès de
l'artiste, mort à Versailles le 18 juillet 1709. Ces diverses dates sont donc
établies aujourd'hui d'une façon certaine.
(2) Voy. Gtiillaume Minoret par A. Rouxel fParis. Jouaust, 1879, in-12).
pans aucune exception ni réserve et ce par l'avis toutefois du sieur
Frichet, ci-devant pourvoyeur de la maison de la Reine, son intime
ami, lequel il supplie d'en vouloir prendre la peine, sans que ledit
sieur Jean-Louis Lulli, son lils. puisse empêcher l'exécution de la
présente disposition, ni troubler ladite dame, sa mère, ni ledit sieur
Frichet, en tout ce qu'ils ordonneront pour la conduite de ladite Aca-
démie, étant persuadé qu'ils feront le tout pour le mieux et pour
l'avantage commun de la famille dudit sieur testateur qui prie aussi
le sieur Collasse, maître de la musique de la chapelle du Roi, d'ai-
der de ses avis ladite dame, sa femme, et ledit sieur Frichet en tout
ce qui regardera ladite Académie et même d'assister ledit sieur son
fils, nommé en survivance de sesdites charges, en tout ce qu'il
pourra
» A l'égard dudit sieur Collasse, devant nommé, ledit sieur testa-
teur veut qu'il continue d'être logé et nourri en la maison dudit sieur
testateur aux dépens de sa famille et que sa pension lui soit payée
comme par le passé (1) . »
(A Suivrej. Arïhui; Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique ("20 février). — Les deux représen-
tations que nous a données jusqu'ici M"« Van Zandt ont fait accourir à
la Monnaie une foule aussi nombreuse qu'élégante. Et dans l'empresse-
ment du public se mêlait du regret, la surprise d'avoir dû attendre si
longtemps pour entendre à Bruxelles une cantatrice de cette valeur et de
cette réputation, dont l'enfance s'était passée en grande partie à Bruxelles
même et que beaucoup considéraient un peu comme une compatriote.
On sait, en effet, que M"' Van Zandt fit ses études dans un pensionnat
d'ici; et elle-même ne se rappelle pas sans émotion être venue souvent,
toute jeune à la Monnaie, assister au spectacle, sans se douter, certes,
qu'elle ne resterait pas toujours simple spectatrice des succès des
autres!... L'artiste étant surtout connue par sa création de Lat;mé, il y avait
pour le public une curiosité non moins vive peut-être de la voir tout
d'abord dans Mignon, dans ce rôle où tant de divas se sont fait entendre à
la Monnaie, y apportant la marque de leur personnalité, depuis Galli-
Marié et la Nilsson, dont le souvenir reste ineffaçable, jusqu'à l'an der-
nier, M"'' Simonnet, qui supportait la comparaison avec les meilleures
Mignon et les plus applaudies. Il paraîtrait oiseux de rapprocher M"= Van
Zandt de ses rivales et de ses devancières et d'en tirer des conclusions.
Elle joue le rôle de Mignon selon son tempérament. Et sa grande qualité,
que nos confrères de la presse ont mise surtout en relief, c'est de l'avoir
interprété avec une simplicité, une recherche de réalité douce et tran-
quille, absolument exempte du « cabotiui.sme ». Mais c'est comme canta-
trice que M"" Van Zandt, faut-il le dire ? a surtout brillé, avec sa voix
d'un timbre si pur et si cristallin, la sûreté de son émission, l'art exquis
d'exécution fine et adroite qu'elle met dans son phraser, dans ses voca-
lises, dans les traits de virtuosité dont certaines pages de l'œuvre ont été
agrémentées pour elle spécialement. Son succès, en somme, a été très
grand. On l'a discutée comme une grande artiste, et on l'a applaudie
comme une triomphatrice. Dans Lalimé, qu'elle vient de chanter ce soir
même, ce succès a été encore plus grand. Dans ce rùle, de chant pur,
écrit pour elle et dont elle possède toutes les traditions, on l'a trouvée
absolument charmante, et elle a détaillé le fameux air des clochettes, —
où on l'attendait — adorablement. Aussi ne l'a-t-on pas seulement applau-
die, on l'a aussi fleurie, — ce qui arrive bien rarement à la Monnaie: la
règle de la maison a souffert cette fois, pour elle, exception. On n'a eu à
regretter qu'une seule chose, c'est que M"' Van Zandt fût si mal secondée.
Deux mots pour constater la réussite de plus en plus brillante des con-
certs, au Cirque Royal, de M. Eugène Ysaye. Au dernier concert, diman-
che dernier, M. Ysaye avait cédé son bâton à M. Vincent d'Indy, et est
descendu sur l'estrade, en simple soliste, exécutant le concerto de Beetho-
ven et le concerto de Mendeissohn dans la perfection. M. d'Indy a dirigé
sa trilogie de Wattenstein, remarquablement exécutée, des airs de danses de
MM. Guy Bopartz et Chausson et une Esquisc inédite de Guillaume Lekeu,
un jeune compositeur belge mort à la fleur de l'âge sans avoir pu réaliser
les belles promesses qu'il avait déjà données. — Au Cercle artistique, on
a entendu cette semaine M"'= Mailhac, une des pensionnaires du théâtre
de Bayreuth, qui joue cette année le rôle de Vénus dans Tannliâuser, —
dans quelques lieder, qu'elle a chantés assez médiocrement, d'une voix
généreuse, mais avec la déplorable méthode allemande que l'on sait. Si
une artiste belge se permettait de chanter aussi mal un programme aussi
pauvre, on lui jetterait des pommes cuites; mais tout est permis à qui
vient de là-bas. L. S.
— Le 18' volume deV Annuaire du Conservatoire royat de musique de Bruxelles
vient de paraître en cette ville, à la librairie Ramlot. Il comprend, n'ayant
point paru l'an dernier, tous les renseignements relatifs aux deux années
(I) Voy. Emile Campardon, t'Acudémie royiile de musique un
XVni' siècle.
LE MÉNESTREL
61
■1S94 et 189b. Outre les documents officiels, on y trouve la suite de l'inté-
ressant catalogue du Musée international du Conservatoire, si bien dressé
et rédigé par M. Mahillon, conservateur du musée.
— L'archiviste de la surintendance générale des théâtres impériaux à
Vienne, M. Albert Wellner, a publié une note intéressante au sujet des
ceuvres d'Ambroise Thomas jouées à l'Opéra impérial de Vienne, d'abord
dans le vieux théâtre « près de la porte de Carinthie », ensuite dans le
monument actuel. Mignon et Hamlet ont été joués en tout 197 fois ; les œuvres
suivantes ont été données en tout 88 fois : la Double Echelle (paroles alle-
mandes de Karl Blum), en 1838-40; le Panier //euri (paroles allemandes de
Jules Franke), 1841-47 ; le Songe d'une nuit d'été, 1854-59, et le Caïd, 1856-57.
Mignon et Hamlet n'ont pas encore quitté le répertoire de l'Opéra impérial.
Les six opéras d'Ambroise Thomas que nous venons de citer ont donc été
joués jusqu'à présent 285 fois, ce qui est un chiffre éloquent, étant donnée
l'obligation de l'Opéra impérial de Vienne de varier son répertoire autre-
ment que l'Académie nationale de musique de Paris.
— Un conseiller de commerce, M. Rœse, avait légué par testament à la
municipalité de Bayreuth, sa ville natale, une somme de 150.000 marks
pour la construction d'une grande salle de concerts. Un concours avait été
ouvert à ce sujet, concours auquel vingt-quatre projets avaient été pré-
sentés. Sur ces vingt-quatre projets, cinq ont été réservés, parmi lesquels
le conseil communal aura à choisir le plus digne d'obtenir le prix.
— Un nouveau théâtre qui jouera l'opéra est en construction à Lemberg,
capitale de la Galicie. Les frais de construction sont évalués à plus d'un
million de francs. L'architecte M. Gergolewski, dont le projet a obtenu le
premier prix au concours, est chargé de la construction de ce théâtre.
— Une troupe espagnole annonce une tournée en Allemagne, où elle
jouera des zarzuelas de Breton, Barbierl et Ghapi.
— On nous écrit de Munich qu'au premier concert de l'Académie de
musique de cette ville, le plus grand succès a été remporté par un compo-
siteur français qu'on néglige en France depuis longtemps. Musette,
Tambourin et Rigaudon de Rameau, ont été applaudis avec enthousiasme
et bissés.
— Le théâtre municipal d'Erturt vient de jouer avec succès un nouvel
opéra, Trois Femmes et aucune, paroles et musique de M. 0. Piper.
— Le théâtre de la cour de Schwerin vient de jouer dans une seule soirée
deux opéras inédits : un drame lyrinue en un acte, le Réveil de Helge, paroles
■et musique de M. Alfred Lorenz, et un autre ouvrage en un acte, la Mouche,
paroles de M. A. Wolf, musique de M. d'Ogaref. Ces deux pièces ont eu
beaucoup de succès.
— Il paraît qu'il existe en Russie, dans un village du nom de Petjano,
un théâtre spécialement construit et destiné à l'usage des paysans par un
instituteur nommé Bunastrow. La salle, très modeste et de modestes pro-
portions, contient 116 places, dont vingt à 20 kopeks (environ 80 cen-
times) vingt à 18 kopeks, dix à 5 kopeks et soixante-six à un kopek. Le
personnel du théâtre se compose des élèves des écoles populaires du lieu;
les décors, les costumes, l'éclairage sont fournis par le fondateur. Le produit
des entrées est distribué intégralement aux jeunes acteurs, dont chacun
se trouve ainsi gagner, au cours de la saison d'hiver, environ cinq roubles,
ce qui n'est pas à dédaigner pour ces petits villageois. Le théâtre est tou-
jours archi-plein, dit-on, et ses représentations sont d'un caractère haute-
ment et éminemment moral.
— La musique de chambre a trouvé cet hiver, au Conservatoire de
Genève, de jeunes et vaillants interprètes : M'" Fanisewska (piano),
MM. Pahuke (1" violon), F. Sommer (2« violon), Aimé Kling (alto) et A. Lang
(violoncelle), qui, avec un succès toujours croissant à chaque séance, ont
brillamment joué les œuvres du répertoire classique et moderne : Haydn,
Mozart, Beethoven, Schumann, Brahms, Saint-Saëns, etc. On ne peut que
féliciter les excellents artistes pour cette réussite et les encourager à per-
sévérer dans la voie où ils se sont résolument engagés.
— Les opéras nouveaux se succèdent sur les scènes italiennes, en cette
saison de carnaval et carême, avec une rapidité qui tient du prodige. Nous
«n avons encore quatre à enregistrer cette semaine, et l'on nous en promet
■d'autres pour un avenir prochain. Voici les titres des quatre nouveau-nés.
A Reggio de Calabre (9 février), Palmira, drame lyrique en quatre actes,
dont l'action se déroule en Arménie, avant l'ère vulgaire, musique de
M. Annanziato Vitrioli, joué par M^x^ Salvaggi et MM. Pignataro et Puma.
Au théâtre Pagliano de Florence (13 février), un Dramma in vendemmie,
musique de M. Fornari, qui dirigeait en personne l'exécution, confiée à
Mmes Rappini et Passari, à MM. Ducci, Bacchetta et Meini. Au théâtre
Communal de Todi, Go«nei/a, opéra en trois actes, livret de M. Ceci, musique
de M. Manganelli. Enfin, à Valeggio (province de Vérone), il Feudatario,
musique de M. Ettore Veronesi. Ces divers ouvrages paraissent avoir reçu
du public un accueil très favorable.
— On vient de terminer à Palerme, non sans peine, les travaux du
nouveau Grand-Théâtre. La construction de cet édifice avait été commencée
en 1874.
— Un rédacteur du Fanfulla publie une interview qu'il a eue avec
M. Pietro Mascagni â propos de son nouvel opéra, Zanetto (le Passant), qui
figure sur le cartellone de la Scala de Milan. Le journaliste rapporte avec
précision les paroles qu'il tient de la bouche du compositeur: « Je ne veux
pas, lui aurait dit celui-ci, que Zanetto soit donné à la Scala cette saison.
L'opéra est à moi, exclusivement à moi, et je ne le céderai à. aucun prix
aux éditeurs italiens ou étrangers. Ceux qui voudront l'entendre viendront
à Pesaro, où, le l'"' mars prochain, j'en donnerai la première représenta-
tion, préparée par mol, dirigée par moi, à ma façon. »
— Au théâtre Eslava, de Madrid, on a donné avec un très grand succès
la première représentation d'une importante zarzuela en un acte et quatre
tableaux, el Cortejo de la Irène, due à la collaboration de M. Carlos Fernandez
Shaw pour les paroles et de M. Ruperto Chapi pour la musique, qui, dit
un journal espagnol, est une véritable joie pour l'art espagnol. — Moins
heureuse a été, au théâtre Romea, de Murcie, une autre zarzuela en un
acte, el Assistente Zaragata, qui, par le fait de la mauvaise qualité du livret,
n'a pu étrejouée qu'une seule fois, en dépit d'une musique aimable, due
à M. Adolfo Gascon.
— La place de directeur du Conservatoire de musique de Guildhall est
convoitée par beaucoup de musiciens anglais et allemands. M. William H.
Commings, ancien professeur à l'Académie royale de musique, M. Charles
Maclean, compositeur et organiste, M. Henry Gadsby, compositeur et
professeur de composition. M. Orton Bradley, chef d'orchestre et professeur
de composition, M. William Carter, organiste et chef d'orchestre,
MM. Meyer Lutz et Wilhelm Ganz, deux chefs d'orchestre allemands qui
sont établis en Angleterre, se disputent cette place convoitée.
— Le compositeur anglais Villiers Stanford a terminé la partition d'un
opéra irlandais, Shamus O'Brien, qui conti-înt, dit-on, quelques mélodies
populaires irlandaises. On espère que l'Opéra-Comique de Londres pourra
jouer cette œuvre vers la fin du mois de février.
— Oh ! oh ! voilà qui va faire rêver l'auteur de Sigurd et de Salammbô, et
l'empêcher sans doute à tout jamais de remettre les pieds sur le sol de « la
perfide Albion. » La nouvelle est grave en effet. Le conseil élu des écoles
primaires de Londres (School board) vient de prendre une décision qui, si
elle n'est pas du goût de Reyer, fera du moins, on peut le supposer, la
joie de tous les facteurs de pianos du royaume. En suite de cette décision,
il est établi qu'à partir du 1" mars prochain l'enseignement du piano sera
donné gratuitement aux filles et aux garçons dans les écoles primaires
publiques. Actuellement 209 écoles contiennent ensemble 272 pianos, et ce
n'est pas assez: ce nombre sera doublé très prochainement et triplé avant
la fin de l'année, et il restera encore un nonibre immense d'écoles à pour-
voir. Mais alors, l'Angleterre va devenir une simple machine à pianistes !
Les flots de la mer ne lui suffisent plus, et il lui faut des torrents d'har-
monie pour les verser sur ses obscurs blasphémateurs.
— On nous télégraphie de New-York que la saison d'opéra vient de clô-
turer par une représentation de Manon. Après la dernière représentation, le
public a demandé à plusieurs reprises les directeurs, MM. Grau et Abbey, et
leur a fait une ovation chaleureuse. On demandait aussi M™ Melba et les
frères de Reszké. Le public ne voulut pas quitter la salle, et l'on fut obligé
d'apporter un piano sur la scène pour permettra à M""= Melba, accompagnée
par M.Jean de Reszké, de chanter la mélodie populaire Home, swet home I qai
est, pour ainsi dire, le domaine privilégié de M"= Patti. Enthousiasme énorme
et, ce qui vaut mieux pour l'artiste, une magnifique couronne en perles et
diamants, offerte par un groupe d'amateurs, qui envahissaientles pupitres de
l'orchestre et serraient les mains de l'artiste australienne par dessus la
rampe. Les recettes, pendant les treize semaines de la saison, ont atteint
la bagatelle de 600.000 dollars, soit trois millions de francs. Dans ces
conditions, l'Opéra de New-York peut se passer d'une subvention de l'État,
qui là-bas n'a pas la prétention de protéger le grand art.
— Le Mikado, dont le trésor s'est enrichi par ses victoires sur les Chinois,
est devenu grand amateur d'art lyrique et a donné l'ordre de réunir en
Italie une troupe qui jouera l'opéra italien à la cour impériale du Japon.
Nos lecteurs se rappellent que ce pays est déjà gratifié d'un Conserva-
toire et de professeurs de musique européens. Mais malgré le don
d'assimilation extraordinaire que les Japonais possèdent, ils ne sont pas
encore parvenus à former eux-mêmes leurs artistes lyriques. Ne déses-
pérons pas; cela viendra, et nous pourrons peut-être applaudir, dans une
dizaine d'années, d'anciennes élèves du Conservatoire de Tokio.
PARIS ET DEPARTEBIENTS
jijme Ambroise Thomas a reçu de Metz la lettre suivante :
Metz, le 14 février 1896.
Madame,
J'ai l'honneur de vous adresser oi-joint l'extrait de la délibération du conseil
municipal d'aujourd'hui et de vous réitérer l'expression de la douleur que la
ville de Metz ressent à la perte d'un de ses enfants les plus illustres, ainsi que
la promesse que le souvenir du noble défunt restera pour toujours gravé dans
sa ville natale, dont une rue portera son nom et dont le théâtre, la scène de ses
labeurs et de ses triomphes, montrera son buste et sa gloire à ses anciens
concitoyens et aux générations futures.
Puisse ce souvenir reconnaissant contribuer à vous soulager dans ce moment
de tristesse et de douleur.
Je vous prie, madame, de vouloir bien agréer l'expression de mes sentiments
les plus distingués.
Baron de Kramer,
administrateur de la ville de Metz.
62
LE MENESTREL
— Suivait l'extrait du registre des déliljérations du conseil municipal
de la ville de Metz.
Séance du 12 février 1896.
Présents : MM. le baron de Kramer, administrateur de la ville de Metz :
Lallement, 2' adjoint; Augustin, 3' adjoint; Aubertin, Chevalier, Enders,
Ferj', Hermestrofl', Henrich, Heyder, lîumbert, Lanique, Lévy, Moitrier,
Ringenbach, Samson, docteur Sauvin, Tillement.
Le 12 février est mort à Paris le célèbre compositeur, directeur du Conser-
toire, M. Ambroise Thomas. M. Ambroise Thomas est né à Metz en 1811 ; la
ville de Metz est fière de compter parmi ses enfants cet homme auquel ses
œuvres ont créé un nom célèbre dans le monde artistique et une place impor-
tante dans l'histoire du développement de la musique.
La ville de Metz déplore la perte du grand artiste et de l'homme sympathique,
et, en signe de son deuil et de sa vénération, décide de déposer une couronne
sur le cercueil du cher défunt.
Le conseil municipal, représentant la ville de Metz, exprime à la veuve du
grand artiste ses vives condoléances pour la perte irréparrable qu'elle vient de
subir; la ville natale du grand défunt s'unit à elle, ainsi qu'à lous les siens,
dans un même deuil et une même douleur.
Une plaque commémorative fera connaître la maison où est né le célèbre
compositeur, et la rue de la Cathédrale, où est sise cette maison, portera doré-
navant le nom rue Ambroise-Thomas.
Un buste de M. Ambroise Thomas, fait par un artiste natif de Metz, sera
placé au théâtre municipal de Metz.
Ainsi l'ait à Metz, ledit jour 14 février 1896,
Pour extrait conforme,
L'administrateur de la ville de Metz,
Baron de Kramer.
— Profondément touchée de ces manifestations, M"^!" Ambroise Thomas
a adressé la lettre suivante à l'administrateur et aux membres du conseil
municipal de la ville de Metz.
Messieurs,
Au moment ofi mon cœur vient d'être si cruellement frappé, je me sens en-
tourée de la sympathie universelle, et, parmi les témoignages que j'ai reçus,
j'attache le plus grand prix à celui de la ville de Metz, qui s'associe à mon deuil
en déplorant la mort d'un de ses plus illustres enfants.
Je remercie le conseil municipal de son empressement à m'adresser ses vives
condoléances et je lui suis profondément reconnaissante de la délibération prise
immédiatement en l'honneur du noble défunt et dont vous avez bien voulu
m'adresser l'extrait.
-Abîmée dans ma douleur, je vous prie d'agréer, messieurs, mes bien sin-
cères sentiments de gratitude.
Elvire .Ambroise Thomas.
— Extrait d'une chronique donnée au Temps par M. Jules Glaretie :
.Ambroise Thomas aura recueilli en disparaissant le plus juste tribut d'hom-
mages qu'on puisse rendre à un homme illustre et bon. C'était une âme bien-
veillante et timide. Point de pose, une cordialité profonde, naturelle et sans rien
de factice. Une générosité grande, vraiment digne d'un artiste et dont je ne
citerai qu'un exemple, qui m'est personnel.
Lorsque la Comédie-Française joua Hamlet — c'était le premier grand ouvrage
que je montais — on me fit savoir que le directeur du Conservatoire s'était spon-
tanément offert à écrire la partie musicale du drame de Paul Meurice et Dumas
père. M. Perrin avait quasi accepté; il ne lui déplaisait point que le compositeur
de l'Hamlel donné à l'Opéra tût celui qui écrirait quelques morceaux pour la
Comédie.
J'écrivis donc à M. Ambroise Thomas qu'il m'était agréable de tenir la pro-
messe de mon prédécesseur, et le maître se mit à l'œuvre. II ne nous donna
certes pas une partition nouvelle — seulement un air à boire, au prologue, une
marche, des sonneries çà et là. des appels de trompettes pour le duel entre
Hamlet etLacrte, une mélopée que M. Thomas fit répéter à M"" Reichenberg
pour la chanson d'Ophélie — mais, au total, le travail, fait de si bonne grâce, cons-
tituait une œuvre, une dépense de talent et de temps.
Lorsque je voulus parler à Ambroise Thomas de la part de droits d'auteur
qui pouvait lui revenir:
— A moi? me dit-il, et de très bonne foi, mais j'ai à peine griffonné quelques
noies ! ?<on, non, je ne veux rien. C'est moi qui vous remercie de m'avoir laissé
toucher encore une fois à un tel sujet.
Et comme j'insistais :
— Je vous en prie, fit-il avec cette brasquerie apparente qui cachait une âme
délicieuse, n'insistez pas. Si vous voulez mon opinion, je suis assez payé par
l'honneur que vous avez fait au musicien d'//amte( de le consacrer à la Comédie-
Française !
— De ce noble désintéressement, qui est souvent la marque des grands
artistes, nous pouvons donner cet autre exemple. C'était à l'époque de
Frarnoke de Rimini, bien avant la première représentation, alors qu'on faisait
beaucoup de tapage dans les journaux et ailleurs de la prochaine œuvre
attendue du compositeur i'Hamtet et de Mignon. Nous le vîmes entrer un
jour au Ménestrel, un peu soucieux et l'air embarrassé : « Ecoutez, nous dit-
il, je ne dois pas vous cacher que de bien des cotés des éditeurs me font
des offres séduisantes pour ma nouvelle partition. Il faut pourtant que je
Duisse leur répondre que je suis engagé avec vous. » Et alors, prenant une
grande feuille de papier blanc, iî mitau bas sa signature : " Voili; écrivez
au-dessus ce qui vous semblera bon.); Ainsi fut traitée 1' « affaire » de Fran-
çoise de Rimini!
— Le Journal o/ficiel publie une nouvelle liste de promotions et de nomi-
nations universitaires, cette fois au titre étranger, dans laquelle nous
relevons les noms suivants. Sont nommés officiers de l'Instruction publique:
M°"= Gabrielle Krauss, « professeur de chant à Paris », l'admirable artiste
que nous avons connue au Théâtre-Italien et à l'Opéra : M. Iloulllack,
« compositeur de musique à Paris », l'excellent violoniste bien connu du
public de nos concerts: M. de Loos, chef d'orchestre à Tournai ; M.Moul,
représentant la Société des compositeurs de musique à Londres. — Sont
nommés officiers d'académie : M""" Berthet, artiste de l'Opéra; M™ Divoite
(Héglon), artiste de l'Opéra ; M"« Sibyl Sanderson, artiste lyrique ;
M"' Fannie Edgar Thomas, critique musicale, correspondante à Paris du
Musical Courier, de New-York ; MM. Fierons, critique au Journal des Débals;
Jcihn Croisier, Mande, compositeurs; Rieudel, auteur dramatique; Egidio
Rossi, maître de ballet et mime.
— M. Massenet part aujourd'hui dimanche pour Bruxelles, oii la première
représentation de Tha'is est prochaine. Il y va présider aux dernières études
de son œuvre. M. Anatole France, l'auteur du subtil et délicat roman, et
M. Louis Gallet, qui en a tiré un si curieux poème lyrique, l'y suivront
sous quelques jours.
— M. Combes, ministre des beaux-arts, vient de mettre en vigueur un
arrêté auquel jusqu'ici on ne s'était pas conformé. Le ministre a décidé
qu'on appliquerait à l'Opéra la loi sur le travail des enfants dans les ma-
nufactures. Il en résulte que les enfants ne pourront plus paraître dans les
ballets, ceux-ci commençant toujours après dix heures du soir. C'est une
question qui va faire couler beaucoup d'encre.
— A l'Opéra, on active beaucoup les répétitions d'Hellé, l'opéra de
M. Alphonse Duvernoj. On espère pouvoir passervers la findu mois de mars.
— A l'Opéra-Comique, la première représentation d'Orphée est toujours
annoncée pour la semaine prochaine. Les répétitions d'orchestre sont
commencées.
— La sous-commission des finances des fêtes d'Orange s'est réunie rue
de Valois, dans les bureaux des Beaux-Arts, sous la présidence de M. Gué-
rin, sénateur. Le maire d'Orange, M. Capty, y assistait, etil a fait connaître
la délibération du conseil municipal d'Orange relative à un emprunt de la
ville destiné à fonder une caisse spéciale pour les frais de ces représenta-
tions. — La commission plénière des fêtes d'Orange a ensuite décidé après
un débat où furent discutées les propositions de la sous-commission, que
les représentations de 1896 seront les suivantes : Samedi S août, Horace,
précédé d'un prologue avec chœurs et musique. Dimanche 9 août, Aniigone.
— Le jeudi suivant, les Félibres et les Gigaliers offriront en représentation
libre la Reine Jeanne, de Mistral. Après avoir décidé la périodicité des
représentations qui, tous les deux ans, seront données alternativement par
la Comédie-Française et par l'Opéra, la commission a chargé MM. Bertrand
et Gailhard d'étudier l'organisation d'une œuvre lyrique en rapport avec
le caractère spécial du théâtre d'Orange, et dont les grandes lignes lui
seront soumises. M. Félix Faure recevra aujourd'hui les membres de la
commission qui lui exposeront le programme des fêtes d'Or.ange qu'il a
promis de présider.
— Si les journaux français publiaient sur l'étranger les bourdes et les
sottises que nous trouvons chaque jour sur notre compte dans les feuilles
étrangères. Dieu sait si on les accuserait d'ignorance et de maladresse.
Voici ce que nous trouvons dans l'Éventail de Bruxelles, à propos de la
reprise à Cologne d'un opéra-comique créé à Prague en 1867, Dans la fon-
taine, dont l'auteur, un flûtiste nommé 'Wilhelm Blodek, est mort depuis
plus de vingt ans dans une maison de santé: « Blodek a eu en France
un homonyme, Pierre-Auguste-Louis Blodek, qui fut élève du Conserva-
toire de Paris, obtint en 1S08 le grand prix de Rome et lit jusqu'en 1842
partie de l'orchestre de l'Opéra de Paris. Ce Blodek est mort en 1836, n'a
jamais composé d'opéia et jouait de l'alto. » Or, ce prétendu homonyme
s'appelait non pas Blodek, q'jî n'a jamais été connu en France, mais
Blondeau, ce qui n'est pas toutà fait la même chose, et il a fait représenter
à Pérouse en 1812, au cours de son séjour en Italie comme prix de Rome,
un opéra italien intitulé Cosi si fa ai cjelosi. Comment diable ce Blondeau,
musicien français, a-t-il pu se transformer en Blodek à propos d'un opéra
tchèque représenté en Allemagne, et trouver ainsi dans un journal étranger
un souvenir aussi inexact qu'inattendu? C'est ce que nous ne nous char-
gerons pas d'expliquer.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie avec chœurs (Beethoven), soli par M"° Éléonore
Blanc, M"" Deni.i, MM. Warmbrodt et Auguez. — Cantate n° 21 (Bach), soli par
M"" E. Blanc, Dupuy, MM. Warmbrodt et Auguez.
Chatelet, Concert Colonne : Ouverture de PcUrie (Bizet). — Fragments de
Jocdijn (B. Godard). — Rêves (Wagner), par M"'' Kutscherra. — Cinquième con-
certo en mi bémol (Beethoven), esécuté par M. Risler. — Deuxième partie du
troisième acte du Crépuscule des Dieuj; ('Wagner), soli par MM. Cazeneuve, Edwy,
Vieulle, M"'" Kutscherra, Auguez de Montalant, Texier et Planés. — La Chevau-
chée des Vatkijries (Wagner).
Cirque des Champs Élysées, Concert Lamoureux : Symphonie en /a, n° 8
(Beethoven). — Première audition du deuxième tableau du premiir acte de Circé,
opéra en trois actes, de MM. J. et P. Barbier (Théodore Dubois), interprété par
M." 3. Marcy (Miguela), M. Lafarye (Fray Juanito), .M. Bailly (Hernandez),
M. Blancard (Fray Domingo). — Première audition des Chants de la forge, du
premier acte de Siegfried (Wagner): Sie.gfried, M. Lafarge. — .Sixième audition
de la scène finale du troisième acte du Crépuscule des Dieux (Wagner): Brune-
hild. M"" J. Marcy. — h'Invitatinn à In valse (Weber), orchestrée par Berlioz.
Concert du Palais d'Hiver. Chef d'orchestre, Louis Pister. Le Songe d'une nuit
d'été, ouverture (Mendeissohn); Largo pour cordes (llœndel); Concerto en sol
mineur (Saint-Saëns); piano ; M. llarold Bauer. Scherzo de la sérénade n° 1
LE MENESTREL
63
(Jadassohn) ; £erce«se (Grieg) ; Légende; Saint François marchcuu sur les /Zo/s
(Liszt); piano: M. Harold Bmier. Marche funèbre d'unemarLonnelte{Go\inoA).Ilamlet,
la Fêle du Printemps (A. Tliomas).
— M. Lamoureux ira, avec son orchestre, donner trois concerts à Lon-
dres, le 13, le 16 et le IS avril prochain, au Queen'sHall. Des feuilles de
location ont déjà été ouvertes par l'organisateur de la tournée, M. Robert
Newman, au prix de une guinée (26 fr. 23) la place.
— On annonce les fiançailles de M"« Mathilde Colonne, la charmante
fille de M. et U<^' Edouard Colonne, avec M. Henry Neumann.
— Ce Laurent de Rillé est insatiable. Président de la commission de l'en-
seignement du chant dans les écoles du départem.ent de la Seine, profes-
seur à la Sorbonne, conférencier disert et élégant, auteur de ballets frin-
gants et d'aimables opérettes parmi lesquelles on rencontre des babioles
pleines de grâce, compositeur de plusieurs centaines de chœurs pour voix
d'hommes qui ont fait la fortune et la joie de tous les orphéons de France
et de Navarre, ordonnateur et directeur de festivals dont les succès ont
été retentissants, il n'est pas satisfait de la notoriété qui depuis si long-
temps s'est attachée à son nom, et le voici qui court aujourd'hui à la re-
cherche des succès littéraires. Ainsi font les ambitieux, dont rien ne sau-
rait contenter l'avidité. La vérité est qu'il vient de publier sous ce simple
titre : Chœurs d'orphéons, un gentil petit volume qui n'est autre chose qu'un
recueil de vers, les vers de quelques-uns des nombreux chœurs mis par
lui en musique, car Laurent de liillé est à la fois son poète et son musi-
cien. Ce n'est point qu'il veuille marcher sur les traces de Berlioz ou de
Wagner, et sa visée est assurément moins haute. Mais il s'est dit que si sa
musique ne manque pas de qualités, ses vers ne manquent ni de grâce ni
de couleur, et qu'ils pouvaient être appréciés pour eux seuls, abstraction
faite du vêtement mélodique dont il les avait parés. Et son gentil volume,
dont la physionomie est tout à fait engageante, aura tout le succès qu'il
mérite, et ses Chœurs d'orphéons, sous leur nouvelle forme, vont refaire leur
toui'de France, et ils seront bien accueillis partout, et ce sera bien fait,
A. P.
— De Lyon : La Navarraise vient de remporter ici un éclatant succès dû
au mérite incontestable de la nouvelle partition de M. Massenet, impres-
sionnante dans sa concision, d'une habileté remarquable, — et aussi à une
interprétation de premier ordre. M"'« de Nuovina imprime au personnage
de la Navarraise un relief inoubliable; la voix, fort belle et très homogène,
secondée par un admirable tempérament dramatique, place JW'"" de Nuovina
au premier rang parmi les cantatrices modernes. Ses très intéressantes et
très personnelles créations de Marguerite de Faust et de Carmen l'avaient
déjà fait apprécier du difficile public lyonnais; mais la Navarraise a été
pour l'artiste l'occasion d'un succès d'enthousiasme, que les représentations
suivantes ont vu s'accroître encore. L'interprétation de la Navarraise est
excellente avec MM. Beyle, Moisson, Huguet, et l'orchestre sous l'habile di-
rection de M. Luigini. Le Carillon, dont Lyon a eu la primeur pour la France,
a été supérieurement monté par M. Vizentini. Cette charmante partition,
d'une inspiration fraiche et souriante, d'une orchestration pittoresque, est
une nouvelle preuve de l'admirable maîtrise de M. Massenet. L'accueil fait
au Carillon a été des plus sympathiques, et l'orchestre en a souligné les
finesses avec un rare bonheur. Entre temps nous avons eu la Statue, de
Reyer. Cet opéra-féerie, dans lequel l'auteur de Sigurd se révèle déjà, con-
tient de fort belles pages et, malgré quelques longueurs, a plu par la fraî-
cheur et la sincérité de son inspiration. L'œuvre est fort bien défendue par
M'^^ Mai-tini, MM. Vergnet, Beyle, Chalmin et Larbaudière. J. Jemain.
— Un artiste fort distingué, M. Abbiate, vient de donner sous ce titre :
« Historique du violoncelle en trois séances », une série de concerts très
curieux, dans lesquels il a passé en revue le répertoire du violoncelle
depuis le commencement du dix-huitième sièclejusqu'à l'époque présente.
Dans la première séance (période classique), il a fait entendre une sonate
de Berteau, un concerto d'Haydn, un concerto de Bernard Romberg et
deux pièces de Duport et de Boccherini; dans la seconde (période roman-
tique), la sonate en la majeur de Beethoven, un concerto de Schumann,
un adagie et boléro de Franchomme et un morceau de concert de Servais;
et dans la troisième (période contemporaine), le concerto de Lalo, celui
de Saint-Saëns, et diverses pièces de Goltermann, Pop-per, Davidoff, Max
Bruch et Piatti. Peut-être la division en trois périodes était-elle un peu
arbitraire, mais les séances étaient fort intéressantes, M. Abbiate y a fait
preuve d'un talent remarquable et sou succès a été complet.
— MM. I. Philipp, Berthelier, Loeb et Balbreck viennent de terminer
leurs belles séances par le sextuor de M.Alary, la sonate pour piano et vio-
loncelle, tout à fait intéressante, de Fr. Gernsheim, et par une superbe
exécution du quintette deSchumann. Les trois excellents artistes, réunis à
MM. Gillet, Turban, Hennebains, Letellier et Reine, donneront encore trois
séances des plus intéressantes, à la salle Érard, les S mars, 19 mars et
2 avril.
— Mardi 25 février, salle Pleyel, deuxième séance de la Société de
musique française, fondée par M. Ed. Nadaud, avec le concours de
MM.fiisler, Trombetta, Cros-Saint-Ange et Gibier.
. — A la salle Erard, on prépare une intéressante séance pour le lundi
2 mars; c'est la première audition de la Naissance du Christ, oratorio en
trois parties, avec strophes déclamées, solos et chœurs, musique de J.-B.
Wekerlin. Il paraît que c'est une œuvre de jeunesse du bibliothécaire du
Conservatoire, qui donne ce concert par invitation.
— Mardi 23 février, salle Erard, concert de M. Stéphane Elmas, pianiste-
compositeur, avec le concours du violoniste J. White. Outre quelques-
unes de ses compositions, l'excellent artiste fera entendre des œuvres de
Chopin, Schumann, Mendelssohn et G. Chaminade.
— Dimanche prochain 1" mars, à une heure et demie, salle Pleyel,
aura lieu la séance très intéressante d'audition des élèves de M"^* Donne.
— A l'Opéra de Nice, M"'» Patti vient de terminer la série de ses repré-
sentations au milieu des ovations et des fleurs. Pour ses adieux, elle a chanté
Zerline de Don Juan. A côté de la grande cantatrice on a aussi superbe-
ment fêté M"'= Febea-Strakosch, une étoile qui se lève.
— On nous mande de Lille le triomphe remporté par la Navarraise, l'épi-
sode lyrique de MM. Claretie, Gain et Massenet, très bien interprétée par
M"' Mailly-Fontaiue et M. David. Même réussite enthousiaste à Bayonne
avec M"" Tarquini-d'Or, une toute palpitante Anita, et M. Cornubert, et à
Renues avec M""" Flavigny-Thomas et M. Villatte.
— A Pau, le superbe orchestre de M. Ed. Brunel continue à voir ses
séances assidûment suivies par de très nombreux dilettantes. Parmi les
auteurs les plus applaudis figurant sur les derniers programmes, il faut
nommer Félicien David (ouverture de la Perle du Brésil], A. Rubinstein
(le Bal costumé), Wormser, Gounod, Massenet (divertissement du Roi de
Lahore et les Érimiyes), Godard, Saint-Saëns, Berlioz et Reyer (ouverture.
Sommeil de Brunehilde, Pas guerrier de Sigurd).
— Nos correspondances de Tourcoing nous apprennent le grand succès
obtenu par l'excellent violoniste A. "Weingaertner au dernier concert des
Crick-Sicks. Rappelé et applaudi après chacun de ses morceaux, il a dû
ajouter au programme un numéro supplémentaire. Une des œuvres les plus
appréciées a été le délicieux Duetlo d'Amore pour deux violons, de Théodore
Dubois, exécuté par M. 'Weingaertner et une de ses élèves, M"= Rouillé.
Au même concert on a applaudi avec enthousiasme M'"» Bonnefoy dans
l'air des Pécheurs de perles et le ravissant duo de Lakmé.
— Pendant qu'on applaudissait M. Weingaertner à Tourcoing', sa fille
triomphait également à Bordeaux, où, dimanche dernier, elle se faisait
entendre au Concert populaire,
— On lit dans le journal le Républicain Orléanais : Le concert de bienfai-
sance donné à l'Institut, au profit de M""" veuve Manière, a obtenu la meil-
leure réussite. Le triomphe de la soirée a été pour le violoniste Charles
Dancla, qui a reçu une véritable ovation : bravos, rappels et couronne de
fleurs; et c'était justice,
— A Tunis, les auditions Frémaux sont de plus en plus suivies. Au
dernier programme, les abonnés de la salle « La Valette » ont fait fête à
M°" F'rémaux qui, après de vieilles chansons, a délicieusement détaillé
Pensée d'automne de Massenet et Sonnet du XVII" siècle d'Henri Maréchal,
Soirées et Concerts. — Très jolie audition donnée par M"" Kohi, au cours de
laquelle on a surtout fêté M"" Gellée {Les Toutes Petites, 'Vidal) , Gabrielle R,
(Chanson du bouvreuil àe Xavière , Théodore Dubois), Marguerite R, (air du C^d,
Massenet), M. Outhier (air d'Hérodiade, Massenet), M'" Bourgeois, MM, Zocchi,
Vieulle et Edwy (finale du Roi de Laliore, Massenet), M™' Voluey (scène de la
folie d'Hamlet, Ambroise Thomas), M"" Bourgeois, M, Zocchi (duo de Sigurd,
Reyer), M— Volney et M. Dô (scène de Maître Ambros, Widor), — Brillante ma-
tinée musicale donnée à laBodinlèrepar la baronne Ssotti, qui s'est fait chaleu-
reusement applaudir, notamment dans -1 une fiancée de G, Ferrari, que l'auteur
lui accompagnait. Grand succès aussi pour M, Dubulle dans i'£,r(ase deSalomon
et pour M, Flachat dans l'air de Sigurd de Reyer. — Très jolie salle au festival
brésilien donné à la galerie des Champs Élysées, Nous avons surtout remarqué
le Paijsage, de Francisco Braga et un Épisode sijmphonique dirigé par l'auteur M. Car
los de Mesquita, avec maestria, et qui est un morceau original et de grand elTet à
l'orchestre,— Succès très vif pour l'aimable pianiste M"" Blan che Chambroux à son
concert, oi)i elle s'est fait applaudir en jouant avec style, avec goût et avec grâce
diverses pièces de Liszt, Chopin, Rubinstein, Delaborde, G,Pfeiaer,et en exécutant
d'une façon remarquable, avec MM. Villaume et Hasselmans, qui l'ont supé-
rieurement secondée, le trio en sol mineur de Rubinstein et le 2' trio de Benja-
min Godard.
NECROLOGIE
L'art musical vient d'éprouver une vraie perte dans la personne de
M"= Marie de Pierpont, compositeur et organiste d'autant de savoir que de
talent, qui laisse d'unanimes regrets.
— On annonce de Lyon la mort d'un amateur de musique for' distingué,
M. le docteur Coutagne, qui avait rempli en cette ville les fonctions de
médecin légiste. Le docteur Henri Coutagne était un amateur pratiquant
qui, sous le pseudonyme de Paul Glaés, avait fait exécuter plusieurs mor-
ceaux symphoniques d'un réel intérêt. Il s'était fait connaître aussi comme
écrivain musical, surtout par une notice très substantielle et très curieuse
publiée sous ce titre : Gaspard Duiffoproucart et les luthiers lyonnais du
XVI" siècle, étude historique écrite comme discours de réception à l'Aca-
démie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, et qui témoigne d'une
véritable érudition et d'une rare connaissance du sujet. Ce n'était là, dans
la pensée de l'auteur, qu'un fragment d'un travail considérable qu'il comp-
tait mettre au jour. On doit encore au docteur Coutagne un livre intitulé
les Drames musicaux de Richard Wagner et le théâtre de Bayreuth.
Henri Heugel, directeur-gérant.
64
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Musique antique, les nouvelles décou vertes de Delphes (5" article), Julien
TiERsoT. — Bulletin théâtral : Premières représentations du Voyage à Venise, au
théâtre Déjazet, du Royaume (Us femmes^ à l'Eldorado, et de Ninette, aux Bouffes-
Parisiens, Paul-Émile Chevalier. — L'orchestre de Lully (3" article), Arthur
PouGiN. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
FINE MOUCHE
polka de Philippe Fauhbach. — Suivra immédiatement : Le Réveil, n» 1 des
Heures de rêve et de joie, du maestro N. Celega.
•
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Sur le Danube, nouveau lied de Robert Fischhof. — Suivra immédia-
tement : Sut la tombe d'un enfant, n" 3 des Poèmes de Bretagne, de Xavier
Leroux, poésie d'ANDRÉ Alexandre.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
III
(Suite)
Cet exposé général du système des modes antiques étant
terminé, nous pouvons aborder l'étude de la mélodie.
Malgré le mauvais état dans lequel elle nous est parvenue,
le caractère modal s'en laisse pénétrer facilement d'un bout
à l'autre. En la notant, j'ai, au fur et à mesure, déterminé
ce caractère dans ses rapports avec la tonalité moderne :
voyons maintenant de quelle façon nous pourrons l'interpré-
ter en nous plaçant au point de vue de la théorie antique.
La mélodie est, nous l'avons vu, notée dans le ton lydien,
c'est-à-dire transposée à la quarte supérieure du degré qu'elle
occuperait dans l'échelle naturelle (avec un si bémol à la clef).
Or, la première et la dernière phrase donnent impérieuse-
ment l'impression d'un ton de ré concluant sur la dominante
la, — dans l'échelle naturelle, ton de la concluant sur mi.
C'est le mode dorien.
Mais, dans les reprises suivantes, le sentiment tonal se mo-
difie. Dès la deuxième période, le bémol du si est remplacé
par le bécarre, et le mi, non seulement devient note finale,
mais prend dans la mélopée une importance qui s'accuse par
des sauts d'octave plusieurs fois répétés. On a donc modulé
à la quarte inférieure, et, par là, on est revenu à l'échelle natu-
relle. Gomme le mi est devenu note fondamentale, on est donc
encore en dorien.
Mais il y a ensuite un pas.'^age plus compliqué, qui demande
de nouvelles explications. Déjà, dans la première période mélo-
dique, le mi naturel avait été par trois fois altéré par le bémol.
La mâme altération se retrouvera dans la strophe finale.
Mais, dans deux autres strophes, non seulement le mi, mais
encore le si, se présentent alternativement dans la forme
naturelle et bémolisée. Nous sommes donc en présence de
plirases mélodiques appartenant au genre chromatique.
Or, voici comment les Grecs procédaient pour introduire
l'élément chromatique dans leurs gammes.
On sait que les gammes antiques, basées sur l'accord de
la lyre, étaient composées de tétracordes accouplés, les uns
conjoints, c'est-à-dire ayant une note commune et formant un
ensemble de sept notes, les autres disjoints, c'est-à-dire séparés
par un ton, et formant par conséquent l'octave complète.
Mais, d'une part, une certaine combinaison de tétracordes
superposés, à laquelle on donnait le nom de système immuable,
permettait d'avoir au milieu de l'échelle le si naturel et le si
bémol simultanément.
Quant aux autres degrés, ils pouvaient être altérés de la
manière suivante :
Prenons, par exemple, le tétracorde mi fa sol la. Pour passer
du genre diatonique au chromatique, on abaissait d'un demi-
ton le .soi : on avait donc mi fa fa^ la.
Faisons-en autant pour le tétracorde voisin, et l'octave en-
tière devient : mi fa faH la, si do do'^ mi.
Poussant l'application de ce système à ses dernières limites,
abaissons, dans le tétracorde mi fa sol la, la corde sol d'un ton
entier : neus obtenons fa, unisson de la corde voisine. Mais
celle-ci, à son tour, peut être abaissée d'un quart de ton. Ré-
pétant l'opération sur l'autre tétracorde, nous avons donc
cette gamme (le quart de ton descendant étant exprimé par
la lettre q) : Mi faq fa la, si do q do mi.
Telle est la théorie de ce fameux quart de ton dont on a
tant parlé, et qui, en réalité, a tenu dans la pratique de l'art
grec une très faible place.
L'on voit que ce système avait pour effet de rendre l'échelle
incomplète, et que la gamme chromatique grecque diffère de
la nôtre en ce que, loin d'être composée de douze demi-tons,
elle est formée seulement de sept degrés disposés d'une
façon différente de la forme diatonique.
Les deux passages chromatiques du milieu de l'hymne
s'expliquent parfaitement d'après ce système, les deux'
phrases étant construites sur l'échelle ci-après, formée de
tétracordes conjoints : La si \{ si b ré, ré mi b mi 1; sol.
Le mode, dans les deux cas, reste le dorien initial, basé
sur la dominante la.
Quant à la coexistence du nti bémol et du mi naturel dans
la première et la dernière strophe, elle s'explique non
66
LE MENESTREL
moins naturellement par la pratique du système immuable,
ces deux notes correspondant aux si bémol et si bécarre de
l'échelle naturelle.
Au sujet de l'interprétation modale de l'hymne à Apollon,
j'ai à faire une petite querelle à M. Théodore Reinach, car
il me semble, lui si parfaitement irréprochable au point de
vue de la notation, y avoir -vu ici un peu moins clair.
Nous sommes d'accord pour la première et la dernière
période musicale, qui établissent la tonalité générale du
morceau, et que nous attribuons l'un et l'autre au dorien,
« le mode delphique par excellence t>, dit avec raison M. Rei-
nach. Mais il n'en est pas de même pour les périodes inter-
médiaires, où il y a modulation, métabole, pour nous servir du
terme grec. Dans un passage très confus, et dont je relèverai
tout à l'heure les inexactitudes les plus évidentes, M. Rei-
nach, après avoir examiné la possibilité de classer les repri-
ses diatoniques secondaires dans le mode dorien (auquel
j'ai démontré qu'elles appartiennent en eiîet), finit par dé-
clarer que ces reprises sont en mixolydien, gamme de si
avec mi pour tonique. Il est vrai que le mi a une grande im-
portance dans ces fragments ; mais, par contre, le si n'en a
aucune, tandis que le la est exprimé, rarement il est vrai,
mais d'une façon tellement caractéristique qu'il ne peut être
douteux que la quinte modale soit composée des notes la mi.
La terminaison de la plupart des périodes sur mi est d'ailleurs
une raison concluante. M. Reinach objecte que la règle
concernant la terminaison « est naturelle pour la cadence
finale d'une cantilène entière, mais qu'il n'y a pas de rai-
sons pour l'appliquer uniformément à toutes les reprises
intérieures. » L'examen de tous les restes de la musique
grecque prouve au contraire que, si les reprises intérieures
ne s'achèvent pas forcément sur la fondamentale du mode,
cette terminaison est au contraire, et de beaucoup, la plus
fréquente, — et nous trouvons un exemple de celte double
disposition dans les phrases mêmes de l'hymne delphique,
dont une finit sur sol, mais toutes les autres sur la note mo-
dale mi. Enfin, le mixolydien est le mode Ihivnoclique par
excellence, celui des chants funéraires et des déplorations
dans la tragédie : fût-ce pour cette seule raison, l'idée en
aurait dû être écartée tout d'abord, car il n'est pas admissible
qu'un mode ayant une pareille expression, un pareil ethos,
ait été choisi pour rendre hommage à Apollon en son temple
consacré.
« Quant à la détermination du mode des reprises chroma-
tiques, outre qu'elle est extrêmement difficile, je la crois assez
oiseuse, le compositeur ne s'étant probablement pas même
posé la question. » Ainsi s'exprime encore M. Reinach. L'on
a pu voir que l'analyse modale de ces reprises n'était pas si
difficile, et pouvait donner lieu à des résultats parfaitement
positifs. Mais ce contre quoi je ne puis trop protester, c'est
que ce soit « chose assez oiseuse, le compositeur ne s'étant
probablement pas même posé la question. » Voilà vraiment
une singulière théorie ! Eh quoi 1 Ce musicien couronné aux
agones, auteur d'une œuvre jugée digne d'être gravée sur le
marbre et transmise à la postérité la plus reculée, il aurait
composé dans un mode sans savoir lequel?... Vraiment, ce n'eût
pas été la peine que les Grecs eussent des théories musicales
si complexes si leurs lauréats les ignoraient I Et d'ailleurs,
admettons cette invraisemblable ignorance : la musique en
serait-elle moins dans un mode? Car il est impossible dp
concevoir une musique qui n'appartiendrait à aucun mode. On est
dans un mode comme M. Jourdain faisait de la prose, sans
le savoir I C'est à nous, si la chose en vaut la peine, de cher-
cher à déterminer ce mode, — et nous le pouvons toujour?.
Mais la grande cause d'erreur chez M. Théodore Reinach,
c'est qu'il se méprend sur la véritable signification des
modes grecs, et qu'au lieu de faire appel au sentiment
musical il cherche à les déterminer par des indices extérieurs
très insuffisants. Je le cite encore : « Les critères sur lesquels
on se fonde d'ordinaire pour déterminer le mode : fréquence
de la mèse, cadence sur l'hypate, impression générale... » On
le voit, l'impression générale est reléguée au troisième plan.
Or, n'est-ce pas essentiellement 1' « impression générale »
qui permet de distinguer un mode d'un autre ? Les traités de
solfège indiquent des moyens de reconnaître à la vue si un
morceau est en majeur ou en mineur: mais ce qui vaut
mieux, c'est la plus simple audition, — et c'est là qu'est le vrai
critérium. Cela est d'autant plus vrai que les règles sur les-
quelles s'appuie M. Reinach sont parfaitement chimériques. Sa
seule et unique autorité est une phrase d'Aristote, très obs-
cure, en tout cas fournissa-jt des données très incomplètes et
que voici:
« Pourquoi, si un musicien, après avoir accordé les autres
cordes de la lyre, dérange la seule mèse (la), et qu'il joue de
son instrument, éprouvons-nous un sentiment de peine et de
discordance, non seulement lorsqu'il touchera la mèse, mais
encore dans le reste de la mélodie, tandis que s'il avait
dérangé la lichanos (sol) ou tout autre son, cette impression ne
se produirait que lorsqu'il se servirait de la corde faussée? »
La réponse est que « la mèse est la note qui revient le plus
souvent dans les mélodies bien construites : tous les bons
compositeurs y ont fréquemment recours ; alors même qu'ils
s'en écartent ils ont hâte d'y revenir. De même, lorsqu'on
fait disparaître du discours certaines conjonctions, telles que
-s et v.y.i, par exemple, ce qui reste ne sera plus un langage
hellénique, etc. ».
Pour comprendre ce passage il faut savoir que les mots mèse,
lichanos, hypale, sont les noms des cordes delà lyre, correspon-
dant, dans l'échelle naturelle, à la, sol, mi. S'il fallait inter-
préter ce texte, — d'ailleurs unique, et émanant d'un philosophe
qui considérait les choses musicales d'une façon plus générale
que précise, tandis que nous ne trouvons aucune donnée
équivalente chez les véritables théoriciens musicaux, — s'il
fallait, dis-je, l'interpréter avec la même rigueur que M. Rei-
nach, et voir dans la mèse un équivalent de la moderne toni-
que, il en résulterait que tous les modes grecs auraient pour
tonique la. Alors, qu'est-ce qui les distinguerait les uns des
autres?... L'hypothèse se détruit par elle-même. — Plus loin
M. Reinach parle de « la règle, nulle part formulée, que la
mélodie s'achève sur l'hypate (mi) ». Je le crois bien, que
cette règle n'est nulle part formulée, car elle est aussi fausse
que la précédente. La vérité est que la mèse ne joue le rôle
de tonique que dans les harmonies doriennes (modes dorien
et hypodorien) et que Vhypate n'est finale que dans le seul
dorien. Si donc le problème d'Aristote a un sens au point de
vue modal (ce qui n'est pas prouvé), il faut admettre que le
philosophe a sous-entendu ces mots : « Dans l'harmonie
dorienne » , ce qui n'est pas impossible , vu l'importance
caractéristique de cette modalité chez les Grecs aux temps
classiques.
Notons au passage que si la mèse (la) joue un tel rôle dans
le mode dorien, cela corrobore l'opinion que ce mode est
basé sur la dominante plutôt que sur la tonique. L'analyse
des deux hymnes delphiques le confirme pleinement. Au
reste, il n'est pas interdit de supposer que la mélopée antique
se prêtait, à cet égard, à beaucoup plus de libertés que notre
musique harmonique moderne, et qu'un même mode pou-
vait osciller entre deux tons voisins; en effet, il est telle autre
phrase musicale qui viendrait à l'appui de la thèse favorable
au mi tonique: je veux parler de la mélopée dorienne de
V Hymne à la Muse, où, le mi restant note fondamentale, le si
tient une place beaucoup plus considérable que le la.
J'ai dit qu'il n'était pas prouvé que le passage d'Aristote
ait la signification qu'on lui attribue au point de vue modal.
Je crois en effet que M. Gevaert en a trouvé le véritable sens
en constatant que, si la jîiè.se joue un certain rôle dans toutes
les mélodies, c'est qu'étant placée au centre de l'échelle géné-
rale de deux octaves, elle est la seule note qui figure dans
toutes les gammes de huit notes prises dans cette échelle:
de là son importance, qui est tout occasionnelle.
Lt: MÉ.^ESTREL
67
L'on voudra bien observer aussi qu'en assimilant la mèse à
la conjonction, Ari«tote lui attribua un rôle parfaitement
mondain. Si l'on voulait poursuivre cette comparaison
grammaticale, ce n'est pas à la conjonction qu'il faudrait
associer la tonique, mais au verbe ou au substantif, les mots
essentiels du discours.
Un autre auteur dit que la mèse sert de base à l'accord de
la lyre, et M. Reinacb, après l'avoir cité, dit : « Le fait que la
mèse est prise pour diapason révèle son caractère de tonique. »
Vraiment? Alors, diapason et tonique, cela est la même
chose? Je vois un autre intérêt dans le passage en question,
celui de constater que l'usage de prendre le la comme dia-
pason était déjà pratiqué chez les Grecs, et cette survivance
est intéressante à relever; mais ni celte dernière phrase ni
celle d'Aristote n'ont une valeur suflBsante pour nous faire
douter des données acquises, avec lesquelles elles sont en
contradiction.
J'ai cru devoir présenter ces objections, afin qu'il en
puisse être tenu compte lors des futures études sur la mu-
sique grecque auxquelles, il faut bien l'espérer, de nouvelles
découvertes donneront encore lieu.
(A suivre.) Julien Tiersot.
BULLETIN THEATRAL
DÉJAZEI. Un Voyage à Venise, folie-vaudeville en 3 actes, de MM. M. Froyez et
G. Laine, musique de M. A. Renaud. — Eldobado. Le Royaume des femmes .
opérette en 3 actes et 6 tableaux, de MM.E. Blum et P. Ferrier, musique
de M. G. Serpette. — Bolffes- Parisiens. Ninette, opéra-comique en 3 actes,
de M. Ch. Clairville, musique de M. Ch. Lecocq.
A Déjazel, théâtre populaire planté en un quartier populaire,
MM. Froyez et Laine n'onl point essayé de dissimuler sous un titre
pompeux les trois actes qu'ils donnaient en pâture à la joie de leur
public spécial. Folie- vaudeville onl-ils bravement fait imprimer sur
les colonnes Morris et, de fait, dans un Voyage à Venise c'est la folie
qui l'emporte sur la raison. Pour ces sortes de pièces, il faut, du côté
des auteurs, une ample provision de gaîté naturelle, le sentiment du
mouvement scénique excessif, et l'habile maniement du jeu des
courses désordonnées, des gifles et des coups de pied lancés au bon
moment ; du côté des interprètes, des jarrets d'acier et un entraîne-
ment spécial qui se réclame tout autant du Gymnase que du Conser-
vatoire. Tous ont, cette fois, très bien mérité les applaudissements
et les éclats de rire des spectateurs; pour preuve, l'étonnant second
acte, avec son double escalier d'un hôtel de Venise, où l'amusante
incohérence bat son plein, alors que le jeune Boisgonflé, tnarié de la
veille, est relancé par deux anciennes, par beau-papa et belle-ma-
man, par un ami gaffeur et par un mari jaloux.
Vil Voyage à Venise, agrémenté de quelques couplets faciles de
M. Albert Renaud, est joué comme il convient par MM. Violette,
Bouchet, Monval, Roux, Lineuil, M™^'^ d'Orville, Alix, Régnier et
Dumont.
Du Royaume des femmes, il n'y a pas grand'chose à dire ; on connaît
la pièce pour l'avoir vue, il y. a quelques années seulement, aux
Nouveautés, et MM. Blum et Ferrier, aidés de M. Serpette, n'ont pu
rendre bien fameux ces trois actes de Cogniard, que Toché avait
déjà essayé de rajeunir. Ce qu'il faut retenir avant tout de cette
représentation, c'est le coup d'audace très méritoire de M. Marchand
le directeur, enlevant au café-concert un de ses temples consacrés.
Avec les ressources budgétaires que lui fournissent et les Folies-
Bergère et la Scala, avec, à la tête d'un bon orchestre, un chef tel
que M. Thibault, avec des artistes comme la toujours charmante
Mily-Meyer, comme l'amusante M"'' Mathilde, comme la roucoulante
M"'" Simon-Girard et comme le comique Sulbac, avec l'évident désir
de bien faire, luxueusement même, il y a gros à parier que, d'ici
peu, M. Marchand aura mis sa très Coquette salle à la tête des
théâtres d'opérette de Paris. Il y a là une bonne place à prendre;
M. Marchand, qui est un malin, doublé d'un heureux, ne la laissera
pas au voisin.
Mais voilà qu'un autre champion se lève qui semble vouloir redon-
ner aux Bouffes-Parisiens la place prépondérante que longtemps ils
occupaient de si brillante façon au premier rang des théâtres du mu-
sique légère. Lui aussi il a à sa disposition un chef d'orchestre,
M. Baggers, avec lequel on peut faire de petites choses fort artisti-
ques ; il a du goût et n'a l'air de vouloir ménager ni son activité,
ni son argent ; il a également une troupe fort agréable dont le bien
chantant M. Piccaluga, la charmante M"'= Bonheur, MM. Barrai,
Taufîenberger, Bartel etDimcan, un nouveau venu de ténorino agréa-
ble, forment la base solide; enfin, du Jour au lendemain, il crée des
étoiles, telle M""= Germaine Gallois qui, dorénavant, à ses succès de
jolie femme et de gracieuse comédienne, pourra joindre ceux de
chanteuse à la voix sympathique et fort gentiment conduite. Donc
M. Georges Grisier inaugure sa nouvelle direction aux Bouffes avec
le vent en poupe ; et les soins précieux et le luxe de bon goùl avec
lesquels il a monté Ninette nous sont un sûr garant de ce qu'il fera
dans l'avenir.
Cette Ninette, dont M. Clairville a fourni la pièce et M. Lecocq a
écrit la musique, est un véritable opéra-comique tel qu'on le comprenait
autrefois, tenant le juste milieu entre le genre en honneur, aujourd'hui
à la place du Châlelet et l'opérette moderne. Livret et partition ^nt de
tenue correcte, aimable, d'inspiration tranquille çt de faire distingué.
Si rien n'arrête très particulièrement l'attention du spectateur, tout
est plaisant à écouter et le plaisir des oreilles se trouve augmenté de
celui des yeux tant la mise en scène est heureuse et chatoyante. On
a beaucoup bissé, entre autres numéros, une chanson militaire de
rythme franc, un duetto « Tant de charmes, d'attraits » qui contient
un plaisant temps de valse, et des couplets « Sache oublier Ninon », à
travers lesquels passe comme un ressouvenir discret de la Manon de
Massenet, ressouvenir qu'on pourrait retrouver en plus d'une page,
d'ailleurs très estompé. On aurait pu redemander encore les couplets
« J'ai pris avec ma malle », « Mouzon est une ville forte » et « De
votre serin, Sylvie » d'allure plus légère et de tour amusant.
Ai- je dit que la Ninette dont il est ici question, n'est autre que
Ninon de Lenclos, et qu'il s'agit d'une intrigue amoureuse et des
plus convenables avec Cyrano de Bergerac? La place me manque
pour en vous narrer les détails ; aussi bien ferez-vous mille fois
mieux d'y aller voir ! Encore une fois, votre agrément y sera double
et par la séduction douce de l'opéra-comique lui-même et par le
régal du spectacle.
Pal'l-Émile Chevalier.
L'ORCHESTRE DE
(Suite.)
LULLY
Malheureusement, Collasse, fort honnête homme d'ailleurs, mais
d'un caractère un peu fantasque, une fois LuUy mort ne s'entendit
peut-être pas très bien avec ses héritiers ; de sorte qu'un beau jour
il quitta la maison à laquelle son maître avait voulu l'attacher. On
refusa de lui payer sa pension, il réclama, voulut plaider, et perdit
son procès (1).
Cela ne l'empêcha pas, toutefois, de continuer de « battre la me-
sure » à l'Opéra, et cela ne l'avait pas empêché surtout de songer à
s'y faire jouer. Lully avait commencé la composition 'd'un ouvrage
intitulé Aclùlle et Polyxène, dont il avait écrit seulemenl l'ouverture
et le premier acte. Collasse semblait d'autant plus naturellement
désigné pour l'achever, que non seulemenl il était familier avec la
manière de son maître, mais que celui-ci, outre ce qu'il avait écrit de
complet, avait laissé sans doute encore les esquisses de quelques
morceaux que. mieux que personne, il pouvait employer. Il termina
donc la partition d'Ac/iWe et Polyxène, qui fut représenté le 7 novembre
168" et qui, il faut le constater, n'obtint aucun succès. Le Mercure
en parlait en ces termes :
» On a commencé à jouer icy un opéra nouveau, intitulé Achille
et Polyxène. L'ouverture et le premier acte sont de la composition de
feu M. de Lully, et c'est le dernier ouvrage de musique qu'il ait fait
avant sa mort. Le prologue et les quatre derniers actes ont été com-
posez par M"' Collasse, l'un des quatre maislres de musique de la cha-
(1) On lit à ce sujet dans la Comparaison de la musique italienne avec la musique
française : — « Lully prit Collasse (pour remplacer Lalouette), qu'il gardajusqu'à
sa mort, et dont il éloit si content, qu'il lui laissa, par son testament, un loge-
ment et' cent pistoles de pension. Mais Collasse ayant quitté les enlans deLulli,
ausquels leur père avoit prétendu l'attacher, ils plaidèrent ensemble, et Collasse
perdit sa pension et son logement. Cependant il ne perdit pas quantité d'airs
de violon de Lulli, qu'il avoit gardez, et dont il a sçu taire un bon usage dans
les Q«a(reS«îsons et ailleurs. Souvent Lulli faisoit un jour un air de violon, le
lendemain il en faisoit un secand sur le même sujet, ce second lui revenoit
davantage. Il disoit à Collasse, brûlez l'autre, et Collasse se dispensoit quelque-
fois de lui obéir scrupuleusement ».
68
LE MENESTREL
pelle du Rot et élève da même M. de Lully. (Ici, trois pages de
rélicences, qui prouvent que l'écrivain n'ose pas dire tout le mal
qu'il pense delà musique de Collas se. Puis il reprend)... L'un veut du
vif, l'autre veut du languissant ; l'un veut rire, l'autre veut pleurer,
et cela est cause que chacun juge de la beauté d'un ouvrage de
musique selon que cet ouvrage est conforme à son goust. Ainsi, quoy
que je puisse dire de la musique de M' Collasse, ce que j'en dirois
ne serait pas généralement receu, et un particulier ne doit jamais
donner sou sentiment pour règle sur une chose dont on peut juger si
difTéremmenf. Je puis dire pourtant à l'avantage de M' Collasse, qu'il
est presque impossible qu'un homme qu'on a trouvé assez habile
pour remplir une des quatre places de maislre de musique de la cha-
pelle du Roy, et qui a demeuré pendant plusieurs années avec le
fameux M. de Lully, n'ait pas beaucoup de ses manières, et ne
fasse pas de belles choses. Aussi je vous diray qu'il y en a dans
son opéra, et qu'elles ont esté applaudies des connoisseurs. » A ce
langage tortueux et alambiqué, il est facile de voir que l'écrivain
n'était pas féru de la musique de Collasse.
Celui-ci ne devait pas tarder à prendre sa revanche. Le il janvier
1609, sur un poème de Pontenelle, il faisait représenter, cette ftiis
entièrement de sa main, un nouvel ouvrage, Tlic lis et Pelée, dont les
trois rôles principaux étaient tenus par Duménil, 31"° Le Rochois et
Fanchou Moreau, et dont le succès fut retentissant. Le Mercure,
cette fois, paraissait plus content, quoique encore un peu nébuleux :
(t Les habiles connoisseurs, disait-il, asseurent que les endroits qui
demandent une belle musique dans cet opéra, sont si bien poussez,
qu'il est impossible de faire mieux. Le reste est traité comme il doit
l'estre dans les ouvrages de cette nature, et il seroit assez difficile de
faire autrement. Pour la symphonie, elle me paroist extrêmement
applaudie par tous ceux qui jugent de bonne foy et sans préoccu-
pation. »
Le succès de Tliétis et Pelée fut, tel qu'on fit sept reprises de cet
ouvrage, dont la dernière eut lieu le 29 novembre l'oO. Il y avait
longtemps que Collasse élait mori, mais son collaborateur Fonte-
nelle, alors âgé de quatre-vingt-treize an?, assista à la représenta-
lion, comme il avait assisté à la première soixante et un ans aupa-
ravant, 1).
Collasse fut moins heureux avec Enée et iarmie, qu'il donna au mois
de novembre 1690, et avec Astrée, dont La Fontaine lui avait fourni
le livret, et qui fut représentée juste doux ans après, en novembre
1692. L'un et l'autre tombèrent, ou à peu près. Eu ce qui concerne
Aslrée on peut croire, de l'aveu même de La Fontaine, que le poème
ne valait pas mieux que la musique, car on a raconté à son sujet
une anecdote assez originale. Le fabuliste, présent à la représentation,
s'y trouvait placé dans une loge, derrière deux dames qui ne le
connaissaient point. A chaque instant il donnait des marques d'im-
patience, se répandait en exclamations et, sans plus se soucier des
compagnes que le hasard lui avait données, il s'écriait tout haut :
— C'est absurde ! c'est détestable. On n'a pas idée de pareilles
choses.
A la fin, les dames, un peu impatientées a leur tour par les
réflexions de- ce critique peu endurant, se tournent de son côté et
lui disent :
— Mais, monsieur, cela n'est pas si mauvais. D'ailleurs, l'auteur
est un homme d'esprit ; c'est M. de La Fontaine.
— Eh I mesdames, répond notre homme sans s'émouvoir, la pièce
ne vaut pas le diable, et ce La Fontaine dont vous parlez est un
stupide. Je le connais, et c'est lui-même qui vous parle.
Bref, il s'ennuie tellement qu'il sort après le premier acte, quitte
le théâtre et va s'endormir au café Marion, café oîi tout le beau
monde de l'Opéra allait se distraire pendant les entr'actes. Un de ses
amis, entrant une heure après, l'y trouve en effet profondément en-
dormi, et, surpris de le voir ainsi, s'écrie :
— Comment donc '? La Fontaine ici! Mais ne devriez-vous pas
être à la représentation de voire opéra !
L'autre s'éveille à demi, et tout en bâillant:
— J'en viens, dit-il. Le premier acte m'a si prodigieusement en-
nuyé queje n'ai pas eu le courage d'entendre les autres. J'admire la
patience des Parisiens (2).
il) " On a remarqué qu'à la reprise de cet opéra, le 29 novembre 1750, Fon-
tenelle étoit à 'amphithéâtre, où il s'éloit déjà trouvé, soixante et un ans au-
paravant, et qu'il soupa ce jour-là même à l'hôtel du l'Iessis-Chaiillon, rue des
Bons-Enfans, chez le petit-fds de M. de Nouant. Ce dernier avoit soixante et
dix ans lors de la première représentation de Tluitis et Pelée en 1689, à laquelle
il avoit lui-même assisté avec Fontanelle, et lui avoit donné à souper ce jour-là.
et dans le même hôtel. » (Anecdotes dramatiques)'.
(2) C'est à propos à' Aslrée que le poète Linières fit circuler cette chanson
satirique :
Quelques semaines avant l'apparition à'Astrée, le 1"'' septembre,
Collasse avait fait exécuter à Villeneuve-Saint-Georges, devant le
Dauphin, un ballet qu'on aïait précisément intitulé le Ballet de Ville-
neuve-Saiiil-Georges, et qui, peu de jours après, fut joué à l'Opéra.
Collasse ensuite se tient coi pendant trois années, et ce n'est que lo
18 octobre 1693 qu'on le voit reparaître à la scène, avec un opéra-
ballet qui avait pour titre les Saisoiu, dans lequel il avait inséré plu-
sieurs morceaux qu'il tenait de Lully. Mais on lui avait si durement
et si souvent reproché d'user clandestinement de ce procédé, que
cette fois il agissait ouvertement, ainsi que le prouve cet « Avis aux
lecteurs » placé en tête de la partition :
» L'autheur de la musique de ce ballet n'a pas jugé à propos de
mesler la musique qui est de feu Monsieur de Lully a.'^ec la. sienne. Il
reconnoist avec admiration que tout ce qui est de cet excellent
homme ne doit souffrir aucun meslange, et que si le public a trouvé
supportable ce qui est de sa composition dans les représentations
qu'on en a faites, c'est que l'on a (sic) pas le temps d'en connoistre la
différence dans le jeu comme sur le papier. Il a sceu que ce meslange
déplairoit à la famille de M. de Lully, à laquelle il est fort aise de
donner (dans toutes les occasions qui se présenteront) toutes les
marques d'estime et de respect qu'il a pour la mémoire de cet homme
incomparable. »
La partition indique donc, à chaque morceau, quel en est l'auteur.
Est-ce à cette collaboration posthume de Lully que Collasse dut l'heu-
reux sort de son nouvel ouvrage? Toujours est-il que tev Saisons
obtinrent un succès que leur auteur ne devait plus jamais retrouver
par la suite, pas même avec Ja.^on ou la Toison d'or, qu'il fit repré-
senter au mois de janvier de l'année suivante, et que le poème de
Jean-Baptiste Rousseau ne put sauver d'un naufrage à peu près
complet. Rousseau, qui, on le sait, ne brillait ni par la modestie ni
par la noblesse du caractère, mit cette chute sur le compte de Collasse,
et il en fut à ce point furieux qu'il fit pleuvoir sur la tète de son col-
laborateur une grêle d'épigrammes, entre autres celle-ci, adressée à
son confrère Longepierre, qui avait eu l'audace grande de louer les
vers des Saisons, dont l'auteur était l'abbé Pic:
Toi qui places impudemment
Le froid Pic au haut du Parnasse,
Puisses-tu, pour ton châtiment,
Admirer les airs de Collasse !
Ce Rousseau était un homme aimable ! (1)
(A suivre). Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Le dernier programme delà Société des concerts du Conservatoire ne com-
prenait que deux œuvres, mais quelles œuvres, de quelle valeur, et pourtant
combien différentes entre elles ! C'était la Symphonie avec chœurs de Beetho-
ven — la Neuvième, comme on dit en Allemagne par une sorte de consécration
du chef-d'œuvre — et la21i^ cantate de Jean-Sébastien Bach. Ces deux mer-
veilles suffisaient en effet à former et à emplir à elles seules un superbe
programme, et le public toujours un peu trop tranquille du Conservatoire
Ah ! que j'aime La Fontaine
D'avuir fait un opéra I
Je verrai finir ma peine
Aussitôt qu'on le verra.
Par 1 avis d'un fin critique,
Jem'en vais louer boutique
Pour y vendre dessiftlets.
Je serai riche à jamais.
On peut deviner sans peine
A voir parler Céladon,
Qu'il nous vient de La Fontaine,
Mais non celle d'Hélicon.
C'est de l'égout du Parnasse,
Et l'on a choisi Collasse
Pour y composer des airs
Aussi méchants que les vers.
(1) Dans un dialogue satirique en vers, Rousseau s'en prenait encore à Col-
lasse. Evoquant l'ombre de Lully, il la faisait sortir de son tombeau et s'adres-
ser en ces termes à l'infortuné compositeur :
Tremble, malheureux plagiaire,
C'est l'ombre de Lully qui paroît à tes yeux.
Je viens revendiquer les vols audacieux
Que Lu m'as osé faire.
On peut se demander pourquoi Rousseau, que rien n'y forçait, avait consenti
à se faire le collaborateur d'un artiste qu'il méprisait et insultait de la sorte,
d'ailleurs en si piètres vers.
iti i
LE MÉNESTREL
69
était sans doute de cet avis, car rarement on l'a pu voir plus chaleureux,
plus vibrant et plus enthousiaste. Je n'ai point à revenir sur les incompa-
rables beautés de la Symphonie avec chœurs, aujourd'hui suffisamment
connue et jugée. Je me bornerai à constater son excellente exécution,
confié, pour les soli. à MM. AVarmbrodt et Auguez, à M^^^^^ Eléonore Blanc
et Denis. Tous: orchestre, chœurs, solistes, ont fait vaillamment leur
devoir, sans une hésitation, sans une défaillance, avec un ensfmble, une
sûreté, une vigueur qui leur font le plus grand honneur. Cela était
superbe, et digne en tout point du maître immortel. — Après les compli-
cations de la symphonie (complications qui nous pariassent jeux d'enfants
auprès de ce qu'on ne craint pas de nous faire entendre aujourd'hui), on
eût pu croire que la cantate de Bach paraîtrait pale en sa simplicité char-
mante. Il n'en a rien été, bien au contraire. Ici, pourtant, point d'effets
d'orchestre, un orchestre même incomplet, ne comprenant ni flûtes ni
clarinettes, parfois même un seul instrument pour accompagner le chant ;
et avec ces moyens volontairement restreints, le vieux Bach a écrit une
œuvre absolument délicieuse, d'une couleur et d'une grâce enchanteresses.
C'est qu'aussi, il faut bien le dire, il a mis là-dodans des idées, ce dont
quelques-uns de nos jeunes musiciens s'embarrassent fort peu, c'est que
la mélodie, puisqu'il faut l'appeler par son nom, c'est que la mélodie
coule à pleins bords, et que l'inspiration ne faiblit pas un instant. Aussi
fallait-il voir la joie du public à l'audition de cette musique si fraîche, si
limpide, si caressante de cette musique qui est de la musique enfin, et non
un problème de contrapontiste ou un défi jeté aux oreilles les moins déli-
cates. L'enchantement a commencé avec le délicieux air de soprano :
Larmes, plaintes, soupirs, qui n'est qu'une sorte de duo de la voix avec le
hautbois, uniquement accompagné par les basses, et qui a valu comme
une sorte de triomphe à M"" Blanc et à M. Gillet; cela a continué avec un
chœur plein de fraîcheur, puis avec un récit en duo, sorte de dialogue
d'une couleur exquise, soutenu seulement par l'orgue et quelques notes
de basses, enfin avec un air de ténor gracieux et frais : Mon cœur, sois en
fêle, d'un rythme plein de franchise, accompagné aussi par l'orgue, avec les
basses, et que M. Warmbrodt a dit d'une façon charmante. En résumé,
l'ensemble est délicieux et l'effet a été grand, grâce à la beauté de l'œu-
vre, à son exécution générale et aux quatre artistes chargés de l'interpré-
Irer, MM. Warmbrodt et Auguez, M"=* Eléonore Blanc et M. Dupuy.
A. P.
— Concert Colonne. — Le 3'- acte du Crépuscule des Dieux, qui a été
exécuté presque intégralement, présente, dans sa seconde moitié, les situa-
tions les plus pathétiques dont Wagner ait doté le théâtre : la mort de
Siegfried, suivie de cette marche fameuse qui recule l'horizon que la mu-
sique nous avait ouvert sur les profondeurs tragiques, et le sacrifice de
Brunehild, mort triomphale, celle-là, sans angoisses, puisqu'elle s'achève
en apothéose sur les thèmes glorieux de la tétralogie. Les deux autres
scèues, moins robustes et moins consistantes, supportent cependant fort
bien l'épreuve du concert, mais, leur musique étant moins impérieuse-
ment imposante, on sent que des décors et une action ne lui nuiraient pas.
M"« Elise Kutscherra chante d'une façon un peu gutturale et avec un
accent d'outre-Rhin les germanismes de l'œuvre wagnérienne ; sous cette
réserve, on peut vanter l'énergie de sa diction souvent chaleureuse et
l'ampleur de sa voix quand les notes lui sont favorables. M'"" Auguez de
Montalant, M"« Texier et Planés forment un excellent trio de filles du
Rhin. M. Cazeneuve peut être considéré comme excellent jusqu'à la décou-
verte du ténor rêvé qui saura dire avec distinction les phrases musicales
du rOile de Siegfried que Wagner a faites élégantes, malgré leur allure
sauvage et leur apparente vulgarité. Il y a de la race des dieux chez le
héros wagnérien. MM. Edwy et 'VieuîUe ont tenu convenablement leur
place dans l'ensemble. La page la plus poignante de Wagner, sa marche
funèbre, a pour point de départ celle de Beethoven dans la Symphonie
héroïque. Ne soyons donc pas ingrats pour le maître sans lequel Wagner
eût été impossible. L'accueil froid qui a été fait au concerto en mi bémol,
œuvre d'une richesse inouïe d'inspiration, d'une tendresse et d'une puis-
sance d'émotion inoubliable dans l'adagio, d'un élan et d'une verve qui
n'ont jamais été dépassés dans le finale, cet accueil est injuste autant
qu'attristant. M. Edouard Risler avait pourtant joué ce chef-d'œuvre en
véritable artiste, avec une maestria superbe et un sentiment exquis dans
les passages de douceur et de grâce, mais on pensait à autre chose, et
l'orchestre n'a pas été irréprochable. N'importe ; M. Kisler a triomphé
personnellement, on l'a applaudi quand on aurait dû l'acclamer, c'est la
faute de Beethoven qui a mis trop de génie dans le 5'^' concerto. Il faut
monter encore pour être à la hauteur, sursum corda. La belle ouverture de
Pairie, Héves de AVagner, et trois fragments de Jocelyn, de B. Godard,
complétaient le programme. Amédée Bodtarel.
— Concert Lamoureux. — Que de fois l'avons-nous dit et répété: les
fragments d'œuvres théâtrales ne peuvent que perdre naturellement a
être interprétés dans les concerts; celles-ci n'y sont pas dans leur cadre.
L'auditoire a beau avoir sous les yeux un texte explicatif, cela ne lui
suffit pas. Le deuxième tableau du premier acte de Circé, opéra de
M. Théodore Dubois pourrait, sans doute produire un grand effet à la
scène, la figuration et le mouvement dramatique aidant. Au Cirque d'été,
il ne pouvait prétendre l'i se montrer sous tous ses avantages: le public
a bien senti qu'il était en présence d'une œuvre de valeur, consciencieuse-
ment écrite par un musicien de talent (le prélude symphonique de
ce fragment, avec ses belles sonorités et ses harmonies curieuses, a
grande allure) ; mais il était évidemment dérouté par une action que
rien ne préparait et que rien ne suivait, par un épisode dont le
livret lui-même n'expliquait pas le rôle dans un sujet resté inconnu.
— C'est pire encore quand il s'agit d'œuvres telles que Siegfried et le
Crépuscule des Dieuœ, de Wagner. On peut contester le système musi-
cal de Wagner. Il a ses admirateurs exclusifs, comme il a ses détrac-
teurs absolus. Il serait plus sage de reconnaître les beautés de son œuvre,
tout en signalant ses défauts. Il avait eu une idée géniale : il voulait
faire du théâtre la synthèse de tous les arts : la poésie, la musique, la
décoration picturale devaient, selon lui, former un tout indissoluble. Il
avait même conçu une disposition particulière de son orchestre, un sys-
tème particulier d'éclairage du théâtre et de la scène. S'il était encore de
ce monde, il ferait une fière grimace en voyant ses œuvres découpées,
jouées dans des conditions qu'il n'avait pas prévues, et il rirait bien de ce
public qui se pâme par conviction ou par genre, croyant entendre du
vrai Wagner, alors qu'il n'entend que du Wagner travesti. .l'ai connu un
monsieur qui avait entendu trente fois Parsifal à Bayreuth et était resté,
— du moins le croyait-il, — sain d'esprit. C'est qu'il avait entendu Parsifal
dans les conditions voulues par l'auteur. Laissons donc l'opéra au théâtre,
et que les grands concerts se contentent démettre à leur répertoire la sym-
phonie, l'oratorio, et les œuvres faites pour le concert. Tout le monde,
les œuvres elles-mêmes, y gagneront. Vraiment, je plaignais, de tout mon
cœur M. Lafarge et M'»= Jane Marcy, deux artistes de grand talent,
luttant contre un orchestre formidable que l'auteur n'avait fait formidable
qu'à la condition qu'il serait établi dans une sorte de sous-sol, de façon
à permettre au chanteur de chanter et d'être entendu. — Combien, à coté
de ces œuvres touffues, il a été doux d'entendre la symphonie en fa de
Beethoven, et cette délicieuse Invitation à la Valse, de Weber, si admira-
blement et si sobrement orchestrée par Berlioz. H. Barbedette.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : même programme que dimanche dernier.
Châtelet, concert Colonne : Ouverture de la Princesse Jaune (Saint-Saëns). —
Les Landes (Guy Ropartz). — Rèces (R. Wagner), par M»" Kutscherra. — Con-
certo en ta mineur pour piano (Schumann), par M. L. Diémer. — Deuxième
partie du troisième acte du Crépuscule des Dieux (Wagner), soU par MM. Cazeneuve,
Edwy, Vieuilie, M-e- Kutscherra, Marguerite Mathieu, Texier et Planés. — La
Chevauchée des Walkyrics (Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Symplionie en fa (Beetho-
ven). — Deuxième tableau du premier acte de Circé (Théodore Dubois), par
M"' J. Marcy (.Miguela), M. Lafargue (Fray Juanito), M. Bailly (Hernandez),
M. Blancard (Fray Domingo). — Les Chants tie la Forge, du premier acte de
Siegfried (Wagner) : Siegfried, M. Lafargue. — Scène finale du troisième acte du
Crépuscule des Dieux (Wagner) : Brunhilde. M"" J. Marcy. — L'Invitation à la valse
(Weber), orchestrée par Berlioz.
Concerts du Palais d'Hiver. Chef d'orchestre Louis Pister : Rienzi, ouverture
(Wagner). — Vision de Jeanne d'Arc (Gounod). — Thamara, prélude (Bourgault-
Ducoudray). — Ballet persan, première audition (Moussorgski). — Le Songe d'une
nuit d'été (Mendelssohn). — La Zamacueca (Th. Ritter). — Polonaise (V. Joncières).
— La seconde séance du quatuor Nadaud-Gibier-Trombetta-Cros-Saint-
Ange, qui a eu lieu avec le concours de M. Risler, était entièrement
consacrée à la musique russe et présentait un très vif intérêt. Elle s'ou-
vrait par le deuxième quatuor à cordes de Borodine, dont le Notlurno (n° 3j
est charmant et d'une allure vraiment originale. La sonate de Rubinstein
pour piano et violon (op. 19), que MM. Risler etNadaud ont jouée ensuite
d'une façon remarquable, est une œuvre magistrale, d'un caractère superbe
et plein de grandeur, après laquelle M. Risler nous a fait entendre, avec
un plein succès, une pièce charmante de Tschaïkowsky, Doumka (scène
rustique russe), d'une conception étrange et curieuse, et d'un effet infail-
lible. Le programme se terminait par une série de pièces pour instruments
â cordes de M. Alexandre Glazounow, Novellettes (op. 13), dont deux sur-
tout sont charmantes: Vlnterludum in modo anlico, qui est d'une poésie péné-
ti-ante, et l'Orientale, dont le rythme vivace est plein d'originalité. Les
exécutants méritent les plus grands éloges, car toute cette musique est
également difficile au point de vue du style et de la virtuosité. — A. P.
— Superbe, la troisième séance de la Société pour instruments à cordes
et à vent fondée par les artistes de l'Opéra, MM. Garembat, Martinet,
Bailly, Georges Papin, Soyer, Lafleurance, Bas, Paradis, Couppas et Penable.
Le programme comprenait un Andante et Vivace de M. Paul Taffanel pour
flûte, hautbois, clarinette, basson et cor, morceaux d'une jolie facture et
délicatement travaillés, qui ont obtenu un légitime succès. Le trio de
Beethoven, pour flûte, violon et alto a été chaleureusement applaudi ainsi
que le septuor de Ilummel, qui a valu une véritable ovation à ses inter-
prètes. M. Charles René a tenu la partie de piano avec le talent qu'on lui
connaît. L'Aubade de Lalo a terminé cette belle soirée.
— Vendredi dernier, à la nouvelle salle Pleyel, remarquable exécu-
tion des huitième et treizième quatuors de Beethoven, par le quatuor
A. Geloso, Tracol, Monteux, Sohneeklud (fondation Beethoven). Les di-
verses parties de ces œuvres ont été interprétées avec une ardeur très
artistique, une intelligence très sûre et très personnelle des détails et une
constante perfection d'ensemble. La prochaine séance aura lieu à la même
salle le vendredi 6 mars, à neuf heures du soir.
— A la salle Érard, concert des plus intéressants, donné par M"" Lucie
Wassermann, avec le concours de MM. Berthelier, Loéb, et de M"^ Mar-
70
LE MÉNESTREL
cella Pregi. La 2« Fantaisie de A. Perilliou, remarquablement exécutée par
la bénéficiaire et accompagnée sur un second piano par l'auteur, a fait le
plus grand effet sans le secours de l'orchestre. Le l'' trio pour piano et
instruments à cordes de Saint-Saëns, et la sonate op. 103 de Schumann,
pour piano et violon, ont été fort applaudis. Grand succès pour M. Loëb,
violoncelliste, dans des pièces de Saint-Saêns et de Popper. M"» "Was-
serman, a dit, pour piano seul, quatre pièces de Schumann, Scarlatti,
BoêllmannetLiszt, dans lesquelles elle a fait apprécier son beau talent et son
excellent style. M"= Marcella Pregi a chanté avec un sentiment dramatique
très intense une mélodie de Perilhou et deux Lieder de Schumann, qui ont
été pour elle l'occasion d'un succès considérable et mérité. H. B.
— A la Société des instruments à cordes et à vent, M. G. Rémy, le
brillant artiste que l'on sait, remplacera M. Berthelier empêché.
— Trois séances de musique ancienne sur les origines de la musique de
concert seront données au profit de l'CEuvre des campagnes (sous la
présidence de S. A. R. M""" la duchesse d'Alençon) à la Galerie des
Champs-Elysées, 72, avenue des Champs-Elysées, les mardis 3, 10 et 17 mars,
à quatre heures et demie. Au programme : les Chanteurs de Saint-Gervais,
Mlles Éléonore Blanc, Mary Garnier, Marcella Pregi, M™ Joséa Maya,
MM. Louis Diéraer, 1. Albeniz, Delsart, "Warmbrodt, A. Challet, Chey-
rat, etc. L'orchestre et les chœurs (~o exécutants) sous la direction de
MM. 'Vincent d'Indy et Gh. Bordes. Au programme de la première séance,
une Cantate de J.-S. Bach, des Canciones sacra de Schûtz, des pièces vocales
du "KVl' siècle et un concerto de Bach, par le célèbre pianiste espagnol
I. Albeniz.
NOUVELLES DIA^ERSES
ETRANGER
On lit dans une correspondance adressée de Venise à la Gazz-etta musi-
cale de Milan : « Ambroise Thomas, l'artiste excellent qui, à mon avis,
pour la pure conception mélodique, dispute, ou au moins partage la palme
avec ses autres éminents contemporains, tels que les Gounod, les Halévy, les
Bizet, etc., qui ont illustré la France musicale, est mort. Venise ne pou-
vait rester indifl'érente devant ce fait, et, moins que tout autre pouvait le
faire la direction du théâtre de la Fenice, qui n'oubliait assurément pas
que Mignon avait obtenu sur cette scène, il y a presque trente ans, un suc-
cès splendide, et que plus tard Hamlel obtenait sur le même théâtre, te
premier en Italie, avec le baryton Francesco Graziani pour protagoniste,
l'accueil le plus sympathique. Pénétré de ces idées et se souvenant aussi
de la visite que lui faisait l'illustre musicien en 1890, aussi bien que des
amabilités dont Ambroise Thomas entourait naguère à Paris Giuseppe
Verdi, la direction de la Fenice envoyait à la famille de l'illustre maestro
Thomas le suivant télégramme (en français) :
Li direction du théâtre le Phœnix, toujours flère d'avoir admiré, première en
Italie, dans son théâtre, Hamlet, chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas, i'ami de
■Verdi, dépose sur sot tombeau la ileur du souvenir.
Antonio ForuycM, sénateur du royaume. — Conte Alessandro Tornielli. —
Giuseppe LizzARi. — Pietro Faustini, secrétaire.
— D'autre part, voici ce que nous trouvons dans le premier numéro de
la Cronaca musicale, journal dont nous annonçons avec plaisir la publication
et qui vient de paraître à Pesaro :
Le télégraphe nous a apporté une triste nouvelle, qui est un deuil pour
notre art. Ambroise Thomas, dans une dernière crise de sa maladie, s'est
éteint le 12 courant, à cinq heures et demie.
La présidence, la direction et les professeurs du Lycée Rossini, en appre-
nant l'événement, ont envoyé le télégramme suivant :
Conservatoire musical, Paris (en italien).
Lycée musical Rossini participe vivement au deuil de l'art et de la France
pour la perte irréparable du grand maestro Thomas.
Pour le Conseil d'admmislratiun.
Le président : Auguste Guidi-Carnevali.
Conservatoire national de musique, Paris (en français).
Professeurs du Lycée Rossini), profondément émus par la perte illustre Direc-
teur première École Française, envoient sincère expression de leur regret,
s'associant au deuil qui frappe le monde artistique.
Mascagni.
De la direction du Conservatoire de Paris est parvenu ce télégramme en
réponse :
Mascagni, Pesaro (Italie).
Vifs remerciements à directeur et professeurs Lycée Rossini pour les regrets
qu'ils adressent au Conservatoire.
— La Gazzetla officielle du royaume d'Italie publie un décret royal par
lequel le terme de la durée du droit de propriété pour l'opéra k Barbier de
Séville, de Gioacchiuo Rossini, est prorogé de deux années, à partir du IS
février 1896. Le Barbier de Séville fut représenté pour la première fois le 16
février 1816, et par ce fait devait, selon la loi, tomber dans le domaine
public le 16 février 1896 (80 ans du droit de propriété) ; mais comme le
Lycée musical de Pesaro vit en grande partie du revenu que lui appor-
tent les représentations de cet ouvrage, on a jugé à propos de proroger de
deux années le droit de propriété en ce qui le concerne. Pour très intéres-
sante que soit en l'espèce la question, il nous semble singulier qu'un décret
souverain puisse aller à rencontre d'une loi d'un effet général.
— De notre correspondant de Belgique (27 février). — La Monnaie nous
a donné une bonne reprise A'Orphêe, avec MU'* Armand, Fœdor, Milcamps
et Hendrickx, qui forment un ensemble très satisfaisant, en attendant la
première de Thàis, qu'on nous promet pour la semaine prochaine. M. Mas-
senet est arrivé à Bruxelles — tout justement, hélas ! pour enterrer un de
ses collaborateurs, Alfred Blau, dont la mort inopinée à Bruxelles, où il
était venu passer quelques jours, a péniblement affecté tout le monde.
Nous avions rencontré encore le pauvre homme à la reprise du Tan-
nhuuser. Je ne sais si c'est cela qui l'a tué ; mais il est certain que rien
ne faisait prévoir une fin aussi subite. Alfred Blau comptait rester à
Bruxelles jusqu'après Aa première de Thais, et se faisait d'avance une joie
d'applaudir l'œuvre de son collaborateur Massenet dans un cadre plus ap-
proprié à son caractère que celui de l'Opéra de Paris, et interprétée par
une artiste curieuse et personnelle comme M"" Leblanc. Une indisposi-
tion de cette dernière est venue contrarier un peu les dernières répéti-
tions ; mais elle n'a été heureusement que passagère, et la première
représentation n'en aura pas été de beaucoup retardée. — L'école de mu-
sique de Saint-JossB-ten-Noode-Schaerbeck, qui n'a pas sa pareille en Bel-
gique pour l'enseignement du chant d'ensemble, auquel elle est consacrée
exclusivement, a fêté hier soir son vingt-cinquième anniversaire par un
grand concert qui a eu lieu au Cirque royal. Le programme se composait
principalement du Fuustde Schumann. Le succès des chœurs de jeunes gens
et de jeunes filles formés par les élèves de l'institution, au nombre de près
de quatre cents, a été très vif. — Aujourd'hui enfin, le cercle de la Libre
Esthétique a inauguré les matinées musicales que M. Eugène Ysaye orga-
nise tous les ans pendant l'exposition de ce cercle d'artistes jeunes et no-
vateurs. A cette première matinée nous avons entendu un adorable Qua-
tuor slave de Glazounow, et une Suite ba.scjue, plus prétentieuse qu'originale
de M. Ch. Bordes, exécutés admirablement, ainsi que des mélodies d'un
musicologue russe établi en Belgique, M. Wallner, fort bien chantées par
M"° Duthil, élève de M™' Cornélis-Servais et premier prix du Conserva-
toire de Bruxelles. M"» Duthil n'a eu qu'un tort, celui de s'être amusé à cal
quer M"'" Georgette Leblanc... Toutes les jeunes filles, surtout celles qu
chantent, imitent aujourd'hui M"'" Leblanc; c'est une véritable épidémie
elles l'imitent dans sa coifftire, dans ses toilettes, dans sa diction, et elles
tâchent même de l'imiler dans son talent : ceci n'est pas toujours facile
mais l'intention y est. L. S.
— A l'occasion des fêtes du centenaire de Franz Schubert, on jouera
à Vienne et à Dresde une opérette en un acte du maître : En faction pen-
dant quatre am, qui n'a encore été représentée nulle part.
— Les nombreux travaux qu'on exécute actuellement dans la ville de
Vienne, fortement agrandie par l'annexion de sa banlieue et par la démo-
lition des fortifications extérieures, ont mis à jour un souvenir de Franz
Schubert, dont on va célébrer le centenaire. En reconstruisant une vieille
maison dans le faubourg de 'tt'aehring, on a rendu visible une inscription
qui se rattache à l'une des plus ravissantes mélodies du compositeur. Cette
inscription est conçue dans les termes suivants : « Franz Schubert a
composé dans cette maison, alors nommée Au sac à bière (sic !), en juillet
1826, par une après-midi de dimanche, entouré de quelques amis et au
milieu du brouhaha du cabaret, son aubade: Ecoute l'alouette dans les airs
bleus... ». Il s'agit de sa célèbre aubade sur des paroles de Shakespeare, qui
est restée plus fraîche que !a sérénade de Schu'nert sur les vers de Rellstab,
qu'on a si souvent entendue qu'elle est devenue presque banale. Dans les
faubourgs de Vienne, presque tous les cabarets sont pourvus d'un jardinet
(Gastliausgartm) où les habitués s'attablent pendant la belle saison, ot c'est
précisément dans le jardin d'un cabaret ouvert en 1791, par un restaura-
teur nommé Biersack (sac à bière), que Schubert a composé son aubade. Le
cabaret et le jardin existent encore, voire un vieux châtaignier sous lequel
Schubert a écrit cette mélodie ; le propriétaire actuel du cabaret lui a
donné comme dénomination nouvelle : Au jardin de Schubert. Le vin qu'on
y boit n'a pas changé non plus ; c'est toujours le petit vin blanc des environs
de Vienne, et que Schubert adorait comme tout enfant du peuple vien-
nois.
— L'ancienne salle du Reichstag allemand va être transformée en théâtre ;
elle est devenue vacante à la suite de l'inauguration du nouveau monu-
ment où siège actuellement le Parlement allemand. Dans cette salle, le
prince de Bismarck a prononcé des discours retentissants, et les divers
partis politiques ont joué leurs petites pièces à intrigues. Maintenant on
y jouera la comédie pour de bon.
— Le célèbre ténor Tamagno, dont les succès étaient éclatants à l'Aqua-
rium de Saint-Pétersbourg, vient d'être l'objet d'une manifestation toute
particulière du czar, qui désirait lui voir donner, avant son départ, une
représentation i'Otello au Théâtre impérial. Mais Tamagno, aussitôt son
engagement terminé, devait se rendre à Monaco, où l'appelait un nouveau
traité. Qu'à cela ne tienne. Le czar écrivit à la princesse de Monaco pour
la prier d'accorder au chanteur un délai, qu'il obtint naturellement sans
peine, et la représentation eut lieu. L'aristocratie de la capitale russe fut
sens dessus dessous pour assister à cette soirée toute spéciale, qui eut
LE MENESTREL
lieu le 3 février, en présence de l'empereur, de l'impératrice et des grands-
ducs. Le prix des places avait subi une augmentation iuouïe. Un simple
fauteuil coûtait 300 francs, et les loges étaient à 2.000 et 3.000 francs. Le
succès fut immense. Tamagno partait le lendemain ; le czar, ne le voulant
point remercier avec de l'argent, lui faisait remettre, à l'adresse de sa
fille, un écrin rempli de joyaux de grande valeur, et cet envoi délicat lui
causa une joie que l'on peut comprendre.
— Dépêche de Boston : « La Navarraise, le drame lyrique de MM. Mas-
senet, Jules Glaretie et Henri Gain, vient d'être donnée avec M""= Emma
Calvé, MM. liUbert, Castelmary et Plançon. L'ouvrage et ses brillants
interprètes ont été très applaudis, W' Calvé surtout, qui est toujours la
superbe Anita que tout Paris a acclamée. »
— Quelques détails sur les dernières représentations de la troupe
Abbey et Grau, à New- York et à Brooklyn. Elles ont été triomphales. La
Manon de Massenet a mis particulièrement le public en délire. M"" Melba
chantait pour la première fois le rôle de Manon, et Maurel, celui de Les-
caut, les autres étant tenus par Jean de Reszké, Plançon et Castelmary.
L'ouvrage était chanté en français. « Les applaudissements, dit un cor-
respondant, furent continuels, et surtout chaleureux au duo : Nous vivrons
à Paris tous les deux. La Melba était suave et dramatique ; Jean de Reszké,
délicieux dans le songe; Plançon superbe, comme toujours; quant à
Maurel, il sut, par son talent extraordinaire, donner une physionomie
toute spéciale à son personnage. ■•< La Damnation de Faust obtint aussi un
grand succès, chantée par M™" de Vere-Sapio (remplaçant M"' Nordica,
malade), MM. Lubert, Castelmary etPlançon. Enfin, avec Carme», eut lieu
une grande soirée de gala, avec prix augmentés, celui des fauteuils étant
fixé à sept dollars (35 francs). « New- York était couvert d'un mètre de
neige, dit le même correspondant, et au Métropolitain, on voyait briller
quatre étoiles : M'""^ Calvé et Melba et les deux de Reszké. Salle absolu-
ment bondée, applaudissements, fleurs et couropnes, etc. ».
PARIS ET DEPARTEIÏIENTS
Note du Figaro : Après les obsèques d'Ambroise Thomas MM. Ber-
trand et Gailhard ont, spontanément et d'un commun accord, résolu que
l'auteur à'IIamlet aurait — et bientôt — son monument et sa statue à
Paris. Instruits par des exemples récents et sachant par expérience que
les comités s'endorment et que les souscriptions traînent, ils ont décidé
que ce serait l'Opéra et eux-mêmes qui supporteraient tous les frais du monu-
ment. La première représentation de la reprise à'Hamlet — annoncée pour
le mois de mai et qui sera très brillante — sera donc donnée au profit
du monument qui, d'ores et déjà est commandé à Falguière, un ami
personnel des directeurs de l'Opéra.
— Les nécessités de notre mise en pages de samedi dernier nous ont
obligés à beaucoup précipiter notre relation des obsèques d'Ambroise
Thomas. De là, un certain nombre de petites erreurs qui s'y sont glissées
et qu'il convient de rectifier. Et d'abord, ce n'est pas M. Roujon qui a
parlé au nom du ministre sur la tombe de l'illustre défunt, c'est bel et
bien le ministre lui même. Gomme il n'avait pas jugé à propos de deman-
der pour le maître disparu des n obsèques nationales », il a cru lui devoir
tout au moins cette compensation de prendre en personne la parole pour
cette circonstance mémorable. Était-ce bien une compensation suffisante?
— Ensuite, ce n'est pas le Pie Jesu composé sur l'arioso d'Hamlet qu'a
chanté M. Delmas, en remplacement de M. Faure indisposé, mais bien
un Pie Jesu original écrit par Ambroise Thomas au temps de sa jeunesse.
— Disons enfin que le grand orgue était tenu magistralement par M. Cb.
Widor, qui, entre autres morceaux, a exécuté une absoute d'un beau
caractère qu'Ambroise Thomas avait composée jadis pour les funérailles de
jjnic Paul Delaroche, fille d'Horace Vernet, et qu'il y avait exécutée lui-
même, à l'église Notre-Dame-de-Lorette.
•
— Parmi les délégations envoyées de province pour assister aux obsèques
d'Ambroise Thomas, n'oublions pas celle du Conservatoire de Toulouse.
M. Omer Guiraud, le distingué professeur, la présidait, accompagnant une
superbe couronne et entouré de tous les élèves toulousains actuellement
au Conservatoire de Paris.
— On annonce pour cette semaine la première représentation (reprise)
A'Orpliee à l'Opéra-Comique. C'est M'" Marignan qui, au dernier moment,
a pris le rôle d'Eurydice, — les nécessités du répertoire obligeant de
réserver M™" Bréjean-Gravière pour d'autres reprises en vue.
— M"o Fernande Dubois, qui a créé, à l'Opéra-Gomique, la Xavière de
M. Théodore Dubois, et la Ninon de Lenclos, de M. Missa, étudie en ce
moment le rôle de Mignon.
— On annonce que le ténor Van Dyck viendra, en mai et juin, donner à
l'Opéra des représentations des opéras de Wagner.
— Hier, 29 février, l'Académie nationale de musique aurait pu célébrer
le soixantième anniversaire de la première représentation des Huguenots,
si l'incendie du magasin des décors de la rue liicher n'était venu momen-
tanément enlever cet opéra du répertoire. C'est en efl'et le 29 février
1836, année bissextile comme 1896, que le chef-d'œuvre de Meyfrbeer a été
joué pour la première fois. Les rares survivants de cette mémorable pre-
mière auraient dû envoyer des fleurs à M°"= Falcon, qui créa le rôle de
Valenline d'une façon admirable et qui est aujourd'hui l'unique artiste de
premier ordre dont le nom se rattache à cette glorieuse époque de l'Opéra
français. H serait curieux de savoir si M™'= Falcon. dans sa calme retraite
parisienne, s'est souvenue de la première deï Huguenots qui fut pour elle
un vrai triomphe et qui a donné son nom aux grands rôles de soprano-
dramatique.
— La transformation de la claque. L'administration des beaux-arts vient
de prendre une décision que nous avions fait prévoir : le service de la
claque est transformé dans les théâtres subventionnés, sur les mêmes
bases qu'à la Comédie-Française. A partir du l"' mars, l'Opéra, l'Opéra-
Comique et l'Odéon devront attacher à leur administration un employé
payé et révocable par eux, chargé d'organiser la claque. Cet agent, qui
ne disposera exactement que du nombre des places attribuées aux
claqueurs, fera pénétrer ceux-ci sans billets par l'entrée des services
administratifs, — cela afin d'éviter un commerce quelconque des places
de claque. En outre, il sera formellement interdit à cet agent de rece-
voir la plus petite rémunération du personnel du théâtre. L'adminis-
trateur des beaux-arts a voulu éviter, en prenant cette dernière décision,
que tel ou tel artiste pût se créer un succès illusoire à la faveur de la
claque, et des ordres très sévères seront donnés pour en assurer la complète
exécution. Quant à la suppression de la claque, contrairement au bruit
qui avait couru, il n'en est pas le moins du monde question. On se rap-
pelle sans doute que, sous la direction Halanzier, on avait tenté cette
réforme pendant l'exposition de 1S7S et qu'on fut obligé d'y renoncer. La
claque fut, en effet, rétablie au bout de quelques représentations sur la
demande des auteurs, des artistes et... des danseuses.
— Le 23 juillet prochain s'ouvrira au Palais de l'Industrie une intéres-
sante « Exposition du Théâtre et de la Musique ». Cette exposition, dont le
programme est des plus vastes, constituera à la fois un enseignement et
une distraction. Le programme qu'en a tracé M. Lartigue, le secrétaire
général, comprend, en effet, cinq sections ; section rétrospective, section
documentaire, section d'informations statistiques, section consacrée à
l'enseignement et section étrangère. Gela, sans compter de nombreuses
attractions et reconstitutions artistiques. « Sans entrer, dit le Figaro, dans
le détail de chacune de ces sections où les grandes collections, les méthodes
d'enseignement comparatives et les divers projets réalisés joueront, comme
leçons de choses, un rôle important, une partie d'attraction à la fois ins-
tructive et curieuse sera présentée au public. L'histoire ancienne du
théâtre fournira la reconstitution de l'art scénique de la Grèce et de Rome,
avec des vues panoramiques des vestiges que les siècles ont laissé sub-
sister, comme le théâtre d'Orange, par exemple ; les Mystères du moyen
âge en France, les fêtes des Fous, les Soties, les Escholiers, les Farces de
la basoche, les parades de la foire, les facéties de Tabarin et de Mondoir
— enfin le théâtre d'aujourd'hui avec ses artistes... et le théâtre de demain
avec ses décors où la projection électrique jouera un rôle prépondérant. Il
serait prématuré défaire la description de la nef du Palais de l'Industrie
transformée avec la reproduction du théâtre d'Orange, d'une ville antique,
du parvis Notre-Dame, etc., etc. Disons seulement qu'au premier étage
une salle, pouvant contenir cinq cents personnes, sera réservée aux audi-
tions et aux grands concerts. »
— Le comité de la Société des compositeurs-dé musique vient de renou-
veler son bureau do la façon suivante : Président : M. V. Joncières ; vice-
présidents : MM. E. Altès, A. Guilmant, G. Pfeiffer et J.-B. Weckerlin;
secrétaire général-trésorier : M. D. Balleyguier; secrétaire-rapporteur:
M. Arthur Pougin; secrétaires : MM. H. Bûsser, And. Gedalge, Samuel
Rousseau, Ans. Vinée; bibliothécaire-archiviste: M. J.-B. Weckerlin.
— M. Bourgault-Ducoudray reprendra au Conservatoire son cours d'his-
toire de la musique jeudi prochain S mars. La première leçon sera
consacrée à Ambroise Thomas et à son œuvre. M. Bourgault-Ducoudray
s'est assuré, pour la partie musicale, du concours de M"'" Krauss, et de
MM. Séguy et Raoul Pugno.
— L'excellent baryton Isnardon prend en ce moment son congé annuel
d'un mois. Il est allé le passer à Monte-Carlo, où il est engagé pour un
nombre de représentations.
— En ce moment, très intéressantes et aussi très artistiques matinées
dans leur petit cadre à la salle de la Bodinière, avec la Chanson des Joujoux
de MM. Claudius Blanc et Léopold Dauphin (paroles de Jules Jouy).
M. Maurice Lefèvre fait précéder l'audition des plus charmants numéros
de ce joli recueil, d'une conférence des plus intéressantes, verveuse,
spirituelle, nourrie de faits et d'anecdotes délicieuses et même savante.
Car il y fait l'histoire du joujou en remontant aux temps les plus reculés.
Son succès a été complet. Les interprètes de la Chanson des Joujoux sont
M"" Remacle, l'intelligente musicienne, et M. Isnardon, un joyeux compère
plein de gaieté et fin diseur aussi. Un chœur d'enfants costumés à la
façon de Greenaway prend part à la fête et n'est pas un des moindres éléments
du succès. Parmi les numéros les plus applaudis, citons les Polichinelles, les
Pantins, les Poupées, les Petits Jardiniers, les Cerfs-volants, les Sabots et les Toupies,
le Petit Orchestre, les Crécelles, etc., etc. L'un des auteurs, M. Claudius Blanc,
était au piano d'accompagnement.
— A la Bodinière, lundi dernier, séance très intéressante pour l'audition
de la petite Jeanne Blancard, une enfant charmante, à peine âgée de dix ans,
qui se produisait à la fois comme pianiste, comme compositeur et comme
improvisatrice. Le programme, entièrement composé de ses œuvres, ne
72
LE MENESTREL
comprenait pas moins de quinze numéros : neuf morceaux de piano, exé-
cutés par elle, deux morceaux de violon par M"« Charlotte Vormèse, deux
morceaux de -violoncelle par M"'= Galitzin enfin deux morceaux de chant,
par M°"î Varambon, dont un air d'un opéra intitulé Fingal. L'exécution de
cette enfant est pleine de gr:ice, fine, aimable et d'un goût très pur. Comme
compositeur, si ses morceaux manquent d'ampleur, si elle ignore encore
l'art des développements, elle n'en est pas moins extraordinaire par la dis-
tinction de ses idées, par la forme qu'elle sait leur donner, et par la ferti-
lité de son imagination. Elle nous a joué, entre autres, une tarentelle d'un
accent fort original. Mais c'est comme improvisatrice qu'elle est vraiment
curieuse et provoque l'étonnement. Entre les trois ou quatre petits thèmes
qu'on lui a donnés à traiter, je lui en avais présenté un de cinq notes : la,
la '[>, sol, si, do, avec lequel elle a émerveillé l'auditoire par la facilité, la
liberté et le charme avec lesquels elle l'a développé, par le parti très
curieux qu'elle en a su tirer. La petite Jeanne Blancard est vraiment douée
d'une façon remarquable, et deviendra certainement une artiste bien
intéressante. A. P.
— Deux séances très intéressantes, cette semaine, à l'Ecole Marches!
Lundi c'était l'audition des élèves du cours de concert. On y a applaudi
une dizaine de jeunes filles, douées de fort belles voix, dont plusieurs ont
obtenu un succès brillant. Citons surtout M"" Mary Alcock dans le Soir
d'Amhroise Thomas, M"» Thérèse Sievwrigt dans l'air du Cid de Massenet
et .1 une fiancée de M™" Ferrari, puis M™" Aima RiboUa, et M"''' Mary
Cabrera, Rose Ettinger et Alice Gurtis. Jeudi, c'était le tour des élèves du
cours d'opéra. Très grand succès pour M"= Sanda et M°>= Vilna, qui ont
chanté avec M. Douaillier, de l'Opéra, l'une le duo de Mignon, l'autre le
duo à'Uamlet. On a vivement applaudi M. Cabillot et M"" Francisca dans le
duo de Faust, M''^ Toranta dans la cantilène du Chevalier Jean, M'" Bouci
caut dans l'air de Carmen, M"" Torriani dans celui des Pêcheurs de perles,
M"' Sanda dans celui de Mireille. La joie de la journée a été l'exécution à
l'unisson isVAve Maria de Gounod, par toutes les élèves, qui ont dû le dire
une seconde fois. C'est un nouveau succès pour l'excellent enseignement
de M""^ Marchesi.
— On nous écrit de Nice : Hier mardi a eu lieu au Grand-Théâtre, avec
un plein succès, la première représention du Barde, l'opéra inédit en
quatre actes dont M. Léon Gastinel a écrit les paroles et la musique. Le
poème, dramatique et intéressant, nous mène en Angleterre, au neuvième
siècle, à l'époque de l'invasion de la grande ile par les Scandinaves ; la
passion et le pathétique y ont un rôle important, que la partition souligne
de ses inspirations d'un caractère très élevé. Sous le rapport musical,
l'oeuvre est claire et procède par grandes lignes. Très sobre dans la forme,
d'un esprit bien français, elle se distingue par sa franchise, par la couleur
de son accent, en même temps que par des efl'ets d'orchestre d'une grande
puissance. Parmi les morceaux qui ont produit la plus grande impression,
il faut signaler, au premier acte, l'introduction, un chœur de laboureurs
d'une fraîche inspiration et un duo dont l'effet a été très grand; au second,
le finale, très puissant, qui a valu aux artistes un double rappel; au troi-
sième, particulièrement remarquable, un fort joli ballet, la marche de
l'Étendard, dont l'ampleur est superbe, et l'énergique invocation finale ;
enfin, au quatrième, un beau duo et un air de soprano d'un grand carac-
tère. Beau succès, je vous l'ai dit, dont les artistes peuvent prendre leur
bonne part. Les principaux rôles sont tenus à souhait par M"'» Bossy
(Edwitha). MM. Fonteix (le roi Arthur), Camoin (Inguard) et Geste (Am-
mas); les autres interprètes sont M""s Restiau, de Meryanne et Bennia,
MM. Darmand, Éehenne, Borramy, Argent et Athès. Orchestre, chœurs et
ballet ont été à la hauteur de leur tâche.
— Voici le programme des deux prochaines séances de M. Gh. Grandmou-
gin. Institut Rudy, 4, rue Caumartin, le mercredi à 5 heures. — Mercredi
4 mars, nouveaux poèmes (lS9o); Le Petit Lépreux, Souvenirs de la baie de la
Somme, les Amoureux maudits, la légende de saint Sébastien, etc., dits par M"° Su-
ger (du Gymnase) et l'auteur ; le Naufrage de l'amour , dit par M"" Dudlay
(des Français). — Mercredi 14 mars, histoires sentimentales (18',13), en
prose : L'Ami de la reine, Thibaut le jongleur. Madame Constant, etî., lus par
l'auteur. — Ajoutons que l'auteur a eu, jusqu'ici, double succès, de poète
et de diseur. Les interprètes, comme M"'= Marsa et Suger, et MM. Nolot et
Primard ont été fort applaudis dans Gain, l'Empereur, etc.
— Toute jeune et virtuose accomplie. M"" Solange de Groze, fille et
élève du remarquable pianiste-compositeur Ferdinand de Groze, donnera
le vendredi soir 6 mars prochain, un concert à la salle Érard. Au pro-
gramme : Trio en sol mineur, de G. Salvayre (piano, violon, violoncelle),
première audition; morceaux de concert des maîtres du piano; et enfin,
avec les excellents instrumentistes, MM. VandœuvreetSamson,MM. Cham-
bon, de l'Opéra, et Depas, de l'Odéon.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Tome 21.
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1. ROMANCE D'ORPHÉE : Objet de mon amour (C.) 3 75
2. 1" AIR DE L'AMOUR : Si /es rfoua; accords rfe (a /(/re (S.) 3 »
2 bis. Le même, pour contralto 3 »
3. 2= AIR DE L'AMOUR : Soumis au silence (&.) 3 »
3 bis. Le même, pour contralto 3 «
i. GRAND AIR : L'espoir renaît dam mon âme {C.) 6 »
N°= S. AIR avec chœur : Laissez-vous toucher par mes pleurs (C.) 3 75
«. AIR DE L'OMBRE HEUREUSE : Cet asile aimable et tranquille (S.). . . 3 75
6 bis. Le même, pour contralto 3 75
8. DUO D'ORPHÉE ET D'EURYDICE :Fiens, suis UTKJpouxrywt J'adore (G. etS.) 6 »
10. AIR FINAL D'ORPHÉE : J'ai perdu mon Eurydice (C.) 4 50
10 bis. Le même, pour ténor ou soprano 4 50
Transcriptions pour Piano à deux mains :
G. RIZET. « Viens dans ce séjour » (N° 2 du Pianiste-Chanteur) . 3 »
Air et pantomime (N" 33 du Pianiste-Chanteur) 3 »
KRUGER. Op. 92. Scène des Enfers et romance d'Orphée .... 7 50
Op. 93. Scène des Champs Élysées 7 50
CH.NEUSTEDT.Op. 22. « J'ai perdu mon Eurydice • 5 »
CH.NEUSTEDT.Op. 23. <c Les doux accords de ta lyre » 5
E. PRUDENT. " .T'ai perdu mon Eurydice » 5
C. STAMATÏ. L'ombre heureuse (N" 11 des Souvenirs du Conservatoire) . 5
Les Champs Élysées (N° 12 des Souvenirs du Conservatoire. 5
TROJELLI. « .T'ai perdu mon Eurydice » (H" 3U des Miniatures). . . 3
Transcriptions instrumentales :
FRANCHOMME. Scènes pour Violon et Piano 9 » I FRANCHOMME. Scènes pour Violoncelle et Piano 9
DELOFFRE. Scène pour Violon ou Violoncelle, Piano et Orgue 9 n
IÏ-\LE DES CUE1I1\S I
; BEnGERE, 20, PARIS. — fnae lorillcia;
3389. — 62-'' mil — IN" 10. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Diiiiunche 8 Mars 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 50 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. [Orphie de Gluck, à l'Opéra-Comique, Julien Tieksot. — II. Semaine théâ-
trale : premières représentations de Manette Salomon, au Vaudeville, et de la
Figurante, à la Renaissance; reprises de Thermidor, à la Porte-Saint-Martin, et
des Banidie/f, àl'Odéon, P.\ul-Émile Chevalier. — lU. L'Orchestre de Lully (4° ar-
ticle), .\nTHun PooGiN. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SUR LE DANUBE
nouveau lied de Robert FiscBHOF. — Suivra immédiatement: Sur la tombe
d'un enfant, n" 3 des Poèmes de Bretagne, de Xavier Leroux, poésie d'ANDRÉ
Alexandre.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Le Réveil, n° 1 des Heures de rêve et de joie, du maestro N. Celega. —
Suivra immédiatement : Balancclle, valse d'ANTONiN Marmontel.
« ORPHEE y> de Gluck
x-.'Ot»3Éiî.-A.-c::o isa: i ^^ xjr e3
Berlioz éorivait, à l'occasion des mémorables représenta-
tions d'Orphée, en 1859, avec cet esprit de jeux de mots qui ne
le quittait jamais, même au milieu de ses grands enthou-
siasmes :
•s Nous ne reprenons pas les chefs-d'œuvre; ce sont les
chefs-d'œuvre qui nous reprennent. »
Et il ajoutait: « En effet, voilà qu'O/'^j/ic'e nous a repris, nous
tous qui sommes de bonne prise. »
Au bout de trente-sept années et près d'un siècle et demi
après la production même de l'œuvre, nous avons été con-
quis à notre tour, nous aussi, que les chefs-d'œuvre du grand
art n'ont jamais laissés indifférents. Sans doute, l'impression
produite par la reprise d'Orphée, à l'Opéra-Comique, ne pouvait
pas être absolument la même qu'en 1839 : en ce temps où,
sous l'influence de la réaction rossinienne qui paraissait pour
jamais triomphante — tempi passât!! — les nobles tragédies de
Gluck avaient été complètement oubliées, l'audition du vieux
chef-d'œuvre fut une surprise pour tous; son triomphe s'en
augmenta d'autant et marqua le premier pas vers le retour
à un art de tendances vraiment élevées. Depuis ce temps,
l'on a fait du chemin dans cette voie-là. D'autre part, si ceux
de ma génération n'avaient encore pu voir les œuvres de
Gluck sur aucun théâtre de Paris, du moins avons-nous été
élevés dans le culte du vieux maître, et sa musique nous est
devenue familière, grâce aux auditions fréquentes qu'en ont
données les concerts symphoniques.
Donc, l'étonnement a disparu; mais l'admiration est de-
meurée entière. Car l'œuvre a fièrement résisté aux atteintes
des années et reste intacte en sa beauté première. Si parfois
nos idées modernes nous la font considérer sous un aspect
différent de celui sous lequel elle apparaissait au.x hommes
du dix-huitième siècle, elle ne perd rien, au contraire, à ce
changement de point de vue : parmi les interprétations va-
riées et les conventions diverses à travers lesquelles elle a
passé, elle est toujours restée vivante, expressive, parlant au
cœur des nouveaux venus comme des premiers spectateurs ;
et quelle preuve plus manifeste pouvait-elle donner de sa
durée indestructible, de son éternelle vitalité?
Sa forme générale mêoae a contribué à ce résultat: avec
son court développement, l'absence de tout épisode parasite,
de tout élément étranger à l'idée essentielle du drame, elle
forme le résumé le plus parfait de toute l'œuvre gluckiste. Il
y a dans Orphée quelque chose de sommaire, une condensa-
tion d'idées, une substance abondante et forte, qui font de
cet ouvrage celui qui, peut-être, donne l'idée la plus favora-
ble et la plus exacte du génie de Gluck. Plus tragique peut-
être, et surtout plus savant dans ses œuvres purement fran-
çaises, il est ici plus musical; une fraîcheur encore juvénile
anime ses chants : car Orphée, ou plus exactement Orfeo, est
sa véritable première œuvre, la première du moins par
laquelle se révéla son génie, antérieurement à toute théorie
formulée, quatre ans avant VAlceste italienne et sa préface,
plus de dix ans avant qu'il partit en guerre, c'est à dire
s'en vînt en France, pour faire triompher ses idées sur la
tragédie lyrique, en ajoutant à ces premiers chefs-d'œuvre
Armide et les deux Jphigénies. Jamais, en vérité, Gluck ne fut
plus intuitif, plus sincèrement, plus spontanément inspiré.
Tout marche et se succède, dans cette œuvre, avec une
logique admirable, sans embarras ni accessoires d'aucune
sorte. C'est d'abord le chœur funèbre, avec ses sonorités
lugubres, au travers desquelles transparaît pourtant une cer-
taine grâce mé'ancolique, et qu'interrompt parfois le cri désolé
d'Orphée répétant vainement le nom chéri d'Eurydice; puis la
belle mélodie: « Objet de mon amour », entrecoupée par les
plaintes incessantes qu'Orphée jette aux vents, et que, par une
idée d'une poésie naïve et charmante, lui renvoient les échos
du bocage. L'intervention de l'Amour nous ramène pour un
instant à l'opéra ordinaire; du reste, son premier air: « Si les
doux accords de ta lyre » a beaucoup de grâce. Mais, dès
les premières notes annonçant l'arrivée d'Orphée dans les
Enfers, le drame nous ressaisit complètement. Les chœurs des
esprits infernaux ont une énergie sombre et farouche qui
contraste vigoureusement avec les chants tendres et purs-
74
LE MENESTREL
d'Orphée : les démons répondent à ses supplications par
un « Non » formidable, inexorable, terrifiant; mais quand,
ayant uni sa voix aux sons de la phormigx, le divin chanteur
épand sur eux son charme mystérieux, leurs accents, sans
abandonner le triste mineur, s'adoucissent et s'apaisent sou-
dain; et rien n'est plus expressif que ces accords harmonieux
des voix infernales célébrant avec extase la puissance irré-
sistible de la musique: « Quels sons doux et touchants ! Quels
accords ravissants!... »
Quant au tableau des Champs Élysées, il se détache de ces
sombres épisodes comme en une sorte de clair-obscur, mais
d'une lumière douce, calme, et d'une sérénité parfaite. Faut-
il rappeler l'introduction instrumentale, qui, pour les contem-
porains de Gluck, n'était peut-être qu'un menuet, mais dans
lequel nous nous sommes accoutumés depuis longtemps à
voir un tableau symphonique complet, infiniment expressif et
précis? Les chœurs des Ombreâ heureuses, d'une harmonie
si simple, mais si suave, complètent merveilleusement
l'impression; mais c'est peut-être à l'entrée d'Orphée que
celle-ci s'accuse avec la plus grande intensité, quand, sous
les paroles déclamées musicalement, la symphonie se déroule
en un murmure, d'abord imperceptible, mais qui grandit peu
à peu, et enfin s'unit à la voix en une progressioa d'une
intensité d'accent profondément émouvante. Il est vrai que
le morceau n'est pas à effet; mais il est peut-être le plus beau
de l'œuvre entière.
L'on ne retrouve pas d'aussi éminentes qualités musicales
dans la scène entre Orphée et Eurydice, dont le mouvement
dramatique est du reste digne de Gluck, ce qui est tout
dire. Mais l'inspiration du maître s'épanouit en toute sa plé-
nitude dans l'air : « J'ai perdu mon Eurydice », mélodie
sublime, où la beauté plastique du chant italien est vivifiée
par une puissante inspiration intérieure, un accent ardent et
passionné, qui, au bout de cent trente-quatre ans, après
tant de changements de styles musicaux et d'idéals esthé-
tiques, sont restés entiers, et nous remuent encore jusqu'au
fond de l'âme !
L'œuvre de Gluck nous a été présentée dans des condi-
tions de sincérité fort louables. A vrai dire, telle qu'on vient
de l'exécuter à l'Opéra-Comique, elle n'est absolument iden-
tique à aucune des deux formes que Gluck en a données ;
mais il faut avouer que dans l'état actuel des choses, il serait
difficile qu'il en fût autrement. L'on sait en effet que, du
vivant même de Gluck, l'œuvre a subi, du fait de l'auteur,
des remaniements considérables. Elle avait été composée
dans le principe (Vienne, 1762) sur un Ubretto italien, et le
rôle principal était écrit pour un castrat, chanteur dont la
voix avait l'étendue de nos modernes contraltos. Sous cette
forme, elle était encore bien moins développée que nous ne
la voyons aujourd'hui : aussi, lorsque Gluck la voulut donner
à l'Opéra de Paris (en 1774), il ne se contenta pas de trans-
former à l'aide d'une simple traduction Orfeo en Orphée, mais,
outre qu'il dut transposer le rôle principal, qui passa de la
tessiture du contralto à celle du ténor, ou plus exactement
de la haute-contre, il remania de fond en comble plusieurs
morceaux de la partition primitive, et en ajouta quelques
autres.
Il n'est pas douteux que toutes ces modifications aient été
autant de perfectionnements.
Cependant, le rôle d'Orphée est écrit si haut qu'il serait
bien difficile aujourd'hui à nos ténors de l'interpiéter d'une
manière satisfaisante : cette acuité est d'autant plus sensible
que le diapason a monté considérablement depuis un siècle;
pour bien faire, il faudrait donc transposer au moins d'un
ton au grave l'opéra tout entier.
Mais voilà qu'un jour M"' Viardot, ayant accompli une
carrière italienne déjà longue et glorieuse, et mis le sceau
à sa renommée par la création du rôle de Fidès dans le Pro-
phète, voulut s'élever plus haut encore, en interprétant Gluck.
Précisément le rôle d'Orphée, tel qu'il avait été écrit dans
lapremière version pour le sopraniste Guadagni, se trouvait au
diapason de sa voix si étendue, si vibrante, si souple, si prodi-
gieusement expressive. Mais pouvait-on en revenir purement
et simplement à la forme italienne primitive, alors que la
version française l'avait tant enrichie et améliorée? Non,
assurément: l'on fit donc, en quelque sorte, une troisième
version d'Orphre en prenant pour base la partition française,
mais en remettant le rôle principal au diapason de la version
italienne. Berlioz se chargea de ce travail, qui ne pouvait
pas être exécuté, certes, d'une main plus compétente ni plus
pieuse; il récrivit lui-même une partie de l'œuvre, peut-être
la partition entière: la Bibliothèque du Conservatoire garde,
parmi ses autographes, plusieurs pages d'Orphée transcrites
de sa main en grande partition d'orchestre.
Enfin, depuis -ce temps, et sous l'influence même de Ber-
lioz, une édition définitive des œuvres de Gluck fut entreprise
par une admiratrice passionnée du vieux maître. M"' Fanny
Pelletan: pour Orphée, la seule des cinqgrandes partitions qui
restent à paraître, le travail de revision et de mise en œuvre
fut confié à M. Saint-Saëns, qui, après en avoir exécuté en-
viron la première moitié, me fit l'honneur de remettre à mes
soins la fin de la tâche. Les matériaux principaux dont nous
avons fait usage sont, outre les partitions française et ita-
lienne (gravées l'une et l'autre), une copie de la partition
qui servait autrefois aux chefs d'orchestre de l'Opéra pour
diriger l'exécution d'Orphée, ainsi que les parties séparées de
chant et d'orchestre ; enfin, et surtout, d'importants fragments
autographes de Gluck conservés à la Bibliothèque de l'Opéra
et à celle du Conservatoire. Par la confrontation de ces divers
documents, nous avons pu nous convaincre que la partition
française gravée, exécutée avec un manque de soin incroyable,'
était très souvent fautive, surtout fort incomplète au point
de vue de l'attribution et du nombre des parties d'orchestre;
nous avons donc rétabli partout les véritables intentions de
Gluck.
Ce travail de restauration, bien que non encore livré au
public, a été communiqué à M. Carvalho, qui en a profité
pour la reprise d'Orphée. Au reste, sauf pour ce qui concerne
des particularités orchestrales dans le détail desquelles je ne
saurais entrer ici, la version adoptée est restée celle de 1859,
c'est-à-dire un mélange des partitions italienne et française.
Le ballet final de cette dernière, très développé à l'origine, a
été remplacé, conformément à une tradition introduite à
l'Opéra au commencement du siècle, par l'agréable chœu r
d'Echo et Narcisse : « Le dieu de Paphos et de Gnide »; enfin,
toujours d'après une tradition de l'Opéra qui date de Nourrit,
on a emprunté à la même œuvre l'aii- agité : « G transports,
ô désordre extrême », pour le mettre à la place de l'air de
bravoure qui termine le premier acte de la partition française,
air qui, dit-on, n'est pas de Gluck (point contesté), et qui, en
tout cas, est d'un fort mauvais style, et fait tache dans l'en-
semble si pur de l'œuvre; pour le rendre supportable, il
fallait assurément toute la puissance de virtuosité da
M""' Viardot.
C'est à M"« Delna qu'est échue la redoutable succession de cette-
dernière. L'on n'a pas oublié l'impression de surp rise et d'admi-
ration que produisit, il y a trois ans environ, le début de cette
jeune artiste, qui, presque sans étude, se révéla du premier
coup une tragédienne lyrique de premier ordre , et, dès l'abord,
incarna dignement la Didon de Berlioz. Depuis, M"° Delna a
beaucoup chanté, et pas toujours des rôles dénature à déve-
lopper en elle cette tendance innée vers le grand art. Elle
jouait donc une forte partie en prenant ce rôle d'Orphée, le
plus redoutable peut-être de la tragédie lyrique, car sa diffi-
culté intrinsèque est encore accrue par cette circonstance que,
femme, l'interprète doit donner l'illusion d'un personnage,
certes, bien viril.
Soit dit en passant, je suis assez tenté de considérer comm e
LD: MENESTREL
75
regrettable cette tradition moderne, mais qui semble défini-
tive, de donner le rôle d'Orphée à une femme. Avec M™° Viar-
dot, c'était bien ; mais de même que l'artiste était exceptionnelle,
de même cette interprétation aurait dû rester une exception :
cette idée est en contradiction évidente avec la volonté de
Gluck, dont le génie logique et ami de la vérité s'en fût cer-
tainement révolté; et comme nous ne pouvons plus conserver
l'espérance de retrouver jamais sur nos théâtres des artistes
du genre d'(7 signor Guadagni, le mieux aurait été d'en revenir
simplement à la version française d'Orphée, et de rendre son
sexe au mythique personnage en le faisant chanter par un
ténor. Un artiste tel que M. Van Dyck, par exemple, n'y serait
pas déjà si mal.
Mais revenons à M"' Delna. L'artiste avait donc à montrer
si cette belle spontanéité du premier jour avait fait place à
la science de composition désormais nécessaire au dévelop-
pement de son talent. Dire qu'elle est définitivement en pos-
session de celte science serait sans doute un peu prématuré;
ce qui est certain, c'est qu'elle est en très bonne voie pour
y parvenir, et peut-être à brève échéance. Toujours merveil-
leusement servie par son instinct, M"'= Delna a cette qualité
éminente : elle donne l'impression de la grandeur. Elle a été
fort belle dans l'acte des Enfers, charmant les esprits infernaux
par son chant et les sons de sa lyre ; elle a eu un geste infi-
niment expressif à la fin de l'acte des Champs Élysées, quand,
prenant avec une tendresse passionnée la main d'Eurydice,
Orphée entraîne silencieusement cette épouse qu'il lui est
interdit de regarder. Son succès a été triomphal après l'air :
« J'ai perdu mon Eurydice ». Je lui adresserai cependant une
critique : celle d'avoir ici trop déclamé, pas assez chanté, d'avoir
trop complètement brisé la ligne si pure de la mélodie, tout
au moins dans la strophe d'exposition qui doit conserver
absolument son caractère de beau chant, plastique aulant
qu'expressif. Mais cette réserve faite, si nous adoptons le
point de vue de l'artiste, il faut reconnaître que l'interpré-
tation de M"'' Delna a été infiniment pathétique, et que l'air a
été dit par elle avec une puissance vocale, une justesse de
mimique et une intensité d'accent qui la classent définitive-
ment parmi les grandes artistes. Grâce à elle, voici une belle
.série de représentations qui s'annonce : tous les admirateurs
de Gluck — et ils sont aujourd'hui légion — s'en réjouiront.
L'ensemble de l'interprétation est excellent. L'exécution
orchestrale a été parfaitement disciplinée, sous la baguette de
M. Danbé, bien que peut-être, parfois, insuffisamment
expressive, et les chœurs ont chanté avec un charme harmo-
nieux auquel les choristes de l'Opéra-Comique ne nous avaient
pas trop accoutumés ! A côlé de M"" Delna, et dans des rôles
moins en relief, M""Leclerc, Marignan et Laisné ont contribué
à une exécution musicale irréprochable; enfin il faut louer
l'animation qui règne sur le théâtre dans les évolutions d'en-
semble, comme dans la scène de l'arrivée d'Orphée dans les
Enfers, dont le mouvement tumultueux, obtenu à l'aide des
seuls choristes, lesquels, enfin, consentent à jouer, a été fort
habilement réglé.
Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
"Vaudeville. Manette Salomon, pièce en 4 actes et 9 tableaux, de M. Ed. de
Concourt. — Porte-Saint-Martl\. Thermidor, drame en 4 actes et 6 ta-
bleaux, de M. V. Sardou. — Odéon. Les Danicheff, pièce en 4 actes, de
M. P. Newsky. — Renaissance. La Figurante, comédie en 3 actes, de
M. F. de Curel.
Certes, ce n'est pas par ses qualités d'auteur dramatique que
M. Edmond de Goncourt a pris, parmi les premiers de nos littéra-
teurs modernes, nne place importante. Manette Salomon, tout comme
Germinie Lacerleux, la plus connue de ses œuvres théâtrales, affirme
un esprit curieux, d'allure acrimonieuse assez particulière en l'étude
des moeurs et des caractères, et témoigne, une fois de plus, d'une
IndifTérence hautaine pour tout ce qui pourrait ressembler à ce qu'on
appelle des concessions au public. Mais Manette Salomon, toujours et
même plus encore que Germinie Lacerteux, parait un défi volontai-
rement jeté à tout ce qui se réclame de la logique, de la coordination
et, il faut le dire, de la clarté, tl s'ensuit une pièce hachée par petits
fragments dont le lien trop fragile échappe trop souvent, une pièce
dans laquelle l'action principale s'efface continuellement, laissant la
place prépondérante aux incidents complètement inutiles à cette ac-
tion principale.
Le roman dans lequel ont été découpés ces quatre actes analyse la
mainmise méthodique, néfaste, aLnihilaute, toute-puissante de Ma-
nette Salomon sur le peintre Goriolis. Manette Salomon est juive,
juive à l'âme mercantile, au cœur sec, aux doigts hideusement cro-
chus. L'art, que lui importe ! elle ne connaît qu'une chose : l'argent.
Et lorsque, sentant l'avilissement honteux auquel il est tombé, souf-
frant mille tortures de l'asservissement abject, le dégoût ayant fait
place à l'amour, Goriolis cherche à se ressaisir, il est trop tard.
Malheureusement, la pièce se contente d'indiquer par petites tou-
ches légères ce travail lent d'absolue domination, et l'on s'étonne, à
juste raison, que l'homme ne trouve pas le courage et les forces né-
cessaires pour jeter dehors l'être immonde. Les quatre actes, pour
ainsi dire vides de leur principale raison d'être, sont donc presque
exclusivement remplis d'épisodes, et d'aucuns ne seraient pas trop
mal venus à s'imaginer que le principal personnage n'est autre qu'Ana-
tole, flanqué de son singe Vermillon. Cet Anatole ! quel joli croquis
spirituellement dessiné, tendrement nuancé I C'est lui qui sauve la
soirée ; c'est le rayon de gai soleil s'infiltrant en cet intérieur froi-
dement sonabre, c'est l'émotion honnête et simple faisant oublier toute
la vilenie et la lâcheté ambiantes.
Le succès de l'interprétation est allé tout d'abord à M. Galipaux,
qui a donné au rôle d'Anatole tant de belle humeur turbulente et
bavarde et tant de douce tendresse. MM. Candé, Mayer, Lérand,
Michel. Grand, M""»» Rosa Bruck, Grassot et Luce Colas défendent
supérieurement Manette Salomon.
Vous vous rappelez le bruit qui se fit à la Comédie-Française lors
de la seconde représentation de Thermidor, bruit qui nécessita
l'interdiction immédiate de la pièce île M. Sardou. La Porte-Saint-
Martin ayant, à la tête de sa troupe, M. Coquelin, le génial créateur
du rôle de Labussière, vient de remonter ce drame avec de très
grands soins. Pour la circonstance, M. Sardou é. ajouté a son œuvre
primitive deux nouveaux tableaux, la Convention et la Dernière
Charrette, tableaux dont l'intérêt principal réside dans la mise en
scène superbement réglée. A ce qu'ici même nous avons écrit en
février ÎSQI, nous ne voyons rien à modifier; notre impression est
demeuréela même absolument, etnous serionsfort étonné si Thermidor
n'était pas un très gros succès de public.
Tel nous avions vu M. Coquelin il y a cinq ans, tel nous l'avons
retrouvé, et la grande scène des dossiers du tribunal révolutionnaire
demeure une des choses les plus superbement établies par le mer-
veUleux comédien. M"" Blanche Dufresne, MM. Volny, Desjardins,
Laroche, Gravier, Péricaud, J. Coquelin, Nicolini, M"«" Kerwich,
Miroir et tant d'autres encore, forment un très bon ensemble.
Les i)amcfte/7 viennent de faire leur rentrée à l'Odéon, après avoir
élu domicile et à la Porte-Saint-Martin et au Gymnase. Le public,
fidèle à ses affections, a paru heureux de retrouver la comtesse, et au
Vv^ladimir, et Anna et le cocher Ossip, et les larmes ont coulé comme
premier jour. Très bonne distribution avec MM. Magnier, Rameau,
Montbars, Lambert, Duard, Rousselle, M""'= Tessandier, Syma, de
Boneza, Raucourt, Garniery et Béry.
A la Renaissance, M. de Curel, prend, en grande partie, sa revan-
che de la folle équipée eu laquelle il s'était engagé si à la légère,
il n'y a pas bien longtemps, à la Comédie-Française. Des trois actes
très conrls àe la Figurante, d'idée originale, de déduction plausible,
de dialogue séduisant, le premier est tout à fait exquis, le second
très bien encore, mais le troisième, en son principal personnage
masculin, approche de si près le ridicule qu'il aurait suffi d'une
fâcheuse disposition du public pour gâter le bon effet produit précé-
demment.
Henri Renneval, député, veut devenir ministre et l'objection la
plus grande à son avancement politique est qu'il est célibataire. Qu'à
cela ne tienne ! M"» Hélène de Moineville, avec qui il entretient
d'étroites relations depuis plus de cinq ans et M. de Moineville, au
courant de la conduite de sa femme, trop âgé pour essayer de réagir,
trop philosophe pour se rendre ridicule par un esclandre, lui trouve-
ront une femme qui ne sera sa femme que pour le monde, une
« figurante ». Le choix des deux époux se porte sur une pauvre
76
LE MENESTREL
orpheline, Françoise, jugée d'esprit pratique par Madame, devinée
d'âme ardente par Monsieur.
C'est M. de Moineville qui avait vu juste. Peu à peu Françoise
conquiert Henri ; et après quelques scènes diplomatiques ou violentes
entre la maîtresse épeurée et la femme légitime, qui n'est toujours
que figurante, la victoire reste à celte dernière.
La Figurante, dont chaque rôle offre une difficulté assez particulière
d'interprétation tant les nuances y sont subtiles, tant les situations
souvent délicates, est tout à fait bien jouée par M. Guitry, M'"' Thom-
sen, Legault, M. Antoine et M"'' Caron.
Pail-Émile Ghevauer.
L'ORCHESTRE DE
(Suite.) .
LULLY
Dans le courant de la même année 1696, le l" mai, Collaste repa-
raissait à l'Opéra, en compagnie précisément de l'abbé Pic, avec un
ouvrage intitulé ta -Vai.ssrt«ce cte Vénus, dans lequel il avait employé
plusieurs morceaux de Lully (on voit qu'il en avait fait provision), ce
qui amena, en tête de la partition, un nouvel avis ainsi conçu : —
(c L'autheur a esté obligé de mettre ce mémoire pour faire voir qu'il
n'y a que treise morceaux de symphonie de M. de Lully, dont l'on a
voulu qu'il se soit servy pour l'embellissement de cet ouvrage ; mais,
comme il ne lui a pas esté permis de les faire imprimer, il s'est contenté
seulement de marquer les premières mesures de chaque air. » Ceci
semble indiquer que Collasse ne se trouvait pas alors en très bons
termes avec la famille de Lully.
Collasse avait, pour se consoler de ses insuccès et des critiques
dont il était l'objet, la protection bienveillante de Louis XIV, qui ne
l'abandonna jamais. Le souverain avait pour lui une estime que son
talent, à défaut de génie, suffisait à justifier, et il le lui prouva à di-
verses reprises. Michel Lambert, le beau-père de Lully, étant mort
le 27 juin 1696, Collasse songea à lui succéder dans ses fonctions de
maître de !a musique de la chambre. Il acheta sa charge à ses héri-
tiers au prix de 10.000 livres, et le roi lui en assura 6,000. Il fut
nommé en titre le 14 aoùt(l). Ces nouvelles fonctions, jointes à celles
de maître de la chapelle, pour laquelle il écrivait de nombreuses com-
positions religieuses, ne l'empêchèrent pas de continuer à travailler
pour le théâtre, bien qu'il y fût rarement heureux. Le 4 novembre 1700,
il donnait à l'Opéra un nouvel ouvrage, i'anente, sur un poème de
Houdard de Lamotte. Cet ouvrage ne fat pas plus fortuné que les pré-
cédents, en dépit d'une interprétation qui devait être superbe, car
elle réunissait les noms de M""* Desmatins, Maupin et Fanchon Mo-
reau, de Thévenard, Dun et Hardouin, tandis que la danse était re-
présentée par des sujets hors ligne tels que Pécourt, Balon, Despla-
ces, et M"'* Subligny et Dangeviile.
Celle fois, Collasse resta six années pleines sans reparaître à la scène.
Je suppose donc que c'est à cette époque qu'il faut placer un fail que
Félis a rapporté d'après le Dictionnaire des Théâtres des frères Parfait,
les seuls qui en aient parlé, car je ne l'ai vu mentionné par aucun
autre écrivain contemporain (2). <> M. Collasse, disent les frères Par-
fait, eut le crédit d'obtenir le privilège d'un Opéra pour la ville de
Lille, qu'il entreprit à ses dépens ; mais ce projet ayant été renversé
par un incendie, le Roi, qui goùtoit extrêmement les morceaux de la
composition de ce musicien, lui fit compter une somme de dix mille
livres pour le dédommager de cette perle, et eut encore la bonté de
lui conserver ses deux charges. M. Collasse sçut mal profiter de son
bonheur et des grâces du Roi : il s'amusa à chercher la pierre philo-
sophale. La chute de P/yrrAu-s et Polyxène, son dernier opéra, acheva
de lui déranger l'esprit. Il mourut trois ans après cet accident. »
Polyxène et Pyrrhus, représenté le 2t octobre 1706, n'eut en effet
aucun succès, et Collasse en conçut un profond chagrin. On conçoit
qu'il ne dut pas être plus heureux dans ses reclierches relatives à la
pierre philosophale, au c grand œuvre, » comme on l'appelait alors.
Tout cela, joint au désastre qu'il avait subi à Lille, ébraula sa raison,
et l'on assure qu'il était complètement fou lorsqu'il mourut à Ver-
sailles, le 18 juillet 1709.
(1) "Voy: Jal : JJirlionnaire critique, etc.
(2) Nul n'en parle, en etfet: pas plus Titon du Tillet 'te Pnrwiise Fmnçoisl que
Bourdelot (Hidoire de ta musique), pas plus La Borde (Essais surla musiquî), que
l'abbé Lambert (Histoire littéraire du sièdedc Louis XIV j, pas plus Durey de Noinville
(Histoire de l'Opéra) qus Là. Vieuville de l''reneu3e (l'ompnroison de la musique ita-
lienne avec la musique française). Le renseignement des frères Parfait ne manque
pourtant pas d'une certaine précision.
gPeu de musiciens ont été, autant que Collasse, l'objet des railleries
et des critiques de leurs contemporains, qui ont été pour lui sans
pitié. On lui reprochait à chaque instant de piller Lully, son maître,
ou de l'imiter platement et servilement, et toute occasion semblait
bonne pour lui décocher d'incessantes épigrammes. Cela commença
avec son premier opéra, Achille et Polyxène, ou l'on enveloppa dans sa
disgrâce son collaborateur, le poète Campislron :
Entre Campistron et Collasse
Grand débat s'émeut au Parnasse
Sur ce que l'opéra n'a pas un sort heureux.
De son mauvais succès nul ne se croit coupable:
L'un dit que la musique est plate et misérable.
L'autre, que la conduite et les vers sont affreux ;
Et le grand Apollon, toujours juge équitable.
Trouve qu'ils ont raison tous deux.
On ne peut nier pourtant que Collasse n'ait occupé de son temps
une situation artistique considérable. Mais il émettait peut-être la
prétention de remplacer Lully,. et assurément cette prétention était
excessive. Toutefois, en regard des brocards dont quelques-uns l'acca-
blèrent, on peut placer quelques jugements plus équitables rendus à
son sujet; tel celui-ci, que j'emprunte à l'abbé Lambert : — « ... A
Lulli succéda Collasse, auteur de quelques opéras. Le plus connu, et
aussi le meilleur, est Tliétis et Pelée, dont les paroles sont de M. de
Fontanelle. On y remarque une tempête bien supérieure à celle que
Lulli avoit mise dans Persée; mais il faut convenir que cette supériorité
doit être en partie attribuée à la plus grande capacité de l'orchestre,
qui, du temps de Thètis et Pelée, étoit devenu meilleur. Au reste,
quoique cet opéra ait de grandes beautés, on n'y découvre cependant
aucun de ces traits frappans qui déeellenl un génie particulier; c'est
partout le tour et la manière de Lulli. Aussi Collasse ne peut-il être
regardé que comme un des meilleurs disciples de ce grand homme (1). »
C'est aussi un grand honneur pour Collasse d'avoir été désigné, sinon
nommé, par La Bruyère, qui le mentionne ainsi dans son chapitre .
Du mérite personnel : — « Quand on excelle dans son art, et qu'on lui
donne toute la perfection dont il est capable, l'on en sort en quelque
manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et de plus relevé,
V** est un peintre, C*'^ est un musicien, et l'auteur de Pyrame est
un poète; mais Mignard estMignard, Lulli est Lulli, et Corneille est
Corneille (2). »
Les dix opéras qu'il fit représenter ne sont pas, tant s'en faut, les
seules productions de Collasse. Il faut y ajouter les nombreux motets
et cantiques qu'il écrivit pourle service de la chapelle de Louis XIV,
ainsi que les cantates et cantatilles françaises qu'il dut composer
pour celui de la chambre. Et Fétis nous fait connaître encore de lui
plusieurs compositions importantes : — « On trouve, dit-il, à la
bibliothèque de l'Arsenal la partition originale à'Amarillis, pastorale
de Collasse, datée de 1689. Cet ouvrage n'a pas été représenté. Collasse
a écrit aussi l' Amour et l' Hymen, divertissement composé d'un prologue
et de huit scènes, exécuté au mariage du prince de Conti, et la
musique d'un des ballets des jésuites, qu'on trouve dans un volume
de la collection Philidor à la bibliothèque du Conservatoire de
musique de Paris. »
A tout le moins, peut-on dire de Collasse qu'il fut un travailleur
acharné. Il parait certain aussi qu'il fut un des bons chefs d'orchestre
de l'Opéra.
(A suivre). Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concert Colonne. — L'ouverture de la Princesse Jaune est une œuvre
de la jeunesse de Saint-Saëns ; elle abonde en détails intéressants; mais
c'est une simple ouverture d'opéra-comique, qui ne prépare guère à
la tumultueuse musique de Wagner. — Les Landes, paysage breton de
M. Guy Ropartz, appartiennent bien à la musique descriptive : c'est la
lande aride et stérile, sur laquelle ne brille aucune fleur, sur laquelle
soufîle une bise aigre et glacée. — M"« Kutscherra a interprété avec un
excellent sentiment la mélodie de Wagner intitulée Révcs, qui n'a rien
de bien saillant. — Grand succès pour le concerto en la mineur de Schu-
mann, que M. Diémer a exécuté avec la perfection impeccable qu'on lui
connaît. Ce concerto de Schumann, qui ne devait être à l'origino qu'une
fantaisie (l^' mouvement), fut plus tard complété par l'addition d'une
introduction-andante et d'un finale. Ce fut Alfred Jaëllqui le ât connaître
en France, dans un concert du Conservatoire, où il produisit le plus grand
(1] Histoire littéraire du siècle de Louis XIV, t. II.
(2) "V" désigne Claude-François Vignon. membre de l'Académie de peinture;
C" désigne Collasse; l'auteur de Pyrame est Pradon.
LE MÉNESTREL
77
effet. Cette musique parut étrange; elle dérangeait tant soit peu les habi-
tudes reçues, les traditions acceptées ; mais l'impression fut profonde. —
La seconde partie du concert de M. Colonne était consacrée au troisième
acte du Crépuscule des Dieu3:, de Wagner. L'œuvre a été montée avec beau-
coup de soin : l'exécution a été parfaite. Mais nous persistons à dire que
toute cette musique, faite uniquement pour la scène, n'a aucune raison
d'être au concert, et laisse l'auditeur très indifférent et très froid. Il y a
un moment, cependant, où il est secoué de son indifférence ; c'est lorsque
s'élèvent les premiers accents de la Marche funèbre. A ce moment, la
donnée est plus simple : Siegfried est mort, on célèbre ses funérailles, et
Brunehild intervient, se désespère et se précipite dans le bûcher. Là, le
public n'est plus dérouté : il n'y a aucune complication ; il saisit et devine,
même sans livret, le sens de la musique qu'il écoute. On eût dû commen-
cer par la Marche du Crépuscule et éliminer le reste : l'impression eût été
plus profonde. Du reste, cette marche est admirable et une des plus belles
inspirations qu'il y ait en musique. Le finale renferme des pages de toute
beauté que M"' Kutscherra a fait valoir par sa dramatique diction et la
sonorité puissante de son magnifique organe. H. Barbedette.
— Concerts Lamoureux. — Très belle audition du 2" tableau du l" acte
d'un opéra de M. Théodore Dubois: Circé. Le titre, emprunté à l'Odyssée,
est pris au figuré. L'action se passe en 1809, pendant la guerre d'Espagne.
Le fragment exécuté nous fait assister au réveil de l'enthousiasme patrio-
tique provoqué par Hernandez, chef de partisans, et par Miguela, grande
dame espagnole. Après un prélude aux sonorités retentissantes, la conster.
nation de la foule est exprimée par des phrases chorales très expressives ;
vient ensuite la ballade du Coq noir, très véhémente et indiquant à chaque
mot le souci de rendre par la musique le sentiment des paroles. Mais la
page la plus saisissante est consacrée au chant de Miguela entrecoupé par
les chœurs. Les motifs y sont pleins de noblesse et les interruptions du
peuple font naître une émotion réelle et forte. M. Théodore Dubois s'en
tient d'ailleurs à la forme consacrée de l'opéra, mais ill'élève et la rejeunit
par les correctifs nécessaires. On a fait à son œuvre et à ses interprètes,
M"» Jane Marcy, MM. Lafarge, Bailly et Blancard un chaleureux succès.
— Les Chants de la forge, extraits de Siegfried... musique d'un coloris intense
et cru d'où jaillissent des étincelles comme d'un fer chauffé à blanc, un
peu viae et creuse d'ailleurs si on veut lui demander compte de l'origi-
nalité de ses dessins mélodiques. Ici, "Wagner n'a pas introduit de ces
motifs révélateurs dont quelques-unes de ses œuvres sont ennoblies d'un
bout à l'autre : le coloris de l'orchestre agit en véritable trompe-l'œil au
point que l'on se demande comment cette exaspération de violence creuse
serait supportée si l'auteur responsable portait un autre nom. La scène
finale AuCrépusciile des Dieux faisait contraste, car celle-là est absolument
géniale. On a pu remarquer, en ce qui concerne l'exécution, combien les
nuances de l'orchestre sont faites mécaniquement. Il a manqué dans les
deux fragments de Wagner le sentiment profond, l'allure pleine d'aisance,
le souffle héroïque, la grandeur simple et pathétique, toutes qualités indes-
criptibles mais qui se sentent à l'audition et qui font la différence entre
la chose sentie, vécue, et la chose factice. On ne crée pas artificiellement
le plus léger souille du zéphir et cent mille soulHets de forge ne donne-
raient pas l'impression d'une rafale d'automne. L'orchestre Lamoureux,
très correct et très parfait, pourrait peut-être viser à obtenir une allure plus
libre et chercher ses efi^ets dans une sphère d'action moins étroite. Son
horizon en serait certainement agrandi. M°" Jane Marcy et M. Lafarge ont
bien chanté les deux scènes wagnériennes : mais il n'y a rien à dire de
l'exécution de la Symphonie en fa de Beethoven sinon qu'elle fait tort au
maître par sa sécheresse et ses moyens étriqués. Pour finir, l'Invitation à
la valse de Weber, orchestrée par Berlioz. Amédéh Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Symphonie en te majeur (Mendelssohn) ; chœur des Pileuses
du Vaisseau-Funlùme (Richard Wagner); Symphonie pour orchestre et piano
(Vincent d'Indy), eiécutée par M. Braud ; Motet, double chœur sans accompa-
gnement (J.-S. Bach) ; ouverture de Léonore (Beethoven).
Châtelet, concert Colonne: Ouverture de Coriolan (Beethoven); les Landes,
paysage breton (Guy Ropartz); concerto en la majeur pour violon (Saint-Saëns),
exécuté par M. Rémy. Stniensée, scènes dramatiques inspirées du drame en
prose de M. Jules Barbier et mises en vers par M. Pierre Barbier, musique de
Meyerbeer, avec la distribution suivante :
Le pasteur Struensée MM. Silvain.
Struensée Albert Lambert.
Rantzau Pierre Laugier.
La reine Mathilde M"" Renée Du Minil.
La Reine-mère Hadamard.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : Ouverture de concert en
si mineur (L. Lacombe); symphonie en mi bémol (Schumann); concerto en ul
mineur pour piano (G. Pierné), exécuté par M"" Roger-Miclos; les Chants de la
forge du premier acte de Siegfried (Wagner): Siegiried, M. Lafarge; Prélude
de Parsifid iWagnen; ouverture des }iiaUres-Chaii leurs (Wagner).
Concerts du Jardin d'Acclimatation. Chef d'orchestre: Louis Pister, Béatrice,
ouverture, de E. Bernard. — Largo, orgue et orchestre, de Sporck. — Sérénade
hongroise, de V, Joncières. — LeRouet d'Omphalc, de Saint-Sacns. - Sérénade n°4,
de Jadassohn. — Scherzo-nocturne, Dinse antique et Pavane, de G. Pauré. —
i'eramocs, suite d'orchestre, de Rubinstein.
— Le dernier concert de la Société des compositeurs, donné à la salle
Pleyel, n'a pas obtenu moins de succès que le précédent. On y a surtout
applaudi une fort intéressante sonate pour piano et violon de M. Charles
Tournemire, fort bien exécutée par l'auteur et M. Delaurens, le Sommeil de
l'Enfant Jésus, composition instrumentale pour violon, harpe et orgue, d'un
accent plein de grâce, de M. Henri Biisser (M. Laforge, U"" Taxy et l'au-
teur), des fragments d'un Requiem de M. Max d'Olonne, chantés par
M"' Julie Guiraudon et M. Beyle, et En forêt, suite symphonique de
M. Gesare Galeotti, réduite au piano par l'auteur et admirablement jouée
par lui. Citons encore diverses compositions de MM. Henri Hirschmann,
F. Halphen et André Fijan, ainsi qu'une œuvre posthume de Gounod, un
quatuor pour instruments à cordes, exécuté par MM. Laforge, Dulaurens,
Chazeau et Furet.
— La première séance de la Société de musique de chambre pour ins-
truments à vent et à cordes, a obtenu le succès le plus brillant et le plus
complet. On y a entendu d'abord le nonetto de Spohr, pour cordes, flûte,
hautbois, clarinette, basson et cor, exécuté par MM. Rémy, Balbreck, Loeb,
de Bailly, Hennebains, Gillet, Turban, Reine et Letellier, qui, malgré son
air un peu rococo, n'en est pas moins une composition intéressante. Une
délicieuse sonate de J.-S. Bach, pour piano et hautbois, magistralement
exécutée par MM. I. Philipp et Gillet, qui venait ensuite, a littéralement
enchanté l'auditoire, de même que la jolie sonate de M. Saint-Saëns, pour
piano et violon, dont le finale très curieux, en moto perpétua, a valu un
double rappel bien mérité à MM. Philipp et Rémy. Le programme inscri-
vait, pour finir, le beau septuor de Hummel, œuvre vraiment digne d'un
maître par la solidité du plan, la sûreté de la facture et l'ampleur de la
sonorité. La seconde séance est annoncée pour le 19 mars, avec les noms
de J.-S. Bach, Haendel, Weber et M. Saint-Saêns. A. P.
— Société d'art. Les Esquisses et Souvenirs de Paul Lacombe exécutés avec
talent par M"" Toutain, sont d'une grâce mélodique, d'un charme harmo-
nique rares. L'on peut dire la même chose de deux pièces. Clair de lune
et Feux follets de I. Philipp dont M"" Edmond Laurens a donné une inter-
prétation tout à fait remarquable. Des lieder-valses absolument charmants
d'Edmond Laurens ont eu un véritable et vif succès. De même des Mélodies
du même auteur, et la ballade de Maître Ambros, fort bien dites par
M"" E. Philipp. Le programme se complétait par le beau trio de
Ch.-M. Widor joué par l'auteur et MM. Balbieck et Gurt, par des pièces
à deux pianos d'I. Philipp et par deux chœurs d'une jolie venue. Scène de
mai d'Emile Bernard, et .Idieuxà la mer de Georges Mathias.
— Mercredi dernier, à la Société de musique de chambre de MM. A. Pa-
rent et Baretti, M'''^ Marcella Pregi a chanté le Cycle de mélodies, op. 24,
de Schumann, encore inédit eu France. L'œuvre se compose de neuf mor-
ceaux, on devrait dire neuf camées, présentant les péripéties variées d'une
histoire d'amour. Les poésies sont de Heine. Sur chacunes d'elles est mo-
dulé un dessin musical d'une absolue pureté de formes, tantôt délicieux
de transparence,' tantôt d'une ironie cruelle, toujours en parfaite concor-
dance avec le sentiment des paroles. M""^ Pregi a su prêter à ces minia-
tures musicales le charme d'un talent inimitable dans ce genre particuliè-
rement difficile d'interprétation. Applaudie et rappelée, elle a pu voir
combien ia tentative vraiment artistique a provoqué de sympathie de la
part d'un auditoire ravi et quelque peu surpris d'entendre du nouveau
très inattendu. Au même concert, M. Risler a rendu avec un style très
pur la sonate clair de lune de Beethoven. Le trio en fa de M. Saint-Saëns
avec piano et le magnifique quatuor, op. 74, de Beethoven, ont valu aux
interprètes, MM. Risler, A. Parent, Baretti, Sailler et Parent un succès
entièrement mérité. Am. B.
— La société « la Trompette » a donné, samedi soir, un concert des plus
intéressants. Très applaudis, les chanteurs de Saint-Gervais (surtout dans
la Bataille de Marignan, de Jannequin elles pièces de MM. Ch. Bordes et
Alary) et le pianiste Fritz Schousboë dans le Cartiaval de Schumann. Mais le
succès de la soirée a été l'admirable concerto de Haydn, magistralement
interprété par J. Delsart, l'éminent professeur, membre de la société des
Instruments anciens. « Nous ne prétendons pas, dit un de nos confrères,
retaire l'éloge du maître incontesté du violoncelle. Disons, toutefois, qu'il
faut avoir entendu cette merveilleuse virtuosité, cette sonorité à la fois
puissante et exquise, cette science infinie du phrasé, toute cette si péné-
trante poésie unie toujours au style le plus pur et le plus large, pour com-
prendre ce qu'est en art, la souveraine maîtrise. »
— La Naissance du Christ, oratorio en trois parties, de J.-B. Weckerlin.
C'était lundi dernier, à la salle Erard. Au début oe la séance, M. Weker-
lin a expliqué en peu de mots qu'on allait entendre un ouvrage de sa
jeunesse, et que si on y trouvait des « naïvetés n, il fallait les écouter
avec indulgence. La première partie commençait par la Prophétie d'îsaie,
chantée par M. Auguez d'une façon remarquable ; la seconde partie
de l'air d'Isaïe, Harpe longtemps délaissée, est une page heureuse, de
mélodie franche. La scène suivante se passe aux enfers: Satan dévoile
à son peuple de damnés la naissance du Christ: hurlements et grince-
ments du chœur, chanté par la Société des chanteurs de Saint-Gervais.
M. Challet (rôle de Satan), est doué d'une voix superbe; aussi, vrai
succès pour ce chanteur, qui fait cette année ses débuts dans les
concerts de Paris. La deuxième partie est d'un heureux contraste avec
la première, où la sonorité dominait. Ici la scène se passe dans la cam-
pagne de Jérusalem ; il fait nuit, un jeune pâtre (M"'- Ador) soupire une
mélancolique ballade avec chœur à, bouche fermée. Un remarquable
chœur à huit voix d'hommes suit cette ballade, puis un duo de deux jeunes
78
LE MENESTREL
Israélites (M""" Letocart et M"* Ador) et l'apparition des anges qui for-
ment un double chœur avec les pasteurs, finale sonore, vivant et heureu-
sement venu. A la troisième partie apparaissent les rois Mages: air de
ténor (II. Drouville) soupiré d'une jolie voix de lenorino, comme on peut
en supposer aux rois d'Arabie. Très beau tiio pour les rois Mages, qui
s'arrêtent à une fontaine, et écoutent chanter une jeune Benjamite accom-
gnéepar ses compagnes. Arietto charmante a cinq temps, qui a fait rappeler
son interprète M"= Achté, une toute jeune cantatrice finlandaise. Marche
des rois Mages et triple chœur final à onze parties: les quatre anges, les
trois rois et le chœur des pasteurs, chœur qui a fait applaudir chaleu-
reusement l'auteur. Nous devons mentionner particulièrement les deux
accompagnateurs, M. Morpain, 1"' prix de piano de l'année dernière, un
musicien hors ligne, et M. Letocart, organiste de Saint-Vincent-de-Paul,
qui a tenu l'orgue Alexandre avec une vraie maesiria. Avant de clore ce
résumé, il convient de citer, avec les plus grands éloges, M'"^ Arbel,
1*'' prix de piano aussi, qui a déclamé les strophes absolument comme si
elle avait eu un I" prix de déclamation. M"" Letocart (dans la i' partie),
a été bissée avec la chanson de l'Inde.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Londres (4 mars). — La Société du Bach-
Choira offert à son public la primeur d'un Requiem àe M. Bruneau. L'œuvre
a été écoutée avec l'attention la plus sympathique et, si le succès n'a pas
jailli avec toute la spontanéité désirable, la faute en est au compositeur,
qui n'a pas su donnera son inspiration l'accent qui touche et qui persuade.
Et pourtant, quel arsenal de ressources, quelle variété d'effets M. Bruneau
n'a-t-il pas mis en œuvre ! Malheureusement, tout ce luxe de rhétorique
musicale n'affecte que nos sens; il ne parle pas au cœur. On sent qu'il n'y
a pas là de conviction ni de foi sincère, mais seulement une mise en scène
savante destinée à nous procurer une illusion, l'illusion du frisson d'outre-
tombe. Mais cet apparat perpétuel serait encore supportable si M. Bruneau
avait pu maîtriser un peu sa manie d'impressionnisme à outrance et
donner une allure un peu plus noble et plus digne à ses idées. La note
sinistre est poussée par lui à un degré qui parfois confine au grotesque, et
la note tendre amollie jusqu'en des langueurs qui n'ont vraiment rien de
religieux.
Le début de l'œuvre, avec ses oppositions d'ombre et de lumière a du
caractère et une tenue qui promettait une suite plus heureuse ; mais
avec le Dies irœ, nous voici déjà en plein chaos. Les trombones se livrent
là à des sauts de carpe et à des cabrioles qu'on peut à la rigueur s'ex-
pliquer comme dépeignant la grimace d'une tète de mort! Le fragment Qui
salvandos saluas gratis nous apporte la note suave avec des ressouvenirs des
cantilènes religieuses de Gounod, et le Recordare est écrit dans le pire style
italien. VHoslias est le meilleur morceau de l'ouvrage. C'est un solo pour
voix d'enfant d'une grande fraîcheur mélodique et traité suivant les règles
du chant grégorien. Cette jolie page n'eut pas manqué d'impressionner le
public si elle n'avait pas été défigurée par les fausses intonations du jeune
chantre chargé de l'interpréter.
Parmi les solistes, je me contenterai de citer M. Edouard Lloyd, qui a
exécuté sa partie en conscience et avec le meilleur de ses excellants
moyens. Les trois autres solistes ne paraissaient chanter qu'avec hésitation
et le chef d'orchestre, M. Stanford, avait bien du mal à faire marcher ses
musiciens et ses choristes. Léon Schiesinger.
— Le nouvel opéra-comique Shainus O'Brien, livret tiré de la ballade de
J. SheriJan Le Fanu par M. G.-H. Jessop, musique de M. Stanford, que
nous avons annoncé dernièrement, vient d'être joué au théâtre de l'Opéra"
Comique de Londres, avec un succès énorme. Le compositeur ne s'est servi
que de deux mélodies originales d'Irlande : Father O'Flynn et TJie Glory of the
Viesl, une marche qui remonte à l'époque de Gromwell, mais il a su
donner à sa musique un caractère irlandais si bien défini qu'on croit enten-
dre des mélodies originales du pays. Le public a rappelé plusieurs fois
les auteurs et leurs interprètes; le fameux directeur M. Harris a dû égale-
ment se montrer au public et, selon son habitude, il y est allé de son
petit speecli, qui a été fort bien accueilli. Shamus O'Brien est assuré d'un
grand nombre de représentations dans le Boyaume-Uni.
— Les candidats pour les fonctions, en ce moment vacantes, de directeur
(principal) du Conservatoire de musique de Guildhall, à Londres, conti-
nuent à affluer. La longue liste que nous avons publiée doit être complétée
par le nom de M. Ralph Dunstan, docteur es musique de l'Université de
Cambridge et professeur de musique dans plusieurs grandes écoles
publiques. Cet artiste a publié plusieurs ouvrages pédagogiques. On cite
aussi parmi les candidats, M. Hermann Klein, un jeune professeur au
Conservatoire de Guildhall, qui n'a cependant aucune chance d'obtenir le
poste si ardemment convoité.
— Le flai/y-iVeitis a annoncé que M. Dvorak arriverait au mois de juin à
Londres pour y diriger l'exécution de ses œuvres. Il ira ensuite se fixer à
Prague, où il compte se consacrer entièrement à la composition. Il paraît
que les fonctions de directeur du Conservatoire de Chicago, qu'il a exercées
pendant plusieurs années, lui ont rapporté assez de « money » pour lui
assurer une position indépendante. The Musical Âge, qui relate ce détail,
remarque mélancoliquement que c'est peut-être pour cause de « fortune
faite » que Dvorak ne veut plus accepter la direction d'un Conservatoire
américain.
— M. Georges Jacobi,le chef d'orchestre si populaire à Londres, où il
a écrit récemment la musique de son centième ballot, vient d'être nommé
professeur de composition au Collège royal de musique. On se rappelle
que M. Jacobi, qui a fait son éducation musicale en France, fut naguère
l'un des meilleurs élèves de notre Conservatoire, où il obtint, dans la
classe de Massart, un brillant premier prix de violon.
— De notre correspondant de Genève : La musique française vient de
remporter ici une nouvelle victoire. P/io(«, comédie lyrique en trois actes de
M. Louis Gallet, musique de M. Edmond Audran, a reçu du public gene-
vois, l'accueil le plus chaleureux. 11 s'agit d'une agréable fantaisie placée
par le librettiste à Byzance, au temps du bas empire, simple prétexte à
décors lumineux et pittoresques et à costumes somptueux. Deux jeunes
mariés, Gallus et Photis, sont en butte aux menées d'un coureur de dot,
Ruâlus, secondé par deux parasites à tout faire et protégé dans ses entre-
prises coupables par un empereur, ennemi des pures amours conjugales.
On fait tant et si bien que Gallus et Photis, de par la loi, vont être obligés
de divorcer. Tout s'arrange, grâce à un dénouement aussi ingénieux que
juridique, et nos deux pigeons recommenceront à roucouler en paix.
M. Audran a atteint sans effort, dans sa nouvelle partition, le style de
l'opéra-comique ; sa musique, où la mélodie n'a jamais manqué, est spi-
rituelle toujours et distinguée aussi, avec parfois des accents dramatiques
d'une belle ampleur. L'orchestration, point fatiguée ni chargée hors de
propos, est intéressante dans des recherches de dessins et de sonorités.
Les récitatifs sont bien traités (il n'y a pas de parlé dans Photis) et les
ensembles, toujours courts, ne sont pas moins bien venus. Les nombreux
airs et duos d'amour de PJwlis, très modernes d'allure, ont été interprétés
avec talent et conviction par le ténor léger Mikaelly (Gallus) et la chan-
teuse légère M""« Julia Luca (Photis), dont la belle voix a fait merveille,
semant les perles pour récolter les bravos. Et Myrilla, petit esclave malin
dont l'intervention dénoue l'intrigue, à la satisiaction de tous, notre
divette, M^^ 0. Dulac, en a fait une création amusante. L'élégant coquin
Rufilus a été très bien chanté par la basse La Taste. MM. Émery et Guérin
ont rempli à notre joie leurs rôles aussi comiques que musicaux. Belle
mise en scène de M. Dauphin; c'est de tra.dition. Emile Delphin.
— Une polémique s'est engagée, dans les journaux italiens, à propos du
décret royal que nous avons fait connaître et qui proroge de deux années
les droits d'auteur du Barbier de Séville de Rossini. Quelques-uns assuraient
que cette mesure avait été prise dans l'intérêt du Lycée musical Rossini
de Pesaro, dont ces droits constituent la meilleure partie du revenu. Le
journal /a Sera, répondant à ce sujet à un de ses confrères, le Carrière délia
Sera, avait avancé que la somme léguée à sa ville natale par Rossini, pour
la fondation du Lycée, se montait à un million 230.000 francs. Or, il résulte
d'un document certain, V « état patrimonial » du Lycée établi à la date du
31 août 1893 par son président, l'avocat Ettore Mancini, que le legs fait par
Rossini s'élevait au chiffre exact de 2millio!is6l9. 612 francs, et que le Lycée
jouit aujourd'hui, de ce fait, d'une rente annuelle de 160.653 francs. En ce qui
concerne les droits d'auteur de Rossini, dont il avait aussi légué la jouis-
sance au Lycée, ceux-ci produisaient 'encore, en ISUl, une somme de
1S.438 francs, mais cette somme, qui diminuait chaque année, n'étaitplus,
en 1894, que de 8.847 francs. On peut donc s'assurer que ce ne sont point '
les droits d'auteur du Barbier qui constituent pourrétablissement un revenu
appréciable, et que Rossini avait assez bien pris ses mesures pour que
l'existence du Lycée fût assurée sans ce secours éventuel et destiné à dis-
paraître dans un temps donné.
— La solennité organisée par M. Mascagni à Pesaro pour célébrer l'anni-
versaire de Rossini a commencé par un concert donné par lui au théâtre,
et dont le programme a paru assez étrange. En effet, à deux ouvertures du
maître, celles de la Cambiale di matrimonio et de Guillaume Tell, M. Mascagni
avait joint la Symphonie héroïque de Beethoven, un largo de Hiendel et
deux morceaux de "Wagner: le prélude de Lohengrin et l'ouverture du Tann-
hàuser. L'accouplement des deux noms de Rossini et de Wagner est déjà
singulier en lui-même, mais il le devient plus encore lorsqu'on songe qu'il
s'agit d'une fête rossinienne. Ce concert avait lieu le jeudi '11 février. Le
samedi suivant, 29, date exacte de l'anniversaire, la Messe solennelle de
Rossini était exécutée au Lycée, avec un corps grandiose d'exécutants qui
ne comprenait pas moins, pour l'orchestre, de 30 violons, 15 altos, 9 vio-
loncelles, 12 contrebasses, et le reste à l'avenant. Les chœurs se compo-
saient de 140 chanteurs. Quant aux solistes, c'était M"*^ Pizzagali et CoUa-
marini, le ténor (5îraud, la basse Venturi et trois élèves de l'institution,
MM. Beninsigna, Rossi et Viucenzi.
^ On sait que, à propos de ces fêtes de Rossini, M. Mascagni a donné
lundi dernier, au théâtre de Pesaro, la première représentation de son
nouvel opéra, Zanello (le Passant). Certains journaux se permettent de
trouver ce fait quelque peu anormal, et font justement remarquer qu'en
une telle circonstance M. Mascagni aurait dû effacer complètement sa per-
sonnalité devant le souvenir de l'illustre maître qu'il s'agissait de glorifier.
Ils rappellent, non sans quelque à-propos, qu'en un cas semblable, c'est-
LE MENESTREL
79
à-dire lorsqu'il y a quelques années on fêta à Milan l'anniversaire de la
naissance de Rossini, Verdi, qui avait accepté de diriger l'orchestre, se
garda bien de chercher des applaudissements pour son compte., et « oublia
sa propre personnalité pour honorer exclusivement celle du grand homme
dont on rappelait le souvenir. Ce fut une preuve exquise, de tact de la
part de Verdi, dont chacun lui sut un gré infini. »
— En ce qui concerne la représentation de Zanetto en elle-même, elle
paraît avoir été un très grand succès. Presque toutes les villes d'Italie,
surtout Livourne, la patrie du compositeur, avaient envoyé des représen-
tants pour assister à cette première, attendue avec impatience dans toute
l'Italie. On a dû répéter trois morceaux, et les journaux italiens prévoient
une nouvelle édition du succès légendaire de Caoalleria rustimna. Cette fois-
ci, l'infermeizo traditionnel manque; mais l'opéra, qui dure à peine une
heure, commence par un chœur invisible chanté derrière la scène avant le
lever du rideau et qu'on a dû bisser. Un critique enthousiaste, compa-
triote de M. IVlascagni, écrit que Zanetto donne une idée complète de la
Renaissance italienne. « Excusezdupeu ! « aurait dit ce grand philosophe
qui fut Rossini .
— Maigre carême! s'écrie douloureusement le Trovatore. Dans l'actuelle
saison de carême, il n'y a de spectacle d'opéra en Italie que dans dix-sept
théâtres seulement, savoir : Carrare, Ferrare, Florence (Pagliano), Forli,
Lodi, Milan (Scala), Naples (San Carlo et Mercadante), Pise, Pignerol,
Rome (Argentina et Nazionale), Sassari, Turin (Vittorio-Emanuele),
Oneglia, Trapani et Venise (Rossini). Saison maigre, en effet.
— Il s'est formé récemment à Pescia, ville où est mort le compositeur
Giovanni Pacini, le vieil ami de Rossini, un comité pour organiser la cé-
lébration du centième anniversaire de sa naissance. Pacini est né en effet
enl79G,mais à Gatane, et il semblerait que ce fùtcette ville, où naquit aussi
Bellini, qui eût dû prendre une telle initiative. Quoi qu'il en soit, c'est
Pescia qui célébrera le centenaire de ce compositeur, âgé de dix-sept ans
seulement lorsqu'il fit représenter à Milan son premier opéra, qui, dans
l'espace d'un demi-siècle, n'en offrit pas au public moins de soixante et onze,
et qui, en mourant, laissa encore, complètement achevées, les partitions
de seize ouvrages qu'il n'avait pas eu le temps de faire paraître à la scène.
La solennité est fixée au 12 avril prochain.
— Encore toute une kyrielle d'opérettes à signaler en Italie. A Lucques,
le Nozz-e di Bebè, musique de M. Domenico Cortopassi ; à Pralo, A. B. C,
musique de M. Roberto Gipriani; et à Catane, il Ca/fé-concerto, musique de
M. Langella.
— On a donné à Cagliari, avec quelque succès, la première représenta-
tion d'un opéra en un acte, Yirgo Dolorosa, dont le compositeur Alberti a
écrit la musique sur un livret de M. Garzia.
— On a exécuté dans la cathédrale de Catane, à l'occasion des fête s de
sainte Agathe, une messe solennelle inédite dont l'auteur, le jeune maestro
Domenico Cambria, est à peine âgé de dix-huit ans. Les journaux de
Catane en disent grand bien.
— Un éditeur milanais entreprenant, M. Carlo Aliprandi, invite les
compositeurs, professeurs, chanteurs, poètes, auteurs dramatiques, etc., à
collaborer à un numéro spécial du journal la Farfalla, qui sera publié le
19 mars, jour de la Son Giuseppe, et qui sera exclusivement consacré à
Giuseppe Verdi.
— Les dépêches d'Anvers annoncent le très vif succès remporté par la
Navarraise au Théâtre-Royal. II n'y a pas eu moins de cinq rappels au
baisser du rideau. M"« Brietti paraît avoir été une très remarquable
Anita et le ténor Dupuy s'est montré son très digne partenaire. Orchestre
excellent sous la direction de M. Warnots.
— Le célèbre ténor Masini cumule. Non content de gagner cinq mille
francs par soirée à Saint-Pétersbourg, où il est engagé avec M"' Sigrid
Arnoldson à l'Opéra italien, il vient encore de gagner la bagatelle de
120,000 roubles avec un billet de l'emprunt à primes de l'État russe. C'est
près de 400,000 francs en or que le chanteur va ainsi empocher, et cette
somme doii faire plaisir même à un ténor di primo cartello. Il est certain que
si Masini n'avait pas chanté actuellement à Saint-Pétersbourg il n'aurait
pas pris ce bienheureux billet de loterie.
— La société musicale de Varsovie, fondée le lo janvier 1S71, célèbre le
vingt-cinquième anniversaire de son existence. Elle compte actuellement
plus de neuf cents membres. Ses recettes entières montent à 23.000 roubles,
73.000 francs environ; ses dépenses s'élèvent presque à la même somme.
— Voici une liste des œuvres lyriques françaises jouées en Allemagne
et en Autriche pendant ces dernières semaines. A Vienne : Mignon, l'Afri-
caine, la Juive, Werther, Robert le Diable, Carmen ; à Beulin : Carmen, Mignon,
Faust : à Munich : les Huguenots, le Postillon de Lonjumeau, Iphigénie en Aulide;
à Hanovre : Les Huguenots, le Prophète ; à Wiesbaden : Mignon, Fra Diavolo,
la Fille du Régiment, Faust, les Dragons de Villars, la Muette de Portici, la Juive;
à Manniieim : Carmen ; à Leipzig : la Poupée de Nuremberg, Carmen, la Vivan-
dière, les Dragons de Yillars ; à Brè.iie : la Juive, la Fille du Régiment, les Dra-
gons de Yillars ; à Stuttgart : les Huguenots, la Muette de Portici, le Prophète,
Bonsoir, Monsieur Pantalon ; à Cassel : Faust ; à Bbeslau : Lakmé, les Hugue-
nots, Fra Diavolo, le Maçon, Mignon, Faust ; à Dresde : Carmen, la Part du
niable, Djamileh, la Fille du Régiment, Mignon, les Dragons de Yillars ; à C.vbls-
RUHE : Fra Diavolo, Guillaume Tell, le Postillon de Lonjumeau; à Hambourg : le
Prophète, la Yivandière, le Postillon de Lonjumeau; à Budapest: le Prophète,
Ilamlet, la Navarraise, Faust, Guillaume Tell, la Juive.
— Un nouvel opéra du. compositeur tchèque Zdenko Fiebich a été joué
avec succès a Prague. Le sujet en est tiré du Don, Juan de Byron, et l'ou-
vrage a pour titre Haydée, tout comme l'œuvre d'Auber. On a tout particu-
lièrement applaudi le deuxième acte et la ballet du dernier.
— Un nouveau ballet, le Frère Bartolo, dont le livret a été tiré par le baron
de Bourgoing du Barbier de Sévitle, et dont la partition est due à M. Joseph
Bayer, de l'Opéra impérial, sera prochainement joué à Vienne, dans la
salle des fêtes du président du conseil. Il s'agit d'une œuvre de bienfai-
sance, On verra sans doute bientôt ce ballet sur une scène viennoise.
— L'opéra en trois actes Waltlier von der Yogelweide, paroles et musique
de M. Albert Kauders, qu'on a déjà joué avec succès au théâtre allemand
de Prague, vient d'être représenté à l'Opéra impérial de Vienne. Le célèbre
ménestrel Walther von der Vogelweide joue un rôle plutôt romantique
qu'historique dans cette œuvre, que le public viennois a fort bien accueillie.
— Le théâtre de la cour de Gotha vient de jouer, pour la première fois,
un nouvel opéra an un acte, En flatnme, livret de M. Emile Strauss, mu-
sique de M. Max Marschalk.
— On vient de donner au théâtre San-Carlos, de Lisbonne, Irène, l'opéra
italien du compositeur portugais Alfred Keil, qui avait été représenté
pour la première fois, il y a quelques années, au Théâtre royal de Turin.
Le public portugais a accueilli avec enthousiasme l'œuvre de son compa-
triote, qui a été l'objet d'une vingtaine de rappels.
— On a joué avec succès à Boston, un nouvel opéra, la Marque, avec
paroles tirées du célèbre roman : The scarlet letter, de Nathaniel Hawthorne,
et musique de M. Walter Damrosch. Ce compositeur cumule ; il est im-
présario dune troupe d'opéra a New- York et son propre chef d'orchestre.
C'est précisément sa troupe qui a joué le nouvel opéra, sous la direction
du compositeur.
PARIS ET DEPARTEBIENTS
Une nouvelle thèse de doctorat es lettres vient d'être soutenue à la
Sorbonne sur un sujet, sinon absolument musical, du moins confinant de
très près à la musique : ta Danse chez les Grecs antiques; et ce qui ajoute
pour nous à l'intérêt de ce travail, c'est qu'il a été accompli par un écri-
vain, M. Emmanuel, qui, à son titre d'étudiant à la Faculté des Lettres,
a joint longtemps celui d'élève du Conservatoire', où il a suivi les classes
de composition du regretté Léo Delibes. La séance a été fort intéressante;
les éminents hellénistes contre lesquels M. Emmanuel était appelé à argu-
menter lui ont soumis diverses objections qui n'avaient pas, du moins comme
pour certaine autre thèse musicale, dont i) fut question en son temps,
l'inconvénient de n'avoir aucun rapport avec le sujet, — et l'on n'a pas
parlé une seule fois de Wagner! M. Emmanuel a très brillamment soutenu
sa thèse, et a été reçu docteur avec la mention très honorable. Comme,
par une heureuse coïncidence, le Ménestrel va bientôt terminer la publi-
cation de mon travail sur la musique antique, j'en profiterai pour donner,
dans un article supplémentaire, un résumé du beau travail de M. Emma-
nuel, auquel la Sorbonne vient d'accorder sa sanction. .1. T.
— Aucun biographe n'était d'accord avec les autres relativement à la
date de la naissance de l'excellente cantatrice M™" Dorus-Gras, dons nous
avons récemment annoncé la mort. Vapereau la disait née en 181,3, Fétis
en 1807, d'autres encore donnaient des dates différentes. Le billet de faire
part de la mort disait l'artiste âgée de 9J ans, ce qui était exact, mais ce
qui ne précisait rien. Notre confrère de la Semaine musicale de Lille a eu
l'idée de faire relever à Valenciennes l'acte de naissance de M"'" Vansteen-
kiste (dite Dorus, du nom de sa mère, qu'elle avait adopté en prenant le
théâtre). Or, le registre des actes de l'état civil de Valenciennes porte que
« Julie-Aimée Joseph Vansteenkiste, tille légitime d'Aimé Vansteenkiste
et de Catherine Lionnet, est née le vingt et un du mois de Fructidor an
treize de la République, » soit non le 8, comme le dit notre confrère par
une légère erreur, mais le 7 septembre 1803, ce qui prouve qu'elle est
morte en elïet à l'âge de 90 ans. On remarquera que la date de l'acte offi-
ciel est encore empruntée au calendrier républicain, bien que déjà la
France fût placée, depuis l'année précédente, sous le régime impérial.
Quoi qu'il en soit, nous sommes fixés aujourd'hui d'une façon précise
sur la date de naissance d'une des cantatrices les plus séduisantes qu'ait
jamais possédées l'Opéra.
— Pour renouveler le répertoire des levers de rideau à l'Opéra-Gomique,
M. Carvalho songe à remettre à la scène le Calife de Bagdad, un petit chef-
d'œuvre de Boieldieu. Les rôles de cet ouvrage (sauf un, qui n'a pas encore
de titulaire), sont distribués à M""i' Leclerc, Mole et Pierron, MM. Marc
Nohel, Gourdon et Jacquet. Le Calife de Bagdad, dont les paroles sont de
Saint-Just, un Saint-Just qui n'a rien à voir avec le complice de Robespierre,
fut représenté pour la première fois à l'Opéra-Comique le 16 septembre 1800,
sous le Consulat. Le Premier Consul assistait à cette première représen-
tation et fit mander les auteurs pour les féliciter. Le sujet de cet opéra-
comique est emprunté aux contes arabes. Le Calife de Bagdad compte à
80
LE MENESTREL
l'heure actuelle plus de mille représentations rien qu'à l'Opéra-Comique.
Il fut repris aussi aux Fantaisies-Parisiennes, aujourd'hui théâtre des
Nouveautés, sous la direction de M. Martinet.
— La Korrigane, le charmant ballet de M. Widor, va atteindre, à l'Opéra,
sa centième représentation. Chacune des dernières représentations de cet
ouvrage a donné lieu, de la part d'une danseuse, à un acte de charité
méritoire. M^'' Mathilde Salle qui joue dans ce ballet, le rôle du mendiant,
ayant appris la maladie d'un vieux choriste de l'Opéra, a eu l'idée d'y faire
une quête. Artistes, abonnés et MM. Bertrand et Gailhard en tête, ont
donné à M"= Salle, qui a pu ainsi, en réunissant les sommes recueillies à
chaque représentation, faire entrer le pauvre choriste à l'hùpital.
— Les deux concerts spirituels de l'Opéra auront lieu les jeudi et samerli
saints, 2 et 4 avril. Au programme : une ouverture de M. E. Mestres ;
Requiem, de M. Alfred Bruneau; symp'ûonie en mi bémol, de Charles Gou-
nod ; Saint-Georges, de M. Paul Vidal, dont les soli seront chantés par
M"" Berthet et M. Affre; la Marche de Szabculy, de M. Massenet.
— Notre collaborateur Arthur Pougin , qui est membre de la Ligue
française de l'enseignement, a fait vendredi dernier, à Versailles, dans la
salle de la Ligue, une conférence sur les chansons populaires. La salle
était absolument comble, et Je public, que le sujet intéressait vivement, a
fait au conférencier le plus chaleureux accueil et l'a vivement applaudi,
ainsi que M. Morlet, qui, au cours de la séance, a chanté d'une façon
charmante plusieurs chansons populaires, dont la saveur et le caractère
ont enchanté les auditeurs.
— M. Georges Mangin, interne des hôpitaux de Paris et fils de M. Ed.
Mangin, le chef d'orchestre si distingué de l'Opéra, vient de passer brillam-
ment sa thèse de docteur en médecine devant la Faculté de Paris; il a été
reçu avec la note : extrêmement satisfaisant.
— C'est encore la Semaine musicale qui nous renseigne sur la brillante
carrière que fournirent, sur le théâtre de Lille, quelques-uns des ouvrages
d'Ambroise Thomas. Le Cdid, qui fut joué le 21 mars 1830, n'a jamais
quitté le répertoire et a obtenu plus de cent représentations. Le Songe d'une
nuit d'été, qui parut neuf mois après, le 19 décembre 1830, a dépassé aussi
la centaine; le rôle d'Elisabeth était établi par M"" Charton-Demeur, qui
devait être plus tard l'admirable créatrice des Troyens de Berlioz. Quant à
mignon, qui fut offerte au public le 9 janvier 1868, le nombre de ses repré-
sentations à Lille ne s'élève pas à moins de 130, ce qui constitue un succès
formidable pour une ville de province. Notre confrère rappelle, à ce sujet,
les beaux chœurs orphéoniques écrits par Ambroise Thomas, entre autres
celui intitulé le. Tyrol, avec lequel deux sociétés orphéoniques de Lille
remportèrent à Paris, au grand concours organisé à l'occasion de l'Expo-
sition universelle de 1867,' le premier et le deuxième prix. Aussi bien
pouvons-nous reproduire, d'après l'ÉcIio des orphéons, la liste des intéres-
santes compositions de ce genre qui sont dues à Ambroise Thomas. La
voici : — Le Chant des amis, composé pour le concours de Lille en 1838;
la Vapeur, pour le concours d'Arras 1839; le Salut aux chanteurs, pour le
festival de Paris 1839; France! France! pour le festival de Londres 1860; te
Tyrol, pour le concours de Lille 1862 ; le Carnaval de Rome, pour le concours
d'Arras 1804; l'Atlantique, pour l'orphéon municipal de la Ville de Paris ;
les Traîneaux, le Temple de la Paix, pour le festival de l'Exposition vniverselle
de 1867; Paris, pour un festival à la même époque; la Nuit du Sabbat, pour
le concours de Reims 1808; et enfin, les Archers de Bouvines et le Forgeron.
— Le Grand-Théâtre de Montpellier a donné, la semaine dernière, une
représentation à la mémoire d'Ambroise Thomas. Le programme se com-
posait du 1" acte de Mignon, de l'ouverture de la Double Échelle, du grand
duo d'HamIel, d'une ode spécialement composée pour la circonstance et
fort bien dite par M. Bruno, du couronnement du buste d'Ambroise Tho-
mas entouré de toute la troupe, et, enfin, des 2' et 3= actes de Mignon.
M. Conte, l'intelligent directeur, M. de Bruni, chef d'orchestre, et
M. Maxime, régisseur général, ont été bien récompensés, par l'empresse-
ment du public, des efforts qu'ils n'avaient pas ménagés pour mener à
bien cette manifestation en l'honneur de notre grand raaitre français.
— Rouen et Bordeaux préparent aussi des représentations solennelles.
— A la Bodinière, suite des conférences toujours très suivies de
MM. Maurice Lefèvre et Pierre d'Alheim, qui présentent l'un les Chansons
des joujoux, l'autre, le compositeur russe défunt Moussorgski, curieusement
interprété par M"= Olenine.
— La Société des Employés du commerce de musique vient de donner
son concert annuel à la Bodinière. Matinée des plus variées et des mieux
réussies, dont chaque numéro aura été un véritable succès. Parmi les ar-
tistes qui prêtaient le concours de leur talent à cette fête, il n'est que
juste de citer M. Charpentier, le distingué violoncelle-solo des concerts de
l'Opéra; M. Jacques Dufresne, un jeune violoniste de onze ans qui a déjà
l'assurance d'un maître; M'"'' la comtesse Borsari, une pianiste amateur
douée d'un mécanisme remarquable; M"= Bonvalot, une chanteuse du
plus grand avenir; enfin M. Amigo, un artiste espagnol qui atteindra vite
en France à la réputation dont il jouit déjà par delà les Pyrénées s'il
nous donne encore quelquefois l'occasion d'applaudir son extraordinaire
talent sur l'harmonium. Quand, à ces noms, nous aurons ajouté ceux de
MM. Fragson, FrageroUe et Fursy, on se fera une idée de ce qu'a pu être
cette intéressante séance.
— On nous écrit de Roubaix que les concerts populaires organisés cette
année par M. Koszul, l'excellent directeur de l'Ecole nationale de musique
de cette ville, obtiennent un très grand succès. LTn orchestre de 70 exécu-
tants, un chœur qui comprend 90 voix masculines et 60 voix féminines, et
des solistes expérimentés, ont fait entendre des œuvres de Mozart, Beetho-
ven, Weber, Schumann, Mendelssohn, Gounod, Mas.'enet, Saint-Saëns,
Th. Dubois, Guiraud, Lenepveu, Joncières, Maréchal, etc. Jeudi dernier,
M. Ch. Lenepveu est venu diriger un festival dont le programme était com-
posé de ses œuvres. On a beaucoup applaudi la conjuration de Velléda, le
divertissement et le chœur des prêtresses, ainsi que l'hymne funèbre et
triomphal. Ce festival a obtenu un énorme succès, et M. Koszul est dès à
présent décidé à doubler l'année prochaine le nombre de ses concerts,
dans les programmes desquels les noms de nos compositeurs français
tiennent une large place.
— Le théâtre de Valenciennes vient d'avoir la primeur du petit opéra-
comique inédit, le Petit Lulli, qui devait être joué à Nantes, et dont la
mort dramatique du pauvre Henri Jahyer avait empêché la représentation
en celte ville. Les auteurs sont, pour les paroles MM. Louis Leloir et
Paul Gravollet, pour la musique M. Charles Hess, dont le Dîner de Pierrot
a été si bien accueilli à l'Opéra-Comique. Le Petit Lulli, fort gentiment joué
par M'"' Viannet et M. Alberthal, a obtenu, nous écrit-on, un franc succès,
etsa musique, vive et légère, a produit la meilleure impression.
— MM. Louis Diémer et Juins Delsart viennent de donner à Bayonne et
à Biarrit7. une série de concerts qui ont été, pour les deux grands artistes,
l'occasion de triomphants succès, M. Diémer, avec des pièces de clavecin,
des œuvres classiques et plusieurs de ses compositions, le Clmnl du nau-
tonier, Yalse de concert, caprice, M. Delsart, avec des œuvres de Widor,
Saint-Saëns et le Dernier Sommeil de la Vierge de Massenet.
— Charmante soirée musicale à « la Betterave ». W' Kerrion et Bres-
soles s'y sont partagé les bravos d'un public enthousiaste avec l'excel-
lent violoncelliste Kerrion, la première en chantant de sa belle voix l'air
d'Héy-odiade et le Poète et le Fantôme de Massenet, la seconde avec l'air des
Noces de Figaro, la Chanson d'automne et l'Heure exquise de Reynaldo Hahn,
et, toutes deux réunies, le charmant duo à'Aben-Hamet de Théodore Dubois.
M. Achille Kerrion a joué admirablement sur son violoncelle un andante
de P. de Wailly, une Rapsodie hongroise de Popper et le nocturne de la Na-
varraise de Massenet. Le tout a fini par des Chansons du Chat noir, avec
M. Maurice Brébant comme interprète.
— Samedi dernier, dans les salons du docteur Blondel, la poétique par
tition de M. Georges Hue, Rïibezahl, a remporté le plus vif succès, d'ailleurs
partagé par ses interprètes : M"» Pauline Smith et M. Raquez (Hedwige
et Rubezahl), M""> Steinheil et M"= Marthe Choisnel, MM. Baudoin-Bui-
gnet, Damad et Picot. Le maître de la maison conduisait les chœurs et
l'orchestre, au milieu d'une assistance artistique et mondaine.
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la mort d'un excellent artiste, Louis-
Adolphe de Groot, qui. Hollandais d'origine, était depuis sa jeunesse
établi en France, qu'il n'a jamais quittée. Compositeur aimable, de Groot
exerçait les fonctions de chef d'orchestre à la Porte-Saint-Martin lorsque
ce théâtre donna, pour les représentations de M"°' Hébert-Massy (laNicette
créatrice du Pré aux Clercs), son fameux drame mêlé de musique, la Fan-
rfond rtî'ne, et il collabora avec Adolphe Adam pour la musique de cet
ouvrage, dont le succès fut éclatant. Da Groot, qui était âgé de 70 ans,
était l'oncle par alliance de l'excellent pianiste-compositeur Charles René.
— De Bruges on annonce la mort du doyen des musiciens belges. M. Jules-
Auguste-Guillaume Busschop, compositeur amateur distingué , membre
correspondant de l'Académie de Belgique. Né à Paris, de parents belges,
le 10 septembre 1810, Busschop fut élevé à Bruges, ville natale de son père,
et se livra avec passion à l'étude de la musique, pour consacrer ensuite
son temps à la composition. On lui doit des symphonies, des ouvertures,
des scènes lyriques avec orchestre, une Messe solennelle pour voix seules
et orchestre, des motets, des morceaux de musique militaire et de nom-
breux chœurs orphéoniques. En 1860 il faisait exécuter à Bruxelles, dans
l'église Sainte-Gudule, un Te Deum solennel qui lui valait les éloges de la
critique, et en 1874 il faisait entendre à Bruges de nombreux fragments
d'un beau drame lyrique en trois actes intitulé la Toison d'or, dont le sujet
était tiré de l'histoire de cette ville.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Étude de M' Er. Thibault, notaire à La Rochelle,
4, rue G.-Admyrauld.
A CÉDER :
Maison de pianos, musique, lutherie, parfaitement achalandée, située
dans la plus belle rue de La Rochelle.
Long bail assuré.
Pour tous renseignements, s'adresser à M° Thibault.
Manette Salomon, la pièce de M. Ed. de Concourt, jouée en ce moment au
Vaudeville, vient de paraître chez les éditeurs Charpentier et Fasquelle.
R. — iMPniBlEniE CDAix, «UE BERGBHif, 20, PABls, — Siicre UriUeniJ
Dimanche IS Mars 1896.
3390. — 62'"« mm — [VMi. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement,
Dn on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, 20 tr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIRE-TEXTE
I. Musique antique (6'' article), Julien Tiersot. — II. Sdraaine théâtrale : Tlia'is
au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, Lucien Solvav; premières représenta-
tions de la ToTine, aux Nouveautés, et d'AHMe, à l'Olympia, Paul-Éhile
Chevalier. —III. L'orchestre de Lully (5" article), Arthur Pougix. — IV. Et la
direction du Conservatoire? H. Moreno. — V. Revue des grands concerts. —
VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE RÉVEIL
n" 1 des Heures de rêve et de joie, du m.aestro N. Gelega. — Suivra immédia-
tement : Balancelle, valse d'ÂNTONiN Marmontel.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Sur la tombe d'un enfant, n» 3 des Poèmes de Bretagne, de Xavier
Leroux, poésie d'ANDRÉ Alexandre. — Suivra immédiatement : Veux-tu,
mélodie de Léon Delafosse, poésie de M""^ Desdordes-Valmore.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
(Suite)
IV
Nous aurons examiné l'tiyŒine antique sous tous ses aspects
quand nous en aurons considéré la forme d'ensemble et
tàclié d'en dégager l'esprit.
Bien que le mauvais état du monument n'ait pas permis
de reconstituer la ligne mélodique dans toute son intégralité,
il en reste assez pour que nous puissions nous rendre compte
de son mouvement général.
Nous avons vu que les périodes se succédaient logique-
ment par modulations au ton voisin du principal, avec des
épisodes chromatiques intermédiaires, et que le tout se ter-
minait par une prière sur un rythme grave et nettement
dessiné. De même, dans certains motets de Bach, le dévelop-
pement polyphonique est suivi par le chant d'un choral.
D'autie paît, nous avons observé, avant celte prière, dans le
dernier épisode du mouvement principal, d€s séries de notes
aiguës qui élevaient soudain le diapason vocal à un degré
sensiblement plus élevé que le reste de la cantilène: il semble
que, pour conclure, le compositeur ait voulu produire un eiîet
vocal, le même, exactement, qui consiste à terminer les airs
d'opéras par des strettes brillantes oîi les chanteurs font
retentir les notes les plus éclatantes de leur voix.
Or, la même remarque avait été faite pour le premier hyrtine,
et cette constatation milite évidemment en faveur de l'opinion
qui soutient que ces deux morceaux étaient faits pour être
chantés en solo, non en chœur.
Nous serions plus embarrassés de dégager de la mélopée un
thème, dans le sens moderne du met. Cependant, nous savons
que les Grecs avaient des nomes, formules musicales im-
muables, sortes de matière que les compositeurs avaient
mission de traiter, et qui formaient la base de tous les chants
religieux. Or, les débuts des deux hymnes à Apollon pré-
sentent des analogies si grandes qu'il ne paraît pas douteux
que l'un procède de l'autre, et qu'il ne serait nullement
impossible qu'ils fussent, tous les deux, des extraits d'un
thème ou nome plus ancien. Je rappelle les premiers frag-
ments du second hymne :
Or, dans la première strophe du premier, nous trouvons la
formule suivante, qui se reproduit cinq fois, dans son mouve-
ment général, au cours de la mélopée :
L'intonation présente, dans les deux cas, d'évidentes analo-
gies.
Poussant plus loin les rapprochements, je transcris encore
la mélopée chrétienne du cbant de la Préface, qui est une
des parties les plus anciennes de l'ofiice de la messe. Chaque
note est destinée à être psalmodiée sur plusieurs syllabes: je
me borne à reproduire le mouvement mélodique général, en
maintenant le ton sur le degré aigu que nous a imposé
l'hymne delphique :
La ressemblance, ici, est un peu moins complète qu'entre
les fragments des hymnes antiques: cependant elle est frap-
pante encore. Voilà donc un exemple de plus de l'analogie
des chants primitifs de l'Eglise avec les chants païens : si
8û
LE MENESTREL
peut-êlre ils ne les reproduisent pas d'une façon absolument
fidèle, du moins ils en procèdent et en ont subi profondé-
ment l'influence. Et qui sait si le chant chrétien, en adoptant
les formules principales et les intonations des deux hymnes
chantés autrefois en l'honneur du dieu dont l'arc est d'ar-
gent, ne nous a pas apporté un écho de quelque nome beau-
coup plus ancien encore, dont les auteurs du n'= siècle
avant notre ère n'auraient fait eux-mêmes que s'inspirer?
Constatons encore le caractère très diatonique de la mélo-
die. A la vérité, quand les intervalles disjoints sont employés
ils sont présentés d'une façon généralement caractéristique,
particulièrement par sauts d'oclave et de quinte (il y a
même un saut de septième, mais qui pourrait très bien pio-
venir d'une mauvaise lecture, car M. Reinach indique une
des deux notes comme douteuse). Mais la plus grande partie
de la cantilène se tient sur les notes ré mi fa, avec le si' bémol
tenant lieu de Vut. Cette dernière note ne se présente pas une
seule fois dans les passages en dorien basés sur la, ce qui
est intéressant à constater, cette note correspondant au sep-
tième degré mobile de la gamme mineure moderne : comme
elle ne flgure pas dans le chant, cela dispense de nous
demander si elle aurait joué ou non le rôle de notre
moderne sensible.
De cette succession de sons très rapprochés provient ce
caraclère de chant lié, assez expressif, monotone d'ailleurs,
qui est celui des deux hymnes à Apollon. Dans les pas-
sages chromatiques du premier, l'emploi du style lié était tel
que parfois les sons se suivaient par intervalles de plusieurs
demi-tons successifs, exprimant en quelque sorte une impres-
sion d'intimité à laquelle je trouve un très grand charme. Il
me semble qu'il y a quelque chose d'infiniment délicat, par
exemple, dans cette phrase intermédiaire :
Ce n'est pas' du tout le chromatique moderne, plaintif,
lugubre, exaspéré, mais quelque chose de très doux, exquis,
subtil et raffiné.
Je n'ai pas dit un mot jusqu'à présent de l'accompagnement
instrumental qui soutenait le chant dans les deux hymnes,
et dont toute trace a disparu dans la notation. C'est que la
question de l'union des instruments avec la voix est une des
parties delà musique antique qui nous sont les plus inconnues.
Pourtant nous en savons assez pour assurer que ces accom-
pagnements étaient très peu de chose, et que l'harmonie
rudimentaire qu'ils constituent ne saurait faire songer en rien
aux richesses de l'art moderne. Nous ne sommes pas moins
autorisés à affirmer que jamais les Grecs ne connurent l'har-
monie vocale, qui est la base par excellence de toute poly-
phonie, et que, lorsqu'ils chantaient en chœur, c'était toujours
à l'unisson. Pour le second hymne à Apollon, l'emploi des
notes réservées habituellement à la notation instrumentale a
fait supposer à des savants autorisés que le chant était pure-
ment et simplement doublé par les instruments : acceptons
cette conclusion, et généralisons-la pour la pratique moderne.
Aussi, lorsqu'il s'agira de donner au public de nos jours une
idée de la musique de l'antiquité, le mieux sera, je pense,
de faire entendre le chant dans toute sa nudité, en se bor-
nant, si cela paraît indispensable, à faire doubler la voix, à
l'unisson ou à l'octave, par une flûte ou un instrument à
cordes pincées, sans y rien ajouter qui rappelle les pratiques
de l'harmonie moderne. Gela sera la façon la plus sincère, et
peut être aussi la plus sûre, d'en faire comprendre aux audi-
teurs mondains le véritable esprit.
(A suivre.) Julien Tiersot.
Erratum. — Le sujet de ces articles n'étant pas déjà si clair que l'on
puisse encore l'obscurcir par des incorrections typographiques, je crois
devoir relever une faute qui s'est glissée, en mon absence, dans le dernier
numéro, page 67, colonne 1, lignes 2 et 3. Au lieu de : « Avistote attribue
à la mèse un rôle parfaitement mondain », il faut lire : « Un rôle parfaite-
ment secondaire. »
SEMAINE THEATRALE
THAÏS AU THEATRE DE Là MONNAIE
Bruxelles, 12 mars.
Le public de la Monnaie a fait, samedi dernier, à Thaïs un accueil
chaleureux, unanime ; et quant à la presse, à part une couple de
journaux innommables, connus pour faire de la critique, comme de
toute autre chose, une arme de scandale, elle n'a pas été moins d'ac-
cord pour admirer la charmante, délicate et spirituelle partition du
maîlre français. Ou peut en conclure que c'a été, pour celui-ci, une
belle victoire, d'autant plus earacléristique que le public d'ici, bal-
lotté entre tant a'esthétiques diverses, est devenu d'un caractère très
difficile, peu expansif, ne se « livrant » qu'en toute connaissance
de cause, et fort méCant.
L'oeuvre, d'ailleurs, à la Monnaie, se trouve dans son vrai cadre;
ses élégances et ses finesses n'y sont pas pt-rdues. De plus, les trois
tableaux du deuxième acte, au lieu d'être covipés d'entr'actes qui en
arrêtent l'intérêt et le développement, s'enchaînent sans interruption,
séparés seulement par les « interludes » symphoniques qui les
relient naturellement; et le grand ballet de la fin a été complètement
supprimé. Ainsi, l'action marche, d'une allure vive, égale, logique.
La première à la Monnaie a donc été une victoire très décisive. Le
premier tableau, d'un si joli sentiment religieux, a produit un effet
profond, avec le délicieux decrescendo de la voix d'Athanaël se per-
dant et s'effaçant dans le loinlain; — les trois suivants, oit l'on a
volontairement coupé toute occasion d'applaudissements finals en les
reliant l'un à l'autre, se sont terminés par un double rappel très en-
thousiaste ; et la scène si pénétrante de la mort de Thaïs n'a pas été
moins acclamée.
Toutes les grâces, toute l'émotion, douce et enveloppante, de la
partition, se sont trouvées mises en valeur, habillées, dirai-je, de leur
vraie atmosphère, vêtues de la coloration distinguée et sobre, dans
ses contrastes même de vivacité piquante et de pathétique touchant,
qu'a bien certainement cherchée le compositeur, et que réclamait
cette histoire tendre et souriante de la courtisane Thaïs, sauvée de
l'amour par l'amour et rachetant son âme en perdant celle de son
rédempteur.
On a beaucoup disserté au sujet de cette histoire; on a raconté la
vie réelle de Thaïs, de sainte Thaïs, telle que la racontent les Pères
du désert; on a déterré même la première version dramatique de la
légende, telle que la religieuse de l'abbaye deGaudesheim, Hrosvitha,
la mit en vers latins au dixième siècle daus son drame de Paphmice;
et l'on a paru regretter que M. Louis Gallet se soit écarté de la lé-
gende, lui, et même du romau de M. Anatole France, dans son
livret de Thaïs. Peut-être a-t-on oublié que l'intention du romancier
n'a jamais été de suivre fidèlement la réalité du fait, qui l'eût eu
traîné vraiment trop loin. — « Je m'en suis fort peu soucié », a-t-il
écrit lui-même à ce propos. « J'ai pris la légende telle qu'elle se
trouve, en cinquante lignes, dans les vies des Pères du désert, et je
l'ai développée et transformée en vue d'une idée moderne. » Et, ap-
prouvant les libertés prises de son côté par le librettiste : « M. Gallet,
a-t-il ajouté, a trop le sens du possible pour avoir cherché à porter
sur la scène une philosophie si trauquille. Il a du moins tiré de
Thaïsun bel exemple de la puissance irrésistible etsourdede l'amour.
Il a fait du moine Paphnuce (devenu Athanaël) une victime tragique.
Paphnuce a vaincu Thaïs et Thaïs a vaincu Paphnuce. Cela était
déjà marqué dans le livre. » On ne pouvait recevoir plus compétente
approbation. M. Anatole France est venu d'ailleurs pour quelques
jours à Bruxelles suivre les dernières répétitions, et assister à la
première ; et il s'est déclaré enchanté de l'œuvre et de ses interprèles.
Les interprètes, en effet, ont partagé le succès des auteurs.
M""" Georgelte Leblanc a fait du rôle de Thaïs une création originale
et tout à fait personnelle. Nulle comparaison à établir entre elle et
M'" Sanderson. Le rôle avait été complètement modifié par M, Mas-
senet pour la voix de M"'° Leblanc, et, d'ailleurs, ce n'est pas vocale-
meut que celle-ci y est surtout supérieure. Elle l'interprète avec ses
moyens très particuliers, sa beauté, ses qualités de tragédienne, son
esprit curieux d'artiste, avide de donner à un personnage une inter-
LK MENESTREL
83
prétation plastique et psychologique aussi complète que possible.
Dans son jeu, dans ses attitudes, dans ses costumes, non moins que
dans son chant expressif, elle a réussi à personnifier une Thaïs fidèle
tout ensemble à la vérité et à l'imagination. Et c'est à la fois très
saisissant à entendre et très séduisant à voir, avec la sensation que
donnerait une statue vivante, parée d'une harmonie exquise de
couleurs.
M. Seguin prête au rôle d'Athanaël l'autorité de son talent toujours
ferme et sur, de grandes lignes et d'accent vigoureux; M. Isouard
est charmant dans celui de Nicias ; et les petits loles sont tenus
très convenablement. La mise en scène est extrêmement soignée, et
les chœurs et l'orchestre ont été remarquables, donnant à la belle
partition de M. Massenet son mouvement, sa vie et son coloris.
L. SOLVAY.
Nouveautés. La Tortue, vaudeville en 3 actes, de M . L. Gandillot. —
Olïjipia. Ariette, pantomime-ballet en 1 acte, de M. F. Bessier, musique
de M. L. Gregh.
Pour une tortue que monsieur affectionnait tout particulièrement,
tandis que madame se complaisait à la taquiner en la mettant trop
souvent sur le dos, ce qui, on le sait, est position désobligeante pour
la bête à carapace, M. et M"'= Ghampalier divorcent. Il est fort juste
de dire que Léonie a macbiavéliquement poussé son mari à bout,
espérant devenir ainsi la femme du bol Adolphe.
Pour Ghampalier, qui a horreur de la solitude, dès que le greffe
lui a signifié l'acte de divorce, il se hàle de convoler en nouvelles
noces avec M"° Juliette Gibonleau, qu'il a rencontrée dans une petite
ville du Midi de la France. Mais le greffe a par erreur signifié l'acte
avant les délais légaux, et Léonie, éclairée sur les sentiments peu
sérieux d'Adolphe, ayant fait annuler le divorce, le pauvre Gham-
palier se trouve, tiès inconsciemment, être bigame.
El la nuit même des noces. M™ Ghampalier n" 1 vient relancer
son mari, réclamantsa plaeesous le toitconjugal. Pourquoi M""" Gham-
palier n° 1, M"' Ghampalier n° 2 et Ghampalier lui-même s'endorment
successivement dans la chambre nuptiale, l'une dans le lit, l'autre
sur lo chaise longue et le troisième sur un fauteuil, après avoir bu
d'un élixir soporifique préparé par un joyeux farceur de la noce, il
serait trop long de vous bien l'expliquer; d'autant qu'en y mettant
toute la bonne volonté possible, on ne saurait qu'arriver à un assez
piètre récit. La scène, de développements un peu longs, est d'une
très curieuse adresse et amusante eu sa dernière partie.
Au dernier acte, rempli de courses échevelées sur le palier de l'es-
calier traditionnel, tout s'arrange. Ghampalier reprendra sa première
femme, et Juliette Gibouleau épousera Adolphe, auquel elle avait été
déjà fiancée.
La Tortue, bien accueillie du public de la première représentation,
manque cependant de ce mouvement continu et un peu fou qui, forçant
le rire, est la seule excuse de ce genre de théâtre très superficiel,
jjue périel, la jolie Rosaura de la Statue du Commandeur, rentrait au
théâtre où elle créa si joliment la pantomime d'Adolphe David. Un peu
dépaysée peut-être par les folies qu'on lui faisait débiter, il la faut,
cependant, grandement féliciter du tact parfait avec lequel elle a
procédé au déshabillage obligatoire. MM. Germain, Guyon, Tarride,
Colombey, Regnard, Laurel, M""*^ Montrouge, Emma Georges, Clem
et Irma Aubrys enlèvent de verve ces trois actes qu'ils joueront
encore plus vivement lorsqu'ils les posséderont mieux.
Tout comme dans la Kofrigaiie, il y a dans Ariette un vilain sonneur
qui aime une jolie paysanne et qui, pour la faire sienne, essaiera de
perdre son gentil fiancé, Jean. Que Jean, h minuit sonnant, frappe à
coups de pioche sur une roche enchantée et la fortune s'offrira à lui.
Jean, qui veut qu'Ariette soit la plus belle, suit mol à mot les pres-
criptions du sonneur; mais à peine a-t-il attaqué le roc que parais-
sent les fées gardiennes du trésor. Il serait perdu, si la jeune fille
n'arrivait à point pour l'eatraîner dans l'église et le sauver ainsi du
pouvoir infernal. Et c'est le sonneur qui est saisi par les fées et pré-
cipité dans le goufre mortel.
De développements clairs, l'affabulation de M. Bessier a l'avautage
de fournir au compositeur matière à musique de danse et à musique
de pantomime. M. Louis Gregh n'a pas laissé échapper cette occasion
de donner quelque variété à sa plaisante partitionnette, fort bien mise
en valeur par l'orchestre de l'Olympia, ayant à sa tête M. de La-
goauère, le chef d'orchestre-directeur.
Gostumes et décors sont charmants, et M"'' Julia Duval, de Riska,
Gomez, Riccio et Lefèvre, avec aussi M. Bucourt et tout le corps de
ballet, s'acquittent agréablement ds leur tâche.
Paul-Émile Ghevalieu.
L'ORCHESTRE DE LULLY
(Suite.)
MARAIS
Marais, artiste fort distingué, virtuose extrêmement remarquable
sur la basse de viole, entra en cette qualité à l'orchestre de l'Opéra
au temps de LuUy, et devint ensuite chef d'orchestre conjointement
avec Gollasse.
Né à Paris, le 31 mars 16Stj (1), Marin Marais devint fort jeune
enfant de chœur à la Sainte-Ghapelle, où il fut élève de Ghaperon,
maître de cette chapelle, musicien aujourd'hui inconnu mais qui
paraît avoir été fort habile, et dont l'habileté est en quelque sorte
attestée par l'importance même de cet emploi. Le jeune Marais était
en bonnes mains, et reçut certainement une bonne éducation théo-
rique. Il s'adonna ensuite à l'étude de la basse de viole sous la direc-
tion d'un artiste nommé Hotlmann, fort réputé sur cet instrument,
puis d'un élève de celui-ci, Sainte-Colombe, qui lui-même était
devenu célèbre. Titon du Tillet rapporte à ce sujet l'anecdote que
voici :
« Sainte-Colombe fut le maître de Marais ; mais s'étant apperçu au
bout de six mois que son élève pouvoit le surpasser, il lui dit qu'il
n'avoit plus rien à lui montrer. Marais, qui aimoit passionnément la
viole, voulut cependant profiter encore du sçavoir de son maître pour
se perfectionner dans cet instrument; et comme il avoit quelque
accès dans sa maison, il prenoit le temps en été que Sainte-Colombe
étoit dans son jardin, enfermé dans un petit cabinet de planches,
qu'il avoit pratiqué sur les branches d'un mûrier, afin d'y jouer plus
tranquillement et plus délicieusement de la viole. Marais se glissoit
sous ce cabinet : il y entendoit sou maître, et profitoit de quelques
passages et de quelques coups d'archet particuliers que les maîtres de
l'art aiment à se conserver; mais cela ne dura pas long-tems, Sainte-
Golombe s'en étant apperçu et s'étant mis sur ses gardes pour n'être
plus entendu par son élève: cependant il lui rendoit toujours justice
sur le progrès étonnant qu'il avoit fait sur la viole ; et étant un jour
dans une compagnie où Marais jouoit de la viole, ayant été interrogé
par des personnes de distinction sur ce qu'il pensoit de sa manière de
jouer, il leur répondit qu'il y avoit des élèves qui pouvoient surpasser
leur maître, mais que le jeune Marais n'en trouveroit jamais qui le
surpassât (2). »
Marais devint en effet le premier virtuose de son temps sur la
basse de viole, à laquelle il apporta d'ailleurs plusieurs perfectionne-
ment?. C'est lui qui ajouta à l'instrument une septième corde qui
n'était pas en usage jusqu'alors, et c'est lui aussi qui eut l'idée de
faire filer en laiton les trois grosses cordes basses pour leur donner
plus de tension et par conséquent plus de sonorito, sans en aug-
menter la grosseur et sans leur donner plus d'élévation au-dessus de
la touche. Il acquit, fort jeune encore, une telle réputation, qu'en
1683 il entra dans la musique de la chambre du roi en qualité de
viole solo, emploi qu'il conserva pendant quarante ans. Depuis plu-
sieurs années déjà il appartenait à l'orchestre de l'Opéra, où Lully,
dont il reç^t, dit-on, des leçons de composition, l'avait pris en telle
affection qn'il lui fit partager avec Gollasse la direction de cet
orchestre.
Et Marais se distinguait déjà comme compositeur à cette époque,
car dès 1(38(3 il publiait un recueil de pièces de viole, et dans le cou-
rant de la même année il faisait exécuter à la cour, devant la Dau-
phine, qui s'en montrait très satisfaite, une Idylle dramatique dont le
Mercure publiait la musique dans son numéro d'avril.
Virtuose renommé, professeur recherché, chef d'orchestre, com-
positeur, artiste répandu de tous côtés. Marais menait une vie très
active. Après la mort do LuUy, il songea à se produire au théâtre.
Il écrivit avec Louis de Lully, le fils aîné du maître, un opéra inti-
tulé Alcide ou le Triomphe d'Hercule, qui ne triompha que médiocre-
ment lors de son apparition aa mois d'avril 1693. Il en composa en-
suite trois autres, mais seul cette fois: Ariane et Bacchus (1696).
Alcyone (1706), et Sémélé (1709). De ces trois ouvrages, un seul,
Alcyone, eut du snccès, mais celui-ful considérable, et pendant long-
temps cet ouvrage resta célèbre, surtout à cause d'une « tempête »
dont tous les contemporains sont d'accord à vanter l'effet prodi-
(1) C'est Fétis qui donne cett3 date. Les frères Parfait, dans leur Histoire de
l'Opéra, disent le 31 mai 1635.
(2) Le Parnasse François.
LE MENESTREL
gieux. 0 On ne peut s'empêcher, dit l'un d'eux, de dire ici un mot
de la lempêle de cet opéra, tant vantée par tous les connoisscurs, et
qui fait un effet si prodigieux. Marais imagina de faire exéculer la
basse de sa tempête, non seulement sur les bassons elles basses de
violon à l'ordinaire, mais encore sur des tanibours peu tendus, qui,
roulant conlinuellemenl, forment un bruit sourd et lugubre, lequel,
joint à des tons aigus et peroaus pris sur le haut de la chanterelle
des violons et sur les haut-bois, font sentir ensemble loate la fureur et
toute l'horreur d'une mer agitde et d'un vent furieux qui gronde et qu;
siffle, enfin d'une tempête réelle et effective (i). » La fameuse lempêle
d'Alcyoïie. qui contribua tant, pour sa part, à la renommée de Marais,
fut l'un des premiers essais do musique iniilative au théâtre. Elle
nous ferait sans doute un peu sourire aujourl'hui, hobilués que
nous sommes à un régime instrumental autrement pimenté. Mais si
l'on se rend eomple du temps et des moyens alors en usage, on doit
convenir que le p'^océdé employé élait ingénieux et que le succès
était mérité.
Marai,", qui avait épousé fort jeune une demoiselle Catherine
d'Amicuurt, avec laquelle il vécut cinquante trois ans, en eut rf/,r-
Hew/' enfant?. Trois de ses fils, dont le plus fameux fut Roland Marais,
devinrent aussi sur la viole des virtuoses forl distingués, ainsi qu'une
de SCS filles. Il présenta un jour ces trois fils à Louis XI'^', dit un
contemporain, « et donna à ce monarque un concerl de ses pièces
de viole, exécutées par lui et ses enfans. Le quatrième, qui portoit
pour lors le petit collet, avoit soin de ranger les livres sur le pupitre
et d'en tourner les feuillets. Le roi entendit ensuite ses trois fils sépa-
rément, et lui dit : — Je suis bien content de vos enfans, mais vous
êtes toujours Marais et leur père (2). » Une autre fille, l'ainée de ceux-
ci, épousa le fameux compositeur Bernier, maîire de la chapelle du
roi, dont les motets el les cantates françaises obtenaient tant de
succès.
Vers IV^o, Marais, devenu vieux, se retira dans une maison qu'il
possédait rue de Lourcine, et s'y livra paisiblement à la culture des
fleurs. Il n'avait pas renoncé pourtant au plaisir de faire des élèves,
car, dit encore un contemporain, « il louoit une salle rue du Battoir,
quartier Saint-André-des-Arcs, oîi il donnoil deux ou trois fois la
semaine des leçons aux personnes qui vouloient re perfectionner
dans la viole. » Il mourut le IS août 1728, âgé de 72 ou 73 ans, et fut
inhumé dans l'église Saint-Hippolyte.
Titon du Tillot a donné, sur les compositions de Marais, des ren-
seignements d'une précision telle que neje saurais mieux faire que de
les reproduire :
« Marais a fait graver cinq livres de piècts de viole: le premier à
une et à deux violes, 168fi; le second à une viole et la basse con-
tinue, 1701; le troisième à une viole avec la basse continue, 1711 ;
le quatrième à une et à trois violes, 1717 ; le cinquième à une viole et
basse continue, 17^.5. De plus, un livre de symphonies en trio pour
le violon el la flûte avec la basse, dédié à M"" Roland, 1692 ; un livre
appelé la Gamme, suivi d'une Sonate à la Marésienne el d'iiae autre
pièce intitulée la Sonnerie de Sainte Geneviève- du- Mont, qui sont des
symphonies pour être exécutées sur le violon, la viole et le clavecin,
volume in-folio, 1723. 11 a laissé encore plusieurs ouvrages manus-
crits, comme un Te Deum qui a été chanté aux Feuillants et aux PP.
de l'Oratoire pour la convalescence de Monseigneur le DaU|jhin ; quel-
ques Concerts de violon et de viole pour M. l'Électeur de Bavière; et quel-
ques autres pièces à une et à deu.'c violes. On espère que sa famille
les mettra au jour.
« On connoit la fécondité et la beauté du génie de ce musicien par
la quantité d'ouvrages qu'il a composez. On y trouve par-tout un bon
goût et une variété surprenante : son grand sçavoir paroît dans beau-
coup de ses ouvrages, et sur-tout dans deux morceaux dont les maî-
tres de l'ait font un très grand cas : sçavoir, une pièce de son quatrième
livre, intitulée le Labyrinthe, où après avoir passé par divers Ions,
touché diverses dissonnances, et avoir marqué par des tons graves,
et ensuite par des tons vifs et animez l'incertitude d'un homme em-
barrassé dans un labyrinthe, il en sort enfin heiireuseri^ent, et finit
par une chaconne d'un Ion gracieux et naturel. Mais il a surpris encore
davantage les connoisseurs en musique par la pièce appelée la Gamme,
qui est une pièce de symphonie qui monte insensiblement par tous
les tons de l'octave, et qu'on descend ensuite en parcourant ainsi,
par des chants harmonieux et mélodieux, tous les tons différents de
là musique. »
(A suivre). Arthujr Pougin.
(1) Le Parnasse François.
(2) Les frères Parfait : Histoire de l
ET LA DIRECTION DU CONSERVATOIRE ?
C'est le moindre des soucis d'un gouvernement radical. Assurément
une œuvre d'art et d'enseignement comme celle-là a beaucoup moins
d'intérêt qu'une loi de ravage comme celle de l'impôt sur le revenu.
Pourtant il serait décent au ministre de l'Instruction publique de
bien vouloir y penser en ses moments perdus.
On dit avec insislance — que ne dit-on pas? — qu'à la direction
des Beaux-Arts le principe serait admis de ne nommer un nouveau
dirigeant au Conservatoire que pour une période de cinq ans. Cela
doit être vrai, puisque ce serait déplorable.
On s'appuie pour se lancer dans ces nouveaux errements sur ce
qu'il en est ainsi pour l'Académie de France à Rome ! Mais quelle
simililude peut-il exister entre une sorte de villégiature artistique
qu'on impose à nos lauréats et une école dont l'enseignement doit
être continu pour porter des fruits?
Vouloir appliquer à une telle École un principe de directio" aussi
fugitive, c'est vouloir sa ruine à bref délai. C'est vouloir aussi en
écarter tous les candidats d'une réelle valeur, et c'est peut-être au
fond ce qu'on désire.
Il n'y en aura pas certainement qui voudront se prêter à cet acte
de méfiance. A Rome, c'est l'habitude, depuis la fondation de l'Aca-
démie de France, de n'y nommer qu'un directeur à temps; il n'y a
donc rien là de blessant pour les titulaires qui s'y succèdent. Mais au
Conservatoire au contraire, jusqu'ici, chaque musicien-directeur y a
terminé son existence: Auber comme Gherubini, et Arabroise Thomas
comme Auber. Un artiste de la même laiHe ne pourra donc accepter
d'autre situation.
Indiquez une limite d'ùge, pour la retraite, si vous craignez la
sénililé possible de certaines directions. Mais aller plus loin, c'est
vouloir réserver la place à quelque fonctionnaire sans prestige qui
y entrera comme dans un fromage, et voilà tout.
H. MOBENO.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est la jolie symphonie en la majeur de Mendelssohn qui ouvrait le
programme du dernier concert du Conservatoire. Cette sj'mphonie, dési-
gnée souvent sous le nom de Symphonie, romaine, ou italienne, est ainsi
nommée parce que l'auteur l'écrivit au cours de son long séjour en
Iialie (1830-31). Il avait déjà écrit à Rottié son ouverture des Hébrides et il
s'occupait de la Nuit de Walpurgis lorsqu'il- commença aussi à songer à
cette belle composition, qu'il baptisa lui-même, ainsi qu'on le voit dans
une lettre à sa sœur du ti février 1831 : « Je compose en ce moment avec
ardeur, lui écrit-il de Rome : la Symphonie italienne marche à grand pas;
ce sera le morceau le plus gai que j'aie fait, notamment le finale. Je n'ai
encore rien arrêté quant à Vadagio; je crois que j'attendrai d'être à Naples
pour l'écrire.» Il en voulait écrire d'ailleurs deux à la fois, ainsi que nous
le prouve une autre lettre, du 1"' mars : « Si je pouvais au moins com-
poser ici une de mes deux symphonies! Quant à l'italienne, j'attendrai,
pour l'écrire, d'avoir vu Naples, car j'y veux mettre un peu de l'émotion
que cette vue m'aura fait éprouver. Mais l'autre symphonie m'échappe à
mesure que je crois la saisir; plus approche la fin de cette période de
calme que je passe à Rome, plus je suis préoccupé et moins j'ai de facilité
au travail... u Elle est fort aimable, élégante et pleine de grâce, cette Sym-
phonie italienne, qui, depuis sa première audition, n'a jamais quitté le
répertoire de la Société des concerts. L'orchestre l'a dite, comme de cou-
tume, avec la légèreté, la distinction et le charme qui lui conviennent.
Après le joli chœur des Pileuses du Vaisseau fantôme, de Richard "Wagner,
qui venait ensuite et dont il n'y a plus rien à dire aujourd'hui, nous avons
entendu, pour la première fois au Conservatoire, la Symplionie sur un air
montagnard de M. "V. d'Indy, connue ailleurs depuis une di.-îaine d'années.
C'est là, en somme, une composition estimable, dont la troisième partie
surtout est intéressante par sa verve, sa couleur et son entrain. Mais en
entendant cette symphonie, où l'auteur a cru devoir augmenter l'orchestre
de Beethoven d'un piano, d'une harpe, d'une troisième flûte, d'un cor an-
glais, d'un saxophone, de deux trompettes supplémentaires et d'un ophi-
cléide, je me reportais involontairement au concert précédent, où nous
avions vu, dans une cantate, le vieux Bach obtenir des effets prodigieux
avec le simple accouplement d'un hautbois et d'un violoncelle, et je me
disais que quand l'inspiration visite véritablement le cei'veau d'un com-
positeur, il n'a pas besoin de tant de complications harmoniques et ins-
trumentales pour s'emparer de ses auditeurs. Nos jeunes musiciens,
qui professent avoir avec raison une admiration si grande pour le
patriarche de l'art, devraient prendre de lui quelques leçons sous ce rap-
port. Le programme du concert se ccmplétait par un motet dû précisé-
ment à J.-S. Bach, double chœur sans accompagnement qui a été fort
bien chanté, et par l'ouverture (n" 3) de Lionore, de Beethoven, admirable-
ment dite par l'orchestre. A. P.
LE MENESTREL
83
— Concerts du. Chàtelet : Slruensée, scènes dramatiques inspirées du
drame en prose de M. Jules Barbier et mises en -vers par M. Pierre
Barbier pour relier les différentes parties de la partition de Meyerbeer....
Ajoutons à ces indications du programme que la musique fut écrite en
1846 pour le drame posthume de Michel Béer, frère de l'auteur des
Hiigtienols. Elle comprend douze numéros : ouverture, chœurs, mélodrames,
entr'actes. Les parties déclamées ont été dites par M"" du Minil, M""= Ha-
damard, MM. Silvain, Albert Lambert et Pierre Laugier, tous de la
Comédie-Française. On retrouve dans la musique de Slruensée la qualité
primordiale sans laquelle l'immense vogue de Meyerbeer ne s'expliquerait
pas : l'habileté suprême dans l'art de draper une phrase mélodique, de
l'enfler, de l'étayer, de la contrepointer jusqu'à ce qu'elle soit susceptible
de rendre tout ce qu'elle peut donner en tant qu'effet scénique. Cette entente
incomparable de la mise au point suffit à expliquer la vogue colossale des
opéras du maître pendant un demi-siècle. Rarement Meyerbeer est naturel;
il a pour lui l'emphase, l'éloquence pompeuse et un peu boursouflée, il
déclame, il pontifie. — Avant son mélodrame de Slruensée, nous avions
entendu une œuvre simple, consciencieuse et d'exquises proportions : les
Landes, de M. Guy Ropartz. C'est une jolie impression musicale, discrète
d'orchestration et bâtie sur un thème suffisamment mélodique. L'isolement,
le calme, l'étendue sont exprimés musicalement avec bonheur. — M. Remy
a obtenu lin brillant succès dans le concerto en la majeur pour violon de
M. Saint-Saëns. Dans cette œuvre, les parties de pure virtuosité, savam-
ment combinées avec les passages de chant, ont permis au virtuose de
faire apprécier son talent sous différents points de vue qui lui sont, en
définitive, tout à fait favorables. L'ouverture de Coriolan a jeté une lueur
resplendissante au début de ce concert un peu mélodramatique.
Amédée Boutahel.
— Concert Lamoureux: L'ouverture de Louis Lacombe date de 1847; elle
sent son époque; quels que soient ses mérites, elle semble un peu démodée.
Louis Lacombe était un pianiste et un compositeur de grande valeur auquel
on n'a pas toujours rendu justice. L'auteur de Manfred, à'Arva, de Saplio,
de Winckelried et de tant d'œuvres magistrales était loin d'être le premier
venu. Mais ce n'était pas l'ouverture en si mineur qu'il eût fallu choisir
pour le remettre en lumière. — Le concerto en ut mineur pour piano, de
M.Pierné, exécuté avec une rare vaillance parM""'Roger-Miclos, estorchestré
avec tant de furie qu'à travers ses harmonies tumultueuses il est presque
impossible de discerner le piano. On peut dire que l'éminente pianiste,
malgré ses efforts, était en quelque sorte réduite au silence ; elle a pu
cependant se faire entendre pendant de trop courts instants dans le scher-
zando, qui est fort joli et n'a qu'un tort, celui de trop rappeler ceux du con-
certo en sol mineur de Saint-Saëns. Cela a suffi cependant pour faire appré-
cier et applaudir la parfaite exécution de M'"'=Roger-Miclos. — Il n'y a rien
à dire de nouveau sur la magnifique symphonie en mi bémol de Schumann,
qui a été magistralement rendue par l'orchestre de M. Lamoureux. Nous
ne savons pourquoi Schumann a introduit dans cette symphonie le maesloso
(scène religieuse) qui ne rentre pas dans le cadre habituel de la symphonie
et qui est un splendide hors-d'œuvre, qui gagnerait incontestablement à
être présenté à part. C'est un véritable chant d'église, du caractère religieux
le plus élevé. — La partie wagnérienne du concert se composait du Chant
de la forge de Siegfried dit avec une incontestable énergie par M. Lafarge,
dii prélude de Parsifal, et de l'ouverture des MaUrcs Chanteurs. Sauf l'air de
la forge, ces morceaux sont tellement connus que l'on tomberait dans les
redites si l'on voulait en refaire pour la centième fois l'analyse. L'exécu-
tion en a été excellente. H. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Conservatoire : Symphonie en la majeur (Mendelssohn) ; chœur des Fileuses
du Vaisseau- Fantôme (Richard Wagner); Symphonie pour orchestre et piano
(Vincent d'Indy), esécutée par M. Braud ; Motet, double chœur sans accompa-
gnement (J. -S. Bach); ouverture de Léonore (Beethoven).
. Chàtelef, concert Colonne; Première partie: 1" acte de Judith (Cb. Lefebvre),
soli par M"* Planés et M. Challet; Récit et Prière de Jocelyn (B. Godard), chantés
par M"" Tériane ; Concerto en sol mineur, pour piano (Saint-Saëns), par
M. Blumer; lEpée d'Anganlijr (Carraud), soli par M'"» Tériane et M. Challet.
Deuxième partie : Slruensée, scènes dramatiques inspirées du drame en prose
de M. Jules Barbier et mises en vers par M. Pierre Barbier, musique de
Meyerbeer, avec la distribution suivante :
Le pasteur Struensée MM. Silvain
Struensée Albert Lambert
Rantzau Pierre Laugier. *
La reine Mathilde M"" Renée Du Minil
La Reine-mère Hadamard
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : première audition du Missie
(Ha;adel) : chceur, orchestre et soli par M""" Passama, Marie Maure), MM. La-
farge et Auguez. Le grand orgue sera tenu par M. E. Lacroix.
Concerts du Jardin d'.\cclimatation, chef d'orchestre ; M. Louis Pister : Oucei--
ture (B.Godard) ; Romance, pour violon et orgue (Saint-Baêns); Pavane IG. Fauré) ;
Lei Préludes d'après Lamartine (F. Liszt); Symphonie i>astorale(Bee'.howGni\ Marche
des trompettes d'Aidu (Verdi).
— La Société nationale vient de faire entendre une série d'œuvres mo-
dernes parmi lesquelles il faut citer tout d'abord la belle sonate pour
piano et violoncelle d'Emile Bernard, la suite dans le style ancien de
y. d'Indy et un Madrigal du même auteur. Trois numéros du programme
étaient entendus pour la première fois: une suite pour piano, de M. Paul
Lacombe, des mélodies vocales de M. Letocart, et le quintette pour cordes
de M. Alary. L'œuvre de M. Lacombe est très remarquable dans ses trois
premières parties, un prélude d'une rare beauté et deux courtes pièces
fines et spirituelles, dignes de la plume d'un Schubert. Dans le quintette
de M. Alary, on apprécie l'ingéniosité des détails et le souci de la facture.
— Un public nombreux a fort applaudi vendredi dernier, nouvelle salle
Pleyel, les 9°"= et ii°"^ quatuors de Beethoven, remarquablement interprétés
par le quatuor Geloso, Tracol, Monteux, Schnecklud. Exécution vigoureuse
et nette, ardente et précise.
-- Mercredi II , salle Érard, très intéressant concert du violoniste Joseph
While, qui a fait entendre avec ses partenaires, MM. Tracol, Trombetta
et d'Einbrodt, le troisième quatuor à cordes de Schumann. Ce sont des
œuvres vraiment délicieuses que ces quatuors de Schumann, longtemps
dédaignés, plus appréciés aujourd'hui, et que M. White interprète avec
une maestria remarquable. — Belles exécutions du trio en /a de Saint-Saëns,
par MM. Diémer,"White et d'Einbrodt ; le bénéficiaire a dit avec un senti-
ment exquis la romance si connue de Svendsen et une Styrienne de sa
composition qui a excité, dans le public une explosion d'enthousiasme.
Citons, au programme, une intéressante sonate de piano et violon de
Diémer, et des mélodies de MM. Bomhery et Cœdês-Mangin, remarquable-
interprétées par M'" O'Rocke. H. B.
— La remarquable pianiste M""' Jossic vient de donner, à la salle Pleyel,
trois récitals de piano consacrés à la musique classique, romantique et
moderne. Tour à tour elle a su faire apprécier, que ce fût dans la sonate
appassionnala de Beethoven, ou dans la Fantaisie chromatique avec fugue
de J.-S. Bach, ou bien dans la Légende de Saint-François de Paule de Liszt,
toute la souplesse de son beau talent. La soirée consacrée aux œuvres de
Schumann et de Chopin fut un vrai régal d'art. La dernière séance, qui
avait lieu mardi, 10 mars, était consacrée aux auteurs modernes. Elle fut
d'un bout à l'autre un vrai succès. Signalons parmi les morceaux les plus
applaudis la sonate de Schytte, le Réveil, pièce exquise de Th. Dubois, la
belle étude d'Antonin Marmontel, qu'il fallut bisser, un impromptu de
M. Jossic, et enfin le Caprice pastoral de Diémer.
— Mercredi 18 mars, salle des Agriculteurs de France (rue d'Athènes),
l-i""^ concert (séries A et B réunies) de la Société Philharmonique, avec le
concours de M"'=Breitner, M"" Planés (des Concerts Colonne), MM. Breitner,
Berkovitz, Bailly, Mariotli et la Société chorale les Enfants de Lutèce
(100 exécutants, sous la direction de M. Pastor.)
— Jeudi soir, 19 mars salle Pleyel, deuxième séance de musique de
donnée par MM. Chevillard, Hayot et Salmon, avec le concours de
MM. Touche et Bailly.
— M. Léon Dalafosse donnera deux concerts, les 21 et 26 mars, à la
salle Erard. A côté d'œuvres classiques et de concertos avec orchestre,
le jeune maitre fera entendre plusieurs de ses œuvres: au premier concert
un délicieux nocturne et une brillante mazurka pour piano; au second
toute la série des Soirs d'amour, suite de mélodies fort intéressantes, et
aussi les fameuses Chauves-souris, écrites sur des poésies du comte de Mon-
tesquiou.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On nous télégraphie de Rome que le théâtre National a joué pour
la première fois Chatterton, l'opéra de Leoncavallo dont le livret est
tiré du drame d'Alfred de Vigny. Lo succès a été très vif, surtout après le
deuxième acte. Le compositeur a eu sept rappels après le premier acte,
trois après l'acte suivant et dix après le dernier acte, en tout vingt-cinq
rappels. C'est suffisant, même en Ilalie. Les principaux interprètes étaient
MM. Lucignani, Coda et M"» Gabhi. Chatterton est un ouvrage de la pre-
mière jeunesse de l'auteur, alors qu'il était complètement inconnu. On a
dit qu'il avait été refait en grande partie, ce qui est inexact, ainsi que le
déclare M. Leoncavallo lui-même. « Jugeant mon travail de jeunesse après
plusieurs années, disait-il dernièrement à un ami, je n'ai rien trouvé à
changer dans cette conception, au point de vue de l'expression du senti-
ment. Les mélodies écrites alors sous la première inspiration me semblent
encore aujourd'hui les plus efficaces. J'ai laissé à cette partition la fraî-
cheur d'une œuvre juvénile ; j'ai seulement corrigé quelquefois la forme et
j'ai donné plus de coloris à l'orchestration. » Même au livret M. Leon-
vallo a fait peu de corrections. Il en a pris la ligne générale dans le drame
d'Alfred de Vigny, joué à la Comédie-Française le 12 février 1835.
— Hamlet à la Scala. Dépêche de Milan au journal l'Italie de Rome :
« Hier soir, première d'Ilamlet à la Scala. Grand succès. Public nombreux
et d'élite. Applaudissements enthousiastes pour Hamlet et Ophélie. Riche
mise en scène. Ce soir, deuxième représentation. »
— Encore un succès d'enthousiasme pour le Werther de M. Massenet,
cette fois à Trieste, avec des interprètes tels que la Bellincioni et le ténor
GaruUi. Il n'y aura bientôt qu'à Paris qu'on n'entendra plus l'œuvre
maîtresse du compositeur français; ■
— Nous avons annoncé sommairement le succès obtenu à Pesaro par
la représentation du nouvel opéra de M. Mascagni, Zanetto. Ce succès a
été bruyant et complet. « A la fin du spectacle, dit le Trovatore, huit rap-
8()
I.E MÉNESTREL
pels à l'auteur, dont deux avec la GoUamarini et la Pizzagalli, et six pour
lui seul. Les dames agitaient leurs mouchoirs, les hommes leurs chapeaux.
Les rappels auraient continué si un évanouissement de M"» Mascagni,
causé par l'émotion, n'avait décidé le public à ne plus troubler le maestro
en une telle occurrence. «
— Un de nos confrères italiens, M. Ippolito Valetta, a fait récemment
à Rome, dans la grande salle du Collège Romain, sur l'invitation de la
Société pour l'instruction de la femme, une conférence fort intéressante
sur ce sujet: Les Lulliiers célèbres. C'est S. M. la reine Marguerite, prési-
dente de la Société, qui avait elle-même indiqué ce sujet, traité par le
conférencier de la façon la plus heureuse et qui lui a valu un très grand
succès.
— La ville de Brescia s'est beaucoup divertie, ces temps derniers, d'un
incident original qui avait sa source dans une tentative en faveur de la
moralisation du ballet. Un journal, il Cittadino, s'étant avisé tout à coup de
r 0 extrême indécence » du costume des danseuses, prit la résolution de réagir
avec vigueur dans l'intérêt des bonnes mœurs et, à cet effet, ouvrit une
souscription destinée à recueillir les sommes nécessaires pour permettre
au directeur du théâtre d'allonger dans des proportions convenables les
jupes de ses ballerines. Un certain nombre d'amateurs prirent la chose du
bon côté, souscrivirent avec ensemble et portèrent sérieusement leur
offrande au Cittadino, qui, ayant ainsi réuni une somme de S70 francs,
s'empressa de la transmettre au directeur — y joint le vœu des souscrip-
teurs. L'honorable imprésario ne se fit pas prier, et incontinent fit appliquer
une rallonge aux jupes de ses danseuses, qui, à la représentation suivante,
parurent devant le public en jupes mi-traînantes. Mais on raconte qu'à
cette vue toute la salle fut prise d'un tel accès de fou rire que les danseuses
elles-mêmes en furent atteintes, et que cette hilarité frénétique, qui d'un
côté de la rampe avait gagné l'autre, donna au spectacle du ballet une
allure absolument extraordinaire. La mesure était jugée, et dès le lende-
main on en revint au costume habituel. On assure que le Cittadino se gar-
dera à l'avenir de souscriptions de ce genre.
— De l'Echo musical, de Bruxelles : « Un jubilé important se prépare au
Conservatoire : le 28 avril, il y aura vingt-cinq ans que M. P.-A. Gevaert,
nommé en 1871 en remplacement de Fétis, dirige notre première école de
musique. Une souscription a été organisée, à laquelle participeront le
personnel et les élèves, dans le but d'offrir à M. Gevaert son buste, œuvre
du sculpteur de Lalaing ; l'artiste a été choisi par M. Buis, à qui les sous-
cripteurs s'en sont remis pour éviter les compétitions. M. Gevaert ayant
déjà posé devant le sculpteur, le buste est très avancé. Il sera remis à
l'éminent jubilaire en une cérémonie tout intime à laquelle n'assisteront
que les professeurs et une délégation des élèves, — un par classe. »
L'hommage rendu par ses compatriotes à M. Gevaert sera donc digne du
grand artiste dont la carrière, en Belgique comme en France, ne saurait
inspirer à tous que l'estime et le respect le plus profonds.
— M.Widor, le célèbre organiste de l'église de Saint-Sulpice, à Paris, dit
un journal belge, a donné lundi après-midi, au Conservatoire de Bruxelles,
une audition tout intime a laquelle assistaient la princesse Clémentine et
la comtesse de Flandre, ainsi qu'un certain nombre d'artistes et de dilet-
tantes privilégiés. La virtuosité de l'artiste charma et déconcerte soit dans
le superbe Prélude et Fugue en ré, de Bach, qu'il a joué avec un style
merveilleux, soit dans la Symphonie gothique, composée par M. Widor
lui-même et que nous entendions pour la première fois à Bruxelles,
œuvre tout à fait originale, aux eff^^ts surprenants. W^'^^ Kinen, Eustis
et d'Aguiar, de gracieuses et élégantes mondaines, se sont également fait
entendre dans de délicieuses mélodies de M. "Widor.
— De notre correspondant de Belgique : Deux mots pour vous signaler
le succès obtenu mardi, au théâtre des Galeries-Saint-Hubert, par une
œuvre inédite de deux auteurs nationaux, la Bachelette, par M, 'Van der
Elst et M'ie Eva Dell' Acqua, connue par de jolies mélodies. C'est la Chami-
nade belge. Bruxelloise, née de parents italiens, elle unit, dans sa musique
pétillante et gracieuse, la mélancolie des brouillards de la Senne à la viva-
cité du soleil napolitain. La Bachelette est une opérette très mouvementée.
L'on a applaudi surtout la partition. Il y avait longtemps qu'on n'avait
plus assisté à ce spectacle, rare entre tous : une œuvre belge accueillie
parles Belges favorablement ! L- S-
— Le Grillon du foyer, le nouvel opéra dont M. Charles Goldmark a écrit
la musique sur un livret de M. Willner, sera représenté pour la première
fois à l'Opéra impérial de Vienne le 17 mars. M"= Renard y joue un rôle
fort intéressant. La nouvelle œuvre de M. Goldmark sera donnée ensuite à
Budapest et sur beaucoup de scènes allemandes qui en ont déjà fait
l'acquisition. Pendant la prochaine saison le Grillon du foyer sera repré-
senté à Londres, où cet opéra excite d'avance beaucoup d'intérêt, le livret
étant tiré d'une nouvelle célèbre de Charles Dickens. Plusieurs grands
journaux de Londres ont adressé une requête au surintendant général des
théâtres impériaux, en le priant de réserver à leurs critiques musicaux une
place pour la première représentation à Vienne.
— Le théâtre An der "Wien, à Vienne, vient de jouer avec succès, pour
la première fois, une nouvelle opérette, Mister Ménélas, avec musique de
M. Joseph Bayer.
— L'Opéra de Berlin a reçu un opéra inédit, le Carillon, dont la musique
est due à M. J. Ulrich. Ce théâtre vient déjouer, avec grand succès, un
ballet inédit, Laurin, avec musique de M. Maurice Moszkowski, de laquelle
on dit beaucoup de bien. Pour compléter l'aiBche, on avait repris la Pou-
pée de Nuremberg avec une distribution hors ligne qui assure un regain de
popularité à la jolie partition d'Adolphe Adam.
— On ne chôme pas à l'Opéra de Budapest, qui se prépare pour les fêtes
du millénaire du royaume hongrois. Ce sera d'abord une reprise de
l'Opéra national, le Roi Etienne, de Franz Erkel ; ensuite on jouera le Grillon
du foyer, de Goldmark, Alàr, l'opéra inédit du comte Bêla Zichy, et finale-
ment un opéra inédit, la Rose du village, musique de M. Jenô Hubay, le
compositeur du Luthier de Crémone. On a joué dernièrement avec beau-
coup de succès un nouveau ballet, l'Homme de bron:e, musique de M. Etienne
Kerner, dont le livret a été tout simplement tiré du Cheval de bronze
d'Auber.
— Un comité s'est formé pour ériger, à Schwérin, un monument à
Flotow, le compositeur de Martlia.
— La Russland's Musik Zeitung raconte qu'un photographe de Munich
ayant demandé à Mascagni, de passage dans la ville bavaroise, de bien
vouloir poser devant son appareil, le maestro lui demanda pour cette
faveur la jolie somme de 1.000 marks, sur quoi l'autre renonça naturelle-
ment à l'honneur de fixer sur la plaque sensible les traits immortels de
l'auteur de Cavalleria.
— Les petits théâtres allemands ne cessent pas de produire des opéras
inédits. Dans ces derniers jours, on a joué pour la première fois à Trêves
Arnelda, musique de M. André Mohr, et à Stuttgart un opéra en trois actes
Astorre, musique de M. Joseph Krug-Waldsee.
— Un opéra-comique inédit, Clara Dellin, musique de M. Meyer-Olbers-
leben, vient d'être joué avec succès au théâtre municipal de Wurzbourg.
— De Vienne : M"» Clotilde Kleebeig, que nous n'avions pas entendue à
Vienne depuis douze ans, a donné à la salle Bûsendorfer plusieurs concerts
dont le succès a été retentissant. Rappels sans nombre, bouquets, couronnes,
ovations, rien ne manquait.
— M"''^ Berthe et Ciotilde Balthasar-Florence viennent de brillamment
réussir dans un concert qu'elles ont donné à la Singacadémie de Berlin,
La première est, comme on sait, une petite pianiste de dix ans tout à fait
merveilleuse, et la seconde une virtuose-violoniste de solide éducation.
— Le fameux luthier tyrolien Jacob Stainer, dont certains instruments
sont fort distingués et aujourd'hui très justement recherchés, était né à
Absam le 14 juillet 1621 et y mourut en 1683. Ses restes reposent dans le
modeste cimetière d'Absam, situé en face de l'église, et sa tombe, qui
depuis plus de deux siècles a subi les injures du temps, est, parait-il,
dans l'état le plus déplorable. Ce que voyant, un comité s'est formé dans
la petite ville qui a vu naître cet artisan fort distingué, dans le but de lui
élever, à l'aide d'une souscription, un monument modeste, mais digne de
ses talents et de sa renommée. On sait que Stainer, qui fut, à Crémone,
l'élève du célèbre Nicolas Amati, dont il épousa la fille, eut plus tard pour
élèves dans ses ateliers d'Absam les trois frères Klots, qui ont laissé aussi
un nom dans la lutherie. Fétis n'a pu donner qu'approximativement la
date de sa naissance, et a ignoré celle de sa mort. L'une et l'autre sont
connues aujourd'hui.
— Auber continue à faire florès en Allemagne. Le théâtre de la cour de
Darmstadt vient de reprendre Gustave ou le Bal masqué, qu'on n'y avait pas
vu depuis bon nombre d'années, et l'œuvre a remporté un succès con-
sidérable.
— Ce n'est pas seulement en Italie, en Allemagne, en France, que la
question des chapeaux de femme au théâtre soulève des récriminations
fort justifiées de la part des spectateurs du sexe laid. Voici qu'à Bucbarest,
nous rapporte l'Indépendance roumaine, cette fameuse question vient d'en-
gendrer un procès. A la représentation d'un drame intitulé Banul Maracine,
un spectateur assis à l'orchestre et se trouvant placé derrière une dame
dont, quoi qu'il fit, le chapeau monumental le mettait dans l'imposibilité
absolue de voir rien de ce qui se passait sur la scène, protesta avec
vigueur et réclama la restitution du prix de sa place. Cette satisfaction lui
ayant été refusée, le spectateur s'adressa au tribunal, qui va être appelé à
se prononcer sur celte afi'aire.
- Une nouvelle opérette, la Fille ds Padoue, musique de M. Fédor
Slevogt, sera jouée prochainement, pour la première fois, au théâtre muni-
cipal de Riga.
— La société des concerts de Madrid qui prend le nom d'Union artistico-
musicale, vient de commencer une série de concerts classiques sous la
direction du compositeur Manuel Giro et de M. Alvarez. Le premier con-
cert, dont le succès a été très grand, a eu lieu le 6 mars, au théâtre Apolo.
Le programme comprenait l'ouverture de la Grotte de Fingal, de Mendels-
sohn, ouverture et ballet fantastique à'Errmonth, opéra de M. Manuel Giro
(primé au concours ouvert par le Ministère des Beaux-Arts), suite d'or-
chestre d'Ernest Guiraud, le Sommeil de la Vierge, de Massenet, et la che-
vauchée des Valkyries, de Wagner. Le public, très chaleureux, a redemandé
le Carnaval de Guiraud, le Sommeil de la Vierge et la chevauchée des Valkyries,
ainsi que le ballet à'Errmonth, de M. Manuel Giro, qu'il a rappelé et
applaudi avec enthousiasme.
LE MÉNESTREL
87
— Grand succès au Savoy-Théâtre de Londres pour une nouvelle opé-
rette, le Grand-Duc ou le Duel forcé, paroles de M. Gilbert, musique de
sir Arthur Sullivan. Les heureux auteurs du légendaire Mikado ont mis
en œuvre leur « truc » ordinaire pour mettre dans leur pièce tout
sens dessus dessous. La langue théâtrale des Anglais appelle cela un
topsy-luriy élément — et le vieux truc leur a de nouveau réussi. Cette
fois-ci, cet élément comique est fourni par une comédienne qui doit parler,
en Allemagne, un fort mauvais allemand. Naturellement, ce mauvais
allemand est figuré, au Savoy-Théâtre, par un fort mauvais anglais. Or, le
directeur malin a trouvé moyen d'engager pour ce rôle !VI""= Ilka Palmay,
l'ancienne soubrette de Budapest, qui a aussi chanté à Vienne, où son alle-
mand magyarisé a fait les délices des habitués de théâtre An der Wien,
qui se tordaient chaque fois que la charmante Ilka chantait en allemand.
On voit d'ici que son mauvais anglais doit être plus comique que nature,
surtout si la ravissante artiste ne s'est pas départie de son habitude d'ac-
centuer les syllabes à la hongroise. Le succès énorme du Grand-Duc, que
constate la presse londonienne, ne nous étonne guère dans ces conditions.
— Après-demain, 17 mars, le doyen de tous les artistes du chant,
iVIanuel Garcia fils, entre dans sa quatre-vingt-douzième année, et ses
nombreux amis de Londres lui feront à cette occasion des ovations bien
méritées. Manuel Garcia est né en effet à Madrid le 17 mars 180S, et les
guerres napoléonniennes forcèrent son père. Manuel Garcia, de se réfugier
à Naples. Doué d'une très belle voix de ténor, son père apprit le chant
avec le célèbre ténor Anzani, qui lui transmit les principes du bel canto du
dix-huitième siècle. Garcia père se fixa plus tard à Paris, devint le pro-
fesseur de ses propres enfants, et en 182.3 toute la famille Garcia se trans-
porta à New-York, où elle joua le Barbier de Séville avec la distribution
suivante, que notre collaborateur Arthur Pougin a fait connaître dans
son intéressante notice sur la Malibran : Almaviva, Garcia père; Figaro,
Garcia fils; Bertha, Garcia mère; Rosine, Marie Garcia, qui allait devenir
M""^ Malibran, la sœur de M"" Viardot. La carrière de Manuel Garcia fils,
comme professeur au Conservatoire à Paris et plus tard à l'Académie royale
de musique de Londres, est trop connue pour que nous ayons à nous
étendre sur ce sujet. Récemment, après avoir résigné ses fonctions à l'Aca-
démie de musique, Garcia a publié un admirable Manuel de l'art du chant.
Parmi ses élèves les plus célèbres se trouvait Jenny Lind. Par son autre
élève, M"" Marchesi, Garcia a exercé une grande influence sur l'art du chant
de notre temps. Espérons que le doyen des chanteurs deviendra le Chevreul
de la musique. B.
— Dépêche de Philadelphie : « Navarraise, très grand succès. Calvé accla-
mée. »
— Recettes américaines ! A Boston, les impresarii Grau et Abbey ont
réalisé 8S.000 francs avec une seule représentation de W^" Calvé dans
Carmen.
— Extrait du Berliner Bœrseticmirier ; « M'"'^ Melba ne demande pas moins
de 500.000 marks (623.030 francs) de dommages-intérêts au Times de Chicago,
qui a affirmé que la célèbre artiste a entretenu des relations intimes avec
des viveurs de cette ville. » Traduction textuelle.
PARIS ET DEPARTEBIENTS
Nous avons dit la curieuse détermination qu'avait prise la direction
des Beaux-Arts de faire des « claqueurs a de nos théâtres subventionnés
autant de fonctionnaires régis par des règles sévères. On ne pourra « cla-
quer » désormais qu'avec l'autorisation du gouvernement, et aux endroits
qu'il indiquera. Cela pourrait être drôle à une autre époque, mais aujour-
d'hui il n'est plus rien vraiment qui puisse nous étonner. Donc, à l'Opéra,
on a nommé un M. Sol pour donner le la aux applaudissements, et à
rOpéra-Comique un M. Rémy. On ne pouvait vraiment mieux choisir.
. Leur personnel embrigadé devra porter l'habit noir et la cravate blanche.
Mais les gants sont interdits, comme étouffant les manifestations sponta-
nées. Allons! voilà qui va bien, et il n'y a rien de tel qu'un ministre
éclairé pour entendre les choses.
— A l'Opéra, on croit pouvoir annoncer la première représentation
i'Hellé, l'œuvre de M. Alphonse Duvernoy, pour la fin du mois.
— Une indisposition malencontreuse de M"* Delna avait arrêté brus-
quement, dès le commencement, les représentations d'Orphée à l'Opéra-
Comique, en mettant le théâtre dans la pénible nécessité de faire relâche
lundi dernier ; mais tout va bien à présent, et la belle œuvre de Gluck
poursuit sa nouvelle carrière sans encombre.
— Au même théâtre, le Chevalier d'Harmenlhal paraît momentanément
écarté par la Femme de Claude, qui a repris possession de Ja scène. Est-ce
pour de bon cette fois? On parle aussi d'une reprise du Pardon de PloSrmel
pour les débuts de M"" Courtenay.
— Avant tout, nous aurons aujourd'hui dimanche la reprise du Maçon, un
des premiers ouvrages d'Auber. Le Maçon, paroles de Scribe et Germain
Delavigne, nous dit Nîcolet du Gaulois, fut en effet représenté pour la pre-
mière fois, à l'Opéra-Comique, le 3 mai 1825. Son succès fut considérable.
Les interprètes d'alors étaient LafeuîUade, Ponchard, 'Vizentini,
M™« Boulanger, Rigaud, Pradher et Colon. Une reprise eut lieu en 1813,
avec Audran, Mocker, Ricquier, Henri, M"""* Prévost, Darcier, Pothier et
Zévaco. D'autres reprises eurent lieu, avec Roger, puis plus tard Capoul,
dans le rôle de Roger. La dernière reprise date de 1879, où elles réunissait
les noms de Nicot, Herbert, Gourdon, M""«>^ Chevalier, Thuillier et Dupuis.
Aujourd'hui, te Maçon est distribué de la façon suivante:
Léon de Mérinville MM. Mouliérat.
Roger Carbonne.
Baptiste ■ Gourdon.
M"' Bertrand M"" Chevalier.
Henriette Mole.
Irma 'Villefroy.
Zobéide Delorn.
— Nous croyons devoir rappeler aux compositeurs de musique qui
prennent part au concours ouvert parla Ville de Paris entre les musiciens
français, pour la composition d'une œuvre musicale avec soli, chœurs et
orchestre, sous la forme symphonique ou dramatique, qu'ils doivent
déposer actuellement, et seulement jusqu'au 1(3 de ce mois (dimanche
excepté), leurs partitions à l'Hôtel de Ville, service des Beaux-Arts, de
midi à quatre heures.
— On sait avec quelle faveur a été accueillie la nouvelle de l'ouverture
de l'Exposition du Théâtre et de la Musique, au Palais de l'Industrie, le
25 juillet prochain. M. le président du conseil des ministres vient d'accepter
la présidence du comité de patronage de cette exposition, dont l'organisation
se poursuit avec activité. M. L. Abaye, directeur, et M. 0. Lartigue, secré-
taire général, ont chargé M. Yveling RamBaud de l'organisation de la
partie artistique rétrospective et documentaire de l'exposition. La grande
compétence, en matière d'art, de notre sympathique confrère est un sûr
garant de succès pour cette œuvre intéressante. La direction nous prie
d'annoncer qu'elle organise une très importante section de tissus, modes
et coiffures qui sera assurément une des attractions les plus courues par
l'élément féminin. Bien entendu, il y aura un orchestre, dont la direction
a été confiée à M. Achille Kerrion, le distingué violoncelliste.
— La Commission de surveillance de l'enseignement du chant dans les
écoles de la banlieue de Paris a tenu sa séance annuelle mardi dernier,
à l'Hôtel de ville, sous la présidence de M. le directeur de l'enseignement.
Après lecture et approbation du rapport sur les travaux de l'année, pré-
senté par M. Laurent de Rillé, rapport qui rendait compte du festival très
intéressant auquel prirent part, au Trocadéro, le 26 mai dernier, près de
mi/fe enfants des écoles communales, après la discussion de diverses ques-
tions concernant l'extension de l'enseignement du chant dans ces écoles,
la commission a procédé au renouvellement de son bureau, qui est ainsi
composé pour la présente année : président, M. Laurent de Rillé ; vice-
président, M. Naudy ; secrétaire, M. Arthur Pougin.
— Au cours du récent voyage qu'il a fait à Marseille, le président de la
République a accordé les palmes académiques à plusieurs artistes dont
voici les noms : M. JuUien, professeur au Conservatoire ; M. Michaud, chef
d'orchestre du Grand-Théâtre; M.Simon, directeur du théâtre des Variétés;
et M'iiî Marie Kolb, artiste de ce théâtre, bien connue du public parisien.
— Ainsi que nous l'avions annoncé, M. Gravière, directeur du théâtre
de Bordeaux, et M. d'Albert, directeur du théâtre de Rouen, ont consacré
chacun une représentation à la mémoire d'Ambroise Thomas, composée de
fragments d'œuvres de l'illustre maître. A Bordeaux, l'exécution du pro-
gramme a été parfaite. Enthousiasme et recueillement, tel est le compte-
rendu de la soirée. Beau succès pour M"'= Deschamps dans une pièce de
vers de circonstance de M. Boue. A Rouen figuraient au programme l'ou-
verture de Raymond, le P^'' acte du Ca'id, le ballet de Françoise de Rimini, le
second acte de Mignon, le i" acte à'Hamlel et le chœur des Nymphes de
Psyché, chanté par toutes les artistes du théâtre. Après Au Pays des rêves, k-
propos en vers de M. Delesque, dit par M. Speck, toute la troupe, en
costume, a couronné le buste d'Ambroise Thomas.
— Comme Montpellier, Bordeaux et Rouen, le théâtre royal de La Haye
a eu, sur l'initiative de son très distingué directeur, M. Joseph Mertens, sa
raprésentation solennelle consacrée à la mémoire d'Ambroise Thomas. On
jouait le Sortge d'une nuit d'été, dédié, comme l'on sait, au feu roi Guillaume III.
A la fin de la représentation, grande cérémonie et couronnement du buste
par toute la troupe ; après l'exécution de la marche funèbre d'Hamlet, le
régisseur, M. Bouvard, s'est avancé à l'avant-scène et a prononcé quelques
paroles émues associant en un hommage respectueux et le souvenir de
celui qui illustra l'art musical et le souvenir du souverain mort.
— Dimanche dernier, â Nancy, triomphe pour le Festival-Massenet or-
ganisé par M. Guy Ropartz, le jeune et actif directeur du Conservatoire.
De mémoire de Nancéens on ne vit enthousiasme pareil. Au programme
la première audition en France de Visions..., poème symphonique, Narcisse,
des mélodies adorablement chantées par M'"= Vilma et accompagnées au
piano par le maître, et les Scènes alsaciennes. Supérieurement dirigé par
M. Ropartz, ce concert ne fut qu'une longue suite ininterrompue d'ovations
et à l'adresse de l'orchestre et de son chef, et à l'adresse des solistes,
M"'^ Crépîn, la nymphe de Narcisse, MM. Hekking, Stéveniers, Robert,
Hesse, Meyer et Scbwartz, etàl'airesse de la délicieuse M"» Vilma à qui
on aurait tout voulu bisser, et à l'adresse de Massenet, que les hourras
frénétiques suivirent jusque dans les rues de Nancy. Au nom de la Ville
et de la commission du Conservatoire, M. Ropartz a remis au maître une
superbe coupe signée Galle. Par une très délicate attention, M. Ropartz
avait tenu à faire figurer au programme le nom de ses trois maîtres ; aussi
LE MÉNESTREL
le concert avait-il débuté par la très iielle ouverture de Frilhiof, de Théo-
dore Dubois, et s'est-il terminé par le Chasseur maudit, de César Franck.
Le soir, M. et M"" Ropartz réunissaient dans leurs salons les notabilités de
la ville et, avec toute sa bonne grâce habituelle, Massenet se mit au piano
et accompagna à M"- Yilma des fragments du Porirail de Manon et des mé-
lodies. Comme à la salle Poirel, dans la journée, auteurs et interprètes
tinrent sous le charme les invités de M. et M""^ Ropartz.
— Le Christ de M. Ch. Grandmougin a été joué à Besançon avec un vrai
succès. L'auteur, qui jouait le principal rôle, a reçu une palme d'or des
étudiants. Belle interprétation et bonne musique de scène de M. Lippacher.
— Le théâtre de Valenciennes entre de plain-pied dans la voie de la
décentralisation. Après le Petit Lulli, de M. Gh. L. Hess, qu'il offrait à son
public il y a quinze jours à peine, il vient de donner la première repré-
sentation d'un autre opéra-comique en un acte, le Magicien, paroles de
M. H. Piquet, musique de M. Claude Fiévet, professeur à l'École de mu-
sique de Valenciennes. Ce petit ouvrage avait été écrit pour un concours
ouvert naguère à Milan, et au sujet duquel on lisait ce qui suit dans la
Gazzetta di Milano : — « Il y a deux ans s'ouvrait â Milan un concours inter-
national de composition musicale (opéra et opéra-comique). Trente-deux
compositeurs prirent part à ce tournoi artistique. Le premier prix
(1.000 francs) fut attribué à Herndi, opéra en trois actes de M. "Werner, de
Leipzig ; le deuxième prix (500 francs) à l'opéra le Magicien, de M. L. Fié-
vet, de Valenciennes. Les deux premiers prix obtinrent la faveur d'être
joués; mais un différend qui s'éleva entre les lauréats et l'éditeur mit fin
aux représentations. M. Fiévet a écrit une partition simple et bien
conçue. Tout y est traité avec élégance et une connaissance parfaite des
accords. On sent un tempérament artistique à l'inspiration distinguée. Si
la partition du Magicien eût été plus longue, M. Fiévet aurait sûrement
remporté le premier prix, le jury s'étant longtemps montré indécis à cet
égard. » La représentation du Magicien a été donnée pour le bénéfice du
compositeur, M. Georges Fiévet, qui, sous le nom d'Alberthal, tient
l'emploi de baryton au théâtre de Valenciennes.
— De Tourcoing : Grand succès pour le festival Gustave Charpentier,
donné par l'Association symphonique sous la direction de M. Albert
Masurel. Succès pour l'auteur et ses interprètes: M. Louis Bailly, des
concerts Lamoureux, M. Victor Charpentier, M"'^ Doris et Luigini.
— Par les soins intelligents de l'abbé Paul Coqueret, un intéressant
concert spirituel avait été organisé le samedi 7 mars dans la chapelle
des catéchismes de Saint-Roch, au profit de l'œuvre de Saint-Thomas-
d'Aquin. Les chanteurs de Saint-Gervais composaient le fond du pro-
gramme. A signaler surtout le délicieux Noël du XVI' siècle, harmonisé par
Gevaert. M. Théodore Dubois avait bien voulu prendre une part active au
concert; on a joué de lui et avec son concours trois pièces capitales: le
charmant Hymne nvplial pour violon, harpe et orgue, le Deus meus des Sept
Paroles du Christ, et la belle Fantaisie triomphale pour deux pianos. Les solistes
étaient l'excellent baryton Paul Séguy, très applaudi dans l'Espoir en Dieu de
Faure et la Sainte Madeleine de Holmes, et le charmant violoniste Boucherit,
qui a joué merveilleusement une romance de Fischhof et la méditation
religieuse de Massenet, malheureusement accompagnée beaucoup trop fort
par la harpe, ce qui en a gâté l'effet; mais M. Verdalle s'est rattrapé dans
un joli solo de sa façon, le Sommeil de l'enfant Jésus. N'oublions ni
M. Rayneau, ni la maîtrise de Saint-Roch sous la direction de M. Pérou,
ni M. Jumel, maître-accompagnateur, ni surtout le sénateur de Lamarzelle,
qui a prononcé une chaude allocution en faveur de l'œuvre de Saint-
Thomas-d'Aquin, laquelle n'aura pas à se plaindre du concert organisé par
l'abbé Paul Coqueret car la recette fut bonne.
— Vif et légitime succès remporté à la salle Erard par la toute jeune et
charmante pianiste M"" .Solange de Croze, au concertqu'elle a donné vendredi
dernier. Fort brillamment secondée par MM. Samson et Vendœuvre, elle
a fait applaudir un trio de M. Salvayre ; mais où elle remporta un véri-
table triomphe, ce fut dans l'interprétation des œuvres de Beethoven,
Schubert etc., audacieusement complétées par son père et professeur
M. Ferdinand de Croze ! MM. Chambon de l'Opéra et Depas de l'Odéon
contribuèrent aussi de belle façon à l'intérêt de la soirée.
— Soirées et Concebtî. — L'audition mensuelle des élèves de M"' Marie
Rueff avaitattiré comme de coutume, une grande arfluenoe dans les salons de
la rue de Courcellee. On a beaucoup applaudi l'air d'Esclarmonde, le Nil de Leroux,
accompagné au violon par M. Baudié, l'air d'Hérudiade, les Toutes Petites et
Anelte de Vidal, chantés par des élèves qui sont des artistes. Le clou de la séance
était la partie réservée aux œuvres de Charles Lefebvre sous la directiOQ de fau-
teur. Ont été particulièrement appréciés : Ici-lias tous les lilias meurent, Soir d'été,
Invocation, Berceuse, les fragments de Judith et de Vjelma, les Bords du Ml, et
Cortège villageois, joué a quatre mains par l'auteur et M"* Toussain.— M""" Vieux-
temps vient de l'aire entendre ses élèves avec un plein succès; à mentionner
particulièrement M"- J. de Frick (Menuet d'Exaudet, Weckerlin), Maréchal et
Belliou (le Vieux TUlad, Lassen,, J. Salomon (air du liai masqui; Verdi), A. Maré-
chal (Annetle, Weckerlin). M. Cli. Lefebvre accompagnait ses œuvres, qui for-
maient la seconde partie du programme et parmi lesquelles on a fort applaudi
Cansonetia (M"" A. Maréchal), Invocuzionc et air du Trésor {M.— de Longueval),
Lamenlo (M"' de Frick), Avril (M"" B. Salomon et de Faurelle) et Jci-bas tous les
nias meurent (M"° Olénine). — Grand succès pour M"" Bressoles avec les Chansons
■ rises, de Reynaldo Hann, qu'elle a chantées chez M"' Allred Robaut. — Bonne
audition des élèves de M"' Le Grix, parmi lesquelles il faut nommer M"° J. La-
fosse (le Petit Lapin, Blanc et Diuphin), A. Patouillard (Oiseaux légers, Gumbert),
M. Salomon et S. Plancher (Cuppélia, à 2 pianos, Delibes-Lack), J. Salomon et
A. Berthet (Polonaise, à 2 pianos, Laekl, J. et M. Roblin (Don Juan, 2 pianos,
Lysberg). — A l'Hôtel Continental, fort belle soirée musicale donnée au béné-
Pice des orphelins. Très gros succès pour Mm» Preinsler da Silva dans la para-
phrase de Sainl-Saëns sur Mandolinata de Paladilhe, pour M. Ballar.i dans l'air
à'Uerodiade de Massenet, pour M"" Bronville dans l'air du Cid de Massenet, pour
M. Ballard et M"" Bronville dans le Crucifix- de Faure, pour M"" Vormèse dans
la Scène de la Csardà deJ. llubay, pour M"°Benuvai3 dans Pensée d'automne et Noël
paien de Massenet, et pour M"" de Marthe dans l'air des clochettes de Lakmé de
Delibes. — Matinée musicale des plus intéressantes chez M"° Thérèse Duroziez,
l'excellente pianiste. .A.u programme, des œuvres de Théodore Dubois, Lenepveu,
Ilillemacher, etc., exécutées en perfection par M"" l'aul IliUemacher et Dulau-
rens, MM. Mazalbert, Foucault, Brun et M"» Thérèse Duroziez, qui a fait
applaudir la Chzconne et les Myrlilles de Dubois, qu'elle a jouées à ravir. Vif
succès pour tous.— A la salle d'.\griculture, la société chorale Galin-Paris-Chevé
a offert un concert à ses membres honoraires. Le cours de lecture à vue, direc-
tion Chevé, a fait merveille et étonné tous les spectateurs. Celui de violon,
direction Poileux. a été excessivement applaudi dans la ravissante Méditation de
Tliais de Massenet. Pour finir, le magnifique finale d; Winkelried de Louis
Lacombe a été supérieurement chanté par M. Auguez et la société. Véritable
sensalion parmi le public qui ne cessait d'applaudir et de rappeler. — Concert
des plus n sélect » au Cercle militaire. Au programme, la merveilleuse Méditation
de Thaïs de Massenet; puis MM. Fournets et Clément, et M"°Adamson-Laudi qui
a soulevé l'enthousiasme de l'auditoire dans l'interprétation du Chevalier Belle-
Etoile, d'Holmes. — Chez M. et M"" \. Noël, le compositeur Lucien Lambert a
obtenu un double succès : d'abord avec ses mélodies l'Ame en deuil, Clnnomniée,
Chanson pelite-russienne chantéis par M"" A. Maureus, puis, coui ne pianiste, en
jouant plusieurs compositions de Goltschalk d'un exotisme curieux, entre
autres ; Solitude et ['Hymne brésilien.— A.13. réunion d'élèves donnée par M'"" Jouanne,
on a remarqué MM. Thirion (Gavotte de Mignon, Ambroise Thomas), M"" Arqué,
GillarJin, Meot, Coquiart (Enlr'acte-Sevilianu, Massenet), M""" Meot, Picot, Caire
Marquis (Cortège de Bacclais de Stjlvia, Delibes). Dans les intermèdes, M^'Letocart
s'est fait applaudir en chantant l'air du livre d'Hamlet.
— Le vendredi 20 mars, à la salle des Agriculteurs deF.-ance, le pianiste
russe Nicolas de Lestownitchy donnera un récital de piano des plus inté-
ressants. Outre les maîtres classiques, les auteurs modernes, français et
russes ont une large place au programme.
NÉCROLOGIE
Un excellent artiste, M. Alfred Turban, violoniste fort distingué, est
mort ces jours derniers â Saint Cloud. Né à Strasbourg, il avait fait ses
premières études au Conservatoire de cette ville, dans la classe de M. Grod-
voU, puis était venu à Paris, où il avait été admis au Conservatoire dans
la classe de M. Sauzay. Il obtint un premier accessit au concerts de 1867, et
ensuite un brillant premier prix. Premier violon à l'orchestre de l'Opéra et
à la Société des concerts, il avait été nommé il y a quelques années pro-
fesseur d'une des classes préparatoires de violon au Conservatoire, mais
peu de temps après il s'était vu obligé de demander un congé pour cause
de santé, et depuis lors sa classe était faite par M. Hayot, qui va sans
doute en devenir titulaire.
— Une autre enfant du Conservatoire, où elle avait fait des études brillan-
tes, une cantatrice fort aimable, M"^ Claire Issaurat, vient de mourir dans le
Midi à la fleur de l'âge, ayant seulement accompli sa vingt-sixième année,
car elle était née à Cannes le 30 octobre 1869. Élève de MM. Edmond Du-
vernoy et Giraudet, elle avait obtenu en 1889 les deux premiers accessits
de chant et d'ripéra, en 189J les deux seconds prix et en 1891 les deux pre-
miers prix, après quoi elle était allée commencer sa carrière lyrique en
province, où elle s'était fait applaudir dans l'emploi des falcons.
— A Brème est mort à l'âge de "o ans le compositeur Reinthaler, orga-
niste, chef d'orchestre et directeur d'une société chorale. Deux de ses
opéras : Edda et Catherine von Kailbrown ont été beaucoup joués en Alle-
magne; son oratorio Jephté est également connu, ses compositions pour
divers instruments et pour chant sont très nombreuses. Reinthaler a exercé
pendant plus de trente ans une excellente influence sur le développement
de l'art musical â Brème. Organiste de la cathédrale, directeur de l'Aca-
démie de chant fondée en 1813 par Riem, ainsi que Je la Liedertafel, et des
concerts privés organisés sur le modèle des séances du Gewandliaus de
Leipzig, il fit preuve dans ces diverses fonctions d'une grande habileté et
d'un talent pratique incontestable. Aux œuvres signalées plus haut, il faut
joindre deux cantates : Mœdchen van Cola et In der M'iiste (Dans le désert),
le 90= Psaume, pour deux chœurs, nombre de chants religieux et plusieurs
suites de lieder â une ou plusieurs voix. Reinthaler, qui fut élève du fameux
théoricien A.-B. Marx, était né à Erfurt, le 13 octobre 1822.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Étude de M» Er. Thibault, notaire à La Rochelle, 4, rue G.-Admyrauld.
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Dimanche 22 Nai's 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rcmliis aux ailleurs.»
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉ^TÏiES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 6(S, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et lions-poste d'abonnenienL
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et iMusique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, ~lÇi fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., f'aris et Province. — Pour l'Etranger, lei Trais de p^ste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Musique antique (7" article), Julien Tieiîsot. — II. Le Théâtre-Lyrique, infor-
mations, impressions, opinions (12« article), Louis Gallet. — III. L'orchestre
de Lully (6" article), Arthur Pougin. — IV. Le monument de M»° Carvalho. —
V. Revue des grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SUR LA TOMBE D'UN ENFANT
n" 3 des Poèmm de Bretagne, de Xavier Leroux, poésie d'ANDRÉ Alexandre.
— Suivra immédiatement : Veux-tu, mélodie de Léon Delafosse, poésie de
M™ Desbordes- Valmore.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Balancelle, valse d'ANTONiN'îllARMONTEL. — Suivra immédiatement :
Nocturne, de Léon Delafosse.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
(Suite)
V
Cet examen approfondi des vestiges musicaux trouvés à
Delphes nous a permis de donner aux lecteurs modernes que
des formes d'art différentes des nôtres ne rebutent pas, une
idée générale des pratiques essentielles de la musique
grecque. On a pu constater que, sur bien des points, cette
musique différait de la nôtre; mais I'oq a vu aussi' qu'elle s'en
rapprochait par beaucoup d'autres. Nous ne sommes plus au
temps où l'on tenait pour indubitables des légendes dont le
seul mérite était de venir de loin. Il y a un personnage de
Shakespeare qui, faisant le récit de ses voyages aux pays loin-
tains, dit y avoir vu, entre autres merveilles, « des hommes
qui ont la tête au-dessous des épaules ! » Eh bien, non : il
n'y a pas d'hommes qui aient la tête au-dessous des épaules,
ce qui n'empêche pas qu'il puisse y avoir des peuples de
mœurs, de couleurs et de types différents ; et de même, dans la
musique grecque, il y a des formules particulières, des modes
divers, des rythmes et des instruments plus ou moins dis-
tincts des nôtres; mais rien de tout cela n'est en contradic-
tion avec les principes constitutifs de l'art. Sans doule, pour
nous en rendre un compte exact, il faut faire un effort sur
nous-mêmes, dégager nos esprits des habitudes du milieu
ambiant; il faut surtout considérer l'évolution de la musique
à travers les siècles les plus reculés. Cela fait, tout deviendra
clair : on pourra comprendre la pensée iotime des anciens
théoriciens, dont les formes extérieures semblaient d'abord
si difficiles cà pénétrer, ressentir la véritable expression des
trop rares fragments musicaux qui nous ont été conservés, et
rattacher les pratiques de l'art aniique à celles d'une mu-
sique plus moderne, ou, plus exactement, de la musique de
tous les temps.
Voilà pourquoi il est nécessaire que l'étude de la musique
grecque soit faite par des musiciens. Mais, dira-t-on, celte
étude exige des connaissances particulières que les musiciens
ne possèdeot guère. Gela est vrai, et ce serait être trop ingrat
que de mécoaoaitre les progrès que les hellénistes et les phi-
lologues ont fait réaliser à cette science. Mais en même temps
il faut bien avouer que co n'est pas eux qui en ont dit ni en
diront le dernier mot. Car, pour étudier un sujet musical,
on ne saurait se borner à déchiffrer et commenter unique-
ment des textes, ce qui est malheureusement le cas de la
plupart des hellénistes qui ont étudié la question. C'est une
tendance, parmi quelques savants, de ne vouloir connaître
en fait de musique que ce que les Grecs eux-mêmes en ont
dit et laissé dans leurs écrits. Quelle erreur! De ce que cer-
tains principes fondamentaux ont été découverts postérieure-
ment, en étaient-ils moins mis en pratique? La vérité est tou-
jours antérieure à sa découverte, a dit je ne sais plus quel phi-
losophe: si Galilée a proclamé le premier que la terre tourne,
elle n'en tournait pas moins déjà auparavant. Et de même, si les
Grecs ont ignoré le principe de la génération des sons, ils n'en
ont pas moins pratiqué, instinctivement, l'application. Aussi
ne saurions-nous trop applaudir aux critiques de M. Gevaert à
l'adresse « des philologues qui ne voient rien au delà de
leurs textes » et qui sont « toujours portés à iraiter la mu-
sique grecque comme une science abstraite, et non comme un
art réel pratiqué pendant plusieurs siècles par des hommes
physiologiquement semblables aux autres habitants de notre
planète... » Et en même temps, combien ne devons-nous pas
nous féliciter qu'un tel musicien, ayant approfondi l'étude
des textes antiques autant que n'importe quel helléniste, en
ait donné une interprétation si lumineuse, si logique, et, en
réalité, inattaquable !
Si les anciens semblent avoir compris certains phénomènes
musicaux différemment de nous, c'est que leur art, qui n'est
que l'enfance de la musique, ne les avait pas familiarisés avec
toutes les combinaisons sonores, et que, par conséquent, leurs
notions étaient incomplètes. Les observations de leurs meil-
leurs théoriciens nous paraissent souvent inutiles et pué-
riles : ils emploient un luxe inouï de raisonnements à dé-
montrer des choses qui ont pour nous l'évidence d'axiomBs.
Le son, dans ses manifestations les plus simples, est ce qui
90
LE MÉNESTRI-L
les frappe le plus. Leurs expériences sont tout empiriques :
l'échelle des sons n'a pas pour eux d'autres principes que
l'accord instinctif des instruments. Les progrès de la facture
instrumentale jouent, dans l'évolution de leur art, un rôle
dont nous ne soupçonnions pas l'importance : une corde
ajoutée à la lyre était la cause d'une véritable révolution
musicale !
Du reste, au point de vue technique, ce que leurs écrits
nous font connaitre prouve qu'ils ne se sont jamais élevés
au-dessus de ce qui est, pour nous, une pratique élémentaire
(la virtuosité instrumentale, qui ne perd jamais ses droits,
étant mise à pari). Mais aussi ils compliquaient à l'envi les
choses les plus simples, — et c'est précisément à élucider
ces fausses difficultés qu'il faut.que les modernes s'attachent,
au lieu de prendre à tâche de les aggraver, comme semblent
faire certains.
En résumé, la musique grecque était un art savant, mais
en même temps un art simple, car ses complications sont
toutes superficielles. C'est d'ailleurs essentiellement un art
primitif, et cela à un bien plus haut degré que toutes les
autres branches de la littérature et des arts: à en juger par
ce que nous laissent entrevoir les écrits théoriques et les
vestiges musicaux qui les éclairent d'une si vive lumière, il
nous est impossible de supposer que la musique grecque ait
été aussi loin et ait produit des monuments comparables à
r/liade, au Parthénon ou à la Victoire de Samothrace. La dé-
pendance dans laquelle le chant était de la poésie, et dont
nous avons donné de curieux exemples à propos du rythme
des hymnes delphiques, est une preuve suffisante de cette in-
fériorité relative. Par suite, la composition musicale, néces-
sîirement modelée sur le vers, avait un certain caractère
mécanique, d'où il semble résulter que les musiciens grecs
étaient plutôt des sortes de praticiens que des artistes capables
de se livrer à la libre inspiration.
Malgré cela, il est impossible de méconnaître les effets puis-
sants produits par la musique des Grecs, et je crois qu'on
peut tout aussi bien les expliquer ainsi. D'abord, au point de
vue artistique le plus élevé, ces admirables créateurs de formes
avaient eu l'intuition géniale de l'association de trois arts
faits pour se compléter les uns par les autres en un ensemble
iufiniment harmonieux : la musique, la poésie, la danse. Mais
le chant lui-même, pris isolément, a une force qui subsiste
même pour les modernes habitués à tant de complications
polyphoniques: combien son action ne devait-elle pas être
plus grande sur un peuple si neuf aux impressions de ce
genre! Tous les entraînements du rythme, ils y cédaient ; les
chants qui cadencaient les évolutions, la fameuse pyrrhique,
par exemple, c'était au rythme seul qu'ils empruntaient leur
prestige.
C'est donc dans l'emploi des formes les plus simples qu'il
faut chercher les principales beautés ainsi que les effets les
plus puissants de la musique grecque.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LE THÉÂTRE-LYRIQUE
1NF0RM.4.TI0NS — IMPRESSIONS
XII
Je devrais dater cette « impression » de Bruxelles, car c'est ù
Bruxelles que je l'ai ressentie. J'y ai passé récemment une soirée,
tout exprès pour entendre cette délicieuse Thaïs, dont je ne saurais
dire le bien que j'en pense, sans être suspect de partialité, mais que
je liens pour l'une des partilions les plus originales, les mieux ins-
pirées, el les plus intelligemment modernes do celles qui composent
le riche répertoire de Massenet. J'ai vu ly une très curieuse et inté-
ressante artiste, M'"" Georgelte Leblanc, qui nous a donné de la cour-
tisane alexandrienne une imago très nouvelle et très pittoresque,
attirant et retenant tellement le regard qu'on oublie de l'écouter,
pour la suivre on son jeu dramatique si personnel, en la recherche
si délicate de ses ajustements, en la variété dos expressions de sa
physionomie et de ses attitudes, dénotant une très rare pénétration
de l'esprit et du caractère du personnage.
Or, comme, après la soirée, en attendant le train qui ramène à
Paris les spectateurs que le temps presse, j'étais venu m'asseoir dans
le cabinet des directeurs, gens simples et méthodiques, d'une activité
extraordinaire sous les dehors de la plus parfaite tranquillité, accom-
plissant en peu de temps et silencieusement une formidable besogne,
et que je leur parlais des services rendus à l'art français par le
beau théâtre qu'ils dirigent, MM. Stoumon et Calabresi ouvrirent
devant moi le livre oîi se trouve consigné l'historique sommaire de la
Monnaie.
C'est en feuilletant ces pages que je vis mieux que jamais quels
services aurait rendus un Théâtre-Lyrique, faisant à Paris la mois-
son d'œuvres que Bruxelles a faite. Et à ceux qui argumentent
volontiers contre la création de ce théâtre, je veux dire contre sa
restauration, et considèrent une telle entreprise comme aventureuse
ou folle, je pensai qu'il serait opportun d'opposer le simple procès-
verbal des faits qui jalonnent ce recueil.
Ce que les directeurs de la Monnaie ont fait à Bruxelles pour nos
compositeurs el pour nos grands théâtres même, en leur donnant des
artistes, ils l'ont fait — il le faut noter — sans cesser de satisfaire
aux exigences de leur situation officielle. Ils ont entretenu et enrichi
leur répertoire d'œuvres classiques ou connues, varié leurs spectacles,
en un mol. donné à l'Etat qui les commandite tout ce qu'il est eu
droit d'attendre d'eux. C'est par surcroit qu'ils ont entrepris do tirer
de l'ombre des œuvres que Paris oubliait ou dédaignait; et ce sera
leur grand honneur de l'avoir fait, comme si celte tâche eût été leur
principal devoir à remplir.
Que n'aurait-on pas obtenu chez nous, durant le même temps, avec
une direction n'ayant d'autre objectif que la restitution des chefs-
d'œuvre classiques de toutes les écoles, la mise en lumière des
œuvres inédites et la formation d'une troupe d'artistes lyriques, com-
posée de sujets jeunes, trouvant sur une scène ouverte à leurs pre-
miers efforts uu excellent terrain d'entraînement ?
Une subvention de 300.000 francs — c'est celle que reçoivent les
directeurs de la Monnaie, — eût suffi et suffirait encore pour l'accom-
plissement d'une telle œuvre. Les années ont passé pourtant, n'appor-
tant avec elles que de vaines tentatives ou des désillusions.
Et peu tant ce temps, après avoir affirmé et affermi le succès de
Faust-, plus tard celui de Carmen, la Monnaie donnait des œuvres,
laborieuses et coûteuses à monter, comme Sigurd, comme Hérodiade,
comme le Mefislo de Boïlo ; entre temps, elle offrait l'hospitalité
aux Teiiip/iers, de Litolf, à la GivendoHne, de Ghabrier, au Saint-
Mégrin, des frères Hillemacher. Enfin, les directeurs actuels, après
un interrègne de peu d'années, non moins bien rempli par MM. Du-
pont et Lapissida, reprenaient bravement l'entreprise inaugurée avec
les grands ouvrages de Reyer et de Massenet;ils donnaient ,Sa/«Hi/H6(i.
Jocehjii, Barberine et enliu, tout récemment, £'('aH(7e/me. J'en oublie
sans doute, mais on en peut oublier : le fonds oîi je puise est assez
riche.
Et tout cela s'est fait sans préjudice d:s soins donnés au réper-
toire wagnérien, à l'œuvre de Beethoven avec Fidelio, à l'œuvre de
Gluck avec Orphée, à une série d'œuvres lyriques et chorégraphiques
internationales, de production contemporaine.
En même temps se révélaient des artistes qui, tous mis en lumière
à Bruxelles, aguerris au théâtre de la Monnaie, sont venus à Paris,
soit à l'Opéra, soit à l'Opéra-Gomique, briller parfois d'un très vif
éclat.
Nommons seulement M""' Caron, M""' Bosmau, M""' Melba, M""' Lan-
douzy. M""' Deschamps, M"'' Galvé, MM. Grosse, Renaud, Soulacroix,
Leprestre. Ici aussi, il en faut passer.
Gela suffit pour justifier la valeur de mon « impression », à savoir
qu'un théâtre de la Monnaie, en plein Paris, uu Théâtre-Lyrique,
rendrait des services précieux el prospérerait, à cette simple condi-
tion d'être géré avec la prudence, l'économie, l'activité et l'esprit pra-
tique qui ont fait le succès de l'entreprise dont je viens do parler.
Riais ce sont là des vertus rares et précieuses, et rien n'est plus
difficile à grouper que les vertus. On en a une, on en a deux : il les
faudrait toutes. C'est pourquoi, disposant des mêmes éléments et
des mêmes forces, beaucoup pourront échouer encore où quelques-
uns ont réussi.
On trouvera peut-être que cette question du Théâtre-Lyrique
revient bien souvent dans le Ménestrel, que les mêmes arguments
el les mêmes considérations en sa faveur s'y répètent : c'est, en
vérité, que si ancienne soit-elle, elle reste toujours actuelle et irri-
tante; pour entretenir l'attention de ceux qui en peuvent être les
LL: MENESTREL
91
arbitres, ces redites sont nécessaires. S'y appliquer, c'est agir selon
■celte parole ancienne : Celui qui veut persuader doit faire comme
un homme en train de percer un rocher : frapper toujours à la même
place et multiplier les coups.
Louis Gallet.
L'ORCHESTRE DE LULLY
(Suite.)
Après avoir fait connaître les trois artistes auxquels, successive-
ment ou conjointement, Lully confia le soin de diriger l'orchestre de
rOpéra, je voudrais rappeler quelques-uns de ceux qui firent partie
de cet orchestre en qualité de simples exécutants. C'est ici que les
■difficultés se présentenl. Le seul renseignement un peu précis, et
fort incomplet, que nous ayons à ce sujet est contenu dans ces quel-
ques lignes de l'Histoire de t'Opéra, de Durey de Noinville :
« ...Il est cerlain que si l'on avoit en alors euFrance la perfectiondu
violon comme on la possède aujourd'hui, les opéras de Lully, qui ont
été admirés à si juste titre, auroient été encore plus admirables. Le
grand génie de Lully se trouva gêné par l'ignorance des musiciens de
son terns, soit chanteurs ou joueurs d'instrumens. On ne savoitce que
c'étoit d'exécuter à livre ouvert, on apprenoit pour ainsi dire par
coeur, les moindres difficultés arrètoient longtems les exécuteurs, et
il fallait se proportionner à leur faiblesse. Il a donc fallu, pour vain-
cre cet obstacle, que Lully formât des musiciens en tous genres, et
surtout les joueurs de violon, et l'on doit regarder comme ses élèves
l'Alouette, Collasse, Verdier, Baptiste le père, Jouberl, Marchand,
Rebel père et La Lande, qui tous exécutoient ses symphonies, et ce
qu'on appelle musique franooise, mieux qu'aucun violon italien n'ait
jamais pu faire. »
C'est en se servant, — sans indiquer, selon sa coutume, la source où
il puisait, — des lignes qu'on vient de lire, que Castil-Blaze a prétendu,
aver l'aplomb superbe qui le caractérisait, reconstituer entièrement
et à sa fantaisie l'orchestre de Lully. Pour cela, il s'est borné à ajou-
ter, aux noms des violonistes indiqués ci-dessus, ceux de quelques
autres instrumentistes du temps dont les noms sont connus, qui fai-
saient partie de la musique du roi ou qui figuraient dans les diver-
tissements de Molière, et qu'il a fait entrer de son propre mouvement
dans cet orchestre. Voici donc le résultat qu'il obtient avec ce pro-
cédé facile et qui économise les recherches :
« Je puis signaler ici la plupart des vingt symphonistes de l'or-
chestre que Lully dirigeait en 1673 et 1674:
)) Baptiste aine, Baptiste cadet. Cotasse, Marchand, dessus de
violon.
» Lalouette, haute-contre; Verdier, taille; Joubert et Lacoste,
quintes de violon (1).
» Marais et trois autres dont les noms manquent, basses de viole.
» Piesehe, Laîaé, flûtes, — Hotleterre (2), Duclos, flûtes ou haut-
bois. — Plumet, Lacroix, hautbois. — Bluchot, hautbois ou basson.
— Philidor, timbalier. »
Mais j'ai déjà fait remarquer que l'orchestre de Lully comprenait
certainement plus de vingt musiciens. Tout d'abord nous savons,
d'une façon pertinente, qu'il s'y trouvait des cors de chasse, des
trompettes, et même des théorbes, instruments que Castil-Blaze
a négligé à tort d'y faire entrer. Remarquons, d'autre part, que s'il
n'a pas été embarrassé pour le composer à sa guise, il s'est trouvé
du moins gêné par deux noms qu'enregistrait Durey de Noinville et
qu'il n'a pourtant pas osé reproduire dans sa liste fantaisiste : ceux
de Rebel père et de La Lande. Pour Rebel père, comme le premier
Rebel qu'il trouvait inscrit dans la Bior/raphie universelle des Mu-siciens
deFétis était Jean-Ferry Rebel, qui n'entra à l'Opéra qu'en 1699 pour
en devenir plus tard le chef d'orchestre, il crut sans doute à une
erreur et il le supprima délibérément. C'est que Jal, à cette époque,
n'avait pas encore publié son Dictionnaire, où nous voyons qu'un
Jean Rebel, « violon du roi, » mari d'Anne Molleson, demeurait
en 1667, rueFroidmanteau (3). Or, c'est évidemment celui-là qui faisait
partie de l'orchestre de Lully, qui était le père de Jean Ferry, et que
justement on appelait plus tard « Rebel père » pour le distinguer de
son fils. Pour ce qui est de La Lande, Castil-Blaze a été pris d'un
scrupule du même genre. Il a pensé qu'on avait voulu parler du fa-
■;i) On remarquera retondante précision que l'historien apporte dans la dis-
position des difTérentes parties de violons.
{%) Lequel? Les Ilotteterre étaient toute une famille.
(3) Voy. Jal, Dictionnaire critique de biorjrapliie et d'Itistoire, au mot La La.nde.
meux compositeur Michel Richard de La Lande, qui, avaiit de s'adon-
ner à l'orgue, avait étudié le violon, et il savait que La Lande,
s'étant présenté un jour à Lully pour entrer dans son orchestre ot
ayant été refusé par lui, avait, de dépit, brisé son violon en ren-
trant chez lui et ne s'en était plus jamais occupé. Là donc encore,
il crut à une méprise, et biffa simplement le nom de La Lande. En
quoi il eut tort de nouveau. C'est qu'en effet il n'avait pas lu ces
lignes de La Vieuville de Preneuse (1), qui lui auraient appris qu'il
existait un aulre artiste de ce nom, lequel était violoniste : — « M. le
maréchal de Grammonl avoit un laquais nommé La Lande, qu'il fit
depuis son valet de chambre, et qui est aujourd'hui un des meilleurs
violons rje l'Europe. A la fin d'un repas, il prioit Lulli de l'entendre,
et de lui donner seulement quelques avis. La Lande venoil, jouoit,
et faisant sans doute de son mieux... » .le ne crois pas m'avancer
beaucoup en supposant que ce La Lande fut pris par Lully dans sou
orchestre et que c'est celui dont s'occupe Durey de Noinville.
Si, sans nous inquiéter autrement de Castil-Blaze, nous nous en
tenons, en ce qui concerne les violons, au renseignement donné par
ce dernier, nous trouvons donc les noms de Lalouette et de Collasse,
qui, avant de devenir l'un après l'autre chefs d'orchestre, tinrent
d'abord effectivement une parlie de violon, puis ceux de Verdier,
Baptiste père, Jouberl, Marchand, Rebel père et La Lande.
Verdier, nous l'avons vu déjà, était le mari d'une des chanteuses
de l'Opéra, « • mademoiselle » Verdier, et les frères Parfait nous
apprennent qu'il était premier violon à l'orchestre de ce théâtre. Là
se borne tout ce qu'on sait en ce qui le concerne, sinon que sur l'état
des pensions de 1713, il figure pour une pension de 300 livres. Il me
parait pourtant probable qu'il était l'un des deux frères, Henry et
Edme Verdier, qui figurèrent sur la scène du théâtre de Molière au
nombre des musiciens de Psyché, où ils faisaient les 10" et 1S° con-
certants. Qui sait même s'ils ne firent point tous deux partie de l'or-
chestre de Lully ?
L'artiste désigné sous le nom de Baptiste père n'a laissé aucune
trace. J'inclinerais volontiers à croire qu'il était justement le père
du violoniste fort distingué qui acquit un peu plus tard une grande
réputation sous ce nom de Baptiste et qui s'appelait Baptiste Anel.
Les dates rendent cette supposition vraisemblable, puisque c'est en
1700 que celui-ci revint d'Italie, or. il avait été prenire des leçons de
Corelli.
Le violoniste nommé Joubert est resté, lui aussi, absolument
inconnu. Il n'en est pas de même de Jean-Baptiste Marchand, qui
faisait partie à la fois de la musique de la chambre du roi en qualité
de joueur de petit luth (de « luthérien, » comme on disait alors), et de
celle de la chapelle comme dessus de violon. Ce Marchand devait
être bon musicien, car on sait qu'il écrivit une messe en sol mineur,
intitulée Quis est Deus? qui fut exécutée à l'égliseNotre-Darae. Il avait
un frère cadet, Jean-Noël Marchand, violoniste aussi, qui fut reçu
en cette qualité à la chapelle du Roi en 1686.
Celui qu'on appelait Rebel père, qni est resté ignoré de Fétis et que
nous ne connaissons, outre la mention de Durey de Noinville, que
par la note de Jal qui nous apprend qu'il appartenait à la musique
du roi et demeurait en 1667 rue Froidmanteau, est évidemment le
chef de cette dynastie des Rebel qui fournit ensuite à l'Opéra un chef
d'orchestre (Jean-Ferry) (2), et un directeur (François, qui écrivit en
société avec son ami Francœur une vingtaine d'opéras). Il me parait
bien, comme je l'ai dit, être le père de Jean-Ferry et de sa sœur
Aune Rebel, qui fut une artiste remarquable. Celle-ci, douée d'une
voix admirable, devint l'un des sujets les plus en vue de la musique
du roi, qui la prit eu grande affection ; elle créa à la cour plusieurs
rôles importants dans divers opéras de Lully et épousa, en 1684, le
célèbre organiste Michel Richard de la Lande. C'est Louis XIV en
personne qui arrangea ce mariage, et qui voulut faire lui-même les
frai.*' de la noce de ses deux protégés. Anne Rebel, épouse la Lande,
mourut le 6 mai 1722, âgée de 67 ans (3) et était née, par conséquent,
en 1656 ou 1657. Il est probable que Jean Rebel père, le violoniste de
Lully, était lui-même un artiste distingué.
Pour ce qui est de La Lande, on a vu plus haut qu'il avait été
laquais, puis valet de chambre du maréchal de Grammont, ce qui
ne l'empêchait pas, parait-il, de jouer passablement de son instru-
ment. On n'en sait pas davantage à son sujet.
Si des violons nous passons aux basses de viole (le violoncelle
(1) Co/itparoison de la inusi'jue 'ilalicnne avec la musique françoi^e.
(2) Une note de VUisloire de l'Opéra des frères Parfait nous apprend qu'avant de
« battre la mesure » à l'Upéra, Jean-Ferry l^ebel avait lait partie des chœurs de
ce théâtre « du temps de M. de Lully. »
(3) Voy. le Mercure de France, mai 1122. p. 192.
9:2
LE MENESTREL
n'élail pas encore en usage), nous trouvons d'abord Marais, dont j'ai
suffisamment parlé pour n'avoir pas à y revenir, puis un artiste que
Caslil-Blaze a oublié, et que sa notoriété pouitant recommandait à l'at-
tention d'un historien aussi scrupuleux. Cet artiste était Tcobaldo
di Gatli, un Italien qu'on eut coutume d'appeler en Fiance Théobalde,
et qui, non seulement appailint durant un demi-siècle à l'orchestre
de l'Opéra, mais écrivit la musique de deux ouvrages représentés
sur ce théâtre. Théobalde était né à Florence, sans doute vers le
milieu du dix-septième sièle. Titon du Tillel, copié servilement par
tous les biographes à sa suite, raconte ainsi sa venue à Paris : —
(> Il fut si charmé de quelques morceaux de symphonie des premiers
opéras de Lully qui étoient venus jusqu'à Florence, qu'il voulut
absolument en connoître l'auteur. Il partit pour Paris. Aussitôt après
sou arrivée il courut chez Lully, son compatriote, et lui marqua le
sujet de son voyage et l'erapresseraent "qu'il avoit de le voir. Lully
lui en scutbon gré et le reçut avec beaucoup d'amitié. Il le plaça dans
l'orchestre de l'Opéra, ayant reconnu sa capacité pour l'exécution de
]a musique sur la basse de violon. »
On croit que c'est en iôlo ou 1676 que Théobalde arriva à Paris,
el l'on sait qu'il obtint de Louis XIV, sans doute à la requête de
Lully, des « lettres denaluralité. » Aprèsla mort de celui-ci, il songea
à se produire comme compositeur et il écrivit, sur un poème de
Chappuzeau de Beaugé, la musique d'une pastorale héroïque intitulée
Coronis, qui fut représentée le 23 mars 1691. Le succès de cet ouvrage
parait avoir été modeste. Théobalde, qui avait acquis une véritable
renommée comme instrumentiste, fut plus heureux avec Scylla,
« tragédie lyrique » dont Duché lui avait fourni le livret et qui parut
à la scène le 16 septembre 1701. Cette seconde partition lui fit beau-
coup d'honneur, et deux reprises de Scylla. qui l'ureut faites en 1720
et 1732, en confirmèrent le succès primitif. Eu annonçant, au mois
de mars 1702, la publication de la partition, le jl/wcwre faisait précé-
der cette annonce des lignes que voici : — « On a représenté l'esté
dernier un opéra sous le nom de Scijlla. Il a esté fort estimé, et le
succès qu'il a eu en a esté d'autant plus glorieux à M'' Theobaldo
Gatli, qui l'a composé, qu'il a paru au mois de septembre, saison
très désavantageuse pour les pièces de théâtre, puisqu'alors Paris est
dégarni du beau monde et surtout des personnes de distinction qui
vont souvent à l'Opéra. » Les principaux interprètes de Scylla étaient
Thévenard, Chopelet, M"'^ Desmalins et Maupin. L'auteur du poème.
Duché de Vancy, était un protégé de M""" de Maintenon, homme
distingué d'ailleurs, qui, quoique mort jeune, h trente-six ans, était
membre de l'Académie des inscriptions.
Eutre ses deux ouvrages dramatiques, Théobalde avait publié chez
Ballard, en 1696, un recueil de douze airs italiens, dont deux à deux
voix. Ou ne connaît de lui rien autre chose. Cet artiste, dont le talent
était très réel, mourut fort âgé à Paris, en 1727, occupant encore sa
place à l'orchestre de l'Opéra. Il fut inhumé dans l'église Saint-
Eustache.
(A suivre). Arthur Potiom.
UN MONUMENT A M"" CARVALHO
Un Comité s'est constitué dans le but d'élever à M"'= Carvalho
un monument au Père-Lachaiso. C'est à Anlonin Mercié qu'on a
demandé l'exécution de ce monument, dont l'osquisse est aujour-
d'hui presque entièrement terminée et qui comptera comme un
nouveau chef-d'œuvre à l'actif du maître.
Ce Comité, qui fait appel à tous les amis et à tous les admira-
teurs de la grande artiste, est ainsi composé :
MM. E. Rêver, Massenet, Sai.nt-Saens, membres do l'Institut;
MM. Victoriou Saudou, Ludovic Halévv, membres do l'Académie
française ;
MM. BoNNAT, J. Lefebvke, Ed. Détaille, membres de l'Institut;
MM. \iclorin Jo^cikres, Jules Bariiieh, Philippe Gille, Cieorges
Cain, Henri Heugel, P. de Ciioudens, Pradel, Ch. Pitet (trésorier).
Los souscriptions .'sont reçues aux bureaux du Ménestrel (2 his,
rue Yivienne)
et chez MM. Choudens, éditeurs de musique, 30, boulevard des
Capucines, et Ch. Pitet, trésorier, 51, rue du Faubourg-Poissonnière.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. M. Colonne a fait entendre le premier acte de
Judith, drame lyrique de M. Ch. Lefèbvre. C'est une œuvre des plus inté-
ressante?, écrite dans un style qui se rapproclie de celui de foralorio.
L'oi-chestrationest très soignée, très claire et très sobre, la pensée est toujours
élevée, la mélodie très pénétrante. Pour beaucoup, M. Lefèbvre n'est pas
évidemment» dans le train»; il ne semble pas assez avancé. Il nous paraît
à nous qu'il n'est pas si loin de la bonne -voie.L'Épée d'Anganli/r, scène tirée
des Pôvmes barbares de Leconte de Lisle, mise en musique par M. Gaston
Carraud, se rapproche davantage du faire de la nouvelle école. C'est une
œuvre d'un caractère très sombre et qui ne manque pas de grandeur. —
Après le récit et prière de Jocehjn, œuvre exquise du regretté Godard,
il nous a été donné d'entendre l'admirable concerto en so/ mineur de Saint-
Saëns, dit par un pianiste d'un talent remarquable, M. Blumer. Son inter-
prétation a été excellente, il a été chaleureusement applaudi, et c'était
justice. La seconde partie du concert était tout entière remplie par la
musique de scène de Slriieiisi^e, de Meyerbeer. Un abrégé en vers du drame
en prose original, fait avec une rare intelligence par M. Pierre Barbier,
permettait à l'auditeur de suivre les péripéties de ce drame. Disons tout de
suite que MM. Silvain, Lambert et Laugier, M"' Du Ménil el M™» Hada-
mard, de la Comédie-Française, ont eu un énorme succès. Il était impos-
sible de mieux dire. Il fallait un certain courage à M. Colonne pour oser
présentera son public une musique aussi démodée que celle de Meyerbeer.
On est irrémédiablement traité d'idiot si l'on conserve quelque admiration
pour Rossini ; on est considéré comme fortement ramolli si l'on éprouve
du plaisir .1 entendre la musique de Meyerbeer. A ce maitre tant admiré,
on ne reconnaît plus aucun mérite, son orchestration est banale, ses pro-
cédés sont factices, il ressasse les mêmes formules, la Bénédieiton des poi-
gnards n'est plus qu'une chose indigeste, le duo de Valentine et de Raoul
qu'une vulgaire romance, le Prophète, l'Africaine, l'Étoile du Nord ne pèsent
pas plus qu'un fétu, en préience des œuvres incomparables de nos jeunes
pseudo-wagnériens. Siruensée n'est pas à la hauteur des grandes œuvres du
maître. Mais on ne saurait comparer la musique de scène, ce que les Alle-
mands appellent le mélodrame, avec la musique d'opéra; dans l'opéra les
voix font corps avec la musique orchestrale, dans la musique de scène
l'orchestre ne fait que souligner les situations; or, la musique de Meyer-
beer remplit ce rôle avec une maestria sans égale; nous comprenons l'ad-
miration dont elle jouit en Allemagne; et nous plaignons ceux qui ne
comprennent pas combien, dans sa mâle simplicité, sa clarté incompa-
rable, cette musique est supérieure à celle que nous oIVrent journellement
des fanatiques en délire. H. BARBEDr;TTE.
— Concerts Lamoureux. — Le Messie de Hicndel fut écrit pendant l'année
1741, du 22 août au 14 septembre, donc en 24 jours. Si ce renseignement
est exact, il faut admirer la puissance de travail du maître qui a pu pro-
duire dans de telles conditions une œuvre d'architecture si ferme et de
pareilles dimensions. Il faut admirer surtout les ressources immenses et
l'infinie dextérité du contrapontiste qu'aucune dilliculté de métier n'a pu
.-etai'der. D'ailleurs, la hâte dans la composition musicale a aussi ses incon-
vénients et ils sont très apparents dans le Messie. Sans doute, la pompe et
la majesté grandiose du style sont telles, ici, que l'esprit, pleinement satis-
fait, ne songe même pas à se demander si quelques pages, consacrées à
l'expression d'une ferveur plus humaine, d'une piété plus attendrie, n'au-
raient pas- heureusement pu être substituées à certains morceaux de
facture irréprochable mais dont la portée ne dépasse pas celle d'une page
excellente de rhétorique musicale. Cependant, on peut considérer comme
un symptôme non négligeable l'accueil tout spécialement chaleureux avec
lequel a été accueilli l'air, d'une forme musicale toute simple : « Il garde
ses ouailles » que l'on a bissé d'enthousiasme, tant sa mélodie caressante
et dépourvue de tout artifice de facture a agréablement charmé l'audi-
toire. Certes, à ce moment, nous étions plus près de la manière de d'Alay-
rac que de celle de Ilrendel, mais la sensibilité vraie et le naturel sont
d'un eiTet irrésistible. M"' Passama a dît cet air exquis avec une grâce un
peu mièvre qui, loin de déplaire, semble lui prêter un charme de plus. Il
faut tenir compte à cette artiste du soin qu'elle apporte à l'articulation des
mois et des syllabes. Sous ce rapport. M""" Morel a été moins heureuse,
mais il est juste de remarquer que la partie de soprano présente des diffi-
cultés plus grandes que celle de contralto, quand il s'agit d'obtenir une
belle sonorité; on l'a bien vu, il y a quelques années, quand le Messie fut
chanté au Trocadéro par M"'« Caron et M™ Deschamps-Jehin. M. Lafarge
met en relief, grâce à son bel organe, les pages qui lui sont réservées,
mais sa façon un peu larmoyante de dire certaines phrases semble peu
d'accord avec le style religieux dans lequel est conçu l'oratorio de Hrende'.
M. Auguez seul a l'impersonnalité qui convient au genre, et lui seul en
dégage pleinement la signification et la grandeur un peu arlilicielle, mais
forte et vigoureusement entraînante. Amédée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Si/mphonie héroïque (Beeihoven). — Chœur et Marche d'Idoménée
(Mozarti. — Le Runet d'Omphale (Saînt-Saéns). — Adieu auoc jeunes maries, chœur
(Meyerbeer). — Ouverture du Carnaval romain (Berlîoz).
Chfttelei, concert Colonne: Ouverture de Coriolan (Beethoven).— L' Absence [Ber-
lîoz) et /(' Jeune Pécheur (Liszt), chantés par M'-' Kutsrlierra. — Deux Contes de
Jean Lorrain (Pîerné), par M"' M. Mathieu et les chœurs. — Fantaisie op. !.">
[V. Schubert), exécutée par M. Raoul Pugno. — 3° acte du Crépuscule des Dieux
(Wagner), chanlé par M"" Kutscherra (Brunhilde), Mathieu (Woglinde), Texier
(Wellgunde), Planés (Ftossilhde), MM. Cazeneuve (Siegfried), Edwy (Gunther),
Vieuile illager).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux : deuxième audition du Messie
(Ilœndel) : chœur, orchestre et soli par M""' Passama, Marie More), MM. La-
farge et Auguez. Le grand orgue sera tenu par M. E. Lacroix.
LE MÉNESTREL
93
Concerts du Jardin d'Acclimatalion, chef d'orchestre : M. Louis Pister : TuOa-
rin, prélude (E. Pessard). — Dansvs à la viennoise (R. MandI). — Jocelyn, suite
d'orchestre (B. Godard). — .tu soir, rhapsodie (J. RaD). — Miiilalion, sur l'op. 27
de Beethoven (Hlavac). — L'Arlii^ienne, suite d'orchestre (Bizet). — Fêle hongroise,
(C. de Grandval).
— E.xtrèmement intéressante, la seconde séance de la Société d'instru-
ments à vent et à cordes de M.\I. Gillet, Turban, Hennebains, Reine, Le-
tellier, I. Philipp, Rémy, Loeb et Balbrecii, avec le concours de MM. De-
laborde, Widor, Franquin, de Bailly, Courras etLammers. Au programme,
un délicieu.x quintette de Mozart, pour piano, hautbois, clarinette, cor et
bassou, d'une harmonie suave et pénétrante, et qu'on a bien rarement
l'occasion d'entendre, puis une très coquette et très agréable sérénade de
M. Ch.-M. Widor, dont le rythme est plein de grâce et dont le motif prin-
cipal est souligné par le piano avec un curieux accompagnement ostinalo.
Je n'ai trouvé, je l'avoue, qu'un médiocre plaisir à l'audition des singu-
lières variations de Schumann pour deux pianos, cor et deux violoncelles,
malgré leur exécution si brillante, mais j'ai réentendu avec une véritable
joie la belle sonate pour piano et violoncelle de M. Emile Bernard, dont
l'andanle est décidément une page hors ligne. La séance, très brillante et
fertile en applaudissements pour tous les virtuoses, s'est terminée triom-
phalement par le superbe septuor avec trompette^ de M. Sainl-Saëns, dont
l'effet est infaillible. A. P.
— Belle et bonne soirée, jeudi dernier, pour la Société chorale d'ama-
teurs, fondée parGuillot de Sainbris. Au programme, deu.\ chœurs gracieux
de M. Auzende, admirablement chantés, des fragments de beau caractère
d'une Esther de M. Coquard, des mélodies de MM. Lenepveu et Charles
René, dites avec art par M™ Conneau, quelques-unes des Sept Paroles du
Christ, de M. Doret, qui ne sont pas sans valeur, Li-Tsin, charmante fan-
taisie japonaise de Viclorin Joncières. Mais le gros morceau de la soirée,
c'était une scène antique de M. Paul Puget, Ulysse et les Sirènes, écrite sur
une poésie de Paul Collin, et c'est là une page de vraiment belle musique,
qui a fait grande impression. Tout y est de belle ligne et de belle couleur,
sagement pondéré sans jamais tomber dans le maniérisme ou la banalité.
Cette scène, orchestrée en vue des concerts de l'Opéra pour la saison
1897, y ferait certainement beaucoup d'tffet, et nous la signalons à
MM. Bertrand et Gailhard. C'est aussi de bon augure pour le prochain
ouvrage de M. Puget, Caprice de roi, que M. Carvalho doit représenter
l'hiver prochain. La scène de M. Puget a été admirablement chantée par
M'"« la vicomtesse de Trédern, M"° BalJo et le ténor Lafarge. Auteurs et
interprètes ont été rappelés avec enthousiasme, et vraiment c'était de toute
justice. Le concert a été dirigé de main de mailre par M. Ad. Maton.
— La seconde séance donnée par le remarquable violoniste Weingaerl-
ner a été d'une véritable saveur musicale. Le beau quatuor de Beethoven
en la majeur, avec son merveilleux adagio, d'une si noble tristesse, ot son
thème russe si curieusement travaillé, a produit un bel effet. Il a été remar-
quablement exécuté par MiM. Weingaertner, Furet, Hervouet et Casadesus.
La 2" sonate de Raff, en la majeur, jouée par !J"<= et M. Weingaertner, n'a
pas été moins bien accueillie. Succès encore pour M. Weinga-ertner avec
une fugue et une gavotte de Bach, et avec la jolie berceuse do Fauré.
Celte intéressante séance s'est terminée par l'andante d'un quatuor de
ïschaïkowski .
— L'autre soir, à la salle Érard, l'éminent pianiste-compositeur Cesare
Galeotti a obtenu un très grand succès en interprétant des œuvres de
Mozart, Bethoven (Op. 110), Schumann (le Carnaval, audition intégrale),
Chopin et ses dernières compositions pour piano, parmi lesquelles Valse
poétique. Impromptu et Papillon-valse ont été acclamées.
— La Société chorale « l'Euterpe », fondée il a dix ans, sous la prési-
dence d'honneur de M'"=Glara Schumann, a donné, salle Érard, un concert
par invitation, des plus intéressants; elle a fait entendre la cantate d'église
de Bach, Bleib'bei uns (reste avec nous) : les chœurs ont remarquablement
marché et le succès de cette belle œuvre a été très vif. La seconde partie du
concert était consacrée à la musique russe. On a beau coup admiré deux chœurs
pour voix de femmes, de Sokolow, intitulés Automne et Printemps : on ne
saurait rien imaginer de plus pénétrant et de plus gracieux. On a moins
goûté la Défaite de Sennacherib et le Chœur des suivantes, de Moussorgsky,
d'après une excellente version française de M""= Louise Ott. Le concert se
terminait par quatre extraits du Prinee Igor, de Borodine, qui ont été admi-
rablement exécutés et très applaudis. N'oublions pas un jeune pianiste
russe, M. Scriabine, qui a exécuté avec un réel talent trois pièces de sa
composition, majtir/cœ, nocturne et allegro appassionato. H. B.
NOUVELLES DIA^ERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (19 mars). — La « première » de
la Vivandière est fixée, à la Monnaie, à samedi. Les principaux rôles seront
chantés par M'"^ Armand et Mastio, MM. Bonnard et Cadio. Le librettiste,
M. Henri Gain, est venu passer quelques jours à Bruxelles pour surveiller
les dernières repétitions et donner aux interprètes quelques utiles conseils.
— En attendant, la Monnaie encaisse avec Tliais de superbes recettes. Le
succès de l'ouvrage de MM. Gallet et Massenet, très vif, comme je vous
l'ai dit, à la première, s'est alïirmé aux représentations suivantes d'une
façnn très caractéristique ; les inepties débitées, par bêtise ou mauvaise foi,
dans les colonnes de deux ou trois feuilles spéciales, loin de lui nuire,
n'ont fait, dirait-on, que l'accentuer, par un sentiment naturel de juste
réaction, si tant est que l'on y ait pris seulement attention ; ceux qui les
lisent en connaissent le but et l'inspiration, et sont les premiers à en rire.
— Lu Conservatoire a donné dimanche dernier une deuxième auiition de
laGrand'messe de Bach, aussi belle et aussi admirable que la précédente;
il consacrera son dernier concert à une reprise du Rheingold, dont la remar-
quable exécution, l'sn dernier, produisit tant d'impression. Les Concerts
populaire présentent pour dimanche un très intéressant programme
d'œuvres instrumentales et chorales de Beethoven, Wagner, Chabrier,
Humperdinck, etc., avec le concours de M"" Eléonore Blanc et de M. Engel.
Enfin, pendant la semaine sainte, les concerts Ysaye nous donneront le
Cliristus deM. Adolphe Samuel; et nous entendrons au théâtre Molière un
Mystère inédit, dont le texte est de M. Camille Lemonnier, le romancier
connu, et la musique de M. Léon Du Bois. L. S.
— Il paraît être question au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, pour
la saison prochaine, de représenter une œuvre qu'on dit fort intéressante
du compositeur belge, J. 'Van den Eeden, Numanc, drame lyrique en quatre
actes, du à la collaboration de MM. Michel Carré et feu Charles Narrey.
L'action s'en passe en l'an V.V.i avant Jésus-Christ et retrace l'histoire de la
fin de la vieille cité espagnole.
— Un journal italien nous apporte quelques renseignements relatifs au
nouvel opéra de M. Leoncavallo, Chatterton, qui est le premier ouvrage
écrit par son auteur et qui a été composé avant i Pagliacei et i Medici, A
cette époque le jeune artiste, complètement inconnu, était bien loin de se
trouver dans une situation florissante. N'ayant aucun espoir de rencontrer
un imprésario qui consentit à monter son opéra, il alla trouver un édi-
teur de Bologne, M. Trebbi, bien décidé, étant pressé par le besoin, à lui
olTrir et à lui céder sa partition pour deux ou trois cents francs, c'est-à-
dire un morceau de pain. Éditeur modeste, M. Trebbi était néanmoins
intelligent et honnête. Il ne voulut pas abuser de la situation, aida
M. Leoncavallo dans la mesure du possible, et garda sa partition en atten-
dant une occasion de la faire connaître. L'occasion pourtant ne vint pas,
M. Trebbi mourut, et l'auteur lui-même avait oublié son opéra, lorsque le
successeur de l'éditeur en question, M. Tedeschi, s'avisa, dans ces der-
niers temps, qu'après la mise à la scène des Médici et d';' Pagliacei et le
succès de ceux-ci. Chatterton pourrait bien avoir son tour. Il pria l'auteur
de revoir son œuvre, s'occupa de la présenter au public et put enfin, comme
on l'a vu, la faire jouer avec succès au Théâtre National de Rome.
— Il faut croire que la politique de M. Crispi n'a laissé au gouvernement
italien que peu de ressources pour l'encouragement des beaux-arts. C'est
du moins ce qui parait ressortir d'une com.munication faite à la presse
par le ministère de l'intérieur pour annoncer la mise au concours d'une
Messe funèbre destinée à être exécutée dans l'église métropolitaine de
Turin, le 2S juillet prochain, pour célébrer l'anniversaire du roi Charles-
Albert. Le dernier paragraphe de cette note est en effet ainsi conçu : —
a Pour ladite Messe le ministère accorde une prime de 900 francs, laissant
à la charge du compositeur tous les frais relatifs à l'exécution, lant en ce
qui concerne la copie des parties de chant et d'orchestre que la rétribution
aux chanteurs et exécutants. » C'est-à-dire que pour un prix de 900 francs,
on impose au compositeur couronné quelques milliers de francs de dé-
penses. Si tout se fait dans les mêmes conditions, voilà un anniversaire
dont la célébration ne doit pas coûter cher à l'administration.
— M. Mancinelli achève en ce moment, sur un livret de M. Arrigo
Boito, la partition d'un opéra intitulé Ero e Leandro, qui doit faire son
apparition au prochain festival de Norwich, et qui sera joué ensuite au
théâtre de Govent-Garden, à Londres, au cours de la saison 1897. A Noi\Yich
l'exécution sera confiée à M">" Albani, au ténor Lloyd et â la basse Milk ;
à Londres l'ouvrage aura pour interprètes M'"" Melba et les frères
de Reszké.
— On a exécuté récemment, au théâtre Communal de Faenza, une com-
position symphonique de M. Angelo Giacometti, intitulée Marie-Antoinette,
qui avait été couronnée il y a quelques mois dans un concours ouvert à
Bruxelles. L'œuvre a été applaudie, ainsi qu'une ouverture, il Canio
di'll'amore, due à un autre compositeur. M: Giuseppe Cicognani, et qui a
été exécutée au même théâtre.
— Tout arrive à qui sait attendre. Mozart est mort bien avant Joseph
Haydn, Schubert et Beethoven; ces compositeurs ont cependant depuis
longtemps leur statue dans leur bonne ville de "Vienne, tandis que Mozart
a dû se contenter d'un tout petit monument placé dans la maison de la
Rauhensteingasse qu'il a habitée avant sa reconstruction et qui porte son nom.
Mais voici qu'on va finalement inaugurer à Vienne un monument digne du
grand maître, et c'est l'empereur François-Joseph qui présidera en per-
sonne à la cérémonie, vers la fin du mois d'avril. Le hofkapellmeister de
Joseph II recevra ainsi un honneur posthume dont aucun musicien autri-
chien ne peut se vanter; même à l'inauguration du monument de
Beethoven l'empereur n'assista pas en personne. A l'occasion de l'inaugura-
tion du monument, l'Opéra impérial jouera pendant troiss cirées consécu-
tives les Noces de Figaro, Don Juan et la Flûte enchantée. Le Conservatoire de
94
LE MÉNESTREL
Vienne donnera un grand concert populaire, dont le programme sera
composé exclusÏTement d"œuvres de Mozart. Le monument sera placé,
comme nous l'avons déjà dit, à deux pas de l'Opéra, c'est-à-dire tout près
de l'emplacement où se trouvait, au temps de Mozart, l'ancien " ïhéàtre-
Impérial près de la porte de Carinthie o, qui a vu les premières représen-
tations des Noces de Figaro et de Doit Juan. Quant à la Flûte enchantée, on
sait qu'elle a étéjouée pour la première fois sur le théâtre du librettiste et
directeur Schikaneder; les bas-reliefs des frontons du théâtre An der Wien
rappellent la fortune que Schikaneder fit avec l'œuvre de Mozart.
— Le théâtre municipal de Rostock vient de jouer avec succès un nou-
vel opéra en un acte, le Braconnier, dont la musique est due à M. Alfred
"Wernicke.
— Lettre du professeur Jadassohn, de Leipzig, à M. Ch.-M. Widor ;
Cher Monsieur et ami,
J'ai le plaisir de vous communiquer que mon élève Félix Fox a joué ce soir
votre superbe concerto en fn mineur, avec un succès complet. La grande salle
du Conservatoire était comble d'un public choisi. Nous avons fait trois répéli-
tions avec l'orchestre. Je me glorifie d'être le premier qui ai fait exécuter une
de vos œuvres à Leipzig, et j'en suis largement récompensé par le succèsuni-
nime que votrj belle œuvre a reçu.
— Au théâtre Gran-Via, à Barcelone, on a donné ces jours derniers la
première représentation d'une nouvelle zarzuela en un acte, la Branca IL,
dont la musique est due à M. Ferez Aguirre. Plusieurs morceaux ont eu
l'honneur du bis.
— A l'Eldorado de la même ville, succès encore pour une autre zarzuela
intitulée la Maja, paroles de MM. Perrin et Palacios, musique de M. Ma-
nuel Nieto, qui dirigeait lui-même l'orchestre et qui a été très fêté.
— L'université d'Oxford vient de rejeter le projet d'une réforme accor-
dant des titres universitaires aux femmes. Les innombrables pianistes,
organistes, chanteuses et professeurs de piano et de chant enjuponnés
que compte le Royaume-Uni en sont toutes marries, car elles se prépa-
raient déjà à obtenir le titre de bachelières es musique pour pouvoir ajouter
à leur nom les six belles lettres convoitées : Mus. Bac. Les journaux fémi-
nistes de l'Angleterre malmènent fortementles gros bonnets de l'Université
d'Oxford, qui ne veulent pas entendre raison et disent comme au bon vieux
temps : Mu'.ier laccal in universilale.
— On a vendu récemment aux enchères, à Londres, un psautier précieux,
imprimé en liS9 et qui provient de l'abbaye de Saint- Vincent, à Metz.
Ce psautier, vendu pour une somme dérisoire en 1790 à un juif de Metz,
vient d'être acquis par le British Muséum pour la somme respectable de
5. 2b0 livres sterling, soit 131.230 francs.
— Nous avons raconté, il y a quelque temps, que le doyen des pianistes
militants, M. Antoine de Kontski, venait de quitter sa maison de BufCalo
pour entreprendre une tournée artistique autour du monde. Or, nous appre-
nons, par le Sitigapore Free Press, que M. de Kontski a donné en janvier des
concerts à Singapour, et a émerveillé tout le monde par son jeu brillant et
vigoureux et par sa mémoire extraordinaire, qui n'a pas trahi le pianiste
octogénaire un seul instant, même lorsqu'il jouait par cœur des sonates de
Beethoven. Le vieux lion du piano a remporté un succès hors ligne, et à
la fin de chaque concert il s'est vu obligé de jouer son célèbre morceau le
Réveil du lion, ainsi que sa charmante Gavotte Pompadour. Notre confrère de
Singapour raconte que M. de Kontski se rend aux Indes, et de là en
Sibérie; il fera ensuite une tournée en Russie et probablement aussi
dans les autres pays de l'Europe. M. de Kontski, le contemporain de
Beethoven, de Field, de Mendelssohn, de Chopin, de Thalberg et de
Liszt ae trouvant encore salle Érard en 1897, ne serait, certes, pas une
apparition banale.
PARIS ET DEPARTEBIENTS
Le ministre des Beaux-Arts sait-il que la direction du Conservatoire
continue à être vacante? Pourquoi se faire tant prier pour accepter une
solution que tout indique et qui lui est criée de toutes parts par la voix
de l'opinion publique ? Les influences occultes sans doute, les fâcheuses
intrigues de bureaux qui détournent si souvent nos ministres de la voie
franche et droite, pèsent encore sur l'esprit de M. Combes;
— Nous avons annoncé, dimanche dernier, la reprise du itfof on à l'Opéra-
Comique. Elle a fort agréablement réussi. M. Carvalho avait eu l'ingénieuse
idée d'engager, pour le principal rôle de cette aimable pièce, le maçon
même qu'on voit quelquefois travailler place Favart à la reconstruction
de la nouvelle salle. Il s'est trouvé qu'il avait une jolie voix et qu'il n'était
pas tellement exténué par son labeur du jour qu'il ns put encore chanter
fort agréablement le soir. Cela a été une joie pour le public de voir cet
honnête ouvrier, dont la mémoire sera légendaire bienlùt; et, en le voyant
manier si bravement en scène une truelle de carton, chacun se prenait à
espérer qu'avec son aide on finirait bien, dans les premières années du
vingtième siècle, à voir la nouvelle salle de l'Opéra-Comique prendre une
belle tournure.
— Vendredi dernier, à l'Opéra-Comique, M"° Nina Pack a pris posses-
sion du rôle d'Anita dans ta Navarraise, où ses qualités dramatiques ont
fort réussi devant le public, toujours très impressionné par l'œuvre capti-
Tante de MM. Claretie, Gain et Massenet.
— M. Jules Claretie avait écrit à M""-' Alexandre Dumas pour lui de-
mander si elle voulait bien l'autoriser à faire prendre chez elle l'admirable
buste de l'auteur du Demi- Monde, dû au ciseau de Carpeaux et légué par
Alexandre Dumas lils à la Comédie-Française. La veuve de l'illustre écri-
vain s'est empressée de se rendre au désir de l'administrateur du Théâtre-
Français, qui, ces jours derniers, a envoyé chercher le buste, et l'a fait
placer aussitôt au bas du grand escalier, entre ceux de Balzac et d'Emile
Augier. Cela a donné lieu à une petite cérémonie d'inauguration, toute
familière d'ailleurs, qui s'est accomplie en présence de tous les artistes de
la Comédie, et qui a fourni à M. Jules Claretie l'occasion de prononcer
non un discours, mais une allocution touchante et émue, dans laquelle il
a rendu un dernier hommage au maitre qui restera l'une des gloires les
plus éclatantes de notre théâtre. M"" Alexandre Dumas n'assistait pas,
comme quelques-uns l'ont dit, à cette cérémonie intime, mais elle a fait
remercier M. Claretie des paroles prononcées par lui en cette circonstance.
— Ce n'est pas, comme on a pu le croire, une représentation de l'Eroslrule
de Reyer qui sera donnée, le 29 courant, pour le festival de la fondation
Agar, mais seulement une audition destinée à faire connaître une partition
injustement méconnue et qui doit reprendre sa place au répertoire. Eros-
Irate a été chanté pour la première fois à Bade, en ISC2, avec un grand
succès, par le ténor Michot et M°" Marie Sasse. L'œuvre de M. Reyer fut
reprise en octobre 1871 par les artistes de l'Opéra, qui étaient, eux aussi,
en république sous la présidence de M. Halanzier. M"'' Julia Ilisson tenait
le rôle d'Athénaïs et s'y montrait très inférieure â la créatrice. Le critique
du Figaro, Jouvin, le dit comme il le pensait et sa franchise lui attira...
un soufflet de la charmante artiste. Reyer a écrit sur cet incident un feuil-
leton des jDi'fcnte qui est un bijou. Les damesdu corps de balletapprouvèrent
l'héroïsme de M"« Ilisson, mais le public fut de l'avis de Jouvin. Est-ce
cette insuffisance de la part de l'artiste ? Est-ce le défaut d'une mise en
scène qui, il fautle dire, nebrillaitpoint par l'opulence ? Est-ceque l'ouvre,
conçue pour le petit cadre du théâtre de liade, ne se trouvait plus dans
son milieu en prenant place sur la vaste scène de l'Opéra? Toujours est-il
que l'effet fut à peu près négatif et que les artistes, dérogeant à l'usage qui
accorde à toute œuvre nouvelle au moins trois représentations, crurent
devoir retirer Erosirale après la seconde, ce qui donna à M. Reyer, juste-
ment blessé, l'occasion d'écrire et de publier une lettre pleine de tact et
de dignité. On assure aujourd'hui que pour l'audition qui se prépare
i'Erostrate, M. Reyer demande le concours de M™"^ Caron ou Bosman, et
celui de MM. Delmas et Courtois. L'obtiendra-t-il de la part de MM. Ber-
trand et Gailhard ?
— On se rappelle l'incident qui s'est produit, il y quelques mois, à la
bibliothèque de l'Opéra. Un des garçons de cette bibliothèque, le nommé
Xavier Damade, convaincu de vol, avait été, à l'Opéra même, arrêté au
milieu de la journée. Damade avait soustrait et revendu, après avoir très
habilement fait disparaître, tant sur les feuillets marqués au timbre de la
bibliothèque que sur le dos des volumes, les traces de leur origine, un
certain nombre de partitions d'orchestre, entre autres celles du Pardon t'e
Ploërmel, de Wertlier et de la Navarraise. De plus, il était accusé d'avoir volé un
corsetet plusieurs « tutus » de danseuses. Damade comparaissait mercredi
en cour d'assises, et malgré la plaidoirie de son défenseur, M" Pierre
Bouchez, s'est vu condamner à deux ans de prison. Sa maîtresse et la mère
de celle-ci, qui étaie.nt poursuivies comme complices, ont été acquittées.
— La flûte Boehm, dont le célèbre Tulou ne voulut jamais se servir et
qui est aujourd'hui entre les mains de tous nos flûtistes, courrait-elle des
dangers? Voici qu'on annonce la venue d'un instrument nouveau, qui aurait
la prétention de la détrôner. Cette nouvelle llûte, très simplifiée dans sa
construction et dans son mécanisme, est de l'invention d'un musicien ita-
lien nommé Giorgi. Cylindrique et sans aucune clef, elle se tient droite,
parait-il, c'est-à-dire sans doute comme le flageolet. L'inventeur se flatte
d'avoir résolu le problème d'obtenir, sans le secours des clefs, la gamme
chromatique complète dans une môme étendue, d'une intonation parfaite,
avec un son très plein, plus égal et d'un timbre fort agréable. Son instru-
ment est simplement percé de onze trous, pur l'usage desquels le virtuose
peut exécuter n'importe quelle dilBcullé avec une précision égale à celle
des instruments les plus perfectionnés. Ce n'est pas à nous d'exprimer
une opinion sur un engin sonore quci nous ne connaissons pas encore.
Attendons — et laissons la parole à M. Tafl'anel.
— Le Comité de patronage de l'Exposition du théâtre et de la musique
s'est réuni mardi dernier au Palais de l'Industrie, sous la présidence de
M. François Coppée. La nomination de M. Layus, en qualité de com-
missaire général, a été votée à l'unanimité, sur la proposition de M. 0. Lar-
tigues, secrétaire général, qui a exposé en termes éloquents le but et le
program.me attrayant de cette exposition.
— La question toujours brûlante des chapeaux de dames au théâtre a été
résolue â Bordeaux d'une manière toute pacifique, et tout à l'honneur des
dames bordelaises. Un conseiller communal avait demanJé au maire, en
séance du conseil, de prendre un parti énergique et d'user de son autorité
pourprohiber le chapeau des dames au théâtre communal; à quoi le maire
répondit que sa galanterie et son tact ne lui permettaient pas de sévir
contre le sexe faible. L'alfaire fit du bruit en ville, et dès le lendemain les
dames bordelaises, désirant témoigner aumaireleur gratitude pour la déli-
catesse de ses procédés, arrivaient au théâtre sans couvre-chef; aujourd'hui.
LE MENESTREL
95
la réforme est complètement entrée dans les mœurs du public. Hélas! que
n'en est-il de même à Paris, où les spectateurs continuent d'otre les vic-
times innocentes et impuissantes des chapeaux des spectatrices!
— Notre confrère M. Albert Soubies fient de faire paraître chez Flam-
marion, dans sa charmante collection de VAlnmnach des Spectacles, un nou-
veau volume, le XXIV^ auquel, comme aux tomes précédents, est jointe
une jolie eau-forte de M. Lalauze.
— M. E. Guilbaut, qui est un spécialiste et qui plus que tout autre était
à même de mener à bien un pareil travail, vient de publier sous ce titre:
Guide pratique d:s sociétés musicales et des chefs de musique, un excellent
manuel qui sera accueilli par tout le personnel orphéonique de France
avec la faveur qu'il mérite. Ce manuel ne s'adresse, en fait, qu'aux sociétés
instrumentales: harmonies ou fanfares, et cependant son utilité sera grande
aussi pour les sociétés chantantes, eu ce qu'il met les unes et les autres
au courant de tout ce qui a rapport aux festivals et aux concours. Pour le
reste, il sera précieux à tous les chefs de musique et à leurs sociétés, qui
y trouveront les conseils et les préceptes utiles relativement à la composi-
tion des corps de musique, à la disposition du personnel pour l'exécution,
à la sonorité, à l'accord et à la justesse des instruments, aux soins à donner
à ceux-ci, etc., etc. C'est là un vade mecum dont nul ne pourra nier l'im-
portance etla valeur en son genre. A. P.
— Je suis bien en retard avec un livre que je m'en voudrais pourtant
dépasser sous silence, et qui fait grand honneur à son auteur. Je veux
parler de l'intéressant volume publié par M. Constant Pierre, sous ce titre :
/(. Sarretle et les origines du Conservatoire national de musique et de déclamation
(Paris, Delalain, in-8). Ce n'est pas une raison, parce que nos gouvernants
actuels semblent se soucier fortpeu du Conservatoire et de sa direction, pour
que nous ne prenions pas, nous autres, le plus vif intérêt à l'histoire de
notre grande École musicale, si admirable, si' glorieuse, et si sottement
attaquée chaque jour par des gens qui ne connaissent pas le premier mot
des conditions de son existence. Au point de vue de la biographie de
Sarrette comme en ce qui touche l'histoire même du Conservatoire, le livre
de M. Constant Pierre est à lire d'un bout à l'autre. Je ne veux pas le
déflorer, je n'ai pas à en dresser la table des matières, mais j'en conseille
vivement la lecture à tous ceux qui aiment le Conservatoire, qui le con-
naissent, qui comme moi y ont été élevés, et qui savent les merveilleux
services qu'il rend chaque jour à l'art français et aux jeunes artistes qui
le fréquentent. A. P.
— Au Nouveau-Cirque, changement de spectacle. L'Ile des bossus nous
est une occasion d'applaudir à la souplesse et à l'originalité du clown
Footlit, un véritable artiste qu'on aimerait voir se produire en une véritable
pantomime. Gros succès aussi pour un amusant assaut que se livrent,
entre eux, une dizaine d'hommes montés sur de légers bachots prompts à
chavirer. MM. Deram, Pierantoni et M"« Renz mènent joyeusement la fan-
taisie nouvelle qui fera rire les babys absolument comme de petits bossus.
P.-E. C.
— Samedi dernier 1-i mars, à la suite du banquet annuel de la Société
d'histoire de la Révolution, présidé par M. Jules Claretie, a eu lieu une
soirée musicale et littéraire, organisée par notre collaborateur Julien
Tiersot et M.Truflier, de la Comédie-Française. M. J. Tiersot a fait entendre
plusieurs morceaux du répertoire musical de la Révolution, notamment
l'admirable Chant du l't juillet, de Gossec, qu'il a, à proprement parler,
découvert et fait exécuter, il y a plus de quinze ans, ainsi que
diverses compositions de Rouget de Liste, notamment le chant de Roland à
Roncevaux, qui fut composé dans la même semaine que la Marseillaise.
M"" Moreno, de la Comédie-Î'rançaise, a déclamé avec beaucoup d'énergie
et d'accent les strophes de notre chant national; M"" Verteuil, de l'Odéon,
MUos F'anny Créhange et Marguerite Ducy ontdit etchanté plusieurs autres
morceaux, notamment des chansons populaires du recueil de M.J. Tiersot.
— Soirée des plus brillantes, dimanche dernier, chez M"" Marie Roze.
On inaugurait le charmant petit théâtre qu'elle a fait installer pour ses
élèves. La charmante artiste est plus en voix que jamais, et elle s'est fait
entendre elle-même dans le duo de Lenepveu, Renaud et Armide, en com-
pagnie de M. Rivière, jeune ténor de ses élèves. Elle a ensuite chanté
deux compositions de M"' Ferrari avec grand succès. M. Rivière a dit
d'une voix généreuse l'air de Sigurd. M"' Amaury a fait applaudir deux
mélodies de M. Le Borne; M"= Sang a chanté d'une manière charmante
l'air de Xavière, de Théodore Dubois; ensuite, on a entendu l'air du Cul,
de Massenet, la berceuse de Jocehjn, de Godard. M. Eddy Leyis a dit deux
ctarmantes poésies de lui; M. PierreSechioni, premier violon des concerts
Lamoureux, a charmé tout le monde par la manière dont il a joué un air
de Bach, et les scènes de la Czardas, de Jeno Hubay. f^a seconde partie du
programme, au théâtre, se composait d'une scène du \" acte de Galulhée,
par M. Berriel, del'Opéra-Comique, et M"° Emelen, du théâtre de Lallaye.
Grand succès pour tous deux. Ensuite est venu l'acte du Jardin de Faust,
avec les élèves : Marguerite, M"° de Reville, douée d'une voix des plus
sympathiques et possédant déjà un talent de comédienne. M"'= Amaury
s'est fort bien acquittée du rôle de Marthe. M. Rivière a été parfait dans
le rôle de Faust et M. Berriel (Méphistophélès) a été excellent. En somme,
grande réussite pour tout le monde.
— Dépêche d'Amiens ; Grand succès pour M. Victorin Joncières, au
l'estival donné en son honneur au Cirque municipal. La M'c, la polonaise
de Dimiiri et Li-Tsin ont valu à l'éminent compositeur une ovation enthou-
siaste après chaque morceau. M""' Pauline Smith, qui chantait les soli, a
été chaleureusement applaudie. W<^ Ilardel, harpiste, M. Llorca, pianiste,
MM. DubuUe, Lallîte, et M"« Peppa Invernizzi et Garbagnati, dans leurs
danses anciennes, ont eu leur large part dans le succès de la soirée. N'ou-
blions pas de dire que le vaillant chef d'orchestre, M. Brument, a dirigé
l'orchestre et les chœiirs (-200 exécutants) avec une rare habi'eté.
— Samedi dernier, admirable concert à la Société philharmonique de
Bordeaux avec Raoul Pugno et le violoniste Ysaye. Salle merveilleuse,
près de deux mille personnes.
— Au dernier concert de la Trompette, M^i'Remacle a chanté avec succès
le Rouet de Paladilhe, les Caprices de la Reine de Blanc et Dauphin, deux des
cliarmantes Bergerettes de Weckerlin, et un numéro de l'Album de la Chxind'-
inaman du même auteur.
— Au Casino municipal de Nice, on signale d'intéressantes représenta-
tions de Mignon avec M°" Tarquini d'Or, l'intelligente artiste de l'Opéra-
Comique.
— La saison musicale de Pau se poursuit toujours avec de très grands
succès pour M. Brunel et son excellent orchestre. Très grand effet, aux
dernières séances données au Casino, pour J'enir'actede la Neige, \si Polonaise
et les Airs de danse de Kassya.de Léo Delibes, pour les Scènes najohiaines,
de Massenet, pour l'ouverture de Broceliande, de Lucien Lambert, et le ballet
du Cid, de Massenet.
— M"» Marthe Dron, qui a obtenu cet hiver un très vif succès à la
Société nationale de Paris, vient de remporter à Nancy un nouveau triom-
phe. La jeune artiste y a fait preuve de charme dans quelques jolies
pages : r/mpn)mp(« de Neustedt, les Myrtilles de Dubois. M"= M. Dron, qui
doit donner un concert à Paris, le 28 mars, salle Pleyel, est aussi appelée à
Bruxelles pour s'y faire entendre en compagnie du violoniste Ysaye.
— A Nîme s, encore, matinée de gala au Grand Théâtre à la mémoire
d'Ambroise Thomas. Au programme, l'ouverture de la DouUe Échelle, Mignon,
puis des fragments d'/Zoni/rf et du Songe d'une nuit d'été. Après un à-propos en
vers dit par M. Recurt, tous les artistes en costume ont couronné le buste
du maître illustre.
— A la société Sainte-Cécile de Bordeaux, on a donné, au dernier concert
populaire, et pour la première fois en province, toute la seconde partie de
l'Or du Rhin, de "Wagner. C'est au distingué chef d'orchestre de la société,
M. Gabriel-Marie, qu'on est redevable de cette tentative hardie. Très hello
exécution, qui a fait grand honneur à son organisateur. Au même pro-
gramme, les Érinnyes de Massenet, qui ont eu leur triomphe habituel ; gros
succès pour M. Jlekking.
— A Lille, complète réussite pour la Société des instruments anciens,
MM. Diémer, Delsart, Grilletet Van "Waefelghem. A M. Diémer on a bissé
sa grande valse de concert et à M"" Rose Delaunay, qui prétait son concours,
la Fauvette, de Diémer.
— A Douai, concert donné par la Société philharmonique au profit des
rapatriés de Madagascar, qui a valu de grand succès à l'orchestre, conduit
par M. Duhot, dans l'ouverture de Phèdre, de Massenet, à M"" Descamps-
Deneubourg dans la Polonaise de Mignon, dans le duo du Roi d'Ys, avec
M. Franchomme qui a chanté seul un air du Roi de Lahore, et dans le i\il
de Xavier Leroux, accompagné par le violon de M"^' A. Maignien.
— On nous écrit de Tours : Dimanche, notre confrère Millet-Beauvais
donnait sa séance annuelle de musique. On a beaucoup applaudi M""'Millet
dins l'air du i" acte de Manon, et M. M... dans la méditation de Thdis.
Succès énorme du baryton Boyer dans l'arioso du Itoi ds Lahore de Mas-
senet, et Ariette de Vidal. Enfin, M''^ AVyder, une jeune pianiste de dix-sept
ans. a joué superbement le Chant du nautonier de Diémer. Quatre des
artistes sont sortis du Conservatoire de Paris ou y sont encore. On a pu
comparer leur école avec celle de certains provinciaux qui crient sur ce
qu'ils ne peuvent atteindre.
— On a beaucoup remarqué et vivement applaudi, au dernier concert
populaire de Lille, une Suite symphonique de M. Paul Viardot, fort i>i.en
exécutée par l'orchestre sous la direction de l'auteur.
— M. Eugène Gigout fera entendre chez lui, les mardis M et 31 mars,
les élèves de son école d'orgue et d'improvisation. M"'* Eléonore Blanc et
Thérèse Roger, M. Warmbrodt et un chœur déjeunes filles du cours d'en-
semble de M°"î Pauline Roger, prêteront leur concours à ces auditions.
— Voici le programme des deux dernières séances que donnera M. Ch.
Grandmougin à l'Institut Rudy :
Mercredi, 25 mars. — Contes d'aujourd'hui, en prose (1886): — Le Paralytique,
la Pin du monde, Bi-:marclt, etc., ins par l'auteur.
Mercredi, 1" avril. — Le Clirisl (1894), drame sacré, en vers, joué à Paris, à
Rouen et à l'étranger, couronné par l'Académie française; — Scènes de Naza-
reth, de la Madeleine, des Oliviers, du Prétoire et de la Mort, inicrprélées par
M"' Gablayx, M"" Verlain, M. Jahan (de l'Odéon), M. PrimarJ, l'auliur (musique
de scène de M. Lippacher, exécutée par l'auleur).
Le poète a été longuement .acclamé et rappelé mercredi dernier après sa ii'-
gendede Quentin Mét::gs qu'il a dite lui-môme. A signaler aussi le Carillon,
fort applaudi avec M^'^s Suger et Renaud-Kaury.
96
LE MENESTREL
— Nous avons entendu dernièrement, dans les salons de M"' Kolh, une
nouYelle œuvre de M. Georges Spork : VEpée d'Anganlyr, écrite sur le poème
de Leconte de Lisle. L'œuvre très dramatique du jeune compositeur
a produit grand effet, admirablement chantée par i\I"' Armande Bourgeois,
de l'Opéra et M. Bailly.
— Concerts et SoinÉEs.— Très brillante matinée musicale donnée par MM. A.
et J. Coltin, les distingués artistes. .\u programme, illustré avec un goût
exquis par M-* A. Cottin, un ravissant ensemble de dames et de jeunes
fîlles du monde qui. sous l'habile direction de M. A. Cottin, ont exécuté
sur la mandoline, la mandole et la guitare des œuvres de Rameau,
Biiet, Thomé, Casella, Mouti, Coltin, etc. Dans les intermèdes, on a entendu
M. Brémont, de l'Odéon, et MM. Cotlin qui ont chanté des mélodies de Faure,
Menti, Choisnel avec leur succès accoutumé. — Brillante soirée artistique donnée
par M"" Chauchereau et M. De:é et qui réunissait de nombreux artistes,
MM. Falkenberg, Touche, Brémond, M'"- Filliaux-Tiger, à laquelle on a bissé
sa Source capricieuse, enfin M"' Baboulène, qui a chanté l'Alouetle ayicUilome de
Perronnet sur laquelle M. Vasquez avait réglé une danse délicieusement exé-
cutée par M"" de Mérode, Mante et Kanat. — Soirée eharmanle, au Cercle de
la Société des Orphéonistes d'.\rra=, où l'on fêtait les palmes académiques
de MM. Paul Labbe, secrétaire trésorier, Tricart et Fontaine, membres de
la Société. Plusieurs toasts et discours ont été échangés. M. F. Lemaîlre,
président, au nom de la société, a remis de superbes souvenirs aux nou-
veaux o'Hciers d'-\cadémie, et un concert improvisé a terminé celte réunion
intime. — Exceptionnellement brillante, la séance d'audition des élèves de
M"" Donne, et qui donne une très haute idée de la valeur de l'enseigneaaent des
professeurs. En première ligne, nous y avons remarqué M""^ Eytmin, Rigali,
Fdlcran, Roux, Bjucherit, qui sont déjà, on peut le dire, des artistes formées;
puis M"" Ronesson, Jaulin, Richez, Ziegler, Lœwy, Choiaet, Birillon, Biizot,
Limosin, Pons,Forcade, Parmenlier, Ortiz, Cora, Seiglet. Il faudrait les nommer
toutes, cir toutes sont charmantes et toutes se sont fait applaudir eu même
temps que leurs excellents professeurs. — Une très intéressante séance a eu
lieu ce3 jours derniers à la sa!le de la rue d'Athènes. M"' Eme-Ronsseau avait
eu 11 bonne pensée de faire entendre au nombre des œuvres qui liguraient
au programme de son concert la cantate intitulée (a H/fedeyepft(e, avec laquelle
Clément Broutin avait remporté le grand pri.x de Rome en 1878 et dont le poème
est dû àM. Ed. Guiuand. On se souvient du succès qu'obtintcetle scène lyrique
lorsqu'elle fut chantée aux Concerts Cjlonne; C!ément Broutin fut immédiate-
ment considéré comme un des jeunes musiciens français devant lesquels
s'ouvrait le plus brillant avenir. Hélas ! la mort vint surprendre bientôt
Clément Broutin, nommé directeur du Conservatoire de Roubaix. — Très belle
soirée donnée par l'excellent baryton Paul Séguy. M. Théodore Dubois accom-
pagnait une sélection de ses œuvres, parmi lesquelleî Trima:o, plusieurs frag-
ments d'Abeit-Eainet, Par le sentier, Ilijinne nuptial, Saltarelle, interprétées par
M" ' Fauquez, Feijas, de Sylvabelle, Lubet, Audra et White. On a beaucoup
applaudi M. Dreifus dans les stances de Lakmé, M. Pourian dans Noi-l paien,
de Massenet, M"' Durand dans « Pleurez mes yeux » du Cid, M"" Baudrand dans
un air de Jean de Nivelle et Sérénade du Passant de Massenet, M"° Balette dans //
était nuit déjà de Duprato, et les chœurs dans Avril d.e Ch. Lefebvre. A bientôt
des soirées consacrées à Massenet, Ambroise Thomas, Joncières, Fau'-e, Puget,
etc. — Bonne audition des élèves de M'" Lafaix-Gontié. A signaler M"' H. B.
de D. (P(ï:ica(i de Sijlvia, Léo Delibes), M.-L. de P. [Expansion de Xaviéro, Th. Du-
bois), Al. P. (Gondoline, Diémerj, J.P. de M. {Toccata, .\ntOQinMarmontel), A. L.G,
{La Vierge à la crèche, Périlhou], M. D. (l'Ame des ois'aux, Massenet), L. B. (Valse
du veHige, Ad. David), M. N. (Mcdufna, Galeotti), et G. D. de S. {Pépa, Mathiasi.
— A la dernière soirée de M-= Vincent Cirol, grand succès pouri'£(oife, de Maré-
chal et Paul Collin, interprétée par M'»" Vincent CaroletChassinatet M. Dumon-
tier. — A la Bodinière, brillante soirée donnée par les anciens élèves du lycée
de Nantes. Gros succès pour M"° Vilma, à qui l'on a bissé plusieurs mélodies
de Massenet délicieusement chantées, M"" Moreno, Frémaux, Chassing,
MM. Bourgault-Ducoudray, Weingaertner et Karloni. — Chez M"" Mougin-
Guitry, seize élèves ont joué, comme morceau de concours. Source copr.'c/euse, de
Filliaux-Tiger. — A Nantes, la matinée donnée par M"" Nicolini, pour l'audition
de ses élèves, a été des plus brillantes. Au programme étaient venus se joindre
M"°' Madeleine Riffard et Marie Capoy, qui a chanté VArioso de Delibes. — Très
intéressantes matinées chez M"' la comtesse de la Pommière. Aux amateurs de
talent se joignent des artistes qu'on applaudit chaleureusement. Citons
la baronne Scotti, M"" Luccioni, M"° Maud Boudé, qui a si bien dit l'air du
Tasse de Godard, et M"" Yon, qui a charmé l'auditoire avec V Alléluia du Cid et
le Soir d'A. Thomas, et le violoniste M. Sailland.— Très réussie réunion annuelle
des élèves de M~'Galanio, parmi lesquelles il faut citer M"» Th. G. (Harpe éolienne,
Neustedl), A. S. IVals^ arabesque, Lack), M.-L. D. iSorrentina, Lack), S. L. {Marche
orientale, Dubois i, M. G. {Source capricieuse, Filliaux-Tiger), S. W. (feu follet, Kuhé),
G. D. {Prélude dllérodiade, Massenel), 11. C. {le Retour, B zet), M. V. (Zamacueca,
Ritter), L. C. (Sérénade, Galeotti) et Y. L. {Mélodie, Rubinstein.i. M. Bourdon, qui
prêtait son concours, a été très applaudi dans Varioso du Roi de Lahnre. — Très
brillante, l'audition-concert des élèves de M"' deTailhardat qui a eu lieu à la
galerie des Champs-Elysées. Parmi les morceaux les plus remarqués, citons
l'air du Cid, la phrase de Tha'is, V Enchantement de M. Massenet parfaitement
chantés par M">' Bâillon, M"" Lotar et Tissot. Liszt, Chopin, Diémer, Massenel,
etc., ont aussi été très bien interprétés par les élèves de piano. L'.Vragonaise
du Cii et le prélude d'Hérudiade ont été joués avec beaucoup d'expression par
M»' S. Depoix, qui est encore une enfant, et M"" Creux a très bien rendu la dif-
ficile Valse de concert de Diémer. La jeune harpiste M"° H. Renié, qui a bien
voulu se faire entendre, a ravi l'auditoire avec le Banc do mousse de Th. Dubois,
et la Danse des sylphes de God^lroid. M"' Darblay et M. Mombrey ont eu leur part
du succès en disant de cliarmiants monologues. — M"" Marthe Chrétien, une
intéressante et habile pianisle, a donné un concert qui a été pour elle l'occasion
d'un succès qu'ont partagé M"" Juliette Dantin et M. Ch. Furet, avec lesquels
elle a exécuté un trio pour piano, violon et violoncelle de M. Alfred Kaiser,
composition importante que le public a accueillie avec des applaudissements
légitimes. M"' Chrétien s'est fait applaudir aussi dans diverses pièces de Schu-
mann, Rubinslein, Fauré, PfeiCfer, ainsi que M"* Dantin dans la Légende de
Wieniawski et la Danse tzigane de Tivadar Nachez. — Bonne audition des
élèves de M"" Brin, au cours de laquelle on a surtout applaudi M"" H. L. (.Voc-
tiirne, Massenet-Filliaux-Tiger), A. M. et C. \V. [Roman d'Arlequin, Missenet-Fil-
liaux-Tiger), C. B. [Absence, C. de Grandval), S. M. et F. (Danse diabolii)ue, pour
violon, -J. Hubay), J. F. et M"" Brin (mélodie des Erinmjcs, Massenet-Filliaux-
Tiger, et Vieille Chanson, Armingaud-Filliaux-TigerJ. — Brillante matinée chez
M"' Ducasse. M. Théodore Dubois, qui dirigeait ses o-uvres, a eu le plus grand
succès et a vivement l'élicitè ses jeunes interprèles. — L'audition des élèves de
M"" Marie Ruetf a été un grand succès pour le professeur et les excellents
chanteurs qu'elle produisait. On a beaucoup applaudi l'air de Sigiird. par
M"" Darly, le Dernier Rendez-Vous de Reyer, par M"" Trannoy, Chanson russe et
Fabliau, de Paladillie, par M">" Blad et M. Lebourdais des Touches, fragments
de Mir/non, par M"' Solma, Si mes vers avalent des ailes, de Reynaido Hahn, par
M"" Lucy Kremer, air de Lakmé, M"° Bonheur, etc., etc. MM. I. Faure, lloll-
mann Black, Gaston Selz et Emile Bernard, qui dirigeait l'eiécution de ses
œuvres, complétaient ce très intéressant programme. — M"° Anna Fabre con-
tinue avec le môme succès ses soirées-causeries sur l'histoire de la musique,
avec le concours de M. Charles Crandmougin. Dans les deux dernières séances,
qui comprenaient les époques de Bieh, Pergolèse, Haydn et Gluck, il nous a
été donné d'entendre iM.^L Loeb, Laforge, Léon Delafosse, MM"" Taine-Boussac
et de Morainvillo pour la partie instrumentale, MM. Gandubert, Challet, Gailia,
M"" M. Ador, de Franemesnil et Tremblay. — Le Ménestrel a plusieurs fois men-
tionné les brillants succès des cours de solfège et piano de M"' Vimont. Cet
excellent professeur nous a conviés à une très intéressante audition de
ses élèves, qui toutes, suivant leur degré de virtuosité, nous ont charmés
par la grâce naturelle, par le style et par l'élégance de leur phrasé. L'audition
était consacrée aux œuvres de Marmontel, père et fils; notons au passage : Ara-
besque et Intermezzo, délicieusement exécutés par M""" Baron et deMontfort;
puis l'Enchanteresse, deax pièces caractéristiques, et.S'c//erïo délicieusement joués
par M"" B. Rose, M. le Roy, E. Vun. Tous ces morceaux font partie de l'œuvre
d'Antonin Marmontel flls. M"' Duménil, le professeur de chant que M~" Vi-
mont a eu f heureuse pensée d'adjoindre à ses cours, nous a fait entendre, par
des élèves douées de jolies voix, chantant juste et avec goût, de ravissantes
mélodies de Massenet, B. Godard, Paladilhe, Marmontel, Delibes, Offenbach.
Puis elle a chanté, avec l'autorité de style d'une musicienne d'élite. Nous vou-
drions donner les noms de toutes ces jeunes filles qui ont su vivement inté-
resser l'auditoire. Plusieurs ont exécuté les dernières compositions du maître
Marmontel : Impressions et Souvenirs, avec un charme exquis et une sonorité dé-
licieuse; mentionnons M"" H. Carré, A. de Montfort, Berlhe Rose, C. Baron,
M. Le Roy et E. Vun. Nous ne devons pas non plus oublier les jeunes élèves des
premiers groupes, qui ont prouvé tout le savoir du maître qui a su les initier au
bien dire : M"" Roquigny, M. Clerc, Al. Ménégoz, Louise Carpentier, Bl. Boivin,
Berlhe Boivin, L. de Witte, Jeanne Fièves, M. J. Coppinger. — A ses séances
musicales de la salle Pleyel, M""" Saillard-Dietz a exé;u'é au piano avec beau-
coup de succès le jo'.i Menuet de l'Infante de Paul Rougnon. — M. Stéphane
Elmas, dans une trèi intéressante séance donnée ces jours derniers à la salle
Erard, a vivement excité l'intérêt de son nombreux auditoire. Outre quelques
morceaux de Schumann et de Chopin, interprétés avec virtuosité, le jeune
artiste fit entendre plusieurs de ses compositions.
— CoriCCTTs ANNOxcÉs. — Mardi i4 mars, salle Pleyel, troisième séance de la
Société de Musique française, fondée par M. Ed. N;daud, avec le concours de
M-= G. HainI, MM. V. d'Indy, Cros-Saint-Ange, Thibaud, Trombetia et Gibier.
— Jeudi 26, salle de la Société de Géographie, 184, boulevard Saint-Germain,
concert de M"" Marie-Louise Blanchard, avec le concours de M"' E. Philipp, de
MM. Berlhelier, Loeb et Balbreck. — M"' 'fhérèzc Duroziez et M. Emile Engel
donneront deux séances de musique très intéressantes à la salle Erard, les
lundis 30 mars et 11 mai consacrées l'une aux œuvres de Schumann et la
seconde aux œuvres de Sainl-Saëns, Massenet, Chabrier, Hillemacher, etc.
NÉCROLOGIE
A Vienne est morte, à l'âge de 6^ ans. M"'' Anna Pessiak, née de
Schmerling, professeur de chant au Conservatoire, ancienne élève de
M™' Marchesi. M'°'" Pessiak est aussi connue par différentes compositions
pour piano et chant, et par plusieurs messes exécutées dans des églises
de Vienne.
— On annonce de Palerme la mort d'un artiste distingué, M. Alvaro
Stronconi, professeur de piano au conservatoire de cette ville, où il avait
formé d'excellents élèves.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Étude de M= Er. Thibault, notaire à La Rochelle, 4, rue G.-Admyrauld.
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Maison de pianos, musique, lutherie, parfaitement achalandée, située
dans la plus belle rue de La Rochelle.
Long bail assuré.
Pour tous renseignements, s'adresser à M<= Thibault.
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réparation des pianos, des orgues et de la lutherie. Bonne situation, inté-
ressé aux affaires. Inutile de se présenter sans de sérieuses et bonnes réfé-
rences . — S'adresser aux bureaux du journal.
B, 20, 1
— Encre '.orOleiu;
Dimanche 29 Mars 1896.
3392. — 62'"° APiNEE — IN» 13. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fhanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Musique antique (8" et dernier article), Julien Tiersot. — IL Semaine théâ-
trale : premières représentations de Disparu , au Gymnase, d'Amoureuse, au
Vaudeville, de /a Griin Via, k l'Olympia et de IMtons-nous d'en rire, aux Folies-
Marigny, Paul-Émile Chevalier. — IIL L'orchestre de Lully (7" et dernier
article), Arthur Pougin. — IV. Le monument de M-" Carvalho. — V. Revue des
grands concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour ;
BALANCELLE
valse d'ANTONiN Marmontel. — Suivra immédiatement : Nocturne, de Léon
Delafosse.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : VerMc-tu, mélodie de Léon Delafosse, poésie de M""» Desbordes-Val-
MORG. — Suivra immédiatement : Cantique sur le bonheur des justes et le mal-
heur des réprouvés, poésie de Jean Racine, musique de Reynaldo Hahn.
MUSIQUE ANTIQUE
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DELPHES
(Suite)
VI
Les lecteurs qui ont eu la patience de suivre jusqu'au bout
ces explications trop arides sur la musique des anciens Grecs
doivent se dire qu'il leur serait bien plus intéressant de
connaître les quelques fragments notés qui nous sont par-
venus. De même, dans la préface de Cromivell, Victor Hugo,
critiquant l'usage des récits dans la tragédie, s'écriait: « Vrai-
ment! Mais conduisez-nous donc là-bas. On s'y doit bien
amuser, cela doit être beau à voir! » Aussi m'efforcerai-je de
donner satisfaction à cette légitime curiosité, sinon en repro-
duisant tout ce qui nous est connu en fait de musique
antique, ce qui sortirait du cadre restreint de ce travail, du
moins en transcrivant les fragments les plus caractéristiques.
Les morceaux de musique grecque qui sont venus jusqu'à
nous sont les suivants:
Une strophe de la première Pythique de Pindare ;
Trois hymnes du 11"= siècle après Jésus-Christ (Hymne à la
Mme, Hymne à Hélios, Hymne à Némésis), les deux derniers com-
posés- par Mésomède, musicien né dans l'île de Crète, et qui
vécut à la cour de l'empereur Hadrien ;
Quelques fragments de musique instrumentale, qui semblent
être des études pour l'étude de la cithare ;
Un fragment d'un chœur (ÏOreste, d'Euripide;
Une chanson (fragment de scolie?), découverte àTralles(Asie
Mineure) ;
Enfin les deux grands hymnes de Delphes.
L'authenticité de la musique de la première Pythique de
Pindare a donné lieu à, des contestations. Cette musique fut
notée pour la première fois auXVII" siècle dans \q Mijsurgia du
P. Kircher: l'auteur l'avait transcrite d'après un manuscrit
trouvé dans une bibliothèque de Sicile, en joignant à sa no-
tation la reproduction des signes antiques. Mais quand, de
nos jours, on voulut recourir au document original, il ne fut
pas possible d'en retrouver la moindre trace.
Malgré cette perte regrettable, le travail, de Kircher porte en
lui-même d'assez grands caractères de sincérité pour que nous
n'ayons pas lieu d'en douter. La principale raison qui milite en
faveur de l'authenticité est que cette musique est parfaitement
conforme aux données acquises aujourd'hui sur la composi-
tion de la mélopée antique ; or, comme la plupart de ces par-
ticularités étaient inconnues au XVIP siècle, il n'est pas admis-
sible que le P. Kircher ait pu écrire un pastiche si réussi,
alors qu'il ignorait les éléments essentiels qui auraient dû
servir à le constituer.
Il est à peine besoin d'ajouter que rien non plus n'indique
que la mélodie remonte au temps de Pindare ni à Pindare
lui-même, et qu'elle peut très bien avoir été composée pos-
térieurement, — tout comme aujourd'hui on écrit des mélodies
sur des vers de Ronsard, ou de François Villon, ou de poésies
populaires plus anciennes encore.
Voici donc cette mélodie, reproduite d'après la plus récente
notation de M. Gevaert, mais transposée d'une octave et mise
au diapason du soprano. Elle est dans le mode hypodorien
ou éolien.
.(/c . si.c/io . r<in ho.pii _ tdii pro - o
•98
LE MÉNESTREL
Les hymnes du 11= siècle ont moins d'intérêt au point de vue
musical: les mélodies, lourdement rythmées, ont peu de
relief et d'accent ; comme, d'autre part, elles sont fort longues,
je ne les reproduirai pas. Voici seulement la première phrase
de VEymne à la Muse, qui est d'un joli dessin mélodique, et
nous fournit un exemple intéressant de mode dorien à opposer
à celui des hymnes delphiques, car ici la fondamentale mi a
bien nettement un caractère de tonique (1).
— fr
=^
^
j ;> ij
m
pin
I ^' U J, I J- IJ ^'1^
^
phre _ nos
11 pourrait être intéressant de rapprocher ces mélodies de
celles des hymnes delphiques composés trois siècles aupara-
vant: l'on apercevrait en effet que, durant ce laps, le style
musical s'était fort modifié. Ayant donné au début de cette
étude tout ce qui nous est parvenu du second hymne, et, au
cours du développement, plusieurs fragments caractéristiques
du premier, je laisse au lecteur le soin de faire cette compa-
raison.
Le fragment d'Euripide nous serait bien précieux s'il était
plus complet. Malheureusement il n'en reste que quelques
notes, — disjecti membra poetœ, — des commencements et des
fins de vers, le papyrus sur lequel le chœur d'Oreate était noté
ayant été trouvé en si mauvais état qu'on n'a pu faire usage
que des parties droite et gauche du feuillet, tout le milieu
étant détruit. Malgré cela , la découverte a encore grand
intérêt, puisqu'il s'agit d'un fragment lyrique de la tragédie
grecque, le seul par lequel il nous soit donné d'en avoir une
idée musicale, si faible soit-elle.
Par le peu que nous en voyons, en effet, nous pouvons
nous rendre compte que le caractère expressif est accusé avec
une grande intensité, dès les premières notes, par l'emploi du
genre chromatique. C'est comme des lambeaux de plaintes,
des gémissements inarticulés, qui semblent se répéter inces-
samment sur les mêmes degrés, avec, parfois, quelques notes
qui s'élèvent plus haut, comme en une supplication éplorée :
(1) Au moment où j'achevais de revoir les dernières épreuves de cet article,
j'ai reçu une nouvelle brocliure de M. Tti. Reinach (l'Hymne à la Muse, extrait
de la Revue des éludes grecques, chez Leroux), où se trouve proposée, pour cette
mélodie, une notation quelque peu différente de celle qui a été admise jusqu'à
présent. La principale nouveauté réside dans l'introduction, en trois passages,
d'un so( dièse accidentel (dans le fragment ci-dessus noté, remplaçant les deux si
de la fin de la onzième mesure et du commencement de la douzième, et suc-
cédant au si initial de la quatorzième mesure en formant avec lui un groupe
de deux croches liées), altération qui donne à la mélodie un caractère chroma-
tique, dont, après les deux hymnes delphiciues, nous ne saurions être étonnés
désormais. — Les autres variantes introduites par M. Reinach sont insigni-
fiantes. Au point de vue rythmique, je n'attache absolument aucune impor-
tance à l'adoption de la mesure à douze-lmil au lieu de celles à Iruis-huil ou à
six-huit, et de la mesure à trois-deux remplaçant la mesure à dcu.i'-ijualrc, me
bornant à dire que cette substitution ne me paraît réaliser aucun progrès: car
c'est une erreur de croire que la mesure doit correspondre au coKii ou membre
mélodique (en principe ; le vers), ce dernier ayant tout au contraire un déve-
loppement qui, le plus souvent, correspond à plusieurs mesures, et la mesure
correspondant bien plutôt au pied. — J'ajoute enfin qu'après avoir lu la partie
de ce nouveau travail intitulé : Mélopée, je ne retranche rien, — au contraire,
— aux observations que j'ai faites précédemment au sujet de l'interprétation
modale de la mélopée antique telle que la conçoit M. Reinach.
Tout autre est la petite mélodie vocale découverte à Traites,
il y a peu d'années, sur un monument du I" ou du 11° siècle
de notre ère. C'est un exemple charmant de la chanson
familière des Grecs. Anacréon devait chanter ainsi. Ésrite sur
une de ces maximes morales, plutôt banales, que les anciens
aimaient à débiter inter pocula, couronnés de roses, elle est
pleine de franchise, et, même encore, de fraîcheur. On la
voudrait plus longue. Le mode est le phrygien, nettement
caractérisé par le fa naturel et la conclusion à la dominante,
et cependant si franchement présenté qu'il ne choque en rien
nos habitudes de tonalité moderne, et qu'on croirait entendre
du majeur.
On en peut rapprocher ce court fragment d'une mélodie
instrumentale, le seul exemple antique qui nous soit parvenu
de l'harmonie lydienne: M. Gevaert le classe, à cause de sa
terminaison sur la tierce au-dessus de la tonique dans l'échelle
naturelle de fa, dans la variété dite syniono-hjjieii ou hijpohjdien
intense, et il apprécie justement le caractère de la mélodie en
la disant « la plus jolie, sans contredit, que l'antiquité nous
ait léguée: piquante par ses bizarreries de rythme et de
modalité. »
C'est par ces vestiges d'un art simple, aimable et ingénieux
que nous terminerons cette étude, déjà longue, pourtant bien
incomplète et forcément superficielle. Sans doute, si l'on s'en
tenait à ces derniers exemples, l'on n'aurait pas une idée
fort exacte du génie musical des Grecs, qui n'apparaît là que
par son plus petit côté : ce que nous voyons ici, c'est le côté
intime de l'art lyrique, le bibelot musical, — des statuettes
de Tanagra, quand nous désirerions tant connaître à la place
Phidias et Praxytèle. Mais encore devons-nous nous estimer
heureux d'avoir ces miettes de mélodies antiques, qui ont,
après tout, gardé leur saveur et leur parfum. Au reste, les
précédents exemples nous avaient ouvert quelques vues sur
le grand art: en les éclairant par les nombreux commentaires
que les contemporains nous ont légués, peut-être parvien-
viendrons-nous à nous rendre un compte à peu près exact
de cet art, qui, dès les temps les plus reculés, a joui d'un si
grand prestige.
Julien Tiersot.
le: ménestrel
99
SEMAINE THEATRALE
GvMNASE. Disparu I vaudeville en 3 actes, de MM. A. Bisson et A. Sylvane.
— Vai:deville. Amoureuse, comédie en 3 actes, de M. G. de Porto-Riche.
— Olympia. La Gran Via, zarzuela de M. F. Ferez, adaptation française
de M. M. Ordonneau, musique de MM. Clieuca et Valverde. — Folies-
Mabigny. Hâtons-nous d'en rire ! revue de M. Jules Lévy.
Le vaudeville sur la scène du Gymnase! Et le vrai vaudeville avec
sa suite obligée de déguisements et d'invraisemblables folies. Je ne
sais si Disparu/ fournira une bien longue carrière au boulevard
Montmartre ; mais le spectacle était curieusement amusant de voir
la mine déconfite des prêtres et servants du grand art tout prêts à
pleurer alors qu'une partie de la salle s'esclaffait bourgeoisement
aux calembredaines de MM. Bisson et Sylvane.
Et cependant, dans ces trois actes, il y a une petite indication de
vraie comédie ; les auteurs ont préféré ne s'en point soucier, et verser
carrément dans le burlesque ; c'est donc à ce seul point de vue qu'il
convient d'écouter leur pièce contenue presque tout entière dans le
second acte, avec ses fantoches désarticulés travestis en tigre, en
Chinois, en nain, ou en géant, et le colossal ahurissement du pauvre
huissier à qui est gratuitement offerte la carnavalesque sérénade.
Pauvre huissier Rabuté qui, croyant son richissime cousin Mongi-
rault mort en pays lointain, s'installe en maître et héritier chez lui,
et, certaine nuit, voit revenir le disparu au milieu du plus tintamar-
maresque des charivaris. « Adieu, veau, vache... », toute la moralité
de Disparu! est dans la fable du bon La Fontaine.
De l'amusante distribution, il faut nommer en première ligne
MM. Noblet, Dailly, Torin et M"" Leoonte, sans toutefois oublier
MM. Numès, Janvier, Numa, Mangin, M'"* Yahne, Médal et Maire.
Le Vaudeville a pris à l'Odéon la comédie de M. Porto-Riche,
Amoureuse, qui, voilà presque six ans, fut jouée au second théâtre
français non sans un certain succès. Ici-même, il fut fait de très sé-
rieuses réserves sur l'œuvre et aujourd'hui, que le recul permet de
juger avec plus de sûreté, de toutes ces réserves une seule pourrait
n'être guère plus de saison, celle de la hardiesse du sujet. C'est qu'on
nous en a servi, en ces quelques années, de la « rosserie » I Et
comme nous avons été littéralement, littérairement, si vous voulez,
gâtés sous ce rapport. Amoureuse n'a forcément plus, en mars 1896,
la piquante nouveauté qu'on ne pouvait lui dénier en avril 1891. 11
n'en reste pas moins un dialogue exquis mis au service d'un esprit
délicat; mais la pièce a des rides déjà... L'éternel recommencement
de l'éternelle même situation dramatique, étudiée au télescope, et
n'aboutissant à rien...
De l'interprétation primitive, M"'= Réjane demeure l'idéale Ger-
maine et MM. Dumény et Calmetles la secondent toujours adroite-
ment. M'"" Rosa Bruck, Caron, Sorel et Drunzer font de courtes et
aimables apparitions.
La zarzuela, traduisez opérette espagnole, que l'Olympia nous a
donnée a parcouru victorieusement l'Espagne, l'Italie et l'Amérique ;
il n'y a aucune raison pour qu'à Paris, étant donné surtout la
façon tout agréable dont M. de Lagoanère l'a montée, le succès ne
soit tel qu'il a été partout ailleurs. La Gran via, traduisez la Grande
rue, se réclame très directement de la revue ; les événements popu-
laires de la vie madrilène s'y déroulent, sur la Puerta del Sol, sous
l'œil bienveillant d'une jeune Parisienne, la piquante Bordo, escortée
de son vieil oncle, M. Berille. Voici la Gran Via, elle-même, que la
municipalité ne parvient pas à percer — quelque chose comme
notre boulevard Haussmann — représentée d'éblouissante façon par
M"° Micheline, que nous retrouverons, non sans plaisir, en bonne à
tout faire, en jeune torero et en marinerito^ traduisez petit matelot
d'eau douce ; voici les pick-pocket, avec leur chef, le Chevalier, voici
les agents, le vieux torero, la fontaine et les principales rues de
Madrid. Et tout cela va, vient, se trémousse, danse et chante, accom-
pagné par une musique assez entraînante de MM. Chueca et Valverde,
encadré dans un joli décor et habillé de séduisante façon.
J'ai nommé M"== Micheline et Bordo et M. Berville; il faut
complimenter aussi MM. Maréchal, Hurbain, Tavernier, Danvers,
M'"" Busson, Nerville, Bero, Gomez et Riccio, ces deux dernières à
la tète de gracieux divertissements, et enfin M. de Lagoanère,
chef d'orchestre plein d'entrain, directeur plein dégoût.
Deux mots seulement pour constater le succès de fou rire qui a
accueilli la revue des Incohérents, Hàtons-nou^ d'en rire! Aussi bien
la représentation n'était pas publique, et pour cause, dame Censure
n'ayant pas été admise à laisser circuler ses ciseaux dans la prose
très hardie de M. Jules Lévy. Beaucoup d'accrocs dans les entrées et
les sorties, dans l'enchaînement des scènes et, encore, dans Ift voix
de nombre d'interprètes ; n'empêche qu'il y a là plusieurs couplets à
l'adresse de nos puissants du jour, peu tendres. Ah! il n'y va pas
de plume morte monsieur le grand maître de l'incohérence !
Paul-Émile Chevalier.
L'ORCHESTRE DE LULLY
(Swite el fin.)
Un autre artiste oublié par Gastil-Blaze, c'est le basson Le Bas,
qui, ainsi qu'on l'a pu voir dans la notice concernant M"" Le Rochois,
devint l'époux de cette grande cantatrice, après lui avoir écrit une
promesse de mariage sur le revers d'une dame de pique. Cette union,
qui avait été consommée avant d'être conclue (car la Rochois était
dans une « position intéressante » lorsqu'elle montra à LuUy la
fameuse dame de pique), dura peu après qu'elle eut été consacrée,
car les chroniqueurs nous apprennent que Le Bas quitta Paris pour
aller se fixer à Pau. Mais c'est d'eux aussi que l'on sait d'une façon
certaine qu'il faisait partie de l'Opéra.
Pour Je reste du personnel symphonique de Lully, on est réduit
aux conjectures. Cependant l'abbé Raguenet, dans son Parallèle des
Italiens et des François, en ce qui regarde la musique et les opéras, nous
apporte un renseignement indirect qui peut être précieux. En com-
parant les orchestres des théâtres italiens avec celui de l'Opéra, il
s'exprime en ces termes : — D'ailleurs, outre toutes les sortes
d'instruments qui sont en usage parmi les Italiens, nous avons
encore les haut-bois qui, par leur son également moelleux et per-
çant, ont tant d'avantage sur les violons dans les airs de mouve-
ment; et les flûtes, que tant d'illustres (Philbert, Philidor, Desco-
teaux et les Holteterres) sçavent faire gémir d'une manière si
touchante dans nos airs plaintifs, et soupirer si amoureusement dans
nos airs tendres. » Cela veut-il dire que les artistes ici nommés
appartenaient à l'orchestre de l'Opéra? Il me semble qu'il est au
moins permis de le supposer.
Philbert et Descoteaux, qu'unissait une mutuelle et vive affection,
étaient deux flûtistes particulièrement célèbres à celte époque, l'un
et l'autre favoris de Louis XIV, et que La Bruyère a peints dans ses
Caractère.^. Descoteaux, homme distingué, esprit cultivé, était l'ami
de Boileau, de Molière et de La Fontaine; il comptait parmi les pre-
miers « fleuristes, » c'est-à-dire amateurs de fleurs de son temps, et,
comme plus tard Méhul, cultivait surtout les tulipes avec passion,
désignant chaque espèce à sa convenance et lui donnant le nom qui
lui plaisait. Il vécut très vieux, et Mathieu Marais en parlait en ces
termes, dans son Journal, à la date de novembre 1723 : — » J'ai vu
pendant les fêtes Descoleaux, que je croyais mort. Il a 79 ans (1).
C'est lui qui a poussé la flûte allemande au plus haut point, et qui
a perfectionné la prononciation du chant, suivant les règles de la
grammaire et la valeur des lettres, qu'il sait mieux que personne. Il
chanta des paroles de Verger très exactement. Il a encore au suprême
degr.'i le goût des fleurs, et c'est un des grands fleuristes de l'Europe.
Il est logé au Luxembourg, où on lui a donné un petit jardin, qu'il
cultive lui-même. La Bruyère ne l'a pas oublié dans ses Caractères
sur cette curiosité outrée de ses tulipes, qu'il baptise du nom qu'il
lui platt. Il veut être philosophe, et parler Descartes; mais c'est bien
assez d'être musicien et fleuriste. »
C'est en effet comme « fleuriste » que La Bruyère parlait de Des-
coteaux trente-deux ans auparavant, dans son chapitre : De la Mode (2).
Il ne le nomme pas, bien entendu; mais les contemporains ne s'y
sont pas trompés, comme nous le prouve Mathieu Marais, el ont una-
nimement appliqué à Descoteaux le portrait un peu grognon que
voici : — « Le fleuriste a un jardin dans un faubourg (3), il y court
au lever du soleil, el il en revient à son coucher; vous le voyez
planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Soli-
taire; il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la
voit de plus près, il ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui
de joie; il la quitte pour l'Orientale; do là il va à la Veuve; il passe
au Drap d'or, de celle-ci à V Agathe, d'où il revient enfin à la Solitaire,
où il se fixe, où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de diner; aussi
est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées: elle a un beau
vase ou un beau calice : il la contemple, il l'admire : Dieu et la
(1) Il était donc né en 164'i.
(2) Dans la sixième édition des Caractères, publiée en 1691, et où ce qui a trait
à Descoteaux parut pour la première fois.
(3/ Deacoteaux avait alors son jardin au faubourg Saint-Antoine.
100
LE MENESTREL
nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point; il ne va pas plus
loin que l'oignon de sa tulipe, qu'il ne livrerait pas pour mille écus,
et qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées et que
les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une àme,
qui a un culte et une religion, revient chez soi fatigué, mais fort
content de sa journée : il a vu des tulipes. »
Il faut pourtant croire, quoi qu'en ait dit La Bruyère, que Des-
coteaux ne pensait pas uniquement à ses tulipes, puisqu'il devint
l'un des premiers virtuoses de son temps.
Son ami Philbert ne lui cédait en rien sous ce rapport; et tous
deux se faisaient parfois entendre ensemble, aussi en compagnie de
de Vizé, anssi fameux alors sur le théorbe et la guitare qu'ils l'é-
taient sur la flûte (1). Mais Philbert n'était pas seulement fameux
par son talent : il l'était par sa gaîté, par ses saillies, par la facilité
qu'il avait à saisir les ridicules des autres et à les imiter dans le
monde d'une façon burlesque, enfin par ses bonnes fortunes, qui
étaient légendaires, et dont on retrouve la trace dans ce portrait
que lui a aussi consacré La Bruyère, qui, s'adressant à Lélie, l'ap-
pelle flracon dans son chapitre: Des Femmes : — « .... Mais vous avez
Dracon le joueur de flûte; nul autre de son métier n'enfle plus
décemment ses joues en soufflant dans le hautbois ou le flageolet;
car c'est une chose infinie que le nombre des instruments qu'il fait
parler: plaisant d'ailleurs, il fait rire jusqu'aux enfants et aux fem-
melettes. Qui mange et qui boit mieux que Dracon en un seul repas?
il enivre toute une compagnie, et il se rend le dernier. Vous sou-
pirez, Lélie : est-ce que Dracon aurait fait un choix, ou que mal-
heureusement on vous aurait prévenue? se serait-il enfin engagé à
Césonie qui l'a tant couru, qui lui a sacrifié une si grande foule
d'amants, je dirai même toute la fleur des Romains ; à Césonie qui
est d'une famille patricienne, qui est si jeune, si belle et si sérieuse?
Je vous plains, Lélie, si vous avez pris par contagion ce nouveau
goût qu'ont tant de femmes romaines pour ce qu'on appelle des
hommes publics, et exposés par leur condition à la vue des autres.
Que ferez- vous, lorsque le meilleur en ce genre vous est enlevé?... »
Ce caractère d'homme à bonnes fortunes aurait pu être fatal à Phil-
bert, qui, sans s'en douter, se trouva mêlé dans sa jeunesse à une
aventure tragique. Il avait excité une passion ardente chez une
femme nommée Brunet, qui, pour se rendre libre et pouvoir l'épou-
ser, n'imagina rien de mieux que d'empoisonner son mari. Philbert
l'aimait sans doute aussi, puisque le mariage eut lieu en efl'et. Mais
en 1680, lors du procès retentissant de la Voisin, celle-ci, parmi
ses révélations, fit connaître le crime commis par la femme Bru-
net, en ajoutant que c'était elle-même qui lui avait fourni le poison
destiné à l'accomplir. Cette dernière alors fut arrêtée, jugée,
puis condamnée à être pendue et brûlée en place de Grève, ce qui
fut fait. Il va sans dire que Philbert, parfaitement innocent de ce
forfait qu'il ignorait, comme tout le monde, ne fut nullement
inquiété.
Aux noms de Philbert et Descoteaux, cités par l'abbé Raguenet,
celui-ci ajoute ceux de Philidor et des Hotleterre, qui, selon lui,
sans doute auraient fait aussi partie de l'orchestre de l'Opéra.
Mais lesquels? Les Philidor et les Hotleterre formaient deux familles
nombreuses de musiciens distingués dont les membres, pour la
plupart, faisaient partie de la musique soit de la chapelle, soit de la
chambre, soit de la grande écurie du roi, et qui étaient justement re-
nommés pour leur talent sur la flûte, le hautbois et le basson. Il y
avait, à cette époque, quatre Philidor: Michel, Jean, André et Jac-
ques, et cinq Hotteterre : Martin, Jean, Nicolas, Louis et Colin. Les-
quels furent employés par Lully ? C'est ce qu'il est impossible
de découvrir aujourd'hui.
II n'est pas plus facile de désigner les théorbistes qui firent partie
de son orchestre. Plusieurs étaient fameux alors : Dupré, Fleury,
Pinet, de Vizé, Aubin, Lavaux, Lemoyne, Henri Grénerin. Parmi ces
artistes, il y a toutefois une forte présomption en faveur de ce der-
nier, et ce qui me fait supposer qu'il a pu être compté au nombre
des musiciens de l'Opéra, c'est qu'il adressa à Lully la dédicace
d'un ouvrage didactique sur son instrument : « Livre de tliéorbe, con-
tenant plusieurs pièces sur difl'érens tons, avec une nouvelle méthode
très facile pour apprendre à jouer sur la partie les basses continues
et toutes sortes d'airs à livre ouvert, dédié à Monsieur de Lully,
escuyer, conseiller-secrétaire du Roy et surintendant de la musique
de Sa Majesté (2). «,
Ici s'arrête ce que j'ai à dire sur l'orchestre de Lully. Je n'avais pas
la prétention de le reconstituer en son entier, ce qui était une tâche
(1) Voy. le Journal de Dangeau, T. V., p. 112.
(2) Paris, Bonneuil, s.d. in-4' oblong.
impossible. Mon seul désir était de grouper à cette place, les rensei-
gnements que j'avais pu réunir sur les artistes qui, de façon certaine,
avaient fait partie de cet orchestre, et de faire connaître ensuite ceux
dont la présence offrait au moins de grandes chances de probabilité.
On ne saurait faire davantage, et l'on n'avait assurément pas tant fait
jusqu'ici. Comme dernier détail, et complémentaire, j'emprunte à
Fétis le nom d'un artiste qu'il indique comme ayant été le copiste de
Lully. « Jean Fischer, dit-il, né en Souabe vers 16.50, vint fort jeune à
Paris et se fit copiste de musique chez Lully. » Et j'ajoute que de tous
les artistes que j'ai cités, il en est bien peu qui aient été mentionnés
par Fétis. Ce qui n'a d'ailleurs rien de surprenant.
Arthur Pougin.
LE MONUMENT DE M""'^ CARVALHO
PREMIÈRE LISTE DE SOUSCRIPTION DU MÉNESTREL
Le Ménestrel Fr. oOO
La Société des Compositeurs de musique 100
M. Massenet 200
M"' Louise Grandjean (de l'Opéra) 40
M. J. Hudelist 10
M. Edouard Noël 10
M. Alphonse Duvernoy 20
M™ V' Calmann Lévy 100
M. Sabatier 20
Total. . . . Fr. T7ÔÔÔ
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est par l'admirable Symphonie héroïque de Beethoven que s'ouvrait
la dernière séance de la Société des concerts du Conservatoire , une
œuvre qui date aujourd'hui de quatre-vingt-dix ans et que l'on dirait
écrite d'hier, tellement les idées en sont toujours jeunes, tellement la
forme en est mâle, solide, vigoureuse, et d'un style que les ans n'ont pu
encore entamer. Depuis tantôt un siècle, nul, en ce qui concerne la sym-
phonie, n'a pu approcher de cette puissance et de cette splendeur, et nul,
d'autre part, n'a pu atteindre cette émotion et ce pathétique. Jamais l'in-
comparable orchestre du Conservïtoire ne s'est montré plus en train, plus
en verve que dans la merveilleuse exécution qu'il nous a donnée de ce
chef-d'œuvre, et jamais non plus le public, souvent si froid et si guindé,
n'a semblé plus soulevé d'enthousiasme par l'interprétation superbe de
cette œuvre épique. Il a fait aux braves artistes si bien dirigés par
M. Taffanel l'accueil le plus chaleureux et le plus expansif. La sympho-
nie était suivie d'un chœur et d'une marche du l'Idoménée de Mozart; le
chœur est d'une jolie couleur, et la marche d'un caractère mystérieux,
jouée con sordini. est délicieuse et n'a qu'un défaut pour un concert : elle
est trop courte. Le public, qui était décidément dans un jour d'enthou-
siasme, a voulu entendre deux fois le Houet d'Ompkale de M. Saint-Saëns,
tellement il avait été charmé par l'exécution de ce petit bijou sympho-
uique, et il ne l'a pas applaudi moins vigoureusement la seconde fois que
la première. Le programme était complété par le joli chœur sans accom-
pagnement de Meyerbeer : Adieu aux jeunes mariés, et par l'ouverture du
Carnaval romain de Berlioz, que l'orchestre a enlevé avec sa crànerie habi-
tuelle. A. P.
— Concerts du Chdtelet. — M. Raoul Pugno en est arrivé à ce moment
de sa carrière où, sûr de dominer son public et maître absolu de ses moyens,
il peut être considéré comme ayant acquis l'expérience la plus complète
que l'on puisse atteindre dans l'art de jouer du piano. Son toucher est
empreint d'une élégance extrême, il possède un modelé tel que chaque
phrase vit et semble respirer sous ses doigts, maintenue d'ailleurs dans les
limites de la plus rigoureuse correction; mais la qualité maîtresse qui s'y
fait sentir, c'est la pureté d'émission d'où résulte la clarté pleine, absolue,
entière. Joignons i cela un coloris discret, une aptitude toute spéciale à
varier les sonorités sans abandonner la gamme des demi-teintes et cepen-
dant une consistance de jeu telle que le pianiste ne perd jamais pied au
milieu de l'orchestre, et nous comprendrons pourquoi l'interprétation de
la Fantaisie, op. 15, de Schubert, orchestrée par Liszt, a valu à M. Raoul
Pugno les témoignages réitérés d'une admiration unanime. — M"» Elise
Kutscherra est parvenue très rapidement à se rendre la langue française
assez familière pour la prononcer sans aucun accent vraiment désagréable;
sa voix semble gagner d'une audition à l'autre, ce qui s'explique par le
travail et par l'assurance que donne le succès. Beaucoup de fermeté dans
les contours, une sonorité puissante et une vaillance extrême permettent
d'accepter M"'= Kutscherra comme une des meilleures interprètes wagné-
riennes de nos concerts. Moins heureuse dans le chant pur que dans la
musique dramatique, elle a pourtant su donner à t'Absence de Berlioz le
coloris voluptueux et au Jeune Pêcheur de Liszt la fraîcheur délicieuse qui
conviennent à ces deux impressions musicales. — Deux contes de M. Gabriel
Pierné : Les Petites Ophélies et Une belle est dans la forêt ont mis en relief la
LE MENESTREL
dOl
jolie touche du musicien et le gracieux talent de M"" Marguerite Mathieu.
— Mande, poème symphonique de M™ Augusta Holmes, a obtenu un
accueil chaleureux ; c'est une œuvre de virile énergie, où parfois la force
dégénère en tumultueux vacarme, mais la conception ne manque pas de
grandeur et les passages consacrés à la peinture des mœurs champêtres
sont pleins d'une pénétrante poésie. C'est là un ouvrage de nobles ten-
dances, on ne peut le nier, et par la réalisation il reste, malgré tout,
très au-dessus de la plupart des compositions de ce genre. — Le concert,
commencé avec l'ouverture de Coriolan, s'est achevé par le 3" acte du Cré-
puscule des Dieux. Amédée Boutarel.
— Concert Lamoureux. — La seconde audition du Messie de Hicndel n'a
pas eu moins de succès que la première. Cette composition est de colos-
sales dimensions. On a dû, pour le public français, pratiquer un certain
nombre de coupures; en Angleterre il n'en était pas ainsi, autrefois du
moins. Lorsque Hœndel dirigeait l'exécution de ses oratorios, il les com-
pliquait encore par des concertos d'orgue qu'il jouait entre les diverses
parties. Le maître saxon eut le bonheur d'entendre toutes ses œuvres exé-
cutées et acclamées de son vivant, et assista à sa propre apothéose. De là
le caractère un peu théâtral et convenu de ses compositions ; elles brillent
néanmoins par la grandeur, la simplicité et la clarté. On a souvent comparé
Haendel et Bach: Hœndel est moins complexe et moins profond que son
illustre émule. Bach s'était trouvé dans une situation de tout point diffé-
rente: vivant presque toujours isolé, n'ayant point d'auditoire, sans am-
bition ni désir de fortune, il ne trouva que dans l'art même la récompense
de ce qu'il fît pour lui; chez lui, point de considérations de succès, point
de formules comme on en voit trop chez Hœndel; delà ces hardiesses
inouïes et les inventions qui débordent dans sa messe en si mineur, sa
Passion et ses cantates. « Entre Bach et Hiendel, a dit excellement Ernest
David, la différence est la même que celle qui existe entre un grand phi-
losophe et un grand poète épique. Comme, par exemple, entre Platon et
Homère. » Ces deux grands hommes, Hœndel et Bach, sont, à eux deux,
toute la musique. Ce sont les pères de toute science et de toute inspiration.
Combien il serait à désirer que le public revînt au culte de ces beaux gé-
nies! Notre génération y retrouverait le calme qu'elle a perdu, les vraies
conditions de l'art qu'elle dédaigne ; elle se rajeunirait aux sources pures
d'autrefois. L'exécution du Messie a été excellente, et le public a fait à
tous les artistes qui ont coopéré à l'œuvre une chaleureuse ovation.
H. Barbedeïte.
— Concerts Pister. — Parmi les œuvres de compositeurs modernes que
M. Pister a fait entendre ces derniers dimanches, et qu'il a su interpréter
avec une précision rare, il faut citer tout d'abord la Suite villageoise de
Théodore Dubois, la Korrigane de Widor, V Arlésienne de G. Bizet, Joadyn
de Godard. L'excellent chef d'orchestre ne se cantonne d'ailleurs pas dans
les œuvres dont l'effet est certain; il cherche du nouveau, et c'est ainsi
qu'on a pu chaleureusement applaudir une Sérénade de M. Jadassohn, un
des compositeurs les plus distingués de l'Allemagne contemporaine, le
Ballet persan de Moussorgski, les Danses viennoises de M. Richard Mandl.
La sérénade de M. Jadassohn est une œuvre remarquable dont certaines
parties, le Nocturne entre autres, sont d'une délicieuse couleur orches-
trale. D'autres œuvres encore. Au soir, la délicate rapsodie de Raff, l'Ou-
verture de concert de Th. Dubois, Béatrice d'Emile Bernard, le prélude de
Thamara de Bourgault-Ducoudray, les Préludes de Liszt, la Pavane de Gabriel
Fauré, ont été remarquablement exécutés et ont valu le plus vif succès au
promoteur des si intéressants concerts du Palmarîum.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : même programme que dimanche dernier.
Chitelet, concert Colonne ; Première partie de la Vie du poète (Gustave Char-
pentier), soli par M»" Tarquini d'Or et Planés, MM. Cazeneuve et Jean Reder.
— 3* acte du Crépuscule des Dieux (Wagner), chanté par M"" Kutscherra (Brunhilde),
Mathieu (Woglinde), Texier (Wellgunde), Planés (Flossilhde), MM. Cazeneuve
(Siegfried), Edwy (Gunther), Vieuile (Hagen).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux (supplémenLaire) : troisième
et dernière audition du Messie (Hœndel), chanté par M'" Jenny Passama, M"' Marie
Morel, MM. Lafarge et Auguez. Le grand orgue sera tenu par M. E. Lacroix.
Concerts du Jardin d'acclimatation. Chef d'orchestre, Louis Pister. —ie Christ,
suite d'orchestre (Cl. Lippacher). — Le Sommeil de Jésus (II. Maréchal). — Minuetto,
(Bolzoni). — Riensi, ouverture (Wagner). — Andante, 5° symphonie (Beethoven).
— Aubade n- 2 (Lalo). — Symphonie-ballet (B. Godard).
— C'est un artiste très complet aujourd'hui que M. Léon Delafosse. Dans
les deux concerts qu'il vient de donner coup sur coup à la salle Érard, son
jeune talent de pianiste s'est vigoureusement affirmé. Il a la grâce, la
délicatesse, comme aussi la vigueur et la puissance au bon moment. Son
jeu est coloré et la sentiment musical en est exquis et nullement banal,
s'adaptant merveilleusement aux œuvres de diverses provenances qui furent
exécutées. Au premier concert il a joué, entre autres morceaux, tout le
Carnaval de Schumann avec tour à tour une poésie et une verve très frap-
pantes, comme aussi l'Invitation à la valse de Weber revue et augmentée par
M. Tausig et une rapsodie de Liszt étourdissante; entre-temps, diverses
pièces de Schubert et de Chopin et un ravissant Nocturne de sa propre
composition. Au 2" concert, M. Delafosse s'était adjoint un orchestre pour
l'exécution du Goncertstûck de Weber et celle d'un concerto de Liszt.
Exécution vertigineuse pour le premier, et pleine de fantaisie et de brio
pour le second. Il y eut aussi à ce dernier concert deux cycles de mélodies
du jeune compositeur : les Chauves-souris, écrites sur des vers de M. de
Montesquieu, et Soirs d'amour, inspirés par des poèmes de M. Henri de Ré-
gnier. C'est extrêmement intéressant comme raffinement d'art et véritable
personnalité. M. Clément a chanté les premières de ces mélodies et Mi'« Le-
jeune les secondes avec beaucoup de succès et plusieurs bis mérités.
M. Léon Delafosse a donc doublement triomphé et comme virtuose de
premier ordre et comme compositeur de mérite certain.
— La séance consacrée vendredi dernier, à l'audition des lO"-' et 13 qua-
tuors de Beethoven, a été particulièrement intéressante. Le quatuor
A. Geloso, Tracol, Monteux, Schneklud a interprété ses œuvres avec une
grande intelligence des détails et une homogénéité de puissante sonorité.
Lundi prochain 30 mars, à9heuresdu soir, nouvelle salle Pleyel, cinquième
et dernière séance. Au programme, les 11' et 16' quatuors de Beethoven
et la grande fugue.
— Un jeune violoniste fort distingué, M. Tracol, a commencé une série
fort intéressante de concerts historiques du violon, dont le premier a
obtenu tout le succès qu'il méritait. Dans cette première séance, consacrée
au dix-septième siècle, M. Tracol a fait entendre une sonate (en sol) de
Giov. Batt. Fontana, dont le largo surtout est intéressant, une sonate (en
ut mineur) de Henri de Biber, dont la passacaglia nous montre le premier
effet de double-corde, et une chaconne de Tomaso Vitali, qui est la plus
importante au point de vue de la virtuosité. M. Tracol a joué avec beau-
coup de goût et de sobriété, avec le style qui leur convient, ces divers
morceaux, pour lesquels M. Ch. Tournemire avait écrit, d'après la basse
chiffrée, un accompagnement de piano fort bien fait. L'accueil très cha-
leureux que M. Tracol a reçu du public ne peut que l'encourager dans sa
tentative très intelligente, dont le succès n'est plus douteux. Il était aidé,
pour les autres parties de son concert, par MM. Ch. Morel, Cesare Geloso,
Monteux et Schneklud. A. P.
— C'est de chaleureuses et unanimes approbations qu'a récoltées à son
concert de vendredi l'éminent pianiste russe, M. N. de Lestovnitchy. Une
grande virtuosité, une belle sonorité, beaucoup de puissance, un grand méca-
nisms, un toucher délicieux et une grande finesse de nuances, telles sont
les qualités qu'a révélées M. Lestovnitchy.
— M. Colonne annonce pour son concertdu vendredi 3 avril, à 8 heures
du soir, une séance extraordinaire consacrée aux œuvres de Berlioz et
Wagner, avec lecture et conférence de M. Catulle Mondes.
En voici le programme : ,
PREMIÈRE PARTIE. — BERLIOZ
Ouverture d&s Francs- Juges ;
La Mort d'Ophélie ;
Marche funèbre d'Hamlei.
Lecture par M. Catulle Mondes.
VEnfance du Christ (fragment) : M. Emile Cazeneuve ;
Requiem {Dies irœ et Tuba mirum).
DEUXIÈME PARTIE. — WAGNER
Conférence par M. Catulle Mendès.
Les Maîtres Chanteurs {Cha.nt d'épreuve de Walther); M. Emile Cazeneuve;
Tristan et Yseult (scène, finale) : M'" Elise Kutscherra;
Parsifal, grande scène religieuse.
— Les quatre concerts d'orgue et orchestre de M. Alexandre Guilmant,
au Trocadéro, auront lieu cette année les jeudis 9, 16, 23 et 30 avril.
M. Gabriel-Marie conduira l'orchestre, et l'un de ces concerts sera consa-
cré à l'audition d'une œuvre de Bach, avec le concours des Chanteurs de
Saint-Gervais.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (26 mars) :
La Monnaie vient de remporter avec la Vivandière un nouveau succès. On
pouvait craindre que le caractère un peu chauvin du libretto de M. Henri
Gain ne trouvât point d'échos auprès du public bruxellois, et que la par-
tition claire, simple et vive de Benjamin Godard fut jugée trop peu sé-
rieuse pour les goûts habituels de la partie grave de ce public, ennemie
du sourire et des grâces... Il n'en a rien été. Le libretto a tour à tour
diverti et ému, et la musique a paru charmante dans sa franchise et son
ingénuité. Si bien que nous avons eu une deuxième édition du spectacle
que nous avait offert, il y a quelques semaines, la reprise de la Fille du
Régiment. Contrairement à ses prévisions, le public s'était alors amusé
comme un dieu ; là où il avait cru bâiller, il avait ri, et rien n'avait pu
empêcher sa joie d'éclater... Aussi en avait-il éprouvé une violente colère.
S'amuser à un vieil opéra, c'est trop fort !... Ah ! ce qu'il était furieux ! Je
vous l'ai dit, je pense. Eh bien ! il n'a pas été moins furieux, me semble-
t-il, cette fois-ci. D'avance il haussait les épaules... La Vivandière, une
pièce gaie, une pièce à soldats, comme la Fille du tambour-major sans doute;
une petite musique, une opérette peut-être... A la Monnaie! Au lende-
main du Tannliduser !... Mais peu à peu le voilà séduit, enchanté... Quelle
bonne soirée !... Quand il a retrouvé ses « esprits », il était trop tard... Il
ne se le pardonnera jamais.
102
LE MÉNESTREL
Rendons justice à l'interprétation qui a aidé largement, à produire cette
bonne impression. M"" Armand, avec une souplesse insoupçonnée, a joué
le rôle de Marion d'une façon remarquable, et elle l'a chanté avec une
verve et un sentiment parfaits : M. Gilibert n'est pas moins excellent dans
celui du vieux sergent La Balafre, où il a pu faire valoir ses précieuses
qualités de chanteur et de comédien. MM. Bonnard et Cadio et M"'' Mastio
complètent un ensemble qui laisse fort peu de chose à désirer. M. Henri
Gain était venu mettre l'ouvrage en scène ; les artistes ont été émerveillés
de ses conseils ; jamais, disaient-ils, ils n'avaient vu un pareil régisseur,
répandant partout la vie et l'animation. Aussi attendent-ils avec impa-
tience le jour où un prochain ouvrage de lui nous le ramènera !
Le concert populaire de dimanche — le dernier de la saison — a été
des plus intéressants. On y a entendu pour la première fois un petit poème
choral et symphonique, le Pèlerinage à Kevlaar, de M. Humperdinck, l'au-
teur de l'opéra Hœnsel et Gretel, œuvre aimable, d'une forme très simple et
d'un joli sentiment mélodique, à défaut d'accent bien original : puis le
Chant élégiaqtie de Beethoven, la Sulamite de Chabrier et la scène religieuse
de Parsifal. A part cette dernière, qui était connue à Bruxelles, où les
Concerts populaires l'ont exécutée plusieurs fois, c'est la vibrante et co-
lorée Sulamite qui a produit la plus vive impression et a été le « clou »
de la séance. L'exécution de tout cela a été excellente par l'orchestre de
M. Joseph Dupont et le Choral mixte, avec le concours de M. Emile Engel
et de M"'-'* Eléonore Blanc et Friche, également très applaudis.
Parmi les matinées musicales que la Libre Esthétique a organisées
pendant le cours de son Exposition annuelle, sous la direction de
M. Eugène Ysaye, il faut signaler particulièrement celle qui a eu lieu
mardi, car elle a révélé un compositeur nouveau, d'un rare mérite
M. Albert Eibenschûtz, un Hongrois établi en Allemagne, professeur au
conservatoire de Cologne et, tout récemment, à Berlin. M. Ysaye a con-
sacré cette séance exclusivement à quelques œuvres inédites de M. Eiben-
schiitz: une sonate pour violon et piano, un quatuor et des mélodies. Le
succès en a été considérable ; elles ont mis en relief un talent très per-
sonnel, plein de vie et de s'entiment; alliant une science harmonique con-
sommée à une inspiration charmante et profonde, dans un caractère fait
à la fois de rêverie allemande et de fougue slave. Voilà certainement des
qualités peu communes, et le nom d'Albert Eibenschiitz est à retenir.
L. S.
— M. Th. Radoux, directeur du Conservatoire de Liège, vient de publier
le catalogue du Musée Grétry, fondé par lui en 1882, et dont, plus récem-
ment, il a fait hommage à la ville natale du compositeur. De précieux do-
cuments relatifs au vieux maitre de l'Opéra-Gomique, le Molière de la
musique, comme l'appelaient ses contemporains, ont trouvé place dans ce
musée : portraits nombreux, autographies, lettres, souvenirs et reliques de
diverses espèces, sans parler, bien entendu, de ses propres ouvrages et des
écrits dont il a été l'objet. Il y a là une collection évidemment unique, et
qui sera précieuse à ceux qui voudront étudier en détail les particularités
relatives à l'œuvre et à la personnalité si intéressante dé Grétry. J. T.
— On nous écrit de Vienne: «Depuis le grand succès de Werther, l'Opéra
impérial n'a pas produit une nouvelle œuvre aussi intéressante que le
Grillon du foyer, paroles de M. A Willner, d'après Dickens, musique de
M. Cari Golmark. Le compositeur de la Reine de Saba et de Merlin vient de
donner une note inattendue dans son talent, qui semblait exclusivement
porté vers le pathétique et la pompe du grand opéra. Dans le Grillon du
foyer, la musique de M. Goldraark reste simple et intime, parfois même
de caractère populaire ; l'orchestre seul a conservé toutes les splendeurs
et tout le raffinement d'antan. Le prélude du troisième acte, qui compte
parmi les plus charmantes pages du célèbre compositeur, a surtout produit
un effet irrésistible; on a dû le répéter, comme jadis le fameux intermezzo
de Cavalleria rusiicana. Le compositeur et ses interprètes, parmi lesquels
se distingue M»'- Renard, ont été rappelés après tous les actes; à la fin
M. Goldmark à dû se montrer tout seul plusieurs fois au public enthou-
siasmé. Dans quelques jours, l'œuvre nouvelle sera aussi jouée à l'Opéra
royal de Budapest. «
— L'Opéra de Vienne fera relâche cet été pendant dix semaines environ.
H sera fermé du 12 juin au 18 août, anniversaire de l'empereur François-
.Joseph, car il faut restaurer complètement le plafond, dont les peintures
ont beaucoup souffert.
— Une instruction criminelle fort pénible a mis en émoi le monde
musical de Vienne. Le procureur impérial accuse de parjure M. Charles
Zeller, conseiller aulique au ministère de l'instruction publique, faisant
fonction de directeur des beaux-arts, et compositeur de musique fort
populaire. Ses deux opérettes le Mineur et le Marchand d'oiseaux ont eu à
Vienne et en Allemagne presque autant de succès que les meilleures
opérettes de Johann Strauss et de Siippé. Il s'agit d'une alVaire compli-
quée de succession, et on ne comprend pas trop comment M. Zeller ait
pu se compromettre de cette sorte, car toute la somme en litige ne dépasse
pas 60.000 francs et encore la nue propriété de cette somme était-elle en
tout cas assurée à M. Zeller. On espère encore que M. Zeller, qui est
tombé gravement malade, réussira à prouver son innocence.
— Le théâtre municipal de Leipzig a joué avec succès un nouvel opéra
en trois actes. Beaucoup de bruit pour rien, évidemment tiré de la célèbre
comédie de Shakespeare, et dont la musique est due à M. A. Doppler.
D'autre part, un opéra-comique posthume de Frédéric Lux, la Princesse
d'Athènes, vient d'être joué avec un vif succès au théâtre municipal de
Mayence.
— On vient de jouer avec beaucoup de succès, à l'Opéra de Budapest,
un opéra-comique inédit, le Rôdeur du village (A falu rossza), musique de
M. Jenô Hubay, professeur au Conservatoire de cette ville. Nous avons
déjà annoncé cet opéra, mais une coquille d'un journal hongrois nous
avait fait donner une traduction inexacte du titre. La musique de cette
œuvre se distingue par son caractère essentiellement hongrois, et ce sont
justement les morceaux d'une allure nationale prononcée qui ont été vive-
ment applaudis. Le Rôdeur du village confirme, du reste, les qualités de forme
que le premier opéra de M. Hubay, le Luthier de Crémone, a fait connaître, et
fera sans doute également son chemin sur les scènes lyriques allemandes.
— Un éditeur théâtral de Berlin a reçu dernièrement une lettre chargée
contenant quinze francs environ, avec un mot d'un chanoine suisse lui
expliquant qu'une de ses ouailles, directeur d'un petit théâtre de Suisse,
avait tiré un gain illicite en jouant deux œuvres dramatiques publiées par
ledit éditeur, sans autorisation et sans avoir acquitté les droits d'auteur,
qui montaient à la somme modeste restituée par l'intermédiaire du confes-
seur. Le chanoine demandait une quittance en règle, qui lui fut envoyée
par l'éditeur. En Angleterre et en France, le ministre des finances reçoit
souvent des sommes plus ou moins considérables que des citoyens anony-
mes lui adressent en s'accusant d'avoir fraudé le Trésor, et cet « argent de
conscience » (conscience money) arrive tous les ans à une somme assez ron-
delette. Mais un directeur de théâtre, catholique et pratiquant, qui resti-
tue des droits d'auteur sans que la loi l'y oblige, uniquement parce que
son confesseur le lui ordonne, est certainement un phénomène unique.
— Un opéra-comique inédit, le Nabab, paroles de M. R. Manz, musique
de M. J. Clément, vient d'être joué avec beaucoup de succès au théâtre
municipal de Troppau, où le compositeur tait fonction de chef d'orchestre.
— Après ses grands succès à Vienne et à Varsovie, M"« Clotilde Klee-
berg a été acclamée à Saint-Pétersbourg, où un honneur tout spécial lui
était réservé. S. M. l'impératrice de Russie l'a invitée à venir st- faire en-
tendre au palais, où M"° Rleeberg a exécuté devant elle une série de mor-
ceaux classiques et modernes. Sa Majesté a exprimé à la jeune artiste
« toute son admiration » pour son beau talent.
— On nous écrit de Saint-Pétersbourg que M™' Sigrid Arnoldson y a
joué trois fois de suite Mi/îion, et que cas trois représentations extraordi-
naires ont rapporté, grâce à la forte majoration des prix d'entrée', la somme
de trente mille roubles environ, soit plus de cent mille francs.
— Voici que notre Henri Murger fait fureur en Italie. Après M. Puccini,
qui vient de faire représenter avec succès un opéra intitulé la Bohême,
M. Leoncavallo s'apprête à offrir au public un ouvrage qui porte le même
titre et qui est conçu sur le même sujet. C'est au Théâtre-Lyrique de
Milan que celui-ci verra le jour. D'une interview k laquelle l'auteur s'est
prêté, il résulte que l'action de son opéra sera absolument différente de
celle qui a été traitée par M. Puccini, et que la musique ne différera pas
moins, par son genre et son accent, de celle de son confrère.
— D'un relevé fait par notre confrère le Trovatore, il résulte que la pro-
duction théâtrale en Italie se chiffre, pour l'année 189b, par un total de
292 pièces de tout genre. Dans le nombre, se trouvent 86 comédies, 59 drames ,
•31 opéras et... 29 opérettes! vingt-neuf opérettes, dans le pays qui a vu naître
Cimarosa, Paisiello, Piccinni ! Rossini et Bellini. 0 déesse de l'Harmonie,
voile-toi la face !
— Le théâtre Costanzi, de Rome, aura, pendant la saison de printemps,
une série de représentations lyriques pour lesquelles on a engagé M. Stagno
et M™" Bellincioni. Au cours de cette saison aura lieu la représentation
d'un opéra nouveau, la Sorella di Marx, dont la musique est due à un jeune
compositeur, M. Setaccioli. Le sujet de cet opéra est de M™ Bellincioni,
et c'est M. Golisciani qui en a écrit le livret.
•— Les étudiants de l'Université de Bologne ont fait représenter der-
nièrement avec beaucoup de succès, sur le théâtre du Corso, une opérette
intitulée il Matrimonio di Bombacina, dont le livret, du à l'un d'eux, M. Ales-
sandro Tirelli, a été mis en musique par plusieurs compositeurs étudiants,
savoir: le prologue par M. Federico Bugamelli, le premier acte par
MM. G. Grazioli, A. Rubbi, H. de Matthaeis et Bugamelli, et le second par
M. Ugo Délia Noce.
— Certains tliéàtres d'Italie paraissent damer le pion à certaines de nos
scènes départementales, sous le rapport de l'étendue du spectacle. Un
journal de Naples, il Cigno, nous apprend que le dimanche 8 de ce mois,
au théâtre des Fiorentini, on jouait dans la même soirée Norma et... le
Trovatore. Commencée à six heures, cette soirée solide et substantielle s'est
terminée bien au delà de minuit. M°"^ Calderazzi, la prima donna, a joué
l'un après l'autre les deux rùles de Norma et de Léonore. L'infortunée!...
— En annonçant dernièrement que Manuel Garcia fils, à Londres, entrait
dant sa quatre-vingt-douzième année, nous l'avons appelé le doyen des
chanteurs vivants. Or, nous recevons une lettre de Copenhague où l'on
nous dit que le compositeur Jean-Paul-Émile Hartmann a exactement le.
même âge. Il fait encore fonction de cantor à la. F rue Kirhe (église de la
Vierge) à Copenhague, où on peut le voir et l'entendre tous les dimanches.
LE MENESTREL
103
— La question du diapason normal en Angleterre. Le Journal de ta Société
des Arts de Londres, organe de la société du même nom, nous apporte le
texte d'une lecture faite devant les membres par M. A.-J. Hipkins, à pro-
pos de l'unification du diapason. Après un historique sérieux et concis de
la question, M. Hipliins en arrive à une conclusion qui peut se résumer
ainsi : Décider quel diapason, de l'anglais ou du continental, doit être pré-
féré, est certes controversable. Mais au point de vue pratique, là n'est pas la
question. Deux diapasons sont en présence, l'un usité en Angleterre, l'autre,
dit « normal », employé dans tous les autres pays civilisés. Il est d'une
nécessité pressante, dans l'intérêt de l'art, qu'un diapason unique régisse
la fabrication des instruments et les exécutions musicales. Quel est le
chemin le plus court pour atteindre ce résultat? C'est évidemment d'adop-
ter le diapason déjà usité dans le monde entier, c'est-à-dire le diapason
normal, qui deviendrait enfin le diapason international tant désiré. —
C'est la solution que tous les bons esprits n'ont cessé de préconiser. Il
faut espérer qu'elle finira par prévaloir.
— On sait — ou l'on ne sait pas — que le banjo est un instrument qui depuis
plusieurs années fait fureur en Amérique, où sa concurrence est redouta-
ble pour le piano. Le banjo, d'invention relativement récente, est une sorte
de guitare à long manche, dont le corps est formé d'une membrane tendue
sur urr cadre circulaire. On voit, on entend, on joue le banjo partout chez
les Yankees, et pour preuve de sa vogue, voici l'annonce que nous apporte
un journal de New-York, the Musical Age : « La neuvième réunion de la
célèbre société des joueurs de banjo des Etats-Unis aura lieu prochaine-
ment. Parmi les instrumentistes renommés qui se feront entendre, on cite
Reuben Brooks, Harry-M., Denton, Vess-L. Ossman, P.-G. Shortiss, le
Paganini du banjo, et Alfred-A. Farland, le Paderewski du banjo, qui a eu
tant de succès l'an dernier, en jouant sur le banjo la 8" Sonate de Beethoven
pour violon. On entendra également un orchestre de bO mandolinistes fémi-
nins, et un autre de 100 banjoïstes; Miss Leech fera entendre des mélodies
avec accompagnement de banjo. » Pour une séance amusante, voilà une
séance qui promet d'être amusante. Et ces gens-là disent qu'ils aiment la
musique!
PARIS ET DEPARTEMENTS
A l'Opéra on donne demain la 99'- représentation de la Korrigane, le char-
mant ballet de Ch.-M. Widor. Il ne faut donc plus qu'une représentation
pour arriver à la centième de cette œuvre si fraîche, si délicate, et qui
fait si grand honneur à ses auteurs. Chose curieuse, c'est M"'= Rosita Mauri
qui aura dansé les cent représentations de ce ballet, sans y avoir
jamais été remplacée, fait unique dans les annales chorégraphiques de
l'Opéra.
— Puisque nous parlons de M. Widor, disons aussi qu'il vient d'achever
la partition qu'il écrivait sur un livret de M. Henri Gain : les Pécheurs de
Saint-Jean, et qui doit faire partie du programme de l'Opéra-Comique pen-
dant la saison prochaine.
— L'Académie des beaux-arts avait à élire, dans sa dernière séance,
deux associés étrangers. Elle a nommé le peintre, M. H. Herkomer, de
Londres, en remplacement de lord Leighton, et M. Johannes Brahms, com-
positeur, à Vienne, en remplacement de M. Fiorelli, de Rome.
— Samedi 21 mars a eu lieu à l'Hôtel de Ville, sous la présidence de
M. R. Brown, inspecteur des beaux-arts de la Ville de Paris, délégué de
M. le préfet de la Seine, assisté de MM. Verbe et Alfred Moreau, membres
de la quatrième commission du conseil municipal, l'élection des quatre
jurés laissés au choix des compositeurs ayant pris part au concours musi-
cal de la Ville de Paris. Ont été élus : MM. Théodore Dubois, Massenet,
Emile Pessard et Carvalho. Ont été désignés comme jurés supplémen-
taires : MM. Mangin, Bourgault-Ducoudray, Paul Vidal et Danbé.
— Les journaux italiens nous apprennent que le ministre de l'instruc-
tion publique du nouveau cabinet, M. Gianturco, est un dilettante pas-
sionné et « joue délicieusement du violoncelle. » Ils ajoutent que dans un
pays artistique comme l'Italie il n'est point mal que parmi les chefs du
gouvernement se trouve un « philharmonique. » Si seulement M. Combes,
notre ministre de l'instruction publique, jouait « délicieusement » de
l'ophicléide, peut-être consentirait-il à doter notre Conservatoire du direc-
teur qui continue de lui manquer.
— Le Sept Paroles du Christ, le bel oratorio de Théodore Dubois,, seront
exécutées le vendredi saint, de midi et demi à trois heures, à l'église de
la Madeleine, et aussi dans les églises Saint-Germain-des-Prés et Saint-
Paul-Saint-Louis. — Le jour de Pâques, à 11 heures, la Messe pontificale,
du même auteur, sera également exécutée à la Madeleine. En province et
à l'étranger, les Sept Paroles, qui restent l'œuvre privilégiée des maîtres de
chapelle, seront exécutées à Verviers, Angouléme, Belfort, Bergerac, etc.
— La question des chapeaux de femme au théâtre continue de préoccu-
per le monde entier et vient de traverser les mers, obligeant jusqu'aux
hommes d'Élat à compter avec elle. On annonce en effet qu'aux États-
Unis la législature de l'État d'Ohio a voté une loi interdisant aux femmes
de porter de grands chapeaux au théâtre et imposant une amende de dix
dollars aux directeurs qui laisseront entrer des personnes portant une
coiffure trop volumineuse.
— Très intéressante, la seconde séance donnée par M. Gustave Lefèvre,
directeur de l'École nationale de musique classique, pour l'audition du
nouveau grand orgue électro-pneumatique. On a entendu un air d'Elena e
Paride, de Gluck, et une scène de Marie Stuart, de Niedermeyer, chantés
par M"'' Carbonnier, une sonate de Boccherini exécutée sur le violoncelle
par M. Marthe, qui a joué plusieurs pièces de Bach. C'est un ancien et
excellent élève de l'École, M. Jules Stoltz, qui a fait entendre avec beau-
coup de succès le nouvel orgue ; il s'est surtout fait vivement applaudir,
à la fin de la séance, dans une très brillante improvisation dont le thème
était une bourrée de J.-S. Bach que M. Marthe venait de jouer à l'instant
même.
— Le vingt-et-unième volume (année 1895, nouvelle série) des Annales au
théâtre et de la musique, par MM. Edouard Noël et Edmond Stoullig, vient
de paraître à la librairie Berger-Levrault et C''". Il est précédé d'une très
intéressante et très curieuse préface de M. Félix Duquesnel, qui a pour
titre et pour sujet: De l'évolution des répertoires dramatiques. Cet ouvrage,
dont vingt années d'existence ont consacré le succès, a sa place marquée
dans la bibliothèque de tous ceux qui s'intéressent au mouvement théâtral
de notre époque. C'est l'histoire au jour le jour du théâtre contemporain.
— Extrait du dernier feuilleton de M. Victorin Joncières à la Liberté :
« Avant de terminer cet article, je veux dire quelques mots de la séance de
musique de chambre donnée cette semaine, par M. Charles Dancla, dans les
salons de M"'« Rosine Laborde. M. Charles Dancla n'est pas seuleraentun vio-
loniste émérite, c'est aussi un compositeur de talent, qui jadis obtint le second
pris de Rome, je crois bien l'année même où Gounod remportait le premier.
Cela date sans doute d'assez loin ; mais M. Charles Dancla semble défier les
années par la vigueur toute juvénile de son archet et la verve intarissable de
son imagination. Son 14« quatuor pour instruments à cordes est en eiîet
une œuvre pleine de vie, de mouvement, de grâce et de sentiment. Certes
M. Dancla y est resté classique, etsa phrase toujours claire, ses harmonies
souvent ingénieuses, mais toujours correctes, n'ont rien à voir avec les
audacieuses nouveautés de la jeune école. J'avoue que je ne saurais lui
reprocher d'être resté fidèle aux traditions de l'art, dont on l'ait aujour-
d'hui si bon marché. D'autant plus que, tout en les observant, M. Dancla
sait être original, aussi bien dans la forme que dans l'idée. Je nien veux
pour preuve que le finale de son quatuor, d'un tour vraiment nouveau, d'une
allure tout à fait personnelle. Son trio pour piano, violon et violoncelle
m'a également fait grand plaisir. C'est fin, distingué, spirituel et d'un style
concertant tout à fait approprié au genre de la musique de chambre. Je
citerai encore les jolies pièces pour violon : Sous lu feuillée, la Gavotte, le
Slace et la Gazelle, que M. Dancla a jouées avec son élégance et son entrain
habituels. »
— Bien intéressante séance musicale, l'autre soir, chez M'"" Krauss.
Dans la première partie du programme la grande artiste s'est fait accla-
mer en chantant comme elle sait faire des pages de Schubert, Schumann,
Gounod et Massenet. Puis, pour la seconde partie, elle a passé la parole à
ses élèves, et alors nous avons entendu trois d'entre elles dans diverses
scènes d'opéras, évoluant en costumes sur un petit théâtre improvisé. Il y
avait là une toute jeune Napolitains, M"« Falieri, qui est douée d'une voix
exquise de mezzo-sdprano au timbre doux et velouté et qui a chanté jV/iV/nore
en donnant les plus belles promesses pour son avenir. M""= Béer, une
Américaine accentuée, a montré aussi de sérieuses qualités dans Carmen, et
M"" Price n'a pas moins réussi dans Lakmé, mais sa voix a malheureuse-
ment déjà de fâcheuses tendance au chevrotement, à moins que ce ne
soit un effet de l'émotion. MM. Paul Séguy et Bigot donnaient fort obli-
geamment les répliques. Ce qu'il faut louer avant tout dans l'enseignement
de M""» Krauss, c'est le grand sentiment musical qui préside à ces exécu-
tions. Il y avait longtemps que nous n'avions entendu chanter, même dans
les théâtres, Mignon, Lakmé ou Carmen avec ce respect du texte même de
l'auteur et de ses intentions. Nous avons retrouvé là bien des façons de
dire, bien des traditions que les compositeurs avaient inculquées à leurs
interprètes quand ils étaient vivants et qui tendent de plus en plus à dis-
paraître des théâtres où on joue leurs œuvres depuis qu'ils ne sont plus là.
Mme Krauss, avec son grand sens artistique, les a toutes retrouvées et
reconstituées. C'est honneur à elle!
— Trè's beau programme musical, jeudi, chez M"""^ Ed. Colonne, qui a
fait entendre ses élèves : M"« Bodelli, M""' Dettelbach et M"» Mathieu
dans les Soirs d'été, de Widor; M"' Baldodcchi, dans la Chanson sarrazine,
de Joncières; M""'" Jacquemin, Eva Rombro, M"'=^ Arnouldt, de Runa, Élise
Mayrargues et M"'^ J. de Lespinasse, dans diverses œuvres de Massenet
(les Oiselets, air de Marie-Magdeleine, Septembre, air d'Hérodiade, Pensée d'au-
tomne, air du Cidj. Grand succès pour toutes, ainsi que pour M""= Prinsler
da Silva, pianiste distinguée, et M. Lœwensohn, excellent violoncelliste
belge. A la fin du programme, on a acclamé M°"^-" Edouard et Mathilde
Colonne dans Frissons et Fleurs, de Paul Lacombe, et la première dans le
Non Credo, de Widor, l'Ondine, de Joncières, et Poète et Fantôme, de Masse-
net, accompagnés par les auteurs. Sa splendide voix et son art parfait ont
été l'objet de longues ovations. (Figaro).
— Une série de concours pour les emplois de chef et de sous-chef de
musique s'ouvrira en avril et mai prochains. Les épreuves commenceront
par les candidats proposés pour les régiments d'infanterie, savoir : épreu-
ves instrumentales le 13 avril, à midi, pour les candidats à l'emploi de
104
LE MENESTREL
chef de musique, les 14, 13, 16, 17 et 18, à midi, pour les candidats à l'em-
ploi de sous-chef de musique ; épreuves écrites d'harmonie et d'orches-
tration d'une durée de douze heures chacune, les 17 et 18 avril pour les
premiers, les 19 et 20 avril pour les seconds. 50 sous-chefs et 204 chefs de
fanfare ou soldats musiciens sont convoqués à l'état-major de la place de
Paris, qui les placera en subsistance dans un des corps de la garnison. Un
troisième concours aura lieu les 7, 8 et 9 mai entre 14 chefs de musique
des régiments d'infanterie proposés pour le même emploi dans les écoles
d'artillerie ou les régiments de génie.
— La Messe de Saint-André, de M. Adolphe Deslandres, sera exécutée à
9 heures et demie, le jour de Pâques, à Notre-Dame d'Auteuil, sous la
direction de M. l'abbé Geispitz, et dans la basilique du Sacré-Cœur, à
Montmartre, sous la direction de M. Mulet. '
— Nantes. — Mercredi dernier avait lieu, dans les salons de la maison
Didion, la dernière des séances de musique classique organisées par
M. H. Weingaertner, directeur du Conservatoire de musique de cette ville,
et MM. Piédeleu, Hallez, Insleghers, professeurs au Conservatoire, et
Beccaria. Figuraient au programme le quatuor de Brahms et le quintette
pour instruments à cordes de Mendeissohn. Le faveur croissante avec
laquelle ont été successivement accueillies ces auditions si intéressantes
est une preuve du légitime succès obtenu par les professeurs nantais.
On nous signale de Perpignan le grand succès obtenu aux concerts
de musique classique dirigés par M. Gabriel Baille, directeur du Conser-
vatoire, par l'Étoile, l'idylle antique de MM. Henri Maréchal et PaulCoUin.
L'exécution avait lieu à grand orchestre, ce qui en doublait l'attrait. Com-
pliments aux solistes, M"'* A. A. Llobet, Borallo et M. Michel Baux^
élève du Conservatoire, aussi qu'aux chœurs, qui ont tenu leur rôle impor-
tant avec beaucoup de charme poétique.
— Soirées et Concerts. — Intéressante audition des élèves de M" Gayrard-
Paccini et Amaury, au cours de laquelle on a applaudi M"" Andrée T. {l'Amour
est un enfant trompeur, ^Yeclverlin, et Aragonaise du Cid, Massenet), M"" Marie de M.
(air de Marie- Ma gdeleine, Massenet), M"" Lucie,- Marthe et Berlhe B. etles chœurs
(la Vierge, Massenet), M. C. I. (air d'Hérodiade, Massenet), M"' D. et M. D. (duo de
Mignon, Ambroise Thomas), M"' et M"' D. (duo de Paul et Virginie, V. Massé) et,
enfin, M"" Amaury {Elégie, Massenet). — A Bourges, très bonne audition des
élèves de M. et M""' Marquet. A signaler tout particulièrement M"" C. et D. (duo
de Paul et Virginie,V. Massé), M"' B. {Pourquoi? de Lakmé, héo Delibes), M. S. (air
du Songe d'une nuit d'été, Ambroise Thomas), M"' \'. et M. B (duo de Sigurd, Reyer),
M. d'A. (arioso de Françoise de Rimini, Ambroise Thomas), M"»' B. C. D. (les Trois
Belles Demoiselles, Pauline Viardot), M"' C. (air du Cid, Massenet), M"" N., MM. B.
et d'.A. (trio d'Hamlet, Ambroise Thomas) et M'" C. (air d'Hamlet, Ambroise Tho-
mas). — M"' Emilie Leroux a lait entendre au Théâtre-Mondain ses élèves. On a
surtout applaudi le duo de Sigurd (M"' R. et M. M.), le duo de Lakmé IW" M.-A.
B. et M. B.), le duo du Roi d'Ys (M"" S. et G.), le trio du Songe d'une nuit d'été
(M"' T., M-' P., M. L.), le duo du Cid (M"' K. et M. M.), le sextuor d'Eros, de Paul
Vidal (M"" P., R-, P., MM. M. H. P.), le Poème d'amour, de Massenet (M"° R. et
.M. H.) enfin le trio de la Guzla de l'Émir, de Théodore Dubois (M"' T., MM. M. et
L.). — Salle Kriegelstein, réussite pour le concert donné par M"' Véras de la
Bastière, qui s'est fait applaudir dans le duo d'Hamlet, M. Pastour lui donnant
la réplique. ^L Pastour seul, a eu grand succès dans Crépuscule, de Massenet,
ainsi que M. Choinet, dans la Méditation de Thdis. — Brillante matinée chez
M. A.-M. Auzende pour l'audition de ses élèves grands et petits. L'exécution du
/=' concerto de Chopin par M"' L. 'W'iggishofl' nous a montré une virtuose accom-
plie. La sûreté, la finesse, la précision, un style parfait, telles sont les qualités
qui font le succès de cette école. M. A.-M. Auzende a été également très applaudi
comme virtuose et comme compositeur. Son Récitant et Romance a été admira-
blement exécuté par M. Martinet, jeune violoniste de l'Opéra.— Concert donné
à la salle Érard le par M"o Me Langbiin, la brillante élève de M. E. De-
combes, secondée par M-' Tassu-Spencer et M"" Harel, et par les virtuoses
Joseph White et Mariotti. Elle a interprété divers morceaux de Chopin, Delibes,
Grieg, Hiller et Thomé. M. Mariotti a été très applaudi après sa belle exécution
des morceaux de Popper, et M. White a obtenu aussi le succès qui le suit
liartout.
NÉCROLOGIE
Les journaux anglais nous apportent la nouvelle de la mort subite,
à Belfast, du second frère du célèbre violoniste Henri Vieutemps, Jules-
Joseph-Ernest Vieuxtemps, qui était lui-même un violoncelliste distingué.
Né à Bruxelles non le 13, comme il a été imprimé par erreur, mais le
18 mars 1832, Ernest Vieuxtemps avait fait ses études au Conservatoire de
cette ville. Henri, Lucien, le pianiste, et Ernest, formaient un trio superbe.
Le 5 mars ISSH, tous trois dounaient au théâtre royal de Liège un concert
dont le succès fut éclatant, concert dans lequel, entre autres morceaux, ils
exécutèrent, aux applaudissements du public, la Méditation sur un prélude de
Bach, de Gounod, pour piano, violon et violoncelle. En cette même année
18bS, Henri étant allé donner à Londres une série de concerts dont la
vogue fut extraordinaire, appela auprès de lui son frère Ernest. C'est,
croyons-nous à partir de ce moment que celui-ci se fixa en Angleterre,
où il fit partie de nombreux orchestres et où il devint premier violoncelle
de celui de sir Charles Halle, mort lui-même il y a quelques mois à peine.
Ernest Vieuxtemps a succombé soudainement, en pleine rue, à une fou-
droyante attaque d'apoplexie.
— On annonce la mort à Assise, à l'âge de 77 ans, du P. Alessandro
Borroni, compositeur de musique religieuse, directeur de la chapelle
Franciscaine. Il reçut, dit-on, des leçons de Rossini et de Mercadante, et
fut lié d'amitié avec un grand nombre d'artistes, Liszt, Thalberg, etc. Il
laisse un nombre considérable d'oeuvres importantes, parmi lesquelles une
Messe de Requiem avec grand orchestre, qui fut exécutée à Rieti sous sa
direction et dont on fit grand bruit.
— A Darmstadt vient de mourir, à l'âge de 72 ans, le poète allemand
Otto Roquette. 11 était le descendant d'une famille française qui s'était
réfugiée en Prusse après la révocation de l'édit de Nantes. Roquette
a été le librettiste de Liszt, auquel il a fourni les paroles de la Légende de
sainte Elisabeth, un oratorio qu'on joue aussi avec un arrangement scénique
sur les théâtres allemands.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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1. ROMANCE D'ORPHÉE : Objet de mon amour (C.) 3 75
2. 1« AIR DE L'AMOUR : Si /es rfoux accords de ta /i/î-e (S.) 3 »
2 bis. le même, pour contralto 3 «
3. 2= AIR DE L'AMOUR : Soumis au silence (S.) . 3 »
3 bis. Le même, pour contralto 3 »
4. GRAND AIR : L'espoir renaît dans mon âme (C.) 6 /•
N°^ S. AIR avec chœnr : Laissez-vous toucher par mes pleurs (G.) 3 75
6. AIR DE L'OMBRE HEUREUSE : Cet asile aimable et tranquille (S.). . . 3 75
6 bis. Le même, pour contralto 3 75
8. DUO D'ORPHÉE ET D'EURYDICE :Vî'ens,smsuné;;oMa;îut /'adore (C.etS.) 6 »
10. AIR FINAL D'ORPHÉE : /ai peîdu mon ÊMî-i/dice (C.) 4 50
10 bis. Le même, pour ténor ou soprano 4 50
Transcriptions pour Piano à deux mains :
G. BIZET. « Viens dans ce séjour » (N" 2 du Pianiste-Chanteur) . 3 »
Air et pantomime (N" 33 du Pianiste-Chanteur) 3 »
KRUGER. Op. 92. Scène des Enfers et romance d'Orphée .... 7 50
Op. 93. Scène des Champs Élysées 7 50
CH.NEUSTEDT.Op. 22. « J'ai perdu mon Eurydice » 5 »
CH.NEUSTEDT.Op. 23. « Les doux accords de ta lyre » 5
E. PRUDENT. « J'ai perdu mon Eurydice » 5
C. STAMATÏ. L'ombre heureuse (N° Il des Souvenirs du Conservatoire) . 5
Les Champs Elysées (N°12des Souvenirs du Conservatoire, 5
TROJELLI. (( J'ai perdu mon Eurydice » (N" 3S des Miniatures). . . 3
Transcriptions instrumentales :
FRÂNCflOMME. Scènes pour Violon et Piano 9 » | FRANCHOMME. Scènes pour Violoncelle et Piano 9
DELOFFRE. Scène pour Violon ou Violmicelle, Piano et Orgue 9 »
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
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soM:M:.^ir2,E-TEx:TB
I. La Danse grecque antique, Julien Tiersot — IL Musique et prison (1" article!, Paul d'Estcée. — III. Le monument de M"« Carvaiho. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
VEUX-TU'?
mélodie de Léon Delafosse. — Suivra immédiatement : Cantique sur le
bonheur des jiistes et le mallieur des réprouvés, de Reynaldo Hahn.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront dimanche prochain :
NOCTURNE
de LÉON Delafosse. — Suivra immédiatement : Contemplation, n» 4 de la
Matinée aux Alpes du maestro N. Celega.
LA^ DA.NSE OREOQUE ANTIQUE
D'après la llicsc de doctoral es lellres de M. MAIRICE EMMANUEL
L'ua des professeurs qui faisaient partie de la commission
devant laquelle M. Emmanuel a soutenu sa thèse sur la
danse grecque antique a félicité le nouveau docteur de ce
que, non content de posséder les connaissances générales
requises, il était, sur le point particulier qui faisait l'objet
de son travail, suffisamment du « métier» pour en parler avec
la compétence nécessaire ; il ajoutait, fai-
sant appel à des souvenirs personnels,
que lai-même, ayant un jour voulu faire
une étude approfondie des Géorgiques,
s'était trouvé arrêté à chaque vers par des
difficultés qu'il n'avait point prévues :
car, pour pénétrer à fond le sens du
poème rustique de Virgile, il ne suffit
pas d'être un excellent humaniste, il fau-
drait encore être agriculteur; et de même,
pour parler avec compétence de musique
et de danse antique, il ne suffit pas de
savoir le grec et le latin, mais il est né-
cessaire d'avoir la pratique de ces arts
— Certains esprits, simples, jugeront peut-
être qu'il n'est pas indispensable de venir
àl;iSorbonne pour apprendre de pareilles
vérités, et affirmeront que M. de la Palisse
en aurait dit autant. Quelle est leur er-
reur I Je veux bien croire qu'il est encore,
de par le monde, quelques personnes qui pensent que pour
traiter un sujet il faut le connaître, mais je suis persuadé que
le nombre en décroit de jour en jour : sur la question parti-
culière de savoir si, pour parler musique, il faut entendre
quelque chose à la musique, il me semble que l'opinion
énoncée a tous les droits d'être classée parmi les opinions
rares. En tout cas elle est trop conforme aux idées que j'ai
récemment exprimées ici pour que, émanant d'une bouche
leçon de dans
(D'après une coupe du V
si autorisée, je n'aie pas un véritable plaisir à la reproduire.
M. Emmanuel, en effet, est du métier : non qu'il soit un
professionnel de la danse; mais, outre que ses études de
composition au Conservatoire, sous la direction de Léo Delibes,
l'ont familiarisé avec tous les secrets de l'art musical, d'autre
part, au point de vue spécial du sujet qu'il avait choisi, il a
bien vu que, pour étudier la danse anti-
que, il fallait d'abord connaître la tech-
nique de la danse moderne, afin que,
tout en faisant abstraction de ce qui est
particulier au goût d'époques plus récen-
tes, il fût bien pénétré des nécessités géné-
rales, immuables, et, en quelque sorte,
éternelles, auxquelles la pratique de la
danse fut de tout temps soumise par la
nature même. L'hommage rendu par
M. Emmanuel, dans l'introduction de
son livre (1), aux conseils de M. Hansen,
maître de ballet à l'Opéra, et les nom-
breuses explicationsetcomparaisons tech-
niques fournies au cours de l'ouvrage,
prouvent qu'en effet l'auteur n'a épargné
aucune étude pour que sa compétence à
cet égard fut absolue. Le sujet était
assez vaste et assez neuf pour valoir un
tel effort de travail et d'érudition.
L'art de la danse avait en effet, chez les anciens Grecs, une
imporlance dont nous pouvons difficilement nous faire une
idée exacte aujourd'hui. Platon lui attribue une origine
divine : après avoir constaté que la danse a pour principe
naturelle besoin d'agitation et de mouvement inné chez tout
(i) Li Dame grecque antique, 1 vol. in-8° de 348 p., 600 figures et 5 planches
hors texte. Librairie Hachette. — Les dessins qui accompagnent cet article ont
ont été reproduits d'après ce livre, avec l'autorisation de l'auteur.
106
EE MENESTREL
questionne-t-elle.
être vivant, il ajoute : « .Tandis que l'animal n'a pas
conscience de l'ordre ou du désordre dans les mouvements,
l'homme a reçu des dieux, avec le sentiment du plaisir, celui
du rythme et de l'harmonie : les dieux eux-mêmes se font les
conducteurs de ses danses, et le nom de Chœur, choros, dérive
tout naturellement du nom qui signifie Joie, chara. » Etymo-
logie fantaisiste, mais rapprochement naturel et juste-
Aussi le sens du mot « danser » étail-il, pour les Grecs
antiques, beaucoup plus étendu et plus général que pour
nous autres mordernes, qui ne connaissons que les danses
de société, si peu artistiques et si restreintes comme ressources,
et les danses de théâtre. Au contraire, ce peuple, qui poussait
le sentiment de l'harmonie, de l'eurythmie, jusqu'à tout régler
aux sons de la flûte ou de la voix, ne considéra jamais la
danse comme une chose futile et de pur agrément. Il l'asso-
ciait à toutes les circonstances, à toutes les manifestations
extérieures de la vie : ce n'était pas un jeu pour lui, mais une
fonction sociale, presque un rite. Les rois, les enfants des rois
necraignaient pas dese montrer publiquement dans des danses.
Rappelons-nous la tragique scène dans laquelle Iphigénie
interroge son père sur le sacrifice dont elle doit être la
victime. Dans Racine, elle dit simplement : « Verra-t-on à
l'autel votre heureuse famille. » Mais l'iphigénie d'Euripide
donne l'impression bien plus immédiate : « Formerons-nous
des chœurs de danse autour de l'autel?
Et auparavant, Eschyle, dans le récit
du même sacrifice qu'il fait chanter
au chœur des vieillards au début de
rO;-esft'e, avait montré que cette préoc-
cupation d'art, ce souci des formes >»
belles, harmonieuses et plastiques, i~'^(}
était inhérent à l'esprit hellénique, '/ f/
et se manifestait jusque dans les '^
moments les plus pathétiques :
c Le père ordonne aux ministres
du sacrifice de la déposer sur l'au-
tel, enveloppée de ses voiles, la tête
pendante... Elle est belle comme une
belle 'peinture. ...On se croirait aux
jours où elle chantait dans les splen-
dides festins de son père ; où la voix
de la vierge sans tache charmait
l'existence fortunée d'Agamemnon. »
Bien plus tard, enfin, et tant que la civilisation grecque ne
fut pas abolie, les jeunes Athéniens de condition libre pou-
vaient être appelés à figurer, soit dans les cortèges en l'hon-
neur des dieux, soit parmi les chœurs du théâtre. Aussi les
principes de la danse leur étaient-ils enseignés dans les
écoles.
La danse grecque, nous le savons, n'était qu'une partie
d'un art collectif composé de danse, de musique vocale et
instrumentale, et de poésie, ensemble qui constituait l'art
essentiellement grec de l'orchestique.
Mais, SI unies qu'elles fussent, ces trois par-
ties de l'orchestique n'en sont pas moins dis-
tinctes; et, de même que lous avons déjà pu
détacher du faisceau l'élément musical, et
l'étudier séparément, de même il est permis
de considérer la danse isolément et limitée à
ses uniques et propres ressources.
Pour l'étudier, il est trois éléments princi-
paux d'information : les monuments figurés
(sculptures et vases peints), les textes relatifs
à la danse, enfin les poésies sur lesquelles
étaient rythmés les chants destinés à l'accom-
pagner.
Les textes sont peu nombreux et insuffisam-
ment explicites; l'étude de la rythmique, infi-
niment compliquée, a besoin de faire encore de grands pro-
grès, — car, si nous sommes renseignés sur le rythme mu-
DANSE DIONYSIAQUE
{D'après un hoA-i
SILENE DANSANT
(D'après un bas-relii:f
hellénistique, Miisée
du Louvre,)
sical des formules les plus simples ou des systèmes slro-
phiques construits sur un modèle de forme arrêtée (strophe
alcaïque, strophe saphique, etc.), par contre, la poésie vérita-
blement orchestique, celle dont l'allure plus libre ne s'astreint
pas à des types métriques, la poésie des chœurs d'Eschyle,
d'Aristophane ou de Pindare, n'a pu être soumise encore à
'ine analyse parfaitement exacte.
Les monuments figurés restent donc les documents les plus
sûrs pour la reconstitution de la danse antique : par leur
nombre, qui est considérable, par leur précision, qui est
une garantie de leur exactitude, enfin, par leur variété, ils
permettent de connaître, d'étudier et de classer les diffé-
rents mouvements de la danse, ses gestes, ses positions ; enfin,
par comparaison avec les pratii^ues modernes, d'en retrouver
la technique.
La danse grecque, à la vérité, n'est pas ce qu'un vain
peuple pense. Nous aimons à nous la figurer sous les appa-
rences de chœurs dansés autour des autels des dieux par des
groupes de jeunes vierges prenant des poses gracieuses et
cadençant leurs pas sur les rythmes harmonieux des voix
ou de Ja double flûte. Sans doute cette idée n'est pas absolu-
ment fausse, mais il serait imprudent de la trop généraliser.
A l'égard de ces danses, que l'on peut qualifier d'eiirijthmi-
qites, les indications fournies par les monuments nous rensei-
gnent plutôt sur la plastique et les mouvements des danseurs
isolés que sur leurs groupemenis
en danses collectives. C'est ainsi que
les statues, les bas-reliefs et les
images des vases peints nous mon-
trent des personnages en des atti-
tudes parfaitement caractérisées : les
pieds relevés et appuyés sur les
pointes ; le corps bien d'aplomb ou
penché suivant des règles qui, ba-
sées sur la nature, servent encore
de principe à l'étude de la danse
moderne ; le vêtement tombant en
longs plis, ou dans un sens qui in-
dique le mouvement flottant au vent
exécuté ; les bras disposés en cour-
bures élégantes et variées, tantôt
rélevés, tantôt s'infléchissant avec
grâce, ou exécutant des gestes expres-
sifs ; ou bien les mains saisissant certaines parties des vête-
ments, les relevant ou les
faisant flotter, ou aidant à en
combiner les mouvements
avec ceux du corps. Parfois
les attitudes sont calmes, les
gestes ont un caractère noble
et grave qui s'accorde bien
avec l'idée que nous avons
de ces danses sacrées qui
sont le prototype et l'origine
première des chœurs de la
tragédie et de la tragédie
elle-même.
Mais parfois ces danses,
même religieuses, affectent
une allure bien plus fami-
lière. On en peut juger par
ce groupe, copié sur un vase
funéraire représentant une
danse de sacrifice, et où,
autour de l'autel ionique sur
lequel brûle le feu sacré,
une jeune fille exécute, aux
sons de la double llûte,
des pas dont la vivacité n'a certes rien de hiératique !
Tout sentiment de calme et à'eurylhmie disparaît dans les
: MÉNADE ET SATYHE
•elief hellénistique.)
DANSEUSE
(D'après lut bas-relief du musée d'AUièties provenant
du théâtre de Bacchus, époque hellénistique,}
LE MÉNESTREL
d07
DAN'SE DV. SACRIFICE
(D'après un vase, fui du T'" siècle, l
DEOX HOMMES DANSANT
(D'après un vase corinthien du
y/c sUcle, au Musée du Louvre.}
danses diony-
siaques (danses
en l'honneur de
Bacchus). Là,
plus rien ne
subsiste de cet-
te symétrie ni
de cette régula-
rité de lignes
propres au cul-
te des grands
dieux, mais, à la
place, une li-
berté et une indépendance de mouvements qui vont jusqu'au
désordre. Il en est de même pour certaines danses privées
qui se dansaient, entre hommes, à
,,<*J^ v^^-^> la fin des banquets. Les vases peints
( \ A-^^..'! Qjj Qjjj. (jonné des représentations
nombreuses, et qui témoignent que
le sentiment du grotesque n'était pas
moins familier au génie grec que
celui de la beauté! Dans les danses
dionysiaques, satires, bacchantes et
monades se livrent à l'envi aux con-
torsions les plus bizarres ; et quant
aux mouvements d'ensemble, il res-
sort de l'examen de tous les monu-
ments que, loin d'être symétriques,
ils avaient au contraire pour règle l'absence de symétrie :
chacun devait danser à sa manière, sans se préoccuper des
mouvements du voisin, ou, s'il
s'en préoccupait, c'était pour faire
différemment.
Il semble d'ailleurs que la dis-
symétrie ait été de règle dans la
danse grecque, même en ses ma-
nifestations les plus sérieuses.
Sans doute, dans les cortèges et
les marches, une certaine régula-
rité était nécessaire, et la règle du
même pas y était observée ; mais,
pour les danses collectives pro-
prement dites, et particulière-
ment les danses à deux person-
nages, les monuments nous mon-
trent toujours les danseurs dans
des attitudes, des positions et des
gestes différents les uns des autres.
Les danses par groupe de per-
sonnages se tenant par la main,
analogues à nos rondes et farandoles populaires, étaient
connues dès la plus haute antiquité : les vases de l'époque
la plus reculée en donnent des représentations parfois aussi
curieuses par la naïveté et la maladresse de l'exécution que
par le sujet même.
A côté de ces danses, on peut placer celles dans lesquelles
les personnages se suivent par flle ou évoluent de front sans
se tenir par la main : celles-ci sont déjà plus compliquées.
C'est à ce genre de formations qu'appartiennent les chœurs
de théâtre. Par malheur, les monuments figurés ne nous
donnent que peu de renseignements sur ces derniers, — qui
sont bien, cependant, ceux que nous aurions le plus d'in-
térêt à connaître en détail.
Les danses en armes, la fameuse Pyrrhique, par exemple,
rentrent également dans ce genre. Un bas-relief de l'Acropole
montre une troupe de huit pyrrichistes, marchant au pas,
alignés, par groupes de quatre, accompagnés du chorège qui
marche gravement au milieu d'eux. Ici, comme dans les dan-
ses populaires (rondes, farandoles), dans les quelques repré-
sentations des chœurs scéniques et dans les cortèges en
PIRRYCHISTE ET ANTETE
e coupe du F" siècle, au Musée du Louvre).
COUTEC
Hermès précédant une théorie de
et des
( D'après un v^
l'honneur des dieux, la simultanéité des mouvements est
généralement pratiquée, — contrairement aux usages constatés
d'autre part pour les chœurs dionysiaques et pour les danses
collectives en général.
Au reste, bien que la pyrrhique fût, en principe, un exercice
d'ensemble, il arrivait sou-
vent qu'elle fût dansée,
soit isolément par un dan-
seur chargé d'en représen-
ter à lui seul les divers
épisodes, soit par deux
danseurs faisant l'un con-
tre l'autre un simulacre
de combat. Certains docu-
ments nous montrent ces
évolutions, toujours vives
et infiniment variées, exé-
cutées au son de la flûte.
Les cortèges en l'hon-
neur des dieux, bien que
d'un caractère bien diffé-
rent, peuvent être rapprochés néanmoins de ces deux groupes
de danses collectives. Leurs représentations nous sont connues
par des œuvres d'art célèbres, notamment la frise du Parthé-
non décrivant la pompe des Panathénées. C'étaient des marches
cadencées, lentes, régulières, embellies par une gesticulation
mimétique pleine de dignité et tout empreinte d'eurythmie.
Enfin, les danses funèbres forment un groupe à part, qui
se rattache plutôt à la pantomime qu'à la danse proprement
dite. On sait que l'usage, sinon des danses, du moins des
chants funèbres improvisés sur le
corps du mort par une amie ou
une parente, parfois une pleu-
reuse à gages, — mais toujours
une femme, — s'est perpétué jus-
qu'en notre siècle dans les pays
grecs ainsi que dans l'île de Corse :
ces chants portent, en Grèce, le
nom de myrologoi (et non mijrio-
logues, comme on l'a écrit à tort
jusqu'à présent) ; en Corse, ils sont
dénommés voceri.
Dans tous ces mouvements, la
mimique est intimement associée
aux mouvements de la danse;
l'expression joue un rôle au moins
égal, sinon supérieur, à l'élément
purement plastique. Certes, la
technique de la danse grecque est
inférieure à celle de la danse
moderne; une grande place y est laissée à l'improvisation, à
l'imprévu, à la fantaisie du moment : alors que, chez nous, les
moindres combinaisons de mouvements sont prévues et réglées
minutieusement, chez les Grecs l'exécution a bien plus de
laisser-aller. Mais leur danse, pour être différente de la nôtre,
et moins riche en ses éléments les plus apparents, n'en est pas
moins un art supérieur, car son but est plus élevé. « Le danseur
grec ne se contente pas de danser, il parle avec tout son corps,
et s'adresse à des spectateurs qui attendent de lui autre chose
qu'un plaisir des yeux. Il doit leur faire comprendre en l'hon-
neur de quel dieu, à l'occasion de quelle fête il danse. Ghoreute
tragique ou choreute comique, il affirmera son rôle bien plus
par le caractère de ses mouvements que par la livrée dont il
est revêtu ; pyrrichiste, il se montrera instruit de tous les arti-
fices de la guerre ; bacchant, il s'enflammera de l'enthousiasme
rituel et fera voir, par ses contorsions, qu'il est vraiment pos-
sédé du dieu. Tous les mouvements lui sont bons; suivant
les besoins, il les fera souples ou rudes, il les enchaînera avec
grâce ou les hachera avec brusquerie. Pourvu qu'il exprime
juste, il n'est pas difficile sur le choix des moyens. »
C UELIGIEUX
femmes tenant des branches de lierre
crotales.
isedu VI' siècle.)
108
LE MENESTREL
Aussi ne pouvons-nous que nous associer aux conclusions
de la savante étude de M. Emmanuel : « La science du dan-
seur antique est modeste, son habileté médiocre. 11 ne peut
pas lutter avec notre danseur, qui met quinze ou vingt ans à
s'instruire de son art. Mais si l'orchestique grecque dans sa
technique, — dans son mouvement, — est inférieure à la nôtre,
il ne serait pas impossible de montrer qu'elle prend .sa
revanche sur un autre terrain. »
Julien Tiersot.
MUSIQUE ET PRISON
Musique et Prison ! Deux mots qui hurlent d'être accouplé.= , nous
Jira-t-OD. — Moins peul-êlre qu'on ne serait lente de le croire.
Certes, l'homme subitement privé Je sa liberté, ou frappé d'une
peine qui lui ravit le plus précieux des biens, n'ira pas aussitôt de-
mander à la musique la consolation de sa tristesse ni l'oubli de son
infortune. Mais plus tard, quand le calme de l'isolement ou le con-
tact d'autres prisonniers amènera dans cette âme endolorie une dé-
tente ou une diversion, le captif recherchera d'instinct les manifes-
tations de l'art musical qui, l'emportant d'un coup d'aile au pays des
rêves, lui feront oublier un instant les amertumes de la réalité.
En général, l'homme qu'une détention quelconque sépare dfS
siens ou de sa patrie, aime peu les harmonies bruyantes ; il leur
préfère les tonalités douces, lentes, attendries, traversées tantôt d'un
sourire, tantôt d'une larme. Elles ravivent ses souvenirs et peuplent
sa solitude. Ce sont autant d'évocations voilées et affaiblies, mais
sensibles, delà liberté perdue; autant d'images vivantes, quoique
lointaines, de la liberté reconquise.
Cette impression constante n'est pas cependant unique, ni toujours
uniforme ; elle se nuance ou se décompose suivant les époques, les
régions, les milieux, l'éducation du prisonnier et sa culture artisti-
que, son caractère, ses habitudes, les causes et la durée de sa dé-
tention.
Et c'est précisément cette variété de sensations multiples, démon-
trée par des faits puisés à des sources authentiques, qui fera l'objet
de notre élude et en déterminera les divisions.
CAPTIVITÉS ROYALES ET PRINCIÈRES
Contes et légendes, — Vair de Marlborough et la chanson de Gazza. — Saint Louis
sultan de Baln/lone. — Prouesses chorégraphiques de François I"'. — JJn roi de
Dammark compositeur de musique religieuse. — Comment Henri le Béarnais chan-
tait les psaumes de Marot. — V opéra-comique au château de Valençay. — Le boléro
du docteur Ménié e. — L^opérette à Willemshohe. — La dernière cluznson de Napo-
léon I".
Pour grands que sont les Rois, ils sont ce que nous sommes,
dit le poète.
Peut-être même souffrent-ils plus que le commun des mortels,
quand la peite de leur liberté leur retire, avec l'exercice du pouvoir,
la jouissance des privilèges qui s'y rattachent. Mais en revanch", si
la tradition dit vrai, l'art sous toutes ses formes procure à ces nobles
captifs de plus séduisantes consolations. Les livres sacrés de la
Chine et de l'Inde, les mythes de la Grèce, les monuments égyptiens
elles poèmes Scandinaves nous montrent sous cet aspect les grands
de la terre, qu'ils soient au milieu d'une troupe de musiciens, ou
qu'ils fassent frémir les cordes d'une harpe.
Ne nous attardons pas à ces temps fabuleux, et revenons à une
époque plus voisine de la nôtre, bien ([ue les chroniques y soient en-
core marquées au coin de l'incertitude.
AiDsi, une légende, qui est aujourd'hui même l'objet de nombreuses
controverses, veut que les croisés aient rapporté pour tout bagage
musical, de leurs aventureuses e.^ijédilions, l'air célèbre sur lequel
nous chantons encore les infortunes de Marlborough.
Nous reconnaissons volontiers, avec Chateaubriand, qui l'entendit
sur les bords du Nil, que cet air, soupiré comme la romance de Ché-
rubin dans la pièce de Beaumarchais, n'est pas dépourvu de la grâce
languissante particulière aux mélodies orientales. Mais les chants
guerriers qui menaient les chrétiens au combat, les glorieux hosan-
nas qui célébraient leurs victoires, ou les hymnes funèbres qui
pleuraient leur défaite, feraient bien mieux notre affaire. Or, il ne
nous est pas resté une seule note de ces compositions musicales
qui, pour être essentiellement primitives, n'en devaient pas moins
porter l'empreinte de la foi la plus sincère, de l'enlhousiasmo le plus
ardent ou de la douleur la plus touchante. La Complainte de Gazza
fut assurément écrite sous cette dernière inspiration.
Animés d'une sainte ardeur, six cents chevaliers français s'étaient
lancés à la poursuite des infidèles sur la route de Gazza, sous la con-
duite du duo de Bourgogne. Dans leur impatience de se mesurer
avec les Sarrazins, ils n'avaient eu garde d'écouter le roi de Navarre
et les grands maîtres du Temple et de l'Ordre teutonique, qui blâ-
maient une démonstration aussi imprudente qu'intempestive. L'évé-
nement ne donna que trop raison à des conseils dictés par l'expé-
rience. Nos chevaliers, enveloppés de toutes parts, furent assaillis et
mis en déroute par l'ennemi. Leur résistance fut glorieuse, mais inu-
tile. Les Sarrasins en tuèrent la majeure partie à coups de flèche ou
de massue : le reste fut emmené en captivité à Daraiette ou au Caire.
Parmi les prisonniers internés dans cette dernière ville se trouvait
Philippe de Nanteuil, un des grands vassaux de la couronne, qui ma-
niait la plume aussi bien que l'épée, et qui sut relever, par ses chants
héroïques, le moral de ses compagnons d'infortune. Entre autres
poésies, il avait composé les ciiuplets suivants :
Ah ! l<"rance, douce contrée.
Que tous suelent (1) honorer,
Votre joie est atournéo
De tout en tout en plorer
Tous jours, mais serez plus mue, ;2>
Trop vous est mésavenu;
Tel douleur est advenue.
Qu'à la première veûe
Avez vos comtes perdu.
Si l'Hospitaus et le Temple,
Et le Frère Chevalier
Eussent donné l'exemple
A nos gens de chevaucher.
Notre grand chevalerie
Ne fut pas or (3) en prison.
Ni le Sarasin en vie.
Mais ainsi nul ne fit mie.
Dont ce fut grand mesprison
Et semblant de trahison.
Chanson qui fut compensée
De douleur et de pitié.
Va à Pitié : si le prie
Pour Dieu et pour amitié
Qu'aille en l'ost (4) et si leur die
Et si leur fasse savoir
Qu'ils ne se récréent mie,
Mais mettent force et aïe, (5)
Qu'ils puissent nos gens ravoir
Par bataille ou par avoir.
Si Philippe de Nanteuil incriminait peut-être trop vivement la pru-
dence des grands maîtres des ordres militaires, il gourmandail avec
raison leur mollesse et leur indifférence après un tel désastre. Les
jongleurs, ces Tyrtées de l'armée chrétienne, prirent en main la cause
des captifs : ils allèrent jusque sous les murs de Ptolémaïs, dans le
camp français, chanter les stances de Philippe. L'émotion fut au
comble. Les Croisés, à qui ces lugubres mélodies arrachaient des
larmes, murmurèrent contre l'apathie de leurs chefs; et devant cette
pression de l'opinion publique, le roi de Navarre dut conclure avec le
Soudan d'Egypte une trêve qui rendit la liberté aux vaincus de
Gazza.
Quelques années plus tard, une audition musicale d'un tout autre
genre était réservée à saint Louis, que la défaite de la Mansourah
avait fait tomber entre les mains des infidèles. Le pieux monarque
avait fixé avec le vainqueur le prix de sa rançon et de celle de ses
chevaliers, quand une révolution militaire vint tout remettre en ques-
tion. Les raamelucks tuèrent leur souverain, le Soudan qui avait
capturé saint Louis; et ils ne trouvèrent rien de mieux, pour célébrer
cet assassinat, que d'aller donner une aubade au prisonnier.
— Savez-vous, dit alors Louis IX à son fidèle serviteur le sire de
Joinville, les ouvertures que m'ont faites ces mécréants?
Silence du sire de Joinville.
— Eh bien! ils m'ont offert, entre deux morceaux de concert, de
me nommer sultan de Babyloue. Dois-je accepter leur proposition s'ils
me la renouvellent?
— Gardez-vous-en bien, sire; ils vous tueraient comme ils ont tué
leur Soudan.
— Eh bien, moi, j'accepterais quand même.
(1) Ont coutume. ("2) Émue. (3) Maintenant. (4) Au camp. (5) Aide.
LE MENESTREI
109
A trois siècles de distance, ua fils de saint Louis, François P^ rece-
vait au ccmmencement de sa captivité des honneurs tels qu'un vain-
queur seul eût pu les souhaiter. Moreau, un chroniqueur du temps,
nous en a conservé la curieuse description.
Après l'écrasement de Pavie, François l"' fut dirigé vers le port le
plus voisin, où l'ai tendait la galère qui devait le conduire en Espagne.
Déjà l'artillerie de la floUe l'avait salué avec ses « trompettes, clai-
rons, hautbois, doQCines, fifres, tambourins et autres instruments ».
Ce fut bien autre chose quand le prisonnier, après son débarque-
ment, fit son ontréo à Valence. Il traversa toute la ville sur une mule
richement caparaçonnée, sous les feux croisés des regards des belles
dames qui se peuchai^nt à leurs balcons pour admirer la grande mine
et la lière lournure du roi gentilhomme.
Le prince se reposa toute une journée; et le lendemain ces mêmes
dames, l'allèrent visiter, dans leurs plus brillants atours, « les unes
masquées, avec luths, violes, rebecs et autres instruments, et dansèrent
devant lui à la castillane. »
François I""', chez qui l'infortune n'excluait pas la galanterie, les
pria « de sa belle et douce et éloquente parole », de vouloir bien se
démasquer et danser avec lui.
Incontinent, elles mirent bas leurs masques; et rien n'est si certain
qu'elles étaient quasi toutes déesses, de la beauté non pareille qui était
en elles, tant parées par la tête et sur l'estomac et d'autres parures pré-
cieuses de rubis, diamants, saphirs, émeraudes, que c'était une belle chose
à voir la beauté d'icelles. Le roi pria l'une des principales de danser avec
lui, et les autres dansèrent et chantèrent avec les autres chevaliers et gentil-
hommes étant à l'assemblée.
Nous n'avons vu dans aucune relation du temps que François l",
pendant .«ou séjour à Madrid, ait poursuivi le cours de ses exploits
chorégraphiques. Il est même peu vraisemblable qu'il y ait jamais
songé et qu'il en ait même trouvé l'occasion.
On sait qu'il faillit mourir d'ennui et de tristesse dans cette rude
prison. Il y conservait cependant quelque espoir, comme le prouve
cette « chanson nouvelle faite et composée par le Roi notre Sire,
François premier de ce nom, lui étant à Madrige en Espagne ».
Si la Fortune et la diversité
Se réjoint, voyez l'adversité
En triomphant sur la prospérité,
Être vaincue.
Voyez aussi que la Vérité, mue
En ferme cœur, n'est jamais abattue
Par trahison, que en lui est connue
Avec le temps.
LE MONUMENT DE M™- CARVALHO
Cœur résolu d'autre chose n'a cure
Que de l'honneur.
Le corps vaincu, le cœur reste vainqueur.
Cette poésie, un peu fruste, dont la musique ne nous est pas connue,
est une paraphrase du fameux : « Tout est perdu fors l'honneur, s que,
par parenthèse, François I" n'a jamais écrit.
Si son vainqueur se montra peu généreux alors qu'il tenait son
rival sous les verrous, il se départit de ses rigueurs le jour où
François 1°"' vit consacrer par un traité de paix sa « délivrance »,
comme dit le chroniqueur Moreau. Il est vrai que Charles-Quint pro-
sentait au captif sa sœur Éléouoro, la douairière de Portugal, que le
roi de France devait épouser. Ce n'était pas cependant une des clauses
les plus rigoureuses du traité que François était forcé de subir; et
des réjouissances magnifiques signalèrent le départ du prisonnier, en
même temps que son entrevue avec sa fiancée :
... Fifres, tambourins, hautbois, sacquebutes et autres instruments en
grand nombre étaient au bout de la salle tapissée de riches tapisseries qui fai-
saient bruire leurs instruments de pavanes, danses et caroUes que c'était
une chose très mélodieuse à les ouïr. Et combien que le souper dura par
l'espace de trois heures ou environ, ce néautmoins leur semblait n'avoir
duré qu'une demi-heure de la félicité qu'ils y prenaient. La nappe fut
levée, les mains lavées d'eaux odoriférantes, sentant comme baume, à la
coutume des princes ; etgràces dites, chacun se leva prenant son amie pour
danser l'un avec l'autre... Les uns dansaient pavanes et gaillardes, basses
danses et autres danses i la castillane, qu'il faisait bon voir, car la compa-
gnie était grande...
DEUXIÈME LISTE DE SOUSCRIPTION DU MÉNESTREL
M. Jules Glaretie, administrateur général de la Comédie-
Française Fr.
M. et M'''= Adolphe Bser
M"» Bery (de l'Odéon)
M"" Alexandre
M""= V» H. Chevalier . . .
M. Dettelbach
M"^ Sibyl Sandorson
M. et M""' Bellaigue
M. J. Faure (de l'Opéra)
Total de la première liste. . Fr.
Total a ce jour. . . Fr.
1.630
REVUE DES GRANDS CONCERTS
(A suivre.)
Paul d'Estrée.
Il était de tradition jadis, à la Société des concerts, de jouer infaillible-
ment la Symphonie pastorale de Beethoven à chaque concert spirituel.
Cette tradition, dont la raison d'être était médiocre, est aujourd'hui per-
due. On joue maintenant la Pastorale à n'importe quelle séance, et elle
ne fait plus forcément partie du programme du vendredi-saint. Nous avons
eu cette fois la symphonie en la, la septième, qui vient justement après
elle, et que Beethoven dédia au comte de Pries. Cette dernière fut exécutée
pour la première fois à Vienne en 1813, et c'est à propos d'elle que Weber
(s'il faut en croire Schindler, le biographe du maître) aurait dit, dans un
article du journal le Franc Parleur, que Beethoven était mùr pour les pe-
tites-maisons. Cela prouve que les musiciens militants, et les plus
grands, devraient se dispenser de faire la critique des œuvres de leurs
confrères. J'en sais qui feraient mieux de se livrer à celle de leurs propres
œuvres. Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui sur cet incomparaljle
chef-d'œuvre, que l'orchestre, merveilleusement en train, a exécuté d'une
façon admirable. Le public m'a paru plus froid que de raison pour deux
morceaux du Slabal Mater de Bourgault-Ducoudray (Eia Mater et Infîammatus),
qui sont pourtant d'une jolie couleur, d'un heureux sentiment et d'une
belle sonorité; les soli étaient chantés par M""" Drees-Brun, MM. Warm-
brodt et Auguez. Le grand succès de la séance — un succès triomphal —
a été pour M. Raoul Pugno, qui a joué d'une façon exquise, avec une
sûreté de style, une délicatesse de toucher et un sentiment délicieux le
joli concerto en la mineur de Schumann, qui est certainement l'une des
œuvres les plus parfaites, les plus aclievées de ce maître souvent inégal,
mais plein de charme et de poésie quand il est inspiré, comme c'est ici le
cas. D'un bout à l'autre l'œuvre est intéressante, sans une lacune, sans
une faiblesse, tout empreinte d'une grâce mélancolique qui n'en exclut
pas la vigueur et la fermeté. M. Pugno t'a traduite en maître, avec une
finesse remarquable, avec un phrasé merveilleux et des nuances de sono-
rité qui étaient une joie pour l'oreille. Le public lui a prouvé sa satisfac-
tion par deux rappels formidables et des applaudissements qui semblaient
ne pas vouloir prendre tic. Il n'y a plus rien à dire aujourd'hui de la Fuite
en Egypte de Berlioz, dont le programme portait trois numéros : les Ber-
gers se rassemblant devant l'étable, l'Adieu des Bergers et le Repos de la
Sainte Famille ; je ne m'y arrêterai que pour adresser à M. "Warmbrodt les
éloges qu'il mérite pour la façon délicieuse dont il a chanté le solo de ce
dernier morceau, qui lui a valu aussi un grand succès. Le concert se terminait
par le joli chœur de Gounod : Super Flumina Babylonis, dont l'effet est tou-
jours excellent. A. P.
— L'ouverture de M. Mestres, qui ouvrait le programme du concert du
jeudi-saint à l'Opéra, a été écrite, dit-on, pour une pièce révolutionnaire.
Je ne saurais dire si c'est là de la musique révolutionnaire, mais le mor-
ceau en lui-même est bien confus, manque de plan, et les développements
en sont excessifs. Combien me semble préférable la symphonie en mi bémol de
M. Saint-Saêns, première œuvre importante, de l'auteur, composée à l'âge de
dix-sept ans et qui, exécutée d'abord sous le voile de l'anonyme en 1833, par
la société de Sainte-Cécile que dirigeait alors l'excellent chef d'orchestre
Seghers, et inscrite ensuite sur le programme avec le nom derauteur,n'avait
pas été jouée depuis lors. L'allégro de cette symphonie surtout est char-
mant, d'une douceur exquise, et l'on trouve d'ailleurs, dans cette œuvre de
prime jeunesse, le sentiment desproporlions etl'étonnante sûreté demain
qui devaient caractériser l'auteur de Samson et Dalila et de l'admirable sym-
phonie eu ut mineur. Nous avons eu ensuite le Requiem de Mozart (non,
je me trompe), de M. Alfred Bruneau, qui, paraît-il, est, lui aussi, une
composition de première jeunesse, ce qui ne laisse pas de se laisser en-
trevoir, car elle est bien pâle et manque essentiellement de personnalité.
Je ne dirai même pas que c'est une œuvre de fort en thème, car la forme
n'offre aucune qualité distinctive ; quant au fond, il ne me parait pas beau-
coup plus intéressant. Assez banale on elle-même, manquant surtout de
HO
LE MÉNESTREL
chaleur et d'inspiration, cette compositien n'appelle pas les foudres de la
critique, et n'amènerait plutôt qu'une sorte d'indifférence. L'exécution,
confiée à M™" Bosman et Héglon, à MM. Vaguet et Delmas, a pu par ins-
tants, etjusqu'à un certain point, faire prendre le change sur sa véritable
valeur. Il y a plus de chaleur et plus de savoir, mais pas beaucoup plus
d'imagination dans la légende dramatique Saint Georges, dont M. Paul
Vidal a écrit la musique sur les jolis vers da M. Maurice Bouchor. Ce n'est
ni le nerf ni la couleur qui manquent à la partition de M. Vidal, c'est la
générosité de l'idée, c'est la fraîcheur de l'inspiration, que nous aurions
souhaitée plus substantielle et plus abondante. M"" Berthets'est distinguée
dans le rôle de Sélénis, et M. Affre a fort bien chanté toute la première
scène, qui est d'un bon mouvement et peut-être la plus intéressante. Le
concert se terminait par la curieuse marche de Szaliady, de M. Massenet,
d'une sonorité si retentissante. M. Bruneau, qui. en tant que critique,
s'efforce de donner des conseils à M. Massenet. ferait peut-être bien de
demander encore à son ancien maître quelques leçons d'instrumentation ;
son talent de compositeur n'y perdrait rien. A. P.
— Concert Colonne. — On éprouve une singulière impression quand,
après avoir entendu la semaine précédente le Messie de Htendel, on entend
aujourd'hui ta Vie du poète de M. Charpentier. Il semble qu'après avoir
admiré un chef-d'œuvre de Van Dyck ou do Rubens, on observe quelque
peinture réaliste et non d'ailleurs sans vigueur de Daumier ou de Manet;
M. Charpentier ne manque assurément pas de tempérament musical. La
deuxième partie du programme était remplie par le troisième acte du Cré-
puscule des Dieux, de Wagner. Sauf quelques légères défaillances au début,
on peut dire que l'œuvre a été, dans son ensemble, admirablement con
duite et exécutée. La Marche funèbre a, comme toujours, soulevé les accla-
mations, et M.^<^ Kutscherra a obtenu un triomphe complet dans la scène
finale. Nous ne sommes pas de ceux qui chicaneront l'éminente artiste sur
son léger accent exotique; il donne du piquant à son jeu et peu s'en
faut que ce ne soit, pour nous, un charme de plus. M"' Krauss, lorsqu'on
avait encore la grande joie de l'entendre, l'avait aussi, cet accent germa-
nique, et rien n'empêche que ce ne fût une chanteuse hors ligne et une
admirable tragédienne. Donc, Wagner a triomphé et, à ce sujet, à propos
aussi des imitations maladroites dont il est l'objet, je ne puis m'empêcher
de citer le passage suivant que je lis dans les Mémoires, récemment publiés,
du célèbre critique viennois E. Hanslick : « L'influence wagnérienne
règne aujourd'hui partout; mais il n'y a que de jeunes compositeurs
absolument dénués de talent — malheureusement surtout en Allemagne —
pour adopter aveuglément son système et copier son style ; les musiciens
qui ont du talent et des idées comme Delibes, Gounod et Massenet pren-
nent de Wagner ce qui peut leur servir, surtout pour l'orchestre; ils
l'étudient, mais aussi comme épouvantail, pour apprendre ce qu'il ne faut
pas faire; ils ne lui sacrifient ni leur individualité ni l'esprit de leur
nation. » H. Barbedette.
— Le concert de la Société des compositeurs de musique du jeudi 26 mars
présentait un groupe de compositeurs connus et appréciés du public:
c'étaient MM. Ch. Lefebvre, Bourgault-Ducoudray, Guilmant et Weckerlin.
Un quintette de M. Lefebvre a ouvert la séance, et nous avons à féliciter
l'auteur sur la belle facture et les développements intéressants de cette
œuvre; il faut mentionner aussi les exécutants : M"= Germaine Polack,
MM. De Lederer, Duttenhofer, Monteux et J. Griset. M. Bourgault-Ducou-
dray avait fait étudier par un charmant groupe déjeunes filles et déjeunes
femmes amateurs une série de chœurs de sa composition : Tes yeux, Villa-
nelle, Thamara, Hymne à la mer, et un autre hymne de V. Hugo. M. Lafarge
est venu compléter cet ensemble en chantant, avec son talent accoutumé,
les solos de Villanelle et le rêve de Nour-Eddin. L'accueil du public a été très
vif et très sympathique. Les morceaux de M. Weckerlin, Chant de laBenjamite,
tirée de l'oratorio la Naissance du Christ, la mélodie Quand Mignon passait, et
la chanson de la Fille du vigneron, ont eu pour interprète M^^ Letocart-Arger,
une jeune femme qui entre dans la carrière de cantatrice. On se laisse
.»ller volontiers au charme de cette voix, pas éclatante, pas dramatique,
mais pleine de douceur et d'expression vraie. Les morceaux de M. Weckerlin
ont été chaudement applaudis. M. Guilmant ne s'est pas prodigué en ne
jouant sur l'orgue Mustel que deux pièces, une Prière et un Finale, d'après
un noël languedocien, avec ses sonorités fines et expressives. Il est juste
encore de mentionner avec éloge deux pièces de M. Lefebvre, le Prélude
d'Eola, pour violon, violoncelle, harmonium et harpe (M'" Luigini); puis
une jolie sérénade où tous les instrumentistes de cette séance corsée ont
joué leur partie. M. Falkenberg s'est aussi glissé dans ce programme
avec deux mélodies : Colombine et A une jeune fille. Le morceau final était un
Cortège villageois, pour piano à quatre mains, de la composition de M. Le-
febvre.
— C'est un succès très grand, très complet et très mérité qui a accueilli
M"= Blanche Marchesi à son premier concert de musique classique et
moderne. Sur le programme se coudoyaient les noms de Marcello, Mozart,
J.-S. Bach, à côté de ceux de César Franck, Massenet, Saint-Saëns,
Brahms, de Fontenailles. Chantant tour à tour en italien, en français et
en allemand, M""= Blanche Marchesi, qui joint à un style d'une rare pureté
le sentiment d'une émotion communicative, et qui sait donner un charme
poétique à tout ce qu'elle interprète, s'est fait surtout applaudir dans une
délicieuse mélodie de Bach, dans la Procession de César Franck, dans
l'Ame des oiseaux de Massenet, et dans une exquise Berceuse de Mozart,
qu'on lui a redemandée d'enthousiasme. Un excellent pianiste, M. Harold
Bauer, lui prétait le concours de son talent. A. P.
— Grand succès au Jardin d'Acclimatation pour la Fête hongroise, tirée
du Divertissement hongrois de M""" de Grandval, sous l'habile direction de
M. L. Pister, qui fera bientôt entendre l'ouvrage entier.
— Programmes des concerts du Jardin d'Acclimatation, cherd'orcbestre Louis
Pister. Aujourd'hui dimanche : Les Joyeuses Commères, ouverture de Nicolaï ;
Pavane du XVI' siècle; Tambourin de Grétry; Rédemption, de César Franck; Patrie,
ouverture de Bizet ; ta Zamacueca, de Th. Ritter; Scènes napolitaines, de Massenet ;
Coppélia andante et mazurka, de Delibes.
Pour le lendemain lundi de Pâques, autre programme: Guillaume Tell, ou-
verture de Rossini; Hymne à suinte Cécile, de Gounod; te Roman d'Arlequin,
de Massenet; Feramors, suite d'orchestre de Rubinstein; le Songe d'une nuit
d'été, ouverture de Mendelssohn; Sylvia, suite d'orchestre de Delibes; llamlet,
la Fête du printemps, de A. Thomas.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
— Nous avons reçu de notre correspondant de Milan une dépêche ainsi
conçue : « André Chénier, succès énorme. Musique inspirée. Giordano a été
une véritable révélation pour le public de la Scala. » Il s'agit de l'appa-
rition, très brillante en effet, d'un nouvel opéra de M. Umberto Giordano,
un jeune compositeur de vingt-six ans, qui a déjà obtenu, il y adeux ans,
un vif succès avec un ouvrage intitulé Mala Vita. Cette fois son triomphe
est complet, et voici comment l'apprécie le correspondant du journal de
Rome l'Italie : « Enfin la Scala a pu enregistrer un vrai et légitime succès
avec Andréa Chenier, du maestro Giordano, auteur de la. Mala Vita. Le public
a été empoigné dès les premières mesures, et les applaudissements ont
duré jusqu'à la fin du spectacle. L'opéra commence sans prélude. Au
premier tableau, le chœur champêtre, la gracieuse gavotte et l'air du poète
André Chénier ont soulevé un véritable enthousiasme. A la fin du premier
acte, rappel des artistes et du compositeur. Le deuxième acte n'a pas excité
un très grand intérêt, mais le troisième et le quatrième, qui contiennent
des inspirations presque sublimes, ont provoqué de frénétiques applaudis-
sements. Le libretto est de M. lUica. Le sujet est intéressant. André
Chénier est présenté chez la comtesse de Goigny. Il y rencontre la petite
comtesse Madeleine, qui, le provoquant, se moque de lui; mais le poète
lui répond par une belle poésie, et la jeune fille, touchée, lui tend la
main. Cinq ans se sont écoulés, pendant lesquels a éclaté la révolution
française. Les deux jeunes gens se rencontrèrent de nouveau et s'aimèrent.
Mais Gérard, un des chefs révolutionnaires, devient amoureux également
de Madeleine, et pour se débarrasser de son rival, il le dénonce au Comité
du Salut public, qui le condamne à mort. Madeleine, pour sauver son
fiancé, s'offre à Gérard, mais voyant que la condamnation est maintenue,
elle prend la place d'une aristocrate condamnée également à mort et
meurt avec son fiancé sur l'échafaud. L'interprétation et la mise en scène
sont dignes de la Scala. Très bien le ténor M. Borgatti (André Chénier),
ainsi que M'"' Carrera (Madeleine) et le baryton Sanmarco (Gérard) et le
chœur ».
— Le Théâtre National de Rome va avoir, pendant les mois d'avril et de
mai, une saison d'opéra particulièrement consacrée à trois ouvrages :
Mignon, Werther et Cavalleria rusticana. Les artistes engagés sont M""™ Adriana
Busi et Ida Martelloni, soprani; Amalia Belloni, niczao-sojjrano ; MM. Laura,
Quiroli et Masiero, ténors; Roussel et Anceschi, barytons; De Probizzi,
basse.
— Politique, socialisme et musique mêlés. Il paraît, au dire des jour-
naux italiens, qu'il vient de se fonder à Milan un corps de musique dont
la dénomination affirme ses tendances au point de vue politique. Il a pris
le nom de Corps de musique Karl Marx.
— Les étudiants de l'Université de Pavie viennent de représenter une
nouvelle opérette du maestro Dall'Argine, intitulée la Gran Vita. — Et à
Reggio d'Emilie, les enfants d'un orphelinat ont joué un vaudeville en
trois actes, Gabriel il Pastore, de M"" "Virginia Guicciardi-Fiastri, avec
musique nouvelle de M. Pi?zetti.
— Par ordre de l'empereur Guillaume II, l'Opéra de Berlin vient de
jouer avec succès un nouvel opéra, Frauenlob, dont la musique a pour
auteur M. Reinhold Becker. — De son coté, le théâtre municipal d'Elber-
feld a joué anssi avec succès un opéra inédit, intitulé Sanna, musique de
M. Georges Rauchenecker.
— M"i= Clara Schumann, née Wieck, la veuve du compositeur Robert
Schumann, viont d'être frappée d'une attaque d'apoplexie à Francfort-sur-
le-Mein, où elle s'était fixée en 1878. La célèbre pianiste, qui exerçait
encore tout récemment comme professeur de piano au Conservatoire Hoch
de Francfort, a 11 ans et son état est tellement grave qu'on redoute un
dénouement fatal pour sa maladie.
— Le théâtre An der Wien, à Vienne, vient de représenter avec beaucoup
de succès une nouvelle opérette, le Garçon prodige, avec musique de
M. Eugène de Taund.
LE MENESTREL
111
— L'opérette viennoise ne chôme pas. M. Joseph Bayer, dont le ballet
Olga vient de remporter un grand succès au théâtre Ronacher, de Vienne,
est en train de terminer la partition d'une nouvelle opérette, l Apprenti
sorcier, sur des paroles de MM. Eugène BruU et F. Antony, qui sera jouée
au commencement de la saison prochaine.
— Au théâtre municipal de Rostock on a représenté non sans succès un
opéra nouveau de M. Albert Thierfelder, intitulé Florentina.
— L'Opéra royal de Stockholm a joué avec beaucoup de succès un opéra
inédit intitulé Hexfdllen (Capture d'une sorcière), dont la musique a pour
auteur M. André Hallen.
— Le Méphislo, d'Anvers, nous apporte quelques détails assez curieux sur
la carrière en cette ville de la Dame blanche, de Boioldieu. C'est le 10
octobre 1826 qu'avait lieu la première représentation, à l'ancien théâtre du
Tapissierspaud, situé sur l'emplacement du Théàtre-Royal actuel et qui,
inauguré le 29 octobre 1773, fut démoli en 1829. La Dame blanche avait alors
pour interprètes Letellier, Prud'homme, Delaunay,Castelain, M""-''Le Merre,
Jolly et Castel, et l'affiche annonçait que les décors étaient peints « par
M. Bascelon, élève de feu Dégotty et de M. Cicéri. » Elle ajoutait que
« personne ne pourra monter au théâtre à cause du déplacement des déco-
rations. » C'est la Dame blanche qui servit, le 1" septembre 183-i, à l'inau-
guration du nouveau Théâtre-Royal. La centième représentation de l'ou-
vrage fut donnée à ce théâtre le 7 octobre 1869, et la dernière, qui eut lieu
le 22 mars dernier et au sujet de laquelle le j)/ep/tîS(o rappelle ces souvenirs,
était la 142'"'^ sur ce théâtre.
— On nous signale de Barcelone une série de concerts consacrés en
grande partie à des fragments de la tétralogie \Yagnérienne qui ont parfai-
tement réussi, sous l'artistique direction de M. Nicolau ; « On n'a pas tout
compris, nous écrit notre correspondant, mais on a tout de même applaudi
de confiance. » — Le Lycée va ouvrir ses portes pour une courte « saison
de printemps », avec opéras italiens.
— M. Sarasate vient de donner à Lisbonne, dans la salle du théâtre
Sau-Carlos, une série de quatre concerts qui lui ont valu un succès écla-
tant et qui ont attiré une foule immense.
— Notre confrère Amphion, de Lisbonne, nous apprend qu'on s'occupe
activement dans la capitale du Portugal de l'organisation d'une vaste entre-
prise qui ne tendrait à rien de moins qu'à la fondation d'un véritable
Opéra national. Le concours de nombreux artistes est assuré à ce projet
intéressant.
— Un journal étranger nous rapporte un fait touchant qui se produisit
dans une ville importante des provinces anglaises peu de temps après la
mort de Rubinstein, et qui donne une idée du prestige que le nom du
grand artiste exerçait sur le public d'outre-Manche. Son élève, le jeune
pianiste Hofman, avait annoncé un concert. Les amateurs de l'endroit lui
suggérèrent l'idée d'y jouer, en mémoire du défunt, la marche funèbre de
la sonate en si bémol mineur de Chopin, que l'illustre pianiste rendait,
on le sait, d'une façon transcendante, inoubliable. M. Hofman mit la
sonate entière dans son programme, et lorsque retentirent les accords
lugubres de la marche, toute la salle, parterre et galeries, se leva comme
un seul homme et l'écouta debout, rendant ainsi un hommage posthume
au sublime artiste.
— Abhas pacha, le jeune khédive d'Egypte, qui a été élevé â Vienne, y
est devenu un assez bon compositeur de valses. Dernièrement, la musique
militaire de sa garde a joué pendant un grand dîner officiel une valse qui
a beaucoup plu aux convives, qui n'en connaissaient pas l'auteur. On sait
que le sultan est aussi un excellent pianiste, mais jusqu'à présent il n'a
pas encore fait concurrence aux compositeurs de musique.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
M. Combes, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts,
vient de s'embarquer pour l'Algérie, d'où il ne doit revenir que vers le
12 avril. Toutes nos craintes sont donc dissipées et nous pouvons respirer
à l'aise, certains que nous sommes que d'ici là nous n'aurons pas un
nouveau directeur au Conservatoire.
— Dans sa dernière séance, le conseil municipal a procédé à l'élection
des membres du jury chargé de juger le concours musical de la ville de
Paris. Ont été élus : MM. Vincent d'Indy, Bourgault-Ducoudray, André
Messager, Chapuis, Darzens, Garon, Levraud et Despaty.
— Voici les dates fixées pour les épreuves du prochain concours de
Rome. Pour le concours d'essai, l'entrée en loge aura lieu le samedi
2 mai et la sortie le vendredi 8; le jugement sera rendu au Conservatoire
le samedi '.). Pour le concours définitif, l'entrée en loge est fixée au samedi
16 mai ; et la sortie au mercredi 10 juin à midi, le jugement sera rendu à
l'Institut le samedi 27 juin.
— A rOpéra-Comique, la première lecture d'orchestre. pour le Chevalier
d'Harmmthal a eu lieu jeudi, et on espère pouvoir donner la première
représentation vers le 20 avril.
— A l'Opéra, l'ouvrage de M. Alphonse Duvernoy, Hellé, passera quel-
ques jours plus tôt. On parle du 13 ou 17 avril.
— MM. Bertrand et Gailhard préparent pour la saison prochaine une
intéressante reprise de Don Juan, avec la distribution suivante ;
Don Juan MM. Renaud.
Ottavio Vaguet.
Leporello Delmas.
Mazetto Bartet.
Dona Anna M""' Rose Garon.
Elvire Berthet.
On parle, pour le rùle de Zerline, d'une jeune élève du Conservatoire sur
laquelle on fonde de brillantes espérances.
— Après Bon /«art, fort probablement reprise de Tamara, de M. Bourgault-
DucouSray, le ballet de M. Wormser, enfin Messidor, de M. Alfred Bruneau,
et puis, les Maîtres Chanteurs de Wagner, à moins que le Lancelot de
M. Joncières ne passe entre les deux.
— Puisque nous parlons de l'Opéra, ajoutons que le magasin de décors
reconstruit près de la porte Saint-Ouen, depuis l'incendie de la rueRicher,
sera enfin terminé d'ici deux mois et livré aussitôt à la direction. La
commission des bâtiments a visité les travaux cette semaine.
— Le ténor Van Dyck, qui a chanté vendredi aux concerts Lamoureux,
avec sou succès habituel, a quitté Paris dès le lendemain pour se rendre à
Bruxelles, où il va donner une série de représentations très attendues dans
des œuvres de Wagner et de Massenet. Puis il ira à Barcelone pour ne
revenir à Paris qu'en juin, époque à laquelle il chantera à notre Opéra
Lohengrin et Tannhàuser.
— Les jurys de la Société des compositeurs de musique ont porté comme
il suit leur jugement sur les concours ouverts par elle pendantl'année ISlio :
1" Une Sonate pour piano et violon, — Prix de 400 francs, offert par la
société. — Décerné à M. Jules Wiernsberger ; 2= prix de 200 francs,
décerné à M. Aymé Kunc.
2° Une OEuvre symphoniquc développée, pour piano et orchestre. — Prix
unique de SOO francs (Fondation Pleyel-Wolff.) — Décerné à M. Henri
Lutz.
3° Un Quatuor vocal pour soprano, contralto, ténor et basse, avec harpe.
— Prix unique de 200 francs, reliquat du prix Ernest Lamy. — Le prix
n'a pu être décerné.
— On annonce le prochain retour en France du violoniste Diaz-Albertini,
dont on n'a certainement pas perdu le souvenir et qui s'était attardé long-
temps à cueillir des lauriers dans toutes les Amériques.
— La charmante violoniste M}^" Dantin va entreprendre une tournée
de concerts en Belgique et en Hollande.
— Le Journal (français) de Saint-Pétersbourg publie en première page la
note suivante : — « M. Arthur Pougin, l'un des musicographes les plus
érudits de la France, avait écrit déjà il y a peu d'années un résumé de
l'histoire de l'école musicale russe pour un ouvrage collectif sur notre
pays édité par la librairie Larousse. Depuis, il a poursuivi ses recherc^-es
et il vient d'achever une savante monographie sur le même sujet, intitulée :
Essai historique sur la musique en Russie. Avant de la faire paraître en volume,
M. Pougin en a commencé la publication dans la première livraison de
l'année 1896 de l'excellente revue de Turin intitulée Rivista musicale Ita-
liana, qui accepte aussi des articles rédigés en langue française. I/éminent
écrivain a étudié cette fois sérieusement son sujet, compulsant non seule-
ment ce qui a été écrit en France sur les choses musicales de la Russie,
mais consultant les premiers écrivains d'art russes et leur empruntant
maintes données importantes, de même que des appréciations. Dans les
trois chapitres insérés dans la livraison susmentionnée, M. Pougin traite
de notre chant populaire et religieux, de l'introduction eu Russie, au
XVIU" siècle, de la musique profane de l'Occident, enfin de l'éclosion d'une
école de musique originale. Le chapitre sur Glinka (une vingtaine de
pages d'une menue impression) est surtout bien fait. Ij'auteur y raconte,
d'après les sources russes, l'histoire de la vie et des œuvres du grand com-
positeur et fait bien comprendre le caractère et la portée de sa musique.
En parcourant ces pages, le lecteur étranger se fera une idée très juste de
la portée d'un compositeur qu'en France surtout on connaît trop peu, se
faisant une idée fausse de sa musique. Tantôt on le traite d'Italien, tantôt
on en fait un précurseur de Wagner; la vérité est qu'il est russe dans la
meilleure acception du mot, tout en respectant les règles immuables de
l'art, ce qui ne l'a pas empêché d'ouvrir des horizons nouveaux, en se lais-
sant aller à une inspiration aussi limpide qu'originale. Nous attendons
avec intérêt la continuation du travail de M. Pougin ».
— La direction des grands concours internationaux de musique de Rouen
nous prie d'annoncer que, suivant le désir qui lui en a été exprimé par un
grand nom.bre de sociétés, elle a décidé que le concours d'honneur des
orphéons et des musiques d'harmonie aura lieu le dimanche 26 juillet, au
lieu du lundi 27, date fixée primitivement.
— Le théâtre de Tours a donné, le 28 mars, la première représentation
d'un petit ouvrage inédit, l'Insaisissable, «comédie symbolique et lyrique»
en un acte, paroles de M. Coudrec, musique de M. Frédéric Le Rey. C'est
M"' Lambrecht qui remplissait le rôle principal.
— A Lyon, la saison théâtrale s'est terminée très brillamment pour
notre première scène avec la Navarraise, de MM. Caïn et Massenet, qui a
été pour M"" de Nuovina l'occasion d'une ovation des plus flatteuses. La
142
LE MENESTREL
remarquable artiste a été très bien spcondée par MM. Beyie, Moisson, Le-
quien et Huguet. — La direction de M. Vizentini a été aussi active que
féconde: LeCid, Werther, Manon, la Navarraise, le Carillon, de Massenet,
la Statue, do Reyer, le Rêve, de Bruneau, Lohengrin, de Wagner, Amy Rob-
sart, d'Isidor de Lara, l'Amour médecin de Poise, Carmen, de Bizet, la
Vivandière, de B. Godard, ont eu, pour la plupart, des exécutions fort
honorables. En dernier lieu, nous avons eu une très bonne reprise de la
Valkyrie, avec M"« A. Bourgeois et Janssen, MM. Muratet et Beyle comme
principau.x interprètes. Enfin, la Damnation de Faust, de Berlioz, jamais
encore exécutée intégralement à Lyon, a été accueillie avec enthousiasme
par le public des concerts. Hérodiade, Orphée, le Roi l'a dit et les Maîtres
chanteurs nous sont promis pour la saison prochaine. J. Jesjain.
— M. Jemain, professeur des classes supérieures de piano au Conserva-
loire de Lyon, vient de donner à Marseille un curieux récital de clavecin
et de piano, sur un instrument moderne d'Erard, — exacte reconstitution
des clavecins du XVIII= siècle; il a passé en revue les diverses écoles
de clavecinistes Anglais, Italiens, Français et Allemands. Continuant sur
le piano moderne cette revision historique, il a exécuté des œuvres de
Beethoven, Schumann, Chopin, Grieg, Schubert, pour finir avec Liszl,
Saint-Saêns et Chabrier. La presse marseillaise est unanime à constater le
puissant intérêt offert par cette séance et à louer M. Jemain du talent dont
il a fait preuve.
— Au ^2= concert de 'l'Association artistique de Marseille, très grand
succès pour M. Louis Diémer, qui a merveilleusement joué le lamento de
M. Ch.-M. Widor et des morceaux de Chopin, Daquin, Godard, Liszt et de
sa propre composition. « Après la Rapsodic de Liszt, le succès, dit le Petit
Marseillais, a pris les proportions d'une superbe ovation. »
— Le Stabal Mater de M. Charles Poisot poursuit son tour de France.
Après avoir été exécuté successivement à Paris, Dijon, Versailles, Cher-
bourg, Poitiers, Saint-Denis, etc., il vient d'obtenir un grand succès à la
Rochelle, où, le mercredi saint, un ensemble de cent exécutants l'a fait
entendre sous la direction de M. Soudre, maitre de chapelle.
— Les deux auditions d'élèves de M. Eugène Gigout qui ont eu lieu les
24 et 31 mars, ont fait apprécier l'excellence de l'enseignement donné à
son école d'orgue, fondée et dirigée par l'éminent oiganisle de Saint-
Augustin. Artistes et amateurs étaient confondus sur le programme, où ne
figuraient que des noms de maîtres, et se sont partagé également le
succès. Citons M''''^ et M"» Théophile Gauthier, Moutier, Th. Roger, prin-
cesse de Polignac, comtesse de Beauchamp, Lavallée, M. et A. AUain
Ziégler (ces quatre dernières élèves de Boëllmann), MM. Elle, Pipard,
Hochet, Eugène de Bricqueville, "Weisweiller, A. de Montrichard, Deniau,
Levatois, Roussel, Crona. On a fêté M"« Éléonore Blanc, M. Warmbrodt et
les élèves de chaut deM""! Pauline Roger, qui prêtaient leur concours à ces
deux superbes séances.
— A Nice, audition de piano donnée par le charmant compositeur
Adolphe David. Au nombre des morceaux les plus applaudis, citons sur-
tout la Valse du vertige et les Mandolinistes.
— A Bordeaux, en l'église Notre-Dame, superbe solennité musicale au
profit des blessés de Madagascar. M"™ G. Blanc, S. Kerrion, MM. Lupiac
et Ramat, avec les chœurs de la Sainte-Cécile et l'orchestre de M.Gabriel-
Marie ont magistralement interprété le Requiem de Verdi.
— Très beau concert donné à Tourcoing par la Société des concerts
symphoniques. L'orchestre, dirigé par M. Fr. Dubois, a eu grand succès
avec les Erinnyes et les Scènes pittoresques de Massenet; mais le plus grand
effet a été pour M"°S. Kerrion dans le grand air de Paul et Virginie et dans
Poète et Fantôme, de Massenet, que la salle entière a bissé.
— On nous écrit d'Evreux pour nous signaler la complète réussite du
premier concert donné par « l'Économie musicale ». La jeune violoniste
M"= Verdie de Saula a été la triomphatrice de la séance.
— C'est une lourde tâche qu'a assumée M"» Riss-Arbeau en annonçant,
avec le concours de M"= Adèle Querrion, de MM. Brun et Salmon, une
« audition intégrale des œuvres de Chopin en six séances », dont trois ont
eu déjà lieu avec le plus grand succès. Il est impossible d'analyser dans
leur détail ses séances, si substantielles et d'un intérêt si puissant. On ne
peut que féliciter une artiste fort distinguée du talent remarquable et du
courage qu'elle déploie dans une entreprise aussi dilBcile, que louer sa
virtuosité, ses qualités de style et sa vive compréhension des œuvres si
nombreuses et si diverses qu'elle fait entendre au public. C'est ce que
nous faisons de grand cœur.
— Une toute jeune et tout aimable élève de M. Delaborde, M"" Ade-
line Ballet, a donné, avec le concours de son professeur, un concert fort
intéressant, dans lequel elle a fait entendre, avec le concerto italien de
Bach et la Prédication aux oiseaux de Liszt, diverses pièces de Chopin,
Schumann, Schubert, Alkan, J. Philipp et Pfeiffer. Elle a fait preuve
d'excellentes qualités de virtuose et s'est fait vivement applaudir.
— Soirées et Concerts. — Bonne audition des élèves de M"" Herpin, au cours
de laquelle on a remarqué M"'" Marguerite H. {Chant du voyageur, Lack), Gene-
viève C. (Rêverie de Colfmbine, Sérénade d'Arlequin, Massenet), Lucie et Margue-
rite D. {Sérénade, Ch.-M. Widor), Alice R. {Yalse-arabesque, Lack). Succès pour
M"" Jeanne Lyon dans la Chunson d'amour, de Ch. Levadé, et pour M"° Briandet
dans Carcassonne, de Nadaud. — En cinq séances, M'i' Ilortense Parent a fait
entendre les nombreuses élèves de ses deux écoles d'application. Il faut citer
les noms de M"- André Z. [Mazurlm étcgante, Lack], Hélène L. {Berceuse, Lack),
M. Jean M. {Mazurlia russe, Landry), M"" Jeanne G. [Impromplu-mazurtia, Lack),
Thérèse D. {Sorrentine, Lack), Anne-Marie de S.-J. (Valse des Mouches, Landry),
Geneviève de M. (l'Oiseau-Mouclie, Lack), Lucie C. (Gavotte de Mignon, A. Thomas),
MM. Maurice B. (te Dépari, Lange), Théophile D. Amgonaise du Cirf, Massenet),
et féliciter et M"' Parent et les dévouées professeurs qui lui prêtent leur pré-
cieux concours. — Très intéressante réunion des élèves de M"° du Wast. Le duo
du Cid (M""' B. et C), C'est mon ami, de Weckerlin (M'" B.i, la romance du Hoi
d'Ys (M"° B.), l'air de Jean de Nivelle (M"- W.), l'air d'Hérodiade (M"- N.), le duo de
Lalimé (M"" B. et M. L.), le duo de Mignon (M"' W. et M. B.), l'air de Sigurd
(M"e G.| et le trio à'Hamtet (M"" C , G. et M. S.) ont mis en valeur les qualités
de l'enseignement de l'excellent professeur. — A la fête de la Fondation Ajar,
au Champ-de-Mars, gros succès pour M. Sellier dans l'air de Sigurd, pour
M. Noté dans l'air de Jérusalem, pour M"" Preinsler da Silva dans la paraphrase
de Saint-Saëns sur Mandolinota de Paladilhe, et pour les scènes du Christ de
Grandmougiu et Lippach?r. — Audition annuelle des élèves de M"' Cadot-
Laffite, professeur de piano. Nous citerons parmi les morceaux les plus remar-
qués: Sérénade ittgrienne (Widor). — Chez M"' Balutet, directrice de l'École
Beethoven, très intéressante audition d'œuvres de M. Théodore Dubois. Le
maître présidait la séance et a paru très satisfait de l'exécution de ses char-
mantes pièces de piano. Il a particulièrement félicité les interprètes de Bluetle-
pastorale, les Tambourinaires, Chaconne, le Banc de mousse, la Source enchantée. Petite
marche et Clair de lune, ainsi que M"" Balutet et M. Dèze, qui ont exécuté avec
une sonorité d'orchestre la Suite villageoise à quatre mains. — Très intéressante
matinée chez M°" Watto, le professeur bien connu. On a particulièrement
applaudi un chœur de Jean de Nivelle, des œuvres de V. Joncières et de II. Ma-
réchal. Grand succès pour M"' G. Polack, une brillante pianiste, et pour M. Dérivis,
l'excellent baryton. — M"' Bex réunissait dimanche, dans ses salons de la rue
du Louvre, ses plus jeunes élèves de piano, dont le jeu sûr et délicat a été
unanimement apprécié. Grand succès pour les morceaux d'ensemble et pour les
intermèdes vocaux tirés de la Chanson des joujoux. A bientôt l'audition des
élèves des cours supérieurs. — M"" Rachel de Kisch a donné un concert qui a
mis en relief ses heureuses qualités de pianiste (levée à bonne école. Elle s'est
fait vivement applaudir, particulièrement dans la Rupsodie hongroise, de Liszt, le
trio en ré mineur de Mendelssohn, avec MM. Lefcrt et Baretti, et tes Myrtilles et
les Bûcherons, de Th. Dubois. — Un de ces derniers soirs, à Neuilly, chez
l'excellent professeur M"" Audousset, on a fait de la bonne, de l'excellente
musique, coupée de poésies dites par M"" Schmidt de Launay. Des artistes de
l'Opéra se sont fait entendre, ainsi que M" Rose Delaunay et le i eune prodige
Lazare Lévy. Après l'audition d'œuvres de sa composition, Louis Diémer a mis
son talent et sa maestria au service d'un nocturne de Chopin et d'une rapsodie
de Liszt. C'était un régal. — Chez M— Leclerc on a fait fête à M"" Julie Bres-
soles, qui a délicatement chanté Pensée d'automne, de Massenet, l'Heure sax/ui^e,
l'Allée est sans fin, de Reynaldo Hahn, les trois mélodies bissées, et le grand air
de la folie à'Hamtet. — M"" Berthe Berlin s'est fait très applaudir au concert
qu'elle vient de donner, salle Pleyel. Source capricieuse, de Filliaux-Tiger, les Myr-
tilles, de Théodore Dubois, et le Cavalier fantastique, de Benjamin Godard, lui
ont principalement valu bravos ei rappels. — M"« Marguerite Lavigne a rem-
porté un grand succès en chantant à son concert annuel Au pied d'un crucifix,
du regretté mailre Louis Lacombe. Cette noble et pure inspiration, parfaile-
ment interprétée sur le violoncelle par M. Furet, nous a rappelé le temps oti
M"' Andrée Lacombe, accompagnée par Guilmant, .\rmaingaud, les chœurs
Chevé, La Tombelle et son mari, soulevait la salle entière. — Succès pour le
concert organisé chez M"" Dignat, avec le concours do sa fille, de M"' Dress-
Brun, de MM. Alf. Brun, Papin, Queeckers. On y a exécuté le 5" trio de Beetho-
ven, la sonate en ut mineur de Grieg pour violon et piano, ainsi que le quatuor
de Schumann, morceaux qui ont valu à tous les artistes des applaudissements
nombreux. L'î prochain concert est fixé au mercredi 1.5 avril. — M"" Elmond
Laurens, q ui vient de donner chez Erard un très intéressant concert, a un jeu
correct, pur, exempt de mièvrerie. Elle a dit avec un remarquable talent le trio
d'Emile Bernard (en compr.gnie de MM. B;rlhelier et Loeb), des nocturnes très
pittoresques d'Edmond Laurens et unesériede pièces de Schumann, Schubert,
Liszt, Massenet-Périlhou (la Navarraise, I. Philipp, Clair de lune et Feux-Follets,
extraits des Pastels).
NÉCROLOGIE
Une dépêche de Venise aux journaux italiens est venue annoncer la
mort en cette ville, le 23 mars, d'un artiste qui s'était fait en ces dernières
années une grande réputation sur les scènes de l'Italie et de l'étranger,
la basse Angelo Tamburlini. Il avaitcommencê par l'église, et avaitchantê
d'abord dans la Cappella ciel Santo à Padoue. Puis il s'était tourné du côté
du théâtre, où il avait conquis rapidement la notoriété, grâce à sa superbe
voix et à son talent non seulement de chanteur, mais de comédien. Au
mois de décembre dernier, revenant d'Amérique, il voulut, quoique souf-
frant, tenir un engagement qu'il avait conlracté avec le théàlre Dal Verme,
de Milan. Il s'y montra, entre autres, dans un nouvel opéra de M. Scon-
trino, Cortigiano. Mais il n'était plus lui-même, et luttait sans succès contre
les élreintes d'une terrible maladie de cœur. On fut enfin obligé de le
transporter à Venise, où tous les soins dont on l'enloura restèrent impuis-
sants à le guérir. C'est là qu'il s'est éteint, âgé de 43 ans seulement.
— De Vienne on annonce la mort de M'^ Anna Pessiack, professeur de
chant au Conservatoire de cette ville. Artiste fort distinguée, ancienne élève
de M""» Marchesi, M""^ Pessiack s'était fait connaître aussi comme com-
positeur.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— Sacre '.orllleui
Dimanche 12 Avril 1896.
3394. — 62-"» ANNÉE — I\° 15. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET TIIÉ^TR,ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 his, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, !20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr,, Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Une œuvre contestée de Palestrina et ses deux messes de l'Homme armé
(!•' article), Julien Tiersot. — IL Semaine théâtrale : première représentation
de Ghiselle au tliéâtre de Monte-Carlo, Julies Tiersot. — III. Musique et prison
(2" article): captivités royales et princières, Paul d'Estiœe. — IV. Le concert
du vendredi saint au Châtelet, A. Boutarel.'— V. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
NOCTURNE
de LÉON Delafosse. — Suivra immédiatement : Contemplation, a" i de la
Matinée aux Alpes, du maestro N. Celega.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prothain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Cantique sur le bonheur des justes et le malheur des réprouvés, poésie de
Jean Racine, musique de Reïnaldo Hahn. — Suivra immédiatement : la
Légendedes trois petits mousses, n» i des Poèmes de Bretagne, musique de Xavier
Leroux, poésie d'ANDRÉ Alexandre.
Wm ŒIVRE CONTESTÉE DE PALESTBIN4
et ses deux MESSES DE L'EOMME ARMÉ
Les cérémonies de la Semaine sainte, si expressives en
leur dispositif liturgique, ont donné naissance, depuis les
origines du chant chrétien jusqu'à l'époque moderne, à d'in-
nombrables compositions musicales dont certainesrsont res-
tées comme des chefs-d'œuvre impérissables. Les offices de
Ténèbres, célébrés à la fin du jour le mercredi, le jeudi et
le vendredi saints, en sont les épisodes les plus frappants :
tous ceux qui ont assisté à leur accomplissement, aux beaux
temps de la papauté, dans la chapelle Sixtine, à Rome, en
ont rapporté des souvenirs ineffaçables, dans lesquels le spec-
tacle extérieur s'associe à la musique de façon à produire
une impression extraordinaire. Voici, par exemple, en quels
termes Chateaubriand en rendait compte dans une lettre à
M°" Récamier :
Je commence celte lettre le mercredi saint au soir, au sortir de la
chapelle Sixtine, après avoir assisté à Ténèbres et entendu le Mise-
rere. C'est vraiment incomparable : celle clarté qui meurt par degré,
ces ombres qui enveloppent peu à peu les merveilles de Michel-
Ange ; tous ces cardinaux à genoux, le Pape prosterné lui-même au
pied de l'autel; cet admirable chant de souffrance et de miséricorde,
yélevantpar intervalle dans le silence et la nuit...
Vers le même temps, Mendelssohn développait les mêmes
idées, en insistant davantage sur le côté musical : le récit
qu'il a écrit dans ses Lettres de voyage est, à cet égard, la des-
cription la plus intéressante et la plus précieuse qui nous
soit parvenue de ces cérémonies, à l'occasion desquelles, un
demi-siècle auparavant, Mozart s'était déjà couvert de renom-
mée en dévoilant le mystère du Miserere d'Allegri.
Parmi les œuvres musicales particulières à ces ofBces, la
plus importante est la série des vingt-sept Répons — neuf
pour chaque journée — qui alternent avec le chant des
psaumes et des Lamentations. Depuis plusieurs années, les
chanteurs de Saint-Gervais nous en ont fait entendre une
séleclion prise dans l'œuvre des deux plus célèbres maîtres
de l'école romaine du XVI" siècle, Palestrina et Vittoria : les
uns comme les autres ont toujours paru d'une beauté par-
faite et d'une admirable inspiration.
Or, si nous cherchons les Répons de Palestrina dans la
grande édition de ce maître, publiée en Allemagne sous la
direction de M. Haberl, maître de chapelle de la cathédrale
de Ratisbonne, après avoir constaté avec surprise qu'ils ne
figurent pas dans les vingt-neuf volumes des œuvres com-
plètes, nous les trouvons relégués au dernier des trois vo-
lumes supplémentaires renfermant des œuvres simplement
attribuées à Palestrina, ou même contestées ; et dans la pré-
face de ce volume, nous lisons ces lignes, dont je transcris
la traduction en suivant le texte allemand d'aussi près que
Une imitation totalement fausse (eine ganz falsche Vorstellung, le
mot falsch donnant une idée de supercherie, de mensonge) du style
de Palestrina s'est propagée depuis une cinquantaine d'années envi-
ron par la publication d'un choix de Répons à quatre voix pour es
matines des trois derniers jours de la semaine sainte. (Une note in-
dique ici que ces morceaux « ont paru pour la première fois dans le
recueil du prince de la Moskowa, publié en onze volumes par la So-
ciété de musique religieuse et classique, fondée à Paris en 1843; le
septième volume en contient plusieurs sans indication de source ni
de lieu de provenance »). Le soussigné a fait à grand'peine des re-
cherches à Rome et en Italie d'après une copie de ces vingt-sept Ré-
pons, mais nulle part il n'a retrouvé trace de ceux-ci. Toutes les
copies qui se trouvent dans les bibliothèques publiques de Munich,
Vienne, etc., ont été faites d'après un manuscrit du siècle dernierque
le défunt cuslos de la Bibliothèque royale de Munich, M. Jul. Jos.
Maier, reçut, en 1857, en souvenir de Casp. Aiblinger, maître de
chapelle de la cour royale à Munich (mort en 1867), et dont il a fait
présent au soussigné comme « légère contribution pour le volume de
Palestrina incertus, le 1" mai 1886 ». Ce manuscrit porte à la fin l'in-
dication suivante : Responsoria anno ioS5 composita a famosissimo Dom.
Aloysio Prenestino eapellœ magistro summi pontificis Uarcelli. Spectant
nunc ad muni Fr'^ Josephi a Despons. B. V. M. Ord. S. Hieromjnii Pro-
fessa. 1764. » (Une nouvelle note dit que « peut-être celui-ci était
le Fr. Joseph, membre du couvent des Hiéronymites de Munich »,
etc., etc.). Les erreurs chronologiques de cette notice tombent sous
114
LE MENESTREL
le sens, car Palestrina ne fut jamais mallre de la chapelle papale,
mais, après la mort du pape Marcel II, simple ehanlre de la dile
chapelle. Que ces vingt-sept Répons n'aient pas pu être composés
en lo33, il n'est besoin pour les musiciens érudils d'aucune autre
preuve plus éloignée: mais ils furent composés avant 1632: cela
résulte de cette circonstance, que les mots : Fiat voluntas tua, qui
furent effacés par Urbain VIII dans l'édition du bréviaire de 1632,
se trouvent ici mis en musique. Le style indique plutôt un bon
maître de l'école romaine du commencement du dix-septième siècle.
Le manuscrit est terminé par le simple faux-bourdon du B<;nedictus.
qui, comme les vingt-sept Répons, est indiqué seulement dans ce
manuscrit comme une œuvre de Palestrina.
Voilà qui est net autant que circonstancié. Les vingt-sept
Répons pour la semaine sainte exécutés sous le nom de
Palestrina sont l'œuvre d'un faussaire; il n'en est connu
qu'un seul exemplaire, d'origine douteuse et de date rela-
tivement récente, d'après lequel toutes les copies connues
ont été faites, et qui, enflo, ne présente aucun caractère
d'authenticité.
Cependant, à première vue, il semble déjà que tout n'est
pas inattaquable dans les déductions de M. Haberl. Il dit
que l'œuvre est connue par un manuscrit unique, et pourtant
il constate que des parties importantes en ont été publiées
pour la première fois, en France, il y a plus de cinquante
ans : cela indiquerait logiquement l'existence au moins d'un
autre exemplaire, car il est bien peu probable que les édi-
teurs du recueil du prince de la Moskowa aient été chercher
le manuscrit du frère Joseph au couvent des Hiéronymites
de Munich : la supercherie aurait donc eu déjà d'autres
complices ?. ..
D'autre part, M. Haberl base toute son argumentation sur
la façon inexacte dont la qualilé de Palestrina est mentionnée
sur le titre de l'ouvrage. Je suis surpris que l'expérience,
déjà ancienne, du savant musicien de Ratisbonne, ne l'ait pas
encore conduit à constater que les titres sont souvent pleins
d'inexactitudes et de fantaisie, et que c'est faire preuve d'une
critique vraiment insuffisante que de s'appuyer uniquement
sur de si médiocres autorités : s'il n'en est pasencore convaincu,
je m'offre très volontiers à lui fournir toute une collection
de titres de partitions, anciennes ou modernes, œuvres
théâtrales, etc., renfermant des inexactitudes de détail nota-
blement plus choquantes que celle qu'il relève ici. Aussi
bien, l'erreur n'est-elle peut-être pas aussi grave que le croit
M. Haberl. D'une part, en effet, la chronologie n'est pas en
défaut, puisque cette année '1555 est précisément celle du
pontificat de Marcel II, qui fut, on lésait, le grand protecteur
de Palestrina ; en outre, si celui-ci n'avait que le simple
titre de chantre à la chapelle papale, sa situation de compo-
siteur pouvait bien faire, sans doute, qu'on lui donnât du
« Maître » sans qu'il y ait rien eu d'étonnant à cela. Enfin, si
Palestrina fut simple chantre à la Sixtine, par contre il fut
maître des enfants de la chapelle Julia à Saint-Pierre, maître
de chapelle à Saint-Jean-de-Latran, puis à Sainte-Marie-
Majeure, fonctions dont l'énoncé pouvait fort bien être résumé
dans la formule inscrite sur le manuscrit.
En troisième lieu, M. Haberl nous fournit bénévolement
un argument contre sa propre cause en nous apprenant que
l'œuvre est forcément antérieure à 1632. Il en résulte donc,
de par les particularités même de son texte, que cette œuvre
a pu être composée au temps de Palestrina, alors qu'elle ne
pouvait plus l'être seulement quarante ans après sa mort!
Cela réduit singulièrement le temps durant lequel le faus-
saire, l'auteur de la gan: falsche Vorstellimg, a pu opérer f
L'argumentation de M. Haberl est donc des plus fragiles.
Par contre, j'ai à ajouter aux éléments de la cause plusieurs
faits nouveaux qui ne viennent en aucune façon à l'appui
de la thèse du savant allemand.
Quelle est, en effet, la grande raison de M. Haberl? Que
les 27 Répons de Palestrina ne sont connus que par une
copie isolée ; qu'il a fait faire « à grand, peine des recher-
ches à Rome et en Italie, mais que nulle part il n'en a
retrouvé de traces. « Gela est bien étonnant, car, sans avoir
eu besoin de me donner lant de mal, j'en ai trouvé quatre
exemplaires manuscrits, antérieurs tous trois à la première
publication du prince de la Moskowa, et cela tout simple-
ment dans une bibliothèque française, la Bibliothèque du
Conservatoire. En voici le détail.
Dans un recueil factice, qui, d'après les indices extérieurs
(estampille, cotage, reliure), appartient à la Bibliothèque du
Conservatoire depuis sa fondation (par con.séquent depuis
un siècle), sont réunies plusieurs œuvres manuscrites des
maîtres du XVP siècle, avec cette note : « Ce recueil a été
mis aux ouvrages élémentaires comme devant servir de modèle
aux jeunes artistes pour les différents contrepoints (1) ». Les
morceaux, de formats différents, sont d'écritures diverses,
mais toujours anciennes. On y trouve des compositions de
Roland de Lassus, Bernabei, Agostini, etc. ; on y trouve sur-
tout, et c'est ce qui nous intéresse, les Répons de Palestrina,
sous un titre identique à celui de la copie allemande de
M. Haberl.
Même ouvrage et même titre dans une copie portant Vex-
libris d'Adrien (2).
Même copie encore dans le sixième volume de la collec-
tion Eler (3).
Enfin un quatrième manuscrit est précédé de ce titre, un
peu différent :
Responsoria cuin quatuor vocibus in cœna Domini, in Parasccve et
in Sabatho Sanilo, — Joannis Pétri Aloysii Prœnestini.
Sur le même feuillet est collée une note, en italien, dont
l'importance n'échappera à personne :
Du très ancien manuscrit de Latran, à la faveur de M. De Jacobis,
Chantre et Archiviste de Saint-Jean-de-Latran, et collationné avec une
copie communiquée par le très savant Chevalier R. Kiessewetter, de
Vienne (4).
Il résulte de cette dernière indication, dont nous n'avons
aucun motif de suspecter l'exactitude, que l'original de
l'œuvre de Palestrina se trouve à Rome, dans les Archives
de Saint-Jean-de-Latran, — et d'autre part que l'Allemand
Kiesswetter en avait eu déjà connaissance. Je ne ferai pas à
M. Haberl, qui a passé tant de temps à rechercher les
œuvres de Palestrina à Rome, l'injure de supposer qu'il s'est
borné exclusivement à fouiller les archives du Vatican et
qu'il a négligé les autres sources : sans doute, à Saint-Jean-
de-Latran, l'ouvrage ne lui a pas été communiqué, ou il a
été déplacé, ou il a disparu, ou a été égaré, ou perdu, ou
détruit : cette dernière hypothèse fût-elle vraie qu'il ne
faudrait même pas trop s'en désoler, car j'ai démontré
qu'à défaut de l'original nous possédons assez de copies
authentiques pour considérer l'œuvre comme sauvée.
Mais si, comme il est probable, le livre est resté à sa place,
il serait à l'honneur de notre École française de Rome de le
retrouver. Nos jeunes prix de Rome, qui sont tenus par
leurs règlements de fournir comme envoi à l'Institut une
transcription d'une œuvre de ce genre, sont souvent embar-
rassés, je le sais, pour savoir ce qu'il peut y avoir d'utile et
d'intéressant à rechercher : je leur livre cette idée, bien
convaincu, si l'un d'eux avait la bonne fortune de la pouvoir
mettre à exécution, que tous ses maîtres et ses juges, ainsi
que les admirateurs de Palestrina, lui en sauraient bon gré.
(A suivre.) Julien Tiersot.
(1) Cette noie est de l'écriture de l'abbé Roze, le premier qui ait mis de
l'ordre dans, les collections du Conservatoire, dont il fut bibliothécaire de 1807
à 1819.
(2i Adrien, chanteur k l'Opéra sous la Révolution, compositeur, enfin pro-
fesseur de déclamation lyrique au Conservatoire, était, dit li'étis, grand
admirateur de l'ancienne musique des maîtres belges, français et italiens qui
brillèrent dans le XVI' et dans le XVII' siècle, et employa beaucoup de temps
à copier leurs ouvrages pour sa bibliothèque. Il mourut en 1822.
(3) Eler, compositeur, auteur d'ouvrages représentés à l'Opéra et à l'Opéra-
Comique en 1798 et 1800, passa les dernières années de sa vie à mettre en par-
tition ou à extraire d'anciens recueils les compositions des maîtres les plus
célèbres du seizième siècle. Ce précieux recueil a été acquis par la Bibliothèque
du Conservatoire. Eler mourut en 1821.
(4) Da Ms. del Laterano aniichissimo per favore del Sig. De Jacobis ed Archivisla in
S. Gio. Laterano. — e cotlagionali con una Copia pressa di me speditami dal doUissimo
sig. Caval. R. Kieswetler da Vientia.
LK MENESTREL
an
SEMAINE THÉÂTRALE
Théâtre de Monte-Carlo. — Première représentation de Ghiselle, drame
lyrique en quatre actes, paroles de M. Gilbert Augustin-Thierry, musi-
que de César Franck.
L'on sait qu'aucune des œuvres que César Franck écrivit pour le
théâtre ne fut représentée de son vivant (car je ne compte pas comme
œuvre de César Franck certain petit opéra-comique du temps passé,
qui ne fut évidemment qu'un péché de jeunesse). Hulda, dont
le manuscrit avait été laissé complètement achevé, ne put être joué
que trois ans et demi après la mort du compositeur, en 189'i-, à Monte-
Carlo : l'ouvrage, malgré quelques défectuosités (un médiocre poème,
une teinte uniformément sombre, un mouvement scéniqne parfois
insuffisant), produisit une impression générale exoellenle : un acte
d'exposition d'une concision remarquable et d'un bel accenttragique,
deux scènes d'amour, — une suitout, occupant tout un acte, page
d'une inspiration abondante et soutenue et d'une admirable intensité
d'expression, chef-d'œuvre dans le sans le plus élevé du mot, — un
ballet d'une fraîcheur délicieuse et d'une grande richesse sympho-
nique, sans compter diverses pages musicales d'un art accompli, dis-
séminées dans les autres parties, tels étaieut les éléments d'un suc-
cès qui eût été certainement plus éclatant encore, et surtout plus
durable, si l'œuvre se fût produite dans un milieu plus favorable ; j'ai
d'ailleurs toute confiance encore dans son avenir, et tiens pour
certain qu'un jour viendra où pleine justice lui sera rendue.
Aujourd'hui, nous avons à parler d'un autre ouvrage qui vient d'être
représenté dans des conditions anologues. : Ghiselle, dont le manus-
crit était également resté parmi les œuvres inédites du maître. Je ne
puis mieux faire, pour en dire l'historique, que de reproduire pure-
ment et simplement la note inscrite en tête de la partition par le fils
de l'auteur, M. Georges Franck :
Lorsque César Franck mourut, le 8 novembre 1890, il avait déjà achevé
depuis plus d'un an la composition de la partition de Ghiselle.
D'accord avec le collaborateur de mon père, M. Gilbert Augustin-Thierry,
nous avons respecté dans cette édition l'exacte physionomie du manuscrit
original signé et daté du 21 septembre ISS9.
L'orchestration seule demeurait incomplète ; l'auteur avait orchestré le
premier acte, le plus long, le principal au point de vue de l'orchestration,
puisque tous les personnages principaux y paraissent.
Grâce à cet acte, grâce à des indications multipliées dans le manuscrit,
quelques élèves du maître, unis dans un même sentiment de respect pour
sa mémoire et de subordination désintéressée à sa pensée cjmplètement
exprinvée, trouvant d'ailleurs un secours précieux dans la connaissance
de ses goûts, ont cru pouvoir terminer l'orchestration d'une partition à
laquelle mon père attachait une importance considérable.
Qu'ils reçoivent ici l'expression de toute ma reconnaissance.
Je puis compléter les renseignements ci-dessus en disant les
noms des élèves de Franck qui ont coopéré à l'achèvement de
son œuvre. Ils sont au nombre de cinq. M. Pierre de Bréville a tra-
vaillé aux premières scènes du second acte; M. Ernest Chausson a
instrumenté la scène d'amour qui forme le milieu de ce même acte,
et M. Vincent d'Indy la scène d'ensemble qui le termine ; M. Samuel
Rousseau s'est chargé de l'acte de l'église, et M. Coquard du dernier
tableau. Ils ont ainsi donné un nouveau témoignage de leur dévoue-
meiit à la mémoire de leur maître, — bien que peut-être ils eussent
préféré le manifester différemment.
Cette multiplicité de collaborateurs, en effet, est déjà d'un assez
fâcheux augure, car elle semble indiquer que le travail, ainsi réparti
pour être accompli simultanément par tant de mains différentes, a
été exécuté avec quelque hàie ; d'autre pari, l'unité de la composi-
tion a dti s'en ressentir. Je n'insiste d'ailleurs pas sur cette dernière
critique, que je ne pourrais formuler en pleine connaissance de cause,
car ce compte rendu est écrit, non à ia suite d'une représentation,
mais simplement d'après la lecture de la partition. Nous avons
vu que cette partition est exactement conforme au manuscrit laissé
par l'auteur; il n'est donc besoin de rien de plus pour apprécier
l'œuvre de Franck, puisque c'est cette œuvre elle-même, pure et sans
aucun alliage étranger, qu"il nous est donné de considérer.
Or, dès la première inspection, il apparaît de toute évidence que
cette partition, loin d'être dans l'état d'achèvement complet et défioitit
que l'on nous annonçait, n'i'st, en réalité, qu'une ébauche, et, le
plus souvent, une ébauche très peu avancée. Sauf en de rares pages,
dont nous ne saurions mémo dire avec certitude si l'auteur n'aurait
pas modifié quelques traits, la musique est constamment réduite à
une ligne de chant soutenue par de leuts accords plaqués. Ceux à qui
l'œuvre de Franck est familière savent assez que l'écriture du
maître polyphoniste est tout autre !,.. Je n'ai pas le courage d'insister
sur une erreur aussi regrettable, et qui ne peut être que funeste pour
la mémoire de César Franck : ses œuvres les plus parfaites ne sont
pas déjà si bien comprises de la généralité du public que l'on
vienne, maintenant, jeter la perturbation dans les idées des gens
de bonne volonté en leur exhibant, comme parfaitement authentique,
une composition incomplète, ou, — si autorisés que soient ceux qui
ont collaboré à son achèvement, — due pour une bonne moitié à
des mains étrangères !
Bornons-nous donc à étudier la partition de Ghiselle, non pour y
trouver une œuvre achevée, mais pour en dégager les traits essentiels
et savoir quelle fut l'évolution du génie de César Franck dans les
dernières années de sa vie.
Il faut avouer qu'ici encore le musicien a été bien mal servi par
son collaborateur. Le poème d'i/wWa n'était pas bon; mais celui de
Ghiselle est pire. Le sujet d'Hulda, emprunté à un poème norvé-
gien, d'un vrai poète, avait de l'intérêt en soi; au point de vue
de l'exécution littéraire, il avait de grands défauts de détail : du
moins avait-il cette qualité qu'il présentait plusieurs situations
franches et très propres au développement de l'inspiration musicale,
— et c'était ce qu'il fallait à Franck, essentiellement, exclusivement
musicien. Le poème de Ghiselle, au contraire, est un banal et noir
mélodrame, rempli d'horreurs compliquées, tout de mouvement et
d'action, par conséquent aussi défavorable que possible au commen-
taire musical proprement dit.
Je n'en raconterai pas par le menu toutes les péripéties trop
variées. Je me borne à dire que le fond du sujet est la rivalité de
deux femmes, une reine et une captive, cette dernière aimée et
devenant victime de sa terrible rivale, laquelle, dans le cas présent,
n'est autre que Frédégonde, dont on abuse. Il y a encore une vieille
sorcière qui vit dans un endroit sauvage des environs de Paris (où,
naturellement, tous les personnages de la pièce se trouvent par
deux fois réunis comme par hasard) : cette sorcière est, elle aussi,
une reine, qui, au dénouement, reconnaît être la mère de Ghiselle,
la captive persécutée. Il y a enfin un acte dans lequel un chef
d'armée, après s'être couvert de gloire dans les combats, ayant
voulu enlever du cloître sa fiancée, est, pour cette faute, couvert de
malédictions, déclaré anathème, enfermé dans le cloître avec sa com-
plice; celle-ci devient folle; au chant des psaumes, on mure les
poites; après quoi, le peuple en furie met le feu à la maison, tout
cela parce qu'un guerrier victorieux a voulu revoir sa fiancée I C'est
à interpréter ces horreurs banales que le chantre des divine?
Béatitudes a employé les derniers temps de sa vie de labeur; c'est à
faire mouvoir ces fantoches d'opéra qu'il s'est efforcé, lui qui savait
faire chanter les anges!
La partition d'Hulda nous avait fait connaître la tendance de César
Franck en tant que musicien dramatique, et noiis savions que cette
tendance était tout autre que celle du drame wagnérien : sans mé-
connaître les droits de l'action scénique, en en suivant le mouvement
général aussi fidèlement que possible, le compositeur tendait mani-
festement à donner à la musique, au « morceau », toute la prépon-
dérance. Nous ne faisons aucune difficulté pour admettre cette ma-
nière aussi bien qu'une autre. Dans Ghiselle, en effet, ce sont bien
plus les morceaux de musique que les parties scéniques qui nous
semblent mériter l'attention.
A cet égard, le premier acte est le mieux partagé, étant le plus
achevé. Il commence par une scène d'ensemble, un chœur triomphal
suivi d'une marche guerrière, où l'on retrouve la fermeté de rythme,
la magnificence d'harmonie, la largeur de composition dont plusieurs
autres pages de Franck nous avaient déjà donné des exemples. Le
« récit guerrier » de Ghiselle a grand caraclère'; la « scène de séduc
lion » de Frédégonde a des accents infiniment expressifs.
Le second acte (celui de la scène nocturne de la forêt) a des coins
de poésie ravissants, notamment dans un prélude d'une rare délica-
tesse do forme et d'harmonie: malheureusement, dès la première
pnriie de cet acte, la forme musicale devient de plus en plus som-
maire, et j'avoue ne pouvoir pas, avec ces éléments insufSsanlSj me
rendie compte de ce que l'auteur aurait réalisé, dans le duo d'amour
et la grande scène d'ensemble, s'il lui avait été donné d'aller jusqu'au
bout. La ligne géaérale de la scène du cloîtio apparaît au contraire
avec une netteté et une ampleur magistrales; il a dû falloir y ajouter
peu de chose pour en faire une page de musique décorative d'une
grande beauté.
Le dernier tableau nous ramène dans la forêt: les mêmes détails
descriptifs y reparaissent, sous un aspect de plus en plus sombre.
Mais surtout nous y retrouvons un cliant d'une grâce ineffable, déjà
exposé au second acte, et qui se présente ici dans tout son déveiop-
H6
LE MENESTREL
pement. C'est une sorte de berceuse que la mère répétait à l'cnfaut
perdue :
ilon doux oiseau, ma tourterelle,
Ma fleur belle parmi les fleurs.
Mon sourire au milieu des pleurs,
Mon petit enfant, ma Ghiselle...
Une âme tendre, naïve, et sincère s'épanche dans celte mélodie,
douce et triste, que les voix de la mère et de l'enfant exposent tour à
tour, puis redisent en un unisson plein de tendresse et d'émotion :
ce duo est le bijou de la partition, — un sourire au milieu des pleurs,
comme dit la chanson même. Combien il est regrettable que ce mor-
ceau encore ne soit qu'esquissé, et que la partie d'accompagnement
y soit à peine indiquée I
Ghiselle a été représentée pour la première fois lundi^dernier, 6 avril,
au théâtre de Monte-Carlo, sous la direction de M. Gunsbourg; ;
M""" Eames, Jehin-Deschamps. Adiny, MM.îsVerguel, Melchissédec
en ont interprété les rôles principaux ; M. Léon Jeliiu dirigeait
l'exécution.
Ce n'est pas sans regret que j'ai dû, au sujet de cette œuvre,
exprimer des réserves auxquelles je n'étais pas accoutumé lorsque
j'avais à parler de la musique de César Franck. Aussi bien, ces
critiques ne s'adressent-elles pas à son œuvre personnelle, qui n'a
qu'un seul tort, celui d'être restée inachevée Comme exemple de sa
musique théâtrale, Hiilda nous reste : aujourd'hui comme il y a deux
ans, j'exprime le vœu que ce bel ouvrage nous soit donné à Paris,
et dans de bonnes conditions d'exécution. Et dans tous les cas, les
Béatitudes. Rédemption, les œuvres de mus'que symphonique, de
musique de chambre et d'orgue n'ont rien à redouter des aventures
dans lesquelles on aurait pu compromettre sa renommée de compo-
siteur dramatique; et c'est surtout cela qui importe, car c'est là
qu'est le vrai César Franck.
Julien Tiersot.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
Le roi de Suède Éric, fils de Gustave "W;isa et de Catherine de
Saxe-Lauenbonrg, ne connut jamais l'heure de la délivrance. Sa
tyrannie l'avait rendu odieux à son peuple. Ses défaites dans les
guerres qui lui furent suscitées par la Norwège et le Danemark sou-
levèrent contre lui une formidable insurrection. Vaincu et prisonnier,
Éric fut interné dans une forteresse, oii il fut en butte aux plus mau-
vais traitements. Il y mourut, empoisonné par un domestique de son
beau-frère Jean qui s'était emparé du pouvoir. Pendant les neuf ans
que dura sa captivité, Éric employa les rares instants de lucidité qui
éclairaient les ténèbres de son cerveau affolé à composer et à exécuter
des morceaux de musique religieuse.
Ces pages disparurent après la catastrophe qui termina les jours
d'un prince dont le règne avait commencé comme celui de Néron.
Celles qui marquent un des épisodes les plus intéressants de notre
histoire nationale nous ont été du moins conservées.
On sait comment le Béarnais, plus tard Henri IV, échappa miracu-
leusement au massacre de la Saint-Barthéleiiiy. Dans les premiers
jours qui suivirent cette tuerie il eût pu s'échapper, mais l'amour le
retint àParis.IJèslors, Henri, gardé à vue dans le Louvre, parut indiffé-
rent à l'active surveillance dont il était l'objet. Il renonçait volontai-
rement à sa liberté. Les plus fidèles serviteurs qui avaient jusqu'alors
partagé sa captivité dans l'espoir qu'il ferait tout pour l'abréger, se
décourageaient et quittaient déjà leur maître, quand celui-ci sut les
retenir par une de ces manœuvres adroites dont il fut toujours coutu-
mier. Il avait une fièvre « éphémère », écrit son historien Agrippa
d'Aubigné ; nous dirions aujourd'hui c de commande u. Le Béarnais
se tenait donc au lit, caché sous ses couvertures, quand ses serviteurs
l'entendirent chanter doucement le psaume 88. « au couplet qui déplore
l'éloiguement des fidèles amis ». D'Aubigné, son maitre d'hôtel, et
d'Armagnac, son premier valet de chambre, comprirent l'allusion et
lui répondirent, sinon dans la même langue, du moins dans des
termes qui ne devaient lui laisser aucun doute sur leurs sentiments
personnels. Ils continuèrent leur conversation, se promettant bien,
disaient-ils, de partir le lendemain, puisque leur maitre, peu sensible
à l'outrage que lui avait infligé la Saint-Barthélémy, semblait ignorer
ce qui lui restait à faire : il ne serait donc plus servi que par des
étrangers, dévoués à Catherine de Médicis et partant fort experts
dans l'art d'expédier les gens par le fer ou par le poison. Henri de
Navarre n'hésita plus et ses partisans, restés à Paris, préparèrent acti-
vement les voies et les moyens qui devaient précipiter l'évasion de
leur roi.
C'est un psaume deMarot, dont la musique, connue déjà parConrart,
est encore chantée aujourd'hui dans certains temples calvinistes, qui
a peut-ôtre assuré l'avènement des Bourbons au trône de France.
Les descendants du Béarnais ne montrèrent pas toujours la même
présence d'esprit ni la même fermeté d'âme dans l'adversité. La
branche espagnole surtout sembla oublier, en maintes circonstances,
les glorieuses traditions de sa race. C'était en ces temps douloureux
oîi, pour le malheur de la France et pour la perte de son prestige,
Napoléon avait imposé à l'Espagne son frère Joseph. Le maître du
monde avait d'ailleurs trouvé plus de résistance dans le pays que chez
ses légitimes possesseurs. Ceux-ci avaient rivalisé de bassesse pour
plaire au conquérant, et le chef de leur maison, le roi Charles IV,
avait abdiqué au profit de l'empereur. Néanmoins, tous ces princes
espagnols embarrassaient fort Napoléon, qui ne se souciait guère de
leur laisser courir le monde à la façon des rois que Voltaire fait
défiler dans l'auberge de Candide. Aussi le tout-puissant empereur
interna-t-il les in fan Is d'Espagne à Valençay, dans le magnifique château
que Talleyrand lui céda pour la circonstance. Ces princes étaient
en réalité des détenus : ils étaient sous la surveillance d'un gou-
verneur qui devait rendre à qui de droit un compte exact de leurs
faits et gestes. Nous avons retrouvé, dans un manuscrit de la Biblio-
thèque Nationale, la correspondance très suggestive qui en résulta, et
nous avons eu le regret de constater qu'elle n'était guère à l'honneur
des prisonniers. Ceux-ci se plaignaient volontiers de leurs gardiens,
qu'ils ne trouvaient jamais assez respectueux, mais ils ne laissaient
passer aucune occasion de faire leur cour au maitre. Ils se consolaient
assez gaiement de leur déchéance avec la musique : leur père, le roi
Charles, ne leur en avait pas cependant inculqué le goût; à vrai
dire, il était un assez médiocre virtuose : alors que Duport, le célèbre
violoncelliste, faisait avec lui de la musique de chambre, le roi
Charles était toujours en avance de plusieurs mesures et ne voulait
jamais en convenir. Les infants durent à leur séjour en France leur
éducation musicale, et ils le reconnurent volontiers, comme l'écrit à
Duroc, le 1" juin 1810, le commandant Berthemy, gouverneur de
Valençay :
Le trente mai dernier, la troupe de comédiens dirigée par le
sieur Martin a eu l'honneur de donner sa première représentation à Leurs
Altesses Royales. Pendant la représentation de Camille ou le Souterrain,
Son Altesse le prince Ferdinand me faisait l'honneur de mo dire : « C'est
la première fois que je vois l'opéra. Nous avons reçu une singulière
éducation à Madrid ; on ne nous apprenait rien » (le tout eu haussant
les épaules). Leurs Altesses Royales aiment beaucoup le spectacle : la
salle est construite dans l'Orangerie et les acteurs ne communiquent point
avec le château. . .
Les infants prirent en effet un tel goût à ce genre de divertisse-
ment que le gouverneur, un vieux soldat, d'ailleurs peu sensible aux
charmes de la musique, dut multiplier pour ses prisonniers ces dis-
tractions lyriques. C'est ainsi que le 13 août — jour de la Saint-
Napoléon — il leur fit donner un grand concert. Le 25, à l'occasion
de la fêle de l'Impératrice, que les princes espagnols célébrèrent par
des illuminations suivies de feu d'artifice, Berthemy fit jouer dans
l'Orangerie Aline, reine de Golconde el le Nouveau Don Quichotte.
Une princesse de la même famille, la duchesse de Berry, montra,
dans une prison autrement dure, une dignité froide et résolue qui
avait fait défaut à ces Bourbons dégénérés.
Et cependant, il eût suffi d'un seul mot pour qu'elle vît s'ouvrir
devant elle les portes de la citadelle de Blaye, oii elle était étroite-
ment renfermée. Mais la cause de son fils, le comte de Gliambord,
cause pour laquelle elle avait combattu et soufferl, lui eût semblé à
jamais perdue si elle avait acheté sa liberté par la moindre conces-
sion. Les fidèles qui partagèrent sa captivité s'efforcèrent de lui en
adoucir les amertumes par d'incessants témoignages de dévouement.
Sa dame d'honneur, M°"= d'Hautefort, n'ignorait pas le goût très pro-
noncé de la duchesse pour la musique, surtout la musique italienne
et espagnole. Or, dans l'appartement de la prisonnière, se trouvait un
piano sur lequel s'accompagnait M"'° d'Hautefort. Cette dame possé-
dait une voix très souple et très agile, qu'elle dirigeait fort habilement,
et comme elle avait une excellente mémoire, el e chantait, sans avoir
de musique sous les yeux, un répertoire très varié, principalement
celui de Rossini, particulièrement agréable à la princesse. La cavatine
du Barbier de Séville était son morceau de prédilection, et plus encore
certain air langoureux et plaintif, en rapport avec « l'état d'âme » de
la captive. Par contre, ce chant mélancolique, dont le thème reve-
nait sans cesse, aussi passionné que douloureux, avait le privilège
d'exaspérer les nerfs du docteur Ménière, chargé de veiller sur la
LE MÉNESTREL
117
santé de la duchesse. M™' d'Haulefort n'avait pas été sans remarquer
cette impression désagréable ; aussi se faisait-elle un malin plaisir
de la renouveler le plus possible, avec son a boléro » ; car c'est le
nom, au moins singulier, que le docteur Ménière donnait dans ses
lettres à l'instrument de son supplice.
Napoléon III, s'il faut en croire le livre de l'abbé Guers sur les pri-
sonniers français en Allemagne, supporta beaucoup plus gaîment
l'efTondrement de sa dynastie à Sedan, sa déchéance el son interne-
ment à Cassel. Le château de Wilhemshohe, qui lui avait été assigné
comme demeure, fut le théâtre de représentations intimes, oli l'opé-
retle tenait une large place, celle qu'elle avait eue déjà à. Saint-Gloud,
Fontainebleau et Biarritz. La muse d'Offenbach était restée fidèle à
l'un de ses plus chauds protecteurs, toujours aussi alerte, aussi spiri-
tuelle, aussi endiablée, mais ayant décidément le mauvais oeil comme
le composileur lui-même.
Le chef de la dynastie avait fini autrement. Dans le travail que nous
avions consacré ici-même, bien avant l'épidémie dont la librairie
souffre encore, au dilettantisme jusqu'alors nié de Napoléon, nous
avions dit le peu de temps que l'Empereur donnait à la musique pen-
dant sa captivité à Sainte-Hélène. Le souvenir du passé el les préoc-
cupations de l'avenir l'absorbaient entièrement. Il avait à défendre
sa gloire, et la mort ne lui en laissa que tout juste le temps. L'affec-
tion cancéreuse qui le minait commençait à faire des progrès ef-
frayants, et deux mois avant la crisequi devait l'emporter, l'Empe-
reur avait de longs accès de fièvre avec de fréquentes périodes de
délire. Au milieu de ces angoisses, qui devenaient peu à peu de
vt^ritables tortures. Napoléon chantait inconsciemment des ariettes
italiennes: il s'était repris à aimer la langue de ses jeunes années.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
LE CONCERT DU VENDREDI SAINT
AU CHATELET
Séance divisée en deux parties : Berlioz et Wagner, avec lecture
et conférence par M. Catulle Mendès. L'entrée des instruments de
cuivre, dans l'ouverture des Francs- Juges, sonne splendidement grâce
à des effets de timbre bien souvent employés depuis. Berlioz s'affirme
ici précurseur; il déchire le nuage qui couvrait un coin de l'horizon
musical par un de ces fulgurants éclairs qui illuminent toutes les
routes. L'air de la Prise de Troie procure un beau succès à M""^ Kuts-
cherra. La Marclie funèbre pour la dernière scène d'Hamlet, qui aurait
dû être précédée de la lecture du cinquième acte du drame de
Shakespeare, est jouée mollement et sans coloris.
Alors, M. Catulle Mendès commence une causerie suo les Évangiles
apocryphes. On s'attendait à entendre parler de Berlioz; le désappoin-
tement se manifeste, presque aussitôt, d'une façon qu'hélas, par le
temps qui court, on peut qualifier de tout à fait parlemenlaiie. Il
était curieux d'ailleurs d'entendre parler de la Vierge et de l'Enfant
de la crèche par le poète-romancier tentateur des Èves parisiennes
qui a remplacé, pour elles, la modeste pomme du paradis par une
opulente corbeille de fruits défendu?.
Bref, la lecture ayant dû cesser, on a entendu M. Cazeneuve dans
le Repos de la Sainte Famille, et le Diesirœ du Requiem a terminé la pre-
mière partie du eoncert.
Après l'entr'acte, M. Catulle Mendès annonce que le commissaire
de police lui interdit de parler. Quelques mutins réclament joyeuse-
ment le commissaire, lequel, dépassant leurs espérances, se montre
en personne, orné de son écharpe. Il n'avait pas prévu la joie folle
que son intervention ne pouvait manquer de provoquer en haut lieu.
Toute colère du public tombe devant cette maladresse, aussi naïve
qu'inespérée ; on songe aux Champs-Elysées et à leurs minuscules
théâtres, oîi des coups symboliques sont prodigués aux représentants
de l'autorité. L'écharpe rentre en poche el le commissaire va se repo
ser au balcon, en véritable dilettante.
M"'' Kulscherra , — que venait-elle faire en cette galère ? — arrive avec
des gestes désespérés, lance sa mantille par-dessus les violons et
attend, toute glorieuse de cette innocente protestation.
Par bonheur, M. Colonne, en diplomate qui n'a pas appris son mé-
tier au quai d'Orsay, obtient un instant de silence pour annoncer que
M. Catulle Mendès parlera, après la musique, pour les seuls auditeurs
qui auront bien voulu rester pour l'écouter ; il ajoute qu'il serait fort
heureux de voir se lerminer le concert qui se produit en ce moment
au delà de l'estrade, afin que lui-même puisse achever cet autre con-
cert, dont il a la direction.
On rit, on est désarmé.
M"= Kutscherra chante ta Mort d'Iseull, M. Cazeneuve l'air de con-
cours des Maîtres chanteurs, M. Colonne dirige la scène religieuse de
Parsifal, et la musique est finie.
Dans un calme très relatif, M. Catulle Mendès compare Wagner à
Dieu, tout simplement, ajoutant qu'un dieu n'a pas besoin d'apôtres
mais seulement de pontifes. Cet exclusivisme d'hiérophante déplait
encore ; on fait remarquer que le conférencier, trop oublieux de Berlioz,
a continué pendant cette soirée le malentendu qui fit des dernières
années de la vie de l'auteur des Troyens un chemin de croix dont la
première station fut l'entrée de raim/tause»- à l'Opéra. On aurait aimé à
entendre dire qu'à côté de l'art prôné par M. Catulle Mendès, un
autre art existe, celui de la France, et que celui-là ne le cède à aucun
autre; mais le conférencier n'était pas assez maître de lui pour orien-
ter les voiles de son navire désemparé.
Amédée Boutarel.
NOUVELLES r)I"\^EIiSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (9 avril). — Le dernier mois de sai-
son théâtrale, — la Monnaie fermant traditionnellement ses portes dans les
premiers jours de mai, — promet d'être particulièrement brillant, grâce
surtout aux représentations que vient nous donner, à partir de vendredi,
M. Ernest Van Dyck. Notre compatriote, l'admirable ténor, chantera deux
fois Lohengrin, trois fois Tannhduser et deux fois Manon, avec M^^ Landouzy
retour de Nice (avec quelle joie on l'a revue !). Ces représentations feront
de suparbes lendemains à Tliàis et à la Vivandière, qui tiennent toutes leurs
promesses et attirent la foule. La vogue de l'œuvre nouvelle de M. Masse-
net, notamment, n'a point faibli, et son interprète principale. M"» Leblanc.
y est toujours fort appréciée. La direction de la Monnaie, qui s'y connaît,
en profite avec un empressement significatif, sans que le courage de
l'excellente artistes'enressenle. C'estainsi que, lundi dernier. M™» Leblanc
a ihanté, dans la même soirée, Thais et la Navarraise\... Peut-être le cou-
rage est-il excessif. M"»» Leblanc, certes, pour la Monnaie, est une poule
aux œufs d'or, mais il ne nous semble pas indispensable pour cela de
devoir la tuer.
Les grands concerts finissent, eux aussi, leur saison avec éclat. En atten-
dant la dernière séance extraordinaire que nous donneront les concerts
populaires au lendemain de la fermeture de la Monnaie, et qui, dirigée
par M. Hans Richter, sera consacrée exclusivement à Wagner, et le dernier
concert Ysaye, consacré également au même maître, avec le concours de
M"« Kulscherra, nous avons eu le jeudi saint, en manière de concert spi-
rituel et comme supplément hors de l'abonnement aux concerts Ysaye, la
première exécution à Bruxelles de Christus de M. Adolphe Samuel. Je vous
ai parlé, il y a deux ans, de cette œuvre importante du directeur du Con-
servatoire de Gand, quand elle fut entendue en petit comité au dit conser-
vatoire. Depuis elle a été jouée, l'an dernier, au grand festival rhénan de
Coloi'ne avec un succès qui a vaincu toutes les hésitations qu'éprouve
oénéralement la Belgique à exécuter les œuvres de ses compositeurs. On
peut dire que cette audition à Bruxelles a été en quelque sorte la vraie
« première »; elle a pris tout de suite les proportions d'un véritable événe-
ment, et l'œuvre, non seulement n'a pas été jugée indigne de tout le bruit
qui l'a précédée, mais a obtenu un succès enthousiaste et unanime.
L. S.
— L'£c/io musical de Bruxelles nous apprend qu'il s'est constitué â
Verviers un comité dans le but d'élever un monument au célèbre violoniste
Vieuxtemps. Le comité s'adresse à tous ceux auxquels des souvenirs per-
sonnels ou une prédilection artistique rendent plus chère la mémoire du
"rand artiste, pour recueillir les fonds nécessaires. Parmi les souscripteurs
qui ont signé jusqu'à présent, on compte MM. F. -A. Gevaert, Peter Benoit,
Marsick, Sarasate, Jenô Ilubay, R. Haussraann (Berlin), Bazzini (Milan),
Martucci (Bologne), Lefort, Berthelier, Delsart, Garcin (Paris). On a
demandé à VAUgemeine Musik-Zeitung d'ouvrir également une souscription
pour le monument, — ce dont ce journal se charge, tout en priant ses lec-
teurs d'envoyer leur souscription directement au comité.
Au théâtre national de Rome, le succès du Chatterton de M. Leoncavallo
ne s'est pas démenti un instant. La clôture de la saison s'est faite avec la
dixième représentation de l'ouvrage, au milieu d'une foule énorme qui a
prodigué à l'auteur et à ses interprètes les applaudissements, les acclama-
tions et les ovations de toutes sortes.
— Les artistes retraités de l'orchestre du théâtre San Carlo, de Naples,
viennent d'adresser aux journaux de cette ville une lettre par laquelle ils se
plaignent d'avoir été cette année complètement oubliés. D'ordinaire,
chaque année et par les soins du municipe, l'imprésario du théâtre San
Carlo était obligé, vers la fin de la saison, de donner une représentation
exclusivement au bénéfice de ces anciens serviteurs, qui avaient consacré
leur talent au service de l'entreprise jusqu'à ce que l'âge vint les mettre
dans l'impossibilité de continuer. Il parait que cette fois le municipe avait
décidé de leur venir en aide d'autre façon, mais jusqu'à présent ils n'ont
118
LE MÉNESTREL
reçu aucun secours d'aucune sorte, et ils se plaignent, et ils réclament.
Pauvres gens!...
lo Sln/file, de Florence, nous apporte une nouvelle qui est assurément
sujette à caution : « Une originalité, dit-il, du maestro Giordano. Son André
Chenier, qui a plu à Milan, est écrit dans la même tonalité d'ii/, depuis la
première note jusqu'à la dernière. » Saperlotte, voilà qui ne serait pas gai,
si c'était exact!
Encore un exploit bien inutile d'un pianiste qui pourrait mieux
employer son temps et son talent. On écrit de Cuneo au Staffile , de
Florenca : — « Lundi 30 mars, à deux heures, M. Camillo Baucia a
accompli heureusement son record pianistique. Il s'était proposé de jouer
pendant 46 heures de suite, se réservant seulement trois repos de dix
minutes chacun. Un jury était spécialement chargé de le surveiller.En fait,
le samedi à quatre heures, M. Baucia inaugurait son record avec la
Marche royale et continuait ensuite en jouant des morceaux des opéras de
Faust, Carmen, MUjnon, Cavalleria ruslicana, la Sonnambula, etc., quelques
sonates de Schubert et beaucoup de hallabili, tout en causant avec ses visi-
teurs et sans aucune préoccupation. Durant cet étrange tour de force il ne
prit autre chose que des jaunes d'œuf et des ^abaioni: il but cependant du
marsala et beaucoup de café. Dans la matinée de dimanche il eut un
léger malaise qui l'obligea à prendre deux repos à court intervalle, puis il
se remit au piano, confiant dans l'accomplissement de la tâche qu'il s'était
fixée. Les citoyens suivaient avec un véritable intérêt cette nouvelle espèce
de record, et accouraient pour le voir, spécialement dans l'après-midi. Dans
les derniers moments la salle était littéralement comble, et M. Baucia eut
la satisfaction d'accomplir heureusement son record. Son état physique
était bon, le pouls s'était maintenu régulier; dimanche les mains étaient un
peu gonflées et rouges, mais elles revinrent promptement dans leur état
normal. A l'heureux recordman nos compliments et nos vœux. » Après?
A quoi cela peut-il servir? Et qu'est-ce que l'art a à voir là-dedans?
— Un nouveau déluge d'opérettes en Italie. A l'Arène nationale de Flo-
rence, Da Milano a Barcellona, musique de MM. Bossi et Mascetti; au théâtre
Balbo de Turin, Milizia territoriale, trois actes, du maestro Carlo Lombarde;
au Politeama Garibaldi de Palerme, il Segreto di Venere, musique de
M. Santé Molica; et au théâtre Brunetti de Bologne, le Ficjlie di Rebecca,
dont on ne nous fait pas connaître les auteurs. Tout cela ne vaut pas le
diable, et tout cela n'a pu dégeler le public.
M™' Adini arrivera prochainement à Vienne pour y donner trois
représentations à l'Opéra impérial. Elle se fera entendre dans les Huguenots,
Aida et la Valkyrie.
— Voici le programme, définitivement arrêté, du prochain grand festi-
val rhénan, qui doit avoir lieu à Dusseldorf les 24, 23 et 26 mai. Premier
;o«r ; Antiennes N^^s 1 et 4, de Ha?ndel; Marche impériale, de Wagner;
Magnificat, de Jean-Sébastien Bach; Symphonie avec chœurs, de Beetho-
ven. — Deuxième jour : Don Juan, poème symphonique de Richard Strauss;
concerto de piano en ut, de Liszt; le Paradis et la Péri, de Schumann. —
Troisième jour : 6= symphonie (Symphonie pathétique), de Tschaikowsky;
concerto de violon, de Mendelssohn; Wanderers Sturmlied, de Richard
Strauss; Prélude et finale de Tristan et Yseult, de Wagner; Till Ulenspiegel,
poème symphonique de Richard Strauss. C'est M. Julien Butbs, chef d'or-
chestre à Dusseldorf, qui 3st chargé de la direction, à part les œuvres de
Richard Strauss, qui en dirigera lui-même l'exécution. Voici les noms des
solistes : M""^ Strauss de Ahna, M"": Marcella Pregi, M»= Mathilde Haas,
MM. Raymond van Zur-Muhlen, Sarasate, Ferruccio, Busoni et J.-M.
Meschaert.
A l'Eldorado de Barcelone, éclosion d'une nouvelle zarzuela inti-
tulée el Seïior Corregidor, paroles de M. Fiacro Irayzoz, musique de
M. Chapi, l'un des maîtres du genre. Ce petit ouvrage a été bien accueilli
et fait honneur à'ia souplesse de main de l'auteur, bien qu'on lui reproche
de manquer d'originalité.
La nomination d'un directeur (principal) au Conservatoire de musique
de Guildhall à Londres se fait attendre, mais les candidats ne manquent
vraiment pas. A la longue liste que nous avons déjà publiée il faut ajouter
les noms de M. Joseph Smith, professeur de musique à l'Université d'Irlande
et chef d'orchestre de la société musicale de Dublin, de M. C. G. Verrinder,
un organiste bien connu, et de M. F. L.Gladstone, examinateur de plusieurs
importantes institutions musicales. Ces trois artistes sont docteurs
es musique.
— A Londres s'est formée une « association pour la suppression du bruit
dans les rues ■> visant spécialement « le bruit le plus coûteux et le plus
inutile », qui est, selon la définition bien connue, la musique. Les orgues
de Barbarie et les instruments à vent des musiciens allemands (german
bands) que le Vaterland expédie en si grand nombre dans le Royaume-Uni
n'ont qu'à bien se tenir; la société dont nous venons de parler a l'intoniion
■de les réglementer, c'est-à-dire de les supprimer sans merci. On prépare à
•cet effet un projet de loi qui sera soumis au parlement pendant cette
session, mais dont les débats ne commenceront probablement pa.» de
sitôt, car le parlement a actuellement, comme on dit, d'autres chais â
fouetter.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On sait qu'au lendemain de la mort d'Ambroise Thomas, les direc-
teurs de l'Opéra avaient pris fort noblement la résolution d'élever au
célèbre musicien un monument dont ils supporteraient tous les frais.
C'est à M. Falguières qu'ils s'étaient adressés pour cette œuvre d'art, et
celui-ci vient de leur soumettre dès à présent sa maquette. Ambroisc
Thomas est représenté assis sur un rocher, sans d'mte en souvenir des
rocs de ses îles d'Iliec qu'il aimait tant. Au bas, Ophélie toute blanche
lui tend des fleurs. L'ensemble parait d'un bel eft'et, mais on aimerait à y
voir figurer aussi, ne fût-ce qu'au second plan, cette touchante Mignon,
que le compositeur a contribué à rendre si populaire. Si, auprès des
artistes, Hamlet est l'œuvre capitale de Thomas, Mignon, auprès des masses,
est la partition qui a le plus fait pour répandre partout sa réputation.
— Le peintre Rinkenbacb, qui avait été chargé par le conseil municipal
de Metz de faire le portrait d'Ambroise Thomas, vient de rentrer en cette
ville, revenant de Paris, où il a exécuté et terminé son œuvre. Un autre
artiste, le sculpteur Harmann, avait, de son côté, reçu du conseil la mission
de faire le buste du maitre regretté; mais il n'a pu se mettre encore à
l'œuvre, car il voyage actuellement en Egypte.
— On sait maintenant pourquoi M. Combes, notre ineffable ministre des
Beaux-Arts, a cinglé vers l'Algérie. C'est pour en rapporter un directeur
du Conservatoire. Son choix se serait porté sur le grand muphti qui, du
haut des minarets, appelle les Arabes à la prière. M. Combes pense très
justement qu'un tel personnage ne peut manquer d'avoir des idées fort
élevées sur l'enseignement du chant.
— L'Opéra-Comique a repris cette semaine Philémon et Baucis, avec
M"' Leclerc, qui s'y est montrée excellente comédienne et virtuose exquise.
Les autres rôles étaient tenus, comme précédemment, par MM. Bouvet,
imposant Jupiter, de voix tonitruante, ainsi qu'il convient pour le roi des
dieux, Mouliérat, le tendre Philémon, et Belhomme, toujours très amusant
dans le personnage du boiteux Vulcain.
— Aujourd'hui dimanche, le remarquable violoniste Marsick doit faire
sa rentrée à Paris, reveuant d'Amérique, chargé de lauriers et de dollars.
— Notre collaborateur Julien Tiersot étudie au cours de ce numéro la
partition de César Franck, Ghiselle, qu'on vient de représenter à la bonne
franquette, à Monte-Carlo, entre une partie de roulette et de trente-et-qua-
rante. Il convient d'ajouter que M"'" Adini, au nombre des interprètes,
paraît avoir remporté un très vif succès dans le rôle de Frédégonde. Tout le
monde est d'accord là-dessus.
— Les lundi 20, mardi 21, mercredi 22 et jeudi 23 avril aura lieu, à la
salle Sylvestre, la vente d'une bibliothèque musicale fort importante,
celle de M. Tliéophile Lemaire, le professeur de chant bien connu, auteur,
avec M. Henri Lavoix, d'une Histoire complète de l'art du chant, et traduc-
teur du livre célèbre et curieux de Pierfrancesco Tosi : Opinioni dei can-
tori antichi e moderne. La bibliothèque toute spéciale de M. Lemairj était
l'une des plus riches en son genre qu'on put rencontrer à Paris, et nul
doute que sa vente n'attire de nombreux amateurs.
— ■ Aujourd'hui dimanche, au Chàtelet, dernier concert de la saison.
80"= audition de la Damnation de Faust, de Berlioz, interprétée par M"" Mar
cella Pregi, MM. Cazeneuve, Auguez et Nivette.
— Programme du concert du Jardin d'Acclimatation aujourd'hui diman-
che. Chef d'orchestre : M. Louis Pister :
Esquisses vénitiennes (M. H. Maréchal); Suite symphonique IF. d'Erlanger); Largo
pour cordes (Haendel); Coppélia, thème et variations (Delibes) ; Ofiéro?!, ouvcrturj
(Weber); Scènes pittoresques {i/LSiSseiiei) ; Fête hongroise (C. de Grandval).
— Au concert qu'a donné salle Erard l'excellent pianiste Reitleingor, ii
y a eu grand succès pour la Fantaisie de Schumann et surtout, pour la
charmante valse Balancelle, d'Antonin Marmontel, qui a eu les honneurs
de la soirée.
— La troisième séance de la Société de musique de chambre pour instru-
ments à vent et à cordes (MM. I. Philipp, Rémy, Loeb, Balbreck, (billet,
Turban, Hennebains, Reine et Letellier) a clôturé de la façon la plus bril-
lante cette série d'auditions si pleines d'intérêt et à qui l'on n'a trouvé qu'un
tort, celui d'être trop peu nombreuses. Le programme, exécuté avec le
concours de MM. Longy, de Bailly, Lammers et Landormy, comprenait un
concerto charmant de Bach, pour piano, flûte et violon, rendu d'une façon
magistrale p»r MM. Philipp, Hennebains et Rémy, deux romances deSchu
mann, pour hautbois et piano, qui ont valu un grand succès à M. Gillel,
une exquise sonate de Ilaendel, pour doux hautbois et basson, dont l'allcgro
surtout est d'une inspiration enchanteresse, et l'admirable septuor de Beetho-
ven, dont l'exécution superbe a fait éclater les applaudissements de toute
la salle. Le succès a été complet d'un bout à l'autre, et ne s'adressait pas
moins au choix exquis d'œuvres trop rarement entendues qu'à leur magni-
fique interprétation par un groupe si distingué d'artistes hors de pair.
A. P.
— La troisième séance de musique de chambre pour instruments à vent
donnée par MM. Barrère, Foucault, Vronne, Serval, Buteau et Auhert, avec
le concours de MM. Brun, Bourgeois et de Beir, a eu lieu mercredi le S avril
à a salle Pleyel, aveu un plein succès. Ces jeunes gens, sont pk'ins
LE MÉNESTREL
i'J9
d'ardeur et de talent et s'en tirent à leur honneur. On afort applaudi
deux aimables pièces de M. Pieiffer, Arabesque et Sérénade de W^-' Chré-
tien, et adagio et'scherzo de M. A. Normand. MM. Barrère et Aubert ont
remporté un grand succès dans la charmante sonate pour flûte et piano de
Cari Reinecke, un des vétérans de l'école de Leipzig. La pièce de résistance
était l'octuor de M. Sylvio Lazzari, qui avait été déjà joué, il y a trois ans,
avec grand succès par la société Taffanel. L'œuvre, solidement charpentée
sur un thème unique qui se modifie rythmiquement dans chacune des trois
parties, est d'une belle unité; l'inspiration y est toujours abondante et
l'orchestration curieuse et riche. Ou l'a réentendue avec un vif plaisir. Elle
a été d'ailleurs remarquablement exécutée sous la direction de l'auteur.
H.
— La Société des Instruments anciens, fondée par MM. L. Diémer,
J. Delsart, Van Vaefelghem et Laurent Grillet, qui a obtenu l'an dernier
un si grand et si légitime succès auprès du Tout-Paris musical et littéraire,
donnera ses trois séances annuelles les mardis 5, 12 et 19 mai, salle Érard,
13, rue du Mail, à quatre heures de l'après-midi.
— Le concert donné par M"= Suzanne Eytmin, la jeune et très brillante
pianiste, a été pour elle l'occasion d'un succès très mérité. Au cours d'un
programme très substantiel, où s'inscrivaient les noms de Haendel, Chopin,
Liszt, Schumann, Widor, Tschaïkowsky, Rubinstein, Pfeiffer, Fissot, la
jeune artiste a pu déployer, avec sa grande virtuosité, les qualités de style
et de phrasé qui distinguent son jeu plein de charme et de grâce. Aussi les
applaudissements ne lui ont-ils pas manqué.
— Foule élégante jeudi dernier au Trocadéro pour le premier concert
Guilmant, qui a obtenu un vif succès. Le deuxième concert aura lieu jeudi
prochain prochain 16 avril, avec le concours de M^'" Jenny Passama,
M. Paul Viardot et de la Tombelle ; chef d'orchestre : M. Gabriel Marie.
— Les journaux de Montpellier font le plus grand éloge de la première
audition de la Messe de saint François d'Assise, de E. Paladilhe, qui a eu lieu
dans l'église de Saint-Denis, sous la direction de M. F. Borne. Le succès
a dépassé toutes les prévisions et l'effet a été grandiose. L'œuvre a été
admirablement interprétée par les solistes, les chœurs et l'orchestre.
— On nous écrit d'Alger pour nous signaler la réussite triomphale
d'Hérodiade, au Grand-Théâtre. L'ouvrage a été fort bien monté par le
directeur, M.Miallet-Metellio.
— De Nice on nous signale le succès obtenu au ^concert donné, salle
Bellet, par M. Hébert-Haag. Le jeune pianiste s'est fait applaudir avec
des pièces de Chopin et avec des morceaux modernes, parmi lesquels le
Caprice de Louis Diémer.
— L'inauguration des orgues du temple protestant de Valence, cons-
truites par MM. J. Mercklin et G''', de Paris, vient d'avoir lieu devant un
nombreux public très recueilli. Malgré le nombre restreint des jeux, cet
instrument, joué par un organiste de talent, M. Lanthelme, et M. le pas-
teur Schaffner, de Paris, a produit le meilleur effet, aussi bien dans les
jeux de solo que dans ceux d'accompagnement. Les jeux d'anches sont
particulièrement beaux. Nous regrettons de ne pouvoir mentionner les
noms de tous les artistes qui prêtaient leurs concours à cette belle céré-
monie, le programme ne donnant guère que des anonymats. Nous signale-
rons entre autres, comme morceaux de chant ayant fait plus particulièrement
plaisir, l'air d'église de Siradella, chanté par M™' G., la Sérénade de Braga,
par M"'" Charvet, et ta Prière de Tannhduser que M°'« R..., de sa voix si belle et
si pure, a rendue d'une façon tout à fait remarquable. Mentionnons aussi
MM. Leplat et Rochette qui, par le violon et le violoncelle, nous ont fait
particulièrement plaisir.
— Le jeudi saint, à Béziers, en l'église de la Madeleine, belle exécution
par la maîtrise du Stabat de M. G. Salvayre, sous la direction de M. Grou-
zet, maître de chapelle. Le jour de Pâques, une messe de Gounod a eu
également une excellente interprétation. Toute lapresse locale est unanime
à constater la manière irréprochable dont ces deux œuvres ont été rendues.
— Soirées et Concerts. — M"'^ Bailet, une jeune élève de Delaborde, semble supé-
rieurement douée. A une séance donnée par elle, chez Pleyel, elle a interprété
du Bach, du Schumann, du Chopin, Mazeppa de Liszt, Idylle de Georges Pfeiffer
et une valse de I. Philipp, bissée, avec une technique extrêmement bril-
lante et un sentiment musical très développé. — M"" Blanchar a interprété à
un concert donné par elle une série de pièces de Schumann, Liszt (S' Rap-
sot/ie;,!. Philipp (Clair de lune], Wagner-Liszt (Fikiisesj, avec un talent charmant.
M"" E. Philipp a délicieusement détaillé des mélodies de Saint-Saëns, Massenet
et Edmond Laurens. Le concert avait commencé par un quatuor de Rheinber-
ger joué avec MM. Berthelier, Loeb et Balbreck. — M"» et M"" Laviéville, élève
de W. Raoul Pugno, ont donné, lOS, avenue Victor-Hugo, une brillante audition
musicale de leurs élèves présidée par II. Bourgault-Ducoudray qui a bien
voulu diriger les chœurs, Hymne à lu mer et Thamara. M"» Godard a prêté son
gracieux concours et a été très applaudie, ainsi que M""' Laviéville dans te Gril-
Imi et leCurnavat d'Athènes de M. Bourgault-Ducoudray. — Chez M— Mobillion,
intéressante audition d'œuvres de Théodore Dubois. Ont défilé tour à tour, à
la grande satisfaction des auditeurs, des mélodies comme Matin d'Avril, le Bai-
ser, Brunclle, Par le sentier, A Doiiarnenez. etc., des pièces de piano comme la
Cliaconne, le Banc de mousse, Béveil, des pièces concertantes comme le Duettino
d'amore pour violon et violoncelle, VHymne nuptial pour harpe, alto, violon
et violoncelle, des morceaux d'opéra comme la cantilène et la chanson de la grive
de Xiivitre, la chanson mauresque et le grand duo d'Aben-Hamel, etc. Princi-
paux interprètes tous fort applaudis : M"" Mobillion, Comys, Mondes, Deléoluse,
Baude, Cobson, Tonnot, MM. Parceval, Cottin, Demayer, J. Paure, etc., etc.
— Salle Érard, l'audition de Suinte llndsgonde, oratorio en trois parties de
HP'' H. Krzyzanowska. Cette œuvre, d'un caractère profondément religieux, a été
lort appréciée; l'exécution des choeurs a été remarquable. Citons entre autres
le chœur en forme de fugue, celui des anges et les deux prières. — Dimanche
dernier, a eu lieu à l'Institut Rudy l'audition d'élèves de violon et d'accompagne-
ment de M. Lécpold Deledicque, l'excellent professeur dont nous n'avons plus
à faire l'éloge. Une assistance nombreuse était venue encourager les jeunes
élèves et applaudir M"' Anchier-Deledicque, pianiste au talent gracieux et clas-
sique, ainsi que M— Dérivés, qui a chanté avec ampleur et style l'air d'Hérodiade
et des mélodies de Bizet.
NÉCROLOGIE
Une des plus grandes comédiennes de ce temps, Anaïs Fargueil,
est morte cette semaine à Paris. Fille d'un artiste qui tenait l'emploi des
laruettes à l'Opéra-Comique, elle était née le 21 mars 1S19, et de bonne
heure tourna ses vues vers le théâtre et la musique. Admise au Conser-
vatoire, elle en sortit avec un premier prix de vocalisation et débuta
aussitôt à rOpéra-Gomique, le 20 février 183S, dans la première représen-
tation d'un gentil petit ouvrage d'Adolphe Adam, la Marquise, qui mettait
en scène l'un des plus célèbres acteurs et chanteurs de l'ancienne Comédie-
Italienne, le fameux Clairval, qui fut le prédécesseur d'EUeviou. Mais ce
n'est pas là qu'elle devait acquérir la renommée. Une affection des cordes
vocales l'obligea bientôt à renoncer au chant proprement dit : mais il lui
restait assez de voix pour faire la fortune des pièces en vaudeville, et ses
qualités de comédienne étaient telles qu'elle y obtint des succès éclatants.
C'est à l'ancien Vaudeville de la place de la Bourse que sa réputation
s'établit tout d'abord, pour se continuer sur la scène de la Ghaussée-
d'Antin. Nous n'avons pas à rappeler ses ti'iomphes; ils sont encore dans
toutes les mémoires, et l'on se souvient, entre autres, de celui qu'elle
remporta dans l'Arlésienne, qui, avec le nom du regretté Bizet, nous ramène
à la musique.
— M. Louis Diémer, l'éminent pianiste-professeur au Conservatoire, a
perdu cette semaine sa belle-mère. M"" Serret, décédée à l'âge de soixante-
quinze ans. Bonne et charmante femme, des plus fines et des plus distin-
guées, dont le souvenir restera dans le cœur de ceu.x qui ont eu la bonne
fortune de l'approcher.
— A Berlin vient de s'éteindre à l'âge de 78 ans, le composi-
teur Ferdinand Gumbert, qui était né dans cette ville le 21 avril 1818.
Il débuta, en qualité de baryton, à l'Opéra de Cologne et termina dans
la même ville ses études de composition musicale sous la direction de
Conradin Kreutzer, dont l'opéra romantique une Nuit à Grenade n'a pas
encore quitté le répertoire des scènes lyriques d'outre-Rhin. Kreutzer lui
conseilla de se consacrer exclusivement à la composition musicale, et
en 1842, Gumbert retourna à Berlin où il plublia plusieurs lieder qui eurent
un succès retentissant. Parmi les cinq cents mélodies que Gumbert a
publiées, une cinquantaine à peu près ont obtenu une vogue extraordi-
naire, et furent chantées un peu partout. Ces mélodies se distinguaient
par leur invention facile et agréable et un tour populaire qui échappait
presque toujours à la banalité. Le Ménestrel a publié une collection des
meilleurs lieder de Gumbert avec paroles françaises, tels que Lettre d'amour,
Ma chanson. C'est lui, et surtout Oiseaux légers, que le ténor Roger, avec son
charme indéfinissable, fit brillamment voltiger à travers la France, l'An-
gleterre et l'Allemagne. Deux petits ouvrages lyriques de ce genre aimable
qu'on nomme en Allemagne Liederspiel et que Gumbert fit représenter sur
une scène de Berlin en 1844 et en 1847, sous le titre de la Belle Cordonnière
eXl'Art de se faire aimer, n'ont pas tenu longtemps l'affiche. Il en a fait jouer
un troisième à Vienne, sur le théâtre Harmonie en 1867, Caroline ou une
Chanson sur legolfe de Naples. Parmi son bagage littéraire, assez considérable,
se tnmvent plusieurs travaux sur la composition musicale et sur l'art du
chant et un grand nombre de bonnes traductions allemandes d'opéras.
L'art lyrique français lui doit celles de Mignon, de Lakmé, de Jean de Nivelle,
de l'Africaine, des Dragons de Villars, du le Roi l'a dit et de plusieurs opérettes
d'Otfenbach. Gumbert a aussi traduit en allemand les mélodies polonaises
de Chopin et les chansons suédoises que Jenny Lind a fait connaître en
Europe et en Amérique. 0. Bn.
— De Naples nous parvient la nouvelle de la mort d'Armando Merca-
dante, second fils du fameux compositeur Saverio Mercadante, le vieil ami
de Rossini, de Bellini et de Donizetti, l'ancien directeur du conservatoire
de Naples, l'auteur de soixante opéras dont plusieurs eurent une vogue
considérable : Elisa e Claudio, Donna Caritea, il Giuramcnlo, Zaira, la Testa d
bronzo, il Bravo, la Vestale, etc. Armando Mercadante ne savait pas une note
de musique; il avait servi naguère dans un corps de cavalerie de l'armée
italienne, et occupait à Naples un emploi dans l'administration péniten-
tiaire. Avec lui s'éteint le nom de Mercadante, qui pendant quarante ans
avait brillé en Italie d'un certain éclat.
— Le 2 mars est mort à Tolosa un organiste et compositeur fort dis-
tingué, Felipe Gorriti, qui était né à Huarte (Navarre) le 23 août 1833. Il
avait été successivement organ iste à Estella, à Tafalla, et en dernier lieu
â Tolosa. On lui doit plus de 300 compositions dans le genre religieux,
parmi lesquelles on distingue surtout cinq Messes à quatre voix et
orchestre, deux grands Miserere et plusieurs motets d'un beau caractère.
Henri Heugel, directeur-gérant.
120
LE MENESTREL
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DEUX PIANOS, QUATRE MAINS
L Ambroise Thomas. . Pas des Bijoux de La Tempête 6. »
IL E. Reyer Pas Guerrier de Sigurd 9. »
III. J. Massenet .... Aragonaise du Cid 6. »
IV. Léo Delibes Valse des Heures de Coppélia 7.50
V. Théodore Dubois. . Farandole fantastique de La Farandole. ... 9. »
VI. Ch.-M. Widor . . . Sabotière de La Korrigane 9. »
THÉODORE LACK
DU MÊME AUTEUR :
SYLVIA, grande suite concertante sur le ballet de Léo Delibes, deux pianos, quatre mains. Net 5. »
COPPELIA, g''" suite concertante sur le ballet de Léo Delibes, deux pianos, quatre mains. Net 5. »
Op. 129. Sonatine pour deux pianos, quatre mains. 10. »
. — lUPlUUERlE <
. — Kacn lorillen^
Dimanche 19 Avril 1896.
3395. — 62"' ANNÉE — 1\° 16. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET TIIÉA.TRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
iUbonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Etranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Une œuvre contestée de Palestrina et ses deux messes de l'Homme armé
(2» et dernier article), Julien Tibrsot. — II. Semaine théâtrale : reprise de
rÉpreuve villageoise, au théâtre de la Galerie- Vivienne, Arthuu Poui;i.\ ; pre-
mières représentations de la Meute, à la Renaissance, du Grand Galeoto, au
Théâtre des Poètes, et du Petit Moujik, aux Bouffes-Parisiens, Paul-Émile Che-
valier. — III. Musique et prisons iS» article) : prisons militaires, Paul d'Estiiée.
— IV. Le monument de M"'" Carvalho. — V, Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CANTIQUE
SUR LE BONHEUR DES JUSTES ET LE MALHEUR DES RÉPROUVÉS
poésie de Jean Racine, musique de Reynaldo Hahn. — Suivra immédia-
tement : la Légende des trois petits mousses, n" i des Poèmes de Bretagne, musique
de Xavier Leroux, poésie d' André Alexandre.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Contemplation, n" 4 de la Matinée aux Alpes, du maestro N. Celega.
— Suivra immédiatement : le Cœur et la Dot, polka- mazurka, d'ÉDOUARD
Strauss, de Vienne.
UNE ŒUVRE CONTESTÉE DE PALESTBINA
et ses deux MESSES DE L'HOMME ARMÉ
(Suite et fin.)
II
Les observations précédentes s'appliquent bien plutôt à
l'ensemble d'une méthode qu'à M. Haberl en particuli'er :
méthode propre à l'érudition allemande, et qui, par certains
côtés, dénote d'excellentes qualités: beaucoup de patience
dans les recherches, une étude consciencieuse et une grande
minutie; par contre, il manque la largeur de vue, la connais-
sance des idées générales, nécessaire à toute obaervalion un
peu étendue ; et surtout il y a une absence de pénétration
absolument fâcheuse en une discussion d'un caractère esthé-
tique. Cette méthode se résume ainsi: n'admettre que ce que
l'on a vu par soi-même. Gela, sans doute, est très prudent;
cependant, en certaines matières, il est des choses qu'il faut
savoir deviner. De ce que M. Haberl n'a pas trouvé dans les
archives la confirmation de certains faits, il les considère
comme erronés ou légendaires : j'ai eu déjà plusieurs occa-
sions de montrer qu'à son tour il se trompait abondamment
(par exemple pour la question de la Messe du pape Marcel et
de la réforme du concile de Trente, pour celle de l'école
musicale de Goudimel à Rome, aujourd'hui encore pour les
Répons de la iSemaine sainte). En réalité, il n'a, lui, démontré
qu'une chose, c'est que les archives sont insuffisantes pour
faire connaître toute la vérité.
Au reste, quand paifois il s'est laissé aller aux hasards de
l'hypothèse, il a donné de sa perspicacité une idée médiocre.
L'on me permettra d'en donner une nouvelle preuve, que j'ai
trouvée récemment. J'avais eu l'occasion d'étudier de nouveau,
et de très près, les différentes messes composées sur la chanson
de V Homme armé, dont j'ai entretenu déjà les lecteurs du
Ménestrel, il y a plus de sept ans. J'avais cité alors deux Messes
de V Homme armé de Palestrina: or, chaque fois que je lisais
les notices de M. Haberl, je constatais avec surprise qu'il
n'était question que d'une seule ; en effet, à la table de sa
grande édition de Palestrina, la seule messe à cinq voix du
3*= livre (1570) était mentionnée sous ce nom.
Mais en poussant l'examen jusqu'au quatrième livre, publié
en 1582 et dédié au pape Grégoire XIII, j'ai reconnu sans la
moindre difficulté le thème de l'Homme armé dans une messe
à quatre voix simplement intitulée : Missa quarta (1). Le nom
faisant défaut, M. Haberl n'avait pas su reconnaître le thème
le plus célèbre et le plus fréquemment employé dans les
messes polyphoniques du XV' et du XVP siècle. Bien plus,
par une piquante méprise, cette mélodie, dont l'usage reli-
gieux était devenu un objet de scandale, il la prenait pour
un choral grégorien : l'expression est imprimée en toutes lettres
dans sa notice formant la préface du volume. « La Missa est
écrite dans le premier ton, et a emprunté son thème au
choral grégorien, dont les formules mélodiques dernières
sont exposées, dans le premier Kijrie au cantiis, dans le Chrisle
au ténor, dans le dernier Kyrie à Valtus. »
Mais cette observation nous conduit à un résultat de
plus d'importance.
Palestrina avait, en 1570, publié une messe de l'Homme
armé sans s'en cacher aucunement. Douze ans plus tard,
voilà qu'il en donne une seconde, mais sans oser en dire le
nom. Pourquoi cette anomalie?
L'explication m'en paraît très naturelle et parfaitement en
rapport avec la succession des faits historiques.
Parmi tant d'œuvres que Palestrina ne publia qu'à la fin
de sa vie, il en est plus d'une qui date de sa jeunesse. Les
deux messes de l'Homme armé en étaient sans aucun doute.
La première fut publiée en 1570 : une autre, dans le même
(1) La Bibliothèque du Conservatoire possède un exemplaire manuscrit de
cette messe, copié d'après un manuscrit du xvir siècle appartenant à la Biblio-
thèque Palatine de Vienne, et portant en titre ces mots explicites : Missa :
l'Homme armé. La musique en est parfaitement conforme à celle de la .Vissa
quarta susmentionnée. Cela soit dit afin de bien spécifier que nos collections
de la Bibliothèque du Conservaloire présentent toutes les garanties nécessaires
d'authenticité, bien que parfois elles proviennent de sources différentes de
celles auxquelles M. Haberl a puisé.
d22
LE MENESTREL
volume, porte le titre : Vl, ré, mi, fa, sol, la, qui, s'il n'a rien
que de parfaitement convenable, ne donne pas non plus
l'idée d'un sentiment religieux très élevé 1 Puis les années
marchèrent, et la réforme à laquelle Palestrina attacha son
nom se précisa. Dès lors, l'artiste n'osa plus avouer qu'il
avait commis naguère ce que maintenant il condamnait : et
cependant, considérant cette œuvre où il reconnaissait sa
jeune inspiration, il eut trop déploré qu'elle fut définitive-
ment perdue; il prit un moyen terme et publia sa messe, mais
sans lui donner le titre qui en eût fait reconnaître l'origine
impure.
Cet enchaînement de faits et d'idées vient donc confirmer
la réalité de la réforme accomplie dans la musique religieuse
sous l'influence de Palestrina, au sujet de laquelle M. Haberl
avait surtout contribué à répandre des doutes qui ne sont
aucunement fondés.
Mais à un autre point de vue, n'y a-t-il pas quelque chose
de touchant, et de très humain, dans cette ruse naïve de
Palestrina, hésitant, partagé entre deux sentiments contraires :
le devoir, qui lui ordonne de détruire son œuvre, de renier
un péché de jeunesse, mais aussi la pensée que cette œuvre
est belle, harmonieuse et pure, qu'il serait regrettable si
elle était pour jamais vouée à l'oubli! L'artiste et le chré-
tien sont en lutte : qui des deux l'emportera? Le pieux
maître, pour les accorder, s'avise de cette innocente super-
cherie : il publiera l'œuvre, mais il n'en inscrira pas le
nom scandaleux ! En cela d'ailleurs, il a fait tout ce qu'il
convenait de faire : car c'est le nom seul de la chanson qui
pouvait soulever des objections, nullement la musique, tout
à fait méconnaissable. Que sont en effet ces quelques bribes
de la vieille mélodie, en regard des développements inspirés,
directement sortis du génie de Palestrina?
Il n'a rien à craindre, d'ailleurs; grâce à lui, personne ne
connaît plus la chanson de l'Homme armé.
Sa conscience a raison d'être tranquille, en effet : n'avons
nous pas vu tout à l'heure que le patient éditeur de Pales-
trina, l'érudit commentateur de toute la musique religieuse
du XV° et du XVP siècle, avait pris le thème de la vieille
chanson militaire française pour un gregoiianisches Choral?...
III
Revenons aux Répons de la Semaine sainte.
Je pense avoir suffisamment prouvé, par l'existence de
quatre copies anciennes appartenant à la Bibliothèque du
Conservatoire, ainsi que par l'indication du lieu où l'origi-
nal est conservé, que les doutes énoncés dans la grande
édition de Palestrina ne reposent sur aucun fondement
sérieux. Mais, indépendamment de cette question de fait, il
y a une question d'appréciation que je ne puis laisser passer
non plus sans protester.
M. Haberl dit d'abord que les vingt-sept Répons sont une
imitation tout à fait fausse du style de Palestrina; plus loin,
il ajoute que le style indique un bon maître de l'école ro-
maine du commencement du XVII' siècle. Merci bien d'avoir
concédé que l'auteur est un bon maître; mais lequel? Les
bons maîtres romains du commencement du XVII» siècle ne
sont pas si nombreux que le style des Répons ne puisse, dans
ce cas, être identifié avec celui de l'un d'eux. J'attends la
solution avec patience ; mais d'abord j'oserai moi-même
proposer une autre identification: celle du style des Répons
avec celui de toutes les autres œuvres de Palestrina, tout
simplement. En effet, il n'est pas un seul détail de ces com-
positions qui, au point de vue de la forme, ne soit du Pales-
trina tout pur. Pour le degré d'avancement de la langue mu-
sicale, nous en sommes, de part et d'autre, exactement au
même point; certaines formules familières au maître, et qu'il
serait facile d'indiquer en détail, se trouvent dans les Répons ;
les versets intermédiaires de ces derniers, avec leurs harmo-
nies primitives et leurs sonorités aiguës qui ont fait songer
souvent à des passages de Lohemjria ou de Farslfal, ont des
équivalents très caractérisés dans plusieurs Bcnedictus de ses
Messes et dans bien d'autres endroits de ses œuvres. Enfin, la
tenue générale est absolument celle de tout Palestrina.
Un seul détail m'a arrêté un instant. Quelques-uns de ces
Répons, ceux notamment du dernier jour (matines du samedi
saint, célébrées le vendredi soir), renferment des passages
chromatiques dont l'usage se multiplia beaucoup après la
mort de Palestrina (par exemple dans l'école vénitienne du
commencement du XVII" siècle : les citations musicales du
livre de Winterfeld: Jean Gabrieli et son temps, sont très inté-
ressantes à ce point de vue), mais qui sont rares dans son
œuvre même. Cependant, en l'étudiant de près, l'on peut cons-
tater que, bien que peu fréquentes, des combinaisons de ce
genre ne sont pas inconnues dans l'œuvre de Palestrina. Dès son
époque, l'on connaissait bien le caractère expressif du genre
chromatique, et c'est toujours sur des paroles ayant une
signification douloureuse que nous le voyons employé. Ses
Lamentations, dont l'authenticité ne fut jamais contestée, en
renferment plusieurs exemples, sur des mots tels que dolor,
gemens, lacrijmœ, etc. De même, dans les Répons, les harmonies
chromatiques servent à commenter des phrases telles que :
Plangc, plange quasi virgo (Pleure, pleure comme une jeune
fille), — Induere cinere et cilicio (Couvre-toi de cendre et d'un
cilice); l'intention expressive y est évidente. Donc, loin de
considérer ces particularités comme portant atteinte à l'au-
thenticité de l'œuvre, nous en trouvons là une nouvelle con-
firmation, et ne pouvons que nous féliciter qu'il nous ait été
permis de connaître ainsi un nouvel exemple d'un style déjà
pratiqué ailleurs par Palestrina, mais qui n'en était pas moins
resté une rareté.
Enfin, indépendamment de ces considérations de forme
extérieure, il en est une autre qui m'eût paru sufBre, à elle
seule, pour établir l'authenticité : c'est que l'inspiration
même de ces chants est absolument, constamment, exclusi-
vement celle de Palestrina, et non autre. Je les écoulais
encore l'autre semaine à Saint-Gervais, et, devenu de plus en
plus familier avec leurs formes, j'admirais combien la nature
du génie du maître romain y est fidèlement exprimée : cette
impression était d'autant plus précise qu'à côté des Répons
de Palestrina se trouvaient ceux de Vittoria, d'une forme
semblable, mais d'une inspiration combien différente! Les
deux musiciens, l'Italien et l'Espagnol, s'y montrent respecti-
vement avec une sincérité singulière: l'un contemplatif, l'autre
passionné; l'un aimant les tons clairs, l'autre presque toujours
sombre; tous deux exprimant la même foi, mais Palestrina
avec une confiance candide, Vittoria avec une ardeur farouche
et un vague sentiment de crainte; le premier ayant des
visions de Paradis, l'autre songeant surtout aux peines de
l'Enfer... Si les Répons attribués à Palestrina n'étaient pas
de lui, croit-on donc qu'auprès de ceux de Vittoria ils sou-
tiendraient la comparaison?
Il m'a paru nécessaire de présenter ces observations, fût-ce
en y mettant quelque insistance. A cette heure où la musique
du XVI" siècle est recherchée et étudiée avec plus de soin
qu'elle ne le fut jamais, il serait fâcheux que des idées fausses
fussent introduites sous le couvert d'une problématique
érudition : j'ai cru que le mieux serait d'y couper court sans
plus tarder, afin de permettre à la vérité, trop souvent
altérée soit par de fausses légendes, soit par d'insuffisantes
observations, de se manifester clairement, librement et
sans obstacles.
Julien Tiersot.
P. -S. — Par une coïncidence, que je ne qualifierai pas de
singulière (bien que ce soit l'épithète consacrée), puisqu'elle
a pour cause commune les auditions de la Semaine sainte ù
Saini.-Gervais, au moment même où paraissait mon dernier
article, notre savante et distinguée confrère qui signe Michel
Brenet en publiait un, sur le même sujet, dans un autre
périodique musical. Elle raillait d'abord les maîtres de cha-
pelle allemands, qui, habitués à faire entendre et admirer
LE MENESTREL
d23
depuis longtemps les Répons de Palestrina, les ont subitement
effacés de leur répertoire du jour où des doutes furent émis
sur leur authenticité : n'étant plus signés Palestrina, ils ces-
saient tout aussitôt, naturellement, d'avoir la moindre valeur I
Néanmoins, M"'= Brenet s'en tient aux conclusions de
M. Haberl. Elle définit spirituellement le rôle de la critique
érudite en disant : « Dans l'ancien temps de la chrétienté,
chaque corporation se choisissait un patron approprié :
n'oublions pas que le vrai patron des érudits, c'est le dis-
ciple qui avait besoin, pour croire, de loucher les plaies de
Jésus : c'est saint Thomas. » Voilà qui est bien, et j'accepte
volontiers saint Thomas pour mon patron , il y a même beau
temps que j'ai brûlé mon premier cierge sur son autel !
Cependant, lorsque saint Thomas eut mis le doigt sur les
plaies du Crucifié, il dut se déclarer suffisamment convaincu :
sans cela n'aurait-il pas cessé d'être Saint? Et j'estime,
d'autre part, qu'il est souvent nécessaire de jouer les saint
Thomas vis-à-vis des négateurs eux-mêmes. L'ayant fait dans
le cas présent, et m'étant trouvé seul à ne pas accueillir les
observations de M. Haberl comme parole d'Evangile, j'ai, je
crois, apporté au débat un certain nombre d'éléments nou-
veaux qui en pourraient bien changer le résultat.
M"° Brenet en ajoute un qui ne m'était pas connu : l'abbé
Sautini avait une copie des Répons de Palestrina dans sa
célèbre collection de musique ancienne. Cela fait une de plus.
Ce docte abbé ne doutait pas de leur authenticité : il est vrai
que son contemporain Baini était d'un avis contraire ; mais
la seule raison de son scepticisme était que la découverte
avait été faite par un autre que lui; et l'on sait que, pour
les chercheurs, il n'y a jamais de bon que ce qu'ils ont
déniché eux-mêmes, tandis que ce que les autres ont trouvé
ne vaut jamais rien du tout!
Je ne puis, par conséquent, souscrire aux conclusions der-
nières de M"" Brenet. Constatant que, pour établir l'authenticité
des Répons, on s'est basé surtout, jusqu'ici, sur des « rai-
sons esthétiques » telles que l'appréciation que « Palestrina,
seul, a pu écrire des œuvres d'une telle splendeur », elle
ajoute : « Il y a, au Musée du Louvre, certaines toiles ano-
nymes qui ne cèdent en rien aux tableaux des plus grands
maîtres, quoique le public, peut-être, son livret en main,
s'extasie avec plus de foi devant les œuvres signées. » L'assi-
milation des Répons avec les anonymes du Musée ne me
parait aucunement justifiée. Ce qui nous frappe dans les
Répons, ce n'est pas seulement, en effet, leur beauté intrin-
sèque : c'est que cette beauté est précisément celle de
Palestrina. Les gens experts à la technique de la peinture
savent attribuer tel tableau à tel artiste par la simple étude
des procédés. Pourquoi n'en serait-il pas de même en
musique? Pour moi, ma conviction est faite, et, pour cette
dernière raison plus encore que pour celles que j'ai précé-
demment développées, je me refuse absolument à laisser
mettre en regard des Répons de Palestrina le « point d'in-
terrogation » demandé par M"" Michel Brenet. J. T.
SEMAINE THÉÂTRALE
Théâtre-Lyrique de la Galerie-Vivienne : L'Epreuve villageoise, de Grétry.
Le petit théâtre "Vivienne, qui continue ses recherches fructueuses
dans notre ancien répertoire lyrique, vient de nous rendre ce petit
drame musical exquis qui a nom l'Épreuve villageoise et qui est bien
l'une des choses les plus délicieuses qu'on puisse entendre. L'Épreuve
nous montre le parti que des auteurs intelligents et avisés peuvent
tirer même d'une pièce mal venue et qui a subi les rigueurs du pu-
blic, car elle n'est que la transformation d'un ouvrage plus impor-
tant, TModore et Paulin, dont la première représentation, donnée le
18 mars 1784, n'avait pas eu de lendemain, par suite de l'accueil que
lui avaient fait les spectateurs. Grélry le raconte lui-même dans
ses Mémoires: — « Ce petit ouvrage, dit-il, doit son existence à la
chute complète d'un plus grand ouvrage, intitulé Théodore el Paulin,
en trois actes et à double intrigue. J'avais remarqué, à la première
et dernière représentation de cette pièce, que l'ennui et le plaisir se
peignaient alternativement sur la physionomie des spectateurs;
l'ennui était toujours causé par les acteurs nobles, et les paysans
ramenaient chaque fois la gaîté. Je partageai tellement les senti-
ments du public que, malgré les sollicitations des comédiens, je re-
fusai une seconde représentation qui aurait produit le même effet. Je
proposai à l'auteur des paroles (c'était Desforges) un plan qui excluait
les personnages nobles : il l'adopta, et fit de T/iéodore et Paulin une
pièce en deux actes, sous le titre de l'Épreuve villageoise. » Un acte
supprimé, plusieurs personnages retranchés, les deux amoureux
échangeant leurs noms de Théodore et Paulin contre ceux de Denise
et d'André, peu d'action, mais une pièce rapide, écrite en vers libres
et gentiment tournés, une musique légère et charmante, et l'on eut
une paysannerie aimable et d'une grâce exquise, dont le succès fut
éclatant et récompensa les auteurs de leur peine. Ainsi jouée le
24 juin 1784, l'Épreuve villageoise avait pour principaux interprètes
M"= Adeline, Trial et Meunier.
Que de morceaux seraient à citer dans ce petit chef-d'œuvre! la
gentille ariette de Denise : J'n'avions pas encor quatorze ans, l'air
devenu si célèbre de La France : Adieu Marton, adieu Lisette, le finale
amusant du premier acte : Il a déchiré mon billet, dans lequel Grétry
a eu la prétenlion d'écrire une fugue, le duo des amoureux, tout cela
est charmant et d'une na'ivelé pleine de grâce. Grétry ne cherchait
pas la petite bête et n'avait point la prétention de révolutionner l'art,
bien qu'on fût à l'époque des grands efforls de Gluck; mais il avait
de l'inspiration et le sentiment de la scène, et cela lui suiïisait pour
entraîner le public, toujours prêt à suivre ceux qui l'amusent, ou le
charment, ou l'émeuvent. Ah! que nous aurions grand besoin d'un
Grétry en ce moment, d'un Grétry moderne, qui serait de son temps
tout en ayant la volonté d'être lui-même 1
Ce qui est certain, c'est que le public était enchanté, l'autre soir,
à l'audition de cette musique si fraîche, si franche et si personnelle.
C'est qu'une mélodie sincère, un rythme bien accusé, une tonalilé
précise, sont choses si rares à l'heure présente que la joie est grande
lorsqu'on les trouve réunis pour le plus grand plaisir de l'oreille, qui
ne sait plus où se prendre avec les combinaisons, les prétentions et
les ambitions actuelles. L'Épreuve villageoise est d'ailleurs très gen-
timent jouée et chantée, à la Galerie Vivienne, par M"'" JaneValentin
(Denise) et Barbary (M™ Hubert), MM. Biard (André) et Delbos
(La France). Une observation toutefois : tous ces jeunes gens parlent
trop vite, et les mouvements de la musique sont aussi trop précipités.
Il semble qu'on ait peur de ne jamais arriver assez lot à la fin. Il
faut que tout cola se tasse et se mesure d'une façon plus naturelle.
Un compliment, en passant, au décorateur, qui, sur cette petite scène
si étroite, a su placer un décor absolument délicieux.
La soirée commençait par un petit acte inédit, le Vieux Sorcier,
paroles de M. Bertol-Graivil, musique de M. Desgranges.
Arthur Polgin.
RENAISSANCE. La Meute, pièce en 4 actes, de M. Abel îlermant. — Théâtre
DES Poètes. Le Grand Galeoto, drame en 3 actes et 1 prologue, de M. José
Echegaray, traduction de MM. J. Lemaire et J. Schurmann. — Bouffes-
Partsiens. Le Petit Moujik, opérette en 3 actes, de M. Pierre Newsky et
Jean Léry, musique de M. Georges flaakmann.
Arrivant si tard, presque après tout le monde, que dire de la très
curieuse et très inégale pièce que M. Abel Hermant a fait représenter
la semaine dernière à la Renaissance? Depuis plus de huit jours, les
quotidiens ont, chaque matin leurarticle spécial, et l'on sait l'incident
regrettable, fort heureusement terminé, qu'a fait naître la Meute et
encore le genre de sport tout nouveau qu'ont mis à la mode quelques
clubmen, sans doute fort .spirituels, et qui consiste à aller faire du
bruit à la scène, désormais célèbre, dite « des domestiques ». De
cela il n'y a qu'à rire, car, très franchement, il n'y a rien là de bien
subversif et le passage visé est, au contraire, l'un des mieux venus
de l'ouvrage. Il est à croire, même, qu'auteur et directeur, qui sont
gens d'esprit, se frottent les mains en songeant à ces anodines petites
protestations qui, somme toute, sont la plus belle réclama que l'on
puisse trouver.
La Meute est l'histoire du parvenu colossalement riche sur lequel
s'abattent les innombrables oiseaux de proie, depuis le gentilhomme
pauvre et sans scrupule, jusqu'à l'inavouable courtière et jusqu'au
cynique filou. On a voulu voir dans le pauvre diable, inquiet et mé-
fiant, mais incapable de se défendre contre la bande vorace, et, dans
quelques types de celte bande, des poriraits contemporains. L'auteur,
on le sait, s'en est défendu; comme il est galant homme, on le doit
I croire sur parole. Il n'en est pas moins vrai que le tout est construit
124
LE MENESTREL
sur une documentation très précise, et c'est celte documentation, ave c
un style parfait, qui est la qualité dominante de l'œuvre.
Débutant au théâtre, M. Abel Uerinant ne s'est point exactement
rendu compte du danger qu'il y a à vouloir faire entrer trop de choses
en quatre actes. Son intrigue étant toute légère et fort simple, il a
cru la corser en l'enserrant d'épisodes nombreux, mais trop souvent
inutiles. D'où une certaine complication, que l'on regrette d'autant
plus que plusieurs scènes sont exquises, sobrement et merveilleuse-
ment conduites.
La Meute, qui nécessite une très nombreuse interprétation, est fort
diversement jouée. Eu toute première ligne il faut nommer M. Guitry
et associer, à son grand succès personnel, MM. Dieudonné, Brémont,
Clerget, Hurteaux, Depas, M"'= Gerny, Arehamhaud, Gerfau t et
M. Caron. Comme toujours à la Renaissance, la mise en scène est
délicieuse.
Comme dernier spectacle, le Théâtre des Poètes a donné, dans la
salle de la Comédie-Parisienne, la traduction, due à MM. J. Lemaire
et J. Schurmann, d'une pièce espagnole de M. José Echegaray, le
doyen des auteurs dramatiques espagnols, et qui, par delà les
Pyrénées, occupe une place justement prépondé^'ante.
Le Grand Galeoto, dont la forme, la conduite et l'esprit ne sont point
sans de très grandes analogies avec notre théâtre contemporain,
principalement celui des Augier et des Dumas, développe ingénieu-
sement cette idée que la rumeur publique, l'opinion irraisonnée de
la foule peut suffire à pousser au mal des êtres foncièrement hon-
nêtes. De développements rationnels, d'enchaînement serré, sinon
toujours d'une entière clarté, le drame marche droit au but et logique-
ment se résont en une scène qui est fort belle et de très grand effet.
Pour ces sortes de représentations éphémères, il est fort difficile de
réunir des interprètes d'égale valeur. Aussi faut-il tenir compte au
directeur du théâtre des Poètes, M. Ch. Léger, des efforts tentés, et
complimenter M'" Marsa de la chaleur dont elle fait montre.
MM. Thorsigny et Godeau ne sont point sans qualités.
M. Grisier, le directeur des Bouffes-Parisiens, qui ne se veut pas
contenter, ce dont il faut le féliciter, des réputations faites, vient de
monter une opérette de MM. Pierre Newski et Jean Léry, dont la
musique est d'un nouveau venu au théâtre, M. Georges Haakraann.
L'évidente préoccupation de M. Haakmann est de prendre la suc-
cession, toujours vacante, d'Hervé et d'Offenbach. Si, par moments,
il souffle doucettement dans ses pipeaux légers, à la manière des
Audran et des Lecocq, ses préférences semblent le porter vers les
rythmes détraqués et les nasillardements mirlitonnesques. C'est là,
d'ailleurs, pour ses débuts, qu'il a trouvé les meilleures pages de sa
partition, tels le chœur des mirlitons au premier acte et le terzetto
bouffe du troisième, « Pardieu, mes amis ». Le public a paru prendre
plaisir h d'autres numéros, qu'on a bissés ; il faut croire que le public
était aise de retrouver là de bonnes et vieilles connaissances.
A la pièce de MM. Newsky et Lévy, on peut, comme à la musique
de M. Haakmann, reprocher le manque d'originalité. Un premier
acte assez amusant, avec sa pittoresque mise eu scène, laissait pro-
mettre plus de fantaisie. Faut-il vous dire que le Pelit Moujik vient
à Paris pour retrouver son papa; qu'il est recueilli, défaillant, par
une petite bouquetière qui, en l'aidant dans ses recherches, retrouve
aussi son papa à elle? Tout cela finit par un bon mariage... et vive
l'alliance franco-russe !
Beaucoup de noms nouveaux sur l'affiche des Bouffes. M"' Des-
clauzas, d'abord, la joie débordante de la soirée, puis M'"= Lambrecht,
gentille et gentiment chantante, bien que son rôle soit écrit terri-
blement haut, M'"^ Lili Verne, fort agréable, et M"' de Merengo,
toute brune. M. Picoaluga, roucoulant à souhait, MM. Taufl'enberger,
Bartel (en Emile Zola) et Dupré demeurent les bons piliers de la
maison. Paul-Émili; Chevalier.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONS MILITAIRES
Le soldai français esl ne ditellanle. — L^art de construire et de démolir en musique . —
Oreilles du barbares. — La viort mystérieuse du capitaine Wlirigt. — Pontons anglais .
— Les marionnettes de Prince royal. — Théâtre et orchestre excentriques de San-Carlos .
— Au fond d'un puits. — Le sauvetage d'une flûte. — La Russie hospitalière. — L'h^lct
des Haricots et ses habitués. — Valseset quadrilles.
Nul n'est peut-être plus sensible au charme consolateur de la mu-
sique que le soldat prisonnier. L'impression qu'il en reçoit est vrai-
semblablement l'écho lointain de ses souvenirs de guerre. Loin du
champ de bataille, il croit entendre encore les refrains joyeux qui
faisaient oublier les longueurs de l'étape ou les marches entraînantes
qui le menaient à la victoire. De telles illusions n'ont rien que d'ho-
norable et de glorieux. Le soldat, trahi par la fortune, marche la tête
haute ; el si quelque note attendrie voile l'éclat de ses mâles accents,
c'est qu'il donne un regret aux amis disparus, à la fiancée qu'il laissa
au village, à la patrie qu'il ne verra peut-être plus.
Nous retrouvons ce double sentiment à toutes les époques de l'his-
toire. Plutarque le signale chez le fameux musicien Isménias, qui ap-
partenait à l'armée d'Alexandre et que ce prince employa un jour
à la démolition des murs de Thèbes. La mythologie nous apprend
qu'Amphion avait bâti cette ville au son de sa lyre : les pierres
allaient se placer d'elles-mêmes sur les remparts. La loi des contrastes
voulait apparemment qu'elles partissent comme elles étaient venues.
Il est vrai qu'elle y furent singulièrement aidées par les ouvriers
chargés de détruire les murs de Thèbes. Cette rude et ingrate be-
sogne devenait sans doute un plaisir, quand Isménias jouait de la
flûte.
Or, cet incomparable virtuose fut pris un jour dans un combat avec
les Scythes. Conduit devant Athias, le roi de ce peuple guerrier,
Isménias fut invité par lui à jouer de la flûte. Les airs qu'il exécuta
étaient si émouvants que les officiers du prince ne pouvaient retenir
leurs larmes ; mais Athias, moins sensible encore que les pierres de
Thèbes, déclara qu'il préférait à cette touchante harmonie les hen-
nissements de son cheval.
De vieux chroniqueurs attribuent le même propos brutal au roi des
Huns, Attila, devant qui des captives gauloises jouaient de la lyre.
L'épopée napoléonienne est féconde en épisodes, d'authenticité
moins discutable, confirmant notre thèse que les impressions musi-
cales, chez le soldat prisonnier, sont quelquefois mélancoliques, mais
plus souvent gaies et bruyantes.
— Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! disaient nos pères à
Fontenoy. Nous ferons également à l'ennemi séculaire les honneurs
de notre travail en lui empruntant notre première démonstration.
Le capitaine Whrigt, qui, pendant les guerres de la République et
du Consulat, avait fait beaucoup de mal à la marine française, finit
cependant par tomber entre nos mains et fut enfermé au Temple. Il y
mourut subitement dans la nuit du 20 octobre 1805, et sa fin est restée
un mystère. Des journaux prétendirent qu'il s'était suicidé : version
absolument invraisemblable, car, la veille de sa mort, il avait com-
posé et fredonné des couplets oîi il célébrait notre désastre de Tra-
falgar, qui venait contre-baiancer notre victoire d'Ulm.
Bien mieux, à une heure assez avancée de la nuit, ses voisins
l'avaient entcndujouer de la flûte, son instrument favori.
Une enquête sérieuse établit, contradietoirement aux assertions de"
la diplomatie anglaise, que "Wright avait été traité au Temple avec
la courtoisie et la générosité dont la France usa toujours envers ses
prisonniers de guerre.
Par contre, il faut reconnaître que, pendant nos vingt années de
luttes avec la Grande-Bretagne, celle-ci ne nous paya guère de
retour. Mes Pontons de Robert Garneray, et d'autres témoignages
contemporains, qui n'ont jamais été infirmés, disent avec quelle
rigueur les prisonniers français étaient traités en Angleterre. Et
cependant, nos soldats, qu'ils appartinssent à la flotte ou à l'armée
de terre, ne perdaient rien de leur gaîté native. Ils s'ingéniaient,
au milieu des tracasseries ou des humiliations dont les abreuvait un
ennemi ombrageux, à se créer des distractions musicales et drama-
tiques.
Le « Coup d'œil rapide sur les Pontons par M. Mesonant, lieutenant
au 4S"'° régiment d'infanterie de ligne » nous apprend comment
s'exerçait le dilettantisme de nos Français « à bord de la prison flot-
tante Prince-Royal, sur la rivière Medway, près de Chatam ».
Quelquefois, le dimanche, quand il fait beau temps, on monte sur le
gaillard d'avant des marionnettes d'un travail achevé et qui, pour quelques
pence, divertissent la canaille anglaise du bord, faite pour gober avec
beaucoup de dévotion de pareils spectacles, tout aussi spirituels qu'il en
faut à John Bull. On s'amuse aussi à la danse et il se forme souvent des
quadrilles et des contredanses très bien e.xécutées. Les cornettes y sup-
pléent parfois au manque de femmes, et l'orchestre se compose de musi-
ciens amateurs qui ne manquent pas parmi les prisonniers.
... Il est inutile de faire une description de ces théâtres éphémères;
connaissant les pontons comme je viens de les décrire, on pourra aisé-
ment s'en faire une idée : le zèle supplée au talent et le besoin enfante
des génies. A bord du Pritice-Roijal, où j'ai été, il se trouvait un homme
qui pourrait en servir d'exemple. Molière était admiré parce qu'il était à
la fois auteur et acteur I Que dirons-nous donc de M. Ilervieux,- qui ajoute à
ces deux lalenls celui de décorateur, dans lequel il e.\celle particulièrement.
LE MÉNESTREL
128
En Espagne — c'était peut-être le climat et le milieu qui le vou-
laient — les prisonniers français étaient encore plus démonstratifs. Ce
n'est pas que les premières heures de la captivité ne fassent marquées
au coin d'un douloureux découragement. Les Aventures d'un marin
de la Garde Impériale, publiées en 1833, nous donnent une impression
assez vive de cet affaissement dont notre race est trop facilement cou-
tumière. Les premiers prisonniers français avaient été internés, en
1808, sur des pontons, près de l'île de Léon :
Les ofQciers s'étaient réservé des musiciens qui leur donnaient des
concerts dont l'harmonie, par les douces impressions qu'elle produisait,
charmait pour un moment les ennuis de la captivité. Las soldats n'en-
tendaient jamais que le monotone bruit des Ilots, les sons rauques et
lugubres des porte-voix, quand d'un ponton à l'autre les sentinelles se
répondaient pour prouver leur vigilance, ou les cris de leurs camarades
agonisants: c'était là toute leur musique... Les trompettes, les tambours
étaient taciturnes... Il n'y avait plus de farceurs, plus de grosse plaisan-
teries; il n'y avait plus de récits d'aventures ; personne ne soufflait mot
de ses bonnes lortunes vraies ou fausses, avec la sœur, la femme ou la
fille de quelque hidalgo ; encore moins répétait-on en chœur le refrain alors
si en vogue de la Chanson de Roland.
La torpeur de ces braves se dissipa, lorsqu'ils furent transférés
quelque temps après de l'ile de Léon dans la prison de San-Carlos.
Ils aménagèrent leur nouvelle demeure en salles d'escrime, de boxe,
de danse et de spectacle. Leur répertoire dramatique comprenait,
entre autres chefs-d'œuvre, les Ombres chinoises avec le Magicien
Rothomago et la Tentation de saint Antoine ; les Fantoccini avec Poli-
chinelle devant l'Inquisition et le Maniaque supposé ou le Déluge universel
« hydrolico-tragi-comédie-parade », compliquée de « tableaux, aven-
tures et changements de décors à vue. »
L'orchestre, composé d'instraments bizarres, dont le souvenir a
peut-être présidé à la formation de la fameuse fanfare de Moncra-
beau, avait, parait-il, la spécialité des harmonies les plus inco-
hérentes, mélanges de rythmes lugubres ou facétieux, que scandaient
dans les coulisses des chants d'ivrogne et tous les bruits des caba-
rets en effervescence. La toile se levait sur la rixe d'une guinguette
parisienne, sur le hourvari d'une fêle foraine et sur l'exhibition d'une
ménagerie : dans les lointains se dressaient les moulins de Mont-
martre, et la représentation se terminait par une scène de Puppi
napolitains.
Les prisonniers de Cabrera eurent aussi leur théâtre, qu'ils avaient
installé dans le fond d'une citerne abandonnée et auquel ils don-
nèrent, pour cette raison, le nom ronflant à.'il Teatro délia Cisterna
(le Théâtre de la Citerne).
Mais, pour un Français, ces distractions, si plaisantes qu'elle puis-
sent être, ne sauraient faire oublier la patrie absente ; le désir de la
revoir entretient dans chaque cœnr l'espoir secret d'une prompte
évasion ; et combien de nos soldats prisonniers en réalisèrent le projet,
au péril même de leur vie !
Un article de la déplorable capitulation de Baylen stipulait que les
officiers et les soldats livrés à l'ennemi par le général Dupont se-
raient rendus à la France dans l'espace de trois mois. A.u mépris de
celte clause, ils furent internés sur le ponton de la Vieille Castille,
dans la baie de Cadix. Tous jurèrent de s'évader. La première tenta-
tive eut lieu le 22 février 1810, et fut accompagné de circonstances
dramatiques dont la Nouvelle Revue rétrospective a publié lerécitd'après
une relation contemporaine restée jusqu'alors inédite.
Un des épisodes de cette évasion se rattache trop directement à
notre sujet pour que nous ne le citions pas textuellement. Un des
fugitilifs était resté accroché à la chaloupe qui avait débarqué en
terre française les prisonniers poursuivis par des vaisseaux anglais
et espagnols :
Les compagnons fuyaient : un d'entre eux, mélomane, M. Savournin,
commissaire de marine, qui n'avait sauvé que sa flûte, s'arrêta pour s'as-
surer s'il n'en avait point perdu quelque pièce. Il s'aperçoit qu'il lui en
manque une: il retourne promptement sur ses pas, arrive à la chaloupe,
voit son compagnon suspendu, le décroche avec beaucoup de peine, puis,
sans s'en embarrasser davantage, va chercher son corps de flûte aussi
soigneusement que si c'eût été dans une chambre fermée, uoiqu'on ne dis-
continuât pas de tirer sur lui. Enfin il le retrouve, et dans le transport de
sa joie, il s'écrie : 0 ma flûte, ma vie t'était consacrée !
Nos prisonniers ne passaient pas toujours par d'aussi pénibles
épreuves. La Russie leur fut plus hospitalière que toute autre nation,
bien que la campagne désastreuse de 1812 eût exaspéré les habitants
contre les envahisseurs. Le baron Pouget, qui fut interné à Saint-
Pétersbourg jusqu'en 1813, raconte, dans les Mémoires dont nous
devons la publication à sa fille. M""» de Boisdefîre, que son séjour
dans la capitale des czars fut pour lui une suite de plaisirs et d'en-
chantements. Le baron Pouget était grand amateur de musique. Il
fut invité aux dîners et aux soirées musicales que donnaient le vio-
loniste Lafont et sa femme, il assista aux concerts des trois dames
harpistes, les sœurs Dumonleil, Gondran et Gabriel, et aux punchs
de Field, le célèbre pianiste anglais.
La France recevait alors le coup de grâce à la bataille de Leipzig.
Paulo minora canamus
Une prison militaire qui entendit bien des chants, à vrai dire
plus joyeux que tristes, et qui vil passer des légions d'artistes, de
peintres, de musiciens, de gens de lettres, en un mot toutes les
célébrités parisiennes, ce fut assurément ce fameux Hôtel de Razan-
eourt, maison de détention de la garde nationale, immortalisée par
l'histoire et par la légende sous le nom plus connu d'Hôtel des
Haricots. Il n'en reste plus aujourd'hui qu'un souvenir unique, le
livre que lui consacra, lors de sa démolition, Albert de Lasalle.
L'intelligent publiciste recueillit, du mieux qu'il put, sous forme
d'épigrammes, de chansons et de dessins, tous les éléments d'un
musée lapidaire, sur ces murs condamnés... comme ceux dont ils
avaient conservé les folles élucubralions. C'est ainsi que l'Hôtel
des Haricots nous fait connaili-e la valse à'el Sospiro — un nom bien
approprié — et la chanson des Rats.
Le comédien Grassot, emprisonné, en 1849, pour s'être refusé à
monter sa garde, illustra les murs de son « noir cachot », d'un
autographe qu'il appelait l'Hymne à la Garde Nationale. Il la chantait
de cette voix restée célèbre dans les fastes du Palais-Royal, et
pour ne pas abuser de la patience du lecteur, nous n'emprunterons
à cette étonnante poésie que l'extrait suivant :
Vive à jamais la garde nationale.
Arc-en-ciel de nos libertés I
Si n'fait pas de bien, y n'fait pas de mal.
Voilà pourquoi qu'il a mon amitié.
S'il faut qu'y s'présente une émeute.
Bien loin que son grand cœur s'émeuve,
Prend son fourniment
Son fusil r'iuisant.
Quitte sa femme, son comptoir et même ses enfants.
S'il pleut hé ben y s'mouille
Faisant sa patrouille.
Paris n'avait pas seul le privilège d'un Hôtel des Haricots. La pro-
vince avait également les siens, ou tout au. moins Rouen, comme
nous l'apprennent, dans la Revue bleue (novembre 1894), les spirituels
Souvenirs milieu de siècle de M. Levallois.
Le père de l'auteur, coupable, avec tant d'autres Français, de
n'avoir jamais pris au sérieux l'institution qui fit la gloire de Joseph
Prudhomme, gémissait sur la paille humide des cachots, à l'Hôtel
des Haricots. Toutefois, sa détention n'était pas trop pénible, puisqu'il
pouvait recevoir dans sa cellule la visite de sa femme et de quelques
amis. Un jour. M""" Levallois, avisant dans un coin de la pièce
un piano, organisa aussitôt un quadrille.
Un détenu, qui occupait l'appartement au-dessous, se plaignit du
tapage.
Un gardien s'empressa de transmettre an danseur l'observation
du prisonnier.
— Faites-le monter, dit M. Levallois.
Et bientôt le quadrille comptait un cavalier de plus.
(A suivre.) Paul d'Estbée.
LE MONUMENT DE M""' CARVALHO
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126
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20 fr, ; M. et M""= Marcel Lermoyez : 20 fr. ; M. Armonville : 50 fr. ,
M"" Abeille : 1.003 fr. ; M. et M'"' Hoskier : 100 fr. ; M"= Eugéuie De-
beuré : 2 fr. ; M. Jules Barbier : 100 fr. ; une vieille amie de M™* Car-
valho : 100 fr. ; M'"" Louis Lyon : 40 fr. ; M""* Henri Jonas : 20 fr. ;
M"" Henry Schlésinger : 20 fr. : M. et M">= Paul Berliner : 20 fr.;
M. Victorin Joncières : .30 fr. ; M. et M"'= Beaumé : 50 fr. ; M. Berlin :
20 fr. ; M. et M"" Maurice Gallet : 50 fr. ; M'" Emma Calvé : 500 fr. ;
M. le Juge de Segrais : 50 fr. ; M. et M°"'Eug. Roland-Gosselin : 50 fr.;
une admiratrice de U"" Carvalho : 50 fr. ; MM. et M'"" les artistes
des chœurs de rOpéra-Comique: 26 fr. 15 e. ; M. Georges Vincent:
10 fr. : M'"" X' Alexandre Dumas : 200 fr. ; MM. les membres du
comité de l'association des artistes dramatiques : 100 fr. ; M. Félix
Berne-Bellecour : 20 fr. ; M. Hermann Léon: 40 fr. ; M. du Locle :
50 fr. ; M. Nuilter : 50 fr. ; M">= Pigny : 100 fr. ; M°>« H. Mayrargues :
40 fr. ; M"" Bizet-Straus : 200 fr. : M^^VanMechelen, Louvain: 100 fr.;
M. Dufour, notaire : 100 fr. ; M""' la comtesse Greflfulhe : 100 fr. ;
marquis d'Ivry; 23 fr. ; géuéral Rousseau : 20 fr. ;M'°" J.-P. Normand:
500 fr. ; E. J. Normand : 100 fr. ; M""= d'O. : 50 fr. ; M°'= Robert : 100 fr.;
M'"« Maurice Lépine : 100 fr. ; M. Hect. Salomon : 20 fr. ; M. Léon
Dorville: 20 fr. ; M. Anatole Renard: 10 fr. ; M. Eug. Monteaux :
20 fr. ; M. Eug. Gaillard : 50 fr. ; M. et M^^ Ed. Desfossés : 20 fr. ;
M""^^ Boudin, Bruxelles : 30 fr. ; colonel Plet : 20 fr. ; Conseil municipal
de Paris: 500 fr. ; M. Ch. Ephrussi : 100 fr. ; M. et M'"" E. Laurent :
200 fr. : M""' Clamageran-Herold : 40 fr. ; M'™ F. Herold : 25 fr. ;
M. et M"" Alb. Cahen : 200 fr. ; vicomte et vicomtesse de la Redoite :
200 fr. ; M. Gaultier-Passerat : 50 fr. ; M'"'' Adeline Rebrey : 20 fr. ;
M. Gaston Dreyfus : 50 fr. ; M. et M'"'' Ad. Béer : 100 fr. ; M°"= Bery, de
l'Odéon : 20 fr. ; W" Alexandre : 20 fr. ; M'"« V« H. Chevalier : 20 fr. ;
M. Dettelbaeh : 100 fr. ; M"« Sibyll Sanderson : 200 fr. ; M. et M"" Bel-
laigue : 20 fr. ; M. J. Faure, de l'Opéra : 50 fr. ; M. André Boucard :
50 fr. ; M"» Jules Luisel: 25 fr. ; M. de Blowitz : 20 fr. ; M'« Henri
Michel : 30 fr. ; M. Steenakers, ancien député : 10 fr. ; M""' Marie Roze :
20 fr. ; M. Guvillier : 2o fr. ; M. de Forges : 10 fr. ; M""" V" Ambroise
Thomas : 200 francs. — Total : 15.503 Ir. 13.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Le nouvel opéra de M. Umberto Giordano, Andréa Chenii-r, a décidé-
ment obtenu à la Scala un succès absolument exceptionnel. Le théâtre ne
désemplit pas, et chaque soir la foule s'y presse avec une ardeur depuis
longtemps inconnue. Il y a longtemps, dit le Trovaloiv, que le cas s'était
présenté, où l'on ne pouvait, à prix d'or, trouver une place au théâtre,
comme cela se produit à toutes les représentations d'Andréa Chenier. Le
Secolo illustralo donne, de son côté, une biographie très détaillée du jeune
et fortuné compositeur, et il annonce que devant le succès du nouvel
opéra M. Sonzogno a commandé à ses auteurs, MM. Luigi lUica et Um-
berto Giordano, deux autres ouvrages importants. L'interprétation à' Andréa
Cliijnier, confiée à M'^-^" Carrera, Rogers et à MM. Borgatti et Sanmarco,
pour les rôles principaux, réunit également tous les sull'rages.
— Voici un opéra d'un compositeur italien qui a mis quelque temps à
s'acclimater dans la patrie de l'auteur. C'est du Maître de chapelle, de Paër,
que nous voulons parler. Représenté à l'Opéra-Comique le 21 mars 1829,
il y a soixante-quinze ans, cet ouvrage a été joué pour la première fois en
italien cette année, à Milan, où la partition va en être publiée incessamment.
— On lit dans la Gazzetia m iisicale de Milan : « A l'Exposition Eucharis-
tique de Milan une excellente impression a été produite par certains tubes
métalliques con.'itruits en Angleterre et qui sont destinés à remplacer les
cloches. Aujourd'hui très perfectionnés, ces tubes se construisent de toutes
les dimensions et dans tous les tons, de sorte qu'on a une échelle très éten-
due. A l'excellence du son, qui rivalise avec celui des meilleures cloches, ils
joignent l'avantage d'occuper un espace très limité. Leur application à
l'usage théâtral estd'une utilité indiscutable, parce qu'ils sont très faciles â
transporter, qu'il peuvent se placer dans les coulisses sans causer aucun
embarras, et qu'on peut même, au besoin, les employer sur la scène, où
ils peuvent être aisément dissimulés. Si à tous ces avantages on ajoute
la modicité relative de leur prix, il est certain que d'ici peu de temps ces
tubes seront adoptés par tous les théâtres. On peut d'autant plus l'assurer
que l'expérience en a été faite dans l'opéra de Puccini, la Bohème, avec un
résultat excellent. »
— Teresita est le titre d'une nouvelle opérette qui a été représentée le
4 de ce mois à Empoli, et dont les auteurs sont MM. Umberto Cecchi
pour les paroles et Roberto Maestrelli pour la musique.
— L'excellente Rivista musicale italiana, de Turin, a publié, dans sa der-
nière livraison, un article très étudié et fort intéressant de M. L. Torchi
sur la Symphonie en ré mineur de M .G. Martucci, article dont il a été fait un
tirage à part. C'est une analyse très serrée et fort bien faite de cette sym-
phonie, œuvre remarquable du jeune et actif directeur du Conservatoire
— On sait que l'exactitude, qui est la politesse des rois, n'est pas toujours
celle des théâtres. Un journal deTrieste,i/il/a((i'no, publie à ce sujet quelques
réflexions fort justes : « Il paraît de règle désormais, dit ce journal, que les
représentations dans les divers théâtres commencent un quart d'heure et
même vingt minutes après l'heure indiquée sur l'affiche. Il nous paraît
pourtant que le public a droit à certains égards, et, d'autre part, les ar-
tistes, pour qui l'on doit trop souvent user d'indulgence, devraient tenir
compte de la patience qu'on montre devant leurs écarts et récompenser
la longanimité des spectateurs par un peu de ponctualité. » Voilà des
observations qui trouveraient leur place ailleurs que sur les bords de
l'Adriatique.
— La direction des théâtres royaux de Berlin vient d'acheter l'ancien
théâtre Kroll, qu'elle avait en location jusqu'à présent. Le prix en est de
deux millions et demi de marks. Le théâtre Kroll servira aux représenta-
tions d'opéra, en dehors de l'Opéra royal.
— A l'occasion du SOO" anniversaire de sa fondation, l'Académie royale
des Beaux-Arts de Berlin donnera, les 8 et 9 mai prochain, deux grands
concerts dans l'un desquels on exécutera un oratorio nouveau de M. Jlax
Bruch, intitulé Mdise.
— Le théâtre An derWien, à Vienne, prépare la représentation d'une nou-
velle opérette intitulée le Chasseur de femmes, musique de M. Léopold Kuhn,
chef d'orchestre à ce théâtre.
— L'inauguration du monument de Mozart à Vienne, que nous avions
annoncée comme prochaine, aura lieu sans le concours de son auteur, le
célèbre sculpteur Victor Tilgner, qui vient de mourir d'une maladie de
coeur, à l'âge de 52 ans seulement. Tilgner, qui était né à Presbourg en 18ii,
peut être considéré comme l'un des premiers artistes de ce temps. Il était
professeur à l'Académie. Parmi ses nombreux ouvrages, nous signalerons
la statue du pianiste compositeur Hummel, à Presbourg, un très beau
buste de la célèbre tragédienne Charlotte Wolter, et les deux figures de
Phèdre et de Falstaff au nouveau Burgtheater de Vienne.
— A Heihgenstadt, village de la banlieue de Vienne où Beethoven avait
demeuré, a été fondé, il y a quelques années, un petit musée Beethoven qui
renfermait quelques documents de valeur. Cette collection vient d'être trans-
portée au musée de la ville de Vienne, où elle sera naturellement beau-
coup mieux placée. La maison de Bonn, où naquit Beethoven et qui
existe transformée en musée, s'est enrichie de douze lettres du maître pro-
venant des archives de la célèbre famille Brentano. Ces autographes
ont été payes plus de cinq mille francs, ce qui indique la haute valeur
que le marché international attribue actuellement aux reliques de
Beethoven.
— Le théâtre municipal de Francfort vient de jouer avec beaucoup de
succès un opéra-comique en un acte intitulé Trichka, dont la musique est
due au compositeur Erick Meyer-IIelmund. Le livret rappelle la vieille
anecdote de la célèbre danseuse qu'un non moins célèbre Fra Diavolo
engagea pour donner ,'une représentation gratuite et obligatoire en pleine
forêt. Dans Trichka, celte anecdote se rattache à Marie Taglioni.
— Un nouvel opéra en un acte, intitulé le Meunier de San-Soizci, mu-
sique de M. Otto Urbach, sera prochainement joué à l'Opéra de Franc-
fort-sur-le-Mein.
— Une nouvelle opérette, intitulée le Lieutenant de marine, musique de
M. L. Roth, vient d'être jouée avec succès à Munich, une autre opérette,
intitulée Figaro à la Cour, musique de M. Alfred Mûller-Norden, a été jouée
pour la première fois, à Laybach, et a obtenu un succès très vif.
LE MENESTREL
127
— L'ancien surintendant des théâtres royaux de Budapest, le comte Geza
de Zichy, vient de faire jouera ce théâtre un nouvel opéra, Alar, dont il a
écrit les paroles et la musique. Les deux premiers actes ont eu un certain
succès ; les deux derniers ont presque complètement échoué. On ne croit
pas que l'œuvre tienne longtemps l'affiche, malgré sa mise en scène
brillante et sou exécution hors ligne. Le compositeur, on le sait, s'est sur-
tout fait connaître comme pianiste amputé d'un bras ; son exécution avec
l'unique main qui lui reste est, en effet, prodigieuse.
— L'Opéra de Budapest vient de fermer ses portes pour quinze jours,
pendant lesquels la salle sera remise à neuf en vue lies fêtes du millé-
naire du royaume hongrois, qui commencent le 2 mai. Pour la représen-
tation de gala de ce jour, l'Opéra jouera le Roi Etienne, l'opéra fameux de
François Erkel, avec quelques retouches faites par l'auteur.
— Le théâtre de "Weimar va jouer un nouvel opéra, l'Homme et la Mer,
paroles de M. de Wolzogen, musique de M. Hans Sommer.
— L'état de M"»"^ Clara Schumann, dont nous avons annoncé la maladie,
s'est sensiblement amélioré, et on espère que la célèbre artiste sera bientôt
complètement guérie. Les médecins sont d'avis que ce n'était pas une
attaque d'apoplexie qui l'a frappée, mais qu'elle a été prise simplement
d'une syncope provoquée par l'anémie.
— Les journaux allemands, Gazette de Dresde, Journal de Leipzig, Courrier
de Berlin, Corresporulance de Hambourg, etc font un éloge pompeux du
pianiste viennois Auguste Stradal, que nous avons entendu cet hiver i'
Paris, presque inconnu jusqu'à ce jour, disent ces feuilles. M. Stradal
s'est révélé comme un des pianistes les plus remarquables de ce temps;
c'est un interprète incomparable de la musique de son maître Liszt, dont
il a dit, avec un talent merveilleux, les Harmonies poétigues et religieuses, les
Rapsodies et les transcriptions si remarquables de Schubert et de Paganini;
M. Stradal a produit un grand effet dans un concerto de Friedmann Bach,
dans la sonate en ut dièse mineur de Beethoven et dans nombre de mor-
ceaux de Chopin et autres grands maîtres. Le célèbre critique de Dresde,
Louis Hartmann, compare le style de M. Stradal à celui du regretté Rubins-
tein, et le déclare le plus grand interprète des œuvres de Liszt. M"" Hil-
degarde Stradal a été très applaudie à Hambourg comme interprète des
lieder de Schubert et de Chopin. On nous fait espérer que le couple artis-
tique se fera entendre à Paris l'hiver prochain. H. B.
— M. Humperdinck, l'heureux auteur de Hœnsel et Gretel, vient de termi-
ner une musique descènepourle célèbre drame espagnol le Juge de Zalaméa.
— Les beautés de la statistique. Un savant allemand a fait un calcul
très détaillé et apparemment digne de foi, d'après lequel un pianiste, qui
jouela dernière étude de Chopin en «(mineur doit exercer une pression de
3.130 kilos. C'est assez gentil comme déploiement de force, surtout quand
il s'agit d'une petite demoiselle du Conservatoire.
— Le fameux festival des trois chœurs aura lieu cette année à Wor-
cester, et les dates en sont fixées au 6, 8, 9, 10 et 11 septembre prochain.
C'est l'organiste de la cathédrale, M. Hugh Blair, qui en aura la direction.
Au programme figurera un oratorio inédit, Lœ: Christi, écrit expressément
par M. Edouard Elgar. Parmi les artistes engagés, on cite déjà le nom de
M""' Emma Albani.
— Nous avons mentionné le record de quarante-six heures qu'un pia-
niste italien, M. Gamillo Baucia, avait tenu récemment à Guneo, triom-
phant ainsi, avec un avantage d'une heure, du pianiste anglais Bird, qui
n'était resté que quarante-cinq heures attelé à son instrument — j'allais
dire à sa machine. Il paraît qu'un de ces jours prochains les deux cham-
pions vont se mesurer directement, en Angleterre, pour savoir lequel des
deux fournira une séance de cinquante heures consécutives. Et puis?
Quand ils seront fourbus et devenus idiots l'un et l'autre, l'art en sera-t-il
beaucoup plus avancé ?
— On nous envoie de Varsovie la nouvelle des grands succès obtenus
par M"<= Glotilde Kleeberg dans les trois concerts qu'elle a donnés en cette
ville. Toutela haute société polonaise s'était donné rendez-vous et a acclamé
la grande artiste parisienne, qui a du ajouter à ses programmes un nombre
infini de morceaux. Très grand succès pour l'école moderne française et
surtout pour les Poèmes sylvestre, de Th. Dubois.
— 11 parait que la mode vient décidément aux spectacles fournis par des
corps d' « artistes » spéciaux. On a vu des représentations dans lesquelles
ne paraissaient que des femmes, d'autres auxquelles des étudiants seuls
prenaient part. Voici venir maintenant le tour des médecins. A Odessa,
où les médecins sont trop nombreux et les habitants trop bien portants,
on a donné récemment, au nouveau théâtre, une représentation au béné-
fice des femmes et des enfants de ces infortunés — je parle des médecins.
Or, le côté curieux de ce spectacle, c'est que ceux-ci en ont fait unique-
ment les frais. On a joué une pièce écrite par l'un d'eux, le docteur
Feodoreff, sur un sujet spécial à la corporation, Suggeslion hypnotique ou
Vengeance de femmes ; tous les acteurs appartenaient au corps médical
d'Odessa, et l'orchestre, excellent, dit-on, avait été aussi exclusivement
recruté parmi les disciples d'Hippocrate et de Galien.
— Le compositeur Spiro Samara, qui s'est fait connaître par plusieurs
opéras joués avec succès sur les scènes lyriques italiennes, a composé un
Hymne olijmpitiue à l'occasion du récent renouvellement des jeux olym-
piques. Cette œuvre de M. Samara, qui est de nationalité grecque, a été
interprétée par quatre cents chanteurs à l'inauguration de Stade d'Athènes,
et a obtenu un succès mérité.
— On assure que le colonel Mapleson, le fameux manager anglais, pré-
pare pour New-York une grande saison d'opéra franco-italien. Cette saison
commencerait le '26 octobre prochain et les représentations auraient lieu
dans la vieille mais très belle salle de l'Académie de musique, dont l'acous-
tique est excellente. Après son séjour à New-York, M. Mapleson entre-
prendrait, avec sa troupe, une grande tournée dans les principales villes
de l'Union.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
A 1 Opéra :
Demain lundi, on donnera la centième représentation de la Korrigane, le
délicat ballet de MM. François Coppée et Gh.-M. Widor. Ainsi que nous
l'avons déjà dit. M'" Bosita Mauri dansera également pour la centième
fois le rôle qu'elle a créé et que jamais elle n'a abandonné. A cette occa-
sion, les artistes et le personnel du ballet ont l'intention d'olTrir un souve
nir artistique à leur étoile.
La première représentation de l'opéra nouveau de M. Alph. Duvernoy,
HelU, est annoncée pour vendredi prochain ; la répétition générale aura
lieu mardi.
La direction de l'Opéra s'occupera, de suite après cette première, de la
reprise de Thamara, de M. Bourgault-Ducoudray, avec M. Ansaldy et
Mme Héglon dans les rôles créés par M. Engel et M"" Domenech ; c'est
M. Georges Marty qui surveillera les études musicales. Puis, en attendant
la reprise d'Hamlet, avec M.'"« Melba et M. Renaud, on fera débuter, dans
Samson et Dalila, MM. Courtois, Paty et M"'= Combe.
— A rOpéra-Comique :
Vendredi dernier, très belle rentrée de M"'= de Nuovina dans la Navarraise.
La si intéressante artiste a été, la soirée entière, couverte d'applaudis-
sements.
La première représentation du Chevalier d'Harmental, opéra-comique en
trois actes et cinq tableaux, de M. Paul Ferrier, musique de M. André
Messager, est annoncée pour le lundi 27; la répétition générale aurait lieu,
dans ce cas, le samedi 23.
Au tableau des répétitions le Caïd, dont on ne peut fixer encore la date
de la reprise, la Dame blanche, dont le rôle de Georges Brown sera tenu par
M. Clément, st le Pardon de Ploërmel, La Femme de Claude est renvoyée en fin
de saison.
— L'Académie des beaux-arts avait, dans sa dernière séance, déclaré la
vacance du fauteuil laissé libre par la mort d'Ambroise Thomas. En con-
séquence, c'est dans sa séance d'hier samedi qu'elle a dû entendre la lec-
ture des lettres des candidats qui se présentent pour recueillir la succes-
sion du glorieux auteur de Mignon et d'jHa'mfe(. L'élection est fixée au samedi
2 mai.
— Le jury du concours Cressent a rendu cette semaine son jugement en
ce qui concerne le poème destiné à être mis en musique par les composi-
teurs. Exceptionnellement, deux prix ont été décernés et deux poèmes ont
été couronnés, que chaque musicien pourra choisir à son gré. L'un,
opéra-comique en un acte et deux tableaux, intitulé l'Amour à la Bastille,
a pour auteur M. Auge de Lassus; l'autre est un drame lyrique de
M. Saint-Luth. On sait, d'ailleurs, que les compositeurs ont toute liberté
sous ce rapport, et qu'ils ne sont nullement astreints à travailler sur le
poème couronné.
— Nos orchestres symphoniques voyagent sous la conduite de leurs chefs.
Tandis que M. Colonne commence une grande tournée en Allemagne avec
ses artistes, M. Lamoureux, à la tète des siens, s'est rendu à Londres, où
il a commencé, au Queen's Hall, une série de concerts. M. Colonne a tout
d'abord visité Carlsruhe, où sa première séance a obtenu un plein succès
et provoqué des applaudissements nourris et bruyants. M. Lamoureux n'a
pas moins été heureux à Londres, où une superbe exécution du Rouet
d'Omphale, de M. Saint-Saëns, a fait éclater une véritable explosion de
bravos. L'art français n'a qu'à se réjouir des succès que nos artistes, exé-
cutants et compositeurs, obtiennent à l'étranger.
— Mardi dernier M. Lionel Dauriac, professeur de philosophie à la
Faculté des lettres de Montpellier, donnait la première leçon d'un cours
libre d'esthétique musicale appliquée qu'il ouvre à la Sorbonne. Il s'oc-
cupait, dans cette séance, de l'histoire de la musique française à partir de
1828, l'année qui vit naître la Muette de Portici d'Auber, le premier opéra
conçu dans les formes modernes, dont on oublie un peu trop aujourd'hui
l'importance au point de vue historique de l'art, puisque la Muette a pré-
cédé Guillaume Tell et Robert le Diable, et qu'elle a été le point de départ de
la transformation de notre musique dramatique.
— Notre confrère M. Louis de Fourcaud, professeur d'esthétique à
l'Ecole dés Beaux-Arts et rédacteur musical du Gaulois, vient d'être nommé
chevalier de la Légion d'honneur.
— Il paraît que Paris ne possédait pas assez de petites salles de spec-
tacles. Voici donc trois nouveaux théàtricules dont on annonce la pro-
chaine ouverture: Le Théâtre-Salon, situé rue Chaptal, direction de
M. Maurice Magnier, qui débutera par une pantomime ; les deux autres
ne sont point encorebaptisés ets'élèveront, le second rue Fontaine, direction
de M. Gustave Michiels, genre Chat-Noir, at le troisième salle Flaxland,
128
LE MÉNESTREL
— Cette fin de saison nous promet toute une série de concerts d'un carac-
tère vraiment exceptionnel. Tout d'abord, c'est le grand violoniste Sarasate
qui annonce pour les 9, 13, 16 et 20 mai, quatre séances de musique de
chambre à la salle Erard, avec le concours de MM. Diémer, Parent, van
Vaefelghem et Delsart. Puis, c'est MM. Raoul Pugno et Ysaye qui, eux
aussi, préparent, à la salle Pleyel, plusieurs séances du même genre.
C'est ensuite M. Diémer, qui doit donner un grand concert au profit de
l'Association des artistes musiciens. Enfin, aux premiers jours de juin, on
doit célébrer avec éclat, à la salle Pleyel, le cinquantième anniversaire du
premier concert qui y fut donné par M. Camille Saint-Saëns, alors âgé de
onze ans. Le programme, particulièrement riche et exclusivement formé
d'œuvres du maître, comprendrait, entre autres : un cinquième concerto
de piano, récemment composé; une sonate de piano, inédite aussi, exé-
cutée par lui, ainsi que le concerto ; une romance pour flûte avec piano,
jouée par M. Tafifanel; et deux morceaux confiés au violon de M. Sara-
sate. L'orchestre sera dirigé par M. TaEfanel. Fera-t-on à la salle Pleyel
une rallonge qui semble indispensable pour la circonstance?
— Vendredi dernier, à Parisiana, entre une pitrerie de M. Jacquet et une
romance de Fragson, on a fait débuter un jeune violoniste hongrois,
M. Louis Pésckai, qui, certes, vaut cent mille fois mieux que le music-hall
dans lequel il se fait entendre. En plus d'une agilité et d'une exécution
tout à fait remarquables, M. Pésckai a une fort Jolie qualité de son. Le
public très spécial de l'endroit, malgré la sévérité des morceaux exécutés,
a reçu très chaleureusement le jeune virtuose que nous ne tarderons cer-
tainement pas à retrouver dans des milieux beaucoup plus artistiques.
P.-E. G.
— Le compositeur et pianiste espagnol, M. Albeniz, et le quatuor
Crickboom, Angenot, Méry et H. Gillet ont donné deux séances de musique
de chambre fort intéressantes à la salle des Agriculteurs de France. Le
quatuor pour instruments à cordes Je César Franck, le quatuorpour piano,
violon, alto et violoncelle de Brahms, op. 23, et le quintette de Schumann
ont été interprétés d'une façon magistrale par les artistes, qui ont déployé
des qualités remarquables. Un vrai régal pour les connaisseurs furent la
sonate pour violoncelle et piano de Benedetto Marcello, jouée par M. Gillet,
que M. Albeniz accompagnait fort délicatement, et la ravissante sonate
op. 121, de Schumann dont le troisième mouvement, un lied sans paroles
d'un romantisme exquis, a soulevé des applaudissements frénétiques. 0. B.
— Au cours de sa tournée de concerts en Hollande, M>'« Marcella Pregi
a fait entendre à de Rotterdam, à la Haye à d'Amsterdam l'air A'Héro-
diade et des mélodies de Schumann, Paladilhe, Widor et Bizet... en
somme une sélection d'œuvres simples exécutées avec une méthode si
parfaite que le Vnterland, journal de La Haye, a pu résumer ainsi l'impres-
sion générale : <- Le succès extraordinaire remporté par la jeune artiste est
un triomphe pour l'école française. » Le rédacteur de l'article féliciti;
ensuite M"' Pregi de n'avoir pas suivi la voie ouverte avec fracas par cer-
taines cantatrices wagnériennes. Il semble en effet raisonnable d'admettre
que le concert a son genre spécial, destiné à exprimer les sentiments que
la mise au point pour l'optique de la scène ne pourrait manquer de déna-
turer. Les compositeurs modernes ont écrit, en ce genre, des chefs-d'œuvre
discrets, d'un éclat et d'un coloris tels qu'ils resplendissent plus que
beaucoup de grandes pages savamment délayées. La difficulté de les bien
interpréter en éloigne quelquefois les artistes, car ils ne se prêtent à aucune
supercherie; pour les pouvoir aborder, il faut posséder le talent suprême
da dire les idées et de colorer les notes. Là est le plus beau triomphe de
l'art du chant, et c'est aussi ce qui a mérité à M"* Pregi et à l'école fran-
çaise l'éloge si chaleureux du journal hollandais. A. B.
— M. Pierre d'Alheim, qui a fait, en ces derniers temps, au Théâtre
Mondain, toute une série de conférences sur le compositeur russe Mous-
sorgski, a publié aussi sous ce simple titre, Moussorgski, un livre dans lequel
il retrace la vie et les travaux de cet artiste curieux, intéressant et incom-
plet. Je ne partage pas, pour ma part, l'enthousiasme de M. Pierre d'Alheim,
tout en le comprenant jusqu'à un certain point. Moussorgski n'était pas un
musicien ; c'était, comme on l'a dit de Berlioz, im poète qui se servait d'élé-
ments musicaux; encore ces éléments étaient-ils, pour lui, singulièrement
restreints. Son éducation était vraiment trop incomplète, et il n'était même
pas capable de tirer d'une idée le parti qu'elle comportait, de donner
même un plan à une simple mélodie vocale; ses romances ne sont pas
écrites, elles n'ont aucun développement rationnel, et elles finissent la
plupart du temps à peine commencées, et sans que l'on sache pourquoi.
Avec cela, des idées musicales d'une saveur étrange, d'une poésie souvent
exquise et d'un sentiment dramatique d'une étonnante profondeur; de
vrais cris de l'âme, d'une intensité parfois tragique et toujours émouvants.
Vn artiste curieux, je l'ai dit, mais inachevé. Le livre de M. Pierre d'Alheim,
trop admiratif et trop exclusif, n'en est pas moins intéressant pour ceux
qui veulent étudier le mouvement musical russe. A. P.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Messe solennelle en ré (Bethovenj, sol! par M"- Blanc et Cécile
0'Rorke,MM. Warmbrodt et Auguez ; Ouverture de Fidélio (Beethoven).
Concerts du Jardin d'Acclimatation, chef d'orchestre, M. Louis Pister: Danse
persane (Guiraud) ; Sérénade, nocturne (.ladassohn) ; la Colombe, entr'acte iGou-
nod) ; les Préludes (Liszt) ; /" Symphonie, andante-rondo (Beethoven) ; Armide, air
de la naïade (Gluck) ; les Vêpres siciliennes, boléro, chant : M"" Moulor (Verdi);
Henri VIII, suite d'orchestre (Saint-Saëns).
— De Niort on nous signale le succès remporté au concert annuel donné
par l'Harmonie, sous la direction de M. Bonenfant, par M™'= Lovano, qui a
délicieusement chanté l'Amour csl vn enfnni trompeur, de Martini, Mon petit
cœur, extrait des Bergrreltes, do Weckerlin, et l'Étoile, de Faure, qu'accom-
pagnait magistralement le cor de M. Brémond. L'excellent virtuose s'est
fait vivement applaudir dans les deux transcriptions pour cor des stances
du Songe d'une nuit d'été et de la cantilène de Lakmé. On a fêté aussi le
haryton Paul Seguy dans les Trois Soldats de Faure et les Enfants de
Massenet.
— Dimanche dernier, M. Marmontel père a réuni un groupe de ses élèves
dans ses salons de la rue de Calais. Ces auditions, qui sont de vraies fêtes de
famille, offrent un vif intérêt par le choix des morceaux et par la variété des
styles. Les cinq premiers numéros du programmé nous ont fait apprécier chez
ces jeunes pianistes une exécution très correcte, un toucher délicat et nuancé.
Nommons M"" Rosine Garcin, Joyeuse, Pierrat. M"" M" Maron, Dory, Mouton,
Sancliez ont exécuté avec élégance et d'une façon très brillante des mor-
ceaux de salon de Saint-Saëns, Chopin, Marmontel père. M"" Brette, Humbert,
M"" Gouverné, M"" Chèché Rodriguez, virtuoses amateurs de premier ordre,
ont interprété, avec une rare perfection, des pièces caractéristiques de Weber,
Schumann, Rosenhain et Marmontel flls, Elude de concert, et ont été chaleureu-
sement applaudies. Enfin quatre artistes de haute valeur, professeurs émérites,
M"" de Beautot, Clarinval, Camus, Bonheur, toutes quatre formées à l'école de
M. Marmontel père, ont interprété dans un style parfait, avec expression et
brio, la sonate et l'allégro de Chopin, la troisième élude sur le Freiscltiitz de
Stephen Heller, les Impressions et Souvenirs de Marmontel père, Etude de concert
de Marmontel fils. Nous constatons, avec un grand plaisir, l'intérêt très vit
témoigné aux élèves de M. Marmontel. Toutes ces jeunes filles ont charmé
l'auditoire par leur style gracieux et naturel, qui est la noie caractéristique de
la méthode du maître.
— Chez M"* Lafaix-Gontié, très jolie soirée musicale consacrée à l'audition
d'œuvres de Théodore Dubois. La maîtresse de la maison a délicatement dit le
Chant du bouvretdl de Xavière, et M"° Lafaix-Gontié très bien joué les Bûcherons.
On a beaucoup applaudi aussi deux chœurs, Chant provençal et Trimazé, et,
encore, la mélodie Malin d'avril.
— Soirées et Concerts. — Salle des fêtes de la mairie de Passy, belle audition
des élèves de M"" Sauvrezis. A signaler le cours de solfège dans le chant du
Clidlaigni.r de Xavii^re, de Théodore Dubois, et le Noël, de Massenet, le solo très
bien chanté par W Louise Sandre, puis M"" D., de M., M. et M"° D. (Rapsodie
cambodgienne, Bourgault-Ducoudray), M"' Jeanne C. (S' Gavotte, Bourgault-Ducou-
dray), Marie C. (Danse et chœur des lutins. Théodore Dubois i et Jeanne D. (Impro-
visation, Massenet). — A l'église Saint-Sulpice, M. Sellier asupérieurementchanté
YAve Maria de Gounod, avec accompagnement de violoncelle de M. IloUman ; ce
dernier, dans une mélodie de sa composition, et M. Fournets, dans le l'aler
Nosier de Niedermeyer, ont produit sur l'assistance qui se pressait en foule au
mariage de M. Emile Cère, homme de lettres, une profonde impression. Le
grand orgue était tenu par M. Ch.-M. Widor, et, pour cette circonstance,
M. Raoul Pugno tenait l'orgue d'accompagnement. — Grand concert spirituel
chez M"» Emilie Ambre-Bouichère. OEavres d'Emile Bouichère pour la pre-
mière partie et de Th. Dubois pour la seconde. La partie vocale a été superbe-
ment exécutée par les ex-élèves, aujourd'hui des artistes, et les élèves actuels
de l'école. La partie instrumentale était confiée à MM. Paul OberdœEfer, violo-
niste, Marthe, violoncelliste, E. Artaud, pianiste, et pour l'orgue à M. F. de la
Tombelle, élève et ami de Bouichère. Succès pour tous et pour la maîtresse
de maison.
— CoscEiiTS ANNONCÉS. — Demain lundi, à 9 heures, salleÉrard, concert annuel
de M"' Berthe Duranton avec le concours de M. Paul Viardot et de M"" Fanny
d'Almeïda. — Également, demain lundi, salle des Agriculteurs, rue d'Athènes,
deuxième concert de M"« Blanche Marohesi.
NÉCROLOGIE
A Munich vient de mourir à l'âge de 63 ans, le compositeur Alexandre
Ritter qui était né en 1833 à Narva, en Russie, il avait épousé une nièce
de Richard Wagner. On cite parmi ses œuvres deux opéras : lians le Vaurien
et A qui la couronne? plusieurs morceaux pour orgue et pour piano, des
lieder et un quatuor pour instruments à cordes.
— A Budapest est mort, à l'âge de 4S ans, le ténor de l'Opéra royal,
M. Franz Gassi. Il appartenait à une famille riche et avait fait de bonnes
études pour pouvoir se consacrer à la magistrature, lorsque l'idée lui vint
en IS'îu, d'utiliser sa belle voix de ténor. Hans Richter le présenta à
Richard Wagner, qui s'intéressa de suite au jeune ténor que la nature
avait taillé en hercule et lui proposa de débuter à Bayreuth, dans Siegfried.
Le vieux maître se chargea personnellement des études du chanteur, mais
après quelque temps il changea d'avis. Gassi quitta Bayreuth et fut
engagé à l'Opéra royal de Budapest, où il eut plusieurs succès marqués.
Un asthme chronique le força, il y a plusieurs années, de se retirer de la
scène, et il vient de succomber dans la force de l'^gc
Henri Heugel, directeur-gérant.
ON DEMANDE de suite en province, bon accordeur connaissant la
réparation des pianos, des orgues et de la lutherie. Bonne situation, inté-
ressé aux affaires. Inutile de se présenter sans de sérieuses et bonnes réfé-
rences. — S'adresser aux bureaux du journal.
Dimanche 26 Avril 1896.
- 62- ANNÉE — N° 17. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 bis, rue Vivienne» les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musiquo de Piano, 50 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Pronnce. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEITE
I. Mubique antique; une lettre de M. Th. Reinach, Ji;lien Tiiîusot. — II. Semaine
tliéâtrale : première représentation d'ilellr k l'Opéra, la centième de la Korri-
gane, AiiTHUii Foin;i.\ ; première représentation de la Falote, aux Polies-Drama-
tiques, reprise de l'Œil creiv, aux Variétés, Paul-Émile Cjiev.vliek. — III. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CONTEMPLATION
n" i de la Matinée aux Alpes, du maestro N. Celega. — Suivra immédiate-
ment : le Cœur et la Dot, polka- mazurka, d'ÉDOUARD Strauss, de Vienne.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanclie prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : fa Légende des trois peliis mousses, n° i des Poèmes de Bretagne, musique
de Xavier Leroux, poésie d'ANDRÉ Alexandre. — Suivra immédiatement :
Musette du XVII" siècle, harmonisée par A. Périlhou.
MUSIQUE ANTIQUE
UNE LETTRE DE M. TH. REINACH
M. Théodore Reinach vient d'adresser au directeur du
Ménestrel la lettre suivante, dont il demande l'insertion.
Monsieur,
Permellez-œoi de relever pro domo mea deux points dans l'intéres-
sante série d'articles que vous avez consacrée au nouvel hymne del-
phique et, par extension, à la « question » de la musique grecque.
1° Vous me reprochez (p. 35, note) d'avoir transcrit à 12/8 le cou-
plet « glyconien » qui termine cet hymne, et vous préférez (p. 26) la
notation à quatre temps, quoique, ailleurs (p. 66), vous me déclariez
« parfaitement irréprochable au point de vue de la notation ». Je n'ai
mérité complètement, je crois, ni l'éloge ni la critique. Je ne suis
pas <i parfaitement irréprochable » puisque j'ai eu lo tort d'espr-imer
ce qui eût
été plus
correct,
la subs-
titution du groupe de 4 croches à l'un des quatre temps mar-
qués de la mesure 12/8; mais d'autre part le caraclère ternaire,
universellement reconnu, des pieds du glyconien exigeait impé-
rieusement à la clef le signe 12 8 et non C. Peu importe que les
trochées ou iambes du glyconien normal soient remplacés assez sou-
vent dans le mètre par des spondées o apparents » ; ces spondées
qu'il eût peut-être mieux valu rendre par la notation conventionnelle,
ne modifient pas le caractère fondamental du
rythme, et il est probable d'ailleurs que si le
morceau était intégralement conservé, la pro-
par
la notation
1 \\
au lieu de
1 n
Û" 11
portion de ces pseudo-pieds binaires serait, dans l'ensemble, beau-
coup moindre. L'emploi Ju signe C et des triolets a l'inconvénient
de présenter comme la règle ce qui constitue l'exception et vice-versa.
Au reste, M. Gevaert, alors qu'il ne connaissait que quelques lam-
beaux de ce couplet glyconien, le transcrivait, comme moi, à 12/8,
ou, ce qui revient au même, à 6/8 (la Mélopée antique, p. 411). La
chose a pratiquement bien peu d'importance, mais elle implique une
question de principe et d'orthographe musicale.
2° Vous êtes d'avis que je me « méprends sur la véritable signifi-
caiion des modes grecs » et que j'ai tort en pareille matière de trop
consulter des « indices extérieurs .) et non « l'impression générale »
(p. 66). Je vous répondrai que l'impression générale, — que je n'ai,
d'ailleurs, pas négligé d'invoquer, — outre qu'elle estchose assez indi-
viduelle, peut être fort trompeuse quand il s'agit de textes aussi mutilés,
cil il manque la moitié, souvent les 3/3 de chaque phrase. Les « indices
extérieurs » ont du moins le mérite d'être des faits d'ordre positif,
des critériums tangibles. Il est vrai que vous niez l'existence de pareils
critériums et qu'en particulier vous refusez toute autorité au texte
capital d'Aristote (Problèmes, XIX, 20), sur lequel je me suis appuyé.
Ce texte attribue nettement à la mèse le rôle de tonique. Depuis Helm
hollz, qui en a signalé l'importance, tout le monde a toujours admis
qu'Aristolea en vue la gamme modale de huit notes, cala mèse occupe
le quatrième rang ; on en a conclu avec raison que dans la terminolo-
gie des anciens un air comme la Marseillaise, sans accident à la clef.
est écrit dans la gamme de sol Chypophrygien) avec la mèse ou
tonique do. M. Gevaert, qui avait admis autrefois cette théorie,
l'a abandonnée dans son dernier ouvrage pour l'hypothèse qu'Aristote
aurait en vue la « mèse dynamique », c'est-à-dire la note qui occupe
le milieu de l'étendue de deux ociaves dont se compose chaque ton.
Celle interprétation ne résiste pas à l'examen, et l'on ne saurait com-
prendre pourquoi une pareille note aurait eu le singulier privilège de
« revenir très soQventdans les mélodies bien construites ». Vous même
vous démontrez, sans le vouloir, l'impossibilité de ce système en fai-
sant voir qu'il aboutirait à donner à tous les modes, dans un ton déter-
miné, la même tonique. S'il est une règle de bonne logique, c'est
qu'entre deux façons d'interpréter un texte (et surtout un texte d'Aris-
tote), il faut choisir celle qui donne un sens raisonnable — plutôt
que l'autre. C'est assez vous dire pourquoi je persiste dans la doctrine
d'Helmholtz, Westphal, etc., tout en la poussant plus loin qu'eux,
puisque je l'applique maintenant même aux modes en « hypo ». Ce
n'est pas ici le lieu d'approfondir une question difficile que j'exami-
nerai en détail dans un prochain ouvrage ; j'ai voulu seulement
vous montrer et montrer à vos lecteurs pourquoi je me crois autorisé
à utiliser le texte d'Aristote pour déterminer la mèse d'une gamme
modale grecque, et, par conséquent, le mode lui-même.
Croyez, monsieur et cher confrère, à mes plus distingués sentiments.
Th. Reinach.
La dernière partie de cette lettre nous donne une nouvelle
que tous ceux qui s'intéressent à l'étude de la musique grec-
que accueilleront avec une vive curiosité, à savoir que
130
LE MENESTREL
M. Th. Reinach prépare un travail général sur ce sujet, dans
lequel les questions controversées seront étudiées avec tout
le détail qu'elles comportent. Eq effet, il ne faudrait guère
moits d'un livre pour traiter de matières si complexes, étant
donnée surtout la tendance délibérément manifestée par le
savant helléniste de rompre absolument avec toutes les idées
actuellement admises en ce qui concerne les modes antiques.
Car c'est toute une révolution qu'il nous annonce: si ses con-
clusions sont destinées à être adoptées, il ne subsistera rien
de ce que nous ont enseigné depuis quarante ans les Westphal,
les Gevaert, les Bourgault-Ducoudray. Il suffit, pour s'en faire
une idée, de considérer l'exemple co'ucret proposé par M. Rei-
nach: le premier vers de la Marseillaise. D'après lui, ce chant
en ut majeur appartiendrait à la gamme de sol, et par coo-
séquent au mode hypophrygien. Voilà qui renverse toutes
les notions que nous avions de la modalité antique ! C'est
donc avec une véritable impatience que nous attendrons l'ou-
vrage annoncé. Pour moi, je l'étudierai avec la même cons-
cience, le même désir de connaître la vérité, que je l'ai fait
pour les écrits antérieurs: alors seulement ce sera le moment
de revenir sur ces questions, sur lesquelles, bien que par
plusieurs détails il me semble déjà qu'il serait facile de
répondre, il est évidemment prématuré d'ouvrir aujourd'hui
la discussion.
Il en est autrement pour le couplet « glyconien », au sujet
duquel notre désaccord ne roule aucunement, comme M. Rei-
nach semble le croire, sur une question de« métrique », mais,
plus modestement, sur une question de notation musicale,
de simple «solfège». En effet, tout en déclarant d'autre part
que les transcriptions de M, Reinach me paraissaient irrépro-
chables — au point de vue des notes, de la hauteur des
sons, voulais-je dire, — j'avais qualiflé d'illisible la notation
rythmique du fragment en question. Puisque M. Reinach
tient à ce que je revienne là-dessus, il m'est facile de le con-
tenter — tout en m'excusant auprès des lecteurs du caractère
par trop technique, et aussi par trop élémentaire, de ces
observations.
J'apprendrai donc à M. Reinach que, dans une mesure à
mouvement ternaire, lorsqu'on veut remplacer un groupe de
trois croches :
IIJ'
deux croches, on n'écrit pas \ \ ,
formant un temps, par un groupe de
2
mais ^ n . Cela s'ap-
pelle un duolet, — par opposition avec le triolet, qui est un
groupe de trois notes au lieu de deux dans un mouvement
binaire. M. Reinach ignorant cette règle, a, sur les quatorze
mesures de la mélodie, commis exactement quatorze fois cette
faute.
Un inconvénient plus grave se reproduit le même nombre
de fois. Ayant, dans le même mouvement ternaire, à repré-
senter un temps par des valeurs correspondant à une longue
et deux brèves, M. Reinach a écrit quatorze fois la formule sui-
vante :
1 13
Un peu tardivement, il vient de s'apercevoir
que ce 3, indiquant un triolet sur un groupe binaire, n'avait
aucun sens, et, dans sa lettre, il le remplace par un 4. Mais
ce n'est pas encore cela, car la valeur binaire corresporidant
au temps dans la mesure à douze-huit est représentée par
deux croches et non par deux noires ; il fallait donc
UJ
— Je regrette que M. Reinach se soit laissé entraîner à cette
discussion, car le public, qui juge trop volontiers sur les
« indices extérieurs», ne manquera pas de dénier désormais
la compétence musicale à un savant
Qui sait du grec, madame, autant qu'homme de France,
mais qui, en musique, commet des bévues sur lesquelles le
reprendrait un élève de solfège de première année. En tout
cas, il ne prolestera pas, je pense, contre mon épithète
d' « illisible », puisque, dans la mélodie notée par lui, sur
quatorze mesures, il y a vingt-huit fautes I
Quant à la détermination de la mesure en elle-même, je
ne conteste aucunement que le « glyconien » corresponde à
la mesure à douze-huit : c'est là une question de métrique sur
laquelle je laisse à de plus compétents, à M. Reinach par
exemple, le soin de àe prononcer. Ce que je puis dire, c'est
que sa notation est tout autre 3hose qu'un douze-huit. Il ne
faut pas se payer de mots, et il ne suffit pas qu'un signe de
mesure soit à la clef pour que tout soit sauvé; il faut aussi
que le rythme de la mélodie soit d'accord avec la mesure
proposée. Or, une simple constatation prouve que, dans la
mélodie telle que l'a notée M. Reinach, il n'en est rien. En
effet, sur 56 temps qu'elle comporte, 28 sont nettement
binaires, contre 13 ternaires, les 15 autres étant remplis par
des tenues. Étant donnée une telle proportion, pouvait-il étte
douteux que la mesure fondamentale fût binaire? Au reste,
je répète ci-dessous cette mélodie, conforme à la notation
telle que l'avait voulue M. Reinach; les lecteurs apprécieront. |
M. Reinach ajoute : « M. Gevaert a transcrit cette mélodie, ^
comme moi, à 12/8, ou, ce qui revient au même, à 6/8 ». Il"
est bien vrai que la notation indiquée par M. Gevaert, alors
qu'il ne connaissait que quelques notes de la mélopée, est
à six-huit, mais le « comme moi » de M. Reinach est inexact,
car M. Gevaert ne s'est pas borné, lui, à une vaine indica-
tion de mesure, mais il a observé le rythme ternaire stricte-
ment, scrupuleusement, d'un bout à l'autre de la strophe.
On en jugera par la comparaison suivante :
Voici d'abord le fragment transcrit d'après la notation de
M. Reinach :
-^,1-^- ^if M' rrr irr^j'fij- in'f^^
Et maintenant voici le même fragment conforme au rythme
adopté par M. Gevaert :
Sans prendre parti, je ferai observer seulement que ce der-
nier rythme a l'inconvénient d'établir une confusion entre
les spondées (deux longues) et les trochées (une longue et
une brève), et, en outre, de remplacer le rythme naturel du
dactyle (une longue et deux brèves) par une combinaison
irrégulière dans laquelle la troisième syllabe prend une im-
portance qui ne parait pas lui appartenir. C'est pourquoi la
première notation, avec son mélange de temps binaires et
ternaires, m'avait paru donner une idée plus fidèiie, plus sug-
gestive, en quelque sorte, du rythme antique. D'autre part,
ayant pris la transcription de M. Reinach pour base de mon
travail, j'avais tenu à m'y conformer scrupuleusement. Mais
puisque, par ses propres observations, il se condamne lui-
môme, il faut bien renoncer à le suivre et par conséquent
adopter l'autre mode de notation.
Lf:: MÉNESTREL
131
Mais ce sont là questions subtiles, et qui nous écartent un
peu de ce débat, lequel était d'un ordre beaucoup moins
élevé. Aussi y reviendrai-je pour conclure, et, au moment
où M. Reinacli se prépare à entrer en lice avec les plus
émineats musiciens, me permettrai-je de lui donner un
conseil: celui d'apprendre d'abord un peu de solfège.
Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Opéra. Hellé, opéra en i actes, paroles de MM. Camille du Locle et Charles
Nuitter, musique de M. Alphonse Duvernoy. (Première représentation
le 23 avril 1896.)
Étrange, le poème de cet opéra d'Hellé, dont l'action se passe, nous
dit le livret, ve?'s 1343, de sorte que ce peut être en 134i ou 1342, à
moins que ce ne soit en 1344 ou 134o. C'est là une indication dont
on peut dire que la précision manque de précision. Mais ceci n'est
qu'un détail. Ce qui est plus singulier, c'est que les auteurs nous
montrent, ivrs le milieu du quatorzième siècle, un coin de la CTrèce
qui est resté étranger aux efforts du ebristianisme et où règne encore
le culte païen, consacré par des prêtresses de la chaste Diane. Des
prêtresses de Diane, dans la Grèce du moyen âge, au temps de la
conquête des Turcs ! Voilà qui est bizarre, et sans être plus scrupu-
leux que de raison touchant l'exactitude historique requise dans les
œuvres théâtrales, on peut trouver que sous ce rapport le point de
départ de l'opéra nouveau présente un caraclère de familiarité un peu
excessive. Et cela d'autant plus que cette énorme entorse donnée à
l'histoire était parfaitement inutile, qu'elle n'apporte aucune aide à
l'action, et que sans grand effort les auteurs eussent pu amorcer
celle-ci de façon différente. Eufin, passons.
Nous sommes donc au premier acte en Grèce, vers 1343, « sur le
rivage de la mer », oîi nous vojops défiler une théorie de prêtresses
chantant les gloires de leuis dieux, dentelles transportent les images
dans le temple. A elles vient bientôt se joindre leur supérieure, la
grande prêtresse Hellé, belle comme il sied à son emploi, et qui, on
ne sait pourquoi, entre en fureur sans raison apparente et se répand
en imprécations contre des ennemis imaginaires :
Malheur! malheur au téméraire
Qui braverait la colère des Dieux!
Malheur ! que sur la terre
Il soit maudit, et maudit dans les cieux!
Etc., etc.
Elle se calme pourtant à la voix de ses compagnes, dont le chœur
est moins agressif. Et bientôt une de celles-ci signale l'approche
d'un vaisseau qui, écarté de sa route par une tempête furieuse, est
près d'aborder. Ce vaisseau, qui porte Gauthier, duc d'Athènes, et sa
fortune, aborde en effet, et les prêtresses, qui ne sont point sauvages,
accueillent avec bienveillance les marins, auxquels elles offrent des
rafraichissements variés :
Goûtez à ce vin de nos treilles.
Prenez les fruits de ces corieilles,
Nous vous les offrons avec joie.
H va sans dire que les matelots acceptent sans se faire prier, tandis
que Gauthier, ravi par la beauté d'Hellé, qu'il observe d'abord en
silence, est frappé du coup de foudre et en devient subitement
amoureux. Resté seul avec elle, il n'y va pas par quatre chemins et
lui offre sa fortune, qu'elle refuse avec dignité. Il lui propose alors
de partir avec lui, ce qu'elle n'accepte pas davantage. Et, comme ledit
Gautliier est à peu près exempt de préjugés, il se dit que puisqu'elle
ne veut pas l'accompagner de bon gré, il se verra obligé de l'em-
mener de force. Il fait un signe alors à ses matelots, qui enlèvent la
belle malgré ses cris. On la transporte ainsi sur le navire, celui-ci
lève l'ancre et le tour est joué.
Au second acte, nous retrouvons Gauthier, duc d'Athènes, souverain
de Florence, où il a amené la belle Hellé, qui ne paraît pas trop
satisfaite de son voisinage, non plus d'ailleurs que le peuple florentin,
qui médite un soulèvement contre son seigneur et maître. Nous
assistons cependant à une fête populaire où l'on représente le mystère
de Saint Jean-Baptiste, ce qui donne lieu à un divertissement à la
fois mimé, chaulé et dansé.
Hellé n'a pas pardonné à Gauthier la violence dont elle a été la
victime. Bien loin de l'aimer comme celui-ci le désirerait, elle ne
songe qu'à se venger de lui, et ne répond à ses avances que par une
froide impassibilité. Cette froideur exaspère Gauthier, qui s'écrie
dans un élan de colère :
A courber cet orgueil je saurai te contraindre :
Si tu ne m'aimes pas, Hellé, tu dois me craindre.
Mais Hellé reste sombre et farouche, et continue à penser à sa
vengeance.
Tout à coup une rumeur s'élève entre le peuple et les soldats, qui
veulent trop agir en maîtres, et il semble qu'une émeute se prépare
lorsqu'on voit arriver Jean. Qu'est-ce que Jean? C'est le fils de Gau-
thier, dont jusqu'ici nous n'avons eu aucunes nouvelles. D'où vient-il?
nul ne le sait, et son père l'accueille avec un étonnemenl qui n'a
d'égal que la joie qu'il éprouve à le revoir après une absence qui
paraît avoir été longue. Tout cela est bizarre. Quoi qu'il en soit, le
contentement de Gauthier est tel à la vue de son fils qu'il fait sonner
les cloches, ouvrir les prisons, et prétend que tout Florence soit en
fête. C'est sur l'expression de ce sentiment que se termine l'acte.
Le troisième se passe dans un palais, aux environs de la ville.
Hellé. restée insensible aux désirs et aux menaces de Gauthier, ne
l'a pas été aux regards de son fils, qui ont fait fondre son humeur
farouche et sont venus à bout de ses rigueurs. Alors que Gauthier
vient encore de la supplier de s'adoucir pour lui sans en rien obtenir,
un de ses officiers, Roger, quia su séduire une des suivantes d'Hellé,
vient le mettre au courant de l'intrigue qu'elle a nouée avec un
jeune seigneur que d'ailleurs il ne connaît pas. Gauthier s'emporte
d'abord à cette déclaration, puis il refuse d'y croire et dit à Roger :
a Tu mens ! tu mens ! » Mais celui-ci lui, montrant une ombre qui se
glisse dans le jardin et s'approche, lui dit à son tour : « Si tu n'en
crois pas ma clairvoyance, peut-être en croiras-tu tes yeux ».
Cette ombre n'est autre que celle de Jean, qui vient trouver
Héllé. Les deux amants se réunissent et bientôt sont surpris par
Gauthier, qui, au comble de la fureur, va pour poignarder Jean
lorsque tous deux se reconnaissent et restent atterrés en présence
l'un de l'autre. A ce moment, on vient prévenir Gauthier que Flo-
rence s'est soulevée contre lui et que la révolte est à son comble :
Gauthier, tout un peuple eu furie
S'est emparé de Ion palais.
Vois les lueurs de l'incendie ;
La révolte l'emportera, et si tu ne parais
Tout est perdu
Gauthier jure alors d'exterminer les révoltés. Et comme son fils
Jean lui dit : « Mon père, je combattrai pour vous, » il lui répond :
(( Va-t-en, misérable, fils maudit, je ne te connais plus ! »
Au dernier acte, Gauthier est venu à bout des rebelles, qui fuient
de toutes parts. Mais le peuple a voulu s'en prendre à Hellé, qu'il
considérait comme une sorcière, une magicienne, cause des malheurs
qui fondaient sur le pays. Il s'est emparé d'elle pour la mettre à mort,
et l'entraînait vers un bûcher pour la brûler vive, lorsque Jean l'a
délivrée au péril de sa vie et à réussi à s'enfuir avec elle. Nous les
'voyons arriver tous deux, exténués, aux portes de la ville, après
avoir échappé à de terribles dangers. Hellé, défaite, abattue, n'est
pas moins heureuse de se trouver auprès de celui qu'elle aime, et
tous deux exhalent leur amour dans un chant passionné. Tout à
coup, celle qui fut la grande prêtresse, qui devait rester vierge à
jamais, entend des voix invisibles qui lui reprochent son crime:
Hellé, prétresse parjure,
Hellé, tu trahis ton serment!...
chantent les vois mystérieuses. Et elles continuent':
Hécate, pour venger l'injure
D'Artémis, la déesse pure,
A chargé les enfers de son ressentiment.
Hellé, condamnée par les dieux, meurt dans les bras de son amant,
et celui-ci, désespéré, se frappe lui-même d'un coup mortel et tombe
à ses côtés. Arrive alors, suivi de ses soldats, Gauthier, qui, devant
le spectacle qui s'offre à sa vue, s'écrie, anéanti: «Hellé! mon fils!
morts!... m — Elle rideau tombe.
Telle est cette pièce singulière, vide d'action, vide d'intérêt, à la
fois incohérente et banale, dont aucun personnage n'est présenté
de façon à retenir l'attention ou à exciter la sympathie. A défaut de
situations ou de coups de théâtre, dont l'absence se fait un peu trop
vivement sentir, on voudrait au moins là-dedans un peu de chaleur,
un peu de mouvement, quelque chose qui vibre, qui vive et qui
puisse faire naître l'émotion. Comment deux auteurs si expérimentés
n'ont-il pas vu qu'ici tout est factice, et que la donnée même de leur
drame ne repose sur aucun fondement solide. C'est qu'en vérité, et
avec la meilleure volonté du monde, il est imposible de s'iutéresser
à cette suite de scènes que rien ne relie entre elles, à ces héros dont
132
LE MENESTREL
les sentiments mêmes ne sont pas expliqués, enfin à celle intrigue
eafantine qu'aucun détail, aucun incident, aucune surprise ne vien-
nent relever, colorer ou fortifier.
M. Duvernoy, qui n'est point wagnérien, a suivi cependant le
sj'stème -n-agnérien en ce sens que, à pari les choeurs et les grands
ensembles scéniques. il s'est gardé de faire entendre simultanément
plusieurs voix au cours de sa partition. Une seule exception est fait»,
pour le grand duo du quatrième acte, où, pendant une vingtaine de
mesures, on entend résonner à la fois les deux voix de Jean et
d'Hellé. Pour tout le reste, les divers personnages parlent chacun
à leur tour et se répondent incessamment. Je constate le fait sans
en tirer aucune conséquence. Je constate aussi que sa partition est
solidement construite, orchestrée avec soin, et qu'elle est, en ce qui
concerne la forme, l'œuvre d'un artiste vraiment distingué.
Des quatre actes qui la composent, les deux meilleurs sont, à mon
sens, le premier et le troisième. Ce sont, au moins, ceux oli l'ins-
piration de l'auteur me paraît la plus tendre et la plus délicate, car
il me semble avoir mieux réussi les épisodes de grâce et de passion
que ceux qui exigent surtout de la force et do la vigueur. C'est
ainsi que je louerai tout d'abord lejoli chœ'ir : Dieux bons, dieux justes,
plein de douceur et d'harmonie, que chantent les prêtresses au lever
du rideau du premier acte. Le chœur des mattlots débarquant après
la tempête a du mouvement et de la vivacité. A signaler encore le
beau cantabile d'Hsllé dans sa scène avec Gautier : Je suis la prêtresse
des dieux antiques, qui est d'une belle largeur mélodique et joliment
accompagné. Mais ce qui est charmant, et ce que M""" Garon a
chanté d'une façon délicieuse, c'est une sorte de nocturne : Voici le
soir, la nuit s'avance, d'un sentiment poétique et d'une fraîcheur
exquise, soutenu par les violons en sourdine et les arpèges des
harpes. La phrase, très tonale, avec un seul passage modulant de
quatre mesures qui n'est même pas une modulation, se déroule avec
une ampleur et un naturel parfaits jusqu'à sa conclusion.
Le second acte me paraît, musicalement, plus turbulent et plus
tourmenté, dans sa partie dramatique, que sainement vigoureux.
Dans l'épisode delà Saint-Jean, je signalerai le mouvement à cinq
temps du chant d'Hérode : 0 charmeuse, 6 séductrice, qui est original
et curieux, et parmi les airs de ballet une coquette et piquante
variation en sol mineur, dont l'efTel est charmant.
Lorsque le rideau se lève sur le troisième acte, on entend au loin
un chœur de moissonneurs, d'une heureuse couleur et d'un bon sen-
timent rustique, qui revient à deux reprises et dont l'impression est
excellente. A remarquer ensuite dans cet aiîte, la scène dans laquelle
Roger fait entrer le soupçon dans l'âme de Gauthier ; ici, le musicien
n'a manqué ni de chaleur, ni de vigueur; l'épisode est bien construit,
d'une bonne allure dramatique, et les répliques de Gauthier : Tu
mens! tu mens! ont toute la force et l'énergie nécessaires. M. Delmas
les a lancées avec une fougue superbe. Puis vient le grand monologue
de Jean, attendant Hellé : 0 blanche vision, parais/ qui a valu à
M. Alvarez un succès très franc et très mérité, et enfin la grande
scène des deux amants, scène très développée, divisée en deux
parties, et qui me semble le point culminant de l'œuvre du compo-
siteur. D'une jolie couleur et d'un véritable intérêt musical, cette
scène renferme des phrases charmantes de douceur et de tendresse
et se termine de la façon la plus heureuse.
Le quatrième acte, très court, se résume presque tout entier dans
le grand duo de Jean et d'tlellé, coupé par les interventions du
chœur des voix invisibles, et qui aboutit à la mort de l'un et de
l'autre. J'en louerai seulement le bon sentiment dramatique.
L'interprétation d'ifeWeest excellente. C'est M'™ Garon qui personnifie
la prêtresse, nouvelle vestale que son amour condamne à mourir.
Elle apporte dans ce rôle, avec son grand style, son phrasé plein
d'élégance et sa diction pleine de noblesse, le charme répendu sur
toute sa personne et la poésie dont elle sait empreindre chacune de
ses créations. Mais, hélas! n'aurait-on pu l'habiller d'une façon
moins douloureuse à l'œil et au goût? M. Delmas donne une fière
allure au personnage de Gauthier, duc d'Athènes, auquel il procure
une vigueur que les auteurs du poème n'ont pas toujours su lui com-
muniquer. Son articulation est toujours superbe; il en est même
arrivé à l'exagérer, au point de la rendre quelque peu prétentieuse;
le mieux est parfois l'ennemi du bien. Jean est représenté par
M. Alvarez, dont la belle voix continue de sonner à merveille, et qui
n'en a pas moins des accents d'une tendresse et d'une douceur
ineffables, comme dans le duo du troisième acte. L'ensemble est très
bien complété par M. Fournets, qui donne un bon caractère au rôle
de Roger, le lieutenant de Gauthier.
Les chœurs et l'orchestre sont très solides et très sûrs. Mais j'avoue
que je goûte médiocrement la façon dont est réglé tout le divertis-
sement de la fêle de Saint-Jean; il y avait mieux sans doute à nous
offrir que ce tableau banal et un peu trop dépouvu d'originalité. Ce
qui ne m'empêchera pas de rendre justice aux deux danseuses qui re-
présentent Balkis et Salomé, M"" Chabot el Zambelli, qui se sont fait
très vivement et fort justement applaudir. Enfin, les décors sont très
beaux, et je signalerai surtout celui du troisième acte, la loggia d'un
palais florentin, dont l'architecture et la disposition pleines d'élégance
font le plus grand honneur à M. Carpezat.
Arthur Polt.in.
Quelques mots sur la centième de la Korrigane, qui avait lieu lundi
à l'Opéra. Cent représentations! voilà c 'ries qui est rare pour un
ballet, et le fait ne s'était pas produit depuis la Coppélia de notre
toujours regreité Delibes. Mais ce qui est plus rare encore, ce qui,
dit-on, ne s'était jamais vu, c'est la même danseuse dansant ce même
ballet pendant ses cent représentations. Or, c'est ce qui est arrivé
avec M"" Rosita Mauri ; aussi le public lui a-t-il fait fête à cette occa-
sion, comme il a fait fête, et très sincèrement, au ballet de MM.Widor et
Goppée. Mais la vraie fête de la danseuse, c'est au foyer de la danse
qu'elle a été célébrée, entre les deux actes, et de façon toute char-
mante. Là, à peine le rideau baissé, se sont réunis, avec les auteurs,
avec M. Gailhard, tous les camarades de la danseuse, tout le person-
nel chorégraphique, et aussi les abonnés. Là, M. Vasquez, au nom
de tous ses camarades, a remisa la gentille Korrigane un écrin conte-
nant une superbe médaille en vieil argent, dont l'avers la représentait
•dans son costume de Bretonne, tandis que le revers portait cette
inscription : .1 Rosita Mauri, ses camarades, ses amies, ■1896. Puis,
M. Widor lui a offert une riche bague en diamants où était inscrite la
date du 20 avrill896. Puis les compliments ont éclaté de tous côtés,
puis les baisers se sont mis deli partie, puis... on a entendu frapper
les trois coups, et tout le monde a dû revenir en scène, et le rideau
s'est relevé pour la centième fois sur le second acte de la Korrigane.
A. P.
Folies-Dramatiques. La Falote, opéret,te en 3 actes, de MM. A. Liorat et
M. Ordonneau, musique de M. Louis Varney. — Vabiétés. L'OEit crevé,
opéra bouffe en 3 actes, d'Hervé.
Est-ce le vrai succès, cette fois, et les Folies-Dramatiques vont-
elles enfin sortir de leur torpeur, ou de leur mauvaise chance? Qui sait!
Avec le nom de M. Louis Varney, celui de nos compositeurs modernes
d'opérettes qui sait le mieux son théâtre el dont l'inspiration aimable
et facile connaît si bien le chemin du cœur des spectateurs, avec une
assez bonne pièce, proche parente des fameuses Cloches de Corneville,
adroitement conduite par MM. Liorat et Ordonneau, agréablement
mise en scène, avec, encore, un artiste charmant comme M. Jean
Périer, on peut aller très loin. M. Peyrieux saura-t-il aider à la for-
tune qui se présente à lui ?
L'action se passe au Mont-Saint-Mi'jhel et la Falote qu'on voit, le
soir, errer sur les remparts et dans les salles de l'Abbaye, n'est autre
que la baronne de la Hoguetle se rendant aux rendez-vous assignés
au beau capitaine de gendarmerie. Justement le baron, qui se pique
de science, s'acharne à étudier le mystérieux esprit. Bien entendu,
la petite population du Mont-Saint-Michel, la servante Thérèse et le
pêcheur Pierre tout d'abord, découvrent les premiers la supercherie.
Et quand le baron lui-même s'apercevra, du même coup, de quelle
essence matérielle est la Falote et combien ses apparitions sont pré-
judiciables à son honneur marital, assez malin pour un mari malheu-
reux, d'un mot il détruira la légende fantastisque et rendra impos-
sibles les fantaisies de la petite baronne.
La partition de M. Louis Varney est tout agréable, et s'il fallait
avouer quelques préférences, je les donnerais sans hésiter au joli
duetto du premier acte, pendant l'orage, et à la douce romance du
3" acte, de tour légèrement archaïque. En plus de M. Perier, déjà
nommé, dont la vois est charmante et semble prendre de l'ampleur,
MM. Hittmans, Baron fils et Vavasseur ont, cette fois, trouvé des
rôles leur permettant de faire montre de leurs réelles qualités.
]^iies Eiven, aimable transfuge do l'Opéra-Gomique, Cassive, Jeanne
Evans el Dulaurens forment une gentille interprétation féminine.
Les Variétés, poursuivant le cycle Hervé, viennent de très heureu-
sement et de très luxueusement reprendre l'OEil crevé, cette étonnante
bouflonnerie dont la partition restera parmi les chefs-d'œuvre du
genre. II n'y a pas assez longtemps que la pièce a été jouée à Paris
pour que vous n'ayez encore dans l'oreille elle chœur des chasseurs,
el la légende de la langouste atmosphérique, et le grand septuor du
second acte, et le duo avec chœurs de la Polonaise et l'Hirondelle, et
le finale « En prison, en prison », el le duetto « Te voilà, mon Bibi ».
Il faut cependant aller ré^ntendre tout cela, et le reste, aux Variétés,
LE MÉNESTREL
133
d'autanl qu'outre la mise eu scène, qui est somptueuse, el l'exécu-
tion musicale 1res soignéej surtout par les chœurs, il y a là Brasseur,
Baron, Guy, Milher, le créateur de Géromé, qui sont la fantaisie
même. Peut-être voudrait-on un peu plus de ce joyeux laisser-aller à
Joints Méaly, Gallois, Pernyn, Lavallière, Legran I. Mais elles sont bien
chantantes et si accortes qu'on aurait mauvaise grâce à leur trop
demander. Gros succès pour M"'=' Lavallière , Diélerle, Fugère,
Crozet et le bataillon séduisant dit des « Petites femmes » qui,
s'improvisant ballerines, ont dansé de façon exquise un divertisse-
ment champêtre nouveau, dontM.Gardel-Hervé a retrouvé la musique
de menuet dans les œuvres inédites laissées par son père.
Pal'l-Émile Chevaliek.
NOUA^ELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (23 avril). — La rentrée de
M. Van Dyck, la premièra des représentations que notre « cher et illustre
compatriote » vient donner à la Monnaie, a été, cela va sans dire, un
triomphe. Mais ce triomphe ne devait pas être sans amertume ni sans pé-
ripéties. Le grand artiste ayant eu l'imprudence grave de chanter, la veille
du jour fixé pour sa première représentation, dans les salons d'un riche
Mécène, M. Warocqué, et l'imprudence plus grave encore de ne pas
s'apercevoir qu'on l'avait négligemment exposé à un courant d'air sous
prétexte de rafraîchir les salons surchauffés, s'est trouvé subitement en-
rhumé. La première de Lohengrin, retardés d'un jour, a été le signal
d\utres retards; huit jours se sont passés, pour l'artiste, à se droguer et,
pour le public, à s'impatienter. A la deuxième de Lokcngrin, M. Van
Dyck pouvait se croire rétabli ; hélas ! l'indisposition était plus grave qu'on
ne pensait; de nouveaux soins — et de nouveaux retards — ont été jugés
nécessaires. Si bien que le Tannhduser, sans cesse reculé, n'aura lieu (et
encore) que samedi, que la série des représentations promises risque de
ne pouvoir aller jusqu'au bout, malgré la décision prise par la direction
de prolonger jusqu'au S ou 10 mai la saison théâtrale, et, enfin, contre-
temps particulièrement fâcheux, que M. Van Dyck ne chantera pasil/a?îon,
comme on l'avait annoncé 1 Les deux représentations de l'œuvre de Mas-
senet, qui comptaient certes parmi les plus « attractives », car c'était
là vraiment une « primeur » pour le public bruxellois, — et l'on se sou-
vient de l'admirable façon dont l'artiste chanta Werther, il y a deux ans,
avec M'" Gabrielle Lejeune, — seront remplacées par deux représentations
de Faust, dont l'intérêt sera beaucoup moindre, évidemment. Il faudra bien
cependant nous consoler. Et, quoiqu'il en soit, la perfection, le charme,
le sentiment, la noblesse avec laquelle M. Van Dyck a inierprété Lohengrin
n'auraient pu taire croire à personne qu'il fût indisposé. Peut-être l'a-
t-on trouvé même plus admirable encore qu'il y a deux ans dans ce rôle
qu'il éclaire de tant d'intelligence, de pénétration, d'un je sais quoi d'élevé
et de profond tout ensemble qu'il met, d'ailleurs, dans l'interprétation de
tous ses rôles et qui le distingue de tant de ténors, trop « ténors «.
En le retrouvant ainsi, grand artiste, au sommet du succès, on s'est rap-
pelé le temps où, faisant son droit à l'Université de Louvain, M. Van Dyck
chantait déjà, simple soldat dans les rangs de la Chorale des étudiants,
puis, soliste remarqué pour sa jolie voix de baryton, tout en cultivant aussi
la littérature, dirigeant un journal jeune, le Polichinelle, composant mémo
des pièces de théâtre, — tel un drame, la Légende de Nathan, qui fut repré-
senté. Cette Légende de Nathan renfermait une phrase qui avait sufS pour
rendre l'auteur célèbre dans la basoche; un des personnages, frappé de
cécité, s'écriait à un moment donné (je ne sais pas si ce n'était pas en
vers), avec un accent déchirant : « Aveugle, oui, aveugle, mais je n'en
vois que mieux l'étendue de mon malheur! » Gustave Flaubert s'était per-
mis une hardiesse poétique à peu près semblable dans une tragédie de
collège, Louis XI, où l'on entendait les victimes du roi décrire ainsi leurs
malheurs : « Monseigneur, nous sommes obligés d'assaisonner nos légu -
mes avec le sel de nos larmes ».
Gomme Flaubert, M. Van Dyck ne persista point dans la tragédie ; il se
contenta de collaborer à quelques revues littéraires: mais léchant l'agrippa
bientôt tout entier. Un soir, — ce furent ses vrais débuts à Bruxelles, —
il chanta le principal rôle du Mefistofele de Boito dans les salons de
M. Michotte, à Bruxelles; le succès qu'il y remporta le décida à jeter son
droit par-dessus les moulins et à devenir un parfait chanteur, ce qui vaut
infiniment mieux que de devenir un parfait notaire. Et, quelque temps
après, il faisait sa première apparition devant le grand public le 8 avril
1883, aux Concerts populaires, le même jour que Rose Caron! Celle-ci
chantait la prière d'Elisabeth et la mort d'YseuU; lui, disait le « Preislied »
des Maîtres Chanteurs. Ce fut un double triomphe. Et bientôt après il se
faisait entendre à Paris, aux concerts Lamoureux. On sait le reste.
Ces détails de jeunesse étaient, je crois, inédits — et intéressants à con-
naître.
Je vou,s ai dit plus haut que la saison théâtrale sera prolongée de quel-
ques jours. En même temps que les représentations de M. Van Dyck, on
passe eu revue, en ce dernier mois, les succès de l'année, parmi lesquels
Tftaïs tient toujours sa place. Les recettes qu'elle fait faire à la direction
ont créé même un proverbe nouveau imité de l'anglais : « T hais Monnaie ! »...
Rien ne manque à sa gloire, décidément!
On s'occupe déjà de la troupe de l'an prochain. MM. Stoumon et Cala-
bresi viennent d'engager comme chanteuse falcon M"= Goulancourt, une
des plus brillantes lauréates de la classe de M'""^ Cornélis-Servais, au Con-
servatoire de Bruxelles, — fort applaudie aux concerts de cet hiver, dans
le Rheingold, notamment, — et comme chanteuse légère, M"' Jane Harding,
qui chanta Phryné à l'Opéra-Comique.
Le dernier Concert Ysaye, dimanche dernier, au Cirque royal, a eu un
succès considérable, dont une large part est r3VBnue à M"° Kutscherra
dans la « mort d'Yseult » et le finale du Crépuscule des dieux. La belle voix,
l'accent tragique, la chaleur communicative de l'intéressante artiste ont
soulevé l'enthousiasme du public; orchestre, tout à fait remarquable et
très brillante fin de saison de cette jeune et vaillante société symphonique
désormais implantée à Bruxelles et féconde en promesses pour l'avenir
du mouvement musical en Belgique.
Terminons par une nouvelle. Il y aura l'été prochain, à Bruxelles, une
grande exposition internationale. Elle sera naturellement l'occasion de
fêtes artistiques importantes. Le gouvernement vient de commander déjà
à M. Paul Gilson la cantate inaugurale ; M. Gilson a choisi son poète,
M. Antheunis, et l'on sait déjà que l'œuvre aura quatre parties, ayant cha-
cune pour thème une chanson populaire; cette cantate sera exécutée en
plein air par 4,400 chanteurs (sociétés chorales et voix d'enfants) soutenus
par '230 musiciens. Voilà au moins ce qu'on peut appeler de la grande
musique ! Une deuxième cantate, destinée à inaugurer la salle des fêtes de
l'exposition, sera commandée également, mais on ne sait pas encore à qui.
Enfin, on compte organiser pendant l'été, au théâtre de la Monnaie, des
spectacles gala et populaires ; et il va sans dire qu'on représentera une
œuvre d'auteurs belges, autant que possible, dit-on, avec des chanteurs
belges ; ce dernier point ne sera pas dilEcile à réaliser, il suffirait de choi
sir dans le tas des étoiles lyriques qui font les délices des théâtres pari-
siens ! L. S.
— On nous écrit de Vienne : L'inauguration du monument de Mozart
a été célébrée dimanche dernier par une matinée musicale dans la grande
salle de la Société des amis de la musique. Pour honorer la mémoire du
sculpteur Tilgner, mort quelques jours avant l'inauguration du monument
qui est sa dernière œuvre, on avait ajouté au programme la Musique funèbre
maçonni>iue et l'Ave veruni de Mozart. La Société philharmonique et la Société
chorale ont exécuté, sous la direction du célèbre kapellmeister Hans Rich-
ter, un programme très intéressant, exclusivement composé d'œuvres de
Mozart. Le concerto pour piano en ut mineur a été magistralement inter-
prété par M. Garl Reinecke, de Leipzig. Dans la soirée l'Opéra impérial
a joué la FlCite enchantée, et mardi dernier, jour de l'inauguration, Don Juan
a été représenté à ce même théâtre. A l'inauguration du monument assistait
l'empereur François-Joseph, avec la cour et les autorités. Les compositeurs
célèbres qui habitent Vienne : Johannès Brahms, Goldmark et BrûU
étaient présents: Antoine Bruckner et Johann Strauss ont été retenus
pour cause de maladie. On remarquait aussi les deux chefs d'orchestre
de l'Opéra-Comique, MM. Richter et Fuchs, avec le directeur et les pro-
fesseurs du Conservatoire. Presque tous les chanteurs et musiciens de
Vienne étaient égalem,ent là. La réparation des torts qu'on peut repro-
cher aux Viennois en ce qui concerne Mozart est tardive, mais complète.
On a fort remarqué la piésence de l'empereur François-Joseph, car
c'est la première fois qu'un souverain d'Autriche prend part a l'inaugura-
tion d'un monument érigé en l'honneur d'un artiste. Celui-ci représente
Mozart debout, dans le costum.e bien connu de son temps, appuyant sa
main gauche sur son clavecin. Le socle, orné de fleurs et d'instruments
de musique, est entouré d'un ravissant groupe d'enfants; il porte la simple
inscription : MOZART — MDCCLVI — MDDXCI. Deux reliefs sculptés
dans le socle montrent Mozart enfant au clavecin, accompagné par son
père et sa sœur, et la dernière scène de Don Juan, Le monument est en
marbre blanc du Tyrol; quelques détails seulement sont eu bronze. Le
public et la presse ont tait un excellent accueil à l'œuvre du sculpteur
Tilgner et tout le monde regrette vivement que son auteur, mort si pré-
maturément, n'ait pas pu être témoin de son succès.
— M. Nicolas Dumba, de Vienne, qui possède déjà beaucoup de manu s-
crits de Schubert, a eu la bonne fortune de trouver et d'acheter une ouver-
ture à quatre mains du maître viennois qui est absolument inconnue. Cette
ouverture sera probablement comprise dans la grande édition complète de
Schubert que la maison Breitkopf et Hœrtel de Leipzig est en train de
publier avec les soins etle luxe que ces éditeurs prodiguent à toutes leurs
publications importantes.
— Voici que le portrait de Richard Wagner sert de marque de fabrique
commerciale, en dépit des résistances des intéressés. Il paraît qu'un
négociant de Vienne, qui s'appelle précisément, lui aussi, Richard Wagner,
a fait enregistrer une marque de fabrique qui n'est autre que, non pas
son portrait, qu'il a sainement jugé devoir être sans effet sur le public,
mais celui de l'auteur de Lohengrin et de l'Anneau de Nibelung. Là-dessus,
intervention, réclamation et procès de M"" Wagner et de son fils Siegfrid,
protestant contre cette profanation, l'auguste image du maître ne pouvant
servir de véhicule à un vulgaire produit commercial. Le ministère du
commerce en a pourtant jugé autrement, et il a repoussé la réclamation
en constatant que rien, dans les lois en vigueur, n'empêchait de se servir,
comme marque de fabrique, du portrait d'une personne quelconque.
134
LE MENESTREL
— Agar dans te désert, l'oratorio biblique de Rubinstein. vient d'être
exécuté sous forme de spectacle, avec décors et costumes, au théâtre muni-
cipal de Breslau. L'affiche était complétée avec le Joseph de Méhul.
— Le chef d'orchestre du Palmengartens de Francfort, M. Cari Stix, vient
de donner un festival entièrement consacré aux œuvres de Gounod et de
Massenet. Les fragments de Faust, de la Reine de Saba, de Mireille pour
Gounod, l'ouverture de Phèdre, les Scènes pittoresques, Sevillana de Don César de
Bazan et les Scènes napolitaines pour Massenet, ont été chaleureusement
acclamés par le public.
— Le théâtre municipal d'Elberfeld a joué avec succès un nouvel opéra en
quatre actes, intitulé Allireeht Roser, un héros badois, dont la musique est de
M. Ernest Korten. Un autre opéra nouveau en un acte, intitulé Gunard,
paroles de M. Joseph 'Walter, musique de M.Jules f^aubner, a été joué
avec beaucoup de succès à l'Opéra municipal de Stettin : c'est encore une
imitation de Caealleria rusticana.
— Un pianiste de Cologne, M. Ed. Mertke, qui est mort en cette ville,
a laissé un opéra intitulé Cyrille de Thessalonique, qu'il avait dédié à l'em-
pereur de Russie. La direction de l'Opéra de Saint-Pétersbourg a fait
venir la partition et va statuer sur sa représentation.
— Y a-t-il en effet une supercherie"? et dans quel but? Si nous en devons
croire un journal de Cologne, le jeune Raoul Kockzalski, le petit pianiste
prodige qui s'est fait applaudir dans toutes les grandes villes musicales de
l'Europe, aurait trompé le public sur son sexe et appartiendrait à celui
auquel nous devons Louise Michel.
— Correspondance de Barcelone. 20 avril 1896. Grand Théâtre « del
LiceOB. Première représentations des opéras Manon Lescaut, de Puccini, et
Falstaffde Verdi.
Cette fois nous n'avons point le droit de nous plaindre. Le Liceo n'a
rouvert ses portes, pour l'arrière-saison de « Primavera », que depuis huit
jours, et déjà deux grandes nouveautés nous ont été données.
Manon Lescaut avait été très prônée, trop prônée à l'avance : L'impression
a été une désillusion ; et la Manon française, du Français Massenet, a en-
core de belles soirées sur les planches « lycéennes ».
M. Puccini, pour écrire sa partition, a fait construire son livret diffé-
remment de celui qui inspira le chantre de Werther et de la Navaraise ; il
a surtout cherché à mélodramatiser le sujet, et il s'est d'autant éloigné de
la marche du livre de l'abbé Prévost. Mais les lecteurs du Ménestrel doivent
déjà savoir tout cela. Je passerai donc outre, et sans non plus m'arrêter à
l'analyse de la partition, j'arriverai à l'impression produite, qui a été froide.
On accuse M. Puccini de vouloir faire du Wagner en passant par Mascagni.
Il y a un peu de cela... et beaucoup d'autres choses. Nous eussions peut-
être préféré du Puccini pur. Il y a cependant quelques choses bonnes
dans ce gros ouvrage ; mais c'est noyé dans trop d'tndécision et surtout
dans trop de bruit. On a cependant applaudi le menuet, l'air de Manon
au deuxième acte et le finale fugué de ce même acte. Puis, au troisième, le
duo des deux amoureux, dialogué à miracle. M""» Tetrazzini est une bonne
Manon et M. Moretti un Des Grieux pas méchant du tout. Nous parlerons
de l'orchestre une autre fois.
Quant au Falslaff de Verdi, qui persiste à écrire de la musique compré-
hensible et qu'on peut écouter sans risquer de devenir enragé, c'a été un
succès complet, succès auquel rien n'a manqué, pas même une manifesta-
tion des modernitses de l'incohérence. Le baryton Blanchart est un sir
John espagnol, c'est-à-dire plutôt un Bartholo ; mais il est plein d'entrain
et chante fort joliment. On lui a trissé le couplet: Quand j'étais page.
M"'' Tetrazzini est toujours charmante, et l'orchestre... ah! cette fois-ci
l'orchestre a été parfait.
L'existence du « Théâtre-Libre s et de « l'Œuvre » empêchait de dormir un
groupe de catalanistes qui catalanisent, en Catalogne, tout ce qui est sus-
ceptible de catalanisation. Et, par ainsi, le n Théâtre indépendant» nous est
né, avec le but de nous faire connaitre, en dialecte catalan, les oeuvres
dramatiques étrangères étranges. Le début vient d'avoir lieu a\ecEspectres,
adaptation des Revenants, d'Ibsen, due à MM. Pompeyo Fabra et Joaquin
Casas. Cette version ne semble pas mauvaise ; mais l'interprétation de
l'ouvrage confiée à des amateurs, a été navrante. C'est une revanche à
prendre, mais avec des acteurs qui soient... du bâtiment. A.-G. Bertal.
— Le répertoire français n'a pas à se plaindre de la part qui lui a été
faite dans la récente saison de la Scala de Milan. Les œuvres représentées
au cours de cette saison sont au nombre de dix, et voici le nombre de
représentations obtenues par chacune d'elles : Henri VIII, 9; Samson et Da-
lila, 12; la Damnation de Faust, ',i ; Ratcliff, 6; Carmen, 2; la Navarraise, I;
Hamlet, S; les Pêcheurs de perles, 3 ; Zanello, i; André Chénier, H. Ainsi, sur
-10 ouvrages, 7 français, et sur 59 représentations, 38 pour ceux-ci. Ajoutons
qu'en ce qui concerne les ballets, Coppélia a été jouée 12 fois.
— M. Pietro Mascagni, continue d'improviser des opéras. On assure
qu'en ce moment il en termine un qui a pour titre Vestilia, et qu'il en a
déjà sur le chantier Néron, — tout comme M. Boito.
— Au théâtre social de Trente, on a donné avec succès, le H avril, un
opéra en deux actes, / Fugrjilivi, paroles de M. Francesco Mottino, musique
de M. Cesare Rossi, dont les deux rôles principaux étaient tenus par
M°>'= Garnielli-Doncich et le ténor Luttercto. Ce dernier simple amateur.
— Le conseil communal de Venise a voté un subside de 4.000 francs
pour quelques exécutions, au grand théâtre de la Fenice, du bel oratorio
de Gounod, la Rédemption, exécutions qui auront lieu dans le courant du
mois de mai. Le soin des études et la direction sont confiés au maestro
Bossi, le nouveau directeur du lycée musical Benedetto Marcello.
— L'Italie continue sa consommation d'opérettes. A Empoli on en a re-
présenté une intitulée Luisa Willars, dont l'auteur est le maestro Augusto
Gilardetti ; et à la Fenice, de Trieste, la compagnie Palombi a joué avec
succès /os Halcineros, autre ouvrage de ce genre dont la musique est due à
son chef d'orchestre, M. Adorni.
— Nous en sommes décidément aux manifestations musicales excentriques.
Sous la direction de M"' Emma De Stefani, fille d'un professeur distingué,
la ville de Bologne vient d'avoir récemment le régal d'un, concert de lingt
harpes. <i C'est la première fois, dit le Trovatore, qu'on entend en Italie un
concert avec un nombre si considérable de harpes v. Espérons qu'on s'en
tiendra là. La harpe est assurément un instrument délicieux; mais vingt
à la fois, c'est beaucoup pour des oreilles tant soit peu délicates.
— Le grand festival triennal de Bristol aura lieu cette année les 14, 15,
16 et 17 octobre. On assure qu'au nombre des œuvres nouvelles qui y se-
ront exécutées, figure une Messe de Requiem trouvée dans les papiers de
Gounod (?) et absolument inconnue en Angleterre. Nous supposons qu'il
s'agit ici du Requiem exécuté à Paris après la mort du maitre. Parmi les
autres œuvres inédites qu'on entendra au festival, on annonce un concerto
pour orgue de M. Ebenezer Prout, un poème symphonique de M. A.-C.
Mackenzie, une courte cantate de M. Napier Miles et un petit poème or-
chestral de M. Edward German.
— Les journaux de New-York racontent que M. Paderewski, qui vient
de partir pour Londres, a laissé 50.000 francs à MM. William Steinway,
Mason et Higginson comme curateurs (trustées) d'une c fondation Pade-
rewski pour l'encouragement des compositeurs de musique en Amérique».
Cette fondation distribuera, tous les trois ans, trois prix de 2.o00, l.SOO et
1.000 francs pour des compositions diverses, surtout pour des morceaux
d'orchestre et de musique de chambre.
— Sous ce titre: Chants du Centenaire, un journal de Boston, the Domi-
nante, publie un article curieux sur la musique nationale américaine au
temps de Washington et de la guerre de l'Indépendance. Au cours de
l'article sont reproduites des pièces de musique dans l'édition du temps,
telles que la première édition de Hait Columliia, portant en tête le portrait
de Washington, la Marche funèbre et Monodie du général George Washington,
composée pour l'ocurrence et respectueusement dédiée au Sénat des États-Unis, par
son humble serv. : B. Carr.
— Toujours la question des chapeaux de femmes au théâtre. Elle s'en-
venime en Amérique, ainsi que nous l'avons fait connaître en annonçant
le vote récent d'une loi rendue sur ce sujet par l'État d'Ohio. Les ti victimes»
de cette loi n'ont pas tardé à se rebiffer, et voici qu'une dépêche de Cincin-
nati (Ohio) annonce que les « dames de la meilleure société » de la ville
ont décidé de se venger du vote de la nouvelle loi leur interdisant sous
peine d'amende de porter au théâtre des chapeaux empêchant les personnes
placées derrière elles de voir ce qui se passe sur la scène. Elles se propo-
sent, en effet, de faire présenter immédiatement à la législature un nouveau
projet de loi punissant de la même amende les hommes qui quittent leurs
sièges pendant les entr'actes, ou qui chiquent et crachent leur jus de
tabac! « Comme ce sont encore les hommes seuls qui font les lois dans
l'Etat de l'Ohio, a dit l'une d'elles, il est impossible de dire si le projet
sera voté. Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il sera présenté. » Voici
décidément une rallonge à apporter au chapitre d'Aristote surles chapeaux.
PARIS ET DÉPARTEWENTS
A l'Opéra, c'est M"" Deschamps-Jéhin, dont on annonce la rentrée
pour le mois prochain, qui chantera la Reine dans la reprise prochaine
à'IIamlet.
L'un des ouvrages du répertoire dont les directeurs doivent refaire suc-
cessivement ks décors brirlés dans l'incendie de la rue Richer, qui suc-
cédera au chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas, sera très vraisemblablement
les Huguenots, interprétés par MM. Alvarez, Delmas, Renaud, M°"^' Bréval,
Deschamps-Jéhin et Agussol. On s'occupera presque en même temps de
remettre à la scène Guillaume Tell.
M'"^ Berthet vient de renouveler son engagement.
M. Van Dyck, qui est en ce moment à la Monnaie, à Bruxelles, et qui
doit donner ensuite des représentations en Espagne, viendra, dans le cou-
rant de juin, chanter Loheni/rin et Tannhiiuser .
— A rOpéra-Comique, M. Carvalho a engagé pour trois années, à partir
de septembre prochain, M"° Gabrielle Lejeune qui vient de la Monnaie.
C'est là une excellente acquisition pour ce théâtre où, sans aucun doute,
M"= Gabrielle Lejeune qui, en plus de ses qualités vocales, est une artiste
très intelligente, retrouvera, dans les rôles de soprano dramatique, les
grands et mérités succès qu'elle ne cessa de remporter à Bruxelles.
Hier samedi, M. Clément a dû reprendre, dans Lakmé, le rôle de Gérald,
qu'il n'avait pas joué depuis deux ans.
M. Carvalho s'étant trouvé dans l'obligation de refaire l'un des décors
du Clievalier d'Harmental, la première représentation de l'ouvrage de
MM. Ferrier et Messager est reculée de huit jours et n'aura lieu que le
lundi 4 mai. Répétition générale le samedi 2.
Aujourd'hui dimanche, en matinée Manon, le soir Mignon.
LE MENESTREL
135
— Lecture a été donnée, dar.s la dernière séance Je l'Académie des
beaux-arts, des lettres par lesquelles MM. Gabriel Fauré, Gastinel, Victorin
Joncières, Gh. Lefebvre, Cb. Lenepveu, Marécbal, Eric Satie, "Widor, po-
sent leur candidature au fauteuil vacant par suite du décès d'Ambroise
Tbomas. Sur la proposition de l'Académie, le nom de M. Bourgault-Du-
coudray a été ajouté à cette liste. Le classement des candidats dû avoir
lieu au cours de la séance d'hier samedi. Ainsi que nous l'avons dit déjà,
c'est dans celle de samedi prochain, 2 mai, qu'il sera procédé à l'élection.
— Le comité pour l'érection d'un monument à la mémoire de Gounod
s'est réuni mardi dernier, au GatUois, pour élire un président en rempla-
cement du maître regretté Ambroise Thomas. M. Reyer a été nommé à
l'unanimité. MM. Massenet et Gérôme sont vice-présidents. On sait que la
souscription a dépassé le chiffre de cent mille francs.
— La Société des compositeurs de musique met au concours pour
l'année 1896 : i" Un Quatuor k cordes. Prix unique de 5U0 francs (allocation
de M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts). — 2° Une
Sonate pour piano et violoncelle. Prix unique de 300 francs (fondation
Pleyel-Wolff). — 3° Un Motet pour voix seule ou plusieurs voix, avec ac-
compagnement d'orgue. Prix unique de 200 francs (reliquat du prix
Ernest Lamy, non décerné). — 4° Un Sextuor en trois petites parties pour
instruments à vent. Prix unique de 300 francs, offert par la société. Le
choix des instruments est laissé à la volonté des concurrents. Une réduc-
tion au piano devra accompagner le manuscrit. — On devra adresser les
manuscrits avant le 31 décembre 18%, à M. AVeckerlin, archiviste, au
siège de la Société, 22, rue Rocbechouart, Maison Pleyel-Wolff et G'". Pour
le règlement et tous renseignements, s'adresser à M. D. Balieyguier,
secrétaire général, 9, impasse du Maine.
— La Société des auteurs et compositeurs dramatiques vient de publier
le compte de ses recettes et dépenses du 10 mars 1893 au 10 mars 1896,
quant à la caisse sociale. Le total des recettes s'est élevé à 176.659 fr. SI c. ;
celui des dépenses à 133.923 fr. 40 c. Parmi les titres de celles-ci, nous
trouvons qn'il a été servi 61.500 francs de pensions, 34.440 francs de
secours aux sociétaires et 6.484 fr. 63 c. pour honneurs funèbres et sous-
criptions. On voit quels services — en dehors de la perception des droits —
rend la société à ses membres. Ajoutons qu'on nous promet une sur-
prise pour l'assemblée générale, et que le nombre des pensions serait aug-
menté. Espérons que ce vœu si intéressant pourra se réaliser, et félici-
tons-en les membres de la commission et ses deux agents généraux.
— L'assemblée générale de la Société des auteurs dramatiques aura lieu,
salle liriegelstein, le mercredi 6 mai, à deux heures très précises. Membres
sortants : MM. François Coppée, Paul Ferrier, Philippe Gille et Henri
Meilhac, auteurs; M. Louis Varney, compositeur. Un cinquième auteur
sera nommé pour une année seulement, en remplacement de M. Alexandre
Dumas, qui avait accompli deux années comme président. Le rapport, que
l'on dit fort spirituel, sera présenté à l'assemblée par M. Henri Lavedan.
— M"" Nevada est rentrée à Paris cette semaine, retour d'Amérique,
où elle vient de faire une superbe tournée. Mignon, Faust et Lakmé lui ont
surtout valu d'inoubliables triomphes.
— Un groupe de musiciens et d'amateurs de musique français se pro-
pose de fonder à Paris un cercle Mozart, comme il en existe dans diverses
villes d'Angleterre et d'Allemagne. Ce cercle aura à la fois pour objet
d'offrir aux admirateurs de Mozart une exécution correcte et soignée de
ses œuvres, et de réhabituer le public à connaître et à goûter un des plus
purs génies de l'art musical. Dans ce but, le cercle Mozart organisera tous
les ans, de mois en mois, sauf les quatre mois d'été, huit séances de musi-
que de chambre, pour lesquelles il s'est assuré déjà le concours d'artistes
éminents, tous nourris du style classique et fermement résolus à donner à
ces séances le caractère de perfection qu'il est nécessaire qu'elles aient.
Une ou deux fois par an, suivant l'état des fonds du cercle, ces séances
de musique de chambre seront remplacées par des concerts avec chœurs et
petit orchestre. Les fonds du cercle seront fournis par les souscriptions de
ses membres, au nombre de cent. Le montant de ces souscriptions est fixé
à quarante francs par an pour une seule personne, soixante francs pour
deux personnes souscrivant en commun. Toutes les communications de-
vront être adressées à M. Milan, 229, rue du Faubourg-Saint-Houoré.
— A propos de la récente reprise de l'OEU crevé aux Variétés, on a dit
qu'Hervé avait laissé une partition inédite, Mimi, sur un livret en trois
actes de MM. Blavet et Delilia. On sait qu'il existe encore de l'auteur du
Petit Faust deux opéras bouffes en trois actes également, le Rubicon et
Frivoli, et un petit opéra comique en un acte, l'Elixir, plus nombre de mor-
ceaux séparés, piano, chant ou danse.
— Ainsi que nous l'avons annoncé dimanche dernier, MM. Eugène
Ysaye et Raoul Pugno donneront, salle Pleyel, plusieurs séances de mu-
sique de chambre. Il y aura quatre séances qui auront lieu les 8, 11, 15
et 18 mai, à 4 heures et demie, et seront absolument consacrées aux
chefs-d'œuvre de la sonate ancienne et moderne pour piano et violon.
Les programmes sont ainsi arrêtés : 1'' matinée : Bach, Beethoven, César
Franck ; 2» matinée : Schumann, Saint-Saëns, Schubert ; 3= matinée :
Brahms, Grieg, Lalo ; 4" matinée : Fauré, Mozart, Castillon. Voilà qui
n'est certes pas banal comme programme, et qui le sera encore moins,
exécuté par deux merveilleux artistes tels que MM. Pugno et Ysaye.
— La Société des concerts atermine noblement sa soixantième session en
nous faisant entendre l'admirable Messe en ré de Beethoven, que le maître
appelait lui-même « son œuvre la plus accomplie » en l'adressant au roi
Louis XVni, qui lui envoyait en guise de remerciement une médaille d'or.
Beethoven, qui avait commencé dès 1818 à travailler à cette composition
colossale, qu'il eût désiré voir exécuter à la cérémonie d'installation de l'ar-
chiduc Rodolphe, frère de l'empereur, son élève et son protecteur, comme
cardinal-archevêque d'Olmûtz, ne put être prêt pour cette solennité, qui
eut lieu en 1820. L'œuvre ne fut achevée qu'en 1822, et c'est seulement le
7 mai 1824 qu'elle tut entendue pour la première fois, dans une «grande
séance musicale » donnée par Beethoven au théâtre de la Porte de Carin-
thie, à Vienne, où les soli étaient chantés par M'"« Sontag et Garolina
Unger, car Heinzinger et Seipelt. Elle fut payée mille florins par l'éditeur
Schott, ce qu'on ne saurait assurément trouver excessif pour une compo-
sition de cette valeur et de cette importance. Je n'ai pas à m'étendre
davantage ici à son sujet, les lecteurs de ce journal ayant été suffisam-
ment instruits de tout ce qui la concerne. Je me bornerai à constater
l'exécution remarquable dont elle vient d'être de nouveau l'objet au Con-
servatoire, où les soli étaient conaés à Mi'ei^Eléonore Blanc et Cécile O'Rorke,
à MM. "Warmbrodt et Auguez, qu'on ne saurait trop féliciter du talent
qu'ils y ont déployé. Quant à l'orchestre et aux chœurs, ils ont été super-
bes de vigueur et de précision et se sont montrés à la hauteur d'une tache
dontles difïïcultés pourtant semblent parfois insurmontables. Ou ne saurait
leur adresser un éloge plus complet et plus mérité. A. P.
— Au théâtre Mondain, mardi dernier, séance extrêmement brillante
pour l'audition des élèves du cours d'opéra de M""' Marchesi. Nous avons
entendu là une dizaine de jeunes filles qui sont venues jouer, en costumes
et avec décors, des sîènes et jusqu'à des actes entiers d'opéras. Voilà un
effort véritablement artistique et qui ne peut manquer de porter ses
fruits. Parmi ces jeunes personnes, dont, pour certaines, les études sont
déjà fort avancées, je citerai en premier lieu M"= Kirine (Russe), qui a
dit la scène des lettres de Werther avec une émotion vraie et une
sobriété remarquable, ainsi que M'" Aïna (Finlandaise), qui a déployé
une belle et solide voix de mezzo soprano dans un fragment de Psyché,
fort bien dit par elle avec M"= Boucicault (Australienne), que nous avons'
revue dans le duo de l'Alouette de Roméo et Juliette. Une jeune personne
d'une beauté rare, M"« Toronta (Canadienne), s'est distinguée dans l'acte
du jardin de Famt, et M«= Kosminska (Anglaise), a déployé une virtuosité
déjà très sûre dans l'air de l'Ombre du Pard(jji de Ploërmel. EnBu, il faut
signaler encore M"« Sanda (Américaine) dans le second acte de Lahné,
M""» Tornani (id.) dans une scène de Mignon, et M'" Francisca (id.) dans
le second acte de Rigolelto. Toutes ces jeunes filles, qui font véritablement
honneur à l'enseignement et â l'école de M"»= Marchesi, avaient, pour
leur donner la réplique, trois artistes de l'Opéra, MM. Gauthier, Cabil-
laud et DouaîUier, et pour les accompagner, MM. Mangin et Panzani. On
voit qu'aucun élément n'avait été négligé, et que la séance ne pouvait
manquer d'offrir un très vif intérêt. j^_ p_
— Un vrai régal, cette audition de ses élèves donnée lundi soir, par
Mme Marie Roze, sur le joli petit théâtre de son atelier professionnel de la
rue de la Victoire. La soirée était dédiée à la musique de Massenet, et le
maître l'honorait lui-même de sa présence. Nous avons eu en scène et en
costumes trois scènes de Manon, une de Werther, une de Thàis. Dans la
rencontre de Manon avec Lescaut, puis avec Des Grieux au premiei acte,
M"= Wehrung, M. de Lacroix, M. Rivière, ont chanté et joué avec uiî
accent de vérité et un acquis déjà fort remarquables. Dans la scène du
deuxième acte, c'est M'i^ Edith Mac-Ray qui a pris le rôle de Manon et a
fort bien dit adieu à sa petite table. Enfin, dans la grande scène de Saint-
Sulpice, M'M Marie Roze a repris le rôle à son tour, ce rôle, que nous la
vîmes créer si brillamment à Londres, il y a bientôt onze ans (nous étions
à la première), à Hors Majesty's Théâtre, et où elle inaugura cette ravis-
sante Gamlte que Massenet venait d'écrire exprès pour elle. En la voyant
et l'écoutant enlever avec tant de mapstria e't de passion juvénile cette
dramatique scène (où son élève Rivière l'a admirablement secondée), nous
étions comme dans un rêve et ne pouvions croire que onze printemps' avait
passé sur nous. La scène du troisième acte de Werther, dite par M"" G
Amaury (Charlotte) et Mii-= Yvonne Lachaux (Sophie), l'a été au mieux et
fort goûtée. Enfin celle du deuxième acte de Thdis a été rendue à mer-
veille, largement et poétiquement, par M»e de Réville, une grande et belle
Thaïs. Digne clôture de cette intéressante séance, où une réunion d'élite
a applaudi de tout cœur cette école de jeunes élèves qui promet à notre
musique française de vaillants artistes excellemment préparés. En leur
faisant l'honneur de les accompagner, Massenet avait achevé de leur
communiquer le feu sacré. q,, ^
— Le second concert classique et moderne de M°>f Blanche Marchesi n'a
pas été moins brillant que le premier et n'a pas valu un moindre succès
à l'excellente artiste, dont on a applaudi de nouveau la belle voix, le grand
style et la profonde émotion qu'elle sait communiquer à son auditoire.
Sur le programme se côtoyaient les noms de Carissimi, de Schubert, de
Schumann, de Bach, de Gluck, avec ceux de Gounod, de Massenet, de César
Franck, de Vidal et de M™ de Grandval. Le gros succès a été pour deux
linder de Schumann, pour la Chanson de la Glu de Gounod, et Scparalion de
Massenet. On a bissé les deux mélodies de Schumann, que M"i= Blanche
Marchesi a chantées avec un accent pénétrant que je n'ai jamais rencontré
avec tant d'intensité, on a bissé la Glu, on aurait tout bissé... G a été un
136
LE MÉNESTREL
vrai triomphe de cantatrice. A côté d'elle, un yioloncelliste de beaucoup
de talent, M. Abiattc, a su encore se faire applaudir, ce qui n'était pas
aisé. A. P.
— Le concert donné mercredi dernier, à la salle Pleyel, par M"= Ida
■Wilson, a été pour cette toute jeune cantatrice l'occasion d'un véritable
triomphe. Toute la colonie américaine et anglaise s'était donné rendez-
Tous pour fêter l'aurore de cette nouvelle étoile au firmament de l'art. Il
est juste de dire cependant qu'une grosse part des éloges s'adressait à son
éminent professeur, M°"^ Yveling Rambaud, éloges dont la grande canta-
trice Christine Nilss on, comtesse de Miranda, s'était faite l'interprète.
Quelle meilleure consécration pouvait avoir l'enseignement transcendental
de M"'' Yveling Rambaud! M"'Moreno, de la Comédie-Française, MM. Paul
Viardot, Charles l-'oerster, Mariotti, Laudneretle cithariste Schoffer. avaient
prêté le concours de leur beau talent à cette solennité musicale. R.
— MM. I. Philipp, Bémy, Loeb, Balbreck, Gillet, Turban, Hennebains,
Reine et Letellier annoncent une séance supplémentaire très intéressante
pour le 30 avril, avec le concours de MM. 'Widor, Teste et de Bailly, dont
voici le programme : triple Concerto de Sébastien Bach, Pièces pour hautbois
de Schumann, Aubade de Lalo, Sérénade de Widor, Septuor de Saint-Saëns.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Messe solennelle en ;■<• (Deethoven), soli par M''" Blanc, Cécile
O'Rorke, MM. Warmbrodt et Auguez; Ouverture de Fidelio (Beethoven).
Concert du Jardin d'Acclimalion. Chef d'orchestre, M. Louis Pister:
Ruy-Blas, ouverture (Mendelssohm; le Dernier Sommeil delà Fî'eije (Massenet) ;
Finale de la S9' Symphonie {Hay in) ;Romanceeu so/, violon, M. Fernandez (Beetho-
ven) ; -Yamouna, suite d'orchestre (Li\o)\ Marche funèbre d'une marionnette (Gou-
nod); Joctlyn. A Berceuse; B. Carillon (Godard); Sihiller-March (Meyerbeer).
— Strasbourg. Le monde musical de l'Alsace a fêté la semaine dernière
l'orchestre Colonne dans un concert organisé à Mulhouse et dans deux
concerts organisés à Strasbourg par M. Lazare Wolff. La brillante Associa-
tion artistique a fait impression, entre autres dans l'exécution de l'ouver-
ture du Roi d'Ys, du regretté Xalo, si captivante par son coloris, son par-
fait assemblage des timbres et ses sujets bien mélodiques. M. Baretti a
délicieusement phrasé l'andante pour violoncelle. Bis pour la rêverie Sous
les IHleuls, des Scènes alsaciennes de Massenet, que MM. Terrier, clarinet-
tiste, et Barretti ont dialoguée avec une tendresse ravissante. Eclatant suc-
cès pour les airs de ballet du Cid, de Massenet, et pour Conte d'Avril, de
Widor, dont M. Selmera moelleusement rendu le Nocturne pour ilùte, d'un
sentiment tout élégiaque, et dont M. Paul Oberdœrfl'er a phrasé le vaporeux
et chantant Clair de lune pour violon avec une grande distinction de style
et un charme communicatif. M°" Auguez de Montalant, dont le talent s'im-
pose, a nuancé avec un art accompli des solos de Saint-Saéns et de Ber-
lioz. Comme solistes on a applaudi, en outre, MM. Monteux, alto, et Longy,
hautbois. La symphonie en si bémol de Schumann, la symphonie en fa
de Beethoven, le prélude de Parsifal, la marche hongroise de la Damnation
de Faust, des fragments du Septuor de Beethoven, l'ouverture de Benveuuto
Cellini, Canzone ei Gavotte de M. Marie-Joseph Erb, sérénade des Impressions
d'Italie, de Charpentier, et le ballet d'.Iscamo de Saint-Saëns, complétaient la
partie orchestrale de ces deux impressionnantes auditions, dont la réussite
engage M. Colonne et sou bel orchestre à une promesse de retour. — A. 0.
— A Montpellier on a donné, le semaine dernière, la première repré-
sentation de la Navarraise, qui a remporté un immense succès. M""' Érard
et M. Bucognani ont triomphé Jans l'œuvre de MM. Claretie, Gain et
Massenet. Bonne interprétation d'ensemble et double rappel à la fin de
l'ouvrage.
— A Dijon la saison musicale bat son plein et, de tous côtés, on nous
signale de fort intéressantes réunions. Il faut mentionner la fête organisée
par la Société de secours aux blessés de terre et de mer, le concert donné
par M. Jemain, professeur au Conservatoire de Lyon, les auditions de la
Messe de Franck et du Stabat mater de Magner données sous la direction
de M. Guzman, par « la Cecilia ». En voilà plus qu'il n'en faut pour placer
Dijon au rang des centres musicaux les plus importants de province.
— Au théâtre du Capitule, à Toulouse, réussite complète pour le déli-
cieux acte de MM. Georges Boyer et Massenet, le Portrait de Manon, joué et
chanté à ravir par M^^^ Ribes-Tournié, M"" Albouy, MM. Corin et Juteau.
« A la chute du rideau, dit M. 0. Guiraud de l'Express du Midi, le public a
battu des mains, applaudissant chaleureusement ce charmant petit ouvrage,
les interprètes et l'orchestre qui, très finement, a exécuté la partie sym-
phonique. »
— A La Rochelle, la dernière séance de la Société symphonique des
concerts populaires, a été particulièrement brillante. MM. Jean Canivet,
pianiste, André Bretagne, violoniste, et Ferrand, violoncelliste, se sont
fait vivement applaudir.
— On annonce pour les jeudi 30 avril et samedi 2 mai, au Conservatoire
de Nancy, sous la direction toujours artistique du directeur, M. J. Guy
Ropartz, deux auditions de Rédemption de César Franck. Les chœurs seront
chantés par la chorale Alsace-Lorraine et les chœurs du Conservatoire, et
M"<= Eléonore Blanc dira les soli.
— CoNCEiiTs ET SoinÉEs. — Salle Érard, superbe audition des œuvres de Masse-
net donnée par M"" Henriette Thuillier. La séance entière n'a et 5 qu'une longue
ovation pour notre grand maître d'abord, qui s'est prodigué avec une exquise
bonté en accompagnant lui-même les artistes, et pour M"" Eléonore Blanc et
M. Delsart, qui ont transporté l'auditoire. M'" Blanc, admirable dans l'air de Mari-e
Magdeleine, les Larmes de Werther, l'Hymne à l'Amour, a été délicieuse dans les En-
fants,Ouvi-c tes yeux bleus et l'I'h'eulaiU^aAntk M. Delsart, que dire de lui qu'on n'ait
pas déjà dit? L'entendre jouer la Méditation de Thais, le Nocturne de la Navarraise,
le Dernier Sommeil de la Vierge, avec Massenet lui-même au piano, est un véritable
rêve réalisé, dont on gardera un souvenir ineffaçable. Les élèves de M"' H.
Thuillier ont bien mérité aussi leur part d'éloges. A citer : Le Duo d'Arlequin et
de Cotomdme (Marie-Thérèse C), Parade militaire [Renée F.), Entr'acle de Don
César de Bazan (Marguerite M.), Air de ballet (Alice L.j, andaute et valse du Itoi de
Lahore {Fa.nnY V.), l' Angélus [ThéréseB.), \e qaataor d' Esclarmonde IGermsdne L. S.),
la Ft'fe ()0/iéme (Pauline H.), t Improvisateur des Seines napolitaines i Andrée L,), la
Toccata et le Clair de lune de Werther (Élizabeth P.), le Nocturne de la Navarraise
et Au cabaret (Berthe IL), la danse des Scènes napolitaines (Julia S.), l'Ouverture de
Phèdre à 2 pianos, Dimanche ioir des Scènes alsaciennes : Jeanne R.) ; la danse des
Saturnales des Érinnyes à 2 pianos 8 mains a clôturé brillamment la série des
morceaux de piano. En résumé, succès complet et qui fait le plus grand hon-
neur à M"" Henriette Thuillier. — Au cercle de l'Union artistique, très grand
succès pour U" Lovano, qui a détaillé d'exquise façon, l'Amour est un enfant
trompeur et Mon petit cœur, romances du XVIII" siècle recueillies par 'Weckerlin.
— Très joli concert à l'issue du dernier dioer de la « Betterave >. On a fait fête
à M. Léon Delafosse dans ses Valses-Préludes, à M— Jeanne Remacle dans le Itouel
de Paladilhe et les Caprices de la Heine de Blanc et Dauphin, à M. Isnardon et à
M"' Biudoin. Mais le clou de la soirée a été pour une sélection de la Chanson
desJoujoux de Jouy, Blanc et Dauphin, délicieusement chantée par M"° Remacle,
M. Isnardon et un chœur d'enfants sous la direction de M. Blanc ; à M, Isnardon
on a bissé les Sabots et les Toupies et le Dernier Joujou, à M"' Remacle, accom-
pagnée de M. Isnardon et des chœurs, la Chasse, enfin aux chœurs, les Crécelles.
— Au Trocadéro, M. Guilmant a fait entendre des œuvres nouvelles de
Populus et de L. Boellmann, ainsi qu'un Posllude nuptial de sa composition.
Ces différentes œuvres ont été fort bien accueillies du public. M"*Jenny Passama
et M. Paul Viardot ont obtenu le plus vif succès. — Brillant audiloireau second
concert de la jeune virtuose Marie Weingaertner, et grand succès pour tous
les numéros d'un programme très corsé. Exécution magistrale d'ufle fugue de
Bach, de la belle sonate op. 27 de Beethoven et du Carnaval de Schumann. Les
études de Chopin, surtout celle en tierces et celle en sixtes permettent à la jeune
artiste défaire admirer son mécanisme. Dans la ballade de Chopin, comme dans
la délicieuse romance de Conte d'Avril de Widor, elle faitmontre d'un sentiment
très personnel. Puis enfin, cette belle audition se termine au milieu des ova-
tions par les Feux follets de Listz et le Scherso-Vulse de Chabrier.
— Concerts annoscés. — Demain soir, lundi, concert de M"' Kleeberg, avec
l'orchestre Lamoureux. — Mardi 12 mai, salle Pleyel, MM. \. et C. Geloso, avec
le concours de M»' Colombel et de M. Tracol, donneront un concert eiclusive-
ment composé d'œuvres de Bach.
NÉCROLOGIE
Un artiste qui eut un moment de notoriété, le ténor Michot, vient de
mourir à Chatou, où depuis plusieurs années il vivait dans la retraite.
Né à Lyon, Michot avait commencé sa carrière en province, d'où il était
venu s'enfouir dans un café-concert de bas étage, le café Moka, situé rue
de la Lune. C'est là qu'il fut signalé à Adolphe Adam, qui, frappé de sa
voix pleine de fraîcheur et de suavité, le fit engager au Théâtre-Lyrique,
où il débuta le 23 mai ISSli dans Richard Comr de Lion. L'éducation artis-
tique de Michot était nulle, mais à une voix délicieuse il joignait un cer-
tain sentiment musical et obtenait, surtout dans la demi-teinte, des effets
d'une grâce exquise. Par malheur il était, au point de vue physique,
d'une vulgarité désespérante, et ne savait ni se tenir ni parler en scène;
de plus, extrêmement journalier comme chanteur, il était parfois excellent,
et le lendemain se montrait exécrable. Il obtint néanmoins assez de succès
au Théâtre-Lyrique dans Obéron, Euryanthe, Robin des Bois, la Harpe d'or,
pour que l'Opéra voulût se l'attacher. Il débuta à ce théâtre vers 1863, s'y
montra successivement dans la Favorite, Lucie, Faust, le Trouvère, puis tout
à coup, atteint d'une maladie du larynx, dut rompre son engagement pour
aller se faire soigner on Italie. De retour à Paris, il rentra au Théâtre-
Lyrique, y reparut dans la Flûte enchantée, Martha, Don Juan, et eut l'hon-
neur d'y créer le Roméo et Juliette de Gounod. Arrivèrent les événements
de lS7U-7i, et Michot se compromit sottement sous la Commune, ce qui
le fit interner pendant quelque temps à l'Orangerie de Versailles. Après
cette fâcheuse équipée il se vit obligé de retourner en province, où il ne
fut pas sans éprouver à ce sujet quelques déboires. A Marseille notam-
ment, sa présence au Grand-Théâtre donna lieu à des scènes bruyantes et
presque scandaleuses. La voix d'ailleurs commençait à l'abandonner, et
son habileté de chanteur était insulfisante à suppléer chez lui aux défauts
de l'instrument. Il ne tarda pas à renoncer à la carrière, et se retira
bientôt définitivemenl. Depuis plusieurs années déjà, Michot était devenu
presque aveugle. A. P.
Henri Heugel, directeur-gérant.
ON DEMANDE de suite en province, bon accordeur connaissant la
réparation des pianos, des orgues et de la lutherie. Bonne situation, inté-
ressé aux affaires. Inutile de se présenter sans de sérieuses et bonnes réfé-
rences. — S'adresser aux bureaux du journal.
— ïncre lorilleux,
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3397. — 62- mm — r IS. parait tous les dimanches Dimanche 3 Mai 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique deCliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première Salle Pavart et l'Opéra-Comique, 3» partie (1" article), Arthur
PouGis. — II. Semaine ttiéâtrale ; premières représentations de Deux Sœurs et
de Ruse de femme, k l'Odéon, et de Ciilherine de Russie, au Chitelet; reprise du
Prince d'Aurec, au Gymnase, Padl-Émili; Chkv.vli'eii. — III. La mu3ique et le
théâtre au Salon du Cliamp-de-Mars (1" article), Camille Le Senne. — IV. Le
monument de M-° Carvalho. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LA LÉGENDE DES TROIS PETITS MOUSSES
n" i des Poèmes de Bretagne, musique de Xavier Leroux, poésie d'ANDRÉ
Alexandre. — Suivra immédiatement: Musette du XVII' siècle, harmonisée
par A. PÉRiLiiou.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
TIANO : /'-' Cœur et la Dot, polka- mazurka, d'EpOLARD Strauss, de Vienne. —
Suivra immédiatement : Printemps nouveau, de A. Landry.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA- COMIQUE
1801-183S
(Suite.)
TROISIEME PARTIE
I
Reconstitution de l'Opéra-Conuque avec une nouvelle société d'artistes.
Ceux-ci abandonnent la salle Ventadour pour .s'installer place de la
Bourse, dans la salle laissée libre par les Nouveautés, et rouvrent le
théâtre le 34 .septembre 18SS:. — Apparition et triomphe du Pré aux
Clercs, bientôt suivis de la mort d'Herold. — L' Opéra-Comique va don-
ner des représentations à l'Ocléon. — Les Souvenirs de Lafleur, Ludo-
vic, la Prison d'Edimbourg et quelques autres ouvrages. — Coalition
des auteurs contre la nouvelle administration. Un changement de régime
est imminent. Compétitions et projets divers. Les sociétaires sant obligés
de fermer le théâtre. — Crosnier est nommé directeur de l'Opéra-Comique.
L'Opéra-Comique, sous la direction de Laurent, avait fermé
ses portes le 14 mars 1832. Cette dernière catastrophe avait
mis le comble à l'exaspération du public contre la salle
Ventadour, cette salle construite à si grands frais et qui
semblait maudite. Laurent disparu, la société Boursault
restait debout, émettant plus que jamais la prétention de
conserver le privilège de l'Opéra-Comique et d'obliger celui-ci
à y élire domicile. Mais ce fut un haro général. Le ministère,
sans doute pour la forme, donna à la société un délai de
quinze jours pour reconstituer la troupe et rouvrir le théâtre.
La chose était heureusement impossible. A peine le dernier
spectacle avait-il été donné que les artistes s'étaient empressés
de quitter Paris, les uns par crainte du choléra qui continuait
ses ravages, les autres dans le but d'utiliser leurs loisirs en
donnant en province des représentations. De fait, les proprié-
taires de Ventadour se virent bientôt déchus de leurs droits au
privilège, et, grâce à la bonne volonté générale et aux désirs de
tous, le moment n'était pas très éloigné oii l'Opéra-Comique
allait se reformer ailleurs, sans eux et malgré eux — car ils
cherchèrent à lutter jusqu'au bout et en dépit de tout.
On s'occupa assez rapidement, en effet, d'une reconstitution
du théâtre sur des bases nouvelles. Le ministère était bien
disposé. M. d'Argout, ministre de l'intérieur, obtint des
Chambres le vote d'une subvention de 150.000 francs, et une
nouvelle société d'artistes se forma avec Paul Dutreilh pour
gérant, k qui le privilège fut concédé. Une salle se trouvait
vacante, celle construite en 1826 pour les Nouveautés, place
de la Bourse (1). Nos artistes s'en emparèrent, tout le monde
se mit à l'œuvre avec ardeur, et, la saison favorable appro-
chant, tout enfin fut prêt pour la résurrection d'un théâtre
qui fut toujours cher à la population parisienne. Dans son
numéro dm 20 septembre 1832, le Courrier di's Théâtres faisait
savoir comment les choses s'étaient passées :
Après avoir surmonté des obstacles nombreux, les nouveaux
sociétaires de l'Opéra-Comique annoncent enfin l'ouverture de ce
théâtre. En se chargeant de son exploitation, ils rendent l'existence
aux pensionnaires victimes des clôtures successives de la salle Ven-
tadour, alimentent les exploitations languissantes des provinces,
satisfont aux désirs du public de Paris et rouvrent la carrière à des
compositeurs trop longtemps délaissés. Le privilèsfe leur est concédé
par suite d'un accord avec les anciens sociétaires, à qui l'autorité
supérieure l'avait offert, afin de leur procurer les moyens de rem-
placer, par un contrat nouveau, celui dont l'exécution avait été
interrompue. Diverses propositions leur ont été faites ; mais n'étant
point de nature à être acceptées, leur refus a déterminé la formation
de la société nouvelle : quelques-uns des anciens sociétaires contri-
bueront momentanément à son organisation. C'est dans ce bat que
Martin abandonne un instant sa retraite et vient offrir aussi sa
coopération au souvenir de ceux qui l'ont aimé, à la bienveillance
de ceux qui ne l'ont point connu. L'alliance faite avec MM. les
auteurs, conformément aux conventions stipulées par la commission
dramatique, promet un heureux avenir. De concert avec l'adminis-
tration de la nouvelle entreprise, ils ont aboli les billets dits de
faveur. De vives résistances doivent être opposées, dit-on, à cette
11) Cette salle, où naguère nous avons vu le Vaudeville jusqu'au jour de son
transfert à la Chaussée d'.A.ntin, avait été construite en effet pour le premier
théâtre des Nouveautés, qui en avait fait l'inauguration le l"' mars 1827. Ce
théâtre, après cinq années d'une existence pleine de difficultés et d'agitation,
était mort de consomption dans les premiers mois de 1832.
•138
LE MENESTREL
mesure réclamée depuis longtemps par le public. Les nouveaux
sociétaires se placent sous sa protection et s'efforceront de la mériter
par des efforts que le temps rendra sans doute efficaces.
Malgré tout, la société Boursault ne désarmait pas, et ne
démordait pas de sa prétention à obliger l'Opéra-Comique à
venir demeurer chez elle. La nouvelle administration afQche
son ouverture pour le 2ii septembre à la salle de la Bourse.
Elle reçoit une assignation pour ce même jour. C'est encore
le Courrier des Théâtres qui va nous éclairer sur ce fait : —
« Les pierres de taille de la salle Ventadour, représentées par
leurs actionnaires, poursuivent toujours judiciairement la
troupe de l'Opéra-Comique, qui s'installe aux Nouveautés.
Hier, à six (!) heures du matin, celle-ci comparaissait en
référé, dans la personne de son gérant, qui a, dit-on, si bien
exposé son affaire, que le gain de la cause s'en est suivi.
C'est vraiment curiosité des plus singulières que la conduite
de gens criant sans rire : Venez- vous ruiner che: nous, de par le
roi et justice ! (1) »
Cette fois, tout était bien fini de ce côté. Néanmoins, l'ou-
verture de l'Opéra-Comique annoncée et affichée pour le 12, fut
retardée de deux jours, grâce au formalisme administratif et à
de sottes difficultés soulevées par la préfecture depolice.» Tout
était prêt, disait encore le Courrier dans le même numéro, les
affiches ne s'en étaient pas dédit, rien enfin ne s'opposait à
l'ouverture de l'Opéra-Comique dans la salle des Nouveautés,
quand une lettre de M. Gisquet, le préfet de police, a fait
suspendre l'inauguration. Les difficultés qui en résultaient
sont levées. Un arrêté de cet édile prévient le retour d'un
semblable obstacle et fixe ladite ouverture à demain. »
Elle eut effectivement lieu le lendemain 24 septembre,
avec un spectacle qui comprenait le Mavon et les Voitures ver-
sées. La seule présence de Martin, qui reparaissait dans cette
dernière pièce, eiit suffi pour attirer la foule, quand même le
public ne se fût pas montré dix fois désireux de retrouver
son théâtre favori. De son côté, Ponchard reparaissait dans
le Maçon, si bien que les spectateurs pouvaient applaudir,
dans la même soirée, les deux gloires de l'Opéra-Comique.
11 va sans dire que les nouveaux sociétaires avaient pris
leurs précautions et qu'ils s'étaient assurés de quelques
ouvrages nouveaux. Herold leur avait promis le Pré-aux-Clercs,
qu'il était en train de terminer, et, en attendant cette œuvre
importante, leur avait donné la partition d'un petit acte inti-
tulé la Médecine sans médecin, écrite par lui sur un livret de
Scribe et Bayard. Ce fut la première nouveauté qu'ils offrirent
au public. La Médecine sans médecin, jouée par Ponchard, Vizen-
lini, Henri, M"' Massy et M™° Boulanger, fit son apparition
le 17 octobre. Par malheur, le livret, qui était assez méchant,
fit tort à la musique, qui était fort agréable. L'ouvrage fut
très bien reçu, mais n'eut qu'une courte existence.
Ce sont encore deux actes détachés qui défraient le mois
de novembre. L'un, le Passage du régiment, joué le 5, n'était
que la transformation réduite d'une pièce en deux actes de
Sewrin, Amélie ou les Désagréments, qui avait eu le désagrément
d'être sifflée au Vaudeville le 2 juillet 1822. Malgré la mu-
sique de Catrufo, malgré la présence d'interprètes tels que
Lemonnier, Thénard, Vizentini, M™^ Casimir, Boulanger et
Lemesle, l'ouvrage ne fut pas plus heureux sous sa nouvelle
forme et n'obtint que trois représentations, Sevs^rin n'osant
même pas se faire nommer et se dissimulant sons le vague
pseudonyme d'Edmond. L'autre, un Premier Pas, qui fut offert
au public le 24, ne fut pas beaucoup plus heureux, car il ne
fut joué que sept fois ; Blangini en avait écrit la musique sur
un livret de Mennechet et Roger, qui jugèrent prudent de
garder l'anonyme.
Mais le jour du triomphe approchait. On pressait les études
du Pré-aux-Clercs, sur lequel on comptait avec juste raison,
et bientôt, les 7, 12 et 14 décembre, le théâtre faisait relâche
pour répétitions générales du chef-d'œuvre, dont l'apparition
(1) Courrier des Théâtres, 23 septembre 1832.
avait lieu le lendemain 15. Ce fut un coup de foudre, et
depuis la première représentation de la Damehlanche, on n'avait
pas vu succès si bruyant, si spontané, si éclatant. Toutes les
espérances étaient dépassées. Le poème charmant Ae Planard,
l'admirable partition d'Herold, une interprétation absolument
exquise (1), tout concourait à ce triomphe, qui pourtant fut
interrompu dès la première heure par un caprice inexplicable
de M"" Casimir, chargée du rôle d'Isabelle. On connaît le fait,
qui est devenu légendaire. La seconde représentation affichée
pour le 17, M™ Casimir, se prétendant malade, fait préveûir
qu'elle ne pourra jouer le soir, et le théâtre est obligé de
faire relâche. Personne ne croyait à cette maladie, tandis
qu'une autre, celle d'Herold, déjà aux portes de la mort, se
voyait soudainement aggravée par cet incident si douloureux
pour le compositeur. On ne savait que faire et comment sortir
de cette impasse, lorsque, généreusement, M. Véron, directeur
de l'Opéra, vient mettre à la disposition de l'administration
de l'Opéra-Comique Tune de ses meilleures artistes, M"= Dorus,
qui, elle-même, se charge avec une bonne grâce parfaite
d'apprendre rapidement le rôle si important d'Isabelle et de le
jouer en peu de jours. La proposition est acceptée, comme on
pense; M"° Dorus se rend auprès d'Herold, qui, malgré son état
de souffrance, n'hésite pas à la faire travailler, et une semaine
jour pour jour après la première, le 22 décembre, avait lieu
la seconde représentation du Pré-aux-Clercs, avec la nouvelle
et dévouée Isabelle. On sait s'il a poursuivi depuis, et jusqu'à
ce jour, une brillante carrière (2).
L'année 1832 se termine avec éclat sur le triomphe de ce
chef-d'œuvre, qui pendant toute une année allait faire courir
tout Paris. Il faut convenir que, depuis leur prise de possession,
les nouveaux sociétaires de l'Opéra-Comique avaient donné les
preuves d'une activité rare et que, par malheur, on ne retrouve
guère de nos jours. Dans l'espace de dix semaines environ,
du 24 septembre au 15 décembre, ils avaient trouvé le moyen
de monter et d'offrir au public quatre ouvrages nouveaux,
dont trois en un acte et un en trois actes, tandis que dans le
môme temps ils ne remettaient pas à la scène moins de vingt-
sept pièces du répertoire (3). Aussi cette fin d'année avait-elle
été fructueuse pour eux. Grâce à leur travail, grâce à la pré-
sence de Martin, qui ne leur avait pas marchandé son concours ,
grâce au succès du Pré-aux-Clercs, grâce enfin et surtout à leur
changement de domicile, le public avait repris le chemin de
l'Opéra-Comique, dont la renaissance était complète.
Un fait assez singulier s'était produit quelques semaines
après la réouverture. L'Odéon, qui, je crois, était alors dirigé
par Harel, venait de fermer ses portes, et les habitants de la
rive gauche n'avaient plus à leur poi-tée d'autre spectacle que
celui que leur offrait le petit théâtre du Luxembourg, alias
« Bobine ». C'était peu, et cela manquait de prestige. Par
une combinaison sur laquelle je n'ai pas d'autres renseigne-
ments, la Comédie-Française et l'Opéra-Comique s'entendirent
pour aller donner chaque semaine deux ou trois repré-
sentions dans la salle de l'Odéon, chacun d'eux y jouant à
son tour, et les troupes se dédoublant pour ne pas inter-
rompre leurs spectacles respectifs. C'est ainsi que l'Opéra-
Comique se montra à l'Odéon les 8, 11, IS, 19, 23 et29novem-
bre, 3, 9 et 23 décembre. Cela dura six mois environ, ce qui
semble prouver que la combinaison n'était pas désavanta-
geuse. La dernière représentation donnée ainsi par l'Opéra-
(1) Voici la distribution de l'ouvrage k sa création: iVIergy, Thénard; Com-
minges, Lemonnier; Cantarelli, Féréol ; Girot, Fargueil; Isabelle, M" Casimir;
Marguerite, M"' Ponchard ; Nicette, M"' Massy.
(2) Au 31 décembre 1895, le Pré-aux-Clercs avait fourni un total de 1.558 {quinse
cent cinquante-huit) représentations.
(3) En voici la liste ; Picaros et Diego, Maison à vendre, Adolphe et Clara, de d'A-
layrac ; le Déserteur, de Monsigny ; le Charme de la voix, les Deux Mousqmtaires, de
Berton ; l'irato, de Méhul ; (os Yisitandines, de Devienne ; Jean de Pnris, le Nouveau
SeîgTieur, ta Fête du village voisin, le Petit Chaperon rouge, les Voitures versées, la Dame
blanche, de Boieldieu ; te Prisonnier, de Délia Maria; les Rendes -vous bourgeois, Lully
elQuinauU, lé Billet de loterie, Jeannot et Colin, de Nicolo; la Lettre de change, de
Bochsa; l'Homme sa/is façon, de Kreutzer; le Maçon, le Concert à la Cour, la Fian
cée, d'Auber ; le Muletier, d'Herold; k Solitaire, de Carafa; le Dilettante d'Avignon,
d'Halévy.
à
LE MÉNESTREL
139
Comique eut lieu en effet le 28 avril 1833. Puis il n'en fut
plus question.
Avant d'en finir avec cette année 1832, il me faut en-
registrer la mort de deux des anciens artistes les plus renom-
més de rOpéra-Gomique. L'un était Huet, qui avait été
prendre la direction du théâtre de Lille, et qui, devenu
gravement malade en cette ville, revint à Paris pour y mourir
le i" octobre. L'autre était Texcellent Chenard, son ancien
doyen, dont les débuts à la Comédie-Italienne remontaient à
1783, et qui n'avait quitté l'Opéra-Comique qu'en 1822, après
y avoir accompli près de quarante ans de bons et loyaux
services. Chenard avait été l'une des colonnes les plus solides
de ce théâtre, où il avait laissé d'aiïectueux souvenirs. Il
mourut le 16 novembre, âgé d'environ 7S ans.
(A suivre.) Arthur Pougin.
SEMAINE THÉÂTRALE
■Odéon. Deux Sœurs, pièce en 3 actes, de M. Jean Thorel; -Ruse de femmes,
comédie en 1 acte, de M. Jean Bernac. — Chatelet. Catlierine de Russie,
drame en 5 actes et 12 tableaux, de MM. Paul Ginisty et Ch. Samson. —
Gymnase. Le Prince d'Aurec, comédie en 3 actes, de M. Henri Lavedan.
A seulement quelques jours de distance, l'Odéon dous a conviés
aux débuts de deux nouveaux auteurs dramatiques, dont l'un,
M. Jean Thorel, s'est fait apprécier déjà comme délicat littérateur et
a touché au théâtre en traduisant les Tisserands et Vllaiinele, de M. Gé-
rard Hauptmann, et dont l'autre, M. Jean Bernac, a su, comme
journaliste, s'attirer, par son urbanité parfaite et le tour aimable de
ses chronique?, de méritées sympathies.
Avec M. Jean Thorel, sachant de quel auteur il se réclama pour
faire ses premiers pas, il y a lieu de s'étonner du manque de har-
diesse et de l'absence d'originalité de ses trois actes. Il ne semble
avoir retenu de M. Hauptmann que des lambeaux de brumes dont il
voile modestement ses personnages indécis; et si l'une de ses Deux
Sœurs essaie de se révolter, la tentative reste bien plutôt celle d'une
femme du monde mécontente de son mari et ennuyée de vivre à la
campagne que celle d'une véritable amoureuse. Car les deux sœurs
dont il s'agit dans cette comédie, qui se serait contentée de dévelop-
pements moindres, aimentle même homme, d'ailleurs fort insignifiant,
et, comme la morale doit le moins souvent possible perdre ses droits,
après quelques escarmouches plus ou moins nerveuses, la veuve
l'emportera et épousera le célibataire tant recherché.
Ce qu'il faut retenir de la pièce de M. Thorel c'est le dialogue qui
est charmant. M"'" Dux, Rose Syma, qui aborde avec de réelles
qualités les rôles de jeune première, Wissocq, MM. Cornaglia, Rous-
selle et Céalis ne peuvent donner à leurs personnages plus de relief
que l'auteur ne l'a voulu.
De charmants coins de dialogue aussi dans Ruse de femme de
M. Jean Bernac, mais, tout au contraire des Deux Sœurs, les développe-
ments y sont peut-être un peu trop restreints. Lady Malton, alors qu'elle
était jeune fille, fut grandement aimée par le peintre Dervier, qu'elle
abandonna, un beau jour, sans crier gare, pour épouser un riche lord
anglais. Dix ans se sont écoulés, pendant lesquels le pauvre garçon
n'a cessé de pleurer ses amours disparues, lorsque la volage a la fan-
taisie de faire faire son portrait par l'ami d'autrefois devenu célèbre,
Dervier, non sans peine, se met au travail; mais les pinceaux ne
font que scrupuleusement reproduire les traits du modèle. Lady Mal-
ton voudrait mieux. Alors elle devient enjôleuse, ensorceleuse, lais-
sant croire à l'artiste que le passé peut renaître, et, lui, revivant les
jours heureux, ensoleille l'esquisse de celle qui fut et va redevenir
l'adorée. La toile couverte selon ses désirs, lady Malton s'en empare
et disparaît dans un éclat de rire.
Jolie idée qui, évidemment valait la peine qu'on s'y arrêtât un peu
plus, d'autant que la « rosserie » de la femme aurait certainement
gagné à être moins brusquement révélée. Ru,se de femme est jouée
par MM. Rameau, Gerval, Céalis et par M"= Dorsy.
Au Châlelet, c'est le drame historique qui sévit dans toute son
horreur. L'histoire de Catherine de Russie nous y est compendieuso-
ment et presque scrupuleusement racontée par MM. Ginisty et Samson,
depuis la mort du tsar Pierre III jusqu'à l'apothéose de la Grande
Catherine. Cependant la figure très complexe de cette impératrice,
dont la vie privée fut un scandale perpétuel et dont la vie politique
fut remarquable en plus d'un point, aurait eu peine à se laisser com-
plètement enserrer en l'étau d'un drame, ce drame fût-il en douze
tableaux; aussi les auteurs ont-ils essayé de reporter une partie de
l'attention de leur public sur le cosaque Pougatchefl', aventurier
maladroit, dont ils ont essayé de faire un croyant et un martyr.
Malheureusement l'intérêt ne s'arrête réellement ni à l'un, ni à
l'autre, ni môme aux petits amoureux obligatoires, personnages de
plan trop secondaire. Il y a dans ces cinq actes abus de fouillis et,
surtout, pas assez de ce souffle dramatique qui aurait dû faire d'une
scène comme celle des Tombeaux des tzars, quelque chose de tout à
fait empoignant.
Catherine de Russie, montée avec un luxe tapageur par la direction
du Châtelet, est très diversement interprétée. Il convient de citer, en
première ligne. M"* Tessandier et d'accorder une mention à MM. Gar-
nier, Léon Noël, Bouyer, Fleury et à M"""^ de Thel, Huart, Leriche et
Froment.
Le Gymnase vient de prendre au Vaudeville le Prince d'Aurec, dont
on se rappelle le retentissant succès il y a bientôt quatre ans, et la
comédie maîtresse de M. Henri Lavedan a retrouvé au boulevard
Bonne-Nouvelle le même chaleureux accueil qu'elle avait reçu à la
Chaussée-d'Antin. La distribution est demeurée pareille, sauf en ce
qui touche au petit rôle du marquis de Chambersac joué maintenant
par M. Lérand qui y manque de la souplesse et de l'aimable non-
chalance dont l'avait marqué M. Dieudonné. Cette distribution, on le
savait déjà, est presque parfaite d'ensemble avec M. Candé, M. Gali-
paux, M. Mayer, M. Grand, M""' Jane Hading et Samary.
Et tout en écoutant le Prince d'Aurec, malgré soi, l'on repense à
la Meute de M. Abel Hermant, et l'on songe qu'il serait amusant
d'établir un parallèle entre ces deux pièces, si proches parentes, et
curieux de démêler la manière différente dont les deux auteurs ont
porté à la scène des personnages identiques.
Pacl-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DU C H A M P - D E - M A R S
(Premier article.)
Si j'apporte peu de méthode dans le début de cette promenade à
travers le Palais des Arts-Libéraux, dernier reste de l'exposition du
Centenaire, voué à une destruction si prochaine, on n'en sera pas
autrement surpris. L'exposition de la Société des Beaux-Arts dure
depuis plus d'un lustre, comme on disait au grand siècle ; mais ses
jours, qui, dans l'espèce, sont des années, se trouvent forcément
comptés; il lui faudra fusionner avec sa doyenne la Société des
Artistes français ou rester ce qu'elle est déjà — ce qu'elle est trop —
moins une sélection d'œuvres magistrales ou simplement intéres-
santes, qu'une juxtaposition de petits salons isolés.
Suivons donc la foule, au petit bonheur des rencontres, et, comme
elle, arrêtons-nous tout d'abord devant les envois de M. de Puvis de
Chavannes. L'auteur des cinq grands panneaux décoratifs destinés à
la Bibliothèque de Boston et exposés sous le dôme central, est le
maître de la maison, le président de la Société des Beaux-Arts ; c'est
aussi le producteur le plus en vue, celui qui satisfait dans la plus
large mesure cette tendance idéaliste, cette vague préoccupation du
grand art, hantise honorable de tant de cervelles (souvent bourgeoises).
Des milliers de snobs lui pardonnent ses qualités nombreuses en
faveur de ses défauts réels ; et, en lui prêtant un faux sublime,
excusent la très noble, très pure, très unie synthèse d'une inspira-
tion sommaire l'apparentant aux primitifs.
A vrai dire, ce poète de la simili-fresque n'a pas de rhétorique. Cet
entrepreneur de compositions symboliques, — ainsi, du moins, le
classent naïvement les Philistins en panurgisme d'admiration, — a le
sentiment du symbole tout juste autant qu'un professeur de dessin
linéaire. Ce n'est en somme qu'un paysagiste, un perspecteur et un
metteur en scène pour décors non fermés (tous les gens familiers avec
le théâtre comprendront ce que je veux dire). Mais ses paysages sont
des merveilles artistiques ; sa perspective est le comble du métier;
il dispose ses personnages comme un régisseur assez vieux pour avoir
pris des leçons du papa Ingres. Ajoutez — et cette dernière considé-
ration établira mieux que tous les raisonnements ce qu'il y a d'acquis
dans cette prétendue spontanéité géniale — que jadis luministe
médiocre, M. Puvis de Chavannes possède maintenant tout le registre
140
LE MENESTREL
des effets de lumière, des dégradations, des nuances, et qu'il en joue
avec une incomparable virtuosité, et vous aurez la genèse de cette
notoriété devenue célébrité, puis illustration si nationale que le pré-
sident de la Société des Beaux-Arts occupe désormais à vie, et en
toute certitude d'aboutissement panthéonique, le poste olympien de
Victor Hugo de la peinture décorative.
En cinq phrases s'exprime cette œuvre, la pensée du maître glo-
rifiant la Science et la Poésie : l'Astronomie, bergers chaldéens
observant la marche des planètes; l'Histoire évoquant le passé;
Homère couronné par l'Iliade et l'Odyssée; Virgi/e. Ces deux der-
nières compositions nous intéresseront plus particulièrement avec la
Poésie dramatique qui pourrait bien être la page maîtresse et qui
représente les Océanides consolant Prométhée enchaîné, scène de
rêve lentement formulée sous les yeux d'Eschyle étendu au pied
d'une falaise. Homère, qui peut-être n'exista pas, est couronné par
ses deux lilles divines, qui sont immortelles, l'Iliade, une Minerve
casquée, l'Odyssée, une superbe aventurière, drapée dans le manteau
couleur de muraille que portait certainement le prudent Ulysse avant
nos traîtres de mélodrame. Ce qu'il y a de mieux dans le Virgile,
c'est le paysage, un Corot aux teintes pâlissantes, une campagne
aux molles ondulations, des hêtres aux fûts de bouleaux; un ruisseau
qui serpente doucement; bref, tout ce qu'il faut à un cygne de
Mantoue pour s'alanguir et rêver.
Ces allégories sont rafraîchissantes dans leur délicate harmonie;
les faiblesses mêmes du dessin ont quelque chose de reposant et
et qui atténue l'effet d'une trop longue tension esthétique. Et ces
faiblesses M. Puvis de Chavannes, avec un souci peut-être superflu
de l'opinion des gens du métier, a voulu prouver qu'elles sont presque
toujours intentionnelles; il en a fait la démonstration peut-être
démesurée dans la salle qui porte le n" I et le nom de salon bleu.
Vous y verrez une longue suite de dessins et d'études, tout un
déménagement d'atelier : dessins consciencieux, éludes serrées. Les
pasticheurs, qui croient aisé de chavanniser comme le maître, y
apprendront pendant combien d'années il faut avoir serré de près la
nature pour parvenir à réaliser l'à-peu-près suggestif, pour donner
une illusion qui après tout n'est pas décevante puisqu'elle satisfait
tant d'assoiffés d'idéal.
De l'exposition de M. Puvis de Chavannes, je passerai sans
autre transition au salon-bibliothèque, exécuté « en grandeur
naturelle », dit le livret, sur les dessins de M. Guillaume Dubufe.
(I Cet essai de décoration d'ensemble, ajoutelepapier officiel, essai à
l'exécution duquel ont apporté leur concours des membres de toutes
les sections de la société nationale des Beaux-Arts, a pour but de
montrer aux artistes et au public le parti qu'on pourrait tirer de
cette fusion réelle de toutes les manifestations d'art, non seulement
pour l'installation d'une maison particulière, mais encore pour l'or-
ganisation des expositions publiques ». Les différentes sections de la
société y sont représentées en effet par des vues de Capri, de
MM. Dubufe, Montenard, La Touche et Rosset-Granger, une compo-
sitioi; symbolique d'Agache et un Crépuscule lunaire, de Guignard,
des morceaux de sculpture parmi lesquels une charmante danseuse
de Bartholomé, des aquarelles è figurer en bonne place, une curieuse
illustration de M. Dubufe pour le théâtre d'Emile Augier, des eaux-
fortes, des grès, des bronzes — et même des meubles. Au demeurant,
ensemble plutôt théâtral. Les premiers metteurs en scène de Paris,
Sarah, Carré, Porel, en tireraient un excellent parti, et c'est à ce but
que je le signale. Dans une habitation et pour un salon-bibliothèque,
cabinet de travail, oa manquerait un peu d'intimité.
Revenons à la grande décoration. Elle revêt diverses formes au
Salon du Champ de Mars, mais, sous tant d'aspects variés, c'est
toujours le même genre de provocation et le passant n'y résiste
guère. Comment ne s'arrêterait-il pas devant le feu d'artifice tiré par
M. de La Touche qui exposait l'année dernière des Saisons d'un
ruggiérisme si aveuglant. Voici pour 189S, une Bnrywe voguant surune
mer d'incandescence et de phosphorences ; une Vasque enguirlandée de
feuillages, aux tons si rutilants que jamais M. Firmin Girard lui-même
n'imagina de semblables ou de plus flamboyantes visions. Les
cygnes, les enfants, les pèlerins sont nimbés de toutes les couleurs
du prisme. M. Gervex, beaucoup moins tapageur, se recommande
au contraire, par une certaine austérité de facture dans le grand
paysage décoratif, composé pour la salle de physique de la Sorbonne:
l'arc-en-ciel y figure aussi, mais au naturel et nullement décomposé.
Cet arc-en-ciel dans un ciel d'orage est-il vrai, est-il su ffisament fondu
ou fondant, sous ce ciel d'orage où glissent encore des nuées? Pro-
blème insoluble.
Encore un panneau décoratif, très remarqué et très digne de l'être,
ia Peinture do M. Louis Simon : l'atelier, avec vue sur la campagne
et la mer, la maman et la fillette qui posent devant le peintre, sont
d'une beauté simple et d'un rendu délicat, sans efl'ort apparent] mais
aussi d'une conscience qui repose de cette déplorable facilité, carac-
téristique de tant d'envois au Palais des Arts libéraux... Je ne dis pas
cela pour M. Béraud. Son art est facile; encore n'a-t-il rien de repo-
sant. La Poussée a pour décor une salle à manger somptueuse où gobe-
lottent et gobelettent les viveurs chers à M. Henri Lavedan. On est
en train de sabler le Champagne, — style classique, — quand la
porte cède sous une violente poussée. A travers les panneaux dis-
joints se précipite une horde d'émeutiers, de modernes Jacques,
socialistes, anarchistes, collectivistes et s'il est quelque chose de
plus eu iste. Un débardeur fort dépoilraillé tient son eustache ; un
autre porte au bout d'une pique une tête sanglante (sans aucun doute
celle d'un contribuable qui a fait un fausse déclaration aux commis-
saires enquêteurs de l'impôt sur le revenu) ; tous ces figurants de la
crise suprême ouvrent de grandes bouches et font de vilaines gri-
maces. Les soupeurs s'enfuient et, avec une stupeur d'affolement
qui serait le plus exact détail d'observation psychologique, si M. Bé-
raud l'avait prémédité, ils courent du côté où des lueurs d'incendie,
des traînées de fumée indiquent justement que la retraite est coupée.
Seul un viveur, serrant sur son plastron immaculé (dernier retour
de Londres) une belle petite en pâmoison, fait tête à la horde meur-
trière et lui tend une coupe de Champagne... Dirai-je que le geste
n'est pas beau ? H est surtout théâtral. Je parlais tout à l'heure
d'Henri Lavedan. Ce finale fait plutôt songer à Georges Ohnet et à
ses élégances romanesques, en simili. Sérieusement, un artiste aussi
bien doué que M. Béraud, de coup d'œil sûr, de vision aiguë, mo-
derniste dans les moelles, peut-il s'imaginer qu'il a synthétisé en
ce tableau anecdotique l'épouvan table menace socialiste. Cinquième
acte pour une pièce du Gymnase, d'accord. Et même, comme on l'a
dit avec raison, peut-être le peintre qui visait au drame n'a-t-il abouti
qu'au mélo. Ai-je besoin d'ajouter que certains détails de cette petite
toile sont exquis et qu'on y trouve, dans le groupe des anarchistes, des
morceaux de premier ordre?
Pas exquis pour deux sous ni même pour de moindres menues
monnaies, en revanche copieusement mélodramatique, M. José
Frappa, l'auteur de Grisou. Rochard pourrait s'inspirer, dans quelque
mise en scène d'une pièce se passant au Pays noir, de cette grande
toile, vulgaire mais impressionnante. Au fond d'une galerie, les bouil-
leurs attaquent la veine ; un herscheur pousse sa berline, et voici
qu'autour des travailleurs éclate le feu d'artifice meurtrier; le souffle
de la mort passe sur leurs faces que décompose une brusque expres-
sion d'épouvante.
Encore de la clarté, plus douce,' plus subtile et pour ainsi dire
intimement pénétrante dans /(/ Cène de M. Dagnan-Bouveret, le clou
d'or du Salon. Au centre du cénacle obscur et voûté (tels les fonds
des portraits de M. Bonnat), la table des agapes, disposée comme
dans la composition célèbre de Léonard de Vinci. Les apôtres entou-
rent symétriquement le Christ debout et prononçant les paroles
sacrées sur la coupe où le vin prend une chaude transparence de
sang fraîchement versé. Une lueur surnaturelle, un mystique reflet
dore le blanc lainage de la robe; le corps est non seulement en
lumière, mais toute lumière. Quant aux apôtres, M. Dagnan-Bouveret
les a peints dans le style classique (ils portent tous la toge romaine)
mais avec un souci méritoire de l'expression d'âme, des dessous psy-
chologiques. Il y a là une variété prodigieuse et un remarquable
rajeunissement de la peinture religieuse, sans att'éterie ni conces-
sion au maniérisme.
Je n'en dirai pas autant de M. Ad. Binet qui a versé cette fois dans
la irès profonde ornière du symbolisme humanitaire. Le tableau s'in-
titule Marie-Madeleine. Décor : des ruines qui évoquent vaguement le
souvenir de la sanglante semaine de mai 1871 ; à terre, le Christ,
près d'un canon, au milieu des débris d'une barricade. Une Madeleine
nue, du nu le plus académique, le plus complet, est penchée sur le
cadavre et lui dit un adieu passionné. Des ouvriers très graves,
presque émus, — tels les barricardiers des lithographies sentimen-
tales de 1848 — se tiennent debout autour du groupe. Et c'est tout,
mais c'est encore trop. Quel galvaudage de talent dans une philopho-
phie sans clarté et dans une symbolique sans portée !
Très peu de mise en scène militaire : le genre n'est pas en vogue
au Champ-de-Mars; voici pourtant une belle composition de M. Rixens,
la sortie des batteries mobiles de la Haute-Garonne de la place de
Belfort, le 18 février 1871. Quelque ressouvenir d'une toile célèbre
d'Edouard Détaille, mais une impression bien personnelle et un rendu
saisissant du bataillon qui défile, avec ses blessés, sous les yeux de
l'armée allemande, forcée de rendre les honneurs de la guerre à cette
poignée de braves. M. Séon, plus consolant, nous ramène aux vagues
LE MÉNESTREL
141
conceptions mythologiques et à la grande figure d'Orphée. Le poète
se lamente au pied des falaises, dans un paysage d'une beauté
sinistre, sans surcharge romantique. M. Armand Point s'amuse — et
nous intéresse — avec son panneau /'lispéraiicc et la Douleur, « pein-
ture à l'œuf reconstituée suivant la tradition des primitifs », dit le
catalogue. En fait, M. Armand Point est un botticelliste, et qui s'en
vante, mais un hotticelliste très acceptable, j'entends un peintre qui
sait dessiner et un dessinateur qui sait peindre. Voulez-vous encore
de la peinture à l'œuf? (Si je ne vous avertissais pas, vous n'y verriez
que du blanc). M. Alphonse Dinet a reconstitué, lui aussi, le pro-
cédé des primitifs pour l'appliquer aux Danseurs de la tribu des
Ouled-Nails, à un fougueux Othello el à une demi-douzaine d'autres
compositions point négligeables.
Un beau porirait, et même le plus beauportraitduChanip-de-Mars:
Alexandre Dumas fils, "par M. RoU. L'œuvre est inachevée ; le bas du
corps, les bras, les mains restent dans la pénombre de l'ébauche, mais
la lêle, en pleine valeur, offre une vitalité saisissante. Les yeux, d'un
bleu aigu, regardent droit devant eux; le front est modelé avec une
rare perfection. Voilà le portrait que je voudrais voir dans le foyer
de la Comédie-Française. Il représente au naturel non pas le dilet-
tante, ni l'homme du monde, ni le témoin railleur de la farce humaine,
qu'ont fixé sur la toile d'autres effigies du maître écrivain, mais
l'homme de lettres aux prises avec le métier, le rude labeur de la
lâche quotidienne. Il n'a rien d'apprêté, d'arrangé, d'officiel.
Bon portrait encore et d'une vie intense dans ses proportions res-
treintes, dans le serré de l'exécution, la petite étude de M. Le Bargy,
par Louis Picard. Le peintre des rêveuses et des sphynges, le lumi-
niste concentré qui est un des maîtres du Salon, a merveilleusement
rendu la fine silhouette du modèle ou plutôt l'a découpée avec une
netteté tranchante qui donne un double relief physique et psycholo-
gique. De feu Paul Archainbaud, Brémont, de l'Qdéon et même de
beaucoup d'autres théâtres, assez adroitement esquissé. M. Brindeau
de Jarny nous montre le poêle Jehan Rictus que je me reproche
d'ignorer et Maurice Donnay qu'a fait amplement connaître le succès
d'Amants. M. Léopold Stevens expose Madame Yvelinr/ HamBaud et
Eiir/cnie Buffet avec deux vues de Paris qui ont une àpreté d'eaux -
fortes.
Retournons à l'art mystique avec le panneau décoratif d'Aman-Jean,
Sirènes — deux naïades plaintives au milieu de l'océan désolé — et à
l'art aveuglant avec les jeux de lumière de la Cascade et de la Bai-
rjnade dans le lac d'Annecy, de M. Albert Besnard, coloriste outrancier.
Si le prisme était encore à inventer, M. Besnard s'en chargerait. Du
moins, il le perfectionne en l'exagérant. Les baigneurs d'Annecy
tirent leur coupe dans un plat débordant de confitures diaprées, dans
une compote de soleil, dans une crème d'étoiles fusantes ! Ils en
sortiront vêtus de rayons, et les promeneurs du Ghamp-de-Mars en
reviendront aveugles.
(A suivre.} Camille Le Senne.
LE MONUMENT DE M-"'^ CARVALHO
TROISllOME LISTE DE SOUSCRIPTION DU MÉNESTJiEL
M""= Marie Roze Fr. 20
M. Cuvillier 2S
M. de Forges ■ . . . . 10
M'"" Ambroise Thomas 200
M™ Rosine Laborde 20
M. et M"" Verdier 2S
M. et M""= Léonce Détroyat 20
M. Maurice Détroyat 10
M""= Pauline Viardut 40
M"" Gabriellc Lejeune (de l'Opéra-Comique) 20
2" LISTE GÉNÉRALE. — M. G. Paillard: lOU fr. ; MM. Daubé,
Vaillard. Gianini et MM. les artistes de l'orchestre de l'Opéra-Comi-
que: no fr. ; M. Gombarieu, préfet de l'Ain : 20 fr. ; M. et M"" Eug.
Pelletier : oO fr. ; MM. les employés du contrôle et de la salle et les
dames ouvreuses de l'Opéra-Comique: 110 fr. ; M. Arthur Meyer :
oO fr. ; M. G.-J. Vibert et M"'' Vibert Lloyd : SO fr. ; M""= Gustave
Levi : 20 fr. ; M"" Mackenbourg : 20 fr. ; M™'- Marguerite : 2S fr. ;
M. et M""= Varnier: 50 fr. ; M. Raymond Bonheur : 100 fr. ; M"» Hé-
lène Bonheur : 100 fr. ; M"° A. Ducasse : 40 fr. ; M. Jules Béer :
300 fr. ; M'"<^ E. Schloss : 20 fr. ; M. Pfeiffer : 20 fr. ; M. Fernand
Le Borne : 20 fr. ; M"'» Adelina Patti Nicolini : oOO fr. ; M. Duvert :
50 fr.; M. le général Davouf, duc d'Auestaëdt, grand chancelier
de la Légion d'honneur: SO fr. ; M. Poinsot, chef de bureau à la
grande chancellerie do la Légion d'honneur : 10 fr. ; M. Léon Labbé,
sénateur, et M"'° Léon Labbé : 100 fr. ; M. Jean Labbé : 20 fr. ; M. Ca-
mille Labtié: 20 fr. ; M. G. Hecq : 20 fr. ; MM. et M'"=' les artistes
du chant de l'Opéra-Comique: 667 fr. 5.5 c. ; M."'"" les artistes du
ballet : 36 fr. ; MM. les chefs de service et employés de la scène, de
la comptabilité et de la bibliothèque de l'Opéra-Comique : 150 fr. ;
le personnel de la scène et de la salle à l'Opéra-Comique : 21 fr. 50 c. ;
M. Edouard Détaille: 100 fr. ; M. et M"« des Chapelles: 100 fr. ;
M. et M"'" A. Sallet Carminola : 100 fr. ; M. Humbert : 20 fr. ; M. Emile
Réty: 20 fr. ; M. et M"" Grunebaum Ballin : 100 fr. ; M. Guilloir :
20 fr. ; M"" Mathilde Auguez : 50 fr. ; M""= Marie Roze : 20 fr. ; M. Cu-
villier : 2o fr. ; M. de Forges : 10 fr. ; M. Alb. Vernaelde : 10 fr. ;
M"'« V= Ambroise Thomas : 200 fr. ; Anonyme (A. F.) : 20 fr. ; M. A.
Couade : 5 fr. ; M. Jules Minier : 5 fr. : M. Emile Abraham : 5 fr. ;
M. et M"'= Van Brook : 50 fr. ; M. G. Bac : 20 fr. ; M. E. Bérard, chef
de bataillon du génie : 50 fr. ; M. Paul Corrard : 26 fr. ; M. et M"'" Mi-
chel Carré : 100 fr. ; M. Gast. Serpette : 20 fr. ; M. Lacome d'Esta-
lenxs : 20 fr. ; M. Cormon : 25 fr. ; M. Paul Vidal : 20 fr. ; M. Fr.
Flameng : 100 fr. ; M. Léon Duez, Boulogne-sur-Seine : 100 fr.; M'" Marie
d'Epinay: 20 fr. ; M"'° la baronne Barbier: 20 fr. ; M""= d'Ivernois :
20 fr. ; M°"> Y" Jardel : 20 fr. ; MM. Alexandre père et fils : 100 fr. ;
M. Ed. Sèche : 20 fr. ; M'™ Léon Marty : 20 fr. ; M. Tilloy Delaune, à
Lille : 100 fr. ; M. et M'"" d'Elhée : 20 fr. ; M'°= V= A. Mathieu : 50 fr. ;
Comte et comtesse Bertrand de Guitaut, à Noyon: 50 fr. ; M. Stumpf,
à Pantin : 60 fr. : M. Louis Weill : 100 fr. ; M. Jules Nimier : o fr. ;
M. Louis Aigon : 25 fr. ; M"" de Provigny : 200 fr. ; M. Edm. Lemée :
2 fr. : M. et M"" Eug. Ronimel : 50 fr. ; MM. Enoch et C'«, éditeurs de
musique: 50 fr. ; M. Paul Sédille. architecte: 100 fr. ; M. Henry
Blay : 20 fr. ; Une élève reconnaissante : 25 fr.; M., Robert Mitchell :
20 fr. — Total général : 20.533 fr. 20.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (30 avril). — Le succès de M. Van Dyck
dans le Tannhâuser a été énorme ; certes, le public n'a pas perdu pour avoir un
peu attendu. Je n'ai pas besoin de vous dire, à vous qui le saviez bien avant
nous, ce que l'artiste fait de ce rôle compliqué et divers, l'intensité de vie
et d'expression qu'il y met, les infinies nuances et le mouvement qu'il y
apporte. Pour tous, c'a été une révélation, et comme une lumière qui a
éclairé tout à coup cette œuvre superbe et imposante, que les interprètes
habituels de la Monnaie ne contribuaient certes pas à rendre plus
attrayante qu'elle n'est réellement. Inutile de parler de l'entourage de
M. Van Dyck et d'insister sur les faiblesses d'une exécution d'ensemble
lourde, passive et sans intelligence : M. Van Dyck a suffi pour faire oublier
presque tout cela. Par malheur, voici qu'un nouveau contretemps arrive
gâter notre joie. Après avoir renoncé à chanter Manon, M. Van Dyck
renonce aussi à chanter Faust! Ce n'est pas la fatigue de ces rôles qui lui
fait manquer ainsi à ses promesses, mais la fatigue de les répéter, — non
certes pour lui, mais pour les autres. Dans l'état de santé exigeant des
ménagements, où il se trouve, passer de longues heures au théâtre pour
réapprendre leurs rôles à ses collègues, rétablir les mouvements tronqués
et corriger la mise en scène, c'est une besogne dure, que M. Van Dyck a,
dû abandonner. L'épreuve des répétitions du Tannliduser lui avait été déjà
bien cruelle; il n'a pas osé la renouveler. Et voilà comment le répertoire
de notre ténor bien-aimé se réduit, en Belgique, comme en France, à
Loliengrin et au Tannhduser. Le reste, et Manon, et Faust, et Werlher, est ren-
voyé à des temps meilleurs, à l'année prochaine, — année d'exposition
universelle, qui permettra à la Monnaie de garder ses portes ouvertes tout
l'été et à M. Van Dyck de venir ici passer trois mois, comme il est dès
à présent arrêté et convenu. Ça nous console un peu. En attendant, les
Concerts Populaires nous le feront entendre, dans une séance extraordi-
naire, où il chantera, le 1-4 mai, avec M""' Bosman, le premier acte de la
Valkyrie; et il doit chanter le "J à Anvers, Lohengrin — gracieusement —
pour une œuvre de charité, — ce qui veut dire qu'Anvers, sa ville natale,
lui prépare un vrai triomphe.
La saison théâtrale à la Monnaie, finira par ces soirées brillantes; ce
sera bien finir assurément. Et déjà l'on s'occupe de la saison prochaine.
Aux noms de M"= Jane Ilarding et de M"° Goulancourt, dont je vous ai
annoncé l'engagement, il faut ajouter ceux de M. Imbart de la Tour, l'ex-
cellent ténor qui vient do faire florès à Nice, et de M. Isnardon, la spiri-
tuelle basse. Par contre, on m'assure que M"" Armand nous quitte; et,
quant à M™» Leblanc, elle n'est pas réengagée. L. S.
— Da notre correspondant de Londres (30 avril). Le Prince of Wales
Théâtre vient de produire une nouvelle opérette intitulée Biarritz qui attirera
la foule à cause du joyeux comique Arthur Roberts qui y remplit le prin-
cipal rôle et à cause des costumes et des décors qui sont des merveilles de
goût et d'exactitude. La pièce, par elle-même, ne mérite pas d'être prise
142
LE MENESTREL
au sérieux et la partition de M. Osmond Carr ne s'éclaire qu'à de trop rares
intervalles.
Au Duke of York Théâtre, succès sur toute la ligne avec la nouvelle
bouffonnerie musicale de MM. Dance et Ivan Carryll, la Gaie Parisienne.
C'est l'odyssée, vraiment cocasse, d'une demi-mondaine parisienne, tomliant
en Angleterre au milieu d'une famille très prude... en apparence. Il y a
là-dedans de la franche gaieté et des situations habilement amenées, dont
l'effet est irrésistible. La musique de M. Caryll a beaucoup Je vivacité et
d'enlrain; la mélodie est abondante, mais jamais triviale; les morceaux
sont bien agencés et très finement orchestrés ; c'est, à mon avis, la meil-
leure partition du compositeur. M""* Freear, Reeve, Robinson, MU. Rignold,
Wheeler et Demny forment un très agréableensemble d'interprétation. La
pièce est encadrée avec un luxe de mise en scène qui fait honneur au goût
raffiné du manager, M. Sedger.
M. Mottl vient de diriger un fort beau concert à Quen's Hall. Au pro-
gramme trois morceaux de Wagner, la symphonie pastorale et le concerto
en mi p de Beethoven, ce dernier exécuté par M. d'Albert, dont le jeu est
soigné, mais dont le style manque d'ampleur. M. Mottl obtient de magni-
fiques ell'ets de sonorité, mais quelle conviction, quel recueillement artis-
tique peut-on attendred'un orchestre qui est dirigé tantôt par Richter, tantôt
par Mottl, tantôt par Pierre, Jacques ou Paul qui, chacun, ont une manière
différente de comprendre et de faire exécuter la musique! Avec ce système
les pauvres instrumentistes se trouvent réduits à l'état de rouages incons-
cients et c'est le secret de toutes ces exécutions incolores et sans saveur
qu'on entend ici. Léon Schlesinger.
— Le bigotisme anglais vient de faire des siennes et on croirait vrai-
ment que les temps sont revenus où on pouvait entendre au Parlement et
dans les assemblées administratives du pays, le fameux cri de guerre : iVo
popery (pas de papauté!). A Lincoln, on doit exécuter dans quelques jours
le célèbre Slabat Mater, de Rossini, avec le concours de toutes les sociétés
chorales de la région. Or, un membre influent du comité de cette fête
chorale s'est scandalisé de ce que le nom de la Sainte Vierge revint si
souvent dans le texte latin du Stahaf et, en protestant militant, il a partout
substitué le nom du Sauveur à celui de sa mère, qui n'est pas, comme on
sait, en grande faveur chez les protestants. 11 paraît que plusieurs membres
catholiques des sociétés chorales réunies ontvivement protesté contre cette
censure absurde et ont refusé leur concours. Ils ont parfaitement raison,
car en Angleterre même les journaux raisonnables, parmi lesquels le Truth,
désapprouvent cet acte d'intolérance qui est vraiment d'un autre âge. Chez
nous, les chanteurs de Saint-Gervais nous offrent bien les compositions
de J.-S. Bach et de Schiitz et d'autres compositeurs protestants de la vieille
Allemagne sans rien changer aux paroles originales qui ne cachent
cependant pas la foi protestante de leurs auteurs.
— On nous écrit de Berlin que le concert donné à la « Philharmonie «
par M. Ed. Colonne, et exclusivement composé d'œuvres françaises, a été,
pour le renommé chef d'orchestre et pour nos maîtres, l'occasion d'un véri-
table triomphe. Les gros effets du programme ont été pour la belle ouver-
ture de Phèdre, de Massenet, et pour trois fragments de Conte d'Avril, de
Ch.-M. Widor, qui, tous trois, ont été bissés. Au programme, encore, le
Rouet d'Omphale de Saint-Saëns, la Rapsodie de Lalo, des fragments de la
Damnation de Faust de Berlioz et Roma de Bizet. A la fin du concert,
M. Ed. Colonne a été l'objet d'une manifestation interminable de la part
du public et de la part des musiciens de « la Philharmonie » qui ont joué
en perfection. On ne peut qu'applaudir à cette tentative qui ne sera vrai-
semblablement pas sans lendemain, puisque M. Colonne est redemandé par
la Philharmonie, par l'Opéra et par l'Intendant des théâtres impériaux,
le comte Hochberg, pour deux concerts, toujours de musique française bien
entendu, à donner en automne avec l'orchestre des concerts du Chàtelet.
— De Berlin, M. Colonne s'est rendu à Copenhague, où son succès n'a
pas été moins grand. Là encore, la musique française a été acclamée,
et les acclamations, les bravos, les ovations ont pris un caractère d'en-
thousiasme indescriptible.
— La Société historique deBerlinpossède un document vraimentcurieux,
l'original d'un programme de théâtre datant du commencement de 1796,
un peu plus de quatre ans après la mort de Mozart, en l'honneur duquel
avait lieu la soirée annoncée sur le programme. Cette pièce, aujourd'hui
centenaire, d'assez grande dimension, porte en titre l'aigls prussienne, et
est ainsi conçue :
Aujourd'hui dimanche 28 février 1798, par grâce spéciale de S. M. le roi, la
veuve de feu le Kapellmeister MozsiH, aidée par les chanteurs royaux et les chan-
teuses de la chapelle royale, aura l'honneur de représenter sur le théAtre royal
la dernière œuvre de son défunt mari: la Clémence île Titus. Première partie :
Ouverture de Idi Flûte enchantée ; d^ir chanté par M""Uighini, composée par Mozart;
concerto pour basson composé et joue par M. Ritter. Air chanté par D""Schmalz,
composé par Mozart.
Deuxième partie : Choix des meilleurs morceaux de la Clémence de Tilus, qui
serontchantés par M"- Schiok, M"" Righini, D"'Schmalz, M. Fische, M. Hurka,
et M"' Mozart. Les textes de la musique seront vendus à l'entrée pour 4 groschon.
Prix des places : Une personne paye au premier rang, 1 rthl (reiclislkater) 8 gr. ;
au second rang, 1 rthl. ; dans les loges de parterre, 16 gr. ; au troisième rang,
16 gr. ; parterre, 12 gr. Les billets pour une loge entière au premier rang se
trouvent chez la veuve Mozart, dans la nouvelle Friedrichstrasse, dans la maison
de Sohielen, près de l'église de la garnison ; les autres loges et les places sépa-
rées sont à acheter de 9 heures du matin à 1 heure de l'après-midi, chez le
concierge du théiUre. On commencera à 5 1/2 heures.
— Lakmé vient d'être joué pour la première fois au théâtre grand-ducal
de Weimaravec un succès énorme. Une jeune artiste de Vienne, M"=Merkl,
débutait dans le rôle principal et a été immédiatement engagée pour
trois ans.
— Le ténor Burgstaller, qui doit débuter, cet été, au théâtre Wagner, a
été attaqué à Bayreuth, dans la nuit de dimanche, par un individu qui lui
a porté un coup de couteau. Mais il a rencontré une solide cuirasse ; une
partition de Wagner que l'artiste portait sur lui a fait dévier la lame et lui
a sauvé la vie.
— Mozart est l'homme du jour en Autriche. A peine a-t-on inauguré son
monument à Vienne que les habitants de Prague se proposent de lui ériger
également une statue. On vient de donner, dans ce but, une représentation
extraordinaire de la Flûte enchantée au nouveau théâtre allemand à des prix
fortement majorés et la recette a été brillante. L'emplacement du futur
monument est tout indiqué. Devant le Conservatoire se trouve une belle
place aux bords de la Moldau et en face du palais royal, sur la colline de
Hradschin. Là, Mozart serait bien en vue et il pourrait porter ses regards
vers la villa Bertramka, dans le faubourg de Smichov, où il écrivit Don
Juan, dont le succès, lors de la première représentation à Prague, reste une
gloire musicale de la capitale de la Bohème.
— Le théâtre municipal de Cologne a joué avec succès un nouvel opéra
en deux actes, intitulé EIsi, la Servante singulière, dont la musique est due
à un compositeur débutant qui porte un nom célèbre, M. Arnold Men-
delssohn.
— Les compositeurs d'opérettes ne chôment pas de l'autre côté du Rhin.
Le baron Victor d'Erlanger vient de donner au théâtre allemand de Prague
une opérette intitulée Madame la Colonelle; à Vienne, M. Berté a terminé
une opérette qui a pour titre Sir Roger, et M. Joseph Hellmesberger est en
train d'en terminer une intitulée la Tète du chat. Enhn, à Hanovre, on a
joué, avec beaucoup de succès, une opérette intitulée Kuehleborn, dont le
compositeur, M. Frédéric Bermann, n'a que seize ans. Le livret lui a été
fourni par son frère aine.
— Certains grands de îa terre continuent de se distinguer par leur amour
de la musique, ne dédaignant pas de la cultiver eux-mêmes de façon plus
ou moins sérieuse. C'est ainsi que le prince Louis-Ferdinand de Bavière
vient de publier récemment sous ce iUve Mélancolie, une composition pour
piano, violon et violoncelle dont les initiés disent le plus grand bien. Et,
d'autre part, on annonce que le landgrave de Hesse a composé une messe
dans le style de Palestrina.
— A peine la saison est-elle terminée à la Scala de Milan, qu'on parle
déjà de la prochaine et de son programme probable. Ce programme s'ap-
puierait surtout sur les quatre ouvrages suivants: le Cid, de Massenet,
la Statue, de Reyer, André Chénier,, d'Umberto Giordano, et la Bohème (iné-
dit), de Leoncavallo. Plus, une reprise deSainson et Dalila, de Saint-Saèns,
avec le ténor Tamagno.
— Il n'y a pas moins en ce moment, en Italie, de vingt-trois troupes
d'opérette, vivantes, agisssantes, florissantes, et pour la plupart faisant
d'assez bonnes affaires.
— L'enthousiasme des Italiens ne connaît plus de bornes lorsqu'il s'agit
de leurs compositeurs. On se croirait revenu au temps glorieux desPergo-
lèse, des Sacchini, des Cimarosa et des Paisiello. Voici un jeune musi-
cien, M. Nicole van Westerhout, qui a fait représenter l'an dernier, à
Naples, son premier opéra; vite, on construit à Molo di Bari, sa ville
natale, un nouveau théâtre, auquel on donne incontinent le nom du jeune
triomphateur. On fait plus : on lui demande pour l'inauguration de ce
théâtre, un ouvrage nouveau, et il s'empresse d'écrire pour cette solennité,
sur un livret de M. Arturo Golantti, un opéra en un acte intitulé Doîia Flor.
Cet ouvrage est représenté le 18 avril avec un succès immense, un succes-
sone, comme on dit là-bas. le public trouve le moyen de bisser huit mor-
caux, à la fin de l'acte on rappelle douze fois le compositeur, on rappelle
le librettiste, on rappelle les chanteurs, on rappelle jusqu'au syndic (!),
qui a dû être bien étonné, et à la suite de cette manifestation, toute l'as-
sistance : hommes, femmes, enfants et militaires, se réunit aux portes du
théâtre, acclame de nouveau le compositeur et le reconduit en triomphe à
son hôtel à la lueur des torches. Libre à M. van Westerhout de croire
maintenant qu'il est le successeur direct de Rossini, da Bellini et de
Verdi. Est-ce que tout ça n'est pas un peu... — comment dirons-nous ? —
un peu ridicule.
— Au théâtre Gerbino, de Turin, on a représenté une pantomime lyrique
en trois actes, Sludenti e sartine, livret de M. Emilie Bellini, musique de
M. Gilbert de Vinkel, jeune étudiant en médecine auquel on doit déjà la
musique, très réussie, dit-on, d'une parodie du Crépuscule dos Dieux. L'exé-
cution était dirigée par l'auteur en personne.
— Un riche dilettante, le marquis Francesco Dondi dell' Orologio, -a
écrit une « nouvelle musicale » intitulée Pasqua suW Alpe, qu'il a fait
représenter dans la demeure d'un de ses intimes, le marquis Giovanni.
— On nous écrit de Moscou que le Grand-Théâtre a préparé un ballet
extraordinaire pour les fêtes du couronnement de Nicolas II. Ce ballet,
LE MÉNESTREL
143
qui a pour titre Dàita et qui est tiré d'une fable japonaise, c'a qu'un acte,
mais sa mise en scène a coûté la bagatelle de lOO.OÛO roubles, soit, au
cours actuel, près de 300.000 francs. Le temple de la déesse Konanou, une
espèce de Vénus japonaise, est une vraie merveille; inutile de dire qu'à
un moment donné les dieux et les déesses quittent leurs socles et se met-
tent à danser. A la répétition générale, qui vient d'avoir lieu, le nouveau
ballet a produit un effet énorme; il parait que les Russes en auront pour
leur argent.
— Nous avons déjà fait connaître, à diverses reprises, le dilettantisme
de Sa Hautesse le sultan Abdul-Hamid et de son jeune vassal le khédive
Abbas-Pacha, Les journaux étrangers nous en apportent de nouvelles
preuves. Il parait que le sultan a fait appeler dans son palais une compa-
gnie italienne d'opérette bien connue, la compagnie Scrognamiglio, et
s'est fait donner par elle une représentation qui l'a beaucoup diverti et
pour laquelle elle a été magnifiquement récompensée.. D'autre part, le
khédive, plus sérieux, profitant du séjour de M. Saint-Saëns en Egypte,
aurait reçu en audience particulière l'auteur de Samson et Dalila, auquel il
aurait fait un accueil des plus flatteurs. Ce qui tendrait à prouver que les
affaires du Soudan, pourtant assez graves, n'épuisent pas l'activité intel-
lectuelle du jeune souverain.
— L'Amérique continue d'être l'Eldorado des chanteurs et, surtout des
cantratrices. A New- York les abonnés du Théâtre Métropolitain voulant
offrir à M""' Lillian Nordica un témoignage de leur admiration, se sont
cotisés à cet effet. La souscription était fixée à dix dollars, et l'on a réuni
ainsi une somme de SO.OOO francs avec laquelle on a pu offrir à la diva un
superbe diadème orné de 233 diamants, 'qui lui a été présenté après la
premier acte de Lohengrtn et qui a été accueilli par elle avec toute la faveur
qu'il méritait.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans la séance de l'Académie des Beaux-Arts qui a eu lieu le samedi
24 avril, sous la présidence de M. Bonnat', la section de composition
musicale, chargé du classement des candidats au fauteuil d'Ambroise
Thomas, a présenté : en première ligne ex œquo et par ordre alphabétique,
MM. Victorin Joncières et Widor; en deuxième ligne, dans les mêmes
conditions, MM. Bourgault-Ducoudray et G. Fauré ; en troisième ligne,
M. Lenepveu. Aux termes du règlement, la section spéciale ne pouvant
présenter qu'une liste de cinq candidats au plus, l'Académie des Beaux-
Arts, par des votes successifs, a ajouté à cette liste les noms de MM. Gastinel,
Ch. Lefebvre et Maréchal. C'est hier samedi que l'Académie a procédé à
l'élection. Voici le résultat du vote :
Au 8= tour de scrutin, M. Charles Lenepveu a été nommé par 19 voix,
contre 16 à M. Joncières.
— Al'Opéra vendredi dernier, M''" Louise Grandjean, dont onse rappelle
les très heureux débuts dans Aïda, a pris possession du rôle de Brunchilde
dans Sigurd. Très beau succès pour l'excellente artiste qui est en train de
prendre une place tout à fait prépondérante à notre Académie nationale
de musique.
— Aujourd'hui, dimanche, à 7 heures, représentation gratuide. On don-
nera la Favorite et Coppétia.
— A l'Opéra-Comique, pour ne pas passer les mêmes jours que la
Comédie-Française, onremetla répétition générale du Clievalier d'Harmental
à demain lundi dans la journée et la première représentation à mardi soir.
— M. Carvalho vient d'engager M. Rivière, un jeune ténor qu'on avait
fort remarqué à l'audition des élèves de M""" Marie Roze.
— Spectacles d'aujourd'hui dimanche. En matinée : [Orphée ; le soir : les
Noces de Jeannette et Lakmé.
— A l'occasion de diverses cérémonies récentes, ont été nommés officiers
d'académie : M""^ Faugier, professeur de musique, et M. Detrain, compo-
siteur.
— M. Alphonse Duvernoy, l'auteur d'HeZié, vient d'adresser à M.Taffanel,
chef d'orchestre de l'Opéra, la lettre suivante :
Mon cher Taffanel,
Veuillez, je vous prie transmettre l'expression de ma gratitude aux éminents
artistes que vous dirigez avec une si rare, maîtrise. L'exécution d^Heîîé a été
parfaite, reconnue telle par tous — ce dont je suis très heureux — et elle m'a
procuré la plus grande jouissance artistique de ma vie.
Quant à vous, mon cher ami, si voire grand talent n'est plus à louer, per-
mettez-moi néanmoins de dire hautement combien votre afTectueux dévoue-
ment à mon œuvre m'a été précieux et combien je vous suis reconnaissant.
Merci encore, à vous et à tous.
Alph. Duvernoy.
— Le mercredi 13 mai, à une heure, aura lieu, dans la grande salle du
Conservatoire national de musique et de déclamation (entrée par la rue
du Conservatoire), l'Assemblée générale annuelle de l'Association des Ar-
tistes musiciens, fondée par le baron Taylor. L'ordre du jour comprendra :
1° le compte rendu des travaux du Comité pendant l'année 1895, par
M. Charles Gallon, 2" l'élection de douze membres du Comité.
— Le pauvre théâtre des Folies-Marigny, dont la réexistence fut si
éphémère, vient de retrouver preneur. MM. Borney et Desprez, les habiles
managers du Casino de Paris, viennent de s'en rendre acquéreurs. On
donnera, de préférence, des ballets et l'exploitation ne durera que pendant
la belle saison.
— La séance supplémentaire donnée par la Société de musique de
chambre pour instruments à vent et à cordes de MM. Gillet, Turban, Hen-
nebains. Reine, Letellier, 1. Philipp, R émy, Ijoeb et Balbreck, était
comme une sorte de résumé des trois séances précédentes. On y a entendu
le concerto de Bach pour piano, flûte et violon, les pièces pour hautbois et
piano de Schuman, une Aubade de Lalo, la Sérénade pour piano, harmo-
nium, flûte, violon et violoncelle de Widor, et le septuor de la Trompette
de Saint-Saéns. Très gros succès pour les œuvres et pour les excellents
artistes, auxquels s'étaient joints MM. Widor, Franquin, de Bailly, Lam-
mers et Landormy.
— M. André Tracol a poursuivi avec succès la très intéressante série de
séances consacrées par lui à l'historique du violon. Il nous a fait entendre,
dans la seconde et la troisième, toute une suite d'ceuvres vraiment curieuse
et complètement oubliées : des sonates de Torelli, de Geminiani et de
Corelli, et différentes pièces de Walther, de Bonparti, d'Aubert père et de
Veracini, qui toutes présentent un vif intérêt et qu'il a exécutées avec un
talent fait de conscience, de style et de véritable sentiment artistique. Son
succès a été très sincère, très vif et très mérité. On a remarqué, dans la
dernière séance, un beau quatuor de Smetana, fort bien exécuté par
MM. Tracol, Geloso, Monteux et Schneklud. Les autres artistes qui
prêtaient leurs concours au jeune violoniste étaient M""= Boidin-Puisais,
MM. Joseph Thibaud, Boëllmann, Dumontier, Tournemire, Salmon, La-
chanaud et de Bailly.
— La soirée donnée par M""= Rosine Labordepour l'audition de ses élèves
a été particulièrement brillante. On a successivement applaudi M"=Leander,
une jeune Finlandaise douée d'une voix exquise et dont les succès seront
certains au théâtre; M"» Gerville-Reache un beau mezzo-soprano ,
M™ Theisson une superbe voix de soprano dramatique, M"«= Wallace,
Breen, Choisnel, Kurten, Torrini, Noldi, qui font le plus grand honneur
;'i l'excellente méthode de leur maître éminent. U'^'^^ Victor Roger, Delly-
Delaspre, son élève, Paul Nadard, MM. Lepage, Lantelme et Tournemire
ont prêté le concours de leur beau talent à cette intéressante soirée artis-
tique.
— Très réussie la matinée donnée par M""> Bataille, dans ses salons de
la rue Baujon, pour l'audition de ses élèves. Grand succès pour M™s Durey
et Corrard et M"™ Haëring, Vilma, Lasne, Grémaud et Appert et pour les
compositeurs qui accompagnaient leurs œuvres, M°"=s Ferrari et de Granval
et MM. de Saint-Quentin et de Boisdeffre. M. Engel a chanté d'une façon
exquise, etM"* Wyns a magistralement dit l'air à'Orphée. Applaudissements
enthousiastes pour la maîtresse de maison dans la valse du Pardon de
Ploêrmel et dans le duo de Roméo et Juliette, avec M. Engel.
— Mardi prochain S mai, salle Érard, à 4 heures, 1'° séance de la Société
des Instruments anciens, fondée par MM. Diémer (clavecin), Delsart (viola de
gambe). Van Waefelghem (viole d'amour) et Grillet (vielle). Cette séance
aura lieu avec le concours de M"" Marcella Prégi et de M. Gaubert. Le
programme se compose de pièces de Bach, Htendel, Claude Gervaise(lSb4),
Frescobaldi (1637), Desgrignis (1660), Corelli (1690), Dandrieu (1724) et de
Boismortier (1732). On n'a pas oublié le retentissant succès des trois
premières séances, donnés l'année dernière, par la Société des instruments
anciens.
— La Société des concerts de chant classique donnera, le jeudi 7 mai,
son concert annuel. Le programme de cette année, composé par M. Jules
Danbé, directeur de ces concerts, comprend, en outre de quelques morceaux
intéressants d'auteurs anciens et classiques qu'interpréteront les excellents
chanteurs de Saint-Gervais sous la direction de leur chef, M. Ch. Bordes,
des ouvrages de nos compositeurs modernes morts récemment tels que:
Ambroise Thomas, Lalo, Delibes et Louis Lacombe. fil'"^^ Éléonore Blanc
et Carrê-Delorn ; MM. Maréchal, Challet et Carré, de l'Opéra-Comique,
prêteront leur concours à cette intéressante solennité, qui aura lieu, à
3 heures, dans la salle des fêtes de l'hôtel Continental.
— M. Lefort vient de donner une dernière séance de musique de chambre
avec le plus vif succès. Au programme se trouvaient inscrits un joli quin-
tette de M. Richard Mandl, les gracieux trios de Ch.-M. Widor et deux
mélodies de Bizet et de Saussine, chantées avec charme par M"= Eléonore
Blanc. Une symphonie de Haydn, dirigée habilement par M. Lefort, a été
une agréable innovation à ces concerts. L'orchestre était composé de lau-
réats et d'élèves du Conservatoire.
— Le violoniste Ladislas Gorski vient de donner un très intéressant
concert dans la, salle Érard, avec le concours de M. Sig. de Stojowski. Les
deux artistes ont exécuté avec beaucoup de charme la sonate pour piano
et violon de César Franck et une suite pour les mêmes instruments de
M. Edouard Schutt. M. Gorski a joué d'une façon magistrale plusieurs
morceaux parmi lesquels un andante et une gavotte de J.-S. Bach et des va-
riations de Paganini, transcrites par lui-même, ont été tout particulière-
ment goûtées par l'auditoire. M. de Stojowski a réuni tous les suffrages
par son interprétation finement détaillée de l'andante posthume de Bee-
thoven et d'un scherzo de Chopin. 0. Bn.
— On nous écrit d'Arras que des fêtes s'organisent en cette ville, pour
le mois de juin prochain, en l'honneur du célèbre trouvère Adam de la
Halle, surnommé « le bossu d'Arras », que sa fameuse pastorale le Jeu de
144
LE MENESTREL
Robin et de Manon fait justement considérer sinon comme le criîateur, du
moins comme l'initiateur du genre de Topéra-comique français. Un
comité s'est formé à Paris, sons la présidence de M. Emile Blémont, qui
s'occupe activement de ces fêtes, dont le produit sera consacré à l'érection
d'un monument à Adam de la Halle. On sait que le célèbre trouvère arté-
sien, qui vivait dans la seconde motié du treizième siècle, a écrit à la
fois les paroles et la musique de sa gracieuse pastorale, qu'on lui doit deux
autres « jeux », le Jeu d'Adam et le Jeu du Pèlerin, et qu'enfin il est l'auteur
d'un grand nombre de chansons, jeux-partis, rondeaux et motets dont plu-
sieurs sont d'une exquise saveur et qui étaient restés inédits jusqu'en ces
derniers temps. C'est à un érudit infatigable, Edmond de Coussemaker,
que nous devons de les connaître aujourd'hui. Coussemaker a donné, en
effet, édition de toutes les productions, littéraires et musicale's, d'Adam de
la Halle (avec une traduction de la musique en notation moderne), qu'il a
publiée sous ce titre : OEuvres coynplétes du Trouvère Adam de la Halle, publiées
sous les auspices de la Société des sciences, des leUres et des arts de Lille, par E.
de Coussemaker (Paris, Pedone-Lauriel, 1S7-2, in-4"). C'est là le monument
qui a consacré le génie (le mot n'a rien d'excessif) du vieux trouvère
français; celui qu'on projette consacrera sa gloire.
— La Société des beaux-arts de Nantes a donné une grande soirée musi-
cale dans laquelle M"« Eva Romain s'est fait vivemant applaudir en chan-
tant l'air du Cid, de Massenet. Succès aussi pour le l'etit Lulii, le gentil
opéra-comique de M. Charles Hess, joué par M"'" Bouit et M. Lary.
Verdun. Brillant concert à la Citadelle, le lendemain de la visite de
M. Félix Faure, au profit du comité local de secours aux blessés. Grand
succès pour M. A. Mareschal, dans le Concerl-Stuch de Weber, avec accom-
pagnement d'orchestre (45 exécutants) et le septuor avec trompette de Saint-
Saëns. Se sont également distingués : M'"» Poignon, dans Galtia de Gounod,
M. Ghepfer, de Nancy, monologuiste d'un talent original et fin, et M. A.
Durand, capitaine au 1='' bataillon de chasseurs à pied, dont on a exécuté
une œuvre nouvelle : Bacchanale, poème d'Ogier d'Ivry, pour chœurs mixtes
et orchestre.
A Pau, très bpau festival Massenet pour le dernier des très suivis
concerts symphoniques de M. Ed. Brunel. Au programme, le prélude de
Werther, le divertissement du Roi de Lahore, le menuet de Manon, la sévillana
de Don César de Bazan, le prélude et les airs de ballet d'Bérodiade, la médi-
tation de r/iaïs, l'invocation des £rmni/es,rhyménés, la pastorale et la chasse
A'Esclarmonde et l'aragonaise du Cid. Très beau succès pour l'excellent chef
d'orchestre et pour MM. Alonzo et Bellmann, violon et violoncelle solo.
Versailles. — La Société de Patronage des enfants libérés et aban-
donnés de Seine-et-Oise a donné un grand salut solennel en la chapelle
du Château. A signaler une tentative extrêmement intéressante à l'église :
des poésies déclamées avec adaptation musicale; l'essai, dû à l'initiative
de M. P. Seguy, a parfaitement réussi, grâce au talent de diseur de
M. Brémont et à la jolie musique de M. de La Tombelle. M. Paul Seguy,
dont la voix fait merveille à l'église, a ému profondément avec Charité,
de J. Faure (son appel a été entendu, car la quête a produit 2.000 francs),
Crucijix et l'O sahitaris, du même auteur n'ont pas moins brillé d'un vif
éclat; M"': F..., soprano amateur, douée d'une très jolie voix, a triomphé
dans Jérusalem, de Gjunod. M"« Lavigne a chanté de sa belle voix large
YAve Maria, de Cherubini, accompagné par M. Vuiliaume qui seul, a
exécuté la. Méditation de Thàis. Compliments à MM. Letocart, Pilastre et
Verdalle.
A Tunis, très belle séance consacrée par M. Louis Frémaux à l'audi-
tion d'œuvres de Louis Lacombe. Le trio en la du maître, joué par Mo^^Gril
let et des mélodies, entre autres Au pied d'un Crucifix, très bien chantées par
M"'° Frémaux ont obtenu un très grand succès.
— Co.NCEiiTs ET SOIRÉES. — La deuxième matinée d'élèves de M. et M"" Wein-
gaertner a permis de constater l'excellence de leur enseignement. Nous ne
pouvons citer tous les noms. Signalons pourtant M"" Marie Méha, Groso,
Candé, Renier, et M. Kunz, qui s'est fait bisser la Romance pour violon de
A. Weingaerlner. Parmi les morceaux les plus applaudis, citons la déli-
cieuse Valse de Philipp et le Rêve de la marquise de David. — Sous la direction
de M"' Blankenstein, au cours Désir, a eu lieu un concours des plus brillants
sur Source capricieuse de L. Fillaui-Tiger ; trente-six élèves ont joué ce morceau
comme de véritables artistes. — A la soirée musicale donnée salle Pleyel par
MO" Vieuxtemps, née de la Blauchetais, pour l'audition de ses élèves, on a par-
ticulièrement applaudi le choîur du quatrième acte de Sigurd : » Emplissons
nos urnes profondes »,dont les jeunes chanteuses ont admirablement fait res-
sortir les qualités de finesse et de charme; M»' Mary Ilary, soprano dramatique,
qui a fort bien détaillé les récits de Brunehilde, a ensuite chanté avec autorité
le grand air de Fidelio. La cavatine du Songe d'une nuit d'été : » Le voir ainsi », a
fait merveilleusement valoir la jolie voix de M"" de Frick, et M"' Maréchal a
recueilli les bravos de l'auditoire en détaillant la page charmante du liève
dans Xaviére, de Th. Dubois. Soirée très réussie et grand succès pour la maî-
tresse et ses élèves. Pour la partie instrumentale, JIM. Marthe et Bauer-Keller
prêtaient leur concours à celte intéressante audition. — Salle Kriegelstein,
brillante audition des élèves de M"» et M"" Véras de la Bastière. Parmi les élè-
ves les plus remarquées, nous citerons : M"" S. Profit ("Bras dessus, bras dessous,
Wack"), J. Collin (Valse des Mouches, .\. Landry), J. et M. Rousset (Aragonaise du
Cid, Massenet-Lack), A. Delarue (Par le sentier, Th. Dubois), Marguerite Lévy
(Hymne d'amour, 3. Massenet;, et le duo de Jean de Kimlle, dans lequel son succès
a été partagé par M"' Blanche de la Bastière. La jeune et charmante artiste
qui, récemment, donnait un concert comme pianiste et comme cantatrice'
s'est également lait applaudir dans le Portrait de Manon, qu'elle a dit avec beau-
coup de finesse. Elle a accompagné au piano M"" Magnien, qui a obtenu éga-
lement un brillant succès. — Le beau programme d'œuvres classiques pour la
séance des élèves de M. E. Decombes a l'ait le plus grand honneur à l'excellent
professeur. Pendant l'intermède d'œuvres modernes, la jeune E. Nérini a joué
ravissamment Source capricieuse de L. Fillaui-Tiger, et le .\aulonier de Diéraer.
— Le neuvième concert de M"' B. Duranton était, comme toujours, des plus
attrayants. M"' Duranton, qui est certainement une de nos meilleures pianistes,
a soulevé la salle, principalement dans le 5 concerto de Beethoven, accompa-
gnée d'une de ses élèves, bonne pianiste déjà, et d'un quatuor à cordes ; un
thème varié de Ilerold, Dans ta nuit (1" audition), jolie pièce de Woollett, Atte-
grezze, plein de délicatesse, de A. Duvernoy, et la savante Gavotte de Bourgault-
Ducoudray, merveilleusement stylée par elle. Elle s'était assuré le précieux
concours de M. P. Viardot, chaudement applaudi dans les Variations de Tar-
tlni et deux pièces de lui. De véritables ovations ont été faites à M"° Duranton
et à l'auteur dans l'intrépide et brillante Fantaisie à deux piaims de A. Périlhou.
— Co.vcERis ANNONCÉS. — Mardi 5 mai, à 4 heures, salle Érard, 1" séance de la
Société des instruments anciens. — Même jour à 9 heures, salle Pleyel, concert
de musique moderne de M"* Roger-JIiclos. — -Mercredi soir, C mai, à la Bodi-
nière, au profit de l'église anglicane de Saint-Georges, concert donné par
M"°BoIska Skompska de l'Opéra impérial de Moscou. — Vendredi 8 mai, salle
Érard, concert de M. Louis Aubert. — Lundi 11 mai, salle Érard, 2' concert
donné par M"« Thérèse Duroziez et M. Engel. — Lundi 11 mai, k 9 heures, salle
des Agriculteurs de France, audition de musique populaire de la Grèce et de
l'Orient, donnée par M. Aramis avec le concours de M. Baurgault-Ducoudray.
NÉCROLOGIE
■VI r.1. A.II E T
L'excellent ténor Villaret, qui a été certainement l'un des artistes les
plus distingués, les plus consciencieux et les plus honorables que nous
ayons connus à l'Opéra, est mort lundi dernier à Suresnes, au moment où
il allait accomplir sa soixante-sixième année, car il était né à Milhaud
(Gard) le 29 avril 1830. 11 avait commencé par être ouvrier brasseur à
Nîmes, puis à Beaucaire et enfin à Avignon, où sa voix de ténor, si pure,
si limpide et si pleine, faisait la joie des orphéons. C'est en 1862 que
M« Nogens-Saint-Laurent ayant eu l'occasion de l'entendre, le signala à
Alphonse Royer, alors directeur de l'Opéra, qui le fit venir à Paris, l'en-
tendit, l'engagea aussitôt aux appointements de b.OOO francs par an, et le
confia à Delsarte pour le mettre en état de paraître à la scène. Ce n'est
pourtant que sous la direction d'Emile Perrin que Villaret fit son début
le 20 mars 1863, en chantant Guillaume Tell avec un succès retentissant qui
justifiait non seulement sa voix généreuse et superbe, mais aussi l'excel-
lent sentiment musical dont il faisait déjà preuve et qu'il allait bientôt
développer d'une façon remarquable. Un peu court, un peu trapu, un peu
ventru au physique, il n'en poursuivit pas moins une carrière brillante
grâce à ses rares qualités de chanteur, et aussi à l'intelligence qu'il ne
tarda pas à déployer comme comédien, si bien que dès 1860 son traite-
ment était porté à 45.000 francs. Après Guillaume Tell, qui depuis longtemps
n'avait eu un tel interprète, Villaret aborda successivement tous les grands
rôles du répertoire et se fit applaudir dans les Huguenots, Robert le Diable, la
Juive (un de ses plus beaux succès), le Trouvère, la Muette de Portici, l'Afri-
caine, la Favorite, Don Juan, la Reine de Chypre, les Vêpres siciliennes, le Pro-
phète, le Freischi'itz, Alceslc. Chose assez singulière, pendant les vingt années
qu'il passa à l'Opéra, Villaret n'eut pas à faire une seule création. Mais il
était toujours là, honnête, consciencieux, prêt à tout, jamais malade,
jamais fatigué, et je ne crois pas qu'il ait été une seule fois la cause d'un
relâche pour indisposition. Pendant tout le cours de sa carrière il a été
certainement le modèle des artistes et des serviteurs, ayant toujours le
respect du public, de ses camarades et de lui-même, fuyant les occasions
de tapage et de réclame avec autant d'ardeur que d'autres en mettent à
les rechercher, et se bornant à faire son devoir avec une conscience et une
modestie exemplaires. Le public ne s'y trompa pas, et lui donna des
preuves non équivoques de ses regrets et de sa sympathie le jour de sa
dernière représentation. C'était le 30 octobre 1882, l'excellent artiste se
montrait pour la dernière fois dans la Juive, et M"»" Krauss avait tenu à
reprendre à cette occasion le rôle de Rachel en l'honneur de son camarade.
Les spectateurs comblèrent Villaret d'applaudissements, le rappelèrent
avec enthousiasme et lui firent une de ces ovalions qui ne s'oublient pas.
Sa voix était encore chaude et superbe, mais il avait tenu à se retirer dans
tout l'éclat d'un talent qui n'avait point encore faibli. Depuis lors on
n'entendit plus parler de lui. A. P.
— On annonce la mort, àZara, du comteNicolo de Stermichde Valcrociata,
compositeur amateur distingué auquel on doit la musique de deux opéras:
Desiderio, duca d'Istria représenté à Zara en 1861, et la Madré slava, donné à
Trieste en 186b. Il avait été élève du Conservatoire de Milan, où il fut
admis en 1852, et d'où il sortit en 1857.
— De Naples, on annonce la mort, à l'âge de 73 ans, d'un professeur de
piano nommé Luigi Gavaudan, que les journaux italiens disent d'origine
française, ce qu'indique suffisamment son nom. Est-ce que ce serait là un
descendant de notre célèbre famille de chanteurs de ce nom, dont tant de
membres s'illustrèrent à l'Opéra et surtout à l'Opéra-Comique?
Henki Heugel, directeur-gérant.
1.MER1E COAIX, RUE BERGEKlf, 20, 1
S, — .Kncre loiUleui;
niiiiiirche 10 irai 1896.
3398. — 62"-^ A^^EE — i\° 1». PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménesthil, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Cn an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les trais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Le nouveau directeur et la réorganisation du Conservatoire, H. Moreno. —
II. Semaine théâtrale : Première représentation du Chevalier d'UurmentuI, k
rOpéra-Comique, Arthur Polgin ; première représentation de Manon Kolani,
à la Comédie-Française, reprise de Lysistrala, au Vaudeville, Paul-É-.iile Che-
VALIER. — m. La musique et le théâtre au Salon duChamp-de-Mars (2" arlicle),
Camille Le Senne. — IV. Le monument d'.\mbroise Thomas. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE CŒUR ET LA DOT
polka mazurka, d'ÉDOUARD Strauss, de Vienne. — Suivra immédiatement:
Printemps nouveau, de A. Landry.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Musi'ile du XVII" siècle, harmonisée par A. Périlhou. — Suivra
immédiatement; Près de l'eau, n° 2 des Soirs (^ amour, de Léon Delafosse,
poème de H. de Régnier.
LE NOUVEAU DIRECTEUR
ET
LA RÉORGANISATION DU CONSERVATOIRE
Il convient de féliciter tout d'abord le nouveau ministre
des Beaux-Arts, M. Rambaud, qui, sans se perdre comme son
prédécesseur dans de petites conspirations de bureaux, a su
marcher vite et ferme dans la voie naturelle et normale qui
lui était si clairement indiquée.
Donc, dès mardi dernier, M. Rambaud faisait appeler
M. Massenet au ministère et lui offrait la direction du Con-
servatoire de musique, après lui avoir communiqué le plan
de réorganisation de l'École, dont on trouvera plus loin tous
les détails.
— Tous ces changements ont-ils votre approbation?
— Comment donc ! monsieur le ministre.
— Vous approuvez la création du Conseil supérieur d'en-
seignement ?
— Pourquoi pas?
— Et la nomination du directeur pour cinq années ?
— Je n'y vois pour ma part aucun inconvénient.
— Alors nous pouvons vous considérer comme acceptant
la succession d'Ambroise Thomas?
— C'est beaucoup d'honneur, monsieur le ministre, que
vous voulez me faire. Mais, je ne suis pas seul dans la vie;
permettez-moi de consulter tout d'abord les miens, quelques
amis... Je vous demande vingt-quatre heures de réflexion.
Et alors, le directeur des Beaux-Arts, M. Roujon, qui assis-
tait à l'entretien, d'intervenir fort aimablement.
— Non, non, monsieur le ministre, ne le laissez pas partir
sans qu'il nous ait donné son acceptation.
— Mais, si je demande à consulter quelques personnes,
c'est simplement pour trouver près d'elles des encourage-
ments.
Et M. Massenet s'éloigna d'un pas tranquille, enchanté de
la réception vraiment cordiale du ministre. Mais le lendemain,
il ne se décidait à sacrifier « ni son indépendance, ni sa
liberté », et il en faisait part à M. Rambaud, avec l'expression
de ses sentiments reconnaissants pour le grand honneur qu'on
avait bien voulu lui faire.
Le ministre répondit par une lettre gracieuse, où tout en
regrettant comme ministre la décision prise, il s'en félicitait
comme mélomane, « puisqu'elle permettrait à l'auteur de
Manon et du C'id d'écrire de nouveaux chefs-d'œuvre ». Ainsi
finit la première escarmouche.
M. Massenet manquant, le ministre se tourna résolument
vers M. Théodore Dubois, et il trouva de ce côté la solution
qu'il cherchait.
Tout est ainsi parfaitement correct. Il était juste d'offrir la
« place » à M. Massenet, et, celui-ci ne l'acceptant pas, il était
non moins juste de faire appel au dévouement de M. Dubois.
C'est une nomination qui aura l'approbation de tous.
M. Dubois est bien l'homme de la situation. Cette situation,
avec le nouveau règlement, ne sera pas sans difficultés, au
moins dans les premiers temps. Il faudra tout le calme, toute
la droiture, tout l'esprit de justice, et aussi toute la fermeté
de M. Dubois pour les surmonter.
Ce que nous reprocherons au nouveau règlement, c'est de
mettre les destinées du Conservatoire dans des mains bien
diverses, d'ouvrir la porte à bien des ambitions et, par la
courte durée qu'on assigne aux fonctions du directeur,
d'empêcher les longues vues d'ensemble et les plans médités
d'enseignement. Le directeur n'aura pas trop de tout son
temps pour se défendre des embûches semées sous ses pas.
Et, en définitive, ce prétendu plan de réorganisation ne
pourrait bien donner comme résultat que le gâchis et la fin
même de l'École qui fut si longtemps glorieuse. C'est assez
d'une volonté à la tète d'une entreprise, pouriru qu'elle soit
ferme et éclairée.
Toutefois, nous avons conûaiice dans la sagesse de M. Théo-
dore Dubois. Et nous reconnaissons qu'au milieu de tant
de récifs, il était sans doute le 'seul nautonier qu'on put
raisonnablement choisir.
H. MORENO.
l'ili
LE MENESTREL
LA EEORGAIflSATION DU CONSERTATOIRE
(Décret publié à l'O/fieiel.)
TITRE PREMIER
Institution du Conservatoire national de musique et de déclamation.
Article premier. Le Conservatoire national de musique et de déclamation est
consacré à r,înseignement gratuit de la musique vocale et instrumentale et de
la déclamation dramatique et lyrique.
Art. 2. Cet enseignement se divise en neuf sections :
1" Solfège et théorie musicale;
?" Harmonie, orgue, contrepoint et fugue, composition ;
■S' Chant, déclamation lyrique ;
4" Piano, harpe ;
5° Instruments à arcliel ;
ti Instruments à vent ;
7 Classes d'ensemble;
8 Lecture à haute voix, diction et déclamation dramatique;
9 Histoire générale de la musique; histoire et littérature dramatique.
Art. 3. Il y a au Conservatoire :
1 Uue bibliothèque composée d'œuvres musicales et diamatiques et de publi-
cations relatives à la musique et à l'art français ;
2 Dn musée d'instruments de musique anciens et modernes et d'objsts
ayant un intérêt direct pour l'enseignement de la musique ou la facture instru-
mentale.
TITRE II
Direction, administration.
Art. 4. Le Conservatoire est placé sous l'autorité d'un directeur qui règle tous
les travaux et préside tous les comités, dans lesquels sa voix est prépondé-
rante.
Art. 5. Le directeur est nommé pour cinq années consécutives par décret du
président de la République, sur la proposition du ministre.
En cas de maladie ou de congé du directeur, la personne qui doit le suppléer
est désignée par le ministre.
Art. 6. L'administration se compose en outre:
t' D'un chef du secrétariat, chargé de tout ce qui concerne la discipline inté-
rieure, le matériel et la comptabilité ;
2" D'un bibliothécaire ;
3" D'un conservateur du musée;
'i- D'un sous-chef du secrétariat et du nombre de commis nécessaire aux
besoins du service.
Tous ces fonctionnaires, ainsi que les employés et gens de service, sont
nommés par le ministre, sur la présentation du directeur.
TITRE III
Corps enseignant.
Art. 7. Le corps enseignant se compose de professeurs titulaires, de chargés
de cours, d'accompagnateurs chargés de l'étude des rôles, de répétiteurs.
Art. 8. Les professeurs, les chargés de cours et les accompagnateurs sont
nommés par le ministre, sur la présentation du Conseil supérieur d'enseigne-
ment et du directeur du Conservatoire.
Art. 9. Les répétiteurs, choisis de préférence parmi les lauréats du Conserva-
toire, sont nommés par le ministre, sur la présentation du directeur, pour une
période de trois années, qui ne peut être renouvelée que sur l'avis du Conseil
supérieur d'enseignement.
TITRE IV
CriAPITIlIi PRESriER
Conseil supérieur d'eiiseitjneineiil. Juri/s d'admission. Comités d'eœiimeii des classes.
Jurys des concuitrs.
§ 1'*. — Conseil supérieur d'enseignement.
Art. 10. Il est institué un conseil supérieur d'enseignement divisé en deux
sections : l'une pour les études musicales, l'autre pour les études dramatiques.
Les membres de ce conseil sont nommés par arrêtés ministériels.
Le conseil est présidé par le ministre ou le directeur des beaux-arts et, en
leur absence, par le directeur du Conservatoire.
En cas d'empêchement de ce dernier, la présidence est dévolue au doyen des
membres étrangers au Conservatoire.
Les deux sections se réunissent en assemblée plénière toutes les fois qu'il
s'agit de ciuestions communes aux deux ordres d'enseignement et relatives à
l'intérêt général du Conservatoire.
Art. 11. Le Conseil supérieur d'enseignement est composé de membres de
droit, de membres nommés par le ministre et de membres élus.
Membres de droit des deux sections.
Le ministre, président ; le directeur des beaux-arts, vice-président; le direc-
teur du Conservatoire, vice-président; le chef du bureau des théâtres.
Le chef du secrétariat du Conservatoire remplira les fonctions de secrétaire.
Section des études musicales.
Six membres nommés par le ministre et choisis en dehors du Conservatoire;
trois professeurs titulaires du Conservatoire, nommés par le ministre; trois
professeurs titulaires du Conservatoire, élus par leurs collègues.
Section des études dramatiques.
Six auteurs, critiques ou artistes dramatiques, nommés par le ministre et
choisis en dehors du Conservatoire ; un professeur de déclamation, nommé par
le ministre; un professeur de déclamation, élu par ses collègues.
Les membres du Conseil supérieur d'enseignement sont nommés ou élus
pour trois ans.
Les membres de droit de ce Conseil font partie, au même litre, des jurys
d'admission et des comités d'examen des classes.
Art. 12. Le Conseil supérieur d'enseignement se réunit sur la convocation du
ministre.
Les réunions ont lieu aussi souvent que les circonstances l'exigent et une
fois au moins tous les trois mois, pendant la durée de l'année scolaire.
Pour délibérer, la moitié des membres du Conseil est nécessaire.
Art. 1.3. Le Conseil donne son avis sur toutes les questions qui lui sont sou-
mises par le ministre ou par le directeur du Conservatoire.
Il est chargé de l'inspection des classes, détermine les conditions dans
lesquelles cette inspection doit s'exercer et prend connaissance des rapports de
ceux de ses membres qu'il a délégués comme inspecteurs.
Il discute et soumet à l'approbation du ministre les programmes d'ensei-
gnement.
Il arrête les programmes des exercices des élèves.
Art. 14. Lorsqu'une place de professeur vient à vaquer, la section compétente
du Conseil présente au ministre une liste de candidats comprenant deux noms
au moins et trois au plus.
Art. 15. Chaque année, à la reprise des études, le CDnseil supérieur d'ensei-
gnement entend un rapport présenté par le directeur sur la situation du
Conservatoire.
§ 2. — Jurys d'admission.
.Art. 16. II y a un jury d'admission pour chaque section d'i»nseignement.
Art. n. Les jurys d'admission sont ainsi composés :
Pour la musique: les membres de droit du Conseil supérieur d'enseigne-
ment; quatre membres du Conseil d'enseignement, désignés par leurs collè-
gues ; quatre membres étrangers au Conservatoire, nommés par le ministre;
les professeurs titulaires de la spécialité.
Pour la déclamation dramatique : les membres de droit du Conseil supérieur
d'enseignement; les membres du Conseil supérieur d'enseignement et les pro-
fesseurs de déclamation.
Les jurys d'admission ne sont nommés que pour un an.
Comité d'
des classes.
Art. 18. — Il y a un comité d'examen des classes nommé par le ministre
pour chaque section de l'enseignement.
Art. 19. — Chaque comité d'examen se compose:
Pour les études musicales : des membres de droit du Conseil supérieur d'en-
seignement ; de trois membres du Conseil supérieur d'enseignement, désignés
par leurs collègues ; de six membres nommés par le ministre, choisis parmi
les professeurs titulaires du Conservatoire, et pour moitié au moins parmi les
artistes étrangers à l'école. Ces six membres sont renouvelés par tiers tous
les deux ans.
Les. professeurs du Conservatoire ne peuvent faire partie du comité appelé à
examiner les élèves de leur classe ou les élèves des classes du même ensei-
gnement.
Pour la déclamation dramatique : des membres de droit du Conseil supérieur
d'enseignement; des membres du Conseil supérieur d'enseignement, moins
les professeurs, et de quatre membres nommés par le ministre.
S 4. — Des Jurys de concours.
Art. 20. Le jury de chaque concours se compose:
Du directeur du Conservatoire, président; de huit membres au moins ou dix
au plus, nommés par le ministre et choisis, pour la moitié au moins, parmi
les personnes étrangères au Conservatoire.
CHAP1TIU-: H
Examens, concours, exercices des élèves.
Art. 21. Les examens et les concours d'admission ont lieu tous les ans, du
15 octobre au 15 novembre.
Art. 22. Il y a pour toutes les classes deux examens semestriels : l'un au mois
de ianvier, l'autre au mois de juin.
Art. 23. Il y a pour toutes les classes, à l'exception des classes d'ensemble,
de maintien et d'escrime, des concours annuels qui ont lieu au mois de juillet.
Art. 24. Il est procédé chaque année à des exercices d'élèves dans des condi-
tions arrêtées par le Conseil supérieur d'enseignement.
TITRE V
Disposition générale.
Art. 25. Sont abrogées toutes les dispositions des décrets, arrêtés et règle-
ments antérieurs qui seraient contraires au présent décret.
SEMAINE THEATRALE
OpÉR.v-CtoMiQUE. Le Chevalier d'Harmenlul, opéra-comique en S actes et 6 ta-
bleaux, paroles de M. Paul Terrier, musique de M. André Messager.
(Première représentation le 5 mai 1896.)
Ce n'est pas la première fois que /c Chevalier d'Uai-menld/, l'un des
plus intéressants romans d'.\lexandre Dumas pore, qui avait pris pour
sujet de son action la fameuse conspiration de Cellamare, a été « mis
en pièce «. Dumas lui-même, aidé de son fidèle Auguste Maquet, en
tira naguère un grand drame en une infinité de tableaux, qu'il fit
représenter, le 20 juillet IS'tO, au Théâtre-Historique du boulevard
du Temple, fondé par lui et qui ne devait pas larder a devenir le
ll; ménestrel
147
Ïhéàlre-Lyi'ique. C'était l'excellent comédien Numa, pendant trente
ans la joie du Gymnase, qui, engagé spécialement à cet effet, créait
dans ce drame le rôle du bonhomme Buvat, que M. Fugère vient de
mettre en relief dans l'oeuvre nouvelle avec un si grand succès, un
de ces succès dont il est coutumier.
11 y avait certainement, dans le Chevalier d'Ilarmental, les éléments
d'un bon livret d'opéra-comique, comme Planard a prouvé, dans le
Préaux Clercs, que ces éléments se Irouvaieùt dans la Chronique du
temps de Charles IX de Mérimée. Mais je n'hésite pas à dire que
Planard a été plus heureux qae M. Paul Ferrier, qui est pourtant un
habile ouvrier en matière de théâtre. Tout d'abord, M, Ferrier a eu
un tort : c'est, écrivant un véritable opéra-comique, de ne pas adopter
franchement la forme consacrée au genre en donnant au dialogue une
part importante. C'est à peine si l'on entend, dans le Chevalier il'Har-
meiital, quelques bouts de phrases parlées. Or, la pièce est une pièce
d'intrigue, qui devrait marcher rapidement, aller droit à son but, et
où les conversations des personnages, les explications données indi-
rectement par eux au publie devraient avoir le caractère alerte, la
promptitude, la vivacité du langage ordinaire. Au lieu de cela, noHS
avons constamment un récitatif qui assombrit, qui alourdit, qui
alanguit l'action, et qui pèse sur elle comme pèseraient des semelles
de plomb aux pieds d'un coureur.
Les musiciens italiens, lorsqu'ils écrivaient encore de la musique
bouffe ou de demi-caractère, employaient, à la place de notre dia-
logue, un recitativo secco très peu accompagné, pour lequel ils avaient
à leur service une langue vivace, rapide, facile en élisions, sans c
muets, sans syllabes sourdes, dont ils pouvaient à volonté précipiter
les périodes. Qu'on se rappelle les récitatifs si alertes du Barbier, de
Doit Pasquale ou de Crispino e la Comare. Nous n'avons pas cet avan-
tage au point de vue musical; notre langue n'a ni la prestesse, ni la
désinvolture, ni l'étonnante légèreté de la langue italienne. Il en
résulte que, au moins en certains cas, le langage parlé est chez
nous une nécessité, notre dialogue lyrique étant forcément lent, trop
mesuré et contraire à la nécessaire activité de l'action, activité à
laquelle l'intervention de l'orchestre vient encore mettre obstacle,
outre qu'elle empêche l'auditeur d'entendre les paroles. Tout cela me
semble si vrai que le mot italien recitativo s'est surtout traduit en
français par celui de récit, qui modifie sa signification.et qui en in-
dique la lourdeur et la lenteur relatives. Dans une pièce qui, comme /f-
Chevalicr d'Harmental, n'est autre chose qu'une comédie lyrique, on
ne doit donc pas employer le même procédé que dans le drame mu-
sical. Mais il est temps de dire ce qu'est cette pièce.
On sait que le duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de M"" de
Monlespan, avait été désigné, dans le testament du grand loi, pour
exercer une partie de la régence durant la minorilé de Louis XV.Gela
ne faisait pas l'affaire du duc d'Orléans, qui trouva le moyen de faire
casser le testament pour accaparer la régence à lui tout seul. Lu du-
chesse du Maine, petite-fîlle du grand Condé, maîtresse femme et fort
ambitieuse, qui tenait à Sceaux une sorte de cour, poussa alors son
mari à prendre part à la conspiration que le prince de Gellamare,
ambassadeur d'Espagne, avait ourdie dans le but de renverser le
Régent. C'est précisément à Sceaux que s'ouvre l'action du Chevalier
d'HanneiUal, pendant un bal donné par la duchesse, bal brillant qui
évoque dans notre esprit le souvenir de ces fêtes quasi royales, si
célèbres sous le nom des « Nuits de Sceaux », en faisant revivre à
nos yeux les fi gares du poète Malézieux, du compositeur Mouret et
de celte toute charmante M"' de Staal, dont les mémoires sont em-
preints d'un intérêt si touchant. C'est là, pendant le bal, que se réu-
nissent les cons; irateurs, et à leur tète le chevalier Raoul d'Har-
mental, qui viennent prendre le mot d'ordre de la duchesse. Les
préparatifs de la conjuration n'empêchent point toutefois Raoul de
devenir amoureux à première vue d'une jeune fille , Balhilde
Durocher, appelée inopinément à venir remplacer, dans les intermèdes
du bal, une cantatrice de l'Opéra, indisposée.
Mais Bathilde, orpheline et pupille en quelque sorte du vieil
employé Buvat, qui l'a recueillie et avec lequel elle vit mo lestement,
est une fille honnête et pure, ce qui ne fait que redoubler la passion
du chevalier. Après l'avoir perdue de vue, il la cherche, la retrouve,
lui fait partager sa tendresse et lui jure de l'épouser.
Cependant, les conjurés ont décidé d'enlever le duc d'Orléans et de
le faire prisonnier, et c'est Raoul qui, aidé de quelques afïidés, parmi
lesquels le capitaine Roqueflnette, un soudard émérite, doit s'emparer
lui-même de sa personne. Ils l'attendent, la nuit, dans la rue des
Bons-Enfants, au sortir d'une maison où, en compagnie de son ami
La Fare, il va faire une de ses orgies habituelles. Mais un incident
fait manquer le coup, en même temps qu'il fait connaître au Régent
ce qui se tramait contre lui. Il va sans dire que le lieutenant de
police est aussitôt avisé des faits, Celui-ci ne tarda pas à mettre la
main sur les conspirateurs, et d'Harmental, arrêté avec ses complices,
paiera de sa tête le projet criminel auquel il s'était associé.
Raoul savait à quoi il s'exposait en cas de défaite. Il est donc
résigné à son sort, et demande seulement la grâce, qui lui est refusée,
de donner son nom à Balhilde et de l'épouser avant de mourir. Mais
Balhilde, on le conçoit, est au comble de la douleur. Pourtant il lui
reste un rayon d'espoir. Elle ira se jeter aux pieds du Régent et lui
donner conuaissance d'une lettre que depuis dix ans elle cherche on
vain ;i lui faire parvenir. Elle pénètre en effet près de lui, et loi
communique cette lettre, qui est ainsi conçue:
« Votre mari, madame, est tombé pour la France et pour moi. Ni la
France ni.moi ne pouvons vous le rendre. Mais si jamais, pour vous aider
ou vous défendre, quel que soit le besoin, quel que soit le secours, vous
recourez à nous, la France et moi sommes vos débiteurs.
9 PHILIPPE d'orléans. »
Celte lettre est du Régent lui-même, qui l'avait écrite à la veuve
de l'officier Durocher, lequel, après lui avoir sauvé la vie à Nerwinde.
avait trouvé la morl sous les murs d'Almanza. Philippe demande
alors à la jeune fille ce qu'elle souhaite de lui, et elle le supplie de
lui accorder la grâce de la vie, sinon de la liberté, pour celui qu'elle
aime. Il refuse, mais il consent du moins à ce que le chevalier épouse,
avant de mourir, celle à qui il a promis son nom. La cérémonie sera
célébrée aussitôt, dans la chapelle du palais, et Raoul, mandé immé-
diatement sur l'ordre du Régent, conduit sa fiancée à l'autel. Toute-
fois, Philippe est ébranlé, et l'inlerrention de l'excellent Buvat, qui
vient à son tour implorer sa clémence, produit un effet décisif. Le
Régent de France fera grâce au chef de la conspiration, et le che-
valier l'apprend de sa propre bouche au retour de la chapelle.
Telle est cette pièce, qui, si elle n'était, comme je l'ai dit, empê-
trée dans d'interminables récitatifs et fâcheusement alourdie par eux,
serait très acceptable et pourrait faire bonne figure. Passons mainte-
nant à la part du musicien.
M. André Messager est un des heureux de ce monde musical. Ayant
à peine dépassé la quarantaine, c'est-à-dire à l'âge où tant d'autres
essaient vainement de se produire, il s'est fait jouer dans tous les
théâtres possibles, depuis les plus petits jusqu'aux plus grands,
depuis les Folies-Bergère jusqu'à l'Opéra. Il a débuté aux Folies-
Bergère par quelques ballets, dont un intitulé F/e«r d'oranger. Puis
il fut choisi pour terminer une pièce laissée inachevée par le pauvre
Bernicat, Françoisles Bas-bleus. Puis il donna aux Folies-Dramatiques
la Fauvette du Temple ei le Boiirgeokjle Calais, aux Bouffes-Parisiens
la Béarnaise et le Mari de la Reine, à la Renaissance Isoline et Madame
Chrysanthème, au Nouveau-Théâtre Miss Dollar et le ballet de Scara-
mouche (avec M. Georges Street), enfin, à l'Opéra-Comique la Basoche,
et à l'Opéra le ballet des Deux Pigeons. En présence d'une fortune
aussi rare, nous avons donc le droit d'être exigeants envers M. Mes-
sager, dont le talent, d'ailleurs indiscutable et fort distingué, est
essentiellement sympathique et a été encouragé de toutes façons.
L'auteur de la musique du Chevalier d'Harmental a-t-il tenu tout ce
qu'on était en droit d'attendre de lui? Je ne saurais, pour ma part,
répondre à cette question par une affirmation absolue, et j'avoue que
j'espérais mieux de M. Messager, musicien habile, artiste instruit, à
l'esprit net, au talent de marque bien française, et qui ne se perd pas
dans les subtilités nuageuses elles rêveries prétendues profondes de
nos prétendus réformateurs. M. Messager sait parfaitement que le
rythme et la tonalité, ces choses aujourd'hui dédaignées, sont les
éléments essentiels de la musique même dramatique, que l'orchestre
est fait pour escorter le chant et non pour l'étouffer, qu'on peut, sans
se déshonorer, faire entendre deux et même trois voix à la fois, et
qu'enfin l'emploi farouche du leit moliv n'est pas une condition indis-
pensable du génie. Il sait tout cela, et il l'a prouvé. Il est enfin de
race vraiment nationale, et il me parait un de ceux sur lesquels nous
avons droit de compter.
Mais il me parait aussi, et justement, que dans le Chevalier d'Har-
nmital il a quelque peu trompé notre attente, qu'il ne s'est pas mis
assez en frais d'imagination, et qu'il a pris trop volontiers pour de
l'inspiration la première idée, pauvre ou banale, qui se présentait
à lui. Si j'excepte le troisième acte, le plus court d'ailleurs, mais
qui est excellent d'un bout à l'autre, parce qu'il est alerte, et vif, et
bien en scène, je trouve sa partition languissante et monotone, sans
saveur et sans nouveauté, trop portée à la déclamation, ou plutôt à un
débit sans accent et sans relief, dont la froideur n'est pas rachetée
par la lourdeur de récitatifs qu'accompagne un orchestre souveat
trop compact et trop pesant. J'ajoute que sa prosodie est fréquem-
ment vicieuse, et que la musique boîte sous les paroles.
J'ai signalé le troisième acte, celui de la rue des Bons-Enfants, où
148
LE MENESTREL
il s'est laissé emporter très heureusement par le mouvement de la
scène. Là se trouve nn trio bouffe excellent, de forme syllabique,
franc du collier, alerte, vif et bien rylhmé, et qui a emporté les ap-
plaudissements : puis la chanson militaire de Roquefinette, très
franche aussi : Les gros dragons à Malplaquet , qui, si elle n'est pas
d'une très grande nouveauté, est du moins amusante avec ses
pizzkati pittoresques de violons; puis divers autres passages, entre
autres le gentil fragment symphonique qui, à la fin, accompagne
l'entrée de la patrouille.
Pour le reste, je suis bien embarrassé de citer quelque chose qui
sorte de l'ordinaire ou du médiocre. La cantilène de Buvat au pre-
mier acte: Quel indéfinissable charme..., que M. Fugère a fait bisser
par son exquise façon de la dire, est en soi bien banale et bien pâle.
La chanson à boire de Roquefinette, au second acte, ne vaut que par
la franchise du dessin, mais l'idée est nulle. Si je m'arrête aux épi-
sodes importants sous le rapport dramatique, je serai peut-être
amené à me montrer plus sévère encore. Ainsi de la scène de Bathilde
au qualrième acte, de son entrevue avec le Régent au cinquième et
de son duo avec Raoul. Dans tout cela, l'auteur me parait avoir com-
plètement manqué d'élan et d'inspiration. Je me bornerai à louer, au
point de vue général, la sobriété des moyens employés, l'intérêt sou-
vent répandu dans loreheslre, et ce qu'on pourrait appeler l'intelli-
gence de l'ensemble.
Je regrette de me montrer si parcimonieux en ce qui coucerne
l'éloge. Si la partition du Chevalier d'Harmental était l'œuvre d'un dé-
butant, elle pourrait passer pour une promesse intéressante et appel-
lerait de justes encouragement?. Mais M. Messager est loin aujour-
d'hui d'être un débutant ; il a non seulement du savoir, mais de
l'expérience, l'habitude du public et la connaissance de la scène.
Son passé nous donne le droit d'être exigeants envers lui, et, pour
ma part, c'est justement parce que son talent m'est sympathique et
que j'ai confiance en lui que je me crois le droit de lui faire entendre
ce qui me parait la vérité. Or, ce qui me parait cette fois la vérité,
c'est qu'il s'est en partie trompé. Je souhaite malgré tout que le
public me donne tort, mais j'avoue que je n'y compte guère.
Il n'a qu'à se louer, toutefois, de ses interprètes, qui ont défendu son
œuvre avec vaillance. Ici je ferai comme l'affiche et je nommerai en
premier lieu M. Fugère, qu'ilfaut effectivement tirer hors de pair, et qui
a composé le rôle de Buvat avec le soin et l'originalité dont il marque
chacune de ses créations; car Fugère est comédien aussi intéressant
que chanteur éprouvé. Fugère est doué naturellement de cette faculté
si rare d'avoir de l'émotion dans la voix quand il chaule, et comme
avec cela il chante d'une façon exquise, il lui arrive de faire prendre
le change au public sur la valeur vraie de telle ou telle phrase mu-
sicale, parfaitement insignifiante par elle-même. C'est ce qui s'est
produit particulièrement au premier acte, dans une cantilène assez
pâle que j'ai signalée, et que la salle lui a redemandée tout d'une
voix. Comme comédien, il a fait merveille surtout au cinquième acie.
dans sa scène avec le Régent.
C'est M. Leprestre qui représente le chevalier Raoul d'Harmental,
et il n'y aurait que des" éloges à lui adresser s'il n'avait la fâcheuse
habitude, qui à la longue devient irritante, d'enfler régulièrement le
son après l'avoir émis piano, pour le laisser ensuite s'éteindre avec
la même régularité; on ne saurait croire combien ce procédé vicieux
est fatigant pour l'auditeur. Toute réserve faite sur ce point impor-
tant, M. Leprestre a bien mérité des auteurs.
M"' Marignan, dont c'était la première création, est une gracieuse
et touchante Bathilde. Elle a marqué ce rôle au coin d'une tendresse
aimable, tant au point de vue vocal qu'au point de vue scénique.
Peut-être, toutefois, peut-on lui reprocher quelque abus de gestes et
de mouvements. Mais il faut louer chez elle des accents d'une émo-
tion sincère.
Deux rôles de second plan, mais fort importants chacun en leur
genre, sont tenus avec un véritable talent, l'un, le capitaine Roque-
finette, par M. Isnardon, l'autre, le Régent, par M. Marc Nohel.
M. Isnardon a fait un type excellent et fort original de cette espèce
de chef de reîtres, auquel il a donné une physionomie pittoresque et
vive ; j'ajoute qu'il l'a chanté avec beaucoup de verve et d'entrain, et
que sa belle voix y sonne avec éclat. Quant à M. Marc Nohel, il a
prêté au caractère du Régent la dignité froide qui lui convient en la
circonstance, et il a joué ce rôle, plus difficile que brillant, avec une
-véritable autorité. M. Carbonne est on abbé Brigaud agréable quoique
peut-être un peu exubérant, M"<- Chevalier est une fort belle duchesse
du Maine, et M"' Evel est tout accorte et tout aimable dans le petit
rôle de M"»" Denis. L'exécution d'ensemble est d'ailleurs excellente.
Arthur Pougin.
Comédie-Française. Manon Roland, drame en 5 actes, en vers, de MM. Emile
Bergerat et C. de Sainte-Croix. — 'Vaudeville. Lijsisirata, comédie en
4 actes, de M. Maurice Donnay, musique de M. Dutacq.
Un drame bourgeois, malgré l'essai de reconstitution historique
tenté, malgré l'emploi du vers, telle apparaît la Manon Roland de
MM. Emile Bergerat et Camille de Sainte-Croix. Et, de fait, rien de
plus terre à terre que l'histoire de cette petite épouse de province
jurant à son mari, beaucoup plus âgé qu'elle, que si jamais son cœur
se détachait de lui pour se donner à un autre, loyalement elle l'en
préviendrait. Serment tenu. Le beau jeune homme, ténébreux et
fatal, paraît. L'époux comprend sans qu'il soit besoin de lui donner
de longues explications et va se tuer loin du foyer conjugal où il ne
saurait retrouver sa place.
Car, il faut bien l'avouer, c'est ;i ce côté fort anodin de la phy-
sionomie très curieuse pourtant de Manon Roland que les auteurs
semblent s'être surtout arrêté. Celle qui fut l'âme ardente, passion-
née, vibrante et volontaire de la Giroude, celle qui fut la seule raison
d'être de Roland ministre, celle qui demeura l'acharnée et hautaine
ennemie de Danton, celle, enfin, dont la mort, à trente-neuf ans, fut
héroïque, demeure une mère de famille très quelconque, jouant les
bas-bleus sous l'inspiration de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau,
et s'amusant assez légèrement aux terribles affaires politiques du
moment.
Quant à la reconstitution historique, le grand souffle de la Révo-
lution y passe à l'état de zéphir, agréablement et heureusement mis
en scène dans le tableau pittoresque de la rue de la Harpe, le jour où
est déclarée la déchéance du roi. Et si l'histoire est sciemment et
trop couramment dénaturée, les auteurs ont, avant tout, oublié
d'éclairer leur lanterne, trop confiants dans l'érudition d'un public
qui, pour aimer les choses de la Révolution, n'en est, en somme, que
très superficiellement instruit.
Et puis, encore, que dire de la forme de Manon Roland? On sait
que ce fut là primitivement livret d'opéra et on le sent, d'autant
mieux qu'on le sait, à l'emploi du vers libre et à plusieurs couplets
qui devaient fournir matière à charmants épisodes musicaux. Pour-
tant une scène demeure très belle en sa concision nette et d'une
véri'able maîtrise dramatique, celle où M"" Roland, sans paroles,
avoue son amour pour Buzot en déchirant le traité d'alliance demandé
par Danton.
De l'interprétation il faut sortir le nom de M. Silvain, qui a com-
posé de remarquable façon Roland et en a fait, au détriment de
l'héro'ine, le personnage intéressant du drame. M"'= Barelta ne fait
qu'accentuer le côté bourgeois de son rôle; pas une minute la figure
n'apparaît grande, pas même quand, d'un geste, Manon jette à
l'échafaud sa Gironde tant aimée. MM. Prudhon, Baillet, Duflos,
Laugier, demeurent ternes, tandis que M"' Thomsen et M. Veyret
s'affirment gentils en de courtes apparitions.
De même que le Gymnase termine sa saison par la reprise du
Prince d'Aurec, emprunté au "Vaudeville, le Vaudeville clôture la
sienne avec Lysistrala, arrachée des décombres du feu Grand-Théâtre.
Et c'est ici, plus que jamais, le lieu de crier « casse-cou » aux gens
d'humeur timorée, car M. Donnay qui, sans doute, n'avait pas jugé
sa paraphrase de la comédie grecque assez pimentée a trouvé moyen
d'y ajouter nombre de plaisanteries fort lestes. Pour ma part, j'avoue,
sans rougir, avoir trouvé quelque plaisir à celte immense farce où
l'esprit tient lieu de science dramatique et où la beauté et la grâce
des femmes forment un fort agréable spectacle. Lysistrala, d'ailleurs,
gagne à être jouée sur une scène de dimensions modestes, et les jolies
pensionnaires du Vaudeville, M'"" Réjane, Rosa Bruck, Sorel, Lucy
Gérard, Carlix, Avril, Drunzer et nombre d'autres ne perdent rien à
être vues de plus près.
Mais la chose capitale de cette reprise, c'est l'entrée dans la
maison, à la tête d'un très bon orchestre, de M. Gabriel-Marie. On
sait qu'à l'Odéon, comme au Grand-Théâtre, M. • Porel avouait un
faible pour les pièces à musique ; on sait aussi que M. Carré n'est
nullement dédaigneux de cette même musique. Alors?... Alors'?...
Qui vivra, verra I Pacl-Émile Chevalieb.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DU CHAMP-DE-MARS
(Deu.rième article).
Avant de revenir aux tableaux, quelques lignes sur la série de
dessins de M. Renouard qui garnit les murailles de la salle XII au
LE MÉNESTREL
149
rez-de-chaussée du palais des Arts-Libéraux. Elle est abondaale mais
point banale cl d'un modernisme bien spirituel sans surcharge cari-
caturale. Le premier numéro, d'une rare souplesse d'exécution, repré-
sente l'École de musirjue de Londre-->, avec cette mention caractéris-
tique : K Dans l'intérieur de l'établissement toutes les portes sont
vitrées. » Signalons encore le dessin intitulé Sarah BernhanU, Savoy
Hôtel, chambre n" oO, Irving dans sa loge au Li/ceum, enfin la suite si
■ intéressante des croquis pris à Drury-Lane : Loge des petites filles.
Coin de coulisses. Partie de cartes. Costumage en partie double de la ma-
man en cacatoès et de l'enfant en perrucli.", sans oublier la Classe de
danse ches M""^ Kattie-Lanner, d'une saisissante âpreté de rendu.
L'Orchestre sous la pluie et les Petits soutiens de famille qui viennent,
à six ans. figurer dans les cortèges pour nourrir une maman infirme
ou un papa alcoolique mériteraient aussi une mention particulière
pour la franchise et la simplicité de l'exéeutiou. M. Renouard, clas-
seur d'impressions, a un mérite bien rare chez les impressionnistes:
il ne court pas après l'effet ; il ne sacrifie pas la probité de la vision au
trait, à ce qu'on pourrait définir le mot de la fin du chroniqueur par
le crayon. Pourtant il ne se refase pas quelques échappées de gaîté,
surtout en France, etla suite des croquis esquissés à Paris eslsouvenl
d'une verve communicative. Je défie les promenenrs les plus récalci-
trants de garder leur sérieux devant les trois dessins intitulés Con-
fërence de Sarcey, et qui représenlent notre oncle à tous bedonnant
dans son habit, dodelinant sous ses lunettes, ou se rengorgeant der-
rière ïes périphrases. On regardera avec une curiosité moins égayée,
mais retenue cette foi3 par la netteté du contour et le relief des por-
traits, les études sur Sarah Bernhard et Sardou destinées à M. Dené-
cheau, YAmbroise Tliomas et l'Alexandre Dumas fils appartenant à
M. Ludovic Halévy, YEmile Bergerat et le François Coppée de frap-
pante ressemblance.
Une salle voisine contient les dessins à la plume de M. Ludovic
A. Abbey, cent trente-deux compositions pour illustrer les quatorze
comédies de Shakespeare, commandées par MM. Harper frères, de
Niw-York. Le public français y trouvera avec plaisir une mise en
scène originale d'ouvrages qui lui sont devenus familiers: Le Songe
d'une nuit d'été. Beaucoup de bruit pour rien, la Mégère apprivoisée, la
Tempête, le Marchand de Venise, etc. Quelques détails l'intéresseront,
en l'étonnant souvent, parfois en choquant ses habitudes routinières,
mais la leçon n'en sera que meilleure. Le parti pris de monter à la
française, sans aucune préoccupation de décor natif, les œuvres du
grand Will, n'est pas une des moindres raisons de la lente naturali-
sation du répertoire shakespearien.
Les autres dessins, cartons et gravures, ne nous retarderont
guère. Le morceau, l'étude, dominent dans la production du Champ-
de-Mars. Il y aurait cependant injustice à oublier M. Carrier-Bel-
leuse, un des derniers pastellistes qui aient gardé le souci de la com-
position et qui expose, avec un Golin-Maillard se passant au foyer
de la danse, uu très vivant portrait de M"° Lobstein ; le symbolique
dessin de M. Henry Carter sur « le piano que baise une main
frêle » de Paul Verlaine; le jeune violoniste de M°'= Ehrenborg; les
croquis d'après nature pris à l'Opéra par M. Louis Fourcade ; le
portrait sur porcelaine, par M""' Hoquante. de M"= Gléo de Mérode —
que nous retrouverons en marbre, et plus, beaucoup plus qu'en
buste, au Salon des Champs-Elysées ; une miniature de la même
artiste représentant M"° Laisné de l'Opéra-Comique dans son cos-
tume dn premier acte de la Virondière : une curieuse lithographie
en couleurs de M. Lanois: le Meimel : la Chanson du printemps de
Maurice Eliot: une gravure eu point^ sèche de Mareellin Desbou-
tin rendant an vif l'àpre silhouette d'Alexandre Dumas fils ; un autre
portrait de l'auteur de Francillon par M. Desmoulin ; un suggestif
Edouard de Goneourt, par Eugène Carrière.
Revenons à la peinture par le sentier très frayé de l'anecdotisme.
M. Edgar de Montzaigle expose une étude d'entr'acte à l'Opéra, d'un
ton très chaud et d'une saisissante exactitude. Le Willette de M. Des-
boutins en costume de Pierrot est un portrait, mais largement traité
à la façon d'une élude solide servant à résumer un type plutôt qu'à
représenter une figure, M. Oppler. qui s'inspire directement de
Whistler, expose sous ce titre : Accords, une femme en robe noire,
debout devant un piano dans la pénombre de sa chambre, la main
posée sur l'ivoire du clavier. L'impression e^t subtile mais l'exécu-
tion, d'une extrême délicatesse, la met en pleine valeur. Le Tournoi
d'amour vigoureusement enluminé par M. Doudelet; le BazeUles,
tableau dramatique de M. Lafon ; les Demi-Vierges vertes et roses de
M. Montzaigle, déjà cité ; la Captive, pour vignette de romance, de
M. Mycho ; les Sylphes dansant au clair de lune, de M. Picard ; la Belle
Paute, de M. Rachou, passant sur son balcon devant la foule enthou-
siasmée le gentilhomme Louis XIII de M. Rivey ; le guitariste de
M. ïexidor, que je réunis sous la même rubrique, ne témoignent pas
une égale habilelé de facture, mais rentrent tous dans la peinture
du genre.
J'ai déjà passé en revue qutlques-uns des portraits exposés au
Champ -de-Mars; il en reste, et non des moins remarqués. M. Ca-
rolus Duran a envoyé une demi-douzaine d'études d'une vivacité
extraordinaire et d'une facture éclatante, même dans les portraits
d'hommes ; il a rendu avec un sérieux qui n'est pas de la froideur la
figure calme et réfléchie, aux intéressants modelés, de M. Lej'gues,
l'ancien ministre des beaux-arts; il a donné tout son relief au faciès
héroïco-romantique de Paul Deroulède. De M. "Weerts, un excellent
portrait de M. Ravaisson, le célèbre membre de l'Institut, et tout un
album de figures contemporaines qui donnent l'illusion de la vie.
M. Paul Math ey a délicatement portraicturé noire sympathique con-
frère Jacques Normand, l'auteur de l'Amiral, et M. Glaus a saisi dans
l'intimité M. Bouvel, de l'Opéra-Comique. Les études féminines de
M. Boldini se distinguent, comme toujours, par de curieuses recher-
ches d'attitudes ou de mobilier. Entre la princesse P..., qui a l'air
d'exécuter un pas bien périlleux sur un parquet bien glissant, et
M"" X..., qui se tient sur sa chaise longue, son canapé ou son fauteuil
(on peut choisir), comme on se tiendrait dans une balançoire ou un
wagonet de monlagne russe, je n'ai- pas de préférence. M. Blanche,
plus sérieux, est en progrès marqué dans ses portraits de M. Fritz
Thanlow et de ses enfants, et de M. Aubrey Beardsley. De M. de
la Gandara, M°'° Guillaume Béer, professionncd beauty...
C'est la belle Otero qui a inspiré cette fois M. Dannat, luministe
convaincu. Le modèle étant de plastique lourde et de beauté plutôt
animale, — je supplie M"" Otero, qui n'aura jamais le temps de lire
les œuvres de Taine, vu ses multiples occupations, de croire sur la
parole de ce regrettable esthéticien, que l'animalité est une des con-
ditions primordiales, l'assiette solide, la base de la beauté, — l'étude
ne saurait rien offrir de bien intellectuel, mais M. Dannat l'a traitée
avec une sobriété relative; il a maintenu dans une gamme sourde les
tons qui auraient pu être éclatants de la robe vert laitue.
En fait de vert, que dire de la buée savonneuse, des vapeurs sulfu-
reuses où M.Guillaume Roger plonge ses études féminines: Good
night, Su:anne, Dans la serre? A la fois anémique et faisandée, cette
peinture de paravent serait-elle de la peinture de rêve? Rêveuse aussi,
mais avec un pli énigmatique de ses lèvres violacées, une graisse mal-
saine, une inquiétante bouffissure, la femme dessinée par M. Burne-
Jones, dont la vogue décroît en France à mesure que sa célébrité prend
en Angleterre les proportions d'une gloire nationale. Cette littérature
par le pinceau, où la peinture tient si peu de place, n'aura jamais
chez nous qu'un succès passager.
Revenons aux coloristes fervents. M. Casas nous donne le portrait
d'un châle, mais ce châle en vaut la peine; d'abord c'est une sym-
phonie en blanc majeur, en blanc outrancier; puis il s'étale sur la
plastique d'une Andalouse au teint bruni, comme dit la romance, en
préparatifs de départ a los toros. Le Fandango, de M. Chadwick, le
Pesage à Trouville, de M. Binet, le Théâtre antique à Arles, de M. Pail-
lard, l'Été à Monaco, de M. Leroy-Saint-Aubert, les Croquis de la Côte
d'azur, de M. Montenard, mériteraient mieux qu'une mention. Ma is
si l'on veut recevoir un vrai « coup de lumière », une impression à
la fois claire et brutale, il faut s'arrêter devant les Jardins arabes de-
Grenade, de M. Rusinol. Avec leurs ifs aux verdures épaisses et taillées
en boulingrins, leurs grenadiers, leurs orangers, leurs fontaines jail-
lissantes, les voilà, les « jardins de l'Alcazar, délices des rois
maures », et autrement, voire mieux que dans le décor de la Favorite.
(A suivre.) Cwiille Le Senne.
LE MONUMENT D'AMBROISE THOMAS
Les directeurs de l'Opéra viennent d'envoyer à tous les abonnés
une circulaire les avertissant que la répétition générale de gala
A'Hamlet sera donnée le mardi 19 mai, ou le jeudi 21, au profit du
monument à la mémoire d'Ambroise Thomas, dont les frais seront
couverts par l'Opéra seulement.
MM. Bertrand et Gailhard invitent les abonnés à s'inscrire avant
le II mai pour cette représentation.
Les adhésions seront inscrites dans l'ordre où elles se produiront.
Dans le cas où plusieurs demandes seraient faites simultanément,
c'est celle de l'abonné le plus ancien qui serait admise.
Le monument dont s'est chargé M. Falguière, portera l'inscription
suivante :
loO
LE MENESTREL
A AMBROISE THOMAS
Ij;s abonnes de l'Opéra
Les artùles de l'Opéra
ie.s direeleurs de l'Opéra
Toici quelle sera la distribution d'Hamlet :
Ophélie M'"^^
La JReine
Hamlet MM.
Laerle
Le Roi
Le Spectre
Melba
Deschamps-Jehin
Renaud
Vaguet
Gresse
Chambon
PRIX DES PLACES DE L ABOXXE.MENT
l"^^ loges, avant-scène, 330 fr. ; de face, 230 fr. ; de côté, 200 Irancs.
Baignoires d'avant-scène, 300 fr. ; baignoires, 150 francs,
^i^s loges, de face, 150 fr. ; de coté, 100 francs.
Fauteuils d'amphilhéâlre, 40 fr.; d'orchestre, 30 francs.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (7 mai). — La saison théâtrale à
la Monnaie s'est clôturée par les soirées traditionnelles « d'adieux s aux
artistes qui nous quittent l'an prochain — et à ceux qui ne nous quittent
pas. Ces soirées, composées de spectacles coupés, ont été, cette année, un
peu moins enthousiastes et un peu moins fleuries que les années précé-
dentes; mais elles ont été cordiales tout de même, et l'on a fait fête surtout
à M"' Leblanc dans la Navarraise et à M"' Armand, dans un acte d'Orphée.
Mardi, la dernière soirée d'adieu a eu un épilogue, sous la forme d'une
représentation extraordinaire du Tannhàuser, avec M. Van Dyclt. Je vous
ai dit que l'excellent artiste, assez sérieusement indisposé, avait dû chan-
ger l'ordre de ses représentations et qu'il aurait peut-être de la peine à
les terminer toutes. Cette dernière de Tannhduser a failli même être inter-
rompue, et elle a été marquée d'incidents émouvants. Au cours du premier
acte, M. Van Dycli a cessé brusquement de chanter, en s'écriant : « Je n'en
puis plus I » et s'est précipité dans les coulisses, laissant Vénus fort
embarrassée de cette fuite, plus rapide encore que 'Wagner ne l'a voulu. Il
y a eu une interruption d'une demi-heure, au cours de laquelle le public,
très ému, s'est demandé avec angoisse si l'on n'allait pas lui rendre son
argent... Mais eniin, M. Van Dyck s'est remis, et la représenlion a pu con-
tinuer, avec de nombreuses coupures. On n'en a pas moins applaudi cha-
leureusement M. Van Dyck, dont la vaillance a triomphé d'une indisposition
si malencontreuse. L. S.
— Les journaux italiens croient pouvoir annoncer que M^" Van Zandt,
l'exquise créatrice de Lakmé à l'Opéra-Comique, a promis à M. Sonzogno
d'aller donner, au courant de l'automne prochain, quelques représentations
de cet ouvrage au Théâtre-Lyrique de Irfilan.
— Dépêche de Trieste : Manon, véritable triomphe au théâtre Politeama.
Quatre morceaux bissés au cours de la soirée. Rappels sans fin pour le
ténor GaruUi et la Bendazzi.
— Au théâtre Carignan, de Turin, on a joué une>« fable-pantomime »
intitulée ;/ Mago sabino, dont la musique a été écrite par un avocat, M. Attilio
Omodei. Le succès de ce compositeur amateur parait avoir été modéré.
— Nous annoncions il y a quelques semaines, en émettant quelques
doutes sur la perfection qu'on lui attribuait, l'apparition en Italie d'une
nouvelle llûte très simplifiée, se jouant comme le flageolet, et qui, simple-
ment percée de trous et dépourvue de clefs, n'en était pas moins, disait-on,
supérieure à la flûte Bœhm sous le rapport de la justesse, de l'ampleur et
de la qualité du son. Bien nous a pris d'être quelque peu sceptique à
l'égard de cet instrument, dont l'inventeur est un artiste nommé Giorgi.
Un professeur au Conservatoire de Naples, M. Italo Piazza, vient de publier
sous ce titre : Il Flaulo Giorgi, une brochure dans laquelle il démontre
qu'il ne s'agit ici que d'une sorte de mystification, que loin d'être un pro-
grès l'instrument en question ne serait qu'un retour en arrière, et que ce
nouvel instrument ne serait autre chose que l'ancienne flûte Schalï-
ner, avec quelques modifications çh/ la rendent plus niaumise. « Il est
déplorable, dit l'auteur, que le Conservatoire de Milan ait examiné avec sa
bonne toi une mystification artistique sinon commerciale, et que dans la
personne de ses professeurs il ait émis un jugement qui est loin de lui
faire honneur. » Nous voilà décidément édifiés sur ce sujet intéressant, et
nous savons aujourd'hui j quoi nous en tenir.
— Voici une liste d'œuvres lyriques françaises jouées sur les scènes
d'outre-Rhin pendant ces dernières semaines. On peut observer que la sai-
son théâtrale touche à sa fin, comme cela se passe toujours en Allemagne
après les fêtes de Pâques. A Vienne : Hamlet, Faust, Coppélia, Carmen, les
Huguenots ; k Berlin : Guillaume Tell, l'Africaine, Fra Diavolo, Robert le Diable ;
à Dresde : Carmen, Bornéo et Juliette, Mignon ; à Hambourg : Mignon, Guillaume
Tell, les Huguenols, Carmen, Werther ; à Cologne : les Dragons de Villars, les
Huguenots, la Dame blanche, le Prophète: à Mannheim : Fauxt, Mignon, Joseph; à
Bresi.au : Carnfn ; à Biu-me : les Hiig((enijts, Guillaume Tell, te Postillun de Lon-
jumeau, la Dame lilanclie. la Fille du Régintent : à AViesdaden : Mignon, Faust, le
Prophète, la Part du Diable: à IIaxoviu; : 1rs Huguenots: à Cari.sri'he : les Dra-
gons de Yillars, la Muette de Porlici : à Budapest; /(/ Muette de Portici, Faust, le
Domino noir: à Weimar: Lakmé.
— L'empereur François-Joseph a conféré à M. Jobannes Brahms la dé-
coration s pour les arts et les sciences. » C'est la plus haute récompense,
exclusivement réservée aux sommités de la science et des arts, dont dis-
pose l'empereur; elle est très rarement accordée. M. Brahms est le premier
musicien qui l'ait obtenue. Les temps ont singulièrement changé: Beetho-
ven, qui avait de nombreuses relations avec la cour et était l'ami person-
nel de l'arcbiduc-cardinal Rodolphe, n'a pas été décoré par l'empereur
d'Autriche. Quant à Schubert, considéré de son vivant comme une espèce
de Schaunard de la musique, l'idée ne serait même pas venue au plus
influent de ses admirateurs de demander pour lui la décoration. Les
musiciens qui n'ont pas de situation olDeielle comme kapellmeistcr à la
cour obtiennent rarement des décorations autrichiennes. Brahms, qui
habite Vienne depuis plus de trente ans et est universellement connu
depuis un quart de siècle, vient seulement d'obtenir cette haute récom-
pense; Goldmark et Brûll, qui ont depuis vingt ans fait jouer avec succès
des opéras sur des scènes allemandes et autrichiennes et ont publié beau-
coup de compositions intéressantes de tout genre, ne sont pas encore
décorés du tout. Antoine Bruckner a obtenu, à l'âge de soixante ans, une
petite décoration comme professeur de musique à l'Université de Vienne.
— On nous fait connaitre la distribution des rôles pour les prochaines
représentations-modèles de l'Anneau du Niljelung qui auront Heu à Bay-
reuth. Elle est particulièrement intéressante par la renommée de cer-
tains artistes: Brunnhilde, M'"'^ Lilli Lehmann-Kaliscb et Gulbranson ide
Chritiania) ; Sieglinde, M'"" Sucher ; fr/fcn, .Mi"^' Bréma; Erda ei Wallraudr,
M'"^ Schumann-Heink ; Guirune, M"" Reusse-Belze ; Freia, M"'« Weed ; les
Filles du Rhin, M">=s von Artner, Fremstad, et une troisième artiste non en-
core désignée; Siegfried, MM. Burgstaller, Gruning et Seidel ; Mime,
M. Brauer; Wotan, M. Perron; Loge, M. Vogl ; Alberieh, M. Friedrichs ;
Hagen, M. Grengg ; Siegmund, M. Gerrhauser: Fafner, M. Elmblad; Fusoll.
M. "Wachter; Gunther , M. Gross; Donner, M. Bachmann ; Hundiufj ,
MM. Elmblad et Wachter ; Froh, M. Burgstaller.
— On nous écrit de Berlin que les exploits de M. Weingartner, directeur
des concerts de la chapelle royale, ne sont pas du goût de tout le monde.
D'aucuns trouvent que les exercices exagérés de la baguette de ce chef
d'orchestre, qui veut tout exprimer à l'aide de son bâton, sont vraiment
excessifs, et qu'il ferait bien de refréner un peu les efforts d'une mimique
par trop accentuée. D'autres voudraient lui voir modérer aussi ses préten-
tions comme compositeur et comme arrangeur. Il n'est guère de programme
où i! ne veuille faire figurer son nom sous ce rapport, ce qui n'est pas tou-
jours à la satisfaction du public. C'est ainsi qu'il a fait entendre, au milieu
d'un silence glacial, une ballade pour chant et orchestre intitulée un Pèleri-
nage à h'cvelaar et des intermèdes symphoniques de son opéra Malawika. 11 a eu
aussi la singulière idée d'entrer en concurrence avec Berlioz et d'orchestrer à
sa manière — une fâcheuse manière 1 — l'Invitation à la valse de Weber, dans
laquelle il a fait preuve d'un goût détestable. Voici maintenant que, mar-
chant sur les traces de 'Wagner, M. "Weingartner émet la prétention d'écrire
à son tour une tétralogie dont l'exécution exigera quatre soirées et, qui
plus est, de se faire construire un théâtre exprès, tout comme à Bayreuth !
Un journal de Vienne publie à ce sujet un article amusant, dans lequel
l'écrivain raille avec esprit la manie de certains compositeurs actuels qui,
n'étant point capables de soutenir l'attention du public même pendant une
soirée, prétendent l'intéresser durant quatre soirées consécutives et veulent
singer le grand réformateur de Bayreuth, non seulement en écrivant des
œuvres de dimensions colossales, mais en voulant faire construire des édi-
fices pour y produire ces œuvres. Ils n'ont pas l'air de se douter que
lorsque Wagner conçut l'audacieux projet du théâtre de Bayreuth, il avait
donné le Vaisseav, Fantôme, Tannhàuser, Lohengrin, Tristan et Yseult et les
Maîtres Chanteurs, qui avaient été le signal d'une révolution dans l'art mu-
sical. A côté de ceux-là, on peut considérer comme atteint d'humilité
M. Mahler, le chef d'orchestre de Hambourg, qui, pour exécuter ses sym-
phonies, se contente d'un orchestre de cent exécutants, de plusieurs paires
de timbales, d'une rangée de cloches, de soli, de chœurs et de plusieurs
fanfares invisibles placées dans diverses parties de la salle pour produire
des effets de lointain mystérieux. C'est dans ces conditions qu'il a donné,
dans la salle de la Philharmonique, deux concerts exclusivement consacrés
à l'exécution de ses œuvres personnelles, dont la valeur, pour réelle qu'elle
soit à de certains égards, est loin d'être en rapport avec un si grand
déploiement de forces 6t un appareil si imposant. Quand donc nos musi-
ciens auront-ils une ambition moins encombrante?...
— Les Italiens, qui habitent Vienne en assez grand nombre, viennent
d'y fonder un orphéon qui a pris le nom de Verdi. Le nouvel Orphéon Verdi
a donné son premier concert sous la direction artistique de M. Boschetli
et a remporté un grand succès.
— L'instruction criminelle dirigée contre M.Charles Zeller, conseiller au
ministère de l'instruction public d'Autriche et compositeur bien connu,
a pris une mauvaise tournure. Le tribunal de Vienne a ordonné sa mise
en accusation et une audience publique devant la cour d'assises. Les débals
ont été fixés aux 28, 29 et 30 mai ; mais M. Zeller est toujours grave-
LE MÉNESTREL
151
ment malade, et l'on croit que les débats seront ajournés. L'affaire Zeller
a produit une sensation énorme dans le monde musical de Vienne et
parmi les hauts fonctionnaires de l'Etat.
— Le théâtre de la cour de Garlsruhe sera reconstruit l'année prochaine
et restera fermé pendant plusieurs mois ; mais l'Opéra continuera ses repré-
sentations sur une scène provisoire.
— 'Voici la liste des artistes jusqu'à ce jour engagés pour la prochaine
grande saison du théâtre Covent-Garden, à Londres : soprani, M^^^ Emma
Albani, Melba, Marcella Sembrich, Emma Calvé, Eamas, Macintyro, Moody.
Engle et Bauermeister: mezzo-soprani et contrulU, Mantelbé, Brazzi, Olitzka,
Brani,Bona et Meisslinger; ténors, MM. Jean de Rezské, Alvarez, De Lucia,
Ben Davies, Bonnard, Arensi, Brozel, Bars, Pirola, Gorsi;6rtrytoiis, Ancona,
Bispham, Pini-Gorsi, Albers, Gillihert, Green et Paillard; basses, Edouard
de Reszké, Arimondi, Castelmary, Manners, Plançon, Trabucco, et Vas-
chetti.Les chefs d'orchestre, au nombre de quatre, sont MM. Mancinelli,
Bevignani, Randegger et Seppilli.
— Le théâtre Daly, de Londres, vient de jouer avec un succès énorme
une nouvelle opérette japonaise intitulée la Geicha, paroles de MM. Owen
Hall et Harry Greenbank, musique de M. Sidney Jones. Il s'agit d'une
aventure de grande dame anglaise qui se promène à travers le monde
et tombe, avec toutes les amies qui l'accompagnent, entre les mains du
tenancier d'une maison de thé au Japon, qui abrite déjà cinq Géiclias ou
chanteuses spéciales de ces sortes de maisons. La jeune dame anglaise,
fiancée à un oiBcier de marine, qui s'amourache d'une Ge'icha, se déguise
elle-même en Geïc/inpour surveiller son fiancé, et l'on s'imagine facilement
quelles mésaventures lui arrivent. Inutile de dire que tout s'arrange sans
accroc pour la vertu des dames anglaises. Plusieurs morceaux ont dû être
répétés, surtout la « ballade du poisson rouge amoureux » et les couplets
sur la vie d'une Geïcha. Les journaux disent des merveilles de la mise en
scène et de la Fêle des Chrysanthèmes intercalée dans la pièce.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Assemblée générale annuelle de la Société des auteurs et compo-
siteurs dramatiques a eu lieu cette semaine Le rapport sur les travaux
de l'année, présenté par M. Henri Lavedan, constate que pour l'exer-
cice lS9b-1896 les droits d'auteur se sont élevés à 3.586.389 fr. 17 c.,- en
augmentation de 174.000 francs sur l'exercice précédent. Ge chiffre de trois
millions et demi n'avait jamais été atteint. La commission a annoncé à
l'assemblée générale qu'en raison de l'état de prospérité de la société, la
pension serait désormais attribuée à tous les sociétaires âgés de soixante
ans. De ce fait, le nombre des pensionnaires sera porté de 100 à plus de
l'rO. Le rapport se termine par un remarquable éloge d'Alexandre Dumas,
qui a été accueilli par les applaudissements unanimes de l'assemblée.
M. Gandillot a présenté ensuite diverses observations sur l'organisation de
la société, puis il a été procédé à l'élection des nouveaux commissaires,
dont voici le résultat: Ont été élus ; MM. Alexandre Bisson, 89 voix;
Henri de Bornier, 87 voix ; Armand d'Artois, Si voix ; Victorin Joncières,
82 voix; Jacques Normand, 77 voix; Georges Feydeau, 73 voix ; Georges
de Porto-Riche, 71 voix.
— Les compositeurs qui ont eu leurs œuvres exécutées, cet hiver, aux
concerts de l'Opéra, ont résolu d'offrir à MM. Bertrand et Gailhard un
grand diner pour les remercier de l'accueil qu'ils ont reçu à l'Académie
nationale de musique. Le repas de la reconnaissance.
— A l'occasion de la centième représentation du beau ballet la Korrigane,
les heureux auteurs, Widor et François Coppée, avaient invité jeudi, à
une charmante réunion intime, leurs amis et leur principale interprète
Rosita Mauri, au café de Paris. En tout, di.x-sept personnes dont voici les
noms : la charmante Rosita Mauri entre MM. Widor et François Coppée;
en face, M. Gailhard, directeur de l'Opéra; MM. Garolus Duran, Four-
caud, Heugel, Gomte, Antonin Proust, Delsart, Jules Huret, Ghevalier,
Lefort, Fierons, Noël. StouUig, Hansen. De très gentils toasts, spirituels,
galants, imagés et imprévus, ont été portés au dessert, par MM. Garolus
Duran, Gailhard et Coppée, à Rosita Mauri et aux auteurs. Dire qu'on a
bu à la deux-centième de la Korrigane est superflu; mais affirmer que
chacun y a trinqué de bon cœur, c'est la vérité pure (Figaro).
— M"« Emma Calvé est de retour à Paris, après sa triomphale tournée
d'Amérique. Elle n'est nullement fâchée, après tant de labeurs, de se
retrouver parmi nous et se propose, pour se reposer, de donner à l'Opéra-
Comique quelques représentations de Carmm et de /a A^orarrcwse, les deux
opéras qui lui ont valu ses plus beaux succès à New-York.
— I)e retour aussi M""' Melba, tout émue et toute ravie en même temps
de reparaître bientôt devant le public parisien dans ce beau rôle d'Ophélie
d'Hamlet, qui fut pour elle l'occasion d'un si brillant début. Une petite
larme pourtant dans son sourire : o II ne sera plus là, le grand maître 1 »
— Voici certainement une initiative intéressante, et qui ne peut que
faire souhaiter qu'elle trouve des imitateurs. M. le vicomte Marie-Au-
guste-Verdinand-Camille Gay Le Coat de Kerveguén, mort à Passy le
20 novembre dernier, a légué par testament, à la ville de Dijon, une
somme de M.OiX) francs dont, aux termes de ce testament, «le revenu
servira à l'entretien d'une bibliothèque au Conservatoire de Dijon et à
l'achat continuel de musique pour l'enrichir. » Le môme donateur a légué
une somme de 10.000 à la société musicale des Enfants d'Apollon.
— La Société des instruments anciens de MM. Diémer. Delsart, van
V\''aefelghem et Grillet a vu se renouveler, dès sa première séance, l'écla-
tant succès qui, l'an dernier, avait accueilli son apparition. Le programme
de cette séance, varié cette fois par l'introduction du chant, était d'un
intérêt vraiment exceptionnel, et comprenait les noms de Frescobaldi,
Claude Gervaise (ou Gervais?), Boismortier, J.-S. Bach, Haendel, de Gaix
d'Hervelois, Dandrieu, Corelli, Chédeville cadet, Gouperin et Degrignis. Il
est impossible d'être plus classique. Parmi les trois pièces avec lesquelles
nos quatre artistes ouvraient le concert, il faut signaler surtout une séré-
nade : les Rév&renres nuptiales, do Boismortier, un artiste que Fétis qualifie
de médiocre et qui a écrit là un petit bijou d'une grâce et d'une gaité
précieuses. M. van "Waefelghem a exécuté sur la viole d'amour une gavotte
du même et uiT joli prélude de Bach. MM. Delsart et Diémer ont fait
applaudir une Marche du Czar de Gaix d'Hervelois, pour viole de gambe et
clavecin, qui est vraiment bien originale et bien curieuse, après quoi
M. Diémer a enthousiasmé la salle avec deux pièces absolument exquises
de François Dandrieu : le Concert des oiseaiuc et les Fifres. Il faudrait tout
citer, et les deux pièces pour vielle de Chédeville (la Blonde) et de Gouperin
(l'Et cœtera), jouées par M. Grillet, et l'air de Bach chanté par M"= Marcella
Pregi, mais la place me manque. J'exprimerai pourtant le regret que les
programmes soient trop secs pour des concerts d'une si belle nature his-
torique. Il faudrait, par quelques notes concises, taire connaître au public
les auteurs inconnus de ces petits chefs-d'œuvre. Qui sait ce que c'est
que Boismortier, Dandrieu, Degrignis et autres? Il faudrait aussi spécifier
lorsqu'il s'agit d'un Chédeville ou d'un Gouperin. qui sont représentés
par des familles nombreuses, et savoir duquel il s'agit. Pour cela, je le
répète, quelques notes jointes au programme seraient essentielles et com-
pléteraient de la façon la plus heureuse le plaisir du public, plaisir que
celui-ci, d'ailleurs, ne s'est pas fait faute de manifester en couvrant
d'applaudissements les excellents artistes qui le lui avaient procuré. — A. P.
— La seconde séance des Instruments anciens aura lieu le mardi 12,
à 4 heures, salle Érard, avec le concours de M""^ Éléonore Blanc et de
M. G. Gillet.
— C'est une espèce' de petit manuel de l'audition intelligente que
M. Gaston Dubreuilh vient de publier sous ce titre : l'École du dilettante, et
sous la forme d'un petit volume très élégant. L'auteur, dans ce gentil
volume, étudie les sensations produites par la musique, indique les moyens
de les contrôler, de les affiner, donne des conseils sur la manière d'en-
tendre et de comprendre la musique, d'apprécier les œuvres par l'expé-
rience de l'oreille, de discerner les formules; il met en garde contre les
enthousiasmes irréfléchis aussi bien que contre les dédains irraisonnés;
en un mot, il enseigne à entendre, à saisir le sens des œuvres, à les juger
par comparaison, à analyser les impressions, les émotions qu'elles peuvent
nous faire éprouver. Il y a d'excellentes choses dans ce petit livre, bien
pensé, bien écrit, et dont la lecture ne peut qu'être utile à tous ceux qui,
musiciens ou non, ont dans le cœur l'amour du plus émouvant, du plus
éloquent et du plus pathétique de tous les arts. A. P.
— M. Albert Jacquot vient de publier sous ce titre: Les Médard, une
brochure substantielle de vingt-quatre pages (Paris, Fischbachor) dans
laquelle il retrace, à l'aide de documents inédits et curieux, l'histoire de
cette famille nombreuse de fameux luthiers lorrains. C'est là une contri-
bution intéressante à l'histoire, si intéressante elle-même, de notre belle
lutherie française, à laquelle elle apporte un appoint utile et non sans
importance.
— Vient de paraître (Laval, Junius, éditeur) la Yalkyrie ou le Sabre de
mon père, drame préhistorique en trois actes, traduction nouvelle par
Victor Dervil. 11 va sans dire que c'est une parodie, à joindre à celles que
nous connaissions déjà, entre autres la Valkyrigole. imprimée et publiée
naguère à Bruxelles.
— Gros succès au concert de la fondation Beaulieu pour les fragments
importants qu'on y a donnés de Françoise de Rimini, ce bel opéra d'Ambroise
Thomas, si injustement délaissé. Les fragments de Winl^elried, l'opéra pos-
thume de Louis Lacombe, ont aussi produit la meilleure impression.
L'orchestre était sous l'intelligente direction de M. Daubé, qui s'est dévoué
à son habitude et a obtenu d'excellents résultats d'exécution.
— Les séances du Palmarium du Jardin d'Acclimatation, dirigées par
M. Pister, survivent aux autres concerts dominicaux, et l'éclectisme continue
à y triompher. Le carnaval romain de Berlioz, Vanda nie cantabile de Tschaï-
kowski, le Rouet d'Om,phale de Saint-Saéns, la marche et cortège de la Reine
de Saba de Gounoà, composaient le menu purement orchestral de la matinée
de dimanche. Mais l'intérêt du concert a été doublé par le concours de
deux virtuoses hors de pair : le violoniste Lefort, très applaudi dans la
romance de "Widor et le Poème hongrois de Hubay, et le pianiste I. Phi-
lipp, qui a exécuté avec un brio incomparable, après une délicieuse fantaisie
pour piano et orchestre de Widor, l'éclatante fantaisie hongroise de Listz,
— La Société d'art a fait entendre dans sa 21" audition un remarquable
trio de M. Paul Landormy, deux délicates mélodies vocales de M. de Saint-
Quentin, fort bien dites par M""' Etta Madier de Monjau, des pièces de
violon intéressantes de M. Letocart, exécutées par M. Balbreck, et une
courte série de morceaux de piano de M. René, que M"'- Loutil a mis en
lumière. La séance se terminait par l'ouverture A'Harald de M. X. Leroux,
jouée par M"'' Pennetôt et Loutil.
152
LIi MENKSTUEL
— M. Pénavaire a donné ces jours derniers un concert intéressant pour
faire entendre quelques-unes de ses compositions. On a applaudi surtout
divers morceaux d'un opéra-comique intitulé Ninetle et Ninon, diverses mé-
lodies : la Vierge à la crkhe. Vous en souvenez-vous? un joli chœur, la Rose,
une fantaisie pour violon et piano sur Mignon, exécutée par l'auteur et
M'": Jeanne Lucq, et un arioso pour hautbois, joué par M. Louis Rey.
Succès très franc et très vif pour le compositeur et pour ses interprètes,
Mnies Yincent-Carol, Hélène Méry, Marguerite Baude, Charlotte Bérillon,
MM. Herbert et Toby.
— Jeudi derniar, 30 avril, M"= Marguerite Balutet, qui dirige avec tant
de succès les cours de piano connus sous le nom d'Ecole Beethoven, a
réuni dans ses salons de la rue Blanche un groupe de douze jeunes filles,
ses élèves, pour l'audition des dernières œuvres de Marmontel père,
Impressions et Souvenirs. Ces petites pièces caractéristiques ont été supérieu-
rement interprétées ; puis, deiu: idylles, une mazurka. Chant du malin et
Tempo di minuelto ont complété cette intéressante audition. Le vieux maitre,
très louché de la délicate attention de M"<: Balutet, s'est montré enchanté
de l'exécution des jeunes élèves qui, toutes, ont exécuté avec goût et dans
un excellent style ces pièces de salon que l'auditoire a trouvées trop
courtes et a fait répéter.
— M°"^ Roger-Miclos vient de donner deux concerts en huit jours. Le
premier, classique, dans lequel elle a interprété d'une façon remarquable
la fantaisie et les Pièces romantiques de Schumann, une sélection d'œuvres
de Chopin, Mozart et "Weber, et surtout la Fantaisie chromatique avec fugue,
de Bach. Le programme du second concert, moderne, comprenait une Suite
de Widor, prélude, choral et fugue de Franck, œuvres d'une importance
capitale. Ont été bissés avec insistance Myrtilles et Banc de mousse des Poèmes
sylvestre de Th. Dubois, Intermezzo de Brahms, Feuillet d'album, de Grieg et
Légende de Paderewski.
— M. Clarence Eddy, célèbre organiste de Chicago, qui s'est déjà fait
entendre à Paris avec grand succès à la dernière exposition, donnera un
concert au Trocadéro, le mardi 12 mai, avec le concours de M"« Rose
Ettinger, de MM. Georges Holmes, Paul"Viardot, Eugène Aigre et Alexandre
Guilmant.
Cette semaine, au nouveau temple protestant de Sedan, a eu lieu la
séance de réception du grand orgue par la commission nommée à cet effet.
L'instrument, œuvre de la célèbre maison J. Merklin et G'", de Paris, à
laquelle nous devons les orgues de Saint-Eustache, de Saint-Jacques-du-
Haut-Pas, de Fribourg, etc., etc., a dépassé les espérances et les exigences
de la commission, tant au point de vue da l'art de la construction qu'à
celui de la finesse artistique et des jeux. Sous les doigts habiles de M. Mal-
fait, de Reims, qui sait faire sortir comme une âme de l'instrument, la
commission a pu apprécier la valeur de la facture dans ses moindres détails
etle soin apporté au mécanisme, à la soufflerie, aux transmissions, à la jar-
faite égalité et douceur des claviers, comme à l'harmonisation excellente
des différents registres. Aussi l'orgue a-t-il été reçu après essai particulier
par chacun des membres de la commission avec éloges au procès-verbal.
Très belle exécution à Saint-Étienne de la Ruth de César Franck:
« Les chœurs, dit le Mémorial, aux voix fraîches et jeunes, inspirés des
conseils si précieux de M. J. Vincent, conduits par le vaillant M. Borelli,
encadrés par l'excellente Association symphonique, ont été merveilleux de
méthode, d'ordre, de grâce et d'émotion vraie. «
— A Nancy, les deux exécution de Rédemption que nous avions annon-
cées ont été de tous points superbes, et la belle œuvre de César Franck a
n-randement triomphé. L'orchestre du Conservatoire, les choeurs, la chorale
Alsace-Lorraine, sont arrivés à un résultat inespéré ; M''^ Bléonore Blanc,
la cantatrice au style si pur, à la diction si nette, à la voix si richeirient
timbrée, a soulevé des bravos enthousiastes. Enfin M. Guy Ropartz, qui
avait pris l'initiative de cette belle audition, a été chaudement applaudi.
^ Versailles, le 28 mai, l'Association des artistes musiciens donnera
en la chapelle du Palais un grand salut, avec le concours de M"'» de
Guerne et Kinen, de MM. Vergnet, Paul Seguy, Berthelier, etc., etc. les
chœurs etl'orchestre. Au programme, les Sept Paro(es du C/msi de Th. Dubois,
sous la direction de l'auteur.
— On nous écrit de Nice : Le ténor Rondeau vient de terminer avec
succès la série de ses concerts. Le sympathique artiste s'est fait particu-
lièrement applaudir dans les mélodies de Massenet : Noël paien. Pensées
d'automne. Je t'aime, le chant de la Vnlkyrie de Wagner, les Chansons popu-
laire de France, recueillies par J. Tiersot, et les ravissantes Brunettes du
WW siècle du recueil de Weckerlin. M. Jean Rondeau donnera en août et
septembre une série de concerts au Casino de Cabourg.
— Ou nous écrit de Saint-Omer pour nous signaler le succès remporté,
à l'église du Saint-Sépulcre, par là Jeanne d'Arc de M. Lenepveu, très bien
exécutée sous la direction de M. Luc, directeur de l'École nationale de
musique.
— Lisieux. — Le concert offert par l'Orphéon lexovien à ses membres
honoraires a été l'un des plus brillants qu'on ait eus dans Lisieux. En
première ligne il faut mettre M. Paul Seguy, qui a dû bisser les Trois
Soldats, de J. Faure; M"» Renié, l'excellente harpiste quia eu son triomphe
IMPRIMERIE (
habituel; M"= Kerrion, qui de sa belle voix de mezzo a chanté les airs d'/fé
rodiade et de Jean de Nivelle: M""-' Leserre, qui a réjoui les auditeurs les plus
austères: M. Mary, de Gaen, qui tenait le piano d'accompagnement avec la
souplesse d'un maitre parisien. M. Trembloy assumait la double tâche de
jouer du violon et de diriger l'orphéon; il s'est également bien tiré de ses
deux rôles. L'Orphéon, très en progrès, a été acclamé.
— Ls pianiste Jean Canivet a donné un concert intéressant à la salle
des Agriculteurs de France. Il a joué, avec le concours de MM. Rémy et
Courtes, le trio en sol mineur de Rubinstein, qu'on n'entend pas souvent
chez nous et dont l'adagio et le dernier mouvement ont soulevé des applau-
dissements. Une autre œuvre intéressante et rarement exécutée publique-
ment est la sonate pour piano et violon en fa majeur de Grieg, que
MM. Canivet et Rémy ont interprétée avec beaucoup de charme et de
brio. Mentionnons encore la sonate dite Clair de lune de Beethoven, qui a
valu à M. Canivet une petite ovation. 0. Bn.
— Co.NCERTs ET SOIRÉES. — Clicz M. ct M'"' Poulaliou, très brillante ma-
tinée consacrée à Massenet, qui s'est prodigué pendant toute cette artis-
tique séance. Bravos interminables pour M"' Vilma, de l'Opéra-Comique, qui
a délicieusement et fort intelligemment chanté le Poème d'un soir, sur des vers
de Georges Vanor, dont c'était la première audition, et aussi le solo du joli
chœur de tu Chevriifre et des mélodies. On a fait fête encore à M"" Ucyd, de
rOpéra-Comique également, dans Hymne d'amour et les duoî du Roi ite Laliore et
d'Bérodtade, 'a M. Faure, dans Encttantement, Ouvre tes yeux Ijtcus, mignonne et le
duo du Itoide Lahore, à M. Crémel, dans la prière du Cid et le duo d'IIérodiadc, à
M"«Preinsler da Silva, dans le ba.Hetd'Hémdia(le, joué avec l'auteur, àM. A. Brun,
dans la Méditation de Thaïs, à .M. Pickaërt et, enfin, à M"' Baracle, qui a délica-
tement dit des poésies de Georges Boyer. Le concert s'est terminé, au milieu
des rappels, par deux fragments des Érinnycs, exécutés par l'auteur, M"" Preins-
1er da Sliva, MM. Brun et Vandœuvre. Très gros succès pour le maître, ses
excellents interprètes et les très artistiques organisateurs de celte fête musicale.
NÉCROLOGIE
A Bergame vient de mourir un artiste distingué, compositeur aimable,
Antonio Cagnoni, qui a tenu une place dans le mouvement musical italien
de la seconde moitié de ce siècle. Né à Godiasco, en février 1828, Cagnoni
fit ses études au Conservatoire de Milan, sous la direction de Ray et de
Frasi. Il avait écrit déjà deux petits opéras lorsque, à peine âgé de dix-neuf
ans, il en fit représenter un troisième, Don Bucefalo, dont le succès fut écla-
tant et qui pendant vingt-cinq ans resta inscrit au répertoire de tous les
théâtres d'Italie. Une fois ainsi lancé dans la carrière, il la parcourut avec
des chances diverses et fit preuve d'une certaine fécondité, sans jamais
sortir du genre bouffe ou de demi-caractère, qui lui valut encore plusieurs
succès, entre autres avec Michèle Perrin, Claudia, la Tombola et Papa Martin.
Puis, il y a une quinzaine d'années, Cagnoni renonça au théâtre pour aller
prendre, à Novare, la direction delà chapelle de la cathédrale et se consacrer
désormais à la composition de la musique religieuse. Voici la liste des
œuvres dramatiques de Cagnoni : 1° Rosalia di San Miniato (Milan, 184b);
2" i Due Savoiardi (id., 1846); 3» Don Bucefalo (Milan, th. Re, 1847); .4° iV Tes-
tamento di Figaro (id., id., 1848); S" Amori e Trappole (Gènes, th. Carlo Félice,
1830); 6" la Valle d'Andorra (Milan, Canobbiana, 1851); 7° Giraldci (Milan,
th. Santa Radegonda, 1832); S" la Fîoraia (Turin, Th. National, 18ob);
9° la Figlia di Don Liborio (Gènes, Carlo Félice, 1836) ; 10» il Vecchio délia Mon-
tagna (Milan, Scala,1863); 11° Michèle Perrin (Milan, Santa Radegonda, 1864);
12° Claudia. (Milan, Canobbiana, 1866) : 13» la Tombola (Rome, Argentina, 1869) ;
14° un Cappricio di donna (Gènes, Carlo Félice, 1870); 15° Pap'i Martin (Flo-
rence, th. National, 1871); 16» il Duca di Tapigliano (Lecco, 1874); 17» Fran-
cesca rfa iî/Hîîni (Turin, th. Royal, 1878). La musique de Cagnoni, qui se
fait remarquer par la verve, la chaleur et le brio de l'action scénique, est
claire, facile, mélodique et correctement harmonisée; son défaut est dans
une certaine uniformité des idées et des rythmes et dans le procédé un
peu banal de l'instrumentation. A part -Don Bucefalo, qu'on a entendu au
Théâtre-Italien il y a quelque trente ans, ses œuvres n'ont guère franchi
les frontières do sa patrie. A. P.
De La Haye, on annonce la mort de l'excellent directeur du Conser-
vatoire de celte ville, M. VS'illem-Frédérik-Gérard Nicolaï, qui était né à
Loyde le 20 novembre 1829. Après avoir commencé ses études à l'école de
musique de Leyde, il était allé les achever au Cnnservatoire de Leipzig,
puis était revenu dans sa patrie en 1833. Excellent harmoniste, ilfut bientôt
nommé professeur d'orgue et de piano au Conservatoire de La Haye, devint
aussi organiste de l'église française de cette ville, et enfin, à la mort de
J.-M.-H. Lubeck, en 1865, fut placé à la tète du Conservatoire, auquel il
imprima une excellente direction. Nicolaï était un professeur émérite et
un compositeur de talent. Ses nombreux lieder, dont il a publié plusieurs
recueils à une ou plusieurs voix, jouissent d'une grande popularité non
seulement dans toute la Néerlande, mais jusqu'en Allemagne; j'ai été à
même d'en entendre plusieurs, qu'il a bien voulu faire exécuter à mon
intention, au Conservatoire de La Haye, et j'ai été frappé do leur beau
sentiment et de leur harmonisation distinguée. On lui doit aussi plusieurs
compositions plus importantes : un oratorio inlUulé Boniface, plusieurs can-
tates, parmi lesquelles la Cloche, sur la poésie de Schiller, et Hanske van
Gelder, une symphonie et plusieurs ouvertures. Nicolaï était rédacteur en
chef d'un bon journal de musique publié sous le titre de Cœcilia. A. P.
Henri Heuoel, directeur-gérant.
PARIS. — .Eiicit UrineDi;
Dimanche 17 Mai 1896.
3399. — 62-"= mM — [V° 20. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. IIrnri IIEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 bis, rue Vivieaue, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonneraenL
Un on, Texte seul : iO francs, raris et ProTJnce. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Slusiqvie de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEITE
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 3" partie (2° article), Arthur
POUGIN. — IL Bulletin théâtral : reprise du Ruman d'un jeune homme pauvre, à
rOdéon, et première représeutation de Nuit d'amour, aux Bouffes-Parisiens,
Paul-Émile Chevalier. — IIL La musique et le théâtre au Salon du Champ-de-
Mars (3' article), Camille Le Se.\ne. — IV. Musique et prison (4" article i : pri-
sonniers politiques, Paul d'Estrée. — V. Le monument de M"" Carvalho. —
VL Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
MUSETTE DU XVM» SIÈCLE
harmonisée par A. Périlhou. ^ Suivra immédiatement : Près de l'eau, n" 2
des Soirs d'amour, de Léon Delafosse, poème de IL de Régnier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Printemps nouveau, de A. Landry. — Suivra immédiatement : En
dansant, extrait des Pastels, de I. Philipp.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1S38
TROISIEME PARTIE
I (Smte)
Le 16 janvier 1833 voit apparaître un petit ouvrage en un
acte, le Mort ftancé, que son titre assez singulier ne préserve pas
d'unedemi-chute. Les paroliers, au nombre de trois, gardent
l'anonyme, le musicien se fait appeler Prosper; les premiers
se nommaient Vial, d'Houdetot et Féréol, leur collaborateur
n'était autre que Prosper de Ginestet. Trois jours après, le 19,
un événement déplorable et qui n'était que trop prévu,
venait frapper douloureusement Paris, l'Opéra-Gomique et
l'art français: Herold, âgé de quarante-deux ans, et dont,
après le Pré-aux-Clercs, on eût pu espérer tant de chefs-d'œuvre,
succombait à la phtisie qui le minait depuis longtemps. Le
Courrier des Thédlres annonçait cette nouvelle de la façon que
voici :
Herold n'est plus! ! !
La partition du Pré-aux-Clercs était le chant du cygne!
L'art musical perd sa plus jeune espérance, et le monde un
de ces hommes qui apparaissent pour laisser d'éternels regrets.
Postérité, commence!
Le jour même de la mort d'Herold, samedi 19 janvier, l'af-
fiche de rOpéra-Comique annonçait le Pré-aux-Clercs. Le
théâtre, qui fit relâche le lendemain dimanche ea signe de
deuil, voulut aussitôt, à l'occasion de cette quinzième repré-
sentation de son dernier chef-d'œuvre, rendre au composi-
teur l'hommage qu'il lui devait à tant de titres et que nul
autre n'eût mieux mérité. « Hier, disait encore à ce sujet le
Courrier, hiev, à la lin du Pré-aux-Clercs, tous les acteurs en
deuil se sont réunis autour d'une urne couverte d'un crêpe
et placée sur un piédestal portant le nom d'Herold. Ponchard
a lu, d'un ton plein de convenance, des vers improvisés par
M. Léon Halévy et qui ont été écoutés avec autant de recueil-
lement qu'applaudis avec douleur. »
Précisément dix jours après, le 29 janvier, M"" Casimir,
dont on peut dire que l'indigne conduite avait hâté la fin
d'Herold, allait reparaître à l'Opéra-Comique en reprenant ce
rôle d'Isabelle, qu'elle avait abandonné d'une façon si étrange
après l'avoir joué une seule fois. Le public s'était montré
contre elle si justement courroucé qu'on n'élait pas sans
quelque crainte au sujet de la rentrée qu'elle allait effectuer
ainsi. Cette nouvelle note du Courrier nous apprend ce qu'il
en fut :
L'événement de la soirée a été, hier, la rentrée de M'"= Casimir à
rOpéra-Comiqne. Cette actrice reparaissait précisément dans le rôle
par lequel elle avait opéré sa sortie, celui d'Isabelle du Pré-aux-Clercs,
si heureusement rendu par M'" Dorus pendaut son absence. Tous les
bruits qui nous arrivaient annonçaient un bruit plus fort au moment
011 le public reverrait M""" Casimir. On croit même que le théâtre avait
été obligé de se précautionner contre les suites d'une leçon qui
pouvait dégénérer en scandale. Quoi qu'il en soit, l'irritation était
grande, et la Toula considérable. A l'instant où l'actrice s'est mon-
trée, les prés'isions ne se sont que très faiblement réalisées : des
chut! peu de sifflets et d'assez nombreux applaudissements ont
bientôt mis fin à toutes les craintes, et le grand tapage s'est borné
à un petit bruit d'écho.
Nous retrouverons Herold tout à l'heure. En attendant, il
faut enregistrer Fapparition de linéiques nouveaux ouvrages.
Cinq jours avant la rentrée de M"" Casimir, le 24 janvier,
l'Opéra-Comique donnait le Souper du mari, un acte de Cogniard
et Charles Desnoyers, qui servait au début d'un jeune
compositeur revenant d'Italie, Despréaux, élève de Berton,
qui avait obtenu le grand prix de Rome en 1828. Celui-ci
était suivi, le 4 mars, d'un autre ouvrage en un acte intitulé
les Souvenirs de Lafleur, adaptation musicale d'un vaudeville de
Carmouche et Frédéric de Courcy qui avait obtenu peu de
succès au Gymnase, le 23 août '1825, sous le titre de la Vieil-
lesse de Froniin. Il fut plus heureux ici, grâce à l'agréable mu-
sique d'Halévy, grâce aussi à la présence de Marlin, qui en
re'mplissait le principal rôle. Puis, le 3 avril, ce fut le Po-
destal, encore un petit opéra en un acte, mais qui n'élait pas
lo-i
LE MENESTREL
inédit, car il avait été créé aux Nouveautés le 16 décembre
1831. Les auteurs de celui-ci étaient Lafitte pour les paroles
et Yogel pour la musique. A mentionner encore, à la date du
19 avril, les Gondoliers, deux actes de Champeaux et Bréant de
Fontenay pour les paroles, de Blangini pour la musique.
« Poème inhumainement ennuyeux, musique de salon et
quart de succès, » disait un journal. Je l'en crois sur parole,
étant donnés les noms des auteurs. Je constate pourtant que
ces Gondoliers dépassèrent leur quarantième représentation, ce
qui était un fait assez rare.
Le 4 mai avait lieu la dernière représentation de Martin,
qui s'était mis ainsi pendant plus de sept mois à la disposi-
tion de ses camarades, auxquels sa présence n'élaitpas inutile,
et le 16 l'afBche annonçait l'apparition de Ludovic, drame
lyrique en deux actes, joué par Lemonnier, Féréol, Vizentini,
M"« Pradher et M"" Massy. Un intérêt particulier s'attachait
à cet ouvrage. C'était le dernier auquel Herold eût travaillé,
sur un poème de Saint-Georges. La mort ne lui avait pas
laissé le temps de l'achever, et c'est Halévy qui s'était chargé
de ce soin. Halévy n'avait pas perdu de temps, le théâtre
non plus, puisque Ludovic était offert au public moins de
quatre mois après qu'Herold eut quitté ce monde. « Un beau
et durable succès, disait le Courrier des Théâtres, a signalé la
représentation de cet ouvrage , dont le poème, sans trop
viser au drame, est intéressant et posé ainsi que conduit
avec beaucoup d'art. Les morceaux d'Herold sont charmants;
mille bravos les ont salués au passage. Dans le reste, M. Ha-
lévy a fait complète abjuration du genre rossinien ; il y a
cherché et trouvé le dramatique, le gracieux, le chantant,
c'est gagner au change. Sa réussite a été entière et digne du
nom célèbre auquel sa lyre vient de s'associer. L'Opéra-
Gomique a des recettes et de l'honneur assurés dans la suite
de cette pièce. On a dit au public que les paroles sont de
M. de Saint-Georges, l'ouverture et les quatre premiers mor-
ceaux d'Herold, et que M. Halévy a terminé cotte brillante
partition. » Le succès, s'il ne fut pas très prolongé, fut du
moins très franc, et se traduisit par une série de soixante-dix
représentations.
La seconde partie de l'année vit naître encore quatre ouvrages
importants : Cinqans d'entracte, en deux actes, paroles de Féréol,
musique de Le Borne (IS juin); la Prison d'Edimbourg, en trois
actes, livret tiré du roman célèbre de Walter Scott par Scribe
et Planard, musique de Carafa (20 juillet) ; le Proscrit ou le
Tribunal invisible, ea trois actes, paroles de Carmouche etSain-
tine, musique d'Adolphe Adam (18 septembre) ; et une Journée
de la Fronde, en trois actes, qui n'était qu'une mouture nouvelle
d'un «vaudeville historique» que Mélesville avait donné le
29 novembre 1828 aux Nouveautés, sous le titre de la Maison
du rempart; le compositeur de celui-ci était Carafa. De ces
quatre ouvrages, un seul, la Prison d'Edimbourg, obtint quel-
ques sympathies de la part du public et, sans rencontrer
véritablement le succès, fournit à tout le moins une carrière
honorable. Les trois autres n'eurent qu'une existence éphé-
mère. Pour ce qui concerne le Proscrit, on peut croire que
son insuccès fut dû surtout au sujet lugubre du drame. Fétis
disait de la musique : « Il y a là de la force, du sentiment
dramatique et plus de nouveauté dans les idées que M.Adam
n'en avait mis dans ses précédentes productions». Divers
incidents de la représentation, racontés par Adam lui-même,
n'étaient pas, il faut le dire, de nature à assurer le succès
de l'ouvrage. J'ai fait connaître ailleurs ces détails, que je ne
saurais reproduire ici (1).
(A suivre.) Arthur Pougin.
(1) Voy. Adolphe Adam, sa vie, 3a carrière, ses Mémoires artistiques, par
Arthur Pougin (Paris, Cliarpentier, 1877, in-12).
BULLETIN THEATRAL
Odéon. Le Roman d'un jeune homme pauvre, pièce en 3 actes et 7 tableaux,
d'Octave Feuillet. — Bouffes-Parisiens. Nuit d'amour, fantaisie lyrique en
4 actes, de MM. Boucheron et A. Barré, musique de M. A. Banès.
L'Odéon vient de reprendre le Roman d'un jeune homme pauure, la
pièce célèbre d'Octave Feuillet qui a fait déjà couler tant de larmes
et qui, très certainement, va ressaisir un public sensible d'âme et
demandant avant tout, au théâtre, de l'intérêt et de l'émotion, bien
que d'aucuns souriront très certainement de ce beau jeune homme
qui, retroDvant sa fortune volée, n'hésite pas à détruire les preuves
que la Providence lui met dans les mains pour laisser riche et heu-
reuse celle qu'il aime, et, plus justement, lui reprocheront quelque
légèreté lorsque, si cavalièrement, il sacrifie l'avenir de sa sœur.
Sans être de tout premier ordre, l'interprétation actuelle est bonne
d'ensemble et, en toute première ligne, il faut nommer M. Magnier
en Maxime Odiot, M. Albert Lambert en Laubépin, et M"" Grum-
baeli en M"'' Laroque, sans oublier M""' de Boncza, Lestai, Chapelas,
Dehon, MM. Cornaglia et Daard.
Et voilà qu'au moment précis où ces notes sont écrites, le théâtre
des Bouffes-Parisiens annonce sa fermeture annuelle. Déjà 1 Pauvre
yuit d'amour I M'est avis que la dénomination de « fantaisie lyrique »
a porté malheur à la pièce de MM. Boucheron et Barré. Où diable se
cachait-elle, cette « fantaisie » annoncée à la porte et promise en
quelque sorte? Certes pas dans le fabliau moyenâgeux des libret-
tistes, d'allure très calme et de conduite fort sage, avec une idée pre-
mière qui n'avait pourtant rien de déplaisant; pas plus, d'ailleurs,
que dans l'importante partition de M. Banès, d'une incontestable mu-
sicalité et supérieure, en plus d'un point, à ce que l'on nous offre ordi-
nairement. Peut-être même M. Banès avait-il été un peu loin et l'abus
des cors et des pistons, plus d'une fois, effarouchait les douces
cantilènes confiées à l'onctueux alto, personnifiant la viole d'amour.
Gardera-t-on, de ces éphémères soirées, le souvenir de la décora-
tive M""^ de Roskilde, prodiguant sa voix comme si elle était encore
à la Monnaie de Bruxelles, on même au Châtelet ? ^Suit d'amour, pour-
tant, pourrait partiellement passer à la postérité, si le Musée de
Cluny, bien avisé, réclamait pour ses collections certain corset bardé
de fer et certaine jarretière à cadenas, auxquels M""* Bonheur et
Maurel durent une petite part de leur succès personnel.
Paul-Émile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DU C H A M P - D E - M A R S
(Troi.nème article.)
Peu de costumiers au Ghamp-de-Mars : en revanche, quelques
intéressants décorateurs. Quand M. Lobre peint soit la vue du Châ-
teau de Versailles prise du parterre d'eau, soit le Salon de Marie-
Antoinette, soit la Bibliothèque du Roi, il prépare mieux que des
toiles de fond pour le dramaturge facile à prévoir qui recommencera
soit la Jeunesse de Louis XIV, soit le Collier de la Reine. Décorateurs
aussi, mais dans la note poétique et imprécise, M. Iwil avec son
Harmonie du soir {sotto marina), aux teintes délicatement foniues,
M. JeanCazin, subtilement exquis dans l'Étang la nuit etla Rue déserte,
M. James Morrice avec son Nocturne d'un vert dormant, et même
M. Holman avec son effet du malin à Venise. Plus localisés, les
impressions un peu filigranées mais saisissantes que M. Raffaelli in-
titule Notre-Dame de Paris, les Invalides, la place Saint-Michel, le
cabinet de travail et la chambre de repos de Victor Hugo à Haute-
viUe-House de M. Jeanniot, enfin le Béguinage d'hiver de M. Ferdi-
nand Willaert, qui semble une illustration du répertoire de M. Roden-
bach...
La statuaire ne comprend qu'un nombre de numéros très restreint
au Palais des Arts Libéraux. Hors cadre, je veux dire dans une salle
particulière du rez-de-chaussée, l'œuvre ds M. Jules Desbois, dont
trois pièces principales : la .UorI en bronze, la Misère en bois, la Léda
en marbre. On connaît déjà la Mort : c'est une étude très intéres-
sante, très fouillée ; je ne lui ferai qu'un reproche, celui d'être inu-
tilement, poncivement macabre. Quand donc les sculpteurs se déci-
deront-ils à nous donner une Mort (avec majuscule) qui ne soit pas un
squelette grimaçant, mais une divinité semblable à toutes les autres,
moins gaie assurément que Bacchus ou Aphrodite, mais pas plus
grave que Jupiter ou Minerve ? Victor Hugo leur a cependant indiqué
LK MENESTREL
155
le modèle à suivre ou plutôt le groupe à composer dans un sonnet
célèbre qui commence ainsi :
La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait
Deux sœurs également terribles «t fécondes
Ayant la même énigme et le même secret...
El je prédis un beau succès au statuaire qui groupera, sans aucun
attirail de pompes funèbres, la Mort et la Beauté, sur un même socle.
Mais M. Desbois ne sera pas ce sculpteur, ayant mis dans son talent
la pointe sentimentale, l'attendrissement vulgaire d'un carnet de
Séverine. La Misère cbanle la même complainte. La Léda, assez
micbel-angesque, relativement chaste, est plus personnelle.
Au milieu dn jardin se dresse le monument à la mémoire de
Molière, taillé dans le marbre par M. Injalbert pour la grande place
de Pézenas. Sur la stèle, un buste, bien traité, de l'auteur du Misan-
thrope. La Lucelte de Monsieur de Pourceaugnac offre des roses à
Molière en faisant un effet de hanches justifié par le mouvement
et par la tradition. Derrière, deux masques accrochés, Marinette et
Gros-René (M"° Ludwig et Coquelin cadet). Reste un satyre, un
énorme satyre à la barbe et aux pieds de bouc, accroupi à gauche
du piédeslal. A quoi rime cet étrange gardien? M. Injalbert s'est-il
imaginé qu'un satyre incarne la satire? Cruelle énigme I Quoi qu'il
en soit, ce représentant du naturalisme hellène dépare fâcheusement
un groupe d'art bien français et de souple exécution.
Autre monument, à Honofé de Balzac, par M. Marquet de Vasselot.
On sait depuis combien d'années M. Rodin, grand artiste mais pro-
ducteur indécis, fait attendre le Balzac commandé par la Société des
gens de lettres. Nous ne l'avons pas eu en 1893; nous ne l'aurons
pas davantage en 1896, même si M. Rodin le terminait brusquement
par un coup de génie, et j'en puis donner les raisons, ayant assisté
dans le comité de la Société au début de cette comédie. M. Emile
Zola tient particulièrement à inaugurer le monument de Balzac, — je
me demande pourquoi, cet abondant descriptif, ce lyrique exubérant
étant un fils du Victor Hugo des Misérables et des Travailleurs de la
mer bien plus qu'un petit-neveu de l'auteur du Père Goriot ; apparem-
ment il croit avoir le besoin de cette cérémonie et de ce cérémonial
pour se poser en chef d'école et remplacer par des comparses offi-
ciels la jeunesse qui se défile avec ensemble à droite et à gauche,
sous le couvert symbolique ou par les allées fleuries de l'idéalisme.
Or, M. 2ola n'est plus président du comité et ne le redeviendra qu'en
avril prochain. Jusque-là, défense à Rodin de faire miracle, je veux
dire de terminer une statue qui serait inaugurée alors par M. Henry
Houssaye ou par un suppléant.
Le miracle est d'autant moins probable qu'une bonne statue de
Balzac rentre dans les desiderata chimériques. Tête léonine sur un
pot à tabac, voilà l'homme, qui fut un grand homme, mais non point
un beau modèle. Aussi M. Marquet de Vasselot a-t-il pris le parti
de couper cette lêle si peu harmonisée avec l'ensemble, et de la coller
à un corps de sphynx. L'effet est plus gai qu'impressionnant, et
fait penser à un serie-papier gigantesque. Très supérieurs, les deux
bas-reliefs résumant la Comédie humaine depuis le colonel Chabert
jusqu'au baron Hulot, et de la duchesse de Langeais à Béatrice de
Rochefide.
Troisième monument, symbolique celui-là, et d'un symbolisme
pesant : la Suprématie, du Danois Rudolph Tegner. Description, par
l'auteur lui-même : « 1° Notre Époque : la grande prostituée tyranni-
sant un homme personnifiant l'esprit naissant aspirant à ses buts
éternels; 2° l'Avenir : l'homme (l'âme d'acier), triomphant de la
grande prostituée après une longue série de luttes ; 3° la Divinité :
l'être tout-puissant, assis sur un rocher, contemplant le monde. A
ses pieds, l'esprit de la terre apparaît devant la divinité... » Moi, je
veux bien, et cette prophétie-là vaut celles de l'archange Ga-
briel. Mais, dans toute cette statuaire, j'ai le regret de ne trouver
qu'un morceau nettement formulé, « l'Être tout-puissant », sur son
rocher de granit. Encore doit-il beaucoup à la sculpture babylo-
nienne.
Quelques allégories point méchantes : Vlllmion, fille d'Icare; du
bon Rodin, mais pas du Rodin à faire pousser des cris d'enthou-
siasme ; je ne sais quoi de poncif dans la puissance et de déjà vu
dans la fougue romantique; la Musique sacrée, de M. Léonard; Vlr-
résistible Amour, de M"» Gassavetli; la Béte humaine, un grand diable
de groupe de M. Bennessen, un consul romain posant sa lourde san-
dale sur le corps d'une femme prosternée, qui a dû. s'appeler d'abord
et plus justement : « la Force prime le Droit » ; le Drapeau, une
élégante inspiration de M"^» Marie Cazin. Dans la statuaire caracté-
ristique, Vlenspiegii et Nele, de M. Charles Samuel, groupe principal
du monument érigé à Bruxelles à la mémoire de Charles de Coster ;
le Du Gvcsclin, très vivant, de M. Le Duc ; la Jeime Fille dansant, de
M. Albert Bartholomé. Aux bustes, un Verlaine de M. Niederhausen,
Rodo, Cluirles Daiicla, de Jean Escoula, et M'^" Fège, de l'Odéon, par
Injalbert.
Une délicate statuette en bois, la Sainte Cécile, de M. Schnegg, nous
servira de transition de la sculpture aux objets d'art. Là, un amusant
pêle-mêle et une tendance au symbolisme qui, pour revêtir parfois
des formes singulières, n'en est pas moins un signe des temps. C'est
ainsi que le bon ouvrier en toutes matières, Jean BafBer, expose une
fontaine-lavabo avec horloge « faisant partie de l'ameublement d'une
salle à manger dont la décoration d'ensemble a été conçue pour
exalter la dignité du travail et la gloire de l'ouvrier de la
terre qui fait produire, avec l'aide de Dieu, les aliments dont notre
corps se nourrit ». Pour se conformer à ce programme, Jean Baffler
s'est attaché à rendre « la vie de l'homme des champs, ses peines, ses
joies, ses plaisirs et ses travaux depuis sa naissance jusqu'à sa
mort ».
Pensée généreuse et digne d'un Palissy; malheureusement, la fon-
taine-lavabo esl lourde et d'un aspect disgracieux; le symbolisme ne
sauve pas toujours. Cependant il a inspiré des œuvres d'intéressante
facture à M. André des Gâchons, l'auteur de la Légende des trois prin-
cesses, à M. Aube {i'Adieaaux rêves). A voir encore, aux objets d'arl,
la Vénitienjie et la Florentine du XV° siècle de M. Scribe, les deux
plaques de porte de M. Charpentier, la « harpe » et le « violoncelle »,
le pupitre en bronze, de M. Victor Prouvé, pour servir de support aux
Poèmes barbares de Leconte de Liste, la couverture pour l'histoire de
RaymondJn et Mélusine de M. Bouiller, enfin, les admirables reliures de
M. Charles Meunier, représentant d'un art vraiment français, résur-
recteur de traditions illustres, pour les quatre Fils Aymon et les Fleurs
du mal.
Si la sculpture compte peu d'exposants au Champ- de-Mars, les ar-
chitectes témoignent encore moins de prédilection pour la bâtisse
chère à feu M. Alphand. Une soixantaine de numéros, voilà tous leurs
envois. Dans le nombre, au milieu des inévitables restitutions de
châteaux et constructions de villas, un projet de M. Eugène Bruneau
pour le palais des Arts qui doit remplacer la nef actuelle des Champs-
Elysées; un Asile du rêve, bâtisse idéale dressée par M. Provensal
près des ruines de Carthage ; la « synthèse » d'un monument à Jeanne
d'Arc par M. Schatzmann; enfin, un Temple pour Parsifal ie M. Bis-
choff, avec tour et salle de concert. L'impression la plus funéraire se
dégage de l'ensemble. Est-ce encore une synthèse?
(A suivre.) Camille Le Senne.
MUSIQUE ET
(Suite)
PRISON
PRISONNIERS POLITIQUES
Au point de vue musical, le prisonnier politique nous offre les
aspects les plus variés: les sensations qu'il éprouve ou qu'il com-
munique se ressentent de son tempérament, des causes de son
arrestation ou de sa condamnation, du milieu où il vit et du trai-
tement qu'il subit.
Le sujet est tellement complexe, qu'il nous a paru devoir comporter
quatre grandes divisions:
Les prisonyiiers politiques en tous temps et en tous pays.
La Bastille et les prisons d'État sous l'ancien régime.
Les Prisons révolutionnaires.
Les Prisons modernes.
LES PRISONNIERS POLITIQUES EN TOUS TEMPS
ET EN TOUS PAYS
UHymne d]ApoUon et te cliaiit du Cygne deSocrale. — L'auteur de Gloria, laits et honor.
— Le testament d'un musicien. — Théroigne de Mëricourt, claveciniste. — Coup de
boutoir da père de il/"" Angot. — Le marècïial Ney, flûtiste. — Le oiseaux d^Eugène de
Pradel. — La marotte de Sainte-Pélagie. — Le dimanche à Poissy en ISSU. — Les pa-
triotes italiens au Spielberg. — La romance de Desdémone et la chanson française. —
Silvio Petlico, féministe. — La rose de Maroncelli. — La guitare d'un ministre.
Lorsque dans son admirable poème, la Mort de Socrate, Lamartine
faisait dire au plus grand philosophe des temps antiques :
Je suis un cygne aussi, je meurs, je puis chanter,
il ne se doutait guère que ce cri superbe d'une intelligence près
de s'éteindre, auquel il n'attachait qu'un sens figuré, était l'expres-
sion même de la réalité.
Socrate avait été condamné à mort comme révolutionnaire. Ses
doctrines philosophiques et religieuses, telles qu'il les exposait dans
156
LE MENESTREL
les jardins d'Athènes devant Platon et ses autres disciples, étaient,
pour l'époque, destructives de toute autorité. L'exécution de !a sen-
tence fut retardée de quelques jours ; autrement elle eût coïncidé
avec la fêle d'Apollon, et, d'après la loi. les criminels ne devaient
boire la ciguo qu'à l'issue de cette solennité. Sociate profita de ce
répit pour composer dans sa prison les paroles et la musique d'un
hymne au dieu du jour. Il s'en explique dans le l'hédoii, ce fameux
dialogue entre le condamné et ses disciples, dialogue attribué à
Platon. Cébès, un des apôtres du Christ athénien, l'interviewe, au
nom de ses amis, sur une œuvre qui l'étonné ; jamais Socrale n'avait
écrit de vers, ni composé de musique. Le philosophe lui fait une
réponse qui a dû lui valoir une bonne note dans le monde da spi-
ritisme. Depuis longtemps il est hanté d'apparitions qui ne cessent
de lui répéter: « Socrate, cultive la musique ». N'ayant plus que
quelques jours à vivre, il s'est enfin décidé à obéir, et comme Apol-
lon est le dieu de la (ête qui retarde sa mort, c'est en l'honneur du
fils de Jupiter qu'il a écrit les paroles et la musique de soa poème.
On a prétendu que l'hymne à Apollon (1), retrouvée dans les fouilles
de Delphes et solennellement exécutée, depuis un an. à Athènes et à
Paris, était l'œuvre de Socrate prisonnier. L'hypothèse est fort sédui-
sante, mais lien n'est encore venu la justifier.
Des documents d'une authenticité moins discutable nous révèlent
l'origine d'un chant de la primitive église.
Quand Pépin, neveu de Louis le Débonnaire, conspira contre son
oncle, plusieurs prélats se trouvèrent compromis dans le complot,
entre autres l'évêque d'Orléans Théodulfe. Le tribunal à qui le fils de
Charlemagne déféra les coupables condamna Théodulte à la prison
perpétuelle. L'évêque dut subr sa peine à Angers; et comme il était
fort bon musicien il chercha, dans la culture de l'art qui lui était
familier, un adoucissement à ses misères. Parmi les œuvres qu'il
écrivit en prison ligure l'hymne Gloria, laus et honor, qui était encore
chantée vers la fin du SVIl' siècle, le jour de Pâques fleuries, dans
les églises de Prance. (2)
Théodulfe était aussi remarquable virtuose que compositeur con-
sommé. Mais il n'avait pas cet héroïsme qui permet aux âmes soli-
dement trempées de supporter sans se plaindre toutes les disgrâces.
Si tant est que Socrate ait chanté à l'heure de sa mort, comme le
cygne, qui, par parenthèse, est affligé d'un organe déplorable, la
musique du philosophe devait respirer la force, la grandeur et la sé-
rénité : car Socrate pressentait que les âges futurs célébreraient son
attitude et admireraient ses enseignements. Théodulfe, au contraire,
avait la conscience de sa faute, et son hymne exprime le désespoir
d'une âme abattue par le remords. Sa voix en rendait, avec une
émotion pénétrante, toutes les tristesses. Un jour, Louis le Débon-
naire, passant sous la prison de Théodulfe. entendit ce chant de
douleur; les accents du détenu étaient si désolés que l'empereur, se
laissant attendrir et fléchir, finit par accorder au coupable une grâce
si longuement implorée.
Jean Régnier, seigneur de Guerchi, bailli de la ville d'Auxerre,
devait passer par des épreuves autrement rude?. Fait prisonnier à
Beauvais, en 1432, alors que son maître, le duc de Bourgogne, s'était
révolté contre son suzerain, le roi de France Charles VII, il ne pou-
vait guère attendre sa grâce du vainqueur, pressé d'en finir avec
les alliés des Anglais.
Sans être précisément résigné à la condamnation capitale dont il
était menacé, Jean Régnier se consolait dans son cachot avec la
musique, dont il faisait alors profession ; car ses poésies — ses heures
de prison — qui furent imprimées à Paris longtemps après sa mort,
en 1324, nous apprennent qu'il s'occupait de « contrepoint i et de
« déchant ».
Dans les premiers temps qu'il fut sous les verrous, ses geôliers lui
laissèrent sa flûte, dont il jouait par les chemins, comme un simple
jongleur, quand il était tombé au pouvoir des troupes royales. Mais
sa musique et ses chansons lui attiraient, parait-il, trop de visites : le
gouverneur de la ville lui supprima flûlc, plume et parchemin. La
captivité du pauvre Régnier n'en devint que plus dure. Hélas!
s'écrie-t-il :
Hélas I voici trop dure viel
Je soûlais (j'avais coutume) manger volaille
Et le poisson à grosse écaille.
Mais il convient que je l'oublie.
Poux et puces me font bataille,
Car j'en ai pleine ma drapaille.
(t) Note. — Voir la très remarquable étude publiée par Julien Tiersot dans te
Ménestrel sur l'hymne à Apollon.
(2) Wote. — D3S prêtres du diocèse de L^oq m'ont appris tout récemment que
cette tradition avait persisté dans leur paroisse.
Et, de toutes parts, de noires pensées viennent assaillir son cerveau.
Il en écrivit son testament : c'était la coutume des prisons. Il se vit
pendu haut et court, peut-être décapité... par grâce : il était gentil-
homme. Il régla en conséquence son convoi mortuaire, désigna le
dr.p et indiqua les fleurs qu'il voulait sur son cercueil : car les cou-
ronnes et les gerbes florales ne datent pas seulement de notre siècle.
Son dernier vœu était un souvenir attendri pour cette chère musique
qu'il avait tant aimée :
Encor voudrais-je bien avoir
De ménétriers trois ou quatre,
Qui de corner fisîent devoir,
Devant le corps, pour gens ébattre...
Puis la voix lui manqua. Les rigueurs de sa détention en avaient
comme brisé les cordes. Cependant, seize mois après, il était remis
en liberté; el, de cette âme qui revivait, la mélodie ailée s'échappa en
hymnes au printemps :
Quand je me trouvai sur les champs.
Je ouïs des oiseaux les chants
Qui chantaient du mois de mai:
Et combien que fusse en émai (émoi)
Mon cœur se mit à réjouir...
A chanter tantôt je me pris.
Cette impression, bien humaine, fut-elle ressentie par la fameuse
amazone révolutionnaire Théroigne de Mérieourt, le jour où les prisons
de l'Autriche s'ouvrirent devant elle? Car — détail ignoré jusqu'alors
— cette farouche héroïne, qui n'eut jamais d'autre vainqueur, dit une
légende trop indulgente, que le député Popuhis (on jouait ainsi sur le
mol peuple), cette même Théroigne de Mérieourt aimait et cultivait la
musique. Reconnue et arrêtée en Allemagne, au moment où l'Europe
monarchique, alarmée des progrès de la Révolution, s'armait contre
la France. Théroigne ne put donner des explications satisfaisantes
sur les motifs de son séjour dans un pays déjà mûr pour l'insurrection.
Elle fut soupçonnée d'espionnage et incarcérée, comme l'annonce
cette curieuse dépêche que nous avons retrouvée dans une gazette du
temps :
Francfort-sur-le-Mein, 5 avril 1791.
M'i« Théroigne (de Mérieourt) a été transférée à Kustrin. Elle est étroi-
tement gardée dans sa captivité ; on lui a cependant accordé des livres et un
clavecin. Elle vient tout récemment de recevoir de France douze mille
livres. Les papiers ont été expédiés à Vienne pour la Chancellerie d'État.
Par parenthèse, les papiers de celte politicienne dilettante seraient
intéressants à connaître. En tout cas, sa détention fut de courte
durée. Quand elle rentra à Paris elle se jeta, plus exallée que jamais,
au milieu de la mêlée, avec son costume légendaire, son chapeau
encocardé, ses grande hottes et son jupon court, que retenait à la
ceinture d'un frac élégant une écharpe rouge d'où émergeaient deux
pistolets d'arçon. Mieux inspirée, si elle fût retournée à son clavecin!
Elle préféra le son assourdissant du tambour et la voix lugubre du
tocsin. Mais à cet effroyable tumulte où se confondaient ses déclama-
tion furibondes, elle ne gagna que d'être happée, ceitain jour, par les
dames de le. Halle el fouettée par elles en place publique. Elle y
perdit le peu de raison qu'elle avait conservée; et longtemps après,
pendant l'Empire, les curieux de figures révolutionnaires pouvaient
voir celle-ci, jadis si belle et si admirée, dans une cellule de la
Salpêlriôre, abêtie par la plus hideuse et la plus dégradante des
folies. C'était encore la prison, mais la prison dont les portes de-
vaient rester à jamais fermées, à moins que, par un de ces miracles
dont la musique est souvent coutumière, la vapeur qui obscurcis-
sait ce malheureux cerveau ne se fût dissipée aux sons divins de l'har-
monie. Hélas! la ihérapeutique du temps ignorait cette ressource
suprême, ou ne l'employait pa.=, ou bien encore ses elTorts demeu-
rèrent impuissants : toujours est-il que Théroigne de Mérieourt mourut
à la Salpêlrière, sans avoir recouvré la raison.
Le cas d'Eve Demaillot nous offre un moins affligeant spectacle.
Le vieux républicain, journaliste et auteur dramatique, à qui le
théâtre doit l'inoubliable type de Madame Aiigot, était presque un
habitué des prisons politiques. Après le 9 Thermidor il était allé y
expier ses coups de boutoir contre la réaction triomphante : le Direc-
toire l'en tira, mais l'y renvoya pendant la fièvre du babouvisme: le
Consulat lui fil partager la courte captivité de Charles Nodier. Enfin,
lors de la première conspiration ilu général Mallet, Demaillot dut à
ses opinions républicaines, trop librement professées, d'être incarcéré
à la Conciergerie.
Le précurseur de Blanqui avait conservé, comme on pense bien,
au milieu de toutes ses épreuves, sou humeur de sanglier; les tra-
casseries d'un certain Vérat, conseiller chargé d'instruire son procès,
LE MÉNESTREL
137
achevèrent de l'exaspérer. Mis au secret par ses ordres, Deniaillot se
demandait comment il pourrait bien prendre sa revanche, lorsqu'il
enteodit chant-r dans la cour des Vierges folles, sur laquelle donnait
sa fenêtre en abat-jour, des couplets grivois sur l'air: « Nous nous
marierons dimanche. »
— Ah! dit-il, je liens mu vengeance.
Et il chanta à son tour.
Ce monsieur Vérat
N'est qu'un scélérat
Que rata dame Justice.
Il vint de là
Honorer la
Police.
Un jour viendra
Qu'il nous rendra
Service,
C'est voguant là-bas
Avec les forçats,
S'il n'est pas pendu d'office!
Quelques années après, en 1815, la même prison devait voir dans
« ses longs corridors sombres », chautés par la muse de Chéuier, des
détenus plus illustres que l'obscur journaliste, mais dont la fin devait
être autrement tragique : nous voulons parler du maréchal Ney,
que la seconde Restauration avait fait arrêter et conduire à la Con-
ciergerie, en attendant l'instruction du procès de haute trahison qui
allait le mener devant la Chambre des pairs. Déjà se trouvait incar-
cérédansla même prison, pour un motif analogue, le comte La Valette,
directeur général des postes sous l'Empire. Il se promenait dans une
des cours lorsqu'il vit passer devant lui le maréchal, accompagné
d'un gardien et d'un officier de gendarmerie. Ney, après être resté
un mois au secret, fut installé dans le logement du greffier, qui se
trouvait précisément au-dessusdela chambre occupée par La Valette.
Là, le héros des guerres impériales partageait les heures trop courtes
de la journée entre la préparation de sa défense, sa correspondance
avec sa famille et l'élude de la musique. Il jouait de la flûte, et, pour
un maréchal de France, il ne s'en lirait pas trop mal. Mais, un jour,
le directeur de la Conciergerie lui interdit cette distraction, sous
préteste que les règlements s'y opposaient.
La Valette regretta, presque autant que le principal intéressé, une
mesure dictée moins par respect de la règle que par l'esprit de
vexation. Le talent d'amateur du maréchal était pour son compagnon
de captivité une source continue de jouissances artistiques. Un air
surtout, un motif de valse, agréable sans doute à l'exécutant puisqu'il
le répétait volontiers, charmait La Valette, qui, par un phénomène
psychologique facile à comprendre, devait le prendre plus tard en
aversion :
« Je ne l'avais jamais entendu ailleurs, dit-il non sans une cer-
taine tristesse, dans ses Mémoires. Je l'ai retrouvé une seule fois en
Bavière ; c'était dans un bal champêtre, sur les bords du lac de
Slamberg : j'avais sous les yeux de jeunes paysannes foulant gaie-
ment un gazon bien frais ; l'air en est doux et mélancolique. Le son
de la flûte me rejeta violemment dans la Conciergerie ; et je me sau-
vai en fondant en larmes et en prononçant avec amertume le nom de
l'infortuné maréchal ».
Personne n'ignore, en etïet, la sentence qui le frappa sans pitié.
La Valette, condamné, lui aussi, à la peine capitale, put échapper à
l'échafaud en s'évadant de la Conciergerie sous les vêtements de sa
femme, et sans doute avec la complicité du gouvernement, comme
nous l'avons récemment prouvé par des documents officiels.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUVELLES LI^^ERSES
ÉTRANGER
LE MONUMENT DE M"" CARVALHO
QU.\TRIÈME LISTE DE SOUSCRIPTION DU MÉNESTREL
M"= Marcella Pregi Fr. 20
M. A. Feret 40
M. et M"' Myrtil Hecht 100
M. Ernest Hecht SO
W-- Ugalde 50
M™ la baronne Durand de Fontmagne (née de Melfort) . 20
M. Anlonin Proust 20
M""" Esposito Demussy 20
M. Louis Diémer 20
Total . . Fr. 340
Le total général a ce jour dépasse 21.000 francs.
De notre correspondant de Londres (14 mai). — La saison d'opéra
qui a été inaugurée lundi à Govent-Garden ne s'annonce pas comme de-
vant être riche en événements. A moins de surprises possibles — car, avec
le manager Harris, il faut toujours compter sur l'imprévu, — nous devrons
nous contenter du répertoire de l'an dernier. La troupe aussi est à peu
près la même que celle de la saison de 1895. C'est avec Roméo et Juliett'i
qae la présente saison a débuté. Le toujours triomphant chef-d'œuvre de
Gounod avait pour interprètes MM. Jean de Reszké, Plançon, Castelmary,
Albers, Bevan, M'"^= Eames, Hudleston et Bauermeister. Avec un pareil
ensemble, la représentation ne pouvait manquer d'être intéressante.
M. Jean de Reszké a surtout été remarquable dans l'acte des tombeaux.
Ses qualités de diction, sa belle prestance et son organe généreux ont
brillé là de tout leur éclat. M'"= Eames a eu de bons moments dans les
passages d'agilité, mais le sentiment est toujours froid. M. Albers a chanté
avec beaucoup d'intelligence et de goût la ballade de la reine Mab, et
M. Plançon a été irréprochable dans le rôle de frère Laurent. Une jeune
débutante, miss Hudleston, a été peu satisfaisante dans le rôle du page;
sa prononciation est particulièrement défectueuse. M. Mancinelli, qui
dirigeait la représentation, a eu quelques petites distractions malencon-
treuses, et les chœurs auraient vraiment besoin de refréner leur exubé-
rance sonore.
MM. Gabriel Fauré et Pierné ont dirigé un fort beau concert avec or-
chestre, en grande partie consacré à leurs œuvres. Les deux compositeurs
français ont reçu du public l'accueil le plus empressé. Plusieurs de leurs
morceaux ont été bissés. W"^ Landi et Pallisser, MM. E. Lloyd, Bispham
et Johannes Wolff leur prêtaient concours.
L'orchestre de Monte-Carlo, dirigé par M. Jehin, se fait entendre tous
les jours à l'Impérial Inslitule, où il fait l'admiration du public. C'est chose
rare ici qu'un pareil fini dans l'exécution, et qu'un répertoire si varié, si
choisi. LÉON SCHLESIKGER.
— De notre correspondant de Belgique (14 mai). — Le printemps a provoqué
une floraison inattendue et extraordinaire de rubans rouges aux bouton-
nières de nos artistes. Le Monitevr o/Jiciel vient de publier plusieurs listes de
nominations dans l'Ordre de Léopold. En tète des nouveaux décorés, figure
M. Ernost, Van Dyck. Cette décoration ne s'est pas faite sans quelque
0 tirage »; décorer un artiste de théâtre ne va point sans des résistances
et des scrupules dans un certain monde où l'on ne croit vraiment dignes
de cet honneur que des employés d'administration publique, des généraux
ou des gardes civiques. Mais enfin, l'art l'a emporté et tout le monde s'en
réjouit. L'ordre de Léopold se trouvera lui-même honoré de posséder dans
ses rangs un tel chevalier, — qui était déjà chevalier du Graal... — A An-
vers, où M. Van Dyck a chanté, mardi, Lohengrin au profit de l'œuvre des
Enfants marlyrs, on lui a fait un triomphe éclatant, agrémenté de félicita-
tions sur la scène, de médailles commémoratives et de souper après la
représentalioE. C'est la première fois que M. Van Dyck chantait, au théâtre,
dans sa ville natale; vous jugez du délire !... Ce soir, enfin, — car il n'y
en a que pour lui depuis un mois, — nouveau succès, à Bruxelles, au
Concert populaire, où l'admirable artiste a chanté, avec M"' Lola Beeth
(remplaçant au pied levé M"'" Bosman, subitement indisposée) et M. André
Gresse, le premier acte de la yall<yrie. La soirée, qui aura samedi une
deuxième édition, a été extrêmement brillante. M. Van Dyck, remis de son
indisposition, a été superbe, M"= Lola Beeth charmante, et M. Gresse, le fils
de la vaillante basse de l'Opéra, très remarquable. L'orchestre de M. Du-
pimt s'est montré, de son côté, à la hauteur de sa réputation. Une nouvelle
audition de la Mer, la belle œuvre symphonique de M. Paul Gilson, com-
plétait le programme de ce magnifique coniiert.
On a fêté la semaine dernière, au Conservatoire, le vingt-cinquième
anniversaire du directorial de M. Gevaert. La fête a eu un caractère tout
intime. Les professeurs et les délégués des élèves et des anciens élèves,
auxquels s'étaient joints M. de Bruyn, ministre des beaux-arts, et M. Buis,
bourgmestre de Bruxelles, ont félicité le jubilaire en termes chaleureux et
lui ont offert son buste en marbre, œuvre de M, de Lalaing. Tout s'est
borné là, M. Gevaert ayant la très juste aversion des manifestations
bruyantes et solennelles. Les félicitations n'en ont pas été moins vives, ni
moins sincères, à l'adresse de cet homme de science et de talent qui trouve
sa plus chère récompense dans l'œuvre même accomplie par lui au Con-
servatoire, dans la gloire que lui assurent ses travaux et dans les sympathies
universelles dont il est entouré. L. S.
— Passant par Milan, M. Saint-Saëns y a été l'objet de grandes manifes-
tations artistiques. On l'a reconnu dans la salle de la Société orchestrale,
où on exécutait la Danse macabre, et tout aus&ilài la salle entière l'a acclamé
par trois fois. Il s'en est suivi que notre compositeur a du se faire entendre
à deux concerts de la Société del quarlello, entièrement consacrés à ses
œuvres de musique de chambre. Dans une suite de morceaux pour piano
seul, on a fort applaudi sa belle transcription sur la Mort de Tiiàis, de Mas-
senet, qu'il a jouée de grande maestria.
— Au théâtre Coslanzi, de Rome, première représentation de Sorella di
Marck, opéra d'un jeune compositeur encore inconnu à la scène, M. Gia ■
como Setaccioli. L'ouvrage, joué par M"" Gemma Bellincioni et MM. Mieli,
158
LE MENESTREL
Broglio et Checchi, parait avoir obtenu un grand succès, et l'auteur n'a
pas obtenu moins de vingt rappels. Sur celui-ci et ses commencements
dans la carrière, nous emprunterons les renseignements qui suivent au
journal l'Italie : « Très jeune encore, dit ce journal, il a obtenu un diplôme
de flûtiste et est entré dans un orchestre. Il a donné des concerts avec
succès; il tient depuis plusieurs années une place distinguée comme ins-
trumentiste, ce qui ne l'a pas arrêté dans ses études. S'étant assuré un
gagne-pain, il s'est adonné avec passion à l'étude de la composition sous la
direction de M. De Sanctis. Il rêvait l'opéra, mais en attendant son jour, il
écrivait des chansonnettes qui sont devenues populaires, des motets de
bonne facture, des romances très mélodiques. Il n'était encore qu'à ses
débuts que ses compositions avaient attiré l'attention des artistes. Une
audition au National de plusieurs de ses morceaux eut un grand succès et
le mit en vue. M. Stagne et M'"» Bellincioni ont voulu connaître sa musique
et après qu'ils ont eu la preuve de son talent, l'ont chargé d'écrire un
opéra. Quand on arrive à être joué sans argent, sans réclame, sans intrigue,
il faut avoir révélé quelque chose de bien particulier. On ne passionne
pas des artistes tels que Stagno et la Bellincioni, quand on a rien à
dire !... »
— A Fiume, le ténor Dimitresco vient de remporter un énorme succès
dans la reprise du Roi de Lahore, qu'il chantait sans avoir répété. A côté de
lui se sont fait vivement applaudir M"'^ de Macchi et le baryton Gioni, sans
oublier M""" Budriesi et la basse Girotto.
— La Gazzelta musicale de Milan nous apporte, par la plume d'un de ses
correspondants, un compte rendu intéressant de l'audition, à la villa Médiois,
des travaux de nos jeunes élèves de l'école de Rome. Il s'agit d'un Diver-
tissement sur chansons slaves de M. Henri Rabaud, et de deux morceaux
(adagio et allegro maesloso) d'une suite d'orchestre de M. André Bloch.
« M. Rabaud, dit l'écrivain, a composé une sorte de Rapsodie, qui comprend
trois parties en quelque sorte distinctes : la première extrêmement carac-
téristique, la seconde suave, la troisième vivace et entrainante. La forme
générale s'impose d'une façon très sympathique à l'auditeur; les thèmes
sont traités avec une très grande variété de ressources, et la main de Vins-
trumentateur se révèle très habile, donnant un relief toujours sûr à la partie
contrapuntique, qui est dessinée avec un profond savoir et un très grand
talent. M. Rabaud ne tombe pas dans cette forme indéterminée qui est un
peu le faible de beaucoup de jeunes compositeurs et que l'on retrouve
même, à la villa Médicis, sur de nombreux mètres carrés de toile peinte
cette année; il montre une trempe d'artiste hardi, calme, parfaitement
instruit de l'architecture des morceaux, qui domine sagement sa belle ima-
gination et ne s'égare jamais au delà de son sujet. Je crois que son travail
figurerait avec beaucoup d'honneur sur les programmes de nos sociétés
orchestrales. M. Bloch, qui donnait l'an dernier de grandes espérances
avec une suite pour violon et orchestre qu'on a jugée très favorablement cet
hiver en Russie, aspire à voler plus haut dans les deux pages symphoniques
qu'il a présentées, auxquelles, naturellement, manque l'ensemble qu'appor-
teraient les autres. ISadatjio indique une grande idéalité de conception et
se développe avec une remarquable originalité; c'est une musique très
moderne dans la plus grande force du terme et qu'on aurait plaisir à ana-
lyser, ce qui est très difficile après une seule audition. L'autre morceau a
encore un éclat considérable et une allure presque épique; peut-être sa
conclusion absolument sobre nuit-elle à l'effet immédiat; mais, en somme,
si M. Bloch n'a pas voulu faire usage des ficelles ordinaires, cela prouve
en faveur de son exquis sens esthétique, et cela est mille fois préférable au
système contraire, employé par ceux qui ne finissent jamais de cadencer et
de raisonner même quand ils n'ont plus rien de nouveau à dire. M. Bloch
sera certainement un très vaillant combattant dans le champ symphonique,
qui est le terrain où les batailles artistiques sont plus difficiles, mais sont
aussi plus glorieuses. » L'auteur de cette critique sympathique est
M. Valetta, l'époux de l'excellente violoniste Teresina Tua.
— Le théâtre Malibran, de 'Venise, fait une effroyable consommation
de ténors. En moins d'un mois il en a vu et entendu sept, MM. Cartica,
Gambardella, Masin, Olivieri, Rawner, Larizza et Reschiglian. A qui le
tour?
— On a exécuté le dernier dimanche d'avril à Modène, dans l'église San-
Carlo, une nouvelle Messe liturgique à quatre parties réelles, avec accom-
pagnement d'orgue et de quatuor à cordes, due au jeune compositeur Giu-
seppe Massa. L'œuvre, fort intéressante, a produit sur les auditeurs une
excellente impression, et l'on en cite surtout le Kyrie et VAgnus Dei comme
deux pages remarquables.
— A Montagnana, première représentation ài'A'nwre di un angelo, « scènes
lyriques », paroles et musique de M. Angelo Ferreto. — Au théâtre Pez-
zana, de Milan, apparition d'une nouvelle opérette, Paquita, de M. 'Valente.
— Le surintendant des théâtres royaux à Berlin a ordonné de commen-
cer la saison estivale de l'Opéra royal sur la scène de l'ancien théâtre
Kroll, le 13 mai. On y jouera pour la première fois le nouvel opéra de
Goldmark, le Grillon du foyer, qui a remporté un si grand succès à Vienne.
Les représentations continueront tout l'été; Berlin aura donc tous les soirs
deux spectacles d'opéra.
— Le sénat de la ville libre de Hambourg a proposé aux citoyens d'ac-
coïder à la Société des amis de la musique une subvention de 20.000 marlis
par an afin qu'elle puisse entretenir à Hambourg un orchestre de premier
ordre. Les citoyens ont accordé cette subvention, sous la condition que
ladite société donnerait tous les ans au moins cinq concerts consacrés
exclusivement à la musique classique, en fixant le prix d'entrée à oO pfen-
nigs, soit 62 centimes, au maximum. Rien de plus juste. Comme les
couches infimes du peuple contribuent à la subvention, il faut leur accor-
der la possibilité de profiter de ces concerts; voilà de la démocratie bien
comprise. Les prolétaires hambourgeois pourront donc entendre les sym-
phonies de Beethoven exécutées par un orchestre de premier ordre sous la
direction d'un « virtuose du bâton » pour douze sous; c'est beau 1
— Les théâtres allemands, sur l'initiative de l'Opéra royal de Berlin, se
préparent à célébrer, par une reprise, le cinquantenaire de l'opéra comique
l'Armurier (Der Waffeiischmied) de Lortzing, qui a été joué pour la première
fois à Vienne le 30 mai 1846, et qui est resté depuis au répertoire des
scènes lyriques allemandes. La recette de ces soirées de jubilé sera remise
à la, fille du compositeur, qui vit à Vienne dans une situation bien triste
tandis que les œuvres de Lortzing continuent à enrichir les scènes alle-
mandes. A l'époque où Lortzing produisit ses meilleures œuvres, aucune
loi ne protégeait encore les droits d'auteur en Allemagne et en Autriche;
la première loi de ce genre fut introduite en 1846, après la première de
l'Armurier, et elle n'avait par d'effet rétroactif. Lortzing, mort en IS'il,
n'en put profiter en aucune façon; celles de ses partitions qui sont restées
vivantes pendant un demi-siècle : le Tsar et le Charpentier, Ondine et l'Armu-
rier, avaient déjà été jouées auparavant et n'ont rien rapporté à sa pauvre
fille.
— Un ami de l'art de Richard "Wagner a offert au conseil municipal de
Berlin la somme de 5.000 marcs comme première souscription pour un
monument en l'honneur du maître de Bayreuth. Reste à savoir si le conseil
municipal voudra fournir le reste ou s'il invitera les citoyens à une sous-
cription. En attendant, Richard Wagner ne peut se prévaloir que d'une
plaque commémorative apposée sur la maison qui remplace, à Leipzig,
celle où il naquit. C'est maigre 1
— Le Roi de Lahore en habit noir et en gilet à cœur! G'est du moins ainsi
que les habitants de Kieff viennent d'être appelés à l'applaudir. L'ouvrage
était annoncé au théâtre de celte ville, mais comme, au moment de le
jouer, les costumes n'étaient pas plus prêts que les décors elles décors que
les costumes, on s'est décidé à l'exécuter tout simplement sous forme
d'oratorio, en habits bourgeois. Et l'effet produit par la musique n'en a
pas été moins grand.
— La musique aura sa part, et une part importante, dans les attraits
qu'offrira au public l'exposition de Genève, qui doit s'ouvrir prochaine-
ment. Entre autres, on donnera une série de concerts symphoniques qui
seront dirigés par un jeune artiste fort distingué, M. Gustave Doret, que
nous avons vu récemment faire ses preuves aux concerts d'Harcourt. Les
programmes de ces concerts sont déjà complètement arrêtés, et voici la
liste des œuvres qui y seront exécutées : Symphonies. 5= et 7» de Beethoven;
symphonie militaire d'Haydn ; symphonie en sol mineur, de Mozart; sym-
phonie en ut mineur, de Saint-Saéns ; symphonie en ré mineur, de César
Franck; symphonie de Boëllmann; symphonie sur un thème montagnard,
de V. d'Indy ; symphonie en ré mineur, de Schumann; 4" symphonie, de
Brahms. Ouvertures. Iphigénie en Aulide, de Gluck; Don Juan, de Mozart;
Anacréon, de Gherubini ; Coriolan, Lémore (n° 3), de Beethoven ; Ëuryanthe,
Jubel-ouverture, de "Weber ; Manfred, de Schumann ; le Carnaval romain, de
Berlioz ; les Maîtres Chanteurs, Tristan et Yseult (prélude), de "Wagner ; Brocé-
liande, de Lucien Lambert ; Armor, de Silvio Lazzari ; Polgeucte, de Paul
Dukas. GoMPOsiTiojis diverses. Rapsodie bretonne et ballet d'Ascanio, de
Saint-Saëns ; les Erinnyes, àe Massenet; Joyeuse marche, iîspar(o, de Cha-
brier ; Rapsodie cambodgienne, l'Enterrement d'Ophélie, de Bourgault-Ducou-
dray ; Slujlock (suite d'orchestre), de Gabriel Fauré; Namouna{iA.), deLalo;
la Forêt (id.), poème lyrique, d'Alexandre Glazounofî; airs de ballet du
Prince Igor, de Borodine ; Conte féerique, Scheerazade, de Rimsky-Korsakoff;
Impressions d'Italie, de Gustave Charpentier ; Suite d'orchestre, de Georges
Marty ; A Paimpol (id.), de Pierre Maurice ; Prélude à l'Après-midi d'un
faune, de C.-A. Debussy; Pécheurs d'Islande, les Landes, de J.-Guy Ropartz;
Temps de guerre, de Fernand Le Borne ; Gymnopédies, d'Erik Satie (orches-
trées par G.-A. Debussy). On voit que les musiciens français n'auront
pas à se plaindre de la place qui leur est faite sur ces programmes.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
Voici le résultat du concours d'essai pour le prix de Rome. Les six
élèves dont les noms suivent sont admis à prendre part au concours défi-
nitif: I. M. Max d'Olonne, second prix de 1893, élève de M. Massenet;
2. M. Schmidt, élève de M. Massenet; 3. M. d'Ivry, élève de M. Théodore
Dubois; 4. M. Charles Levadé, premier second prix de 1893, élève de
M. Massenet; S. M. Jules Mouquet, mention honorable en 1894, élève de
M. Théodore Dubois ; 6. M. Halphen, élève de M. Massenet.
— A l'Opéra-Comique, on répète toujours la Femme de Claude et aussi
la Traviata pour la reatrée très prochaine de M""^ Saville. Aujourd'hui
dimanche, on reprend le joyeux Ca:id d'Ambroise Thomas, avec M"™ Ti-
phaine et Kerlord, MM. Garbonne, Hermann Devriès, Barnolt et Thierry.
— C'est jeudi prochain que doit avoir lieu décidément la répétition géné-
rale de gala i'IIamlet, donnée au profit du monument d'Ambroise Thomas,
toutes places à la disposition du public.
LE MENESTREL
159
— Le banquet offert aux directeurs de l'Opéra par les jeunes composi-
teurs qui ont eu des œuvres jouées aux concerts de ce théàùtre, a éla-plein de
cordialité. M. Roujon présidait, assisté de MM. Des' Chapelles et Bernheim.
M. Bourgault-Ducoudray a prononcé un petit discours plein de cœur et
d'esprit. M. Roujon n'a pas été moins éloquent. Puis c'a été le tour de
M. Paul Vidal, et M. Gailhard a répliqué avec sa verve habituelle. Dans
tous les discours il a été fort question de la nécessité reconnue d'un troi-
sième théâtre lyrique à Paris. C'est une thèse trop chère au Ménestrel pour
que ce vœu unanime n'ait pas tout notre assentiment.
— Jeudi dernier a eu lieu, dans la grande salle du Conservatoire, sous
la présidence de M. Colmet-Daage, l'assemblée générale annuelle de
l'Association des artistes musiciens. Le rapport sur les travaux du comité
pendant l'année écoulée, présenté et lu par M. Charles Gallon, rapport
bourré de chifl'res et de faits intéressants, a été accueilli par de vifs applau-
dissements. Après une très heureuse allocution du président, à qui l'on a
fait un succès personnel considérable, il a été procédé au scrutin pour
l'élection de 12 membres du comité dont les pouvoirs étaient expirés. Yoici
les noms des membres élus : MM. de Thannberg, 138 voix; Laurent (Mar-
celin), 137; Danbé, 137; Taffanel, 136; Pickaert, 136; d'Ingrande, 133;
Lhote, 131; Gabriel-Marie, 131; Decq, 130; de Balaschoff, 126; Guiuand, 126;
Colonne, 109.
— C'est le 2 juin prochain qu'aura lieu, à la salle Pleyel, le grand con-
cert festival donné en l'honneur de M. Camille Saint-Saëns, à l'occasion du
cinquantième anniversaire du premier concert donné par le grand artiste
qui est aujourd'hui l'une des gloires de la France musicale. Le programme
de ce concert, qui réunit le concours du compositeur, de M. Sarasate, de
M. ïaffanel et de l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire,
est formé des œuvres suivantes : 1° concerto de Mozart en mi bémol (exécuté
en 1846 par M. Saint-Saëns à son premier concert public); 2" romance de
Bach, pour flûte et orchestre, exécutée par M. Taffanel; 3° deuxième sonate
de M. Saint-Saëns pour piano et violon (inédite), par l'auteur et M. Sara-
sate; 4" cinquième concerto pour piano et orchestre, de M. Saint-Saëns
(inédit), joué par l'auteur.
— Les séances consacrées par MM. Ysaye et Pugno à l'exécution de
sonates pour piano et violon anciennes et modernes laisseront après elle
une impression d'art intense et forte. Un mot peut résumer l'effet produit
par la première: c'est grand. Grand par le choix des morceaux: sonate
n" 3, de Bach, sonate à Kreutzer, de Beethoven, et sonate en lu, de César
Franck; grand par l'ampleur du style de chacun des artistes ; grand par
la conviction des applaudissements et le recueillement de l'assistance. La
deuxième séance : Schumann, sonate en ré ; Saint-Saëns, sonate divisée en
deux morceaux dans lesquels on retrouve, comme dans la symphonie en «(
mineur, les quatre mouvements traditionnels ; Schubert, fantaisie en iil ;
présentait un ensemble d'œuvres moins austères. La poésie, la chaleur et le
sentiment du coloris ont dominé dans l'interprétation de Schumann ; celle
de Saint-Saëns a été particulièrement imposante par la grande puissance de
la sonorité jointe à la clarté, à la concision, au relief du style. Enfin, celle
de Schubert, plus difficile à équilibrer à cause de la contexture un peu
molle de la composition, a été délicate et ferme et a fait ressortir la pensée
souvent capricieuse du maitre avec toute la netteté dont elle est suscep-
tible. Ce qui nous semble le plus remarquable chez les deux artistes, et
cette opinion sera sans doute confirmée dans les dernières séances, c'est
que l'identité absolue de leur manière de sentir et de faire couler le fluide
musical n'enlève à aucun d'eux son individualité propre. Ils n'ont aucune
concession mutuelle à se faire; étant deux, leur interprétation reste celle
d'iin seul cerveau agissant sur deux instruments. Chaque morceau a été
suivi de longues ovations. Am. B.
— M. Sarasate a retrouvé ici ses fidèles admirateurs, et ceux-ci ont
retrouvé en lui non seulement l'incomparable virtuose, mais le grand
artiste au jeu si pur, si sobre, si sûr de lui-même, au style si plein de
noblesse et d'élégance. Ce sont de véritables fêtes que dos séances comme
celles que nous ont values les deux premiers concerts de l'admirable violo-
loniste, dont les programmes étaient absolument exquis. Dans le premier,
le grand quatuor à cordes de Beethoven n° li, la délicieuse Fantaisie en
ut majeur de Schubert pour piano et violon et le quintette op. 5 de Svend-
sen ; dans le second, le beau quatuor op. 41 de Saint-Saëns avec piano, un
quatuor à cordes en mi bémol de Cherubini, œuvre exquise et d'une grâce
enchanteresse, malheureusement trop peu connue, et la sonate à Kreutzer
de Beethoven, chef-d'œuvre dont on n'a plus à faire l'éloge. On sait quel
style M. Sarasate apporte dans l'exécution de la musique d'ensemble, et il
serait superflu d'insister sur ce point, surtout lorsqu'il a des pai'tenaires
tels que MM. Delsari, Parent, van Waefelghem et Guidé. Mais il serait
difficile de peindre la joie et l'enthousiasme du public en l'entendant
jouer, avec M. Diémer, la Fantaisie de Schubert, d'une difficulté si ardue,
et la Sonate à Kreutzer. Si la perfection est de ce monde, c'est bien dans
une telle exécution qu'on la rencontre, et la jouissance qu'elle procure à
l'auditeur le plus délicat est de celles qu'on a trop rarement l'occasion
d'éprouver. Aussi, il fallait voir le succès qui a accueilli les deux artistes,
les applaudissements, les ovations, les rappels dont ils ont été l'objet ! Nous
aurons une nouvelle édition de ce succès aux deux derniers concerts de
M. Sarasate, samedi 16 et mercredi 20 mai. A. P.
— M. E.-M. Delaborde vient de donner, comme il le fait depuis plusieurs
années, une séance de piano unique et s'y est montré une fois de plus
l'interprète inspiré, ardent, passionné, que nous connaissons. Après quel-
ques études très intéressantes de Valentin Alkan, il a dit avec un art ma-
gistral les sonates op. S3 de Beethoven, op. 24 de Weber, il a joué une
ballade de Chopin, de délicats préludes de St. Heller, des romances sans
paroles de Mendelssohn, et une idylle de M. G. PfeifTer avec une sensibi-
lité exquise, et a, pour terminer, ébloui, entraîné ses auditeurs par une
exécution étincelante de trois études transcendantes de Liszt. 1. P.
— La seconde séance de la Société des instruments anciens n'a été ni
moins heureuse, ni moins intéressante, ni moins brillante que la première.
Le programme, formé avec le même goût, comprenait deux jolies pièces
de F. Couperin (sarabande grave) et de Chambonnières (le Moutier) pour
clavecin, viole d'amour, viole de gambe et vielle; des fragments d'une so-
nate de L'OIÎillet pour viole de gambe et clavecin; une délicieuse sonate
de Htendel pour hautbois d'amour et clavecin, délicieusement dite par
MM. Gillet et Diémer; une sarabande de Marais pour viole d'amour; trois
pièces pour clavecin de Couperin, Dandrieu et Rameau, qui ont valu à
M. Diémer son succès habituel; enfin, diverses autres pièces, pour les di-
vers instruments, de Mondonville, Corelli, Chédeville aîné et Rameau, où
nos excellents artistes, MM. Diémer, Delsart, Van Waefeighem et Grillet,
se sont fait couvrir d'applaudissements. Je ne saurais oublier M"" Éléonore
Blanc, qui a chanté, avec son style plein d'élégance, un air de Dardanus de
Rameau, une ariette du Roi et te Fermier de Monsigny et un fort bel air de
la il' cantate de Bach, avec hautbois d'amour et clavecin. — Mardi 19,
troisième et dernière séance, avec le concours de W" Salambiani, pour
l'audition de nombreux fragments d'un opéra inédit de Rameau, les Boréades.
A. P.
— M""'- Preinsler da Silva a donné le 11 mai, salle Pleyel, un concert
des plus intéressants. Après avoir exécuté magistralement la sonate op. 87
de Beethoven, si difficile à interpréter, et l'admirable prélude et fugue de
Mendelssohn op. 3t> (n" 1|, M°" da Silva a fait admirer l'élégance et la
prestesse de son jeu dans nombre de pièces de caractères variés, d'auteurs
divers, auquelles elle a su donner leur couleur particulière; Chopin, Saint-
Saëns, Schubert, Schumann, Massenet etPfeiffer figuraient au programme.
La Campanetla de Paganini, transcrite pour le piano par Liszt, a été, pour
l'aimable artiste, l'occasion d'un véritable succès. Ajoutons que, pour céder
au goût rétrospectif du jour. M"" da Silva a fait entendre, sur un clavecin
sorti des ateliers Pleyel, de ravissants morceaux de Couperin, Rameau et
Daquin. Quels que soient le mérite de ces maîtres et la qualité de leurs
œuvres, nous persistons à croire qu'ils auraient été heureux, pour les
exécuter, d'avoir à leur disposition les merveilleux pianos de Pleyel et
d'Érard. H. B.
— Le public parisien a fait le plus chaleureux accueil à M. Clarence
Eddy, l'organiste américain qui donnait un concert, mardi dernier, au
Trocadéro. Un grand nombre d'organistes, parmi lesquels le nouveau
directeur du Conservatoire, étaient venus l'applandir. On a beaucoup
admiré le jeu brillant et le mécanisme de M. Clarence Eddy, qui peut être
classé, à juste titre, parmi les meilleurs organistes de notre époque.
M"' Rose Ettinget et M. Georges Holmes ont partagé, avec M. Eddy, le
grand succès de cette belle matinée.
— L'autre soir, chez M""-' Marchesi, réception intime, où l'on a entendu
la baronne de Reibnitz chanter plusieurs lieder de son père, M. Schle-
singer. Belle voix de mezzo-soprano, bien timbrée, servie par une méthode
sobre et pleine de goût qui en double l'effet.
— Hier samedi, on a inauguré l'Exposition de Rouen par un grand fes-
tival en l'honneur de M. Massenet, avec le concours de M. Vergnet, de
l'Opéra. Voici quelle était la composition du programme, l'" partie : Ou-
verture de Phèdre, le Dernier Sommeil de la Vierge, Scènes alsaciennes, air du
Mage, méditation de Tha'is et le troisième acte du Mage. 2' partie : Ballet
du Cid, hyménée i'Esctarmondc, troisième acte du Roi de Lahore. La 1" par-
tie était dirigée par M. Brument, la 2'-' par M. Massenet en personne.
Orchestre et chœurs comprenaient deux cents exécutants.
— Mardi 5 mai, la Société des compositeurs normands a donné à Rouen,
dans les salons Leloup, sa huitième audition. Si le programme semblait un
peu chargé avec ses quatorze aumétos, il convient d'observer que la plupart
des morceaux étant de brèves dimensions, la séance n'a point excédé poui'
cela une durée raisonnable. Ajoutons aussi que, contrairement à ce qui
s'était passé l'an dernier, l'orchestre ne régnait pas seul en maître; le piano
tenait sa place, surtout dans l'accompagnement de la partie vocale, et l'on
ne saurait s'en plaindre, puisque, d'une part, on produit ainsi certains
opuscules agréables à entendre mais de trop frêle contexture pour comporter
sans faiblir la masse instrumentale, et que, de l'autre, il reste plus de temps
pour répéter à l'orchestre les œuvres plus compliquées et parfois insuffi-
sammentpréparées.Les instrumentistes sontd'ailleurs excellents; l'ensemble
même serait parfait si, parmi les amateurs qui le composent, quelques-uns
ne se dispensaient trop volontiers d'assister aux répétitions du début. On
se réserve pour la fin et, le grand jour venu, le manque de cohésion se
laisse deviner. Parmi les compositeurs dont le nom figurait au programme,
trois peuvent être mis hors de pair: MM. F. Le Rey, avec des fragments
de son dernier opéra, ta Mégère apprivoisée, A. Donnay, avec deux airs de
ballet, et Georges Rosenlecker, avec une rhapsodie hongroise et une danse
aux flambeaux. Ces auteurs savent écrire, combiner le plan d'un morceau
et lui donner, par les développements et la couleur instrumentale, le relief
160
LE MENESTREL
qui convient: tous les trois ont obtenu un franc et chaleureux succès,
comme aussi le sympathique président de la Société, M. de Montalenl, dont
la mélodie le Tombeau, dite avec goiit par M""^ H. Mallet, est une page
exquise de mélancolie. Il faudrait citer aussi la Berceuse de M. Ch. Anfry,
la Tarentelle de M. Coquelin, enlevée avec brio par M"=Bignou, les mélodies
de MM. Lesens et Le Bref, très iinement détaillées par M. Benoist. Il est
juste, enfin, de rendre hommage au sexe faible, représenté brillamment
par M'^' Delacour-Bonamour et M"<^ Fortier. De la première, un menuet
pour instruments à cordes, de la seconde, une berceuse pour orchestre et
une mélodie chantée par l'auteur ont témoigné d'un sentiment délicat et
d'une écriture déjà exercée. Somme toute, séance intéressante, à laquelle le
public rouennais s'était porté en foule, écoutant avec une attention sou-
tenue et applaudissant avec une énergie très flatteuse pour les interprètes
et les auteurs. C. M.
— C'est le 23 de co mois qu'aura lieu, au Cirque d'Hiver, la quarante-
quatrième distribution solennelle des récompenses décernées par la Société
protecirice des animaux, société reconnue d'utilité publique. Cette belle
et imposante cérémonie sera présidée par M. Urich, président de la
Société. En léte des distinctions figure un diplôme d'honneur décerné à
notre ami et collaborateur Oscar Comettant, pour son remarquable ouvrage
récemment publié, l'Homme tt les Bêles.
— Le jeune et distingué pianiste compositeur Sig. Stojowski donnera
lundi soir 18 mai, à la salle Erard, un très intéressant concert pour l'au-
dition de ses œuvres vocales et instrumentales, avec le concours de
M"<^ Mira Heller, de lO'péra de Vienne, et de MM. Garl Ffirstemberg,
L. Gorski et J. Salmon.
— M"= Hortense Parent donnera en Sorbonne, les lundi 18 mai et I" juin,
à cinq heures précises, deux leçons de pédagogie musicale, dans lesquelles
elle fera l'exposé de sa méthode d'enseignement pour le piano.
— Les Concerts symphoniques populaires du Cirque d'Hiver ouvriront
irrévocablement le jeudi 21 courant, à 9 heures du soir, sous la direction
de M. H. Edeline.
— Au conservatoire de Toulouse, l'exercice annuel a été donné avec
beaucoup de succès. La majeure partie du programme était composée d'oeu-
vres de l'excellent directeur, M. Louis Deffès, et dans son exécution il faut
surtout louer la classe d'orchestre et la classe d'ensemble vocal, très en
progrès. « Au total, écrit M. Omer Guiraud dans l'Express du Midi, un beau
exercice-concert, supérieur en son tout à celui de l'année dernière, v
— Soirées et Concerts. — Salle des Agriculteurs, concert donné par M. G. B. Baron,
avec le gracieux concours de M"" Ganne, très applaudie dans l'air de Sigurd, S.
Kerrion, dont la belle voix a tait sensation, J. Girard, de la Monnaie, parfaite dans
l'air du Barbier, F. Thomas, qui a remporté un grand succès, en récitant le Petit
Alsacien, de Léon Baron, Ftose et Jeanne Bernheim ; MM.de Féraudy, Saint-Ger-
main, Kerrion, l'excellent violoncelliste, G. Launay, le fln diseur, ontétéaussi
très acclamés. A.u programme, Pensée d'automne et Si tu viux mignonne, du maître
Massenet. M. Gabriel Biron s'est fait applaudir dans l'air du Timbre d'argent, de
Saint-Saéns. — Les concerts de M. Alexandre Guilmant attirent toujours un public
sympathique au Trocadéro. Vif succès pour M"» Salla-Uhring qui a superbe-
ment chanté, accompagnée par l'orchestre de M. Gabriel Marie, et pour M. Cor-
nélis Liégeois, violoncelliste d'un talentremarquable. Une délicieuse Berceuse Aë
Th. Salomé et un fma/e de Schumann, transcrits par M. Guilmantpourl'orchestreet
l'orgue ont été très applaudis. Les pièces les plus importantes du concert étaient
les Variations sur un choral et la Fugue en sol majeur, de Bach, que M. Guilmant
a interprétés avec des combinaisons de jeu inusitées au temps de l'auteur et
qui les rendaient parliculièrement intéressantes. — Soirée musicale des plus
brillantes chez M"' la comtesse de Randoz-Strachwitz. La maîlresse de maison
a chanté avec son succès habituel Pensée d'automne, de Massenet. Elle a aussi
admirablement interprété la ballade û'Uta, M"* Niquet-Marochetti remplissait
lapartiedeHulda. M. Gauthier a fort bien chanté le grand airdeSif/»i-d. M.Cham-
bon, de l'Opéra, M. et M"" Pennequin ont également pris part au succès de la
soirée. — Chez la comtesse de Ghennevières, 1res grand succès pour M"' Julie
Bressoles avec les Chansons grises, de Reynaido Hahn, l'air de la folie d'HamIel
et une mélodie de M"' Ugalde. — A l'audition annuelle des élèves de M— Claire
Lebrun, on a applaudi M"" A. T. île Itévc de la marquise. Ad. David), E. S. (A'uits
d'Espagne, F. Godefroid), Van T. {Mandolinata, Saint-Saens - Paladilhe) et, pour
terminer, M. Godebski, M"" Claire Lebrun et M"' Fournie dans la Méditation de
Thais, de Massenet, transcrite pour violon, piano et orgue. — M"" Mobillon a
donné une séance entièrement consacrée aux œuvres de Théodore Dubois, avec
le concours de M"" Mendès, Baude, de MM. de la Tombelle et Cottin. L'impor-
tants fragments de Xavière et d'Aben-Ilamei, plusieurs numéros des Poèmes sijl-
vesires et des Pièces pour piano, des mélodies, des chœurs et des morceaux de
musique concertante ont valu à l'auteur et à ses excellents interprètes de nom-
breux applaudissemen's. — Bonne audition d'élèves de M"" Marguerite Jaillon,
à laquelle on a remarqué M"" Bl.-M. (air de Werllicr, Massenel), Madeleine J.
{Clair de lune, de Werther, Massenet), M. L. (air de Jean de Nivelle, Léo Delibes et
air de Manon, Massenel), M. L. et M'" Jaillon (Guitare, Romance et Marche nuptiale
de Conte d'Acrit, Cb.-M. Widori. Un joli chœur a bien chanté les Crécelles, de
Blanc et Dauphin. — A la matinée donnée par l'Union chorale des Alsaciens-
Lorrains, on a fait fétc à M"' Preinsler da Silva qui a joué Air de ballet et Toc-
cata de Massenef. — Audition des élèves de M" Cœdès-Mougin. A signaler
M"" S.-C. {Sérénade tunisienne, PfeifTer), C. {Gigue, WormEer), J.-L. {Passepied, Dol-
metschi et de G. {Mandolinata, Saint-Saëns-Paladilhe). — Au concert organisé
pour le monument de l'explorateur Treidh-Laplène, on a fait grand succès à
M"' Charlotte Vormèse, dans la sccnedela Czujdà, de JenoHubay, à M"'" Preinsler
da Silva^ dans Air de ballet et ToccaUi, de Massenet, à M"" Remacle, dans le
Caprice de la Heine, de Blanc et Dauphin, et à M'" de Stracliwich, dans la ballade
de Sigurd.— M-» Carembat vient de faire entendre ses élèves, parmi lesquelles
il faut nommer M"" L. {Passepied, Léo Delibes), L. {Air de ballet, Massenel) et F.
{Chœur des chasseresses de Sijlvia, Léo Delibes). — M"'" Lacoste et Lannes ont fait
entendre leurs élèves en une audition des plus réussies et les bravos ont
récompensé élèves et professeurs. Succès mérilé pour M"" Juliette B. {Plaisir
d'amour, Martini), Marguerite R. {Pourquoi? de Laknié, Léo Delibes), M. Charles M.
{Je n'ose, Taglialico), M"" Camille C. {Pe/mv d'automne, Massenet i, Jeanne D. {Les
Oiiielets, Massenet], Juliette et Thérèse I!. iduo du Jloi l'a dit, Léo Delibes),
M"' Georgette D. (romance du Itoi d'Ys, Lalo), M"' Jeanne G. {le Songe d'une nuit
d'été, A. Thomas et IProdiade, Massenet) M"' Jeanne D. et M°" Jeanne P. (duo de
Lakmé, Léo Delibes). — A Bourges, très jolie soirée musicale, donnée par
les escellents professeurs M. et M"* Marquct. On a applaudi surtout M"" G.-B.
dans un air du Portrait de Manon, de Massenet. et dans l'air de la folie à'Ilamlct,
d'Ambroiee Thomas, et M— C. et Cli. dans le duo du Itoi d'Vs, de Lilo. —
Succès très vif pour M"- Schwab, une jeune pianiste élève de iM"- Marie Jaéll,
au concert donné par elle à la salle Pleyel. .Vprès avoir exécuté avec une rare
fermeté le trio en vl mineur de Beethoven en ccmpagnie de M"" Jeanne Meyer
et de M. Van Goêns, la jeune artiste, qui promet une virtuose d'avenir, s'est
fait chaleureusement applaudir dans diverses pièces classiques ou modernes
de Daquin, Mozart, Chopin, Schubert, Schumann, Grieg et Godard.— Le jeune
pianiste Stéphane Niederhofhein vient de donner son concert à la salle Pleyel.
Le public nombreux et enthousiaste qui emplissait la salle n'a pas manqué de
prodiguer au brillant virtuose les applaudissements et rappels, surtout après
l'exécution des morceaux de Chopin et plusieurs pièces de Liszt, notamment la
onzième Rapsodie enlevée avec un brio extraordinaire. M"" Kutscherra prétait
son concours et a contribué dans une la'ge part au succès de la soirée. —
M. Gustave Biume, le renommé professeur de Toulon, a réuni en deux séances
tout à fait brillantea, ses nombreuses élèves, parmi lesquelles il faut retenir les
noms de M"" de J.(l a/se à 3/"< Didi, Lack); B.(Ma/-c/ie de Jean dcNiucllc, l,éo Delibes);
P. {Chanson hongroise, Delioux); G. {Chanson matinale, Lack) ; E. [la Moquerie de
Bertha du Carillon, Massenet); S. (Gigue américaine, Redon); M""* G. {Danse japo-
niise, Wachf);M"« de L. (Printemps nouveau, Landry); R. (Sur les pointes, Landry);
J. [Béve de la marquise, Ad-David ) ; P. {Sérénade, Galeotti), C. ( Valse babillarde,\V&chs);
A. {Valse poétique, G3.leoUi,etEntr'ac'e-rigaudon de Xaviére, Th. Dabois); L.B. (Valse
des Mouches, Landry) : G. (la Mouche, Delahayel ; M. L. (Air d ; Werther, Massenet);
M"= D. (Air de Sigurd, Reyer) et M"' V. (air du Cid, Massenel). On a beaucoup
applaudi YOuverture de Phèdre, de Massenet, et/a Farandole, de Th. Dubois, jouées
à 4 pianos, 16 mains, et on a fait fête à M. J. Baume dans des morceaux de
Chopin, Schumann et Liszt. — Très belle audition d'œuvres de Pfeiffer par les
élèves de M"" Collin. Pendant un intermède artistique, elle a joué à ravir la SeVé-
nade: M"' S.Filliaux-Tigèr s'est faitapplaudir dans ses compositions, notamment
dans Source capricieuse. — La série des quatre concerts de M Alexandre Guilmant
s'est terminée au Trocadéro par une séance des plus artistiques, presque
exclusivement consacrée aux œuvres de Bach. Le brillant organiste a exécuté
avec un art consommé les derniers chorals de Bach, œuvre admirable qui
n'avait pas été encore entendue en France. L?s chanteurs deSain'.-Gervais,sous
la direction de leur chef, M. Charles Bordes, prêtaient leur concours à ce concert
ainsi que M. Paul Séguy, M"' Lafon et M'"" Lovano qui a été bissée après sa
belle interprétation du superbe récit de la Cantate, LiebslerGott. —Remarquable
séance de M"° Muller de la Source. Après avoir entendu des fragments de la Féie du
village voisin, Ae Boieldieu, nous avons applaudi un très beau quatuor vocal du
grand musicien Louis Lacombe, qui prend sa place à cette heure. — Très
brillante matinée des élèves de M"" Aubry. Ont été particulièrementapplaudis:
» Source capricieuse », de L. Filliaux-Tiger redemandée; Retour, de Bizet, Caprice
badin, de Pugno et parmi les œuvres vocales : Nuit d'Espagne et air de Manon, de
Massenet. — Chez M"" Marie-Louise Grenier, très intéressante audition d'œuvres
de M. B.-M. Colomer dont on disnvtoat &pp\3iUd\ Nous cheminions dans le sentier,
C'est ma mignonne amie. Le ciel était bleu. Elle a mis sa toilette claire. On vous admire
bouche close et 0 Mai, roi des jours parfunuis, très bien chantés par les élèves de
l'excellent professeur qui se sont encore signalés dans le chœur des anges de
la Vierge, de Massenet. — Bonne audition d'élèves de M"" Tarpet-Lcclercq. .i
citer M""' M. (Polichinelle, Rougnon) ; R. (Ballerine, Rougnon), C. du P. (Valse
interrompue, Waehs) etB. (Chacmne. Th. DuboisV Chez elle, M"' Tarpet-Leclerq a
donné une soirée qui a permis d'applaudir M"° Goubault, dans l'air dUamlet et
M"" Percheron dSins Source capricieuse, de Filliaux-Tiger. — M"»Barbier-Jussy a
fait entendre ses élèves et les bravos sont allés à W" M. P. (Chanson matinale,
Lacki;M. P. et L. 0. {Valse des Pileuses, Rougnon); M. B., R. M., R. B. etB. J.
(Sevillana de Don ("ésar de Bazan, Massenet) ; M. P. (Caprice pastoral, Diémer). Dans
la deuxième partie, on a applaudi M"' Barbier dans Pépa de G. Mathias, et
M"° Barbier-Juasy, MM. Hammer et Liégeois dans le trio de Benjamin Godard.
— M"" Saillard-Dietz a eu un nouveau succès en faisant entendre ses élèves
dans de nombreuses pièces classiques. Parmi les modernes, on a beaucoup
applaudi Crc'puscuic, de Massenet-Filliaux-Tiger, et Valse arabesque, de Lack. —
M"° Charmois a été plus applaudie que jamais à la matinée de ses nombreuses
élèves. Particulièrement réussis : Charoiine, Th. Dubois; Source capricieuse,
L. Filliaux-Tiger; Causerie sous bois, Pugno, et le Duo de Sigurd, délicieusement
chanté par M"' Charmois et M. Crémel. — La soirée d'élèves données par
M"" Orth et Tritant, dans les salons Rudy, a permis de constater l'excellence
de leur enseignement. Elles s'étaient assuré le concours de M. J. Vergnais,
l'excellent artiste et professeur de violon qui a charmé l'auditoire avec les
souvenirs d'Haydn et la belle sonate de Beelhowen, op. 12. M"»' Orth et Tritant
ont brillamment interprété l'ouverture de Phèdre (2 pianos, 'i mains), de Massenet.
Quant à leurs élèves, elles méritent bien aussi leur part d'éloges. En un mot,
grand succès pour tous les numéros d'un programme des plus intéressants.—
Intéressante matinée d'élèves chez M"' E. Duoasse. Audition consacrée aux
maîtres françiis : MM. Saint-Saens, Massenet,Dubois, Lenepveu, Duvernoy, etc.
Henri IIeugel, directeur-gérant.
r(00. — 62™= mM — \° î\.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dinaoche 24 M li
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET TIIÉATR.ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser FHA^■co à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, iMusique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, le^ frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
L La première salie Favart et l'Opéra-Comique, 3° partie (3' article), .4rthijr
PouGiN. — II. Semaine théâtrale ; répétition générale d'Hamlel à l'Opéra, sou-
venirs, H. MonEKO; première représentation du Grand Gakoto, au Tliéâtre-
Inlernational, Paul-Émile Chevaueii. — IIL La musique et le théâtre au Salon
des Champs-Elysées (4" article), Camille Le Senne. —IV. .Musique et prison
(5" article); prisonniers politiques, Paul d'Estrée. — V. Le monument de
M-' Garvalhc. — Vl. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PRINTEMPS NOUVEAU
de A. L.4NDRY. — Suivra immédiatement : En dansant, e.xtrait des Pastels,
de I. Philipp.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Près de l'eau, n" 2 des Soirs d'amour, de Léon Delafosse. — Suivra
immédiatement: Si je ne t'aimais pas, nouvelle mélodie de E. Mobet, poésie
de E. Habaucourt.
LA PREMIERE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
TROISIEME PARTIE
I (Sulle)
Les nouveaux sociétaires de l'Opéra-Comique avaient l'ait
preuve, au cours de cette année 1833, d'une louable activité.
Loin de s'endormir sur le succèsdu Prè-aux- Clercs, ils avaient,
dans l'espace de ces douze mois, monté dix ouvrages qui for-
maient un total de dix-neuf actes. Leur situation, si digne
d'intérêt, semblait en acquérir davantage parles efforts qu'ils
faisaient pour s'attirer chaque jour les sympathies du public-.
Dès le premier mois de l'année suivante ils allaient offrir
à leurs spectateurs deux pièces nouvelles en un acte, tandis
qu'ils mettraient à l'étude deux grands ouvrages, Lcsiocrj et
l'Aspirant de niarine. Tout paraissait devoir concourir à la
complète prospérité du théâtre qu'ils avaient eu le courage
de remettre sur pied à leurs risques et périls, lorsq'à'une
sorte de complot s'ourdit sournoisement contre eux dans le
but de les détrôner et de changer encore une fois les destinées
d'une entreprise artistique que la mauvaise fortune semblait,
depuis quelques années, poursuivre impitoyablement. Ce
complot finit par réussir, et, fort heureusement, la déposess-
sion des sociétaires, pour injuste qu'elle fût en elle-même.
n'eut pas les résultats fâcheux qu'on en eût pu craindre.
Mais n'anticipons pas sur les événements.
Le 14 janvier voyait la première représentation d'un acte
qui avait dii s'appeler le Propriétaire sans propriété et dont le
titre définitif était le Châleau d'Urtuby. Ce petit ouvrage, dont
le poème avait pour auteurs de Lurieu et Raoul, avait été
mis en musique par Henri Berton fils, qui, frappé par le
choléra, avait été l'une des premières victimes du fléau (1).
C'était une œuvre posthume, que les artistes de l'Opéra-
Comique avaient tenu à entourer de tous les soins et dont
l'interprétation réunissait les noms aimés de Ponchard et de
M""= Pradher, de Révial, Fargueil, Hébert et de M"<= Massy. Le
premier soir, avant le lever du rideau, Henri vint lire une
pièce de vers que les deux auteurs avaient écrite â la mé-
moire de leur collaborateur posthume ; ils eussent pu sans
doute être mieux inspirés, et l'on ne peut leur savoir gré
que de leur bonne intention. Je reproduis pourtant ces vers,
parce qu'ils sont comme une sorte de petit document histo-
rique:
Un fléau d'affreuse mémoire
Naguère épouvantait Paris;
Vertus, beauté, talent et gloire.
Rien ne put le fléchir: il fut sourd à nos cris...
Henri Berton, tenant la lyre.
Tomba foudroyé sous ses coups;
Les derniers chants, enfants de son délire,
L'infortuné les modulait pour vous.
Bientôt vous alle^ les entendre.
Lui seul, hélas! il manque au rendez-vous.
Qu'il eût été joyeux d'être au milieu de nous !...
Ses amis empressés seraient venus lui prendre
La main, en lui disant: «c'est bien... «
Celte main s'est glacée... Et de ce cœur si digne
De ce feu créateur, il ne reste plus rien...
Ces chants pleins d'avenir étaient le chant du cygne.
Vous les adopterez, oui, messieurs, car son nom
Du succès fut toujours le gage;
Oui, son aïeul, Pierre Berton,
Par ses accords enivrant un autre âge,
De Gluck lui-même obtenait le suffrage.
Plus fier, plus mâle en ses accents.
De son fils le brillant génie
Grandit encore avec les ans.
Et dans la France entière on répète les chants
Et à' Aline et de Stéphanie.
Ainsi la gloire, aimant à proclamer ce nom.
Sur ces tables d'airain grava trois fois : uerton.
Henri, console-toi puisqu'en mourant tu laisses
Pour héritage à tes enfants
Trois générations de talents :
C'est la plus belle des noblesses.
(I) Henri Berton, né le 3 mai 1784, était le fils naturel de l'auteur d'Aline et de
Monlano et Stéphanie et de M"" Maillard, la célèbre canlatrice qui fut, à l'Opéra,
ia rivale de la Saint-lluberty. Il mourut à Paris le 15 juillet 1832.
162
LE MENESTREL
De ses travaux lorsqu'il n'a pu jouir,
Pour un artiste qui succombe
C'est, hélas ! bien plus que mourir.
Ce fut le sort d'Henri... Grâce à vous, sur sa tombe.
Que ses enfants, quand ils iront prier,
Puissent porter demain quelques brins de laurier.
Au Château d'Urtuby succédait, le 23 janvier, une bouffon-
nerie de carnaval en un acte intitulée une Bonne Fortune. Adam
avait écrit la musique de cette pochade, qui obtint un succès
assez vif, sur un livret dont les auteurs, qui se firent appeler
Edouard et Second étaient en réalité Mennechet et Feréol (1).
Ce fut là le dernier ouvrage que les sociétaires purent
mettre à la scène. Déjà la petite conspiration dont j'ai parlé
commençait à se tramer dans l'ombre. Dès le 4 janvier, on
lisait dans le Courrier des théâtres : « On dirait qu'il y aura in-
cessamment quelque chose de nouveau à l'Opéra-Gomique.
II serait possible que ce fût une de ces choses, bonnes en
elles-même, et qui le sont encore davantage appuyées d'une
excellente subvention. » Gela indiquait bien la possibi-
lité d'un changement de régime. Il est certain que dès lors
on cherchait à miner la situation des sociétaires et celle de
Paul, leur gérant, qui, le 20 janvier, faisait publier cette
petite note: « M. Paul réclame contre une assertion dénuée
de fondement, d'après laquelle il cesserait de gérer le théâtre
de rOpéra-Comique ». Il n'y a pas de fumée sans feu, dit le
proverbe ; du moment que Paul se défendait, c'est qu'il se
sentait en danger. En effet, les agents de destruction étaient
à l'œuvre, sans savoir encore ce qu'il pourrait advenir de
leur succès et par quoi l'on remplacerait ce qui existait.
Les auteurs eux-mêmes se liguèrent contre les excellents
artistes qui avaient relevé le théâtre et auxquels ils auraient
dû de la reconnaissance puisque, après tout, ceux-ci leur
avaient rendu les moyens de se produire et de se faire jouer.
Aune distance si grande il est difficile, assurément, de juger
avec impartialité des faits dont on ne eonnait qu'imparfaite-
ment les causes. II me parait pourtant fâcheux de voir qu'à
la tète de cette ligue contre l'Opéra-Gomique se trouvaient
deux hommes comme Scribe et Auber, dont on répétait pré-
cisément un ouvrage en quatre actes, Lestocq, en l'entourant
des plus grands soins. II est certain, néanmoins, que la
guerre était déclarée, et qu'on en arrivait à réclamer ouverte-
ment la déchéance de la société (2).
« L'Opéra-Gomique (disait le Courrier dans son numéro du
21 février) est en butte à des menées qui tendent à l'ébranler
dans ses fondements, sans espérance de reconstruction.
L'autorité n'est pas encore bien sûre du parti qu'elle doit
prendre dans cette affaire. » L'autorité, en effet, déjà ne
savait auquel entendre. Dès qu'on avait cru apercevoir une
brèche dans la place, tout le monde voulait y entrer, et du
moment que le régime de la société paraissait condamné,
les candidats à la direction pleuvaient de tous côtés, quel-
ques-uns apportant les idées les plus bizarres et les projets
les plus saugrenus.
Ce fut d'abord Delestre-Poirson, directeur du Gymnase, qui
l'un des premiers se mit sur les rangs ; puis Crosnier, dont
l'administration à la Porte-Saint-Martin, de 1830 à 1832, avait
été brillante ; puis Ferdinand Laloue, l'un des directeurs du
Cirque-Olympique ; puis Mira, administrateur-caissier de
l'Opéra, celui-là même qui avait tué en duel l'infortuné poète
Charles Dovalle ; puis encore Troupenas, le fameux éditeur
de musique ; et Loève-Weimar, l'écrivain distingué, le tra-
it) Second était le véritable nom de Péréol,qui n'était qu'un pseudonyme.
(2) C'est par un mémoire présenté au ministre, et qui portait les signatures
de Scribe, Auber, Mélesville, E. de Planard, Dupeuty, Carmouche et Carafa, que
la guerre fut indirectement déclarée par les auteurs — c'esl-à-dire par certains
auteurs — aux sociétaires de l'Opéra-Gomique. Ce mémoire, dont je n'ai pas
trouvé le texte, réclamait la « régénération » de ce théâtre à l'aide d'un chan -
gement de régime. On remarquera, en même temps que le petit nombre des
signatures qui y étaient inscrites, l'absence de celle d'auteurs et de compositeurs
les uns déjà chevronnés, les autres heureusement connus, tels que Saint-
Georges, Vial, Saintine, Mennechet, Bayard, Boieldieu, Berton, Halévy, Adam,
Blangini, etc., etc.
ducteur élégant d'Hoffmann et d'Henri Zschokke ; et les frères
Dartois, directeurs des Variétés ; et le vatidevilliste Car-
mouche, époux de la toute charmante Jenny Vertpré ; et
Alphonse Cerfberr, frère ou neveu de Max Cerfberr, l'admi-
nistrateur de l'Opéra-Gomique, que sais-je?
(A suivre.) Arthur Pougin.
SEMAINE THÉÂTRALE
RÉPÉTITION GÉNÉRALE DHAMLET A L'OPÉRA
SOUVENIRS
Voilà plusieurs années qu'on avait interrompu le fil des leprésen-
tations i'Hamlet à l'Opéra, et c'était un tort. Car il est peu de parti-
tions françaises qui soient d'une plus belle tenue et qui contiennent
plus de pages d'aussi rare élévation.
Avec l'abandon injustifié de Françoise de Rimini, cette interruption
dans le cours des destinées i'Hamlet fut un des chagrins qui attristè-
rent les dernières années d'Ambroise Thomas. C'était un simple qui
ne menait pas grand tapage. Avec sa haute situation si dignement
acquise, il eiit pu, autant que tout autre, se plaindre bruyamment
près des puissants du jour, encombrer les ministères de sa personne
et réclamer la représentation légitime de ses œuvres. Il n'en fit rien
et soufTrit patiemment, — mais le cœur plus ulcéré qu'on ne sup-
pose, — de se voir ainsi écarté du répertoire de notre première scène
lyrique.
Aujourd'hui, on peut croire que tout est réparé ; mais il n'est plus
là pour en jouir. Au moins eut-il cette ultime consolation de se voir
acclamé et porté pour ainsi dire, encore tout vivant, dans une auréole
d'apothéose, lors de l'exécution à ce même Opéra du superbe pro-
logue de Françoise de Rimini, enfin compris, — cela peu de jours avant
sa mort.
* *
La première représentation i'Hamlet nous reporte au 9 mars 1868 et
remue tous nos souvenirs de jeunesse. Par notre situation même,
nous suivîmes de près l'enfantement et l'éclosion de cette œuvre.
Nous avons pu voir au jour le jour toutes les angoisses, les troubles,
les incertitudes du compositeur. C'était une dure lutte que de se
prendre ainsi corps à corps avec le drame de Shakespeare : il en sor-
tirait brisé, bien sûr. Qu'avait-il entrepris? Et c'étaient des doutes,,
des désespoirs sans cesse renouvelés, avec pourtant des lueurs plus
roses par instants, quand un motif lui était venu « assez dans la
nuance », pensait-il. En ces océasions-là, nous avions coutume de
lui offrir du chocolat, dont il était très friand et qu'il savait trouver
au Ménestrel. C'était une manière d'encouragement qu'il acceptait en
souriant.
Enfin, vaille que vaille, l'œuvre était debout. Il fallait bien, en
tenter la représentation, ou bien alors abdiquer et se rendre sans
combat.
D'ailleurs Emile Perrin, It tyran d'alors à l'Opéra, était là qui
veillait et qui en voulait bien du combat, lui! Et on se mit en-
mouvement pour trouver des interprètes. Hamlet, c'était Faure; voilà
qui était certain. Mais Ophélie ? II y avait alors au Théâtre-Lyrique
une jeune cantatrice blonde, Christine Nilsson, qui faisait déjà beau-
coup jaser et qui commençait à avoir prise sur Paris. L'éditeur de
la partition poussait de ce côté.
Perrin n'était pas un homme agréable, oh I non. Il était fort sec
et autoritaire. Mais il savait vite prendre un parti et voyait juste
à l'ordinaire: « Nilsson, soit, dit-il; tenez, voici mon blanc-seing.
Traitez au mieux. Je m'en rapporte à vous. » L'éditeur se tourna
alors vers M"» Nilsson, lui demanda également sa signature en blanc,
et décida, dans sa sagesse, du pacte honorable qui devait intervenir
entre les parties. C'est de cette façon originale et expéditive, qui
ne supportait ni lenteurs, ni discussions, que fut conclu cet enga-
gement important.
Que vois-je encore? Je vois les librettistes se démener, mon grand
Barbier plein de feu et d'enthousiasme, avec des effluves au bout des
bras, s'enlevant comme une soupe au lait et s'apaisantdemême, cœur
chaud et vive imagination; Michel Carré, plus calme, très ferme et
très concentré, avec une allure de militaire pas toujours commode.
Je revois mon pauvre cher père avec sa figure si fine, son art
des nuances, son intelligence loyale, souple et déliée, — un esprit
politique égaré dans l'édition.
Je vois tout cela et j'en suis troublé. Comme c'est loin I
Je me rappelle encore les paresses dernières de Thomas, qui ne
se décidait pas à écrire le ballet qu'on lui demandait pour le com-
LE MENESTREL
163
meneement du quatiième acte. Eu ce temps-là, pas de salut à
l'Opéra sans un ballet au milieu de raelion. Les abonnés ne transi-
geaient pas sur ce point. Un beau jour, san s autre forme de procès,
Perrin mit sous clef le compositeur dans une chambre du théâtre même,
en tête à tête avec une plume et du papier à musique, avec aussi
nue boîte de cigares excellents que Thomas ne prisait pas moins que
le chocolat : « Et voilà, mon bonhomme, tu sortiras de là quand ton
ballet sera terminé. » On lui passait les repas par l'entrebâillement de
la porte. Le traitement était énergique, mais il réussit à miracle.
Pour recouvrer sa liberté, Thomas se mit à « faire de la dentelle »
— c'est ainsi qu'il appelait travailler sur des airs de ballet — et au
bout de quelques jours il en avait fini avec cette besogne de choré-
graphie. C'était cette lumineuse « Fête du printemps », qui eut
par la suite quelque succès.
Faut-il parler des répétitions? des nouvelles angoisses, des luttes
sourdes, des petites trahisons qui accompagnent toujours ces sortes
de travaux préliminaires? Dans les coulisses, on prédisait couram-
ment à l'œuvre qu'elle n'aurait pas dix représentations!
C'est qu'à l'époque, il faut le reconnaître, Hamlet était une œuvre
courageuse et avancée, faite pour dérouter bien des esprits. On le
vit bien à la première représentation, où la partition fut en général
peu comprise. La presse fut embarrassée dans ses jugements. On sentit
bien qu'on était en présence de quelque chose de peu ordinaire. Mais,
faute de compréhension parfaite, on n'osa formuler trop fort ni l'éloge,
ni d'ailleurs le blâme.
Ce fut l'admirable interprétation de Faure et de Nilsson qui sauva
tout au début. On vint pour les entendre, et en même temps on s'ac-
coutuma à cette musique qu'on trouvait d'abord revêche et qui n'était
que sévèrement belle.
A présent nous n'avons ni Faure, ni Nilsson. Mais nous avons eu
Renaud et Melba, et nous n'avons pas à nous plaindre vraiment. Le
premier a composé un Hamlet très intéressant, celui qui se rapproche
le plus de celui qu'avait conçu Faure à l'origine et dont on semblait
avoir perdu la tradition. J'entends par là que M. Renaud se rapproche
beaucoup de la manière de chanter qu'avait Faure, mais il a donné
au personnage une autre physionomie et d'autres allures. Au résumé,
composition intelligente qui fait le plus grand honneur au jeune
artiste. Son succès a été très vif et très légitime.
M""^ Melba a été étinaelante. Sa voix est toujours d'un charme mer-
veilleux et d'une fraîcheur incomparable, et, de plus, elle met plus
d'action dans son jeu qu'auparavant. On l'a fort acclamée après la
scène de la folie et rappelée plusieurs fois à l'avant-scène.
Très belle reine que M""' Deschamps-Jehin, applaudie de plusieurs
salves après son air du 2' acte ; très agréable Laërle que M. Vaguet,
et roi imposant que M. Qresse.
L'orchestre devra encore s'assouplir, s'il veut nous rendre les belles
exécutions d'autrefois. C'est un peu sec et raide de mouvement, sans
assez de « flou » et de laissez-aller, quand il en faut. Il y a même une
chose tout à fait mauvaise dans l'accompagnement de la belle mélopée
d'Hamlet : Spectre infernal, à la scène de l'Esplanade, c'est d'accen-
tuer aussi rudement le troisième temps et d'en faire presque une
triple croche. Il n'y a rien de tel dans la partition et l'efFet du mor-
ceau s'en trouve compromis. Il n'y faut que d'égales doubles croches.
Nous ne sommes pas inquiets, d'ailleurs, et nous savons bien
qu'avec un chef de l'intelligence de M. Paul Vidal bien des petites
imperfections, inhérentes à toute répétition, auront disparu le soir
■de la première représentation.
H. MORENO.
Théâtre inteenational. Le Grand Galeoto, drame en 3 actes et 1 prologue, de
M. José Echegaray, traduction de M°" Ratazzi de Rute.
Encore le Grand Galeoto, auquel le Théâtre des Poètes, voilà un
mois, nous initia déjà, et encore un théâtre à côté de plus. Ni de l'un,
ni de l'autre, le besoin ne se faisait impérieusement sentir. On vous
a raconté dans les quotidiens les réclamations de M"" de Rute à pro-
pos de la traduction de MM. Lemaire et Schurmann; passons. Ce qui
nous intéresse, d'ailleurs, est de savoir laquelle est la meilleure des
deux traductions ; et, malgré mon ignorance absolue du texte origi-
nal, malgré la difficulté ressentie à juger sur une simple et assez
défectueuse audition, mes préférences vont à la version première
d'exécution plus condensée, de faire plus viril et, par suite, d'effet
dramatique plus intense. M"" de Rute doit être traductrice beaucoup
plus fidèle et, s'il y a plus de clarté dans sa version, jouée sur la
scène du Nouveau-Théâtre, que dans celle de MM. Lemaire et Schur-
mann, il y a aussi plus de longueurs et d'inexplicables enfantillages.
tel celui de donner à deux Espagnols, qui ne parlent que de choses
espagnoles, des noms essentiellement français. Julien et Ernest,
Ernest surtout, font bizarre figure à côté de Théoiora, de Mercedes
et de Pépito.
N'empêche que le drame de M. Echegaray demeure, même au tra-
vers d'adaptations incomplètes, une œuvre d'ordre. Interprétation très
ordinaire ; seuls M"" Archaimbaud et M. Teste arrivent, par moments,
à arrêter l'attention du spectateur.
Paul-Émilb Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Quatrième article.)
Au Champ-de-Mars, où l'on peut faire plafonner les plafonds, pas
de plafonds qui plafonnent. Aux Champs-Elysées, où le plafond pla-
fonnant enlèverait la lumière, sur presque toutes les grandes murailles
des plafonds qui auraient besoin de plafonner mais qui ne plafonnent
pas. Explique qui voudra ce mystère, ou qui pourra justifie cette
coAtradiction. Je me contente de déplorer devant les Gammes d'amour
de M. Marioton — un joli titre et un sujet qui se développe mal dans
la position du tableau. Ces comparses en costumes Watteau, ces
figurants d'un nouveau départ pour Gylhère, cette illumination a g'iorao
qu'accompagnent les modulations d'un orchestre lointain, autant
d'éléments pour un ciel de rêve, autant de contresens ou d'énigmes
sur un plan vertical. Le plafond de M. Paul Gervais, avec ses curieuses
études de nu qui prennent un caractère téralologique sur la cimaise,
gagnerait aussi à s'envoler dans l'azur. En revanche, l'harmonieuse
composition de M""= Abbema, Parfums :
Sur l'aile des parfums, la beauté demi-nue,
Païenne assomption s'élève dans la nue.
Fleur immortelle ayant emprunté ses couleurs
Au calice jaloux de nos mortelles fleurs...
plafonne très suffisamment dans son cadre de clématites, de roses et
de jasmins. On peut également apprécier l'ingénieux groupement du
grand plafond de M. Maignan : la ville de Saint-Étienne présentant
à la France les produits de sou industrie. Le peintre a tiré bon parti
des effets de lumière que lui offraient les hauts fourneaux avec la
richesse de leur rouges cramoisis et de leurs orangés éclatants.
Quant aux jeunes personnes en costumes sommaires qui ont l'air de
se livrer d'un nuage à l'autre au noble jeu des serpentins renouvelé
du mardi-gras, ne vous y trompez pas, leur occupation n'a rien de
carnavalesque. Elle symbolisent la rubanerie et ce sont les produits
de l'industrie locale qu'elles déroulent dans le rectangle très allongé
de la composition.
Un artiste américain, M. Dodge, expose aussi un plafond fort
classique: l' Ambition, destiné à la Bibliothèque nationale de Washing-
ton et dont la grisaille ne causera aucune distraction aux lecteurs.
Mais cet art officiel n'a rien qui nous intéresse bien spécialement.
Revenons à notre propos avec la grande frise de M. Henri Martin,
décoration allégorique pour l'Hôtel de Ville de Paris. Cette fois, il
s'agit des beaux-arts. La page — énorme! elle couvre tout un mur —
symbolise la Musique, la Sculpture et l'Architecture en frise dévelop-
ée au-dessus de trois arcades à plein cintre formant quatre
ecomçons.
On sait que M. Henri Martin est devenu pointilliste, et comme
tous les néophytes majeurs, sinon tardifs, il est plus fervent des
nouvelles doctrines que les croyants originels. Aussi la frise, vue de
trop près, donne-t-elle l'impression gênante d'un fourmillement de
pains à cacheter multicolores, ce qui est simple point dans un
tableau de chevalet se transformant en petite lune sur un panneau
décoratif. Mais, en prenant un peu de champ, on distingue les figures
principales. Un vieillard à barbe blanche qui écoute en extase des
voix d'enfants, des figures séraphiques, une porteuse de lyre, voilà
la Musique. Et si ce n'est pas très neuf, c'est au moins vivant et
harmonieux. Le sculpteur en costume de tailleur de pierre du
moyen âge, court sarrau et grand tablier de, cuir, médite pendant
que de petits anges — des populots comme on les appelait au temps
de Jean Goujon — lui présentent des statuettes. Ce statuaire pourrait
bien être le portrait de Dampt, un des plus passionnés ouvriers du
métal. L'Architecture, plus vague, est représentée par une petite fille
qui déploie un plan. Derrière tous ces personnes, d'une vie parfois
étrange mais intense, un fond de tapisserie: verts sombres, jaunes
pâles, et des lierres, et des chardons, et des ronces!
164
LE MÉNESTREL
M. Bonis, également appelé à décorer notre parloir aux Bourgeois
devenu le hall aux contre-danses économiques, — Jules Jouy aurait
dit l'étuve aux transpirations gratuites, — exposait l'année dernière
les Exercices physiques, courses de vitesse, balle-au-pied, etc. Il a
envoyé cette fois les Exercices intellectuels. Tous exercices de plein
air, géologie, herborisation, etc. Les personnages sont en toge, mais
les attitudes et le décor bien modernes. A.u demeurant, bonne déco-
ration murale.
Si le parc Monceau n'existait pas, il faudrait l'inventer pour nos
metteurs en scène de vastes compositions symboliques. M. Gabriel
Ferrier a pris la colonnade en ruines (en fausses ruines, dont il faut
réparer chaque année, aprss les grands froids, les chapiteaux en
plâtre moulé), il a remplacé le lac où barbotent des cygnes phtisi-
ques par un gazon plus émaillé de fleurs qu'un sonnet d'Armand
Silvestre, et il a fait s'ébattre dans cette atmosphère ensoleillée les
figurants de son Paradis d'amour : bacchantes aux tons iouguereautés,
Amours aux ailes de papillons, tout un cortège féerique — le songe
d'une nuit d'été par un beau jour de printemps. En toute sincérité,
et malgré l'estime que je professe pour le talent de M. Gabriel Fer-
rier, un des rares admirateurs sincères de la beauté nue et de la lu-
mière crue, je regrette la nuit d'été, avec ses transparences, ses om-
bres, ses sous-entendus. Ge grand plein-air baignant tant de corps
pâmés, en fait un bazar de chair fraîche plutôt qu'un paradis de ten-
dresses, et moins un tableau qu'une exhibition.
Le parc Monceau de M. Pelez est d'un ton plus vert, plus cru que
celui de M. Gabriel Ferrier; le gazon, l'horrible gazon-épinard, y
tient tant de place qu'il serait imprudent de le regarder sans lunettes
bleues. Mais il fallait au peintre cette mascarade décorative pour
faire ressortir la conception symbolico-fuligineuse qu'il intitule
l'Humanité. A droite, des nourrices aux corsages opulents, des
bébés aux chapeaux fleuris, de grosses bourgeoises vulgaires, mais
bien sanglées dans leurs robes aux couleurs voyantes (trait d'obser-
vation d'ailleurs contestable) ; à gauche, un lot d'indigents plus
loqueteux, plus miteux, plus miséreux que nature, ayant tous uni-
formément un ton de fièvre paludéenne. Les maigres adressent aux
gras des regards d'envie, et près d'un Prudhomrae ventru, digérant
sur une chaise, un grand escogriffe à figure patibulaire semble mé-
diter le coup du père François. Entre les deux groupes, au milieu
des plantes rares, se dresse l'inattendue végétation d'une croix où
gît un Cbrist immense et vaporeux.
On assure que M. Pelez croit avoir trouvé, sinon l'inspiration, du
moins la justification de son œuvre dans un passage des Harmonies
(sur l'image du Christ écrasant le mal) :
Tu l'as mal écrasé. Christ, ce reptile immonde
Que toute société trouve sur son chemin.
Deux mille ans sont passés, et l'homme attend encore;
Ah ! remonte à ton père, ange de l'avenir.
Et dis-lui que le soir a remplacé l'aurore,
Et que le don céleste est trop lent à venir...
Mais je doute fort que Lamartine fût satisfait de l'assimilation. Il
n'y avait que pitié et appel à la charité dans les Harmonies; il y a
une pensée de colère et de socialisme militant dans l'opposition
d'ailleurs encore plus puérile que brutale des déguenillés et des
heureux, des jeunes femmes élégamment parées et des hâves pau-
vresses, des babys en cire rose et des mendigos scrofuleux. Un souffle
de guerre civile traverse cette grande imagerie et l'enluminure n'est
plus inoffensive.
Autre symbolisme, en costumes modernes : l'Angoisse humaine de
M. Georges Rochegrosse. Au sommet d'un pic très accessible, car il
ne reste pas un pouce de terrain inoccupé, une foule d'ascensionnis-
tes poursuivant l'éternelle chimère. On se piétine, on s'écrase ; les
struggle-for-lifeurs jouent du coude et même du couteau ; des taches
de sang éclaboussent les plastrons, une superbe personne en robe
d'un vert encore plus superbe lève au ciel de beaux bras éplorés... On
se croirait au dénouement d'un roman jadis célèbre d'Arsène Hous-
saye : /.es mains pleines d'or, pleines de roses et pleines de sang. Beaucoup
de littérature, énormément de toile, peu de peinture. M. Rochegrosse
est brillamment doué pour les restitutions historiques. Qu'il'laisse
aux portraitistes officiels le fastidieux trompe-rœil des linges empesés
et des habits noirs.
Le maître-peintre Fantin-Latour nous ramène à un art plus clas-
sique. Sa Toilette de déesse et sa Vénus entourée d'Amours pourraient
bien être les deux toiles du Salon qui accusent le plus de style et de
science classique. Une harmonie délicate pénètre la Toilette et tous
ces Ions plutôt sévères, bleus violets, terre de Sienne, vert profond,
sont dans leur ensemble une joie pour le regard. C'est Vénus qui
centre l'autre composition, une Vébus étendue, svelte et fine, toute
imbibée de lumière. En somme, deux tableaux de musée où passe
avec la fanfare romantique, subtilement atténuée, un vague reflet de
Delacroix.
Dans une note toute différente, le Tendre Automne de M. Sleck,
une des compositions les plus appréciées du Salon. Pas un chef-
d'œuvre, mais une œavre intéressante, reposante, suggestive, comjue
on dit dans l'argot courant; le crépuscule tombe sur un grand parc
dont l'automne a di^jà rouillé les verdures; à teire, d'épaisses gra-
minées; le ton argenté et cendré à la fois des avenues de Ville-
d'Avray chères à Corot. Au premier plan, un jeune homme étendu sur
l'herbe se tourne d'un air souriant vers une jeune femme debout et
piquant une fleur dans ses cheveux. D'autres figures féminines et
une fillette chargée d'une gerbe fleurie complètent ce tableau, discu-
table si l'on s'attache à chaque personnage pris isolément, tout à fait
réussi et d'un charme rare si l'on recherche le fondu des détails,
l'unité de l'exécution, l'ambiance.
Terminons par une impression plus tragique, un énorme tableau
d'histoire: tes Bouches inutiles de M. Tattegrain. Et d'abord, uu petit
précis. En 1203-1204, Philippe-Auguste, travaillant à repreLdre la
Normandie aux Anglais, assiégeait Château- Gaillard, forteresse
élevée près des Andelys par Richard Cœur de Lion (le même Châ-
teau-Gaillard où la Marguerite de Bourgogne de la Tour de Nesle: —
Messeigneurs, à vos épées ! — devait mourir étranglée). La garnison
des Andelys fit sortir de la ville femmes, enfants et vieillards: Phi-
lippe-Auguste refusa de laisser passer ces bouches inutiles et. les
pauvres gens restèrent pendant quatre mois, dit la chronique, au fond
d'un fossé bourbeux, o vivant d'herbes, do racines et enfin des cada-
vres de leurs compagnons ». M. Tattegrain a groupé, en habile dra-
maturge, ces spectres déguenillés s'arrachant des lambeaux de chair
humaine. Mais comme l'auteur du célèbre Champ de bataille des Dunes
est surtout un paysagiste, ce qu'il y a de plus admirable dans tes
Bouches inutiles, c'est le panorama de Château-Gaillard. Ohl le beau
décor pour mélodrame historique à spectacle, et quel cadre poétique
pour le réalisme de ces scènes trop vécues!
(A suivre.) Camille Le Senne.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONNIERS POLITIQUES
Sous ce même régime, qui ne fut guère tendre pour l'esprit libéral,
sans doute parce qu'il avait à se défendre des entreprises révolution-
naires autant que des restaurations bonapartistes, le colonel Duvergier
et le capitaine Laverderie avaient été écroués à Sainte -Pélagie comme
prévenus de complot contre la sûreté de l'Etat.
Les détenus politiques avaient, ainsi que les prisonniers pour
dettes, leur pavillon séparé; mais ils prenaient leur récréation quo-
tidienne dans la même cour, seulement à des heures différentes,
l'administration voulant éviter toute espèce de communication entre
ces deux catégories de promeneurs.
Or, à cette époque, un jeune poète, qui devint plus tard un impro-
visateur célèbre, Eugène de Pradel, était retenu sous les verrous par
un créancier impitoyable. Malgré la surveillance ombrageuse des
porte-clefs, il entra en correspondance avec Duvergier et lui fit savoir
que des amis projetaient son évasion. Le colonel répondit, toujours à
l'insu des geôliers, qu'il ne quitterait la piison que s'il avait pour
compagnon de fuite le capitaine Laverderie.
Eugène de Pradel imagina aussitôt ce quatrain, qu'il transcrivit
sur du papier à musique, sous des notes jetées au hasard :
Pour chercher des rives nouvelles.
Oiseaux, le ciel aide à vos vœux;
Afin que vous voyagiez deux,
A tous deux il vous fit des ailes.
Puis il pria négligemment un gardien de porter au colonel cette
poétique improvisation. Le cerbère n'y vit aucun inconvénient et
remit au destinataire le couplet dont les prisonniers seuls pouvaient
saisir l'allusion. Il daigna même le trouver de son goût puisqu'il en
fredonna le dernier vers sur le premier air venu :
A tous deux il vous fit des ailes.
Et, de fait, quarante-huit heures après, les captifs avaient pris leur
vol, grâce à un laissez-passer que Pradel leur remit en mains propres,
lorsqu'ils purent, à l'issue d'une promenade, se cacher et se joindre
aux prisonniers pour dettes.
LE MÉNESTREL
165
Ceux-ci niouaioal une vie presque agréable à Sainte-Pélagie. De
leur côté, les détenus politiques qui venaient y subir leur peine s'y
consolaient gaiement des sévérités de leurs juges. Béranger expia
dans des dîners plantureux, le verre en main et la chanson sur les
lèvres, ses prétemlus torts envers le gouvernement, la religion et les
mœars. Les murs de sa prison ne purent arrêter l'essor de ses refrains:
Ma guérison à Sainte-Pélagie en est la meilleure preuve. Combien
d'émulés ou de disciples avaient précédé ou suivirent dans cette voie
peu douloureuse le maître de la chanson ! En 182S, un recueil de
pièces politiques, grivoises et bachique.», la Marotte de Sainte-Pélagie
ou Momus en prison, réunissait les œuvres que les hôtes du fameux
Corridor rouge, poètes du Caveau ou rimeurs de la Goguette, avaient
composées dans l'intimité de leurs réunions ou dans le calme de la
solitude. De Villars, Eugène de Pradel, Magalon, Emile Debraux,
etc., etc., appartenaient à la pléiade de ces joyeux viveurs. Cueillons,
au hasard de la plume, sur leur album.
M. de 1.*** chantait sur l'air des Scythes et des Amazones :
Le bouchon part et la mousse légère
De la folie a donné le signal.
Que la liqueur brille dans chaque verre!
Buvons l'oubli du séjour quinquennal (bis).
La Liberté retarde sa visite;
Près des flacons, amis, consolons-nous;
Dans leurs anneaux, pour qu'ils glissent plus vite.
Soir et matin, arrosons les verrous. j
(bis).
Dès amis du dehors venaient souvent partager ces fêtes de famille.
Le célèbre guitariste Sor, invité à l'une d'elles, avait promis d'y ]iar-
ticiper : un événement imprévu l'empêcha de tenir parole. Par
manière de plaisanterie, un détenu, Charles Grillé, offrit la place de
l'absent à son geôlier ; d'oîi le couplet :
Je viens d'inviter sans façon.
Pour que la farce soit complète,
Notre gardien à cette fête,
Mais voici ce qu'il nous répond:
— Prendre part à votre délire,
Messieurs, n'est pas en mon pouvoir;
Ma place me défend de rire;
Je ne connais que mon devoir.
Toutefois, des heures cruelles sonnaient parfois pour ces joyeux
compagnons. Le sortdes condamnés politiques n'élait que trop soumis
alors aux caprices de l'arbitraire. Il suffisait de l'irritabilité d'un
magistrat ou de la rancune d'un policier pour qu'un journaliste
indépendant fût transféré de Sainte-Pélagie à la maison centrale de
Poissy. Le maityrologe de la presse a consigné l'histoire de l'infor-
luné Magalon, qui traversa tout Paris les fers aux mains et aux
pieds, enchaîné à un forçat que dévoraient la vermine et la gale. Ce fut
un ïo//e général dans tous les journaux du temps; et Chateaubriand
lui-même, chez qui le mot roi/ilisine était synonyme de loyalisme,
exprima hautement son indignation. D'autres journalistes, qui furent
également envoyés à Poissy, supportèrent plus patiemment cet affront.
L'un d'eux, Villars, trouva dans sa constance assez de bonne humeur
poua chanter un séjour qui fut d'ailleurs de courte durée. Le diman-
che, paraît-il, les pensionnaires de la maison centrale jouaient entre
eux la comédie; et "Villars décrit, dans ce couplel, la diversité de leurs
divertisfements :
Le lendemain du samedi
La messe est d'ordonnance.
Ensuite, ce n'est qu'un seul cri :
La savate ou la danse!
Nous allons voir le pugilat,
La faridondaine, et puis l'Opéra.
Nous nous amusons. Dieu merci,
Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.
Autrement dramatique fut la captivité d'Andryane, de Monpiani,
de Rinaldini, de Silvio Pellico, de Maroncelli, en un mot, de tous
ces grands patriotes italiens que l'Autriche enchaîna si longtemps au
Spielbsrg. Leur seul crime était d'avoir prononcé trop lot la fameuse
T^ihrase : l' Ilalia f'ara da se ; et ils succombèrent dans une tâche qui,
reprise à quarante ans d'inlervalle, devait valoir à leurs successeurs
tant d'honneur et d'honneurs, et à la France de si cruelles décep-
tions.
Andvyane et Silvio Pellico payèrent leur généreuse initiative d'une
condamnation capitale. L'empereur d'Autriche commua la peine des
patriotes italiens en une détention perpétuelle qui leur fut peut être
plus pénible que n'eût été la morl. Leurs lettres et leurs mémoires ne
laissent aucun doute à cet égard. Néanmoins, dans le cours de leurs
épreuves et au milieu de leurs souffrances, ils gardèrent une foi in-
vinoib'.e en l'avenir. Ils étaieut soutenus par l'espoir des revanches
prochaines, la sainie justice de leur cause et l'amour de la pairie,
captive comme eux. Et pais, avec l'ardeur do leur imagination ila-
lienue et l'exallaliou de cette sensibilité quelque peu maladive qui
est le caractère de leur race, ils vivaient des jours, des semaines, des
mois, des années, sous l'impression heureuse, indéfiniment prolon-
gée, d'effluves musicaux qui parvenaient jusqu'au fond de leurs
cachots et chantaient à leurs cœurs les souvenirs du passé ou les
promesses de l'avenir.
Ce n'est pas sans une émotion profonde que nous avons relu les
pages cil s'affirme cette vibrante dualité, — surexcitée encore par le
sentiment musical — du patriote qui lutte pour l'indépendance de
son pays et de l'homme qui combat pour le salut de l'humanité. Car,
si, comme l'a dit un de nos plus illustres écrivains, les grandes
pensées viennent du cœur, l'harmonie, avec ses rythmes enflammés,
les élève encore et les entraîne jusqaes dans les sphères les plus
hautes du monde idéal. Les Mémoires d'Andryane et les Prisons de
Silvio Pellico développent cette noble et consolante pensée avec une
éloquence à laquelle noire faible voix ne saurait prétendre.
Andryane fut enfermé au Spielberg avant Silvio Pellico. Son ami
et compatriote Monpiani était dans le cachot voisin. Tous deux s'en-
tretenaient à travers le mur. Quand ils étaient faligués ou qu'ils
appréhendaient d'être surpris:
... Nous nous donnions le dernier adieu du cœur, dit Andryane, en
■sifflant tour à tour quelques airs bien tendres et bien mélancoliques.
Chaque jour, au coucher du soleil, l'un de nous disait la première phrase
de la romance de Desdemoiie et l'autre répondait... nous servant ainsi de ce
chant si suave et si touchant pour exprimer les mutuelles tristesses et les
sympathiques affections de nos âmes... Que de fois, depuis, dans les longs
jours de ma prison solitaire, ne ma suis-je pas rappelé, avec attendrisse-
ment, les doux accents de ce bon Monpiani ; et que de fois aussi, en son-
geant au soulagement que j'en avais éprouvé, n'ai-je pas compris et récité
le psaume des filles de Sion qui, sur le fleuve de Babylone, pleuraient les
peines de l'exil et se consolaient en répétant ensemble les chants de leur
patrie ! . .. Super flumina .
(A suivre.) Paul d'Estbée.
LE MONUMENT DE M-"'- CARVALHO
QU.\TRlfclVIE ET DERNIÈRE LISTE
M. le docteur H. Fabre : 10 fr.; M. Paul Moride : 10 fr.; Sept enfants
qui aimaient bien la grande Marguerite: 100 Ir.; M""= Monchicoart :
30 fr.; M. Victor Silvestre : 20 fr.; M"= Glt-yre : S fr.; M"^ Pape-Car-
pantier : 5 fr.; M. et M'""^ Paul Savouré : 20 fr.; Le service médical de
l'Opéra-Comique : 40a fr.; M. Poussié, à Melun : 30 fr.; M. Casimir
Jumelle: 10 fr.; M"" la baronne de Saint-Didier: SO fr.; M. le docteur
Lancereaux : 20 fr.; M. le docteur Serrand : 10 fr.; M""" Bosine
Laborde : 20 fr.; M. et M""= Verdier: 2o fr.; M. et M"" Léonce Détroyat;
20 fr ; M. Maurice Détroyat : 10 fr.; M""= Pauline Viardot : 40 fr.;
M'"- Gabrielle Lejeune : 20 fr.; M"« Marcella Pregi : 20 fr.; M. A. Fé-
ret: 40 fr.; M. et M'"« Myrtil Hecht : 100 fr.; M. Ernest Hecht :
80 fr.; M°"= Ugalde: 50 fr.; M"'= la baronne de Fontmagne : 20 fr.;
M. Antonin Proust: 20 fr.; M"'= Exposito Demussy : 20 fr.; M. Dié-
mer: 20 fr.; M. le docteur G. Félizet : 20 fr.; M. Théodore Dubois,
directeur du Conservatoire : 20 fr.; M"= Fanny Lépiue : 20 fr.; M""= la
comtesse Stoffels d'Hautpoul : 20 fr.; M. Alfred Regnoul : 10 fr.;
MM. F. Lagrange et fils : 20 fr.; M. Ernest Lataste : 30 fr.; M'"-' E.
Roussel: 300 fr.; M. Gaston Jollivet : 20 fr.; Une admiratrice de
M""» Carvalho : 40 fr.; M. Léon Philippe : 20 fr.; M. C. Manheim : 30 fr.;
M. André Fijan : 23 fr.; M. Gaston Berardi : 30 fr.; M™ veuve Pierre
Jourdan : 10 fr.; M. le docteur Ducor: 10 fr. ; M. Francès Saville :
SO fr.
Total général à ce jour : 22.908 fr. 20 c.
La souscription est close. Merci à nos généreux donateurs.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (21 mai). — La floraison de rubans
qui a rougi la boutonnière de M. Van Dyck a fleuri également celle de
plusieurs de nos musiciens, non encore décorés. Et cette printanière ava-
lanche a mis en émoi, cesjours derniers, le monde des dilettantes bruxellois,
car elle a donné lieu à des manifestations publiques. Le soir même de la
répétition générale du Concert populaire, dont je vous ai parlé, la reine.
466
LE MENESTREL
qui assistait à cette répétition, remit elle-même à M. Van Dyck, pendant
un entr'acte, les insignes de chevalier de l'ordre de Léopold; samedi, au
Concert, quand M. Van Dyck est apparu sur l'estrade, le public a mani-
festé par de chaleureuses acclamations la satisfaction que lui causait
l'honneur dont l'excellent ténor Tenait d'être l'objet. Quelques instants
après, d'autres acclamations saluaient M. Paul Gilson, l'auteur de la Mer,
que le roi a nommé aussi chevalier de son ordre; on lui remettait séance
tenante la croix, accompagnée d'une palme, d'un discours et d'une Braban-
çonne bien sentie (oh ! cette Brabançonne, après la symphonie de la Merl).
Enfin, le public, en veine de manifestations, faisait à M. Joseph Dupont,
— décoré depuis longtemps, lui, — une ovation enthousiaste. Le Moniteur
officiel, en nous apportant la confirmation des nominations de MM. Van
Dyck et Gilson, nous a apporté, le lendemain, la nouvelle d'autres nomi-
nations et promotions de musiciens dans l'ordre de Léopold : M. Emile
Mathieu, directeur de l'École de musique de Louvain et auteur de Richilde,
de l'Enfance de Roland, de la Bernoise, etc., applaudis à la Monnaie, est promu
au grade d'officier, ainsi que M. Fisher, maître de chapelle de l'église
collégiale de Sainte-Gudule, et que M. Van der Eeden, directeur de l'École
de musique de Mons et auteur de diverses œuvres... en portefeuille. Sont
nommés chevaliers : M. d'Aoust, le vaillant administrateur des Concerts
populaires; MM. Mercier et Anthoni, professeurs au Conservatoire de
Bruxelles; M. Watelle, professeur de chant d'ensemble dans les écoles
communales; M. Bouhy, professeur à Verviers; M. Dupuis, directeur de
la fameuse société chorale la Légia, de Liège, et, pour ne pas faire de ja-
loux, M. Delsemme, directeur de la non moins fameuse société rivale, les
Disciples de Grétry ; et enfin M. Franz Servais, l'auteur bien connu de
VApollonide, dont on attend avec tant d'impatience, depuis tant d'années, la
révélation. Comme vous voyez, le roi des Belges et son gouvernement ont
été généreux; ils savent honorer le talent, mémo quand il est encore très
jeune, ou quand les circonstances empêchent qu'on l'admire autrement
que de confiance. Ce n'est pas tout, cependant, et ceci est plus intéressant
encore : on parle beaucoup d'une très prochaine promotion de M. Gevaert
dans l'ordre de Léopold à l'occasion de son jubilé, célébré dernièrement au
Conservatoire. M. Gevaert est actuellement commandeur de l'ordre; il
serait fait, dit-on, d'emblée, grand officier ou grand cordon, par une fa-
veur tout à fait extraordinaire et bien méritée. La chose serait sans
exemple en Belgique; elle ne va pas, cela va sans dire, sans quelque dif-
ficulté, mais on pense bien qu'elle sera réalisée sous peu; on s'étonne
même que le Moniteur n'ait pas encore parlé. — Le deuxième concert popu-
laire, hors de l'abonnement, aura lieu samedi sous la direction de M. Hans
Richter; le succès en est naturellement assuré. Le programme n'est pour-
tant pas d'un extrême intérêt : la SymiAonie pathétique de Tchaïkowsky,
l'ouverture des Maîtres Chanteurs et 1' « Enchantement du Vendredi saint »
de Parsifal; mais l'exécution ne peut manquer d'être des plus attrayantes.
— Les théâtres se ferment; à l'Alcazar, M"" Simon-Girard joue, avec
M. Huguenet, l'Enlèvement de la Toledad et la Feintne de Narcisse, et les con-
certs du Vaux-Hall attendent patiemment un ciel plus clément. L. S.
— L'Opéra royal de Berlin prépare un opéra inédit du compositeur
anglais Henry Waller, intitulé : Fra franccsco. L'empereur Guillaume II
doit, dit-on, faire jouer cette œuvre d'abord pour lui tout seul, absolu-
ment comme feu le roi Louis II de Bavière ; elle ne sera offerte qu'ensuite
au public.
— Voici qu'on assure que M. Van Dyck serait en froid avec M"" Cosima
Wagner, et qu'à moins d'un rapprochement qu'on ne prévoit pas, il serait
à craindre qu'on n'entendit plus le célèbre ténor sur le théâtre de Bayreuth.
En attendant, M. Van Dyck commencera l'an prochain sa neuvième saison
à l'Opéra impérial de Vienne. Notons à ce sujet qu'à l'expiration de sa
dixième année de service sur ce théâtre, et qu'il y soit ou non rengagé,
l'artiste recevra, d'après les statuts qui le régissent, une pension viagère
de 6.000 florins, soit 15.006 francs, payée sur la cassette particulière de
l'empereur.
— M. Anton Dvorak, le fameux compositeur tchèqiie,- n'y va pas de
main morte. On annonce qu'il vient de terminer non seulement deux
quatuors pour instruments à cordes (l'un en la bémol, l'autre en sol), mais
encore trois grands poèmes symphoniques dont voici les titres : la Sorcière
de midi, l'Homme des Eaux et le Rouet d'or.
— M. Vogl, le célèbre ténor de Munich, qui compte parmi les plus
anciens et les plus solides piliers de l'art de Richard Wagner, vient de
subir un échec formidable.... en qualité d'agriculteur. Le chanteur exploite
dans les environs de Munich, près du lac de Starnberg, une grande pro-
priété où il s'adonne avec passion à toutes les espèces de culture, même
à la pisciculture. Or, la digue principale d'un grand étang que M. Vogl
avait fait creuser pour y élever des poissons s'est rompue dernièrement à
la suite de grandes pluies ; les eaux ont pris le chemin du lac, où elles
ont conduit les poissons de M. Vogl et ont occasionné des dégâts énormes,
qu'on évalue à plus de cent mille francs, et que l'infortuné chanteur devra
rembourser. L'exploitation de son larynx ne lui avait jamais causé de
déboires, et il aurait certainement mieux fait de s'en tenir là.
— Un nouvel opéra en un acte, intitulé Stella, musique de M. Franz
Kohout, chef d'orchestre à l'Opéra allemand de Prague, vient d'être joué
avec succès à ce théâtre.
— A l'Opéra royal de Wiesbaden le manteau de Wotau a pris feu der-
nièrement pendant une représentation de la Valhjric. Le public se mit à
crier, mais un pompier hardi s'élança sur Wotan, lui arracha le manteau
brûlant aux applaudissements frénétiques de la salle, et l'artiste continua
tranquillement à chanter sans son manteau.
— M"' Ada Adiny vient de faire, nous l'avons dit, une apparition à
l'Opéra impérial de Vienne et au théâtre national allemand de Prague.
Ici et là, la remarquable artiste a chanté trois de ses plus beaux rôles, Jïrfa,
les Huguenots et la Valkyric, et elle a accompli ce vrai tour de force de les
chanter en allemand. Sa large diction, son art tragique lui ont valu des
ovations et qui mieux est, des articles absolument dithyrambiques de l'il-
lustre critique viennois Edouard Hanslick. ^
— Le compositeur allemand Auguste Bungert a terminé une tétralogie
lyrique intitulée : Ulysse, dont le sujet suit l'Odyssée. La première soirée
forme un opéra intitulé Pénélope, qui sera joué au mois d'octobre pro-
chain à l'Opéra royal de Dresde. Le célèbre baryton Scheidemantel
s'est chargé du rôle d'Ulysse.
— M. Humperdinck a terminé la partition d'une musique descène pour
un drame de M. E. Rosmer, qui a pour titre les Enfants royaux.
— Nous avons annoncé dernièrement que la ville de Hambourg avait
accordé une subvention considérable à la Société des amis de la musique
de cette ville, pour donner des concerts de musique classique avec un
grand orchestre spécial et à prix fortement réduits. Dans le même but,
une société des amis de la musique s'est fondée à Lubeck, et elle deman-
dait une subvention à cette ville hanséatique, qui est fort riche. La com-
mission du conseil municipal proposait d'accorder 13.000 marks par an,
mais les citoyens qui tiennent les cordons de la bourse ont purement et
simplement rejeté cette proposition. On voit que, même en Allemagne,
tout le monde n'aime pas la musique.
— Le théâtre municipal de Magdebourg vient de jouer, sans beaucoup
de succès, un nouvel opéra intitulé Jamora, musique de M. Stierlin.
— Le théâtre grand-ducal de Carlsruhe va fermer ses portes. Grâce à la
somme de 625.000 francs accordée par la Chambre badoise, ce vieux
théâtre sera complètement reconstruit et pourvu de toutes les améliora-
tions modernes.
— Un grand festival Haendel devait avoir lieu dans le courant de ce mois
à Leipzig, sous la direction de M. Kretschmer, directeur du Riedel'scher
Yerein. Par suite d'une maladie de ce dernier, ce festival a dû être remis
à l'automne prochain.
— La musique et le théâtre auront leur part dans les fêtes somptueuses
du couronnement du czar, qui ont déjà commencé à Moscou. Tout d'abord
on prépare, au Théâtre impérial, la représentation d'un grand ballet nouveau
intitulé Da'ita, dont le sujet est tiré d'une fable japonaise et dont la riche
mise en scène ne coûtera pas moins de 300.000 francs. On parle aussi d'une
représentation extraordinaire du célèbre opéra de Glinka, la Vie pour le Czar,
représentation à laquelle prendront part 2.000 exécutants (?) et qui sera
donnée dans un théâtre à ciel ouvert pouvant contenir 200.000 spectateurs.
Enfin on annonce aussi un concert monstre qui réunira un chœur de 5.000
chanteurs mâles ; ce chœur, formé d'un grand nombre de sociétés chorales,
fondues en une seule masse, sera placé sous la direction supérieure de
M. W.-J. Scafonow.
— M. V.-J. Hlawatsch, l'excellent chef d'orchestre bien connu à Saint-
Pétersbourg, vient d'être appelé à Nijni-Novgorod pour organiser et diriger
dans cette grande ville industrielle et commerciale une série de cent con-
certs symphoniques populaires.
— Au théâtre Salvini, de Florence, apparition d'une opérette nouvelle,
un Curioso Accidente, du maestro Giulio Cheleschi. — Au théâtre social de
Carrare, représentation d'un vaudeville en deux actes, la Forza del potere,
ossia un Matrimonio per sorpresa, avec musique nouvelle de M. Filippo Fi-
lippi, compositeur aveugle. — Au théâtre royal de Parme, les étudiants
ont joué eux-mêmes une « plaisanterie comico-musicale de mauvais
genre, » Gilda e Ftorindo, paroles de deux d'entre eux, MM. Vacarani et
Campolonghi, musique de M. Edgardo Cassani.
— Correspondance de Barcelone (18 mai 1896) :
La grande artiste dramatique espagnole Teodora Lamadrid, qui vient de
mourir à Madrid, était professeur de déclamation au Conservatoire royal.
Un arrêté ministériel vient de nommer la distinguée actrice W" Lombia,
pour la remplacer.
Notre Teatro principal, où donne actuellement des représentations de
comédie la troupe de M. Ceferino Palencia, à la tête de laquelle se trouve
la charmante madame Tubau, vient de jouer une œuvre nouvelle intitulée
Currita Alljornoz et tirée du roman célèbre du Révérend Père Coloma, un
romancier de la Compagnie de Jésus — excusez du peu ! — La pièce,
assez bien charpentée, a eu un plein succès. M'"° Tubau et ses camarades
s'y sont fort distingués.
Aux concerts matinaux de la société Euterpe, qui sont dirigés par le fils
du maestro Goula, ont vient d'exécuter pour la première fois une suite
d'orchestre, les Scènes andalouses (Escenas andaluzas), de M. Tomàs Breton,
le compositeur applaudi des opéras gliAmanli di Teruel et Garin, récemment
nommé membre de l'Académie royale de San Fernando. Cette œuvre
LE MENESTREL
467
musicale, qui comporte quatre numéros : Boléro, Pologitano, Marcha y Saeta
et Zapateado, a eu un succès d'enthousiasme. Elle est écrite avec beaucoup
de verve et supérieurement orchestrée. Toutes les parties en ont été bissées.
Enfin, M. Antonio Nicolau nous a donné une nouvelle série de grands
concerts au Teatro Lirko, lesquels, par suite de la défection du ténor Van
Dyck,, ont dû être réduits à deux, au lieu des quatre annoncés. Le « clou »
de ces deux auditions était o la grande scène de la consécration du
Graal » de Parsifal, ayant pour interprète choral notre « Orfeo Catalâ »
(orphéon catalan) qui, habitué à la presque exclusive interprétation des
chœurs de Clavô (le Wilhem du cru), faisait son début dans un genre
quelque peu différent. Disons de suite que « l'Orfeo Catalâ », admirable-
ment stylé et dirigé par M. Nicolau, s'est tiré fort convenablement de sa
tache. Détail particulier : comme ledit « Orfeo », de par ses statuts, ne
doit chanter que des chœurs catalans, on avait catalanisé Wagner, et
traduit les paroles de cette scène en patois local. L'effet n'en a pas été
amoindri. — Mais, manifestation de curiosité et de clocher à part, le véri-
table succès de ces deux derniers concerts a été pour la Romanza de la
quatrième symphonie de Schumann, pour la suite de Grieg, écrite pour le
drame d'Ibsen Peer Gynt, et surtout pour la suite d'Esclarmonde, de Masse-
net, dont toutes les parties ont été bissées par acclamations. — A la fin de
la dernière soirée, le public a tait à M. Antonio Nicolau une superbe ova-
tion, ovation on ne peut plus méritée, et à laquelle nous sommes heureux
de nous associer ici. A. G. Bertal.
— Dilettantisme américain. Nous en trouvons un exemple dans une
correspondance typique adressée de New-York au Mondo arlistico pour lui
rendre compte de la dernière soirée donnée au Métropolitain par la troupe
de MM. Abbey et Grau, au bénéfice de ces derniers. Il vaut la peine de
traduire exactement ce petit document original : » — Le clou, \a.great attrac-
tion de cette soirée fut le chœur des soldats de Faust, chanté, outre les
choristes, par tous les artistes, avec une bande nombreuse sur le théâtre.
Au lever du rideau, le spectacle était imposant, et l'on peut dire américain.
En première ligne, à prendre par la gauche, venait Jean de Reszké, en
costume de Radamès, Capoul (en Faust), Gremonini (Fernand), Mauguière
(soldat de Faus(), Lubert (don José), Rinaldini (Bardolfo), Vanni (docteur
Cajus), Ancona (toréador), Gampanari (Ford), Arimondi (Pistola), Edouard
de Reszké (Méphistophélès), Plançon (général delà Navarraise), Kaschmann
(Amonasro), de Vriès (Valentin), Caslelmary (Ramfis), Carbonne (Duncairo),
de Vachestti (Héraut de Lohengrin), Viviani, Longprez (soldats des Hugue-
nots). Puis M™s Melba (Lucie), Nordica (Aida), Galvé (Carmen), Mantelli
(Leonora), Saville (Micaela), Lola Beeth (Nannetta deFalstaff), Traubmann
(Mercedes), Scalchi-Lolli(QuickIy),01itzka (Amneris),Kitzu (mistressPage),
Bauermeister (Frasquita), Van Cauteren (la reine des Huguenots). Avec de
semblables choristes, je laisse à penser comment le chœur fut chanté. A la
dernière mesure ce fut une explosion de cris et de battements de mains,
joints à une pluie de fleurs et de couronnes. Toiis les spectateurs agitaient
leurs mouchoirs, les dames étaient debout dans leurs loges et dans leurs
stalles, il semblait que le théâtre dût crouler. Puis aussitôt on réclama le
bis, après lequel l'enthousiasme augmenta encore, s'il est possible. On
releva le rideau quinze, vingt fois, le tenant chaque fois à mi-hauteur
pendant 30 à 50 secondes, au milieu de cris frénétiques. M"»* Calvé et
Bauermeister attirèrent de la coulisse gauche M. Grau, M^^' Melba et
Lola Beeth de la droite M. Abbey, et les applaudissements devinrent
assourdissants; à ceux du public se joignaient ceux des artistes, des chœurs
et de l'orchestre. Jean de Reszké, au nom des artistes, présentait aux deux
directeurs deux parchemins avec une dédicace et leurs autographes. Les
bannières (il y en avait beaucoup, tenues par des choristes) flottaient;
l'orchestre et la bande attaquèrent les quelques mesures de salut, et après
•six bonnes minutes de battements de mains, de cris, etc., commença un
peu de calme. Je n'aurais jamais cru assister à une pareille démonstration.
Puis bientôt les applaudissements recommencèrent, et par trois fois, des
portes latérales, apparut la longue procession de tous les principaux ar-
tistes, avec les chefs d'orchestre Bevignani et Seppilli, M. Parry, directeur
de la scène, etc. Le mérite de cette idée revient à Jean de Reszké. Ce fut
une trouvaille unique, qui eut tout le succès qu'on en pouvait prévoir. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
En l'honneur du couronnement des souverains de Russie, l'Opéra
donne aujourd'hui dimanche une représentation gratuite. Au programme :
Rigoletto et \n Fête russe. Rideau à sept heures. Les directeurs de l'Opéra ont
décidément d'heureuses et généreuses idées depuis quelque temps.
— ■ Nous avons donné les noms des six jeunes gens qui ont été admis, à
la suite de l'épreuve préparatoire, à prendre part au concours de Rome.
La cantate qu'ils sont appelés à mettre en musique et qui leur a été remise
à leur rentrée en loge a pour titre Mélusine. Son auteur est M. Fernand
Beissier.
— Le jury de classement des partitions envoyées au concours ouvert par
la ville de Paris pour la composition d'une œuvre musicale avec soli,
chœurs et orchestre, est composé ainsi qu'il suit : le préfet de la Seine,
président; MM. Théodore Dubois, Emile Pessard, L. Carvalho, Mangin,
désignés par les concurrents; MM. Vincent d'Indy, Ernst, A. Messager,
A. Chapuis, Darzens, Hattat, Caron, Levraud, Despatys, désignés par le
conseil municipal; MM. Glaretie, Lavignac, R. Brown, inspecteur des
beaux-arts de la ville de Paris, représentant l'administration.
— La troisième et dernière séance de la Société des instruments anciens
de MM. Diémer, Delsart, van Waefelghem et Grillet était tout entière
consacrée à Rameau. C'était un digne hommage rendu par nos excellents
artistes au vieux maître qui restera l'une des gloires les plus éclatantes
et les plus solides de cette noble école musicale française, dont certains
font bon marché aujourd'hui et qui n'en reste pas moins l'honneur de ce
pays. Nous avons d'abord entendu deux pièces pour clavecin, viole d'amour
et viole de gambe : la Timide et le Tambourin, dont la seconde surtout est
charmante, puis un Andante et Menuet pour viole de gambe et clavecin.
Ensuite deux pièces de clavecin : Rappel des oiseaux (absolument exquise)
et Gavotte variée, et enfin Air tendre et Petite chasse, pour vielle et cla-
vecin, dont la dernière a été bissée, comme l'avait été le Rappel des oiseaum.
Il n'est pas besoin de dire si l'exécution de ces morceaux a été parfaite.
La seconde partie de la séance a été consacrée à l'audition de plusieurs
fragments d'un opéra inédit de Rameau, intitulé sur le programme les
Boréades, et dont le titre exacte est Abaris ou les Boréades ; car, pour être
inédit, cet ouvrage n'est pas tout à fait inconnu de quelques curieux. J'en
ai, pour ma part publié un morceau il y a quelque vingt ans, l'un de
ceux que nous a chantés l'autre jour M"= Salambiani, et j'ai signalé la
partition parmi les manuscrits de Rameau que j'avais découverts à la
Bibliothèque nationale lors de la publication de mon livre sur l'auteur de
Dardanus et de Castor et Pollux. Cotte audition était fort intéressante, et
c'était une heureuse idée de mettre le public en contact avec une œuvre
dont pas une note, assurément, n'avait jusqu'à ce jour été exécutée devant
lui, et qui a produit une excellente impression. Le succès de cette der-
nière séance a brillamment terminé cette seconde année de l'existence
de la Société des instruments anciens, et le public lui a prouvé tout le
plaisir qu'elle lui avait procuré. A. P.
— Les troisième et quatrième concerts de M. Sarasate avaient attiré à la
salle Erard une foule énorme, qui n'a cessé de prodiguer au grand artiste
les témoignages bruyants de sa sympathie pour son incomparable talent.
C'est qu'il est rare en effet de rencontrer chez un artiste, avec les qualités
brillantes qui constituent le virtuose le plus merveilleux et le plus accom-
pli, la solidité de style qui convient à l'exécution la plus pure, la plus
noble et la plus délicate de la musique de chambre; et c'est précisément
la réunion de ces qualités très diverses qui forme l'essence même et comme
la saisissante originalité du talent de M. Sarasate. Entre le premier qua-
tuor à cordes (op. 41) de Schumann et le quintette de « la Truite» de Schu-
bert, qu'il nous a fait entendre à sa troisième séance, en compagnie de
MM. Diémer, Parent, van Waefelghem, Delsart et de Bailly, il a exécuté
d'une façon splendide, avec M. Diémer, la 3= sonate de J.-S. Bach, œuvre de
forme magistrale mais d'un accent un peu froid, à laquelle il a su donner la
couleur, la chaleur et la vie, et qui a valu aux interprètes un succès bien
mérité. Une surprise nous attendait au quatrième concert. Après la belle
sonate pour violoncelle et piano de M. Emile Bernard, dont MM. Delsart et
Diémer ont fait valoir toutes les qualités, c'est en compagnie de M. Saint-
Saëns lui-même que M. Sarasate est venu nous faire entendre la superbe
sonate de ce dernier, dont l'audition a mis le feu aux poudres. Le final
surtout de cette œuvre si remarquable, sorte de moto perpétue partagé entre
les deux instruments, exécuté par de tels virtuoses, avec tout le feu, la
fougue, l'entraînement dont ils sont capables, a jeté le public en un véri-
table délire. Un, deux, trois, quatre rappels ne pouvaient lasser les applau-
dissements, et il leur a fallu redire ce final au milieu de l'émotion générale.
Puis, pour terminer la séance, c'a été l'admirable septuor de Beethoven,
dit par MM. Sarasate, van Waefelghem, Reine, Turban, Letellier, Delsart
et de Bailly, et qui était un digne couronnement de cette trop courte série
de concerts, qui nous ont permis du moins d'apprécier de nouveau, dans
toute son ampleur, le talent d'un des plus grands artistes de ce temps.
A. P.
— Les deux dernières séances de MM. Ysaye et Raoul Pugno présen-
taient cette très intéressante disposition de programme : Brahms, Grieg,
Lalo, groupés ensemble et MM. Gastillon et Fauré séparés gracieusement
par Mozart. L'interprétation a été aussi pleine de variété que l'exigeait le
caractère tranché de chaque ouvrage; austère avec Brahms, épanouie et
pénétrante avec Grieg, tout imprégnée de grâce sentimentale avec Lalo, enfin
aussi petite et mignonne que possible avec Mozart. Quant aux deux autres
œuvres, dont l'une renferme un excellent andante et l'autre une suite de
belles pages du commencement à la fin, elles ont été mises en relief avec
une autorité qui les a imposées presque au même titre que les précédentes.
MM. Ysaye et Pugno seraient diminués si on les nommait des virtuoses;
ils sont presque des évocateurs, car ils font revivre pour nous l'heure
d'émotion intense pendant laquelle chaque compositeur a conçu sa création ;
rien ne leur échappe, et la perfection de leur talent les rapproche tellement
que nul n'a été surpris d'entendre dire par M. Ysaye en désignant M. Pugno:
'i Je ne puis jouer qu'avec lui. ». — Am. B.
— Au dernier concert du Palmarium on a vivement apprécié une œuvre
remarquable de M. Louis Pister, un poème symphonique intitulé Roland.
Brillamment orchestrée, très habilement charpentée, cette intéressante page
de l'excellent chef d'orchestre méritait l'accueil chaleureux que le public
lui a fait. — La Korrigane de Widor, la suite algérienne de Saint-Saëns, un
menuet de Bolzoni, complétaient le programme.
-— Mercredi dernier, c'était fête au Cercle Saint-Simon. Tour à tour con-
férencier, chanteur et chef d'orchestre, notre confrère Julien Tiersot pré-
168
LE MENESTREL
sentait aux bravos mérités son troisième recueil des Chansons populaires de
nos provinces de France. Il a d'abord rappelé, dans une causerie alerte et
douce, la date du 3 juin ISSb, où la chanson populaire avait conquis ici
même droit de cité, avec le ténor Gibert et M"= Auguez, et des étoiles
comme MM. Gaston Paris, Quellien, Renan! Depuis onze ans, la science du
folk-lore a progressé: mais ce n'est point seulement par l'histoire des
traditions populaires nationales que ces naïves mélodies captivent; musica-
lement savoureuses, elles évoquent, à travers le temps et l'espace, les
âmes de jadis ou de naguère, les voix insouciantes qui nous les ont trans-
mises, les vieilles coutumes et les rondes anciennes qui animaient les
paysages riants de nos campagnes, le caractère français, toujours identique,
qui fredonne le charme douloureux de la nature et de la vie. Touchantes
complaintes ou rondes guillerettes, ces chansons, que savaient les parents
de Jeanne d'Arc ou les contemporains de Walteau, méritaient d'attirer
Brizeux, George Sand, Gérard de Nerval. Il fallait les recueillir. Par la
grâce primesautière de leurs contours, aux reirains candides ou mali-
cieux, elles ont transporté l'autre soir un auditoire juvénile. M. Tiersot a
fait applaudir entre autres Pierre et sa Mie. Accompagnées par M. Paul
Jumel et secondées par un petit détachement des toujours excellents
Chanteurs de Saint-Gervais, M"e Eléonore Blanc et M""= Lovano se sont une
fois de plus affirmées comme nos deux meilleures cantatrices de concert:
l'une, attendrie avec son style élégamment sévère et le timbre généreux de
sa voix, dans les chansons tristes; l'autre, qui enchante les oreilles et les
yeux par un babil savant, reflété sur ses traits, dans son geste, en mille
nuances exquises comme sa diction : c'est une bergère idéale. Notre sou-
venir s'attache d'abord à deux chansons en chœur : la Saint-Jean poétique,
qui inspirera de même au crépuscule le vieil Hans Sachs ; puis un petit
scherzo spirituel, revenu du Canada, écho d'exil de la vieille France.
Un bon joueur de vielle, de la Société des gas du Berry, amusait les inter-
mèdes. Bref, artistique soirée, qui fait honneur à Julien Tiersot, l'his-
torien de la chanson populaire en France. L'avant- veille, lundi 11 mai,
M. Julien Tiersot avait fait une autre conférence, sur le même sujet, dans
un cercle ouvrier de Grenelle : les Chansons populaires des provinces de France
ont obtenu un accueil également chaleureux devant ce public populaire
parisien. Ravmond Bolyer.
La Société d'art vient de donner sa dernière audition de cette année.
Lg beau trio de M. E. Bernard, des pièces de M. Anselme Vinée pour deux
violons de M. "Van Goëns, pour piano, deux mélodies tout à fait char-
mantes. Voici la brise... et Rêve encore, d'un compositeur norvégien de talent,
M. Lago, fort bien chantées par W^" Emma Holmstrand, et les jolies varia-
tions à deux pianos de Georges Pfeiffer, en formaieni le programme.
— Une audition fort intéressante d'oeuvres de M.Sigismond Stojowskiaeu
lieu salle Erard. Le compositeur a joué, avec le concours de M. Gorski,
une sonate pour piano et violon, et avec le concours de M. Salmon une
sonate pour piano et violoncelle, deux œuvres d'une jolie invention et
d'une excellente écriture qui ont été fort bien accueillies. M. Stojowski a
ensuite interprété avec beaucoup de charme plusieurs de ses nouveaux
morceaux pour piano, parmi lesquels la Rêverie, une Valse et deux Caprices
ont soulevé des applaudissements chaleureux. Succès non moindre pour
une série de mélodies de M. Stojowski chantées par M. Furstemberg et par
K"= Mira Heller, de l'Opéra impérial de Vienne. Cette jeune et gracieuse
artiste a produit une si bonne impression que le public lui a demandé
quelques chansons supplémentaires. M. Stojowski lui a accompagné
Widmung, de Schumann, que M"= Heller a chantée dans le texte original,
et une jolie mélodie polonaise. — 0. Bn.
— Beau succès pour MM. Albert et César Geloso, à leur concert du 12 mai,
consacré à Bach. La salle entière les a ovationnés après l'admirable chaconne
pour violon seul et après la fugue d'orgue transcrite par Liszt.
— M'"'= Edouard Colonne donnera le samedi 30 mai, à 9 heures du soir,
à la salle Pleyel, un concert au bénéfice de l'Orphelinat des arts et de la
Maison maternelle de M""» Louise Koppe. MM. Raoul Pugno, HoUman,
Jean Rameau et les élèves de l'école de chant de M""> Colonne prêteront
leur concours à cette fête de bienfaisance. M""= Edouard Colonne elle-
même se fera entendre dans différentes œuvres, accompagnée par les
auteurs.
On annonce pour le 28 courant, salle Pleyel, une seconde séance de
musique classique et moderne donnée pir M"= Juliette Levasseur, •l" prix
de piano de l'École classique de la rue de Berlin, avec le concours de
M»e Magdeleine Godard et de M. Paul Seguy, de l'Opéra.
— M. T. Adamowski, arrivé récemment à Paris après un assez long
séjour aux États-Unis, où son talent de violoniste est très apprécié, don-
nera, mardi soir 26 mai, un conc;rt avec orchestre à la salle Érard. L'or-
chestre sera dirigé par M. Ed. Colonne.
— Le 14 mai a eu lieu avec succès, au théâtre de Laval, la première
représentation d'un opéra-comique inédit en un acte, Dépit d'amour, paroles
do M. Alberge, typographe à Paris, musique de M. Prosper Morton, direc-
teur de la Lyre lavalloise, rjui dirigeait lui-même l'exécution de son
œuvre.
— SoiKÉEs ET CoNCEiiTs. — La piioccsse KirageorgewiU'h a profité du passage
à Paris de son fils pour faire entendre à quelques amis les nouveaux lieder de
Robert Fischoff. Presque tous les morceaux ont été bissés et acclamés. Il faut
citer notamment: le Rossignol, Tonnelle en fleurs, Dans les ijeiur, que M"' Zanolli,
une étoile de demain, et le prince Karageorgt\Yitch ont dû répéter plusieurs
fois. — Très bonne audition des élèves de M"' t'ubain. A signaler M"" Anna et
Louise R. Passepied du Roi s'amuse, Léo Delibes), Marie de L. {Mazurlia russe, Lan-
dry), M. Willy P. [Seine et mazurka de Coppélia, Léo Delibes), M"" Laurence M. r
ISotirce capricieuse, Filliaux-Tiger), Reine R. et Marguerite F. (Concerto op. 21,
G. Mathias^, Alix de V. (/es A'foi/es /itoiifes, Lack). Succès pour M"* Steiner dans le
Nil de Xavier Leroux et M. A. Cottin dans Pépu de G. Mathias. — En l'église
Saint- Louis des Invalides, on a célébré le mariage de M. Léon Blauchot, sculp-
teur, fils du colonel Blauchot, avec M'" Marie Donnai, fille du colonel Bonnal.
Pendant la cérémonie religieuse, le bmion du Tillois, de la Monnaie, a chanté,
avec un charme pénétrant, le Suncla Maria de Faure, et le violoniste Romain
Chevalier a délicieusement joué la Méditation de Thaïs de Massenet. M. Tourne-
mire tenait l'orgue. — Une femme parlant en Sorbonne, c'est là une curiosité
et un événement. M"" llortense Parent y a développé les principes d'enseigne-
ment pour le piano avec autant d'autorité que de conviction et dans un langage
digne des murs consacrés qui l'écoutaient. Le succès a été très grand. — Pour
clôturer sa 31 'année, l'excellente Société chorale d'amateurs Guiltot de Sainbrisnous
a conviés k une séance dont, suivant l'usage, le succès a été complet, sous la
direction de M. Maton. On y a applaudi d'abord trois chœurs de Mendeissohn
fort beaux et qu'on n'a pas l'occasion d'entendre ailleurs, la traduction française
en ayant été faite par M.Paul Collin pour l'usage exclusif jusqu'ici de la société.
A mentionner encore, les Filles d'.irles de M"' Chaminade, le chœur des chame-
liers, extrait de la Rébecca de César Franck, qui est une inspiration délicieuse ;
le double chœur de Colinette à ta cour de Grétry (bissé). Après un intermède
instrumental où a triomphé l'archet du jeune M. Louis Hasselmans, de très
importants fragments de MorsetVda de Gounod formaient l'épilogue de ce riche
programme.
NÉCROLOGIE
A Francfort-sur-le-Mein vient de succomber, à l'âge de 77 ans, Clara
Joséphine Schumann, née Wieck, la veuve du grand compositeur. On se
rappelle qu'elle avait été frappée, il y a quelques mois, d'une attaque
d'apoplexie; mais elle s'était remise, et les médecins avaient espéré la
conserver. La grande artiste était née à Leipzig le 13 septembre 1819. Elle
montra de bonne heure des dispositions extraordinaires pour la musique,
et son père, l'excellent pianiste Frédéric "Wieck, s'occupa avec le plus
grand soin de son éducation artistique. Dès l'âge de dix ans elle débuta
pour la première fois comme pianiste, et trois ans plus tard elle fit sa pre-
mière tournée avec son père. Ce n'était pas un enfant prodige, mais une
nature exceptionnellement douée et précoce, qui enthousiasma surtout les
musiciens par l'intelligence et le charme avec lesquels elle interprétait
Beethoven et Chopin. En 1837 elle se liança à Robert Schumann, et son
union avec cette puissante individualité musicale eut l'influence la plus
salutaire sur le développement artistique de la jeune pianiste. Aucune
femme n'avait encore atteint au degré de pénétration et de perfection que
la critique européenne constata chez Clara Schumann lorsqu'elle entreprit,
après son mariage, ses grandes tournées en Autriche, en Allemagne, en
France et en Hollande. En Angleterre le public, qui resta d'abord froid,
car il se laissait trop influencer par une critique peu bienveillante, com-
prit peu à peu la valeur de l'artiste, et ses concerts annuels devinrent un
des principaux événements de la saison musicale de Londres. Après la
mort prématurée de son mari, en 1836, Clara Suhumann, épouse et mère
admirables, reprit ses tournées artistiques pour pouvoir élever ses enfants,
et se voua ensuite au professorat avec un succès hors ligne. Pendant
quatorze ans, de 1878 à 1892, elle fut le premier professeur de piano au
conservatoire de musique Hoch, à Francfort-sur-le-Mein, et après avoir
quitté le conservatoire elle continua à former des élèves jusqu'aux derniers
mois de sa vie. Clara Schumann laisse une trentaine de compositions qui
dénotent un grand talent, comme le trio en sol mineur, les variations sur
un thème de son mari et ses trois romances pour piano et violon.
— A Munich est mort subitement, à l'âge de S9 ans, la basse chantante
Gustave Siehr, chanteur de la cour de Bavière et de l'Opéra royal de Munich.
Il avait chanté à Bayreuth avec beaucoup de succès le rùle de Gurnemanz
— A Munich aussi s'est éteint, à l'âge de 75 ans, le docteur Franz
Grandauer, le régisseur de l'Opéra royal. On lui doit une chronique inté-
téressante des théâtres royaux de Munich.
— Un brave artiste qui eut naguère, à l'ancien boulevard du Temple,
sa petite heure de petite notoriété, André-Marie Oray, est mort la
semaine dernière à Belleville, à l'âge de 81 ans. Il avait, dit-on, passé
par le Conservatoire, où il aurait reçu des leçons de Carafa et d'Halévy.
Il ût d'abord partie de divers orchestres en qualité do violoniste, puis de-
vint chef d'orchestre au théâtre Beaumarchais, et enfin aux Folies-Dramati-
ques, sous les directions Mourier et Harel. Il resta plus de vingt ans à ce
dernier, à l'époque où l'on n'y jouait que de grands vaudevilles, pour les-
quels il écrivait souvent de nombreux airs nouveaux, comme il fit pour
Pauvre Jeanne, le Ver luisant, le Pays latin, Rose et Rosette, les Canotiers de la
Seine, etc. Oray est aussi l'auteur de deux opérettes : le Royaume des aveugles,
représentée aux anciennes Nouveautés en 1866, et A la Bretonne, jouée aux
Folies-Marigny en I8G8.
Henri Heugel, directeur-gérant.
CENTK.U.E DES CHEMINS I
. lUPRiaERlE CHAIX, RUE
mi. — 62- ANNÉE — i\° 22. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
Dimanche 31 illai 1896.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménesirbl. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Dn an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première salle Pavart et l'Opéra-Comique, 2" partie (4° article], Arthur
PouGiN. — II. La musique et le théâtre au Salon des Champs-Elysées (5° ar-
ticle), Camille Le Senxe. — IIL Musique et prison |6° article) : prisonniers
politiques, Paul d'Estrée. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
PRÈS DE L'EAU
n° 2 des Soirs d'amour, de LÉos Delafosse. — Suivra immédiatement : Si
je ne t'aimais pas, nouvelle mélodie de E. Mobet, poésie de E. Haraucourt.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : En dansant, extrait des Pastels, de I. Philipp. — Suivra immédiate-
ment : Matutina, de Cesare Galeotti.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
et
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1S38
TROISIEME PARTIE
I (Suite)
La combinaison la plus étrange était certainement celle des
deux frères Dartois, Achille et Armand, vaudevillistes de
quatrième ordre, qui, peu heureux aux Variétés, où leur ad-
ministration donnait les résultats les plus déplorables, son-
geaient simplement à supprimer ce théâtre et à y transporter
rOpéra-Comique. « Nous ferons remarquer, disait le Courrier,
l'audace de la candidature de MM. Dartois, agissant sous le
nom d'un seul et menaçant eu réalité un troisième théâtre
de sa ruine, car ils en ont déjà tué deux. Pour atteindre ce
but détestable, M. Dartois propose la suppression des Variétés,
croyant par là plaire au ministre, ravi de rayer un théâtre de
la liste, et d'exploiter l'Opéra-Comique dans la salle des
Panoramas... »
Une combinaison sérieuse, beaucoup plus sérieuse, mais
qui eût été déplorable, était celle qui consistait à réunir
dans les mêmes mains la direction des deux scènes lyriques,
l'Opéra et l'Opéra-Comique. Celle-ci était représentée par deux
associations, car quelques-uns des candidats étaient venus à
réunir et à confondre leurs efforts : les associations Crosnier-
Cerfberr et Loève-Veimar-Mira. Dès que le docteur Véron,
alors directeur de l'Opéra, eut connaissance de ce projet, il
•écrivit au ministre compétent, qui était M. Thiers, pour lui
offrir très galamment de donner sa démission, afin de faci-
liter les choses. Cette combinaison fut discutée très sérieu-
sement et pendant plusieurs semaines, témoin cette lettre
que Loève-Veimar adressa aux journaux:
Paris, le 20 avril 1834.
Monsieur le Directeur,
Puisqu'il est encore question de ma nomination à la place de
directeur de l'Opéra et de rOpéra-Comique, je me dois de donner au
public quelques explications sur ce projet, adopté il y a quinze jours
par le ministre.
A cette époque, et sur la demande de M. Thiers, je m'étais mis en
demeure de fournir un cautionnement de 300.000 francs et de
remplir toutes les obligations pécuniaires qu'il m'imposait (1).
Depuis, ayant appris que la rédaction du cahier des charges était
confiée à M. Gavé, chef de la division des théâtres, qui a sollicité
plusieurs fois la direction de l'Opéra-GoDaique avec une subvention
de 180.000 francs, j'ai pensé que mes intérêts étaieus remis entre les
mains d'un concurrent et non pas d'un arbitre impartial, que la mo-
ralité qui doit présider aux affaires manquait absolument dans celle-
ci, et j'ai dû me réduire désormais à un rôle tout passif que je n'ai
pas abandonné un moment.
Que ce soit aujourd'hui M. Gavé ou M. Grosnier, son ayant-cause
qui prenne la direction de l'Opéra-Gomique, il n'en restera pas moins
prouvé que M. le chef de la division des beaux-arts aura eu l'in-
iluence de faire rejeter une économie de cent mille francs par an,
résultant, pour le budget des beaux-arts, de la réunion immédiate des
deux théâtres, et qu'il aura été assez entreprenant pour détruire une
combinaison non pas seulement approuvée, mais créée par M. Thiers
lui-même.
J'ai l'honneur d'être, etc.
A. Loève-Veimar.
Pendant qu'on s'occupait du genre de mort qu'il convien-
drait de leur appliquer, les sociétaires de l'Opéra-Comique,
qui ne devaient pourtant pas être très rassurés sur leur sort
continuaient de travailler et, comme si de rien n'était de
préparer l'avenir. J'ai dit que deux pièces étaient en répéti-
tions : Lestocq et l'Aspirant de marine. Ils en poursuivaient les
études et les annonçaient au bas de leur affiche, lorsque les
auteurs se décidèrent à agir directement contre eux: « A la
suite de la dernière assemblée des auteurs dramatiques,
disait le Courrier du 18 mars, l'ouvrage en répétitions depuis
un mois à l'Opéra-Comique, Lestocq, vient d'en être retiré. »
Et le lendemain 19 : » La détermination des auteurs n'a pas
seulement frappé l'ouvrage en quatre actes que répétait
depuis un mois l'Opéra-Comique ; elle regarde aussi L'Aspirant
de marine, dont la représentation était très prochaine. En un
mot, le retrait de toute pièce nouvelle est décidé, et si l'Opéra-
Comique devait tenir, il n'aurait plus que la ressource du
vieux répertoire. »
(1) C'est la banque Rothschild qui devait faire les fonds de ce cautionnement.
170
LE MENESTREL
J'avoue quejetrouve cette conduite simplement abominable.
C'est le triomphe odieux de la force sur le droit, employé et
caractérisé de nos jours par un être que la postérité se char-
gera de clouer au pilori de l'histoire.
Les pauvres sociétaires, pourtant, voulurent résister, et
une nouvelle note du Courrier, publiée le 25 mars, nous
l'apprend en ces termes : — « Passer outre à l'opposition
formée par la Commission des auteurs à la représentation
des pièces nouvelles que répète l'Opéra-Comique, est le parti
que vient de prendre ce théâtre. En conséquence, rAspirant
de marine et Lestocq ont repris leur place au bas de l'affiche.
Le premier de ces ouvrages sera très incessamment repré-
senté, et le second le suivra d'aussi près que le permettra
la confection des décors. » Mais les infortunés avaient affaire
à forte partie. Scribe avait eu le temps de ranger à son avis
et de gagner à ses idées les membres de la commission, si
bien qu'en réponse à cette note celle-ci fit catégoriquement
défense à l'Opéra-Comique de jouer désormais aucun ouvrage
des membres de la Société des auteurs. En un mot, elle lui
retirait tout son répertoire, ne lui laissant que la disposition
des pièces tombées dans le domaine public.
Cette fois, c'était la mort sans phrases. Que pouvait l'Opéra-
Comique, mis ainsi en interdit et étranglé par ceux qu'il
faisait vivre et qui auraient dû le soutenir? La situation
devenait impossible. Le 31 mars le théâtre donnait son der-
nier spectacle, et le lendemain il fermait ses portes, laissant
tout d'un coup sur le pavé, grâce aux aimables exploits de
messieurs les auteurs, trois cents artistes ou employés de
toute sorte.
Le Courrier deslThéâtres expliquait cette fermeture à sa ma-
nière, dans son numéro du 2 avril : — « Ze relâche four cause
de réparations a commencé hier à l'Opéra-Comique, disait ce
journal. Il n'y a là, comme on l'a dit, rien qui constate le
mauvais état des affaires de la société par laquelle vient d'être
exploité ce théâtre. Il sera prouvé, au contraire, que ses
recettes ont largement égalé ses dépenses pendant toute la
durée de sa gestion, qui a été de dix-huit mois. Cette clô-
ture est plutôt une preuve de la conclusion des affaires
entamées depuis assez longtemps dans le but de réunir
l'Opéra et l'Opéra-Comique sous une même administration ;
et elle témoigne de la bonne harmonie qui règne entre les
deux futurs directeurs-associés et le gérant de Iz. société Paul
Dutreck (sic) et compagnie, puisque ladite clôture n'aurait point
eu lieu sans cet accord entre les parties. Ce premier pas
fait, le reste doit marcher promptement, et c'est ce que
tout le monde demande, au nom des intérêts généraux
d'abord, puis des intérêts privés. »
Trois semaines pourtant s'écoulèrent encore avant que le
ministère se décidât à faire cesser une situation qui engen-
drait tant de souffrances et lésait tant d'intérêts. Enfin, le
24 avril, le Courrier pouvait annoncer en ces termes la fin de
cette crise fâcheuse : « C'estfait. M. Crosnier est directeur du
théâtre de l'Opéra-Comique. Le privilège, signé par M. Thiers,
ministre de l'intérieur, est pour six années, avec une subvention
de 180.000 francs pour chacune d'elles, et moyennant un
cahier des charges stipulé largement et de manière à rendre
l'exploitation heureuse. Ce choix est agréable aux auteurs,
qui se sont montrés, comme on l'a vu, très difiBciles sous
ce rapport. Quant aux artistes de l'Opéra-Comique, leur
satisfaction ne saurait être mise en doute, puisque, d'une
part, ils trouvent le terme du malaise dont ils souffraient
déjà beaucoup, et que, de l'autre, les précédents adminis-
tratifs, ainsi que le caractère de M. Crosnier, leur donnent
tous les gages qu'ils pouvaient désirer. »
Cette fois, la combinaison était sérieuse. Le privilège était
au nom de Crosnier, qui, en prenant possession, s'attachait
comme associé Alphonse Cerfberr avec le titre d'administra-
teur. Crosnier avait donné des preuves d'habileté à la Porte-
Saint-Martin; il n'en devait pas moins montrer à l'Opéra-
Comique, où son activité et son désir de bien faire ne purent
un instant être mis en doute. La troupe fut aussitôt recons
tituée, et aux artistes qui avaient fait jusqu'alors sa force et
son honneur, vinrent se joindre bientôt de nouvelles et
puissantes recrues qui la complétèrent de la façon la plus
heureuse. Une ère nouvelle s'ouvrait véritablîment pour
rOpéra-Comique, qui, après tant de secousses et de vicissi-
tudes de toutes sortes, après tant d'années de troubles et
d'inquiétudes, allait entrer enfin dans une période d'apaise-
ment, de tranquillité et de travail fécond qui devait relever
tous les courages et assurer le succès de l'entreprise.
(A suivre.) Arthur Pougin.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Cinquième article).
Bien tombé, le commerce de la féerie, — et j'en pleure. De toutes
les spécialités théâtrales c'était la moins littéraire et la plus repo-
sante, la moins alambiquée et la plus réconfortante, celle qui deman-
dait la moindre attention à la critique et permettait la plus grande
variété au metteur en scène. A-t-el!e jamais donné la méningite aux
petits enfants, comme l'ont prétendu des fabricants de drames histo-
riques jaloux de la concurrence? J'en doute fort. Quant aux grandes
personnes elles ont dû. aux féeries leurs meilleures soirées, celles
dont l'insondable bêtise, l'essentielle ineptie ne suggéraient que des
rêves parsemés de calembours, diaprés de coq-à-l'àne, illuminés
d'un flamboiement de lumière électrique. Hélas ! le genre est en
décadence: on n'adapte plus ni légendes ni fabliaux ; le Châtelet,
lui-même, a remplacé la Fée des bruyères par Catherine de Ru.ssie,
beauté moins suave. Heureusement, nous reste-t-il quelques peintres
décoratifs ou décorateurs fidèles aux anciennes traditions ; par exem-
ple, M. Blanchon, l'auteur de la Cuisine des étoiles, plafond de salle à
manger. Dans ce panneau plutôt... inattendu, on voit des marmitons
en blanc costume escalader des nuages de crème fouettée pour porter
des langoustes en belle-vue et de succulents pâtés aux étoiles qu'on
ne soupçonnait guère d'une pareille gourmandise. Nous sommes en
pleine féerie ; nous pouvons croire que MM. Floury fils ont ajouté
un tableau auxPiZittes du Diable ou à Ceiidrillon. Béni soit M. Blanchoa
de nous donner cette minute d'illusion.
Autre féeriste, M. La Lyre, et dans les sirènes blessées qui font
penser aux Rubens de la grande galerie du Louvre, et surtout dans
son Moïse recueilli par la fille de Pharaon. Ce commentaire pictural
du verset de l'Exode : « ... Et ayant ouvert la corbeille elle vit l'en-
fant; et elle vit l'enfant pleurer et elle en fut touchée de compassion
et dit: c'est un des enfants de ces Hébreux... » donne l'impression
peu biblique d'un ballet pour les Folies-Bergère : rien n'y manque,
ni les accessoires voyants, ni les carnations abondantes, ni les effets
de maillot. Et voici une vraie fée, qui ne rougit pas de sa profession,
qui l'avoue même ingénument sur le catalogue : la Fée aux chansons,
de M. Ernest Martens. A la féeris noble, ou, pour mieux dire, au
grand opéra classique et louis-quatorzien, à l'opéra emperruqué se
rattachent les nymphes de M. Lauth rapportant ses armes à Perses
dans un paysage genre Puvis de Ghavannes oii s'épanouissent de
pâles iris — les fleurs à la mode au salon des Champs-Elysées.
Beaucoup moins gais, — oh ! combien moins — la plupart des sym-
bolistes dont les tableaux nous raccrochent à chaque tournant de
galerie. Voici le macabre Chemin de la mort, de M. Trigoulet installé
dans le vestibule du Salon: une gueule béante de sphinx camard;
la boule au trou pour les fêtes foraines. Les boules qui servent à ce
jeu, renouvelé de Neuilly, Saint-Cloud et les Loges, sont des rois et
des mendiants, des prélats et des mécréants, des milliardaires et des
bohèmes. A tout coup l'on plonge. La Reine des Rois, de M. Louis Bé-
roud, est inspirée de ces vers de Sully-Prudhomme :
Reine des rois, je plains qui t'ose aimer!
Beauté, to voir cache un martyre,
Te désirer n'est qu'un délire.
Tu n'offres que pour affamer...
Au pied de la beauté assise sur un trône, les grands de la terre se
prosternent tandis que dans le fond du tableau se battent des athlètes
en costume de conseil de revision. — Plus délicate et d'exécution
plus fine, la composition symbolique de M. Jean Veber, l'Homme aux
poupées. Dans une chambre grillagée comme un cabanon, uu homme
à la figure fatiguée est assis entouré de poupées brisées et sanglantes.
LE MÉNESTREL
17d
une madone, une Minerve, une châtelaine en ses oripeaux moyen-
âge, etc., etc. De ses mains nouées d'un violent effort, il émiette une
autre poupée portant sur sa tête la couronne de lauriers et qui re-
présente la gloire ou l'ambition. Pendant qu'il s'épuise à meurtrir
ainsi ses chimères, la beauté vraie, la beauté en chair rose et en che-
veux d'or ruisselant sur ses épaules, s'offre à lui sans qu'il ait seule-
ment un regard pour la créature vivante. Œuvre intéressante et fine,
d'une exécution serrée et d'un symbolisme accessible à la foule.
Vous plaît-il maintenant de savoir comment la Réalité s'y prend
pour « chasser le Rêve » ? M. Gumery vous le montrera en un tableau
qui n'est pas indifférent. — Voulez-vous connaître les idées de
M. Bondoux sur la façon dont la Chimère, gibier capricieux, se dé-
robe à ses chasseurs sans toutefois les décourager? Ce sont des idées
plutôt gaies et vraiment spéciales. La Chimère de M. Bondoux, pelo-
tonnée en boule, dans la pose d'une Vénus accroupie dont les genoux
rejoindraient la poitrine, fuit ses poursuivants en leur faisant face,
si j'ose m'exprimer ainsi. Quant à M. Destrem, sa toile n'est qu'une
vision, d'ailleurs étrange : la Symphonie fantastique. Une plaine, au
clair de lune. Un Berlioz immense, dégingandé comme un Paganini.
Autour de lui, des centaines de spectres de musiciens alignés devant
d'autres centaines de fantômes de pupitres qu'éclairent de vagues
apparences de cierges ou de bougies.
Chemin faisant, je retrouve deux compositions allégoriques, la Tou-
louse de M. Edmond Yarz, qui ne laissera pas indifférents les innom-
brables Toulousains de notre colonie artistique parisienne, et la
Glorification de la Bourgogne de M. Henri Lévy, toile destinée à l'Hôtel
de ville de Dijon. Dans celte grande page d'apparat, d'un coloris
romantique, la Musique, la Peinture et la Poésie sont groupées aux
pieds d'une Bourgogne que j'aurais voulue plus plantureuse. Parmi
les gloires de la province, Rude, Prudhon, l'architecte Sambin,
Rameau, Buffon, Bossuet, Lacordaire, Crébillon, Greuze, Piron, le
président Des Brosses — et même Lamartine, qui est d'ailleurs fort
mal placé, beaucoup plus mal que Piron et Sambin. Pauvre grand
Lamartine! la déveine le poursuit par delà le tombeau. Pas de marbre
présentable. Et dans une composition allégorique qu'il devrait centrer,
le mauvais coin ! Heureusement sa gloire ne s'en porte pas plus
mal. Il semble même qu'elle soit en train de reprendre de l'avance
sur l'illustration longtemps encombrante et même accapareuse de
Victor Hugo.
Kst-ce un tableau de nu, est-ce une peinture historique, la grande
toile de M. de Laubadère représentant les captifs livrés aux bêtes
dans l'arène? Ce point reste douteux, mais la scène est disposée avec
quelque nouveauté dans l'arrangement. Les bêles fauves ne jouent
qu'un rôle très effacé dans ce terrible finale des Martyrs ; on n'aperçoit
même qu'un seul lion, un pauvre petit lion de rien du tout ou de peu
de chose à la porte de la geôle. Mais la meute hurlante qu'a di.ssi-
mulée M. de Laubadère, les victimes la voient; le groupe s'est con-
centré au milieu de l'arène; les femmes s'évanouissent; les gladiateurs
vaincus cherchent leurs armes ; un Gaulois attend son sort avec rési-
gnation ; d'autres condamnés, pour prolonger d'une minute leur
agonie, grimpent sur le soubassement d'une statue. L'ensemble a de
l'équilibre et de la grandeur.
De genre également composite la Vérité et la Fable de M. de Brito;
la Nature et le Poète de M. Buckland ; VHylas entraîné par les nymphes,
de M. Dabadie ; le tableau criard de M. Doyen représentant la Foire
aux fiancées en Assyrie d'après cette assertion d'ailleurs peu vérifiée du
grand voyageur, grand conteur et grand hâbleur Hérodote : « Ceux
qui avaient des filles à marier, les amenaient tous les ans dans un
endroit où s'assemblaient autour d'elles une certaine quantité d'hom-
mes. Un crieur public les faisait lever et les vendait toutes l'une
après l'autre ; la Sirène attirant les pécheurs au fond de la mer, de
M. Durand (elle aurait manqué au rendez-vous annuel ainsi que
r Ondine jouant dans les flots de M. Dupuis, et te Muse des bois de M. Che-
vreuil, et la Muse endormie de M. Brunel, et la Fin de la cigale de
M. Durangel, et la nymphe Égérie de M. Roux-Renard). Les Saphos,
qui sont nombreuses, ne rentrent pas davantage dans une classifi-
cation précise. Celle de M. Retru est surtout une étude de rochers;
celle de M. Tapissier, une fantaisie décorative ; enfin l'héroïne de
M. Lenoir, tout au bout du saut de Leucade, se recommande comme
effet d'aquarium ; on y voit, dans l'eau glauque où glisse la poétesse
des poissons rouges d'une vérité surprenante.
Regardons au passage une aimable fantaisie de M. Le Quesne,
Madame la Pluie, figure de femme à la fois grelottante et souriante
assise sur une des gargouilles des tours Notre-Dame et arrivons au
nu véritable avec la Vague de M. Bouguereau. Cette vague est toujours
la traduction par le pinceau du mythe éternel: l'Aphrodite sortie de
l'onde amère et « fécondant le monde en tordant ses cheveux. » Mais
M. Bouguereau l'a dépouillée de tout appareil, séparée de son cortège
de triions et d'Amours. Elle est assise au bord du rivage, gracieuse-
ment repliée sur elle-même et se laisse admirer sans plus de gêne ni
d'impudeur qu'un galet poli par le flot. L'œuvre est d'une distinction
que j'appellerais rare si le caractère de la peinture de M. Bouguereau
n'avait toujours été cette distinction même devenue une des formes
— ou des formules — de la perfection et s'affinant d'année en année.
L'Anémone des bois de M. Raphaël Collin est symbolisée par une
jeune fille au corps svelte, à la tête penchée sur l'épaule, dont
l'épiderme frissonne au contact de l'air et qui serre chastement sur
sa poitrine un bouquet blanc. Du Puvis de Chavannes plus dessiné,
trop transparent, et la promesse d'une gravure qui se vendra à des
milliers d'exemplaires, /-.es Lucioles de M. Danger sont décoratives ;
la figure nue de M. Guinier, la nymphe Echo de M. Bisson, l'étude
de M. Larteau ont des qualités de délicatesse. Et voici les rendez-
vous de baigneuses. M. "Wencker expose ses femmes au grand plein
air, en été, près d'un lac. D'un dessin peut-être un peu trop convenu,
trop banal dans la correction, trop grassouillet dans l'élégance, bref,
trop semblables à des héroïnes de Georges Ohnet en five o'clodc de
trempette, elles ont cependant de la grâce et du charme. Plus d'im-
précision et par conséquent plus de poésie dans les Baigneuses de
M. Gorguel, saisies au crépascule, près d'une eau déjà pénétrée d'om-
bre, moins miroitante mais aussi profonde que celle des compositions .
mythologiques d'Henner. Mentionnons la Toilette d'une nymphe de
M. Tellier, l'Hymne à Séléné de M. Thomas, la Baigneme de
M. Sucza-Pinto, et la Floraison de M""° Rongier, élude de jeune
femme étendue au milieu des herbes folles et faisant sa moisson de
primevères.
L'Écho et Narcisse de M. Boisson, les Ondines de M. Rieder, le&
Sirènes de M. Tapissier, déjà nommé, — des sirènes pour rasta-
quouères folâtrant entre un perroquet et un singe, sous ua pin
exotique, piès d'un fleuve qui semble une coulée de lave ardente
sous les rayons du soleil — ne sortent pas du déjà vu malgré la
fantaisie de certains détails. En revanche, M. Gérôme, que nous
retrouverons à la peinture de genre, a voulu faire du nouveau avec
la Vérité émergeant du puits. C'est une Vérité à l'usage des misan-
thropes, des Alcestes, plutôt que des vrais sages. Elle surgit des
entrailles de la terre, non seulement animée de
Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vigoureuses
mais armée en guerre et brandissant le fouet de la satire dont
M. Gérôme a fait un martinet à cinq branches. L'inconvénient de
cette nouvelle interprétation du mythe est de donner à cette pauvre
Vérité qu'on se figure généralement impassible, à la façon d'une
déesse de l'immuable Olympe, l'aspect farouche d'une Euménide
(A suivre.) Camille Le Senne.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONNIERS POLITIQUES
Déjà, la musique avait prêté son langage ailé au martyr italien
pour communiquer avec ses compagnons d'infortune, quand, aux pre-
miers jours de leur captivité, ils avaient été transférés à la prison de
Porta-Nueva. Andryane commençait des chants français ou italiens,
« bieo mélodieux, bien expressifs », que les détenus écoutaient reli-
gieusement et dont ils reproduisaient en chœur les parties qui répon-
daient le mieux à leur organisation musicale. Le vieux conseiller
Pi zzini, qui était inspecteur des prisons, défendit ces concerts qu'il
trouvait scandaleux. « Il ne savait, disait-il, ce qu'il devait le plus
blâmer, du cynisme des détenus ou de leur absence de sens moral ».
Andryane répondit à ces accusations par cette éloquente justification
adressée à sa famille :
... 0 Peut-être, ô mes chéris du cœur, vous aura-t-on dit que nous
chantions? peut-être vous aura-t-on ajouté que, loin que nous fussions
affligés, il fallait au contraire modérer les accents de notre insouciante
o-aieté. Hélas! que celui qui vous aurait ainsi parlé prouverait bien qu'il
connaît peu le cœur humain et surtout le cœur des prisonniers!... Les
chants ne sont pas faits seulement pour exprimer la joie : la tristesse a
aussi ses accents bien plus sentis, sans doute, car le chant de l'infortune
est une sorte d'expansion du cœur qui supplée au récit des malheureux, à
l'épanchement de la peine dans le sein de la pitié!... Que de fois une
chanson d'enfance, un air national, n'ont-ils pas rappelé de touchants sou-
venirs et fait répandre de douces larmes ! Que de fois n'ont-ils pas ra-
172
LE MENESTREL
nimé le courage abattu du soldat éloigné de sa patrie, du captif accablé
sous le poids de ses chaînes... Que de fois un air mélancolique et tendre
n'a-t-il pas adouci l'excès de mallneur et raffermi une résignation prête à
s'éteindre !... Chante donc, pauvre inlortuné, qui ne respire plus l'air de la
liberté, chante... verse sur tes plaies le baume bienfaisant d'une douce
harmonie, les sons de ta voix monteroni, jusqu'à Dieu, il verra tes souf-
frances, il en aura pitié, chante... c
Le jour où Silvio Pellico fut incarcéré au Spielberg, Andryane lui
rendit les bons oflices qu'il avait reçus de Monpiani. Pendant qu'il se
promenait sur l'étroite plate-forme, où ses gardiens le conduisaient
respirer un peu d'air, il entendit Silvio lui crier du fond de son cachot :
« Alessandro mio, siffle-moi quelques-uns de ces airs de France que
j'entendais dans ma jeunesse et qui me sont toujours resiés au
cœur ». Accoudé au parapet du bastion, Andryane obéissait à cette
douce iDJonction: il sifflait la romance favorite de Silvio:
Gomme un doux souvenir de mes jours de bonheur
puis il passait à d'autres chansons, à moins qu'une sentinelle, plus
méfiante que les autres, ne vint à lui crier: « Allons, en marche,
galérien, et silence».
Le roman venait quelquefois peupler de ses lêves décevants la soli-
tude des patriotes italiens. Un jour, Andryane et Rinaldini entendent,
à proximité de leur cachot, les modulations d'une harpe soutenues
par un cor anglais; ils se bissent jusqu'aux barreaux de la fenêtre
et découvrent dans une maison voisine les deux virtuoses.
« C'était une douce et mystérieuse musique, écrit Andryane; on
eût dit les célestes accords des anges radieux ». Il voit l'artiste qui
jouait de la harpe : c'était une belle jeune femme. Il admire son
abondante chevelure, sa pose mélancolique. Qu'elle était ravissante,
à celte heure indécise où le crépuscule l'enveloppait de son ombre !
D'une main, elle montrait son cœur, et de l'autre, les cieux. Tout à
coup une fenêtre s'entrouvre; la jeune femme porte ses yeux dans
cette direction et sa figure s'éclaire de bonheur: « Ils s'étaient vus ! »
Hélas ! c'était pour un autre prisonnier qu'Andryane que s'était donné
ce concert enchanteur.
Nous trouvons aussi la femme chez Silvio Pellico, la femme mêlée
à ses rêveries musicales de prison: mais sous le poète et l'artiste
perce le penseur, le moraliste, le philosophe moderne, le féministe,
tel qu'il nous apparaît aujourd'hui dans la personnalité d'Alexandre
Dumas fils.
Silvio était séparé par un mur peu épais du cachot des « femmes
perdues ».
« L'une d'elles, dil-il, était plus douce que toutes les autres, se
faisait entendre plus rarement et ne proférait jamais de refrains vul-
gaires. Klle chantait peu et répétait le plus souvent ces deux seuls
■vers pathétiques :
Chi rende alla meschina
La sua félicita?
» Quelquefois elle chantait les litanies. Ses compagnes la soute-
naient; mais je savais bien distinguer la voix de Madeleine de celles
des autres, qui ne me semblaient que trop acharnées à me la ravir. <>
Ces cachots du Spielberg virent des scènes d'héroïsme dignes des
temps antiques et dont la musique peut revendiquer une glorieuse
part.
Le poète Maroncelli partageait la captivité de son ami Silvio Pellico.
Il dut subir une amputation terrible à laquelle assista le célèbre
patriote qui l'a racontée en ces termes :
Le malade fut assis sur le bord du lit, les jambes en bas; je le tenais
entre mes bras. Au-dessus du genou, là où la cuisse commençait à être
saine, fut placée une ligature pour marquer le cercle que devait parcourir
le couteau. Le vieux chirurgien coupa tout autour la profondeur d'un doigt
puis tira en haut la partie divisée et continua la section sur les muscles
dénudés. Le sang coulait à torrents des artères, mais celles-ci furent promp-
tement liées avec un fil de soie. Enfin on scia l'os.
Maroncelli ne poussa pas un cri. Lorsqu'il vit qu'on emportait sa jambe
coupée, il lui donna un regard de compassion, puis se tournant vers le
chirurgien opérateur, il lui dit :
— • Vous m'avez délivré d'un ennemi et je n'ai aucun moyen de vous en
récompenser.
Il y avait une rose dans un verre sur la fenêtre.
— Je te prie de m'apporter cette rose, me dit-il.
Je la lui portai et il l'offrit au vieux chirurgien en lui disant :
— Je n'ai pas autre chose à vous offrir en témoignage de ma recon-
naissance.
Celui-ci prit la rose et pleura.
Or, pendant les préparatifs de cette cruelle opération, le sto'ique
Maroncelli composait les paroles et la musique d'une romance que les
curieux trouveront dans V Autographe de IS64 — une publication du
Fiîjaro.
Au moment où les patriotes italiens étaient rendus à la liberté, les
derniers ministres de Charles X en étaient privés. Incarcérés à Vin-
cennes en attendant leur comparution de-^ant la Chambre des pairs,
ils n'ignoraient pas qu'ils étaient inculpés du crime de haute trahison
et par conséquent menacés de la peine capitale. Les représentants
des monarchies absolues sont, comme les partisans de la révolution,
exposés à ces jeux de bascule politique.
En général, les ministres de Charles X supportèrent avec tranquillité
d'esprit celle siluation critique. L'un d'eux. Gueruon-Ranville, bon
musicien et doué d'une jolie voix, passa une partie de sa dèlention
préventive à chanter des romances en s'acconipagnanl de la guitare.
Il fut condamné, comme ses collègues à la réclusion perpétuelle, et,
comme les patriotes italiens, gracié après quelques années de prison.
Le prince de Polignac, chef du cabinel, interné dans la citadelle
de Ham, avait écrit les paroles d'une romance qu'il envoya à M"'° Pau-
line Ducbambge. Cette aimable compositeur la mit en musique et la
retourna à l'auteur. Ce genre a repris faveur depuis quelques années.
Le vieux répertoire a retrouvé son auditoire attendri : mais qui nous
rendra la romance du prince de Polignac?
(A suivre.) Paul d'Estbée.
NOXJ"VELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (28 mai). — Une très curieuse
séance de musique ancienne a été organisée par M. Gevaert, lundi dernier,
au Conservatoire, dans l'intimité d'un petit auditoire d'invités choisis.
L'éminent directeur du Conservatoire de Bruxelles offrait à la Soàété philo-
logique, — dont le fondateur, le savant M. Wagener, son ami et son colla-
borateur, vient de mourir, — une conférence sur la musique grecque, avec
audition de musique antique exécutée sur des instruments originaux, ou
tout au moins reconstitués d'après les originaux par M. Victor Mahillon.
On comprend l'intérêt d'une conférence de ce genre par M. Gevaert, dont
l'esprit donne du charme aux sujets les plus abstraits; sa causerie a été
un résumé infiniment attachant des principaux points de l'admirable
histoire dont il a récemment terminé la publication, après vingt ans de
travail opiniâtre, et les exemples dont il l'a accompagnée lui ont donné
une saveur toute particulière.
On a entendu notamment, joués par M"*' Lunssens, une série d'exercices
et de petits airs pour cithare, en mode hypodorien, extraits d'un traité
anonyme du temps de l'Empire romain, et rappelant à s'y méprendre les
petits airs de nos méthodes modernes de piano; — puis, chantés par
M. Disy, un Hymne à la Muse, en mode dorien, et un Hymne à Némésis, en
mode hypophrygien, tous deux du 11" siècle après Jésus-Christ, ainsi que
le fameux Hymne à Apollon, avec 'accompagnement de cithare, rétabli inté-
gralement par M. Gevaert, et non bouleversé comme l'avait fait tout
d'abord M. Reinach lors de ses premières auditions; — un professeur du
Conservatoire, M. Poncelet, a exécuté, sur une tibia spondaïque, un chant
funèbre en mode syntono-lydien, et, sur un aulos double, une synaulie en
mode phrygien; enfin, un autre professeur, M. Seha, a fait résonner d'é-
clatantes fanfares romaines (Trochaeum et Classicum) sur une formidable
buccine.
Tout cela a obtenu un succès considérable. Et ce qu'il y avait de
piquant, dans l'affaire, c'est que M. Gevaert avait fait revêtir aux exécu-
tants des costumes de l'époque !... La couleur locale, il n'y a que ça ! Les
lunettes de M"" Lunssens, qui est myope, donnaient peut-être un cachet
imprévu à sa toilette grecque, et détonnaient certes sur sa blanche chla-
myde; mais ce détail n'a pas trop nui à l'impression générale, qui a été
très vive.
Dans la liste des nouveaux chevaliers de l'ordre de Léopold que je vous
ai donnée la semaine dernière, figure le nom de M. Bouhy, « professeur à
Verviers ». Saviez-vous que ce M. Bouhy, que le Moniteur a qualifié égale-
ment de II compositeur », n'est autre que M. Jacques Bouhy, l'ancien
chanteur, qui a créé, à Paris l'Érostrate de M. Reyer, le rôle d'Escamillo
dans Carmen, le Don César de Bazan de M. Massenet, le rôle de Domingue
dans Paul et Virginie et le Bravo de M. SalvayreV Après sa brillante carrière
artistique, il fut pendant trois ans directeur du Conservatoire de New- York ;
après quoi il s'est établi professeur à Paris et.... à Verviers, où il vient
passer tous les ans plusieurs mois, près de son vieux père, qui habite Spa,
et où il est né, — car M. Bouhy est Belge (comme tant d'autres « étoiles
parisiennes !) ce qui lui a valu l'avantage de voir son nom dans la récente
fournée de décorés nouveaux. L. S.
— Prochain spectacle Saint-Saëns à la Monnaie de Bruxelles, saiso»
d89li-1897 : la Princesse jaune, Phryné et, pour terminer, un ballet nouveau,
AUboron, qui, dans le principe, était destiné au petit théâtre parisien des
Folies-Marigny qui ne fit que passer.
LE MENESTREL
173
— Au banquet impérial qui a eu lieu mardi dernier au Kremlin, à
Moscou, à la suite de la cérémonie du sacre de l'Empereur dans la cathé-
drale de l'Assomption, les artistes de la musique impériale ont exécuté,
entre autres mmceaux, une cantate expressément écrite pour la circons-
tance par le jeunn compositeur Alexandre Glazounow. Durant le défilé du
cortège se rendant à l'Assomption, l'orchestre de la cour a fait entendre,
outre l'Hymne national. Dieu protège le czar, la fanfare de l'ouverture d'Hamlel
de Tschaïlcosvsky, transcrite pour une série de trompettes de diverses gran-
deurs et de sonorités diverses.
— De notre correspondant de Londres (28 mai): — Fra Diavolo interpréta
par des chanteurs de grand opéra, alourdi par des récitatifs et accompagné
par cent instrumentistes, ressemble à une aquarelle vue au travers d'un
verre grossissant: les détails s'épaississent et l'ensemble s'affaiblit. Le pim-
pant chef-d'œuvre d'Auber perd tout son parfum, toute sa fraicheur dans
l'immense vaisseau de Covent-Garden ; il s'y trouve mal à l'aise. M. de
Lucia est un excellent chanteur, mais il n'a ni le genre de voix, ni la
prestance qui conviennent au rôle de Fra Diavolo. Le style et le mouve-
ment des morceaux sont également dénaturés par lui. La basse Bispham
(lord Rocburg) n'est pas non plus dans la note du rôle, lequel est dans
l'emploi d'un trial. W' Marie Engle chante son rôle de Zerline de la façon
la plus agréable. La voix est fraîche, juste, bien posée et la vocalisation
irréprochable. Si elle pouvait ajouter à ces diverses qualités un peu d'éclat
et de chaleur, ce serait tout à fait remarquable. MM. Pini-Corsi et Arimondi
(Beppo et Giacomo) ont remporté le succès de la soirée. Leurs personnifi-
cations des deux joyeux bandits sont des modèles de boufi'onnerie lyrique
tels que nous les ont légués les plus célèbres basses bouffes de l'ancien
Opéra italien. L'orchestre, dirigé par M. Bevignani, a accompagné assez
confusément la délicate et toujours jeune musique d'Auber. L. Schlesinger.
— On nous écrit de Londres, 23 mai: « La compagnie électrophone
avait convié hier soir la presse anglaise et les représentants de la presse
étjangère à une bien intéressante audition, dans ses ateliers de Gerrard
Street. A la suite d'un accord intervenu entre les administrations française
et anglaise, nous avons eu à Londres une audition de la représentation du
jour à l'Opéra et à l'Opéra-Comique de Paris, Si habitué que l'on soit à
manier le téléphone, on éprouve une émotion singulière à entendre
M""^' Rose Garon chanter à 40"2 kilomètres de distance. Nous n'oserions dire
que tous les sons nous sont parvenus avec une netteté parfaite. Les com-
munications téléphoniques se ressentent beaucoup de l'état de la mer, et
dans certains jours de tempête on n'entend absolument rien. Hier soir,
par bonheur, la Manche n'était pas trop agitée et d'assez nombreux passages
de Hdlé nous sont arrivés très distincts. C'est la première fois qu'une au-
dition d'opéra réussit sur une aussi grande distance. »
— Tous les grands journaux anglais sans exception, le Times, le Daily
Telegraph et le Globe en tête, prodiguent les éloges à M"'= Glotilde Kleeberg
qui donne eu ce moment des concerts à Londres.
— Voici la liste des compositions de la grande artiste qui avait nom
Clara Schumann, dont nous avons annoncé la mort : Op. 1, quatre Polo-
naises; op. 2, Caprices en forme de valses; op. 3, Romance variée; op. 4,
Valses romantiques; op. 5 et 6, Soirées musicales, 10 pièces caractéristiques;
op. 7, Concerto de piano en la mineur; op. 8, Variations de concert en ut,
sur la cavatine d'i7 Pirata, de Bellini; op. 9, Souveyiir de Vienne, impromptu
en vii ^; op. 10, Scherzo en ré mineur; op. 11, 3 Romances; op. 12,
3 lieder sur des poésies de Rûckert (compris dans les 12 lieder de Robert
Schumann op. 37, dont ils forment les n"s 2, i et 11) ; op. 13, 6 lieder; op. 14,
deuxième scherzo en ut mineur; op. IS, 4 Pièces fugitives; op. 16, 3 Pré-
ludes et fugues; op. 17, Trio pour piano, violon et violoncelle, en sol mi-
neur; op. 18etl9, (?); op. 20, Variations sur un thème de Robert Schumann;
op. 21, 3 Romances; op. 22, (?); op. 23, 6 lieder. Enfin, plusieurs autres
lieder, un andante et allegro pour piano et des cadenze pour les deux con-
certos de Beethoven en ut mineur et en sol.
— Puisque nous parlons de M'"^ Clara Schumann, enregistrons la nou-
velle donnée par la Gazette de Francfort, qui croit savoir que la grande ar-
t'ste a laissé un journal plein de souvenirs intéressants sur les hautes
personnalités et le mouvement de la musique dans ces quarante dernières
années.
— Les héritiers de Richard Wagner ont commencé toute une série de
procès contre les théâtres allemands qui ont acquis à forfait du vivant de
Richard Wagner le droit de représenter ses œuvres. Ils demandent des
droits d'auteur pour chaque représentation. Le tribunal suprême de Leip-
zig vient de les débouter dd leur demande contre le théâtre de la cour de
Schwérin; mais cela ne les a pas découragés et ils intentent un procès de
même nature au théâtre grand-ducal de Weimar, qui pourtant est en mesure
de produire des traités conclus avec Richard Wagner en 1877 et en 1878.
Plusieurs journaux allemands jugent le procédé dans des termes assez
sévères, car il ne faut pas oublier que le théâtre de Weimar a été, grâce à
Liszt, le premier où Wagner, à cette époque fugitif politique, a pu faire
jouer pour la première fois son Lohengrin, et arriver à la notoriété. loutile
d'insister sur tout ce que Richard Wagner doit à Liszt et au théâtre de
Weimar; ses héritiers seuls semblent l'oublier puisqu'ils demandent au
tribunal de Weimar un jugement interdisant au théâtre grand-ducal de
représenter U Valkyrie avant l'époque où cette œuvre sera tombée dans le
domaine public !
— L'Opéra royal de Berlin a joué, pour la première fois, un nouvel
opéra en trois actes intitulé: Ingo, livret tiré d'un roman historique (es
Ancêtres, de Gustave Freylag, musique de M. Philippe Ruefer. L'œuvre a
remporté un grand succès, qui est dû surtout à l'orchestration que le com-
positeur a traitée avec beaucoup d'art.
— Il parait qu'on réunit en ce moment à Munich une « troupe monstre»
d'opérette, qui est destinée à parcourir l'Europe dans une grande tournée
pour faire connaître les chefs-d'œuvre du genre éclos en Allemagne. Ainsi
qu'on le fait dans un autre ordre d'idées pour les représentations de Bay-
reuth, on écréme, pour former cette troupe, celles des meilleurs théâtres
allemands où l'on joue l'opérette. Ceci, d'ailleurs, n'est point affaire de
spéculation, et on assure que le directeur de cette compagnie de choix
n'est autre qu'un noble duc, fort riche et follement épris d'une jeune chan-
teuse qu'il veut faire ainsi briller d'une façon exceptionnelle. Décors,
costumes, matériel, tout sera entièrement neuf et de grand Iuxp, et jamais
on n'aura vu opérettes montées avec une telle splendeur. Cette troupe mo-
dèle commencera par parcourir les différents États de l'Allemagne, après
quoi elle visitera la Suisse pour se rendre ensuite en Italie.
— La junte municipale de Vigevano, ville où l'excellent compositeur
Cagnoni, dont nous annoncions récemment la mort, remplit pendant plu-
sieurs années les fonctions de maître de chapelle, a décidé de donner à
l'une des rues de cette ville le nom de rue Antonio Cagnoni. Le théâtre,
lui aussi, prendra le nom de théâtre Cagnoni. La junte est encore dans
l'intention de réclamer les restes du compositeur, pour être inhumés dans
le caveau qui porte déjà le nom des familles de Benedetti-Cagnoni.
— C'est aujourd'hui, 31 mai, que doivent avoir lieu à Pescia les fêtes
pour le centenaire du compositeur Giovanni Pacini, le vieil ami de Mer-
cadante, de Rossini et de Donizetti. Entre autres, on doit donner, à cette
occasion, un grand concert au théâtre Pacini, et un grand festival sur la
piazza Vittorio-Emanuele, festival auquel prendront part les bandes musi-
cales de Pescia, de Monsummano et de Ponte a Buggiano, qui toutes trois
exécuteront des fragments de divers ouvrages du vieux maître : Medea,
il Sallimbanco, la Fidanzata corsa, etc.
— A Reggio de Calabre, a été représentée avec succès une opérette nou-
velle en trois actes, la Fondazione di Napoli, dont la musique a été écrite
par M. Morrâ.
— Les municipes italiens ont parfois des idées burlesques en matière
musicale. Celui de Salerne vient d'ouvrir un concours pour la place de
flûte dans la musique communale. Pas très généreux de sa nature, ce mu-
nicipe ofl're fastueusement 40 francs par mois à l'artiste qui sortira vainqueur
de ce concours, si plusieurs compétiteurs se sont présentés, mais il abaisse
ce chiffre à 2o francs si un seul concurrent affronte l'épreuve 11!
— On nous écrit de Montréal : « L'orchestre symphonique de notre ville,
qui est une association coopérative, vient de terminer sa seconde saison,
et le succès a été tellement important que l'avenir de cette entreprise artis-
tique semble désormais assuré. Cela est d'autant plus intéressant que les
prix d'entrée ont été fixés à un véritable minimum et permettent à tous
les amateurs de bonne musique d'assister aux concerts de celte société.
On trouve des places réservées à 2 fr. 50 c. et à 2 francs et l'entrée est
de 1 fr. 25 c. ; impossible de demander davantage. Dans les programmes
des concerts, la musique française joue un rôle considérable. Nous y trou-
vons les Scènes pittoresques et le Dernier sommeil de la Vierge de Massenel, des
fragments de le Roi l'a dit de Delibes, les ouvertures de Mignon et de Ray-
mond d'Ambroise Thomas, des fragments de Sigurd de Reyer et A'Aben-
Hamet de Théodore Dubois, et le Saticla Maria de J. Faure. Les chefs d'or-
chestre, MM. Couture etGérôme, ont déployé beaucoup de talent et d'éner-
gie, et le succès de l'entreprise doit leur être attribué en grande partie. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Tout le, succès que faisait prévoir la répétition de gala d'Hamlet s'est
réalisé à la première représentation. Mêmes grands applaudissements pour
M""= Melba, M. Renaud et M"« Deschamps-Jehin. La recette a dépassé
22.000 francs. C'est vraiment coquet. Hier samedi, on donnait la deuxième
représentation.
— C'est le lundi 8 juin que M. Van Dyck chantera à l'Opéra Lohengrin, et
le vendredi 12 qu'il chantera le Tannhâuser. M'"^ Kutscherra débutera le
lundi 15 mars dans le rôle de Sieglinde, de la Valkyrie. Peut-être les abon-
nés auront-ils la surprise d'entendre ce même soir M. Van Dyck à côté de
la nouvelle interprète de Wagner.
— Le programme officiel de l'Opéra pour la prochaine saison 1896-1897
paraît ainsi arrêté : reprise i'Hellc en septembre, avec les créateurs ; Don
Juan en octobre, avec M. Renaud ; en novembre, Tamara, de M. Bourgault-
Ducoudray, et le ballet de MM. Wormser, Aderer et Camille de Roddaz :
l'Étoile, avecM"=Mauri ;en mars, ilfessidor, l'opéra de M. Alfred Bruneau, sur
le livret de M. Emile Zola. — Voilà l'officiel. Mais quelques surprises
encore pourraient venir s'ajouter à toutes ces promesses. C'est ainsi qu'il
est fort question de la remise à la scène du ballet Namouna, d'Edouard
Lalo.
— A l'Opéra-Comique, la reprise du Pardon de Ploërmel sera pour l'autre
semaine, suivie de près de la Femme de Claude et d'une reprise de Don
Pasquale.
17/1.
LE MÉNESTREL
— Au même théâtre, M"' Fernande Dubois a pris très heureuse posses-
sion du rôle de ilignon, dans la version originale de Galli-Marié. Le public
l'a très chaleureusement accueillie.
— Mardi dernier, à l'occasion de la fête du couronnement du czar, la
représentation d'Orphée à l'Opéra-Comique s'est terminée par l'exécution
d'un arrangement de la Marseillaise et de Vllymne russe spécialement écrit
pour la circonstance par M. Paul Puget. On a touIu l'entendre a'ois fois
de suite! De son côté, la Comédie-Française, dans un entr'acte de YHamlet
de M. Paul Meurice, a fait entendre l'Hymne russe par son orchestre. Enfin,
le petit Théàtre-Vivienne lui-même, qui ne se refuse rien, a fait exécuter,
entre les V isitandines et l'Epreuve villageoise, Vnynme russe et la Marseillaise.
: — Les professeurs du Conservatoire ont offert un banquet à M. Emile
Kéty, qui, après tant d'années de bons et loyaux services, a décidé de
quitter l'administration de la glorieuse école. Le restaurant Marguery
s'était à cette occasion tout particulièrement signalé et avait, comme on
dit, mis les petits plats dans les grands. On pense si le diner fut cordial
et les toasts nombreux. Insistons surtout sur celui du directeur des beaux-
arts, qui a annoncé que le Conservatotre ne perdrait pas tout à fait
M. Emile Réty, puisque le ministre l'allait nommer administrateur hono-
raire et membre du conseil supérieur d'enseignement. Au cours du ban-
quet, M. Lenepveu avait remis à M. Réty une fort belle médaille gravée
par M. Chaplain, avec une adresse signée par tous les professeurs de
l'école.
— Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a décerné le prix
Chartier (500 francs), destiné à encourager, dans la personne d'un compo-
siteur français la musique dite « de chambre », à M. F. de la Tombelle,
a auteur d'œuvres rentrant tout à fait dans le vrai style de cette musique >■;
et le pris Monbinne (3.000 francs), destiné à récompenser l'auteur de la
musique d'un opéra-comique en un ou plusieurs actes, à M. Paul Vidal,
pour son opéra-comique en trois actes, Guemica, représenté au théâtre de
rOpéra-Comique en 1893.
— Au cours du long séjour qu'il a fait cet hiver en Egypte, particulière-
ment à Louqsor, où il est resté plusieurs mois, M. Saint-Saëns n'a pas
seulement composé le concerto de piano et la sonate piano et violon qu'il
doit jouer à son concert du 2 juin (et qui' n'est point, comme le croit un
de nos confrères, celle qu'il a exécutée avec M. Sarasate au concert de ce
dernier). Il a écrit encore plusieurs autres morceaux, entre autres une
Berceuse pour piano, dédiée à l'enfant nouveau-né d'une famille amie, et
un duo vocal pour ténor et baryton, dont il est à la fois le poète et le
musicien, et qui est destiné à être chanté par MM. Alvarez et Renaud.
— 'Voici le programme complet du concert Saint-Saëns qui aura lieu
après-demain mardi, 2 juin, à la salle Pleyel; l'orchestre, exclusivement
composé d'artistes de la Société des concerts du Conservatoire, sera dirigé
M. Taffanel :
Ouverture des Noces de Figaro (Mozart), exécutée au concert de 1846; l'orches-
tre ; 5° concerto pour piano et orchestre (op. 103) (C. Saint-Saëns), 1" audition :
l'auteur; Introduction du 2' acte de Phryné: l'orchestre; Romance pour Ilûte et
orchestre (op. 37) ; P. Taffanel, l'orchestre sous la direction de l'auteur ; 2' sonate
pour piano et violon (op. 102), 1" audition: P. Sarasate et l'auteur; la Mort de
Thaïs (Massenet-Saint-Saëns| : C. Saint-Saëns ; 4« concerto en si bémol (Mozart),
exécuté au concert de 1846 : C. Saint-Saëns et l'orchestre.
Dès le lendemain de ce concert, M. Saint-Saiins ira s'installer à Saint-
Germain pour y terminer l'orchestration du ballet dont nous parlons plus
haut et qui doit être joué à Bruxelles.
— M. Théodore Dubois, le nouveau directeur du Conservatoire, vient de
terminer la composition d'un poème légendaire. Notre Dame de la Mer. Cet
ouvrage, dont la partition comprend dix numéros, est écrit pour soprano,
mezzo, ténor, chœur et orchestre. Il sera exécuté à Paris au cours de la
saison prochaine.
— L'église Saint-Gervais a célébré avec un grand éclat musical la fête de
la Pentecôte. Les excellents chanteurs de Saint-Gervais, sous la direction de
M. Charles Bordes, ont donné une remarquable exécution de l'admirable
Messe du pape Marcel, de Palestrina, après quoi ils ont fait entendre, au
salut, plusieurs motets couronnés aux concours de la Schola canlorum et
qui ont pour auteurs M. P. Jumel et MM. les abbés Boyer, Perruchot et
Ghassang.
— Le New-York Herald annonce la déconfiture des grands managers
Abbey et Grau, Ils avaient fort gagné dans leur sai.=on au Metropolitan
Opéra, Mais plusieurs autres entreprises qu'ils menaient de front ont amené
leur ruine. On parle de SO 0/0 qui pourraient être distribués aux créanciers.
D'ailleurs MM, Abbey et Grau ne pensent pas s'arrêter pour si peu — ce
sont aventures communes en Amérique — et ils reprendront leurs affaires,
l'an prochain, comme si de rien n'était.
— L'Empereur Napoléon, le beau drame épique de Ch. Grandmougin, joué
chez M""= Adam, au théâtre des Poètes et aux Bouffes-du-Nord, vient d'ob-
tenir à Châlons, à Besançon et à Vesoul un éclatant succès. La tournée
Delétras emporte l'œuvre dans le Midi. M. Charpentier (des Français) joue
le rôle de Napoléon I" avec une autorité qui le fait acclamer partout.
— Deux souscriptions nous sont encore arrivées pour le monument de
M™« Carvalho, trop tard pour être mentionnées dans notre dernière liste :
celle de M. Edouard Mougin (20 fr.) et celle de M""" Léon Delatosse (10 fr.).
Ajoutons que la souscription de 50 francs, que nous avions attribuée à un
M. Francès Saville, abusés par ce prénom tout viril de Francès, doit être
reportée â M""" Saville, la gracieuse pensionnaire de l'Opéra-Comique.
— A la Bodinière, charmante conférence de M. Lefèvre sur les grandes
chansons, suivie de l'exécution de quelques mélodies par le baryton Victor
Maurel, accompagné au piano par les compositeurs eux-mêmes. Remar-
qué surtout .Marquise de Massenet, Par le sentier de Dubois, l'Heure e.rquise
de Reynaldo Hahn, le Chevalier Belle-Étoile d'Augusta Holmes,, etc., etc.
— L'année scolaire de l'école Marchesi a pris fin, samedi dernier, par une
brillante audition d'élèves qui, comme toujours, avait réuni à le salle
Erard un fort contingent d'artistes et d'amateurs, auxquels s'étaient joints
de nombreux membres des colonies étrangères désireux d'assister à
l'épreuve que subissaient leurs jeunes compatriotes. Succès très grand, cette
fois encore, pour le remarquable enseignement de M'™ Marchesi, dont tant
déjeunes élèves déjà distinguées faisaient ressortir toute la valeur. Dix-huit
demoiselles se présentaient devant ce public choisi, parmi lesquelles quatre
anglaises, dix américaines et quatre russes. On a surtout applaudi et rap-
pelé W^'^ Sylvana (lieder de Schumannj, Eltinger (Mysolide la Perle du Brésil),
Taggart (Nocesde Figaro), Marra (Faust), Toronta (le Chevalier Jean), Kosminka
(Mignon), Boucicaull (la Traviata), Aïssa (le Prophète), Fraccisca (Hamlet),
et Sanda (Lakméj. Toutes ces jeunes filles, douées de belles voix, bien
posées et largement développées, ont déployé, en chantant en français, en
italien, en allemand, de remarquables qualités qui promettent en elles des
artistes d'avenir.
— M"» Hortense Parent fera entendre ses élèves de piano le dimanche
31 mai, salle Érard, à une heure et demie. Il y aura un intérêt de curio-
sité à comparer les résultats obtenus par l'éminent professeur qui vient
d'exposer en Sorbonne, avec le succès que l'on sait, les principes de sa
méthode d'enseignement, La seconde conférence de M'" Parent aura lieu
le l'^juin, le lendemain de sa matinée musicale.
— Matinée très brillante donnée à la galerie des Champs-Elysées par
l'École de chant Manoury. On a particulièrement applaudi, les scènes de
Sigurd par miss Stanley et M. Gautier; Hérodiade par M. Declery, superbe
Hérode, et miss Duff, très joli Salomé ; les Noces de yeanM»e brillamment
enlevées par M"= Louise Manche et M. X,..; Aida très bien jouée et chan-
tée par M""" Solty et M. Madieu, enfin le 4""^ acte de Mignon a valu un
grand succès à M"" Doiska, MM, Furet et Bischoff; M, X,.,, M''''^ d'Ayreux
et Mesmier se sont fait applaudir et rappeler dans les airs de Paladin de
Holmes, Paul et Virginie et Obéron. Les voix jeunes et fraîches, les progrès
remarquables de toutes ces jeunes filles et jeunes gens, dans le chant et
la mise en scène, démontrent la puissance d'enseignement et l'excellence
de la méthode Manoury,
— Dimanche 24 mai, au Jardin d'Acclimation, magnifique exécution de
la deuxième fantaisie de A. Périlhou par l'orchestre Pister et le pianiste
Staub. M, Staub a ensuite joué, seul, la Clochette de Paganini-Lisi-t et la
valse de concert de Diémer. Le public lui a fait une longue ovation et il
a dû ajouter au programme un troisième morceau. MM, Saint-Saëns et
Diémer ont vivement félicité le jeune pianiste,
— Aux deux dernières séances de la Société do musique nouvelle, grand
succès pour la suite de Conte d'avril, admirablement jouée par l'auteur,
MM, "Widor, et H. Libert, la Marche et la Saltarello de Massenet, transcrits
par M"'= Filliaux-Tiger, et pour les maîtres virtuoses, M'"<" Jossic, B, de
Momal, Th, Durosiez ; MM, Lefort, professeur au Conservatoire, A, Pa-
rent, Furet, Surt, etc., très applaudis dans les œuvres de César Franck,
Benjamin Godard, E. Bernard, Grieg, 'Widor, Le Borne, Eymieu, Jemain,
Sandre, etc.
— M'"^ Jeanne Meyer, l'excellente violoniste, vient de donner une série
de quatre concerts des plus intéressants dans lesquels elle a fait entendre
des trios pour piano, violon et violoncelle de M"= Chaminade, de MM, Boëll-
mann et Vincent d'Indy, une sonate dramatique de M, Colomer, pour
piano et violoncelle, une sonate piano et violon de M, de Boisdeffre, une
suite de M, E. Bernard, et nombre d'œuvres de nos grands compositeurs.
M"» Meyer s'était assuré le concours de la plupart des auteurs. Elle et ses
partenaires ont été chaleureusement applaudis par le nombreux public
réuni dans la salle de la rue de Trévise, H, B,
— Au Trocadéro, le samedi 13 juin, dans l'après-midi, aura lieu au profit
de l'ancien chef d'orchestre Luigini, sous la direction de M, Colonne, une
audition extraordinaire et populaire de la Damnation de Faust, de Berlioz.
Voici quelle en sera l'interprétation :
Marguerite M"" Maroella Pregi
Faust MM, Engel
Méphistophélès Auguez
Brander Nivette
L'orchestre et les chœurs, des concerts Colonne, se composeront de
200 exécutants.
Pour donner à ce concert son caractère populaire, il a été décidé que les
prix des places seraient considérablement réduits.
Fauteuils de parquet Fr. 5 »
Loges (la place) 4 »
Amphithéâtre (1" au 8° rang) 3 »
— (9' au 17" rang) et strapontins 2 »
Tribunes » 50
LE MENESTREL
175
On prend des billets à l'avance, sans augmentation de prix, aux adresses
suivantes :
Au Palais du Trocadéro ; au siège des concerts Colonne, 48, rue de
Berlin, et au Figaro, 26, rue Drouot.
— Au charmant concert donné, au Théâtre Mondain, par M'i° Gayrard
Pacini il y a quelques jours, nous avons eu le plaisir d'entendre un nou-
vel instrument nommé rEola,joué d'une façon remarquable par M"° Edith
Drake.Cet instrument fait également bon effet dans les morceaux d'expres-
sion et dans ceux à mouvements rapides ; les trilles sont d'une finesse
exquise. Quoiqu'il ait une étendue de 4 octaves, il est à peine grand
comme un petit manchon. C'est un instrument à vent dont le timbre est
doux et mélodieux et dont les sons rappellent tour à lour le violon,
l'orgue, la flûte, le violoncelle, la clarinette, le hautbois. C'est ainsi qu'on
a pu comparer tour à tour M"= Edith Drake jouant de l'Eola à Sarasate,
Tafi'anel et Guilmant !
— Hier samedi, à l'exposition de Rouen, a été donné un grand festival
en l'honneur de M. Théodore Dubois. Au programme : le Paradis perdu,
drame oratorio en quatre parties, avec le concours de M'"'^^ Blanc et Neva
Mathieu; M. Bartet, de l'Opéra, et M. Lafarge, de l'Opéra-Comique.
Orchestre sous la direction de M. N. Brument.
— Cette semaine, à Rennes, belle exécution, par les chœurs et l'orchestre
du Conservatoire, de la symphonie la Mer de M. 'Victorin Joncières, qui
dirigeait lui-même et qu'on a acclamé.
— Au tableau de la troupe recrutée à Aix-les-Bains par le casino de la
villa des Fleurs, qui annonce son ouverture pour le samedi 16 mai, nous
remarquons, pour l'Opéra, les noms de MM. Soulacroix, Fugère, Féraud,
M"»" Jane Harding, Vuillaume, Landouzy, de l'Opéra-Comique, M. Isouard ;
et, pour l'opérette, les noms de MM. Delvoye, Hyacinthe, Druart, M""* gi-
mon-Girard, Marguerite Ugalde, 0. Dulac, etc.; maître de ballet: M. Théo-
phile ; première danseuse : M"' Zalmoiraghi. ,
— M. et M"'= Georges Marquet ont donné à Bourges leur dernière mati-
née d'élèves. Les deux excellents professeurs obtiennent vraiment d'excel-
lents résultats et cette audition a été pour eux un vrai succès.
—Concerts et Soirées. —Audition d'œuvres de M"» Pilliaux-Tiger chez M"" Hun-
ger. Maintes pièces ont été très applaudies ; Source capricieitse, jouée à merveille
par un groupe de leurs brillantes élèves, a été très goûtée. — La société académique
des Enfants d'Apollon, qui ne compte pas moins de 155 années d'existence (et
d'une existence qui fut souvent glorieuse et toujours très artistique, en tout
cas), a célébré sa fête annuelle par un intéressant concert qui avait attiré,
salle Érard, un public empressé. On a successivement applaudi des œuvres
d'orchestre ou vocales de MM. de la Tombelle, de Salelles, de Kervéguen, Pré-
vost-Rousseau, Alb. Cahen ; sans compter Nicolo, Gounod, Rossini, Wagner.
L'orchestre a été très brillamment conduit par M. Mendels, le renommé violo-
niste. Les solistes étaient M"" Marg. Pascal et Riickert; MM. Félix Lévy, A. Pa-
rent, du Tilloy. Le discours d'usage, très goilté également, a été prononcé par
M. Boucret, chancelier. La journée s'est terminée par un banquet, encore suivi
d'excellente musique, le tout sous la présidence de notre collaborateur le poète
Paul Collin, dont le toast « aux dames » a été tout à fait charmant. — M"° Fanny
Lépine a consacré la dernière audition de son cours d'ensemble aux œuvres
de M. Charles Lefebvre, qui ont fait le plus délicat plaisir. De très importants
fragments d'Eloa étaient précédés d'une série de mélodies parmi lesquelles nous
citerons de préférence: Berceuse, Sérénade, Ici-bas, Absence et le délicieux trio
d'Avril, sur les jolies paroles de Paul Collin. Principales exécutantes : M"" Hau-
tier, Créhange, Erane, Nivert, Thévenin, qui font le plus grand honneur à l'ex-
cellent enseignement de M'i*' Lépine. — Très joli concert de M"° Baldo chez
Pleyel où la charmante artiste a lait applaudir sa magnifique voix et son excel-
lente méthode. Malgré moi de Henri Maréchal, Olfrande de Paul Puget, etc., ont
été particulièrement goûtés dans cette intéressante séance de chant où la partie
instrumentale était brillamment représentée par le violoncelle de M. Loëb, et
le rire par la verve intarissable de Coquelin cadet. — L'audition des élèves de
M"" Bex à la salle Duprez a été extrêmement brillante et fait le plus grand
honneur à l'enseignement de l'excellent professeur. A signaler, le Menuet de
Boccherini à 18 mains et de nombreuses pièces classiques. Parmi les modernes,
l'Oiseau mouche de Lack, Gaillarde de Dolmetsch, et VEntracte sévillana de Masse-
net à 12 mains. — Très joli concert donné par M"° Kohi, salle Érard, et entière-
ment consacré aux œuvres de M"* Holmes. M"" Bourgeois, Gellée, MM. Zocchi
et Edwy ont surtout été très applaudis. — La nouvelle séance d'audition des
élèves de M"°' Donne a été un nouveau triomphe pour leurs excellents profes-
seurs. Celle-ci ne comprenait pas moins de cinquunte-trois élèves. Parmi les fil-
lettes de 6, 7 et 8 ans, nous avons remarqué M"" Lévy-Simons, Cora, Durey,
Brunot, Herz, Poulain, Alice I-Iallé et Boulanger (cette dernière, fille de M. Bou-
langer, l'excellent professeur de chant, et tout à fait extraordinaire) ; de 9 à ) 1 ans,
M"" Delsart, Bargeton, Chave-Praly, Ségaust, Olry, Bouge, Fayolle, Sternberg,
Delarue et Pestre; enfin, pour les jeunes filles, M"" Frantz, Carter, Astruc,
Voisin, Borzat, Marguerite Halle, Walbert, Ludwig et Chaperon. Toutes char-
mantes, ces enfants, et dans la vraie voie artistique. — Signalons le succès
obtenu dans son concert par M"° Adèle Querrion, la charmante pianiste, qui
s'est fait vivement applaudir dans diverses pièces de Chopin, Liszt, Saint-Saëns
et Godard, et aussi en exécutant avec un excellent partenaire, M. H. Saïller, la
belle sonate en soi de Grieg pour piano et violon. — Salle Pleyel, audition des
élèves des cours Steiger et Mitault-Steiger. Grande affluence et grand succès
pour les professeurs et les élèves. Le talent si remarquable de M'" Juliette
Dantin a été vivement acclamé, ainsi que celui de M"* Gabrielle Steiger, autant
à féliciter comme virtuose que comme professeur. — M"° et W' Jullien, les
excellents professeurs de piano, viennent de réunir de nombreuses élèves
dans leurs salons de la rue Chateaubriand pour une audition spéciale des
dernières œuvres de Marmontel père, Impressions et Souvenirs. Les jeunes et
intelligentes pianistes ont toutes, suivant leur degré de force, exécuté avec une
rare perfection ces petites'pièces caractéristiques, d'un style clair et élégant.
MM. Marmontel ont adressé leurs félicitations à ces charmantes virtuoses qui
font grand honneur à l'enseignement magistral qu'elles reçoivent de M»° et M"" Jul-
lien, à qui nous adressons nos sincères compliments.— Salle Rudy, très bonne au-
dition des élèves de M"'"Willard et Destéract, sous la présidence de M. Marmontel
père. — Intéressante audition des œuvres de M. Paul Vidal par les élèves de
l'école de chant de M"" Chauchereau, dans sa jolie salle des auditions lyriques.
Vif succès pour l'auteur qui tenait lui-même le piano. A citer parmi les inter-
prètes, M"" Baboulène, ScheCfer et Deffayet (duo du Gladiateur et fragments
d'Érosj, déjà des artistes et faisant le plus grand honneur à l'excellent enseigne-
ment de M"° Chauchereau. MM. Gandubert et Pourcade prêtaient obligeamment
leur concours à cette séance et ont pris leur part du succès général. — Très
joli concert donné par M"" Pacini, au cours duquel on a surtout applaudi
M"" Marie Roze, MM. E. L. (air d'IIérodiade, Massenet), Delacroix, Pensée deprin-
temps, Massenet), M— Jane Marcy (air de Thaïs, Massenet, et Arielle, 'Vidal. Le
concert s'est terminé par la scène du jardin de Faust dans laquelle M"' Emelen,
MM. Berriel et Rivière ont été couverts d'applaudissements. — M. Raoult-
Delaspre a fait entendre ses élèves dans une matinée dont le programme était
composé en majeure partie d'œuvres de Théodore Dubois. Le maître a compli-
menté professeur et élèves pour l'exécution du Baiser, de Par le sentier, de A
Douarnenez en Bretagne, de Tarentelle, de la Chanson du bouvreuil de Xainère, de
Matin d'avril, de Trimazo, de Brunette et du duo de la Grive deXaviére. On a aussi
beaucoup applaudi les Trois Belles Demoiielles de Pauline Viardot, Ouvre tes yeux
bleus, de Massenet et une scène de Mignon. — Chez M"° Staaff d'Hermagny, gros
succès pour M"" Julie Bressoles dans les Chansons grises de I-Iahn, le grand air
d'IIamlel et des mélodies de M"" Ugalde. — A la séance publique annuelle de la
Société protectrice des animaux, beaucoup d'applaudissements pour M"'Preîns-
ler da Silva qui a joué de verve Mandolinata de Paladilhe-Saint-Saëns. — Très
brillant concert à la Bodinière, donné par M"' Claire Lebrun. M"" Ganne, Holm-
strand. M"" Tekley-Planel, Levi-Leclerc, MM. Bartet, Planel, Kerrion et Del-
court prêtaient leur gracieux concours. Gros effet par M"" Claire Lebrun qui a
joué de l'orgue. — A l'École classique delarue de Charras bonne audition; très
satisfaisante exécution du duo du Songe d'une nuit d'été, par M"° Jancourt et
M. Pillet. — A la matinée donnée par M"" Dignat, on a surtout remarqué
M""' Madeleine N. [Menuet d'enfants, Neustedt), Yvonne |B. {Berceuse, Diémer),
Léa B. {Souvenir d'antan, Lack), Jeanne M. {Le long du chemin, Antonin Marmon-
tel), Madeleine N. {Entr'acte rigaudon de Xaviére, Th. Dubois), Thérèse M. (Séré-
nade, Antonin Marmontel), Cécile B. (Arabesque, Antonin Marmontel), Thérèse
de S. {Feux follets, 1. Philipp). M"° Dignat a joué avec beaucoup de virtuosité la
paraphrase de Saint-Saëns sur Thais. — Très intéressante audition d'élèves
donnée par M"' Pauvre, que nous lélicitons pour sa méthode et le goût qu'elle
apporte dans le choix des morceaux parmi lesquels nous avons remarqué le
Duo du Boi de Lahore de Massenet, le Duo du Cid du même auteur et les varia-
tions pour deux pianos de FischhofF dans lesquelles M"° Pauvre s'est fait entendre
elle-même avec M"" Finel. Plusieurs artistes se sont fait entendre dans un char-
mant intermède, et l'on a fort applaudi MM. Jean-Jacques Mathias, Gabriel
Baron, Armand Gauley et Rey.
NÉCROLOGIE
A Vienne, vient de mourir à l'âge de S3 ans, un des plus importants
musiciens de la capitale autrichienne, le docteur Hans Paumgartner. Il
fut célèbre comme pianiste, et excellait surtout dans son interprétation
des œuvres de Beethoven et dans sa manière classique d'accompagner le
chant au piano. Comme professeur de composition, il a formé plusieurs
élèves de talent, et, pendant plusieurs années, il fit fonction de chef de
chant à l'Opéra impérial. Les meilleurs artistes de ce théâtre ne dédai-
gnaient pas les conseils de ce musicien consommé et étudiaient avec lui,
surtout, les rôles nouveaux dont ils étaient chargés. C'est en cette qualité
qu'il fît la connaissance de M''' Rosa Papier, le célèbre contralto, élève de
M""* Marchesi, qu'il épousa et qui devint, sous sa direction, non seulement
une des artistes les plus intéressantes de l'Opéra allemand de ce temps,
mais aussi une Liedersaengerin, c'est-à-dire une chanteuse de mélodies
hors ligne. La brillante carrière de M"" Paumgartner-Papier fut malheu-
reusement brisée, à l'époque de son apogée, par la perte de sa voix, due à
une maladie implacable. Pendant plus de vingt ans, Paumgartner s'est aussi
distingué comme critique musical du Kaiserliche Wiener Zeitung, journal
officiel de l'Autriche; ses articles étaient des modèles d'impartialité, de
connaissance intime de toutes les questions musicales et de conviction
artistique. La critique musicale du journal ofSciel autrichien ainsi que
la critique dramatique, confiée au directeur de ce journal, M. Frédéric
Uhl, exercèrent une grande et salutaire influence; même le monde non
officiel lisait assidûment ce journal à cause des deux écrivains. Comme
compositeur, Paumgartner laisse une série de mélodies et plusieurs œuvres
intéressantes de piano et de musique de chambre. Tout jeune, il s'était
fait connaître comme un des plus fervents apôtres de Richard 'Wagner, à
une époque où ce maître était loin d'être reconnu et où, à Vienne spécia-
lement, les critiques musicaux s'efforçaient d'étouffer, par une campagne
acharnée, sa popularité naissante. Dans l'histoire delà musique viennoise,
le nom de Hans Paumgartner ne sera pas oublié. 0. Bn.
— Nous avons le vif regret d'annoncer que notre excellent collaborateur
et ami Arthur Pougin vient d'avoir la douleur de perdre sa mère. Le ser-
vice funèbre a été célébré, hier samedi, en l'église de Bobigny.
— Le compositeur Lucien Lambert vient d'avoir la douleur de perdre son
père, Charles-Lucien Lambert, décédé à Rio-de-Janeiro où il exerçait le
professorat depuis de longues années. Plusieurs des compositions pour
piano de Charles-Lucien Lambert obtinrent un grand succès lors de leur
apparition. Citons entre autres : Au clair de la lune, le Carnaval de Paris, la
Parisienne, etc., etc.
Henri Heugel, direcleur-géranl.
PARIS
HEUGELETC"
* ÉDITEURS
DUOS, TRIOS, QUATUORS (Extrait dd Catalogub>
MÉTHODES ET ÉTUDES
BAUXOT (P.). L'Art du Violon, mé-
thode dédiée à ses élèves. Net 2& »
BAILLOT, RODE et KREUTZER. Mé-
thode de violon adoptée par le
Conservatoire de Paris pour
servir aux études Net i8 •
— Lamêmeméthodeenespagnol.Net 18 »
C DB BËRÎOT. Méthode d^accompa-
cnement. Exercices chantants en
forme de duettini 15 »
FONTAINE (A.) Méthode complète,
noEveile théorie de l'Archet . . 18 >
VIOLON ET PIANO
àLARD (D.). Op. 40. Fantaisie sur Un
Ballo in Haschera, de Veriii. 9 >
ANSCHUTZ(J.-A.). Gavotte de Mignon 5 •
— Romance de Mignon 5 »
AAUINGAUD. Sévillaoa de Don César
de Bazan, Iranscr. brillante . . 7 50
— Six pièces caractérisliqnes :
N*' 1. Sicilienne 6 »
ï. Tenerezza 7 50
3. Brunette 4 >
4. Danse rtisse 6 »
5. Romance sans parolei. 6 »
6. Vieille chanson. . . . 6 »
BilLLOT (P.). Douze caprices ... 12 >
BBBTHOVEN. Œuvres concertantes édi-
tion modèle, soigneusement revue,
doigtée et accentuée, par .M.M.
AuutD, Franchoume etbiÉHER:
Op. 5 n' 1 Sonate en /a
Op. 5 n- 2
Op. 12 n' 1
Op. 12 n" 2
Op. 12 n- 3
Op. 17
Op. 23
Op. 24
Op. 30 n' 1
Op. 30 n- 2
Op. 30 n- 3
Op. 47
Op. 69
Op. 96
Op.l02 n- 1
Op. 102 n- 2
Les 16 s
en sot mineur 1
en ré majeur. '
en la mnjeur.
en mi bémol,
en ^o . . . . 7 50
en ia mineur. 9
en /a ... . 9
en la majeur. 9
en ut mineur 10
en 50/. ... 9
en/aKBEUTZBal2
en la majeur. 12
en sol. ... 10
eaut . . . . 9
en ré majeur. 9
ates en recueil. . Net 50
— Rondo posthume en sol majeur. 5
— Op.66.Sept variationssurleduo
de la Fmte enchantée ... 7 50
— 12 variations sur des couplets de
la Fliite enchantée 7 50
— 12 variations (Se vuolballare) . 9
— 12 — (Judas Machabèe). 9
Led quatre morceaux variés et le
rondo, en recueil. . . . Net 10
OEBERIOT. 12 Mélodies italiennes. 15
— Lesmêmes,en31ivrais., chacune 6
— Fantaisie sur Le Caïd 9
BIZET (G.I. Les Rêves, transcription. 5
BOURGADLT-DUCOUDRAY. *• m*I. 6
— 5* mélodie 6
CASTILLON (A. dé). Op.'e. Sonate! ! 25
CHAINE. Un Ballo in maschera. 6
— I Lombard!, transe, brillante . 6
DANCLA(Ch.). Jean de Nivelle. . . 9
— Paul et Virginie, fantaisie. . . 9
DUBOIS (Th.). Saltarello 7 60
FRANCHOMME. Thème de Handel,
varié, pour violon et piano . .
— Scènes d'Orphée, de Gluck. .
GODARD (B.). Concerto romantique.
— Danse des Bohémiens, du laue. 7 50
— Pastorale, du Tasse 7 50
QOUNOD (Ch.i. Méditation sur le 1"
prélude de S. Bach, avec orgue,
ad lïb 7 50
ORANDVAL (G. de). Musette .... 7 50
— Concertino 18 •
— Prélude et variations .... 9 >
OUNG'L. Valses pour violon et piano:
— Op. 161. Les amourettes ... 7 50
— Op. 183. Les Chants du soldat 7 50
Etc.
HÀBENECKainé(A.-F.).3caprices. . 9 >
HAYDN. Œuvres concertantes, édit.
modèle, soigneusement revue,
doigtée et accentuée par AIM.
Alard, Franchomuii et Diéuir :
1" sonate en r^ 6
2* — en 30^ 7 50
3- — en mi bémol 6
4' — en ui 7 50
5' — en ui mineur 9
6' — eaut dièse mineur, . . 6
7' — en sol mineur 6
8* — en mi bémol 9
9* — en la bémol 9
10" — en sol 6
11' — en mi bémol 7 50
12-
_
en fa
. . 9 >
13-
—
en fa
. . 7 50
14'
—
. . 6 >
15*
en si mineui ....
. . 7 50
16»
—
en si bémol ....
. . 6 >
17»
earé ...... ,
. . 9 »
18-
—
en si bémol , . .
. . 6 .
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. . 7 50
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21'
en 30/
M-
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. . 6 »
23-
en mi bémol. . . .
. . 6 .
U*
en /a
. . 5 «
Lm 24 sonates on recueil. Net. 50 >
HERAIAN (An }. Soirées du jeune vio-
loniste,' fantaisies de moyenne
force se* as opéras en vogue :
1. Mignon, Imtaisie poétique. . . 9
2. Sylvia, valïe chantante .... 9
3. Le Caïd, fantaisie gracieuse . . 9
4. Ballo in Hsiichera, f.-cantilène 9
5. Songe d'une nuit d'été, f.-stanc. 9
6. Le Désert, ûntaisie arabe. . . 9
7. Hamlet, fantaisie dramatique . 9
8. Jean de Nivelle, fant. -ballade. 9
9. La Perle du Brésil, f. orientale. 9
10. Françoise de Rimini,f. -caprice. 9
11. La Korrigane, f;intaisie-ballet. 9
12. Chanson de Fortunio, f.-idjUe. 9
13. Lakmô, fantaisie indienne. . . 9
14. Psyché, fantaisie antique ... 9
15. La Source, fantaisie-mazurka . 9
16. La Farandole, fant. provehçale. 9
17. Le Roi l'a dit, fant. -sérénade . 9
18. La Tzigane, fantaisie viennoise 9
19. Coppélia, fantaisie fantastique . 9
20. Le Roi s'amuse, fant. -pastiche. 9
21. Le Roi de Lahore, fant. persane 9
22. Les Erinnyes, fantaisie argienne 9
23. Marie-Magdeleine, fiilaiiie Libliqii 9
24. Eve, fantaisie mystère 9
25. Don César de Ba'zan, faot. «ipagnoli 9
26. Hérodiade, fantaisie sacrée . . 9
27. Manon, fantaisie Louis XV. . . 9
28. Sigurd, fantaisie-légende ... 9
29. Le Cid, fantaisie héroïque ... 9
30. Le Roi d'Ys, fantaisie chevalenique 9
31. Esclarmonde, fantaisie féerique 9
32. Le Rêve, fantaisiejaponaise. . 9
33. Le Mage, fantaisie touranienne 9
34. La Tempête, fantaisie arabesque 9
35. Conte d'Avril, fant. printaniere 9
36. Paulet Virginie, fiDtaiiifientimfalala 9
37. CavalleriaRusticana,r3Dt. licilicui 9
38. Werther, fantaisie romantique, 9
39. liO Carillon, fantaisie flamande. 9
40. Eassya, fantaisie slave 9
— Les Débuts du jeune violoniste,
six petits morceaux trê« faciles:
1. Berceuse S
2. Valse chantante 3
3. Bourrée d'Auvergne S
4. Chanson du Pâtre S
6. Invitation à la Mazurka ... S
6. Pastorale I
— Les Perles du jeune violoniste,
transcriptions très faciles :
1. Mandolmata(PALADiLBE| ... 7 50
2. Sérénade du Passant (IIassehbt) 7 50
3. Pavane iBnisson) 7 50
4. Lamento (PoLicnAc) "7 50
5. Styriennes, airs populaires . . 7 50
6. Rigodon de Dardanus (Ramead) 7 50
7. Air de ballet (Massenet) ... 7 50
8. Sarabande espagnole (Massbhet) 7 50
9. Minuetlo (Mebul) 7 50
10. Sérénade a'Arlequin(MASSEiiET) 7 50
11. Canzonetta (B. Godard). ... 7 50
12. Tienne, capnce-valse (îIagnus) . 7 50
13. La véritable Hanola (Bourgeois) 7 50
14. Intermède, des Scènes hon-
Eroises (Massenbt) 7 50
e Retour (G. Bizet) 7 50
16. Gavotte (Gluce) 7 50
17. Myrte (Léo Dsubes) 7 50
18. Sonnet (Duprato) 7 50
19. Le Rêve du prisonnier (Ro-
BIHSTEIN) 7 50
20. Oiseaux légers (Gumbkht). . . 7 50
21. Pensée d'Automne (.Massenet). 7 50
22. Moment musical (Schubert) . 7 50
23. Chaconne (Th. Dubois) .... 7 50
24. Airs suédois 7 50
25. Aubade de Con/ed'AwiiCWiDOH) 7 50
26. Stella, valse (Faure) 7 50
— (Avec Lacombe). Fantaisie sur les
Puritains 9 •
— (Avec Ketteber). G^ duo cencertant
sur Un Ballo in Maschera . , 9 >
HUBAY (J.). Arioso 6 .
— Danse diabolique 7 50
— La Fuite, impromptu 7 50
— Scène de la Csarda 7 50
— Sérénade de Molière et le Cré-
puscule (J. Massenet) ... 6 >
— Le Roi de Lahore, suite ... 12 >
JONCIÉRES (V.). Concerto 13 »
KETTEREH et HEU.MAN. I Lombard!. 9 .
LACK(Th.). Op. 104. Tzigany! . . . 6 •
LACOMBE (P.). Sonate 18 .
— Aubade printaniere 7 50
— Trois airs de ballet 9 »
MARSICK (M.). Sylvia, 2 airs de ballet :
N" 1. Valse lente 7 60
2. Pizzicati 6 >
— La Korrigane, 2 airs de ballet:
N"l. La Sabotière 6 >
2. Valse lente 6 >
— Françoise de Rimini, airs de bal:
N" 1. Adagio et Capriccio. . 6 >
2. Pastorale, scnerzo, ha-
banera 7 50
Trois piéc
1. Rjmance
2. Berceuse 6
3. Capriccioso 9
— Valse-Caprice (A. Rubiwsteih). 9
UA.-iSENET (J.). Mduuct do Manon. 7 ]
— Aragonaise du Cid 6
— Le dernier Sommeil de la
Vierge 5
— Pastorale d'Esclarmocde. . . 4
— Prélude d'Hérodiade 4
UAYSEDER. Sonvenirs des Pvrtnéai
snr des airs montagnards. . . 7
UOZART. Œuvres concertantes, édi-
tion modèle soigneusement revtie,
doigtée et accentuée par MM.
Aluo, Franchohue et DiiHiR :
1" sonate ea fa 9
2" — eaut 9
3- — eafa 9
4* — en si bémol .... 9
h* — en sol mineur ... 7 60
6' — en mi bémol. . .
7* — en la majeur. . .
en/amaj. (gr. son.)
9- —
10' —
11- —
12- -
13- -
14' —
en si bémol
en mi bémol,
en 31 bémol .
en la majeur.
10
7 50
en ré majeur. ... !
lû' — en mi mineur . . .
16» — en mi bémol ... 7 50
17» — en 30/ 6 «
18' — eafa 9 •
19* — en mi mineur ... 9 »
20» — en la majeur .... 7 50
— Thème varié en sol majeur. . . 7 50
— Thème varié en 30/ mineur. . . 6 »
— Les 20 sonates et les 2 thèmes
variés en recueil. Net .... 50 p
PÉNAVAIRE. Santa Lucia, rondo de
concert de J. Braca 7 50
B. PÉRIER. Hamlet, fantaisie .... 9 •
— Fantaisie sur la Belle Hélène . 7 50
— Fantaisie sur Barbe-Bleue. . . 7 50
ED. RÉMÉNYI. Nouvelle école dn
violon, transcriptions concer-
tantes des œuvres célèbres des
grands maîtres :
PREUidRE siRIB
1 . Cbopin. Nocturne, op. 9, n* 1 . S >
2. Schubert. Sérénade 6 >
3. Chopin. Mazurka, op. 7, n' 1 . 5 >
4. FiBLD. Nocturne, n" « . . . . 7 50
&. Chopin. Valse, op. 64, n* 1 . . 6 >
6. Ubnoilbsohn. Romance sans
paroles. (N* 1 du 3* recueil). 6 »
DgOXlàlfB SiRIB
1. Cbopii). Impromptu, op. 29. . 7 50
8. Schdbbrt. Barcarolle 7 50
9. Chopin. Mazurka, op. 17, n* 1. B >
10. FiBLD. Nocturne, s* 5 ... . b >
It. Cbopih. Polonaise 7 50
12. Hendelssohn. Romance sans
paroles. (N* 2 du 3* recueil) . 5 >
TROISliuE siaiB
13. Mbhdelssohn. Chanson da
printemps 5 a
14. Mozart. La Violette, mélodie . 5 >
16. RaiUeau. Le Tambourin. , , , 5 »
16. Mendelssohn. Barcarolle . . . 5 >
17. J. FiELD. 1" Nocturne . . , , 6 •
18. Chopin, Valse, op. 64, n* 2 . , 6 >
QUATRIÂUB sàRIB
19. Mendblssobn. Volkslied. , . . 5 >
20. Bach. 2 gavottes favorites . . . 6 »
21. F. ScBDBERT. Au borrl de la mer 5 »
22. Mendblssobn. Romance, op. 30 5 >
23. J. Field. 2' Nocturne .... 5 >
24. F. Chopin. Valse, op. "54, n- 1 7 50
Chaque série net. 10 >
Trois uorceaux hongrois :
1. Mélodie héroïque 6 »
i. Alla marcia 7 50
3. Mélodie pastorale 9 .
SARASATE. Romance et entr'acte-
?;avotte de Mignon, trans. variée 7 50
Avec LouisDiÉHBR.) Hommage
 Rossini, grand duo de con-
cert, souvenirs du Barbier, de
Hoise et d'Othello 9 >
SCHIMON. Op. 20. Sonate 18 »
SINGELÉE (J.-B.). Op. 114, fnntaisie
concertante sur Mignon. . . 9 »
— Op. 132. Fantaisie sur Hamlet. 9 »
— Mandolinata, fantaisie .... 9 >
— Jérusalem, fantaisie 12 >
SIVORI (Camillo). Op. 19. Fantaisie
sur Un Ballo in Maschera . 9 >
— Op. 21. Tarentelle 9 •
— Op. 22. Fleur de Naples ... 9 »
STRAUSS (J.). Valses p"" violon et piano :
— Op. 279. Les Feuilles du matin. 7 50
— Op. 307. LesBonbonsde Vienne 7 50
— Op. 314. Le Beau Danube bleu. '7 50
— Op. 315. La Vie d'artiste. . . 7 50
— Op. 318. Télégramme 7 50
— Op. 333. Aimer,boire, chanter. '7 50
— Op. 340. Les Joies de la Vie. 7 50
— Op. 342. La Nouvelle Vienne, 7 50
— Op. 346. LesMilleetuneNuits. 7 50
— Op. ^354. Le Sang viennois . . 7 50
— Pizzicato-polka 6 »
Etc.
J. TEN BRINK. Fantaisie de concert
sur Françoise de Rimini. . . 9 >
A.-B. VALCORBEIL. Trois Sonates:
N- 1. Sondte en ré .10 >
N» 2. Sonate en mi b 10 »
N* 3. Sonate ea mi b 10 »
VIARDOT (P.) Berceuse 5 .
— Gavotte 5 »
— Romance 5 »
— Introduction et Caprice .... 7 50
VIEUXTE.MPS. I Lombard!, fantaisie
de salon 9 >
— Paul et Virginie, d-io 9 a
PARIS
AU MÉNESTREL
ibis, RUE TtVŒNNf
VIEDXTEMPS et 'WOLFF (Ed.). Duo
sur Raymond, d'A. 'Thomas. . 9 •
VIZENTINl et L. DELAHAYE. Duo
sur la Fliite enchantée. ... 9 a
J. WHITE. Mélodie-Arpège 7 St
WIDOR (Ch.-M.) Conte d'avril, ro-
— Conte d'avril, guitare 6 •
TRIOS ET QUATUORS
BATTA (A.). Résignation p' violon,
violoncelle, piano, orgue (ad lib.) 9 •
BEETHOVEN. Tous ses trios et qua-
tuors. Op. 16. Édition modèle
ALAdD-FANCMOU-MS-lIlÉMER. . . S »
BOISDEFFRE (de). Op. 10. Trio en mi b.
p' piano, violon et violoncelle . 10 •
CASTlLLuN (A. de). Op. 3. Gavatine,
extraite du 2' quatuor .... 3 »
— 2' Trio, en ré mineur pour piano,
violon et violoncelle, net ... lî m
A.DELOFFRE. Scène d'Orphée, trans-
cription pour violon ou vioton-
celle, piano et orgue (ad. lib.}. 9 ^
DUBOIS fTh.) Dueltiao d'amore. n»
violon et alto ou Tic-Ioucelle,
arec accompagnement de piano. 6 a
— Méditation-prière pour violon,
orgue et harpe ou piano ... 7 gf
GODARD (B.). Op. 32. Trio p' piano,
violon et violoncelle, net. . . . t •
GODEBSKl. Tristesse, trio pour pi^no,
violon et violoncelle * »
GODEFROID (F.). Prière des Bardes,
médiiation p' piano, orgue,' violon 9 »
GODNOU (Gh.). La Jeune Religieuse,
de Schubert, transcription ponr
piano, violoncelle (ad. lib.},
piano et orgue 9 a
— Méditation sur !e 1" Prélude de
Bach, p"^ piano, violon et orgue, 7 50
GRAKDVAL (de). Offertoire p' vio.on,
violoncelle, piano et orgue. . . J »
— 2* Trio pour piano, violon et
violoncelle 18 •
E. de HARTOG. Pensée de Grâpug-
cule, méditation pour violon,
violoncelle, orgue et piano . . 9 »
— Souvenir de Pergolèse, andante
religioso pour violon, violoncelle,
orgue et piano 7 50
HAYDN ifj.). Ses 31 trios. Édition mo-
dèleALARD'FnAKCBOMMB-DiÂUBR. • »
HERMAN (Ad.). I Lombardi, trio p-
violon, orgue et piano 7 50
LACOMBE (P.). Op. 12, Trio en sol
pour piano, violon et violoncelle 20 ■
LEFÉBURE-WELY. Air de Stradella
pour piano, violon et orgue . . 7 50
— Hymne A la Vierge, méditation
religieuse pour orgue, violon,
Tioloncelle et piano (ad. lib.). , 7 50
— Romance de Mignon, transcrite
pour piano, violon et orgue. . 7 50
UARSICK (M.), Prière, pour violon,
piano et orgue 7 50
MASSENET (J,). Prélude d'Hérodiade,
pour piano, violon et violoncelle. 5 »
MATHIAS (G.). 4* Trio pour piano,
violon, violoncelle 18 »
— Op. 50, 5* Trio en sol, p' piano,
Tiolon et violoncelle SO »
MOZART. Tous ses trios et quatuors.
Édition modèle Alard-Frah-
CUOHMB-DlÉMBR > •
MÉREAUX. Mon Cœur soupire, des
Noces de Figaro, piano, violon
et orgue 6 •
— Batti-batti de Don Juan, piano,
violon, violoncelle et contrebasse 7 50
— Andantinodela Grandesymphonie
en mi bémol, d'HAVûN, piano,
violon, orgue. 9 »
— Sérénade de Don Juan, Mozart,
pour piano, violon, violoncelle
et orgue 5 •
— Andante de la 51* Symphonie
d'Haydn, p'pianojviolonetorgue 9 »
— Andante coq variazoni du grand
septuor de Beethoven, pour
piano, violon et orgue .... 9 a
— La ci darem la mano du Don Juan
de Mozart pour piano, violon,
Tioloncelle et orgue 6 •
ED. MEMBRÉE. Aux champs et à la
Tille, six trios de genre ponr
piano, violon et violoncelle:
1" livre : L'Amour à la ville, —
l'Amour aux champs 15 •
2* livre : Chansons des villes, —
Chansons des champs .... 15 •
3* livre: Louanges de Dieu à la
ville, — Une Journée aux
champs 15 »
ORTIGUE (Joseph d'}. Messe sang
paroles, pour violon, violon-
celle et piano ou orgue. Partition
et parties siiparées, nfit .... 5 »
SCHIMON. 2* Quntuor en Ui mineur,
poir instru -nents à cordes. Par-
tition, net 4 •
Parties séparées 12 •
THALBERG (S.). Op. 69, i" trio pour
piano, violon et violoncelle. . . 15 »
WIDOR (Ch.-M.). Aubade de Conte
d'avril, cour violon, violoncelle,
alto et piano 7 M
: BERGEHK. 2t>.
•im. — 62"^ A^NÉE — iV° 23.
Dimanche 7 Juin 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, iLs ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉATI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne» les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement compiel d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr.» Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 3" partie (5° article), Anrnun
PouGiN. — II. Bulletin théâtral : premières représentations de ^1» bonheur des
cUimes, au Gymnase, et de la Demoiselle de magasin, à l'Olympia, Paul-Évii.e Che -
V.4L1EB. — 111. La musique et le théâtre au Salon des Champs-Elysées (6" ar-
ticle), Camille Le Senne. —IV. Musique antique : une nouvelle communication
M. Th. Reinach, Julien Tiersot. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour:
EN DANSANT
extrait des Paslels, de I. Philipp. — Suivra immédiatement : Matutina, de
CESAREGALEOTri.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Si je ne t'aimais pas, nouvelle mélodie de E. Moket, poésie de
E.Habaucourt. — Suivra immédiatement: Aubade printanière, de PaulLacombe,
adaptation de Jules Ruelle.
LA PREMIERE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
- TROISIEME PARTIE
(Suite)
II
L'existence de l'Opéra-Comique parait enfin assurée d'une façon sérieuse. —
Réouverture et succès de Leslocq. — Succès du Chalet. — Mort de Boiel-
dieu. — La Marquise; le Cheval de bronze ; Hippolyte Mowpou et les
Deux Reines ; l'Éclair. — W"" Damoreau à l'Opéra-Comique. Son début
éclatant dans Actéon. — Chute des Chaperons blancs. — Rentrée bril-
lante de Jenny Colon. — Le Postillon de Loiijumeau. — Un enfant pro-
dige : la petite violoniste Teresa Milanollo. — L'Ambassadrice ; la
Double Échelle ; le Domino noir ; le Perruquier de la Régence ; la
Figurante ; le Brasseur de Preston ; la Fille du Régiment. —
L'Opéra-Comique a retrouvé toute son ancienne vogue.
Les préparatifs de la nouvelle direction exigèrent un mois
plein avant qu'elle pût procéder à la réouverture du théâtre.
Grosnier mit ce temps à profit pour faire à la salle des répa-
rations reconnues nécessaires et pour confiera deux excellents
artistes, Léon Feuchères et Despléchin, le soin de la décorer
entièrement à neuf. Pendant ce temps, on répétait avec
activité les deux ouvrages que la précédente administration
avait déjà mis sur pied, et le 24 mai l'affiche annonçait, pour
la réouverture, la première représentation de Leslocq, opéra-
f.omique en quatre actes, paroles de Scribe, musique d'Auber,
joué par Thénard, Henri, Révial, Deslandes, Génot, Louvet et
jjmes Pradher, Massy et Peignât (pour ses débuts). Cette inau-
guration fut heureuse, en somme. Si Lestocq (qui, d'ailleurs,
ne fut jamais repris) n'obtint pas un de cas succès éclatants
auxquels ses auteurs étaient volontiers habitués, il n'en fut
pas moins accueilli avec une incontestable faveur, ce que
prouve la série de 73 représentations qu'il fournit jusqu'à la
fin de l'année. On sait, eatre autres morceaux, le succès que
rencontra toujours l'agréable ouverture de cet ouvrage (1).
Moins heureux que Lestocq, VAspirant de marine, qui fut joué
le 11 juin, ne put même atteindre sa dixième représentation,
malgré la présence de Poncbard et le début de Jansenne,
qui paraissait pour la première fois dans cet ouvrage. Le sujet
de celui-ci, qui était en deux actes, avait été tiré par ses
auteurs, Rochefort et de Gomberousse, d'une comédie de
Shalcespeare, Comme il vous plaira, et la musique en était due
au harpiste Théodore Labarre. Un acte intitulé l'Angélus,
paroles d'Ader et Rey-Dusseuil, musique de Casimir Gide,
ne fut pas beaucoup plus heureux, le 7 juillet. On donnait
le même jour une reprise du Petit Chaperon rouge, pour le début
très brillant, dans le rôle de Rodolphe, de Gouderc, qui,
sortant du Conservatoire, n'allait pas tarder à se faire une
situation brillante dans le personnel de l'Opéra-Comique.
Le 23 juillet voit paraître un Caprice de femme, un acte de
Chazet et Lesguillon, qui fut le dernier ouvrage mis en mu-
sique par Paër, et le 28 août le Fils du prince, opéra-comique
en deux actes, paroles de Scribe, musique du riche amateur
qui s'appelait le duc de Feltre. C'était bien là, en effet, de
la musique d'amateur, s'il faut s'en rapporter à ce jugement
d'un critique: — « ... La partition est une agréable mosaïque
qui ramène à la musique de salon plus d'un morceau capital
de nos grands ouvrages. On y retrouve le chœur des chasseurs
d'Euryanthe, les couplels de la vieille fileuse de la Dame
blanche, et même ceux de la Folle, morceau fort répandu sur
les pianos (2). Tout ce qui tient de la romance est bien dans
le Fils du prince, et le reste, sans être mal, n'a point d'origi-
nalité; c'est du commun de bonne compagn'e. » Le Fils du
prmce n'obtint aucun succès.
Il n'en fut pas de même du petit ouvrage qui allait lui
succéder et dont l'éclatante fortune fut telle , au contraire,
qu'elle s'est prolongée jusqu'à nos jours, et qu'elle persiste
(1) Auber venait de donner presque coup sur coup, à l'Opéra, le Serment et
Gustave III, ce dernier surtout avec succès. C'est ce qui motivait la mesure
dont il était l'objet peu de jours après l'apparition de Lestocq et que le Courrier
des Théâtres faisait ainsi connaître dans son numéro du 8 juin ; — « M. Auber
vient de recevoir une marque honorable de la bienveillance de M. le ministre
de l'intérieur. 11 s'agit d'un supplément à la pension que ce compositeur devait
avoir par suite du nombre d'ouvrages qu'il a donnés à l'Opéra. »
(2) La Folle, romance d'.-Ubert Grisar, faisait fureur depuis quelques années.
178
LE MENESTREL
encore après plus de soixante ans écoulés. Je veux parler du
Chalet, dont rappariUon se place à la date du 25 septembre.
Et faut-il dire qu'Adam, à qui revient assurément la plus
grande part de ce succès, non seulement n'obtint qu'à
grand'peine ce livret' auquel il allait procurer une existence
si fructueuse et si longue, mais que grâce à l'un de ses col-
laborateurs, Jlélesviile, il n'en tira même pas pour lui le
profit qui eût dû légitimement lui revenir. Mélesville, en effet,
n'avait pas confiance dans Adam, et, malgré Scribe, ne voulut
consentir à lui confier le livret du Chakt qu'à cette condition,
injuste et singulièrement rigoureuse, que le compositeur, au
lieu de toucher, selon la coutume, la moitié des droits qui
reviendraient à l'œuvre, n'en aurait que le tiers pour sa
part. Il fallut en passer par là. Mais je crois bien qu'Adam
conserva, avec le souvenir, quelque rancune de ce procédé,
car jamais plus, et pour aucun ouvrage, son nom ne se re-
trouva par la suite avec celui de Mélesville.
Le Chalet était joué et chanté d'ailleurs de la façon la plus
remarquable. La tout aimable M"" Pradher se montrait sédui-
sante dans le rôle de Betty, et Gouderc était charmant dans
celui de Daniel; quant à celui de Max, dont le caractère
musical est excellent, il servait au début d'Inchindi (de son
vrai nom Hennekindt), qui revenait de Madrid après avoir
passé par l'Opéra et le Théâtre-Italien, et qui le chanta d'une
façon véritablement magistrale (1).
Peu de jours après, le 15 octobre, Adam participait person-
nellement à l'hommage que l'Opéra-Gomique rendait à la mé-
moire de son cher maître Boieldieu, (^ui venait de mourir
le 8. Une représentation extraordinaire était donnée au profit
de la souscription pour le monument à élever à l'illustre
maître, représentation dont le programme comprenait ?a Dame
blanche, les Voitures versées et une « scène épisodique » intiulée
Hommage à Boieldii'H. Cette scène était une sorte de cantate,
dont les vers — e.xécrables — étaient dus à Dupaty, et dont
la musique avait été arrangée par Adam sur des motifs de
Boieldieu.
■ Deux ouvrages en un acte complètent le répertoire de l'an-
née 1834. L'un, représenté le 31 octobre, avait pour titre le
Marchand forain; il était l'œuvre, pour les paroles, de Planard
et Paul Duport, et, pour la musique, de cet Italien grand
seigneur et dilettante qui s'appelait le comte Aurelio Marliani
et qui, réfugié alors en France pour échapper aux suites
d'une conspiration politique, se fit bravement tuer quinze ans
plus tard, sous les murs de Bologne, en combattant pour l'in-
dépendance de son pays. Le second ouvrage, André ou la
Sentinelle perdue, qui parut le 1" décembre, était dû à la col-
laboration de Saint-Georges et de Rifaut. Plus heureux que
le précédent, il atteignit presque, en l'espace de trois années,
le chiffre de cent représentations (2).
C'est encore par un gentil petit acte, la Marquise, que s'ou-
vrait, le 28 février, l'année 1835. Celui-ci, qui mettait en
(1) Le Chalet a dépassé aujourd'hui sa treize centième représentation à l'Opéra-
Comique. Le jour de la première, on commençait le spectacle par le premier
acte du Maître de chapelle. Je crois que c'est le premier exemple de cette mutila-
tion bête, qui s'est prolongée jusqu'à nos jours et dont l'Opéra-Comique a con-
servé la fâcheuse tradition. Cet exemple déplorable n'est pas le seul, du reste ,
qu'en ce genre ait donné la directiou Crosnier. Si l'on consulte les programmes
du temps, on peut voir que les spectacles comprenaient souvent soit le pre -
mier acte de la Dame blimchc, soit les deux premiers actes du Chevul de bronze,
soit tantôt les deux premiers, tantôt les deux derniers actes du Prc-aux-Clercs .
Il est heureux qu'un tel sytème, si barbare au point de vue artistique, ne se soit
pas généralisé davantage; et ce que l'on ne comprend guère, c'est qu'un com-
positeur comme Auber, par exemple, si puissant alors par son talent et par sa
situation, et en état de parler haut, ait ainsi toléré une si sotte mutilation d'un
de ses ouvrages.
(2) A signaler, en cette année 1834, la mort de Lesage, artiste d'un talent
rare qui, dans l'emploi des trials, s'étail lait une grande réputation à l'Opéra -
Comique après avoir débuté à l'ancien théâtre de Monsieur (Feydeau), dès sa
fondation en 1789. Sa carrière n'avait pas été moindre de trente années, car il
ne prit sa retraite, regretté de tous, que le 20 février 1819. Excellent musicien
et se servant avec habileté d'une voix qui pour tout autre eût été insuffisante,
11 se faisait remarquer, comme comédien, par un sentiment comique irrésis-
tible et qui restait toujours dans les bornes du goût le plus sûr et le plus ral-
finé. L'un de ses grands succès était la bouffonnerie légendaire qui avait pour
titre Monsieur Deschalumeaux.
scène une aventure du célèbre Clairval, le prédécesseur d'El-
leviou à l'ancienne Comédie-Italienne, était de Saint-Georges
et de Leuven pour les paroles, d'Adolphe Adam pour la
musique, et servait de début à une future grande artiste,
Anaïs Fargueil, qui sortait du Conservatoire avec un premier
prix de vocalisation et qui devait bientôt abandonner la scène
lyrique pour déjiloyer dans le vaudeville et dans le drame
un talent de premier ordre. La Marquise, dont la musique était
fort aimable, obtint un vif succès et devint plus que cen-
tenaire.
L'année, d'ailleurs, promettait d'être heureuse. Le 23 mars
avait lieu la représentation d'un opéra-féerie en trois actes,
le Cheval de bronze, d'à à l'heureuse collaboration de Scribe et
Auber et dont le succès fut retentissant, bien que, ce qui
peut sembler singulier, il n'ait jamais été l'objet d'aucune
reprise. Joué par Révial, Féréol, Inchindi, Thénard, M"'-' Ca-
simir, Ponchard, Pradher et Fargueil, entouré d'une mise en
scène somptueuse, avec de superbes décors de Philastre et
Gambon, le Cheval de bronze attira la foule durant tout une
année. Le succès en fut si éclatant qu'Auber se vit l'objet, à
cette occasion, d'un hommage semblable à celui qui avait été
rendu à Boieldieu à propos de la Dame blanche et à Rossini à
propos de G!«7ta«)îe Tell. « Avant-hier, disait un journal, après
la seconde représentation du Cheval de bronze, tout l'orchestre
de l'Opéra-Comique s'est rendu sous les fenêtres de M. Auber,
et y a exécuté l'ouverture de cette pièce. Les voisins, réveillés
par de si jolis accords, se sont mis à leurs balcons et ont
accompagné cette galanterie de mille acclamations jointes à
mille bravos. La rue Saint-Lazarre s'en souviendra (1). »
Moins heureux fut le Portefaix, autre ouvrage en trois actes
de Scribe, dont le compositeur espagnol Gomis avait écrit la
musique et qui fut représenté le 16 juin. « Il y a plus de
huit ans que cette pièce est faite, disait le Courrier des Théâtres.
Boieldieu devait en composer la musique. Iltrouvait la situa-
tion principale un peu risquée. Notre Orphée ne s'attendait
pas au chemin que feraient, sur ce point, les idées drama-
tiques... La musique de M. Gomis est forte, pleine, chaude
et consciencieuse. Un trio et le duo final du second acte
sont de premier ordre. » L'ouvrage pourtant n'obtint point de
succès, en dépit d'une excellente interprétation confiée à
Ghollet, Thénard, Henri, M""^" Zoé Prévost, Camoin et Rifaut.
Il fut suivi à peu de distance, le 29 juin, par un nouvel acte
d'Adam, Micheline ou l'Heure de l'esprit, qui avait dti s'appeler
d'abord la Vassale, et dont le livret avait pour auteurs Saint-
Hilaire et Michel Masson. Micheline fut bien accueillie, et sa
première représentation offre cette particularité assez rare que
l'affiche se composait de trois pièces d'Adam, toutes trois en
un acte: la Marquise, Micheline et une Bonne Fortune.
Aida, un acte de Bayard et Paul Duport, représenté le
8 juillet, était le début à la scène d'un jeune compositeur
élève de Berton, Alphonse Thys, qui avait obtenu le grand
prix de Rome en 1833. Ce petit ouvrage n'eut qu'un mince
retentissement et fut remplacé sur l'affiche, le 6 août, par
un autre acte dont la fortune devait être plus brillante, les
Deux Reines, paroles de Frédéric Soulié et Arnould, musique
d'Hippolyte Monpou, auquel il servait aussi de début à la
scène. Monpou, dont le talent parfois un peu bizarre n'en
était pas moins très substantiel et très réel, n'était encore
connu que par de nombreuses romances, ou plutôt des mé-
lodies vocales, dont quelques-unes avaient joui d'une vogue
éclatante : Sara la baigneuse, l'Andalouse, Madrid , les deux Archers,
etc. Il apportait au théâtre un tempérament d'une nature
toute particulière, dont l'indépendance un peu farouche déce-
lait du moins une véritable originalité, et qui semblait pro-
mettre un maître à venir si une mort précoce n'avait enlevé
l'artiste avant qu'il eîtt accompli sa trente-huitième année.
Les Deux Reines, dont la musique était jeune et savoureuse,
conquirent d'emblée les sympathies du public, et une romance
(1) Courrier des Théâtres.
Lt; MÉNESTREL
■179
de basse surtout : Adieu, mon beau nawre, merveilleusement
chantée par Inchindi, obtint un succès fou et devint éton-
namment populaire (1).
(A suivre.) Arthur Pougin.
BULLETIN THÉÂTRAL
Gymnase. Au Bonheur des dames, pièce en 6 tableaux, tirée du roman de
M. Emile Zola, par MM. C. Hugot et R. de Saint-Arroman. — Olympia.
La Demoiselle de magasin (the Shop Girl), opérette en 2 actes, de M. Dam,
adaptation de M. M. Ordonneau, musique de M. Ivan Caryll.
Elle est assez curieuse, cette adaptation du roman de M. Zola par
MM. Hugot et de Saint-Arroman, curieuse en suite de l'application appor-
tée par les deux arrangeurs à doser également le spectacle intellectuel
etlespectacleexclusivement extérieur. Que ce soit, cependant, ce der-
nier qui l'emporte de beaucoup sur le premier etque, par conséquent,
l'attrait dramatique y devienne pas trop relatif, personne, je crois, ne
pourra dire le contraire ; et ceux qui regretteront que les vivantes figu-
res de Bourras et de Baudu, agonisant lentement sous les coups portés
par la gigantesque et formidable concurrence, aient tant été laissées
de côté pour faire place aux rayons luxueux, aux escaliers à double
évolution du Bonheur des dames, seront vraisemblablement nombreux
à en juger par le succès très franc et très spontané remporté par
l'avant-dernier tableau, alors que le pauvre Bourras voit sa bonne
vieille maison s'effondrer pierre à pierre et que Baudu prévoit l'irré-
médiable ruine. Ce qui ne veut pas dire que la mise en scène, adroi-
tement réglée et grandement comprise; ne puisse avoir aussi ses
chauds partisans.
Inutile, n'est-ce pas? de raconter la petite intrigue amoureuse en-
tre Octave Mouret, le directeur du magasin minotaure, et Denise, la
nièce de Baudu, intrigue courajite se terminant par le classique ma-
riage. L'intérêt de la soirée n'est point là.
Il réside surtout, cet intérêl, dans l'interprétation du rôle de Denise
par M"= Leconte, qui, personnellement, y a grandement réussi, tant
elle y apporte de charme, de simplicité, de douce émotion et d'irré-
sistible sympathie, et dans la scène citée plus haut, que M. Dailly,
personnifiant Bourras, a jouée eu tout à fait grand artiste. Du reste
de l'innombrable distribution, dont pas une silhouette ne se détache
assez nettement, sauf peut-être celle de Baudu, bien dessinée par
M. Lérand, il faut sortir MM. Noblet, l'irrésistible Mouret, Nertann,
Grand, Janvier, M"™ Dayne-Grassot, Sisos, Neyva, Médal, et compli-
menter en bloc plusieurs jolies femmes vendeuses ou acheteuses de
commerce agréable.
Après l'espagnole Gran Via, voici que l'Olympia nous fait faire
•connaissance avec l'anglaise Shop Girl, et si l'internationalisme avait
été encore à inventer, on peut être sur que tout le mérite de la dé-
couverte en pourrait revenir à M. de Lagoanère.
Par une coïncidence curieuse, les premières du Bonheur des dames et
de la Demoiselle de magasin (c'est ainsi que prononce M. Maurice Or-
donneau), ont eu lieu le même soir. De par la simple similitude des
titres, -Jous devinez que le cadre est le même pour les deux pièces.
Si le Gymnase a fait grand, l'Olympia a fait montre de gotit dans
son cadre restreint, et si M"= Leconte est une exquise comédienne,
M"° Micheline est en passe de devenir la plus séduisante étoile d'opé-
rette des théâtres de Paris. Naturellement, on lui a fait fête; secondée
par M'"" Netty, Deville, MM. Berville, Maréchal, Tavernier, Hurbaiu,
Danvers, on peut compter sur elle pour défendre le pavillon an-
glais aussi bien et aussi longtemps qu'elle a défendu le pavillon
espagnol.
Que si, maintenant, vous me demandiez quels sont les traits carac-
téristiques de la musique anglaise de M. Ivan Caryll, je vous répéte-
rais tout bas ce que l'on m'a confié, à savoir que, malgré son prénom
russe et son nom britannique, le compositeur est tout bonnement...
Belge. Sa partitionnette, d'ailleurs, ne manque pas de gaieté fran-
çaise et contient même une page charmante : la Chanson des chry-
santhèmes, avec une heureuse rentrée de chœurs à bouche fermée,
très gentiment chantée par M"« Micheline : « Tout là-bas, humble-
ment, sous les pas. naît le chrysanthème... »
Paul-Émile Chevalier.
(I) Il est d'autant plus singulier de voir un biographe, Félix Clément, dire,
en signalant cette romance, qne « c'est la seule épave qu'on ait recueillie du
naufrage des Deux Reines. » Un naufrage théâtral qui se traduit par un ensem-
ble de 142 représenlations ne semble pas absolument un désastre, et tieaucoup
de compositeurs s'en montreraient sans doute satisfaits.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Sixième article.)
Le drame biblique n'a pas trouvé d'aussi puissants interprètes aux
Champs-Elysées qu'au Champ-de-Mars. A peine peut-on citer quel-
ques Madeleines, médiocrement religieuses, VAgai\ de M"'*. Demonfr
Breton inclinant vers les lèvres d'un Ismaël très laid, le goulot d'une
amphore, et la Terre promise de W. Demont, beau paysage rocheux
où Mo'ise ne joue guère que le rôle du petit bonhomme placé au
pied de toutes les reproductions de monuments célèbres pour bien
indiquer « l'échelle ».
En revanche, l'antiquité grecque ou romaine, voire carthaginoise
a d'innombrables peintres. La Salammbô de Gustave Flaubert nous
vaut quatre toiles, qui toutes valent quelque chose. M. Eugène
Girardin évoque dans un brouillard de rêve la fille d'Hamilcar sous
la tente de Mathô « envahie par une mollesse oîi elle perdait toute
conscience d'elle-même » pendant que le barbare, à genoux, mur-
mure « de vagues paroles plus légères qu'une brise ». La Salammbô
de M. Riehter, aux oripeaux flamboyants comme un costume d'oda-
lisque, se promène, lasse de ses pensées, dans la salle silencieuse.
M. Surand représente le massacre des barbares par le Sufîète, d'après
cet autre passage de Flaubert : « Une terreur sans nom glaça les
barbares ; ils ne tentèrent même pas de s'enfuir. Déjà ils se trou-
vaient enveloppés ; les éléphants entrèrent dans cette masse
d'hommes ». Bon travail d'illustrateur. Mais l'œuvre la plus remar-
quable est l'agonie des mercenaires au défilé de la hache, de
M. Emile ïhivier. Le bétail humain, pris au piège, implorant la paix
qne les Carthaginois lui refuseront, est rendu avec un réalisme
savant qui fait penser à la magistrale composition de M. Tattegrain
sur le siège de Château-Gaillard.
La Fin de Mithridate, de M. Simonidy, est un bon cinquième
acte de tragédie ; VAntigone devant le corps de son frère, de
M. Winter, la Nausieaa de M. Boyer, d'après deux vers de Leconte
de Liste :
Vierge qui vous jouez sur les mousses prochaines
Des robes aux longs plis détachez le lien
relèvent de la rhétorique classique. D'exécution plus large l'Hymne à
Gérés, de M. Albert Laurens, qui fait songer aux gracieuses sta-
tuettes de Tanagra, joie des collectionneurs, délices des snobs et
triomphe des truqueurs, le Daphnis et Çhloé, de M. Dambeza, la Circe,
de M. Maurice Demonts, la Cléopâlre sur les terrasses de Philœ, de
M. Bridgmann (un Leconte-de-Nouy d'origine américaine) ; le Cortège
païen, de M. Foreau, visiblement inspiré de Diaz, et surtout la Fête
antique, de M. Buffet, d'un grand aspect décoratif. Je ne sais pas de
plus triomphante mise en scène que cette théorie de personnages
vêtus de blanc suivant une statue de Minerve dans un paysage de
tonalité ardente, au pied d'une colline de marbre que dominent les
architectures polychromes d'un temple dorique. Il y a là mieux qu'un
effort « documenté », une compilation archa'ique. L'œuvre vaut par
sa vitalité intense et laisse un souvenir persistant.
Les vestaleries sont en nombre. M. Hector Leroux, le doyen et le
maître du genre, nous montre les Romaines en promenade dans les
jardins deVesta (sans oublier le Lupercal : Romulus, Remus — et leur
nourrice); mais il a cette année un concurrent, M. Henri Motte, l'au-
teur d'un petit gavage de colombes à la becquée, qui a du charme et
de la grâce.
Fermons le cycle de l'antiquité classique avec le Germanicus de
M. Lionel Royer, recueillant les restes des légions de Varus, six
ans après la défaite. La composition ne manque pas de grandeur,
mais l'émotion reste peu communicative. Je sais bien qu'il se
trouve encore des âmes sensibles pour pleurer la mortd'Holopherne,
et que dans les écoles allemandes on s'apitoye toujours sur Conra-
din, si méchamment mis à morl il y a plus de six siècles, par les
Français ; mais vouloir intéresser à Varus des contemporains du
ministère Méline, c'est une entreprise bien téméraire.
Une aimable fantaisie, la Thaïs de M. Tony-Robert Fleury, poéti-
quement évoquée, nous conduit au seuil des temps modernes. Voici
la Gismonda, de M. ComerrePatou, la .Tehanne F" de Naples, de
M""= Laure Leroux, tressant un cordon d'or pour étrangler son mari
(qu'elle prévint d'ailleurs de ses intentions homicides et qui, bien
averti, n'en sut pas mieux se garder), la Desdemona, très rutilante, un
peu trop émaillée de M"'= Juana Romani, ce clair de lune du soleil
Roybet ; puis un finale de grand opéra, genre Scribe : un Drame au
moyen âge, les juifs de Strasbourg traînés au bûcher en 1349, sur
180
LE MENESTREL
la place de l'Hôlel-de-Ville, à la suiSe d'une peste dont les rendait
responsables la ligue anti-sémile du quatorzième siècle. Hommes
résignés, femmes en pleurs, enfants baptisés de force, rien ne
manque au tableau.
Mentionnons à part les deux belles compositions du maître
peintre J.-P. Laurens, Irène, la veuve de l'empereur byzantin
Léon IV qui faillit se remarier avec Charlemagne, et les Otages,
deux enfants en justaucorps de velours rouge, enfermés dans un
cachot oii ils attendent leur soit. Le plus jeune dort avec l'insouciauce
de son âge, la tête sur les genoux de l'aîné, qui regarde d'un air jus-
tement préoccupé le puits des oubliettes béant à quelques pas. En
somme de nouveaux Enfants d'Edouard (soit dit sans intention bles-
sante), aussi littérairement composés et mieux, beaucoup mieux
peints.
Plusieurs Jeanne d'Arc, de M. Krug, de M"' Perrier, etc.; la meil-
leure, deM. Joy — un Anglais. Celui-ci a représenté l'héroïne endormie,
dans la lourde carapace de son armure de guerre, avec, aux pieds.
un ange qui lui sert de coussin ; original et poétique commentaire
de cette réplique de la Pucelle notée au cours du procès : « Quand
j'étais en guerre, je couchais, vêtue et armée, là où je ne pouvais
trouver de femme ». D'un autre peintre étranger, M. Lockart, de
l'Académie royale d'Ecosse, une composition qui pourrait inspirer
nos poêles symbolistes et dont l'auteur a du reste emprunté le
sujet aux vieilles chroniques : un Miroir chevaleresque : « ...et ayant
bouclé son épée, elle levait les yeux ; et dans le poli de son armure
elle voyait sa belle figure reflétée sur son cœur ». Je vois très
bien dans ce joli jeu Albert Lambert fîls et M°" Barlet, ou bien
Guitry et Sarah Bernhardt ; j'y vois même à la rigueur Lugné-
Poë et une des petites femmes de l'Œuvre à bandeaux plats, à voix
céleste.
Bons costumiers, et qui font songer à l'excellent Lacoste, et qui
pourraient inspirer l'inépuisable Bianchini, M. Zier, avec sa belle
Impéria, M. Sylvestre dans ses Soldats Louis XIII, au guet, M. Tito
Lessi dans son Gil Blas, M. Henri Pille dans ses Moines de la Ligue
(oli je ne retrouve pas toute l'habituelle maîtrise du peintre),
M. Beauquesne dans sa Distribution de civix blanches sur la place de
Saint-Germain-l'Auxen-ois, la veille de la Saint-Barlhélemy , M. Recel
dans sa Réception che^ la petite duchesse, esquisse Louis XV, M. Pierre
Toussaint dans sa Mi-Carême au XVIII" siècle. M"" Klumpke dans la
Toilette d'Esther. M. Gaston Meliogue a curieusement interprété
l'anecdote de Jean-Bart bousculant les courtisans de Versailles à
coups de coude et à coups de poing pour leur montrer comment
il avait débloqué le port de Dunkerque ; M. Sibert a emprunté à
l'histoire de Marie Stuart la fin tragique de Rizzio; M. Coessin de
la Fosse a peint avec une palette où manquent les tons vigoureux
la Pi-omenade de Louis XVI au Champ-de-Mars pendant les travaux pré-
paratoires de la fête de la Fédération. Le Montreur d'ours, deM. Jules
Girardet, nous transporte dans un carrefour du Paris des premières
années du siècle. L'Aimable Visite de M. Georges Cain, — que nous
retrouverons aux portraits avec une étude mondaine d'un beau carac-
tère moderniste — est un des tableaux anecdotiques les plus remar-
quables du Salon. La composition représente un colonel, voire un
général costumé en bourgeois (il porte la vaste houppelande adoptée
au commencement du siècle par les « Fils de Mars » quand ils
déposaient l'appareil guerrier), dans un salon où il raconte ses cam-
pagnes. L'auditoire est féminin et d'autant plus intéressé. L'aimable
reconstitution des toilettes, le rendu des accessoires scrupuleux,
mais sans surcharge ni trompe-l'œil, concourent à la délicate har-
monie de l'ensemble. De M. Henri Gain, — qui figure également aux
portraits avec im élégant pastel — Saint-Georges et le Monstre. L'œuvre
d'un grand style, procède de la tradition de Gustave Moreau, mais
elle se distingue par un sentiment très personnel, une ampleur de
mise en scène et une tonalité lumineuse, une transparence de
l'atmosphère ambiante du plus séduisant effet.
Dans cet ordre de compositions tenant ù la fois du genre et de
l'histoire, j'ai réservé deux œuvres intéressantes à divers titres. La
première est la Promenade dans les jardins de Versailles, de M. Gérôme.
Au soleil couchant, le long de la terrasse, devant le grand bassin
aux ondes dormantes, s'achemine la procession des chaises roulantes
— tels les modernes pousse-pousse — ■ avec leurs porteurs en tricorne.
Près de la première chaise, occupée par M"'« de Maintenon, marche
Louis XIV, tête nue. Les seigneurs de moindre importance escor-
tent les autres voitures. Beaucoup de fermeté, trop d'éclat, une
remarquable exactitude dans l'élude des costumes et le détail des
accessoires. M. Gerôme voit juste : le grand malheur, c'est qu'il voit
maintenant lustré, émaillé, vernis Martin. Quant au Jeune Duc de
M. William Orchardson, c'est un des succès du Salon. Cet Ecossais l
d'Edimbourg rivalise dès aujourd'hui avec nos meilleurs peintres
de genre. La scène se passe au dix-seplième siècle, dans la grande
salle d'un château. Autour d'une table somptueusement servie des
gentilhommes en costumes parcourant toute la gamme des jaunes
brunâtres se lèvent, la coupe en main, et portent la santé du lord, un
jeune homme vanné, malingre, ennuyé, un viveur déjà las, un per-
sonnage d'Henri Lavedan antidaté de deux cents ans. L'aspect du
tableau est singulièrement saisissant, avec ses colorations dorées et
sa rare entente des valeurs.
Le théâtre a directement suggéré quelques toiles : de M. Roche-
grosse, la scène du quintette des Maîtres Chanteurs ; de M. Wagrez,
Tannliduser au Venusberg :
Aux combats je voudrais courir....
Braver la mort. Ah ! puissè-je périr!....
De ton emplie il faut partir !
0 déesse, laisse-moi fuir....
de M. Lynch, une Manon Lescaut avec le chevalier des Grieux, dans
la barque qui la conduit au vaisseau en partance pour l'exil, d'une
tonalité délicate rappelant les aquarelles de Leloir ; de M. Landelle
une Mignon de style classique ; une Yanthis, de M"' Delettez ; une Cin-
quantaine de Figaro, de M""' Boyer-Breton. Di M. Teillet, la scène du
manchon de Francine de la Vie de Bohème. A signaler aussi la Lénore
de M. Kirchbach, le Saint Julien l'Hospitalier de M. Pierrey, et une
bonne étude de Don Juan par M. Driffaud, d'après le célèbre sonnet de
Baudelaire sur la barque infernale assaillie par les Elvires en pleurs :
Assis au gouvernail, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir.
Mais le sombre héros, courbé sur sa rapière,
Demeurait immobile et ne daignait rien voir.
Un peu de peinture militaire pour clore cette série. Je n'ai ren-
contré que deux Napoléons: l'un, de M. Guillon, représente les adieux
de l'Empereur à la France à bord du Northumberland, le 9 août 1813,
d'après les mémoires du général Montholon. Las, affaissé, plus rési-
gné qu'il ne le sera à Sainte-Hélène, Napoléon salue la côte de
France. Et le Captif de M. Davvant, c'est encore un Napoléon « déca-
dent », accablé de tristesse près du berceau du petit roi de Rome, qui
s'est endormi en lui tenant la main. Puis, le pêle-mêle ordinaire des
illustrations de nos annales militaires de la Révolution et de l'Em-
pire : une scène de Madame Thérèse, d'Erckmaun-Chalrian, par
M. Le Dru ; la Charge repoussée de l'armée du Rhin (Sergent) ; un
Episode de la campagne d'Egypte (Orange) ; Mural à Eijlau (Brisset) ;
Oudinot à Plechtchenitzy (Boislecomte) ; la Veille d'Iéna (Gardette) ;
Guadamarra (Chelminsky), le général Cause à Diego (Boutigny) ; le
Défilé des aigles pendant la retraite de Russie (RoutTel). Parmi les souve-
nirs de l'année terrible, les Éclaireurs Franchelti à la Fouilleuse (Mar-
chand) ; la Charge du 4' cuirassiei's à Wœrth (Perboyre) ; le 3' Grenadiers
à Rezonville (David) ; la Défense de Rambervillers (Benoit-Lévy). Et pour
planer sur ces glorieuses tueries, la Poésie militaire de M. Henry-
Eugène Delacroix entonnant le Chant du départ.
(A suivre.) Camille Le Senne.
MUSIQUE ANTIQUE
UNE NOUVELLE COMMUNICATION DE M. TH. REINACH
M. Théodore Reinach vient de faire à l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres une communication relative à la musique grecque.
Il ue s'agit plus, celte fois, de la découverte d'un hymne ou de tout
autre morceau Je musique, mais simplement d'une nouvelle manière
de transcrire et d'interpréter un fragment noté faisant partie d'un
recueil d'exercices intercalé dans un traité grec de musique élémen-
taire: morceau connu depuis longtemps, mais sur la notation duquel,
à ce qu'il paraît, on avait erré jusqu'à ce jour.
Nous empruntons au compte rendu du Temps le résumé de cette
communication :
Tous les documents précédemment connus appartenaient à un seul et
même genre de musique : c'étaient des cantilènes purement vocales ; la
partie instrumentale, qui n'a jamais manqué — les Grecs n'avaient aucune
idée d'un lied ou d'un choral sans accompagnement — n'a pas eu les hon-
neurs de la gravure sur pierre, et l'on est réduit à la suppléer par conjec-
ture — ou à s'en passer. Fallait-il donc renoncer à l'espoir de posséder
jamais un échantillon authentique de l'accompagnement grec? M. Théo-
dore Reinach, à qui l'on doit déjà la transcription des hymnes delpbiques,
vient de combler cette lacune de l'histoire musicale. Le petit air qu'il
présente à l'Académie des inscriptions et belles-lettres ot exécute sur un
LE MENESTREL
181
harmonium apporté ad hoc parait bien être le spécimen si longtemps et si
vainement attendu.
Lo document conservé par plusieurs manuscrits sous le titre énigmati-
que de Hormosia (le compte-rendu du Journal des Débals dit, au sujet de ce
mot : « Uarmasia, métalhèse de Harmosia, qui signifie modulation »), se
compose de deux colonnes de notes intitulées « Gauche » et « Droite ».
Chaque note est désignée par son nom et son double signe, et, en outre,
par un « sigle » qui est tantôt OK, tantôt AM. Ce sont ces sigles mysté-
rieux qui ont mis M. Reinach sur la voie de la véritable interprétation de
ce texte, où l'on avait vu successivement un « air de cithare pour les deux
mains », une « tablature de cithare », une « méthode pratique d'ac-
cord », etc. M, Reinach, mettant à profit une observation de M. Gevaert,
mais la complétant par une heureuse inspiration, a reconnu dans le groupe
OK les initiales des mots O(rganon) K(roussis) — c'est-à-dire « instru-
ment, accompagnement » ; — dans le groupe AM, celle des mots A(nthrô-
pos) M(élos) — c'est-à-dire « homme, chant ». En même temps, il a montré
que les deux colonnes parallèles de noms et de signes, au lieu d'exprimer
des sons simultanés, forment une série mélodique unique, quoique ré-
partie entre deux « exécutants », la voix humaine et la cithare. Nous
sommes donc en présence d'un duo, ou, pour mieux dire, puisque les par-
ties (comme chez Wagner) ne se mêlent jamais ensemble, d'un véritable
dialogue musical, analogue pour le principe à certaines compositions de
l'école moderne, où le violoncelle ou la harpe donne la repartie à un chant.
Il n'y a d'incertain et d'arbitraire que les valeurs rythmiques, qui ne sont
pas indiquées sur le manuscrit.
L'Académie a écouté celte communication avec la plus vive alten-
tion et a félicité M. Reinach de ses patientes recherches.
Le compte rendu des Débats, après avoir confirmé que M. Reinach
a qualifié ce fragment de « curieux et unique monument pour l'his-
toire de l'harmonie » et l'avoir présenté comme étant un « duo pour
cithare et chaut, écrit dans la manière wagnérienne, oii les deux voix
alternent sans jamais se mêler » conclut plus simplement par ces
mots : « M. Reinach a fait entendre d'abord le thème adopté par les
érudits antérieurs, — une vraie cacophonie, — puis la phrase réelle,
— qui n'est qu'un peu plus mélodieuse. »
Nous reproduisons ci-dessous ce document :
CITHARE
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H):a p — 1 —
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1 1 '
Il n'y a aucune raison de douter de l'exactitude de cette transcrip-
tion, et je. me plais à reconnaître que M. Reinach a rendu de réels
services à l'étude de la musique grecque en donnant Ip. notation des
documents découverts en ces dernières années et en revisant celle
des monuments plus anciens, tâche qu'il me paraît avoir accomplie
avec beaucoup de compétence et de sûreté. A la vérité, mon approba-
tion en cette matière est de peu de poids, car, je l'avoue sans honte,
je n'ai pas une suffisante expérience de la notation grecque pour en
discuter en parfaite connaissance de cause : j'ai simplemeut l'impres-
sion que les transcriptions de M. Reinach sont exactes, jugeant
essentiellement d'après les résultats, qui se présentent avec tous les
caractères de la vraisemblance.
Mais, la transcription achevée, nous voilà aussi savants, et désor-
mais le document nous appartient, aussi bien que son commentaire.
Et c'est ici, malheureusement, que les objections commencent à se
présenter en foule.
Tout d'abord on vient nous dire que ce document est unique dans
son genre, par la raison qu'il montre, pour la première fois, un spéci-
men d'harmonie autique. Si cela était, il faudrait conclure que
l'harmonie antique élait plutôt simple. Il est fâcheux que, dans ces
sortes de discussions, il faille toujours reprendre par la base les
élémenls de la technique musicale, et commencer par définir des
expressions sur lesquelles aucun malentendu ne devrait exister. Je
suis donc obligé de définir encore le mot « harmonie » qui, dans son
sens moderne, veut dire combinaison de sons silmultanés. Or, il n'y
a pas la moindre trace de sons simultanés dans le fragment ci-dessus.
Ce fragment ne présente donc aucun intérêt au point de vue de
l'harmonie, toute harmonie en étant absente.
Pour la question de savoir si les lettres 0 K, A M, veulent dire :
« Cithare, — voix », je n'aurai garde de la discuter. En voyant si
peu de lettres signifier tant de choses, ne serait-on pas tenté de dire,
comme dans le Bourgeois gentilhomme : « Voilà une langue admirable
que ce grec! » Je constate simplement que les notes écrites sur la
portée supérieure n'ont aucun caractère vocal, qu'au contraire, elles
sont parfaitement conformes à celles de la portée inférieure, qu'elles
complètent et prolongent constamment. En outre, la prétendue partie
vocale n'est accompagnée d'aucunes paroles, ce qui me paraît suffi-
samment convaincant, les Grecs n'ayant point eu, que nous sachions,
l'habitude de chanter sans paroles. Et, puisqu'un dos savants qui
avaient eu autrefois connaissance de ce morceau y a Cru voir un air
de cithare pour les deux mains, je me rallie avec empressement à
cette hypoihèse, qui me parait la seule raisonnable.
Enfin, le rapproiîhement de ce prétendu dialogue musical avec les
procédés de Wagner et de la musique moderne est plus superficiel
encore qu'aucune des observations précédentes. J'en suis à regretter
maintenant d'avoir constaté jadis, avec M. Reinach, que, dans le
premier Hymne à Apollon, il y avait certaines inflexions chroma-
tiques qui présentaient quelque analogie avec des passages du chant
du berger de Tristan et Yseult (et d'ailleurs je n'avais jamais vu là
autre chose qu'une simple curiosité, et j'avais bien spécifié qu'il n'y
avait aucune conclusion générale à en tirer). Je n'ai point ouï dire,
en tout cas, que la polyphonie wagnérienne consistât à faire dialo-
guer entre elles deux parties absolument nues ; et, par les « certaines
compositions de l'école moderne où le violoncelle ou la harpe donnent
la repartie à un chant », j'attends encore que l'on me fasse connaître
le chef-d'œuvre dans lequel la voix et l'instrument se bornent exclu-
sivement à se répondre, sans se toucher jamais, et sans qu'il y ail
rien autre pour les soutenir et les relier.
Quant à la valeur musicale du fragment ci-dessus, il apparaît
clairement qu'elle est nulle, et que le morceau est le moins inté-
ressant de tous ceux qui ont été notés jusqu'à ce jour.
Il me parait donc que la communication de M. Reinach n'a pas eu,
cette fois, l'intérêt qu'il en avait promis, et qu'un si médiocre résultat
ne méritait pas de retenir l'attention de l'Académie.
Julien Tiersot.
p,-S. — En passant, je ferai les quelques observations de solfège que
voici :
I» Le silence d'une mesure quelconque s'indique uniformément par la
pause, et non, dans la mesure à trois-quatre, par une demi-pause et un
soupir; — 2° lorsqu'on indique un point d'orgue sur une partie, il faut le
répéter sur les autres (ou sur l'autre s'il n'y en a que deux) , — 3» quand
il y a changement de clef, ce changement doit être indiqué d'une façon
apparente devant le passage même où il se produit. J'ai, naturellement,
rectifié dans la notation ci-dessus cette triple légère incorrection de la
notation de M. Reinach, la première reproduite quatorze fois de suite, sur
quatorze mesures, la deuxième deux fois seulement. J. T.
NOXTA^ELLBS DIVERSES
ÉTRANGER
Mme Norman Neruda, veuve de sir Charles Halle, la célèbre violo-
niste, vient de célébrer le cinquantième anniversaire de son premier
concert et le vingt-cinquième de sa première apparition devant le public
anglais. Un comité, ayant le prince de Galles à sa tête, s'était formé pour
offrir à l'artiste le cadeau d'usage, et les dons ont été tellement importants
que le comité a pu acquérir pour l'artiste un château meublé près de Trévise,
avec ses dépendances, dont les titres lui ont été présentés dans un écrin
superbe. Un petit chèque de 500 livres sterling, soit 'l"2.b00 francs, se trou-
vait également dans l'écrin, et représentait le reliquat de la somme réa-
lisée par le comité. L'artiste n'a pas encore déposé son archet; que va-
t-on lui offrir dans dix ans?
— Clara Schumann a été ensevelie au vieux cimetière de Bonn, où Robert
Schumann repose depuis près de quarante ans et où ses admirateurs lui
ont élevé un monument superbe. La femme du grand compositeur repo-
sera donc près de lui. Plus de Jeux cents couronnes ont été envoyées; la
petite chapelle était remplie de musiciens allemands de renom parmi
lesquels on remarquait surtout Johannès Brahms, auquel, dans sa prime
jeunesse, Robert Schumann, alors critique musical à Leipzig, avait prédit
un grand avenir.
— L'empereur Guillaume II vient de porter à un million de marcs la
subvention accordée aux théâtres royaux de Berlin. Les autres théâtres
royaux, à Gassel, Wiesbaden et Hanovre, ont des subventions spéciales.
Le directeur des théâtres de Berlin s'efforce de faire des économies et de
ne pas dépenser toute la subvention qui leur est accordée. On évalue â
SOO.OOO marcs en moyenne la subvention nécessaire aux théâtres royaux ;
c'est donc 200.000 marcs que le directeur peut économiser avec un peu
de chance.
18â
LE MÉNESTREL
— M. Possart, surintendant de l'Opéra royal de Munich, vient de faire
jouer Don Juan de façon conforme à la première représentation de ce
chef-d'œuvre, dirigée par Mozart à Prague, en 1787. On a même restitué
à Munich le titre italien de l'oeuvre : Don Giovanni. A cette occasion,
M. Possart a rempli les fonctions de régisseur avec le grand talent qu'on lui
connaît, et le compositeur Richard Strauss a conduit l'orchestre d'une
façon magistrale. Beaucoup d'amateurs étrangers assistaient à cette repré-
sentation intéressante, qui a obtenu le succès le plus vif. Rappelons à ce
sujet que le directeur du théâtre allemand de Prague, M. Angelo Neu-
mann, a le grand mérite d'avoir célébré, en 1887, le centenaire de Don
Gioranni, par une représentation calquée aussi sur celle de 1787 ; il est
vrai qu'il disposait de la copie de la partition qui avait servi à Mozart
pour conduire Don Giovanni à sa première. M. Neumann fit jouer l'œuvre
en langue italienne, ce qui était d'autant plus agréable qu'aucune des
nombreuses traductions allemandes ne s'adapte parfaitement à la musique
(la plus ancienne de ces traductions est toutefois la meilleure et la plus
populaire) et il fit venir à Prague M. de Padilla, qui chanta le rôle prin-
cipal avec beaucoup de charme. Espérons que l'exemple de MM. Neu-
mann et Possart sera suivi par tous les théâtres lyriques d'outre-Rhin.
Bn.
— Nous avons récemment annoncé le succès d'un nouvel opéra, Ingo,
représenté à l'Opéra royal de Berlin et dont l'auteur est M. Philippe Rûfer.
M. Rûfer n'est point allemand : c'est un Belge, un Liégeois, aujourd'hui
établi à Berlin, et qui a été maitre de chapelle de la reine Victoria.
— Une des artistes hongroises les plus renommées, M""" Louise Blaha,
va, comme tant d'autres, célébrer prochainement son jubilé artistique. A
cette occasion, ses admirateurs de la capitale hongroise ont eu la pensée
de lui offrir un présent national de 100.000 florins, soit âbO.OÛO francs, ce
qui n'est pas banal, et ils ont imaginé un moyen assez ingénieux de réunir
cette somme sans avoir recours à une souscription. Le comité, à la tète
duquel se trouve le docteur Wlassich, ministre de l'instruction publique,
fait préparer 50.000 photographies de l'artiste, sur chacune desquelles
celle-ci apposera sa signature, et qui seront vendues aux amateurs à rai-
son de deux florins l'une. Le résultat ne sera pas désagréable assurément
pour l'héroïne, mais c'est égal, 50.000 signatures!.. 11 y a de quoi avoir une
crampe !
— Un jeune musicien italien qui s'est fait connaître dans sa patrie, en
ces dernières années, par quelques opérettes assez agréables, M. Grescen-
zio Buongiornio, vient de faire représenter à Leipzig un opéra en deux
tableaux, la Pesta del Carra, paroles de M. Golisciani, qui est encore une
imitation flagrante du genre inauguré par Cavallcria rusticana, avec action
nerveuse et rapide, coups de théâtre, scènes populaires, colpi di coltello,
meurtres et ce qui s'ensuit. Ce qui fait dire à un journal étranger que la
mascagnite sévit encore en Allemagne. Cependant cette Festa del Carra n'a
obtenu qu'un médiocre succès, bien que le compositeur n'y ait manqué,
parait-il, ni de talent ni d'une certaine entente scénique.
— A Genève, grand succès pour la cantate d'inauguration de l'Exposi-
tion, écrite par M. Otto Barblan sur des vers de M. Jules Cougnard, et
superbement chantée par un chœur de 200 voix. Le musicien a employé,
comme leitmotiv de sa composition, le chant national suisse, et son œuvre
a produit le plus grand effet. Les premiers concerts donnés au Victoria-
Hall sous la direction de M. Gustave Doret ont eu aussi un excellent
résultat. Le programme du premier comprenait la symphonie en «(mineur
de Saint-Saëns, l'ouverture à'Euryanthe et le prélude des Maîtres Chanteurs:
au second on a entendu la symphonie en la de Beethoven, la suite d'or-
chestre de Namouna de Lalo et Stenka Razine, poème symphonique
d'Alexandre Glazounow. Les solistes étaient M. Warmbrodt, qui a chanté
à la première séance le Repos de la sainte Famille (l'Ehfanee du Christ) de
Berlioz, la cavatine du Prince Igor de Eorodine et Clair de Inné de Gabriel
Fauré, et M"" Éléonore Blanc, qui a dit, dans la seconde, le grand air du
Freischûtz, la Procession de César Franck et l'Ile heureuse de Ghabrier. L'Expo-
sition multiplie d'ailleurs les concerts à Genève en ce moment, et les
différentes sociétés musicales : la Fanfare de Saint-Gervais, l'Harmonie
nautique, la Fanfare municipale, d'autres encore, en donnent chacune à
leur tour, qui tous attirent un nombreux public.
— Certains chefs d'orchestre sont familiers avec le public. Voici ce
qu'on lit dans le Trovalore ; « Un cas étrange et assez nouveau dans les
annales des théâtres lyriques s'est produit, il y a quelques soirs, au théâtre
Quirino de Rome. Durant une représentation tempétueuse de Rigoletto le
maestro Nuti, qui dirigeait l'orchestre, déposa tout à coup sa baguette et
s'en alla voir les étoiles ! Si l'incident n'a pas eu de conséquences
fâcheuses, c'est parce que le maestro Falconi, présent au théâtre, eut
l'esprit de monter aussitôt sur le fauteuil et, saisissant le bâton aban-
donné, de conduire la fin de l'acte. »
— Voici qu'un compositeur italien s'avise de refaire Boieldieu, M. Sici-
liani-Leva travaille en ce moment à un opéra qui a pour titre la Donna
bianea.
— On vient de donner à Pienza la première représentation d'un opéra-
comique en trois actes, Urbano, ossia le Avvenlure di una noite, dont le com-
positeur Carlo Leoni a écrit tout ensemble les paroles et la musique, Cet
ouvrage paraît avoir été accueilli avec la plus grande faveur.
— Il n'en a pas été de même d'une Ninon deLenclos,en quatre actes, dont
M. Natale Bertini a écrit la musique sur un livret de M. Giovanni Perez,
et qui a été représentée le 24 mai aux Politeama de Palerme. Cet opéra,
qui avait été imposé à la direction par la municipalité dans le but d'encou-
rager l'art local, a été reçu plus que froidement, en dépit des efforts de
ses interprètes. M'""' Giachetti-Botti et Deslandes, MM. Zeni, Giacomello
et Galli. « L'œuvre est destinée, comme tant d'autres, à mourir promp
tement » dit un journal italien. Et un de ses confrères dit de son côlé :
0 Le maestro a été trahi par le librettiste, et tous les deux ont trahi le
public... Les fragments les plus appréciés de la musique sont comme une
oasis dans un désert ». Décidément, Ninon de Lenclos n'est pas favorable
à la musique. On se rappelle l'effet qu'elle a produit, l'an dernier, à notre
Opéra-Comique; elle n'avait pas été plus heureuse en Italie, il y a quel-
ques mois, avec la musique de M. GipoUini ; elle est loin d'avoir pris sa
revanche avec celle de M. Bertini.
— Mettons en garde le rédacteur des éphémérides du Mondo artistico de
Milan contre certaines inexactitudes qui compromettent ce petit travail
historique. C'est le 26 mai 18S7 (et non 1860) que furent représentées au
Théâtre-Lyrique les Nuits d'Espagne, de Semet; et c'est le 30 mai (et non
le 29) 1890 que parut à l'Opéra-Comique la Basoche de M. Messager.
— A l'Eldorado de Barcelone on a donné, dans ces derniers temps, la
représentation de trois nouvelles zarzuelas en un acte : la Viuda de Gon-
zalez, musique de M. Taboada, el Coche carreo, de M. Chueca, et los Ino-
centes, de M. Estellés. Ces trois petits ouvrages ont été bien accueillis. Il
en est de même d'une autre zarzuela en un acte, Por salvar a mi teniente,
paroles de M. Carrion, musique de M. Costa, professeur au Conservatoire,
qui a obtenu un vif succès au théâtre de la Gran Via de la même ville.
D'autre part, au théâtre Ruzafa, de Valence, on a donné aussi avec succès
un « jeu comico-lyrique « intitulé el Primer Ténor, paroles de MM. Pont et
Gastell, musique de M. José Garcia Sola.
— Il paraît que l'enseignement n'est pas toujours extrêmement brillant
dans les classes du Conservatoire de Mexico, où l'on cite l'exemple d'une
jeune chanteuse qui, après avoir obtenu un premier prix à la suite de
sept années d'études et s'être rendue en Italie pour s'y perfectionner, s'est
vue obligée de recommencer entièrement son éducation musicale. Aussi
il paraît que les dilettantes de la capitale du Mexique s'occupent en ce
moment d'y créer, à côté de l'institution officielle, un Conservatoire libre
et gratuit organisé de telle façon que les résultats en puissent être plus
appréciables. — Il existe en ce moment, à Mexico, trois sociétés de qua-
tuor dont les séances font les délices des amateurs : le quatuor dit du
Conservatoire, le quatuor Saloma et celui de la Société philharmonique.
Ce dernier est considéré comme le meilleur.
— On vient d'inaugurer à Buenos-Ayres un nouveau théâtre d'opéra,
construit avec beaucoup de goût et de luxe et pourvu de toutes les instal-
lations modernes. Inutile de dire que l'opéra italien règne souveraine-
ment dans cette ville peuplée d'Italiens. Le soir de l'inauguration on
jouait Otello, de VerJi, et l'administration s'était offert le concours de
l'illustre Tamagno. Trente-deux rappels ; ces «Romains» de la Répu-
blique Argentine n'y vont pas- de main morte. Et dire que notre fonction
budgétaire de chef de claque n'est pas encore connue dans ce pays !
— Le baryton Lassalle a dit adieu à l'art pour s'adonner à l'industrie;
le ténor Tamagno semble disposé à abandonner la scène pour se livrer
aux travaux de l'agriculture. C'est un journal <le Montevideo, l'Ilalia a
Plata, qui nous apporte cette nouvelle en ces termes : « Selon des détails
recueillis de la bouche même de Tamagno, ce grand ténor aurait décidé
d'acquérir un domaine dans l'Argentine pour se livrer à l'agriculture et
se fixer en ce pays qui l'a comblé de tant d'honneurs. En fait, il est
enthousiaste de l'Argentine et de ses hommes politiques, parmi lesquels
il compte plusieurs sincères amis. »
PARIS ET DÉPARTENIENTS
Hier samedi, c'était, à l'Opéra-Gomique, la reprise du Pardon de Ploer-
mel, avec MM. Bouvet, Berlin, Maréchal, Belhomrae, M"°=Marignan, Leclerc
et Charlotte Wyns. A dimanche prochain le compte rendu de cette inté-
ressante soirée.
— Deux nouveaux directeurs à l'Odéon. M. Marck, dont la santé est fort
compromise, a donné sa démission, et son associé, M. Desbeaux, l'a suivi
dans sa retraite. On a désigné de suite pour les remplacer M. PaulGinisty,
un de nos plus aimables confrères, et M. Antoine, le créateur du Théâtre
Libre. C'est un bon assemblage dont on peut attendre des idées nouvelles
et même audacieuses.
— L'Académie des beaux-arts, dans sa dernière séance, a attribué le
prix Trémont (1.000 francs) destiné à un « musicien distingué dans ses
études », à M. Paul Puget.
— C'est M. Gabriel Fauré, le délicat compositeur, qui remplacera
M. Théodore Dubois comme organiste de la Madeleine.
— M. D. Thibault vient d'être réélu second chef d'orchestre de la
Société des concerts du Conservatoire. Au premier tour de scrutin, sur
102 votants, il a obtenu 89 voix.
— M"" Emma Calvé est partie cette semaine pour la Bourboule. Elle a
signé avec l'imprésario Grau pour une nouvelle saison à New-York, l'an
prochain. Mais, avant son départ pour l'Amérique, elle donnera en octobre
LE MENESTREL
183
et novembre, à l'Opéra-Comique de Paris, une série de vingt représenta-
tions de Manon. Ce sera une très curieuse prise de possession de ce rôle
si varié, où la remarquable artiste ne pourra manquer d'être très intéres-
sante.
— Le tribunal civil d'Amsterdam vient de rendre un jugement qui
mérite d'être signalé en France. M. Paul Decourcelle, éditeur de musique
à Nice, propriétaire de la composition de GiMet : Loin du bal, et de Flirla-
tion de Steck, poursuivait les éditeurs-libraires Abrabamson et van Straa-
ten, d'Amsterdam, pour avoir réimprimé ces pièces sans autorisation. Il
avait d'abord introduit une plainte correctionnelle à laquelle il n'avait pas
été donné suite, dans l'incertitude où l'on était que le tait incriminé tom-
bât sous le coup de la loi. Le plaignant s'est tourné alors vers le tribunal
civil, qui a condamné les contrefacteurs à 400 florins de dommages-inté-
rêts, exigibles même par contrainte par corps, sans préjudice des frais du
procès évalués par le jugement à 180 florins. C'est la première fois, —
depuis que la convention franco-hollandaise de 1884 a étendu aux œuvres
musicales la protection du traité de 18So, — qu'un éditeur français fait
appel à la justice hollandaise, et l'expérience n'est pas pour décourager
ceux qui auraient à souffrir des mêmes procédés... et ils sont nombreux.
— De notre confrère Nicolet, du Gaulois : « Hier, en un tour de prome-
nade, nous rencontrons Henri Gain, le peintre-librettiste. Nous l'abordons
et nous le félicitons d'abord de la médaille que lui a value, au Salon, son
beau tableau de Saint Georges et le Monstre et ensuite de la mise à l'étude
prochaine, à l'Opéra-Comique, de sa Cendrillon: « A ce propos, nous dit-il, je
vous serai reconnaissant de bien vouloir imprimer que, une fois le poème
de Cendn7/o)î terminé jusqu'au dernier vers et porté chez Massenet, un ami du
compositeur, M. Paul Gollin, voulut bien, avec son expérience et son talent,
lire mon livret et remettre sur leurs pieds nombre de coins où ma muse de
peintre avait cloché. Ce qu'il y a de particulier en celte affaire, ajouta-t-il,
c'est que je ne connais nullement M. Gollin, qui m'a rendu ce service
d'une manière charmante et ignorée, et que c'est par votre intermédiaire
qu'il va recevoir tous mes remerciements pour son talent et sa gentillesse
délicieuse qui, sans vous, seraient restés inconnus de tous, ce que je déplo-
rerais absolument ».
— Nous avons annoncé la petite solennité musicale qui devait être don-
née à la salle Pleyel, pour célébrer le « cinquantenaire musical de M. Ca-
mille Saint-Saëns, » qui débuta à cette même salle à l'âge de onze ans, en
qualité de pianiste-virtuose. La solennité a eu lieu au jour précis, mais
on n'avait oublié qu'un point, c'était d'y convoquer la presse. Nous ne
pouvons donc rapporter que par ouï-dire les échos d'un succès qui a été
très vif, parait-il, ce qui n'a rien de surprenant, avec un maître tel que
M. Saint-Saëns, et des aides comme MM. Sarasate etTaflanel. Tout s'est
donc passé au mieux, et même on a fort applaudi M. Saint-Saëns en qua-
lité de poète; car, à un moment de la soirée, il a pu tirer de sa poche un
petit discours rimé qu'il s'est mis à lire de la plus merveilleuse façon.
Nous croyons devoir reproduire ici ce petit document curieux :
Cinquante ans ont passé, depuis qu'un garçonnet
De dix ans, délicat, frêle, le teint jaunet.
Mais confiant, naïf, plein d'ardeur et de joie,
Pour la première fois, sur cette estrade, en proie
Au démon séduisant et dangereux de l'art.
Se mesurait avec Beethoven et Mozart.
Il ne savait ce qu'il faisait ; mais une fée
Que plus d'un parmi vous aura bientôt nommée
Savait, voulait pour lui, le menait par la main
Vers le but désiré, dans l'austère chemin
Du travail, du devoir. L'incomparable femme
Avait depuis longtemps décidé dans son âme
Que son premier enfant serait musicien.
Ignorant si c'était un mal plutôt qu'un bien.
Toujours elle y pensait, fidèle à sa chimère;
Mais qui pourrait combler tous les vœux d'une mère?
Seul, un pâle reflet de ce monde enchanté
Qu'en un songe de gloire elle avait enfanté
"Vint m'éclairer. Pourtant elle a, dans sa vieillesse.
Me voyant, grâce à la maternelle faiblesse.
Tout autre que j'étais, pu croire que le songe
N'appelait pas toujours pour rime le mensonge.
Que ceux qui l'ont connue aux autres veuillent dire
De quels rayons divins était fait son sourire !
Un demi-siècle I eh quoi ? c'est donc si peu de chose !
C'était hier ! je vois ici la foule rose,
Maleden, Stamaty, mes professeurs, Tilmant,
Le chef d'orchestre aimé; de l'applaudissement
J'entends encore le bruit, qui, chose assez étrange,
Pour ma pudeur d'enfant était comme une fange
Dont le flot me venait toucher; je redoutais
Son contact, et parfois, malin, je l'évitais.
Affectant la raideur, la froideur simulée.
Innocence première à jamais envolée!
Depuis, j'ai par malheur écrit des symphonies,
Des œuvres tour à tour triomphantes, honnies,
Gomme il convient. La mer n'est pas toujours clémente;
Aujourd'hui c'est l'azur, demain c'est la tourmente.
L'art est comme la mer, changeant, capricieux.
Il nous mène aux enfers; il nous montre les cieux;
On y voudrait grimper : on tente l'escalade;
Quand, après des efforts à se rendre malade.
On croit franchir la porte, à nos yeux étonnés
La porte se referme, on s'y casse le nez.
On en prend son parti -. la muse enchanteresse
Nous console de tout avec une caresse !
Que vous dirai-je enoor? Je n'étais qu'un enfant
A mes débuts ; trop jeune alors, et maintenant
Trop... non ! n'insistons pas. La neige des années
Est venue, et les fleurs sont à jamais fanées.
Naguère si légers, rnes pauvres doigts sont lourds I
Mais, qui sait? au foyer le feu couve toujours;
Si vous m'encouragez, peut-être une étincelle.
En remuant un peu la cendre, luira-t-elle...
C'est bien joli assurément; mais le meilleur mot de la fin a encore été
pour la recette, qui s'est élevée à plus de dix mille francs et dont le mon-
tant a été remis tout entier à l'Association des artistes musiciens.
— Le festival de M. Théodore Dubois à Rouen a eu un plein succès et
l'auteur a été, à diverses reprises, l'objet d'ovations très chaleureuses.
L'exécution du Paradis perdu fait grand honneur à M. Brument, qui a été
fort applaudi ainsi que les excellents interprètes : M"" Éléonore Blanc et
Mathieu, MM. Bartet et Lafarge. Voilà de la bonne décentralisation !
— J'aime M. Camille Bellaigue parce qu'il est sincère et qu'il est cou-
rageux. En un temps où il est de bon goût, lorsqu'on parle musique, de
conspuer ou de ridiculiser tout ce qui s'est fait de pur, de noble et de
beau jusqu'à ce jour, où les petites femmes qui n'y comprennent rien
tombent en pâmoison au seul nom de Wagner et, pour poser, vous disent
qu' « il n'y a que cela au monde », où il est convenu, aux yeux de nos
jeunes musiciens, que les grands noms de Mozart, de Beethoven, de Ros-
sini, de Gounod et de bien d'autres sont dignes du dernier mépris, M. Bel-
laigue ose proclamer et affirmer son admiration pour ces grands hommes
et pour leurs 03uvres, et il le fait vaillamment et sans broncher, et il le
crie à qui veut l'entendre. Combien sommes-nous aujourd'hui qui osions
agir ainsi, qui osions dire ce que nous croyons être la vérité, au risque de
ce qui peut s'ensuivre, c'est-à-dire non seulement des railleries, mais des
injures, des insultes, voire des calomnies lâches qu'on ne nous épargne
pas et dont je suis abreuvé pour ma part ? Après tout, peut-être la raison
finira-t-elle par avoir raison, et nos efforts serviront-ils enfin à quelque
chose. En attendant, voici que M. Bellaigue publie un livre charmant, et
que sous le titre de Portraits et Silhouettes de musiciens (Paris, Delagrave,
in-12) il nous offre toute une série d'études et d'esquisses dans lesquelles
il fait revivre quelques-uns de ces artistes admirables qui depuis trois
siècles et plus ont enchanté l'humanité civilisée et qu'il est de mode
aujourd'hui de mépriser et d'injurier outre tombe. Il y a là quatre beaux
portraits, largement étudiés, de Palestrina, de Marcello, de Pergolèse et
de Gounod (oui, de Gounod, la bête noire de nos prétendus réformateurs,
qui m'a valu, dans une conférence où j'avais l'audace de le traiter d'homme
de génie, les injures d'une cinquantaine d'énergumènes auxquels j'ai dû
imposer silence). Avec cela quelques médaillons, finement ouvragés, où
l'on retrouve les traits d'Haydn, de Mozart, de Gluck, de Rossini, de
Weber, de Meyerbeer (!), d'Auber (!!) et de quelques autres dont les seuls
noms font grincer les dévots de la nouvelle chapelle. Que ceux qui n'ont
point de parti pris lisent ces pages élégantes, élégamment écrites et em-
preintes d'un vrai, sentiment de l'art, et je puis leur affirmer qu'ils n'au-
ront point perdu leur temps. A. P.
— Très beau concert donné par M^^ Edouard Colonne au bénéfice de
l'Orphelinat des Arts, avec le concours de ses élèves et de MM. Lucien
Wurmser, Joseph Holmann, Jean Ramon et de M""» Provinciali-Celmer.
Très brillante réussite pour tous, et gros succès pour le charmant trio des
Trois Belles Demoiselles de M"" Pauline Viardot, excellemment chanté par
M"«= Colonne et M"«s Baldorchi et Planés et accompagné par l'auteur. On
terminait par la Vision de la Reine, curieuse composition de M"° Augusta
Holmes, dite merveilleusement par M™ Colonne et ses élèves. La recette
était superbe.
— La soirée donnée par M™ Renée Richard, de l'Opéra, dans son hôtel
de la rue de Prony, a été des plus brillantes. Cette soirée commençait par
une audition des meilleures élèves de la grande cantatrice, et après cette
première et intéressante partie, les invités ont en la primeur d'un frag-
ment de l'opéra de M. Henri Maréchal, Calendal, exécuté à Rouen l'hiver
dernier. On a vivement applaudi l'œuvre et les interprêtes : M'"'^ Vaguet-
Chrétien, de l'Opéra, M E. Lafarge, des concerts Lamoureux, et M. Stam-
1er, du théâtre de Monte-Carlo. Pour terminer, la maîtresse de la maison
s'est fait entendre et a charmé son auditoire en chantant avec sa belle
voix et son grand style une o Ballade », de M""" Gabriel Ferrari, que l'on
a bissée, le duo d'Henry YIII, avec Diaz de Soria, et la Ballade du désespéré,
d'Henry Mùrger, musique deBemberg, poème dit par M"" Jeanne Brindeau.
— Grand concert spirituel, à Versailles, en la chapelle du Château, au
bénéfice de la caisse de secours de l'Association des artistes musiciens,
fondation Taylor. Les artistes et amateurs figurant au programme : M""<= la
comtesse de Guerne, M"""^ Kinen, MM. Vergnet et Paul Seguy, de l'Opéra,
M. H. Berthelier, le professeur de violon; du Conservatoire, M. G. Papin,
violoncelliste solo de l'Opéra, M"'»Em. Renaud, organiste, etM"'-' H. Gayot,
harpiste, avaient attiré une foule énorme. Ajoutons que ces vaillants
184
LE MENESTREL
interprètes de la belle musique sacrée se sont surpassés et que la recette
a été fort belle pour les artistes malheureux. M. Théodore Dubois était
venu en personne diriger l'exécution, avec les chœurs de l'Opéra, de son
bel oratorio, les Sept Paroles du Christ.
— Le mercredi 3 juin, la paroisse Sainte-Clotilde a pris part au pèleri-
nage qui a lieu en ce moment à Reims. La maîtrise de l'église parisienne
s'est fait entendre pendant les offices : le matin à la cathédrale, l'après-
midi à Saint-Remi ; parmi les morceaiix exécutés, on a remarqué VEcce
panis. YAve Maria et le magistral Tu es Pelrus, de Théodore Dubois, le
Pater Noster de Niedermeyer, le Sanclus, VO Salularis et le Lavdaie, de la
deuxième messe solennelle de Samuel Rousseau.
— La semaine dernière, très beau concert de charité à Versailles. Au
programme, M"= du Minil, M. Albert Lambert fils et M. Léon Delafosse,
qui a eu un double succès de pianiste et de compositeur. Trois de ses
délicieuses mélodies : Clianson, l'Étang mystérieux et les Fontaines, ont été
chantées par M""i Baréty, avec les honneurs du bis,
— M. Gigout est attendu à Barcelone pour deux festivals d'orgue et
d'orchestre qui ont été organisés par la municipalité à l'occasion de l'Ex-
position des beaux-arts. En l'absence de M, Gigout, les cours de son école
d'orgue seront faits par M. Boëllaiann. Mais d'ici là, vendredi prochain,
une très belle audition en l'honneur de M. Saini-Saëns aura lieu à
l'école de la rue Jouffroy. Le maître exécutera avec le violoniste Geloso
sa sonate op. 7S, les élèves de l'école joueront ses œuvres d'orgue et
M"= Éléonore Blanc et MM. Clément et Badiali, de l'Opéra-Comique,
feront entendre ses plus récentes œuvres vocales.
— La commission des fêtes de charité à Niort a terminé son programme
par un superbe concert pour lequel il avait été fait appel à trois artistes
parisiens. M°"= Boidin-Puisais,M. PauISéguy, de l'Opéra, et M. Furet; tous
trois ont trouvé à Niort le grand succès auquel ils sont accoutumés.
Particulièrement applaudi Printemps, de J. Faure, par M. Séguy.
— CoxcERTs ET SoniÉEs. — A la dernière matinée de M""Kirée"\vsky, les œuvres
deM"'de Grandval composaient une grande partie du programme. Succès d'en-
thousiasme pour la Bonde des Songes, partagé par les interprètes, M"" Kiréew-
sky et les chœurs ; la Délaissée, le Bal, valse à deux voix, avec M"* Kiréewsky,
M"" Guimet et Pierron, ont eu aussi le plus grand succès, l'auteur accom-
pagnait ses œuvres. — Remarquable audition des élèves de M"" Berthe Duranton,
salle Érard. Enseignement parfait. Remarqué surtout la Korrigane de Widor à 2
pianos, la Légende slave de Bourgault-Ducoudray ; mais le succès a été pour la
Afuse((edM.\'l7J°5!ècfcdePérilhou admirablement chantée par M"' Jeanne Duranton.
— Salle Érard, sérieuse et intéressante matinée des élèves de M"" Menant. Suc-
cès pouv Air de ballet â'Hérodiade de Massenet; Gaillarde à quatre mains de Léo
Source capricieuse de FiUiaux-Tiger ; Vieille Chanson, Armingaud-FiUiaux-Tiger, Deli-
bes; exécutée par M"" Menant avec un récitaient. — Le beau concert decharilé
donné, à la salle Érard, au profit de l'œuvre des petites conférences, a été l'un
des événements artistiques de la saison, grilce au talent des divers artistes et
amateurs qui se sont fait entendre. Pour la partie vocale, il faut citer en pre-
mière ligne M"' la comtesse de Guerne ; pour la partie instrumentale, la com-
tesse Pûtocka, MM. Widor, II. Berthelier, Gasella et GiUet. Elle et ces vaillants
artistes ont recueilli d'unanimes bravos. N'oublions pas l'orchestre et les
chœurs de l'Opéra-Comique, dirigés supérieurement par M. Jules Danbé, qui a
eu une bonne part dans le succès de la soirée. — Chez M"° Tarpet-Leclercq,
nombreux et brillant concours sur Source capricieuse de L. Fliliaux-Tiger, par les
élèves de ses cours et de sa classe au Conservatoire. Succès pour M"" Debrie,
Nosny, Ploquin, Bousquet, Chevrau, Deligat, Robsit. — Très bonne audition
des élèves de M"' Balulet. A signaler M"" M. V. (Belle qui liens ma vie, pavane,
Paul 'Vidal), M. R. (Valse de l'ivresse, Paul Vidal) et B. (Bourrée, Paul Vidal). Dans
les intermèdes, on a applaudi M'" Marrais dans la Légende des trois petits mousses
de Xavier Leroux, dans les couplets de la Marjolaine du Noël de Paul Vidal,
et M"' Méran dans le Nil de Xavier Leroux. — Très brillante soirée donnée par
M"° Marcus de Beaucourt, au cours de laquelle on a fait grand succès à M"" S.
Colin (le Bernier Rendez-Vous, Reyer), H. de Hérédia (le Rêve du prisonnier, Rubins-
tein), Emma Monot (Rêverie de Xaviire, Théodore Dubois), à M"" J. Imberti
(Pleurez mes ijeux du Cid, de Maissenet), Anatole France (air â'Hérodiade, Maste-
net) et aux chœurs dans des fragments de Xaviére. — Salle Pleyel, brillante
séance des élèves de M— Sauvaget. Parmi les morceaux les plus applaudis
citons les Oiselets de Massenet, Source capricieuse de L. Filliaux-Tiger et, pour
terminer, les Crécelles de Glaudius Blanc et Léopold Dauphin. — A la réunion
d'élèves de M'" Hortense Parent, on a fait fête aux charmantes interprèles de la
fantaisie à deux pianos de Lysberg sur Don Juan, de la marche des Scènes de bal
de Massenet, des Pizzicali de Syli'ia de Léo Delibes, de l'Entr'aclede Léo Delibcs,
et à M°"= Crabos qui a fort bien chanté la Vierge à la crèche et la Musette du
XVII' siècle de A. Périlhou. — M. Vannereau a eu, comme toujours, une magni-
fique audition de ses élèves, salle Pleyel. M"' Vannereau a été très remarquée
dans un allegro de Chopin et Source capricieuse de L. Filliaux-Tiger. M"'' Lardet a
chanté l'-lnosode Delibes. — A la salle d'IIarcourt, très beau concert donné par
M. W. Legrand-Howland dont on exécutait pour la première fois VEcce Ilomm
c-ratorio en 3 parties. Parmi les interprètes, il faut signaler en toute première
ligne M"' Délia Rogers dont la belle voix de mezzo a fait merveille. Gros succès
aussi pour M. Widor dans des pièces de piano et pour M. Lemaîire dans la
Méditation de Thais. — La société instrumentale d'amateurs la Tarentelle a
donné, à la salle d'IIarcourt, un très beau concert à orchestre, supérieurement
dirigé par son chef habituel, M. Edouard Tourey. Au nombre des œuvres d'or-
chestre qui ont fait le plus d'impression il faut citer les Scènes alsaciennes de
J. Massenet, dont le n" 3, Sous les tilleuls, a dû être bissé. M"" Bréval, de l'Opéra,
a fait apprécier sa belle voix, son slyle et son talent dramatique dans l'air de
Venus de Thésée de Lulli, instrumenté par Victorin Joncières. Elle a obtenu un
grand succès. A côlé d'elle, le pianiste Berny s'est fait applaudir dans la nieuse
de Mendelssohn. — A la dernière soirée de « la Betterave » on a chaudement
applaudi M"' Ducy dans d'originales compositions de Gustave Charpentier,
M"" Delpierre dans Charme des jours passés â'Hérodiade et Noël pa'ien de Massenet,
M Clayes dans Vision fugitive â'Hérodiade et l'air d'yli)en-7/ame( de Théodore Dubois,
MM. Estyle, Hudelist, Mustel, Debruille et Duponchel. — La dernière séance
des quatuors Weingaertner a eu plus de succès encore que les précédentes.
Elle débutait par le quatuor avec piano de G. Pfeiffer, dont l'adagio et le scherzo
ont été particulièrement applai^dis. Très belle exécution par la jeune pianiste
.M"' Weingaertner et le violoniste Furet de la sonate de Saint-Saëns. La célèbre
sonate de Tartini, le Trille du diable, a valu un triomphe au violoniste A. W in-
gaertner. Le quatuor de Mendeisshon terminait la séance et a été excellemment
interprété par MM. Weingaertner, Furot, Ilervoust et Casadessus. — Brillante
matinée chez M"' M.-E. Cebron, pour la clôture de son cours de musique et
chants religieux. Nos plus sincères félicitations et encouragements à cette heu-
reuse tentative artistique. — Dans sa deuxième séance consacrée aux œuvres
modernes. M"' Levasseur a exéîuté avec un charme, une grâce et une linesse
dignes de tout éloge des œuvres de Th. Dubois, Ém. Pessard, J. Massenet, Cha-
minade, Pfeiffer, d'Indy, B. Godard et Saint-SaCns, ainsi que le Renouveau, quatre
pièces de son professeur, M. Ed. Chav8gnat, à l'enseignement duquel cette jeune
e remarquable pianiste fait le plus grand honneur. M"« Magdeleine Godard a
exécuté avec le talent qu'on lui connaît diverses pièces très chaleureusement
applaudies, et M. Paul Seguy, de l'Opéra, a chanté avec un art consommé les Trois
Soldats de Faure, des chansons anciennes et Vision de M. Chavagnat, qui lui ont
valu un très légitime succès. — Chez M"° Du,glé, très artistique matinée d'élèves
à laquelle assistaient MM. Ch. Lefebvre, Hue, Fauré, Reynaldo Hahn, A. Gsorges,
de Sausjine, et à laquelle prêtaient leur concours 51"' Vormèse, MM. lloUmann,
Gaubert, Falkenberg, Catherine, Elwy, Bagés, Guiod et Debay. Très joli succès
pour M"" Pages et Malandrin et, aussi, pour M"" de Saint-,\ndré, Darras,
Benech, Durrieu, Leduc (l'Heure exquise, Reynaldo Hahn) et Leclerc (Je l'aime,
Massenet). Le Cantique de Hahn, chanté en chœur, a produit un délicieux effet.
NÉCROLOGIE
Ernesto Rossi, l'admirable tragédien italien, à peine de retour de la
tournée triomphale qu'il venait de faire en Russie, vient de mourir après
quelques jours seulement de maladie. Il revenait d'Odessa et, rentrant en
Italie, se dirigeait sur Livourne, son pays, lorsque, pris subitement de
malaise, il dut s'arrêter à Pescara, sur l'Adriatique, où sa femme, sa fille
et son gendre, le baron Modigliani, aussitôt appelés, accoururent auprès
de lui. Une angine se déclara d'une façon violente, et malgré tous les soins,
Rossi vient de succomber à l'âge de 67 ans. La renommée du grand artiste
était universelle, et il avait parcouru l'Europe entière au bruit des applau-
dissements et des acclamations. Il était venu une première fois à Paris,
fort jeune, en compagnie de Mi^^ Adélaïde Ristori, l'incomparable tragé-
dienne ; mais c'est surtout lorsqu'il y revint il y a une vingtaine d'années
et donna à la salle Ventadour une série de représentations, que ses
succès furent éclatants. La mort de Rossi est une grande perte pour l'art
italien.
— Un artiste qui a eu son heure de succès et de notoriété, le ténor
Dulaurens, que nous avons entendu naguère à l'Opéra, est mort cette
semaine à Paris, à l'âge de 68 ans. Dulaurens se iît entendre d'abord à
'Versailles, en chantant Guillaume Tell, alors qu'il était encore soldat, capo-
ral dans un régiment d'infanterie. Après quelques années passées en pro-
vince, il fut engagé à l'Opéra, où sa voix de clairon brilla dans les Hugue-
nots, dans Robert le Diable, dans Roland à Roncevaux. Il alla ensuite à
Toulouse, puis à Lyon, revint un instant à l'Opéra, et enfin quitta la
scène pour se livrer à. l'enseignement.
- — A Milan vient de mourir une jeune artiste, M"' Antonietta Unters-
teiner, qui semblait appelée à un heureux avenir. Elle était née à Cons-
tantinople de famille italienne, malgré la forme germaine de son nom, et
avait fait son éducation musicale au Conservatoire de Milan. Pianiste
distinguée, elle se livrait aussi avec ardeur à la composition et, entre
autres œuvres, avait fait entendre au Conservatoire une scène dramatique :
Sut Raltico, écrite sur une poésie de M. R. Barbiera, et à Turin un poème
symphonique intitulé : Dio e Satana. Elle s'occupait, en dernier lieu, de
composer un opéra.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En ïcnle AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Viviennc, HEUGEL & C'«, idilenrs-propriélaires.
IL..A. IMCOItT I>H T2a:-A.ÏS
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un. — 62»« A^m — î\° 21 PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche U Juin 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL. directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un on. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, -10 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIRE-TEXTE
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 3" partie (6" article), Arthur
PouGiN. — II. Semaine théâtrale : reprise du Pardon de PhSrmel à l'Opéra-
Comique, A. -P. — III. La musique et le théâtre au Salon des Champs-Elysées
{!' article), Camille Le Senne. — IV. Musique et prison (7» article) : La Bastille
et les prisons d'État sous l'ancien régime, Paul d'Estiiée. — V. Correspon-
dance : une lettre de M. Th. Reinach. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SI JE NE T'AIMAIS PAS
nouvelle mélodie de E. Mobet, poésie de E. Haraucourt. — Suivra immé-
diatement : Aubade printanière, de Pai'l Lacombe, adaptation de .Tdles
Ruelle.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Matutiiia, de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement : Danse
japonaise, de Paul "Wachs.
LA PREMIERE SALLE FAVART
et
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
TROISIEME PARTIE
II
(Suite)
C'était l'année des compositeurs débutants. En voici encore
un, Eugène Prévost, qui aborde la scène de l'Opéra-Comique,
le 13 octobre, avec ua « opéra bouffon » en deux actes,
Cosimo, écrit par lui sur un livret de Paul Duport et Saint-
Hilaire. Je dois remarquer toutefois que Prévost, élève de
Lesueur et grand prix de Rome de 1831, profitant de la liberté
furtive dont les théâtres avaient un instant bénéficié à. la
suite de la révolution de Juillet, avait fait jouer à l'Ambigu,
avant même de remporter son prix, deux petits opéras en
un acte, l'Hôtel des Princes et le Grenadier de Wagram, repré-
sentés le 23 avril et le 14 mai ■1831. Il était donc un peu
aguerri déjà lorsqu'il présenta au public de TOpéra-Comique
son Cosimo, que celui-ci accueillit avec quelque faveur. Ce
qui n'empêcha pas le jeune artiste de partir bientôt en qua-
lité de chef d'orchestre pour la Nouvelle-Orléans, d'où il ne
revint qu'après un quart de siècle.
Un drame lyrique en quatre actes, répété d'abord sous le
litre de Mathilde, paraissait le 16 novembre sous celui de
la Grande-Duchesse. Le livret, absolument insipide, avait pour
auteurs Merville et Mélesville; la musique, meilleure, mais
dépourvue d'originalité, était de C'irafa. Les qualités de celle-
ci ne purent faire pardonner les vices de celui-là. La Grande
Ducliesse, fauchée dans sa fleur, mourut à peine âgée de seize
représentations. Elle céda la place à l'Éclair, trois actes de
Planard et Saint-Georges, avec musique d'Halévy, qu'on vit
paraître le 16 décembre. Trois actes, sans chœurs, avec
quatre personnages seulement! C'était un tour de force à
accomplir. Halévy l'accomplit de la façon la plus heureuse,
et remporta avec l'Éclair, qui devait s'appeler d'abord le Coup
de foudre, l'un des succès les plus brillants de sa brillante
carrière. L'ouvrage, merveilleusement joué par Ghollet, Cou-
derc, M"'« Pradher et M"'= Camoin, termina dignement une
année qui comptait déjà les succès de la Marquise, du Cheval
de bron::e et des Deux Reines.
C'est simplement pour mémoire qu'il faut enregistrer la
naissance, à la date du 14 janvier, d'un acte intitulé Gaspara,
qui ouvrait d'une façon assez fâcheuse l'année 1836. L'enfant
mourut après trois soirées d'une existence obscure. Il avait
pour pères deux vaudevillistes nommés de Forges et Emile
Vanderburck, auxquels s'était joint le compositeur Rifaut,
qui n'avait pas à se louer de ses compagnons en cette cir-
constance.
Mais l'Opéra-Comique préparait un coup d'éclat. Une chan-
teuse exquise et dont la renommée était immense, qui s'était
fait acclamer au Théâtre-Italien d'abord, à l'Opéra ensuite,
venait d'avoir des difficultés avec ce dernier, qui faisait la ma-
ladresse de la laisser partir. Crosnier s'empressa de l'engager,
et elle allait fournir à l'Opéra-Comique une nouvelle carrière,
aussi brillante pour le moins que celle qu'elle avait par-
courue jusqu'alors. On devine que je veux parler de M"" Da-
moreau, alors dans tout le rayonnement de son talent exquis
et de sa beauté pleine d'élégance. IMais il fallait une œuvre
nouvelle pour donner à l'apparition de la cantatrice sur cette
nouvelle scène tout l'éclat qu'on lui désirait. On s'adressa à
Scribe et Auber, dont elle avait partagé les succès à l'Opéra
dans le Dieu et la Bayadère, le Philire et le Serment. Ceux-ci
n'avaient de prêt aucun ouvrage important; mais ils songèrent
à adapter à son intention un acte qu'ils avaient précisément
écrit pour e-Ue et pour l'Opéra. C'est ce qtie le Courrier des
Thkîlres faisait connaître en ces termes à sey lecteurs : —
« Le poète et le musicien qui mettent avec tant de bonheur
leurs talents en participation travaillent à la pièce dans
laquelle M"" Damoreau débutera à l'Opéra-Comique. Pour
aller plus vite, on puise dans le tiroir aux ouvrages
confectionnés. On y a trouvé un acte destinée l'Opéra et dans
lequel la transfuge à roulades devait également remplir un
rôle. Avec les petits vers fabriqués pour le récitatif on fait
d84
LE MENESTREL
en ce moment de simple prose tailladée en façon de dialogue,
et le musicien réduit les proportions de son œuvre pour
qu'elle entre, sans qu'il y paraisse, dans le modeste pendant
du palais de la Bourse. Semblable besogne ne saurait deman-
der beaucoup de temps; ainsi, M""^Damoreau ne devant entrer
qu'en janvier procliain à l'Opéra-Comique, la pièce sera dis-
ponible avant la chanteuse... » (1).
L'ouvrage en question avait pour titre Actkm, et les rema-
niements dont il fut l'objet furent effectivement assez rapi-
dement opérés pour que la première représentation en put
être donnée le 23 janvier. Il n'était pas des meilleurs qui
fussent sortis de la plume de leurs auteurs, mais le talent
de la cantatrice devait suffire à le soutenir au moins pendant
quelque temps, et il est certain qu'elle y obtint un succès
d'enthousiasme. C'est ce que constatait justement le Ménestrel,
qui en était alors presque à ses premières armes : « Sans
M">' Damoreau, ce petit acte aurait obtenu un de ces succès
sans conséquence, qui enrichissent le répertoire, mais dont
on parle peu. Avec M™ Damoreau, Acléon a excité l'enthou-
siasme général. Vous dirai-je de quelle manière cette ravis-
sante cantatrice a chanté et joué ? On connaissait l'étormante
souplesse' de sa voix et son admirable méthode; mais ce
qu'on ignorait, c'est le charme de son dialogue, c'est son jeu
plein d'esprit et de malice. C'était pour cette cantatrice un
double triomphe et une véritable surprise pour le public. »
Les autres rôles d'Actéon étaient tenus par Inchindi, Révial,
M°'= Pradher et IV^" Camoin (2).
Actéon n'avait dû un semblant de succès qu'à la présence
de M"'" Damoreau, dont le début avait été un véritable
événement. Les Chaperons blancs, que les mêmes auteurs firent
paraître à la scène le 9 avril, n'en obtinrent aucun. Ces trois
actes, qu'on avait intitulés d'abord la Flamande, furent un des
rares insuccès qu'eut à subir la longue collaboration Scribe-
Auber; mais cet échec fut complet, et les douze seules repré-
sentations de l'ouvrage le prouvent suffisamment. Scribe eut
une bonne part de ce fâcheux résultat, car son poème était
vraiment détestable. Quoi qu'il en soit, le théâtre, pris de
court, pressa les études d'un nouvel ouvrage dû à un jeune
compositeur belge encore inconnu à la scène, Sarah ou VOr-
pheline de Gl'incoé. Conçue d'abord en un acte et reçue sous
cette forme, cette Sarah, dont le poème avait été écrit par
Mélesville, avait été étendue en deux actes pour servir non au
début, comme on l'a dit à tort, mais à la rentrée d'une jeune
artiste charmante, Jenny Colon, dont le retour était destiné
à faire sensation. Le musicien n'était autre qu'Albert Grisar,
le futur auteur de ces petits bijoux qui s'appellent Gille ravis-
seur, le Chien du jardinier et Bonsoir, monsieur Pantalon. Sarah fut
jouée le 26 avril et fournit une carrière fort honorable. On
n'en peut guère dire autant de Rock le Barbu, un acte de Paul
Duport et de Forges pour les paroles, de Gomis pour la musique,
qui n'obtint qu'une dizaine de représentations, dont la pre-
mière avait lieu le 13 mai.
A enregistrer ensuite : le Luthier de Vienne, un acte, paroles
de Saint-Georges et de Leuven, musique d'Hippolyte Monpou
(30 juin); le Chevalier de Canolle, trois actes, paroles (anonymes
le premier soir) de M™' Sophie Gay, musique de Court de
Fontmichel, dilettante fortuné qui n'en avait pas moins fait
de bonnes études couronnées, en 1822, par un second grand
prix de composition musicale à l'Institut (6 août); le Diadesté,
deux actes, paroles de Saint-Hilaire et Léon Priot, musique
de Jules Godefroid, jeune artiste bien doué que la mort saisit
trop tôt, et qui était le frère de l'excellent harpiste Félix
Godefroid (7 septembre) ; et le Mauvais OEil, un acte, paroles
(Il Courrier des Théâtres, 21 novembre 1835.
(2) En attendant qu'un autre rûle nouveau pût lui être confié, M-' Damoreau
se montra successivement dans quelques ouv-'-es du répertoire courant. Elle
joua ainsi Anna de la Dante blanche, Késie du Cau,; de Badgad, Adèle du Concert à
la Cour. Crosnier eut même la singnlière idée de monter à son intention un
vieux petit opéra de Gaveaux qui n'avait jamais paru sur la scène de l'Opéra-
Comique et qui avait été créé en 1804 au théâtre Montansier (Variétés), te Bouffe
le Tailleur. C'est le G juin 1836 qu'eut lieu cette reprise peu éclatante.
de Scribe et Gustave Lemoine, musique de M"" Loïsa Puget,
que ses romances touchantes avaient rendue populaire, mais
qui n'avait pas l'étoffe et la main d'un musicien scénique
(l" octobre). De ces quatre ouvrages, le seul heureux fut le
Luthier de Vienne, qui devint quasi centenaire, et dont on loua
surtout l'ouverture et un air admirablement chanté par
M™ Damoreau. Chollet dans le Chevalier de Canolle, Jenny Colon,
Moreau-Sainti et Couderc dans le Diadesté, M""^ Damoreau, Pon-
chard et le même Couderc dans le Mauvais OEil ne purent
assurer la fortune de ceux-ci, qui disparurent avec plus ou
moins de rapidité.
(A suivre.) Arthur Pougin.
SEMAINE THÉÂTRALE
OPÉRA-COMIQUE. — Reprise du Pardon de Plocrmel.
L'apparilion du l'ardon de Ploërmel sur la scène de rOpéra-Comique
remonte au 4 avril 18Sd. On peut dire que ce fut un véritable évéoe-
ment, dont Paris s'entretint longtemps à l'avance, et cela pour beau-
coup de raisons. D'abord, à cette époque le grand nom de Meyerbeer
suffisait à lui seul pour exciter au plus haut point la curiosité publi-
que. Puis, on savait que l'action de cet ouvrage fort important ne
comportait que trois personnages, et il semblait qu'il y eût là, pour
le compositeur, un tour de force à accomplir pour maintenir pendant
trois grands actes l'intérêt musical. Puis, ces trois personnages
étaient représentés par trois artistes de premier ordre chacun en leur
genre : M"" Marie Cabel, Faure et Sainte-Foy. Puis encore on parlait
d'un quatrième rôle, muet celui-là, qui était tenu par une chèvre,
une vraie chèvre, en chèvre et en os ; et il y avait un pont cassé, tout
comme chez Séraphin ; et un précipice ; et un torrent qui envahissait
la scène. Ah ! ce torrent, que de torrents d'encre il a fait couler I
Et l'on parlait aussi de l'orchestre, dont la besogne n'était pas
commode, et que Meyerbeer avait augmenté d'une clarinette basse.
Ce fut toute une histoire encore, que l'introduction de cette clari-
nette basse. Je me le rappelle comme si j'y étais, car, tout jeune
homme alors, je faisais partie de cet orchestre, et je puis bien dire
qu'au point de vue des études nous ne nous étions jamais vus à
pareille fête. Après de nombreuses répétitions spéciales pour le qua-
tuor, après de nombreuses répétitions semblables pour les instruments
à vent, qui toutes se faisaient, sous l'œil du maître, dans la toute
petite salle située au troisième étage de la pauvre salle Favart, on
ne fit pas moins de trente-quatre répétitions générales d'orchestre pour
ce Pardon de Ploërmel f 'Et cela à une époque où nous montions un
ouvrage d'Auber ou d'Ambroise Thomas avec quatre répétitions, dont
une pour l'orchestre seul et trois avec les chanteurs. Dame, ça nous
paraissait dur ! Mais il faut dire que Meyerbeer était si poli, si cour-
tois, qu'il apportait dans ses observations une si parfaite urbanité
que malgré la fatigue, malgré l'énervement, toute velléité de mau-
vaise humeur s'évanouissait devant ses procédés.
Enfin le grand jour arriva, et l'on peut dire que le succès fut
immense dès l'ouverture, cette ouverture si colorée, d'un si grand
style et d'une forme si particulière, avec son chœur derrière le rideau
(comme dans le Poliiilo de Donizetti). En réalité, ce fut une surprise
pour le public que cette œuvre d'un si grand caractère, dans laquelle
le génie de Meyerbeer donnait une note absolument nouvelle. Le
premier acte fut un véritable enchantement, depuis le joli chœur
d'introduction avec ses battements de main jusqu'au trio final, en
passant par la berceuse de Dinorah. les couplets bouffes de Corentin
et l'air farouche d'Hoël : 0 puissante wajfîe/ superbe de grandeur et
d'énergie. Si Faure avait triomphé dans cet air d'une si riche couleur,
M"'' Cabel excita l'enthousiasme au second acte avec la valse de
l'ombre, qui a succédé dans le répertoire des cantatrices à la cava-
line du Barbier de Séville et qui a été chantée, je crois, jusque chez les
Peaux-Rouges.
La joie du public alla croissant jusqu'à la fin; et cependant, il faut
le constater, le succès du Pardon n'a jamais égalé à l'Opéra-Comique
celui de l'Etoile du Nord. Il est vrai qu'il a pris sa revanche à l'étran-
ger, o'u, sous la forme italienne et sous le titre à.'il Pellegrinaggio
d'abord, de Dinorah ensuite, il a bien surpassé cette dernière. Ce
fut, dès son apparition à Paris, une véritable fureur de tous côtés.
A Londres on le joua simultanément en italien avec M'"" Garvalbo,
Qraziani et Gardoni et en anglais avec miss Louisa Pyne, Santley et
Harrison. A Saint-Pétersbourg, Dinorah et Hoel étaient représentés
LE MÉNESTREL
185
par M""* Charton-Demeur et de Bassini, à Bruxelles par M"" Boullard
et Garman. Puis, dans le cours d'une année à peine, l'ouvrage parut,
en Allemagne, à Francfort, Leipzig, Hambourg, "Wiesbaden, Darm-
stadfc, Danizig, Berlin, Stuttgard, Manheim, Vienne, Munich, Cobourg,
Hanovre, Gotha ; en Belgique à Gand, Liège, Anvers, Mous; en Hol-
lande à La Haye; en Hongrie à Pesth et Hermanstadt; en Suisse à
Genève; jusqu'en Amérique, à New-York et à la Nouvelle-Orléans.
Depuis lors, le monde entier y a passé, comme pour Mignon, Fausl
et Carmen.
La reprise que vient de nous donner l'Opéra-Gomique est faite
dans d'estimables conditions artistiques. M. Bouvet, chargé du rôle
d'Hoël, est un excellent chanteur doublé d'un intelligent comédien.
H a donné une énergie sauvage à l'air du premier acte, et il a dit avec
une expression pénétrante la délicieuse romance du troisième acte :
Ah ! mon remords te venge, digne pendant, par sa beauté mélodique,
de celle du troisième acte de l'Étoile: Pour fuir son souvenir qui semble
me poursuivre... C'est M. Berlin, reparaissant à l'Opéra-Gomique après
une longue absence, qui joue le cornemuseux Corentin, dans lequel
nous l'avions vu il y a quelques années; il y est très satisfaisant.
Quant à Dinorah, c'est M"° Marignan, qui s'en est trouvée chargée au
dernier moment et qui a appris le rôle avec rapidité. M"' Marignan
est en progrès très visibles et elle s'est acquittée d'une tâche si
lourde de façon à légitimer les applaudissements qui l'ont accueillie.
La voix est légère, la vocalisation est facile sinon toujours absolu-
ment nette, et l'ensemble est, en somme, digne d'éloges. Il faut tenir
. compte d'ailleurs, dans les quelques réserves qu'on pourrait faire, de
l'émotion qu'elle devait éprouver. Par exemple — et ceci n'est point
sa faute — elle m'a paru bien mal costumée.
Le succès de la soirée n'a pas été douteux, et cette soirée a été très
brillante. L'ouverture, superbement dite par Porchestre, a été cou-
verte d'applaudissements. Malgré le liis demandé, M. Daubé n'a pas
voulu la recommencer. Mais il a fallu bisser, au second acte, la chan-
son du chevrier, fort joliment dite par M"= Wyns ; il a fallu bisser, au
troisième, le chant du chasseur, que M. Belhomme, le mot n'est pas
excessif, a rendu d'une façon admirable ; bisser de nouveaule chant
du faucheur, qui a valu des bravos mérités à M. Maréchal ; bisser
enfin la délicieuse prière à quatre voix. J'ai cru que fout allait y
passer. Gela prouve, en tout cas, que la musique de Meyerbeer n'est
pas. encore aussi démodée que d'aucuns voudraient le faire croire, et
que la vraie mélodie n'a pas abdiqué ses droits sur le public.
Une remarque pour finir. Le Pardon de Ploënnel devait s'appeler
d'abord le Pardon de Notre-Dame d'Auray. La censure du second empire
exigea un changement. On pouvait bien jouer la Juive, le Prophète et
même les Huguenots, mais il parait que les mots Notre-Dame eussent
été inconvenants sur une affiche. Il est vrai que sous le second empire
les Yisitaiidines étaient interdites par la même censure.
Arthur Pougin.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Septième article.)
A quelle série d'intrumentistes sert de chef de file le Mozart enfant
de M. Scherrer, exécutant une de ses œuvres avec son père et sa
sœur, dans le rayon de lumière rougeâtre cher aux peintres de l'école
hollandaise ! Les mandolinistes tiennent le record : Jeune fille à la
mandoline, de M. Bellery-Desfontaines, Leçon de mandoline, de M. Paul
Thomas, Joueur de mandoline, de M. Deap, etc. Et voulez-vous des
Joueurs de vielle? En voici, de MM. Décote et Boulicaut. Un Flûtiste?
Vous serez servis à souhait par M. Blumenschein. Vn Violoniste?
M. Corbineau se tient à vos ordres. Vous pouvez même demander à
M. Moulin tout un lot de Joueurs d'accordéon. Quant au piano, il oc-
cupe la place d'honneur dans l'Andante de M. Azambre, les Dilettanti
de M. Moreau de Tours, exécutés avec maestria, l'Harmonie, de
M"'^ Moutet-Gholé, qui contient de jolis détails. Puis, pêle-mêle, tes
Sonneurs, de M. Brispot, la Fin d'un morceau, de M. William Lée, ta
Matinée musicale, de M. Probst, le Concert dans un palasso romain, de
M. Gésar Detti, qui appartiendraient plus spécialement à la peinture
de genre.
Simple mention aux Amours de Pierrot, de M. Alexis Vollon, à l'Ar-
lequin de M. Latteau, et arrivons aux peintres de la vie moderne prise
dans son intimité tantôt souriante, tantôt tragique. Décorateur? Pas
même; rien que luministe, — mais luministe d'une rare intensité
M. Eugène Lomont, qui nous montre une femme peignant ses longs
cheveux d'un brun très chaud, assise à contre-jour entre les pan-
neaux verdâtres, les hautes boiseries d'un cabinet de toilette som-
mairement garni. Même milieu lumineux et chatoyant, mais avec
adjonction de drame intime dans le Mariage de convenance de M. Lori-
mer, élève, comme M. Orchardson, de l'Académie d'Edimbourg. La
mariée pleure, effondrée sur une banquette de la grande chambre aux
meubles d'acajou, aux tentures claires, dont les fenêtres entr'ouvertes
laissent apercevoir un paysage savoureux, et les petites demoiselles
d'honneur, qui arrivaient avec leurs bouquets à la main, s'enfuient
effrayées par celte douleur qu'il ne leur est pas encore donné de
comprendre. L'effet est puissant, mais sobre, sans surcharge ni con-
cessions au mélodrame. J'en dirai autant duSerceau vide, de M.Buland,
qui nous montre deux jeunes gens, mari et femme, revenant du cime-
tière, o-ênés, guindés, presque gauches dans leurs vêtements de deuil
tout neufs, et s'asseyant la main dans la main, la gorge haletante,
les lèvres sèches devant le berceau dont l'hôte de quelques semaines
est à jamais parti ! ie Viatique, de M. Struys, se recommande par la
même sobriété savante, la même quintessence d'émotion. Le prêtre
en chape d'or, le sacristain en surplis entrent dans la chambre
mortuaire, apportant les saintes huiles pendant qu'un frère du mo-
ribond sanglote et que la femme, agenouillée contre la paille d'un
siège, cache sa figure avec ses mains. Plus de tapage et de recherche
de l'effet brutal dans le tableau, d'ailleurs remarquable, que
M. Laytteu intitule la Lutte pour la vie et qui est tout bonnement une
réunion de grévistes.
Mettons à part, ou pour mieux dire hors de pair, la Diseuse de bonne
aventure de M""" Maximilieuue Guyon, d'une si extraordinaira per-
fection de rendu que toute la critique aurait ciié au chef-d'œuvre si
l'artiste était seulement Ecossaise ou Suédoise, et passons aux anec-
doliers. De M. Baugnies, la Lecture du testament, assez finement ob-
servée sans grande nouveauté dans l'arrangement de la scène;
l'Occasion qui fait le larron, de M. Ghocarne-Moreau, deux ramoneurs
faisant la chaîne pour subtiliser les babas et les éclairs d'un mitron-
net en extase devant quelque affiche illustrée ; le Barbier breton, de
M. Bulfield, les Tenailles, de M. Jules Gayron, directement inspirées
de la comédie de Paui Hervieu, les Cigarreras de Séville, de M. Polock,
la Bohémienne, de M. Lemalte, le « bravo Toro ! » de M. Henri Zo, le
Diseur de bonne aventure arabe, de M. Brun, etc., etc.
Tout un album vénitien. — Venise est redeveuue à la mode sans
qu'on puisse exactement définir les motifs de ce regain de faveur :
Dame vénitienne, de M. Aviat; Profil vénitien, de M. Brass; Un Vénitien,
de M. Sleiuheil; Perlières de Venise, de M. Maurice Bomparl; Sœurs
de charité se promenant sur la lagune et convalescentes rentrant ci Mu-
rano, de M. Clairin; Nuit d'été à Venise, de M. Fisher; Vue de Venise,
de M. Rosier. Et j'en passe. Ge dernier tableau nous conduira, sans
autre transition, à quelques panoramas très décoratifs et d'abord au
le Lac de Lamartine, de M. Gachoud, aimable vision du Bourget, avec la
petite barque dont le génie du poète a fait une immortelle, une gran-
diose balanc... elle :
0 lac, t'en souviens-tu, nous voguions en silence,
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieus,
Que le bruit des rameurs frappant en cadence
Tes flots harmonieux...
Le Mont-Saint-Michel, de M. Noirot, serait une bonne toile de fond
pour le prologue de la Falote, et les Bords du Nil, de M. Riou, figure-
raient à merveille dans la réfection des décors à' Aida. Les Ruines de la
Cour des Comptes, tableau posthume de M. Auguste Gonstantiu, qui
avait pris sur le vif les chats sauvages et les pigeons, hôtes de cette
forêt vierge poussée au centre de la grande ville, rappellent un des
meilleurs chapitres de l'Immortel d'Alphonse Daudet. Recommandons
encore aux décorateurs la belle Vue de Paris prise du Bas-Meudon. du
maître peintre Guillemet; la Tour de Philippe le Bel à Villeneuve-les-Avi-
onon de M Gamille Dufour; la Lande aux bruyères, de M, Didier-
Pouget Quant à te Loire, de M. Harpignies, cette apothéose du « beau
pays delà Touraine « est d'un intérêt captivant; l'œuvre aurait sa
place marquée d'avance au Luxembourg, puis au Louvre, si la direc-
tion des beaux-arts consacrait à l'achat des tableaux de maîtres l ar-
"■ent qu'elle gaspille en bibelots truqués.
" Le portrait reste l'honneur, la gloire solide de l'école française. La
médaille d'honneur est allée cette année à un portraitiste, moins
heureux ou du moins moins apprécié par ses pairs lorsqu'il se
bornait aux mises en scène fastueuses des grandes compositions sym-
boliaues M. Benjamin Constant triomphe avec un curieux portrait
de femme, décoratif et superbement étoffé: Jli- W... aux chairs opu-
lentes d'un ton de fruit doré, et une étude d'après son fils André, très
intéressante, très poussée, donnant la note pessimiste, « l'ambiance.
186
LE MENESTREL
encore plus ennuyée que recueillie, caractéristique dominante de la
jeunesse actuelle. Quelques portraitures officielles, pour n'en pas
perdre l'habitude : le Ricard, de M. Bonnat, rayonnant, étalé, épa-
noui, très « belle Patma » dans le paletot de fourrure à vaste col qui
remplace assez heureusement la simarre des anciens gardes des sceaux;
un Félix Faure, plutôt anecdotique, de M. Lemeunier, au milieu des
mobiles de la Seine-Inférieure en 1870; un portrait équestre de l'em-
pereur Alexandre III. M. de Rosen a représenté le père du czar
récemment couronné, non pas en autocrate de toutes les Russies.
mais en soldat. Pris de face, la figure bien modelée, le regard bien-
veillant et doux, Alexandre III, campé sur un cheval blanc de
fine race orientale, se détache en vigueur au premier plan d'un pay-
sage sévère dont aucun rayon lumineux ne vient troubler l'harmonie.
Passons aux virtuoses. M. Henner a mis toutes ses complaisances
et aussi tous ses blancs argentés, tous ses glacis dans l'esquisse un
peu luisante, sur un fond d'ailleurs étonnamment solide, de M. Ca-
l'oliis Duran. Cette figure si parisienne qu'un acteur des Bouffes eut
l'année dernière la tentation, non volontairement contenue, de la
porter toute vive sur la scène en un vaudeville moderniste de Bou-
cheron, apparaît dans tout son relief et semble prête à s'animer.
Lorsque la patine du temps et la lumière tamisée du Louvre en auront
atténué l'éclat, l'harmonie de ces blancs lumineux, de ces gris trauf-
parents, de ces bleus profonds, fera le ravissement des dilettantes.
Encore tout un triomphe, touîe une fête de la couleur dans le beau
portrait de .1/°"= Ilég/on, par M. Humbert, avec une fleur de grâce épa-
nouie, un velouté délicat, un rendu à la fois sobre et puissant du
teint éclatant, des épaules sculpturales que met en valeur le repous-
soir du collet de fourrures. On admirera des qualités d'un autre genre
dans la Saj-ah Bernhardt (rôle de Gismonda), un peu idéalisée, pour-
tant très vraie, que M. Chartran a expédiée d'Amérique : la délicatesse
du modelé, la ligne flexible, le joli artifice des étoffes souples s'uuis-
sant au contour et parfois le complétant. C'est la nature fidèlement
traduite; c'est, surtout, le naturel particulier de l'artiste en scène,
ce charme qu'encadrent, accompagnent, achèvent la lumière de la
rampe, les reflets des herses, les colorations du décor, l'atmosphère
chaude et papillotante de la salle.
M. Bergevin a représenté l'un des doyens du second Théâtre-
Français, celui que je définirais volontieres le meilleur sociétaire de
l'Odéon, — oiî il n'y a que des pensionnairesj — M. Albert Lambert
père déclamant un rôle tragique dans son jardinet de la banlieue.
M. P.-AlbertLaurens nousmontre Ifl. Mounet-Sidl)/ dans le merveilleux
costume de l'Arétin copié sur le portrait du Titien. Voici encore la
grande cantatrice Gabrielle Krauss par M"" Leudet. avec son relief
tragique, son profil de médaille; M. Nivette, le bon chanteur de l'Opéra-
Comique, par M. Bernet ; et aux pastels Madame Pauline Smitli, du
même théâtre, par M°"- Borde ; Madame de Mora, du Gymnase, par
M. Bussy ; aux dessins M. Mounet-Suily , par Truphême, à la gravure
Mademoiselle Du Minil, la récente sociétaire de la Gomédie-Frangaise,
par M. Payran.
On ne s'arrêtera pas sans émotion devant le beau portrait d'.Im-
broise Thomas, de M. Marcel Basehet (à la section des dessins), d'une
réalité saisissante, d'une siireté d'observation donnant l'illusion de
la vie. M. Basehet n'a pas rendu avec moins de bonheur, dans la
galerie des portraits proprement dits, la spirituelle physionomie
d'Henri Lavedan, véritable faciès d'ironisle doublé d'un enquêteur et
d'un moralisle. De M. Axilette la figure plus mondaine, plus Bourget-
tiforme, si j'ose inventer ce néologisme, de Paul Hervieii. M. Bordes
ébouriffe le poète Jean Aicard : l'inspiration assez paisible de ce
félibre qui se traduit lui même en français ne comportait peut-être
pas un tel déploiement de crinière. De M. Maurice Heyman un por-
trait de M. Colonne, d'une aisance de modelé et d'une simplicité
d'exécution qui le mettent au nombre des bons envois du Salon. Et
à peine me reste-t-il assez de place pour citer l'Henri Rocliefort écri-
vant ses mémoires de M. Frantz Charlet, l'André Vervcort de M. Dela-
haye, le Pierre Loti de M. Bellet, le Challemel-Lacour de M">« Went-
Avorth, le Daniel Vierge de M. Vasquez, l'Albert Sorel de M. Umbricht,
tes Mercredis chez le peintre François, de M. Cesbron, et aux dessins'
M. Duplessis qui est de l'Institut, M. Hanolaux qui en sera, le compo-
siteur italien Monti par M. Pizella, M. Rodcnbacli, l'auteur du Voile,
par M. Léîy-Dhurmer, aux miniatures le profil rabelaisien d'Armand
Silvestre par M"'" Arloy, Madame Preinsler da Silva par M""= Formste-
cher, à la gravure ./.-M. de Hcredia, Paul lionnetain. Madame Alphonse
Daudet par M. de Los Rios, Yann-Nibor par M. Barbotin, M. Georges
Leygues, l'ancien ministre des Beaux-Arts, par M. Lamotte, d'après
Carolus Duran, sans oublier, avec une excellente gravure sur bois de
M. Montet reproduisant le portrait d'Ambroise Thomas de M. Basehet,
une eau-forle de M">= Monfray : portrait à'Auber ; un burin de M. Del-
bois : Madame Alboni. d'après Pérignon ; enfin, à la section des arts
décoratifs, deux plaquettes en grès de M. Bottée, Madame Bartet en
Antigone, et M. Albert Lambert /ils en Severo Torelli.
Je m'arrête. Dessinateur.^, pastellistes, miniaturistes, ils sont trop,
et la statuaire nous réclame. Mais, avant de descendre dans la nef,
comment ne pas signaler, avec le Miracle de Saint-Mai-c d'après Tin-
toret de M. Henri Lefort, qui a obtenu la médaille d'honneur, l'eau-
forte de iM. Lambert, Bianca Capello, d'après Juana Romani, la Car-
menciln de M. Fleuret ^Van Beers), le Chant d'amour de M. Boilvin
(Burne-Jones), le Ténor de cour de M. Troncet (Cottin), la Madame de
/'owpof/owr jouant devant Louis XV de M. Guilmet (Cochin), l'admi-
rable estampe de M. Sulpis : la Muse et Hésiode (Gustave Moreau),
l'Homme aux yeux verls (Titien) de M. Dezarrois, première médaille
de la gravure au burin, les lithographies de Fantin-Latour et ses
Visions nées, comme on l'a dit justement, de contemplations musi-
cales. Enfin, pour conclure sur une note bien moderne, remontons aux
Florentins avec les deux reproductions de Botticelli, la Judith, burin
de M. Delbois, et la Vénus gravée par M. Patricot. Voilà du document
instructif pour les récitantes du Théâtre symbolique auxquelles il
serait urgent de persuader que les voix célestes ont le droit et même
l'obligation d'avoir un corps.
(A suivre.) Camille Le Senne.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
LA BASTILLE ET LES PRISONS D'ÉTAT SOUS L'ANCIEN REGIME
I
Tableau des prisons d'État soiis l'ancien régime. — Le Purgatoire des prisonniers au
XVII" siècle. — Le violon du prince de Condé e/ rimitation dit duc de Beaufort. —
Mirabeau, le rossignol du donjon de Vincennes. — Les si/flets du sieur Caillât à Pierre-
en-Cise.
Les prisons, en France, sous l'ancien régime, étaient l'enfer anti-
cipé. Ce n'est pas qu'elles soient devenues, de nos jours, le paradis ;
mais la douceur relative des mœurs modernes, les progrès continus
de la civilisation, les travaux des commissions pénitentiaires et que
sais-je encore? les vœux des congrès sociologiques ont permis,
dans la situation nouvelle faite aux prisonniers, de concilier autant
que possible les sentiments d'humanité, dus à des prévenus ou à des
condamnés, avec les exigences de la sécurité sociale. Il est vrai que
pour certains philanthropes ces améliorations, très réelles, sont à peine
suffisantes : il est telle âme sensible, dure aux siens et impitoyable
aux pauvres, qui ne s'estimera entièrement satisfaite que le jour oîi
les réclusionnaires les plus endurcis auront chacun leur chambre
bien chaude l'hiver et bien fraîche l'été, et seront nourris aussi con-
fortablement que le directeur de la maison centrale.
Nos pères ne connaissaient guères ces élans de tendresse; ils ne les
connaissaient même pas assez. Des membres de confréries chari-
tables allaient bien visiter les prisonniers et leur porter des secours ;
mais leur intervention ne modifiait pas sensiblement le régime
atroce auquel étaient assujettis ces misérables. L'hygiène était alors
chose inconnue, et dans des cachots sans air et sans lumière régnait
la plus sordide des promiscuités. La nourriture était aussi malsaine
qu'insuffisante; c'étaient les geôliers qui la fournissaient. La paille
étaitle lit des prisons; encore, aux XVIP et XVIIP siècles, les adjudi-
cataires de ce service étaient-ils tenus de payer certaines pensions
sur le prix de la soumission : aussi la paille même était-elle parci-
monieusement répartie entre les intéressés.
Les prisons d'État, bien qu'elles ressortissent au domaine royal,
n'offraient pas un aspect moins révoltant. L'âpreté des passions poli-
tiques et la méfiance des miuistres, la soif des représailles et la cupi-
dité des gouverneurs rendaient un tel séjour intolérable. Les victimes
en souffraient d'autant plus que leur condition sociale les distinguait
d'ordinaire des malfaiteurs vulgaires et que, la moindre maladresse
constituant auxyeuxd'un gouvernement ombrageux un crime d'Élal,
elles portaient souvent la peine d'une dénonciation calomnieuse ou
de propos imprudents. Naturellement, la perspective d'une condam-
nation capitale ou tout au moins d'une détention perpétuelle ne pou-
vait que rendre plus sombres encore ces cachots défendus par des
triples verrous et gardés par des forces imposantes. La justice et la
religion y pénétraient seules. Les prisonniers n'entendaient plus
parler désormais que des châtiments de la loi et des consolations du
ciel.Toutes leurs pensées étaient donc tournées vers de graves médita-
lions. Les prêtres et les moines, qui ne cessaient de les visiter, leur
LE MÉNESTREL
187
recommandaient comme lectures des ouvrages édifiants, ou comme
distractions des hymnes religieux. La musique dans les prisons d'Etat
avait donc ce caractère triste et leni, mais souvent large et solennel,
qui appartient aux chants d'église. Divers documents, qui datent du
règne de Louis XIII, nous en fournissent de curieux exemples. A
l'issue d'une des nombreuses conspirations qui suivirent la mort
d'Henri IV et qui soulevèrent tant de grands seigneurs contre la
régente Marie de Médicis, le château d'Amboise reçut comme pen-
sionnaires la plupart des conjurés. Ceux-ci composèrent — s'il faut
en croire les faclums du temps — un Salve Regina qu'ils adressèrent
à la reine-mère et des stances, le Purgatoire des prisonniers, qu'ils
chantaient entre eux sur un mode mélancolique et lugubre rappelant
le De profimdis.
Nous empruntons à cette dernière pièce plusieurs strophes, qui
donnent l'impression, vraisemblablement exacte, quoique poussée au
noir, de la vie des prisons du XVII" siècle :
Le prisonnier, dès l'heure donc qu'il entre
Dans la prison, il est clos dans le ventre
D'un vil cachot d'épouvantable horreur,
Où il se pait seulement de ses larmes.
Où il se voit en étranges alarmes,
Où l'air infect lui fait vomir le cœur.
Là, désolé, il sent en son courage
Et en l'esprit mille pointes de rage ;
11 nomme heureux les hôtes des tombeaux.
Il hait si fort sa misérable vie
Qu'il voudrait voir sa chair toute pourrie
Dans l'estomac des chiens et des corbeaux.
Puis s'il advient que dehors on le lire,
Il vient de là en un plus grand marlyie
Devant le juge où il est tout tremblant ;
Son cœur est froid, son àme est frémissante.
Le pied lui faut, sa face est blêmissante,
A qui se meurt de tout point ressemblante.
Il tombe encore en une plus grand'peine,
Offrir son corps à la cruelle gêne,
Où ses tendons et ses nerfs sont froissés ;
En cet état en fosse on le dévale.
Las! qu'cst-il donc qui en misère égale
Ceux qui du monde en celtui sont passés?
Il y en a qui ont les fers aux jambes.
Les autres sont dans les mortelles flambes
De maladie et de maints accidents ;
Les autres sont en disette si grande
Que maintes fois, par faute de viande,
Le froid les prend et les saisit aux dents.
L'étrange bruit et les grands tintamarres
Des fers, des clefs, des portes et des barres.
Et des verrous, la rumeur et les cris.
Et des geôliers la tempête et la rage
Font au captif maudire son image,
Tant de fureur il a le cœur épris !
Les pleurs amers, les complaintes de bouche
Les durs sanglots, le désespoir farouche.
Infections, querelles et débats
Suivent partout le captif misérable;
C'est son odeur et sou mets délectable,
Son aliment, ses jeux et ses ébats.
D'autre côté, on oit autre murmure
De maints captifs qui se disent injure ;
Les uns du joug blessent leurs compagnons.
Outre le bruit de cent mille algarades
On voit languir d'autres qui sont malades ;
On oit encore des autres les chansons.
Donc le désir qui maintenant m'allume,
N'est que de voir une prison de pluro.e
Et qu'un grand vent souillant horriblement
Pour la raser et l'abattre par terre
Et qu'à l'instant les hommes qu'elle enserre,
Fussent sans elle, elle sans fondement.
Or, quelquefois qu'on s'éjouit ensemble.
Un bruit s'entend, dont le plus hardi tremble;
C'est le bourreau qui entre dans le parc
Ainsi qu'un loup qui emporte sa proie ;
Chacun adonc perd le rire et la joie,
■ Pleurant celui qui porte au col la hart.
Ce tableau final, d'ailleurs vigoureusement tracé, qui rappelle le
dénouement de certains drames de l'époque romantique, se vit maintes
fois à la Bastille, la plus tristement célèbre des prisons d'État. Nous ne
croyons pas que le château de Vincennes en ait jamais été témoin;
et cependant le séjour de cette forteresse royale n'en était guères
plus récréatif, ni le régime moins sévère. La surveillance s'y mon-
trait aussi ombrageuse, le règlement aussi tyrannique, le gouver-
neur aussi parcimonieux. Le Donjon recevait en quelque sorte le
trop-plein de la Bastille; nous avons trouvé, dans la correspon-
dance administrative de celle-ci, plusieurs lettres des lieutenants de
police demandant au ministre de la maison du roi l'autorisation de
transporter à Vincennes tel ou tel détenu pour désencombrer la Bas-
tille ; dans celte même correspondance, nous avons rencontré d'au-
tres lettres, mais celle-ci émanant de prisonniers, qui sont autant
de protestations, en apparence très sincères, contre l'arbitraire
excessif et l'oppression insupportable dont ils étaient victimes.
Toutefois, certains d'entre eux prenaient galment parti de leur
captivité. Nous en citerons deux exemples, d'autant que leurs noms
appartiennent à l'histoire de la France, et un peu à l'histoire de la
musique : à vrai dire, celle-ci les a rarement revendiqués comme
siens.
Pendant la Fronde, Condé, le vainqueur de Rocroi, avait été
enfermé à Vincennes, avec son frère le prince de Conti et le mari
de .sa sœur, le duc de Longueville. Tous trois avaient été incar-
cérés comme conspirateurs, sur l'ordre d'Anne d'Autriche, qui
obéissait, en réalité, aux suggestions de Mazarin. Or, Condé était
le seul des trois qui supportât vaillamment cette disgrâce : « il
chantait, jurait et priait Dieu », écrit un de ses contemporains. Sa
belle humeur stimulait de son mieux la torpeur de ses compagnons
d'infortune.
Il les provoquait au jeu de volant, ou les invitait à danser. En
effet, il avait obtenu qu'on lui envoyât son violon, dont il jouait
passablement ; et il exécutait sur son instrument favori des sara-
bandes pour « délier les jambes » à ses compagnons, prétendait-il.
Mais le duc de Longueville était toujours triste et le prince de
Conti ne cessait de pleurer. Il gardait le lit, et comme le gouver-
neur, le croyant malade, lui demandait ce qu'il pouvait désirer :
Envoyez-moi, lui dit le prince, une Imitation de Jésus-
Christ.
Et à moi, monsieur, ajouta Condé, une Imitation de M. de
Beaufort.
Deux ans auparavant, le duc de Beaufort, si connu sous le nom
du Roi des Halles, s'était évadé de Vincennes.
Un autre pensionnaire du Donjon, qui s'y montra aussi résigné
que le prince de Condé et qui devait être plus heureux que lui
dans sa lutte contre le pouvoir royal, ce fut le fameux Mirabeau,
déjà un... pilier de prison, si le terme n'est pas trop irrévéren-
cieux.
Enfermé à Vincennes en 1780, il y était surveillé de très près
par le gouverneur, M. de Rougemont, un de ces fonctionnaires tra-
cassiers et pointilleux qui étaient plus policiers que la police même.
Mais Mirabeau, dont nous avons signalé l'expérience en matière de
prison, trouvait plus d'une ruse pour déjouer la méfiance de son
cerbère. Il avait une fort jolie voix et savait s'en servir. — Quel
sujet d'étonnement ! le monstre, comme devait l'appeler plus tard
Maury, le monstre, qui de ses rugissements allait ébranler un trône
huit fois séculaire, soupirait la romance avec la perfection d'un ténor.
Ce talent de société lui suggéra l'idée d'un stratagème qu'ont mis
bien souvent en œuvre les librettistes d'opéra-comique, et ce fut
jusque dans le camp ennemi que Mirabeau alla chercher des alliés.
Il s'en expliq-ae assez agréablement avec Boucher, un commis du
lieutenant de police, dans une lettre du 1='' avril 1780, qu'a publiée
M. de Loménie fils, en rééditant le bel ouvrage de son père, les
Mirabeau :
Il y a un mois environ. M""' de Ruault, belle-sœur de M. de Rougemont,
m'adressa un compliment sur ma voix et sur ma manière de chanter. Jo
répondis comme je devais; le temps commençait à s'adoucir; je décal-
feutrais ma fenêtre à pêne que j'avais calfeutrée pour l'hiver, et dont le
pêne, tandis que tout le reste est à châssis clos, dit assez qu'elle est faite
pour être ouverte ou fermée à volonté; et je chantais plus souvent, M"" de
Ruault entremêlait quelques sons. Ainsi commença une correspondance
188
LE MÉNESTREL
de choses indifférentes avec une personne qui ne pouvait être suspecte à
M. de Rougemont.
Mais le limier sut éventer la ruse du captif, et celui-ci d'écrire
aussitôt à son correspondant :
Je vous préviens, mon ami, que quoiqu'il y ait des prisonniers, entre
autres deux, qui chantent toute la journée, M. de Rougemont prétend m'in-
terdire de chanter, comme acte contraire à la police des prisons d'État. Je
vous préviens, de plus, que je lui ai dit que j'avais chanté, que je chantais
et que je chanterais jusqu'à la mort exclusivement.
Il est vrai que plusieurs dames se mettent à la fenêtre pour m'entendre;
mais ce n'est pas ma faute si j'ai une jolie voix, et le magistrat,- qui a
bien voulu m'ofl'rir toutes sortes d'instruments de musique, n'a pu appa-
remment prétendre m'interdire l'usage de mon organe.
iS'ous ignorons comment se termina ce singulier conflit; mais il est
présumable, étant donnée l'indomptable ténacité dont Mirabeau fit
toujours preuve, que son adversaire ue sortit pas à son avantage de
la lutte. Au reste, comme nous l'apprend la lettre précédente, et
comme nous le verrons en nous occupant de la Bastille, l'usage des
instruments de musique fut toléré dans les prisons d'Etat, vers le
milieu du XVIII" siècle, suivant le bon vouloir du gouverneur et
avec l'approbation des lieutenants de police.
Ce consentement tacite autorisait parfois de bien extraordinaires
inventions. Bory, gouverneur de Pierre-en-Cize, une forteresse de
Lyon que rasa la Révolution de 1789, écrivait, le 4 février 17o6, au
lieutenant de police :
Le sieur Caillât est le prisonnier du château le plus tranquille et le
moins sombre, malgré sa solitude : il s'amuse avec des livres que je lui
prête, et des os de mouton dont il a l'adresse de faire des sifflets.
(A suivre.) Paul d'Estbée.
CORRESPONDANCE
Nous recevons la lettre suivante, que nous nous empressons d'insérer.
Monsieur le Directeur,
On met sous mes yeux un numéro du Ménestrel où votre collaborateur, ren-
dant compte du concert de musique antique donné par M. Gevaert à Bruxelles,
s'exprime ainsi: « On a entendu... le fameux Hymne à Apollon, rétabli intégra-
lement par M. Gevaert et non bouleversé comme l'avait fait tout d'abord
M. Reinach lors de ses premières auditions. " Permettez-moi, dans l'intérêt de
M. Gevaert, plus encore que dans le mien, de rectifier ce que cette information
a d'inexact. Le « bouleversement» en question — c'est-à-dire, pour parler sim-
plement, l'interversion des deux blocs sur lesquels est gravé le célèbre Hymne
— a été corrigé non par M. Gevaert, mais par moi, d'abord dans l'Ami des mo-
numents de 1894, page 235 (article antérieur au numéro du Rhenisches Muséum où
M. Pomton a proposé le même changement), ensuite dans le Bulletin et Corres-
pondance hellénique de décembre 1894, enfin dans la seconde édition de la trans-
cription pour piano et chant parue chez Bornemaun en 1895. M. Gevaert a si
peu songé à s'attribuer le mérite de cette correction qu'il écrivait en propres
termes, dans i'Appendice de son livre sur la mélopée antique (1895), page 396 :
« Par une méprise qui s'est révélée à un examen plus approfondi du monument
on avait interverti la véritable position des blocs... Une obligeante communication
de M. Reinach m'a procuré la possibilité de mettre sous les yeux de m£S lecteurs une
version rectifiée. »
■Veuillez, je vous nrie, insérer cette lettre et agréer l'expression de ma
considération la plus distinguée.
Théodore Reinace.
Bien curieuses ces confusions de bloc, et qui prouvent à quelles aven-
tures peuvent être exposés les meilleurs savants et les mieux intentionnés
dans leurs recherches sur l'antiquité ! Avec quelles réserves et quelle cir-
conspection faut-il donc accueillir leurs assertions, même quand elles peu-
vent nous paraître fondées ! Il y en a beaucoup probablement dont les
anciens Grecs se tiendraient les côtes, s'ils pouvaient revenir pour un
jour sur notre terre moderne.
NOXJVEELES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Londres (11 juin) : L'accueil enthousiaste
fait à la reprise i'Aida démontre le tort qu'on a eu d'écarter cet ouvrage
du répertoire pendant ces dernières années. L'interprétation d'hier soir, à
Govent Garden, est de celles qu'on peut louer sans réserve et sans arrière-
pensée. M. Alvarez, magnifiquement en voix, nous a donné le Radamès
idéal, celui qui éveille au fond des cœurs l'émotion et l'enthousiasme.
M°"^ Adini a eu de beaux élans dramatiques dans le rôle d'Aïda, qui
convient à merveille à son tempérament. J'ai particulièrement goûté la
voix et les qualités scéniques de M"»» Mantelli; c'est la plus belle Amnéris
que j'aie vue depuis M"": Scalcbi. M. Ancona (Amonasro) a été très remar-
quable dans son grand duo du 3= acte. MM. Plançon (Ramiis), Arimondi (le
roi) et M«"î Bauermeister (la prétresse) ont aussi contribué, pour une large
part, à l'éclat de cette représentation. Les chœurs étaient satisfaisants,
mais l'orchestre laissait à désirer et la mise en scène aussi.
LÉON SCHLESINGER.
— Nous avons dit que la place de directeur (principal) du Conservatoire
de musique de Guildhall, à Londres, qui est vacante depuis quelques mois,
était chaudement disputée par une foule de candidats. Le choix de conseil
d'administration du Conservatoire s'est porté sur M. William Hayman
Cummings. Cette promotion est généralement approuvée par les musiciens
anglais.
— Verdi, en excursion à Milan pendant quelques jours, a déposé à la
Banque populaire de cette ville une somme de 400.000 francs, destinés à
payer les frais de construction de la maison de retraite qu'il fait élever,
hors la Porte Magenta, pour les vieux artistes. On sait qu'il n'a pas con-
sacré moins d'un million à cette œuvre intéressante.
— Un ténor assassiné. C'était dans la soirée du 1"' juin, à Palerme. Le
ténor Rosario Termini rentrait chez lui en voiture, lorsqu'arrivé à l'extré-
témité de la rue de la Liberté, du côté du Jardin Anglais et de la villa
Cuccia, quatre coups de feu retentirent coup sur coup. Frappé au cœur,
le chanteur mourut aussitôt. On n'a pu découvrir jusqu'ici l'auteur du
crime, ni les motifs qui l'ont fait agir. On croit à un acte de vengeance
personnelle.
— Au Politeama de Trieste, grand succès pour un opéra-comique en
deux actes, Salvatorello, du maestro Sofîredini, rédacteur en chef de la
Gazetta musicale de Milan. Ce petit ouvrage, joué par des enfants intelligents
et soigneusement instruits, a été accueilli avec la plus grande faveur.
L'auteur en personne dirigeait l'exécution.
— Un journal de Modène, le Panaro, nous apprend que l'Académie
royale des sciences, lettres et arts de cette ville vient de décernerun « prix
d'honneur » à M. Gelso Stanguellini pour une timbale de son invention,
à mécanique et à une seule vis. « Il a été établi que, au moyen de l'utile
et très simple appareil appliqué au système de vis unique à appui exté-
rieur, déjà breveté, l'inventeur a atteint l'objectif qui consiste à donner faci-
lement et promptementà cet instrument, qui dans les orchestres modernes
a acquis une si grande importance, la sonorité et la tonalité désirées et
jusqu'ici non encore obtenues. »
— L'Opéra royal de Copenhague prépare la représentation d'un opéra
nouveau en trais actes, intitulé Dyveke, paroles de M. Einar Christiansen,
musique de M. Jean Bartholdy.
— M. Spiro Samara, le jeune compositeur grec dont deux opéras, Flora
mirabilis et Martire, ont obtenu du succès en Italie, a formé le projet, dont
l'exécution est prochaine, de créer à Athènes un grand orchestre sympho-
nique composé de cent artistes, dans le but de susciter dans la capitale du
royaume de Grèce Is culte de la grande musique. Le personnel de cet
orchestre sera recruté en France et en Italie, et c'est M. Samara lui-même,
résolu à se fixer définitivement dans son pays au mois de décembre pro-
chain, qui en prendra la direction. Un peu plus tard il compte joindre à
cet orchestre un chœur important.
— La direction du Conservatoire de La Haye, devenue vacante par suite
de la mort de M. W.-F.-G. Nicolaî, vient d'être conférée à M. Henri Viotta,
qui joint à la qualité de musicien celle d'avocat, et qui a publié à La Haye,
sous le titre de Lexikon der Toonkunst, un grand dictionnaire de musique à
la fois technologique et biograph ique.
— De Genève ; Aux concerts symphoniquesde Genève, beau succès pour
M""" Roger-Miclos qui interprétait un concerto de Beethoven et Africa, de
Saint-Saëns. Rappelé quatre fois, M"° Roger-Miclos a dû ajouter deux
numéros supplémentaires à son programme. »
PARIS ET DÉPABTEIÏIENTS
M"' Melba appelée par les exigences de son engagement au théâtre
de Govent Garden, à Londres, a chanté hier pour la dernière fois à l'Opéra
le rôle d'Ophélie à'Hamlet. La série de représentations qu'elle a données
à Paris a été des plus brillantes.
— Voici à présent M. Van Dyck qui prend à son tour possession de la
scène de l'Opéra. Son apparition dans Loher.grin, lundi dernier, a été pour
lui un véritable triomphe, partagé par l'admirable Rose Caron. MM. Del-
mas. Noté et M^^Dufrane ont pris aussi leur bonne part du succès. Demain
lundi, début de M"" Kutscherra dans la Yalkyrie.
— C'est au cours de cette semaine, paraît-il assuré, que nous aurons à
r(3péra-Comique la première représentation de la Femme de Claude. La
reprise de Don Pasquale accompagnera sur l'affiche l'ouvrage de MM. Cahen
d'Anvers et Louis Gallet.
— M. Garvalho vient de s'assurer le concours, pour la saison prochaine,
de M""= Jane Mérey, une des brillantes élèves de M""" Rosine Laborde.
M"" Mérey vient du théâtre de la Monnaie, où elle eut, deux années
durant, une vogue continue. C'est elle qui créa VÉvangétine de M. Xavier
Leroux.
— Puisque M. Carvalho semble chercher de nouveaux sujets, signalons-
lui le jeune baryton Félix Barré, qui vient de débuter aux.Folies-Drama-
LE MENESTREL
189
tiques, où il a remplacé M. Jean Périer dans la Falote. M. Félix Barré est le
fils de l'ancien artiste de ce nom qui tint si longtemps sa place — et une
bonne — à l'Opéra-Ccmique de la salle Favart. Il a toutes les qualités de
son père: une franche et jolie voix et des qualités de comédien de finesse
et de bonne humeur.
— C'est mercredi matin, à 10 heures, que sont sortis de loge au Conser-
vatoire les six jeunes artistes concurrents au grand prix de Rome,
MM. Max d'OUone, Schmitt, d'Ivry, Levadé, Mouquet et Halphen. L'audi-
tion des cantates au Conservatoire aura lieu le vendredi 26 juin, à midi,
et le jugement sera rendu en séance plénièra de l'Académie des beaux-
arts, toutes sections réunies, à l'Institut, le samedi 27, à midi.
— Las examens pour l'admission aux concours ont. commencé cette
semaine au Conservatoire. Voici, pour les classes d'opéra, les noms des
élèves qui prendront part à ces concours : classe de M. Giraudet,
MM. Beple, Cremel, Sizes, Vieuille, M"™ Guiraudon et Achté; classe de
M. Melchissédec, MM. Galinier, Gresse, Chrétien, Mme Nady et M"» Truck.
L'examen des classes de déclamation a eu lieu avant-hier vendredi et hier
'samedi.
— Un décret vient d'approuver le legs fait au ministre de l'instruction
publique par M°" Gérard, née Elisabeth Bauchain, d'un capital de
10.000 francs pour la fondation d'un prix annuel, à l'aide des arrérages,
« Ce prix, dit le décret, sera donné chaque année à une élève femme ayant
obtenu un second prix de piano et réunissant les conditions indiquées par
le testament. Il pourra être décerné au moment des examens et sera appelé
« prix de M""= Gérard ».
— L'assemblée générale annuelle de l'Association des artistes drama-
tiques aura lieu jeudi prochain IS juin, à 2 heures, ea la salle des con-
cours du Conservatoire, sous la présidence de M. Ritt. Gomme les années
précédentes, M. Saint-Germain lira le rapport sur l'exercice 1893-1896. Le
comité s'occupera en outre de la matinée organisée à la Comédie-Fran-
çaise, au profit de l'Association.
— Grosse émotion dans les cercles méridionaux de Paris. Une dépêche
deM.Capty, maire d'Orange, vient, parait-il, d'être adressée à M. Maurice
Faure. Dans cette dépêche, le maire d'Orange déclare qu'après le refus de
M. le Président de la République d'assister aux fêtes dramatiques qui
devaient être données au théâtre romain, le conseil municipal a décidé de
renvoyer ces fêtes à l'année prochaine. D'urgence on a convoqué les mem-
bres de la Cigale et ceux du Félibrige de Paris. Ces deux sociétés pren-
dront connaissance de la dépêche de M. Capty et décideront entre ces deux
solutions : ou passer outre et faire les fêtes quand même, ou renvoyer les
fêtes à l'an prochain !
— Nous avons annoncé que le 28 juillet doit s'ouvrir au Palais de l'In-
dustrie, sous le patronage du président du conseil, des ministres de l'ins-
truction publique et du commerce, du directeur des beaux-arts, du com-
missaire général de l'Exposition de 1900, etc., une Exposition internationale
du théâtre et de la musique, qui promet d'être extrêmement brillante. Les
travaux sont poussés avec une grande activité, et le secrétaire général
vient de publier le programme très intéressant et très complet de la pro-
chaine Exposition, programme accompagné de vues très curieuses des
reconstitutions auxquelles elle donnera lieu, telles que le Théâtre antique,
le Parvis Notre-Dame, où se donnaient les représentations des mystères,
la rue romaine conduisant de l'orchestre au théâtre antique, la rue moyen
âge, conduisant de l'orchestre au parvis Notre-Dame, etc. Disons, à ce
propos, que la Belgique participera à cette Exposition, et qu'une commis-
sion vient d'être nommée à cet effet avec l'appui du ministère de l'instruc-
tion publique à Bruxelles. Cette commission est ainsi composée : prési-
dent, M. Emile Mathieu, directeur de l'Ecole de musique de Louvain;
vice-présidents, MM. de Ramaix, député, secrétaire général de l'Exposition
de Bruxelles de 1897, et Bruylant, éditeur et échevin de Bruxelles; secré-
taires, MM. Katto, éditeur de musique, et Rotiers, directeur de l'Éventail;
membres : MM. Mabille, chef de division aux beaux-arts ; Bender, inspec-
.teur des musiques de l'armée; KufTerath, directeur du Guide musical;
Mahillon, fabricant d'instruments de musique; Devis, Lynen, Dubosq,
artistes peintres; Feignaert, costumier; Emile Robert, vice-président de la
chambre de commerce belge à Paris; commissaire général, M. J. Tasson.
— La ville d'Arras s'est fort intelligemment avisée d'élever un monu-
ment à la mémoire d'un de ses enfants les plus justement fameux parmi
les érudits, un peu trop ignoré de la foule, qui fut un trouvère au talent
exquis, à la fois poète et musicien, et que l'on peut considérer comme l'un
des pères de notre théâtre, surtout comme le premier initiateur du genre
de notre opéra-comique. Je veux parler d'Adam de la Halle, celui qu'on
avait accoutumé d'appeler « le bossu d'Arras » bien qu'il ne fût nullement
bossu, très grand artiste en son genre, auteur d'un grand nombre de
chansons, rondels, motets, pastourelles, jeux-partis, et, qui plus est, de
petites pastorales pleines de grâce, dont il ne se contentait pas toujours
d'écrire les vers, et dont il composait aussi la musique. L'un de ses petits
poèmes scèniques, le Jeu d'Adam, peut être justement considéré comme
notre plus ancienne comédie, tandis qu'un autre, le Jeu de Robin et de Ma-
rion, est véritablement îe type primitif et rudimentaire de notre opéra-
comique, bien que cela nous reporte à une distance de six cents ans, à la
fin du treizième siècle, puisque Adam de la Halle mourut en 1285 à Naples,
où il avait suivi la fortune de Charles d'Anjou et de sa cour toute fran- ^
çaise. Arras a été bien inspirée de vouloir faire revivre la mémoire, on
pourrait dire la gloire de cet artiste extrêmement remarquable, dont le
nom, ne fût-ce qu'à cause du Jeu de Robin et de Marion, a droit à l'hommage
le plus respectueux de la postérité. Le comité parisien du monument a
organisé, sous la direction de M. Emile Blémont, l'un des promoteurs de
la commémoration, une grande représentation qui aura lieu au théâtre
d'Arras dimanche prochain 21 juin, avec le concours de plusieurs artistes
de la Comédie-Française et de l'Opéra-Comique. Voici, tel que le donne
la Reime du Nord, le programme fort intéressant de cette représentation
d'un caractère exceptionnel :
Ouverture inédite de M. Paul de Wailly sur des airs populaires de l'Artois. —
Causerie sur Adam de la Halle poète et auteur dramatique, par M. Emile Blé-
mont.— La Bosse de Maître Adam, à-propos en un acte, en vers, de M. Lecocq. —
Intermède littéraire et musical par les artistes de la Comédie-Française et de
rOpéra-Comfque. — Le Portrait de la France, fragment du Jeu de la FeuiUée, par
Coquelin cadet. — Une causerie sur Adam de la Halle musicien, par M. F. de
Menil. — La Ballade du Bossu d'Arras, d'Henri Malo, dite par l'auteur.— Un inter-
mède littéraire et musical par les artistes de la Comédie-Française et de l'Opéra-
Comique.— ie Jeu de Robin et il/orion, adapté par MM.E. Blémont pour les paroles
et J. Tiersot, pour la musique, interprété par les artistes de l'Opéra-Comique.
— Couronnement du buste dAdam de la Balle, œuvre de E. Engrand. — Poème de
Jean Riohepin en l'honneur d'Adam de la Halle. — Cantate commémorative,
poésie de F. Lefranc, musique d'Alexandre Georges, interprêtée par M"" Wyns,
de l'Opéra-Comique, la société des Orphéonistes d'Arras, et l'orchestre du théâtre.
— D'autre part, nous recevons à ce sujet une note que voici et qui com-
plète les renseignements qu'on vient de lire : « En l'honneur du vénérable
ancêtre de l'opéra-comique, M. Carvalbo s'est chargé lui-même de distri-
buer les rôles aux artistes de sa troupe : les principaux interprètes seront
M'"" Molé-TrulBer et Vilma, MM. Vialas, Ducis, Bernaert, etc. L'adapta-
tion littéraire est due à M. Emile Blémont; celle de la musique à M. Julien
Tiersot, qui a composé, pour soutenir les mélodies vocales, seules notées
dans les anciens manuscrits, l'accompagnement orchestral aujourd'hui
nécessaire à la représentation. En outre, comme dans la scène des jeux
rustiques qui termine la pièce la partie musicale est quelque peu réduite,
M. J. Tiersot a intercalé deux mélodies populaires : Rossignolet du bois joli et
En passant par la Lorraine, qui, bien que recueillies à une époque beaucoup
plus moderne, ne font aucunement disparate dans l'ensemblo de l'œuvre
musicale composée et représentée pour la première fois il y a plus de
six siècles.
— Voici qu'enfin la date de la naissance de Chopin semble établie
aujourd'hui d'une façon authentique et certaine, défiant toute discus-
sion. Jusqu'à ce jour, on était peu d'accord sur ce sujet. La plupart des
biographes de l'illustre pianiste, le comte Wodzinski (les Trois Romans
de Frédéric Chopin), M. Joseph Bennett (Chopin), M""^ Audley (Frédéric
Chopin), Albert Sowinski (Musiciens polonais et slaves), M. Dannreuther
(Dictionarij of Musicians, de George Grove), M. Auguste Reissmann (Hand-
lexicon der Tonkunst), donnaient la date du 1«'' mars 1809; M. Vôjcicfci
disait le 2 mars 1809; Liszt indiquait simplement l'année 1810; Fétis pré-
cisait et disait le 8 février 1810. Ce dernier surtout approchait de la vérité,
sans toutefois la toucher encore. Une lettre adressée au Musical Courier de
New-York par miss Janotha est venue apporter dans la question une lu-
mière déoisive. L'auteur de cette lettre écrit : <r Le projet d'ériger un
monument à Chopin à Zelazowa Wola (son lieu de naissance) a inspiré
au révérend père Bielawski, curé actuel de l'église de Zelazowa Wola, la
pensée de faire une recherche sérieuse dans les documents, d'où il résulte
ce qui suit. En vue de l'intérêt du public, qui a le projet d'élever un mo-
nument à Frédéric Chopin au lieu où l'on suppose qu'il est né, à Zelazowa
Wola, dit le curé, il me paraît nécessaire de rectifier la date inexacte de
la naissance attribuée jusqu'à ce jour au grand compositeur polonais. De
ce qui a été dit dans la biographie de "Wôjcicki et dans d'autres écrits, il
ressortirait que la naissance de Chopin devrait être fixée au 2 mars 1809,
tandis que d'après des documents absolument authentiques, particulière-
ment son acte- de baptême, et d'autres témoignages très autorisés, nous
savons positivement que Frédéric-François Chopin, fils de Nicolas Chopin
et de Justine Krzyzanowska, est né à Zelazowa Wola, district de Sochacsen,
le 22 février 1810, et qu'il fut baptisé, dans l'église de Brochow, le 23 avril
de la même année ». Voilà_qui est clair et précis, et qui ne peut plus per-
mettre aucune équivoque. Ajoutons qu'après les minutieuses recherches
faites par le P. Bielawski, tous les détails relevés par lui touchant la nais-
sance et les premières années de Chopin sont considérés désormais, en
Pologne, comme absolument officiels. A. P.
— Le concours ouvert par la Schola cantorum pour la composition d'un
motet : Exultate Deo, a donné les résultats suivants : premier prix, M. l'abbé
Boyer, de Bergerac; mention décernée à l'unanimité au motet portant
pour épigraphe : Deo gloria soli. La Schola ouvre un nouveau concours pour
des Versets d'orgue pour l'hymne Ave maris Stella; les concurrents devront
s'inspirer plus particulièrement de la tonalité grégorienne de l'hymne. Les
manuscrits devront être envoyés aux bureaux de la Schola, 1.3, rue Stanislas,
avant le 15 juillet prochain.
— Superbe festival au Trocadéro, jeudi dernier, au profit de l'hôpital
Saint-Joseph, avec un superbe programme qui s'ouvrait par la 3" sympho-
nie pour orchestre et orgue de M. Widor, œuvre de construction solide,
de belles proportions et de riche inspiration, dont l'excellente exécution
était dirigée par l'auteur, et dont le succès a été complet. La partie d'or-
190
LE MENESTREL
gue était tenue par un jeune aveugle, M. Vierne, élève de la ciisse de
M. "Widor au Conservatoire, où il a obtenu un brillant premier prix. Le
programmecomprenaitencoreSorfAo, le tableau musicaldeRimsky-Korsakoff,
un trio de l'Oratorio de Xoël de Saint Saêns, fort bien chanté par M""' Auguez,
MM. Lafarge et Auguez, le 3' divertissement des ErinnyesAe Massenet, le
concerto en sol mineur de Saint-Saëns, brillamment exécuté par M. Harold
Bauer, un poème symphonique de Richard Mandl, Griselidis, dont les soli
ont valu de vifs applaudissements à M"'= Boidin-Puisais, et une danse po-
lonaise du Prince Igor, de Borodine. A. P.
— M""» Marchesi donnait mercredi dernier, dans la salle d'Harcourt, ab-
solument comble pour la circonstance, son 14"= concert annuel de bienfai-
sance au proEt des œuvres de Montmartre. L'une des curiosités de cette
séance était assurément la présence de M. Delsart, exécutant avec neuf de ses
élèves, dont trois jeunes filles, M"'^ Noël, Larronde et Fonlupt, la Médita-
tion de Thdis, une valse de M. Widor, VAbend lied de Sohumann et la Pi-
leuse de Popper. Il n'est pas besoin de dire le succès qu'a obtenu cette
nouveauté charmante, succès qui a accueilli d'ailleurs toutes les parties
dn concert. Après M. Gautier, qui a chanté avec un excellent style les
stances de Polyeucle, de Gounod, on a applaudi comme elle le méritait
M"' Blanche Marchesi dans la Fiancée du timbalier de Saint-Saëns, le Nil de
X. Leroux, Si mes vers avaient des ailes de Reynaldo Hahn, l'Homme de sable
de Brahms, la Chanson de la Glu de Gounod, et des Bergerettes de Wecker-
lin. Puis c'a été la tout aimable M"» Jane Horwitz, qui a chanté avec
une crànerie charmante la cavatine du Barbier, une Chanson arabe d'Ed.
Nordi, et l'Éclat de rire d'Auber. Sans oublier un violoniste expert, M. Ada-
mowski, qui a eu sa part de justes applaudissements. A. P.
— Soirée des plus intéressantes chez M""' Madeleine Lèmaire, où l'on a
entendu des œuvres de Saint-Saëns : Sonate pour piano et violoncelle,
jouée par l'auteur et M. Delsart; le Rouet d'Omphale et un scherzo, joués
par l'auteur et M. Diémer ; le duo de la Lyre et la Harpe, chanté par
M"«= Eustis et Molinos ; l'air d'Etienne Marcel, chanté par M""« Kinen ; la
belle paraphrase pour piano composée par le maître sur la mort de Tlm'is
de Massenet et qui, remarquablement exécutée par le transcripteur lui-
même, a eu les honneurs de la soirée. Ces belles pages ont alterné avec
des poésies du comte Robert de Montesquieu, extraites de son curieux
livre : Hortensias bleus, poésies dites par M. Le Bargy et M"» Reichenberg.
— La soirée donnée à la salle Pleyel par M""= Rosine Laborde pour l'au-
dition de ses élèves a été particulièrement brillante. On a applaudi tout
d'abord le chœur des bouquetières de Tabarin, d'Emile Pessard, chanté avec
beaucoup d'ensemble par les élèves du premier cours de M""= Laborde.
Parmi les jeunes filles qui se destinent au théâtre, il faut citer M"'^ Ger-
ville-Réache, un bon mezzo-soprano ; Leander, dont l'organe est pur, flexible
et joli ; Theisson et Wilm, belles voix de falcon ; Texier, mezzo, et Noldi,
sopranos, ainsi que M'"* Georgette Wallace, Torrini, Clément, qui font
grand honneur à l'excellente méthode de M"'° Rosine Laborde. M"" Victor
Roger dans ses jolis monologues, M"' Desmoulins, la charmante pianiste,
et le baryton Lantelme prêtaient leur concours à cette intéressante soirée.
— Hier samedi, dans la salle des fêtes de l'exposition de Rouen, a dû
être donné le festival consacré aux œuvres de M™ Augusta Holmes, avec
le concours de M""'^ Armande Bourgeois et Neva Mathieu, de l'Opéra, de
M. Georges Courtois, de l'Opéra, et de M. Albert Lambert fils, de la
Comédie-Française. Programme : l'" partie : Ludus pro palria, ode-sym-
phonie pour chœurs et orchestre, avec récit en vers, poème et musique
d' Augusta Holmes ; le récitant : M. Albert Lambert fils. La deuxième
partie du programme comporte des œuvres diverses de M"' Augusta
Holmes (symphonies, mélodies, etc.). accompagnées par l'auteur, et
une audition de la troisième partie des Argonautes. L'orchestre et les
chœurs formant un ensemble de 150 exécutants, sous Is direction de
M. N. Brument.
— La dernière matinée donnée par M°"' Rose Delaunay a été la plus
réussie de toutes. Un y a fort remarqué, parmi les élèves, M""'' Y. Terrier,
Dangerville et Bertha Gahen, — cette dernière particulièrement bien douée
pour le théâtre. Pb.rmi les artistes qui prêtaient leur concours à cette fête
musicale citons Louis Diémer, le grand virtuose, et son tout petit élève,
Lazare Lévy, qui est prodigieux, puis M'"" Arbel et le joyeux Coquelin
cadet.
— Très brillante matinée musicale annuelle donnée mardi dernier à
l'institulion de M"'=» Thavenet et Taylor. M. Charles Neustedt, directeur de
l'enseignement musical, avait formé un programme des plus attrayants.
Un grand nombre de jeunes filles, en majorité anglaises et américaines,
se sont fait applaudir en exécutant avec un vrai charme des œuvres de
Mozart, Massenet, Saint-Saëns, Th. Dubois, Lefebvre, Godard, Thomé,
Neustedt, etc. M'"=Derivis (de l'Opéra), M"= Girerd (diction), MM. "White (vio-
lon), d'Einbroot (violoncelle), Cottin (chant). M""" Legrand (piano), M"'-Got-
tin (mandoline), tous professeurs à l'institution, prêtaient le concours de
leur talent à cette jolie réunion qu'honorait de sa présence lady Dufl'erin,
ambassadrice d'Angleterre.
— Charmante audition de la Chanson des joujoux de Blanc et Dauphin
chez M"'i: Mauvernay, le si distingué professeur de chant de Lyon. Tous
ces petits poèmes si frais et si délicats ont été interprétés à ravir.
NÉCROLOGIE
L'excellent flûtiste Dorus (de son vrai nom Vincent- Joseph Van Steenkiste),
qui n'a pas survécu longtemps à sa sœur, M""' Dorus-Gras, est mort cette
semaine à Ktretat, où depuis quinze jours à peine il s'était rendu. Élève de
Guillou au Conservatoire, il avait obtenu le premier prix de flûte en IS^S, et
l'on sait quelle renommée de virtuose il avait su conquérir. Devenu
première flûte à l'Opéra, à la Société des concerts du Conservatoire et à la
chapelle impériale, il succéda en 1858 à Tulou comme professeur de la
classe de flûte au Conservatoire, où il eut entre autres, pour élève, M. Taf-
fanel, qui hérita de son merveilleux talent. Dorus a publié pour son ins-
trument un assez grand nombre de compositions, entre autres 16 airs variée.
Il était le beau-père de M. Rabaud, professeur de violoncelle au Conserva-
toire. Dorus était né à Valenciennes le l" mars 1812.
— Nous avons le regret d'annoncer la mort, à l'âge de 60 ans, de
M. Adolphe-Léopold Danhauser, professeur de solfège au Conservatoire,
ancien inspecteur principal de l'enseignement du chant dans les écoles
communales. M. Danhauser avait fait des études brillantes au Conserva-
toire, où il avait été élève de Bazin pour l'harmonie et l'accompagnement,
d'Halévy et Reber pour la fugue et la composition. Premier prix d'har-
monie en 1857, deuxième et premier prix de fugue en 1838 et 1859, il avait
obtenu le second prix de Rome à l'Institut en 1862 et s'était presque
aussitôt consacré à l'enseignement. On lui doit plusieurs ouvrages didac-
tiques, entre autres une Théorie de la musique, un recueil de chœurs à trois
voix égales sous le titre de Soirées orpliéoniques et quelques mélodies vocales.
Il n'a pu réussir à se produire au théâtre, bien qu'il eut fait exécuter dans
une institution religieuse à Auteuil (1866), un drame musical avec chœurs
intitulé le Proscrit, et qu'il eût fait recevoir naguère à l'Athénée un opéra
en trois actes intitulé Maures et Castillans, qui ne put être joué par suite de
la disparition de ce théâtre. Né à Paris le 26 février 1835, Danhauser y est
mort le 9 juin.
— Un aimable homme vient de disparaître, Camille de Roddaz, l'auteur
de la Nuit de Noël, qui fut aussi l'un des collaborateurs avec Van Dyck de
ce joli ballet du Carillon dont Massenet écrivit la musique et qui fut rep'ré-
senté à l'Opéra de Vienne. Il fut aussi de cette Fiancée ai loterie qu'on
donna dernièrement avec succès aux Folies-Dramatiques et aux répétitions
de laquelle il attrapa ce refroidissement qui devait l'emporter. Cet hiver
on donnera â l'Opéra de Paris un ballet, l'Etoile, où il eut pour collabora-
teur M. Adolphe Aderer et pour musicien M. Wormser. Ses obsèques ont
été célébrées mercredi dernier à Houlbec, près Vernon, où il s'était retiré
dans une propriété, avec l'espoir d'y recouvrer la santé.
— Les journaux du Brésil nous apportent la nouvelle de la mort d'un
artiste intéressant, le compositeur Carlos Gomes, qui a succombé à Para,
le 19 mai, au moment où il arrivait en cette ville pour y prendre la
direction du Conservatoire. Brésilien de naissance et d'origine, Gomes
était né à Campinos le 11 juillet 1839. Après avoir commencé son édu-
cation musicale dans son pays, il avait été envoyé par l'empereur en
Italie pour y parfaire ses études. Il se rendit à Milan, où il travailla assidû-
ment avec Lauro Rossi, alors directeur du Conservatoire, et fit sesdébuts de
compositeur en écrivant pour une petite scène de cette ville, le théâtre Fossati,
la musique d'une revue en dialecte milanais : Se sa minga (On ne sent pas!},
dont une certaine chanson, dite du fusil à aiguille (c'était après la cam-
pagne de Sadowa, au mois de janvier 1867), obtint un succès fou. Aussitôt
le nom de Gomes devint populaire. Le 19 mars 1870 il donnait à la Scala
son premier grand ouvrage, Guarany, opéra-ballet en quatre actes dont
les deux principaux rôles étaient tenus par M"" Marie Sasse et M. Victor
Maurel et qui fut fort bien accueilli quoique la partition, non sans
mérite, en fût du moins très inégale. Son second ouvrage, Fosca, donné
aussi à la Scala, le 16 février 1873, fit un fiasco colossal, malgré la pré-
sence de M""= Krauss, de MM. Maurel et Maini, et quoiqu'il fût supérieur
dans son ensemble au précédent. Il retrouva le succès avec Salvator Rosa,
qui fut joué au théâtre Carlo Felice de Gènes, le 21 février 1874, et donna
encore à la Scala, le 27 mars 1S79, Marin Tudor. Avec certaines qualités
sérieuses, on reprochait à Gomes de trop se tenir dans l'imitation des
procédés de Meyerbeer, de Verdi et parfois de Gounod, On conçoit néan-
moins que les Brésiliens éprouvassent une profonde sympathie pour leur
compatriote, qui avait su so faire applaudir sur une des premières scènes
musicales de l'Europe. A la demande de l'empereur du Brésil, il écrivit
sous ce titre : il Salulo del Brasile, à l'occasion des fêtes du centenaire de
l'indépendance américaine et de l'Exposition universelle de Philadelpuie,
un hymne patriotique qui fut exécuté en cette ville en 1S76. Lorsque,
l'an dernier, la direction du Conservatoire de Pesaro se trouva vacante
par suite de la mort de Pedrotti, on l'offrit à Gomes, qui refusa pour
accepter celle du Conservatoire de Para, qu'on lui offrait en même temps,
Mais il était déjà très souffrant, et en se rendant d'Italie au Brésil il fut
obligé de s'arrêter à Lisbonne. Dernièrement enfin il s'embarqua, malgré
l'avis des médecins, qui lui conseillaient d'attendre encore; mais à peine
arrivé à Para, le mal fit des progrès rapides et l'emporta en peu de jours.
Henki Heugel, directeur-gérant.
On achèterait piano Érard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Duber.
IHPIUBIEIUE CENTRALE 1
BE[tG£]tE, 20, 1
Dimanche 21 Juin 1896.
ym. — 62- APiNÉE — [\° 2i). PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés fratico au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Jlusique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 3° partie ("• article), Arthur
PouoiN. — IL Seruaine théâtrale : Débuts de M"° Kutscherra et du ténor
Duflaut dans la Walkyrie, répétition du Jeu de Robin et Marion à l'Opéra-
Comique, .\.-P. — III. Sur le Jeu de Robin et Mnrion d'Adam de la Halle
(1" article), Julien Tiersot. — IV. La musique et le théâtre au Salon des
Champs-Elysées (8° et dernier article), Camille Le Sen>e. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MATUTINA
de Gesare Galeoth. — Suivra immédiatement: Danse japonaise, de Paul
Wachs.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Aubade printaniére, de Paul Lacombe. — Suivra immédiatement :
Au bord du ruisseau, de Lucien Lambert, poésie de Maurens.
LA PREMIERE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
TROISIEME PARTIE
II
(Suite)
Mais nous arrivons à l'un des grands succès de l'époque,
succès qui n'est pas encore épuisé, en dépit des railleries
innocentes qui, sans parvenir à l'entamer, s'attaquent chaque
jour au genre toujours aimé de ropéra-comique. Je veux
parler du Postillon de Lonjumeau, dont la première représentation,
qui porte la date du -13 octobre, fut un véritable triomphe
pour tous : auteurs, compositeur et interprètes. Ce n'est
pourtant pas un chef-d'œuvre que le Postillon de Lonjumeau,
mais c'est une œuvre aimable, ingénieuse, vive, alerte, pleine
de gaîté et d'entrain, et qui reproduit les meilleures qualités
du genre. Le livret de Leuven et de Brunswick est vraiment
amusant, avec un grain de vulgarité, et la partition d'Adam,
qui se rapproche parfois un peu de lui par ce dernier côté,
n'en est pas moins pleine de verve et de bonne humeur, et
par instants tout empreinte d'une grâce piquante et fine. En
réalité, l'ensemble est charmant, et le public fît à l'œuvre un
accueil d'une chaleur enthousiaste. Il faut dire aussi que le
Postillon était merveilleusement joué, et que Ghollet, Henri et
M"« Prévost étaient excellents dans les rôles de Chapelou, de
Biju et de Madelaine. L'ouvrage touche aujourd'hui, à
l'Opéra-Comique, à sa six-centième représentation, et nul
n'ignore que son succès n'a pas été moindre en AUemagoe
qu'en France. Il continue, en effet, de faire partie du réper-
toire de la plupart des théâtres d'outre-Rhin.
Ce succès allait bientôt être suivi d'un autre, presque aussi
retentissant. Entre les deux pourtant, il faut signaler l'appa-
rition d'un petit acte sans conséquence, les Pontons de Cadix,
dû à Ancelot et Paul Duport pour les paroles, à Eugène
Prévost pour la musique. La naissance de celui-ci, dont l'exis-
tence fut courte, se place au 8 novembre, et ce n'est pas à
lui que s'adressèrent les applaudissements qui éclatèrent ce
soir-là dans la salle de l'Opéra-Comique. C'est à un enfant
prodige, une petite violoniste de neuf ans, annoncée comme
n'en ayant que sept, qui se faisait entendre pour la première
fois à Paris et sur ce théâtre, et dont le talent précoce
excitait la joie, l'étonnement et l'enthousiasme du public.
Je veux parler de la jeune Teresa MilanoUo, qui se préparait
à devenir célèbre et dont le succès fut éclatant dans cette
soirée, que le Courrier des Théâtres racontait en ces termes .
Hier, l'affiche de rOpéra-Comique était grande et toute remplis de
promesses attrayantes, qui se sont entièrement réalisées le soir. Une
débutante, M""^ Julia, qui a remporté le grand prix du Conservatoire,
paraissait dans Élise du Dilettante d'Avignon ; on donnait une petite
pièce nouvelle ; une enfant de sept ans, M"= Thérèse MilanoUo, se
faisait entendre sur le violon, et enfin on reprenait le Tableau parlant,
où se retrouvait M"' Julia. Tant de richesses avaient attiré la foule,
qui n'a pas eu lieu de regretter son empressement. La débutante a
montré des dispositions à titre d'actrice, et comme chanteuse a obtenu
un plein et équitable succès. La jeune violoniste est ce qu'on peut
voir et entendre de plus surprenant. Si l'affiche n'eût pas dit qu'elle
est âgée de sept ans, on lui en aurait donné à peine six. La sûreté,
la grâce, la légèreté, l'exactitude de son exécution tiennent vraiment
du miracle. M. Liszt a raison : Dans trente ans, les enfants au
maillot seront des virtuoses.
Le lendemain, le Courrier revendit sur le même sujet:
Il ne faudrait pas s'étonner, disait-il, si la petite violoniste de
l'Opéra-Comique y attirait du monde, car c'est vraiment une mer-
veille. M"° MilanoUo ne se contente pas d'exécuter si bien à l'âge de
sept ans, elle est déjà professeur. Elle a une sœur de trois ans dans
les menottes de laquelle elle met déjà son violon. C'est chez cette
enfant une vocation décidée; elle n'a pas voulu d'autre instrument.
M. Lafont, l'un de nos premiers virtuoses en ce genre, la suit avec
beaucoup d'intérêt. Il était avant-hier dans les coulisses de l'Opéra-
Comique, où il avait accordé le violon de l'enfant, et témoignait sa
surprise d'un talent si précoce.
La jeune Teresa MilanoUo se fit entendre ainsi dans plu-
sieurs représentations, avec un succès toujours croissant.'
C'était le début d'une carrière qui devait être brillante, sur-
494
LE MÉNESTREL
tout lorsque plus tard elle parcourut le monde en compagnie
de sa sœur Maria, son élève, qui mourut à la fleur de l'âge.
On sait que depuis longtemps la petite virtuose de 1836 est
devenue madame la générale Pàrmentier, et porte le nom
d'un vaillant officier qui joint à de grands talents militaires
un rare amour de l'art basé sur des études sérieuses. Excel-
lent musicien en effet, le général Pàrmentier a publié un
certain nombre de compositions intéressantes.
Enfin, le 21 décembre, paraissait un ouvrage dont le bril-
lant succès, venant se joindre à celui du Portillon de Lon jumeau,
allait obliger l'Opéra-Comique à rester six grands mois sans
donner une seule pièce nouvelle, tellement était grand l'em-
pressement du public pour aller voir l'un et l'autve. Cet
ouvrage était rAmba,^sadrice, dont le livret intéressant, quoique
un peu démodé aujourd'hui, avait été fourni àAuberpar Scribe
et Saint-Georges. Outre sa valeur propre, l'Ambassadrice avait
cet avantage de présenter deux rôles féminins importants
tenus par deux femmes charmantes qui étaient deux artistes
remarquables et dont le succès personnel fut considérable:
M™ Damoreau et Jenny Colon. « M"' Jenny Colon, disait un
journal, obtient dans cette pièce le plus beau triomphe qu'elle
ait jamais remporté à ce théâtre : celui d'être applaudie avec
transports à côté de M™" Damoreau. Sans doute M""= Damoreau
chante divinement; mais la voix de M"'= Jenny Colon est si
fraîche, si délicieusement timbrée, son jeu est si plein de
grâce et de ravissante coquetterie!... » L'Ambassadrice était
d'ailleurs fort bien montée dans son ensemble, et l'on y voyait,
à côté de ces deux exquises cantatrices, Couderc, Moreau-
Sainti, Roy, M""'^ Boulanger et Monsel. L'ouvrage a fourni une
carrière de plus de quatre cents représentations (1).
Ce n'est qu'aux derniers jours du sixième mois de l'année
4836, le 23 juin, que l'Opéra-Comique se décida enfin à ins-
crire sur son affiche le titre d'un ouvrage nouveau, l'An mil,
un acte sans grande conséquence, qui avait pour auteurs
Mélesville et Paul Foucher d'une part, Grisar de l'autre. Le
4 août, l'Opéra-Comique faisait relâche pour la répétition
générale de iSOS ou France et Espagne, pièce en trois actes qui
avait dû s'appeler la Croix d'or et qui, le 11 août, jour de
son apparition devant le public, s'appela définitivement le
Remplaçant. Les librettistes étaient Scribe et Bayard, le musi-
cien Batton, et celui-ci élait loin d'avoir à se louer de la
besogne de ses collaborateurs. Leur pièce était tellement
mauvaise en effet que le Remplaçant ne put dépasser sa cin-
quième représentation.
Heureusement, le théâtre allait trouver sa revanche avec
l'œuvre de début d'un jeune compositeur, prix de Rome de
1832, qui était appelé à devenir l'un des maîtres de l'art fran-
çais et dont la carrière, récemment brisée, ne devait pas durer
moins de soixante années. On devine qu'il est ici question
d'Ambroise Thomas, qui, le 23 août, faisait représenter la
Double Echelle, un acte plein de grâce et de saveur dont il avait
écrit la musique sur un gentil livret d'Eugène de Planard. Le
Ménestrel, que l'on n'accusera pas de flatterie à l'égard de l'au-
teur en un temps si éloigné, rendait ainsi compte de son
œuvre: — « La partition de M. Ambroise Thomas contient
des morceaux d'un ordre élevé, des motifs empreints d'une
suave mélodie et tout à fait appropriée au genre. L'ouver-
ture déjà porte un cachet de facture peu com.mune, et le
corps de l'ouvrage ne dément pas ces brillantes promesses.
Un duo habilement traité, de charmants couplets chantés par
Couderc, un trio fort original, le grand air de M"'= Prévost et
le quintette final, parodiant un ancien menuet, ont été cou-
verts d'applaudissements... On dit que la partition de la Double
Echelle a été achetée au prix de 5.000 francs le lendemain de
(1) A signaler ea celte année 1836 la mort de Vizentini, artiste fort aimé du
public, qui tenait au grand contentement de celui-ci l'emploi des laruettes. Peu
de voix, mais un rare sentiment comique que quelques-uns ne jugeaient pas
indigne de la Comédie-Française, tellement sa gaîté naturelle, franche et
communicative était exempte de toute exagération et toujours maintenue dans
les bornes du bon goût. Vizentini ne se bornait pas à avoir du talent; il avait
de l'esprit aussi, et l'avait prouvé dans plusieurs vaudevilles dont il était l'au-
teur. Ses débuts à l'Opéra-Comique dataient de 1817.
la première représentation. Le même prix avait été offert
pour le Préaux Clercs. Tout en félicitant M. Ambroise Thomas,
nous regrettons qu'on n'ait pas été plus g;énéreux envers
Herold. » Le succès de la Double Échelle fut tel qu'elle resta
dix ans au répertoire et devint deux fois centenaire.
(A suivre.) Arthur Pougin.
BULLETIN THEATRAL
Opéra. Début de M"" Kutscherra dans la Valkyrte.
M"° Elise Kutscherra, qui, je crois est Hongroise, est depuis plu-
sieurs mois à Paris, oîi elle a passé la saison d'hiver, Elle a conquis
sa réputation de cantatrice en Allemagne comme interprète des
œuvres wagnériennes, et c'est aussi en ce sens qu'elle s'est fait con-
naître du public parisien en chantant, au cours de la saison dernière,
le Crépusciûe des Dieux aux concerts du Chàtelet, oii elle a dit aussi
diverses mélodies de Liszt et de Berlioz. Il me semble qu'à ce moment
certains lui ont fait un accueil chaleureux, tout ce qui, de près ou
de loin, touche à Wagner devant être à leurs yeux par soi-même
excellent. Ces mêmes critiques pourtant, ayant à apprécier le début
de l'artiste à l'Opéra, la traitent cette fois avec une incontestable
fraîcheur. Pourquoi ce changement?
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé?
Je ne saurais le dire, et sans chercher davantage à expliquer cette
contradiction, je me bornerai à faire connaître mon sentiment sur la
nouvelle venue, en constatant tout d'abord que le rôle de Sieglinde,
dans lequel elle se montrait, n'est ni l'un des plus importants, ni l'un
des plus intéressants du répertoire, même du répertoire wagnérien.
M"" Kutscherra est une belle personne, aux formes élégantes, aux
attaches fines, ù la physionomie intelligente et mobile — trop mo-
bile même, car le reproche qu'on peut lui faire est de vouloir
exagérer parfois sans raison l'expression du regard, de môme qu'elle
exagère l'usage du geste en le prodiguant à tout propos. C'est ici
que le mieux est l'ennemi du bien; sous ce rapport, M"'= Kutscherra
devra modérer son action, et elle fera bien de modeler son jeu sur
celui de ses camarades français. La voix est belle et de bonne
qualité, quoique manquant un peu de chaleur et de rayonnement,
très juste d'ailleurs et généralement bien conduite. Un défaut est à
signaler toutefois : il arrive assez souvent qu'au lieu d'attaquer
franchement la note, |la cantatrice la prend en dessous, ce qui est
toujours d'un fâcheux effet. En résumé, si l'on se rend compte de la
difficulté d'un tel début, surtout pour une artiste qui n'est pas encore
complètement familiarisée avec la prononciation française et dont
la préoccupation sous ce rapport doit être constanle, il me semble
qu'elle a droit à des encouragements et qu'on peut la féliciter du
résultat obtenu. Il m'a paru, du reste, que c'était là l'impression du
public.
C'était presque un début aussi que faisait M"'= Ganne, qui pour la
première fois chantait Brunehilde, à la place de M"= Bréval, indis-
posée. Elle y a fait preuve d'intelligence et de courage, car la lâche
était ardue; elle s'est tirée de cette tâche à son honneur, et fera
mieux encore par la suite, lorsque l'émotion sera moindre. La voix
sonne bien, et l'artiste fait preuve de réelles qualités. Je n'avais pas en-
core eu l'occasion d'entendre M. Duffaut dans Siegmund. On aurait
peine à me croire si je disais qu'il égale M. Van Dyck, surtout dans
l'interminable récit du premier acte, l'une des choses les plus
efl'royablement difficiles assurément qui soient au théâtre, et qui de-
mande un souffle et une énergie presque surhumains. Mais il y a eu
parfois d'heureux moments, et le lied du printemps lui a valu, ainsi
qu'à M"" Kutscherra, de sincères applaudissements. Sa vois est
d'ailleurs d'un joli timbre, et elle prend dans les notes élevées une
couleur charmante ; seulement, elle n'est pas toujours absolument
juste. Mais c'est sous le rapport du jeu scénique surtout que M. Duf-
faut a encore à faire.
LE JEU DE ROBIN ET MARION
On répétait généralement vendredi dernier à l'Opéra-Comique
(avec un simple accompagnement de piano) le Jeu de Itobin et de Ma-
rion d'Adam de la Halle, pour la représentation qui doit avoir lieu ce
soir même à Arras, en l'honneur du vieux trouvère qu'on peut nom-
mer à bon droit le parrain, sinon le père de notre opéra-comique. J'ai
assisté à cette répétition, et j'y ai pris d'autant plus de plaisir que je
me suis, à diverses reprises, beaucoup occupé d'Adam de la Halle, et
LE MENESTREL
195
que son œuvre m'est très familière. La représentation dont le publie
artésien va jouir ce soir est sans doute la première qui aura été
donnée depuis six cents ans du Jeu ae Robin et Marion. Mais il y a
déjà vingt-quatre ans que nous nous étions donné, à la Société des
compositeurs, le régal d'une exécution musicale de ce petit bijou.
Le texte nous en avait été fourni par Goussemaker, l'éditeur des
œuvres d'Adam de la Halle ; mou vieil ami Barlhe, aujourd'hui pro-
fesseur d'harmonie au Conservatoire, improvisait les accompagne-
ments au piano, et c'est sa femme, la toute charmante M""' Barlhe,
qui chantait le rôle de Marion, iandis que M. Valdéjo était chargé
de celui de Robin. Ce fut pour la plupart de mes collègues une révé-
lation et comme une sorte d'enchantement. La séance fut exquise.
L'arrangement de M. Blémont pour les paroles, de M. Tiersot
pour la musique est fait avec beaucoup de goût, très sobre et
fort intéressant. Il n'y a pas là de pièce à proprement dire, pas d'ac-
tion soutenue; c'est un simple divertissement poétique et musi-
cal, mais d'une véritable saveur et d'une grâce tout aimable.
M. Blémont, en transportant dans la nôtre la langue d'Adam de
la Halle, a su conserver au dialogue une gentille couleur archaïque,
et si je ne puis juger de l'orchestre par lequel M. Tiersot a appuyé
les mélodies originales, je puis du moins me rendre compte de la
sagesse et de la sobriété de ses accompagnements. C'est juste ce qu'il
faut, et il n'en fallait pas davantage pour faire ressortir la naïveté et
en même temps l'étonnante modernité des chants aimables d'Adam
de la Halle, qui, sous le rapport de la liberté du dessin mélodique et
surtout du sentiment tonal, était vraiment un précurseur. Pour cor-
ser un peu le divertissement final, M. Tiersot y a ajouté, comme nous
l'avons dit il y a huit jours, deux charmantes chansons populaires
de date postérieure: Rossignolet du bois pli et En passant pa?' la Lor-
raine, mais qui cadrent bien avec le reste.
C'est M""' Molé-Trutïier qui est chargée du rôle de Marion : elle y
est tout à fait charmante, soit comme chanteuse, soit comme comé-
dienne, et présente vraiment l'idéal du personnage, c'est-à-dire la
grâce dans la simplicité. M. Vialas est amusant dans celui de Robin,
M. Ducis fort convenable dans celui du chevalier, et il faut signaler
M"" Vilma et M. Bernaert. En son ensemble enfin, rexécution est
vive et curieuse.
Mais ne croyez pas qu'il n'y en ait que pour les compatriotes
d'Adam de la Halle, et que les Parisiens doivent être complètement
privés du Jeu de Robin et de Marion. Je vous apprends que vous pour-
rez voir, dans quelques semaines, cette gentille pastorale à l'Exposi-
tion du théâtre et de la musique, qui nous prépare d'autres surprises,
auxquelles votre serviteur ne sera pas complètement étranger.
Arthur Pougin.
SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION
D'ADAM DE LA HALLE
Aujourd'hui même, pour lajpremière fois après six cents ans, l'on
va donner une représentation du Jeu de Robin et Marion. Composée au
XIIP siècle, l'œuvre célèbre du trouvère Adam de la Halle est, de
beaucoup, la plus ancienne de toutes les productions dramatiques
et musicales françaises qui se puissent actuellement voir sur un
de nos Ihéâtres: à ce titre, une telle « reprise « mériterait donc
un légitime succès de curiosité. Il se pourrait même qu'elle obtînt
mieux encore, car, malgré les siècles, elle a conservé, semble-t-il,
tout son charme, toute sa grâce, toute sa fraîcheur.
Nul autre monument de l'art lyrique n'était plus digne, eu tout
cas, de l'honneur de représenter le moyen âge sur la sc'ene moderne.
Il n'est pas d'œuvre de cette période, — la seule Chanson de Roland
exceptée — qui aitjoui, jusqu'à notre époque, d'une notoriété compa-
rable à celle du Jeu de Robin et de Marion. Une simple constatation
va l'indiquer: bien que n'étant, jusqu'à ce jour, véritablement con-
nue que des érudits et des gens qui s'occupent spécialement des
choses du moyen âge, la pastorale de maître Adam a été, en notre
siècle, imprimée dans sou texte original sept fois en France, une
huitième fois en Allemagne, puis traduite en allemand (en attendant
d'autres travaux annoncés dans ce même pays (1) ; enfin la musique
(d'ailleurs reproduite en totalité ou en partie, sous sa forme primi-
(1) M. Ernest I.anglois, le plus récent éditeur français, annonce en etl'et avoir
reçu d'un philologue allemand, M. Rudolf Berger, l'avis que celui-ci travaille
" depuis plusieurs ans à une édition critique des œuvres complètes de ce poète
d'Ari'as aussi difficile au rapport de son langage original, pour lequel il doit
gxploiter un grand nombre de chartes françaises locales d'ArrasI... »
tive, dans la plupart des éditions littéraires) a donné lieu à deux
publications spéciales, avec accompagnement de piano (l'une en
France, par M. .I.-B. Weckerlin, l'autre, en Allemagne, par M. W.
Tappert), — sans parler des nombreux extraits, poétiques ou musi-
caux, et des non moins nombreuses études qui en ont été publiées
un peu partout.
Cet intérêt s'explique par la triple raison que le Jeu de Robin et
Marion nous est parvenu en très bon état, par trois manuscrits du
moyen âge parfaitement conservés, — qu'il comporte une partie
musicale dont deux manuscrits, sur les trois nous ont transmis une
notation très claire et très sûre, — enfin, et surtout, que l'œuvre a
une valeur réelle, qu'elle est très caractéristique de la poésie, de la
musique et des mœurs du moyen âge, et, par là même, aussi bien
destinée à plaire au public qu'à intéresser les savants.
Mais, en ces six siècles, les habitudes musicales et littéraires se
sont si considérablement modifiées qu'il est nécessaire de faire un
certain effort pour arriver à la parfaite compréhension de l'œuvre
telle qu'elle avait été conçue par l'auteur et comprise par les con-
temporains. « C'est un commun vice, non du vulgaire seulement,
mais quasi de tous les hommes, d'avoir leur visée et leur arrêt sur
le train auquel ils sont nés. » Ainsi parle Montaigne, et il a gran-
dement raison. Mais s'il est vrai qu'il nous faut, et parfois à grand'-
peine, nous abstraire des habitudes ambiantes et des spectacles
contemplés journellement pour nous faire une idée exacte des mœurs
et des coutumes si ditîérentes des aïeux, combien cela n'est-il pas
plus vrai lorsqu'il s'agit de leur art, surtout d'un art complètement
oublié, n'ayant laissé d'autres traces que dans les vieux bouquins,
et, pour tout dire en un mol, d'un art, semble-t-il, mort?
A la vérité, la forme d'art à laquelle se rattache le .Teu de Robin et
Marion n'est pas aussi morte qu'il semble au premier abord, — et
c'est par là principalement que l'œuvre est digne de revivre : cette
forme, ou du moins l'esprit qui l'anime, on la retrouve encore vi-
vante dans la chanson populaire, qui est, on ne saurait trop le redire,
la première manifestation, la plus ancienne, la plus spontanée, la
plus naturelle — la plus durable par conséquent— du génie poétique
de notre race.
La pièce, dans Robin et Marion, n'est autre chose en effet que le
développement scénique de situations emprunlées à certaines chan-
sons populaires, dont beaucoup, sous une forme rendue peut-être un
peu plus littéraire par les trouvères, nous ont été transmises, sous le
nom de pastourelles, par un grand nombre de manuscrits du moyen
âge, et qui, aujourd'hui même, différentes dans la forme mais iden-
tiques par les éléments, se retrouvent encore fréquemment dans la
tradition populaire.
Voici un résumé de l'action principale.
Dans la prairie, la bergère Marion garde ses moutons en chantant
une chanson d'amour en l'honneur de son berger Robin. Survient
un chevalier, qui fait la cour à la bergère: celle-ci contrefait la
niaise et se moque de lui.
Le chevalier parti, Robin survient; le berger et la bergère mangent
et boivent, chantent des chansons, et finalement se mettent à danser.
Pour que la fête soit plus complète, Robin s'en va chercher des
bergers et bergères de leurs amis.
Ici s'intercale une scène qui caractérise bien la naïveté primitive
de la mise en scène au moyen âge. On sait qu'en ce temps-là le
théâtre n'avait qu'un seul décor, dont les diverses parties représen-
taient des lieux divers et très éloignés : c'est ainsi qu'on a pu recons-
tituer le décor traditionnel des Mystères de la Passion, lequel ne
réunissait, sur les mêmes tréteaux, rien moins que le Paradis, la
Terre et l'Enfer (1). Par le fait, cet usage s'est continué jusqu'au
XVII' siècle, et le Cid lui-même fut représenté conformément à cette
convention.
Donc, Robin, ayant quitté Marion, se met à courir, fait trois pas,
et se trouve ainsi de l'autre côté de la plaine, devant la maison de
ses cousins Baudouin et Gautier. Il leur fait son invitation, puis
reprend sa course, fait de nouveau trois pas, et se trouve alors dans
le village de Péronnelle, l'amie de Marion, avec qui il recommence
le même jeu. Cette scène étant d'ailleurs inutile à l'action, et d'assez
nombreuses expériences ayant montré que ces conventions primi-
tives, si curieuses qu'elles soient par leur naïveté, ne sont plus
comprises aujourd'hui (où l'on tend à restreindre le plus possible, au
théâtre, le domaine de la convention), on a pris le parti de la sup-
primer à la représentation.
Nous revenons donc à la prairie de Marion, oii, en l'absence de
(1| Une maquette de ce décor est exposée dans la salle de lecture de la B.-
bliotlièque de l'Opéra.
196
LE MENESTREL
RobiD, le chevalier a reparu. Il devient plus pressant, Marion résiste
plus vivement : mais voici Robin de retour : le chevalier ne craint
pas d'employer la Yiolence; il frappe Robin du plat de son épée et
enlève Marion. Celle-ci se débat ; elle fi nit par échapper aux poursuites ;
— et l'on peut dire qu'à ce moment la pièce est finie. Elle poursuit
cependant, et fort longtemps dans l'original : les bergers réunis se
livrent à des jeux rustiques. — ce que nous appellerions aujourd'hui
des (1 jeux innocents », — dînent sur l'herbe et chantent des chansons.
Un épisode, qui forme coup de théâtre, montre une des brebis de Ma-
rion enlevée par un loup : Robin se précipite, sauve la brebis et la
rapporte dens ses bras; puis on continue la petite fête, qui s'achève,
comme dans toute bonne comédie, par le mariage de tous les couples
amoureux.
(A suivre.) Julien Tieiisot.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
AU SALON DES CHAMPS-ELYSÉES
(Huitième et dernier article.)
C'est à une statue symbolique — mais du symbolisme le plus
acceptable, le moins nuageux, la moins « littéraire », — à une œuvre
d'aspect décoratif, de construction puissante et de technique irré-
prochable, que les sculpteurs ont décerné cette année la médaille
d'honneur. La Pensée de M. Gustave Michel est assise sur un trône •
les attributs de tous les arts l'entourent sans surcharger la compo-
sition: une palette, une harpe, des manuscrits. Un petit génie qui
représente sans doute la Renommée, mais qui aurait le droit de
figurer pour le simple ornement, car il est d'une facture charmante
souffle dans une conque, aux pieds de la Pensée. Elle médite, sinon
lasse, du moins consciente de l'effort immense qu'il faudra faire pour
renouveler les tons de la palette, demander de nouveaux accents
à la harpe, faire éclore sur ce papier blanc du noir tout neuf des
chefs-d'œuvre inédits. Et yraitnent, en cette pose mélancolique
elle résume la grande poussée fin de siècle pour la fortune et pour
la gloire, la poussée féroce, mais sourde et muette, du million de con-
currents pour une audition, pour un diplôme, pour une médaille
l'écrasement dans une impasse.
Aussi bien, les statuaires qui travaillent à ne pas parler pour ne
rien dire et demandent au marbre et au bronze d'exprimer autre
chose que la beauté animale, sans dessous psychologiques, sans
reflet d'âme, sont en nombre respectable aux Champs-Elysées. Voyez
le haut-relief de M. Gasq, Héro et Léandre : du Chapu, mais du Chapu
supérieur, avec plus de maîtrise dans la composition générale et
plus de virilité dans l'exécution. Un sentiment tout moderne y domine
l'arrangement classique, et c'est bien Léandre et c'est bien Héro.
mais c'est surtout une fin « d'Idylle tragique », et sans le vouloir
M. Gasq commente Paul Bourget. Voyez aussi l'Effroi de M. Hercule
qui, au double point de vue de la plastique et de l'intensité d'effet
obtenue par les moyens les plus sobres, est une des œuvres hors de
pair exposées au Palais de l'Industrie. Celte figure de femme n'a pas
seulement une grâce exquise : elle résume, elle formule d'une façon
que j'appellerais définitive, si l'art n'était un perpétuel recommen-
cement, toute la psychologie de la pudeur délayée en tant et de si
compacts volumes par nos plus subtils romanciers.
M. Roger-Bloehe a obtenu la bourse de voyage pour son groupe :
Dans le.'; images, d'une inspiration délicate et d'une sutlisante exécu-
tion, non sans quelques défaillances. C'est un peu Paolo et Francesca
emportés dans le tourbillon; c'est aussi un émouvant symbole de la
ferveur passionnelle. Et voici tout un groupe d'artistes qui se sont
efforcés avec plus ou moins de bonheur de donner une forme maté-
rielle aux pures abstractions. M. Mathurin Moreau avec son projet de
groupe déaoralit : les Harmonies ; M. M.iqaei avec sa jeune fille aux
yeux songeurs, qu'inspire une Méditation ou une Muse : Vers l'idéal ■
M. Hippolyte Lefebvre avec son haut relief de la Douleur; M. Barn-
liorn avec sa Madone au lis qui serait plutôt une statue de la Pureté-
M. Blanohot avec un Regret assez délicatement formulé; M. Doroiay
avec une Désespérance très présentable ; M. Caplier avec une autre
Désesijérance — quel statuaire, moins imbu de lectures romantiques,
nous rendra de simples Désespoirs, des Désespoirs au masculin, ce
qui n'empêcherait pas de les représenter par des femmes?— traduc-
tion de ces deux vers de Baudelaire :
Quant à moi, j'ai les bras rompus
Pour avoir étreint des nuées...
A côté de ces symbolistes convaincus, de hautes visées et souvent
d'exécution puissante, il convient de placer, comme repoussoir et
aussi comme amusette de passage, les bons petits allégorisles, bien
naïfs, qui ne regardent pas si loin et s'en, tiennent aux figurations
littérales. Voici par exemple M. Guillaume Boldi, un élève de l'École
des beaux-arts deFlorence. Il voulait représenter/'.lmoîfr lyi/;' eHc/i«î;ie
le monde : il a fait un Cupidon grassouillet, bien en chair et bien en
forme, il Va assis sur une vraie mappemonde oîi les continents sont
dessinés bien en relief; et il a entouré ce globe, qu'on pourrait
utiliser dans les écoles primaires, d'une vraie chaîne de pur laiton.
Vous pouvez toucher. Moins gauche, mais aussi simpliste. M""' Moria
a modelé un baby atteint du carreau et l'a accroupi sur le sol dans la
pose classique du sphynx. Ce baby, c'est V Avenir. Moi, je veux bien.
Ce serait le présent, et un présent trop dodu, je n'y contredirais pas
davantage.
M. Pézieux ne saurait être confondu avec ces pseudo-primitifs.
Sa statue de plâtre. Songe d'avenir, est une belle œuvre, d'aspect un
peu fruste, mais qui prendra au marbre la précision nécessaire, et
qui apporte aux Champs-Elysées comme un reflet du Champ-de-
Mars. La Tempête de M. Larche est encore un effort puissant, dans un
tout autre ordre d'idées et d'exécution. Mais comment voir autre
chose que des prétextes à modelés gracieux ou suggestifs dans la
Fleur de sommeil de M. Devaux, qui rappelle le mouvement de la
femme au masque des Tuileries, la Itêverie de M. Alliot, femme nue
jouant de la mandoline, VÊlégie de M. Marioton, autre femme nue
jouant du luth?
Encore une Mélodie, marbre de M. Hexamer, et un Chant de la vague,
élain de M. Obiols, et l'Écho très vivant de M. Plé, et un antre Écho,
mourant ou plutôt mourante, car M"'= Cranney-Franceschi en a fait
une nymphe. Une Romance d'avril de M. Salières, femme nue jouant
de la mandoline; la Goutte d' eau de M. Sentis de Villemur s'appré-
tant à creuser le rocher qu'elle domine et semble hypnotiser :
... Le rocher
Vous regarde. Hélas! pendant qu'il s-onge,
Il sent la goutte d'eau sinistre qui le ronge.
Et en effet, ce rocher, d'ailleurs modelé avec une certaine puissance,
n'a pas l'air content. Une tempête sur un crâne,
La Méditation de M"'" Syamour, femme assise, en costume Restaura-
tion, le Vice et la Vertu de M. Octobre, la Vérité de M. Ruftîer, le haut-
relief te Comédie de M. Pesné, l'Etoile filante de M. Charpentier, l' Etoile
du matin de M. Perron, la Rosée de M. de Seuné mériteraient mieux
qu'une mention. Et nous avons encore, avec l'Amour endormi de
M""= Tarnioli, le Frisson d'amour de M. Arnault, — que de titres de
romance!
Une station, sans but mais si reposante! devant quelques bonnes
petites bê-hêteries suavement candides, i^rassurez-vous : je laisse-
rai aux auteurs le bénéfice de l'anonymat) : un enfanta la bulle de savon
avec bulle en bois, un enfant au crabe, un oiseau d'Yvonne, qui est
une petite colombe à moins que ce ne soit un gros moineau, avec
une libellule qui a dans le dos, cruellement plantées (oh! combien
cruellement!) des ailes en forme de couteau à papier. J'en passe, et
qui pourtant m'ont fait du bien en me prouvant qu'il y a encore de
belles âmes et de l'art ingénu, M. Gaillard, plus savant, expose
l'inévitable Cigale, et M. Fontaine, plus compliqué, la traditionnelle
Charmeuse de panthère. De M. Jouvray une « Source rêveuse » qui
aurait aussi manqué à l'appel, et de M. Van der Straeten un Amour
maternel, bon sujet, sujet do rapport ayant toujours du pain sur
Delaplanche.
La théorie des statues mythologiques s'avance majestueusement, en
ordre d'ailleurs dispersé. « Hypnos, le jeune dieu du sommeil », buste
en bronze de miss Kate ïizard, préside assez malicieusement à ce
défilé. Pourtant, la Bacchante entraînant le cortège de Bacchus de
M. Raoul de Gontaut-Biron, le Cupidon de M. Canfield se débat-
tant dans un filet, l'autre Bacchante de M"» liasse, la Sirène de
M. Mangin, la fla^j/fwt' changée en laurier de M. Dercheu, le Dieu Pan de
M. Riflard « poursuivant Syrinx jusqu'au fleuve Ladon, » — à nous
Ovide et Demoustiers ! — la petite Diane de M. Sanson, la Diane
triom'.phante de M. Seysses, n'ont rien de somnolent. Et la Vénus au
myrte de M. Basiei est si bien réveillée qu'elle ouvre les bras pour
embrasser l'univers. Quant à la seconde Vénus, celle de M. Marc-
Monniès, faisant des grâces près d'un Adonis qui a l'air d'un étu-
diant d'Oxford en tenue de pleine eau, cette erreur naturaliste serait
mieux à sa place aux Folies-Bergère que dans la nef des Champs-
Elysées.
Une Flore, de M. Mathet, an Prométhée de M. Wheatley, enfin une
LE MÉNESTREL
197
délicate composition de M. Godet : le Ravissement de Psyché, groupe
en bronze d'après le tableau de M. Bouguereau. Puis des sujets clas-
siques : le Gladiateur de M. Breton, tournant son pouce vers le sol
pour implorer la pilié des spectateurs ; la Mort d'Hector de M. Char-
ron, l'Éducation de Vei-cingétorix de M. Baujault. où l'étrangelé, pour
ne pas dire la cocasserie, de la composition, annihile les plus sé-
rieuses qualités. La statuaire biblique a trouvé un remarquable in-
terprète on M. Mengue, doat le Caïn fayaut le coin de terre que vient
d'ensanglanter le premier meurtre, ne manque ni de vigueur ni d'ac-
cent personnel. Le Job, à barbe pendante, à expression gâteuse, de
M. Desriielles, n'est qu'un vieux conseiller municipal peu ragoûtant,
mais VÈve de M. de Mauneville, la Sulamite, de M. Pépiu, qui fait
une rentrée intéressante au Salon, le Harpiste de M. Reinitzer (en
réalité un David devant Saiil), même le Samson outrancier de M. Ca-
ravanniez, ne sont pas des efTorls négligeables. A signaler encore
une gracieuse Salomé de M. Ferrary, en marbre et bronze, et une
Judith de M. Moreau.
Deux œuvres dédiées aux touristes du mont Saint-Michel : le Saint
Michel de M. Frémiet, d'heureuse silhouette et d'aspect monumental,
qui satisfera leurs sentiments cultuels, et l'Enlisé de M. Fouberl,
qui leur inspirera une crainte salutaire des sables mouvants. Des
Jeanne d'Arc de tout style, de tout arrangement et de tout format : la
Jeanne à Vaucouleurs de M. Albert Lefeuvre, serrant sur son cœur le
glaive de la délivrance ; la Jeanne à genoux de M. Bogino, eu extase
au milieu des champs; la Jeanne de M"" Jozon, enfant et les mains
jointes ; celle de M. Jacquot disant adieu à Domrémy, et celle de
M. Lafont, brandissant son oritlamnie au seuil de la cathédrale de
Reims ; « Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à l'hon-
neur. » Jusqu'à des Jeanne d'Arc en médailles, de M. Michel Yam-
piilsky, deM. Yeneesse, etc. Pour faire logiquement suite à cette série
patriotique, le beau groupe de M. Anlonin Mercié (monument com-
mémoratif de la défense de Châteaudun), la maquette de M. Gauthier
(monument de Louhans), l'Ame de la Patrie « soutenant le courage
des guerriers et leur donnant le courage », de M. Kley, et tous les
soldats blessés (Maillard, Autoine, Carillon), qui portent les titres va-
riés de Défense du sol. Victime du devoir, etc.
Le « genre » est abondamment représenté au Palais de l'Industrie,
et cette fois c'est un maître qui ouvre la marche : M. Falguière en
personne naturelle et académique. On a tant parlé de sa Danseuse
avant et pendant le Salon, qu'il ne reste pas grand'chose à en dire.
Aussi bien, s'il convient de faire quelques réserves sur le caractère
général de l'œuvre, ne saurait-on contester l'exactitude du portrait ou
la grâce suggestive de l'étude réaliste. M"' Cleo de Mérole n'est-elle
pas prise sur le vif avec ses cheveux ondulés cachant l'oreille, sa
coiffure si caractéristique empruntée à la Simonetta de Botticelli?
N'y a-t-il pas des accents exquis, de vraies caresses de ciseau dans
le torse juvénile, un modelé de grande statuaire dans les jambes sou-
ples et nerveuses? — Autres danseuses : un plâtre de M. Miseiey, un
marbre de M. Pendariès, un bronze de M. Fossé. L' Estudiantina de
M. Thubert, la Dugason de M. Deloye, les Adieu.i- de ('léopàtre et la
Harpiste égyptienne de M. Loiseau-Rousseau, l'Enfant jouant de la flûte,
assis sur une stèle, de M. Lecoq la Mignon de M. Villanis, l'Héloïse
au Paraclet de M. Allouard, l'Ours et l'amateur de jardins de M. Paris,
sont encore d'agréables fantaisies. Et je me reprocheiais de ne pas
consacrer une mention spéciale à M. Monthières, le courageux mo-
derniste, l'auteur d'Alto.' allô! qui a essayé de résumer dans une sim-
ple figure en plâtre les efforts quotidiens des milliers d'abonnés du
téléphone pour réveiller l'attention languissante de ces demoiselles
du bureau central.
Deux Napoléons — c'est le minimum — une statuette très gratinée,
de M. Peirilli, et une figure équestre de M. Masson. Dans la caté-
gorie des figures historiques, un Beaumanoir de M. Potet, pour le
Panlhéon breton, un Fontenelle de M. Pilel, pour l'Opéra, un Shakes-
peare de M. Marc-Monniès, pour la bibliothèque Nallé, de Washing-
ton, un Rembrandt de M. Lami, pour nulle part. Deux Félix Faure,
un bronze officiel de M. Lanson, et un autre bronze à cire perdue, de
M. Hercule, d'une remarquable finesse. Près de l'amiral Resnard, de
M. Durand, catalogué « ancien ministre de la marine », et qui l'est
redevenu depuisl'ouverture duSalon, le Casimir-Périer, deM. Boucher,
ex-président de la République, et qui ne parait pas très soucieux de
le redevenir.
Revenons aux morts illustres, avec le beau buste d'Ambroise Thomas,
de M. Bernslamn, celui de M. Lafont, pour l'Institut, et une autre
étude, plus contestable, d'après le maître regretté, un bas-relief en
bois de M. Auguste Delapoite. h' Hector Berlioz de M. Feinberg,
commandé par l'Etat, est conforme au modèle classique, je veux dire
romantique. Le projet de monur.ient à Chopin, de M. Damé, repré-
sente le grand virtuose assis au piano; la muse est debout derrière
lui; des visions flottent en spirales indécises. Trop ressenties, au
contraire, les figures de M. Cordonnier pour le monutLent deNadaud.
Elles écrasent cette aimable gloire de chansonnier. M""' Marceline
Desbordes-Vahnore, dontles lointaines amours ou plutôt les poétiques
faiblesses ont suscité récemment de vives polémiques, revit dans le
bronze aux tons argentés de M. Henri Houssin, pour le monument à
ériger à Douai. Le Paul Baudry de M. Gerôme ira à la Roche-sur-Yoo ;
la M'^" Favart de M. Férigoule pourrait trouver place dans l'Opéra-
Comique rebâti, et voici, avec un Chapu deM. Patey, un Chaplin, pas
assez fruste, dominant une composition symbolique de M. Puech.
Quant aux vivants, à peine me reste-t-il assez de place pour les
nommer ; Henri de Bornier (Julien); Sully Prudhontme (Marochetti);
Jules Lemaitre (Rouosse); Barrias (Baralis) ; Ernest Daudet (Dubois);
iMuis Gallet (Graf); puis M. Clément, de l'Opéra-Comique (LabatuI) ;
"^^^^ Bourgeois, de l'Opéra (Bastet); M. Sadi-Pelit, de l'Odéon (Richoux) ;
M. Duard, du même théâtre (Deschamps); M. André Gaillaird (Sentis
de Villemur);M'"° -limcePcZ/y(PaulBacquet).. . Ily a même un portrait
de Ménélik,d'un sculpteur portugais qu'onn'accusera pasde négliger
l'actualité, M. de Queiroz-Ribeiro, et je ne saurais trop recommander
à nos divers Damoye d'aller l'étudier sur place pour bien se pénétrer
de la couleur locale. Il approche, le drame sur Ménélik, le mélo
boulevardier à gros orchestre et à grand spectacle; il plane; il est
dans l'air!
Camille Le Senne.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Londres (18 juin). Opéra de Govent-Garden :
l'opéra des Maîtres chanteurs est avant tout une pièce symbolique, une pièce
à thèses philosophiques. Les personnages y discutent à qui mieux mieux
les idées chères à Wagner, ses revendications d'artiste indépendant, son
idéal particulier. Tout cela est présenté d'une façon fort intéressante et
parfois spirituelle; c'est parsemé d'épisodes pittoresques et de jolis détails
scéniques, mais comme livret d'opéra, c'est tout simplement navrant. La
plus grande partie du texte est écrit dans un style bourgeois et frondeur
pour lequel l'enveloppe musicale est plutôt une gène, une contrainte.
Dussè-je être foudroyé sur l'heure par le feu céleste de Bayreuth, je pré-
tends que dans les Maîtres chanteurs, Wagner pamphlétaire s'est affirmé au
détriment de Wagner musicien. Il semble que Wagner ait senti lui-
même, mais inconsciemment, le peu de musicalité de son livret, car il y
a entassé incidents sur incidents pouvant prêter à des développements
musicaux. C'est dans ces occasions-là d'ailleurs que son génie brille du
plus bel éclat, malgré les formes conventionnelles auxquelles il revient
alors et malgré le manque d'intérêt dramatique. Dans cet ordre d'idées,
je citerai les chants de concours de Waiher, qui ont de la grâce et de la
fraîcheur, la sérénade humoristique de Beckmesser, le finale du 2= acte,
l'admirable quintette qui termine la scène de l'atelier de Hans Sachs et
tout le dernier tableau, dont le caractère est purement décoratif et dont les
wagnériens ne toléreraient la tendance chez nul autre... que AVagner. —
M. Jean de Reszké est absolument parfait dans le rôle de Walther ; sa
voix, sa prestance, son style le servent merveilleusement dans la réalisa-
tion du personnage. J'en dirai autant des qualités déployées par son frère
Edouard dans le rôle de Hans Sachs et par M. Plançnn dans celui de Po-
gner. Voilà un trio d'artistes absolument incomparables. M. Bispham est
bien exagéré dans le rôle de Beckmesser; trop de zèle, pas assez de pon-
dération! M"' Eames donne tout le relief qu'elle peut à son rôle de pcupée
de Nuremberg, et MM. Gilibert, Piroïa et Bonnard sont des plus satisfai-
sants dans les rôles secondaires. — L'interprétation du Tannhduser a été
très remarquable de la part de MM. Alvarez, Plançon (Hermann) et
M""= Adini (Vénus). Ces trois artistes ont sauvé l'honneur d'une représen-
tation auirement bien pénible! Le premier tableau a été un régal sans
pareil. M""» Adini et M. Alvarez se sont surpassés dans leur duo fameux.
Le rôle d'Elisabeth était tenu par M°"'Lola Beeth, qui y manque un peu
d'acquis et de force. Léon Schlesixger.
— De notre correspondant de Belgique (18 juin). — Les concours publics
du Conservatoire de Bruxelles ont commencé cette semaine. Ils ont été
inaugurés par le petit concert tradilionnel, où se font entendre tous les
ans les excellentes classes d'ensemble vocal et instrumental de MM. Sou-
bre et .fourez, Golyns et Agniez. M. Gevaert a l'intelligence de donner tou-
jours à ces séances non seulement un intérêt pédagogique d'exécution cor-
recte et soignée, mais aussi un intérêt artistique par la composition des
programmes. Il s'y trouve chaque fois quelque œuvre peu connue et cu-
rieuse, et souvent aussi des œuvres nouvelles. Cette année, notammeni,
les classes d'ensemble vocal nous ont fait entendre d'anciennes chansons
françaises du XVII" et du XVIIP siècles, arrangées et harmonisées par
198
LE MÉNESTREL
M. Gevaert avec la science qu'il apporte à ces travaux, très affectionnés
par lui, et parmi lesquelles il y en a de tout à fait délicieuses. Le succès
de ces exquises œuvrettes a été partagé, voire surpassé, par un autre mor-
ceau de la composition même de M. Gevaert, un Stabal à quatre voix,
sans accompagnement, écrit dans un sentiment religieux d'une profondeur
et d'une intensité admirables. A entendre cette chose si remarquable, il n'est
personne qui n'ait éprouvé l'espoir de voir l'éminent directeur du Conserva-
toire produire une œuvre de plus grande importance, dans laquelle il mettrait
entièrement, outre l'inspiration qui lui dicta autrefois tant de partitions
charmantes, la science et l'expérience qu'il a acquises depuis, au milieu de
ses longues et laborieuses études. Malheureusement, il n'y faut pas compter.
Ces jours derniers, M. Gevaert nous faisait part à ce sujet d'idées nette-
ment résolues et assurément respectables. Consacrant .tout son temps,
toute son énergie, à diriger l'établissement qu'il a placé à un si haut rang,
il lui est devenu impossible d'abstraire sa pensée ailleurs, comme l'exige
l'absorbant travail do la composition. Les travaux scientifiques permettent,
eux, quelque répit, peuvent être interrompus et repris sans inconvénient.
Aussi sont-ce les seuls auxquels M. Gevaert puisse s'adonner (et il l'a vic-
torieusement prouvé !) concurremment avec les soins de sa direction et de
son administration ; — mais la composition, à part de courtes œuvres
comme celles dont je parlais plus haut, et où il semble vouloir mettre
pour ainsi dire, toute son âme et tout son savoir quintessencié et con-
densé il a dû y renoncer définitivement. Il y a quelque dix ans, un livret
d'opéra le tenta ; c'était la Fille de Jephté, de M. Blau... Il dut bientôt
l'abandonner ! C'a été sa dernière et suprême tentative. Aujourd'hui, le
sacrifice est fait et, si regrettable qu'il soit, il faut nous y résoudre.
L. S.
— L'Opéra impérial de Vienne est entré en vacances et restera fermé
jusqu'au Ib avril. Pendant ce temps on va décorer la salle à neuf et res-
taurer les peintures du plafond^ qui ont beaucoup souffert par le gaz. On
annonce, parmi les œuvres nouvelles que l'Opéra produira pendant la
saison prochaine, le Chevalier d'Harmenlhal de Messager, Chatterton de
Leoncavallo et la Fiancée vendue i
— Liste d'œuvres françaises jouées sur les théâtres lyriques d'outre-Bhin
pendant ces dernières semaines. A Vienne : Mignon, Coppelia, la Juive, Faust,
Guillaume Tell, l'Africaine, Sylvia, la Fille du Régiment: à Berlin : Robert le
Diable, Mignon, Carmen, les Huguenots, Faust, le Postillon de Lonjumeau, la Fille
du Régiment ; à Dresde : Carmen, Mignon, la Fille du Régiment, les Dragons de
Villars; à Stuttgart : l'Africaine, la Muette de Portici, la Fille du Régiment,
le Mariage aux lanternes, Joseph, le Postillon de Lonjumeau; à Carlsbuhe : la
Poupée de Nuremberg, le Maçon, les Huguenots, Djamileh, les Deux Savoyards,
Faust; à Hambourg : [Africaine, Werther, la Fille du Régiment; à Hanovre :
l'Africaine; à "VViesbaden : Guillaume Tell, les Huguenots, le Prophète, la Part
du Diable; à Cologne : Faust, la Fille du Uégimetit; à Breslau : Faust, Joseph,
les Huguenots, Mignon, Carmen.
— L'Opéra de Berlin a reçu un nouvel opéra en un acte : l'Enchantement
des runes, dont la musique a été écrite par M. Emile Hartmann.
— L'Opéra-Royal de Budapest a décidé d'offrir aux visiteurs de l'Exposi-
tion du millénaire deux cycles wagnériens assez complets en juillet et en
août. On jouera chaque fois l'œuvre entier de Richard Wagner, en dehors
des Fées, de Tristan et Yseult et de Parsifal, qui ne font pas partie du réper-
toire de l'Opéra de Budapest.
— Le même théâtre jouera, au commencement de la saison pro-
chaine, un opéra inédit en un acte, intitulé Mathias Corvinus, paroles de
M. Charles Gros, musique de M. Charles Frozler.
— Les étudiants de Budapest ont donné, dans la vaste galerie des fêtes
de l'Exposition de la capitale hongroise, un concert monstre pour lequel
ils avaient formé un chœur qui ne réunissait pas moins de 1.400 voix.
L'ensemble de ces voix jeunes, fraîches et sonores a produit un effet
superbe.
— On annonce que M. Siegfried VVagner, le fils du maître, fera fonc-
tions de chef d'orchestre lors des représentations qui vont avoir lieu à
Bayreuth. Les autres chefs d'orchestre seront MM. Hans Richter, de
Vienne, et Félix Mottl, de Carlsruhe.
— Nous avons mentionné il y a quelque temps l'Odyssée, œuvre en
quatre soirées, que M. Bungert a écrite et mise en musique. L'Opéra de
Dresde va en jouer la troisième partie, intitulée le Retour d'Ulysse. Ce succès
a encouragé M. Bungert à terminer une Uiade en deux soirées qui sont
intitulées : Achille et Clytemnestre. Voilà deux ouvrages qui promettent de
n'être pas d'une gaîté folle.
— Un nouvel opéra intitulé le Corregidor, tiré de la célèbre nouvelle
d'Alarcon, le Tricorne, vient d'être joué avec succès au théâtre de Mann-
heim. La musique eu est due à un compositeur viennois, M. H. Wolf,
qui s'est fait connaître par beaucoup de mélodies.
— La veille de la Pentecôte a eu lieu à Dusseldorf une grande fcte
musicale dans laquelle on a exécuté un poème symphonique intitulé Don
Juan, dont le jeune compositeur Richard Strauss a écrit la musique sur
des vers de M. Nicolas Lindau. Le programme de cette fête était com-
plété par la jolie légende de Schumann le Paradis et la Péri, et par le con-
certo de piano en la majeur de Liszt, fort bien exécuté par M. Eerruccio
Busoni.
— Dans l'église de la petite ville d'Arnstadt, en Thuringe, se trouve
encore l'orgue qui servit à Jean-Sébastien Bach dans les premières années
du dix-huitième siècle, c'est-à-dire de 1704 à 1707. Cet instrument compte,
dit-on, parmi les plus beaux de l'Allemagne, qui en possède tant de remar-
quables, et les souvenirs qui s'y rattachent le rendent particulièrement
intéressant. Malheureusement il a élé restauré pour la première fois il y a
une vingtaine d'années, et d'une façon si fâcheuse et maladroite qu'une
réfection complète est devenue aujourd'hui indispensable. Un comité s'est
alors formé à Arnstadt, dant le but de réunir les fonds nécessaires à ce
travail important. On assure aussi que cette ville prépare en l'honneur de
Bach de grandes fêtes qui ne manqueront pas d'attirer des diverses parties
de l'Allemagne les dévots du grand homme, et que Je produit de ces fêtes
sera consacré aux frais de reconstruction de l'orgue dont la gloire du
maître a fait un instrument historique.
— Nous avons dit qu'au spectacle de gala, qui a été donné au théâtre
impérial de Moscou à l'occasion des fêtes du couronnement du czar, on
devait représenter avec un grand luxe de mise en scène, un grand ballet
nouveau intitulé la Perle. Ce ballet a obtenu un vif succès. La musique en
a été écrite par M. Riccardo Drigo, un compositeur italien depuis long-
temps établi en Russie.
— Le directeur du Conservatoire de Kief, M. Prichalski, vient de don-
ner un opéra en deux actes, Valérie, dont le sujet est pris de Tourguenief.
— Les journaux italiens nous apprennent que le municipe de Terra-
nuova possède quatre lettres autographes de Bellini qui, après avoir passé
par plusieurs mains, lui ont été données. Le municipe de Catane, ville
natale de l'auteur de Xorma, serait désireux de les posséder, et celui de
Terranuova ne serait pas éloigné d'accéder à son désir. A ce sujet, un
rédacteur du journal Roma, M. Maugeri Zangara, publie dans ce journal
un article par lequel il fait connaître qu'outre ces lettres, vues et publiées
par lui, il se trouve à Terranuova divers objets intéressants rappelant le
souvenir de Bellini. Il cite entre autres un petit médaillon en plâtre repro-
duisant le portrait de Bellini, donné par Bellini lui-même au duc de
Garcaci, amateur éclairé de lettres et de sciences ; puis un porte-cartes
avec initiales et autres ornements en or, qui avait été off'ert à Paris au
compositeur par une princesse; enfin l'autographe d'une romance restée
inachevée, mais particulièrement intéressante en ce sens que le motif de
cette romance est devenu l'un des morceaux de Norma.
— M"<^ Marie Weingaertner vient de donner à Londres un récital qui
lui a valu beaucoup de succès. Parmi les auteurs les plus applaudis :
Bach, Beethoven, Chopin, Rubinstein, Godard et Pugno avec son déli-
cieux Air à danser.
— Le théâtre Esbekieh, au Caire, vient de jouer avec succès un nouvel
opéra intitulé Fedor, musique de M. Enrico Curti.
— Qne correspondance de Chicago nous fait connaître quelques détails
intéressants sur le Chicago-Orchestre dirigé par le fameux chef d'orchestre
américain Théodore Thomas, dont la saison s'est terminée le 13 mai par
un concert de musique de chambre donné dans la salle de l'Auditorium.
Le programmé de ce concert comprenait le 2'= quatuor pour instruments à
cordes de Benjamin Godard, un trio avec piano de Constantin Sternberg et le
sextuor de Beethoven pour deux cors et instruments à cordes. L'ambition
des habitants riches de Chicago, dit le correspondant, plus que leur intelli-
gente passion pour la musique, a donné naissance, il y a cinq ans, à cette
association orchestrale, qui, dans les première années, a subi des pertes
énormes; on parle de plusieurs cinquantaines de mille francs disparues,
sans que les promoteurs aient seulement sourcillé. Pourtant le public, qui
peu à peu s'accoutumait à goûter la bonne musique, à commencé à fré-
quenter plus assidûment la salle de l'Auditorium, et finalement cette
année les recettes auront égalé les dépenses. Plus d'une fois la salle, qui
cependant contient 4,000 personnes, était absolument pleine, malgré le
prix élevé des places. Chaque programme était exécuté deux fois par
semaine, le vendredi à 2 heures et demie et le samedi à 8 heures. Après
cinq années, l'orchestre, resté presque complètement le même, est parvenu
à un ensemble superbe, sous l'excellente direction de son chef. Le réper-
toire de la saison 1895-06 était particulièrement choisi, et comprenait plus
de cent œuvres classiques ou modernes, de Bach, Beethoven, Mozart,
Mendelssohn, Weber, Schubert, Berlioz, Bizet, Chopin, Massenot, Saint-
Saëns, Tschaïkowsky, Rubinstein, Dvorak, Chabrier, Liszt, Smétana,,
'Wagner, Brahms, César Franck, ILendel, Grieg, Goldmark, Raff, etc.
Parmi les virtuoses on a entendu Paderewski, Marsick, Ondricek,
M""» Materna, la grande cantatrice wagnérienne, et une pianiste allemande
de premier ordre, M°'" Zeisler, qui s'est établie et mariée à Chicago.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Aujourd'hui dimanche, à la Sorbonne, sous la présidence de M. Léon
Bourgeois et en présence du résident de la République et des ministres
de l'instruction publique et de l'intérieur, la Ligue française de l'ensei-
gnement tiendra une grande séance destinée à célébrer le trentième anni-
LE MÉNESTREL
199
versaire de sa fondation. Au cours de la séance on entendra une cantate
inédite, paroles de M. Frédéric Bataille et musique de M. Emile Bour-
geois, dont l'exécution a été confiée à M. Mondaud, de l'Opéra-Comique,
aux chœurs Chevé du 10" arrondissement, à un orchestre à cordes spécia-
lement choisi parmi les meilleurs artistes de l'Opéra et de l'Opéra-Comique
et à la musique de la garde républicaine.
— On a annoncé récemment que les régiments dits régionaux (N"' 144
à 169), de formation récente, jusqu'ici dépourvus de musique, allaient en
recevoir une. Voici les mesures prises à ce sujet par le ministre de la
guerre. Les musiques des régiments subdivisionnaires (1 à 144) ne compor-
teront que 34 musiciens au lieu do 38; elles conserveront leurs 24 élèves,
dont 4 rempliront les fonctions de musiciens; les réductions prescrites
auront lieu par extinction. Chaque régiment subdivisionnaire passera,
d'après un tableau de répartition envoyé aux corps d'armée, quatre instru-
ments bons à un régiment régional qui pourra ainsi organiser sa musique
sans grandes dépenses. Les régiments régionaux, dont plusieurs possè-
dent déjà des fanfares, donneront à leurs musiques le même effectif que
celui indiqué pour les musiques subdivisionnaires, en prenant tout d'abord
les exécutants dont ils disposent actuellement. Puis, les chefs de corps
s'efforceront de compléter le nombre de leurs musiciens avec des engagés
de quatre ou cinq ans. Si ce mode de recrutement ne sulFit pas, le com-
mandant de corps d'armée pourra faire passer des régim.ents subdivision-
naires aux régiments régionaux les instrumentistes que les premiers
auraient en excédent. On recourra même au ministre en cas de difficultés.
A partir de 1896, les régiments régionaux recevront, comme les autres,
des recrues connaissant la musique et toucheront leur prime mensuelle
augmentée de 413 francs,
— M. Landrin, conseiller municipal, en prévision de la fin prochaine
du bail du théâtre du Chàtelet, a déposé sur le bureau du conseil une
proposition tendant à la création d'un théâtre populaire municipal.
M. Landrin estime que le théâtre du Chàtelet, .avec sa vaste scène si bien
agencée, sa salle pouvant contenir trois mille six cents spectateurs, ce qui
permet de mettre le prix des places à la portée de tous, est tout désigné
pour cette tentative. La musique serait naturellement de la partie, à côté
du grand drame populaire.
— On sait que le jury du concours de la ville de Paris procède d'abord,
dans ses travaux, par élimination préalable des œuvres qu'il juge immé-
diatement insuffisantes. Il a donc, dès ses premières séances, écarté tous
les manuscrits qui lui semblaient dans ces conditions et n'a, dit-on, con-
servé que quatre partitions pour son examen détaillé et définitif; l'une a pour
auteur M. Silver, prix de Rome, la Belle au bols dornmnt, une autre M. Lucien
Lambert (te Spahi, poème tiré du roman de Pierre Loti par M. André
Alexandre), et les deux autres sont anonymes. Ces deux dernières ont pour
titres Sextus et la Mort de Moina.
— Voici les dates qui sont fixées pour les prochains concours de fin
d'année au Conservatoire ;
CONCOURS A HUIS-CLOS
Lundi 29 juin.— Harmonie (hommes).
Mardi 30 juin. — Solfège chanteurs.
Mercredi 1" juillet. — Solfège chanteurs.
Jeudi 2. — Solfège instrumentistes.
Vendredi 3. — Solfège instrumentistes.
Samedi 4. — Piano, classes préparatoires (hommes).
Lundi 6. — Harmonie (femmes).
Mardi 7. — Fugue.
Mercredi 8. — Piano, classes préparatoires (femmes).
Jeudi 9. — Violon, classes préparatoires.
Vendredi 10. — Orgue.
Samedi 11. — Accompagnement au piano.
CONCOURS PUBLICS
Lundi 20 juillet, à 9 heures. — Contrebasse, alto, violoncelle.
Mardi 21, à 1 heure. — Chant (hommes).
Mercredi 22, à 1 heure. — Chant (femmes).
Jeudi 23, à 10 heures. — Harpe, piano (femmes).
Vendredi 24, à 9 heures. — Tragédie, comédie.
Samedi 25, à 1 heure. — Opéra-Comique.
Lundi 27, à midi. — Piano (hommes).
Mardi 28, à midi. — Violon.
Mercredi 29, à 1 heure. — Opéra.
Jeudi 30, à midi. — Flûte, hautbois, clarinette, basson.
Vendredi 31, à midi. — Cor, cornet à pistons, trompette et trombone.
On remarquera ici une nouveauté, le concours d'alto, placé entre ceux
de contrebasse et de violoncelle. Ce concours a lieu pour la première fois.
On sait que la classe d'alto est de création récente, et qu'elle est aux mains
de M. Laforge, un des plus brillants premiers prix de violon du Conser-
vatoire.
— M. Van Dyck a continué le cours de ses belles soirées à l'Opéra avec
Tannliduser, où son succès n'a pas été moins grand que dans Lohengrin.
Quel bel art simple et sobre!
— M"« Berthet, au même théâtre, a pris la succession deM™° Melba dans
Jlamlet, La gracieuse artiste, très en forme et très en voix, y a été des mieux
accueillies.
— A l'Opéra, les décors des Huguenots sont entièrement prêts. Cependant
l'œuvre de Meyerbeer ne reparaîtra pas sur l'affiche de l'Académie nationale
de musique avant l'automne prochain. Le ténor Alvarez chantera pour la
première fois le rôle de Raoul de Nangis et M"° Bréval celui de Valentine
de Saint-Bris. Les rôles du comte deNeverset de Saint-Bris seront chantés
par MM. Renaud et Delmas. Attendons-nous à de belles recettes. On
continue aussi à se préoccuper de la reprise du Don Juan de Mozart, pour
laquelle tout le matériel, décors et costumes, sera entièrement refait.
— L'excellent ténor Lafarge vient de signer un engagement avec l'Opéra.
Il répète tous les jours le Tannhauser, pour y débuter probablement après
le départ de M. Van Dyck.
— M. Gailhard est partip our Londres cette semaine. Le directeur de l'Opéra
s'est rendu dans cette ville, afin d'examiner le mode d'éclairage employé à
l'Empire-Theatre et au Savoy-Theatre. Depuis l'accident survenu au lustre
de rtjpéra, l'administration des beaux-arts, aussi bien que l'administration
de l'Académie de musique, s'étaient préoccupées d'en prévenir le retour et
elles avaient songé à adopter pour l'Opéra le système de Londres, qui consiste
en une grande ampoule en verre, renfermant la lampe Edison et qui descend
de trois ou quatres mètres au-dessous du plafond. Cette ampoule est fixe et
appuyée par un large rebord armé sur le plancher supérieur que supportent
des poutres métalliques. Le poids de cet appareil est de 5 à 600 kilos, et ce
système semblerait le plus sur contre les accidents.
— L'Opéra-Comique fera, comme tous les ans, sa clôture annuelle le
30 juin. Donc, en cette dernière semaine, seront encore données deux repré-
sentations d'Orphée, sans compter la « première e de la Femme de Claude et
la reprise de Don Pasquate. Aux derniers, les bons.
— Mme Ambroise Thomas, très souffrante, n'avait pu songer encore à
quitter les appartements du Conservatoire. Mais, se trouvant à présent en
meilleure santé, elle prend les mesures nécessaires pour transporter bientôt
ses pénates au quartier des Champs-Elysées. Le nouveau directeur, M. Théo-
dore Dubois, ne compte pas cependant prendre possession du local avant
le mois d'octobre prochain.
— Le jubilé de M. Saint-Saëns a été célébré une seconde fois, d'une façon
plus intime que la première, dans une matinée donnée le 12 juin chez
M. Gigout, et exclusivement consacrée à l'audition des œuvres du maître.
M. Gigout, qui se vante fort justement d'être élève de M. Saint-Saëns et
d'avoir appris de lui, en suivant jadis ses offices de la Madeleine, l'art
d'improviser, avait convié ses propres élèves à lui faire honneur en lui
faisant entendre plusieurs de ses belles compositions d'orgue, parmi les-
quelles les plus récentes. C'est ainsi que M"'= Germaine Moutier a exécuté
trois préludes et fugues (dédiés à MM. Widor, Guilmant et Gigout) d'un
très bel effet, M. Joseph Deniau une fort belle fantaisie (op. 101) non encore
entendue, M"'' Ziegler trois rhapsodies sur des cantiques bretons, dont
l'effet aussi a étécoiisidérable. Ces jeunes gens, et aussi MM. Joseph Rousse,
Levatois, Paul Verdeau, Aymé Kunc, ont vraiment prouvé qu'ils font
honneur à l'enseignement de M. Gigout. M'i^Éléonore Blanc, MM, Clément
et Badiali de l'Opéra-Comique ont fait entendre ensuite divers morceaux
de chant de M. Saint-Saéns, ces deux derniers, entre autres, un bien joli
duo intitulé Vénus, absolument nouveau, et pour lequel le musicien s'est
fait lui-même son poète. Enfin, M. Saint-Saëns a voulu prendre une part
personnelle à la fête en exécutant avec M. Albert Geloso, qui l'a merveil-
leusement secondé, sa superbe sonate op. 7o, qui lui a valu un véritable
triomphe. Pour les personnes qui avaient assisté au concert du jubilé
Saint-Saëns, cette séance complétait l'impression produite par le génie du
maître en les familiarisant avec ses remarquables compositions d'orgue,
qui ne le cèdent en rien à ce qu'il a écrit de plus beau dans tous les genres.
— Le festival Augusta Holmes, organisé à l'Exposition de Rouen, a
merveilleusement réussi. Ludus pro patria, Au Pays bleu, les Argonautes,
Irlande, ont été très bien accueillis, avec M"e Bourgeois et M. Courtois, de
l'Opéra, et M. Albert Lambert fils (le récitant du Ludus pro patria) pour
interprètes . L'orchestre et les chœurs, dirigés par M. Brument, se sont dis-
tingués, et la salle tout entière a fait à l'auteur, à la fin comme entre les
deux parties de ce beau concert, de belles ovations.
— Les Chanteurs de Saiut-Gervais exécuteront à Saint-Gervais, aujour- ,
d'hui dimanche, à 10 heures, pour la fête patronale, un office entièrement
composé d'œuvres choisies du grand maître espagnol du XVI' siècle,
T. L. da Vittoria, et notamment la messe Quarti toni, qui compte parmi
les plus belles du maître. L'orgue sera tenu par M. E. Lacroix, qui
exécutera plusieurs versets de vieil organiste espagnol Cabeson.
— Vient de paraître chez Charpentier et Fasquelle, en une élégante pla-
quette illustrée, la charmante comédie en vers d'Edouard Noël, Attendez-
moi sous l'orgue, qui fut représentée cet hiver avec un vif succès au Cercle
militaire.
— M"» Paulette Baldocchi, la charmante élève de M™= Colonne, si ap-
plaudie au concert que l'éminent professeur a donné récemment au béné-
fice de l'Orphelinat des Arts, vient d'être engagée par le directeur du théâ-
tre d'Alger pour y chanter Carmen, Mignon, etc.
— L'inauguration des concerts d'orgue à l'exposition de Rouen, par
M. Alexandre Guilmant, a été un grand succès. Le savant organiste, par
200
LE MÉNESTREL
sa connaissance parfaite des ressources multiples du bel instrument cons-
truit par M. Krischer, a produit des effets inattendus et nouveaux, surtout
dans l'improvisation sur un thème donné.
— Mme jjarie Roze a clôturé lundi dernier ses auditions musicales. Cela
a été parfait, et on a pu constater les progrès accomplis par les élèves. A
signaler au programe l'air d'Hérodiade (Vision fugitive), chanté par
M. Cyrille Edwards l'air de Sigurd par le ténor Bivière, l'air de Lakmé par
M. de Lacroix, la jolie mélodie de Dubois Par le sentier, dite par
M"= Lachause, «le Pourquoi » de LaAiîu' par M"» Jeanne Wehrung, etc., etc.,
M™ Marie Roze a chanté elle-même, préchant d'exemple, l'Ave Maria de
Gounod, une mélodie de M"" Ferrari et un duo de M. Lenepveu avec le
ténor Rivière. Les cours ont un tel succès et sont tellement suivis que le
professeur a décidé de les continuer tout l'été, sans vacances.
— A la soirée d'élèves donnée par M""' d'Hostingue-Bourlier, l'excellent
professeur de piano, grand succès pour le maître Ch. Dancla, dans sa belle
transcription du Nocturne de Chopin et dans sa Gazelle ; grand succès éga-
lement pour M. Mazalberl, dans l'air de Joseph.
— La brillante école de M. A. -M. Auzende s'est vaillamment compor-
tée dimanche dernier, dans une matinée consacrée aux œuvres de Beetho-
ven. Les grandes pages du maitre allemand ont été interprétées avec
beaucoup de sûreté de style.
— On écrit d'Amiens : « Le festival organisé en l'honneur du composi-
teur Henri Maréchal par 1' « Harmonie » de la ville, a été l'occasion d'un
très grand succès pour le héros de la soirée, ses œuvres et ses brillants inter-
prètes. Au programme, de nombreux fragments d'œuvres du compositeur:
la Natiuité, Déidamie, Calendal, les Vivants et les Morts, la Taverne des Trabans, et
de nombreuses mélodies. On a beaucoup applaudi le baryton Auguez, le
ténor Vergnet, et deux jeunes cantatrices, M^^s Baldo et Astruc, qui ont
du bisser plusieurs de leurs morceaux. Coquelin cadet était venu dire ses
amusants monologues ».
— De Lille: « Le concert donné jeudi soir au Palais-Rameau par l'or-
chestre des Concerts d'été a été de tous points très réussi. L'excellent
orchestre, sous la direction de M. Oscar Petit, a joué avec beaucoup de
brio et de goût les différents morceaux inscrits au programme. M. Cornu-
bert, premier ténor de l'Opéra-Comique, ancien pensionnaire de notre
Grand-Théâtre, prêtait à ce concert le concours de sa voix, d'une si belle
sonorité, conduite avec une science et un art qu'on rencontre bien rare-
ment aujourd'hui. H a chanté de façon exquise, avec un souci des moin-
dres nuances, la cavatine de Roméo et Juliette, la Belle du Roi, d'Augusta
Holmes, Voisinage, de Cécile Ghaminade ; enfin il a dit de façon magistrale
le récit du Graal, de Loliengrin. Le public a fait fête au distingué artiste. >.
— A la matinée d'élèves que donne annuellement, chez Érard, M""* La-
faix-Gontié, l'interprétation s'est montrée constamment bonne et souvent
supérieure. Quantité de jolies choses au programme, .qu'il serait impossi-
ble d'onumérer toutes. Gomme chœurs, on a beaucoup remarqué l'exquis
Chant des fées de Paul Vidal, si bien rendu par les trois fées : M''='' Gabrielle
D. du S., Hortense D. et Hélène P., ainsi que par les voix d'accompa-
gnement qui ont produit un grand effet. Très amusante et très gaiement
chantée, la ronde des Muguets et Coquelicots (Blanc et Dauphin), par de tout
jeunes garçons que dirigeait M"» Antoinette Lafaix-Gontié.
— Belle et intéressante matinée aussi chez M. Raoul Delaspre, pour la
majeure partie consacrée à l'audition des œuvres de Théodore Dubois.
Parmi celles-ci on a trissé la Tarentelle, fort bien chantée par M"= Lafon, et
la délicieuse mélodie : Prés d'un ruisseau, dite à ravir par W"" Chrétien-
Vaguet. Citons encore la Chanson de la grive de .Xavière, Par le sentier, le
Baiser, Triiiiazo. Dans la partie pianistique, M""" Renesson a véritablement
triomphé avec la Sérétiade à la lune de Raoul Pugno et la Danse rustique de
Th. Dubois. On a fini par le deuxième acte de Lakmé, joué en costumes
par M"'« de Marthe, MM. Viannenc et Lecomte. Grand succès pour tous.
— Au quatrième et dernier concert de la saison dans l'hôtel de la rue
Antoine-Boucher, M"» Dignat a fait apprécier son jeu lin et délicat dans
le quatuor en sol mineur de Mozart, où elle avait pourpartenairesMM. Alf.
Brun, de l'Opéra, Papin et Queeckers. Grand succès pour M""^ Dress-Brun,
dans des romances de Bourgault-Ducoudray et de Rubinstein ; belle exé-
cution d'un trio de Mendelssohn (op. (iC) ; mais surtout triomphe éclatant
pour la sonate de César Franck, pour piano et violon, qui a été jouée
supérieurement par M""^ Dignat et M. Alf. Brun.
— Toujours continuation des succès de M"= BressoUes avec les Chansons
grises de Hahn qu'elle a chantées, cette semaine chez M^e Staaf, puis chez
M"' AUouard, avec le même succès de délicatesse qu'elle obtient partout.
NÉCROLOGIE
Un artiste de grande modestie, quoique d'un talent certain, vient de
s'éteindre à l'âge de Si ans. Léon Delahaye, qui était professeur d'accom-
pagnement au Conservatoire et chef des chœurs à l'Académie nationale de
musique, fut en effet un compositeur de mérite. Il laisse un nombre de
compositions pour le piano d'une rare élégance et d'un style fort distingué,
telles que les Révérences, VHommage à Rossini, Sous les saules, Colombine, les
Océanides, etc., etc. Il lit même représenter à l'Opéra-Comique, dans les
premières années de sa jeunesse un opéra dont le titre nous échappe,
mais qui abondait en mélodies gracieuses. Le succès en fut cependant
négatif, à cause de l'insignifiance du sujet et aussi du coté trop pianistique
do la partition. Comme professeur et comme chef des chœurs, il fut l'homme
des traditions sérieuses. Il était de caractère droit et tout d'une pièce, de
relations sûres, et sera fort regretté de tous ceux qui l'ont connu et approché.
Une des dernières lettres qu'il ait écrites aura été certainement celle qu'il,
nous adressait le 21 mai, à la veille de la représentation de gala donnée à
l'Opéra, au profit du monument d'Ambroise Thomas, alors qu'il était déjà
sur son lit de douleur, rongé par le cancer qui le dévorait :
Le Vésinet, 21 mai 1896.
C'est un grand chagrin pour moi. mon cher ami, de ne pouvoir être à mon
poste ce soir, apportant mon respectueux tribut d'hommages à la mémoire
vénérée de mon cher maitre Ambroise Thomas.
Obligé de suspendre mes fonctions, depuis quelque temps déjà, par une assez
grave indisposition, je ne veux pas laisser passer la solennité d'aujourd'hui
sans vous adresser ce petit mot de souvenir et une cordiale poignée de mains.
LÉON DliLAHAÏE.
Chef des chœurs à t'Opéra,
Tout Delahaye est là: artiste de devoir et de souvenir.
— Dimanche dernier est morte à Paris, âgée de près de 74 ans. M"" Du-
fresne, née Demay. ancien professeur d'harmonie au Conservatoire.
M"= Catherine-Célina-Caroline-Emma Demay était née à Paris le 29 juil-
let 1S"22. Admise de bonne heure au Conservatoire, elle y obtint un second
prix de solfège en 1838, et deux ans après, en 1840, le premier d'harmonie
et accompagnement. Dès l'année suivante elle était nommée répétiteur
d'une classe préparatoire d'harmonie pour les femmes, quelques années
plus tard, devenue M^'Dufresne, elle prenait le titre de professeur-adjoint,
et enfin, en ISol, elle devenait titulaire d'une classe d'harmonie. M"» Du-
fresne, dont la classe, excellente, avait fourni de nombreux lauréats, avait
pris sa retraite après quarante années de services, aux environs de 18SÛ,
et non en 1876, comme on l'a dit, car sa classe obtenait encore des nomi-
nations en 1877 et 1878.
— Annonçons la mort, à Brest, d'un artiste distingué, M. Barthélémy
Gbalmet, qui tint, durant de longues années, les orgues de Saint-Louis de
cette ville. Outre son grand talent d'organiste, il était de plus un composi-
teur de mérite. Quelques pièces de piano, comme le Pardon en Bretagne et
les Vagues, valent qu'on les signale.
— A Vienne est mort, à l'âge de 68 ans, M. Joseph Dachs, professeur
de piano au Conservatoire, qui avait été élève de Czerny. C'était un
des meilleurs pianistes de l'Autriche, et depuis 1860, époque où il entra
comme professeur au Conservatoire, il a formé nombre d'élèves excellents.
Dans sa jeunesse, il donnait souvent des concerts avec beaucoup de
succès.
Henri Heugel, direcleur'-gérant.
On achèterait piano Érard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Duber.
Eu veille Au Ménestrel, 2"'^, rue Vivieune, EEEGEL & C", éilileurs.
AFFICHES ARTISTIQUES
Pour collections.
I
CHOUBRAC. . . .
G. CLAIRIN
EDEL
GORGUET
GRASSET
Alpii. de NEUVILLE
ORAZZI
REUTLINGER. . .
STEINLEN
La Quenouille de Verre (en couleurs) 5
Les Turcs (en couleurs) 5
fflam'zelle Gavroche (en couleurs) 5
La Tzigane (en couleurs) 5
Françoise de Rimini (en couleurs) 5
La Farandole (en couleurs) 5
Viviane (en couleurs) 5
La Reine Indigo (en couleurs) 5
Le Fétiche (en couleurs) 3
Les Douze Femmes de Japhet (en couleurs) . . 3
Le Cid (en couleurs) 5
Le Mige (en couleurs) 5
Le Roi d'ïs (en noir) 3
Werther (en couleurs) 5
Hamlet (en couleurs) 5
Aben-Hamet (en couleurs) 5
Thais (en couleurs) 5
La Navarraise (cliché photographique). ... 5
Le Rêve (en couleurs) 5
ISlPniMEIUE I
BEllCEllK, 20, 1
Dimanche 28 Juin 1896.
3405. - 62- ANNÉE - N° 26. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Heniii HEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 bis, rue Vivienne, les .Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Dn on. Telle seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 3» partie (8" article), Auteur
PouGiM. — IL Semaine théâtrale : première représentation de la Femme de
Claude et reprise de Don Pasqualc, à l'Opéra-Comique, .\nTHDR Pougin. — JII. Sur
le Jeu de Robin et Manon d'Adam de la Halle (2" article), Julien Tieusot. —
IV. Musique et prison {S' article) : La Bastille et les prisons d'État sous l'an-
cien régime, Paui. d'Estrée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique- de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AUBADE PRINTANIËRE
de Paul Lacombe, adaptation de Jules Ruelle. — Suivra immédiatement :
Au bord du ruisseau, de Lucien Lambert, poésie de Maurens.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Danse japonaise, de Paul "Wachs. — Suivra immédiatement : Valse
mélancolique, tirée des Impressions et Souvenirs, de Marmontel.
LA PREMIERE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
lSOl-1838
TROISIEME PARTIE
II
(Suite)
Nous trouvons ensuite Guise ou les Etats de Blois, « drame
lyrique » en trois actes et cinq tableaux, paroles de Pla-
nard et Sainl-Ueorges, musique d'Onslow, représenté le
8 septembre. Ouvrage très estimable au point de vue musical,
mais qui convenait peu au genre de l'Opéra-Comique (nous
en avons vu bien d'autres depuis lors!) et que l'on jugeait
trop ambitieux pour le cadre. Guise n'obtint que ce que l'on
est convenu d'appeler un succès d'estime, mais il compte
dans l'œuvre d'Onslow et fait honneur au talent de cet
artiste fort distingué. Peu de jours après son apparition, le
22 septembre, on notait celle d'un petit acte assez alerte inti-
tulé le Bon Garçon, auquel se rattache un souvenir que le
Courrier des Théâtres enregistrait en ces termes : — « La pièce
que doit donner aujourd'hui l'Opéra-Comique est celle qu'on
avait composée pour y encadrer quelques morceaux de mu-
sique laissés par notre cher Herold. Elle a été jusqu'aux répé-
titions avec cet ornement ; mais, soit que les paroles y fussent
mal adaptées, soit que le célèbre compositeur n'etit pas mis
la dernière main à ces fragments, on a renoncé au désir de
les tirer de l'oubli. Le musicien qui s'était engagé à arranger
la partition a dû en faire une tout entière, et c'est dans cet
état que va se présenter le Bon Garçon. Que l'ombre d'Herold
le protège ! » Ce musicien était Eugène Prévost, et ses collabo-
rateurs étaient Anicet Bourgeois et Lockroy. Lenr Bon Garçon
obtint un accueil assez favorable.
On ne peut guère en dire davantage de Piquillq, trois actes
dont le livret portait cependant la signature d'Alexandre
Dumas et Gérard de Nerval, la musique celle d'HippoIyte
Monpou, et dont la distribution réunissait les noms de
ChoUet, Révial, Jansenne, Fleury, M''''-^ Jenny Colon et Rossi.
Cette fois encore, comme il arrive trop souvent, les poètes
avaient fait tort au musicien, et malgré le talent dont celui-ci
avait fait preuve, leur œuvre était de si peu de valeur que
Piquillo ne put se soutenir au delà d'une trentaine de repré-
sentations.
Mais pendant que celui-ci tenait l'affiche, on s'occupait
avec ardeur des études du Domino rose, qui n'allait pas tarder
à changer de couleur et à devenir le Domino noir. Cette fois
nous touchons à l'un des succès les plus éclatants, et les mieux
justifiés, que l'Opéra-Comique puisse enregistrer dans ses
riches annales. Si le livret de Scribe est, il faut bien l'avouer,
écrit dans une langue rocailleuse et parfois triviale, il n'en
est pas moins construit de main de maître, varié de la façon
la plus heureuse, suffisamment ému, et charmant dans son
ensemble. Quant à la partition d'Auber, fine, élégante, pleine
de grâce et lorjours inspirée, c'est l'une des plus exquises
qui soient sorties de la main de ce maître ouvrier, que cer-
tains jeunes renards s'efforcent de railler aujourd'hui, mais
qu'ils seraient bien en peine d'égaler. Les raisins sont trop
verts... C'est de ce joli chef-d'œuvre — ici le mot n'est pas
de trop — qu'un critique pouvait parler en ces termes lors
de la mort d'Auber : — «. Nous placerons en tête (des opéras-
comiques du maître) quatre œuvres qui nous semblent mériter
une mention hors ligne : Fra Diavolo, l'Ambassadrice, le Domino
noir et Baydée... Le Domino noir surtout, ciselé comme une
sonate de Mozart, est, dans son cadre assez restreint, une de
ces merveilles d'esprit, de jeunesse, de grâce et de charme
indéfinissables, comme l'art en produit de temps en temps
pour rappeler aux mortels profanes sa divine origine. Auber
a écrit là son Barbier et s'est placé, pour un jour, à côté de
Rossini. Si nous avions à désigner le type accompli de l'opéra-
comique, nous nommerions le Domino noir dans le genre
tempéré, comme le Pré auj; Clercs dans le genre noble. On
pourra s'étonner de notre enthousiasme devant une si petite
toile, mais pour nous la grandeur n'est pas dans la taille, elle
est dans la proportion (1). »
Le Domino noir, dont je ne saurais faire ici une analyse, car
(1) Le Correspondant, 25 juillet 1871.
202
LE MÉNESTREL
elle excéderait les bornes de ce travail, fut reçu avec en-
thousiasme dans la soirée du 2 décembre 4837. C'était pour
le public un véritable enchantement, d'autant que la valeur
de son interprétation était égale à sa valeur propre (1). Tout
se tenaiJ dans cette œuvre exquise et d'un ensemble si har-
monieux. Aussi, peut-on dire que le succès en fut spontané
autant qu'il devait être prolongé. Le Domino noir, en effet, n'a
pour ainsi dire jamais quitté le répertoire, si bien qu'à la fin
de l'année 'ISOÎ) il comptait onze cent quarante-six représenta-
tions (2).
1838 n'a pas à son avoir deux succès comme ceux de la
Double Echelle et du Domino noir, celui-ci surtout, qui éclaira
les derniers jours de 1837, sa devancière, d'une lueur si
vigoureuse. Mais ce fut une bonne année courante, et qui se
maintint dans une moyenne fort honorable, à part les com-
mencements, qui ne furent pas très heureux.
L'année s'ouvre, le 11 janvier, par le Fidèle Berger, trois
actes dont un livret fâcheux ne put être sauvé par une mu-
sique d'ailleurs assez ordinaire. L'un élait deScribo et Saint-
Georges, l'autre d'Adolphe Adam. Adam eut beau dire qu'il
fut victime en cette circonstance d'une cabale de confiseurs,
la vérité est que l'ouvrage n'était pas né viable, et que les
efforts de Ghollet, de Jenny Coton et de M"^ Rossi furent
impuissants à prolonger son existence au delà de treize
représentations. Moins fortuné fut encore un Conte d'autrefois,
sorte de farce de carnaval en un acte qui réunissait les noms
de Leuven et Lhérie pour les paroles et de Monpou pour la
musique. Un journal nous apprend qu'ici les auteurs, sans
se rendre justice à eux-mêmes, étaient mécontents les uns
des autres: « On assure, disait-il, que plusieurs jours avant
la représentation de ce petit ouvrage, les auteurs du poème
étaient d'avis qu'on retirât la pièce à cause de la musique,
et que, de son côté, l'auteur de la musique manifestait la
même velléité à cause du poème. » Il ne paraît pas que
Monpou eût été mieux inspiré que ses collaborateurs, car le
même journal ajoutait: « D'où vient cette tendance rétrograde
dans les progrès de ce compositeur? Le Luthier de Vienne valait
incontestablement moins que les Deux Reines, Piquillo élail au-
dessous du Luthier, et la partition nouvelle nous semble au-
dessous de tout. »
Un Conte d'autrefois avait été représenté le 20 février. Le
21 mars paraissait un autre acte sans plus de conséquence.
Lequel? paroles de Paul Duport (et Ancelot, qui restait dans
la coulisse), musique de Leborne. C'était, en trois mois, le
troisième insuccès. Il était temps de voir changer la veine.
Le résultat fut obtenu avec le Perruquier de la Régence, trois
actes de Planard et Paul Duport pour les paroles, d'Am-
broise Thomas pour la musique, dont les deux principaux
rôles étaient tenus par Ghollet et Jenny Colon et qui furent
joués le 30 mars. «; Des mélodies gracieuses, un ^tyle cor-
rect, une instrumentation riche et pleine, sans abus de
cuivre, voilà, disait un critique, les qualités qui distinguent
M. Ambroise Thomas, et certes il y a là de brillantes espé-
rances pour le théâtre de la Bourse. Le deuxième acte du
Perruquier de la Régence renferme les éléments les plus remar-
quables. Là, nous avons entendu un duo, un trio et un
(1) Voici quelle était la distribution de l'ouvrage :
Juliano Moreau-Sainti
Horace de Massareua Couderc
Lord Edford Grignon
Gil Pérès Roy
Angèle . . . ■ IVl»" Damoreau
Dame Jacinthe Boulanger
Brigitte Berthault
Ursule Olivier
Gertrude Roy
(2) L'année 1831 doit enregistrer la mort de deux artistes célèbres: le compo-
siteur Lesueur, l'auteur de la Caverne, des Bardes et de Paul et Virginie, le maître
de Berlioz, de Gouuod et d'Ambroise Thomas; et le grand chanteur Martin,
l'ami et le compagnon d'Elleviou, chez lequel il alla mourir, dans sa propriété
de Ronzières (département du Rhône). Ce sont là deux artistes trop fameux,
chacun eu leur genre, pour que j'aie à m'étendre ici sur leur compte.
morceau d'ensemble de la plus grande beauté. L'ouverture
nous semble un peu décousue, mais elle rachète ce défaut
par des motifs pleins de fraîcheur et d'originalité. »
(A suivre.) Arthur Pougin.
SEMAINE THEATRALE
Opéra-Comique. La Femme de Claude, drame lyrique en trois actes, paroles
de M. Louis Gallet, d'après Alexandre Dumas fils, musique de M. Albert
Gahen. — Don Pasquale, de Donizetti (23 juin).
Qui le premier a eu l'idée — singulière — de transformer la Femme
de Claude, ce drame purement psychologique, en un livret d'opéra, et
de remplacer la prose nerveuse et serrée d'Alexandre Dumas par un
dialogue destiné à servir l'inspiration d'un musicien ? Ce qui m'é-
tonne, c'est que cette idée, quelque pru fantasque, n'ait pas effarouché
Dumas, très justement soucieux de la valeur et du respect de ses
œuvres, et qu'il ait donné sans sourciller son consentement a une telle
transformation, qui ne pouvait être qu'une déformation.
Il a bien fallu en effet, pour faire de ce drame en prose un drame
lyrique, lui faire subir des changements et des retramhements qui
en allèrent singulièrement la physionomie, outre que la coiupr.-s-ion
nécessitée pour l'introduction de la musique rend l'action plus bru-
tale encore et la laisse par instants peu compréhensible pour (jui ne
connaît pas l'œuvre première. La pièce ne se passe plus de nos jours,
mais à l'époque de la Révolution. Claude n'est plus un inventeur de-
génie, mais un général de la première République, iustallé avec son
état-major dans les environs de Wissembourg, qu'il est chargé de
débloquer, et qui confie à un de ses lîeutenanis, le jeune Autonin, la
mission périlleuse de porter à Wissembourg, à travers les ligues
ennemies, un message d'oii dépend le succès de l'opération. C'est ce
message qui, ici, se trouve être le nœud de la pièce. La femme de
Claude, Césarine, la Messaline infâme, dont M. Gallet a changé le
nom en celui de Delphine, aura à s'en emparer l'iutérêt que voici.
Cantagnac, qui est devenu un espion ennemi, s'introduit ou ne sait
comment chez Claude, précisément pour connaître son plan. Il
connaît le secret de la dernière infamie de Delphine, et il la menace
de tout dévoiler à son mari si elle ne trouve le moyen de lui livrer
le papier précieux dont Antonin est porteur.
Antonin, on le sait, malgré son honnêteté, aime Delphine. Il ne le
lui a jamais avoué, mais une femme n'ignore jamais l'amour qu'elle
inspire. Elle a donc deviné le sentiment qu'elle a fait naître chez le
jeune officier. Pressée par les dernières menaces de Cantagnac, éper
due, craignant ses révélations, elle se décide enfin à une dernière
infamie. Elle se jette dans les bras d'Autonîn, joue avec lui la passion,
et, au plus fort d'une scène d'emportement fiévreux, réus.sit à lui
ravir la lettre dont il est porteur. D'un bond elle s'élance alors 'vers la
fenêtre pour jeter le papier à Cantagnac, lorsqu'elle trouve devant
elle Claude qui, froidement, lui casse la tète d'un coup de pistolet.
Elle tombe morte, et Claude, montrant à Antonin le papier qu'elle a
laissé échapper, dit à celui-ci : — « J'ai fait mon devoir, fais le lieu. »
Ainsi transformée, la pièce présentait-elle l'intérêt d'une œuvre
dramatique? offrait-elle les éléments d'une œuvre musicale? Je
n'oserais l'affirmer d'une façon absolue. M. Albert Caheu l'a pensé
cependant, puisqu'il s'est chargé d'écrire la musique de cette nou-
velle Femme de Claude, et que cette musique est écrite depuis trois
ans, et que l'ouvrage est en répétitions depuis deux années, et qu'en-
fin après retards sur retards, remises sur remises, le public vient
d'être appelé à le contempler et à l'apprécier.
M. Albert &ihen, si son nom n'est pas très connu de ce public,
n'est pourtant plus tout à fait un débutant. Après avoir publié un
petit recueil de mélodies intitulé Marines, il fit représenter lès 1880,
à rOpéra-Coraique, le Bois, un acte qui était l'adaptation lyrique de la
jolie comédie qu'Albert Glatigny avait donnée sous ce tilre à l'O léon.
Dix ans après il donnait au Théâtre des Arts, à Rouen, un ouvage
beaucoup plus important, le Vénitien, grand opéra en quatr-- actes, et
enfin, en ces dernières années, il faisait représenter à Marseille un
ballet intitulé Fleur des Neiges. La femme de Claude est doue son qua-
trième ouvrage, et j'ai regret à dire que eelai-cl manque absolument
de saveur et de personnalité.
M. Albert Cahen a de l'ambition. On sent qu'il a voulu, jusqu'à un
certain point, se modeler sur les idées ayant cours, qu'il a cherché
à tenir compte de l'évolution dont l'art musical fait en ce moment les
frais, qu'il tûche à s'éloigner le plus possible des sentier- cterueile-
ment battus et qu'il ne serait pas fâché de trouver une route nouvelle
Lt; MENESTREL
203
à parcourir. Malheureusement ii semble que le souflle lui manque, et
aussi la fraîcheur et l'abondance de l'inspiration. Ses idées sont
courtes, et la nouveauté n'en est pas la qualité première; et quand
une phrase paraît bien commencer et prendre son élan, elle s'arrête
■ couit sans que l'on sache pourquoi et ne trouve pas une autre phrase
pour lui répondre. De même, son orchestre est sans relief, sans
coulfur et sans intérêt, manquant à la fois de corps, de piquant et de
nouveauté. L'arliste a fait de son mieux, assurément, et l'on sent qu'il
est auimé des meilleures intentions; mais ce n'est pas en art, et
surtout en musique, que l'intentioE peut être réputée pour le fait. Ce
qui manque le plus à M. Albert Cahen, c'est le tempérament; et dame !
le lempérameut, il n'y a pas à dire, c'est la qualité maîtresse, sans
laquelle toutes les autres ne servent que de peu.
Son œuvre a été bien défendue par ses interprètes. Par M. Bouvet,
qui est un Claude plein de dignité froide; par M"'= Nina Pack, qui se
moutie vraiment remarquable dans le rôle odieux et terriblement
difiicile de Delphine; par M. Jérôme, qui met de la chaleur dans le
rôle d'Antonin; enfin par M. Isnardon, qui, à son habitude, donne de
l'origiiualité à celui de Ganlagnac. Une jeune femme fort distinguée,
M"' Pascal, débutait par le rôle de Jeanne.
Don Pasquate est l'un des derniers opéras de Donizetti, qui n'en a pas
écrit moins de soixante-six. Ce n'est point l'un de ses meilleurs; ce
n'est pas non plus, tant s'en faut, l'un des plus mauvais : il occupe,
en somme, dans son œuvre, une place fort honorable, en dépit de la
prodigieuse rapidité avec laquelle il a été enfanté. Comme notre Adam,
avec lequel il a plus d'un point de coniact et de rapport, Donizetti
était de la race de ces improvisateurs forcenés et bien doués, qui ne
savaient et ne pouvaient prendre le temps de réfléchir sur une œuvre
et qui écrivaient au courant de la plume, s'en remettant au hasard de
leur inspiration sur le résultat à obtenir. Il n'y a pas à discuter avec
de tels tempéraments. Quand Donizetti était bien disposé, on avait
Lucie, l'Elisir d amore ou la Fille du fiégiiiieiil, de même qu'avec Adam
on avait le Chalet, Giralda ou U Postillon de Lonjumeau. Quand ils
n'étaient pas en train, dame...
Do7i Pasquale fut composé expressément pour notre Théâtre-Italien.
Donizetti était alors dans une veine de fécondité extraordinaire. En
moins de quatre années il donnait coup sur coup huit opéras : le
11 février 1840, la Fille du Régiment à l'Opéra-Gomique, et le 2 dé-
cembre la Favorite à l'Opéra; au commencement de 1841 Adelia à
Rome, et le 26 décembre Maria Padilla à Milan; le 19 mai 1842 Linda
di Chamounix à Vienne ; le 3 janvier 1843 Don Pasquate à notre Théâtre-
Italii-n, le S juin suivant Maria di TSohan à Vienne, et avant la fin de
la même année, le 13 novembre, Dom Sébastien de Portugal a l'Opéra.
Sans compter le rafistolage qu'il fit subir à son Poliuto pour le donner
aussi à l'Opéra, le 10 avril 1840, sous le titre des Martyrs. On peut
croire du reste que cetie production effrénée ne fut pas étrangère, avec
d'autres causes, au dérangement cérébral qui peu d'années après
devait le conduire au tombeau, à peine âgé de cinquante ans.
C'est qu'à ce moment Donizetti était passé en quelque sorte à l'état
de musicien international. Rossini depuis longtemps se taisait, Bel-
lini était moit. Verdi débutait à peine, et de fous les musiciens ita-
liens alors existants et produisants : Paciûi, Mercadanle, Ricci,
Persiani, le plus remarquable était assurément Donizetti. Aussi se
l'arrachait-on de tous côtés, à Paris, à Londres, à Vienne, à Naples,
à Milan... Il arrivait précisément de Vienne, où il venait de donner
avec un grand succès sa Linda di Ctiamounix, dont certaines pages sont
vraiment touchantes, lorsqu'il vint à Paris dans les derniers mois de
1842. Il fut particulièrement bien accueilli par la direction du Théâtre-
Italien, qui était en assez fâcheuse situation et qui pensait remettre
ses affaires en meilleur état si elle pouvait obtenir de lui un opéra
nouveau, ce qu'elle s'empressa de lui demander. Donizetti, qui ne
savait pas se faire prier, lui promit en effet un opéra bouffe, et
comme il connaissait l'état des choses, il dit au directeur, qui était,
je crois, Rouconi, qu'il ne lui demanderait ni décors, ni costumes, ni
aucuns frais de mise en scène, et pas même la dépense d'un livret,
qu'il se chargeait de trouver. L'ouvrage pourrait être offert au public
dans un délai de trois mois.
Pour ce qui es. du livret, Donizetti avait .son idée. Il avait toujours
conservé le souvenir d'un mauvais opéra bouffe de Pavesi, Ser Mer-
cantonio, qu'il avait entendu naguère à Naples, et dont le livret l'avait
amusé. Il fit venir celui-ci d'Italie, avec l'intention de le rajuster et
de l'arranger à son usage. Ce n'était pas la première fois qu'il se
ferait ainsi son propre librettiste. Déjà, à Naples, pour sauver un
imprésario in angustie, il avait tiaduit et arrangé ainsi un de nos
vaudevilles français, la Sonnette de nuit, dont il avait fait il Campanello.
et il n'avait pas hésité à mettre en deux actes le Chalet pour en faire
sa Betlg. Il allait donc opérer une troisième fois de la même
façon.
Mais, malgré l'engagement qu'il avait pris avec le Théâtre-Italien,
il ne se p'essait point, flânait avec délices, et laissait le temps
s'écouler. Si bien que le pauvre directeur, aux abois, vint un jour le
trouver pour lui exprimer son désespoir et lui rappeler la date très
prochaine que lui-même avait fixée.
— Ah bah! lui fait Donizetti. Vraiment, nous n'avons plus que vingl-
cinq jours? Eh bien, nous sommes encore presque en avance.
Écoute! je t'ai dit que tu n'aurais à l'occuper de rien. Moi, en cinq
jours j'aurai remis le livret en état, en dix jours j'écrirai la partition,
dix jours nous suffiront pour les répétitions, et tout marchera comme
sur des roulettes. C'est entendu.
Et tout marcha bien en effet, au moins au point de vue du succès,
puisque Delécluze pouvait écrire ceci dans le Journal des Débats, trois
jours après la représentation : — « Depuis les Puritains de Bellini
jusqu'à ce jour, aucun opéra écrit expressément pour le Théêtre-
Italien n'a eu un succès aussi bruyant. Quatre ou cinq morceaux
redemandés, rappels aux chanteurs, rappels au compositeur, en
somme une de ces ovations qui, en Italie, se prodiguent à la dou-
zaine même aux moindres compositeurs, mais qui, à Paris, se réser-
vent aux seuls et vraiment grands... »
Il est vrai que l'ouvrage était joué et chanté d'une façon merveil-
leuse par ces grands artistes qui s'appelaient Lablache, Mario, Tam-
burini et Giulia Grisi. Mais il est vrai aussi que si la musique de
Don Pasquale n'est point de qualité absolument supérieure, si elle ne
vaut poiut celle de l'Elisir d'aniore, elle est pourtant fine, délicate,
élégante, et contient des morceaux écrits de verve et d'un excellent
caractère bouffe. La sérénade du ténor, devenue naguère si célèbre,
sans doute pour la façon dont la chantait Mario, n'est point ce qu'il y
a de meilleur, et paraît aujourd'hui un peu banale, et tel autre mor-
ceau que l'on pourrait citer sent un peu trop l'improvisation. Mais le
premier acte contient un joli trio, on trouve au second un quatuor
délicieux, et les deux duos bouffes du troisième sont d'une facture
excellente et d'un sentiment comique irrésistible. Ce n'est certaine-
ment point la la veine merveilleuse de Rossini et du Barbier, mais,
ma foi, cela en approche, et c'est déjà beaucoup dire.
En réalité, cette musique alerte, vivante, bien en scène, piquante
parfois et toujours distinguée, a réjoui le public, qui a paru l'en-
tendre avec le plus vif plaisir. Il faut dire aussi que nos comédiens
ont fait de leur mieux pour atteindre ce résultat. M. Fugère, surtout,
est un don Pasquale excelleut. Ce diable d'homme est supérieur en tout,
partout et toujours. Quel que soit le genre de rôle dont il est chargé,
on peut être sur d'avance non seulement qu'il lui donnera, au point
de vue scéuique et musical, précisément la physionomie qu'il doit
avoir, mais qu'il ira dans l'interprétation jusqu'au point qui touche
la perfection. L'amoureux Octavio, qui n'est qu'au second plan, est
bien représenté par M. Clément, qui en a bien la désinvolture aimable
et familière. Le rôle du docteur est agréablement tenu par M. Ba-
diali, qui lui donne pourtant une correction peut-être un peu froide
et qui y manque de diable au corps ; il ne faut pas oublier que nous
sommes ici en pleine fantaisie, et qu'un peu d'outrance ne messied
pas; néanmoins, M. Badiali s'est heureusement échauffé dans le duo
du troisième acte avec don Pasquale, qui a fait la joie de la salle. C'est
M"" Parentani qui est chargée du personnage de Louise. Elle le joue
avec grâce et le chante avec une véritable habileté. Dans son ensemble
enfin, l'interprétation de Don Pasquale est intéressante et aussi satis-
faisante que possible. Il est certain que le public a accueilli l'œuvre
avec un véritable plaisir. Cela le repose de certaines productions
mélancoliques, que tous les efforts n'ont pu réussir à imposer h son
admiration.
Arthur Poumn.
SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION
D'ADAM DE LA HALLE
(Suite.)
Or, les éléments essentiels de la pièce ne sont autres qu'une mise
en scène de chansons populaires bien connues dès avant Adam de la
Halle. La principale situation est celle de la bergère en butte aux
attaques du chevalier : il n'en est pas de plus commune dans les pas-
tourelles du moyen âge. S'il m'est permis de me citer moi-même ici,
je rapprocherai de l'exposé du sujet, de Robin et Marion le paragraphe
de mon Histoirede ta Clianson populaire , où ce genre de chanson est défini :
« Le thème des pastourelles est généralement d'une simplicité
20 i
LE MÉNESTREL
extrême, et la plupart de ces chansoDS, tant modernes que primitives,
se ressemblent beaucoup entre elles. Elles commencent généralement,
sous forme narrative, par celte pbrase type: L'autre jour j'allais pro-
mener. Exemples :
L'autrier chevauchoie de lez Paris.
L'autrier, quant je chevaucHoys
A l'orée d'ung vert bois.
» Souvent le narrateur précise l'heure de cette promenade, qui a
lieu généralement le matin:
Je me levay par un matin,
La fresche matinée.
L'autrier, par la matinée,
Entre un bois et un vergier.
» Ce dernier vers nous indique le lieu de la scène, qui e?t ainsi
fixé immuablement dès le début, et n'est jamais autre qu'un pré, ou
un vergier, ou un jardin. C'esl là que le personnage récitant pénètre:
il j trouve une bergère gardant ses moutons ; la place de celle der-
nière est « à l'ombre d'un buissonnet », ou « au bord d'une fontaine ».
Dans le cas plus rare oîi le récit est fait par la bergère elle-même,
c'est elle qui fait la rencontre de son berger, ou du seigneur. Suit un
dialogue amoureux, dont les détails varient, mais d'oii résulte géné-
ralement l'un des trois dénouements que voici : si l'interlocuteur
est un berger, il sera heureux; si c'est un seigneur, il est renvoyé à
son château; ou bien lui-même est témoin des tendres confidences
de la bergèr« et du berger. Un quatrième cas peut se présenter:
celui où le seigneur a affaire à une femme mariée ; il est alors sûr
du succès. »
Nous ne serions guère embarrassés s'il fallait ciler des spécimens
de chansons, soit antérieures, soit po.stérieures à Adam de la Halle,
où celte situation se trouve exposée : elles sont innombrables. Sans
aller plus loin, nous trouverons un couplet de ce genre chanté dans
le « Jeu » même de Robin et Marion ; c'est à la fin de la première en-
trevue de Marion et du chevalier, quand celui-ci s'éloigne accompagné
par l'ironique Trairideluriau de la bergère : lui-même répond en
commençant une chanson qui semble commenter sa propre mésaven-
ture :
Hui main je kevaucoie lès l'oriere d'un bois,
Trouvai gentil bergiere, tant belle ne vit rois.
(Ce matin je chevauchais vers la lisière d'un bois, je trouvais gen-
tille bergère; un roi n'en vit pas de si belle).
La poésie courtoise de la même époque nous offre de nombreux
exemples analogues. Telle esl celle chanson d'un grand seigneur con-
temporain de saint Louis, Thibaul, comte de Champagne et roi de
Navarre : la mélodie, majeure, a une fraîcheur el une grâce toute
moderne, el la poésie reproduit si exactement la situation de la
première scène du .Jeu de Robin et Marion qu'on en retrouve même
les expressions caractéristiques :
L'autrier, par la matinée.
Entre un bois et un vergier,
Une pastoure ai trouvée
Chantant pour soi envoisier ;
Et disoit un son premier :
« Ghi me tient li maus d'amor ! »
Tantost celé part m'entor
Ke je l'oï desraisnier.
Si li dis sans delaier,
« Bêle, Diex vous doint bonjor. »
(L'autre jour, par la matinée, entre un bois et un verger, j'ai trouvé une
bergère chantant pour s.e distraire ; et elle disait une première chanson :
i< Combien me tient le mal d'amour ! » Aussitôt que je me trouvai à cette
place où je l'entendis chanter, je lui dis sans hésiter ; « Belle, que Dieu
vous donne bon jour. »)
Deux siècles plus tard, nous retrouvons la même scène, presque
dans les mêmes termes, au début d'une chanson (n° XXIX des Chan-
sons du XV siècle, publiées par M. Gaston Paris, musique notée
par M. Gevaert) :
L'autrier, quant je chevauchoys
A l'orée d'un vert boys,
Trouvay gaye bergère :
De tant loin qu'ouy sa voix
Je l'ai araisonnée.
Tanderelo !
Dieu vous adjust, bergère!
Au XVIP siècle, ce début est légèrement modifié, ainsi qu'il suit:
Il estoil une fillette — qui alloit glaner;
A fait sa gerbe trop grosse, — ne la peut lier.
Par ici y est passé — un brave chevalier.
Il l'a priée d'amourette, — ne l'a refusé (1).
Un siècle plus tard, même énoncé, au début d'une chanson inter-
calée dans Annetle el Lubin, de M""^^ Favart (1762) :
Il était une fille, — une fille d'honneur
Qui plaisait fort à son seigneur.
En son chemin rencontre — ce seigneur déloyal
Monté sur son cheval.
Mettant le pied à terre, — entre ses bras la prend:
« Embrasse-moi, ma belle enfant.
» — Hélas! ce lui dit-elle, — le cœur transi de peur,
» Volontiers, Monseigneur. ;>
Double rapprochement curieux : dans i'opéra-comique de M"" Favart,
ces couplets sont chantés sur l'air bien populaire d'une de nos chan-
sons les plus anciennes et les plus célèbres, la Pernette ; d'autre part,
il y a, dans la dernière partie des Saisons, d'Haydn, une chanson
que chantent les villageoises à la veillée d'hiver : cette chanson est-
elle traduite de la chanson française, ou bien imitée de quelque chan-
son populaire allemande sur le même sujet? Je ne le saurais dire:
ce qui est certain, c'est que la poésie du lied d'Haydn est absolu-
ment identique, pour le sujet, le développement et tous les détails
importants, à celle dont on vient de lire les premiers couplets.
Enfin, de nos jours mêmes, ce molif se retrouve au début de mainte
chanson populaire; voici les premiers couplets de deux chansons que
chantent encore les bergères de la Bresse :
« L'autre dit jour, je m'y promène
Tout le long de ces bois charmants.
J'ai entendu chanter
Un' tant belle bergère :
Je me suis approché.
Croyant la caresser. »
Quand la berger' s'en va faux champs.
Filant sa quenouillette,
Tout en gardant ses blancs moutons
Qui paissent sur l'herbette.
Un beau monsieur vint à passer
A dit à la bergère, etc.
On voit que depuis le XIIP siècle jusqu'à nos jours la tradition n'a
pas été ioterrompue un seul iostant, et que le sujet du Jeu de Robin
el Marion, emprunté lui-même à des chansons populaires antérieures,
se retrouve encore dans les chansons d'aujourd'hui. Et si nous vou-
lions pousser plus loin les observations, nous retrouverions plusieurs
autres scènes du Jeu dans les chansons. C'est ainsi que le dialogue
entre le seigneur et la bergère, celle-ci contrefaisant la niaise pour
se moquer de lui, se trouve dans une infinité de chansons populaires,
avec, le plus souvent, ce détail caractéristique que la bergère répond
en palois au seigneur qui chante en français (j'ai donné un spécimen
de celte chanson dans mon premier recueil des Mélodies populaires,
sous le titre de la « Bergère et le Monsieur », variante provenant de
l'Auvergne, et en ai recueilli un grand nombre de nouvelles versions
depuis la publication de cet ouvrage). La scène du repas champêtre
du berger et de la bergère, avec ses détails réalistes, ne peut-elle pas,
de même, être rapprochée du couplet suivant d'une chanson de forme
plus moderne: « La Bergère aux champs » ?
« Berger, mon doux berger,
Qu'aurons-nous à manger?
— Un pâté d'alouettes,
Uri aloyau de veau.
Du bon vin de Champagne
Par dessous mnn manteau. »
Enfin l'épisode de la brebis sauvée du loup est visiblement pris à
une chauson dont on trouve déjà le développement complet dans le
recueil des Carmina hurana, imitations de chansons populaires (en
latin ou eu langue vulgaire) connues par des manuscrits antérieurs
même à la première représentation de Robin et Marion: et, après avoir
pu en suivre le développement ù travers les siècles, nous le voyons
reparaître dans un grand nombre de versions recueillies de nos jours
(par exemple la chanson satirique : Mon père avait cinq cents moutons,
de mon 'i" recueil de Mélodies populaires).
L'on voit donc que le genre auquel appartient la pastourelle théâtrale
d'Adam de la Halle n'est pas si mort, puisque, par une tradition inin-
terrompue, nous en retrouvons aujourd'hui de nombreux restes par-
faitement vivants, conservés, sans le secours d'aucun artifice, par la
seule fidélité de la mémoire populaire.
(A suivre.) Julikn Tieiisot.
(1) Le Recueil des plus belles chansons de dances, Caen, .lacques Mangeant, 1615.
LE MÉNESTREL
205
1\.S. — Ce n'est pas à moi qu'il appartient de rendre compte de la
représentation du Jeu de Robin et Marioii qui a eu lieu dimanche der-
nier à Arras, et dont nos confrères de la presse parisienne ont eu un
avant-goùt par la répétition générale (incomplète d'ailleurs) dont il
a été rendu compte ici. Du moins, puisque les circonstances ont fait
de moi, po\ir un soir, le subrogé de; l'auteur, qu'il me soil permis de
parler en son nom ; non pas qu'Adam de la Halle m'en ait chargé: il
est mort ! Mais je suis bien certain que si, du haut du ciel, sa
demeure dernière, il a pu assister à la résurrection de son œuvre, il
a dû tressaillir de joie en se voyant si bien compris et interprété avec
tant de bonne grâce, d'intelligence et de talent par les artistes de
rOpéra-Gomique dont on a déjà dit les mérites: M""' Molé-Truffier,
M"° Vilma MM. Vialas, Bernaerl, Ducis, Viannenc et Dupuis. Sa
reconnaissance n'aura pas manqué d'aller surtout à M. Carvalho, qui
n'a rien su refuserau plus ancien prédécesseurdes Monsigny, des Gré-
try, desBoieldieu, — voire des Messager et des Cahen... Enfin son cœur
d'Artésien a sûrement battu très fort lorsqu'il a vu son œuvre accla-
mée par les modernes habitants de sa ville natale, pour qui le pro-
verbe : « Nul n'est prophète en son pays » n'est pas vrai, — du
moins quand il y a six cents ans qu'on est mort! — En mon nom
personnel, enfin, je dois tous mes remerciements à la Société philhar-
monique d'Arras, qui a prêté son concours le plus dévoué à l'exécu-
tion orchestrale, et qui, dans de trop rapides répétitions, a eu la
patience de travailler sous la férule d'un chef exigeant et grincheux,
— lequel ne regretlf pas de l'avoir été, d'ailleurs, puisque, par là,
une excellente exécution a pu être obtenue.
(A suivre.) J. T.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
II
La Bastilte de ta légende et la Bastille de rhistoire. — Pélisson et la mitsette du Basque.
— Araignées et smiris mélomanes. — La guitare du Manque de fer. — L'histoire de
l'InquisiLîon française. Portrait de rauteur , Constantin de Rennevilte, et de ses
compagnons de captivité; Schraderde Peck et ses violons en os de vache; les virtuoses
Kreyser et Monicard; le répertoire lyrique d^un capucin; leshymnes du ministre Cardel.
— Le duo d'Iphigénie à la Bastille. — Le flageolet de Latude. — Les psaumes d'un
mystique. — Les vocalises de la comtesse de la Moite. — La sourdine de Tort de la Sonde.
— Un prisonnier professeur de clavecin pour les jeunes filles de la maison .
On a beaucoup écrit, et partant raisonné ou... déraisonné sur la vie
intérieure de la Bastille. Des écrivains ont affirmé que le célèbre
château fort était creusé d'oubliettes et peuplé de cachots, qui s'ou-
vraient pour engloutir, vivants ou morts, les martyrs du pouvoir des-
potique. D'autres ont représenté cette prison d'Etat comme une sorte
de maison de santé, où les grands seigneurs venaient se remettre des
émotions d'une vie trop agitée. Certains en ont fait même la retraite
des gens de lettres, qui trouvaient dans ce paisible asile une table et
un logis autrement confortables que leur pitance quotidienne et leur
misérable grenier.
Or, la Bastille n'était — et nous parlons surtout de la Bastille du
XVIH'' siècle — ni ce réceptacle d'horreur, ni ee lieu de plaisance
que nous exhibe la légende, commentée par des imaginations com-
plaisantes. Si, quelquefois, des gentilshommes impatients de toute
autorité et des pamphlétaires d'humeur trop maligne expiaient
joyeusement et brièvement leurs prétendus crimes à la table du gou-
verneur, le plus grand nombre subissait une captivité réelle, c'est-à-
dire étroite, rigoureuse et souvent fort longue. Sans doute, si le gou-
verneur ne prélevait pas sa dime sur les sommes affectées par la
maison du Roi à la nourriture et à l'entretien des prisonniers, ceux-ci
n'avaient pas trop à souffrir, quant aux exigences de la vie maté-
rielle; mais la contrainte morale n'en était que plus pénible. C'était
déjà pour eux une grâce inespérée que de pouvoir correspondre avec
leurs parents et leurs amis : mais les lettres passaient sous les yeux
de la police et restaient entre ses mains, du moment où. elles parlaient
de toute autre chose que des intérêts pécuniaires du détenu : encore
celui-ci devait-il rendre un compte exact du papier qui lui était
remis pour cette correspondance. Il ne pouvait recevoir qu'un certain
nombre de livres, qui tous étaient examinés feuille par feuille. Les
visites, très rares, de la famille ou des hommes d'affaires, n'étaient
autorisées qu'en présence d'un officier du château. C'était à cette
seule faveur que se bornaient les rapports des prisonniers avec le
dehors; et, bien entendu, elles étaient le prix de leur docilité, de leur
patience et de leur résignation. Mais, sauf ces rares exceptions, tous
vivaient dans la solitude et dans l'isolement : ils savaient à quelle
heure avait commencé leur supplice, ils ignoraient quel jour le ver-
rait finir : le bon plaisir d'un ministre en déterminait seul la durée.
Aussi no se lassaient-ils pas de lui écrire, à lui ou au lieutenant de
police, pour implorer leur miséricorde. Mais les fonctionnaires res-
taient sourds à leurs supplications : souvent même ils n'y répondaient
pas. Sans doute, la plupart de ces misérables étaient fort peu intéres-
sants : c'étaient des espions, des intrigants, des maîtres chanteurs;
mais leur peine, qui n'était sanctionnée par aucun jugement, était-
elle proportionnée à leur faute? Une captivité dont il est impossible
de prévoirie terme n'est-elle pas la pire de toutes? Et il suffit de par-
courir les lettres désespérées, contenues dans les Archii'e.s de ta Bastille,
pour reconnaître qu'à cet égard le Château du Roi était un lieu de
tristesse et de désolation, le vrai type des prisons d'État.
Plusieurs de ses pensionnaires demandèrent à la musique l'oubli
momentané de leurs maux.
En 1601, Pélisson, qui devait être plus tard l'historien de l'Acadé-
mie Française, avait été enfermé à la Bastille, en même temps que
le surintendant Fouquet, dont il était nn des premiers commis. Bien
qu'il n'existât contre lui d'autre preuve de prévarication que celle de
son dévouement à une grande infortune, Pélisson resta plusieurs
années à la Bastille. Il avait conservé avec lui deux de ses valets,
l'Allemand et le Gascon, qui, suivant le règlement observé dans
toutes les prisons d'Etat, ne pouvaient, sous aucun prétexte, sortir
du château. Pélisson obtint cependant que l'un d'eux fut remplacé
par le Basque, dont le talent sur la musette offrait à ses ennuis une
puissante diversion.
Le futur académicien, l'amant platonique de la célèbre M"» de Sgu-
déry, est certainement moins connu par cette particularité, très véri-
dique, que par l'historiette, très fausse, de son araignée, sa compagne
de prison, méchamment écrasée sous le pied d'un porte-clefs brutal.
Cette légende a dû se greffer sur une autre anecdote, dont Bourdelot
certifie l'authenticité dans son Histoire de la musique et qui met égale-
ment en scène, à la Bastille, un détenu, un geôlier, une et même
plusieurs araignées, le tout accompagné d'une légion de souris.
TJn capitaine du régiment de Navarre avait été embastillé pour
avoir parlé un peu trop librement de Louvois. En dépit des règlements
qui interdisaient toute espèce de musique dans les prisons d'État —
nous avons dit qu'ils fléchissaient au gré du gouverneur — celui-ci
autorisa le capitaine à jouer du luth. L'officier usa largement de la
permission.
Et quel ne fut pas son étonnement! Pendant qu'il exécutait un air
de Lulli. il vit apparaître, timidement d'abord, puis un peu plus
hardiment, des souris, qui sortaient de leur trou et des araignées qui
descendaient de leurs toiles, auditoire inattendu de ce concert im-
provisé. La musique cessant, les bestioles regagnaient chacune leur
logis respectif. Notre virtuose en compta bientôt une centaine autour
de lui ; et comme il était vraisemblablement doublé d'un observateur,
il pria le geôlier de lui apporter un chat dans une cage. Comme on
voit, la Bastille présentait quelques points de ressemblance avec
l'arche de Noé.
Le désir de l'officier fut satisfait. La présence du félin, «nfermé
comme un simple prisonnier de la Bastille, n'intimidait que médio-
crement les souris, qui étaient, parait-il, des Lullistes convaincues.
Mais le capitaine ouvrait-il brusquement la porte de la cage, que la
gent souriquoise fuyait dans toutes les directions, dénouement tragi-
que qui achevait de désopiler la rate du musicien.
En terminant son récit, Bourdelot ajoute, non sans naïveté, qu'il
n'eût jamais cru à l'anecdote, si l'intendant de la duchesse de ViUeroi,
un homme digne de foi, ne lui en eût certifié l'exactitude.
Nous faut- il admettre également avec Voltaire, bien informé, pré-
tendait-il, sur ces menus faits, que le Masque de fer cherchait à
tromper les ennuis de son éternelle solitude en jouant de la guitare?
L'auteur qui nous renseigne encore le mieux sur les habitudes mu-
sicales des prisonniers de la Bastille, vers la fin du règne de Louis XIV,
est ce Constantin de Renneville qui fit paraître en Hollande, sous le
titre de VInquisition française ou Histoire de la Ba-ilille, le récit de sa
propre détention, longue de onze années. C'était un assez vilain per-
sonnage que Constantin de Renneville. Tantôt catholique, tantôt cal-
viniste, mais toujours à court d'argent et ne reculant devant aucune
vilenie pour satisfaire autant ses goûts de dépenses que sa soif d'in-
trigues, cet aventurier espionnait en Allemagne au profit de la France,
et réciproquement. Le cabinet de Versailles finit par le convaincre
d'infidélité et le fit conduire à la Bastille.
Constantin de Renneville y resta jusqu'à « la conclusion de la
paix ii; c'était la formule consacrée qui justifiait l'internement pro-
longé des espions avérés et quelquefois, hélas! de simples «uspects.
206
LE ftlÉNESTREL
Malgré sa longueur, son parti pris de dénigrement et la platitude
de son style, VHistoire de rinqulsilion française, que Renneville écrivit
à l'aide de ses souvenirs, n'est pas dénuée d'intérêt. Elle nous ren-
seigne aroplement sur la vie intime de cette mystérieuse forteresse
que la volonté du maître et la raison d'État tenaient fermée à tous les
regards. Sans doute, la sincérité de l'auteur est sujette à caution,
mais tout n'est pas erreur ni mensonge dans ses récits, et nous avons
pu nous assurer, en les contrôlant avec les pièces officielles, que
Constantin de Renneville disait quelquefois la vérité. S'il est souvent
injuste pour ses gardiens, il n'est que trop véridique quand il dévoile
les turpitudes de ses compagnons de captivité, cette tourbe d'Anglais
ou d'Allemands, de huguenots ou de juifs, qui faisaient alors métier
d'espionnage et qui, depuis, ont trouvé tant de successeurs.
Tous vivaient en commun, aux diiTérents étages de chaque tour,
mangeant, buvant, chantant, s'enivrani, s'injuriaiil et s'entre-tuani,
jusqu'au moment où le gouverneur, excédé d'un tel scandale, faisait
jeter les plus turbulents au cachot. Les cinq volumes de l'Inquisition
française abondent en scènes de ce genre, descriptions souvent pas-
sionnées, mais toujours écœurantes. Renneville y distribue le blâme
ou l'éloge suivant ses affections particulières; et parfois, comme nous
l'avons déjà constaté, il rencontre juste. C'est précisément dans la
galerie de portraits où il fait figurer, pêle-mêle, amis et ennemis,
que nous trouvons les originaux des musiciens embastillés à cette
époque.
L'un d'eux était le frère d'un capitaine allemand, Schrader de Peek,
dont la détention, plus longue encore que celle de notre auteur, n'était
pas moins justifiée. Renneville tient en très haute estime son « com-
pagnon de Bastille », qu'il dit « du meilleur naturel du monde et fort
adroit de ses mains ».
En tout cas, son esprit industrieux trouvait autour de soi matière à
s'exercer : « Avec le fil qu'il tirait de ses draps et de nos serviettes,
affirme Renneville, il faisait divers ouvrages, entre autres du galon et
des cordes d'une bonté merveilleuse. Ce fut lui qui commença les
échelles avec lesquelles M. l'abbé comte de Bucquoi s'est sauvé de la
Bastille. »
On sait que cette évasion, qui a stimulé la verve de tant d'écrivains.
entre autres celle de Gérard de Nerval, fut difficile et mouvementée.
Schrader élait le génie même de l'invention:
« Sans le secours d'autres outils que ceux que lui fournissaient les
os des vaches qu'on nous donnait à manger, il laisail des aiguilles,
des couteaux, des cuillers, plusieurs instruments de musique, entre
autres des flageolets, des flûtes et des violons, dont il jouait fort
agréablement. »
{A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIA^ERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (2S juin). — M.^" Kutscherra ayant
cessé de plaire dès sa première soirée de début à l'Opéra, c'est la Monnaie
qui hérite de l'exubérante «cantatrice wagnérienne ». MM. Stoumon et
Calabrési lui ont ouvert les bras en lui signant un engagement qui la con-
solera probablement de l'ingratitude des Parisiens.. Elle débutera à
Bruxelles dans le rôle d'Eisa de Lohengrin.
Le Conservatoire vient de faire, par la mort de Ferdinand Kufîerath, une
perte particulièrement sensible et cruelle. Ferdinand Kufiferath y dirigeait
depuis vingt-cinq ans le cours de contrepoint et de fugue avec un talent
qui n'avait d'égale que l'extrême modestie de son caractère et de sa
personne. C'était un homme d'une valeur supérieure, un vrai « puits de
science», ne faisant jamais parler de lui, se dissimulant, vivant avec lui-
même et répandant en silence les trésors de son esprit. Combien rares
sont aujourd'hui les hommes de cette sorte 1 II y a, dans le Thomas Grain-
dorge de Taine, une figure d'artiste, Wilhelm Kittel, qui semble le por-
trait même de Ferdinand Kufferath : « Il n'a pas songé à la gloire. L'in-
trigue lui a fait peur. Il a préféré ne pas claler ; il est resté chez lui, lisant
ses partitions, allant étudier les oratorios aux bibliothèques. Il a même
fini par ne plus venir aux concerts ni aux théâtres : une exécution de
parade, des gargouillements de chanteuse, la niaiserie des applaudisse-
ments lui dérangeant ses rêves; il prétend qu'on n'entend bien un opéra
qu'au piano. Cinq ou six compositeurs célèbres le connaissent, de temps
en temps vont le relancer chez lui, le respectent et sont contents quand
il dit: «C'est bien! » Il accepte rarement un diner en ville de peur qu'on
ne lui demande une sonate au dessert comme accompagnement du café
et de la chartreuse. Selon lui la musique est une conversation intime ;
on ne s'épanche pas pour une tasse de thé nu pour une poularde, et sur-
tout on ne fait pas ses confidences à des inconnus. »
Avec Kufferath. disparait certainement une des figures de musiciens les
plus honnêtes, les plus fières, les plus estimables. Il avait "S ans et
était né à Mulheim. Après avoir fait à Leipzig de brillantes études avec
Mendelssohn dont il fut le dernier élève, il s'était établi à Bruxelles de-
puis plus de cinquante ans. Il a laissé des compositions symphoniques
distinguées, et eut de vifs succès comme pianiste et comme organiste.
Pendant deux ou trois ans, il fut (détail peu connu) attaché à la personne
du roi des Belges Léopold I", à qui il venait jouer, tous les soirs, au piano,
les partitions d'opéra les plus nouvelles ; notre premier roi avait des
goûts musicaux, qu'il n'a point légués à son fils.
M. Gevaert faisait le plus grand cas de Ferdinand Kufferath, et le vide
que cette mort creuse au Conservateire sera très difficilement comblé.
Il est probable que c'est M. .Joseph Dupont, actuellement premier profes-
seur d'harmonie, qui prendra la classe de contrepoint ; M. Paul Gilson,
le jeune compositeur qui s'est si brillamment révélé en ces derniers temps,
entrerait au Conservatoire, où il occuperait la place de M. Joseph Dupont.
Un autre candidat parait cependant avoir des chances non moins sérieuses :
c'est M. Léon Du Bois, deuxième chef d'orchestre de la Monnaie et premier
chef des concerts du Waux-Hall. L. S.
Dernière heure : D'après de nouveaux renseignements, ce ne serait ni
à Gilson, ni à Du Bois que reviendrait la succession de M. Kufferath, au
Conservatoire de Bruxelles. Ce serait M. Edgar Tinel, directeur de l'école
de musique religieuse de Malines, qui serait nommé professeur.
— L'archiviste de la surintendance générale des théâtres impériaux de
Vienne, M. A.-J. Weltner, vient de publier un rapport sur l'Opéra impé-
rial pendant la dernière saison. Le théâtre a donné 319 représentations,
dont 7 matinées, et a joué 61 opéras différents et 21 ballets! De ces ou-
vrages, i opéras et un ballet ont été joués pour la première fois au
cours de cette saison, et parmi eux la Navarraise, de Massenet. M"" Kau-
lich a chanté 101 fois, et la basse Reichenberg 100 fois ; ces deux artistes
détiennent un « reiord ». Les premiers ténors, MM. Van Dyck et "Winckel-:
mann, n'ont chanté que 50 fois. Il est intéressant de constater que les œu-
vres françaises ont été jouées à Vienne beaucoup plus souvent que celles
de Richard Wagner, qui est néanmoins le compositeur allemand le plus
favorisé. On a joué 9 opéras de Richard Wagner qui ont fourni en tout
37 représentations ; à lui seul, Lohengrin a été joué 8 fois. Rieiizi et l'Or du
Rhin sont les œuvres de Wagner qu'on ne joue à Vienne que très rarement,
et les Fées y sont encore inconnues.
— La Chambre des députés de Bavière, dans sa discussion relative à
la subvention accordée à l'Opéra de Munich, a critiqué l'augmentation du
prix des places au théâtre Wagner, de Bayreuth. Or, on écrit de Bayreulh
aux journaux allemands que cette critique n'est pas fondée. Le prix des
places n'a pas été modifié depuis 1876, ni en plus ni en moins, parce que
les dépenses d'exercice pour une période si courte d'activité sont considé-
rables et n'ont pas permis jusqu'ici de penser à une réduction. Les
représentations de 1876 avaient laissé un déficit de 230.000 marks (312.500
francs). Wagner espérait qu'il lui serait accordé une subvention du
Reichstag ou d'un prince allemand quelconque, mais n'ayant pas obtenu
le- plus léger subside, i! vendit au directeur Angelo Neumann tous les
décors et accessoires des Nibelungen et conclut un emprunt àl a Caisse royale
de Munich, emprunt garanti et amorti par la cession de tous les droits
d'auteur qui lui reviendraient pour la représentation de ses ouvrages sur
la scène de Munich. Depuis 1883 jusqu'aujourd'hui, les représentations à
Bayreuth de ParsifaI, de Ttislan, des Maîtres Chanteurs, de Tannltiiuser et de
Lohengrin ont donné régulièrement, en moyenne, un bénéfice de 30,000 marks
par année; mais cette somme a toujours été versée au fonds de réserve,
qui s'élève actuellement à 3UO.O0O marks et qui sert pour la mise en scène
des opéras qui jusqu'à ce jour n'ont pas encore figuré au répertoire du
théâtre de Bayreuth. Cette année, par exemple, où l'on a dû refaire com-
plètement les décors et les costumes de t'Anneau du Nibelung, il ne restera
pas grand'cliose de ce fonds de réserve : la dépense est considérable, et
le produit net des représentations sulfira à peine à couvrir les frais ordi-
naires de l'exercice. M""" Cosima Wagner, ajoute-t-on, a toujours considéré
Bayreuth comme une entreprise purement artistique et désintéressée,
uniquement destinée à glorifier l'œuvra du maître.
^ A Bayreuth ont commencé les répétitions pour la reprise du cycle
l'Anneau du Nibelung. Aucun artiste de la création, de 1876, ne prend part à
cette reprise, à l'exception de M. Vogl, le célèbre ténor de l'Opéra de
Munich, qui chantera encore, dans l'Or du Rhin, le rôle de Loge, qu'il a
créé d'une façon si remarquable il y a vingt ans. M°"= Materna vit toujours
— elle donne même actuellement des concerts quelque part dans l'ouest
de l'Amérique — mais elle ne conduira plus Grane, le cheval noir de la
Valkyrie, sur les planches de Bayreulh. L'une des sœurs Lehmann est
encore sur la brèche, mais elle ne chantera pas non plus à Bayreuth ;
l'autre sœur s'est retirée de la scène. Plusieurs artistes de 1870 ne sont
plus de ce monde, entre autres la célèbre ba.sse Scaria, qui a créé le rôle
de Wotan. Mais ce qui manquera surtout à la reprise de cette année, c'est
le génie du vieux maître qui, en 1876, avait animé tout le monde sur la
scène ; la tradition subsiste encore, mais nous doutons fort qu'elle soit à
même de suffire, en dehors de l'orchestre, confié à M. Ilans Richter.
— A Wechmar, près do Gotha, le conseil municipal a fait apposer une
inscription sur la maison qu'habitait, vers 1600, Veil Bach, l'ancêtre de la
famille du grand canfor de Leipzig. Veit Bach, dont J.-S. Bach a souvent
LE MENESTREL
207
parlé, étail boulanger, et lui et son fils Ilans ont exercé leur métier dans
la vieille maison familiale de Wechmar, qui est encore debout. Lé fils,
Hans Bacb, avait appris la musique à Gotba et jouissait d'une certaine ré-
putation d'artiste. On compte, en sept générations, plus de cent descen-
dants de "Veit Bach, dont la plupart sont connus dans l'histoire de la mu-
sique allemande.
— Le prince de Monténégro a fait construire un théâtre à Cettigne, sa
capitale. Ce théâtre est petit, comme son pays ; il ne peut abriter que six
cents personnes, mais il contient tout de même une vingtaine de loges. Il
sera inauguré par une troupe russe qui y chantera l'opéra.
— Nous sommes en mesure, dit le Trovatore de Milan, de donner les pre-
mières nouvelles de la saison d'automne au Théâtre-Lyrique-international.
L'éditeur Sonzogno nous fera entendre cinq ou six étoiles de première
grandeur : M"""^ Van Zandt, Sanderson, Arnoldson, Nuovina, Nevada et
Simonnet. Quant aux œuvres, nous aurons comme nouveautés la Phryné
de Saiot-Saëns, la Vivandière de Godard, et te Gj-illon du foyer de Goldmark.
— Une impresaria qui a beaucoup fait parler d'elle en Italie au cours de
ces dernières années, M"'= Stolzmann, dont les hauts faits à Naples, à
Milan et à Gènes ont grandement défrayé la chronique artistique, vient de
terminer ses exploits en police correctionnelle. Sur une plainte dont elle
avait été l'objet, la sixième chambre du tribunal civil et correctionnel de
Gènes l'a condamnée ces jours derniers à deux années de réclusion et à
une amende considérable. M°" Stolzmann était contumace.
— Nous avons donné, il y a quelques semaines, les détails du record
tenu par aeux pianistes italiens, qui s'étaient engagés à rester attelés uti-
lement â leur instrument pendant cinquante heures consécutives. Voici
qu'un concours du même genre, et d'un intérêt aussi palpitant, vient d'avoir
lieu à Turin, cette fois entre mandolinistes, ce qui devait être encore un
peu plus agaçant, car le grattage ininterrompu d'un bec de plume sur les
cordes d'une mandoline a de quoi rendre à la longue enragé l'être physi-
quement le plus insensible. Quoi qu'il en soif, quatorze mandolinistes,
dont sept du sexe barbu et sept du sexe aimable, s'étaient réunis à Turin
pour battre ce record mémorable. Les héros de la fête avaient la faculté de
boire et de manger pendant l'épreuve, mais sans cesser de jouer, ce qui
ne devait pas laisser que de leur offrir quelque difficulté. Un premier prix,
consistant en une médaille d'or, était destinée au vainqueur; il a été
attribué à M. Luigi Novara, de Turin, qui n'a cessé un instant de marty-
riser sa mandoline — et ses auditeurs — pendant 23 heures 5o minutes!
Les femmes n'ont pas brillé, parait-il, dans cette lutte qu'où aurait peine
à qualifier d'homérique. Trois d'entre elles ont cependant résisté pendant
18 heures, ce qui est déjà un assez joli tour de force; mais les quatre
autres ont été mises prompfement hors de combat. Ce qui est prodigieux,
c'est qu'on puisse recruter des amateurs (?) pour faire fonctions de juges
dans un pareil tournoi. Et dire qu'ils n'y sont pas forcés, et que seul
l'amour de l'art les anime! C'est beau, le dilettantisme appliqué à la man-
doline !
— A Rovigo, au théâtre Social, dans une soirée donnée au bénéfice de
l'Asile infantile, on a représenté une opérette enfantine, iFanniulli venduti,
expressément écrite pour la circonstance par M. Belluzzi pour les paroles,
et pour la musique par M. Parisini, qui s'est fait une spécialité en ce
genre. Ce qui était curieux, c'est que l'exécution de ce petit ouvrage était
uniquement confiée à des enfants des écoles, au nombre de cent cinquante,
tant acteurs et chanteurs que danseurs, choristes, comparses, etc., et que
cette exécution, préparée avec un soin et une patience dont on peut se
rendre compte, a été excellente de tous points, les interprètes y prenant,
on le comprend, autant de plaisir que leurs auditeurs.
— Au Tivoli de Barcelone, on signale l'apparition d'une zar^uela cata-
lane en deux actes, Matrimonis à Montserrat, paroles de M. Roure, musique
de M. Gomella, à laquelle le public a fait un accueil des plus chaleureux.
Le compositeur a fait figurer dans sa partition nombre de thèmes popu-
laires catalans fort bien traités par lui, qui donnent à son œuvre une sa-
veur toute particulière, et dont la présence a fait la joie des auditeurs. —
Au Jardin Espagnol de la même ville, première représentation de deux
zarzuelas catalanes en un acte. Verdalet pare y fût del comsis de Barcelona et
un Début, toutes deux mises en musique par M. Urbano Fando.
— De Londres : La baronne d'Anzon-Caccamisi, née Blanche Marchesi,
a eu un immense succès à son premier concert à Londres. Elle avait rem-
porté un triomphe pareil chez M. Blumenthal et chez M""* Ronalds.
M"'= Melba lui avait offert vendredi dernier un grand diner au Savoy
Hôtel.
— La nouvelle de la mort du compositeur brésilien Carlos Gomes, que
nous avons donnée dans notre dernier numéro et qui était parvenue en
Europe par les journaux de Babia et de Pernambuco en date des 20 et
21 mai, était inexacte, et elle est formellement démentie. Par malheur,
elle n'était sans doute que prématurée, car l'excellent artiste est atteint
d'un mal qui ne pardonne pas, un cancer à la langue, croyons-nous, qu'il
est impossible d'opérer. Carlos Gomes, en ce moment à Para, est en proie
à des souffrances terribles, et les médecins qui le soignent (il n'y en a pas
eu, dit-on, moins de vingt et uni) affirment qu'il est impossible de le sau-
ver, et ne lui donnent pas plus de trois ou quatre mois d'existence.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est avant-hier vendredi qu'a eu lieu au Conservatoire, devant le jury
spécial, l'audition des cantates des six élèves concurrents au grand prix de
Rome, et c'est hier samedi que cette exécution a été renouvelée à l'Insti-
tut, eu présence des membres de toutes les sections de l'Académie des
beaux-arts. Voici, avec les noms de leurs interprètes, l'ordre dans lequel
les cantates ont été exécutées :
1. — M. d'Ivry, élève de M. Théodore Dubois. Interprètes : U"^" Marcy,
MM. Leprestre et Mondaud.
2. — M. Schmidt, élève de M. Massenet. Interprètes : M"^ Ducy,
MM. Cornubert et Darraud.
3. — M. Mouquet, élève de M. Théodore Dubois (mention honorable de
1894). Interprètes : M"« Loventz, MM. Vialas et X.
i. — M. Levadé, élève de M. Massenet (premier second prix de 1893).
Interprètes : M"° Lafargue, MM. Delmas (ténor) et Jacquin.
•5. — M. Halphen, élève de M. Massenet. Interprètes : M"« Blanc,
MM. Clément et Auguez.
6. — M. Max d'Olonne, élève de M. Massenet (premier second prix de
1893). Interprètes : M"= Ganne, MM. Engel et Delpouget.
Voici les résultats du concours :
Grand prix : M. Mouquet, élève de M. Théodore Dubois.
!='■ second prix : M. d'Ivry, élève de M. Théodore Dubois.
2<î second prix : M. Halphen, élève de M. J. Massenet.
— C'est mercredi prochain que M. Van Dyck fera ses adieux au public
de l'Opéra dans Lohengrin.
— A l'occasion des fêtes qui viennent d'être célébrées à Arras à la mé-
moire et en l'honneur du vieux trouvère Adam de la Halle, la Revue du
Nord a publié sous ce titre: Comméiiioratioii d'Adam de la Halle, un numéro
spécial et intéressant qui lui est entièrement consacré. Ce numéro contient
l'arrangement du Jeu de Robin et Marion fait par M. Emile Blémont pour la
représentation, ainsi que les deux scènes du Jeu de la Feuillée, trois rou-
dels d'Adam, une courte notice de M. Larivière, deux notes de MM. Emile
Blémont et Julien Tiersot, diverses poésies en l'honneur d'Adam de
MM. Jean Richepin, Henri Malo, Fernand Lefranc, Henri Pofez, M. J. Le
Coq, et enfin une conférence rimée de M. V. Barbier sur « Arras au
XIII'' siècle ». De la jolie pièce de vers adressée par M. Jean Richepin à
Adam de la Halle, nous citerons avec plaisir ce fragment relatif à l'opéra-
comique, dont il fut le précurseur:
C'est bien le moins qu'un brin de jolis lauriers verts
A ton nom de chanteur et de faiseur de vers
Mette après six cents ans sa joyeuse cocarde.
Qu'à jamais de la mort cet hommage te garde.
Tu ne mérilais pas, certe, un pareil oubli,
Toi par qui le premier chez nous s'est accompli
L'hymen joué de la musique avec le verbe.
— Mince trouvaille, bah ! dira quelque superbe.
Qu'est cela? L'opéra-comique ! Des flonflons!
C'est d'un art plus hautain que nous nous régalons.
Aujourd'hui notre muse est d'allure plus flère.
Robin et Marion, fi donc ! Petite bière !
— Mais la petite bière a du bon, hein ! les fleux!
Çarafraichit comme un grand vin, quelquefois mieux.
Ton œuvre, maître Adam de la Halle, est ainsi.
Qu'ils la méprisent, ceux qui ne sont point d'ici I
Mais pour les gens du Nord, c'est le Nord qu'elle fleure,
C'est sa petite bière et le sel de son beurre ;
Et tant qu'on en aura chez nous le nez friand.
Ton nom ressuscité dans ce jour souriant
Reverdira toujours comme une primevère,
Maître Adam-le-bossu-d'Arras, maître trouvère !
— Une petite curiosité découverte par notre confrère de Bruxelles VÉche
musical, qui la fait connaître en ces termes. On sait, dit-il, que la célèbre
ouverture de Litolff, Maximilien Robespierre, relève du genre dit « musique
à programme »; une simple audition de cette œuvre véhémente et tour-
mentée suffit pour s'en convaincre. Aussi nous a-t-on fréquemment
demandé le « programme », ou, si vous voulez, l'argument de Maximilien
Robespierre, — que nous n'avons jamais pu fournir, l'éditeur lui-même ne
lé possédant pas. Aujourd'hui qu'un hasard nous le met sous la main,
nous ne manquerons pas de l'enregistrer ici, pour l'édification et l'utilité
éventuelle de nos lecteurs. Voici ce curieux document :
Andante. Désolation et terreurs extrêmes. — Allegro. Agitation. Lutte de
Robespierre et des triumvirs contre les membres des comités. — Paco ritenuto.
La Marseillaise éclate, fougueuse d'abord, lugubre ensuite. — A tempo. Mise
hors la loi de Robespierre et de ses complices. — Sempre, On dresse l'échafaud.
Un peuple immense encombre la place. — Accelerando. La tète de Robespierre
tombe sons le couteau de la guillotine. — Andante. Stupeur mêlée d'effroi.
Rassemblement des troupes sur une sonnerie de trompettes. — Allegro. La fin
de l'affreux régime de la Terreur est arrivée et des cris de joie retentissent.
— La riche bibliothèque de l'enseignement des beaux-arts publiée par
la maison Quantin vient de s'enrichir d'un nouveau volume. Histoire de la
musique allemande, dont l'auteur est notre collaborateur et ami Albert
Soubies, ce qui ne saurait nous empêcher d'en dire le bien qu'il mérite.
Jusqu'ici nous ne possédions en France aucun ouvrage consacré spéciale-
208
LE MENESTREL
ment à telle ou telle des nations musicales de l'Ivirope. Voici tout au
moins une lacune comblée en ce qui concerne l'Allemagne, dont l'impor-
tance n'a pas besoin d'être démontrée sous ce rapport. La besogne ici
n'était point commode, et M. Soubies s'en est acquitté en conscience et
avec le soin le plus scrupuleux. Partant des origines mêmes de l'art dans
le pays qui a surtout donné un développement si admirable à la sympho-
nie et à l'oratorio, rappelant les services rendus dans l'enfance de cet art
par les minnesinger et les mcislersinger, l'auteur nous met an courant des tra-
vaux aujourd'hui oubliés des artistes qui ont été les précurseurs de cette
grande lignée de créateurs auxquels pendant deux siècles l'Allemagne a
dû une gloire impérissable et dont les noms sont dans toutes les mé-
moires: les Bach, Hipndel, Haydn, Gluck, Mozart, Beethoven, "Weber,
Schubert, Mendelssohn, Schumann, "Wagner et tant d'autres. Mais il ne
faut pas croire que M. Soubies s'est borné à rendre à tous ces artistes
incomparables l'hommage qu'ils méritent. A coté des créateurs, il a fait à
leurs interprètes, aux chanteurs, aux virtuoses, la place qui leur est légi-
timement due et qu'ils ont droit d'occuper dans une histoire sérieuse et
impartiale. Il n'a pas oublié non plus les compositeurs qui ont brillé dans
des genres secondaires, tels que le lied, la chanson, la musique de danse, etc.
Enfin, s'il nous met au courant de ce qui s'est fait à l'église, au concert, au
théâtre, il ne néglige pas les côtés en quelque sorte secondaires de son
sujet, nous indique les progrès accomplis dans la facture instrumentale,
nous rappelle les noms des grands éditeurs auxquels on doit les publica-
tions admirables consacrées aux œuvres des grands maîtres, nous entretient
des travaux des théoriciens, des critiques, des historiens, et n'oublie rien,
en définitive, de ce qui se rattache au sujet si complexe et si abondant
qu'il avait mission de nous faire connaître en ses multiples détails. Si
j'ajoute que le livre de M. Soubies est orné d'une centaine de gravures
qui lui servent de véritable complément historique, je crois que j'aurai
donné une idée suffisante de sa valeur et de l'intérêt qu'il doit inspirer.
A. P.
— Hier samedi a dû avoir lieu, avec le concours de M. Ch.-M. "Widor,
le quatrième festival de l'Exposition de Rouen. Le programme compre-
nait : 1° 3' symphonie pour orgue et orchestre, de M. "Widor, l'orgue étant
tenu par l'auteur; 2° Danses anciennes, par M"™ Peppa et Invernizzi, en
costumes Louis X'V : 3" divers morceaux de Couperin, J.-S. Bach, Ilaendel,
Martini, Daquin, etc., exécutés par la Société des instruments anciens de
MM. Diémer, Delsart, van "Waefelghem et Griliet.
— La première chambre du tribunal de la Seine a indiqué pour le
22 juillet un procès que la famille de M. "Wilder intente à M'^" Cosima
"Wagner. Elle lui reproche d'avoir autorisé la représentation des Maîtres
chanteurs et de plusieurs autres œuvres de Wagner avec une traduction de
M. Ernst et revendique pour elle seule le monopole de la traduction, tout
au moins en France.
— Un nouvel engagement à l'Opéra-Comique, celui de M. Fernand
Lucenay, ténor, qui débutera au commencement de la saison prochaine.
Ce sera, si nous comptons bien, le huitième ténor de la saison, avec
MM. Gérome, Leprestre, Clément, Mouliérat, Maréchal, Carbonne et
Vialas. Et encore en oublions-nous un neuvième, dont le nom ne nous
revient pas.
— Nous apprenons que M. Eugène Lacroix, compositeur de musique et
organiste des concerts Lamoureux, vient d'être nommé titulaire du grand
orgue de Saint-Merry. Il y eut d'illustres prédécesseurs, Couperin, Chau-
vet, Saint-Saéns entre autres.
— M'i« Fanny Lépine, la distinguée cantatrice dont on se rappelle les
succès à la Société des concerts du Conservatoire, a donné cet hiver chez
elle de très remarquables auditions, consacrées à l'exécution du deuxième
acte entier du Roi l'a dit, de Delibes, de VEloa de Ch. Lefebvre et d'œuvres
inédites de notre confrère Henry Eymieu. Les interprètes, élèves du cours
de chant de M"'- Lépine, M"'* Hautier, Créhange,Nivert, Ladame, Crâne et
MM. Vuillaume et Hermann, violonistes, Dumoutier, Edwy, Debay, Ber-
ton, pour la plupart prix du Conservatoire y compris M"" Luce Rousseau,
pianiste, ont donné de ces ouvrages des exécutions non loin d'être parfaites
et sous l'habile direction de M"" Lépine ou des auteurs eux-mêmes.
— Mardi 23, soirée donnée par M. Paul Braud à la Bodinière pour faire
entendre quelques élèves se destinant à la carrière artistique. — Grand suc-
cès pour M"= Éléonore Blanc et M. Engel dans l'air de Xavière, (Ahl quelle
fraîcheur} et dans le duo qui suit, qui a été bissé d'acclamations. Après
plusieurs rappels. M"* Blanc et M. Engel ont dû chanter de nouveau la
Chanson de la grive du même ouvrage, dans laquelle ils ont obtenu un énorme
succès et encore des rappels. — M"= Blanc a délicieusement chanté aussi
Brunette et Par le sentier, de l'auteur de Xavière. Tous nos compliments aux
jeunes élèves, qui font honneur à leur maître. A signaler particulièrement
M. Marcel-Samuel Rousseau, le ûls du compositeur bien connu, dans
Chaconne (Th. Dubois) et Caprice-Valse (Samuel Rousseau), M. René "Van-
zande (Source enchantée de Th. Dubois), M"° B. Augier (Esquisse et Scher-
zetto des l^ petites pièces. Th. Dubois), M"« M. Boulet (l'Allée solitaire),
M'" Renée Pellier (les Myrtilles). — On a chaleureusement applaudi Humo-
resque et Sérénade en trio (Ch.-M. "Widor), admirablement bien interprétées
par M"' Letalle, MM.Carembat et Casella, et pour finir. M"" Augier, Pel-
tier. Boulet et M. Vanzande ont enlevé leur auditoire avec l'étincelante
danse des Saturnales, des Erinnyes, transcription à 8 mains par J. Taravant.
— Très vif succès pour M'i^Bressolles à la matinée donnée parM"'" Pau-
let-Marie. Elle y a chanté, en outre de l'air de Faust, la Pensée d'automne
de Massenet, l'Heure ea-i/u/sc de Reynaldo Hahu et deux des délicieuses CAan-
sons d'enfants d'Edouard Grieg.
— M"' Cadot, qui continue à Versailles les traditions de l'école Marmon-
tel, a réuni jeudi dernier, 02, rue de l'Orangerie, un groupe nombreux de
ses élèves, qui toutes, suivant leur degré de force, ont fait apprécier la
correclion de style et les qualités d'exécution qui caractérisent son ensei-
gnement. Marmonlel père, présent à cette audition, était heureux d'adres-
ser les encouragements et les éloges à ces jeunes pianistes qui, par leur
bon travail et leurs louables efi'orts, répondent aux soins alîeclueux et
dévoués de leur excellent professeur. ^
— La causerie-concert de M""! Léo de Broc, donnée lundi dernier à la salle
Rudy, a été le sujet d'une ovation pour l'artiste, qui a développé son nouveau
système pour faciliter et abréger les études du piano et a joué avec beau-
coup de verve une polonaise de sa composition. — Au programme,
M"=^ Leandry et Kerrion, dont le succès a été très grand, ainsi que M. Mai-
gnien, qui a interprété sur la harpe deux charmantes compositions de
Bourgault-Ducoudray.
NÉCROLOGIE
Sir Augustus Harris, le célèbre manager aoglais, a succombé à Fol-
kestone aux suites du diabète qui le minait depuis quelque temps déjà.
Né à Paris en 1852, Harris avait fait ses études au collège Chaptal et obtint
une place de correspondant pour les langues étrangères dans une grande
maison de banque. Mais il avait hérité de son père un vif penchant pour
l'art, théâtral et en 1873 il débuta à Manchester dans un rôle secondaire
de Macbeth. M. Mapleson lui découvrit un grand talent de régisseur et
l'engagea pour ses entreprises d'opéra. Quelque temps après, Harris
quitta Mapleson pour reprendre, au théâtre de Saint-James, Zes Baniche/f avec
les artistes de rOdéon. Le succès de cette entreprise fut grand, mais Harris
n'en retourna pas moins au théâtre comme acteur et joua en 1877, avic
succès, un rôle dans la fièce le Dominorouge.il remarqua cependant bien vite
que sa vocation l'appelait ailleurs. Après avoir donné une pantomime au
Palais de Cristal, Harris prit, en 1879, le théâtre Drury Lane, où tant de
fortunes s'étaient déjà englouties. Son futur beau-père, M. Rendal, lui avança
les fonds nécessaires, et l'entreprise fut couronnée d'un succès complet.
Tout réussit à l'heureux directeur, qui possédait au plus haut degré ce
qu'on appelle « le flair » pour trouver les pièces qui devaient plaire à son
public, sans jamais s'inféoder à aucune école et à aucun genre. Cet éclec-
tisme fut aussi une des raisons de son succès comme entri^preneur
d'opéra. C'est en 1887 qu'il entreprit de relever l'Opéra italien à Londres,
à un moment où il était en décadence complète et semblait perdu à tout
jamais. Harris devait en efl'et subir des pertes considérables pendant sa
première saison, mais l'année suivante il prit sa revanche, grâce au con-
cours de M""'' Albani et des frères de Reszké. Il réalisa des bénéfices
importants, quitta alors le système dit des « étoiles » et offrit au public
de Londres des représentations d'opéra avec des interprètes hors ligne dans
tous les rôles et une mise en scène somptueuse. M'"»* Albani, Nordisca,
Sigrid Arnoldson, Minnie Hauck, Van Zandt, Caivé, Marie Roze et Sybil
Sanderson,MM. Jean et Edouard de Reszké, Maurel, Lassalle, Plançon et
beaucoup d'autres artistes renommés furent ses pensionnaires. Harris
rompit le premier avec la tradition séculaire, à Londres, de jouer l'opéra
exclusivement en langue italienne, et introduisit l'usage de la langue
française. Non seulement les œuvres françaises furent jouées en français,
mais aussi quelques œuvres allemandes, comme Lohengrin et la Valki/rie pat
exemple. Harris avait conservé une grande prédilection pour Paris — il
disait un jour qu'il avait aussi souvent traversé la Manche que le pont de
Waterloo — et pour l'art français. Dans les derniers temps, il se glorifiait
volontiers d'avoir joué pour la première fois la Navarraise, de Massenet.
Mais son opéra de Govent garden ne suffisait pas â son activité dévorante
et Harris menait de front, en même temps, le théâtre de Drury Lane, Her
Majesty's, Olympia, deux ou trois autres endroits où l'on s'amuse et plu-
sieurs entreprises théâtrales en province. Plusieurs pantomimes et plu-
sieurs pièces qu'il a écrites en collaboration avec divers auteurs réclamaient
également son temps et son travail. En 1890, Harris, qui était très popu-
laire à Londres, surtout dans le grand monde, fut élu shériff pour le
district du Strand, et c'est en cette qualité qu'il fut nommé Chevalier par la
reine Victoria, à l'occasion de la visite de son petit-fils Guillaume II
d'Allemagne, en 1891. Malheureuroment, sir Augustus Harris avait trop
chauffé la machine et sa mort prématurée, que les amis de l'art théâtral
déplorent même en dehors de l'Angleterre, prouve de nouveau que tout
se paie en ce bas monde, même et surtout l'extraordinaire succès.
0. Bn.
Henri Heugel, directeur-gérant.
On achèterait piano Erard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Duber.
Deux fonds d'éditeurs de musique à vendre. — S'adresser à M. Ikelmer,
7, rue de Clichy, Paris.
ISIPRiaiERlE
~ (Encre Lorilleui).
Dimanehe S Juillet 1896.
3406. — 62"-» AMÉE — i\° 27. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Unan.Teite seul : 10 francs, Paris et ProTince. — Texte et Musique de Citant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première salle Pavart et l'Opéra-Comique, 3" partie (9« article), Arthur
PouGiN. — II. Sur le Jeu de Robin et Manon d'Adam de la Halle (3" article), Julien
TiERsoT. — III. Musique et prison (9" article) : La Baslille et les prisons d'État
sous l'ancien régime, Paul d'Esirée. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
DANSE JAPONAISE
de Paul "Wachs. — Suivra immédiatement : Valse mélancolique, lirée des
Impressions et Souvenirs, de Marhontel.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Au bord du ruisseau, de Lucien Lambert, poésie de Maurens. —
Suivra immédiatement : Si je savais, mélodie de Louis Diémer, poésie de
Henri Becque.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
TROISIÈME PARTIE
II
(Suite)
Le Perruquier de la Régence fut donc très bien accueilli. On en
peut dire autant d'un autre ouvrage en trois actes, Marguerite,
représenté le 18 juin, qui servait au début d'ua jeune com-
positeur encore inconnu malgré la célébrité du uom qu'il
portait. Je veux parler d'Adrien Boieldieu, fils de l'auteur
de la Dame blanche, qui se présentait au public sous le patro-
nage de deux collaborateurs chevronnés, Scribe et Dupin.
Ce début était heureux et semblait promettre plus que ce
que donna par la suile le compositeur.
n fut suivi d'un autre, plus heureux encore, celui de
Clapisson, qui se présentait pourtant au public dans des
conditions singulièrement difficiles, et avec un ouvrage en
cinq actes, fait sans exemple dans les annales de l'Opéra-
Comique. Connu seulement jusqu'alors par quelques agréa-
bles romances, Clapisson avait accepté des mains de Scribe
et Dupin un livret qui, répété d'abord sous le titre de Judith,
- prit à la scène celui de la Figurante ou V Amour et la danse.
Tiré par les auteurs d'une nouvelle de Scribe lui-même,
intitulée Judith ou une Loge d'opéra et qui avait été publiée en
feuilleton dans un journal important, ce livret n'était venu,
en désespoir de cause, aux mains de Clapisson qu'après une
foule de péripéties. On peut en juger par ce petit historique
de l'ouvrage que le Ménestrel traçait après sa représentation:
De même que les individus, les pièces de théâtre ont leur biogra-
phie, leur vie aventureuse et accidentée. Celle dont nous nous occi^-
pons a subi bien des transformations et passé par toutes soites d'é-
preuves. Née feuilleton, elle s'est d'abord métamorphosée en vaude-
ville, puis elle est passée à l'élat de livre, pour être ensuite arrangée
en cinq actes, essuyer les refus de deux directeurs de théâlres et le
dédain de deux compositeurs. Il ne fallait pas une médiocre dose de
courage pour livrer aux chances de la publicité un libretto qui offrait
des situations déjà exploitées dans le Domino noir et l'Ambassadrice,
des invraisemblances choquantes et enfin des détails d'une trivialité
inouïe.
Or, il se trouvait là, à la porte du théâtre, un jeune artiste connu
par des productiocs originales et des succès de salon ; lui confier le
poème de la Figurante était presque une perfidie ; on le lui confia, et de
plus on lui prescrivit un délai de deux mois. Qui n'eût pas reculé
devant une semblable responsabilité? Mais il y a de ces joueurs
déterminés qui sacrifient tout à une idée fixe. M. Clapisson a joué
tout son avenir sur une mauvaise carte, et il a gagné.
Clapisson, en effet, n'eut pas à regretter une audace qui
eut pu lui coûter cher et, au lieu de l'aider, entraver pour
longtemps sa carrière, si une chute en eût été la conséquence.
En réalité, il avait déjà donné des preuves de talent dans ce
premier ouvrage, si bien que loin d'essuyer une chute, la
Figurante, offerte au public le 24 août, fut si bien accueillie
par lui qu'elle put fournir une série de près de cinquante
représentations, ce qui en tout temps, et surtout à cette
époque, pouvait être considéré comme un succès fort hono-
rable. La pièce était d'ailleurs fort bien jouée et chantée par
Roger, alors à ses débuts, Grigaon, M"°* Jenny Colon et Rossi.
Le 26 septembre paraissait Thérèse, deux actes de Planard
et de Leuven, aussi piteux que la musique de leur collabo-
rateur Carafa, suivie, le 4 octobre, de la Dame d'honneur, un
acte de Paul Duport et Edouard Monnais pour les paroles, de
Despréaux pour la musique, que les spectateurs reçurent
d'une façon très favorable. Vint ensuite, le 31 octobre, le
Brasseur de Preston, trois actes dus- aux auteurs du Postillon
de Lonjumeau, c'est-à-dire de Leuven et Brunswick d'une part,
Adolphe Adam de l'autre. L'œuvre, accorte et réjouissante
au point de vue général, mais un peu trop vulgaire, était de
seconde main en ce qui concerne la musique : très alerte,
très vivante, mais manquant à la fois de nouveauté et de
distinction. Aussi n'a-t-elle point résisté aux ravages du
temps, en dépit du succès très réel qu'elle obtint à sou appa-
rition. Gomme c\a,DS le Postillon, les trois rôles principaux
étaient tenus par Chollet, Henri et M"' Prévost. Deux petits
ouvrages terminent le bilan de cette année : Zurich, paroles de
Léon PiUet, futur directeur de l'Opéra, musique du violon-
210
LE MENESTREL
celliste Scipion Rousselot (10 décembre), et la 7»/a»f(7?(?, paroles
de Planard et Goubaux, musique du compositeur italien
Luigi Bordèse (31 décembre). Le premier subit une chute
complète; le second, au contraire, obtint un assez vif succès.
C'est encore Adam, qu'on ne saurait accuser de paresse,
qui ouvrait l'année 1839, comme il avait ouvert la précédente.
Le 17 janvier il donnait Régine, deux actes dont Scribe lui
avait fourni le livret et dont le succès, s'il ne s'est point
prolongé, fut du moins très réel. On remarqua surtout dans
la partition, relativement peu importante, un air de soprano
charmant et plein d'élégance et un joli trio pour voix de
femmes, d'un style coquet et léger. Le rôle principal de Régine
était écrit pour M""' Damoreau; mais celle-ci étant tombée
malade, il fut confié à M"'= Rossi, qui s'en tira à merveille.
Les autres étaient tenus par Roger, Henri, M""! Boulanger et
M"'^ Bertbault. Régine fut suivie d'un autre ouvrage en deux
actes, ie Planteur, qui fut joué le 1" mars : celui-ci était de
Monpou, qui venait de donner Perugina à la Renaissance et
et qui avait Saint-Qeorges pour collaborateur. Le Planteur reçut
un assez bon accueil, fort bien joué qu'il était d'ailleurs par
Moreau-Sainti, Grignon, Ricquier, Jenny Colon, qui venait
d'épouser le flûtiste Leplus et qui prenait son nom sur l'af-
fiche, et M'i= Bertbault.
En même temps que le Planteur, on avait répété les Treize,
un acte dont Halévy avait tellement fait craquer le cadre que
ses auteurs, Scribe et Paul Duport, crurent devoir lui en
ajouter un second, puis enfin un troisième. C'est donc en trois
actes que ces Jrei';e parurent le 15 avril, joués par Ghollet,Roy,
Jansenne et Jenny Colon. Le succès en fut secondaire, mais
CboUet eu obtint un personnel le soir de la première en
venant nommer les auteurs et en annonçant que la musique
était de M. Léon Halévy. La salle partit d'un éclat de rire,
en le voyant confondre involontairement les deux frères et
attribuer au poète l'œuvre du musicien.
Les deux grands succès de l'année furent pour deux actes
charmants qui se succédèrent à quelques semaines d'inter-
valle : l'un, le Panier fleuri, paroles de Leuven et Brunswick
musique d'Ambroise Thomas, joué le 6 mai, l'autre, Poli-
chinelle, écrit par Montfort sur un livret de Scribe et Duvey-
rier, et représenté le 14 juin. Tous deux devinrent plus
que centenaires. Montfort, qui avait obtenu le grand prix de
Rome en 1830 comme élève de Berton et de Boieldieu,
débutait ainsi de li façon la plus heureuse, et sa pièce
servait aussi de début à un jeune chanteur dont la carrière
devait être brillante : Ernest Mocker (1). \
Un autre ouvrage en trois actes écrit par Halévy sur un
poème de Scribe, le Shérif, n'obtint aucun succès le 2 sep-
tembre, bien qu'il eût pour interprètes Roger, Moreau-Sainti,
Henri, M"'^ Damoreau et M"' Rossi. Adam fut plus heureux en
donnant quelques jours après, le 19 septembre, la Reine d'un
jour, qui était aussi en trois actes et dont le livret était signé
par Scribe et Saint-Georges. La partition de la Reine d'un jour
était une œuvre aimable, fort gracieuse, écrite avec élégance,
et qui me semble mériter mieux que l'oubli complet qui a
suivi sa brillante apparition. Elle servit au début, comme
chanteur, d'un violoniste qui -était alors chef d'orchestre aux
Variétés, et qui tout d'un coup s'était découvert une voix
charmante. Je veux parler de M. Masset, qui depuis lors s'est
fait la grande réputation de professeur que chacun connaît.
A mentionner pour les derniers mois de celte année : le
12 octobre, la Symphonie, un acte, paroles de Saint-Georges,
musique de Clapisson, qui servit au début du chanteur
Marié; le 16 novembre, les Travestissements, un acte dont Des-
landes, acteur de TOpéra-Comique, avait tiré ie sujet d'une
sorte de farce intitulée Frontin maître et valet, musique d'Albert
Grisar, fort bien joué par Ghollet et M"" Prévost; enfin, le
(1) Musicien instruit et bien doué, Montfort ne paraît pas avoir donné la
mesure réelle de sa valeur. Né en 1803, il mourut le 13 fémer 1856, après avoir
fait jouera l'Opéra-Comique plusieurs autres ouvrages: la Jeunesse de Charles-
Quint, Sainte-Cécile, la Charbonnière, l'Ombre d'Argentine et Deucalion et Pyrrhu.
9 décembre, Era, drame lyrique en deux actes dont le rôle
principal était tenu, pour son début, par M'^^ Eugénie Garcia,
épouse de Manuel Garcia fils et, par conséquent, nièce par
alliancs de la Malibran. Cette Eva n'était autre chose que
l'adaptation française d'une A'»!a, passaper amore qu'un compo-
siteur italien de quatrième ordre, Coppola, avait cru devoir
refaire après Paisiello, lequel s'était simplement emparé du
sujet d'un petit chef-d'œuvre de d'Alayrac, Nina ou la Folle
par amour, où M"" Dugazon avait fait naguère couler les larmes
de tout Paris. On avait cherché un ouvrage d'un caractère
dramatique, propre à faire ressortir la superbe voix de contralto
et le sentiment passionné de la nouvelle cantatrice. Mais la
musique de Coppola, banale au delà de toute expression, était
sans valeur aucune, et quoiqu'elle eût été arrangée par Girard,
alo.fs chef d'orchestre de l'Opéra-Comique, qui y avait même
ajouté deux ou trois morceaux bien écrits, quoique l'interprète
principale y déployât un talent incontestable, son succès fut
absolument négatif. J'oubliais de dire que le poème italien
avait été lui-même arrangé et adapté par de Leuven et
Brunswick. Quant à Marsollier, l'auteur du livret français
original, il n'en fut pas plus question que si jamais il n'eût
existé.
L'Opéra-Comique comptait dans son répertoire un chef-
d'œuvre intitulé Jl/ane. On s'en souvint, et l'on se souvint de
son auteur, qui n'était autre qu'Herold, au moment de repré-
senter un autre ouvrage sous le mâme titre. On changea ce
titre, et celte seconde 3Iarie fut offerte au public, le H fé-
vrier 1840, sous celui de la Fille du Régiment, Les auteurs étaient
Bayard et Saint-Georges pour les paroles, Donizetti pour la
musique, et le rôle principal était confié à une jeune débu-
tante pleine d'avenir, M"° Borghèse, qui avait pour partenaires
Marié, Henri, Ricquier et l'excellente M"" Boulanger. Charles
Maurice, dans son Courrier des théâtres, appréciait courageusement
la partition en ces termes : — « La musique, d'une large médio-
crité, a dû être arrangée par M. Donizetti à la manière des confi-
seurs qui prennent dans tous leurs tiroirs pour former un sac
de bonbons. Il y a un peu de tout, beaucoup de bruit et très
peu de bien... » On sait si, en dépit de ce jugement, la
musique de la Fille du Régiment est devenue et est restée popu-
laire. Neuf cents représentations obtenues jusqu'à ce jour n'ont
pas épuisé le succès de l'ouvrage, qui, s'il manque un peu
d'unité au point de vue musical, n'en est pas moins d'une
inspiration généreuse et charmante (1).
Les débuts se multipliaient alors à l'Opéra-Comique, pres-
que tous heureux d'ailleurs. Moins de deux semaines après
la Fille du régiment, le 24 février, le théâtre donnait la première
représentation d'un nouvel ouvrage en trois actes, Carline,
paroles de Leuven et Brunswick, musique d'Ambroise Tho-
mas, dont l'héroïne devait être personnifiée par une jeune
débutante, M"" Castellan, qui avait obtenu au Conservatoire
un premier prix de chant et les deux seconds prix de voca-
lisation et d'opéra-comique. Puis, M"" Castellan étant partie
inopinément pour l'étranger, on confia le rôle à une autre
débutante, M""= Henri Potier, jeune femme charmante et qui
s'y montra tout à fait aimable. Le livret de Leuven et
Brunswick mettait en scène la belle et séduisante Carline,
l'ancienne soubrette de la Comédie-Italienne, dont les succès
furent si éclatants et si prolongés, et qui avait épousé Nive-
lan, le fameux danseur de l'Opéra.
C'est une débutante encore. M"" Darcier, la future et élé-
gante Berthe de Simiane des Mousquetaires de la Reine, qui crée
le rôle féminin d'un petit acte représenté le 24 avril sous le
titre de V Élève de Prcshourg et qui offrait au public un épisode
romanesque de la jeunesse d'Hayiln. Le livret de cet ouvrage
était signé du seul nom de Théodore Muret, bien que Vial
en eût sa part, sans vouloir se faire nommer; la musique
était l'œuvre d'un amateur instruit, nommé Luce, qui avait
(1) Je remarque que le 12 février, c'est-à-dire le lendemain même de l'appari-
tion de la Fille du RégimenI, Jenny Colon quitte l'Opéra-Comique et donne sa
dernière représentation.
LE MENESTREL
2M
fait de bonnes études au Conservatoire et qui était fixé à
Douai, sa ville natale (1).
(A suivre.) Arthdr Pougin.
SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION
D'ADAM DE LA HALLE
(Suile.)
Le poème d'Adam de la Halle n'est donc qu'un développement
scénique des chansons les plus populaires qu'il y ait jamais eu en
France, puisque, vivant encore dans la mémoire du peuple, elles
existaient bien antérieurement à l'époque où fut composé le Jeu de
Robin et Marion. Nous avons cité surtout celles qui ont suivi; il eût
été facile de faire de même pour celles qui ont précédé: il eût suffi,
pour cela, de faire des emprunts à n'importe quel livre sur la litté-
rature française du moyen âge. M. Gaston Paris, étudiant le mouve-
ment poétique dont Arrasfut le centre au XIII" siècle, appelle Adam
de la Halle « son dernier et meilleur représentant. » Et, parlant des
pastourelles, il déclare tout d'abord que « leur ejenre est ancien. —
Quelques-unes, ajoute-t-il, généralement picardes, présentent des
tableaux vifs et colorés des plaisirs et des « jeux » des villa-
geois (2). »
Ce n'est pas seulement le sujet qu'Adam a emprunté aux chan-
sons: il leur a pris les noms mêmes de ses héros. Il existait, en effet,
au moyen âge, tout un cycle de pastourelles dont les principaux
personnages se nommaient Robin et Marron. Monmerqué, l'un des
premiers éditeurs du Jeu, en a collectionné vingt-sept (plus neuf
motels sur le même thème) dont il a réuni les poésies dans son
avant-propos (3). La popularité du couplet pastoral n'avait pas cessé
encore au XV et au XVI' siècle: le manuscrit publié par MM. G.
Paris et Gevaert commence par une chanson dont les premiers
vers sont:
Puisque Roiin j'ai à nom,
J'aimerai bien Marion.
L'e xquise chanson : l'élite Camnsette, qu'Ockeghem et Josquin des
Prés, entre autres, ont mise en parties, renferme ce vers :
Robin et Marion s'en vont au bois joli.
Enfin Adam de la Halle a fait à la tradition populaire un emprunt
plus important encore : il y a pris les chansons mêmes, paroles et
musicjiie, qui forment la partie lyrique du Jeu de Robin et Marion. Cela
est admis définitivement aujourd'hui par toutes les personnes com-
pétentes. Une telle pratique peut nous étonner, nous modernes,
habitués à un tout autre mode de composition. Cependant, loin
d'être exceptionnel ou anormal, l'usage d'intercaler des chansons
populaires dans des œuvres littéraires (dramatiques, lyriques ou
narratives) était fréquent au moyen âge. C'est ainsi que, dans le
roman de Guillaume de Dole, remontant à la fin du XIL" siècle, l'au-
teur a mis au cours du récit des chansons ou fragments de chan-
sons de tout genre, « en quoi, ajoute M. Gaston Paris, il a été imité
par lis auteurs de la Violette, de la Poire, de la Panthère d'amours, du
Cliùlelain de Couci, de Métiacin, etc. ». Le roman satirique: Renard
le Noviel, composé à la fin du XIII= siècle par le Lillois Jacque-
mard Gelée, celui de Fauvel, du commencement du XIY' siècle,
sont d'autres exemples du même procédé. Des chansons même,
surtout des pastourelles composées par des lettrés, introduisent au
cours de leur développement des fragments ou refrains d'autres
chansons, populaires ou non, mais antérieures et étrangères à leur
propre composition (4).
(1) On lisait à ce sujet dans le Courrier des théâtres:— « L'Élève de Presbotirg, que
vient de donner l'Opéra-Comique, y est singutièrement arrivé. L'auteur de la
musique, M. Luce, est maire de la ville de Douai. En cette qualité, quelqu'un a
contracté envers lui des obligations électorales, pour des services rendus en
tout bien tout honneur, mais enlin avec dévouement. Pressé de dire quel prix
gracieux il attachait à cette bienveillance, M. Luce a désiré l'intervention de son
obligé pour obtenir que sa musique fût exécutée à l'Opéra-Comique. Son vœu a
été satisfait.
(-2) Gaston Paris, la Littérature française au moyen âge, pages 178 et 184. Sur l'an-
cienneté des pastourelles et leur antériorité par rapport au Jeude Robin etMarion,
voyez encore: A. Jeanroy, lea Origines de la poésie lyrique en France, chap. I ; — la
récente édition du Jeu de liobin et Marion, par Ernest Langlois, p. 16 et suivantes ;
enfin le recueil de flomances et Pastourelles des XII" et XIII" siècles publié en Alle-
magne par Carl Bartsch.
(3) Mo.MiERQiiÉ ET F. IVIiCHEL, Tbéûtre français du moyen âge, pages 31 à 48.
(4) Voir à ce sujet le chapitre des Refrains dans A. Jeashoï, les Origines de la poésie
yrique, p. 102 etsuiv., ainsi que nnon Ilisloirede ta chanson populaire, p. 425 et suiv.
Les premiers monuments de la littérature dramatique donnent lieu
à d'analogues observations. Ni dans les mystères, ni dans les pre-
mières comédies satiriques on ne connaît d'exemples d'une partie
musicale spécialement composée, mais les chants qui figurent dans
ces œuvres sont toujours empruntés à des éléments préexistants : au
répertoire des chants liturgiques quand il faut chanter les louanges
de Dieu, ce qui est le cas le plus fréquent, — au domaine populaire
s'il s'agit de chants profanes (1).
Le Jeu de Robinet Marion ne fait pas exception à cet antique usage.
Et, de fait, si nous pouvons être étonnés de constater ici un procédé
décomposition si différent des nôtres, il serait plus surprenant encore
qu'Adam de la Halle eiit seul fait exception aux coutumes de ses
contemporains, pour se conformer, plusieurs siècles d'avance, à nos
pratiques modernes! Aussi M. Gaston Paris, — déjà souvent nommé,
mais qui ne saurait trop l'être en une telle matière, — a-t-il pu écrire
dans son résumé de la Littémture française au moijen âge : « Ce sont
des bergers qu'Adam met en scène, et, à toute occasion, employant,
mais d'une façon plus piquante, le procédé de Guillaume de Dole et
autres romans, il leur met dans la bouche des refrains ou des frag-
ments de chansons qui appartiennent à ce qu'on peut appeler le
cycle de Robin et Marion (2). » Et le plus récent éditeur du Jeu,
M. Ernest Langlois, professeur à la Faculté des Lettres de Lille,
renouvelle la même affirmation en ces termes : « L'hauteur n'a fait
chanter à ses personnages, bien que lui-même fût un m-jsicieh très
goûté, que des refrains populaires. La preuve indiscutable que ces
refrains n'ont pas été composés pour le .Jeu de Robin et Marion ressort
de l'effort visible que le poète a souvent dû faire pour les y enchâsser,
de la présence de quelques-uns dans des compositions antérieures
au drame, parfois même de rimes étrangères au dialecte picard (3). »
Deux au moins de ces chansons figurent dans des monuments
antérieurs.
C'est d'abord la plus célèbre : Robinm'aime, Robin m'a, par laquelle
s'ouvre le .feu, et qui, nous dit-on, est restée populaire jusqu'à nos
jours dans les provinces du nord de la France et la Belgique.
Monmerqué dit à ce sujet : « Si on ne représente plus depuis long-
temps le Jeu de Robin el Marion, il en existe au moins des souvenirs
dans les villages du Hainaut. M. Arthur Dinaux (dans les Trouvères
cambrésiem, 1834) nous apprend que la chanson :
Robin m'aime, Robin m'a,
est encore fréquemment dans la bouche des jeunes paysannes du
Hainaut, surtout aux environs de Bavai. On y a seulement changé le
nom de Robin en celui de Robert (4). » Gustave Chouquet dit, de son
côté : « Les paysans du No rd de la France répètent encore cette
romance populaire, et, dans leur manière de la chanter, ils semblent
se conformera la tradition du moyen âge (8). » De Coussemaker parle
aussi de la popularité dont ont joui ces chansons, « et dont quelques-
uns sont encore en possession aujourd'hui dans le nord de la
France » ; il précise en disant : « On chante encore en Artois la
douce mélodie de Robin m'aime (6). » M. E. Langlois, bien placé pour
connaître ces détails, puisqu'il professe à la Faculté de Lille, ajoute:
« Le couplet « Robin m'aime » se chante encore, paraît-il, dans
l'Artois, dans le Hainaut, et sans doute ailleurs (7). »
(1) Pour les détails relatifs à ce sujet, voir mon Histoire de la Chanson populaire,
p. 490 et suiv.
(2) G. Paris, Loc. dt., p. 192. Je laisse pour le moment de côté les distinctions
subtiles de la chanson populaire, semi-populaire, littéraire ou courtoise,
question à laquelle le sujet pourrait fournir des éléments intéressants, mais
qui demanderait, pour être traitée, plus de développements que nous n'en,
pouvons donner ici.
(3) Le Je ii de Robiii et Marion, publié par Ernest Langlois, Paris, Pontemoing.
1896. — En passant, je ferai à M. E. Langlois un léger reproche : c'est qu'ayant
cité, à l'appui de son argumentation, les écrits de M. Gaston Paris et de
M. Jeanroy, il ait laissé dans un sombre oubli mon Histoire de la Chansmi popjir
laire, où ce sujet est traité d'une façon spéciale et avec plus de développement
que partout ailleurs {p. 422 et suiv.) Cependant ce livre a précédé les deux
autres puisque, rédigé en vue d'un concours ouvert en 1883, il a été couronné
par l'Institut en 1885; et, s'il n'a paru qu'en 1889, du moins les lecteurs du
Ménestrel ont-ils eu, dès 1888, la primeur du chapitre dont précisément il est
question ici. Or, la thèse de M. Jeanroy ne fut soutenue qu'en 1889, et c'est
dans la même année que parut la première édition du livre de H. Gaston
Paris. L'on voudra bien m'excuser d'avoir tenu à faire valoir mes droits d'an-
tériorité à cet égard, et rappelé que j'ai, le premier, nettement formulé et déve-
loppé une vérité que tout le monde admet aujourd'hui.
(4) Théâtre français au moyen âge, p. 29.
(5) Histoire de la Musique dramatique en France, p. 37.
(6) De Coussemaker, Adam de la Halle, Introd., p. lxviii, et l'Art harmonique aux
XII' et Xni' siècles, p. 214.
(7) Introd. du Jeu de Robin et Marion, p. 29-30. — Je dois avouer, malgré ces
affirmations, qu'aucun folk-loriste contemporain n'a retrouvé dans la tradition
populaire la moindre trace de cette chanson. J'ai seulement remarqué une
212
LE MENESTREL
Ses deux premiers vers figurent déjà dans une pastourelle ano-
nyme que Bartsch range parmi les œuvres des plus anciens trouvères,
ei. d'autre part, ils forment le refrain du troisième cou]^let d'une pas-
tourelle de Periin d'Angecourt, dont tous les refrains (au nombre de
cinq), conformément à une pratique précédemment expliquée, sont
eux-mêmes empruntés à des chansons populaires antérieures : or, ce
morceau, datant du milieu du XIII" siècle, est par conséquent d'une
trentaine d'années antérieur à la composition de Robin et Marion (1).
— Le même fragment, avec la musique notée, se trouve aussi dans
un motet du manuscrit de Montpellier (2), dont la composition a élé
encore attribuée à Adam de la Halle sans aucune raison plausible.
L'autre morceau manifestement emprunté à un poème antérieur
est le fragment de la chanson de gesle, ou plutôt de la parodie de
chanson de geste : Aiid/()ier. dit Raimberge L'épopée burlesque
d'Audigier. que M. Gaston Paris dit « fort ancienne », est une pro-
duction grossière et d'une verveultra-gauloise,dont le vers mentionné
nous donne une idée suffisante : elle était si bien jugée pour telle
dès le moyen âge que le personnage qui la chante dans le Jeu de Robin
et Marion est interrompu dès le premier vers par Robin, qui lui
reproche de dire des choses inconvenantes devant Marion, et le traite
de (I sale ménestrel », « oi's menestreus ! » Ce fragment n'en est pas
moins précieux pour nous, car il n'est pas douteux que son chant,
dont la gravité fait un contraste comique avec les paroles, soit le
même que celui des chansons de geste proprement dites : nous pos-
sédons ainsi le seul vestige qui nous soit parvenu des formules
mélodiques sur lesquelles se chantaient nos antiques épopées, à
commencer par la Chanson de Roland.
Nous pouvons ajouter sans crainte le couplet chanté par le chevalier
à sa première sortie: Hm main je kevaucoie lès l'orière d'un bois, qui
n'a pas élé identifié, que je sache, avec une autre chanson positive-
ment connue comme antérieure, mais qui ressemble si parfaitement
aux premiers couplets de toutes les pastourelles qu'il n'est pas douteux
qu'il ait été pris à l'une d'elles.
Le morceau de musique le plus développé et le plus scénique
qu'il y ait dans Robin et Marion est le dialogue dans lequel le berger
demande à la bergère sou chapeau de fleurs; mais pas plus que le
reste il n'a été composé spécialement pour la pièce : on s'en con-
vaincra par la confrontation suivante des couplets formant refrain au
commencement et à la fin du duo avec un fragment d'une autre pas-
tourelle :
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
Bergeronnette,
Bouche baisselette,
Donnés le mi, vostre capelet,
Donnés le mi, vostre capelet.
Bargeronnette,
Très douce compaignette,
Donueiz moi vostre chaipelet,
Donneiz moi vostre chaipelet (3).
Quant aux autres, s'ils ne nous ont pas été conservés, il ne sont pas
moins sûrement dans le même cas: leur musique même, franche de
tonalité et de rythme, serait, à elle seule, une garantie suffisante de
leur origine populaire. Quelques-unes de ces chansons ont un assez
grand nombre de couplets pour que nous puissions les croire com-
plètes ; ce sont principalement : la chanson Robin ni aime, dont la forme
libre correspond à trois couplets (le -3' reproduisant le premier, le
second plus long d'un vers et du refrain : A leur i va) ; — les deux cou-
plets allernativement dits par Marion et Robin à l'entrée du berger, et
leur dialogue amoureux: Bergeronnette, douche baisselette, qui, au point
de vue musical, peut être partagé en quatre couplets irréguliers;
la chanson de danse : Robin, par l'âme ten père, k cinq couplets alternés;
enfin les deux couplets de la chanson : J'ai encore un tel paslé.
Tous les autres morceaux sont très courts et semblent formés soit
de simples refrains (généralement de chansons à danser), soit de
couplets isolés empruntés à des morceaux plus longs : dans ce dernier
cas, on peut ranger en toute confiance le couplet do pastourelle du
chevalier, avec son refrain rustique deux fois repris : Trairi deluriau
deluriau deluréle, et le vers de la gesle à'Audigier.
(A suivre.) JULIE.N TiERSOT.
formule mélodique analogue, sur d'autres paroles (namandes), dans certains
morceaux de l'inléreîsant recueil de ChayUs populaires /lanuinds, recueillis et
publiés en Belgique par MM. Adolphe Loote.ns et J.-M.-E. Feïs. De même, une
ronde llimande recueillie par de Coussemaker (Chants populaires des Flamands
de France, page :3il) reproduit presque note pour noie la mélodie de la chanson
de danse qui termine fc Jeu de Robin et Marion : » La sentèle, la sentéle », etc.
(11 Carl Baiitscu, Romances et Paslourellcs, p, 190 et 295.
(2) N° CCXXVil du Recueil de Mulets français, publié par M. Gasto-N Raynaud.
(3) G, Bartsch, Homaiice
Un autre Allemand, répondaut au nom de Kreyser, se donnait
beaucoup moins de mal pour cultiver la musique. Il avait obtenu,
par faveur spéciale, la permission d'avoir dans sa chambre un cla-
vecin sur lequel il exécutait, non sans mérite, tout le répertoire
lyrique du temps.
En outre, un ancien trésorier des guerres à Metz, Monicard, enfermé
comme suspect de malversations à la Bastille, y chantait et y dansait
jusqu'à une heure avancée de la nuit pour la plus grande satisfac-
tion de ses voisins. L'an d'eux, un révérend père capucin, Florent de
Biandebourg, le pire des espions allemands, prenait plus que per-
sonne sa part de ces audilions. 11 y perfectionna son éducation mu-
sicale, et de la plus .singulière façon du monde. Renneville s'amusait
à le voir, la tète sur le plancher, l'oreille contre un trou pratiqué par
un détenu, passer des nuits entières à apprendre les « chansons les
plus moelleuses » de Monicard, qu'il répétait ensuite de « sa voixca-
pucinale ».
L'Histoire de l'Inquisition française nous a conservé un choix des
chansons favorites du R. P. Florent. Elles datent de 1711. Voici
d'abord la note grivoise :
Lucas a dans sa famille
Douze enfants se portant bien.
Il court le bruit par la ville
Que si chacun reprend le sien.
Le sieur Lucas n'aura plus rien.
Puis la note bachique :
L'éclat des grandeurs m'importune;
Mille ennuis troublent la fortune;
Elle est moins stable que Neptune.
Sous les étendards
D'amour on souffre trop de peine;
Et sous ceux de Mars
La vie est incertaine.
Chercher les hasards
Est une chimère vaine.
Tombeau du chagrin.
Bon vin, bon vin.
Toi seul, tu peux faire un heureux destin.
Prendre pour garant de sa vie,
Sur mer, une planche pourrie,
Ah Dieu ! quelle étrange folie !
Fi, fi des marins !
Les vents sont grands, la mer profonde,
Souvent les marsouins
Leur y servent de tombe.
Pour moi, qui surtout crains
De m'enivrer de l'onde.
S'il n'est une mer de vin.
De vin, de vin,
Je veux finir sur terre mon chagrin.
Ce religieux, à morale indépendante, avait pour imitateurs des
laiques que n'eût pas désavoués Tartufe et qui trouvaient le moyen
de scandaliser Renneville :
...J'ai connu certain prisonnier, dit notre auteur, qui n'était pas plus
tôt rentré dans sa chambre, à la sortie de la sainte table, que, loin de
prendre les exercices de Sainte Thérèse après la communion, ou la pra-
tique de Saint François de Sales, il se mettait à chanter des chansons que
LuUi et d'autres musiciens moins dévots encore que lui n avaient pas
composées pour être chantées devant le tabernacle du Dieu vivant. Au
contraire, ces hymnes dévergondés étaient plutôt à l'honneur de Bacchus
et de 'Vénus, et auraient mieux convenu à des bacchantes qu'à un béat
Après quoi, il dansait tes Malassins avec toute autre chaussure que des
escarpins.
Jamais Panlalon avec sa barbe de bouc, ni Scaramouche ne firent des
gambades plus risibles.
Mais on n'exécutait pas que de la musique amoureuse, bachique
ou bouffonne à la Bastille. Là, plus que partout ailleurs, la tragédie
côtoyait souvent de près la comédie ; et le Miserere du château
d'Amboise y donnait aussi sa note, rarement il est vrai, mais
trop encore pour l'honneur du grand lègne. Nous n'en voulons pour
preuve que le martyre du ministre Cardel. Peut-être eussions-nous
douté de sa réalité, si nous avions dû nous en rapporter au seul
LE MÉNESTREL
213
témoignage de Reuneville; mais des autorités moins discutables,
entre autres celle du Dictionnaire de Haag, nous en ont confirmé la
certitude et la sincérité.
Gardel était un religionnaire obstiné, violent, irréductible; son
zèle excessif et ses prédications furibondes eurent-ils le caractère
d'une opposition séditieuse et antipalriotique ? Ce point histo-
rique serait difficile à déterminer; car, lorsque la révocation de
redit de Nantes eut pris les proportions d'une persécution reli-
gieuse, nombre de ministres furent presque convaincus d'avoir
comploté l'alliance sacrilège des protestants français avec leurs
frères d'Angleterre et d'Allemagne en guerre contre Louis XIV.
Toujours est-il que Cardel, considéré comme un ennemi de l'Elat, et
assurément plus fou encore que fanatique, fui enfermé à la Bastille.
Sa captivité fut très rigoureuse et dura trente années.
En janvier 1709, pendant l'hiver terrible qui désola toute la
France, Gardel fut emprisonné, par mesure de répression, dans « le
pourpoint de pierre qui était auprès de la quatrième chambre (le
quatrième étage) d'une des tours. »
C'était un cachot pratiqué dans la muraille, « qui n'avait pas
plus de six pieds en hauteur, largeur et profondeur ». Le patient
pouvait à peine s'y tenir debout. Le lit était creusé dans le mur et
ne contenait comme meubles qu'uae table d'un pied carré et une
toute petite chaise. La fenêtre qui l'éclairait fut presque entière-
ment bouchée sur l'ordre du gouverneur Bernaville : le jour n'y
pénétrait plus que par une ouverture oblique large de trois doigts.
■Reuneville, le 13 juillet 1713, veille de sa mise en liberté, entendait
encore Gardel chanter des psaumes dans le pourpoint de pierre ; et le
chirurgien de la Bastille, rencontré, le jour même, par notre auteur,
dans une des cours, lui déclarait que jamais Cardel ne s'était si
bien porté, bien que lui, le chirurgien, ne l'eût pas vu depuis
quinze mois : ce bulletin de santé, délivré si lestement par un
fonctionnaire indigne, n'empêcha pas le ministre protestant de
mourir eu 1715.
Mais laissons l'Histoire de l'Inquisition française et les obseirs per-
sonnages qu'elle met en scène : aussi bien, sur le même théâtre,
de plus illustres acteurs sollicitent notre attention.
La conspiration, avortée, de Gellamare avait conduit à la Bas-
tille, en 1718, le duc de Richelieu. Ce jeune et déjà trop célèbre
seignaur n'y venait pas pour la première fois ; et comme il n'avait
gardé de son passage dans la prison d'État que le souvenir d'un
invincible ennui, il avait demandé tout d'abord au gouverneur de
lui « faire venir les violons ». Le duc de Richelieu ignorait sans
doute que, plusieurs années auparavant, un gentilhomme de sou
rang et de son âge, enfermé à la Bastille pour des peccadilles de
jeunesse — c'était le privilège des fils de famille — avait présenté
sans le moindre succès une requête du même genre. Il avait
réclamé son tympanon, un instrument à la mode, et il s'était adressé
pour l'obtenir, à qui? au Père la Chaise. Or, le confesseur du roi
lui avait gravement répondu qu'il ferait beaucoup mieux de penser
à Dieu.
Le duc de Richelieu fut payé de pareille monnaie : toutefois il
obtitit une compensation. M"' de Launay, la première femme de
chambre de la duchesse du Maine, qui était l'âme même de la cons-
piration, avait été conduite, elle aussi, à la Bastille. Elle trouva
le moyen d'apprendre à Richelieu, dans un duo d'Iphigénie, qu'elle
se mit à chanter avec lui, le piteux dénouement de l'intrigue ourdie
entre sa maîtresse et le cardinal Alberoni.
En tout cas, malgré que le galant gentilhomme eiit de sérieuses
raisons d'appréhender les suiles de sou équipée, le séjour de la
Bastille lui fut moins rnde qu'il ne devait l'êlre, quelque quarante
ans plus tard, à un homme dont le plus grand crime fat certaine-
ment d'avoir offensé la Pompadour. Nous voulons parler de Daury,
dit Latude, que ses « trente années de captivité » ont rendu presque
immortel.
Certes, le personnage ne valait pas la réclame que lui firent ses
évasions et l'infatigable dévouement de M"" Legros. C'était un vul-
gaire escroc. Mais il expia trop longuement les tentalives de chan-
tage dont il s'était rendu coupable envers la maîtresse du roi. Ses
Mémoires, ou mieux son apologie, confirmée en partie par des mé-
moires contemporains, ne laissent aucun doute à cet égard. Latude,
lui aussi, chercha dans le culte de la musique l'atténuation de ses
soufTrances :
... Un jour, dit-il, que l'on était venu changer ma paille, je remarquai
dans celle que l'on venait de m'apporter un morceau de sureau qui servait
à la lier. Cette découverte me causa une émotion que je ne puis exprimer :
l'idée d'en faire un flageolet se présenta sur-le-champ à, mon esprit et le
transporta.
Je n'avais entendu dans mon cachot d'autre bruit que celui de ver-
rous et de chaînes; je pourrais donc désormais en dissiper l'horreur par _
une mélodie douce et touchante; je pourrais cadencer au moins mes sou-
pirs, et, peut-être, en abrégeant par ce moyen les heures trop lentes de
l'infortune, enchanter quelquefois et suspendre ma douleur. Quelle source
abondante de jouissances! Mais comment le faire, ce flageolet? Mes mains
étaient resserrées dans deux gros anneaux de ter fixés par une barre de
même métal; si je pouvais les mouvoir, on conçoit au moins que ce n'était
pas sans beaucoup de peine; d'ailleurs je n'avais aucun instrument, mes
geôliers ne m'auraient pas donné, pour des trésors, un simple morceau
de bois.
Je m'avisai de détacher la boucle qui serrait la ceinture de ma culotte :
je me servis des fers de mes pieds pour la préparer, la plier, et en faire
une sorte de petit ciseau ; mais il était si faible que ce ne fut qu'après
beaucoup de peines que je parvins à couper le sureau, en faire, sortir la
moelle et le façonner. Enfin, après plusieurs mois de travail et d'essais,
j'eus le bonheur de réussir; je dis le bonheur, et on conçoit que c'en était
un bien véritable; j'en jouais tous les jours encore avec plus d'intérêt.
Depuis trente-quatre ans il ne m'a pas quitté une minute. Il a chassé
longtemps mes ennuis, il rend plus vif aujourd'hui mes plaisirs. J'aurai
soin qu'après avoir servi à embellir les derniers jours de mon existence,
il soit déposé, à ma mort, entre les mains d'un apôtre de la liberté, pour
que, placé par la suite dans un de ses temples, il puisse, avec tant d'autres
monuments du despotisme, en retracer les attentats.
Son vœu fut presque accompli de son vivant. Ce flageolet consola-
teur fit le tour de la société parisienne, quand Latude sortit de la
Bastille. M"" de Slaël écrivait à cette époque qu'elle avait eu enti'e
les mains, à l'issue d'un dîner, ce « monument du despotisme »,
avec lequel son propriétaire s'entendait si bien à battre monnaie.
Mais qu'est-il devenu depuis celte heure mémorable célébrée par
M. d'Haussonville ! A-t-il été recueilli par un « apôtre de la
liberté », c'est-à-dire par un de ces commis-voyageurs du maçon
Palloy, qui allaient placer dans les départements les pierres de la
Baslille, devenues la propriété de leur patron? Et quel temple —
lisez église — s'est enrichi du flageolet de Latude? Voilà une
relique qui ferait bonne figure à côté de la fameuse « boîte » du mar-
tyr, conservée religieusement, à la bibliothèque de l'Arsenal, dans
les archives de la Bastille.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Les créanciers de MM. Grau, Abbey et Schoefîel, dont nous avons
annoncé la déconfiture, ont beaucoup de confiance dans la loyauté et la
capacité de ces messieurs. Selon un arrangement qui vient d'être conclu,
MM. Grau et Abbey reprennent le théàîre du Metropolitan Opéra House
à New-York pour la prochaine saison, comme si rien ne s'était passé.
— Tout ce qui touche à la curiosité arrive actuellement à des prix qu'on
n'avait pas rêvés il y a seulement vingt-cinq ans. Dernièrement, on a
vendu à Londres quelques autographes de musiciens célèbres. Deux petits
manuscrits de Beethoven, un air avec variations et l'esquisse d'un quatuor,
ont été payés la bagatelle de 1.000 francs.
— M. liUigi Arditi, qui a été pendant vingt-cinq ans chef d'orchestre du
HerMajesty's Théâtre de Londres, l'auteur du fameux Bacto queM^^^ Adelina
Patti a promené dans l'univers entier et auquel elle a tait une si grande
popularité, se prépare à célébrer le soixantième anniversaire du jour où,
tout enfant, à Milan, il faisait ses débuts comme violoncelliste. On assure
qu'il doit publier prochainement un volume de Mémoires artistiques.
— Le Bulletin récemment publié par l'administration des Fe
Bayreuth nous apporte quelques renseignements précis et assez curieux
sur les collaborateurs du « grand œuvre » pour la campagne nouvelle qui se
prépare. La direction de l'orchestre sera confiée successivement à MM. Hans
Richter, Félix Mottl et Siegfried "Wagner. Le directeur de la scène est
M. Julius Kniese; il y a G répétiteurs des solistes et assistants sur la
scène, 3 régisseurs et inspecteurs. Le personnel technique, comportant
30 hommes, est sous la direction des chefs de service des machines,
MM. Kranich (de Dresde) et Parcival de Vry (Prague). Pour les rôles des
'< hommes » de Gunther dans te Crépuscule des Dieux, on a engagé 20 chan-
teurs d'opéras royaux et impériaux, 8 chanteurs d'opéra et un chanteur de
cour; pour les rôles de h femmes », 12 chanteuses d'opéras. L'orchestre
comporte le chiffre respectable de 121 instrumentistes, répartis comme
suit : 33 violons, 12 altos, 13 violoncelles, 8 contrebasses, H flûtes, 6 hautbois
et cors anglais, 4 clarinettes, 1 clarinette-basse, ibassons, 1 contrebasson,
8 cors, 4 tuben ténors et basses, 4 trompettes, 1 trompette-basse, o trom-
bones, 1 trombone-contrebasse, 1 tuba-contrebasse, 7 harpes, 3 timbales.
Les artistes sont recrutés un peu partout. Outre les Allemands, il en vient
214
LE MENESTREL
de Boston, Budapesth, Lausanne, Linz, Liverpool, Londres, Manchester,
Moscou, Paris, Prague, Presbourg, Cbristania, Vienne, etc. Les décors
sont du peintre de la cour Bri'ickner, de Cobourg, les costumes de J.
Scholz, de Leipzig, exécutés d'après les dessins de H. Thomas, de Francfort.
— Un nouvel opéra en un acte intitulé Fra Francesco, musique de
M. Henry Waller, vient d'être joué, sur ordre de Guillaume II, à l'Opéra
de Berlin. Succès nul, déception énorme.
— Oc a fait, à Nuremberg, des essais dans le but de relier téléphonique-
ment l'Exposition industrielle de la ville avec le Théâtre royal de Munich.
Voici comment un des expérimentateurs a rendu compte de l'effet obtenu :
« La musique instrumentale ne donnait qu'une résonance assez voilée,
les cuivres se percevaient difficilement. Un peu après, la communication
s'est améliorée, de manière à rendre le quatuor perceptible, même dans les
piano. Les voix n'étaient nettes que dans les forle, le soprano s'entendant
mieux que le ténor. Lorsque les artistes chantaient forle et que l'accompa-
gnement instrumental restait un peu à l'arrière-plan, chaque syllabe était
perceptible, b
— Le célèbre professeur de chant Stockhausen a fait entendre dernière-
ment, dans son école de Francfort-sur-le-Mein, une œuvre de J.-S. Bach
qu'on ignore généralement. Il s'agit de la cantate pour soli et chœurs
intitulée Coffea canlala qui n'est pas autre chose qu'un persiflage de la vogue
alors toute récente du café. On sait que vers la fin du XVII° siècle, la
mode hollandaise de boire plusieurs fois par jour du café s'était répandue
parmi les Allemandes, et que les pasteurs, les médecins et les moralistes
luttaient en vain contre cette fantaisie, à cette époque assez coûteuse. Les
femmes n'en raffolaient pas moins du café et n'entendaient pas l'aban-
donner. La cantate du futur compositeur de la Passion est débordante de
bonne humeur et de charme ; quelquefois le compositeur s'y couvre, comme
à l'ordinaire, de sa grave perruque et fournit alors de petits chefs-d'œuvre de
contrepoint. La donnée de la cantate est fort simple: une jeune fille défend
avec conviction et grâce, contre deux moralistes grincheux, le droit de la
femme de se gorger d'autant de tasses de café que le cœur lui en dit. Inutile
d'ajouter que la petite femme obtient gain de cause et que son droit au café
ad libitum est glorieusement inscrit dans son contrat de mariage. L'action de
la cantate est naturellement presque nulle, mais elle comporte tout de
même une petite mise en scène, et les costumes régence y produisent un
joli effet. Signalons la Coffea cantala aux salons où l'on fait de bonne
musique et où on n'est pas efi'rayé par un grand nombre de répétitions,
car les chœurs du père Bach ne sont jimais faciles, même quand il ne
fait que badiner.
— Le théâtre de la cour de "Weimar va jouer, au commencement de la
saison prochaine, un nouvel opéra en trois actes intitulé le Poète et le
Monde, paroles de M. Jules Pétri, musique de M. "Waldemar de Baussnern.
— Au théâtre royal de Wiesbaden, le dieu Loge appelé par Wotan pour
produire le fameux enchantement du feu dans la Valkijrie a été dernière-
ment fort imprudent. Il avait par mégarde enflammé le manteau de Wotan.
Heureusement, un brave pompier était là qui surveillait la scène. Voyant
Wotan eu danger, il o'élança vers lui, arracha le manteau et l'emporta dans
la coulisse, où le feu fut vite étouffé. Wotan termina l'apostrophe célèbre
sans manteau, mais il n'obtint pas autant d'applaudissements que le
pompier courageux, auquel le public fit des ovations et qu'il rappela plu-
sieurs fois en scène après la fin de l'acte.
— Le nouvel opéra en un acte, intitulé Lili-Tsee, paroles de M. W. Kirch-
bach, musique du compositeur suisse Franz Gurti, a été joué avec un succès
marqué au théâtre royal de Dresde.
— Un nouvel opéra, Florentina, musique de M. A. Thierfelder, a été joué
avec succès au petit théâtre de Brandenbourg.
— Un jeune compositeur wallon, M. Nicolas Daneau, fondateur de la
Société des concerts populaires de Charloroi, vient d'être nommé directeur
de l'École de musique de Tournai.
— Il semble probable que c'est au mois d'octobre prochain que l'École
de musique d'Anvers, dont le directeur est M. Peter Benoît, sera élevée
au rang de Conservatoire royal. Des négociations se poursuivent entre la
ville et le gouvernement pour régler les conditions financières de ce chan-
gement.
— Ilparaitque M. Mascagni a entrepris la composition d'un nouvel opéra,
celui-ci sur un sujet à la fois japonais et fantastique. Le livret est de
M. Luigi lUica, l'ouvrage est en deux actes et un prologue, il a pour titre
la Giapponese, et l'on pense qu'il sera représenté à la Scala de Milan au
cours de la prochaine saison de carême. On assure que le même Mascagni
prépare en même temps la publication d'un volume de vers. Comme
M. Sainl-Saëns, alors !
— La Gazzetia musicale de Milan se plaint de voir, en Italie, le gouverne-
ment et le parlement anti-artistiques. « La junte générale du bilan
fcommission du budget), dit-elle, a décidé de ne pas approuver le chapitre
du budget en faveur de l'école communale de Naples, celui relatif à
l'école de récitation de Florence, et de supprimer l'école de déclamation
de l'Académie de Sainte-Cécile de Rome, qui était confiée à la signera
Virginia Marini. Tout ce qui est artistique, tout ce qui est intellectuel, en
Italie, a toujours pour adversaires irréconciliables les législateurs. Pour-
quoi ne supprime-t-on pas le budget de l'instruction publique"? » Dame!
quand on veut faire trop grand d'un côté, il arrive qu'on est réduit à faire
trop petit de l'autre...
— Feu le ministère Crispi avait prolongé par décret les droits d'auteur
pour l'Italie, en ce qui concerne /'.' Barbier de Scville, afin que le Conserva-
toire de Pesaro à qui ces droits appartiennent continue à en profiter. Mais
quelques députés viennent d'attaquer ce décret comme illégal, et il parait
que le Barbier de Séville va tomber dans le domaine public, même en Italie.
— C'est le 2 août prochain que doit avoir lieu à Pirano (Istrie) l'inaugu-
ration du monument élevé à la mémoire de l'illustre violoniste Giuseppe
Tartini. La statue en bronze du grand artiste, œuvre du sculpteur DalZotto,
est arrivée à destination et est déjà placée sur son piédestal.
— M™' Gemma Bellincioni, la renommée cantatrice italienne, a des
pensées funèbres. Elle se propose, dit-on, d'acquérir au cimetière de
Montenero un terrain sur lequel elle fera construire une chapelle qui devr*
lui servir de sépulture — probablement le plus tard possible. Dans cette
chapelle, elle fera ériger une statue personnifiant l'art lyrique.
— Naples, la patrie de Gimarosa et de Paisiello, Naples, qui donna le
jour naguère à tant de chefs-d'œuvre lyriques, se vautre aujourd'hui dans
l'orgie chansonnière. « Dans les théâtres de Naples, écrit le Trovatore, à
l'exception du Fondo où l'on donne un peu de comédie, tout le reste est
cafés-chantants. Le Nuovo, le Rossi, le l'arthénope sont des temples pour
la canzonetta, qui règne aussi aux Variétés, à l'Eldorado, au Cosmopoli tain,
à l'Eden, au Scotto, au Maiella, au Vigilante et ainsi de suite. » Allez
donc en Italie pour entendre de la musique!
— A Varallo-Sesia (Novare), pour la cérémonie d'inauguration de la
façade de l'église du Sacro Monte, on a exécuté une Messe inédite de
M. Zeffirino Longhetti, directeur du concert municipal, et dans la même
journée, à vêpres, une symphonie du même compositeur. Les deux œuvres
ont produit une bonne impression.
— De Barcelone.' M. Gigout vient de faire apprécier, en deux festivals
donnés à la salle des Beaux-Arts, avec le concours de l'orchestre d'Antonio
Nicolau, les œuvres d'orgue et d'orchestre de Saint-Saëns, dont la superbe
troisième symphonie, Ch. Lefebvre, Boëllman, César Franck et les siennes
propres. Déplus en plus fêté à Barcelone, M. Gigout a promis son concours
pour notre prochaine E.xposition des Beaux-Arts.
— On a cité dernièrement une opinion singulièrement élogieuse de la
musique chinoise, attribuée au pianiste Paderewski. Cette opinion ne
paraît pas absolument partagée par un journal californien, qui a imprimé,
au sujet de la musique chinoise, les réflexions que voici : « Qu'on se
figure un atelier de chaudronnerie où 400 mains manient 400 marteaux, à
droite une ferblanterie en pleine activité, à gauche un moulin à vapeur
pour pulvériser la roche, en face 600 individus en état d'ébrieté armés de
toutes sortes d'instruments, sur le toit 4.000 chats enragés, et l'on aura
une faible idée de l'effet produit par un corps de musique chinois. » A en-
tendre ça de sang-froid, ça ne paraît pas devoir être fort agréable. Mais
ma foi, comparé à la musique que nous font aujourd'hui certains
musiciens...
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La série des concours à huis clos a commencé cette semaine au Conser-
vatoire. Voici les résultats du concours d'harmonie (hommes) :
1" prix : MM. Pech et Mulet, élèves de M. Xavier Leroux;
2" prix : M. Morpain, élève de M. Albert Lavignac;
•/"■ accessit : MM. Aubert et Gallon, élèves de M. Lavignac !
2 accessit : M. Domerg, élève de M. Tandon.
Le concours de solfège pour les chanteurs, a donné lieu au.x récompenses
suivantes :
Élèves hommes : 13 concurrents.
Pas de l'' médaille. 2= médaille : M. Bdwig, élève de M. Danhauser.
3« médailles : MM. Boyet et Andrieu, élèves de M. Villaret.
Élèves femmes : 26 concurrentes.
y"=s médailles : M"'* Truck et Pouchier, élèves de M. Paul Vidal ; M"» Guyon,
élève de M. Mangin. 2" médaille : M"s Gottrand, élève de M. Mangin.
3™ médailles: M"™ Telmat et Marciale, élèves de M. Mangin; Torrès, Thau-
ziat et Poigny, élèves de M. Paul Vidal.
Résultats des concours de solfège pour les instrumentistes :
Elèves hommes : .31 concurrents.
/"5 médailles : MM. Lepilre, élève de M. Schwartz, Leclerc, élève de
M. Alkan, et Lermyte, élève de M. Schwartz.
20S médailles : MM. Bilha, élève de M. Rougnon, et Brin, élève de M. de
Martini.
3« médailles : MM. Edger, élève de M. Alkan, Salzedo et Mangeot, élèves
de M. Schwartz, et Faure-Brac, élève de M. Rougnon.
Élèves femmes : 52 concurrentes.
^'■«s médailles : M"» Novello, élève de M""^ Barat, de Orelly, élève de
M"« Hardouin, Ploquin, (M"': Barat), Inghelbrecht (M"= Ilardouin), Kastier
(M"= Barat), et Pestre (M""'! Got-Roy).
LE MENESTREL
215
2=s mcdaitles : 61""= Besson (M""= Renart), Dupuids (M"» Barat), Fleury
(M'^Got-Roy), Bloch (M"= Papot), Huber (Mu^ Barat), Adam (M™ Got-Roy),
et Pitron-Derval (M"" Barat).
3"^ médailles : M"» Grumbach (M"» Devrainne), Bouge et Cbave-Praly
(W" Got-Roy), Poulain (M'"= Barat), Scball (M"° Hardouin), Peretton
(M""» Renart), Turban (M""" Got-Roy), Vanvert (M"" Leblanc), Iloussin
(M™ Renart) et Haas (M™ Got-aoy).
— Voici la liste des morceaux qui ont été choisis pour les concours
d'instruments :
Piano (hommes), classes préparatoires : concerto en si mineur, de Hummel .
Piano (hommes), classes supérieures : 4" ballade de Chopin.
Piano (femmes), classes préparatoires : 5' concerto d'Henri Ilerz.
Piano (femmes), classes supérieures : Carnaval, de Schumann.
Harpe : concerto de Zabel.
Violon, classes préparatoires : 24- concerto (lettre D, en si mineur) de Viotti.
Violon, classes supérieures : 29» concerto (lettre I, en mi mineur) de Viotti.
Alto : concerto de Firkel.
Violoncelle : 9° concerto de Romberg.
Contrebasse : 1" solo de concours de Verrimst.
Flûle : 6' solo de Demerssmann.
Hautbois : l* concerlino de Vogt.
Clarinette : concertino de Weber.
Basson : Fantaisie hongroise, de Weber.
Cor r concerto de Gallay.
Cornet à pistons : 2" Fantaisie de M. Emile Jonas .
Trompette : 2" solo de M. Paul Rougnon.
Trombone : solo on ré bémol de IVI. C. Gennaro.
— Voici maintenant le nombre des élèves appelés à prendre part aux
concours publics :
Chant : 33 concurrents (17 hommes, 16 femmes).
Piano (hommes) ; 13.
Piano (femmes) ; 27.
Violon ; 31 (dont 8 femmes).
Alto ; 8.
Violoncelle : 12 (dont 2 femmes).
Contrebasse : 6.
Flûte : 6.
Hautbois : 4.
Clarinette : 7.
Bisson : 9.
Cor : 7.
Cornet à pistons : 6.
Trompette : 7.
Trombone ; 6.
Opéra : 11 (7 hommes, 4 femmes).
Opéra-Comique : 11 (7 hommes, 4 femmes).
Tragédie : 10 (5 hommes, 5 femmes).
Comédie : 21 (9 hommes, 12 femmes).
— La distribution des prix au Conservatoire aura lieu le mercre di
b août, à une heure précise.
— Par arrêté du ministre de l'instruction publique, le privilège conféré
à M. Garvalho pour l'exploitation du théâtre national de l'Opéra-Gomique
est prolongé de trois années, pour prendre fln au 31 décembre 1901.
— On devrait bien alors, en suite de cet arrêté, faire activer les travaux
de reconstruction du nouveau théâtre. Gomment, voilà qu'à présent l'ar-
chitecte ne trouve pas moyen d'épuiser les crédits mis annuellement à sa
disposition pour les travaux qu'il dirige ! Il vient de remettre de ce chef,
à l'administration, une somme déplus de quatre cent mille francs qu'il
n'a pu employer dans les délais fixés ! S'il mettait sur les chantiers un plus
grand nombre d'ouvriers, cela n'arriverait pas... et on verrait enfin appro-
cher le grand jour de l'inauguration, toujours dans les limbes.
— M. Garvalho a l'intention de donner, au commencement de la saison
prochaine, quelques représentations du Jeu de Robin et Marion d'Adam de la
Halle, d'après l'adaptation de notre collaborateur Julien Tiersot.
— Le jury du concours musical de la Ville de Paris, qui a t^nu vendredi
sa dernière séance, a décerné le prix à M. Lucien Lambert, auteur de la
partition intitulée le Spahi, sur un livret de MM. Louis Gallet et André
Alexandre (d'après la nouvelle de iVI. Pierre Loti). Une mention a été
attribuée à une autre partition ayant pour titre Sextus (auteur anonyme),
dont la partie symphonique a surtout paru remarquablement traitée.
— Dans la dernière séance du conseil des Facultés, le président,
M. Gréard, a annoncé qu'une personne qui désire garder l'anonyme met à
la disposition de la faculté des Lettres une somme de 10.000 francs destinée
à subventionner pendant deux ans, à raison de o.OOO francs par an, un
cours complémentaire d'esthétique et de psychologie musicale qui serait
confié à M. Lionel Dauriac.
— Vendredi, à l'Opéra, c'étaient les débuts, dans Sigurd, d'un jeune ténor,
M. Gautier, récemment sorti du Conservatoire et élève de M. Bax, s'il
nous souvient bien. M. Gautier est de très petite taille, surtout pour un
rôle de héros, mais il a cette bravoure qu'on trouve souvent chez les petits
hommes. Il a aussi du charme, à côté d'une certaine puissance, et, tout
compte fait, ses débuts ont été bien accueillis du public.
— Le Gasino-Gluh de Cauterets vient de faire un coup de maître en
engageant M. Danbé comme chef d'orchestre pour ses concerts et ses
représentations. Les beaux jours de ce casino, autrefois si achalandé,
vont donc renaître sous la baguette magique du remarquable maestro.
— En annonçant dimanche dernier la nomination de M. Eugène Lacroix
au poste d'organiste de l'église Saint-Merry, nous avons omis de dire qu'il
y remplaçait M. Paul Wachs, l'élégant compositeur, qui se retire pour des
raisons de convenance personnelle, après nombre d'années de bons et
loyaux services.
— Le quatrième grand festival musical donné à l'exposition de Rouen
a obtenu le plus grand succès. Le concert débutait par une symphonie de
M. Gh. Widor, que l'orchestre, dirigé avec une rare maîtrise par M. Bra-
ment, a exécutée dans la perfection. M. "Widor tenait l'orgue. Cette sym-
phonie a été très applaudie. — La seconde partie du programme était
remplie par les danses anciennes. M""'* Peppa et Lotta Invernizzi ont
trouvé auprès du public rouennais un accueil enthousiaste. Rien de plus
gracieux que le menuet, la gavotte, la bourrée, la sarabande et la pavane
dansés dans de jolis costumes Louis XIV par les deux délicieuses balle-
rines. Aussi les deux artistes, plusieurs fois rappelées, ont-elles du bisser
la pavane et la bourrée. . — Enfin, le festival se terminait par l'exécution de
vieux airs du XVIII" siècle exécutés par la Société des instruments anciens.
MM. Diémer, Grillet, Van Waefelghem et Delsart jouant du clavecin, de
la vielle, de la viole d'amour et de la viole de gambe, ont ravi le public
parla perfection de leur exécution. Cette troisième partie du festival a
laissé les auditeurs sous une impression d'art incomparable.
— Dernière soirée chez M""" Rosine Laborde, le remarquable professeur,
et vif succès pour un groupe de nouvelles élèves. Au programme, signalons
duo du Roi d'Ys, les Oiselets, Ouvre tes yeuxbleus et Élégie de Massenet, Par le
sentier, la Menteuse, air de Xaviére et duo à'Aben-Hamet de Théodore Dubois,
la Barque des amours d'Augusta Holmes, Malgré moi de Maréchal, air et duo
i'Hellé de Duvernoy, etc., etc. MM. Théodore Dubois, Alphonse Duvernoy
et Maréchal accompagnaient eux-mêmes leurs œuvres au piano.
— Mardi dernier a eu lieu, à Sèvres, l'audition des élèves de l'institution
des Dominicaines. Cette séance était présidée par M. Weekerlin, dont on
a chanté plusieurs chœurs; parmi les morceaux de piano : Villanelle, de Mas-
senet, le Rouet enchanté de Mathias, la sérénade, de Widor,'par W^"^ Ghaigneau,
plusieurs pièces de M. Rougnon, etc.,. un tout petit programme de 39 mor-
ceaux !
— L'excellent tériof suédois M. Furstenherg vient d'obtenir un nouveau
succès au concert municipal de bienfaisance du Vésinet, en chantant avec
beaucoup de charme difi'érentes mélodies de Massenet, et principalement
« Pourquoi me réveiller » de Werther, qu'il a remarquablement interprété.
— Nous avons plusieurs fois mentionné les succès de M"° Rosa Bonheur
aux auditions de Marmontel père. Aujourd'hui nous devons adresser à la
brillante virtuose nos éloges pour l'instruction musicale donnée aux élèves
qui lui sont confiées. Signalons parmi les morceaux interprétés par ces
jeunes filles, dans les salons de Marmontel, Fantaisie mignonne. Valse mélan-
colique, Au réveil, Mélodie sentimentale. Chanson agreste. Rêverie, Médilation.
Toutes ces pièces, extraites de la publication Impressions et Souvenirs, ont été
interprétées avec une délicatesse exquise, un goût parfait. Nous devons
semblables compliments aux pianistes qui ont exécuté les compositions de
Marmontel fils. Signalons Au matin. Chanson arabe, Le long du chemin, Balan-
celle. Tarentelle, Étude de concert. Tous ces morceaux, d'un style élégant et
d'une touche vraiment charmante, ont fait valoir le toucher expressif et
l'excellente manière de phraser de ces intéressantes pianistes.
— Très joli concert, le 27 juin, à l'Institution Sainte-Croix (Neuilly-sur-
Seine), à l'occasion de la fête du supérieur. L'orchestre militaire fourni
par la Garde républicaine s'est signalé par son exécution artistique,
notamment dans les fantaisies sur la Farandole, de Dubois, et la ballet de
Sylvia, de Delibes. M. Fournets (de l'Opéra) a chanté avec le plus grand
sentiment et la superbe voix qu'on lui connaît les stances de Lakmé. Enfin,
grand succès pour l'orphéon de la maison, habilement dirigé par M. A.
Trojelli, qui s'est fait vivement applaudir dans trois morceaux, dont le
chœur des marins, tout de verve et d'entrain, de la Perle du Brésil (F. David)
et une cantate à grand effet de M. A. Trojelli : le Triomphe de David.
NÉCROLOGIE
M. Charles Lévêque, membre de l'Institut, professeur au Collège de
France, bien connu par les remarquables études de psychologie musicale
dont il a, à diverses reprises, donné communication à l'Académie des
sciences, vient d'être douloureusement éprouvé par la perte de sa femme,
née Octavie de Lassime, morte à Bellevue, le 26 juin, à l'âge de 71 ans,
M"!» Charles Lévêque était une femme supérieure, qui joignait à un remar-
quable esprit et à un dévouement touchant la grâce la plus aimable et la
plus séduisante.
Henri Heugel, directeur-gérant.
On achèterait piano Érard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Du ber.
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SUR LES OPÉRAS EN VOGUE
pcydoai
Edition A
PIANO, VIOLON & VIOLONCELLE
0<K>(>(><>C>0-(>0-CK>0-C>-CK>0-0-a-| 3,
i
Edition B
POUR
PIANO, VIOLON & FLUTE
<><>0<><>0-C><X>0-0<K>0<><>000-0-CK>0.
Édition C
PIANO, FLUTE & VIOLONCELLE
^xm
PREMIÈRE SÉRIE
1. Mignon A. Thomas.
2. Sigurd E. Reyer.
3. Hérodiade ....... J. Massenet.
4. Hamlet. ........ A. Thomas,
5. Werther J. Massenet.
6. Coppélia Léo Delibes.
oocro-000-ao-o-oo-oooooo-ooo-o-ai
1
,Jp<)<K>0<>0<><>CK>0<>0<>0<M>0<K>0<><>0<><><>CKX>0-(5
Composés par
DEUXIÈME SÉRIE
7. Manon J. Massenet.
8. Le Roi d'Ys E. Lalo.
9. Un Ballo in Maschera. G. Verdi.
10. Lakmé Léo Delibes.
11. Le Caïd A. Thomas. $
12. Sylvia Léo Delibes. §
si
(à suivre)
<>0<>0<><>00<K>(>0<X><X>00<K>q-OOCO/
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Chaque Trio, Prix : 12 francs
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Dimanche 12 Juillet 1890.
3107. - 62""= A^NÉE — ÎS" 28. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fhanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Viïieane, les Manuscrits, Lettre» et Bons-poste d'abonnemenL
Un an, Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Ghant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Teite, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et ProTince. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEITE
I. La première salle Favart et l'Opéra-Cotnique, 'i° partie (10" aiticle), Amiiun
rouGiN. — II. Bulletin théâtral : Première représentation A&VOulrage k la Porte-
Saint-Martin, A. -P. — III. M"" Desbordes-Valmore comédienne, Arthur
PouGiN. — IV. Sur le Jeu de Robin et Manon d'.Adam de la Halle, {4' article),
Julien Tieusot. — V. Musique et prison (10" article) : La Bastille et les prisons
d'État sous l'ancien régime, Paul d'Estrée. — VI. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
AU BORD DU RUISSEAU
de Lucien Lambert, poésie de Maubens. — Suivra immédiatement : Si je
savais, mélodie de Louis Diémer, poésie de Henri Becque.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : Valse mélancolique, tirée des Impressions et Souvenirs, de Marmontel. —
Suivra immédiatement : Bras dessus bras dessous, de Paul "Wachs.
LA PREMIERE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA- COMIQUE
1801-1838
(Suite)
QUATRIÈME PARTIE
I
Retour en arrière. — La question de la reconstmctmi de la salle Favart
après l'incendie de 1838 et de son attribution à tel ou tel théâtre. — Projets
fantastiques et combinaisons étranges. On parle d'une fusion de l'Opéra
français et de l'Opéra italien, puis d'une fusion de celui-ci avec l'Opéra-
Comique. — Un prétendant inattendu se présente. C'est Berlioz, qui,
comme chef d'une société « Berlioz et C'° », demande le privilège du Théâtre-
Italien, en offrant de reconstruire à son usage la salle Favart. Son projet,
présenté par le ministère à la Chambre des députés, est repoussé par un
vote de celle-ci.
Le 24 avril 1840, nous l'avons vu, l'Opéra-Comique offrait
à son public la première représentation de l'Elève de Presbowg.
Six jours après, le 30, il doiinait dans la salle de la Bourse
son dernier spectacle, et le lendemain, 1" mai, il fermait les
portes de ce théâtre. Que s'étail-il donc passé? Tout simple-
ment ceci, qu'on venait de reconstruire à son intention la
salle Favart, disparue dans l'incendie du 15 janvier 1838 et
qui, toute brillante et tout battant neuve, n'attendait plus
que sa prise de possession. C'est ici qu'il nous faut faire un
nouveau retour en arrière pour retracer l'historique, très
inconnu et singulièrement embrouillé, des faits qui, après
l'abandon d'une foule de projets nés d'un désastre que cer-
taines ambitions voulaient exploiter à leur profit, aboutirent
enfin à celte reconstruction de la salle Favart et à son retour
définitif au genre qui avait fait jadis sa fortune et sa gloire.
En terminant la première partie de ce travail, je consta-
tais que, grâce à un concours de généreuses bonnes volontés,
rOpéra-Italien, peu de jours après ce désastre, avait trouvé
un refuge au moins provisoire dans cette salle Ventadour
naguère si funeste à l'Opéra-Comique et où, à la suite de la
déblâcle de la Renaissance, il prendrait définitivement domi-
cile. Je rappelais aussi qu'à la date du 22 janvier les six
membres de la section de musique de l'Académie des beaux-
arts avaient adressé au ministre une pétition par laquelle
ils réclamaient la réédiflcation immédiate de la salle incen-
diée et son attribution non plus au Théâtre-Italien, mais à
l'Opéra-Comique, son premier occupant. Tous les musiciens
étaient d'accord sur ce point, qu'il fallait rendre à notre
Opéra-Comique son ancien asile, la demeure qui l'avait abrité
pendant plus de vingt ans.
Mais le gouvernement était fort hésitant, et il faut lui
rendre cette justice que son hésitation dura un peu plus
qu'il n'eût fallu. Hélas! nous n'avons pas le droit de nous
en trop étonner, puisque aujourd'hui, dans des circonstances
exactement semblables, nous avons vu le même fait se repro-
duire, et considérablement aggravé. On comprend toutefois
que les bruits les plus divers purent courir bientôt en foule
sur ses intentions, et que, le temps aidant, les projets les
plus fantastiques en vinrent à se donner carrière.
Le premier, et le plus singulier, est celui qui consistait à
transporter l'Opéra de la salle Le Peletier, qu'on n'avait jamais
cessé de considérer comme provisoire, à la salle Favart réé-
difiée : — t On dit aujourd'hui que le Grand Opéra sera transféré
sur l'emplacement de la salle Favart, augmenté des maisons
qui y sont adossées ot ont leur façade sur le boulevard; c'est
de ce côté que se trouverait la façade du théâtre reconstruit.
Les Italiens iraient au théâtre de la place de la Bourse,
et le théâtre de l'Opéra-Comique serait transféré à la salle
Ventadour, dont les dispositions seraient changées pour la
rendre favorable à la musique. On compterait vendre très
avantageusement le terrain occupé en ce moment par l'Opéra
rue Le Peletier pour y construire des maisons particu-
lières (1). »
Puis, on parla une première fois d'une fusion de l'Opéra et
du Théâtre-Italien reconstruit à Favart, à l'instar de ce qui
s'était fait naguère pendant plusieurs années. Un capitaliste
demandait la concession du privilège du Théâtre-Italien, qu'il
voulait exploiter ainsi avec le concours de Rossini et du direc-
(1) Revue du Théàlre, 27 janvier 1838.
218
LE MÉNESTllEL
teur de l'Opéra, s'engageant à relever le théàlre à ses frais
tout en faisant l'abandon de la subvention.
Les projets se faisaient si nombreux, tous leurs auteurs
prétendant d'ailleurs être agréés par l'administration, que le
Moniteur iiiiicersel, alors journal officiel, crut devoir, dans les
premiers jours de février, publier la note suivante, destinée,
malgré son obscurité peut-être intentionnelle, à établir la
situation ; — « C'est par erreur que plusieurs journaux ont
annoncé que M. le conseiller d'État, président du conseil des
bâtiments civils, avait présenté à M. le ministre de l'intérieur
un plan pour la reconstruction du Théâtre-Italien. Aucune
détermination n'a été prise encore par le gouvernement sur
l'avenir de cette salle; c'est une question qui embrasse des
intérêts de diverses natures; on ne parait d'accord que sur un
point, c'est d'élever un monument qui puisse satisfaire à toutes
les convenances et être à l'abri du danger d'un nouvel
incendie. »
Le même jour, d'aucuns affirmaient que Duponchel, alors
directeur de l'Opéra, aurait obtenu le privilège du Théâtre-
Italien et qu'il se disposait à mener de front les deux entre-
prises tandis que, d'autre part, un journal spécial, la France
musicale, donnait comme très sérieux le projet que voici : —
» M. Cambiaso, ancien directeur du théâtre de Milan, a pré-
senté au ministère un projet pour la construction d'un nou-
veau théâtre, qui serait situé à la place de la mairie du
2' arrondissement, dans la rue Grange-Batelière. L'entreprise
serait montée par actions formant un capital de 10 millions,
et le théâtre serait construit d'après les plans réunis des
plus beaux théâtres d'Italie. Le privilège serait Iransmissible
et accordé pour cinquante ans. Mais ce qu'il y a de plus im-
portant, c'est que M. Cambiaso ne demande pas de subven-
tion pour l'exploitation de son privilège. »
Nous enverrons bien d'autres, et d'abord celui-ci, qui prêtait
à Crosnier, directeur de l'Opéra-Gomique, et à son associé
Gerfberr, l'idée d'une fusion non plus de l'Opéra et du Théâ-
tre-Italien, mais de ce dernier avec l'Opéra-Comique : — «La
commission des théâtres s'est assemblée ces jours-ci au mi-
nistère de l'intérieur, sous la présidence de M. le comte de
Montalivet (le ministre). La question à l'ordre du jour était,
dit-on, l'examen d'une proposition faite par MM. Crosnier et
Cerfberr, tendant à la reconstruction de la salle Favart, avec
retour à l'État d'ici à quarante et un ans, moyennant le privilège
de rOpéra-Italien, sans subvention, pendant le même laps
de temps. Tous les membres de la commission étaient pré-
sents, à l'exception de M. de Kératry, qu'une indisposition
assez grave avait retenu chez lui (1).
Cependant, les choses n'avançaient pas. Plus de trois mois
s'écoulent, et voici qu'un autre journal, la Gazette des Théâtres,
publie sous ce titre : Reconstruction du théâtre Favart, une note
ainsi conçue :
Une grande affaire est sur le point de se terminer. Le pouvoir
veut en finir, cette semaine, sur la question qui en porte plusieurs
autres dans ses flancs, celle de la reconstruction de la salle Favart,
Ce point décidé, on saura :
1° Ce que deviendront les Bouffes (le Théâtre-Italien);
2° Si rOpéra-Comique restera où il est (à la Bourse) ;
3° Si Ventadour aura son nouveau théâtre (la Renaissance) ;
i" Et enfin quel sort est réservé à l'Odéon.
Depuis l'incendie de Favart, des idées de toutes sortes ont surgi
d'une foule de têtes, plus ou moins bien organisées, pour lâcher de
tirer parti du sinistre. Le temps, la réflexion et de bons conseils ont
fait justice des projets les plus ébouriffants. Au fond de cet examen
restent aujourd'hui trois combinaisons, entre lesquelles M. le ministre
de l'intérieur a définitivement à se prononcer. La saison le presse en-
core plus que les solliciteurs, dont le courage s'est quelque peu
refroidi en voyant que l'autorité désirait mettre, avant tout, de la
sagesse dans sa décision. S'il faut réédifier la salle Favart, on n'a
plus que cinq mois entre le premier coup de pioche et la représen-
tation de réouverture. De son côté, l'Opéra-Comique est empêché, par
l'incertitude, dans ses idées d'amélioration de la localité oii il se
(1) Revue du Thddlre, 27 janvier 1838.
trouve. Du sien, le théâtre de la Renaissance poursuit sa marche;
il va mettre les ouvriers à Ventadour, et sa troupe se forme d'une
heureuse conscription frappée sur la province et l'étranger. Il im-
porte donc que tous ces intérêts soient fixés, dans le plus court délai
possible, et c'est ce qu'a, le premier, compris M. le ministre, qui en
fait l'objet de sa sollicitude parmi tant d'autres il).
(A suivre.) Arthur Pougin.
BULLETIN THEATRAL
Porte-Saint-Martix : Reprise de l'Outrage, drame de Théodore Barrière et
Eiouard Plouvier.
L'Outrage n'est peut-être pas ce qu'on appelle un bon drame, mais
c'est un drame dont la donnée est saisissante et dont certaines
situations sont d'un intérêt palpitant. Il date aujourd'hui de près de
quarante ans, puisque son apparition première remonte au
"lo février 1839. Le succès alors n'en fut pas douteux, malgré la har-
diesse du sujet, hardiesse qui peut sembler pâle aujourd'hui après les
exploits du Théâtre-Libre et de ses congénères. Il s'agit ici d'une
jeune fille, Hélène Latrade, qui est devenue folle à la suite d'un
horrible atlen lai dont elle a été victime delà part du fils d'un magistrat,
Raoul de Brives. Elle revient cependant a la raison, sinon à la mé-
moire, glace aux soins et à l'amour d'un brave garçon, Jacques
d'Albert, qu'elle consent à épouser. Mais voici que le soir même des
noces... elle se rappelle, fond en larmes et, sur les supplications de
son époux, lui fait connaître son malheur passé. Jacques se jure alors
de ne pas êlre le mari de sa femme tant qu'il n'aura pas découvert
l'infâme qui l'a déshonorée. Il serait trop long de raconter par quels
moyens il finit par trouver le coupable et comment celui-ci, pour
échapper au déshonneur et au châtiment f|ui l'attendent lui-même, se
suicide devant son justicier. Le dénouement, qui était diifioile h
trouver, peut paraître singulier, mais le drame n'en reste pas moins
puissant et émouvant en certaines parties, en dépit de quelques
modifications assez fâcheuses qu'on lui a fait subir.
Il est bien joué par M'" Lara, qui est décidément une artiste de
race et qui représente la jeune Hélène de la façon la plus délicieuse,
par M. Desjardins, qui a bien dessiné la physionomie indigne de
Robert de Brives, et par M. Burguet, qui joue Raymond de Brives
Bvec beaucoup de naturel. Quant à M. Philippe Garnier, il est bien
inégal et parfois bien singulier dans le personnage de Jacques
d'Albert, sur lequel il n'attire pas la sympathie évidemment rêvée par
les auteurs. A. P.
M™E DESBORDES-VALMORE COMÉDIENNE
Demain lundi on inaugure à Douai la statue d'un des plus ad-
mirables poètes qu'aient produits la France et le XIX° siècle.
Demain, la ville de Douai ne se contentera plus de la plaque eom-
mémoralive qu'elle a fait pieusement placer sur la façade de la mai-
son qui porte le n° 36 de la rue de Valenciennes, où est née
M""' Desbordes- Valmore, elle possédera l'image de sa noble com-
patriote, la belle statue de bronze argenté due à M. Houssin, un
sculpteur douaisien, qu'on a pu contempler il y a quelques semaines
au dernier Salon du Champ de Mars.
Dans dix jours, le 20 juillet, il y aura cent dix ans que Marce-
line Desbordes naquit à Douai, et je regrette qu'on n'ait pas choisi
exactement cette date pour l'inauguralicn du monument qui lui est
consacré. Mais il n'importe, l'essentiel est que cet hommage lui
soit rendu, et que rien ne manque à la gloire du poète le plus éton-
namment pathétique dont notre pays puisse être fier. Aussi bien,
n'est-ce point du poète que je veux parler ici. Je désire seulement
profiter de la circonstance qui se présente pour dire quelques mots
de M"'° Desbordes-Valmore comédienne, de celle qu'en ses jeunes
années on n'a pas craint de comparer à deux des plus grandes
artistes de sou temps. M"'" Saint-Aubin et M"" Mars, ce qui prouve
le cas qu'on pouvait faire de son talent sous ce rapport.
C'est le hasard qui amena la jeune Marceline Desbordes à abor-
der le théâtre, alors qu'elle était à peine âgée de treize ans, et c'est
à Lille, que pour la première fois, elle parut en public. Je n'ai pas
ici la place nécessaire pour m'étendre sur ses débuts, et je renvoie
le lecteur curieux de détails à un travail important publié par moi,
(1) Gazette des Théâtres, 13 mai 1838.
LE MÉNESTREL
2i9
à l'aide de documents inédits, sur la Jeunesse de M'"" Desbordcs-Val-
more (1). De Lille, où elle n'avait fait en quelque sorte qu'appa-
raître, la jeune Marceline fut engagée à Rochefort, puis à Bordeaux,
et enfin dans une troupe qui desservait les théâtres de Pau, de
Tarbes el de Bayoune. A Bayonne, elle s'embarqua avec sa mère
pour la Guadeloupe, d'où, à seize ans, elle devait revenir seule,
•orpheline et désolée, après avoir éobappé à des périls de toute sorte.
A peine de retour, obligée de gagner sa vie et désireuse de venir
en aide à son vieux père, elle ne trouva rien de mieux à faire que
d'embrasser déSnitivemeut cette carrière du théâtre qu'elle n'avait
fait qu'ébaucher, où elle devait obtenir de si vifs succès, et pour
laquelle cepeadant, en dépit de ces succès, elle éprouva toujours
une constante répugnance. Après s'être montrée de nouveau à Lille,
elle est engagée à Rouen pour jouer les ingénues dans la comédie
et l'opéra-comique. Ou sait qu'à cette époque nos grands théâtres
de province n'étaient pas exclusivement consacrés à l'opéra; ils
jouaient aussi la comédie (voire la tragédie), et certains emplois
devaient être tenus par les artistes dans les deux genres. En dépit
de la sévérité traditionnelle et bien connue du public rouennais,
M"= Desbordes trouva de sa part l'accueil le plus favorable; et il
faut bien croire que cet accueil était justifié par un talent sérieux
puisque quelques artistes de l'Opéra-Gomique, parmi lesquels Elleviou,
étant venus donner des représentations à Rouen, furent si enchantés
du jeu de la jeune artiste qu'ils la firent aussitôt engager à ce théâtre.
Elle vint débuter en effet, le 29 décembre 4804, dans le P^'honnier,
de Délia Maria, et Lisbeth, de Grétry. Son succès fut complet, et le
vieux maître se montra si satisfait de l'artiste et de la femme que
non seulement il voulut la faire travailler lui-même, mais qu'il la
recueillit chez lui, dans sa maison, et la traita comme sa propre
fille. Peu de semaines après, elle créait l'unique rôle de femme d'un
petit opéra de Spontini, Julie ou le Pol de jleurs, et c'est en rendant
compte de cette pièce que Geoffroy, le critique grincheux du Journal
des Débals, disait d'elle : « Cette débutante m'avait échappé, et ne
méritait pas une pareille indifférence. ^;jm Af^" Mars, il n'y a point,
à Paris, d'ingénuité quelle n'égale ou ne surpasse. » Et le Journal de Paris
disait de son côté, après lui avoir vu jouer Golombine dans une
reprise du Tableau parlant : « ... A défaut de poumons, elle fait un
usage très heureux de son goût naturel; elle chante avec beaucoup
de pureté et d'expression, et d'ailleurs elle est, après M""= Saint-
Aubin, la meilleure comédienne de la troupe, ce qui n'est pas un
petit avantage. »
Dans Lisbeth elle avait obtenu un succès de larmes; ici, dans cette
parade si curieuse et si amusante du Tableau parlant, c'était l'esprit,
la grâce et la gaieté qui l'emportaient en elle. Bientôt elle se montra,
toujours de la façon la plus heureuse, dans divers autres ouvrages
du répertoire et de genres différents : l'Amoureux de quinze ans, l'Habit
du chevalier de Granimonl, un Quart d'heure de silence, Alexis ou l'En'cur
d'un bon père, le Petit Matelot, «îie Heure de mariage. Puis elle créa un
petit opéra de Jadin, le Grand-Père, et fut appelée à sauver un autre
petit ouvrage de Kreutzer, les Surprises, oii elle remplaça, dès la
seconde représentation, une artiste. M"' Jaspin, qui en avait com-
promis le succès par son insuffisance.
Mais les affaires de l'Opéra-Gomique n'étaient pas brillantes alors,
et malgré la situation honorable qu'elle s'y était faite, M"" Desbordes
se crut obligée de le quitter. Elle en donnait les raisons dans une
lettre qu'elle adressait plus tard à son ami Sainte-Beuve : « ...Tout
m'y prometlait un avenir brillant; j'étais sociétaire sans l'avoir
demandé ni espéré. Mais ma faible part se réduisait alors à 80 francs
par mois, et je luttais contre une indigence qui n'est pas à décrire.
Je fus forcée de sacrifier l'avenir au présent, et, dans l'intérêt de
mon père, je retournai en province... »
Elle retourna en effet à Rouen, où elle fut reçue comme l'enfant
prodigue, puis partit pour Bruxelles. C'est de là qu'elle eut avec
Grétry une correspondance bien intéressante, dont je ne puis donner
ici qu'un échantillon, suffisant d'ailleurs à faire connaître quelles
étaient leurs relations. Elle avait, en apprenant la mort de sa femme,
écrit aussitôt au vieux maître, et celui-ci lui adressait, en réponse,
ces quelques lignes touchautcs :
Paris, 13 mai 1807.
Oui, mademoiselle et bonne amie, je crois à vos sentiments pour moi ;
vous ressentez une partie de mes maux; ils sont affreux, et je suis cer-
tain que je ne retrouverai le repos que dans la tombe. Je parts (sic) pour
la campagne; des amis veulent bien m'y suivre; mais que trouverai-je
là? Jeannette, toujours Jeannette, qui ne me répondra plus.
Adieu, chère bonne amie, je vous embrasse de tout mon cœur.
Ghétry.
(1) Dans la Nouvelle Revue des 1" et 15 février 1894.
Engagée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, aux appointements
de 400 francs par mois. M"" Desbordes y avait débuté le 4 mai 1807
dans la Femme jalouse, comédie de Desforges, et dans une Heure de
mariage, de d'Alayrao. Elle n'y devait rester cette fois qu'une année.
Elle alla passer quelques années ensuite à Bordeaux, puis fut engagée
à Paris, à l'Odéon, pour y tenir l'emploi des jeunes premières de co-
médie et de tragédie. Son début, très heureux, eut lieu dans une co-
médie de Pigault-Lebrun, Claudine de Florian, le 27 avril 181.3. Elle
resta deux ans à ce théâtre, où, pour sa représentation à bénéfice, le
16 mai 1815, on donnait pour la première fois une comédie en trois
actes et en vers de Dorvo et Dumaniant, les Querelles de ménage. Elle
retourna à Bruxelles, où elle allait demeurer du IS août 181S au mois
d'avril 1819, et où elle devint tout è fait l'enfant gâtée du publie. On
aura une idée de l'impression qu'elle produisait par ces lignes qu'un
critique belge, J.-B.-D. Vautier, publiait sur elle trente ans après, en
1847 ;- le jugement est intéressant :
Je me rappelle l'époque où, actrice de la façon qu'elle est poète,
M™' Desbordes-Valmore embellissait notre scène par son organe et son
jeu. Je fus témoin, comme beaucoup de mes lecteurs, de ses triomphes
dans la comédie et la tragédie; et nous admirions tous cette exquise sen-
sibilité qui lui faisait prêter son àme aux personnages qu'elle représen-
tait. Au temps des brillantes soirées de Joanny, M°"^ Desbordes-Valmore,
sous les traits de la fille d'Agamemnon, enleva nos suffrages par sa dé-
clamation pleine de douceur, véritable élégie en action. Ce qui lui avait
été refusé du côté de la physionomie, les grâces décentes de sa diction et
de son maintien nous le rendaient amplement. Elle n'était pas élève de
l'art, mais celui de son instinct, et cet instinct, tout dramatique, la secon-
dait à merveille. Dans les rôles passionnés, dans ceux surtout qui avaient
quelque rapport de situation avec les événements qui, par intervalle, ont
rembruni son existence. M™" Desbordes-Valmore se laissait aller à une
émotion tellement visible que, sans la présence d'esprit de ses camarades,
l'actrice aurait pu faire oublier la pièce et le personnage. Nos yeux ont
bien souvent surpris de véritables larmes dans les siens. Chose assez rare,
la gaité folâtre n'était pas moins son élément que la tristesse et la mélan-
colie. Légère alors et sémillante, elle animait la scène par un langage
plein d'une vivacité malicieuse. Voilà ce que je n'ai pas oublié...
On conviendra que pour mériter de tels éloges, le talent que portait
à la scène M°"= Desbordes-Valmore devait être particulièrement remar-
quable. On a vu d'ailleurs ceux que, toute jeune et à l'aurore de sa
carrière dramatique, elle avait obtenus lors de sa courte apparition à
l'Opéra-Gomique. Ses qualités n'avaient évidemment pu que grandir
par le travail et l'expérience. Il est assez rare, au surplus, qu'un
même artiste réussisse à se faire applaudir sur deux scènes de genres
aussi différents que celles de l'Opéra-Gomique et de l'Odéon, et l'on
peut dire que M""' Desbordes-Valmore offre un exemple peu commun
sous ce rapport. En quittant Bruxelles, où, en 1817, elle avait épousé
Valmore, son camarade de la Monnaie, artiste distingué lui-même,
elle suivit son mari au Grand-Théâtre de Lyon, où elle continua, pen-
dant deux années, de tenir son emploi de jeune première. Puis,
en 1822, elle quitta définitivement le théâtre, pour se consacrer unique-
ment aux soins de la famille et à l'éducation de ses enfants.
Ges quelques détails relatifs à la carrière scénique de M""' Desbordes-
Valmore complètent l'histoire de la vie de cette femme si remarquable
et si intéressante.
Arthur Pougin.
SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION
D'ADAM DE LA HALLE
(Suite.)
Il résulte de ces observations que si, par sa forme, le Jeu de
Robin et Marion mérite le nom de premier opéra-comique par le
procédé de composition, l'œuvre diffère essentiellement de l'opéra-
comique moderne, puisque toute la partie musicale, au lieu d'être
composée spécialement, a été empruntée à des chansons préexistantes.
Ce procédé se rapprocherait plutôt de celui du vaudeville; mais
encore n'est-ce pas tout à fait cela, car, dans le vaudeville, des
couplets nouveaux sont composés sur des airs connus, tandis qu'ici
l'emprunt porte sur la chanson tout entière, musique et paroles.
Celte méthode, en réalité, est particulière au moyen âge.
En faisant ces observations, je ne crois porter aucun atteinte à la
considération que l'on doit à Adam de la Halle. Si, en composant le
Jeu de Robin et Marion, il ne fut pas un génie créateur dans le sens
moderne du mot, du moins a-t-il eu un mérite qui n'est pas moindre :
celui de condenser, de résumer en une seule œuvre ce qu'il y eut à
son époque de plus significatif, de plus spontané, de plus digne de
220
LE MENESTREL
passer à la postérité. D'ailleurs, par la composition de la partie dia-
logoée, il reste un poète exquis, et d'autre part il a fait ses preuves
comme musicien, cela en des genres très différents, car il a composé
des chansons, des jeux-partis, des rondeaux, des motets, c'est-à-dire
de la musique savante : et pour cela précisément nous devons lui
savoir d'autant plus de gré de n'avoir pas dédaigné les productions
delà muse rustique, et, par son ingénieux arrangement, de nous
avoir conservé la plus précieuse collection de chansons populaires du
moyen âge qui nous ait été conservée par l'écriture.
Cette étude doit être complétée par quelques observations relatives
à la musique du Jeu de Robin et Marion et aux particularités qu'elle
présente.
Deux manuscrits nous ont conservé cette musique, sur les trois
qui nous ont apporté le texte du Jeu : l'un, du SIIP siècle, renfer-
mant presque toutes les œuvres de maître Adam, appartient à la Bi-
bliothèque Nationale (ms.fr. 2o. 566, ancien fonds LaVallière); l'autre,
du XV% est à la Bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence. Les
variantes existant entre les deux notations musicales sont générale-
ment de peu d'importance, et portent seulement sur trois morceaux,
des seize que comporte le Jeu de Robin et Marion. Cette musique est
notée d'après le système rythmique de la notation franconienne; le
manuscrit de la Bibliothèque Nationale, en très bel état de conserva-
tion, nous montre que cette notation a été exécutée avec le plus
grand soin et la plus grande netteté. De Coussemaker en a donné
une transcription excellente dans son livre sur Adam de la Halle, le
monument le plus important et, à coup sur, le plus méritoire, qui ait
été jusqu'ici à la mémoire du trouvère d'Arras (1).
Cette transcription n'a qu'un défaut: exécutée d'après les mêmes
données que s'il s'agissait de chants religieux ou de graves et lentes
mélopées des trouvères, elle a pris uniformément pour unité de temps
des valeurs trop longues pour représenter les rythmes légers et ani-
més de la chanson populaire. C'est ainsi, par exemple, que le pre-
mier refrain chanté par Marion à l'entrée du Chevalier se présente
sous cet aspect lourd et pesant :
Hé! Ro.bins, se tu. m'ai-mes, Par a-mours mai-ne m'ent.
N'est-il pas évident que cette petite phrase, qui a tous les carac-
tères d'un refrain de chanson de danse, est un six-huit et doit être
notée ainsi :
Ah! Ro.bin, si tu m'ai-mes, Par a-mour,viens a moi.
Il en est de même pour la grande majorité des mélodies de Robin et
Marion.
Le principe étant admis, il était aisé de l'appliquer aux différents
morceaux, et par là, sans toucher aucunement à la ligne mélodique,
de rendre à leur notation son véritable aspect.
Au point de vue de la tonalité, ces mélodies présentent une parti-
cularité infiniment intéressante : elles sont presque toutes dans le
mode majeur. Notons bien que nous sommes au XIIP siècle, époque
où les théoriciens ne reconnaissent pas d'autres modes que ceux du
plain-chant, et que les historiens de la musique les plus autorisés
ont, jusqu'à notre temps, soutenu cette thèse inexacte que la tonalité
moderne (c'est-à-dire la substitution du majeur et du mineur aux
anciennes modalités) était un effet des progrès de l'harmonie et avait
été créée, presque de toutes pièces, au XVII" siècle, par un musi-
cien de génie. Mais la nature est au-dessus de ces belles théories;
et, comme la tonalité moderne est simplement la tonalité naturelle,
il ne faut pas s'étonner que les chanteurs de chansons populaires
n'aient attendu la permission ni de Monteverde, ni de Fétis, pour
chanter en majeur. Il n'est pas de preuve plus éclatante de cette vérité
que celle qui nous est fournie par l'ensemble des mélodies de Robin
(1) J'y relève une seule faute: dans la chanson de Marion : « Vous perdez vos
peines, sire Aubert » (1" scène de Marion avec le Chevalier), le transcripteur n'a
pas tenu compte du changement de clef indiqué au milieu de la mélodie, ce
qui fait que la seconde partie se trouve notée une tierce trop haut, et que la
tonalilé en est complètement bouleversée. Bien convaincu de la faute par la
seule inspection de la mélodie, je me suis reporté au manuscrit, qui a confirmé
le bien fondé de mon hypothèse. La faute se retrouve, bien entendu, dans
toutes les éditions faites d'après de Coussemaker : Meienreis, Adam de la Ballet
Spiel Robin vnd Marion, Munich, 1893; E. Langlois, Loc. cit. — Un plus grave
reproche peut être adressé à ce dernier, qui, dans sa récente édition, d'appa-
rence cependant à inspirer confiance au point de vue de l'eiactitude, n'a pas
craint d'ajouter à la chanstm dialoguée : « Bergeronnette » plusieurs membres
de phrases (vers et musique) qui en dénaturent la forme et le développement
original.
et Marion. A cet égard, bien significatifs sont les tâtonnements des
scribes du XIIP siècle pour fixer par la notation des formes diffé-
rentes de celles qui seules étaient admises par les principes. C'est
ainsi que les premières mélodies du Jeu sont notées en fa : ce ton
n'est pas encore trop étranger au plain-chant, puisqu'il correspond
aux 5" et 6" tons, avec l'adjonction autorisée du si bémol (exprimé ou
sous-entendu). Mais au début, ce bémol n'est pas écrit à la clef, bien
que la tonalité des mélodies l'appelle impérieusement. Puis, peu à
peu, l'écrivain s'aperçoit que la présence de ce signe est nécessaire;
le bémol figure en effet dans la plupart des mélodies qui se trouvent
au milieu de l'œuvre, parfois accidentellement omis : ainsi, dans le
long Trairideluriau de Marion et du Chevalier, on le trouve à la clef
de la première portée; puis rien aux trois portées suivantes : il
reparaît à la cinquième, jusqu'à la fin du morceau suivant, mais
oublié deux fois encore. Enfin , gêné sans doute par cette compli-
cation (combien considérable!), le scribe se décide à prendre un
grand parti : il écrira en ut majeur; et en effet, les dernières mélodies
du Jeu de Robin et Marion sont transcrites dans ce ton, lequel n'était
nullement admis par les principes de la tonalité grégorienne. Mais
cette fois, si les règles sont enfreintes, la musique est notée confor-
mément à son vrai caractère modal.
Je n'insisterai pas sur cette particularité que les mélodies n'ont pas
toutes la tonique pour finale, mais que quelques-unes s'arrêtent soit
sur la dominante, soit sur le 2= degré appelant harmoniquement l'ac-
cord de dominante. Le cas est fréquent dans la chanson populaire, et
n'altère aucunement le caractère essentiel de la tonalité, qui reste
parfaitement conforme aux principes de la tonalité moderne, et sans
qu'il soit nécessaire de faire intervenir, pour l'interpréter, les systèmes
des modes antiques ou du moyen âge.
Reste encore une question : celle de savoir si, dans les représenta-
tions du XIIP siècle, les mélodies du Jeu de Robin et J/arion étaient
soutenues par un accompagnement quelconque. Il me semble que,
sur ce point, les opinions ont beaucoup erré. C'est ainsi qu'il y a
une quarantaine d'années, c'est-à-dire tout au commencement des
éludes musicales sur le moyen âge, Théodore Nisard, ayant trouvé
dans le manuscrit de Montpellier un motet où la mélodie « Robin
m'aime » se trouve combinée avec deux autres parties vocales (par
succession de quartes et de quintes, conformément à l'agréable usage
de ce temps), et ayant conclu d'abord, sans aucune raison, que le dit
motet était de la composition d'Adam, ajouta que la chanson de la
bergère était chantée en trio, par elle-même en scène, et par Robin et
le Chevalier cachés derrière les décors!... Gustave Chouquet, faisant
mention de cette opinion bizarre, la réprouve, mais en ajoutant :
« C'étaient des instruments, selon nous, et non des chanteurs, qui
harmonisaient d'une façon encore bien barbare l'ariette de Robin
m'aime, ainsi que toutes les autres mélodies de cette pastorale (1). »
De Coussemaker a fait justice de toutes ces hypothèses saugrenues:
il constate d'abord que, dans aucun manuscrit du Jeu, on n'aperçoit
la moindre trace d'harmonie, et que « si réellement les mélodies de
cette pièce avaient été destinées à être chantées à plusieurs parties,
le copiste du manuscrit de la Vallière, qui a noté les rondeaux et les
motets avec les parties harmoniques, n'aurait pas manqué de noter de
même les airs du Jeu de Robin et Marion. » Il insiste avec raison
sur l'incompatibilité scéuique de la pièce avec des morceaux à plu-
sieurs parties chantant des paroles différentes. Et cependant, un peu
plus loin, énumérant les noms des instruments rustiques dont il est
question dans la pièce (flageolet, cornemuse, tambourin, cornets), il
ne peut s'empêcher d'ajouter : « Il est très probable et presque cer-
tain que les airs étaient accompagnés ou du moins soutenus par des
instruments. Sans cela il eût été presque impossible de rester dans
le ton (2). » Et, plus récemment, M. Weckerlin écrivait encore :
(1 Dans aucun manuscrit il n'y a trace d'harmonie. Il est cependant
difficile d'admettre que ces airs aient été chantés sans aucun accom-
pagnement quelconque, mais rien ne vient nous prouver le con-
traire (3) ».
C'est bien ici le cas de revenir à la phrase de Montaigne citée au
début de cette étude : « C'est un commun vice quasi de tous les
hommes d'avoir leur visée et leur arrêt sur le train auquel ils sont
nés... » Si nous avons tant de peine aujourd'hui à nous figurer une
représentation théâtrale dont les chants ne seraient soutenus d'au-
cun accompagnement, c'est que le progrès des temps a rendu pour
nous cet élément indispensable ; mais il ne s'ensuit pas qu'il en ait
toujuurs été ainsi, et il est certain que les chanteurs qui interprétèrent
(1) G. Chouquet, Histoire de la mtisiqi/e dramatique en France, p. 37,
(2) De CoussEJUKEii, Adam de la Halle, p. LXVII et LXVIU de l'Introduction.
(3) Le Jeu de Robin et Marion ^m'Adam fit, publié par J.-B. Weceehlin, Intro-
duction.
LE MENESTREL
221
les premiers le Jeu de Robin et Marion n'avaient aucun orchestre à leur
disposition pour les accompagner, par celte simple raison que
l'harmonie instrumentale destinée à accompagner le chant était
inconnue alors. L'on aurait grand tort de parler ici du déchant, qui
est un genre de composition tout spécial, exclusivement vocal, et
dont la précédente citation de de Coussemaker a suffisamment
démontré l'incompatibilité avec le genre du Jeu de Robin el Marion
pour qu'il soit utile d'insister ; mais cet auteur lui-même cède au
courant des idées modernes lorsqu'il avance que les voix étaient
soutenues par les instruments, vu que ces instruments avaient ici
leur rôle particulier, celui d'accompagner les danses, et n'étaient
aucunement faits pour suivre les voix. Aussi hien, s'il faut absolu-
ment trouver aujourd'hui même des exemples d'exécutions pure-
ment vocales, nous n'aurons qu'à voir de quelle manière les chansons
populaires sont exécutées par ceux qui ont gardé les traditions : ces
chansons, souvent très longues, sont toujours chantées par la seule
voix, sans aucun accompagnement instrumental. Il n'est pas douteux
qu'il en ait été de même pour les chansons de même nature qui
composent exclusivement la partie musicale du Jeu de Robin et
Marion,
(A suivre.) Juliein Tiersot.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
Pendant que Latude ne demandait à la musique qu'une source de
jouissances personnelles, un de ses co-délenus en faisait un instru-
ment de propagande religieuse. C'était un. prêtre, nommé Goffin, à
qui des hallucinations mystiques avaient tourné la tête. Il préten-
dait régénérer le catholicisme par le calvinisme, et comme pour
mieux marquer ses premiers pas dans la carrière de l'apostolat, il
avait commencé par enlever des religieuses de leur couvent. Natu-
rellement cet exploit, non moins que la profession de ses nouveaux
dogmes, lui valut les honneurs de la Bastille ; et là, il passait
toutes ses nuits à hurler des psaumes, pour la plus grande édifica-
tion des prisonniers que cette ferveur insolite empêchait de dormir.
Sa folie devint tellement insupportable qu'il fallut le transporter à
Charenton, où il ne tarda pas à mourir.
La fameuse comtesse de la Motte, que le vol du collier de la
Reine avait conduite à la Bastille, s'y livrait aussi à des excentricités
vocales assourdissantes pour ses voisins ; mais ce n'était, ni pour
correspondre avec eux, ni pour égayer sa solitude, qu'elle passait en
revue son répertoire musical. Malgré qu'elle fût bronzée contre les
émotions de toute nature, celte aventurière de grande race ne pou-
vait se défendre de l'impression nerveuse qui se traduit, chez bien des
gens préoccupés, par l'irrésistible besoin de chanter. Ses Mémoires
notent ainsi ce cas psychologique :
... Le crédit de la maison de Rohan, disais-je en moi-même, procurera
la liberté du cardinal, et je devrai la mienne à la générosité de la Raine.
C'est ainsi que je raisonnais. Quelquefois, ces réflexions et d'autres du
même genre me tranquillisaient, au point que je chantais chanson sur
chanson avec une volubilité et une gaieté dont s'étonnaient les Invalides
qui étaient de service dans les environs de ma chambre. Plusieurs dirent
au gouverneur que je passais en revue au moins soixante ariettes par
jour, que cependant ils ne pouvaient distinguer les paroles, mais qu'il
semblait que je m'adressais à quelqu'un, que je me soulevais souvent jus-
qu'à la hauteur de ma fenêtre de manière qu'ils pouvaient me voir.
Le gouverneur leur ordonna en conséquence de faire attention à ce
que je chantais. J'entendis un matin parler à voix basse sous ma fenêtre :
je me doutais que c'étaient des espions.
— Tant mieux, me dis-je,et je me rais à chanter 0 Richard, ô mon Roi,
en substituant le nom de Valois à celui de Richard ; j'eus soin également
d'introduire le nom du gouverneur dans mon ariette et le finale de ma
chanson fut un grand éclat de rire.
Le soir, De Launay, le gouverneur de la Bastille, entrait chez la
prisonnière et l'invitait à lui répéter un de ses airs favoris. Elle lui
chanta un air de bravoure à tue-tête et termina la séance par ce coup
droit :
— Maintenant, vous no pouvez plus me dire que le règlement inter-
dit de chanter, puisque vous avez été le premier à le violer en me
demandant une ariette.
De Launay ne trouva rien à répondre el sortit. Mais il rentra pres-
que aussitôt pour prier M""" de La Motte de ne pas chanter à l'heure
oh le cardinal de Rohan, compromis comme elle dans cette scanda-
leuse affaire du Collier, venait se promener, suivant son habitude,
sous les fenêtres de la prisonnière.
Nous ne retrouvons plus cette nervosité — indice d'une conscience
peu tranquille — chez le D' Hallot, que la Jalousie professionnelle
de M. de Lassone, médecin du roi, fit enfermer en 1"81 à la Bastille.
Le docteur, quand on vint l'arrêter, jouait de la flûte : il mit l'instru-
ment dans sa poche et suivit l'exempt. Arrivé à destination, il reprit
sa flûte et termina son morceau. Une telle sérénité augmenta le nombre
de ses défenseurs, et Lassone dut céder à la pression de l'opinion
publique. Hallot ne resta que douze jours à la Bastille.
Tort de la Sonde devait y passer plus de neuf mois pour un motif
presque analogue. Singulier personnage, en vé.-ité, que cet intrigant
qui, au dire de ses contemporains, s'employa si activement, pendant
l'Empire et la Restauration, pour un de ces innombrables Louis XVII
dont la race pullule encore ! Secrétaire du comte de Guines, notre
ambassadeur à Londres, Tort de la Sonde avait commis de graves
indiscrétions qui amenèrent sa disgrâce et son iucarcération à la
Bastille. Il comprit dès lors que la carrière de la diplomatie régulière
lui était définitivement fermée et s'ingénia à se trouver des ressources
pour le jour où il ne serait plus le pensionnaire, malgré lui, du roi
Louis XV. Il jouait passablement du violon el il entreprit de perfec-
tionner son talent pendant toute la durée de sa détention. S'autori-
sant d'espérances que lui avait laissé entrevoir Rochebrune, commis-
saire de la Bastille par métier et musicien par tempérament. Tort de
la Sonde sollicita du lieutenant de police la permission de jouer du
violon. Il s'engageait à user d'une sourdine si bien préparée qu'on ne
pourrait entendre les notes « d'un bout de la chambre à l'autre »,
argument sans doute irrésistible! car notre homme, plus discret
comme virtuose que comme diplomate, vit sa demande favorablement
accueillie.
Bien mieux, peu do temps avant la chute de la Bastille, les pri-
sonniers étaient devenus les professeurs de musique de la maison.
Le 3 mai 1788, Laffitte de Pelleport écrivait au chevalier du Puget,
lieutenant du roi au château :
... Si M"« du Puget peut se passer de son solfège pour quelques jours,
je vous serai bien obligé de me le prêter. Quand vous voudrez, je suis à
ses ordres pour finir ses principes de clavecin.
Encore une figure originale que ce Laffitte de Pelleport, le futur
beau-père de Bernardin de Saint-Pierre! Il faisait partie de celte
bande de pamphlétaires, doublés de maîtres chanteurs, qui exploitè-
rent si effrontément à Londres la cour de Versailles et jusqu'à Marie-
Antoinette elle-même. Ce fut Laffitte de Pelleport qui écrivit le Diable
dans un bénitier. Il dut à ce libelle el à bien d'autres de passer plu-
sieurs années à la Bastille ; mais il avait gardé un assez bon souvenir
des fonctionnaires quis'y trouvaient alors, puisque, le jour où la for-
teresse fut envahie par le peuple, Pelleport entreprit de sauver M. de
Losme, le major de la Bastille; il ne put arrêter le bras de ses meur-
triers et faillit lui-même tomber sous leurs coups.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
La mort de sir Augustus Harris pourrait bien amener la disparition
complète de Covent Garden et de l'Opéra de Londres. Il parait que lady
Harris n'a pas la moindre envie de risquer sa fortune personnelle dans
une entreprise de ce genre, ce qui est tort raisonnable, et que M. Faber, le
titulaire du bail de l'immeuble, ne veut le confier qu'à un homme offrant
toutes les garanties voulues. Cet homme ne se trouvera pas facilement, et
il se pourrait bien que M. Faber cédât son bail au duc de Bedford, qui ne
demande pas mieux que de convertir Covent Garden en un marché des
quatre-saisons, comme il a fait déjà pour Floral Hall. Il parait, en effet,
qu'à Londres les choux et les oranges sont à même de payer un loyer plus
considérable que l'art lyrique. Verrons-nous alors une season à Londres
sans opéra et sans dames très largement décolletées dans les loges? Quoi
DU avertant !
— D'autre part on raconte, à Londres, que M. Maurice Grau se trouve à
la tête d'un syndicat formé dans le but d'exploiter l'Opéra de Covent-
Garden. Le contrat n'est pas encore signé, mais il paraît probable que
M. Grau prendra la direction de Covent-Garden. Il resterait en même temps
avec M. Abbey, à la tête du Metropolitan Opéra House de New-York, la
saison de Londres ne commençant qu'à l'expiration de celle de New-York,
Le fait que M. Grau réunirait dans ses mains les directions de ces deux
importants théâtres d'opéra pourrait même être fort utile au point de vue
de l'acquisition des oeuvres à jouer et des engagements d'artistes.
LE MENESTREL
Voilà qiïl est d'un bel exemple de charité et aussi de modestie, par
les temps de statuomanie que nous traversons. Les amis de sir Augus-
tus Harris avaient songé à ouvrir une souscription pour l'érection d'un
monument à sa mémoire. Sur le désir exprimé par sa veuve, le produit
de la souscription servira à construire une maison de refuge pour les
comédiens infirmes ou malheureux. Harris, qui fut un simple au milieu
d'une vie très mouvementée et un esprit pratique qui ne s'attardait pas
à l'apparat, approuvera certainement du fond de sa tombe.
— Le prince de Galles, en sa qualité de premier chancelier de la nou-
velle université de Galles, a promu la princesse sa femme au grade de
doctoresse en musique de cette université. Le prince et la princesse
portaientle costume traditionnel de docteur et semblaient fortement amusés
du cérémonial, qui a été célébré avec beaucoup d'éclat. Le prince a prononcé
en latin la formule d'usage : « Allissima priiwipissa, admisso te in graium
doctoris nmsices et ad oninia privilégia hujus diijnilaiis. » Ajoutons que la prin-
cesse de Galles est déjà doctoresse en musique de l'université d'Irlande.
— On vient de produire, une fois de plus, l'oratorio de Mendelssohn,
£&, au Palais de Cristal de Londres. Parmi les choristes se trouvait un
amateur, M. Pountney, qui avait pris part, en qualité de basse, à ia pre-
mière exécution i.'Elieen 1846, sous la direction de Mendelssohn. Ce vétéran
est encore si bien conservé qu'il a pu venir de Birmingham à. Londres
pour chanter au Palais de Cristal et retourner à son domicile immédiate-
ment après avoir célébré ses noces d'or avec cet Elle. Inutile de dire que
parmi les 23.000 personnes qui assistaient au concert se trouvaient aussi
plusieurs amateurs qui avaient vu Mendelssohn diriger la première exécution
de son célèbre oratorio.
— Il s'est formé à New- York une société anonyme pour l'exploitation du
Metropolitan Opéra House au capital de 2.500.000 francs, qui est d''visé en
actions de i300 francs chacune. Comme nous l'avons dit, MM. Grau et Abbey
sont engagés en qualité de directeurs de cette nouvelle entreprise.
— A Genève a été représentée au Bâtiment électoral, arrangé en théâtre
pour la circonstance, une œuvre importante de deux auteurs suisses,
MM. Baud-Bowy pour le texte et Jacques Dalcroze pour la musique. Le
Poème alpestre est une sorte d'ode patriotique, de vastes proportions, avec
soli, chœurs, danses et orchestre. La musique de M. Jacques Dalcroze est
abondante en inspirations mélodiques, claire sans vulgarité, originale sans
recherche et remarquablement orchestrée. Les soli étaient tenus par
M., M""«et M"»Ketten,et les ensembles comprenaient les chœurs de la Lyre
sacrée et de la Société du Conservatoire ; au total, avec l'orchestre de
l'Exposition, bbO exécutants sous la conduite du jeune compositeur.
— Le grand succès d'un des derniers concerts de l'Exposition de Genève
a été pour la Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray, exécutée
sous la direction de l'auteur, qui a été l'objet de deux bruyants rappels.
Constatons en même temps que M. Gustave Doret, le chef d'orchestre des
concerts, a dirigé d'une façon remarquable la symphonie en ut mineur de
Beethoven, la Joyeuse Marche de Chahrier, et la Marche funèbre de M. Hugo
de Singer.
— Autre correspondance de Genève. La musique a notre exposition
nationale tient une place fort large; outre les grands concerts symphoniques
dirigés par M. Gustave Doret ainsi que ceux donnés par le même orchestre
dans le parc des Beaux-Arts, dirigés par M. L. Rey, premier violon-solo à
l'orchestre, nos nombreuses sociétés chorales et instrumentales rivalisent
de zèle et d'entrain en donnant chaque semaine des auditions musicales
très variées et intéressantes, soit dans l'enceinte de l'Exposition, au village
suisse ou dans les jardins publics. Le théâtre poursuit une carrière très
brillante. Mignon d'Ambroise Thomas, Manon et Mertlter de Massenet, et
tant d'autres chefs-d'œuvre dramatiques se succèdent avec succès sur notre
scène genevoise. L'orchestre, excellent à tous les points de vue, est dirigé
d'une main ferme et sûre par le vétéran de nos chefs d'orchestre, M. Francis
Bergalonne. — A partir du 22 juillet prochain, M. Otto Barblan, l'organiste
de la cathédrale de Saint-Pierre, recommencera ses concerts d'orgue
annuels. — L'Exposition ne serait pas complète si, outre les auditions
musicales multiples, elle n'avait pas aussi fait surgir quelques compositions
originales destinées à rappeler aux nombreux visiteurs les délices qu'offre
aux regards enchantés le vaste champ du travail et de la paix. Nous n'en
citerons que les principales : Poème alpestre, pour soli, chœurs et orchestre
de M. Jacques Dalcroze ; Ode patriotique pour soli, chœurs d'hommes et or-
chestre de M. Otto Barblan ; Salut à Genève, marche ; au Village suisse, idylle,
composition bien venue de M. H. Kling. — Mentionnons encore les con-
certs quasi religieux donnés avec le concours d'artistes et amateurs
distingués, dans l'église du Village suisse, et qui obtiennent le suffrage des
connaisseurs.
— Au théâtre de Sion (Suisse), on a donné la première représentation
d'un opéra en deux actes. Fleur maudite, dont la sujet est tiré d'une
légende du Valais et dont la musique a été écrite par M. Charles Htenny,
directeur de l'École de musique de Sion. L'auteur était déjà connu par un
premier opéra, Blanche de Mans, représenté au mois de mars 1894.
— Le gentil Portugal s'apprête, comme tant d'autres, à célébrer un de
ses glorieux anniversaires. H s'agit, en l'espèce, du quatrième centenaire
de la découverte des Indes par Vasco de Gama, ou tout au moins de la
route qui y mène par le cap de Bonne-Espérance. On sait que c'est en 1497
que le grand navigateur fut chargé de cette expédition par le roi Emma-
nuel de Portugal, et c'est cette date importante que l'on songe à célébrer
l'année prochaine. A cet elTet, une grande commission centrale s'est for-
mée à Lisbonne, qui doit provoquer, de la part des artistes et des lettrés,
la composition d'œuvres nationales de divers genres, entre autres un
hymne de commémoration, une marche triomphale, un drame historique
sur un sujet patriotique, enfin un grand opéra ou drame lyrique d'un carac-
tère national, etc. De plus, on organisera des concerts de musique portu-
gaise ancienne et des représentations d'œuvres de l'ancien théâtre national.
En ce qui concerne l'opéra nouveau, qui, peut-être donnera lieu à un
concours, on annonce que déjà plusieurs compositeurs sont à l'œuvre :
M. Auguste Machado, M. Alfred Keil, l'auteur de Donna Ilranca, M. le
vicomte d'Arneiro, auteur de l'Elisire di giovinezza, et M. Miguel Angelo.
Pour nous, il nous semble qu'en cette circonstance et en dehors de toute
question d'art national, il y a une œuvre qui s'impose : c'est l'Africaine, de
Meyerbeer. Il sera difficile de jamais mieux faire chanter le héros de la
découverte des Indes.
— On a donné, les 18 et 20 juin, au club de Lisbonne, deux représenta-
tions d'un ouvrage lyrique en trois actes, Lancha Favorita, dû à M. Arthur
Marinho da Silva pour les paroles et à M. Filippe Daarte pour la musique.
Les auditeurs ont fait à cette œuvre importante un accueil très brillant.
— Le gouvernement de Madrid a pris un arrêté décidant que toutes les
représentations théâtrales devront désormais être terminées à minuit et
demi et que l'usage abusif de les prolonger jusqu'à deux heures du matin
ne serait plus toléré. Cet arrêté a été provoqué par un grave scandale qui
eut lieu au théâtre Girco de Colon, à l'occasion de la première représen-
tation d'un nouvel opéra, la Grande Foire. Le public ayant énergiquement
protesté contre cette œuvre médiocre, la claque lui a opposé une résistance
acharnée et à la fin la police dut intervenir.
— Jean-Sébastien Bach va avoir à Berlin un monument assez original.
Guillaume II a conçu en effet le plan d'orner l'avenue des Victoires, dans
le jardin Thiergarten, de trente-deux groupes de statues qui représenteront
chacun un souverain entouré de deux des hommes qui se sont le plus
illustrés pendant son règne. Or, Guillaume II a ordonné d'entourer la
statue de Frédéric II, le roi compositeur et flûtiste, d'un général et du
grand cantor de Leipzig. Il est évident qu'aujourd'hui le pauvre musicien
est beaucoup plus illustre que le général prussien et que Frédéric II ne
pourra se plaindre de l'avoir à sou côté. Mais que vient faire J.-S. Bach
dans cette galère? 11 n'a pas été « sujet » prussien, il ne doit rien à la
Prusse, et sa courte rencontre avec Frédéric II a été plutôt fortuite. J.-S.
Bach est bien un contemporain de Frédéric II. Mais quel rapport existe-
t-il entre lui et le roi de Prusse, et de quel droit le place-t-on à Berlin
comme une illustration du règne de Frédéric II? On se le demande.
— On vient d'inaugurer la statue du compositeur hongrois FranzErkelà
Békés-Gyula, son pays natal. Erkel a écrit plusieurs opéras que le théâtre
royal de Budapestjoue encore avec beaucoup de succès.
— Le théâtre royal de Cassel vient de jouer un nouvel opéra intitulé les
Mousquetaires au couvent, paroles de M. Cassmann, musique de M. Fritz Baselt.
— Une petite plaisanterie qui nous est apportée par les journaux étran-
gers. M. Garl Goldmark, l'auteur de Merlin et de la Reine de Saba, l'un des
compositeurs allemands de ce temps les plus en vue, a écrit aussi plusieurs
œuvres symphoniques, parmi lesquelles une suite d'orchestre qui lui
inspire, parait-il, une affection toute particulière, à ce point qu'il l'emporte
partout avec lui dans ses voyages. Or, on raconte que dernièrement,
comme il arrivait à Salzhourg, pour les fêtes de Mozart, avec l'excellent
chef d'orchestre Hellmesberger, celui-ci se chargeant d'inscrire leurs deux
noms sur le registre de l'hôtel où ils descendaient, écrivit ainsi celui de
son ami : » Goldmark et sa suite.» Et jusqu'au départ des deux voyageurs,
l'hôtelier attendit en vain « la suite » de Goldmark, pour laquelle il avait
réservé des chambres. È oero ?...
— Après le piano, après la mandoline, voici le tour de force du gosier.
Il parait qu'à Budapesth un certain chanteur nommé Solak a donné, à
l'Hôtel Europa, une séance vocale de douze heures dans laquelle il a fait
entendre, sans s'arrêter, 230 chansons. Ici, nous enverrions à Bicètre un
toqué de ce genre, et c'est assurément ce qu'il y aurait de mieux à faire.
— La Société musicale d'Odessa a ouvert une souscription dont le produit
est destiné à une « Fondation Antoine Rubinstein ». Les meilleurs élèves
de l'École de musique d'Odessa recevront des bourses pour pouvoir ter-
miner leurs études et pour aller se perfectionner à l'étranger.
— Le compositeur Niccolo Van 'Westerhout, auteur des deux opéras,
Fortunio'ei Dona Flor, est nommé professeur d'harmonie au Conservatoire
de Naples, dont il a été naguère un des plus brillants élèves.
— Au théâtre Bellini de Palerme, apparition et éclipse immédiate d'un
opéra en un acte et deux tableaux, Mariedda, auquel on reproche d'être
par trop servilement copié, livret et partition, sur la fameuse Cavalkria
rusticana, et de manquer absolumentde personnalité. L'auteurdela musique,
M. Gianni Buceri, est un jeune artiste élève de M. Nicola d'Arienzo.
Ladite Mariedda, dont les interprètes étaient M^''^ Scalera et Riso, MM. Go-
LE MENESTREL
223
ruso et Morghen, est défunte après sa première représentation, qui a été
la dernière. Par contre, à Naples aussi, mais au théâtre des Variétés, gros
succès pour une opérette nouvelle intitulée Rugantino, livret de M. Alme-
rigo Bibera, musique fort gracieuse, parait-il, du maestro De Gregorio,
« remarquable, dit un journal, par d'excellentes qualités artistiques qu'il
serait très fâcheux de ne pas voir encourager. »
— A Cesena, dans un spectacle de bienfaisance, on a donné la première
représentation d'une opérette intitulée un Casino di campagna, musique de
M. Gamberini, jouée par quelques élèves des écoles féminines supérieures.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, mardi prochain 14 juillet, on donnera en spectacle gratuit
l'Hamlet d'Ambroise Thomas avec la Marseillaise, en guise d'entr'acte, bien
entendu. Cette année, par contre, on ce jour de réjouissance publique
l'Opéra-Comique chômera pour cause de graves réparations au plancher
de la scène. On s'est aperçu qu'on jouait depuis pas mal de temps non pas
pas sur un volcan, mais sur un terrain mal solide qui ne demandait qu'à
s'effondrer et à ensevelir dans les dessous du théâtre tous ceux qu'il
portait. Il n'était que temps d'aviser. C'est d'une réfection presque complète
qu'il s'agit.
— L'hiver prochain nous aurons deux Don Juan, l'un à l'Opéra, l'autre
à l'Opéra-Comique. — A notre Académie nationale de musique, MM. Ber-
trand et Gaiihard feront exécuter le chef-d'œuvre de Mozart par MM. Be-
naud, Delmas et M""= Caron. Sur notre seconde scène lyrique, M.Carvalho
fera chanter Don Juan par MM. Maurel et Fugère, M"'" Nina Pack et
M"' Lejeune qui fera ses débuts dans le rôle de Zerline. — Ce n'est pas
la première fois que nos différentes scènes de musique donnent en même
temps le chef-d'œuvre de Mozart. Vers la Bn de l'Empire, l'Opéra, le
Théâtre-Lyrique, dirigé par M. Carvalho et le Théâtre-Italien jouèrent Don
Juan presque simultanément. L'exécution féminine fut surtout des plus
brillantes au Théâtre-Lyrique avecM""> Miolan-Garvalho (Zerline), Nilsson
(Elvire), et M™" Charton-Demeur (Donna Anna) et au Théâtre-Italien avec
I^mes Patti (Zerlina), Tiberini (Elvira) et Penco (donna Anna). Les deux
don Juan les plus remarqués furent l'admirable Faure à l'Opéra et Gra-
ziani au Théâtre-Italien, où Zucchini dans Leporello et Gardoni (Ottavio)
complétaient une exécution parfaite. A l'Opéra, les trois rôles de femmes
étaient tenus par M'™^ Marie Battu, Gueymard et Marie Sasse.
— M. Carvalho se rapprochera le plus possible, pour le Don Juan qu'il
projette, de la version originale de Mozart, telle qu'on va la représenter
à Munich. C'était à l'origine un opéra semi séria, sans grande prétention,
avec vingt-cinq musiciens à l'orchestre. L'Opéra y mettra plus de pompe,
selon son habitude.
— Vendredi, à l'église Saint-Augustin, on a célébré un service de bout
de l'an à la mémoire de M™= Miolan Carvalho. La nef entière était remple
d'une foule émue, tant le souvenir de la grande artiste reste toujours
vivace dans le cœur de ses nombreux amis. M. Carvalho et son fils en
étaient profondément touchés.
— Puisque nous parlons de M""^ Carvalho, disons que le sculpteur
Mercié a déjà terminé son projet pour le monument qu'on se dispose à
élever en l'honneur de la célèbre cantatrice. C'est une maquette d'un jet
superbe, où le long, d'une stèle, M""* Carvalho est représentée en pied dans
une sorte d'extase religieuse, comme elle était dans la prison de Marguerite
lorsqu'elle chantait : Anges purs, anges radieux,
— On peut voir, en même temps, dans l'atelier de M. Mercié, et déjà forte-
ment ébauché, le monument pour Charles Gounod. Au pied du buste du
compositeur, un ange joue sur l'orgue, entouré des trois grandes héroïnes
célébrées par le maître : Marguerite, Juliette et Sapho. Le tout d'une très
belle envolée.
— Ambroise Thomas a légué au Conservatoire de musique ses parti-
tions d'orchestre. En suite de cette disposition, M'"<= Ambroise Thomas
vient de remettre à M. VVeckerlin. bibliothécaire du Conservatoire, les
ouvrages dont les titres suivent : le Guérillero, le Songe d'une nuit d'été, la
Tonetli, le Caïd (moins l'ouverture), la Cour de Célimène, Psyché (en deux ver-
sions), le Carnaval de Venise, le Roman d'Elmre, Mignon, Hamlel, Françoise de
i?tmmî et le ballet de la Tempête. — L'ouverture du Cdid avait été prêtée à
un chef de musique qui a oublié de la rendre; Ambroise Thomas n'a
jamais pu se rappeler son nom, pas plus que son adresse. Ne prêtez
jamais vos livres ni vos partitions.
— Cette semaine, à l'Opéra, dans un entr'acte i'Aida, M. Gaiihard a
réuni le personnel des chœurs dans un des foyers de répétition et a présenté
à ces artistes leur nouveau chef, M. Claudius Blanc, qui remplacera doré-
navant le regretté Delahaye. M. Claudius Blanc a pour successeur dans ses
fonctions antérieures de second chef des chœurs, M.Mestre, qui était souf-
fleur, lequel est lui-même remplacé par M. Idrac. M. Claudius Blanc est
prix de Rome et l'auteur, avec M. Léopold Dauphin, de Sainte Geneviève de
Paris, partition exécutée au théâtre d'ombres du ChatNoir,et de nombre de
jolis petits recueils comme la Chanson des joujoux. Rondes et Chansons d'avril,
Cliansom d'Ecosse et de Bretagne, etc. Ajoutons qu'il a été pendant plusieurs
années directeur du Conservatoire de Marseille.
— La commission supérieure des théâtres, au conseil municipal de Paris,
se trouve composée de la façon suivante pour l'exercice 1896-97 : MM. Gré-
beauval, Despatys, Paul Strauss, Georges Villain et Qutntin-Bauchart. On
sait que l'un des membres de cette commission, M. Georges Villain, est
l'auteur d'un projet de reconstitution du Théâtre-Lyrique, qu'il voudrait,
avec l'appui de la Ville, voir installer dans la salle du Châtelet, à l'expiration
du bail d{! celle-ci.
— L'auteur anonyme de la partition Seœiœ, qu'on avait fort remarquée au
concours musical de la Ville de Paris etàlaquelle on avait attribué une
prime de 3.000 francs, s'est fait connaître. C'est M. Colomer, le musicien
très distingué et trop modeste, qui n'est certainement pas au plan qu'il
devrait occuper. Nous avons publié de lui, il y a quelques années, sous
le titre Rondels de mai, une petite suite de mélodies qui sont des pages
fines et délicates et qui mériteraient certainement d'être plus connues.
— Suite des résultats des concours à huis clos au Conservatoire ;
Piano, classes préparatoires (hommes). 4 Juillet. 6 concurrents.
7™ médaille: M. de Lausnay ; 2" médaille : M. Galland; 3^ médaille :
M. Moscan. Tous élèves de M. Decombes.
Harmonie (femmes). 6 Juillet : 12 concurrentes.
Pas de 1=' prix. 2-" Prix : M"»s Meyer, élève de M. Banhe, et Lhote,
élève de M. Chapuis. Pas de 1='' accessit; 2«^ accessits :• M''«s Grumbach et
Hansen, élèves de M. Chapuis.
Fugue. 7 Juillet. 13 concurrents.
^«r Prix : M.Caussade, élève de M. Théodoré Dubois. 2" Prix : MM. Estyle,
et Gonard, élèves de M. Ch. Lenepveu. Pas d'accessits.
Piano, classes préparatoires (femmes). 8 Juillet. 21 concurrentes.
'/'== Médailles: M"'-' Debrie et Ploquin, élèves de M''"" Tarpet-Leclerc ;
2"s médailles : M"»'' Nosny, Franquin, Bousquet, élèves de M"» Tarpet-
Leclerc, et Jofïroy, élève de M"' Trouillebert; 3== médailles : M"=* delà
BougUse, élève de M""» Chéné, Robillard, élève de M'»= Tarpet-Leclerc,
Bournac, élève de M™ Trouillebert, Grumbach et Brisard, élèves de
M'"» Chéné.
Violon, classes préparatoires. 9 Juillet. 14 concurrents.
'/'■" médaille : M"' Schneider, élève de M. Desjardins ; 2" médailles :
M"<^ Védrenne, M. Quesnot, élèves de M. Desjardins, et M"s Schiick, élève
ae M. Hayot. 3'* médailles : M. Kronenberger, élève de M. Hayot,
M""! Coudart, M. Chailley, élèves de M. Desjardins, et M. Dorson, élève de
M. Hayot.
Orgue. 10 Juillet. S concurrents.
Pas de l"' prix. 2" Prix i M. Quex; 4"' accessit : M. Harnisch. Tous deux
élèves de M. Widor.
— Une erreur de transcription nous a fait attribuer à la classe de
Paul Vidal le nom de M"» Poigny, qui a obtenu une 3= médaille au concours
de solfège pour les chanteurs. M"' Poigny est élève de M. Edouard Mangin.
— Concours de l'École classique de musique et de déclamation dirigée par
M. Edouard Chavagnat :
Ensemble instrumental, section violon : 1" prix M"= Bourdelas et
M. Hasslauer; 2= prix, MM. Agarant et Mancel; 2» accessit, M. Claveau.
— Section piano : 1'-' prix. M"" Soulé; 2« prix, M"== Petit et Laffolay;'
2" accessit, M"*^ Tousaint et Combesferrier. Tous élèves de M. Chavagnat.
Violon supérieur : I™ prix, M"'^^ Lavarenne; 2' prix M"= Baréges et
M. Hasslauer; l" ace, M. Mancel; 2' ace. M- Neuberth. Tous élèves de
M. Berges.
Déclamation, tragédie (hommes) : 2= prix. M. Grandjean; 2« ace,
MM. Baillet et Dervy; (femmes) :2" prix.M"' Tugot. — Comédie (hommes):
!'=■' prix, M. Grandjean; 2" prix, MM. Clerc et Duvernet; I" ace, M. Deroy;
2<! ace, M. Versanne; (femmes) 1" prix, M"'= Tugot; 2= prix, M"' Delaspre ;
I" ace, M"8 Morizot ; 2= ace, M"" Schatz. Tous élèves de M"» Victor Roger.
Déclamation lyrique, opéra (hommes): i="' prix, M. Debray; 2» ace,
M. Germain; (femmes) : 2= prix. M"" Brack; 1" ace. M'" Braquehais. —
Opéra-comique (hommes) : 1" prix, M. Debray; (femmes) :2» prix, M"'^ Bra-
quehais; i" ace, M"" de Witte; i' ace. M"' Saint-Martin.
— Nous apprenons que notre confrère Albert Soubies, dont les travaux
sur le théâtre et la musique slaves avaient été justement remarqués, vient
d'être nommé chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas, de Russie.
— Le distingué pianiste-compositeur Ferdinand de Croze clôturait jeudi
dernier ses cours d'harmonie et d'exécution par une soirée qui fut un
concours entre ses élèves. M"= Jane Michel (d'Uzès) a remporté le plus vif
succès en interprétant avec style et grâce le Menuet de Boccherini (trans-
cription de Planté), la Gigue américaine de Redon et la triomphale Grande
Marche de Ferdinand de Croze ; aussi est-ce par des applaudissements
répétés qu'on a salué le prix d'honneur décerné à cette jeune exécutante
du plus grand avenir. L3 maître, quand sts élèves eurent pleinement
démontré l'excellence de sa méthode, tint lui-même l'auditoire sous le
charme en donnant, avec les compositions des grands maîtres, la primeur
de quelques-unes de ses œuvres inédites.
— Matinée très réussie chez le virtuose et professeur M'"^ Z^vierko^Yska,
Ont été très applaudis : la Source capricieuse, deL. Filliaux-Tiger, etEnlr'acte-
Mignon, de Thomas. L'air à'Hérodiade, de Massenet, a remporté un véritable
succès.
224
LE MENESTREL
— De Versailles on nous signale la matinée récemment donnée par
M"' Laure Taconet pour l'audition de ses élèves de chant qui ont tiré,
semble-il, le meilleur profit de l'excellent enseignement qu'elles reçoivent.
Après ses élèves, M"« Taconet s'est fait entendre avec le concours d'artistes
tels que MM. Alfred Brun, Rich. Loys, Delacroix, Queeckers et Balbreck.
MM. G. Piercé, P. Vidal et Kaiser étaient venus accompagner ou diriger
leurs œuvres. Ils ont été brillamment fêtés, ainsi que leurs vaillantes
interprètes. A mentionner spécialement dans ce riche programme : les
Xut'es, les Fées, le Fidèle Cœur, Printemps nouveau de P. Vidal, les Voix du
Printemps, de Kaiser, Yanthis, de Pierné et nombre des plus belles mélodies
de Gounod, Massenet, Reyer, Delibes,Lalo, Ch. Lefebvre, Holmes, Godard.
Quelque jours après a eu lieu l'audition des élèves de piano de M"« Taconet,
qui n'a pas été moins appréciée que la première.
— M"" Régina Cahen, artiste de grand talent, élève de M. G. Mathias,
vient de donner au Havre un récital de piano et de remporter un véritable
succès en interprétant des œuvres de Beethoven, Chopin, Grieg, Saint-
Saêns. Citons particulièrement Source capricieuse de M™ Filliaux-Tiger, qui
a été un triomphe pour la virtuose.
— Comme toujours, le concert de la Lyre lavalloite a brillamment réussi.
M"° Marguerite Lavigne, des concerts du Conservatoire et des concerts
Colonne, y a été l'objet de véritables ovations. Son succès, à juste titre, a
été très grand. Elle a chanté avec un art infini les Stances de Sapho de
Gounod, Jeanne d'Arc, heWe inspiration de M"' de Grandval, et Évocation,
œuvre intéressante du distingué compositeur lavallois Prosper Mortou,
le directeur de la Lyre.
NÉCROLOGIE
On annonce de Reims la mort d'un artiste habile et fort distingué,
M. J. Grison, organiste du grand orgue de la cathédrale de cette ville, où
il avait acquis une renommée méritée.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente au MÉNESTREL., 2"', rue Vivienne, HEUGEL et C'% Éditeurs-Propriétaires pour tous Pays.
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Dimanche 19 Juillet 1896.
3 {08. — 62™ mU — i\° 29. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉA-TRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, me Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un nn, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Jlusique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 te, Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMIIRE-TEXTE
I. La première Ealle Favart et rOpéra-Comif|ue, i'- partie, (11= arlicle). Amnun
PoL'ci.-v. — IL Le Tliéâtre- Lyrique, information?, impressions, opinions
(13° arlicle), Louis Gaixet. — III. Sur le Jeu de Robin ei Marion d'Adam de la
Halle l't' et dernier article), Julien Tieusot. — IV. Musique et prison (11= article) ;
prisons révolutionnaires, P.vul d'Esthée. — V. Nouvelles diverse?, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de ruNO recevront, avecle numéro de ce jour:
VALSE MÉLANCOLIQUE
tirée des Impressions et Souvenirs, de Marmontel. — Suivra immédiatement :
Bras dessus bras dessous, de Paul Waciis.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Si je savais, mélodie de Louis Diémer, poésie de Henri Becque. —
Suivra immédiatement ; Si vous étiez fleur, mélodie de Depret, poésie de
Jacques Normand.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-183S
QUATRIÈME PARTIE
I
(Suile)
Mais voici que, à propos du Théâtre-Italien, nous allons
voir entrer en ligne un prétendaat qu'on ne se fût certes
pas attendu à voir surgir en cette affaire, où sa présence, en
efïet, est bien étrange et bien imprévue. Ce serait le cas de
rééditer les termes de la fameuse lettre de M'"° de Sévigné à
son cousin M. de GouIaDges : « Je m'en vais vous mander la
chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus mer-
veilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus
étourdissante, la plus inouïe, la plus sicgalière, la plus in-
croyable... » Incroyable, en effet, celle que j'ai à faire con-
naître ici, et qu'aucun biographe, à L^a connaissance, n'a
révélée jusqu'à ce jour, bien qu'on ait fouillé jusqu'en ses
moindres replis la vie du héros de cette aventure, lequel
n'était autre qu'Hector Berlioz, qui se garde bien, lui-même,
d'en souffler mot dans ses fantaisistes Mémoires. Oui, au mois
de juin 1838, trois mois avant l'apparition à l'Opéra de Bence-
nuto Cellini, dont la représentation allait avoir lieu le 10 sep-
tembre, Berlioz, l'ennemi-né du génie musical italien, le
contempteur et le caricaturiste de Pergolèse et de tant d'au-
tres, Berlioz demandait... le privilège du Théâtre-Italien, dont
il aspirait à devenir le directeur. Quelque invraisemblable
que cela paraisse, il faut bien se rendre à l'évidence des
faits, et bien que, je le répète, aucun biographe du maître
n'ait cru devoir révéler celui-ci, il n'en est pas moins irrécu-
sable et patent. J'en trouve la première preuve dans cette
note que publiait la, Beviu' et Ga-::ette musicale dans son numéro
du 10 juin 1838: — « La direction du Théâtre-Italien vient
d'être concédée, pour quinze années, à M. Berlioz, noire
collaborateur. Une clause expresse du cahier des charges
interdit positivement la représentation d'ouvrages d'auteurs
français sur le Théâtre-Italien. C'est donc à plaisir que plu-
sieurs journaux ont ai'.cusé le ministre d'avoir accordé ce
privilège en faveur de M. Bertin, puisque la fille du proprié
taire du Journal des Débats ne pourra écrirj aucun opéra pour
ce théâtre tout le temps de la gestion de M. Berlioz (1) ».
La Gazette, toutefois, allait un peu vite en besogne. Au
moment oit elle parlait, rien n'était fait encore — et rien ne
devait se faire. C'est-à-dire que si le ministè're se montrait,
pour l'instant, favorable au projet do Berlioz, qui, collabora-
teur assidu du Journal des Débats, bénéficiait en la circonstance
de la puissance de ce journal, il fallait un vote des chambres
pour permettre à la combinaison d'aboutir. Or, dès le premier
jour la Chambre des Députés se montrait, pour sa part, net-
tement hostile à cette combinaison, ainsi que le prouve la
discussion qui eut lieu tout d'abord à ce sujet dans ses
bureaux. Un autre journal spécial, la France musicale, va nous
faire connaître les conditions de l'entreprise projetée.
L'exposé des motifs du projet de loi qui accepte l'olîre faite par
MM. Berlioz et compagnie (2) de reconstruire à leurs frais, risques et
périls la salle Favart et ses dépendances, nous fait connaître les con-
ditions de ce traité. La compagnie Berlioz aura pendant trente et
un ans la jouissance gratuite de la salle reconstruite; au bout de
ces trente et un ans, l'État rentrera non seulement dans la propriété
de l'emplacement, mais dans la propriété du théâtre réédilîé.
M. Robert, l'entrepreneur actuel, continuera de toucher jusqu'en
1840 sa subvention annuelle de 70.000 francs, et il jouira gratuile-
mcnt de la salle reconstruite jusqu'à l'expiration de sou traité. A par-
tir de 1810, il ne sera pa.s alloué de subvention, et la compagnie
Berlioz exploitera le privilège à ses risques et périls.
(1) On sait que M't" Louise Bertin, qui se posait en compositeur dramatique,
avait déjà pu, grâce à l'influence alors si grande du Journal des Débals, faire re-
présenter trois ouvrages sur nos trois tli^Atres lyriques: le Loup-GaroukVOpéra,-
Comique (1827), Fauslo au Tliéàlre-Iialien il831) et Esméralda à 1 Opéra (183C).
Les musiciens de profession étaient d'avis que c'était beaucoup pour un ama-
teur — et le public aussi.
(2) Berlioz avait pour associé dans cette affairo le comte Henri de Ruolz,
compositeur amateur qui avait fait de sérieuses éludes musicales, qui fit repré-
senter à, rOpéra-Comique Altendre el courir, à l'Opéra la Vendetla, et qui plus lard
abandonna l'art pour l'industrie; on sait que le procédé d'argenture Ruolz,
dont il fut l'inventeur, est devenu célèbre. La société du Théitre-Italien prenait
pour raison sociale : « Berlioz et compagnie ».
-226
LE MENESTREL
Le rapport annonce qu'il a été reconnu que la salle de l'Opéra-
Gomique pourra être agrandie, el il insinue qu'on pourrait appliquer
à l'amélioration de cet établissement l'économie que l'État fera sur la
subvention du théâtre Favart.
La nourelle salle des Italiens doit être reconstruite pour le ■l'"'' fé-
vrier 1839. Ainsi, pour ia saison prochaine, les Italiens iront quatre
mois à lOdéon et les deux derniers mois à la salle Favart.
Dès le 7 juin, la Chambre s'était réunie dans ses bureaux
pour nommer la commission chargée de procéder à un exa-
men préalable du projet de loi qui lui était soumis. Cette
commission se trouva composée de MM. Berger (l"' bureau),
Janvier (2*), de Jussieu (3''), Pérignon (4'^), Sainl-Marc-Girar-
din (S"), Mateau (6°), Charles Liadières (7'), Edmond Blanc
(8'), et Vatry (9*). Des objections importantes furent formu-
lées contre le projet, entre autres par M. Muteau, qui s'éleva
avec force contre son article 2, ainsi conçu : « L'indemnité
de 200.000 francs due par la compagnie d'assurances du Phé-
7UX pour l'immeuble de la salle Favarl est acquise au conces-
sionnaire; l'Etat en garantit le recouvrement; l'action à inten.
ter à la compagnie d'assurances, sera poursuivie au\ requête,
diligence et frais de l'Etat. » Plusieurs autres membres se
montrèrent hostiles au projet. La commission se constitua,
nomma M. Mateau président, M. Saint-Marc-Girardin secré-
taire, et se réunit le 14 juin pour délibérer. Elle ne prit
dans cette séance aucune résolution précise, et l'on parut
croire un instant que la discussion en séance publique ne
pourrait avoir lieu au cours de la session. « Comme on ne
peut rien faire, disait encore la France musicak (1), avant l'a-
dop:ion du projet de loi par les chambres, il est à craindre
que les futurs directeurs du Théâtre-Italien ne puissent pas
faire commencer la reconstruction de la salle avant la ses-
sion prochaine. »
Il n'en fut rien cependant, et il est à croire que le minis-
tère, sentant la Chambre hostile, avait le désir d'en finir
rapidement avec ce projet Berlioz, projet mal digéré d'ailleurs,
insuffisant et incomplet, comme nous allons le voir. La i]ham-
bre, présidée par M. Dupin, fut donc appelée à le discuter
dans sa séance du 19 juin 1838, et il ne me semble pas sans
intérêt de reproduire ici, d'après le Moniteur lui-même, celte
partie de la séance et le vote qui s'ensuivit :
M, LE Président. '■ — L'ordre du jour appelle la discussion du projet
de loi relatif à la reconstruction de la salle Favart. M. Muteau, rap-
porteur, a la parole.
M. MuTEAi:, rapporteur. — Je crois devoir e.'cposer en peu de mots, à
la Chambre, les motifs qui ont déterminé la commission à lui propo-
ser le rejet de la loi qui est en discussion.
Il s'agissait de la construction d'un édifice et de l'appréciation de
la dépense qui doit en résulter. Le premier soin de votre commission
devait donc être d'examiner les plans et de rechercher dans les devis
la mesure des sacrifices à la charge de l'Etat, soit que le gouverne-
ment renonçât à la jouissance pendant un certain nombre d'années,
soit qu'il puisât dans les coffres du Trésor les sommes nécessaires
au rétablissement du théâtre, ce qui, en délînitive, revient au même.
Cependant, aucun plan, aucun devis n'ont été produits, et tout ce
que nous avons pu rencontrer dans le projet à cet égard, c'est une
approximation de dépense, jusqu'à concurrence de 1.200.000 francs,
applicable à la reconstitution d'un théâtre suivant les plans qui
seraient fournis par le concessionnaire à l'administration, et dont
l'exécution serait subordonnée à l'approbation de M. le ministre de
l'intérieur, postérieurement à la loi.
Dans une semblable position. Messieurs, votre commission ne pou-
vait hésiter sur la conduite qu'elle avait à tenir, et ne voulant pas
prononcer en aveugle, elle a dû conclure au rejet d'une proposition
trop incomplète pour être soumise à vos délibérations.
Inutile, après cela, de vous eulretenir des contradictions ou des
irrégularités qui s'étaient glissées d'ailleurs dans les diverses dispo-
sitions du projet. Il est inacceptable dans son ensemble, et ce serait
abuser de vos moments que de le discuter dans ses détails.
Sans doute le gouvernement, préoccupé des vœux qui s'élèvent do
toutes parts en faveur du Théâtre-Italien, aura craint de laisser clore
la session sans vou.' apporter le témoignage de l'intérêt qu'il porte
(1) n juin 1838.
lui-même à un établissement devenu si populaire en France, et dans
son empressement trop tardif, selon nous, il n'aura pu éviter les im-
perfections que nous avons signalées; mais cela ne donne pas au
projet les garanties qui lui manquent, et l'essentiel aujourd'hui est,
en libérant l'administration d'engagements que la Chambre ne peut
ratifier, de mettre le gouvernement en position de proposer d'ici à la
session prochaine un autre projet mieux fondé que celui-ci, et amé-
lioré de tous les avantages que la concurrence peut lui donner.
M. LE MiriiSTRE DE L'iNTÉmEUR. — Oui. Il u'j a pas de contradiction.
M. DE Lauobue. — Messieurs, dans le projet présenté par le Gou-
vernement, il se trouve, à mon s;ré, une grave négligence. Si l'on
doit le reproduire l'année prochaine, j'espère qu'on le rédigera sur
d'autres bases.
Il est accordé au concessionnaire (et je trouve cela très bien) un
privilège d'une assez longue durée pour qu'il fasse procéder à la
reconstruction de ce théâtre sans aucune charge de l'État; mais il me
paraîtrait important pour les arts et pour la beauté de la capitale
d'accorder au concessionnaire quelques années de plus, alin que la
façade fût sur le boulevard et que l'édifice fût isolé.
On néglige beaucoup trop les occasions d'embellir les villes, et
lorsque des étrangers, des hommes de goût, parcourent la capitale,
ils s'aperçoivent des fautes qu'on commet à cet égard. Les théâtres
sont des monuments dont on doit orner l'aspect el les abords; et
lorsqu'on peut, dans celui-ci, l'embellir d'une façade sur la prome-
nade publique, il serait honteux de le l'econstruire justement sur
les fondations anciennes, ainsi que le portait le projet de loi. Je sou-
mets cette observation à Monsieur le ministre, dans les intérêts de
l'art (1).
M. LE Président. — Je mets aux voix les articles.
« Article premier. — L'offre faite par les sieurs Berlioz et C" de
reconstruire à leurs frais, risques et périls la salle Favart et ses
dépendances est acceptée.
» En conséquence, toutes les cla-.;ses et conditions, soit à la charge
de l'État, soit à la charge des sieurs Berlioz et C'% stipulées dans le
cahier des charges arrêté le 2 juin 1838 par le ministre secrétaire
d'Etat au département de l'intérieur, et accepté le 4 juin suivant par
les sieurs Berlioz et O", recevront leur pleine et entière exécution. »
(Rejeté.)
« Art. 2. — Le cahier des charges et l'acceptation des sieurs Ber-
lioz et G'" resteront annexés à la présente loi. »
Ces articles, rejetés au vole, par assis et levé, sont ensuite rejetés
dans un scrutin qui donne pour résultat :
Nombre de votants 232
Majorité . 117
Pour 3o
Contre 196(2)
Ainsi il ne se trouvait pas une voix, pas même celle du
ministre, pour prendre la défense du projet, et celui-ci était
enterré sans discussion, avec tous les honneurs qu'il méritait.
Il eût pourtant été curieux de voir ce que Berlioz aurait pu
faire du Théâtre-Italien.
(A suivre.) ' Arthur Pougin.
LE THÉÂTRE-LYRIQUE
INFORMATIONS — IMPRESSIONS
XIII
— Sommes-nous bientôt arrivés? demandent, à un passant qui
les croise et parait connaître le pays, des jeunes gens qui chemi-
nent depuis le matin el maintenant marchent à travers la nuit gran-
dissante.
Et le passant, leur montrant, au loin, une petite lueur rose.
— Il y a, par là-bas, vers cette lumière, une auberge. C'est là
qu'est le gîte.
(1) C'était la sagesse et le goût artistiques qui parlaient par la bouche de
M. de Laborde; et cependant, lorsque la Chambre de 1839 vota définitivement
la reconstruction de la salle Favart, elle ne tint aucun compte de sa très juste
observation. Nos législateurs actuels ont été, à cet égard, aussi sottement mala-
droits et aussi peu artistes que leurs aînés. Ils pouvaient, en adoptant le projet
d'une façade sur le boulevard, faire de ce point de Paris l'un des plus délicieux
et des plus pittoresques qui se puissent imaginer : ils ont préféré agir en igno-
rants et en Vandales.
(2) Moniteur universel, 20 juin 1838, p. 1765.
LE MÉNESTREL
227
Et voilà les voyageurs reparlis, d'un pas allègre, respirant mieux,
heureux de penser que tout à l'heure ils veut délasser leurs membres
endoloris, apaiser leur soif et leur faim, dormir tranquilles, après
avoir confié au maître du logis leur précieux bagage, bien léger,
mais leur pesant si lourdement aux épaules, depuis les longues
heures qu'ils le pottent.
Ils vont, ils vont! Et toujours la petite lueur, de plus en plus
rose dans la nuit opaque, les excite à la marche! et toujours elle
parait aussi loin d'eux. Vue de près, elle doit être énorme et res-
plendissante, autant qu'immense et bien pourvue l'hôtellerie dont
elle illumine la porte.
Hélas ! bientôt, ils s'aperçoivent qu'ils se sont trompés, que le
passant les a mal renseignés, qu'ils courent, entraînés par une
fallacieuse espérance, à la poursuite d'une chimère. La lueur rose
n'est pas celle de la lanterne d'une auberge hospitalière ; c'est tout
bonnement celle d'un falot, qui pend à l'arrière d'une charrette,
laquelle continue lentement, posément, à rouler, là-bas, au bout de
la route, gardant sa distance — impitoyablement.
Les voyageurs alors s'arrêtent, désorientés, découragés; ils jettent
leur bagage, se couchent sur le talus, éreintés, s'anéantissent dans
la nuit, mangés par le gouffre noir. Deux ou trois seulement ont la
fore3 de persévérer; ils assurent d'un coup d'épaule la courroie où
pend leur bagage.
— Ouste ! nous finirons bien par arriver ! il n'est pas possible qu'il
n'y ait pas enfin un gite pour nous, marqué par un falot qui ne
sera pas celui d'une charrette.
El tout en marchant, tirant le pied, ils ratiocinent ainsi :
— D'ailleurs, ils n'est pas possible qu'il n'y ait rien! Ceux qui
nous entrais le sac sur l'épaule et le pied sur la route, nous ont
affirmé que la roule menait quelque part, où nous pourrions nous
délester de noire bagage.
Ainsi vont, espèrent et se découragent les compositeurs, en quête
de ce Théâtre-Lyrique que les jours, les mois et les ans écoulés
semblent, avec une ironique persistance, tenir hors de leur portée,
ironie d'autant plus grande, déception d'autant plus vive que les
encouragements leur viennent plus nombreux et les espérances
plus hautes.
El toujours la charrette lumineuse roule là-haut, au bout de la
côte, perpétuant le leurre, mais du moins entretenant les courages.
Depuis le 28 avril 189S, je jette dans le Ménesirel mes notes sur le
Théâtre-Lyrique, feuilles volantes que le courant eniporte, où les
mêmes choses sont redites comme à satiété, où les informations et
les impressions se succèdent, sans que le but paraisse sensiblement
se rapprocher. Et je me demande pourquoi, aujourd'hui, j'ajoute une
nouvelle page à ces pages, qui redira ou du moins résumera ce
qu'elles ont dit. Elle pessimiste « A quoi bon?» se dresse ici. Pour-
quoi recommencer à remuer ces cendres, à crier devant cette porte
encore pour longtemps close, sinon pour toujours?
Dans les journaux, çà et là, des articles éclatent comme des
pétards; des mauvais plaisants en mettent jusque sous la porte de
rOpéra-Comique ; on entend des cris de haro! Gela amuse la galerie,
mais ne fait pas faire un pas à la question.
Et il m'est assuré que le rapport relatif à la fondation du Théâtre-
Lyrique municipal ne sera pas déposé avant octobre ! — Ne disais-je
pas la même chose, l'an dernier?
Encore une année perdue ! Et ce n'est pas la faute de nos conseil-
lers. Ils sont animés des meilleures intentions du monde. On les
trouve partout où il y a quelque bien à faire et quelque idée gêné
reuse à soutenir. Mais c'est le propre des assemblées, des commis-
sions, d'aller lentement, là où les individualités iraient vite. Il faut
donc encore se résigner, patienter.
Et puis, comme si cette malheureuse musique ne devait jamais
connaître la tranquillité parfaite, un contre-projet est venu lui faire
obstacle. On a parlé de la nécessité de donnera Paris un grand
théâtre de drame. Gela n'est point pour déplaire, bien que les théâtres
de drame ne nous manquent pas. Ce qui est à craindre, c'est un
conflit, ou tout au moins un partage entre les deux principes.
Le drame et la musique ne sauraient vivre ensemble sur le même
terrain, c'est entendu. L'orientation des idées, telles qu'elles se
manifestent aujourd'hui, nous fait donc entrevoir que le théâtre du
Châlelet, — quand le bail en sera terminé, — restera consacré au
drame, ou à la grande féerie, et son voisin d'en face réservé à la
musique, ce pourquoi il fut d'ailleurs créé, quand l'Opéra-Gomique de
la place Favart aura achevé sa croissance.
A qui ira le patronage effectif du conseil municipal? A la mu-
sique ou au drame ? A l'une ou à l'autre certainement, car se parta-
ger serait inolïicace et peut-être nuisible à tous les deux !
La consécration du Ghâlelet au drame, à la féerie, peut-être hélas!
à l'opérette, — fiu dernière, — • l'expérience l'a prouvé, — d'un autre
théâtre, « La Gaîté, » que le conseil municipal de 1880 avait solen-
nellement sacré temple du drame moralisateur ; cette consécra-
tion, dis-je, du Ghàtelet à l'art dramatique pur, apportera sans
doute quelque déception à ceux qui, dans leurs projets, en faisaient
le sanctuaire élu de la musique. Pour ma part, j'estime comme un
bienfait pour eux qu'il leur échappe. Et je répète volontiers, à ce pro-
pos, qu'il n'y a pas de bonuo musique dramatique à bon marché,
que c'est pure illusion que de croire que, chaque jour, trois mille
spectateurs s'entasseraient dans l'immense vaisseau où se dévelop-
pent actuellement les tableaux du Toui' du Monde en 80 jours, pour
entendre de la musique qui, même légère ou gaie, fait toujours un
spectacle comparativement grave.
Non ! la place de la musique, municipale ou libre, est à l'Opéra-
Gomique actuel. Et que l'un des administrateurs actuels des théâtres
musicaux subventionnés l'y installe, eu vertu d'une de ces com-
binaisons que l'on peut attendre de gens rompus au métier, qu'elle
y soit amenée, mise en valeur par quelque imprésario nouveau,
— les prétendants ne manquent pas, — c'est là .'seulement qu'elle peut
avantageusement élire domicile, puisqu'il ne saurait être question
Ce la Gaîté, où elle fut naguère bien à sa place, ni de la Porte-
Saint-Marlin, où, assurément, elle serait mieux que partout ailleurs.
Ce ne sontpas les œuvres qui lui manqueront: œuvres anoienaos,
classiques, pour l'éducation des masses, domaine public immense
que j'ai nagoère fait entrevoir; œuvres nouvelles dues à des com-
posileurs d'hier, d'aujourd'hui ou de demain.
Eu attendant qu'il leur consacre ce nouveau théâtre, le conseil
municipal s'est soucié d'augmenter le nombre de ceux qui y vont
pouvoir prétendre.
Il a élargi le champ offert jusqu'ici aux concurrents du pris
musical de la 'Ville de Paris. Et tout récemment, le Spcilii, partition
dramatique de M. Lucien Lambert, a mérité ce prix.
Le fait est à noter. II crée au conseil municipal un nouveau devoir:
il l'engage plus profondément dans la voie qui le doit mener à la
restauration du Théâtre-Lyrique; théâtre qui, cette fois, sera sien et
lui fera certainement honneur, s'il est géré uniquement eu vue delà
vulgarisation des chefs-d'œuvre, de l'enseignement musical et de la
mise en relief de nos compositeurs nationaux.
.lusque-là, c'est vers l'Opéra, vers l'Opéra-Gomique que s'achemi-
neront encore les compositeurs. L'Opéra restera sur sa haute cime,
forcément clos aux jeunes conquérants, qui n'ont prise sur lui que
du côté des concerts dominicaux, si heureusement institués l'an
dernier.
L'Opéra-Gom.ique, il le faut espérer fermement, s'entr'ouvrira à
quelques-uns, de par l'éclectisme de M. Garvalho qui, durant cet
exercice 1893-1890 a, en son infatigable activité, abattu déjà tant
de besogne.
Nous parlerons un de ces prochains jours, puisque le Mi'iieslrel a
désiré que je reprisse la plume, de la façon dont le Théâtre-Lyrique
municipal pourrait, à notre sens, être utilement et avantageusement
géré.
Louis Gallet.
SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION
D'ADAM DE LA HALLE
(Suite et fin.)
Pour terminer cette étude, je dois ajouter quelques mots au sujet
du travail d'adaptation auquel l'œuvre, six fois centenaire, a dû être
soumise pour être représentée devant un auditoire moderne. Certes,
il eût été beau de la prendre dans sa forme originale et de l'offrir
ainsi, sans aucune retouche, au public de la fin du dix-neuvième
siècle; — de même qu'il serait plus conforme aux grands principes,
esthétiques et autres, de donner, à la Comédie-Française, les œuvres
de Sophocle ou de Shakespeare en grec ou en anglais. Mais comme,
jusqu'ici, la réalisation de ce bel idéal a rencontré des obstacles, il
a bien fallu recourir au concours des adaptateurs, — comme à un
mal nécessaire. Du moins ceux auxquels cette fonction est échue se
sont-ils fait un devoir de respecter de leur mieux l'esprit et la forme
de l'œuvre du vieux trouvère.
C'est ainsi que le poète a conservé exactement, dans le dialogue,
la forme si française du vers de huit pieds, suivant scrupuleusement,
vers par vers, le texte original, gardant même les rimes, et chaque
fois que cela était possible, des vers entiers. Il est vrai qu'il n'a point
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LE MENESTREL
cédé à ce goût de faux archaïsme, si démodé aujourd'hui, qui eût
poussé les adaplateurs des temps romantiques à émailler les vers de
mois destinés à « donner la couleur de l'époque » : Oncgues, moult,
mider, mengier, pastoure ou compaignie! Mais si sa traduction est
écrite en langue moderne, ce qui est, ce me semble, l'habituelle
qualité des traductions, elle n'en est pas moins respectueuse de
l'œuvre primitive, dont elle donne, j'en suis convaincu, l'idée la plus
juste et la plus fidèle.
L'objectif du musicien a été identiquement le même. Les habi-
tudes modernes des chanteurs et du public n'ayant pas permis de
mettre à exécution l'idée de faire entendre la musique de liobin et
Marioti sans aucun accompagnement instrumental, comme elle
l'avait été au XIIl'" siècle, il a bleu fallu composer cet accompa-
gnement de toutes pièces. El, là encore, il imporlait de ne pas tom-
ber dans le pastiche. Que pasticher, en effet? Nous avons vu qu'au
temps d'Adam de la Halle, l'harmonie accompagnante n'existait pas.
B'autre part, l'harmonie vocale, diaphonie ou déchant, était basée
sur des principes transitoires et en opposition avec ceux de l'art
moderne.
Fallait-il donc, sous prétexte d' « ancienne musique », d' « an-
cêtre de l'opéra-comiqae », imiter le style de Lully, ou bien celui
de Grélry. Personne, aisurémenl, ne l'eût voulu. Le seul moyen de
résoudre le problème consistait, pour le moderne collaborateur
d',\dam de la Halle, à s'inspirer intimement des formes des mélodies,
en dégager exactement le sens harmonique, sans préoccupation de
vaine archéologie, et en mettre en relief les formes, soit par des ac-
cords, soit par des dessins secondaires bien appropriés, soutenant la
ligne mélodique sans jamais la couvrir. C'est ce but que je me
suis efforcé d'atteindre. Et si parfois cette recherche m'a conduit à
adopter des formes qui semblent mieux en rapport avec l'esprit de
la musique moderne qu'avec l'idée que nous nous faisions de celle
du moyen âge, c'est qu'en réalité certaines mélodies du Jeu de Robin
et Marion soii\, très modernes, — demeurées vivantes, jeunes, fraîches
comme au premier jour.
La principale licence qui ait élé prise a consisté, djns les cas,
assez nombreux, oîi les morceaux de musique se composent d'une
simp'e phrase de quelques mesures, à redire deux ou trois fois cette
phrase en ajoutant aux paroles quelques nouveaux couplets. Sans
cela, l'auditeur aurait eu à peine le temps de fixer son attention sur
certains chants, si brefs qu'à peine commencés ils se seraient trouvés
déjà finis.
Enfin, pour donner un peu plus d'intérêt musical à la longue
scène finale des jeux pastoraux, scène presque entièrement dénuée
de musique, les auteurs de l'adaplatioa se sont permis d'introduire
deux chansons populaires recueillies de notre temps d'après la tra-
dition orale. La faute est-elle très grave ? Je ne le crois pas. Tout
d'abord nous n'avons jamais eu le noir dessein de faire accroire
a\ix gens que ces deux chansons étaient do la composition d'Adam
de la Halle, et le reproche d'avoir introduit subrepticement dans
l'œuvre des éléments étrangers ne saurait nous atteindre, puisque
ces deux chansons ont été prises dans un recueil de chansons popu-
laires qui n'est point ignoré du publie, et nîi il n'est pas une seule
fois question du Jeu de liobin et Marion. Même la franchise du procédé
fut telle qu'une des chansons choisies, publiée pour la première
fois dans ledit recueil, est redevenue populaire et se chante couram-
ment aujourd'hui dans les rues de Paris (1).
Peut-être est-ce précisément pour cela que la présence de cette
chanson dans une œuvre du XIII'^ siècle a pu sembler déplacée : il
n'est pas habituel, en effet, que les chansons des rues de Paris aient
une origine qui leur puisse permettre de figurer sans anachronisme
dans une œuvre d'une pareille ancienneté.
Celle-ci cependant fait exception, je puis l'affirmer.
Les chansons populaires, en effet, ont des origines qu'il est le plus
souvent très difficile, sinon impossible, de déterminer avec exacti-
(1) La ctianson « En passant par la Lorraine -, recueillie dans la tradition
populaire, a été exécutée pour la première fois devant un auditoire parisien
dans un concert organisé par l'auteur de cetle étude, au cercle Saint-Simon, le
2 mai 18S7; elle eut pour première et charmante interprète M"" MathildeAuguez,
alors toulc jeune élève du Conservatoire. Plusieurs années après, M. Louis Ganne,
mon ancien camarade de Conservatoire, m'ayant demandé de lui indiquer une
chanson populaire qu'il désirait intercaler dans une Marche lorraine, composée
pour la visite du Président Carnot à Nancy, je l'engageai à emprunter cette
mélodie à mon recueil ; c'est au succès qu'a obtenu ce morceau qu'est dû son
renouveau de popularilé. llallieureusement d'autres arrangements de mauvais
goût, et notamment l'adaptation de nouvelles paroles, ont eu parfois pour effet
de gâter l'aspect si charmant de la chanson, qui, sous sa forme originale, est
loin d'avoir le caractère vulgaire avec lequel, par suite de promiscuités
fâcheuses, elle nous apparaît trop souvent aujourd'hui.
tude, mais qui sont quelquefois très anciennes. Il en est dont les
caractères indiquent avec évidence une existence de plusieurs
siècles, et qui n'avaient jamais été écrites ni imprimées nulle part
avant d'avoir été recueillies par nos modernes folk-loristes. Par une
exception fort rare, et qui ne s'étend peut-être pas à plus de vingt
chansons, les paroles des premiers couplets et la première partie de
la mélodie de la chanson '/ En passant par la Lorreioe » se trouvent
notées dans un livre de musique du XVl'- siècle, le Tiers livre de
chansons nouvellement composé... chez Adrien le Roy et Robert Bal-
lard, lo61; elles y servent de thème à une composition h quatre voix
d'Arcadelt. Voilà donc une preuve positive de l'anciennelé de cette
chanson, qui, sans doute populaire longtemps avant l'époque de celte
publication toute fortuite, est, en tout cas, fort autérieure soit au
mouvement polyphonique palestrinien, soit aux opéras du XVII" et du
XVIIP siècle, soit aux ariettes de l'ancien opéra-comique, si vieil-
lottes au bout de cent ans, alors que l'antique chanson populaire a
conseivé toute sa jeunesse.
Pour l'autre chanson : « Rossignolel du bois joli, » il suffit d'ouvrir
les Chansons du XV siècle de MM. Gaston Paris et Gevaeit, le plus
ancien recueil de ce genre qui soit actuelle;nent à notre disposition,
pour voir que ce thème était des plus communs dans la plus vieille
chanson française : sur les cent quarante-trois chansons de tout
genre (une bonne moitié non populaires) dont se compose ce livre,
on n'en trouve pas moins de douze (1) où s'intercale un couplet de
Rossignolet, ayant le même sens, les mêmes caractères et la même
expression que la chanson populaire. Quant à la ligne mélodique,
avec sa tonalité si caractéristique (elle apparlient au premier ton du
plain-ehanl), elle porte en elle-même de suffisantes marques de son
origine reculée.
Il est vrai encore que le XV et le XVI" siècle, cela n'est pas le
XIIP. Mais, outre que ces chansons, dont les premières traces écrites
se manifestent seulement à cette époque, existaient déjà depuis
longtemps peut-être dans la tradition orale, il est constant que la
chanson populaire, loin d'être soumise aux conventions changeantes
et aux fluctuations de style des arts savants, reste, à travers les
âges, toujours semblable à elle-même, et comme immuable ; et de
même que le livre de Chansons du XY" siècle renferme encore des
morceaux appartenant au cycle de Robin et Marion, de même des
chansons, peut-être composées nu peu postérieurement, ne présentent-
elles aucun désaccord essentiel avec celles de la période précédente.
Quant à la nature même de la musique, il a été suffisamment dé-
montré que celle daJeu appartient au fonds populaire pour que l'on
puisse définitivement admettre que l'immixtion des deux morceaux
en question n'était aucunement menaçante pour l'unité du style. Ce
n'était pas introduire un élément étranger que de placer, k côté de
chansons populaires, d'autres chansons populaires, et la présence de
celles-ci ne fait aucun tort à la considération due au génie d'Adam
de la Halle, puisque ce génie est aussi parfaitement étranger à la
composition des unes que des autres.
Nous pensons donc que l'on peut accepter sans crainte, comme
très sincère, cette res.tauration du .feu de Robin et Marion, et tirer
de là une double conclusion : d'une part, glorifier l'esprit charmant
du vieux trouvère qui a si ingénieusement encadré les mélodies
populaires de son temps ; d'autre part, célébrer le génie musical
de la race française, qui se manifeste encore, dans cette œuvre
vénérable, non peut-être sous un aspect très élevé, mais, après une
si longue révolution des siècles, toujours aimable, alerte et spontané.
FIN JULUÎ.N Tjiîiisor.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONS RÉVOLUTIONNAIRES
I
Contraste de ta musique en prison avec ta musique en plein air pendant la Révotulion.
— jUarie-ylniomc'«e;ouci,'Ilï.MSEDEsMABSEii,L.usa!i Tenipte; était ce unctarecinouun
piano-forte? — L'éducation musicale donnée par Simon au Dauphin. — Le talent de
M" Ctéry et la prudence de Lcpitre. — Les concerts du Temple en nos ,- toujours
M"' Cliry et toujours Lepitre; romances politiques; i..ijEiNi: Phisonniéiu; de M"' de
délivrance.
Des plumes, plus autorisées que la nôtre, ont défini ici même,
avec une rare précision, le caractère bien tranché de la musique
révolutionnaire : de la force, de l'énergie, do la couleur, accentuées
Cliansons du XV siècle, n»5, 72, 77, lO'i, 106, 117, 120, 121, 123, 124, 132, 139.
LE MÉNESTREL
229
par la vigoureuse exécution des masses chorales, que venait ren-
forcer encore la voix vibrante des instruments de cuivre largement
multipliés.
Cette innovation harmonique, s'épanouissant au plein air, dut une
bonne partie de son succès à la mise en scène, qui préparait l'àmc
enthousiaste d'un peuple libre à subir l'enlrainement musical.
Il n'en allait pas de mémo, comme bien on pense, de ces infortunés
pour qui la prison était l'antichambre de la mort. Et cependant, eux
aussi avaient fini par se montrer insoucieux du lendemain, à l'exemple
des soldats que les strophes ailées de nos hymnes guerriers lançaient
sur l'ennemi. Les hôtes des prisons révolutionnaires n'avaient adopté
de la musique que les rythmes légers et sautillants, soupirs amou-
reux et refrains grivois. Ils se donnaient entre eux des concerts dont
le programme s'inspirait surtout des traditions du passé; si quel-
quefois ils y introduisaient une actualité, c'était à titre de parodie,
plutôt encore que par curiosité.
Ou ne saurait trouver néanmoins d'autre motif que celui-ci à la
fantaisie étrange qu'eut un jour Marie-Antoinette, pendant sa déten-
tion au Temple, de jouer la Marseillaise sur son clavecin. Le récit de
Lepitre, qui représente la Reine exécutant « l'hymne des Marseillais »
devaut un des commissaires de service, a trouvé longlemps des
incrédules, mais il n'est plus possible de douter devant la publication
d'une pièce officielle découverte par M. le baron de la Morinerie.
Nous lisons, en effel, dans te Mémoire des Dépa7i.se /'aille par moi
Malhey, pour Luis Capet et sa famille, Dapres sa demande, accordé par
le Conseil du Temple :
Du 8 novembre. Les pièce Do Concerto et Sancto De Playelle et d'hadne
et l'andante d'hadne en 16 party dS3 1. »
h'himne des HJarseiltait ■ 1 1. 10 s.
Ne vous semble-t-il pas que ce Mémoire, sous son aspect fruste et
grossier, — car nous avons tenu à respecter l'orthographe du docu-
ment pour lui laisser lonte sa saveur, — évoque, par le jeu naturel
des contrastes, l'image d'un autre clavecin, celui de Trianon? Et
quels souvenirs de jeunesse, de grâce et de fraîcheur n'éveille pas
dans le plus adorable des cadres ce meuble historique! Car il existe
toujours, svelte, élégant, aristocratique, avec sa voix fluette et ses
délicates peintures. — Mais le clavecin du Temple, qu'est-il devenu ?
Et pourquoi une main pieuse n'a-t-elle pas sauvé de l'oubli le témoin,
peut-être le confident, d'une des plus grandes infortunes humaines!
D'abord, était-ce bien un clavecin? Ne serait-ce pas plutôt un
piano-forte? Une anecdote du conventionnel Harmand (de la Meuse),
qui fui envoyé en mission au Temple après le 9 thermidor an II,
serait favorable à cette dernière hypothèse Le député ne savait quelles
preuves donnera la fille de Louis XVI de sa respectueuse sollicitude :
il convient d'ajouter qu'Harmand publiait ce récit au lendemain de la
Restauration :
Dans l'angle de cette seconde pièce, du même côté que le lit de IMadame,
était un fort beau piano à queue. Embarrassé, et cherchant une occasion
nouvelle de faire parler Son Altesse et de lui prouver que ma maladresse
était moins l'effet de l'ineptie que celui de ma position, je touchai le cla-
vier du piano, et quoique je n'y connusse rien, je dis à Madame que je
croyais que son piano n'était pas d'accord, et je lui demandai si elle dési-
rait que je lui envoyasse quelqu'un pour l'accorder.
— Non, monsieur; ce piano n'est pas à moi, c'est celui de la Reine : je
n'y ai pas touché et je n'y toucherai pas.
Mais, de tous les membres de la famille royale, le plus digne
d'intérêt et de pitié était assurément ce pauvre être inoffensif, qu'une
politique, cruelle à force d'être ombrageuse, arracha des bras de sa
mère. L'histoire n,e pardonnera jamais au corps constitué représentant
cette politique, à la Commune de Paris, d'avoir confié le Dauphin au
cordonnier Simon, une brute inepte, qui trouve aujourd'hui encore
des apologistes. On ne sait que trop l'éducation donnée par ce gou-
verneur à son pupille. Son esthétique musicale se ressentait de ce
sans-culotlisme intellectuel.
Un jour il apporte une guimbarde à l'enfant.
— Tiens, dit-il, petit jean f... ! Tes de mère et de tante jouent
du clavecin : il faut que tu les accompagnes avec la guimbarde, cela
fera nu beau tintamarre.
Ce témoignage de Prudhomme, que, par respect pour ,e lecteur,
nous n'avons pas voulu citer textuellement, pourrait paraître suspect,
étant donné le peu d'autorité de ce journaliste ondoyant et divers.
Mais combien de documents officiels sont venus le corroborer, en éta-
blissant que Simon, le digne pi'éeurssur d'Hébert, le Père Duchesne,
fut le corrupteur du petit Dauphin! Un seul nous suffira.
Le 11 décembre 1793, on était venu se plaindre au conseil général
de la Commune que l'enfant chantait souvent et très fort. La crainte
que cette jeune voix no réveillât « le fanatisme contre-révolution-
naire » fit décider que les abat-jour, précédemment établis pour
empêcher toute, communication du Dauphin avec la famille royale et
supprimés depuis l'exécution de Marie-Antoioelte, seraient immélia-
tement relevés.
Ces chansons étaient donc royalistes?
Un arrêté do la Commune (registre 20) va nous édifier à cet égard.
Il ne s'agit pas de la Carmagnole et « mille autres horreurs », que le
Dauphin chantait avec Simon, comme le signale le Journal de la
Duchesse d'Angouléme, mais du répertoire obscène qui avait scandalisé
jusqu'à un membre de la Commune, dont l'indignation avait jiaru
suspecte.
Le Bœuf, présent à la séance, prend la parole pour se disculper : il dit
que, par état, il n'aimait pas à entendre (.hanter des chansons indécentes
et qu'il avait témoigné son déplaisir au citoyen Simon, qui s'était souvent
permis d'en répéter de semblables devant le petit Capet, auquel il aurait
désiré qu'on donnât une éducation plus conforme aux bonnes mœurs.
Quel contraste avec celte autre scène racontée en 1817 par Lepître,
dans ses Quelques souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple!
Je n'ai point parlé de la romance composée pour le jeune roi, après la
mort de sou auguste père.
M"" Cléry (la femme du valet de chambre de Louis XVI), habile virtuose
sur le clavecin et la harpe, en avait fait la musique. Je la portai au Tem-
ple et l'offris à la Reine. Huit jours après, lorsque je revins, Sa Majesté
me fit entrer dans la chambre de M"": Elisabeth. Le jeune prince chanta la
romance, et M""" Première l'accompagna.
Nos larmes coulèrent, et nous gardâmes longtemps un morne silence
Voici ces couplets :
La Piété filiale.
Eh quoi ! tu pleures, ô ma mère !
Dans tes regards fixés sur moi
Se peignent l'amour et l'effroi :
J'y vois ton âme tout entière.
Des maux que ton fi's a soufferts
Pourquoi te retracer l'image?
Lorsque ma mère les partage,
Puis-je me plaindre de mes fers?
Un jour peut-être... (l'espérance
Doit êlre permise au malheur).
Un jour, en faisant son bonheur,
Je me vengerai de la France.
Un Dieu favorable à ton fils
Bientôt calmera la tempête ;
L'orage qui courbe leur tète
Ne détruira jamais les lis.
Quoique beaucoup de documents du même genre et de la même
époque aient été fabriqués après coup, nous croyons à l'authenticité
de celui-oi, parce que plusienrs témoignages sont venus nous con-
firmer la véracité de l'auteur. Lepître, officier municipal que son ser-
vice appelait au Temple, était un royaliste, mais un royaliste... pru-
dent. Cette circonspection lui permit d'approcher plus souvent des
princes qu'il vénérait en silence, et de les laisser jouir d'une liberté
relative. La langue des dieux, pour laquelle il avait une passion mal-
heureuse, lui servit même de truchement à une époque oii la licence
poétique pouvait seule autoriser les allusions les plus transparentes.
La fille de Louis XVI avait survécu a toute sa famille. Elle attendait
patiemment dans son cachot sa prochaine délivrance, sachant que de
puissants amis et des politiciens prévoyants s'entendaient pour en
avancer l'heure. Déjà, dans les derniers mois de 1793, des fidèles
avaient signalé leur présence par une manifestation qui avait profon-
dément touché la jeune prisonnière. Le jour de sa fête, dit le Bulletin
du Temple dans Y.Umanacli des honnêtes gens, « on lui a donné un con-
cert dans lequel on a associé les airs les plus touchants et les plus
analogues à la situation : la musique était placée dans un grenier des
bâtiments du Temple. Marie-Thérèse a paru dans le jardin, où elle
s'est promenée longtemps. Elle a montré qu'elle était sensible à la
marque d'intérêt qu'on lui donnait à une époque qui lui fut chère au-
trefois, mais qui avait dii lui devenir bien tnste depuis qu'elle était
devenue l'anniversiire de sa captivité ».
La police ferma les yeux, et les royalistes, enhardis par le succès,
recommencèrent à bref délai leurs séances matinales. Un ancien offi-
cier de la chambre du roi, nommé Hue, en a laissé la description,
conforme presque de tous points avec la version de Lepitre.
Hue et M"'° Cléry avaient loué, à la Rotonde du Temple, un apparte-
ment dont les fenêtres donnaient sur la prison et qui n'en était séparé
que par la largeur de la rue. Dans um des chambres, nommée par
ces pieux serviteurs la salle de concert. M"' Cléry, que nous savons
230
LE MÉNESTREL
déjà une virtuose, accompagnait sur la harpe celte romance de Lepitre
chantée par Hue, romance dont elle avait écrit la musique :
Las! avec moi gémissez, cœurs sensibles ;
Ils sont passés, les jours de mon bonheur.
Plus ne verrai moments doux et paisibles,
Et désormais vivrai pour la douleur.
Lugubres chants, répétés sur ma lyre.
Par vous seront mes regrets e.xprimés.
Autre refrain que ces mots ne puis dire :
Ils ne sont plus, ceux que j'ai tant aimés.
Mais bientôt le chanteur entonnait cet hymne d'espérance, dû à
l'infatigable collaboration de Lepitre et de M""" Gléry :
Calme-toi, jeune infortunée,
Bienlôt ces portes vont s'ouvrir.
Bientôt, de tes fers délivrée.
D'un ciel pur tu pourras jouir.
Mais en quittant ce lieu funeste.
Où régna le deuil et l'effroi.
Souviens-toi, du moins, qu'il y reste
Des cœurs toujours dignes de toi.
Hue cédait alors sa place à M"= de Brévannes, qui chantait ses pro-
pres compositions, entre autres /a /ei()!ePciso«»/è/-e, dont nous donnons
ici, comme nous l'avons déjà fait pour les romances précédentes, le
premier couplet :
Du fond de cette tour obscure.
Où m'a confinée (1) le malheur,
Vainement toute la nature
Me parait sourde à mes douleurs.
Ah! cependant des cœurs sensibles
Que je sais s'occuper de moi.
Rendent mes chaînes moins pénibles
En me prouvant encor leur foi.
« Madame, écrit gravement Lepitre, écoutait sur un pot à fleurs
renversé. »
Les jours de concert, la foule se rassemblait — cette vieille habitude
parisienne n'élonnera personne — pour prendre sa part d'une mani-
festation à laquelle ses goûts d'opposition systématique trouvaient
une certaine saveur contre-révolutionnaire. Il arriva même qu'à l'an-
niversaire de la Saint-Louis, la muse jusqu'alors timorée de Lepitre
se permit de telles hardiesses que le gouvernement en prit ombrage
et interdit les concerts.
C'était pure comédie : car, quelques jours après, Madame partait
pour lafronlière, où les commissaires de la Convention devaient échan-
ger la jeune princesse contre des officiers et des députés français,
prisonniers de l'Autriche.
Lepitre, chez qui le sentiment de la fidélité n'exclut pas celui de
l'intérêt personnel, a soin d'accompagner sa relation, que s'arrachaient
les âmes bien pensantes de la Restauration, de ce nota piqué au
dessous de ses poésies :
Ces romances et deux autres, composées dans le même temps et que j'ai
placées à la fin de cet ouvrage, se vendent avec la musique et les accom-
pagnements chez Siéber, rue des Filles-Saint-Thomas, n" 21.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUVELLES DIA^ERSES
ETRANGER
De notre corespondant de Belgique (16 juillet). — La période des con-
cours annuels du Conservatoire de Bruxelles vient de se terminer. L'en-
semble des résultats a été excellent, démontrant les qualités remarquables
d'un enseignement auquel la direction de M. Gevaert ne cesse de donner
une impulsion progressive. Alors même que, dans certaines classes et à
certains moments, les éléments exceptionnellement doués viennent à
manquer, la « tenue » générale est toujours élevée; on n'y vise pas à faire
uniquement des virtuoses, mais à former surtout des musiciens. A cet
égard, les classes d'instruments ont été cette année très productives,
dans une moyenne solide et sérieuse, dont profiteront nos orchestres, de
plus en plus exigeants et absorbants. Une seule nature d'artiste, tenant un
peu du classique « prodige », est à signaler, dans la classe de violoncelle
de M. Ed. Jacobs ; c'est M"= Ruegger, une gamine encore, qui a décroché
un premier prix avec la plus grands) distinction et qui possède tout ce qu'il
faut pour faire le bonheur des publics de concerts. Dans les classes de
violon, pépinières habituelles de Paganinis, rien de très en dehors ne s'est
révélé, bien que les premiers prix aient été nombreux : de bons exécutants
(1] « Me confina » demandait la prosodie.
faisant honneur à leurs professeurs MM. Ysaye, Gornélis et Golyns. Parmi
les pianistes, une petite « prodige », remarquée déjà l'an dernier,
M"° Laenen, a continué à étonner ses juges non moins par son assurance
que par sa facilité à transposer instantanément les fugues de Bach dans
tous les tons imaginables ; un élève de M. De Greef, M. Lenaerts, a brillé
par des mérites rares, qui lui assurent très probablement une belle
carrière ; le reste est simplement honorable. Quant aux chanteurs et aux
chanteuses, ils ont paru assez faibles ; on a couronné dans la classe de
M"" Warnots d'agréables vocalistes, et dans celle de M"" Cornélis des
sopranos dramatiques ayant du sentiment et du style, même à défaut de
moyens naturels ; le succès du concours a été un succès de promesses,
dirai-je, pour l'an prochain, remporté par une élève de M»« Gornélis,
M"' Collet, douée d'une voix charmante. Enfin, cette année, les classes de
déclamation ont fait un peu parler d'elles. Dans le tas de sujets très
faibles, une tragédienne réellement douée, M"« Denys, s'est révélée. Sera-
ce une future Dudlay, ou davantage même? Souhaitons-le. On a remar-
qué aussi une comédienne, extrêmement fine et délurée, qui répond au
nom familier de Polyte. Cette demoiselle Polyte avait déjà paru sur les
planches, au théâtre Molière ; elle y retournera certainement et y fera
carrière. Retenez, à Paris, ces deux noms-là. L. S.
— De l'Eventail, de Bruxelles : « La Belgique ne participera pas à l'ex-
position du théâtre et de la musique qui s'ouvrira à Paris à la fin du mois.
Le nombre des adhésions n'était pas sulCsant. Il est vrai qu'on s'y est
pris un peu tard. Le comité belge dont nous avions annoncé la formation
a été dissous. »
— Un journal de Bruxelles annonce que M. Paul Gilson a été chargé
par le gouvernement belge de composer une cantate pour l'ouverture de
l'Exposition internationale de 1S97. Elle sera exécutée, le jour de l'ouver-
ture, par toutes les musiques militaires de la garnison, plus 500 chan-
teurs, formant un ensemble de 1.200 exécutants.
— L'empereur Guillaume II a dédié à l'impératrice de Russie une Marche
de couronnement, de sa propre facture. On ne sait pas encore si cette nou-
velle composition sera livrée à la publicité, comme le fameux Hymne à
Aeçjir. Nos lecteurs se rappellent que Guillaume II a composé pour l'em-
pereur Nicolas II un tableau allégorique représentant les dangers de la
race jaune pour la civilisation européenne. La cour de Russie aura donc
l'occasion d'admirer tous les talents du dilettante couronné.
— Le musée Richard Wagner, à Eisenach, est déjà complètement ins-
tallé dans l'ancienne villa du poète Fritz Reuter, qui appartient à la ville
d'Eisenach. La biblothèque, à elle seule, remplit le premier étage; au rez-
de-chaussée on trouve les autres objets de la grande collection réunie par
M. OEsterlein, de Vienne. Le musée Richard Wagner sera bientôt ouvert
au public, et les nombreux pèlerins de Bayreuth pourront facilement le
visiter, car la distance entre les deux villes n'est pas bien importante, et
la Wartburg, à elle seule, vaut bien un petit détour.
— L'exposition du centenaire de Franz Schubert à Vienne promet d'être
fort brillante. Jusqu'à présent, le comité s'est assuré l'exposition d'environ
six cents objets dill'érents qui se rattachent au maître du lied et parmi
lesquels se trouvent plusieurs œuvres d'art de premier ordre. Les mélo-
dies de Schubert, qui ont popularisé beaucoup de poésies qui seraient
oubliées à l'heure qu'il est sans le concours de la musique, ont inspiré
un grand nombre de peintres, et dans les musées de Munich et de Berlin
se trouve maint tableau qui se rattache ainsi au compositeur viennois. Le
comité va s'adresser au prince-régent de Bavière et à Guillaume II pour
obtenir l'exposition de ces peintures à Vienne, et le ministère des affaires
étrangères d'Autriche-Hongrie a promis d'appuyer cette demande.
— Un correspondant allemand de la Perseveranza, de Milan, lui donne
des nouvelles assez peu satisfaisantes de deux opéras dont nous avons
annoncé la récente apparition. A prepos à'Incjo, de M. Philippe Rùfer,
donné à l'Opéra de Berlin, il écrit : « Le sujet est tiré d'une vieille
légende allemande; la musique est savante, bien faite, mais d'aucun effet.
Rûfer est un musicien instruit, qui connaît bien la fugue, la sonate, la
symphonie, l'instrumentation et les voix. Mais, diable ! toutes ces connais-
sances ne suffisent pas pour créer un chef-d'œuvre. Il manque la fameuse
étincelle. Sans elle, l'œuvre d'art demeure une chose inachevée, (jui peut
inspirer l'estime, le respect, mais jamais ni sympathie, ni enthousiasme.
Aussi peut-on dire de cet Ingo: Il naquit et il mourut! » Voilà pour le
compositeur belge; passons au compositeur italien, dont le mûme corres-
pondant parle ainsi : « Crescenzio Buongiorno s'est présenté au théâtre de
Leipzig avec son opéra Festa del carro, travail du genre de ceux qui pullu-
lent aujourd'hui en Italie dans le camp des vcristes (les véristes sont les na-
turalistes de nos voisins) : scènes de jalousie avec brigands, coups de
poignard, coups de couteau, batailles et ainsi de suite; musique d'ell'et et
appropriée au sujet, mais d'une trivialité qui rappelle la musique de
cirque. Au résumé, talent, mais défaut absolu de doctrine. Voilà donc
deux extrêmes qui se touchent, et ni l'un ni l'autre n'a l'ombre de
vitalité. »
— L'Opéra royal de Berlin vient de jouer avec beaucoup de succès un
nouveau ballet intitulé la Rose de Chiraz, livret de M. E. Graeb, musique
de M. R. Eilenberg.
LE MENESTREL
231
— Le ministère des cultes et des beaux-arts, à Berlin, a accordé quelques
bourses aux élèves, hommes et femmes, du Conservatoire de cette ville^
pour qu'ils puissent assister aux représentations de Bayreutb. Le gouver-
neur d'Alsace-Lorraine a également accordé cinq bourses de 250 francs
cbacuue pour faciliter à cinq musiciens du pays le pèlerinage de Bayreuth.
— Une aventure assez étrange est arrivée récemment à Berlin. On sait
que depuis l'inauguration de la TripKœ, un échange de bons procédés
artistiques a lieu volontiers entre l'Allemagne et l'Italie. La première
envoie peu des siens dans la seconde, mais celle-ci saisit toutes les occa-
sions de se produire dans celles-là. Or, récemment, une bande musicale
italienne en uniformes de bersagliers, dirigée par un chef nommé Manni,
se faisait entendre au parc de l'Exposition de Berlin, dans un établisse-
ment qui porte le nom de Weltmusik. Pour une raison que nous ignorons,
le chef Manni avait été congédié tandis que ses musiciens continuaient
leurs auditions. Il arriva donc un soir que ledit Manni, flanqué d'un
huissier, se présenta pour faire séquestrer les instruments et même les
uniformes, déclarant qu'ils étaient la propriété d'un certain Boekel, qui
l'accompagnait — pas au piano. Devant cet exploit, les bersagliers se pré-
cipitèrent comme un seul homme sur leur ancien chef dans une intention
qui paraissait beaucoup plus hostile que vraiment affectueuse, le public
prit parti pour lesdits bersagliers, et il en résulta une épouvantable
mêlée. En présence de ce spectacle, l'huissier prit rapidement la poudre
d'escampette, on appela les gendarmes, qui se trouvèrent impuissants à
agir, et enfin la direction de l'établissement protesta avec vigueur contre
le séquestre réclamé.
— Elle est bien informée la Gazelle de Francforll Voici qu'elle annonce
que M. Massenet est à présent à Constantinople, et qu'il y travaille à un
opéra dont la reine de Roumanie a écrit le livret! Non, bonne gazette,
M. Massenet n'est pas à Constantinople. Il est besucoup plus près que cela.
Et la partition qu'il compose n'est autre que la Sapho tirée du roman de
Baudet par MM. Henri Gain et Arthur Bernède.
— M. Joseph Bayer vient de terminer la partition d'un nouveau ballet,
intitulé la Fiancée coréenne, qui est destiné à l'Opéra impérial de Vienne.
— Johann Strauss ne chôme toujours pas. On nous écrit de Vienne que
le maître travaille actuellement, dans sa villa d'Ischl, à une nouvelle opé-
rette dont le titre n'est pas encore fixé. MM. Willner et Buchbinder lui
en ont fourni le livret. Johann Strauss espère pouvoir diriger la première
en octobre 1S97.
— La ville de Weimar, qui abrite déjà les archives de Schiller et de
Gœthe, dans unsplendide hôtel construit à cet effet et récemment inauguré
avec beaucoup d'éclat, ainsi que le musée Franz Liszt, va donner l'hospi-
talité aux archives du malheureux philosophe Nietzsche, qui a exercé tant
d'influence sur les adeptes de Schopenhauer et de Richard Wagner. Les
archives de Nietzsche sont actuellement entre les mains de sa sœur,
Jlmc l?oerster, qui s'est fixée à Weimar avec le docteur Kœgel, auquel elle
a confié la publication des œuvres inédites de son frère.
— De notre correspondant de Genève : La dernière représentation de
Werther nous a offert un début à sensation, celui de M"« Cécile Ketten
dans le rôle de Charlotte. Le tout Genève des premières s'est retrouvé au
théâtre, malgré les villégiatures commencées. Mais le grand et décisif
succès de la jeune artiste ne doit rien aux sympathies personnelles. Nous
avons eu une Charlotte irréprochable comme voix, comme science de chant
et comme jeu. E. D.
— Au premier essai (snggio) de fin d'année du Conservatoire de Milan,
on a entendu deux compositions de deux jeunes élèves de la classe du
professeur Ferroni, MM. Aristide Colombo et Giuseppe Ramella. Pour le
premier, c'était une ouverture qui indique de bonnes études, mais qui,
parait-il, est assez pauvre d'idées. Le second a produit une Paraphrase du
psaume 117, dont on loue la clarté, l'expansion de l'idée mélodique et la
forme générale, bien que la sonorité orchestrale soit parfois excessive. La
dernière partie, avec l'ensemble des choeurs et de l'orchestre, a paru très
heureuse.
— Petite citation du Trovatore de Milan, dédiée à ceux qui s'en vont
sans cesse dénigrant le Conservatoire de Paris : « A l'Opéra de Paris
vient de débuter, dans Sigurd, un nouveau ténor du nom de Gautier, élève
du Conservatoire, et les journaux en disent du bien. Prière de nous dire
quels sont les artistes qui sortent de nos si nombreux conservatoires et
qui pourraient affronter la scène de quelqu'un de nos grands théâtres? »
— Sous le titre de Società del Liuto il vient de se fonder à Florence un
nouveau cercle artistique. S'agit-il d'une tentative de résurrection du luth,
l'instrument si cher à nos pères — et à nos mères, — et dont la vogue
égalait il y a deux et trois cents ans celle du théorbe et de la mandore,
disparus comme lui? Toujours est-il que le nouveau cercle doit élre inau-
guré prochainement par un grand concert auquel prendront part M. Mas-
cagni,M'"' Gemma Bellinoioni et M. Roberto Stagno. M. Mascagni a même
promis d'écrire, pour cette fête inaugurale, une composition qui aura pour
titre C Apothéose du luth.
— A Bologne, dans une soirée brillante donnée par M. le commandeur
Carlo Lo/.zi, procureur général du roi, on a représenté avec succès un opéra
en un acte, Malala, dont le poème était dû à un avocat, M. Giovannini, et
la musique au fils même du magistrat, le docteur Antonio Lozzi. Le piano
était tenu par le compositeur en personne, le principal rôle féminin avait
pour interprète l'épouse de l'auteur. M""' Giovannini-Zacchi, et les per-
sonnages masculins étaient représentés par le ténor Rossi et le baryton
Buti. On a demandé le Us de l'ouvrage entier.
— Nous avons dit déjà qu'un des ministres actuels du cabinet italien,
M. Gianturco, était un compositeur amateur pratiquant. Dans une soirée
récemment donnée par M"'" ïeresina Tua, comtesse Valetta, ancien pre-
mier prix du Conservatoire do Paris, cette excellente violoniste a exécuté
une sonate pour piano ot violon de M. Gianturco, qui lui-même tenait
avec habileté la partie de piano. Une jeune cantatrice, M"= Maria Vittoria
Galzolaio, a chanté avec beaucoup de grâce plusieurs airs anciens, accom-
pagnée par le mari de M"'° Tua, le comte Ippolito Valetta, qui est un cri-
tique musical distingué.
— La musique n'adoucit pas toujours les mœurs. Il y a un an ou deux,
un certain Augusto Cremonini, marchand de musique et de pianos à
Livourne, avait accompli une tentative de meurtre sur son associé, M.Vin-
cenzo Ferrigni, avec lequel on peut croire qu'il n'était pas en accord
parfait. Maintenant, ses affaires se trouvant en assez piteux état, le même
individu vient, sans y réussir, de tenter de se suicider en s'ouvrant les
veines des bras.
— -Comme on l'avait prévu, la direction du Théâtre Royal de Madrid
vient d'être confiée à M. Zozaya, celui-là même qui, l'an dernier, à la mort
de M. Rodrigo, le directeur d'alors, avait pris les rênes de l'administration
et terminé la saison à la satisfaction générale.
PARIS ET DÉPARTEIÏIENTS
La commission supérieure des théâtres s'est réunie à l'Opéra, cette
semaine, pour examiner la situation, au double point de vue de la sécu-
rité du public et du personnel. L'intention de la commission serait, dit-
on, d'exiger la stricte exécution des prescriptions édictées en 1888 par
ordonnance préfectorale, et auxquelles on s'était dérobéjusqu'à ce jour, et
les commissaires, qui étaient au nombre de vingt-cinq à trente environ,
c'est-à-dire presqu'au complet, se sont livrés pendant plus de deux heures
à un examen approfondi du th.iàtre, visitant la scène, les dépendances,
les dessous, les dessus, la coupole, etc., guidés par M. Gailhard, qui les a
obligeamment accompagnés partout. M. Lépine, préfet de police, prési-
sident de la commission supérieure, et le colonel des sapeurs-pompiers
assistaient aussi à la visite. La commission se réunira prochainement â
la préfecture pour arrêter les termes de son rapport et formuler ses desi-
derata; nous pouvons, d'ores et déjà, affirmer ses intentions de prescrire
les améliorations suivantes et d'exiger : 1" une canalisation d'eau permet-
tant d'inonder, en cas d'incendie, toute la scène. La Ville a amené la
pression d'eau au bas de l'Opéra, il ne reste plus qu'à la distribuer. Mais
on se heurte ici aune grosse difficulté : la scène est encombrée de décors.
Si toutes ces toiles étaient inondées d'un seul coup, le poids énorme qui
résulterait de cette imbibitiou — il ne serait pas moindre de rinq à six
millions de kilos — ébranlerait les murs de l'édifice et ferait peut-être
écrouler la coupole. On aurait l'intention de trancher la question en ne
permettant le séjour sur la scène que des décors de quatre opéras; 2" l'éta-
blissement d'un rideau de fer destiné à séparer la scène des spectateurs
en cas d'incendie et à prévenir ainsi l'asphyxie par l'oxyde de carbone,
ce qui s'est produit lors de l'incendie de l'Opéra-Comique; le rideau ac-
tuel est en fer maillé, tandis que l'ordonnance exige un rideau en fer
plein ; 3° une installation électrique nouvelle. Présentement, l'Opéra pro-
duit lui-même, dans les sous-sols du monument, l'électricité dont il a
besoin, et il approvisionne même le Cercle militaire. Il s'ensuit que l'Opéra
est soumis à une constante trépidation que l'on considère comme de na-
ture à préjudicieraumonument, notamment au grand escalier, que ces vibra-
tions incessantes ébranlent. On désirerait donc voir disparaître l'installation
présente; 4° le déblayement des dessous. Actuellement, les dessous de
l'Opéra sont encombrés par les parquets que l'on établit pour les bals. En
cas d'incendie, cet amas considérable de bois très sec fournirait au.x
flammes un aliment qui développe) ait le sinistre dans de grandes propor-
tions ; S" une installation nouvelle du lustre. L'installation actuelle est la
même que pour l'éclairage au gaz; le lustre est mobile. Il pèse 8,000 kilos
et est supporté par six contrepoids de 1.200 kilos chacun, masse énorme
qui est suspendue sur la tête des spectateurs. La commission supérieure
des théâtres demandera que le lustre soit fixé au plafond, installation qui
existe dans la plupart des théâtres. Enfin, la commission se serait aussi
préoccupée des difficultés d'entrée et de sortie de l'amphithéâtre, dont la
circulation, en cas de panique, offrirait un certain danger; elle voudrait
des portes plus larges et plus commodes. M. Eugène Deschapelles, chef
du bureau des théâtres au ministère des beaux-arts, qui assistait à cette
visite, a affirmé l'intention de l'administration de consacrer aux amélio-
rations demandées les fonds de réparations disponibles, quitte à demander,
an supplément, les crédits nécessaires pour compléter, s'il y avait lieu.
— En cette fie de saison M. Carvalho est, comme d'habitude, la proie
des auditions d'opéras. Il a entendu l'Hôte, de MM. Michel Carré et Edmond
Missa, un petit drame très saisissant, puis la Photis de MM. Louis Gallet
et Edouard Audran. Il va entendre la Dalila de M. Paladilhe, les Pécheurs
de Saint- Jean de M. Widor (livret d'Henri Gain), Caprice de roi, de M. Paul
Puget (livret de M. Armand Dartois), les Guelfes de Godard, le Spahi de
M. Lucien Lambert, et bien d'autres encore. Que sortira-t-il de tout cela?
Voyez et choisissez, mon directeur.
232
LE MÉNESTREL
— En atlendant, M. Garvalho porte surtout son attention, avec la reprise
de Don Juan, sur )a Cendrillon de M. Massenet, dont la distribution est
presque arrêtée. Il semble qu'on pense aussi à réorganiser et à régénérer le
petit corps de ballet de la maison. Du moins l'engagement de M"» Jeanne
-Lamolhe, étoile chorégrapbique du théâtre de la Gaité, semble l'indiquer.
— Il convient de signaler le très grand succès de M"= Grandjean à
l'Opéra dans le rôle d'Eisa de Lohengrin. Le public a Tété la jeune artiste
d'un bout à l'autre de la rf présentation. Cela a été une soirée des plus
intéressantes.
— De M. Jules Iluret, du Figaro ; « Le fils o'un sportsman 1res connu a
obtenu, il y a quelques jours, une audition dès directeurs de l'Opéra. 11
s'est fait entendre dans le grand air de lu Juive et y a révélé des qualités
vocales extraordinaires. M. Gailhard se montrait enthousiaste de la force
et de l'étendue inouïe de cette voi.v. Malheureusemenl, le futur ténor ne
sait rien de son ari. On va le faire entrer au Conservatoire pour commencer
ses études de solfège, et comme il a vingt quatre ans il lui faudra une
dispense qu'on, obtiendra sûrement, en raison des dispositions tout à fait
miraculeuses du sujet. Il parait en effet que la voi.x de ce « merle blanc »
va du contre-/a d'en bas au rv d'en haut! La voi.\ de Faure augmentée de
celle de Duc! On espère qu'après deux ans d'études au Conservatoire, ce
gosier sans précédent pourra faire à lOpéra des débuts qui seront à coup
sur sensationnels. "
— Les concours à huis clos prenaient fin samedi dernier, au Conserva-
toire, par la séance consacrée à l'acconip^ignemenl au piano. Les récom-
penses ont été cette année peu nombreuses, une seule pour chaque se.xe.
Pour les hommes, un second prix a été décerné à M. Jumel; pour les
femmes, un second accessit à M"= Louise Lhote.
Rappelons que c'est demain lundi que commence la série dos concours
publics, et que la semaine est ainsi occupée : lundi, à 9 heures : contrebasse,
alto, violoncelle; mardi, à. 1 heure : chant (hommes) ; jnercrfdi, à 1 heure:
chant (femmes); jeudi, à 10 heures : harpe, piano (hommes); vendredi, à
9 heures : tragédie, comédie; samedi, k i heure : opéra-comique.
— M. Saint-Siëns est en ce moment à Saint-Germain, où il travaille à
son nouveau ballet, les Filles d'Arles (livret de M. J. Croze), dont la première
représentation sera donnée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles.
— On est vif et précipité dans le Midi. i\Iais c'est égal, profiter de ce
qu'on est d.î Toulouse pour anno'.icer tant d'années à l'avance la mort d'un
artiste comme Francis Planté, c'est aller un peu vite en besogne. Ainsi
avait fait cependant notre ami Salvayre dans le Gil Blas de cette semaine,
portant la tristesse dans le cœur je tous les amis du célèbre virtuose, tris-
tesse d'autant plus noire que l'étonnant critique n'enterrait pas précisément
sous des fleurs le soi-disant défunt. Heureusement Planté est toujours là,
solide au poste et bien portant, et il demeure, n'en déplaise à M. Salvayre,
le plus surprenant virtuose du piano que nous puissions opposer, en France,
aux Rubinstein et aux Liszt. Ceux-ci le savaient bien et étaient les pre-
miers à reconnaître que leur émule Planté avait des qualités qu'eux-mêmes
ne possédaient pas : cette clarté, cette pure correction, ce charme et cette
élégance qu'on ne trouve que chez nous. Est-ce donc si peu de chose qu'on
puisse en parler avec tant de désinvolture?
— Puisque nous parions de Planté et de Rubinstein, rappelons le joli
propos que nous tint ce dernier, quand nous lui demandâmes pourquoi il
ne mettait plus sur ses programmes sa fameuse Valse-caprice : « La Valse-
caprice ? ma foi non! Je n'ose plus l'aborder après ce magicien de Planté.
J'ai l'air d'un éléphant qui veut jouer avec des fleurs. J'écrase où Planté
voltige ».
— M. 0. Lartigue, secrétaire général de l'Exposition du théiUre et de la
musique, nous prie de rappeler aux nombreux collectionneurs qui ont bien
voulu promettre de faire figurer des objets de leurs collections dans les
sections artistiques, documentaire et rétrospective, placée sous la direction
de M. Yveling RamBaud, que le moment est venu de faire parvenir ces
objets à notre confrère, au palais de l'Industrie, porte i, ou d'indiquer le
jour et l'heure où il pourra les faire prendre chez eux. L'ouverture de
l'Exposition du théâtre et de la musique est toujours fixée au 23 juillet
irrévocablement. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet, et nous
rendrons compte de cette intéressante manifestation artistique.
— Hier samedi, à l'Exposition de Rouen, festival Saint-Saêns, avec le
concours de M""' Cbrétien-Vaguel, de M. Vaguetet de M. Notté, de l'Opéra,
de M"" Jenny Passama et de M. Louis Diémer. Programme. — 1" partie :
la Lijre et la Harpe, ode symphonique, poésie de Victor Hugo, i' partie :
le Rouet d'Omphale. — 4' concerto pour piano. — Danse macabre. — duo de
Samson et Dalila, — finale du ballet d'Etienne Marcel. — L'orchestre et les
chœurs, comprenant cent cinquante exécutants, sous la direction de M. N.
Brumenl.
— Lundi dernier a eu lieu l'ouverture du Casino-club de Caulerets, et le
maestro Danhé, comme il fallait s'y attendre, a été, la soirée entière,
l'objet d'acclamations enthousiastes. Ou a fait recommencer à l'excellent
orchestre la Parade militaire de Massenet, et si l'on n'avait craint d'allon-
ger démesurément le programme on en aurait fait autant pour les Airs de
danse du Roi s'amuse de Delibes, et pour le Caprice de Saint-Saêns, très bien
joué par iM. Italiander. Beau succès aussi pour M"" Brussac et M. Claverie
dans le duo de Sigurd de Reyer, pour M. Claverie dans l'air d'IIérodiado
de Massenet, et pour M. Bogny dans Pensée d'automne de Massenet. Tiès
belle soirée, qui laisse deviner combien sera brillante la saison de Cau-
terets.
— Un concours aura lieu le lundi 27 juillet prochain, à deux heures du
soir, à la basilique de Saint-Denis, pour une place d'organiste-mallre de
chapelle et pour deux places de chantres. S'adresser, pour tdus renseigne-
ments et inscriptions, chiz M. Clovis Floquel, trésorier, 110, rue de Paris,
à Saint-Denis.
— M"° Ilortense Parent vient de publier, chez l'éditeur Thauvin, le texte
des deux conférences fort intéressantes qu'elle a faites à la Sorbonne, avec
le succès que l'on sait, sur l'inseignemect du piano. Elle a dédié son
opuscule à M. Gréard, membre de l'Académio française.
— Chez M'"" Audousset, à Neuilly, très brillante matinée musicale. Les
élèves ont toutes très bien joué. Citons parmi les morceaux les plus
applaudis la Sicilienne de Lack, les airs de ballet de Sijlvia de Léo Delibes,
etc. Réunion très intéressante.
NÉCROLOGIE
Les lettres ont fait celte semaine une perte sensible. Le dernier survivant
des frères de Concourt, Edmond, est mort mercredi dernier, subitement
à Ghamprosay, chez M.Alphonse Daudet, où il allaitchaque année passer
quelques semaines. Il était âgé de 74 ans. Nous ne saurions décrire ici
la carrière littéraire, à la fois très curieuse, très intéressante et très iné-
gale de cet écrivain qui avait du moins le respect et le souci le plus
absolu de la profession littéraire. Nous nous bornerons :i rappeler qu'il
s'occupa quelque peu de théâtre et qu'il fit représenter plusieurs pièces
dont voici les titres : Henriette Maréchal {Comédie-FrULVça^ise); Germini', Lacer-
ie«x(Odéon); Manette Salomon (Vaudeville); A bas le progrès et la Patrie est en
danger (Théâtre-Libre). A l'aurore de leur carrière, les deux frères de
Concourt avaient publié, en société avec leur ami le comte de ViUedeuil
(qui signait : Cornélius Hoff), un volume intitulé les Mystères des théâtres, qui
était une revue critique de la production théâtrale en I.S52.
— C'est avec une véritable tristesse que nous annonçons la mort pres-
que subite d'im des deux frères Lionnet, Anatole, enlevé jeudi dernier par
une angine. La génération présente u'a pas connu ces deux aimables ju-
meaux, d'une ressemblance si prodigieuse, qui firent pendant un quart
de siècle la joie des grands salons parisiens, mais qui, depuis déjà plus de
dix ans, s'étaient réduits au silence. Petits de taille, de tournure élégante,
les yeux et les cheveux noirs, doués chacun d'une voix un peu faible,
mais caressante et bien conduite, ils chantaient avec un goùl véritable
des romances que bien des musiciens écrivaient pour eux, et aussi des
duos dans lesquels leurs voix se mariaient de la façon la plus harmonieuse
et la plus charmante. Il fut un temps où il ne se donnait pas un concert,
pas une soirée un peu distinguée sans que « les Lionnet » soient de la
partie. Inséparables d'ailleurs, on ne voyait jamais Anatole sans Hippolyte
ou Hippolyte sans Anatole. Et ils n'étaient pas seulement des artistes
aimables et distingués ; ils étaient des gens de cœur qui, au temps de leurs
grands succès, mettaient à profit leur gentille renommée pour saisir toutes
les occasions d'être utiles à aulrui. Non seulement ils ne réfusaient jamais
leur concours à qui en avait besoin, mais ils venaient spontanément en
aide à toutes les infortunes artistiques, et l'on se rappelle la peine qu'ils
prirent pour organiser de superbes représentations au bénéfice de Frédérik
Lemaître, de Rouvière, de Renard, et de bien d'autres. C'est eux aussi qui,
régulièrement, chaque année, organisaient à Bicêtre et à la Salpétrière
une petite fête musicale touchante qui faisait la joie des pauvres fous et
des pauvres folles et qui leur procurait deux heures d'oubli et d'une sorte
d'extase délicieuse. Justement, il y a quelques jours à peine, au concert
qu'ils avaient monté à la Salpétrière, Anatole était obligé d'expliquer l'ab-
sence de son frère, qui était malade... et c'est lui qui est parti pour ne plus
revenir ! et c'est lui qu'on a conduit hier à sa dernière demeure ! Tous celix
qui ont connu les deux frères donneront un souvenir à celui qui n'est plus,
sans avoir l'espoir de consoler celui qui reste. A. P.
— On annonce de Milan la mort de M. Raffaéle Parravicini qui fut,
pendant plusieurs années, critique théâtral du journal il Sccolo. Lettré dis-
tingué, bon musicien et s'occupant aussi de peinture, il était auteur de
plusieurs livrets d'opéras, et il avait composé la musique d'un certain
nombre de romances ainsi que celle de quelques opérettes, entre autres
une opérette en dialecte milanais, i Disgrazzii del sur Sprella, qui avait ob-
tenu un succès mérité.
IIenki Heugel, directeur-gérant.
JEUNE MUSICIEN HOLLANDAIS, directeur d'un grand orchestre
en Hollande, compositeur de dilléientes opérettes, cherche, pour tout de
suite ou pour plus tard, place comme directeur de concerts ou d'opére/Zes. Certi-
ficats de premier ordre. Offres à la Soc. anon.
DE NIEUWE MUSIEKHANDEL
AMSTERD.'VM
Uiiilunche 26 Juillet 1896.
im. — 62""= mm — iv 3o. parait tous les dimanches
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTR
MUSIQUE ET THÉj^lTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrbl, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Cn on, Teite seul : 10 francs, Paris et ProTince. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La première salle Favart et rOpéra-Comique, 4' partie (12' article), Arthur
PouGEN. — II. A Bayreulh, JulienTieusot. — III. Les concours du Conservatoire,
Arthur Poucin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
St JE SAVArS
mélodie de Louis Diémer, poésie de Henri Becque. — Suivra immédiate-
ment ; St vous étiez fleur, mélodie de Depret, poésie de Jacques Normand.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : Bras dessus bras dessous, de Paul "Wachs. — Suivra immédiatement :
Un Rêve, de Ck. Neustedt.
LA PREMIERE SALLE FAVART
et
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
QUATRIEME PARTIE
(Suite)
II
Un iwufel incendie, celui du Vaudeville, vient compliquer ta situation. Trois
théâtres se trouvent alors sam asile : le Thédtre-Ilalien, réfugié provisoi-
rement à l'Odéon; l' Opéra-Comique, provisoirement à la Bourse; et le
Vaudeville, provisoirement au boulevard Bonne-Nouvelle. — Ce dernier
s'assun par un bail de la possession de la salle de la Bourse, occupée par
l'Opfra-Comicjue, et l'on se demande ce que deviendra celui-ci. — Le minis-
tère se décide enfin à mettre en adjudication les travaux de reconstruction
de la salle Favart. Les Chambres volent une loi à cet effet, l'adjudication
est prononcée au nom des directeurs de l' Opéra-Comique, et au bout de
huit mois le théâtre est complètement réédifiè. — Le 16 mai 1840 a lieu
l'inauguration de la nouvelle salle Favart, avec le chef-d'œuvre de son
répertoire, le Pré aux Clercs. — La crise est terminée, l' Opéra-Comique
est chez lui!
La question restait donc entière, et tout était à recom-
mencer. Un événement nouveau allait lui donner un dernier
degré d'acuité et la compliquer d'une étrange façon. Dans la
nuit du 47 au 18 juillet 1838, six mois, presque jour pour
jour, après l'incendie et la destruction de la salle Favart,
un autre Ihéâtre, celui du Vaudeville, situé alors rue de
Chartres-Sain t-Honoré et dont le directeur était Etienne Arago,
disparaissait à son tour dans les flammes, qui le dévoraient
sans qu'il en restât vestige. Nous allons voir quel nouvel et
singulier élément de trouble cet événement allait introduire
dans cette question déjà si troublée de l'Opera-Gomique, à
laquelle pourlaot rien ne semblait devoir le rattacher (I).
En attendant, les projets continuaient d'aller leur train. Au -
mois de septembre, les journaux annonçaient comme très
sérieuse une combinaison nouvelle qui consistait dans la
fusion définitive de l'Opéra et du Théâtre-Italien, réunis tous
deux dans la salle de l'Opéra et sous la direction de Du-
ponchei, déjà directeur de ce dernier, cette fois avec Louis
Viardot comme associé. Il faut croire pourtant que ce projet
fut de nouveau et vite abandonné, car, le 4 octobre, les Italiens
faisaient leur réouverture hivernale dans la salle de l'OJéon,
théâtre alors en déconfituie, et leur apparition, ou plutôt
leur réapparition sur un point de Paris si éloigné de leur
clientèle ordinaire, ne semblait pas leur porter tort, à en
juger par ce compte rendu :
Ce n'a pas été un médiocre événement dans le quartier voisin du
Luxembourg que l'ouverture duThéâtre-Ilalien à la salle de l'Odéoû.
Vers sept heures du soir, la rue qui y conduit, la place et les envi-
rons qui l'entourent étaient garnis de curieux, les uns aux portes
des boutiques, les autres se tenant sur les trottoirs, et tous regardant
lis deux files de voitures qui s'avançaient avec lenteur vers les
(1) « 1S Juillet 4S3S. — Le Vaudeville avait donné hier soir les Impressions de
voyage, Arthur et Lvslucru, trois pièces dont la mise en scène ne devait olTrir
aucune chance d'inquiétude. A minuit, les pompiers avaient fait leur rondo
accoutumée, et aucun indice d'incendie ne s'était révélée, quand, à trois heures
du matin, l'un des trois pompiers de garde dans la salle sentit tout à coup
une légère odeur de brûlé, qui semblait partir des combles situés au-dessus
de la salle, dans la direction du lustre. Il se dirigea vers ce point, et ayant
eu la présence d'esprit d'abaisser en passant le rideau, qui élalt levé comme
d'habitude, U se dirigea vers le point d'où l'odeur s'était exhalée. Mais déjà
tout était en feu dans les combles, et rebroussant chemin au plus vite, il alla
prévenir ses camarades. Au même moment, réveillé par les cris d'alarme qu'on
poussait au dehors, et surtout par la fumée qui avait gagné son appartement,
M.Barthe, le caissier, qui couchait près du théâtre avec sa femme et sa domes-
tique, s'élança à la hâte dans les coulisses, et, trouvant le rideau baissé, il
appliqua l'œil à l'une des lunettes de la toile, et aperçut avec terreur une pluie
de feu qui tombait au milieu de la salle. Quani au lustre, il était à demi brisé,
la corde qui le retenait aux combles ayant été probablement divisée par l'etret
delà combustion. L'incendie avait donc commencé dans les combles; mais rien
n'indiquait la première cause de ce terrible événement.
Quinze personnes habitaient l'édifice incendié, et, par un bonheur inouï,
aucune d'elles n'a péri. Ainsi réveillé en sursaut, M. Barlhe a eu le temps de
sauver sa femme et sa bonne, et de donner l'éveil au concierge, à sa femme et
à sa fille, qui se sont levés à la hite et ont pu gagner la rue avant que lallamme
les eût atteints. Quant à M. Mahret, le propriétaire du café du Vaudeville, après
avoir mis en lieu de sûreté sa femme et sa fllle, il est parvenu, aidé de quel-
ques voisins et de ses deux garçons, à sauver les glaces de son établissement
qui ont été transportées sur la place du Palais-Royal.
Il paraîtrait, d'après les bruils recueillis sur le théâtre même du sinistre, que
de l'atelier des peintres le feu s'est rapidement communiqué à l'atelier do
menuiserie; les llammes ont gagné le cintre du théâtre et toute la partie
supérieure de l'édifice.
La caisse et les registres ont pu être sauvés ; mais beaucoup d'artistes ont
fait des pertes considérables. On cite entre autres MM. E. Taigny, Uippolytc,
M'"' Bail hasard et Albert. Quant aux décors, ils ont tous été consumé.''... »
'Lesur : Annuaire hkl/riqua, pour 1838.)
^34
LB MÉNESTREL
portes du théâtre. Au fond, l'arrivée de deux ou trois arrondisse-
ments de Paris venant rendre visite à l'un des quartiers dont ils sont
le plus éloignés est un événement qui n'est pas indifférent, puisque,
sans parler du bruit, du mouvement et des scènes variées et inatten-
dues que celle transfusion accidentelle d'un quartier dans un autre
amène, il peut encore aider à faire répartir plus également l'activité
et l'existence dans notre grande ville de Paris...
A. en juger par l'empressement que les dilettantes ont mis à se
procurer des loges et des stalles, et au mouvement que se sont
donné les amateurs afin d'obtenir des billets pour l'ouverlure, on peut
dire que jusqu'ici le changement de quartier n'a produit aucun
eflel. Mardi dernier on a donné pour la première représentation de
celte saison musicale Otello, opéra de Rossini, dans lequel ont reparu
la plupart des virtuoses italiens que l'on entend avec tant de plaisir
depuis plusieurs années. M"' Grisi, ainsi que Rubini, Tamburini et
Lablache, ont successivement obtenu, h mesure qu'ils sont entrés en
scène, les félicitations et les applaudissements du public...
Il y a à peu près vingt-quatre ans que des acteurs italiens n'avaient
chanté sur le théâtre de l'Odéon. Mardi dernier, lorsqu'ils y ont
reparu, un assez petit nombre de ceux des amateurs qui ont assisté
aux anciennes représentations a pu se trouver à cette dernière... Au
nombre des spectateurs présents à l'ouverture de la saison de 1838,
se trouvait M™" Grassini, qui tant de fois, sur la scène qu'elle regar-
dait hier, nous a si vivement émus, il y a vingt ans, par le concours
de sa voix et de son jeu, dans les Horaces de Cimarosa et dans le
Roméo de Zingarelli (1).
Mais la question de l'Opéra-Comique et de la reconstruc-
tion de la salle Favart continuait de préoccuper, on pourrait
dire de passionner la presse et le public, qui ne comprenait
rien à l'inertie de l'administration et à un retard si préjudi-
ciable à ses plaisirs. Ce retard avait réveillé les convoitises
des propriétaires de Ventadour, enragés dans leur entêtement,
et ceux-ci recommençaient à réclamer, comme s'il leur était
réellement dû, le retour de l'Opéra-Comique dans leur salle,
louée pourtant par eux au nouveau théâtre de la Renais-
sance, qui y faisait son ouverture le 8 novembre 1838 avec le
Ruy-Blas de Victor Hugo. Un journal croyait alors pouvoir
avancer à ce sujet que si, par impossible, leur réclamation
était admise, il en résulterait « une combinaison qui place-
rait le Théâtre-Italien à Favart, l'Opéra-Comique à la salle
Ventadour et la Renaissance à la place de la Bourse. »
C'est ici que la question se complique de la situation du
Vaudeville incendié et de son intervention dans une affaire
que chaque jour semblait venir embrouiller à plaisir. Lorsque
le Vaudeville, détruit par le feu et ne pouvant, j'ignore pour
quelle raison, se réédifler sur l'emplacement qu'il occupait
depuis près d'un demi-siècle, s'était vu sans asile, il avait,
naturellement, cherché les moyens de se rétablir ailleurs. Le
ministère lui avait proposé tout d'abord, aux Champs-Elysées,
un terrain qu'il avait très judicieusement refusé, jugeant
avec raison l'endroit peu favorable au succès d'une exploita-
tion théâtrale. Il fut alors question successivement de la
transporter rue Traversière, puis rue Grange-Batelière, puis
au Cloître Saint-Honoré. Pendant ce temps, néanmoins, il
avait pris un logis provisoire boulevard Bonne-Nouvelle, à
côté du Gymnase, et s'était installé là dans le local d'un
café-spectacle dont les alTaires n'étaient pas très florissantes
et qu'il avait fait aménager à son usage. Mais ceci ne pouvait
être qu'un expédient momentané, et il songeait plus sérieu-
sement que jamais à retrouver et à s'assurer une demeure
définitive.
C'est vers le milieu de janvier 1839 qu'il avait pris posses-
sicin de cet abri temporaire. Tout à coup, au bout d'un mois,
le public apprend avec une surprise mêlée de stupeur que le
Vaudeville est sur le point de déposséder l'Opéra-Comique
de la salle que celui-ci occupe à la place de la Bourse, et
qu'il a signé le bail de la location de cette salle. Or, si le
public aimait le Vaudeville, il lui préférait encore l'Opéra-
Comique, et il se demandait ce qu'allait définitivement de-
venir ce dernier et s'il allait enfin disparaître dans la tour-
mente.
(1) Lesur: Annuaire historique.
Devant cette nouvelle imprévue, les journaux recommen-
cèrent à s'occuper avec ardeur de la question, et l'un d'eux,
à cette époque généralement bien informé, la Revue et Gazelle
des Théâtres, crut devoir calmer en ces termes des alarmes qu'il
croyait trop vives :
Un journal publiait, dans un de ses derniers numéros, les lignes
suivantes, à propos de l'Opéra-Comique et de la reconstruction de la
salle Favart:
« L'Opéra-Comique est placé dans une étrange situation par l'or-
gueilleuse maladresse de ses directeurs. Croyant forcer la main à
l'autorité dont ils attendaient la permission de rebâtir la salle Favart,
ces messieurs ont laissé louer la leur au Vaudeville. Le bail est passé
pour cinquante années, qui doivent commencer en avril ou mai 1840.
De sorte que, d'ici à cette époque, si l'Opéra-Comique n'a pas trouvé
un asile, il couchera dans la rue. Ce qui donne lieu de le croire, c'est
que la salle des Bouffes ne sera pas reconstruite parles deux associés
susdits ; le pouvoir en a senti tous les périls, il a vu que, par ce fait,
le théâtre de l'Opéra-Comique serait rayé de la liste des vivants. Des
mesures plus prudentes, plus en rapport avec notre dignité nationale,
seront prises aussitôt que les circonstances le permettront. Mais où
sera l'Opéra-Comique 1 »
Nous devons répondre aux faits allégués dans les lignes précé-
dentes, et qui sont de nature à alarmer et les auteurs et les artistes
dont l'existence est attachée à celle de l'Opéra-Comique.
Nous dirons d'abord qu'il n'a jamais été question de refuser à
l'Opéra-Comique la salle des Bouffes, et que tout fait présumer, au
contraire, que celte mesure, qui est un acte de justice, ainsi que
nous l'avons prouvé par des faits dans plusieurs articles, sera adoptée.
La place des Bouffes est à l'Odéon, et, sans aucun doute, ils y res-
teront .
Il est vrai cependant que la salle de la Bourse est louée à la direc-
tion du Vaudeville, qui espère l'occuper en septembre. Mais, dans le
cas même où, contre toute attente, les Chambres n'autoriseraient pas
la reconstruction de Favart par MM. Cerfberr et Crosnier, et dans le
cas où l'Opéra-Comique ne serait pas réintégré à Favart, il ne serait
point pour cela exposé à >-estei- daru la rue. Toutes les chances ont été
prévues par la direction de l'Opéra-Comique, qui a, dès cet instant,
à sa disposition, un terrain parfaitement situé, terrain dont elle use-
rait, dès l'instant où les Chambres n'adhéreraient pas à son vœu.
Ainsi, tous les intérêts sont garantis (1).
Le même journal revenait sur ce sujet dans son numéro
suivant (21 février), et disait de nouveau : — « La salle de
la Bourse n'est louée au Vaudeville que pour l'an 18i0
et les Chambres se seront prononcées sur la proposition
de M. Crosnier dans la prochaine session. Si la proposi-
tion est accueillie, l'on reconstruira Favart, si elle est rejetée,
l'on élèvera le nouveau théâtre. Pour l'une ou l'autre de
ces constructions, l'on aura une année, ce qui est certes
bien suffisant, et ainsi l'Opéra-Comique ne quittera la place
de la Bourse que lorsque sa nouvelle résidence sera prête
à le recevoir. »
(A suivre.) Arthur Pougin.
A BAYREUTH
Voilà tout juste vingt ans que, sur la colline qui domine la petite
ville franconienne, s'ouvrit le théâtre promis à une si grande desti-
née. Point n'est besoin do rappeler par quelles sortes de commen-
taires s'exprima d'abord l'étonnement d'une entreprise si audacieuse.
Cependant toutes les résistances ont été successivement vaincues,
et Bayreuth est le point lumineux vers lequel sont attirés aujourd'hui
les regards du monde entier. Pour célébrer un tel anniversaire l'on
a, pour la première fois, remis à la scène l'œuvre colossale qui n'avait
pu être révélée que dans ce lieu d'exception, et qui cependant, après
une seule série, avait cessé d'y être représentée : la tétralogie de
l'Anneau du Nibelung.
Je n'ai point vu Bayreuth en 1876; j'imagine cependant que la phy-
sionomie des représentations et de la ville môme s'est fort modifiée
depuis ce temps. D'autres, plus anciens, nous ont raconté leurs im-
pressions d'alors. « Ce fut vraiment une vie inimitable que celle qu'on
mena à Bayreuth au mois d'août 1876 », écrivait récemment
(1) Revue el Guzetledes Théâtres, 17 février 1839.
LE MENESTREL
23S
M. Gabriel Monod, évoquaDt les souvenirs de la ferveur véritable
avec laquelle un auditoire biendiflférent de celui d'aujourd'hui assisla
à la révélation du chef-d'œuvre de l'art nouveau (1). Depuis ce temps^
l'œuvre de Wagner s'est vulgarisée, et ceux qui, nagu'jre, manifes-
taient de la méfiance, sont les premiers à accourir et à crier que
cela est beau, comme dit le personnage de Molière, « avant que les
chandelles soient allumés ». En effet, jamais la foule cosmopolite
n'a été plus grande à Bayreuth que cette année. Les Français y for-
ment un contingent plus que respectable : on assure que, pour l'en-
semble de la saison, quinze cents places environ ont été louées par
la France, c'est-à-dire environ un quart des places disponibles pour
les cinq séries! Même, ce n'est pas seulement dans la salle que sont
les Français, mais pour la première fois deux artistes parisiens pren-
nent part à l'exécution de Bayreuth : M. Edouard Risler, le jeune et
éminent pianiste sorti naguère de noire Conservatoire, a rempli des
fonctions de chef de chant aux répétitions, et M. Friedrich, premier
violon à la Société des Concerts, a pris place au même pupitre dans
l'orchestre caché.
Ce n'est pas dans une simple correspondan<;e que je puis songer à
étudier une œuvre aussi complexe, aussi différente de tout ce qui
avait été fait antérieurement, et qui soulève de si nombreux problèmes.
Je me bornerai donc aujourd'hui à noter les impressions générales
ressenties au cours de celle quadruple représentation.
Dimanche 19 juillet. — Das Rheingold (l'Or du Rhin).
Les trompettes ont rassemblé le public dans la salle par la courte
et incisive fanfare qui forme le motif de Donner, le dieu des élé-
ments. Un dernier appel résonne, desliné à stimuler les retardataires,
mais il n'y en a aucun: chacun est à sa place; l'on s'assied silen-
cieusemeut, et ce petit fiissou qui précède toujours l'attente des
grandes choses court dans l'auditoire... La nuit se fait, et la note
grave des basses résonne avec une profondeur mystérieuse. Le pré-
lude se déroule avec des scintillements de sonorité merveilleux :
c'est bien là qu'il faut l'entendre, estompé par l'éloiguemeut, atténué
par la cloison de l'orchestre, et non à découvert, comme dans nos
concerts. Le lideau s'ouvre, et l'on voit le fond du Rhin, avec les
trois ondines qui nagent en disant leur chant onduleux. La lumière
est parfaitement réglée, les mouvements des nageuses réglés de façon
à produire la plus complète illusion; les voix sont belles et harmo-
nieuses ; le gnome Albérich leur répond avec une rude énergie :
bref, dès cette première scène, nous sommes introduits sans effort,
et de la façon la plus complète, en ce milieu mystique dans lequel
l'œuvre se développe pendant quatre jours.
Les dieux du Walhalla apparaissent sur leur montagne fleurie,
tandis qu'au loin se dresse leur burg tout neuf. Les épisodes divers
se succèdent, pleins de mouvement, de fougue, de fantaisie, d'ima-
gination. Ce prologue de la grande œuvre épique n'est, en effet,
qu'une comédie ; les dieux qui y jouent leur rôle sont loin d'avoir la
majesté que conservent toujours les dieux de l'Olympe : ce sont des
hommes, beaucoup plus proches de nous, et ne cherchant à cacher
leurs fautes et leurs vices sous aucun dehors d'apparat. La musique
a des coins charmants et ingénieux : parfois elle est si fine qu'elle
se perd dans la grande salle et sous la cloison de l'orchestre. Mais à
la fin elle retrouvera toute sa puissance. Donner, de son marteau, ras-
semble les éléments, l'éclair jaillit, l'arc-en-ciel est le pont qui ser-
vira à conduire les dieux dans leur nouveau palais; toutes les voix
de l'orchestre se combinent en une resplendissante symphonie des-
criptive. Et c'est la preuve d'un art admirable que cette idée d'avoir
encadré ce beau conte de fées entre deux tableaux de nature mer-
veilleusement décrits: le fond du Rhin, avec ses transparences fan-
tastiques, et l'orage par l'effet duquel les dieux peuvent pénétrer dans
leur hautaine demeure.
Lundi 20 juillet. — Die Walkure (la Valkyrie).
Le deuxième acte de }a Valkyrie, si décrié, nous a révélé des im-
pressions tout à fait neuves : cela se conçoit, car on peut dire que,
sous sa véritable forme, il nous était à peu près inconnu. Je conçois
que, dans l'œuvre considérée comme un opéra isolé, le long récit de
Wotan à Brilnhilde puisse être jugé comme une sorte de superféta-
lion. Les amours de Siegmund et de Sieglinde, qui ne sont qu'un
simple épisode, ainsi que le châtiment de Brtinhilde, deviennent
dès lors l'œuvre entière, et absorbent complètement l'attention.
Mais, dans l'ensemble de la tétralogie, ce récit est capital ; nulle part
ailleurs on n'a davantage l'impression de ce sentiment, à la fois pri-
mitif et comphqué, qui est celui du mythe comme Wagner l'a com-
pris et traité. Et puis, ce même acte renferme encore la scène la plus
(1) Le Jubilé des Nibdungen, article de M. G. Monou dans le premier numéro de
la revue Cosmopolis.
émouvante peut-être de l'œuvre entière, l'annonce de la mort de
Siegmund par Briinhilde, et c'est ici seulement, dans ce milieu
attentif et captivé d'avance, qu'on en peut comprendre la sublime
grandeur et, en même temps, embrasser sans peine le long dévelop-
[jement. Pour les deux autres actes, ils sont assez connus de nos
lecteurs parisiens pour que je n'aie rien de bien neuf à leur commu-
niquer : je me borne à dire que les excellentes dispositions inté-
rieures du théâtre de Bayreuth et la belle interprétation de tous les
artistes ont permis aux belles scènes du premier acte, ainsi qu'à la
fantastique chevauchée et à la prestigieuse scène finale, de produire
tout leur effet.
Mardi 21 Juillet. — Siegfried.
Siegfried, c'est l'éclair de joie au travers de l'œuvre; c'est une
comédie au milieu du drame le plus tragique; c'est, dans l'immense
symphonie en quatre journées, un scherzo, entre le profond adagio
de la VaUiijrie et le puissant finale qui a nom le Crépuscule des Dieux.
La nature exubérante et libre du héros donne aux scènes du premier
acte une animation et une vie extraordinaires : au second, c'est un
tableau d'une merveilleuse poésie, auquel la musique apporte l'élé-
ment de ses couleurs les plus subtiles et les plus variées. Parfois passe,
avec une grandeur mélancolique et douloureuse, la puissante figure de
Wotan,« le Voyageur »,le dieu conscient de sa déchéance, et qui sait
que la fin des dieux approche. Mais surtout, au dernier acte, l'élément
humain reprend toute sa suprématie, et la musique acquiert une
richesse et une puissance d'accent incroyables ; rien n'est plus vibrant,
plus chaud, plus passionné que ce long duo d'amour, cet appel à la
lumière, à la joie de vivre (contre-partie, en quelque sorte, de
celui de Tristan, qui appelle la mort pour conclusion), où les mélo-
dies les plus ardentes passent tour à tour, avec une infinie variété,
de l'orchestre aux voix, et qui, après un épisode que domine la mé-
lodie la plus caressante, s'achève en une fanfare de triomphe d'une
passion presque sauvage dans son intensité!
Mercredi 22 juillet. — Gôtïerdammerung (Le Crépuscule des dieux).
Et voici la dernière journée, qui résume en sa conclusion tragique
le senlimem. général de l'œuvre: moins mythique cependant en sa
forme extérieure, puisqu'ici les dieux n'apparaissent plus comme per-
sonnages agissants et que les principaux acteurs du drame appar-
tiennent à une époque moins éloignée de nous, — historique déjà.
De ce fait même, la forme dramatique et musicale s'est quelque
peu modifiée: le 2° acte du Crépuscule des dieux: se rapproche fort,
par certains côtés, du style habituel de l'opéra ; il y a des chœurs,
des ensembles, des cortèges, toutes choses dont les trois premières
journées nous avaient complètement privés... La privation n'était
point trop dure, d'ailleurs, et l'on ne saurait dire que ce 2'= acte soit
celui qui nous ait réservé les meilleures impressions, — au contraire.
Mais quel sublime chef-d'œuvre que le 3" acte tout entier ! Il est
lumineux d'un bout à l'autre, et atteint, à la fin, aux plus prodigieux
sommets auxquels il ait jamais été donné à un esprit humain d'arriver.
C'est d'abord le ravissant tableau des filles du Rhin, si différent de
celui de la première journée, — en plein soleil, clair, délicat, har-
monieux, non sans quelques aconts qui font pressentir déjà la
beauté tragique du dénouement; puis le récit de Siegfried, rappelant
les motifs les plus significatifs de l'œuvre précédente; la mort de
Siegfried, et le morceau qui l'accompagne, sur la beauté duquel il ne
me semble pas qu'il y ait plus rien à dire ; enfin, celte colossale et
sublime scène de la mort de Briinhilde, qui s'achève par la prodi-
gieuse symphonie de l'écroulement du Walhalla, et à la fin de laquelle
se succèdent, en une synthèse musicale qui résume avec une éton-
nante clarté l'idée de toute l'œuvre, les trois motifs des dieux, des
héros, enfin de l'amour humain qui doit désormais régner en souverain
maître!
Pour la première fois nous avons pu avoir une idée complète, une
vue d'ensemble générale de cette œuvre exceptionnelle : une interpré-
tation très digne de cette œuvre y a coopéré, (j'est bien en effet du
fond de l'orchestre caché de Bayreuth que doivent sortir les sonorités
merveilleuses combinées dans ce but par l'auteur : sauf dans quelques
coins de Rhelngold, tout, en effet, a été excellemment pondéré.
M. Hans Richler, qui déjà avait conduit en 1876, a également dirigé
l'exécution de cette première série, et c'est assez dire que l'esprit
même de l'auteur l'animait (1).
M. Hans Ricbter n'est pas le seul artiste qui ait pris partà l'exécution
d'il y a vingt ans. Une plaque commémorative, placée récemment
devant le théâtre, nous fait connaître qu'en effet trois autres artistes
que nous avons revus y tiguraient déjà : M. VogI, et les deux sœurs
il) Comme toujours, les Instrumenta à vent sont bien médiocres dans l'or-
chestre de Bayreuth . Quand donc une de nos Dûtes et un de nos hautbois français
voudront-ils y aller faire leur partie ? Alors ce sera parfait.
23tj
LE MENESTREL
Lilli et Marie Lehmann. Le premier a repris soa rôle de Loge dans
le Rheinrjokl, qu'il interprète avecunelégèretéetune finesse incroyables
pour qui lui a vu jouer avec tant de force tragique — et une si mau-
vaise vois — le rôle de Tristan. Quant aux sœurs Lehmanu, elles
jouaient, en 1876, les rôles de deux filles du Rhin : M"° Marie
Lehmann a, cette fois, pris celui d'une dos trois ■N'ornes; pour
M"" Lilli Lehmann-Kalisch, elle s'est trouvée celte fois au premier
plan avec le rôle de Brilnhilde. Nous en parlerons tout à l'heure.
L'interprétation générale a été impeccable: elle a eu ceci d'excellent
que les moindres rôles ont été tenus par des artistes excellents. Les
trois filles du Rhin, M""' Artner, Rôsiag et Fremstadt, — les huit
valkyries, M™" Meyer, "Weed, Heinck-Schumanu, Aldridge, Reuss-
Belu, plus les trois déjà nommées, — les trois Nornes, prises également
dans le personnel mentionné, ont interprété toutes les scènes d'en-
semble delà façon la plus magistrale : les valkyries, notammeul, ont
une énergie d'accent à laquelle les valkyries parisiennes nous ont peu
habitués. Deux artistes à tirer hors de pair sont M"" Bruma, qui nous
a montré une Fricka d'une superbe allure, et M"" Heinck-Schumann,
qui a dit les prophéties d'Erda avec une voix d'une rare puissance.
Parmi les hommes, les deux Nibeluugen, Alberich et Mime, ont
trouvé en MM. Friedrichs et Brener d'excellents interprèles. Ce der-
nier, élevé à l'école de Bayreuth, débutait; il fait, certes, honneur à
ses maîtres : c'est un acteur du plus grand talent. Quant aux rôles de
premier plan, ils sont si écrasants que l'on ne saurait exiger de leurs
interprètes une pareille perfection. Plusieurs, cependant, ont été
dignes de les personnifier, et cela est le plus bel éloge qu'en en puisse
faire. Comme toujours, le ténor reste l'oiseau rare : assurément,
M. Gerhàuser a été un Siegmund de belle attitude; il ne nous a ce-
pendant pas fait oublier M. VanDyck, dont Siegmund ne fut pourtant
pas le meilleur rôle. M. Griining a, le jour de Siegfried, joué le rôle
principal, non sans qualités, mais avec quelques erreurs qui l'ont
fait remplacer, dans le Crépuscule des Dieux, par un autre débutant de
l'école de Bayreuth, M. Burgstaller : celui-ci a une belle voix et in-
terprète le rôle avec une belle ardeur juvénile ; il a pourtant beaucoup
encore à apprendre, comme chanteur surtout. M. Perron nous montre
un Wotan blond, bien disant et de bel aspect, mais dont la voix,
d'un beau timbre d'ailleurs, a trop souvent des intonations dou-
teuses.
Par conire, Sieglinde et Bruahilde ont trouvé des interprètes tout
à fait supérieures. La première, c'est M'"" Sucher, l'admirable Yseult
que l'on sait; elle fait une Sieglinde ardente et a donné aussi un
accent passionné, qui nous était presque inconnu, à la scène du pre-
mier acte de la Valkyrie. Pouv Briiobilde, ce rôle écrasant a été inter-
prété par M™ Lilli Lehmann avec une vaillance qui n'a de comparable
que le talent de l'artiste. M™' Lehmann est certes, comme pure can-
tatrice, une des plus impeccables que l'on puisse entendre; ne croyez
pas que cela soit inutile dans l'œuvre de Wagner: elle nous l'a bien
montré dans ce rôle de la vierge guerrière qui, parfois, aurait pu
être rendu avec plus de violence, mais dont les parties expressives
et passionnées ont été dites d'une incomparable manière. La scène
finale de Siegfried, ainsi que la mort de Brilnhilde, ont, grâce à
cette grande artiste, produit l'impression profonde que l'on devait
attendre de lenr sublime conception.
Julien Tiersot.
LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Jusqu'à l'heure oîi j'écris, et bien que la série des concours de 1896
soit déjà assez avancée, nous n'avons vu se produire encore à aucun
d'eux une de ces manifestations aigrelettes ou héroï-comiques comme
on en voit régulièrement chaque année. Et pourtant, la chaleur cette
fois aurait bien pu monter les têtes, car elle s'est montrée vraiment
impertinente et sans pitié, et les ombrages frais du Conservatoire
n'étaient pas pour calmer les nerfs des gens naturellement irascibles.
J'oubliais cependant : il s'est bien produit une petite manifestation,
mais complètement isolée et absolument personnelle, à ce point qu'elle
n'a été connue que de ceux qui en étaient tout proches. C'était à
l'issue du concours de chant pour les hommes. Lorsque la séance, qui
avait été chaude, — oh oui ! — fut terminée, et que M. Théodore
Dubois, le nouveau directeur, eut proclamé les récompenses, une
petite voix féminine s'éleva, furieuse, dans un coin de l'orchestre,
et s'écria rageusement : — « C'est une infamie ! ou n'a rien donné
à X..., ou a oublié X..., qui a été un des meilleurs du concours. C'est
une infamie ! » Puis, la petite voix rageuse, qui ne trouvait point
d'écho (car X.., avait été fort mauvais), se perdit dans le brouhaha
ordinaire des fins de séance. Renseignements pris, et si ce que l'on
m'a dit est vrai, la voix en question était la propriété de l'épouse abso-
lument légitime de X..., dont la fureur alors, si elle n'est pas aussi
légitime, est du moins compréhensible. En somme, ce pseudo-scan-
dale a passé complètement inaperçu.
Et sans m'étendre sur ce sujet d'un intérêt médiocre, j'attaque
aussitôt le compte rendu des concours de la présente année.
CONTREBASSE
C'est, comme d'ordinaire, par le concours de contrebasse que s'ou-
vrait la série des grands concoui s publics. Il est certain qu'au point
de vue strictement musical cette séance n'ofïre qu'un intérêt médiocre,
et que le plaisir est relatif d'entendre une demi-douzaine de jeunes
gens s'escrimer sur un instrument dont le charme et la douceur ne
sont évidemment pas les qualités dominantes. Mais cet intérêt est
grand pour qui sait les services que cet instrument puissant rend
dans nos orchestres, auxquels il donne l'aplomb, la force et l'équi-
libre, et combien sont nécessaires l'habileté et la solidité des contre-
bassistes. On n'a, pour s'en rendre compte, qu'à songer au rôle si
important que joue la contrebasse dans la Symphonie pastorale et
dans le prodigieux récitatif de la Symphonie avec chœurs de Beelho-
ven. Je cite au hasard ces deux exemples: mais combien d'autres
seraient à invoquer pour justifier la sympathie que la contrebasse inspire
à tous les musiciens, sanssouhailer qu'on en veuille faire un instru-
ment de virtuosité, à l'exemple des Dragonctti et des Bottesini I
La classe de M. Viseur, qui présentait cette fois six élèves, m'a
paru en progrès sensibles sur l'année dernière. Aussi a-t-elle obtenu
quatre nominations, qui ont pain à tous parfaitement justifiées. Le
premier solo de Verrimst, qui était choisi pour l'épreuve, est un mor-
ceau bien fait, bien conçu pour mettre ea relief les qualités de
l'exécutant, et qui a le mérite d'être écrit avec style, ce qui n'est
pas à dédaigner, même lorsqu'il s'agit de la contrebasse. C'est
M. Charon, second prix de l'an dernier, qui, à l'unanimité, s'est vu
décerner le premier. Celait justice. Si l'on pourrait souliailer chez
lui un peu plus de son, si l'archet est peut-être parfois un peu couri,
du moins le jeu est sur et précis, les doigts sont solides, il n'y a qu'à
louer le style et la justesse, et l'ensemble est excellent. J'ajoute qu'il
a déchiffré avec beaucoup de sûreté le morceau écrit pour la circons-
tance par M. Pierné.
Le second prix a été attribué à M. Laporte, dont le jeu dans son
ensemble est très satisfaisant. Bon détaché, phrasé intelligent, un
certain sentiment du style, telles sont ses qualités. Lui aussi a lu
avec habileté. Deux premiers accessits ont été décernés, l'un à
M. Chagny, qui concourait pour la première fois, l'autre à M. Bou-
cher, qui avait obtenu le second l'année précédente. M. Chagny se
tient mal, en se courbant et en se couchant pour ainsi dire sur son
instrument, qui n'en peut mais. Celte réflexion faite, il faut louer la
correction de sonjeu, qui n'est point sans chaleur, et dont l'ensemble
est bien équilibré. On peut en dire à peu près autant de M. Boucher.
L'un et l'autre promettent de bons artistes pour nos orchestres. Tous
deux ont déchiffré d'une façon satisfaisante.
ALTO
Entre toutes les réformes que les réformateurs infatigables du
Conservatoire ne cessent de réclamer depuis longues années, se
trouvait la création d'une classe d'alto. Les voilà satisfaits, et la
classe est créée. Pour ma part, j'avoue n'en avoir jamais reconnu la
nécessité. Qu'est-ce, en effet, que l'allo? un instrument dont le format
est un peu plus grand que celui du violon, mais dont le mécanisme
est absolument le même, et qui ne présente aucune difficulté parti-
culière. Il s'agit seulement, pour obtenir la justesse, d'écarter les
doigts d'une façon imperceptible, puis, au point de vue de la lecture,
de connaître la clé à'ul 4° ligne, ce qui n'est pas absolument la mer
à boire. Mais quel est le violoniste qui n'a pas joué, qui ne joue pas
l'alto? Pour ma part, à treize ans, je gagnais ma vie en faisant ma
partie d'alto à l'cchestre, malgré la petitesse de mes mains à cet âge,
car c'est ainsi que je débutai dans cette brillante carrière, et à dix-
huit ans, j'avais joué l'alto de tous les quatuors d'Haydn et de Mozart,
parce que, dans nos petites réunions déjeunes gens pour faire de la
musique d'ensemble, chacun de nous tenait l'alto à tour de rôle. Il
en est assurément de même aujourd'hui. A quoi donc sert une classe
d'alto? Est-ce qu'on créera aussi une classe spéciale de petite flûte,
sous prétexte que ladite petite flûte justifie son nom en étant plus
petite que la grande? Cela me paraîtrait tout aussi utile.
Quant à la musique spéciale d'alto, elle n'est pas absolument com-
mune et elle l'est si peu qu'au Conservatoire de Bruxelles, où il
existe une classe d'alto, je vois qu'au concours de fin d'année on fait
LE MÉNESTREL
237
jouer aux élèves des études de violon de Kreutzer, de Fiorillo et de
Campaguoli — eu les transposant d'une qminte, naturellement. Cela
ne justifie-t-il pas l'inutilité que je constate? La classe d'alto est donc
simplement une classe de violon à la quinte. Il n'était vraiment pas
besoin de faire tant de bruit. Mentiounons toutefois l'existence de
quelques Méthodes d'allo dues à Woldemar, à Marlinn et à Bruni.
Il y a aussi quatre concertos do Rolla pour l'alto, un autre concerto
de Ghebart, un de Bernard Lorenziti, un de Woldemar, des duos
d'altos deScbœnebeck, Cambini, Marlinn, Christian StuœpfT, Teniers...
Mais je crois qu'on aurait de la peine à former uu répertoire étendu
pour l'instrumenl. Comme petite excentricité, on peut signaler un
quintette d'Uhran pour trois altos, violoncelle et contrebasse, avec
timbales ad libitum.
Enfin, les altopldles seront satisfaits, et le Conservatoire possède
aujourd'hui une classe d'alto, qu'on n'aurait sn d'ailleurs placer en de
meilleures mains qu'en celles de M. Laforge. (Je crois bien que
M. Laforge préférerait avoir une classe de violon. Enfin !...) On avait
fait choix, comme morceau de concours, d'un conœrtstiiok de L. Firket.
Qui ça, Firket? J'ai eu quelque peins à le savoir. J'y suis parvenu
pourlaut. Firket était un artiste belge qui a tenu jusqu'à son extrême
vieillesse la partie de premier alto à l'orchestre de la Monnaie de
Bruxelles et qui était en même temps titulaire de la classe d'allo au
Conservatoire, où il a été remplacé à sa mort, il y a trois ans, je
crois, par M. 'Van Hout, le professeur actuel. Voilà tout ce que j'en
puis dire, et j'arrive enfin au concours, dont le morceau de lecture à
vue élait écrit par M. Charles Lefcbvro.
Point de premier prix pour ce concours, mais deux seconds prix,
attribués à MM. Denayer et Henri Brun. M. Denayer est assurémenl
supérieur à tous ses camarades. Il a de bons doigts, un archet facile,
une grande justesse et une rare sûreté d'exécution. Avec cela un
heureux phrasé et le sentiment du style. Ensemble excellent et lecture
irréprochable. Sa supériorité est telle que je suis étonné qu'on ne lui
ait pas donné un premier prix. Je regrette de n'en pouvoir dire
autaat de M. Henri Brun, dont le jeu est gros, lourd, sans grâce,
l'exécution petite, incomplète, l'archet savonneux, avec des doigts
insuffisants. Je crois que ce jeune homme peut acquérir, en tra-
vaillant', les nombreuses qualités qui lui manquent, mais il a bien
besoin de Iravailler.
Deux premiers accessits, à MM. Pierre Brun et Casadesus.
M. Pierre Brun, qui n'est point parent de M. Henri Brun (on les
croyait jumeaux parce que, portant le même non, ils sont exactement
du même âge (1~ ans et 8 mois), me parait, avec sa récompense
moindre, lui être de beaucoup supérieur. Il a de la hardiesse, de
l'élégance, un bon archet, du style et du brillant. C'est un tempé-
rament d'artiste. Chez M. Casadesus l'exécution est grosse, incom-
plète et sans distinction; certaines qualités secondaires pourtant, de
l'assurance et le sentiment du style.
Des quatre autres concurrents je ne vois à signaler que M. Yiguier,
qui a de la vigueur et de l'assurance et qui ne manque pas de qua-
lités, mais dont la justesse a laissé à désirer dans les traits.
Et maintenant, vive la classe d'alto, qui ne sera aulre chose qu'un
déversoir pour les jeunes gens qui auront éprouvé des malheurs à
l'examen d'entrée pour les classe de violon.
VIOLONCELLE
Le concours de violoncelle mettait en ligne onze élèves, qui nous
ont fait entendre l'allégro du 9'' concerto de Romberg, morceau bien
fait pour l'instrument mais qui ne brille pas par la fraîcheur des
idées et dont les traits semblent calqués trop servilement sur ceux
des concertos de -violon de Viotti. Le morceau à déchiffrer, d'un
rythme uu peu trop vague, était dû à MM. HiUemacher.
Trois premiers prix ont été décernés : à M. Desmonts, élève de
M. Rabaud, M. Pollain, élève de M. Delsart, et M'" de Bufl'on, élève
de M. Rabaud. M. Desmonts avait obtenu un second prix eu 1894; les
deux autres n'ont fait qu'un saut de leur second accessit de l'an
dernier au premier prix de cette année. M. Desmonts a de la hardiesse,
du feu, de l'élan, de l'expérience, un joli sou, un phrasé délicat, un
jeu élégant et un bon archet. C'est presque très bien sans être parfait,
à cause de certains détails qui ont été manques. M. Pollain se fait
remarquer par des doigts habiles, un archet élégant, du gofit, et en
général par un joli jeu, bien égal, qui n'escamote rien, et dans
lequel tout est bien soigné, bien fait et mis en pleine lumière. Comme
celui-ci, M"^ de Buffon est en très grand progrès. Chez elle le jeu
est sûr, hardi, la justesse est bonne, l'ensemble très net, sinon tou-
jours élégant. Je lui reprocherai seulement de sabrer certaines phrases
et de manquer de délicatesse. Elle devra s'attacher à acquérir le
charme qui lui manque encore.
Dirai-je que le second prix attribué à M. Deblauwe m'a un peu
étonné? Je suis toujours désolé quand l'opinion que j'exprime peut
chagriner quelqu'un de ces jeunes gens, que nous devons toujours,
noua autres critiques, traiter avec indulgence. Mais je lâche toujours
aussi à dire la vérité, ou ce que jo crois tel, et lorsqu'il m'arrive
d'ôlre sévère, je le fais dans leur propre intérêt et pour leur faire
connaîlre leurs défauts. Or, je trouve que le jeu de M. Deblauwe est
sage jusqu'à la froideur, qu'il manque d'élan et, ce qui est plus grave
encore, parfois de jusiesse. Je vois là certaines qualités d'ensemble,
mais c'est lout, et je crois que M. Deblauwe, qui est élève de M. Ra-
baud, aura à mettre les bouchées doubles, el même triples, s'il veut
atteindre son premier prix.
A côlé do cela, le jury se refuse à décerner uu premier accessit, et il
n'eu accorde qu'un se'îond à M. Âgnellet élève de M. Delsarl, qui, à
mon sens, a été l'un des parlicipants les plus distingués de ce concours.
Ce jeune homme a un joli son, de bons doigls, do l'élégance, de la
tûreté, et l'ensemble de son jeu se distinguo par le goût et la grâce
du phrasé. Il ne manque qu'un peu plus d'ampleur et de hardiesse.
J'ajoule qu'il a très bien lu.
Et on n'a rien donné à un aulre élève do M. Delsart, M. Rabatel,
qui, lui aussi, a déployé de bonne qualités : un beau son, uu gentil
phrasé, du goût, dos doigt habiles et un jeu distingué ! Ce n'est pas
sa faute si ses cordes sifflaient par cette température sénégalienne,
et si sa transpiration était telle que la touche de son ioslrumenl
ruisselait quand il a eu termiué son morceau.
Je n'ai rien à dire des autres élèves non récompensés, sinon que
tous m'ont paru jouer faux à dire d'expert, ce qui explique suffisam-
ment l'indifférence du jury à leur égard.
CHANT (Hommes).
Le concours de chant pour les hommes n'a donné, dans son en-
semble, que des résultats médiocres. Il n'y a pas lieu de s'en éton-
ner outre mesure si l'on songe que sur les dix-sept élèves qui y
prenaient pari, treize n'avaient obtenu encore aucune récompense,
dont huit concouraient pour la première fois. Et sur les quatre
autres, il y avait seulement un second prix et Irois seconds acces-
sits. On ne pouvait donc guère s'attendre à une lutte brillante comme
il s'en établit parfois entre plusieurs élèves qui doivent, par leur
passé, aspirer aux plus hautes récompenses.
C'e;t M. Beyle, élève de M. Bussino, le second prix de l'an passé,
qui a décroché la timbale, sous forme de l'unique premier prix dé-
cerné, et il n'y avait vraimerit pas moyen d'en donner d'autres. C'est
un ténor vigoureux, qui a déployé de la chaleur dans l'air d'Héro-
diade, qu'il a chanté avec une certaine grandeur, avec une bonne et
solide arliculalion. Nous le retrouverons dans les deux concours
d'opéra et d'opéra-comique, ainsi que M. Vieuille, élève de M. Mas-
son, un baryton qui a enlevé un second prix avec uu morceau d'un
choix excellent et comme on voudrait en entendre plus souvent, un
air superbe de la Fêle d'Alexandre, de Hœndel. Il n'y a pas à tricher
avec celte musique-là, el il faut payer de sa personne, argent comp-
tant. Si elle est diantremeut difficile dans sa siruplicité, au moins
est-elle de nature à mettre en relief les qualités de celui qui s'atta-
que à elle, c'esl-à-dire li poss de la voix, l'habileté de la vocalisa-
lion, le style et le phrasé. Tout cela n'est certainement pas complet
encore dans l'exécution très intéressante de M. Vieuille, mais tout
cela s'y trouve dans dcs proportions très satisfaisantes. Avec une
suite do bon travail, ce jeune homme est en bon chemin.
Trois premiers accessits ont été adjugés à MM. Grosse, élève de
M. Edmond Dnvei'noy, Cremel, élève de M. Warot, et Dumontier,
élève de M. Masson. M. Grosse, qui est, si je ne me trompe, le fils
de l'artiste do 1 Opéra, s'est fait entendre dans un air de la Reine de
Srtba.Sa voix est une basse chantante solide et étendue. L'articulation
est bonne et le chanteur n'est point sans qualités, mais il traîne trop la
plupart de ses phrases, ce qui donne à l'ensemble de l'exécution une
lourdeur et une froideur fâcheuses. Ah ! que nos jeunes chanteurs ont
donc rie peine à se décider à chanler en mesure. « La mesure ! quelle
est cette bête-là ? » disait une cantatrice, c'est-à-dire une braillarde,
du temps de Rameau. Or, « cette bète-là », c'est tout simplement
l'âme de la musique, et il serait bon qu'on voulût enfin s'en rendre
compte. — Je crois bien que c'est surtout à la puissance et à la qua
lité de la belle voix de ténor qu'il a déployée dans l'air du quatrième
acte de l'Africaine que M. Cremel doit la récompense qui est venue
le trouver à son premier concours. Pour ce qui est de l'artiste, j'ai
regret à dire que tout est à faire chez lui, et qu'il ne sait encore n;
émettre un son ni attaquer une note. Heureusement, l'étoffe est bonne
chez lui, et s'il consent à Iravailler comme il convient, il a tout ce
qu'il faut pour en tirer un bon parti. — M. Dumontier est un joli
i>38
LE MÉNESTREL
ténor de grâce, qui a chanté ou plutôt qui a soupiré l'air adoralile :
Unis dès la plus tendre enfance, cle ïlpliigénie en Tauride de Gluck. C'est
qu'en effet, pour obtenir le charme et la douceur, il lui arrive d'étein-
dre la voix de telle façon qu'on a peine à l'entendre. Il fera bien de
se méfier de l'excès de ce procédé. Il fait ce qu'il peut d'ailleurs, et
dans cet air almirable, mais d'un stylo si difficile, il a fait preuve
d'intelligence et de bonne volont".
La série des récompenses s'est clore par deux seconds accessits
décernés à M. Béchard, élève de M. Bax, et à M. LaiTitte, élève de
M. Crosti. Je ne voudrais pas bêcher M. Béchard, mais j'avoue que
je ne trouve pas grand' chose à dire de lui, sinon qu'il a chanté l'air
de harjton de Don Carlos sans que j'aie trouvé le moyeu de découvrir
chez lui une qualilé saillante ou un défaut caractérisé. Cela m'a paru
simplement d'un incolore absolu. — Quant à M. Laffitte, un jeune
ténor dont la voix est d'assez bonne qualité, il m'a semblé qu'il ne
comprenait rien, mais là, absolument rien à l'air du Freischulz, qui
est évidemment d'un style trop difficile pour un chanteur auss-i neuT,
et qui d'ailleurs n'est pas parfaitement adapté à sa voix. Voilà deux
chanteurs — qui sont les deux plus jeunes du concours — qu'il fau-
dra rcentendre l'an prochain pour lesjuger en connaissance de cause
et d'une façon moins sommaire. D'ici là, ils auront eu le temps de
se former.
Je regrette de n'avoir pas vu attribuer aussi un second accessit à
M. Reder, élève de M. "Warol, qui me paraissait digne de cet encou-
ragement. Ce jeune homme a chanté l'air du premier acte du Pardcm
de Ploërmel : » De l'or, de l'or ! » avec une très belle vois de baryton
franche et sonore, sans crier, eu phrasant bien, avec goût et sobiiété.
J'ai idée que celui-là se distinguera à uue prochaine épreuve, car il a
de l'étoffe et de l'avenir. Parmi les élèves non couronnés et qui me
semblent doués pour plus tard, je signalerai M. Sizes (Duveruoy),
qui a dit l'air à'Hérodiade : Vision fugitive. M. Edwy (Archaimbaud),
qui, comme son camarade Reder, )nais moins heureusement, a chaulé
l'air du Pardon, et M. Hans (Léon Duprez), qui s'est fait entendre
dans l'air de Guillaume Tell : Asile héréditaire. Il y a, je crois, chez
ces jeunes gens encore inexpérimentés, des promesses qui se réali-
seront.
CHANT (Femmes).
Le concours des femmes a été plus faible encore, s'il se peut, que
celui des hommes, et ce qui le prouve, c'est le nombre et la nature
des récompenses, q-di ne dépassent pas quatre, avec absence de pre-
mier prix. Mais ici, la même réflexion est à faire que pour la précé-
dente journée : sur seize élèves qui entraient en lice, quatorze
n'avaient encore obtenu aucune récompense, dont onze concouraient
pour la première fois. Et comme les deux seules élèves antérieure-
ment couronnées. M"" Guiraudon et Allusson, second prix et premier
accessit de 1893, ne se sont pas trouvées à la hauteur de ce qu'on
était en droit d'attendre d'elles, la débâcle a été générale. Il est à
craindre, malheureusement, que les deux séances d'opéra et d'opéra-
comique ue se ressentent douloureusement de cette faiblesse du double
concours de chant, et que nos théâtres n'aient pas grand'chose à
récolter cette fois au Conservatoire. C'est une année maigre, il faut
en prendre son parti. La suivante sera probahlement meilleure.
J'ai dit qu'il n'avait pas été décerné de premier prix, et je suis
obligé d'ajouter que le second prix lui-même n'est pas de qualité su-
périeure. Il me semble que le jury a dû avoir quelque peine à le
découvrir. C'est une Suédoise, M"= Ackté, élève de M. Edmond
Duvernoy, qui a bénéficié de cetle recherche délicate. Je croirais
volontiers que c'est surtout à la qualité de sa voix, qui est fort jolie,
qu'elle doit cetle distinction, car elle a chanté la valse de l'Ombre,
du Pardon de Ploërmel, d'une façon bien singulière, sans rythme et
sans mesure, avec une vocalisation dont les détails sout loin d'être
satisfaisants, et sans l'ombre de sentiment musical. C'est à croire
que cette jeune fille ne connaît pas môme les premiers éléments du
solfège. Je ne nie pas qu'il y ait en elle de l'étoffe (il y a d'abord l'ins-
trument, ce qui est l'essentiel), mais je crois qu'il lui faudra diantre-
ment travailler pour se tenir, l'an prochain, à la hauteur du succès
qu'elle vient d'obtenir.
Le premier accessit a été attribué à uue autre élève de M. Duver-
noy, M"" Dofodou, qui s'est fait entendre dans un air de la Prise de
Troie, de Berlioz, ici nous sommes en présence d'une superbe voix de
mezzo-soprano, une belle voix corsée, étendue et juste, d'uue pâte à
la fois Oiictueuse et solide, qui fera raervc Ho à la scène lorsqu'un
travail i]ileiligent aura complété ses qualités naturelles. Je crois qu'il
y aura d'ailleurs dans cette jeune personne un tempérament d'artisle.
C'est encore neuf et parfois un peu gauche d'exécution, mais avec de
bonnes intentions dans la dict'ou et dans le phrasé.
. Deux seconds accessits ont récompensé les efl'oits de M"« Chris-
tiaune. élève tle M. Léon Duprez, et de 11"'- Trmdc, élève de M. Mas-
son. M"" Christianne, dont la voix est bien jolie, a chanté l'air du
troisième aele du Songe d'une Nuit d'été, dans lequel elle a fait preuve
d'une vocalisation encore bien incomplète et bien imparfaite; mais
certaines phrases ont été dites d'uue façon heureuse et non sans
quelque élégance. — M"" Truck, qui est fort jolie et qui paraissait
avoir grand'peur, s'est produite dans l'air admirable d'Obéron. La
voix est belle, solide, étendue, le chant est sage, correct, il était
même, au commencement, correct jusqu'à la froideur; heureusement
la cantatrice, en prenant un peu possession d'elle-même, s'est animée,
et a fait preuve, vers la fin, de chaleur et d'élan. C'a été là l'une des
notes intéressantes de la journée, et je considère cetle jeune femme
comme l'une des espérances de l'an prochain.
L'espérance do cette année était en M"° Guiraudon, qui ue pouvait
aspirer qu'au premier prix et qui, malheureusement, était souffraute
et fatiguée. Chanteuse de tempéramcut, elle s'est efforcée de donner
à l'air du Freiscltiitz la chaleur et l'expression scéuique qu'il réclame.
Mais ses efforts out trahi sa volonté, cl il était manifestement impos-
sible de lui accorder la seule récompense qu'elle put ambitionner. —
M"'^ Alussou, qui, de son côté, courait après un second prix, n'a pu
l'atteindre en chantant la valse du Pardon de Ploërmel. Elle a de
l'habileté, de l'adresse etde l'aplomb, elle a même beaucoup d'aplomb,
mais sou exécution est sèche, roide, et manque essentiellement de
grâce. Il me semble pourtant qu'en travaillant elle a ce qu'il faut pour
arriver.
Parmi les autres élèves uou récompensées, je manifesterai un re-
gret à l'égard de M"" Dreux, qui me paraissait mériter un accessit
pour la façon aimable dont elle a chanté l'air du Pré-aux-Cleixs
(massacré un peu plus loin par une autre concurrente qu'il est inutile
de nommer). Cette jeune fille a une jolie voix, el sa vocalisation
agréable ne manque ni de hardiesse ni d'habilelé. — Pour le reste, le
silence est de rigueur.
HARPE
Le concours de harpe, bien qu'il ne réunit que cinq élèves, aura
été l'un des plus brillanis et des plus inléressants de l'année, et la
classe de M. Hasselmaus se maintient à la hauteur de la renommée
qu'elle a si légitimement conquise dès l'arrivée de cet excellent pro-
fesseur. Sur ces cinq sujets, cette fois (ous féminins, quatre se sont
montrés plus ou moins remarquables, bien que trois récompeuses
seulement aient été décernées, — ce que, pour ma part, j'ai regretté
infiniment, — et la séance a été de qualilé vraiment supérieure.
Le morceau d'exécution était un eoncerlo de Zabel, aoconrpagué
par le quatuor à cordes auquel ou avait adjoint un harmonium dont,
je l'avoue, la sonorité ne me plait que médiocrement en la circons-
tance, car elle ue se marie vraiment pas avec celle des autres instru-
ments. La page de leclure à vue, d'un joli sentiment, avait été écrite
par M. Pugno. Qu'est-ce que ce Zubel, auteur du coucerto en ques-
tion ? Il me serait impossible de le dire. J'ai eu beau chercher et
m'enquérir, j'ai été moins heureux cette fois que pour le concerto
d'allo de Firket, et de ma chasse je suis revenu bredouille. Il n'im-
porte; le morceau ne manque point d'intérêt, et il a cet avantage de
bien faire ressortir les qualités de l'exécutant, tant sous le rapport
du style qu'au point de vue du sentiment ou de la virtuosité. Ou ne
saurait lui demander plus.
Nous avons ici un brillant premier prix en la personne d'une fil-
lette de quinze ans. M"'' Pauline Linder, jolie comme un cœur, et
qui s'est trouvée emporter d'emblée la suprême récompense, que le
public, je le crois bien, lui avait décernée de lui-môme avant que lo
jury se fût prononcé. Son jeu bien fondu, et dont l'ensemble est excel-
lent, joint la grâce à la hardiesse, le goût à l'éclat; agilité des doigis,
brillant dans l'exécution, sonorité charmante, avec cela la chaleur et
la vigueur nécessaires, elle réunit toutes les qualités qui d'avance
assuraient son succès. Cela est tout à fait charmant. J'ajoute qu'elle
a très gentiment lu.
Plus jeune de trois ans, M"° Stroobants, qui n'en a que douze, s'est
vu attribuer le second prix, qui succède pour elle au premier acces-
sit lie l'an dernier. Celle-ci a montré de la grâce, de l'agilité, de la
facilité dans une exécution correcte et bien sentie. Bien que la vi-
gueur ne lui soit point étrangère, ou lui souhaiterait seulement un
son plus ample et plus corse, et c'est à cela qu'elle devra surtout
s'attacher. Elle a lu avec beaucoup de goût.
C'est encore une enfant. M"'' Houssin, âgée de treize ans, qui a
obtenu le premier accessit. M"" Houssin est la fille de l'excellent
artiste à qui l'on doit la belle statue de M"" Desbordes-'Valmore que
la ville de Douai inaugurait, il y a quinze jours à peine. Elle décèle
aussi une gentille nature d'artiste. Son exécution, d'un ensemble
agréable, très nette, très correcte, se distingue par une bonne qualité
LE MÉNESTREL
239
de son, un goût déjà formé el uu heureux sentiment musical.
C'est avec peine que j'ai vu le jury se montrer plus sévère que de
raison envers M"° Luigini, qui avait obtenu un premier accessit en
1894 et qui se trouvait, par conséquent, à son dernier concours. Par
l'autorité de son jeu, par son habileté, par la grande sûreté de son
exécution, par l'excellence de son mécanisme, celte jeune fille, à qui
il ne manque peut-être qu'un peu de chaleur, me paraissait bien mériter
de partager le second prix avec M"' Stroobants. En réalité son
concours a été remarquable, et, à moins de raisons que le jury peut
seul connaître, il me parait qu'il y a eu là de sa part un oubli
fâcheux.
PIANO (Hommes).
Les classes masculines de piano n'ontfait figurer cette fois sur la liste
du concours que les noms de treize jeunes lutteurs. Il y a longtemps,
je crois, que pareil fait ne s'était produit, et je serais bien aise qu'il
s'établit en coutume et qu'on ne produisît en effet, à cette épreuve
importante, que ceux-là seuls qui sont dignes d'y prendre part sinon
toujours avec succès, du moins d'une façon parfaitement honorable.
On épargnerait ainsi au publie, et surtout au jury, l'audition de non-
valeurs qui ne peuvent que le fatiguer, quand elles ne faussent pas
son jugement par la confusion qu'elles amènent naturellement dans
son esprit.
Cette fjis, c'est la classe de M. Diémer qui triomphe sur toute la
ligne. Sur sept élèves présentés elle obtient six des huit récompenses
décernées, et quelques-unes de ces récompenses lui préparent en-
core une année prochaine très brillante. L'ensemble du concours a
été d'ailleurs remarquable, et a mis en évidence une fois de plus la
supériorité de notre enseignement instrumental au Conservatoire.
Le morceau choisi était, à tous les points de vue, d'une rare diffi-
culté: difficulté d'exécution et difficulté d'interprétation, c'est-à-dire
de style, de couleur et de caractère. C'était la quatrième ballade de
Chopin (en fa mineur). Je regrette toujours qu'on joue du Chopin
au Conservatoire, oîi l'on ne devrait pas sortir du classique — et l'on
m'accordera bien, pour admirable qu'elle soit, que la musique de
Chopin n'est ni de formes ni de tendances classiques. Mais enfin, puis-
qu'on voulait encore s'adresser à ce maître, il était sans doute dif-
ficile de mieux choisir.
Le triomphateur de la journée a été le jeune Cortot, élève de
M. Diémer, qui s'est vu attribuer, à l'unanimité, l'unique premier
prix décerné. Il m'a semblé tout d'abord qu'il prenait le mouvement
uu peu trop lent, ce qui me faisait craindre que le morceau ne perdit
ainsi une partie de son nerf et de son accent. Mais cette crainte a
vite disparu. Bientôt l'artiste s'est animé, ses doigts superbes ont
douné à celte œuvre si curieuse la couleur et la vigueur qu'elle
comporte, et il l'a jouée jusqu'à la fin avec un feu, un éclat, une verve,
un brio qu'aucun de ses camarades n'a pu atteindre. Son succès a
été très grand auprès du public, et l'on voit qu'il n'a été ni moins
complet ni moins considérable auprès du jury.
C'est un autre élève de M. Diéiuer, un bambin de quatorze ans, le
petit Lazare Lévy, qui a obtenu le second prix, unique aussi, de la
journée. Il est drôle comme tout, ce petit, et tout à fait intéressant.
Je n'oserais affirmer qu'il a donné au morceau la couleur qui lui
convient, mais il l'a joué avec grâce, avec goût, avec sentiment, et
l'agilité de ses doigts, la vigueur de ses poignets, la netteté et la
sûreté de son exécution ont fait merveille. Avec cela, myope d'une
façon ridicule, il a dû se tenir debout pour lire le morceau à vue, se
collant le nez sur son papier sans pouvoir regarder son clavier, ce qui
ne l'a pas empêché de déchiffrer très bien et avec goût le morceau à
vue écrit par M. Widor.
Un fait assez rare s'est produit ensuite; les quatre seconds accessils
de l'auuéo dernière, MM. Lhérie, Estyle, Gallon et Greviez, se sont
vu décerner les quatre premiers accessits. Le premier appartient à
la classe de M. de Bériot, les trois autres sont élèves de M. Diémer.
M. Lhérie se distingue par un joli son, de bons doigts, de la grâce
dans le phrasé, des traits fins et délicats, qualités qui constituent un
très bon ensemble. — M. Estyle reproduit les mêmes qualités, à un
degré peut-être supérieur. Le son chez lui est clair el transparent,
le phrasé plein d'élégance, et l'agilité des doigts est remarquable. —
Si le jeu de M. Gallon est brillant il est aussi un peu lourd, et si sou
exécution est ferme et précise on peut lui reprocher de manquer d'un
peu de grâce. — Chez M. Greviez au contraire l'exécution est très
distinguée, entremêlée d'élégance et de vigueur, et le mécanisme est
d'une rare habileté.
Enfiu deux seconds accessits sont venus trouver MM. Roussel,
élève de M. Diémer, et Bernard, élève de M. de Bériot. M. Roussel
a dos doigts élégants, un bon phrasé, un joli son, un jeu moelleux,
bren fondu et d'un ensemble excellent. — L'exécution de M. Bernard
manque absolument de personnalité; mais elle très correcte, bien
équilibrée, et tous les détails sont rendus avec le plus grand soin.
Les deux seconds prix des années précédentes, M. Motte-Lacroix
(1894) et M. Decreus (1895}, se sont laissé distancer cette fois,
M. Motte-Lacroix a fait preuve pourlanl d'excellentes qualités ; il a la
grâce et l'élégance, et il m'a paru surtout avoir très heureusement
compris le caractère du morceau. Mais son jeu voudrait plusd'ampleur
et louche parfois à la mièvrerie. Quant à M. Decreus, on peut louer
chez lui la beauté du son et rhabileté du mécanisme ; mais lui aussi
manque de neif, et surtout de pcrsouualité.
Néanmoins, on a vu que la journée avait été brillante, et que
notre école de piano continue de soutenir sa vieille renommée. Nous
verrous la semaine prochaine ce qu'il en sera des classes fémioines.
Arthur Pougin.
P--S. — Il m'est impossible de donner aujourd'hui le compte rendu du
double concours de déclamation dramatique, cjui s'est terminé vendredi
à sept heures du soir. Je dois me borner, pour le moment, à en faire
connaître les résultats :
TRAGéDiiï (Hommes).
Pas de 1"' prix.
2= Prix : M. Dorival, élève de M. Silvaîn.
'/'" Accessits : MM. Vayre, élève de M. Worms, et Froment, élève de
M. Silvaîn.
Pas de 2= accessit.
Femmes.
Pas de !"■ prix.
2= Pria; ; M"' Maille, élève de M. Silvaîn.
■I'^' Accessit : M"" Page, élève de M. Dupont-Vernon.
2"= Accessit : M"" Even, élève do M. Leloîr.
Comédie (Hommes).
I"' Prix ; M. Prince, élève de M. Worms.
2' Prix : M. Garbagny, élève de M. de Féraudy.
4" Accessit : M. Berthier, élève de M. do Féraudy.
2" Accessit : M. Gaillard, élève de M. Leloir.
Femmes.
Pas de 1'' prix :
2" Prio) : M"» Maufroy, élève de M. de Féraudy.
■/!*'■ Accessit : M™" Dehelly-Stratsaert, élève de M. Delaunay, et M"" Even,
élève de M. Leloîr.
2« Accessit : M"' Norahc, élève de M. de Féraudy.
A huitaine le compte rendu. A. P.
NOUVELLES r>IVE]RSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Loadres (17 juillet). — Il n'y a pas à mettre
en doute le pouvoir tascînateur de la Manon de M. Massenet. Témoin la re-
présentation donnée devant une des chambrées les plus brillantes qui se
soient jamais trouvées réunies à Govent Garden. La loge royale, où les
applaudissements n'ont pas cessé, était occupée par le prince et la princesse
de Galles, le duc et la duchesse de Fifo, la princesse Maud et son fiancé
le prince Charles de Danemark, la princesse Victoria et le prince Christian.
Un intérêt tout spécial s'attachait à cette reprise en raison de la première
apparition à Londres, dans les rôles de Manon et de Des Grieux, de
M"= Melba et de M. Alvarez.
Plus on entend M. Alvarez, plus on est frappé par cette prodigieuse in-
telligence et ce merveilleux instinct artistique grâce auxquels il sait assi-
miler à sa nature les rôles les plus opposés comme style et comme caractère.
Nous l'avons vu, cette saison, dans Roméo, dans Faust, ia.nl Aida, dans la
Valkyrie, dans Tannhciuser, dans Carmen, on nous le présente maintenant
dans le rôle de Des Grîeux, un rôle de tendresse et de demî-leintes. Il y
a dans l'interprétation de M. Alvarez, surtout au point de vue musical,
au point de vue des difficultés surmontées, — des choses remarquablement
intéressantes et curieuses. Je signalerai particulièrement l'adresse avec
laquelle il s'est tiré de la phrase du rêve au deuxième acte. M""^ Melba a
surtout triomphé dans les passages d'agilité ; le tableau du Cours-la-Reine
lui a valu des bis et des rappels sans nombre. Enregistrons un effort et
un progrès considérables à l'actif de la comédienne dans la scène de Saint-
Sulpice. On ne pouvait souhaiter un meilleur Lescaut que M. Albers.
Quel joli chanteur et quel excellent acteur ! On se figure le parti que
M. Plançon a su tirer des deux airs du comte Des Grieux et la tenue ad-
mirable qu'il prête au rôle. C'est fout à fait du grand art. Compliments
sincères à MM. Gilibert (Guillot) et J. Bars (de Brétigny), ils ont été, tous
deux, très justement remarqués et applaudis.
Userait injuste d'oublier M. Gastelmary, régisseur de Covent-Garden. Je
ne puis louer assez vivement ie soin, le tact exquis avec lesquels il a
réglé les moindres détails de la mise en scène. Et ce n'était pas une tache
facile de monter sur un pied si supérieurement artistique un ouvrage sabré
de coupures maladroites et dont l'exécution était confiée à des éléments
si disparates et qu'il fallait instruire en quelques répétitions ! Bravo donc
à M. Gastelmary, car il lui revient un peu de part du triomphal succès de
cette reprise de Manon.
Î40
LE MENESTREL
"Le Palace-Théâtre vient de représenter, pour la première fois, une saynète
mimée, l'Idéal, qui a pour auteur M. Newnham-Davis et pour compositeur
M. André Wormser. 11 n'y a pas à insister longuement sur cette œuvrette,
dont l'unique raison d'être est de faire briller lee talents plastiques de miss
Ross-Sehvick. Miss Ross-Selwick a eu un grand succès de jolie femme.
Quant à M. Clerjet (de l'Odéon), il a très intelligemment composé le rôle
du peintre. Les qualités d'expression et d'élégance qu'il y a déployées font
de lui un mime de tout premier ordre. La partitionnelte de M. Wormser
abonde en motifs gracieux et spirituels; elle est de plus fort intéressante
au point de vue des intentions scéniques, et l'orcbeslralion en est recher-
chée. L'orchestre de M. Plurapton l'a exécutée avec beaucoup de soins.
LÉON SCIILÉSINCER.
— Au concert annuel que l'Académie royale de musique do Londres
offre à l'occasion de la fin des examens, on s'est servi pour la première
fois du diapason normal français. Jusqu'à présent l'Académie avait ré-
sisté à cette innovation, qui est adoptée dans presque tous les pays, et
avait conservé son ancien la, qui est sensiblement plus élevé que le la
français.
— Un nouvel instrument musical vient d'être introduit à l'orchestre
de l'Opéra royal de Dresde à la dernière représentation de [tienzi, de
Richard Wagner, pour remplacer dans l'ouverture et dans la scène
de l'appel au combat le cor en métal. Cet instrument, que son inventeur,
le facteur C. "W. Morilz de Berlin, appelle « cor de guerre, » a une lon-
gueur de l-2o centimètres et n'est autre chose que la corne d'une antilope
africain perforée avec beaucoup d'adresse. Son embouchure est en métal
et ressemble exactement à celle d'une trompette. Sa gamme naturelle
donne cinq notes en tii majeur : «(, sol, ut, mi, sol et il paraît que le son
est beaucoup plus beau et pénétrant que le son du cor en métal. Guil-
laume II, en sa qualité de compositeur de musique, s'intéresse beaucoup
à cette invention et a donné ordre de l'essayer dans larmée. On dit à
Berlin que le nouveau « cor de guerre » remplacera bientôt le clairon
réglementaire de l'armée prussienne. La longueur démesurée du nouvel
instrument étonnera d'abord les soldats; ceux qui sont de religion juive
se croiront en pleine synagogue. Car il parait que le son produit par la
corne d'antilope rappelle celui de la corne de bélier dont les Israélites
se servent encore de nos jours dans leurs synagogues pour sonner, à
leur fête du nouvel an, les fanfares liturgiques qui sont vieilles de quatre
mille ans environ. Le son du cor religieux des Israélites (chôphar) qui
n'est pas franc et rappelle le basson, nous a paru peu harmonieux ;
espérons que la corne de la noble antilope donnera des résultats meil-
leurs que celle da bélier ordinaire. - Bn.
— On annonce de Bayreuth que les représentations cycliques de l'Anneau
de Niebdung seront répétées en 1897. Une reprise de ParAfal aura lieu éga-
lement l'année prochaine.
— La représentation complète de la tétralogie de l'Anneau de Niebelung,
qui devait commencer dimanche dernier à l'Opéra royal de Budapesth,
n'a pas pu avoir lieu parce que le ténor M. Broulik, qui devait chanter
dans l'Or du Rhin, a fait savoir au dernier moment qu'il n'était pas en
mesure d'entrer en scène. Le surintendant général des théâtres royaux a
publié une déclaration officielle dans laquelle il accuse M. Broulik d'avoir
empêché la reprêaenlation par malveillance. Mais l'artiste déclare de son
cùté qu'il avait produit, il y a quelques jourd, un certificat de trois
médecins constatant qu'il était hors d'état de chanter, par suite d'un sur-
menage antérieur imposé par la direction de l'Opéra. Les médecins
déclarent même qu'un travail prolongé auraitété un danger pour la vie de
M. Broulik. Il parait que la justice aura à s'occuper de cet incident, qui
a provoqué une sensation énorme dans la capitale hongroise, car les
arbitres ont condamné M. Broulik à la restitution de trois mille francs
(ses honoraires pour un mois) et l'artiste, qui ne veut pas reconnaître le
jugement, va s'adresser aux tribunaux.
Dépèche de Venise : « Hier jeudi, théâtre Malibran, fanatisme pour
la Manon de Massenet. Quatre bis. Ténor GaruUi et M™'- GaruUi-Bendazi
acclamés soirée entière. »
Le second des exercices de fin d'année du Conservatoire de Milan
parait avoir été particulièrement brillant et beaucoup plus intéressant que
le précédent. En ce qui concerne les élèves do composition, on a entendu
une fantaisie stjmphonique de M. Iginio Corsi, élève de M. Coronaro, qui ne
donne encore que des promesses assez vagues du talent de l'auteur. Mais
on dit beaucoup de bien d'une scène biblique pour soprano, baryton et
orchestre, la Figlia di Jefle, due à M. Pozzoli, élève de M. Ferroni, qui se
distingue par de rares qualités de forme et de facture, et l'on n'adresse
pas de moindres éloges à une composition religieuse d'un autre élève de
M. Ferroni, M. Donini, un Kyrie et Christe pour chœur à quatre voix a
(lapella, qui a fait sur ses auditeurs une excellente impression. Cette der-
nière pareil tout particulièrement remarquable.
Le 12 juillet, à Padoue, les chanteurs ordinaires de la chapelle Anio-
niana ont exécuté une. nouvelle messe intitulée Patrem omnipoleniem , due
au jeune organiste de la basilique de Saint-Marc à Venise, M. Oreste Ra-
vanello. « Cette œuvre distinguée, dit un journal italien, a conlirmé plei-
nement, à l'audition, les jugements déjà exprimés par la critique lors de
sa publication. Composée et développée sur la mélodie du Credo grégorien
dit cardinal, à trois voix différentes, elle atteint en plusieurs points un
haut degré d'efficacité par la noblesse du style, par l'intensité sonore et
par l'expression liturgique. L'accompagnement de l'orgue, bien que facile
et simple, conserve le caractère et la propriété du style qu'exige la mu-
sique sacrée, même dans les modulations tout à fait diatoniques. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Une erreur typographique s'est glissée dans notre liste des récom-
penses pour le concours des classes préparatoires de violon. Ce n'est point
M"= Schneider, c'est M. Schneider qui a obtenu dans ce concours une
l" médaille.
— M. Gailuard a quitté Paris vendredi, partageant ses vacances entre
l'Ariège et les Pyrénées. M. Bertrand était rentré le même jour d'Uriage,
pour reprendre à son tour la direction de l'Opéra.
— De son côté M. Carvalho, qui était à Etretat, est venu passer quelques
jours à Paris, appelé par le concours d'opéra-comique au Conservatoire,
avant de se rendre à Contrexéville.
— Mardi prochain, à 2 heures, aura lieu le concours pour l'obtention de
la place d'organiste du grand orgue de la basilique de Saint-Denis, sous
la présidence de M. Widor. Les épreuves imposées sont: 1° accompagne-
ment d'un plain-chant soit à la basse, soit à la partie aiguë; 2° improvi-
sation d'une fugue; 3° improvisation d'une pièce symphoniqi'e; 4" exécution
par cœur d'une pièce de Bach.
— Le ministre de l'instruction publique fera procéder, le II août pro-
chain, à l'adjudication des travaux de couverture, de plomberie et de par"
quetage de l'Opéra-Comique, sur un devis s'élevant à 224.300 francs.
— L'exposition des plans du palais de 1900, qui occupe en ce moment
une partie des locaux du palais de l'Industrie, se trouvant prolongée jus-
qu'au 27 juillet, l'exposition du théâtre et de la musique se voit obligée
de retarder de quelques jours son ouverture. L'inauguration en est reportée
au mercredi 29 juillet, à 2 heures, sous la présidence de M. André
Lebon, ministre des colonies.
— Voici les' résultats des derniers concours de l'École classique de la
rue de Berlin :
Accompagnement : 1"' prix : M"= Miel; 2= prix : M"" Pélicier; l»' accessit:
M. (^uénoUe, élèves de M""= A. Magnien.
Piano supérieur : classe hommes, pas de premier prix; second prix :
M. Quénolle; 1'="' accessit : M. Bourgeois, élèves de M. Rosen. — Classe
femmes (morceau d'exécution : Caprice romantique de Charles René) :
1« prix à l'unanimité M"" Toussaint; l^f prix : M"» Hayem; 'i- prix à l'una-
nimité : M"" Soulé; 2" prix ; M"'" Coindriau et Petit; 1"' accessit :
M'"* Mathieu et Pélicier; 2" accessit : M"" Leroux, M"'* Laûolay et Miel,
toutes élèves de M. Chavagnat.
Opéra (femmes) 2" prix à l'unanimité : M""^ Brack; 1"' accessit à l'una-
nimité .• M"^' Braquehais.
Opéra (hommesj i<" prix à l'unanimité : M. Debray; 2" accessit à l'una-
nimité M. Germain.
Opéra-Comique (femmes), 2<! prix à l'unanimité M""^^ Braquehais; l'-' acces-
sit : M'"^ de Witte; 2« accessit à l'unanimité : M"= Saint-Martin.
Opéra-Comique (hommes), 1"'' prix : M. Debray, tous élèves de M. G.
Herbert.
La distribution des prix aura lieu au théâtre des BatignoUes, le jeudi
30juillet, sous la présidence de M. Beurdeley, maire du 8'= arrondissement.
— On a donné mardi dernier, au casino de Vichy, la première repré-
sentation d'un opéra-comique inédit en un acte. Dernier Amour, paroles de
M. Paul Berlier, musique de M'""^ Gabrielle Ferrari, compositeur aimable
bien connue par nombre d'œuvres intéressantes. Ce joli ouvrage, qui a
obtenu un succès complet, était joué à ravir par M"' Charlotte Wyns
(Colombine), M. Clément (Pierrot) et M. Melchissédec (Scaramouche).
NÉCROLOGIE
C'est avec un vif regret que nous annonçons la mort d'un excellent
artiste qui était un parfait galant homme, Théodore-César Salomé, orga-
niste du petit orgue de la Trinité. Salomé, qui était né à Paris le 20 jan-
vier 1834, avait fait au Conservatoire d'excellentes études sous la direction
de Bazin pour l'harmonie et d'Ambroise Thomas pour la fugue et la
composition, et il avait couronné une brillante carrière scolaire en obte-
nant à l'Institut, en 1861, le premier second grand prix de Rome. Malgré
ce succès, il ne se produisit pourtant guère comme compositeur, il ut
seulement exécuter à la Société nationale de musique divers fragments de
symphonie et publia, avec quelques morceaux de peu d'importance, un
recueil de dix pièces d'orgue. Salomé était un excellent camarade, très
cordial, qui sera vivement regretté de tous ceux qui ont été à même de le
connaître. Il est mort à Saint-Germain, où ses funérailles ont eu lieu mer-
credi dernier. ■"-• P-
Henri Heugel, directeur-gérant.
Dimanche 2 Août 1896.
3410. - 62"^ ANNÉE — N° 31. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettre» et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Prorince. — Texte et Musique de Ciiant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
î. La première salle Favart et l'Opéra-Comique, 4' partie (13" article), Arthob
PouGiN. — II. Les Concours du Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Nouvelles
diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avecle numéro de ce jour :
BRAS DESSUS, BRAS DESSOUS
de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Un Rêve, de Ch. Neustedt.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
chant : Si vous étiez fleur, mélodie de Depret, poésie de Jacques Normand.
— Suivra immédiatement : Sérénade florentine, mélodie d'EnNEST Moret,
poésie de J. Lahor.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1838
QUATRIEME PARTIE
II
(Suite)
La Revue et Gazette faisait preuve en la circonstance d'un
optimisme peut-être un peu bien robuste. Elle comptait en
tout cas sans les habituelles lenteurs administratives, avec
lesquelles il faut toujours compter en France. Ce qui est
certain, c'est que cinq mois s'écoulèrent encore avant que les
Chambres fussent à nouveau saisies de la question. Il y en
avait alors juste dix-huit que la salle Favart n'existait plus.
Enfin, dans sa séance du 20 juillet, la Chambre des députés
était appelée à se prononcer sur le nouveau projet de loi qui
lui était présenté à ce sujet par M. Duchâtel, ministre de l'in-
térieur, et dont le rapporteur était M. Vitet, qui concluait à
l'adoption. Mais il ne s'agissait nullement dans ce projet de
MM.CerfbeeretCrosnier ou d'une proposition quelconque faite
par eux, et celui-ci avait simplement trait à la mise en adjudi-
cation de li reconstruction de la salle Favart. Je ne crois pas
superflu d'en reproduire le texte très bref. Le voici:
Article premier. — Le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre
en adjudication, avec publicité et concurrence, la reconstruction de
là saÛe 'Fdi-v&vt, pour y établir l'Opéra-Comique, sons les conditions et
les clauses du cahier des charges annexé à la présente loi. Le rabais
portera sur la durée de la jouissance à concéder à l'adjudicataire.
Art. 2. — ^ A l'expiration du terme fixé par l'adjudicalion, la salle
reconstruite et ses dépendances feront retour à l'État.
Art. 3. — L'adjudicataire pourra employer les matériaux provenant
de l'ancienne salle. Il recevra, en outre, une somme de 300.000 francs,
égale à l'indemnité versée au Trésor par la compagnie d'assurances
du Phénix pour le sinistre de l'ancienne salle, et qui demeure défini-
tivement acquise à l'État. Cette somme sera payée à l'adjudicataire
après la réception des travaux.
Art. 4. — Pour subvenir à la dépense énoncée en l'article précé-
dent, il est ouvert au ministre de l'intérieur, sur l'exercice 1840, un
crédit extraordinaire de 300.000 francs.
Art. 5. — L'autorisation donnée par la présente loi cessera de plein
droit si, dans les trois mois à partir de sa promulgation, l'adjudi-
cation définitive n'a pas eu lieu.
Le texte était clair. Il s'agissait de la reconstruction de la
salle Favart, étant bien entendu que- c'était « pour y établir
rOpéra-Gomique ». Ceci en dépit des protestations de la com-
pagnie Boursault, propriétaire de la salle Ventadour, qui
prétendait toujours que le privilège de ce théâtre était atta-
ché à cette salle et par conséquent lui appartenait. Cette
compagnie s'était même pourvue à ce sujet devant le conseil
d'Etat, qui avait mis ses prétentions à néant. C'est ce qu'ex-
pliqua à, la Chambre le rapporteur du projet de loi, M. Vitet;
c'est ce qu'établissait d'ailleurs l'exposé des motifs de ce
projet, en faisant remarquer en outre qu'il s'agissait unique-
ment de l'adjudication des travaux de construction de la
nouvelle salle, et en ajoutant : « L'intérêt de l'État ne sera
pas compromis, car nous n'adjugerons pas, avec l'entreprise
de la construction, le privilège de l'exploitation théâtrale. »
La discussion s'engagea donc à la Chambre, et l'on y vit
prendre part, avec le ministre de l'intérieur et le garde des
sceaux (M. Teste), M. Vitet, rapporteur, et MM. de Vatry, de
Laborde, Berryer, Mauguin, Berger, de Marmier, Vatout et
Bignon. Les articles furent 'adoptés successivement, mais
lorsqu'arriva le vote sur l'ensemble de la loi, on s'aperçut
qu'il n'y avait que 203 votants et que l'assemblée n'était pas
en nombre. Le scrutin fut donc annulé et reporté à l'ouver-
ture de la séance du 22 juillet. Cette fois, le projet fut
adopté par 153 voix contre 80.
Ce n'était pas tout, et il fallait maintenant l'assentiment de
la Chambre des pairs. C'est dans sa séance du I" août, pré-
sidée par le comte Portails, que celle-ci fut saisie du projet.
Ici nous trouvons surtout deux orateurs opposants, aussi dé-
daigneux du genre de l'opéra-comique que nos wagnériens
actuels, et parfaitement indifférents de l'avenir de la mu-
sique française. Ces deux sceptiques en matière d'art étaient
deux nobles gentilshommes, le comte de La Riboisière et le
comte de Sparre, qui traitaient cette question avec un déta-
chement complet, la jugeant sans doute indigne des délibé-
ration d'une assemblée dont ils faisaient le plus bel orne-
242
LE MÉNESTREL
ment. Leurs arguments furent pourtant insufBsants à
convaincre leurs collègues, et finalement la loi fut votée par
62 voix contre 44. On touchait au dénouement.
Une fois adoptée par les deux Chambres, la loi fut promul-
guée le 7 août, et il est juste de dire qu'on ne perdit pas de
temps pour lui faire rendre ses effets, car dès les premiers
jours de septembre l'adjudication avait eu lieu. La Revue et
Gazette des Théâtres en faisait ainsi connaître le résultat dans
son numéro du 8 :
La reconstruction de la salle Favart a élé adjugée à M. Cerfberr,
qui ne demandait qu'une jouissance de 39 ans et 8 mois. Son concur-
renl, M. Dabrujeaud, exigeait une jouissance de 48 ans. Les travaux
doivent être terminés au 1" avril 1840. Un incident s'était présenté :
M. le duc et M™" la duchesse de Marmier ont protesté contre l'adju-
dication comme ayant à réclamer aux droits de M. le duc de Ghoiseul,
leur auteur, la propriété et la jouissance d'une loge et de ses dépen-
dances dans la salle Favart. Communication de cette protestation
avait été faite à tous les enchérisseurs, et M. le ministre de l'intérieur
avait décidé, par un arrêté, qu'il serait passé outre à l'adjudication,
attendu que Ions les droits des tiers sont garantis par l'article 13 du
cahier des charges. Cet article 13 est en effet ainsi conçu : « L'adju-
dicataire s'engage ù supporter tous les droits réels, charges et ser-
vitudes qui peuvent grever la salle Favart et le magasin de Louvois,
et il sera personnellement responsable de toutes celles qu'il pourrait
laisser créer sur lesdits immeubles.
Cerfberr, nous l'avons vu déjà, était l'associé de Grosnier
dans la direction de l'Opéra-Gomique, et tous deux étaient
prêts, en cas de rejet de la loi de reconstruction, à élever un
autre théâtre sur un autre emplacement que celui de la salle
Favart. Tous leurs plans étaient donc évidemment préparés,
et ils pouvaient aller vite en besogne. Outre que l'intérêt de
leur entreprise les y engageait, celle-ci se trouvant fort mal
logée dans la salle de la Bourse, ils y étaient obligés par la
situation que leur créait le Vaudeville, qui s'était assuré la
location de cette salle et qui pouvait les mettre en demeure
de l'évacuer à un moment donné. C'est ce qui motivait cette
note, que publiait le Mqiiiteur universel dans son numéro du
22 novembre : — a Le Vaudeville a loué pour cinquante années,
qui commenceront le d" mai prochain, la salle où s'exploite
actuellement l'Opéra-Comique. De son côté, M. Cerfberr, ad-
judicataire de la reconstruction de la salle Favart, s'est obligé
de livrer la nouvelle salle au directeur de l'Opéra-Comique
pour le 1*^" mai. Le commencement du cinquième mois de
l'année 1840 verra donc s'opérer le déménagement de deux
de nos principaux théâtres. La reconstruction de la salle
Favart marche avec activité. »
On remarquera que l'entrepreneur avait à peine huit mois
pour accomplir son œuvre, puisque l'adjudication avait été
prononcée au commencement de septembre 1839, et que la
salle devait être prête le 1" mai suivant. Il vint pourtant à
bout de sa tâche, puisqu'on ne vit se produire qu'un retard
insignifiant de quelques jours, et c'est ce qui démontre l'écla-
tante supériorité de l'initiative privée sur le travail de l'État,
être formaliste, paperassier et confit en routine, qui ne peut
accomplir un travail quelconque qu'à la condition d'y mettre
dix fois le temps nécessaire. Qu'on voie ce qui se produit au-
jourd'hui même pour la reconstruction de cette même salle
Favart, et que l'on calcule le temps qu'il aura fallu, depuis
le premier coup de pioche, pour la mener à bien! Or, dès le
milieu de mars 1840, on pouvait prévoir que tout serait prêt
pour l'époque fixée, ou à bien peu près, et un journal l'an-
nonçait en ces termes : — « Les travaux de la nouvelle salle
de l'Opéra-Comique avancent avec une grande rapidité. Le
titre brille en lettres d'or sur le fronton, qui est achevé. Tous
les murs ont été grattés et blanchis à l'extérieur. La scène est
entièrement couverte ; la salle ne tardera pas à l'être égale-
ment. Quant aux travaux d'intéi-ieur, les plus importants étant
achevés, il y a espoir que le théâtre sera prêt pour l'époque
fixée par les marchés. » (1).
L'architecte (Théodore Charpentier) et l'entrepreneur ne
(1) Monileuir des Théâtres, 14 mars 1840.
perdaient donc pas leur temps. Il est probable qu'ils étaient
stimulés et serrés de près par Grosnier, homme fort actif lui-
même, très expert en affaires et qui ne plaisantait pas avec
les obligations qu'on prenait envers lui. Peut-être n'est-il
pas sans quelque intérêt de rappeler ce que fut ce person-
nage, dont l'habileté fut telle qu'après une période si désas-
treuse pour l'Opéra-Comique il sut rendre à ce théâtre son
lustre et sa splendeur, et pendant onze années lui faire con-
naître une fortune qui depuis si longtemps l'avait abandonné.
L'existence est singulière d'ailleurs de cet homme, qui, parti
des rangs les plus infimes de l'échelle sociale, devint
auteur dramatique, fut successivement directeur de la Porte-
Saint-Martin, de l'Opéra-Comique et de l'Opéra, et mourut
propriétaire opulent, président du conseil général d'Indre-et-
Loire, député au Gorps législatif et commandeur de la Légion
d'honneur.
Le vrai nom de François-Louis Grosnier était Croisneu. Il
était né à Versailles, le 12 mai 1792, sans doute de simples
ouvriers, puisqu'on 1824, alors qu'il était déjà coté comme
auteur aux théâtres des boulevards, ses parents deve-
naient concierges de l'Opéra. (On sait que lorsqu'il devint
lui-même, en 1854, directeur de ce théâtre, sa mère, veuve
et fort vieille, refusa obstinément de quitter sa loge, rendez-
vous alors de tous les artistes et surtout des danseuses,
qui l'appelaient familièrement « maman Grosnier».) A partir
des environs de 1820, Grosnier fit jouer, toujours avec l'aide
de collaborateurs (Saint-Hilaire, Jouslin de Lasalle et autres),
de nombreux mélodrames à la Gaîté et à la Porte-Saint-
Martin : le Meurtrier, le Solitaire, Minuit, le Contrebandier, le Mau-
vais Sujet, l'Étranr/ère, l'École du scandale, la Fille du musicien, le
Caissier, le Monstre et le Magicien, etc. Le 30 janvier 1830,
à la suite de la débâcle du baron de Montgenet, il prenait
la direction de la Porte-Saint-Martin, dont il avait été un
instant l'administrateur, et c'est lui qui, entre autres pièces,
monta à ce théâtre Antomj, Marion Delorme, Richard d'ArUngton,
la Tour de Nesle, Perinet Leclerc, avec une troupe qui avait à sa
tête deux artistes dont les noms sont restés justement fameux
dans les annales du romantisme théâtral, Bocage et Marie
Dorval.
Cette direction, exceptionnellement fructueuse, fut la source
de la fortune de Grosnier, qui cependant, au bout de deux
ou trois ans, passa la main à Harel, non sans y trouver son
compte, et tout en demeurant titulaire du privilège du théâtre.
C'est peu de temps après qu'il sollicitait et obtenait, ainsi
que nous l'avons vu, celui de l'Opéra-Comique, où son ad-
ministration, pour être plus longue, ne fut pas moins heu-
reuse. Il resta à la tête de ce dernier jusqu'en 1845, époque
où, à beaux deniers comptants, il la céda à Basset. Devenu
en 1852 député officiel de l'Empire pour le département d'Indre-
et-Loire (où il fut réélu en 1857 et en 1863), il était nommé,
le 11 novembre 1854, directeur de l'Opéra pour le compte de
la maison de l'Empereur, fonctions qu'il se voyait obligé de
résigner au bout de dix-huit mois, aux derniers jours de juin
1856, à la suite d'un différend grave avec Achille Fould, mi-
nistre d'État (1). C'est alors que, pour pallier sa disgrâce,
le souverain lui octroyait la cravate de commandeur de la
Légion d'honneur. Grosnier, dont la première femme était
couturière, avait épousé en secondes noces la veuve de l'il-
lustre Broussais. Il mourut en septembre 1867.
(A suivre.) Arthur Pougin.
LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE
TRAGÉDIE
Bien qu'il n'ait donné lieu à aucune récompense supérieure (il n'y
a eu de premier prix ni pour les hommes ni pour les femmes), le con-
(1) Alphonsk Royer dit, dans sa piètre Histoire de l'Opéra : « Le 1" juillet 1856
on venait me cherclier à l'Odéon, que je dirigeais depuis trois ans, et on me
donnait (bien malgré moi) la succession de Grosnier, tombé en disgrit ce à la
suite d'une violente altercation avec II. Fould. »
LE MÉNESTREL
243
cours ds tragédie n'a pas laissé que d'oflfrir cette année un intérêt
assez vif. Il a mis surtout en lumière le tempérament d'une jeune
femme qui, je crois, est appelée à faire parler d'elle dans un avenir
prochain, M."" Page, que nous retrouverons tout à l'heure, et dont
le nom a été l'occasion d'un 'de ces incidents comme il s'en produit
périodiquement au Conservatoire pour protester contre certaines
décisions plus ou moins étranges du jury. Mais commençons par le
commencement.
En l'absence du premier, le second prix, du côté des hommes, a
été attribué à M. Dorival, qui a joué avec chaleur, avec une vigueur
exempte d'excès, avec puissance et même une certaine grandeur, la
scène du meurtre de Glytemnestre dans les Erinnyes, scène très diffi-
cile, où il a fait preuve d'une louable sobriété tout en déployant un
sentiment dramatique très intense. Il avait précisément là pour par-
tenaire M"° Page, qui, avant de concourir pour .son propre compte,
a partagé le succès de son camarade. M. Dorival est élève de
M. Silvain.
Deux premiers accessits ont été décernés à MM. Vayre, élève de
M. Worms, et Froment, élève de M. Silvain. M. Vayre a dit avec
un accent très juste une scène de Louù XI, dans laquelle il a montré
de la chaleur, de l'intelligence et un bon sentiment de la scène.
Mais, comme un trop grand nombre de ces jeunes apprentis comé-
diens, il parle souvent trop vite et de façon à ne pas se faire com-
prendre. Il devra s'attacher à soigner son articulation. M. Froment
a paru vraiment intéressant dans le Triboulet du Hoi s'amuse. Une
bonne diction, avec de l'âme, de la sensibilité et un heureux senti-
ment des contrastes, telles sont ses qualités, avec parfois un peu
d'excès, mais point de façon à choquer trop durement.
Du côté féminin nous trouvons aussi un second prix, dont la titu-
laire assez inattendue est M"' Maille, élève de M. Silvain, qui nous
a joué au grand galop et en grasseyant la scène du quatrième acte
d'Horace, qu'elle semblait ne pouvoir jamais finir assez vite. On
aurait dit qu'elle avait un rendez-vous avec Curiaee, et elle vous
déballait les vers... Il fallait voir les imprécations! ahl ça n'a pas
été long, je vous assure. Une, deusse, en avant, arche !...
Je ne sais ce qu'il adviendra de M"' Maille, en dépit de son second
prix, et je me sens incapable de hasarder à son sujet aucun pro-
nostic. Mais ce que je sais bien, c'est qu'il y a chez M"'= Page, élève
de M. Dupont- Vernon, un vrai tempérament d'artiste, qui ne tardera
pas à se révéler dans toute sa vigueur. M"° Page, qui s'était fait vive-
ment applaudir en donnant la réplique à M. Dorival dans les Erynnies,
a obtenu un remarquable succès personnel dans une scène du second
acte de Bajaset. Douée d'une physionomie mobile et expressive, avec
un œil profond, un regard plein d'éclairs, la démarche noble, le geste
ample et harmonieux, cette jeune femme semble née pour le théâtre.
Son débit est sage, sa diction est sobre et d'une rare justesse ; elle
a la vigueur, elle a, qualité bien rare chez une jeune artiste —
l'ironie hautaine, elle a enfin ce qui emporte tout : l'autorité. C'est
une nature et un tempérament. Ce sont ces qualités rares, dont la
réunion fait déjà d'elle un sujet précieux, et que le public avait vive-
ment remarquées, qui ont fait éclater un incident lors de la procla-
mation des récompenses. Lorsque ce public, qui avait accueilli avec
un silence glacial l'annonce du second prix décerné à M"" Maille,
entendit appeler M""= Page, à qui l'on attribuait seulement un premier
accessit, il lui fit une telle ovation et l'accueillit avec une telle volée
d'applaudissements que pendant plusieurs minutes, et malgré les
efforts de la sonnette du président, il fut impossible de rien entendre.
C'est alors que M. Théodore Dobois annonça que la séance était levée
et qu'il n'achèverait la proclamation des prix que lorsque la salle
serait évacuée.
Un second accessit a été accordé à M"= Even, pour une scène de
Phèdre. W^'- Even, qui est élève de M. Leloir, est douée d'une voix
excellente. Elle est intéressante, el assurément intelligente. Elle a
fort à faire encore, mais elle a l'étoffe nécessaire. C'est le fonds qui
manque le moins.
COMÉDIE
Voici pour la comédie, où l'on a vivement regretté de ne pas voir
se représenter M'" Page, quelles ont été les récompenses décernées :
Hommes.
1" Prix. — M. Prince, élève de M. Worms.
2'= Prix. — M. Garba^ny, élève de M. de Féraudy.
1" Ace. — M. Berthier, élève de M. de Féraudy.
2= Aec. — M. Caillard, élève de M. Leloir.
Femmes.
Pas de l"' prix.
2° Prix. — M"'' Maufroy, élevé de M. de Féraudy.
1" Ace. — M"'" Dehelly-Stratsaert , élève de M. Delaunay , et
M"= Even, élève de M. Leloir.
2° Ace. — M"° Norach, élève de M. de Féraudy.
Ici, la supériorité du sexe fort s'affirme presque avec éclat, grâce
surtout à la présence de MM. Prince et Garbagny, qui sont venus,
l'un après l'autre, terminer la séance. C'était bien le cas dédire:
Aux derniers les bons. Nous n'avons pas entendu, d'ailleurs, moins
de vingt scènes de comédie, dont une au moins me semble amener une
réflexion. Le matin, dans le concours de tragédie, on nous avait
donné deux scènes d'Hernani et du Roi s'amxise, et le soir, dans la
séance consacrée à la comédie, nous trouvons une scène de Lucrèce
Borgia. Voilà qui peut sembler singulier. Il n'y a pas, que je sache,
le plus petit mot pour rire dans Lucrèce Borgia, qui n'est assurément
pas d'une gaité folle, et il y a quelque hardiesse à classer une telle
oeuvre dans le répertoire comique. Mais passons, et voyous ce que
sont nos jeunes comédiens.
M. Prince, qui, comme figure et comme tournure, ressemble d'une
façon remarquable à M. Coquelin cadet, s'est produit dans un arran-
gement assez singulier de deux scènes du Médecin malgré lui, où il
jouait Sganarelle. Doué d'un excellent organe, clair et sonore, il
joint à un naturel remarquable une verve pleine de chaleur, une
diction nette, un débit facile et sans précipitation. J'ajoute qu'il a
de l'aisance sans laisser-aller, qu'il ne tombe jamais dans la charge,
qu'il tient merveilleusement la scène, et que son geste et sa démarche
complètent un excellent ensemble. C'est un artiste aujourd'hui formé
et qui peut sans crainte affronter le grand public.
C'est par des qualités différentes que brille M. Garbagny, qui a
joué le rôle de Jean Bonnin daus une scène de Fraîiçois le Champi, où
il a montré de la chaleur, une rare franchise et un sentiment expansif
et vrai. Celui-là n'a plus que bien peu de chose à faire pour être en
état de monter sur de vraies planches.
M. Berthier a dit la grande scène de maître André et de Jacqueline
dans le Chandelier. Le commencement était bien un peu morne, un
peu froid, mais il s'est relevé ensuite et a montré à la fin de la
bonhomie et du naturel. Quant à M. Caillard, que nous avions vu le
matin dans la scène d'Hamlet avec sa mère, c'est lui qui a joué celle
d'Alphonse avec Lucrèce dans Lucrèce Borgia. De la chaleur, de la
sobriété, une diction naturelle et expressive, sèche à l'occasion et
vigoureuse sans raideur, telles sont ses qualités.
J'ai regretté, je l'avoue, qu'on n'ait pas cru devoir accorder son
premier prix à M. Eozenberg, qui avait obtenu le second il y a deux
ans et qui a fort joliment joué, avec désinvolture, avec grâce, avec
distinction, une scène du Gringoire de Théodore de Banville. Que
reproche-t-on à cejeune homme, qui n'a vraisemblablement plus rien
à apprendre au Conservatoire ? Est-ce, peut-être, parce que la
Comédie-Française ne se soucie pas de l'engager, qu'on lui refuse un
prix qu'il a bien mérité? Il y a de ces mystères, auxquels nous ne
comprenons rien, nous autres profanes. Quoi qu'il en soit, celui-là
peut hardiment se présenter devant le public, et j'ai dans l'idée qu'il
saura s'en faire bien accueillir. Parmi les élèves non couronnés, je
ne veux pas négliger de signaler M. Barlay, qui a montré de l'aisance
et de la chaleur dans la scène du chapeau du Mariage forcé, et qui se
distingue par un bon organe et une bonne articulation.
Côté des femmes. Ici, la surprise de la journée a été l'apparition char-
mante d'une toute jeune fille, M"° Maufroy, qui, à son premier concours,
a décroché, dans une scène d'An printemps, le seul prix décerné.
Voilà une vraie ingénue, d'un naturel exquis, naïve sans recherche,
comique par cette naïveté même, par un accent de sincérité qui
charme et qui étonne à la fois l'esprit et l'oreille, et dont les répli-
ques d'un ton si inattendu produisent un effet délicieux. Le public,
surpris, a fait à cette jeune fille un succès bien mérité et qu'est venue
confirmer la décision du jury à son égard. Je voudrais lui voir jouer
ï École des femmes (pas au jury). Elle y serait certainement exquise et
pleine d'originalité.
Je ne saurais, malheureusement, adresser les mêmes éloges à
M™ Dehelly, qui a joué d'une façon bien pâle el bien insignifiante
la scène du troisième acte du Mariage de Victorine, où elle s'est vue
récompenser pourtant par un premier accessit. Avant elle une aimable
jeune femme, M"° Clary, avait joué cette même scène d'une façon
toute charmante, avec des larmes dans la voix, avec une diction tou-
chante et sobre, avec un sentiment dramatique plein de candeur. A
quoi donc sert-il de déployer de telles qualités, si le jury ne parait
pas s'en apercevoir? Mais qu'elle travaille et qu'elle continue,
M"° Clary, elle a ce qu'il faut pour vaincre les résistances.
Comme M""" Dehelly, M"' Even a obtenu un premier accessit, pour
la scène d'Alcmène avec son époux dans Amphitryon. M"° Even, qui
244
LE MENESTREL
n'esl pas tout à fait la première venue, fera bien de se surveiller
beaucoup : elle parle beaucoup trop vite el. de plus, laisse éteindre
et tomber la fin de toutes ses phrases, si bien qu'on n'entend pas la
moitié de ce qu'elle dit. C'est pour la grande scène à'Adrienne Lecou-
vreur que M"" Xoraho (qui me paraît bien s'appeler de son vrai nom
Charon, par anagramme) s'est vu décerner un second accessit. Elle
ne manque ni de sensibilité ni de grâce, mais crie parfois un peu
trop.
M"* Rabuteau, premier accessit de l'an dernier, est restée sur le
carreau. Coiffée comme un singe el d'une façon absolument ridicule,
elle est venue bredouiller une scène de FranciUon en parlant quatre
fois trop vita. Ses progrès sont nuls. Et c'est dommage, car elle a à
son service une des voix les plus étoffées el les meilleures que l'on
puisse souhailer.
Je ne puis que signaler, parmi les élèves non couronnées, M"°Méry
dans le Fils naturel el M"" Vandoren dans la Princesse Georges. La pre-
mière est inléressante : elle dit bien, avec un bon sentiment et des
accents d'une tendresse touchanle. La seconde n'est ni sans intelli-
gence, ni sans qualités, mais, comme beaucoup d'autres, elle parle
trop vite.
OPÉRA.-GOMIQUE
I^e concours d'opéra-comique, que tout le monde supposait devoir
être quelque peu insignifiant en raison de la faiblesse des concours
de chant, a été beaucoup meilleur qu'on ne l'espérail et n'a pas
laissé au contraire que d'inspirer un intérêt assez vif. Voici d'ailleurs,
sur douze concurrents, la liste des récompenses décernées :
Hommes.
1" prix. — M. Beyle, élève de M. Taskin.
2= prix. — MM. Grosse, élève de M. Taskin, el Vieuille, élève de
M. Achard.
Pas d'accessits.
Femmes.
l" prix. — ■ M"= Guiraudon, élève de M. Taskin.
Pas de second prix.
i"' accessit. — M"" AUusson, élève de M. Achard, et Petit, élève
du même.
Chose assez rare : des douze élèves qui se présentaient à ce con-
cours, pas un seul n'avait été récompensé antérieurement. Quant aux
deux premiers prix, M. Beyle et M"" Guiraudon, l'un et l'autre l'ob-
tenaient d'emblée à leur première épreuve.
C'est dans le tableau de Saint-Sulpice, de Manon, qu'ils se présen-
taient ensemble. Ici, M"' Guiraudon, qui est déjà une artiste hien
intéressante, a pris une revanche éclatante de l'échec inattendu qu'elle
avait subi au concours de chant. Cette jeune femme au regard et au
sourire si intelligents, qui, sans être jolie, a une physionomie si
expressive, est évidemment quelqu'un, et l'on sent qu'au théâtre elle
sera dans son élément. On n'apprend pas à marcher, à se tenir ainsi
en scène, à avoir le geste aussi juste, aussi naturel et aussi harmo-
nieux. Mais ceci n'est que pour le côté plastique, qui sert surtout a
compléter les qualités scéniques. Ces qualités, M"'^ Guiraudon les pos-
sède aussi : elle a la chaleur et le pathétique, le charme et la passion.
elle trouble et elle émeut. Tout est chez elle aisé et naturel, le chant,
la diction, l'action scénique. Je serais étonné si elle ne faisait pas
bientôt parler d'elle. Son partenaire, M. Beyle, sans être à sa hau-
teur, l'a d'ailleurs secondée d'une façon très satisfaisante. Lui non
plus ne manque pas de chaleur; il a une certaine ampleur dans le jeu
et n'est nullement maladroil. Qui sait si nous ne verrons pas prochai-
nement l'un et l'autre à rOpéra-Comique.
Entre les deux seconds prix attribués à MM. Gresse et Vieuille je
ne fais guère de différence, et je trouve que le jury a fort bien fait de
leur accorder à tous deux la môme récompense. M. Gresse s'est
montré dans le rôle du vieux chevrier Jacques Sincère au premier
acte du Val d'Andorre. Il dit le dialogue avec justesse, chante bien
au point de vue scénique, avec intelligence, et articule d'une façon
très nette; dans sa scène de bonne aventure avec les deux femmes, il
a eu de très heureuses intentions ironiques, sans dépasser la mesure.
— De son côté, M. Vieuille a joué avec aisance, avec facilité, avec
sobriélé, la grande scène de Falslaff au premier acte du Songe d'une
nuit d'été. Il a prouvé là qu'il a ce qu'il faut pour devenir un bon
comédien : de la verve, de la gaieté, un bon sentiment comique, qui
ne, tourne pas à la charge; le jeu est ample, intelligent et naturel, le
geste, la démarche, la diction, tout est harmonique et concourt à un
bon ensemble. Ces deux jeunes gens sont dans le droit chemin, ils
n'ont qu'à continuer.
Oii je ne trouve pas qu'il y ait égalité, c'est dans les deux premiers
accessits qui ont été décernés à M"" AUusson et Petit. La première
s'est présentée dans le second acte de Manon, où elle a dit avec une
certaine grâce l'épisode de la table; mais elle ne sait rien de la scène,
elle n'a pas le sens du dialogue et ignore jusqu'à l'art de marcher.
Elle a fort à faire pour acquérir tout ce qui lui manque de ce côté. —
Tout au contraire. M"» Petit nous a joué d'une façon charmante toul
un grand fragment du Tableau parlant. C'est une gentille soubrette,
vive, accorte, à la mine éveillée et inlelligenle, au regard plein de
franchise, qui n'est embarrassée ni de ses mains ni de ses jambes, et
dont la diction est aussi fine que spiriluelle. Elle a fort joliment chanté
les couplets au vieux Cassandre : Ils so7it passés, ces jours de fêle, et
aussi le duo avec Pierrot. Elle a la grâce, la vivacité et la coquetterie.
Avec du travail encore, cela fera une dugazon comme on en voit peu,
et je trouve qu'un second prix n'eût pas été de trop pour récompenser
un tel résultat. Je me demande seulement pourquoi M'" Petit a pu
prendre part au concours d'opéra-comique sans s'être montrée au
concours de chant.
Ce qui m'élonne aussi, c'est que le jury n'ait pas cru devoir accorder
même un second accessit à M'" Poigny, qui, charmante physiquement,
a prouvé de l'adresse dans la jolie scène de Jeannette et des amou-
reux au second acte do Joconde, qu'elle a jouée avec grâce, bonne
humeur et gentillesse. Il y a là aussi, je crois, l'étoffe d'une aimable
dugazon.
Je signalerai encore M. Andrieu, qui concourait avec M"'' Petit dans
le Tableau parlant, où il s'est montré adroit et aimable, et M. Edwy,
qui n'a manqué ni d'aisance ni de verve comique dans une scène de
la Fausse Magie, mais en chantant d'une façon un peu lourde celte
musique légère qu'il faut se garder d'écraser par un excès de sonorité
vocale.
PIANO (Femmes.)
Une des séances les plus redoutables de l'année. Commencée à
midi, celle-ci ne s'est terminée, après délibération du jury, qu'à sept
heures du soir. El pourtant, il n'y avait cette fois que vingt-sept
concurrentes, au lieu de trente-cinq qui est le chiffre normal —
lorsqu'il n'est pas dépassé. Il est vrai que le morceau était d'une
longueur inusitée. Quand je dis le morceau... je ne sais vraiment
quel nom donner à la singulière macédoine qu'on a faite, pour la
circonstance, du Carnaval de Schumann, quia été arrangé de la façon
la plus baroque qu'on puisse imaginer. Cette olla podrida d'un nou-
veau genre, se composait des ingrédients que voici : d'abord, le
Préambule, d'où, par un grand saut, on allait prendre les seize mesures
d'introduction d'Eusebius (n° 5), pour retourner en arrière et prendre
Arlequin (n° 3); de là on passait aux Papillons (n° 9), puis on prenait
Chiarina (n° 11), Chopin (n° 12), Reconnaissance (n° 14), Pantalon et
Colombine (n" l.o); on passait ensuite par-dessus Paganini pour prendre
la reprise de la Valse allemande, puis... ah ! ma foi, je ne me rappelle
plus. Toujours est-il que l'œuvre, ainsi transposée, conlournée,
tronquée, dénaturée, formait le morceau de concours le plus étrange
qu'on puisse trouver. Le répertoire du piano n'est-il donc pas assez
abondant, assez étendu, assez riche pour qu'on ne puisse y trouver de
quoi satisfaire aux conditions d'un concours, et pour qu'on soit
obligé de se livrer à un tel jeu de massacre à l'endroit d'une œuvre
intéressante el célèbre, qui n'a plus ainsi ni queue ni tête, ni sens ni
raison ? D'autre part — et c'est mon humble avis que je donne ici —
je trouve que le Carnaval, ainsi décharné, déchiqueté, décortiqué,
s'il lient mettre en relief la virtuosité de l'exécutant, ne lui permet
pas de prouver l'ombre d'une qualité de sentiment et d'expression ;
et quant au style, je déclare, pour ma part, qu'il m'est impossible
d'apprécier celui d'une seule des vingt-sept concurrentes qui ont
exécuté celte étonnante arlequinade. Ceci soit dit pour m'excuser de
n'en pas prononcer une seule fois le mot dans le compte rendu qu'on
va lire.
Les récompenses, au nombre de treize, atteignent la moitié du
chiffre des concurrentes. Sur ces treize récompenses, quatre premiers
prix décernés à M"°' Hansen, élève de M. Delaborde, Varin, Rigalt
et Toulain, toutes trois élèves de M. Pugno. M"'= Hansen a un jeu
plein de grâce et d'agrément, une grande sûreté de mécanisme et
un ensemble d'exécution particulièremonl Ualteur. — M"" Varin,
dont le début était lourd, raideel sans grâce, malgré l'habileté de son
jeu et l'ampleur qu'elle donnait au phrasé, s'est relevée dans la suite;
la dernière partie du morceau a été dite par elle avec une vaillance et
un éclat remarquables. Il me semble pourtant qu'elle devra s'attacher
à donner du liant à son exécution parfois un peu sèche. — Je ne
saurais en vouloir à M"° Rigalt pour quelques attaques de notes
manquées; elle a la légèreté, la souplesse el la grâce, un mécanisme
solide et brillant à la fois, une exécution bien équilibrée et bien
fondue, un jeu facile et plein d'élégance. — C'est par de très bonnes
qualités d'ensemble que se distingue le jeu intéressant de M"°Toutani,
LE MÉNESTREL
245
qui n'est certes pas au-dessous de ses compagnes et qui, comme elles,
était digne de la première récompense.
Les seconds prix, au nombre de trois, ont été attribués àM"°'Decroix,
élève de M. Delaborde, Fulcran, élève de M. Pugno, et Gahun, élève
de M. Alphonse Duvernoy. M"'= Deeroix est une gentille enfant de
quinze ans, qui a de la grâce, du goût, des doigts obéissants, un mé-
canisme habile, avec un ensemble d'exécution fort aimable. — Les
qualités de M"* Fulcran ne sont pas de même nature. Le jeu de celle-ci
est crâne, hardi, brillant, plein de chaleur ; elle joint la légèreté à la
vigueur, ses doigts sont superbes, et chez elle le phrasé est à la fois
ample, élégant et bien musical. Il y a là un vrai tempérament
d'artiste. — J'en dirai autant de M"'= Gahun, dont l'exécution se fait
remarquer par le feu, l'éclat et la solidité, par de jolies oppositions
de nuances et par un excellent sentiment musical.
Trois premiers accessits, à M"" Rennesson, élève de M. Pugno,
Vergonnet et Percheron, élèves de M. Delaborde. Elle est fort gentille
M"" Rennesson, elle a d'excellentes qualités : un joli son, du goût,
un heureux sentiment musical, un jeu bien d'aplomb où la grâce
sans fadeur se mêle à la vigueur saus roideur. — Chez M"' Vergonnet
un bon ensemble très agréable, du moelleux, de bons doigts, une exé-
cution intéressante et distinguée. — Du côté de M"= Percheron des
qualités solides d'étude et de mécanisme, aiais un phrasé inégal, qui
demande à être soigné.
Enfin, trois seconds accessits, dont les titulaires sont M"«* Epstein
et Herth, élèves de M. Delaborde, et Forest, élève de M. Pugno.
Toutes trois sont aimables, eu bon chemin, et n'ont qu'à continuer
de travailler.
Mais il y a eu, comme toujours, des déceptions dans ce concours.
Troi? seconds prix des années précédentes sont restés sur le carreau,
jjues Gresseler et Masson et M"'' Meyer-Belville. Je ne m'explique
pas, je l'avoue, l'échec des deux premières. Le jeu de M"° Gresseler
est à la fois hardi et solide, et l'ensemble de son exécution brillante
et colorée est intéressant et vraiment musical. La couleur, la sûreté,
la fermeté sont aussi les qualités qui distinguent M"" Masson, une
enfant dont le jeu est surtout bien équilibré, bien complet, et qui ne
laisse rien dans l'ombre et au hasard. Pourquoi cette malchance?
J'en signalerai quelques autres parmi celles qui n'ont point été
récompensées. M"" AUard, 1" accessit de 1893, qui avait débuté d'une
façon solide et brillante, mais qui a faibli ensuite ; M'"' Roux, 2° acces-
sit de 1894, dont l'exécution moelleuse et fine, dont le phrasé élé-
gant et gracieux, dont les doigts habiles et par instant \igoureux
me semblaient mériter mieux que l'oubli dont elle a été l'objet;
M"'= Jaulin, â" accessit de 189o, dont le jeu bien fondu a le défaut de
manquer de nuances et de couleur; M"" Alliés, qui a de la vigueur,
de l'agilité, et dont l'exécution nette et correcte se distingue par un
heureux phrasé; M"" Richez, une gentille enfant, fort intelligente,
qui a de l'habileté dans le mécanisme, de la carrure dans la phrase,
de jolis détails, mais qui devra s'attacher à acquérir la netteté qui
lui manque; M^^" Demarne, dont quelques faiblesses de détail ont
fait tort à un jeu par lui-même solide etchaleureux ; enfin M"" Oberlé,
chez qui il faut louer une exécution bien étudiée, bien sage et qui
n'est pas sans intérêt.
Par tout ceci, on peut voir que l'ensemble de ce concours offrait
lui-même un vif intérêt. Mais, saperlotte! quel diable de morceau!
et qui a pu avoir l'idée de ce ravaudage insensé ?
VIOLON
Encore une rude journée, qui, commencée comme la précédente à
rnidi, s'est terminée comme elle à sept heures du soir. Morceau de
concours : le superbe 29° concerto deViotti, qui nous permet au moins
déjuger si les élèves ont du style et s'ils savent chanter. Morceau a
déchiffrer, écrit par M. Lenepveu. Sur la brèche : trente et un concur-
rents, dont huit femmes.
J'ai peine à m'expliquer l'ardeur que les femmes apportent aujour-
d'hui à l'étude du violon, et l'avantage qu'elles peuvent trouver dans
la culture de cet instrument, qui par sa nature semblerait pourtant
devoir être réservé à la partie mâle du genre humain. Il faut bien
supposer pourtant qu'elles y trouvent leur compte, car depuis une
trentaine d'années déjà les classes de violon sont envahies par l'élé-
ment féminin. A ce point qu'au concours de 1888 elles obtenaient à
elles seules huit nominations, dont un premier prix, trois seconds
prix et quatre accessits, et que l'année suivante elles n'avaient pas
moins de trois premiers prix, deux seconds prix et un accessit.
D'ailleurs, la liste est longue des premiers prix remportés par les
femmes en ces vingt dernières années : M"° Pommereul (aujourd'hui
M"" Rouvierj, 187S; M"« Teresina Tua (aujourd'hui comtesse Valetta),
1880; M"»Harkness, 1881; M"= Hillemacher, 1882; M"" Carpentier,
1884; M"'=Vinay,188S; M"= (iauthier, 1887 ; M"» Juliette Dantin, 1888;
M»« Langlois,DuportetBourgaud, 1889; M"=Schytte, 1890; M'i= Charlotte
Vormèse, 1891 ; M"» Jaffé, 1892; enfin, M"= Roussillon, 1894. Au reste,
je remarque qu'au premier concours public du Conservatoire, qui eut
lieu' en l'an V, un second prix de violon fut décerné à « la citoyenne »
Félicité Lebrun, et que ladite citoyenne obtint le premier en l'an VII.
Mais depuis lors jusqu'aux environs de 1860, on n'a à signaler aucune
récompense accordée à une femme violoniste. On voit qu'à partir de
ce moment, ces dames ont pris leur revanche. — Passons enfin au
compte rendu de ce concours de violon, qui est toujours l'un des plus
intéressants et des plus brillants de l'année.
Nous avons à euregisti'er quatre premiers pris, décernés à MM. Sé-
chiari, élève de M. Berthelier, Soudant, élève de M. Lefort, Mouteux,
élève de M. Berthelier, et Thibaud, élève de M. Marsick. Pour moi,
je ne cache pas mes préférences pour M. Séchiari, qui est un artiste
déjà complet et formé et qui ne laisse rien à désirer. Il réunit eu effet
toutes les qualités : uu bel archet bien indépendant, un beau son, la
hardiesse du jeu, la grandeur du siylo, l'élégance du phiasé et le
goût dans le chant. En somme, uo ensemble superbe. M. Soudant n'est
guère moins remarquable. Lui aussi a de la hardiesse, du feu, de
l'éclat, une rare noblesse de style, avec un chaut expressif et plein
d'élégance. A ajoutera tout cela un staccato merveilleux. Les qualités
de M. Thibaud, qui consistent dans un joli son, uu style élégant et
gracieux, un jeu chaleureux, sont malheureusement gâtées par uu
vibrato perpétuel et insupportable. Il ue peut pas tenir sa main gauche
tranquille, ce jeune homme, et il a toujours l'air de faire des trilles,
même quand il s'agit de filer un son. M. Monteux est un artiste habile,
qui connaît son affaire, mais dont la personnalité à de la peine à s'ac-
cuser.
M. Forest et M"" Linder (la sœur ainée de la jolie fillette qui a rem-
porté le premier prix de harpe) ont obtenu le deuxième prix à l'una-
nimité. Pour M. Forest, qui est déjà presque un artiste et dont les
qualités sont aussi solides que brillantes, je le comprends sans peine.
Je me l'explique plus difficilement pour M"" Linder, que je ne vou-
drais pas chagriner, mais dont le je'i est bien inégal et qui a vraiment
un drôle de style, tantôt tout petit, tantôt s'élargissant, et sans aucune
unité. Des qualités sans doute, mais aussi des défauts assez graves,
surtout en ce qui concerne le goût. M. Forest est élève de M. Berthelier,
M"° Linder de M. Garcin.
Trois premiers accessits ont été attribués à MM. Pliai, élève de
M. Berthelier, Rénaux et Gandela, élèves de M. Lefort. M. Phal a .
des qualités de travail et d'acquis qui demandent à mûrir encore et
qui sont à encourager. M. Rénaux a un poignet excellent, un archet
bien à la corde, uu jeu très soigné, très élégant, avec de la grâce,
du style et du goût. Ce n'est ni par la grâce ni par la dislinction que
brille M. Gandela, dont le jeu trop impersonnel tombe parfois dans
la banalité. Il a besoin de soigner surtout la qualité du son.
Les seconds accessits sont échus à M"" Dellerba , élève de
M. Garcin, à M"° Cossarini et M. Heck, élèves de M. Berthelier, et à
M"' Laval, élève de M. Marsick. M"" Dellerba a un jeu assez facile
et assez aimable. — W^° Cossarini méritait, à mon sens, beaucoup
mieux que cette récompense très secondaire. Elle a de la grâce et un
joli son, un jeu délicat et ferme à la fois, plein d'élégance dans
l'archet comme dans le phrasé, un trille excellent et le sentiment du
style. Je crois bien que si elle avait mieux lu elle eût été mieux
partagée. Elle a de l'avenir. — M. Heck, lui, ne finit pas ses trilles,
et son archet écrase la corde d'une façon abominable. Il a fort à faire
pour prendre place dans le rang. — M"" Laval a le jeu très correct
et très sûr, mais elle a diantrement besoin de s'échauffer ; et puis,
elle a l'archet tellement collé à la corde que son jeu ne respire pas
et que ça fait étouffer l'auditeur. Avec cela on sent un excellent
travail, qui méritait un encouragement.
Le jury a-t-il tenu rigueur à M. Duttenhofer parce qu'il s'est bra-
vement arrêté au milieu de son morceau pour remonter sa chanterelle,
qui avait baissé d'une façon insolite"? Je le croirais, car du moment
qu'on donnait un premier prix à M. Monteux et à M. Thibaud, on
n'avait aucune raison de le lui refuser. Ce qui est certain, c'est que
ce jeune homme a un jeu distingué et délicat, un joli son et un beau
mécanisme, et que l'ensemble de son exécution est remarquable. S'il
est inférieur à MM. Séchiari et Soudant, et je le crois, il me paraît
supérieur à leurs deux camarades. Ce sont là les hasards des con-
cours !
D'autres encore pourraient se plaindre d'avoir été oubliés. M. Boffy,
premier accessit de 1894, qui a un bon archet, un joli son, du style
et de la vigueur dans les traits; M. Oliveira, dont la tenue est excel-
lente, et qui joint à des doigts habiles une grande justesse et la fer-
meté dans les traits; M. Guelenaere, qui est presque remarquable.
24()
LE MENESTREL
dont le jeu est ferme et serré, avec l'archet bien à la corde, du style
et de l'élégance; M"" Gillart, premier accessit de 1805, dont l'exécu-
tion est charmante, très sentie, très finie, très élégante, très féminine,
avec un joli archet, un joli slyle et un ensemble plein de grâce; enfin
M. Hazelton, un gentil enfant qui a de la sûreté dans l'archet, un bon
mécanisme, une exécution nette et parfois élégante, avec le sentiment
du style. Je sais bien qu'on ne peut pas récompenser tout le monde,
mais il y a tout de même des oublis qui sont douloureux, surtout pour
certains qui se trouvent à leur dernière année et qui sont obligés de
quitter les classes.
OPÉRA.
Comme le concours d'opéra-comique, le concours d'opéra nous
réservait une agréable surprise, en ce sens qu'il était de beaucoup
supérieur à ce que pouvait nous faire espérer la faiblesse de la dou-
ble épreuve du chant. Il est certain que la séance n'était pas dénuée
d'intérêt, surtout du côté masculin, et ce qui le prouve, c'est que sur
onze élèves qui s'y présentaient, le jury n'a pas décerné moins de
dix récompenses. Voici d'ailleurs, sous ce rapport, le bilan de la
journée.
Hommes.
l^prix: M. Sizes, élève de M. Giraudet.
2° prix: M. Beyle, élève de M. Giraudet.
l" ace. : MM. Vieuille et Cremel, élèves de M. Giraudet, et Gresse,
élève de M. Melehissédec.
2= ace. : M. Chrétien, élève de M. Melehissédec.
Femmes .
l'^'^prix: M"" Guiraudon, élève de M. Giraudet.
2' prix: 'M}^<' Ackté, élève de M. Giraudet.
l"' ace. : M"'° Nady, élève de M. Melehissédec.
2'' ace. : M"'= Truck, élève de M. Melehissédec.
J'afais décidément parlé trop tôt, la semaine dernière, en me féli-
citant prématurément de l'absence des petits scandales qui émail-
lent trop volontiers certaines séances des concours publics. On a vu
ce qui s'était passé à celui de tragédie, à propos de M"" Page ; mais
ici du moins, la protestation venait de l'auditoire, et si, en priucipe,
je trouve toujours ces manifestations fâcheuses, je dois dire qu'en
l'espèce celle-ci avait sa raison d'être. A.u concours d'opéra l'incon-
venance, une inconvenance parfaite, venait d'une élève couronnée,
M™ Nady, qui n'estimait pas la récompense que lui octroyait le jury
à la hauteur du mérite dont elle avait preuve, ce en quoi, au contraire,
elle avait parfaitement tort. Lorsque, après avoir proclamé le pre-
mier et le second prix décernés aux femmes, M. Théodore Dubois fit
appeler M""" Nady, qui avait concouru dans le quatrième acte de la
Favorite, une voix..., amie, une seule, s'avisa tout à coup de pro-
tester du haut de l'amphithéâtre et de réclamer pour elle un pre-
mier prix, ce qui parut un peu burlesque à la masse du public et ce
qui amena une petite rumeur dans la salle, rumeur aussitôt apaisée
par quelques paroles de M. Théodore Dubois. Tout se serait sans
doute borné là. Mais pendant ce temps M""" Nady, répondant à l'appel
de son nom, était venue se poster sur le devant de la scène, les
poings sur les hanches, l'œil enflammé, fixant sur le jury un regard
plein d'arrogance, pour ne pas dire de défi. Et quand M. Théodore
Dubois, prononçant la phrase sacramentelle, lui eut dit: « Madame,
le jury vient de vous décerner un premier accessit », M""= Nady, se
drapant dans sa dignité offensée, s'écria d'un air de furie : « Vous
pouvez le garder, votre accessit ! » et sortit majestueusement, lais-
sant tout le monde absolument stupéfait de cette incartade.
Je dis que ceci est parfaitement inconvenant, et devrait amener
l'exclusion immédiate de l'élève récalcitrante. Rien ne vous force à
entrer au Conservatoire; vous trouvez dans votre admission à l'École,
surtout vous autres chanteurs, un avantage assez grand pour vous
soumettre sans peine au règlement de la maison et aux devoirs
qu'il vous impose. D'ailleurs, par cela même que vous prenez part à
un concours, vous devez accepter d'avance, quelles qu'elles soient,
les décisions du jury chargé de juger ce concours. Si vous trouvez
que celles-ci ne vous sont pas suffisamment favorables, redoublez de
travail pour être mieux partagée à l'avenir. Mais vous n'avez pas le
droit de protester publiquement, ni surtout de manquer de respect,
et d'une façon aussi incongrue, au directeur de l'école dont vous
faites partie. Il est certain d'ailleurs, et de l'aveu de tous, que
M"" Nady avait obtenu précisément la récompense qu'elle méritait,
ni plus ni moins, et elle a pu parfaitement s'en apercevoir à la par-
faite indifïérence du public à son égard. De tout ceci je ne veux
retenir que ce mot que j'ai entendu dire, à la sortie, par un de ces
gentils gamins du Conservatoire, qui sont quelquefois plaisants :
— « Moi, si j'avais été du jury, j'aurais donné un premier prix de
toupet à M""' Nady ».
Mais il se fait temps de parler de la séance.
M. Sizes qui en était à son premier concours, a enlevé haut la
main son premier prix en jouant d'une façon vraiment remarquable
une scène admirable d'Ipliigéiie en Taiiride, scène extrêmement
di fficile et dans laquelle il a fait preuve non seulement d'un véritable
tempérament scénique, mais déjà d'un rare talent dans la composi-
tion d'un rôle. Une ampleur supeibe dans la diction, une réelle
puissance dramatique, un jeu très intelligent, avec une physionomie
expre ssive et une articulation solide qui permet de ne pas perdre un
mot de ce qu'il chante, telles sont les qualités de ce jeune homme,
qui a été toute une révélation.
Peut-être M. Beyle aurait-il obtenu aussi le premier prix, s'il n'avait
eu un concurrent aussi redoutable. Tout au moins son second prix
est-il bien mérité, mais moins peut-être pour sa scène de Favst,
que pour les deux excellentes répliques qu'il a données, l'une à
M""= Guiraudon dans Roméo et Juliette, l'autre à M. Vieuille au troi-
sième acte de Robert, où il a jcué et chanté d'une façon charmante
le rôle de Raimbaud. M. Beyle sera certainement un artiste souple
et intelligent. Il n'a d'ailleurs plus rien à faire dans les classes : ce
qu'il lui faut maintenant, c'est l'expérience des planches.
J e n'en saurais dire autant de M. Cremel, qui me parait avoir bien
à travailler encore. Non seulement il est très neuf au point de vue
scénique, mais son chant est vulgaire, et je défie l'auditeur le plus
attentif de comprendre un mot de ce qu'il dit. Il a donné néanmoins
une certaine ampleur, dans le troisième acte du Prophète, à la phrase
superbe : Roi du ciel et des anges. C'est dans Bertram de Robert que
nous avons vu M. Vieuille, qui s'y est montré très satisfaisant. Il a
de l'aisance, il tient bien la scène, et son jeu intelligent a déjà de
l'ampleur. M. Gresse, lui aussi, a passé un très bon concours en
jouant Saint-Bris dans toute la première partie du quatrième acte
des Hvguenots (avec les chœurs, s'il vous plait). Il y a déployé de
la fermeté, de la vigueur, de l'accent. Le regard, le geste, la démarche
sont excellents.
Il me semble que M. Chrétien méritait mieux que le second accessit
qui lui a été attribué pour la scène de la pomme de Guillaume Tell.
Il y a montré peut-être plus de vigueur que de tendresse ; mais il a
de la chaleur, de la physionomie, le geste très juste, et il joint à cela
une articulation superbe avec un très bon sentiment dramatique et
se énique. Il avait aussi donné une excellente réplique à M"" Truck
dans Aïda.
Du côté des femmes, le premier prix revenait de droit et sans par-
tage à M"' Guiraudon. Elle a fort bien joué, avec beaucoup d'inlelli-
g ence, la scène de l'alouette de Roméo et Juliette, en y apportant la
chaleur, la passion et le sentiment pathétique qu'elle comporte. Sa
physionomie expressive, ses attitudes intéressantes donnent une
preuve de ses incontestables qualités scéniques. Il est certain que
malgré son échec au concours de chant, échec dû à une disposition
fâcheuse, cette jeune femme n'a plus rien à apprendre au Conser-
vatoire.
Ce n'est assurément pas le cas de M"" Ackté, dont le second prix
m'a un peu surpris, tout d'abord en raison de la scène qu'elle avait
choisie, le trio final de Faust, qui ne peut absolument rien indiquer
au point de vue des aptitudes théâtrales. Je sais bien que M"° Aclité,
dont la voix est charmante, a donné un accent délicat au retour de
la phrase : Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, mais elle a man-
qué absolument de force dans celle du trio : Ange pur, ange radieux,
et d'ailleurs je le répète, le morceau ne peut rien prouver eu ce qui
concerne le sentiment scénique.
Je n'hésite pas, malgré la frasque dont M""" Nady s'est rendue cou-
pable, a déclarer que son concours dans le quatrième acte de la
Favorite a été très satisfaisant, sans être aussi prodigieusement supé-
rieur qu'elle se plaît trop facilement à le croire. La voix est belle,
la prononciation bonne ; le chant a de l'accent, de la chaleur et de la
couleur, enfin l'artiste fait preuve d'émotion et parfois de pathétique.
Son premier accessit était parfaitement mérité.
M"" Truck a de l'intelligence et d'heureuses qualités. Mais elle
manque à la fois de chaleur et de mouvement. Elle devra s'attacher
à animer sa physionomie, qui reste trop impassible, et à donner plus
d'ampleur à son action scénique. Elle a ce qu'il faut pour arriver,
mais il lui faut travailler encore avec ardeur.
Arthur Pougin.
P.-S. — En terminant cette revue des concours de 1896, j'ai une rectifi-
cation à faire et un renseignement à donner.
Une erreur typographique m'a tait dire une sottise à propos du concours
LE MENESTREL
247
d'alto, où je me trouve avoir parlé de clé d'ut i' ligne alors qu'il s'agissait de
clé d'«( 3° ligne. Aucun de mes lecteurs ne s'y sera certainement trompé,
mais je rectiEe quand même, pour les pointus qui seraient tentés de m'at-
tribuer une faute si grossière. —Le renseignement a trait à l'auteur du
concerto joué au concours de harpe, Zabel, sur lequel j'avais déclaré^ ne
rien savoir. Je suis mieux informé maintenant, et je puis faire connaître
que Charles Zabel est un musicien allemand, né à Berlin le 19 août 1822,
qui a écrit des danses, de la musique de ballet, diverses pièces pour mu-
sique militaire, et qui a occupé les fonctions de second chef d'orchestre
au théâtre de Brunswick. On m'assure qu'il est devenu ensuite professeur
de harpe au Conservatoire de Saint-Pétersbourg.
Voilà qui est fait. ^- '^-
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (30 juillet). — M. Stoumon, qui est
allé entendre la tétralogie à Bayreuth, a engagé là-bas M"'= Marie Bréma
pour venir donner au théâtre de la Monnaie, dans le courant de l'hiver
prochain, — en janvier probablement, — une série de représentations.
Elle chantera (en français, dit-on) Amnéris à' Aida, Ortrude de Lohen-
grin, Orphée et Dalila, — peut-être aussi Fricka de la Valkyrie, si l'on se
décide à remonter l'œuvre wagnérienne, dans laquelle M"° Kutscherra
remplirait le rôle de Sieglinde qui lui a servi de début (sans lendemain)
à l'Opéra; mais la direction n'a pas encore résolu la question de
savoir quel drame de Wagner elle inscrira dans son répertoire. On a
parlé du Crépuscule des Dieux, mais aura-t-on la force et le courage de le
monter à la Monnaie? Dès à présent le programme de l'année est
très chargé. Le Fervaat de M. Vincent d'Indy empêchera sans doute de
donner une couple d'autres œuvres inédites que les directeurs comptaient
jouer : tels le Ratcti/f de M. Xavier Leroux et un opéra de M. Gabriel
Pierné, que l'on dit charmant ; ce sera pour la saison suivante. En
revanche, outre les trois petits ouvrages de M. Saint-Saëns, la Princesse
Jaune, Phryné el\e ballet provisoirement intitulé /es Fited'AWes, nous aurons
le Don César de Basan de M. Massenet, avec M. Frédéric Boyer. Quant aux
œuvres de nos compatriotes, il y en a deux ou trois qui avaient été
annoncées ou présentées, entre autres la Servante d'auberge de M. Jan
Blockx, la Fiancée d'Abydos de M. Paul Lebrun et un grand drame lyrique
de M. Jean Van den Ende; mais il est peu probable qu'ils puissent
trouver place; les Belges sont habitués à attendre, et la patience est une
de leurs vertus.
Non seulement la musique n'a pas chômé pendant cet été, même à
Bruxelles, où les concerts du Vaux-Hall jouissent d'une vogue extraordi-
naire; mais dans nos principales villes balnéaires elle donne lieu à des
manifestations artistiques parfois très importantes. C'est ainsi qu'on a
exécuté dimanche dernier au Kursaal d'Ostende, Marie-Magdelaine, le beau
drame sacré de M. J. Massenet, dans un festival qui avait attiré une foule
énorme et dont le succès a été considérable. L'exécution, préparée de
longue main, sous la direction de l'habile chef d'orchestre M. Reinskop f,
a été remarquable. Les soli étaient chantés par M""^^ Marie Henduyse, une
des meilleures lauréates du Conservatoire de Gand, M"'= Jeanne Goulan-
court, de la Monnaie, MM. Van Loo, ténor, et Breson, basse, tous deux
du théâtre de La Haye. Les chœurs étaient ceux du cercle Cœcilia, du
cercle choral des dames d'Ostende et de la société La Roya de Bruges. On
entendra à ce même Kursaal d'Ostende, où ne dédaignent pas de venir
briller pour un soir ou deux les étoiles de l'art, M. Van Dyck le 4 août,
M'i^Gabrielle Lejeune de l'Opéra-Comique les 9 et 13 août, puis M. Isnardon,
M"" Garnier, etc. — Au casino de Blankenbergheles concerts sont également
très suivis ; M""= Georgette Leblanc doit y venir chanter prochainement; et
l'on y annonce une séance consacrée tout entière aux œuvres de M, Léon
Du Bois, le jeune et très remarquable compositeur, sous la direction de
l'auteur et avec le concours de M. Dufranne, de la Monnaie, et de
M"= Hachel-Neyt. Celle-ci, toujours curieuse d'œuvres nouvelles et non
banales à faire connaître, y a interprété, il y a quelques jours, et avec
un vit succès, de très jolies mélodies de M. Fernand Le Borne, — comme
elle avait fait applaudir précédemment à Bruxelles, au Vaux-Hall, une
a primeur » exquise, fes Trois Contes de Jean Lorrain, mis en musique par
M. Gabriel Pierné. Un conseil utile aux chanteurs et chanteuses qui
vont à Blankenberghe : se faire accompagner au piano, simplement;
l'orchestre y a généralement des surprises et des distractions qu'il est
prudent d'éviter. L. S.
— De notre correspondant de Londres (30 juillet). — L'Opéra de Govent
Garden a fermé ses portes avant-hier sur une représentation de Roméo et
Juliette, le même opéra qui avait servi à l'ouverture. Cette dernière saison
passe pour avoir été la plus fructueuse qu'on ait enregistrée; elle a été
en même temps une des plus insignifiantes au point de vue artistique.
Aucune nouveauté, aucun début intéressant ; les succès des deux saisons
précédentes défrayaient presque entièrement le répertoire. A signaler,
toutefois, les belles représentations de Tristan et Yseult avec les frères de
Reszké et la reprise attardée de Manon, qu'on n'a eu le temps de jouer que
deux fois, mais chaque fois devant des salles combles et en présence du
prince et de la princesse de Galles et de toute la cour. Ce dernier fait est
d'autant plus significatif que la deuxième représentation a eu lieu le jou^
même du mariage de la princesse Maud.
Après Manon, on a repris Don Juan. C'est M. Ancona qui chantait don
Juan; sa voix est agréable, mais il chante avec négligence et le style est
indécis. M. Pini-Corsi (Leporello) a la boufîonnerie lourde, et la façon
dont il a rendu son grand air ne dénotait pas chez lui la moindre com-
préhension de l'esprit de la musique confiée à son interprétation. M"'" Al-
bani nous a présenté une donna Anna plus gesticulante qu'agissante, et
M"° Macintyre a chanté froidement et sèchement la musique d'Elvire.
Une gracieuse débutante nous a été présentée dans le rôle de Zeiiine. La
voix est remarquablement homogène et pure et la méthode parfaite. Le
nom de cette jeune fille est M"'= Reid. J'ai été très frappé des qualités
de distinction que révèlent son chant et son jeu; c'est très rare de nos
jours, les débutantes qui ont, comme M"'= Reid, le sentiment du style
classique et la voix qui convient à ce style. M. Cremonini (Ottavio) pos-
sède un organe charmant, insufïisara ment exercé, et il a de l'intelligence
scénique. Léon Schlésinger.
— A Naples, comme à Milan, on a l'excellente habitude, au Conserva-
toire de San Pietro a Majella, de faire exécuter, aux exercices de fin d'an-
née scolaire, les travaux des élèves les plus avancés des classes de compo-
sition. C'est ainsi qu'au dernier exercice on a fait entendre une suite en
quatre parties et une ouverture de M. Troiani, élève de M.Serrao, et un
AveMaria pour soprano, orgue, harpe et quatuor à cordes de M. Fatuo,
élève de M. d'Arienzo.Ces deux compositions ont paru du reste assez pâles.
— Nous avons annoncé que M. Mascagni travaillait à la musique d'un
nouvel opéra, sur un sujet japonais, intitulé précisément la Giapponese. Il
paraît qu'aujourd'hui le titre est changé et que la Giapfonese est devenue
Iride. De plus, le journal l'Italie nous apprend que « M. Mascagni ne tra-
vaille pas à cet ouvrage seulement comme musicien, mais également comme
librettiste en collaboration avec M. lUica. »
— L'Opéra impérial de Vienne, qui va rouvrir ses portes, a subi une
restauration complète et est actuellement aussi resplendissant qu'en 1869,
lorsque le nouveau monument fut inauguré. On a profité de cette occasion
pour s'occuper du lustre, qui est devenu suspect depuis la mésaventure
de son confrère parisien. Les ingénieurs ont prescrit plusieurs mesures de
sûreté qui ont été exécutées.
— Le théâtre An derWien, à Vienne, jouera au commencement de la
nouvelle saison une opérette en trois actes intitulée le Papillon, paroles de
MM. V^fillner et Buchbinder, musique de Charles Weinberger.
— L'affaire du ténor Broulik à l'Opéra de Budapest, dont nous avons
parlé la semaine dernière, prend les dimensions d'une cause célèbre. Sur
la proposition du directeur de ce théâtre, M. Haldy, le surintenaant géné-
ral, M. le baron Nopcsa, a notifié au chanteur qu'il était considéré comme
démissionnaire. M. Broulik a répliqué que cette démission forcée était
illégale et qu'il s'adresserait aux tribunaux. Le chanteur a publié en
même temps une note pour faire savoir qu'après avoir chanté le 11 juillet
dans le Vaisseau fantôme, le jour suivant dans Tannhduser, le surlendemain
dans Lohengr'm et le jour suivant encore dans les Maîtres Chanteurs, il lui
était impossible de chanter dans l'Or du Rhin, et que les deux médecins
spécialistes avait constaté cette impossibilité. Trois grands rôles de Richard
Wagner en quatre jours — le petit rôle d'Erik dans le Vaisseau fantôme
n'est qu'un supplément, — c'est en effet plus que la gorge du ténor le
plus fort parmi les ténors forts ne peut supporter.
M. Alexandre Erkel, chef d'orchestre de l'Opéra royal de Budapesth,
fils du célèbre compositeur hongrois de ce nom, vient d'être nommé direc-
teur général de la musique de l'Opéra royal.
— On a dû représenter cette semaine à Lisbonne, sur le théâtre de la
Trinité, une nouvelle opérette en trois actes, os Fiiftos do capilao mor, paroles
de M. Eduardo Schvi'albach Lucci, musique de MM. Auguste Machado et
Thomaz del Negfo.
PARIS ET DEPARTENIENT.S
Voici les résultats des concours d'instruments à vent qui ont te r-
miné, jeudi et vendredi, la série des concours publics du Gonseivatoire. Le
jury était composé de MM. Théodore Dubois, président, Ch. Lefebvre,
Raoul Pugno, Joncières, Emile Jonas, Wettge, Turban, Dupont et de
Vroye.
Flûte. — Professeur : M. Tafîanel. Morceau de concours : G" solo de
Demerssemann. Morceau à déchiffrer, de M. Raoul Pugno.
'!•" prix: MM. Daniel Maquarre et Grenier.
2" prix: M. Million.
Pas de 1"' accessit.
2' accessit: MM. Boudier et Blanquart.
Hautbois. — Professeur M. Gillet. Morceau de concours: 4« concerto de
Vogt. Morceau à déchiffrer, de M. Gh. Lefebvre.
Pas de !«'■ prix.
2° prix : M. Greusot.
'I<" accessit : MM. Dutercq et Mondain.
Clarinette. — Professeur : M. Rose. Morceau de concours : concertino de
Weber. Morceau à déchiffrer, de M. Georges Marty.
4<"prix: MM. Guyot et Delacroix.
2" prix: MM. Leroy et Carré.
^ei- accessit : M. Greinner.
248
LE MENESTREL
2" accessit: MM. Noël et Paquet.
Basson. — Professeur : M. Eugèae Bourdeau. Morceau de concours :
Fantaisie hongroise, de Weber. Morceau à déchiffrer, de M. Paul Vidal.
/"prix : M. Joly.
2' prix : MM. Desoubrie et Mesnard.
1^ accessit : M. Sublet.
2' accessit : M. Deûez.
CoB. — Professeur : M, Brémond. Morceau de concours : concerto de Gal-
lay. Morceau à déchiffrer, de M. Paul Vidal.
/» Prie : M. Penable.
2^ Prix : M. Gérin.
Pas de l'"' accessit.
2^ Accessit : M. Fontaine.
Cornet a pistons. — Professeur : M. Mellet. Morceau de concours : 2° fan-
taisie de M. Emile Jonas. Morceau à déchiffrer, de M. Wormser.
/«■ Prix : M. Mignion.
2' Prix : M. Fouache.
■/" Accessit : M. Briol.
2' Accessit : MM. Excoula, Duriez et Astrée.
Trompette. — Professeur : M. Franquin. Morceau du concours : 2» solo de
M. Paul Rougnon. Morceau à déchiffrer, de M. Hillemacher.
^<" Prix : M. Delfosse.
2« Prix : M. Degageux.
/'=■' Accessit : M. Jamme.
Trombone. — Profbsseur: M. AUard. Morceau de concours: solo de
M"" Gennaro. Morceau à déchiffrer, de M. Xavier Leroux.
Pas de premier, ni de second prix.
i^' Accessit : M. Hudier.
Rappelons que la distribution des prix aura lieu mercredi prochain, S
août, à une heure précise.
— A l'Opéra M. Lafarge, dont les débuts avaient été retardés par suite
d'indisposition, a fait sa première apparition, vendredi, dans le rôle
de Siegmund de la Valkyrie. L'excellent ténor, dont on se rappelle l'inter-
prétation des Troi/ensà rOpéra-Comique, a fait montre de très grandes qua-
lités de diction, de sentiment et d'émotion qui lui ont valu de nombreux
applaudissements. Le même soir M. Paty, chantait Hounding pour lapre-
mière fois et a été bien accueilli. M. Delmas demeure un incomparable
Wotan.
M"" Berthet prend un congé à partir du 1°"' août, ainsi que M"'= Maury
et la nouvelle étoile de la danse, W^'' Zambelli.
Désormais les sujets de la danse devront aller travailler chez les pro-
fesseurs indiqués par la direction ; de plus, le nouveau règlement interdit
les leçons particulières aux artistes, soit à l'Opéra, soit au dehors. Pour
les classes de danse, les catégories ont été ainsi réparties : Coryphées ;
professeur. M"' Théodore. Quadrilles : professeur, M"° Peron. Enfants :
professeur, M"= Bernay. Grands et petits sujets : professeur, M. Vasquez.
— M. Clément vient de signer son réengagement avec l'Opéra-Comique.
— Le Journal officiel a enfin publié, celte semaine, la liste des décorations
accordées par le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts à
l'occasion du 14 juillet. Nous avons à enregistrer les promotions de
MM. Eugène Manuel et François Coppée au grade de commandeur, et la
nomination de chevalier de M. Maurice Donnay. Les deux premières
seront certainement accueillies avec les sympathies qu'elles méritent.
Inspecteur général de l'instruction publique, M. Eugène Manuel n'eât pas
seulement un fonctionnaire émérite, c'est aussi un poète délicat, et à ce
double titre sa nomination sera bien accueillie. Quanta M. Coppée, son
éloge n'est plus à faire, et le succès récent de Pour la couj-omie justifierait
la nouvelle distinction dont il est l'objet. C'est aussi comme auteur drama-
tique que M. Maurice Donnay, l'auteur de Lysislrata et d'Amants, reçoit la
décoration. Ce que nous avons lieu de regretter, c'est qu'on n'ait pas
trouvé parmi tous nos musiciens une seule boutonnière digne de recevoir
le ruban rouge. Il y a bien des peintres et des sculpteurs (ceux-là, on ne
les oublie jamais), il y a même un chef de bureau au ministère, ce qui
est fort intéressant, mais de musiciens, point. Il parait que notre pauvre
France est bien déshéritée sous ce rapport.
— M. Massenet, qui est venu, la semaine dernière, passer quarante-huit
heures à Paris pour prendre part au vote de l'Institut, a examiné, eu com-
pagnie de M. Carvalho et de M. Henri Gain, les maquettes des décors de
Cendrillon, confiées pour la préface, les premier et troisième actes à
MM. Rubé et Moisson, pour le deuxième acte à M. Garpezat et pour le
quatrième acte à M. Jambon.
— L'inauguration officielle de l'Exposition du théâtre et de la musique,
au palais de l'Industrie, a été faite, mercredi dernier, par M. André Lebon,
ministre des colonies, en l'absence des ministres du commerce et des
beaux-arts, empêchés, et qui s'étaient fait représenter par des fonction-
naires de leurs administrations. M. André Lebon a été reçu par M. M. Abaye,
directeur de l'exposition, M, 0. Lartigue, secrétaire général, M. Lucien
Layus, commissaire général, et M. Yveling RamBaud, commissaire des
Sections artistiques, auxquels s'étaient joints les présidents et les commis-
saires des diverses sections, A son entrée dans la nef, que remplissait
déjà une foule élégante, le ministre des colonies a été salué par la Mar-
seillaise, exécutée par l'orchestre symphonique que dirige M. Kerrion.
Par la voie antique, le ministre et le cortège officiel se dirigent vers le
théâtre pompéien, sur lequel M. Silvain, sociétaire de la Comédie-Fran-
çaise, dit une pièce de M. Armand Silvestre, Paris-Athènes. M"« Moreno,
de la Comédie-Française, entourée de M'''^ Isaac, Fitz, Delettre, Aubert,
Darcy et "VViera, fort gracieuses sous leurs draperies dejoueuses.de llùte
antique, dit ensuite une poésie de M. Jean Lorrain, intitulée ; l'Ame an-
tique. Pour ces deux œuvres, que l'auditoire a chaleureusement applaudies,
M. Paul Vidal avait écrit une musique de scène fort originale, qui a été
très goûtée. La représentation terminée, le cortège se reforme et l'on se
rend au parvis Notre-Dame, ou les tréteaux sont dressés et où MM. Depas
et Martel, Mi''=s Frederick et Déneige enlèvent avec verve une joyeuse
tabarinade de M. Jules Hoche. Le ministre parcourt ensuite les sections
où se trouvent rassemblés tous les produits commerciaux qui se rapportent
au théâtre et à la musique; on admire la décoration que M. Chaperon a
brossée et qui donne au palais de l'Industrie un aspect aussi imprévu que
pittore.sque. La transformation de l'immense hall est complète; même les
coins, qui ordinairement sont négligés, ont eu leur part de décoration.
Cette visite terminée, M. André Lebon se rend au premier étage; M. Yve-
ling RamBaud fait au ministre les honneurs des sections rétrospectives et
artistiques dont il a dirigé l'organisation et où l'on remarque, notamment,
les objets prêtés par le prince-régent de Bavière, les partitions originales
de Wagner, de Rossini, une abondante série de portraits de musiciens, la
montre de Molière, prêtée par M. Coquelin, une très riche série d'instru-
ments de musique anciens, prêtés par un grand nombre de collectionneurs.
Une salle spéciale a été réservée aux instruments de musique des colonies,
que M. André Lebon a libéralement prêtés aux organisateurs de l'expo-
sition.
— A la dernière séance de l'Académie des beaux-arts, M. Charles Lenepveu,
au nom de la section de composition musicale, a donné lecture du rapport
sur les envois des pensionnaires musiciens de l'Académie de France à
Rome. Il résulte de ce rapport que les œuvres envoyées par nos jeunes
compositeurs méritent en général des éloges. La première partie de l'envoi
de M. Busser, élève de troisième année, consistant en une ouverture de fêle,
sera exécutée, au mois d'octobre prochain, au début de la séance publique
annuelle de l'Académie.
— M. Silver, ancien grand prix de Rome pour la composition musicale,
vient d'être autorisé par l'Académie des beaux-arts à bénéficier pendant
quatre ans d'une rente annuelle de 3.000 francs, fondée par M. Joseph
Pinette en faveur des pensionnaires musiciens de l'Académie de France
ayant rempli leurs obligations envers l'Etat.
— M. Guillaume, statuaire, membre de l'Institut, est, conformément à
la proposition de l'Académie des beaux-arts, maintenu dans les fonctions
de directeur de l'Académie de France à Rome pour une nouvelle période
de six années, commençant le 1" janvier 18a7.
— Mardi dernier a eu lieu, ainsi que nous l'avions annoncé, en la basi-
lique de Saint-Denis, le concours pour la nomination d'un organiste du
grand orgue. Le jury se composait de MM. Ch.-M. Widor, Dallier
X. Leroux, Périlhou, Ch. Bordes, L. Viernes et Cavaillé-Coll. Sur les huit
concurrents qui s'étaient fait incrire, quatre seulement ont affronté les très
sérieuses épreuves imposées, à la suite desquelles le n" 1 a élé accordé à
M. Libert et le n° 2 à M. Schmidt. M. Libert est un premier prix du Con-
servatoire, lauréat de 1894, virtuose remarquable et contrapuntiste très
distingué. Il a déjà publié dans « l'Orgue moderne » plusieurs pièces de
haut style, et dernièrement, à l'exposition de Rouen, critiques et amateurs
admiraient son impeccable exécution.
— Au casino de Vichy, triomphe pour la première à'Hérodiade, de Mas-
senet, fort artistiquement mise en scène par le directeur M. Bussac et
très soigneusement exécutée par l'orchestre de M. Gabriel-Marie,
jlmcs Armand, Bossi, MM. An.saldi, Montfort et Fabre ont eu leur large
part du succès enthousiaste.
— De Saint-Malo et de Luchon on nous écrit pour nous signaler les très
grands succès remportés par les œuvres symphoniques de Théodore Dubois.
L'Ouverture symphonique, la Suite villageoise, la suite sur la Farandole figurent
sur les programmes de MM. Gianini et Broustet et sont, chaque fois,
acclamées par le public.
— La petite ville de Beaune vient d'avoir la bonne fortune a'entendrt
deux artistes fort distingués qui avaient généreusement prêté leur con-
cours à une soirée musicale organisée par M"'° Monniot au profit des
pauvres. M""^ Castillon, l'éminent professeur, venue aimablement pour la cir-
constance, de Paris, nous a tenus sous le charme avec deux mélodies de
M. Gaston Paulin, le grand air du i^reiscAiifa et l'airdes Bijoux deFaust. M. de
Grave, belle voix de basse, a soulevé les applaudissements dans la cavatine
de la Juive, la Jolie Fille de Ferlh et la Manola. M. Suiste, premier prix du
Conservatoire de Paris, tenait le piano d'accompagnement. La soirée s'est
terminée par une fort belle interprétation du duo dos Huguenots, par
M°'° Castillon et M. de Grave. R. G.
Henri Heugel, direcleur-géranl.
GENTRA1,E DES CDEUDiS DE FBR, — IBIPRIUERIE I
un. — 62"' APiNÉE — I\° 32. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 9 Août 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Heniii HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les ManuscriU, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an Texte seul • 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teïte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour L'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. La distribution des prix au Conservatoire, Arthur Pougin. — IL Musique et
prisons (12" article) : Prisons révolutionnaires, Paul d'Esibée. — IIL Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
SI VOUS ÉTIEZ FLEUR
mélodie de Depret, poésie de Jacques Normand. — Suivra immédiate-
ment : Sérénade florentine, mélodie d'EaNEsi Moret, poésie dé J. Lahor.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Un Rêve, de Ch. Neustedt. — Suivra immédiatement : Pastorale, de
Ch. Grisart.
LA DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE
La distribution des prix a eu lieu mercredi dernier au Conserva-
toire, sous la présidence de M. Rambaud, ministre de l'Instruction
publique et des Beaux-Arts, qui avait tenu à rehausser par sa pré-
sence l'éclat de cette séance toujours si intéressante. Assisté de
M. Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts et de M. des Chapelles,
chef du bureau des théâtres, le ministre, accompagné de M. Tirman,
chef adjoint de son cabinet, a été reçu par MM. Théodore Dubois,
directeur du Conservatoire, et Emile Réty, chef du secrétariat. Sur
l'estrade, à côté du ministre, avaient pris place MM. Guillaume,
Leuepveu, membres de l'Institut; Jules Claretie, administrateur de
la Comédie-Française; Bertrand, directeur de l'Opéra ; les membres
du comité des études et les professeurs du Conservatoire. Cette céré-
monie se trouvait être en quelque sorte comme la consécration offi-
cielle de la nouvelle direction. Le ministre l'a fait justement remar-
quer dans son discours, et il en a saisi l'occasion pour faire en peu
de mots du nouveau directeur, M. Théodore Dubois, un éloge à la
fois plein de grâce et de discrétion, qui a été tout naturellement
accueilli par les applaudissements unanimes de l'assemblée.
Eq rappelant le nouveau règlement de l'école, qu'il s'est félicité
d'avoir signé, et en soulignant ses principales dispositions, le ministre
n'a pas hésité, en dépit des critiques et des criailleries dont elle ne
cesse d'être l'objet de la part de gens qui n'en connaissent ni la
nature, ni le fonctionnement, à faire l'éloge de cette école qui est en
son genre la première de l'Europe, et qu'il a qualifiée de la façon
la plus heureuse en l'appelant 1' « Université de France des arts du
théâtre ». On ne saurait vraiment ni plus ni mieux dire, et l'expres-
sion était tout particulièrement caractéristique.
Où l'orateur s'est trouvé involontairement à côlé de la vérité, c'est
lorsqu'il a cru pouvoir affirmer que « le Conservatoire a été en faveur
sous tous les gouvernements. » Hélas ! il en est un qui pourrait
s'étonner de recevoir cette marque d'estime qu'il est loin d'avoir
méritée: c'est celui de la Restauiatiou, qui, en haine de l'origine
révolutionnaire de cette institution si admirable et si utile, mit tout
en oeuvre pour la ruiner méthodiquement, systématiquement et de la
façon la plus complète. L'excellent abbé de Montesquieu, ministre
de l'intérieur de Sa Majesté Très Chrétienne, celui qui passait pour
le principal, sinon l'unique rédacteur de la Charte, employa tous ses
efforts pour réduire, pour amoindrir l'école au point de la rendre
méconnaissable et de lui enlever en quelque sorte toute possibilité
d'être utile. Il n'est pas jusqu'à ce nom de Conservatoire qui n'offensât
l'oreilb de ce singulier prolecteur des arts et qui dut être proscrit et
remplacé par celui d'École royale de musique. Sarrelte, son fondateur,
son directeur si intelligent, si dévoué, si désintéressé, voulut récla-
mer : il fut non seulement révoqué brutalement, mais chassé comme
un valet, de la façon la plus indigne et la plus odieuse, et sans
qu'on lui accordât à peine le temps de déménager. Le Conservatoire
fut alors placé sous la tutelle d'un fonctionnaire subalterne auquel on
donna simplement le titre d'inspecteur général. Une réforme (!) géné-
rale fut opérée, et tandis que le nombre des professeurs était ridicu-
lement réduit, les traitements de ceux qui restaient subissaient une
réduction analogue. Quant aux trois inspecteurs de l'enseignement,
les trois artistes illustres qui avaient nom Gossec, Cherubini et
Méhul, à qui l'École devait tant de reconnaissance, on leur enlevait
ce litre avec les prérogatives attachées à la fonction pour en faire de
simples professeurs de composition. Enfin, le budget du Conservatoire
était rogné à ce point qu'on n'avait même plus de quoi chauffer les
classes l'hiver, et que, pour ne pas geler absolument, on en fut réduit
à faire du feu avec des instruments superbes, devenus inutiles, et qui
aujourd'hui auraient acquis une valeur inappréciable.
Voilà ce que le gouvernement de la Restauration fit du Conserva-
toire, fondé par la République. Voilà ce qu'il n'est pas inutile que
l'on sache. Voilà pourquoi il n'est malheureusement pas exact de
dire que « le Conservatoire a été en faveur sous tous les gouverne-
ments. »
Le ministre a rendu dignement à la mémoire d'Ambroise Thomas
le digne hommage qu'elle méritait. Il a loué comme il convenait le
grand artiste qui a tenu une si large place dans l'histoire de l'art
contemporain, et en énumérant ses œuvres, en rappelant la millième
de Mignon, et cette représentation i'Hamlet qui, après la mort du
maître, fut « comme une fête d'apothéose », il lui a donné un souvenir
ému et attendri. Et il a, d'une façon très heureuse, associé à
l'éloge de l'illustre mort « celui d'un vivant, et bien vivant, »
M. Emile Réty, dont les services inappréciables n'ont pas pris fin
par son départ absolument volonlaire, puisqu'il a « sa place marquée
d'avance dans le nouveau conseil supérieur». Sur ces mots encore
les applaudissements ont éclaté, chaleureux et unanimes.
Après le chef, les serviteurs et les disciples. La ministre a donné
un regret à tous ceux, anciens professeurs, anciens élèves, que le
Conservatoire a perdus au cours de l'année écoulée : Ernest Mocker,
Obin, Henri Fissot, Dorus, Anaïs Fargueil, M"'° Dorus-Gras (1). Il a
(1) Chose assez singulière: en rappelant trois ouvrages dans lesquels Mocker
avait brillé à l'Opéra-Comique ; le Maçon, le Déserteur, le Pré aux Cleres, M. Ram-
baud n'a justement pas cité un seul de ceux dans lesquels il avait fait des créa-
tions : te Mousquetaires de la Reine, la Tonelli, Polichinelle, Gilles ravisszur, le Nabab,
ï^oO
LE MENESTREL
enfin tracé un brillant élotie. très intéressant et très étudié. d'Alexan-
dre Dumas et de son œuvre théâtral.
Voici le teste complet du discours de M. le ministre des beaux-arts,
dont le succès a été très grand :
Mesdames et Messiecrs,
Cette cérémonie n'est pas seulement la distribution annuelle des récom-
penses au Conservatoire ; elle est destinée à inaugurer une direction nou-
velle, celle que j'ai confiée à M. Théodore Dubois. Cette maison l'a eu
d'abord, depuis 1871, comme professeur d'harmonie, depuis 1«91 comme
professeur de composition : il lui appartient depuis plus de vingt ans. Il
n'est pas seulement l'auteur de tant d'œuvres exquises, mais, dans ses
Noies et Éludes d'harmonie, un savant théoricien de l'art. Il est aussi un
administrateur avisé et vigoureux, qui saura maintenir dans la grande
tradition de l'art français cette institution dont les origines remontent
à l'une des années les plus glorieuses et les plus fécondes de la Révo-
lution.
Nous inaugurons aussi, en quelque sorte, la charte nouvelle qui a été
donnée au Conservatoire par le décret du S mai 1S96.
Désormais, le directeur, comme il l'a voulu lui-même, est assisté d'un
conseil supérieur où siégeront les maîtres les plus illustres de la littéra-
ture, de la musique et du théâtre. C'est sur les propositions de ce conseil,
c'est-à-dire sur des présentations faites par leurs pairs, que le ministre
nommera les professeurs, comme il le fait déjà pour les grands établisse-
ments scientifiques et pour les facultés. Le règlement nouveau du Con-
servatoire est, dans ses lignes essentielles, celui qui régit l'école des
beaux-arts, cet autre conservatoire de l'esprit artistique dans notre pays.
Si j'ai eu l'honneur d'apposer ma signature au décret de constitution,
je ne puis oublier qu'il avait été préparé par une imposante consultation
des plus hautes compétences, et que votre nouveau et cher directeur, après
avoir contribué à l'élaboration de ce règlement, a été heureux de l'apporter
au Conservatoire comme don de joyeux avènement.
Tout ce que le ministre, tout ce que votre directeur ont ainsi abandonné
de leurs prérogatives anciennes, je crois qu'ils l'ont remis entre bonnes
mains. Je crois désirable que l'administration des beaux-arts soit, plus
que jamais, conseillée et inspirée par les artistes.
Le Conservatoire, dès sa naissance, a été comme le centre et le cœur de
la production artistique en France. Il est peu de grands artistes de théâtre
qui n'y aient fait leur éducation première; presque tous les grands compo-
siteurs dramatiques ou lyriques y ont siégé comme maîtres ou comme
membres des jurys. Les gloires contemporaines ont le souci de cette
maison comme d'une pépinière d'interprètes pour leurs œuvres; et c'est
vers ces gloires que s'orientent nos élèves. On pourrait dire que tout
sort du Conservatoire et que tout se reporte vers lui. Par lui, artistes dra-
matiques et lyriques, professeurs, compositeurs, auteurs, forment comme
une grande corporation vouée au culte du Beau, comme l'Université de
France des arts du théâtre.
C'est poui cette raison que les deuils de l'art sont les nôtres, et que,
dans nos séances de clôture annuelles, le bilan des pertes subies par l'es-
thétique française prend toujours une si large place.
Cette année, nous devons un souvenir à Ernest Mocker, mort à quatre-
vingt-quatre ans, témoin d'un autre âge et d'un autre Paris artistique,
qui, pendant plus de trente années, charma les habitués de la salle Favart
dans ses rôles du Déserteur, du Maçon, du Pré aux Clercs, et qui, rappelé au
Conservatoire, y devint un éminent professeur d'opéra-comique ;
A Obin, dont nos pères n'ont point oublié l'immense succès à l'Opéra,
dans les Huguenots, dans Don Juan, dans Moise, dans Herculanum. dans Don
Carlos, et qui, sorti à vingt ans du Conservatoire, y rentra en 1871 comme
professeur d'opéra;
A M""" Anaïs Fargueil, qui, en 1833, l'avait quitté avec le premier prix
de chant, qui débuta non sans éclat à l'Opéra-Comique, mais qui, par un
avatar inattendu, ayant perdu sa voix de cantatrice, entra au Vaudeville,
y fut la merveilleuse comédienne que nous avons connue, car nous n'a-
vons point oublié la belle invocation à la « sainte mousseline >. dans la
Famille Benoiton. Elle a suivi le génie du maître dans ses évolutions, et
après avoir donné à M. Victorien Sardou une admirable interprète de ses
comédies, elle lui donna la tragédienne qu'il rêvait pour ses drames, la
superbe Dolorès de ce chef-d'œuvre : Patrie 1
A Henri Fissot, ce musicien consommé, co pianiste et cet organiste de
premier ordre, ce compositeur de grand style, que des succès précoces
avaient signalé dès sa dix-huitième année et qu'une mort prématurée enle-
vait, en janvier dernier, à sa classe féminine de piano du Conservatoire;
A M""= Dorus-Gras, d'abord la gloire de l'Opéra de Bruxelles, bientôt
rappelée à l'Opéra de Paris, où elle fut la créatrice des rôles d'Alice dans
Robert le Diable, de Térésina dans le Philtre, d'Eudoxie dans la Juive, de
Marguerite dans les Huguenots; puis à l'Opéra-Comique, où elle créa celui
d'Isabelle dans le Préaux Clercs;
A son frère Dorus, le célèbre flûtiste, qui ne lui a survécu que trois
mois. Il était un des vôtres de toute façon : élève de cette maison, lauréat
il signor Pascariello, te Toréador, le Val d'Andorre, les Porcherons, l'Etoile du Nord,.,
Et puis, une petite erreur: .U"* Dorus-Gras n'a pas, à proprement dire, créé le
Pré aux Clercs; elle n'a joué Isabelle qu'à partir de la seconde représentation,
après le refus inqualifiable et resté toujours inexpliqué de M»' Casimir.
du Conservatoire en 182s, virtuose de notre orchestre de l'Opéra, puis de la
Société des concerts, maître de tant d'artistes : je me contenterai d'eu citer
un des plus illustres, M. Talfanel.
Parmi ceux qui ont quitté cette rive, la vie, pour passer sur l'autre
bord, il en est deux qui ont laissé, dans le double domaine de l'art drama-
tique et de l'art lyrique, un vide qui ne se pourra combler. Us appartiennent
à l'histoire intellectuelle non plus seulement de la France, mais du monde.
Alexandre Dumas, par un sentiment de noble modestie ou peut-être par
dédain pour la parole publique dont il avait noté l'abus, exigea par testa-
ment qu'aucun discours ne fut prononcé sur sa tombe. Si respectueux que
nous soyons de ses volontés suprêmes, nul ne s'étonnera que, dans celte
réunion presque intime, dans cette maison qu'il aimait tant, on rende
hommage à sa vie laborieuse, à sa conscience sévère de moraliste, à son
éclatant génie dramatique, ne fût-ce que pour tirer de sa vie des enseigne-
ments utiles à ces jeunes élèves du Conservatoire dont il suivait avec une
sollicitude paternelle les travaux et les concours.
La prodigieuse fécondité littéraire de son père, qui, de ses récits de
voyages, de ses contes et chroniques, de ses romans taillés en plein cœur
de nos annales, se reposait en donnant au théâtre des drames dont nous
subissons encore l'émotion; cette fantaisie si riche, étincelante, qui se pro-
diguait sans compter, fertilisant tous les sujets et tous les genres de litté-
rature, s'épandant comme un fleuve sur la France, sur l'Europe, sur le
monde, où ses œuvres furent traduites en toutes les langues civilisées, —
tout cela, dans le fils sérieux et réfléchi, se concentra en une énergie
intense d'observation et de méditation. On a dit que le père avait été
comme une force de la nature : le fils fut la conscience de la nature et du
genre humain. La postérité le placera au même rang que nos grands clas-
siques du dix-septième siècle; mais tandis que les uns, dans la tragédie,
n'ont su exprimer que l'héroïsme ou les passions d'êtres supérieurs et
presque étrangers à l'humanité, d'êtres de légende; tandis que les autres,
dans la comédie, se sont attaqués à des travers qui sont presque à la sur-
face de notre nature, — lui, il est le fils d'un sièclt où la sévère méthode
des sciences domine jusqu'à la littérature; d'un siècle où l'on devrait
moins souffrir qu'il y a deux cents ans et où l'on sent davantage la souf-
france; qui, comme réveillé toul à coup, s'est effrayé et effaré d'une infinité
de questions qui laissaient paisibles nos ancêtres, qui s'est ému de pitiés
qu'ils ignoraient, d'injustices qui ne les touchaient point; qui parait moins
moral que ses devanciers, mais qui l'est bien plus, précisément parce qu'il
s'inquiète de ce qu'il y a d'évolution et en apparence d'incertain dans la
loi morale. Sous la complexité de notre société, de nos mœurs, de nos
croyances, de nos superstitions, à travers ce Icaléidoscope de vices, de
ridicules, de misères, sans cesse secoué comme par une main invisible et
folle, c'est l'humanité qu'Alexandre Dumas a prise corps à corps.
Il l'a vue, sous la frivolité de ses modes changeantes, simple comme
l'humanité antique, souffrante des mêmes maux, c'est-à-dire de l'amour,
de ses perversions, de leurs conséquences tragiques, et personne n'a res-
senti pour elle plus de pitié virile. Il a été presque uniquement le poète
de l'amour, d'un amour non pas entouré des Ris et des Jeux, mais escorté
de meurtres et de suicides, de l'Eros dévasteur qu'ont entrevu les plus aus-
tères des poètes antiques. Son théâtre, si osé parfois, est cependant le plus
sain qu'il y ait au monde. C'est avec raison qu'on a salué en lui le mora-
liste par excellence : non celui qui déclame sur le vice, mais celui qui en
voit, avec une acuité de vision jusqu'alors inouïe, le caractère réel et les
inévitables conséquences.
Il est original surtout parce qu'il eut l'intuition de ce qu'il y a d'éternel
et d'immuable dans la nature humaine, et qu'en même temps il l'aperçut
sous le caractère ie plus moderne et le plus français. C'est pourquoi il est
vraiment un classique du dix-neuvième siècle. De là cette variété dans la
langue qu'il parle, ces pensées qui tantôt sont un reflet de la vie qui passe
et tantôt une évocation de la vie perpétuelle; ces mots profonds, ces mots
de surprise qui font passer un frisson d'infini. Les rôles créés par Alexandre
Dumas sont de ceux que nos élèves ont le plus à redouter et le plus à
envier. C'est à la manière dont ils les interpréteront qu'on reconnaîtra les
comédiens de race.
Ambroise Thomas l'a suivi de près dans la tombe. Celui-là, c'était la
musique même. Sous la direction de son père, à quatre ans, il commença
l'étude du solfège et à sept ans celle du piano et du violon. Par lui, nous
sommes en communication directe avec les aèdes de la Révolution, ces
pères glorieux de la musique moderne; car, en ce même Conservatoire où
nous sommes, il eut Gherubini pour directeur et Lesueur pour maître de
composition. Vous savez par quelle série d'œuvres il a conquis le renom
d'un des charmeurs de ce siècle : le Caïd, leSonge d'une nuit d'été. Psyché, La
millième de Mignon a été une fête nationale. Ce fut une autre fête, mais
comme d'apothéose après la mort, que cette représentation à'Hamlet qui,
sur la tombe à peine fermée, fit retentir, ainsi qu'un chant de résurrection,
les fraîches mélodies du ballet du Printemps. Ce patriote que la guerre a
privé de sa ville natale, qui, soldat en cheveux blancs, étalant sur sa va-
reuse de mobile la croix de commandeur, monta la garde aux bastions de
Paris assiégé, a du moins retrouvé une patrie dans la maison qui abrita
son enfance. Directeur du-Conservatoire depuis près d'un quart de siècle, il
en a, pour ainsi dire, fixé la tradition; vingt-quatre générations d'élèves
sont sorties de ses mains. Si à tous il laissa la liberté de leur vocation per-
sonnelle, à tous il donna le haut exemple de l'amour du métier, de la
probité artistique, du plus noble patriotisme.
LE MENESTREL
251
Inséparable de ce grand, nom est celui d'un vivant, et bien vivant, celui
de votre secrétaire général M. Réty. "Vous savez quel précieux auxiliaire
il fut pour son chef et quel précieux conseiller pour vous tous. De cette
maison où il est né, où il n'a jamais eu que des amis, il ne pouvait sortir
que par sa volonté expresse, et il a fallu qu'elle fût bien tenace pour
vaincre nos résistances. Du moins ne pourra-t-il nous abandonner entière-
rement. Au moment où il quittera son cabinet d'administrateur, il trou-
vera sa place marquée d'avance dans le nouveau conseil supérieur.
Mesdames, Messieurs,
Si la Convention nationale, au moment où elle avait à lutter contre
l'Europe coalisée, a trouvé cependant le temps de fonder, il y a un siècle
et une année, le Conservatoire; si cette grande école a été en faveur sous
tous les gouvernements, à commencer par celui de Napoléon ; si les
ministres de la République tiennent à honneur de présider à votre fête
annuelle, c'est que les intérêts de l'art français sont au premier rang
parmi ceux dont l'État doit avoir le souci. Notre démocratie n'est pas
comme cette rude République romaine à laquelle un de ses plus grands
poètes conseillait de se borner à commander aux nations et de laisser à
d'autres le soin de modeler des statues et de donner la vie à l'airain. La
France, qui a repris son rang de grande puissance militaire et qui, en
Asie et en Afrique, a pour vassaux des rois, ne croirait pas à sa grandeur
si celle-ci ne resplendissait, comme il y a deux cents ans, de l'éclat que
donnent les arts et les lettres. Elle est fîère de ses soldats, de ses hardis
explorateurs, de ses savants, de la prospérité de ses industries; elle est
Gère aussi de ses artistes. Chaque Français peut, dans la carrière qu'il a
choisie, être quelque chose dans la gloire de la patrie commune.
Les artistes de là, musique et du drame ajoutent à sa puissance de
propagande, à son rayonnement dans le monde. Les uns apprennent aux
orchestres de l'Europe entière les mélodies du pays de France ; les autres,
devant les foules d'Europe et d'Amérique, qui cependant ignorent notre
idiome, les font, par la puissance du verbe artistique, par un miracle
renouvelé du jour où des langues de feu se posèrent sur les têtes des
hommes, tressaillir des mêmes émotions qu'une foule parisienne un jour
de représentation populaire. Votre art, tenu en apparent dédain en des
temps où l'on redoutait sa future puissance, est un des plus nobles parmi
les arts libéraux. Vous êtes les interprètes, vous êtes les collaborateurs des
grands dramaturges, des grands compositeurs. Sans vous, ils ne se révé-
raient au monde que par la froide lecture ou resteraient dans les limbes
du manuscrit.
Après leur avoir donné la vie, vous leur maintenez l'immortalité. Par
vous, ni Corneille ni Molière, pas plus que Rossini ou Ambroise Thomas,
ne sont morts. Vous faites encore vibrer leur parole dans les vers
héroïques du Cid; vous faites chanter leur âme dans le duo d'amour des
Huguenots ou dans les soupirs de Mignon vers « le pays des fruits d'or ».
Souvenez-vous donc que vous avez en garde le renom de cette sécu-
laire maison, qui sans cesse se rajeunit de votre jeunesse; et que vous
avez en garde l'art français, élevé si haut par vos devanciers et dont
Marie-Joseph Ghénier annonçait à la Convention qu'il « a gagné des
victoires et qu'il fera les délices de la paix ».
A la suite de ce discours, fréquemment interrompu par les applau-
dissements, le ministre a procédé aux nominations d'usage. Il a
commencé par remettre la croix de chevalier de la Légion d'honneur
à M. Charles Lefebvre, professeur de la classe d'ensemble instru-
mental, et il n'est pas besoin de dire si cette distinction a été bien
accueillie. Puis il a proclamé les nominations suivantes : officiers de
l'instruclion publique : MM. Berthelier, professeur de violon, Diémer,
professeur de piano, et Alphonse Duvernoy, professeur de piano ;
officiers d'académie : MM. Viseur, professeur de contrebasse, Frau-
quin, professeur de trompette, M""' Féraud, répétiteur de solfège, et
M. le docteur Gouguenheim, médecin du Conservatoire.
Est venue ensuite, à la grande joie des élèves, la distribution des
récompenses, 'la proclamation des prix étant faite, d'une voix excel-
lente, eu dépit d'une fluxion insolite, par M. Dorival, second prix de
tragédie, qui, selon la coutume, a été accueilli par de vifs applaudis-
sements lorsqu'il s'est nommé lui-même. Puis, la partie officielle
^étant terminée, le cortège s'est formé et tous les personnages pré-
sents se sont rendus dans la grande loge, où ils ont pris place pour
assister au concert-spectacle qui allait clôturer cette séance intéres-
sante et dont voici le programme :
1. Carnaval .{o\i. 9) (R. Schumann).
M'"^ Hanseu.
2. Concerlino pour clarinette (Weber).
M. Guyot,
3. Premier morceau du 29" Concerto (Viotti).
M. Sechiari.
4. Scènes du Médecin malgré lui (Molière).
Sganarelle , MM. Prince.
Géronte Garbagny.
Lucas Berthier.
Valère Barbier.
Lucinde M"= Maufroy.
o. Scènes du 3« acte de Manon (J. MassenetJ.
Manon M"" Guiraudon.
Des Grieux M. Beyle.
6. Scènes d'Iphigénie en Tauride (Gluck).
Oreste M. Sizes.
Iphigénie M"« Ackté.
Pylade MM. Cremel
Un prêtre Vieuille.
Gros succès pour tous, mais surtout pour M. Guyot et M. Sechiari,
qui se sont montrés l'un et l'autre extrêmement remarquables, pour
M""* Guiraudon et M. Beyle dans la scène de Manon, et pour M. Sizes
dans celle d'Iphigétiie en Tauride.
Arthur Pougin.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONS RÉVOLUTIONNAIRES
II
Musique de Chambre à la Bourbe (documents inédits). — Aux Madelonnelles, concert
pour M"'° la Concierge. — Improvisations de Real sur le violon au Luxembourg. —
Musique girondine à la Conciergerie: le culte d'Ibrascha; le pot-pourri de Ducos; la
dernière nuit. — Mourir pour la patrie l — La romance de Montjourdain. — Un admi-
nistrateur quin^aime pas la musique... de K"" Roland. — Des royalistes convaincues. —
Compositeurs etartistes travaillant sous les verrous: Hougeide Liste, Dietrich, Dubuisson,
Plet/el. — La rue sous les pi-isoiis et les prisons dans la rue. — Le Chant des représailles.
— Patriotisme des prisonniers ; la Prière; alU-gresse universelle et chant de triomphe;
composés à roccasion de la prise de Toulon. — Après Thermidor : ceux qui restent ont
foi dans leur prrochaine délivrance; un hymne du chevalier de Maison-Rouge ; le rossignol
de Ferrières-Sauvebœuf. — Garât au violon. — Le dilettantisme musical dans les prisom
d'Amiens, Blois et Troyes. — Le Babouvisme à Vendôme et la Bépublique des Egaux.
Comme nous l'avons laissépressentir, l'aspect des prisons, peuplées
par l'active méfiance du Comité de salut public, eût déconcerté nos
modernes psychologues. Sauf de rares exceptions, rien n'y trahissait
le regret du bonheur disparu, ni l'appréhension d'un dénouement
tragique. Primitivement, l'aristocratie, la magistrature et le clergé
avaient fait les frais des premières « fournées » ; puis les bourgeois,
les commerçants, les artistes, les gens de lettres, toutes les classes
de la société, jusqu'aux ouvriers des villes et des campagnes, s'étaient
entassés pêle-mêle dans ces « cavernes de mort », comme l'écrivait
alors André Chénier. Le premier moment de- stupeur passé, ces
malheureux de tout âge, de tout pays et de toute condition s'étaient
fait presque gaîment à leur nouvelle existence, vivant côte à côte,
t anlôt fur le pied de l'égalité la plus parfaite, tantôt avec leurs pré-
jugés ou leurs rancunes, divisés en petites coteries, ou réunis pour
deviser, travailler etjouer en commun.
Les contemporains qui ont écrit sur les prisons révolutionnaires
b nt multipliéles tableaux de cette vieintime. Dans les premiers temps,
on se rendait des visites comme à la cour; on s'invitait à dîner, et
les tables étaient somptueusement servies; le soir, les dames travail-
laient à la lueur des lampes, pendant que les hommes lisaient,
écrivaient, dessinaient ou faisaient de la musique. Ce calme relatif
ne devait pas durer. Le conseil général de la Commune trouva
mauvais que les aristocrates se divertissent pendant que les sans-
culottes ne s'amusaient pas. El, dès lors, commença pour ceux-là
une existence nouvelle, toute de tracasseries et de vexations, dont
le reflet assombrit graduellement le style des intéressés : car, il faut
le dire, la plupart de ces relations sont écrites, au jour le jour, par
des détenus. Et elles s'accordent à reconnaître qu'aux moments les
plus difficiles 1a musique a été la plus puissante, comme la plus
salulairedes distractions. Le caractère — nousl'avons déjà remarqué
— en est léger, facile, gai, presque bruyant, mais avec une pointe
de la sentimentalité dont Jean-Jacques Rousseau imprégna si forte-
ment l'esprit français à la veille de la Révolution. Cette double
tendance se fait jour dans une relation manuscrite, conservée à la
bibliothèque Carnavalet, relation que nous croyons absolument
inédite. La scène se passe à la Bourbe, dans les premiers jours de
■1794, et l'auteur l'a dédiée à <s M""= Carvalho ». Quelle était cette
dame Carvalho? Nous avons vainement cherché son nom sur les
liste des détenus si minutieusement dressée par M. Campardon.
Quelquefois on faisait, non pas des concerts, mais de la musique; nous
avions des amateurs qu'on entendait avec plaisir, une clarinette, une viole
d'amour qui faisait très grand effet entre les mains d'un homme connu
par ce talent (le baron de Witterspach), deux ou trois violons. J'ai vu
souvent les yeux de nos jeunes dames s'attendrir, lorsque cette viole
d'amour jouait la romance de Nina oa quelque autre faite pour le cœur.
252
LE MENESTREL
... L'àme de ces petits concer;s était Penne, parfumeur à Paris, jouant
parfaitement de la clarinette et qu'on vit toujours de l'humeur la plus gaie.
Son arrestation avait fait grand éclat dans son quartier; on y avait mis
■iOO hommes sur pied, infanterie et cavalerie, pour s'assurer de sa personne.
Son arrivée à la Bourbe fut annoncée par le son de sa clarinette. Quelques
mois auparavant il avait passé par le tribunal révolutionnaire, et il y avait
été acquitté. Son chagrin, si on l'eût condamné, aurait été de ne pouvoir,
pendant sa dernière promenade, jouer de son instrument chéri.
Plus d'une fois, dans les beaux jours, le son ravissant de cette clarinette
m'a tiré de mon sommeil. Il allait, à l'ouverture des portes, jouer dans
le jardin, et sans doute nos jeunes compagnes lui savaient gré de les
réveiller par de charmants airs...
On exerçait de petits métiers : il y avait un maître de flûte et de guitare.
Aux Madelonnettes, en novembre 1793, les séances musicales étaient
plus restreintes et moins brillantes. Un groupe d'amateurs exécutait
tant bien que mal entre soi desquatuors de Pleyel, et ne jouait guère
pour la galerie, s'il en faut croire cette confession assez singulière d'un
des virtuoses : « Notre charmante concierge ne nous abandonnait pas
et assistait régulièrement à nos concerts; c'était la seule femme que
nous voyions. »
An Luxembourg, Real, le futur comte de l'empire, qui n'avait pu
désarmer, malgré son absolu dévouement à la cause républicaine, la
haine de ses ennemis politiques, stimulait par ses improvisations
musicales la gaité de ses compagnons d'infortune. Il jouait sur son
violon des romances ou des vaudevilles de sa composition, que tous
répétaient en chœur.
Cette belle humeur dépassait souvent les limites de la bouffonnerie,
et principalement chez les plus illustres victimes. Était-ce le besoin
de s'étourdir aussi bruyamment que possible, ou bien l'insouciance
du lendemain, ou encore le dédain de la mort, qui surexcitait la verve
des Girondins sur le seuil même de l'éternité? Toujours est-il que
jamais étudiants en goguette ne se montrèrent plus extravagants ni
plus farceurs. C'est ainsi, comme nous l'apprend une lettre deRiouJffe
à son ami Souque, que des détenus de la Conciergerie, inculpés de
fédéralisme, imaginèrent une véritable gaminerie pour se soustraire
à la manie coaverlissante d'un brave homme de chanoine qui parta-
geait leur captivité.
Le jeune Ducorneau, un Bordelais « borgne, petit, basané, à la
figure pétrie de malice, » avait organisé, le premier, cette petite cam-
pagne contre le « nouveau saint Antoine, dont il était le diable ». Il
lui volait son bréviaire, éteignait sa bougie et coupait la mélopée de
ses psaumes d'un refrain de chanson gaillarde.
Donc, Ducorneau fonda la religion d'Ibrasdia, le dieu des sept lu-
mières, dont les maximes appartiennent au domaine de la fumisterie
chatnoiresque. En voici une entre autres :
« Tous les ans, on représentera dramatiquement la mort de Sacrale,
homme juste, tué par les prêtres. Vive Ibrascha ! »
Cette religion eut son culte, ses hymnes et ses chantres. Le vieux
chanoine faisait semblant de dormir quand la cérémonie commençait,
mais dès que le « grand'chantre d'ibrascha » eiitonnait les chants
profanes, la victime se levait en sursaut et hurlait à pleins poumons
le De j)rofundis. Sa voix était bientôt étouffée parles notes sonores de
ces larynx de vingt ans. Alors le bonhomme les injuriait, voulait
briser l'autel d'ibrascha et, dans sa fureur, accompagnait les litanies
fantaisistes des mystificateurs de grands coups de bûches contre la
porte.
Mais bientôt on se réconciliait à table; Ducorneau lançait à pleine
voix ses hymnes à la Liberté, choquait le verre du bon chanoine, et
tous reprenaient en chœur le refrain du poète bordelais. Mais hélas!
chaque jour le nombre des chanteurs diminuait, et les voix se mouil-
laient de larmes en répétant les couplets de l'auteur. Car Ducorneau
avait été condamné et guillotiné comme fédéraliste, de même que
le vieux prêtre avait disparu dans la prétendue conspiration du Luxem-
bourg.
Ducos, ce noble cœur, qui, sans être porté sur la liste des proscrip-
tions, ne voulut pas séparer sa cause de celle de ses amis politiques,
avait, lui aussi, cette étourdissante gaité. Quelques jours avant sa
comparution devant le tribunal révolutionnaire, il chantait aux
Girondius son îameax pot-pourri surl'arrestation du député Bailleul,
qu'il faisait parler en ces termes :
Air : Un jour de cet automne.
Un jour de cet automne,
De Provins revenant...
Quoi ! Sur l'air de la Nonne
Chanter mon accident!
Non, mon honneur m'ordonne
D'être grave et touchant.
Air : Du Haut en bas:
Clopin, dopant,
Je cheminais dans la campagne,
Clopin, dopant,
D'honneur et d'effroi palpitant,
Maudissant un peu la Montagne,
Je m'enfonçais dans la Champagne,
Clopin, dopant.
Air : Malborough s'en va t'en guerre.
■ EaQn, sans perdre haleine,
Mironton, mironton, mirontaine,
La fortune inhumaine
Me conduit à Provins. (Bis)
0 honte! affreux destin!
C'est là que, dans l'auberge.
Portant mon sac et ma^flamberge,
En paix je me goberge :
Vient un municipal.
Lequel d'un ton brutal.
Air de la Carmagnole.
Dit : Citoyens, vous avez tort (bis)
De voyager sans passeport, (bis)
Pour punir cet oubli
Il me faut, aujourd'hui,
Danser la Carmagnole
Au bruit du son du violon.
Air : On doit soixante mille francs.
Dans un mauvais cabriolet
On me jette comme un paquet.
Sans pitié pour mes larmes. (I)is)
Vers les lieux d'où j'étais venu.
On me ramène confondu
Entre mes deux gendarmes (tns)
Air : Je suis Lindor.
De mes malheurs telle fut l'Iliade;
Et les railleurs, pour aigrir mes chagrins.
Vingt fois le jour me parlent de Provins.
Hélas ! j'ai fait une belle ambassade !
Il semblait que ce prodigieux entrain eût gagné jusqu'aux plus
graves des Girondins, car ils accueillirent leur arrêt de mort par une
ironie suprême qui est comme un écho du persiflage de Ducos.
Laissons encore parler RioufTe, dont le témoignage est autrement
précieux et sincère que celui de Charles Nodier célébrant un banquet
qui n'a jamais existé que dans son imagination :
... Les Girondins furent condamnés à mort dans la nuit du 30 octobre,
vers les onze heures. Ils le furent tous; ou avait en vain espéré pour Ducos
et Fonfrède, qui, peut-être, eux-mêmes, ne s'étaient pas défendus de quelque
espérance.
Le signal qu'ils nous avaient promis nous fut donné. Ce furent des chants
patriotiques qui éclatèrent simultanément, et toutes leurs voix se mêlèrent
pour adresser les dernières hymnes à la liberté. Ils parodiaient la chanson
des Marseillais de cette sorte:
Contre nous de la tyrannie
Le couteau sanglant est levé.
Toute cette nuit affreuse retentit de leurs chants, et s'ils les interrom-
paient, c'était pour s'entretenir de leur patrie, et quelquefois aussi pour
une saillie de Ducos.
Celte note héro'ique, nous l'entendons vibrer encore quelques jours
après, chez un autre Girondin, le jeune et brillant rédacteur du Pa-
triote français, Gii'ey-Dupré, qui avait dit de son maître Brissot à
l'instruction : « J'ai connu Brissot; j'atteste qu'il a vécu comme Aris-
tide et qu'il est mort comme Sidney, martyr de la liberté ». Il n'en
fallait pas tant pour envoyer le disciple rejoindre le maître. Avant
même que la sentence de mort fût prononcée contre lui, Girey-
Dupré chantait ce couplet de sa composition ;
Pour nous, quel triomphe éclatant!
Martyrs de la liberté sainte.
L'immortalité nous attend.
Dignes d'un destin si brillant,
A l'échafaud marchons sans crainte,
L'immortalité nous attend.
Mourons pour la patrie,
C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
LE MÉNESTREL
253
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
On nous écrit de Vienne qu'à l'occasion du prochain séjour des sou-
verains russes dans la capitale autrichienne, aura lieu, le 27 août, une
représentation de gala à l'Opéra impérial. On jouera, par ordre de l'em-
pereur, la Manon de Massenet avec M"= Renard et M. Van Dyck. Comme
aucun opéra russe ne se trouve au répertoire viennois, qui ne joue plus
depuis quelques années le Néron de Ruhenstein, il était tout indiqué d'of-
frir aux souverains russes une œuvre française, et Manon se recommandait
non seulement par la valeur de la partition, mais aussi par son succès
constant à l'Opéra de Vienne.
— Franz de Suppé va avoir son monument à Vienne, sur le tombeau
d'honneur que la ville lui a décerné. Le statuaire Richard Tautenhajn
l'a sculpté sur la demande de la veuve du compositeur, et l'œuvre est par-
faitement réussie. Le huste en bronze de Franz de Suppé est d'une res-
semblance frappante, et les génies allégoriques qui décorent le socle pro-
duisent un effet très gracieux. Un enfant qui joue de la flûte rappelle que
c'est cet inslrument qui a ouvert au compositeur la carrière musicale. Une
feuille de papier à portées, sculptée dans le socle, reproduit les premières
mesures de la chanson; 0 mon Autriche I qui a obtenu une popularité im-
mense dans la patrie du compositeur.
— A Budapest vient d'avoir lieu un duel au sabre entre M. le baron
de Nopcsa, surintendant des théâtres royaux, et M. Diosy, critique musical
du Neues Pester Journal. M. le baron de Nopcsa a reçu plusieurs blessures
peu graves au nez et à la poitrine. Le duel a eu pour motif une discussion
vive au sujet de M. Mahler, ancien directeur de l'Opéra royal, actuellement
premier chef d'orchestre à l'Opéra de Hambou;-g.
— Nos lecteurs se rappellent que l'ancien théâtre KroU, à Berlin, a été
transformé en une succursale de l'Opéra royal. Or, le surintendant des
théâtres royaux vient de décider que le nouveau théâtre prendrait désor-
mais officiellement le titre de Nouvel Opéra royal. Les représentations de
ce théâtre sont déjà annoncées sous sa nouvelle dénomination.
— Le théâtre grand-ducal de Weimar va jouer prochainement un nouvel
opéra intitulé Malhaswintha, musique de M. Xavier Schar\venka,le célèbre
compositeur prussien.
— Un concours singulier est ouvert au Conservatoire de Dresde. M. Al-
fred Steltzner a construit deux nouveaux instruments à cordes qui doivent
servir d'intermédiaire entre l'alto et le violoncelle.- L'un de ces instruments
est baptisé « violette » et ressemble à l'alto ; l'autre se nomme « cellone »
et ressemble au violoncelle. L'inventeur offre deux primes de 500 marcs
chacune aux compositeurs d'un quatuor pour violon, alto, « violotte » et
violoncelle, et d'un sextuor pour deux violons, alto, « violotte », violon-
aelle et >< cellone ». On se demande comment les compositeurs pourront se
rendre compte de l'effet de ces nouveaux instruments, qu'ils ne peuvent
pas encore connaître, pour en faire un usage approprié, et s'il est réelle-
ment utile d'ajouter de nouveaux instruments à cordes à eaux qui ont suffi
à l'orchestre de Beethoven, voire même de Richard Wagner. Ce n'est pas
là d'ailleurs tout à fait une nouveauté, et l'on sait bien qu'il a existé na-
guère un instrument qui tenait le milieu entre l'alto et le violoncelle et
qu'on nommait baryton. Les musées spéciaux de divers pays en possèdent
des spécimens. Au dernier siècle déjà, on connut une viola di bordone ou
uiofa di /'ajo/ïo, à laquelle on donnait aussi le nom de baryton; c'était une
sorte de basse de viole de petit format, montée de six ou sept cordes de
boyau et ayant, sous la touche, une série de cordes sympathiques de mé-
tal. Deux musiciens de la chambre du prince Esterhàzy, Anton Lidl et
Karl Krantz, acquirent une très grande habileté sur le baryton, ce qui fait
qu'Haydn n'écrivit pas moins de 63 pièces pour cet instrument. Karl
Krantz publia lui-même douze concertos pour le baryton. On voit que la
prétendue invention nouvelle n'est, comme il arrive souvent, qu'un grand
retour en arrière.
— M. Robert Sipp, l'ancien professeur de violon de Richard Wagner à
Leipzig, vient de célébrer le 90'^ anniversaire de sa naissance et a reçu à cette
occasion beaucoup de cadeaux de ses anciens élèves et collègues. M"" Co-
sima Wagner et son fils Siegfried n'avaient pas oublié non plus le vieux
musicien que Richard Wagner estimait beaucoup et avait même invité
à assister à la première représentation de l'Anneau du Xiebelung, en 1S76. Les
leçons n'avaient cependant pas profité au maitre de Bayreuth, qui, déjà
pianiste fort médiocre, avait complètement délaissé le violon.
— Le doyen des choristes allemands, M. Antoine Lutz, du théâtre grand-
ducal de Weimar, vient de célébrer le 80° anniversaire de sa naissance.
Il a commencé sa carrière comme chantear en 1836, à l'âge de vingt ans,
et en 185S Frantz Liszt le fit engager à Weimar, où il se trouve depuis
plus de quarante ans. M. Lutz remplit encore fort bien ses devoirs artis-
tiques.
— Est-ce que l'enthousiasme wagnérien pâlirait, même aux lieux où
l'on devrait lui reconnaître la plus grande ardeur? Au récent congrès de
la Société Richard Wagner de Bayreuth, là direction a communiqué à
l'assemblée l'attristante nouvelle que, de 8.900, le nombre des sociétaires
est descendu aujourd'hui à 3.000. En présence d'une diminution aussi
alarmante, le baron de Deckendorf, qui n'y va pas par quatre chemins, a
fait une proposition radicale: la dissolution de la société! L'assemblée
pourtant n'a pas été de cet avis; elle a simplement décidé la publication
d'une « proclamation » par laquelle on inviterait le public allemand, et
spécialement les personnes riches, à venir au secours de la société, qui a
pour but de culiiver l'art du plus grand compositeur allemand. — Il faut
toujours avoir la main à la poche, dans cette maison-là!
— En 1893 ont paru en Allemagne G867 nouvelles compositions pour
tous instruments, 3946 pour chant et 313 ouvrages sur la musique!
— A l'exposition nationale de Bavière qui se tient eu ce moment à Nu-
remberg, on pourra étudier une expérience intéressante. Une salle d'ex-
position a été mise en communication, par téléphone, avec l'Opéra de
Munich, et on croit que les visiteurs de l'exposition entendront fort bien
de Nuremberg les œuvres jouées dans la capitale de la Bavière.
— Au Grand-Théâtre de Genève on a donné, le 18 juillet, la première
représentation d'un opéra-comique inédit en un acte, le Vin de la cure, pa-
roles de MM. Sarnette et Delécraz, musique de M. A. Kranl?, professeur
de llûte au Conservatoire de cette ville. Cet ouvrage paraît avoir complète-
ment réussi. — Au village suisse de l'Exposition, la société chorale Lie-
derkranz a fait entendre avec succès une composition nouvelle, Sennen-
Fahrten, scènes alpestres, dont l'auteur est M. F. Schneeberger, de Bienne,
rédacteur du journal rfer Vulksgesang.
— ■ On prépare déjà, à Genève, les programmes des concerts d'abonne-
ment pour la prochaine saison d'hiver. Parmi les noms des virtuoses qui
se feront entendre on cite ceux de trois artistes français, MM. Saint-Saëns,
Risler et Brun, puis ceux de MM. Cari Reinecke, Petchnikoff, etc.
— Les Italiens sont décidément infatigables, et les ardeurs de l'été font
éclore chez eux autant d'opéras nouveaux que les rigueurs de l'hiver. Nous
avons ainsi à enregistrer la naissance de deux œuvres nouvelles. A l'Eden
de Milan, sorte de « Moulin-Rouge >i transformé pour la circonstance en
un véritable théâtre, on a donné, le 20 juillet, la première représentation
d'une « idylle joyeuse » en deux actes, Stralegia d'amore, paroles de
M. C. A. Blengini, musique de M. Romualdo Marenco, compositeur qui
n'était connu jusqu'ici que par la musique de nombreux ballets tels que
Sieba, Exceisior, etc., que nous avons pu apprécier sous ce rapport il y a
quelques années, lors de la vogue éphémère de notre propre Eden, aujour-
d'hui défunt. Stralegia d'amore avait pour interprètes M°"= Perigozzi, le
ténor Quadri et le baryton Rebonati. — D'autre part, à Savona, le théâtre
Ghiabrera a eu la primeur d'un opéra sérieux en un acte, la Tradila, dont
le maestro Giacomo Medini a écrit la mus'que sur un livret de M. Giacomo
Schianelli. Ici le succès, d'après les journaux, a paru prendre les propor-
tions d'un triomphe.
— 11 parait qu'à Parme un grave différend s'est élevé, disent les jour-
naux, « entre les musiciens professionnels et les professeurs du Conserva-
toire, qui acceptent de faire partie de l'orchestre du théâtre Reinach, ce
qui porte préjudice aux intérêts des premiers. » Ceci tendrait à faire croire
qu'un professeur au Conservatoire n'est pas un professionnel, ce qui peut-
sembler singulier. D'autre part, est-ce que les appointements de profes-
seur au Conservatoire de Parme sont tellement brillants qu'on n'ait qu'à
se croiser les bras en dehors des heures de leçons ?
— A Venise, dans un concert donné par la société Giuseppe Verdi, on
a exécuté, sous la direction de l'auteur, une grande cantate de M. Riccardo
Drigo, dont les soli étaient confiés, à défaut de M. Kaschmann, indisposé,
au baryton Scaramella. M. Riccardo Drigo est un compositeur italien de-
puis longtemps fixé à Saint-Pétersbourg, où il s'est fait une véritable re-
nommée en écrivant la musique de nombreux ballets, entre autres celui qui
a été représenté récemment à l'occasion des fêtes pour le couronnement
du czar.
— M. Luigi Torchi, président de la célèbre Académie philharmonique de
Bologne, vient de publier sous ce titre : Commémorazione di Alessandro Bnsi
(Bologne, typographie royale, in-S" de 32 p.), la notice lue par lui en séance
de cette Académie sur cet artiste modeste autant que distingué. Busi était
un compositeur non sans talent, mais surtout un excellent théoricien, qui
fut pendant longues années professeur de contrepoint, de composition et
de chant au lycée musical de Bologne. La notice de M. Torchi dépeint
bien la vie tranquille et laborieuse de ce bon serviteur de l'art, cette exis-
tence consacrée tout entière à cet art qu'il chérissait et auquel il dut ses
plus vives et ses plus nobles jouissances. A. P.
— On annonce déjà, pour la prochaine saison de carnaval-carême à la
Scala de Milan, les engagements de M™ Ehrenstein, des ténors Borgatti,
Duc et De Lucia, du baryton Caméra et de la basse Scarneo. Le chef d'or-
chestre sera M. Vittorio-Maria Vanzo.
— C'est les mardi 6, mercredi 7, jeudi 8 et vendredi 9 octobre prochain
qu'aura lieu à Norwich, dans la salle Saint-André, sous le patronage de
S. M. la reine Victoria, du prince de Galles, et de tous les princes et les
princesses de la famille royale, le vingt-cinquième festival musical trien-
nal. La liste des œuvres qui seront exécutées à ce festival comprend
254
LE MÉNESTREL
Jephté, oratorio de Hœndel, la Rose de Sharon, cantate de M. Mackenzie,
Peer Gynt, d'Edouard Grieg, Elie, oratorio de Mendelssolin, la Rcdemptioii,
de Gounod, Fridolin, cantate de M. Alberto Randegger, Fidelio, de Beetho-
ven, Ero e Leandro, de M. Luigi Mancinelli, et enfin le troisième acte de
Lohengrin, de Wagner. Les artistes engagés pour l'exécution de ce pro-
gramme substantiel sont M""=* Emma Albani, Izard, Ella Russel, et
MM. Edward Lloyd, Reginal Brophy, Ben Davies, le fameux violoniste
tchèque Tivadar Nachez, l'organiste Bennett, Watkin Mille, Andrew
Black, etc. C'est M. Alberto Randegger qui sera le conductor du festival.
— Les principaux amateurs de Londres viennent de former un syndicat
pour organiser une campagne d'opéra aans la capitale anglaise pendant
la saison prochaine. Gomme « directeurs ». c'est-à-dire chefs responsables
de l'administration, figurent lord Grey et M. H.-V. Higgins, un avoué mé-
lomane ; M. Faber, titulaire du bail de Govent-Garden, sera nommé troi-
sième administrateur délégué dès que la location du théâtre de Govent-
Garden sera chose décidée. La direction artistique sera confiée à M. Maurice
Grau, directeur du Metropolitan Opéra liouse de New-York, qui est en
fort bons termes avec les principaux artistes et les grands éditeurs de
musique européens, et auquel plusieurs chanteurs de tout premier ordre
ont déjà promis leur concours.
- — Nous avons annoncé l'année dernière que le célèbre ténor anglais
Sims Reeves vsnait de convoler en secondes nocss à l'âge de soixante-
treize ans. Aujourd'hui l'artiste, qui n'a pas cessé de chanter, annonce la
naissance d'un fils. C'était à prévoir!
— On annonce pour le mois d'octobre prochain l'ouverture à Jassy (Rou-
manie) d'un nouveau théâtre, qui sera, paraît-il, consacré à l'opéra français.
Plusieurs engagements d'artistes sont déjà signalés, entre autres celui de
M"» Délia Rogers qui, ces deux dernières années, remporta de brillants
succès à la Scala de Milan, où elle créa Ratcliff.
— Chacun sait ce qu'est l'activité des Américains. Un qui ne flâne pas,
c'est un certain Henry Glay, qui rendrait des points au regretté défunt
Augustus Harris. Gelui-là est propriétaire et directeur, dit-on, de cinq
théâtres aux États-Unis; mais ça, c'est la moindre de ses occupations. Il
est en outre à la tête d'une fabrique de produits pharmaceutiques, d'une
photographie modèle et d'une puissante maison d'édition, il publie un
Annuaire dramatique et un journal important, il dirige une grande maison
de banque, il est l'homme d'affaires de M""' Duse, la célèbre actrice ita-
lienne, et enfin il est membre de la Chambre des représentants. En voilà
un qui ne doit pas être partisan do la journée des trois huit!
— De Durban, dans l'ile Natal, où la musique commence à avoir de
nombreux adeptes, on nous signale les succès d'une pianiste mauricienne
de talent. M""» de Letowska.
PARIS ET DEPARTEIVIENTS
Voici la liste des dons et prix particuliers dont bénéficient plusieurs
lauréats des derniers concours du Conservatoire :
Legs Nicodami, 300 francs, à MM. Joly, premier prix de basson, et Del-
fosse, premier prix de trompette; — Prix Guérineau, 300 francs, à M.Beyle
et à M"= Guiraudon, premiers prix d'opéra; — Prix Georges Hainl, 900 fr.,
à M. Desmonts, premier prix de violoncelle; — Prix Popelin, 1.200 fr.,
à M"'" Hansen, Toutain, Varin et Rigalt, premiers prix de piano; —
Prix Henrilierz, 300 francs, à M"= Juliette ïoutain, premierprix de piano;
Enfin le prix donné, eu mémoire de son mari, par M"» Ambroise
Thomas, aux lauréats des classes de solfège, a été réparti entre MM. Le-
pitre, Leclerc et Lermyte,et M"'^'i Novello, de Orelli, Ploquin, Ingelbrecht,
Kastler, Pestre, Truch, bouchier et Guyon.
— M. Théodore Dubois a quitté Paris hier samedi, se rendant à Rosnay,
près de Reims, où il va passer ses vacances. M. Théodore Dubois revien-
dra à Paris vers la fin du mois de septembre pour préparer la rentrée
des classes du Conservatoire.
— Avant de quitter définitivement le Conservatoire pour se rendre
d'abord dans ses iles de Bretagne, si chères à l'auteur de Mignon, puis
pour s'installer avenue Victor-Hugo, M""' Ambroise Thomas a tenu à re-
mettre elle-même, entre les mains de M. Théodore Dubois, l'admirable
dessin du portrait de Gherubini par Ingres, que ce maître avait donné à
Ambroise Thomas et que celui-ci a légué au Conservatoire. De plus, en
souvenir de l'intérêt que le maître regretté a toujours porté aux classes de
solfège, pour lesquelles il a consacré une série de leçons considérées
comme des modèles, M"'° Ambroise Thomas a donné, ainsi qu'on l'a vu
plus haut, une somme de cinq cents francs destinée à être répartie cette
année entre les élèves chanteurs et instrumentistes ayant remporté la
première médaille de solfège.
— Il est tort probable que M. Francis Planté, qui a traversé Paris cette
semaine, en parfaite santé, viendra s'y faire réentendre durant la prochaine
saison. Ce sera là, pour d'aucuns, une excellente occasion de faire plus
j.uste connaissance avec le merveilleux talent du célèbre virtuose.
— Mi"= Van Zandt, se rendant au Mont-Dore, a également passé par
Paris cette semaine.
— La Société des auteurs et compositeurs dramatiques vient d'arrêter
son exercice 1893-1896, dans lequel nous constatons que les recettes des
théâtres de Paris sont en augmentation sur la précédente année de
902.913 fr. 13 c, et que le chiffre des droits d'auteurs, toujours à Paris, est
également en augmentation pour un chiffre de 112.788 fr. 50 c. Dans les
départements, il a été perçu 945.138 fr. 72 c, soit 21.103 fr. 89 de plus que
l'exercice précédent. Les théâtres de banlieue ont produit 98.060 fr. 70 c.
de droits, également en augmentation de 3.681 fr. 90 c. Quant aux cafés-
concerts, l'augmentation a été de 27.728 fr. 25 c, avec une recette de
156.693 fr. 35 c. Soucieuse des droits des auteurs à l'étranger, la Société a
encaissé en plus, sur l'année précédente, 8.876 fr. 80 c. Voici d'ailleurs, par
le détail, l'intéressant tableau des recettes réalisées, en regard de celles de
l'exercice précédent :
Opéra
Comédie-Française. . . .
Opéra-Comique
Odéon
Renaissance
Vaudeville
Variétés
Gymnase
Palais-Royal
Nouveautés
Porte-Saint-Martin. . . .
Gaîté
Ambigu
Châtelet
Bouffes-Parisiens ....
Folies-Dramatiques . . .
Cluny
Théllre de la République.
Jleuus-Plaiairs
Déjazet
BoufTes-du-Nord
Folies-Marigny
Folies-Bergère
Folies-Voltaire
Théâtre Mondain
Théitre d'Application . .
Tour Eillél
Comédie-Parisienne . . .
Casino de Paris
Olympia
Parisien
Eldorado
Total .
lï. c.
;. 109, 209 42
;. 061. 265 17
.539.363 30
545.301 25
.325.308 75
.333.620 55
982.281 50
665.700 75
642.704 20
660.228 50
816.703 »
869.824 75
587.792 95
953.441 75
560 008 75
448.542 85
365.140 50
319.200 85
106.868 25
134.363 55
146.658 »
.132.863 65
14.994 50
24.376 »
21.033 »
6.. 593 65
574.865 50
494.350 75
25.839 50
109.767 ai
20.638.292 ,19
fr. c.
3.272.875 36
2.141.339 28
1.492.732 .
517.947 55'
822.014 »
1 241.132 40
1.253.883 »
1.103.821 75
770.786 .
651.801 50
993.118 50
1.167.785 25
565.082 .
1.052.766 75
415.611 25
453.214 25
313.529 75
314.603 95
135.564 »
120.389 10
147.215 75
24.272 »
1.099.516 70
1.740 55
2.620 50
13.098 »
19.143 20
97.671 50
687.556 75
.629.350 25
19.025 50
21.541.208 34
— D'autre part, l'annuaire de la même société, qui vient de paraître, nous
donne la liste des sociétaires admis durant l'exercice 1895-1896. Ce sont
MM. Edmond Rostand, Edmond Missa, Alfred Delilia, Albert Barré, Paul
Hervieu, Edgard Pourcelle, Georges Hartmann et Alphonse Duvernoy.
Parmi les membres appelés à toucher la pension à dater de cette année,
nous relevons les noms suivants : Erckmann (Emile), né le 20 mai 1822.
Thomas (Louis), dit Lafontaine, né le 29 mai 1824. Mistral (Frédéric),
né le 8 septembre 1830. Ghivot (Henri), né le 13 novembre 1830. Rochefort
(Henri), né le 30 janvier 1830. Meilhac (Henri), né le 21 février 1831.
Véron (Pierre), né le 19 avril 1831. Sardou (Victorien), né le 7 septem-
bre 1831. Busnach (William), né le 7 mars 1832. M°"' Perronnet (Amélie),
née le 8 avril 1832. Lecocq (Gharlesj, né le 3 juin 1832. Scholl (Aurélien),
né le 14 juillet 1833. Hermil (Edouard), dit Milher, né le 23 septembre
1833. Halévy (Ludovic), né le 1" janvier 1834. Pailleron (Edouard), né le
17 septembre 1834. Saint-Saëns (Camille), né le 9 octobre 1835. Blau
(Edouard), né le 30 mai 1836. Blum (Ernest), né le 15 août 1836.
La Société des auteurs dramatiques compte actuellement 306 sociétaires
et 2.0S7 membres stagiaires. Enfin, pour ceux qui s'intéressent à la pro-
duction dramatique, la société a enregistré, pour 1895, 594 pièces nouvelles.
— M"° Augusta Holmes travaille en ce moment à une féerie lyrique en
trois actes et cinq tableaux : la Belle Roncerose. M"= Holmes, selon son habi-
tude, écrit le poème et la musique de cet ouvrage, dont le scénario détaillé
est entièremet achevé depuis la fin de l'année 1894.
— Les concerts Lamoureux feront leur réouverture, au cirque des
Champs-Elysées, le dimanche 11 octobre prochain, par un festival popu-
laire dont le programme sera redonné le dimanche suivant. Le premier
concert de l'abonnement aura lieu le dimanche 25 octobre. Le personnel
choral et instrumental comprendra 250 exécutants.
— M. Georges Grisier est, depuis mercredi, directeur du théâtre des
Menus-Plaisirs, qu'il dirigera concurremment avec celui des Bouffes-
Parisiens. M. Grisier jouera sur cette scène tous les grands succès de
l'opérette, interprétés par des artistes de la salle du passage Choiseul. Le
secrétariat des théâtres des Bouffes-Parisiens et des Menus-Plaisirs sera
confié à notre excellent confrère M. Georges Mathieu,
LE MENESTREL
233
Très "ros succès, vendredi, à l'Exposition du tliéàtre et delà musique,
pour le second grand festival, donné sous la direction de M. Achille Ker-
rion et dont toute la première partie était réservée à l'audition des oeuvres
de M. Théodore Dubois. Cette première partie comprenait une suite
d'orchestre de la Farandole; l'aubade de Xavière; Dormir et rêver; Nous nous
aimerons, fort joliment chantés par M. Devilliers; une Méditation reli-
gieuse d'un grand style et d'un beau caractère, dont le solo de violon a
donné au talent de M. Laforge l'occasion de se manifester dans toute son
ampleur ; enfin, une remarquable sélection du second acte d'Aben-Jlamel
(prélude orchestral, chant mauresque et duottino, finale avec chœurs),
dont les soli étaient chantés par M"'^^ Denante, Morena Ibanez et Stépha-
nie Kerrion, MM. Devilliers, Daraux et Manson. L'effet a été très grand
et le public, très nombreux, a manifesté sa satisfaction de la façon la
plus bruyante, en applaudissant vigoureusement l'auteur, présent à la
séance, et ses excellents interprètes. On a applaudi aussi, dans la seconde
partie, les Phzicati de Sylvia, dits par l'orchestre avec beaucoup de délica-
tesse, l'air du Chevalier Jean, fort bien chanté par M^^ Morena Ibanez, et
l'air de Samson et Dalila, qui a fait valoir la voix superbe de M"" Kerrion.
A. P.
— La distribution des prix de l'excellente Ecole de musique classique
fondée par Niedermeyer et si bien dirigée par son gendre, M. Gustave
Lefèvre, a eu lieu le 27 juillet. La séance s'est ouverte par un intéressant dis-
cours du directeur, dans lequel celui-ci a recommandé à ses élèves de ne
jamais oublier leur origine et de rester, toujours et quand même, des
musiciens français, soucieux de maintenir les traditions nationales, celles
que comporte le génie de leur pays et que certains ont trop de penchant
à oublier aujourd'hui. « Les études classiques, leur a-t-il dit, n'ont d'autre
but que d'élargir vos connaissances, de vous enseigner les procédés utiles,
de fortifier votre idéal, de vous faire connaître ce qui a été fait, écrit,
pensé par les maîtres qui vous ont précédés, par ceux qui, musicalement,
parlaient glorieusement la langue de leur raceet de leur pays. » Le jury
était composé de MM. Ravina, Delioux, Guilmant, de Boisjolin, Colomer,
'William Gart, Planchet, Busser, Caftot, l'roment, Morichelle et des profes-
seurs de l'École. La distribution a été précédée d'un concert dans lequel se
sont fait entendre les lauréats des classes de piano, orgue et accompagne-
ment. Parmi les élèves qui ont obtenu les principales récompenses,
nous citerons les noms de MM. Palanque, Guillaume, Massuelle, Frontin,
Ott, Martin, Altenberger, etc., qui font honneur à l'enseignement de leurs
professeurs, MM. G. Lefèvre, Alexandre Georges, Gh. de Bériot, Savoye,
Loret, Stoltz et Paul Viardot. Le prix d'honneur accordé par le ministre
des beaux-arts a été attribué à l'élève Georges Palanque.
— A l'école Beethoven, fondée et dirigée par M"" Balutet, a eu lieu la
séance d'examens pour l'obtention des certificats de capacité à l'enseigne-
ment du piano. Lejuryj composé de MM. Guilmant (président), X. Leroux,
H. Maréchal, G. Marty, Gh. René, P. Braud, a reçu les élèves suivantes ;
Piano (élémentaire), M""=s de Saline, S. Soailliot, H. Caffin ; Pédagogie (élé-
mentaire), Durand, S. Scailliet, A. de Guerny, J. Valland ; Harmonie
(supérieure), A. Boucher, M. Longhurst.
— Très belle et très artistique matinée de clôture chez M°" Lafaix-Gontié.
A signaler l'air de la folie d'Hamlet, chanté par M"» Hortense D., celui de
Salomé dans Hérodiade, très bien dit par M"'= Alphonsine P., et Ahl qui brûla
d'amour, par M"'^ Gabrielle D. du S. qu'accompagnait l'exquis violoncelle
de M. Choinet. Enfin, succès pour trois nouveaux morceaux du maître
Charles Dancla ; une transcription pour violon d'un Nocturne de Chopin,
puis le Slave, et enfin la Gazelle, que le maître a enlevés avec une admirable
maestria. M. Davrigny apportait aussi, à cette attrayante réunion, le con-
cours de son talent.
— Je reçois de Belgique le second volume de l'excellent et précieux Ca-
talogue descriptif et analytique du Musée instrumental du Conservatoire royal de
musique de Bruxelles, dont l'auteur est M. Victor-Charles Mahillon, conser-
vateur du Musée. Ce second volume est à la hauteur du premier, et l'en-
semble forme un répertoire vraiment admirable, auquel on ne saurait ac-
corder de trop sincères éloges. La compétence de l'auteur, ses connaissances
si étendues en instrumentologie (pardon du néologisme), l'excellence de sa
classification, la conscience et le soin qu'il apporte dans la rédaction de
ses notices si claires et si substantielles, enfin le secours qu'il demande,
pour compléter son texte, aux nombreuses figures prodiguées par lui de
tous côtés, tout concourt à faire de cet ouvrage un modèle à suivre et
comme une sorte de petit chef-d'œuvre en son genre, qui laisse bien loin
derrière lui tout ce qui a été fait jusqu'à ce jour dans cet ordre d'idées.
Voilà un livre qu'on peut recommander sans se compromettre, et qui ap-
porte vraiment avec lui une somme de connaissances nouvelles et inté-
ressantes. On n'en saurait dire autant de tous ceux qui paraissent chaque
jour, même — et surtout — sur la musique. A. P.
— On nous télégraphie de Metz que la rue de la Cathédrale est définitive-
ment débaptisée. Les ouvriers ont installé des plaques bleues portant,
l'une en allemand, l'autre en français, le nom d'Ambroise Thomas.
— Au Casino de Vichy, réussite complète pour Werther et ses deux prin-
cipaux interprètes. M"'- Wyns et M. Leprestre, qui ont supérieurement
rendu l'ieuvre attachante de Massenet. Quelques jours auparavant Manon avait
également triomphé, avec le même M. Leprestre, M. Montfort et M"« Mer-
guillier.
— Au Casino Club, de Cauterets, continuation des triomphes de l'orchestre
Danhé. Au 6» concert, le public a bissé les Pizzicati de Sylvia, la Méditation
de Thais, jouée par M. Italiander, et les stances de Lakmé, chantées par
M. Fournets. Très gros succès aussi pour l'air du Cid, chanté par M"" Bru-
sac, et pour Pensée d'automne, chantée par M'" Bogey.
— A Rouen, grand succès pour le festival Joncières et Pierné, à l'Expo-
sition, qui a valu de chaleureux applaudissements à M"« Pacary, M°'" Roger-
Miclos, MM. Paz et Albert Lambert fils. L'orchestre et les chœurs, sous
l'habile direction de M. Brument, ont eu une large part dans le succès de
cette intéressante soirée musicale.
— A Nevers, salle Vauban, M""= Combrisson, professeur émérite, vient
de donner une audition des œuvres de L. Filliaux-Tiger. L'exécution a
été excellente; aussi les applaudissements n'ont pas manqué au professeur
et au compositeur. Parmi les morceaux les plus applaudis, citons Source
capricieuse, Crépuscule ut Roman d'Arlequin, de Massenet, Vieille Chanson, quaire
mains, et Danse russe, d'Armingaud, brillamment exécutés.
— On nous écrit de Châteauroui pour nous signaler le grand succès ob-
tenu par l'audition des élèves de l'institution de Mi'«Turmeau. On a ap-
plaudi M"«s M. L. et L. B. (Dimanche matin des Scènes alsaciennes, Massenet) ;
B. G. (L'oiseau s'envole de Paul et Virginie, V. Massé) ; A. D. (l'Ame des oiseaux,
Massenet) ; M.-L. T. (Enir'acle-gavotte de Mignon pour violon, A. Thomas)-
G. N. et A. M. (duo du. Roi l'a dit, Delibes) ; G. T. (Pourquoi? de Lakmé,
Delibes); M. B. (Souvenir, Lack); V. M. (le Missel, Faure) ; M. A., E. N.
J. B. et L. G. (Roman d'Arlequin, Massenet); C. N. (Source capricieuse, Fil-
liaux-Tiger); M. L. et L. B. {Romance et Guitare de Conte d'avril, Widor);
B. T. (Légende de Saint François d'Assise de Xaxiére, Th. Dubois) ; J. P. (Mu-
sette dit A17/° siècle, Périlhou) ; E. P. (l'Oiseau- mouche, Lack) ; G. N. (Expan-
tion de Xavière, Th. Dubois), et aussi les cours de chant d'ensemble dans
les Pantins, de Blanc et Dauphin, l'Ave Maria de Gounod et les chœurs
d'Athalie de Mendelssohn.
— Pour la Fête de l'Adoration, M^^ G« Lebaudy a fait exécuter, en
la coquette église de Rosny-sur-Seine, une messe inédite de M. Ferdi-
nand Schneider. L'œuvre, où passe un souffle vraiment religieux, est
écrite suivant les grandes traditions. Exécution remarquable : chœurs, soli
et orchestre composés exclusivement de lauréats du Conservatoire.
— Le Salut solennel organisé en la petite église de Vaux (Seine-et-Oise)
par M°"s De Marochetti et Girard, a été des plus réussis. Parmi les numé-
ros à sensation il convient de citer Charité, de Rossini, les soli de
M"" Vormèse, l'habile violoniste, le quatuor du Stabat de M"" de Grand-
val, l'Extase, de Salomon, chantée par M. Séguy, l'Inflammatus de Rossini,
par M°"= Marie Morel, et le Crucifix, de Faure, par M""" Girard et M. Paul
Séguy et, par ce dernier seul, l'O Salutaris du même auteur.
NÉCROLOGIE
Dans sa villa de Gênes s'est éteint Joseph-Alfred Novello, à l'âge de
S6 ans. Né à Londres en ISIO, il débuta d'abord comme basse chan-
tante et se fit ensuite, à l'âge de 19 ans, éditeur de musique. Sa maison
devint bientôt prospère ; il fut nommé fournisseur de la cour par la reine
Adélaïde et commença, en 1836, la publication du journal the Musical
World. Novello publia un grand nombre de compositions classiques et
révolutionna le commerce de musique en Angleterre par la publication
de son Manuel choral (Choral Hand-Rook) au prix de trois pence 30 (centimes)
la page. Il publia aussi beaucoup de chansons pour amateurs, et ses
trois sœurs, excellentes chanteuses, l'aidaient beaucoup en propageant
surtout les chansons publiées par leur frère. En 1844, Novello commença
la publication du Musical Times, qui est resté fort vivant. Quelques années
plus tard, en 18S0, Novello adressa à la Chambre des communes sa fameuse
pétition demandant l'abolition de l'impôt inique qui grevait alors, en
Angleterre, le papier, les annonces et les journaux, et il eut la satisfaction
d'obtenir gain de cause. En 1857 Novello prit sa retraite, bien gagnée, et
vécut d'abord à Nice et ensuite à Gênes, d'où il suivait avec intérêt la
maison et les journaux qu'il avait fondés. B^.
— A Padoue vient de mourir, à l'âge de 80 ans, un artiste qui s'était
fait en Italie une certaine réputation comme compositeur, chef d'orchestre
et professeur de chant, Achille GralEgna, né à San Martine dall' Argine
le 5 mai 1816. Ancien élève de RoUa au Conservatoire de Milan, il avait
à peine 18 ans qu'il était engagé comme chef d'orchestre au théâtre de
Cagliari. Il continua pendant quarante ans cette carrière de maestro con-
certatore tout en faisant représenter, d'ailleurs sans grand succès, d'assez
nombreux ouvrages dont voici la liste : un Lampo d'infedeltâ; lldegonda e
Rizzardo (Milan, 1841); Eleonora di San Bonifacio{YéTone);Mignon e Fanfan
(1844); gli Dltimi Giorni di Suli (Odessa); Ester d'Engaddi (Odessa) ; i Due
Rivali (Mantoue) ; Maria di Brabante (Trieste, 1852) ; l'Assedio di Malta
(Padoue, 1853); Veronica Cybo (Mantoue, 1858), qu'il fit représenter à Paris
en 186b, sur notre Théâtre-Italien, avec un fiasco complet, sous le titre da
laDuchessa di San Giuliano; il Barbiere di Simglia (Padoue, 1879); il Matrimo-
nio segreto (Florence, 1883); la Pazza per progetto (Lucques, 1884); la Buona
Figliuola (Milan, 1886); i Nipoti del borgomastro (Florence, 1887); Mandragola
(Turin, 1888). A tout cela il faut ajouter un ballet, la Conquista di Granata,
représenté à Milan en 1839, puis plusieurs messes et un assez grand
nombre de mélodies vocales.
2of)
LE MENESTREL
— A Vienne, vient de mourir, à l'âge de 60 ans, le baron Victor de
Rokitansky, ancien professeur de chant au Conservatoire de cette ville.
Son père était le célèbre médecin Charles, baron de Rokitansky, qui fut
professeur de pathologie à l'université de Vienne, et sa mère avait été
une excellente cantatrice. Deux de ses fils ont hérité du talent maternel ;
le baron Ilans, basse chantante à l'Opéra royal de Londres et à l'Opéia
impérial de Vienne, qui se maria à Londres avec une fille du fameux
Lablache, et le baron Victor, doué d'une très belle voix de ténor. Tandis
que son frère aîné poursuivait sa brillante carrière théâtrale, le baron
■Victor de Rokitansky, après des débuts excellents, ne put surmonter l'aver-
sion qu'il éprouvait pour la scène et se consacra à l'enseignement. Pen-
dant neuf ans il fut professeur de chant au Conservatoire, où il obtint des
succès éclatants : il fonda ensuite une école de chant à Vienne, école qui
a fourni plusieurs chanteurs et chanteuses de renom. Les grandes familles
de Vienne le choisissaient de préférence comme professeur de chant, et
l'archiduc Eugène, grand-maître de l'Ordre teutonique, doué lui-même
d'une belle voix de baryton, compte parmi ses élèves les plus brillants.
Le baron Victor Rokitansky a publié un grand nombre de mélodies et de
compositions religieuses donnant la preuve d'un talent agréabla. — O.Bn.
— La Russie vient de perdre un artiste fort estimable. A Ligowo, près
de Saint-Pétersbourg, est mort le compositeur Alexandre Serguewitch
Faniintzine, qui s'est fait connaître d'abord par la publication d'un certain
nombre de morceaux de piano et de pièces de musique de chambre favo-
rablement accueillis par le public, et qui ensuite s'est essayé au théâtre.
Au mois de décembre 1875 il faisait représenter au théâtre Marie, de Saint-
Pétersbourg, un grand opéra en trois actes intitulé Sardanapale, dont le
succès, d'abord très grand, ne s'est pas soutenu. Plus tard, il donna un
autre ouvrage dramatique sous le titre à'Uriet Acosta. Famintzine a rempli
aussi les fonctions de critique musical dans un des principaux journaux
de la capital russe,' et ses articles faisaient, dit-on, honneur à son goût et
à son savoir.
— De Bàle on annonce la mort, à l'âge de 73 ans, d'un artiste distingué,
M. Bagge, directeur du Conservatoire de cette ville et compositeur.
Henri Heugel, direcleur-gérant.
A "VENDRE un violoncelle de bonne marque avec l'inscription : Nicolaus
Amatus Cremonem Hironymi Filius Antonii nepos fecit (1075). S'adres-
ser aux bureaux du iournal.
Sous le titre de : Sous la lance, impressions du pompier de service, notre
confrère Louis Schneider vient de publier un amusant recueil de soirées
parisiennes sur les spectacles des années 1894-95-96.
En vente, AU MÉNESTREL, S bis, rue Vivienne, HEUGEL et 0'", Éditeurs-Propriétaires.
PAGES ENFANTINES
PETITES TRANSCRIPTIONS TRÈS FACILES POUR LE PIANO ET A L'USAGE DES PETITES MAINS
I>E:S CE3XT^7"K,BS JSIV "VOCS-XJE
J.MASSENET. . . . Menuet de Manon.
Amiroise THOMAS.. Styrienne de Mignon.
Léo DELIEES. . . . Pastorale de Sylvia.
J. MASSENET. . . . Valse du Roi de Laliore.
Ed. LALO Aubade du iîoi rfTs.
E. BEÏER Pas guerrier de Sigurd.
E. PALADILHE. . . La Fiorentina.
J.MASSENET.. . . Aragonaise du C)(i.
Ch. GOUNOD. . . . Ave Maria.
Félicien DAVID. . . La Caravane du Désert.
11. B. GODARD. . . .
la. J. IBASSEKET. . . .
13. Fr. BRISSON. . . .
14. Georges BIZET. . .
15. G. VERDI
16. J. MASSENET. . . .
17. Léo DELIEES. . . .
18. Ambroise THOMAS .
19. Paul LA^OMBE. . .
20. Ch. NEUSTEDT. . .
Danse des Bohémiens du Tasse.
Les Phéniciennes à'Hérodiade.
Pavane.
Le Retour (Chants du Rhin).
Cavatine de Jérusalem.
.\ir de Manon.
Jlazurka de Coppélia.
Marche danoise i'IIamlet.
Aubade printanière.
Idylle.
21. J. MASSENET..
22. E. BOURGEOIS.
23. E. PALADILHE.
24. J. MASSENET.
25. Léo DELIEES. .
26. Ch. LECOCQ. .
27. E. GODARD.. .
28. Léo DELIEES. .
29. J. MASSENET..
30. G. SERPETTE..
. Crépuscule.
. La Véritable Manola.
. Havanaise.
. Sarabande espagnole.
. Les Fifres de Lakmé.
. Histoire de Trois Bluels.
. Canzonelta.
. Le Rossignol.
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Par Emile TA VAN
Chaque transcription, prix : 2 fr. oO c. — Le Recueil de trente numéros, prix net : S francs.
LES PETITS DANSEURS
et floifllées très facileieil pir les
L. STREABBOG, A. TROJELLI FAUGIER, H. VALIQUET, ETC.
N» 1.
_ Ibis
STREABBOG.
STREABBOG.
— 2.
FAUGIEB. .
— 3.
TROJELLI. .
— 4.
TROJELLI. .
— 5.
STREABBOG.
— 6.
FAUGIER. .
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FAUGIER. .
— 9.
STREABBOG.
— 10.
STREABBOG.
— 11.
FAUGIEB. .
— 12.
FAUGIER . .
Le beau Danube bleu, valse (.Johann Strauss
La même à 4 mains
Tout à la joie I polka (Pu. Fahrdach). . . .
Valse du Couronnement (Strauss)
Orphée aux Enfers, quadrille (Ofi"exbach). .
La Vie d'artiste, valse (Johann Strauss). . .
Pour les Bambins, polka (Ph. Fahrbach) . ,
Les Ivresses, valse (S. Pillevesse)
La Dame de cœur, polka (Ph. Fahrbach) . .
Les Feuilles du malin, valse (Johann Strauss
Le sang viennois, valse (Johann Strauss) . .
Mam'zelle Nilouclie, quadrille (FLîrvé) . . .
Le Retour du Printemps, polka (Schindler) .
)• -i
13.
VALIQUET. .
14.
TROJELLI. .
15.
VALIQUET. .
IG.
STREABBOG.
17.
VALIQUET. .
18.
FAUGIER. .
19.
STUTZ. . .
20.
STUTZ. .. .
21.
GODARD . .
22.
GODARD . .
23.
VALIQUET. .
24.
VALIQUET. .
23.
TROJELLI. .
Le Petit Faust, ouverture-valse (Hervé) ... 5 »
Gloire aux dames! mazurka (Strobl) 3 »
La Journée de il/"" Lili, valse. . . , 3 »
Aimer, boire, chanter, valse (Johann Strauss). 4 »
Le Petit Faust, quadrille (Hervé) 4 »
Le Verre en main, polka (F'aiirbach) 4 »
Les Petites Reines, valse 3 »
Les Jeunes Valseurs, valse 3 »
Bébé-Polka 2 50
Bébé-Valse 2 ijO
Dans mon beau château, quadrille 4 »
La Journée de ilf'" Lili., polka 3 »
Les Cancans, galop (Strauss) 3 j>
L'AIBUM COMPLET CARTONNÉ (25 numéros à 2 mains), avec une couverture en couleurs de BOUISSET, prix net: lO fr.
E, 20, l'AUiS. — [Encre Lorillcuj)
3^12. — 62"'
— 1V° 33.
Diinanehe 16 Août 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dn Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les .Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique deCliant, 20 l'r.; Tente et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étrrjiger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
l. La première salle Fayart et l'Opéra-Comique, 4" partie (14» article), Arthur
PouGiN. — n. Semaine théâtrale: Le mois d'août et la musique, AnTHun PoroiN.
— III. Musique et prisons (13" article) ; Prisons révolutionnaires, Pall d'Estrée.
— IV. Journal d'un musicien (1" article), A. Momtaux. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avecle numéro de ce jour:
UN RÊVE
de Ch. Neustedt. — Suivra immédiatement : Pastorale, de Ch. Grisart.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Sérénack florentine, mélodie d'EiiNEST Moret, poésie de J. Lahor. —
Suivra immédiatement : Attente, mélodie de Gesare Galeotti, poésie de
M. de MoRiANA.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA- COMIQUE
1801-1838
QUATRIEME PARTIE
II
(Suite)
Je reviens à l'Opéra-Gotnique et à la salle Favart, dont les
travaux continuaient de marcher avec célérité. Aussi les
notes adressées aux journaux par la direction, en vue d'at-
tirer l'attention du public, commencent-elles à devenir fré-
quentes. Il s'agissait d'abord de l'augmentation du personnel
des chœurs et de l'orchestre, qui, à la Bourse, se trouvaient
forcément réduits aux dimensions modestes de la scène et
de la salle. Première note, à ce sujet, publiée le 2.5 mars :
L'administration prévient les artistes qui voudraient faire partie des
chœurs de ce théâtre à partir du i" mai prochain, qu'il y aura un
concours pour les dames et les hommes le dimanche !29 mars. Les
personnes qui auraient l'intention de se présenter sont invitées à se
faire inscrire au secrétariat de l'administration, rue des Colonnes, 4.
La question se présente ensuite de la revision du registre
des entrées, revision qui motive cette seconde note, à la date
du 18 avril :
Les personnes qui ont leurs entrées au théâtre royal de l'Opéra-
Comique sont invitées à faire connaître à quel titre elles en jouissent.
Ne seront inscrites sur la nouvelle liste des entrées que les personnes
qui se seront conformées au présent avis avant le 1" mai prochain.
Une troisième note, publiée le 22 avril, donne des détails
sur l'élat et la nature des travaux de décoration de la nouvelle
salle :
M. Charles Séchan, un des peintres chargés des décors de l'Aca-
démie royale de musique, vient de commencer à peindre la coupole
du théâtre royal de l'Opéra-Comique, place des Italiens. Cette cou-
pole, d'une élégante et riche construction, a 18 mètres 83 centimètres
de hauteur, depuis le parterre jusqu'au cintre. Les décors du pour-
tour de la salle viennent aussi d'être entrepris; ils se composent
de magnifiques attributs divers, gravés sur hois et sur cuivres dorés.
Enfin, cette salle sera d'un goût tout à fait moderne pour Paris ; ses
décorations et dispositions se font d'après la copie de la salle du
théâtre de Venise.
A ce moment les travaux, très avancés, étaient poussés avec
la plus grande activité. Malgré tout, il fut impossible d'être
prêt absolument pour le i" mai, époque fixée. Le retard ne
fut toutefois que d'une quinzaine, et, ce 1" mai, l'Opéra-
Comique abandonnait la salle de la Bourse, de même que le
'Vaudeville abandonnait la salle provisoire qu'il occupait au
boulevard Bonne-Nouvelle, l'un et l'autre pour préparer les
aménagements de leurs nouvelles demeures. L'un et l'autre
aussi, durant les quinze jours de leur fermeture, firent leurs
répétitions dans la salle des concerts du Conservatoire (1).
Crosnier profita de ce silence forcé pour lancer à grand
nombre, dans le public, une brochure par laquelle, tout à la
fois, il faisait par avance l'éloge de la nouvelle salle Favart
et indiquait ses projets artistiques pour un prochain avenir.
Ce petit document est assez curieux et appartient à l'histoire
de l'Opéra-Comique. Voici comme il s'exprimait relativement
à la salle :
Au moment oit l'Opéra-Comique quitte la petite salle de la Bourse
pour la salle Favart, son ancien berceai", que la protection du gou-
vernement et le vote des chambres ont exclusivement consacré à la
musique française; au moment où une nouvelle ère de prospérité
s'annonce pour un genre de spectacle, d'origine nationale, aussi indis-
pensable qu'il est populaire en France, il n'est pas inutile de donner
au public quelques détails sur la construction et la disposition de la
salle, sur les ouvrages lyriques qu'on y prépare, et sur les arti3les
auxquels l'exécution en sera confiée.
La salle Favart, reconstruite sur les dessins et sons la direction
de M. Théodore Charpentier, n'a conservé de l'ancien théâtre que
les murs extérieurs. Toutes les constructions et les dispositions
intérieures sont de création nouvelle, et tout le monde reconnaîtra
que rien n'a été négligé pour rendre cette salle la plus commode,
la plus élégante et la plus riche de Paris.
Un vaste vestibule, des corridors spacieux, huit escaliers, presque
tout en pierre et en fonte, un foyer qui se prolonge sur toute la
façade du monument, rendront la circulation, l'arrivée et la sortie
faciles pour le public.
(1) Le dernier spectacle donné par l'Opéra-Comique à la place de la Bourse,
le 30 avril, comprenait la Fille du jiégime7it et le Domino noir.
:258
LE MÉNESTREL
L'entrée principale est toujours sur la place ; mais une seconde
entrée a été réservée à l'angle du boulevard et de la rae Marivaux.
Une vaste galerie, qui permettra au public d'attendre à couvert le
moment de l'ouverture des portes, offre une communication com-
mode du boulevard à la salle; au milieu de cette galerie, un salon
a été pratiqué; c'est, à la sortie, le salon d'attente pour les personnes
en voiture. Là se trouvent des sièges ; un tapis, un foyer pour
l'hiver; et aux deux extrémités sont placés les domestiques, séparés,
des maîtres par une barrière.
Le chauflfage, la ventilation et la sonorité ont été l'objet d'ua soin
tout particulier. De nombreux calorifères, sur un modèle nouveaa et
perfectionné, distribuent en hiver une t'gale chaleur dans toulen
les parties de la salle ; dans l'été, l'air froid y sera introduit en
aussi grande quantité que l'exigera la température, au moyen d'un
mécanisme ingénieux placé dans les caves et que font mouvoir plu-
sieurs chevaux : invention toute récente dont l'application aux salles
de spectacle est faite pour la première fois à la salle Favart. Une
voiite a été pratiquée sous l'orchestre, et de nouvelles mesures
propres à développer 11 aonorité ont été adoptées: dans toutes- les
parties de la salle.
La coupe intérieure de la salle et sa disposition en amphithéâtre
ont été si heureusement combinées, que àe toutes les- places on
voit également bien la scène et le publ'c, et l'espace réservé à
chaque spectateur est notablement plus grand que dans aucun
théâtre.
Le fond de la décoration est blanc et or; tous les ornements sont
en cuivre doré. Les peintures d'art ont été réservées au rideau, à la
coupole et au grand foyer public.
Presque toutes les stalles de galerie et d'orchestre sont remplacées
par des fauteuils. Quarante des meilleures loges ont chacune un
salon; ces salons, séparés des loges par des portières de velours,
sont ornés de glaces, de tapis et de divans. Un cordon de sonnette.
placé dans chaque salon évitera aux personnes qui l'occuperont la
peine de se déranger pour demander des rafraîchissements, qui leur
seront fournis par un des meilleurs cafés de Paris.
La salle est éclairée au milieu par un lustre à bougies mêlées de
globes en cristal, et dans le haut par des candélabres portés par des
enfants ailés, qui soutiennent la coupole. Un lustre et des giran-
doles à bougies éclairent le foyer, qui réunit tout ce que l'art et
le goût pouvaient rassembler d'élégance et de richesse.
Voilà pour les détails de la construction, au sujet de
laquelle uu journal, le Courrier des Théâtres, croyait devoir faire
ressortir cette particularité : «Toute la construction. intérieure
est en fer : planchers, cloisons, colonnes, fermes et supports
quelconq;^ues ; il n'y a. que le bois indispensable pour couvrir
les parties en contact avec le public, et celui que nécessite
l'équipage de la scène. U71 nouvel incendie aurait lieu que la salle
entière resterait debout. La couverture de l'édifice est an fer gai:-
vanisé. » Hélas! nous savons aujourd'hui de façon, cruelle ce
qu'on en devait penser, et l'incendie de 1887 nous l'a prouvé.
Revenons-en au «boniment » de Grosnier, avec lequel nous
n'en avons pas fini. Après avoir dit ce qu'était l'édifice, il
faisait savoir ce qu'il y comptait faire :
Le public appréciera facilement tous les soins qui ont été pris pour
lui plaire; mais l'administration de l'Opéra-Comique a compris que
là seulement ne se bornait pas la tâche qui lui était imposée ; elle a
voulu que les pièces, les artistes, l'orchestre, les chœurs et la mise
en scène fussent en harmonie avec l'éclat de sa nouvelle salle.
La composition de la troupe actuelle, à laquelle restent attachées
pour plusieurs années M°" Damoreau et M""= Garcia, présente en
artistes distingués une réunion plus brillante et plus complète qu'elle
ne le fut à aucune époque; l'orchestre et les chœurs ont été augmentés;
au nombre des artistes de l'orchestre, diriajé par M. Girard, on
compte aujourd'hui les premiers exécutants de Paris.
Presque toutes les décorations seront neuves, et l'exécution en a été
confiée à nos principaux peintres de décors.
Deux opéras nouveaux seront représentés dans les premiers jours
de l'ouvertL're : l'un, intitulé Zanetta, sera joué par M""" Damoreau
et Rossi, MM. Couderc, Mocker et Grignon ; l'autre, l'Opéra à la Cour,
sera joué par M'"'^^ Garcia et Henri Potier et MM. Ghollet, Masset,
Roger, Botelli, Henri, Ricquier. Plusieurs reprises importantes se
succéderont : le Pré avx Clercs, l'Éclair, ta Reine d'un jour, Richard
Cœur de Lion, Lestocq, la .\'eiffe,e{.c., etc. Ces reprises- viendrontenrichir
et varier le répertoire, en attendant les opéras que préparent, pour
l'hiver prochain, MM. Auber, Halévy, Adam, Donizetti, etc., etc.
Un dernier soin était imposé à l'administration : après avoir pourvu
à ce que le public fût confortablement placé, elle a songé à la conve-
nance de ne pas lui faire payer ce plaisir un prix trop élevé. Une
réduction considérable a donc eu lieu sur les prix de presque toutes
les places ; et l'augmentation du tiers en sus pour la location a été
uniformément convertie en une simple augmentation de 1 franc pour
les places importantes, et de SO centimes pour les places secondaires.
La même modération a été apportée dans la fixation des locations à
l'année.
(A suivre.)
Arthur Pougin.
SEMAINE THÉÂTRALE
LE MOIS D'AOUT ET LA MUSIQUE
Le mois d'août n'a pas toujours été aussi stérile pour la musique
qu'il l'est depuis quelques années, surtout, en ce qui concerne la
France, depuis l'extension des chemins de fer, qui dès cette époque
emportent loin de Paris la plus grande partie de sa population artiste
ou éclairée. Le mois d'août nous a légué, dans son passé, des sou-
venirs non seulement intéressants, mais parfois éclatants et glorieux,
et ce serait peut-être une histoire assez curieuse que d'en dresser, si
la chose était possible, une table complète d'éphémérides pour tous
pays au seul point de vue musical. Sans avoir cette prétention, on
peut cependant donner une idée de ce que pourrait être un travail
de ce geni-e, en groupant jour par jour un certain nombre de faits
dont quelques-uns au moins ont laissé dans l'histoire de l'art une
trace lumineuse et qui n'est pas encore près de s'éteindre. La preuve
s'en trouve dans le petit tableau qui va suivre et qui est à peine une
ébauche de ce qu'on pourrait obtenir si les documents certains, ne
faisaient trop souvent défaut.
1^'' août. — 1752. La troupe de bouffons italiens, dirigée par Manelli
et Tonelli, joue pour la première fois à l'Opéra la Serva padrona, à.s
Pergolèse, dont l'apparition donne le signal de la fameuse « guerre
des bouffons » qui occupa pendant deux années tout le Paris artiste
et lettré. Deux ans après, le 14 août 1734, la Comédie-Italienne donne,
sous le titre exact de la Servante maîtresse, une traduction de ce petit
chef-d'œuvre, qui, joué à ravir par Rochard et M"" Favart, obtient un
tel succès qu'on le joue plus de deux cents fois.
2 août. — 1774. Première représentation, à l'Opéra, de l'Or;)/;ee, de
Gluck, dont il est superflu de rappeler le succès. C'était le second
chef-d'œuvre que le grand homme offrait au public parisien, auquel
il s'était fait connaître quatre mois ainpiTa.v&nt aL\'ec Iphigéiiie en Aulide.
Les deux rôles d'Orphée et d'Eurydice étaient tenus par Legros et
Sophie Arnould. Ce fut le signal, non plus de la guerre des bouffons,
mais de la fameuse querelle dite des gluckistes et des piccinnistes.
3 août. — 1778. Inauguration du théâtre de la Scala, de Milan, par
la première représentation d'Europa riconosciuta, de Salieri. — 1829.
Première représentation, à l'Opéra, de Guillaume Tell, de Rossini, avec
Nourrit, Dabadie, Levasseur et M"'" Damoreau dans les rôles d'Arnold,
Guillaume, Walter et Mathilde. Guillaume Tell a dépassé aujourd'hui
sa 800'- représentation.
4 août. — 1783. Première représentation à. la Comédie-Italienne de
l'Amant statue, opéra-comique de d'Âlayrac.
5 août. — 1818. A la Scala, de Milan, première représentation à'U
finto Stanislao, opéra bouffe de Gyro-wetz. On sait que Verdi remit
plus tard ce poème en musique, et l'on sait aussi quel fiasco accueillit
sa partition à ce même théâtre de la Scala, lorsque l'ouvrage parut
sous ce titre : Giorno di regno.
6 août. — të'Ao. Première représeutation, à rO)iéra-Comique, des
Deu.r Reines, d'Hippolyte Monpou. — 1838. A l'Opéra, 100" de Moïse,
de Rossini.
7 août. — 18.32. Première représentation à Rome, sur le théâtre
Ârgeutiua, de Putifar, Giuseppe e Giaoobbe, « trois oratorios en un, »
de Raimondi.
8 août. — 1810. Première représentation, à l'Opéra, des Bayadères,
de Catt-I, avec un succès énorme. Les frais d'établissement de cet
ouvrage s'élevèrent à 142,379 francs, ce qui est excessif pour l'époque.
Les Baijadéres. qui obtinrent un chiffre total de 140 représentations,
étaient jouées par Nourrit père, Laforêl. Derivis et M""= Branchu.
9 août. — 18(j2. Béatrice et BéiicdicI, opéra de Berlioz, fait sa pre-
mière apparition sur le théâtre de Bade, où son succès est considérable.
10 août. — 1813. Prem.ière représentation, à l'Opéra, de Médée et
Jason, de Fonlenelle. L'auteur du poème de cet ouvrage s'appelait
Miloent, et comme la partition ne brillait pas par la fraîcheur des
LE MENESTREL
259
idées, de mauvais plaisants prétendirent que si les paroles étaient de
Milcent, la musique était de cent mille. — 1847. A l'Opéra-Comique,
première représentation de ta Cachette, àe M.Ernest Boulanger, qui,
toujours vert et vigoureux, pourra célébrer familialement, l'an pro-
chain, ce cinquantième anniversaire.
H août. — m
12 août. — 1826. Première représentation, à l'Opéra-Gomique, de
Marie, d'HeroId, l'un de ses trois cliefs-d'œuvre, dont l'existence s'est
arrêtée à 393 représentations. — 18o9. Au même théâtre, apparition
du Voyage autour de ma chambre, d'Albert Grisar.
13 août. — 1780. Au théâtre San Garlo, de Naples, première repré-
sentation à'Armida abbandonata, opéra de .Jomelli. — 1782. Au même
théâtre, Oreste, de Cimarosa. — 1783. Au mênae théâtre, Lucie Vero,
de Saoohini. — 1838. ALondres, apparition de tlie Devil's opéra (l'Opéra
du diable), de Macfarren .
14 août. — 1714. Première représentation à l'Opéra des Fêtes de
Thalie, opéra-ballet de Mouret, que se? contemporains avaient si bien
surnommé « le musicien des grâces ». — 1775. La Comédie-Italienne
offre pour la première fois à son publie laBeUe Arsène, opéra-comique
de Monsigny et l'un de ses plus charmanis ouvrages. — 1814. A la
Scala de Milan, première représentalion d' // Tureo in Italia,, opéra
houtfe de Rossini, joué par David, Galli, Pacini et la Festia-Maffei.
lo août. — ■ 1810. Au théâtre San Carlo, de Naples, première repré-
sentation de Marco Albino in Siria , opéra sérieux de Tritto.
16 août. — 1873. Première exécution avec un immense succès, à
Anvers, d'un grand oratorio de M. Peter Benoit intitulé de Oorlog (la
Guerre).
17 août. — 1822. A l'Opéra-Comique, isremière représentation du
Solitaire, de Gara fa.
C'est le solitaire,
Qui voit tout.
Qui sait tout.
Entend tout.
Est partout,
un des brillants succès de l'époque.
18 août. — 1811. Première représentation à la Scala, de Milan, de
la Casa dell'astrologo, opéra bouffe de Nicolini.
19 août. — 1819. Au théâtre San Carlo, de Naples, première repré-
sentation de l'Apoteosi d'E^xole, opéra sérieux de Mercadante.
20 août. — 1768. — A la Comédie-Italienne, première représentalion
du Uuron, opéra-comique de Grétry^ joué par Clairval, Caillot,
Laruette et M'"= Laruette. C'était le début fort heureux du compositeur,
dont le succès fut complet, à ce point que dès le lendemain même un
marchand de tabac avait pris pour enseigne le titre de sa pièce.
C'est lui-même qui le raconte dans ses Mémoires: «... Je sortis avec
mon ami; il me conduisit dans une petite rue derrière la Comédie-
Italienne; puis lu'arrêtant vis à vis d'une boutique, je vis: Au grand
Huron, N... marchand de tabac. J'entrai, j'enpris une livre, parce que je
le trouvai, comme de raison, meilleur que parlent ailleurs.» — 1828.
A l'Opéra, le Comie Ory, de Rossini, adaptaiiou, amplificalion et trans-
formation du Viaggio a Reims, opéra italien de circonstance qu'il avait
écrit à l'occasion Ju sacre de Charles X et qui avait été joué au
Théâtre-Italien, le 19 juin 182S. Le Comte Ory a atteint le chiffre res-
pectable de 373 représentations. — 18o2. Au théâtre de Bade, appa-
rition d'Erostrate, opéra de M. Ernest Reyer.
21 août. — 1827. A l'Odéon, première représentation des Deux
Figaros, opéra-comique de Carafa et Victor Tirpenne.
22 août. — 1761. Première représentation, à la Comédie-Italienne,
du Maréclial ferrant, opéra-comique en deux actes de Philidor, ouvrage
excellent, plein de verve et d'une inspiration chaude, dont le succès
éclatant se traduisit par une s-érie de 200 représentations. Le rôle
principal était joué d'une façon remarquable par l'excellent Laruette,
qui n'était pas seulement un comédien de premier ordre, mais aussi
un compositeur habile à qui l'on doit la musique d'une dizaine
d'opéras-comiques.
23 août. — 1733. A l'Opéra, première représeutalioa des Indes
galatites « ballot héroïque » de Rameau, joué par .Jélyotte, Chassé, Dun,
Tribou, M"'*Tremans, Pélissier, Petitpas et Bourbonnais. — 1790. A la
Comédie-Italienne, les Rigueurs du cloître, opéra-comique de Berton.
— 1794. A l'Opéra. Denys le tyran, maître d'école à Corinihe, de Grétry.
— 1801. Au même théâtre, les Mystères d'Tsis, adaptation, défonuation
et profanation, par les soins du nommé Lachnilh, du chef-d'œuvre de
Mozart connu depuis lors sous le titre de la Flûle enchantée. — 1837.
Al'Opéra-Comique, apparition delaDouble i?c/(eZ/e,d'Ambroise Thomas.
24 août. — 1838. Première représentalion, à l'Opéra-Comique, de
la Figurante ou l'.imour et ta Danse, premier ouvrage de Glapisson. —
1842. Au théâtre royal de Dresde, 100= représentation du Freischûts,
de 'Weber.
2-5 août. — 1846. Première exécution à Birmingham d'Élie, oratorio
de Mendelssohn. — 1848. Première audition, à l'Opéra, de l'Eden,
« mystère » en deux parties, de Félicien David. Les personnages étaient
représentés par Poultier (Adam), Alizard (Lucifer), Porléhaut (le dé-
mon de la tentation) et M'" Grimm (Eve).
26 août. — 1783. Première représentation, à l'Opéra, à'Ale:mndreaux
Indes, de Lefroid de Méreaux.
27 août. — 1848. Au même théâtre, apparition de Pygmalioii, opéra-
ballet en un acte, de Rameau. Ce charmant petit ouvrage obtint un
tel succès qu'il se maintint pendant près de quarante ans au réper-
toire et réunit un chiffre de près de 200 représentations.
28 août. — 1830. Au théâtre grand-ducal de Weimar, par les soins
et sous la direction de Liszt, première représentation de Lohengrin, de
Richard Wagner. L'auteur, on le sait, avait dû alors se réfugier
en Suisse, à la suite de la part trop active qu'il avait prise au mou-
vement révolutionnaire de Dresde et qui avait fait mettre la police à
ses trousses.
29 août.— 1786. Première représentation, à l'Opéra, de Za Toisond'or,
de Vogel.
30 août. — 18o6. A Crémone, première représentation d'i Promessi
Sposi (les Fiancés), opéra de Ponchielli, dont le livret était tiré du cé-
lèbre et délicieux roman de Mauzoni, qui porte ce titre. Ponchielli,
alors complètement obscur, était simple chef de la bande municipale
de Crémone. / Promessi Sposi était son premier ouvrage, et cet ou-
vrage, non plus que deux ou trois autres qu'il lit représenter ensuite,
n'avait pas réussi à le faire sortir de son obscurité, lorsqu'il eut la
chance de le faire accepter par le théâtre Dal Verme, qui venait de
s'ouvrir à Milan, en concurrence de la Scala. Il remania sa partition,
et ses Promessi Sposi, représentés sur le nouveau théâtre le 5 sep-
tembre 1872, obtinrent un succès éclatant qui décida de la suite de sa
carrière.— 1866. A l'Opéra-Comique, 300= représentation à'Haydée, l'ou-
vrage le plus remarquable de la dernière manière d'Auber et l'un des
plu.s intéressants de tout son répertoire.
31 août. — 1836. Dans la cathédrale de Gran, première exécution
de la messe solennelle de Liszt, connue sous le nom àe Messe de Gran,
l'une des œuvres les plus puissantes, les plus grandioses et les plus
majestueuses du maître.
Je n'ai fait ici qu'esquisser le tableau d'éphémérides dont je parlais
au début de cet article. Mais on voit, par ce simple essai d'une no-
menclature forcément bien incomplète, que le mois d'août n'a pas été,
dans le passé, l'un des moins productifs dn calendrier au point de vue
musical, et que, sous ce rapport, il tient fort honorablement sa place
dans l'histoire. Il est infiniment probable qu'il n'en sera plus tout à
fait de même à l'avenir, le chômage général des théâtres à l'époque
oîi il vient périodiquement prendre sa place dans le monde se rédui-
sant d'année en année à une portion plus congrue.
Arthur Pougin.
MUSIQUE ET PRISON
PRISONS RÉVOLUTIONNAIRES
II
(Suite)
Chez certains, cependant, le détachement de la vie ne se faisait
pas sans un retour mélancolique vers les jours heureux déjà lointains,
mais qui auraient pu avoir des lendemains ; et alors on comprend cette
belle et touchante romance qu'adressait à la bien-aimée un autre
martyr de la Conciergerie, Nicolas Montjourdain, commandant du ba-
taillon de la section Poissonnière :
Air du VauderiUe de ta Soirée orageuse.
L'heure avance où je vais mourir.
L'heure avance et la mort m'appelle;
Je n'ai point de lâche désir.
Je ne fuirai point devant elle,
Je meurs plein de foi, plein d'honneur; ^
Mais je laisse ma douce amie
Dans le veuvage et la douleur.
Ah! je dois regretter la vie.
Demain, mes yeux inanimés
Ne s'ouvriront plus sur tes charmes ;
Tes beaux yeux à l'amour fermés,
Domain seront noyés de larmes.
260
LE MENESTREL
La mort glacera cette main
Qui m'unit à ma douce amie.
Je ne vivrai plus sur ton sein.
Ah ! je dois regretter la vie.
Je revolerai près de toi
Des lieux où la vertu sommeille,
Je ferai marcher devant moi
Un songe heureux qui te réveille.
Ah 1 puisse encore la volupté
Ramener à ma douce amie
L'amour au sein de la beauté!
Je ne regrette plus la vie,
M™= Roland, l'Egérie delà Gironde, avait espéré un moment partager
les loisirs forcés que lui faisait sa détention à Sainte-Pélagie, entre
l'étude de la musique et la rédaction de ses Mémoires. Le premier jour
de son arrivée, elle avait été traitée avec une certaine déférence et
placée dans une chambre proprement meublée, où se trouvait un
piano. Mais elle avait compté sans les fameux administrateurs de la
Commune qui ne savaient qu'imaginer pour faire sentir aux détenus
le poids de leur autorité. L'un de ces iyranneaux survint au mo-
ment où M°" Roland exécutait une sonate.
— Eh quoi ! s'écria l'austère patiiote, celte fédéraliste s'amuse à un
forte-piano qui ne pourrait tenir dans une cellule. Elle s'en passera.
Et se tournant vers le concierge:
— Faites !a lemonter dès aujourd'hui dans un corridor. Vous devez
maintenir l'égalité.
La consigne fut même si sévère qu'au diie de M. .\natole France,
un certain Lecoq, domestique de M"" Roland, fut guillotiné, la
veille de la fêle de l'Etre suprême, pour avoir porté un cahier de mu-
sique à sa maîtresse dans la prison.
Mais ce farouche administrateur, que la lyre même d'Orphée n'au-
rait su attendrir, ne pouvait empêcher la vive et pétulante chanson
de réveiller les échos de Sainte-Pélagie. M°"= Roland raconte dans
ses Mémoires qu'elle entendit un soir bondir, d'étage en étage, toute
une cascade de rires et de chansons. C était la Comédie Française
qui faisait son entrée, à la suite d?s représentations tumultueuses
de Paméla, la prétendue pièce contre-révolutionnaire de François de
Neufchàteau.
Pour un esprit philosophique comme celui de M""= Roland, cette
petite scène était une forme nouvelle du Roman comique et la trouvait
plus indulgente que n'était la comtesse de Ecihm pour ses compagnes
de captivité au Plessis. A viai dire, la situation de cette dame était
des plus difficiles. Ses voisines étaient ce que l'ancien régime appe-
lait « des filles du monde », toutes plus royalistes l'une que l'autre.
Or, M""" de Bôhm avoue, qu'en ruisou sans doute de cette commu-
nauté d'affections politiques, elle se laissait volontiers attendrir par
les sollicitations de ces malheureuses toujours à court d'argent. Ces
filles achetaient alors force cognac, et, sous l'influence pénétrante
de l'alcool, elles entonnaient des chants obscènes qu'elles entrecou-
paient de fréquents vivats en l'honneur du Roi.
Tout au contraire. Rouget de Lisle faisait de l'opportunisme musical
dans sa prison. Ce fut là en effet, comme l'a si bien établi M. Tiersot,
que l'autour de la Marseillaise composa, peu de temps avant le 9 Ther-
midor, les paroles et la musique de l'Hymne à la Raison, celte idole
des Chaumette et des Hébert.
Par une coïncidence assez étrange, l'ancien maire de Strasbourg,
Diétrich, chez qui la légende nous montre Rouget de Lisle chantant
pour la première fois sa Marseillaise, t'occupe, lui aussi, de compo-
sition jusqu'à la veille de sa mort. Il écrivait alors à ses enfants sa
dernière lettre :
(1 Mon cher fils, tu recevras par la première diligence quelques
morceaux de musique gravés et tout ce que j'ai copié, arrangé et composé
de musique, le tout écrit de ma main avant ma captivité... »
Ce legs dn condamné à mort vous donne le frisson, comme cette
petite phrase, courte et sèche, que nous trouvons dans un inventaire
des « meubles et objets » laissés par les détenus du Luxembourg ;
Vacation du 25 Thermidor au 18 Fructidor an II.
A. Dubuisson, condamné : un violon et son archet, une llûte dite clarinette.
Pleyel dut à son art d'échapper au même sort. Maître de chapelle
à la cathédrale de Strasbourg avant la Révolution, il avait perdu sa
place en 1793; et, de j lus, dénoncé comme aristocrate, il avait été
arrêté dans sa maison de campagne et conduit devant la municipalité
de Strasbourg. Interrogé, il piotesta de son patriotisme tt de son
civisme.
— Bah! hah ! lui dit le maire, qui, sous l'apparence d'un ogre,
cachait une bonne ùme, nous ne to croirons que si tu composes la
musique du poème écrit par le citoyen A"^** pour célébrer l'anni-
versaire du 10 Août.
Comme on pense bien, Pleyel accepta. S'il tenait à la vie, il n'avait
pas moins conscience de son talent. On l'enferma dans la cathéirale
qui devint sa prison et on le fit garder par deux gendarmes. La vue
des cloches prises à diverses églises et suspendues au milieu de la
nef lui donna une soudaine et géniale inspiration. 11 introduisit dans
sa composition les voix lugubres du tocsin et se servit de sept cloches
do la cathédrale qui lui donnèrent les sept notes de la gamme. L'exé-
cution produisit un effet magique, tt la foule enthousiasmée voulut
poiter en triompliePleyel quij bien entendu, s'empressa de se sous-
traire à cette ovation.
La partition de cette œuvre n'a jamais été gravée; mais la famille
l'a, paraît-il, précieusement et pieusement conservée.
Tous les suspects n'eurent pas la bonne fuitane de Pleyel : bien
heureux encore furent ceux dont les fureurs de la rue respectaient la
captiviié ! Mais que defois la bête humaine déchaînée alla les insulter
jusque dans leurs cachots par ses rires, par ses menaces et par ses
chants, auxquels la haine donnait de plus sauvages intonations.
Cette scène saisissante, nous la trouvons dans le Tableau historique
de la maison Lazare et de la maison d'arrlt de la rue de Sève (Sèvres)
depuis son ouverture jusqu'au 9 Thermidor par le citoyen. . ., détenu dans
les deux maisons.
La section du Bonnet rouge donna une fête à la mémoire de Marat,
le 2 frimaire an II :
Le cortège à son retour passa sous nos fenêtres; deux forges ambulantes
étaient à la suite. Les commissaires du Comité révolutionnaire eurentgrand
soin de les faire arrêter devant nous, d'y faire forger une pique et des
chaînes, d'insulter à nos malheurs par les injures les plus atroces et la
scène se terrrina par une danse ronde provoquée par Lebrun (commissaire
de la Section) et ses compagnons, qui chantèrent la Carmagnole en nous
montrant au doigt et en criant : à la guillotine ! »
Souvent, par un de ses ceontrasles fréquents dans l'histoire de la
Révolution, à ces notes enrouées et furibondes répondaient des timbres
doux et purs On eût dit les voix des premiers chrétiens, conduits en
longues théories à l'amphithéâtre . Ce fut ainsi qu'une abbesse,
M""' de Soulanges, marcha au supplice avec plusieurs de ses reli-
gieuses. Elles entonbèrent toutes le 1 en; Creoior pendant la terrible
toilette. Elles chantaient eu montant dans la charrette ; elles chan-
taient durant le trajet de la prison à l'échafaud; elles chantaient en gra-
vissant les dernières marches, au milieu des refrains ignobles qui s'ef-
forçaient de couvrir leurs voix. Et le chœur diminuait. Il n'en resta
bientôt plus qu'une, M'"" de Soulanges, dont les lèvres murmuraient
encore l'hymne sacrée, quand le fer delà guillotine s'abaissait sursa tête.
Tous cependant ne tendaient pas avec autant de résignation leur
cou au bourreau. Lorsque, après la fête de l'Être supiême, la multi-
plicité des exécutions laissa croire qu'un nouveau « massacre des
prisons » était imminent, plusieurs détenus juièrent d'opposer la
force à la force. L'un d'eux, un défenseur officieux, nommé Cahier,
noté par le sinistre Coffiubal pour la fournée du 11 Thermidor, résu-
mait l'idée de tous dans cette romance qu'il chantait sur l'air de
Moutjourdain ; « L'heure approche où je vais mourir ».
Ouvrez, enfin, ouvrez les yeux.
Amis, Septembre recommence !
N'entendez-vous pas vers ces lieux
Le char de la mort qui s'avance"?
Dans le sang de nos compagnons
Un tyran veut noyer ses crimes;
On vient pour lui dans nos prisons
Chercher de nouvelles victimes.
(Juand des traîtres, auprès de nous,
Livraient vos noms à la vengeance,
L'aveugle mort des mêmes coups
Frappait la vieillesse et l'enfance ;
Grâce, beauté, talents, vertus,
Qui nous charmiez dans nos misères,
Douce amitié, vous n'êtes plus;
Trois jours ont dévoré vos frères.
(A suivre.)
Tremblez, juges, bourreaux, tyrans,
Vous qui déchirez ma patrie;
Et vous, mânes encor sanglants
Du vieux père de Virginie,
Levez-vous, des mêmes couteaux
Frappez et tyrans et complices;
Que les juges, que les bourreaux
Meurent de leurs propres supplices.
Paul d'Esibée.
à
LE MÉNESTREL
261
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
Sur le seuil de ce petit livre où je noterai au jour le jour mes
idées, mes impressions et mes souvenirs artistiques, je veux ins-
crire comme une dédicace votive, cette exquise, très noble et très
exacte pensée de Fromentin, qui est la glorification de l'Art :
A qui appartient notre reconnaissance? A ce qu'il y a de plus digne,
à ce qu'il y a de plus grand? Quelquefois. A ce qu'il y a de plus beau?
Toujours. Qu'est-ce donc que le beau, ce grand levier, ce grand mobile,
ce grand aimant, on dirait le seul attrait de l'histoire. Serait-il plus
près que quoi que ce soit de l'idéal, oii malgré lui, l'homme a jeté les
yeux? — Et le grand, n'estil séduisant que parce qu'il est plus aisé de
le confondre avec le beau? Il faut être très avancé en morale ou très
fort en métaphysique pour dire d'une bonne action ou d'une vérité
qu'elles sont belles. Le plus simple des hommes le dit d'une action grande.
Au fond nous n'aimons naturellement que ce qui est beau. Les imagina-
tions ij tournent, les sensibilités en sont émues, tous les cteurs s'y préci-
pitent. Si l'on cherchait bien ce dont l'humanité considérée en masse
s'éprend le plus volontiers, on verrait que ce n'est pas ce qui la touche,
ni ce qui la convainc, ni ce qui l'édifie, c'est ce qui la charme ou ce qui
l'émerveille. (Les Maîtres d'autrefois.)
On dit souvent qu'il devient de plus en plus difficile de trouver
des mélodies originales, à cause de l'énorme quantité de musique
qui a été compo.-ée depuis deux siècles et de celle qui se compose
encore quotidiennement ''ans le monde entier. Le génie lui-même
serait stérilisé le jour uh seraient épuisées toutes les combinaisDus
d'arrangement entre les sons pouvant former une mélodie, et ce
jour serait près d'arriver.
Je n'en crois rien.
Voilà, non deux cents an?, mais quatre mille ans que notre
monde existe et que des générations s'y succèdent. Pour ne parler
que du moment présent, des cntaines de millions d'êtres humains
y vivent et s'y reproduisent.
Entre eux pourtant combien jeu de ressemblances! Entre deux
d'entre eux y eut-il jamais complète identité? — A peine quelques
aspects communs à une race, à une famille! — Pourtant ce sont
toujours les mêmes éléments qui constituent ces physionomies, et
c'est toujouis dans la même disposition que se placent, en un ovale
de visage, une bouche, un nez, des yeux, des oreilles, des cheveux.
Ainsi de la mélodie et des sons relativement peu nonibreux qui
la peuvent former: — à peine quelques aspects communs à une épo-
que, à une école, à une nationalité.
C'est que ia mélodie est aussi le produit d'une c;m<20(i ; et il y a
dans la créaliuu intellectuelle, comme dans la création de tout ce
qui vit ici-bas, un mystère au-dessus de notre entendement, je ne
sais quel perpétuel renouveau dû sans doute à son origine divine
oii s'entrevoit' une parcelle d'infini.
Entendu hier le nouvel opéra de G...
Il y a là beaucoup de talent, mieux encore, un tempérament. On
n'apprend pas à donner à l'orchestre une telle vie. Le musicien
comme le peintre, naît coloiisfe; il ne le devient pas.
Le mal est qu'il y a outrance ; les eflfets pittoresques se succèdent
sans répit, souvent hors de propos.
Une situation ordinaire, une chanson, la Romance à Madame ne
comporte pas tant de moyens. Ces moyens, les voici sans action sur
nous, quand le musicien deva suivre un coup d'aile de la poésie,
donner à l'oreille l'impression du tableau qu'évoquent le décorateur,
le inetteur en scène, ou traduire avec énergie le conflit de passions
surexcitées.
En allant plus avant dans cette voie, on s'éloignerait autant des
vrais principes du drame chanté que s'en éloigna l'ancienne école
italienne si justement raillée, car il est aussi contraire à ces princi-
pes d'amuser l'auditeur par un accouplement inaitendu de timbres,
une surprise de rylhmes, ou un jeu de lumière harmonique non jus-
tifiés par les paroles, que par la séduction purement vocale d'une
mélodie en désaccord avec les sentiments à exprimer. — Esthétique-
ment, les deux procédés se valent ; il n'y a qu'un oiiPL\CEMENT
l'eureubs.
A beaucoup de ceux qui se réclament bruyamment de Gluck,
je recommande les passages suivants de la préface d'Alcesle, que je
viens de relire :
«... toujours simple et naturelle autant qu'il m'est possible, ma
musique ne tend qu'à la plus grande expression,
... J'ai cru encore que la plus grande partie de mon travail
devait se réduire à chercher une belle simplicité, et j'ai évité défaire
parade de difficultés, aux dépens de la clarté; je n'ai attaché aucun
prix à la découverte d'une nouveauté, à moins qu'elle ne fût naturelle-
ment donnée par la situation et liée à l'expression : enfin il n'y a
aucune règle que je n'ai cru devoir sacrifier de borne grâce en
faveur de l'effet. . .
... Heureusement ce poème se prêtait à mon dessein. Le célèbre
auteur à'Alceste ayant conçu un nouveau plan de drame; lyrique,
avait substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons inuLiles,
aux froides et sentencieuses moralités, des passions forte-, des situa-
tions intéressantes et un spectacle toujours varié. Le suc es a justifié
mes idées et l'approbation universelle m'a démontré que la simplicité
»l la vérité sont les grands priueipes du beau dans les productions
des Arts. »
Eh! eh!..., m'est avis que cet exposé de principes ne s'applique
pas exactement en entier aux œuvres de certains auteurs qui décla-
rent — et croient peut-être sincèrement — l'avoir pris pour règle.
Ce soir-U, on donnait à Florence le Faust de Gounod. Entre le troi-
sème et le quatrième acte, la toile s'est levée et Marguerite, en cos-
tume de conçoit, a reparu dans le jardin oîi nous venions de la lais-
ser pàuiée aux bras de sou amant. Elle s'est incliuée gracieusement,
a souri, et... a chanté le boléro des Vêpres siciliennes. — Et cela a été
un vrai délire; la foule tré,,ignait, criait, envoyait des fleurs, des
bonbons ; des colombes sont descendues du cintre; la cantatrice a é;é
aux étoiles.
a
Il doit y avoir, dans la compréhension qu'ont de la musique les
peuples étrangers, certains aspects qui nous écha; peut. Je sors d'une
belle représentation à'Otello, à Milan. — Rien à noter que tout le
monde ne sache sur le grand ténor Tamagno, qui ne déclame pas
comme nous le récit, ni sur notre compatriote Victor Maurel, dont
l'interprétation est simplement du premier ordre. Mais voici une can-
tatrice, la Pantaleoni, que Verdi a choisie entre toutes, en Italie, pour
persomifier De.'démone. Son talent de tragédienne lyrique n'est que
distingué ; sa beauté n'a rien de remarquable ; sa voix est ordinaire, et
elle a souvent, très souvent, des intonations plus que douteuses qui
gâtent le plaisir ou l'émotion qu'on va éprouver. A coup sûr Verdi
a-t-il eu une intention, avec la ceititude de la réaliser. Cette inten-
tion, quelle est-elle? et qu'a donc cette artiste de supérieur, que nous
ne sentiers pas ?
X
X X
Beaucoup do musiciens, même parmi les plus instruits, apprécient
injustement bien des œuvres du temps passé, surtout celles de la
génération qui les a immédiatement précédés. C'est qu'ils ne savent
pas s'abstraire des formules dont la mode a revêtu, de-ci de-là, les
productions de diverses époques. Us ressemblent à des gens qui ce
sauraient pas distinguer une jolie femme, si elle portait le fourreau
du Consulat, les manches à gigot de la Restauration, les capotes de la
monarchie de Juillet, ou les crinolines du second Empire.
Une plaisante histoire que m'a contée M.... C'était à Marseille, en
1^4.^ — Liszt donnait un concert au Grand-Théâtre; la salle était
bondée de spectateurs ; l'orchestre s'élageait au fond de la scène, sur
une estrade au pied de laquelle beaucoup d'artistes et d'amuteurs
avaient pris place.
Le programme comprenait, entre autres attractions, le Concerlstuck
de Weber et la Truite de Schubert, transcrite p&f Stephen Heller.
Pour l'un de ces morceaux — je ne sais plus lequel — Liszt voulut
avoir le texte sous les yeux.
Il met le cahier sur le pupitre, et fait signe au premier violon de
l'orchestre de venir lui tourner la page. Soit désir de ne pas aban-
donner sa partie, soit ennui de se produire ainsi, l'artiste feint de ne
rien voir. Deux ou trois fois, Liszt renouvelle son manège ; personne
ne bouge. Tout à coup, un chet de musique d'infanterie de ligne qui,
d'aventure, se trouvait là et avait vu le geste, quitte le groupe des
musiciens, et, moins timide que les pékin.s, se diiige vers le piano. Il
est de haute stature, en uniforme, et se dandine. Liszt flaire un naît
et une bonne occasion de faire un effet. Il se dresse, va à la rencontre
de son sauveur et lui serre les mains à plusieurs reprises. Elonne-
ment du public.
262
LE MÉNESTREL
Liszt invite le militaire à s'asseoir le premier; celui-ci n'ea veut
rien faire ; lutte de courtoisie. Hilarité générale.
Cependant Liszt parait vaincu dans ce tournoi. Il se rassied et joue
avec sa verve ordinaire. Le morceau fini, les applaudissements écla-
tent ; on acclame le pandour cht piano, et des iouqueLs pleuvant sur la
scène.
Alors Liszt saisit le plus gros de ces bouquets et l'offre avec mille
simagrées au tourneur de pages. Celui-ci se défend, Liszt le presse
et tout le moude s'esclaffe de rire. La scène pourtant menace de se
prolonger, quand le soldat tire son sabre, coupe en deux le bouquet,
en remet la moitié à Liszt, et, triomphant, emporte l'autre !
E tum Irovato, è vero !
« a
Ce soir-là, nous dînâmes à la villa Médicis. M. et M"" Hébert nous
accueillirent avec une exquise bonne grâce, et le maître devint élo-
quent en nous parlant de Rome, de sa poésie suggestive. Parmi les
convives, unjeuuemusicienD , les cheveux taillés àla Britannicus.
Gomme tous les prix de Romefraîchement couronnés, celui-ci en était
à cette période d'heureuse griserie oii on croit avoir reçu le sacre du
génie. Hugues, le statuaire, me confiait récemment avoir eu, lui
aussi, cette maladie, et en avoir goéri, à son retour à Paris, après
quelques années de travail et de luttes. D disait souffrir d'une
migraine obstinée et laissait tomber de ses lèvres des jugements sans
appel. Il voulait bien estimer Saint-Saëns, et pensait qu'un seul opéra,
Tristan et Iseult — qu'il m'avoua d'ailleurs n'avoir jamais entendu, —
valait d'être écoulé. Quanta Brahms, dont je parlai avec admiration,
il déclara tout net n'en rien connaître. — 0 gioventu, fior délia vital.
Joué et rejoué cette semaine, la Fantaisie chromatique et divers
numéros de Kibistler Fugue. Non, jamais, je n'ai rencontré harmonies
plus hardies, plus géniales, plus belles! Et quelle force de déduction!
quelle solide structure! L'ami M... a bien raison de dire que nous
appartenons, lui et moi, à l'Eglise de Notre Saint-Père le... Bach!
Je me suis souvent demandé pou'quoi l'étude du contrepoint ne
précède pas l'étude de l'harmonie, au lieu de la suivre.
Il semblerait logique d'enfermer tout d'abord l'élève dans les limites
étroites et sévères des cinq espèces du contrepoint simple, sinon du
contrepoint fleuri, à 2, 3, 4 parties, et même au delà, avant d'aborder
les licences et les raffinements de notre harmonie moderne. — Tel
un navire en construction qu'on étaie d'abord, sur son berceau, et
dont on enlève successivement les soutiens avant de le laisser glisser
dans la mer.
En débutant par le contrepoint, l'élève apprendrait à écrire d'abord
à deux paj-ties avec la plus rigide pureté, — ce que ne font pas tou-
jours sans quelque embarras, des musiciens ayant épuisé leur cours
complet d'harmonie. Il acquerrait dès le principe à l'école, le senti-
ment des successions saines, des relations justes, c'est-à-dire, une
base très pure de style. Rien ne laisse plus de traces que l'enseigne-
ment donné au premier âge.
L'harmonie, avec ses dissonances, ses altérations, ses fausses
relations aujourd'hui tolérées, serait la suite naturelle de cette étude,
le rigorisDûe des premières règles se relâchant peu à peu, et le
coloris, aux nuances si variées et si expressives de notre palette
harmonique étant abordé après le dessin au contour très précis, un
peu marmoréen du contrepoint.
En tout cas, ce serait à tenter comme procédé pédagogique.
(A suivre.) A. Montaux.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
M"= Sibyl Sanderson a signé avec l'Opéra Impérial de Yienno un en-
gagement, aux termes duquel elle doit donner, dans le courant de la pro-
chaine saison théâtrale, une série de représentations. Esclarmonde sera
montée à son intention par la direction.
— Malgré la saison estivale les théâtres des petites capitales allemandes
ne chôment pas tous et risquent même des premières. C'est ainsi que le
théâtre de Darmstadt vient de jouer, non sans succès, un nouvel opéra-
comique intitulé Don Alvaro le capitaine de Zukimea, paroles de M. A. Duroy,
musique de M. Fritz Baselt et qu'un nouvel opéra intitulé RiscuUo, paroles
de M. Joseph Kellerer, musique de M, Otto Goetze a été représenté avec
heaucoup de succès au théâtre de la cour de Soudftrshausen.
— Un nouveau « musée des costumes » sera ouvert prochainement à
Berlin. C'est la célèbre collection du baron Lipperheide qui va être ren-
due publique. Cette collection con tient plus de huit cents tableaux et pein-
tures qui ont de l'importance pour l'histoire et renferme une grande
quantité de gravures et de livres qui s'y rattachent également. C'est la
collection la plus complète de ce genre qu'on connaisse et les théâtres de
Berlin se réjouissent déjà de pouvoir dorénavant puiser à volonté à cette
source.
— Le roi de Wurtemberg vient de conférer à M™" Gosima Wagner la
médaille d'or de l'ordre de la Couronne de Wurtemberg.
— On nous écrit de Bayreuth que la chanteuse suédoise M"° Ellen Gul-
branson a remporté un succès éclatant et absolument inattendu dans le
rôle de la ValUyrie. Les amateurs, qui ont assisté à la première représenta-
tion de la Valkyrie en 1876, prétendent que M"" Gulbranson n'a pas été in-
férieure à M»" Materna, telle que celle-ci était il y a vingt ans. Cette
louange n'est pas mince, car M'"' Materna, douée d'un grand talent d'imi-
tation, avait parfaitement reflété toutes les intentions de Richard Wagner
qui s'était donné la peine de travailler avec sa Valkyrie le rôle entier
jusque dans ses moindres détails. Pas une note, pas un mouvement qui
n'avait été approuvé parle maître. Espérons qu'on n'exagère pas le mérite
de W' Gulbranson.
— L'installation du musée Wagner à Eisenach est enfin terminé. C'est
la classification de la bibliothèque qui a demandé le plus de temps et de
peine. Elle contient l'ensemble complet de toute la littérature wagnérienne,
montant, comme on sait, aune somme énorme d'ouvrages de toutes sortes,
plus toutes les œuvres du maître, en partitions, — parmi lesquelles de
très précieux autographes, — les réductions pour piano, ses écrits sur la
musique. Cette bibliothèque occupe tout le premier étage du vaste immeu-
ble où le musée est installé. Au rez-de-chaussée, à coté de la chambre à
coucher et du cabinet de travail du poète Reuter, qui doivent rester intacts,
se trouve le restant des collections du musée Wagner. On y trouve les
portraits-médaillons, bustes du compositeur, des efBgies des membres de
sa famille, de ses amis, des principaux interprètes de ses œuvres dans le
costume de leur rôle, des tableaux et gravures représentant des scènes
extraites de ses drames lyriques, une vaste collection d'autographes. Le
public sera incessamment admis à visiter le musée.
— Dame Marthe Schwerdtlein, la voisine mûre de Marguerite, que Famt
a rendue célèbre un peu partout, est en train de défrayer les journaux
allemands à une époque de l'année oii le service d'informations autbeii--
tiques tarit ordinairement. Un journal de Berlin alancé le premier la grosse
nouvelle que le docteur Neckiscb aurait découvert, dans une église de
Padoue, le tombeau du cavalier Scbwerdtlein, époux deladitedame Marthe,
à laquelle ce bon diable de Méphistophélès rapporte fidèlement les der-
nières salutations du défunt. Plusieurs journaux allemands, qui ont eu tort
d'oublier qu'en allemand Schwerdtlein signifie petite épée et Neckisch mau-
vais plaisant, sont tombés dans le piège tendu à la naïveté de leurs rédac-
teurs et ont très sérieusement reproduit la nouvelle étonnante. Mais
finalement un journal plus avisé a attaché le grelot à cette plaisanterie et
voilà que les journaux qui se sont laissé duper prétendent qu'ils n'avaient
parlé du tombeau du sieur Schwerdtlein que pour amuser leurs lecteurs et
qu'ils étaient dans le secret de la plaisanterie. D'où plusieurs polémiques
assez vives dans la presse allemande. On voit par là plus clairement que
par le thermomètre que la canicule sévit.
— De l'Écho musical, de Bruxelles :
« Les journaux ont parlé d'un grand festival musical à organiser l'an
prochain sur la Grand' Place. On y exécuterait la Rubens Cantate de Benoit,
avec les chœurs placés sur une estrade devant la Maison du Roi, et des
trompettes postées dans la cour de l'Hùtei de Ville, ce qui sera d'un effet
« prodigieux ». Le projet qui est, paraît-il, à l'étuda à l'Hôtel de Ville, est
certainement fort heureux. On a trop rarement l'occasion d'applaudir les
admirables fresques symphoniques de Peter Benoit, dont les proportions
monumentales et le caractère particulièrement solennel et grandiose s'ac-
commodent mieux du plein air que des étroites salies de concert dont nous
disposons. Mais l'effet « prodigieux » des trompettes dans la tour nous
laisse rêveur. Gomment fera-t-on pour compenser, au point de vue de
l'auditeur placé sur le plancher des vaches, le retard causé à la sonorité
de ces instruments par leur éloignement relativement à l'orchestre et aux
chœurs groupés sur la place? On fera bien de se montrer prudent, l'acous-
tique ayant déjà joué do mauvais tours dans celles qui encadrent la Grand'-
Place... »
— Le brillant festival de musique du 19 juillet à Bruxelles, avait donné
lieu à l'impression d'une brochure indiquant, avec les titres et les direc-
teurs des sociétés participantes, les lieux et heures de leurs exécutions res-
pectives, avec les auteurs et les titres des morceaux au programme. Ces
derniers portent parfois des intitulés tout à fait imprévus. Nous sommes
restés rêveurs devant les Souvenirs de ma première jeunesse, la Grotte de Cyprès
(probablement situé dans une « forêt de basaltes »), l'Ombre delà nuil, polka
(sinistre, ce titre, pour une danse!) V Eau douce, fantaisie (!), le Secret d'un
co/j're-fort (1!) et enfin cette perle, qui sygthétise avec une concision mer-
veilleuse la coquille typographique et la mauvaise rédaction : opéra sur
Lucie de la Mer Moor (si au moins il y avait : de la Mer Morte?)'.'.'.
LE MÉNESTREL
263
Du journal l'Ilalie : o Quand les directeurs de théâtres populaires se
mettent à se faire concurrence dans l'abaissement des prix,., ils ne s'arrê-
tent plus. Nous avions déjà au Costanzi la comédie avec loges à S francs
et au Manzoni le drame à 2 francs la loge. M. Destefani nous donne au
Girco Reale l'opéra à 50 centimes! C'est pour rien ! Et ce serait invraisem-
blable si ce n'était vrai. Dimanche, pour la reprise de la Lucia de Donizetti
on payait 1 fr. SO les fauteuils d'orchestre numérotés, 1 franc le parterre
(entrée comprise), et bO centimes l'amphitéàtre. Il est difficile de dire
qu'un spectacle à si bas prix a grande valeur, mais M"" Fornari a prouvé
avec son filet de voix qu'elle sait chanter; le ténor Prati amis de l'expres-
sion dans les belles mélodies de Donizetti, et la basse AUegri a bien tenu
son rôle. Quant à M. Molajoli, le chef d'orchestre, il a pu retenir son
monde dans la mesure. C'est tout ce qu'on pouvait demander pour .50 cen-
times. Aussi le succès a-t-il été assez grand pour obliger, hier soir, la
direction à donner une seconde représentation de la Lucia. Beaucoup de
monde encore. Tant mieux. On ne saurait trop encourager l'opéra à bon
marché. On est sûr, au moins, d'avance d'en avoir pour son argent. »
— Au cirque Colon, de Madrid, on vient de représenter une zarzuela
nouvelle de MM. Jimenez Prieto et Valverde, intitulée los Coraceros. La
pièce gracieuse et la musique aimable ont été, plusieurs fois, l'objet des
applaudissements du public de la première représentation.
— Un petit orchestre composé d'instrumentsà cordes a été formé à New-
York par seiza dames sous le nom « Ladies String Orchestra Society. » Il
sera dirigé par M. Charles de Lachmund et donnera des concerts avec le
concours de virtuoses célèbres. Les frais de la première saison sont déjà
couverts par des souscriptions.
— Les législateurs américains, dont l'originalité fait quelquefois rêver
leurs confrères européens, viennent de s'occuper d'une grave question qui
a été résolue à l'Opéra impérial de Vienne par un arrêté du surintendant
général et dans plusieurs théâtres allemands par des décrets de police,
mais qui se trouve ailleurs encore fort problématique. C'est la question
irritante des chapeaux de dames au théâtre. A la Chambre de l'Etat de
Louisiane, le gouvernement avait déposé un projet de loi, dit des hauts
chapeaux de dames (high hat Mit), qui devait interdire aux dames le port de
chapeaux au théâtre, pour permettre aux malheureux spectateurs de voir
ce qui se passe sur la scène. Un sénateur galant, M. b'enner — nous
sommes étonnés qu'il ne porte pas un de ces vieux noms français encore
si fréquents en Louisiane — est intervenu en faveur des dames et a
réussi, après un discours brillant fréquemment souligné aux tribunes par
de petites mains finement gantées, à faire accepter un amendement auto-
risant le port d'aigrettes et de « chapeaux d'opéra féminins » dans les
théâtres. Or, il y a aigrettes et aigrettes comme il y a fagots et fagots, et
on verra sans doute, à l'Opéra de la Nouvelle-Orléans, mainte aigrette
ressemblant au légendaire plumet des tambours-majors de la vieille garde
impériale. Mais ce qui fait dès à présent la joie des hommes de loi à la
Nouvelle-Orléans, c'est le texte qui admet « le chapeau d'opéra féminin », car
ils prévoient une série interminable de procès à ce sujet. Un journal de
la Louisiane n'a pas manqué de faire une enquête chez les grandes mo-
distes de la Nouvelle-Orléans et est arrivé à formuler la définition suivante:
Un 8 chapeau d'opéra féminin » est un chapeau qui s'adapte strictement
à la tête d'une femme et n'a pas de bord (brim), mais qui peut être décoré
selon la fantaisie de la dame qui le porte, de sorte qu'il peut avoir l'élé-
vation d'un chapeau du type dit Marie-Antoinette. Cette communis opinio
des experts rend la nouvelle loi complètement ihusoire ; on verra une vraie
guerre des dames avec les commissaires de police chargés de constater les
excès des « chapeaux féminins » dans les théâtres, et les procès les plus
savoureux vont égayer les habitants de la Nouvelle-Orléans. En attendant,
le galant auteur de l'amendement Fenner a reçu un bouquet énorme de
fleurs artificielles offert par les modistes de la Nouvelle-Orléans.
PARIS ET DEPARTEMENTS
L'Opéra-Gomique ne rouvrira ses portes que le IS septembre au lieu
du 1"'. La cause de ce retard provient des travaux de réfection que l'on a
été obligé de faire sur la scène et surtout dans la salle. On avait tout
d'abord voulu réparer les deux escaliers du public, mais, au cours des ré-
parations, on s'est aperçu qu'il fallait refaire en entier ces deux escaliers.
Malgré touie la diligence de l'architecte de la Ville, M. Auburtin, il a été
impossible de terminer plus loties travaux, mais on est certain d'être prêt
pour le 1.5.
— Nos directeurs de théâtres subventionnés voyagent. M. Bertrand est
rentré à Paris, vendredi dernier, revenant de Bayreuth où il avait été voir
les Maîtres chanteurs, et M. Carvalho, après la saison qu'il fait en ce moment
à Contrexéville, se rendra à Munich où il verra représenter Don Juan, re-
présenté dans sa version originale.
— L'Opéra a joué 14 fois dans le courant de juillet 1896 et encaissé
230.355 francs, ce qui donne le chiffre de 16.453 francs par représentation.
— M"« Guiraudon, premier prix d'opéra et d'opéra-comique aux derniers
concours du Conservatoire, est engagée à l'Opéra-Comique, ainsi que
M. Gresse fils. A l'Opéra, on prendra, parmi les lauréats, MM. Sizes et
Beyle.
— Le ministre des beaux-arts a demandé, selon l'usage, à l'administra-
teur de la Comédie-Française, s'il était dans l'intention d'engager un des
lauréats du Gonserv'atoire de cette année. On sait qu'en effet la Comédie-
Française a le droit de préemption. M. Claretie a répondu qu'il n'engage-
rait personne cette année tout en réservant pour l'avenir le droit de la
Comédie.
— D'autre part, MM. Ginisty et Antoine ont fait dire que eux aussi n'en-
gageraient aucun lauréat, en dehors de ceux qui leur seraient imposés par
la direction des Beaux-Arts.
— Enfin, on annonce les engagements de M'i= Maille, à la Porte-Saint-
Martin, et de M"" Nady, à la Monnaie de Bruxelles.
— Mardi dernier a eu lieu à la direction des Beaux-Arts, ainsi que
nous l'avions annoncé, la mise en adjudication des travaux de couverture
du nouvel Opéra-Comique. Couverture! Serait-ce donc déjà la fin des tra-
vaux? Quoi qu'il en soit, les travaux semblent avancer pour le moment, et
la grande bâtisse commence à prendre tournure, tout au moins dans les
parties en bordure des rues Favart et Marivaux, où les murs ont atteint la
hauteur du toit. La façade est beaucoup moins avancée. On dit que la
toiture pourra être terminée à la fin de la présente année 1896 et qu'alors,
on s'occuperait des travaux intérieurs.
— M. Camille Saint-Saëns vient de terminer la partition de ballet qu'il
a écrite sur un livret de M. J.-L. Croze. L'ouvrage, qui s'appellera défini-
tivement Javotte, comporte trois tableaux, et la représentation, entr'actes
compris, ne durera pas plus d'une heure. Javotte passera, comme nous
l'avons dit déjà, à Bruxelles, à la Monnaie, fin octobre ou commencement
de novembre.
— Tout Paris s'agite depuis que l'arrivée en France du tsar Nicolas II
est officielle et, bien entendu, le monde musical est loin de rester indiffé-
rent au mouvement général. M. Joncières, interwievé par un de nos con-
frères de la Patrie qui nous en donne la nouve,lle, va proposer au comité
de la Société des compositeurs de mettre au concours un morceau destiné
à fêter la présence du souverain russe. Il est aussi fort probable que la
gouvernement offrira à Sa Majesté une soirée de gala à l'Opéra et, dans ce
cas, nous ne pouvons que nous ranger à l'opinion du Figaro qui trouve
qu'il serait désirable qu'on fit exclusivement choix, pour cette solennité
des ouvrages français. Ambroise Thomas, Gounod, Massenet, Reyer, Saint-
Saëns, Delibes, Widor et Vidal sont au répertoire avec Hamlet, Faust,
Roméo et Juliette, Tliàis, Sigurd, Salammbô, Samson et Dalila, Coppélia, la Kor-
rigane et la Ualadetta. A\ec de tels éléments, il semble absolumentpossible
de composer un spectacle qui ne doive rien à l'art étranger.
— M"' Marie Van Zandt donnera, dans le courant du mois de février pro-
chain, une série de représentations au théâtre de Monte-Carlo.
— M. Grisier vient d'engager M. Nerval comme régisseur général des
Bouffes-Parisiens et des Menus-Plaisirs. C'est là un très excellent choix,
M. Nerval ayant fait amplement ses preuves sur les scènes les plus im-
portantes de la province.
— Le Jacques Cullot que MM. Henri Gain et Adenis frères feront repré-
senter dès la rentrée, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, contient une
partie musicale confiée à M. Le Rey. M. Le Rey a déjà fait représenter, au
théâtre des Arts de Rouen, plusieurs ouvrages dont le dernier en date est
la Mégère apprivoisée.
— Le successeur du regretté Salomé, à l'orgue du chœur de la Trinité,
est M. Claude Terrasse, maître de chapelle et organiste de RR. PP. Do-
minicains d'Arcachon. Comme M. Lacroix, récemment appelé au grand
orgue de Saint-Merry, M. Terrasse, qui est un parfait musicien, s'est sou-
vent fait remarquer aux; auditions d'élèves de M. Gigout. Une autre très
intéressante élève de l'école d'orgue de M. Gigout, M"" Germaine Moutier,
vient de se faire entendre avec un vif succès dans une séance à la cathé-
drale de Bayeux, sur un des beaux instruments de Cavaillé-CoU.
— Dimanche 2 courant, a eu lieu au théâtre des Batignolles, sous la
présidence de M. Beurdeley, maire du VIII= arrondissement, la distribution
des prix de l'Ecole Classique de la rue de Berlin. M. Chavagnat, direc-
teur de l'Ecole, a fait ressortir, dans une allocution, l'utilité incontestable
de cet établissement qui, en dehors de la modicité du prix de ses cours,
instruit gratuitement et sans aucune subvention, plus de 60 boursiers,
admis chaque année au concours. Après avoir cité les noms de quelques
élèves de l'Ecole, engagés à l'Opéra-Comique, à l'Ambigu, à la Porte-
Saint-Martin, etc., M. Chavagnat a remercié en termes chaleureux toutes
les personnes qui ont bien voulu jusqu'ici prêter leur précieux appui à
cette œuvre à la fois artistique et philanthropique. M. Beurdeley a en-
suite pns la parole et a félicité chaudement le directeur de l'Ecole Clas-
sique et ses collaborateurs d'avoir pu, en si peu de temps (6 ans à peine),
sans subvention, obtenir d'aussi importants résultats. Il a ajouté que le
moment lui paraissait venu, pour l'Etat ou la Ville de Paris, de s'intéresser
à une œuvre appelée a rendre les plus grands services. Après la procla-
mation des récompenses, qui ne comprenait pas moins de "S lauréats, les
principaux d'entre eux, tant pour la musique que pour la déclamation, se
sont fait entendre avec un très vif succès dans un concert des plus inté-
ressants.
2t)4
LE MENESTREL
— Le Festival de l'Exposition de Rouen consacré aux œuvres de Ben-
jamin Godard et à celle de M'"= de Grandval, présente, a complètement
réussi. M°"= Schmith, M. Paul Séguy et l'excellent orchestre de M. Bru-
ment, ont eu une large part du succès.
— Marseille, va parait-il, avoir durant la prochaine saison théâtrale, un
Opéra italien, qui s'installera, vraisemblablement, dans la salle de l'Al-
hambra, et compte jouer, concurremment avec le Grand Théâtre, pendant
les mois d'hiver.
— La Semaine musicale de Lille nous apprend que M. Lamnureux, à la
tête de son orchestre, ira donner le samedi 14 novembre prochain, à huit
heures du soir, un grand concert à l'Hippodrome de Lille.
— A l'église de Cabourg, M. Paul Seguy, s'est fait entendre dans le
Pater Noster, de Niedermeyer, le Credo, de Dumont, et VO Sahdaris, de
J. Faure et a produit une grande impression. Le même artiste a prêté son
brillant concours au concert au bénéBce des artistes du casino d'Houl-
gate : les Trois Soldats, de J. Faure, et quelques vieilles chansons ont été
acclamés.
NÉCROLOGIE
Un accident de mise en pages nous a empêchés d'annoncer, dimanche
dernier, la mort du pauvre Hippolyte Lionnet, qui, comme on pouvait s'y
attendre n'a survécu que peu de jours à son frère. Après une existe.ice
intéressante, dans laquelle l'amour de l'art et le dévouement à son prochain
ont tenu !a place la plus importante, ces deux frères, qui ne s'étaient
jamais séparés, reposent l'un auprès de l'autre dans une tombe commune.
Ils laissent à tous ceux qui les ont connus le souvenir de deux braves
gens qui n'ont pas été tout à fait inutiles, et à qui les amateurs d'un art
secondaire sans doute, mais aimable et délicat, ont du d'agréables jouis-
sances. C'étaient deux braves cœurs, chez qui la bonté s'unissait au talent.
On sait qu'ils ont laissé sous ce titre : Souvenirs et Anecdotes (Ollendorff,
18S8, in-12), un petit volume qui ne manque ni d'intérêt ni de renseigne-
ments curieux. A. P.
— A Orsay est morte, cette semaine, dans un âge avancé, une femme
distinguée, d'origine étrangère, qui s'était fait remarquer par l'élégance et
la facilité avec laquelle elle maniait la langue française. M"'° Camille Sel-
den, qui dans sa jeunesse avait vécu dans l'intimité de Henri Heine,
avait publié divers ouvrages parmi lesquels un roman intitulé Daniel
Vlaihj, histoire d'un musicien, et une Étude sur Mindclssohn.
— Nous avons à enregistrer la mort à Paris d'un pasteur qui s'est fait
remarquer par plus'.eurs ouvrages solides sur le protestantisme français,
Emmanuel Orentin Douen, qui était né à Templeux-le-Guérard (Somme),
le 2 juin 1830. L'un des plus importants de ces ouvrages est un livre
intitulé Clément Marot et le Psautier huguenot (Paris, 1878, 2 vol. in-8°), devenu
rare aujourd'hui.
Henri Heugel, directeur-gérant.
PIANO Erard demi-queue à vendre dans de bonnes conditions. —
S'adresser aux bureaux du journal.
En vente AU MÉNESTREL, 2^'^, rue Vivienne, HEUGEL et C'% éditeurs-propriétaires pour tous pays.
CH. NEUSTEDT
BLUETTES MUSICALES
SOLOS DE CONCOURS
(faciles)
1 . Gavotte du Bon 'Vieus Temps 3
2. Andantino de Sonatine 3
3. Menuet d'Eofants 3
4. Deuxième Thème varié 3
g. Kondo brillant • • 3
6. Chasse à courre 3
7. Simple Chanson 3
8. Menuet du Petit Trianon 3
9. Chanson hongroise 3
10. Souvenir d'Enfance 3
11. Rondo de Sonatine 3
12. Ronde de Nuit 3
13. Berceuse de Bébé 3
14. Les Cloches du Couvent 3
15. Tyrolienne variée 3
16. Rondo villageois 3
17. Petite Peureuse 3
18 . Pavane Pompadour 3
• 19. Canzonetta 3
20. Chanson de Chasse 3
TRANSCRIPTIONS CLASSIQUES
1. Romance de Wèber 3 7o
2. Sonatine do Beethoven 6 »
3. Les Saisons de Haydn 5 »
4. La Romanesca 4 bfl
5. Andante de Mozart 6 »
G. AUegro-Agitato de Me.ndelssoiin 6 »
7. Chaconae de Haendel S »
COURS DE PIANO
ELEMENTAIRE ET PROGRESSIF
1. Méthode de Piano 12
2. Récréations classiques et six Études 9
3. Gymnastique d;s Pianistes 9
4. Le Progrès (vingt-cinq études pour les pctiles mains) 12
b. Vingt-cinq Etudes de Mécanisme 12
6. Vingt-cinq Etudes de Vélocité Ig
7. Vingt-cinq Etudes Variations classiques 12
8. Préludçs Improvisations (!*' Livre) 6
9. Préludes Improvisations '2' Livre) g
PIECES MUSICALES
SOLOS DE CONCOURS
(faciles)
1. Gavotte de la Grand'maman 3
2. Adagietto 3
3. Minuettino 3
4. Mascarade 3
b. Les Arlequins 3
6. Les Polichinelles 3
7. Les Colombines 3
8. Les Pierrettes 3
9. Choral 3
10. Dimanche , 3
1 1 . Chanson Vénitienne 3
12. Les Binious : 3
13. Berceuse 3
14. Valse Expressive 3
i5. Havanaise »
16. Conte d'Enfant 3
17. Rondinetto 3
18. Petite Rêverie 3
19. Pastorale 3
20. Mélodie Espagnole , 3
PENSÉES MUSICALES
1. Pavane
2. Chanson d'autrefois.
3. Sérénade espagnole .
i. Gigue.
5. Simple Mélodie b
6. Chaconne b
Conceitino (Solo de Concours) 5
Sonatine d" S
Thème varié d" b
Première Rêverie 5
Deuxième Nocturne S
Primavera {l" Idylle) b
Fête des fiançailles b
La Ballerina (Air de ballet) b
Harpe éolienne 6
Carillon de Louis XIV b
u » à quatre mains 7
B » Orchestre complet net 2
Pavane, Orchestre net 2
Romance de Gaiiat E>
Marche de Rakocsy S
)i » à quatre mains 7
Fantaisie sur Obéron 7
Fantaisie sur Sylcana 7
ihphiheiue CEniLUE DES cnEnns de fbr. — mpRiMEiuE eaux, i
E, !0.
3443. — 62"
— I\° 34.
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(Les Bureaux, 2 bis, me Vivienne)
(Les maiiuicrils doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou nou, ils ne sont pas rendus aux auLeur^.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉ^A^TKES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Tente et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 l'r., Paris et Province. — Pour l'Étrr.iiger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEITE
J. La première salle Favart et lOpéra-Comique, 4" partie (15* et dernier article),
Arthur Pougin. — II. Semaine théâtrale : Autour d'une traduction, H. M. —
III. Musique et prisons (14" article) : Prisons révolutionnaires, Paul d'Estrée.
— IV. Journal d'un musicien (2* article), A. Montaux. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour:
SÉRÉNADE FLORENTINE
mélodie d'EnNEST Moret, poésie de J. Lahor. — Suivra immédiatement :
Atlente, mélodie de Cesare G.aleotti, poésie de M. de Moruna.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : Pastorale, de Ch. Grisart. — Suivra immédiatement : Femmes et
Fleurs, de Paul Wachs.
LA PREMIÈRE SALLE FAVART
ET
L'OPÉRA-COMIQUE
1801-1S38
QUATRIEME PARTIE
II
(Suite et fin.)
Cependant, les derniers travaux louchaient à leur fin. Le
vendredi 8 mai, l'Opéra-Gomique affichait, pour la première
fois depuis sa fermeture à la place de la Bourse, et il annon-
çait sa réouverture et l'inauguration de la nouvelle salle
pour le lundi 11. Mais tout n'était pas encore prêt, et l'on dut
informer le public que la solennité était remise au 14. C'est
la veille de ce jour, le mercredi 13, que le préfet de police
faisait au théâtre sa visite administrative et que, après un
examen minutieux, il recevait officiellemeni, la salle, qui,
dès lors, pouvait appeler à elle les spectateurs. Ce n'est
pourtant que le samedi 16, qu'eut enfin lieu l'inauguration.
Elle se fit par une représentation du Pré aux Clercs, donnée au
profit des pauvres du deuxième arrondissement, qui était
alors celui dont dépendait l'Opéra-Comique, Chose assez sin-
gulière : malgré une fermeture qui durant quinze jours avait
privé le public d'un théâtre qu'il a toujours eu en grande
affection, malgré l'attrait que pouvait lui offrir la vue d'une
nouvelle salle, celle-ci était peu garnie à cette représentation
d'ouverture. On pourrait croire avec quelque raison que
l'élévation excessive du prix des places, qui avait été mala-
droitement doublé pour la circonstance, avait refroidi l'em-
pressement de nombre de spectateurs; mais le lendemain,
qui pourtant était un dimanche, et où les prix étaient rétablis
à leur cours normal, ne fut pas plus heureux. C'est un
journal spécial, le Moniteur des Th/Mlres, qui nous le fait savoir
en ces termes :
La représentation d'ouveituie de la salle Favart a eu lieu samedi
par lePré aux Clercs. Lareprésentation était au bénéfice des indigents
du deuxième arrondissement. Elle n'a pas attiré autant de specta-
teurs qu'on l'espérait, mais elle n'en a pas moins été remarquable.
On a applaudi généralement au choix de l'œuvre d'Herold pour inau-
gurer le nouveau temple que possède aujourd'hui la capitale (1).
Dimanche, le spectacle se composait de la Perruche, cette amusante
folie dans laquelle ChoUet et M"° Prévost savent occuper la scène
avec tant d'esprit et de bonheur, et de Caiiine. Bien que ce spectacle
fut attrayant, il y avait peu de monde dans la salle.
Toutefois, le public ne se fit pas longtemps prier pour re-
prendre le chemin de la salle Favart et de l'Opéra-Gomique,
de cet Opéra-Comique qui lui était cher et qu'il retrouvait
enfin dans un théâtre et dans un milieu dignes de lui, après
l'avoir vu exilé successivement à Feydeau, puis à Ventadour,
puis à la Bourse, tandis que la salle qui avait été construite
pour lui soixante ans auparavant avait abrité tour à tour l'Opéra,
l'Odéon, le Théâtre-Italien et nombre de troupes étrangères.
Sur les ruines de cette salle, dévorée parles flammes en une
nuit d'hiver, on lui avait élevé une nouvelle demeure (qui
devait, hélas! subirleméme sort), et ses spectateurs ordinaires
n'allaient par tarder à lui revenir, nombreux et fidèles,
attirés par une excellente administration dont les efforts in-
telligents allaient, après tant d'années difficiles, lui rendre
une existence brillante et prospère.
La troupe de l'Opéra-Comique, au moment où Crosnier pre-
nait possession de la nouvelle salle construite par ses soins,
était ainsi composée :
MM. Chollet.
M°'" Damoreau.
Moreau-
Sainti.
Rossi-Caccia.
Roger.
Eugénie Garcia.
Couderc
Anna Thillon.
Masset.
Boulanger.
Mocker.
Darcier.
Euzel.
Zoé Prévost.
Botelli.
Henri Potier.
Emon.
Félix Melotte.
Sainte-Foy.
Bei-thault.
Daudé.
Blanchard.
Henri.
Lestage.
(1) Le Pré aux Clercs, dont la distribution avait été renouvelée pour la circuns-
tance, était joué par Roger (Mergy), Moreau- Sainti (Comminges), Mocker (Can-
tarellii, Henri (Girot), et M-'' Rossi (Isabelle), Zoé Prévost (Marguerite) et Henri
Potier (Nicette).
266
LE MENESTREL
MM. Bicquier.
Grignon.
Haussard.
Duchenet.
Victor.
Palianti.
Cette troupe remarquable allait s'augmenter, dans le cou-
rant de l'année, de trois jeunes femmes charmantes sortant
du Conservatoire, M"= Descot, qui débuta au mois d'août,
M"= Henry le 30 octobre, et M"« Révilly le 10 décembre. Si
les deux premières n'ont guère laissé de traces de leur pas-
sage, la dernière a fourni à l'Opéra-Comique une des carrières
non seulement les plus distinguées, mais les plus longues
qu'on y puisse enregistrer, car cette carrière ne s'est pas pro-
longée pendant moins de trente-cinq ans (1).
Avec un personnel aussi brillant que celui que je viens de
rappeler, avec un orchestre excellent dirigé par un chef tel
que Girard, que secondaient Henri Potier comme chef du
chant et Génot comme chef des chœurs, avec les nouvelles
œuvres qu'il tenait en réserve et qui étaient signées des noms
d'Auber, Halévy, Adolphe Adam, Ambroise Thomas, Grisar,
Clapisson, l'Opéra-Comique, définitivement reconstitué, logé
somptueusement et enfin dans ses meubles, pouvait affronter
résolument l'avenir et l'envisager sans crainte. Cet avenir
promettait d'être brillant, et il le fut presque constamment
jusqu'au jour où un nouveau désastre, plus terrible et plus
cruellement dramatique que le premier, vint une seconde fois
détruire cette pauvre salle Favart que nous avons tant de
peine, après tantôt dix années, à voir relever de nouveau.
J'ai voulu, dans ces pages, retracer tout à la fois et le
second chapitre de son existence pendant tout le temps que
l'Opéra-Comique s'en est trouvé éloigné par les circonstances,
et l'histoire même de l'Opéra-Comique durant cette période si
troublée, si difficile, parfois si douloureuse de sa longue
carrière. A défaut d'autre mérite, je crois que ce double
récit est aussi exact et aussi complet qu'il était possible de
le faire.
FIN Arthur Pougin.
SEMAINE THEATRALE
AUTOUR D'UNE TRADUCTION
M. Louis Pilate de Brinn'Gaubast (Ajax) continue son œuvre d'é-
claircissement ou peut-être mieux d'assainissement des poèmes de
Richard Wagner. Comme il avait fait pour les quatre poèmes de la
Tétralogie, il vient de consacrer son temps et ses veilles à démêler à
son tour celui des Mallres Chanteurs. Il nous en donne une traduction
nouvelle (un vol. in-8° chez Dentu), sorte de traduction libre où i!
rogne et ajoute tout à son aise pour la meilleure compréhension de
(1) M'" Clarisse Henry, dont on vient de lire le nom, était une chanteuse fort
aimable, et, comme femme, douée d'une rare beauté. Son histoire est touchante.
Devenue peu de temps après ses débuts l'épouse de son camarade Sainte-l'oy
l'excellent trial, elle quitta presque aussitôt la scène, mais prit l'habitude d'ac-
compagner son mari chaque soir au théâtre, pour l'aider à s'habiller. Un jour,
sous un prétexte quelconque, celui-ci lui dit : e Tu ne viendras pas ce soir
avec moi », et jamais il ne remit les pieds chez lui. Dès le lendemain il était en
ménage avec une autre de ses camarades. M"' T... Point de bruit, point de scan-
dale, aucune réclamation delapart de la pauvre jeune femme abandonnée, qui
d'ailleurs espérait toujours le retour de l'infidèle. Plus tard un notaire intervint
et obtint à l'amiable, de Sainte-Foy, qu'il ferait à sa femme une pension, laquelle
ne fut jamais payée. M"' Sainte-Foy, restée seule ainsi, vécut alors avec sa
sœur. M"' Laure Henry, chanteuse comme elle. Toutes deux donnaient des
leçons, toutes deux entrèrent dans les chœurs de la Société des concerts, me-
nant une existence aussi modeste que tranquille. L'une et l'aulre se retirèrent
de la Société des concerts en 1870, et avec le reliquat qui leur en revenait elles
achetèrent à Barbizon une maisonnette oii elles s'installèrent définitivement et
où, — fait touchant — M"" Sainte-Foy aménagea une chambre destinée à son
mari, en disant que s'il revenaitjamais il serait toujours le bien reçu etaccueilli
à bras ouverts. Lui, pendant ce temps, partait, toujours avec M"" T.,. (qu'il fai-
sait passer pour sa femme et qui portait son nom,i pour la Kussie, où il n'obtint
point de succès et d'où il revint s'échouer aux Folies-Dramatiques, où il ne fut
pas plus heureux. On sait qu'il mourut à Neuilly le 1" avril 1877. Quant à sa
femme, qui excusa toujours sa conduite envers elle en la mettant sur le compte
d'une étonnante faiblesse de caractère, elle est morte à Barbizon au mois de
janvier 1896.
l'idée. Ceci s'éloigne terriblement du mot à mot farouche de M. Alfred
Ernst et cela n'en a que plus de grâces et d'élégance.
Hâtons-nous d'ajouter que cette traduction émolliente n'a nullement
la prétention de s'adapter sous la musique. Vous me demanderez
alors à quoi elle peut bien servir. Mais simplement, je vous l'ai dit,
à éelaircir certaines obscurités du texte, à en faire disparaître les
rugosités et à présenter le tout sous des dehors aimables et nou ré-
barbatifs. C'est à la fois une œuvre pie et une œuvre d'humanité,
destinée à amadouer les novices et à les mener peu à peu, par des
sentiers fleuris, au chemin plus rude et plus abrupt de la vraie parole.
C'est du Wagner facilité à l'usage des petites gens, non encore ini-
tiés et préparés à tout.
Et il n'y a pas qu'une traduction dans le nouveau volume de
M. Louis Pilate de Brinn'Gaubast. Comme vous devez bien vous ima-
giner, il s'y trouve encore nombre de commentaires pour expliquer
cette traduction, qui bien qu'explicative par elle-même, ne le serait
pas encore suffisamment, paraît-il, sans les notes innombrables qui
l'accompagnent et qui prennent plus de place que le texte même.
Ah ! ce n'est pas des œuvres de Wagner qu'on peut dire qu'elles se
passent de commentaires! C'est devenu une véritable carrière pour
beaucoup que d'épiloguer sur chaque mot et sur chaque croche du
maître allemand, vaste association où chacun vit du mieux qu'il
peut des reliefs du grand homme et, pauvre grelottant, se réchauffe
aux rayons de sa gloire.
Il faut lire ces notes curieuses du volume de M. Brinn'Gaubast pour
savoir tout ce qu'on peut trouver d'états d'âme dans un simple éter-
nuement du cordonniet Hans Sachs. E(, s'il vous donne le bonjour, il
ne faudrait pas croire qu'il y a là seulement le bonjour de tout le
monde. Oh! non; c'est un bonjour qui a des ramifications profondes
avec l'histoire des peuples, un bonjour philosophique plein de des-
sous et de mystères. Quelle rage de vouloir ainsi, en matière artis-
tique, disséquer son propre plaisir et en rechercher les raisons algé-
briques par A -f- B, au lieu d'en jouir tout franchement sans ergoter,
comme on prend le soleil qui nous vient du ciel ! Pour nous, nous
nous refusons à croire que Wagner ait pense à tant de billevesées en
composant ses chefs-d'œuvre, et il faut qu'il soituubien grand musi-
cien pour résister au ridicule dont on essaie de le couvrir.
Nous disons un bien grand musicien, car après comme avant l'ai-
mable traduction de M. Brinn'Gaubast il ne nous apparaît pas comme
un bien grand poète, dans la stricte acception du moi. Et nous trou-
vons un peu osé de le vouloir mettre à côté de Shakespeare, — ■ c'est
dit quelque part. Admettons le livret des Maîtres Chanteurs, puisqu'il
sert souvent de prétexte à d'admirable musique, mais cette histoire
ua'ive de cordonnerie et de coucours d'orphéons mélangés, encore
qu'elle ne soit pas autrement désagréable, n'a rien qui puisse nous
transporter et il nous est impossible d'y voir le dernier mot de l'art
dramatique.
N'oublions pas qu'il y a aussi, à côté du commentaire littéraire,
un autre commentaire musical de M. Edmond Barthélémy, qui suit
pas à pas la nouvelle traduction et nous guide à travers les motifs
conducteurs de la partition, au fur et à mesure qu'ils se présentent.
C'est ainsi que les thèmes de la « Sagesse humaine » de «l'Entrain
au travail », du «Souvenir de la jeunesse », de « l'Impétuosité juvé-
nile », de « l'Interrogation d'amour », du « Don de soi-même », etc.,
etc., n'ontplusde secretpour nous. C'est donc, au résumé, un livre qui
a son utilité que celui de M. Louis Pilate de Brinn'Gaubast, et c'est
comme tel quenousavons cru devoir le recommander au lidèle lecteur.
H. M.
MUSIQUE ET PRISON
PRISONS RÉVOLUTIONNAIRES
II
(Suite)
Ce qui rendait ces exécutions non moins illogiques que barbares
c'était qu'une partie des victimes, marquées pour la guillotine, se
composait de républicains sincères, de citoyens désintéressés, de
patriotes honnêtes et convaincus. L'adversité n'avait pas ébranlé leur
foi dans l'avenir du pays, ni diminué leur amour pour la France. Et
ils ne laissaient échapper aucune occasion d'aflirmer l'une et l'autre.
Le jour oii tous les instruments de musique furent retirés aux hôtes
de la Conciergerie, ceux-ci chantèrent soir et matin, en chœur, des
hymnes patriotiques: ils appelaient cet hommage à la nation « la
prière ».
LE MENESTREL
267
Les fêtes et les gloires de la France ne leur étaient pas indiffé-
rentes. L'auteur anonyme, dont le manuscrit, dédié à Madame Carvalho,
nous raconte le séjour à la Bourbe, nous dit que la fête de l'Être su-
prême y fut célébrée presque solennellement.
[1 y eut dans le réfectoire un concert de cinq ou six instruments et trois
ou quatre voix. Madame Béthizy, une jeune personne qui a une voix char-
mante et cultivée, chanta un hjmne de la composition de Vigée et dont la
musique était de M. Leclerc, un de nos violons.
La reprise de Toulon sur les Anglais fut accueillie et chantée dans
les prisons avec un enthousiasme indescriptible.
Le Journal de Paris mentionne 1' « Ode patriotique sur la prise de
Toulon par les Français, paroles du citoyen Fontaine, instituteur,
musique du citoyen Boulleux, tous deux détenus au Luxembourg. »
La Conciergerie trouva aussi son poète pour célébrer cette victoire
nationale: voici l'un des couplets de cette pièce de circonstance.
Air : Où courent ces peuples égarés
Chantons nos immortels succès;
Prisonniers, connaissez l'allégresse;
Dans les fers nous sommes Français ;
Il a fui l'insolent Anglais.
Toulon, cité lâche et traîtresse,
Reçois le prix de tes forfaits ;
Pleure ton infamie
Ah ! ah ! quand on est Français, chango-t-on de patrie ? (bis).
A Sainte-Pélagie la joie et l'exubérance n'étaient pas moins vives.
Le poète Roucber nous en donne un pittoresque tableau dans cette
touchante correspondance qu'il entretenait du fond de son cachot
avec sa famille et surtout sa bien-aimée fille.
La nouvelle de la prise de Toulon a mis en mouvement toutes les verves
poétiques qui bouillonnent dans Sainte-Pélagie. Cinq ou six chansons,
que bonnes, que mauvaises, à l'ouverture des corridors, ont inondé le
mien. Toutes les voix chantaient, glapissaient, détonnaient: c'était à qui
mieux mieux. Georges, Pitt, Cobourg, BeauUeu, anglais, espagnols, napo-
litains et piémontais ont été salués à l'envi l'un de l'autre. Le grand
poêle était le point de ralliement, d'où partait par éclats de musique et de
rire la joie chantante qui saluait la patrie. J'étais au bord de cette ile
sonnaille partageant l'allégresse commune au fond du cœur, mais n'y pre-
nant aucune part active.
Peut-être Roucber avait-il le pressentiment du sort qui l'attendait.
La même tombe devait se refermer sur lui et sur son ami André
Chénier, quelques jours seulement avant la chute de Robespierre.
Après le 9 thermidor, des fanfares et des chants éclataient encore à
la porte des prisons ; mais ce n'étaient ni la Carmagnole, ni des cris de
mort. Les détenus sortaient en masse aux acclamations répétées
de : « Vive la Convention ! » pendant que les orchestres en plein
veni, accompagnant des voix humaines, répétaient à l'envi les
hymnes patriotiques, telles que la Marseillaise, le Chant du départ et
d'autres compositions de Méhul.
Cependant les prisons n'avaient pas lâché complètement leur proie:
quelques-uns de leurs pensionnaires restaient encore sous les ver-
rous, comme nous l'apprend l'auteur des Soimenb-s d'un jeune prison-
nier, mais celui-ci, « rendu à l'espérance, chantait l'amour » et la
romance qu'il avait écrite « en se préparant à la mort » fit ses déli-
ces dans cette sorte de résurrection. Il prévient obligeamment le lec-
teur que Dreux a composé la musique de cette romance « avec
accompagnement de harpe et de forte » et que le tout se vend « chez
Frère, passage du Saumon. » Nous n'en connaissons que les paroles,
la dernière des pauvretés. L'auteur des Souvenirs affirme que la
musique en était ravissante ; et nous le croyons volontiers : car il est
bien certain que, sauf de rares exceptions, les compositions musi-
cales de l'époque révolutionnaire sont infiniment supérieures aux
poèmes dont elles se sont inspirées.
En voici une autre preuve. On sait si la partition des Visitandines
est délicate et gracieuse. Eh bien ! Gouzze de Rougeville • — le vrai
chevalier de Maison-Rouge — eut la cruauté d'en adapter un air à
la plus maussade romance qui se puisse imaginer. « Je l'ai fait im-
primer à la Conciergerie », écrit-il. (Il y était incarcéré en 1796.)
Nous ne citerons qu'un couplet de cette lamentable poésie, antithèse
du fameux sonnet du Misanthrope.
Amis, qui souffrez pour l'honneur.
Dont l'infortune est le partage.
Ah ! c'est assez dans le malheur,
Quand on ne perd pas le courage.
Nos oppresseurs et nos tyrans
Ne craignent que notre constance.
S'il faut encore souffrir longtemps,
\h[ ne perdons pas l'espérance.
Ferrières-Sauvebaeuf, ce misérable gentilhomme qui s'avilit jusqu'à
devenir le « mouton » du Comité de Salut publie, regretta peut-être,
dans la suite de sa vie aventureuse, cette prison d'où tant d'autres
sortirent si allègrement, n'en déplaise à la prose rimée de Rougeville.
D'après les Mémoires de Beugnot, Ferrières-Sauvebœuf occupait à La
Force un appartement somptueux qu'il avait fait meubler à l'orientale
et 011 il élevait des rossignols qui chantaient toute la journée.
Mais de toutes ces captivités, la plus courte et la moins triste fut
assurément celle du chanteur Garât, le soir où il fut emmené par
une palrouille au violon. Il avait laissé chez lui sa carte de sûreté,
et la consigne était formelle. Arrivé au corps de garde il eut beau se
nommer; personne ne voulait le croire.
— Prouvez-moi votre identité, dit l'officier qui commandait le poste.
L'auteur du Iroubadour en prison comprit à demi-mot, et chanta la
Gasconne, c Uu soir de cet automne », une autre comnosition qu'il
avait mise à la mode.
— Ce n'est qu'une demi-preuve, objecta l'officier.
Garât comprit tout à fait; et bientôt le Champagne pétillait dans
les verres, mais Garât n'en avait pas moins passé sa nuit au corps
de garde.
En province, la musique était, comme à Paris, la distraction ordi-
naire des prisonniers. Le livre de M. Taine, Un Séjour en France de
4792 à 1796 par une Anglaise, nous introduit dans un couvent d'Amiens
devenu maison d'arrêt, la Providence, où nous voyons les provinciaux
se livrer aux mêmes occupations que les Parisiens. Tous font toilette
et se rendent visite ; puis on s'amuse à la versification ou à la musique
de chambre. Soudain une grande émotion gagne de proche en proche.
Il vient d'arriver au corps de garde un... âne chargé de violons et de
sonates.
Les Mémoires du comte Dufort de Cheverny nous donnent le croquis
de la prison de Blois en 1794 :
M. de Rancogne, jouant du violon, fumant, donnant dans les sciences,
dans les mathématiques et dans la physique, se détermine à faire venir
son microscope solaire. En deux jours notre prison prit l'air d'un atelier
de musique et de sciences. Les expériences microscopiques nous prirent
deux heures, et nos quatre compagnons y assistèrent régulièrement. Gidouin
jouait assez mal du violon; faute d'autre, il prit le second violon, et lui et
M. de Rancogne y employèrent une heure le matin, autant le soir.
Passons à Troyes.
La Motte, le mari de la fameuse comtesse que nous avons entendue
vocaliser à la Bastille, était encore dans la prison de Troyes après la
chute de Robespierre. Mais ce séjour ne lui laissa pas des souvenirs
trop désagréables, s'il faut ajouter foi aux Mémoires de cet aven-
turier. Il s'y trouvait avec de riches détenus, entre autres la marquise
d'Héreault, et M""" de la Huproie et de Sainte-Maure qui lui offraient
de fort bons dîners. A l'issue de ces repas où les vins délicats et les
liqueurs fines n'étaient pas épargnés, commençaient des concerts où
chacun payait de sa personne.
Ma nièce, ainsi qu'une demoiselle Picarde, dit la Motte, faisaient la
partie de chant, pendant qu'un nommé Laberge, premier violon de Troyes,
prisonnier comme nous, et moi qui avais fait venir une harpe, nous les
accompagnions sur nos instruments. Quelquefois, au lieu de musique,
nous avions une séance littéraire. C'était un M. de Lagrange qui en faisait
les honneurs en lisant les meilleures tragédies et les comédies les plus
estimées...
A Vendôme, le spectacle change; ce n'est plus de la musique de
chambre, calme, douce et pondérée, comme la comprenaient les
amateurs du temps.
C'est la muse des faubourgs qui, dans le costume et dans l'allure
prêtée par l'iairbe farouche d'Auguste Barbier à la Liberté, entonne
la Marseillaise des babouvistes, ces socialistes de la première Révo-
lution. Babœuf et ses amis sont enfermés dans les prisons de Vendôme
où ils attendent leur mise en jugement. Une femme est avec eux, qui
soutient leur courage par ses chants de haine et de révolte contre la
société. Déjà, Sophie Lapierre, à la lêle d'un groupe de femmes qui
s'étaient affiliées au club du Panthéon, était venue chaque jour y
entretenir les espérances et l'ardeur des sectaires, en leur prodiguant
les notes chaudes et colorées de sa belle voix. Elle continua son apos-
tolat musical à Vendôme. Elle chantait aux prévenus qui les repre-
naient en chœur, ces strophes composées pour la République des
Égaux, la meilleure peut-être des poésies révolutionnaires que nous
ayons citées.
Un code infâme a trop longtemps
Asservi les hommes aux hommes,
Tombe le règne des brigands!
Sachons enfin où nous en sommes
268
LE MENESTREL
Tu nous créas pour être égaux,
Nature, ô bienfaisante mère!
Pourquoi des biens et des travaux
L'inégalité meurtrière?
Réveillez-vous à notre voix
Et sortez de la nuit profonde.
Peuples, ressaisissez vos droits :
Le soleil luit pour tout le monde.
(A suivre.)
Paul d'Estrée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
(Suite.)
... Je veux bien vite répondre à votre lettre, et vous donner un
mot d'explication sur cette appréciation qui vous a déplu. — Vous
voilà contrarié parce que j'ai appelé votre cher Delibes l'héritier
d'Herold et d'Auber. Il faut, j'en conviens, un vrai courage pour
louer l'un et l'autre en ce temps. Ce courage pourtant, je l'ai, et,
laissez-moi vous le dire bien franchement, quand vous vous récriez,
affirmant qu' « (7 ij a dans Lakmé tout le contraire du Domino noir et
d'Haydée », c'est vous, malgré votre sens si fin de notre art, — qui
vous trompez!
Non, La/,?n<' n'est pas « toutle contraire » àuDomino Noir elA'Haydée;
si nous rencontrons quelque chose de plus ici que là, c'est que ce
quelque chose est dû à la différence des temps.
C'est presque un lieu commun de dire que tout artiste, si personnel
qu'il soit, subit l'influence de l'air ambiant. Si Auber élait notre
contemporain, à coup sûr, écrirait-il à peu près comme Delibes. —
L'œuvre d'Ambroise Thomas, — assez heureux pour être et avoir
été le confrère de l'un et de l'autre — offre un curieux exemple de
ce que peut amener de modifications dans la manière d'un auteur
cette influence. Si dissemblables pourtant que soient, en apparence,
te Caïd, le Songe d'une nuit d'été, et Mignon ou Hamlet (aussi dissem-
blables qix'Haydée et Lakmé) une observation attentive y reconnaîtra
le même tempérament, je dis plus, la même main; elle l'y recon-
naîtra mieux encore, lorsque, les générations successives amenant
de nouveaux courants dans l'art musical, la manière de Mignon et
d'HamIet se sera fanée, et que toute l'œuvre de Thomas, sans rien
perdre de sa valeur, se sera uniformisée sous la paline du temps.
Il faut toujours faire la pai't de cet apport contingent du moment et
des milieux, pour juger sainement une œuvre d'art.
Dans Lakmé, la parenté d'esprit entre Auber et Delibes se trahit
quelquefois d'une façon matérielle.
Le duo des deux femmes, au 1''' acte, n'est-il pas un peu cousin de
« C'est la fête au Lido » de cette Haydée avec laquelle vous repoussez
énergiquemect tout parallèle? — La répétition de la phrase dans la
coulisse, la poétique ritournelle confiée aux cors et chargée d'harmonies
pénétrantes, voilà ce qui est du temps présent! — La scène du Marché
ne descend-elle pas, elle aussi, en ligne direcle de celle de la Muette,
sauf la construction de la phrase mélodique qui eût été considérée
comme une hérésie en 1828, la rapidité des modulations successives
et certains détails d'orchestre, notamment l'appel réitéré des timbales
qui sont bien aussi du temps présent. Mais l'esprit général du mor-
ceau, son alerte vivacité et jusqu'à sa tonalité, sont les mêmes.
Et le quintette du 1" acte?
J'entends : — Vous me parlez couleur et sentiment.
A quoi je réponds que, — da7u la mode de leur temps, — Herold et
Aqber avaient l'un et l'autre.
Il y a bien de la couleur, et de la meilleure, dans le dernier acte
du l'ré aux Clercs (revoir le morne dessin d'alto, dont l'accord est
baissé, pendant que passe mystérieusement la barque portant le
corps de Comminges) et c'est devenu un cliché banal de dire que la
Muette évoque la vision ensoleillée de Naples, avec ses mœurs dévo-
tieuses et turbulentes. Cette Muette, qui avait enchanté sa jeunesse,
Wagner n'a jamais pu complètement l'oublier ni la mépriser!
Quant au sentiment, personne, que je sache, ne l'a conteste encore
à l'auteur de cette touchante caniilène : « Souvenirs du jeune âge »,
qui a acquis la popularité sans la payer de la vulgarité ; — et j'en
trouve bien aussi un peu dans l'air du Sommeil.
D'ailleurs, ne peut-on être de la même famille sans avoir même
cœur et même visage ? J'admets voloniiers que Delibes ait plus de
sens du pittoresque (Ij, par exemple, que l'auteur de la Part du Diable.
(I) Ce sens-là, nos pères l'avaient beaucoup moins que nous.
Mais si celui-ci, comme celui-là, me tire quelques larmes, ce
seront des larmes douces comme celles que je pourrais verser à « /a
Souris » ou à « l'Abbé Constantin ». — Et qu'on ne se récrie pas.
« N'écrit pas TAbbé Constantin qui veut », ■ — disait naguère M. Gan-
derax, — « ceiix qui en douteraient n'ont qu'à essayer. » — N'est pas
non plus Auber qui veut.
Ainsi qu'Auber, qu'Herold, que tous les talents du même ordre,
Delibes a la grâce, l'esprit, le souci constant de la forme, la mesure,
le goût. C'est un charmeur/ Et en effe^, quand on parle de ses
œuvres, c'est toujours ce qualificatif de charmant qui vient sous la
plume ou à la bouche!
Si je ne rencontre pas chez lui ce que je rencontre dans certains
passages de l'Arlcsienne ou de Carmen, ce je ne sais quoi de souffre-
teux, « qui me fait mal à la poitrine » comme la bise provençale dont
parlait M"" de Sévigné, oîi est le lualheur ? et pourquoi m'en plain-
drais-je?
C'est cette grâce toujours aimable qui fait la personnalité de Delibes;
c'est par là qu'il est lui et point un autre, et qu'il a continué les
traditions d'Herold et d'Auber.
Savez-vous ce que je ferais si j'étais directeur de l'Opéra? — Je
demanderais à Delibes d'écrire sa Muette et il me l'écrirait!...
C'était en 1870, peu avant l'investissement de Paris. Un de nos
compositeurs les plus connus, dont les gracieuses mélodies sont
presque populaires, quitta la ville et gagna la province. — Un ami
l'avait accompagné à la gare. Notre homme s'installa commodément
dans le wagon, casa en bonne place ses menus bagages, puis, comme
le train s'ébranlait, tendit le bras hors de la portière, et, serrant la
main de celui qu'il laissait : J'espère bien, s'écria-t-il, que les Parisiens
vont énergiquement se défendre.'
C'est inouï à quel point les Maîtres se jugent mal entre eux; c'est
SANS DOUTE QUE CHERCHANT A ATTEINDRE LE BEAU SOUS UN CERTAIN ASPECT ET
PAR CERTAINS MOYENS QUI LEUR SONT PARTICULIERS, ILS NE CONÇOIVENT PAS
qu'on le puisse RÉALISER AUTREMENT.
Ingres écrit quelque part, en parlant de Rubens, qu'il pourrait bien
être venu au monde pour détruire la peinture.
Il demande qu'on enlève du Louvre le tableau de la Méduse et ces
deux grands dragons o ses acolytes », « pour qu'ils ne corrompent plus le
goût du public. »
11 s'insurge contre « les Byron et les Goethe de toute espèce, qui dans les
lettres et les arts pervertissent, corrompent et découragent le cœur de
l'homme... que d'autres les vantent si bon leur semble », — ajoule-t-il, —
« moi je les maudis ! »
Volliiire écrivait à Bettinelli : « ,1e fais grand cas ducourage avec lequel
vous avez osé dire que le Dante était un fou, et son ouvrage un monstre/... »
Beethoven estimait qu'Euryanthe n'était qu'une accumulation de
septièmes diminuées. — Weber, de son côté, — que Schubert aussi
décriait, — médisait des plus admirables sym|dionies de Beethoven
— Wggner a jugé Mendeissohn vide et futile. — Schumann a
dessiné une croix mortuaire au dessus d'un article sur le Prophète,
qui se terminait par ces mots : Ci-git le Prophète, et éprouvait pour
toute l'œuvre de Meyerbeer une insurmontable aTersiou, Berlioz a fait
contre Wagner une âpre déclaration de principes, et a signalé comme
absolument inintelligible la géniale introduction de Tristan et Iseult,
si logique en ses développements.
Et que sont encore ces appréciations, à côté de celles que j'ai euteu-
dues de compositeurs sur leurs collègues, vivants ou morts !
Mais celles-ci sont seulement des paroles qui volent, et je les veux
oublier!
On connaît ce personnage des Faux Bonshommes qui loue les gens
à bouche que veux-tu, pour se reprendre par un : « Seulement.... »
derrière lequel il entasse les plus vilaines calomnies.
Toutes les fois que j'entends Péponnet commencer le panégyrique
de quelqu'un, je me dis ; « Bon! le voici qui va lâcher son : Seule-
ment, »... et le retour fréquent de cet effet jy/-(''i'w. gâte mon plaisir.
Il en est ainsi pour certains leitmotive. — Je les vois venir, et j'en
suis las !
A
La chapelle d'Agreneff vaut d'être écoutée.
Le programme comprend certains chants populaires russes (notam-
ment celui des bateliers du Volga), d'un tour et d'un accent très par-
LE MÉNESTREL
269
ticuliers. Il y a vraiment une profonde et très dolente mélancolie
dans l'àme de ce peuple qui vit dans une nature froide et triste.
La compagnie d'Agreneff compte quelques voit de basses d'une
étendue exceptionnelle, comme nous n'en possédons pas en France.
Il y a là des gaillards qui font ronfler comme des pédales d'orgue
des ré. et des ut au-dessous des lignes.
En lisant ces volumes de Mélodies, que leurs auteurs ont enflés de
rognures de leurs autres œuvres, sur lesquelles on a rajusté une
poésie quelconque, je songe à ces boites de jouets que le marchand
grossit et lasse avec des morceaux de papier.
«S
De l'influence des milieux sur l'effet. — Cet été, me trouvant dans
le Tyrol, j'allai, le 15 août, entendre la messe dans un petit village
près Toblach, perdu dans la montagne. Gomme c'était la fête de l'en-
droit, l'unique nef était comble; les fidèles, accourus de tous les
environs, débordaient au dehors, les hommes en veste de drap, avec
le chapeau orné de fleurs ou de plumes, les femmes avec le corsage
bariolé, le petit chapeau rond, la jupe de couleur sombre, ample,
courte et ballante. Jusque dans l'humble cimetière qui entoure
l'église, tous demeuraient debout en des attitudes recueillies, priant
au milieu des tombes, sous le grand ciel ensoleillé.
Il y avait messe en musique; un chœur rustique, un orchestre où
se coudoyaient sans doute le bourrelier, le forgeron, le maitre d'école,
le boulanger, l'aubergiste, que sais-je? — l'orgue, un violon, un
violoncelle, une contrebasse, une flûte, un cor, un cornet à piston et
des timbales.
La composition, due peul-être à quelque obscur Kapellmeîster, mort
ignoré dans son hameau, était de la plus naïve simplicité, l'organiste
peu exercé; les instruments à cordes n'étaient pas toujours très
justes, non plus que les voix d'enfants et de paysans adultes qui
complétaient l'ensemble, La flûte seule, avait, avec un peu d'expé-
rience, un certain velouté; le cor tentait timidement quelques sons
ouverts, et les timbales, soutenues par la trompette, produisaient
leurs roulements avec une bruyante satisfaction, toutes les fois que
le texte liturgique comportait des accents de triomphe.
Certes cet eusemble n'était pas pour séduire une oreille exercée.
Pourtant le lieu était si magnifiquement pittoresque, la foi de ces
robustes montagnards si manifeste sur leurs francs visages, l'effort
de ces artistes d'occasion si convaincu, que de ces supplications et
de ces hosannas se dégageait je ne sais quoi de vibrant dont l'im-
pression était irrésistible.
Ah! la sincérité dans l'art! j'ai entendu souvent, à Paris et ailleurs,
de superbes pages de musique religieuse supérieurement interpré-
tées; je n'en ai jamais entendu qui m'aient plus profondément touché
que la modeste messe en musique de Aufkirchen.
Wormser écrit l'Enfant prodigue, "Widor Jeanne d'Arc. — Après la
pantomine, l'art équestre. — Il y a là un signe des temps; la musique
marche vers des voies nouvelles. — Il n'y a pas d'art plus merveil-
leusement souple, et dont l'emploi puisse être plus varié!
Il y aurait une bien intéressante élude à faire sur les œuvres de
valeur qui n'ont point réutsi an théâtre. On commencerait par les
plus puissantes Euryanthe, par exemple, la msg'mae Eurijanthe ! —
Et on raconterait tout ce qu'ont de charme, d'esprit, de grâce, de
douce émotion, certaines pages de ces opéras oubliés ou inconnus
Les Saisons de Massé, fraîche églogue qui devança Mireille, Valentine
d'Aubicjny d'Halévy, la Petite Fadelte de Semet, Erostrate de Reyer,
Djamileh de Bizet, Pedro de Zalamea de Godard et tant d'autres
dans le présent et dans le passé, dont je n'oserais presque, par respect
humain, évoquer les noms! — Pauvres fleurs fanées, dont bien peu
ont respiré la péuélrante odeur.
Assisté à une représentation de Fra Diavolo, au théâtre de VArgen-
lina, à Rome. Je pense, — comme jadis à Munich, après le Domino
noir, et à Paris, après Lohengrin, — qu'il faut entendre la musique
italienne rendue par des Italiens, la musique française par des
Français, et la musique allemande par des Allemands. Dans le cas
contraire, il en est de l'interprétation comme du poème; c'est une
TRADUCTION.
(A suivre.) A. Montaux.
NOXJA^ELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (20 août). — On a rarement fait
autant de musique — et de bonne musique, — pendautl'été, dans nos deux
grandes «cités balnéaires », Ostende et Blankenberghe, que cette année.
Musique de concert, exclusivement, les théâtres, peu importants, y étant
voués exclusivement au vaudeville et à l'opérette. Après les grandes solen-
nités que je vous ai signalées précédemment, le Kursaal d'Ostende en a eu
d'autres encore, non moins attractives, en ce mois d'août tiui est l'époque
privilégiée des fêtes sek-cl; plusieurs artistes de premier ordre y ont défilé
devant le public, justement enthousiaste ; et, parmi eux, M. Van Dyck et
M"= Gabrielle Lejeune, ont été les plus acclamés, comme je le prévoyais
l'autre jour. M. Van Dyck à Ostende, c'était tout un événement! L'admi-
rable ténor a chanté l'air de Joseph de Méhul, le « preislied » des Maîtres
Chanteurs » et le chant d'amour de Siegmund, de la Valkyrie ; les ovations
qu'on lui a faites ont été, à peu de chose près, interminables, après l'air de
Joseph, on l'a rappelé six fois, et le reste à l'avenant ; à la fin ne sachant
comment satisfaire l'enthousiasme de l'auditoire, il a eu une idée gé-
niale: il a redit en allemand le chant de Siegmund qu'il avait dit la pre-
mière fois en français : alors, c'a été du délire! On en parlera longtemps
sur la plage. L'accueil fait, la semaine suivante, àM"" Lejaune n'a pas été
moins chaleureux. Comme M. Van Dyck, M"'= Gabrielle Lejeune est Belge ;
mais si le patriotisme aété pour quelque chose dans le succès fait aux deux
artistes par le public cosmopolite d'Ostende, il n'y a eu qu'une part mi-
nime, le mérite a fait le principal. M">= Lejeune a chanté deux fois, et
deux fois elle a triomphé par le charme de sa personne et de son taient.
Depuis son départ de la Monnaie, où elle a passé deux ans, elle n'avait
plus guère paru en public : à la veille de débuter à l'Opéra-Comique, cette
réapparition avait un intérêt particulier. Nous l'avons retrouvée avec sa
voix pénétrante, son sentiment si personnel, ses qualités faites tout en-
semble de grâce et d'émotion, qui en avaient fait à la Monnaie une des
plus captivantes interprètes du rôle de Charlotte de Werther, et qu'elle a
appliquées ici dans l'interprétation de deux airs de caractère pourtant bien
différent, celui de la Traviala et celui du Freischiitz. Son succès n'a pas été
moins vif dans diverses mélodies, détaillées par elle d'une façon exquise :
le Nil et Floraison de Leroux, Pensée (l'automne et la gavotte de Manon de
Massenet, Dansez marquise de Lemaire, et la Sérénade inutile ie Brahms ; bis
et rappels semblaient ne point vouloir prendre fin. Voilà qui est de bon
augure pour l'entrée prochaine de M"« Gabrielle Lejeune à l'Opéra-
Comique.
— A Spa, également, la musique bat son plein et, parmi les derniers
concerts au Iiursaal,il faut signaler tout particulièrement celui de M. Isnar-
don, qui aété couvert d'applaudissements après le Poète et le Fantôme, de
Massenet, les stances de Lakmé, et le trio de Faust chanté avec M"= Adams
et M. Affre. Quelques jours après M. Isnarion triomphait encore, dans
la salle du Pouhon où est installée l'Exposition de Poupées. Dans un pro-
gramme très spécialement et curieusement composé, l'excellent artiste a
chanté /es Sabots et les Toupies, les Polichinelles etfe Dernier Joujou, de Cl. Blanc
et L. Dauphin. A coté de lui, on a fêté aussi M"' de Ter dans les Enfants
de Massenet.
— Un opéra inédit en un acte Razzia, musique de M. VanDamme, a été
joué avec succès à Gand.
— Une erreur d'impression nous a fait dire, dans notre dernier nu-
méro, que M""= Sibyl Sanderson avait signé un engagement avec l'Opéra
Impérial de Vienne. C'est l'Opéra Impérial de Saint-Pétersbourg qu'il faut
lire, et ce sont les Kusses qui auront la primeur d'Esclarmonde, avec la
créatrice dans le rôle de la protagoniste. M. Van Dyck a été également
engagé pour une série de représentation, au cours desquelles il chantera,
entre autres ouvrages, Manon et Werther.
— La saison du Théâtre-Lyrique à Milan ouvrira vers le milieu de sep-
tembre avec les représentations de M"" Nevada dans Lakmé; puis vien-
dront celles de M""" de Nuovina avec /a Navarraise et celles de M"' Simon-
net dans Mignon. Plus tard M"" Sanderson dans Manon et Phrijné. On voit
que, comme toujours, M. Sonzogno fait large part au répertoire français.
On devrait bien lui rendre un peu la pareille à Paris pour ses opéras
italiens. Mais il parait que c'est impossible ! Tout prendre et ne rien
donner, c'est une devise commode, mais pas très morale en soi.
— Un nouvel opéra intitulé Marietta, musique de M. G. Buceri a subi
un échec à sa première représentation au théâtre Bellini, de Palerme.
— On annonce que la Bohême de Leoncavallo sera joué pour la première
fois à la Scala de Milan qui jouera aussi le nouvel opéra japonais de
Mascagni. L'Argentina de Rome jouera pour la première fois, Camargo de
M. de Levé et le théâtre San-Carlo de Naples produira pour la première
fois Pourceaugnac de M. Franchetti.
— Le ministre de l'instruction publique à Berlin a ordonné la conslruc-
sion d'un nouveau monument pour le Conservatoire de musique et a ouvert
à cet effet un concours. Nous connaissons plus d'un conservatoire de
musique, à commencer par celui de Paris, qui aurait grandement besoin
d'un nouvel abri.
270
LE MENESTREL
— M. Goldmaik, l'heureux auteur du Grillon da foyer, a commencé la
composition d'un nouvel opéra dont M. Willner, le librettiste de l'œuvre
nommée, lui a fourni les paroles.
— M. Ignace Brûll a terminé la partition de son nouvel opéra Gloria.
Cette œuvre, dont on nous dit beaucoup de bien, sera jouée au commen-
cement de la prochaine saison à l'Opéra de Hambourg.
— On vient de terminer à Dresde une grande salle de concert qui man-
quait depuis longtemps à cette capitale. La nouvelle salle dont l'acous-
tique est excellente, contient 1.400 places et sera pourvue d'un orgue. Dès à
présent plus de cent concerts y sont déjà annoncés pour la saison pro-
chaine.
— A l'Exposition des Arts industriels de Dresde, les Wendes, un peuple
de race slave qui était autrefois fort nombreux dans une partie du royaume
actuel de Saxe et qui habitent encore en nombre de plus en plus restreint
la province saxonne de Lusace, attirent l'attention non seulement des
ethnographes, mais aussi des musiciens. Comme tous les peuples de race
slave, les "Wendes ont un talent inné pour la musique, et un concert qu'ils
viennent de donner, a de nouveau alBrmé leurs aptitudes pour la musique.
On y a d'abord chanté, avec paroles slaves, de ravissantes mélodies popu-
laires, tristes pour la plupart et dans le genre des dumkas russes, mais
aussi quelques chansons gaies que la jeunesse accompagne de danses.
Deux de ces chansons à danser : Stiip dalej (Approche-toi) et Hanka ty sy
moja (Sois à moi, Annette), chantées à capdla avec une précision extra-
ordinaire ont ravi le public qui ne comprenait naturellement pas le pre-
mier mot du texte. Puis les compositeurs nationaux ont produit leurs
œuvres: K.-A. Kocor, Frejschlak et Krawec, un jeune compositeur qui fit
en même temps fonction de chef d'orchestre et dont la symphonie nsAio-
•D.à\e Aux bords de la Lubosla a eu beaucoup de succès. Les Wendes donneront
peut-être un jour quelque œuvre musicale d'intérêt général comme les
Tchèques qui ont trouvé en Smetana et en Dvorak des compositeurs
connus bien au delà des frontières de leur patrie.
— A l'occasion du dixième anniversaire de la mort de Franz Liszt le
Journal de Weimar propose l'érection d'une statue du maître à Weimar, où
se trouve déjà un musée destiné à perpétuer son souvenir. Les innombrables
élèves de Liszt qui lui doivent tant et dont plusieurs, comme M"^» Sophie
Monter, la châtelaine d'Itter, ont fait de grandes fortunes, ne devraient-
ils pas à eux seuls, s'acquitter de cette dette de reconnaissance ?
Contre le choix de Weimar les Hongrois réclameront peut-être, bien
qu'ils aient déjà une statue de Liszt, placée devant l'Opéra royal de Buda-
pesth; mais l'Allemagne a certes des droits incontestables sur l'œuvre du
maître. Ce qui est le plus étonnant c'est que ni Richard Wagner ni Franz
Liszt ne possèdent encore de monument en Allemagne. On se moque
souvent des Français qui ont, dit-on, le marbre et le bronze faciles; après
tout, il vaut mieux qu'un seigneur de moindre importance dans le royaume
des arts et des lettres obtienne sa petite statue ou son buste que de ne
pas payer ce tribut à un maître véritable. Bn.
— La ville de Leipzig va célébrer le centième anniversaire de son
théâtre municipal. Jusqu'en 1725, la Compagnie du théâtre royal de Dresde
avait possédé le privilège de jouer aussi à Leipzig. Ce n'est qu'en 1796 que
la ville obtint le droit, moyennant une redevance annuelle de cinq cents
thalers, d'avoir un théâtre à elle. Le théâtre actuel, un des plus beaux
d'Allemagne, n'est pas le même que celui qui existait en 1796.
— La société allemande d'acteurs et autres travailleurs de théâtre qui a
été fondée à "Weimar en 1871, va célébrer le vingt-cinquième anniversaire
de son existence.
— A l'Opéra impérial de Vienne, qui a rouvert le 13 de ce mois.
Ml'' Emma Teleky; du Théâtre-Royal de Dresde, vient d'être engagée. La
jeune artiste, élève, à Vienne, du baron Victor Rokitansky, dont nous avons
annoncé dernièrement le décès, a fait déjà une carrière assez brillante. On
pourra donc reprendre, à Vienne, Hamlet qui manquait d'une Ophélie
convenable et maint autre opéra nécessitant la présence d'une chanteuse
légère di primo cartello,
- — Le Carllhéâtre de Vienne prépare un nouvel opéra-comique les Sor-
ciers de Nil, musique de M. Victor Herberth.
— On vient de trouver chez M""* Mayerhofer, à Vienne, trois lieder inconnus
de Franz Schubert. Nous ne sommes pas encore renseignés sur la valeur ar-
tistique de cette trouvaille,mais nous nous rappelons que Mayerhofer, poète
viennois insignifiant, a été lié avec Schubert quia mis en musique plusieurs
poésies médiocres de son ami. La propriétaire actuelle des autographes de
Schubert est une petite-flUe du poète. Il ne faut nullement s'étonner de
ce qu'on trouve encore des œuvres inconnues de Schubert, car sa fécondité
n'a été égalée que par sa facilité.
— L'Opéra royal de Budapest était menacé, il y a quelques jours, d'une
grève des membres de l'orchestre. On leur avait promis, pour la durée de
l'exposition, une augmentation d'appointements de 20 0/0, mais on ne leur
avait donné qu'un supplément de 10 0/0, sous prétexte que le théâtre faisait
de mauvaises affaires. Les membres de l'orchestre ont alors adressé une
requête au surintendant général, M. le baron Nopcsa, pour réclamer leur
du et pour annoncer leur retraite au cas où l'Opéra ne tiendrait pas ses
promesses. Grâce à l'intervention du surintendant général, l'orchestre
obtint satisfaction et la grève n'eut pas lieu.
— On a inauguré à Budapest un nouveau théâtre exclusivement destiné
à la comédie jouée en langue hongroise. La nouvelle salle, qui est fort jolie,
contient 18o0 places, dont 600 à l'orchestre et 46 loges.
— Le théâtre municipal de Cracovie vient de jouer avec succès un opéra
inédit Goplana, paroles de M. German, musique de M. Stanislas Zelenski.
— Le classique veilleur de nuit est mort un peu partout, sauf cependant
en Espagne, où le brave sereno se promène encore nuitamment dans les
rues et ouvre les portes aux retardataires qui ont oublié la clé de leur
maison. Nous ne connaissons plus que par l'opéra ce fonctionnaire dont
l'importance fut grande dans le temps. Le couvre-feu dans les Huguenots
et la fameuse algarade des voisins de Hans Sachs dans tes Maiires chanteurs,
où l'apparition du veilleur de nuit produit un effet vraiment poétique,
nous conservent encore ce type de fonctionnarisme. En Allemagne et en
Autriche, les veilleurs de nuit qui se promenaient, jusqu'en 1848, armés
d'une hallebarde, d'un cor et d'une lanterne, avaient l'habitude de chanter
après chaque heure, une petite chanson dont le texte et la mélodie, très
différents selon la localité, étaient souvent de leur propre invention. Ces
chansons avaient quelquefois une certaine valeur poétique et les amateurs
de la poésie populaire ont vivement regretté leur disparition. Or,
M. Joseph AVichner, à Krems-sur-le-Dauube, entreprend une collection
des anciennes chansons et mélodies des veilleurs de nuit en Autriche et
en Allemagne et espère pouvoir publier bientôt les résultats de ses
recherches. Cette publication ne manquera certes pas d'intérêt.
— L'acte constituant le comte de Grey, M. H.-V. Higgins et M. Maurice
Grau, le directeur américain bien connu, propriétaires et administrateurs
du Royal Italian Opéra de Govent-Garden, à Londres, vient d'être enre-
gistré. Le capital est de 377.000 francs, divisé en IbO actions ordinaires
de 2.500 francs et 100 actions de 2b francs chacune.
— Le Royal Collège of Music de Manchester a remplacé sir Charles Halle,
premier professeur de piano, par M. "William Dayas, compositeur et pia-
niste.
— Au Novelty Théâtre de Londres, il vient de se passer un drame aussi
terrible qu'inexplicable. Dans un mélodrame, les Péchés de la nuit, un
acteur, M. Temple E. Crozier, qui devait être tué à la fin par son collègue
M. "Wilfred M. Franks, a reçu un véritable coup de poignard en pleine
poitrine et a succombé sur la scène après avoir proféré un cri que le
public a vigoureusement applaudi à cause de son effet naturaliste. La vic-
time, âgé de 24 ans seulement, vivait en parfaite intelligence avec son
malheureux collègue dont il était le meilleur ami et ils n'avaient jamais
eu la moindre dispute. Les acteurs qui se trouvaient sur la scène, ne
remarquèrent pas tout d'abord que Crozier était mortellement frappé.
Comme il ne se relevait pas, le régisseur s'approcha de lui et remarqua
que le sang couvrait une partie de son costume. Tous les efforts pour
rappeler à la vie le malheureux jeune homme furent inutiles. Le jury qui
devait se prononcer, selon la loi anglaise, sur les causes de la mort, n'a
pas pu démêler comment le coup fatal s'est produit; mais il fut constaté
que même à la répétition générale M. Franks n'avait pas eu entre les
mains le poignard et 'avait seulement indiqué le coup. M. Franks a été
traduit devant un jury, et il a été décidé qu'il ne serait pas poursuivi. Cet
accident terrible prouve une fois de plus qu'au théâtre il ne faut pas
pousser trop loin le « vérisme », comme disent les Italiens, et qu'on ne
peut jamais trop soigner les « accessoires » aux répétitions.
— Sir "William Robinson, le compositeur de l'opéra, la Fille du brigand,
vient de terminer un nouvel opéra la Fille brune, paroles de M. Newton.
Cette œuvre sera représentée à Londres, au commencement de la saison
prochaine.
— La bicyclette, qu'on met maintenant à toute sauce est sérieusement
recommandée en Angleterre aux jeunes élèves du chant. Un professeur do
chant assez connu à Londres, vient de faire une conférence à Saint-James
Hall pour exposer ses idées sur l'influence de la bicyclette sur la voix et
a présenté à la nombreuse assistance plusieurs de ses meilleures élèves
auxquelles la bicyclette avait énormément profité. Une d'elles avait consi-
dérablement augmenté l'étendue de sa voix par l'usage de la pédale et
une autre, qui avait dû abandonner cette machine à la mode, avait telle-
ment vu s'augmenter la capacité deses poumons en prenant des leçons de
chant qu'elle pouvait actuellement faire des courses considérables à
bicyclette et même gravir des pentes assez dures. Nous avouons que cette
conférence nous semble être une réclame bien sentie pour les fabricants
de bicyclettes et pour les faiseuses de chanteurs ou de chanteuses.
— Le « Cercle artistique musical » de Barcelone a organisé un concours
pour la composition d'une cantate pour quatre solî, chœur et orchestre '
(prix : 500 francs), d'une suite d'orchestre en quatre mouvements (prix:
400 francs), d'une messe en l'honneur de sainte Cécile (prix : 300 francs)
et de si.x mélodies pour chant avec accompagnement de piano (prix: 200 fr.).
Le concours est international et les paroles peuvent être écrites dans n'im-
â
LE MÉNESTREL
271
porte quelle langue latine. Les compositions doivent arriver à Barcelone
avant le 13 octobre de cette année.
— La jeune reine des Pays-Bas dont le mariage occupe actuellement
les chancelleries européennes, même dans les pays qui n'ont pas de prince-
époux à proposer, vient de terminer sou éducation musicale. Inutile de
dire qu'elle a décoré, à cette occasion, son professeur de piano, M. Storten-
beker. Espérons que la jeune reine imitera l'exemple de la reine Victoria
qui, étant déjà mariée et mère de famille, n'a pas abandonné ses chères
études musicales et prit même des leçons chez Mendelssohn.
— M"° Nikita vient de donner à Copenhague un grand concert et le
public l'a acclamée après la gavotte de Manon. A l'orchestre, on a trissé
le prélude du 3° acte d'Iiérodiade.
— Au théâtre de Helsingfors (Finlande), le jeune chef d'orchestre, M. Fer-
dinana Neisser, a produit avec beaucoup de succès une ouverture inédite à
laquelle il a donné le nom indien Urvasi.
PARIS ET DEPARTEWENTS
— A l'Opéra, on annonce, pour le 2 septembre, la rentrée de M. Renaud
qui se fera par le rôle à'Hatnlet qu'il interprète de si artistique manière, et
pour le 7 du même mois, si toutefois M"" Rose Caron est de retour de
congé, la reprise d'Betlé de M. Alphonse Duvernoy, qui servira également
de rentrée à MM. Alvarez et Delmas, dont les vacances prennent fin le
!='■ septembre.
— M. Massenet parcourt à présent les montagnes d'Auvergne, tou-
jours fort occupé, chemin faisant, de sa nouvelle partition Sapko qui lui
tient au cœur et » le tenaille », comme il dit: « On ne la quitte pas faci-
lement, écrit quelque part Alphonse Daudet. Elle s'attache à vous et l'on
Eouffre pour elle. »
— M. Gh.-M. Widor a quitté Paris la semaine dernière se rendant à
l'Arbresle, près de Lyon, où, durant les vacances, il va mettre la dernière
main auï Pécheurs de Saint-Jean, 3 actes, sur le livret de M. Henri Gain,
que l'Opéra-Comique doit monter. M. "Widor ne rentrera à Paris que dans
les premiers jours d'octobre pour reprendre sa classe du Conservatoire.
— Dans les Deux Palémon, la comédie antique en 1 acte et en prose, de
M. Jules TruEer, que répète en ce moment la Comédie-Française, il y
aura une petite partie musicale écrite par M. Charles Mole. M. Charles
Mole, ancien chef de musique de la Garde impériale, est le père de
Ijme Mole, de l'Opéra-Comique, et, par conséquent, le beau-père de
M. Truffier.
— A son passage à Reunes, le Président de la République a nommé
MM. Jouannin et Henry, professeurs au Conservatoire, le premier officier
d'académie, le second officier de l'instruction publique.
— D'Aix-les-Bains : Au Grand Casino, les représentations de M"'« de
Nuovina dans Faust, Carmen et la Navarraise, ont été triomphales. Son
succès personnel a été considérable. MM. Bouvet, Maréchal, Hermann-
Devriès, Grivot et M™'^ Eva Miquel, Eyrams ont partagé les honneurs de
ces belles soirées.
— A Royan a eu lieu, la semaine dernière, la première représentation
de Pliryné, ballet-pantomime en 3 tableaux, de M. Auguste Germain, mu-
sique de M. Louis Ganne, qui a complètement réussi. Parmi les interprètes,
il faut signaler M"" de Mérode et Sandrini, de l'Opéra, et M'if Médal, du
Gymnase.
— Ce n'est pas qu'au Casino-Club, de Cauterets, que le maestro Danbé et
son orchestre triomphent. La semaine dernière, ils ont pris possession
de l'église, à. l'occasion d'une œuvre de bienfaisance. On n'a pas applaudi,
mais peu s'en est fallu. MM. Mondaud et M"" Sirbain prêtaient leur gra-
cieux concours. Recette superbe. Nul doute que le curé de Cauterets ne
redemande encore à M. Danbé, l'appui de sa baguette magique.
— La maîtrise si réputée de Notre-Dame de Versailles a chanté, pour
l'Assomption, la Messe Pontificale de Théodore Dubois. Le maître de cha-
pelle, M. A. Fauchet, avait confié la baguette de direction à son fils, un
gamin âgé d'à peine quinze ans, qui a mené l'œuvre entière avec une
sûreté, une autorité absolument surprenantes. Le jeune Paul Fauchet
élève, pour l'orgue, de M. L. Vierne, est, au Conservatoire dans la classe
d'harmonie de M. Taudou.
— Très brillantes les fêtes musicales qui ont eu lieu dimanche et lundi
à Moulins, grâce surtout à l'heureuse innovation des concours entre sym-
phonies, quatuors à cordes et soli, lesquels ont été présidés par le violo-
niste compositeur Emile Levêque. Les Sociétés philharmoniques de Bourges
et de Nevers ont tour à tour exécuté la Marche aux flambeaux (Meyerbeer),
l'Ouverture de Ruy Blas (Mendelssohn), la Marche tzigane (Reyer), des frag-
ments de la Symphonie en «( majeur (Beethoven) et la Réformation (Mendels-
sohn) et ont obtenu le plus vif succès. Les quatuors à cordes Orléanais et
tourangeaux, dans l'interprétation du 4« quatuor de Beethoven et de l'op. 27
de Grieg, n'ont pas été moins bien accueillis. Le violoniste Magnus,
d'Orléans, et M. Thomas Basile, violoncelliste à Tours, se sont fait vive-
ment applaudir dans leur déchiffrage (assez difficile mais fort intéressant)
écrit pour la circonstance par M. Levêque. La salle du théâtre extra-
comble, pendant ces fêtes, a dû refuser l'entrée à plus de deux mille per-
sonnes. Nombre d'harmonies, d'orphéons et de fanfares, se sont particu-
lièrement distingués dans d'autres locaux. Il n'y a que des éloges à adresser
aux organisateurs du concours musical de Moulins et particulièrement au
président, M. Lavergue, et à M. Henry Loulier, le novateur des concours
d'instruments à cordes. C. L.
— Le dimanche 9 août a eu lieu, à l'église Saint- Valéry-eu-Caux, une
cérémonie au cours de laquelle a été chanté avec grand style le Panis ange-
licus de César Franck par M"« Jeanne Teyssèdre, élève de M. Masson.
L'orgue était tenu par M. L. Vierne.
NÉCROLOGIE
Cette semaine est mort, à l'âge de 72 ans, notre confrère Anatole
Cerfbeer qui publia, en collaboration avec J. Christophe, le Répertoire de
la Comédie humaine, et dirigea, de 1861 à 186b, le journal hebdomadaire le
Théâtre. Anatole Ceribeer s'était fait, en ses derniers temps, une spécialité
avec de petites notes documentaires sur le théâtre, d'un tour très particu-
lier, qu'il donnait à différents journaux.
— La semaine dernière, est morte M°"= Wallet, la costumière en chef de
l'Opéra-Comique, où elle avait été successivement employée sous les
directions Crosnier, Perrin, Roqueplan, Beaumont, Ritt et enfin Carvalho.
— A Boston vient de mourir le fameux directeur de théâtre John B.
Stettson, un homme fort original, qui n'avait pas la moindre éducation,
mais qui sut néanmoins si bien conduire sa barque, qu'il laisse une fortune
assez rondelette. Les artistes américains racontent les histoires les plus
abracadabrantes sur ce « patron » incomparable, dont la plupart sont
inventées: mais il y en a aussi beaucoup d'authentiques dans le tas. Une
fois il fit mettre en scène une imitation de la célèbre Passion que les paysans
jouent à Ober-Ammergau, en Bavière, tous les dix ans, et voulut faire
grandement les choses. Son régisseur lui présenta un jour, avant une
répétition et devant tous les artistes du théâtre, une douzaine de beaux
vieillards qui devaient figurer les apôtres. « Comment, vous n'avez que
douze apôtres comme les paysans en Bavière? apostropha le « patron », fi
donc! Nous, à Boston, nous aurons cinquante apôtres! »
Henri Heugel, directeur-gérant.
A 'VIS AUX PROFESSEURS. — Belle salle pour auditions, cours e
leçons, matinées et soirées. Location au mois et à la séance. — S'adres
ser Maison musicale, 39, rue des Petits-Champs. Paris.
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5. AU BOIS DES FRÊNES ... 5
6. ÉCHO D'AMOUR S
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272
LE MÉNESTREL
IIIWIII
S>Vv$'S'^S^VV^'w>V$V*VVV'$l'
nmm^ummummmuumummmmm^mumummnmmui
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XAVIÈRE
^ Idylle Dramatique
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TH- DUBOIS
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I$l
; DERGEnE 30,
Dimanche 30 Août 1896.
3444. — 62"« ANNÉE — N° 3S. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteur;^.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un on Texte seul • 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teïle et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. - Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Élude sur Or-phée de Gluck (1" article), Julien Tiebsot. — II. Semaine théâ-
trale : L'auteur de la Sonate du Diable, Arthur Pougin. — III. Musique et pri-
sons (15' article) : Prisons politiques modernes, Paul d'Estrée. — IV. Journal
d'un musicien (3» article), A. Montaux. — V. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PASTORALE
de Ch. Grisart. — Suivra immédiatement : Femmes et Fleurs, de Paul
Wachs.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
chant : Attente, mélodie de Gesark Galeotti, poésie do M. de Mohiana. —
Suivra immédiatement : Jours d'automne, mélodie de Charles Levadé, poésie
de Jules Oudot.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK {')
Il n'est pas, dans la poésie antique ou moderne, de sujet
qui ait séduit les musiciens à l'égal de la légende d'Orphée.
Gela se conçoit. En effet, sans même parler de la beauté
essentielle du drame, où trouver un plus éclatant symbole
du prestige de la musique que ce mythe, à la fois naïf et
profond, qui la représente comme possédant un pouvoir
tellement irrésistible qu'elle commande à la nature entière?
Car non seulement les éléments, les rochers, les bêtes féroces
et les arbres des forêts sont soumis à son empire, mais, par
un prodige stupéfiant, ses accents magiques en arrivent à
vaincre jusqu'à la Mort!
Dès les premières manifestations du mouvement musical
duquel sortit l'opéra, poètes et musiciens se placèrent à
l'envi sous le patronage de leur mythologique initiateur. Le
premier « drame en musique » des temps modernes est,
quant à la date, une Euridice qu'Ottavio Rinuccini et Jacopo
Péri firent représenter à Florence, le 6 octobre de l'an 1600,
lors des fêtes données en l'honneur des noces d'Henri IV et
de Marie de Médicis. Dans la même année, un autre compo-
siteur, Giulio Gaccini, écrivait sur les mêmes vers une nou-
velle partition.
(1) Cette étude est destinée à servir de préface à l'édition d'Orplux de Gluck,
• élaborée par M. Camille Saint-Sacns, conjointement avec notre collaborateur
Julien Tiersot, pour la grande collection des œuvres de Gluck dont la publica-
tion est due à l'initiative de M"' Fanny Pelletan.
Sept ans plus tard, un musicien de génie, Monteverde,
composa un Orfeo ; et l'on put voir dès lors quel avenir était
promis au nouveau genre lyrique, tant cette œuvre, par la
hardiesse de ses harmonies et la nouveauté de ses combinai-
sons instrumentales, surpassait les timides inventions des
précurseurs florentins.
Vers le milieu du siècle, Mazarin voulut introduire en
France cette forme d'art qui, en peu d'années, avait pris un
si grand développement dans son pays : il fit venir à Paris
des chanteurs italiens, et, le 2 mars 1647, leur fit donner
une représentation au Palais-Royal, dans la même salle où
Richelieu avait fait jouer sa tragédie de Minime. Ge premier
opéra joué en France fut encore un Orfeo, dont le compositeur
avait nom Luigi Rossi.
La création de l'opéra allemand ne remonte guère au delà
des dernières années du dix-septième siècle ; l'on en attribue
l'honneur au Saxon Reinhard Keiser. Celui-ci, en 1699, com-
posa un opéra qui fut représenté à Brunswicli sous le titre
de la Lyre enchantée d'Orphée (Die verwandelte Leyer des Orpheus) ;
puis, reprenant son œuvre, il la développa et la divisa en
deux parties, sous le nom général à'Orpheus (Hambourg, 1702) ;
enfin, en 1709, il la réduisit de nouveau en une seule soirée,
sous le titre d'Orphée en Thrace (Orpheus in Thracien).
En France, Lulli n'aborda point ce sujet; mais ses deux
fils, Louis et Jean-Baptiste, écrivirent un Orphée, en trois
actes et un prologue, qui fut donné à l'Opéra de Paris le
8 avril 1690.
Mais c'est surtout sous forme d'opéra italien que la légende
d'Orphée fut traitée avec continuité, depuis les origines jus-
qu'à la fin du dix-huitième siècle. On attribue à Zarlino, le
célèbre théoricien de l'harmonie, la composition d'un Orfeo éd.
Euridice. Sous le même titre fut représenté un opéra d'Ant.
Sartorio, à Venise, en 1672; puis vinrent: la Lira d'Orfeo, par
Ant. Draghi, à Laxenbourg, près Vienne (1683) ; Orfeo ed Euridice,
de Joh. Jos. Fux (Vienne, 171S) ; i Lamenti d'Orfeo, de Wagenseil
(Vienne, 1740); Orfeo, de Karl Heinrich Graun (Berlin, 17S2) ;
VOrfeo ed Euridice, de Gluck (Vienne, 5 octobre 1762); Orfeo,
de Jean-Chrétien Bach (Londres, 1770); Orfeo ed Euridice, de
Tozzi (Munich, 1775) ; Orfeo ed Euridice, de Berloni (Venise,
1776); Orfeo, de Guglielmi (Londres, 1780); Orfeo ed Euridice,
d'Haydn, composé à Londres en 1793-94 et resté inachevé;
Orfeo, de Luigi Lamberti (vers 1800).
A ces œuvres écrites sur des poèmes italiens, il faut joindre
un Orphem anglais de J. Hill (Londres, 1740) ; un Orphée fran-
çais, composé par Dauvergne vers 1770, et non représenté;
Orpheus, opéra danois de Naumanu (Copenhague, 1785) ; enfin,
outre les compositions déjà citées de Keiser, les opéras alle-
mands suivants: Orpheus, de Georges Benda (Gotha, 1787); un
autre Orpheus, de Fried. Wilh. Benda (Berlin, 1788); la Mort
274
LE MENESTREL
irOi-phée (Der Tod des Orplicus}, de Max. Fr. von Droste-Hûlshoff
(écrit en 'ITOl, non représenté); une autre 3Iort d'Orphée, de
Gottlob Bachmann (Brunswick, 1798); Orpheim, de Kannabich
(Municli, vers 1800); enfin, Orpheus, de Fr. Aug. Kaune,
(Vienne, 1810).
Avec de moindres développements, le même sujet a été
employé dans plusieurs œuvres musicales parfois signées de
grands noms. L'une des plus belles cantates françaises du
XVIIP siècle est un Orphée de Clérambault. Berlioz eut une
Mort d'Orphée à mettre en musique pour un concours de
Rome. Liszt en a tiré un poème symphonique; Léo Delibes,
une scène lyrique pour chant, chœur et orchestre. Même il y
eut des pantomimes et des ballets composés, dès le XVII' siècle,
sur les amours d'Orphée et d'Eurydice : le plus ancien est
d'Henri Schûtz, le précurseur du grand Bach, et fut joué
à Dresde, en 1638, pour les fiançailles du prince Georges II
de Saxe. Eosuite parurent, en Angleterre, plusieurs divertis-
sements ou mascarades, composés tour à tour par Martin
Bladen (Londres, 1705), J. Dennis (1707), John Weaver (1717),
Rich (1741), Reeve (1792) et Peter von Winter (1805); enfin,
en France, un ballet d'Orphée, musique de Biaise, fut joué au
théâtre de la Foire en 1738.
Et, comme les plus nobles sujets ne sont pas à l'abri de la
satire, plusieurs parodies furent représentées en AUemague
et en France. Il suffit de citer pour mémoire l'opéra bouffe
d'OfFenbach, joué précisément au moment oiil'Orphée de Qluck,
après un si long oubli, allait, grâce à l'admirable interpréta-
tion de M""*^ Pauline Viardot, retrouver à Paris un accueil
mémorable autant que significatif.
Par la chronologie ci-dessus, l'on peut juger que, si VOrphée
de Gluck n'est pas la dernière œuvre qui fut inspirée par la
légende du chantre de Thrace, du moins, après lui, aucun
grand musicien n'osa plus aborder ce sujet: bientôt même
celui-ci fut abandonné par les médiocres dont le seul idéal
est l'imitation, et pour lesquels la supériorité du génie n'éclate
que lorsqu'un succès définitif l'a consacrée. Parmi ceux qui,
après Gluck, y songèrent encore, nous ne trouvons plus qu'un
grand nom, celui d'Haydn : encore, bien qu'il semble que son
Orfeo ed Euridke, dont quelques fragments nous restent, dût
affecter un caractère bien différent, n'osa-t-il même pas l'ache-
ver. A partir du ^W' siècle, le nom de Gluck est si complè-
tement associé à l'idée d'Orphée qu'aucun musicien n'oserait
plus toucher à cette légende, au sujet de laquelle il semble
que, désormais, tout soit dit.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
L'AUTEUR DE Là SONATE DU DIABLE
Il n'est aucun violoniste qui ne sache par avance que c'est de
•Tartini que je veux ici parler. L'auteur de la Sonate du Diable est assez
célèbre par cette seule composition pour que nul ne s'y puisse mé-
prendre, et que son nom soit aussitôt prononcé. Tartini a été l'un des
maîtres et l'un des chefs de la grande école italienne de violon, et
l'hommage que Pirano, sa ville natale, vient de rendre à cet artiste
admirable eu lui élevant une statue sur l'une de ses places publiques,
donne une sorte d'intérêt d'actualité à quelques notes concernant sa
vie et sa carrière, aussi singulières et agitées dans leurs commence-
ments que paisibles ensuite et laborieuses.
Celui qui était appelé à devenir l'un des plus illustres virtuoses
de son temps était destiné par les siens à l'état ecclésiastique. Né à
Pirano, en Istrie, le 12 avril 1692, Giuseppe Tartini fut en effet placé
dès son enfance chez les oratoriens de sa ville natale, et envoyé
ensuite à Capo d'Istria pour achever ses études au collège dei Padri
délie scuole, en attendant qu'il entrât dans un couvent de franciscains.
Tout en poursuivant son éducation littéraire, il prenait des leçons de
musique et se familiarisait avec le mécanisme du violon, pour lequel
il se sentait déjà un goût prononcé. Ce goût toutefois n'égalait point
la pa,ssion qu'il éprouvait dès lors pour l'escrime, oii, très jeune, il
atteignit une remarquable habileté. En même temps, il témoignait.
on le conçoit, d'une répugnance invincible pour la carrière religieuse,
si bien que sa famille dut renoncer aux projets qu'elle avait formés
sous ce rapport. On décida alors de l'envoyer à Padoue pour y étu-
dier la jurisprudence. Il avait à cette époque dix-huit ans, le sang
chaud et, parait-il, l'bumeur assez batailleuse. Il fréquentait assidû-
ment les salles d'armes, et la supériorité qu'il avait acquise comme
tireur, la confiance qu'il avait en lui n'étaient point pour lui conseiller,
à l'occasion, la patience et la longanimilé. Loin d'éviter les que-
relles, il les recherchait volontiers au contraire, ne craignant aucun
adversaire, ne redoutant ni le bruit ni le scandale, si bien qu'il eut à
Padoue plusieurs duels qui ne furent pas sans avoir quelque reten-
tissement. En fait, il mena pendant plusieurs années une existence
tellement dissipée qu'elle finit par lui faire prendre en dégoût toute
étude sérieuse, et quebientôtil songea àembrasserune carrière indigne
de sa haute intelligence : il eut l'idée d'aller s'établir dans une capi-
tale, soit à Naples, soit même à Paris, comme maître d'armes.
Mais l'homme propose et... l'amour dispose. Il arriva que le jeune
Tartini devint un beau jour éperdumeut épris d'une demoiselle de
Padoue, jeune fille d'excellente famille, qui était parente du cardinal
Giorgio Cornaro, évêque de cette ville. Il sut lui faire partager sa
passion, à ce point qu'elle consentit à se laisser enlever, à le suivre
et à l'épouser secrètement. Mais, par ce fait, Tartini, privé des secours
qu'il recevait de sa famille, se trouvait sans ressources. Pour comble
de malchance, le cardinal Cornaro, instruit de ce qui s'était passé,
mit la police à ses trousses et le fit poursuivre activement, en l'accu-
sant de séduction et de rapt. Il fallut fuir et se cacher. Prévenu à
temps, Tartini dut, pour échapper au danger qui le menaçait, aban-
donner sa jeune épouse et chercher un refuge. Il se dirigeait vers
Rome lorsque, arrivé à Assise, il eut la bonne fortune de rencontrer
un moine, son proche parent, qui était sacristain du couvent des mino-
rités de celte ville et qui, touché de sa situation, lui procura un asile
dans le monastère.
C'est là que Tartini resta caché pendant deux années. La vie tran-
quille du couvent rafraîchit son esprit et fil prendre à ses idées une
direction toute différente de celle qu'elles avaient eue jusqu'alors.
Les pratiques religieuses auxquelles il prenait part transformèrent
son caractère, et l'étude de la musique, à laquelle il se livra avec
ardeur, contribua à apaiser la fougue de sa jeunesse et à la rempla-
cer par une douceur qu'on admira par la suite.
Tartini mit en effet sa retraite à profil pour reprendre sérieuse-
ment l'étude du violon, pour laquelle ses dispositions naturelles
étaient remarquables. En même temps il recevait de l'habile orga-
niste du couvent, le P. Boemo, des leçons d'accompagnement et de
composition dont il sut profiter largement et qui le mirent à même
de prendre part aux fêtes musicales que les moines célébraient dans
leur chapelle. C'est précisément ce qui vint changer sa situation
d'une façon imprévue. Un jour de grande solennité, comme, placé
dans le chœur de l'église et dissimulé derrière un rideau, il exé-
cutait un solo de violon, un coup de vent vint soulever rapidement
ce rideau et le découvrit aux regards des assistants, parmi lesquels
se trouvait un habitant de Padoue, qui le reconnut et divulgua aus-
sitôt son secret.
Heureusement pour Tartini, le temps avait apaisé les colères qui
s'étaient amoncelées contre lui. Le cardinal Cornaro consentit à lui
accorder son pardon, il rentra en grâce auprès de sa famille, et
enfin il lui fut possible de retourner à Padoue et permis de se réu-
nir à sa jeune femme. « Peu de temps après, dit Fétis, il partit
avec elle pour Venise, où il entendit le célèbre violoniste Veracini,
de Florence. Le jeu hardi et rempli de nouveautés de ce virtuose
l'étonna et lui fit apercevoir de nouvelles ressources pour son instru-
ment. Ne voulant pas entrer en lutte avec cet artiste, dont il ne pou-
vait se dissimuler la supériorité, il s'éloigna de Venise et se retira
à Ancône, où il se livra avec ardeur à de nouvelles études. Depuis
cette époque (1714), il se fit une manière nouvelle, el par de cons-
tantes observations établit les principes fondamentaux du maniement
de l'archet qui, depuis lors, ont servi de base à toutes les écoles
de violonistes d'Italie et de France. »
Tartini avait vingt-neuf ans lorsque, en 1721, de retour à Padoue,
il fut nommé violon-solo el maître de la chapelle de Saint-Antoine
de cette ville, qui comprenait alors seize chanteurs et vingt-quatre
instrumentistes et était considérée comme l'une des meilleures de
toute l'Italie. Il renonça pourtant, deux ans plus tard, à cette situa-
lion, pour se rendre à Prague, où il était appelé, avec son ami le
violoncelliste Vandini, à l'occasion des fêtes du couronnement de
l'empereur Charles VI, et où tous doux, acceplant les offres brillantes
qui leur étaient faites par le comte de Kinsky, entrèrent au service
de ce personnage. Ils n'y restèrent toutefois que trois années, au
M
à
LK MÉNESTREL
275
bout desquelles ils revinrent à Padoue, que Tartini ne voulut plus
quitter désormais, en dépit de tous les avantages qu'on pouvait lui
offrir. Sa renommée, en effet, s'était répandue au loin, et on assure
qu'un grand seigneur anglais, lord Midlessex, lui garantissait
3.000 livres sterling s'il voulait se fixer à Londres. Mais Tartini
répondit au marquis degli Obizzi, qui avait été chargé de poursuivre
avec lui cette négociation : « Ma femme et moi nous avons la même
faconde penser et nous n'avons pas d'enfanls. Nous sommes contents
de notre sort, et si nous désirons une chose, ce n'est certainement
pas de posséder plus que ce que nous possédons actuellement. »
Le reste de sa longue carrière s'écoula paisiblement dans la ville
qu'il avait définitivement choisie pour sa résidence. Dès 1728, il avait
établi à Padoue une école de violon qui devint rapidement célèbre
et qui y attirait de tous les points de l'Italie, et même de la France,
les jeunes artistes désireux de profiter d'un si haut enseignement.
En ce qui concerne nos compatriotes, Pagin et La Houssaye firent
expressément le voyage d'Italie pour aller à Padoue prendre des
leçons de Tartini et se fortifier sous sa direction. Parmi ses meilleurs
élèves, il faut citer le fameux Nardiui, Alberghi, Giorgio Meneghini,
M"" Lambardini-Sirmen, Pollani, Domenico Ferrari, Gapuzzi, Pas-
qualino Bini, Carminati, etc.
Tartini avait retrouvé sa place de violon solo à l'église Saint-Antoine
qui ne lui rapportait que 400 ducats (environ 1.600 francs) et qu'il
conserva pendant quarante-huit ans. Le produit de cette place, celui
(le ses leçons et quelques biens qu'il tenait de sa famille, lui procu-
curaient une aisance modeste qui suffisait à ses désirs et à son ambi-
tion. L'enseignement, d'ailleurs, n'occupait pas tout son temps, et il
se livrait à la composition avec une ardeur et une activité qui tenaient
du prodige. On peut s'en rendre compte, en considérant le nombre
d'oeuvres publiées par lui do son vivant, par cette note d'un de ses
biographes : — « Ou lit dans le Journal encyclopédique de Venise de
1773 CTartini était mort le 26 février 1778) que le capitaine P. Tartini,
neveu du célèbre Tartini, a déposé chez Antoine Nozzari, excellent
violoniste, les sonates et concertos suivants, composés et écrits de la
main de son oncle, savoir : 1° quarante-deux sonates ; 2° six autres
plus modernes; 3° un trio ; 4° cent quatorze concertos; o" treize autres
plus récentSj'eto. Ou était prié, pour en faire l'acquisition, de s'adresser
à M. Carminer, à Venise, qui avait parlé plusieurs fois de Tartini
dans son Europe littéraire et y avait même inséré des morceaux de
ce grand artiste. »
Beaucoup de ces compositions sont restées inédites, et on en trouve
ea manuscrit dans les archives municipales de Pirano et dans celles
de l'Arca del Santo, de Padoue. Ses œuvres ont été l'objet de grands
idoges de la part des critiques. Algarotti disait que ses sonates font
àlir celles de Corelli et font souvenir des sonnets de Pétrarque. « Elles
-ont remarquables, ajoutait-il, par une conduite originale, fanlaisiste,
bérale, réglée par les lois de l'art, mais sans servitude et sans pé-
lantisme. j) Il disait encore que Tartini, avant de composer, avait
■..lutuine de lire quelque pièce de Pétrarque avec lequel il sympathi-
sait beaucoup pour la finesse du sentiment; et cela pour avoir un
nbjet déterminé à peindre et ne jamais perdre de vue le motif ou le
ujet; u c'est ainsi que dans ses sonates la plus grande variété se joint
I l'unité la plus parfaite ».
Le savant La Lande s'exprimait ainsi dans son Voyage d'Italie :
II On ne peut guère parler de musique à Padoue sans citer le célèbre
Joseph Tartini qui est depuis longtemps le premier violon de l'Europe,
•ia modestie, ses mœurs, sa piété le rendent aussi estimable que ses
lalents. On l'appelle en liaMs il maestro délie nazioni aoii pour l'exé-
ution soit pour la composition. »
De son côté, Guingueni disait, dans l'Encyclopédie, en parlant de
i'trtini : — « On sait que ce grand homme fit une double révolution
-ins la composition musicale et dans l'art du violon. Des chants
iibles et expressifs, des traits savants mais naturels et dessinés sur
une harmonie mélodieuse, des motifs suivis avec un art infini, sans
air de l'esclavage et du pédautisme que Corelli lui-même, plus
' 'Cupé du contrepoint que du chant, n'avait pas toujours évité; rien
le négligé, rien d'affeclé, rieu de bas; des chants auxquels il est
iiipossible de ue pa? attacher un sens et où l'on s'aperçoit à peine que
I parole manque : tel est le caractère des concertos de Tartini. >>
L'une des œuvres les plus importantes de Tartini est son fameux
[rt del'archet (Arte del l'arco), que J.-B. Cartier, son ardent admira-
eur, a publié en France. La plus curieuse sans contredit, au moins
ar son origine, est sa célèbre Sonate du Diable, dont il a été fait, en
"rance aussi, plusieurs éditions. C'est encore La Lande qui a fait
unattre cette origine, en rapportant ainsi l'anecdote qu'il tenait à
e sujet de Tartini lui-même. Voici comme il s'exprime : « Une
iUit, en 1713, me dit-il, je rêvais que j'avais fait un pacte et que le
diable était à mon service; tout me réussissait à souhait, mes volontés
étaient toujours prévenues, et mes désirs toujours surpassés parles
services de mon nouveau domestique. J'imaginai de lui donner mon
violon pour voir s'il parviendrait à me jouer de beaux airs; mais
quel fut mon étonnement lorsque j'entendis une sonate si singulière
et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence que je
n'avais même rien conçu qui put entrer eu parallèle! J'éprouvais
faut de surprise, de ravissement, de plaisir, que j'en perdais la respi-
ration; je fus réveillé par cette violente sensation. Je pris à l'instant
mon violon, espérant retrouverune partie de cequejevenaisd'entendre,
mais ce fut en vain : la pièce que je composai alors est, à la vérité, la
meilleure qu(3 j'ai jamais faite, et je l'appelle encore la Sonate du
Diable; mais elle est si fort au-dessous de ce qui m'avait frappé, que
j'eusse brisé mon violon et abandonné pour toujours la musique, si
j'avais été eu état de m'en passer. » De même que l'Art de l'archet,
cette fameuse et curieuse Sonate du Diable fut publiée en France par
l'excellent violoniste Cartier, à qui elle avait été communiquée par
Baillot, qui, dit-on, l'avait obtenue à Rome de Pollani, l'un des bons
élèves de Tartini.
Tartini était âgé de près de 78 ans lorsqu'il mourut à Padoue,
succombant à une longue et douloureuse maladie. Dès la première
nouvelle qu'il avait eue de son état, son élève le plus célèbre,
Nardini, était accouru de Rome pour lui prodiguer ses soins, et c'est
dans les bras de Nardini que le grand artiste rendit le dernier soupir.
Peut-être le dévouement de ce disciple affectueux n'était-il pas
superflu si l'on s'en rapporte à ce que Choron nous apprend au sujet
de la femme de Tartini, qui, cependant l'avait épousée dans les condi-
tions qu'on a vues : « Il paraît, dit Choron, que la femme de Tartini
était une vraie Xautippe à son égard, et qu'il avait pour elle la dou-
ceur et la patience de Socrate. » Fétis dit de son côté : i Le caractère
acariâtre de sa femme ne le rendait pas heureux; mais il eut
toujours avec elle une patience et une douceur inaltérables. » Et
Choron dit encore, au sujet de Tartini lui-même : « Sa conduite
particulière prouve combien il était désintéressé. Il nourrissait plu-
sieurs familles indigentes, et fit élever plusieurs orphelins à ses frais;
il donnait aussi des leçons gratuites à ceux qui voulaient apprendre
la musique et n'avaient pas les moyens de payer. » Nous voilà loin
du Tartini des jeunes années, dissipé, querelleur, duelliste enragé et
livré sans réserve à ses passions.
Tel est le grand artiste auquel ses concitoyens viennent de rendre
un éclatant et solennel hommage. C'est le 2 de ce mois qu'a eu lieu,
à Pirano, l'inauguration de la statue de Tartini. L'idée de ce monu-
ment remonte à l'année 1888, et l'on avait voulu être prêt pour le
12 avril 1892, date du second centenaire de la naissance de l'artiste;
mais il a fallu compter sur les retards toujours inévitables en pareil
cas bien qu'au premier appel du comité aient aussitôt répondu avec
enthousiasme non seulement Trieste, mais toutes les communes,
toutes les bourgades, et aussi toutes les sociétés du Frioulet del'Istrie,
justement fières de leur compatriote. La statue, œuvre du sculpteur
Antonio Dali Zotto, fondue en bronze, à Venise, par M. Munaretti,
mesure deux mètres quarante et estplacée sur un piédestal en marbre
gris, travaillé dans un style plein de grâce par M. Tamburlini, de
Trieste. Sur la face intérieure on lit cette simple inscription:
A Giuseiipe Tartini — l'Istria — 1896.
C'est un vrai monument national. Arthur Pougin.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite}
PRISONS POLITIQUES MODERNES
I
La chuine des Iradilions. — Les détenus polUiqucs « Siiinle-Pèlagle. — Souvenirs de Ras-
pail: hommage remlu à lu musique; les mornes à ta prière du soir. — Le drapeau des
prolétaires et le buste du comte de Chambord. — Les concerts du vicomte Sosthènes
de Larochefoucauld. — Sainte-Pélagie à l'Opéra. — Les hymnes patriotiques à Belle-
Isle-en-Mer et te cancan à Doullens.
Qu'on ne s'y trompe pas, ce chant, aujourd'hui inconnu, de U Répu-
blique des Égaux, va devenir, par une sorte de suggestion invisible
et insaisissable, l'évangile des détenus politiques, à partir de 1831 :
car, pour nous, la prison moderne date de cette époque; et que ses
pensionnaires républicains y fassent retentir la Marseillaise, le Chant
du Départ ou la Parisienne, à défaut d'autres hymnes répondant mieux
à leurs aspirations, la phrase musicale, émise par eux en sourdine,
ou lancée à pleins poumons, est toujours dans leur pensée une des
protestations les plus accentuées du socialisme vaincu.
276
LE MENESTREL
L'avènement de la monarchie de Juillet avait causé dans tous les
camps d'amères déceptions. Les républicains et les bonapartistes, qui
avaient travaillé d'un commun accord a renverser la branche aînée
des Bourbons, ne pouvaient se consoler d'avoir tiré les marrons du
feu pour la branche cadette; d'autre part, les légitimistes gardaient
rancune à celle-ci de sa victoire. Tous se coalisèrent donc contre
a l'usurpation » triomphante, fort inutilement d'ailleurs, car Sainte-
Pélagie ne tardait pas à ouvrir ses portes aux débris de conspirations
aussi vite avortées que hâtivement conçues.
L'une des victimes, le républicain Raspail, a tracé, dans son livre
des Prisons, un tableau très mouvementé de Sainte-Pélagie à cette
époque. Nous nous j arrêterons volontiers, parce qu'on ne s'atlend
guère à trouver des pages aussi émouvantes et aussi attendries chez
ce farouche démocrate. On le savait habile chimiste ; il reste encore
aux yeux de tous l'apologiste convaincu du camphre qui fit sa for-
lune et l'ennemi irréconciliable des jésuites qui ne l'empoisonnèrent
pas ; mais se serait-on jamais douté qu'il était un amateur passionné
de musique et que son enthousiasme se manifestait par un déborde-
ment de lyrisme d'une superbe envolée?
Se rappelant sans doute les rôles respectifs d'Orphée et d'Amphion
dans l'antiquité, Raspail assigne aux musiciens modernes une mission
qu'ils déclineraient vraisemblablement, mais qui n'en est pas moins
un hommage très sincère rendu à l'excellence de leur art :
... Je proclame les musiciens, s'écrie-t-il, les premiers réformateurs du
monde, les pontifes de la civilisation nouvelle... Pauvres ménestrels, vous
ignorez votre puissance et l'esprit de Dieu qui est en vous. Inspirez-vous
et allez annoncer aux nations l'heureuse nouvelle, l'évangile du monde
qui se régénérera et se reconstruira, pierre à pierre, aux accords de vos
lyres et à vos chants de liberté ; la terre vous attend sur les pelouses de
fleurs et sous les dômes de verdure, dont le génie de Juillet a jeté la graine
à la volée, sur la surface du globe entier. Allez, on vous attend; portez
la paix et la concorde dans le monde, vous prêtres de l'harmonie et de
l'unité.
Si Raspail parle avec celte éloquence enflammée de la musique et
de son action morale sur les masses, c'est qu'il la considère comme
une des formes les plus pénétrantes de la « prière politique », cette
tradition toujours respectée de Sainte-Pélagie.
La prière politique est vieille comme le monde. Le sauvage, au pouvoir
de ses ennemis, obtient de ses bourreaux le temps nécessaire pour exécuter
une danse religieuse et se préparer à mourir en brave, en répétant les
chants de son pays. Le guérilla espagnol, que l'exécution attend parderrière,
le canon du fusil appliqué sur l'omoplate, récite ses litanies et sa profes-
sion de foi, l'œil fier et fixé sur la voûte des cieux, la voix vibrante et qui
n'a plus rien de terrestre. Dans les prisons de Paris, l'usage de la prière
du soir est resté incrusté dans les murs des préaux, à quelque couleur
qu'ils appartiennent. Dès qu'un politique y entre, cet usage suinte des
murs et vient le saisir au passage: en 1793, ou chantait chaque soir à la
Conciergerie, des romances et des airs patriotiques, ce qu'on appelait faire
l'ofpee et cet office était chaque jour l'office des morts: chez nous, Voffice
s'appelle la /méj'e du soir.
Elle portait encore le nom de Prière de Rouget de Liste; c'était la
UaiseiUaise, que les détenus entonnaient en chœur, pendant leur pro-
menade quotidienne; mais d'un autre point de la cour partait la Car-
magnole chantée par « les moutons de la police » ; et les guichetiers,
persuadés que les républicains allaient tomber dans le piège, prépa-
raient déjà leur procès-verbal de contravention. Or, les détenus se
gardaient bien de leur donner cette satisfaction ; ils imposaient silence
aux mouchards et les obligeaient à rester dans leurs chambres.
Par contre, ils assistaient à des concerts enfantins qui leur ravis-
saient l'âme.
Deux cent cinquante enfants de huit à douze ans, des « peiits
mômes », comme les appelait l'argot des prisons, se trouvaient alors
renfermés à Sainte-Pélagie: les patrouilles les avaient ramassés en
étal de vagabondage dans les rues de Paris. Les pauvres petits misé-
rables, avec leurs gros sabols et leur « complet » en toile d'embal-
lage, avaient bien la tournure la plus grotesque du monde; mais ils
étaient très fins et très rusés, d'ailleurs fort reconnaissants de la
pitié que leur témoignaient les détenus et suivant avec une rare doci-
lité les leçons que leur donnait charitablement un professeur impro-
visé.
Là encore. Raspail écrit une page, pleine de sentiment et de poésie,
qu'on dirait échappée de la plume d'une femme :
A la brune, ils nous chantent en chœur les plus beaux morceaux de
musique qu'ils aient dans leur répertoire et que leur ait appris leur bon
père avec le plus de soin, et la pureté de ces jeunes voix, jointe à la
pureté de ce pan de ciel étoile que juillet étend chaque jour, comme une
tente d'azur piquetée d'argent, au-dessus de notre gouffre, me ramène par
la pensée à ce pays que j'aimais tant et qui m'aime si peu ; où la brise du
soir m'apportait au fond de la retraite, dont la guerre civile m'avait fait
une prison, et une bouffée du parfum des champs, et une bouffée de la
mélodie des rues; et j'ai depuis lors entendu peu de mélodies plus pures,,
plus saisissantes que ces mélodies populaires qui saluent, dans le midi
de la France, chacune des belles nuits d'été.
Ici ces chants, dignes d'un autre théâtre, nous préparent l'esprit et le
cœur à la prière du soir qui commence dès que nos protégés sont montéS-
dans leur dortoir : et nous avons toutes les peines du monde pour les dé-
terminer à ne pas unir leur voix à la nôtre, car les petits démons sont
devenus aussi patriotes que nous, ils chantent ta Marseillaise avec l'àme de
ceux qui ont une patrie, eux, pauvres petits vagabonds qui n'ont d'autre
patrie que la prison. Il faut les voir relever leur petite taille à ces mots :
Allons, enfants de la patrie ! On surprend souvent des larmes dans leurs yeux,
car c'est peut-être la première fois qu'ils ont entrevu une mère et dans les
bras de cette mère, un nom qui les rendit fiers d'être nés!
Il est des rapprochements étranges ! Raspail raconte que, dans le
cours de ses pérégrinations cellulaires, il rencontra à la souricière
de la Conciergerie, un de ses co-accusés, dont le cas rappelle d'assez
près celui de Ferrières-Sauvebœuf. Ce personnage vivait à la pistolc
en véritable sybarite. Le parquet de sa chambre disparaissait sous
un épais tapis d'Aubusson. La cellule était tendue comme un boudoir
et le Jour n'y pénétrait qu'à travers une gaze brodée. Le lit, élégam-
ment sculpté, s'enveloppait de larges et soyeux rideaux. Sur la che-
minée, que surmontait une glace, apparaissait entre des flambeaux
et des porte-bouquets, une superbe pendule, le Char du Soleil. Enfin,
dans l'embrasure de la fenêtre, un piano de Pleyel, tenu par une
nymphe en galant négligé,
■Versait des torrents d'harmonie
Au fond des longs corridors noirs.
Dans cette étude très documentée et très vivante encore, à soixante
ans d'intervalle, Rispail ne nous parait pas insister suffisamment sur
la mise en scène de la « prière du soir », qui a bien son importance ;
car il s'en dégage une impression musicale d'une rare intensité.
Pour se distinguer du commun des détenus, les prisonniers politi-
ques s'étaient habitués à vivre en soldats à Sainte-Pélagie. Un officier
instructeur les initiait aux manœuvres militaires ; et ils continuaient
l'entrainement dans l'exécution même de la prière du soir. Groupés
au milieu de la cour, ils plaçaienl, dans le cercle ainsi formé, le dra-
peau tricolore ; puis ils entonnaient successivement la Marseillaise el
la Parisienne. Quand ils arrivaient au couplet: « Tambour du convoi
de nos frères », ils se mettaient à genoux, se découvraient et chan-
taient d'une voix lente et basse. Djs spectateurs élrangors, qui assis-
tèrent à ce spectacle et entendirent cet unisson, ne purent se dé-
fendre d'une émotion profonde, d'autant plus vive que la mise en
scène, très arlistement réglée, se terminait par une apothéose quasi
patriotique. « Quand l'hymne est fini, le porte-drapeau fait le tour du
cercle, chacun baise les trois couleurs, puis on se relève ; le drapeau
est reconduit avec la même cérémonie. »
Au tableau des « prolétaires », comme les appelle Armand Jlarrast,
à qui nous empruntons le trait final, il importe d'opposer le croquis
des légitimistes, tel que nous l'a laissé le fameux Bérard. Ce pam-
phlétaire mort, il y a quelques années à peine, fidèle encore à la
religion du drapeau blanc, payait alors d'une longue détention la
publication de son journal les Caneans.
« Le buste du comte de Ghambord, écrit-il, placé sur une colonne en-
tourée de fleurs et surmontée de drapeaux blancs, recevait les hommages
des serviteurs du prince qui, tour à tour, la main tendue vers son visage,
juraient d'e lui rester fidèles. Le sérieux avec lequel s'accomplissait cette
cérémonie lui imprimait un caractère religieux qui élevait le dévouement
de chacun à la hauteur d'un devoir de conscience. Tout se terminait par
la reprise en chœur d'un chant de guerre fort répandu alors :
Près d'Henri serrons nos bataillons.
La mort ou la victoire !
De leur côté, les bonapartistes, collaborateurs ou non du journal la
Révolution de 1830, entretenaient leurs espérances avec les odes de
Béranger et se joignaient souvent encore aux républicains pour la
prière du soir.
En tout cas, les représentants de ces divers partis, qui se seraient
peut-être entre-dévorés, si l'un d'eux était arrivé au pouvoir, vivaient
dans la meilleure intelligence à Sainte-Pélagie. Ainsi qu'on voit, en
certains pays, des prêtres de diverses religions se succéder au même
autel, républicains, légitimistes et bonapartistes chantaient dans la
même prison les louanges de leurs dieux respectifs, sans haine ni
jalousie réciproque, et au milieu de l'ordre le plus parfait.
Cependant Saiule-Pélagie ne désemplissait pas. A vrai dire, l'oppo-
sition anti-dynastique ne désarmait point : bien mieux ses leader
redoublaient de violence et d'acrimonie; ils semblaient qu'ils eussent
LE MÉNESTREL
277
la nostalgie de la paille humide des cachols. Nous parlons, comme
on pense bien, au figuré : car ces victimes du devoir en étaient
arrivés, grâce à la tolérance administrative, à gagner le plus agréa-
blement du monde les palmes du martyre.
Le vicomte Soslhène de Larochefoucauld en convient très volon-
tiers dans SCS Mémoires.
Ou sait si cet ancien surintendant des beaux-arts aimait la musique
et le théâtre, bien que ses détracteurs l'eussent accusé à tort,
paralt-il, d'avoir fait allonger, sous son règne, les jupes des danseuses
de l'Opéra.
Toujours est-il que M. de Larochefoucauld, incarcéré pour délit
politique à Sainte-Pélagie en 1833, eut la fantaisie d'y satisfaire son
goût très vif pour la musique.
« Jadis, écril-il, nos soldats étaient allés, violons en tête, à l'attaque
des lignes ennemies : les prisonniers du juste-milieu pouvaient bien
se donner le passe-temps de quelques symphonies sous les verrous
doctrinaires. •>
L'essentiel était d'avoir l'autorisation de la police. Le directeur de
Sainte-Pélagie, qui avait offert au vicomte son appartement comme
salle de concert, s'entremit pour obtenir l'agrément de l'administra-
tion. Il cautionna l'innocence de l'entreprise, répondit de la sagesse
de l'imprésario et de ses artistes ; et déplaçant même la question
pour la porter sur un terrain où l'avaient déjà précédé les philan-
thropes des pénitenciers, il invoqua l'effet salutaire que produirait
certainement la musique sur les rapports des prisonniers entre eus.
Bref, il plaida si bien la cause de son pensionnaire que l'autori-
sation, après s'être fait longtemp? attendre, fut détinitivement
accordée.
Le premier concert fut très brillant. Parmi les artistes hommes
se trouvaient d'excellents virtuoses, amis particulier du directeur,
enlr'autres Clavel, violon de rOpéra. Le côté dames éiait représenté
par M""= Charbouillé Saiut-Phai, une pianiste hors ligne, dout le
talent se réservait d'ordinaire pour les fêtes de charité; la fille du
vicomte et la gouvernante de cette demoiselle, (jui avait une fort
belle voix, jouaient toutes deux de la harpe. Les soli, les duos, les
trios, les quatuors se succédaient sans interruption, à la grande
satisfaction des spectateurs, hôtes pour la plupart de Sainte-Pélagie ;
car l'organisateur de la soirée avait voulu que tous fussent appelés
sans distinction de classes, ni d'opinions. Et la salle avait gagné, à uoe
invitation aussi large, d'offrir l'aspect le plus inattendu : « On aurait
peine, dit le narrateur, à se figurer le coup d'oeil que présentait celte
réunion, oli l'on distinguait, avec le plus complet assoitimenl do
couleurs dépareillées, bottes de couleurs, pantoufles brodées, cas-
quettes et capotes de tous les goûts. »
Malheureusement on parla trop de ce concert au dehors ; les anti-
chambres ministérielles s'en émurent, et firent ordonner une enquête.
Le directeur dut se défendre, mais il avait pris la chose tellement
à cœur et il se montra' si éloquent, que non seulemenl il imposa
silence aux méchantes langues, mais qu'il obtint encore un blanc-
seing pour une nouvelle série de concerts.
On arrivait ainsi à cet âge d'or, o'u Ton vit des prisonniers poli-
tiques, les accusés d'avril entre autres (1833). se promener dans le
jour sur les boulevards et assister le soir aux représentations de
l'Opéra. En 18d8, le fameux Jacquot, dit Eugène de Mirecourt, devait,
à la même prison, obtenir les mêmes faveurs.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAOMENTS
(Suite.)
H , le statuaire, m'affirmait tout à l'heure qu'il y a pour l'artiste
une grande difficulté à produire en province une œuvre vraiment
intéressante, car il lui e.it impossible de tout tirer de son propre
fonds, et il lui manque, en province, la suggestion incessante qui
est autour de lui, à Paris.
Est-ce que cette difficulté ne pourrait être compensée par Pavan-
tage d'être là-bas plus personnel, étant plus à l'abri des courants
de la mode, du joug des tendances du moment, qui imposent leur
esthétique et leurs formes aux ouvriers de la pensée, en sorte qu'ils
s'uniformisent plus ou moins, y accommodant, même à leur insu,
leurs tempéraments?
!S
X X
Ce jour-lù, je passais dans la principale rue de Stuttgart, quand,
tout à coup, les horloges sonnant midi, j'entendis un large choral à
quatre parties chanté par les voix graves d'instruments de cuivre.
Je levai la tête dans la direction du son, et j'aperçus au haut de la
tour du vieux Munster, sur la plate-forme, une rangée de musiciens.
C'étaient eux .qui, suivant un usage traditionnel, interprétaient à
cette heure un choral; dès leur tâche finie, ils descendirent rapide-
ment et se mêlèrent à la foule, retournant à leurs occupations.
Cette prière au milieu du jour, rappelant d'en haut Dieu à la ville
affairée, et l'invoquant pour elle, donnait une rare impression de
noblesse et de foi sereine.
S!
X a
L'ami Chabrier, comme bien d'autres, n'a pas conscience de son
vrai tempérament. Il y a en lui une verve bouffonne et exubérante, un
esprit gaulois, une vis comica qui ne demandent qu'à s'épandre au
dehors. — Témoin Espana, la Marche joyeu.se, les Dindons, les Petits
Cochons roses etc. — Pourquoi chercher à renouveler l'inimitable
épopée wagnérienne? — Ah! que je voudrais à celui-ci, qui pourrait
prendre une place à part dans notre grande famille de musiciens
fiançais, un poème selon sa vraie nature! de brutales kermesses
à laTéniers, de bruyants cabarets, des foires turbulentes, des marchés
de village avec leurs dispule> criardes, des fêtes et de magnifiques
processions flamandes, des scènes truculentes, picaresques, des
Falslafl', des Tabarin, des Rabelais, des Argan, des Diaforus, des
Harpagon que sais-je"? avec une poussée de franc naturalisme!
Chabrier, dont le tempérament est essentiellement français, pourrait
fournir une note verveuse, comique, absolument nouvelle, et toujours
musicale.
On abuse de ce scepticisme paresseux et un peu snob, qui se traduit
par l'aphorisme : « Qui sait si l'erreur d'aujourd'hui ne sera pas la
vérité de demain ? » — C'est cette disposition d'esprit qui encourage
les tentatives prétentieusement ridicules, et, — en littérature, mal-
honnêtes, — de quelques impuissants.
Il ne faut pas toujours railler la critique qui s'est exercée sur des
œuvres acclamées plus tard. Le temps remet toutes les choses au
point, atténuant les admirations du lendemain et ramenant souvent
à la postérité une partie des appréciations de la veille.
Quand Berton disait que Rossini faisait de la « musique mécanique »,
il n'avait pas tout à fait tort. Il fut ridicule après Guillaume Tell. Mais,
aujourd'hui, qui ne pense qu'il y avait, en effet, peu de vraie musique,
et abus de quelques procédés, des plus vulgaires, dans Matilde di
Sabran, Zelmira, Tancredi, et autres macaronades?
En Suisse. — Hier soir, nous sommes revenus de Bellefue à Gur-
nigel, près Berne, par la forêt. La nuit, une claire nuit d'août sans lune,
était comme parfumée. Sous les dômes de sapin une lumière douce
filtrait, et le ciel bleu, strié d'étoiles, apparaissait de-ci, de-là, agran-
dissant la voirie. — Tout le monde s'est mis à chanter.
Quelles que soient les beautés du grand art polyphonique, il fau-
dra toujours à l'homme des chants monodiques , qui répondent à un
besoin de son cœur. Nous, les raffinés, nous redisons bien mentale-
luent les passages polyphoniques les plus admirés, mais ce sont natu-
rellement des chants monodiques, qui, à certains moments, nous
montent aux lèvres.
Ce sont aussi ces chants que fredonnent l'ouvrière courbée sur
son ouvrage, le travailleur devant son établi, le paysan à la veillée,
et qui leur apportent, à leur insu, — avec une consolation, — une
lumineuse parcelle d'idéal.
Si, depuis vingt ans, un plus grand nombre d'opéras avaient été
conçus avec la préoccupation d'une ligne mélodique clairement des-
sinée, et très en relief, — comme Carmen, par exemple, — sans doute
entendrions-nous moins de refrains ineptes ou obscènes, qui se sont
substitués dans la bouche du peuple aux doux et simples chants
d'autrefois.
Mon maître m'a raconté avoir discrètement indiqué à Mcyerbeer
l'impression d'inquiétude que lui causait toujours la longue et
meurtrière tenue sur Yut au-dessus des lignes imposée à Valentine
pendant le duo avec Marcel, au second acte des Huguenots. Mcyerbeer
confessa aue ce passage avait été de sa part une concession à
M"= Falcon qui, après l'éclatant succès de Robert, avait droit à sa vive
gratitude. M"° Falcon l'avait littéralement persécuté pour qu'il plaçât
exactement cet effet dans le prochain rôle qu'il lui confierait.
278
LE MÉNESTREL
La plupart des compositeurs les plus célèbres de l'école russe
n'étaient pas des professionnels. SerofT était conseiller d'État,
Moussorgski officier, Borodine professeur de chimie à l'Académie
de médecine de Saint-Pélersbourg: César Cui est général et profes-
seur de topographie militaire. Presque tous accomplissaient assidû-
ment les devoirs de leur charge et ne pouvaient donner qu'un temps
limité à l'art qu'ils aimaient avec tant de désintéressement. Ils n'en
ont pas moins acquis une notoriété, on peut même dire, une renom-
mée internationale.
En France, quelle que fût leur habileté technique, le qualificatif
d'amateur se serait certainement accroché à leurs noms, avec tout ce
qu'il renferme de dédaigneuse indifTérence.
Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'il n'en va pas de môme pour les
autres productions de l'esprit.
Des bureaucrates écrivent bon nombre de nos pièces de théâtre
les plus joyeuses; je sais tel d'entre eux qui a fait bonne figure aux
Français avec une légende mystique, et tel autre qui expose chaque
année au Champ-de-Mars des paysages très délicats et personnels.
L'Académie française a admis, — avant l'âge où un homme de
lettres peut aspirer à devenir immortel, — le lieutenant de vaisseau
Jules Viaud, alias Pierre Loti.
Je ne parle pas de l'antiquité. Il y eut jadis à Rome certain ama-
teur, du nom de Jules César, qui publia des Commentaires jouissant
encore de quelque considération dans le monde des lettres.
Il y a des prêtres, qui feraient haïr la religion. Il y a des artistes
qui feraient ha'ir l'art.
><\
Cette partition de Tristan, c'est comme une femme dont on voit les
travers, les défauts, — même les vices, — et à laquelle on revient
parée qu'il se dégage d'elle un charme qui ensorcelé.
Après Haydn et Mozart, le musicien qui a trouvé les mélodies les
plus intéressantes, en les concevant sur des harmonies qui se meu-
vent de la tonique à la dominante, est peut-être notre Boïeldieu. On
est étonné, en relisant ses partitions, d'y trouver un aussi grand
nombre de chants très simples, d'une grâce aimable, et dont le
dessin diversement rythmé fait la variété.
La plupart des auteurs qui donnent en ce moment des pièces où
passent des scènes du Nouveau-Testament, ne comprennent rien à
l'Evangile. En le paraphrasant, en délayant sa concise simplicité, en
ajoutant aux paroles éternelles un coloris poétique dont la moder-
, nité fade se fanera comme la mode, ils le dénaturent.
N'est-ce pas l'un d'eux qui a écrit ces vers:
Laissez venir à moi les petits enfants blonds? (i)
Et un autre:
Laissez venir à moi jusqu'aux petits enfants (2).
Rien ne prouve mieux l'origine divine de l'Evangile que cette im-
possibilité d'y rien modifier.
Et c'est aussi pourquoi une traduction musicale en est fort difficile.
Quand nos contemporains y louchent, il me semble voir un ouvrier
malingre qui s'évertuerait à orner de vernis Martin les puissants pi-
liers d'une cathédrale gothique.
(A suivre.) A. Montaux.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
On nous télégraphie de Vienne : c< La soirée de gala devant un public
d'invités, donnée jeudi à l'Opéra impérial en l'honneur des souverains
russes, a été un véritable triomphe pour la délicieuse partition de M. Mas-
senet, Manon. Il faut dire que l'air ambiant de la salle était fort favorable
à l'impression produite par le chef-d'œuvre français qui évoque si puis-
samment le souvenir de l'ancien régime, sous lequel les grands et puis-
sants de la terre menaient une existence douce et voluptueuse à jamais
disparue de la société moderne, tendant de plus en plus à se démocratiser.
(1) M. Haraucourt.
(2) M. Armand Silvestre.
Le parterre était un étincelant mélange d'uniformes, chamarrés d'or et
rehaussé de l'éclat de décorations ; dans les loges les grandes dames vien-
noises et hongroises charmaient les regards par leur beauté, l'élégance de
leurs toilettes et le feu scintillant des pierreries dont elles étaient constel-
lées, ayant chacune épuisé les trésors du Famitienschmudi, de ces parures
précieuses qui, dans les grandes familles autrichiennes et hongroises, se
transmettent de génération en génération en qualité de majorât inalié-
nable. Vers huitheures, les souverains et la cour firent leur entrée dans la
salle, tout récemment restaurée et redorée et illuminée « 9!o™o. M. Jahn,
directeur de l'Opéra impérial qui conduisait en personne, fit immédiate-
ment attaquer les premières notes de Manon dont on ne jouait que les trois
premiers actes, et la représentation se déroula sans le moindre accroc.
M"'^' Renard et M. Van Dyck, qui étaient merveilleusement en voix, ont
interprété leurs rôles avec le charme et la maestria qu'on connaît, et l'em-
pereur de Russie a donné à plusieurs reprises, surtout après lî scène à
Saint-Sulpice, le signal des applaud-issements. Pendant l'entr'acte qui a
duré presque une demi-heure, le thé a été brillamment servi aux sou-
verains et à la cour dans le grand salon qui précède la loge de gala au
centre de la salle, loge occupée par les Majestés et les membres de la
famille impériale d'Autriche-Hongrie. Le ballet Valse viennoise, qui est de-
venu une espèce de ballet national au même titre que la valse du Beau
Danube bleu, de Strauss, clôtura cette très brillante soirée. »
— De notre correspondant de Belgique (27 août). — Les théâtres, un à un,
se rouvrent ou s'apprêtent à se rouvrir. Après le Vaudeville et les Gale-
ries, viendra, la semaine prochaine, le tour de la Monnaie et de l'Alham-
bra. La Monnaie inaugurera sa nouvelle saison le 5 septembre, et son
premier spectacle sera vraisemblablement iofteni/riH. La direction vient de
publier le tableau otïïciel de sa troupe; ce tableau est, à peu de chose
près, celui que je vous ai annoncé, successivement au fur et à mesure des
engagements; le voici d'ailleurs au complet.
MM. Flon et Du Bois restent à la tête de l'orchestre, M. Baudu est
régisseur général.
Les artistes du chant sont :
Du côté des femmes : M""»* Landouzy, Raunay, Kutscherra, Jeanne Ilar-
ding, Gianoli, Holmstrand, Goulancourt, Mastio, Milcamps, Hendrickx,
Mauzié, Maubourg, Bélia.
Du côté des hommes : ténors : MM. Imbartde la Tour, Bonnard, Isouard,
Dantu,Caisso, Disy, Gillon.
Barytons : MM. Seguin, Frédéric Boyer, Dufranne, Gadio, Gilibert.
Basses : MM. Dinard, Journet, Elancard, Danlée.
Artistes de la danse : M""^^ Térésita Riccio, Antoinette Porro, Jeanne
Dierickx, Zumpichell ; MM. Laffont, Artiglio Lorenzo, Desmet, Stenee-
bruggen.
Les chœurs comptent quatre-vingt-six personnes, l'orchestre quatre-
vingt-six musiciens.
Le nombre des nouveaux venus, étrangers, débutants et inconnus, est,
comme on le voit, assez considérable. Espérons que, dans sa recherche de
talents inédits et d'élèves d'avenir, la direction aura eu la main heureuse;
cela lui a réussi parfois; les artistes de réputation sont rares à trouver et
ils coûtent cher ; avec les « jeunes », entrant dans la carrière avant même
quêteurs aînés n'y soient plus, on a du moins la certitude de ne pas gaspiller
d'argent et la chance de trouvailles heureuses. MM. Stoumon et Galabrési
fondent, cela va sans dire, sur leurs nouvelles acquisitions, beaucoup
d'espérances. Vous connaissez M"<= Kutscherra et M"' Harding. M"' Gia-
noli est une Genevoise, élevée en Italie, où elle s'est essayée, à Crémone
et à Milan, dans de petits rôles et dans les concerts. M"' Holmstrand est
une Suédoise; elle a chanté au théâtre de Stockholm, a travaillé à Paris
avec M. Saint- Yves-Bax et s'est fait entendre un soir de l'hiver dernier au
Cercle artistique de Bruxelles, où l'on a remarqué la pureté de sa voix.
M"" Mauzié s'est produite dans quelques salons parisiens, mais n'est jamais
montée sur les planches. M"'^ Maubourg a eu des succès dans les cafés-
concerts d'Alger, du midi de la France et de Namur. MM. Dantu, ténor, et
Blaucard, basse, ont chanté, l'un, au concert Colonne, dans la Damnation
de Faust, l'autre, au concert Lamoureux, dans la Circé de M. Théodore
Dubois. Enfin, deux de nos compatriotes. M"" Goulancourt, une brillante
élève de M"'° Gornélis-Servais, douée d'une très puissante voix de falcon,
et M. Dufranne, un baryton très applaudi au Conservatoire, complètent la
série. Les premières semaines de la saison serviront sans doute à présen-
ter au public et à essayer tous ces débutants. Puissent ces essais réussir
tous, ne pas durer trop longtemps, ne point retarder les « nouveautés »
annoncées, et aider à la fortune de la direction !
A Anvers, à côté du Théâtre Royal, dont on ne connaît pas encore les
intentions, l'Opéra flamand se prépare à rentrer en campagne, avec non
seulement des œuvres classiques, comme le Don Juan de Mozart, et le
Fidelio de Beethoven, mais aussi avec des œuvres inédites telles que le
drame lyrique de M. Peter Benoît, Poinpéia (Dernier jour de Pompëi) et la
Servante d'auberge {De Herbergprinces) de M. Jan Blockx, deux nouveautés
sensationnelles. C'est par ce dernier ouvrage que l'Opéra flamand compte
ouvrir sa saison, le 2 octobre. L. S.
— Courrier d'Espagne. — Barcelone, 23 août 1890.— Depuis le commence-
ment de la saison d'été, nous sommes tout à l'Opéra populaire. Nous avons
en ce moment, trois théâtres d'opéra italien, au prix de -2ii centimes, cinq
sous.
C'est d'abord le Nuevo Retire, qui a eu des hîurs et malheurs, mais
LE MÉNESTREL
279
qui, cahin-caha, surnage comme il peut. « Surnage » est bien le mot qui
convient, car, lorsqu'il pleut — et, malheureusement, ce n'est, cette année,
que trop fréquent — ce brave théâtre est à peu près submergé. Nous avons
une fois assisté à une de ces représentations — on donnait Gli Vgonolti —
avec accompagnement inopiné et inattendu d'une pluie torentielle. Le
spectacle qu'a alors présenté la salle est inénarrable : Interdits, les artistes
en scène s'arrêtent; le public crie: Continuez! et l'orchestre repart. Mais
tout à coup, une avalanche d'eau envahit la salle, et tous les spectateurs
montent sur les sièges et s'installent bravement sur les bras et les dossiers
d'iceux, en se cramponnant les uns aux autres et avec des cris, des rires
etdes exclamations du plus cocasse effet. Les chanteurs se tordaient. Pen-
dant l'entracte, les pompiers de service ont dû vider la salle. (Ilislorique).
Nous avons ensuite le Jardin Espagnol, avec le même répertoire, des
artistes à peu près de même valeur — quelques-uns non sans mérite, et
au même prix. L'établissement est moins exposé aux intempéries, et les
choses y sont plus calmes. Le chef d'orchestre est M. Fr. Perez-Cabrero,
un musicien parfait.
Puis, le théâtre Gran-Via, très à l'abri celui-ci, la troupe Giovannini
(opérette et opéra demi-caractère) qui fait florès, et qui, possède parmi
ses pensionnaires, une petite chanteuse légère — élève, dit-on du baryton
"Verger — qui est de tout point exquise, la signorina Galvani.
Eniîn, cela n'étant pas assez pour le dilettantisme, amateur de bon mar-
ché, des Barcelonais, voici qu'on nous annonce au théâtre de Novedades,
un autre spectacle de grand opéra italien, avec une compagnie dî p-mîo
carlello composée comme suit : maestro concertatore directore, M. Vicente
Pétri ; tenori : MI\1. Bicletto, Morales et Brotat; soprani : M™* d'Arneiro,
Jacquemot; contralti: M^i^Mas (Goncetta)et d'Herrera;baritoni: MM.Arago,
Mestres, Borghioli : bassi : MM. Perelli, Yisconti et Oliveras. On donnera
la Dolores, du maestro Breton, en italien, pour la première fois. Ici, le prix
d'entrée sera de 0 fr. 7S c. Gageons qu'on trouvera ça cher.
En outre, on annonce la prochaine arrivée du comédien ErmeteNovelli,
dont la troupe jouera à l'Eldorado.
Tous nos théâtres d'été seront donc occupés par des compagnies ita-
liennes. Pour entendre jouer ou chanter en espagnol, il faudra désormais
prendre le chemin de fer et s'en aller n'importe où !
Une poignée de nouvelles :
Au Jovellanos, de Madrid, on yient i'étrenner une zarzuela de MM. Perrin
y Palacio, musique des maestros Gaballero et Chàlons, intitulé -Et Saboijano.
Grand succès d'interprétation; mais l'œuvre est terne, et la musiqus
aussi.
M. Tomàs Breton termine la musique d'un livret espagnol dû à M. Eu-
sebio Serra Titre encore inconnu.
A Bilbao, au sanctuaire de Bogoiia, on s'apprête à célébrer un congrès
international, dans le but de faire un choix d'œuvres de musique religieuse,
anciennes et modernes. Ce « tribunal » devra surtout décider des pièces
musicales qui doivent être retirées des églises, à cause de leur saveur pro-
fane. Il sera présidé par les maestros Pedrell, Valle et Bordes. L'orphéon
bilbaino fera entendre des œuvres de Palestrina, Ladesma, et divers chants
grégoriens. Sans doute, ce sera beau ; mais ce que ce sera divertissant!
Sur un poème de M. Aladern Vidal, intitulé la Heroina , le directeur de
la musique municipale de Reus, M. Vergés, est en train de composer un
opéra en un acte et deux tableaux. Lo sujet est basé sur un épisode du
moyen âge.
Le maestro Ghapi vient de terminer un nouvel ouvrage : la Virgen de
, Piedra (la Vierge de pierre), dont le livret est de MM. Vela et Servet.
Une œuvre nouvelle de M. Roberto de Palacio, intitulée : Fotografias
intéressantes, et mise en musique par le maestro Moreno Ballesteros, vient
d'être représentée au théâtre Maravillas, à Madrid. Succès d'estime.
Même accueil, à ce même théâtre, a été fait à une zarzuela-revue inti-
tulée : A Gaza de tipos (Chasse aux types) de MM. Deusdedit Criado et Varela
Diaz, musique du pianiste, M. Fascina.
On a parlé beaucoup, ces jours derniers de la démission deM.Rodoreda,
chef de notre bande municipale, et de son remplacement par l'excellent
artiste Antoine Niculau. Mais, informations prises, M. Rodoreda conserve
son bâton et son casque. A.-G. Bertal.
— Le théâtre de la Trinité, à Lisbonne, vient de donner avec succès la
nouvelle opérette, les Fils du capitaine Mor, musique de MM. Machado et
del Negro, dont nous avions annoncé la prochaine apparition.
— Le 30 août prochain, aura lieu, à Bilbao, un concours où les musi-
ques françaises du 8T de ligne et de l'École d'artillerie de Toulouse doi-
vent se rencontrer avec six musiques militaires espagnoles (l'École
d'artillerie deSégovie et les régiments de ligne Andalucia, Bailen, Ganta-
bria, Garellano et Valencia). La municipalité offre deux premiers prix de
3,000 pesetas, plusieurs autres de 2.000 ; total 23.330 pesetas. Dans le jury
on remarque MM. Breton, l'auteur de los Amantes de Teruel ; Chapi, l'Offen-
bach de Castille ; le savant chanoine Barrera, maître de chapelle de la
cathédrale de Burgos; Gailhard et Paul Vidal, de l'Opéra; Vincent d'Indy,
Parés, de la Garde républicaine ; Bordes, des Chanteurs de Saint-Ger-
vais, etc.
— Les représentations de Bayreuth ont pris fin avec la quatrième et
cinquième série de l'Anneau du Nibelung dirigées toutes les deux par M. Sieg-
fried Wagner. Aucun nouvel artiste ne s'est produit pendant ces deux der- ,
nières séries. Les journaux remarquent que le nombre des visiteurs alle-
mands a été fort restreint; les Français en première ligne, les Américains
et les Anglais formaient la majorité du public.
— M. Hans Richter a publié dans le Times une lettre intéressante au
sujet de la participation de M. Siegfried Wagner à la direction du théâtre
deBayrenth. Plusieurs journaux anglais, entre autres le Kmes, avaient blâmé
ouvertement la part prépondérante que le fils de Richard Wagner com-
mençait à prendre à Bayreuth et un correspondant avait même critiqué la
manière dont ce jeune chef d'orchestre avait conduit la quatrième série des
représentations de l'Anneau du Nibelung. Les journaux anglais avaient aussi
raconté que M. Richter s'était opposé à la participation de Siegfried Wa-
gner aux travaux artistiques de Bayreuth. Or, M. Hans Richter déclare que
toutes ces assertions sont fausses. Selon son opinion, M. Siegfried Wagner
est d'ores et déjà un chef d'orchestre compétent, voire même remarquable,
et qui promet beaucoup comme directeur du théâtre et régisseur généraL
Le célèbre kapellmeister viennois ne manque pas de constater avec ironie
que les critiques dirigées contre M. Siegfried Wagner, comme chef d'or-
chestre, étaient datées du 6 août, tandis qu'il n'avait commencé que trois
jours après à diriger la quatrième série des représentations qui lui avait
été réservée. Dans ces conditions, il se pourrait bien que le fils de Richard
Wagner devînt bientotle chef d'orchestre principal du théâtre de Bayreuth.
— A Breslau, la représentation donnée en l'honneur de l'empereur de
Russie comportera le second acte du Vaisseau fantôme et une saynète mili-
taire de Moser, Sage au feu.
— Les théâtres d'outre-Rhin commencent à rouvrir et les œuvres fran-
çaises occupent de nouveau une place considérable dans le répertoire de
ces théâtres. A Vienne, c'est Manon qui a été jouée lors de la soirée de
gala donnée en l'honneur des souverains russes. Au théâtre grand-ducal
de Bade le jubilé du grand-duc sera célébré par une série de représenta-
tions extraordinaires, sous la direction de M. Félix Mottl, et nous trouvons
parmi les œuvres choisies les Troijens, de Beriioz, les Deux Avares de Grétry,
les Petits Savoyards, de d'Alayrac et Djamileh, de Bizet, A Beriin, on préparé
Benvenuto Cellini, de Berlioz.
— Une société de facteurs de musique allemands se propose d'établir à
Beriin, un magasin, à l'instar des grands magasins de nouveautés pari-
siens, où la vente de toutes sortes d'instruments de musique sera concen-
trée. Il parait que les importants capitaux nécessaires à cette entreprise
sont déjà souscrits.
— Un décret du ministre de la justice d'Autriche ordonne la formation
de commissions permanentes d'experts à Vienne, à Prague et à Lemberg,
pour fournir aux tribunaux des rapports sur toutes les questions se ratta-
chant à l'art musical qui pourraient surgir au cours des procès eoncernantles
droits d'auteurs. Ces commissions sont prévues par la nouvelle loi autri-
chienne sur les droits d'auteurs que nous avons amplement traitée dans
le Ménestrel, il y a quelques mois.
— On vient d'inaugurer, sans aucune cérémonie, une plaque comme
morative apposée sur la façade d'un palais du Gampo Sanl'Angelo, à
Venise, portant l'inscription: « Ici Cimarosa demeura et mourut». Le
grand compositeur, condamné pour avoir mis en musique des hymnes
révolutionnaires, s'était, en effet, réfugié à Venise où il mourut en 1801.
Son tombeau n'existe plus, l'église du Campo Sant'Angelo où il se trou-
vait, ayant été démolie, en 1828, sous la domination autrichienne.
— Le conseil municipal de Gênes a fixé à 80.000 francs la subvention
qu'il accorde à l'imprésario du ' théâtre Gario Felice. Ce n'est pas beau-
coup pour une ville comme Gènes, où le public a de grandes prétentions.
— L'opéra inédit, eu trois actes, Mosqueton de M. Francesca Saccanti,
paroles de M. Cemarena, a été joué avec un succès brillant au théâtre
Rossini de Naples.
— L'opéra Tosca, dont la composition a été entreprise par M. Puccini,
ne sera pas joué en 1897, comme on l'avait annoncé. Le compositeur vient
de déclarer que MM. Giacosa et Illica ne lui ont fourni, jusqu'à présent,
que les paroles du premier acte et ne pourront pas terminer les deux der-
niers actes avant la fin de l'année. On assure que U. Sardou a consenti a
figurer sur l'affiche parmi les collaborateurs du texte. La nouvelle œuvre
a été acquise par la maison Ricordi qui se propose, dit-on, de faire repré-
senter l'œuvre pour la première fois à Rome.
— Pour la prochaine saison du théâtre Bellini, à Naples sont annoncés
quatre nouveaux opéras : les Pâques des fleurs, musique do M. Luporini,
Padron Maurizio, musique de M. Giannetti, Fadelte, musique de M. de Rossi
et A San Francisco, musique de M. Sebastiani.
— Le compositeur Gaetano CipoUini, l'auteur du Petit Haydn, vient de
terminer un opéra en un acle, intitulé la Maîtresse du roi et un opéra en
deux actes, intitulé In magna Sila. C'est son frère, M. Antonio Cipollini,
qui lui a fourni les livrets de ces deux œuvres.
— On nous écrit de Londres, que la princesse de Galles a fait dernière-
ment, incognito, une excursion à Bayreuth, pour assister à une série du
cycle de l'Anneau du Nibelung, dirigé par le fils du maître. La princesse
n'était accompagnée que par une de ses dames d'honneur, par sa femme
de chambre de confiance et par un vieux serviteur. Elle n'a pas pris place
280
LE MENESTREL
dans la fameuse Fuerstenloge, la grande loge au centre de la salle, où
Guillaume I" était assis à côté de Richard Wagner à la première repré-
sentation de l'Or du Rhin en 1876, mais très simplement parmi tous les
spectateurs, et personne ne se doutait, à Bayreuth, que les deux dames
anglaises , en costume de voyage , qui se promenaient pendant les
ent'ractes, comme tout le monde, devant le théâtre, étaient la princesse
de Galles et une de ses dames d'honneur.
— La saison de Londres est terminée selon les conventions usuelles,
car le parlement ne siège plus, mais les théâtres de la capitale, en dehors
de l'Opéra de Govent-Garden, ne chôment pas et produisent même des
pièces nouvelles. C'est ainsi que l'Opéra-Comique vient de jouer avec
un succès médiocre une opérette inédite Newmarket, qui se dénomme sur
l'affiche « comédie originale, sportive et musicale » ; elle a pour auteur
des paroles M"" Frank Taylor, et pour compositeur M. Erne.st Boyd-Jones.
L'Avenue-Théàtre vient de jouer, avec beaucoup de succès, une nouvelle
opérette, intitulée Monte-Carlo, écrite en collaboration par MM. Sidney
Garlton, Harry Greenbank et Howard Talbot.
— La théâtre royal de Copenhague, jouera pendant la saison prochaine
deux opéras inédits de compositeurs Scandinaves. L'un, en trois actes,
intitulé Vifandaka, a pour auteur de la musique, M. Alfrd Toffs; l'autre,
en un acte, a pour titre Bagahijol, et la musique est de M.Emile Harlman.
— Le nombre des compositeurs appartenant à une famille souveraine
augmente continuellement. Voilà qu'on nous apprend que le prince Mirko
de Monténégro, qui sera bientôt le beau-frère du futur roi d'Italie, est un
musicien consommé. Malgré sa jeunesse — il ne compte pas dix-sept
printemps — il a déjà composé des quatuors pour instruments à cordes,
voire des opérettes. Actuellement, il serait en train de terminer un opéra
qui doit être joué au nouveau théâtre deCettigne, à l'occasion du deux cen-
tième anniversaire de l'avènement de la dynastie régnante.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Carvalho, obligé de renoncer à son projet d'aller à Munich voir
jouer Don Juan, est rentré à Paris la semaine dernière pour surveiller per-
sonnellement les travaux de réparation entrepris dans son théâtre et les
activer de façon à pouvoir rouvrir à la date du Ib septembre.
Tous les artistes ont été individuellement avisés que, par suite de ces
travaux, la rentrée était reculée de quinze jours. Voilà qui va bien comme
prolongation de congé, mais qui enchante moins les pensionnaires de
rOpéra-Comique allégés, de ce fait, de la moitié de leurs appointements
du mois de septembre.
Les chœurs ont repris leur service, au théâtre, dès lundi dernier sous
la direction de MM. H. Carré etMarietti.
— On commence à parler de la prochaine saison des concerts à l'Opéra,
et voici que notre confrère Jules Huret, du Figaro, nous fait part d'un
plan plutôt original que caresserait M. Henri Busser. Le jeune compositeur
rêverait d'écrire une suite d'orchestre qu'il iénommsrail Falguicre ; chacune
des parties de la suite décrirait une des œuvres principales du maître ; le Jeune
Martyr, le Vainqueur au combat de coqs, Léda, Diane. Voilà pour nos modernes
musiciens, toujours en quête de titres étranges, une mine toute trouvée,
car rien n'empêchera, après s'être servi des noms de nos grands sculpteurs
et de nos grands peintres., de s'attaquer aux romanciers. A qui un Zola,
avec la suite des Rougon Macquart, ou un Georges Ohnet, avec celle des
Batailles de la vie ?
— Pour ces mêmes concerts, on dit que MM. Bertrand et Gailhard
auraient entre autres projets, celui de monter acte par acte l'Or/j/iée de Gluck,
avec M. Alvarez dans le rôle créé primitivement par la sopraniste Guadi-
gni. Lorsque, successivement, les trois actes auraient été chantés aux
séances dominicales, l'ouvrage étant prêt, musicalement tout au moins,
pourra entier ainsi tout naturellement au répertoire de l'Opéra. Même pro-
cédé serait employé pour Iphigénie en Tauride, qui aurait pour interprète
M. Sizes. On parle aussi du premier acte de la Brisé'is d'Emmanuel Gha-
brier; mais, là, M. Lamoureux réclame la priorité pour ses propres concerls-
— M. Edouard Mangin, de retour de Contrexéville, a repris dès lundi der-
nier, possession du pupitre de chef d'orchestre à l'Opéra. C'est lui qui
conduira Hamlet, mercredi, pour la rentrée de M. Renaud.
— Au Conservatoire : Les nominations des professeurs aux chaires deve-
nues vacantes à la suite de retraites ou décès, auront lieu désormais par
élections. Les années précédentes, la direction du Conservatoire choisis-
sait les candidats Jont les noms étaient soumis à M. le ministre de l'ins-
truction publique qui, en dernier ressort, les nommait. A partir de cette
année, une commission se formera ; elle sera composée des professeurs
titulaires et du haut personnel du Conservatoire, des membres du jury
qui, chaque année, assistent au concours, des membres de l'Académie
des beaux-arts (section de musique et de^littérature), d'auteurs et critiques
choisis par le ministre de l'instruction publique. A cette commission se-
ront soumis les noms des candidats aux différentes chaires, quelle que soit
la classe. Puis, par élection, on procédera à la nomination des futurs pro-
fesseurs susceptibles d'être proposés au ministre de l'instruction publique,
lequel les nommera définitivement.
— Il n'y a encore r'ien de décider au sujet du gala que le gouvernement
français ne peut manquer d'offrir, dans la salle de l'Opéra, à l'empereur et
à l'impératrice de Russie. Mais, comme on craint que le séjour assez
court des souverains russes ne permette pas de les convier aussi à la
Comédie-Française, les artistes de la maison de Molière ont demandé à
figurer dans le programme de l'Opéra. M. des Chapelles et M. Jules Claretie
ont déjà discuté ce très légitime désir.
— De son côté, M. Grisier, directeur des Bouffes-Parisiens et des Menus-
Plaisirs, aurait, parait-il, l'intention de donner, en ce dernier théâtre,
une représentation, lors de l'arrivée de l'empereur de Russie, de fa Vie
pour le Tzar, de Glinka. On dit même que le rêve de M. Grisier serait de
profiter de ce point de départ pour créer, dans la salle du boulevard de
Strasbourg, « l'Opéra russe ».
— La Société des compositeurs de musique met au concours pour l'an-
née 1896 :
1" Un Quatuor à cordes. — Prix unique de 500 francs. (Allocation de
M. le Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts.)
i" Une Sonate pour piano et violoncelle. — Prix unique de 500 francs.
(Fondation Pleyel-Wolff.)
3" Un Motet pour voix seule ou plusieurs voix, avec accompagnement
d'orgue. — Prix unique de 200 francs. (Reliquat du prix Ernest Lamy,
non décerné).
4" Un Sextuor en trois petites parties pour instruments à vent. — Prix
unique de 300 francs, offert par la société. — Le choix des intruments
est laissé à la volonté des concurrents. — Une réduction au piano devra
accompagner le manuscrit.
On devra adresser les manuscrits avant le 31 décembre 1890 , à
M. Weckerlin, archiviste, au siège de la Société, 22, rue Rochechouart,
maison Pleyel, Wolff et C'«. — Pour le règlement et tous renseignements,
s'adresser à M. D. Balleyguier, secrétaire général, 9, impasse du Maine.
— A Royan, succès colossal pour VÈie de Massenet. Interprétation remar-
quable de la part des chœurs et de l'orchestre sous la très artistique direc-
tion de M. Ph. Flon. Gros succès pour MM. Leprestre, Albers, et W^" Oswald.
Quelques jours avant, Werther avait aussi grandement réussi.
— A son passage, à Laval, M. le Président de la République a remis
les palmes, d'officier d'académie à M. Prosper Mortou, chef de la Lyre
Lavalloise, et fort agréable compositeur de musique.
— Du Havre : Au Casino Frascati, M"' Buhl, dont les abonnés de
l'Opéra-Comique n'ont pas perdu le souvenir, donne une série de repré-
sentations des mieux accueillies. 11 y a longtemps que les Havrais mélo-
manes ne s'étaient trouvés à pareille fête auditive : samedi soir, dans
Lakmé, ils ont acclamé l'exquise élève de M"" Carvalho, qui ajoute à la
bonne tradition vocale sa note si personnelle de sensibilité spirituelle et
douce; jeu délicat, diction savante, et vocalise impeccable. L'Air des clo-
chettes, pierre de touche des cantatrices, lui a valu bravos et rappels; et la
fine partition du regretté Léo Delibes a rencontré une interprète que le
redoutable Berlioz aurait pu, sans hésiter, mettre « au nombre de ces
chanteurs adroits, utiles et charmants » dont il parle, — « ceux qui savent
la musique et qui chantent. » R. B.
^- On nous écrit de Montivilliers : les fidèles de l'église Saint-Sauveur
conserveront le souvenir de la musique qu'ils y ont entendue le jour de
l'Assomption. M.'^" Louise Comettant, élève de l'éminent organiste L.
Vierne, de passage en notre ville, a chanté pendant la grand'messe plu-
sieurs morceaux remarquables avec un sentiment profond et une voix
pénétrante. Elle a ensuite tenu l'orgue pour l'accompagnement d'une
composition instrumentale de beaucoup d'effet, exécutée par W" Lau-
rence Vénière.
— Tout Paramé et tout Dinard s'étaient donné rendez-vous mercredi der
nier au casino de Saint-Malo pour aller entendre M. Louis Diémer qui, en
villégiature à Dinard, prétait son concours à un concert donné par le
jeune violoniste M. Jules Boucherit. Le merveilleux pianiste s'est fait
acclamer dans des pièces de Mozart, de Hisndel, de Dacquin, de Liszt, de
Beethoven, de Godard, son Caprice pastoral et sa vertigineuse Valse de concert.
M. Boucherit a délicieusement joué des morceaux de Sarasate et la Romance
de Louis Diémei'. L'orchestre, dirigé par M.Gianini, a eu sa part des bravos
après le Nocturne de la Navarraise, de Massenet.
— A l'église Saint-Etienne de Fécamp superbe messe en musique, dans
laquelle l'excellent ténor, M. Mazalbert, s'est taillé un véritable succès en
interprétant d'une manière remarquable VAve Verum, de Th. Dubois, et le
célèbre Notre Pire, de J. Faure, qui ont produit une profonde impression.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître, chez E. Fasquelle, dans la Bibliothèque Charpentier,
Brichanteau comédien, par Jules Claretie, un vol. in-12, prix : 3 fr. .50.
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les njaiiuicrils doivciU être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteui-s.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un un. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teste et Musique de Piano, 20 fr„ Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Êtrcnger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
L Étude sur Orphée (i' artiole\ Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : La pro-
chaine saison théâtrale, Paul-Emile Chevalier. — III. Musique et prisons
(16" article) : Prisons politiques modernes, Paul d'Estbée. — IV. Journal d'un
musicien (4° article), A. Montaux. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
ATTENTE
mélodie de Cesare Galeotti, poésie do M. de Mobiana. — Suivra immé-
diatement : Jours d'automne, mélodie de Charles Levadé, poésie de Jules
OuDOT.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
fiano : Femmes et Fleurs, de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Chan-
son d'automne, de Cesare Galeotti.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
L'opéra d'Orphée lient une place particulière dans l'œuvre de
Gluck. Écrit vers le milieu de la carrière du grand musicien,
il représente la première manifestation complote de son génie,
peut-être aussi la plus significative, car elle fut la plus spon-
tanée. Pour en bien comprendre la portée, il importe de rap-
peler d'abord à grands triiits ce qu'avait été l'évolution
antérieure de son génie, et de dire en même temps quel était
l'état général de l'art musical au moment où l'œuvre parut.
Fils de paysans, né dans les noires forêts de la Bavière,
Gbristophe-Willibald Gluck est essentiellement ce que les
littérateurs de son siècle appelaient un « enfant de la nature ».
Avec son père, ancien soldat du prince Eugène, devenu garde-
chasse au service de seigneurs allemands, il vint, en son plus
jeune âge, dans les montagnes de la Bohême, où d'abord il
grandit sans contrainte et poussa en toute liberté, courantpieds
nus à travers bois et vallées, et, par cette rude enfance, faisant
provision de forces pour les futurs combats. Ayant, dans ce
milieu rustique, appris seul les premiers éKiments de la mu-
sique, il débu(a dans la vie comme musicien ambulant : il erra
par les villages de Bohème, un violoncelle sur le dos, faisant
danser les filles le soir, après la journée de marche, ou char-
mant les paysans eu leur jouant quelque vieux chant popu-
laire. Los hasards de la destinée mirent sur son chemin un
seigneur qui devina ses aptitudes et lui fit entreprendre des
études sérieuses. C'en était fait de la vie indépendante et
vagabonde ; mais Gluck était un fort : il se soumit sans plainte
à la discipline salutaire. Pendant vingt-cinq années il entassa
les unes sur les autres les pariitions d'opéras italiens, bornant
tout d'abord son ambition à se conformer au goût de son
époque, et ne chorchantrien autre chose qu'à faire ce qu'a-
vaient fait ses prédécesseurs, ce que continuaient servilement
ses contemporains.
On sait ce qu'était l'opéra italien au milieu du dix-huitième
siècle : une sorte de concert scénique d'où tout intérêt dra-
matique était exclu, et dont le seul objectif était démettre en
valeur les voix et la virtuosité des chanteurs. Une série d'airs
reliés par d'insignifiants récitatifs, et dont l'ordre, le mouve-
ment, les formes musicales même, étaient prévus, réglés,
dosés par avance, telles étaient les seules matières que ce
genre offrait au génie des componteurs. Métastase, poète
lauréat, était l'homme qui avait le mieux réalisé l'idéal de ces
compositions, toutes de forme et d'extérieur, où les fleurs
d'une rhétorique brillante étaient constamment substituées à
l'accent sincère, au cri du cœur. Tous les musiciens de ce
temps furent contraints d'en passer par ces exigences conven-
tionnelles : il en résulta que pas un ne produisit une seule
œuvre durable. Hœndel, qui écrivit près de cinquante opéras
de ce genre, n'aurait laissé que la renommée d'un musicien de
second ordre s'il n'avait, en outre, produit ses oratorios ; et
ce n'est ni la Clémence de TUwi, ni même Idoménée, qui ont
rendu Mozart immortel, mais Don Juan, Figaro, la Flûte enchantée,
œuvres conçues suivant une poétique toute différente.
Gluck passa donc la première moitié de sa vie à mettre ou
remettre en musique, dans les formes convenues, les poèmes
de Métastase, et, pas plus que les autres, il ne réussit à
donner la vie à un genre mort dès sa naissance. Il écrivit
encore, lui, le futur auteur des Iphigénies, quelques ariettes et
couplets pour de petits opéras-iomiques que l'on jouait à
Vienne, tandis qu'à Paris ces mêmes pièces étaient repré-
sentées avec leur musique originale composée par les Mon-
signy, les Duni, les Philidor.
Ainsi, à la veille d'Orphée, Gluck pouvait-il avoir, auprès
d'une partie du public, la renommée d'un compositeur d'opé-
ras-comiquos. De même notre grand Corneille, dans le temps
qu'on répétait le Cid, recevait d'un admirateur une épitre
en vers où son génie comique était ainsi célébré I
Et que ta bonne humeur ne te lasse jamais.
Nul doute que, dès longtemps, Gluck eût rêvé un autre
idéal.
Mais combitn le but n'était-il pas éloigné! Même, au pre-
mier abord, il pouvait passer pour inaccessible, car, réduit
à ses seules forces, Gluck eût été impuissant à l'atteindre.
Sans doute, un siècle plus lard, un Wagner, par un colossal
5>82
LE MENESTUEL
effort de génie, pourra réaliser en toutes ses parties une con-
ception analogue, plus complexe et plus grandiose même ;
mais le fils du pauvre garde-chasse de Bohème n'avait pas
reçu l'instruction littéraire qui lui eût permis d'exécuter seul
sa réforme de l'art lyrique. Aussi bien, jusqu'alors, — si
l'on excepte l'exemple peu probant du Devin du village. — nul
cas ne s'était présenté de la réunion en une seule tête du
double génie de poète et de musicien.
L'occurrence était d'autant plus grave qu'en ce temps-là
Métastase était, non seulement le maître incontesté de la
poésie lyrique, mais, en réalité, le seul. Oii donc fallait-il que
Gluck portât ses vues pour trouver le collaborateur rêvé?
Comme toujours, il ne devait le rencontrer qu'en dehors des
professiounels. Ceux-ci, d'ordinaire, ne sont pas trop disposés
à s'associer à des entreprises hasardeuses comme sont toujours
les essais de réformes théâtrales, tandis qu'au contraire les
initiatives fécondes ont presque toujours été prises par des
gens étrangers à la carrière, et qui ne sont pas retenus par
les entraves d'une tradition qu'ils n'ont point pratiquée.
N'est-ce pas un groupe de seigneurs, de lettrés et d'artistes divers
qui, à Florence, en l'an 1600, créa de toutes pièces le genre
de l'opéra, tandis que les musiciens d'école s'attardaient aux
combinaisons inertes de leurs contrepoints démodés? De
même, l'homme qui eut l'honneur d'être associé le premier
aux innovations tentées par Gluclc ^Hait ce que nous appelle-
rions aujourd'hui un « amateur. » Il était conseiller impérial
à la cour des comptes des Pays-Bas, faisait des vers à ses
heures de loisir, et d'ailleurs était d'autant plus familier avec
les véritables nécessités de la poésie lyrique qu'il avait étudié
d'une façon approfondie l'œuvre de Métastase, dont il avait
publié une édition. Il se nommait Raniero de Calzabigi.
Ce que furent les premières confidences échangées entre le
poète et le musicien, nous l'ignorons, car aucun document
précis, lettre ou résumé de conversation, ne nous en a été
rapporté. Mais il nous est facile de le deviner, tant par ce
que l'instinct avait spontanément introduit en certaines par-
ties de l'œuvre antérieure de Gluck que par les résultats
mêmes de la collaboration. Car, malgré sa longue soumission
apparente aux idées reçues, on pense bien que Gluck n'avait
pas été parfois sans manifester de quelque manière la véritable
tendance de son génie.
Une anecdote relative à sa première œuvre de jeunesse
semble indiquer que déjà, outre son esprit indépendant et
frondeur, il avait le sentiment très prononcé de la composi-
tion générale et des effets produits par les oppositions des
valeurs et des tons successifs, qualités dont il a donné plus
tard des preuves si éminentes. Dans un opéra représenté à
Milan en 1741, Artasen-e, il avait, par malice, placé un air dans
le gotit italien, qui, exécuté d'abord devant les prétendus
connaisseurs, avait réuni tous les suffrages, — à telle ensei-
gne que les bonnes âmes n'avaient pas manqué de propager
le bruit que cet air n'était pas de lui, mais de son maître
Sammartini. Mais il prit sa revanche à la représentation, car
il avait encadré ce morceau de si adroite façon que, devant
un public sincère, l'air italien resta complètement inaperçu,
tandis que les parties oii s'accusait son tempérament d'artiste
allemand étaient allées aile stelle!
D'autres récits montrent que, dès longtemps, il avait le
pressentiment du rôle futur de l'orchestre. En 1751 il fit
représenter à Naples la Ckmenza di Tito, dont le rôle principal
fut chanté par le fameux castrat Caffarelli. Dans un air de
cet opéra se trouvait une tenue vocale pendant laquelle les ins-
truments se combinaient en dessins plus compliqués qu'il
n'était coutume. Les régulateurs du goût protestèrent, et dé-
clarèrent ce passage contraire aux règles; ils allèrent jusqu'à
en référer à Durante, mais ils ne trouvèrent pas auprès de lui
l'accueil espéré. « Je ne puis, répondit en eff'etle vieux clas-
sique, décider si ce passage est tout à fait conforme aux
règles de la composition, mais j'ose vous dire que nous tous,
àcommencerpar moi, serions fiers de l'avoir imaginé et écrit.»
Au reste, à cet égard, nous avons mieux que des anecdotes,
et la meilleure preuve de la prépondérance que Gluck assi-
gnait instinctivement à l'orchestre nous est fournie par le
simple examen de plusieurs morceaux composés à celte
époque de sa vie. Nous en trouverons un exemple caracté-
ristique dans la suite de cette étude, car nous verrons que
tous les éléments constitutifs de l'air d'entrée d'Orphée aux
Champs Elysées, avec son dessin obstiné des violons en trio-
lets et le solu de hautbois concertant avec la lente déclama-
tion de la voix, tout cela se trouve déjà dans un air d'Antigone,
opéra réprésenté à Rome en 1754.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
LA PROCHAINE SAISON THÉÂTRALE
Yoii;i septembre revenu et la ruche tliéàtrale recommence à bour-
donner. Des bureaux directoriaux, peu à peu la poussière est
chassée par les piles de manuscrits dont beaucoup, à leur tour, re-
disparaîtront avant peu sous cette même poussière; la foule ner-
veuse des auteurs venant rappeler une promesse ou cherchant à en
arracher une, celle anxieuse des artistes en quête o du rôle » recom
mencenl à encombrer les antichambres, et monsieur le secrétaire,
entre deux coups de brosse à sa moustache conquérante, astique
sa griffe à signer les billets et retaille ses deux bonnes plumes dont
l'une, dithyrambique, bombarde les courriéristes de communiqués
flambants et dont l'aulre, lassée, est condamné au fastidieux :
« Impossible, mille regrets. ».
Que donnera-t-elle, celte saison 1896-97? Sera-t-elle meilleure que
sa devancière? Apparaîtra-t-elle pire? A la terrible loterie, qui
décrochera le ou les gros lots?
Et le public, flottant, indécis, incapable de laisser sentir oii il
veut qu'on le mène, se laissant berner momentanément par une
poignée d'encombrants braillards, puisse resaisissant mollement sans
avoir la force et la volonté d'imposer son goût, ce public, cause
presque principale de l'anémie du théâtre moderne, aura-t-il, enfin,
le courage de son opinion en barrant carrément la roule à ceux qui
lui déplaisent, en venant encourager de ses bravos et de son argent
ceux pour lesquels il éprouve de la sympathie?
Mais foin de beaux rêves ! Et voyons tout simplement ce qui,
quant à présent, nous est promis.
A l'Opéra, l'ensemble de la saison est arrêté, sauf de légères modi-
fications impossibles à prévoir dès maintenant. Au programme deux
nouveautés, Messidor, opéra de MM. Zola, Gallet et Bruneau ;
l'Etoile, ballet de MM. AJerer et Wormser. Gomme reprises, celles
de Thamara, de M. Bourgault-Ducoudray, des Huguenots, dont les
décors, incendiés rue Richer, sont complètement refaits, et de Don
Juan, dont les études sont actuellement très poussées,
A 1 Opéra-Comique, la reprise de ce mêmeZJon Juan, que les chœurs:
travaillent depuis la semaine dernière, et la première de Cendrillon , de
MM. Gain et Massenet, semblent seules décidées pour le moment.
Pour remplir sa saison, M. Garvalho aura à choisir parmi la liste
assez longue des nouveautés qui lui ont été présentées : Dalita, de
MM. Feuillet, Galk't et E. Paladilhe; les Pécheurs de Saint-Jean, de
MM. H. Gain et Ch.-M. "Widor; Caprice de roi, de MM. A. d'Artois
et P. Vagei; les Pauvres Gens, d.Q MM. H. Gain et R. Vagao; l'Hâte,
de MM. Michel Carré et E. Missa ; Kermaria, de M. Erlanger; le
Spahi, de MM. A. Alexandre et L. Lambert; Photis, de MM. Gallet
et B. Audran ; et d'autres encore que nous oublions, sans compter
celles que nous ignorons. On parle aussi beaucoup du Vaisseau fan-
tôme pour la rentrée du baryton Lassalle.
A la Comédie-Française, qui vient de prendre à l'Odéou Charles Vil
chez ses grands vassaux et oîi l'on répète actuellement Montjoie, d'Oc-
tave Feuillet, et les Deux Palémoii, de M. Jules Truffîèr, la première
nouveauté importante sera vraisemblablement l'Évasion, trois actes
de M. Brieux, à laquelle succédera Frt'rfeV/OHcfe, cinq actes île M. A.
Dubout. Puis, le comité n'aura qu'à puiser dans les pièces reçues
ù l'heure actuelle : Tristan de Léonais, 3 actes et 6 tableaux de
M. Armand Silvestre ; Othello. S actes de M. J. Aicard ; la Vassale,
4 actes de M. J. Case; Struensée. S actes de M. P. Meurice;
Don Ruy, S actes de M. Parodi : l'Amoureuse Amitié, un acte de
M. G. Vaucaire; la Martyre, S actes de M. J. Richepin ; Douceur
LE MÉNESTREL
283
de vivre, 3 tableaux de M. J. Normand; Celle qu'on n'épouse pas, uu
acte de M. P. Alexis, et la Loi de l'honneur, 3 actes de M. Hervieu.
L'Odéon, dont la nouvelle direction est très curieusement attendue
à l'oeuvre, le passé de l'un de ses directeurs, M. Antoine, laissant
prévoir de curieuses tentatives, l'Odéon ne rouvrira ses portes que
le 30 septembre avec le Capitaine Fracasse de M. E. Bergerat, suivi,
dès le lendemain, du Danger, 3 actes de M. Arnaud. Ce sont les
spectacles classiques et d'abonnement qui semblent avoir, avant tout,
préoccupé MM.Ginisty et Antoine. Ou cite, comme devant constituer
les spectacles d'abonnement : Jules César, de Shakespeare, traduction,
vers et prose, de M. L. de Gramont ; Richelieu, de Bulwer-Lytton,
traduction de M. Gli. Simson ; La Mort de Danton, de Biichner, tra-
duction de M. A. Dietrich ; la Maréchale d' Ancre, d'A. de "Vigny ; la
Reine Jeanne, Aï M. Frédéric Mistral; Esope, de Th. de Banville ; etc.,
et sans ordre précis, une comédie, sans titre, de M. Anatole France,
une pièce de M. Paul Arène, également sans titre ; Mon Enfant de
M. A. Janvier ; les Corbeaux de M. Becque ; la Promesse de M. Rosny,
Vallobra de M. P. Alexis et un Don Juan de M. Haraucourt. Pour les
matinées classiques, on parle de monter les Perses d'Eschyle, avec une
paitition musicale de M. Xavier Leroux; VApollonide d'Euripide, tra-
duction de Leconte de Liste ; te Plutus d'Aristophane ; Y Eupliormion de
Térence ; V And7'omède de Corneille ; la Sœur de Roirou ; Turandot,
princesse de Chine, de Gozzi ; des reconstitutions du théâtre de Hardy ;
des farces, etc.
Pour les théâtres de genre, nous sommes moins renseignés, mes-
sieurs les directeurs libres s'offrant de plus importantes vacances
que leurs confrères subve)ilionnés.
Le Vaudeville rouvrira avec I^ysistrala, puis donnera le Partage de
M. Guinon, l'Amour de Manon de M. de Porto-Riche, Aphrodite de
M. P. Louys, la Douloureuse de M. Maurice Donnay et une reprise
de Sapho.
Le Gymnase s'î contente d'annoncer la reprise de la Famille Pont-
biquet.
La Renaissance commence avec le Passé de M. de Porto-Riche.
Suivront une pièce de M. Sardou, san? titre, Plus que reine de M. E.
Bergerat, ioAe«;ao'/o d'Alfred de Musset, et une comédie de M. Guiches,
dont le titre « snob » a soulevé tant de réclamations.
La Porte-Saint-Martin va donner cette semaine le Jacques Callot de
MM. Henri Gain et Adenis frères (prière à MM. les typographes, ici
et dans l'alinéa relatif à rOnéra-Comi.jue, de ne point gratilier M. Gain
d'un tréma sur 1';'; vieux Breton, il tient, avec raison, à ce que l'on
n'estropie pas son nom, ainsi qu'on le fait trop souvent). La solution
de l'affaire Goquelin fera naiire vraisemblablement des projets aux-
quels on n'osait trop .songer.
Aux Nouveautés on rouvrira avec Mignonnette de MM. G. Duval et
G. Street, suivie de pièces de MM. A. Bisson. Gandillot, Gapus (Une
jeune fille avec tache) et P. Weber.
Aux Bouffes on a repris, jeudi, Miss Helyet, en attendant le i/o?i-
sieur Loliengrin, de MM. Fabrice Carré et El. Audran.
Aux Variétés, reprise de VOEU crevé, puis une pièce-féerie de
MM. Blum et Ferrier et des reprises d'Oirenbach et d'Hervé.
Au Palais-Royal, M. Varney fera son entrée avec une opérette.
A la Gaité, deux nouveautés : la Poupée de MM. M. Ordonueau et
Audran, et le Maréchal Chaudron, musique de M. Lacome.
Aux Folies-Dramatiques, dont M. Victor Silvestre devient effective-
ment directeur à partir du 20 de ce mois, on montera, ^près la Falote
en cours de représentations, Rivoli de MM. Burani et André Wormser,
et on songe surtout à faire de fructueuses reprises.
Reprise encore au Châtelet, dont c'est assez la facile habitude,
avec la Riche au bois.
A l'Ambigu, trois drames : la Corde au cou de MM. E. Pourcelle et
A. Jaime, la Maîtresse d'école de M. E. Tarbé et la Joueuse d'orgue de
MM. X. de Montépin et J. Dornay.
A Cluny, la première nouveauté sera une opérette en 3 actes et
6 tableaux, signée de MM. Chivot, Gavault, de Cottens et Varney.
Au Chàleau-d'Eau, Nina la blonde de M. Fontanes, Luaile Desmoulins
de M. Jules Barbier et Mistress Robinson de M. G. Marot.
A l'Eldorado, qui, en dépit de bruits contraires, demeure théâtre,
on donnera la Reine des reines, de MM. Fiers et Audran.
Enfin, l'ancienne Comédie-Parisienne, prenant le nom d'Athénée-
Comique, inaugurera, sous la direction de M. Lerville, avec Madame
V Avocat de MM. Depré et Galipaux, que suivront la Course aux ju-
pons de M. L. Gandillot, un vaudeville de MM. Ordonneau et Froyez,
et Père naturel de MM. Depré et Gharton.
Voilà ce dont on parle, d'ores et déjà, mais vous .savez qu'au théâtre
les surprises sont monnaie courante. Perette et le Pot aulait !... Au
seuil de cette campagne nouvelle, souhaitons cependant à tous,
auteurs, artistes et directeurs, réussite sur réussite. Les succès,
quoi qu'on en pense, ne se nuisent pas les uns aux autres.
Paiil-Émile Chevalier.
MUSIQUE ET PRISON
PRISONS POLITIQUES MODERNES
I
(Suite)
En province, les maisons de force étaient loin d'avoir de telles
attentions pour leurs pensionnaires. Les Souvenirs de l'un d'eux,
Martin Bernard, nous apprennent que les condamnés politiques
étaient soumis à une discipline très sévère dans ces prisons et sur-
tout au Mont-Saint-Michel, que son isolement rendait cependant plus
facile à surveiller. Cette solitude dans un des plus beaux sites du
monde, au milieu d'une mer souvent irritée, mais toujours impuis-
sante contre le colosse de granit, cette solitude, dis-je, n'eût peut
être pas effrayé une âme contemplative ; mais pour des esprits in-
quiets, agités, remuants, habitués à l'activité des sociétés secrètes
et se croyant de bonne foi indispensables au bonheur des peuples,
une immobilité qui enchaînait leur initiative était le pire des sup-
plices.Ils durent néanmoins à la musique, comme les Italiens du
Spielberg, un de ces éclairs de bonheur qui traversent si rarement
le ciel bas et sombre des longues captivités. Martin Bernard nous
raconte en termes émus ce doux souvenir :
Un soir, dit-il, alors que tout reposait dans la forteresse, nous fûmes
réveillés de notre premier sommeil par le bruit de chants qui partaient
de la grève. Il n'y avait pas à se méprendre sur la destination de ces
chants : c'étaient la Marseillaise et le Chant du départ. Oh ! qu'ils furent doux
à nos oreilles et à nos âmes ! Nous n'en perdîmes pas une syllabe. Et
nous ne pouvions point douter qu'ils ne vinssent de cœurs qui sympathi-
saient vivement avec notre position. L'illusion pour nous devint si grande,
que nous crûmes reconnaître la voix de plusieurs de nos camarades de
Paris. Nous lançâmes quelques noms aux échos de notre rocher. Mais, soit
que nos mystérieux amis craignissent de nous rendre l'objet des rigueurs
de nos geôliers, soit qu'ils ne voulussent pas s'exposer eux-mêmes aux
investigations inquisitoriales du commandant de place, exerçant un pou-
voir presque discrétionnaire sur les étrangers qui venaient au rocher, les
chants cessèrent et nous n'entendîmes plus que ces mots : « Adieu !
Courage ! »
Le règlement était tellement précis et formel, qu'en l'absence même
d'étrangers pouvant communiquer avec les détenus, ceux-ci avaient
rarement l'autorisation de chanter quelques strophes de la Marseil-
laise, dont l'écho se perdait dans la grande voix de la mer. ADouUens,
oîi Martin Bernard subit le reste de sa peine, la règle était moins
rude : le régime de la vie en commun facilitait les expansions musi-
cales des détenus. Les dates, toujours fêtées, du 14 juillet et du
10 août, servaient de prétexte à un banquet fraternel, aussi copieux
et aussi délicat que p-juvaient le permettre les tolérances péniten-
ciaires ; et ces solennités politico-gastronomiques se terminaient,
comme on pense bien, par la Marseillaise et le Chant du départ.
A neuf heures du soir, quand sonnait la cloche du couvre-feu, se
produisait la mise en scène que nous avons déjà signalée à Sainte-
Pélagie. Au milieu de la cour, tète nue et genou en terre, les détenus
enlevaient avec une conviction souvent plus robuste que leurs pou-
mons, la fameuse strophe :
Amour sacré de la patrie...
Toutefois, la musique légère n'était pas entièrement bannie des
cachots de DouUens. Les prisonniers, pour s'y livrer avec la fantaisie
qui naît de l'improvisation, avaient décidé qu'ils célébreraient sur
le modo badin leurs anniversaires respectifs. Ils se réunissaient donc,
à la chute du jour, dans la chambre de l'un d'eux, et de là, précédés
d'un orchestre aussi bruyant que burlesque, ils se rendaient chez
le compagnon d'infortune qu'ils voulaient fêter et qui sembait pro-
fondément étonné de ce témoignage de cordiale sympathie. Surprise
bien jouée, car tout aussitôt, après la réception du bouquet et des
compliments d'usage, il distribuait des rafraîchisssments comman-
dés depuis le matiu au chef cantinier.
Une fois le dernier toast porté, les musiciens montaient sur la
table et jouaient des quadrilles auxquels les détenus répondaient
par une chorégraphie non moins extravagante que les effusions
lyriques de l'orchestre.
i^84
LE MÉNESTREL
II
Penâant le secona empire. — Une promenade chantante à Bicëlre: A bas Bérangerl
y ne Pierre Dupont !— Le jcvrnat de Delisdvze : la messe au forlLamalgue.— Souvenir
d'un prisonnier a' État : lis gondoliers de Corle. — Ruifuelle Trabiicco et son cor d'Iiar-
monie.
Les prisoDS réseivccs aux vaineus de la politique, ne chômant pus
plus sous le second empire que sous la monarchie do juillet, eurent
aussi leurs tardes et leurs rapsodes. Dès le 2 décembre 1851, aux
preraiùrcs heures de la lutte, Bicèlie reçoit une fournée de comhat-
tanls qui, d'après leur historien Hippolyle Babou, jettent une noie
eaic dans le soubre asile de la folie.
Ils sont conduits et enfermés dans les casemates noires de ténèbres:
au milieu de l'obscurité, un orateur in\isible propose une promenade
chantante au son de la marseillaise.
— Bravo ! crie la foule, nous sommes de l'Orphéon de Bicètre.
Et cent vingt vois entonnent le chant {.atriotique, « chant d'hy-
giène, i. ditBaliou, puis le Chant du dépai-t, les Girondins, la fanfare
contemporaine de Jcmmapcs et de Fleurus :
Bruxelles-en -Brabant
Pas de compliment.
.l'entre chez lui lambour battant.
Un artisie inconnu larce sur l'air de Compère Guilleri une bou-
tade contre le héros de Brumaire :
Gai, gai, mes amis.
Soyons réjouis.
Chantons le renom
Du grand Napoléon ;
C'est le héros des petites-maisons.
L'auditoire s'amuse fort du timbie suraigu du chanteur, qui a dee
acuités de fifre.
Mais le virtuose n'a-t-il pas la malencontreuse idée de continuer
par le Vieux Caporal et les Souvenirs du peuple; tous alors de sifUer;
ou crie même: «A bas Béranger! » et on réclame le Chant des
ouvriers de Pierre Dupont, que le chœur répète jusqu'aux premières
lueurs de l'aube.
Cette gailé fébrile o* un pou forcée devait avoir de tristes lende-
mains. L'ère des commissions mixtes s'ouvrit; et bientôt de longues
théories de déportés partaient, soit pour la terre d'Afrique, soit pour
les forteresses de l'Océan et de la Méditerranée. Parmi les condamnés
se trouvait Delescluze, qui publia plus tard le Journal de sa captivité,
récit très animé, très vivant, d'un bon style et d'un chaud coloris.
Entre autres souvenirs se rattachant à notre sujel, celui d'une messe
militaire au fort Lamalgue mérite d'être rapporté :
Autant qu'il m'en souvient, écrit Delescluze, les messes militaires ont
l'immense mérite de s'expédier au galop; mais au fort Lamalgue c'est bien
différent. A défaut d'orgue et de serpent il y avait un orchestre vocal,
composé d'une dizaine de prisonniers militaires. Pendant les vingt-cinq
ou trente minutes que dura l'office, j'entendis exécuter une foule de can-
tiques dont je ne peux pas critiquer l'intention, mais dont, je puis le dire
sans impiété, la poésie était plus que médiocre... C'était, pour tout dire,
un tas de rapsodies du dernier commun, habillées d'airs mondains em-
pruntés aux opéras et aux chansons en vogue, et bravement enlevées par
des choristes en pantalon rouge.
Le mol de BufTon : « Le style est l'homme même, » trouve ici sa
pleine et entière justification. Nature sèche et revêche, autoritaire
et atrabilaire, Delescluze était encore la personnification de cet
autre aphorisme, passé à l'état de proverbe :
Cet homme assurément n'aime pas la musique,
non pas que celle du fort Lamalgue nous semble susceptible de
réhabilitation, mais la tournure d'esprit particulière à Delescluze
lui interdisait tout sens musical.
Combien en diffère un de ses coreligionnaires politique.", non
moins intransigeant que lui, mais d'une âme plus ardente, plus
cxpansive, plus ouverte aux sentiments généreux et aux nobles ins-
pirations qui font la gloire ou la consolation de l'humanité! Nous
voulons parler du sergent Boichot, mort depuis quelques mois seule-
ment. Revenu furtivement d'exil en ISoi-, il s'était laissé surprendre
à Paris, et son imprudence avait cié payée de la détention à Belle-
Islc-CL-Mer. Ceries il n'abandonne rien da ses rancunes ni de ses
revendications daus le livre qu'il a laissé sous le titre de Souvenirs
d'un prisonnier d'État; mais il donne librement carrière aux grandes
a?pirations de sa nature rêveuse et poétique, que semblent élargir
encore tes scu ations niusirales. Ces sensation?, Boichot les trouve
et 11 s éprouve partout. Tantôt c'est la chanson de Pierre Dupont qui
vibre à son oreille avec son vers puissant et sa mélodie fruste, sym-
bole musical du socialisme sous la seconde république; tantôt c'est
le mugissement de la tempête dont il cherche la tonalité; puis le
chaut des oiseaux qui le transporte et le ravit. Toutes ces impres-
sions, d'ordre varié, sont notées au jour le jour. Boichot est avec ses
compagnons d'infortune sur le bâtiment qui les emporte à Bellc-Isle.
Pendant la traversée, écrit-il, la plupart des détenus entonnèrent les
chants de Dupont, la Marsiillaise et d'autres airs républicains, qui, chose
étrange, eurent un immense succès parmi les hommes de l'escorte...
Dans la forteresse, « le son de la flûte de notre collègue commis-
saire se mêle au bruit de la rafale et forme un concert plein d'un
étrange et fantastique harmonie n
Des ordres de l'administration déplacent les prisonniers, qui seront
transportés en Algérie. Mois le vent les arrête trois jours en vue
de Coite, dont la population, à qui Boichot reconnaît « l'instinct
des idées et des institutions républicaines «, accueille les exilés avec
une touchante compassion :
A l'heure du crépuscule, nos amis et leurs familles, montés sur des
espèces de gondole, vinrent stationner aux limites établies par la police,
et chantèrent en chœur des airs patriotiques du pays. L'écho de ces sérénades,
se mêlant aux symphonies de la mer, nous arrivait plein de charme
et de poésie et nous prouvait que nous étions chez un peuple ami de la
liberté.
Tous ces conspirateurs, quelque discutable que fût leur opinion
ou leur cause, avaient un caractère épique. Il me soutient de l'un
d'eux, un musicien précisément, un certain Rafaolle Trabuco, qui
était professeur de cor d'harmonie et qui passait même pour avoir du
talent. Il s'était trouvé impliqué dans un complot mazzinien contre la
vie de l'empereur. Or, c'était en 1863, au moment où je cessais d'être
étudiant. Un de mes camarades, jeune avocat stagiaire, me fit entrer
dans la salle d'audience, à l'heure psychologique des plaidoiries,
du résumé — il existait encore — et du verdict. J'étais juste en
fac3 de Trabuco, une manière de petit homme, un peu épais, mais
très remuîint, dont la face rondelette disparaissait sous une touffe
de poils d'ébène.
Il fut condamné, avec la plupart de ses complices, à la détention
perpétuelle ; et comme le présiden', demandant à Trabuco, pour
paraître atténuer la rigueur de la sentence, s'il n'avdit pas quelque
requête à présenter à l'empereur:
— Qu'il me rende mon cor! s'écria d'une voix tragique le musi-
cien, qui se révélait là tout entier.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
(Suile.)
Delibes, Guiraud, Li!o, Poise, Duprato viennent de disparaître
successivement. Il me semble qu'ils emportent avec eux quelque
chose d'un art charmant, auquel succède un art pénible comme le
temps où. nous vivons.
ï!
Certains puristes pharisiens affectent le plus grand dédain pour
les musiciens qui composent au piano.
Je croyais que, depuis Alcesle, il était admis que « le temps ne
fait rien à l'a/faire >■. — Si le temps n'y fait rien, qu'y peut faire tel
ou tel procédé do travail?
Celui-ci a besoin, pour créer son œuvre, de l'isolement de la cam-
pagne ; celui-là, de l'excitation sans cesse renouvelée d'un miliiu
artistique vivaoe. A l'un, il faut lo silence de la nuit, à l'autre, la
petite flamme que le café allume dans le cerveau. — En voici qui
ruminent une première idée pendant la déambulation, si propice à
l'activité de la pensée flottant autour d'un germe de conception. J'en
sais qu'une plume de fer dans les doigts glacerait.
Qu'importent telles ou telles habitudes d'esprit, ou même d'outil
matériel, si l'œuvre est saine et bonne ?
Le grand argument des Aristarques, est qu'au piano les doigis
agissent plus que l'imaginDlion, refaisant les mouvements dont ils
sont coutumiers, .reproduisant fatalement des formes connues, des
harmonies usées, dos figures mélodiques banales.
11 est acquis à l'histoire musicale que Schumann composait tou-
jours au piano et ne pouvait s'en passer. C'est ainsi que furent con-
çus le Carnaval. Kresleriana. Jlumoreshc, les Etudes sijmphotiiques, les
Xovellette.f, Fanlasiesliicke, Kiiider-icenen, et les Lieder, et le Paradis et la
LE MÉNESTREL
285
Péri, et Faust, en un mot, toute cette œuvre si copieuse, si roman-
tique !
Que ceux qui proscrivent la méthode de travail de Scliumanu
essayent de faire mieux! Qu'ils trouvent des rythmes pics personnels,
des harmonies plus colorées, des accenls plus intimement profonds,
des mélodies plus savoureuses!
C'est que ceux-là ignorent le plus souvent comment composeï, t
les musiciens qui ont la pratique quotidienne du piano et pour qui
cet inslrument est à la fois un incitant et le rapide véhicule de la
pensée.
Les poètes, les romancieis, 1rs phiîosopheF, les critiques, en un
mot les écrivains de tous ordres portent ou eux la pensée générale
d'une œuvre ou d'un fragment d'œuvrc. iTais cctle pentép, qui les
hante, flotte vîgucment dans li ur imagiialion.
Les voici, cependant, la plume à la main, à leur table de travail.
C'est là que l'idée se dégage peu à peu et se précise. Par une mysté-
rieuse alfiuito, née d'une heuri use habitude, l'oulil de travail a Irans-
mis, de la main qui le tieni, je ne sais quel lluiJc au cerveau, et en
a fait jaillir l'élincelle. — Supprimez la plume, supprimez le pli fécond
de l'habitude oîi l'imagination se sent à l'aise, cl souvent, bien sou-
vent, vous aurez supprimé l'inspiration.
« Mon Dieu », dit M. de Goncourt dans son intéressant Journal,
0 [leut-Èlre deux ou trois années d'aveuglement avant ma mort, ce
ne serait pas mauvais celle séparation, ce di\orce de ma vision avec
la naluro colorrc qui a élé pour moi une uiaîtresse si captivante. Il
me serait peut-être donné de composer un volume, ou plulôt une
série de notes, toutes spiritualisles, loutes philosophiques, et écrilea
dans l'ombre de la pensée. Malheureusement, je crois déjà l'avoir
dit, je ne peux pas formuler quelque chose .sans que mai écriture soit
une façon de dessin d'où sort mon talent d'écrivain. »
Eh! bien ! ce que l'éciiture est à un des écrivains les plus origi-
naux de ce temps, le piano l'est au compositeur.
Une pensée, — que dis-je, soavent moins qu'une pensive, un con-
tour, — une couleur, souvent moins qu'une couleur, une nuance, —
une impression, — souvent moins qu'une impression, une vapeur, —
sont dans son imagioalion et l'ob; èdent sans qu'il en puisse rien
fixer. Il la sent là, tout piès de lui, imperceptible, cette poésie de
songe, '.t il ne peut même l'enlrevoir. C'est alors qu'il s'assied au
piano et, levant, il s'abandonne en de vagues préludes. Longtemps
sa recherche est vaine. Que de fois le but reste caché comme der-
rière un brouillard opaque! Que de fois le cerveau demeure vide,
glacé, les doigis sans direction reproduisant machinalement des
formules incolores! Ces jours-là, — hélas, les plus nombreux, — la
page reste blanche et le découragement gagne l'artiste !
Mais un jour vient où d'une succession de note<^, du choc d'une
harmonie ayant je ne sais quelle secrète et féerique corrélation avec
l'idée latente, l'intérêt s'éviille brusquement ; la clarté se fait, comme
fila fumée d'un nuage s'évanouissaiU Alors l'artiste ne voit plus
rien aulour de lui ; il est emporté dans un monde surnaturel, il saisit
son rêve! Dans une sorte d'ivresse il le vil, ce lêve, revecant sans
cesse, sans jamais se lasser, à ce coin de ciel encore inexploré, qu'il
a pu le premieratteindre ! La pensée se répète sous les doigts enfié-
vrés, passant et repassant sans cesse par le prisme de mille couleurs
changeantes.
Le musicien peut courir à présent à sa table de travail; l'œuvre
est née !
Heureux quand, l'enivrement dissipé, il ne reconnaît pas tristement
que, si haute et si exquise que soit peut-être la beauté exprimée,
elle ne réalise encore que bien imparfaitement celle qu'il a sentie,
car jamais, hélas 1 jamais l'artiste n'atteint cette perfection d'idéal à
laquelle il a aspiré !
a
La plupart des musiciens qui dénigrent avec ostentation l'usage
du piano pour composer, y recourent eux-mêmes quotidiennement.
Je défendais un jour ce procédé de travail à un ami excellent,
— X , de talent solide, qui me soutenait ne l'avoir jamais em-
ployé, le tenant en parfaite mésestime.
En disputant sur ce sujet, nous entrâmes dans son cabinet. Un
piano était là ; machinalerrent je l'ouvris, et, grand Dieu! que vis-
je?..., un clavier maculé d'énormes taches d'encre !
Ce fut mon tour do triompher. Notre homme eut beau se défendre.
Il était clair pour moi qu'il ne se contentait môme pas, comme la
plupart des compositeurs, de not.'r au piano quelques points de
repère d'une très sommaire esquisse, pour lesquels quelques coups
de crayon suffisent, mais qu'il y devait chercher et arrêter, en tous
ses détails, la forme définitive do ses productions.
En un autre temps, j'avais l'honneur de loger chez moi mon cher
et vénéré Maître. Lui aussi blâmait l'usage du piano pour composer.
Au cours de nos conversations il revint à diverses reprises sur ce
sujet avec la plus pai Taie bonne foi, car il é'.ait incapable de fein-
dre, et nous épuisâmes l'un et l'autre tous les arguments fans que
nos convictions réciproques fussent ébranlées. — A deux jours de là,
passant devant sa chaml rr-, je l'entendis s'escrimer sur le piano de
ses doigis gourds, mâchant et remâchant sans cese les mômes
thème?. — « Qu'est cela"? dis je en entrant; je ne reconnais pas
ces motifp.i) — « C'est, me dit-il simplement, oubliant noire conver-
sation de l'avant-veille, l'andanle de mon quatuor auquel je tra-
vaille. 1)
Un autre jour, j'allai faire visite à un des maîtres dont le noble
talent honore l'art français, et qui professe hautement et sincèrement
le même mépris pour le piano. Comme j'étais sur le palier de son
appartement, je l'entendis jouer de cet insfrumeit si décrié, 1 1 ayant
élé immédiatement iniroduit, je le surpris devant une csquiFse au
crayon d'une supeihe scène qu'il me fil entendre sans plus de
façon?.
C'est que, au vrai, la plupart des compositeurs procèdent ainsi.
Tous certes peuvent écrire n'importe quelle œuvre sans le concours d'aucun
instrument. Mais, piour beaucoup, c'est alors précisément que leur pro-
duction est plus fiw.'.e et moins personnelle.
Tout le monde sait l'hittoire de Beethoven fredonnaiit ob.itiné-
ment er.tre ses dents pendant une promenade, — puis, hâtant le
pas et, des sa rentrée au logis, se précipitant au piano oîi sous ses
doigis éclata tumultueusement le finale en germe de l'admirable sonate
en fa mineur op. 57.
Meycrboer avait un jiano carré « dont il se servait en même temps
pour jouer et pour écrire. »
Pour Halévy le facteur Relier avait fait « un magnifique bureau de
travail dont les flancs recelaient un pi.ino ; l'un des tiroirs, en s'ou-
vrani, montrait un clavier.»
Ambroise Thomas a, ou a eu, un meuble de ce genre ; et beaucoup
de nos auteurs français contemporains se servent de ces commodes
pianinos que la maison Pleyel a si ingénieusement disposés avec un
couvercle-puiiilre.
Dans un des fascicules qui ont clé publiés à Bayreulh en commé-
moration dos fêles, on peut voir le très curieux fac-similé de l'épique
Marche funèbre de Siegfried (Crépuscule des Dieux) en premier jet.
Bien qu'écrite sur trois portée?, — ainsi d'ailleurs que plusieurs
maîtres, notamment Schumann, ont noté quelques pièces de piano et
toutes leurs œuvres pour orgue et piano à pédale, — celte esquisse,
tracée par un des plus puissants et des plus polyphoniques manieurs
d'orchestre qui existent, diffère peu d'une réduction au piano.
Enfin, si Berlioz ne s'est jamais servi personnellement de cet ins-
trument qu'il ne p.'atiquait pas, il se servait d'une guitare, ce qui
certes ne valait pas mieux. Je garde même la conviction que, si l'au-
teur de la Damnation de Faust avait eu l'usage du piano, sa vive ori-
ginalité n'aurait pu en être atténuée, mais sa forme aurait été souvent
moins laborieuse, son écriture plus naturellement pure, et son ins-
piration se serait plus librement épanouie, sans cetle gestation péni-
ble, je n'ose dire douloureuse, dont peuvent se rendre compte ceux
qui ont eu en mains ses manuscrils originaux.
Ne médisons pas du piano. Il est l'ami, le confident de tous les
jours, — heures grise?, heures roses. C'est lui qui nous ouvre le
facile accès de tous les chefs-d'œuvre. G'ett lui qu', en avivant en
noire âme l'émotion, fait germer la flenr exquise de l'inspiration.
(A suivre.) . A. Montaux.
NOUVELLES LI^^ERSES
ÉTRANGER
La représentation de gala qui a eu lieu à l'Opéra impérial de Vienne
à roccasiou de la visite des souverains russes et dont \a. Manon de Massenet
avait fait les frais artistiques, a produit une impression tellement favorable
sur Nicolas II qu'il a envoyé aux fonctionnaires principaux de la surin-
tendance générale, le baron Bezecny, le docteur "Wlassack et le baron
Puumann ainsi qu'au directeur, M Jahn, et au premier kapellmeister,
M. Richtpr, des décorations russes d'un grade élevé.
— Une nouvelle opérette intitulée le Guignol, paroles de M. Tellheim,
musique de M. Richard Ilaller, sera prochainement représentée à Vienne
pour la première fois.
— Le préfet de police de Budapest a fait procéder à un recensement
de toutes les bandes de musique qui existent dans la capitale hongroise.
286
LE MENESTREL
On a constaté l'existence de 13Û bandes de Tziganes qui jouent dans les
différents établissements de plaisir, restaurants, cafés, etc.; le nombre de
ces musiciens est de 99". En dehors des Tziganes il existe 32 bandes
non militaires qui donnent un total de 216 musiciens, et 21 orchestres
de dames, qui jouent principalement dans les cafés, comptant 134 artistes.
On a aussi compté onze pianistes qui se font entendre dans différents éta-
blissements, et 22 musiciens de nationalité serbe qui se produisent sur le
tambourin national. Les musiques militaires ne sont pas comprises dans
cette statistique, mais elles jouent fréquemment dans plusieurs établis-
sements et bals publics ; les musiciens qui se produisent à l'Exposition
du millénaire n'ont pas été comptés non plus, car ils ne restent pas tou-
jours à Budapest. On peut évaluer à deux mille le nombre de personnes
qui gagnent leur pain à Budapest en faisant de la musique populaire.
C'est un chiffre assez considérable pour une ville qui compte à peine un
demi-million d'habitants.
— L'empereur Guillaume II doit aller prochainement à la Porta west-
phalica, près Minden, en Westphalie, pour voir le monument grandiose
qu'on a érigé à son grand-père Guillaume I" et à l'inauguration duquel
il n'avait pu assister. A cette occasion, sept cents trompettes et trombones
du pays exécuteront, dit-on, des fanfares en son honneur et tous les orphéo-
nistes westphaliens se rassembleront pour chanter des chœurs. Est-ce que
tous les habitants de ce pays, célèbre par ses jambons et par le pain bis
qu'on nomme Pumperniekel, joueraient de la trompette ou du trombone?
— Le chef d'orchestre Bilse, de Berlin, vient de célébrer le 80= anni-
versaire de sa naissance, et a reçu à cette occasion des félicitations innom-
brables. Sans être précisément « un virtuose de la baguette », pour nous
servir d'une expression de Hans de Bûlow, M. Bilse a le grand mérited'avoir
rendu populaire à Berlin les chefs-d'œuvres symphoniques, en organisant
des concerts populaires où un orchestre assez nombreux jouait sous sa
direction fort convenablement du Haydn, du Mozart, du Beethoven, du
Schubert, du Mendelssohn et du Schumann. Le prix d'entrée variait entre
60 centimes et I fr. 25 c, et les ouvriers mêmes se payaient une ou deux
fois par semaine le plaisir d'assister à un « concert Bilse. »
— Nos lecteurs se souviennent du projet que l'on a d'ériger un monument
funéraire à .J.-S. Bach dans la nouvelle église Saint-Jean à Leipzig. On
annonce que le comité a déjà réuni à cet effet plus de 20.000 francs.
— U. Wilhelm Speidel, directeur du Conservatoire de Stuttgard, tort
connu en Allemagne comme compositeur populaire et comme pianiste
vient de célébrer le soixante-dixième anniversaire de sa naissance et a
reçu à cette occasion des marques nombreuses de sympathie, surtout de la
part des orphéons allemands, qui ont popularisé ses compositions.
— M. Gianturco, ministre de l'instractiou publique du royaume d'Italie,
qui, nous avons eu occasion de le dire, est à la fois virtuose et composi-
teur et prend le plus grand intérêt aux choses artistiques, vient de décider
la création d'une classe de plain-chant au Lycée musical de Sainte-Cécile,
de Rome. 11 a confié cette classe au professeur Filippo Mattoni, l'un des
meilleurs chanteurs de la chapelle Giulia.
— M. Blanchi, auteur d'un opéra intitulé Sarah, qui a déjà été joué avec
succès, vient de terminer la partition d'un nouvel opéra en trois actes,
Almanzor.
— Un opéra inédit en un acte, intitulé Refugium peccatorum, paroles de
M. Louis Jugand, musique de IM. Antonio De Lorenzi Fabris, sera prochai-
nement joué à Venise.
— Un nouvel opéra du compositeur napolitain Giannini, intitulé Ruit
hora (L'heure s'envole), sera prochainement joué au théâtre de Portici,
près Naples. Le jeune compositeur dirigera en personne la première.
— Au festival musical de Norwich on jouera pour la première fois un
opéra inédit, Héro et Léandre, paroles de IVI. Arrigo Boito, le librettiste de
Verdi, musique de M. Luigi IMancinelli, le chef d'orchestre bien connu.
Cet ouvrage sera joué ensuite au théâtre Covent-Garden.
— On a donné au Savoy-Théâtre de Londres une nouvelle opérette inti-
tulée Wheaier or No, dont la musique a été écrite par M. Luald Selby sur
un livret de MM. Adrian Rossa et W. Beach.
— Les artistes anglais n'ont véritablement pas de chance en ce moment.
Nous apprenons en effet que pendant une représentation au Grand-
Théâtre, à Croydon, une actrice a reçu dans la cuisse toute la charge d'un
pistolet. Ce nouvel accident provient uniquement de la maladresse d'un
acteur.
— Lors de son voyage en Angleterre, le vice-roi chinois Li-Hung-Tchang
a été gratifié, à Dalmeny, d'un concert de musique écossaise. Toute une
bande a joué les meilleurs pièces de son répertoire sur la cornemuse écos-
saise (bagpipe', et quelques douzaines de montagnards écossais dans leur
costume, qui manque absolument de pantalon, ont dansé la célèbre danse
nationale (Uig,jla,id fliny), qui manque tout à fait de femmes. Le vieil homme
d'Etat chinois a semblé beaucoup admirer les jambes nues des danseurs,
mais les sons du bagpipe n'avaient pas précisément l'heur de lui plaire. A
un grand seigneur écossais qui lui posait la question embarrassante :
« Comment plait à Voire Excellence notre musique nationale? ; le
mandarin a répliqué avec un léger sourire : <' Probablement autant qu'à
Votre Seigneurie la musique chinoise ». De gustihus, etc.
— Une certaine agitation sefait actuellement remarquer en Angleterre ten-
dant à la modification de la fameuse loi sur l'observation du repos dominical,
TlieLord's Day Act, qui date de 1781. Cette loi a déjà occasionné beaucoup de
procès au sujet des concerts et autres délassements musicaux qu'on donnaitle
dimanche, et les juges ont souvent interprété d'une manière contradictoire
ses prescriptions. On désire donc un texte plus clair et plus large
de la loi dominicale, car même les personnes qui croient, avec raison,
que la bonne musique n'empêche pas la sanctification du dimanche, ne
réclament pas l'abolition du Lord's Datj Act. Tout récemment on a ouvert, le
dimanche, au public la Galerie nationale de Londres, et les travailleurs, qui
n'avaient jamais pu voir les trésors d'art appartenant à la nation, ne pou-
vant pas les visiter les jours non fériés, profitentlargement de cette aubaine.
Ne doit-on pas rendre accessibles aux humbles ouvriers les chefs-d'oeuvre
de la musique aussi bien que ceux de la peinture? Au point de vue du
repos dominical, qui est certes fort désirable, un bon concert classique
vaut certainement la plupart des sermons qu'on débite dans les églises
anglaises et est de beaucoup préférable aux distractions auxquelles les
gens de condition modeste se livrent en Angleterre le dimanche, quand
ils ne s'ennuient pas mortellement chez eux.
— On a fêté récemment, à Stockholm, le soixante-dixième anniversaire
de la naissance de M. Ivar Hallstrœm, le compositeur suédois le plus
populaire et l'auteur, dit-on, du premier opéra national. M. Hallstrœm a
écrit d'ailleurs plusieurs ouvrages dramatiques : Hertig Magmis, dont le
sujet était tiré d'un épisode de l'histoire de la Suède, et qui fut représenté
au théâtre royal de Stockholm en 1867 : la Montagnarde enlevée, 1874; la
Fiancée du gnome, opéra fantastique, 1873; les Vikings, 1877. On lui doit
aussi quelques autres compositions de moindre importance.
— L'Opéra néerlandais de Rotterdam devra, cette saison, sa subvention
à une loterie originale. Un comité vend 23.000 numéros au prix de deux
francs. Les lots seront formés par cent titres d'abonnement pour la saison
entière, et c'est le directeur qui touchera les SO.OOO francs que cette loterie
doit rapporter.
— M. Grau, le directeur du Metropolitan Opera-house de New- York et
du théâtre Covent-Garden de Londres pendant la prochaine saison, est en
train de compléter ses engagements d'artistes chanteurs. Or, plusieurs
grands artistes internationaux, ayant appris qu'un des candidats à ia pré-
sidence des États-Unis préconisait le monnayage libre de l'argent et redou-
tant les conséquences de cette mesure pour la valeur du dollar, ont renvoyé
les contrats préparés en exigeant que les mots « en or » fussent ajoutés
partout où il s'agissait du bienheureux dollar. Mille dollars en argent
ne représentent en effet, au prix actuel du métal blanc, que cinq cents
dollars en or, et à ce prix les rossignols ne veulent pas chanter à New-York,
même s'ils appartiennent au sexe fort. Ce fait amusant prouve que les
artistes modernes sont très ferrés sur l'économie polilique; on s'étonne
môme que certains Etats aux finances délabrées n'aient pas encore songé
à donner le portefeuille des finances à un ex-tort lénor, ou, ce qui vaudrait
peut-être mieux, à une ancienne chanteuse légère.
— Un journal américain publie une note d'après laquelle il prétend nous
faire connaître les bénéfices que leurs tournées dans l'Amérique du Nord
procurent à nos artistes européens. Selon ses calculs, M. Paderewski aurait
empoché là-bas 1.400.000 francs, M'"'^'^ Calvé et Melba chacune un million,
MM. Maurelet Plançon aussi un million, les frères de Reszké 1.230.000 francs,
et ainsi de suite. A la suite de ces renseignements, notre confrère d'outre-
Océan hasarde cette réllexion dont on ne saurait méconnaître la justesse:
« Notre argent cessera d'aller dans la poche des artistes européens le jour
où l'Amérique pourra produire des pianistes et des chanteurs d'égale
valeur. » Parfaitement. Il ne s'agit que de savoir quand l'Amérique pourra
fare da se.
— Il paraît que la fameuse « sillleuse» américaine dont on a tant parlé
il y a une année environ, fait des élèves et des prosélytes. Un de nos con-
frères américains nous fait savoir qu'il devient de mode là-bas d'enseigner
aux jeunes filles à siiller au lieu de chanter. Il raconte à ce sujet que ré-
cemment, à New-York, dans une cérémonie nuptiale, une douzaine de
demoiselles d'honneur avait « siillé " en perfection, avec un ensemble
superbe et des nuances exquises, la Marche nuptiale de Mendelssohn.
Voilà qui va bien, et qui donne une grande idée du goût musical des
Américains — et des Américaines. A quand le prochain orchestre de
silUeuses ?
— Les Américains en prennent à leur aise avec les chefs-d'œuvre,
lorsque ceux-ci les gênent quelque peu. Il parait que récemment, dans
une ville des États-Unis, lors d'une exécution de la Symphonie avec
chœurs de Beethoven dirigée par M. Théodore Thomas, le fameux chef
d'orchestre dont la renommée est si grande au delà de l'Atlantique, on a
joué la dernière partie... en la transposant un ton plus bas. .Je ne doute
pas que ce ne fût beaucoup plus commode pour les chanteurs : solistes
ou choristes, mais c'est égal, le procédé est sans façon, et il serait curieux
de savoir ce qu'en eut pensé Beethoven s'il eût pu croire qu'on le mît un
jour en pratique 1
— Antoine de Kontski, le doyen des pianistes vivants, dont nous avons
annoncé la tournée artistique autour du monde, est arrivé en Australie et
a donné à Melbourne une série de concerts avec un succès énorme. Il s'est .
LE MÉNESTREL
287
rendu de là à Sydney, où il a annoncé plusieurs concerts. Nos lecteurs
savent déjà que M. de Kontski à l'intention de donner quelques concerts
à Paris au printemps prochain.
— Les nouvelles qu'on reçoit de la santé de M. Carlos Gomes sont loin
d'être rassurantes sur l'état du compositeur. Le gouvernement brésilien,
outre qu'il ne le laisse manquer de rien, a assigné une pension à ses fils
ainsi qu'une dot à sa fille lorsque celle-ci jugera à propos de prendre un
époux.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, c'est M. Noté qui a tenu le rôle à'Hamlet, mercredi der-
nier, en place de M. Renaud, indisposé. M. Noté, prévenu à la dernière
heure seulement, sans une répétition, sans même un raccord, a chanté
l'ouvrage d'Ambroise Thomas, et, par ses applaudissements, le public lui
a montré qu'il s'était tiré de cette très lourde tâche tout à son avantage.
M"' Berthet, faisant sa rentrée dans Ophélie où elle s'est montrée char-
mante, et M'" Subra, exquise dans la Fête du Printemps, ont retrouvé le
succès auquel elles sont habituées. M"" Dufrane abordait pour la pre-
mière fois le rôle de la reinp.
— M. Gailhard, en ce moment à Biarritz, rentrera à Paris à la fin de
celte semaine.
— Les travaux entrepris à l'Opéra-Comique devant être, maintenant,
très certainement achevés pour permettre de rouvrir à la date du 18,
M. Garvalho a dû partir, hier samedi, pour Munich, où il va assister à une
des représentations de Don Juan qui s'y donnent en ce moment, M. Gar-
valho sera de retour à Paris à la fin de cette semaine.
— M. et M""» Massenet sont rentrés à Paris où ils ne comptent séjourner
que quelques jours seulement. M. Massenet a profité de son passage
pour arrêter avec M. Garvalho différents détails relatifs à Cendrillon.
— Vendredi soir, M"<= Van Zandt a signé avec M. Garvalho un engage-
ment au terme duquel elle donnera, du 20 novembre au 20 janvier, une
série de représentations de Lakmé, dont elle fut l'inoubliable créatrice, et
de Manon, qu'elle chantera pour Ja première fois.
— A l'occasion de diverses expositions récentes, le Journal officiel a enre-
gistré plusieurs distinctions académiques parmi lesquelles nous relevons
les suivantes : oûîcier de l'instruction publique : M. Poulalion, éditeur de
musique à Paris; officiers d'académie: MM. Depas, artiste dramatique à
Bordeaux ; Duclos, directeur de l'orphéon du 1" canton de Bordeaux ;
Florus-Blanc, professeur au Conservatoire de Bordeaux; et Gauvin, éditeur
de musique à Paris. — Mentionnons en même temps quelques autres nomi-
nations d'officiers d'académie qui remontent déjà à quelques semaines :
MM. Henri-Louis Martin, professeur de musique aux écoles normales, Jean
Ajon, professeur de musique au lycée d'Alais, Léon Mérignac, professeur
de musique au lycée d'Angoulême, et Jacques Périlhou, professeur de mu-
sique au lycée de Mont-de-Marsan.
— M. Guiffrey, administrateur des Gobelins, a livré à la Comédie-Fran-
çaise, sur l'ordre du ministre des beaux arts, une admirable tapisserie des
Gobelins exécutée sur la composition du peintre Joseph Blanc. Cette tapis-
serie, de plus de cinq mètres de haut sur plus de trois mètres de large,
représente le Couronnement de Molière un jour de cérémonie. Les deux per-
sonnages principaux entourant le buste de Molière sont Tartuffe et Dorine.
Pour Tartuffe, l'artiste a pris pour modèle M. Silvain dans ce rôle ; pour
Dorine, M. Blanc avait fait le portrait vivant et frappant de la pauvre
Céline Montaland. L'administrateur de la Comédie saisira la première oc-
casion de montrer ces œuvres de notre manufacture nationale de tapis-
serie.
— M. Prince, premier prix de comédie aux derniers concours du Con-
servatoire, vient d'être engagé à l'Odéon.
— Le pianiste portugais Viana da Motta, que le public parisien n'a sans
doute pas oublié, vient de publier un livre consacré au fameux chef
d'orchestre Hans de Bulow. Celui-ci n'était pas toujours l'excentrique
qu'il se plaisait à paraître; il avait, on le sait, un haut sentiment de l'art.
M. Viana da Motta cite de lui quelques réflexions intéressantes. A propos
delà justesse chez les virtuoses ; « On peut jouer juste, bien et d'une façon
intéressante. Ne jouez donc pas d'une façon si intéressante que cela
cesse d'être bien, et ne jouez pas si bien que cela cesse d'être juste... »
Et à propos de Mozart : « Ce n'est pas impunément que Mozart était à
moitié Italien. On le joue, non comme s'il était de Salzbourg, mais comme
s'il avait vu lo jour à Stockholm. Cela est trop glacial, trop mort. Le ton
est trop mince, trop enfantin. Étudiez ses opéras, ou jouez ses sonates
pour piano et violon : chez Mozart, et même dans ses sonates pour piano,
il y a toujours un processus dramatique. Chaque thème de Mozart est une
individualité. »
— A la Villa des Fleurs, à Aix-les-Bains, la première représentation
de Le Roi l'a dit, le délicieux ouvrage de Léo Delibes, a dépassé comme
succès tout ce que l'on pouvait attendre. Interprétation parfaite avec
M""" Landouzy, MM. Soulacroix et Isnardon, très jolie mise en scène de
M. Nerval, et exécution musicale très délicate, grâce aux soins de
M. Luigini.
- Au Circle d'Aix-les-Bains, le succès de /« Nauarraise avec sa remar-
quable interprète, M"" de Nuovina, MM. Bouvet et Maréchal, s'accentue
de plus en plus. On a déjà donné trois représentations devant des salles
combles et complètement subjuguées.
— De notre confrère Nicolet. du Gaulois : « Le bruit court que la muni-
cipalité marseillaise, désireuse de rendre à notre école communale de mu-
sique sa réputation d'autrefois, songerait à lui restituer le titre de « suc-
cursale du Conservatoire de Paris, qu'elle a porté de 1842 à 1872; c'est
grâce, en efi'et, à l'enseignement supérieur donné pendant ces trente ans
que plusieurs élèves sont devenus, tels que Boudouresque, Maurel, Pu-
jol, etc.. des artistes en renom à Paris et à l'étranger. »
— Décentralisation. Le théâtre d'Amiens annonce, pour cet hiver, la
première représentation de Franpo)2Hei(e, opéra-comique en quatre actes, tiré
d'un conte de Jasmin par MM. J. Goujon et A. Bernède, musique de
M. R. Lavello. Les mêmes auteurs firent jouer l'année dernière, à Rouen,
une Marie Siuarl.
— Au Casino municipal de Bagnères-de-Bigorre, très brillante réussite
de la Navarraisc, avec M"'= Lyvenat dans le rôle de l'héroïne de MM. Masse-
net, Claretie et Gain. L'exécution musicale, très soignée par M. Gh. Ha-
ring, a été parfaite. Trois jours après avait lieu au Parc, toujours sous la
très artistique direction de M. Haring, un superbe festival Massenet, au
cours duquel on a applaudi et bissé l'ouverture du Cid, le ballet du Mage,
des suites sur Manon, sur Uérodiade,, le ballet du Roi de Lahore, Sous les til-
leuls des Scènes alsaciennes, VHyménée d'Esclarinonde et la Parade militaire.
— On nous écrit de Cabourg : Dimanche, M. Bourdeau avait organisé
une messe en musique en l'honneur de Faure, de passage à Cabourg,
dont les œuvres remplissaient le programme de cette belle et pieuse céré-
monie. M. Alvarez, un brillant élève du maitre, amateur doué d'une
belle voix de baryton, a interprété dans un style large l'O Saluiaris.
M. Jean Rondeau a montré l'ampleur de son talent et de sa voix dans le
Sancla Maria, accompagné au violon par M. Hayot et à l'orgue par M. J.
de Santesteban, et M""» Smith a fort religieusement dit VAve Maria. On a
terminé par le Crucifix, interprété par M'"'^^ Smith, Calafa, Kerckhoff,
MM. Rondeau, Alvarez et Vieuille, et accompagné par les artistes de l'or-
chestre du Casino. L'orgue était tenu, durant la messe, par MM. J. de
Santesteban et Deslandes. Vendredi, au concert du Casino, M. J. Faure
fut également l'objet d'une ovation des plus chaleureuses de la part du
public, après l'interprétation de son Sancta Maria par M. Jean Rondeau.
Toute la salle a confondu dans de chauds applaudissements le grand mai-
tre et son interprète.
— La saison thermale de Bagnoles-de-l'Orne bat son plein. Au concert
donné le 22 août, parmi les productions de nos meilleurs compositeurs
tels que Massenet, Godard, Gounod, Gh. René, F. Thomé, grand succès
pour Ch. Balanqué dans la mélodie les Enfants, de Massenet, et pour
M. Guérin dans Aube d'amour, de Révillon.
— A l'église de Saiut-Paul-en-Gornillon, sur la Loire, très jolie messe
en musique organisée par M. J. Vincent, dont on a exécuté plusieurs
compositions nouvelles. Très gros efi'et pour le chœur à l'unisson de Rey-
naldo Hahn, sur les vers de Racine.
NÉCROLOGIE
La semaine dernière est morte à la Garenne-Colombes, après deux années
d'une maladie douleureuse, M"« Marie Anna Papot, professeur de solfège
au Conservatoire dont l'enseignement était très justement apprécié, rue du
Faubourg-Poissonnière, et qui avait publié un Solfège manuscrit, 37 leçons d
changement de clefs. De relations très agréables, M"" Papot, qui n'avait que
quarante-deux ans, sera fort regrettée non seulement de ses élèves, mais
encore de tous ceu.x qui l'ont connue. Minée par un mal qui ne pardonne
pas, M"' Papot avait dû depuis longtemps confier la conduite de sa classe
aux soins de sa répétitrice, M"|= Robert.
— On annonce le décès de M'" Jeanne Monnier, sujet-mime à l'Opéra,
morte à vingt-huit ans. Cette jeune et consciencieuse artiste avait créé la
rôle de la Reine des Tziganes dans les Deux Pigeons, d'André Messager,
en 1886.
— M. Juan Escalas, un modeste mais très distingué musicien, qui fut
un flûtiste remarquable et composa un grand nombre de morceaux pour
orchestre et bande militaire, vient de mourir à Barcelone, en Espagne. Il
fit longtemps partie de la musique municipale, où il n'a pas été remplacé.
C'était un brave et excellent homme, qui laisse d'unanimes regrets.
A. G. B.
— A Reichenhall, en Bavière, s'est éteint à l'âge de soixante-quinze
ans le compositeur et pianiste Rodolphe Schachner, qui était fort connu
et estimé comme professeur de piano à Londres et à Vienne. Parmi ses
compositions assez nombreuses mais peu répandues, son oratorio le Retour
d'Israël de Babylone a été joué assez souvent en Allemagne et en Angle-
terre et y a fait connaître le nom de son auteur.
Henri Heugel, directeur-gérant,
AVIS AUX PROFESSEURS. — Belle salle pour auditions, cours et
leçons, matinées et soirées. Location au mois et à la séance. — S'adres-
ser Maison musicale, 39, rue des Petits-Champs. Paris.
LE MENESTREL
En vente AU MÉNESTREL, 2 fis, rue Vivienne, HEUGEL & C'e, éditeurs à Paris
Propriété pour tous pays. — Tous droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés
ŒUVRES DIVERSES — TRANSCRIPTIONS POUR PIANO
HEHODIADE
Opéra en 5 Actes
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Ballet pour piano à 2 mains net
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Les Phéniciennes, pour piano {très facile) ....
Les Phéniciennes et les Gauloises, piano-violoncelle
Danses sacrées pour piano à 2 mains
Les mêmes, à 4 mains
Marche sainte pour piano
La même., à 4 mains
Prdlude pour piano à 2 mains
Le même, à 4 mains
{.e même (très facile), piano à 2 mains
Le même, pour piano et \iolon
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Le même, pour piano et flûte
Le même, pour piano et cor
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LE ROI DE LAHORE
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Le même, à 4 mains net
Adagio et Valse extraits du ballet
Valse (trèa facile), pour piano
IjCs Esclaves persanes, extrait du ballet ....
3* Acte transcrit pour piano à 4 mains net
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Cortège, piano à 2 mains
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Entr'acte (5* acte), piano à 2 mains
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Môlodie hindoue variée, piano à 2 mains
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U'S mêm,es (très faciles), piano à 2 main»
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Clair de lune (très facile), piano à 2 mains .... 3 ■
Clair do lune, pour piano et violon 6 »
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Danse des Esprits, piano à 2 mains
Évocation et Chasse, piano à 2 mains
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Ile magique, piano à 2 mains
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Scène de la Séduction, piano à 2 mains. . . .
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DE SZABADY"
Marche héroïque, piano à 2 mains ,
Marche héroïque, réduite ,
Marche héroïque, transcrite par Liszt ,
Marche héroïque, piano à 4 mains ,
Marche héroïque, 2 pianos, 8 mains
Marche héroïque, partition d'orchestre. ... ne
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Méditation religieuse, piano à 2 mains
La même, édition facilitée
La méyne, piano à i mains
La même, piano et violon
La même, [)iano et flûte
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La même, piano et mandoline
Marche des Comédiens, piano à 2 mains
La même, piano à 4 mains
Pantomime d'Aphrodite, piano à 2 mains
La même, pour 2 pianos À 4 mains
Valse de la Perdition,
Scherzetto, piano à. 2 ma
Gavotte des Gnomes, piano à 2 mains.
Séduction, valse, piano à 2 mains ....
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LA VIERGE
Léqende sacrée
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La même ftrès facile) 3
Dernier Sommeil de la Vierge, piano à 2 mains 4
Le même [très facile), piano à 2 mains 3
Le même, pour piano à 4 mains G
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LE MAGE
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Partition piano boIo, complète net 12
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OUVERTURE DE PHÈDRE
Pour pi ai
Pour piai
Pour deu
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Pour piano
à 4
60
DON CESAR DE BAZAN
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Ouverture, piano à 2 mains 7 50
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Ballade aragonaise G »
Entr'acte-Sevillana, piano à 2 mains 6 »
Le même (très facile) 3 a
Le même, piano à 4 mains 7 50
Le même, 2 pianos 8 mains 9 »
Le même, pour pinno et violon 7 50
Le même, pour flûte et piauo 7 50
LE CARILLON
Légende mimée et daksée
Partition complète, pour piano solo net 8 »
Valse au Cabaret, piano à 2 iii:iii;s 6 »
La même (très facile), — 3 »
Les Ramoneurs, — 6 »
Les Boulançrers, — 6 .
La Moque
Dialogue
Le Lever du Jour
Danse flamande.
Valse de Bertha,
LA NAVARRAISE
Épisode lyrique
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Prélude pour
Nocturne pour piano à 2 mains 5
Le même, édition facilitée 5
•iême, pi;
Le même, pir
Le même, pi:
Le même, pir
Le même, pii
et violo
ROMAN D'ARLEQUIN
Pantomime ah piano
l'our piano à 2 mains. . . .
Pour piano à 4 mains. . . .
Sérénade, piano et violon .
10 >
7 60
SARABANDE ESPAGNOLE
Pour piano à 2 mains 5 »
Pour piano à 4 mains 7 60
Pour piano et Tiolou 7 50
LE CROCODILE
Réduction complète, piano à 2 mains <î >
Entr'acte-Berceuse 4 »
Entr'acte-Nocturne 6 »
SCÈNES DE BAL, !'• îiiiic, réduction pour piano, par Geoiigks Bizet, à 2 mains net 6
SCÈNES HONGROISES. ■2- suite, réduction puur piano, par Okorqbs Bizet, à 2 mains. . . net 6
SCÈNES DRAMATIQUES, S- suite, rédu^nion pour piano a 2 maina net 6 »: — à 4 mains
SCÈNES PITTORESQUES, 4- suite, re-uction pour piano à 2 maino net 6 »; — (i4main8
N- I. MurrJic. . i\ «. — N» 2. A:r de Bullel. . 6 -. — N- 3. Ancelui. . 7 60. — Fàlc Baliéii
SCÈNES NAPOLITAINES, 5' suite, réduction pour pluuu a -i majus net 6 .; - à 4 mains
SCÈNES DE FEERIE, (i* suite, réduction pour piano, par Xaviei: LtKOUX, à 2 mai a 'ict
SCENES ALSACIENNES, 7- suite, réductiou pour piano, par Xavier Lerou.n, ù 2 maiuo. . n.t
— à 4 mains net 6 •.
— à 4 mains net 6 ..
. . . . net 6 ».
, ... net 6 ».
5 ». — Air de Ballet, violon et piano ou violoncelle et piano.
~ (Encre Lorllkuï,
3416. - 62- ANNÉE - N° 37. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
Dimanche 13 Seplerabre 1896,
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteur
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉ^TI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an. Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Cliant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr,, Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étr-nser , les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
L Étude sur Orphée (3° article), Julien Tiersot. — II. Bulletin théAtral : Don Juan
àMunicli, S. M. — III. Musique et prison (17' article) : Prisons politiques
modernes, Paul d'Estrée. — IV. Journal d'un musicien (5« article), A. Mon-
TAUx. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
FEMMES ET FLEURS
de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Chanson d'automne, de Cesare
Galeotii.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
chant : Jours d'automne, mélodie de Charles Levadé, poésie de Jules Oudot.
— Suivra immédiatement : Sérénade d'automne, laéXoài^ de L.Delaquerkière,
poésie d'ÂNDRÉ Alexandre.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Mais ce qui domina chez lui dés les premiers instants, ce
fut la préoccupation de la juste expression des sentiments.
Burney a raconté de quelle manière fortuite ses idées sur ce
point se précisèrent pendant le séjour qu'il fit en Angleterre
en 1746. Il avait été chargé de composer un pasticcio sur le
sujet de Pyrame et Thisbé, c'est-à-dire de réunir sur un nouveau
canevas un certain nombre d'airs choisis parmi ceux qui
avaient eu le plus de succès dans ses opéras antérieurs. Or,
il advint que, dans les situations nouvelles pour lesquelles ils
n'avaient pas été composés, ces airs, naguère applaudis, ne
produisirent plus le moindre effet. Et Burney ajoute qu'éclairé
par cette expérience « et trouvant que le naturel et la simpli-
cité étaient ce qui avait le plus d'action sur les spectateurs, il
s'est depuis moins attaché à flatter les partisans d'une science
approfondie qu'à écrire pour la voix dans les tons naturels
des affections et des passions humaines. (1) »
Le naturel, la simplicité et l'expression, furent en effet, de
tout temps, le triple but de ses recherches. Dans la préface
i'Alceste, où, pour la première fois, il énonça publiquement
sa doctrine, il écrivit :
« Je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction,
celle de seconder la poésie, pour fortifier l'expression des
(1) Sur ces difTèrentes matières, voir G. Desnoiresterres, Gluck et Piccini, pp. 9,
23 et 16 de la 2- édition.
sentiments et l'intérêt des situations, sans interrompre l'action
et la refroidir par des ornements superflus... J'ai cru encore
que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à
chercher une belle simplicité... Je a'ai attaché aucun prix à
la découverte d'une nouveauté, à moins qu'elle ne fût natu-
rellement donnée parla situation et liée à l'expression... »
Dans une conversation sur la musique française qui eut
lieu en 1767 et nous a été rapportée, il parla de nos anciens
maîtres de façon à étonner ceux qui ne voyaient encore en
lui qu'un compositeur d'opéras italiens. « Il louait dans Lulli
une noble simplicité, un chant rapproché de la nature et
des intentions dramatiques... » (1).
Son premier collaborateur français, le bailli du RouUet,
exprimait évidemment ses idées quand, dans une lettre pu-
blique destinée à préparer sa venue à Paris, il blâmait les
auteurs d'opéras qui préféraient « l'esprit au sentiment, la
galanterie aux passions, et la douceur et le coloris de la
versification au pathétique de style et de situation », et quand
il louait dans sa musique « un chant simple, naturel, tou-
jours guidé par l'expression la plus vraie, la plus sensible,
et par la mélodie la plus flatteuse » (2).
Lui-même, dans une lettre écrite vers le même temps et dans
le même but, se mettant sous le patronage de Jean-Jacques
Rousseau, lequel était, comme lui « l'homme de la nature »,
disait : « Nous chercherons ensemble une mélodie noble,
sensible et naturelle, avec une déclamation exacte selon
la prosodie de chaque langue et le caractère de chaque
peuple... ».
Enfin ce même Rousseau, dans son étude sur Alceste, a loué
intentionnellement le génie avec lequel Gluck avait exprimé
les passions sur lesquelles roule presque exclusivement le
sujet, infiniment simple, de cet opéra, — tandis que, de
son côté, Burney constatait que la plupart des airs à.'Orphée
oc sont aussi simples, aussi naïfs que des ballades anglaises ».
« Expression, simplicité, naturel», tels sont donc les mots qui
reparaissent dans chacune de ces citations. Or, l'opéra italien
était si loin d'être un art simple, naturel et expressif, que la
recherche de cette triple qualité, de la part d'un compo-
siteur dramatique, constituait une remarquable nouveauté.
C'est évidemment vers ce but qu'il dirigea Calzabigi, à
la collaboration duquel il rendit hommage en ces termes, à
la fin de la préface A' Alceste : « Ce célèbre auteur, ayant
conçu un nouveau plan de drame lyrique, a substitué aux
descriptions fleuries, aux comparaisons inutiles, aux froides
et sententieuses moralités, des passions fortes, des situations
(1) Loc. cit., p. 77.
(2) Lettre publiée dans le Mercure de France, octobre 1772, reproduite dans les
Mémoires pour servir à Vtiistoire de la Révolution opérée dans la musique par M. le Che~
valier Gluck, MDCCLXXXI, p. 2 et 5.
"290
LE MÉNESTREL
intéressantes, le langage du cœur et un spectacle toujours
varié. » Et, dans la lettre publique par laquelle il pro-
posa sa première Iplikjénie à l'Opéra : « Je me ferais encore
un reproche plus sensible si je consentais à me laisser attri-
buer l'invention du nouvean genre d'opéra italien dont le
succès a justifié la tentative : c'est à M. de Galzabigi qu'en
appartient le principal mérite; et si ma musique a eu quelque
éclat, je crois devoir reconnaître que c'est à lui que j'en suis
redevable, puisque c'est lui qui m'a mis à la portée de déve-
lopper les ressources de mon art (1) ».
En effet, Galzabigi ne fut pas simplement l'exécuteur des
volontés de Gluck, mais semble bien, au contraire, avoir pris
une part directe et effective à la réforme. Longtemps après,
à la suite d'un dissentiment, il en revendiqua sa part, qu'il
s'attribua très large :
Je ne suis pas musicien, mais j'ai beaucoup éludié la déclamation.
On m'accorde le talent de réciter fort bien les vers, parliculière-
ment les tragiques, et surtout les miens.
J'ai pensé, il y a vingt-cinq ans, que la seule musique convenable
à la poésie dramatique, et surtout pour le dialogue et pour les airs
que nous appelons d'azione, était celle qui approcherait davantage
de la déclamation naturelle, animée, énergique ; que la déclamation
n'était elle-même qu'une musique imparfaite ; qu'on pouvait la noter
telle qu'elle est, si nous avions trouvé des signes en assez grand
nombre pour marquer tant de tons, tant d'inflexions, tant d'éclats,
d'adoucissements, de nuances variées, pour ainsi dire, à l'inlini,
qu'on donne à la vois en déclamant. La musique, sur des vers quel-
conques, n'étant donc, d'après mes idées, qu'une déclamation plus
savante, plus étudiée, et enrichie encore par l'harmonie des accom-
pagnements, j'imaginai que c'était là tout le secret pour composer de
la musique excellente pour un drame ; que plus la poésie était
serrée, énergique, passionnée, touchante, harmonieuse, et plus la
musique qui chercherait à la bien exprimer, d'après sa véritable dé-
clamation, serait la musique vraie de cette poésie, la musique par
excellence.
J'arrivai à Vienne en 1761, rempli de ces idées. Un an après, S. E.
M. le comte Durazzo, pour lors directeur des spectacles de la cour
impériale, et aujourd'hui son ambassadeur à Venise, à qui j'avais
récité mon Orphée, m'engagea à le donner au théâtre. J'y consentis, à
la condition que la musique en serait faite à ma fantaisie. Il m'en-
voya M. Gluck, qui, me dit-il, se prêterait à tout.
Je lui fis la lecture de mon Orphée, et lui en déclamai plusieurs
morceaux à plusieurs reprises, lui indiquant les nuances que je
mettais dans ma déclamation, les suspensions, la lenteur, la rapi
dite, les sons de la voix tantôt chargés, tantôt affaiblis et négligés
dont je désirais qu'il fit usage pour sa composition. Je le priai en
même temps de bannir i passagi, le cadense, i ritonielli, et tout ce
qu'on a mis de gothique, de barbare, d'extravagant dans notre mu-
sique. M. Gluck entra dans mes vues.
Mais la déclamation se perd en l'air, et souvent on ne la retrouve
plus ; il faudrait être toujours également animé, et cette sensibilité
constante et uniforme n'existe point. Les traits les plus frappans
s'échappent lorsque le feu, l'enthousiasme s'affaiblissent. Voilà poui-
quoi on remarque tant de diversité dans la déclamation de différents
acteurs pour le même morceau tragique : dans un même acteur,
d'un jour à l'autre, d'une scène à l'autre. Le poète lui-même récite
ses vers tantôt bien, tantôt mal.
Je cherchai des signes pour du moins marquer les traits les plus
saillans. J'en inventai quelques-uns ; je les plaçai dans les interlignes
tout le long d'Orphée. C'est sur un pareil manuscrit, accompagné de
notes écrites aux endroits où les signes ne donnaient qu'une intelli-
gence incomplète, que M. Gluck composa sa musique.
(1) Mercure de France, février 1773. Le bailli du Roullet écrivait de son côté :
« D'après ces réflexions, ayant communiqué ses idées à un homme de beau-
coup d'esprit, de talent et de goût, M. Glucli en a obtenu deux poèmes italiens
qu'il a mis en musique. Plus tard encore, quand les critiques français, gluckistes
ou piccinistes, racontèrent les circonstances qui avaient précédé la venue du
maître à Paris, ils n'oublièrent pas de rendre hommage à son premier colla-
borateur, témoignant ainsi que la réforme était aussi bien dramatique que
musicale. « Il a trouvé un poète digne de l'entendre et de le seconder, et ils
ont donné VOrphéc et l'Alceste... » — « On vit arriver un musicien célèbre en
Allemagne, qui, secondé d'un poète veraé dans l'étude de nos théâtres... »
— •' Ses opéras sont les premiers qui aient été construits sur un plan à la
fois musical et dramatique, soit qu'il ait lui-même dessiné ce plan, comme
ses partisans lui en font honneur, soit qu'il ait suivi celui de Calaabigi dans
Orphée... » Voy. Mémoires pour la rcvoluUon de Gluck, etc., pp. 3, 107, 159, 263.
J'espère que vous conviendrez, monsieur, d'après cet exposé, que
si M. Gluck a été le créateur de la musique dramatique, il ne l'a
pas créée de rien. Je lui ai fourni la matière, ou le chaos, si vous
voulez ; l'honneur de cette création nous est donc commun (2).
Il est à croire que le poète mécontent — genus irritabile!
— exagère quelque peu son importance. Il est difficile,
notamment, que Gluck ait eu besoin de ses conseils pour
bannir « les passages, les cadences, les ritournelles» et pour
avoir des idées personnelles sur la déclamation musicale.
Le plus juste sera d'admettre que Gluck et Galzabigi, ayant,
chacun de son côté, fait un rêve analogue, se seront, dès la
première rencontre, parfaitement compris l'un l'autre : aussi
bien pouvons-nous, sans aucune difficulté, accepter la conclu-
sion formulée par le poète, à laquelle son illustre collabo-
rateur avait par avance souscrit.
De cet échange de vues sortit tout d'abord la partition d'Or-
fco Cil Euridice.
Gluck était âgé de près de cinquante ans lorsqu'il produi-
sit cette œuvre, et cependant il s'y trouve tant de sincérité,
de spontanéité, de fraîcheur d'inspiration, qu'on la prendrait
pour une œuvre de jeunesse. Elle l'est, en vérité, car d'Orfeo
date, pour Gluck, le commencement d'une nouvelle vie artis-
tique.
Il serait vain de prétendre établir une échelle de mérite entre
les cinq chefs-d'œuvre qui ont consacré sa gloire. Du moins,
après avoir examiné avec soin quel fut le développement de
son génie depuis Orfeo jusqu'à Tphigénie en Tuuride, est-il per-
mis de constater que cette évolution constitua, dans une
certaine mesure, une transformation. Les raisons s'en dédui-
sent aisément. Les opéras qu'il écrivit pour la France,
d'ailleurs aussi débordants de génie que VAlceste et VOrphée
italiens, étaient en quelque sorte des machines de guerre,
des œuvres de combat. Là, il s'agissait de réaliser l'applica-
tion de principes publiquement formulés; il fallait subir les
entraves inhérentes à tout système : de là quelque chose de
plus calculé, d'une inspiration moins immédiate, — l'expres-
sion d'une volonté tenace, parfois non sans quelque sécheresse,
dispositions dont les deux Iphigénies, notamment, portent dans
leur musique des traces apparentes.
Avec Orfeo ed Euridice il en est différemment, car au mo-
ment oii il l'écrivit, Gluck n'avait pas encore, à proprement
parler, de système à appliquer. L'on sait, en effet, que la
préface d'Alceste, sa deuxième grande œuvre italienne, est le
premier document par lequel il ait formulé sa doctrine. Il
se trouva donc libre de toutes parts. Pour la première fois,
il sentit la joie d'être affranchi des conventions qui avaient
pesé sur son génie durant toute sa jeunesse, tandis que, d'un
autre côté, tout en ayant déjà l'intuition complète de l'œuvre
à réaliser, il ne s'était pas encore posé formellement à lui-
même les nouvelles règles auxquelles il devait s'astreindre
par la suite.
Orphée constitue donc, dans l'évolution du génie de Gluck,
une œuvre de transition, — mais en même temps une œuvre
définitive, car elle participe à la fois des qualités de l'une et
de l'autre période, à chacune desquelles elle se rattache par
des liens multiples.
(A suivre.) Julien Tiersot.
BULLETIN THEATRAL
DON JUAN A MUNICH
A Paris, oii i'Opéra et l'Opéra-Comique préparent des représenta-
tions de Don. Juan, on n'apprendra pas sans un vif intérêt le résultat
de la reprise du chef-d'œuvre de Mozart au théâtre royal do la
Résidence. Disons-le tout de suite, malgré l'insuffisance incontestable
des solistes, qui semblent avoir perdu « l'art et la manière » de chan-
ter Mozait, fa résurrection de Don .Tuan à Munich a été des plus inté-
(2) Lettre de Cilzabigi au rédacteur du .Ifo-cwrc de France, août 1784 (au sujet
du poème des Daiiaidcs, opéra de Salieri).
LE MÉNESTREL
201
ressantes. Noire surintendant général, M. Possart, avait pris comme
principe de faire jouer l'œuvre dans des conditions absolument sem-
blables à celles où elle avait été représentée à son apparilion au
théâtre impérial de Prague, le 29 octobre 1787, sous la direction per-
sonnelle de Mozart.
Dans ce but, il a d'abord choisi le petit théâtre de la Résidence
royale, un chef-d'œuvre architectural de style Louis XV, dont les
dimensioiis se rapprochent davantage de celles du vieux théâtre de
Prague que celles du grand théâtre royal. Ensuite, il a fait jouer Don
Juan exactement d'après la partition originale de Prague: quatre pre-
miers violons, quatre seconds, deux contrebasses, soit, en tout, avec
l'harmonie, vingt-quatre musiciens à l'orchestre. Le premier finale
avec le célèbre chœur: Vive la liberté ! qu'on fait partout chanter par
une centaine de personnes, comme s'il s'agissait d'une révolution et
non de la simple liberté de garder son loup pendant le bal masqué,
n'était chanté à Prague que par sept personnes ; c'est ainsi qu'on le
chante aussi à Munich. Le « grand >: opéra Don Juan redevicût ainsi
l'opéra grandiose Don Giovanni, que l'affiche de la première représenta-
tion qualifia de dramma giocoso. Même les récilatifs simples, accom-
pagnés au cembalo (clavecin) ont été restitués et, en général, assez
bien dits. Au point de vue musical, tout était pour le mieux, n'étaient
les solistes, qui sont tellement imprégnés de wagnérisme qu'il a été
impossible de leur inculquer le style de Mozart, qui demande une
préparation et une éducation musicales de chanteur donlj de nos jours,
fort peu d'entre les plus célèbres artistes peuvent se vanter.
Ce qui n'existait pas du temps de Mozart, c'est la richesse et l'au-
thenticité des costumes — on avait choisi à Munich l'époque pitto-
resque de Louis XIII — et la magie de l'art scénique. Les deux actes
de Don Juan contiennent, comme on sait, neuf lablcaux, et jusqu'à ce
jour on baissait sept fois le rideau et les intervalles étaient pour
la plupart assez longs. Or, M. Lautenschlaeger, le célèbre directeur
de la scène à Munich, a trouvé moyen de réduire ces intervalles à
uu quart de minute. Il a inventé une scène tournante qui permet de
planter quatre tableaux à la fois avec les décors, les accessoires et les
artistes; un moteur électrique imprime à tout ce monde le mouve-
ment voulu en un clin d'œil. Nous voyons le jardin de don Juan; le
théâtre et la salle s'obscurcissent pour un moment et voilà que la
salle des fêtes apparaît avec son éclairage a giorno, ses meubles su-
perbes et les invités en toilettes brillantes. Celte transformation
prend à peine trente secondes. L'effet de ces changements à vue est
vraiment magique, et l'on regrette que Mozart n'ait pu en jouir à la
première de son chef-d'œuvre.
Le succès de cette restitution de Don Juan prouve, une fois de plus,
que ce chef-d'œuvre doit être joué dans une salle de dimensions mo-
destes et absolument d'après la partition originale, que le Conserva-
toire de Paris possède à tout jamais, grâce à la générosité de
M™ Viardot. Si la direction de votre Opéra-Comique peut tirer pro-
fit de l'exemple donné à Munich, la reprise de Don Juan qu'elle prépare
pourrait offrir un intérêt artistique tout particulier que l'Opéra, à
cause de ses dimensions, ne saurait lui disputer. Et, pour quelques
rôles au moins, M. Garvalho dispose d'une distribution qui devrait sur-
passer de beaucoup celle de Munich. S. M.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONS POLITIQUES MODERNES
III
Sous la troisième République. — Le Casino joyeux devenu le cabaret joyeux. — Une
revue à Fort-Bayard en 4S7i. — Une Variante de la Marseillaise. — Une vie de Béné-
dictin à Clairvaux: Chants anarchistes. — Le Kyrie des .Moines à Sainte-Pélngie.
En d867, le préfet de police Pielri, obéissant peut-être à des ordres
venus de haut, voulut soumettre les détenus politiques à une disci-
pline plus sévère. Heures de récréation, visites, repas, correspon-
dance, réception de liv^'es et de journaux, tout fut réglementé de
nouveau et dans le sens le moins libéral. Sainte-Pélagie ne s'en
émut pas autrement. Ce que ses habitués appelaient le « Casino
joyeux » devint le « cabaret joyeux. » Au lieu de se réunir en com-
mun, quand ils avaient des invités du dehors, les prisonniers les
recevaient dans leur cellule et faisaient eux-même leur cuisine. Aussi,
à certaines heures du jour, n'était-ce plus, du premier au dernier
étage, qu'un immense concert vocal et instrumental. Un solo de
clarinette ou de piston, ou bien encore une chansonnette de l'Eldo-
rado était devenu l'accompagnement obligé d'un discours révolu-
tionnaire ou d'un toast subversif.
La chute de l'empire amena, bien entendu, la chute du règlement,
mais ne ferma pas les prisons. Elles ne tardèrent pas au contraire
à s'ouvrir toutes grandes pour recevoir les vaincus de l'insurrection
communaliste. Certains, condamnés à la déportation, durent atten.
dre leur départ pour la Nouvelle-Calédonie dans les casemates de
Fort-Bavard. Deux gens d'esprit, Henri Baiier et Georges Cavalier,
(Pipe-en-Bois), avaient conservé dans leur infortune un fonds inalté-
rable de gaité. Ils mirent en commun leur belle humeur ; et de cette
collaboration sortit une revue, mêlée de chant, qui fut jouée à Fort-
Bayard sous le titre de la Commune à Nouméa.
Mais tous n'acceptaient pas leur sort avec une aussi philosophique
sérénité. L'ancien officier de marine Lullier avait trop d'exaltation
pour être un résigné. Condamné à mort, il avait vu sa peine com-
mué en celle des travaux forcés à perpétuité. Cette mesure de clé-
mence acheva de l'exaspérer.
Résolu à mourir plutôt qu'à se laisser conduire au bagne, il
s'enferma dans sa cellule, et s'arma d'une barre de fer, menaçant
d'assommer le premier qui porterait la main sur lui. Entre-temps,
il écrivait au président de la République une lettre de protestation
contre la décision de la commission des grâces; et comme pour
mieux s'encourager à la résistance, il ne cessait de chanter une
strophe de la Marseillaise qu'il avait ainsi détigurée pour les besoins
de sa cause :
Que veut cette horde d'exaltés
De traîtres, de royalistes conjurés?
Pour qui ces ignobles entraves
Et ces fers dès longtemps préparés?
Le député Cochin mit fin à une situation qui menaçait de s'éter-
niser, en obtenant à Lullier le bénéfice d'un mandat de transfert pour
Clairvaux.
A plus de vingt ans de distance, nous retrouvons dans cette même
maison centrale un autre détenu politique, qui fait de la musique
non plus une arme de résistance, mais un instrument de propa-
gande. Dans cet intervalle de vingt ans, les idées ont singulière-
ment marché. Le babonvisrae, dont nous avions signalé l'infiltra-
tion dans les couches populaires en 1830, les a depuis complète-
ment imprégnées. Et maintenant il ne leur suffit même plus. Le
chant de la République des égaux leur semblerait trop fade et trop
incolore. Le répertoire à la hauteur de la situation se compose de :
Au temps d'Anarchie, Y Antipatriote, tes Iconoclastes. Seulement, il en
coûte de le chanter au grand soleil.
Donc, cette littérature musicale, doublée de publications telles que
le Père Peinard, le Chambard, etc., etc., conduisit à Clairvaux les
anarchistes Grave, Breton, Fortuné Henry, ce dernier le frère
d'Emile, de tragique mémoire. Le séjour de la prison leur fut
cependant ce qu'une maison de convalescence est pour les cerveaux
surexcités. Leur existence, au dire de l'Echo de Paris, qui fit inter-
viewer Fovi\iné Renij, s'écoula douce et paisible.
Tous trois occupaient deux chambres immenses, dont l'une leur
servait de salle à manger et l'autre de chambre à coucher. Elles
prenaient jour sur la route par six grandes fenêtres.
Entièrement libres de leur temps, les détenus se levaient à huit
heures et trouvaient leur café tout prêt, un café exquis, paraît-il.
Puis ils descendaient au jardin faire une partie de quilles et remon-
taient déjeuner.
Nous faisions ensuite notre courrier, dit Fortuné Henry; nous lisions.
Parfois on jouait au piquet jusqu'à quatre heures, heure de la soupe.
Après, nouvelle partie de quilles ; et eniin, jusqu'à deux heures du matin
souvent, on travaillait, ou, nos petits lits rapprochés de la table, on lisait
à la lueur du gaz, car nous étions éclairés au gaz...
Quelquefois, je chantais des chansons anarchistes... Alors, on m'enten-
dait de la route...
Quelle impression musicale s'en dégageait pour les auditeurs? Ce
seraient peut-être les Mémoires de ceux-ci — s'il en existait — qui
seraient les plus intéressants à consulter. Qui sait si, parmi ces pas-
sants, il ne se trouvait pas quelque pauvre diable, traînant sur les
chemins sa faim et ses guenilles, qui n'eût troqué sa liberté misé-
rable contre l'esclavage opulent de ces digestions fortunées... comme
le nom du chanteur.
Les détenus politiques de Sainte-Pélagie ne sont actuellement ni
plus maltraités, ni moins joyeux. Lisez plutôt les Souvenirs de Gegout
et de Malato. Le calme reposant de leur vie quotidienne n'est jamais
troublé que par leurs querelles intestines. Et c'est surtout à l'issue
du banquet des Pelagiens — leur repas de corps — que surgissent ces
tempêtes. Aussi, pour les prévenir, Malato entonnait-il, dès qu'il
entendait gronder l'orage, le Kyrie des Moines, un vrai chant de cir-
constance.
292
LE MENESTREL
Là DÉPORTATION
La plus ancienne et la plus moderne des pénalités. — La relégation d'Ouide. — L'expa-
triation des Saxons par Charlemagne. — Exilés sibériens et convicts trAiistralie. — Les
fructidorisès à Cayenne : les vaudevilles d'Ange Pitou; Barbé-Marbois luthier, ses
expériences et son diiettaTitisiTie. — Lepoète Lachanibeaudie et le journaliste Hibcyrolles.
— Concert franco-italo-russe en Sibérie. — La déportation en Nouvelle-Calédonie :
à bord de la Danaé; le théùtre de Numbo; les virtuoses de l'île des Pins; le dimanche
au camp de Saint-Louis; chants et danses arabes.
De toutes les peines que peuvent faire encourir les disgrâces de la
politique, il n'en est pas de plus cruelles, après la mort, que la
déportation.
Tant qu'il ne quitte pas le sol de la mère-patrie, le détenu, même
soumis à la plus dure des captivités, conserve toujours une lueur
d'espoir. Il peut croire qu'une évasion couronnée de succès, qu'un
changement de gouvernement ou bien encore la clémence du vain-
queur, abrégera sa peine. Lors même que cette perspective lui serait
retirée, il lui resterait encore la consolation de voir ses amis et ses
parents, de s'entretenir avec eux; il respire toujours l'air natal,
dans lequel passe par moments le souftle delà liberté; son oreille,
habile à saisir, dans le tumulte du jour ou dans le silence de la
nuit, les bruits les plus lointains et les moins perceptibles, y croit
reconnaître l'écho d'une voix aimée qui lui crie : « Courage ».
Il n'en va pas de même du déporté. Si sa course quotidienne est
moins bornée et si la surveillance qui l'enveloppe paraît se faire
plus discrète, c'est qu'il est séparé delà patrie par des abîmes infran-
chissables. Mais aussi, il est seul et bien seul sur cette terre incon-
nue, et trop souvent ennemie : car il semble que tous les éléments
et toutes les forces de la nature s'y rencontrent pour sa perte. Le
sol infertile, l'air empesté, le ciel brûlant, les animaux farouches,
les indigènes, plus cruels encore, que de périls toujours renaissants
pour un être isolé, déjà miné par la maladie ou la douleur, la plu-
part du temps sans armes, sans énergie, sans ressources!
Eh bien ! au milieu de ces terribles angoisses, au plus fort de la
crise suprême, à l'heure même où il paraît succomber sous le poids
de ses misères, il suffit d'une simple phrase mélodique douce et
touchante, offrant quelque vague ressemblance avec l'air préféré
du sol natal, pour que ce corps abattu se ranime, pour que cette âme
affaissée retrouve sa vigueur.
On sait l'effet produit par des chants nationaux sur des pâtres
suisses ou des highlanders écossais éloignés de leur pajs. Combien
plus vive cette émotion, chez l'homme condamné à ne plus revoir le
sienl
Exil éternel! Ainsi le veut la déportation, cette pénalité qui est
en même temps la plus ancienne et la plus moderne de toutes.
En effet, nous la trouvons aux premiers âges du monde. Le peuple
hébreu, emmené en captivité a Babylone, n'était-il pas, de ce fait
même, déporté? Le conquérant, pour lui enlever tout espoir de
retour, entreprit de l'assimiler aux sujets de son vaste empire.
Peine perdue ! la nation juive fut éternellement réfractaire à la fusion
des races. Pendant sa longue captivité elle se lamenta, elle « sus-
pendit ses harpes aux saules du rivage », et elle attendit. Mais il
ne faut se fier qu'à demi au prestigieux éclat des métaphores orien-
tales. Les Israélites aimaient et pratiquaient trop volontiers la mu-
sique dans leur pays pour l'avoir négligée pendant soixante-dix ans à
l'étranger. Des auteurs ont prétendu démontrer, à l'aide de l'épigra-
phie, que les Hébreux avaient adopté les instruments et les procédés
musicaux des Assyriens leurs vainqueurs. En tout cas ils n'avaient
pas renoncé au chant, puisque les fameuses strophes, dont le Super
flumlna est la traduction, furent l'œuvre de leur triste esclavage.
Les empereurs romains appliquèrent aux individus le mode de
transportation qu'avaient imaginé les despotes de l'Asie pour les
peuples qu'ils voulaient dépayser. L'exil d'Ovide dans la province
du Pont est encore une forme de la déportation. Auguste relégua
sur cette terre ingrate ce courtisan trop curieux et trop indiscret,
sans se préoccuper de ses tristesses et de ses larmes. Et cependant
le doux poète trouva encore le moyen de chanter et déjouer du luth
sous ces latitudes barbares.
Charlemagne, qui avait repris, comme empereur d'Occident, les
traditions de la Rome des Césars, remit également en vigueur les
mœurs et les coutumes de l'Orient: il déporta en masse les Saxons
qui méconnaissaient son autorité.
Puis, neuf siècles .s'écoulent avant que cette pénalité, tombée en
désuétude, soit adoptée de nouveau. Et alors ce sont deux peuples
de caractère et de gouvernement essentiellement antipathiques qui la
pratiquent en même temps. La Russie, soumise au régime despotique,
envoie ses criminels, quels qu'ils soient, en Sibérie; la libre Angle-
terre peuple l'Australie de ses convicts.
Mais, coïncidence autrement suggestive, la Révolution française,
dont le nom seul semble synonyme de tous les progrès et de toutes
les libertés, ira emprunter à ces deux nations, ses plus formidables
ennemies, une peine que ses propres enfants flétrissent du sobriquet
de « guillotine sèche ». Et jamais mot ne fat mieux justifié. La plu-
part des déportés de la première République, jetés sur les sables brû-
lants ou dans les marais pestilentiels de la Guyane, y succombèrent.
Ce fut surtout après le coup d'Etat du 18 Fructidor que ces tristes
convois furent dirigés sur Cayenne. Et combien, qui ne purent sur-
vivre à l'exil où les rancunes du Directoire avaient compris jacobins
et royalistes, cher'chèrent et trouvèrent des consolations dans le culte
de la musique!
(A suivre.) Paul d'Estrée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
(Suite.)
La génération présente, qui voit les artistes d'aujourd'hui affecter
des allures très simples, adopter une tenue correcte et conserver une
parfaite dignité de vie privée, ne peut se douter de ce que furent les
bohèmes d'autrefois.
Je me rappelle avoir entendu, presque enfant, un pianiste français
résidant à Munich, — dont je veux oublier le nom, — et qui avait,
avec un talent classique et sobre, une rare érudition. Il donna un
concert, dont le programme résumait l'histoire du piano, depuis les
premiers clavecinistes de toutes les écoles (en y comprenant les
Anglais), jusqu'à Schubert et Schumann. L'auditoire de cette matinée
— une élite, — fut ravi.
Le même soir, notre homme employait le produit du concert à
faire bruyamment la fête avec une dulcinée de rencontre, et dans
la nuit les sergents de ville le ramassaient dans un ruisseau où,
complètement ivre, il était affalé, et mangeait gloutonnement des
huîtres.
iS »
Vers le même temps j'ai connu un violoniste italien, plein de
talent, qui visitait la Péninsule, le Levant et le midi de la France.
Au retour d'un voyage en Egypte, il ne quittait plus le fez rouge et
de grandes bottes à éperons dorés. C'est dans cet accoutrement qu'il
préparait ses concerts. A Marseille il fut accueilli à bras ouverts
par le courtier Nathan (1), qui adorait l'art et les artistes, et logea
longtemps dans sa fastueuse villa du Prado la toute charmante Marie
Cabel. Nathan s'éprit du talent de notre virtuose, peut-être à cause
de sa bizarrerie débraillée, et le patronna de tout son cœur.
Un malin, sachant son protégé gourmand, il commanda à son
intention un déjeuner copieux et raffiné.
Les deux convives en étaient à peine au premier service, qu'ils se
prirent de querelle. Nathan, peu endurant, se leva brusquement,
prit son chapeau et sans plus sonner mot, planta là son homme.
« Qu'avez-vous fait alors? » demanda-t-on à l'Italien qui contait sa
mésaventure.
« Mon Dieu ! » répondit-il, je suis resté, et j'ai mangé les deux
déjeuners! »
Le Beau peut être exprimé de façons très diverses. Il n'y a pas de
bon et de mauvais système; il n'y a que des auteurs avec ou sans
génie.
Î8 ÎS
Un trait qui peint bien le caractère français.
Chaque année, à l'époque des concours du Conservatoire, un jury
est constitué avec les personnalités les plus qualifiées de l'art musical
et dramatique. On peut dire qu'autour de cette table sont groupées
les autorités les plus indiscutables qui honorent l'art français et
portent au loin son renom. Cependant, chaque année les concours ont
le même épilogue.
Il n'y a pas dans la presse de débutant inexpérimenté, de journa-
liste ignorant les premières notions des arts dont il s'agit, de repor-
ter superficiel, qui ne blâment aigrement les décisions du jury, en
le prenant de très haut avec lui, et en réclamant impérieusement des
(1) M. Natlian était le frère de M»" Nathan-TreiUet, qui a longtemps chanté à
l'Opéra, avec son maître Duprez. Elle tenait avec talent l'emploi des faioons.
LE MÉNESTREL
293
réformes! Oh! ces réformes! quelle plalfonn de toutes les médio-
crités rageuses, de toutes les banales outrecuidances !
Les mœurs sont telles que les critiques les plus sérieusement
comnétents et les plus chevronnés s'associent à ce débordement de
coups de sifilets, sans penser aux diflicultés que crée celle opposition,
à l'esprit d'indiscipline qu'elle engendre, aux puérils et dangereux
amours-propres qu'elle surexcite.
On n'a, dans notre pays, ni le sentiment des supériorités ni le res-
pect des hiérarchies.
En art, ce n'est que ridicule.
Mais lorsque ce travers de notre caractère s'applique à des décisions
d'où peut dépendre la grandeur, sinon le salut de la patrie, il peut
attirer les plus graves périls.
Avec son jeu extraordinairement fougueux et emporté, Rubinstein
transformait tout ce qu'il inlerprétait, et donnait dans des œuvres
relativement simples l'impression qu'il soulevait des montagnes.
Planté m'a conté avoir fait un long et charmant séjour en Russie,
accueilli d'exquise façon par la cour et l'aristocratie, choyé par les
artistes. Il voyait très souvent Rubinstein, qui l'aimait et se plaisait
à lui faire exécuter ses œuvres.
Un jour, Rubinstein lui fit entendre une nouvelle production — une
tarentelle, je crois, — qu'il affectionnait comme on affectionne tou-
jours un dernier né. Il la rendit dételle façon que lorsqu'il demanda
à Planté de la répandre dans ses concerts, celui-ci se récria modes-
tement, tant elle lui avait paru hérissée de diffîcullés et inabordable
avec quelque sécurité dans une audition publique. Mais voilà que
quelque temps après, Planté ayant mis la main en Allemagne sur
cette tarentelle, qui venait d'être gravée, fut très surpris de la trou-
ver presque facile. Etant retourné en Russie, il la joua à son tour à
Rubinstein qui, touché et ravi, l'embrassa avec effusion.
Sous les doigts de l'élégant pianiste français, celte pièce revêtait un
caractère tout différent et semblait aisée.
Singuliers effets d'optique, qui laissent aux interprètes une noble
part de création, et leur permettent de rajeunir sanscesse les œuvres
auxquelles ils s'altachent, en leur imprimant un cachet personnel.
Oh ! ce retour de courant idéaliste, qui aura sans doute son influence
sur la musique, je le salue avec joie comme un royaliste, à l'ardent
loyalisme, saluerait le retour de son roi après un long exil!
Dans vingt ans, la mylhologie Scandinave, le Walhall, les Vierges
guerrières, et toutes les ferblanteries épiques paraîtront aussi démodés
que le paraissent aujourd'hui la mylhologie grecque, l'Olympe, et les
gloires de carton d'où descendaient les dieux empanachés de Qui-
nault, de Lulli, de Rameau et de Gluck. Les chefs-d'œuvre deWagner
ne seront pas plus diminués que le furent jadis ceux de Gluck, par
exemple. Mais il y aura un retour à une comception plus humaine, à
l'expression de passions plus proches des nôtres, en un mot, à un
drame lyrique dont l'affabulation nous touchera davantage.
Et 5, Y, Z seront aussi déchus que le sont Salieri ou Sacchini,
imitateurs de Gluck.
Un morceau de piano doigté est déjà à moitié su. Je ne comprends
pas que toutes les publications pour cet instrument ne soient pas
doigtées.
Il ne convient cependant pas toujours de s'astreindre rigoureuse-
ment aux indications de ce genre, car il en va de la main comme de
la voix. Chacun doit suivre et seconder ses aptitudes naturelles. Une
main maigre et très grande est disposée à d'autres flexions qu'une
main petite et grasse.
Chose singulière! il semble qu'en général, l'une a plus de puissance
et de facilité, l'autre plus de netteté et de fini.
La musique n'a pas encore eu son Fromentin — peintre d'une rare
distinction, d'un sens pittoresque captivant — écrivain admirable qui
a su traduire dans une langue étonnamment pure, précise, en même
temps que mélodieuse, les sensations que donne son art.
Que de pensées exactes, exquises aussi, communes à toutes les
œuvres de l'espiit, je relève dans ses Maitrcs d'autrefois, celle-ci par
exemple : .
« Il y a dans la vie des grands artistes de ces œuvres prédestinées
non pas les plus vastes, ni toujours les plus savantes, quelquefois les
plus humbles, qui, par une conjonction fortuite de tous les dons de
l'artiste, ont exprimé, comme à leur insu, la plus pure essence de
leur génie. »
A
Dans un siècle ou deux, les musiciens étudieront et admireront les
Maîtres Chanteurs de Wagner, comme nous admirons la Passion ou la
Messe en si mineur de J.-S. Bach. Dans aucune de ses œuvres Wagner
ne s'est montré plus varié, plus puissant, plus coloré, et n'a adopté
une forme plus adéquate à son génie polyphonique.
NOUVELLES DIA^ERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 septembre). — La réouverture
de la Monnaie s'est faite le b, avec Samsonct Dalila. Cela change un peu les
traditions, qui voulaient qu'un théâtre lyrique se rouvre avec une pièce
du vieux répertoire. Traditions de province, si l'on veut, mais nécessaires
lorsqu'il s'agit de présenter au public de nouveaux artistes, dans des rôles
qu'ils connaissent la plupart du temps au bout des doigts, pour les avoir
trimbalés de ville en ville, sur d'autres scènes. Il est vrai que Bruxelles
n'est plus, depuis longtemps, la province. M. Saint-Saëns dégotte Meyer-
beer: — c'est un signe du temps. Bientôt ce sera Wagner. Et n'avait-il pas
été vraiment question de commencer par Lobengrin? ,..
Quoi qu'il en soit, Samson et Dalila nous a fait faire tout de suite la
connaissance de M. Imbart de la Tour, le ténor sur les épaules duquel
une bonne part des destinées de la Monnaie vont reposer cette année.
L'impression première a été excellente. Jolie voix de demi- caractère,
bonne diction, intelligence artistique, de la chaleur et de la distinction.
Avec cela on peut marcher, et Fervaal n'aura pas à se plaindre de n'avoir
plus M. Gibert. On a revu aussi avec plaisir M'" Armand dans le rôle de
Dalila, qu'elle chante avec un très beau style, en dépit de sa voix encore
malade, quoique meilleure depuis l'hiver dernier. Bonne « rentrée » enfin
pour l'excellent M. Seguin et MM. Dinard et Journet.
Les soirées suivantes, avec le Barbier et Manon, ne nous ont pas donné de
surprises, parce qu'il n'y avait pas de « débuts »; mais elles n'en ont pas
été moins agréables. L'interprétation du Barbier et celle de Manon comp-
taient certainement, l'an dernier, parmi les meilleures du répertoire ; elles
n'ont pas changé avec M""" Landouzy, piquante Rosine et gentille Manon,
MM. Boyer, Gilibert et Bonnard. Ces deux ouvrages sont restés, de leur
côté, toujours adorables.
La reprise de Faust n'a pas été aussi heureuse, malgré l'intérêt de plu-
sieurs débuts. M"" Raunay a mis dans le rôle de Marguerite, qui ne con-
vient guère à sa voix ni à sa personne, de l'intelligence, et elle y a ap-
porté beaucoup d'intentions ; un ténor nouveau , M. Dantu, tout à fait
insuffisant, le baryton, M. Dufranne, fort bien accueilli en Valentin, et la
dugazonM'" Maubourg, assez adroite, ont pâh devant l'autorité et le talent
de M. Seguin-Méphistopbélès, qui a eu les honneurs de la soirée. Samedi,
nous aurons d'autres intéressants débuts, ceux de M""^ Kutscherra et
Goulancourt dans Lobengrin. Il ne nous restera plus guère après cela que
d'entendre M"" Jane Harding, dans la Traviata. L. S.
— C'est décidément, parait-il, M. Edgar Tinel qui est appelé à succéder
à Ferdinand Kufferatb, comme professeur de contrepoint et fugue au
Conservatoire de Bruxelles. M. Edgar Tinel, qui, si nous ne nous trom-
pons, est un ancien prix de Rome, est directeur de l'École de musique reli-
gieuse de Matines et inspecteur des écoles de musique du royaume de
Belgique. Comme compositeur, il est surtout connu par une œuvre impor-
tante, un oratorio intitulé Franciscus, dont le succès a été très grand non
seulement en Belgique, mais aussi en Allemagne. Très pieux, très croyant,
M. Tinel, nous dit-on, a horreur du théâtre, et ne songera jamais à tra-
vailler pour la scène. Il est âgé aujourd'hui de quarante-deux ans.
— La ville' de Liège célèbre en ce moment, en une série de solennités
religieuses et autres, le 1200= anniversaire du martyre de saint Lambert,
son patron. Ces fêtes, qui ont commencé le 6 septembre, se continueront
jusqu'au 20. La Legia et les Disciples de Grétry, les deux plus célèbres
sociétés chorales du pays, prennent part tour à tour aux exécutions musi-
cales qui sont organisées à cette occasion et parmi lesquelles il faut citer
une cantate composée pour la circonstance par M. Eugène Antoine, maître
de chapelle de la cathédrale, que ses compositions religieuses ont placé
au premier rang des musiciens belges.
— De l'Écho musical de Bruxelles : « Paul Gilson a terminé sa cantate
pour l'ouverture de l'Exposition de 1897. Elle est entièrement bâtie sur
deux anciens thèmes populaires flamands. Toute la partie chorale est
écrite à l'unisson, — un unisson de quatorze cents voix d'hommmes et
d'enfants ! Le poème est de M. G. Antheunis, le traducteur du Fidelio de
Beethoven. Les chœurs seront appris sous la direction de M. Bauwens, et
-29'..
LE MENESTREL
l'exécution sera dirigée par M. J. Duiont. M. Gilson a également terminé
une autre cantate, texte d'Arnold GolBn, pour le cinquantenaire des télé-
graphes.
— Le Conservatoire de Munich, qui est l'un des meilleurs de l'Alle-
magne, vient de publier le compte rendu de la dernière année scolaire,
d'où il résulte que cet établissement a été fréquenté, en IS'JS-Oti, par
311 élèves ou auditeurs. Ces 311 élèves se répartissent ainsi par nationa-
lités : 22S Bavarois, 41 Allemands de divers pays, 13 Américains, S Au-
trichiens, 7 Russes, 5 Suisses, 2 Italiens, 1 Grec, 1 Belge, 1 Hollandais,
1 Anglais, 1 Serbe, 1 Africain et 1 Australien.
— M. Guillaume Kienzl, l'auteur de l'Homme de l'Évangile opéra qu'on
joue avec beaucoup de succès en Autriche et en Allemagne, vient de ter-
miner un nouvel opéra intitulé Don Quichollu, qui sera joué pondant la sai-
son courante.
— Un opéra inédi;, la Nuit de Saini-Jean, musique de M. "W. Freuden-
berg, sera prochainement joué au théâtre de Hambourg.
— Cela ne pouvait pas manquer. Un à-propos musical intitulé Fran-
çois Schubert, paroles et musique de M. Gustave Burchard, vient de paraître
à l'occasion du centièms anniversaire du maître viennois, et les scènes
allemandes s'empressent naturellement de le jouer.
— Richard Wagner était un épistolomane enragé. Jusqu'à présent 1800
lettres du maître de Bayreuth ont été déjà publiées, et la plupart sont fort
intéressantes. Un musicographe viennois auquel on doit déjà plusieurs
travaux importants et utiles, a entrepris la publication d'un catalogue des
lettres écrites par Richard Wagner entre les années 1830 et 18S3, catalogue
qui contient la date de chaque lettre, le nom de la personne à laquelle elle
a été adressée et l'indication de l'ouvrage où elle a été publiée.
— Johannès Brahms a remis à la Société des amateurs de musique de
Vienne une somme de 15.000 francs, en laissant à cette société la libre dis-
position de cet argent dans l'intérêt de l'art musical.
— M. Hans Richter, le premier kapellmeister de lOpéra impérial de
Vienne, qui a dirigé le concert donné à la cour d'Autriche en l'honneur
de l'empereur de Russie, vient de recevoir un étui à cigares en or orné de
l'aigle russe en diamants. jS'ous avons déjà annoncé qu'il a été décoré à
cette occasion par le souverain russe.
— La série des opéras en un acte n'est pas encore épuisée. Un compo-
siteur viennois, M. Joseph Roscher, vient d'en terminer un, intitulé iîosiîa,
sur des paroles de M. Ernest Neuffer.
— On écrit de Vienne qu'une place importante est réservée à la musi-
que dans la distribution des différents cours de l'Université. Les étudiants
en musique auront par semaine : trois cours sur le Classicisme moderne;
deux sur le Chant grégorien ; un sur les Méthodes nouvelles pour l'élude de l'har-
monie ; deux Cours de chant pour les commençants, avec enseignement des connais-
sances musicales élémentaires pour le chant d'ensemble; un cours à'Harmonie. Les
chargés de ces différents cours, — dont la fréquentation est absolument
gratuite, — sont choisis parmi les meilleurs théoriciens et musicographes
autrichiens ; le \ieux professeur Bruckner fera le cours d'harmonie.
— Un compositeur tchèque distingué, M. Zdenko Fibich, vient de ter-
miner la partition d'un opéra intitulé Cliarka, qui sera représenté au théâtre
national de Prague.
— L'Opéra hongrois de Budapest prépare une saison qui promet d'être
singulièrement active, car il n'annonce pas moins de neuf opéras de compo-
siteurs nationaux : Hunyadi Laszlo et Bankban, d'Erkel, père du directeur
général de la musique à ce théâtre ; Ilka, de Doppler ; Balassa Balint, de
Farkas ; Told, de Mihalovich ; Alar, du comte Zichy ; ^1 falu rosza, de JenO
Hubay; enfin, Mathias Corvin, de Frotzler.
Une myriade d'opéras nouveaux se prépare, écrit un de nos confrères
italiens. Outre ïlride de Mascagni, le Pourceaugnac de Franchetti, la Bohême
de Leoncavallo, le maestro GipoUini prépare deux nouvelles partitions,
l'Amata del Re et la Magna Sila, sur des livrets de son frère. Le maestro De
Lara donnera peut-être à Rome sa Camargo. M. Fabri de Lorenzi a tout
prêt un opéra en un acte, Refugium peccatorum. Le théâtre Bellini, de Na-
ples, promet pour l'automne prochain Pasqua dei h'iori de Luporini, Padron
Maurizio de Giannetti, A San-Francisco de Sebastiani, et Fadette de De Rossi.
Le compositeur Blanchi a terminé un opéra, Almanzor, sur un livret de
Daspuro. Enfin, il y a les six opéras en un acte du concours Steiner. Est-
il possible, dit en terminant notre confrère, que de tant de travaux on ne
voie pas sortir quelque chose de vital?
— A San Benedetto del Tronto a eu lieu la première représentation d'une
fantaisie lyrique en un acte, la Malala, dont la musique est due à un jeune
compositeur encore inconnu, le maestro A. Lozzi.
— A Worcester vient d'avoir lieu un grand festival musical auquel ont
pris part les sociétés chorales de Worcester, deGloucester et de Hereford.
Ce festival, qui a duré une semaine, a commencé par le fameux Te Dcum
de Putcell, et le programme contenait quelques oratorios obligatoires :
Élie, Saint Paul, le ilfesi'e, Samson et l'Oratorio de NoiH de J.-S. Bach, ainsi
que le Bequiem de Verdi, quelques compositions pour chœur mixte de
Spohr et Schubert, enfin une œuvre inédite, un oratorio intitulé Lux
Cliristi, lire de l'Évangile d'après saint Jean parle révérend E. Gapel-Cure,
musique de M. Edouard Elgar. L'oratorio compte seize morceaux avec
soli pour ténor, basse, soprano et contralto, des chœurs et uno introduc
tion orchestrale intitulée Méditation, comme le célèbre morceau de Thais,
de Masseuet. L'orchestration de l'oratorio est magistra'ie et a remporté
tous les suffrages, deux chœurs ont été applaudis, mais les morceaux pour
les solistes n'ont pas produit beaucoup d'elVet, malgré leur excellente
interprétation. La critique anglaise dit que le jeune compositeur de Lux
Christi donne plutôt des espérances comme compositeur de musique laïque
que comme compositeur de musique sacrée, et insiste sur la virtuosité avec
laquelle il manie l'orchestre. Mais cette virtuosité, tout comme jadis l'es-
prit, court actuellement les rues.
— Au dernier festival donné à l'Albert-Hall de Londres, très grand suc-
cès pour le baryton Paul Geste, qui a chanté les airs i'Uérodiade et du Bal
masqué. M. Geste était le seul artiste français ayant pris part à ce concert,
où figuraient M""' Patti, MM. Irving et W. Barrett.
— Les musiques militaires françaises n'ont pu se rendre au concours
de Bilbao. Les grands prix ont été décernés à la musique de l'artillerie dt
Ségovie, aux harmonies de Libourne et de Narbonne, aux orphéons de
Pampelune et de Limoges; l'exécution merveilleuse de Pampelune a pro-
voqué une manifestation enthousiaste. Dix-huit mille personnes étaient
entassées dans la plaza de toros. Aux jurés que nous avons cités déjà,
nous devons ajouter Monasterio, directeur du Conservatoire de Madrid,
Zubiaurre, maître de la chapelle royale, Francis Planté, Guilmant et Lau-
rent de Rillé, qui présidait les jurys réunis.
— M. A. Goschi vient de terminer, sur un livret de M. A. Rossi, la
composition d'un ballet à grand spectacle, les Modèles, dont la première
aura lieu prochainement à Lisbonne.
— On annonce de Saint-Pétersbourg qu'un monument à la mémoire de
Pierre Tschaïkowski va être élevé prochainement dans la salle principale
du Conservatoire.
— Voici que les nouvelles du compositeur Carlos Gomes sont aujour-
d'hui meilleures. Un journal italien, laSera, annonce qu'une dépêche reçue
de Para fait connaître que l'auteur de Guarany et de Salvator Basa est en
voie de guérison et qu'il espère pouvoir revenir en Italie au mois de
novembre ou décembre prochain.
— Un fatal accident de théâtre vient encore de se produire à Poszare-
valz, en Serbie. Au cours d'une représentation de la Bataille de Kossov,
dans la scène où le chef des insurgés serbes, Milosch Obilitsch, poignarde
le sultan Mourad, l'artiste qui remplissait le rôle de Milosch ayant en
main, au lieu du poignard ordinaire de tragédie, une arme véritable, a,
dans le feu de l'action, tué raide l'acteur qui jouait Mourad.
— En Amérique, le théâtre de l'Opéra de Benton Harbour (Michigan) a
été détruit par un incendie. Onze pompiers ont été tués en combattant le
feu.
— L'Amérique est le pays des excentricités eu tous genres. Le ministre
protestant et les fidèles de l'église de Pleasant-Valley, aux États-Unis, ont
eu la surprise douloureuse et stupéfiante de ne plus trouver dans leur
temple un fort bel orgue, qu'ils avaient payé de leurs propres deniers. Des
voleurs, restés inconnus, s'étaient introduits dans l'église, avaient démonté
le noble instrument et l'avaient emporté morceau par morceau, sans que
personne se soit aperçu de cet exploit assurément original et nouveau.
Mais qu'est-ce que ces larrons audacieux pourront bien faire de leur con-
quête ?
— Depuis le rôle politique que Richard Wagner a joué pendant la révo-
lution de 1848 à Dresde tout en étant kapellmeister du théâtre royal, on
ne s'étonne plus de ce qu'un musicien prenne part à des manifestations
politiques. C'est ce qui vient d'arriver à la Havane, où le gouverneur géné-
ral, M. Weyler, a fait arrêter, sous l'inculpation de haute trahison, le di-
recteur du Conservatoire de musique, M. de Blanc. Il se trouve en bonne
compagnie, car plusieurs professeurs de l'Université, avocats et écrivains,
ont été arrêtés en même temps.
PARIS ET DÉPARTENIENTS
A l'Opéra,
Dans le calme du cabinet directorial, on élabore quelques beaux projets
de programme et de décoration pour le gala en l'honneur des souverains
russes. On parle de faire conduire à chacun des membres de l'Institut un
fragment d'une de ses œuvres.
La scène sera prise cette semaine par Don Juan, dont voici la distribu-
tion e.vacte, avec les doubles et même quelques triples :
Don Juan MM. Renaud et Nolé.
Leporello Delmas et Fournets.
Ottavio Alvarez et "Vayuet.
Masetto Bartet et Douaillier.
Le Commandeur Chambon et Delpouget.
Donna Anna M"" Rose Caron, Grandjean et Lafarge.
Zerline Berthet, Loventz et Adans.
Donna Elvire Bosman et Thérèse Ganne.
LE MENESTREL
295
On a encaissé pendant le mois d'août 229.823 francs, ce qui donne, pour
13 représentations, une moyenne de 17.678 francs par représentation.
C'est dans le courant du mois d'octobre que doivent reprendre les abon-
nements du samedi.
— A rOpéra-Gomique :
Malgré les craintes qu'avaient fait naître les dégâts assez importants
causés par le cyclone de jeudi dernier, la réouverture aura lieu mardi pro-
chain 1.5 septembre, très vraisemblablement avec le Pardon de Ploërmel.
Les spectacles qui composeront les affiches de la première semaine seront,
avec l'œuvre de Meyerbeer, Orphée, Mignon, Don Pasqimle et la Femme de
Claude.
Voici, d'autre part, la distribution complète de Don Juan, dont les études,
comme à l'Opéra, vont entrer dans la période active :
Don Juan MM. Maurel
Leporelio Fugère
Ottavio Jérôme
Masetto Badiali
Le Commandeur André Grosse.
Donna Anna M"" Nina Pack
Zerline Gabrielle Lejeune.
Donna Elvire Marignan
M. J. Danbé, qui a brillamment clôturé sa très artistique saison mu-
sicale de Cauterets, est rentré à Paris au commencement de la semaine
dernière pour s'occuper de son orchestre.
— M. Sellier, qui, une fois déjà, s'était assez grièvement blessé à la
chasse, vient encore d'être victime d'un accident à la main droite. L'an-
cien ténor de l'Opéra a juré de déposer à tout jamais son fusil. On se
souvient que Roger, le créateur du Prophète, dut subir l'amputation du bras
à la suite de pareil accident.
— M. Jules Barbier lira, après-demain mardi, sa Lucile Desmoulins aux
artistes du théâtre de la République.
— D'après une statistique publiée par le Cercle de la librairie de Paris,
qui a emprunté ce renseignement au service du dépôt légal, il aurait été
publié en P'rance, comme morceaux de musique :
Années 1890 3.471 morceaux.
— 1891 4.943 —
— 1892 S. 093 —
— 1893 5.12G —
— 189-^ 7.220 —
— 1893 6.446 —
— ■ M. Colonne doit se rendre le mois prochain à Londres, avec son or-
chestre, pour y donner plusieurs concerts dont les programmes seront en-
tièrement consacrés à la musique française et qui comprendront aussi un
chœur de cent voix. Il doit, au retour, passer par la Hollande, où il se fera
entendre aussi.
— M. Paul 'Viardot vient de rentrer à Paris, après une fort belle tour-
née dans l'Amérique du Sud.
— A l'Exposition du Théâtre et de la Musique, continuation du succès
des festivals du vendredi, si artistiquement dirigés et composés par M. Achille
Kerrion. Vendredi dernier, avec le concours de M"'^ Kerrion, Ibanez, de
MM. Longprez et Génécaud, toute la première partie était consacrée à
Gounod. Dans la seconde, effet considérable pour la Médilalion de Thàis et
l'arioso du Roi de Lahore, de Massenet, chantés par M. Génécaud.
— Très brillante, la fête ottomane donnée à Paris sous le haut patronage
de l'ambassade de Turquie, pour l'anniversaire de l'avènement au trône
du Sultan. Le 31 août, un grand concert réunissait nombre d'artistes de
valeur. M"' Alice Verdier de Saula, la remarquable violoniste, a été le
clou de cette fête. Cette jeune artiste venait en outre d'avoir un succès
comme compositeur : son Élégie pour violon avec accompagnement de
piano, soumise au concours musical de la société Osmanié, avait eu
l'honneur d'être couronnée.
— Nous annoncions que M. Luigi Arditi, le chef d'orchestre renommé,
auteur du fameux Bacio et de la non moins célèbre valse : Parle! préparait
la publication de ses Mémoires. M. Arditi, qui depuis un demi-siècle est fixé
à Londres, s'y est trouvé en relations étroites avec tous les grands artistes
de ce temps, et ses souvenirs peuvent être intéressants. L'ouvrage annoncé
est aujourd'hui publié. Il vient de paraître sous ce titre : Souvenirs de cin-
quante années, et il contient une quantité d'autographes de compositeurs
et de chanteurs célèbres : Rossini, Marietta Alboni, Angiolina Bosio,
Henriette Sontag, M"'= Pauline Viardot, M""": Adelina Patti, M™« Emma
Albani, M. Tamagno, M. Engelbert Humperdinck, etc. Ce livre contien
aussi des souvenirs personnels sur Garibaldi, le comte Cavour et autres
grands personnages étrangers à l'art.
— Royan. — La saison musicale, en même temps que la saison bal-
néaire, bat son plein. Je n'ai à vous parler que de la saison musicale :
deux casinos sont en présenco, et forcément, deux sortes de musique. La
musique sévère, classique, règne au vieux casino. M"" Héglon a été l'étoile
du théâtre. On a beaucoup applaudi une cantatrice de talent, M"<: Main-
dron, lauréate du Conservatoire de Paris, professeur de chant, qui s'est
fait entendre dans le grand air d'Iphigénie de Gluck, un air d'Etienne Marcel,
de Saint-Saëns, et un fragment à'Hellé deDuvernoy. Au nouveau casino,
l'opérette et le ballet régnent souverainement. Le chef d'orchestre ,
M. Louis Ganne, obtient un grand succès dans son ballet de P/irî/né, qui est
une œuvre des plus intéressantes. H. B.
— Avant que les derniers échos s'en éteignent sur nos plages, signalons
les remarquables concerts offerts cette année aux baigneurs de Villers.
L'orchestre de M. Meiners est peu nombreux, mais d'excellente qualité, et
la partie vocale spécialement confiée à M. Louis Derivis présecte toujours
un grand intérêt, grâce au choix très artistique et très varié des morceaux.
Nous nous souvenons surtout des fragments de Sigurd, de Lakmé, du Cid,
à'Herodiade, de Y Elégie et de maintes autres pages de Massenet, du Sonnet
ancien de Maréchal. Avec le concours très apprécié de M"^' Romey, M. De-
rivis a chanté aussi les duos d'Iiamlet, de .Xavière, d'.iben-Hamet, qu'on a
plusieurs fois redemandés. Non loin de là, au Tréport, par exemple, nous
avons eu une excellente exécution de l'Enfance du Christ, par M. et M°"= Au-
guez et M. Warmbrodt, qui sut aussi triompher avec les mélodies de Mas-
senet {Ilérodiade, Pensée d'Automne, etc.) et de Th. Dubois (Douarnenez Par
le sentier). P. C.
— Au Casino de Paramé, très grand succès pour Manon, et, parmi les
interprètes, pour M"= Gaconnetti, dont la voix, assez petite, est délicieuse.
— Nous apprenons que le succès de la tournée de VEmpereur de Charles
Grandmougin se continue dans l'Est. La pièce a fait salle comble à Lille,
Amiens, Boulogne, Sedan, Verdun, Nancy, Épinal.
NÉCROLOGIE
On annonce la mort, à Bielefeld, d'un artiste distingué, Lud-wig-Siegfried
Meinardus, qui était né dans le grand duché d'Oldenbourgd le 17 sep.
tembre 1827. Ancien élève du Conservatoire de Leipzig, il s'était perfec-
tionné à VVeimar, auprès de Liszt, puis était devenu directeur de l'Académie
de chant de Glogau, où il resta jusqu'en 1858, époque à laquelle il alla
passer plusieurs années à Dresde, pour se fixer ensuite défînitivemenf à
Hambourg. Artiste sérieusement instruit, Meinardus se fit connaître par
un certain nombre d'œuvres importantes et d'une réelle valeur : un opéra
intitulé Bahnesa: quatre oratorios : Simon Pierre, le Roi Satomon, Gédéon,
Luther à Worms; une ballade pour voix seule, chœur et orchestre : Roland' s
Schwanenlied; deux symphonies, un quatuor pour instruments à cordes, un
trio pour piano, violon et violoncelle, etc.
— D'Ancône on annonce la mort, à l'âge de 6S ans, du compositeur
Benedetto Zabban. Il était l'auteur de deux opéras qui avaient été représen-
tés au théâtre des Muses de cette ville, l'un, bouffe, il Conte di Stenedoff,
joué en 1838, l'autre, sérieux, Eleonora diToledo, en 1861. C'était, dit-on, un
excellent professeur, mais aussi, parait-il, un type de « bohème » achevé et
d'une rare excentricité.
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directeur du journal Un; Lute et critique musical du Daily Telegraph.
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— Op. 33. 12 vocalises à 2 voix, pour soprano
et contralto, net 4 »
C.-S. MARCHESI. Résumé de l'art du chant, pour
toutes les voix, net 7 »
F. MAZZI. L'indispensable du chanteur, solfège
méthode de chant 20 »
— Vocalises progressives, pour mezzo-soprano
L. NIEDERMEYER et J. d'ORTIGÙÈ. Traité' théo-
rique cl pratique de l'accompagnement du plctin-
chant, net 7 »
C. PATTI (M'""). 12 études pour soprano, net . . . 5 »
ROZE. Méthode île plain-chant, à l'usage des
églises de France 12 »
F. STŒPEL. Jl/ft/ioi/ecomp/c/e, adoptée pour l'en-
seignement de la musique vocale dans les
écoles normales et institutions, net. ... 8 »
— Principes élémenlaires de musique, pour les
jeunes élèves, net 2 50
VALENTI. Solfeggi, pour voix de basse, avec
accompagnement de piano par Imbibo. . . 12 »
PAULINE VIARDOT (M-). Une heure d'étude,
exercices pour voix de femmes, 2 séries,
chaque, net 5 i
ENSEIGNEMENT DE L'HARMONIE ET DE L'INSTRUMENTATION
CATEL. Traité d'harmonie du Conservatoire, com-
plété par Leborne, net 10
J. CATRUrO. Traité complet des voix et des instm-
ments, à l'usage des personnes qui veulent
écrire la partition, net 5
— Tableau général des voix et des instruments , 2
CHERUBINI. Cours de contrepoint et de fugue du
Conservatoire, net 20
— Traité pratique d'harmonie, marches d'har-
monie pratiquées dans la composition,
avec réduction pour piano ou orgue par
Elwart, net 12
V. DOURLEN. Traité d'accompagnement pratique
du Conservatoire, net 10 •
TH. DUBOIS. Notes et études d'harmonie, pour
servir de supplément au traité de Reber,
net 15 »
— 87 leçons d'harmonie (basses et chant),
suivies de 34 leçons réalisées, net 15 »
CH. DDVOIS. Le mécanisme du piano appliqué à
l'étude de l'harmonie (enseignement simul-
tané du piano et de l'harmonie), net ... 25 »
G. KASTNER. 2 tableaux analytiques, renfermant
tous les principes de la musique et de
l'harmonie, chaque, net 1 » et 1 50T
G. KASTNER. Cours d'instrumentation, à l'usage
des jeunes compositeurs, avec un supplé-
ment pour les instruments Sax, net . . .
MATHIS LDSSY. Traité de l'expression musicale,
net
- Le rythme musical, son origine, sa fonc-
tion et son accentuation, net 5
- Corrélation entre la mesureet le rythme, net. 1
TABUTIIRES ET CAIIMES l'OUR TOUS LES lii'STRUllEîiTS, chaqii.
lUPniUEIUE CENTRAI.E DES CDEUINS DE FER. — lUPRlUERlE t
, RUE BERGERE, 30,
un. — 62
Dimanche 20 Septembre 1891).
- 1V° 38. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étrcnger, les frais de poste en sus.
SQMMAIRE-TEITE
l. Étude sur Orphée (S" article), Julien Tiersot. — IL Semaine Ihéiltrale : Première
représentation de Jacques Callot, à la Porte-Saint-Martin; réouverture de
l'Opéra-Comique; reprise de ta Vie parisietine aux Variétés, Paul-Émile Cheva-
lier. — IIL Le Théâtre-Lyrique : Informations, impressions, opinions (14" ar-
ticle), Louis Gallet. — IV. Musique et prison (18* article): Prisons politiques
modernes, Paul d'Estbée. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
JOURS D'AUTOMNE
mélodie de Charles Levadé, poésie de Jules Oudot. — Suivra immédiate-
ment : Sérénade d'automne, mélodie de L. DelaquerriÈre, poésie d'ANDRÉ
Ale.\andre.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Chanson d'automne, de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement :
Valse des mouclies, de A. Landry.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Certes, Galzabigi avait merveilleusement compris ce que
voulait son illustre collaborateur. La simplicité, il n'est pas
possible de la rêver plus complète que dans le poème d'Or/eo,
où la légende est suivie pas à pas, sans nul ornement d'em-
prunt, sans aucun incident étranger au sujet. Les parties
lyriques, loin d'être, comme dans l'opéra de Métastase, de
froids commentaires des situations, de véritables superféta-
tions, « à côté » de l'action réelle, expriment directement
les sentiments naturels des personnages. Les chœurs sont
vivants et prennent grandement part au drame. Par tous ces
éléments, traités musicalement avec une supériorité que
l'auteur ne dépassa jamais, Orfeo appartient bien véritable-
ment à la grande manière de Gluck.
Mais, d'autre part, les habitudes premières et les anciennes
fréquentations ont laissé dans plusieurs endroits de la musique
des traces reconnaissables. L'influence de l'Italie s'y manifeste
par une abondance mélodique et une beauté de formes que
Gluck ne retrouvera plus guère au même degré dans ses
œuvres purement françaises. Personne n'a jamais songé à
contester la beauté expressive de l'air : <t J'ai perdu mon
Eurydice »; cependant il faut bien convenir que cet air, avec
sa triple reprise du motif principal, en (otwq de « rondeau »,
est d'une forme bien régulière pour traduire la douleur
tumultueuse qui devrait agiter Orphée au moment où il vient
de perdre pour la seconde fois Eurydice. On pourrait, ce
semble, lui appliquer quelques-unes des critiques que Gluck
formula plus lard avec tant d'ironie, raillant ces morceaux
dans lesquels, « même dans ces moments de désordre où le
personnage chantant, animé de différentes passions, passe
successivement de l'une à l'autre, le compositeur doit tou-
jours conserver le même motif de chant », et promettant
« que, dans son désespoir » l'héroïne tragique « chantera un
air si régulier, si périodique, et en même temps si tendre, que
la petite-maitresse la plus vaporeuse pourra l'entendre sans
le moindre agacement de nerfs (1)... » Félicitons-nous cepen-
dant qu'à l'époque &' Orphée Gluck n'ait pas encore eu tant de
scrupules, puisque c'est à cette tolérance que nous devons
la sublime mélodie. — A-t-on jamais remarqué que les trois
chants principaux d'Orphée, d'un caractère également plaintif
(Objet de mon amour, Laissez-vous loucher far mes pleurs, J'ai perdu
mon Eurydice), sont tous trois en majeur? Et pourtant leurs
mélodies renferment en elles-mêmes une expression aussi
intense que les plus sombres mineurs à-'Alcesle ou d'Iphigénie
en Aulide. C'est qu'ici Gluck était encore, dans une certaine
mesure, sous l'influence du génie italien, qui connaît l'art
d'associer la beauté de l'expression avec celle de la forme et
de mettre de la lumière jusque dans les tableaux les plus
sombres. Le texte même sufBt à mettre ces qualités en valeur :
bien que l'Orphée français soit un évident perfectionnement
de VOrfeo original, il est de certaines parties qui, dans la
forme italienne, conservent encore une saveur plus pénétrante.
N'y a-t-il pas une douceur mélancolique, une expression à
la fois triste et charmante dans ces vers qui terminent le
chœur funèbre chanté devant le tombeau d'Eurydice :
Come quando la compagna
Tortorella amorosa perde...
Par deux fois les instruments répondent harmonieusement
à la plainte des voix, après les mots : Toriorella... amorosa...
comme pour évoquer la pensée du tendre roucoulement de
l'oiseau de Vénus. — Berlioz a parlé quelque part avec admi-
ration de <t ce chœur des ombres heureuses dont les paroles
italiennes augmentent le charme mélodieux :
Torna, o bella, al tuo consorte,
Che non vuol che piii diviso
Sia di te pietoso il ciel (2) ».
De même, dans son bel article sur la représentation d'Orphée
au Théâtre-Lyrique en d859, l'auteur des Troyens commente
(1) Lettre de M. le chemlier Gluek à M. de la Harpe, Journal de Paris du 12 octobre
1777, et Mémoires pour la révolution, etc., p. 271.
(2) H. Berlioz. A MM. les membres de ''Académie des Beaux-Arts, dans A travers
chants, p. 286.
298
LE MÉNESTREI
éloquemment les beautés de la scène si poétique du premier
acte, où, du fond du bocage, l'écho répond tristement à la
voix de l'époux désolé ; « Voilà l'élégie, Yoilà l'idylle antique:
c'est Théocrite, c'est Virgile (i) ». Mais ce caractère idyllique,
ce sentiment virgilien, n'était-ce pas encore l'Italie qui en
avait jusqu'alors le mieux gardé le secret?
Enfin, une double observation nous démontre que le senti-
ment public et la voix de la postérité se sont unis pour
mettre Orphée hors de pair : du vivant do l'auteur, cette œuvre
fut la seule qui échappât à toutes les polémiques (2), — et,
de nos jours, elle est également la seule qui ait retrouvé
un succès éclatant et sincère. Il est même intéressant de
constater que cette première œuvre de Gluck, vieille aujour-
d'hui de cent trente-quatre ans, est aussi la plus ancienne
œuvre lyrique qu'il nous soit donné de voir représenter sur
nos scènes.
Orfeo ed Euridice fut représenté pour la première fois, sur le
théâtre Impérial de Vienne, le S octobre 1762. Les rôles
étaient distribués de la manière suivante :
Euridice La Bianehi.
Orfeo Il Guadagni.
Amore. ..... La Glebero Glavarau (3).
Comme presque toutes les œuvres de Gluck, celle-ci fut
accueillie d'abord avec cette hésitation et cette réserve que
le public, dérouté dans ses habitudes, témoigne d'ordiaaire
en présence de beautés nouvelles qu'il pressent, mais avec
lesquelles il a besoin de se familiariser. En effet, le
succès grandit de représentation en représentation, et finit
par devenir triomphal, si bien qu'0//eo ne tarda pas à faire
son tour d'Europe; il fut joué sur les principales scènes
d'Angleterre et d'Allemagne, et l'on cite d'Italie, comme
un de ses succès les plus mémorables, l'accueil qui lui fut
fait à Parme, ovl il fut choisi pour rehausser l'éclat des
fêtes données pour les noces de l'Infant, qui attirèrent dans
cette ville toute la noblesse de l'Italie: Orfeo j fut joué vingt-
sept foi.s de suite, tandis que Traetta, l'un des plus célèbres
compositeurs italiens d'alors, s'agita vainement pour y faire
accueillir une de ses œuvres.
Entre-temps, l'auteur s'occupa de faire graver sa partition :
autre innovation, car alors il n'était pas d'usage de faire
graver les opéras italiens, et Orfeo ed Euridice fut la première
œuvre de ce genre qui ait été admise à cet honneur. Elle fut
gravée en France, par l'intermédiaire et avec le concours de
Favart et de Philidor. Nous aurons l'occasion de revenir plus
longuement sur cette publication.
Enfin, plus de dix ans après la représentation à'Orfeo à
Vienne, Gluck, de plus en plus hanté par ses idées de révo-
lution musicale, vint à Paris, qu'il savait être le champ de
bataille où il triompherait avec le plus d'éclat. Le 9 avril
1774, il y donna Iphigénie en Aulide, spécialement composée
pour l'Opéra (4). Trois mois et demi après, le 2 août, un se-
cond ouvrage témoignait de sa prise de possession définitive
de la scène lyrique française, et cet ouvrage était Orphée et
Eurydice, traduit et adapté par Moline, et remanié par le com-
positeur en plusieurs de ses parties.
Voici quelle fut la distribution de l'œuvre lors de cette
représentation.
Orphée M. le Gros.
Eurydice M^" Arnould.
L'Amour M"' Rosalie (S).
(1) H. Bekuoz. a travers chants, p. 120.
(2) Il n'y eut que Marmontel qui, au plus fort de la bataille, osilt juger que
« l'opéra d'Orphée est trop dénué dôchant ii(Essaisur les révolutions de la mvsigue en
France). La Harpe lui-même concède que « M. Gluck est, sans doute, un homme
de génie, puisqu'il a fait Orphée, » ajoutant qu' " h l'exception d'Orphée, M. Gluck
semble avoir pris à tâche de bannir le chant, etc i, et qu'il n'a osé risquer en
Italie « que son Orphée, oii il y a de la musique. " Vcy. Mémoires pour la révolu-
tion, etc. pp. 159, 263, 2G5.
(3j D'après le manuscrit original d'Orfeo, dramma per musica, conservé à la
Bibliothèque Impériale de Vienne. ,
(4) Voy. Mémoires pour la Révolution, etc. pp. 105, 169 et 4"4. — DESNOiRESTEnEES
Gluck et Piccini, p. 51.
(5) Orphée et Eurydice l.livTei), MDCCLXXIV.
Cette fois, le succès fut universel et spontané. L'interpré-
tation fut satisfaisante. Sans doute Gluck avait eu grand
peine à initier le ténor Le Gros à la méthode expressive et
simple suivant laquelle le rôle d'Orphée doit être chanté ; il
y parvint cependant, et fit, du même coup, réaliser un pro-
grès inattendu à cet artiste, qui, jusqu'alors, en vrai ténor
d'opéra, n'avait cherché le succès que dans les éclats de voix,
et avait trouvé fort mauvais, d'abord, qu'on voulût l'obliger
à renoncer à ses effets préférés. Il ne fit que gagner, certes,
à modifier son talent dans le sens qui lui fut imposé par
Gluck. «J'avoue qu'en pensant à ce que la musique à.'Orphée
a fait de monsieur Le Gros, je serais tenté de croire que la
manière du chevalier Gluck est en effet plus animée et plus
théâtrale que celle des autres compositeurs ». Ainsi parle un
des personnages qui dialoguent dans h Souper des enthousiastes,
de l'abbé Arnaud (1). Pour Sophie Arnould, elle ne retrouva
pas d'ans le rôle d'Eurydice le succès éclatant qu'elle avait
obtenu dans Iphigénie ; de là commença pour elle une déca-
dence qui s'accentua avec la troisième œuvre de Gluck, ^/ccs/p,
dont le rôle principal ne lui fut pas donné, mais fut confié à
l'artiste qui, dans Orphée, paraissait au second plan, Rosalie Le-
vasseur, chargée de chanter les ariettes de l'Amour, et qui
bientôt allait devoir à Gluck la révélation d'un talent supé-
rieur (2).
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Porte-Saini-Martin. Jacques Callot, drame à spectacle en 5 actes et 6 tableaux,
de MM. Henri Gain, Eug. et Ed. Adenis, musique de M. Fr. Le Rey.- —
Oi'KKA-CojilQLE. Réouverture avec Orphée. — Variétés. La Vie parisienne,
opérette bouffe, de MM. Meilhac et Halévy, musique d'Offenbach.
A l'auberge de la Poularde, aux environs de Nancy, le jeune
Jacques Callot, qui a fui la demeure paternelle, mène turbulente vie
au milieu d'une bande de bohémiens qu'il régale, insouciant, de
fastueux soupers impayés à l'aubergiste et dont il crayonne, amou-
reusement, les truculents accoutrements. Mais son père, de par la
volonté des auteurs maréchal du régiment de Lorraine et incons-
cieul de l'avenir artistique de Jacques, n'entend point voir mener
à son fils une existence aussi déréglée. Il vient le relancer et, sans
ambages, lui propose ou la prison pour dettes ou le mariage. Jacques
Callot promet d'épouser sa cousine Blanche.
Or, Blanche est aimée et aime le meilleur ami de Jacques, qui.
pour ne chagriuer ni l'un ni l'autre et fort heureux de s'en tirer à si
bon compte, renonce au mariage. Le maréchal, enlèlé et sévère, ne
veut écouter aucune raison, il accuse le gamin de lâcheté, et celui-ci,
fouetté par l'outrage, s'enrôle dans un des bataillons de son père
qui va guerroyer en Valteline contre les Impériaux. 11 est réclamé
par le capitaine de Garriel, qui, je vous en préviens de suite, est le
traître de l'affaire.
Jacques Callot se bat comme un jeune lion; séduit par le superbe
panache d'un colonel ennemi, il le fait prisonnier et est nommé
sergent. Cependant, un soir, après la retraite, il garde auprès de lui
la petite Ridza, une gentille amie des jours d'escapade, qui, avec la
bande des bohémiens, rencontre en Italie l'armée française. Le
capitaine Garriel surprend le télé à tète et, pour venger une leçon
que lui infligea jadis le jeune homme, le pousse tellement à bout que
Jacqaes Callot porte la main sur lui. C'est la mort pour le soldat rebelle.
(1) Mémoires pour ta Révolution, etc., p. 50. — Voir aussi, sur le succès de
Le Gros dans Orphée, les comptes rendus du Mercure de France, reproduits
ci-après.
(2) Ces remaniements dans la classification établie des emplois à l'Opéra,
exécutés sous l'infl uence de Gluck, ne furent pas, on le pense bien, sans causer
de nombreux raécontements, soit parmi les intéressés, privés d'un droit qu'ils
croyaient acquis, soit dans une certaine partie du public, dont on changeait
les habitudes. C'est ainsi que Sophie Arnould, » qui a eu tant d'obligations au
rôle ji'Iphigénie, et à qui tous les autres rôles ont tant d'obligation -, comme
l'écrivait galamment un gluckiste, ne manqua pas d'accabler de ses sarcasmes
l'ancienne camarade qui avait pris sa place au premier rang. Citons aussi
cette critique prêtée aux amateurs amis de l'ancien ordre des choses : «Quelle
idée peut-on avoir d'un genre de musique où M"° Arnould, par exemple, n'est
plus la première actrice, où M. Le Gros perd tous les avantages de sa belle voix,
puisqu'il n'a ni cadence à faire, ni sons prolongés à soutenir?.. > Voy., Mémoires
pour la révolution, etc., pp. 50 et 233. — DESNOiRESTEniiES, Gtuck et Piccini, p. 142.
LE MÉNESTREL
299
Et le maréchal, consulté, ne peut el ne veut faire flécliir la discipline
militaire en faveur de son fils. En attendant qu'on le juge, Jacques
est enfermé prisonnier dans un vieux moulin d'où, à l'aide des ailes
tournantes, les braves bohémiens le font évader.
Pourchassé, errant, escorté de ses loqueteux amis, le hasard lui
fait apprendre que ce Garriel, cause de son malheur, est, dans les
rangs français, à la solde de l'ennemi et qu'il trahit autant qu'il le
peut. Grâce à l'aide de ses compagnons et au dévouement de la petite
Ridza, les complots de l'iufàme sont déjoués, les régiments de
France et de Lorraine battent à plate couture les Impériaux dans les
environs de Sondrio, et Jacques Gallot, sauveur de la patrie, est
pardonné par son père. Il épousera même Ridza et pourra retourner
à ses chers crayons, qui en firent l'une de nos gloires nationales.
Tel est fort, succinctement narré, ce drame nouveau que le public
de la Porte-Saint-Martin a accueilli très chaudement. Se réclamant
avant tout de la manière d'Alexandre Dumas père, MM. Henri Gain,
Eug. et Ed. Adenis ont tenu à faire simple, vivant et amusant, et ils
y ont pleinement réussi. Si, dans Jacques Callot, il y a telles scènes,
comœe celles de l'enrôlement et celle de la révolte de Jacques contre
son supérieur, qui sont de parfait théâtre, ce qu'il faut retenir avant
tout de ces cinq actes c'est la bonne humeur, la franchise, le sens
du mouvement et le pittoresque avec lequel ils ont été composés. Ce
sont, aujourd'hui, qualités assez rares pour qu'on y applaudisse de
tout cœur quand ou a la chance de les rencontrer.
De la nombreuse distribution, il faut mettre hors de page M. Coque-
lin, superbe de verve, de finesse et d'adresse, en un personnage
épisodique dont il a su tirer un étourdissant parti. A côté de lui, on
a fait fête à M. Gauthier, plein de chaleur juvénile en Jacques Callot,
et à M. Jean Coquelin, qui a délicieusement composé la figure sym-
pathique d'un vieux précepteur. Il faut nommer encore MM. Péricaud,
Segond, Prad, M"°* Dauphin, Ker-wich et Miroir, et ces étonnants
Price, dont l'un, M. James Priée, dans un rôle d'ours d'importance et
déjà populaire, est absolument étonnant de vérité.
Fort jolie mise en scène, et gros effet pour le truc original du mou-
lin de Lugano, qu'on applaudit autant que les auteurs et les inter-
prètes. Bref, un succès auquel contribue, pour sa petite part, la mu-
sique de M. Le Rey.
L'Opéra-Gomique, en suite des dégâts causés par le cyclone de la
semaine dernière, a dû rouvrir ses portes avec un jour de retard sur
l'époque primitivement fixée. C'était Orphée qui faisait les frais de ce
premier spectacle, donné devant une salle absolument comble qui
n'a ménagé ses applaudissements ni à M'"' Delna, dont la voix mer-
veilleuse et les accents tragiques ont soulevé tout le public, ni à l'or-
chestre très fin de M. Daubé. M"' Marignan en Eurydice, M"" Laine
en Ombre heureuse, et M'" Tiphaine, peu à sa place, semble-t-il,
sous le travesti de l'Amour, ont diversement contribué au bon en-
semble de cette fort belle représentation.
Aux Variétés, reprise de la Vie parisienne. Offenbach ! OfTenbach I
Et en écoutant cette musique endiablée, spirituelle, délicate, on ou-
blie que la pièce de MM. Meilhao et Halévy date du beau temps de
l'Empire, et que, dame 1 elle commence à avoir les allures d'une
bonne vieille dame en crinoline, et on n'a pas davantage le courage
de reprocher aux interprètes femmes des Variétés de manquer de
brio et de chic. Je m'en voudrais, cependant, de ne point signaler
l'aimable façon dont M'" Méaly a chanté sa tyrolienne. Les hommes
demeurent plus dans le ton, surtout cet étonnant Albert Brasseur et
le tonitruant M. Baron. Peut-on demander à M. Guy, qui a une très
heureuse nature personnelle, pourquoi il- s'est tant appliqué à si
bien marcher dans les souliers de M. Dupuis ? N'empêche, on ira en-
tendre la partition d'Offenbach, et on ne perdra certes pas sa soirée,
Paul-Émile Chevauer.
LE THÉÂTRE-LYRIQUE
iriFORMATIONS — IMPRESSIOiNS
Nous sommes à la veille des séances du conseil municipal, oîi le
sort du Théâtre-Lyrique va se décider. Tout ce que nous avons trouvé
à dire, nous l'avons dit ici, en faveur de cette fondation, à la fois
d'utilité publique et d'utilité artistique.
On ne compte plus les candidats à la direction de ce théâtre encore
à naître. Il faut se placer maintenant au-dessus des personnalités que
l'on désigne, si intéressantes qu'elles puissent être et que réelle-
ment elles soient, pour considérer avant tout le principe qui va pré-
sider à la création du Théâtre-Lyrique municipal. Si un vote de nos
conseillers consacre l'idée de cette création, sous quelle forme en
lira-t-on le résultat dans le Bulletin officiel? Les destinées de ce théâ- ■
Ire seront-elles confiées à une entreprise privée ? Sera-t-il régi pour
le compte de la Ville ?
Voici la formule qui nous semble répondre le mieux aux exigences
de la situation et au prudent souci de l'avenir d'une œuvre tant de fois
remise en question. Ce n'est ici qu'une conception idéale. Convena-
blement amendée, ne pourrait-elle devenir une avantageuse réalité?
Nous donnons à grands traits, vaille que vaille, cet avant-projet, ce
programme, qui aura ses contradicteurs, mais certainement aussi ses
défenseurs.
FONDATION d'uN
THÉÂTRE-LYRIQUE MUNICIPAL
Il est créé, par la Ville de Paris, un Théâtre-Lyrique municipal
destiné à la vulgarisation des chefs-d'œuvre de la musique dramati-
que et à la production d'ouvrages nouveaux de compositeurs français.
Son répertoire se composera des œuvres anciennes tombées dans le
domaine public ou qui, non représentées depuis un certain nombre
d'années à l'Opéra ou à l'Opéra-Gomique, seront obtenues de leurs
auteurs ou des ayants droit de ces derniers.
Ce répertoire s'augmentera annuellement des œuvres nouvelles dues
aux auteurs français parmi lesquels l'administration, sans esprit
d'exclusion d'ailleurs, s'efforcera de mettre en valeur les compositeurs
lauréats de la Ville de Paris et de l'Académie des Beaux-Arts, à qui
manque communément la facilité de se produire en public, nonobs-
tant leurs succès dans les concours et le brevet obtenu de la Ville
ou de l'État.
Des auditions d'œuvres non dramatiques, avec ou sans paroles,
pourront alterner ou se combiner avec les représentations consacrées
à la musique dramatique. Ces auditions permettront de faire connaî-
tre au public les grandes œuvres symphoniques de l'école française
et, complémenlairement, des écoles étrangères.
Lb Théâtre-Lyrique municipal constituera ainsi une sorte de mu-
sée musical rétrospectif pour l'enseignement général et d'exposition
annuelle pour les œuvres inédites des compositeurs nationaux.
Une école professionnelle pour les choristes, fera partie des ser-
vices du nouveau théâtre. L'enseignement y sera donné par des
professeurs spéciaux. Des concours périodiques y auront lieu pour le
recrutement des chœurs, dont le premier groupe, au moment de
l'organisation des services, sera constitué également par voie de con-
cours.
Le Théâtre-Lyrique municipal sera installé dans l'un des immeu-
bles appartenant à la Ville de Paris.
Il ne sera accordé aucune subvention fixe pour l'exploitation de
ce théâtre.
La direction en sera rattachée aux services de la Ville, section des
Beaux-Arts, et une somme à déterminer sera inscrite au budget
annuel, pour les frais de cette direction.
L'administration du théâtre comprendra :
1» Une direction artistique responsable. Tout le personnel profes-
sionnel du théâtre sera organisé et nommé parles soins de ce direc-
teur.
2° Un administrateur comptable et ses agents, nommés par la
Ville de Paris.
Le directeur et le comptable auront à fournir un cautionnement
en rapport avec l'importance des fonds dont le maniement sera re-
connu nécessaire pour le fonctionnement courant des services.
Nulle dépense ne sera engagée ni soldée sans l'autorisation et le
visa du directeur responsable.
Une commission supérieure sera chargée d'examiner les proposi-
tions du directeur en vue de l'exploitation du théâtre et les opéra-
tions du comptable.
Elle pourra se subdiviser en deux sous-commissions, l'une artis-
tique, l'autre financière, dont la réunion formera commission plé-
nière.
La commission plénière se réunira tous les mois, du 10 au 13.
Les comptes de la gestion du théâtre, pendant le mois précédent,
devront être présentés à son approbation, avec pièces à l'appui.
Les sommes provenant d'un excédent de recettes seront versées à
la caisse de la Ville. A cette même caisse seront acquittées toutes
' les dépenses autorisées, dont l'importance atteindra un certain chif-
I ' fre à déterminer.
300
LE MENESTREL
Dans le cas où les opérations du mois feraient eonslator un excé-
dent de dépenses, la différence serait soldée au moyen d'un ordon-
nancement sur le crédit ouvert au budget.
Dans cette séance mensuelle, la commission examinera les propo-
sitions da directeur relatives au répertoire courant et les dépenses
engagées ou à engager pour le service de ce répertoire.
Le directeur aura une complète initiative en ce qui concerne le
choix des œuvres à monter. Mais il devra, pour chacune d'elles,
dresser et faire approuver par la commission le devis des dépenses
qu'elle exigera, lesquelles devront rester proportionnées aux ressour-
ces budgétaires.
Il aura toute liberté pour reprendre, en temps opportun, les œuvres
déjà inscrites au répertoire et dont le matériel sera disponible, comme
pour en produire de nouvelles en utilisant le matériel existant; il
aura par conséquent le droit d'employer, pour une pièce nouvelle,
les décors et le matériel ayant déjà servi pour un autre ouvrage.
Tout ce qui a trait aux décors et aux costumes de service courant
ou de premier établissement sera également à autoriser sur devis.
En vue de l'organisation définitive des services, préalablement à
toute mise en train de l'exploitation du Théâtre-Lyrique municipal,
le directeur nommé devra établir le budget fondamental dv, théâtre,
en tablant sur une exploitation de dix mois au minimum.
Seront prévues au budget les recettes à provenir des recettes
moyennes que le nombre et le prix des places doivent permettre de
réaliser et les dépenses nécessitées par l'exploitation dont le carac-
tère hautement artistique devra se maintenir digne d'une institution
créée et entretenue par la Ville de Paris.
Ces dépenses seront aussi minutieusement détaillées que faire se
pourra. Un des articles s'appliquera aux frais à prévoir pour une
série de représentations gratuites, indépendamment des représenta-
tions à prix réduit, qui ne doivent pas être onéreuses pour le budget.
(Pour ces représentations gratuites, des billets seront distribués
d'avance, par les soins de la municipalité, dans les écoles, institutions
et ateliers. Les places disponibles après cette distribution seront
occupées par les premiers arrivants aux guichets du théâtre. Un avis
affiché en indiquera le nombre pour épargner aux derniers venus une
attente inutile).
Après l'adoption de ce budget, la date de l'ouverture du théâtre
sera fixée et le personnel de tout ordre entrera immédiatement en
fonctions.
En fin d'année, un compte financier général sera produit et fora
ressortir nettement le résultat de la gestion, qui ira du l" janvier au
31 décembre, replaçant ainsi le commencement de la saison théâ-
trale au début réel de l'exercice.
La durée de la première année pourra être réduite à huit on six
mois d'exploitation effective, si la date tardive à laquelle une réso-
lution exécutoire pourra être prise et le budget voté exige cette
réduction.
Le directeur recevra des appointements fixes, dont le chiffre est
à déterminer, et des remises sur les bénéfices qui pourraient être
constatés à la fin de l'exercice annuel.
Le comptable recevra uu traitement fixe et une indemnité de
caisse.
Les autres employés de tout ordre recevront des appointements fixes.
La section des Beaux-Arts de la Ville de Paris restera chargée
d'assurer ou de surveiller l'exécution des décisions prises en ce qui
concerne la fondation du Théâtre-Lyrique municipal.
Il s'agit, en un mot, en cet exposé, d'une régie administrative qui
doit, avant tout, sauvegarder les intérêts de l'art et ne pas faire du
Théâtre Lyrique municipal une exploitation commerciale indivi-
duelle.
Il y aura, répétons-le, beaucoup de récriminations contre un tel
projet, beaucoup d'arguments personnels. Il est possible que sa
réalisation coûte un peu plus à la Ville qu'une subvention, qu'elle
est disposée à donner; il est possible également qu'elle lui coûte
beaucoup moins. C'est affaire d'habileté, de prudente gestion... et
de chance. Mais, on peut dire de Paris ce qu'on a dit de la France,
qu'il est assez riche pour payer sa gloire.
Et il vaudrait mieux que le Théâtre-Lyrique ne fût pas, que si,
cette fois encore, il devait être dans les conditions aventureuses où,
naguère, sa restauration fut entreprise.
Une nouvelle tentative avortée le replongerait, pour toujours peut-
être, dans le néant. Mais jamais l'occasion ne fut aussi belle pour
donner à la Ville de Paris le luxe et l'honneur d'un théâtre bien
à elle.
Louis Gallet.
MUSIQUE ET PRISON
PRISONS POLITIQUES MODERNES
m
(Suite)
Un chanlour popuhiiro, que ses couplets patriotiques, non moins
que ses opinions réactionnaires, avaient depuis longtemps désigné
iiux proscriptours, contribua de tout son pouvoir à cet entraînement
musical. Ange Pitou (car c'est lui que nous mettons en scène) nous
apprend, dans quelques pages de son Voyage à Cayeniie, comment il
jouait son rôle et l'impression bienfaisante qu'eu éprouvaient ses
compagnons d'infortune.
A peine le vaisseau qui les emporte a-t-il gagné la pleine mer,
qu'Ange Pitou fait appel à sa verve d'aulau pour les égayer aux
dépens du vainqueur. Il date le jour et l'heure de cette première ma-
nifestation, écrite en couplets do vaudeville.
4 mai 1798.
Ce matin nous formons tous un cercle dans les batteries, en chantant
avec attendrissement ces paroles qui tirent une grande partie de leur mé-
rite de la circonstance :
Air : Sous la pente d'une treille.
Pour la Guiane française
Nous mettons la voile au vent,
Et nous voguons à notre aise
Sur le liquide élément.
L'Etat qui nous a vus naître,
Comme nous chargé de fers,
A nos yeux va disparaître
Dans l'immensité des mers.
Mais les dieux ont quelque empire
Contre l'ordre du Soudan,
Et le pilote déchire
L'arrêt de mort du divan.
N'importe sur quel parage
Le Ciel fixe nos destins
Nous sortons du plus sauvage.
De celui des Jacobins.
Arrivés à destination, les déportés continuent leurs concerts. Il est
tel morceau, les Regrets de David à la mort de Bethsabée, par exemple, qui
leur fait réaliser les miracles attribués par la Fable au divin Orphée :
« Nous arrachions des larmes au\ sauvages, dit Ange Pitou, quand
nous le chantions sur le bord de la mer. L'écho des forêts et des
montagnes lui donnait quelque chose de mélodieux et les cultiva-
teurs quittaient leurs travaux pour nous écouter ».
C'était assurément la musique qui opérait ces prodiges; car, n'en
déplaise à notre chansonnier, qui, sans nommer l'auteur, ajoute : « je
me croirais poète si j'eusse fait les couplets », lesdits couplets sont
d'une platitude désespérante.
Chez un autre fructidorisé, Barbé-Marbois, le sentiment musical se
développe avec plus d'ampleur.
Cet ancien intendant de Saint-Domingue sous la monarchie était
président du Conseil des Anciens pondaut le Directoire, Ses attaches
bien connues avec le parti royaliste lui valurent d'être compris parmi
les victimes du coup d'État; cl son « Journal d'un déporté non jugé »
nous fournit de précieux détails sur leur séjour à Cayenne et à
Sinuamari.
Tous ceux que la fièvre ne condamnait pas h grelotter dans leur
hamac s'ingéniaient à chercher une occupation quelconque. Barbé-
Marbois, qui avait la passion de la musique et ne pouvait la satisfaire,
s'avisa de suppléer par sou industrie à l'insuffisance des moyens
d'exécution. Il fabriqua donc lui-même uu violon; mais il ne parait
pas que ce premier essai fût un coup de maître. Car, un de ses voi-
sins, virtuose à ses heures, ayant aperçu dans la case de Barbé le
prétendu violon, s'en saisit et voulut en jouer. Mais presque aussitôt
il le rejeta de dépit en s'écriant : — Quel est donc le sauvage qui a
construit uu pareil instrument?
Des témoins qui assistaient à la scène prétendent que le voisin de
Barbé avait dit sabot, et, de fait, le violon en avait la forme.
Cet échec ne découragea pas notre luthier improvisé, qui se remit
à la besogne et ne tarda pas à confectionner un autre instrument,
dout il avait vu le modèle à Philadelphie.
Je dressai au rabot, dit-il, une planche de trois pieds, large de huit
pouces; je collai des chevilles à deux pouces de chaque extrémité, et j'y
adaptai huit cordes de boyau et autant de fds de laiton ; des chevilles ser-
virent à les accorder. La lyre fut suspendue verticalement entre deux volets
à demi ouverts.
LE MÉNESTREL
301
Je ne connais point d'harmonie aussi suave que celle qui est produite
par radiation d'une brise légère, lorsque, pénétrant dans mon cabinet,
elle agite mollement à son passage cet instrument si bien nommé harpe
(ÏÉole. Le moindre vent lui sulTit. Mon oreille n'a point àsouffrir des bat-
tements de langue nécessaires à la Hùte : il n'y a ni poumons, ni lèvres
en travail pour mon plaisir, point d'archet enrésiné, point de touches
ou de pédales, et je n'entends pas le bruit de ces soufflets sans lesquels
l'orgue est muet.
Il est vrai que le musicien à qui je dois mes nouveaux plaisirs est capricieux
comme pourrait l'être un rossignol. Il se lait au moment où je jouis le
plus de l'entendre; mais, aimable jusque dans ses fantaisies, il reprend
son chant quanl je n'y pense plus.
Toulefûis, les mol'es vibrations qui se dégagent de la harpe éolieane
ne tardèrent pas à devenir monotones à notre dileltanle. Le souille
inconscient de la brise peut-il souteuir la comparaison avec la muse
inspiratrice de l'artiste, dont la main ou les lèvres sont les fidèles et
intelligents interprèles? Barbé-Marbois avait le sens des harmonies de
la nature, il savait les analyser, mais il leur préférait, non sans raison,
les émotions plus variées que donnent les créations de l'art humain.
Il s'en explique assez plaisamment :
Depuis deux ans, dit-il, je n'avais entendu aucun instrument de musique;
mes oreilles étaient fatiguées du chant ingrat des pintades, et, toutes les
nuits, les chœurs discordants des singes rouges troublaient mon sommeil;
leurs cris sont soutenus par le râle des énormes crapauds qui, en se gon-
llant, élancent du fond des marais un son grave assez semblable à celui
des serpents de cathédrale; les pipeaux mélancoliques des sauvages
m'étaient devenus importuns.
Déjà il en avait déterminé la noiation : « Les Galibis, dit-il, n'ont
que quatre Ions et ils n'en ont pas varié l'emploi. J'ai entendu leurs
flûtes à Sinnamari, à Iracoubo et à Cayenne. Une seule phrase, qui
dure quelques secondes, compose toute leur musique. »
Aussi quel ne fut pas le ravissement de l'exilé, lorsque, un matin,
ses oreilles furent frappées du son mélodieux de deux flûtes traver-
sières, les premières peut-être qui eussent résonné dans le canton :
C'était à deux déportés, assez bons musiciens, que je devais cette jouis-
sance inattendue; iU exécutaient des airs que je connaissais. Je suspendis
mon travail pour les écouter : je me rappelai les beaux opéras d'Italie,
les magnifiques symphonies d'Allemagne, les concerts de Paris. Au
souvenir des pianos harmonieux et des harpes aux accords célestes, je
revins sur les songes brillants de ma jeunesse, et plein d'une émotion dont
la douceur laissait peu de place aux regrets, je joignis dans ces déserts
mes chants à ceux que j'entendais.
Ce mirage de la musique avait peuplé les solitudes de la Guyane
de l'image de la France... Mais, comme tous les mirages, celui-ci
s'évanouit rapidement, et quoi qu'en dise Barbé-Marbois, « laissa la
place aux regrets ». Aussi, le jour où la patrie lui rouvrit ses poites,
le déporté ne fut-il pas des derniers à quitter la terre d'exil : il devait,
à vrai dire, retrouver sur le sol natal de larges et lucratives compen-
sations.
La seconde République, aux dernières heures de son existence, eut
aussi ses déportés et son... Ange Pitou. Le lendemain du Deux-Dé-
cembre, un fabuliste déjà célèbre, Pierre Lachambeaudie, fut arrêté et
jeté sur le Duguesdin, qui était en partance pour Cayenne.
Sa douce sérénité et sa bonhomie souriante ne se démentirent pas
un seul instant. Il égayait ses compagnons d'infortune et les matelots
par les chansons qu'il composail. On comprit enfin que ce philosophe
humanitaire, poète naïf et rêveur, prédioant attardé d'un socialisme
inofl'ensif, n'était pas si dangereux pour l'ancien monde qu'il fallût
l'envoyer au nouveau. M. de Persigny, qui le protégeait, fit commuer
en bannissement la peine de la déportation; et Lachambeaudie put
se retirer à Bruxelles.
A la mémo époque, un autre vaincu du Deux-Décembre, le journa-
liste RibeyroUes, moins heureux que le poète, faisait partie d'un
convoi considérable de condamnés qui fut transporté en Algérie.
L'es-rédacteur de la Réforme reconnaît, dans ses Souvenirs, que la mu-
sique aida ses compagnons et lui à supporter vaillamment les épreuves
de ce pénible exil. Ils cheminèrent, par l'Algérie, jusqu'au camp
d'Aïn Sultan, chantant tout le long de la route des hymnes patrioti-
ques, et plus particulièrement le répertoire de Pierre Dupont, le
Tyrtée de la seconde République.
La troisième suivit l'exemple de ses aînées; mais, avant de rap-
peler ces jours de tristesse ot de deuil, remontons pour quelques
instants des terres brûlées par le soleil aux régions glacées par les
rigueurs de l'hiver. Nous y recueillerons une impression musicale
d'une certaine originalité, dans ces climats désolés où le gouverne-
ment russe relègue ses détenus politiques.
Des Français et des Italiens — des peuples frères en ce temps-là,
— compromis dans la dernière insurrection polonaise de 1863, avaient
été condamnés à la dépsrtalion en Sibérie.
Le convoi, parti de Varsovie, était péniblement arrivé à Vilikota,
un village de la frontière asiatique. L'officier commandant le poste
invita Emile Andreoli, l'auteur du Journal à qui nous devons ces
détails, à lui rendre visite avec ses compaguons d'infortune. Il avait
engagé, pour la circonstance, deux ou trois popes curieux de connaî-
tre des Français qu'ils n'avaient jamais vus, encore plus surpris que
les condamnés n'appartinssent pas à la religion grecque.
L'otficier, qui avait singulièrement fêté, ce jour-là, les liqueurs
fortes, raisonnait, ou plutôt déraisonnait surtout à perta de vue.
— Napoléon, disait-il à ses nouveaux administrés, vient de rem-
porter une grande victoire sur les Italiens, et Cavour a sollicité votre
délivrance.
Là-dessus, popes et soldats de chanter un cantique d'actions de
grâces.
— A votre tour, maintenant, dit le gouverneur aux prisonniers.
Ceux-ci, sans se faire autrement prier, entonnent,, les uns l'air
italien Sopran le tombe, et les autres la Marseillaise.
L'opposition de ces chants de difl'érentes nationalités était réelle-
ment saisissante.
L'ivrogne, qui les accompagnait de la tête, en parut visiblement
charmé.
— Allons, dit-il, je suis content de vous: vos hymnes n'attaquent
ni notre Dieu, ni notre empereur; je vous remercie et j'entends que
nous trinquions ensemble.
A force de redoubler les rasades, M. le gouverneur ne pouvait plus
se tenir; il eut cependant encore assez de lucidité pour faire
knouter des Cosaques qui avaient profité du concert pour voler les
déportés.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
NOUA^ELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (16 septembre). — Les débuts, à
la Monnaie, de M»' Kutscherra dans Lohengrin ont été, comme on y s'atten-
dait, « sensationnels », tout au moins par la foule qu'ils avaient attirée,
l'intérêt qui s'y attachait et les discussions auxquelles ils ne pouvaient
manquer de donner lieu. Une interview de l'artiste, publiée quelques jours
auparavant dans un journal quotidien, nous avait appris quel désir avait
M"« Kutscherra de se voir vengée par le public bruxellois « si connaisseur,
avait-elle dit au reporter, si différent du public parisien », de la « vilenie »
dont elle fut victime à l'Opéra, — victime « d'un chauvinisme stupide »,
— elle qui « s'était donné la tache admirable d'initier la France (ingrate
France!) aux beautés de l'art wagnérien »... Ou voit que M"« Kutscherra a
vite oublié qu'elle fut applaudie aux concerts Colonne et Lamoureux, et
que c'est ce même public parisien « si peu connaisseur », qui fit sa répu-
tation... Mais voilà, le public parisien n'a pas eu l'esprit de l'applaudir
toujours, et alors, vous comprenez, il n'y a plus que le public bruxellois
qui pouvait conserver à ses yeux la chance d'être intelligent. Je crains
fort que cette chance ne soit assez mince. Le public bruxellois a été fort
aimable, samedi, pour la nouvelle Eisa, « révélatrice » de Wagner; mais
l'admiration est loin d'avoir été très unanime. On a trouvé cette nouvelle
Eisa extraordinairement bien portante, réalisant peu le type rêvé, si poé
tique, si frêle, si jeune, ot n'en ayant ni la plastique, ni surtout la voix,
que le rôle demande pure, fraîche, sans les outrages que le temps peut faire
subir à un organe déjà fort surmené par de précédentes et anciennes
« révélations ». Du reste, M"<^ Kutscherra n'est point banale; elle a de la
physionomie, du style, de l'autorité. Le tout est de savoir si ces qualités-
là, qui sont assurément d'une artiste, feront oublier les autres, qu'elle n'a
pas, notamment une articulation nette et une prononciation compréhen-
sible. — A côté de ce début nous en avons eu un autre, celui de M"" Gou-
lancourt, une lauréate du Conservatoire de Bruxelles, élève de M"" Corné-
lis-Servais, dans le rôle d'Ortrude. Pour être plus modeste, M"=6oulancourt
ne s'est pas moins fait remarquer très avantageusement; depuis longtemps
on n'avait plus entendu sur la scène de la Monnaie une voix aussi riche,
aussi étendue, et, chez une débutante, un tempérament aussi accentué et
des promesses aussi sérieuses. Eufln, M. Imbart de la Tour a confirmé,
sous le casque de Lohengrin, l'excellente impression qu'il avait produite
dans Samson. C'est décidément un chanteur de goût, plein de distinction
et de charme, et sa jolie voix, au timbre velouté, n'est pas incapable, quand
il le faut, de force et d'éclat. L'ensemble de cette reprise de Lohengrin a été
bon. Le lendemain, la reprise de Lakméa. fait applaudir à nouveau la gra-
cieuse M'"« Landouzy, et par la même occasion les débuts d'une nouvelle
basse, M. Blancart, qui a chanté le rôle de Nilakanta très convenablement,
avec une voix superbe. L. S.
— M. F.-A. Gevaert, le savant directeur du Conservatoire de Bruxelles,
302
LE MENESTREL
Tient d'ajouter à son ouvrage sur la Mélopée antique dans le chant de l'Église
latine un deuxième appendice consacré notamment au nouvel hymne delphi-
que dont le texte, tant poétique que musical, a été étaljli par IIM. Alexandre
"Weil et Théodore Reinach. Cet ouvrage avait été précédé d'une bro-
chure sur les Oriijines du chant liturgique de l'Eglise latine qui provoqua de
■vives discussions dans le monde religieux, M. Gevaert s'étant permis de
soumettre à une critique respectueusement impitoyable la légende qui
attribue au pape saint Grégoire le Grand la paternité de l'Antiphonaire.
Un bénédictin de Maredsous, dom Morin, moine érudit mais passionné,
fit preuve en cette affaire d'une sorte d'acliarnement, et alors que le
clergé séculier se montrait plus clément, le clergé régulier semblait pren-
dre fait et cause pour la thèse bénédictine. Or, depuis, M. Gevaert a été
nommé chevalier de l'ordre de ce même saint Grégoire le Grand, auquel il
n'avait pas craint de s'attaquer, et l'éditeur de l'appendice et de ses tra-
vaux antérieurs, considérant qu'ils s'adressent avant tout « aux personnes
vouées à l'étude du chant liturgique, ecclésiastiques pour la plupart », a
eu l'idée d'y annexer le texte du bref par lequel le cardinal de Ruggiero
notifie à M. Gevaert, au nom du pape Léon XIII, la distinction qui lui est
conférée. Bien que les bénédictins de Maredsous n'aient jamais eu qua-
lité pour excommunier un directeur de Conservatoire ou le frapper d'une
peine ou censure ecclésiastique quelconque, il est clair que ce bref papal
adressé au o dilecto filio Augusto Gevaert, musid imtituti Bruxellis tnoderatori n,
est faitpour calmer dom Morin et lui apprendre à ne pas se montrer plus
grégorien que le successeur de saint Grégoire le Grand.
— On annonce que l'Opéra impérial de Berlin donnera, au printemps
prochain, la première représentation de Manon, de Massenet. Les deux in-
terprètes seraient M"' Sembrich et, très vraisemblablement, M. Van Dyck.
— Le vieux répertoire français se maintient de l'autre côté du Rhin beau-
coup mieux que chez nous. L'Opéra royal de Stuttgard annonce, à l'occa-
sion de la fête du roi, une reprise brillante des Diamants de la Couronne,
d'Auber, avec costumes et décors nouveaux. On aurait pu craindre que
les chanteurs allemands, habitués au style de Richard Wagner, seraient
incapables de rendre la musique pimpante, légère et passablement agré-
mentée de 8 cocottes » de la partition d'Auber. Il faut espérer qu'il n'en
est rien.
— Le nouveau théâtre allemand de Munich, qui est devenu le plus beau
théâtre de la capitale bavaroise, mais qui n'est pas encore entièrement
terminé, se trouve déjà en proie à des difficultés financières. Les créanciers
ont cependant décidé d'accorder aux entrepreneurs un crédit de 200.000 francs
pour qu'ils puissent commencer l'exploitation en octobre. On jouera aussi
l'opérette à ce théâtre.
— Un nouvel opéra en un acte, intitulé l'Amour défendu, dont la musique
a été écrite par un compositeur viennois, M. François Soucoup, a telle-
ment plu à la célèbre chanteuse italienne M""î Gemma Bellincioni, qu'elle
en a fait l'acquisition pour le jouer dans ses tournées et au théâtre qu'elle
va diriger en province.
— Pour M. Hans Richter, premier kapellmeister à l'Opéra impérial de
Tienne, la visite de Nicolas II à la cour d'Autriche a été une source inta-
rissabJe de distinctions honorifiques. Nous avons déjà mentionné sa déco-
ration russe et le cadeau superbe que l'empereur de Russie lui fit remettre
quelques jours après le concert à la cour. Or, l'empereur d'Autriche vient
de conférer à M. Richter l'ordre de la Couronne d'or, en vertu djquel le
célèbre chef d'orchestre a droit au titre héréditaire de chevalier.
— L'Opéra royal de Budapest vient de jouer avec succès un nouvel
opéra patriotique intitulé, il/aifttos Comnws, musique de M. Charles Frotz-
ler. Le compositeur, qui a pris sur l'affiche le nom d'Auer, est chef d'or-
chestre du théâtre particulier du comte Esterhazy à Totis, en Hongrie. On
se rappelle que Joseph Haydn a commencé sa carrière dans des conditions
analogues chez le chef de la famille Esterhazy. Reste à souhaiter à
M.Frotzler qu'il atteigne un jour à 1 agloire de Joseph Haydn.
— Une nouvelle à sensation parcourt en ce moment les journaux italiens.
Elle a été lancée par le Pungolo jiarlamentare de Naples, qui a reçu de son
correspondant de Milan la dépêche suivante : « Une personne très respec-
table, et qui est en mesure de le savoir, m'assure que Verdi n'écrira plus,
quoi qu'on en ait dit, aucune œuvre théâtrale, mais qu'il a presque ter-
miné un oratorio pour grandes masses, sur le type de YElie de Mendel-
ssohn ».
— On a donné à Fermo la première représentation d'un opéra nouveau
en deux actes, Wanda, dont la musique a été écrite par un jeune composi-
teur débutant, M. Romolo Bacchini, qui parait avoir fait preuve de talent
et dont l'œuvre a été accueillie par le public avec beaucoup de faveur.
Cinq morceaux ont été bissés et l'auteur a été l'objet de vingt rappels,
pour lesquels il s'est présenté avec une modestie qui lui a gagné toutes
les sympathies.
— Un imprésario qui parait avoir de l'estomac, c'est M. Romiti, le
nouveau directeur du théâtre Brunetti, de Bologne, qui, entre autres ou-
vrages, n'annonce pas moins de trois opéras nouveaux qu'il entend offrir
au public au cours de la prochaine saison de ce théâtre. Ces ouvrages sont
Innocente, de M. De Angelis; la Visione di Oberto, de M. Campagnoli, et
'ïanko, de M. Bandini.
— C'est M. Hans Iluber, professeur de piano à l'École de musique de
Bâle, qui vient d'être appelé à la direction de cotte école, devenue vacante
par suite de la mort de M. S. Bagge, que nous avons annoncée récem-
ment.
— La saison des concerts à Londres s'annonce comme devant être vigou-
reuse. Au Crystal Palace, la série commencera dès le 3 octobre. Au
Queen's Hall, où M. RobertNewmann a organisé des concerts-promenades,'
la soirée d'ouverture a eu lieu dès le 29 août; chaque semaine un pro-
gramme sera consacré à Beethoven, un autre à 'Wagner. C'est au Queen's
Hall que M. Colonne et son orchestre donneront quatre concerts, dont le
premier aura lieu le 12 octobre. Pendant ce même mois d'octobre et durant
le mois de novembre, M. Richter conduira trois concerts, M. Lamoureux
en donnera six, et M. Félix Mottl viendra en diriger deux. Les habitués
n'auront pas à se plaindre. Saint-Jame's Hall aura aussi ses soirées à sen-
sation. C'est là que M. Sarasate donnera trois concerts, et que M. Ysaye
se fera entendre deux fois, après quoi le violoniste belge entreprendra, dit-
on, une grande tournée dans les provinces anglaises.
— On sait quelles réceptions enthousiastes ont été fairtes par toute la
Norvège au courageux explorateur Nansen, au retour de son hardi voyage
au pôle Nord. La poésie et la musique se sont mises de la partie pour le
fêter en ce qui les concerne. Un journal de Christiania, qui avait ouvert
un concours pour la meilleure pièce de prose ou de vers destinée à glorifier
le célèbre voyageur, n'a pas reçu moins de S43 manuscrits. Quant à la mu-
sique, il parait que c'est par milliers que l'on vend à Christiania diverses
compositions inspirées par le voyage de Nansen, et particulièrement une.
marche de M. Oscar Borg intitulée Nordpol March, et un morceau qui porte
ce titre auEsi original que météorologique : 86" 14'.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, petite modification dans la distribution de Don Juan. Le
rôle d'Ottavio ne sera pas chanté par M. Alvarez, mais bien par M. Va-
guet, doublé par M. Gautier. On a commencé les études en scène.
— A l'Opéra-Comique.
Tous les artistes qui doivent interpréter Don Juan ont été convoqués
pour la première fois, mercredi dernier, et on leur a remis, comme tra-
duction de l'opéra de Mozart, celle de M. Durdilly, qui est, parait-il, la
meilleure de toutes celles qui existent. Les études individuelles ont com-
mencé, dans les foyers, sous la direction de M. Fauchey.
Don Juan aura neuf décors, dont voici la nomenclature avec les noms des
peintres à qui ils ont été confiés : 1=' tableau : place à Burgos, la nuit,
de Rubé et Moisson ; 9.', campagne aux environs du château de Don Juan,
de Rubé et Moisson ; S" place à Burgos, le jour, de Rubé et Moisson ;
i", entrée du parc de Don Juan, de Carpezat; 5», le jardin du château, de
Garpezat ; 6° un carrefour, maison d'Elvire, de Jambon ; 7", ruines, effet
de nuit, de Jambon; 8i^, la statue du Commandeur, de Jambon; 9=, salle
à manger de Don Juan, de Carpezat. — Les costumes seront dessinés par
Thomas.
Avant son départ pour l'Amérique, M"= Calvé donnera quelques re-
présentations de la IXavarraise, Carmen et Cavalleria rusticana.
M"= Van Zandt, avec Manon et Lakmé, chantera également Mignon et
le Pardon de Ploérmel.
M. Carvaibo semble avoir arrêté son choix, parmi les ouvrages nou-
veaux à donner la saison prochaine après Cendrillon, sur Kermaria, légende
bretonne de M. Gheusi, musique de M. C. Erlanger.
— Ce n'est qu'au conseil des ministres, qui aura lieu demain lundi, que
seront réglés définitivement le gala de l'Opéra et le demi-gala de la Comé-
die-Française, auxquels doivent assister les souverains russes.
— Nous avons annoncé que, à l'Odéon, l'un des premiers spectacles an-
tiques de la saison, les Pei-ses, serait accompagné d'une partie musicale de
M. Xavier Leroux. Les directeurs du second Théâtre-Français, qui sem-
blent avoir un heureux penchant pour la musique, ainsi que M. Porel qui
n'eut pas à s'en plaindre, viennent de commander à M. Coquard une par-
tition pour accompagner la représentation de Philoctèle, qui formera le
second spectacle antique.
— Nos étoiles parisiennes au Théâtre-Lyrique de Milan. M"' Sibyl San-
derson a quitté Paris au commencement de la semaine, se rendant à
Milan, où elle va chanter, au Lyrique de M. Edouard Sonzogno, Manon
de Massenet, puis Phryné de Saint-Saëns. M""^ de Nuovina, qui doit
débuter au même théâtre, le 27 de ce mois, par la Navarraisc de Massenet,
a pris le train hier samedi. La saison de M. Sonzogno commence le mardi
22 septembre.
— Le gentil petit Théâtre-Lyrique de la galerie Vivienne nous annonce
sa réouverture pour le 15 octobre prochain, par un spectacle ainsi com-
posé : les Deux Chasseurs et la Laitière, de Duni, l'Irato, de MéhuI, et la Per-
ruche, de Clapisson. Les Deux Chasseurs sont parvenus aujourd'hui à l'âge
vénérable de cent trente-trois ans ! L'apparition de ce petit ouvrage, dont
Duni écrivit la musique sur un amusant livret d'Anseaume, souffleur et
régisseur de la Comédie-Italienne, remonte en effet au 23 juillet 1763.
L'Irato, dont le poème était dû à Marsollier, vit le jour à l'Opéra-Comique
le 17 février ISOl. (Juant à la Perruche, où Clapisson avait pour collabora-
teurs Dupin et Dumanoir, la^ première représentation en eut lieu à la
salle Favart le 2S avril 1840. C'est donc pjesque un spectacle historique
LE MENESTREL
303
que nous promet le petit théâtre de la galerie Vivienne, en nous offrant
dans la même soirée trois ouvrages qui représentent trois époques bien
distinctes de notre musique. Il nous annonce pour la suite la Servaiilc
maîtresse, le délicieux chef-d'œuvre de Pergolèse, le Marichal-Fermnt, un
excellent opéra-comique de Philidor, musicien de génie injustement oublié
depuis plus de quatre-vingts ans, et le Bijou perdu, d'Adolphe Adam, qui
fut un des triomphes de M""- Gabel à l'ancien Théâtre-Lyrique du boule-
vard du Temple, alors dirigé par M. Carvalho.
-— Une audition assez intéressante a eu lieu la semaine dernière à
l'Exposition du théâtre et de la musique, au Palais de l'industrie. Il
s'agissait d'entendre un nouveau piano pédalier d'un nouveau système,
imaginé par M. Gateura, facteur à Barcelone. Il s'agit ici d'un jeu de pé-
dales, au nombre de six, toutes indépendantes, dont chacune produit un
effet particulier. Il n'y a pas à parler des pédales forte, céleste et tonale,
dont l'usage est courant et qui sont suffisamment connues. Les trois nou-
velles du système sont la pédale sourdine, qui affaiblit et étouffe les sons
d'une façon véritablement curieuse, et leur donne une fluidité qui les
ferait presque disparaître; la. pédale claire, qui au contraire donne au son
une glande intensité en même temps qu'une sécheresse qui rappelle
d'une façon frappante la sonorité nette et détachée du clavecin ; enfin la
pédale harmonique, qui fait ressortir les harmoniques du son frappé sur la
touche et qui est d'un effet neuf et assez agréable. Les six pédales sont
placées de la façon suivante : pour le pied droit, pédale forte , pédale
claire, pédale sourdine ; pour le pied gauche, pédale céleste, pédale har-
monique, pédale tonale (de rétention), et le mécanisme, dit-on, ne de-
mande, qu'un peu d'habitude et n'offre point de difficultés. C'est un jeune
et habile pianiste espagnol, M. Emilio Sabater, ancien élève de notre
Conservatoire, qui s'était chargé de nous faire connaître le nouvel instru-
ment. Son programme était ainsi composé: Fantaisie villageoise (NoUet);
Prélude et Gavotte (Bach); Wachterlied, romance (Grieg); Intermezzo (Le-
mairel : Romance sans paroles (Mendelssohh); Sérénade (Albeniz); Menuet
(Padere-n-ski) ; Au xillage (B. Godard). Ce programme, exécuté avec goût, a
fait ressortir comme il convenait les qualités spéciales de l'instrument
jnauguré par M. Gateura. A. P.
— Dans notre dernier numéro, à propos des concerts de l'E-xposition du
Théâtre et de la Musique, une erreur d'impression semble attribuer à
M. Génécaud le succès de la Méditation de Thais. C'est M. Laforge, violon
solo à l'Opéra et professeur au Conservatoire, qui a exécuté la page célè-
bre de Massenet ; c'est donc à lui que sont justement allés les bravos.
— La maison Pleyel-Wolff vient de faire paraître le troisième recueil
de la publication qu'elle a pris l'habitude de nous offrir chaque année et
qui reproduit intégralement les programmes de tous les concerts qui ont
lieu dans la salle Pleyel au cours de la saison précédente. Cela n'a rien
assurément de frivole, mais cela constitue un document utile et fort inté-
ressant qui, comme tous ceux de ce genre, sera singulièrement utile dans
l'avenir. On sera certainement bien aise de trouver plus tard dans ce re-
cueil, sans avoir besoin de les chercher ailleurs, les programmes des
concerts de MM. Delaborde, Joseph Wieniawski, Joseph Thibaud, de
M""»^ Szarvady, Roger-Mi clos, Clara Ghattelyn, Henry Jossic, de la Société
des compositeurs, de la Société nationale, de la Société d'art, de la Société
académique musicale, ceux des séances de musique de chambre de
MM. Weingaertner, Parent, Scbneklud, Hayot, de la Société d'instru-
ments anciens de MM. Delsart, Diémer, Van Waefelghen et Grillet, etc.
Le volume, très élégant, est précédé d'une excellente préface de M. Oscar
Gomettant et d'une introduction intéressante de M. Henry Eymieu, qui
n'est autre chose qu'une étude très documentée sur les concerts et la mu-
sique de chambre. Voila une publication qui fera la joie des historiens à
venir. A. P.
-^ De notre confrère Nicolet, du Gaulais : a De Marseille. On avait prêté
à notre édilité socialiste la pensée intelligente de redonner l'éclat d'autan
à notre Ecole communale de musique en lui restituant son titre de « suc-
» cursale du Conservatoire de Paris »; il parait qu'il n'en est rien. » Un
mauvais point à la municipalité marseillaise !
— Au casino de Lamalou-les-Bains, succès sans précédent, nous écrit-on,
pour la première représentation de M'erlher. M. Monteux et M"" Burty-
Monteux ont été acclamés la soirée entière. On a donné déjà quatre repré-
sentations du chef-d'œuvre de M. Massenet.
— Rouen. — Après la musique française, la musique allemande : mais,
en chantant la fraternité humaine, Beethoven n'est-il pas un sans-patrie
sublime?... Tout est dit, semble-t-il, et l'on vient trop tard pour parler de
la Neuvième, que les cerveaux classiques regardent comme une aventure
musicale, comme la flamme suprême d'une éloquence qui s'éteint, — alors
que les tempéraments romantiques y découvrent lé sommet fulgurant de
la musique et le Sinaï de l'Art moderne : n'est-il point remarquable que
pareilles divergences ont salué l'apparition d'Alceste et de Parsifal?... Tou-
jours est-il que la Symphonie avec chœurs reste la définitive émanation du
génie de Beethoven, le portrait le mieux ressemblant de sou âme
Où l'éclair gronde, oii luit la mer, oii l'astre rit.
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit...
Vigueur prométhéenne de VAllegro macstoso, riant jpaysage du llolto vivace,
mélancolie passionnée de i'Adarjio molto e cantabile, poignant comme des
mémoires d'outre-tombe, hosanua prodigieux du Finale qui chante l'âge
d'or, le chef-d'œuvre a triomphé. Les festivals de Rouen ont donc bien
mérité de l'art en l'admettant au septième et avant-dernier programme,
sous la chaleureuse direction de M. N. Brument, avec des solistes tels que
MM. Gaudubert et Fournets, M"" Lina Pacary, et, avant tous. M"" Jenny
Passama, que les Concerts Lamoureux ont mise au premier rang. — Pour
conclure, la somptueuse Marche de Tannhiiuser. Raymond Bouyer.
— Charmante matinée musicale à Tours, chez M. Hardion, le distingué
architecte de la ville. Le maître Charles Daucla a fait presque tous les
frais du programme eu jouant du Beethoven, du Mendelssohn, et sa belle
transcription du Nocturne de Chopin. Très grand succès pour l'exécutant
et le compositeur.
— A propos de la fête patronale de Sassetot, très jolie messe en musique
à la paroisse. On y a entendu M"e Brueil dans le Souvenez-vous de Massenet,
et M. et M"" Marquet dans le Pater Noster de Faure.
— Quelques jours auparavant, les mêmes artistes, avec VAve verum de
Faure et VEccePanis de Th. Dubois, avaientprêté leur concours à une messe
dite à Saint-Martin-aux-Buneaux.
— Couns ET LEÇONS. — Réouverture des cours Sauvrezis,M, rue de la Pompe, le
7 octobre. M"" Sauvrezis ajoute à ses nombreux collaborateurs les noms de
M Van den Ileuvel ichant d'ensemble) et de M. Ck. Bordes (musique sacrée et
plain-chanl). U"' Sauvrezis recevra, à partir du 2 octobre, le vendredi, de 4 à
7 heures, i, rue de la Sorbonne, et le samedi, de 2 à 4 heures, 44, rue de la
Pompe. — M"- Girardin-Marchal reprendra ses cours et leçons de piano, solfège,
harmonie, à partir du 1" octobre, 115, rue Notre-Dame-des-Champs et 21, rue
d'Aboulcir. — M. Manoury, 13, rue Washington, reprend ses cours et leçons pour
gens du monde et artistes. Parmi ces derniers, ont été engagés: M. Gautier à
l'Opéra, M"" Demours à .\lger, M. Declery à Rouen, miss Emma Stanley à Gand et
M. Stoll à Tournai.
NÉCROLOGIE
Cette semaine est 'mort, à l'âge de 69 ans, un excellent artiste, Etienne
Portéhaut, qui, après avoir occupé à Paris une situation très honorable,
était devenu directeur de la Société de Sainte-Cécile de Bordeaux, sa ville
natale. Elève d'Alard au Conservatoire, Portéhaut avait obtenu un second
prix de violon en 1847, et le premier l'année suivante. A cette occasion se
produisit même un fait assez rare, c'est que les trois seconds prix de la
même année se trouvaientobtenir ensuite les trois premiers prix ensemble;
seulement, l'ordre des noms était changé ; tandis qu'en 1847 les trois lau-
réats étaient ainsi nommés: Reyuier, Portéhaut, Altès, en 1848 ils étaient
proclamés dans l'ordre suivant : Portéhaut, Altès, Reynier. De ces trois
camarades, Reynier étant mort il y a deux ans, un seul reste aujourd'hui,
M. Ernest Altès, qui fut chef d'orchestre à l'Opéra et qui est vice-prési-
dent de la Société des compositeurs de musique. Quanta Portéhaut, il de-
vint chef d'attaque des premiers violons au Théâtre-Italien, puis second
chef d'orchestre à ce théâtre. C'est à la suite de la disparition de notre
scène italienne qu'il accepta les fonctions de directeur de la Société de
Sainte-Cécile de Bordeaux, où il a laissé, comme partout, le souvenir d'un
galant homme et d'un excellent artiste. Portéhaut avait un frère cadet,
qui, après avoir fait aussi ses études au Conservatoire, fut ténor à l'Opéra
pendant plusieurs années.
— D'Italie on annonce la mort d'un artiste qui jouit naguère d'une réelle
notoriété, Raffaele Vitali, un chanteur qui, après avoir obtenu de grands
succès comme ténor, termina sa carrière comme baryton. Il avait fait ses
études à Bologne et fit ses premiers armes à Odessa, où naquit sa fille,
Mlle Giuseppina Vitali, une cantatrice aimable que nous avons connue
naguère â feu notre Théâtre-Italien. Vitali n'était pas seulement un chan-
teur habile, il était aussi un remarquable comédien, et faisait preuve de
rares qualités pathétiques, entre autres dans Otello et dans Lucia. Un soir,
à Rome, tandis qu'il chantait Luisa Miller, il fut frappé subitement d'un
abaissement de la voix qui le mit dans l'impossibilité d'achever son rôle;
il était devenu tout à coup baryton. C'est en cette qualité qu'il put, au bout
de quelque temps, reparaître à la scène ; mais au bout de deux années,
sa voix ne lui permettant plus de se livrer à ses élans dramatiques, il
abandonna définitivement le théâtre. Depuis lors, il s'était consacré à l'en-
seignement.
— La doyenne des chanteuses d'outre-Rhin, M""^ Caroline Kischer-Achten,
vient de s'éteindre dans sa quatre-vingt-dixième année. Elle était née à
Vienne eu 1806, entra en 1821 à l'ancien Opéra impérial en qualité de
prima-donna soprano, chanta à Francfort et à Brunswick et se retira de
la scène eu 1833.
— Les journaux américains nous apportent la nouvelle de la mort, à New-
York, d'un facteur d'orgues et de pianos nommé Johann Luther, qui
vient de s'éteindre à l'âge raisonnable de 90 ans, et qui était, â ce qu'on
assure, le descendant direct de Martin Luther, le chef de la Réforme. Ce
Johann Luther, qui était né en Allemagne, à Asler, près de "Wetzlar s'é-
tait établi à New- York en 1837 et y avait fondé la première fabrique de
pianos qui ait existé en cette ville.
Henri Heugel, directeur-gérant.
AVIS AUX PROFESSEURS. — Belle salle pour auditions, cours et
leçons, matinées et soirées. Location au mois et à la séance. — S'adres-
ser Maison musicale, 39, rue des Petits-Champs. Paris.
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LE MÉNESTREL
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ENSEIGNEMENT DU PIANO
MÉTHODES - TRAITÉS - ÉTUDES — EXERCICES - OUVRAGES DIDACTIQUES, ETC.
L. ADAM. Grande méthode de piano du Conserva-
toire, net 20 »
La même, texte espagnol, net 20 »
J.-L. BATTMANN. Op . 100. Premières études avec
préludes pour les petites mains 9 »
— Op. 67. Si éludes mélodiques pour les pe-
tites mains, deux suites, chaque 9 »
H. BERGSOK. Nouvelles études caractéristiques
(8 n") 18 •
C. de BÉRIOT et C.-V. de BÉRIOT. Méthode d'ac-
compagnement pour piano et violon, exer-
cices chantants en forme de duettinos. . 15 »
— L'art de l'accompagnement appliqué au
piano, pour apprendre aux chanteurs à
s'accompagner 15 »
P. BERNARD. Op. 56. Style et mécanisme :
12 études caractéristiques 20 »
6 études de genre, chaque 6 »
1. CAZENAUD. <S études caractéristiques 6 »
FÉLIX CAZOT. Méthode de piano, complète ... 25 •
1" partie (élémentaire), les cinq doigts. 12 »
2- partie (degré supérieur), extension
des doigts 18 »
r. CHOPIN. Op. 10. Grandes études (1" livre) . . 18 »
— Op. 25. Grandes éludes (2- livre) 18 »
— ti préludes, 2 livres, chaque 9 »
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CE. CZERNY. Op. 337. Exercice journalier,
40 études 12 »
— Op.l 39. 100 exercices doigtés et gradués
pour les commençants :
1", 2" et 3" livraison, chaque 6 »
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no, édition cartonnée, net 3 60
Edition brochée, net 2 60
F. DOLUETSCH. Op. 33. 12 petites études récréa-
tives pour les jeunes pianistes (1" cahier). 6 »
— Op. 51. ^nouvelles études récréatives (2" ca-
hier) 10 »
T. DOURLEN. Traité d'accompagnement pratique
de la basse chiffrée et de la partition à
l'usage des pianistes 2* »
F. DURANTE. 6 études et divertissements, 2 livres,
chaque 9 »
BH. DDVOIS. Le mécanisme du piano appliqué à
l'étude de l'harmonie (enseignement simul-
tané du piano et de l'harmonie) :
Introduction. Principes théoriques et
pratiques de la musique, net. ... 3 •
1" cahier. Exercices de mécanisme,
sans déplacement de main, net. . . 3 >
2' cahier. Progressions mélodiques, exer-
cices pour la progression de la main,
net 3 »
3* cahier. les gammes, d'après une no-
tation qui en facilite l'étude 3 »
4" cahier. Harmonie, théorie et pratique
des accords et arpèges appliqués au
piano, net 6 >
5* cahier. Elude de» doubles notes. Jeu
lié, jeu du poignet, tierces, sixtes,
octaves et accords, net 4 >
6* cahier. Marches d'harmonie, exemples
pris des grands maîtres, net. ... 4 »
7* cahier. Appendice à l'étude de l'har-
monie, net 3 '
8* cahier. L'art de phraser, net 3 »
L'ouvrage complet, net 25 »
S. FALKENBERG. Les pédales du piano, avec
exemples, net 10 «
A. de FOLLT. Le réveille-matin du pianiste, étude
de doigts, net 1 »
BENJAMIN GODARD. Op. 42. 12 éludes artistiques,
net 15 »
— Op. 107. 12 nouvelles études artistiques, net. 15 »
Les 24 études réunies, net 25 »
F. GODEFROID. L'école chantante du piano :
1" livre. Théorie et 72 exercices et mé-
lodies-types 26 »
2' livre. 15 études mélodiques pour les
petites mains 12 >
3" livre. 12 études caractéristiques (plus
difficiles) 12 »
A. GORIA. Op. 63. 6 grandes études artistiques . 25 >
— Op. 72. Le pianiste moderne, 12 études de
style et de mécanisme, avec préludes et
annotations, 2 livres, chaque 20 »
J. GRËGOIR. Ecole moderne du piano :
Op. 101. Etudes progressives, moyenne
difficulté, 24 études de style et d'expres-
sion, 4 livres de 6 études, chaque ... 9 »
Op. 99. Grandes études difficiles, 4 livres
de 6 études, chaque 12 »
— Exercices des cinç (iotg(5 applicables au V#-
loce-Mano et au Clavier déliateur, net. ... 1 >
J.-CH. HESS. Etude journalière
F. HILLER. Op. 15. 25 grandes études d'artiste. .
M. JAELL. Le toucher, nouvelles théories et
nouveaux principes pour l'enseignement
du piano :
■Vol. I. Nouveaux principes élémentai-
res, net
Vol. II. Leur application & l'étude dea
morceaux, net
Les 2 premiers vol. réunis, net. .
Vol. III. Principes complémentaires et
leur application à l'étude des mor-
ceaux, net
KESSLER. Etudes
ELEMCZTNSEI. 2i petites études mélodiques, 2 sui-
tes, chaque
A. de KONTSKI. Op. 77. rieurs mélodiques,
12 études caractéristiques, 2 suites, en. .
Op. 105. Le Derquin du piano ou l'Ami des
enfants, exercices pour les petites mains,
suivis de petits morceaux à 2 et 4 mains.
EOSZUL. Préludes, 2 livres, chaque
THÉODORE LACK. Cours de piano de M"' Didi :
Exercices de M"" Didi
Gammes de M"* Didi
Etudes de M"* Didi (1" livre)
Etudes de M"' Didi (2' livre)
L. LACOMBE. Op. 10. e études de style et de
mécanisme
— Préiudes e(/uj!«s de Bach, doigtés. . . .
E. LAMINE. S études mélodiques, précédées
d'exercices préparatoires
TH. LÉCUREUX. Op. 30. 12 grandes études carac-
2 50
20 »
MATHIS L0SSY. Exercices de piano dans tous
les tons majeurs et mineurs, à composer
et à écrire par l'élève, précédés de la théorie
des gammes, des modulations, etc., etc.,
et de nombreux exercices théoriques, net.
— Carton-pupitre-exercice du pianiste, résu-
mant en SIX pages toutes les difficultés
du piano et donnant toutes les formes de
gammes et d'exercices, net
— Traité de Cexpression musicale, accents,
nuances et mouvements dans la musique
vocale et instrumentale, net
— Concordance entre la mesure et le rythme,
net
— Le rythme musical, son origine, sa fonc-
tion et son accentuation, net
A. MARMONTEL. Op. 60. L'art de déchiffrer,
100 petites études de lecture musicale,
2 livres, chaque 12 » et
— Op. 80. Petites étude* mélodiques de méca-
nisme, précédées d'exercices-préludes. . .
— Op. 85. Grandet éludes de style et de bra-
voure, net
— Op. 108. 50 études de salon, de moyenne
force et progressives, net
— Op. 111. L'art de déchiffrer à quatremaint,
50 études mélodiques et rythmiques de
lecture musicale, 2 livres, chaque
— Op. 157. Enseignement progressif et rationnel
du piano, école de mécanisme et d'accen-
tuation :
1" cahier. Tons majeurs diésés, net . .
2' — Tons majeurs bémolisés, net.
3» — Tons mineurs diésés, net. .
4* — Tons mineurs bémolisés, net.
5* — Gammes chromatiques, net.
L'ouvrage complet, net
— Le mécanisme du piano, 7 grands exercices
modulés, résumant toutes les difficultés
usuelles du piano :
I. Les cinq doigts
II. Le passage du pouce
III. L'extension des doigts
IV. Les traits diatoniques
V. Nouvelle étude journalière
VI. Difficultés spéciales
Les 3 exercices élémentaires réunis,
net
Les 3 exercices supérieurs réunis,
net
Les 6 exercices réunis, net
■VII. Gammes en tierces et arpèges
(exercice complémentaire)
— Conseils d'un professeur sur l'enseignement
technique et l'esthétique du piano, net ....
— Vade-mecum du professeur de piano, cata-
logue gradué et raisonné des meilleures
méthodes, études et œuvres choisies des
maîtres anciens et contemporains, net . .
Conseils et Vade-mecum réunis, net . .
— Eléments d'esthétique musicale et considéra-
tions sur le beau dans les arts, net
— Mistoire du piano et de ses origines, net . .
G. MATHIAS. Etudes spéciales de style et de mé-
canisme, 2 livres, chaque If
— Op . 58. /î pièces symphoniques 10
C. MOISSENET. S études de salon 7
ED. MOnZIN. Préludes et fugues, introduction il
l'étude des fugues de Bach, 2 livres, cha-
que a
CH. NEUSTEDT. Cours de piono élémentaire et
progressif :
1. Méthode de piano 12
2. Gymnastique des pianistes 10
3. Le progrès, 25 études pour les pe-
tites mains 12
4. 25 études de mécanisme 12
5. 25 études de vélocité 12
6. 25 études variations classiques ... 12
7. Préludes-improvisations (1" livre) . 6
8. Préludes-improvisations (2- livre). . 9
— Op, 31. 20 études progressives et chantantes.
N. NUTENS. Avant la gamme, 6 petits morceaux
faciles
12
7 !
— Esquisses musicales, 12 études de style . . 12
I. FHILIFP. Exercices de virtuosité, net 3
H. ROSELLEN. Méthode élémentaire 25
— Manuel du pianiste, exercices journaUers,
gamines et arpèges, description anato- '
mique de la main 12
G. ROSSINI. Etudes, exercices, variations .... 10
J. RUMMEL. 2i préludes dans tous les tons . . 7 1
A. SCHMIDT. Etudes et exercices I
C. STAMATY. Le rythme des doigts, exercices-
types à l'aide du métronome 15
— Abrégé du rythme des doigts 10
— Chant et mécanisme :
1" livre. Op. 37. 25 études pour les pe-
tites mains 12
2" livre. Op. 38. 20 études de moyenne
difficulté. 12
3- livre. Op. 39. 24 études de perfec-
tionnement 18
— Les concertantes, 24 études spéciales et
progressives, à quatre mains, 2 livres,
chaque 15 » et 18
— Op. 2{. 12 études pittoresques 20
FR. STŒPEL. Méthode complète de piano 24
— Ouvrage complet pour les cours de piano,
renfermant l'enseignement mutuel et con-
certant pour plusieurs pianos, 3 livres,
chaque, net 5
— Enseignement individuel et collectif, 3 suites,
chaque, net 5
A. TROJELLI. Petite école élémentaire du piano à
i mains (la 1" partie d'une extrême facilité,
sans passage de pouce et sans écarts ; la
2* partie écrite dans la moyenne force pour
le professeur ou un élève plus avancé),
2 cahiers de 12 n", chaque 7 !
H. VALIQUET. La mère de famille, alphabet des
jeuncf pianistes ou les 25 premières le-
çons de piano, théorie élémentaire de A. El-
WART, net 3
— Exercices rythmiques et mélodiques du pre-
mier dge 12
— Le premier dge OU te Berquin des jeunes pia-
nistes :
1. Op. 21. Le premier pas, 15 études
très faciles 9
2. Op. 17. Les grains de sable, 6 petits
morceaux sur les cinq notes .... 7 !
3. Op. 22. Le progrès, 15 études faciles
pour les petites mains 9
4. Op. 18. Contes de fées, 6 petits mor-
ceaux favoris 9
5. Op. 23. Le succès, 15 études pro-
gressives pour les petites mains . . 10
6. Op. 19. Les soirées de famille, 6 petits
morceaux brillants 12
Les brins d^herbe, 6 petits morceaux fa-
ciles 7 1
VIGUERIE. Méthode 15
— 1" partie de la méthode, augmentée de
12 récréations très faciles par A. Thys. . . 9
A. VILLOING. Ecole pratique du piano, net ... 20
GÉZA ZICHY. G études pour la main gauche seule,
net 10
••• Le pianiste lecteur, 2 recueils progressifs
de manuscrits autographiés des auteurs
en vogue, pour apprendre à lire la musique
manuscrite, chaque recueil, net 7
CLAVIER DÉLIATEUR de JOSEPH GREGOIR
VÊLOCE-MANO de M. PAIVRE
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Diniaiiche 27 Septcniiirc 1896.
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Étude sur Orphée {'s' article), Julien Tiersot. — IL Bulletin théâtral : reprise
de la Famille Pont-Biquet au Gymuase ; Paris-Pékin au Nouveau-Cirque, Padl-
Êhile Chevalier. — 10. Gilbert Duprez, notes et souvenirs, .\htiiur Pougin. -
IV. Musique et prison(19° article): Prisons politiques modernes, P.iul d'Estbée.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CHANSON D'AUTOMNE
de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement : Albert Cvyp, n° 1 des Por-
traits de peintres, pièces pour piano de Reynaldo Hahn.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Sérénade d'automne, mélodie de L. Delaquebhière, poésie d'ANDRÉ
Alexandre. — Suivra immédiatement : Si fai parlé, mélodie nouvelle de
LÉON Delafosse, poème de Henri de Régnier.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Siùte)
Quant à l'œu'vre en elle-même, elle réunit tous les suffrages
en un accord unanime. C'était le temps où l'art de Gluck
avaii encore pour le public parisien tout le charme de la
nouveauté; et si déjà quelques rumeurs indicatrices commen-
çaient à se faire entendre sourdement, du moins la guerre
qu'elles annonçaient n'était-elle pas encore déclarée. Orpliée se
trouva donc, aussi bien par la date de sa représentation que
par celle de sa composition, en dehors des disputes des
gluckistes et des piccinistes. Son succès fut franc, sincère et
immédiat; il fut obtenu en dehors de toute influence de la
cour, puisque Marie-Antoinette, reine depuis quelques
semaines, ne put, en raison du deuil de Louis XV, assistera
la première représentation. En réalité, Orphée fut la seule
œuvre de Gluck qui n'ait pas été discutée. Il semble même
que ses véritables beautés furent comprises dès l'abord,
car la plupart de ceux qui nous ont laissé des témoignages
de leurs impressions ne se contentent pas d'admirer le chant:
« J'ai perdu mon Eurydice », par lequel il était naturel qu'ils
fussent frappés en premier lieu, mais parlent surtout des deux
tableaux des Enfers et des Champs Elysées, dont les beautés
neuves et profondes auraient pu ne pas être si promptement
comprises.
Le Mercure de France, bien que tenant visiblement pour l'an-
cienne musique française, semble exprimer assez fidèlemeiii
le seaiiment de la généralité du public dans les deux
comptes rendus, pleins d'éloges, qu'il consacra successive-
ment à l'œuvre. Après avoir analysé le poème, il dit d'aboi-'l :
L'action est sans doute beaucoup tiop simple poar trois actes...
Mais la musique supplée à ces défauts. Elle conflrnie l'idée que
l'opéra d'Iphigénic avait déjà donnée du génie de M. le chevalier Glu k
pour peindre et pour exprimer les affections de l'àme.
L'ouverture ett un beau morceau de symphonie qui annonce tiès
bien le genre de ce spectacle. Il nous a paiu seulement que le moiif
ou le trait principal de musique se représente trop souvent et y iiii't
un peu de raonotoûie. Le chœur de la pompe funèbre est de la plut
riche et de la plus touchante harmonie. Les cris d'Orphée qui appelie
son Eurydice, sont d'un grand pathétique. Tout ce magnifique moi-
ceau et les airs attendrissants qui le suivent, répandent dans l'ûnio
la trisrtesse. On est enchanté des chants doux et insinuants de, l'amoi r
consolateur. L'air de la fin du premier acte. L'espoir renaît dans mon
âme, ne peut être plus brillant, mieux ordonné, mieux contrasté i-i
plus propre à faire ressortir le talent d'un habile chanteur et d'une
voix superbe, tel que M. Le Gros.
Le chœur terrible et le fameux iVon.'des démons, en opposition aveo
les prières et les accents si tendres et si touchants d'Orphée, doni
l'accompagnement est imité de la lyre, produisent le plus gran ■■
effet. Il y a bien de l'art encore dans la manière dont le musicien a
su rendre la pitié oontiainte des démous qui, ne pouvant résister au
talent vainqueur d'Orphée, lui ouvrent eux-mêmes le chemin des
Enfers. Le bonheur tranquille des Champs Eljsées se peint et se
réfléchit en quelque sorte dans la mcsique douce du chœur et des
chants des Ombres fortunées.
Cette pompe funèbre, ces Enfers, ces Champs Élysées rappellent les
mêmes tableaux exécutés pareillement dans l'opéra de Castor de Ra-
meau, et ne les font pas oublier. Nous croyons même que la musique
du compositeur français est mieux sentie, plus appropriée, el, pour
ainsi dire, plus locale que celle de M. le chevalier Gluck. Elle est ici
empruntée du genre pastoral, et il lui fallait peut-être une autre
nuance.
La scène du troisième acte, entre Eurydice et Orphée, est, comme
nous l'avons dit, languissante, malgré le duo sublime, de la plus
étonnante et de la plus vive expression, qui seul sulifirait pour carac-
tériser un homme de génie.
Le récitatif employé dans cet opéra se rapproche beaucoup de celui
de Lulli, mais de son récitatif débité, déclamé et parlé, comme vrai-
semblablement ce musicien le faisait exécuter, et non chanté, comme
il l'a élé abusivement après sa mort. Les morceaux de symphonie et
d'accompagnement sont très bien faits, quoiqu'ils paraissent quel-
quefois chargés de beaucoup de traits et d'accords recherchés et
contrastés, qui embarrassent souvent l'expression, d'autant plus sûre
qu'elle est moins compliquée.
Les airs de danse de cet opéra sont en général plus soignés et plus
variés que ceux d'Iphigéiiie ; il en est plusieurs d'un tour original et
piquant que Rameau lui-même eût enviés. Il n'y a, dans cet opéra,
que deux rùles principaux. Eurydice est parfaitement jouée et chantée
avec beaucoup d'âme, d'intelligence et de précision par M"" Ainould,
306
LE MÉNESTIŒl
qui, dans soa absence, nepeut être mieux remplacée que par M"" Beau-
mesnil, actrice aimable et sensible et musicienne excellente. Orphée
est très bien représenté par M. Le Gros qui, à la voix la plus par-
faite, au talent le plus brillant et au chant le plus sur, unit encore
le jeu le plus animé et le plus expressif. M"" Rosalie joue et chante
avec beaucoup d'agrément son rôle favori de l'Amour. M"' Château-
neuf la remplace dans ce rôle, et y est applaudie.
Les ballets de la pompe funèbre et des Enfers sont de la composi-
tion de M. Gardel, ceux des Champs :Élysées et de l'Amour sont de
M. 'Vestris, et leur font honneur. Les plus grands talents de la danse
ont montré dans cet opéra le zèle le plus vif et le plus heureux.
M'"' Guimard, excellente danseuse, qui répand tant de grâce et de
volupté sur ses pas; M"' Heinel dont la danse est si noble, si impo-
sante ; M. Vestris, ce danseur que la nature et l'art ont pris plaisir
à former ; M. Gardel, qui a le talent le plus hardi et le plus décidé,
tous ces premiers talents de la danse, et après eux la brillante M"« Do-
rival et M. Gardel le jeune, ensemble et séparément, ont ravi l'admi-
ration et les suffrages du public enchanté (11.
Le mois d'après, le journaliste, suivant le courant de l'opi-
nion, ajoutait :
L'Académie royale de musique conlinue avec succès les représen-
tations d'OrpAee ei £«r!/d/ce. La musique de cet opéra gagne à ê're
entendue; elle produit d'aulant plus d'effet que l'on a eu plus sou-
vent occasion de la détailler et de la méditer. L'auditeur attentif y
découvre le génie fécond d'un grand maître, qui maîtrise son art,
qui sait toujours employer le langage énergique du sentiment et des
passions.
M. Le Gros, animé, et osons le dire, inspiré par le musicien, s'élève
jusqu'à lui, et ajoute encore à la magie de son rôle par un jeu plein
d'ùme, de force et de pathétique. Ce n'est plus seulement le chanteur
le plus admirable, mais l'acteur le plus vrai et le plus passionné.
M"s Beaumesnil semble jouer d'après elle-même et d'après le senti-
ment profond de son amour. M"'" Chàteauneuf, qui la remplace dans le
rôle d'Eurydice, doit aussi à cette musique d'avoir développé des
talents et une expression qui ne demandent qu'à être exercés (2j.
Bien d'autres formulèrent leur admiration avec moins de
contrainte, et laissèrent libre cours à toute l'ardeur de leur
enthousiasme. Telle M"'= de Lespinasse, dont l'âme tendre
vibre à l'unisson des accents d'Orphée : ses lettres, durant
trois mois de suite, expriment l'extase d'une jouissance incom-
parable et inconnue :
« L'impression que j'ai reçue de la musique d'Orphée, écrit-
elle, a été si profonde, si sensible, si déchirante, si absor-
bante, qu'il m'étoit absolument impossible de parler de ce
que je sentois : j'éprouvais le trouble, le bonheur de la pas-
sion... Cette musique, ces accens attachoient du charme à la
douleur, et je me sentois poursuivie par ces sons déchirans:
« J'ai perdu mon Eurydice. » — Je vais sans cesse à Orphée, et
j'y suis seule: mardi encore j'ai dit à mes amis que j'allois
faire des visites, et j'ai été m'enfermer dans une loge... — Mon
ami, je sors d'Orphée: il a amolli, il a calmé mon âme... —
Je vous quittai hier par ménagement pour vous, j'étois si
triste! je venois d'Orphée. Cette musique me rend folle... mon
âme est avide de cette espèce de douleur (3). »
Jean-Jacques Rousseau témoigne de dispositions analogues.
On a rapporté de lui des mots tels que ceux-ci : « Puisqu'on
peut avoir un si grand plaisir pendant deux heures, je con-
çois que la vie peut être bonne à quelque chose. — Je ne
connais rien de plus parfait que l'ensemble des Champs Ely-
sées de l'opéra d'OrpItéi- : partout on y voit la jouissance d'un
bonheur pur et calme, avec un tel caractère d'égalité qu'il
n'y a pas un trait ni dans le chant, ni dans les airs de danse
qui passe en rien la juste mesure i> A ceux qui repro-
chaient à la musique de Gluck de manquer de mélodie, il
répondait : « Je trouve que le chant lui sort par tous les
pores (4) ». Il fit plus que d'exprimer ces opinions favorables
dans un entourage plus ou moins restreint, car il écrivit une
étude développée sur un des morceaux les plus importants,
(1) Mercure de France, septembre 1774.
(2) Mercure de France, octobre 1774.
(3) Lettres de M"' de Lespinasse, août à octobre 1774.
(4) Journal de Paris, du 18 août 1788.
qu'il analysa avec force détails historiques, lesquels ne sem-
bleront peut-être plus très probants aujourd'hui: mais- le
morceau est curieux, et mérite de trouver place parmi ce
résumé des opinions exprimées par les contemporains sur
l'œuvre de Gluck:
... Quant au passage enharmonique de VOrphée de Gluck que
vous me dites avoir tant de peine à entonner, et même à entendre,
j'en sais bien la raison... Vous sentez du moins la beauté de ce pas-
sage, et c'est déjà quelque chose, mais vous ignorez ce qui la produit,
je vais vous l'apprendre.
C'est que du même trait, et, qui plus est, du même accord, ce grand
musicien a su tirer dans toute leur force les deux effets les plus con-
traires, la ravissante douceur du chant d'Orphée, et le stridor déchi-
rant du cri des Furies. Quel moyen a-t-il pris pour cela? Un moyen
très simple, comme sont toujours ceux qui produisent les grands
effets. Si vous eussiez mieux médité l'article Enharmonique que je vous
dictai jadis, vous auriez compris qu'il fallait chercher cette cause
remarquable, non simplement-dans la nature des intervalles et dans la
succession des accords, mais dans les idées qu'ils excitent, et dont
les plus grands ou les moindres rapports, si peu connus des musi-
ciens, sont pourtant, sans qu'ils s'en doutent, la source de toutes les
expressions qu'ils ne trouvent que par instinct.
Le morceau dont il s'agit est eu mi bémol majeur, et une chose digne
d'être observée est que cet admirable morceau est, autant que je puis
me rappeler, tout entier dans le même ton, ou du moins si peu
modulé que l'idée du ton principal ne s'efface pas un moment; du
reste, n'ayant plus ce morceau sous les yeux, et ne m'en souvenant
qu'imparfaitement, je n'en puis parler qu'avec doute.
D'abord ce No! (1) des Furies, frappé et réitéré de temps à autre
pour toute réponse, est une des plus belles inventions en ce genre
que je connaisse; et si peut-être elle est due au poète, il faut convenir
que le musicien l'a saisie de manière à se l'approprier. J'ai ouï dire
que dans l'exécution de cet opéra l'on ne peat s'empêcher de frémir
à chaque fois que ce terrible No! se répète, quoiqu'il ne soit chanté
qu'à l'unisson ou à l'octave, et sans sortir dans son harmonie de
l'accord parfait jusqu'aupassage dont il s'agit; mais au moment qu'on
s'y attend le moins, cette dominante diésée forme un glapissement
affreux auquel l'oreille et le cœur ne peuvent tenir, tandis qu'au
même instant le chant d'Orphée redouble de douceur et de charme;
et ce qui met le comble à l'étonnement est qu'en terminant ce court
passage on se retrouve dans le même ton par oii l'on vient d'y entrer,
sans qu'on puisse presque comprendre comment on a pu nous trans-
porter si loin et nous ramener si proche avec tant de force et de rapi-
dité.
Vous aurez peine à croire que toute cette magie s'opère par un pas-
sage tacite du mode majeur au mineur et par le retour subit au
majeur : vous vous en convaincrez aisément sur le clavecin, au
moment que la basse qui sonnait la dominante avec son accord, vient
à frapper l'ut bémol. Vous changez non de ton, mais de mode, et
passez en mi bémol tierce mineure, car non seulement cet lU, qui est la
sixième note du ton, prend le bémol qui appartient au mode mineur,,
mais l'accord précédent, qu'il garde à la fondamentale près, devient
pour lui celui de 7' diminuée sur le ré appelant naturellement l'accord
parfait mineur sur le mi bémol. Le chaut d'Orphée : Furie, larve, appar-
tenant également au majeur et au mineur reste le même dans l'un
et dans l'autre ; mais aux mots : Ombre sdeç/nose, il termine tout à fait
le mode mineur. C'est probablement pour n'avoir pas pris assez tôt
l'idée de ce mode que vous avez eu peine à entonner ce trait dans son
commencement; mais il rentre en finissant au majeur, c'est dans
cette nouvelle transition à la fin du mot sdegnose qu'est le grand effet
de ce passage; et vous éprouverez que toute la difficulté de le chanter
juste s'évanouit quand, en quittant ce la bémol, on prend à l'instant
l'idée du mode majeur pour entonner le sol naturel qui en est la
médiante.
Cette seconde superflue ou 7' diminuée se suspend en passant
alternativement et rapidement du majeur au mineur, et vice versa par
l'alternative de la basse entre la dominante si bémol et la sixième
note ut bémol; puis il se résout enfin tout à fait sur la tonique dont
la basse donne la médiante après avoir passé par la sous-dominante
la bémol portant tierce mineure et triton, ce qui fait toujours le même
accord de 7° diminuée sur la note sensible ré.
Passons maintenant au glapissement No! des Furies sur le sibé-
quarrc. Pourquoi ce si béquarre et non pas ut bémol comme à la
basse? Parce que ce nouveau sou (quoiqu'on vertu de l'enharmo-
(1)
On voit que Jean-Jacques écrivit cette étude d'après la partition italienne.
LE MÉNESTREL
307
niquG il entre dans l'accord précédent), n'est pourtant point dans le
même ton et en annonce un tout difTérent. Quel est ce ton annoncé
par le si béquarre'? C'est le ton d'ut mineur, dont il devient note
sensible ; ainsi l'âpre discordance du cri des Furies vient de cette
duplicité de ton qu'il fait sentir, gardant pourtant, co qui est admi-
rable, une étroite analogie entre les deux tons, car Vut mineur,
comme vous devez au moins le savoir, est l'analogue correspondant
du mi bémol majeur, qui est ici le ton principal.
Vous me ferez une objection. Toute cette beauté, me direz-yous,
n'est qu'une beauté de convention, et n'existe que sur le papier,
puisque ce si béquarre n'est réellement que l'octave de Vut bémol
da la basse. Car comme il ne résout pas comme note sensible, mais
disparait ou redescend sur le si bémol, dominante du ton, quand on
le noterait par ut bémol comme à la basse, le passage et sou effet
serait le même absolument au jugement de l'oreille : ainsi toute cette
merveille enharmonique n'est que pour les yeux.
Cette objection, mon cher prête-nom, serait solide si la division
tempérée de l'orgue et du clavecin était la véritable division harmo-
nique, et si les intervalles se modifiaient dans l'intonation de la vois
sur les rapports dont la modulation donne l'idée, et non sur les alté-
rations du tempérament. Quoiqu'il soit vrai que sur le clavecin le si
béquarre fait l'octave de l'ut bémol, il n'est pas vrai qu'entonnant
chacun de ces deux sons relativement au mode qui le donne, vous
entonniez exactement ni l'unisson, ni l'octave. Le si béquarre, comme
note sensible s'éloignera davantage du si bémol, dominante, et s'ap-
prochera d'autant par excès de la tonique at qu'appelle ce béquarre ;
et l'ut bémol, comme 0'' note en mode mineur, s'éloignera moins de
la dominante qu'elle rappelle, et sur laquelle elle va retomber; ainsi
le semi-ton que fait la basse en montant du .Si' bémol à l'ut bémol est
beaucoup moindre que celui que font les Furies en montant du si
bémol à sou béquarre. La 7° superflue que semblent faire ces deux
sons surpasse même l'octave, et c'est par cet excès que se fait la dis-
cordance du cri des Furies, car l'idée de note sensible jointe au bé-
quarre porte naturellement la voix plus haute que l'octave de l'ut
bémol ; et cela est si vrai, que ce cri ne fait plus son efl'et sur le cla-
vecin comme avec la voix, parce que le son et l'instrument ne se
se modifient pas de même.
Ceci, je le sais bien, est directement confraii'e aux calculs établis
et à l'opinion commune qui donne le nom de semi-ton mineur au
passage d'une note à son dièze ou à son bémol supérieur, ou un
dièze inférieur; mais dans ces dénominations on a eu plus d'égard à
la différence du degré qu'au vrai rapport de l'intervalle, comme s'en
convaincra tout homme qui aura de l'oreille et de la bonne foi, et
quant au calcul, je vous développerai quelque jour, mais à vous
seul, une théorie plus naturelle qui vous fera voir combien celle sur
laquelle on a calculé les intervalles est à contre-sens.
Je finirai ces observations par une remarque qu'il ne faut pas
omettre : c'est que tout l'effet du passage que je viens d'examiner
lui vient de ce que le morceau dans lequel il se trouve est de mode
majeur ; car s'il eût été en mineur, le chant d'Orphée restant le
même e ùt été sans force et sans effet. L'intonation des Furies par le
béquarre eût été impossible et absurde, et il n'y aurait rien eu d'har-
monique dans ce passage. Je parierais tout au monde qu'un Français
ayant eu ce morceau à faire l'eût traité en mode mineur; il y aurait
pu mettre d'autres beautés sans doute, mais aucune qui fût aussi
simple et qui valût celle-là.
Voilà ce que ma mémoire a pu me suggérer sur ce passage et sur
son explication. Ces grands effets se trouvent par le génie, qui est
rare, et se sentent par l'organe sensitif, dont tant de gens sont privés ;
mais ils ne s'expliquent que par une étude réfléchie de l'art (1).
Nous terminons ces citations par une observation de Grétry
se rapportante un autre morceau d'Orphée. L'auteur de Richard
Cœur de Lion, bien que plusieurs de ses amis et collaborateurs
fussent engagés très avantdans le parti picciniste, se tint digne-
ment à l'écart pendant toute la bataille, et, dans la suite,
témoigna à plusieurs reprises de son admiration pour le
génie de Gluck. La critique ci-dessous a pour seul objet de
fournir un exemple à l'appui de cette thèse, contestable
d'ailleurs : qu'aucune langue humaine, même la musique,
n'est digne d'exprimer le langage des dieux.
« Il ne faut faire chanter ni Apollon, ni Orphée... Lorsque
Orphée veut forcer le Ténare, l'air de Gluck ne satisfait pas
(1) Extrait {Tune réponse du Petit faiseur à son prête-^om sur un morceau de l'Or-
phée rf« Gluck, dans les Mémoires pour la Révoluticrn,eta., p. 21 et suiv.
les spectateurs, qui attendent un prodige inouï en musique ;
cet air parait froid, et le serait effectivement si les démons
ne le réchauffaient par leur cris. Ce sont donc les diables qui
opèrent fortement sur les spectateurs, et non Orphée. U fait
naître, il est vrai, les oppositions qui frappent ; mais ne de-
vrait-il pas frapper lui-même pour être auteur principal?» (1).
(A suivre.) Juuen Tiersot.
BULLETIN THÉÂTRAL
Gymnase. — La Famille Pont-Biquet, comédie en 3 actes, de M. Alexandre
Bisson. — Nouveau-Cirque, Paris-Pékin, bouffonnerie à grand spectacle en
3 tableaux.
Le Gymnase a très gaiement fait sa réouverture, lundi dernier,
avec la Famille Pont-Biquet, empruntée a son bon ami le Vaudeville, qui,
de son côté, a commencé sa saison nouvelle avec la Lysistrata de
M. Maurice Donnay, de dialogue toujours lestement pimpant, d'ex-
hibition féminine toujours aussi chatoyante.
Le succès de la fort amusante et très curieusement adroite comédie
de M. Alexandre Bisson a été aussi vif que lors de sa première appa-
rition, il y a quatre ans déjà. De la primitive distribution, voici
heureusement retrouvés M. Boisselot, dont le rôle de Pont-Biquet
demeure certainement l'un des meilleurs, M. Galipaux, l'amusant
homme-poisson, MM. Lagrange, H. Mayer, Peutat, M'""= Daynes-Gras-
sot, de comique bien eu dehors, l'agréable M'"= Bréval et la drola-
tique M"° Maire. C'est M. Hugiienet, transfuge de l'opérette s'adon-
nant définitivement à la comédie, qui, sous l'habit de l'avocat phré-
nologiste La Raynette, succède à M. Dupuis. Avec peut-être moins
de niaise finesse et d'imprévu et, aussi, moins de procédés, M. Hu-
guenet accuse le personnage plus bourgeois, bon enfant et bien
naturel ; le public l'a accueilli de façon à lui prouver que si l'opé-
rette le pleure, la comédie n'a qu'à se louer d'avoir su l'attirer à elle.
Malgré bourrasques, rafales, cyclones presque, le Nouveau-Cir-
que, grand introducteur de l'hiver parisien, nous a invité, vendredi,
à venir applaudir sou premier spectacle de la saison, Paris-Pékin,
trois tableaux, trois stations. Première station ; une gare de la mé-
tropole où, si l'on en croitl'employé chargé de prévenir les voyageurs,
il y a un train direct pour la Chine; c'est là également que se pro-
mène, en quête d'acquéreur, l'auteur de la statue d'une célèbre dan-
seuse, « morceau de roi ». Deuxième station : la capitale de la Chine,
avec divertissements obligatoires de gentilles mousmées se trémous-
sant sur les airs agréables de M. Laurent Grillet. Troisième station :
apothéose très réussie, avec feuilles de lotus émergeant des eaux et
laissant s'épanouir, très plastiques, de jeunes personnes aux poses
langoureuses ; Ménessier invenit.
Parmi les « numéros », il faut signaler la « Tête mystérieuse »
par les Luttgens, les « Jeux icariens » par la Kellino family, et
l'impayable Foottit faisant manœuvrer son peloton de gamins.
Celui-là est, sans conteste, le « clown de la soirée ».
Paul-Émile Chevalier.
I}XTX*I^X2^
Un artiste admirable et qui n'a pas encore trouvé son successeur,
Duprez — le grand Duprez, pourrait-on dire — vient de mourir dans
sa quatre-vingt-dixième année. Il y en avait quarante-tieuf q\i' il avait
dit adieu à la scène et au public, et l'on sait après quels succès. On
ne saurait trouver extraordinaire la disparition d'un homme qui a
vécu presque tout un siècle. Ce n'est pourtant pas, même pour ceux qui
pourraient être indifférents, sans un sentiment de cruel et sincère
regret qu'on voit s'éteindre un de ces grands artistes qui ont atteint
les plus hauts sommets et qui ont procuré à leurs contemporains une
de ces jouissances intellectuelles si pures, si complètes, si puissantes
qu'elles restent forcément sans pareil et sans équivalent. La carrière
de Duprez a été courte, elle n'a pas dépassé dix années pour la France,
mais elle a eu un tel éclat que le souvenir, après un demi-siècle, n'en
est point effacé et que, pour n'avoir pu l'entendre, les hommes de la
génération présente savaient bien quelle avait été sur leurs pères
l'action de ce chanteur incomparable.
(1) GRÉTRY. Essais sur la musique, I, 302.
308
LE MÉNESTREL
Louis- Gilbert Duprez était né rue Grenéta, le 6 décembre 1806, le
cl nizième de vingt-trois enfants. Il commença d'assez bonne heure
l'étude de la musique pour pouvoir être admis à l'âge de neuf ans au
Conservatoire, dans la classe de solfège d'un professeur nommé Rogat,
qui n'a pas laissé une trace profonde dans l'histoire de l'art. Il n'y
resta pas longtemps d'ailleurs, et quitta assez rapidement le Conser-
vatoire pour se faire admcllre à l'École de musique de Choron, qui le
prit aussitôt en affection à cause de ses dispositions et de son excel-
lent travail, ainsi qu'en témoigne cette lettre que, peu de temps après,
Choron adressait à une personne qui s'intéressait à l'enfant:
Vous pouvez être parfaitement tranquille sur le sort du jeune Gilbert
Duprez. Cet enfant a pour la musique et l'art dramatique en général les
plus heureuses dispositions.
J'ai longtemps demandé sa nomination et, quoique je n'en aie point
encore la nouvelle officielle, je ne doute pas de l'obtenir. J'y tiens d'autant
plus que, l'ayant appelé provisoirement à remplir la place qui lui est
destinée, j'ai toute sorte de satisfaction de lui sous le rapport du talent et
cle la conduite. Je ne doute pas qu'il ne devienne un des sujets les plus
ilistingués qui sortiront de mes mains, et, quelle que soit la carrière qu'il
choisisse, il doit y obtenir les plus grands succès. Je suis on ne peut plus
satisfait d'avoir à vous rendre, d'un sujet auquel vous vous intéressez, un
témoignage aussi avantageu.x et qui, comme vous le savez, ne peut qu'être
sincère.
Je vous souhaite le bonsoir, ainsi qu'à Claire.
A. Choron.
3 mars 1818.
On sait la renommée qu'a laissée l'école de Choron, et l'exceliente
et sérieuse éducation qu'y recevaient les élèves. Duprez se trouva là
avec Hippolvte Monpou, Scudo, Kicou, Boulanger-Kunzé, Jansenne,
Ca'naple, même Laferrière, qui y passa quelque temps ,M"^' Duperrou,
qu'il épousa plus tard, Clara Kovello, Victorine Noeb (M""' Rosine
Slolz), M"= Massy, plus tard M""' Hébert-Mas^y, la future Niceite du
Pré-auœ-Clercs. Il y étudia le chant avec Choron lui-même, puis le
contrepoint et la composition avec Porta et Fétis, et c'est ce dernier
((ui le fit paraître pour la première fois en public. « Le premier essai
(lu'il fit en public de son talent, dit Fétis, eut lieu dans des représen-
tations de YAthalie de Racine (eu 1820), au Théâtre-Français, où l'on
avait introduit des chœurs et des polos. Duprez y chanta une partie
de soprano dans un trio composé pour lui et deux autres élèves de
Choron (c'était de la Gastiue et Boulanger-Kunzé) par l'auteur de
de cette notice, et l'accent expressif qu'il mit daus l'exécution de ce
morceau fit éclater les applaudissements dans toutes les parties de
la salle. »
Son éducation terminée, Duprez songea aussitôt à se produire au
théâtre. L'Odéon était alors une scène semi-lyrique, qui avait le droit
de jouer non des opéras inédits, mais des ouvrages tombés dans le
domaine public et des traductions. Duprez s'y présenta, fut engagé et
débuta, le i" décembre 182o, dans le Barbier de Séville. Il n'avait pas
encore accompli sa dix-neuvième année. Bien accueilli par le public,
sans que rien pourtant fît prévoir le bel avenir qui l'attendait, il joua
successivement Zémire et Azor, Don Juan, la Folle de Claris, et resta à
l'Odéon jusqu'en 1828, époque où ce théâtre renonça à toute aspiration
lyrique. C'était au moment où l'Opéra-Comique changeait de direction
et passait aux mains du « chevalier » Ducis. Duprez y débuta le
)i3 septembre 1828 dans la Dame blancke, se montra ensuite dans les
Yisitandines et quelques autres ouvrages, puis eut un différend avec
son directeur et, au bout de deux mois, rompit son engagement. C'est
alors qu'il partit pour l'Italie avec sa femme, car il était déjà marié,
et comjaença dans ce pays une carrière dififioile, très modeste d'abord,
puis peu à peu brillante, et enfin triomphale.
Duprez resta huit ans en Italie, qu'il parcourut dans toas les sens,
sous la direction du fameux imprésario Lanari. Il joua tout le réper-
toire italien de l'époque, puis le Comte Ory, puis Guillaume Tell, et
y créa plusieurs ouvrages, entre autres Parisina, Ttosmunda d'Inghil-
terra et la Lucia di Lammennoor de Douizetti, avec lequel il se lia d'une
étroite amitié. Il y connut et y eut pour compagnons tous les grands
artistes de l'époque, la Pisaroni, la Pasta, la Malibran, Carolina
IJpgher, qui fut la marraine de sa fille Caroline, puis Rubini, Cosselli,
Davide, mais surtout il y fit son apprentissage de grand chanteur, et
y conquit une immense renommée.
Cette renommée s'étendit Daturellcment jusqu'à Paris, et lorsqu'il
roviot d'Italie, Duponchel, alors directeur de l'Opéra, lui fil faire des
propositions par Halévy, Ils ne s'entendirent pas tout d'abord, et
Duprez alla passer de nouveau quelques mois de l'autre côté des
Alpes. Mai.s enfin, à son second retour, les difficul.és furent aplanies.
l'engagement fut signé, et il fut convenu que Duprez débuterait daus
Guillaume Tell. On sait que cet engagement fut cause de la rupture de
celui de Nourrit, et les faits à cet égard sont trop connus pour que
j'aie à m'étendre sur ce sujet et à rappeler le départ de Nourrit, son
propre voyage en Italie et sa fin lamentable.
Mais Nourrit était très aimé à l'Opéra, où son successeur parais-
sait un peu comme nn intrus, le personnel même était hostile à
celui ci dès avant qu'il eût paru, et Duprez a raconté à ce sujet, dans
ses Souvenirs d'un chanteur, un incident typique et assez curieux :
Je savais, dit-il, que mon succès ne pouvait être dû à ma personne phy-
sique. Un petit incident, quelques jours avant la répétition générale,
m'eût d'ailleurs enlevé toute illusion à cet égard, si j'en avais eu. Durant
un entr'acte de ballet, Halévy et moi nous parcourions le théâtre, bras
dessus bras dessous, derrièrre le rideau, pendantqua plusieurs artistes de
la danse se mettaient en jambes. L'une d'elles, une belle figurante qu'on
appelait ordinairement la grande S.... s'arrête tout à coup, et, nous regar-
dant passer : — « Quel est donc celui-là ? demanda-t-elle à une camarade
en me désignant. — Eh bien! c'est le nouveau ténor, celui qui remplace
Nourrit; on dit qu'il a des apppointements formidables. — Bah! répli-
qua la grande, ce crapaud-là? C'est pas possible, il est bien trop laid ! »
On sait quel fut le succès. Lui-même nous le raconte encore, sans
gloriole et avec une eniière siiicéritj; on se rappelle que sa première
apparition dans Guillaume Tell eut lieu le 17 avril 1837:
... Une fois seul en scène, l'épaisseur du silence qui se fit m'effraya.
Je chantai le récit: // nie parle d'hymen, jamais, etc. De même qu'à la répé-
tion générale, une sorte de frou-frou, dont je ne compris pas le sens, l'ac-
cueillit du haut en bas de la salle, et j'entamai mon duo avec le baryton
(Dérivis fils), sans savoir si j'avais plu ou si j'allais échouer. Il faut le dire,
j'eus peur !... Mais après la phrase ; 0 Mathilde, idole de mon âme!... le doute
ne fut plus possible, un tonnerre d'applaudissements avait éclaté... L'op-
pression me quitta, je respirai enfin!...
Mais une victoire ordinaire ne pouvait succéder à une si belle attaque,
sans ressembler à une déroute; ma tâche n'en devenait donc que plus difficile.
Heureusement, l'enthousiame du public a toujours pour effet de décupler
les moyens de l'artiste; il s'établit dans ces cas-là entre eux une commu-
cation intime, la chaleur de l'un excite naturellement la chaleur de l'autre.
Au deuxième acte, dans mon duo avec Mathilde, si bien représentée par
M'°' Dorus, des exclamations approbatives, qui venaient souligner cha-
que phrase de mes récits, m'enlevèrent peu à peu tout reste d'appréhen-
sion. Le trio s'en ressentit. Mon père, tu m'as dû maudire.... futaupsi applaudi
que 0 Mathilde...., au premier acte. Je pouvais déjà comparer cette soirée
à celle de mes débuts à Rome, en 1834; mais lorsque j'eus chanté mon
grand air, je ne puis dire ce qui so passa!.,. Ce que j'éprouvai est impos-
sible à exprimer ; le triomphe dont je fus l'objet, ce n'est pas à moi de le
décrire. Jamais, dans mes rêves les plus ambitieux, je n'eusse osé aspirer
à rien de semblable ! Jamais même je n'en aurais eu l'idée!...
11 semble que le succès de Duprez devait être fatal. Cette émis-
sion large de la voix, cette articulation superbe, ce style admirable
et plein de grandeur, cette façon noble et puissante de dire le réci-
tatif, par-dessus tout celte chaleur entraînante dont il parle et le
sentiment passionné qui débordait en lui, tout cela assurait infailli-
blement son triomphe. Nul n'ignore ce qu'il fut durant dix années
pleines. Après Guillaume Tell, Duprez chanta les Huguetiols, puis la
Juive, puis la Muette. Ensuite vinrent les créations, nombreuses et
presque toutes heureuses (à part le Benvenuto Cetlini de Berlioz) :
Guido et Ginevra, la Reine de Chypre, Charles VI, d'Halévy; le Lac
des Fées, d'Auber ; les Martyrs, la Favorite, Dom Sébastien de Portugal,
Lucie de Lammermoor, do Donizetti, avec laquelle il avait triomphé en
Italie, enfin la traduction de l'Otello de Rossini et, pour finir sur un coup
d'éclat, .Jérusalem, de Verdi, où le grand artiste déploya son talent
dans toute sa puissance et sa magnificence. Puis il quitta la scène
pour toujours, ne se produisant plus que dans deux tournées avec
ses élèves, et ne se faisant plus entendre que dans quelques concerts
ou dans l'intimité, avec des amis, mais laissant un nom qui a sa
place marquée daus l'histoire de l'arl, et uue place glorieuse entre
toutes.
Dupiez pourtant était jeune encore, puisqu'il avait à peine déjiassé
la quarantaine. Il résolut de se consacrer désormais à l'enseignement
et à la composition. Depuis plusieurs années, c'est-à-dire depuis
l'avènement d'Auber à la direction du Gonservatoin», il était titulaire
d'une classe de chant dans cet établissement, où il avait formé
Balanqué, le créateur de Méphistophélès au Théàlre-Lyrique, M"" Fé-
lix-Miolau, qui devait être M'"" Carvalho, M"" Puinsol, M"° Dameron,
etc. Mais il rêvait la création d'une école spéciale et personnelle, et
dans ce but, il donna sa démission de professeur au Conservatoire.
De cette école, qu'il a longtemps dirigée, sont sortis nombre d'artistes
de la plus haute valeur : sa fille, d'abord, Caroline Duprez, morte
LE MÉNESTREL
309
avantl'âgc, et qui, comme il l'a dit lui-même, était une chanteuse de
race; puis les deux sœurs Jeanne et Fidès De Vriès, M'" Emma
Albani (M""" Gye), M»« Adèle Isaac, M"« Marimon, M. Engel, M. du
Wast, et tant d'autres dont les noms m'échappent.
Quant à la composition, ce fut toujours une des passions de Duprez,
passion que je n'ose qualifier de malheureuse, mais qui certainement
l'eût laissé dans l'obscurité s'il n'avait eu un autre talent pour se
faire un nom. Non que son instruction technique fût incomplète; il
connaissait, comme on dit, son affaire, mais il avait des idées bizarres
en matière d'harmonie, des procédés parfois singuliers en matière
d'accompagnement; et puis l'inspiration lui faisait un peu trop
défaut. Ah! je conserverai longtemps la mémoire d'une certaine
représentation de Jeanne d'Arc, qui eut lieu — hélas! il y a près de
trente ans! — là-ba?, là-bas, rue de Lyon, dans un théâtre aujourd'hui
disparu, une espèce d'immense grange, qui prenait le titre de Grand-
Théâtre-Parisien, où les fauteuils étaient remplacés par des « confor-
tables », et où nous avons passé une soirée homérique. Jamais, non,
jamais on n'a tant ri qu'aux exploits de cette malheureuse Jeanne
d'Arc, dont on renouvela ainsi le supplice sous une autre forme.
Mais Duprez a écrit beaucoup d'autres opéras : l'Abime de la Mala-
detta, en 3 actes, joué à la Monnaie de Bruxelles, 18S1; Joanita ou ta
Fille des boucaniers, 3 actes, Théâtre-Lyrique, 18S2; la Lettre au bon
Dieu, 2 actes, Opéra-Comique, 1833; la Cabane du pêcheur, un acte,
joué à Versailles ; puis Jélyotte, Amelina, opéras-comiques, Sanison,
Zéphora, Tariotti, grands opéras, enfin la Pazsa delta Regina, opéra
italien, ouvrages qui n'ont pas été livrés au public. Il faut ajouter à
tout cela plusieurs messes et un oratorio intitulé le Jugement der-
nier, plus un grand nombre de morceaux de chant de divers genres.
Enfin, Duprez a publié deux grands ouvrages didactiques, dont l'un
a pour liire t'A7't du chant et l'anlre la Mélodie.
Duprez avait encore non des prétentions, mais des goûts litté-
raires, et l'innocente manie de publier des vers — médiocres. Il
était jovial de sa nature, aimait à rire, el l'on assure qu'au Caveau,
dont il était membre, il chantait des chansons qui n'étaient pas
exemptes d'une certaine grivoiserie. Ces chansons, il ne les a pas
publiées, que je sache; mais, de temps à autre, il lançait certains
petits recueils de vers d'une allure cocasse et qu'on doit lire avec
indulgence. En voici la liste :
Graines d'artistes, silhouettes vocales, par G. Duprez, cultivateur
lyrique (Paris, Tresse, in-12, 1882), avec un joli portrait signé :
Innocent.
Récréations de mon grand âge, par l'octogénaire G. Duprez (Paris,
Flammarion, 2 vol. in-12, 1888). « Premier volume, bienséant », avec
cette épigraphe :
Ce livre est bien léger, mais frise la sagesse ;
La tante en permettra la lecture à sa nièce
et orné d'une reproduction du beau buste de Duprez. — « Second
volume, rigolo », avec cette épigraphe:
Ce livre à la pudeur a peu droit de prétendre;
La mère en détendra la lecture à son gendre.
et accompagné de la statuette de Duprez dans Guillaume Tell. Ce
second volume porte ce sous-titre: « Contes historiques sur l'Acadé-
mie royale de musique, de 164a (?) jusqu'à nos jours, dédiés par
l'auteur à messieurs les ténors, barytons et basses de l'O'péra, présents
et à venir. »
Un chanteur peint par lui-même, opuscule en vers libres (Paris,
in-12, 1888).
Choses di-ôtes, quatre petits contes en vers (Paris, in-12, 1889).
Joyeusetés d'unchanteur dramatique (Paris, Tresse, in-12).
Sur la voix et l'art du citant, essai rimé (Paris. Tresse, in-!2).
Je possède, de la main même de Duprez, qui me l'envoyait il y a
deux ou trois ans, une pièce de vers intitulée : la Musique de l'avenir,
satire à Wagner, qui n'a pas été imprimée.
Ce qui est plus intéressant que tout cela, ce sont les Souvenirs
■''v" chanteur, qu'il donna d'abord à la Nouvelle Revue, et qui furent
publiés ensuite, en 1880, à la librairie Calmann Lévy (in-12). Ceci
est beaucoup |ilus artistique et beaucoup moins égotiste que le fameux
Carnet d'un chanteur de Gustave Roger.
Dans ces notes rapides, je n'ai pas parlé du célèbre ut de poitrine,
introduit p;ir Duprez à l'Opéra, où on ne l'avait jamais entendu et où
l'on sait que son effet fut formidable. Je ne m'étendrai passurce sujet.
connu depuis trop longtemps, mais je rappellerai une double plaisan-
terie à laquelle il donna lieu lorsque, en 186.o, le grand artiste fut
nommé chevalier de la Légion d'honneur. C'est, je crois, M. Ernest
d'Hervilly, qui lança alors dans le Diogène, de joyeuse mémoire, ce
quatrain facétieux :
Duprez, l'ancien ténor, a reçu pour cadeau
Un tout petit ruban de couleur purpurine.
La décoration que porte sa poitrine.
Il l'a gagnée avec son do.
A quoi un autre se hâta d'ajouter :
On décore Duprez; nous crions tous bravo!
Mais une chose me chagrine :
C'est que l'on n'ait pu lui redonner le do
En même temps que la croix de poitrine.
Il n'empêche que la renommée de Duprez restera celle d'un des
plus grands artistes qu'ail produits le dix-neuvième siècle.
Arthur Pougin.
On peut consulter, sur Duprez ; 1° Duprez, sa vie artistique, par
A. Ehvart (Paris, Magen, 1838, in-16, avec portrait): ^o Duprez, par Eugène
Briffault, noticepubliée dans la Galerie des artistes dramatiques de Paris (Paris,
Marchant, 1840, in-4», avec portrait); 3° Duprez, par Castil-Blaze {Revue de
Paris du 29 avril 1838). A. P.
MUSIQUE ET PRISON
PRISONS POLITIQUES MODERNES
III
(Suite)
Si les débris de l'insurrection oommunalis te de 1871, relégués en
Nouvelle-Calédonie, ne nous y présentent pas, au point de vue mu-
sical, des contrastes aussi pittoresqaes, ils nous offrent, en revanche,
des analogies, peut-être inconscientes, mais certainement tiès pro-
noncées avec les déportés de la première Républiqu», à Cayenne. Ils
ont, tantôt la gaieté provocatrice d'Ange Pilou, tantôt la patience
industrieuse de Barhé-Marbois. Et tous, sous l'intluence sans doute
de l'éducation artistique si développée en France depuis trente ans,
recherchent de préférence, comme élément de distraction, l'art qui
parle le plus éloquemment à l'imagination humaine.
Les flonflons du Vaudeville ont même raison des préoccupations
les plus graves. Nous l'avons déjà constaté par la revue en plusieurs
tableaux, mêlée de chant et intitulée Paris à Nouméa, que MM. Bauër
et Cavalier firent jouer au Fort-Bayard avant de partir pour la Nou-
velle-Galédouie.
Il n'en alla pas de même quand les condamnés durent jeter un
dernier adieu à U France. M. Bauër le confesse, tout le premier,
dans son livre si pathétique, V Histoire d'un jeune homme. Il était à bord
de la Danaë, el la consigne, très sévère, obligeait les déportés à se
tenir renfermés la plupart du temps dans l'intérieur du navire, au
fond de cellules solidement grillées. M. Bauër y connut Cipriani et
UQ vieux républicain, le père Maizier, qui possédait et lui apprit
tout le répertoire de Pierre Dupont. Aussi, des profondeurs de leur
« cage », pour nous servir des termes du narrateur, ce trio d'amis,
devenu un trio de chanteurs, lançail-il à plein poumons ce couplet de
circonstance, empreint d'une mélancolie si profonde:
Mal nourris, logés dans les trous.
Sous les combles, dans les décombres.
Nous vivons avec les hiboux
Et les larrons, amis des ombres.
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines;
Nous nous plaisions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes.
Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou grorde.
Buvons (ter)
A l'indépendance du monde.
A peine débarqué, M. Bauër fut dirigé sur Numbo, une des deux
vallées de la presqu'île Ducos. Là, en plein air, au grand soleil ou
par la délicieuse fraîcheur des nuits étoilées, devant l'immensité de
la mer el derrière le cadre romantique d'une végétation luxuriante,
l'auteur analyse dans une langue imagée les impressions qu'éveillent
en lui les harmonies de la nature, harmonies dont Barbc-Marbois
310
LE MÉNESTREL
avait noté, lui aussi, les passionnantes tonalités ou les discordances,
irritantes.
Mais aux émotions intimes du captif solitaire succèdent ses
bruyantes expansions avec les amis qu'il retrouve sur ces pentes
boisées. Autour d'un tas de pierres, formant table, tous sont assis
sur des lapis de verdure, l'unique siège que leur offre cette immense
salle à manger de la nature : une gigantesque omelette fume sur la
table improvisée; et, tenant en main un verre oîi pétille du vin de
France, notre auteur répète le couplet de la Danaë:
Buvons
A l'indépendance du monde.
Les déportés se constituèrent en troupe et ouvrirent un théâtre
" qu'ils appelèrent le théâlic de Xumbo. On y jouait la comédie, le vau-
deville, voire même l'opérette. Ce fut sur cette scène, ingénieusement
aména°'ée, que M. Bauër, dont les feuilletons dramatiques font
aujourd'hui autorité, donna la seule pièce qu'il ait jamais écrite, la
Revanche de Gontran. Olivier Pain y avait, paraît-il, collaboré et Fer-
dinand Okolovicz en composa la musique. Ce même Okolovicz était
directeur du théâtre de Nouméa ; quand il revint en France, il pro-
duisit sa troupe dans une représentation donnée au bénéfice des
amnistiés en juillet 1880. Nous ignorons ce qu'il devint par la suite:
nous nous rappelons seulement l'avoir rencontré à cette époque en
compagnie d'un autre compositeur polonais et ancien déporté comme
lui, Dombrowski. Ils écrivaient surtout de la musique de danse, vive,
facile, légère, rappelant celle de Mélra, mais sans caractère personnel
bien prononcé.
Ce fut, du reste, comme une contagion lyrique gagnant tous les
établissements néo-calédoniens affectés au service de la déportation.
Les virtuoses s'exercèrent d'abord à huis clos; puis ils se réunirent
pour faire de la musique de chambre; enfin ils formèrent des
orchestres pour des auditions publiques. Et ce qui est assez piquant,
c'est que chacun s'ingénia à construire les instruments qui man-
quaient, avec cette persévérance et ce bon vouloir dont avait témoigné
jadis Barbé-Marbois. Une lettre de déporté que publiait il y a tantôt
dix-huit ans le Figaro, nous en donne un amusant croquis :
Ile des Pins, 3 mai 1878.
Les airs variés de Miijnon, que je jouais sur ma flûte, ont fait
sortir de terre dix musiciens enragés qui, d'abord, ne voulaient que
s'amuser, puis ont voulu se montrer en public. La permission demandée
fut accordée et le premier concert fut donné le 24 février.
Tout se passa dans l'ordre le plus sérieux du monde : je me croyais dans
un salon où il n'y a que du monde comme il faut!,.. Le 24 mars et le
14 avril furent de mieux en mieux en renchérissant sur les décors que
l'on continue. Nous donnons la prochaine fois une vieille comédie : Brouillés
depuis Wagram.
Et savez-vous où se trouve cet emplacement nécessaire à 2.000 per-
sonnes? Dans ma concession, dansmaforétl Notre orchestre se compose
de trois violons, une contrebasse, deux flageolets, deux flûtes, une caisse,
un triangle, tout cela fabriqué ici. Les violons sont en sandal et bois de
de rose; ils ont été faits par un menuisier ébéniste; la flûte, par un
graveur-tourneur; la contrebasse est faite en sapin avec le bois d'une caisse
ayant contenu du savon. L'essentiel, c'est d'avoir du monde, qui ne paie
pas, c'est vrai, mais qui est content, et cela suffit.
Au camp de Saint-Louis, le dimanche, c'est encore la musique qui
fait à elle seule les frais de toutes les distractions, dans une note
moins raffinée peut-être, mais aussi plus vibrante et plus colorée.
M. Alphonse Humbert en a traduit l'impression, alors très vive, dans
■l'Intransigeant de 1882. Los chanteurs du camp de Saint-Louis — car la
musique instrumentale y faisait à peu près défaut — s'inspiraient sur-
tout de l'amertume de leurs déceptions politiques et économiques :
on croirait que leur Muse continue les traditions d'Ange Pitou et des
vieilles barbes de 1830.
Quand d'autres condamnés avaient égrené le chapelet des romances
sentimentales et des chansons d'alelier- ou de café-concert, les
détenus politiques commençaient leur partie. Ils passaient en revue
le cycle des couplets satiriques : d'abord le grand morceau A l'Elysée
on danse et la Foire aux parjures de Dereux ; puis, le répertoire de la
Commune: Rendez le fer au laboureur et Ne tirons pas ; enfin, les chants
de la défaite : les Pontons, Messieurs de Versailles, etc., etc. M. Alphonse
Humbert payait aussi de sa personne. Ses amis lui réclamaient la
République des paysans. Il s'exécutait avec la meilleure grâce du monde,
et tous reprenaient après lui le refrain :
Ah! quand viendra la belle!
Voilà des mille et des cent ans
Que Jean Guétré t'appelle.
République des paysans !
Souvent l'iambe d'Archiloque faisait place à uu hymue de Pierre
Dupont, ou à quelque vieille chanson en patois picard, normand ou
bourguignon. Parfois encore uu intermède d'une saveur spéciale
venait, comme le ballet liual de nos féeries à grand spectacle, ter-
miner, sur uu mode moins âpre, la série de ces divertissemcnis
dominicaux.
Nous laissons ici la parole au narrateur, un maître écrivain.
Les Arabes (c'étaient les acteurs de cette pantomime) sont allés cherclisr
au camp malabar un tambour de basque dont ils accompagnent, sur une
note unique, leurs mélopées gutturales rythmées sur une cadence uniforme.
Les autres noirs du camp se sont mêlés à eux. Tous écoutent béatement,
roulant leurs grands yeux blancs noyés de mélancolie. Bientôt ces plaisirs
ne sufQsent plus, il en faut de moins poignants, il en faut de plus vifs.
Les tètes crépues palpitent, les pieds nus frémissent sur le sol. On va
danser. On se lève, on se trémousse toujours sur la même note jusqu'à ce
qu'on ait perdu haleine.
Et, en effet, un de leurs premiers sujets, Ben Aïssa, qu'ils appellent
« le major, » se livre à une mimique effrénée auprès de laquelle la danse
du ventre, les exercices chorégraphiques des bayadères et le tournoiement
échevelé des derviches pourraient passer pour de simples menuets.
Cela dure dix minutes. Le danseur épuisé se ralentit. La sueur coule
sur son visage et sur ses membres. On l'encourage. La musique redouble
son tapage excitant. Vains efforts. Haletant, soufflant, râlant, le major
tombe, et pendant qu'on l'emporte pour le coucher on l'entend murmurer
faiblement :
« Major fatigué! Danser n'a pas! Danser n'a pas! »
Plus de quinze ans ont passé sur ces épisodes, qui semblent déjà
bien loin dans les annales de l'histoire; et depuis, le livre de la
déportation ne s'est rouvert que deux fois. Espérons que pour le
bonheur de l'humanité et l'honneur du nom français, il restera main-
tenant à jamais fermé !
(A suivre.) Paul d'Estbée.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
L'Opéra impérial de Saint Péters bourg a fait sa réouverture le 1" sep-
tembre, par une représentation A'Eugène Onéguine, le plus bel ouvrage de
Tschaïkowsky.
— Aux archives du ministère de la guerre d'Autriche-Hongrie existe
un département consacré à la musique militaire. On y conserve, non seu-
lement les fanfares réglementaires de l'armée autrichienne depuis plus
de deux siècles, mais aussi des marches et autres morceaux historiques
qui furent joués par les musiques militaires autrichiennes et certaines
chansons qui furent populaires dans l'armée. C'est dans ces archives que
M. Fucbs, chef d'orchestre de 1' Opéra impérial, a puisé la belle mélodie
0 Lille, ville ravissante, qui fut chantée par les régiments autrichiens pen-
dant le siège de Lille par 1 es troupes du prince Eugène, et quelques autres
mélodies du temps de ce célèbre général, pour les utiliser dans un à-propos
musical en l'honneur du dit prince. Tout récemment, les archives musicales
de la guerre s'ouvrirent à l'occasion du 200' anniversaire d'un régiment
viennois dont le propriétaire perpétuel est le grand maître de l'Ordre teu-
tonique, et ont fourni à la musique militaire de ce régiment toutes les
fanfares réglementaires et les marches qui lui servirent à partir de 169H,
année de sa formation. La musique militaire joua tous ces morceaux
dans la grande rotonde de l'Exposition de 1873, qui est restée debout, et
ces morceaux, produits dans leur ordre chronologique, ont été d'un effet
superbe. Certaines marches du di.x-huitième siècle, par leur allure militaire
et leur mélodie entraînante, ont même provoqué un grand enthousiasme
dans l'assistance, qui était fort nombreuse. Il paraît que le régiment en
question a l'intention de publier son histoire musicale, et cette entreprise
mérite d'être encouragée.
— Avec la saison d'automne les théâtres reprennent de tous côtés, comme
à Paris, le cours de leurs travaux. A Berlin il n'y en a pas moins de seize
ouverts en ce moment, qui sont les suivants : Opéra royal. Comédie royale.
Théâtre allemand. Théâtre Lessing, Jardin d'Hiver, Théâtre Apollon,
Olympia, Alhambra, Théâtre de Berlin, Théâtre de la Résidence, Théâtre
Friedrich- Wilhemstadt, Nouveau-Théâtre, Ostend-Théâtre, Théâtre Schiller,
Théâtre Central, Théâtre de la Belle-Alliance.
— Le comité qui s'est formé pour ériger à Robert Schumann un monu-
ment dans sa ville natale, Zwickau, a déjà réuni la somme de iO.OOO francs
environ.
— On vient de trouver dans la bibliothèque de l'Ordre teulonique, à Troppau
(Silésie autrichienne), deux manuscrits intéressants de Beethoven. Le frère
Eugène, qui est chargé de la conservation de cette bibliothèque, décou-
vrit par hasard, en examinant le contenu d'une vieille armoire, deux par-
titions portant une dédicace à l'archiduc Antoine-Victor, grand maître
LE MENESTREL
3H
de l'Ordre teutonique de 1804 à 183S, et la signature de Beethoven. Ce
sont deux marches, dont l'une fui composée en 1809, tandis que l'autre,
écrite pendant la villégiature de Beethoven à Baden, près Vienne, est
datée du 31 juillet 1810. Lespartitions sont autographes d'un bouta l'autre.
— La ville de Dresde va posséder dans le Palais de l'Exposition, où on
est en train de l'aménager, une salle de concerts qui sera l'une des plus
vastes de l'Allemagne et dont l'inauguration se fera solennellement, le
i novembre prochain, par une exécution des Béatitudes de César Franck.
— A Hambourg, la Singakademie vient de publier le programme dos
quatre concerts qu'elle donnera, pour sa saison d'hiver, les 27 novembre,
19 février, 19 mars et 13 avril, avec le concours de la Société philharmo-
nique. Les œuvres exécutées seront les suivantes : Messe solennelle, de
Beethoven ; Estlier, oratorio de Hiendel ; le Chant des Parques, de J. Brahms ;
Symphonie avec chœurs, de Beethoven ; la Passion selon saint Mathieu, de
J.-S. Bach.
— Une société de téléphone à Budapest a été autorisée à établir une
communication directe avec l'Opéra royal, de sorte que les abonnés de
ladite société, au nombre de huit mille, peuvent entendre chez eux ce
qu'on chante à l'Opéra. Cette gracieuseté pourrait tout de même nuire aux
intérêts de l'Opéra royal.
— L'orphéon de Mayence a récemment offert une sérénade au grand-duc
de Hesse, qui se trouve pour quelque temps dans sa bonne ville de
Mayence. Le prince se Et présenter le président de cette société, un brave
bourgeois bien nourri, et lui dit en contemplant la phalange des chan-
teurs : « Je vois avec plaisir que vous avez grossi depuis ma dernière vi-
site à Mayence. " Le président, très flatté, s'incline profondément et ré-
pond : « Oh ! oui. Altesse, de dix livres. »
— Les foudres de la justice peuvent tomber sur un critique musical qui
se sert d'une langue trop pittoresque en rendant compte d'une représenta-
tion théâtrale. C'est ainsi que le critique musical du Taylilatt d'Ulni a
été condamné à 30 marks d'amende par le tribunal d'Ulm, parce qu'il avait
parlé dans son journal d'une chanteuse de concert dans des termes légè-
ment irrespectueux et l'avait même désignée comme « la vierge qui chante
comme un coq ». Cette métaphore est dure peut-être et le critique aurait
pu exprimer sa pensée dans un langage moins vif, mais on ne voit pas
trop en quoi cette comparaison pouvait attenter à l'honneur de la chan-
teuse, qui n'aurait certainement pas déposé une plainte si le critique l'avait
comparée au rossignol ou à. l'alouette.
— Le théâtre Argentina, de Rome, vient d'établir définitivement son
programme pour la prochaine saison de carnaval et carême. Les ouvrages
représentés seront les suivants : Falstaff, de Verdi, Asrael, de M. Fran-
chetti, Andréa Chinier, de M. Giordano, le Crépuscule des Dieux et Camargo.
Voici les noms des artistes engagés : soprani, M'""' De Frate, Barducci,
Ricci de Paz; mezzo-soprano, M°" Locatelli; ténors, MM. Mariacher, Bor-
gatti, Sigaldi, Granados; barytons, Scotli et Cioni. Manquent encore quel-
ques artistes.
— Trois nouveaux professeurs viennent d'être nommés au Conservatoire
de Milan : M. Gaetano Coronaro pour une classe de composition, avec un
traitement de 3.000 francs, M. Gaetano Pasculli pour une classe de violon
et alto, et M. Giacomo Baragli pour une classe de violoncelle, chacun avec
un traitement de l.SOO francs.
— Nous avons annoncé qu'un imprésario italien, M. Stainer, avait
ouvert à Milan un concours pour la composition de plusieurs opéras en un
acte destinés à être représentés par ses soins. Cent quatre-vingt-treize parti-
tions ont été envoyées à ce concours, ce qui prouve qu'il y a encore en
Italie un certain nombre de compositeurs qui nourrissent le désir et l'es-
poir de voir leurs œuvres offertes au public. Néanmoins, aucune de ces
partitions n'a été jugée digne du premier prix, qui était de 3.000 francs.
Le second prix, de 1.500 francs, a été adjugé à M. Vanbianchi, pour son
opéra il Yascello, et trois troisièmes prix, de bOO francs chacun, ont été
attribués à MM. Giannetti (il Liutaio di Cremona), Orefice (il Gladialore) et
CoUini (la Créole). En outre, quatre ouvrages, sans obtenir de prix, ont été
retenus pour être représentés.
— M. Emilio Pizzi, qui a déjà composé pour M"": Adelina Patti un opéra
en un acte intitulé Gabriella, vient d'écrire encore à son intention, sur un
livret de M. Luigi lUica, un autre ouvrage du même genre et de même di-
mension. Titre de ce dernier : la Rosalija.
— A San Pietro in Bagno, première représentation d'un opéra en trois
actes, Graziella, paroles de M. Corrado Pazzi, musique de M. Giuseppe
Casetti. A Marmirolo, apparition d'une opérette, i FanaulU redenti, paroles
du capitaine Ettore Boldrini, musique de M. Francesco Pinto. Au théâtre
Armonia, de Trieste, autre opérette, il Passaporto del droghiere, musique de
M"'" Gisella délie Grazie.
— M"»» de Serrés, la si remarquable ■artiste qu'on a maintenant trop rare-
ment l'occasion d'applaudir, a donné à Evian un superbe concert au profit
des pauvres, où elle a enthousiasmé son auditoire.
— A Scheveningue, près de La Haye, a eu lieu un intéressant festiTal de
musique belge dont l'Écho musical rend compte en ces termes : — « Le fes-
tival de musique belge organisé dans la coquette cité balnéaire a admira-
blement réussi; c'est un succès considérable pour nos compatriotes. Le
public a chaleureusement applaudi l'ouverture du Polyeucte d'Edgar Tinel ;
le Poème symphonique de Peter Benoit; une fantaisie de M. de Greef, exécu-
tée au piano par l'auteur lui-même et accompagnée par l'orchestre ; une
Orientale et un Springdans du même ; Milenka de Jan Blockx; une Marche
inaugurale, d'Emile Wambach; un Rêve, de Karel Mesdagh, et un fragment
symphonique d'Adolphe Samuel. La partie vocale était tenue par la re-
marquable cantatrice flamande M"= Flamant, qui a fait valoir sa belle
voix et sa diction pleine d'autorité dans l'air de la cantate de Philipp Yan
Artevelde, de M. Gevaert, dans des lieder de MM. Gevaert, Radoux et Huberti,
et un fragment de Staixil Mater du regretté Waelput ».
PARIS ET DÉPARTEWENTS
Ce n'est qu'au conseil des ministres de vendredi dernier qu'on a
réglé définitivement les détails des représentations de gala à l'Opéra et à
la Comédie-Française. A l'Opéra la représentation, qui ne commencera
que lors de l'arrivée de l'empereur, durera en tout une heure et demie ;
en voici le programme :
1' Hymne russe, chanté par tous les artistes;
a- Ouverture : Marche liérdique (Saint-Saëns) ;
3» Deuxième acte de Sigurd (Reyer), avec M"" Caron ;
4» Méditation de Thais [Massenet);
5° Divertissement du 1- acte de la Korrigane (Widor), avec M'"" Rosita llauri.
A la Comédie-Française, le spectacle est ainsi composé :
1' Compliment composé par M. Jules Claretie, récité par M. Mounet-Sully,
doyen de la Comédie-Française;
2» Un Caprice, comédie en un acte (Alfred de Musset), joué par M-" Bartet et
Barretta, et M. \Yorms ou IVI. Le Bargy ;
3° Scène du duel du Cid, jouée par MM. Mounet-SuUy et Silvain ;
4° Quatrième acte des Femmes savantes, avec MM. Coquelin cadet et de Féraudy
dans les rôles de Vadius et Trissotin.
A l'Opéra, les souverains feront leur entrée par la place de l'Opéra et
seront reçus, en même temps que le Président de la République, au bas
de l'escalier, par MM. Bertrand et Gailhard. A la Comédie-Française,
l'entrée se fera par la place du Théâtre-Français; M. Jules Claretie rece-
vra également les augustes invités au bas de l'escalier. Dans les deux
théâtres, des gardes républicains formeront la haie jusqu'à la loge, qui sera
spécialement aménagée. C'est la Présidence de la République qui fera
toutes les invitations.
— A l'Opéra-Comique on est tout au Don Juan de Mozart, et on pioche
ferme dans les foyers, bien qu'il ne paraisse pas qu'on se soit arrêté encore
aune version définitive. Mais les décorateurs brossentleurs toiles du matin
au soir, avec vigueur et aussi avec toute la grâce désirable.
— A l'Opéra, on ne pousse pas moins chaudement les études du même
Don Juan; on peut s'en rapporter à l'activité de M. Gailhard. C'est à qui
des deux théâtres arrivera bon premier. Lutte curieuse et émotionnante.
On en est « à la cravache », comme il est dit sur le terrain des courses, et
on peut s'attendre à un deadheat.
— En attendant la venue de Dmi Juan, M. Carvalho a fait débuter dans
le Pardov, de Ploêrmel une jeune artiste du nom de Courtenay, jeune Amé-
ricaine, douée d'une fort jolie voix. Elle a réussi et le public l'a chaleureu-
sement rappelée, après la valse du deuxième acte.
— Nicolet, du Gaulois, nous donne de bonnes nouvelles sur la reconstruc-
tion de l'Opéra-Comique, place Favart : « Ce ne sera donc pas un vain
rêve? Les hommes de notre génération auront donc la joie, avant de mourir,
de voir l'Opéra-Comique reconstruit? Sérieusement, on peut presque dire—
à la grande surprise sans doute des Parisiens qui n'ont pas coutume de pas-
ser souvent sur la place Boieldieu — que le monument est aujourd'hui
à peu près terminé. Tout au moins, le gros de l'œuvre est fait. La carcasse,
l'ossature, c'est-à-dire toute la grosse maçonnerie : murs d'extérieur et
d'intérieur, sous-sols, vestibules, couloirs, tours de salle, galeries des di-
vers étages, tout cela est achevé jusqu'à la grande frise du sommet : il ne
manque à l'immeuble que la couverture. Dès lors il n'y aura plus à faire,
outre la charpente dos toits, que la décoration extérieure, c'est-à-dire les
sculptures des pierres, et l'aménagement intérieur, c'est-à-dire les travaux
en fer et les boiseries. Déjà même on a posé les légères et solides arma-
tures de fer qui formeront les loges ou baignoires du rez-de-chaussée. On
n'a pas encore enlevé les immenses clôtures de planches qui écartent les
curieux de la zone des travaux, que la monte des pierres de taille rend
dangereuse, mais dès maintenant, cependant, on peut pénétrer sans in-
convénient dans le monument, sous la conduite obligeante des architectes,
et circuler dans ses diverses parties. L'édifice présente trois façades :
place Boieldieu, rue Favart et rue Marivaux. Il y a cinq portes à la façade
principale, surmontée d'un attique et décorée de statues en cariatides.
Elles ouvrent sur un granJ vestibule, d'où deux escaliers mèneront au
premier étage, où se trouvera le foyer du public. Dans le soubassement
des locaux sont ménagés pour le logement des postes de la garde répu-
blicaine, de la police, des médecins et des divers services. L'administra-
tion a son entrée et ses bureaux rue Marivaux. Sur la rue Favart se trouve
l'entrée des décors et de la loge spéciale qu'un traité séculaire réserve à
perpétuité, comme on sait, à la famille de Choiseul. La scène a onze mè-
tres d'ouverture sur la salle. Cette salle, circulaire, contiendra quinze
cents places. »
3)2
LE MENESTREL
— Les concours pour l'admission aux classes du Conservatoire sont iàxés
aux dates suivantes :
Déclamation dramatique (hommes), le 16 octobre; (femmes), le IT octo-
bre : admissibles, le 20.
Chant (hommes), les 26 et 27 octobre; (femmes), les 28 et 29 octobre.
Harpe, piano (hommes), le 2 novembre.
Violon, les 4 et 3 novembre.
Alto, violoncelle, contrebasse, le 6 novembre.
Piano (femmes), les 9 et 10 novembre.
Flûte, hautbois, clarineite, basson, le 12 novembre.
Cor, cornet à pistons, trompette, trombone, le 13 novembre.
Les aspirants doivent, à partir du 1" octobre et dans les délais ci-après,
se présenter au secrétariat et faire leur demande d'inscription sur une
formule spéciale, en y joignant un extrait, sur papier timbré, de leur acte
de naissance et un certificat de vaccination. La clôture des inscriptions
aura lieu, savoir :
Déclamation (hommes), le 9 octobre, à quatre heures; (femmes), le 10 oc-
tobre à quatre heures.
Chant, (hommes), le 19 octobre, à quatre heures; (femmes), le 21 octo-
bre, à quatre heures.
Harpe, piano (hommes), le 26 octobre, à quatre heures.
Violon, le 28 octobre, à quatre heures.
Alto, contrebasse, violoncelle, le 30 octobre, à quatre heures.
Piano (femmes), le 2 novembre, à quatre heures.
Flûte, etc., etc., le 3 novembre.
Cor, etc., etc., le 6 novembre,
— M. Camille Saint-Saëns fait en ce moment, et avec un grand succès,
une tournée de concerts d'orgue et de chant, en Suisse, avec le concours
de M"= Baldo. Au programme, des œuvres du maître, une grande fantaisie
pour orgue de Liszt, et des compositions religieuses de César Franck et
de Gounod.
— M. Ch.-M. Widor vient d'être engagé par la Société impériale de
musique de Moscou, pour y aller diriger sa seconde symphonie au concert
du 16 novembre. Il donnera ensuite un récital d'orgue à l'église de Saint-
Pierre et Saint-Paul.
— Nous lisons dans un journal étranger : « Peu d'hommes furent au
monde plus infatigables que M. Gladstone. Le grand homme d'État an-
glais, qui est âgé aujourd'hui de 87 ans et qui, du matin au soir, s'occupe
de choses si graves et si diverses, trouve le moyen de s'intéresser aussi
à la musique. Un concours musical avait lieu récemment à Hawarden,
résidence du great ûW num, qui est le principal propriétaire du pays, et
M. Gladstone distribua lui-même les prix et prononça à cette occasion un
discours sur la musique écossaise, qui excita l'enthousiasme des auditeurs.
IL appela la musique un « don de Dieu », affirmant qu'elle n'est pas seu-
lement une des distractions de l'humanité, mais aussi une des conditions
du bonheur. Il électrisa l'assistance par ses paroles. Les maîtres de prédi-
lection de M. Gladstone sont Palestrina, Soriano, Vittoria, et en général
il prise les antiphouaires de Venise et de Rome, étant un grand admira-
teur du simple chant grégorien. S'il n'aime pas Wagner, qu'il ne trouve
pas assez simple, il est séduit par la musique de Gounod, et spécialement
par son grand oratorio Mors et Vita. Naturellement, il doit goûter peu les
musiciens anglais contemporains, auxquels il conseillerait peut-être
d'étudier un peu plus les grands maîtres, qu'il idolâtre. »
— C'est aujourd'hui que doit avoir lieu à Alais l'inauguration de la
statue de Florian. Cette inauguration formera la suite naturelle de celle
qui vient d'avoir lieu dans les jardins du château de Voltaire à Ferney.
Un monument destiné à rappeler le séjour fait à Ferney par Florian enfant
et l'amitié que lui portait Voltaire, son parent, a été inauguré le 6 sep-
tembre. L'œuvre, due à M. Emile Lambert, auteur de la statue de Voltaire
jeune placée dans la cour de la mairie du IX« arrondissement de Paris,
représente l'enfance du poète « Florianet ». Après les discours prononcés
par M. Goujon, sénateur du département de l'Ain, qui présidait la cérémo-
nie, et par M. Louis Binoche, avocat, adjoint au maire du IX' arrondisse-
ment, un groupe de jeunes filles costumées en bergères a couronné le buste
du poète, et la fanfare de Ferney a exécuté trois jolies compositions musi-
cales dans le goût du temps, dues à M. Charles Neustedt.
— Great altraclioii pour l'Opéra de Nice. M"" Adelina Patti y créera un
nouvel opéra en deux actes,. Dolorès, dont M. Georges Boyer a écrit le
poème et M. Gaston Pollonais la musique.
— Répertoire de M''" Calvé pour la prochaine saison d'Amérique :
Harnlet, la Navarraise, Hérodiade, Carmen, Faust, l'Africaine et les Noces de
— Les admirateurs de Frederick Lemaitre ouvrent une souscription pour
élever un buste à sa mémoire, oubliée depuis vingt et un ans.
— On annonce, pour la saison prochaine, de nouvelles auditions de
Moussorgski, le Russe original à qui M. Pierre d'Alheim vient de con-
sacrer une nouvelle plaquette, résumé des opinions de la presse et d'une
élite sur les concerts-conférences de l'hiver dernier, qui ont mis en valeur.
avec l'enthousiasme érudit du conférencier, le jeu vibrant du pianiste
Foerster et la diction si pénétrante de M""" Olénine. R. B.
— M"« Julie BressoUes, qui vient de charmer les châtelains de Valmon-
dois en chantant, dans plusieurs salons, des fragments du Tasse de B.Go-
dard, tes Cliansons grises et des mélodies de M. Hahn, des mélodies de
Mme Ugalde, vient de rentrer à Paris. La charmante cantatrice se propose
de donner, pendant l'hiver, des matinées par invitation, au cours desquelles
elle fera entendre des œuvres artistiques et intéressantes. La première
matinée sera consacrée à Godard, la seconde à M. E. Moret, puis vien-
dront successivement MM. G. Charpentier, X. Leroux, etc., et enfin, à
titre d'enseignement, des auditions du recueil de M. Gevaert : Les Gloires
de r Italie.
— L'École classique de la rue de Berlin, dirigée par M. Ed. Chavagnat,
rouvrira ses cours le jeudi 1"'' octobre prochain. Les inscriptions sont reçues
dès à présent au siège de l'école, 20, rue de Berlin, tous les jours, do
9 heures à midi et de 2 heures à '3 heures, fêtes et dimanches exceptés.
— M"' Ed. Colonne reprendra, chez elle, -43, rue de Berlin, ses cours ot
leçons de chant.
— M™" Rosine Laborde reprendra ses leçons et cours de chant, chez elle,
66, rue de Ponthien, à partir du 5 octobre.
— Au dernier concert de la garde républicaine, direction Parés, le pro-
gramme comportait pour la première fois une suite sur la Navarraise qui a
été fort goûtée: rien de plus poétique que ces accents de langueur et de
passion, que ce vaporeux nocturne aux timbres argentins, encadrés par
d'énergiques clameurs, d'allure fatale... R. B.
— On écrit de Rouen : « L'éminent professeur du Conservatoire, Mar-
sick, vient de remporter ici, au dernier concert festival, un immense suc-
cès. Le célèbre violoniste a exécuté avec autant do pureté que d'éclat
diverses œuvres de Lalo, de Dubois, de Sarasale, qui lui ont valu d'una-
nimes applaudissements. Le public a eu ensuite le plaisir d'associer dans
le même succès le compositeur et l'exécutant, notamment dans un nocturne
d'une inspiration originale et profonde. »
— Au Palais des beaux-arts de l'exposition de Rouen, jeudi dernier, très
beau récital d'orgue donné par M. L. Vierne. Au programme, quinze nu-
méros, dont la Symphonie gothique de C.-M. Widor, le prélude et la fugue
en si de Saint-Saëns, plusieurs pièces de Bach, etc., jouées avec un art
consommé et une virtuosité rare.
NÉCROLOGIE
L'état du compositeur Carlos Gomes, que les nouvelles récentes avaient
annoncé comme s'améliorant, a empiré tout à coup, et l'excellent artiste est
mort ces jours derniers. Gomes était néàCampinos (Brésil) le U juillet 1839,
et avait commencé dans son pays une éducation musicale qu'il vint, avec
l'aide de l'empereur, terminer en Italie, à Milan, sous la conduite de Lauro
Rossi, alors directeur du Conservatoire de cette ville. C'est là qu'il fit ses
débuts de compositeur dramatique en écrivant, pour le petit théà're Fos-
sati, la musique d'une revue de fin d'année intitulée en dialecte : Se sa
III inga (On ne sait pas !), qui fut bien accueillie et dont une certaine chan-
son, dite du fusil à aiguille (c'était après Sadowa), obtint un succès fou. Du
coup, Gomes était populaire. Un plus grand succès encore l'attendait à
r apparition à la Scala, en 1870, de son premier opéra, Giiaraiiy, ouvrage
d ans lequel les belles choses et les platitudes, une originalité réelle et
l'imitation servile du style de Verdi se croisent et s'entremêlent de la
façon la plus singulière. Les deux rôles principaux de cet ouvrage étaient
te nus par M™ Marie Sasse et M. Maurel. Jamais depuis lors Gomes ne
retrouva, de la part du public, un accueil aussi sympathique et une bien-
veillance aussi complète, quoique son Salvator Rosa ait été fort bien reçu
en 187i. Mais Fosca, Maria Tudor et lo Schiavo n'ont point laissé de traces.
En réalité, Gomes était un artiste instruit, non dépourvu d'inspiration,
mais inégal et manquant d'originalité. A. P.
— A Hambourg, est morte, à l'âge de 40 ans environ, M'»° Catherine
Klafsky, la f alcon de l'Opéra de cette ville, des suites d'un abcès au cer-
veau qui avait nécessité l'opération dangereuse du trépan. M"= Klafsky
était fort connue e n Allemagne comme chanteuse dramatique, et cultivait
spécialement le répertoire de Richard Wagner; elle avait aussi souvent
chanté au théâtre de Bayreuth. Dans les derniers temps, elle était engagée
à l'Opéra de Hambourg.
— A Schaerbeek est mort, ces jours derniers, un artiste de talent, Jean-
Gaspard-Isidore De Swert, violoncelliste distingué, qui avait été professeur
au Conservatoire de Bruxelles et à l'Académie de musique de Louvain, et
qui fut pendant de longues années violoncelle-solo au théâtre de la Mon-
naie. Il était né à Louvain le 6 janvier 1830.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Â'VIS AUX PROFESSEURS. — Belle salle pour auditions, cours et
leçons, matinées et soirées. Location au mois et à la séance. — S'adres-
ser maison Musicale, 39, rue des Petits-Champs. Paris.
1 CHEMINS DE ;
Dinianche 4 Octobre 1896.
•im. - 62- ANNÉE - N° 40. PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; TcBte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEITE
L Étude sur Orphée (6' article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : La Dame
aux camélias, à la Renaissance, et Montjoije, à la Comédie-Française, Paul-Émile
Chevalier- — III. Musique et prison (20« article) : Religions, P.\ul d'Estrée. —
IV. Le Conseil supérieur d'enseignement au Conservatoire. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SÉRÉNADE D'AUTOMNE
mélodie de L. Delaquerbière, poésie d'ANDKÉ Alexandre. — Suivra immé-
diatement : Si fai parlé, mélodie nouvelle de Léon Delaecsse, poème de
Henri de Régnier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : Albert Cuyp, n" 4 des Pou-traits de j)eintres, pièces pour piano de Rey-
NALDO Hahn. — Suivra, immédiatement ; Antoine Watteau, n" i de la même
suite.
ETUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Orphée fut une des rares tragédies lyriques de l'ancien ré-
pertoire qui furent jouées sans encombre pendant toute la
durée de la Révolution, — sans doute parce qu'il ne s'y trou-
vait aucune parole compromettante à l'adresse des «tyrans».
Un jour, pourtant, il advint que les événements de la rue en
empêchèrent la représentation : le 6 octobre 1789, l'afûche
de l'Opéra annonçait Orphée et le ballet de la Rosière ; mais,
dans la journée même, Louis XVI, avec la Reine et le Dau-
phin, arrachés par force de Versailles, étaient ramenés à
Paris par le peuple, et les spectacles fermèrent. Mais ce
n'était là qu'une simple coïncidence: Orphée eut une reprise
très fructueuse en 1792, car il fut joué sans interruption d'une
seule année depuis cette époque jusqu'à l'an IX. Sous l'Empire,
il ne disparut pas du répertoire, malgré la préférence bien con-
nue de Napoléon pour la musique italienne : repris en 1809, il
fut joué tous les ans jusqu'au 6 août 1817 ; enfin, repris de
nouveau le 14 mai 1824, il eut encore 83 représentations
jusqu'au 2 novembre 1831, jour oîi il fut donné pour la der-
nière fois complètement (des exécutions fragmentaires en
eurent encore lieu le 7 juin et le 6 décembre 1833, enfin le
28 juillet 1848). On voit qu'il ne céda qu'au moment où l'in-
fluence, alors triomphante, de l'école de Rossini fit dispa-
raître d'un seul coup tous les chefs-d'œuvre de l'art clas-
sique. Durant, cet intervalle, il obtint un total général de
297 représentations (1).
Mais une revanche éclatante était réservée au chef-d'œuvre.
Eq 1859, un siècle moins trois années après la première repré-
sentation, alors que, depuis près de trente ans, l'on n'avait plus
entendu un seul opér.i de Gluck sur les scènes parisiennes,
M. Garvalho, alors directeur du Théâtre-Lyrique, fit une re-
prise d'Orphée dont le succès est resté mémorable. Pour diriger
les études et remettre de l'ordre dans la partition, il s'adressa
au maître le plus digne, à celui qui avait le plus fidèlement
conservé le culte et les traditions de Gluck, à Hector Berlioz.
Le futur auteur de Samson et Dalila, M. Camille Saint-Saëns, ne
fut pas étranger au travail de restauration entrepris par l'au-
teur des Troyens. A cette époque, l'artiste qui seul avait la
puissance nécessaire pourpersonnifier Orphée était une femme;
on se souvint qu'à l'origine le rôle était écrit pour un castrat,
c'est-à-dire pour une voix dont l'étendue était celle d'un
contralto; il sutSt d'en revenir à la version première à'Orfeo
pour que ce rôle fiit merveilleusement approprié aux moyens
de M"^ Pauline Viardot, qui remporta, avec l'œuvre du vieux
maître, le triomphe le plus éclatant d'une carrière si digne-
ment remplie. Orphée obtint ainsi un succès d'enthousiasme.
Enfin, dans l'année même où ces lignes sont écrites, une
nouvelle reprise de l'œuvre a eu lieu, également sous la di-
rection de M. GarvalhOj à l'Opéra-C-omique, conformément aux
traditions précédemment établies au Théâtre-Lyrique. Le suc-
cès n'en a pas été moins complet, et sans doute n'est pas
encore épuisé.
Gette continuité de l'admiration publique est, certes, le plus
bel hommage qui ait été rendu au génie de Gluck et aux
principes de son art. Et cet hommage est d'autant plus signi-
ficatif que, par le fait, il est unique, Orphée étant la seule
œuvre de musique dramatique de cette époque à qui soit
échue une telle fortune. Mais surtout, il faut considérer que,
depuis un siècle bientôt et demi que cet opéra est composé,
la musique a passé par une série d'évolutions et de transfor-
mations telles que jamais aucun art n'en a subi d'aussi radi-
cales : cependant, le public d'aujourd'hui, accoutumé à une
langue musicale infiniment plus riche, a pu, sous les formes
vieillies et démodées de la musique du XVIIP siècle, retrou-
ver et reconnaître le génie, toujours vivant, toujours jeune ;
et, par là, il a donné une grande preuve de bon sens, affir-
mant que le génie est indépendant des formes, au-dessus
desquels il plane et qu'il domine éternellement.
Est-il vrai, toutefois, que nous trouvions dans l'œuvre an-
cienne exactement les mêmes choses qu'y voyaient les con-
temporains? Non certes; mais cela même est un témoignage
(1) Th. de Lajarte, Catalogue de la Bibliothèque de VOpéra, art. Orphée.
314
LE MENESTREL
de sa puissance, puisque, vue sous uu aspect différent, elle
n'a rien perdu de sa beauté. Il est évident que toute œuvre
qui prétend être digne de l'immortalité doit porter en soi
quelque chose qui se puisse assimiler aux différents carac-
tères des époques qu'elle est destinée à traverser. Gela est
vrai surtout pour les œuvres de théâtre, soumises à tant de
fluctuations. Sophocle, Shakespeare, Racine, tels qu'on les
Joue actuellement sur nos scènes, apparaissent avec un tout
autre aspect que celui sous lequel les connaissaient leurs
contemporains: cependant, ils sont également admirables. 11
en est de même pour l'œuvre de Gluck : malgré les change-
ments du goût et les divergences des conventions scéniques,
elle est restée intacte et parfaitement belle. Même l'on pour-
rait dire que certaines parties ont gagné avec le temps, et qu'au-
jourd'hui nous y trouvons de certaines choses auxquelles,
en son temps, l'auteur n'avait aucunement songé ! C'est ainsi
que les airs de ballet des Champs Élysées, dans lesquels les
premiers spectateurs, tout en louant la parfaite convenance
du style avec le sentiment de la situation, ne voyaient, après
tout, que des menuets et des gavottes, sont devenus pour
nous des sortes de symphonies descriptives, tout au moins
expressives, aux intentions les plus subtiles. Berlioz a écrit
un pénétrant commentaire de l'admirable solo de flûte qui
forme le deuxième épisode du « ballet des Ombres heu-
reuses » : il y croit entendre la plainte d'une âme à qui la fé-
licité du séjour des bienheureux n'a pas fait oublier les joies
de la terre, et qui songe tristement à ceux qu'elle a aimés,
qu'elle a quittés 1... Telle Didon errant désolée, pensant à
l'infidèle dont, la fuite a causé son trépas... Or, il est bien
évident que Gluck n'a jamais pensé à rien de pareil, et Ber-
lioz lui-même rapporte avec indignation qu'aux représenta-
tions de l'Opéra, conformes aux traditions primitives, aux-
quelles il assista dans sa jeunesse, tandis que le flûtiste de
l'orchestre exécutait avec élégance son solo, auquel il ajoutait
des trilles, la scène était occupée par une danseuse qui fai-
sait des pointes !
C'était pourtant Berlioz qui avait raison : en analysant pro-
fondément le sens expressif de ce chant, il en a dégagé une
beauté qui s'y trouvait réellement, mais qui était demeurée
latente. Et si Gluck revenait au monde, il n'est pas douteux
qu'il approuverait une interprétation si conforme à ses plus
secrètes pensées, et qu'il se réjouirait de voir ses descendants
comprendre ses intentions mieux qu'il ne les avait pénétrées
lui-même!
Eurydice va paraître,
L'on sait que les partitions gravées du vivant de Gluck sont
parfois dans un élat de désordre et d'incorrection qui, trop
souvent, devient un véritable obstacle h leur intelligence et à
leur juste interprétation. Berlioz, qui les connaissait mieux
que personne, a le premier constaté le fait; et voici comment
il s'en explique au sujet di'Orphée :
Gluck semble avoir été d'une paresse extrême, et fort peu soucieux
de rédiger, non seulement avec la correction harmonique digne d'un
maître, mais même avec le soin d'un bon copiste, ses plus belles
compositions. Souvent, pour ne pas se donner la peine d'écrire la
partie de l'alto de l'orchestre, il l'indique par ces mots : « col basso »,
sans prendre garde que, par suite de cette indication, la partie d'alto
qui se trouve à la double octave haute des basses va monter au-
dessus des premiers violons. En quelques endroits, dans le dernier
ehœar des ombres heureuses, par exemple, il a même écrit en toutes
notes cette partie trop haut et de façon à produire des octaves entre
les deux parties extrêmes de l'harmonie, faute d'enfant qu'on est aussi
surpris qu'affligé de trouver là.
Berlioz relève d'autres fautes, provenant de remaniements
exécutés avec négligence :
Aux voix de contralto, d'un si heureux effet dans les chœurs, et que
Gluck employa dans Orfeo; comme tous les maîtres italiens et alle-
mands, on substitua à Paris les voix criardes de haute-contre. Bien
plus, dans le chœur des Champs Élysées :
Viens dans ce séjour paisible,
au passage de coryphées chantant :
si bien écrit daus la partition italienne, cette partie de haute-contre
fut modifiée, sans qu'on puisse concevoir pourquoi, de manière à
produire quatre fois la faute d'harmonie la plus plate qui se puisse
commettre.
Qaant aux fautes de gravure existant dans les deux partitions,
l'italienne et la française, aux indications essentielles omises, aux
nuances mal placées, je n'en finirais pas de les signaler.
11 termine ainsi :
On conçoit maintenant le genre de travail qu'il a fallu faire pour
remettre cet ouvrage en ordre, approprier à la voix de contralto les
récitatifs et airs nouveaux ajoutés par Gluck au rôle principal, lors
de sa transformation en Orphée ténor, etc.. (1)
Les remaniements dont parle Berlioz furent faits, nous l'a-
vons dit, en vue de la reprise d'Orphée avec M"" Viardot, et
personne ne doute qu'ils aient été exécutés par la main d'un
artiste aussi parfaitement compétent que respectueux du chef-
d'œuvre. Aussi, cet arrangement semble-t-il avoir été adopté
comme définitif. Plusieurs éditions en ont été publiées, tant
en partition d'orchestre qu'avec réduction pour le piano, et
il est devenu d'une tradition constante que le rôle d'Orphée
soit aujourd'hui interprété par une femme : il eu a été ainsi
non seulement à l'Opéra-Comique de Paris, où M"' Delna a
chaussé le cothurne du chantre thrace, mais aussi bien dans
la plupart des théâtres d'Allemagne et d'Italie qui ont remis
Orphée à leur répertoire depuis 18S9.
Cette moderne tradition constitue-t-elle réellement un
progrès? On peut le contester, et douter même qu'elle soit
conforme aux intentions secrètes de Gluck. Il est croyable
qu'en écrivant tout d'abord le rôle d'Orphée pour un castrat,
le maitre a consenti une concession dernière aux mœurs et
coutumes de l'opéra italien : ne l'a-t-il pas assez bien manifesté
lorsque, ayant rompu définitivement avec cet art, il n'a pas
hésité à refaire son œuvre, à la récrire lui-même (ses manus-
crits, qui nous ont été conservés, témoignent qu'il n'a voulu
laisser à nul autre le soin d'exécuter ce travail de transposition,
pourtant purement matériel en beaucoup de ses parties), tant le
désir le tenait de voir son héros décidément personnifié par
un artiste qui, en même temps, fût un homme... Il faut lire
dans les pamphlets du temps sur quel ton de raillerie mépri-
sante les giuckistes français parlent de cette pratique in-
humaine en usage exclusivement sur les théâtres italiens (2),
et qui d'ailleurs en était à son déclin, car, un quart de siècle
après la mort de Gluck, il n'était plus possible d'entendre un
seul castrat, sauf à la chapelle Sixtine : le dernier qui ait paru
sur la scène fut Crescentini, qui fit les beaux soirs de Saint-
Cloud et de Fontainebleau, sous le premier empire, et, qui,
honoré de la protection de Napoléon, fut décoré de l'ordre de
la Couronne de fer. Au temps de Rossini, l'emploi des cas-
trats, dans les opéras italiens, avait définitivement cessé.
Mais si « il Guadagni » ne réalisait que trop incomplète-
ment son rôle d'époux d'Eurydice, nos modernes contralti en
donnent bien moins encore l'illusion, et il est plus choquant
encore de voir représenter ce personnage « en travesti. »
Aussi n'est-il qu'une seule manière de restituer l'œuvre de
Gluck dans toute sa sincérité : c'est de lui rendre la forme
que le maitre lui-même lui a donnée en dernier lieu, c'est-à-
dire celle sous laquelle elle a été représentée à l'Opéra, en
sa présence, le 2 août 1774. L'examen de la partition italienne
ne doit pas être négligé pour cela : il peut nous éclairer
parfois efficacement sur les véritables intentions de Gluck;
mais ce n'en est pas moins la partition française qu'il faut
regarder comme l'œuvre définitive.
(A suivre.) Julien Tiersot.
(1) H. Berlioz, A travers chants, p. 114 et 115.
(2) Voir notamment: Lu Brochure et M. Jérôme, petit conte moral, dans les
Mémoires pour la révolution du Clievatier Gluck, etc., p. 102 et suivantes.
(
LE MENESTREL
315
SEMAINE THÉÂTRALE
RENAISSA^'CE. La Dame aux camélias, drame en 5 actes, d'Alexandre Dumas
fils. — Comédie-Française. Montjoye, comédie en 5 actes, d'Octave
Feuillet.
M'"" Sarah Bernhardt, modifiant ses projets primitifs, a fait la
réouverture de la Renaissance avec une reprise de te Dame aux camélias.
Et de fait, au point de vue purement administratif, la combinaison
n'a rien de maladroit, l'innombrable foule des étrangers, dont Paris
est envabi pour le momeni, devant être certainement plus attirée
par la pièce d'Alexandre Dumas fils, célèbre dans le monde entier,
que par une comédie nouvelle, fût-elle signée de M. Porto-Riche
ou de M. Guiclies.
Donc, une fois de plus, nous avons réentendu les couplets printa-
niers de l'idyllique Nichelte, assisté aux ébats bruyants de l'insou-
ciante Olympe et du vieux Saint-Gaudens, revu l'étonnanle Prudence,
.de marchande de modes devenu manicure dans les comédies modernes,
le désagréable Varville, l'excellent monsieur Duval, le gentil Rieux, la
dévouée Nanine et le mécène comte de Giray. Et, tous et toutes, nous
les avons retrouvés avec le plaisir que l'on a à revoir de bonnes et
anciennes connaissances, leur sentant bien l'air quelque peu vieilli,
mais voulant attribuer principalement aux costumes 1840, dont on les
a curieusement habillés, ces petits outrages causés par le ternes irres-
pectueux.
Car elle date de 1849, cette Dame aux camélias, et si les trois pre-
miers actes nepeuvent que très peu faire mentir leuraete de naissance,
les deux derniers demeurent, d'ensemble, d'une vigueur et d'une
jeunesse inouïes. Peut-être bien aussi, la manière dont la pièce est
.jouée est-elle pour beaucoup dans l'impression 'ressentie au début.
M. Guitry oublie qu'Armand Duval est un « jeune premier » ; le scep-
ticisme blagueur et l'émotion moderne à fleur de peau du héros
A.\\mants ne sont plus guère de mise ici, et jurent terriblement avec
l'habit à large col et les cheveux ondulés; il faut se livrer et se livrer
tout entier, comme il le fait d'ailleurs au quatrième acte, où il appa-
raît supérieur. Mais ce n'est point de M. Guitry, ce n'est point non
plus de la Dame aux camélias que les étrangers, et même les Parisiens,
parleront en sortant de laRenaissance, c'est uniquement de M"'° Sarah
Bernhardt. El la grande artiste, dans ce rôle qu'elle a fait sien,
qu'elle vit de sa propre vie, qu'elle souffre de sa propre souffrance,
qu'elle pleure de ses vraies larmes, reste, en plus d'une page,
absolument incomparable, et d'émotion poignante et sincère.
J'ai parlé de M"|^ Sarah Bernhardt et de M. Guitry ; je m'en voudrais
de ne point nommer, avec eux, d'abord MM. Brémond et Deneubourg,
puis, encore, M. Angelo et M™' M. Caron, Grandet, Boulanger et
Seylor.
Plus jeune d'à peu près vingt-cinq années que la Dame aux camélias,
Montjoye, que la Comédie-Française vient de remonter on ne,pourra
jamais savoir pourquoi, Montjoye n terriblement pris de l'âge, et les
dernières générations qui n'ont pu assister ni à la première de 1863,
ni à la reprise de 1878, seront fort bien venues à se grandement
étonner du succès qui, jadis, accueillit la comédie d'Octave Feuillet.
Ce n'est point que la pièce soit précisément mal faite et qu'elle
manque de « situations », car il y en a plusieurs et d'assez hardies
même, mais elle est si horriblement banale, malgré quelques mots
heureux, si platement poncive, malgré quelques scènes très adroite-
ment conduites, et si invraisemblable avec ses types usés de rasta-
quouères d'opérette, de vieux noceur que guette l'apoplexie, de petit
noceur qui va se faire purifier, ne pouvant rien faire autre chose,
sous les plis du drapeau de France, de vieux serviteur poussant
l'honnêteté jusqu'à la malhonnêteté, ou vice versa, comme vous
l'entendrez le mieux, d'amoureux bucoliques, de capitaine de pom-
piers, de rosière et de lampions ! (Ces lampions, un des gros succès
de la soirée, au lever de rideau du second acte; j'ai vu le moment
où la salle entière, pour tâcher à secouer sa torpeur, allait crier :
Vive le Tsar!)
Montjoye ou s l'homme fort », lui-même, s'accuse aujourd'hui si
outré qu'il en parait faux et, encore, à la fin de l'action, si ganache
qu'il en devient ridicule. Je sais bien que M, Laloir, malgré ses
grandes qualités, a poussé le rùle au noir et au mélodrame plus que
de raison ; n'empêche que le bonhomme se fait diablement illusion
sur sa propre force.
A comédie banale, interprétation banale. Et ceci ne touche en rien
au mérite d'artistes tels que MM. deFéraudy, Lambert fils, Laugier,
Louis Delaunay et M"= Pierson. Le presqae seul intérêt de la soirée
s'est reporté sur M"' Lara, interprète de la romanesque Lucie. Avec
une voix un peu sourde et paraissant mal placée, avec une articu-
lation demandant des soins spéciaux, M""= Lara a fait montre de qua-
lités de sentiment et mieux encore, de tempérament, principalement
aux 3" et S' actes, qui laissent deviner quelle place importante elle
peut prendre un jour, surtout dans les personnages d'amoureuses.
Paul-Émile Chevalier.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
RELIGIONS
La musique, accompagnement obligé des sacri/îces humains en Gaule, au Mexique, chee
tes Peaux-Rouges, au Daliomey. — Autodafés de Vlnquisition. — Ministres protestants
aux ites Sainte-Marguerite. — Autres pasteurs aua; galères ,■ symphonie et exercices de
forçats. — Prêtres catltoliques au donjon de Vincennes; le serin de l'abOé d'Astros.
Les religions primitives entouraient de pompes théâtrales les sacri-
fices des prisonniers de guerre et autres victimes immolées à leurs
dieux. La musique contribuait à l'éclat de ces fêtes barbares : mais,
dans l'esprit des bourreaux ou des martyrs, son emploi répondait à
des états d'âme variant avec les latitudes.
Quand les druides égorgeaient sur les dolmens les guerriers
vaincus, les bardes, s'accompagnant de leur harpe, chantaient la
gloire et la toute-puissance de Teutatès.
L'orchestre beaucoup plus compliqué des Aztèques, le peuple
prépondérant au Mexique avant la conquête des Espagnols, jouait
un rôle tout différent dans les sacrifices humains. Le grand prêtre
choisissait le plus bel homme du pays qui devait ce tribut de sang,
et le faisait enfermer dans une cage où il était l'objet de soins tout
particuliers. On le nourrissait des mets les plus délicats, et on lui
donnait d'aimables compagnes pour charmer les ennuis de cette
étroite réclusion. Enfin, on lui offrait chaque jour des récréations
musicales où figuraient les divers instruments de la région, sifliels,
petites flûtes et tambours couverts de peau de cerf tannées, que les
doigts seuls mettaient en vibration. Les prêtres s'imaginaient appa-
remment qu'en prodiguant à la victime toutes les délices de la vie,
elle se résignerait avec joie à son sort, et que l'offrande n'en serait
que plus agréable à la divinité. Cet entraînement durait souvent six
mois. Au jour tixé pour l'exécution, le prisonnier, revêtu de ses
plus riches habits, sortait de la cage avec son escorte de jolies
femmes et de musiciens ; puis, le grand prêtre retendait sur la
pierre des sacrifices, lui ouvrait la poitrine avec un couteau d'obsi-
dienne et en arrachait le cœur, qu'il allait porter tout fumant aux
pieiis de la statue du Soleil.
Lorsque, à une époque plus rapprochée de la nôtre, les Peaux-
Rouges attachaient encore au poteau fatal les prisonniers des tribus
voisines, ceux-ci entonnaient leur chant de guerre, qui ne cessait
qu'avec leur mort. Plus les vainqueurs s'ingéniaient à inventer de
nouvelles tortures, plus les vaincus redoublaient de sarcasmes et de
mépris. Leur invocation lyrique au Grand-Esprit les armait de cou-
rage et de constance au milieu des plus atroces supplices.
Hier encore, les sacrifices humains étaient en honneur au Daho-
mey. C'était au bruit infernal de tam-tams, de tambours et de gui-
tares informes, que les griots ou sorciers faisaient égorger de mal-
heureux noirs jetés tout empaquetés des remparts d'Abomey. Il
n'était pas de plus sûr moyen, prétendaient-ils, de conjurer les sor-
tilèges de l'esprit malin.
Dans les civilisations d'ordre supérieur, les religions ne vouent
plus à la mort que leurs ennemis personnels, c'est-à-dire les dissi-
dents qui se prévalent de leur hérésie ou de leur schisme. Pour
définir d'un seul trait le rôle joué par la musique dans le cours de
ces sanglantes exécutions, rappelons qu'en Espagne et en Portugal,
les autodafés ordonnés par l'Inquisition comportaient une mise
en scène terrifiante, dont de lugubres harmonies augmentaient encore
les épouvantements. Tambours voilés de crêpe, glas sinistre de
cloches, chants funèbres des processions, rien ne manquait à cette
symphonie de l'agonie lente, commencée dans les prisons du Saint-
Office,, et s'achevant au fond du cjuemadero. L'émotion grave, péné-
trante, mystérieuse, qui s'en dégageait, entretenait chez les specta-
teurs cette terreur sacrée, but suprême d'une institution non moins
politique que religieuse.
Pendant la seconde moitié du XV1I° siècle, ces pratiques devien-
nent plus rares et môme disparaissent, du moins en France. Ce n'est
pas que le prosélytisme religieux s'y soit ralenti. Il est toujours
aussi fervent qu'il est autoritaire. Seulement, il n'envoie plus les récal-
citrants au bûcher, mais au cachot. Et là, changeant une fois encore
3d6
LE ]\IENESTREL
de rôle, la musique offre aux détenus ses eonsolalions ou leur permet
d'affirmer leur foi.
Saint-Mars, gouverneur des iles Sainte-Marguerite, disait à Barbe-
zieux, secrétaire d'Elat, dans un rapport qu'il lai adressait, le
4 juin 1692, sur des prisonniers protestants devenus ses pensionnaires :
... Le premier de ces ministres (protestants) qu'on a condnit ici chante
nuit et jour, à haute voix, des psaumes, exprès pour faire connaître ce qu'i'
est... Je lui ai défendu de continuer sous peine d'une grosse discipline
que je lui ai donnée, ainsi qu'à son camarade Salve, qui a l'écriture en tête
sur sa vaisselle d'étain et sur son linge.
Un autre secrétaire d'État du grand roi, Pontehartrain, mit fin à
ces « grosses disciplines », trois semaines plus tard, en invitant Saint-
Mars à ne pas les fouailler s'ils chantaient, mais à les mettre oîi ils
ne pouvaient être entendus.
Certains ministres furent encore plus cruellement traités. Envoyés
sur ces bagnes flottants qu'on appelait jo^eres, ils durent partager la
vie, c'est-à-dire le labeur et les misères des forçats condamnés, pour
crime de droit commun, à remplir l'office de rameurs.
Les mémoires d'un de ces galét'iens innocents, publiés enl86S, four-
nissent à l'histoire des bagnes de précieux documents. Il en est qui
entrent plus particulièrement dans le cas de notre étude et qu'il
importe de signaler.
Notre protestant jetait en 1713 à Dunkerque, « sur les galères du
Roi »; et ces bâtiments avaient alors leur musique, leur orchestre,
leur fanfare, ou, pour parler le langage du temps, « leur symphonie. »
Les lieatenants de galères donnaient des fêtes à bord chaque fois
qu'ils recevaient des personnages de distinction, et il va sans dire
que la « symphonie » en était l'accompagnement obligé :
... Nous étions sur notre galère, qui était la Commandante, presque tou-
jours chargés de cette fatigue extraordinaire, à cause que notre comman-
dant, qui était très magnifique, y entretenait une belle symphonie de douze
joueurs de divers instruments, tous galériens, distingués par des habits
rouges et des bonnets de velours à la plaque galonnés d'or et leurs habits
galonnés de jaune, qui était sa livrée.
Le chef de cette symphonie, et qui l'avait formée, était un nommé Gondi,
un des vingt-quatre symphonistes du Roi, qui, par débauche ou liber-
tinage, avait été chassé de la Cour et, s'étant enrôlé dans les troupes, en
avait déserté. Ayant été repris, il fut condamné aux galères et mené sur
la Commandante de celles de Dunkerque. C'était un des plus habiles musi-
ciens de France, et il jouait toutes sortes d'instruments. La symphonie
nous attirait donc beaucoup de visites fatigantes.
Lorsque le commandant s'en trouvait avisé, il ordonnait aussitôt
« une bourrasque », c'est-à-dire « le nettoiement de la galère. » La
« cbiourme » était aussitôt rasée, tête et barbe; elle devait changer
de linge, revêtir la casaque rouge et prendre le bonnet de même cou-
leur. Puis, tous les forçats allaient s'asseoir sur leurs bancs de telle
sorte qu'on n'aperçût d'un bout de la galère à l'autre que leurs
tètes coiffées du bonnet rouge.
Aussitôt qu'un visiteur de distinction arrivait à bord, toute ia
chiourme, sur un coup de sifflet, poussait avec ensemble « le cri
lugubre et rauque de hau ». Elle le répétait trois fois si ce personnage
était un général, ou un duc et pair, mais jamais plus ; « le roi même
n'en avait pas davantage ». Aussi appelait-on ce salut « le salut du
roi *. Les forçats criaient deux fois liau, s'il s'agissait d'un marquis
ou d'un comte, mais une fois seulement pour les seigneurs de
moindre importance.
Alors les tambours battaient aux champs, les soldats formaient
la haie, le fusil sur l'épaule. Lesmâts étaientdressés, garnis de pavillons
de toutes couleurs, de banderoles et de grandes flammes rouges
brodées de fleurs de lis jaunes flottant au vent. La chambre de poupe
était couverte « d'une banderoJle de velours cramoisi », garnie de
franges d'or. » Joignez à cette magnificence les ornements en sculpture
de la poupe, tous dorés jusqu'à fleur d'eau, les rames abaissées dans
les bancs et élevées en dehors en forme d'ailes, toutes peintes de
diverses couleurs. »
Et le malheureux qui écrit cette relation oppose à ce pompeux
spectacle le tableau navrant de la misère des pauvres galériens sous
leur uniforme de cérémonie, « rongés de vermine, le dos labouré de
coups de corde, maigres et basanés par la rigueur des éléments et le
manque de nourriture, enchaînés jour et nuit et remis à la direction
de trois cruels comités qui les traitent plus mal que les bêtes les plus
viles... »
En effet, apr'es que les seigneurs et les dames visitant la galère
commandante en ont fait le tour, au son de la « symphonie » de
Cxondi le déserteur la bète humaine avec ses trois cents têtes, exé-
Icute, pour le plus grand plaisir des nobles étrangers, l'exercice que
ui ordonne chaque coup de sifllet ;
Au premier coup, chacun ôte son bonnet de dessus la tête, au second
la casaque, au troisième, la chemise. On ne voit alors que des corps nus.
Ensuite on leur fait faire ce qu'on appelle en provençal le Moiiine, ou les
singes. On les fait coucher tout à coup dans leurs bancs. Alors tous ces
hommes se perdent à la vue. Après, on leur fait lever le doigt indice (index),
on ne voit que les doigts; puis le bras, puis la tête, puis une jambe, puis
les deux jambes, ensuite tout droit sur leurs pieds ; puis on leur fait à
tous ouvrir la bouche, puis tousser tous ensemble, s'embrasser, se jeter
l'un l'autre à bas et encore diverses postures indécentes et ridicules, et
qui, au lieu de divertir les spectateurs, font concevoir aux honnêtes gens
de l'horreur pour ces exercices, où l'on traite des hommes, et qui plus est,
des hommes chrétiens, comme s'ils étaient des bêtes brutes.
Sur le terrain religieux, Napoléon n'était guère moins intraitable
que Louis XIV, surtout pendant ses démêlés avec le pape. Un des
membres du clergé français, un prêtre très fin, très souple et très
délié, l'abbé d'Astros, avait pris parti pour le Saint-Père contre le
tout puissant empereur. Celui-ci, exaspéré, écrasa le rebelle de tout
le poids de sa colère, et le fit mettre au secret au donjon de Vincennes.
La prison était dure, la solitude complète, la nourriture plus que
frugale.
Or, l'abbé, qui commençait à se lasser d'un tel régime, d'autant
qu'il s'ennuyait mortellement, eut la plus heureuse des inspirations.
Il se souvint qu'il avait laissé dans son petit appartement de la rue
Chanoinesse un serin, son favori, qui égayait ses repas en sautillant
autour de lui et qui charmait ses rares instants de loisir par une
virtuosité exceptionnelle. Il demanda au gouverneur de Vincennes
l'autorisation de se faire apporter l'artiste emplumé.
Le fonctionnaire crut pouvoir accorder à son prisonnier sa demande,
et le serin, admis dans l'intimité du prisonnier, recommença eu
prison ses vocalises des jours heureux. D'Astros y prenait un plaisir
extrême. Aussi, dans l'élan de sa reconnaissance pour le virtuose
dont le gazouillement reculait sans doute pour lui les limites d'un
horizon trop étroit, l'abbé s'empressa-t-il de tracer en son honneur
ce quatrain sur les murs de sa cellule :
Chantez, mon beau serin. Votre joyeux ramage
Instruit, en l'égayant, l'hôte de ce donjon ;
Et comme vous vivez content dans votre cage.
Le sage saura vivre heureux dans sa prison.
La poésie du détenu était, parait-il, séditieuse. Un gardien vint
l'effacer. D'Astros se consola aisément de cette mesquine tracasserie.
Mais un chagrin autrement grave l'attendait. Les oiseaux, même
privés, sont comme les fleurs d'appartement : l'atmosphère de la
prison leur est fatale. Le serin de l'abbé mourut avant que son
maître fût délivré, et celui-ci, que la disgrâce avait toujours
trouvé souriant, pleura toute une journée sur le corps inanimé de
l'ami des mauvais jours.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
LE CONSEIL SUPÉRIEUR D'ENSEIGNEMENT AD CONSERVATOIRE
Par arrêté en date du 29 septembre 1893, le ministre de l'instruc-
tion publique et des beaux-arts a décidé de la façon qui suit la com-
position du conseil supérieur d'enseignement au Conservatoire :
Membres de droit des deux sections.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux- arts, président ;
Le directeur des beaux-arts, vice-président;
Le directeur du Conservatoire national de musique et de déclamation
vice-président ;
Le chef du bureau des théâtres.
MM.
Section des éludes musicalus.
Reyer, membre de l'Institut ;
Massenet, membre de l'Institut;
Saint-Saëns, membre de l'Institut;
Paladilhe, membre de l'Institut ;
Joncières, compositeur de musique ;
E. Réty, administrateur honoraire du Conservatoire national de musi-
que et de déclamation:
Lenepveu, membre de l'Institut, professeur au Conservatoire;
Widor, professeur au Conservatoire ;
TafTanel, professeur au Conservatoire.
Et les trois professeurs qui seront élus par leurs collègues.
Section des études dramatiques.
MM.
Sardou, de l'Académie française;
L. Ilalévy, de l'Académie française ;
LE MÉNESTREL
3d7
J. Clarelie, de l'Académie française;
J. Lemaître, de l'Académie française;
Got, professeur honoraire au Conservatoire ;
Mounet-SuUy, sociétaire de la Comédie-Française;
Worms, professeur au Conservatoire.
Et le professeur de déclamation qui sera élu par ses collègues.
Le chef du secrétariat du Conservatoire national de musique et de décla-
mations remplira les fonctions de secrétaire.
Les membres du conseil supérieur d'enseignement sont nommés ou
élus pour trois ans.
C'est le minisire qui le convoque. Il se réunit aussi souvent que
les circonstances l'exigent, et une fois au moins tous les trois mois
pendant la durée de l'année scolaire.
Les deux sections de musique et de déclamation se réunissent en
assemblée plénière toutes les fois qu'il s'agit de questions communes
aux deux ordres d'enseignement et relatives à l'intérêt général du
Conservatoire.
Il y a un jury pour cbaque section d'enseignement. Ces jurys sont
ainsi composés :
1° Pour la musique :
Les membres de droit du conseil supérieur d'enseignement.
Quatre membres du conseil d'enseignement, désignés par leurs
collègues.
Quatre membres étrangers au Conservatoire, nommés par le mi-
nistre.
Le professeur titulaire de la spécialité.
2° Pour la déclamation dramatique :
Les membres de droit du conseil supérieur d'enseignement.
Les membres du conseil supérieur d'enseignement et les professeurs
de déclamation.
Les jurys d'admission ne sont nommés que pour un an.
Outre ce conseil et ces jurys, il a été institué un comité d'examen
des classes, qui doit être nommé par le ministre pour cbaque section
de l'enseignement.
Chaque comité d'examen se compose :
1° Pour les études musicales :
Des membres de droit du conseil supérieur d'enseignement.
De trois membres du conseil supérieur d'enseignement désignés par
leurs collègues.
De six membres nommés par le ministre, choisis parmi les professeurs
titulaires du Conservatoire et, pour moitié au moins, parmi les artistes
étrangers à l'école. Ces six membres sont renouvelables par tiers tous les
deux ans.
Les professeurs du Conservatoire ne peuvent faire partie du comité appelé
à examiner les élèves de leur classe ou les élèves des classes du même
enseignement.
2° Pour la déclamation dramatique :
Des membres de droit du conseil supérieur d'enseignement;
Des membres du conseil supérieur d'enseignement, moins les professeurs
et de quatre membres nommés par le ministre.
Ces quatre membres sont : MM. Ginisty et Antoine, directeurs de
rOdéon, qui ne compteront que pour une voix; MM. Jules Barbier,
Henri Lavedan et Georges de Porto-Riche, auteurs dramatiques.
Le conseil supérieur se réunira pour la première fois le 12 octo-
bre, sous la présidence du ministre. Il aura à désigner ce jour-là, à
la nomination du minisire, le successeur de M. Delaunay au poste
de professeur de déclamation. Il parait probable que ce sera M. Le
Bargy.
Trois autres postes de professeur sont vacants dans la sectionmusi-
cale, par suite de la démission de M. Massenet, de la nomination de
M. Théodore Dubois comme directeur du Conservatoire, et de la
mort de M. Delahaye, professeur d'accompagnement. C'est également
le conseil supérieur qui devra examiner les demandes déjà formées
et soumettre son choix au ministre.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (l"'' octobre). — Tous les débuts
n'ont pas encore eu lieu jusqu'à ce jour, à la Monnaie; il est très rare que
l'on ait attendu, pour connaître tous les nouveaux venus de la troupe, aussi
longtemps que cette année. C'est ainsi qu'il nous reste à voir encore
M"" Jane Ilarding, Ilolmstrand et Mauzié ; il court même au sujet des
débuts de la première des bruits étranges, d'après lesquels M"° Harding
ne paraîtrait pas devant le public bruxellois ; toujours est-il que son appa-
rition, annoncée plusieurs fois, a été retardée, et que maintenant on n'en
parle même plus. — Quoi qu'il en soit, une autre débutante s'est montrée
il y a quelques jours, M"'= Gianoli ; elle arrivait obscurément, sans que
l'on sût d'elle grand'chose et sans qu'on eût attiré sur sa personnalité
beaucoup l'attention. La surprise a été vive et charmante. M"" Gianoli a
chanté Carmen d'une façon remarquable, avec une très jolie voix et en
artiste vraiment peu ordinaire; de plus, la femme est tout à fait gracieuse,
et la comédienne vaut la cantatrice. C'est dire que son succès a été très
grand et très mérité, et d'autant plus grand qu'il était inattendu. M"= Gia-
noli est une Genevoise; elle a chanté, dit-on, à Genève, Werther; cela
nous donne l'espoir qu'elle jouera ici l'œuvre de Massenet, dont la reprise
avec elle serait certainement excellente. En tout cas, je crois que la direc-
tion peut compter sur elle cet hiver, car c'est assurément la meilleure
des acquisitions nouvelles qu'elle ait faites.
A part la représentation un peu imprévue d'un sémillant et gentil petit
acte de Poise, les Deux Billets, agréablement enlevé par M"" Maubourg,
MM. Gilibert et Gaisso, on n'est pas encore sorti, à la Monnaie, du réper-
toire courant. Il y aura cependant quelque curiosité à entendre la
semaine prochaine Romeo et Juliette avec M^'^ Landouzy, qui n'a Jamais
chanté encore le rôle de Juliette. Quant aux «nouveautés» promises, on en
est aux études. C'est Don César de Bazan de Massenet, qui paraît tenir la
corde; on le répète régulièrement, et le maître, arrivé hier à Bruxelles
vient d'en faire lui-même la lecture aux artistes. La préparation de i^erma/
très laborieuse, paraît-il, se poursuit doucement. Pour le reste, rien ne
transpire.
Nous avons eu dimanche dernier, au Palais des Académies, une solen-
nité importante, agrémentée d'une primeur musicale : la célébration du
cinquantenaire des télégraphes belges. Outre les discours d'usage par le
ministre des chemins de fer et le directeur général de l'administration des
postes, on a entendu une cantate écrite pour la circonstance par M. Paul
Gilson, notre jeune et talentueux compositeur à la mode, sur des paroles
de M. Arnold Goffin. Célébrer dans une forme musicale « la conquête de
l'électricité parle génie humain et son asservissement au progrès» n'était
pas chose facile. Le poète s'y est appliqué du mieux qu'il a pu, en com-
parant la télégraphie à une « harpe immense aux mille fils »; dans la
pensée du poète, les fils de la harpe représentaient, non sans ingéniosité
les iils du télégraphe; au besoin, ils auraient pu figurer des « portées »
musicales, sur lesquelles se fussent accrochées les notes de M. Gilson.
Celui-ci, qui est un wagnérien déterminé, s'est attaché naturellement à
caractériser par des motifs conducteurs, sinon, comme quelques-uns l'ont
cru, les différents systèmes de télégraphie qui se sont succédé depuis le
commencement du siècle, tout au moins la lutle de la volonté humaine
contre l'élément, très recouuaissable, paraît-il, dans le fracas des cuivres
et le soubresaut des cymbales, — le tout couronné par une sorte de chant
populaire, au rythme franc et large, disant la joie et la reconnaissance
des peuples envers l'appareil Morse. Telle est, m'a-t-il semblé, la signifi-
cation de l'œuvre. Beaucoup de gens ont essayé d'y découvrir plus encore'
je ne crois pas que le but du compositeur ait été de démontrer
davantage, mais simplement d'écrire une partition sonore et brillante, très
touffue, avec un très long prélude instrumental, des sonorités d'une belle
plénitude et de grands éclats de voix, l'ensemble de tout cela formant un
compromis habile entre ses principes esthétiques et la nécessité de plaire
malgré tout au personnel des postes.
La cantate de MM. GolBn et Gilson, très bien exécutée par un orchestre
fourni, des chœurs bien stylés et des solistes vaillants, MM. de Backer et
Douy, a été acclamée chaleureusement et suivie d'une ovation reconnais-
sante aux deux auteurs.
A propos de M. Paul Gilson, dont la science d'harmonisation s'utilise
volontiers à faire revivre d'anciens vestiges de notre littérature musicale
très riche et très curieuse, voici une nouvelle qui n'est pas sans intérêt et
qui réjouira les amateurs d'archéologie : Les vieux Bruxellois savent que
Janneke et Mieke, Mon Onde et Ma Tante, et le Grand Turc, nos bons géants
communaux, sont traditionnellement précédés, lorsqu'ils figurent dans
quelque cortège ou « cavalcade », d'un tambour et d'une petite flûte
qui exécutent une sorte de musique primitive, dont le rythme oblige les
géants, ou plus exactement les uaarl-capoenen qui les portent, à cadeucer
leur marche. Les airs exécutés par la petite flûte et le tambour qui l'ac-
compagne sont la reproduction plus ou moins altérée des thèmes conservés
dans nos archives de l'ancienne marche des Serments et de la retraite
communale, c'est-à-dire de deux airs communaux du temps jadis. Or, les
édiles de Bruxelles ont pensé qu'il serait intéressant de ressusciter en
quelque sorte ces dontjes dont le souvenir ne s'est guère perpétué que dans
le monde des débardeurs, et, sur la proposition de leur très distingué chef
de division, M. Lepage, échevin de l'instruction publique et des beaux-arts
a chargé M. Paul Gilson d'harmoniser ces vieux airs. L'artiste vient de
terminer son travail, qu'il a admirablement réussi, et sous peu de jours
M. Fritz Senuewald, l'excellent chef de l'harmonie communale, fera enten-
dre aux concerts du Parc la marche des Serments et l'air de la retraite
qui ne tarderont probablement pas à devenir les airs obligés de tout cor-
'.ège de sociétés bruxelloises. Au besoin, on ne verrait pas grand mal à ce
qu'ils remplaçassent notre odieuse Brabançonne nationale.
La saison des grands concerts d'hiver s'ouvrira de bonne heure, cette
année. Nous aurons tout d'abord le 18 de ce mois, à l'Alhambra, un
318
LE MENESTREL
concert donné par l'orchestre de M. Colonne, actuellement en t tournée »
en Angleterre et en HoUande, avec le concours du violoniste Marix Loe-
vensohn, et dont le programme, consacré à la musique française, com-
prendra notamment la Symphonie fantastique de Berlioz, des fragments de
Psyché de César Franck, le ballet du Ciel de Massenet, etc.. Puis viendra, le
23 octobre, le premier concert populaire, en l'honneur de M. Saint-Saêns,
qui s'y fera entendre comme pianiste, ainsi que M. Arthur De Greef. Les
Concerts populaires nous réservent ensuite une matinée dirigée par
M. Richard Strauss et consacrée en partie à ses œuvres, et une autre diri-
gée par JI. Hans Richter, qui conduira la Neuvième sjTnphonie de Beethoven;
comme solistes, ils nous promettent entre autres. M"'" Ternina, une canta-
trice allemande, et le jeune violoncelliste liégeois déjà célèbre, M. Gérardy.
Au Conservatoire, M. Gevaert prépare une exécution complète de la
Passion selon saint Mathieu, de Bach. Aux Concerts Ysaye, nous entendrons
l'excellent pianiste français M. Raoul Pugno, le baryton Maurel, le vio-
loniste Thomson, qui jouera avec M. Eugène Ysaye le concerto pour deux
violons de Bach. M"^ Gulbranson, la chanteuse norvégienne, etc.; enfin
M. Motll viendra diriger une des séances réservées àl'audition de fragments
de VÀpoUonide de Franz Servais et d'œuvres de Berlioz, dont M. Mottl est
le protagoniste en Allemagne, — indépendamment d'un concert spirituel
du Vendredi-Saint, dans lequel on exécutera les Béatitudes de César Franck
et le Judas de notre compatriote M.Sylvain Dupuis, avec le concours de la
légia de Liège.
Voilà des promesses nombreuses, — sans compter les surprises. On
n'aura pas le temps de s'ennuyer cet hiver, à Bruxelles! L. S.
— Bruxelles a aujourd'hui, comme Paris, ses théâtres irréguliers et
fantaisistes. L'un d'eux, le théâtre du Diable-au-Corps, a dû faire sa réou-
verture cette semaine avec une pièce nouvelle, Noël-Blanc, de M. Albert
Giraud, musique de M. J. Veher. Il en prépare plusieurs autres, parmi
lesquelles le Cripiscule des vieux (ceci est irrévérencieux), paroles et musique
M. Pietro Lanciani, l'Horloger d'Yperdam, légende du beau pays de Flandre,
poème de M. Fritz Lutens, musique de M. Jules Baur, et Conte de Noël,
poème de M. Francis de Croisset, musique de M. Luiz Martinz.
— Les derniers échos des fêtes musicales de Spa nous apprennent les
succès remportés par M""* Mary Garnier, qui a chanté, entre autres mor-
ceaux, avec infiniment de virtuosité l'air des clochettes de Lakmé et la
Sevillana, de Massenet, que la salle entière lui a bissée.
— La Navarraise, le petit opéra émouvant de MM. Massenet, Jules Cla-
retie et Henri Gain, vient de remporter au théâtre lyrique de Milan un
véritable triomphe : « M""î de Nuovina, nous écrit-on, s'y est de suite
imposée par son grand talent, et on lui a bissé d'enthousiasme bien des
passages de son rôle. Elle a trouvé d'excellents partenaires dans le ténor
Metellio et la basse Dufriche. L'orchestre a été parfait sous la direction du
maestro Ferrari, et on a fort goûté le délicieux nocturne qui sert d'inter
mède. Du haut en bas du théâtre, applaudissements frénétiques et six
rappels chaleureux après le baisser du rideau. »
— Pour l'inauguration du monument de Donizetti, qui doit avoir lieu
prochainement à Bergame, on a demandé une cantate au compositeur
Pietro Floridia, auteur de l'opéra Jfaruj^a, qui a promis de l'écrire.
— Le 16 octobre doit commencer, à Rome, la saison lyrique du Théâtre
National. Le répertoire comprend les ouvrages suivants : la Traviata, Fra
Diavolo, il Barhiere, Luisa Miller, Lucia di Lammermoor et Don Cesare di Bazan,
opéra du baryton Sparapani. Voici le tableau de la troupe : soprani, M™^ Ma-
ria De Macchi, Isabella Svicher, Teodolinda Micucci ; mezzo-soprano,
Maria Quaini ; ténors, MM. Signoretti et Mieli ; barytons, Carobbi, Sam-
marco et C orradetti ; basse, Wulmann ; basse comique, Cremona.
— 11 n'y a pas maintenant une bourgade italienne qui ne veuille se
donner le luxe sinon d'un opéra, au moins d'une opérette inédite. On vient
d'en représenter une à Palombara Sabina, sous le titre de l'Oca del maestro
Castiano, qui est l'œuvre d'un compositeur absolument inconnu jusqu'à ce
jour, M. Giuseppe Imperiali.
— Il existait depuis 1828, à Naples, un théâtre qui portait le titre de la
Fenice et qui, depuis longtemps déjà, semblait surtout consacré à l'opé-
rette bouffe en dialecte et aux parodies musicales. Ce théâtre, en mauvais
état, vient d'être supprimé par arrêté préfectoral, sa restauration étant,
paraît-il, impossible.
— Le conseil municipal de Gênes, qui dispose, comme on sait, du violon
de Paganini, légué par le grand artiste à cette ville, a récemment fait
ouvrir l'urne qui contient le précieux instrument pour remplacer deux
cordes cassées. A cette occasion, le virtuose Léandre Gampaneri a joué sur
le violon de Paganini la Clochette du maître, l'Ane Maria de Schubert et
la grande Étude de Bazzini.
— Un journal de Trieste, il Mattino, rapporte un fait vraiment curieux,
et qui paraît authentique, de la facilité d'oreille des musiciens tziganes. Il
y a peu de jours, dit ce journal, l'orchestre des tziganes de Raab, dirigé
par Farkas, était engagé pour se faire entendre à Vienne, dans une fête
aristocratique pour laquelle Johann Strauss avait composé une valse nou-
velle. Pendant un intermède, le comte Cs... dit à Farkas: — « Écoute :
dans un instant, Strauss va exécuter une valse tout flambant neuve. Si
aussitôt après tu peux l'exécuter à ton tour, je te donne 300 florins. —
Meg less, Méltosàg (ce sera fait, Excellence), répond Farkas. » Et en effet.
Strauss avait à peine terminé, que l'orchestre tzigane exécutait de son côté
la nouvelle valse très exactement, comblant seulement quelques lacunes
avec le cymbalum. Strauss resta stupéfait, puis parla de corruption, de vol
de partition, etc. Mais le comte Cs... le tranquillisa aussitôt, en lui expli-
quant le fait par l'extraordinaire facilité d'oreille des Tziganes. Après les ■
trois billets de banque de 100 florins du comte, d'autres vinrent encore, de
divers côtés, tomber dans la poche de Farkas, et Strauss lui-même voulut
se mettre de la partie, mais Farkas voulut seulement accepter de lui une
poignée de main, en lui demandant une réduction de sa valse pour piano,
afin de pouvoir l'étudier exactement.
— Dès le commencement de la nouvelle saison, les théâtres d'outre-Rhin
ont repris les œuvres françaises dont nous avons signalé si souvent les
représentations. On a déjà joué, à Vienne: Manon, Faust, le Prophète, l'Afri-
caine, Fra Diavolo, Coppélia, Guillaume Tell ; à Beulin : Faust, l'Africaine, Car-
men, Robert le Diable, le Prophète, Guillame Tell, Mignon; à Dresde : Carmen,
la Fille du Régiment, Mignon, Faust, Coppélia ; à Hambouhg : Carmen, les Hugue-
nots, Mignon, le Prophète, la Juive. l'Africaine, la Fille du Régiment, les Dragons
de Villars, Médée {Gheiubini}, le Postillon de Lonjumeau; à Leipzig: le Prophète,
Carmen, Fra Diavolo, Mignon, Faust, Jean de Paris, les Dragons de Villars; à
FnANCFOKT : la Juive, la Fille du Régiment, te Prophète, Faust, les Dragons de
'Villars, la Dame blanche, la Part du Diable, Joseph; à Wiesbaden : Mignon, Car-
men, Fra Diavola, les Dragons de Villars, Faust, le Postillon de l/injumeau ; i
Hanovre : Iphigénie en Tauride (Gluck) ; à Cologne : les Huguenots, les Dragons
de Villars.
— Le nouveau théâtre allemand de Munich, qui passe pour être le théâtre
le plus perfectionné de l'Allemagne, vient enfin d'être inauguré après beau-
coup de dilïicultés causées par l'insuffisance des moyens de l'entreprise.
L'ouverture de Beethoven, la Consécration de la maison, a été jouée à cette
occasion par l'orchestra du théâtre.
— L'Opéra royal de Dresde y a mis le temps, mais enfin il vient de
iouer Coppélia. La première du délicieux ballet de Delibes a eu un suc-
cès énorme. Le directeur général, M. de Schuch, a conduit en personne,
et l'orchestre s'est surpassé sous sa vaillante direction.
— On nous écrit de Hambourg qu'une jeune artiste viennoise. M"» Cécile
de Wenz, a remporté un grand succès dans le rôle de Philine de Mignon,
Le directeur, M. Pollini, l'a engagée aussitôt au théâtre de cette ville.
— Franz Schubert, dont le centième anniversaire approche, est à la mode.
Le théâtre royal de Dresde vient de jouer pour la première fois la petite
pièce intitulée En faction depuis quatre ans, dont les paroles furent fournies à
Schubert par le célèbre poète saxon Théodore Koerner. Le succès a été très
vif, ce qui est d'autant plus remarquable que pièce et musique sont
d'une simplicité qui a complètement disparu des scènes modernes. La
bagatelle musicale de Schubert et les effets raffinés de Cavalleria rusticana,
qui tient encore l'affiche à Dresde, quel contraste !
— L'Opéra royal de Budapest jouera prochainement un opéra inédit
intitulé Eukuska, paroles de M. Félix Falzari, musique de M. Franz Lehar.
La même œuvre est aussi en préparation au théâtre municipal de Leipzig.
— La direction des concerts philharmoniques à Budapest va faire gran-
dement les choses pendant la prochaine saison. Elle a engagé comme
chefs d'orchestre pour ses concerts MM. Richter (Vienne), Sucher (Berlin)
et Siegfried Wagner (Bayreuth). Il est inutile de rappeler que ces trois
artistes appartiennent à l'école de Richard Wagner.
— Le théâtre municipal de Mayence prépare un opéra inédit en un acte
intitulé Rasbold, paroles de M. Félix Dahn, musique de M. fieinhold
Becker. — De son côté, le théâtre royal de Dresde va jouer un drame
musical inédit, le Retour d'Ulysse, paroles et musique de M. Auguste Bum-
gert. — Enfin, on annonce de Berlin un nouveau grand opéra intitulé
Wulfrin, paroles de M. E. Wolfram, musique de M. R.-L. Herman.
— Les manifestations musicales à l'adresse du fameux explorateur Nan-
sen continuent en Norvège. On joue en ce moment avec un énorme succès,
à l'Eldorado de Ghristiana, un ballet qui a pour titre Sous le 56" parallèle et
qui se termine par une apothéose du célèbre voyageur.
— Il existait en Hollande un aimable trio vocal féminin qui vient de se
dissoudre — pour cause de mariage de la part d'un de ses gracieux mem-
bres. En revanche, il vient de se former à Amsterdam un quatuor mixte
qui comprend les noms de M""^* Reddingius et Loman,, et de MM. Mea-
schaert et Rogmans.
— A Scheveningue, très grand succès pour M"'' Esther Sidner, qui a
supérieurement chanté l'air de la Vierge de Massenet, et en bis une mélo-
die du même maître, l'Ave Maria, de Gounod, qu'on lui a fait répéter, et
des compositions de Schumann et du prince Alexandre-Frédéric de Hesse.
— Voici qu'enfin, après bien des tergiversations et bien des dilïicultés, le
diapason normal français commence à prendre droit de cité à Londres,
pour le plus grand bien de l'art, et particulièrement des chanteurs. Dans
un compte rendu des concerts-promenades de t^ueen's Hall, le Musical News
nous apprend qu'au bas du programme se trouvait cette note intéressante :
— « A partir de ce jour le diapason français (normal) sera exclusivement
usité. » Et le journal ajoutait : « De manière que celui-ci est adopté à la
Société philharmonique, au Choral Bach, aux concerts Mottl, Henschel, Nikisch,
au Choral de la Queen's Hall, aux orchestres Lamoureux, Colonne et aux
LE MÉNESTREL
349
Concerts du dimanche après midi, comniençant en octobre. Les principales
sociétés musicales de la métropole ont rapidement opéré le changement
de diapason, et une à une les associations de moindre importance suivront
leur exemple. Nous sommes près d'atteindre le but dans cette' question
du diapason, et il est probable que d'ici à un au les sociétés qui n'auront
pas le diapason normal international seront rares en Angleterre. »
— C'est les 6, 7, 8 et 9 octobre, sous le patronage de lareine d'Angle-
terre, qu'aura lieu, le fameux festival musical de Norwich, dont la direction
reste confiée à M. Alberto Randegger. Les œuvres qui seront exécutées à
ce festival sont les suivantes : Jephté, oratorio de Hiundel ; Élie, oratorio de
Mendelssobn ; la Rose de Saron, de M. Mackenzie ; Fridolin, cantate de
M. Randegger ; la Rédemption, oratorio de Gounod ; ouverture de Léonore, de
Beethoven; le troisième acte de Lohengrin, de Richard Wagner ; enfin, ifero
etLéandre, scène lyrique inédite de M. Luigi Mancinelli.
— Celle-ci nous arrive d'Amérique, c'est tout dire. Un journal de ce pays
nous apprend qu'à Sioux-City on vient d'organiser un corps de musique...
cyclistique, dont les membres sont tous familiers avec la bécane. Ce corps
comprend 12 premiers violons et 6 seconds violons, en neuf tandems;
4 violoncelles et 4 contrebasses en automobiles (pour les contrebasses sur-
tout, le cycle serait gênant); une grande tlùte en bicyclette ; une petite
flûte en monocycle; 2 clarinettes et un hautbois en triplette; et ainsi de
suite.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
L'acte de Sigurd qu'on va servir, lors du gala, à l'empereur de Russie,
sera, annonce-t-on très sérieusement, élagué de presque toute sa musique.
Ce qu'on a tenu à conserver avant tout, c'est la succession des admirables
décors qu'il comporte. C'est cela surtout, paraît-il, qui doit frapper l'ima-
gination du Tsar. On aurait pu alors le conduire tout aussi bien aux Sept
Chàleauœ du diable qu'on donne au Ghàtelet. C'est là qu'il y en a, des décors
et des trucs merveilleux ! Nous avons vu des enfants qui en ont rêvé pen-
dant huit jours.
— Quant à la Korrigane, qui doit terminer le spectacle, elle sera dansée
à partir du moment où l'on « sabote » et, après quelques minutes de cet
aimable divertissement, on éteindra les quinquets. Comme disait une spi-
rituelle danseuse du corps de ballet que l'Europe nous envie : « Ce n'est
pas avec cela que le Tsar attrapera une méningite ! »
— Quoi qu'il en soit, on a commencé l'aménagement de la salle pour le
gala. Toutes les cloisons des loges comprises entre les colonnes de droite
et de gauche, c'est-à-dire le rang complet de face, vont être enlevées. La
loge impériale officielle s'élèvera seule fermée et les deux côtés droit et
gauche ne formeront chacun qu'une loge. Une rampe électrique d'appa-
reils supplémentaires sera installée pour augmenter le luminaire.
— Nous avons donné dimanche dernier le programme du gala de l'Opéra
en l'honneur du Tsar. Ajoutons qu'il y aura en plus, pendant les entr'actes,
un orchestre au foyer du public sous la direction de M. Marty. Au pro-
gramme : une marche de Gounod, la marche sainte d'Hérodiade de Massenet,
les danses de Xavière de Théodore Dubois et la Danse persane de Guiraud.
— Coquelin a déjeuné à Rambouillet chez M.Félix Faure, comme autre-
fois Molière chez Louis XIV, — toutes proportions gardées de part et
d'autre. De ce petit raout culinaire, il est sorti un projet de soirée litté-
raire à Versailles, toujours en l'honneur du Tsar. Trois artistes seulement
au programme, mais quels artistes! Sarah Bernhardt, Réjane et Coquelin.
Il faudra hausser les portes du palais.
— Puis ensuite, le petit programme littéraire de Versailles s'est corsé
d'une partie musicale et chorégraphique, et il a été arrêté comme suit en
son entier :
Poésie de M. José-Maria de Hérédia et Sur trois marches de marbres rose, d'Al-
fred de Musset, par M"" Sarah Bernhardt.
Lolotte, coTiédie en un acte, de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, jouée
par il"'" Réjane, M"" Avril et M. Henri Mayer,
Scènes du Mariage forcé, par MM. Coquelin aîné et Jean Coquelin.
Chansons d'aïeule, par M" Amel, de la Comédie-Française.
Elégie, de Massenet, exécutée sur le violoncelle par M. Jules Delsart et ses
élèves.
A.ir de Jocondc (Nioolo), chanté par M. Fugère, de l'Opéra-Comique.
Air de Samson et Dalila (C. Saint-Saëns), chanté par M'" Delna de l'Opéra-
Comique.
Air des Saisons (Haydn), chanté par M. Delmas, de l'Opéra.
D;VNSES ANCIENNES
Danses Louis XV :
M"" Mauri, Subra, Hirsoh, Robin.
Danses Louis XIV :
M"" Salle, Gallay, Régnier II, Rat.
Joart, Mestais, Beauvais, P. Régnier.
Danses Louis .\III ;
M"" Van Goethen, de Mérode, Piodi, Carré,
Boos, Vandoui, Charrier, Mante.
Tous ces morceaux seront chantés et joués à l'orchestre, qui sera l'orches-
tre des concerts de l'Opéra, sous la direction de M. Paul Vidal. Cette petite
fête artistique sera donnée dans le salon d'Hercule, au palais de Versailles.
— Souvenir de Nicolet du Gaulois : « On connaît maintenant le pro-
gramme du gala qui sera donné à l'Opéra en l'honneur de l'emperem- et de
l'impératrice de Russie. Cette soirée évoquera pour plus d'un vieux Pari-
sien le souvenir et la vision de la représentation à laquelle assista,
le S juin 1867, le tsar Alexandre II. M. Perrin, alors directeur de l'Opéra
de la rue Le Peletier, s'était mis en frais. La décoration de la saUe coûta
vingt mille francs. On avait démoli les cloisons des huit loges de face qui,
avec une partie de l'amphithéâtre, formèrent la loge impériale. Au centre
de cette loge, somptueusement décorée avec le mobilier de la Couronne,
trois trônes avaient été dressés, autour desquels, selon les prescriptions de
l'étiquette, on avait disposé quinze fauteuils pour les princes et grands
personnages qui, en ce moment-là, étaient les hôtes de la France. Le pro-
gramme comportait le quatrième acte de l'Africaine, avec M""= Marie Sasse,
le ténor Warot et Faure ; l'ouverture de Guillaume Tell, le deuxième acte
de Giselle, ballet de Téophile Gautier et d'Adam, avec M""« Granzow, Laure
Fonta, MM. Mérante, Coralli et Rémond. Quand leurs Majestés impériales
entrèrent dans leur loge, l'orchestre de l'Opéra, dirigé par Georges Hainl,
exécuta l'hymne russe, que tout le monde écouta debout. Alexandre II prit
place au centre de la loge, ayant à sa droite l'empereur Napoléon III, la
princesse royale de Prusse, le tsaretwich, la princesse Louise de Hesse,
le grand-duc Wladimir, le duc de Leuchtenberg, le prince J. Murat^
à sa gauche l'impératrice Eugénie, le prince royal de Prusse, le prince
Louis de Hesse, la princesse Mathilde, le prince F. de Hesse, la princesse
L. Murât, le prince de Saxe-'«-eimar et le prince héritier du Japon. La
représentation fut fort brillante; Faure et Marie Sasse se surpassèrent. Un
détail de mise en scène mérite d'être noté : pour le deuxième acte de"
Giselle, on avait, avec l'autorisation de M. Alphand, coupé les roseaux des
lacs du bois de Boulogne, et, c'est du milieu de leurs touffes verdoyantes
que s'élançaient les divinités des eaux. »
— Hier samedi, â l'Opéra, c'était la première soirée d'abonnement de
cette saison en dehors des trois grands jours, lundi, mercredi et vendredi.
On donnait Hamlet, qui a été admirablement accueilli.
— Jusqu'à présent, ce dont on parle le plus à propos du nouvel opéra de
M. Bruneau, Messidor, c'est du ballet qui s'y trouve intercalé. Les génies
aiment à se divertir, paraît-il, comme le commun des autres compositeurs.
Qui dansera ce divertissement? Sera-ce M"» Mauri, ou M"' Subra? Les uns
tiennent pour la première, les autres pour la seconde. Grave question.
— La reprise projetée des Huguenots à l'Opéra ne viendra qu'après Messi-
dor. C'est dommage. Car nous avons comme une idée qu'on ne reverra pas
sans plaisir ces bons vieux Huguenots, qui ont la vie plus dure qu'on ne
saurait croire.
— M"' Louise Grandjean fera sa rentrée à l'Opéra dans les premiers
jours d'octobre,
— Mi'e Bréval, qui est complètement rétablie et dont le congé est expiré,
fera très prochainement sa rentrée par le rôle de Brunehilde, dans la
Valkyrie.
— Il est probable que M"' Amélie Lowentz ira cet hiver à Lisbonne
chanter en italien le rôle d'Ophélie; d'Hamlet.
— C'était fatal. On annonce la Vie pour le Tsar à l'Opéra russe (?) de la
rue Blanche. Distribution des principaux rôles: Soussanine, Devoyod;
Sabinine, Engel; Antrida, M"e Manger.
— L'Académie des beaux-arts a fixé au samedi 31 octobre le jour de sa
séance publique annuelle. C'est dans cette séance que M. le comte Henri
Delaborde, secrétaire perpétuel de l'Académie, donnera lecture de sa notice
historique sur la vie et les œuvres d'Ambroise Thomas.
— C'est aujourd'hui dimanche, 4 octobre, que doit avoir lieu à Roubaix
l'inauguration de la statue de Gustave Nadaud, qui s'élève à l'entrée du
parc de Barbieux. A ceite occasion, on exécutera une cantate dont la
musique a été écritepar M. Koszul, directeur du Conservatoire de Roubaix.
La partie vocale de cette cantate est confiée au Choral Nadaud, que dirige
M. Minssart; l'orchestre sera composé du personnel de la Grande Harmo-
nie et de celui de l'Association symphonique du Conservatoire. C'est
M. Koszul qui dirigera en personne l'exécution de son œuvre.
— L'administration des concerts Colonne annonce sa réouverture au
théâtre du Chàtelet pour le dimanche 23 octobre, à 2 heures. S'adresser
pour l'abonnement au siège de la société, 43, rue de Berlin, de 9 à
11 heures ou de 3 à 5 heures.
— Un de nos confrères du Nord, M. A. Gaudefroy, semble s'être donné
la tâche, depuis quelques années, de réunir tous les éléments d'une sorte
d'histoire générale de la musique à Lille, qui, on le sait, est l'un de nos
centres artistiques les plus sérieux et les plus importants. A cet effet, il
a publié toute une série de monographies vraiment intéressantes se rap-
portant à son sujet et qui, par leur ensemble et leur rapprochement, don-
nent une notion exacte de l'état de l'art dans la métropole de l'ancienne
Flandre. C'est ainsi qu'il a donné successivement l'Académie de musique de
Lille, les Concerts du Cercle du Nord à Lille, les Premières au théâtre de Lille, etc.
Aujourd'hui, M. Gaudefroy publie sous ce titre : la Société des Orphéonistes
Lillois, un historique complet et très documenté de cette excellente société
chorale, bien connue par toute la France et surtout sous son nom original
320
LE MÉNESTREL
et singulier de Crick-Mouils, dont Fauteur nous fait connaître les origines.
La nouvelle publication de M. Gaudefroy offre plus d'un point curieux et
intéressant, sans compter qu'à certains points de vue elle ne manque pas
d'utilité pratique. Toutefois, elle ne pourra pas être dans toutes les mains,
car son tirage, très limité, ne dépasse pas cinquante exemplaires, ce qui
la met déjà à l'état de rareté bibliographique. A. P.
— MM. Grivot et Barnolt, deux artistes qui ont longtemps appartenu à
la troupe de l'Opéra-Comique, oii ils tenaient, le premier l'emploi des
laruettes, le second l'emploi des trials, n'ont pas été rengagés. Ils ne renon-
cent pas pour cela au théâtre. Et en attendant qu'ils trouvent une scène
où ils utiliseront leur talent de fin chanteur comique, tous deux forment
des élèves pour le genre dans lequel ils ont été, toute leur carrière, très
goûtés et très applaudis.
— Engagement au théâtre Cluny de M"" Lebey, pour la nouvelle opé-
rette Je M. Louis Varney : le Papa de Francine. M"« Lebey est une très
gentille petite artiste, qu'on a entrevue un instant au théâtre de la Gaîté.
Yocaliste très habile et jolie voix.
— Vendredi dernier, à l'Exposition du théâtre et de la musique, très
beau Festival-Massenet, conduit par M. Kerrion, et au cours duquel on a
applaudi M"<^ S. Kerrion et M. Morisson. Au programme, l'ouverture du
Cid, l'arioso du Roi de Lahore, les airs du ballet du Mage, l'air de Marie-
Magdeleine, chœur et marche céleste du Roi de Lalwre et toutes les Scènes
napolitaines.
— A Montmorency, très beau concert de bienfaisance, dans lequel on a
surtout applaudi M""-» Preinsler da Silva dans la Mandolinata de Paladilhe-
Saint-Sai'ns et des pièces de clavecin, M. Paul Séguy dans les Trois Sol-
dats de Faure, et M"= Marguerite Mathieu dans l'air i' Esdarmonde de Masse-
net, et dans Annie, chanson écossaise de Paladilhe.
— Au Havre, franc succès pour le Pardon de Ploërmel et pour ses inter-
prètes, MM. lUy (Hoël), Coutellier (Corentin), M"" Armeliny (le pâtre), et
M"^" Eenée Buhl (Dinorah), cette dernière très justement applaudie après
la valse de virtuosité du second tableau.
— M"' Marie Bôze, qui n'a pas cessé de donner ses leçons particulières
pendant tout l'été, reprendra ses cours de chant et de mise en scène à
p artir du i" octobre.
— Couns ET LicONS. — Le pianiste-compositeur Ch. Neustedt reprendra ses
cours et leçons particulières, 130, boulevard Malesherbes, à partir du 1" octobre.
— M°° Dereims de Vriès, reprend ses leçons de chant à partir du 1" octobre,
17, rue de Chlteaudun. — M"" Eugénie Mauduit, reprend ses leçons de chant et
d'opéra, à partir dut" octobre, 160, rue de la Pompe. — M"' Chaucherau et
M. Dèze, reprendront leurs cours et leçons de chant et de mise en scène, 16, rue
de la Tour-d'Auvergne, à partir du 1" octobre. — M. Hermans Devriès, de
l'Opéra-Comique, reprend chez lui, 14, boulevard Sébastopol, ses leçons de
chant et de déclamation lyrique. — M. Georges Falkenberg, ouvre cbez lui, 8, rue
Poisson, un cours de piano. Il donnera, à l'Institut Rudy, pour faire entendre ses
élèves, quatre matinées. — M. P Marcel, reprendra ses cours et leçons de chant,
14, rue de Rome, à partir du 5 octobre. — Réouverture des cours de piano de
M"" Henriette Thuillier, 24, rue Le Peletier, et 150, avenue Victor-Hugo. Audition
des œuvres de Raoul Pugno, Th. Dubois et Bourgault-Ducoudray. — A. l'École
Beethoven, réouverture des cours préparatoires, le 15 octobre. Inscriptions chez
M"" Balutet, 80, rue Blanche, qui reprendra ses cours et leçons particulières à
partir du 8. — M°° Preinsler da Silva a repris ses cours et leçons de piano et de
clavecin, 47, rue de Maubeuge. — M. Raoul Delaspre a repris ses leçons, 66, bou-
levard des BatignoUes. — M— Tarpet a repris ses cours et leçons, 69, rue
Lafayette. — M"" Mathilde Bernardi reprend ses cours de musique d'ensemble,
accompagnement et lecture à vue, salle Herz, 28, rue Victor Massé. — M"' Marie
Heurion, de l'Opéra-Comique, professeur de chant et de diction, a repris ses
leçons particulières et cours chez elle, 86, avenue de Villiers. Se faire inscrire le
mercredi de 2 à 6 heures.
NÉCROLOGIE
Jeudi dernier est morte à Paris, à l'âge de 88 ans, M"'« Duponchel, veuve
de Duponchel, dessinateur et architecte distingué qui fut, il y a
environ un demi-siècle, co-directeur de l'Opéra, d'abord avec Edouard
Monnais, puis avec Roqueplan, duquel il ne tarda pas beaucoup à se
séparer pour le laisser seul à la tête de notre première scène lyrique.
— Les journaux russes annoncent la mort d'un jeune compositeur,
M. Touschmalow, qui avait été élève de la classe de M. Rimsky-Korsakow au
Conservatoire de Saint-Pétersbourg et qui s'était fait un nom comme chef
d'orchestre à l'Opéra de Varsovie et à celui de Tiflis.
— On annonce la mort à Darmstadt, le 4 septembre, d'Albert Eilers, qui,
depuis 1882, tenait l'emploi de basse chantante au théâtre de cette ville.
Cet artiste s'était fait connaître aussi comme compositeur, non seulement
par deux opérettes, Spielmanns-Lied et la Nuit de saint Jean, mais encore par
deux Messes, dont un Requiem.
Henri Heugel, directeur-gérant.
— Un concours pour quelques places de violon et d'alto, aux concerts
Lamoureux, aura lieu très prochainement. S'adresser pour les inscriptions
à l'administration, 62, rue Saint-Lazare, de H à 6 heures.
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Av is aux directeurs de théâtre.— S'adresser AU MÉNESTREL, 2 bis, rue VlOienne, pour la location des parties d'orchestre et de chœurs
de la mise en scène, et des dessins des costumes et décors.
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20, PARIS. — CEncre LorUleor)
Uimaiiche 11 Octobre 1896.
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(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser fkanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Mbnestrbi, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un nn, Texte seul : 10 francs, Paris et Prorince. — Teite et Musique de Cliant, 20 fr.; Tente et Musique de Piano, 20 fr„ Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Teite, Musique de Cliant et de Piano, 30 tr., Paris et Province. — Pour l'Étrcnger, les frais de poste en .sus.
SOMMAIRE-TEXTE
l. Étude sur Orphée (7° article), Jolien Tiersot. — II. Semaine thééllrale : Les
galas de l'Opéra et delà Comédie-Française; supplique au tsar, H. MonBM;
première représentation de Migiwnnetle, au théâtre des Nouveautés, Paul-
ÉMiLE Chevalier. — III. L'Exposition du théâtre et de la musique au palais de
l'Industrie (1" article), Arthur Pougi.w — IV. Musique et prison (21° article) ;
Prisons pour dettes, Paul o'Estrée. — V. Journal d'un musicien (6" article),
A. MoNTAUx. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ALBERT CUrP
n" 1 des Portraits de peintres, pièces pour piano de Revnaldo PIahn. — Suivra
immédiatement : Antoine Watteau, n° 4 de la même suite.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT ; Si j'ai parlé, mélodie nouvelle de Léon Delafosse, poème de Henri
DE RÉGNIER. — Suivra immédiatement : Il m'aime, m'aime pas, mélodie
italienne de P. Mascagni, traduction française de Pierre Barbier.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Voici quels documents ont été utilisés pour établir cette
édition critique :
1" D'importantes parties autographes de la partition fran-
çaise, conservées à la Bibliothèque de l'Opéra et à celle du
•Conservatoire de Paris, et se répartissant ainsi :
A l'Opéra :
Le premier acte tout entier (sauf l'air: « L'espoir renaît
dans mon âme », dont il sera longuement question par la
suite) ;
Le second acte, jusques et y compris l'air d'entrée d'Orphée
aux Champs Elysées : « Quel nouveau ciel pare ces lieux ». —
L'air de ballet qui termine le tableau des Enfers, non plus
que la dernière scène des Ombres heureuses, ne figure dans
ce manuscrit.
Enfin, la même Bibliothèque possède un cahier autographe
de Gluck, renfermant trois morceaux dont deux appartiennent
à la partition d'Orphée. Celui par lequel il commence est
précédé du titre : Ouvertuhe, écrit en gros caractères, de la
main de Gluck; il commence par une page dans un mou-
vement lent et grave, introduction à laquelle succède un
mouvement à trois temps vifs et rythmé à la manière d'une
toccata. Le maître eut-il l'intention de ne pas conserver pour
l'Opéra de Paris le morceau instrumental qui précède l'opéra
italien, et ce fragment serait-il l'esquisse d'un nouveau projet
d'ouverture à' Orphée? Toujours est-il que, dans l'œuvre défi-
nitive, la première ouverture est restée; quant à la nouvelle
esquisse, l'auteur en a abandonné la partie lente et conservé
l'épisode à trois temps pour en faire, avec quelques modifi-
cations, Vair vif, troisième morceau du ballet d'Orphée. —
Le second morceau du cahier a été utilisé plus tard dans
Armide, où, avec l'adjonction d'une partie vocale, il est devenu
un air d'Hidraot. Enfin le troisième est resté, sans modifi-
cations notables, le Menuet en ut majeur, n" 4 du ballet
d'Orphée.
Ces morceaux ont été signalés et identifiés par M. Charles
Malherbe, archiviste-adjoint à l'Opéra, qui a bien voulu nous
faire part de ses observations.
La bibliothèque du Conservatoire possède le récitatif et le
duo par lequel commence le 3'^ acte.
2° La partition, gravée sous ce titre :
ORPHÉE ET EURmiCE
Tragédie
Opéra en 3 actes
mise en musique
par Gluck
Les paroles sont de M. Moline.
Représentée pour la première fois
par l'Académie Royale de musique
le mardy 2 Aoust 1774.
Prix 40 ff.
à Paris
chez Des Lauriers, M'' de papiers, rue S'-Honoré, à côté de
celle des Prouvaires.
Une édition postérieure, mais qui n'est qu'un nouveau
tirage des mêmes planches, porte cet autre nom d'éditeur :
« A Paris, chez Boieldieu jeune, rue de Richelieu, n° 8, au
coin de celle Feydeau. »
3" Une copie de la partition, en trois volumes, ayant servi
au chef d'orchestre pour les exécutions de l'œuvre à l'Opéra.
4° Les parties séparées (manuscrites) de chant et d'orchestre,
ayant servi aux chanteurs, choristes et instrumentistes pour
les mêmes exécutions. '
Nous devons communication de ces pièces, ainsi que des
autographes précédemment signalés, à l'obligeance de
M. Ch. Nuitter, archiviste de l'Opéra.
5° Le livret: Orphée et Euridice, drame héroïque en trois
actes, représenté pour la première fois par l'Académie royale
de musique, le mardi 2 Août 1774. — Prix .xxx sols. — Aux
dépens de l'Académie. A Paris, chez Delormel, imprimeur dei
322
LE MENESTREL,
ladite Académie, rue du Foin, à l'Image Sainte-Geneviève.
MDCCLXxiv. Avec approbation et privilège du Roi.
En ce qui concerne VOrfeo italien, rien n'a été retrouvé de
l'autographe de Gluck; mais on a pu consulter les documents
suivants :
1° La partition gravée, sous ce titre :
ORFEO E El'RIDlCE
Àzione teatrale
fer musica
Del Sign' Cav. Cristofano
GLUCK
Al servisio délie MM. LL. II. RR.
Rappresentata in Vienna nelV anno 1764 (i)
Te, dulfiis conjuœ, te solo in littore secum,
Te veniente die, te decedente cmehat.
Gravé par Chambon.
Si irova
in Parigi
Appresso Buchesne, Libraro, nclla strada di San Giacomo al
dissotto délia Fontana di san Renedetto, al Temple del Gusto ed ai
Mercanti ordinari.
MDCCLXIV.
2° Une copie de la partition, sous ce titre :
ORFEO
Dramma per Musica,
deux volumes ayant servi aux exécutions du Théâtre impé-
rial de Vienne et renfermant de nombreuses annotations et
indications de nuances et de mouvements écrites de la main
de Salieri, lequel fut chef d'orchestre à ce théâtre du vivant
même de Gluck. Nous devons à M. Ëusebius Mandyczewski,
archiviste de la Société des Amis de la Musique, à Vienne,
une description détaillée de cette partition, ainsi qu'une copie
de l'air : « Che faro senza Euridice ».
3° Plusieurs copies, quelques-unes présentant avec la par-
tition gravée des différences assez notables.
Nous citerons encore, mais simplement à titre de souvenir,
l'arrangement de Berlioz, dont quelques pages autographes
ont été conservées à la bibliothèque du Conservatoire : ce
travail ne peut d'ailleurs nous être utile en rien, puisque,
loin de tendre à reconstituer dans sa pureté originelle l'un des
deux textes primitifs, il avait au contraire pour but de les
fondre l'un dans l'autre. Cette observation s'applique aux
éditions postérieures, publiées sous la même influence.
Chacun de ces documents a une valeur particulière. Le
plus précieux à coup sûr est l'autographe, qui révèle direc-
tement les intentions de l'auteur. A la vérité, la notation de
Gluck est souvent exécutée d'une façon très sommaire, voire
quelque peu désordonnée, et certaines parties de la compo-
sition y sont plutôt indiquées que formellement réalisées.
D'autre part, il est admissible qu'entre la conception première
de l'idée musicale et l'exécution définitive, notamment pen-
dant le travail des répétitions, l'auteur a apporté à son œuvre
diverses modifications. Nous devons donc, pour connaître cette
forme dernière, avoir recours aux autres documents, parmi les-
quels le plus digne de foi est la partition conductrice, ainsi
que les parties séparées sur lesquelles l'œuvre musicale a été
exécutée en présence de Gluck. Quant aux remaniements
apportés au cours des représentations postérieures, et, consé-
quemment, étrangers à la pensée de l'auteur, ils ont laissé
sur les copies des traces matérielles assez apparentes pour
qu'il n'y ait pas à s'y tromper: la partition gravée peut servir
de preuve à cet égard. Quant à cette dernière, Berlioz en a
dit plus haut les défauts sans rien exagérer, loin de là ; elle
doit, sans doute, être consultée, et, dans les cas douteux,
confrontée avec les autres, mais sans faire autrement autorité :
d,e nombreuses observations de détail nous montreront
(1) Cette date est erronée, Orfeo ayant été représenté à Vienne le 5 octobre 1762.
Nous expliquerons plus tard les causes de cette erreur.
qu'outre ses incorrections matérielles, qui sont nombreuses,
il n'est pas rare qu'elle n'exprime les intentions du maître
que d'une façon très incomplète.
Avant d'entrer dans l'examen de détail des documents
français, il importe d'examiner conjointement la partition
italienne et la partition française, afin de connaître exacte-
ment ce que celle-ci doit à la précédente, et quels remanie-
ments ou quels perfectionnements furent apportés à la
première conception.
Ouverture. — Identique dans les deux partitions. — Cette
ouverture est bien spéciale à Orphée, et non, comme quelques
personnes l'ont cru, empruntée à quelque autre opéra italien.
Il est d'ailleurs manifeste que, par son style, ce morceau
se rattache à la jeunesse de Gluck, c'est-à-dire à une époque
où il n'avait pas encore posé en principe que « l'ouverture
doit prévenir les spectateurs sur le caractère de l'action qu'on
va mettre sous leurs yeux...»
Scène i". — Choeur : Ah ! dans ce bois lugubre et sombre. — Les
deux versions sont écrites dans le même ton (ut mineur), et,
au point de vue de la composition générale, ne présentent
pas de différence notable. Mais il n'en est pas de même pour
l'orchestration, dont l'examen soulève un problème intéressant
et des plus délicats.
C'était un antique usage, en Allemagne, qu'aux jours de
fêtes solennelles des musiciens allassent jouer des chorals
sur les tours ou devant le parvis des églises. Les instru-
ments employés à ces exécations étaient principalement des
cornets, sortes d'instruments très anciens et très imparfaits,
auxquels étaient dévolue la partie de chant; des trombones,
à trois parties, les soutenaient de leurs accords. Parfois ce
groupe instrumental accompagnait les voix : Bach l'a admis
dans l'orchestre de ses cantates, où il n'est pas rare de voir
un cornet doubler la partie de premier dessus, tandis que
trois trombones jouent à l'unisson des contralti, ténors et
basses.
Gluck eut l'idée d'introduire cette combinaison dans le
premier chœur à'Orfeo, où la sonorité des trombones joués
doucement s'accorde merveilleusement avec le caractère
funèbre de la scène. En effet, dès la première note du pré-
lude, le coraeWo elles trois trombones s'unissent en des accords
sombres, doublant d'abord les instruments à cordes, puis
s'unissant aux voix, qu'ils suivent fidèlement jusqu'à la
dixième mesure avant la conclusion: là, se détachant soudain,
ils répondent par deux fois à la plainte du chœur, avec
lequel ils forment un dialogue aussi ingénieux qu'expressif.
Ces quatre parties, dans la partition italienne, sont, pen-
dant les quatorze mesures du prélude, notées sur les portées
réservées aux voix. A partir de l'entrée du chœur il n'en est
plus fait mention, jusqu'au moment où s'engage le dialogue
des voix avec les instruments ; mais il n'est pas douteux
qu'ils aient dû chacun doubler leur partie vocale respective,
par la triple raison que l'intention de Gluck, bien qu'impar-
faitement exprimée par la notation, est évidente ; que le fait
de graver les instruments sur les portées destinées au chœur
indique surabondamment la volonté de leur faire doubler
les voix ; qu'enfin, à la reprise du chœur qui suit la panto-
mime funèbre, la tablature porte cette indication positive :
cornello, Iromboni, colla parle, qui n'aurait aucun sens si elle
s'appliquait seulement à ce fragment insignifiant et qui doit,
en conséquence, s'étendre à tout l'ensemble de la com-
position.
Il est digne de remarque, soit dit en passant, que si le
cometto, déjà presque hors d'usage au milieu du XVllP siècle, ne
reparaît plus dans aucune des partitions de Gluck, du moins
l'effet funèbre des trois trombones doublant les voix se
trouve reproduit dans le chœur d'Alceste : « Pleure, ô patrie,
ô Thessalie, Alceste va mourir I »
La minutie de ces observations ne sera pas superflue pour
débrouiller le chaos (car c'en est un véritable) dont les par-
titions vont nous donner le spectacle.
LE MENESTREL
323
Une combinaison identique n'était guère praticable à l'Opéra
de Paris, où le cornet était inconnu, et où les trombones
n'avaient encore joué qu'un rôle des plus effacés. Aussi, les
divers documents portent-ils des traces remarquables des
hésitations auxquelles ce passage donna lieu.
Le manuscrit de Gluck, après avoir, dans le prélude, noté
les parties d'instruments à cordes, réserve trois portées lais-
sées en blanc : au-dessous d'elles, une quatrième portée
reproduit la partie de basse, qu'elle double, mais suivant
un rythme différent, qui précisément est celui de la partie
de trombone-basse dans Orfeo. Sur les portées laissées en
blanc quelques notes sont jetées à la fin, témoignant de
l'intention, nulle part réalisée, d'enrichir la fin de la période
de quelques sons indépendants des quatre parties fonda-
mentales. Aucune mention d'instruments n'accompagne
l'entrée du chœur; par contre, sur la ritournelle finale, on
lit ces simples mots : Sensa les instr.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
LES GALAS DE L'OPÉRA ET DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Paris vient de vivre un rêve des Mille et une Nuits. Il s'était trans-
formé en ville enchantée, avec des chatoiements de couleurs dans
tous les coins, des bosquets embaamés qui s'élevaient de terre, des
oriflammes qui flottaient dans les airs et, le soir venu, de magiques
illuminations qui éclairaient les cieux. Sur cette atmosphère de nuage
rose, ses monuments se dessinaient avec les teintes indécises du
songe, comme dans les tableaux de Turner, le peintre merveilleux de
l'impalpable. Et sur la voie passaient, portés comme en triomphe, un
jeune monarque et une jeune reine dans toute la fleur de leur souve-
raineté, et on les acclamait aux cris mille fois répétés de « vive
l'Empereur! » et « vive l'Impératrice I », où se sentaient non seule-
ment la simple courtoisie qu'on doit à des hôtes couronnés, mais, on
peut le dire, l'amour et même l'idolâtrie de tout un peuple. Pendant
toute une semaine, le tsar a tenu la France dans sa main puissante.
Gela a été un rêve, un beau rêve, et en entendant ces cris de joie
immense, en voyant cet enthousiasme et ce délire des citoyens de la
grand'ville en face d'un empereur qui nous était prêté par la Russie,
on se demande s'il ne faudra pas bientôt leur en donner un pour de
bon et qui soit bien à eux.
De toutes ces fêtes, de toutes ces réceptions, de toutes ces apo-
théoses dont les journaux furent remplis, nous n'avons guère à rete-
nir, en ce qui nous concerne, que les galas de l'Académie nationale
de musique et de la Comédie-Française, et nous en dirons quelques
mots seulement après les articles compendieus qui leur furent consa-
crés par nos confrères de la presse quotidienne.
Spectacle toujours imposant que celui de la grande nef de l'Opéra
avec son superbe escalier à double évolution, spectacle plus imposant
encore quand on en voit gravir lentement les marches de marbre
blanc par une Majesté d'où semblent dépendre les destinées de la
patrie et oar une tsarine toute faite de grâce et de radieuse douceur.
La marche sainte de Gounod, qui déroulait ses ondes sonores et
un peu mystiques pondant cette ascension vers l'empyrée, ajoutait
encore au caractère impressionnant de cette scène.
... Et devant leurs Majestés assemblées, y compris celles de M. et
jjmc pélix Faure, le programme annoncé s'est déroulé sur la scène de
l'Opéra. Mais c'était uniquement la loge impériale qui était le point
de mire de toute la salle, et on paraissait s'occuper fort peu du côté
artistique de la soirée. On admirait la jeunesse de bon aloi du tsar,
sa simplicité suprême, son air de franchise, et aussi un peu cette
timidité non sans grâce qui sied si bien au bel âge. De son côté, la
tsarine conquérait tous les cœurs avec sa haute mine de grande
princesse et en même temps l'innocente bonté qui rayonne sur son
visage; c'était une idole de neige merveilleusement parée, la reine
des steppes étincelante sous les diamants de sa couronne, une de ces
images saintes à la fois naïves et resplendissantes qu'on adore pieuse-
ment dans la cabane des moujiks. Et, tout autour, des uniformes
chamarrés, des grands cordons de toutes couleurs, les ambassadeurs
empanachés, les généraux, les amiraux, les admirables chefs des tribus
arabes drapés dans leurs burnous de blancheur immaculée. Ah ! c'était
bien là le spectacle merveilleux, contre lequel rien ne pouvait lutter.
Et pourtant l'orchestre de l'Opéra s'évertuait de son mieux, meilleur
qu'il ne fut jamais, mettant partout des caresses inaccoutumées et
même de la fougue où il en fallait, ce qui ne s'entend pas tous les
jours. C'étaient tour à tour la marche du maître Saint-Saëns, la déli-
cieuse méditation de Thaïs, un acte de Sigurd presque entier inter-
prété de toute âme par M°"= Caron, MM. Alvarez et Renaud ; c'était la
Korrigane et Mauri. Tout cela est passé presque inapergu et s'est
éteint dans les glaces du protocole et de l'étiquette. Interdiction au
tsar d'applaudir ; interdiction aux autres de manifester avant le tsar.
On voit où cela peut mener.
Puis, le tsar s'est levé et s'en est allé magnifiquement comme il
était venu, toujours poursuivi par la musique et l'orchestre de
M. Marty, niché sous une des cages de l'escalier, qui lui a lancé
comme dernier salut une belle fanfare de Sylvia résonnant admirable-
ment sous les voûtes élevées. Un accord final... etla vision prestigieuse
s'est évanouie, en nous laissant, humbles mortels, nous débattre avec
les tristes réalités de la vie, c'est-à-dire la chasse interminable aux
cochers, qui ne pouvaient ni avancer ni reculer, — chaos impénétrable
de véhicules de toutes les sortes se dérobant à tous les appels.
Et le lendemain, ce fut le tour de la Comédie-Française à
faire ses preuves. Tout se passa cette fois sans musique et n'en alla
que mieux, paraît-il. Le tsar ne se donne pas en effet pour un fervent
de la muse Euterpe, mais il prise volontiers notre fine littérature
française, à ce point qu'il en a oublié les règles de l'étiquette et s'est
mis à applaudir selon sou plaisir. La tsarine en a profité pour rire
aussi à belles dents. C'était peut-être moins majestueux que la veille,
mais infiniment plus cordial.
On a donc tout goûté ce soir-là, et la poésie de circonstance de
M. Glaretie, et le délicat badinage de Musset, et notre Corneille, et
notre Molière. Mounet-Sully, Worms, Bartet et Baretta, Coqaelin
cadet et Reichenberg ont été aux nues.
Et maintenant que le rêve est terminé, que le couple auguste s'en
est allé chercher dans les joies familiales de Darmstadt un repos
bien gagné après tant d'honneurs et de démonstrations fatigantes,
le moment est peut-être bien choisi, en guise d'épilogue à ces soi-
rées glorieuses, de présenter une humble requête à l'Empereur de
toutes les Russies :
SUPPLIQUE AU TSAR
Majesté, vous aurez été touché sans doute de l'accueil ému que
vous a fait notre peuple de France, et de l'amour spontané qu'il vous
a voué. Vous avez été grand et généreux, vous êtes venu à nous dans
notre isolement et nous avez tendu votre main forte et loyale. Ce
peuple peut avoir bien des défauts, mais il n'a pas celui de l'ingra-
titude. Son cœur sait battre au bon endroit. Tous les dévouements, il
vous les doit et on peut presque dire que vous comptez aujourd'hui,
en plus qu'hier, trente-huit milhons de nouveaux sujets, — sinon par
de vulgaires confins géographiques, au moins d'âme et d'afi'ection.
Vous nous avez vus tous ici, chacun dans la mesure de ses forces,
s'ingénier à vous montrer la sincérité de cet attachement, et tous, de
cette grande semaine, vous devez ncus considérer comme vos enfants
d'adoption. Vous êtes notre « petit père » d'élection, comme on dit
dans votre beau pays.
A côté de tout ce qui porte ici une épée, vous avez vu aussi tout
ce qui porte une plume vous célébrer et vous remercier sur tous les
modes ; vous avez entendu nos poètes faire tressaillir la lyre eu
votre honneur, lyre d'airain avec Hérédia aux mâles accents, lyre de
douceur et d'harmonie avec Coppée et Sully-Prudhomme. Notre Aca-
démie vous a souhaité la bienvenue par la bouche éloquente de son
doyen vénéré, Ernest Legouvé. Vous avez daigné sourire aux imagi-
nations de nos auteurs dramatiques. Et nos musiciens ont fait ce
qu'ils ont pu pour vous charmer.
Enfin, de tous les hommages délicats qu'on a pu vous rendre, ce ne
sont pas ceux de nos penseurs et de nos artistes qui ont dû le
moins vous toucher.
Eh bien. Majesté, c'est pour eux que nous vous demandons grâce
et protection en votre vaste empire où les droits de la pensée
française ne sont plus reconnus. Longtemps une convention littéraire
et artistique a lié les deux nations; mais, par suite d'un malentendu
sans doute, elle n'a pas été renouvelée et depuis chacun, en Russie,
peut prendre impunément nos livres et nos œuvres d'art, — sans que
les dépouillés aient même le droit de crier. ,
Est-ce trop vous demander, Impériale Majesté, de faire cesser un
tel abus, et de traiter vos fils de France comme vos fils de Russie?
Ce serait là un don de joyeux avènement sur nos cœurs, et qui y
laisserait d'impérissables traces.
H. MORENO.
324
LE MENESTREL
NouvEAiTÉs. — Miijnonnette, vaudeville-opérette en 3 actes, de M. G. Duval,
musique de M. G. Street.
De même que le célèbre Faust de Gounod sollicita la verve satiri-
que et parodique de Crémieux, Jaime et Hervé, de même Tuaiverselle
Mignon d'Ambroise Thomas vient de tenter MM. Georges Duval et
Georges Street. Nous avions et nous avons encore le Petit Faust, vrai
chef-d'œuvre du genre, qui remonte déjà à 1869; nos neveux retrou-
veront-ils seulement quelque fugitif souvenir de Mignonnelle?
Ce qai manque le plus au vaudeville de M. Duval, c'est la fantaisie
indispensable à ce genre de théâtre. Point ne suffit de faire do
Mignon une petite Montmartroise recueillie dans la forêt de Fontai-
nebleau par le peintre-mécène Oscar de Bois-Colombes et reconnue
au dernier acte par son vieux papa Gharlemagne. modèle pour l'en-
semble; il aurait fallu semer là-iedans de la joyeuse folie et de l'im-
prévu, sans craindre de franchement s'écarter par moments de l'ori-
ginal, suffisamment populaire pour que que le public s'y soit toujours
retrouvé .
Si la musique de M. Georges Street n'a pas la folie exubérante et
spirituelle de celle d'Hervé, et la faute en revient pour la plus grande
part au librettiste, elle est du moins d'une facture très adroite,
comme dans l'enchaînement des différents couplets de café-concert
au premier acte, et d'une inspiration aimable, comme dans le duetto
du second acte.
MM. Germain (Charlemagne-Lothario), Tarride (Oscar-Vilhelm),
Guyon (Lorimus-Laerte), Lauret (Panalellas-Frédéric), M"'"* Filliaux,
iMignonnet(e-Mignon), prenant heureusement possession de la
rive droite après avoir triomphé sur la rive gaucho, et Aimée
Martial (Florestine-Philiue) défendent du mieux qu'ils peuvent les
trois actes.
Mais où le succès a été absolument complet, c'est dans les couloirs
des Nouveautés, et c'est là, en effet, qu'avait lieu la véritable pre-
mière. Il faut complimenter sans réserve M. Micheau pour le goût
exquis avec lequel il a fait décorer, à nouveau et dans une note tout
artistiquement moderne, les dégagements, couloirs et foyers de son
petit théâtre.
Paul-Émile Chevalier.
L'EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
Le Palais de l'industrie jouit en ce moment de son reste, et grâce
à l'iixposilion théâtrale et musicale qui s'y est ouverte depuis quel-
ques semaines, jette un dernier éclat. Avant que l'année présente
soit écoulée, cette horrible bâtisse, qui depuis si longtemps déshonore
tout un côté de cette incomparable promeaade des Champs-Elysées,
unique au monde, aura disparu à jamais pour faiie place aux cons-
tructions destinées à lui succéder dans l'ensemble des travaux rela-
tifs à la prochaine Exposition universelle etqui,osou5 l'espérer, seront
plus en rapport avec le merveilleux décor qu'elles ser jnl appelées à
compléter.
Avant que ledit palais soit passé à l'état de souvenir, jetous donc
un coup d'œil sur cette aimable et intéressante Exposition théâtrale
qui y a élu domicile et dont le succès, étaut donné l'attrait du sujet
et son caractère de nouveauté, ne pouvait être douteux.
Entrons d'abord dans l'immense nef, et jouissons du coup d'œil
curieux et pittoresque qu'elle présente. Dès qu'on y pénètre, la vue
se porte tout naturellemenl sur l'orcheëtre, placé juste en face de
l'entrée et dont la vaste estrade, décorée à l'antique et surmontée d'un
large vélum destiné à la répercussion des ondes sonores, produit le
meilleur efTel. C'est là que chaque jour un excellent corps de sym-
phonistes, habilement dirigé par M. Achille Kerrion, donne des
concerts et des festivals qui sont un des attraits de l'Exposition et
que le public accueille avec le plus vif plaisir.
Si nous avançons précisément du côté de l'orchestre, nous nous
trouvons juste au milieu de la nef, divisée en deux parties égales. A
droite, une rue formée de chaque côté de constructions moyen âge
d'un caractère pittoresque et saisissant, nous conduit au parvis Notre-
Dame, en présence d'une gigantesque reproduction de la vieille et
admirable cathédrale. C'est précisément devant l'église, sur le parvis,
que sont installés les tréteaux sur lesquels Tabarin et ses compagnons,
représentés par MM. Depas et Yves Martel, M""" Frederick et Déneige,
donnent aux. visiteurs, chaque après-midi, une reproduction aussi
animée qu'amusante des célèbres parades qui naguère faisaient la
joie des bons badauds parisiens. Je n'ai pas besoin de dire que les
païades de l'Exposition, tout en restant joyeuses, sont moins incon-
grues que celles qui jadis attiraient la foule devant la baraque
de Mondor et de Tabarin. Nos oreilles ne sauraient supporter ce
que les deux compères faisaient entendre à celles de nos exce'lents
aïeux.
Revenons à l'orchestre et engageons-nous dans l'autre rue, la rue
romaine, qui nous conduira à l'extrémité opposée de la nef. Ici, Iss
constructions antiques, d'un caractère à la fois noble, élégant et
sévère, contrastent naturellement, par leur nature et par leur style,
avec celles de la rue moyen âge, si pleines d'imprévu et d'originalité.
Il est à peine besoin de dire, sans doute, que ces constructions, d'un
côté comme de l'autre, abritent les boutiques et les magasins des
exposants industriels. De même que la première rue nous condui-
sait au parvis Notre-Dame, la seconde nous mène au théâtre antique,
sorte de reproduction en miniature du vaste amphithéâtre d'Orange,
dont l'aspect est fort intéressant. Sur les gradins circulaires de ce
théâtre, destiné à des spectacles athlétiques, peuvent d'ailleurs
prendre place jusqu'à six cents spectateurs.
En dehors même des deux rues, l'exposition industrielle bat son
plein, et de tous côtés l'œil est sollicilé de la façon la plus attrayante.
Puis, des divertissements variés appellent le promeneur et le flâneur.
Derrière l'orchestre se trouve un café-concert qui commence ses
séances lorsque celui-ci a terminé la sienne. Que voulez-vous? il en
faut pour tous les goûts, et je n'hésite pas à constater que ce café-
concert est, lui aussi, fort achalandé, et que sa clientèle est nom-
breuse. Du même côté, l'amateur peut se donner le plaisir de plu-
sieurs autres spectacles pittoresques. Il y a là une grotte mystérieuse,
un guignol d'un caractère particulier, un cinématographe et diverses
distractions d'un semblable acabit.
Je constate toutefois que, pour le public, le grand attrait de cette
partie de l'exposition est assurément la rue moyen âge, avec ses
maisons si curieuses, si amusantes, ses enseignes si caracléristiqnes,
ses auvents si pittoresques. Il y a là une reconstitution charmante,
vraiment artistique, d'un style plein de grâce et de vérité, dont l'attrait
n'échappe pas aux visiteurs, qui s'y portent en foule et s'y arrêtent
plus volontiers qu'ailleurs. Il est certain que M. Chaperon, l'excel-
lent décorateur, auquel on doit en ce genre tous les travaux de l'expo-
sition, a fait preuve ici d'un grand savoir et d'un goût exquis, et
qu'il est parvenu à produire une impression d'art absolument excel-
lente et d'une incontestable originalité.
Toute la nef est d'ailleurs, d'un bout à l'antre et de tous côtés,
ingénieusement aménagée, souriante à l'œil, ordonnée avec goût et
de toutes façons attrayante. Le public s'y presse avec un véritable
plaisir, y promène son oisiveté à la fois indolente et curieuse, et voit
le temps s'y écouler en une flânerie aimable et pleine de charme. Ce
n'est pourtant là, si l'on peut dire, que le côté extérieur et en quelque
sorte frivole de l'exposition. Quand on a bien visité cette partie,
qu'on a écouté l'excellent programme exécuté par l'orchestre, qu'on
a assisté à l'amusante parade qui se déroule devant les portes de
Notre-Dame, il faut gravir le double escalier pratiqué de chaque côté
de la reproduction de l'admirable cathédrale et pénétrer dans les
salles du premier élage, où sont exhibées les précieuses collections
historiques et artistiques qui en forment en quelque sorte le fond
solide et insiructif. Là se présente aux yeux tout ce qui peut inté-
resser l'amateur, le curieux et même le travailleur sérieux: estampes
de toutes sortes, tableaux et dessins, portraits de comédiens et de
chanteurs des deux sexes, de compositeurs, de virtuoses, livres rares,
publications de toutes sortes, médailles, manuscrits précieux, auto-
graphes, modèles et plans de théâtres, décors, costumes, objets
curieux, souvenirs de grands artistes, affiches et programmes de spec-
tacles, partitions, livrets d'opéras, instruments de musique anciens
et modernes, caricatures, marionnettes, que sais-jo? Il y en a pour
tous les désirs, toutes les spécialités et tous les goûts.
C'est tout cela, si vous le voulez bien, que nous visiterons et que
nous regarderons ensemble, avec quelque attention, et que je m'effor-
cerai de vous faire connaître aussi rapidement et aussi complète-
ment que possible. La promenade dans ces galeries, autour de ces
vitrines, à travers ces riches collections, sera tout à la fois intéres-
sante, profitable et amusante, et le temps ne sera point perdu à
considérer une telle foule d'objets curieux et précieux à plus d'un
titre. ''
(A suivre.) Arthur Pougin.
LE MENESTREL
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
PRISONS POUR DETTES
Prisons disparues. — Le manège et les concerts de lord Muzarin à la Force. — L'Anglais
mélomane dans le fort du Hd. — Les grands jours de Clichy : les improvisations de
Julien; les fanfares sonnées par le comte Léon; un drame d'amour et une messe en
musique.
En celle fin de siècle, le mot de pmons pour dettes semble vide de
sens. A uns époque où la contrainte par corps n'existe plus qu'en
matièrecorreclionnelle, nos contemporains s'imaginent difficilement
que la loi ait pu permettre l'incarcération de négociants gênés ou de
joyeiirs viveurs qui ne faisaient pas honneur à leur signature ou qui
se refusaient à payer leurs fournisseurs.
C'est seulement après 1860, qu'en France du moins, disparut une
disposition légale dont l'origine remonte à la plus haute antiquité.
Dès les premiers iàges du monde, le créancier fut maître de la liberlé
du débiteur qui ne pouvait ou ne voulait le satisfaire. Toutes les
législations reconnurent le principe elle consacrèrent par des mesures
variant suivant les mœurs, les coutumes et la civilisation de chaque
pays. Mais plus celui-ci avance dans la voie du progrès, plus les
lois, réglant les rapports de créancier à débiteur, restreignent les
exigences de celui-là. Jadis, l'homme qui ne payait pas ses dettes
élail l'esclave, en quelque sorle la bête de somme de son créancier.
Dans les temps les plus rapprochés de notre époque, la situation
d'un débiteur étaitpresque privilégiée. Sans doute, le créancier qui
avait obtenu un jugement élail autorisé à faire incarcérer son débi-
teur; mais il devait lui assurer dans la prison même une chambre
et une penS'ion convenables, et s'il était d'un jour en retard pour le
paiement de la somme affectée à l'entretien du détenu, celui-ci
recouvrait aussitôt sa liberté.
Or, nombre de prisonniers pour dettes, qui n'ignoraient pas com-
bien cette pension obligatoire exaspérait leurs créanciers, se plaisaient
à rester sous les verrous, comme rats en fromage, si bien que leurs
prétendus persécuteurs devenaient, à ce jeu agaçant et dispsndieux,
de véritables persécutés.
Lord Mazarin est resté le type de ces débiteurs irréductibles au
XVIIl' siècle. Jamais le grand seigneur ne voulut donner une obole a
ses créanciers. Ce fut à leurs frais qu'il passa vingt années de sa vie
à la G'-ande-Force. Il y tenait table ouverte, faisait du manège et de
la haute école dans la Cour de la Dette : il y doQua même des concerts
et des bals qui furent très suivis. L'amour vint embellir sa captivité.
Sans préjugés, mais non sans ressources, le noble seigneur épousa
la lille du concierge de la prison. La Révolution de l';89 lui ouvrit
les portes de la Force, et les créanciers en furent pour leurs frais.
A quarante ans de distance nous trouvons un excentrique du même
genre, un Anglais bien entendu, éeroué au fort du Hè, dans le
quartier de la Dette, pour une somme de six mille francs qu'il
s'obstinait à ne pas vouloir payer. Il avait cependant vingt-cinq
mille livres de rente, et il resta dix-sept ans dans la prison dépar-
tementale de la Gironde, où il vivait d'ailleurs le plus gaiement du
monde. C'était un passionné de la musique populaire. Tous les jours
il appelait des chanteurs ambulants, qui savaient d'ailleurs sa manie,
et leur faisait égrener les perles de leur répertoire. Le concert fini,
il leur distribuait à chacun une pièce de cinq francs.
Mais de toutes les maisons de force, celle qui vit défiler le plus
(l'uiiginaux et célébrer le plus de fêtes, ce fut la prison spéciale
pour dettes de Clichy, disparue aujourd'hui du sol parisien et rem-
placée par des établissements où la gaieté française, sans doute par
habitude, cherche encore sa place. Clichy a trouvé ses poètes et ses
historiens : il est regrettable que pas un compositeur n'ait songé à
en éterniser le souvenir, ne fût-ce même que par une chansonnette :
car, dans celle prison où passèrent les g'ens du meilleur monde, on
faisait beaucoup de musique, de l'excellente, et même de Is carnava-
lesque au superlatif.
Un jour, le chef d'orchestre do Tivoli, le célèbre JuUien, que la
rigueur d'impitoyables créanciers retenait à Clichy, y donna un
concert qui rappelle les harmonies de la fanfare de Moncrabeau.
Sa chamb'-e dominait le mur de ronde qui donnait sur Tivoli. Lors-
qu'il entendit exécuter les quadrilles dont il était le compositeur et
où il s'était réservé la partie de tlùle, il ne put résister à la tenta-
tion de coopérer encore à ces fêtes de la jeunesse, du plaisir et de
l'amour.
11 court de chambrj eu chambre, raccole tout ce qu'il peut trouver
d'instrumentistes pour improviser un orchestre, et les emmène dans
sa chambre. Là, on approche plusieurs tables de la fenêtre qui fait
face à la grande allée de Tivoli, et sur celte estrale Jallien, s'ap-
puyant aux barreaux de fer, passe ses bras et sa flûte en dehors;
puis il joue, avec une incomparable suavité, un solo à rendre jaloux
tous les rossignols des jardins d'alentour. Les habitués de Tivoli,
qui ont reconnu leur virtuose favori, l'applaudissent à tour de bras.
Tout à coup JuUien se rejette dans sa cellule et crie d'une voix de
stentor : « Eu place 1 en place ! »
Aussitôt son orchestre improvisé, l'un avec une armoire devenue
grosse caisse, l'autre avec le.s chandeliers transformés en triangle,
euliu JuUien avec sa flûte, enlèvent en vigueur un quadrille endiablé.
Tous les danseurs de Tivoli quittent la salle de concert et viennent se
trémousser dans le jardin, aux sons violents de cette musique enragée.
Ce divertissement se renouvela plusieurs dimanches de suite : mal-
heureusement, les détenus ayant voulu réaliser avec une livre
d'allumettes chimiques — elles flambaient alors — les exercices
pyrotechniques que la direction de Tivoli appelait l'embrasement de
la terre, celle de Clichy interdit aux prisonniers des concerts et une
mise en scène dont l'apothéose, ainsi comprise, pouvait avoir des
suites moins divertissantes.
Il semblait d'ailleurs que toutes les excentricités fussent permises
dans celle hospitalière prison. Le comte Léon, dont les prodigalités
et les aventures sont restées non moins célèbres que son auguste
naissance, faisait retentir les échos de Clichy des bruyantes fanfares
de son cor de chasse, alors que celle haute fantaisie était formelle-
ment interdite dans les rues et dans les maisons d'. la capitale.
Mais que de fois, dans la vie comme dans les drames, les larmes
sont voisines du rire! Un jour, en cette retraite de viveurs fourbus
où l'on entendait partir du matin au soir des fusées de rire avec les
bouchons de Champagne, une tragédie vint mettre, sur les roses
effeuillées par le plaisir, ses taches de sang.
Francesco Roberli, fils d'un général italien mort au service de la
France, s'était ruiné pour les beaux yeux d'une comédienne qu'il
épousa le jour où il ne lui resta plus rien que son nom. Mais l'actrice,
dépensière autant que capricieuse, ne sut pas comprendre les
devoirs que lui imposait sa nouvelle situation, et son mari, qui
l'adorait, dut faire des dettes pour subvenir aux exigences de la
jeune femme. Au jour de l'échéance, il ne fut pas en mesure de
payer les billets qu'il avait souscrits, et après maints ajournements,
les créanciers le firent écrouer à Clichy.
La comédienne ne parut même pas se douter que son mari était en
prison pour dettes. Elle ne vint pas le voir. Francesco était jaloux et
amoureux. Sa tête travailla, comme on pense bien, et de telle sorte
que le malheureux fut atteint d'une invincible mélancolie. Il s'ima-
ginait que l'ingrate avait un amant, et même qu'elle avait racheté
ses dettes à vil prix pour le tenir plus longtemps sous les verrous.
Il lui écrivait dix fois par jour des lettres passionnées et furibondes
qu'il déchirait presque aussitôi. Il fallut bientôt le surveiller. Il avait
essayé d'entamer le plafond à coup de couteau; une autre fois, ij
avait tenté de mettre le feu à ses meubles. Il voulait sortir à tout
prix de la prison pour aller poignarder son infidèle.
Le directeur fil transporter son pensionnaire dans une chambre
voisine de la sienne, pour le veiller de plus près. Maisle lendemain
Roberli, passant par la cuisine, se saisit d'un couteau et se le plon-
gea dans le cœur.
Ses compatriotes sollicitèrent et obtinrent l'autorisation de lui
rendre les derniers devoirs suivant les usages de leur pays. Ils
lavèrent et parfumèrent son corps, ceignirent son front d'une cou-
ronne de fleurs et l'exposèrenl, revêtu d'habits de fête, dans sa
chambre transformée eu chapelle ardente. Puis ils passèrent la nuit
en prière auprès de lui.
Le lendemain, à la chapelle, Panlateoni chantait la messe d;
Cherubini et Graziani imitait, sur un Pieyel.les sons graves et plain
lits de l'orgue. La scèue était déchirante. Toute la colonie italienne
pleurait; et les détenus qui assistaient en masse, avec recueillement,-
à cette funèbre cérémonie, oublièrent de rire et de banqueter le soir.
(A suivre.) p^ul d'Estbée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
(Suite.)
Je reviens du festival russe chez Colonne. — Le programme com-
prenait YAntar de Rimsky-Korsakow, la symphonie en si mineur de
Borodine, des pièces de César Cui, etc.
326
LE MENESTREL
Décidément beaucoup de musiciens du temps présent n'utilisent
dans la musique symphonique qu'un nombre infiniment restreint de
thèmes, sinon un seul. Ce n'est plus l'idée mère engendrant une foule
d'idées épisodiques. C'est l'idée unique, variée seulement par les colo-
rations changeantes de l'harmonie, des sonorités instrumentales, et
quelquefois par une désarticulation rythmique.
Quand je vois reparaître ce thème d'étage en étage, à toutes les
fenêtres de l'édifice sonore, grogné parles basses, gémi par le basson,
soupiré par le violoncelle, rêvé par l'alto, pastoralisé par le hautbois,
pépié par la flûte, il me semble entendre le maître de philosophie
dire à M. Jourdain :
Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
D'amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux.
Vos beaux yeux d'amour me font, belle marquise mourir.
Mourir vos beaux yeux, belle tnarquise, d'amour me font.
Me font vos beaux yeux mourir, belle marquise d'amour.
A
La plupart des maîtres russes contemporains paraissent sous l'in-
fluence de Liszt et de Berlioz. Chez eux la préoccupation du pittores-
que prime celle de la beauté plastique. Ils en arrivent ainsi à s'atta-
cher même à des effets d'ordre inférieur confinant à ces effets de pure
virtuosité qu'on rencontre jusque dans les meilleures pages de Liszt.
Leurs productions ont souvent quelque chose de lâché, de démesuré
dans les proportions, avec de fréquentes redites qui les font ressem-
bler à des improvisations.
Mais il y a chez eux de belles qualités. Quand ils auront fait le tour
des romantiques, ils viendront aux classiques, à Bach, à Mozart,
à Beethoven, à Mendelssohn, et alors ils donneront des chefs-d'œuvre.
L'École russe date d'hier. L'adolescent préfère toujours Lucain à
Virgile. C'est seulement dans la maturité que le lettré sait discerner,
sentir et aimer la véritable Beauté.
Il y a un grand nombre : •
D'excellents traités d' harmonie depuis Rameau jusqu'à Reicha, Pétis,
Barbereau, Reber, Bazin, Bienaimé.
D'excellents traités de contrepoint et de fugue, depuis Albrechts-
berger jusqu'à Gherubini et Fétis.
D'excellents traités à' instrumentation : celui de Berlioz, qui est un
chef-d'œuvre, ceux de Gevaert, qui sont un véritable monument de
science didactique, les manuels de Savard et du regretté Guiraud.
D'excellents traités de plain-cluint, notamment ceux de La Fage et
de Fétis.
Mais il n'existe qu'uN seul Traité de Mélodie, celui que Reicha écri-
vit jadis, qui est fort remarquable et devrait être remis à jour. A peine
le sujet a-t-il été entrevu par Fétis dans son Traité élémentaire de
musique publié à Bruxelles (Encyclopédie populaire) et esquissé par
Lobe dans son Traité pratique de composition musicale, que M. Gustave
Sandre a traduit dans notre langue, rendant ainsi un signalé service
aux musiciens français.
Quant à l'art de construire un morceau dans les divers genres de com-
position, c'est Lobe seul qui s'est etforcé de l'enseigner d'une façon
complète et pratique à la fois, quoique très rapide, dans ce dernier
ouvrage.
Allons! Voilà deux lacunes que devraient bien combler les théori-
ciens français.
On reviendra à Gounod comme on revient à Lamartine, dont la mu-
sique rendait si bien la nombreuse harmonie! Oa onhlieva Polijeucte
et te Tribut de Zamora comme on oublie Toussaint Louverture ou le
Cou!-s de littérature, et on redemandera à certaines pages de Faust,
de Mireille, de lioméo leur charme exquis, comme, à un degré d'art
supérieur, on redemande aux Méditations, aux Harmonies poétiques, à
Jocelyn, leur génial et céleste enchantement.
La génération nouvelle ne peut comprendre l'impression que cau-
sèrent les premières pages de Gounod, — parce que ces pages, elie
les a connues dés l'enfaace et en a été saturée, — parce que des formes
de Gounod tous les artistes s'emparèrent, et les usèrent sans réserve,
je dirai presque sans pudeur, — parce qu'aussi cette génération ne
veut pas se rendre compte de ce qu'était l'air musical ambiant quand
survint Gounod, et de la tenue que le maître apporta dans le style
du drame lyrique français.
Qui avant lui avait écrit pour notre théâtre quelque chose comme
la première page de Faust, — j'entends le début de l'introduction, —
ou comme le Prélude d'orgue dans la scène de l'Église? Qui avait trans-
porté dans l'opéra ces procédés classiques, ces tours de phrase déli-
cats, ce style où semblait pour la première fois palpiter le souvenir
des grands maîtres, Bach, Mozart, Mendelssohn, Schumann?
Je n'ai aucun éloignement pour la musique comique. Il a été écrit
des chefs-d'œuvre en ce genre. Je crois même qu'aujourd'hui il y
aurait une mine toute nouvelle à explorer, en traduisant la verve
bouffonne, — ou simplement l'esprit, — avec les modalités de la
musique contemporaine. Je suis même étonné que personne n'y ait
encore songé.
Mais j'ai l'horreur de la caricature. La musique dégingandée qui
cherche à parodier avec ses sautillantes chansons, au tour canaille,
aux rythmes hébétants, aux sonorités platement crues, ce qui a fait
la poésie et ce qui a servi de thème inspirateur à tous les arts
dans la suite des âges, me paraît profondément méprisable. Elle a
fait un mal incalculable, qui a été au delà de l'abaissement d'une
des formes les plus charmantes de l'art musical et de l'ennui éprouvé
de plus en plus par la foule aux plus purs chefs-d'œuvre, car elle a
augmenté celte déplorable disposition à blaguer les nobles sentiments,
à se blaguer soi-même, qui est un des travers les plus fâcheux, les
plus nuisibles, — j'ose dire, — un des iléaux de la nation française.
(.i suivre.) A. Montaux.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Échos de Saint-Pétersbourg : Mercredi soir, à la représentation du
théâtre Panaiev/, le public, sous l'impression des nouvelles de Paris, a
demandé la Marseillaise, qui a été exécutée trois fois aux acclamations fré-
nétiques de la salle. L'Hymne national russe a été aussi exécuté trois fois.
Il régnait dans la salle une grande émotion patriotique. — Le même soir,
pendant un entr'acte de la représentation du beau drame de Victorien
Sardou, Patrie! joué en russe au théâtre du Cercle artistique et littéraire
russe, l'orchestre a exécuté la Marseillaise. Le public entier s'est levé,
applaudissant et bissant l'hymne français. L'Hymne national russe, réclamé,
a été joué ensuite. L'enthousiasme était indescriptible.
— Le compositeur tchèque Smetana continue de taire florès après sa
mort. Son opéra la Fiancée vendue vient d'être joué à l'Opéra impérial de
Vienne avec un succès marqué. Le deuxième et le troisième acte ont
surtout plu au public. On n'ignore pas que la princesse de Metternich
tait de grands efforts pour que cet opéra soit présenté au public pari-
sien sur la scène de M. Carvalbo.
— Un fait qui est à peu près complètement ignoré, c'est qu'une adap-
tation française de la Fiancée vendue avait été projetée du vivant même de
l'auteur, en vue de la représentation de l'ouvrage à Paris, où il ambition-
nait d'être joué. A cet effet, Smetana, pour étoffer sa partition, y avait
ajouté plusieurs morceaux ainsi qu'une scène de danse, et avait divisé la
pièce en trois actes, au lieu desTÎeux qu'elle comportait originairement.
Or, c'est cette version « parisienne » de l'œuvre qui est jouée actuellement
sur presque toutes les scènes allemandes, et si le compositeur n'a pas été
assez heureux pour réaliser le rêve qu'il avait caressé d'être présenté au
public parisien, sa famille a du moins la satisfaction de voir que le projet
qui en avait été formé a été très utile au succès de la Fiancée vendue et à la
gloire posthume de Smetana.
— Au petit théâtre du château de Scba-nbrunn, près Vienne, que IVIarie-
Tbérèse lit construire pour amuser ses jeunes tilles et sa cour, le célèbre
ténor Van Dyck fera prochainement ses débuts comme jeune premier. On
y jouera, à l'occasion du mariage du duc d'Orléans avec l'archiduchesse
Marie-DcTOthée, le proverbe d'Alfred de Musset : // faut qu'une porte soit ou-
verte ou fermée, et M"» de Ilohenfels, de Burgthéatre, l'interprétera en fran-
çais avec M. Van Dyck. Malheureusement, le nombre des personnes qui
assisteront à ce début intéressant sera fort restreint, car le théâtre do
Schœnbrunn peut à peine contenir trois cents spectateurs. 11 est fort genti-
ment décoré dans le style Louis XV, et on vient d'y introduire un nouveau
système d'éclairage.
— M"" Lola Beth, qui avait quitté il y a seize mois l'Opéra impérial
de Vienne, a signé avec ce théâtre un nouveau contrat pour cinq années,
à partir d'octobre 1897, étant obligée de remplir plusieurs engagements à
l'étranger avant de pouvoir se fixer do nouveau à Vienne.
— M. Lévi, le célèbre chef d'orchestre wagnérien, actuellement direc-
teur général de la musique â l'Opéra royal de Munich, a été forcé, par
suite du mauvais état de sa santé, de donner sa démission. Le prince-
régent de Bavière lui a conféré l'honorariat de sa charge. En même temps,
le régent a nommé kappellmeisters de la Cour les chefs d'orchestre Erd-
mannsdoerfer et Richard Strauss. Ce dernier, on le sait, est encore jeune
et compte déjà parmi les compositeurs allemands les plus remarquables.
LE MÉNESTREL
327
— Le Grillon du foyer, l'opéra nouveau do M. Goldmark, vient d'être joué
avec succès à l'Opéra royal de Budapest, en langue hongroise. Le compo-
siteur, qui est de nationalité hongroise, assistait à cette première, mais ne
la dirigeait pas. Le puhlic a fait une ovation à son célèbre compatriote, et
M. Goldmark a dû se montrer quatorze fois à la fin de la représentation.
— A l'exposition nationale de Buda-Pest se trouvait une vaste entreprise
de spectacles variés qui avait pris le titre de Constantinople. G&ile entreprise
paraît n'avoir été rien moins que fortunée, car elle vient d'être déclarée
en faillite. Or, son passif s'élève, paraît-il à la somme rondelette de
333.000 florins, soit quelque chose comme 7SO.O0O francs environ.
— Un nouvel opéra-comique intitulé le Flocon de neige, paroles de
M. Willner. musique de M. Henri Berté, vient d'être joué avec succès
à l'Opéra allemand de Prague. Ou reproche cependant à cette œuvre de
se rapprocher trop du genre de l'opérette. L'affiche était complétée par
un nouveau ballet avec chant intitulé la Joueuse de luth, musique de
M. Richard Heuberger, dont le succès a été assez modeste.
— Les Tchèques de Bohème et de Moravie se proposent la construction
d'un théâtre tchèque à Brûnn, capitale de la Moravie, qui ne possède jus-
qu'à présent qu'un très joli théâtre allemand, de construction récente.
A cet efl'et. le directeur du théâtre national de Prague, M. Subert, a orga-
nisé, avec les artistes de ce théâtre, un concert à Prague, dont le succès
matériel et artistique a été fort important. Le programme ne contenait
que des œuvres de compositeurs tchèques.
— On vient de frapper à Prague une médaille commémorative en l'hon-
neur du composil,eur tchèque Smetana et de son opéra le plus populaire,
la Fiancée vendue. L'avers de cette médaille présente le portrait de Smetana
avec le théâtre national de Prague dans le fond et, cet exergue : l'Art
est victorieux; le revers fait voir les deux amants fiancés dans leur costume
national. Les Tchèques achètent beaucoup cette médaille.
— Le théâtre grand-ducal de "Weimar vient d'adopter une réforme de l'or
chestre préconisé par Richard Wagner. Le niveau de l'orchestre a été
abaissé d'un mètre pour les instruments à vent et de cinquante centimètres
pour les instruments à cordes. Mais la première représentation qui devait
inaugurer cette réforme a joué de malheur. On avait d'abord annoncé le
Vaisseau fantôme, ensuite on a changé l'afBche au dernier moment en an-
nonçant Carmen, et le théâtre était bondé. Mais plusieurs artistes qui
devaient joué Carmena.u pied levé sont restés introuvables et on dut rendre
l'argent.
— On vient de trouver un document important concernant J.-S. Bach.
A Dornheim, petit village de Thuringe, on a découvert dans les registres
de l'église protestante l'inscription suivante : « Le 18 octobre 1707, le très
honorable sieur Johann Sébastien Bach, célèbre organiste de Saint-Biaise
à Mulhouse, iils légitime survivant à son père, feu le très honorable sieur
Ambroise Bach, célèbre organiste de la ville et musicien à Eisenach, et la
vertueuse demoiselle Barbe Bach, dernière fille légitime survivante à son
père, feule très honorable sieur Johann Michel Bach, célèbre organiste dans
le bailliage de Jebren, ont été mariés ici, dans notre temple de Dieu,
avec la permission de notre bienveillant seigneur, après la publication
des bans à Arnstadt. » L'église du village de Dornheim était, d'après ce
document, une église, patronale et la permission du seigneur du village
était nécessaire pour la célébration du mariage.
— On vient de trouver à Zurich une composition inconnue de Richard
Wagner, qui porte ce titre : a Deuxième ouverture de concert » ; elle date
du premier séjour de Wagner à Paris. Il paraît, en effet, que cette œuvre
a été écrite avant Riensi. Le chef d'orchestre M. Hegar, à Zurich, qui a eu
la chance de découvrir cette composition dans un vieux carton, l'a déjà
fait exécuter par son orchestre dans une répétition à huis clos.
— Au théâtre lyrique deMilan, le succès de la Navarraise et de sa belle
interprète. M'"'' de Nuovina, est allé croissant toute la semaine, et on en
est, déjà à la sixième représentation.
— Pour procurer à ses gardes une distraction utile et convenable,
Léon XIII a fait construire dans les jardins du Belvédère, au Vatican, un
petit théâtre dont la direction a été confiée à M. Arturo Durantini. On y
donnera aussi des concerts et des soirées musicales. Jusqu'à présent, il n'a
pas été décidé s'il sera permis aux femmes de se produire sur cette scène;
mais le pape permettra aux hommes, invités spécialement aux représenta-
tions, d'y amener leurs femmes et leurs filles. Inutile de dire que le réper-
toire du théâtre sera soumis à une censure rigoureuse au point de vue
des mœurs et de la politique.
— LTne traduction inconnue du Malade imaginaire. Il existe plusieurs tra-
ductions italiennes de la dernière comédie de Molière, et on en connaît
une version en dialecte napolitain, qui a été imprimée en 183b. Mainte-
nant on vient de découvrir qu'il en existe une en dialecte bolonais, laquelle
est conservée dans un recueil de la Royale Bibliothèque Victor-Emmanuel,
de Rome. Elle forme un beau manuscrit du dix-huitième siècle, composé
de trente-deux feuillets numérotés. « Il est étrange, dit un de nos confrères
italiens, que ni Corrado Ricci dans son livre : i Teatri di Bologna nei secoli
XVII e XVIII, ni C. G. Sarti dans son Teotro dialeltale bolognese, n'en fassent
mention. Aujourd'hui le professeur C4iorgio Rossi fait un bel examen de
cette traduction, mettant en relief comme il convient les différences qu'elle
offre avec l'original. Entres autres choses, elle compte trois personnage
de moins. » C'est ce qu'on peut appeler une traduction libre. Mais rien de
ce qui touche Molière ne saurait être indifférent.
— Le Politeama de Trieste ouvrira sa saison le 31 octobre prochain, avec
un spectacle composé de Marta et Coppélia. Parmi les ouvrages annoncés
pour cette saison, nous trouvons Fra Diauolo et les Diamants de la couronne,
d'Auber, una Partita a scacchi de M. Gornaglia, Slratagemma d'amore, de
M. Marenco, etc.
— Deux opéras nouveaux viennent d'être donnés en Italie, avec un
succès médiocre pour le premier, absolument nul pour le second. Cest au
théâtre Bellini de Naples, que le premier s'est présenté, le 26 septembre,
sous le lilve de Padron Maurizio ; c'est un opéra en deux actes, dont la
musique est due au compositeur Giovanni Giannetti. Le second, un Mafioso,
est un drame lyrique, aussi en deux actes, qui a paru sur le théâtre Social
de Varèse, le 29 septembre. Celui-ci est l'œuvre de M. Giuseppe Bonas-
petti pour les paroles, et pour la musiqne de M. Enrico Mineo, jeune
musicien sicilien, élève de M. Platania. La critique juge surtout ce dernier
d'une façon très sévère pour les deux auteurs.
— On écrit de Catane à la Gaszetla musicale de Milan : « Comme nous
l'avions annoncé, le 23 septembre a eu lieu la commémoration de la mort
de Bellini. Sur le monument érigé sur la piazza Stesicorea, sur la tombe du
Dôme et sur le demi-buste du jardin qui porte le nom de l'immortel com-
positeur, furent déposées, par les soins du municipe et de la musique
civique, des couronnes de fleurs fraîches. Le soir, le jardin Bellini a été
splendidement illuminé, les allées pavoisées et le concert communal a
exécuté un programme de morceaux belliniens, écouté par un public
exceptionnellement nombreux. La commémoration était modeste, sans
doute, mais cordialement accueillie, parce qu'ici l'auteur de Norma est
idolâtré. »
— Parmi les artistes engagés au théâtre Argentina de Rome pour la
prochaine saison de carnaval-carême, on cite les noms suivants : soprani :
Mmes Barducci, De Frate et Ricci de Paz; mezso-soprano : Locatello; téncrrs :
MM. Mariacher, Granados, Sigaldi et Borgatti : barytons : Scotti et Gioni.
Manquent encore les. noms des artistes qui seront chargés de l'interpré-
tation du Crépuscule des Dieux, de Wagner. On sait cependant que le rôle de
Siegfried sera tenu par le ténor Grani, qui y a obtenu déjà un grand succès
en chantant cet ouvrage au théâtre royal de Turin.
— La direction du théâtre royal de Madrid vient de publier le tableau
de sa troupe pour la prochaine saison d'hiver. Voici les noms des artistes
engagés. Soprani : M°":s Teresa Arkel, ElenaFons, ReginaPacini,Bendazzi-
GaruUi, Adalgisa Gabbi, Tetrazzini ; mezzo-soprani : Giuseppina Pasqua,
Mila Nicolini, Inès Salvador; ténors : MM. GaruUi, Russitana et Stampa-
noni ; barytons : Ramon Blanchart, Buti, Sammarco et Tabuyo ; basses :
Navarrini, Carlo Walter et Giulio Rossi. Les chefs d'orchestre sont
MM. Giovanni Goula et Pietro Urrutia.
— Il y a à l'étranger des théâtres qui ne flânent pas, et qui pourraient
servir d'exemple â quelques-uns des nôtres. Celui de la Zarzuela, à Madrid,
qui a rouvert sa saison le 26 septembre, promet pour cette saison à sou
public une véritable avalanche d'œuvres nouvelles dont voici les titres :
Caracalla, paroles de M. Felipe Perez, musique de MM. Angel Rubio et
Marqués; Manolos y patrimetres, paroles de MM. Felipe Perez et Fernandez
Sbaw, musique de M. Jimenez; la Piel del diablo, paroles de M. Fiacre
Iraizoz, musique de M. Jimenez; la Parranda, paroles de M. Fernandez
Sha^\', musique de M. Zavala; la Boda de Luis Alonzo, paroles de M. Javier
de Burgos, musique de M. Jimenez; laBora del lobo, paroles de M. Merino,
musique de M. Angel Rubio ; la Fantasia de Carmen, paroles de MM. Ar-
nichos et Celso Lucie, musique de M. Valverde fils; la Expulsion de los
judios, paroles des mêmes, musique de M. Gaballero ; los Arraslraos, paroles
de MM. Lopez Silva et Jackson Veyran, musique de M. Chueca; la Tribu
salvage, paroles de M. Enrique Gaspar, nusique de MM. Gaballero et
Romea ; Sastreria y colchoneria de Pepe Garcia, de M. Ricardo de la Vega;
el Padrino del nese o todo por et arte, paroles et musique de M. Romea. A ces
ouvrages il en faut ajouter encore dont on ne donne pas les titres, paroles
de MM. Miguel Echegaray, Iraizoz, Laria, Gullon, Alvarez, Anaya, Aguso,
Labra, musique de MM. Gaballero, Larregla, Breton, Manuel Nieto, Her-
moso, Chalons et autres. Décidément, ce théâtre est infatigable.
— On vient de représenter avec un succès énorme à Malaga, sur le
théâtre Lara, une nouvelle zarzuela comique intitulée la Boca del Lobo, dont
la musique a pour auteur un artiste très populaire, M. José Cabas Galvan.
PARIS ET DÉPARTEHIENTS
Cette semaine a eu lieu, au Conservatoire, l'élection des quatre pro-
fesseurs appelés par leurs collègues à faire partie du conseil supérieur
d'enseignement. Dans la matinée, on a procédé à l'élection du professeur
à la section de l'enseignement dramatique. Le scrutin a été assez labo-
rieux. Après plusieurs tours, les cinq professeurs ont fini par se mettre
d'accord sur le nom de M. Leloir, qui a été élu. — Dans l'après-midi, à
trois heures, les professeurs de l'enseignement musical se réunissaient et
après un seul tour de scrutin ont été élus membres adjoints de cette
section MM, Saint- Yves-Bax, Jules Delsart et Alphonse Duvernoy. — Les
deux séances ont été tenues dans la petite salle des examens attenant au
cabinet de M. Théodore Dubois, qui les a présidées l'une et l'autre. Ce sont
328
LE MENESTREL
les deux plus jeunes professeurs, MM. Vidal et Xavier Leroux, qui ont
dépouillé le vote.
— A rOpéra-Gomique, la distril]ution donnée de Don Juan n'est exacte
ne varietur que pour MM. Maurel (Don Juan), Fugère (Leporello) et Grasse
(le Commandeur). Les titulaires cités des autres rôles répètent à peu près
tous «pour essai », et c'est en voyant ses artistes au milieu du travail des
études, en jugeant leurs efforts et leurs aptitudes particulières, que
M. Carvalho désignera définitivement les interprètes du chef-d'œuvre de
Mozart, place du Chàtelet. Voilà une communication grosse de désillusions
et de mécomptes futurs.
— Au moment où le cortège impérial a débouché jeudi, sur la place
du Chàtelet, une fanfare, installée par M. Carvalho à la fenêtre centrale
du foyer du théâtre national de l'Opéra-Comique, a attaqué la Marche du
drapeau du régiment des hussards de la garde impériale dont Sa Majesté
est le colonel. Le tsar, surpris d'entendre cette marche de son régiment,
s'est tourné vers le théâtre et a salué. La foule, qui comprenait que quelque
chose de particulier se produisait, a redoublé ses acclamations.
— Les suites d'un gala. 11 est à peu près certain que M. Alvarez, qui a
été ce fameux soir le partenaire très remarqué de M™ Rose Caron dans
les fragments de Sigurd, chantera désormais en représentation régulière le
bel ouvrage de M. Reyer.
— Le petit raout littéraire et musical, — qu'on pourrait appeler l'impromptu
de Versailles tant il avait été rapidement préparé, — donné dans les salons du
grand roi en l'honneur de l'empereur et de l'impératrice de Russie, a tenu toutes
ses promesses. Avec Sarah Bernhard, Delaunay, Coquelin aîné et Réjane,
Leurs Majestés ont pu compléter leurs notions sur l'ensemble des célébri-
tés dramatiques de Paris. Et avec les « danses anciennes » organisées par
MM. Bertrand et Gailhard, ils ont eu comme une reconstitution des diver-
tissements qu'on donnait autrefois dans le merveilleux palais. En inter-
mède musical, M"» Delna, MM. Delmas et Fugère se sont fait entendre
aussi. Leurs Majestés ont paru enchantées de cette petite fête impro-
visée, qui a trouvé son épilogue avec les clairons de la revue de Ghàlons,
— autre genre de musique qui n'a pas laissé le tsar insensible.
— M. Camille Saint-Saëns vient de rentrer à Paris, après une tournée
triomphale en Suisse. Dans toutes les villes où il a passé, ses concerts
d'orgue et chant ont eu un énorme succès.
— M"" Emma Calvé est de retour à Paris, revenant de ses montagnes de
l'Aveyron où elle a passé l'été. C'est le mois prochain qu'elle s'embarquera
pour sa nouvelle tournée d'Amérique.
— Un violoniste polonais fort distingué, M. Stanislas Barcewicz, s'est
fait entendre avec un succès très sincère et très légitime dans deux concerts
russes donnés à l'Exposition du théâtre et de la musique, au palais des
Champs-Elysées. Le talent de cet artiste est remarquable : un beau son,
une rare justesse, des doigts superbes, une virtuosité qui ne redoute
aucune difficulté et qui les résout comme en se jouant, telles sont ses
qualités, qui lui ont valu de la part du public un accueil bruyant et cha-
leureux et d'unanimes applaudissements. On peut regretter seulement que
le choix de la musique qu'il exécute ne soit pas à la hauteur du talent de
l'artiste. Le concerto de Wieniawski est une œuvre bien peu musicale.
sans plan, sans style et sans idées, où l'accumulation des note.s est sim-
plement pour déployer une virtuosité vertigineuse. Quant à la mazurka de
Kontzki, avec ses excentricités, ses sons harmoniques et ses ijizzicati de la
main gauche, c'est proprement de la musique d'acrobate. Le talent pur et
sérieux de M. Barcewicz vaut beaucoup mieux que cela. A. P.
NÉCROLOGf{
De Londres on annonce la mort d'un artiste belge, Aloys Kettenus,
violoniste et compositeur, depuis fort longtemps lîxé en Angleterre, où il
occupait une situation importante, après avoir passé plusieurs années de
sa jeunesse en Allemagne, où il s'était fait entendre avec succès. Né ù
Verviers le "H février iS'2'i, Kettenus, qui parait avoir eu un certain talent
de virtuose, s'est fait connaître aussi comme compositeur. On a de lui un
concerto de violon, un concertino de hautbois, une fantaisie pour clari-
nette, un concertino pour quatre violons et orchestre, un duo pour piano
et violon, des mélodies vocales, etc. Son œuvre la plus importante est un
opéra intitulé Stella Manti, qui fut représenté au théâtre de la Monnaie de
Bruxelles en février 1862 et dont le succès d'ailleurs a été médiocre.
— A Gmûnden (Autriche) est mort un artiste distingué nommé J. E. Ila-
bert, qui était directeur et organiste de la cathédrale. Remarquable et
fécond, dit-on, comme compositeur de musique sacrée, il avait été l'édi-
teur et le rédacteur en chef d'une revue de musique religieuse qui avait
contribué eiGcacement au progrès du chant religieux en Allemagne.
— Un artiste espagnol, Juan Bautista Plasencia Aznar, organiste du
collège du Corpus Christi, à Valence, vient de mourir dans des circonstances
assez singulières. On s'était aperçu d'une perturbation fâcheuse de ses
facultés mentales, et, le 14 du mois dernier, on le conduisait dans le
train express de Valence à Barcelone, jusqu'à une maison de fous située à
San Bay, lorsque auprès de Tortosa, entre les stations de Santa Barbara
et d'Ulldecona, il mourut subitement. On dut transporter son corps jusqu'à
Tortosa, où il fut inhumé.
— Un chanteur italien, Gennaro De Filippo, qui revenait de Constanti-
nople à Calane sur le vapeur Scrivia, s'est suicidé pendant la traversée.
— Une chanteuse de café-concert, miss Bessie Belwood, qui dit-on, était
populaire à Londres comme l'est à Paris M"'= Yvette Guilbert, vient de-
succomber en cette ville à une maladie de cœur.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Étude de M" Tixier, notaire à Évreux.
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En l'étude de M' Tixier, le jeudi 22 octobre 1890, à 2 heures, d'un
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de musique, exploité à Evreux, rue Chartraine, n" il, par M™" Guérin,
(ancienne maison Monvoisin), comprenant la clientèle, l'achalandage et
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marchandises (d'une valeur de 4.000 francs environ), à prix de facture.
S'adresser : 1° à M' Uhl, à Evreux, rue Joséphine, -40, et 2" à M' Tixier.
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Avis aux directeurs de théâtre. — S'adresser AU MÉNESTREL, 2 Ms, rue VWlenne, pour la location des parties d'orchestre et de chœurs
de la mise en scène, et des dessins des costumes et décors.
3^21. - 62"° ANNÉE — N° 42. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 18 Octobre 1896.
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉATI^ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne. les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Tente et Musique de Piano, "20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Provmce. — Pour l'iitrn;;er, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
L Étude sur Orphée (8* article), Julien Tiersot. — IL Semaine théâtrale : Les
deux Chasseursetla laitière de Dnni, t'Irato deMéhul, laPerruc^e, de Clapisson au
ThéiUre-Lyrique de la Galerie-Vivienne, Arthur Poucin ; premières représenta-
tions du Capitaine Fracasse à l'Odéon et de la Reine des Reines h l'Eldorado, Paul-
Éjiile Chevalier. — III. Journal d'un musicien (7° article), A. Montaux. —
IV. L'Exposition du théâtre et de la musique au palais de l'Industrie (2" ar-
ticle), Arthur Pougin. — V. Antoine Bruckner, 0. Berggruem. — VI. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
SI J'AI PARLÉ
mélodie nouvelle de Léon Delafosse, poème de Henri de Régnier. — Sui-
vra immédiatement : Il m'aime, m'aime pas, mélodieitaliennedeP. Mascagni,
traduction française de Pierre Barbier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : Antoine Watteau, n" 4 des Portraits de peintres, pièces pour piano de
Reynaldo Hahn. — Suivra immédiatement : Les Révérences nuptiales, n° i de
la collection des Vieux maîtres, transcription pour piano de Louis Diémer
d'après Boissiortier (1732), répertoire de la Société des instruments anciens.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
[Suite)
Nous l'avons dit, les manuscrits de Gluck sont très incom-
plets, et ne doivent être regardés que comme de simples
esquisses. Nul doute que le maître fit e.xécuter ensuite
le délail de sa partition par quelque copiste expert en les
pratiques intérieures des orchestres, suivant l'usage cons-
tant du XVIIP siècle. L'arlicle : Copiste, du Dictionnaire de
musique de Jean-Jacques Rousseau, nous donne à ce sujet
des notions bien caractéristiques, et qui étonneraient fort
les compositeurs accoutumés au travail raffiné de l'orches-
tration moderne. C'est pourquoi l'on doit considérer les
partitions conductrices et les parties d'orchestre comme
exprimant de la manière la plus complète la pensée de Gluck,
puisqu'elles représentent cette mise au point dernière, exé-
cutée sous sa propre direction. Or, il y a là des divergences
considérables, tant avec la version italienne qu'avec les
intentions esquissées dans le manuscrit. Tout d'abord, le
cornetto est remplacé par les clarinettes, ce qui n'a rien que
de normal; mais, tandis que ces instruments suivent exacte-
ment la partie de premier violon pendant les onze premières
mesures du prélude, les trombones, au lieu de les soutenir
de leurs accords, se taisent pendant toute la durée de cette
exposition instrumentale, et n'entrent qu'avec le chœur,
doublant les voix d'hommes. Cotte disposition est d'autant
plus surprenante que, dans son manuscrit, Gluck avait pris
la peine (nous l'avons signalé) de noter une partie absolument
conforme à celle du 3'= trombone d'Orfeo, et que, d'autre
part, la sonorité de ce prélude funèbre, réduite aux seuls
instruments à cordes auxquels s'unissent simplement les
clarinettes et bassons, doublant les premiers violons et les
basses, est vraiment bien pauvre. Une autre indication du
manuscrit semble corroborer l'intention où était Gluck de
faire entendre les trombones dans ce prélude : ce sont les
mots déjà mentionnés comme écrits devant la ritournelle
finale : Sensa les instr. S'il était spécifié que « les instruments »
dussent se taire ici, c'est apparemment qu'ils avaient précé-
demment joué dans la partie correspondante.
Cependant le témoignage de la partition conductrice et des
parties d'orchestre est formel : les trombones restaient silen-
cieux pendant le prélude aux représentations données à l'Opéra
sous la direction de Gluck. Il nous semble qu'il n'est pas im-
possible de deviner les raisons pour lesquelles le compositeur
s'est résigné à cette suppression, si contraire à sa conception
première et au bon effet du morceau: elles sont tout simple-
ment dans la faiblesse des exécutants d'alors. En effet, avant
Gluck, les trombones n'avaient fait à l'Opéra que des appa-
ritions si timides qu'on peut avancer que l'auteur d'Orphée
en est le véritable introducteur dans l'orchestre français. Il
est donc aisé de concevoir que les trombonistes, ayant si peu
d'occasions d'exercer leur talent, n'étaient pas de première
force, et que, devant la difficulté d'un passage à découvert
où il fallait retenir le son et jouer pMm'ssimo, ils aient reculé
et obtenu la suppression d'une partie qu'ils étaient incapa-
bles d'exécuter. C'est pourquoi, aujourd'hui que les musi-
ciens de nos orchestres ne connaissent plus d'obstacles, nous
pensons qu'il serait bon de rétablir à l'exécution les parties
de trombones telles qu'elles figurent dans la plus ancienne
version de l'œuvre : à l'égard de l'exactitude du texte, ce
serait peut-être s'écarter de la lettre, mais assurément ce
serait rendre hommage à la conception de l'auteur en ce
qu'elle a de plus personnel et de plus spontané.
Nous avons, dans cet examen, négligé complètement les
indications de la partition française gravée: c'est que, dès
le premier morceau, cette partition nous révèle son insuffi-
sance. Oq n'y trouve, en effet, aucune trace de la partie de
clarinette, et, quant aux trombones, ils ne sont indiqués ni
dans le prélude ni pendant le chœur, sauf lorsque survient
l'épisode dialogué des dernières mesures ; d'oii il résulterait
que les trombones, après être restés en silence pendant tout
330
LE MENESTREI
le développement, partiraient soudain, sans que l'on sache
pourquoi, pour jouer huit ou dix notes éparses. — C'est pour
s'en être tenu à ce seul document et n'avoir pas consulté les
manuscrits de l'Opéra (qui, à la vérité, n'étaient probablement
pas communiqués à l'époque) que Berlioz a écrit que « le cornetto,
n'étant pas connu à l'Opéra de Paris, fut supprimé sans être
remplacé par un autre instrument, et les soprani du chœur,
dont il suit le dessin à l'unisson dans la pariition italienne,
furent ainsi privés de leur doublure instrumentale (1). j>
Nous avons vu au contraire que, loin d'avoir été supprimé
purement et simplement, le cornetto fut remplacé, dans des
exécutions de l'Opéra, par des clarinettes.
Nous n'aurons pas à insister aussi longuement sur les
autres morceaux ; mais l'examen de celui-si, outre son inté-
rêt particulier, avait en outre le mérite de nous révéler des
pratiques générales d'autant plus curieuses à observer qu'elles
s'éloignent davantage de celles de notre temps.
Poursuivons la comparaison des deux partitions.
Récitatif: Vos plaintes, vos regrets. — Différent dans les deux
■versions. Au reste, on peut poser en principe que tous les
récitatifs ont été refaits pour la partition française d'Orphée.
Pantomime, reprise et sortie du choeur. — Semblables, sauf
cette réserve que le récitatif : Eloignes-vous, ce lieu coiwient à mes
malheurs, n'existe pas dans la version "italienne.
Scène n, Orphée seul. — Air: Objet de mon amour, et Récita-
tifs. La forme générale est la même dans les deux partitions
(ton de fa dans Orfeo, i\it dans Orphée), et les récitatifs,
sans être parfaitement semblables, sont composés sur les
mêmes éléments. Mais l'instrumentation présente dans les
deux textes des différences sensibles. C'est ainsi que, là
où la partition française indique simplement un hautbois,
on lit dans la partition italienne ce mot, quelque peu inac-
coutumé : Chalumaiix (il y a même écrit : Schalamaux dans la
copie de Vienne). Berlioz avait déjà remarqué une indication
semblable dans VAlceste italienne. « Je n'ai pu savoir exacte-
ment, écrit-il, quel instrument Glucli a voulu désigner par le
mot bizarre de chalumaux. Est-ce la clarinette employée dans le
chalumeau? le doute est permis (2) ». Sans aller jusqu'à cette
interprétation forcée, on peut, ce semble, considérer comme
fondée l'assimilation de l'instrument employé par Gluck avec
le rustique chalumeau, dont l'utihsation dans la scène an-
tique et pastorale d'Orphée n'a, au point de vue de la couleur,
rien de déplacé. — Mentionnons enfin l'emploi de deux
cors anglais, dans la partition italienne, à la troisième strophe :
Piango il mio ben cosi, à l'endroit où la partition française indique
deux clarinettes.
Ces remarques ont un intérêt particulier pour l'histoire de
l'instrumentation: elles nous montrent que si Gluck, dans ses
opéras français, a inauguré les procédés modernes, au con-
traire, jusqu'à la fin de sa carrière italienne, il avait conservé
les traditions des anciennes écoles, auxquelles l'emploi de
ces instruments archaïques ou exceptionnels le rattache ma-
nifestement.
Récitatif : Divinités de l'Achéron. — Développé différemment
daas la partition française.
Scène m, Orphée, l'Amour. — Beaucoup plus développée
dans la version française, où se trouve un morceau nouveau,
l'air de l'Amour: « Si les doux accords de ta lyre ». Récita-
tifs complètement remaniés. Seul, l'air: « Soumis au silence»
(Gli sguardi trattieni) se retrouve exactement dans les deux
versions.
Scène iv, Orphée seul. — Sauf quelques détails du récita-
tif : « Impitoyables dieux », le manuscrit autographe repro-
duit la version italienne, qui se compose de dix-neuf mesures
de récitatif obligé suivi de douze mesures d'un dessin d'or-
chestre rapide et véhément, pendant lesquelles Orphée saisit
(1) H. Berlioz. — A travers chants, p. lU.
H. Beblioz, a travers citants, p. 210.
sa lyre, ses armes, et s'élance vers le chemin des Enfers.
Les autres documents français originaux donnent tous l'air:
« L'espoir renaît dans mon àme ».
Acte ii, Scène i (Tableau des Eufers). La composition géné-
rale est la même dans les deux versions; mais les différences
de détail sont nombreuses et notables.
Au point de vue de la forme et de la disposition des mor-
ceaux, nous n'avons guère à signaler d'autre divergence
qu'une reprise, dans la partition italienne gravée, du prélude
orchestral de l'acte avant l'air d'Orphée: ûeh! plaçait vi con
me, « Laissez-vous toucher par mes pleurs », particularité
dont le manuscrit de Vienne ne porte pas de trace, — ainsi
qu'un plus grand développement donné, dans la partition
française, au chant de ce même air, qui a reçu l'addition de
six mesures (le manuscrit de Vienne, par une correction de
la main de Salieri, ajoute ces six mesures au texte original).
Enfin la partition italienne, d'accord avec l'autographe fran-
çais de Gluck, termine le tableau immédiatement après le
dernier chœur: Ah! quale incognito, « Par quels puissants
accords », tandis que les autres documents français (partition
conductrice, parties séparées, partition gravée, indication du
livret) donnent uniformément pour conclusion à la scène un
air de ballet, sur l'origine musicale duquel nous reviendrons.
En l'absence de toute conclusion instrumentale, la partition
italienne gravée donoe les instructions suivantes :
Cominciano a ritirarsi le furie ed i mostri, e dileguandosi per entro le
scène, ripetono Puliima strofa del Ccrro, che continuando seinprefrattanto,
che si allontano, finisce finalmente in un confuso mormorio. Sparile le
Furie, sgombrati i Mostri, Orfeo s'avança nelTinferno.
(A suivre.) Julien Tiersoi.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre-Lyrique de la Galerie Vivienne : Les deux Cliasseurs et la Laitière,
de Duni: l'Irato, de Méhul: ta Perruclie, de Clapissoii.
Le gentil petit Théâtre-Lyrique de la galerie Vivienne a fait jeudi
dernier sa réouvertnre avec trois pièces nouvelles. Je dis « nouvelles »
pour la génération présente, qui n'en connaît assurément aucune, et
pour cause. Les Deux Chasseurs et la Laitière, dont le livret, dû à
Anseaume, a servi depuis lors à une demi-douzaine de compositeurs,
furent joués à la Comédie-Italienne le 28 juillet 1763; l'Irato, que
Méhul écrivit sur un poème de MarsoUier,, parut à l'Opéra-Comique
le 17 février 1801; enfin, la Perruche, dont les paroles avaient été
fournies à Glapisson par Dupin et Dumanoir, tut représentée au même
théâtre le 28 avril 1840. De ces trois ouvrages, l'un, les Deux Chasseurs,
fut repris à l'Opéra-Comique le 3 août 1868, quelque peu défiguré
quant au poème, avec une instrumentation retouchée et corsée par
M. Gevaert. A peu près à la même époque le Théâtre-Lyrique, alors
dirigé par M. Carvalho, remontait l'Irato, dont l'insuccès était absolu
et complet pour cette simple raison qu'on avait eu la singulière idée
de jouer sérieusement cette pièce, qui porte la qualification de « pa-
rade » et qui doit être en effet jouée comme le Tableau parlant, l'Eau
merveilleuse, ou le Caïd, et que le public n'y comprit rien. Enfin,
depuis sa première apparition, la Perruche ne fut jamais reprise.
J'avais donc raison de dire que ces trois petits ouvrages sont abso-
lument nouveaux pour le public actuel.
En ce qui concerne l'auteur même des Deux Chasseurs, le composi-
teur Duni, son nom aussi est certainement bien ignoré de la plupart
de ceux qui vont être à même d'entendre sa mignonne partition.
Chose assez singulière pourtant, ce petit opéra des Deux Chasseurs est
resté classique en quelque sorte par son titre, que tout le monde
connaît sans savoir une note de la musique, et il est le seul dans ce
cas des vingt ouvrages que Duni donna jadis à la Comédie-Italienne.
Duni, qui fut l'élève de Durante et le condisciple de Pergolèse au
Conservatoire de Naples, était le dixième enfant et le seul musicien
d'un père musicien lui-même et qui occupait une situation assez
honorable. Il était né à Matera, dans le royaume de Naples, le 9 fé-
vrier 1709, et il avait déjà près de cinquante ans lorsque, arrivant
d'Italie, où sa renommée était grande, il vint se fixer à Paris, ou il se
maria. 11 avait fait représenter à Rome, à Naples, à Venise, un certain
nombre d'opéras et d'oratorios qui avaient eu de grands succès, il
LE MÉNESTREL
331
s'était fait applaudir à Vienne, à la cour d'Autriche, pour son talent
délicat de claveciniste, il s'était vu aussi accueilli à Londres avec
la plus grande faveur, enfin il avait écrit pour la cour de Parme, qui
était à celte époque toute française, deux opéras-comiques français,
Ninette à la cour et le Peintre amoureux de son modèle, qu'il envoya ensuite
à Paris et qui furent très bien reçus par le public de la Comédie-
Italienne. Ce fut ce qui le décida à venir en personne et à s'établir
ici, où il devint avec Pliilidor, avec Monsigny, avec le chanteur
Laruette, l'un des fournisseurs attitrés de ce théâtre et l'nn des créa-
teurs du genre de l'opéra-comique.
Il donna successivement à la scène la Fille mal gardée, le Docteur
Sangrado, la Veuve indécise, Nina et Lindor, l'Ile des fous, la Bonne Fille,
Mazet, la Plaideuse ou le Procès, h Retour au village, le Milicien, et, en
1763, tes Deux Clmsseurs, dont le succès surtout fut complet et prolongé,
et qui resta au répertoire pendant près d'un demi-siècle. C'est à pro-
pos de ce petit ouvrage burlesque que les chroniqueurs du temps ont
rapporté une anecdote assez plaisante : « Certain jour d'été, disaient-
ils, que l'on jouait sur un théâtre d'Italie, par sympathie pour le nom
de Duni, qui était Italien, l'opéra français des Deux Chasseurs, un
orage épouvantable éclata tout d'un coup sur la ville. Précisément à
l'inslant où l'ours faisait son entrée sur la scène, un coup de tonnerre
effroyable se faisait entendre, et un cri parlait à la fois de tous les
points de la salle, jeté par les spectatrices qui la garnissaient. Mais
presque aussitôt un éclat de rire général succéda à celte manifestation
d'effroi, lorsqu'on vit l'ours, fort impressionné lui-même, se lever sur
ses deux pieds et faire dévotement le signe de la croix avec les signes
de la plusprofonde terreur.» Je rapporte cette anecdote assez originale,
parce qu'un journaliste belge a eu l'idée de la rajeunir récemment et de
la publier à nouveau, en l'appliquant à une représentation de l'Ours et
le Pacha. Et ledit journaliste se fâchait en remarquant que plusieurs
confrères lui empruntaient son récit sans le citer, et il en revendi-
quait avec ardeur la paternité. Il n'était en vérité qu'un père... putatif.
Les Deux Chasseurs ont été convenablement joués, rue Vivienne, par
M™ Souzy, MM. Delbos et Duranthy. Mais le succès de la soirée a été
incontestablement pour l'Irato, qui a montré avec quel soin le travail
est mené dans ce gentil théâtre. Les rôles étaient ainsi distribués : Pan-
dolphe, M. Berthon ; le docteur, M. Castelain ; Lysandre, M. Viannet;
Scapin, M. Dumas; Isabelle, M"' Jane Valentin; Nérine, M"° Bar-
bary. De ces six artistes, deux, MM. Viannet et Dumas, ne s'étaient
jamais montrés sur la scène et paraissaient pour la première fois de-
vant le public. Eh bien ! je déclare que l'Irato a été joué avec un en-
semble parfait et chanté de la façon la plus agréable, que la repré-
sentation en a été excellente, et que la charmante musique de Méhul
a eu, par ce fait, tout le succès qu'elle méritait. II y a là un petit
tour de force dont il faut féliciter le petit théâtre Vivienne, qui conti-
nue d'être digne de tous les éloges.
Des trois ouvrages inscrits sur l'affiche, c'est le plus récent, la Per-
ruche, qui a paru peut-être le plus vieilli, en dépit de deux ou trois
morceaux agréables. Mais il nous a donné l'occasion d'applaudir
comme il le mérite, et très sincèrement, M. Duranthy, qui a joué et
chanté d'une façon charmante le rôle de Bagnolet.
En résumé, la soirée a été excellente.
Abthtjr Pougin.
Odéon. — Le Capitaine Fracasse (i), comédie héroïque en 5 actes et 7 ta-
bleaux, en vers, d'après le roman de Théophile Gautier, par M. E. Ber-
gerat. — Eldorado. La Reine des Reines, opérette-bouffe en 3 actes, de
M. P.-L. Fiers, musique de M. Ed. Audran.
« Il est souvent périlleux et toujours malaisé de traduire à la scène
un roman célèbre, et, comme disait Théophile Gautier lui-même, de
« transposer » un thème d'un art dans un autre, quoique le public,
dérouté et incertain de ce qu'il aime, paraisse vouloir de plus en plus
favoriser ces tentatives. Néamoins, lorsque le roman doit la majeure
partie de son renom à l'éclat du style et la moindre à l'intrigue, le
plus habile y regarde à deux fois, fùt-il assuré de plaire, car le théâ-
tre vit d'action, et le rôti lui est plus nécessaire que des hors-d'œu-
vre, d'ailleurs si délicieux soient-ils ! »
Vous êtes orfèvre, monsieur Bergerat, et voilà qui est excellem-
ment dit; et puisque vous avez bien voulu prendre soin de l'écrire
dans la préface qui précède votre comédie héroïque, cela nous épar-
gnera la peine d'insister. Le péril parait, quant à présent du moins,
imparfaitement surmonté ; le malaise subsiste tout entier. Et ce ma-
laise vient précisément de ce que votre « travail vous a paru inexécu-
table en prose ». Durant vos cinq actes, "vous vous amusâtes aux
rimes milliardaires et aux expressions précieuses, si et tant que,
(1) En vente chez E. Pasquelle, 11, rue de Grenelle. Prix : 2 fr 50.
souvent, le terme devient absolument impropre et qu'il est difficile
de comprendre, à l'audition plus ou moins impeccable, plutôt moins
que plus, d'artistes de diction trop incertaine, qu'il est fort difficile
de comprendre tout ce que vous avez souhaité dire. Le style de Théo-
phile Gautier, nul n'en ignore, était éblouissant; vous avez voulu
surenchérir, et j'ai grand'peur que votre erreur ne l'ait rendu aveu-
glant. Mais, encore une fois, nous aurions mauvaise grâce à retour-
ner le fer dans un flanc que, gendre très pieux, si galamment et si
spirituellement, vous présentez à nos justes coups.
Et, mesdames, que nulle au moins de vous n'accable
A cause de l'essai, le poète impeccable
Dont le renom illustre inspira notre auteur.
Tbéophile Gautier reste sur la hauteur !
Un gendre vient parfois d'une fâcheuse étoile !
Le vrai coupable est là, derrière cette toile.
Lardez-le, comme avec une flamberge un rat,
Il s'appetle monsieur Emile Bergerat.
Les nouveaux directeurs de l'Odéon qui, en montant le
Fracasse refusé depuis plusieurs années un peu partout, semblent
avoir voulu s'ériger en redresseurs de torts, n'ont qu'imparfaitement
tenté tout ce qu'il fallait pour grandement défendre cette comédie.
Mais ils en sont à leurs débuts, et il est da toute justice de leur faire
quelque crédit. D'ici peu, sans doute, leur troupe, composée d'élé-
ments terriblement disparates, avec une fâcheuse tendance au mélo-
drame, se sera fondue, élaguée, enrichie, et l'on reverra avec plaisir
des artistes de tempérament comme M'"' Mellot, MM. Janvier, Ravet,
un peu trop sage celui-ci, de métier comme MM. Léon Noël, Goste,
Albert Lambert, Cornaglia,Amaury,Montigny,M"'=Barny, de charme
comme M""'* Depoix et Piernold.
A l'Eldorado, il ne saurait être question de littérature ; la Reine des
Reines de M. P.-L. Fiers déroule ses trois actes à la va-comme-je-te-
pousse. Le public du quartier y trouvera son agrément et n'aura pas
au moins la préoccupation très fatigante de chercher à comprendre
ce qu'on veut lui dire. Les amateurs de costumes brillants et de fem-
mes peu couvertes n'auront pas le droit de se plaindre, non plus que
ceux qui aiment les flonflons faciles, M. Audran leur ayant fait ici
large mesure, quelquefois assez heureusement.
La troupe de M, Marchand, directeur fastueux, en tête de laquelle
étincelle la trilogie des grandes duègnes parisiennes, j'ai nommé
l'amusante Mathilde, M""^ Irma Aubrys et Fanny Génat, enlève avec
bonne humeur la Reine des Reines ; on n'en saurait demander plus
à tout ce petit monde de blanchisseuses, dont les héros sont repré-
sentés par MM. Théry, Régnard, Rablet, Pons-Arlès, Grandey, Mau-
rice Lamy, Roger M. (un artiste modeste I qui ne nous donne que
son petit nom et l'initiale de son nom patronymique II), M°"^ Alice
Bonheur et Paulette Darty.
Paul-Emile Chevalier.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
George Sand est venue plusieurs fois à Marseille. Elle logeait
chez le docteur Cauvière. Ce médecin de province, voltairien, comme
on disait alors, exempt de tout préjugé, avait une vive intelligence,
une rare culture d'esprit et un remarquable talent professionnel. Les
idées et les allures de l'auteur à'Indiana n'étaient point pour le cho-
quer. Mais Cauvière avait pour servante une vieille Provençale aussi
dévouée que dévote, qui ne nommait jamais George Sand sans se
signer. Cette servante parlait avec terreur aux voisins de cette
femme toujours habillée en homme, qui fumait comme un dragon, et,
sans la crainte de son maître, elle l'aurait certainement exorcisée
comme si elle avait été en face du diable en personne.
Parmi les familiers de la maison était l'avocat Lecourt, l'ami de
Méry, de Barthélémy, de Gozlan, d'Autran, et surtout de Berlioz.
Lecourt, à qui Berlioz a écrit plusieurs de ses plus intéressantes
lettres, accourait à Paris toutes les fois que le Maître donnait une
oeuvre nouvelle. ïl lui était fanatiquement dévoué.
Lecourt était une physionomie originale. Fils d'une actrice de talent,
il avait conquis de haute lutte au barreau de Marseille une des pre-
mières places. Taillé en hercule, buvant sec, le verbe haut, le cœur
grand ouvert, impitoyable aux médiocres comme aux intrigants,
généreux jusqu'à la prodigalité, il avait de l'esprit à en revendre, la
repartie prompte, du caractère, et, par surcroit, de rares facultés mu-
332
LE MENESTREL
sicales. Lecteur impeccable, il pouvait au besoin diriger un orchestre,
réduire la grande partition, et jouait du violoncelle médiocrement au
point de vue de la virtuosité, mais avec un sens profond de l'œuvre
interprétée, une surprenante autorité et un entrain endiablé. Peu de
professionnels ont fait mieux comprendre que lui les derniers qua-
tuors de Beethoven, qu'il appelait fes routjes (les révolutionnaires!.
Quand George Sand vint à Marseille avec Chopin, Lecourt fut bien
vite leur intime. Il les accompagnait partout.
Un jour, tous trois furent se promener sur les hauteurs de la Tou-
rette, qui surplombaient le Vieux Port. Le mistral soufflait en tem-
pête et la mer démontée soulevait d'énormes masses d'eau qui ve-
naient s'abimer sur les rochers en projetant au loin des paquets de
pluie froide et salée. George Sand et Chopin, émerveillés, ne pou-
vaient s'arracher au spectacle de cette belle horreur, quand tout à
coup Chopin, atteint déjà du mal qui devait l'emporter, oppressé par
le vent et l'àcreté de l'air, tomba en défaillance.
L'endroit était alors désert; — à cette époque, il n'y avait pas non
pins, comme aujourd'hui à Marseille, de nombreux fiacres à la dis-
position du public. La situation devenait critique. Chopin était devenu
incapable de faire un pas, et il y avait loin de la Touretfe à la maison
hospitalière du docteur Cauvière.
Que faire? — l'embarras de George Sand devenait de l'anxiété,
quand tout à coup Lecourt redressant sa haute taille, empoigna Chopin
à bras le corps et le planta sur ses épaules. C'est en cet équipage
que tous trois traversèrent la ville et rentrèrent au logis. Chemin
faisant, George Sand voyant Lecourt en sueur malgré la froide mor-
sure du mistral, lui demanda si son ami était lourd à porter. —
Pourquoi le demandez-vous? réparlit gaillardement Lecourt, vous le
savez, parbleu, mieux que moi ! — Ce qui lui valut une tape à la fois
amicale et offensée de l'auteur de Consuelo.
Chopin et George Sand défendaient obstinément leur porte pour
être à l'abri des curieux et des importuns. Ne pouvant parvenir jus-
qu'à eux, un jeune pianiste, Darboville, qui avait pour Chopin une
admiration enthousiaste, se glissa dans l'appartement par surprise et
se cacha derrière une porte pour l'entendre jouer. Mais voilà qu'une
des personnes présentes se retire et, ouvrant la porte, démasque Dar-
boville. George Sand, qui fumait une cigarette, se leva comme Juuon
courroucée et apostropha l'indiscret avec la dernière vivacité. Celui-ci
se jeta à genoux enjoignant les mains comme devant une divinité et
débita les plus folles litanies en l'honneur de Chopin !
L'affaire n'eut pas de suite, et Chopin admit même plus lard ce
fervent disciple à jouer avec lui dans les concerts qu'il donna au
cours d'une tournée dans le midi de la France.
Peu après, la nouvelle arriva de la mort tragique de Nourrit. Le
noble artiste, avant d'aller à Naples, avait chanté à Marseille ses
plus beaux rôles, notamment la Muette, dans laquelle il avait trans-
porté l'auditoire. Ce fut un deuil public. On organisa un service
funèbre en son honneur et ce fut Chopin qui tint l'orgue.
(A suivre.) A. Montaux.
L'EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
Les salles et les galeries du premier étage du palais sont exclusi-
vement consacrées à l'exposition qu'on a qualifiée improprement de
d rétrospective ». C'est « historique » qu'il eût fallu dire, attendu
qu'elle n'est pas uniquement rétrospective, et que l'actualité y occupe,
et ne pouvait faire autrement que d'y occuper une place importante.
On se rappelle le succès qu'obtint, à l'Exposition universelle de 1889,
l'essai très intéressant d'exhibition théâtrale qui avait été organisée
dans une paitie du palais des Arts libéraux, et comme, tout incom-
plète qu'elle fut, le public s'y intéressait et chaque jour s'y pressait.
Ce succès se renouvelle ici, bien qu'on y retrouve le même défaut
que, dans une série d'articles publiés à cette place même, j'avais
signalé alors : je veux dire le manque absolu de méthode et de
classement, ce que les Allemands, dans leur langage pédantesque,
appeleraient le côté scientifique. Est-il donc impossible d'organiser
dans une exposition de ce genre, si variée qu'elle soit et si pleine
de détails, une méthode rationnelle de classement qui présente les
objets dans un ordre à la fois systématique et historique, de façon
à offrir une leçon au visiteur superficiel et à faciliter les recherches
du travailleur sérieux?
Je ne crois pas, je l'avoue, la dilïiculté insurmontable. C'est affaire
de temps, d'une part, de l'autre, d'entente entre les organisateurs
et les collectionneurs, race peut-être un peu exigeante mais dont il
faut bien, après tout, satisfaire le petit amour-propre en récompense
de leur obligeance. Je prends ici un exemple, imparfait encore,
mais déjà intéressant sous ce rapport : la salle 31, qui est presque
entièrement occupée par la collection très curieuse, très précieuse de
M. Nicolas Manskopf, directeur duMusée musical et théâtral de Franc-
fort-sur-le-Mein. Je trouve làun cadre spécial qui contient 13 portraits
de Liszt, un autre avecLj portraits de Weber, un autre avecS portraits
de MéhuI, un autre avec 22 portraits de Paganini, un autre encore
avec trente-deux portraits de Rossini, puis une série de quarante et
une pièces, portraits ou estampes, relatives à Grétry, accompagnées
de livrets, d'affiches et de médailles toujours se rapportant à lui. Avec
cela, dans d'autres cadres, toute une suite de portraits de musiciens :
virtuoses, compositeurs et chanteurs du temps passé. Ailleurs encore,
une autre suite, du même genre, mais exclusivement contemporaine.
Enfin, à part, toute une série d'autographes, lettres ou musique, fort
intéressante. Et toutes ces pièces, même celles qui sont réunies dans
un même cadre, portent toutes, sans exception, la marque de leur
possesseur. Voici donc une collection particulière qui, en ce qui
la concerne, est entièrement et régulièrement classée. Eh bien, si
l'Exposition, dans son ensemble, avait suivi un errement semblable,
on aurait groupé dans une salle tous les portraits de compositeurs,
dans une autre ceux des virtuoses, dans une autre ceux des poètes
dramatiques, puis ceux des chanteurs et cantatrices, puis ceux des
comédiens et des comédiennes. On aurait groupé de même : les plans
et les vues de théâtres; les caricatures; les costumes; les décors; les
autographes (lettres); les autographes (musique); les livrets d'opéras;
les partitions; les pièces et documents historiques; les livres sur le
théâtre et la musique ; les tableaux et les sculptures ; les instruments
de musique; les affiches, programmes et billets de théâtre; les mé-
dailles etc., chaque objet portant, par les soins de l'administration,
la marque de son propriétaire, afin, comme je le disais, de satisfaire
l'amour-propre des collectionneurs. Ainsi comprise et entendue,
l'Exposition, déjà charmante et pleine d'intérêt, décuplerait sa valeur
et serait appelée à rendre d'inappréciables services.
Telle qu'elle esl, elle a un caraclère de pittoresque et d'imprévu
qui ne lui enlève certes pas sa valeur, mais qui ne la fait pas ressor-
tir comme elle le mériterait, et qui sent un peu trop le décousu.
Tous les objets se trouvent disséminés et dispersés au hasard des
collections de chacun, un peu à la bonne franquette, toutes choses
se trouvant confondues plus que ne le comporteraient la logique et
la raison. Si, comme l'a dit le « législateur du Parnasse »,
Souvent un beau désordre est un ell'et de l'art,
l'art a lieu d'être ici amplement satisfait.
Mais ces réflexions, au sujet de ce qui eût pu se faire, ne doivent
pas nous rendre injustes pour ce qui s'est fait, et je vois seulemeni,
au très grand plaisir que prennent les visiteurs nombreux de l'Expo-
sition, combien ce plaisir serait plus complet, et surtout plus profi-
table encore, si un peu d'ordre avait prévalu sur ce désordre. Il est
incontestable, en tout état de cause, que l'effort a été intelligent et
considérable, et ceci est surtout un enseignement pour l'avenir.
J'en reviens à l'exposition de M. Manskopf, qui est remarquable,
très nombreuse et digne de la plus grande attention. J'ai relevé plu-
sieurs séries de portraits d'un seul et même artiste, et cela déjà est
fort intéressant; mais il y en a plusieurs centaines d'autres : com-
positeurs, virtuoses, chanteurs, cantatrices, éditeurs de musique,
facteurs d'instruments des divers pays de l'Europe musicale, publiés
tant en Allemagne qu'en France, en Angleterre, su Italie, voire en
Russie, qui prend maintenant sa place, et une place importante au
soleil de l'art. C'est là comme une sorte de vaste iconographie musi-
cale, d'un intérêt très vif, d'autant que tels de ces portraits, pour
ainsi dire inconnus, sont d'une excessive rareté. Je le dis en connais-
sance de cause, et en collectionneur expérimenté.
M. Manskopf a exposé aussi une assez nombreuse série d'auto-
graphes. Il y a là des lettres de Grétry, Paèr, Plantade, Stephen
Heller, Liszt, Wagner, Louis Lacombe, Ponchard, Duprez, Giulia
Grisi, Chevillard, etc.; aussi quelques autographes de musique, entre
autres un fragment de LvofT, l'auteur de l'Hymne russe.
Un reçu de Giulia Grisi pour ses appointements au Théâtre-Italien ;
de Paris nous apprend qu'elle gagnait 2.000 francs par mois. Un,j
autre reçu, de Liszt, est ainsi conçu :
Moi, soussigné, j'ai reçu de M. Paur, directeur de la Musique particu-
LE MÉNESTREL
333
lière du Roi, la somme de deux cenls fraucs pour le concert qui a eu
lieu le 3 février 1824 chez son A. R'= Madame la duchesse de Berry.
Liszt.
Paris, 4 mars 184i.
Ceci se rapporte au premier séjour et aux premiers triomphes de
Liszt à Paris, où il était venu sous la conduite de sou père. Il devait
avoir alors environ quatorze ou quinze ans.
Je trouve ensuite une lettre de Grélry, dont j'ignore le destinataire,
et dont le style peint bien l'époque :
M. Darancour, mon cher ami, voudrait vous consulter sur un rôle de
grand-prétre qu'il va jouer dans Elisca.
Vous, qui vous plaisez à ajouter quelques rayons à la faible auréole de
ma musique, vous ne refuserez pas celui qui vous a tant d'obligations et
qui vous embrasse de tout r,Dn cœur.
Paris, 26 mars 1812.
Gréiry.
On préparait en effet à ce moment, à l'Opéra-Gomique, une reprise
à'Elixca, qui eut lieu le S mai suivant.
Voici maintenant une pièce dont la forme est assez curieuse. C'est
un certificat délivré en 1816 à Persuis par les trois anciens inspecteurs
survivants de l'ancien Conservatoire :
Nous soussignés, inspecteurs de l'enseignement dans l'ancien Conser-
vatoire de musique, certifions que Mons'' Persuis (Louis) a été admis par
la voie du concours professeur dans cet établissement le 7 novembre 179o
(16 brumaire an 4), avec les appointemens de 2.500 ', et qu'il a cessé
d'exercer ses fonctions le 23 septembre 1802 [\" vendémiaire an XI), lors
de la réforme opérée par le ministre de l'intérieur.
Paris, ce S juillet 1816.
Le Sceur, L. Cherdbini, Méhul,
Certifié véritable :
Vbnt,
Secrétaire de l'ancien Conservatoire.
Pour se rendre compte de la valeur de ces mots : « ancien Conser-
vatoire », il faut se rappeler qu'à la rentrée des Bourbons en France,
ledit Conservatoire, fruit de la Révolution et par conséquent œuvre
détestable aux yeux des arrivants, avait été simplement supprimé,
et que l'on songeait alors a le remplacer (?) par une « École royale
de musique s réduite à sa plus simple expression. En ce qui touche
Persuis, qui était titulaire d'une classe de violon dès la fondation,
nous voyons, par le certificat ci-dessus, que son traitement annuel
était de 2.S0O francs. M'est avis que les professeurs actuels de violon
ne seraient pas fâchés de voir élever le leur à ce chiffre.
Cette même salle 31 est complétée par la coUectiou de M. Vieille,
qui comprend un certain nombre d'estampes diverses : costumes,
décor.'=. vues de théâtres, etc., et surtout une pièce précieuse, le
Chant du combat, de Rouget de Lisle, écrit de la main même de l'au-
teur.
Dans la salle 2i, une énorme et double vitrine à hauteur de l'œil,
qui tient tout le milieu de la salle, renferma la collection absolu-
ment superbe de M. Louis Biho. D'une part, une série nombreuse
et choisie de portraits de cornéliens du dix-huitième siècle, en grand
format et en épreuves de toute beauté : Préville, Lekain, Volange,
M"'= Desmares, Sophie Arnould, M'"' Favart, M"'-' Clairon et bien
d'autres. En second lieu, toute une suite de caricatures anglaises
coloriées, du dis-huitième siècle aussi, ayant le théâtre pour objet,
et qui sont évidemment d'une excessive rareté. Les amateurs feront
bien d'accorder à cette curieuse collection toute l'attention qu'elle
mérite.
Tout auprès, M. Eugène Bertrand, directeur de l'Opéra, a. exposé
plusieurs cadres intéressants renfermant de fort jolies vues d'anciens
théâtres, entre autres de celui des Variétés à l'époque de sa oonstruc-
tiou, et toute une série très amusante, sur une seule feuille, des cos-
tumes du Panorama de Momus, le prologue joué le 2i juin 1807 pour
l'inauguration de la salle du boulevard Montmarire. On voit que
M. Bertrand s'est intéressé à ee théâtre, dont il a été longtemps le
directeur. Un peu plus loin, c'est M. Montagne qui nous montre un
jeu de cartes très curieux, dont les figures présentent les portraits de
comédiens du temps dans les costumes de leurs meilleurs rôles. En
voici le détail : Pique. Roi : Talma, dans Néron de Britannicus ; dame :
M'" Leverd, dans Célimène du Misantlirope ; valet: Valère, dans Ri-
chard de Robin des Bois (Odéon). Coeur. Roi : Nourrit, dans Tarare de
Tarai-e ; dame : M"° Grassari, dans Amazili de Fernatid Cartes ; valet:
Potier, dans Jacques du Conscrit. Trèfle. Roi : Laïs, dans Aristippe
à'Aristippe; dame: M"" Valère, dans Anna de Robin des Bois; valet :
Lecomte, dans Almaviva du Barbie/' (Odéon). Carreau. Roi : Huet,
dans le Calife du Calife de Bagdad; dame : M"" Brocard, dans Alicea
de Jane Shore; valet : Lepeintre, dans Birbeth de Trilby. La date de la
publication de ce jeu de cartes nous est fournie indirectement par ce
fait qu'il constate l'existence de l'Odéon comme théâtre lyrique, soit
entre 182S et 1829.
Dans cette même salle 24 nous rencontrons encore une assez nom-
breuse collection d'estampes : portraits et vues d'anciens tliéàtres,
celles-ci surtout intéressantes appartenant à M. Paul Blondel, et
une collection du même genre, mais inégale par la valeur des
pièces, et qui gagnerait à être émondée, dont le propriétaire est
M. Saffray.
(A suiore.) Arthur Pougin.
ANTOINE BRUCKNER
Un des grands compositeurs contemporains, Antoine Bruckner, vient
de succomber subitement, à Vienne, dans l'après-midi du 11 octobre,
aux suites d'une grave maladie de cœur qui le torturait depuis quelques
années déjà. La mort a été plus clémente pour le vieux musicien
que sa longue vie; elle l'a cueilli sans aucune souffrance, presque
sans aucun avertissement. La veille de sa mort, Bruckner avait
encore fait une promenade dans le beau jardin français qui entoure
le palais impérial du Belvédère, dans les communs duquel la fille de
l'empereur, l'archiduchesse Marie-Valérie, lui avait fait installer une
délicieuse demeure. Et le jour même de sa mort il s'était encore levé
comme d'habitude, et avait médité longuement dans le fauteuil de
son cabinet, d'où il jouissait d'une vue superbe. Dans l'après-midi
il s'était couché et avait demandé une tasse de thé; après en avoir
bu la moitié, il retomba sur son lit, soupira profondément et ne se
réveilla plus.
La carrière de Bruckner a été des plus singulières et des moins
heureuses. Il était né le 4 septembre 1824 à Ansfelden, village de la
Haute-Autriche où son père était maître d'école. A l'âge de onze ans
il était orphelin et recueilli, comme enfant de chœur, par le chapitre
de l'abbaye de Saint-Florian (Haute-Autriche), où il reçut une forte
éducation musicale. A dix-sept ans on le plaça comme aide du maître
d'école de Windhag (Haute-Autriche) avec cent sous d'appointements
mensuels. Pour exister, le jeune musicien fut obligé de faire aussi
fonction de ménétrier; aux noces et fêtes patronales des environs de
son village il raclait souvent du violon pendant des nuits entières.
Un hasard heureux le fit remarquer par Sechter, un célèbre théoricien
de l'art musical, qui découvrit eu Bruckner, devenu organiste à Saint-
Florian, une âme d'artiste et lui prodigua ses conseils. Après le der-
nier examen de Bruckner, un de ses examinateurs, le compositeur et
chef d'orchestre Herbeck, qui devint plus tard directeur de l'Opéra
impérial de Vienne, s'exclama : Mais ce garçon en sait dix fois autant
que moi ! et lui procura la place de suppléant d'organiste à la cha-
pelle impériale, dont il devint plus tard le titulaire. Peu de temps
après cette bonne fortune il fut nommé professeur de contrepoint,
d'harmonie et d'orgue au Conservatoire de Vienne et professeur de
composition musicale à l'Université de cette ville. Il remplit ces fonc-
tions presque jusqu'à l'âge de soixante-dix ans. A cet âge avancé,
l'empereur François-Joseoh le décora, l'Université de Vienne lui
conféra le titre de docteur honoris causa et la Diète de la Haute-Au-
triche lui octroya une pension décente. Ses dernières années furent
donc relativement heureuses; il parait même que, célibataire, il a pu
économiser une trentaine de mille francs qu'il a légués à ses colla-
téraux et à la vieille bonne qui l'avait soigné jusqu'à la fin.
Pendant longtemps on ne parla de Bruckner que comme organiste.
Sa connaissance profonde du contrepoint et du répertoire de l'orgue
et sa faculté prodigieuse d'improvisation sur cet instrument ont tou-
jours émerveillé ses confrèies. A Paris, à Londres et à Nancy il
avait excité l'admiration des connaisseurs par ses improvisations et
la puissance de son jeu ; eu Allemagne, on n'hésita pas à dire que
Bruckner était le plus grand organiste que le monde avait vu depuis
J.-S. Bach. Mais le public ignora longtemps que Bruckner était un
compositeur infatigable, qui amassait dans ses cartons des partitions
qu'il ne réussissait pas à faire jouer. Il est vrai qu'il avait obtenu, en
1864, un prix pour un chœur à voix d'hommes ';t qu'il pouvait jouer
à Saint-Florian sa propre musique sacrée, surtout sa messe en ré
mineur; mais déjà, en 1865, Bruckner avait composé sa première sym-
phonie, en '«< mineur. En 1868 11 la fit jouer à Linz ; l'exécution en
fut tellement défectueuse que Bruckner profondément découragé
ne travailla plus pendant quelque temps. Il sortit de cet état d'abat-
tement pour composer sa célèbre messe eu fa mineur. En 1872 sa
334
LE MÉNESTREL
deuxième symphonie fut refusée par l'Orchestre philharmonique de
Vienne, qui déclara simplement qu'on ne pouvait pas la jouer. Mais,
en 18"3, à l'occasion de l'Esposition universelle, le même orchestre
l'exécuta avec un succès marqué, et on apprit alors que Vienne héber-
geait un grand compositeur « ce dont on ne s'était guère douté ». La
troisième symphonie était dédiée à Richard Wagner, qui avait pressenti
le génie de Bruckner dès 1872, lorsque le futur maître de Bayreuth
dirigea à Vienne un mémoiable concert, où il fit jouer des fragments
inédits del'Aimeaudu Nibelung. Cette symphonie eut un grand succès en
Allemagne; mais les œuvres suivantes de Biuckiier se heurtèrent de
nouveau à riudifTérence et aussi au mauvais vouloir des musiciens.
Son plus grand triomphe comme compositeur, Bruckner l'obtint avec
l'exécution de sa septième symphonie, en I880, par Nikisch à Leipzig,
et par Lévi à Munich. Dans la capitale autrichienne, Hans Richter,
grand admirateur de Bruckner, n'avait jamais cessé de jouer ses
œuvres, mais leur succès y fut plus contesté qu'ailleurs malgré les
efforts de ses partisans. A Vienne, Bruckner par suite de son admi-
ration avérée pour le maître de Bayreuth, passait pour un « vfagné-
rien » forcené, et cela suffisait à une notable fraction du public pour
battre froid au compositeur.
Bruckner, qui n'a connu la gloire que pendant les quinze dernières
années de sa vie, laisse un œuvre considérable. Il paraît même que
le dernier mouvement de sa neuvième symphonie, qu'il a dédiée, dans
sa profonde religiosité, au bon Dieu, est à peu près achevé ; dans son
testament, il avait ordonné que son Te Deum devrait terminer cette
neuvième symphonie, s'il ne parvenait pas à en écrire le dernier mor-
ceau. Le moment n'est pas encore venu pour dire le dernier mot sur ce
compositeur si richement doué et si fécond, qui aurait pu devenir soqs
tous les rapports le successeur de Beethoven, si ses origines et les
destinées de la moitié de sa vie avaient été plus propices à sou déve-
loppement. Il aurait alors sans doute pu acquérir le sens critique et la
pondération qui font quelquefois défaut à ses compositions, trop
touffues pour être accessibles à tous et pour être universellement
appréciées.
Rien n'égalait d'ailleurs le manque de savoir-faire, l'ignorance du
monde et la maladresse irrémédiable de Bruckner, si ce n'est sa
modestie touchante et la sérénité presque enfantine de son àme. Cet
homme puissamment bâti, au masque de césar romain, aux yeux
clairs reflétant la candeur et la bonté autant que les lueurs du
génie, était timide et embarrassé comme un enfant quand le public
l'acclamait et quand il fallait se montrer dans une salle de concert sur
l'estrade d'un orchestre. Sa grande iîgure, d'aspect monacal, faisait
alors penser à la surprise d'un humble moine auquel on apporterait
dars sa cellule la pourpre cardinalice. Bruckner, qui va dormir à
jamais dans l'église abbatiale de Saint-Florian, au-dessous de l'orgue
qu'il a si souvent fait retentir, survivra sans doute comme composi-
te ur ; sa gloire posthume sera même, croyons-nous, plus répandue et
moins contestée que celle même qui, de son vivant, a adouci les
amertumes de sa vie si longtemps contristée.
0. Berggruen.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (IS octobre). — Les débuts de
M"' Jane Harding, tour à tour annoncés, retardés, puis renvoyés aux calendes
grecques, ont eu lieu tout à coup samedi dernier dans la Traviata. Soirée sen-
sationnelle, qui avait attiré à la Monnaie un public brUlaat pris dans tous les
mondes. La beUe débutante a déployé un luxe de toilettes et de bijoux qui a
pleinement confirmé ce qu'on en avait dit par avance. Quant à la cantatrice
et à la comédienne, tout ce qu'on en peut dire c'est que sa jolie petite voix et
son entière bonne volonté ont paru peut-être insuffisantes pour une scène
comme celle de la Monnaie. Cette curieuse soirée s'est d'ailleurs passée sans
encombre; mais elle n'a pas eu et n'aura vraisemblablement pas de lendemain.
On se demande cependant ce que va devenir Phryné'! M. Saiut^Saëns arrivera
prochainement à Bruxelles; le concert populaire du 23 courant sera consacré
à ses œuvres, et il doit s'occuper aussi des partitions que la Monnaie va mon-
ter de lui, la Princesse Jaune, son ballet inédit, et cette Phryné aussi, disait-on,
réservée à M"» Hardiug: on attend sa décision. Plus heureuse, certes, a été la
reprise de Roméo elJulieUe avec M""» Landouzy et M. Imbart de la Tour. M"": Lan-
douzy ne cache pas son vif désir d'élargir son cadre d'interprétation et d'aborder
certains rôles de demi-caractère. Elle a tant do talent qu'elle peut se permettre
bien des choses et les réussir, malgré tout, par quelque côté. C'est ainsi
qu'elle nous a donné déjà une Manon charmante. Sous les traits de Juliette,
elle n'a pas été moins gracieuse; la poésie rêveuse et douce de Gounod l'a
servie à souhait; sans forcer la noie dramatique, elle a ou de l'émotion par la
simplicité, la pureté et la justesse de l'expression. A côté d'elle, M. Imbart
de fa Tour, qui décidément a conquis les faveurs du public brusellois, a mis
dans le rôle de Roméo beaucoup de chaleur, quelquefois même un peu trop,
et a partagé le très vif succès de sa gentille partenaire. L'ensemble de cette
reprise de Roméo et Juliette a été des plus satisfaisants. Il en a été de même
pour la reprise du Réoe, qui l'a suivie de près.
Le Théâtre-Lyrique flamand d'Anvers a représenté samedi dernier l'œuvre
inédite de M. Jan Blockx, Eerbergprincess (Princesse d'auberge), que je vous
avais annoncée naguère. C'a été une vérita'ble solennité, comme on n'en voit
qu'en pays flamand, avec discours, ovations, palmes et embrassades: l'enthou-
siasme des peuples du Midi n'a rien de comparable à l'enthousiasme anversois
quand il s'y met. Je me hâte d'ajouter que le succès remporté pai' l'opéra de
M. Jan Blockx a été largement mérité. Le livret de M. de Tière est des plus
simples, même un peu naïf: il s'agit de l'éternel combat entre l'amour pur et
l'amour vénal, entre le bien et le mal: un jeune musicien, Merlin, abandonne
sa liancée pour une princesse de cabaret, rusée et fascinai rice: la fiancée
essaie en vain de reconquérir son amant, et le drame se termine par une
scène de meurtre d'où il appert qu'en ce monde la vertu est rarement récom-
pensée, mais le crime toujours puni. Sur ce sujet, prêtant à des épisodes
populaires, et réalistes, plein de mouvement, et en somme très musical, le
compositeur a écrit une partition franche d'allures, nourrie de thèmes origi-
naux, et, avec cela, travaillée d'une façon intéressante, par l'emploi de
« thèmes » caractérisliques qui ajoutent à la couleur de l'œuvre sans l'alourdir
cependant. Cela procède de "Wagner, mais est bien personnel à l'auteur,
reconnaissable dans son inspiration mélodique très abondante, siuon toujours
très ralBnée. On a dit de M. Jan Blockx que c'est le Teniers de la musique ;
la comparaison est juste; il a la corde populaU-e et il la fait \'ibrer avec habi-
leté et avec éclat. Il y a notamment, au deuxième acte, une grande scène
pittoresque de kermesse, avec carillon, danses et chants, d'une animation
étourdissante. Il est à peu près certain que le public bruxellois sera convié à
apprécier bientôt la Princesse d'auberge de MM. de Tière et Blockx, l'ouwage
étant dès à présent traduit en français et prêt à être représenté. L. K.
— De notre correspondant de Londres (15 octobre): L'orchestre Colonne a
débuté ici de la façon la plus heureuse. Le public a montré dans la manifes-
tation de son contentement une chaleur presque continentale, et la presse
s'est mise en frais de qualificatifs i louangeurs pour rendre hommage à l'émi-
nent chef d'orchestre français et à ses musiciens. Le programme du premier
concert débutait par la Jubel ouverture, de "Weber, dont le choix était justifié
par le God save tlie Queu qui la termine. Venait ensuite la symphonie de la
Reformation, de Mendelssobn, dont l'exécution si nette et si lumineuse a été
une révélation pour le public d'ici. Deux fragments du ballet d'Hérodiade,
« les Gauloises » et « les Phéniciennes, » ont provoqué de bruyantes accla-
mations, et l'air de Salomé du même opéra a été rendu par M"' Pregi de
façon à lui valoir une ovation. Les fragments de la Damnation de Faust, —
parmi lesquels les deux airs de Marguerite, chantés par M"'= Pregi — uut été
aux nues, comme bien on pense. La berceuse de Jocelyn, jouée sur le violon-
celle par M. Baretti, et un fragment des Impressions d'Italie, de M. Charpen-
tier, complétaient le programme. — Le second concert a eu lieu hier soir.
L'enthousiasme y a été encore plus grand qu'au premier. On a acclamé la
Symphonie fantastique, acclamé Sous les tilleuls, de M. Massenet, et le ballet
à'Ascatiio, et les Scènes d'enfants de Schumann, orchestrées par Godard: enfin
tout. Un jeune pianiste anglais d'un talent hors ligne, M. Mark Hambourg,
a exécuté dans la perfection un concerto de Schûtt, très exubérant d'ins-
piration. LlSON SCHLESINGER.
— Le Trovatore de Milan écrit ce qui suit, dans le style plaisantin qui
lui est habituel: « La Navarraise et la Vivandière continuent, dans leurs
campements respectifs, à remporter au Théâtre-Lyrique de splendides
victoires, /.a Navarraise, spécialement, a conquis non seulement le cœur
d'Araquil, mais le public tout entier. La de Nuovina triomphe sur toute
la ligne et occupe les avant-postes... dans les sympathies des juges du
camp. L'état-major est toujours superbement commandé par M. Dufriche.»
— L'empereur d'Autriche vient de conférer à Cari Goldmark la croix de
l'ordre de Léopold, qui autorise le titulaire à demander ses titres de noblesse
héréditaire. Les journaux de Vienne, en publiant cette nouvelle, adressent
des compliments très flatteurs au célèbre compositeur, dont la simplicité
et la modestie égalent le mérite.
— Nous avons publié récemment la nouvelle qu'à l'occasion du mariage
du duc d'Orléans avec l'arcb'duchesse Marie-Dorothée, le théâtre du
château de Schœnbrunn serait rouvert, et plusieurs de nos confrères pari-
siens nous ont emprunté cette nouvelle. Ajoutons que d'après nos der-
niers renseignements, l'empereur François-Joseph n'a pas approuvé le
programme de cette représentation de gala, et que le proverbe; Il faut
qu'une porte soit ouverte ou fermée a été rayé. On jouera à sa place, le Piano de
Berthe, la gentille comédie de Théodore Barrière, toujours en français,
avec M"" de Hohenfels et le ténor van Dyck, et la charmante opérette
d'Oflènbach, j¥o«sie»r et Madame Denis, avec M"=' Renard en travesti et
M"!! Mark.
— Une lettre intéressante que M. Féhx Draesecke publie dans un journal
de Dresde, nous apprend que M. Richard "Wagner a conçu l'idée de son
orchestre invisible à Paris. Pendant son premier séjour chez nous, de 1839
à 1842, il fréquentait beaucoup les concerts du Conservatoire. Un jour, il
LE MÉNESTREL
33S
était arrivé un peu tard, et on l'avait fait attendre dans un endroit où
une paroi en bois, qui n'allait pas jusqu'au plafond de la salle, le séparait
de celle-ci. Tout en attendant la fin du morceau en exécution, Wagner
remarquait que l'effet de l'orchestre invisible pour lui était splendide, et
que le son avait une unité, un fondu qu'il ne possédait pas quand on
entendait cet orchestre dans la salle même. C'est dans ce moment que
Wagner se proposa d'arriver un jour à un effet pareil, et qu'il conçut l'idée
de construire un théâtre où il pourrait réaliser cette réforme de l'orchestre.
— On se moque de la statuomanie qui sévit actuellement en France ;
mais il parait qu'en Allemagne on n'est pas moins disposé à statufier les
célébrités locales. Il est même arrivé dernièrement qu'on a érigé à Ruhla
un monument au compositeur peu connu Lux, dans la supposition qu'il
était l'auteur d'une mélodie populaire de Thuringe: Ah ! comment est-ce possible
alors!... Un monument pour une seule mélodie, c'était déjà beaucoup. Mais
voici qu'on vient d'apprendre que la mélodie en question a pour auteur
le célèbre compositeur Kûcken. Que va-t-on faire de la statue de Lux, qui
devient vraiment luxueuse?
— Depuis le 1" octobre le théâtre du peuple, à Munich, donne des repré-
sentations d'opéra populaire. Les prix des places sont tellement insigni-
fiants que même les ouvriers peuvent devenir des habitués de l'Opéra. Le
répertoire laisse encore à désirer — on n'a trouvé rien de mieux jusqu'ici
que des vieilleries italiennes telles que Lucie de Lammei-moor et Norma —
mais la distribution est assez bonne et l'orchestre convenable.
— Un opéra inédit intitulé Mataswintha, paroles imitées de Félix Dàhn,
musique de M. Xavier Scharwenka, a étf. joué avec succès au théâtre grand-
ducal de Weimar.
— Explications complémentaires au sujet de notrR note de dimanche der-
nier sur le manuscril inconnu de Wagner découvert à Zurich: M. Hegar, le
chef d'orchestre de cette ville, avait, eu 1878, organisé une tête musicale à
l'occasion du vingt-cinquième anniversaire des trois grands concerts, que le
maître donna jadis en cette -ville, et Wagner lui avait fait adresser par son
éditeur de Paris, un certain nombre de parties d'orchestre manuscrites. Au
revers de ces feuilles, se trouvaient des fragments musicaux écrits de la main
même de Wagner. M. Hegar n'y avait pas d'abord attaché grande importance ;
il s'esl avisi' ri'lip année de les examiner et il est arrivé à reconstituer toute
une œnvii' ï\ iii|ili(uiique qui porte ce titre: Deuxième ouverture de concert,
et duiii i in,-irunii'ntation n'est pas complètement achevée. On avait tout d'abord
espéré qu'il s'agissait d'une des neuf compositions que Wagner, antérieure-
ment à Riensi, a éi.uites sur le Faust de Gœthe, et dont sixseulemenl figurent
dans les archives de Bayreuth. Vérification faite, le manuscrit retrouvé n'est
pas inédit: c'est l'esquisse de l'ouverture en sol majeur qui fut jouée en 1832,
à Leipzig, en 1873, à Bayreulh et en 1877 à Berlin.
— De 'Varsovie, première dépêche: <s Enthousiasme Lakmé, Regina
Pacini, protagoniste admirable. A dû bisser deux morceaux entre ova-
tions et fleurs. » Deuxième dépêche: » Grand succès Mignon. Protago-
niste Monti-Baldini. Plusieurs bis, ovations infinies. »
— Un opéra nouveau intitulé Parmi les Cosaques, musique de M. Elling,
vient d'être joué avec beaucoup de succès au théâtre de Christiania.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a réuni, lundi
dernier, pour la première fois, le conseil supérieur d'enseignement du Conser-
vatoire, récemment institué. Il arappelé le but de cette organisation nouvelle,
comparant le conseil nouveau — toutes proportions gardées — au conseil
supérieur de l'instruction publique. M. Henry Roujon, directeur des beaux-
arts, a ajouté quelques mots pour e-xposer le but de la première réunion. Le
conseil supérieur a alors procédé à une élection pour désigner à l'agrément
du ministre un profe.<.-;our de déclamation en remplacement de M. Delaunay,
qui a pris sa retraite. Sur 12 membres qui composent le conseil, 11 ont pris
part au vote (M Jules Lemaitre était absent). M. Le Bargy, au premier tour,
a réuni 10 voix et M. Prud'hon 1. Ce dernier avaii d'ailleurs retiré depuis
quelques jours sa candidature. Comme, aux termes du décret ministériel, le
conseil doit f'ésigner au choix du ministre deux candidats au moins, trois au
plus, on a procédé à deux autres scrutins. Au deuxième scrutin — pour le
second rang — M. Baillet a eu 7 voix, M. Saint-Germain, 3 voix, M. Prud'hon
1 voix. Puis, par six voix sur onze, le conseil a décidé qu'il n'y avait pas lieu
de désigner un troisième candidat. Quatre voix sont allées à M. Prud'hon et
une à W^" Favart.
Deux jours après, mercredi, avait lieu une nouvelle réunion du conseil,
présidée cette- fois par M. Roujon, directeur des beaux-arts, pour procéder
au choix des candidats à proposer au ministre en vue des vacances qui se sont
produites dans diverses classes musicales du Conservatoire. Par suite d'erreur
dans les convocations, plusieurs membres de ce conseil, M. Camille Saint-
Saëns, entre autres, se sont rendus dù-ectement au Conservatoire, rue du
Faubourg-Poissonnière, alors que le lieu de réunion était rue de Valois,
qu'ils ont dû gagner fort désappointés. La séance s'est donc trouvée retardée
de quelques minutes, par suite de l'absence des retardataires. Étaient présents :
MM. Roujon, président. Des Chapelles, Ernest Reyer, Massenet, Camille
Saint-Saêns, Théodore Dubois, Paladilhe, Lenepveu, Ch.-M- Widor, Victorin
Joncières, Jules Delsart, Taffanel, Alphonse Duvernoy, Emile Réty et Saint-
Yves-Bax. La séance s'est prolongée jusqu'à près de quatre heures et demie et
n'a pas laissé que d'être laborieuse. Ont été proposés au choix du ministre :
Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de
M. Théodore Dubois, nommé directeur du Conservatoire :
En première ligne, M. Ch.-M. Widor.
En seconde ligne, ex œquo, et par ordre alphabétique, MM. Henri Maré-
chal et Samuel Rousseau.
Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de
M. Massenet :
En première ligne, ex œquo et par ordre alphabétique, MM. Gabriel
Fauré et Charles Lefebvre.
En seconde ligne, M. Paul Vidal.
Cfasse rf'accompagnemeni. — Chaire vacante par suite du décès de M. De-
lahaye :
En première ligne, M. Paul Vidal.
En seconde ligne, ex œquo et par ordre alphabétique, MM, Gabriel
Pierné et Piffaretti.
Classe de violon. — Chaire vacante par suite du décès de M. Garcin :
En première ligne, M. Rémy.
En seconde ligne, M. Desjardins.
En troisième ligne, M. Hayot.
Classe de solfège pour les chanteurs. — En première ligne, M. de Martini.
En seconde ligne, ex œquo, MM. Auzende et Cuinache.
On sait que pour la nomination des professeurs aux chaires vacantes, le
ministre n'est nullement tenu de nommer le premier des candidats pré-
sentés. Il peut indistinctement choisir dans la liste qui lui est offerte, sans
s'en référer à l'ordre hiérarchique créé par les élections.
— L'Académie des beaux-arts, dans sa dernière séance, a décidé que le
prix Estrade-Delcros, de la valeur de S. 000 francs, qui ne devra, en aucun
cas, être partagé, aura pour objet de récompenser une œuvre appartenant
soit aux arts du dessin (peinture, sculpture, architecture, gravure en taille-
douce, gravure en médailles), soit à l'art de la composition musicale. Cette
œu-\Te devra avoir été produite dans les cinq dernières années et jugée par
l'Académie particulièrement digne d'être signalée au public. Le prix
Esirade-Delcros sera décerné pour la première fois en 1899 et ne pour ra
être attribué qu'à un artiste «français » et n'appartenant pas àl'Académ le
des beaux-arts. Le comte Henri Dalaborde, secrétaire perpétuel, a ensuite
donné communication à ses confrères de la très intéressante notice sur la
vie et les œuvres d'Ambroise Thomas qu'il se propose de lire à la séanc e
publique annuelle de l'Académie des beaux-arts. Cette séance aura lieu ,
comme nous l'avons déjà annoncé, le samedi 31 octobre prochain.
— Un décret autorise l'Association des artistes dramatiques à accepter
le legs universel qui lui a été fait par M.^' Pilloy dite Alice Ozi, ancienne
artiste des Variétés, réserve faite des legs particuliers énumérés ci-dessous -
Les arrérages seront exclusivement employés, suivant un règlement spé-
cial qui sera -ultérieurement arrêté et au nom de M"« Alice Ozi, à donner
aux fils orphelins des artistes dramatiques et musiciens faisant partie de
l'Association, et principalement aux orphelins nés dans les départements
de la Seine et de Seine-et-Oise, état, éducation, secours, jusqu'à ce qu'ils
soient en mesure de se suffire. En outre, sont approuvés plusieurs legs
faits par M"« Alice Ozi, entre autres .50.000 francs à l'Association des
Artistes musiciens et 10.000 francs à l'Orphelinat des arts.
— Pour l'inauguration du monument au grand peintre Antoine Watteau,
qui va avoir lieu dans le jardin du Luxembourg, M. Gustave Charpentier
vient d'écrire une cantate qui sera exécutée en même temps que sera dit
un poème de M. Emile Blémont en l'honneur du maître à qui l'on doit
tant d'œuvres exquises.
— Le monument élevé à la mémoire de Gustave Nadaud a été inauguré
dimanche dernier à Eoubaix. Ce monument se trouve à l'entrée du jardin
Barbieux. Il se compose d'une stèle ou pyramide quadrangulaire tronquée,
qui est surmontée du buste de Nadaud en marbre blanc. En avant, deux
pilastres supportant des figures allégoriques sont reliés au pylône par une
sorte de balustrade pleine en hémicycle. Dans cette balustrade, com me
dans le socls, sont incrustés des bas-reliefs en bronze. Enfin, sur la face
interne de la stèle, une Renommée, également en bronze, les ailes éployées,
prend son essor pour offrir au chansonnier sa fleur préférée , la rose.
C'est la rose d'ailleurs qui domine dans l'ornementation du monument, du
style Louis XVI. C'est M. Cordonnier, sculpteur lillois, qui a modelé le
buste de Nadaud, ainsi que les bas-reliefs et les motifs principaux. Les
détails de l'ornementation ont été exécutés sous la direction de M. Poulain.
Le chapiteau du pylône est formé par des attributs de la musique. A la
base de la pyramide, l'inscription « A Nadaud » est gravée en le ttres d'or
au-dessous d'une lyre qui sert de point d'appui à la Renommée. Sur la
face extérieure, un charmant motif, le Nid abandonné, surmonté d'une
partition de musique, a été sculpté dans la pierre. L'architecte de ce
monument est un Roubaisien, M. Lefebvre.
^ Jeudi dernier, à l'Opéra, on a répété pour la première fois, à l'orchestre,
le Don Juan, de Mozart, dont la reprise est officiellement fixée au lundi
26 octobre. Tous les artistes étaient présents, même les artistes à qui les
rôles ont été distribués en double. Cette première répétition, avec tous les
chœurs et la danse, a très bien marché.
— A rOpéra-Comique, pour le même Don Juan, on ne travaille pas moins cha-
leureusement, bien qu'on ne soitpas encore fixé exactement sur la distribution
336
LE MENESTREL
même de l'ouvrage. C'est ainsi qu'il est très sérieusement question do donner
le rôle de Zerline.... à M""^ Delna.Il ne faut pas oublier que la grande Alboni
a interprété, elle aussi, ce gracieux personnage, et que c'est unprécédent glo-
rieux qui peut être suffisant pour justifier la distribution du rôle à la jeune
pensionnaire de M. Carvalho, encore que les oreilles françaises ne soient
habituées à y percevoir que des sons menus et les yeux à y contempler que
des grâces mignonnes.
— Aujourd'hui dimanche, au cirque des Champs-Elysées, concert La-
moureux, dont voici le programme :
Symphonie pastorale (Beethoven); Rédemption, symphonie, introduction de la
deuxième partie (César Franck); Chansons de Miarka, poèmes de Jean Ricliepin,
musique d'.\Iexandre George, chantées par M"' Jenny Passama ; Capriccio espa-
gnol (Rimskj-Korsakow) ; Pîjr dices(i, ariette composée vers 1700 (A. Lotti), chan-
tée par M"" Jenny Passama ; la Jeunesse d'Hercule (Saint-Saëns) ; Ouverture des
Maîtres Chanteurs (Wagner).
— C'est dimanche prochain, 25 octobre, que les concerts du Cliâtelet
feront leur réouverture sous la direction de M. Colonne. Ce premier concert
sera un festival de musique française, dont voici le programme :
Georges Bizet (1838-1875), ouverture de Patrie. — Hector Berlioz (1803-1869),
symphynie fantastique. — César Franck (1822-1890), Psyché, poème symphonique
pour orchestre et chœurs. — Edouard Lalo ivers 1830-1892), Divertissement. —
Benjamin Godard 1 1849-1895), berceuse de Joeelyn ; violoncelle : M. Baretti. —
Léo Delibes (1836-1891), le Poi s'am!«e(airs de danse dans le style ancien).—
Charles Gounod (1818-1893), Hymne à sainte Cécile (par tous les instruments à
cordes). — Ernest Guiraud (1837-1892), Carnaval (finale de la première suile
d'orchestre).
'Voici comment l'excellent critique musical de ta Gironde, M. Paul La-
vigne, s'exprime au suj et de la belle reprise de la Navarraise, qu'on vient
de jouer au grand théâtre de Bordeaux : « On a repris hier soir, au Grand-
Théâtre, 1" « épisode lyrique » émouvant, en deux actes, de MM. J. Claretie
et H. Gain, si remarquablement mis en musique par M. Masseuet. Selon
notre habitude, que nous croyons bonne, nous n'établirons aucune espèce de
comparaison entre M°" de Nuo\'ina, l'Anita d'autan au Grand-Théâtre, et
Mme Georgette Leblanc, la créatrice du rôle au Théâtre-Royal de la Monnaie
de Bruxelles. Toutes les deux sont très remarquables dans des genres diflé-
rents. Mais, à coup sûr, on ne peut pas être meilleure que M""' Georgette Le-
blanc dans le rôle de la Navarraise, qu'elle chante et joue en artiste incom-
parable : ce qu'elle y dépense de naturel, de spontanéité, d'énergie et de
nerfs est incroyable. Ici, je renonce à analyser un talent si remarquable, si
exceptionnel, et surtout si personnel. Ne regardant pas à déployer tous ses
efîorts, toute son impétuosité et toutes ses forces, M™" Leblanc atteint les
effets les plus pathétiques. Le spectateur était haletant devant un pareil tem-
pérament de grande artiste. Nous n'entrons pas dans les détails, nous en
aurions pour deux colonnes. Nous ne donnons que l'impression générale,
très résumée mais très fidèle. Tout Bordeaux voudra voir et applaudir
M.me Georgette Leblanc dans cet ouvrage, d'autant que les autres interprètes,
électrisés par elle, sont tous plus que très satisfaisants. M. Sentein briile les
planches. Un ne reconnaîtrait guère, dans Araquil, l'Arnold de l'autre jour :
M. Ansaldi, avec sa belle voix, joue, s'anime, court, vole; il est transfiguré.
M. Cazeneuve, M. Bédué, sans oubUer M. Dekeghel, artiste dans l'âme,
doivent être cités avec éloges. M. Haring conduit cette musique endiablée en
chef d'orchestre rompu à toutes les innovations musicales de notre admirable
Masseuet. La symphonie entre les deux tableaux a été extrêmement goûtée
et non moins applaudie. En somme, succès éclatant, dont le principal hon-
neur revient à M°" Georgette Leblanc. En résumé, nous avons eu hier soir
une représentation tout exceptionnelle, et qui aura, j'en suis persuadé, les
plus heureuses conséquences sur l'état actuel de notre Grand-Théâtre. M"» Le-
blanc et M. Rieux sont deux sujets qui, à des points de vue totalement dif-
férents, vont attirer la foule ! Mireille et la Navarraise vont faire salle comble,
et combien de fois?... Pendant que, comme lendemains, on aura les repré-
sentations des autres ténors, sans se montrer le moins du monde flatteurs de
l'administration, les amateurs peuvent dire que voilà, décidément, un bon
et beau commencement d'année théâtrale. » .
— Avis aux compositeurs en quête d'un bon livret. MM. Jules Barbier
et Paul de Choudens viennent de publier, à la librairie Calmann-Lévy,
une Clarisse Harlowe qu'ils ont parachevée depuis quelque temps, et qui
contient tous les éléments de pathétique, de couleur et de pittoresque
que peut désirer un musicien moderne.
_ M"' Yveling RamBaud a repris chez elle, 10, place Bréda, ses cours
et ses leçons de chant, de diction et de déclamation dramatique.
NÉCROLOGIE
j. o A.K.cina'
C'est avec un sentiment de chagrin véritable que j'enregistre ici la mort
de mon vieil ami Jules Garcin, que nous avons conduit mardi dernier à
sa dernière demeure. Ce dénouement d'une longue et douloureuse maladie
était depuis trop longtemps prévu pour qu'il pût étonner beaucoup, mais
il n'en laissera pas moins de bien sincères regrets à tous ceux qui ont
connu ce galant homme, cet excellent artiste que, chose rare, son talent
et sa modestie n'avaient pas empêché d'atteindre une situation brillante.
Artiste de cœur et fort instruit, esprit élevé et distingué, Garcin valait
mieux encore que cette situation, qui pour lui s'était fait attendre quelque
peu. Professeur au Conservatoire, chef d'orchestre de la Société des con-
certs, il était, avec son abord que la timidité rendait d'apparence un peu
froide, plein de chaleur de cœur et accessible à tous les enthousiasmes,
et je me rappelle l'appui très elTicace et plein de désintéressement qu'il
me donna, à moi qui jadis avais été un peu son élève, lorsque je m'oc-
cupai, pendant près de dix ans. de l'érection à Givet de la statue de Méhul,
que nous avons pu enfin inaugurer en 1892.
Garcin, qui appartenait à une famille de comédiens de province, la
famille des Garcin et des Chéri (il était le cousin de Rose Chéri, morte si
jeune, de Victor Chéri, qui s'est pendu il y a quelques années, et de la
pauvre Anna Chéri, M"""" Lesueur, qui est folle depuis quinze ans), était
né à Bourges le 11 juillet 1830. Après avoir obtenu au Conservatoire un
second et un premier prix de solfège, il devint un des plus brillants élèves
d'Alard et se vit décerner un accessit de violon en 1848, le second prix
en 1851 et le premier prix en 1853. Il fut aussi élève de Bazin pour l'har-
monie et d'Adolphe Adam pour la compositiou. 'Violoniste fort distingué,
il entra par concours à l'orchestre de l'Opéra, où il devint plus tard violon-
solo et troisième chef, et il fit entendre, dans une séance de la Société des
concerts, un concerto de sa composition, qui était une œuvre vraiment
remarquable. Il dut cependant renoncer d'assez bonne heure à se pro-
duire en public, parce qu'il était atteint de cette petite infirmité qu'on
appelle la crampe des violonistes. Cela, toutefois, ne pouvait l'empêcher
de faire de bons élèves, et il l'a prouvé dans la classe dont il avait été
nommé titulaire en 1875. Lors de la retraite de M. Deldevez, il prit sa
succession comme premier chef d'orchestre de la Société des concerts,
dont il sut maintenir fidèlement les brillantes traditions. Il dut se retirer
lui-même il y a deux ans, atteint déjà de la maladie qui lui causait une
sorte de tremblement convulsif et qui lui enlevait toute confiance en lui-
même. Il est mort le 10 de ce mois, en pleine connaissance de lui-même,
en quelque sorte épuisé par un mal implacable. Huit jours auparavant, il
écrivait les dédicaces de quatre morceaux qu'il venait de publier. L'assis-
tance nombreuse et recueillie qui s'est rendue à ses funérailles a donné
la mesure des regrets que l'excellent Garcin a laissés derrière lui.
Au cimetière, M. Théodore Dubois, directeur du Gonscrva(oirc, a prononcé
une allocution touchante, et a rappelé en termes émus les services que Garcin
avait rendus, comme professeur, à l'école dont il avait été l'un des plus
brillants élèves. « Si je parle, a dit M. Dubois, de celui que nous pleurons
comme professeur, il me suffira de rappeler les succès que ses élèves ont
constamment obtenus aux concours, et l'amour qu'ils avaient pour leur maitre.
Il était bon, dévoué et passionné pour sa classe. Pendant plus de vingt ans,
il a donné à son enseignement du Conservatoire le meilleur de sa vie, de son
activité, de son intelligence, malgré les cruelles souffrances qu'il ressentait
depuis plusieurs années déjà et qu'il supportait avec une résignation tou-
chante ». L'hommage était légitime, et il n'aurait pu être rendu mieux et avec
plus d'autorité ([ue ne l'a fait M. Théodore Dubois. A. P.
— Nous avons le regret d'annoncer aussi la mort d'une femme char-
mante, qui jouit pendant vingt ans de toute la sympathie du public pari-
sien, M""! Gaveaux-Sabatier. bien connue naguère, à l'époque de la grande
vogue de la romance, comme interprète aimable et élégante des chants
gracieux de Masini, de Paul Henrion, d'Etienne Arnaud, de M"" Loïsa
Puget, de M"" Victoria Arago. M""^ Gaveaux-Sabatier, la grâce en per-
sonne, donnait, par son exécution intelligente et fine, à ces petits poèmes
une saveur particulière, et contribuait très efficacement aux succès qu'ils
obtenaient dans le monde et dans les concerts. Depuis longtemps cette
femme aimable avait fait ses adieux au public et s'était consacrée à l'en-
seignement d'un art qu'elle connaissait bien pour l'avoir bien pratiqué.
Elle est morte âgée de 76 ans.
— On annonce la mort de Johan G. Conradi, musicien norwégien qui
s'est éteintâ Christiania à l'âge de76 ans. Il a composé plusieurs mélodies,
de la musique de scène pour plusieurs drames, et a aussi publié une notice
historique sur la musique et les musiciens de la Norwège.
Henri Heugel, directeur-gérant.
CONCERTS LAMOUREUX
(cirque d'été)
DIMANCHE 18 OCTOBRE 1896
<CSÉ:Si.A.Il ir- rt ^A. IV G 151
Rédemption
Morceau symphonique.
Partition d'orchestre, prh noi : 10 fr. — Parties séparées d'orchestre, pris w\ : 20 fr,
Chaque partie supplémentaire, prix net I fr. 50.
Paitition piano et chant, complète, prie net : 10 francs.
Fragment symphonique, transcrit pour deux pianos, 4 mains, prixnet: 6 fr
R. — IMPRIMERIE i
3^22.
62 " AWÉE — \° 43.
Diiiiaiiclic 2S Oclolirc i896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et i\Iusique de Cliant, 20 fr.; Teste et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étroiger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE -TEXTE
]. Étude 3urOrp/iee (9' article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale ; première
représentation de la Viepourle Tsar à l'Opéra russe, Arthur Pougin; premières
représentations de la Poupée k la Gaîlé, des Bienfaiteurs à la Porte-Saint-Mar-
tin et de la Villa Gubij au Gymnase, II. Moreno. — III. L'Exposition du théâtre
et de la musique (3' article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ANTOINE WATTEAU
■a" 4 des Portraits de peintres, pièces pour piano de Reynaldo Hahn. — Suivra
immédiatement : Les Révérences nuptiales, n" 1 de la collection des Vieux
Maîtres, Irauscriptiou pour piano de Louis Diémer d'après Boismortier (1732),
répertoire de la Société des instruments anciens.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : /( m'aime, m'aime pas, mélodie italienne de P. Mascagni, traduction
française de Pierre Barbier. — Suivra immédiatement : Prélude, nouvelle
mélodie de Benée Eldèse, poésie de Henri de Bégnier.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Au point de vue de la succession des tonalités, les diffé-
rences s'accusent davantage. Dans l'opéra italien, l'unité
tonale est si bien observée que la musique du tableau tout
entier a pu être écrite d'un bout à l'autre avec la même ar-
mure à la clef (trois bémols)sans nécessiter la trop fréquente
intervention des altérations accidentelles. Le prélude d'or-
chestre, en mi bémol, s'enchaîne naturellement avec le dessin
de la harpe et la première attaque du cbœur, qui sont en ut
mineur. L'air de ballet suivant, ainsi que la reprise et le déve-
loppement du chœur, se maintiennent dans cette tonalité;
puis on revient en mi bémol, avec l'air d'Orphée. Le chœur
reprend en mi bémol mineur, puis module rapidement, et
amène les deux chants d'Orphée, avec lesquels il alterne en
fa mineur, ton et mode qui se maintiennent jusqu'à la fin.
La transposition du rôle d'Orphée de la voix de contralto
à celle de ténor et la nécessité de donner la seconde partie
du chœur aux hautes-contres ont amené un remaniement
général qui, il faut l'avouer, n'est pas toujours à l'avantage
de la version nouvelle. C'est ainsi que, le prélude instru-
mental restant en mi bi-mol, le chœur avec lequel il s'enchaine
est élevé d'un ton, passant en ré mineur. L'air d'Orphée est en
si bémol, de façon que dans le dessin vocalisé de la dernière
période: « A l'excès de mes malheurs », la voix monte jus-
qu'au contre-ce. Les relations tonales des épisodes suivants
restent un moment ce qu'elles étaient dans l'œuvre origi-
nale, les morceaux se succédant à la quarte inférieure des
tons primitifs : le chœur « Qui t'amène en ces lieux, » en si
bémol mineur, et les deux chants d'Orphée : « Ah I la flamme
qui me dévore, » et « La tendresse qui me presse, » en ut mi-
neur; mais les chœurs: « Par quels puissants accords, i et
« Quels sons doux et touchants », au lieu de rester dans le
même ton, répondent, le premier à la dominante, sol mineur,
le second à la quarte supérieure, fa mineur, ton dans lequel
s'achève la partie chantée de la scène.
Enfin, l'orchestre des deux versions présente des différences
considérables. Dans Orfeo, la suprématie reste, pleine et
entière, aux voix, qui ne sont accompagnées que par les ins-
truments à cordes, avec, de loin en loin, quelques notes de
hautbois et de cors, ainsi que la harpe d'Orphée. C'est du
moins tout ce que spécifie le manuscrit de Vienne. Déjà
pourtant la partition gravée à' Orfeo mentionne les tromboni e
cornetto comme renforçant les voix sur le « No ! » par lequel
les voix formidables des démons répondent à la supplication
d'Orphée : les parties de ces instruments sont notées sur la
même portée que celle des violons. Les cornetti, avec les
hautbois, sont encore portés comme doublant la partie des
premiers violons dans les chœurs: Misei-o giovane et Ah! quale
incognito.
Dans la partition française gravée, il n'est fait mention que
d'une trompette (dans Orfeo, c'étaient des cors) mêlant, dans
le prélude, ses notes isolées et aiguës aux sons graves et
tenus des instruments à cordes et des hautbois, et, sur le
a Non! » de l'air « Laissez-vous toucher », aucun nom d'ins-
trument de cuivre n'est porté à la tablature. Mais les autres
documents français donnent des indications toutes différentes.
C'est d'abord la partition conductrice et les parties séparées
qui nous montrent, dès le prélude, la trompette et les cors
jouant ensemble, et les trois trombones unissant leurs puis-
santes voix aux accords plus sourds des instruments à cordes
dans le grave et des hautbois et bassons. Les trombones conti-
nuent et doublent les voix d'hommes pendant toute la durée de
la scène, même dans les morceaux ayant un caractère doux,
— tandis que les clarinettes unies aux hautbois accompagnent
les soprani et que les bassons suivent la partie des basses à
cordes. Ainsi la sonorité de la partie chorale est-elle consi-
dérablement renforcée.
Gomme on l'a expliqué précédemment, la partition conduc-
trice et les parties d'orchestre sont des documents qui doivent
faire autorité par-dessus tout autre ; aussi, les ayant consultés,
ne saurions-nous partager l'avis de Berlioz lorsqu'il écrit:
338
LK MUNESTUl'L
« Des trombones furent ajoutés par l'un des anciens chefs
d'orchestre de l'Opéra dans certaines parties de la scène des
Enfers où l'auteur n'en avait pas mis, ce qui affaiblissait
nécessairement l'effet de leur intervention dans la fameuse
réponse des démons : « Non ! j où le compositeur a voulu
les faire entendre (1) ».
Il est visible, en effet, que les parties d'orchestre ne portent
aucune trace d'addition à la version primitive, : elles ont
toutes les apparences d'être celles-là mêmes qui ont servi dès
la première représentation. D'autre part, l'autographe, malgré
ce qu'il a de sommaire, va nous donner encore une indication
précieuse, quoique pouvant rentrer dans la catégorie des
« infiniment petits » : c'est, dans la marge, à l'entrée du
choeur: « Quel est l'audacieux», et devantles quatre portées
réservées aux voi.x, ces deux simples mots : « Les instru-
ments »; puis, dans l'air d'Orphée, devant le « Non! », le
mot tutti entre les portées où le chœur est noté et celles
des parties d'orchestre. Or, déjà nous avons vu que, dans
le premier chœur, ces mots : « Les instruments » s'appli-
quaient à la combinaison des trombones et clarinettes dou-
blant les voix. Leur présence ici n'est pas moins signi-
ficative, et vient confirmer l'idée que, le manuscrit de Gluck
n'étant qu'une simple esquisse, la forme orchestrale défini-
tive fut exécutée d'après ses indications et conformément
aux ressources du théâtre, et que cette forme est celle qui
nous est parvenue par les diverses copies restées à l'Opéra.
Scène ii. — Le tableau des Champs Elysées a reçu dans la
partition française un développement plus considérrible que
celui qu'il avait dans la partition italienne; l'énumération
suivante en donnera la preuve:
Air de b.a.llet en fa. — Existe identiquement dans les deux
versions.
Air de ballet en ré mineur ; reprise du précédent : air en ut ;
SOLO ET CHOEUR : Cet asile aimable et tranquille. — Manquent tota-
lement dans la partition italienne.
Scène m. — Air d'orphée : Quel nouveau ciel, — Clie piiro ciel.
Existe dans les deux partitions, mais a subi dans la deuxième
des remaniements considérables et très intéressants à étu-
dier. Les dessins principaux, celui des premiers violons en
sextolets de doubles croches, celui des seconds violons avec le
gntpetto si caractéristique dont Beethoven et Berlioz ont fait,
après Gluck, un non moins heureux emploi (dans la Symphonie
pastorale, la scène des Sylphes de la Damnation de Faust, etc.),
la discrète batterie des altos divisés, le chant expressif du
hautbois, dialoguant avec la calme mélopée de la voix, tout
cela est dans les deux œuvres: mais, dans Orfeo, cette poly-
phonie si limpide était compliquée par un dessin passant
sans cesse de la flûte traversière au violoncelle solo, et que
Gluck a supprimé, simplifiant son œuvre première pour
l'amener au plus haut point de perfection.
Scène iv. — air de danse, récitatif et chœdr. — Sauf deux
mesures ajoutées au chœur des Ombres heureuses : Torna o bella
al tuo consorte ( « 11 s'aperçut fort tard, dit Berlioz, que l'absence
de cette mesure détruisait la régularité de la phrase finale »),
le remaniement du récitatif, enfin l'addition des flûtes et des
clarinettes dans l'accompagnement des chœurs, cette fin du
deuxième acte est la même dans les deux partitions.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Opéra russe (au Nouveau-Théâlre). La Vie pour le Tsar, opr-ra en cinq actes
de Micliel de Glinka. (19 octobre 1896) .
Le rideau se lève sans préparation, sur un large accord de l'or-
chestre ; entouré des chœurs, un monsieur s'avance sur la scène
(c'est M. Devoyod) en costume de moujik, longues bottes, culottes
(1) H. Befu-ioz, a travers chants, p. H5.
grises, blouse rouge, bonnet de fourrure, et il entonne d'une vois
superbe l'hymne russe, que les chœurs répètent avec lui, on applaudit,
le rideau retombe, et bientôt sont frappés les trois coups sacramentels
qui donnent le signal de l'ouverture de la Vie pour le Tsar.
Il serait peut-être prétentieux de dire que nous connaissons la Vie
pour le Tsar après la représentation inégale (je suis indulgent) que vient
de nous en offrir le Nouveau-Théâtre, représentation dans laquelle
l'œuvre a été tronquée et mutilée avec une familiarité que j'oserais
qualifier d'un peu sacrilège. Au point de vue musical, suppression de
l'air d'Antonide au premier acte, suppression au troisième du superbe
chœur de villageois, larges coupures dans l'épilogue; au point de
vue scénique, suppression de l'entrée en bateau de Sabinine, suppres-
sion plus grave de l'entrée du tsar qui forme le dénouement superbe
de l'œuvre, etc. Je sais bien que l'exécution d'une telle œuvre est
ardue, difficile sous tous les rapports, et je me rends parfaitement
compte de l'effort qu'il a fallu pour nous en donner encore ce sem-
blant et cette apparence. Il n'en est pas moins vrai que je défie bien
celui qui ne la connaît pas, qui ne l'a pas étudiée, de s'en faire une
idée même approximative après l'avoir vue et entendue dans des
conditions aussi fâcheuses et aussi incomplètes. Et pourtant, malgré
tout, la beauté lumineuse de certaines pages s'impose encore à l'at-
tention et à la sympathie ; et n'y eùt-il, dans celte noble partition de
la Vie pour le Tsar, que l'admirable scène de Soussanine au quatrième
acte, lorsqu'il égare volontairement dans la forêt les Polonais qui ne
vont pas tarder à l'égorger, cette scène si pathétique et d'une si
poignante mélancolie, qu'elle suffirait à classer Glinka au nombre des
musiciens de génie.
C'est surtout en entendant cette scène superbe et si émouvante
qu'on s'étonne de la puissance d'impression qu'elle peut produire
après soixante ans écoulés, ce qui prouve bien que, même en musi-
que, la vérité d'expression ne vieillit pas, car ilya tout juste soixante
ans que la Vie pour le Tsar fit son apparition au théâtre Impérial de
Saint-Pétersbourg, le 9 octobre 1836 (27 septembre du calendrier
russe). Les quatre rôles de l'ouvrage (il n'y a avec eux que deux
personnages absolum'iut accessoires) étaient tenus par l'excellente
basse Pétrof (Soussanine), le ténor français Charpentier, qui se faisait
appeler Léonof (Sabinine), M"* Vorobief, qui allait devenir bientôt
M™ Petrovna (^^ania) et M""» Stepanova (Antonide). On sait que l'œu-
vre fut bientôt acclamée comme essentiellement nationale, et cela
non seulement à cause du caractère patriotique du sujet, mais aussi
en raison de la couleur vraiment autochtone de la musique. Le succès
éclatant qui l'accueillit tout d'abord ne s'est jamais démenti, et il est
encore aussi vif aujourd'hui qu'à l'origine. Le 17 décembre 1879 on
donnait à Saint-Pétersbourg la SOO'^ représentation de la Me pour le
Tsar, et sept ans après, en 1886, on célébrait, avec la ."577', le cinquan-
tième anniversaire de son apparition devant le public. Ce fut ici
comme une sorte de véritable solennité nationale (le matériel scé-
nique avait été complètement renouvelé à cette occasion), qui eut son
contre-coup dans toutes les villes de l'empire qui possédaient un
théâtre d'opéra et qui, toutes, représentèrent aussi l'ouvrage ; il fut
même joué à Moscou sur deux théâtres à la fois. Celle circonstance
donna lieu à deux publications intéressantes : une Histoire de « la Vie
pour le Tsar » de M. P. Weimarn, et une brochure de M. "Vladimir
Stassof, le fameux critique, ornée des portiails de Glinka et de sa
sœur, M""*^ Ludmilla Schestakow, si intimement liée à sa gloire, et
d'une reproduction de la statue du maître à Smolensk.
Le sujet de la Vie pour le Tsar -peut se lésumer en peu de mots.
L'action se passe en 1613, alors que les Polonais, à la suite de la mort
du tsar Boris Godounof, avaient envahi l'empire russe et s'étaient
avancés jusqu'à Moscou. Comprenant le danger qui menaçait son indé-
pendance, la nation tout entière se serrait autour du jeune Mikhaël-
Fédorovitch Romanof, qui venait d'être élu tsar, et, selon les chro-
niques, les Polonais avaient formé le projet de s'emparer de la per-
sonne du nouveau souverain. Quelques-uns de leurs chefs, le cherchant
sans savoir où le trouver, s'adressent à un paysan, Ivan Soussanine,
et lui ordonnent de les mener auprès de son maître. Celui-ci, flairant
une trahison, fait bravement le sacrifice de sa vie pour sauver son
souverain et son pays : feignant d'obéir, il envoie Vania, son fils
adoplif, prévenir le tsar du danger qui le menace, puis il égare les
Polonais au fond d'une forêt presque impénétrable, d'oîi il leur est
impossible de retrouver leur chemin. Et quand ceux-ci s'aperçoivent
qu'ils ont été trompés, le malheureux est par eux mis à mort et tombe,
héros obscur, victime de son dévouement patriotique. Si l'on ajoute
à cette action principale les épisodes naissant de l'amour d'Anto-
nide, la fille de Soussanine, avec le jeune Sabinine, on aura fous les
éléments d'un poème en soi très pathétique et empreint d'un réel
intérêt. Et l'on comprendra surtout l'enlhousiasme qu'il a dû exciter
LE MENESTREL
ssgf
chez le peuple russe, une fois allié à la musique de Glinka, d'une
couleur si originale et d'un caractère si essentiellement national dans
quelques-unes de ses parties.
Je dis bien : « dans quelques-unes de ses parties », car l'œuvre est
un peu composite, ce qui n'a rien d'étonnant si l'on songe que, d'une
part, c'est la première production dramatique de Glinka (sous ce
rapport, la sûreté de main y est étonnante), et que, de l'autre, il
l'écrivit au retour de son grand voyage en Italie, oli son séjour fut de
deux années pleines, à l'époque des triomphes de Bellini et de Doni-
zetti et alors que le rossinisme était dans tout son éclat. Il n'est donc
pas surprenant que les formes italiennes se présentent dans plus
d'une page de la partition très touffue de la Vie pour le Tsar. On les
rencontre particulièrement dans le trio du premier acte, qui est
d'ailleurs d'un fort joli effet, et oùla phrase principale, établie d'abord
par le ténor, est reprise ensuite par le soprano, puis par la basse ; on
les retrouve encore, indéniables, dans l'ensemble du beau quatuor
du troisième acte, qui est très harmonieux, très séduisant, et d'une
superbe ampleur de construction. Mais c'est dans d'autres parties que
se fait jour l'originalité aussi bien du fond que de la forme, et qu'on
peut jouir de la saveur toute particulière de l'inspiration du compo-
siteur: c'est dans le joli chœur féminin qui ouvre le premier acte et
dont l'accent est plein de grâce ; dans le duo de Soussanine et de Vania
au troisième, qui est d'un caractère mâle et coloré; dans la première
scène de Soussanine et des Polonais, qui est d'une couleur chaude,
inspirée et vraiment théâtrale; dans un chœur charmant déjeunes
filles, à cinq temps, qui conclut d'une façon singulière, sur la domi-
nante; surtout dans l'admirable scène de la forêt qui est le point culmi-
nant de l'œuvre, cette scène dans laquelle Soussanine, pressentant
qu'il va être massacré par les Polonais qu'il a trompés, fait un retour
en lui-même sur son passé et songe aux êtres aimés dont il se sépare
volontairement en sacrifiant sa vie pour son pays et pour son maître.
Tout ce long monologue, toute celle mélopée empreinte d'un sentiment
de tristesse indicible, est d'un accent très beau, très pénétrant, et
qui découle de la plus noble inspiration. Il y a là un souffle plein
de puissance, d'une émotion intense, qui ne pouvait jaillir que de
l'âme d'un grand artiste. Cette page superbe, superbement interprétée
par M. Devoyod, a produit une impression profonde el a été pour le
chanteur l'occasion d'un succès très grand et très mérité. Quant au
tableau final du Kremlin, dont l'effet doit être immense, j'ai dit qu'il
a été tellement tronqué, je pourrais ajouter tellement massacré, qu'il
nous était impossible d'en apprécier la valeur, même d'une façon
approximative.
L'exécution générale est médiocre. L'orchestre et les chœurs font
assurément ce qu'ils peuvent, mais l'œuvre n'est pas au point; l'en-
semble n'est qu'un à-peu-près, et manque absolument de cohésion, de
couleur et de caractère; tout cela est terne, sans nuances, sans flamme
et sans décision. Dans l'interprétation personnelle, il faut absolu-
ment tirer de pair M. Devoyod, très remarquable dans le rôle de Sous-
sanine, et M. Engel, toujours vaillant, toujours solide, dans celui de
Sabinine. Le personnage mélancolique d'Anlonide et celui, si inté-
ressant, de Vania, exigeraient des artistes plus expérimentées que
M"'* Louise Manger et Nady. En résumé, et après une telle exécu-
tion aussi bien scénique que musicale, nous ne pouvons pas dire que
nous connaissons la Vie pour le Tsar, que nous connaissons Glinka.
Nousn'avons fait qu'à peine entrevoirl'admirable génie du compositeur.
A.RTHUR PoUG(N.
Théâtre de Li Gai'té ; La Poupée, opéra-comique en quatre actes et cinq
tableaux, de M. Maurice Ordonneaii, musique de M. Edmond Audran. —
Porte-Saint-Marun : Les Bienfaiteurs, pièce eu quatre actes, de M. Brieiix,
— Gymnase : Le Prix de vertu, comédie en un acte de M. Fabrice Carré,
et Villa Gabxj, comédie en trois actes, de M. L, Gandillot.
On ne peut pas dire que ces histoires de PoM/jees soient précisément
neuves, mais on les a toujours exploitées avec succès au théâtre,
tant le public, même composé de barbons, reste un grand enfant qui
prend plaisir à s'amuser encore des jouets de son jeune âge. Que
nous en avons vus défiler sur la scène de ces mannequins ingénieux,
automates articulés, qui prennent tout à coup la vie pour de bon,
comme la statue de Pygmalionl La Poupée de Nuremberg, les Pantins
de Violette, Coppélia, les Contes d'Ho/fmann, Puppenfee, voilà quelques-
unes des sources où M. Maurice Ordonneau a puisé pour son nou-
veau conte à mécanique. Il n'a eu qu'à habiller de façon différente
la poupée de ses prédécesseurs, à l'envelopper d'étoffes nouvelles et
chatoyantes, à lui donner un peu du tour particulier de son esprit,
pour nous la présenter comme un joujou tout neuf, dont nous avons
■ fait noire régal pendant toute une bonne soirée.
C'est dans un couvent de moines peu austères, — le pays importe
peu. Là végète le novice Lancelot, candide et blond éphèbe, qui
s'est plongé dans les rigueurs du cloître pour sauver son âme de la
séduction des femmes. Mais il a un oncle fort cossu, qui voudrait
bien le tirer de là précisément pour le marier et avoir autour de
lui une ribambelle de petites nièces qui égaieraient ses vieux jours.
S'il n'en passe par là, Lancelot sera déshérité, — perspective qui le
laisse d'ailleurs assez froid puisqu'il a fait voeu de pauvreté. Mais
il n'en va pas de même du supérieur du couvent, qui voit avec
peine se tarir les ressources de la communauté dont il a le comman-
dement. Palper la dote de quatre cent mille écus promise à Lancelot
lui paraît chose aimable et pieuse à la fois. Et voici ce qu'il imagine
pour arriver à ses fins.
Il a lu dans les gazettes qu'un savant allemand, émule deVaucanson,
— Hilarius, pour l'appeler de son nom, — vient d'inventer des
poupées mécaniques qui sont le dernier mot du genre et donnent
toute l'illusion de la vie véritable. Il imagine donc que le frère
Lancelot, dans l'intérêt du couvent, achètera l'une de ces poupées si
merveilleusement articulées et en fera sa femme au neE et à la barbe
de soQ vieil oncle, qui a la vue fort basse.
Vous voyez d'ici toutes les péripéties qui peuvent suivre d'un
imbroglio aussi ingénieux. Vous devinez sans doute que la fille de
l'inventeur Hilarius, la gentille Alesia, très éprise des grâces du
jeune novice, se substitue tout simplement à la poupée mécanique,
pour épouser tout bellement l'élu de son cœur. Et personne ne
s'aperçoit du stratagème, ni le vieil oncle, — cela va sans dire, —
ni le novice, ni même Hilarius! Ces choses ne se voient qu'à la Gaîté^
Toujours est-il que Lancelot rapporte, avec la dot, une poupée
bien vivante au couvent et qu'il s'en aperçoit un peu tard, mais qu'il
tombe aussitôt si féru d'amour pour son admirable joujou, qu'il
s'empresse de jeter le froc aux orties.
Tout cela est vraiment fort gentil, très badin, agrémenté de détails
piquants et ingénieux, de gaîté aussi et parfois même d'un cer-
tain esprit, et nous ne voyons pas pourquoi une longue suite de re-
présentations ne couronnerait pas un si gracieux effort.
La musique de M. Audran, si elle n'y ajoute pas grand'chose, n'y
gâte rien tout au moins. C'ost toujours le même petit filet de voix dont
se sert le compositeur. 11 n'y a pas là, certes, d'inspiration bien jail-
lissante, mais, au résume, c'est propret, c'est menu, c'est coquet, et,
avec les rythmes chers à M. Audran, les pizzicati obstinés et le ma-
riao-e des timbres doux du triangle et de la flûte, cela a toutes les
grâces surannées d'une vieille marquise. Ne me demandez pas de vous
signaler ici ou là un ton plus saillant, une page plus sonore; tout
s'évanouit dans un nuage rose de poudre de riz.
De l'interprétation, à retenir surtout M"^ Mariette Sully, une bien
mignonne personne, qui rappelle tout à fait M"' Jeanne Granier à ses
débuts, alors que son talent ne s'était pas si fortement accentué.
Souhaitons le même avenir à M"» Sully, tout eu lui conseillant de
demeurer dans les teintes douces et ingénues qui lui ont si bien
réussi l'autre soir. A côté d'elle, Paul Fugère met toute sa finesse et
son habileté au service du rôle de Lancelot.
Nous devons maintenant monter des gazons fleuris où se prélasse
la Poupée de M. Ordonneau jusqu'aux hauteurs philosophiques où
prétend nous conduire M. Brieux dans sa pièce des Bienfaiteurs,
représentée jeudi dernier à la Porte-Saint-Martin. C'est la pièce à
thèse, où s'est complu souvent notre grand Dumas, mais avec une
autorité, une maîtrise d'esprit auxquelles ne saurait atteindre encore
un auteur frais émoulu sur le terrain dramatique. Et damel quand
on n'a pas cette supériorité et celte pleine possession de soi-même,
jointes à une verve étince'ante, c'est diablement froid et guindé, les
pièces à thèses !
Les quatre actes de M. Brieux ne sont, au résumé, qu'une^ vaste
conférence animée, comme on en pourrait donner au Théâtre d'appli-
cation, où les personnages exposent en action les idées de l'auteur
sur la bienfaisance. Nous avons vu, chez M. Bodinier, M. Cooper et
M'"^ Auguez nous donner, à l'appui d'une conférence de M. Lefèvre,
des échantillons des chansons de 1830. Ici, à l'appui des thèses de
M. Brieux, nous voyons sur la scène M. Coquelin évoluer avec son
aisance habituelle et chanter sans musique des couplets sur la façon
plus ou moins favorable d'exercer la charité. Et il y a des tirades
excellentes par instants, mais tout cela ne constitue pas une action
dramatique; il n'y a la qu'une suite de tableaux et d'épisodes. Ce
n'est pas pour nous déplaire absolument et nous reconnaissons le
talent qu'y déploie M. Brieux, dont il nous semble même qu'on peut
attendre beaucoup dans l'avenir. Mais le public y prendra-t-il le
même plaisir que les raffinés et les dilettanles?Toute la question est là.
340
LE MENESTREL
Il n'en restera pas moins, à l'Hclif de l'auleur, une tentative des
plus louables tentée dans une voie nouvelle de réalisme et d'observa-
tion. Et cela est trop rare à notre époque pour qu'on n'y donne pas
des encouragements.
Au Gymnase, autre chanson. M. Gandillot ne s'y préoccupe guère
de théories ou de menées philosophiques. Il est tout à la joie.
M. Gandillot, d'une joie cchevelée au moins pendant tout un acte,
le second, pour devenir plus raisonnable sans cesser d'être gai pen-
dant les deux autres, ce qui donne à sa comédie un air de sandwich :
le jambon gaillard et excitant entre deux croûtes de pain plus rassis.
Oh ! cette Villa Gabi/ n'est pas de celles où l'on s'ennuie ! Que de per-
sonnages amusants s'y démènent dans une action pas bien neuve, mais
011 l'auteur met tant d'humour et parfois mémo de véritable obser-
vation qu'on ne saurait lui en vouloir do broder sur un thème connu.
C'est toujours l'auteur exubérant de gauloiserie, dont le sans-façon
réussissait si bien dans la taverne du théâtre Déjazet, mais il a mis
un habit noir et une cravate blanche pour entrer dans les salons du
Gymnase. Et la tenue ne lui messied pas autrement, il faut le constater.
Et la troupe du Gymnase donne excellemment dans cette pochade
mitigée de bonne comédie. C'est Boisselot, c'est Noblet, Galipaux.
puis Huguenet et Numès, tous plus en verve les uns que les autres ;
c'est la belle Rosa Bruck et la troublante Yahne. C'est enfin beau-
coup de représentations assurées à l'heureux théâtre.
Le spectacle commençait par un délicieux petit acte de M. Fabrice
Carré, le Prix de vertu, où l'esprit et l'attendrissement se mêlent
agréablement et qui vaut qu'on arrive à l'heure.
H. MOREKO.
L'EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
(Sitilc.)
Une section intéressante, mais que l'on souhaiterait volontiers
plus nombreuse, est celle des affiches illustrées qui occupe la salle 29.
On sait quels progrès ont été faits sous ce rapport, surtout depuis
la venue du grand artiste qui a nom Ghéret, dont la fantaisie char-
mante a renouvelé un art par lui-même plein de grâce et d'imprévu.
L'affiche illustrée, toutefois, existait avant lui, et, sans remonter bien
loin encore, nous en trouvons là quelques spécimens intéressants
dus à ses prédécesseurs.
Quelques-unes d'abord d'un crayon mâle et superbe, d'une imagi-
nation ardente, dues à ce maître dessinateur et lithographe qui
s'appelait Célestin Nanteuil et qui resta le dernier et le plus puis-
sant des illustrateurs romantiques. Ce sont celles de Lalla lioukh, de
Lara, de José Maria, puis celles de Zémire et Asor et de Rose et Colas,
faites lors des reprises de ces deux ouvrages qui eurent lieu a
l'Opéra-Comique. Une de Nadar, très drôle, pour Ba-ta-clan : une de
Bertall, pour .ivant la noce : une de Stop, spirituelle et fine, pour l'Oie
du Caire de Mozart; une autre, de Cham, tout à fait burlesque, pour
le Myosotis; une, gracieuse, de Barbizet, pour Babiole. Toutes mi-
gnonnes et toutes petites, ces dernières. Dans des proportions plus
grandes, une excellente de Victor Coindre, pour les Saisons.
Plus près de nous, nous trouvons celle d'Alphonse de Neuville
pour Hamlet, d'un caractère saisissant ; celle de Clairin pour le Cid,
qui est un vrai tableau plein d'ampleur ; deux autres, charmantes et de
caractères tout à fait différents, de Boutet de Moavel, pour /« Petite
Poucetle et Madame Chrysanthème : puis, celles de Willette pour l'Enfant
■prodigue, de Steinlen poai Hellé, de Maurou (très intéressantes), pour
Salammbô, les Troyens, la Vivandière, la Falote, l'Attaque du moulin, et
deux autres, signées Pal, tout à fait charmantes, pour le cirque Molier
et le Casino de Paris.
Et nous arrivons aux petits chefs-d'œuvre de Chéret : Viviane, la
Farandole, la Cigale madrilène, les Deux Pigeons, la Reine Indigo, Velléda,
le Trône d'Écose, le Casino de Paris, l'Eldorado, etc. Et je ne puis
manquer de signaler comme elles le méritent, celles de la Navarraise,
à'Aben Hainet, de Werther, de Thaïs, combien d'autres encore? Mais
ceci tourne trop au catalogue, et je m'arrête en recommandant aux
visiteurs cette salle intéressante.
De celle-ci nous entrons tout droit dans la salle 26, qu'on pourrait
appeler le salon c;irré de l'Exposition, non seulement à cause de ses
vastes proportions, mais surtout à cause des véritables richesses
qu'elle renferme. C'est ici que nous trouvons les superbes instruments
anciens des maisons ErarJ el Pleyel, ceux de MM. Tolbecque, Vanet,
Brenot, puis les collections Charles Malherbe, Etienne Charavay,
Arthur Pougin, Henri Béraldi, Yveling RamBaud.Ricordi, Arman de
Caillavet, Adolfo Calzado. Perrot, B. Brunswick, Bing, Georges
PfeifTer, etc.
Ici, nous trouvons d'abord, exposées par la manufacture de Sèvres,
une série d'adorables petites statuettes en biscuit, dix-huitième siècle,
qui sont de vrais bijoux et dont voici la liste :
M""' du Barry en cantatrice espagnole, 1774 ;
Poisson, en Crispin, 1773 ;
Préville, en Figaro, 1775;
La Danseuse française, 177.5;
Volange, dans Eustache Pointu, 1779
Volange, dans Jérôme Pointu, 1779;
M"" Dangeville, dans ta Pèlerine, 1780
Volange, en Janot. 1781 ;
Demoiselle Laforesl, en Janotte, 178! ;
M"-- Contât, rôle de Thalle, 1783;
La belle Provençale (avec son tambourin et son flùtet;, 178d.
A l'exception de celle de M'" Coulât, qui est signée Boizot, toutes
ces mignonnes statuettes sont l'œuvre d'un artiste nommé Leriche.
Je m'arrête devant la très riche collection d'autographes el de
documents historiques de M. Etienne Gharavav, qui occupe deux
énormes vitrines. Il y a là quelques jolis portraits d'artistes, des
pièces administratives curieuses, de précieux documents révolution-
naires relatifs au théâtre. A signaler parmi les objets les plus impor-
tants le manuscrit du Fils de Giboyer d'Emile Augier, et un autre
assurément curieux, sinon d'une grande valeur littéraire, celui d'un
mélodrame dû à l'auteur de la Maison blanche et de Gustave le Mauvais
Sujet, a Paul de Kock on personne : cela s'appelle Slefano ou Erreur
et Mystère, mélodrame en trois actes, et il serait curieux peut-être de
lire celle sombre élucubralion d'un écrivain auquel on doit tant de
romans joyeux et... légers. Les lettres autographes sont nombreuses
et souvent fort intéressantes. 11 y en a d'auteurs dramatiques :
Alexandre Duval, Beaumarchais, Victor Hugo, Etienne Arago ; de
comédiens et comédiennes : Préville, Larive, Quinault l'aîné, Grand-
mesnil, Samson, Françoise Quinault, Louise Contât, Thérèse Bour-
goin, M"' Mézeray, M"'=Mars, Rach'îl ; de compositeurs et virtuoses :
Spontini, Herold, Rossini, Meyerbeer, Weber, Paganini, Liszt, Doui-
zelli, Grétry, Gossec, Cherubini. Mehul... Je ne résiste pas au désir
d'en transcrire quelques-unes.
D'abord, ce très curieux reçu de Gounod :
Reçu de M. J. Meissonuier, rue Daupliinc, n" 22, la somme de cent francs
comme premier payement de ma valse pour le piano dOJioe à François Hûnteii
dont je hii cède la propriété entière et exclusive.
7 mars 44.
Cii. Gounod.
IS"ous sommes loin de Faust et de Roméo et Juliette. Mais qui pourra
me donner des nouvelles de la valse dédiée à François Hiinten?
C'est en cette même année 1844 que Félicien David devenait tout
à coup célèbre, à la suite de l'exécution de son Désert au Conserva-
toire. Voici un billet qu'il adressait quelques mois après à un mar-
chand de musique, à propos de cet ouvrage :
Monsieur.
A mou arrivée à Aix, je lis dans le Nouvelliste que vous venez de mettre ou
vente la partition avec piano du Désert. Ma présence momentanée à Aix
permettanl à mon ami Sylv;iiii (Sainl-Étienue) d'en placer et de -faire les
livraisons aux siiuscii|ilcurs qui les oui demandées, ayez l'exlrèmo obli-
geance d'en envoyor un corlain nombre d'exemplaires demain matin par
la diligente de 6 lieuros. Comptant sur cet envoi, Sylvain vient de le l'aire
annoncer dans te Mémorial.
Sous pou de jours je serai à Marseille, où nous torminorons nos traités
loUilivemeut aux coucoris que je me propose de donner.
Votre dévoué serviteur.
t'. David.
Vendredi '2S mars 1843.
Voici maintenant une lellre charmante de Boieldieu, relative à une
romance qu'il s'était chargé de mettre en musique. Je ne connais pas,
à l'heure présente, oii tant de musicastres qui n'ont rien produit
n'en sont pas moins bouffis d'orgueil, beaucoup de compositeurs
capables d'écrire une lettre empreinte de tant de bonne grâce et de
modestie :
Monsieur,
J'ai reçu avec reconnaissance la petite brochure quo vous m'avez envoyée,
el je désire sincèrement trouver un air digue du sujol i[uo vous avez traité
avec tant de charme. Je l'ai déjà essayé, Monsieur, ot jo n'ai point élé satis .
fait de mou travail, il faut qu'il soit celui de t'iuspiralion, el nous sommes
obligés souvent de l'attendre.
LE MÉNESTREL
341
Jo vous iivdiic, Mi.msioiir, qiip la .rime féminine ;i la lin de (.■iKiqun ciiiiplel
me gène lieancouii.,. je rclonil)e tonjours dans une linale commune que je
voudrais évilor.
Enfin, je ferai Ions mes ellVu-ls pour ]iouvoir nnissir, el à moins que di'ci-
dénient mes vrenx ne veuillent pas èlre exaneés.j'espére sous peu vous envoyer
la romance mise en musique.
Je me conformerai à vos désirs. Monsieur, pcnu' la dédicace.
Veuillez recevoir l'assurance des sentiraenls dislingues de
votre très liumbleet très obéissant serviteur.
BOIELDIEU.
Ce IS.mai iSli.
C'est précisément à propos de Boieldieu — et de' la cérémonie
funèbre de son cœur à Rouen — qu'Adolphe Adam, qui avait été son
élève préféré, écrivait l'intéressante lettre que voici :
Monsieur.
Paris, le 10 novembre 1S3i.
Je viens de recevoir la lettre par laquelle vous m'invitez à me joindre aux
compatriotes de mon illustre mailrc pour lui rendre les honneurs qu'a si bien
mérili'S son beau giuiic.
Permeltez-moi de vous exprimer tonle ma reconnaissance de l'honneur que
me fait la ville de Rouen: je me garderai bien de man(pier à col appel l'ail à
mon cœu'-, car qni plus que nmi a pu sentir la ]ierle immense que nous avons
laite-.' La ville de Rouen, riche de tant de c.d.'lnih-. ,-, penlu uii de >e- liK.
el moi, c'est un père ijne je jdenre. Si l'homnn' de i^rmi' -a niniic vos limn-
magcs, l'excellent ami, l'homme doué de toules les ipialilés du cieiir el de
l'esprit n'a pas moins droit à mes larmes. Je saisirai donc avec empressement
celle occasion de lui donner une dernière marque de reconnaissance.
Daignez agréer, Mimsieur, l'expression des sentiments distingués avec
lesquels j'ai l'honneur d'être.
"N'olre très dé\"ûné serviteur,
Adoli'he Adam.
P. -S. — Mes occupations ne me permettront pas de quitter Paris avant
mercredi soir, mais j'arriverai à tems pour la cérémonie. Le célèbre pianiste
Zimmermann, aussi élève de Boieldieu, sera mini compagnon de \oyage.
Autre lettre de musicien,, celle-ci de Victor Massé, qui l'adressait
;"i M. Alfred Blanche, alors secrétaire général de la Préfecture de la
Seine :
7 août 1863.
Mon cher Monsieur Blanche,
On me dit que mon ami Pasdeloup a été nommé directeur du Théâtre-
Lyrique. Pourra-t il être directeur de théâtre, chef d'orchestre des Con-
certs populaires et des soirées du préfet, et directeur de l'ttrphéon? Il
semble à première vue qu'il y a là de quoi remplir deux existences.
Si Pasdeloup était obligé de quitter l'Orphéon, je serais bien heureux de
le remplacer. Voulez-vous bien me continuer votre bienveillance, qui, du
reste, date déjà de loin, en me soutenant dans cette candidature hypo-
thétique'.'...
Vous avez toujours été si bon pour moi, que, le cas échéant, je sens
que je pourrais compter sur votre puissant appui auprès du préfet de la
Seine.
Permettez-moi de vous serrer la main bien atïectueusenient.
Victor Massi';.
Passons aux comédiens, ou plutôt aux comédienues. Voici une
lettre tr%s digne et très fière que la séduisante Louise Contât adres-
sait au commissaire du gouvernement chargé évidemment des inté-
rêts de la Comédie-Française, lors de la reconstitution de ce théâtre
à la suite des événements révolutionnaires qui l'avaient ruiné :
Marseille, le 3 germinal (?).
Mon frère m'a instruite, citoyen commissaire, de la réclamation qu'il
vous avait adressée, relativement au secours que vous avez fait distribuer
aux artistes du théâtre de la République. Je m'empresse de vous informer
qu'en faisant cette demande, il a consulté son zèle pour mes intérêts plus
que mes intentions.
Je n'ai pas plus l'habitude d'exéder (sic) mes droits que de les aban-
donner, et quelque (sicjsoit ma situation, je ne suis pas assez malheureuse
pour que ma famille manque de ressource (sic) quand mes elVorts lui sont
consacrés.
J'ai eu l'avantage de vous écrire avant mon départ de Lyon, et j'ose me
flatter que vous m'avez fait la grâce de me répondre aussi positivement
qu'à'mon frère.
Agréez, citoyen commissaire, l'assurance de mes sentiments.
Louise Gont.vt.
On croirait plutôt cette lettre écrite de la main d'un homme. En
voici une plus féminine, d'une écriture fine, régulière et pleine d'élé-
gance, due à cette toute charmante Juliette Mézeray que, quelques
années plus tard, son terrible et funeste penchant à l'ivrognerie de-
vait conduire à une fin lamentable :
Ce dimanche deux décembre 1SI0.
Je n'ai pu vous donner des nouvelles, mon bon chat, puisque je n'en ai
encore reçu aucune. Ce silence ne me dit rien de bon, et je suis déter-
minée à frapper maintenant aux grandes portes. Mais j'ai besoin de vos
conseils; je les réclame donc, et vous engage, si toutes fois (sic) vous n'avez
rien de mieux à faire, à venir me voir lundy soir. Je ne joue que dans la
première pièce, bien que l'on donne les Trois Sullanes : mais j'ai la poitrine
et l'estomac tellement fatigués que je ne puis chanter, ce qui m'a obligée
à refuser de rendre encore une fois ce service à la Comédie.
Bon jour, mon ami, faites-moi savoir si je puis compter sur le plaisir de
vous voir demain.
Toute à vous, votre amie.
J. Mézeray.
Il est ici question des Trois Sultanes, oîi M"" Mézeray se faisait
d'ordinaire applaudir doublement, non seulement pour son jeu,
mais pour son chant. Elle était, en effet, douce d'une voix charmante
et dont elle se servait avec babileté ; à ce point que pendant la
Révolution et la débâcle de la Comédie-Française, lorsqti'une colo-
nie de celle-ci s'en alla occuper le théâtre Feydeau conjointement
avec la troupe lyrique, chacune d'elles jouant de deux jours l'un, il
arriva qu'à diverses reprises M"'' Mézeray se joignit aux chanteurs de
Feydeau et se montra dans plusieurs opéras-comiques.
Voici enfin un billet — non signé — de la grande Rachel, qu'elle
adressait à Alexandre Dumas à l'époque dos débuts très brillants de
la jeune Madeleine Brolian à la Comédie-Française. On voit par ce
billet que Dumas dovaH alors écrire une pièce pour elle :
Venez me voir quand vous pourrez, et commencez dès ce soir à vous
mettre à l'œuvre. Faites deux pièces, l'une pour le lundi, l'autre pour
le mardi , et la Comédie-Française aura quatre succès assurés dans la
semaine : Madeleine, Dumas et Rachel.
La collection de M. Charavay, on le voit, est intéressante. Je ue
saurais pourtant l'épuiser, et il me faut ménager la place pour les
autres.
(A suivre.) Arthur Pougi.v.
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (2-2 octobre) :
La Monnaie continue à déployer une activité vraiment dévorante. Pas de"
semaine où elle ne nous offre deux ou trois « reprises » : et je dois dire que
celle activité ne rempêcln- ]\:\-, de -soigner ce qu'elle fait, à peu près irrépro-
chaldement. On ne s'a]ierrnii p;i. \v„\, de la hàle qu'elle met à remettre sur
le métier les anciens ouvrage^, jii-ndant qu'elle s'occupe, je suppose, un peu
lentement, d'en préparer dé nouveaux. C'est ainsi que nous avons eu celte
semaine, tour à tour, la reprise dé DonPasquale, de la Nuit de Noël et
d'Or;)/îce .' L'o]ii'ra de Donizeiti a valu un regain de succès à ses excellents
Hileri)rèlrs dr l'an dmiipr. M™ Landouzy. MM. Boyer et Gilibert. La Nuit
de Nofl. un grarienx l)Ml|p|-di\ eiiissemenl. ayant pour auteur l'un des direc-
teurs de la Monnaie. M. Oscar Stonmon, renferme une valse célèbre, dont la
vogue va se renouveler, en attendant quelque partition de Delibes, de Widor
ou de Lalo, qui ne serait pas non pins à dédaigner: et quant à la reprise
d'Orphée, toujours admirablement interjiri'lê par M'i»Arniand, malgré sa voix
malade et grâce à son beau style, nous y avons cnlendn une déliulanle. une
nouvelle Eurydice. M"' Holmstrand, ijui jia produit qu'une assez médiocre
impression.
Nous avons eu, dimanche dernier, un conrerl donné ]iar M. Colonne el
son orchestre, lerminant par Bruxelles nnr lourntT virlnrn'ii!.e en Belgique.
en Hollande el en Angleterre. L'cvitii I ion do iinigiainini',,1 r[r iiierveilleuse
de nuances et de sentiment t.tii a l'ail aux vaiHauls mnsiriens un petit
triomphe, auquel ils ont répondu séance lenanle par une Brabançonne et une
Marseillaise reconnaissantes: il n'y manquait que l'Hymne russe. 'Va petit
changement au p)rogramme, que je vous ai indiqni' l'autre joni'. a paru ce-
pendant assez ê'trange. An dernier moment. M, Coinniie a sujiprinu'' les
airs de ballet du Cid. de Masseuel, ijoi l'daieiil annonei'-.. ri les a remplacés
par les 5cé«es d'enfants i\e Schununiu. C'ei.ni ili''iiiiire le caractère du con.
cert. consacré entièreinenl à la musiqiM' ri;iiH;ii-r, p| l'allonger sans raison
d'une œuvre charmante, mais un peu mim-r el arehieuniine.
— De notre correspondant de Londres (22 oclolire) : Bien que contrariés
par un temiis di'ploraljle. les quatre concerts Colonne n'e)i ont pas moins
abouti à un siirces c.ioplel. M lurn que le re ' inorliaiu de cl mrhesl.e à
Londres vieoi d'^-ire diTi.ir Ce MTa M-.ii.rnildaldenienl | r le ni^is de jan-
vier. La vru~>Al.- de la IrMi-i.'oue .-ra li.-e, xeinlivi! I d(T„ier,, a failli f'Irr ronipro-
mise par l'iuMnli-iiirr , h. hure de l'artisle rhar-.e du n'de ,1e Oalila .lans les
fragments du suiaubi' ouvrage de M. Sainl-Sai'uis, Sanisoo. r'ê'lail l'exceUeut
:i4â
LE MÉNESTREL
ténor Vei'gDet. el il a été très chaleureusement apprécié, aussi liicn Jaiis la
musique de ce rôle que dans celle de l'Enfance du Christ, de Berlioz. La Séré-
nade illyrlenne et l'Aubade de Conte d'Amil, de M. Widor, ont été très i.oéli-
quement rendues, et la suite en si mineur de Bach a valu un bis au Hiiiisie
M. Balleron. Le public a aussi beaucoup goûté l'interprétation de la sympho-
nie en ut Biineur de Beethoven, bien que la critique ne l'ail pas jugée « ortho
doxe ». Après l'exécution du ballet d'Henry VIII qui terminait le 4° concert,
une ovation prolongée a été faite à M. Colonne. — Le premier des trois con-
certs Richler annoncés pour la saison a eu lieu lundi .dernier à Queens' Hall
A part un nouveau Scherzo capriccioso de Dvorak, œuvre étincelante de verve
et d'un puissant intérêt symphonique. le programme ne présentait que des
œuvres fréquemment entendues, sur lesquelles aucune remarque n'est néces-
saire.— Votre célèbre jeune pianiste parisien, M. Léon Oelafosse, a donné
mardi à Saint-James's Hall, avec le eimnims du lanioux vinlonisie Ysaye, un
concert qui avait attiré une allliifin'o l'nii^Hlc-i'iililo. M. Hclalossi-' a joué un
Nocturne et une Ballade de Chopin, doux pircos de M. Cahriel l'auré, une
Étuds de concert d'Antouin Marmontel et une Bapsodie de Liszt. -A.près
chacun de ces morceaux le public, généralement très réserve vis-à-vis des
artistes étrangers nouveaux venus, a fait au jeune virtuose français les phis
chaudes ovations. M. Ysaye. qui est un favori du public anglais, a été lui
aussi très acclamé. Il a joui' avec M. Delafosse la nouvelle sonate pour violon
de M. Saint-Saéns ei la mhiiiIp dramatique de RalV. II s'est aussi fait entendre
dans un roncerlstiiik im'dii ilim i-omposileur nouveau, M. Basse. Le second
concert Delafosso-Vsaye aura lieu mardi prochain. LÉON ScHLÉSINGER.
— Au festival de Norwich on a exécuté pour la première fois, le 9 oc-
tobre, sous forme de cantate, le nouvel opéra inédit de M. Luigi Manci-
nelli, Ero e Leandro, dont les rôles étaient tenus par M"' Albani, le ténor
Lloyd et la basse AValkin-Mills. Le succès parait avoir été considérable.
L'auteur du livret à'Ero e Leandro est M. Tobia Gorrio, autrement dit
M. Arrigo Boito, l'auteur de Mefistofele et le collaborateur de Verdi pour
Otello et pour FalstafJ.
— Au festival musical de Bristol, le Requiem posthume de Gounod en «(ma-
jeur vient di'he exécuté pour la première fois en Angleterre avec un succès
marqué. L'exécution a r-tc irés satisfaisante.
— Le directeur do la surii'ii' anonyme do New-York dont les intérêts étaient
confiés à MM. Ahhey, C^\■au et Srhoetfel annonce que la mort de M. Ahbey,
ne change rn rien la situation de l'entreprise artistique du Metropolitan
Opéra Hou-^e à Xow-Ym'k. Les représentations commenceront d'après le pro-
gramme publié, et plusieurs artistes de la troupe engagée ont déjà quitté
l'Europe pour se rendre à New- York.
— Au Broadway-Tliéàtre de New-York on a donné récemment la premier.?
représentation d'un opéra nouveau, le Capitan, dont la musique est due à
M. Philippe Sousa, compositeur et chef d'orchestre américain, très populaire
de l'autre côté de l'Atlantique.
— A l'occasion d'une polémique dans un journal russe, la Société phil-
harmonique de Saint-Pétersbourg a publié une déclaration d'après laquelle
le prince Galitzine avait fait don à ladite société, le .30 octobre 1S"23, d'une
partition de la Missa solemnis de Beethoven, que le grand artiste lui avait
envoyée avec une lettre autographe datée du 21 juin 18^3. C'est d'après
cette partition que la messe fut exécutée par la Société philharmonique,
le 26 mars lS24,à Saint-Pétersbourg, dans sa salle de concerts située près
du pont de Kazan, dans la maison Koussofnikof. Le concert, donné au
profit des veuves et orphelins des musiciens appartenant à la société,
rapporta la somme, fort considérable pour l'époque, de 2. 231 roubles, soit
9. 000 francs environ. Cette déclaration prouve que la célèbre messe a été
exécutée dans la capitale russe pour la première fois ; l'exécution à Vienne
n'a donc été que la seconde.
— La Reine de Saba, l'opéra de Goldmark, sera prochainement joué en
Russie, en langue russe. MM. Trawski et Borodine sont les auteurs des
paroles russes.
— Schiller n'a pas eu, à Paris, beaucoup de succès avec son Don Carlos;
en Russie, son Guillaume Tell vient aussi de passer un mauvais quart
d'heure. Dans une petite ville de l'empire une société d'amateurs avait
représenté, devant un public d'invités, l'acte de la conjuration. Un gen-
darme assistait à la soirée comme gardien de la loi. Les élucubrations ré-
volutionnaires des Suisses ne lui plaisaient guère, et il était en train
justement de méditer sur une résolution grave à prendre, lorsque le
dilettante qui jouait Stauffacher prononça la phrase séditieuse : « Si
j'étais arbitre entre l'Autriche et nous, vraiment nous obtiendrions justice.
Mais c'est notre propre empereur qui nous opprime. » Le brave pandore
ne fit qu'un bond jusque sur la scène. « Assez, messieurs; si vous conti-
nuez, je vous arrête tous! » Et le rideau tomba sur cet elfet, dontSchiller
ne s'était guère douté.
— Une ancienne et brilUinle idèvo do notre Conservatoire, l'e.\cellente
violoniste Teresina Tua, aujourd'hui romlosse de la Valetta, a donné on
Russie, pendant la dernière saison, une série do cent dix concerts. Celte
tournée très fructueuse a conduit l'artiste jusqu'aux frontières do la Perse.
— Un conflit singulier vient de s'élever à Vienne. Plusieurs chanteurs do
l'Opéra, les ténors Winkelmann et Schrœdter et la basse de Reichenberg,
font fonction de suppléants à la chapelle impériale. Pour devenir titulaires
de leurs emplois, ces messieurs devaient, selon le règlement, subir un exa-
men. Or, ces artistes ont protesté en déclarant que leur situation à l'Opéra
devait les exempter de cet examen, et M. Schrœdter a même offert sa démis-
sion à l'Opéra. Le grand maître de la cour impériale a cependant décidé que
les artistes étaient tenus de se soumettre à un examen devant le premier
kapellmeister de la cour, M. Hans Richter. On ne prévoit pas encore, à
Vienne, comment ce conflit unira ; ce qui est clair, c'est que le cumul de
la musique d'opéra avec la musique religieuse ne profite ni aux chanteurs,
ni à l'art, ni à l'église.
— Pendant la dernière saison on n'a pas compté, à Berlin, moins de
800 concerts. D'après les annonces qui commencent à affluer, les experts
évaluent le nombre de ceux qui seront donnés pendant la prochaine
saison à plus de mille. Perspective terrible pour les amateurs qui veu-
lent tout connaître, et aussi pour les critiques musicaux, desquels tous les
artistes attendent un mot d'appréciation.
— Le théâtre tchèque de Prague, sous la direction de M. Subert, annonce
pour la nouvelle saison les premières représentations des œuvres suivantes :
Perdita, paroles imitées de Shakespeare, musique de M. Nechvera, et flou-
brovsky, musique de M. Napravnik. On jouera aussi pour la première fois, à
ce théâtre, le Grillon du foyer de Goldmark, Armide de Gluck, l'Apothicaire de
Joseph Haydn, l'Éclair d'ïi.a.lé\y et la Vivandière de Godard.
— Un procédé singulier a été inventé par le directeur du théâtre de Giessen,
ville universitaire oi!i les étudiants sont toujours en nombre au lln'àtio. Pour
punir une artiste récalcitrante, l'afîiche annonçait pour lo |:i m lnlue un
changement imprévu, avec cet avis imprimé en gros carartéios: « Ce chan-
gement a été occasionné par le fait que M"' X... (suit le nom en toutes
lettres) n'a pas suffisamment appris son rôle ». Il parait que l'artiste s'est
fâchée tout rouge — il y a de quoi — et a intenté un procès à son directeur.
— On nous télégraphie de Hambourg que l'opéra inédit d'Ignace Briill,
intitulé Gloria, vient être joué avec beaucoup de succès à l'Opéra de cette
ville, dirigé par M. PoUini. Quatorze rappels pour le compositeur, qui
assistait à la première, et applaudissements chaleureux pour les princi-
paux interprètes et le chef d'orchestre Mahler, qui dirigeait la représenta-
tion avec son talent habituel. Un solo de violon, page charmante, a dû être
répété deux fois.
— Le théâtre ducal de Brunswick vient d'organiser une c-iposition
théâtrale qui se borne à l'histoire de ce théâtre, mais qui est néanmoins
assez intéressante. Cette exposition offre une collection de six cents por-
traits d'artistes qui ont appartenu au théâtre de Brunswick, des costumes
précieux, des portraits d'artistes dramatiques et de compositeurs dont les
œuvres ont été jouées à Brunswick, enfin beaucoup de manuscrits, parmi
lesquels se trouvent plusieurs documents importants.
— Une opérette inédite, intitulée le Chasseur de lions, musique de
M. Georges Vérœ, vient d'être jouée avec succès au théâtre An der "Wien,
à Vienne.
— La ville de Bromberg (Prusse) a fait construire un nouveau théâtre
à la place de l'ancien théâtre municipal, qui a été détruit par un incen-
die en 1890. Le nouveau théâtre a coûté près de 600.0tl0 francs et parait
très réussi. Guillaume II vient de lui attribuer une subvention annuelle de
10.000 marcs.
— La veuve du chef d'orchestre Jules Langenbach, de Bonn, vient de
donner trois maisons et une somme de 50.000 marcs pour fonder un
asile destiné aux veuves de musiciens et professeurs de musique alle-
mands qui y seraient logées et nourries gratuitement. Inutile de dire
que la somme mentionnée est absolument insuffisante, mais on commence
à réunir les fonds supplémentaires nécessaires dans toutes les grandes
villes allemandes, et on espère pouvoir réaliser cette idée philanthro-
pique.
— On prépare au théâtre royal de Copenhague la première représentation
d'un opéra inédit intitulé Kean, livret imité du drame d'Alexandre Dumas
père, musique de M. Auguste Enna, qui s'est fait connaître déjà par deux
ou trois opéras, dont un surtout, la Sorcière, a obtenu un vif succès.
— La législation suédoise vient de prohiber dans toute l'étendue du
royaume les cafés-concerts, music-halls et autres établissements similaires,
à cause de la démoralisation qu'on doit leur attribuer et dont se plaignent
spécialement les professeurs qui ont l'occasion d'observer la jeunesse.
Depuis le 1"' octobre de cette année, tous ces établissements ont dû fermer
leurs portes. On se propose de remplacer la distraction fâcheuse qu'ils
offraient au public par des concerts d'orchestre ayant un programme
sérieux, ce qui sera certainement préférable sous tous les rapports.
— Nous recevons d'Amsterdam la nouvelle que Mignon a remporté un
succès brillant au Grand-Théâtre, avec, comme protagoniste. M"" Sigrid
Arnoldson, à laquelle le public a bissé le duo des hirondelles, la styrienne
et la prière du dernier acte. Les prix avaient été triplés, et des marchands
de billets avisés vendaient les fauteuils jusqu'à .30 florins hollandais, soit
environ 63 francs.
— La musique on Suisse. Les résultats do lu première aunoo d'exploi-
tation de l'admirable Tonhalle que la jolie ville de Zurich s'est fait cons-
truire récemment, sont particulièrement encourageants pour la société
LE MENESTREL
343
qui exploite cet élablissemcnt. Cette iiremière année se solde par un béné-
fice net de 12.061 fr. 97 c. LaTonhalle a été assidûment fréquentée durant
tout l'hiver, et on évalue à plus de 160.000 le nombre des personnes qui
-l'ont visitée. On comple aux concerts sjTiiphonique un tolal de 931 abon-
nés. 8.000 auditeurs se sont pressés aux concerts populaires gratuits. La
séance qui a attiré la plus grande foule a été un concert donné avec le
concours de M"'' Wedekind, cantatrice, où l'on a enregistré 1.810 entrées.
L'orchestre, pour une période de sept mois, n'a pas coûté moins de
73.763 francs.
— Nouvelle avalanche do lu'cmières représeiilalions en Italie. Au Ihéàtro
Mercadanle. de Naples. A San Fraticisco « scènes en un acte, » texte de M. Sal-
vatoreDiGiacomo, musique de M. Sebasiiani: succès. — Au théâtre Bellini, de
la même ville, Fadette, opéra sérieux, musique de M. Dario De Rossi, chute.
— Au théâtre Social de Casalpuslerlengo, Obré, opéra en deux actes, paroles
et musique de M. Balladori: succès. — A Verderio, chantée par des dilet-
tantes. \ hiu d'amore « action pastorale, » ]iaroles deM^^MariaRossi-Bozzotti,
musique de M. Vittorio Gnecchi. — A San Giorgio à Cremano, près de
Naples, la Festa de! villaggio, opérette, musique de M. AlcssandroDe Martino.
— Enfui, à Pùzzuo (Frioul), chantée par des dilettantes, autre opérette, la
Confessa di Santapclagia. Diusique du maestro De Lunghi. Sans compter une
pantomime, Pierrot espion, scénario de M. Francioli. musique de M. Tcofilo
De Angelis, qui a été jouée avec succès au théâtre National de Rome.
— A Lucques. sur l'iniliative de la société orchestrale Boccherini, un
comité s'est constitué à l'elVet d'ériger deux monuments à deux artistes, enfants
l'un et l'autre do la cité. Le premier est Boccherini, l'auteur si fécond d'œu-
vres si délicieuses de musique de chambre : le second est Alfredo Catalani,
composileur élégant, niorl récemment dans toute la force de l'âge et de la
production.
— M. Felipe Pedrell a été invité à donner un cours d'histoire musicale
à la section des éludes supérieures de l'Athénée de Madrid. Le sujet qu'il
a choisi est celui-ci: Histoire de la musique dans ses trois périodes consHtutives :
a) musique homophone ; b) musique polyplione ; c) musique liarmonique et moderne.
Il donnera eu tout 22 leçons, dont la première sera consacrée à une Intro-
duction à l'Histoiie de la musique, les quatre suivantes à la première période
de celle-ci. six autres à la seconde période, le restant à la troisième.
— Au théâtre de la Zarziicla de Madrid, apparition d'une zarzuela nouvelle
du compositeui'poiiulairo l'ei'uandez Calialleri'. qui porte ce litre au moins
singulier: l'Expulsion des Juifs en Ii93.
— Un journal américain raconte que M'"^ Nordica est l'heureuse proprié-
taire d'un petit chien qui est l'unique représentant de son espèce ayant
assisté à une représentation du théâtre de Bayreutb. La femme de cham-
bre de l'artiste avait réussi à l'introduire en cachette pendant cette repré-
sentation, dans laquelle M™ Nordica chantait. Au commencement, tout
alla bien. Le petit chien, enveloppé dans une mantille de dentelle, se
prélassait sur les genoux de la soubrette espiègle. Mais voici que
Mme Nordica entre en scène en poussant un cri sur le mode mineur. Le
toutou reconnaît la voix de sa maîtresse et se met à hurler furieusement.
Toute la salle s'agite, et l'audacieuse camériste s'enfuit en emportant le
chien ; sans l'intervention de M"'" Wagner, elle aurait fait la connaissance
du « violon » de Bayreutb.
— Ce n'était pas assez de voir, sur certains théâtres italiens, massacrer
le Barbier de Rossini en le faisant chanter uniquement par des femmes.
Le directeur d'une scène italienne de Buenos- Ayres a trouvé une masca-
rade plus odieuse encore au point de vue musical : il a offert à son public
le second acte dudit Barbier, en faisant jouer les rôles d'hommes par des
femmes et les rôles de femmes par des hommes. Celui-là mériterait qu'on
lui fasse suivre un cours d'harmonie pendant vingt-cinq ans pour lui
apprendre la disposition des voix.
PARIS ET DÉPARTENIENTS
Le Journal officiel a publié cotte semaine les nominations suivantes dans
lé personnel enseignant du Conservatoire :
M. Le Bargy, sociétaire do la Comédie-Française, professeur de déclama-
tion dramatique, o,n remplacement de M. Delaunay.
M. Ch. AVidor. pnif..~spur de composition, cunlrepuint et fugue, en rem-
placemfut dr M. Thi'i.dcire Dubois, appeb' à d'aiilrf> fondions.
M. G. Fauié, professeur de composition, contrepoint et fugue, eu rem-
placement de M. Massenet, démissionnaire.
M. Paul Vidal, professeur d'accompagnement au piano, en remplacement
de M. Delahaye, décédé.
M. G. Rémy, professeur de violon, en remplacement de M. Garcin,
décédé.
M. de Martini, chargé de cours pour une classe de solfège spéciale aux
chanteurs, en remplacement do M. Danhauser, décédé.
De plus, par arrêté ministériel en date du 3 octobre. M™ Henry Jossic
(Madeleine Jaeger) est nommée professeur de solfège,
— Voici le résultat de l'examen qui a eu lieu cette semaine au Conserva-
toire, pour l'admission aux classes de déclamation. Sur 38 aspirants, 22 ont
été reçus, dont 10 hommes et 12 femmes. Voici les noms des élus, avec l'in-
dication des classes auxquels ils sont affectés: classe de M. Worms :
M"»' d'Ortzal, Marotel, MM. Dessonnes, Chevalet; classe de M. Silvain :
M"™ Régnier, Brésil, MM. Henry-Perrin, Saillard ; classe de M. Dupont-
Vernon : M'^^' Dielly, Myriane, MM. Séverin et Perrin: classe de M. Leloir :
M"=* Jousset, Barbier, MM. Groné et Gournac ; classe de M. de Férandy :
M"=ii Cergy, de Lavergne, M. Signoret: classe de M. Le Bargy: M"»* Gilda
Darty, Lalandre, M. Vargas.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châtelet, concert Colonne: Ouverture de Pa/ne (Bizet); Symphonie fantastique
(Berlioz) ; Psyché (César Franck) ; Divertissement (Lalo; ; Berceuse de Jocelyn (B, Go-
dard); Airs de danse du iioi s'amuse (LéoDelibes) ; Hymne à sainte Cécile (Gounod) ;
Carnaval (E. Guiraud).
Cirque des Champs-Elysées, concerts Lamoureux: Symphonie pastorale (Bee-
thoven) ; Pur dicesti (A. Lotti), chantée parM"° Jenny Passama ; Rédemption, sym-
phonie, introduction de la deuxième partie (César Franck i ; Capriccio espagnol
(Rimsky-Korsakow) ; Béves (Wagner), chantés par JM"' Jenny Passama; le Vé-
nusberg, de Tannimuser {Wagaer); Ouverture des Maîtres chanteurs (WAgner].
— Le premier concert de l'Opéra sera donné le 3 janvier et le dernier le
dimanche des Rameaux. Cela fera en tout une série de dix concerts, avec
cinq programmes, chaque programme devant être exécuté deux fois de suite.
Au premier concert, il esl très probable que nous entendrons des fragments
d'un opéra inédit de Gluck : Hélène et Paris. Mais cette année, la direction de
l'Opéra a le projet d'élargir cunsiiliTahlement les programmes, en donnant
soit des actes d'ouvrages, soil même ib-~ iiiivr;ij;e^ tnut entiers. Cette innova-
tion remplacera l'exhibition des danïr> ;iiiri(.|iiii'> qui ont eu tant de succès
l'an dernier, mais dont le programme i-.-l plus l'aiile à épuiser.
— .De noire confrère Nicolet, du Gaulois : « A l'Opéra toujours, bien qu'on
soit en ce moment tout entier aux dernières répétitions du Don Juan de Mo-
zart, on n'en continue pas moins à pousser activement les études de Messidor,
le drame lyrique de MM. Alfred Bruueau et Emile Zola. La mise en scène
de cet ouvrage sera des jjlus pittoresques et des plus curieuses. On cite déjà
deux décors à sensation : la Moisson, par le peintre Jambon, et le Moulin, par
Amable, qui dépasseront comme hardiesse artistique tout ce qui a été fait
jusqu'ici. L'action, ou plutôt l'idée du drame de Messidor se trouve tout entière
dans les trois dernières pages du roman de Germinal, par M. Emile Zola,
auteur du livret do M. Bruueau. Nous avons dit qu'il y aurait un ballet
important dans Messidor. Le puiiil dr iliqnirl de ce ballet est le développement
d'une légende locale, d'après UkiucIIi'. ,iu di'but de l'ère chrétienne, l'enfant
Jésus jouant dans la vallée de Holliiuale, Idut le sable qu'il touchait fut con-
verti en or. Et c'est poui'quoi. de]iuis celte époque, la rivière de l'Ariège
charrie de l'or, »
— Un bon engagement à l'Opéra-Gomique, celui de M"» Jane Marcy, qui
fut quelque temps la pensionnaire de l'Opéra et qui chanta avec tant de succès
tout l'hiver driider aux cunccris Lauinoieux, nu l'cU] ]iui remarquer comme
son taleiil sVlail t;rii('roii.^ciii('iii iliv('li'|i|ir. .Mi'''Mu[v\ sera nue excellente
dona AiiiKi, jinur la prochaine rcjai-c dr Don Jua», qui' pn'qiare M. Carvalho.
— Le compositeur Gustave Charpentier a donné jeudi chez lui, devant
quelques amis, une audition de sa Sérénade à Watteau, qui sera exécutée pour
la première fois dans le jardin du Luxembourg, le 8 novembre, pour l'inau-
guration du monument du peintre des Fêtes galantes. Ce jour-là. la Sérénade à
Watteau sera chantée par le ténor Mauguière et par six voix de femmes, et
accompagnée par le double quatuor classique, par le quatuor de mandolines
Pietrapertosa, deux harpes, deux flûtes, un mustel et un lamliourin.
— WJl. Paul Viardot et Henri Marteau partent aujourd'hui pour une tour-
née en Scandinavie.
— De Lyon : M. Vizentini a inauguré sa deuxième année do direction en nous
rendant une couvre intéressante, .4'irfa, qui n'avaitpas été jouée depuis plusieurs
années. Grand succès pour la troupe d'opéra , remarquablement homogène avec
MM. Cossira, Beyle, Fabre, M"'" Litvinne et Cossira. M"" Litvinne va mal-
heureusement nous quitter, enlevée à prix d'or par l'Amérique. Le lendemain
d'Aida nous avons eu une excellente exécution de Samson et Dalila, avec
MM.Bucognani,Beyle,Ramieu etM"»" Jane d'Hasty, une Dalila exquise. Puis,
toujours dans la semaine d'ouverture, Faust. Manon avec M"" Yalduriez et
M. Micaëlly, Mignon avec M""" Mary Boyer. M. Yizeulini annonce avant tes
Mattres-Clianteurs, le grand événement de la saison, des reprises de Lakmé,
la Jacquerie, Mireille, la Favorite, la Juive, et les créations de JavoUe, le nouveau
ballet de Saint-Saéns, la Vendée de Pioiiié, André Chénier de Giordano, l'Hâte
de Missa, Jacqueline de Pl'eifVer, etc. Nuire habile direcleur promet aussi cinq
grands concerts symphoniques dominicaux, dont le premier aura lieu le
22 novembre. On le voit, la plus grande activité règne sur notre première
scène, et le public, par son empressement, montre bien le gré qu'il sait à
un directeur artiste et intelligent de vouloir que Lyon devienne le premier
théâtre en province française, J- Jemain.
— Les concerts de la Société Philharmonique fondée par M. L. Breilner
seront donnés, comme l'année précédente, dans la Salle des Agriculteurs
de France, 8, rue d'Athènes, à 8 b. 1/2 du soir. Ces concerts, au nombre
de dix, auront lieu aux dates suivantes: les jeudis 5 et 19 novembre,
jeudi 3 et samedi 19 décembre 1896, jeudi 7 et samedi 23 janvier, les same-
dis 6 et 20 février, les jeudis 4 et 18 mars 1897.
— Le professorat vient do s'enrichir de deux nouveaux maîtres. M. et
M°" Escalaïs viennent eu clTet do s'installer définitivement à Paris, 52, fau-
bourg Saint-Honoré, et ces doux excellents artistes ne manqueront pas de
3U
LE ME\ESTREL
l'ormer à leur imaye de bons et solides clianleurs iioui' nos scènes lyriques
françaises.
— Mme Yvcliug RamBaud reprend ses cours cl leçons de chant, de diction
et de déclamation dramatique, chez elle, 86, rue de la Victoire.
— Cours et Leçons. — IJKcole préparatoire au professorat de piano, fondée et
dirigée par M"' Hortense Parent, a rouvert ses portes le lô octobre. Les deux écoles
d'application, sous forme de cours pour les jeuncs filles du monde, ont fait leur
rentréele 12 octobre (rue deBuci, 12 et rue Joubert, 33.) — M"' FélicienneJarry
a repris chez elle, 22, rue TroyoD, ses leçons de piano, chant et solfège. —
M"° A. Ducasse, 13 bis rue d'Aumale, a repris ses leçons de chant et auditions.
— M"* Lannes, 7, rue Bréa, reprend ses cours de chant et leçons par-
ticulières. — M"'' Donne ont repris leurs cours de solfège et de piano et leurs
leçons particulières, chez elles, 18, rue Moncey.— M"" Willard et Fillan ont
repris leur cours de solfège à l'Institut Rudy.'i, rue Caumartin à partir du mer-
credi 14 octobre, — M"" Bollaert-Plc, professeur de chant, reprend ses cours
■ ses leçons chez elle, 16, avenue Trudaine ; accompagnateur, M. Ch. Levadé. — Les
cours de piano, solfège it chant de M"" Henry Marchand ont recommencé le
jeudi 15 octobre, 6, rue de l'isly. — M"" Henriette Thuillier a repris ses cours
piano et de de musique d'ensemble chez elle, 2'i, rue Le Peletier et au cours
d'Éducat'on de M""' Roche, 15, rue Cortambert. Audition des œuvres de Raoul
Pugno, Théodore Dubois, Bourgault-Ducoudray. — M"' Cartelier reprend ses
cours et leçons de chant, 19, rue de Berlin. — M"" et M"' Véras de la Bastière
reprennent, leurs cours et leçons de piano et de chant, 115, faubourg
Poissonnière. — M— Marie Rueff reprend ses leçons et cours de chant,
7, rue de Courcelles. — M»' André Gedalge a repris, chez elle, 130, faubourg saint-
Denis, ses cours et leçons de chant, harmonie et préparation aux certificats
d'aptitude pédagogique à l'enseignement musical (lycées, écoles normales, etc.).
— Le compositeur A. Trojelli reprend ses leçons de piano, 25, rue Ruhmkorff.
— M. Paul Séguy a repris ses cours et leçons de chant, suivant la méthode
Faure, dans son nouvel appartement, 3, rue de la Terrasse. — M. et M'»' Chas-
sing ont repris leurs cours et leçons de chant et de piano, S3 bis, boulevard
Richard-Lenoir. — M. et M-" Weingaertner reprennent leurs cours et leçons de
piano, violon et accompagnement, 20, rue Richer. — M-' L. Jouanne reprend
ses cours de piano et solfège, 77, rue d'Amsterdam. — M— Renée Richard,
de l'Opéra, a repris chez elle, 63, rue de Prony, ses cours et leçons de
chant et de déclamation lyrique. — M. Sigismond de Stojowski, rentré à Paris,
a repris ses cours de composition musicale et de piano, chez lui, 12, rue Léo-
Delibes. — M J.-Ch. Hess, 5. rue de Condé, ouvre des cours de piano pour les
enfants de quatre à cinq ans qui ne savent ni lire ni écrire. — M. Charles René
a repris ses cours de piano à l'institut Rudy, 4, rue de Caumartin (les mardis
de 2 à 4 heures), et les cours d'harmonie (lundi de 2 à 4 heures), chez lui, 36 bis,
rue Ballu.
NÉCROLOGIE
Antoine Bruckner, le célèhre compositeur viennois dont nous avons
annoncé la mort, a eu à ses obsèques des honneurs extraordinaires. A
Vienne le bourgmestre lui a consacré un panégyrique en pleine séance du
.conseil municipal, et le conseil a voté les frais de l'enterrement. Le Conser-
vatoire a fait flotter, en signe de deuil, un drapeau noir au sommet du monu-
ment. La maison mortuaire, au palais impérial du Belvédère, avait été
décorée, par ordre de l'empereur, de fleurs et de plantes provenant des serres
impériales: la société Richard 'Wagner, les orphéons Wiener Maennergesang-
Vereiu et Schubcrtbund, l'orchestre philharmonique, les étudiants de l'Uni-
versité de Vienne et plusieurs sociétés musicales de province avaient fait
déposer des couronnes par des députations. Le corbillard, tout couvert de
fleurs et de couronnes et attelé de six chevaux noirs, transporta le corps à
l'église Saint-Charles-Borromée, accompagné par la famille, les représentanis
du gouvern?ment, de l'Université, du Conservatoire, du conseil municipal,
delà surintendance générale des théâtres impériaux, de l'Opéra-Impérial, des
sociétés musicales, de tous les théâtres viciinoi.^, ainsi que par les plus nota-
bles compositeurs et musiciens de la capilalo autrichienne. Les sociétés
chorales ont chanté dans l'église un Libéra et le beau chœur de Schubert :
Dots en paix; Hans Richter a fait hnalemont exécuter par des artistes de
l'orrheslre philharmonique la musique funèbre intercalée dans l'adagio delà
septième syni|)lionie de .Bruckner, qui produisit dans la vaste église un effet
grandiose. Après le service à l'église Saint-Charles, l'enterrement a eu lieu
à l'église abbaliale de Sainl-Floriau (Haute-Aul riche), où de grands honneurs
ont été rendus à l'ancien organiste de cette église par l'abbé et les religieux,
ainsi que par tout le cl'rgé du diocèse. Plus de cinquante curés delà Haute-
Autriche assistaient à la solonniU'. Le corps de Bruckner, qui a été conservé
par les soins d'un de ses amis. i(.|i,ise dans un spicndide cercueil en cuivre
qui restera e.xposé, selon le-^ .Ir inincs Milonli'- du ilidiml, sdus l'orgue de
l'église abbatiale. Promesse in ;(\:iii r[r faiic i l^uii^ic ih' son vivant. Les
partitions autographes de ses .rnvios principales, do ses iicnif symphonies,
de ses trois grandes messes, de sou fameux quintelle, du TeDeum, du iisaumelS6
et du chœur Heligoland sont léguées à la bibliothèqueim pi^riale do Vienne. C'est
ainsi que Bruckner a royalement payé l'hospitalité que l'empereur accorda
à l'artiste pendant les dernières années de sa vie.
— M.. Henry E. Abbey, le fameux manoger américain, a sucombé à New-
York, le 17 octobre, à une hémorragie d'estomac, à peine âgé de cinquante
ans. Ses commencements, qui remontent à plus d'un quart de siècle, furent
fort modestes. Dans la petite ville d'Akron (Ohio), il fit ses premières armes
comme manager d'un acteur américain, mais il arriva rapidement à une situa-
tion plus importante; au cours de ces vingt dernières années, Abbay à pro-
mené à travers les États-Unis des artistes comme la Palli. la Nilsson, Sarah
Bernliardt, Henry Irving et Edwin Boolli, pour ne ciler que les grandes
étoiles C'est Abbey qui avail porté ce système des éloiles à son apogée, mais
aussi à son raiarlysme. «Je ]irends les meilleurs arlisles du monde, nous
cxpli(|uail-il nu jour sur la terrasse d'un café paiision, je leur donne sans
aucun marcliandage tout ce qu'ils demandent, et ensuile je publie dans les
journaux exactement ce qu'ils me coûtent pour exiili(|MPr mon larit île
places. C'est fort simple, et je m'en suis toujours tort bien lniuv('. » Cet enlre-
tien nvail lieu pendant l'Exposilion de 1889 : le pauvre Abbey, qui avail di'jà
brillamment réussi dans lanl d'enlvepriscs théâtrales et musicales — c'est
lui qui avait inauguré le Méiriipolilau-Opera-House et avait gagné énormé-
ment d'argent, a,vec le pianisie Joseph Hofniann, l'enfant prodige — devait laire
l'expérience que le système ijui lui avait réussi si longtemps n'étail jias
exempt de dangers. 11 y a quelques mois, Abbey, qu'en Europe on croyail
millionnaire, devait déposer son bilan, et l'actif de son entreprise couvrait à
peine la moitié de son passif. Un chagrin intime, une instance en divorce
avec sa seconde femme, contribua à épuiser les forces vitales de cet homme
si énergique qui paraissait bâti, il y a quelques années encore, pour résister
même au surmenage terrible qu'il s'imposait en vrai Yankee, soucieux de
réunir autant de dollars que possible. « Le roi des managers », comme Abbey
fut surnommé en Amérique, où on connaît aussi les royautés du blé, du
pétrole, des chemins de fer et autres, gardera néanmoins une place marquée
parmi les impresari de haute volée, les Barbaja, les Mereili, les Strakosch,
les Gye, les Mapleson, qui ont amusé noir.» siècle expirant. 0. B.
— L'enterrement d'Henry Abbey a eu lieu à New- York, dans l'église
catholique de Saint-Paul. Le défunt s'était converti au catholicisme
il y a quelques années, après la mort do son fils unique, qui lui-même
avait embrassé la foi catholique. Une foule énorme se pressait dans
l'église et dans les rues avoisinantes, et les principaux artistes des deux
mondes, entre autres la Patti, M°" Melba, les frères de Reszké et sir Henri
Irving, avaient fait déposer des couronnes et des fleurs. Presque tous les
théâtres de Londres et de New-York avaient envoyé des couronnes, et deux
grands fourgons remplis de fleurs et de ces couronnes, suivaient le corbillard.
Un Requiem fut chanté par la maîtrise et, à la fin, trente-cinq musiciens
exécutèrent l'inévitable marche funèbre de Chopin.
— Nous enregistrons avec regret la mort d'un excellent homme qui fut un
écrivain honnête, et qui n'a connu que des amis au cours d'une carrière
aussi longue qu'honorable. Henry Trianon, conservateur honoraire .i la
Bibliothè(iue Sainte-Geneviève, est mort le 17 de ce mois, à l'âge de 86 ans.
Collaborateur, jadis, de nombreux journaux et revues, Trianon s'est l'ail
connaître comme auteur dramatique, d'abord par une comédie en deux actes
et en vers, le Coq de Mycile, représentée au Théâlre-l'rançais. Il était devenu
ensuite le collaborateur de plusieurs de nos musiciens, à qui il avait fourni
des livrets d'opéras. C'est ainsi qu'il avait donni' à l'Opéra-Comique, avec
Duprato Salvat-r Rosa, avec Eugène Gautier le Trésor de Pierrot, au Théâtre-
Lyrique avec Jules Cohen lesBleuets, dont le rôle principal futcréé par Christine
Nilsson, à l'Opéra enfin, avec Limnander le Maître Chanteur, et avec Théodore
Labarre Pantagruel. Un incident singulier se produisit au sujet de cette der-
nière pièce, dont la première représentation eut lieu en présence de l'empe-
reur et de l'iiTipératrice. On s"imagina tout à coup que la censure avait laissé'
passer sans les voir des allusions politiques perfides et absolument inconve-
nantes. Des allusions politiques ! de la part de Trianon ! et avec un musicien
qui était accompagnateur de la chapelle impériale I... C'était assurément
invraisemblable. Néanmoins il y eut scandale, forte semonce adressée aux
censeurs, et par-dessus tout interdiction de rejouer Pantagruel, dont la pre-
mière représentation fut aussi la dernière.
— A Milan vient de mourir, à l'âge de 56 ans, un pianisie et organiste
distniguc, Eugénie Maz/.ucchelli, connu aussi jiar d'assez nombreuses com-
positions
— On annonce la mort, à Xajiles, ilu comiiositeur Yincenzo Moscuzza, qui
était né à Syracuse au mois d'avril 1827. Après avoir fait dans sa ville natale
de bonnes études de contrepoint et de composilion, il eut l'extraordinaire
fortune, à peine âgé de vingt-lrois ans, de voir s'ouvrir huiles grandes devant
lui les portes du théâtre San Carlo de Naples, dont l'acLcs est iriiabilude
entouré de tant de difficultés. C'est sur celle scène cidelire ([u'il d(mna ses
premiers ouvrages, tous de car.actère sérieux: Stradella [iK>()), Eufeinia di Na-
poU (1831), Carlo Gonzaga (1837), .et Bon Carlos, infante di Spagita ('2o mai 1862).
En 1863 il faisait représenter à la Pergola de l'iorence Piccardo Donati, en
1869, à Syracuse, Gonzales Davilla, que ses concitoyens accueillirent avec
enthousiasme, et le .j juin 187.3 il abordait le genre houll'e en donnant au
Politeama de Florence un ouvrage inlitulé Quattro Rustici, dont on vantail le
finesse et l'élégance. Enfin, au mois de mai 1877, il se présentait ]iour la
dernière fois au public en faisant jouer à Malle sa Francesca du Rimini.
Chose singulière en ell'et, cet artiste, qui avait débuté d'une façon Inillanle,
ne reparut jamais au théâtre à partir de ce moment, bien que, dit-ou, il
ait écrit encore quatorze (qicras ! Au reste, la renommée de Moscuzza n'a
jamais di'qiassé les frontières de son pays, et je ne sache pas qu'un seul de
ses ouvrages ait été joué à l'élranger.
Henki Heucel, directeur-gérant.
î:ER(E CE\TR.t
> CBEMINS DE FEB. — lUPRlUEfUC CHjUZ, RUE
ao, paris, — (Eocn LorUleD4
3423.
«•>" i\m - \" U.
Diniaiiclic i ' \ovemlii'e 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(J.es rnaiiiiscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du MÉNESinEL. 2 bis, nie Vivienne. les Manuscrits, Lettres et Bons-poste il'.ilioniieraenL
Un on, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et .Musique de Chant. 20 fr.; lu. le et -Musique de Piano, "20 fr, Paris et l'rovince.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 3U Ir., l'aris ec l'nj»ince. — Pour l'Étr.-nger, le. Irais île pciste eu s
SOMMAIRE-TEXTE
L Étude sur Orphéf (I0« article), Julien Tiersot. — IL Semaine théltrale : reprise
de Don Juan à l'Opéra, -VRTHrn Pougin; premières représentations du Partage au
Vaudeville etdeiîico/i aux Folies-Dramatiques, II. Mobeno. — IIl. L'Exposition
du théâtre et de la musique (4' article), .\iiTHunPooGiN. — IV. Musique et pri-
son 122' article) : Prisons d'artistes, Paul d'Estrée. — V. Revue des grands
concerts. — VI. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
IL M'AIME, M'AIME PAS
mélodie italienne de P. Mascagni, traduction française de Pierre Babbier.
— Suivra immédiatement : Prélude, nouvelle mélodie de Re.née Eldèse,
poùsie de Henri de Régnier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Pastorale et Gavotte, transcriptions pour piano extraites de lUpiTa
André Chémer de (tiordano, le grand succès du théâtre de la Scala à Milan.
— Suivra immédiatement : Les Réoérences nuptiales, n" I de la collei;'(ion
des Vieux Maîtres, transcription pour piano de Louis Diémer d'après Boismor-
TIER (1732), répertoire de la Société des instruments anciens.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
ACTE III. SCÈNES I ET II. — Sauf certaiDS remaniements assez
importants dans les récitatifs (le premier notamment, après
l'entrée animée des violons, est entièrement refait) et quelques
transpositions (Duo : Viens, suis un épovx, en sol en italien, en
fa en français; — Air : J'ai perdu mon Eurydice, en ul en italien,
en fa en français), ce tableau entier est parfaitement conforme
dans les deu.x versions.
Mentionnons toutefois deux corrections, l'une fort impor-
tante, faites dans l'air : « J'ai perdu mon Eurydice. » La pre-
mière porte seulement sur l'accent d'une fin devers, celui
qui précède la troisième reprise du chant principal :
Quel tour-ment déchi.re mon coeur!
La version italienne donnait :
Ne daJ mon do ne dal
L'autre consiste en l'addition de quatre mesures qui modi-
fient la conclusion en lui donnant une puissance d'accent
extraordinaire : on pourra apprécier le progrès accompli en
comparant à la période finale de la version française : « Sort
cruel, quelle rigueur, — je succombe à ma douleur... à ma
douleur... à ma douleur » les quatre mesures suivantes qui
la remplacent dans la version italienne :
L'amélioration est si évidente que cette version fut adoptée
par la suite dans les représentations italiennes : c'est ainsi
que le manuscrit de Vienne, qui, nous l'avons dit, servit
à diriger l'œuvre du vivant de Gluck, tout en conservant
la forme originale, y ajoute, en manière de supplément, toute
cette conclusion, écrite, sur une feuille séparée, de la main
de Salieri.
SCÈNE DERNIÈRE. — Le premier chœur : L'Amour triomphe, existe
dans les deux partitions (J), mais il a subi, en passant en fran-
çais, une modification regrettable. Entièrement en ré majeur
dans la version italienne, il a fallu, par suite du changement
de voix du personnage principal, en transp'oser la première
phrase à la quarte inférieure; il s'ensuit que l'exposition du
morceau est faite dans le ton de la, après quoi le chœur, reve-
nant au ton primitif, sans respect pour l'unité tonale, s'y éta-
blit définitivement jusqu'à la cadence finale.
Le ballet est moins développé dans Orfeo que dans Orphée,
encore qu'il y tienne une bien plus grande place que dans la
généralité des opéras italiens d'alors. Les trois seuls morceaux
communs aux deux partitions sont les suivants :
-1'''' AIR DE BALLET, en la mujeur.
GAVOTTE, en la mineur (a. été considérablement développée dans
la partition française).
AIR, en ré majeur, à 3/4 (même observation).
En conséquence, I'air vif, en ul majeur, à 3 '4, le menuet en
ul (ces deux morceaux sont précisément ceux dont la Biblio-
thèque de rOpéra conserve les iiutographes), le Trio vocal :
Tendre amour (placé, dans le livret, aussitôtaprès l'intervention
(1) Dans la version italienne, l'exposition orchestrale seule est jouée au com-
mencement de la scène; le chœur n'est chanté dans tout son développeiuent
q'j'àl a (In du ballet.
346
LE MÉNESTREL
de l'Amour et avant le changement de tableau, mais, dans
toutes les partitions, intercalé au milieu du ballet), la petite
reprise orchestrale du chœur : L'Amour triomphe, enfin la
CHACONNE finale, figurent seulement dans la partition française,
— tandis que, dans la partition italienne, un air de ballet
à 3/4, en ré majeur, d'un mouvement animé pourtant fort
heureux, n'a pas retrouvé place dans la partition destinée à
l'Opéra de Paris.
A cette analyse comparée nous devons joindre de nouveaux
renseignements dont la nature s'y rattache naturellement.
L'on sait que, malgré ses scrupules en matière de musique
expressive, Gluck n'a pas craint de replacer parfois, dans ses
dernières œuvres, les morceaux les mieux venus de ses opé-
ras antérieurs. Et par là il n'a donné aucun démenti à ses
principes, comme se plaisent à le répéter des esprits superfi-
ciels, car, en déclarant que la véritable fonction de la mu-
sique était* de seconder la poésie pour fortifier l'expression
des sentiments et l'intérêt des situations », il n'a nullement
entendu dire qu'un morceau destiné à exprimer les senti-
ments de tel personnage fût incapable d'exprimer aussi bien
ceux de tel autre, si tous les deux ont le même caractère et
se trouvent dans une situation semblable. Aussi bien, nous
avons appris suffisamment, par les progrès réalisés depuis
Gluck dans la musique expressive, combien l'idée musicale
en soi est chose ondoyante et malléable, et peut, avec la moin-
dre modification, se prêter à des interprétations tout à fait
différentes; et déjà Gluck lui-même nous en a donné des
exemples. Nous pouvons citer, notamment, celui de l'air à'Iphi-
génie en Tauride : « 0 malheureuse Iphigénie », emprunté à
la Clemensa di Tito: c'est le même chant, le même mouvement,
la même expression; mais quelques notes ajoutées dans le
développement de la période lui donnent un accent autre-
ment puissant, autrement tragique!
Les emprunts faits par Gluck à des œuvres antérieures se
bornent, pour Orphée, aux suivants :
Au 1" acte, l'air : « L'espoir renaît dans uion âme ». Celui-
ci a été le point de départ d'une véritable « question », qui,
depuis un siècle et quart, n'est pas encore tranchée. Nous
nous efforcerons de le faire tout à l'heure : en attendant,
comme ladite « question » aura besoin d'un assez grand
développement pour être traitée à fond, il sera préférable d'en
finir d'abord avec les autres emprunts.
Au premier tableau du deuxième acte, l'.-liV des furies qui
succède au dernier chœur ne figure ni dans la partition ita-
lienne, ni dans l'autographe de Gluck : nul doute que le
besoin d'intercaler ici un air de danse se soit fait sentir
seulement aux répétitions. Gluck, au lieu d'écrire un mor-
ceau tout exprès, se borna à l'emprunter à son ballet de Don
Giovanni, ossia il Convilato di pietra, composé pour Vienne en 1761 ,
vingt-cinq ans avant qu'un autre Don Giovanni vint effacer le
souvenir de toute autre œuvre musicale inspirée par le même
sujet. L'air intercalé dans Orphée avait été composé sur une
situation qui s'accordait merveilleusement avec celle de l'œuvre
nouvelle. C'est à la fin de la pièce : don Juan a été précipité aux
Enfers ; il se débat au milieu des démons qui dansent autour
de lui la torche à la main et qui le poursuivent sans cesse.
Nous ne connaissons pas la partition d'orchestre de ce mor-
ceau, mais la réduction au piano de la partition nous a per-
mis de constater que la musique y est indentique à celle
des Furies d'Orphée.
Au deuxième tableau du deuxième acte, l'air d'entrée
d'Orphée aux Champs Elysées ; Che puro ciel, — Quel nouveau
ciel pare ces lieux, est, sinon un emprunt absolu, du moins un
remaniement d'un air d'Antigone, opéra représenté à Rome
en 175S. Nous avons vu déjà quelles modifications a subies le
même air pour passer de la partition italienne dans l'opéra fran-
çais : il n'est pas moins intéressant de comparer ces deux
formes à celle du morceau dont elles procèdent l'une et
l'autre. A l'époque où celui-ci fut composé, Gluck n'avait pas
encore précisé sa doctrine ; cependant on peut constater que
le dessin et le mouvement général du futur air des Champs-
Elysées furent inspirés par des paroles qui ne sont point sans
analogie avec celles d'Orphée. C'est Demetrio (castrat) qui
chante :
Gia cha morir degg'io
L'onda fatal ben mio,
Lascia ch'i ouarchi almeno
L'ombra innocente.
La coupe de ce morceau est essentiellement celle de l'air
classique du XVllP siècle, avec une première partie présen-
tant un développement complet, puis un milieu, enfin, la
reprise de la première partie; mais le style en est plus
allemand qu'italien, et les sextolets des violons ainsi que
le solo de hautbois concertent avec la voix d'une manière
qui rappelle bien plus certains airs des cantates de Bach que
ceux des opéras de l'école napolitaine : il est un endroit,
notamment, où le chanteur devait être très gêné par les vio-
lons, qui ne s'arrêtent jamais et ne lui laissent aucune liberté
pour développer les sons, pratique tout à fait contraire à celle
du bel canto! ... Mais les dessins, bien que les mêmes, semblent
avoir moins de relief dans l'air d'Antigone, et l'on peut dire
qu'entre la composition des deux œuvres un progrès con-
sidérable a été accompli au point de vue du rôle expressif de
l'orchestre et de son union avec la voix dans la musique
dramatique.
Au troisième acte, le seul morceau emprunté à une œuvre
antérieure est la chaconne finale, qui n'est autre que celle
qui, peu de mois auparavant, avait servi à terminer le ballet
d'Iphigénie en Aulide : la conclusion seule en a été modifiée,
le morceau, dans Iphigénie, se trouvant interrompu, au mo-
ment de la péroraison, par un appel de Calchas venant chan-
ter : « Volez, vulez, à la victoire », et amenant ainsi un chœur
final, ce qui n'a pas lieu dans Orphée.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
DON JUAN A L'OPÉRA
Que dire de nouveau sur Don Juan à l'heure présente? Exprimer
mon admiration pour cet incomparable chef-d'œuvre, où, avec les
moyens simples dont on disposait alors, avec un orchestre où l'on
ne rencontre ni contre-bassons, ni tubas, ni trompettes basses, ni.
le reste, Mozart a su atteindre les limites de l'émotion, da pathéti-
que et de la terreur? Essayer une glose du genre de celles auxquelles
on se livre avec fureur aujourd'hui, pour démontrer à quel point
était profonde la pensée qui lui a fait placer, à tel moment, un mi ';>
inattendu dans la partie d'alto, ou par quelle intuition de génie il a,
dans un autre endroit, marqué aux timbales un silence de quatre
mesures, silence qui, dans l'espèce, comporte évidemment l'idée
d'une conception philosophique de la plus haute puissance"? Non..
Mozart, à mon avis, n'était à ce point ni penseur ni philosophe ; il
ne se croyait pas appelé à révolutionner le monde, il se contentait
d'avoir du génie, de faire de la musique qui après tout en valait bien
une autre, et fort heureusement il n'existait de son temps ni criti-
ques ni glossateurs pour sonder les mystères impénétrables de la
présence d'un demi-soupir ou rechercher avec avidité les causes
premières d'une suite de triolets.
Et pourtant, de son temps même, il s'est trouvé des gens, et des
gens qui s'y connaissaient, qui s'y connaissaient même beaucoup
mieux que certains critiques actuels, pour déclarer que sa musique
n'était point trop mal faite, et qu'elle n'était pas sans exercer sur
l'esprit de ceux qui l'entendaient une certaine impression. Vous
n'êtes pas, je pense, sans avoir entendu parler d'un nommé Hoffmann,
auteur de quelques coûtes bizarres tels que la Chat Miirr, le Chant
d'Antonia, Olivier Brusson, le Petit Zacharie... Or, ledit Hoffmann n'élait
pas seulement un conteur excentrique et curieux. Pianiste habile,
organiste exercé, chef d'orchestre, compositeur, auteur de messes
et d'opéras, il lui arrivait de parler musique, avec plus de savoir et
d'autorité que tel ou tel que je pourrais nommer, qui resterait bien
penaud si on lui demandait quelle est la différence de la tonique à
la médianle. Voici donc comment Hoffmann s'exprimait au sujet de
I.E MENESTREL
347
Don Juan dans une lettre qu'il adressait, le 3 mars nGo, à son ami
Julius Hilzig :
Je possède maintenant en propre le Don Juan. Il me fait passer bien
des heures délicieuses. Je commence à pénétrer vraiment le grand esprit
de Mozart dans la composition. Tu ne pourrais t'imaginer combien de
beautés nouvelles se développent à l'oreille de l'exécutant, lors même
qu'il ne laisse pas échapper la plus petite chose, et qu'il cherche, pour
chaque mesure en particulier, le sentiment véritable avec une espèce
d'étude approfondie. La gradation qui va d'une mélodie douce jusqu'aux
mugissements, jusqu'aux coups ébranlants du tonnerre; les sons plaintifs
pleins de douceur, l'éruption du désespoir le plus furieux, la majesté, la
noblesse du héros, l'angoisse du criminel, la succession des passions dans
son àme, tu trouves tout cela dans cette musique unique. Elle embrasse
tout, et elle te montre l'esprit du compositeur dans toutes les modifica-
tions possibles. Je voudrais pouvoir étudier Don Juan pendant six se-
maines et te le jouer ensuite sur un piano anglais. Vraiment, ami, tu
resterais assis en silence et tranquille depuis le commencement jusqu'à
la fin, et tu le conserverais encore longtemps dans ton cerveau, tout an-
timusical qu'il est. Car tu en sentirais bien mieux la beauté qu'au théâ-
tre; le théâtre vous distrait beaucoup trop pour vous laisser tout re-
marquer d'une manière convenable. Si tu viens ici lundi prochain, ce
que je te prie de faire avec instance, tu causeras à ton ami qui t'aime
de toute son àme et tendrement, un plaisir qui le rendra très heureux.
Pars de bonne heure pour être ici à dix heures ; viens me trouver tout de
suite, tu pourras rester jusqu'à midi et demi. Il faut que tu entendes au
moins quelque chose de Don Juan. Ne crains pas de m'entendre chanter ;
j'essaierai de moduler ma voix de façon qu'elle netesoitpas désagréable...
Je n'ai pas besoin, quand j'entends Don Juan, qu'on m'explique et
qu'on me dévoile, a force d'analyse, les causes de mon admiration,
comme on prend tant de peine à le faire aujourd'hui pour d'autres
œuvres qui, j ; suis bien obligé de l'avouer, me procurent une jouis-
sance moins complète et moins pure. Je n'ai besoin du secours de
personne pour entrer en joie à l'audition de l'air de Leporello :
Madamina, pour écouter avec ravissement le merveilleux duo : Là ci-
darem la mano, pour être ému par l'admirable récitatif de donna Anna,
pour être charmé par le délicieux air de Zerline : Batii, batti, pour
être transporté par le suave trio des masques, inspiration enchante-
resse qui vous transporte dans un monde inconnu, pour avoir le sen-
timent d'une grandeur sublime quand j'entends ce finale colossal,
qui porte le sentiment dramatique à sa plus extrême puissance. De
même, je n'ai pas besoin qu'on me mette les points sur les i pour
•apprécier l'adorable sérénade : Vieni alla finestra, et le second air de
Zerline: Vedrai, carino, aussi délicieux que le premier, et celui d'Ottavio:
Il mio tesoro, si mélancolique et si touchant, et la scène si émouvante
du cimetière, et la puissance tragique de la scène finale. Tout cela,
je le jure, je le comprends, ou tout au moins je crois le comprendre,
sans qu'on soit obligé de m'expliquer la valeur de chaque note et
de me faire saisir l'importance de chaque silence. Et ma jouissance
est d'autant plus grande qu'elle est sans arrière-pensée, et que je
n'ai pas la crainte de me tromper en partageant l'impression profon-
dément raisonnée de tel ou tel qui pourrait ne pas se trouver
d'accord avec le sentiment fortement motivé de tel ou tel autre.
Tout cela, malheureusement, ne veut pas dire que Don Juan soit
parfaitement à sa place à l'Opéra, dans ce cadre immense qui écrase
une œuvre si merveilleuse etd'unesi suprême élégance, où forcément
les mouvements sont ralentis par les besoins de l'action scénique
sur un si vaste terrain, oîi les chanteurs se croient obligés — et sont
obligés peut-être, pour être entendus — de donner de la voix là où
il n'en faudrait pas, et où il résulte de tout cela qae l'œuvre perd
son allure vraie, sa couleur exacte et son véritable caractère. On
s'est assurément efforcé, et nul ne le saurait contester, de faire pour
le mieux. Mais ce mieu.r pouvait-il amener le bien? Là est toute la
question. Or, il y a pour moi un vice rédhibitoire à la représentation
de Don Juan sur une scène comme celle de l'Opéra. C'est la couleur,
c'est la nature, c'est le caractère de l'œuvre, œuvre aimable, presque
intime, qui n'atteint que par instants aux proportions du drame, et
ce par l'accent de la musique bien plus que par la puissance des
moyens. Eh bieu, à l'Opéra, tout est forcément grossi, agrandi, en
dehors des proportions manifestement couçues par l'auteur. Et si
l'on veut précisément se réduire par instants à ces proportions, on
arrive à des contrastes qui deviennent des contresens. Ou fait accom-
pagner le recitativo secco par les seules basses, ce qui devient, dans ce
vaste vaisseau, absolument maigre et insuffisant, et l'onremplace, dans
la sérénade, le pizzicati traditionnel des violons, par la mandoline de
M. Pielrapertosa, ce qui n'est ni moins maigre ni moins insuffisant.
Eh puis, dame! que voulez-vous? Ce n'est pas en chantant des
Lohengrin et des Valkt/rie que nos chanteurs acquerront la légèreté,
la fluidité, la grâce et le style de la musique de Mozart. Qu'on
m'entende bien ; je ne fais nullement ici de la critique, je constate
simplement un fait, un fait sans réplique. Voyez, voilà deux artistes
certes fort distingués : M. Renaud, qui joue Don Juan, M. Delmas
qui fait Leporello, que nous sommes accoutumés d'applaudir chaque
j our et pour qui nous avons la plus grande estime. Que font-ils? Ils
alourdissent tout, ils agrandissent tous les mouvements, ils donnent
les récitatifs à pleine voix au lieu de les parler, de les débiter, comme
il faudrait, et par conséquent ils exagèrent la mesure d'une façon
lamentable et qui détruit le secs musical de la façon la plus absolue.
Tout cela est lourd, pâteux, sans couleur, sans sveltesse et sans
grâce. Est-ce leur faute? Peut-être un peu ; mais c'est surtout la faute
du cadre dans lequel ils doivent agir et du répertoire auquel on les
habitue. On peut — et l'on doit — les féliciter de leur conscience,
de leur extrême bonne volonté, du talentiucontestable qu'ils déploient,
mais tous les efforts se heurtent contre l'impossibilité matérielle
d'atteindre au vrai résultat.
Le rôle strictement dramatique de donna Anna n'offrait pas à
W" Caron les mêmes difficultés à vaincre. Ici, rien de léger, rien
de rapide. De larges récitatifs mesurés, de la noblesse dans le style
et de chaleureux élans pathétiques. Il suffisait à l'artiste d'être ce
qu'elle est toujours : une cantatrice profondément émouvante, con-
naissant tous les secrets de son art, et portant à son plus haut
degré l'émotion qu'elle éprouve elle-même. Elle a trouvé des accents
pleins de douleur dans la scène de la mort du Commandeur, et elle
a dit d'une façon superbe son grand récit avec Ottavio. Je lui repro-
cherai seulement de ne pas toujours faire entendre suffisamment les
paroles. C'est M"" Bosman qui est chargée du rôle un peu ingrat
d'Elvire, ce trouble-fête un peu ridicule, qui arrive toujours
au moment où on l'attend le moins. Elis y a été 'fort convenable.
L'adorable trio des masques a été dit par M"" Caron, par elle et par
M. Vaguet de façon à être bissé. M. Vaguet s'est d'ailleurs acquitté
tout à son honneur du personnage d'Ottavio. lien a chanté surtout
d'une manière remarquable l'air du quatrième acte (quelle singu-
lière et absurde division que celle de l'Opéra I) qui lui a valu un
succès très mérité.
Mais ce qui me semble sortir absolument de l'ordinaire, c'est l'in-
terprétation que M'" Berthet nous a donnée du délicieux personnage
de Zerline. On n'a pas plus de grâce, plus de charme, plus de
légèreté, plus de câliaerie qu'elle n'en a apporté dans ce rôle char-
mant, que Mozart semble surtout avoir couvé avec amour et qu'il a
r evêtu des couleurs les plus séduisantes. Elle a chanté d'une façon
exquise l'air : Batti, balli, aussi bien que le Vedrai, carino, et ne s'est
pas montrée moins charmante dans le duo : Là ci darem la mano. Et
la comédienne, très alerte, très aimable, n'a pas été chez elle au-
dessous de la chanteuse. Compliments aussi à M. Bartet, qui lui ser-
vait d'excellent partenaire et qui fait un Mazetto très adroit et très
amusant. Le Commandeur- est fort bien représenté par M. Chambon.
L'Opéra nous a donné une fort belle et très riche mise en scène. Le
ballet, comme de coutume, est très brillant. Il a valu uu très vif et
très légitime succès particulièrement à M"" Hirsch, qui a vraiment
déployé un brio et une bravoure extraordinaires.
Et en quittant le théâtre, le souvenir se ravivait dans mon esprit
du plus admirable don Juan que nous avions acclamé naguère dans
la personne de Faure, et du plus merveilleux Laporello que nous
avions applaudi dans celle d'Obin. Et cela me rendait rêveur.
Ah ! les belles soirées, alors I...
Arthur Pougin.
Vaudeville : Le Partage, pièce en trois actes de M. Albert Guinon. —
Folies-Dramatiques: BitioK, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux
de M. Paul Burani, musique de M. André "Wormser.
Je ne sais pas trop si c'est là ce qu'on désigne sous le nom de
« Théâtre rosse », mais en tous cas c'est du théâtre bien cruel que ce
Partage de M. Albert Guinon. La donnée s'en rapproche un peu dans
sa ligne générale de celle de l'adorable Froufrou de MM. Meilhac et
Halévy. Ici et là une jeune femme, qui n'est pourtant pas dénuée de
bons sentiments ni gangrenée jusqu'au fond, s'éprend, à côté d'un
mari trop vieux et dans un siècle trop facile, d'un jeune homme qui
passe dans sa vie : coup de folie qu'elle n'a pu réprimer. Et de cotte
faute même, comme la pudique hermine, elle ne tarde pas à mourir.
Mais ici et là voyez aussi la différence des procédés. Chez MM. Meil-
hac et Halévy, c'est, avec beaucoup d'esprit parisien, de la grâce et
de la poésie jusque dans la mort: Froufrou, c'est une Ophélie moderne
qui disparaît dans les fleurs. Et tout est disposé avec art, par des
mains expertes, autour de celte fin touchante. M. AlbertGuinon répudie
348
LE MENESTREL
ces façons d'arlisfe; il est de son temps, et il lui faut toutes les bruta-
lités de la vie réelle.
Son Partage n'est qu'une suite de tableaux péaibies, ainsi qu'on
peut en trouver dans l'ordinaire de l'existence. Il ne nous apprend
rien de nouveau, il ne nous élève pas au-dessus des misères cou-
rantes de l'humanité; il nous y plonge au contraire avec délice.
De l'espiit, M. Albert Guinon n'en a pas, parce qu'il n'en veut pas
avoir. Il y a de la tristesse et de l'amertume jusque dans son sourire.
M. Albert Guinon est l'homme du terre à terre ; ce n'es! pas un peintre,
c'est un photographe, ce n'est pas un écrivain, c'est un simple reporter.
A quoi bon ?
Ah! donnez-uous donc du rêve et de la fantaisie, à la place de ces
analyses sèches et revèches comme des orJonaances de médecin, qui
assombrissent toute la fin de ce siècle et pèsent sur nous comme
des cauchemars. Ahl qu'il est faux, raisonneur, prétentieux et égoïste
ce Raymond, que vous nous donnez comme un amoureux, etoomment
une femme de quelque cœur et de quelque intelligence peut-elle s'en
éprendre à ce point! 11 faut l'entendre, pour justifier ses paresses et
son désir de ne rien faire, expliquer qu'il est né dans une fâcheuse
époque, qu'il est un enfant de l'année terrible, un fils de la défaite,
qu'il en porte la tare et l'accablement et que dès lors il ne saurait
trouver le courage de rien entreprendre. Qu'on ait de lui celle
opinion, c'est encore possible. Mais qu'il en disserte lui-même avec
subtilité et qu'il expose ainsi son cas, sans un espoir de relèvement
quelconque, c'est vraiment Irisle et ridicule aussi. Et celte mère abo-
minable, qui s'en vient, par jalousie, dénoncer au mari que sou fils
est l'amant de sa femme! Oii en trouve-t-ou, des mères comme celle-là?
Et ce cousin, et cette cousine, qui ne resteraient certainement pas
cinq minutes dans une maisou honnête sans qu'on les jette à la porte!
Et ce boa mari, éternel gogo, qui ne voit n'en, qui ne surprend rien,
et qui croit naïvement que ce grand garçon de vingt-cinq ans vient
simplement chez lui à toute heure du jour pour jouer à la poupée
avec sa petite fille qui a sept ans! Non, vraiment, tout cela est bien
extraordinaire et passe l'enti'ndement.
M. Albert Guinon a eu l'heureuse fortune de trouver en M"' RéJane
une interprète remarquable, qui cache à force de talent bien des
défaillances de la pièce. Et malgré cela, qu'il est pénible, ce dernier
acte, oh. l'on voit la malheureuse Louisetle se débattre si longtemps
au milieu des affres d'one agonie torturante, au milieu des flacons,
des médicaments, des médecins, des sœurs de charité! On a dans sa
vie s'affisamment assisté à de semblables scènes douloureuses, pour
ne pas désirer les retrouver encore dans toute leur horreur au Ihéùlre.
oîi l'on vient d'habitude chercher un repos et un plaisir de l'esprit.
Quand M. Magnier (Raymond) rancoatrera un bon rôle, il sera sans
doute excellent. La voix est chaude et généreuse. MM. Henri Mayer.
Lagrange et Dauvillier, M'"" Samary, Henriol et la petite Renée
forment un ensemble d'artistes excellents.
M. Barani, lui, donne dans les militaires. C'est le beau nom de
Rivoli qui flamboie sur les affiches des Folies-Dramatiques. D'une
main un peu lourde, reconnaissons-le, et sans grande imagination,
l'auteur en prend à son aise avec Masséna, l'enfant chéri de la vic-
toire, dont il entend faire aussi un enfant chéri des dames. Mais il
a tort vraiment de vouloir le traiter comme un simple pompier de
Nanterre. Quel charabias, bon Dieu ! parlent tous ces gens-là, géné-
raux de la République ou grands seigueurs d'Italie!
Le sujet peut tenir en quelques lignes : Masséna s'ennuie d'at-
tendre la bataille, et il imagine, en manière de passe-temps, d'aller
courir le guilledou dans une ville voisine. A la faveur d'un déguise-
ment, il s'introduit au milieu d'une fête donnée par le provedilore
Garcagnalo, comme autrefois Roméo s'introduisit chez les C'apulets,
Et dame! avec une furia toute française, il opère de véritables rava-
ges dans les cœurs féminins. Pendant ce temps, à l'armée de Bona-
parte, on le porte comme déserteur, et, à son retour, il passerait un
mauvais quart d'heure, s'il n'arrivait encore à temps pour contribuer
vaillamment à la victoire de Rivoli.
Voilà l'histoire ni plus ni moins. C'est frais, c'est juuue, c'est can-
dide. Et là-dessus M. Wormser, le musicien élégant de l'Enfant pro-
dif/ue. a brodé une très sérieuse partition qu'il intitule opéra-comique
non sans raison. Car elle n'a rien de la gaieté et de l'exubérance
qui conviennent à ce genre de spectacle. Il y faut signaler cependant
une très jolie romance qui se chante au premier acte, mais elle est de
Garât. Une débutante, M""^ DumonI, contralto puissant et onctueux,
chante cette musique pompeuse et compliquée comme elle ferait à
l'Opéra même, ce qui ne contribue pas peu à augmenter la confusion
du spectateur. M'" Leriche a tout sou entrain accoutumé dans un
rôle de cantinière et M. Jean Perier est assurément artiste de talent.
H. MOBENO.
L'EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
(Suite.)
Cette salle 26 est vraimeut d'une richesse merveilleuse, et l'on
passerait des journées à contempler et à détailler tous les trésors
qu'elle renferme, toutes les curiosités qu'elle prodigue aux regards
de l'amateur. M. Bing expose toute une série nombreuse et superbe
d'estampes et démasques japonais d'une beauté remarquable. De son
côté, M. Beraldi, l'iconographe bien connu, dont la collection est
certuinemenl l'une des premières de Paris, offre à nos yeox une
soixantaines d'épreuves choisies de portraits de comédiennes et de
cantatrices célèbres. M. Perrot étale dans une vitrine une quantité de
curieux billets de spectacle, particulièrement pour les spesticles de
la cour et pour les séances de la chapelle royale à l'époque de la
Restauration. Avec cela, quelques autographes : J.-J. Rousseau,
Désaugiers, Nestor Roqueplan, etc. Une colleclioa originale est celle
des lorgnettes borgnes exposée par M°"' Arman de Gaillavel; Je n'en
ai pas compté moins de 162, pour la plupart fort riches et toutes dans
un état superbe. M""' Arman de Caillavet ne s'en lient pas là. Dans
une autre vitrine, elle nous montre une série peu nombreuse, mais
choisie, d'estampes et de portraits, avec quelques dessins intéressants,
quelques livres rares, et d'assez nombreux autographes : Ronsard,
Duprez, M"'' Mars, Sophie Arnould, M°"' Desbordes-Valmore, Henry
Murger, M""' Ristori. Parmi ceux-ci, ces vers du ténor Roger, qui
voulait jouer au poète et qu'il adressait précisément à la grande
tragédienne :
A MADAME RISTORI
.T'avais souvent rrvé les honneurs et la gloire
Pour que mon nom parvint à la postérité !
Ce rêve de mon cœur, je pourrai donc y croire '
Ne fut-ce qu'un seul jour vivre en votre mémoire,
Gela vaut mieux pour moi que l'immortalité.
G. Ror.ER.
C'est de la même collection que Je transcris aussi ces vers d'Alexandre
Dumas — père, tracés de son écriture élégante et superbe :
De profundis clamavi ad le.
J'ai, du plus profond do l'abime.
Les bras tordus par la douleur.
Crié vers mon maître sublime
Pitié pour nous, pitié, Seigneur!
Pitié pour l'enfant éphémère
Dont l'œil si limpide et si doux,
Ferme sur le sein de sa mère.
N'a rien connu, pas même vous.
Pitié pour le vieillard qui doute,
Sous le fardeau des ans plié.
Et qui, vers la fin de la route,
— Même vous — a tout oublié.
Pitié surtout au solitaire
Qui reste le dernier des deux.
L'exilé que garde la terre.
Seigneur, est le plus malbeureux 1
:i! X''"', 10 heures du soir.
Al.. DU.MAS.
Il y eu a de tous côtés d'ailleurs dans cette salle, des aulograplies,
presque tous très précieux. Avec deux dessins fort remarquables,
représentant l'un Chopin, l'autre Mendelssohn, chacun sur son lit de
mort, M. Georges Pfeiffer en expose toute une série : Méhul. Meyer-
beer, Boieldieu, Pagauini, Rossini, Halévy, Sivori, Adolphe Adam,
M'™ Mainvielle-Fodor, Talma. Rachel, M"'= Damoreau, M"'' Mari,
"Victor Hugo, Scribe. Puis, c'est la maison Pleyel-Wolffqui nous offre
des frao-ments de musique de Jean-Sébastieu Bach, Mozart, Chopin,
Rossini, et des lettres d'Haydn, Beethoven, Ignace et Camille Pleyel,
Cramer, Spontini, Weber, Meyerbeer, Ambroise Thomas, Gounod,
■ Mendelssohn, Schumano, Reicha, Auber... C'est encore M. Adolfo
Calzado, fils de l'ancien directeur du Théâtre-Italien, qui, avec une
intéressante collection de photographies des artistes de ce théâtre,
nous montre quelques-unes de leurs lettres. En voici une de Mario,
qui, toujours à court d'argent en dépit de celui ([u'il gagnait, emprun-
tait d'un coup 20.000 francs à sou directeur :
Paris, ce 4 X'"'' 1.S60.
Mon cher M. Calzado,
Voici le reçu des vingt mille francs que vous avez bien voulu me priHer
LE MÉNESTUEf;
349
avec une obligeance et un désintéressement qui me pénètrent de recon-
naissance.
Kn attendant que je le puisse faire de vive voix, recevez ici et mes
remerciements et les salutations les plus afl'ectueuses
de votre dévoué.
Mario.
Voici, d'aulre pari, une lettre un peu vinaigrée qu'adressait à
Calzado l'admirable cantatrice qui avait nom Erminia Frezzolini et
qui mourut, on le sait, complètement folle il y a quelques années :
Monsieur le directeur,
Le journal la France musicale annonae que je vous ai rendu le rôle de
Leonora du Trovatore. Peut-être avez-vous cette pensée; mais comme vous
n'avez même pas voulu écouter les conditions que je mettais à ce désiste-
ment comme juste compensation du préjudice qui en résulterait pour moi,
je m'empresse de vous prévenir que provisoirement j'entends garder ce
rôle et faire valoir, s'il y a lieu, les droits que me donnent vis-à-vis de
vous vos engagements i cet égard.
Veuillez, monsieur le directeur, agréer l'assurance de mes sentiments
distingués.
Décembre 1833. E. Frezzollm.
Ou remarquera la forme de cetts lettre, singulièrement ferme pour
une étrangère. Ce billet de M'"" Penco, orrect quant à l'orthographe,
est plus gêné quant au slyle :
Monsieur Calzado,
Vous m'avez envoyé plusieurs rùles ei vous me faites appeler aux répéti-
tions quand pour Malikle. quand pour autres rôles, que j'en perds la tète.
Soyez assez complaisant pour me dire lequel je dois apprendre pour le
premier et pour ne pas retarder le service.
Répondez-moi promptement et croyez à mes sentiments,
RosA Pexco.
La collection de M. Arthur Pougin, nombreuse, comprend d'abord
une centaine d'estampes et de portraits, dont quelques-uns extrême
ment rares. Parmi ceux-ci on peut citer surtout ceux de Lully ; de
Thévenard, la fameuse basse qui établit à l'Opéra les lôles de la
plupart des ouvrages de Cainpra; de Françoise Journet, qui tenait
le giand emploi à ce théâtre à la même époque; du grand chauleur
Carlo Broschi, dont Scribe a fait le héros de li Pari du Diable: du
célèbre organiste Bernier ; de Carlin Bertinazzi, le fameux arlequiu
delà Comédie-Italienue; des compositeurs Clemeoti, Sacchini, Pic-
cini; du fameux peintre décorateur Seryandoni ; des grandes canla-
trices M"'== Mara, Laguerre, Saint-Huberty, Braachu, etc. Avec cela,
deux superbes maquettes de décors de J.-B. Lavastre pour Coppélia
et pour Manon Delorme. et une série de dessins originaux faits pour
le Diclioiinaire du Théàlre. Puis, des affiches intéressantes, entre autres
celle annonçant la 100' représentation d'Hamlet qui devait avoir lieu
le jour même de l'incendie de l'Opéra; des programmes curieux, tels
qui' ceux de divers spectacles donnés au palais de Saint-Cloud et
ceux des représentations que nos troupiers se donnaient eux-mêmes
en Grimée, pendant le siège de Sébistopol. Puis, dans une vitrine,
M. Pougiu expose tout un lot de partitions superbss de Lully, Ra-
meau, Moudonville, Grélry: divers autographes de comédiennes; des
médailles de Dastouclies, surintendant de la musique de Louis XIV,
de Viotti, Rouget de Liste. Bellini, Habeneck, etc. ; une charmante
tabatière ayant appartenu à Cherubini, dont le couvercle est orné
d'une gouache charmante peinte par lui-même; plusieurs brochures
et canards fort rares sur les théâtres de l'époque de la Révolution;
enfin, toute une série de billets et coupons de théâtre, de bals ou de
concerts, laissez-pisser, contremarques, etc.
Mais l'un des joyaux de cette salle si riche et si intéressante est
assurément la superbe collection de manuscrits de musique auto-
graphes de M.Charles Malherbe. Outre que ces manuscrits sont nom-
breux, il y a là de véritables merveilles. Encore puis-je dire que,
comme nous tous. M. Malherbe n'a exposé qu'une petite parlie do
ses trésors. Visitons ensemble cette vitrine opulente. Nous y trouvons
d'abord quelques partitions d'orchesire autographes comp'ètes: Pietro
von Mbano, de Spohr; Auslin, de Marschner; /a Mule de Pedro, de
Victor Massé; Néron, de Rubinstein, son meilleur ouvrage peut-être ;
la Fille de M"" Angot, de M. Charles Leeocq; la Liberté éclairant le
Monde, de Grounod, « chœur chanté à l'Opéra pour le centenaire de
l'indépendance des États-Unis, 1876 ■) ; enfin, Hermann et Kelly, la
cantate qu'Ambroise Thomas écrivit sur des vers du comte de Pas-
toret et qui lui valut le grand prix de Rome en 1832.
Nous trouvons ensuite, et ici je cite au hasard, sans m'ocouper de
l'ordre chronologique : le duo final de la Favorite, de Donizeiti ;
l'ouverture d'Armide, dr Gluck; une scèn3 d'Ali-Baba, de Cherubini ;
un eutr'iicte des lirirdcx. de Lesueur, le auatuor célèbre d'une Foii.e. de
Méhul; une prière de l'Enfant prodigue, de Berton ; une romance
d'Agnès de Hokenstau/en, de Spontiui ; l'air do Uuon, d'Oberon, de We-
ber; un entr'acte de Guillaume Tell, de Rossini ; le chant du cin-
quième acte des Iluf/uenots, de Meyerbeer; l'air du deuxième acte
d'//a(/rfét', d'Aube r; la scène finale de Manon, de Massenet; un air do
ballet, de Grétry; l'ouverture écrite par Adolphe Adam pour les Pre-
mier.i Pas, prologue qui, dii une noie, « servit à l'inauguration du
Théâtre-Lyrique, dans la salle du Théâtre-Hislorique, ISi"/. » Il y a
dans celle note une double erreur que mon excellent camarade et
confrère Malherbe me permettra de rectifier. C'est pour l'inaugura-
tion non du Théâtre-Lyrique, mais de l'Opéra-National, non dans la
salle du Théâtre-Historique, mais dans celle du Cirque-National, que
fut donné, le lo novembre 1847, le prologue intitulé les Premiers Pas
ou les Deux Génies, dont la musique avait été écrite par Adam, Âuber,
Carafa et Halévy. C'est seulement le 27 septembre 18.51 que le
Théâtre-Lyrique fit son ouverture dans la salle du défunt Théâtre-
Historique.
Mais je n'en ai pas fini avec cette précieuse collection. J'y trouve
encore un fragment de Cimarosa, deux fragments de Mozart, des
esquisses pour YEgmont de Beethoven, pour le Sabinus de Gossec,
l)uis encore différents fragments d'Herold, Schubert, Halévy, Mail-
lart, Lalo, Oflfenbach, Richard 'Wagner, etc. Et quelques curiosités
d'un genre particulier : un fragment de deux lignes de musique de
Giierubini, b'S dernières qu'il ait tracées, quinze jours avant sa mort:
divers sujets de fugues, de Bizet; enfin un carnet sur lequel M. Saint-
Saëus écrivait, au crayon, ses esquisses poétiques et musicales pen-
dant son séjour aux lies Canaries, en 1889-90.
On voit ce qu'est celte collection, et combien précieuse. Aussi peut-
ou dire qu'elle est un des succès de cette partie de l'Exposition, et
qu'elle attire les regards de tous les visiteurs.
(A suivre.) Arthur Pûugi.n.
MUSIQUE KT PRISON
(Suite)
PRISONS D'ARTISTES
Rigueurs ailmlnislratives. — M" Mainvielle-Fodor à l'Abbaye— Ineiileni Veslris-Dorival
à l'Opéra : les délices de For-Lévêquc el le tambourin final. — Ipliigénie en Champagne.
Lu Gabnelli à Païenne: la fée de la prison.
Il y aurait assurément un livre très curieux et très pittoresque à
écrire sous ce litre : Prisons d'artistes. Ici, notre programme est trop
restreint pour que nous puissions y encadrer un tel travail. Nous ne
voulons emprunter, à cet ouvrage on expectative, qu'un très petit
nombre d'anecdotes se rattachant plus spécialement à notre sujet.
Il ferait beau voir aujourd'hui que la police mit sous les verrous
les artistes en contravention avec les nécessités ou les exigences de
leurs devoirs professionnels. Ce serait le retour à l'encombrement des
prisons en 179:-1. Et puis, " les progrès de la civilisation, comme
disait si comiquement Geofl'roy dans je ne sais plus quelle pièce,
protesteraient contre un tel arbitraire. « Mais le pouvoir absolu n'eut
jamais cure de semblables sentimentalités. L'artiste, si grand et si
protégé qu'il fût, comédien, chanteur ou instrumentiste, qui oubliait
ses « devoirs », était impitoyablement incarcéré jusqu'au moment oii
il faisait sa « soumission », regrettait ses erreurs et léparait sa faute.
Qui le croira un jour? Les rigueurs administratives se prolongèrent
par delà l'Empire jusqu'aux premières années de la Restauration.
No'is avons sous les yeux uu billet du capitaine de hussards Vala-
brègue, prince consort de la fameuse Gatalani, annonçant, à la date du
27 décembre 181S, que M"''- Maiuvielle-Fodor a été emmenée par les
gendarmes à l'Abbaye, pour refus de service.
Je laisse à penser si la cantatrice récalcitrante eut des attaques de
nerfs. Etcependant les daines, en telle occurrence, étaient autrement
vaillantes que leurs camar.ides du sexe fort. Que de ténors ou de
basses, de danseurs ou do violonistes se montrèrent de véritables
femmelettes entre quatre murs ! Abattus, anéantis par leur disgrâce,
ih avaient perdu l'appétit et la voix; ou bien ils se ]amcnt?ient
toute la journée, implorant à mains jointes leur pardon.
Tout au contraire, les comédiennes faisaient bonne figure. La
Dorival, une des plus séduisantes ballerines de l'Opéra, avait en-
voyé promener, certain jour, l'irascible Vestris, « le diou de la
danse. » Celui-ci, son supéiieur hiérarchique en qualité de maître
do ballets, demanda et obtint une lettre de cachet contre la rcfrae-
taire. Le soir môme, Veshis était à peine entré en scène, sous son
costume de galaut berger, que toute la salle se levail comme un seul
350
LE MENESTREL
homme et lui iulimait l'ordre d'aller au For-Lévêque et d'en rame-
ner Dorival. Protestations de Yestris au nom de la discipline et de
la fo-o-o-o-orme. Le tumultedevint telque les camarades du danseur,
le directeur de l'Opéra et l'inspecteur de police lui-même engagèrent
l'au-'usle personnage à s'exécuter. Vestris se décida enfin et partit au
triple galop de son cabriolet pour le For-Lévêque. Il trouva son élève
en joyeuse compagnie, soupant. chantant et daasant aux applaudis-
sements d'aimables gentilshommes qui faisaient chorus. Mais Dorival
se trouvait si bien en prison qu'elle ne voulait plus en sortir. Ves-
tris, qui sentait l'impatience du public, suppliait à genoux la rebelle
de presser son départ. Il ne gagna sa cause qu'après avoir sablé
deux bouteilles de Champagne avec les convives. Enfin, il put rame-
ner Dorival à l'Opéra, où le public l'attendait plus patiemment que
ne le supposait Vestris. El bientôt,, aux applaudissements unanimes
des spectateurs, tous deux dansaient le tambourin réclamé : dire
qu'après les libations des artistes, ce pas fut exécuté avec toute la
précision voulue, ce serait peut-être dépasser les limites de l'indul-
gence et de la crédulité.
Ce qui est moins problématique, c'est la pénitence subie quelques
années après par une autre étoile de l'Opéra, la célèbre M'"= La-
guerre. Cette cantatrice, plus jolie femme que virtuose accomplie,
avait créé le rôle d'Iphigénie dans VIphigénie en Tauride de Picclnni.
C'était en janvier i781 .
Elle obtint un réel succès à la première représentation. Mais à la
seconde, elle avait si bien fêté l'épernay ou l'aï, — c'était son péché
mignon — qu'elle ne put aller jusqu'au bout. On sait le mot de
Sophie Arnould, cette bonne petite camarade, sur la... défaillance de
M"' Laguerre.
— Ce n'est plus Iphigénie en Tauride, c'est Iphigénie en Cham-
pagne.
L'épigramme ne suffit pas au mécontentement du parterre. L'ac-
trice fut sifflée, et, pour comble de malheur, envoyée par les gentils-
hommes de la chambre au For-Lévêque. Elle n'en devait pas moins
faire son service; c'est-à-dire qu'elle sortirait de prison pour aller
chanter à l'Opéra et qu'après la représentation elle serait ramenée
au For-Lévêque. Là, il lui était encore loisible de ne point trop s'en-
nuyer. Elle pouvait y recevoir ses amis et continuer ses études musi-
cales. Mais le Champagne lui était formellement interdit. Donc,
M'"' Laguerre chanta et dîna dans sa prison jusqu'au moment psycho-
logique où deux exempts de police vinrent la chercher pour la
conduire à l'Académie royale de musique. Enfin elle parut sur la
scène de ses exploits... en tout genre, s'y tint fort bien et chanta
mieux encore. Le public d'alors ne tenait pas rigueur aux artistes
de leurs escapades dans les vignes du Seigneur. Il applaudit à tout
rompre la bacchante repentie et demanda sa grâce. Ce soir-là, le
premier gentilhomme de la chambre était de bonne humeur; il leva
la punition.
L'aventure de la Coctoto, s la petite cuisinière » du prince Gabrielli.
qui dut son nom à son maître, est bien autrement typique. Cette can-
tatrice, une ancêtre de la Périchole, autant par son talent que par ses
caprices, faisait le désespoir du vice-roi de Sicile eu 176.3. Elle accep-
tait les dîners donnés par ce personnage en son honneur, puis
refusait subitement de s'y rendre ; une autre fois, elle chantait si
négligemment au théâtre de Palerme, que le public, si indulgent pour
elle, finissait par se fâcher. Mais le vice-roi était plus irrité encore,
parce que la virtuose se permettait cette fantaisie en sa présence.
Enfin, de guerre lasse, il la fit conduire en prison ; et tout le peuple
accompagna jusqu'à la porte sa chanteuse de prédilection.
La Gabrielli resta douze jours sous les verrous, et sa captivité
laissa aux prisonniers des souvenirs inoubliables. La cantatrice
commença par payer les dettes des détenus condamnés comme
insolvables, mais les obligés de la Gabrielli n'étaient pas pressés de
profiter de leur liberté; leur bienfaitrice leur donnait de si belles fêtes
dans la prison ! C'étaient chaque jour de splendides repas, suivis de
concerts, où la cantatrice se prodiguait pour les miséreux, tout autre-
ment que pour les grands de la terre.
Mais Palerme s'irritait de la réclusion de son idole. Le vice-roi
put croire un instant que la Gabrielli allait être cause d'une révolu-
tion ; il se résigna donc à ouvrir au rossignol la porte de sa cage ;
et la ville tout entière reconduisit la virtuose à son hôtel avec la
pompe triomphale qui l'avait menée à sa prison.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
(A suivre.)
Paul d'Estrée.
IjO festival de dimancho dernier, au Chàlelel, élail entièremeni consacn''
aux musiciens frunçais, ajoutons: aux musiciens moris, et ne contenait, par
conséquent, aucune œuvre inédite. La séance s'ouvrail yiar la superbe ouver-
ture de Bizet : Patrie, qui est certainement l'une des pages orchestrales les
plus nobles el les plus vigoureuses qu'on puisse eiilendre ; divisée en plu-
sieurs épisodes, elle manque peut-être un peu d'unité, mais elle est pleine de
chaleur et de mouvement. La Symphonie fantastique n'ai a^>uirmpn[\fàs la meil-
leure œuvre de Berlioz, et ne saurait soulcuir le paiallcle avec la Damnalion de
Faust ou l'Enfance du Christ, voire avec floméo et Juliette. Une exeellenlo exécu-
tion n'a pu donner le change sur les côtés faibles de cette œuvre inégale, dont
la meilleure partie est certainement la Marche. Le poème de César Franck,
Psyché, est bien long, bien gris et d'une couleur bien monotone, en dépit de deux
jolis chœurs lointains dont le caractère mystique n'est pas sans grâce. La
seconde partie du concert, composée de morceaux détachés, a été incontes-
tablement plus heureuse que la première. Elle comprenait le Dwerfesemenf
de Lalo, la jolie Berceuse de Jocelyn, de Benjamin (Todard.puur violoncelle,
les airs de danse exquis du Roi s'amuse, de Léo Dolibes, d'un tour si déli-
cieux, l'Hymne à sainte Cécile de Gounod, d'un caractère plein de tendresse,
el l'étincelant Carnaval de Guiraud, dont l'effet est toujours infaillible. A. P.
— Concert Lamoureux. — Au début de la saison nouvelle, M. Lamom'éux
semble interroger son auditoire: vers quel maître, vers quelle école, doit-il
établir son orientation ? La réponse demeure indécise: en clVet, après cette
première séance, aucune impression d'art n'éveille un coiu'ant d'opinion.
Voulons-nous Beethoven ? Sans, doute, mais avec la poésie et la grandeur
qui le caractérisent, car, à la vérité, l'exécution de la Symphonie pastorale que
nous venons d'entendre déflore un peu nos souvenir.^ — Nous laisserons-
nous séduire par la divine coquetterie des petites pièces vocales d'autrefois ?
Oui, si vous disposez de voix souples, capables d'aborder sans supercherie les
trilles ravissants et autres arlilices en vogue au bon vieux temps de la gloire
italienne. L'ariette «Pur dicesti » de Lntti, avec son interprétation simple-
ment convenable, nous a fait songer à un sujet d'orfèvrerie vu dans la pé-
nombre au lendemain d'une fête. — Notre prédilection ira-t-elle aux exubé-
rances de l'impressionnisme musical? Voici le Capriccio espagnolàcti.'Rimsky-
Korsakow (ISi-i). Là nous trouvons des rythmes, des idées, de la couleur,
une instrumentation brillante et aussi peu banale qu'on pouvait l'espérer dans
un ouvrage de ce genre. Mais ce morceau de verve et d'entrain, avec la furia
de ses coups d'archet, ses ondulations rêveuses et ses poussées véhémentes et
[oUes nous plait et nous amuse sans que nous puissions y trouver l'indice
d'une direction dans un sens nettement progressif. — Nous laisserons-nous
enchaîner an char du « grand incompris », César Franck ? Le temple posthume
que l'on veut construire à sa mémoire es! un peu vaste pour sa génialité.
Les charmes de Psyché, la grâce de l'ange penché sur le bord d'un berceau, la
jolie procession et le mystique Panis angelims exerceront toujours sur nous
une attraction plus vive que les œuvres dans lesquelles il manifeste de plus
hautes prétentions. Par exemple, cette introduction i la 2= partie de i?édemp(i«i
n'est-elle pas un peu décevante au moment où, le Ir.ivail harmonique et mé-
lodique, excellent d'abord, au lieu de s'épanouir en une grandiose efllores-
cenoe, se laisse, à trois reprises, étouffer par une phrase déclamatoire de
trombones qui semble, en imposant silence à toutes les voix musicales,
rendre énigmatique cette page d'ailleurs noble et de tendances élevées. —
Enfin, consacrerons-nous encore cette saison à "Wagner? Alors il faudrait
autre chose que des fragments connus et ressas>és: Vénmberg, Rêves, ouver-
ture des Maîtres-clianteurs. En somme, après ce premier concert, dont le pro-
gramme est une consultation, tout reste à faire, car aucun numéro n'a pas-
sionné raudil;oire. Le directeur d'une société de concerts doit créer un cou-
rant et non se mettre aux écoutes. Mais, que tenter, dira-l-on? Aucun champ
d'exploration ne s'ouvre à nous, aucune évolutiiin d'art, ne justifierait une
nouvelle croisade. Qu'en savez-vous ? Ajiédke Boutarel.
— Voici le programme d'aujourd'hui dimanclie. au Concert Lamoureux:
Ouverture du Boi d'Ys (E. Lalo) ; Symphonie en rc mineur (César l^ranck) ; Air
d'Obéron (Weber), chanté par M" Alba Chrétien; Esquisse sur les steppes de l'Asie
centrale (Borodine); Tristan et IseuU (Wagner): Prélude, UoTt, d'Iseult par
M"" Alba Chrétien; Capriccio espagnol (Rimsky-Korsakow).
— En raison des fêtes de la Toussaint, le second concert du Chàtelet, qui
aurait dû avoir lieu aujourd'hui, est remis à dimanche prochain, 8 novembre.
M. Vfinogradsky, chef d'orchestre de la Société musicale russe à Kiew el
directeur du Conservatoire de cette ville, dirigera ce concert, composé ex-
clusivement d'œuvres de l'école russe, exécutées pour la première fois aux
concerts Colonne. Rappelons que la presse a iHé unanime à constater le
très grand succès obtenu par M. Winogradsky, lorsqu'il dirigea àlasalleil'IIar-
court des concerts de musique russe.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant do Belgique (29 octobre). — C'est une heureuse
idée qu'ont eue les Concerts |iopulaires de commencer leur saison d'hiver jiar
LE MENESTREL
351
une séance coosaci-^T oulirn^uienl à. M. GamiUe Saiul-Saeus. Après avoir i'ail,
les années précédeules. LmuI Jp musique allemande, on pouvait bien en taire
un peu de française. Le Iriumplie du compositeur a été cumplet : comme
auteur, coimne chef d'orchestre et comme exécutant. M. Saint-Saëns a dirigé
presque tout le concert, quand il n'était pas au piano. Et sa symphonie eu la
mineur, d'une si jolie facUire, sa spirituelle Suite algérienne, très souvent jouée
à Bruxelles, mais surtout ses œuvres pianistiques, les Variations sur un thème
de Beethoven et son scherzo pour deux pianos, exécutés merveilleusement
avec M. Arthur De Greef. lui ont valu des ovations enthousiastes, pai-tagées
en toute justice par son admirable partenaire. Le maître a accompagné éga-
lement, à l'orchestre, ou au piano, la Fiancée du timbalier, la chanson floren-
tine à'Ascanio et des mélodies, chantées par M°"= Héglon avec sa belle voix
chaude et expressive. L'interprétation du concert a été digne des œuvres (jui
composaient le programme et de leur sympathique auteur. Celui-ci est un
ancien familier des Bruxellois, qui conti'ibuèrent largement à ses premiers
succès, à une époque où sa réputation en France même n'était encore que
très restreinte, comme ils firent, à peu près vers le même temps, pour
M. Massenet. SaTiwon et Daiila, encore inconnu à Paris, fut exécuté ici, à la
Société de musique, sous la direction même de l'auteur : et depuis, Bruxelles
a toujours eu pour M. Saint-Saëns une vénération particulière. Il n'y était
pourtant plus venu, publiquement, depuis assez longtemps. Mais nous allons
l'avoir plus souvent cet hiver. Il espérait même trouver à la Monnaie les
études de son ballet Javotte. de sa Phnjné et de sa Princesse jaune, assez avan-
cées pour qu'il pût s'en occuper un peu: malheureusement, rien, ou presque
rien, n'avait été fail encore : el il a du s'en retourner, avec l'espoir d'un prompt
retour. La Monnaie esl. pour le moment, toute à Don César de Bazan. qui
passera le mois prochain. L, S.
— De notre correspondant de Londres (29 octobre) : Le nouveau grand bal-
let que vient de produire l'Empire théâtre est tiré du roman d'Alexandre
Dumas, Monte-Cristo, dont le sujet n'oll're cependant rien de chorégraphique.
Les adaptateurs n'ont nullement eu, du reste, l'intention de rendre intelligible
la pensée du romancier. Ils se sont contentés do présenter fugitivement trois
ou quatre des principaux épisodes de la vie du prisonnier d'If en les reliant
ensemble par des divertissements d'un caractère grandiose et somptueux. .Ta-
mais l'art du décorateur et du costumier n'avait atteint ce degré de magnifi-
cence et de fantaisie. On assure que près de quatre cent mille francs ont été
dépensés. L'effet d'éblouissement produit par les danses lumineuses de la
, « Caverne des pierres précieuses » est indescriptible et la « fête Dir-ectoire, »
qui termine l'ouvrage, peut rivaliser avec ce qui s'est donné de plus gracieux
L . et de plus séduisant dans ce genre sur n'importe quelle scène. Comme tou-
I' jours, la partie cliiirr'gra|iliique proprement dite est reléguée au second plan,
f tout l'intérêt élaiii coiMcnIré sur la mise en scène. Quant à la musique, qui
est de M. "Weuzel. elle u ulti-e aucune particularité digue d'être signalée. Elle
est sautillante et sonore, mais tout à fait dénuée d'intentions scéuiques.
Le second concert de MM. Léon Delafosse et Ysaye a eu lieu hier à
S'James's Hall. Plus de monde encore qu'au premier, salle absolument comble
et succès encore plus marqué pour notre jeune pianiste français. La renom-
mée de M. Delafosse est désormais solidement établie à Londi'es, aussi bien
comme compositeur que comme virtuose. Deux nouvelles études de lui, les
Campanules ella Fileuse du Diable, ont été, la première surtout, très chaudement
applaudies. Il a joué également deux pièces de Chopin, la BarcaroUe de
[ Fauré et la Polonaise de Liszt, avec laquelle il a pris le public d'assaut.
iM. Ysaye s'est montré le virtuose impeccable qu'on connaît dans la sonate
en ré mineur de Scliumanu et la sonate à Kreutzer, jouées en compagnie
de M. Léon Delafosse. Léon Schlésinger.
— La saison du Théàlre-Lyrique à Milan est particulièrement brillante.
Après le triomphe de M""'= de Nuovina dans la Navarraise et d'excellentes soi-
rées de M"' Simonnet dans Mignon et Philémon el Baucis. voici M'^' Sibyl Sau-
S derson qui vient , elle aussi, de débuter avec éclat dans Manon. Son succès a
|. été des plus vifs, et tous les journaux italiens sont unanimes à le constater.
' — Le comité qui s'est formé à Bergarae pour l'inauguration des grandes
f' fêtes qui seront célébrées en cette ville à l'occasion du centenaire de Doni-
zetti, a décidé d'ouvrir un concours international — non de musique, mais de
peinture, sur des sujols <( dnnizetliens ». Un prix de 2.000 francs est destiné
à l'œuvre qui sera jugée la meilleure, sans préjudice de quelques prix de
moindre importance qui consisteront en médailles, mentions, diplômes, etc
Yoii.k une occasion de traduire en peinture le quatrième acte de la Favorite
ou la scène de la malédiction de Lucie, ou, dans un autre genre, la dispute
de don Pasquale avec le docteur ou l'enlrée des troupiers français dans le
logis de l'ex-Fi/te du Régiment.
— On s'apprête à célébrer comme il convient, à Recanati, le centenaire dp
l'illustre Giacomo Leopardi, le plus grand poète de l'Italie moderne. M. Mas-
cagui s'est chargé d'écrire, pour cette solennité, un poème symphonique qui
sera exécuté sous sa direction.
— Le théâtre est raremenl le chemin du cloître. Tout arrive cependant.
Les journaux italiens nous apprennent qu'une jeune chanteuse d'opérette,
M"" Emilia Ricca, a rennnci' aux succès de la scène et s'est rendue récem-
ment au couvent de .Sant'Anlonio, à Pausilippe, oii elle doit prochainement
prononcer ses vœux et faire profession.
— Le flot continue eu Italie, et sans interruption les opéras nouveaux
naissent, passent et disparaissGul. Après ceux dont nous .a.vxms annoncé la
récente repi'r'sentaliiiii. rir voici inic nouvelle série dcuit l'apparition devant
le public est prochaine. A Naples, Collana di Pasqua, poème de M. Luigi
Illica, musique de M. Luporini; à l'Académie Philharmonique de Trieste, la
Pupilla, musique de M. G-ialdini, écrite sur un vieux livret oublié de Carlo
Goldoni: et à Novi-Ligure, l'Innocente, du maestro De Angeli.
— L'ordre des représentations waguérieunes qui auront lieu au théâtre de
Bayreuth en juillet^aoùt 1897 vient d'être fixé. Il yen aura vingt, du 19 juillet
au 19 août, comprenant trois séries de l'Anneau du Nibetung et huit représen-
sentations de Parsifal, ainsi espacées :
Le 19 juillet, Parsifal.
Du 21 au 24 juillet, les quatre parties de l'Anneau du Nibelung.
Les 27, 28 et 30 juillet, Parsifal.
Du 2 au S août, le Nibelung.
Les 8, 9 et 11 août, Parsifal.
Du 14 au 17 août, le Nibelung.
Et le 19 août, pour finir Parsifal.
— Prochainement, l'Opéra royal de Dresde jouera un opéra inédit intitulé
la Femme de la vallée des roses (Die Rosenthalerin), dont la musique, est due au
compositeur viennois Antoine Rûckauf. Le sujet met en scène un épisode de
la vie du grand peintre Albert Durer. La s vallée des roses » semble indiquer
un faubourg de Leipzig qui est connu sous ce nom.
— Cari Goldmark, qui habitait en hiver la ville de Vienne et en été une
modeste maison située près du lac de Gmunden (Haute-Autriche), va ren-
trer dans sa patrie, la Hongrie. Les journaux annoncent en effet que le
célèbre compositeur vient de faire l'acquisition d'une belle propriété située
sur les bords du lac de Balaton, où il se fixera complètement pour s'y con-
sacrer au travail en toute tranquillité.
— Un opéra inédit en un acte, intitulé l'Enchanteme^it des runes, musique
de M. Emile Hartmann, a été joué avec beaucoup de succès à l'Opéra
de Hambourg.
— On vient d'inaugurer dans le quartier du Thiergarten, à Berlin, un
nouveau théâtre, le West-Theater, dont ou vante le luxe et les vastes pro-
portions. Le nouveau venu porte à seize le nombre des théâtres existant à
l'heure présente dans la capitale prussienne, pouvant contenir ensemble
environ 20.000 spectatem's. Celui de l'Opéra compte 1651 places ; le théâtre
royal, 1040, le théâtre Allemand et le Central, chacun I.OOO; le théâtre
Berlinois, le Théâtre KroU, le Théâtre Frédéric-Suillaume et le Théâtre
Belle-Alliance, chacun 1.600; le Lessing-Théàtre, 1024; le Schiller-Théâtre,
1.300: le Residenz, 6S7 : le théâtre Neuf, 821; le Thalia-Théâtre, 1.319;
l'Unter-den-Linden, l.SOO; et enfin l'Ostend-Théâtre, 1.100.
— On nous écrit de Stockholm : M. Edouard Grieg, qui depuis quinze ou
vingt ans n'était pas veuu en Suède, vient d'arriver à Stockholm pour y diri-
ger deux concerts. Les billets ont été pris d'assaut, et tout fait prévoir que le
maître norvégien sera brillamment fêté par les Suédois. En revenant à Chris-
tiania il prendra part aux fêtes données en cette ville à l'occasion du 25' anni-
versaire de l'Association musicale, dont il fut un des fondateurs et le premier
chef d'orchestre. M. Johan Svendsen vient d'être sérieusement malade, mais
un séjour aux environs de Ctuistiania l'a remis sur pied. Nous attendons
pourtant toujours une cantate d'Université, la Lumière, paroles de M. Bjœrnson,
qu'il nous doit. H. H.
— Une correspondance adressée de Pernambuco au Mondo artistico nous
apporte des détails sur la mort du compositeur Carlos Gomes, qui, comme
on le pense, a mis sa patrie en deuil : «... Le grand Brésilien est mort, dans
l'État ae Para, le 16 seplombre, à dix heures dix minutes du soir, entouré
d'amis qui ne pouvaient se détacher de lui et qui ne voulaient pas croire â
une telle perte. Il a souffert une agonie horrible, et peu de minutes avant de
fermer les yeux pour toujours il murmurait d'une voix presque éteinte ; Tout
est inutile'. Quatre jours avant la catastrophe, sur ce lit qu'il ne devait plus
quitter, il avait signé le règlement du Conservaloire de musique de Para,
dont il était le directeur. Dès que le télégraphe eut répandu la triste nou-
velle, toute la presse brésilienne eut des paroles de sincères et douloureux
regrets; tous les instituts, tous les établissements publics et privés, nationaux
et étrangers, s'imposèrent trois jours de deuil. Le corps de Gomes a été em-
baumé et sera transporté à San Paulo, son lieu de naissance. Dans plusieurs
villes on prépare, pour le Irentième jour de sa mort, de solennelles cérémo-
nies funèbres. Outre Guarany, Salvator Rosa, Maria Tudor, Condor, loSchiavo et
beaucoup d'autres compositions, Gomes laisse un autre opéra ; Noite do Cas-
tello. qui n'a jamais été représenté et dont le manuscrit est conservé dans la
bil)liolhè([ue de notre théâtre Santa Isabella. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est hier samedi qu'a eu lieu, au palais Mazarin, l;i m. r publique
annuelle de l'Académie des beaux-arts, présidée par M. Hdnn.ii i.i' inugramme
était ainsi composé : 1° Exécution d'un morceau syniphoiiiqur iulilulé Ouver-
ture de fête, composé par M. Busser, ancien pensionnairo de Rome; 2° discours
du président, et 3° proclamation des grands prix de Rome; i" lecture, par
M. Larroumet, d'une notice sur la vie et les œuvres de M. Ambroise Thomas,
due â M. le comte Delaborde, secrétaire perpétuel ; 5° exécution de Mélusine,
la scène lyrique qui a remporté le grand prix de composition musicale et
dont l'auteur est M. Mouquct(Jules-Ernest-GeorgeB), élève de M. Th. Dubois.
Nous rendrons compte dimanche prochain de cette séance intéressante.
— Le rapport de M. Georges Berger sur le budget des beaux-arts a été dis-
tribué cette semaine. Le rapporteur, après avoir déclaré que les crédits des
352
LE MÉNESTREL
Uoaiix-aris sont réduits à la dernière limito ilc ce qui est diyne e( possible,
passe à l'examen des chapitres. Signalons une économie de S0.9ti0 francs sur
le personnel de l'administration centrale, due à la suppression de la direction
des bâtiments civils. M. Berger propose une réduction de 2,800 l'rancs sur
l'inspection des beaux-arts, à titre d'indication et pour arriver à la création
d'une commission composée d'écrivains qui assumerait l'énorme travail de
la lecture, dont les inspecteurs des théâtres actuels seraient les agents exé-
cutifs. Arrivé au Conservatoire, le rapport fait en passant quelques critiques,
mais conclut surtout à l'aliénation des locaux actuels et à la reconstructio;i
du Conservatoire sur le terrain présentement occupé par la caserne de la
Nouvelle-France. Les subventions de l'Opéra, de la Comédie-Française, de
rtDpéra-Comiquc, de l'Odéon, sont proposées sans réduction. Mais ce qu'il
résulte surtout de ce rapport, en ce qui concerne l'Opéra-Comique, c'est que
nous n'aurons pas la nouvelle salle avant 1899. M. Berger le déclare formel-
lement et demande pour deux ans encore l'inscription au budget de la somme
de 80.000 francs, moulant de la location de la salle de la place du Chàtelet.
Tel est, en substance, le contenu de. ce rapport.
— Cent qualre-vingt dix aspirants, dont 105 femmes et 83 hommes, se sont
présentés, au Conservatoire, au concours d'admission pour les classes de
chaut. Il n'a pas fallu moins de quatre séances pour venir à bout de cette
épreuve formidable, qui a pris fin jeudi, à cinq heures du soir. Le jury, pré-
sidé par M. Théodore Dubois, était composé de MM. Saint-Saëus, Reyer,
Lenepveu, Emile Réty, Engel, Lliérie, Verg;et, Nicot, Saint-Yves-Bax,
Crosli, Warot, Edmond Duvernoy, Bussiue, .\rchainbaud, et Feruand
Bourgeat, secrétaire. Sur ces 190 aspirants, 23 ont été reçus, dont 16 hommes
et 13 femmes, dont voici les noms : Hommes : MM' Adam, Bourbon, Cazotles,
Do, Dubois, Dufoui', EguiazarolT, Faureus, l>auvin, Gouze,Guillotin, Régnier,
Richard, Rigaux, Riddez et Roussoliéres. — Femmes : M"« Cahen, Caux,
Grépin, Chauland, Deck, Del Ambo, Detanger, Dingry, Hatto, Migiionac,
Minssart, Rioton et Vaudois. — La semaine prochaine, continuation des
concours d'admission: lundi 2, harpe et piano (hommes): mercredi i otjeudiS,
violon: vendredi 6, alto, violoncelle et contrebasse.
— Petit changement dans le mode de direction du théâtre de l'Odéon. Pour
éviter tous froissements et tous désaccords entre les d 'ux directeurs associés,
l'administration des beaux-arts a défini les attributions distinctes de chacun
d'eux. M. Paul Ginisty reste directeur en titre, et M. Antoine passe direc-
teur de la scène. Appointements égaux de part et d'autre. De plus, un congé
d'un mois est « accordé i> ;i M. Antoine, pendant lequel M. Ginisty remettra
de l'ordre dans les divers services du second Thoàtre-Français, et s'occupera
de la nouvelle réorganisation.
— Bonne nouvelle pour les auteurs de Cendrillon. C'est M'i^Van Zandt qui,
à son retour de Monte-Carlo, en mars prochain, créera le principal l'ùle du
conte de fées de MM. J. Massenet et Henri Gain. C'est signe et paraphé avec
le directeur de l'Opéra-Comique. Bien entendu, cela n'empêchera pas
M"" "Van Zandt de donner en décembre les représentations déjà promises de
Lakmé, Manon, Mignon et le Pardon de Ploêrmel.
— M. SaiuC-Saëns renoncerait i écrire pour le théâtre. « Je ne veux plus
maintenant faire d'opéras, écrit-il, parce que c'est un travail trop laborieux,
trop long, en un mot, trop fatigant pour moi. Je ne peux plus passer de
longs mois à écrire de la musique huit à dix heures [lar jour. Ni mes yeu.\.
ni ma sauté générale ne veulent plus s'en accommoder. Je di'sirc me consacrer
exclusivement à des travaux qui, s'ils demandent autant et plus mémo de
tension despril, n'exigeront pas aussi une grande déjiense de force physiq\u^.
Le Timbré d'argent, Élienne Marcel, Henri VIII, Ascanio, Proserpine sou! là qui
attendent i]n'on veuille bien les représenter, et je iie vois pas la nécessil.'
de m'user le tempérament à l'aire d'autres ouvrages de théâtre, étant douni'
([ue je n'ai pas de spécialité et que tons les autres genres do musique me
ri'i-lament. On ma demande à cor et à cri des quatuors, des morceaux de
concert pour violon, violoncelle et autres inslruuieuls. Je ue ci'ains pas ilc
manquer de besogne, et, pour ce qui esl lUi Ihéàlre, j'en ai assez. Le ballet
Javotle sera \p post-scriplum de ma carrière lliciitrale. » — Il est bien ilair ipie
nos directeurs ne font ni à M. Saiiil-Sai'us. ni à M. Massenet deux îles uuisi-
ciens dont puisse le plus s'enorgueillir l'école uiodei-ns française, — la pbice
i]ui leur serait due dans leurs programmes, et que des œuvres comme
Henri VIII, Manon, Werther et Hérodiade pour ne citer que celles-là. pour-
raient bleu figurer au répertoiro à meilleur titre que les sempiternels
ouvrages qu'on y voit. Mais nous sommes bien convaincus lioureusemeni
que M. Saint-Saéns ne tiendra pas son scrnieul. Ce serait dommage.
— Au llu'àlie C;iuuy, mercredi prochain, première représentation du Papa
de Francine, opiuette nouvelle en quatre actes et sept tableaux, de MM. Victor
de Cottens et Paul Gavant, musique de M. Lnuis Varney.
— Sur la demande de M. A. Guilnianl et de M. Bordes, ilirecteur de la
société des Chanteurs de Saint-Gervais, M. MalhisLussy, auteur du Traité de
l'expression musicale et du rythme, ouvrira le lundi 9 injvenibre, à .i h. 1/2, uu
cours de rythme musical à la Schola Cantorum. 11, rue Stanislas. M. Lussy y
exposera les lois (jui régissent les pbénnmèues du rythme, branche nouvelle
de la science musicale et qui aujourd'hui .^ert de liase aux travaux ([ui oui
pour but la réforme et la restauration ilu iihiiu-i:haQt, haute préoccupation
actuelle du clergé français.
u-oui-s (lecoui]i,isilions musical
■urs français (arl. 17 des statuts)
iiccouipagiunneul de (]uiulette i'
ioloncelle, en trois parties: Aile-
voix de femme et voix d'h(mmie
es
— Académie de musique de Toulouse. Cn
pour l'année 1897, ouvert aux seuls ciun|i(isil
N" 1. — Solo de concert pour llùte avec
c ordes. — N" 2. -- Sonate pour iiiaiui et \
gro, Andante et Finale. — N" 3. — Duo pour
genre de voix ad lilntum, et paroles au choix île l'auteur. — N» 4. — Pièce de
vers pouvant servir de texte à une composition musicale (mélodie), qui sera
mise au concours pour 1898. — L'Académie ue tiendra pas compte des ouvrages
qui ne répondront pas aux conditions de ce programme. Les manuscrits
devront élre envoyés franco, jusqu'au 31 mars inclus, au siège social, 47, rue
d'Alsace, à M. le secrétaire général de l'Académie (sans nom de personnes),
qui fournira aux concurrents tous les reuseignementsuécessaires et le règle-
ment du concours.
— Cours et Leçons. — il"" Fanny Lépine repn'rid, à partir du 9 novembre, ses!c(,-uns
de chant et ses cours d'ensemble, 89, boulevard Malcsherbes. — M"" Dignat reproml
chez elle, 1, rue Antoine-Koucher, ses leçons el cours préparatoires et supérieui's |iipui-
l'enseignement de la musique vocale et instrumentale.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En pente AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vh'ieniie, HEUGEL et C'% Éditeurs.
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Georges Bizet. fiuverture, transcrite à 2 mains. .
— Omerture, transcrite à \ njains .
— Si\ transniptions :
N' I. liiiriiiMo: Iji ci darem la muno .
\ a. Air de Zirline : Batti, lialli . . .
N' 3. l'ri., lies Masques
N' 4. Sérénade
N- 5. .\ir de Zerline : Vcilrai, carino. .
.\' 6. .\ir d'Oltavio ; Il mio tesoru . , .
TPlA]V.SCrîIF»TI01NriS ET AFtElA?s Ol-TiJVXTa jV TS
POUR PIANO A 2 ET 4 IVIAINS ET POUR DEUX PIANOS '
Ch.-B. Lysberg.
7 r,0
J.-L. Battmann. Op. 236. Deux petites fantaisies
sans oitaves, chaque 5 "
Paul Bernard. 0[i. h'i. lieux suites concerlanles
liirini-i irliljies), ù 4 mains, cbaqno. . 7 M
Billema. il|i. 81. l'.miaisir à 4 mains 9 »
Louis Diémer. .\liniirl j »
Félix Godefroid. dp, 136. Illusliation 7 ."lO
W. Kriiger. iq,. l'iO. Siéiic ilii liai, lnDscri|iliMii vaiiéf 9 -
Ch,-B. Lysberg. Op. W. snini-mis 7 5U
pian
79. Ituo de ronrert pour
Ch. Neustedt. 'l'rois souvenirs:
— dp. 24. hi ci iliircm In tnaiu
— dp. 25. ;/ m») ti'xoro (aria) .
— dp. 26. Si'n'nade rt Itondo .
Th. Œsten. dp. 4:'. l'anlaisic Ijrillanle.
S. Thalberg. l'anlaisic
R. de Vilbac. Ilallel, traiisirit à 4 maii
.4m, Méreanx. Menm
— Vedn.
— ISalti,
TU AXSOFlIlPTIOlVS ET Ait It A?s CJ l'^iVIElN TS
POUR PIANO ET INSTRUMENTS [JIUERS
I et (JllGUE
ÎUl:
VlOI.ONXELl.E et dmiUK
//lo, pour l'iANO, VioLO.N, Violoncelle et Uncui:
,1. (ad liljit.)
l'IA:iO, ViOLOS, VlOL0.\CELLE 61 OnGUE OU
id libil.)
— Cticri LorUIcui)
3424.
02'" AWÉE — \° 4o.
Dimnuclic 8 \oYeinbre 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
MUSIQUE ET THÉjVTRES
Henri HEUGEL, Directeur
ser FRANCO à M IIenki HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
i an Texte seul ■ 10 francs, Paris et Province. - Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Teîte et Musique de Piano, 20 fr.. Pans et Province.
nt complet d'un an Texte, Musique de Ctiant et de Piano, 30 i:r., Paris et Province. - Pour l'Etrrjiger, les frais de poste en s
SOMMAIRE-TEÏTE
I. Élude sur Orphée (11» arlicle.i, Julien Tiehsot. — U. Semaine théâtrale; pre-
mière représentation du Papa de Francine au Théitre Cluny, II. M. —
III. L'Exposition du théâtre et de la musique (5°. article), AiuHun Pougin. —
IV. Journal d'un musicien 18° article), A. Mont.vux. — V. Un théâtre-lyrique
populaire, H. M. — 'VI. Revue des grands concerts.— 'Vil. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PASTORALE ET GAVOTTE
Iranscripiioiis pour piano extraites de l'opéra André Chmier de Giordano, le
grand succès du théâtre de la Scala à Milan. — Suivra immédiatement:
Les Révérences nuptiales, n» 1 de la collection des Vieux Maîtres, transcription
pour piano de Louis Diémer d'après Boismoriier (1732), répertoire delà Société
des instruments anciens.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : Prélude, nouvelle mélodie de Renée Eldèse, poésie de Henri de
Régnier. — Suivra immédiatement : l'Improvisation de Chénier, chantée dans
l'opéra do Giordano, le grand succès de la Scala à Milan.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Venons-en à l'air de bravoure du premier acte : « L'espoir
renaît dans mon âme ».
Ainsi que nous l'avons constaté, cet air, qui figure dans
toutes les partitions françaises, n'existe ni dans VOrfeo ita-
lien ni dans l'autographe de Gluck. Il est donc manifeste
que l'auteur ne le mit pas là de son plein gré, et qu'il l'ajouta
aux répétitions, comme le furent quelques-uns des airs de
ballet signalés. Berlioz connaissait assez les mœurs des cou-
lisses pour ne point s'être trompé de beaucoup lorsqu'il
reconstituait ainsi la scène : « Probablement le chanteur
Legros, qui créa à Paris le rôle d'Orphée, ne s'accommodant pas
du simple récitatif par lequel Calzabigi et Gluck avaient ter-
miné leur premier acte, aura exigé un air de bravoure : Gluck
s'obstinant à ne pas vouloir l'écrire et cédant néanmoins à
ses instances, lui aura dit peut-être en lui présentant cet
air: « Tenez, chantez cela et laissez-moi tranquille! »
Mais quelle était la provenance de ce morceau?
Avant d'y répondre, nous devons raconter tout d'abord les
discussions et les querelles auxquelles il a donné lieu.
C'est un usage des plus communs, lorsqu'un homme de
génie se présente, apportant des idées nouvelles et des for-
mes inconnues, que l'on commence par l'accuser de plagiat.
L'esprit humain a de ces surprises, et sa logique est
toujours merveilleuse. Gluck n'avait pas échappé au sort
commun. Dès 1776 un journaliste, Framery, écrivait qu'il
avait dérobé un motif à V Olympiade, de Sacchini, pour en faire
le thème de l'air sublime qui termine le deuxième acte à'Al-
ceste. La voix publique ajoutait à ces méfaits celui d'avoir
« pillé » un chœur dans l'opéra de Golconde (1).
Gluck crut devoir répondre à cette première attaque : il le fit,
non sans quelque hauteur, mais avec une parfaite clarté. «C'est
M. Sacchini, écrivit-il, qui a inséré le passage contesté dans
son air : Se cerca, se dicc; et cette phrase musicale se trouve
dans VAlcesle italienne, imprimée à Vienne en 1769 {['Olympiade
est de 1773); nous dirons de plus qu'il y a un autre passage
sur la fin du même air pris de Paride ed Helena, imprimé aussi
à Vienne. M. Framery ne sait pas qu'un compositeur italien
est très souvent forcé de s'accommoder au caprice et à la
voix du chanteur, et c'est le sieur Millico qui a obligé
M. Sacchini à insérer les susdites phrases dans son air...
M. Sacchini, génie comme il est, et plein de belles idées, n'a
pas besoin de piller les autres; mais il a été assez complai-
sant envers le chanteur pour emprunter ces passages, oîi le
chanteur croyait qu'il brillerait le plus... (2) » Voilà déjà qui
nous révèle des particularités curieuses sur les mœurs musi-
cales de ce temps-là!
Quelques années plus tard, au plus fort de la bataille mu-
sicale, les mêmes arguments allaient reparaître et servir
d'armes de guerre. Un piccinniste obscur, nommé Coquéau,
architecte de son état, voulut attirer l'attention sur sa per-
sonne par la publication d'un de ces « Essais sur la musique »
qui parurent en si grand nombre à l'occasion des premières
représentations â.'Armide et d'Iphigénie en Tauride. La brochure
avait pour litre : Entretiens sur l'état actuel de l'Opéra de Paris. 11
n'y dit pas plus de sottises que les Marmontel et les la Harpe,
encore que la forme littéraire y fût sensiblement inférieure.
Mais parmi des appréciations banales, monnaie courante de
ces sortes de polémiques, il articule un reproche précis :
l'air d'Orphée : « L'espoir renaît, etc. » n'était pas'de Gluck,
qui l'avait pris au compositeur italien Bertoni, et s'était bien
gardé d'avouer ce larcin. Sommé de donner la preuve de son
accusation, il fit graver l'air de Bertoni, qui, en effet, pré-
sentait avec celui d'Orphée de si grandes ressemblances qu'il
n'était pas douteux que l'un fût, sinon copié, du moins fidè-
lement calqué sur l'autre; il y joignit un commentaire, qui
(1) Voir Mercure de France, septembre mO; — La Soirée perdue à l'Opéra (pSLT
l'abbé .\rnaud), dans les ilèmuires pour la révolution du. chevalier Gluck, p. 47, 96.
(2) Mercure de France, novembre 1776, et Mémoires pour la révolution du. chevalier
Gluck, p. 100.
354
LE MENESTREL
parut dans le Journal de Pnri^. et auquel nous empruntons les
ligues suivantes :
Permettez-moi de vous observer : 1" que l'air So clie dit! ciel est
depuis dix ans entre les mains de divers amateurs de la capitale, que
j'en ai vu plusieurs partitions italiennes, c'est-à-dire écrites en Italie,
qu'il a été chanté dans plusieurs concerts, publics et particuliers,
entres autres au Concert des Amateurs, avant et après la première
représentation à'Orpliée, sous les yeux de M. Gluck, toujours sur le
nom de Berthoni, sans que M. (Jluck ait fait aucune réclamation
contre ce plagiat, lui qui mit tant d'empressement à réi'lamer deux
accords employés dans ÏOlympiade d'après Jomelli et d'autres maîtres
italiens; 2° que cet air n'est dans aucune des partitions italiennes
de l'Orfeo de M. Gluck, gravées à Londres, à Vienne ou ailleurs; que
lors des premières représentations à'Orphée en France, ce fut un bruit
public que l'air en question avait été fait par M. Gluck, à Paris, et
pour M. Le Gros.
Ce bruit, monsieur, devait-il l'emporter dans mon esprit sur la
publicité de l'air de Berlhoui, sur sou époque (car il a été écrit en
1767 dans ïlfigenia in Tawide pour Aghinelli), entio sur la ressem-
blance frappante de l'air So'c/ie (fei de/ avec celui de M. Gluck? c'est
la seule assertion de cette espèce que je me sois permis d'avancer,
monsieur, et je ne la crois point téméraire. J'aurais pu me rendre
plus coupable, j'aurais pu citer un air d'Hïendel : Dove sei, etc., bien
antérieur à la belle marche des prêtresses îïAlceste qui lui ressemble,
j'aurais pu... mais je finis (I).
La réponse ne se fit pas attendre: elle parut, dès le lende-
main, dans le Journal de Paris.
Il faut si peu de talent et si peu de mérite pour composer des airs
de l'espèce de celui qui termine le premier acte de VOrphéc frauçais,
air parodié de l'italien par M. Le Gros, que M. le chevalier Gluck est
peu tenté de démentir l'article de votre journal, qui a la témérité de
l'attribuer à Bertoni: cependant comme on se doit à la vérité, il faut
nécessairement vous apprendre, messieurs, que M. le chevalier Gluck
a composé cet air pour le couronnement de l'Empereur, et qu'il a
été chanté à celte occasiou solennelle à Francfort par le sieur Totsi,
qu'il l'a inséré ensuite dans son opéra d'Aiistée, exécuté à Parme aux
fêtes du mariage de l'Infant, pour lesquelles il avait été appelé de
'Vienne, et que cet air fut chanté a Parme par M""= Girelly. Ne trou-
vez-vous pas, messieurs, qu'il eût été plaisant et curieux que M. le
chevalier Gluck eût fait exécuter à Parme, comme de lui, un air de
Berloni déjà connu de toute l'Italie? Au reste, s'il est vrai que cet air
se trouve dans quelqu'un des ouvrages de Bertoni, qu'on se donne la
peine d'examiner la partHion de l'Orfeo de ce compositeur, et l'on sera
bien convaincu que ce n'est pas M. le chevalier Gluck qui copie
Bertoûi (2).
Au ton de cette réponse, à la précision des détails et à
plusieurs autres particularités il est aisé d'apprécier qu'elle
émanait de Gluck lui-même. C'est bien à tort que Desnoires-
(1) Journal de Paris, 27 juillet 1779. DssDoiresterres, qui cite ce texte, y ajoute
cet autre, emprunté aux Œuvres philosophiques, littéraires, historiques et morales du
comte d'Escherny: « ... J'ai bien dit ci-devant que les plus beaux chants de
Gluck ne lui appartenaient pas; mais j'ignorais un fait que je tiens de M. Gin-
guené, également versé dans la littérature et la musiqueitaliennes; savoir, que
c'est Guadagni lui-même qui lournit à Glucl^ la meilleure partie des cliants de
son rôle d'Orphée. » Le génie créateur d'un Guadagni!... Et voilà à quelles bas-
sesses en étaient réduits les ennemis du grand art, — ceux de Gluck ! Le maliieur
est que, trop souvent, de telles assertions, présentées avec un air d'assurance,
trouvent créance mùme auprès de ceux qui devraient être le mieux sur leurs
gardes. C'est ainsi queDesnoiresterres,dont le livreaur Gluck el Picciiini est d'ail-
leurs intéressant au puint de vue documentaire, dit, à propos de la lettre ci-
dessus : • Ce ne sont pas des accusations vagues, et Coquéau donne les pièces à
l'appiii. » Voyons donc ce que pèsent ces alfirmations, ces « accusations », comme
dit le biographe. " L'air a été écrit par Bertoni, en 1767, pour son I/igcniu in Tau-
ride 11. Bertoni n'a écrit aucune Ifigenia in Taiiriûe: en 1767, il ne fit représenter
qu'un Ezio sur le théâtre de San-Benedetlo, à Venise.— > Il est connu et chanté
depuis dix ans sous le nom de Bertoni. » Oui, mais l'air de Gluck, nous Talions
voir, date de 1764, et le reproche de plagiat adressé à Gluck est formulé quinze
ans plus tard, en 1779. Au reste, toute cette partie de l'argumentation repose
uniquement sur des « on-dit » d'amateur sans valeur par eux-nièmes, et, le
plus souvent, en désaccord avec les preuves positives qui ont subsisté.— ■ Les
partitions italiennes d'Orfeo (gravées à Londres, k Vienne... " Orfcu ne fut gravé ni
à Londres, ni à Vienne. — o Gluck a réclamé pour deux accords de i'Otunipiude
de Jomelli... o ISOlympiade est de Sacchini. — Pour le reproche fait à Gluck de
n'avoir pas protesté lui-même contre l'attribution de l'air à Bertoni. nous ver-
rons qu'il aurait eu trop à faire s'il avait voulu dénoncer tous les actes de cette
piraterie qui s'exerçait sur son œuvre, et il n'est pas douteux qu'à ce moment,
où il était à l'apogée de sa carrière, il considérait comme indigne de lui de
s'abaisser à de pareilles réclamations.
(2) Journalde Paris, 28 juillet 1779.
terres pense que le grand maitre dut être froissé en voyant
ses défenseurs faire si bon marché d'une page sortie de sa
plume, et c'est méconnaître la véritable nature de son génie
que d'avancer que « le compositeur n'était pas homme à
estimer si peu ce qu'il faisait », alors que le style du mor-
ceau incriminé appartient tout justement à la manière avec
laquelle il avait rompu et qu'il réprouvait depuis longtemps.
Le ton hautain du début de cette déclaration révèle assez
clairement, au contraire, l'indiguation du génie irrité de se
voir incompris au point qu'on l'accusait d'avoir volé os qu'il
y a de moins estimable dans son œuvre I D'autre part, les
détails très précis, et, nous le démontrerons, très e.\acts,
qu'il donne sur les « antécédents » de l'air intercalé dans
Orphée n'ont pu, de toute évidence, être donnés que par lui.
Enfin, il ne faut pas oublier que le Journal de Paris était en
quelque sorte le journal officiel de Gluck : c'était là que,
depuis cinq ans, paraissaient journellement les articles les
plus enthousiates, que Suard et l'abbé Arnaud avaient publié
leurs études les plus approfondies sur son œuvre; enfin
Gorancez, qui fut son confident dès son arrivée à Paris, qui
le présenta à Jean-Jacques Rousseau et raconta, plus tard,
dans le même journal, les souvenirs de leurs relations, en
était le propre rédacteur en chef. Il n'est donc pas douteux
que les éléments de cette réponse aient été demandés à Gluck,
et qu'elle doive être considérée comme un véritable « com-
muniqué ».
Il est, à la fin, une phrase qui mérite de retenir particu-
lièrement notre attention : « Qu'on se donne la peine d'exa-
miner la partition de VOrfeo de ce compositeur, et l'on sera
bien convaincu que ce n'est pas M. le chevalier Gluck qui
copie Berloni. »
Que voulait dire cette insinuation? Et d'abord, qu'était-ce
donc que ce musicien à qui l'on a si longtemps attribué
l'honneur — immérité — d'avoir été pillé par Gluck?
(A suivre.) Julien Tiersoi.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre Clu.nï. — Le Papa de Francine, opérette en 4 actes et 7 tableaux,
de MM. V. de Gottens et P. &avault, musique de M. Louis Varney.
Voilà enfin une opérette qui n'a pas la prétention d'être un opéra-
comique, et qui ne s'en porte pas plus mal. Sans rechercher des
finesses et des délicatesses qui n'eussent pas été de mise, les auteurs
se sont laissés aller tout simplement à leur naturel, et ils nous ont
donné, sans aucune pose et sans vouloir forcer leur talent, ce qu'ils
ont trouvé en eux-mêmes, c'est-à-dire de la gaieté, beaucoup de
bonne gaieté, et il convient de les en remercie, puisqu'ils ont réussi
à nous faire passer quelques heures amusantes.
Le papa de Francine est un Américain, sir Burnett, qui se souvient
un beau jour, après fortune faite, qu'il a laissé en France, 11 y a
dix-huit ans, une fille dont il ne s'est plus soucié depuis. Et, sur la
fin de sa vie, le désir lui vient, avec la bosse subite de la paternité,
de retrouver cette enfant qui sera la joie de ses vieux jours et l'héri-
tière de toute sa fortune. Il s'adresse à une agence, la fameuse agence
Mongrapin, pour retrouver la trace de cette Francine soudainement
adorée, avec ce seul indice qu'il peut donner : « la maman raffolait
des escargots de Bourgogne ». C'en est assez pour qu'un homme
aussi avisé que M. Mongrapin retrouve la trace perdue, mais c'est
précisément au moment oii il allait en désespérer. Burnett, eu effet,
lui avait donné, pour arriver à un bon résultat, un délai qui est sur
le point de prendre fin. Si la journée s'achève sans que Mongrapin lui
porte enfin la bonne nouvelle, ' rendez-vous élant pris au pavillon
Henri IV à Saint-Germain, alors Burnett, n'ayant plus d'espoir, repar-
tira pour l'Amérique et tout sera dit.
Mongrapin retrouve donc tout à point Francine, qui s'appelle à
présent Stella et s'est fait une spécialité de chanter à cheval des
chansonnettes dans les music-halls. Il s'a;^it de la diriger en toute
hâte sur Saiut-Germaiu. Mais un neveu du bonhomme Burnett, le bel
Adhémar, qui comptait bien sur l'héritage opulent de son oncle, se
met eu travers du petit voyage et accumule les obstacles sur la route
de Francine, — aidé en cela par une jolie personne, M"» Diane de
LE MENESTREL
355
Pomivy, qui a des bontés pour lui et qui est en même temps une
rivale de cirque de la charmante Stella.
Vous voyez d'ici la course au clocher activée d'une part par le
camp Mongrapin et entravée de l'autre par les manœuvres d'Adhémar.
Toute la pièce est là, et elle nous fait passer par de folles équipées :
à Asnières, où l'on grise abominablement Mongrapin; à Nanlerre, où
Stella remplace dans un couronnement une rosière empêchée, et
s'échappe ensuite en vélocipède; à Chaiou, où M'»° Plumet, la mère
de Francine, pique une lête dans la Seine, et n'en sort à grand'peine
que pour se battre en duel avec un vieux capitaine retraité qui la
prend ni plus ni moins pour un homme, alors qu'elle est en train de
se sécher sous les habits du restaurateur Fournaise; puis dans une
villa duVésicel, où un général péruvien extraordinaire, avec sa femme
non moins extraordinaire, offre une retraite à Slella, — villa qui ne
tarde pas à être visitée et dévalisée par d'étonnants cambrioleurs ; —
et enfin à Saint-Germain, où Stella peut à la dernière minute, tomber
dans les bras de son père.
C'est fou, mais c'est d'une gaieté irrésistible, et le musicien,
M. Louis Varney, ne s'en donne pas moins à cœur-joie que ses deux
collaborateurs. Il a écrit d'une main leste une partition endiablée, où
abondent les motifs et les rythmes. Il y a là surtout un duo espagnol,
qui est une merveille de cocasserie joyeuse, enlevé avec une verve
incandescente par ses deux interprètes. M"' Manuel et M. Hamilton,
puis aussi un trio de cambriole'irs qui a porté le délire de la salle au
plus haut point. Combien de fois a-t-onfait répéter ces deux uuméros !
On ne pouvait s'en lasser. Etce n'est pas tout. 11 y a encore la « Chanson
du petit jockey », le couronnement de la rosière avec fanfare, et aussi
la noie plus sentimentale avec le joli duo: Iloveyou, et des romances
et des chœurs inénarrables. Jamais M. Varney ne s'est montré plus
qu'en cette circonstance le maître de la bouffonnerie.
Le petit théâtre de Cluny a de sou côté fait des merveilles démise
en scène. Les décors et les costumes sont étiucelants, et la troupe
vraiment excellente. Deux comiques de bel avenir s'en détachent tout
d'abord : M. Hamilton, un type extraordinaire de général péruvien,
et M. Muffal, qui joue le rôle du « délégué gai » dans le couronnement
de la rosière. Ces deux-là n'engendrent pas la mélancolie, oh ! non.
On peut bien mettre à côté d'eus M"' Cuinet, pour compléter ce trio
désopilant. Un autre trio bien curieux aussi, c'est celui des cambrio-
leurs (MM. Prévost, Houssaye et M"= Norcy), troupe d'aimables mal-
faiteurs qui se corse encore par la suite de toute la famille clownesse
des Price. Et alors je vous réponds qu'on ne s'ennuie pas une minute.
Il n'y a pas de pareils gaillards, dans toutes les banlieues, pour vous
dévaliser une villa avec plus de prestesse et d'élégance. Ah! ça ne
traîne pas avec euxl
Le côté de la grâce est représenté par M"° Lebey, qui chante avec
gentillesse et avec goût, et par M"= Manuel, une fort belle personne
qui a bien de la désinvolture et du feu dans ses' personnages mul-
tiples de bacchante, de bicycliste et de Péruvienne.
Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des succès possibles.
H. M.
L'EXPOSITION DU THEATRE ET DE LA MUSIQUE
(Suite.)
Je n'en ai pas fini avec cette vaste salle 26, si importante, si inté-
ressante, et qui, par les soins de M. Yveling RamBaud, a été amé-
nagée d'une façon si ingénieuse et si attrayante. Parmi ses trésors,
je ne saurais manquer de signaler une collection tout particulière-
ment curieuse, et d'autant plus curieuse qu'elle est rare en son
genre. C'est la collection, fort belle et très nombreuse, de médailles
d'artistes exposée par M°"" David. La vitrine qui la renferme est cer-
tainement l'une des plus précieuses et des plus originales de l'Ex-
position, d'autant que toutes les pièces en sont d'une beauté remar-
quable. Je mentionnerai surtout, parmi les médailles d'argent, celles,
fort .belles, de M™ Pasta et de M""" Mainvielle-Fodor, puis celles de
LuUy, Haydn, Mozart, Rossini, et aussi celle de Rachel; parmi les
médailles de bronze, celles de Haendel, Beethoven, Meyerbeer, Pa-
ganini, Liszt, Marchesi, et ensuite Talma, M'"^ Dorval, Bouffé et
Scribe Je recommande aux amateurs la visite très attentive de cette
vitrine singulièrement intéressante.
Après avoir jeté un coup d'œil sur l'exposition deM"«B. Brunswick,
consistant en partitions du dix-huitième siècle, en recueils d'anciens
livrets d'opéras, en chansonniers, remarquables surtout par la beauté
des exemplaires, et où l'on rencontre un manuscrit précieux, une
fort belle partition d'orchestre de Wagner, datée « Riga, 6 fé-
vrier 1839 » (est-ce la partition des Fées?), je reviens aux auto-
graphes de grands musiciens, d'une part avec la riche exposition
de MM. Ricordi et Friedrichs, de l'autre avec la collection, essen-
tiellement française et contemporaine, de M'"" Yveling RamBaud.
Dans la large vitrine Ricordi-Friedrichs on remarque, d'abord, les
paititions à orchestre de la Gazza ladra de Rossini, de la Sonnambula
de Bellini, de Luci-ezia Borgia de Donizelti et de Rigoletto de Verdi,
plus un opéra de Piccinni dont nous n'avons pas le titre. Avec cela
un Ave Maria de Donizetti et divers fragments d'Alessandro Soarlatti
(celui-ci doit constituer une singulière rareté), de Vaccaj, Asioli, Pa-
ganini, Basily (le directeur du Conservatoire de Milan qui refusa à
Verdi son admission dans cet élablissemenl), Luigi Ricci, Zinga-
relli, ïhalberg, Charles Czerny, Mercadanle, Fumagalli, Stephen
Heller, MM. Filippo Marehetti, Arrigo Boito, Paolo Tosti, etc.
Mais quelques pièces sont ici particulièrement intéressantes.
Celle-ci d'abor<l, dont je reproduis exactement le titre : Notturno a Ire
uoci, con /kiuto e piano forLe, composta e dedicato al distinto cantaiite
sig. Cesare Sangiorgi da &iuseppe Vei'di, da Roncole di Busseto, 36 Feb-
braio l'839. C'est le Nocturne que j'ai catalogué dans mon livre sur
Verdi, sans eu connaître alors la date. On remarquera que cette date
est antérieure de huit mois à celle de la représentation du premier
ouvrage du maître, Oberto, conte di San Bonifazio, qui eut lieu à la
Scala seulement le 1" novembre 1839. Verdi, encore complèlemeut
inconnu, jugeait utile d'ajouter à son nom celui du lieu de sa nais-
sance. Je suppose que c'est à peu près de la même époque que date
cet autre manuscrit : Set Roinanze per canto, con accompagnamento di
piano forte, composte dal maestro Giuseppe Verdi. Peut-être un peu plus
tard pourtant, puisque Verdi prend celte fois le titre de maestro. A
côté de ces deux compositions juvéniles de l'auteur à! Aida, nous en
trouvons une, juvénile aussi, de l'auteur de la Vie pour le Tsar. C'était
à l'époque du premier voyage de Gliuka en Italie, voyage entrepris
en compagnie de son compatriote le fameux ténor Ivanoff, qui, lui,
ne devait jamais revoir la Russie. Glinka, une fois à Milan, se mit à
écrire et à publier des fantaisies et des variations sur des thèmes
d'opéras en vogue, selon ta mode du jour, et c'est l'une de ces pro-
ductions éphémères dont nous trouvons ici le manuscrit autographe :
Variazoni brillante per piano forte, composte dal signor Michèle Glinka sul
motivo delV aria « Nel veder la tua costanza », cantata dal célèbre sig. Ru-
bini neW opéra Anna Bolena del maestro Donizetti.
J'ai dit que la joHe collection de M^^Yveling RamBaud était essen-
tiellement françai.-se et contemporaine. Elle réunit en effet les noms
des membres les plus célèbres de l'école musicale actuelle. D'abord,
une série de danses caractéristiques : Vieux Menuet, de Charles Gou-
nod; Saltarello, d'Ernest Guirand; Fandango, de J. Massenet; Danse
polynésienne, d'Ernest Reyer; Gaillarde, de Ch.-M. Widor; Moravienne,
de Victoria Joncières; puis, un fragment de Mignon, d'Ambroise
Thomas, et divers morceaux de Saint-Saëns, Théodore Dubois, Pala-
dilhe. César Franck, etc.
Non loin de là je rencontre une très riche série, dont j'igaore le
propriétaire, de portraits de Richard "Wagner à différents âges de sa
vie, et de divers membres de sa famille. Quelques-uns sont en des-
sins originaux remarquables, d'autres en reproductions diverses.
Cette réunion de portraits est réellement précieuse et offre un très
grand intérêt.
Passons aux instruments, car cette salle 26 est inépuisable, et c'est
encore là que nous trouvons, sous ce rapport, des collections d'un
intérêt puissant et qu'il est utile de faire connaître.
Je signalerai d'abord la série très curieuse (il y en a trente et un)
d'instruments de musique du Japon appartenant à M. P. Brenot.
Instruments en bois ou en métal, à cordes, à vent ou de percussion,
on en trouve de toutes sortes, et tous dans un état superbe. Je ne
saurais malheureusement m'étendre à leur sujet et, à mon grand regret,
je suis obligé d'avouer ici ma complète ignorance et mon incompé-
tence absolue. Puisse cet aveu, dont la sincérité ne saurait laisser
de doute, me mériter quelque indulgence. Ce n'est pas une collection
qu'expose M. Vanel, mais simplement quelques pièces diverses, dont
un beau serpent, un délicieux clavecin Louis XV et un joli tympa-
non du dix-septième siècle, décoré d'intéressantes peintures. Quant
au trophée qui nous présente, réunies, les collections de MM. Ber-
nardel, Chapelle et Taffanel, il faut bien constater qu'il offre un aspect
UQ peu excentrique et que l'unité n'en est pas la qualité dominante.
Il y a là un singulier mélange et une drôle de macédoine d'ini-tru-
ments anciens et modernes, européens et exotiques, dont je ne vou-
drais certainement pas médire, mais dont la réunion produit l'effet
le plus baroque et le plus étrange.
356
LE MENESTREL
Mais passons à l'eslrede opulente qui occupe le milieu de la salle
et où se coudoie la double et superbe exposition de la maison Erard
et de la maison Pleyel. C'est là surtout que le regard du visiteur est
enchanté et que les yeux ne saveat sur quelle merveille se porter de
préférence.
Il est bien entendu que cette exposition est historique, artistique,
et non pas industrielle. La maison Érard nous montre d'abord plu-
sieurs harpes enfantines, dont l'une, charmante, construite par Sébas-
tien Erard pour le jeune roi de Rome, est, naturellement, de style
empire. Celle-ci est toute petite. Tout auprès s'en trouve une autre
un peu plus grande, puis une autre encore, à chevilles tournantes,
qui est de date plus ancienne. Une dernière enfin, de forme galloise,
toujours dans des proportions mignonnes, est tout à fait gracieuse et
originale.
A signaler ensuite deux épinettes de forme très ancienne, dont une
à quatre octaves, avec les grandes louches, noires, en ébène, et les
petites touches, blanches, en os. Parmi les pianos, deux instruments
intéressants par les souvenirs qu'ils évoquent : un piano carré, pres-
que moderne, dont le clavier porte cinq octaves et demie, de fa à ut,
qui était celui de Spontini, sur lequel, peut-être, ont été composés
la Vestale et Fernand Cortez: et un autre piano carré, un peu plus
ancien, à cinq octaves seulement, avec les pédales placées sous le
clavier, qui a appartenu au célèbre chanteur Garât, l'ami de Boiel-
dieu. Puis encore, un piano pédalier, l'un des premiers sans doute
qui aient été construits, de forme carrée, avec vingt touches pour
les pieds.
La maison Pleyel-Wolff nous montre une délicieuse épinette de
Hans Ruckers, qui porte la date d'Anver.^ 1398. C'est l'un des plus
jolis spécimens de la facture de ce vieux maître, si justemeal célèbre.
Non loin de cette épinette s'en trouve une autre, qui porte la date de
1734 et dont l'auteur, nommé Abel Adam, m'est complètement inconu u .
Celui-là était certainement un artisan distingué, car l'instrument est
curieux et digne d'exciter l'intérêt. Puis nous trouvons un très gra-
cieux et très élégant clavecin Louis XV, à vernis Martin, avec deux
claviers de cinq octaves et six pédales, orné de délicates et jolies
peintures. Nous franchissons ensuite un siècle et nous nous trouvons
en présence du piano h queue de six octaves et demie que la maison
Pleyel construisit pour Chopiu en 1846, trois années avant la moi t du
maître. Ce piano, très simple, n'offre rien de particulier en dehors du
souvenir qui s'y rattache.
L'histoire de la facture des instruments à clavier est encore bien
obscure et bien incomplète, et la chronologie des grands facteurs est
surtout bien inconnue. En voici encore uq dont, pour ma part, j'igno-
rais complètement le nom, et qui n'était certainement pas le premier
venu. C'est un nommé Debboins, de Cortone, dont M. Georges Pfeiffer
expose un fort beau clavecin, daté de 1678. Cet instrument superbe,
dont le clavier porte quatre octaves et demie, est décoré, intérieure-
ment et extérieurement, de fort belles peintures. C'est une pièce d'une
beauté rare.
Je reviens à la maison Pleyel pour signaler la très intéressante
série qu'elle expose des sept diapasons qui nous montrent la marche
ascensionnelle de l'étalon tonal dans l'espace d'un siècle et demi, de
1700 à iSoS. Le premier de ces diapasons, établi d'après Sauveur,
lious montre ce qu'était le la en 1700, aux dernières années du règne
de Louis XIV; la seconde donne, d'après Pascal Taskin, le fameux
facteur qui avait le titre de « garde des instruments du roi », le la
de la chapelle de Louis XVI en 1789 ; le numéro 3 et le numéro 4, qui
datent l'un et l'autre de 1828, reproduisent, d'après le célèbre physi-
cien allemand Fischer, le la du Théâtre-Iialien et celui de l'Opéra à
cette époque; le numéro S nous fait connaître le la do ce dernier
théâtre en 1834, d'après les expériences de Scheibler, l'inventeur du
phonomètre, le numéro 6 i:ous le donne encore d'après Delézeune, et
enfin le numéro 7 nous présente celui que M. Lissajous avait observe
en 18oo pour le Conservatoire et l'Opéra. On sait que c'est à la suite
des travaux d'une commission spéciale, et sur un rapport lumineux
d'Halévy que, dans le but d'arrêter l'élévation indéfinie du diapason,
un décret du iii février 18o9 établit pour la France l'usage d'un dia-
pason dit normal, à 870 vibrations par seconde, diapason rjui est au-
jourd'hui le régulateur des orchestres de presque tout le continent
européen. La série des diapasons exposés par la maison Pleyel, qui
nous donne les points de comparaison exacts entre tous les diapa-
sons antérieurs jusqu'à l'établisso.neut du diapason normal, est tout
particulièrement instructive et intéressante.
l'-l *™^'-'^-^ AriTHUR POUGIN.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAGMENTS
(Suite.)
Il y a de notre temps des philosophes ou simplement des hommes
do lettres n'ayant aucune qualité pour être des moralistes, qui
s'ingénient à prouver que la musique est une cause de dégénéres-
cence morale. Elle exercerait sur ceux qui la cultivent une influence
malsaine, énervante; elle les elTéminerait, en leur donnant les lan-
gueurs morbides, la passion stérile du rêve, je ne sais quel besoin
maladif de sensualité raffinée.
On ne discute pas de pareils exercices d'imagination. Le peuple
chez lequel la musique est, dès l'enfance, le plus en honneur, celui
chez lequel elle semble une des conditions mêmes de l'existence
intellectuelle et morale, e<t le peuple allemand.
Il ne parait pas que cette nation soit frêle, ni qu'elle ait perdu le
goût de l'action.
Un joli artifice de style que je relève dans Mendelssohn, surtout
dans sa musique vocale.
Quand Mendelssohn ramène un motif déjà entendu, il l'ajuste sur
une harmonie différant absolument de celle sur laquelle il l'a pré-
senté tout d'abord. Quelquefois même, il diffère un peu le retour de
la formule d'accompagnement qui la rythmait, et qu'on se serait
attendu à voir revenir en même temps.
Sans doute tous les maîtres varient l'harmonie en de telles occa-
sions, mais ce n'est point de même manière. Cliez la plupart, l'har-
monie de la reprise a une évidente parenté avec celle de la première
apparition du thème. Si, par exemple, c'est sur l'accord parfait de
Ionique qu'est entré le thème, c'est sur d'autres accords appuyés sur
la pédale de Ionique et énoncés par le même dessin d'accompagne-
ment qu'il rentrera; — de toutes façons, l'oreille perçoit de suite
le retour du motif.
Chez Mendelssohn au coniraire, l'oreille, déroutée par une harmonie
qui modifie complètement le sens du chant, ne constate le retour de
ce chant que peu après, alors que le contour mélodique s'est complètement
dessiné pour dominer le coloris harmonique, et elle en éprouve une
sensation de plaisir très particulière.
On ne trouverait, je crois, des effets analogues que dans Beethoven
et Chopin. Encore Chopin, après Beethoven, se plaît-il à répéter
plusieurs fois de suite le môme fragment de phrase, eu le faisant
passer par le prisme de couleurs harmoniques très changeantes qui
en modifient l'aspect et le sens expressif, tandis que c'est après un
long intervalle occupé par des développements au cours desquels on
a perdu de vue le motif initial que Mendelssohn glisse, en quelque
sorte à la dérobée, la rentrée de ce motif, en le confondant avec ce
qui a précédé. — C'est absolument charmant.
Viens,Sei<fneuretm'éclai . - ''relDieuse don - ne aucœur, aucœursin-
Ce fut un pauvre musicien que Mermel. Son Roland à Roncevaux
n'avait rien de ce qui constitue l'œuvre d'art. On y sent bien par
instants une sincérité de conviction et une aspiration à quelque chose
LE MÉNESTREL
357
d'héroïque qui gagneraient notre sympathie, si elles n'aboutissaieut
à des formules vaines, à des sonorités d'orphéons, à un bruit stérile.
Ce Roland est un Sigurd de régiment. Son verbe ne s'élève pas au-
dessus de l'accent bourgeoisement chevaleresque de Vallegm militaire
joué par la fanfare de la garnison.
Et cependant, cette pcrsonnalitc de Mermet mérite mieux que le
dédaigneux oubli dans lequel elle est tombée!
Car, à une époque où personne en France ne savait exactement
ce qu'était Wagner, et oîi Wagner n'avait point encore confu cette
téli'alofjie qui e.-t pour l'Allemagne un monument élevé aux origines
nationales, destiné à en graver et en perpétuer le souvenir dans
l'imagination et le cœur de tout un peuple, Mermet avait eu cette
splendide vision d'une suite d'œuvres maguiliart les grands épisodes
de l'Épopée française! — Boland! Jeanne d'Arc! — Quels musiciens
n'ont pas rêvé de faire icvivre par leur art, comme par la statuaire
Fremiet, Dubois et Mercié, — ces nobles et légendaires figures !
Mermet fut trop débile pour réaliser une telle conception. Mais ce
fut déjà un honneur de l'avoir eue, et il faut en savoir respectueuse-
ment gré à sa mémoire !
Assisté, à la Société Nationale do Musique, à un concert de Jeunes.
Ce qui me frappe le plus, c'est que presque tous sentent, conçoivent
et éciivont de même. N'élaieut les noms inscrits au programme, on
croirait souvent entendre des œuvres diverses d'un seul auteur.
On ne m'ôtera pas de l'esprit que. si les artisles vivaient disséminés
sur des points différents du tenitoire, il se formerait des groupes
ayant chacun ses aspirations, son esthétique et, parlant, ses procédés,
le Gascon ou le Piovengal s'exprimant autrement que le Breton, le
Bourguignon ou le Champenois, pour le plus grand épanouissement
de l'art français, auquel les rattacheraient des liens communs.
X Si
Il est possible quo dans un certain nombre d'années, le souvenir
de l'orchestre visible de nos jours dans les salles d'opéra, avec tout
son attirail et tous ses mouvements, fasse aux générations suivantes
l'effet que nous produisent les estampes et les récits nous représen-
tant la scène de LuUi, de Corneille, de Racine, de Molière, de
Rameau encombrée sur ses deux côtés de gentilshommes assis tout
auprès des acteurs.
(A suivre.) .A.. Mo.\tau.v.
UN THÉÂTRE LYRIQUE POPULAIRE
Est-ce pour de bon, cette fois? Et la campagne entreprise ici-même
par notre distingué collaborateur M. Louis Ciallet, en faveur de la
création d'un nouveau Théâtre Lyrique, serait-elle sur le point d'abou-
tir à un heureux résultat ?
Toujours est-il que le conseil municipal entre dans la voie de l'ac-
tion, et que cette semaine même, il a été distribué aux conseillers
un rapport de leur collègue M. Deville, sur cette intéressante ques-
tion. M. Louis fralletn'est malheureusement pas à Paris pour nous
donner sou avis sur ce rapport. Pendant que ses efforts semblent
devoir être ici couronnés de succès, il est à Carlsruhe, oîi il surveille
avec les frères compositeurs Hillemacher les dernières répétitions
d'un opéra fait en collaboration, le Drac. Nous ne voulonspas attendre
son retour pour donner au moins des fragments du rapport Je
M. Deville sur une question si brûlante et qui nous tient tant au
cœur.
D'abord, les considérants:
Les soussignés.
Considérant que les allocations importantes du budget de l'Etat, sous
le nom de subventions aux théâtres nationaux, profitent aux directeurs des
théâtres et, indirectement, à un public presque exclusivement bourgeois :
Considérant que toutes les villes importantes do France ont des théâtres
municipaux auxquels elles accordent des subventions qui ont pour contre-
partie un droit do contrôle, au moins, sur le choix des directeurs, des
artistes et du personnel, sur la composition du spectacle et sur le prix des
places ;
Considérant qu'il appartient ;i la ville de Paris de se mettre, tant au
point de vue artistique qu'au point de vue social, au niveau et même ;'i la
tiHe des grandes villes de province; qu'il lui convient, en outre, de no pas
laisser exclusivement :i l'État le patronage artistique qu'il exerce en dehors
de toute préoccupation démocratique et mùme patriotique;
(Considérant qu'il a été fait jusqu'ici d'assez nombreuses propositions ou
tentatives de création d'un théâtre populaire qui n'ont point abouti ii un
résultat satisfaisant faute d'une étude approfondie et d'un concours direct
du conseil municipal;
Considérant que l'abandon prochain par l'État de l'immeuble municipal
occupé par l't.lpéra-tlomique permet, s'il n'impose morne, l'étude imaiédiate
de l'organisation et des aménagements d'un théâtre municipal populaire;
Considérant que le théâtre municipal à créer, précisément parce qu'il
fera populaire, devra unir tous les éléments les plus perfectionnés de sécu-
rité et de confortable au soin le plus extrême dans la composition des troupes
et des spectacles; qu'il conviendra de rechercher les moyens de favoriser
les auteurs, compositeurs et artistes parisiens ou au moins français;
Considérant, dans ces conditions, qu'il y aura lieu pour le conseil muni-
cipal d'allouer une subvention dont il pourra d'ailleurs, au moins après la
période d'essai, se récupérer par un prélèvement sur les recettes ;
Proposent au conseil de charger ses 2= et i" commissions d'étudier, en
s'aidant de tous renseignements et tous concours, la création d'un théâtre
populaire, son installation dans l'immeuble communal de l'Opéra-Comique,
les questions de sécurité, de subvention, d'organisation et toutes autres,
pour en faire rapport dans le plus bref délai.
Signe : Deville, Paul Escudier, ITervieu, Despatys, Alexis
Muzet. Quentin-Bauchart, Caplain, Fournière,
Crébauval, Levraud, Cay, Ilattat, Bassinet,
Louis Lucipia, Attout-Tailfer, Vorbe,Gaumeau.
M. Deville développe ensuite le projetdans ses détails, et il remonte
jusqu'aux temps héroïques, passe ensuite par la Grèce et Rome,
puis s'en prend au moyen âge et à la Renaissance pour nous démon-
trer que « l'art est la plus noble partie du patrimoine de l'humanité,
celle qui distingue le plus l'homme des animaux ». C'est entendu,
et cous ne suivons pas M. Deville jusque-là. La course serait trop
longue.
M. Deville est d'un intérêt plus direct et plus palpitant quand il
analyse les divers projets mis en avant par les candidats à la direc-
tion du théâtre lyrique municipal. Nous voyons défiler tour à tour,
devant la barjc du conseil, ces divers personnages qni exposent leur
manière de voir et leurs intentions.
C'est d'abord MM. Floury fils, détenteurs actuels du théâtre da
Châlelel, qui demandent « que la concession de ce théâtre leur soit
renouvelée directement, et offrent de s'engager à jouer alteruative-
ment le grand opéra, l'opéra-comique et le drame historique. Ils
continueraient à payer le loyer actuel et ne demandent rien à la
Ville ».
C'est ensuite M. Debruyère, directeur de la Galté, qui arrive avec
un piogramme compliqué et des appétits formidables. Il garderait
la Gaité, oii il continuerait de jouer l'opérette à grand spectacle
prendrait le Châtelet pour y représenter le drame historique ou
populaire et la féerie, et enfin étendrait la main sur le théâtre actuel
de l'Opéra-Comique, où règne M. Carvalho, pour y exploiter le genre
lyrique. Il tiendrait ainsi les trois théâtres municipaux sous sa
main puissante. C'est le Gargantua de la direction !
Viennent ensuite les projets de M. Louis Morlet, un sage, de
M. Georges Rosenlecker, de M. Chape, de M. Raoul Gunsbourg, tou-
jours abracadabrant, etc., etc. Mais nous ne voyons pas queM. Deville
parle d'un candidat, qui reste dans la coulisse et qui a cependant
les plus grandes chances de décrocher la timbale, étant donné sa
position acquise et ses aptitudes éprouvées. Nous ne sommes pas
autorisé à le désigner plus clairement.
M. Deville dit ensuite excellemment :
L'étude des précédents municipaux, et surtout de l'essai de théâtre
lyrique au Ghàteau-d'Eau, nous a donné la conviction très forte que, si
la Ville de Paris veut faire quelque chose, il faut qu'elle le fasse elle-même
et complotemcnt, c'est-à-dire en prenant toutes les garanties et toute la
responsabilité. La crainte d'échouer fait faire les choses à demi. C'est
ainsi qu'on n'a jamais voulu faire le théâtre lyrique municipal. On cher-
chait des prête-noms à la Ville, des gens disposés à se substituera elle
pour qu'elle ne risquât pas directement la faillite morale.
Il ne faut pas recommencer, c'est-à-dire déléguer à une personnalité
quelconque, si sérieuse qu'elle soit, le soin de faire ce que nous croyons
que la Ville a le devoir de faire.
Si l'on veut faire le théâtre lyrique municipal, il faut que le conseil
municipal en décide lui-même toute l'organisation, en règle le fonction-
nement, arrête le cahier des charges, non d'une concession ou d'une
subvention, mais d'une régie intéressée comme pour les théâtres natio-
naux, choisisse le directeur qui acceptera le cahier des charges et offrira
des garanties de bonne administration, puis exerce sur ce directeur tous
les droits de contrôle, de surveillance et de véritable administration qu'il
se sera formellement réservés.
Si on fait autrement et qu'on réussisse, nous en serons heureux, mais
nous en doutons.
El le rapporteur conclut en priant ses collègues de prendre une
358
LE MENESTREL
résolution prompte et décisive, et en déposant le projet de délibéra-
lion qui suit :
Article premier. — Une commission spéciale sera nommée pour étu-
dier les voies et moyens de réalisation du théâtre lyrique municipal,
examiner les propositions de création d'un théâtre de drame populaire
et toutes autres se rattachant à ces deux idées, entendre leurs auteurs et
toutes personnes qui le demanderont.
Art. -2. — Cette commission sera de huit membres désignés, quatre
par la '2" commission et quatre par la i' commission.
Art. 3. — Les huit membres du conseil désignés s'adjoindront, d'ac-
cord avec M. le préfet de la Seine et dos leur nomination :
Le directeur des alVaires municipales ;
L'inspecteur général des services d'architecture ;
Le chef du bureau des spectacles à la préfecture de police ;
Trois compositeurs de musique ayant eu des opéras ou des opéras-
comiques représentés à Paris ;
Un ancien directeur de théâtre de musique à Paris;
Un chef d'orchestre ou ancien chef d'orchestre de Paris;
Deux artistes de chant des théâtres de Paris ;
Deux auteurs dramatiques ayant été joués à Paris;
Un acteur de drame ;
Trois publicistes ou critiques d'art musical ou dramatique,
sans que ces indications soient d'ailleurs aucunement limitatives pour les
membres de la commission, qui pourront recourir à tous autres concours
s'ils le jugent utile.
Art. 4. — Toutes les propositions relatives soit aux deux questions du
théâtre lyrique et du théâtre de drame populaire, çoit à l'affectation des
deux théâtres municipaux de la place du Ghàtelet, sont et seront ren-
voyées à la commission ainsi constituée.
Art. -5. — Un rapport devra être présenté au conseil avant la fin de
l'année courante, pour que les décisions budgétaires puissent être prises
s'il y a lieu.
Vogue donc la galère et que nos conseillers se hâtent! Il y a là
toute une nuée de compositeurs afTamés, jeunes et pleins d'ardeur,
qui attendent leur bon vouloir, qui désirent faire leurs preuves et qui
les feront bonnes, nous en sommes certain. Ce n'est pas le talent
qui manque à nos musiciens, c'est le moyen de l'aiHrmer. Situation
lamentable, qu'il serait tout à l'honneur de nos édiles de faire cesser
au plus vite. Ce jour-là, nous leur promettons une belle fanfare sous
les balcons de l'Hôtel de 'Ville.
H. M.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Lamoureux. — Après une magistrale exécutiQn de la belle
ouverture de Lalo, le Roi d'Ys, M. Lamoureux nous a donné une nouvelle
audition de la symphonie en ré mineur de César Franck : on avait distribué
une notice, de César Franck lui-même, donnant l'analyse de son oeuvre. Je
ne sais à quoi peuvent servir ces explications techniques: ceux qui ne sont
pas musiciens ne les comprennent pas, ceux qui sont musiciens n'en ont pas
besoin. L'œuvre de César Franck est trop contestée par les uns, trop admirée
par les autres : on sent en tout cela le parti pris. Je ne juge cette symphonie
que par mon impression personnelle, et mon impression lui_est toute favo-
rable. Certes, il y a bien à redire: on pourrait signaler des longueurs exces-
sives, des procédés de développement trop uniformes, l'abus d'un motif
unique, ce qui engendre de la monotonie et cause un certain agacement. Mais
la trame est exceUeute, la sonorité très belle, le style distingué, la mélodie
pénétrante. L'œuvre n'a pas de grands élans, eUe ne transporte pas, mais elle
plait par son ingéniosité. C'est une belle conception. Puissent les disciples
de César Franck concevoir et produire des œuvres de ce mérite ! — Une
pièce d'iirriiestre charmante, c'est l'Esquisse sur les steppes de l'Asie centrale du
compositeur russe Borodine. Cela jxiurrait être aussi bien les landes de Bre-
tagne, les vallées de la Suisse, les oasis d'Afrique, etc.. L'auditeur, après
tout, entend ce qu'il veut bien entendre. Mais c'est poétique, d'une sentimeu-
taUté intense, d'une poésie vraie. C'est beau parce que c'est simple. Nous n'en
dirons pas autant du Capriccio espagnol de Rimsky-Korsakoff. Ce n'est pas
poétique, ce n'est pas sentimental, ce n'est pas simple; c'est prétentieux et
c'est vulgaire. Donnez-nous du russe, à condition que cela soit beau. — Je
n'aurais garde d'oublier M"»» Alba Chrétien, qui a un organe superbe, une
justesse irréprochable, et qui a dit d'une façon supérieure l'air d'Obéron, de
Weber, si difficile et si beau. Il est d'usage, aux Concerts Lamoureux, que
les cantatrices périssent de la mort d'Iseult, à l'avant-dernier morceau du
concert. M™ Chrétien a subi le sort commun. Nous l'avons applaudie comme
elle le méritait, sachant à l'avance que cette mort n'était qu'apparente et que
nous l'entendrions à nouveau dans des circonstances moins douloureuses.
H. Babbedeite.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Châtelet. Concert Colonne. — Grand festival de musir|ue russe, dirigé par M. AVino-
gi'adsky. Ouverture du Prince Kholmsky (GMnka); Symphonie pathélvjue {Tschaïkovvsky) ;
Rognèda (Serowi; Cosatschok (Diirguuiisky); Dans les steppes de l'Asie (Borodine); Danse
des Bayadï'res (Rubinstein); Snégonrotschka (Rimsky-Korsakow) chantée par M"" Auguez
di' MoiUidanl ; Berceuse, (César Cui) ; Boris Godounow (Moussorgskj).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux: Symphonie héroïque (Beetlioven) ;
Air d'Oùeron (Weber). chanté i)ar M""= .41ba Cin-éti en ; /« Forêt enchantée iV. d'Indy);
Tristan et Iseutl (Wagner]; Prélude, Jlorl d'Iseull, Iseult [lar M"" Alba Chrétien ;
Huldigunc/s~Marsch (Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
A l'Opéra impérial de Vienne la première danseuse, M"= Stéphane Vergé,
a donné une soirée d'adieu et a reçu à. celte occasion, de la part des abon-
nés, des habitués et de ses camarades, les marques les plus vives de sympa-
thie. Sa loge avait été transformée en une véritable serre, et après le pas de
deux du charmant ballet Olga, de MM. Eugène Brùll et Joseph Bayer, elle a
reçu une couronne superbe en argent. Les habitués regrettent beaucoup le
départ de cette brillante artiste, départ qu'il faut attribuer, parait-il, à des
considérations budgétaires.
— L'opéra hongrois en trois actes de M. Jenij Hubay intitulé le Rôdeur du
village, vient d'être joué avec beaucoup de succès au théàlre Au der Wien de
Vienne, avec une bonne version allemande de L. de Neugebauer. Une espèce
d'intermezzo pour orchestre, que le compositeur a intitulé Dans les steppes de
Hongrie a été vivement applaudi; M. Hubay y a magistralement Iraité
l'orchestre.
— La Société des concerts philharmoniques de Vienne a pulili(' le pro-
gramme des huit concerts annuels qu'elle offre à ses abonnés, sous la direc-
tion de M. Plans Ricbter. Cilons parmi les œuvres choisies : l'ouverture des
Francs-Juges, de Berlioz, qu'on joue assez rarement ; l'ouverture du Prince
Igor, de Borodine, inconnue à Vienne : l'ouverlure île Lodoiska, de Cherubini :
trois nouvelles œuvres symphoniques de Dvorak (l'Homme de l'eau, la Sorcière
de midi et le Rouet d'or); la suite n° 3 (op. 53) de Trhaïkowsky ; le Tasse, de
Liszt: et une symphonie de Richard Strauss qui porto ce titre bizarre, em-
prunlé au philosophe Frédéric Nietzsche, Ainsi parla Zarathoustra. Si cette
dernière composition est aussi originale que son titre, nous n'aurons qu'à
féliciter le jeune compositeur. La symphonie n° 7, en mi majeur, deBruckner,
qui a répandu sa gloire en Allemagne, ne manque pas au programme : c'est
un hommage dii au maître défunt.
— Le prince-régent de Bavière avait ouvert, en J894, un concours pour la
composition d'un opéra allemand inédit, et désigné une commission pour
juger les œuvres présentées à ce concours entre compositeurs allemands et
autrichiens. La commission qui siégeait à Munich vient de rendre son juge-
ment; elle n'a adjugé de prix à aucun compositeur, mais elle a partagé la
récompense entre trois concurrents, tous trois absolument inconnus jusqu'à
présent. Ce sont IVIM. Thuille à Munich, Koennemann à Ostrau, en IMoravie
(Autriche), et Zemlinski, à Vienne, qui recevront chacun un tiers du prix. Les
titres de leurs opéras n'ont pas encore été publiés, et on ignore si le prince-
régent les fera jouer au théâtre de la cour de Munich.
— La Liederkranz, l'orphéon allemand de New-York, va fêler en 1897
son cinquantenaire par une tournée artistique en Allemagne et en Autriche.
Le produit de tous ses conceris sera consacré aux pauvres des villes où l'or-
phéon se fera entendre.
— M"' Adini a chanté au théâtre de Leipzig Tristan et Yseult eu présence
de M. Siegfried Wagner, le fils du maître.
— DeCarlsruhe: « La répétition générale du Drac, de MM. Louis Gallet
ctHillemacher, a eu lieu hier et a été excellente. Mais la première est
renvoyée à huitaine par suite de la grave maladie d'un enfant de M. et
jjmo Mottl, l'un chef d'orchestre bien connu du théâtre Grand-Ducal, l'autre
principale interprète du Drac. »
— Encore un succédané allemand de Cavalleriarusticana ! On vient de jouer
à Augsbourg un opéra inédit en un acte intitulé Winapoh, musique de M. Lion,
qui ressemble, si on peut en croire les l'euiUes allemaudes, étonnamment à
l'œuvre de Mascagni.
— Il parait qu'on vient de représenter pour la première l'ois à Stuttgard,
avec un très grand succès, le Malade imaginaire. En constatant ce succès, un
de nos confrères belges prétend que le public a failli demander l'auteur. Cette
assertion ironique nous semble déplacée. Nul n'ignore que les Allemands,
qui savent tout, connaissent nos grands hommes mieux que nouSTinémes,
puisqu'un jour, en rendant compte des funérailles du maréchal de IMac-Mahon,
un de leurs journaux a signalé, en tête du cortège, la présence do o Monsieur
Corbillard, » personnage indispensable et fort important.
— Au théâtre royal de Munich on vient de reprendre, cette fuis avec un
réel succès, la Gwendoline de Chabrier, qui, lors de sa première apparition, il
y a quelques années, avait été accueillie avec une certaine réserve.
— On nous écrit de Saint-Pétersbourg : Notre Opéra impérial russe a rou-
verl. ses portes avec Eugène Oneguine, l'opéra de Tchaïkovsky, et le répertoire
prend un caractère national nettement a<:cusé. Sui- le programme figurent le
Prince Igor de Borodine, Rousslan et Ludmilla de dlinka, la Roussallta de
i
LE MENESTREL
359
Dargomisky, Rogneda. de Serof, Oresteïa do Taneycï, le Démon de Rubinsleiu,
la Vie pour le Tsar do Glinka el, l'un des opéras de la jeunesse de Tchaïkowsky,
l'Ofiritchnik. L'ancien tliéàtre de l'Opéra ilalien, qui a eu ses beaux juurs aux
temps de la Palli, a été entièrement reconstruit el s'appelle acluellemeul
Théâtre impérial du Conservatoire. H sera consacré aux œuvres françaises el
ilaliennp.s. cl une troupe lirillante, placée sous la direction artistique de
M. Anionii. l^licMi ri dniil rmil partie M^'^Sigrid Arnoldson, Marcella Seni-
brich, Mariuivri', Heure \'idal et MM. Tamagno, de Lucia et Battistiui, y
chantera Miijnon, Lakmé, Carmen^ Faust et Roméo et Juliette. M">= Arnoldson
s'est aussi engagée à y chanter, pour la première fois, le rôle d'Eisa de Lo-
hengrin, en français ou en italien. Ou ne chante pas en langue allemande
à ce théâtre.
— La ville de Naples est dans la joie! Le grand théâtre de San Carlo,
doni la ili'-iiiKM. est depuis longtemps si tourmentée, verra ses portes s'ou-
vrii' l'uliii |M'nd;int la prochaine saison de carnaval et carême, sous la ciirec-
tian dr rimprcsario Musella. On ne connaît pas encore la composition de la
nouvelle troupe, mais on cite, parmi les ouvrages qui seront représentés,
outre un opéra inédit de M. Alberto Franchctti, Pourceaugnac, le Crisloforo
Colombo du même arlisle, Fatsla/f de V rdi, Manon Lescaut de Puccini, et
Andréa Chénier, l'opéra du jeune maestro Umberto Giordano dont le succès
est si grand par louie l'Ita lie.
— Les théâtres de Rome paraissent s'être heureusement ressentis des fêtes
du mariage du jeune couple royal. Il y en a treize d'ouverts en ce moment,
ce oui ne s'était pas vu depuis hmgtemps. Ces treize théâtres sont l'Argen-
tina et le Dramatique-National, chacun avec une troupe d'opéra: le Quirino
et 1b Métasiase, avec opérelle: leCostanzi, avec zarzuela cspagnole:le Valle,
le Manzoui, le Politeama. l'Esquilino et le Nazionale, avec compagnies dra-
matiques; l'Alhambra et l'Amor, avec compagnies de dialecte romanesque ,
et enfin le Cirque rnyol, avec Iruupe équestre.
— Le théâtre PliilodramaMipui de Milan a- donné la première représenta-
tion d'un petit opéTi i m il nié' Dnpo l'Ace Marie, dont la musique est due à un
jeune composileni' i|ui p(Mé' uu nom célèbre, M. Alfredo Donizetti. Cet
ouvrage, l'un de reu\ qui av.urul vU) primi'S au récent concours Steiuer, n'a
pu sauviT le Ihi'àlri' ilc la siliialion difficile dans laquelle il se trouvait : deux
joui'^ a|ii'i'- siiii apiiai iiioii. rrlui-ci fermait ses portes.
— La Sucié'ti' philharmonieo-dramatique de Trieste s'est donné le luxe ,
le 23 octobre, d'un (qiéra inédit de l'excellent chef d'orchestre (xialdino Gial-
dini, écrit expressément pour elle par le compositeur sur un livret du vieux
poète vénilien Carlo tloldoni. C'est un opéra bouffe en deux actes intitulé la
Pupilla, dont le sujet n'est antre que celui duBarbier de Séville de notre Beau-
marchais, et qui se déroule entre trois personnages. Quatre jours après, le 27.
l'ouvrage était représenlé sur le Ihéàlre de la Fenii;e avec les mêmes inter-
prètes, M'"" Storchio, le ténor Quiroli et le baryton Brambara, el obtenait un
succès complet. On dit le plus grand bien de la musique de M. Gialdiui, à
laquelle on reproche seulement, pour un thème aussi léger, un certain excès
d'instrumentation. Le compositeur, qui dirigeait l'orchestre, a été de la part
du public l'objet des manifestations les plus flatteuses.
— De Bruxelles on annonce que des négociations qui avaient été entamées
par les directeurs de la Monnaie avec M. Angelo Neumann, pour une série de
représenlalions wagnériennes à donner sur ce théâtre, n'ont pas abouti.
— Dans un très beau concert donné dernièrement à Bruxelles par le
musique du l*^^" régiment des guides, qui a exécut('' une ouverture de Balte,
des Danses hongroises de Brahms et deux fantaisies sur ia/cmé et la Navarraise,
s'est produite une manifestation musicale assez originale. « Le clou de ce
beau concert, dit notre confrère l'Éclio musical, a été l'audition du Concerto
de clarinette de Demersseman arrangé pour dix clarinettes. MM. Thiéry,
Vanden Abeele, Otten, Sohy, Frédéricq, Schenis, Pauwels, Brodkom, Mar-
tin et Maes, lauréats du Conservatoire royal de musique de Bruxelles, ont
exécuté cette difUcile composition avec un ensemble, une correction et un
nuancé extraordinaires. M. Poncelét, l'habile prol'esseiu', qui a formé cet
ensemble, a atteint là un résultat superbe : les chauds applaudissements qui
l'ont salué, au moment de Tuvation qui lui a été faite ainsi qu'à ses élèves,
étaient on ne peut plus mérités. »
— Ils vont bien à Verviers, et les spectateurs auraient tort de se plaindre
qu'ils n'en ont pas pour leur argent ! Pour la reprise de la saison, le théâtre
a donné un spectacle qui comprenait le Maître de chapelle, Mireille et le Bossu.
On ne dit pas s'il y avait des intermèdes.
— Les journaux américains nous apprennent qu'une chanteuse d'opérette,
M""' Lilion Russell. moins célèbre là-bas pour son talent que pour ses singn -
lièrcs aveultiiY's m itrimouiales, vient de se fiancer avec un acteur, M. 'VValter
Jones, qui sera slui sû-ième époux. D'aucuns prétendent queM'°'=Lilian Russell
est une Jeanne d'Arc — pour le courage. Et son mari, donc!
— Un de nos confrères américain», i/ie jlrttsi's Journal, nous apprend ([u'un
entrepreneur s'occupe là-bas de réunir d 'ux grands orchestres dont il doit
confier la direction à M.\I. Mascagni et L»'Oucavallo. Il compte faire avec
chacun d'eux une grande tournée de concerts dans les principales villes des
États-Unis, concerts dans lesquels les deux rnmposileiirs, à la lêle de leur
orchestre, feront surtout cojiuailr« leurs iiMivresau pnliiic aiiM'rii-aMi
— Le Diario de Noticias, de I^isbonne, aunnonee que M. de Freitas-Iirito
directeur du théâtre San Carlos d ■, cette ville, a été invité à prendre la direc-
tion du Théâtre-Lyrique de Rio-Janeiro pour la prochaine saison, afin d'y
faire représenter tous les opéras du défunt compositeur Carlos Gomes, y
compris Maria Tudor, qui est encore inconnue au Brésil. La demande d'une
subvention de 100.000 francs a été présentée à cet efl'et au parlement brésilien,
subvention qui comporterait l'obligation de deux représentations à donner au
profit de la famille de Carlos Gomes.
PARIS ET DÉPARTEIIIENTS
Les examens d'admissimi au Conservatoire. C'est lundi qu'avait lieu la
séance consacrée a la liarpr el au ]iianu (classes masculines). Les aspirants
étaient au nombre de 7 pour la harpe, et de 23 pour le piano, sur lesquels
quatre ont été admis pour la harpe, 8 dans les classes supérieures de piano
et 4 dans les classes préparatoires. Voici les noms de ces nouveaux élèves :
harpe, M»»^ Brili f\ Elli,., yiif. Cœur et Tournier : piano (classes supé-
rieures), MM. C.is.lhi. liilla, Callois, de Lansnay, fintel, Simon, Régis et
Garziglia : (classrs pnqiaiaioirr>), MM. Bine, Saizedo, Drouville et Legastelois.
— Deux jours étaient consacrés à l'examen de violon, (|ui a eu lieu mercredi
et jeudi et auquel ne se présentaient jias moins do cent onze aspirants, pour
20 places vacantes dans les diverses cbis-es | i n, an eaux élèves, dont 8 hommes
et 6 femmes, ont donc .'■lé' adim. rlan- f - .Lisses supérieures et 6, dont
hommes et 3 femmes, dai
;itoires. 'Voici les noms des
M"'= Bosnian dans Don Juan et
élus: classes supérieures, M. Bailly, Mii= Campagnac, MM. Dumont, Féline,
M'i's Forte, Guyonnet, Jolivet, hœvy, MM. Luquin, Masson, Quesnot, Schnei-
der, M""! Sie\'eckiug, M. Surmout; classes préparatoires, M"=Allart, M. Elcus,
M"° Laye, MM. Matignon. Pollin, Rigo.
— Au Conservatoire encore, c'esl M. Brun, ancien élève de la classe de
Massart, où il obtint naguère un brillant premier |irix. ipii est nommé profes-
seur de la classe préparatoire de violon reslé'c vacanle par la démission (et
non la mort, comme un journal l'a annoncée), de M. Hayot.
— M. Gailhard va quitter Paris, pour méditer dans la paix et le silence
du Midi la mise en scène future de Messidor, le prochain drame lyrique et
chorégraphii[ue de M. Bruneau. En attendant, les études du ballet de
M. André Wormser, l'Etoile, suivent leur cours. On reprendra en même
temps l'œ-uvre intéressante de M. Bourgault-Ducoudray : Thamara.
— C'est M"« Grandjean qui double
Mme Rose Caron dans Hellé. à l'Opéra.
^ Ce sera liicii prohablemi'iil au cours de cette semaine que nous aurons/
à siui loui'. \f Don Juan de l'Opéa-a-Comique, qui vienih-a .à pniut pour varier les
.sppclacliv ili' 1,1 maison. Nous aurons aujourd'hui diniaiirhe. en malinée, nue
'li'i'inriv iv|,rr-ri,i,iiir,ii d Orphée avec M"eDelua. C'esl .M^'^Lejoime qui tient à
l.rr.^^rni l- iVile dFiirydice.Elle y a débuté fort heuroiispiiinii laulre semaine,
prenant l'emphii avec l'autorité d'une chanteuse exei-n'-i- ri mir viailable intel-
ligence de cette musique classique. La comédienne a dr laisaurr et n'a plus
rien à apprendre. C'est donc là une exrellenle arquisiiiuii pour M. Carvalho,
et nous aurons sans doulp beaunuq, d'aulres occasbius de reparler de M»» Le-
jeune.
— M"« Simonnet est dr rrimir a l'.iris. venant de Milan, où elle a donné,
an Théâtre-Lyrique, unr -iTir dr ivpn-seutations dont le succès a été très vif,
— à ce point que des propositions lui sont faites à présent de tous les points
de l'Italie. Malheureusement, le répertoire italien de M"» Simonne! est encore
très restreint. Pour la petite tentative heureuse qu'elle vient de faire, elle n'avait
appris que deux rôles dans la langue de Dante : Mignon et Philémon et Baucis.
Elle va se mettre dare dare à l'ouvrage et ajouter à son répertoire Manon,
Lakmé et Atidré Chénier, que les impresari lui demandent aussi.
— Est-ce une plaisanterie ? Cela en a bien lair. Toutefois, comme la nou-
velle fait le tour des journaux, reprodnisons-la sous tontes réserves : donc,
M. Lamoureux solliciterait du ciuiseil municipal une subvention, on vue de
transformer en Opéra populaire le théâtre de Belleville. La commission des
beaux-arts aurait été saisir de cette proposition, sur laquelle elle présen-
terait prochainemoni sou raiiport. Le conseil municipal fera mieux de ré-
server ses secours pour na Ihéâiro plus central.
— DausTavant-dernier numéro du Journal des artistes peintres et sculpteurs
nous remarquons ces vers, extraits d'un volume eu préparation, les Sonnets
de Viviane:
PRINCESSE BYZANTINE
A J. Massenet.
Quand la nuit bleue endort les prés de elirysoprase
Où Sarwét;ur a bu le sang, bardé de fer,
Et qu'à l'ile de rêve un radieux enfer
D'esprits roses llottanls charme l'ombre et l'embrase :
Blanche comme Hécala, front d'argent sur la mer,
Pure comme ta Vierge ornant l'iconostase,
Une forme apparaît qui commande l'extase
A Roland, le féal du vieux roi Cléomer;
Et c'est toi, Lis nocturne, ù fleur que nul n'émonde ,
tilpanchant un parfum pluri grisant que le vin.
Qui fait clamer l'hymen aux \oix d"or du ravin
Clair fantôme vivant du Bonheur roi du monde
Qui tend tes bras neigeux pour le moment divin.
Divine aux yeux voiles, fée ou femme, Esdarmondc !
360
LE MENESTREL
— M"<^ Picard vient d'oire ent;;if;E'p au Grand Tliràlre de Lyon, i-onime
forle chanlcuse falcon.
— A la conférence dounôe au Palais de riuduslric lo 2 uuvemlire, Harmo-
nies d'automne, jjar M. do Solenière, gros succès pour M'" Stt']dianie Kerrion,
qui a chanté de sa belle voix de contralto l'air du ilessie de Hicudel.
— Après le grand succès qu'elle a obtenu à Londres, au Concert Colonne,
en chantant l'air d'Hérodiade et celui de la Damnalion de Faust, M"" Marcella
Pregi s'est rendue à Slrasliourg, où elle a chanté le rôle de Marguerite do
l'œuvre de Berlioz. Lo juiblic l'a merveilleusement accueillie, ainsi que ses
partenaires MM. Ca/.oueuve et Auguez.
— La municipalité de Cherbourg vient de faire placarder un arréli' inlei-
disant les sifflets au théâtre, sous peine d'e.\pulsion immédiate do la salle et
de poursuites judiciaires. Voici l'arrêté de M. lo nuiire de Clierliourg, qui
est revêtu de l'approbation préfectorale :
Considérant (|u'il existe des mojens de l'aire connaître à l'administration la désoppio-
balion des artistes du lliéâtre autrement qu'en les sifflant ou .lutrcs manifestations
bi-uyantes de découragement ;
Considérant que ces manilcslations, qui troublent les artistes, ne peuxent être lonqDa-
Tées aux applaudissements qui les encouragent;
Considérant que le <■ siftlage » ou autres manifestations équivalentes diminuent la \;deur
du jeu des artistes. » I ]iai' conséquent l'ont tort aux spectateurs qui ont p;iyc poui- venir
jouir en paix de la i(|iré-('iil;ilioM.
Considérant doin' que ce^ luanilestations sont une pL'rUM-b;ition réelle de l'ordi-e
public ;
Vu la loi du 5 avril 1881;
AnnÈTO.xs ;
Atiticle PREMiEH. - Le «sifflage» et toutes autres manifestations bruyantes de nature
à influer làcbensenient sur le moral des artistes et, par suite, sur la valeur de l'cxécu-
lion de leurs rôles, sont lornicUement interdits au théâtre.
Ceux qui se livreront à les m;Miifestalione seront expulsés comme perturbateurs de
l'ordre, sans préjudice des poursuites et contraventions auxquelles ds pourraient être
soumis.
Art. 2. — M. le commissaire central est chargé d'rissurer l'exécution du présent
arrêté.
Hôtel de Ville, le. . . Le maire
Li.us.
— Notre savant professeur de chaut, M'"= Andrée Louis Lacomlje, a Irans-
porté son domicile derrière Iccbovet de Notre-Dame, 28, (piai d'()rli'uiis.|
— L'école Beethoven — École préparatoire au professorat du piano — met
au concours 3 bourses et 3 demi bourses pour les classes de piano ot de sol-
fège. Inscriptions chez M"« Baluet, 80, rue Blanche, les lundis, mercredis
et vendredis, do midi à 3 heures.
Inches porte les
iplious, vers ot
M.
Une audition
— Les cours ont recommencé à l'école d'or
publique. aura lieu en janvier prochain.
— On lit dans la Sainte-Cécile, de Reims : « MM. Paintandre viennent de
couler tout un carillon, composé de di.v cloches, ot destiné à la commune de
"V'illelongue-de-la-Salanque, près Perpignan (Pyrénées-Orieiitalcs). Les dix
cloches donnent les notes d'une absolue justesse de sol, la, si, ut, u( dièze, ré,
mi, fa, fa dièze et sol. Trois de ces cloches seulement sol, si, ré seront mises on
volée. Le carillon sera mù par un clavier manuel. Le poids total de tout ce
beau bronze chantant est de 2.200 kilog. Chacune dos dix
noms qui lui seront donnés à son baptême, ainsi ipio des ins(
prose, en langue française, latine et patois catalan. ■>
— Très artistique concert religieux dimanche dernier à Ponloise, à l'occasion
de l'iuaugnralion des orgues do Saint-Maclou, reccmstruitos par Aristide
Cavailli'-Coll. L'instrument, qu'ont touché tour à tour MM. trigout et Boëll-
mann, a produit un superbe effet. MM. Fournets ot Berthclier, ainsi que
M. et M""' Ghassing, accompagnés parfaitement [lar l'organisle titulaire
M. Bélier, se sont fait entendre pondant le Salut.
— Couns ET LEçoxs. — M"" Delphine Ugalde, la célèbre cantatrice, a repris ses leçons
liarticuliércs et ses cours de chant et de déclamation, chez elle, 22, rue PigaUe. —
.M"° ^larie-Louise Grenier Goorge-Hainl a rouvert chez elle, 47, rue Laflite, ses cours
de piano, musique d'ensemble, solfège et chant. — M"*" L. Desrousscaux, 6, rue d'.4m-
sterdani, a repris, avec le concours de Jl. ICmile î'érier, ses cours de chant, de diction, et
de musique d'ensemble vocal.
NÉCROLOGIE
iniu'l de M"'= Jinicières,
iricres. lo compositeur
li'linn-ildes souffrances,
u nuui et à ses enfants,
un' uiiiius de plnsiem's
0. mais une délivrance
elle. Nous adressons à
Nous avons lo très sincère rogrot d'annoncer la
la femme de notre oxocllent cimfrère Victorin ,\i
bien C(unm. Alleinle d'une nialiulic lei-cilde.on proie
la mallieurouse femme a r\r ;iriM( Im'i- ,iii\ siens, à s
qui l'aduraienl, après une iiiiigiic iij;iiiMi' ipii n'a jias i
semaines. Sa uiori a élé' ('■videniuieni nue d(divrau
poignanle pour ceux (pi'ello laissait, dcscdi's, ilorrièri
M. Joncières l'exiirossion do nos regrets les plus vifs.
— A Lomberg s'est éteint, à l'âge de 70 ans, le ténor Miecislavde Kaminski,
qui avait occu|ié pondant trente ans une place distingui'O dans différents
Ihéàlres allemands. Lo défunt roi Louis II de Bavière, le grand ami
de Richard Wagner, le prolégeait beaucoup. En d86-i, lors du congrès dos sou-
verains allemands à Fraucfort-sur-lo-Mein, Kaminski avait chanté avec M""=Ado-
linaPatti, devant les souverains réunis sous la présidence do l'empereur Fran-
çois Joseph d'Autriche.
— De Bologne on annonce la mort, le lo ochilue. ;i l'âge de 83 ans, d'un
artiste fort distingué, Francesco Roncagli, ]uési(lonl île la célèbre Académio
philharmonique de celle ville et cx-orgauisto do la Iwsilique do SanPoIronio
ot de la métropolitaine de SanPiotro. (jutro son très giand talent il'organisto,
Roncagli se lit remarquer comme compositeur de nuisique loligieuse. Ses
(l'uvres en ce genre se distinguent ])ar la pureté' de la forme, l'élévation du
style et l'élégance du sentiment mélodique.
Henri Heugel, directeur-gérant.
PROF^^ LITTÉRAIRES
TRAITÉS, elc, ilépendant de la
succession de M. L. de Roddaz. A
adjuger, étude de M. TttoussELLE, no'aire, 23, boulevard Bonne-Nouvelle, \b
23 novembre 1896, 2 heures. — Mise à prix, pouvant être baissée, 300 francs.
Consignation 300 fr. — S'adresser à M. Gautrou, adminisiraleur judiciaire,
13, rue Tronchet, et au dit notaire.
VIENNENT DE PARAITRE chez l'éditeur Eugène Fasquelle, 11, rue
de Grenelle, Don Carlos, drame do Schiller adapté ]iar M. Charles Raymond,
ot les Perses, tragédie d'Eschyle, traduite par M. Ferdinaml Herold, pièces
représentées en ce moment à l'Odéou.
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et C''% éditeurs-propriétaires pour tous pays.
Pour paraître très p ochainement :
LE PAPA DE FRANGINE
Grand succès
nu
TirÉATRE
OPÉRETTE EN 4 ACTES ET 7 TABLEAUX
De MJI.
V. DE COTTENS et P. GAVA.ULT
MLSIQIE DE
LOUIS A^^^fVFtNJEY
Grand succès
DC
THÉÂTRE
PARTITION PIANO ET CHANT. — MORCEAUX DETACHES POUR PIANO ET CHANT ET POUR CHANT SEUL. — FANTAISIES, ARRANGEMENTS, DANSES
POUR PIANO ET INSTRUMENTS DIVERS, ETC.
Avis aux directeurs de théâtres. — S'ailre-i-^er AU IVIÊNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, pour la location des parties d'oirhesli-e,
mise en scène, etc.
GERE, 20, PARIS, — CEDcrfl LoriUeoiJ
3421). - 62" AWÉE - A» 46.
Diinaiiclie IS Xovembie 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, me Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteur;
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Direcieur
Adresser fkanco à M. Hcnbi BEDGEL, directeur du Ménestrel, 2 6ù, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — Teile et Musique de Chant, 20 fr.; Tetie et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province,
nnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étr-nger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Étude sur Orphée (12' arlicle), Julien Tiebsot. — If. Semaine théâtrale : Le
Bijou perdu, au théâtre de la Galerie-Vivienne, Akthuh Tougin ; première repré-
sentation des Erreursdu morinje aux Nouveaul('s, Paul-Émile Chevalier ; reprise
de Don César de Bazan à la Porte-Saint-Mar in ; première représentation
du Carillon aux Variétés, H. Moreno. — III. Le Théâtre-Lyrique : Informations,
impressions, opinions (15' article), Louis Gallet.— IV. L'Esposition du théâtre
et de la musique (0« article), .■\rthur Pougis.— V. Revue des grands concerts.—
VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
PRÉLUDE
nouvelle mélod'e de Renée Eldèse, poésie de Henri de Régnier. — Suivra
immédiatement: l'Improvisalion de Chénier, chantée dans l'opéra de Giordano,
le grand succès du théâtre de la Scala à Milan.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piA?io : Les Révérences nuptiales, n° 1 de la collection des Vieuj-, Maîtres, trans-
cription pour piano de Louis Diémer d'après Boismortier (1732), répertoire de
la Société des instru7nents anciens. — Suivra immédiatement : Muscadines et
Mitscadins, transcriptions pour piano extrait s de l'opéra de Giordano, André
Chénier, le grand succès du théâtre de la Scala à Milan.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Ferdinand-Joseph Bertoni, né dans la petite île de Salo, 1g
15 aoiit 1725, mort en 1813, composa, de 174G à 1790, trente
et un opéras, pour la plupart écrits sur des poèmes de Métas-
tase et représentés sur les théâtres de Turin et de Venise.
Parmi les sujets traités par lui concurremment avec Gluck,
on peut citer : Orfeo (sur le poème même de Culzabigi),
Esio, Tekmacco, Artaserse, Armida, Ifigenia in Aulide. Fétis ap-
précie son genre de talent en ces termes, qui n'ont besoin
d'aucun commentaire :
Comj,03iteur élégant, tiomme de gotît et atiteur de mélodies gra-
cieoses, expressives et toujours bien adaptées aux paroles, laut dans
la musique d'église que dans les opéras, Bertoni fut un de ces com-
positeurs dont les œuvres sont irréprochables et jouissent d'une es-
time générale ; mais l'originalité des idées lui manquait. De Hi vient
qu'après avoir eu de brillants succès il est aujourd'hui complèlement
oublié et que ses produclions ne jouissent pas de l'avantage réservé
aux œuvres de génie qui ne sont plus exécutées, de conserver tou-
jours leur valeur monumentale et de devenir des modèles pour les
artistes d'un autre temps.
Pendant le carnaval de 1776, Bertoni fit représenter sur le
théâtre San-Benedetto, à Venise, un Orfeo ed Euridice composé
sur le même poème que celui de Glu.k. L'emprunt n'avait
rien que de parfaitement normal et conforme aux habitudes
du XVIIl'' siècle italien, et l'on sait que les poèmes de Métas-
tase étaient mis en musique indistinctement par tous les
compositeurs sans que personne songeât à voir là, comme on
n'eût pas manqué de le faire en France, une sorte de concours
entre rivaux. Cependant, l'audace d'avoir refait cet Orfeo qui
avait fait date dans l'histoire parut si grande que, lorsque la
musique en fut gravée, Bartoni lit précéder sa partition d'un
Avis au lecteur, dont voici la traduction :
Ce n'est pas sans quelque trayeur que j'ai accepté la proposition de
mettre en musique YOrfeo du célèbre signer Calzabigi, après l'heureux
succès qu'a justen.eat obtenu dans la même entreprise M. le cheva-
lier Glui-k cliez toutes les nations d'Europe. En me mettant à l'ou-
vragf, me trouvant dépourvu du secours du poète, que j'auiais pu
consulter au besoin, je regardai comme une circonstance aussi heu-
reuse qu'utile pour nioi d'avoir sous les yeux la partition du compo-
siteur pour suivre ses traces au moins dans la marche qu'il a tenue.
C'est aux hommes d'un discernement juste et délicat à juger de la
différence qu'il y a dans le reste.
Le bUicès de mon ouvrage a passé toutes mes espérances, et d'après
les instances qu'on m'a faites pour le publier, je n'ai pu me dispenser
de le laisser graver.
Je me trouverais fort heureux si je pouvais, non pas obtenir, comme
M. le chevalier Gluck, les applaudissements des autres nations, mais
du moins trouver auprès d'elles une partie de rindulgence qu'on m'a
montrée à Venise.
Pour prix de ma condescendance, j'ai exigé de MM. les éditeurs
qu'ils mettrait nt cet avis à la tête de l'ouvrage, afin de rendre jus-
tice à qui elle est due, et éviter toute imputation de vanité, défaut
très étranger à mon caractère (1).
Bertoni avait raison d'être modeste vis-à-vis de Gluck: il
faut avoir lu sou opéra pour comprendie toute la portée de
cette déclaralioD, na'ive en apparence, qu'il a « regardé comme
une circonstance aussi heureuse qu'utile d'avoir sous les
yeux la partition de Giuck, pour suivre ses traces au moins
dans la marche qu'il a tenue. » Il n'est pas possible, en effet,
d'imaginer un décalque plus servile. Les dessins, les formes,
les mouvements généraux sont si exactemeot modelés sur
l'œuvre originale qu'en se bornant à regarder le contour
des notes on jurerait lire une transcription de l'Orphée de
Gluck ! Voici trois exemples, pris parmi les morceaux les
plus importants, et dans chacun des trois actes ; ils donne-
ront une idée plus que suffisante do l'espèce de génie musi-
cal dont était doué Berttjui.
D'abord, l'exposition du premier chœur :
(1) Traduit d'après la préface d'Orfeo (
la révolution du chevalier Gluck, p. 474.
! Euridice, de Bertoni. Voir Mémoires pour
362
LE MENESTREL
A ntezza. va
Maintenant, le chant des démons au commencement du
second acte : toutes les voix du chœur chantent à l'unisson,
tandis que les instruments à cordes les accompagnent en ire-
molo, exactement comme dans Gluck :
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d'Ei-.co.lu E dl Pi - li . (0.0 Conduce il pie?
Ceci est plus qu'une variante: c'est une varialiou ! Enfin,
voici la première strophe intermédiaire de l'air: Che fard
sema Euridice. Le thème principal, à la vérité, ne ressemble
en rien à celui de Gluck : il a toute la fadeur du bel canlo à
la mode parmi les dikUmUi d'alors ; mais, dans les parties
expressives, le copiste se rapproche de son original de la façon
dont on va juger :
Pieslo.
Andaiûino.
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Convenons qu'il était au moins piquant de voir Gluck ac-
cusé d'avoir pillé l'auteur de cette musique I
(A suivre.) Julien Tiersoi.
SEMAINE THEATRALE
Théâtre-Lyrique de la galerie Vivienke. Le Bijou perdu d'Adolphe Adam.
Infaligahle, ce gentil petit Théàlre-Lyrique, et toujours en travail 1
A peine nous avait-il donné, pour sa réouverture, un spectacle coupé
qui avait presque la valeur d'un spectacle historique, puisqu'il se
composait de trois pièces qui représentaient trois époques de noire
histoire musicale, qu'il s'occupait déjà de quelque chose de bien
plus important. Ce « quelque chose, » c'était tout simplement une
grande pièce en trois actes, c'était le Bijou perdu, qui avait fait, il y
a une quarantaioe d'années, la fortune de son grand prédécesseur,
l'ancien Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple, et la renommée
d'une cantatrice charmante, M"" Marie Cabel, qui dès son apparition
fit la conquête du public parisien.
Ce Bijou perdu était un ouvrage de commande, fait précisément
pour les débuts de M"'' Cabol. On était pressé, par conséquent. Du
Leuvea et de Forges, les librettistes, ne prirent pas le temps d'écrire
une pièce nouvelle. Ils avaient, uue quinzaine d'années auparavant,
bâti pour Albert Grisar le livret d'un opéra-comique eu deux actes
intitulé Manoii Giroux. Ce livret ayant été refusé par Crosnier, alors
directeur de l'Opéra-Comique, ils en avaient fait un vaudeville qu'ils
donnèrent sous le même titre au Palais-Royal. Ils reprirent leur vau-
deville, le re-lransformèrent en opcra-coraique en y ajoutant un acte
pour le corser. Adam en écrivit la musique au courant de la plume
(ce qui se voit par instants un peu plus qu'il ne faudrait), le titre de
Manon Giroux lii place à celui du Bijou perdu, et l'ouvrage fut repré-
senté le (3 octobre ISoJi, avec un succès éclatant.
Adam, qui s'y connaissait, comprit très bieu que ce succès s'adressait
bien plus à la cantatrice qu'à sa partition, qui, pour être aimable par
instants, n'en était pas moius de seconde main. Aussi, en publiant
cette partition, la dédia-t-il à M""' Cabel en ces termes modestes : L'au-
teur de l'ouvrage à l'auteur du suecés. Il est certain que c'est M'"^' Cabel
qui fit en grande partie la fortune du Bijou perdu. Jolie comme un
cœur et d'une grâce séduisante, douée d'une voix nierseilleuse i]ue
mettait en relief une virtuosité qui louait du prodige, avec cela
cotnédienno intelligente et fine, elle éblouit littéralement le public,
qu'elle attira cent fois de suite au Théâtre - Lyrique . La
fameuse ronde des « Fraises », cette ronde qui n'est autre chose
LE îiUENESTREL
363
que le dessin mélodique d'une vieille chanson populaire : Marie,
Ireiiip' Ion pain..., mais qui était agrémenlée de vocalises très brillantes
qu'elle lam^àit avec une étonnante cràcerie, fut surlout un vrai
triomphe. Elle était d'ailleurs bleu secondée par deux excellents
artistes, Meillet et Sujol. qui surent se faire applaudir à ses cô'és
dans les rleux rôles de Pacôme et du marquis d'Angennes, Depuis
lors on ne levil plus le Bijou perdu, si ce n'est vers J872, à l'Athénée,
oii l'ouvrage fut remonté pour une jeune femme charmanle. M"" Louisa
Singelée, qui devait mourir peu d'années après, dans tout le rayon-
nement de sa glace et de sa bL-auté.
Ce n'était pas une petite affaire que de mettre un tel ouvrage sur
pied dans un théâtre de proportions aussi mignonnt s que celui de la
Galerie-Vivicnne, avec des ai listes qui. en somme, sont presque tous
des commençants. Eh bien, audaces /'ortuHa^'iU'a// Tous ces jeunes geus
y ont été crânement, courageusement, sans se soucier du danger,
et ils ont, en réalité, oitenu un résultat très satisfaisant et qui leur
fait le plus grand honneur. M"= Jane Valentin, qui est chargée du
rôle de Toinon, y prodigue les vocalises et les eocotes, comme si elle
n'avait fait que cela toute sa '. ie ; mais ce qui est niieujs, c'est qu'elle
phrase fort joliment et avec élégance, et qu'elle fait preuve d'une
véritable intelligence comme comédienne. J'en dirai autant de
M. Dumas, qui joue Pacôme, dont la voix est excellente, mais qu'il
faut mettre en garde contre un défaut grave: il lui arrive parfois
d'attaquer la phrase un dixième de ton trop bas, et alors il la pour-
suit impertu.'bablement dans le même diapason, en dépit de l'or-
chestre. M. Viannet a une fort jolie voix, lai aus-i, et il s'en sert
avec goût ; mais au point de vue de la scène il a encore beaucoup 5
faire. L'ensemble est excellent, et fort bien complété par M"'' Bar-
bary, MM. Berthon, Gastelain et Delbos. Le petit orchestre marche
très bien, et l'on a fait des prodiges au point de vue des décors, qui
sont charmants.
Ce petit théâtre est vraiment étonnant.
Artuuh Pougin.
Nouveautés : Les Erreurs du Mariage, pièce en trois actes de M. Bisson.
Après te Surprises du divorce, les Erreurs du mariage, et si la seconde
de ces pièces n'a pas l'extraordinaire bonne humour de la première,
il serait injuste de ne pas lui reconnaître une dose très suffisante d'es-
prit, d'entrain, d'imprévuet d'habileté théâtrale. On a donc ri et beau-
coup ri aux Nouveautés, principalement au premier acte bourré de
mots fort heureux et au troisième, de situation fort amusante, qui, à
lui seul, semble la seule raison d'être des deux précédants.
Deux couples : M. et M"" Forcinal, M. et M'"° Morizet vivent sous le
même toit. Forcinal fait la cour à M"" Morizet, et Morizet, candidat
assidu à l'Académie des sciences morale?, pousse de toutes ses forces
au fatal rapprochement. Pour forcer enfin les portes de l'Inslitut
Morizet compte, en effet, sur uu ouvrage qui traitera des troubles
amoureux chez la femme mariée et, comme rien ne vaut le travail
fait d'après nature, sa propre épouse lui servira de sujet et l'ami For-
cinal sera le serpent tentateur.
C'est l'hypnotisme, dont Morizet est un adepte aussi slnpide qu'en-
ragé, qui aidera à l'expéiinece et permettra au roublard Forcinal
d'enlever celle qu'il aime et, "a la faveur d'un accident de bateau dans
lequel on le croit mort, lui et elle, d'aller l'épouser en Amérique.
Pourquoi Moiizet et M'""^ Forcinal, après avoir plus ou moins pleuré,
s'épousent eux aussi, l'auteur oublie de nous le dire. Donc, un beau
jour, le couple tombe à l'improviste. aux environs ds Chicago, chez
Forcinal. Et c'est ici que la fantaisie de M. Bisson se donne vraiment
libre carrière et que, grâce aux phénomènes hypnotiques qui per-
mettent les plus grandes extravagances, la situation devient tout à
fait comique et que la bonne folie, dont les grelots jusque-là sem-
blaient quelque peu doublés d'ouate, se met à joyeusement et
bruyamment carillonner. Tout s'arranre-f-il très hien ? Je n'ai qu'im-
parfaitemeat compris commeut ce double couple bigame se compor-
lera vis-à-vis de M""-' la Loi, mais c'est là détail insignifiant; le vau-
deville finissairt dans la joie, n'en demandons pas plus.
Les Erreurs du mariagesoal supérieurement enlevées par M. Ciermain
d'impayable coca>serie et de turbuleute mimique en Forcinal et par
M. Tarride, couiédien plus rassis et de parfaite silhouette eu vieux
Sijvant, M. Culombey et M'"" Macé-Montrouge dépensent sans compter
leur belle humeur; M"'= Filliaux, comédienne adroite, exhihe de bien
vilaiues toilettes, taudis que il'" Dubois fait montre d'élégance;
■M"'= Jenny Rose, culin, prouve sa grande bonne vulonlé.
Paul-Emile Chevalier.
Porte-Saint-Maiitin : Don César de Bazan, dr-ame en cinq actes de MM. Den-
iiery et Dumanoir. — 'Vaiiiiîti's : Le Carillon, féerie-opérntte en quatre actes
et sept tableaux de MM. Blum et Ferrier, musique do M. Sei'pette.
Se bien connaître, voilà le difficile, et il est bien rare qu'on y
parvienne, porté qu'on est naturellemeut à s'accorder lous les mérites
et tous les talents. Ainsi il ne paraît pas que M. Coquelin ait une
très juste idée de sa personnalité artistique de comédien, pourtant
enviable même limitée aux rôles oîi il est sans rival et auxquels il
ferait bien de se tenir. S'il voulait s'informer autour et alentour de
ses amis et même en dehors d'eux, chacun lui dirait qu'il est un
comédien 1res fin, de race délicate et spirituelle, de verve et de force
comique irrésistible, mais qu'il n'a peut-être pas l'envergure, l'am-
pleur, la voix pleine et l'allure qui conviennent au personnage de
Don César de Bazan.
Il en est encore qui ont eu le triste privilège d'avoir entendu
FréJérick Leniaître dans ce maître rôle. Et dame, dès l'entrée du per-
sonnage — « Je viens déjouer avec des manants et ils m'ont volé
comme de grands seigneurs » — on est fixé, et la comparaison n'est
pas à l'honneur du temps présent. Les souvenirs restent écrasants.
Il semble qu'on entende l'éclat d'une petite trompette aiguë qui répond
à l'écho lointain d'une gaîté énorme de trombone en liesse. Ah 1
c'est qu'il n'est pas un simple gamin de Paris qui s'amuse, ce
Don César! Jusque dans sa déchéance, on doit sentir toujours un
restant de haut seigneur et, dans les grands moments, ce n'est
pas l'atroiement d'un petit roquet qui se doit percevoir, mais bien
plulôt quelque chose comme le nrgissemenl du Uon.
El. chose singulière — ce que c'est que de s'attaquer à des
rôles qui ne sont pas dans votre naturel — il semblerait que le
débit d'ordinaire si clair et si net de M. Coquelin en soit altéré
et qu'il n'ait plus sa belle assurance d'autrefois. Il est certain
qu'il ajoute à présent à chacune de ses phrases une sorte de petit
ricanement nerveux, qui revient sans cessa avec une désespérante
monotonie. Ah! se retremper dans le sein miséricordieux de la
Comédie-Française et abandonner des tréteaux trop vastes et des
drames trop empanachés, comme il en serait temps!
Il serait cruel de trop insister, d'autant qu'un artiste du grand talent
de M. Coquelin reste toujours intéressant par quelque côté, même
dans ses erreurs, et qu'on est loin de passer une mauvaise soirée à la
Porfe-Saint-Martin, malgré la médiocrité de l'entourEge, — tant le
drame de MM. Deunery et Dumanoir est resté tout à la fois divertissant
et attachant, fort bien mené dans sa trame et tout parsemé de mots vifs
et plaisants qui sont devenus légendaires. Il y a par exemple au troisième
acte, un grand diable de ballet bien long et bien désagréable, qu'on
pourrait supprimer presque en son eutier, sans aucun inconvénient.
n est drjà bien tard pour parler du Carillon des 'Variétés, qui fut
représenté il y a plus de huit jours. Huit jours! un siècle pour des
produclions d'aussi peu de consistance. Nous ne dirons donc rien de la
pièce, qui n'i st pas coulée dans un moule bien neuf et qui se meut tout
entière autour d'un point délicat non commode à narrer. La musique
a des qualités appréciables de bonne facture,, et, par sa pompe rela-
tive, elle s'adapte bien au sujetparfois épique qu'elle doit accompagner.
Mais il y a eu un triomphateur dans la soirée, et c'est le directeur
lui-même, M. Samuel. Certes, il peut être donné à tous nos entrepre-
neurs de spectacles de faire des mises en scène luxueuses, il suffit
d'y mettre le prix ; mais ce qui n'est pas donné à tous, c'est d'y
mettre la recherche artistique et le goiit très silr qui a présidé
à celle du Carillon. Il y a, au premier acte, un mariage de couleurs et
des combinaisons de tons qui ne s'injurient pas les uns les autres,
un choix d'étoffes non seulement somptueuses, mais harmonieuses,
un ragoiit de nouveauté tout à fait rare et attirant. Et si, passant par-
dessus une charmante apothéose, nous arrivons de suite au dernier
tableau, nous assistons alors à une scène de reconstitution de l'an-
cienne Venise comme vu •■ à Iravers les enchantements d'un rêve, qui
est bien la plus délicieuse chose que nous ayons viie au théâtre,
avec la ville illuminée qui s'estompe au fond et l'Adriatique qui
roule des Ilots véritables au pied du palais des Doges, — le tout
baigné dans cette teinte mystérieuse et bleutée spéciale aux tableaux
de Turner. C est une pure merveille.
Et quand on pense que tout cela est exécuté dans l'espace de
quelques mètres carrés, on se demande ce que pourrait faire
M. tamiiel sur une scène plus vaste, et, l'imagination vagabon-
dant, on le voudrait bien voir à la tête d'un de nos théâtres impor-
tant?, o'u il apporterait si rr ardeur, sa fantaisie, son horreur de la
banalité et aider'ait sans doute l'art sous toutes ses formes à sortir
des ornières et des routines où nous le voyons se traîner si miséra-
b'ement. H. Muke.no.
364
LE MENESTREL
LE THÉÂTRE-LYRIQUE
INFORMATIONS
IMPRESSIONS
XV
Les IfCteurs dii Ménestrel ont trouvé ici, le 20 septembre dernier, un
quatorzième article sur le Théàlre-Lyrique, contenant un proî^ramme
idéal pour l'organisation di; ce Ihéàlre. Je pensais que cet article résu-
niatif pourrait clore la série; mais je vois bien que réellement cette
série ne sera vraiment épuisée que lorsque le Théâtre municipal lyri-
que sera fait; et peut-être y aura-t-il alors encore bien des choses
à dire.
Ne supprimons donc pas prématurémeal la rubrique sous laquelle
nous avons jusqu'à présent librement exprimé ce que nous suggérait
celte très inléressanle question, et suivons au jour le jour le mouve-
ment des faits qui s'y rapportent.
Ce programme du 20 septembre a trouvé de nombreux échos
dans la presse quotidienne. Plusieurs do nos confrères ont fait à l'auteur
de ces lignes l'honneur de lui prêter des paroles qu'ils auraient
recueillies au cours d'une inlervie^w L'interview, vraiment, eût été
difficile, car j'étais alo's à près de cent lieues de Paris. Les paroles
du moins étaient exactes en leur essence, puisqu'elles procédaient
directement de ce programme, et mention faite de la discrétion trop
grande qu'ils ont mise à citer le Ménestrel, source unique de leur
information, il n'en faut pas moins savoir gré à ces reporters de
l'intérêt qu'ils ont pris et du bien qu'ils ont fait à la cause que nous
servons, en vulgarisant une opinion qui loi peut êire profitable.
Depuis septembre, et dès la rentrée du conseil municipal, un acte
important s'est produit.
Comme l'a dit foit à propos la semaine d. rnière, dans ce journal,
M. H. Moreno, tandis qu'un bref voyage en Allemagne me faisait
pour trois jours étranger aux choses de notre France, dont il n'arrive
là-bas que des bruits très vagues, le conseil municipal est entré dans
la voie de l'action, Uu rapport de leur collègue, M. Deville, a éié dis-
tribué aux conseilles municipaux, sur le projet de fondation du
Théâtre Lyrique.
De ce document, très nourri de considérations histjriquesetmorales,
je ne veux aujourd'hui retenir que la conclusion. Nous reviendrons
au besoin sur l'ensemble.
M. Deville exprime cette conviction très fjite, que si la Ville de
Paris veut faire quelque chose, il faut qu'elle le fasse elle-même et
complètement, c'est-à-dire, en prenant toutes les garanties et toute la
responsabilité.... Que si on veut faire le Théâtre Lyrique municipal, il
faut que le conseil municipal en décide lui-même toute l'organisation,
en règle le fonctiounement, ariêtele cahier des charges, non d'vne
concession ou d'une subvention, mais d'une régie intéressée....
Ces déclarations si nettes sont faites pour nous combler de joie,
car elles correspondent exactement au sens de notre programme. Et
ce n'est point pour une value satisfaction personnelle que nous nous
exprimons ainsi, c'est parce que ces déclarations établissent très hau-
tem :nt la supériorité acquise d'un principe qui a été longtemps dis-
cuté et qui certaineraeut le sera encore.
On proclame volontiers, en effet, l'inconvénient du système de la
régie, pour le com,.te d'un Etat ou d'une ville, parce que la régie, dit-
on, lie les b:as au régisseur, le fait l'homme-ligede tous les personnages
officiels, de tous les représentants de l'administration, l'empêche de
goaverner arlistiquenent son Ihéàt 'e, en fait une façon de pantiu
dont tout le monde peut tirer le fil, plus ou moins adroitement. Posi-
tion misérable, en efî;t, qu'aucun homme désintéressé et intelligent
n'accepterait et qui ne saurait être subie que par un complaisant se
so :eiant uniquement de, sa situation personnelle et faisant bon mar-
ché des intérêts de l'art confie à sa garde et à ses soins. Mais ce
n'est point de ce type inférieur de l'e.-pèce qu'il peut être question.
Parmi les commentateurs, qu-s je visais plus haut, de notre pro-
gramme du 20 septembre, l'un de ceux qui eu ont franchement
indiqué la source et approuvé les conclusions, je veux citer mon
confrère et ami Victoriu Joncières. qui, en son article hebdoma-
daire de la Liberté, a cependant fait une réserve en ce qui concerne
l'exercice de la fonction de directeur-régisseur. J'avais dit que ce
directeur devait avoir toute son initiative. Il parait craindre qu'ainsi
livré à lui-même, il ne tombe dans l'arbitraire et ne reste enclin par
conséquent aux errements tant reprochés aux directeurs de l'espèce
commune. 11 n'a pas pris garde sans doute qu'en diiant « initiative »
je dis aussi c responsabilité » ; que je soumets les actes de ce di-
recteur au contrôle et à l'approbation d'un comité armé de tous les
pouvoirs restrictifs, et que ce directeur exerçant un mandat natu-
rellement révocable serait bien sot et bien ennemi do lui-même de
n'en faire qu'à sa tête sans souci de la haute mission qui le doit
mettre au-dessus de tout parti pris, de tout caprice et de toute dé-
viation de conscience.
Ah! ce n'est pas facile assurément que de rencontrer un homme
assez droit, assez consciencieux, pour ne rien voir au delà de la
tâche à remplir. Mais tout peut arriver, tout arrive, même de mettre
la main sur un honnête homme, si rare que soit l'oiseau.
C'est à quoi pourront tout d'abord s'appliquer les conseillers muni-
cipaux, dès qu'ils auront formulé leur organisation du Théâtre Lyrique,
et ce ne sera pas là la moindre de leurs charges.
D'aucuns ont dit — hier, un homme très digne de considération
me le disait encore, — que mis à la tète d'un théâtre en régie, le
directeur ne serait qu'un « fonctionnaire », un » chef de bureau n.
C'est reproduire sous une forme plus concise les reproches adressés
au système de la régie et que j'ai déjà enregistrés; c'est proclamer
le servage d'un administrateur qui doit èire, j'y insiste, libre et
responsable. 11 peut avoir, il doit avoir des juges ; mais il doit mar-
cher sans lisières. Tant pis pour lui s'il trébuche et tombe.
On choisira donc assurément, pour cette fonction délicate, un sujet
simplement très avisé des choses du théâtre, un bon serviteur de
l'art, indépendant de toute église musicale, doublé d'un homme à
l'esprit bien ordonné et méthodique.
M. Alphonse Humberl a, dans l'Éclair, traité fréquemment celle
question du Théâtre-Lyrique; il l'a fait avec beaucoup plus d'autorité
que je n'y en puis melire et plus de chance que moi d'être écouté.
Lui aussi, à diverses reprises et hier encore, s'est associé aux idées
exprimées par le Ménestrel. Dj même M. Grébauval, qui, au conseil et
dans la presse, défend cetle noble cause. A ces écrivaius, comme à
tous les membres de la 2° et do li 4* commission, dont l'un,
M. Hattal, est depuis longtemps le champion de notre école, les
compositeurs français, nos contemporains, les amis de la vieille
musique nationale, les partisans de la vulgarisation des chefs-
d'œuvre classiques, garderont une profonde reconnaissance pour
avoir repris et sérieusement tenté, cette fois, la réalisation d'une
création si disculée par quelques-uns, si indispensable pour tous —
œuvre à la fois sociale, artistique, morale, dont on ne saurait de
bonne foi contester l'opportunité en i;n temps oii le goût s'affirme de
mettre la musique partout, même là où vraiment elle n'a que faire.
Je ae parlerai pas et ne veux point parler, je l'ai dit, des diverses
compétitioQS qui déjà se oroduisent au sujet de la future direction
du Théâtre-Lyrique municipal. Le corps n'existe pas encore, que
déjà il y a dix ou quinze lêtes !
C ■■ que le conseil va avoir à examiner tout d'abord, avec l'organi-
sation fondamentale de ce nouvel lustitut lyrique, c'est le choix du
théâtre où il s'installera. — Nous reviendrons à l'occasion sur ce
dernier sujet, dont nous avons, au surplu-, déjà parlé.
Quant au premier point, celui de l'organisation, il est certainement
une question de vie ou de mort. Si la Ville n'adopte pas bravement le
système de la responsabilité absolue, avec les conséquences finan-
cières qu'elle entraîne, si elle laisse la moindre prise à l'intérêt
privé, la cause est compromise, elle est perdue!
Le Théâtre-Lyrique doit être un Conservatoire d'art; il y faut uu
aubtère gardien, et il convient d'insister sur cette redite que les insti-
tutions de cet ordre élevé sont faites pour le culte absolu des belles
choses, pour le service bien, entendu des intérêts de noti-e école mu-
sicale ancipnne ou moderne, et non point pour l'édification de la for-
tune personnelle de ceux qui peuvent être appelés à les diriger.
Louis G.m.let.
L'EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
(Suite.)
Je ne saurais quitter cette salle 26, si vaste, si intérecsante et si
riche, sans signaler à l'attention, comme elle le mérite, la collection
étonnamment curieuse d'instruments anciens exposée par M. Au-
guste Tolbeeque, collection dont l'originalité surtout réside en ceci,
que tous les instruments qui la composent sont non point des origi-
naux, mais des reconstitutions, et qu'ils ont été construits par
M. Tolbeeque lui-même.
Uu type, ce Tolbeeque. Fils d'un violoniste fort distingue, neveu
de l'ancien chef d'orchestre des bals de la cour sous Louis-Philippe,
dont la musique d ! danse obtint do si grands succès à cette époque,
LE MÉNESTREL
365
il fit lui-mèiiie d'excellentes éludes au Conservatoire, d'où il sortit
avec un premier prix de violoncelle, après avoir étudié l'harmonie
avec Reber. Cela ne l'empêchait pas de travailler la lutherie en ama-
teur chez Rambaux, celui que nous appelions naguère « le père »
Rambaux et qui demeurait juste en face le Conseivaloire, si bien que
des fenêtres de ma classe nous plongions dans son atelier, situé à
l'entreSMl. Après avoir pa;sé plusieurs années à l'orchestre de l'Opéra,
M. Tolbecque quitta Paris tout à coup, un beau jour, pour aller se
fixer... à Niort, qui n'est pas précisément un centre musical. Quel-
ques années après ou le trouve à Marseille, où il est professeur de
violoncelle au Conservatoire. Puis il revient à Paris en 1871, entre à
la Société des concerts, et enfin s'éloigne de nouveau poar retourner
à Niort, où il est encore aujourd'hui.
Entre-temps, et tout en vojageani, M, Tolbecque avait réuni une
fort belle collection d'instruments anciens, dont il avait lui-même,
avec une rare habileté de main, rercis eu état ceux qui avaient subi
quelques détériorations. Il avait offerl de céder cette collection à
l'Eiat pour le musée du Conservatoire ; mais comme chez nous il n'y
a jamais de ressources au budget des beaux-aits en pareille circons-
tance, le musée du Conservatoire de Bruxelles ayant eu vent de la
chose, s'empressa de s'en reiKlre acquéreur. Mais M. Tolbecque ne se
bornait pas à soigner et à réparer le; instruments malades; il en
construisait lui-mêm?. Excellent organiste, un beau jour il voulut se
faire organier, et il y réussit ti bien qu'il édifia plusieurs o; gués,
dont un, à deux claviers, est placé au collège de Pons, un autre à
l'iglise Saint-Martin de cette ville, un autre, de dix jeux, à la Trem-
blade, un autre encore, à deux claviers avec quatorze jeux, chez M. le
marquis de Foucault. Et comme il faut croire que le travail ue lui
coûte pas grand' jhose, il trouvait encore le temps d'écrire un certain
nombre de compositions importantes pour le violoncelle, de publier
deux brochures intéressantes, l'une intitulée Quelques eonsidé rations
sur la lutherie, l'autre Souvenirs d'un musicien de province, et de pré-
parer un grand Traité historique de la lutherie qu'il compte livrer pro-
chainement au public.
Mais ce n'est pas tout. M. Tolbecque avait été frappé des nombreuses
figures d'instruments antiques et disparus qu'on rencontre de toutes
parts, sur les temples grecs, dans les sculptures des églises gothiques,
sur les tableaux ou les vieilles estampes, et l'idée lui vint de recons-
liluer tous ces instruments qu'il voyait reproduits parle ciseau, par
le pinceau, par le burin. Le projet était vaste, à ce point qu'on pou-
vait le croire irréalisable. A tout le moins il offrait certainement
d'énormes difficultés, et il fallait une singulière confiance en soi et
en son aptitude au travail pour oser l'envisager et l'entreprendre. C'est
pourtant ce que fit M. Tolbecque. Il a reconstruit tous ces iasti'uments
avec les bois et les métaux qui conviennent à chacun, et avec de tels
détails, une telle exactitude et de telle fjçon que ce ne sont point de
simples images qu'il nous offre, mais de véritables engins sonores,
que chacun de ces instruments peut être joué, et que tous possèdent
les qualités qui leur sont propres.
Voici la liste, exactement reproduite, de ceux qu'il expose, au
nombre de trente-trois, dans une fort belle panoplie dont il serait
superflu de faire ressortir le très curieux intérêt :
1. — Lyre à rinq i.-nnles; lyre primitive des temps héroïques de la Grèce.
2. — Lyri' ;'i M.'pi c>(inli.s, eu éventail; VIII': siècle avant .I.-C.
::!. - \.\rr :i nriif r,,r,lrs, VI= siècle avant J.-G.
i. — C.illi.iiv ,1 iliiiiz.' rurtles, V° siècle avant J. -G.
5. — Crouth à six cordes, à archet et cheYalet plat des bardes gallois du
XI= siècle.
6. — Reber à trois cordes, XII= siècle;
'7. — Gigue à deux cordes, XII' siècle;
8. — (iiguc à une corde, XII" siècle;
9. — Rubébe à trois cordes, XII' siècle:
10. — Basse de cornet, XI V= siècle;
11. — Vitrude à cinq cordes, XV' siècle;
12. — Vitruilc à cinq cordes, XV' siècle;
•13. — Psaltcriou du XV' siècle;
14. — Basse de lyre à douze cordes dont les trois graves sont doublées,
du XV' au XVII' siècle;
lo. — Basse de viole d'amour, à six et à douze cordes, XVI' siècle;
16. — Viul-i da gamba à six cordes, XVI' siècle;
17, 18, 19, 20. — Cornets (basse, ténor, alto, soprano), XVI' siècle;
21. — Nymphalé ou orgue portatif, XVI' siècle;
22. — Cornet basse, XVII' siècle;
2:i — Musette en flûte duucc, XVII' siècle;
24. — Viole d'amour à six curdes, XVII' siècle;
2b. — Viide d'amour à six cordes, XVII' siècle;
26. — Viole d'amour à sept cordes, XVIII' sièrde ;
27. — Pochette, modèle Lyrone, XVI» siècle;
25. — Pochette en viole, modèle italien, XVI' siècle;
29. — Soprano de cornet à bouquin;
.30, 31, 32, 33. — Gromornes (basse, ténor, alto, scqiiano), XVII' siècle.
Il est inutile de parler de l'exactitude; sous ce rapport, on peut
s'en fier au savoir et à la probité artistique de M. Tolbecque. Mais
ce qui est remarquable, c'est le soin, c'est le fini apportés par lui
dans son travail, c'est l'étonnante habileté avec laquelle il a su le
mener à bonne fin, c'est la délicatesse dont il a fait preuve en trai-
tant tous les accessoires, c'est la courbure des filets, l'élégance des
marqueteries, l'emploi de la nacre, enfin la grâce des ornements aussi
bien que l'excellente application des vernis. Le rendu est vraiment
extraordinaire, et il n'y a pas assez d'éloges à accorder à une recons-
titution si parfaite et si heureuse, si scrupuleuse et si complète. Ce
qu'on voudrait maintenant, c'est entendre tous ces instruments, pour
apprécier lo caractère, les qualités et la nature de chacun d'eux.
Nous allons, à présent, franchir un assez long espace pour nous
rendre à l'une des salles les plus franchement amusantes de l'Ex-
position, la salle 22, où nous attendent les marionnettes et tout leur
attirail fantaisiste. Ici, nos regards ne savent d'abord sur quoi se
porter et se poser, tant ils sont attirés de tous côtés par une foule
d'objets qui les sollicitent à la fois. Nous arrêterons-nous au gentil
Théâtre Miniature, ou aux Pupazzi de M. Lemercier de Neuville,
ou au Guignol de Lyon, si chéri de ses compatriotes, ou aux pou-
pées de Séraphin, ou au théâtre de M. Comte, « physicien du roi, »
ou aux nombreuses marionnettes exotiques, ou aux souvenirs de
Robert Houdia?... Tâchons démettre un peu d'ordre dans notre pro-
menade et de régler notre visite, afin d'en tirer toutleparli possible.
Tout d'abord nous lencontrons là, exposé par un collectionneur
ingénieux, M. Arthur Maury, tout le matériel de l'ancien et célèbre
théâtre de Séraphin. — la joie des enfants, la tranquillité des
parents. La série est vraiment curieuse, et aussi complète qu'on le
peut souhaiter. En premier lieu, en belle place, le portrait à l'huile
du bossu avisé qui fut le fondateur du mignon théâtre auquel il
donna son nom. Auprès de lui, toutes les ombres chinoises et toutes
les poupées mécaniques qui firent sa gloire et sa fortune. Il en est
dans le nombre qui étaient à trucs et à transformations, car Séraphin
ne se refusait rien. Puis, le long du mur, ce sont des affiches, des
programmes, des proclamations au public, et des petits boniments
imprimés que le « directeur » faisait disti-ibuer à la porte de son
théâtre. Eufin, dans une vitrine, avec des billets et différents autres
documents, toute une série de manuscrits de pièces jouées chez
Séraphin, et, qui plus est, la musique de quelques-unes de ces
pièces! Il n'y a que les collectionneurs pour sauver de la destruc-
lion et de l'oubli des trésors de ce genre. J'ai l'air de rire; mais
quoi ? tout modeste que cela soit, tout cela n'appartient-l-il pas à l'his-
toire du théâtre? et n'a-l-on pas vu un grave bibliothécaire, un
membre de l'Institut, Charles Magnin, consacrer dix années de sa
vie à écrire une ///stoi're des marionnettes qui est un livre charmant?
Pour en revenir aux pièces de Séraphin, les manuscrits exposés
sont les suivantes : VEcu de six francs, la Rage d' Arlequin, le Gagne-petit
oale Bien vient en chantant, le Bois dangereux, le Prêteur sur gages,
la Belle et la Bêle, les Nouveaux cris de Paris, les Caquets du matin.
Pourquoi M. Arthur Maury n'a-t-il pas exposé le chef-d'œuvre du
répertoire, le fameux Pont cassé, qui était à Séraphin ce que Tartuffe
est à la Gomé lie-Française, ce que la Dame blanche est à l'Opéra
Comique?... Et j'allais oublier le brevet, le précieux brevet, sur papier
timbré, par lequel Séraphin était autorisé à établir et à ouvrir son
théâtre à Versailles, avant qu'il vint, à la faveur de la Révolution,
s'installer à Paris.
Ceci est une pièce authentique, J'en trouve dans celte salle quel-
ques autres du même genre, bien curieuses, et qui méritent d'être
reproduites. Je le repète, tout cela tient, par un petit côté, mais
caractéristique, à l'histoire de l'art. Est-ce que les plus infimes caba-
rets de « la butte sacrée » n'ont pas déjà leurs historiens? Pourquoi
donc n'apporterions-nous pas une contribution nouvelle à l'histoire
sacrée des marionnettes'?
(A suivre.) A(îthur Poucm,.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concert Colonne. — Graml festival de musique russe sous la direction de
M. Winogradsky, i-hpfil'nivlieslre de la Société impériale de musique de Kiew.
C'est la seconde fois ifiir rp innsicicn éminent vient populariser à Paris des
œuvres de ses comii:iiiii>ics les plus illustres. Le succès a été mélangé. La
seconde partie du concert a paru plus intéressante que la première. Après une
ouverture, froidement accueillie, du célèbre Glin';a, M. Winogradsky nous a
366
LE MENESTREL
fait enteuJre la dixième symphonie (palhélique} Je Ti;liaïli.invsliy. J'igU(jro
pourquoi l'auteur a donné le titre de symphonie à une suite de morceaux
dont l'ensemble n'a aucun rapport de contexture avec la symphonie telle que
la concevaient les grands maîtres du passé el ceux qui, plus récents, se soni
inspirés de leurs exemples et ont cherché à suivre leurs traces. De Inus les
morceaux, un seul est vraiment intéressant, le premier, sorte de poème psy-
chologique qu'im aurait aussi bien pu intituler rêves, désillusion, désespoir.
Dans ce morceau, on sent que l'auteur a mis son àme et qu'il a vécu ce qu'il
exprime: il mourut, du reste, peu de temps après avoir composé sa sym|ihoiiip.
Les autres parties sont faibles et n'ajoutent rien à la valeur de l'œuvre.
La seconde partie du concert offrait plus d'intérêt que la première. La Fan-
taisie de Dargomijsky. iiui est, à plus proprement parler, un air de danse, a
généralement plu : elle a un cachet d'originalité qui eût mieux ressorti si
l'orchestration, à certains moments, n'eût paru un peu brutale. Ce défaut ne
se retrouve pas dans la délicieuse rêverie de Borodine, Dans les steppes de
l'Asie, qui a retrouvé au Châtelct le succès qu'elle avait eu au Cirque d'Été, —
encore moins dans les airs de ballet de f eramors (Rubinstein). ha. Dame des
bayadères a été redemandée et, pour un peu plus, on l'aurait à nouveau recom-
mencée. Rubinslein s'inspire surtout des procédés de l'école classique. Sa
musique n'a pas de caractère national. Rubinstein, tout en étant, un grand
maître, n'est pas un novateur. Sou orchestration est parfaite, délicate et fine
quand il le faut, puissante lorsqu'il est nécessaire. Son tissu orchestral
n'offre que des couleurs bien fondues, rien ne choque l'oreille, les opposi-
tions de teiutes sont discrètes, les brutalités sonores sont rares. Avec la
Berceuse de Cui, nous rentrons davantage dans le style russe proprement dit:
ce petit morceau, très court, est d'une saveur exquise. — Le concert se ter-
minait par une introduction et Polonaise de Moussorgsky qui n'a rien de bien
saillant, qui n'approche même pas de la Polonaise de Struensée de Meyerbeer.
Nous n'aurions garde d'oublier W^' Louise Planés et M"'= Auguez de Monla-
lant, qui ont eu un fort beau succès en interprétant, l'une, une Ballade varégue
de Sérnw, l'autre, une Chanson du lienjer do Rimsky-Korsakow : les deux
morceaux ont été bissés : mais, si nous de\ iiuis indiquer nos préférences, ce
serait pour la Chanson du berger qui est d'un caractère vraiment poétique et
qui a une saveur toute particulière. Quant au chef d'orchestre, M. 'Wiuo-
gradsky, il est des plus suggestifs. Il n'appartient pas à cette catégorie de
chefs d'orchestre qui dirigent leurs musiciens d'un geste à peine perceptible.
M. Winogradsky est plein d'exubérance et, quand il conduit un air de ballet,
on poun-ait presque croire qu'il le danse, ce qui ne l'empêche pas, après tout,
d'être un chef d'orchestre remarquable, et c'était l'avis du public, qui lui a fait
le plus chaleureux accueil. H. BAnBiiOEiiE.
— Concerts Lamoureux. — Il ne semble pas qu'en aucun autre ouvrage
rexcelleute tenue de l'orchestre se manifeste mieux que dans la Symphonie
hérdique de Beethoven. La raison en est facile à comprendre, car cette vaste
composition, que Diouys Weber qualifiait d'absurdité (nnding) parce qu'elle
s'offrait à lui dans une forme différente de celle adoptée par Mozart, n'exige
pas de la part des exi^culaiils de grandes qualités d'initiative, mais seule-
ment l'aplomb rythmique pi. ilc la part du chef d'orchestre, une réelle dexté-
rité qui, seule, permet de résoudre, sans confusion et sans heurts, l'étonnant
problème de gravitation musicale qu'a posé Beethoven en faisant évoluer,
dans le finale de son œuwe, trois thèmes dont l'un s'agrandit et se dédouble
avec un luxe somptueux de couleurs.— La Forêt enchamtée de M. d'Indy a été
inspirée par Uhland. Il plane sur l'ensemble un symbolique voile que je ne
me hasarderai pas à soulever, mais l'on ne peut qu'être charmé par la phrase
féconde en voluptueuses évocations qui caractérise la séduction. L'ouvrage ne
manque pas de coloris et la pâte orchestrale en est partout riche et gém''-
reuse. — M"ie Alba Chrétien a chante l'air A'Obéron el la Mort diseult. Sun
organe a des qualités de résistance, mais, dans ri'niiss.'-.ii. mani|ue d'égalili'.
La voix procède par une série d'efforts. Laisanci'. Iniil des iiualil('s primor-
diales -et d'un travail soutenu, la simplicité dans le style, résultat d'une mé-
thode supérieure, se font regretter dans l'air de 'Weber. La cantatrice parait
mieux à sa place dans la musique de 'Wagner, où l'orchestre dirige et sou-
tient son interprétation. Huldtgungsniarsch, de Wagner, terminait la séance.
AmÉDÉE BoUTAItEL.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Chàtelet, concert Colonne : Grand festival de musique russe, dirigée pai- .M. WirKj-
gradsk}. Symplionk pathétique {Tschmkowsky}; Rognêda (Serow;; Cosalschok (Uargo-
misl,y ; Cinn rio L-n ré mineur, n" 4, pour piano (Rubtnsteini, exécuté par M. Mande
ItfuiiLiiurg: Snégourotschka < Riraskj-Korsatiowi, chanson du berger, par M"" .\uguez
■ le ilontiilanl : Berceuse 'César Coij ; liousslane el Luimilla, ouverture (Cilinka),
Ciri|ue des Cliamps-Iilysées, concert exceptionnel donné par le uélèbre quatuor tclioi|uc :
IIM. Karl Hotlmaan, premier violon; Joseph Suk, deuxième violon; Oscar Nedbnl, allô;
Hans Wiban, violoncelle. — Programme ; Quatuor en ré mineui' (Sch\it)Grti; Qualaor en
mi mineur (Smetanai; Quatuor en fa majfur iTs.haïkowskji.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANBER
De notre correspondant de Belgique (12 novembre). — C'est décidément
lundi que la Monnaie donnera la première du Dm César de Bazan de Masse-
net:; les études se sont poursuivies discrètement, si disci-ètement mémo que
le public les a ignorées complètement juscfu'au jour où, tout à coup, — hier
a peine! — rœuwe a été affichée et la première annoncée en même temps.
sans autre prépai'atiou ni avertissement. C'a été imo surprise pour tout le
monde. En attendant, nous avons eu la reprise de Tannhiiuser, — beaucoup
plus annoncée, 'lelle-là. Elle n'a offert pourtant rien de très supérieur. L'opéra
de "Wagner, joué jusqu'à la fin de la saison dernière, nous est revenu avec
à peu près sa même physionomie et sa même interprétation un peu bour-
geoises et un peu lourdes. Je parle surtout de l'ensemble, des chœurs, de
l'orchestre, de la mise en scène, de tout ce qui donne sa couleur et son mou-
vement à une œuvre pareille. Les détails ont paru meilleurs. M. Imbart de la
Tour, notamment, n'a pas eu de peine à faire oublier M. tiibert. et il a rappelé
à plus d'un endroit M. "Van Dyck par sa compréhension et son intelligem-.'
du rôle, qu'il a chanté d'une voix charmante et avec un sentiment vrai.
M""' Kutscberra a fait 'son deuxième début dans le rôle de Vénus: elle \
est, plastiquement, fort bien, et elle en rend aussi avec justesse le seutimeul
et le caractère ; la voix et la prononciation laissent malheureusement fort à
désirer. Les autres interprètes sont les mêmes que ceux de l'an dernier :
MM. Seguin, Dinard, Gilibert et la distingués M""» Raunay. — Au Conser-
vatoire, la distribution solennelle des prix a donné lieu, dimanche dernier, à
la cérémonie traditionnelle : discours et concert de lauréats. Le discours a
été prononcé cette fois par le bourgmestre de Bruxelles, M. Buis, qui a fail
un très grand éloge de M. Gevaert. — A la même heure, la classe des Beaux-
Arts de l'Académie royale se réunissait en séance publique, pour entendre,
d'abord, un remarquable et très intéressant discours de son président,
M. Théodore Radoux, le directeur du Conservatoire de Liège, sur la Mmique
et Ifs écoles nationales, — discours très applaudi, disant hardiment les excès où
l'imitation de Wagner a conduit nombre de compositeurs d'aujourd'hui, et
démontrant la nécessité de rajeunir la musique nationale, chez les différente^
races, aux sources pures des chansons populaires, — et ensuite la cantate de
M. Doueau, premier second prix de Rome au concours de l'an dernier. Celle
cantate, écrite sur le poème couronné, Callirhoé, de mon excellent ami
Lucien Solvay, est très inférieure à celle de M. Lunssens, premier prix de
Rome, exécutée précédemment, et dont je vous ai dit les très grandes qua-
lités polyphoniques et dramatiques: la grâce et le sentiment conviennent
mieux à M. Doneau que le mouvement et le pittoresque: quelques pages de
sa parliliun sont, dans celte note, tout à fait charmantes. L'interprétation,
solistes, orchestre et chœurs, a été convenable. L. S,
— Liste d'œuvres françaises jouées dans les théâtres d'outre-Rhin [leu-
dant ces dernières semaines : à Vienne : Werther, Carmen, Manon ; à
Berlin : l'Africaine, les Huguenots, la Fille du règinœnl, Carmen ; à Dresde :
Mignon, Roméo et Juliette, les Huguenots ; à Munich : l'Africaine, Carmen, les
Huguenots ; k Wiesbaden : Guillaume Tell, M'ertlier, Faust, la Fille du régiment,
Carmen, le Prophète, Mignon, les Dragons de Yillars ; à Leipzig : la Dame
blanche, Jean de Paris, Carmen, les Huguenots, les Deux Journées, Mignon !
k Brème : la Dame blanche. Mignon, la Juive, les Huguenots, Carmen ; à Franc-
fort : Faust, la Belle Hélène, Fra Diavolo. Guillaume Tell, les Huguenots, l'Afri-
caine, Coppélia, la Fille du régiment, Carmen, Mignon, le Postillon de Lonjumeau :
à STurrGARD: les Huguenots, Mignon, Faust, Joseph, Guillaume Tell; à Hanovre:
les Huguenots, Iphigênie en Tauride, Fra Diavolo, la Fille du régiment ; à Ha.m-
BOiiRG : Médée, Carmen, la Poupée de Nuremberg, la Fille du régiment : k Cologne :
Mignon, la Juive ; à Breslad : la Juive, Mignon.
— Le compositeur autrichien de Reznicek a été nommé premier kapell-
meister du théâtre à la cour de Mannheim et a commencé ses fonctions avec
beaucoup de succès.
— Ignace BriiU, le compositeur viennois bien connu, vient de célébrer le
cinquantième anniversaire de sa naissance et a reçu à cette occasion les féli-
citations de ses confrères Bralmis, Goldmark et Johann Straus, ainsi que celles
de ses nombreux librettistes. Les journau.x viennois lui consacrent des
ailicles fort sympathiques, car Briill, qui n'a jamais trempé dans aucune
intrigue et a toujours employé son grand talent de pianiste au service de ses
confrères et de la charité, ne compte que des amis.
— M""'' Ada Adiny vient de remporter un beau succès à Leipzig, la ville
natale de Wagner, où l'on avait organisé avec son coacours une série de
représentations de Tristan et Iseult qui ont attiré beaucoup de critiques c
d'artistes. M. Siegfried Wagner ri la famille du maître de Bayreuth on
assisté aussi à ces soirées du SLnliihcaloi-. M'"° Adiny " réalise le type idéa
diseult >', disent les journaux alli inands, et une jeune revue wagnérienue do
Leipzig, a .publié un article dos pins remariiués ipii se termine par ces mots
enthousiastes : Salve Regina!
— Une dame qui n'.-i pas Vdiilii sr iairr ciiiinailiv a remis ciui] mille francs
à la caisse de sec > de rnivlii'-irr phillian ii(|ni'de Vienne, alin qu'on
puisse offrir au dernier jour de .liaipir :iiiiice la s,, mine de deux cents francs
,i nu membre de l'orchestre prenant sa retraite. La dame inconnue dit qu'elle
est redevable de beaucoup de jouissances artistiques à l'orchestre philhar-
ni(ini(|ue, et qu'elle tient à lui exprimer ainsi sa reconnaissance.
— Une opérette inédite intitulée le Papillon, paroles de MM. 'Willner
et Buclibinder, musique de M. Charles Weinberger, vient d'être jouée avec
beaucoup de succès au théâtre An der Wieu, à Vienne.
'— Une 0 légende musicale » intitulée la mdcmption, paroles de M. Me-
nasci, le librettiste heureux de Mascagni, musique de M. Auguste Scharrer,
a iMé jouée au théâtre municipal do Nurem-berg avec un succès fort mé-
diocre.'
— Un des plus vieux musiciens allemands, M. Léoiiold Alexander, premier
LE MENESTREL
367
violiiu.ii rordiosU'o munifi|ial de Uusseldurf, vieiU de célébrer le 60= amiiver-
de son entrée dans cet orchestre. En 1831, cet artiste avait fait à Londres la
connaissance de Mendelssohn, qui l'estimait beaucoup. En 1833, lorsque Men-
delssohn accepta les fonctions de chef d'orchestre à Dusseldorf, M. Alexan-
der le suivit et resta loiijmirs dans celte ville.
— M"'« Adèle Wette, la sœur du compositeur Humperdiuck, qui a fourni
à son frère le livret de Hœnsel et Gretel, va faire jouer au théâtre municipal de
Cologne une pièce du même genre intitulée le Roi des grenouilles, dont elle a
écrit les paroles et la musique.
— Un opéra inédit intitulé le Favori des fées, musique de M. F.Litterscheid,
;l été joué avec succès au théâtre municipal de Goblentz. — Un autre opéra
inédit, intitulé le Forgeron de Gretna-Grem, paroles de M. Félix Dahn, musique
de M. Johannès Doehber, a été joué aussi avec succès, au théâtre ducal de
Cobourg.
— Le concert symphonique donné à Odessa par M. Colonne a eu le plus
grand succès. Au programme, exclusivement français : Roma de Bizet, trois airs
do ballet A'Bérodiade de Massenel, ouverture du Roi d'Ys de Lalo, concerto
romantique de Godard, Ballet des sylphes et Marche Iwngroise de Berlioz. Les
Iniis airs de ballet i'Hérodiaie ont été bissés.
— Un artiste qui jouissait en Italie d'une grande renommée, le ténor Italo
Campaniui, qui obtint surtout un grand succès en chantant, le premier, Lohen-
grin à la Scala de Milan, est tombé malade à Parme, sa ville natale, et son
état est tellement grave qu'il ne laisse, parait-il, aucun espoir de le sauver.
— Nous annoncions récemment le prochain grand voyage que MM. Mas-
cagni et Leoncavallo devaient entreprendre en Amérique, chacun à la tète
d'un orchestre qu'ils dirigeraient pour faire entendre louis hmivii'- Or, on
écrit de Pesaro que M. Mascagni renonce à ce voyage puni' |HMivnir iruvaiUer
à la partition de son nouvel opéra, Iride, qui ne sera li-M-miiK' i|ih' l'année
prochaine.
— On nous écrit de Milan : « La saison du Ïhéàtre-Lyrique de M. Sou-
zogno continue avec un succès toujours croissant pour les œuvres et pour
les artistes, et le répertoire français ne cesse d'attirer la foule. Les représen-
tations de Manon sont un véritable triomphe pour W" Sibyl Sauderson et le
ténor Pandofini, que seconde à merveille le baryton MeliUo dans le rôle de
Lescaut. La serata d'addio de M"« Simounet a été pour l'aimable artiste l'occa-
sion d'ovations sans lin et tout ornées de Heurs, avec Philémonet Baucis. Celle
de M"" de Nuovina, qui devait avoir lieu avec la Navarraise, a du étri remise
à cause d'une indisposition de M. Pini-Gorsi. Enfin, ces jours derniers on a
repris Mignon avec une nouvelle interprète. M"' de Elena Theriane, qui
s'est fait vivement applaudir non seulement comme chanteuse, mais comme
comédienne, ainsi que M"'^ Trauner dans le rôle de Pbiline, D'ici peu de
jours nous aurons Phryné avec M"« Sanderson. Vous voyez que le répertoire
français se porte assez bien. On nous annonce comme très prochaine l'appa-
rition d'un opéra nouveau du maestro Cilea, l'Arlesania, après quoi vieudroul
quelques ouvrages du répertoire courant, entre autres te Donne curiose, le joli
opéra bouffe de M. Usiglio, et la Sonnambula, avecM^^Strorafeld-Klamsiuska
pour protagoniste ».
— Très grand succès au théâtre Mercadante, de Naples, pour un opéra
nouveau eu trois actes, la Collana di Pasqua, paroles de M. Luigi Illica, mu-
sique de M. G. Luporini. L'œuvre est, dit-on, très dramatique et très émou-
vante, et la musique a produit l'impression la plus profonde. Quatre morceaux
ont été hissés, et l'auteur a été l'objet de di.x-neuf rappels. lulerprétation
superbe delà part de M^'» Carelli (Pasqua), de MM. Goppi, Guariuo, Roveri,
Degli Abbati et Menin, orchestre excellent, belle mise en scène et mouve-
ment scénique remarquable, tel est le résumé de la première représentation,
dont le succès s'est renouvelé le lendemain. La Collana di Pasqua sera jouée
incessamment au théâtre Dal Yerme, de Milan.
— A Trévise on a donné, le 7 novembre, la première représentation d'un
nouvel opéra, Sunanda, dont le succès parait avoir été médiocre. La musique
est l'œuvre d'un artiste jusqu'à ce jour inconnu, M. Sudessi.
— Il p.irail que l'énorme fiasco que le Vaisseau-Fanlôm? vient île fairo au
théâtre ruyal do Madrid met ce théâtre dans le [dus grand embarras- 11 ;ivail
compté sur cot iiuvrage, dont l'interprétation était |iourtant exccUniilp,. piiiii
établir solidement le commencement de sa saison. Hcurousemonl le succès
de la reprise de Manon avec le couple GaruUi, va donner à lealreprise le
temps d'aviser et peut-être de se relever.
— Le diapason français gagne continuellemeut du terrain en Angiolerre, el
notre génération verra peut-être tout de même le jour oii cette ndorme aille
sera arciimplii' iliiii> liml le Rnyauiuf-riii. .V Wiurc^liT, l'orgue de la calhé-
drale oi .f do di'jn :iii iliii|ii(~iiii iMHiii il. l'i lin \ii'iit d'entreprendre lu
restauration de rurj^ie ili' la riillu'iliMli' dr Hiuif^nr eu |ii'escrivant au facteui
d'adopter ce diapason.
— A New-York, M"" Melba a déjà commeuré la série de ses coiicerls. Au
cours des premières soirées elle a fait entPiidre ,i\er le plus Liiand suives nue
uiiuvelle Sevillana do M. Massenet. Les cinq fuis il a failli liis,--er re uiniTraii.
— Le (ils lie rauriCMi uii.iislre drs niiaiirr. lin iMMini riialir. M Alliann
Seismit-DiHia, iiin-irnni ri riiin|i.isilniir, n.^l en ,■,■ iniui I à Xi'w-Yurk, où.
dans un ;;iMiiil ruiirerl . il a fail en ilro plin^inirs iiiinveaiix d'un iipiM-a
ipi'il vient lie lenuiiier. Celle l'pi'eiive lui a, dil-nii, pleineiueut réussi.
— Menliiuiniins la publication, à Alexandrie, du premier numéro d'un
journal spécial qui parait sous ce tilre : la Scène égyptienne. On voit que la
terre des Pharaons est bien décidément reconquise à la civilisation. L'Angle-
terre ne saurait plus se prévaloir d'aucun prétexte pour renoncer à l'évacuer.
PARIS ET DÉPARTEKIENTS
C'est M. Alexandre Guilmant qui est nommé professeur d'orgue au
Conservatoire en remplacement de M. Ch. M. Widor, a appelé à d'autres fonc-
tions », c'est-à-dire nommé lui-même professeur de fugue et de composition.
On sait les succès que depuis longtemps M. Guilmant a obtenus non seule-
ment eu France, mais en Angleterre et en Amérique, et son choix sera cer-
tainement ratifié de tous côtés.
— Voici le nom des élèves femmes admises dans les classes de piano, à la
suite de l'examen d'entrée qui a eu lieu cette semaine au Conservatoire :
Classes supérieures : M"=s Debrie, Boutarel, Bussières, Hickenlosper, Magnus,
Sedlitz, Plocquin, Pons, d'Almeida, Deligo, Léon et Ortiz. Classes prépara-
toires : M'i™ Bettard, d'Ambreville, Palst, Lheymann, Cerf, RoUier, Pestre
et Gebel.
— Hur la proposition de l'Institut, le ministre de l'instruction publique et
des beaux-arts vient de désigner le compositeur prix de Rome qui doit dans
l'année, donner un ouvrage à l'Opéra. Son choix s'est arrêté sur le nom de
M. Samuel Rousseau, l'auteur du drame lyrique Meroivig (livret de M. Georges
Montorgueil), couronné en 1893 au concours musical de la Ville de Paris.
— La question de la subvention annuelle de 100.000 francs que reçoit
rOdéon est^eu ce moment agitée à la Chambre. Quelques députés mêm -j ea
présence des désordres qui ont marqué l'ouverture de la saison, ne parlent de
rien moins que de la supprimer et projettent de déposer un amendement en
ce sens sur le bureau de la Chambre. On se demande, si une mesure aussi
radicale vis-a-\i< du si-nind Théâtre-Français était prise, ce qu'il adviendrail
de la diriTinni .irhiellr, qui a pu légitimement compter sur nu subside
linancier, a\or loiinel ilr.jà il lui est difficile de vivre, et sans lequel en tout
cas il ne saurait exister. L'expérience de tous les temps est là pour le prou-
ver. Ce qui est certain, c'est que lorsque le ministre nomme un directeur de
lUeâlre subventionné, il est moralement engagé vis-à-vis de lui à lui assurer
la subvenlion habituelle pendant tout le lemps que dure son privilège, et que
le directeur nest lenu qu'en raison même de cet engagement moral. Maison
avait parlé dé la retraite de M. Antoine et, par conséquent, de celle de
M. Ginisty, par suite de la prétention émise par le premier de réclamer, en
se retirant, les fonds qu'il avait fournis en cette qualité. Peut-être quelques
membres de la commission du budget s'étaient-ils émus de ces rumeurs. Ils
devront réEéchir que la direction seule n'est pas enjeu, qu'il y a aussi à
coté d'elle la question de toul le persnnnel du théâtre. C'est pourquoi
M. Georges Berger, rapporteur du liml-rl des Bean.x-Arts, persuadé que
l'existence de l'Odéon est d'une iilalilé ca|utale pour l'art dramatique fran-
çais, a maintenu les conclusions de son rapport qui étaient favorables au
maintien de la subvenlion. La commission du budget s'est prononcée dans le
même sens.
— Au Gaulois, notre excellent confrère Nicolet continue le cours de ses
iudiscrêtions. Cette fois, c'est sur le ballet l'Étoile en cours de répétition à
l'Opéra qu'il porte son attention : « Jeudi, pour la première fois, nous dit-il,
on a répété une succession assez importante de scènes du premier acte de
l'Étoile, ie nouveau ballet de MM. André Wormser, Adolphe Aderer et Camille
de Roddaz. D'ici quelques jours, ce premier acte sera tout à fait au point et
I ou passera au second, qui demandera environ un mois d'étude, eu sorte
qu'on peut prévoir la première représentation de cette œuvre chorégraphique
dans les alentours du 20 décembre. — Le premier acte représentera un coin
de Paris en 1798, sous le Directoire, avec la Seine eu perspective. Le décor
sera brossé par Garpezat. Le second acte se passe au foyer de la danse, dont
le décor de l'époque encadrera l'examen de ces demoiselles. — Le rôle prin-
cipal, celui de la jeune étoile, sera créé par M'is Rosita Mauri. Le personnage
de ^ estris, maître de ballet, sera lenu par M. îlansen, qui se trouvera aiusi
liHit enlier dans son élément. Un rôle de jeune amoureux, Séverin, contrai-
romenl aux Iradiliims do I (Ipora. i|iii allribiienl généralement ces rôles à des
Iraveslis. sera jniio ji.ir M (.adam Lo raraolère du personnage convieni, en
elVet. plus àiun liiimme qua une de ces demoiselles, dont le travesti ne mar-
querait pas^sulfisamment la physionomie du rôle. Un rôle important celui
de la première danseuse de l'Opéra, est distribué .à M'" Robin, et celui d'une
jeiiue mariée à M"'= Gléo de Mérode, qui l'a rr^poir.o hier et s'y est montrée
rbarmaule. Enfin, il reste deux rôles pniioi|iaiix a .lisiribuer, ceux de deux
jeunes mères : l'une, la mère de l'Étoile : i'aniio, la moio de la première dan-
seuse, pour lesquelles il faut des comédionno^ o\|ioi inienlées. Il y a, en ell'et,
beauciiup de conu'die à donner dans ces iloii\ |ioi-..„niiages, dont l'interpréla-
liiiii ra|i|iiMiera oerlainomenl beaucoup do ,,11000- a celles qui les tiendront
|iaroo i|ii lU soimii innt a l'ail nuiiveaux à l'Opéra. Toutefois, l'administration
lia pa- oiionro pias ilo liransiim, eu présence de tes les compétitions dont
elle rsl assaillie, au sujel de la on'Mlnin do 00s ilcii\ ligiiros luul à laii ijii;;i-
iiales. — M"« llirsoh, Saodriui, l.nli-lon,, Dohiv. l'iodi, d insoruiil do- i,n ni-
que le
m',-.
ip d'Iialnl '
IJOllI.
a oh', dit. ol |Hiiir fixer lo> lonso:
liallet, il n'y aura pas de clown, pas do grand l'cart, dans ces doux arle-
formeront une véritable comédie chorégraphique. Toulon plus, au pre-
368
LE MÉiNESTREL
aiuiilcr;i-t-elle au
mier acte, une baraque de saltimbanques, avec pu
pittoresque du Paris d'il y a un siècle. »
— Comme nous l'avions annoncé, c'est dimanche dernier qu'a eu lieu
l'inauguration du Monument à Watteau dans les jardins du Luxembourg.
Tout s'y est admirablement passé. M. Carolus Duran, président du comili'.
et le ministre des beaux-aris, M. Rambaud, ont pris sueessivement la parole
et ont parlé en termes excelleuls. M. Georges Baillet, de la Comédie-Fran-
çaise, a dit ensuite une pièce de vers de M. Emile Blémont et M"- Beraldi, de
rOdéon, une aulre de M. Albert Samain. Enfin, esl venu le tour de la mu-
sique. M. Mauguiéres et M"' Gharlott? "Wyns, accompagnés d'un orchestre
de ti'ente instrumentistes, ont chanté la Sérénade à M'atteau, poésie de Ver-
laine, mise en musique par le jeune, ardent et lalentueux compositeur
Gustave Charpentier. Le succès en a été vif, si vit' que le ministre et le direc-
teur des Beaux-Arts, M. Roujou, décidèrent d'infliger sur l'heure les
palmes académiques au jeune musicien. Mais, ù stupeur! malgré toutes les
insistances, celui-ci les repoussa avec beaucoup d'à-propos. Et ce fut bien
fait : 0 Faites jouer d'abord ma musique, s'écriait M. Charpentier ; vous verrez
ensuite s'il y a lieu de m'bonorer », faisant ainsi allusion aux partitions
qu'il a toutes préle.s et dont aucun directeur ne se soucie, après la réussite
pourtant retentissante de la Vie du poêle et des Impressions d'Italie. Oui, que
l'administration des Beaux-Arts insiste pour qu'on représente l'un des opéras
du jeune maître, et on verra ensuite s'il n'y a pas lieu de l'honorer mieux
qu'avec ce bout de ruban violet qu'on prodigue aujourd'hui à tout venant,
et s'il ne conviendra pas d'y mêler quelque teinte plus rouge.
— Les témoignages de sympathie adressés à notre éminent confrère et ami,
Victorin Joncières, si cruellement éprouvé, sont tellement nombreux qu'il se
trouve dans l'impossibilité matérielle d'y répondre. Il remercie du plus pro-
fond de son cœur tous ceux qui veulent bien s'associer à sa grande douleur.
— M. Michel Delines fait part aux journaux d'une lettre qu'il vient de
rece¥oir de M. Bessel, éditeur de musique à Pétersbourg, et dont voici la
conclusion :
Si M. le comte de Montebello demande mainteDant au gouvernement russe la ratifica-
tion d'une convention littéraire et artistique, il est certain que le gouvernementme la lui
refusera paî. Les auteurs russes en profiteront doublement, car, en protégeant les auteurs
étrangers, le gouvernement russe reconnaîtra sans doute les droits des auteurs russes en
Russie, qui ne sont pas encore très nettement établis.
Voilà qui est parfait. Nos diplomates vont-ils enfin se mettre en mouve-
ment! Ce qu'il y a de plus curieux dans la communication faite par M. Bessel,
c'est que ce même M. Bessel a été précisément l'un des plus ardents à empê-
cher le renouvellement de la convention littéraire et artistique qui liait autre-
fois les deux pays. Il semble être revenu à de plus lionnêles sentiments.
Tant mieux! Il y aura plus de joie au ciel pour un pêcheur repenti que poui'
le juste éternel, a dit l'Ecriture.
— M. Lamonreux et son orchestre, engagés pour une série de six concerts qui
doivent avoir lieu au Queen's Hall de Londres du lundi 16 au samedi 21 no-
vembre inclusivement, ont du, en se rendant en Angleterre, se faire entendre
vendredi à Amiens et hier samedi à Lille. Tous seront de retour à Paris pour
le concert du dimanche 22.
— Après-demain mardi 17 novembre, à deux heures et demie, séance
curieuse et intéressante au théâtre de l'Exposition théâtrale et musicale, au
Palais de l'Industrie: Mozart enfant, coal'érence de M. Arthur Puugin. sui\ie
de la représentation de Mozart à Pans, comédie en un acte et en vers, de
M. Alexandre Picot, jouée par M}^'^ Marguerite Picot et Suger. M"° Margue-
rite Picot exécutera, au cours de cette comédie, plusieurs nuirceaux de la
jeunesse de Mozart.
— Notre collaborateur et ami Albert Soubies vient, avec une seconde
édition, « revue et corrigée, » de son précédent écrit: Mmique russe et mu-
sique espagnole, de publier un nouvel opuscule qui porte ce titre: un Problème
de l'histoire musicale en Espagne, et qui nous reporte au quinzième siècle,
c'est-à-dire aux origines presque les plus lointaines de cette histoire beau-
coup trop ignorée chez nous en dépit de son puissant intérêt. Comme
M. Soubies a fait paraître récemment une Histoire de la musique en Allemaijne,
qu'il prépare un livre du même genre sur l'Italie, il sera tout prêt pour nous
offrir, dans un avenir plus ou moins prochain, une histoire générale de la
musique en Europe. Puisse-t-il en entreprendre la tache! Quant aux deux
brochures que nous annonçons , elles ont paru l'une et l'autre à la librairie
Fischbacber.
— La direction des bals de l'Opéra vient d'arrêter les dates des grandes
redoutes parées et masquées qui auront lieu à l'Opéra pendant le carnaval
1897. Le premier bal est fixé au samedi 16 janvier, le deuxième au samedi
6 févjier, le troisième au samedi gras 27 février et le quatrième au jeudi de
la mi-carême, 23 mars.
— On nous écrit de Strasbourg: grand succès, sur notre scène municipale,
pour les deux premières représeulations de Werther, et ovations réitérées aux
interprètes de la magnifique œuvre de Massenet : M"|= Kratz (Charlotte) et
M. "Wulff CWerther), ainsi qu'à M. Bruch, chef d'orchestre, et à M. KrûchI,
directeur du théâtre. Salle comble les deux fois. A. Oberdoerffer.
— Un comité s'est formé à Longjumeau pour élever un monument à
Adolphe Adam, l'auteur du Pos(«Hon cfe ionjumeau; Adam a habité Longju-
meau pendant de longues années. Un concours de sociétés chorales, de mu-
siques d'harmonie et de fanfares coïncidera avec l'inauguration de ce monument
qui est fixée au dimanche 23 mai 1897.
— Très belle réussite pour M™' Prinsler da Silva aux concerts du Jardin d'ac-
climatation, où elle a exécuté le concerto de Beethoven.
— M"' Marie Roze vient de donner, avec un plein succès, sa première au-
dition d'élèves. A côté de la charmante artiste on a applaudi M. Rivière dans
l'air de Lakmé, M"=^ Amaury et Roose. M"<' Legault a dit de façon charmante
plusieurs poésies et M. AUouard tenait le piano d'accompagnement.
NÉCROLOGIE
On annonce de Melbourne la mort en cette ville de M°'° SaviUe, mère de
W"" Francis SaviUe, la chanteuse bien connue, et qui elle-même avait fourni,
comme cantatrice, une carrière distinguée. Ce sont les journaux italiens qui
nous apportent cette nouvelle, et c'est à l'un d'eux que nous empruntons ces
détails : « Élève du Conservatoire de Paris, M"'» SaviUe, durant vingt ans de
carrière, chanta presque tous les rôles du répertoire français en Italie et en
Amérique. Elle était fanatique de Gounod et elle a demandé, eu mourant, à
être ensevelie avec une partition de Faust, son opéra favori ».
Henri Heugel, directeur-gérant.
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et G'% éditeurs-propriétaires pour tous pays.
Pour paraître très prochainement
LE PAPA DE FRANGINE
Grand succès
uu
TIIÉATRIS
OPERETTE EN 4 ACTES ET 7 TABLEAUX
De mm.
V. DE COTTENS et P. Gj^VA-JJJL.T
MUSIQUE DE
LOUIS A .^FMSFEY
Grand succès
Dr
THEATl-lE
PARTITION PIANO ET CHANT. — MORCEAUX DETACHES POUR PIANO ET CHANT ET POUR CHANT SEUL.
POUR PIANO ET INSTRUMENTS DIVERS, ETC.
FANTAISIES, ARRANGEMENTS, DANSES
Avis aux diracteurs de théâtres. — S'adresser AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Yivieiine, pour la localion des /lurlies d'orcheslrj, mise en scène, etc.
, — CEQcre LorlllCQi)-
3426, — 62-^ mm — !V° 47. PARAIT TOUS LES DIMANCHES Dimanche 22 Novembre
(Les Bureaux, 2 bis, nie Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'JÎtr-.nger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Élude sur Orphée (13' article), Julien Tiersot. — II. Semaine tliéâtrale : Bon
Juan à rOpéra-Comique; Aude et Roland (concours Roesini) au Conservatoire,
Arthur Pougin ; la Biche au Bois au Châtelet, P.-É. C. — III. L'Exposition du
théâtre et de la musique (7' et dernier article), Arthur Pougin. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et concerts
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LES RÉVÉRENCES NUPTIALES
n° 1 de la coUectiou des Vieux MaUres, transcription pour piano de Louis
DiÉMER d'après Boismortier (1732), répertoire de la Société des instruments
anciens. — Suivra immédiatement : Muscadines et Muscadins, transcriptions
pour piano extraites de l'opéra de tiioRDANO, André Chénier, le grand succès
du théâtre de la Scala à Milan.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : r Improvisation de Chénier, chantée dans l'opéra de tiiORDANO, le grand
succès du théâtre de la Scala à Milan. — Suivra immédiatement le Canta-
bile de Madeleine, extrait du même opéra.
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Mais les faiseurs de polémiques ne s'arrêtent pas pour si
peu. Celui donc qui avait lancé l'accusation de plagiat, loin
de se tenir pour battu, eut une idée lumineuse : il écrivit à
Bertoni. Et voici la réponse qu'il en reçut, et qu'il inséra
triomphalement dans sa Suite des entretiens sur l'état actuel de
l'Opéra de Paris :
Londres, ce 9 septembre 1779.
Monsieur,
Je suis très surpris de me voir interpellé par la lettre que vous me
faites l'honneur de m'écrirc, et je désirerais fort n'être point compro-
mis dans une querelle musicale qui, par la chaleur que vous y met-
tez, pourrait devenir d'une grande conséquence, puisque vous m'as-
surez d'ailleurs que le fanatisme s'en mêle, ce qui est une raison de
plus pour me soustraire à ses effets. Je vous prierai donc de me per-
mettre de vous répondre simplement que l'air: Sache dal ciel discende
a été composé par moi à Turin pour la signera Girelh, je ne me rap-
pelle pas dans quelle année, je ne pourrais même pas vous dire si je
l'ai réellement faite pour Vlphigénie en Tauride, comme vous m'en as-
surez ; je croirais plutôt qu'elle appartient à mon opéra Tancréde,
mais cela n'empêche pas que l'air ne soit de moi; c'est ce que je puis,
c'est ce que je dois certifier avec toute la vérité d'un homme d'hon-
neur, plein de respect pour tous les ouvrages des grands maîtres,
mais plein de tendresse pour les siens ; c'est avec ces sentiments et
la plus parfaite reconnaissance que je suis,
Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Ferdin.ando Bertom (1).
Le correspondant de Berloni ajoutait, avec un certain ton
d'insolence :
« II n'y a que la réclamation de M. Gluck en personne qui
puisse détruire l'effet de celte réponse, et ce n'est plus à ses
défenseurs anonymes qu'il convient de répondre à cet incident. »
Mais Gluck avait trop de fierté pour se rendre à une
pareille sommation et daigner démentir ce qu'il considérait
comme calomnie et mauvaise foi, et n'était peut-être, de la
part de son contradicteur, que légèreté et excès de présomption.
Et si, dans la suite, il lui échappa des paroles amères au sujet
de l'accueil qui lui avait été fait en France, ne serait-ce pas,
peut-être, que de telles discussions, où son honneur d'artiste
était mis en doute, avaient laissé plus de traces dans ses
souvenirs que les acclamations qui avaient salué cinq chefs-
d'œuvre?
Aussi bien, la réponse de Bertoni est-elle moins péremptoire
qu'on ne voulait bien le dire. Elle est même fort visiblement
embarrassée : la phrase dans laquelle l'auteur alfecle de ne
pas se souvenir d'où sort un morceau de sa composition
est, particulièrement, de nature à inspirer les pires doutes.
En réalilé, la seule manière de tirer la chose au clair, c'était
d'exhiber et de confronter toutes les pièces du procès, — ce
qui ne futpasfait à l'époque,. et ne le ftitpas davantage posté-
rieurement. Nous allons le faire pour la première fois.
L'air d'Orphée est connu. Pour l'air de Tancréde, de Bertoni,
il est facile à connaître, car la partition de cet opéra existe à
la Bibliothèque Nationale de Paris. Mais ces deux documents
ce suffisent pas à trancher le litige, car nous avons vu
que Gluck, dans la protestation communiquée au Journal de
Paris, déclare avoir composé son air pour le couronnement de
l'Empereur et l'avoir inséré ensuite dans son opéra d'Aristée.
Enfin, un critique allemand qui a déjà traité celte question
il y a une trentaine d'années, M. Furstenau, dit en avoir re-
trouvé le thème dans une autre œuvre de circonstance de la
composition de Gluck, // Parnasso confuso. La Bibliothèque du
(1) Berlioz a reproduit cette lettre dans A travers chants, p. 131. Nous ea avons
comme lui, respecté le texte jusque dans son orthographe.
370
LE MENESTREL
Conservatoire de Paris possède une copie moderne de ce der-
nier ouvrage. Quant à l'air pour le couronnement, ce serai
sans doute peine perdue d'en rechercher des traces origi-
nales ; mais nous n'avons aucune raison de douter de son
identité avec l'air d'Aristeo, affirmée par le communiqué au
Journal de Paris, toutes les autres affirmations de cette pièce
étant d'ailleurs d'une parfaite exactitude. La partition même
de ce dernier opéra n'a pas été aisée à trouver: aucun exem-
plaire, à notre connaissance, n'en existe dans une bibliothè-
que française, et ce n'est qu'après de longues recherches
que nous avons pu enfin être avisés qu'elle est conservée
en Allemagne, dans la bibliothèque du Joachim&lhalschex Gytn-
nasium, à Berlin. Grâce à une copie qui nous en a été obli-
geamment transmise, nous nous trouvons enfin en mesure de
présenter au public les éléments complets de la cause.
De cette confrontation, il ressort les constatations sui-
vantes :
i° L'air d'Aristeo : Nocchier che in mezzo aU'onde et celui
d'Orphée : « L'espoir renaît dans mon âme » sont parfaite-
ment identiques. Tous deux sont dans le même ton {si bé-
mol); à peine, dans la partie de chant d'Or/j/iré, quelques notes
ont-elles élé disposées u'une façon plus favorable à la voix de
ténor, l'air d'Aristeo étant écrit pour soprano.
L'accompagnement d'orchestre est semblable jusque dans
le plus petit détail.
Un « milieu », dans une mesure différente, suivi du La
Capo de la reprise principale, figure dans le morceau italien;
ce double épisode a élé supprimé dans l'air français.
2° L'air d'il Parnasso con/uso présente des analogies notables
avec ceux d'Orphée et d'Aristeo au point de vue du dessin
d'orchestre, du mouvement initial de la partie de chani, du
caractère général, de la coupe, de la mesure et de la tona-
îité; mais on ne peut pas dire que ce soit le même morceau,
et le développement en est tout différent, à partir du second
motif (à la dominante), qui n'a pas d'équivalent dans les
précédents. Ce document n'en était pas moins intéressant à
signaler, ne fût-ce que pour montrer combien est faible la
part d'invention personnelle dans la composition de ces
sortes d'airs.
3° Quant à l'air de Tancredi, de Berloni, il est bien plus
semblable aux airs d'Aristeo et d'Orphée que celui d'il Par-
nasso confuso ne ressemble à ces derniers. Bien que l'identité soit
moins complète qu'entre les airs mêmes des deux opéras de
Gluck, il est certains passages, et non des moins importants,
qui se retrouvent, exactement les mêmes, dans les trois
morceaux. C'est ce que démontrera l'analyse comparée sui-
vante :
Ritournelle. Ces sortes d'épisodes d'orchestre ont, dans
les airs italiens, autant d'importance que dans des con-
certos : ils servent d'exposition au morceau, dont ils donnent
un avant-goùt en faisant entendre les thèmes principaux
et en posant la tonalité et le mouvement général. Par la
ritournelle de l'air de Tancredi, Bertoni manifeste qu'il a
des tendances à la majesté, car ce morceau a cinq mesures
de plus que son correspondant dans Gluck, — dix-sept au
lieu de douze. Écrit dans le même ton, la même mesure, le
même caractère, etc., il commence par quatre mesures d'un
dessin analogue, mais non identique. Les mesures S et G
sont semblables à un passage de Gluck pris, non dans la
ritournelle, mais dans l'air même: c'est le dessin mélodique
sur lequel se chante le troisième vers : Non pei-de la speransa,
« L'Amour accroît ma flamme ». Les mesures 7 et 11 de
Bertoni, dans le caractère d'un dessin de vieille sonate
classique, ne sont pas dans Gluck non plus que la cadence
finale; mais dans l'intervalle s'intercalent quatre mesures
(12, 13, 14, 15) exactement semblables à un passage du
développement final de l'air de Gluck, et d'autant plus carac-
téristiques que la mesure y est variée par l'intervention de
triolets qui n'apparaissent en nul autre endroit des deux
morceaux.
Air. a partir d'ici, la similitude devient plus complète. Le
mouvement initial est le même, sans qu'il y ait pourtant iden-
tité complète. Ce premier développ£ment est plus serré dans
Bertoni que dans Gluck: c'est ainsi que les mesures 5 et (3 de
Tancredi ne sont que les 7« et 8° d'Orphée. Là se trouve une
des inflexions mélodiques où la partie vocale a été modifiée
pour passer de la voix de soprano à celle de ténor: les me-
sures correspondantes de Tancredi {T et 8') reproduisent exac-
tement la version Aristco (mes. 8 et 9). Après la première
cadence parfaite (mes. 10) commence un court développe-
ment vocal différent (jusque mes. 16) ; mais, à partir de là, se
trouve un long passage vocalisé, le plus saillant de tout le
morceau, absolument identique, jusques et y compris les
quatre premières mesures de la phrase vocale suivante (donc,
14 mesures de suite communes aux deux compositions). En-
suite vient, dans Tancredi, une courte phrase mélodique: E il
cielo... qui n'a pas d'équivalent dans Aristeo-Orpliée, mais qui,
rapprochement piquant, n'est pas sans analogie avec la seconde
phrase de l'air d'il Parnasso. Suit une vocalise différente de la
vocalise correspondante dans Gluck, mais s'achevant en une
cadence qui présente bien de la ressemblance avec celle
d'Orphée: Cf Vigor mi da, « Je vais revoir ses appas ». La
ritournelle du milieu, conduisant à la même cadence à la
dominante, est faite des mêmes éléments que la première, et
ne donne pas lieu à de nouvelles observations. Ici Bertoni
s'écarte de Gluck avec huit mesures de chant, conduisant de
nouveau à la dominante, et une reprise du premier motif, qui
ne se retrouvent pas dans Orphée; mais bientôt on revient à
la première vocalise, qui se déroule, toujours absolument
semblable en ses 14 mesures; après quoi le mouvement
s'anime et amène une strette finale qui, sauf une très petite
différence dans une vocalise, est la même, 13 mesures encore,
dans les deux versions. La ritournelle initiale est reprise,
dans Tancredi, avec une coupure de 4 mesures.
L'air de Tancredi a un milieu comme celui d'Aristeo: la pre-
mière phrase est encore la icême dans les deux airs; ce n'est
qu'à partir du moment où celui de Gluck change de mesure que
Bertoni se décide à écrire 18 mesures entièrement de sa
façon; après quoi, ainsi que Gluck, il écrit le signe convenu
et l'on recommence à partir de la seconde reprise de la pre-
mière partie.
En résumé, ces deux airs ont trop de ressemblance entre
eux pour qu'il soit possible de conclure à de simples rémi-
niscences : il y a imitation évidente, directe, presque une
copie. Sans doute le plagiaire, quel qu'il soit des deux, pou-
vait invoquer des circonstances atténuantes. Nous avons vu
la mésaventure advenue à Sacchini, qu'un chanteur par trop
gluckiste obligea d'insérer une phrase d'Alceste dans un de ses
opéras: nul doute qu'ici il en fut de même, que la prima-
donna de Bertoni, ravie par la vocalise ferme et bien des-
sinée, ainsi que par la brillante strette de l'air de Gluck
— ou inversement — ait exigé que ces passages fussent in-
troduits dans son grand air. Gela est d'autant moins douleux
que, de l'aveu des deux compositeurs, l'air fut chanté par la
même cantalatiice : « Cet air fut chanté à Parme (dans Aristeo)
par M""" Girelli », affirme Gluck; et Bertoni: « L'air a été
composé par moi, à Turin, pour la signera Girelli ». Le com-
positeur, trop faible avec les pritne-domw, aura consenti à
laisser la tignora produire son effet, déjà expérimenté, et le
reste sera venu de soi-même.
(A suivre.) Julien Tiersoi.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique. Don Juan, de Mozart. — Conservatoire. Aude cl lloland, poùme
lyrique, paroles de MM. G. Harlmauu et lidouard Adeuis, musique de
M. Léon Hoiinoré (Concours Rossini).
Soucieux de légiliraer les bienfaits dont l'État est prodigue envers
elles, nos deux grandes scènes lyriques se disputent depuis quelque
LE MENESTREL
374
temps rhonneur d'encourager l'art national, et il n'est pas de sacri-
fices qu'elles ne soient prêtes l'une et l'autre à accomplir pour venir
en aide aux jeunes compositeurs. C'est à qui des deux fera les plus
nobles efforts pour atteindre un double résultat si méritoire, et leur
■émulation sous ce rapport est faite pour toucher les cœurs les plus
endurcis. L'Opéra monle-t-il Othello, vite, l'Opéra-Gomique s'empresse
déjouer Fahtaff; voit-on la Valkyrie poindre d'un côté, aussitôt Orphée
paraît de l'autre ; et voici que maintenant les deux théâtres courent
un match pour savoir lequel des deux méritera la palme pour les
soins apportés de chaque côté à la mise à la scène de ce fameux
Bon Juan, dont la musique est due à un tout jeune artiste qui répond
au nom de Wolfgang-Amédée Mozart. Il y a, je le répète, quelque
chose de touchant dans cette lutte courtoise de deux grandes entre-
prises qui se prodiguent ainsi en essais pleins d'intérêt, et à qui
rien ne coûte pour encourager le3 efforts et les tentatives de tant
déjeunes musiciens qui, sans elles, courraient le risque de rester
à jamais inconnus. Grâces leur soient rendues, et puisse le succès
récompenser tant d'audace à la fois et de générosité !
Donc, après avoir vu Don Juan à l'Opéra, voici que nous le retr.ou-
vons à l'Opéra-Gomique. Ici, la maison est au coin du quai; aussi
paralt-il que c'est elle qui possède le seul, le vrai, l'unique don Juan,
dans la personne de son représentant, M. Victor Maurcl. Du moins
est-ce lui qui le dit, qui le crie et qui l'écrit. Car ce M. Maurel n'est
pas un artiste ordinaire; c'est un chanteur doublé d'un écrivain,
d'un philosophe, d'un esthète et d'un psychologue, — pas davantage.
Lisez plutôt la série d'articles très profonds qu'il a publiés dans le
Journal, et qu'il vient de réunir en une brochure intitulée A propos
d,e la mise en scène de « Don Juan », brochure ornée du portrait de l'au-
liur, — la joie des enfants, la tranquillité des parents. Dans cet écrit
lumineux, où l'auteur joint l'éclat d'un ïaine et la subtilité d'un
Sainte-Beuve à la puissance d'un Htlré et à la profondeur d'un
Renan, M. Maurel prouve clair comme le jour que jusqu'à lui nul
n'a jamais rien compris au personnage de don Juan, et qu'il fallait
la venu 3 de ce Messie pour frayer la voie aux interprètes futurs et
leur faire saisir, tout à la fois par le précepte et par l'exemple, ce
caractère resté jusqu'alors à l'état d'énigme indéchiffrable. Peut-être
avez-vous entendu parler d'un certain Garcia, qui naguère avait sem-
blé produire dans ce rôle comme une sorte d'impression ? Misère! On
vous aura cité peut-être aussi les noms de quelques artistes : Ron-
coni, Graziani, Délie Sedie, qui s'y étaient essayés non sans con-
quérir jusqu'à un certain point l'oreille du public : pure plaisanterie !
Quant à Faure, inutile d'en parler, n'est ce pas ? ça n'a jamais
existé.
M. Maurel nous trace donc, dans son écrit, la théorie du person-
nage, si je puis ainsi parler ; et, sur la scène, il nous le montre agis-
sant, marchant, parlant et chantant. Malheureusement, et en ce qui
me concerne, je ne puis, quelque effort que je fasse, me figurer que
M. Maurel nous représente, au moins physiquement, le don Juan
idéal. Au premier acte, son- don Juan me fait un peu trop l'effet
d'habiter proche la barrière Rochechouarl; et au second, lorsqu'il
se présente dans son costume tendre et dégagé, il me semble
volontiers voir un monsieur qui s'apprête à faire du trapèze aux
Folies-Bergère. Et puis, il y a le coup du chapeau, qui est insup-
portable. Ce satané chapeau, que son propriétaire a le tort de vouloir
incliner trop fortement sur l'oreille — toujours comme à Montmartre
— menace à chaque instant de tomber, et doit être chaque fois remis
en équilibre à l'aide d'un geste que sa fréquence tinit par rendre
agaçant — et qui manque absolument de noblesse. Je n'insiste sur
tout cela qu'à cause de l'importance que M. Maurel s'accorde à lui-
même. Il prétend avoir découvert le vrai don Juan ; il s'agit de
savoir si c'est bien le vrai, ou si ce n'est qu'un don Juan de contre-
bande. Il me semble que celui qu'il nous montre doit avoir peur des
douaniers.
On sait que M. Maurel ne manque pas d'une certaine habileté de
comédien, lorsque le personnage convient à sa nature. Je l'ai, pour
ma part, applaudi dans Falstaff, voire dans lago, où il faisait preuve
de réelles qualités. Mais ici il manque vraiment trop de la première
qualité exigible, l'élégance, qu'il croit conquérir par un laisser-aller
un peu trop débraillé, et tout le rôle s'en ressent d'une façon cruelle.
D'autre part, quand viennent les situations dramatiques, il prend des
allures de traître et de troisième rôle, avec des roulements d'yeux et
des regards obliques qui ne sont guère dans la manière d'un grand
seigneur.
Que dire du chanteur? M. Maurel n'est pourtant pas absolument le
premier venu sous ce rapport, et assurément il a parfois de bonnes
intentions, qui parfois aussi sont suivies d'effet. Mais, outre que sa
prononciation prend par instants une faJeur insupportable, on peut
affirmer qu'il ne se doute pas de ce qu'est le style de Mozart. Grâce à
lui l'adorable duo : La cl darem la mano perd tout son caractère et
devient méconnaissable, et quant à l'air célèbre (on si bémol) que
don Juan chante à Leporello peu de temps avant le signal de la fête,
il en fait, par une interprétation absolument arbitraire, une véritable
caricature.
Mais il est temps de passer aux autres interprètes et de signaler
tout d'abord M. Fugère, qui joue Leporello d'une façon délicieuse,
avec une verve, une prestesse et un entrain charmants. Il ne le
chante pas avec moins de talent et de goût. Par malheur il s'y
trouve parfois gêné, le rôle étant trop bas pour lui. Dans l'air
d'introduction, par exemple, il est obligé de sombrer sa voix de
baryton pour donner certaines notes de basse, qu'il a peine à
faire entendre. A signaler aussi M"' Marcy, dont l'élégante beauté
convient bien au personnage de donna Anna, qu'elle chante avec
talent et qu'elle joue avec intelligence. Elle a été surtout très
pathétique dans l'admirable et difficile récit de la mort de son père,
bien que, un peu fatiguée sans doute, elle s'y soit montrée moins à
son aise le soir de la représentation qu'à la répétition. C'est M"" Delna
qui joue Zerline, et je n'étonnerai personne en constatant que sa voix
merveilleuse manque absolument de la souplesse et de la légèreté
indispensables dans cette musique; l'artiste fait tout ce qu'elle peut,
mais elle ne peut changer la nature de son organe. Les rôles d'Elvire,
d'Ottavio et de Masetto sont tenus par M"=Marignan, MM. Clément
et Badiali.
L'orchestre est excellent, et les chœurs eux-mêmes se sont distin-
gués. Je ne sais si Danbé est très partisan de l'accompagnement au
clavecin des récitatifs, même avec l'habileté que M. Bourgeois déploie
dans cet accompagnement. Pour moi, ce genre de restitution me
laisse froid, et je n'en vois nullement la nécessité. D'abord, cela est
maigre; ensuite, cette sonorité canarde et grêle duc'avecin me paraît
détonner absolument sur le reste. A tout prendre, je préférerais encore
un piano, et je suis convaincu que si Mozart en avait eu un bon à
sa disposition, il ne s'en serait pas privé.
Le jugement du concours Rossini nous a offert, cette année, une
surprise assez singulière. Le vainqueur de ce concours est M. Léon
Honnoré, qui obtient le prix pour la seconde fois, se l'étant vu décer-
ner déjà il y a quelques années. Rien ne s'oppose en effet, dans le
règlement, à ce qu'un concurrent déjà couronné se présente de nou-
veau dans la lice et aspire à une nouvelle victoire. Mais, même
dans ces conditions, le fait d'un double succès est assez rare pour
mériter d'être signalé.
Le poème mis en musique par M. Honnoré, intitulé Aude et Roland,
a un côté mystique et légendaire, qui a fourni au compositeur l'occa-
sion d'un des épisodes les plus heureux de sa partition. Ce poème
peut se résumer en peu de mots. Gharlemagne, qui a de la patience,
a depuis cinq années mis le siège devant Vienne (Isère), qui refuse
absolument de se rendre. Fatigué pourtant de cette résistance, il finit
par proposer aux assiégés une combinaison qui est acceptée par
ceux-ci et qui renouvelle un peu l'exploit héroïque des Horaces et
des Curiaces. Les Viennois choisiront un champion, qui devra se
mesurer avec celui que Gharlemagne aura désigné de son côté. Le
sort de ce combat décidera de celui de la ville elle-même, qui devra
se rendre si sou champion est vaincu, tandis que s'il est vainqueur,
Charles devra lever le siège et s'éloigner.
C'est Roland que choisit Gharlemagne, et c'est Olivier qui combattra
pour les Viennois. C'est ici que la situation se complique. La sœur
d'Olivier, la belle Aude, aime Roland, dont elle est aimée, sans qu'on
sache comment ils ont pu faire connaissance. Olivier, qui n'en savait
rien jusqu'alors, apprend tout à coup cet amour, et en profite pour
verser sur la tête de sa sœur un torrent d'injures. C'est alors, et au
moment où les deux champions vont se mesurer, que la vierge Marie
apparaît à Aude et lui apprend que les Sarrazins viennent d'envahir
la France. A ces mots Aude ne fait ni une ni deux, elle va séparer les
combattants et leur apprend la nouvelle. Gharlemagne et les Vien-
nois se réconcilient alors pour agir contre l'ennemi commun, les deux
champions se tendent la main et Olivier accorde à Roland celle de sa
sœur. Puis, comme épilogue, la scène change et nous transporte à
Roncevaux, où nojs assistons à la mort de Roland.
Ce poème n'est ni meilleur ni pire que ceux qu'on voit d'ordinaire
en pareille circonstance. Il a servi de texte et de prétexte à M. Léou
Honnoré pour écrire une partition qui n'est pas sans offrir quelque
intérêt et qui, tout au moins, est conçue dans des formes vraiment
musicales, en dehors des exagérations auxquelles nous sommes
depuis longtemps accoutumés. Point de modulations effarouchantes,
372
LE MENESTREL
une bonne entente des voix et de l'orchestre, aucune exagération,
aucune de ces excentricités voulues qui font bondir l'auditeur sur
son siège. Avec cela une entente heureuse des conditions scéniques,
un vrai sentiment dramatique, et parfois un heureux grain d'inppira-
lion. Il n'en fallait pas davantage pour que l'œuvre fût accueillie
favorablement par le public, étant d'ailleurs modeste dans ses pro-
portions et sobre dans son développement.
Si l'on veut entrer dans l'analyse, il faut signaler d'abord le chœur
d'introduclion : Cliarlemagiie empereur, qui est d'une forme noble et
d'un beau caractère, puis le joli cantabile de Roland : Je viens ici...
qui est d'un tour élégant et élégamment accompagné par les violons.
Un charmant chœur de jeunes gens ; Gai ! chantons pour fêler le retour
de la pai.r, d'un rythme aler'.e et franc, contraste heureusement avec
le caractère sombre du drame. Apiès la grande scène dans laquelle
Olivier maudit sa sœur et l'amour qu'elle porte à Roland, scène qui
est traitée avec vigueur, vient un épisode choral d'un sentiment suave
et pénétrant; puis le tableau de l'apparition de la Vierge, qui est
tout à fait charmant, et auquel l'intervention des harpes donne un
caractère tendre et poétique. A mentionner encore le chœur vigou-
reux et martial : Francs et Viennois, comme naguère, n'ayons tous qu'un
seul cri de guerre, dont l'accent est viril et le rythme plein de solidité.
En résumé, si l'on n'y trouve pas de grands coups d'aile, l'œuvre
n'en est pas moins intéressante, bien conçue et digne d'éloges.
Les soli en étaient confiés à M"° Lafargue (Aude), à M™ Drees-
Brun (la "Vierge), à MM. Gautitr (Rtland) Noté (Olivier), et Daroux
(Gharlemagne). Tous se sont acquittés de leur tâche de la façon la
plus satisfaisante. L'orchestre et les chœurs étaient ceux de la
société des concerts du Conservatoire, sous la direction de M. Taf-
fanel. C'e^t dire assez que l'exécution d'ensemble était excellente et
n'a laissé rien à désirer.
Arthur Pougix.
Chatellet. — La Biche au bois, féerie en 4 actes et 30 tableaux, do Cogniard
frères, M. E. Blum et R. Toché.
Voilà pour les tout petits qui s'écarquillerout les yeux aux défilés
des légumes gigantesques et riront à gorge déployée à la danse des
meubles dans le boudoir de la décence. Qu'ils suivent plus ou moins
attentivement la lutte entreprise par le prince Souci, Fanfreluche et
Giroflée pour sauver des mains méchantes d'.Vïka ei de Mesrour la
pauvre petite princesse transformée en biche de carton-pâle, peu im-
porte. M. Pougaud les amusera très certainemeat avec sa voix poin-
tue, et peut-être même trouveront-ils très agréables M°'" Simon-
Girard, Théry, Tassily, Damaury. Ils seront, comme il convient au
jeune âge, émerveillés du luxe tapageur des costumes et tout ébaubis
de voir de jeunes personnes évoluer dans les airs. Les tout petits
sont sans malice. Et puis, il faut que les parents se hâtent de les
conduire à la Bic/w au bois, car si, comme tous les granis l'espèrent,
le Ghâlelet disparait pour faire enfin place au Lyrique, oii donc pour-
ront-ils aller, les bambins, applaudir les féeries faites à leur intention?
P.-E. C.
L'EXPOSITION DU THEATRE ET DE LA MUSIQUE
-A-XJ" :e».a.i_,^a.is
(Suite.)
Voici donc une autorisation intéressante accordée à un joueur de
marionnettes, il y a cent vingt ans, en 1776. La pièce est une sorte
de passe-partout imprimé, où sont écrites seulement à la main les
indications spéciales au destinataire, ainsi que la date et, naturelle-
ment, la signature. Il est donc évident qu'on en délivrait assez sou-
vent de cette sorte, ce qui n'empêche qu'elles doivent être aujour-
d'hui singulièrement rares. Celle-ci est même dans un assez fâcheux
état de conservation :
DE PAR LE ROI
Monsieur le prév6t de son hôtel
et Grand-Prévôt de l''rance
ou Monsieur son Lieutenant général
civil, criminel et de police.
Il est permis à Claude Chassinet, âgé de trente-huit ans, natif dn la ville
d'Auxerre en Bourgogne, demeurant ordinairement à Paris, quartier du
Louvre, paroisse ^aint-Germnin-1'Auxerrois, de suivre la cour pendant le
voyage du Roi à Fontainebleau, et d'y faire son commerce de jouer des
marionnettes et optique, après qu'il a fait apparoir des certificats de bonne
vie et mœurs, et fait sa soumission d'exécuter les règlements de police,
et s'être fait enregistrer au grelVe de la Prévùté de l'IIotel.
Fait à Fontainebleau, ce S octobre 1776.
DlVOIONE.
Chose assez singulière, nous retrouvons, cinquante-deux ans plus
tard, une autre pièce du même genre concernant sans doute un
membre de la même famille, car le nom est le même. Il s'agit celle
fois d'une femme, qui porte ce nom de Chassinet, et qui est aussi
montreuse de marionnettes. Ici, la pièce est entièrement manuscrite,
et je regrette de n'en pouvoir donner les dernières lignes, mais l'es-
sentiel s'y trouve :
PRÉFECTURE UE POLICE Paris, le 26 septembre 18'>8.
P' DIVISION
3' BUREAU
Nous, préfet de police.
Vu la demande de la F°>' Chassinet, tenant un spectacle de marion-
nettes et d'ombres chinoises, passage des Chartreux, près de Saint-Eus-
lache, tendant à obtenir la permission de le transférer rue MoulTetard,
n»21.
Autorisons la f' Chassinet à transférer son spectacle de marionnettes
et d'ombres chinoises dans un local situé rue MoulTetard, n'H, à la charge:
1° De payer l'impôt ordonné par les lois au profit des indigents, ainsi
que la rétribution établie par l'Académie royale de musique.
2° De ne point avoir de crieurs, ni d'instruments, ni de parade à l'exté-
rieur de cet établissement dans lequel la femme Chassinet s'engage à main-
tenir le bon ordre.
3° De faire viser la présente par le commissaire...
Ce qui résulte de cette pièce, c'est que la police française a toujours
eu le privilège d'être fort peu policée — et polie. M. le préfet de
police aurait craint sans doute de voir rougir sa plume en traitant de
" madame » une biave femme évidemment fort honnête, et il croyait
bon d'employer à son égard cette expression: « la femme •>, qui porte
en soi une sorte de caractère quelque peu méprisant. On dirait que
ces gens-là croient toujours avoir affaire à des malfaiteurs.
Il y a dans cette salle plusieurs autres pièces du même genre,
toutes fort curieuses, mais que je ne saurais reproduire l'une après
l'autre, d'autant qu'on y trouve encore bien d'autres choses à décrire.
Sur la paroi de droite est exposée la s cèiie, avec décor et person-
nages, de l'ancien Théâtre Miniature, qui existait, si j'ai bonne
mémoire, au passage Jouffroy il y a encore une vingtaine d'années.
Puis, non loin de là, toutes les figures — et Dieu sait si elles sont
nombreuses! des premiers Pupaszi de M. Leraercier de Neuville,
ceux qu'il colportait sous le second empire et qui lui valurent de
si francs succès. Toutes ces figurines sont vraiment d'une ressem-
blance frappante, et on les reconnaît à première vue.
Parmi les hommes politiques, c'est Ju'es Favre, Jules Simon,
Emile de Girardin, Havin, directeur du Siéc/e, Ad. Guéroult, direc-
teur de 1 Opinion nationale, Altaroche, directeur du Charivari, Thiers,
Garnier-Pagès, M. Emile OUivier ; pour les gens de lettres, Théo-
phile Gautier, Victor Hugo, Edmond About, Charles Monselet,
A.rsène Houssaye, Champlleury, Reuan, Théodore de Banville,
Victorien Sardou, Aurélieu SohoU, Jules Moinaux, Timothée
Trimm ; pour les artistes, Rossini, Gounod, Félicien David, Dar-
der, Grassol, les frères Lionnet, Cham, Carjat, Nadar, Henry Mon-
nier ; puis encore Villemessant, directeur du Figaro, l'avocat Lachaud,
le photographe Pierro Petit, et combien d'autres!... Pendant vingt
ans M. Lemercier de Neuville a amusé les Parisiens avec ses
Pupazzi : aujourd'hui, ceux qui ne les ont pas vus peuvent se rendre
compte do ce qu'ils étaient avec les deux gentils volumes (i Pupazzi
et le Xouveau Thi^àtre des Pupazzi) à.ins\&sqae.\s l'auteur a reproduit,
avec les types qu'il exhibait dans son petit Guignol, la plupart des
fcènes et des petites comédies qu'il faisait jouer à ses figurines.
Car M. Lemercier de Neuville était tout à la fois son sculpteur, son
peintre, son décorateur, son costumier, son machiniste, son auteur
et .son acteur, faisant parler et agir lui-même les marionnettes qu'il
avait formées, dans le théâtre qu'il avait construit à l'aide de pièces
qu'il avait écrites.
Mais les marionnettes de Séraphin, celles du théâtre Miniature,
et les poupées de M. Lemercier de Neuville ne sont pas les seules
qu'on puisse admirer dans cette salle, qui semble avoir été aména-
gée pour faire le bonheur des enfants. Il y en a de bien d'autres
sortes, par exemple celles qui sont exposées par MM. Galmann Lévy.
Il y a là une série bien curieuse de marionnettes religieuses de Java,
en cuivre, articulées, dont les types étranges, fantastiques, sont
vraiment dignes d'attenlion. Elles sont accompagnées de toute une
suite de programmes imprimésde leurs spectacles, et d'une autre suite
di' gravures qui les représentent. Une autre série, fort originale aussi
LE MÉNESTREL
373
et très amusante, cous montre les ombres chicoisfs (en carton colo-
rié) qui forment la troupe du fameux Ivaragheuz, le pantin favori des
Turcs et la joie des gamins de Constantinople. On sait que Ivara-
gheuz est pour l'Orient ce que Punch est pour l'Angleterre, Hans-
wurth pour l'Allemagne, Casperlo pour l'Autriche, Polichinelle pour
la Fiance, Jan Klaassen pour la Hollande, Pulcinella pour les Napo-
litains. Seulement il existe, entre la marionnette lurque et les ma-
rionneltes européennes une fiifTérenec essenlielle : c'est que celles-ci,
dans leurs plus grands excès, ne franchissent jamais les limites
extrêmes de la bienséance, taudis que celle-là se dislingue par un
dévergondage de paroles et de gestes qui lui apf arlieut en propre et
qui en fait une personnalité tout à fait à part parmi la troupe uni-
verselle de3 bonshommes do bois. Aussi pouvons-ni.us être assurés
que, s'ils la possèdent à l'é'at complel,MM. Calmann Lévy n'ont pas
exposé dans sou entier la compagnie du trop inconliijenl Karagheuz.
Il y aurait eu de quoi ameuter tous les sergents de ville de Paris et
de la banlieue.
Non loin des compagnons de ce panliu illustre nous trouvoos,
dans une jolie vitrine, toute une troupe de marionnettes japonaises,
jolies poupées très élégamment habillées et costumées. Puis, en flâ-
nant autour de la salle, nous rencontrons encore les amusantes
ombres chinoises de Willette, et aussi les deux héros burlesques
chers au populaire lyonnais, les deux amis inséparables. Guignol et
Gnafron, les deux gones dont un magistrat sévère n'a pas craint, sous
le couvert de l'anonyme, de retracer l'histoire en deux volunaes si
attrayants qu'ils sont devenus aujourd'hui à peu piès introuvables
el qu'ils se paient quasi au poids de l'or. Car, il faut bien le dire,
nos pelits Guignols des Tuileries et des Champs-Elysées août de
simples contrefacteurs et leur enseigne est une tromperie. Guignol,
le vrai Guignol, étant Lyonnais de naissance et d'origine, et depuis
tantôt un siècle trônant en vainqueur dans la seconde ville de France.
C'est à Lyon que Guignol et vraiment chez lui; c'est un enfant du
terroir, la reirésentation comique du canut, gouailleur, bon enfaut,
satirique, parfois un peu pratique, ennemi des propriétaires et des
gendarmes, d'ailleurs malicieux sans méchanceté, amusant el gai
dans ses entretiens avec sa femme Madelon et son ami Gnafron, et
souvent ayant plus d'esprit dans sa petite lête de bois que bien des
comédiens en chair et en os.
Je n'en finirais pas si je voulais décrire en son entier tout cette
salle amusante, qui déborde d'ailUurs siir la suivante, dont les parois
sont encore couvertes d'une longue suite de marionnettes exotiques
exposées par le prince Roland Bonaparte, et oli nous nous trouvons
en présence du petit Guignol de George Sand, qui réjouissait tant
les invités de Nohant et qui appartient aujourd'hui à M. Edouard
Cadol. Une inscription placée sur la petite baraque nous apprend que
les costumes des poupées exposées ont été confeclionnés par George
Sand elle-même, que les décors du théâtre étaient l'œuvre de Maurice
Sand, que les pièces et les scènes étaient improvisées sur place, et
que quand on était embarrassé pour le dénouement on jetait tout
bonnement les pantins dans la salle, à la tète des spoctaleurs, et on
baissait le rideau. C'était une façon expéditive de se tirer d'affaiie, et
qui désarmait la critique.
Me voici à la fin de ma promenade dans cette aimable Exposition
du théâtre et de la musique, qui depuis quatre mois attire une si
grande foule au palais des Champs-Elysées et qui dans quelques jours
ne sera plus qu'un souvenir. J'ai à peine le temps de fignaler encore
une tiès intéressante série de fort jolies charges do comédiens ap-
partenant à M. Péricaud, l'excellent régisseur de la Porte-Saint-Mar-
tin, et aussi de mentionner la trop vaste exposition d'estampes de
M. Hartmann, sorte d'immense fouillis dans lequel un certain
nombre de pièces curieuses se trouvent enfouies sous une véritable
avalanche de non-valeurs. Mais je m'en voudrais — el ceci est plus
sérieux — de ne pas constater en terminant la présence, dans l'ex-
position de la maison Pleyel-Wolff, d'un instrument précieux dont
j'ai été amené déjà à m'occuper ici-même, el dont j'ai mis en relief
l'importance et l'utilité. Je veux parler de 1' « enregistreur musi-
cal » de M. Arthur Rivoire, qui reproduit graphiquement et avec une
exactitude absolue la moindre improvisation du compositeur sur son
piano. L'inventeur a complété et perfectionné le mécanisme très délicat
de son instrument, qui fonctionne maintenant à merveille et dont je
crois bon de signaler l'existence à tous ceux qui peuvent avoir besoin
de ses très utiles services.
Et mainlenani, souhaitons que le théâtre et la musique, après
l'expérience si heureuse à laquelle on vient de les soumettre, occu-
pent, h la prochaine Exposition universelle, la place qui leur revient
à tous les droits et à tous les titres.
Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts Colonne. — Quelques changements dans la disposition de
l'orcliestre : Les contrebasses forment, de bas en haut, un vaste triangle avec
les violoncelles et les altos comme base ; à gauche, les cors, bassons, haut-
bois, etc.: à droite les cuivres : devant, les violons el les harpes. M. Wino-
gradsky dirige avec une variélé d'atlitudes extraordinaire, depuis le balance-
ment de corps d'un maître à danser réclamant un salut ou une révérence,
jusqu'au mouvement fougueux d'un capitaine commandant le feu. Jeux avec
le bâton, poses recherchées de la main, sommations impérieuses, gestes agres-
sifs, battements des bras s'agitant comme des ailes... de moulin à veut, rien
ne manque à la pantomime, qui provoquerait une joie épanouie si la convic-
tion du musicien n'était au fond l'àrae de tout cela. Du reste, les œuvres com-
poitcnt une a tention soutenue. C'est d'ajjord la Symplionie patliétique de
Tschaïlcowslty. D'une originalité peu frappante, elle dérouterait beaucoup,
si l'on ne s'apercevait qu'il y a usurpation de titre et qu'il s'agit ici de mor-
caux librement traités sans développement Sympbonique. — Le concerto en
ré de Rubinstein renferme un premier mouvement admirable. C'est là, pour
ainsi dire, un péristyle sous lequel il ne faudrait pas entrer en profane, sans
ôter son chapeau. Au milieu des motifs d'une si forte architecture musicale
qui s'y rencontrent, M. Mark Hambourg s'est médiocrement comporté.
Alternant avec la phrase qui forme le fonds, il y avait trois mélodies à mettre
en lumière : l'une est à jouer avec expression en insistant sur la résolution
des deux accords de septième; l'autre est passionnée, mais doitoonserver une
ligne pure jusqu'à sa culmination, elle se dégrade ensuite et produit un
grand effet dans la demi-teinte : la troisième est une aspiration suprême de
l'àme, une efflorescence d'art incomparable. Le pianiste n'a pas senti ces
nuances et no les apas fait sentir. Il a été meilleur dans l'anilanle et excellent
dans le finale. Possédant un bbau mécanisme et un tempérament incontes-
table mais incomplet, il a la fougue bohéraienue ou cosaque, il a la griffe
plus féline que léonine, mais toujours acérée. — Vive et amusante est la
fantaisie do Uargoraijsky « Cosalschok »: mais la plus délicieuse dos petites
choses est la Chanson de berger de Rimsky-Korsakow. M™" de Montalant a été
charmante dans cette invocation au dieu 'l'amour des Slaves païens : « 0 mon
Lell ». Ou a entendu avec quelque froideur la ballade de Serow, chantée par
M'i« Planés, et l'ouverture de Rousslami et Ludmilla, de Glinka. La Berceuse de
César Cui et la Clmnson de berger ont été bissées. .\médée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche:
Cliàtetet, concert Colonne; Ouverture de Frilhiof (Tli. Dubois); Fragments de Conle
d'avril I Widor) ; Introduction et Rmdo capricdoso (Saint-Saëns) ; Caligula (G. l'auré) ;
Troisième acte du Crépuscule des Dieux (Wagner), soli : M"" Kutscherra, Marguerite Ma-
thieu, Texier, Planés, -MM. Cazeneuve, tlyve et .M. Vieuille.
Cirque des Champs-Elysées, concerts Lamoureux ; Ouverture de la Flûte eicliantée
(Mozart) ; Symphonie en la (Beethoven) ; la Forêl enchantée, légende symplionique,
d'après une ballade de Uhland (V. d'Indy) : Siegfried- Liyll (Wagner) ; ks Maîtres Chan-
teuis, fragments symphoniques (Wagner) ; Buldigungs-Harsch (Wagner) .
NOXJ^^ELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (19 novembre). Le Don César de
Bazan de MM. Massenet, Dumanoir, d'Eunory et Chantepie, que la Monnaie
a donné lundi, était une œuvre toute nouvelle pour les Bruxellois ; ils n'en
connaissaient ni la première version de 4872, qui fut le vrai début de M. Mas-
senet au théâtre, ni la deuxième version de 1888, que l'auteur écrivit, rema-
niant sa partition et refaisant l'orchestration, détruite dans l'incendie de
l'Opéra-Comique. Il a fallu la présence, dans la troupe do la Monnaie, de
l'excelbnt baryton M. Frédéric Boyer pour la lui faire connaître. M. Boyer
avait beaucoup chaulé, en province el à l'étranger, le rôle de Don Gésa'-,
qui demande à la fois un comédi'U expérimenté et un chanteur de talent;
on comprend qu'il fût désireux d'y paraître à Bruxelles; et c'est surtout pour
lui que MM. Stoumon et Calabrési se sont décidés à monter l'œuvre de jeu-
nesse du compositeur de Manon. Le public bruxellois n'a pas eu à s'en plaindre.
Il a pris un vif plaisir, un plaisir mémo inattendu, à entendre cette partition
pleine de fraîcheur et de mélodie, tour à tour spirituelle et dramatique, qui
contient en germe quelques-unes des meilleures qualités de M. Massenet et
qui, malgré sa forme passée de mode et quelques pages un peu vieillies, est
restée intéressante et vraiment très agréable, illustrant d'une musique vive et
charmante un libretio amusant et attachant. On a fait à M. Poycr tout le
succès que mérite cet arliste adroit et fin, malgré une indisposition ([iii para-
lysait malheureusement la moitié de ses moyens. M"'= (3-ianoli, dans le rijle
de Maritana, a été également très applaudie, pour son intelligence t-t sa jolie
voix, et MM. Bonnard et Gilibert ont fait ce qu'ils ont pu de deux rôles assez
ingrats, qni no leur conviennent guère. Orchestre convenable et mise en
scène sans apparat. La direction de la Monnaie évidemment ne comptait pas
beaucoup sur cette résurrection; mais c'esl tant mieux, en somme, même
pour elle, si ce succès imprévu lui a donné tort et peut lui valoir quelques
bonnes soirées, avec un ouvrage qui ne lui aura rien coûté. — La Monnaie
est maintenant Icmlo aux ii'pétilions de Javotte et de Phryné, de M. Saint-
Saëns, qui passernnt |iioclKiiupmout. L. S.
— Il est qufslinii, à la Muniuiif dr Knixplles. dp i-ppiV'spntT Ip nouvel
•'i / 'l
LE MENESTREL
opéra flamand de M. Jaa Bloo^x. Herbergprinscs [Princesse d'auberge), ijni
vient de faire son apparilion à Anvers. Toutefois, les représentations de cet
ouvrage auraient lieu non pendant l'hiver, mais à l'époque de la prochaine
exposition.
— De notre correspondant de Londres (19 novembre) : Le public musical
de Londres a fait bon accueil à l'orchestre de M. Lamoureux. Quatre con-
cerfs ont déjà eu lieu à Qùeen's Hall en l'espace de quatre jours. Les pro-
grammes, élaborés avec soin, comprenaient les meilleures œuvres jouées
dans ces derniers temps au Cirque d'été, tant classiques que modernes.
Parmi ces dernières on a particulièrement goûté Dans les steppes de l'Asie
centrale de Borodine, page exquise cimme couleur et comme sentiment,
rialroducliou de la deuxième partie de Rédemption, de César Franck, d'une
iuspiratiou fervente et siaitenue. l'éléiianle Ballade symphoni jue de M. Che-
villard. l'ouverture île Frilhiof, de M. Th. Duliois, et la très remarquable
légende-symphonie de la forri enc/;nnide, de M. Vincent d'Indy. L'interpréta-
tion par M. Lamoureux de la scène du Venus'ierg, de Tannhiiuser. de Siegfried-
Idijll et de la Symphonie italienne de Mendelssohn, onl fait exulter la
presse; de son côté, le public a réclamé (ci nblsnu!) le bis d'un menuet
de Hœndel. Je citerai également l'exécution de la symphonie en ut de
Schumann, que l'orchestre Lamoureux faisait entendre pour la premier,?
fois. LÉON SCHLESI.NCER.
— Gorrespoudanc; de Barcelone (Ib novembre 1896) :
Je vous écris sous la douloureuse impression de la mort d? notre éminent
confrère M. Antonio Pena y Goni, dont la lin si soudaine a causé, dans
notre monde artistique, une vive émotion. A Malrid, l'inaltendue nouvelle
a produit une sensatiiin plus péniljle encore, et nous apprenons que les
obsèques du délicat et remarquable écrivain seront la manifestation d'un
vérilalde deuil public. Nous nous y associons bien sincèrement.
Notre arrière-saisou d'automne s'achève sans incident bien notable. Sauf
une série de tmi-; rumi'iu. iImiii ■'.■; par noire Sociedad calalana de Conciertos, à
peu près rien nr >'i'^i iinnlnil i|ni vaille la peine d'être signalé. Los trois
concerts en quesliou nous oui fait connaître, comme chef d'orchestre,
M. Mathias Crickboom. que la susdite « Sociedad Catalana » a choisi pour
remplacer M. Antonio Nicolau, à qui elle doit son exisl^nce. mais qu'elle n'a
pas su co.iserver.
Au premier de ces trois concerts, M. Ernest Chausson nous a fait entendre
sa symphonie en si bémol. Beaucoup de science! énormément de science I
trop de science, li(''las! serions-nous tenté d'écrire. C'est admirable de dilTi-
cultés vaiuinc-^! C'e>l de l'enharmonie savante! Mais comme uue toute
mignonne nududie simplette — voire même naïve — eût mieux fait notre
affair.M C.iui^lalons, cependant, que la troisième partie de cet immense
travail reuleiine de beaux et très heureux effets de sonorité. Mais, en
résume, cette chaussonnerie en si bémol ne nous a pas botté.
Une autre œuvre inconnue nous a été révélée : Sauge fleurie, de M.Vincent
d'Indy. C'est évidemment de sauge sauvage qu'il s'agit... Mais qu'est-ce que
cette pauvre planle méilicinale a bien pu faire à M. d'Indy pour l'avoir aussi
férocement musiquée? N'insislcms pas.,, car la sauge, cette fois, n'a pu faire
passer le poisson.
Heureusement, à coté, nous avons eu le violon de M. Eugène Ysaye, qui
a l'ail à Barcelone un début Iriomphal. Quel admirable artiste! Quelle
virtuosité et quel sentiment exquis! Après le délicieux concerto pour violon
et orchestre de Mendelssohn, ça a été un véritable délire et une intermi-
nalde ovation.
Parmi les autres morceaux exécuii's dans ce Iriidd de concerts, nous
sigualeriius encoi'e : une aï" t'a jniur insirumenis à cordes, de J.-S. Bach, un
toujours jeune, mais pas moderniste — heureusement! — ijui a été bissée par
acclamations les inévitables Murmures de la Forêt et la sempiternelle Marche
funèbre de Siegfried, de "Wagner.
Au Liceo, rien encore. On répète VOlello de Verdi, pour la réouverture et la
reutrée du lénor Cardiuali, du baryton Blanchart et de la toute gracieuse
Eva Tetrazzini. — Comme nouveauti' on nous promet Samson et Dalila, avec
le composileur lui-même, M. S;ii ni -Siirns cîi personne, comme chef d'orchestre.
Ce sera l'évi-nement musical il' la mu^ou,
. Uue innovation intéressante. Ce rualiu même, M. Antonio Nicolau a inau-
guré, avec les excellents artistes de son orchestre, une série de concerts
populaires — matinées dominicales — à prix réduits, au théâtre des Novedades.
Un très ufiuiljr,:'ux publie a répondu à son appel, et le succès a été complet.
Le public u'oîildie pas,- en effet, que c'est aux constanis efforts de
M. Nicolau qu'il doit son commencement d'éducation musicale et son ini-
tiation aux. chefs-d'œuvre de la musique, et il ne manque jamais uue
occasion de l'acclamer. C'est justice. Avant de terminer, nous annoncerons
que M. Nicolau vient d'être nommé directeur de notre École municipale de
musique. A.-G. Bertal.
— Après le fiasco du Vaisseau-Fantôme à Madrid, voici le four de Tann-
hâuser à Milan. Ce n'est pas nous qui le disons, c'est le Trovatore qui, après
l'avoir signalé à sa première page, l'enregistre ainsi dans ses dernières nou-
velles : « La seconde représentation du Tannhiiuser au Dal Verme, forno I »
Le fait est qu'on doit renoncer à l'ouvrage pour le remplacer sur l'affiche
par la Forza del Deslino.
— Au cours de la prochaine saison de carnaval et carême, le Théàire
Royal de Turin doit donner les premières représentations de deux opéras
nouveaux. Le premier, dont la musique est duc à M. Buzzi-Peccia, est intitulé
Giuliana; ou ne connait |ias encore le litre du second, qui a pour auteur le
maestro Alliertini.
— On nous télégraphie de Moscou : Très grand succès pour la Symphonie
de '^'idor, admirablement exécutée sous la direction de l'auteur à la salle de
la Noblesse. Quatre rappels pour M. Widor.
— M. Glazouooff, le jeune compositeur russe, a reçu du directeur des
théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg, la commande de la musique d'un
ballet Intitulé la Dame blanche, dont M. Petipa, le maître du ballet, a hiurni
le scénario.
— On signale jdusieurs nouveaux opéras russes. M, Kasalcheuko a ter-
miné un ouvrage dont le titre n'est pas encore fixé et dont le sujet est em-
prunté à la vie petite-russienns. Le compositeur P. J. Blaremberg a mis en
musique un opéra, dont le livr.H est tiré de la pièce d'Ostrowski intitulée un
Comique du X'VIl^ siècle.
— La censure russe a défendu les représentalions de l'Homme de l'Évangile,
l'opéra du compositeur autrichien (Tuillaume KienzI. Le sujcl n'a aucun
caractère politique; il faut donc supposer que c'est le caraclèrc religieux du
personnage principal de l'opéra qui a choqué M""= Anaelasie à Saiul-l'êlers-
bourg.
— Au théâtre Grand-Ducal de Carlsruhe vient d'avoir lieu la première
représentation d'un grand ouvrage inédit dû à trois de nos compatriotes,
le Drac. opéra en trois actes, livret imité de George Sand par M. Louis
Gallet, musique de MM. Paul et Lucien Hillemacher. L'exécution a eu lieu
sous la superbe direction de M. Félix MottI, qui avait lui-même patroué
l'ouvrage, et le succès a éti> complet, La musique, conçue dans une forme
toute moderne, n'en est pas moins remarquable au point de vue de l'ins-
piration, et a produit sur le public ime très grande impression.
— M"'= Renard, de l'Opéra impérial de Vienne, a reçu ûe l'empereur d'Au-
triche un bracelet orné de seize diamants à l'occasion du concours qu'elle a
prêté dernièremsnt à la soirée de gala organisée, au château de Schœnbrunn,
eu l'honneur du duc d'Orléans et de l'archiduchesse Marie-Dorothée d'Autriche.
M"" Benard y avait joué, entre autres, le rôle de M. Denis, dans la gentille
opérette. Monsieur et Madame Denis, d'OIfenbach.
— Le 31 janvier prochain aura lieu à Vienne un grand concert en l'hon-
neur de Franz Schubert, pour célébrer le centième anniversaire de sa nais-
sance. Toutes les sociétés musicales de la capitale autrichienne y prendront
part. Le programme porte les œuvres suivantes de Schubert : ouvertui'e de
l'opéra de Fier-à-Bras ; le chœur de Mignon ( «. Celui seulement qui cimnait la
nostalgie » ) et le chœur Chant des esprits de l'eau, deux fragments de la sym-
phonie en si mineur et la célèbre Sérénade \)0\ir contralto a^ec chœur de
femmes, paroles de Grillparzer. Le même jour sera inaugurée l'exposition
Schubert dont nous avons déjà parlé el où on pourra admirer, grâce au con-
cours de la ville de Vienne et de plusieurs collecliouneurs notables, la
plup.art des autographes et compositions manuscrites de Schubert qu'on
connait el plusieurs objets personnels qui lui ont appartenu.
— A Berlin, le centenaire du même Sch ubert sera cêlébn'. hii janvier prochain,
d'une façon originale. Plusieurs membres de la cour ro\:il(' ioui-nini puldi-
quement, vous avez bien lu : pu-bli-que-ment. le charni.iui ii|M'r,j-iMuiiqnr de
Schubert, la Croisade des dames, el la comtesse de Midike. l'cninn' d'uu aide
de camp impérial qui est, croyons-nous, le propre neveu du ci'dêlire maré-
chal de Guillaume I", dirigera les répétitions. On sait que le sujet de cette
œuvre de Schubert est emprunté à la même comédie d'Aristophane qu'on
joue chez nous sous le titre de Lysistrata, et on se rappelle que finalement
la conjuration des femmes est vaincue par la fermeté A'irile de leurs victimes.
Pour les dames d'une cour aussi collet-monté que celle de Prusse, la grève
matrimoniale des châtelaines contre les chevaliers croisés revenant pleins de
tendresse expansive du pays des infidèles, qui l'orme le sujet de l'opéra de
Schubert, est certainement un peu scabreuse. Mais le brave Schubert a écrit
sur le sujet que lui a fourni Aristophane une partitiunnette tellement hon-
nête que les dames aristocratiques de Berlin pourront hardiment lu'aver
l'honnêteté. Gare, cependant, aux accrocs, car les chœurs de femmes de cet
opéra sont assez difficiles pour des dames de cour.
— Antoine Bruckner a tous les honneurs — post mortem. La socii''té litté-
raire et artistique catholique Léon, de Vienne, a décidé de lui ériger une
statue, et la société des Amis de la musique fera jouer, en janvier 1897, sa
messe en ré mineur. Ce sera la première exécution de cette œuvre grandiose
dans une salle de concerts. Le compositeur ne l'a jamais entendue avec un
orchestre et des chœurs de premier ordre.
— L'opéra royal de Berlin prépare la première représentation d'un opéra
inédit de M. Kienzl, intitulé Don Quichotte Cette œuvre provoque une vive
curiosité en Allemagne, car l'Homme de l' Évangile de M. Kienzl fait maintenant
avec beaucoup de succès le tour des scènes allemandes.
— On a trouvé parmi les papiers de Franz de Suppé une trentaine d'e mé-
lodies inédites, ainsi qu'une messe presque terminée. Ces œuvres posihumes,
dont personne n'avait eu connaissance, seront prochainement publiées.
— L heureux auteur de Haensel et Gretel, M. Engelbert Humperdinck, qui
depuis longtemps exerçait les fonctions de critique musical à la Gazette de
Francfort, a renoncé à ses devoirs de critique pour se livrer désormais exclu-
sivement â la composition.
LE MENESTREL
375
— Il iiarait qu'on conserve depuis trois cents ans, dans la bibliothèque
de l'université d'Iéua, un volumineux manuscrit de 266 pages'qui contient,
en notation musicale du quatorzième siècle, toute une importante série de
chants de mmnesani/er d'une valeur historiqu.; iiiesliniable. On a fait faire,
en ces derniers temps, une photographie iuiii|ilrio de ce manuscrit, afin que
les précieux documents qu'il renferme puisst-ul être livrés à la publicité.
— Le prince Mirko de Monténégro, fils cadet du prince régnant Nicolas,
vient de terminer la partition d'un drame musical dont le livret est lire du
drame l'Impéralrice des Balkans, que son père a publié il y a quelques années
en langue serbe. Le nouveau théâtre de CetUgné aura probablement la pri-
meur de l'opéra du prince Mirko. Peut-être le verra-t-on aussi en Italie, car
le compositeur est, comme on sail, le beau-frère du prince de Naples el futur
roi d'Italie.
— Ou nous télégraphie de New-York que la compagnie Grau et Schoeffel
a inauguré la saison au Metropolitan Opéra House avec le plus grand
succès. Ou jouait Faust avec M"'= Melba, MM. Jean et Edouard de Reszké
et Lassalle. Tous les artistes étaient merveilleusement en voix. On a remar-
qué avec plaisir que presque toutes les dames, à l'orchestre, s'étaient con-
formées à l'invitation polie de la direction de ne pas arborer de chapeaux.
Presque toutes les dames étaient « en cheveux » et leur vue offrait un aspect
charmant. Désormais la législation de l'Etat de New- York n'aura plus à s'oc-
cuper d'une loi contre les chapeaux de femmes.
— Un écho do l'élection présideutielle aux Etats-Unis, qui prouve une
fois de plus que les Américains ne font rien à demi. A New- York, dans une
démonstration en faveur du nouveau président, M. Mac-Kinley, un ensemble
de 12S (cent vingt-cinq) liandes musicales a exécuté l'Hymne national.
Saperlolle! il n'aurait pas l'ail lion se trouver au centre de cet orchcsire.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici le tableau des dépenses matérielles- faites à l'Opéra -Comique
depuis 1S91, date de l'entrée en fonctions de M. Garvalho. à la fin de
février 1896 :
Valeur A«31 aolt 1893 Au 31 dtc. ISO,') Au 29». 1890
Décors Er. 217.707 69 232.354 14 2-'i-2.841 84
Coslumes. 396.437 72 417.956 87 426.655 82
Accessoires 11.177 65 -11.788 10 12.393 60
Matériel.' 1 950 » 1.950 » 2.775 »
Mobilier 32.990 40 22.990 40 23.925 55
Iiistrmiieiits de musique . . 12.713 05 16.653 05 16.653 05
ToT.vux. . . Fr. 663.036 51 703.692 56 725.154 86
Pendant l'exercice allant du 1='' septembre 1894 au 31 août 1893, il a été
payé par rOpr'ra-Comi([ue :
AppoinleiHunls : Aux artistes Fr. 682.964 30
— A l'orchestre 204.378 95
— Aux choristes 130.319 »
— Ballet 31.499 45
— Comparses 9.127 75
— Machinistes 54.209 45
jU/se en scène ; Décors 53,324 10
— Costumes 99.375 20
Assurances et uupùts 19.210 33
Chautfage et éclairage 81.864 50
Droils : Des auteurs 187.631 80
— Des pauvres 157.100 60
Les représentations-soirées ont donné une recette brute
do ' Fr. 1.312.058 50
Les matinées 233.558 .>
lîccetles totales brutes des représentations. . . Fr. 1.545.616 50
Avec la valeur du matériel neuf qui entrera à l'actif de son inventaire sous
réduction d'un lant pour cent d'usure, dit M. Jules Huret, du Figaro, la
direction de l'Opéra-Gomique peut espérer qu'elle verra sa situation liuau-
cière équilibrée lors de l'expiration de son privilège. Les frais d'exploitation
qui, à l'origine, étaient de 3.300 francs par jour et qui, sous la direetion
Perrin, avaient alleiut 4.000 francs, somme considérée alors comme exces-
sive, ne sont pas inférieurs aujourd'hui à 6.000 francs. Enfin, la prise de
possession de la nouvelle salle de l'Opéra-Gomique, place Boieldieu, n'est
guère attendue que pour le courant de 1899... Oh! monsieur Bernier !
monsieur Bernier !
— A l'Opéra, la distribution des rôles du ballet rEtoitese trouve complétée
par l'attribution à M"=s luvernizzi et Torri des personnages des deux mères,
pour lesquelles on cherchait des titulaires. Voici donc à présent comment
se comportera la distribution de l'ouvrage :
Zénaidc Bréju, M'^e Rosita Maurl.
M"^ tUiamoiseau, Invernizzi.
LcoeaQie, première danseuse de l'Opéra, Robin.
M"'" Bréju, Torri.
Une jeune mariée, Cleo de Mérode.
Vestris, MM. Hansen.
Séverin, Ladam.
Plus, une quanlitè d'aulrcs petils rôles qui donneront à M"«^ Hirsch, San-
drini, Lobsteiu, Désiré et tutti (juanti l'occasion de se signaler dans des pas
et varialious multiples.
— C'est dimanche prochain, 29 novembre, que la Société des conceris du
Conservatoire reprendra ses séances et ouvrira ainsi sa soixante-dixième
session. Pour eetio réouverhn-e, elle a ménagé à ses luiliitués une double
surprise douliloinrni y-i-iMlilr : hi iMriicipalioii à ce concert de M. Louis
Diémer et rexi'ciilnin, pur IV\ii'll.'iit ;iili>le, d'un nouveau concerto de
piano de M. Saint-Saéns
— L'Association des artistes musiciens, fondée par le baron ïaylor, célé-
brera cette année, selon sa coutume, la fête de Sainte-Cécile, en faisant exé-
cuter en l'église Saint-Eusiache, le vendredi 27 novembre, à 11 heures du
malin, la il/esse de saint Fronçais d'Assise (i'" audition) Je M. E. Paladilhe,
sous la direction de M. Daubé. Les soli seront chantés par MM. "Warrabrodt
et Auguez. A l'Offertoire : M. Pennequin exécutera sur le yiolon la romance
en /ode Beethoven. On terminerapar une marche solennelle de M.V. Joncières,.
— Hier samedi, à la séance solennelle d'ouverture de la conférence des
avocals pour l'année judiciaire 1896-1897, M. Maurice Golrat a prononcé un
discours sur ce sujet : De l'influence du théâtre sur les lois.
— C'est au 26 novembre qu'est fixée, au théâtre de la Renaissance, la pre-
mière représentation de Lorensaccio. On sait que l'œuvre est accompagnée
d'une petite partition de musique de scène due à M. Paul Puget. Il y a là
trois petits airs de bal finement écrits dans le style de la Renaissance et une
chanson fort originale qui ne passeront certainement pas inaperçus.
— Ah! mais, il ne s'agit plus de badiner. M. Lamoureux songe décidément
à fonder un théâtre où il donnera, comme elles doivent être données, les
œuvres classiques et modernes. Il commencerait par Don Juan, dont on
aurait enfin la version exacte et définitive. Ce ne serait pas dommage.
— Les jeunes artistes qui désireraieni se porler candidals. pour l'année 1897,
aux bourses arlistiques fondées par le rdm.eil général (délibération du 10 no-
vembre 1881), sonl invilés à se l'aire inscrire à l'Hôtel de Ville (escalier D,
troisième étage, service des beaux-arts), en apportant les jusiifications néces-
saires. Ces bourses seront au nombre de cinq, d'une valeur de 1.200 francs
chacune, et devront être réparties entre les jeunes peintres (ju sculpteurs sans
fortune, nés dans le département de la Seine, qui aumnl, dans leur spécia-
lité, remporté le plus de récompenses au cours de leurs éludes. Les archi-
tecles et musiciens ayant obtenu un deuxième prix deRome seront également
admis à prendre part à ce conrours. Tous les candidats devront être âgés de
moins de trente ans. Les demandes seront reçues jusqu'au 31 décembre 1896
inclus, dernier délai.
— On parle de la cession prochaine du théâtre de l'Eldorado à M. Bian-
chini, le dessinateur de costumes bien connu. Tant mieux! s'il y apporte dans
la mise on scène tout le goût dont il a déjà donné tant de preuves dans l'art
d'ajuster les éloffcs soyeuses sur nos plus jolies comtemporaines.
— Dans peu de jours, l'Exposition du thi'âtre et de la musique, qui a
donné au |iulilic parisien un' spectacle si neuf et si intéressant, aura cessé de
vivre. Mercivili pidchaiii 23 novembre, à six heures du soir, après quatre
mois d'existencr. elle formera ses porles pour ne plus les rouvrir, et les col-
lecUous si curieuses qu'elle a offertes aux regards des amateurs feront retour
chez leurs heureux possesseurs. Elle a néanmoins profité de ses derniers
instants pour inganiser, dans la jolie peli'e salle de théâtre du premier étage,
une série de séances qui ont obtenu un très vif succès. L'une d'elles a été
consacrée à Chopin, dont M. G. Hess a exécuté plusieurs œuvres à la suite
d'une conférence faite par M. Henri des Houx. Une autre conférence a été
faite par M. Buot sur ce sujet : Le prêtre au théâtre. Enfin, mardi dernier,
toute une séance d'un caractère vraiment original était consacrée à Mozart,
qu'on pourrait dire « à la mode » en ce moment si Mozart n'était pas im-
mortel. Cette séance, qui avait attiré une aCQuence considérabb\ commençait
par une conférei ce de M. Arthur Pougin sur Mozart enfant, niurrie de faits,
comme on peut le penser, fort intéressante et très applaudie. Puis venait
une gentille comédie en vers do M. Alexandre Picot, Mozart à Paris, joli-
ment jouée et avec beaneouji de grâce par la jeune fille de l'auteur,
M"« Henriette Picot, qui personnifiait Mozart, et M''° d'Anbricourt. Celle
petite pièce, d'un tour fort aimable, donnait l'occasion à M"» Picot d'exécuter
avec beaucoup de finesse, sur le clavecin et sur le jiiano. différenls mor-
ceaux de Mozart. Bref, cette séance a obicnu un suc, -es comjdcl, el confé-
rencier, poète, interprètes et virtuose ont été accueillis par de vil's applau-
dissements.
— Très intéressante petite séance musicale chez M"™ Marie Luguet, avec le
concours de M"= Julie Bressolles, ,pn ;, l'ail oiilenjre les Chansons grises de
Hahn, l'air du Tasse de Godard, ,•! ,|iielqiies inor.-s cliarmanles des Gloires de
■ l'Italie de Gevaert, entre autres un Madrigal de Gacciui et le bel air de Gansimi
Victoria, et Gelosia de Luigi Rosi, — le tout au milieu des applaudissements.
Nous avons annoncé, dimanche dernier, qu'un comité s était lormo
pour élever, dans la ville de Longjumeau, un inouuninit â .\dolphe Adam.
Sa célébrité dans ce petit pays est toute natur, lie par la popularité que Un
valut son aimable jiartition du Postillon de Lonjumrau. dont W litre lut pris
naguère pour enseigne par une auberge de la liualiO' l'.riic aolierge, qui
représentait le gracieux Ghapelou dans son ru.iuov trailitinnu^-l, et dont la
tôle se balançait librement au vent, lit en 1S70 la joie des troupes alle-
mandes que la guerre avait amem'a-., à occuper Longjiiiiirau. On sait com-
bien est populaire, de l'autre coté du Rhin, l'opéra .l'Adam, chez nous cinq
ou six fois centenaire. Les Allemands ne trouvèrent làeii de mieux à faire
376
LE MENESTREL
(jue de décrocher l'enseigne et de l'emporler, comme ils auraient fait d'une
pendule. Mais là n'est pas l'extraordinaire. Ce qui est moins croyable, et ce
qui est réel, 'pourtant, c'est qu'après la guerre les habitants de Longjumeau,
désolés de la perte de leur enseigne, qu'ils auraient pu remplacer sans
doute, mais qui était pour eux un souvenir historique, la firent réclamer eu
Allemagne, qu'ils eu obtinrent la restitution et qu'elle recommença à orner
l'auberge du Postillon de Lonjumeau. On trouve tous les détails de celle
histoire curieuse dans le livre que notre collaborateur et ami Arthur Pougin
a consacré à Adolphe Adam.
— La question du monument à élever à Louis Lacombe préoccupe en ce
moment la municipalité et la population de Bourges, sa ville natale, et l'on
a discuté, ces jours derniers, la question de l'emplacement à choisir. C'est
le sculpteur Jean BafCer, on le sait, qui a été chargé do perpétuer dans le
bronze les traits du grand musicien. La reconstitution de cette belle phy-
sionomie n'était pas chose facile, car l'artiste n'avait pour se guider qu'une
photographie très imparfaite ; disons tout de suite qu'il a vaincu tous les
obstacles et fait une œuvre magistrale, vraiment digne d'admiration. La
ligure de Louis Lacombe est bien vivante, le regard est plein d'expression,
on croirait que la bouche va s'ouvrir pour parler. Le buste repose, pour le
moment, sur un socle assez gracieux en bois peint, représentation exacte
du piédestal dont le comité a fait choix, et sur lequel on lit cette inscription
en lettres dorées: Au composilmr Louis Lacombe, 1818-1881, ses compatriotes. A
la hase du buste, en écharpo, sont énumérées les principales œuvres du
compositeur : Winlielried, le Tonnelier de Nuremberg, — qui sera jou(' prochai-
nenement sur une grande scène allemande, — Manfred, la Reine des Eaux,
Sapho, Arva.
— Le conseil municipal île Lycui s'est occupé, ces jours derniers. Je la
question du monument Pierre Dupont, qui attend une solution depuis quinze
ans. Les amis du iioète ont réuni Ib.OOO francs. Le projet est achevé et il
restait à fixer l'eniplacemeut de monument. L'administration proposait le
jardin des Chartreux, une dos jjlns jolies promenades de ^Lyon dominant, la
Saône; les conseillers municipaux de la Cioix-Rousse demandaient de l'on-
ner la préférence à la Grande-Place: d'autres étaient partisans du parc de la
Téte-d'Or. Le conseil a finalement adopté le jardin des Chartreux.
— De Lyon : M. Vizentini vient d'engager une nouvelle falcon, M"* Mar-
guerite Picard, qui a été accueillie avec beaucoup de faveur dans la Juive et
les Huguenots. M"°A. Bourgeois, de l'Opéra, va également donner ici quelques
représentations. En attendant les Maîtres Chanteurs on répète activement la
Proserpine de Saint-Saêns, avec la nouvelle version. Le maître est ici et dirige
les répétitions. Cet ouvrage passera en même temps que Javotie, le ballet
inédit que Saint-Sacns a réserv(? à Lvon.
J. ,1,
— La première représentation de T/ia'is donnée au théâtre de Bordeaux
a été un grand succès pour l'œuvre et ses interprètes, M"» Georgelle Leblanc
en tête, artiste bien originale et bien curieuse. M. Massenet qui assistait à la
représentation dans la loge municipale, a été acclamé i)ar le public.
— Cette semaine, au Cercle militaire, reprise de;- concerts hebdomadaires
du mardi.
Gros succès pour tous les artistes: M. et M"'« Lureau-Escalaïs, M. Soula-
croix, M. Barnolt, M""= Porsoons, M. Prudhou, M"= Yvette Guiberl, Mi'T.lara.
etc., etc., une véritable olla podrida des talents les plus variés. Après (|uoi.
M"<^ Suzanne Golstein a dit avec talent un prologue en vers de M. Edmuird
Noël : Compliment de Suzon, qui a fait éclater d'euthousiasles applaudisse-
ments. Nous détachons de cette pièce le passage suivant, qui est un dernier
écho des fêles franco-russes dans les salons du Cercle militaire :
. . . Depuis donc la séparation.
Un grand événement s'est accompli, . . L'Histoire,
Sur ses tablettes, l'a gravé pour notre gloire.
C'est lui que, dans ce jour, je veux remémorer, . .
11 m'a fait, comme vous, tressaillir d'allégresse,
Et j'ai senti mon cœur de Française vibrer
Aux accents triomplianls d'une commune ivresse. . .
Un homme... un empereur, chef d'ua peuple nou.eaa,
D'un gîand peuple... est venu, vaillant, superbe, beau,
Et son regard. . . celui de sa chère compagne
Ont fait battre depuis l'Alsace à la Bretagne
Les cœurs français d'amour et d'espoir souverain. . .
C'était grand !. . . Il a mis sa main dans notre main.
Et, solennel, scellant le pacte d'espérance,
Il unit pour toujours la Russie à la France-
Mile Suzanne Golstein a dit ensuite avec une grâce mutine la. Passerelle, de
Georges Boyer, et a su se faire apprécier de nouveau.
— A la soirée artistique qui a eu lieu samedi 7 novembre, à Saint-Mandé,
grand succès pour M"= Jonny Loulil, pianiste do lalont, qui s'est fait applaudir
dans plusieurs œuvres de Cliopin et do Liszt.
— Dimanche dernier, en l'église d'Écouen, a ou lieu un service organisé
]iar le comité des Dames Françaises en uK'moiro des soldats morts pour la
|iatrie M. Gabriel Baron, élève de M. Léon IJuiiroz, a chanté le Miserere
et un Pie Jesu de llcendel.
— M"' Kmilo do Journel vient de reprendre ses leçons do chant ou son
nouveau domicile, 16, avenue Kléber.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vcDle AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivioiiiif, HEUEEL ET C'=, Éililciirs-propriélaircs.
CONCERTS COLONNE
THÉ.VTRE DD CH.ITELET
DIMANCHE 22 NOVEMBRE 1896
ch.-mTwidor
CONTE D'AVRIL
Musique composée pour la comédie d'A. Dorchain.
SUITES D'ORCHESTRE
/ 6 Suite : 2'^ Suite :
i. Ouverture. 1. Allegro.
2. Romance. 2. La rencontre des amants,
3. Appassionato. 3. Guitare.
4. Sérénade illyrienne. -i. Aubade.
5. Marche nuptiale. S. Marche nuptiale.
Partition d'orchestre, prix net : 25 fr. — Parties séparées, prix net : 50 f
Chaque partie supplémentaire, net : 2 francs.
Partition pour piano solo, net : 7 francs.
PIÈGES DÉTACHÉES POUR PIANO ET AUTRES INSTRUMENTS :
I. La rencontre des amants, andante pour piano 3 »
^. Sérénade illyrienne, pour piano 5 »
2 fcts. La même, à quatre mains 6 »
2 1er. La même, pour violoncelle et piano (Delsabt) 7 50
3. Aubade, pour piano 5 »
3 bis. La mâme, pour piano, violon et violoncelle, alto 7 50
8 ter. La même, pour piano et violon 6 »
4. Guitare, pour piano 5 >■'
4 bis. La même, à quatre mains 6 »
4 ter. — pour violon et piano 6 »
4 Cjuuter. — pour violoncelle et piano (Delsart) 7 50
5. Romance, pour piano 4 »
3 b(s. La même, à quatre mains 6 »
8 ter. — pour flûte et piano 6 »
b qualer. — pour violon et piano 6 »
6. Marche nuptiale, pour piano 7 50
6 bis. La même, pour piano à quatre mains 9 »
6 ter. — pour piano et orgue 9 »
6 qualer. — pour orgue seul 7 50
6 quinler. — pour grand orgue 7 50
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DIMANCHE 22 NOVEMBRE 1896
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Ouverture de Frithiof
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Parties séparées d'orchestre, net 20 tr, — Chaque partie supplémentaire, net 1 fr. 50
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CONCERTS LAMOUREUX
CIRQUE d'Été
DIMANCHE 22 NOVEMBRE 1896
La Forêt enchantée
P.vlition J'orclicstrc, lui ù.^ Jr
Parties séparées d'orchestre, net 50 fr. — Chaque partie supplémentaire, net 2 fr. 50
IVtOZAFiX
Ouverture de la Flûte enchantée
Parties séparées d'orchestre, net 8 fr. — Chaque partie supplémentaire, net 2 fr.
LOUIS DIÉMER. — Transciiplion de concert pour piano deux mains Fr. 7 50
GEORGES MATHIAS. — Transcription pour jjî'nnodcto; mams 7 50
— Transcriptiun pour piano (/(/a/;v' ;»rt(7is 9 "
UINS DE FER. — IHPIUUERIE CHAIX RUE BERGERE, 20,
3427. - 62- A^^ÉE - !\°
Dimanclie 29 i\'ovcmbre 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 615, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnemenL
Un on, Teite seul : 10 francs, Paris et Province. — ïeite et Musique de Chant, 20 fr.; Tewe et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement com|ilel d'un an. Texte. Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour Tiitm^er, les frais de pjsts en
SOMMAIEE-TEXTE
I. Étude sur Orphée (14° article), Julien Tiersot. — II. Musique et prison (23» ar-
ticle) : Crimes de droit commun, Paul d'Estbée. — III. Journal d'un musi-
cien 1.9" article), A. Montaux. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avecle numéro de ce jour:
L'IMPROVISATION DE CHËNIER
chantée dans l'opéra de Giordano, le grand succès du Ihéàtre de la Scala à
Milan. — Suivra immédiatement le Cantabile de Madeleine, extrait du
même opéra.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
PIANO : Muscadines et Muscadins, transcriptions pour piano e.xtraites de l'opéra
de Giordano, André Chénier, le grand succès du théâtre de la Scala à Milan.
— Suivra immédiatement la Gavotte pour les Heures et les Zép/ij/rs, extraitedo
l'opéra inédit de Kameau, les Boréades, transcription pour piano de Louis
DiÉMER, répertoire de la Société des imtruments anciens.
PRIMES POUR L'ANNÉE 1897
f Voir à la 8° page du jouraal.)
ÉTUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Mais, de Gluck ou de Bertoni, lequel fut le spoliateur par
persuasion, et lequel le spolié ?
C'est ce que les dates vont nous apprendre.
Orphée et Euridice fut représenté à l'Opéra de Paris, nous le
savons, en 1774.
Aristeo, à Parme en 1769.
// Parnasso confuso, à Schœnbrunn, en 1763.
Enfin, le couronnement de l'empereur Joseph II, à l'occa-
sion duquel fut composé l'air qui passa par la suite dans
Aristeo et dans Orpltée, eut lieu à Francfort le 3 avril 1764.
Cette dernière date devrait suiSre à nous édifier sur l'anté-
riorité de l'air de Gluck; mais nous avons à nous arrêter
encore un instant sur la date de Tancrède de Bertoni, au
sujet de laquelle il s'est produit une confusion qui a été
cause de la propagation de l'erreur accréditée depuis près de
quarante ans.
C'est Berlioz qui, le premier, a attiré l'attention sur cette
question. Après avoir cité la lettre de Bertoni affirmant sa
paternité de l'air de Tancrède et constaté la similitude de cet
air avec celui à'Orphée, il dit :
« Tancrède fut joué à Venise pendant le carnaval de 1767. »
Berlioz n'était point un savant. Nous n'avons garde de le
lui reprocher: il a d'autres titres, plus glorieux, à notre
admiration. Comment se fait-il, cependant, qu'en une matière
si délicate tout le monde ait enregistré son dire sans songer
à le contrôler? C'est cependant ce qui est advenu; depuis
l'article de l'auteur des Troyens sur la reprise d'Orphée en
1859, il a été admis sans conteste, même par les gens les
mieux au courant, que le Tancrède de Bertoni datait de 1767,
— sept ans avant Orphée, deux ans même avant Aristeo (1).
Et cependant, si nous consultons la Biographie universelle
des musiciens de Fétis à l'article « Bertoni », nous lisons d'a-
borJ, en face du nom de Tancredi, la date de 1118. Puis,
dans le courant de l'article, discutant l'attribution du fameux
air, Fétis écrit : « Je vois dans V Indice dé teatri de 1780 que
le Tancredi fut joué à Turin, le 26 décembre 1778. » Il esi,
vrai que, dans la même page, l'écrivain donne la preuve qu'il n'a
rien lu des documents qu'il discute, car, Bertoni ayant parlé
d'une prétendue Iphigénie en Tauride de sa composition (qu'il
n'a jamais composée), Fétis a compris qu'il était question de
celle de Gluck, et que celui-ci était accusé d'avoir emprunté à
Bertoni l'air de ce dernier opéra : « Le calme rentre dans
mon cœur ». Et voilà sur quelles bases solides les opi-
nions s'établissent et se propagent I Mais passons, et rete-
nons cette date du 26 décembre 1778, à l'égard de laquelle
Fétis cite une source autorisée. M. Riemann, dans son cons-
ciencieux Répertoire des opéras (Opern-Ifandbiich, etc.) la repro-
duit, de son côté, identiquement.
Auquel donc faut-il entendre? Et ce Tancredi, qui nous
donne tant de mal, — bien plus sans doute qu'il ne mérite!
— fut-il représenté à Venise en 1767, ou à Turin en 1778?
Déjà de premiers indices nous feraient pencher pour cette
date-ci: la mention de la source, et la conformité du ren-
seignement avec la déclaration de Bertoni : « J'ai composé
l'air à Turin. » Cependant nous en avons voulu avoir le cœur
net: afin desavoir positivement si Tancredi fut représenté à
Venise en 1767, nous avons écrit à M. Taddeo Wiel, ancien
bibliothécaire à la Bibliothèque Saint-Marc, à Venise, oîi il
était chargé de la conservation des collections musicales, et
qui, en ce moment même, achève la publication d'un volu-
mineux catalogue des opéras joués dans cette ville pendant
le XVIII' siècle.
(1) Voir notamment G. DESNomESXERRES, Gluck et Picini, p. 274 (2' édition); la
préface de l'édition d'Orplieus and Euridice publiée par Gustave Heinze, à Leipzig
en ISiitJ, et l'aiticle de M. Purslenau, dans l'Écho de 1869, w 33 et 31, par
M. .Vll'red DxilTel dan> H préface de l'édition Peters, 1873.
37^
LE MENESTREL
La réponse de M. Taddeo Wiel ne peut plus rien nous
laisser à désirer :
t Je puis -vous assurer, écrit-il, que le Tancredi le Bertoni
ne fut pas joué à Venise en 1767, et je crois en outre que
cet opéra ne fut jamais joué sur les théâtres vénitiens au
XVIIP siècle. En 1767, pendant le carnaval, on joua sur le
théâtre San-Benedetto de Venise VEsio, de Bertoni; et, en
1776, dans le même théâtre et pendant le carnaval, on joua,
de Bertoni, Orfeo ed Euridice. »
Voilà qui est péremptoire : Tancredi ne fut pas joué à
Venise en 1767, mais à Turin en 1778. Or, non seulement
Aristeo est de 1769, il Parnasso confuso de 1765, et l'air pour le
couronnement de 1764, mais Orphée même est de 1774. D'où il
résulte que tous les opéras de Gluck daiis lesquels figure l'air attribué
à Bertoni sont antérieurs à ce Tancredi où Von avait cru trouver
le protohjpe de cet air.
Cette discussion fut peut-être trop laborieuse et longue.
Du moins espérons-nous qu'elle sera définitive et mettra fln
à une erreur, trop longtemps répandue, qui eut le tort de
faire peser sur la mémoire de Gluck un soupçon d'indélica-
tesse qu'il ne mérita jamais.
Si Berlioz fut incomplètement renseigné à l'égard du faux
c air de Bertoni » (nul doute, s'il revenait au monde, qu'il
effacerait avec joie la seule phrase sévère qu'il ait jamais écrite
sur Gluck), par contre il n'a pas outrepassé les bornes de la
critique lorsqu'à propos d'un autre morceau d'O/'p/ice il signala
« un des plagiats les plus audacieux dont il y ait d'exemple
dans l'histoire de la musique... » Là encore, de nouveaux
documents sont survenus, et ceux-ci ne conûrment que trop
le reproche, adressé à Philidor par Berlioz, d'avoir « impu-
demment volé Gluck » en s'appropriant l'air d'Orphée « Objet
de mon amour » et en le replaçant dans un opéra-comique
signé de lui, le Sorcier. L'aventure a d'ailleurs son côté
plaisant et prouve que le fameux joueur d'échecs ne man-
quait ni de bon goût (il en avait plus que Bertoni, à coup
sûr) ni d'ingéniosité lorsqu'il se mêlait de tricher avec les
compositeurs, ses demi-confrères I
Voici les faits :
Après le succès obtenu par Orfeo ed Euridice à Vienne en
1762, Gluck songea à publier sa partition, ce qui était con-
traire à tous les usages, aucun opéra italien n'ayant été gravé
jusqu'à ce moment. A cet effet, il envoya le manuscrit à Paris,
par l'intermédiaire du comte Durazzo, directeur du théâtre de
la Cour de Vienne : celui-ci l'adressa à Favart. Leurs lettres,
publiées dans les Mémoires et correspondance littéraires de Favart,
nous tiennent au courant de tous les détails de l'affaire.
Favart, après avoir reçu l'ouvrage, le communique à Mondon-
ville , qui déclare estimer l'ouvrage « une des plus belles
choses qu'il eût vues. » Malheureusement le manuscrit est
plein de fautes : il faut chercher un musicien d'expérience
et de savoir pour les fonctions de correcteur. Duni refuse,
assurant « qu'il ne voudrait pas se charger de corriger les
fautes du copiste quand on lui donnerait SOO livres. »
C'est ici que Philidor entre en scène. Favart poursuit :
J'ai fait voir cette partition à Philidor qui n'est pas, à beaucoup
près, si difficile; il offre de corriger les fausses notes gratis et d'avoir
lui-même inspection sur la gravure de l'ouvrage ; il ne deinande à
Votre Excellence qu'un seul exemplaire. Il a examiné l'opéra avec
attention, il trouve que les fautes du copiste se réduisent à un petit
nombre, il a été enchanté de la beauté de l'ouvrage; en plusieurs
endroits, il a versé des larmes de plaisir. Il a toujours eu la plus
grande estime pour les talents du chevalier Gluck ; mais son estime
se porte jusqu'à la vénération depuis qu'il connaît l'Orphée. Ainsi,
nous pouvons faire graver tout de suite, sans être obligés d'attendre
l'arrivée de M. Gluck.
Cela est écrit dans une lettre de Favart au comte de Durazzo,
du 19 avril 1763.
Or, le 2 janvier 1764, on représentait à l'Opéra-Gomique une
œuvre nouvelle de Philidor, le Sorcier, et au beau milieu du
premier acte s'étalait, presque dans tout son développement,
la mélodie de Gluck, adaptée tant bien que mal aux paroles
françaises. La similitude ayant été niée par des défenseurs
officieux de Philidor (l'affirmation d'un musicien tel que
Berlioz pourrait suffire à détruire l'effet de cette contestation),
nous laisserons le public juge en l'espèce, nous bornant à
mettre les pièces sous ses yeux. Voici donc, en regard, la
partie de chant de la cantilène d' Orfeo et celle de la romance
du Sorcier; pour les harmonies et figures d'accompagnement,
le lecteur voudra bien, nous l'espérons, s'en rapporter aux
indications contenues dans l'analyse qui suivra ces textes mu-
sicaux.
Les vers du couplet français étint d'une coupe différente
de la strophe itahenne, Philidor n'a pu, dans la première
période, emprunter la musique que du premier vers, et
encore en y ajoutant une mesure initiale, qui n'en augmente
aucunement la beauté.
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Mais la seconde partie, bien plus développée, est repro-
duite textuellement. Il y a seulement, détail insignifiant, une
répétition de deux mesures, dans Orfeo, qui n'a pas été re-
produite dans le Sorcier.
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Gela dépasse assurément les bornes de la réminiscence
involontaire ou de la rencontre d'idées. L'accompagnement
d'orchestre ne fait qu'accuser la similitude. Il est, d'un
bout à l'autre, identique, à quelques notes d'agrément près:
sous le premier vers d'abord; puis dès la rentrée de basse
qui précède la deuxième période, et sous cette période en-
tière : on y retrouve notamment, de la 1" à la 2" mesure, ce
mouvement chromatique de basse : la If, la b (en fa), où le la
bémol forme, avec le la naturel terminant la mesure pré-
cédente dans la mélodie, une fausse relation qui nous a tou-
jours semblé choquante dans Gluck: Philidor a reproduit la
LE MENESTREL
379
faute comme les beautés. Enfin il n'est pas jusqu'aux des-
sins répétés par l'écho qui ne soient, par deux fois, fidèle-
ment transcrits par Philidor, bien qu'il n'y ait pas du tout
d'écho dans son morceau.
(A suivre.) Julien Tiersoi.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
CRIMES DE DROIT COMMUN
PRISONS d'autrefois. — LES PRISONS d'AUJOURd'hUI. — LES HOMMES.
Action de la musique dans les prisons sur les criminels. — L'orchesiie de Bentham dans
son Panoplicum. — L'orgue de Gilles de Rays. — B'Assoucy au Gi'and Chdtelet: festins
el musique: concerts de MM. de l'Académie Royale. — Fêtes d'Oumard à Sainte-Pélagie.
— Le théâtre moral à Bicitre. — Apparition de la philanthropie dans les prisons. — Les
Etats-Unis donnent le signal des réformes.' — Le système d'Âuburn et le régime cellulaire
rigoureux emploient la musique religieuse comme élément moralisateur . — L'enthousiasme
de Howe el les miracles de M"' Dix. — Les Philanthropes français préconisent également
l'usage de ta musique sac7'ée dans les maisons centrales à système cellulaire ou non :
messes à Mazas, au fort de Vanves, à la Roquette. — En France, le régime cellulaire
nuit au développement du sens musical. — Contraste avec les Etats-Unis. — La tympa-
nomanie dans nos maisons centrales. — Leur esthétique littéraire et musicale. — La
chanson, la cellule. — Couplets en argot. — Les adieux de Paris au XV II" et au XÎX"
siècle. — La Babillarde.
De toutes les catégories de prisonniers que nous avons passées
Jusqu'ici en revue, celle-ci est assurément la moins digne d'intérêt,
sous le rapport moral bien entendu ; mais au poinl de vue qui nous
occupe spécialement, elle mérite de fixer notre attention; car si,
aujourd'hui du moins, son éducation laisse fort à désirer, elle est
loin cependant d'êlrf dépourvue de sens musical. Est ce son goût
particulier ou son état de captivité qui la prédispose à cette impré-
gnation, d'ailleurs très rapide? Le problème est difficile à résoudre,
chaque sujet étant de nature différente, et son crime ou sa faute
augmentant encore la mobilité de ses impressions. Ce qui est indis-
cutable, c'est que le régime et la vie de prison déterminent chez ces
détenus d'ordre inférieur un ébranlement cérébral, ou, pour parler
un langage moins technique, une prédisposition nerveuse fort habile-
ment analysée dans cette page émue de Smilh (Esquisse de la vie
d'artiste 1844).
Evidemment, dans une prison, la musique agit surtout par la force du
contraste. Quoi de moins musical qu'un geôlier et qu'un porte-clefs, de
moins mélodieux que le grincement des verrous et le frémissement des grilles,
de moins lyrique que des murailles de six pieds d'épaisseur que le soleil
n'échaufl'e pas, que le jour n'illumine guère? Le poids énorme de tous
ces blocs de pierre oppresse votre poitrine et lui laisse à peine le jeu
nécessaire pour respirer. Dans cet état de gêne et d'angoisse trouvez donc
de la voix pour chanter, quand vous n'en avez plus assez pour vous
plaindre ?
Eh bien ! vous êtes dans la situation la plus favorable aux impressions
musicales. Que dans ce moment une mélodie quelconque se fasse entendre,
et vous serez ravi, transporté ; vous croirez que la main d'une fée vous
débarrasse des masses de granit sous lesquels vous étouffiez ! La même
voix, le même instrument, le même air qu'à dix pas de votre geôle vous
n'auriez écouté qu'avec indifférence, avec ennui peut-être, ici vous atten-
driront jusqu'aux larmes, ici vous remueront jusque dans la moelle des os.
Et que sera-ce, si la voix est jeune, pure, tendre et passionnée! Pauvres
prisonniers, soyez heureux, réjouissez-vous, pleurez pendant quelques
minutes.
Évidemment, le prisonnier est dans un état de nervosité qui semble
relever de la pathologie ; et de là à conclure que les criminels sont
des malades, des déments, des irresponsables, susceptibles d'une cure
musicale, il n'y a qu'un pas; mais ce pas, nous nous garderons de le
franchir. Aussi bien, nous ne saurions admettre que l'homme, par pré-
disposition atavique ou pour toute autre cause, fasse le mal incons-
ciemment. Le libre arbitre, la raison et le bon sens ont souvent arrêté
dans la voie du crime des fils de malfaiteurs. Et ce n'est certes pas
parce qu'on transformerait les prisons en maisons d'aliénés, ou la mu-
sique serait exclusivement administrée aux patients sous toutes ses
formes, qu'on parviendrait à guérir les criminels, c'est-à-dire à les
remettre en circulation dans la société. A notre avis, l'expérience
serait chanceuse. Mais il est des grâces d'état pour la philanthrophie,
el c'est probablement en raison de cet optimisme à outrance que le
célèbre philosophe Bentham demandait dans sa Prison panoplique
■ — une sorte de Mazas ■ — un orchestrion toujours en activité, pour
« adoucir les passions des détenus ».
C'est sans doute à ce titre que le trop fameux Gilles de Rays, de
sadique mémoire, réclamait ses musiciens le jour ou la justice, trop
lente au gré du peuple, le fil incarcérer dans le château du Bouffay.
Ce Barbe-Bleue de la Bretagne du XV» siècle se complaisait à voir
égorger de jeunes enfants par ses valets; les flots de sang humain
qui jaillissaient des carotides l'enivraient de voluptés, et il chantait
des hymnes sur le corps de ses victimes.
Les magistrats eurent encore des égards pour ce monstre à face
humaine. Ils firent aménager sa prison au mieux de ses goûts per-
sonnels, lui laissèrent ses amis el ses gens, lui accordèrent enfiu
toutes les faveurs compatibles avec les exigences d'une surveillance
bien comprise.
Gilles de Rays se préoccupait surtout de sa chapelle, car il était
grand amateur de musique religieuse; il obtint que son orgue lui
fût amené, avec le maître de chapelle qu'il avait depuis plusieurs
années, deux chantres et deux enfants de chœur. Ces simulacres de
dévotion ne le sauvèrent pas du bûcher, digue châtiment des crimi-
nels de son espèce.
Le fameux musicien-bohème d'Assoucy, qui a laissé plusieurs
livres de tablature de luth, avait la même perversité de goût el
faillit plusieurs fois rencontrer la même fin. Son immoralité fut-elle
la cause du séjour forcé qu'il fil au Grand-Châtelet? Le problème est
encore à résoudre. Car si d'Assoucy a écrit son livre sur sa Prison, il
se garde bien d'y consigner les motifs de sa détention. Il parle en
termes vagues de dénonciations et de calomnies dont il se prétend vic-
time. En revanche, il se fait très nettement complimenter par un
compère qui lui tient, dans la geôle, cet étonnant discours :
... « N'êtes-vous pas le même d'Assoucy qui, à l'âge de dix-sept ans, don-
niez de la tablature au plus grands joueurs de luth de notre siècle et qui
aujourd'hui, avec votre vieillt main, faites encore adorer les charmes de
tout ce que vous composez sur ce merveilleux instrument? N'est-ce pas
vous qui, marchant par des routes inconnues, laissant le chemin que la
musique ordinaire nous a frayé, faites entendre des sons que les plus
habiles n'ont jamais ni connus, ni pratiqués, ni entendus?
Après bien des suppliques, d'Assoucy obtint enfin ce qu'on appelait
alors au Chàtelet « la liberté du préau » et à la Bastille « la liberté
des cours », c'est-à-dire quelques heures de promenade aux pâles
rayons d'un soleil de prison. Sur le préau, d'Assoucy rencontre — ô
bonheur inespéré! — ses « deux enfants de musique ». Il donne ce
nom aux jeunes pages qui étaient à la fois ses écoliers et ses servi-
teurs, mais à qui la malignité publique attribuait des fonctions moins
avouables.
Dès lors, le parangon des musiciens pourra retourner à ses chères
études. Il s'arme tantôt de son luth, tantôt de son théorbe, et il fait
chanter des airs de sa composiliou à <.- ses enfants de musique. » Il
varie ses plaisirs en jouant aux cartes, ou bien encore en compo-
sant ses livres ; car il ne manque ni de verve ni d'esprit, et il manie
agréablement la plume, comme le prouve de reste le livre de ses
Aventures.
En somme, d'Assoucy reconnaît volontiers qu'il ne s'ennuyait guères
au Ghâtelet :
...D'ailleurs, dit-il, M. le comte de Saint-V..., ne contribuait pas peu
à ma félicité, tant par ses bienfaits que parles charmes de ses belles qua-
lités et par ses grands pâtés de jambon. Et je savais gré à ma mauvaise
fortune qui m'avait conduit en prison pour y connaître et y être connu
d'un si honnête homme, si parfait et si achevé. Comme il aimait extrê-
mement la symphonie et que les plus vertueux de Paris lui donnaient de
charmantes visites, ce n'était dans son appartement que festins et mu-
sique, où M"" de Gartillis, moi et mes enfants avions bonne part.
Langues de bœuf, poule et dindon.
Avec le pâté de jambon,
La perdrix, la tourterelle.
Ne plaisaient pas moins à Nanon
Que le ton de ma chanterelle.
Et l'entremets d'une chanson
Que chantait mou page Toinon,
Qui, tant au jour qu'à la chandelle.
Si l'on en croit à la coupelle.
Était un honnête garçon,
Et dans cette mode nouvelle.
Introduite en cette maison
Par le digne entant d'Apollon
Qui mettait là tout par écuelle,
On pouvait dire, avec raison.
Quoique la prison soit cruelle,
Qu'il est quelque douce prison,
Au moins s'il n'en est pas de belle.
Il était réservé à d'Assoucy de goûter des plaisirs encore plus déli-
cats. Car si notre auteur était, comme la plupart de ses contempo-
rains, très porté sur sa bouche, il n'en avait pas moins l'amour et le
380
LE MENESTREL
culte de son art. Avec son expérience des hommes il ne pouvait
ignorer que dans une maison, et à plus forte raisoa dans une geôle,
le concierge est un fonctionnaire qu'il importe de ménager. Les gâ-
teaux jetés à Cerbère ne sont pas une vaine légende. Or, le concierge
du Châtclel, un certain Le Breton, avait pris en afteclion les concer-
tants da prisonnier et les gratifiait de friandises, chaque fois qu'ils
lui donnaient un échantillon de leur savoir-faire. D'Assoucy, recon-
naissant, composa aussitôt, à l'intention de cet honnête concierge,
une chanson ou une sarabande qu'il lui fit chanter par son joueur
de théorb:'. Oh! ce joueur de ihéorbe. le plus habile de ses deux
enfants, d'Assoucy en parle avec une juste fierté : « Quelquefois,
dit-il, il répondait par la chambre de ma fenêtre treiliissée aux
excellentes voix de Messieurs de l'Académie Royale de Musique qui
ne dédaignaient pas de m'honorer do leur estime par leurs admi-
rables concert^. »
Je ne vos pas bien nos artistes de l'Opéra venant chanter une
scène des Huguenots ou de Lohengrin à Mazas, devant la cellule d'un
détenu intéressant. Et cependant, je dois rappeler qu'il y a quelques
années à peine, fies chanteurs de salon, que l'on était toujours sûr de
rencontre.- sur le chemin des bonnes œuvres, organisaient souvent
des concerts pour les pensionnaires de la Roquette et autres asiles de
l'enfance coupable.
Déjà, au commencement du siècle, alors que le financier Ouvrard
était à Sainte-Pélagie sous l'inculpation, d'ailleurs sans preuves cer-
taines, de malversations dans les fournitures de l'État, ce riche mu-
nilionnaire donnait en prison des soirées musicales et dramatiques.
Le fait a été plusieurs fois démenti; et cependant Ouvrard l'afifirme
dans -ses Mémoires.
(A suivre.) Paul d'Estrée.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAQMENTS
(Suite.)
Aucun ouvrage didactique n'a, je crois, fait ressortir complètement
la consanguinité qui existe entre l'accord de septième dominante et
l'accord que la plupart des théoriciens depuis Reicha représentent
comme formé par la superposition de trois tierces, et nomment
accord de septième de deuxième espèce, — tandis que Fétis et ses dis-
ciples le représentent comme formé par ce qu'ils appellent la substitu-
tion et un retard et le nomment accord de septième mineure.
11 me semble que, si j'avais à faire comprendre à des élèves l'ori-
gine de cet accord, sa constitution et sa fonction, je l'analyserais
et le dénommerais comme Reicha et ses successeurs, cette défini-
lion et cette étiquette ayant le mérite d'ôlre claires et de s'imposer
aisément à la mémoire, car une classification numérique des divers
accords de septième serait au moins un excellent moyen mnémo-
technique, même si elle était factice. — Mais je n'omettrais pas, —
pour expliquer la genèse de l'accord de septième deuxième espèce,
— de signaler l'hypothèse de Fêtis, après tout vraisemblable, — en
tout cas intéressante.
J'insisterais ensuite sur la parenté qu'il y a entre l'accord de
septième dominante et l'accord de septième de deuxième espèce.
Le premier appelle dans sa marche naturelle Yaccord parfait de tonique
et se résout, par suite, une quarte au-dessus ou une quarte au-dessous.
Le second appelle dans sa marche naturelle l'accord de septinne
dominante et se résout, par suite, une quarte au-dessus ou une quinte
au-dessous.
En d'autres termes, l'accord de septième de, deuxième espèce est à
l'accord de septième dominante ce que celui-ci est à l'accord parfait de
tonique.
Il est h dominante de la dominante.
La théorie de Fétis explique mieux que toutes les autres la règle
traditionnelle, — sinon la nécessité, — qui oblige à préparer l'ac-
cord de septième de deuxième espèce, puisqu'à ses yeux cet accord
n'est pas naturel mais artificiel, et comprend un r'tarJ.
Il est probable cependant que, dans l'avenir, les compositeurs se
croiront de moins en moins astreints à cette préparation, comme de-
puis fort longtemps une précaution de même ordre est abandonnée
pour l'accord de septième d'iminante.
Il y a belle lurette aussi que Beethoven a commencé sa 48' sonate,
op. 33, par le premier renversement de l'accord de septième de
deuxième espèce sans aucune préparation ;
Depuis, Wagner a osé plus encore. Au second acte de Tristan et
heult (Introduction), il débute en pleine force, par l'accord suivant :
Allegro molto
f> 1 ^
■~,-'
M-
J/t
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Mt^
" — M-
^■
±
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■^
(
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qui, pour l'œil, parait être un accord de sLjcte relardée par la sep-
tième sans préparation, ce retard, par surcroît, ne suivant pas sa ré-
solution naturelle. En réalité, pour l'oreille, c'est un accord de sep-
tième de quatrième espèce, privé de sa quinte (1), et dont la septième
ne se dénoue pas régulièrement sur la sixte, ce qui est doublement
contraire aux règles grammaticales édictées de générations en géné-
rations par les théoriciens les plus éminents, et sanctionné par un
long usage.
Nous n'en sommes pas autrement choqués. Le fait que cette absence
de préparation et cette irrégularité de la résolution n'affectent pas
cruellement notre oreille, suffirait à démontrer qu'à rencontre
de ce que pensait Fétis, les accords de septième sont naturels ou,
— pour parler plus exactement — qu'ils ont été peu à peu acceptés
ou tolérés comme tels sous l'influence de l'habitude.
Ainsi vont les génies, bouleversant les idées reçues, et créant,
sous l'impulsion inconsciente de leur instinct divin, des lois nouvelles.
(.i suivre.) A. Montaux.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtolet. — L'ouvrture de Fritliiof de M. Théodore Dubois
est caracU'risée par quatre thèmes ayani chacun leur expression propre et leur
signilicalion spéciale. Un dessin rythmique s'interpose entre eux, facilite les
contacts et ajoute à l'intérêt des développements symphoniques. L'ensemble
présente un plan musical bien construit et réalisé avec d'éminentes qualités
de style, de noblesse et de distinction. — La musique de M. Ch. Widorpourle
Conte d'avril soulève une petite tempête. Oh! toute petite I On veut réentendre
lui noclurne dont la miniscule période musicale passe du violoncelle à la
clarinette et au violon avec de ravissantes langueurs, mais quelques auditeurs
essayent une timide opposition. Pourquoi donc? Cette pièce, toute gracieuse
et sentimentale, n'est-elle pas dans la forme purement mélodique de celles
que l'on a l'habitudo de consacrer par un bis toujours exaucé ? Mais qu'im-
porte! cette bleuette peut se contenter du tonnerre des applaudissements qui
l'ont accueillie et qui n'ont pas manqué non plus à la Sérénade illyrienne si
ingénieusement écrite. — Les morceaux mélodramatiques composés par M. G.
Fauve pour accompagner les principales scènes de la pièce d'Alexandre Dumas,
Caligula, on' paru ternes dans les parties instrumentales, et les chœurs ont
laissé l'impression d'une sorte de grisaille comparable aux récitatifs de cer-
tains opéras. On eût dit que la mélodie abdiquait devant les paroles. Cette
constatation est plutôt un éloge pour le musicien et montre combien l'optique
du Ibéàlro dillére de celle du concert. — M. Rémy a joué avec une grande
supériorité lo Rondo Capriccioso de Saint-Saëns: il s'affirme avec des qualités
de maître: fermeté dans le rendu musical, justesse et solidité, virtuosité sûre
sans exagérations acrobatiques, et, de plus, style pur et sobre. — M. Colonne
a remporté un magnifique succès personnel par son interprétation du3° acte
du Crépuscule des Dieux. L'impression que doit produire chaque épisode lyrique
de cette œuvre se dégage avec nue telle intensité que la mise en scène est
peu regrettée. Les interprètes étaient MM. Gazeneuve, Dyve et 'Vieuille, et
M"^> Kutsclierra, Mathieu, Texier et Planés; ils ont été à la hauteur do leur
làrlie, mais, malgré tous ses elforts pour reporter sur eux les applaudissc-
menls, c'esl bien an chef d'orchestre qu'est allée l'ovation finale.
AjlÉUÉE BOUTAREL.
(1) On peut se reporter à la partition d'orchestre. Aucun instrument, le long
de l'érhelle sonore, n'articule le si.
LE MÉNESTREL
381
— Concerts Laraoureux. — Un critique de haute valeur, M. Anatole France,
a écrit quelque part ces lignes : « Un poème, un roman, tout beau qu'il est,
devient caduc quand vieillit la forme littéraire dans laquelle il fut conçu:
les œuvres d'art ne peuvent plaire longtemps. Car la nouveauté est pour beau-
coup dans l'agrément qu' elles donnent. » — Se serait-on douté de cela en
entendant, au concert du Cirque, la magistrale exécution donnée par l'or-
chestre Lamoureux de ces deux merveilles, l'ouverture de la Flûte enchantée
de Mozart et la symphonie en la de Beethoven ? Ce, qui est beau est tou-
jours beau, et ce qui est beau ne vieillit pas. Une seule chose est soule-
nable, c'est qu'une œuvre, tant belle soit-elle, si elle est resassée sans mesure
finit par lasser: elle ne perd rien de ses qualités intrinsèques; mais l'effet
s'émousse, et il faut un temps de repos pour que l'oreille retrouve ses premières
impressions. C'est l'histoire éternelle du « pâté d'anguilles ». Voilà des années
et des années qu'on nous ressert les mêmes morceaux de Wagner, la. Siegfried-
Idylle, qui serait un morceau charmant si on l'amputait des deux tiers, les
fragments symphoniques des Maîtres Chanteurs, dont il serait injuste de
méconnaître la valeur scénique, la Hmldigungs-marsch, dont le début est a=sez
beau, mais dont le trio ne serait pas déplacé dans une fête foraine. Croit-on
que ces sempiternels morceaux ne finiront pas par agacer les auditeurs les
mieux disposés, et par produire à la longue une sensation désagréable '? Pour
ceux-là un temps de repos deviendra nécessaire, et, s'ils sont réellement beaux,
c'est précisément le temps qui le dira. Quant à la Forêt enchantée, légende-
symphonie de M. d'Indy qui n'a rien de commun avec la Flûte enchantée de
Mozart, le temps dira également ce qu'il faut en penser. C'est un poème
descriptif: on y entend des bruits d'ailes, des baisers, des soupirs étouffés.
M. d'Indy affectionne le basson: on connaît les deux bassons suggestifs du
Camp de Wallenstein. On a fait souvent remarquer que les grands musiciens
avaient un instrument de prédilection. Weber faisait adorablement chanter
la clarinette et le cor; le petit Auber tirait du hautbois des efi'ets pittoresques ;
M. d'Indy fait gémir le basson, et c'est par de petits crépitements de basson
qu'il commence sa description de baisers et de soupirs étouffés.
H. Barbedeite.
— Programmes des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire: Sj-mphonie enta (Beethoven); Cliœur de PatJlus (llendelssohn); Cin-
quième concerto pour piano (Saint-Saëns), par M. Louis Diémer; Chœur et Marche d'Ido-
raénée (Mozart); les Préludss (Liszt).
Châlelet, concerl Colonne: Symphonie inachevée (Schubert); Concerto pour piano
(B. Godard), par M. Lucien Wurmser ; Poème mystique (Charpentier), chanté par
MM. Cazeneuve et Challet ; Poème réaliste (Charpentier), chanté par M. Cazeneuve et les
chœurs; Poème symbolique (Cbarpentier), chanté par M. Challet et les cliœurs ; Sérénade
à Watteau (Charpentier), chanté par M. Mauguière, M"" Marguerite Mathieu et les
chœurs; Troisième acte du Crépuscule des Dieux (Wagner), soli : M"" Kutscherra, Mar-
guerite Mathieu, Texier, Planés, MM. Cazeneuve, Djve et Vieuille; la Chevauchée des
Valkyries (Wagner).
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux, avecle concours de M. A. de Greef,
professeur au Conservatoire royal de Bruselles : Symphonie italienne, n' i (Mendelssohn) ;
Lumen, symphonie en trois parties : Matin, Midi, Soir (Henri Lu tz), première audition ;
Concerto en sol mineur pour piano (Saint-Saëns), par M. A. de Greef; la Reine Mab ou la
Fée des Songes, scherzo de Roméo et Juliette (Berlioz) ; les Maîtres chanteurs, fragments
(Wagner).
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
Dépêche de Saint-Pétersbourg : Grand succès au Petit Théâtre pour la
Manon de Massenet, chantée en italien. Ovation extraordinaire à Masini, qui
a bissé le songe et l'air de Saint-Sulpice, et à Emilia Corsi, qui a bissé la
scène de la table. Tous deux ont dû répéter aussi le duo du premier acte.
Pourquoi faut-il que toutes ces belles choses se passent au détriment des
droits des auteurs, qui ne sont pas reconnus, on le sait, chez nos bons
amis les Russes?
— L'Opéra royal de Berlin, où l'art français est peu représenté depuis
quelques années, vient de faire la tentative d'ajouter le Benvenuto Cellini de
Berlioz à son répertoire. Cotte tentative fort louable a pleinement réussi. La
première représentation do cette œuvre intéressante a obtenu un succès
marqué et Cellini tiendra pendant longtemps l'afiiche. L'interprétation et la
mise en scène méritent tous les suffrages.
— S'il faut s'en rapporter aux premiers comptes rendus des journaux de
Vienne, le succès du Chevalier d'Harmental dans cette ville ville ne parait pas
avoir été beaucoup plus vif qu'à Paris.
— On écrit de Vienne que l'autorité vient de faire procéder à l'arrestation
de M. Joseph Gennoch, inspecteur du Garl-Théàtre, impliqué dans l'affaire
du récent incendie de ce théâtre, affaire qui, dit-on, s'embrouille de plus en
plus. D'autres arrestations ont été encore opérées, celles du feutirr Kormann
et de deux gardiens, les frères Yelle3,dont l'un pourtant a été relâché. L'ins-
pecteur et les deux autres employés sont accusés d'avoir malicieusement
tenté de mettre le feu au théâtre afin de mériter ensuite une récompense pour
la vigilance apportée par eux à combattre l'incen'Me. Tous passeront en
jugement.
— Les chefs de claque ne son! pas ce qu'un vain peuple pense. Celui de
l'Opéra impérial devienne, qui répond au nom de Schœntag, a fêté récemment
sonjubilé de vingt-cinq années deservices à ce théâtre. Ce personnage impor-
tant n'est pas, dit-on, sans une originalité professionnelle assez remarquable,
et passe pour un novateur en son genre. Il a fixé, paraît-il, une sorte de loi
pour les applaudissements, qu'il fait varier selon qu'ils s'appliquent à un
artiste de premier ou de second rang, et il a établi en outre une classe spé-
ciale d'éloge public, celle du bravo, potir lequel il a établi toute une théorie
très raffinée. Selon le jugement de ce critique très expert, l'impression serait
très fâcheuse sur le public si, après un piano qui va se perdant doucement
dans l'air et lorsqu'une chanteuse a caressé voluptueusement l'oreille des
spectateurs, on entendait le chef de claque troubler le silence avec un applau-
dissement forte. En pareil cas, ledit Schœntag adopte un bravo très discret,
qui semble s'échapper presque involontairement des lèvres d'un de ses...
collaborateurs. Peu de moments après, un autre laisse entendre un second
braoo un peu plus accentué, puis un troisième, et ainsi, de rinforzando en
crescendo, on arrive, à la fin de l'air, à entraîner la salle entière dans une im-
mense explosion d'enthousiasme. C'est ce qu'on peut appeler le comble de
l'art.
— Un comité s'est formé à Vienne, auquel appartiennent plusieurs députés
influents, pour obtenir du Parlement une loi réglant les contrats entre les
directeurs des théâtres autrichiens et leurs pensionnaires. Il s'agit de mettre
fin ;i l'exploitation indigne des artistes à laquelle plusieurs directeurs de
théâtres se livrent, et de défendre certaines clauses que ces directeurs imposent,
par contrat, aux pensionnaires. Le comité vient d'élaborer une pétition au
Reichstag autrichien, qui expose les griefs des artistes et qui est signée par
deux mille acteurs et actrices autrichiens, parmi lesquels se trouvent plus
de six cents artistes engagés à Vienne même. On estime que cette pétition
sera suivie d'effet.
— Les di-ux marches militaires de Beethoven qu'on a découvertes en par-
tition autographe dans la bibliothèque de l'ordre Teutonique, à Troppau, et
dont nous avons parlé il y a quelques semaines, ne sont pas inédites.
Après avoir pris connaissance du manuscrit, les experts viennois ont décou-
vert que Beethoven a utilisé ces marches plusieurs fois avec dos variantes,
surtout tn ce qui concerne l'orchestration. Il en existe donc plusieurs
partitions autographes. Pour la première fois, Beethoven a écrit l'une
de ces deux marches en 1809 pour la milice territoriale du royaume
de Bohème : la maisoa Artaria, de Vienne, qui fut l'éditeur du maître,
en possède encore deux autographes, car Beethoven y ajouta après
coup un « trio ». Un « trio » autographe se trouve aussi chez Artaria pour
la deuxième marche. Une seconde fois, ces deux marches furent utilisées
par Beethoven pour un régiment d'infanterie viennois appartenant à l'archi"
duc Antoine, grand maître de l'ordre Teutonique. Ce sont les autographes
trouvés à Troppau. Peu de temps après, Beethoven écrivit une nouvelle
version de ces marches pour un carousel qui eut lieu, le 23 août 1810, en
l'honneur de l'impératrice d'Autriche. Cette troisième version a été publiée,
en 18~8, dans l'édition complète de l'œuvre de Beethoven par la maison
Breilkopf et Haertel. La première de ces deux marches, en partition pour
grand orchestre militaire, a été publiée du vivant de Beethoven, à Berlin,
chez l'éditeur Schlesinger, avec une dédicace « au corps de York 1813 »
dans une « collection de marches redoublées pour l'armée prussienne ». Il
est fort peu vraisemblable qu'on trouve encore des compositions inconnues
de Beethoven.
— Un novivel opéra, en un acte, intitulé Ratbold, livret d'après Félix Dahn,
musique de M. Reinhold Becker, a remporté un grand succès au théâtre de
Mayence.
— Une danseuse qui peut jouer à l'occasion le comédie ne se trouve pas
tous les jours. Le théâtre allemand de Prague dispose de cet oiseau rare,
M"' Bessoni, une charmante Italienne qui ne dit pas un mot d'allemand et
qui est la favorite du public. Or, on devait jouer à ce théâtre une petite pièce
allemande où se trouve le rôle d'une danseuse italienne, qui ne doit parler
que français et italien. M. Neumann, le directeur du théâtre allemand de
Prague, cherchait une artiste pour lui confier ce rôle, loi'sque sa première
danseuse offrit de s'en charger. L'offre fut acceptée sous réserve, et dès la
première répétition, M"= Bessoni joua avec tant de verve et de sûreté
que tout le monde en fut enthousiasmé. La première de la petite pièce en
question vient d'avoir lieu, et le public de Prague a couvert la danseuse
talentueuse d'applaudissements. M"= Bessoni est engagée, à partir du l^' jan-
vier 1897 à l'Opéra impérial de Vienne, en qualité de première danseuse.
Peut-être voudra-t-elle un jour y chanter, comme elle a joué la comédie à
Prague.
— Une opérette intitulée Anne-Louise, musique de M. Fritz Baselt, a rem-
porté un joli succès au théâtre de Cassel.
— Nouvel échec de l'opéra allemand à Amsterdam. Cette fois la décom-
flture de l'imprésario est tellement lamentable, que les ressources des socié-
tés de bienfaisance allemandes ne suffisent pas et qu'elles ont été obligées de
s'adresser aux artistes de l'Allemagne et de l'Autriche pour pouvoir rapatrier
les malheureux choristes et les membres de l'orchestre.
— Les concerts de la Société symphonique Ysaye, à Bruxelles, seront cet
hiver au nombre de six, dont le premier aura lieu aujourd'hui dimanche
29 novembre, avec le concours de M. Raoul Pugno. Voici le programme de
cetto première séance : Ouverture dramatique de M. Wihtol, compositeur
russe ; Symphonie héroïque de Beethoven: Concerto en la mineur, pour piano.
38-2
LE MÉNESTREL
(le Gii.wr; Suite champêtre, do Qiabrier ; Poème Je Fr. Rasse: Fanlàisie en ut,
de Schubert : Iffarcbe écossaise de Debussy. Les cinq autres concerts sont fixés
«onime suit : 10 janvier (axec le quatuor a capella néerlandais); 31 janvier
(avec M"« Gullbranson, du théâtre de Bayreuth); 14 février (sotis la direction
de M. Félix Mottl, avec le concours de M"' Félix Mottl, cantatrice du théâtre
grand-ducal de Carlsruhe): 21 mars (avec MM. César Thomson et Eugène
Vsarj-e); enfin le jeudi-saini (avec M. Sylvain Dupuis et les chœurs de la Legia,
de Liège). Les concerts auront lieu dans la salle de l'Alhambra.
— On mande d'Anvers que Mazeppa l'opéra de MM. Gh. Grandmougin et
G. Hai'tmaon, mis en musique par M°'<' de Grandval, a parfaitement réussi au
Théâtre royal. Interprétation excellente sous la direction du remarquable chef
d'orchestre, M. Ruhlmann.
— Vif succès à Tournai pour la Résurrection de Lazare, de M. Raoul Pugno.
Très belle exécution. Les chœurs surtout ont été remarquables. Plusieurs
salves d'applaudissements ont accueilli la péroraison de l'œuvre. En présence
de ce grand succès, la Société philharmonique de Tournai a décidé de donner
l'an prochain le Prométhée du même compositem'.
— Le répertoire du théâtre de Berne parait devoir être, cet hiver, intéres-
sant et chargé tout à la fois. On signale tout d'abord les ouvrages suivants :
Lili-Tsce, de Curti; l'Évangéliste, de Kienzl; Sans Sachs et Faust, de Lortzing ;
te Croisade des dames, de Schubert; la Mégère apprivoisée, d'Hermann Goetz ;
Orphée, de Gluck; Raensel et Gretel et les Enfants durai, de Humperdiiick.
Puis viendra un cycle historique dans lequel la France sera représentée par
leBevin du village de J.-J. Rousseau, le Billet de loterie de Nicole et le Chalet
d'Adam, l'Allemag le par Abou-Hassan de Weber et la Répétition d'opéra de
Lortzing, et l'Italie par la Serva padrona da Pergolèse, le Cantatrici villani de
Fioravanti et Zanetto de Mascagui.
— De Milan on annonce le mariage du jeune compositeur Umberto
Giordano, l'heureux auteur lïAtidré Chénier, avec M"' Olga Spatz, fille du
propriétaire de l'hôtel de Milan. Au nombre des témoins se trouvait
M'. Edouard Sonzogno, l'éditeur imprésario à qui M. Giordano doit d'avoir
vu jouer son opéra. Parmi les présents faits aux nouveaux mariés on signale
UU' riche éventail envoyé par "Verdi à la jeune épouse, et... les insignes de
ehevalier de la Couronne d'Italie, qui sont parvenus le jour même à son mari.
— Une nouvelle importante, qui est mise en cours en ces termes par un
journal italien : « On annonce que Verdi a exprimé le désir d'apprendre à
aller en vélocipède. » Un autre journal ajoute gravement que « la nouvelle
mérite confirmation. » Attendons-nous à voir prochainement la mise en
vente de la o bicyclette Verdi a.
— Le petit théâtre Fossati, à Milan, met d'un seul coup à la scène trois
opérettes nouvelles : Vincit amor du maestro Federico Giardina, la Presa di
Yahpignatta, du maestro Dall'Argine, et VAgenzia di commenditori, du maestro
Bonfîglioli.
— La préfecture de Gatane a ordonné d'un seul coup la fermeture de trois
lîiéàlres de cette ville, comme n'offrant pas assez de sécurité pour le public
en cas d'incendie. Ces trois théâtres sont celui du Prince de Naples, le Cas-
tagnola et le Nazionale.
— Singulière annonce trouvée dans un journal italien. — « Orchestre des
dames italiennes, 4897. Grande tournée dans l'Amérique du Sud. Pour le compte
d'une entreprise renommée, qui offre les plus grandes garanties de sérieux et
de solvabiliti.', on demande 50 demoiselles instrumentistes disposées à accepter
un engagement pour l'Amérique du Sud (Buenos-Ayres, Montevideo, Rio-
Janeiro, San Paolo, Las Palmas, Rosario, etc., etc.). Engagement garanti
pour six mois. Embarquement à Gènes ou à Bordeaux, dans la première
dizaine d'avril 1897. Voyage payé durant la tournée entière en seconde classe,
avec traitement spécial. Appointements mensuels à débattre, les plus grands
avantages étant accordés aux jeunes instrumentistes à vent (à moi, les souf-
fleuses de trombone et de clarinette!). Une très élégante toilette de soirée
sera fournie, aux frais de l'enti'eprise, pour tout le personnel. Une réelle habi-
leté technique est indispensable, un très abondant répertoire de musique
classique devant être exécuté. La photographie est indispensable « . Il ne faut pas
seulement avoir du talent et bien jouer de la contrebasse ou de l'ophioléide, il
tant encore être jolie ! Avis aux amateurs féminins.
— On sait que le gouvernement espagnol, pour parer aux frais de ses
guerres coloniales, a établi de nouveaux impôts et, entre autres, a frappé
l'es théâtres d'une lourde taxe supplémentaire. Or, les directeurs des scènes
madrilènes ne veulent point entendre parler de cette taxe, et ils ne se
bornent pas à protester contre elle. Ils se sont réunis â ce sujet et ont pris
la résolution de fermer tous les théâtres de la capitale si la susdite taxe
n'est pas immédiatement supprimée.
— Voici le tableau définitif de la troupe, du Liceo de Barcelone, pour la
saison qui vient de s'ouvrir : soprani. M"'* Eva Tetrazzini, Bordalba, Elisa
Petrj, Bolska-Skompska, Cajola Bayo, Italia Del Torre, Olietti-Morozzo ;
mezzo-soprani et contralti, Campodonico, Ida Monteleone, Blancbai't--\bades ;
ténors, MM. Cardinali,Giraud, Bayo, Armandi ; Ijarytons, Ramon Blancbart,
Angelini-Fornari, Puiggener; basses, Perrello, Oreste Lupu, Volpoui. Chefs
d'orchestre: MM. Campanini et Acerbi. Au répertoire, Falslaff,Olello, Ilamlet,
le- Fieischûtz, Manon, Mefistefele, Gioconda, Roméo et Juliette, Norma, Jann-
hâuser, Garin et Samsrni et Dalila, qui n'a jamais été joué et pour lequel on
prépaïe quatre décors entièrement nouveaux.
— On nous écrit du Caire : Notre saison d'opéra va commencer la 21 no-
vembre, et promet d'être particulièrement brillante. Le répertoire annoncé
nous promet comme nouveautés Orphée de Gluck, le Portrait de Manon de
Massenet, Phryné àe Saint^Saëns et Tannhauser. Parmi les aulres œuvres an-
noncées nous trouvons Hérodiade, Wertlwr, le Cid, Manon, Sigurd, Hamlel,
Samson et Dalila, l'Africaine, Faust, la Juive, les Huguenots et l'Étoile dû Nord.
L'art italien n'est représenté que par le Barbier de Séville, Rigoletto et ,'l/rf«,
oiiéra obligatoire chez nous.
— Une correspondance de Buenos-Ayres prétend que le fameux ténor
Tamagno s'associerait avec l'imprésario Ferrari pour prendre la direction du
théâtre italien de cette ville, et que M""" Mclba ferait partie de leur prochaine
troupe. Est-ce que ledit Tamagno croirait gagner plus, dans cette entreprise
que les 7.000 francs qu'il se fait adjuger d'ordinaire pour chacune de ses
représentations ?
— A Batavia, capilale de l'ile de Java, on vient de jouer la il/anou iln
Massenet avec un succès énorme. Le rôle principal était confié à une jeune
artiste javanaise, née à Batavia même, M'" Maeth Piazza, qui a enthousiasnn'
le public par sa voix ravissante et le charme de son jeu. C'est égal : ni l'alibé
Prévost ni Massenet n'eussent rêvé Manon sous les traits de ces frêles ligii-
rines javanaises que nous avons tant admirées à l'esplanade des Invalides on
1889 et dont le charme captivant était tout autre que celui de la jolie fille de
France qui devait finir si tristement dans le nouveau monde. Et les San-
derson, les van Zandt, les Renard ainsi que les aulres interprètes de ce rôle
charmant et émouvant entre tous, n'ont certainemeni jamais pensé qu'une
concurrente de race jaune viendrait un jour leur disputer la jilace pour celle
Manon, fût-ce à Batavia. Et voici que la diva javanaise, encouragée, annonce
de prochaines représentations de la Navarraise, tout comme si elle était
M"' Calvé. Il faut espérer que nous verrons débuter à Paris cette diva mer-
veilleuse à l'Exposition de 1900.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Association des Artistes musiciens a donné A'endredi à l'église Sainl-
Eustache la messe en musique qu'elle a l'habitude de faire entendre tous les
ans au bénéfice de l'Association. Cette fois, le choix s'était porté sur la Messe
de Saint François d'Assise de Paladilhe et le succès en a été très ^^f. C'est une
œuvre pleine de charme, conçue un peu dans la manière de Mozart, qui
n'était pas la plus mauvaise. A côté de pages délicates, on y trouve aussi des
ensembles d'une belle sonorité qui emplissaient admirablementla grande nef do
Saiut-Eustache. Cette messe fait le plus grand honneur à son auteur. M. Danbé
endirigeaill'orchestre avec sa maîtrise habituelle, encore que l'unique répétition
qu'on avait, pu faire fût évidemment insuffisante. MM. Auguez et Warmbrodt
chantaient les soli avec talent. Mais, chose à jamais regrettable, c'était uu
enfant de chœur qui interprétait la partie 'du soprano. Et ce fut bien cruel
par instants. Il faut s'en prendre au cardinal-archevêque de Paris, dont la
tolérance ne va pas encore jusqu'à autoriser les voix de femmes dans les
églises. Pourquoi ? Il est bien étrange qu'on les y trouve plus malséantes que
les voix d'hommes. Ce sont de ces mystères qu'il faut renoncer à pénétrer. —
M. Pennequin, en guise d'intermède, a admirablement interprété sur son vio-
lon la romance en fa de Beethoven, et on a terminé avec une superbe marche
solennelle de Victorin Joncières. La quête a été des plus fructueuses.
— La question de l'Odéon est-elle décidément vidée? Voici que M. An-
toine, quiavait accepté la combinaison par laquelle il devenait simple directeur
de la scène à ce théâtre, se ravise et adresse au ministre, en la communi-
quant préalablement à la presse, une lettre qui lui annonce qu'il se démet
de ces fonctions. Voilà M. Ginisty seul directeur, seul en nom et seul res-
ponsable de la situation. Il est probable que les choses n'en iront pas plus
mal.
— Intéressants détails donnés par M.Jules Iluret, du Figaro : « La recons-
truction de l'Opéra-Comique a été évaluée à 3.500.000 francs. Depuis 1893
diverses allocations ont été ouvertes au budget, elles s'élèvent à 3.044.114francs.
Il reste donc 435.886 francs à dépenser pour parfaire le montant des évalua-
tions du devis. Les travaux de la nouvelle salle en construction ne seront
terminés qu'en 1898. On pose actuellement la toiture, et les éludes de la déco-
ration intérieure sont faites. Néanmoins, l'inauguration ne pourra vraisemlila-
blcment avoir lieu qu'au commencement de 1899. Il faut donc se résoudre
à voir la somme de 80.000 francs, prix de la location à la Ville de la salle
actuelle de la place du Châtelet, figurerencore au budget pendant deux années.
La salle de la rue Favart a été incendiée en 1887 ; les travaux de terrassement
et de maçonnerie de la reconstruction n'ont pu être commencés qu'en 1894. Si
donc, on avait su se décider immédiatement à cette reconstruction inévitable,
la dépense du loyer de la salle de la place du Châlelet eût été économisée
pendant six années au moins. — Quanta la somme de 3.SOO.O0O francs, qui
a été fixée dans le principe à titre d'allocation générale, elle sera dépassée de
plusieurs centaines de mille francs. La dépense supplémentaire, en dehors de
l'imprévu extraordinaire, aura eu deux causes : l'augmentation de la surface
à bâtir par l'avancement de la façade sur la place Boieldieu, avancement qui
résulte d'une modification apportée au projet par l'administration; et ensuite
la plus-value considérable des frais d'édification d'un nouveau mur mitoyen
entre le théâtre et la maison du boulèvnrd des Italiens, qui Itii restera adossée».
— M. Cuignache, chef de chant â l'Opéra-Comique, est nommé professeur
de solfège (instrumentistes), au Conservatoire, en remplacement de M. Na-
poléon Alkan, admis à faire valoir ses droits à la retraite.
LE MENESTREL
383
— Gesl mei-credi prochain que M"» Van Zaïidt fera sa rentrée à l'Opéra-
Comique, dans cette Lakmé qui fut une de ses plus belles créations. Soirée
artistique de grande curiosité.
— C'est hier samedi que M"°GaIvé s'est embarquée au Havre, à destination
de New- York. Avant de quitter Paris, dit Nicolet du Gaulois, engagement a
été pris par elk avec M. Carvalho pour la création de la Saplio de M. Masse-
net, à rOpéra-Gomique, pendant la saison 1897-1898.
— M. Théodore Dubois vient de terminer la partition d'un poème légen-
daire, Notre-Dame de la mer (Louis Gallet scripsit), avec soli, chœurs et une
partie de récitant. Gette œuvre nouvelle sera exécutée pour la première fois
cet hiver aux concerts Lamoureux. Le compositeur de Xavière et des Sept
Paroles a également terminé un important concerto pour piano qui verra le
jour également cet hiver. Ges deux compositions vont paraître prochainement
au Ménestrel.
— On a vendu cette semaine, à l'hôtel Drouot, la partition antographe de
Guillaume Tell, de Rossini. Ge manuscrit précieux, qui était divisé en quatre
volumes, avait été donné par Rossini à son éditeur Troupenas, prédécesseur
des maisons Schlesinger et Brandus ; à la mort de Troupenas, en 1850, il
était passé aux mains d'un de ses héritiers. Il était vivement disputé à la
ven(;e de ces jours derniers. Sur une première demande de 2.000 francs et
sur une mise à prix de SCO francs qui, a provoqué aussitôt des enchères très
vives, il a monté rapidement jusqu'à 4.000 francs et, finalement, a été
adjugé à 4.700 francs. Dans la même adjudication se trouvait compris un
portrait de Rossini par Ary Schœffer, qui a été payé 6.000 francs pour être
offert au Gonservatoire. On a vendu aussi divers portraits ou bustes d'Auber,
de la Malibran et du second époux de celle-ci, le célèbre violoniste Gharles
de Bériot.
— M. Léon Delal'osse vient de se faire entendre aux concerts symphoniques
de Queens'IIall, à Londres, avec un très grand succès. Après six rappels, le
si remarquable pianiste a dû ajouter au prograitime une délicieuse étude de
sa compositiun : Campanules.
— M. Constant Pierre poursuivant ses études sur les origines du Gonserva-
toire, nous donne à la Librairie Fischbacher l'histoire du Magasin de musique
à l'usage des fêtes nationales et du Conservatoire, exploité collectivement par
Méhul, Gossec, Gherubini, et leurs collègues de l'Institut national. Rien ne
manque à ce nouveau travail de ce qui a fait le succès des publications
antérieures de M. Pierre. Les documents inédits abondent, et on peut être
sur qu'ils sont puisés aux meilleures sources. La brochure renferme le cata-
logue des oeuvres publiées par le Magasin. On y trouve, à côté des hymnes de
circonstance (entre autres le Chant du départ), la liste de ces célèbres méthodes
dites du Gonservatoire qui ont porté partout le renom de notre école de mu-
sique et dont le Ménestrel a fait des rééditions. Euo. de B.
— Sous ce titre général : Le Cycle Berlioz, et sous ce titre particulier : La
Damnation de Faust, M. J.-6. Prod'homme publie le premier d'une série de
douze volumes consacrée à l'étude de l'œuvre complet de Berlioz. Douze
volumes pour un seul compositeur, peut-être est-ce beaucoup ! Car enfin, si
l'on devait faire de même pour tous les autres, la vie ne serait pas assez
longue pour tout lire, et quel que soit l'amour qu'on porte à la musique, il
faut pourtant bien avouer qu'il existe autre chose dans le monde, dont on a
le droit et le devoir de s'occuper. On m'objectera l'abondance, je devrais
dire la surabondance, de la littérature wagnérienne. Mais aussi, qui s'avise
de lire aujourd'hui, à part leurs auteurs, les écrits qui se publient chaque
jour sur le maitre de Bayreuth? Ge que j'en dis n'est point d'ailleurs pour
déprécier le premier volume — dont l'aspect matériel est un peu bizarre —
que nous présente M. Prod'liomme. Son livre, qui est plus historique que
ciitique, est bien fait dans l'ordre d'idées conçu par l'auteur, et complet en
son genre. On y sent un admirateur convaincu de Berlioz, et d'une rare
sincérité. Mais pourquoi cette admiration se traduit-elle par une sorte de
dédain et de moquerie indirecte envers d'autres maîtres qui valaient au
moins Berlioz, pour ne lui pas ressembler? Pourquoi l'écrivain parait-il
railler en parlant de « l'eu Charles » Gounod et de « M. » Auber, alors
qu'il dit Berlioz tout court? Ne nous corrigerons-nous donc pas de cet exclu-
visme maladroit et injuste, qui nous porte à blaguer nos plus grands génies
pour en exalter d'autres, et croit-on le public assez sot pour entrer dans ces
vues étroites et ne pas faire la part de chacun. Rien ne fera que Faust et le
Domino noir, Roméo et Juliette et Fra Diavolo, ne soient des œuvres exquises,
et cela ne 'fera nul tort, croyez-le bien, à l'admiration que l'on peut ressentir
pour la Damnation de Faust on pour toute œuvre d'un autre genre. — A. P.
— C'est M. Ernest Aider qui dirige à présent les concerts classiques de
l'Association artistique de Marseille, et le choix paraît être heureux, d'après
le succès du premier programme. On y a fort goûté la belle introduction de
Rédemption de César Franck et les jolies Scènes alsaciennes de Massenet; Sous
les tilleuls ont eu un bis d'acclamation. Aujourd'hui dimanche, M. Aider fera
entendre d'importants fragments de Parsifal avec 200 exécutants (chœur et
orchestre).
— De Marseille : M. Lefort, le violoniste bien connu , professeur au Con-
servatoire de Paris, s'est fait entendre au concert de l'Association artistique,
avec un immense succès. Il a exécuté une suite inédite de Paul Ghabeaux
avec accompagnement d'orchestre, des œuvres de "Widor, Gabriel-Marie et
une polonaise de Taub qui lui ont valu des acclamations répct('^es. Rappelé,
M. Lefort a l'ait encore entendre un poème hongrois de Ilubay et une
mazurka de "Wieniawski.
— Aujourd'hui dimanche, 29, le groupe du XV= arrondissement de l'Union
des Femmes de France donne une matinée musicale et littéraire dans la
salle des fêtes, 154, rue Leconrbe, au proût des blessés des armées de terre et
de mer. Au programme, l'organiste Glaire Lebrun, le violoniste Planel,
Goquelin, etc., et une scène Louis XV, une Résolution, par Zari. Présidente
d'honneur: M"" Pasteur.
— De Chartres on nous signale le grand succès du concert donné par la
Lyre chartraine. Applaudissements enthousiastes pour l'excellent violoniste
A. WeingEertencr, ainsi que pour le baryton Pecquery et la charmante Simone
d'Arnaud, exquise dans la gavotte de Manon.
NÉCROLOGIE
Le fameux ténor Italo Gampanini, dont nous annoncions récemment le
grave état de santé, est mort le 14 de ce mois dans sa villa de Vigatto, près
de Parme. Il était né à Parme en 1845, et après avoir fréquenté pendant
trois années l'école de musi(iue de cette ville, il était devenu l'élève du
célèbre professeur Lamperti. Doué d'une fort belle voix, il devint non seule
ment chanteur excellent, mais acteur remarquable. Ses débuts à Odessa dans
le TroTOtore furent des plus heureux, et bientôt il parcourut l'Italie, l'Europe
et l'Amérique au bruit des applaudissements. Il fut le premier à chanter en
Italie Lohengrin (à la Scala de Milan), et ce rôle fut, toujours et partout, l'un
de ses plus grands triomphes. Il se faisait acclamer aussi dans Faust, Carmen,
Don Juan, Lucie de Lammermoor, Mefistofele, les Huguenots, Ruy Blas, et le succès
ne cessa de l'accompagner, qu'il chantât à Madrid, àBarcelone, à Lisbonne, à
Londres, à Moscou, à Saint-Pétersbourg ou à New- York. Dans cette dernière
ville on l'appelait the idéal ténor. Il adorait d'ailleurs le théâtre, etquelques jours
avant sa mort, comme il faisait part do ses angoisses à un ami, il lui disait
qu'il enviait le sort du plus humble comprimario, qui pouvait encore arpenter la
la scène et se présenter devant le public. Gampanini avait amassé une for-
tune considérable, dont il faisait le plus noble usage, en employant une no-
table partie à des œuvi-es de bienfaisance, ainsi qu'il le fit à Parme, sa ville
natale, et à New-York, au profit de la colonie italienne.
— Ou lit dans le Tromtore : « Dans un hôpital de Buenos-Ayres est morte,
pauvre et abandonnée, Bianca Blume, qui fut naguère une cantatrice célèbre
et acclamée, bien connue en Italie pour avoir été la première qui chanta
les opéras de "Wagner, excitant un véritable enthousiasme au théâtre Com-
munal de Bologne et à la Scala de Milan. Il y a plusieurs années cotte excel-
lente artiste, déjà réduite à de tristes conditions financières, veuve et en-
dolorie par les chagrins et les désillusions de la vie, se rendit à Buenos-
Ayres, où elle se consacra à l'enseignement du chant. Mais la .fortune ne
lui sourit pas, et la pauvre est morte presque ignorée de tous, sur un lit
d'hôpital, elle qui avait brillé, devant des publics enthousiastes, dans toute
la splendeur de la beauté, de la jeunesse et du talent !.... »
— Un excellent artiste, aussi modeste que distingué, Louis-Joseph-Marie
Mas, est mort récemment à Paris. Il fut pendant longtemps membre de la
Société des concerts et fit partie du fameux quatuor Maurin, Ghevillard,
Mas et Sabatier, dont il était le dernier survivant. Mas était âgé de 75 ans.
— Le doyen des musiciens néerlandais, J.-G. Boers, vient de mourir à
Deift, à l'âge de 84 ans. Né à Nimègue en 1812, fils d'un musicien qui lui
donna ses premières leçons, il devint, à l'École royale de musique de la Haye,
élève de Lubeck pour le violon et la composition. Après avoir été quelque
temps chef d'orchestre, il vint à Paris, fit partie des orchestres du Casino
Paginini et des concerts Valentino, puis, tout en donnant des leçons d'har-
monie, accepta l'emploi de correcteur d'épreuves de la maison Richault. On
le trouve ensuite, en 1839, chef d'orchestre à Metz, deux ans après il re-
tourne dans sa ville natale, où il reste jusqu'en 1833, et enfin, à cette époque,
il est appelé à remplir les fonctions de directeur de musique à Delft, qu'il
ne devait plus quitter désormais. Compositeur estimé dans sa patrie, Boers
a beaucoup écrit, et l'on connaît de lui, entre autres, plusieurs ouvertures,
symphoniequi a obtenu une mention honorable dans unconcoiirsouvertpar la
Société d'encouragement pour l'art musical, plusieurs recueils île lieder et le
128™= psaume pour soli chœurs et orchestre. Il s'est occupé de littérature
musicale, et pendant de longues années a travaillé à deux ouvrages impor-
tants, une Bibliographie de tous les ouvrages de musique néerlandais anciens et
modernes et une Histoire des instrumenls de musique aumoyen âge. Nous ignorons
si ces deux ouvrages ont été publiés.
— De Renaix on annonce la mort d'Abel Régibo, directeur de l'École de
musique de cette ville, où il était né en 1835. Fils d'un chef de musique de
l'armée hollandaise, il fut d'abord élève du Gonservaloîre de Gand, où il
obtint un premier prix d'harmonie, travailla ensuite le contrepoint avec
M. Gevaert, puis, admis au Gonservatoire de Bruxelles, y étudia la compo-
sition avec Fétis et l'orgue avec Lemmens. Devenu virtuose de premier ordre
sur cet instrument, il donna des concerts à Paris, en Hollande et à Londres.
Il était directeur de l'École de musique de Renaix depuis 1872.
Henri Heugkl, directeur-gérant.
OCCASION EXCEPTIONNELLE. A vendre orgue de salon à tuyaux de
13 jeux, 2 claviers à mains, pédalier, butl'et en noyer. Montre décorative.
Construit dans les ateliers de la manufacture de grand orgue, J. Merklin et G'^
22 rue Delambre, à Paris. Il peut être examiné dans ces ateliers, essayé e
livré immédiatement.
348
LE MÉNESTREL
Soixante-tx^olsièm© année de publication
PRIMES 1897 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en liuit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le CDA.;VT ou pour le l»IA.\0, de moyenne dilficullé, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CIIA:%T et PIAtVO.
C xi A. JN T (.[" MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
J. MASSENET
VINGT MÉLODIES
4- ET NOUVEAU VOLUME
Recueil in-S"
P. MASCÂGNI
CAVALLERIA RUSÏICANA
DRAME LYRIQUE
Partition française chant t
REYNALDO HAHN
VINGT MÉLODIES
PREMIEIl VOLUME
Recueil in-8''
Ou à Tun des trois premiers Recueils de Mélodies de J. Massenet
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n°'), un volume relié io-S", avec illustrations en <
LOUIS VAMEY
LE PAPA DE FRANGINE
OPÉRETTE EN QUATRE ACTES
Partition in-8"
alear d'ADRIEN MARIE
P I A. PS O (2» MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
P. MASCAGNI
CAVALLERIA RUSTIGANA
DRAME LYRIQUE
Partition pour piano solo in-S»
U. GIORDANO
ANDRÉ CHÉNIER
DRAME HISTORIQUE
Partition pour piano solo i
EDMOND mSSA
L'HOTE
PANTOMIME POUR PTAKO SOLO
Livret de MM. Carré et Hugounet.
LOUIS DŒMER
LES VIEUX MAITRES
12 TRANSCRIPTIONS POUR PIA
Société des Instruments s
à l'un des volumes in-8° des CLASSIQUES-MARMONTEL: MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CL.EMENTI, CHOPIN, ou à l'un des
recueils du PIANISTE - LECTEUR, rep: ■ • ■ ■ ' - ^ ■ ' '- "- " ' j- -x_....:„ ^.
danses de JOHANN STRAUSS, GUNGN
recueils du PIANISTE - LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes - compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire de
"JNG^L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne, ou STRAUSS, de Paris.
A l'
U. GIORDANO
ANDRÉ CHÉNIER
Drame historique en 3 actes
d'ILLIC A.
Traduction française de PAUL MILLIET
GRAND SUCCES DE MILAN
PARTITION CHANT ET PIANO
W.-A. MOZART
DON JUAN
Opéra complet en 2 actes
de T>A. FOISTE
Seule édition confome à la partition originale de l'auteur et
LA SEULE QU'ON NE JOUE PAS
DOUBLE TEXTE FRANÇAIS ET ITALIEN
NOTA IMPORTANT. — Ce» prime» sont ilélii
ïratulteni'iiit dans nos bureaux, 2 bis, rue VUlenne, à partlrdn 20 Décembre 1896, à tout ancien
ou nouvel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement an MÉiXESTBEIi pour l'année 189Ï. .loindre au prix d'abonnement un
supplément A'VK ou de DEUX francs pour l'envol franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour l'Etranger, l'envol franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
les aboQttésauChanl peuvent prettdre la primePianoel vice versa.-Ceui au Piano elau Chanl réunis oui seuls droit à la grande Prime.- Les abonnés au leileseul n'ont droiliaucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNE.IIENT AU « MÉNESTREL » PIANO
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux de ceamt ; | 2' Moded'abonnement : Journal;Text9, tous les dimanches ; 26 morceaux de piano
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Etranger, l'rais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3" Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime. -Un an: 30 tranos, farii.
et Province; Étranger: Poste en sus.
4' Afcde. Texte seul, sans droit aux primes, no an : 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel^ 2 bis, rue Vivienne.
fantaisies. Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine! 1 Reouell-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger : Frais de poste en sus.
. — IMPRIMERIE CBAIZ RUE BERGERE. 30.
3428. — 62- Mm — \° 49.
Diiiiaoclic 0 Décembre 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET TIIÉATR,ES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel. 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Teite et Musique de Chant, 20 fr.; Teste et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étrcager, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Étude sur Orphée (15' et dernier article), Julien Tiersot. — II. Semaine
théâtrale : Rentrée de M"° Van Zandt à l'Opéra-Comique; Lorenzaccio à la
Renaissance, H. Moi\eno; premières représentations de ilomieur Lohengrin
aux Bouffes-Parisiens, des Yeux dos, du Danger et de la Révolte à l'Odéon ; le
Feu au moulin au Nouveau-Cirque, P.iuL-Éjiu.E-CuEvALiEn. — III. Musique et
prison ("24' article) : Crimes de droit commun, P.iUL d'Esthée. — IV. La Messe
de Saint François d'Assise, de Paladilhe. — V. Revue des grands concerts. —
VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de pi.4no recevront, avec le numéro de ce jour :
MUSCADINS ET MUSCADINES
transcriptions pour piano extraites de l'opéra de Giordano, André Chénier, le
grand succès du théâtre de la Scala à Milan. — Suivra immédiatement, la
Gavotte pour les Heures et les Zéphyrs, extraite de l'opéra inédit de Rameau,
les Boréades, transcription pour piano de Louis Diémer, répertoire de la Société
des instruments anciens.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CHANT : le Cantabile de Madeleine, chanté dans l'opéra de Giordano, le grand
succès du théâtre de la Scala à Milan. — Suivra immédiatement : Fleur dans un
livre, mélodie du comte de l'oNiENAiiLES, poésie deM.L. LeLasseur de Ranzay.
PRIMES POUR L'ANNÉE 1897
( Voir à la 8" page du Journal.)
ETUDE SUR ORPHÉE
De GLUCK
(Suite)
Un dernier détail achèvera de nous édifier sur les... habi-
letés de Philidor. Nous savons qaOrfeo ed Euridice fut repré-
senté à Vienne en 1762, et nous avons vu que la lettre par
laquelle Favart annonce que Philidor se charge de donner
ses soins à la gravure de la partition est datée du 19 avril
1763. Or, ladite partition, publiée sous la direction dudit
Philidor, porte sur le titre cette mention mensongère :
Mappres entala in Vienna nell' anno i764 (1).
(1) Fétis a contesté que Philidor ait pu prendre un air de son Sorcier dans
Or/co ; et sur quelle raison s'appuie-t-il ? Çu'Or/'eo fut représenté en I70i! Mnsi
la supercherie a réussi au delà de toute espérance, puisque l'auteur de la
Biographie universelle des musiciens s'y est laissé prendre! Il ajoute d'ailleurs, au
sujet du plagiat reproché à Philidor: « Il n'y a pas un mot dans tout cela qui
ne soit, de toute évidence, inventé à plaisir... La comparaison que j'ai faite avec
soin des deux partitions de Gluck et de Philidor m'a démontré qu'il n'y a pas une phrase
commune entre elles. » Le lecteur a pu juger par lu'.-même de l'exactitude de
cette proposition.
Et, malheureusement, ce n'est pas tout. On nous avait dit
que l'ouverture d'Orphée était la même que celle d'Emelinde,
de Philidor. Le fait fùt-il exact qu'il n'eût fait aucun tort à
la mémoire de Gluck, Emelinde ayant été représentée à l'Opéra
de Paris en 1767, cinq ans par conséquent après ÏOrfeo de
Vienne : au reste l'attribution est fausse, et s'il se trouve
dans le morceau de Philidor quelques dessins communs avec
celui de Gluck, on ne peut, ici, parler ni d'imitation, ni de
réminiscence, car ces dessins étaient de simples formules
courantes, — ne craignons pas de dire: banales, — n'appar-
tenant pas plus à Philidor qu'à Gluck. Mais en lisant la suite
de cet opéra, nous avons, dès le premier morceau, constaté
que, décidément, la correction des épreuves d'Or/'eo avait eu
une influence sérieuse sur l'évolution du génie de son auteur!...
Voici, en effet, la ritournelle du duo par lequel s'ouvre la
partition d'Emelinde :
Allegro
--,
i
^^^
Ur p
#
^
-^ — p-
r r p
#
#H
!
V-L^J 7
-'■i — p —
-P — r —
-T—
—
-kg— p —
HrU
^'
Issi
^
1^
'1^
Gs motif sert de thème principal à tout le morceau, dont
voici la première phrase de chant:
Vous fuy . . ez de mes fai
386
LE MENESTREL
Mais, au troisième acte d'Orfeo, Philidor avait lu les thèmes
suivants :
Allegro.
<^^l't i>
-f — r-r-
=r=^
h^-^ ivH
— 1»-^ f j*
-y — "
Che
fie.
1=^ — -
•0 mo .
meii -
n
. (0, Che
p f
bar . ba .ra
, P F' 1
"^i'I.A •
at
^
'fW'
-B-5 ,
\
mor. le A tan. to do . lor!
Enfin, ne se bornant pas à s'approprier un simple thème,
Philidor a intercalé un morceau entier dans son ouvrage :
c'est le charmant air de ballet n" 2 du troisième acte d'Or/eo
(reproduit sous le titre de « Gavotte » dans YOrphée français),
devenu « S"** rigodon » dans le ballet du premier acte à'Erne-
linde (p. 100 de la partition d'orchestre) ; il n'a pas subi
d'autres modifications qu'une transposition de la mineur en ré
mineur, et quelques légères retouches occasionnées par cette
transposition même.
Nous nous reprocherions d'insister davantage. Mais si cette
discussion, en nous révélant le manque de conscience avec
lequel certains musiciens de second ordre ont su s'approprier
le bien des autres, nous a conduit plus loin que nous
n'aurions désiré, du moins nous a-t-elle démontré surabon-
damment qu'à cet égard Gluck était sans reproche. La
conclusion n'a rien d'imprévu, car le plus simple bon sens
aurait dû suffire à nous assurer d'avance qu'un Gluck n'avait
besoin d'aller puiser ses inspiralions ni chez un Bertoni, ni
chez un Philidor.
C'est par là que nous terminerons cette étude, la plus déve-
loppée, sans doute, et la plus approfondie qui ait jamais été
consacrée à un ouvrage de ce genre. Nous espérons que le
lecteur qui aura bien voulu nous suivre et parcourir avec
nous les sentiers, parfois encombrés de broussailles, d'où il
nous a été donné de contempler sous toutes ses faces l'œu-
vre du régénérateur de la musique dramatique, jugera que
nous n'avons pas dépassé la mesure : mais à tous les titres
Orphée, plus qu'aucune autre œuvre musicale, était digne
d'une aussi longue attention, car sa place dans l'histoire est
unique et éminente. Il est, de tous les opéras, le plus
ancien qui soit resté vivant et dont la résurrection sur nos
scènes modernes ne soit pas un fait de pure archéologie, — le
seul qui, après un siècle et demi d'existence, nous semble
aussi admirable qu'il apparut à ceux qui eurent le bonheur
d'assister à sa révélation, et de le contempler dans sa pre-
mière splendeur.
Julien Tiersot.
P.-S. — Nous recevons au dernier moment une lettre d'un obligeant
correspondant italien, M. Giuseppe Pavan, de Cittadella, au sujet du
Tmwredi de Bertoni. Nous avons vu précédemment qu'il y avait
désaccord entre les écrivains sur la date et le lieu ou avait été donnée
la première représentation de celte œuvre, les uns indiquant: Venise,
1767, les autres : Turin, 1778, et nous avons établi que la première
de ces attributions était erronée. Or, voici qu'on vient encore nous en
proposer une troisième.
« Il Tancrtdi {écrit notre correspondant), paroles de Balbis, musique
de Ferdinando Bertoni, fut représenté pour la première fois au
Théâtre roj^al de Turin dans le carnaval de 1767 ; il eut pour inler-
prèles les actrices A. -M. Girelli-Aquilar, M. -F. Giacomazzi, Maria-A.
Giacomazzi et Maria-Cecilia Giacomazzi, et les acteurs Gu,^lielino
d'Ettore, C. Rejna et G. Cerri.
» MM. Fétis, Clément et Larousse, Riemann, etc.. sont dans l'erreur
en indiquant la date 1778. »
Cetle communication n'est malheureusement appuyée d'aucune
preuve ; et comme elle nous arrive trop tard pour pouvoir être con-
trôlée, nous ne pouvons, jusqu'à plus ample informé, l'accueillir que
sous réserve. Mais, lors même qu'elle devrait être admise, la date de
1767 n'infirmerait en rien nos conclusions relatives à l'antériorité de
l'air de Gluck, puisque si Orphée date de 1774 et Aristeo de 1769, non
seulement (7 Parnaso confuso. où se trouvent quelques formes simi-
laires, est de 176o, mais le couronnement de l'empereur Joseph II,
pour lequel, d'après une déclaration que nous avons dit émaner de
Gluck lui-même, le morceau fut composé, eut lieu à Francfort- sur-
le-Mein le 3 avril 1764.
Le souci de la vérité historique est la seule cause qui nous ait
déterminé à donner un si grand développement à cette discussion,
dont la matière principale est, par elle-même, de si médiocre valeur.
Car, que Gluck soit ou non l'auteur de ce malencontreux morceau, il
est bien certain que cela ne saurait rien ajouter ni retrancher à son
génie ou à sa gloire! J. T.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique: Rentrée de M""^ Vau Zaudt dans LaA-mé. — Renaissance:
Lorensacdo, drame d'Alfred de Musset, adaptation de M. Armand d'Artois.
Nous ne reviendrons pas sur les faits pénibles qui se sont passés
à la salle Favart, en l'année 1888, alors qu'on vit toute une tourbe
de policiers et de reporters égarés, avec quelques bêtas entraînés à
leur suite, s'acharner contre une pauvre divette qui n'en pouvait
mais et qui dut s'incliner devant un verdict non justifié en dispa-
raissant de la scène parisienne. Il s'agissait, dit-on, de détourner
d'un ministre peu populaire les mouvements de la rue prête à l'é-
meute, et ce fut M"' Van Zandt qui servit à point de dérivatif et qui
joua à ce moment, sans s'en douter, le rôle d'un rouage politique.
Voilà bien les petits côtés de l'histoire. Une chanteuse fut lapidée,
mais le Tonkin resta à la France.
Il semble qu'on s'en soit souvenu, l'autre soir, en faisant l'accueil
chaleureux qu'on sait à la charmante cantatrice. C'était une sorte
de réhabilitation éclatante, comme si on lui demandait l'oubli de
toutes les souffrances qu'elle avait endurées, par la faute d'une ville
un peu légère vraiment, toujours prête à s'enflammer sans motifs
et à pousser les choses jusqu'à la dernière cruauté.
Elle nous est donc revenue avec son art fin et délicat d'autrefois,
sa très originale personnalité, et ce timbre si particulier de sa voix
de cristal. Toutes ses très vives qualités se sont encore affirmées,
malgré la peur et l'émotion qui l'étreignaient à la gorge. Ce dont il
convient de la remercier avant tout, c'est de nous avoir rendu enfin
cette délicieuse Lakmé dans son rêve un peu flottant, telle que
l'avait conçue Léo ûelibes, avec toutes ses grâces colorées, ses
mièvreries mêmes et cette sorte de nonchalance grave de petite idole
hindoue. Tout cela s'était bien perdu et se perdait chaque jour davan-
tage, par les interprétations diverses données au rôle, depuis la
disparition du compositeur. Musique très spéciale que celle de
Delibes. Si on s'en tient à la note stricte, elle perd beaucoup de son
charme. Il y faut l'impulsion, la fantaisie et l'inattendu dans le
rythme que l'auteur indiquait si bien à ses interprèles. Trop de cor-
rection la glace. Et Lakmé allait mourir d'inanition dans ses paies
couleurs, quand M"'= Van Zandt est venue fort à point pour lui
rendre la vie et la chaleur.
Espérons qu'à présent on sa'^ira la garder et qu'elle restera la
bonne fée de ce théâtre, comme elle le fut jadis. Ajoutons encore
à ses qualités diverses, une excellente prononciation et netteté
dans la diction, et notons-le particulièrement, parce que nous
avons lu dans des critiques méridionales « qu'on no pouvait démêler
un traître mot de ce qu'elle disait. » Il est bien clair que M"" Van
Zandt ne parle pas « le toulousain » et qu'elle oublie de rouler les r
à la façon de Tartarin; mais c'est heureux pour elle. Y-a-t-il un
accent plus déplorable que celui de ces terroirs du Midi, oli l'on
baragouine un français peut-être pittoresque, mais si insupportable
pour des oreilles délicates ?
Cette reprise de Lakmé a d'ailleurs été excellente dans son ensemble
LE MENESTREL
387
avec le ténor Jérôme, très en voix, le baryton Mondaud dans Nila-
kantha, et la gentille M"" Leclerc en miss EUen, oii elle a trouvé
le moyen de remporter tout un succès, — sans oublier M"'= Pierron,
toujours une amusante miss Betson et M. Noël, un Frédéric fort
dislingaé.
A la Renaissance, on s'en est pris au Lorensaccio d'Alfred de
■ Musset, et ce fut une soirée littéraire du plus grand intérêt. Le poète
n'avait pas pensé au théâtre quand il écrivit ce drame florentin,
et c'est ce qui en fait la grande allure et la libre fantaisie. Pensez
•donc, trente-neuf tableaux. ! Aussi, ne s'est-il jamais trouvé un direc-
teur assez audacieux pour risquer l'aventure, malgré les tentatives
de réduction opérées par les mains toutes fraternelles de Paul de
Musset. Il a fallu une héroïne comme M"'=SarahBernhardt pour tenter
cette entreprise hardie, et nous pouvons chanter l'hosanna, puis-
qu'elle y a réussi à souhait.
Cette fois, on avait commis à M. Armand d'Artois le soin de
resserrer dans les bornes ordinaires d'an spectacle ce drame d'une
fl.oraison si touffue, et il s'est acquitté de la mission avec toute la
piété et le scrupule d'un lettré et d'un délicat. Les trente-neuf tableaux
se trouvent maintenant condensés en cinq actes, ni plus, ni moins,
sans qu'on ait trop rien à regretter d'essentiel dans les hautes inspi-
rations.
Et d'ailleurs, y eùt-il à se plaindre de ces mutilations forcées dans
une pareille œuvre d'art, qu'il faudrait encore tout pardonner k
M. Armand d'Artois pour nous avoir donné l'occasion d'applaudir,
dans ce nouvel avatar, la magnifique artiste qu'est M°"' Sarah
Bernhardt. Ce Lorenzaccio restera un des points culminants de cette
carrière de comédienne si curieuse et si féconde. C'est d'une création
superbe de détails étranges et de vérités troublantes.
Donc, belle, bonne et grande soirée oîi la musique avait sa part,
bien petite assurément, mais encore appréciable avec un musicien
de talent très aiguisé comme M. Paul Puget. Trois airs de ballet dans
la coulisse et une chanson, c'est peu, mais c'est assez pour regretter
qu'on ne donne pas à ce compositeur l'occasion de s'affirmer davan-
tage sur une de nos scènes lyriques. Le deuxième des airs de ballet,
sorte de villanelle, est tout à fait réussi dans sa grâce de pastiche
aimable.
^*f H. MORENO.
Bouffes-Parisiens. Monsieur Lohengrin, opérette en 3 actes de M. Fabrice
Carré, musique de M. Ed. Audran. — Odéon. Les Yeux clos, pièce en un
acte, en vers, d'après la légende japonaise de M. F. Régamey, par M. Mi-
chel Carré, musique de M. Charles Malherbe ; le Danger, comédie en
3 actes de M. A. Arnault; la Révolte, drame en un acte, de Villiers de
risle-Adam. — Nouveau-Cirque. Le feu au moulin, bouffonnerie nautique.
A Asnières, en une petite villa accrochée aux rives de la Seine, la
blonde Cécile Blandin gémit sur l'incompréhensible abandon dans
lequel la laisse l'indifférence des hommes. Comment, elle, si sédui-
sante, ne trouvera pour ja sortir des griffes menaçantes d'une bande
de créanciers hurleurs, que l'affreux agent de police secrète Brous-
sard, font prêt à lui donner son nom? Que non pas ! Elle a confiance
•en son étoile de jolie femme, et en attendant qu'elle débute à l'Opéra
grâce à l'infaillible méthode de Billemotte, le fameux « cher maître »
qui se fait fort de transformer presque magiquement « la première
grue venue en véritable arliste », il est impossible que le beau sau-
veur ne vienne pas tomber en ses bras potelés, touten jetant quelques
poignées de louis aux fournisseurs enragés. Et de fait, le voici, le
bienheureux Messie. Majestueux, il vogue sa barque à la proue ornée
•d'un canard ; fier et doux sous son complet de flanelle blanche, il
aborde à la villa et, noblement, promet le règlement à tous, et son
amitié à la belle éplorée. Il donnera son argent et le reste, à une
seule condition, c'est que jamais on ne cherchera à savoir comment
il s'appelle, ni qui il est. On le salue du nom de Monsieur Loliengnn;
de celui-là, il se contente et n'en veut d'autre.
Mais dame Providence a fait la femme trop curieuse. Telle Psyché,
telle Eisa, Cécile, après avoir longtemps lutté, supplie Monsieur
Lohengrin de dévoiler son incognito. Et, bêta comme tous les hom-
mes en face de la femme aimée, Monsieur Lohengrin se laisse entor-
tiller. Il s'appelle Rothschild !
Rassurez-vous, ce n'est pas le vrai. Simple commerçant aisé, c'est
le poids d'un tel nom qui l'oblige au silence et, aussi, certaine petite
femme légitime délaissée au foyer sans raison bien valable. Et l'é-
pouse abandonnée, mise au courant par le jaloux Broussard, vient
reprendre son mari qui se laisse faire, tandis que Cécile cède enfin
aux sollicitations presssantes de son vilain amoureux et deviendra
madame Broussard.
De détails charmants, d'esprit vif et alerte, de mots amusants, et
de silhouettes adroitement croquées, c'est, avant tout, la pièce de
M. Fabrice Carré qui a décidé du très légitime succès de Monsieur
Lohengrin. La musique de M. Audran, gentillette à son habitude, à
son habitude aussi ne parvient pas encore à briser le moule un peu
fatigué dans lequel l'auteur coula déjà nombre respectable de parli-
tionnettes. Si cette fois la fantaisie y simule d'indécises apparitions,
je crois bien que c'est aux interprètes, M. Lamy et M"= Deval, tous
deux diseurs exquis et le premier comédien très fin, qu'il en faut
rendre grâce ; certains couplets de la Rose et certain duo de la Ven-
geance sont redevables de leur effet à la charmante originalité de ces
deux artistes. Il convient pourtant de retenir, pour son accompagne-
ment discret et agréable, le duo du baiser qui se réclame de la teinte
amoroso-langoureuse chère à l'auteur de la Mascotte et de féliciter
M. Audran d'avoir évité dans Monsieur Lohengrin la trop facile paro-
die musicale.
J'ai nommé déjà, parmi les interprètes, M. Lamy et M"'' Deval, les
héros de la soirée dans des rôles épisodiques, l'une en épouse aban-
donnée, l'autre en policier. A côté d'eux on a applaudi aux agréables
progrès de M"<= Gallois, au début de M. Dambrine, au naturel un
peu compassé do M. Hittemans, à la bonne humeur de M""» Maurel,
au grima'ge de M. Jannin, et à la souplesse avec laquelle M. Marins
Baggers conduit son petit monde de musiciens.
Et comme les jours se suivent et ne ressemblent point, hélas! après
la charmante soirée des Bouffes il nous a fallu, à l'Odéon, subir le
spectacle le plus terriblement ennuyeux qui se puisse imaginer.
J'ai hâte de dire que je mets ici hors de cause l'aimable fantaisie
en vers de M. Michel Carré, que souligne une musique expressive
et poétiquement instrumentée de M. Charles Malherbe. C'est là dé-
lassement d'artistes, poète et musicien, qui berce pour un temps et
dont on garde comme un bon parfum exotique et fluide.
Mais le Danger! mais la Révolte! Souhaitons, pour M. Ginisty, que
ce soient là héritages du disparu M. Antoine. Oh! ces trois actes de
M. Arnault, sans intrigue, sans situation, remplis d'ergotages inu-
tiles, dilués de tirades fastidieuses, tout d'indécision et d'insigni-
fiance , et navrants d'efl'royables longueurs ! C'est le début de
M. Arnault au théâtre; qu'en peut-on augurer?
Et comme si la dose d'ennui n'avait pas été suffisante avec ce
Danger, nous avons été retenus, pauvres qui n'en pouvaient mais,
pour une exhumation de la Réuoltede Villiers de l'Isle-Adam, rendue
plus monotone encore par le débit désespérément lent et Iristement
sourd de M°"= Segond-Weber.
Que n'avions-nous, en cette lugubre fin de spectacle, les oreilles
fermées comme les yeux de la petite O'hana de M. Michel Carré !
Que n'avions-nous encore un Foottit aux éblouissantes cabrioles et
aux calembredaines réjouissantes! C'eslen sortant de représentations
telles que celle donnée par l'Odéon qu'on trouve des charmes in-
finis à ces naïves affabulations que nous sert le Nouveau-Cirque. Je
donnerais vingt Dangers, augmentés d'autant de Révoltes, pour un Feu
au moulin et toutes les digressions psychologiques de M. Arnault
pour une culbute bien réussie; et je n'ai nulle honte à préférer la
tète de veau qui accourt quand on lui montre l'huilier, aux froides
jérémiades de l'Elisabeth de Villiers de l'Isle-Adam.
Paul-Émile Chevalier.
MUSIQUE ET PRISON
Quelques années après, en 1831, à Bicêtre, -dont une partie des
bâtiments était alors afl'ectée à la réclusion pénitentiaire, les détenus
donnèrent une représentation théâtrale, le jour de la fête de la Reine.
Un des prisonniers, bien noté pour sa bonne conduite, s'était impro-
visé directeur. Il établit, dans la grande cour, un théâtre, où il joua
avec ses camarades un mélodrame approprié, les Dangers de l'Incon-
duite, puis un vaudeville avec couplets, les Ouvriers, et enfin une
pièce de circonstance dont l'auteur était un forçat. Beaucoup de
dames assistaient à une représentation qui réalisait cette idée du
Théâlre moral, reprise de nos jours avec si peu de succès. Jamais, à
Bicêtre, on n'avait autant parlé de vertu, et il convient d'ajouter que
ce jour-là les acteurs, entraînés sans doute par !a situation, furent
irréprochables à tous les points de vue.
Nous arrivons, du reste, à l'époque où la philanthropie, après avoir
visité les pénitenciers des deux mondes, entreprend officiellement
la moralisalion des maisons centrales, c'est-à-dire des aggloméra-
388
LE MENESTREL
lions de prisonniers, vivant soilen commun, soit en cellule. Les Amé-
ricains se mirent des premiers à la tête du mouvement réformiste
et trouvèrent dans la musique le plus précieux comme le plus puis-
sant des auxiliaires. Personne n'isjnore le caractère que présentent
toutes les institutions politiques ou administratives des Etats-Unis :
le sentiment prononcé de l'individualisme marqué au coin du parli-
cularisme protestant. Le régime intérieur des pénitenciers devait,
sous les auspices des sociétés philanthropiques, consacrer cette
double tendance de l'esprit national. Le système d'Auburn fut donc
u'odifié : et le coupable put expier sa faute dans la solitude et dans
la prière. Telles sont les origines de la prison cellulaire aux États-
Unis; si toutefois le travail est en commun, les détenus sont sé-
parés pour l'accomplissement de leurs devoirs religieux. Et c'est alors
qu'intervient la musique, comme élément moralisateur. Après les
prières et les sermons, commencent les cantiques.
Lorsque Howe aborde cette question dans son Essai sur la disci-
pline des prisons, son enthousiasme va jusqu'au lyrisme :
L'hymne de louange, dit-il, est entonné à un bout du corridor, et presque
tous les prisonniers s'y unissent; c'est vraiment touchant d'entendre sortir
des cellules une musique volontaire chantée par des choristes invisibles.
L'impression devient plus vive encore, quand l'exécution de ces
mélodies religieuses est confiée à des virtuoses du dehois et surtout
aux dames qui visitent les prisons ; ce trait de mœurs est essen-
tiellement américain : avant do partir avec les Sociétés de tempérance
pour enlever d'assaut les cabarets, la femme des États-Unis est
allée, même dans les pénitenciers d'hommes, combattre pour le salut
de ces âmes égarées.
Ho-ne pleure d'attendrissement quand il parle de cette croisade à
grand orchestre :
Un jour, nous étions à causer avec un condamné de Philadelphie ; nous
entendons le son éloigné d'une harpe éolienne. Le son se rapprocha, prit
plus de développement et accompagna les magnifiques paroles du
XXIII'= psaume, et l'air parut bientôt rempli par la musique religieuse
d'un esprit invisible, et quand elle fut terminée, le prisonnier me dit en
levant la tète :
— C'est M"" Dix.
J'ai rarement entendu une musique qui ait fait vibrer au même degré
toutes les fibres do mon cœur.
Ce fut en eOfet à Philadelphie, dans le pénitencier de Gherry-Hill
que la musique fut introduite, vers 1844, par le Révérend Crawford.
Les contemporains s'accordent à reconnaître l'influence magique
qu'elle exerça sur les esprits les plus farouches et les plus rebelles à
la discipline.
L'emploi s'en généralisa aux États-Unis; mais il ne parait pas
qu'il fût alors très répandu en France, puisque M. Marque! de Vas-
selot le propose instamment aux sociologues de notre pays dans son
Etlinologie des prisons. Les chants religieux exécutés par des chœurs
pourraient, assure-t-il, régénérer l'àme des détenus; il se recom-
mande, à cet égard, des exemples du passé. A Rome, à Ludwigs-
bourg et à Ebersbach, dans le midi de l'Allemagne, des maîtres de
chapelle apprennent des psaumes aux prisonniers, qui les répètent à
l'unisson.
Trente ans plus tard, Félix Platel, plus connu sous le nom d'Ignotus,
constatait dans le Figaro que ce mode d'éducation était adopté par
certaines do nos maisons centrales pour leurs pensionnaires. Il est
vrai qu'il s'en attribuait Thonneur dans les meilleurs termes : et il
fHut lui savoir d'autant plus gré de la limpidité du style, qu'il
cultivait de préférence le mysticisme nébuleux de la langue apoca-
lyptique :
Oui, la musique est indispensable au peuple. J'ai demandé que la mu-
sique fût employée dans les prisons comme outil de relèvement, et dans
Ifcs hospices comme |îrocédé de soulagement. On avait souri de mes dires.
Voici que mon idée est reprise dans deux mémoires présentés à l'Institu'.
Dans la maison centrale de Melun, j'ai assisté à un salut chanté par la
maîtrise. La maîtrise est exclusivement composée de réclusionnaires. Le
maître de chapelle est un prêtre condamné. Le soliste avait une péné-
trante voix de ténor. Il a été condamné pour viol. Pendant le Pange lingua,
j'ai compté une vingtaine de réclusionnaires qui pleuraient.
Avant Félix Plalel, Maxime du Camp avait fait une expérience du
même genre à Mazas ; et il en rendit compte dans son célèbre ou-
vrage, Paris, que publiait, vers la fin de l'Empire, la Revue des Deux
Mondes.
On sait la disposition, tout américaine, de la trop fameuse
maison d'arrêt. Le haut de la rotonde qui occupe le centre du rond-
point est disposé en chapelle ; et, à l'heure de la messe, les poites
des cellules sont entrebâillées, de telle sorte que chaque détenu puisse
assister à la messe.
Mais laissons parler l'auteur :
...Des prévenus, choisis parmi ceux qui savent la musique, chantent
dms une sorte de tribune circulaire faisant face à l'autel. L'un d'euxjoue
de l'orgue, un autre donne le ton sur une contrebasse.
Quand j'ai assisté i la messe do Mazas, on avait joint à ces chanteurs
de hasard un détenu qui souillait à toute poitrine dans un cornet à pis-
tons... J'avais cra jusqu'alors que les instruments de cuivre, les flûtes et
les tambourins maudits jadis par Apollon, organes de la matière et des
délires orgiaques, étaient sévèrement exclus des églises, excepté pendant
les messes .militaires. N,éanmoins, l'impression est très vive. Le retentis-
sement de l'orgue et des chants grégoriens frappe les voûtes, retombe
comme une tempête, se précipite dans les galeries ouvertes et va réveiller
chez plus d'un détenu des souvenirs amollissants qui peuvent les émou-
voir, mais ne les rappellent pas au bien.
Malgré ses idées préconçues sur l'influence moralisatrice de la
musique, Maxime du Campent la curiosité de jeter un coup d'œil
dans l'intérieur des cellules pour se l'ondro compte de l'impression
produite parla cérémonie sur les détenus. Sept d'entre eux, sur trente-
trois, paraissaient écouter la messe avec une certaine allentiou : un
surtout était plus touché que personne : « La tête enfoncée dans ses
bras, dit l'observateur, il pleurait avec des sanglots qui le secouaient
tout entier ».
(A suivre.] Paul d'Estrée.
LA MESSE DE SAINT FRANÇOIS D'ASSISE
Dans son intéressant feuilleton delà Liberté, M, VictorinJoncières analyse ainsi la bi-lle
Messe de Saint François d'Assise, de M, Paladilhe, que l'Association des Artistes musi-
ciens nous a fait entendre, l'autre semaine, à Saint-Eustache:
... Il règne dans toute la partition une grâce juvénile, i|ui charme par la
fraîcheur de l'idée, l'élégance de l'harmonie et la justesse des proportions. Le
Kyrie en ré mineur a bien l'accent suppliant qui convient à l'humble prière
du pécheur.
Le Gloria a de la pompe et de l'éclat: la phrase initiale, lancée à pleine voix
par le chœur, soutenue par un tutti d'orchestre sur lequel voltigent des
accords de harpes, est d'une belle envolée, A signaler, dans ce morceau, le
gracieux épisode des quatre voix d'enfants et l'intéressant dialogue des par-
ties, qui ramène le motif primitif, mais sur un rythme plus lent et plus solen-
nel, à six-quatre, dans une fulgurante explosion de souorilé.
Le Sanctus et le Beneiiclus se distinguent par les qualités de charme cl
d'élégance qui caractérisent l'œuvre du jeune compositeur. Elles se retrou-
vent encore dans VAgnus Dei, dont le début, confié aux soprano, contralto et
ténor soli, est d'un charmant effet. Un joli solo de ténor s'enchaîne avec la
reprise du motif parle chœur, pianissimo, soutenu par un léger frémissement
des violons en trémolo, qui semble un bruissement mystérieux d'ailes.
C'est dans le Credo que le style de l'œuvre a Je plus d'ampleur et de pui.s-
sance. Le début, sur le mol « credo », deux fois répété, a l'énergique accent
d'un acte de foi. Ce premier mouvement se développe librement dans sa fièrc
allure, avec une remarquable entente de l'intérêt à donner aux différentes
parties vocales. Le rythme s'accélère sur les mots : « Et resurrexit » et contraste
par son élan impétueux avec le sentiment douloureux exprimé par le sombre
murmure: « Et sepultus est », s'éteignanl dans les profondeurs de la voix de
basse. Après un expressif Andante : « Et in spiritum sanctum », le morceau
s'achève sur un Allegro fugué, à trois temps, un peu trop écourté à mon
avis.
En somme, la Messe de Saint François d'Assise est une a'U\rc très remar-
quable, eu égard surtout à 1 extrême jeunesse de celui qui l'a composée. Elle
donnait la promesse delà brillante carrière que devait pari'iuiiii- M, Piiladillio,
chez lequel les heureux dons de l'imagination n'ont cessi' di' se l'nrlilier par
la maturité du talent.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Inauguration très brillante, dimaucho dernier, de la soixante-dixième sessicui
do la Société des concerts du Conservatoire, dont uous avons retrouvi' le
personnel toujours aussi ardent, aussi cbatournux. aussi désireux et aussi à
même de bien faire. Soixante-dix aus ! c'est un àye fortuné pour une société
musicale qui compte parmi les meilleures, sinou pour la meilleure du monde
entier, et dont le présent u'a rien à envier au passé, car sa supériorité est
toujours éclatante, vivacc et incoulest('^e. Ou ne peut que lui souhaiter la
continuation de sa carrière si brillante, si digne de l'intérêt et de la sympa-
thie de tous ceux qui, comme elle, ont le culte sacré de l'art et l'inaltérable
respect dos chefs-d'œuvre. —C'est Bee.thoven, est-il besoin de le dire? qui
ouvrait le premier programme de la saison avec son admirable symphonie en
la. Quel feu, quelle vigueur, quelle grandeur dans l'exécution do ce merveil-
leux orchesire qui se reirouvail, luul plein d'une vaillance nouvelle, après
six mois de silence et île reims 1 C'r-sl une joie unique d'entendre une telle
œuvre interprétée par de tels arlisics, ci le publii- la leur a manifestée par
LE MENESTREL
389
ili's applaudissomeiils nourris el rriicli's. Venait ensuite un chœur du Pauius
de Mendnlssohn, d'uu beau souille, d'un style noble et d'un grand caractère,
exécuté du reste avec un rare ensemble. Puis, M. JjOuis Diémer venait nous
l'aire entendre le cinquième concerlo de piano (en fa) de M. Saint-Saëns,
œuvre encore pres(|ue inconnue du jinldic, puisiiu'elle n'avait élé exécutée
ipi'une fois encore, par l'auteiu' lui-même, dans le concert donné le 2 juin
dernier à la salle Pleyel pour l'élcr son cinquantenaire musical. Ce concerto,
qui est dédii' ;'i M. Diémer (il porle le chiffre d'œuvre 103), a été composé en
Enyple au commencement de celle année, et est divisé en trois parlies :
Allegro animato, Andanle, Molto allegro, ilont la première, à trois temps, n'est
pas la plus originale. Mais la seconde est extrêmement curieuse, d'un intérêt
1res vit el d'un idiarme incontestable, avec un orchestre très singulier et
ilonl l'elVet es( délicieux: c'est d'elle i[ue l'auleur écrivait, dans une lettre à
un ami: « ... La seconde partie est une façon de voyage en Orient, qui va
même, dans l'épisode en fa dièse, jusqu'en Extrême Orient. Le passage en
sol est un chant d'amour nubien que j'ai entendu chanter par des bateliers
sur le Nil, alors que je descendais le fleuve en dababieh... ». L'œuvre en
sou ensemble est de premier ordre, et elle a été pour M. Diémer l'occasion
il'un succès doni l'ampleur a pu surprendre un artiste pourtant si accoutumé
au succès. Il est vrai qu'il a l'ait preuve, dans son interprétation, d'une vir-
tuosité, d'une chaleur, d'un sentiment musical et d'un style dont la perfection
ue saurail êlre diqiasséo. Aussi les applaudissements, les rappels et les accla-
mations semblaient ne pas vouloir prendre fin. Le chœur et la petite (toute
pe(ite) marche (VIdoménée, de Mozart, ont paru un peu froids, venant après
une telle explosion. Quant au poème symphonique de Liszt, intitule les Pré-
ludes, j'ai trop de respect, el parfois trop d'admiration pour la mémoire de ce
grand arlisie, pour oser dire ce que j'en pense. Je me bornerai à constater
siui exémition superbe par l'orchestre, qui aurait mieux à faire, me semble-
t-il, que il'user s's forces sur une (elle musique. A. P.
— Concert Colonne. — La symphonie inachevée de Schubert, la huitième,
est une œuvre exquise: elle est conçue dans une forme absolument classique,
ce qui n'empêche qu'elle ne soit une œuvre personnelle, ayant son cachet
particulier, son caractère propre. Schubert ne ressemble à personne; ses
mélodies ont une saveur particulière, une poésie qui n'appartient qu'à lui.
Pour produire des elfets considérables, une impression pénétrante, il n'a
nul besoin de recourir aux fracas d'orchestre: l'orchestre de son temps lui
suffit, comme il suffisait à Beethoven. L'exécution de ce chef-d'œuvre a été
excellente. — Le concerto de Godard est une page d'un caractère profond
et élevé : c'est une leuvre de jeunesse, mais qui déjà présage les tristesses
de l'âge mùr: le caractère de l'adagio est désolé. Je ne fais qu'un reproche à
ce concerto: l'orchestration en est trop puissante et ne permet pas toujours
an pianiste de faire valoir son instrument. M. Wurmser s'est néanmoins
fort honorablement acquitté de sa tache, et il a été très justement applaudi.
— M. Colonne a cru devoir nous faire entendre à nouveau les Poèmes, de
M. Charpentier. Le poème Mi/sJî'çue est réellement intéressant, le caractère eu est
.doux et pénétrant; il a eu le même succès qu'à la première audition. Avec le
Poème réaliste ( « les Chevaux de bois »), nous tombons dans le réalisme le
plus bas. C'est une sorte de réédiliou de la dernière partie de la Vie dupoéle,
du même auteur, avec la même trivialité brutale. Le Poème Symbolique n'a
pas le mé'me caraclère de bestialilê : le symbole est d'ailleurs assez obscur
. l la musique ne l'c'lueide pas. La série s'est complétée par une Sérénade
à Watteau, d un ;i-sez jidi caractère. Pendant l'exécution des œuvres de
M. Cbarpeniit-r. la salie eiait un peu houleuse: les amis de l'auteur applau-
dissaient ferme: la plus grande partie du public protestait. J'aime assez dégager
l'impression des foules: elle est souvent juste, surtout au Chàtelet, où il n'y
a pas d'auditeurs de parli pris. Or. la résultante m'a paru ceci: au poème
mystique, on a applaudi et bissé: au poème réaliste, on a sifflé: au poème
symbolique, on s'est assoupi; à la sérénade à Watteau, on a quelque peu
sommeillé. Voilà, je crois, la note vraie. — Rien à dire des fragments du
Crépuscule des Dieii.v. de "Wagner, et de la Chevauchée des Valkyries. Tout a été
dit à ce sujet, il est inutile d'y revenir. On dirait trop souvent la même
chose. Constatons seulement que l'exécution a été excellente etque M"' Knts-
cherra a eu un très beau tucccs. H. Barbedette.
— Concerts T..amoureux. — Le hasard a des rapprochements cruels: voici
une ceuvre classique par e.xcellence, la Symphonie italienne, pour laquelle,
certes, nul ne se passionne plus, bien qu'elle renferme à un degré très émi-
nent les qualiii'^ du genre, el voilà immédiatement après, sur le programme,
une autre composilinn oiiliesUale : Lumen, en trois parties dont la seconde
s'arrête court el se subdivise, transportant dans le stylo musical cette
ligure de rhétorique que les professeurs appellent suspension. Celle-ci, très
hardie en apparence, très moderne de procédés, affirme par ses tendances
la souveraineté prépondérante du coloris et le dédain des formes consacrées.
Voyous maintenant quel ell'el est produit par chacun des deux ouvrages. Ne
semblo-t-il jias que tout l'intcréi doive aller à l'œuvre moderne de M. Lutz,
au détriment de celle de Mendelssnini :' Eli bien, non! Sans vibrer chaleureu-
sement à l'audition de la Syniplinuir ilalienne, on en reconnaît la belle
lu-donnancc et le ]ilan magistral dans su traditionnelle uniformité. Au con-
traire, dans Lumen, l'absence de tout support, l'impossibilité de trouver une
luise mélodique et le manque de cohésion des développements aboutissent à
lémiettement et à la désagrégation. Renouvelons les vieilles formes ; et
pourtant, combien d'ouvrages contemporains sont d'éloquents plaidoyers en
leur faveur! Mais avant tout, respectons la forme sytnphonique des maîtres,
saus laquelle aucune pâte orchestrale ne conserve de cohésion. C'est par elle
que notre musique se rattache à Beethoven et c'est à elle que Wagner a du
ses succès. Sans elle, plus rien n'a de consistance, l'accessoire prend la
place du principal, la mélodie flotte sans appui comme une feuille dans la
tempête. Cela dit, nous pouvons accorder qu'il y a de jolies phrases descrip-
tives dans Lumen et faire crédit à l'auteur en attendant de lui une page mieux
assise. M. de Greef a obtenu un très grand succès dans le concerto en sol de
Saint-Saëns. Des trois morceaux, le moins bon a été le premier et le meil-
leur le dernier. C'est dire que le pianiste possède une virtuosité brillante et
un style d'une pureté contestable. L'œuvre est française, et la tradition du
maître fort connue : elle n'admet ni élégances d'amateur, ni prolongements,
ni changements dans la valeur des notes. Un arpège rugueux ou une gamme
dépolie ont peu d'importance d'ailleurs et n'enlèvent rien à l'intérêt d'une
interprétation supérieure sous bien des rapports. —Pour unir, fragments des
Maîtres Chanteurs précédés de la Fée Mab de Berlioz, dont la parure orches-
trale a des couleurs si chatoyantes. Amédée Boutarel.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la (Beethoven) ; Chœur de Po«!tis(Mendelssohn) ; cinquième
concerto pour piano (Saint-Saëns), par M.Louis Diémer; Chœur et Marche d'Idoménée
(Mozart); les Préludes (Liszt).
Chàtelet, concert Colonne : la Damnation de Fausl (Berlioz), soli : M"' Pregi, MM. Emile
Cazeneuve, Auguez et Challet.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux: Ouverture i'IpMgénie en Àulide
(Gluck) ; Symphonie héroïque (Beethoven) : Prélude, premièreet troisième scènes du premier
acte de la Valkijrie (R.Wagner), Sieglinde : M"" Chrétien-Vaguet, Siegmund ; M. Engel;
Chevauchée des Valkyries (Wagner).
NOUVELLES r>IA^E]RSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgiq e (3 décembre). — Phryné n'a obtenu
hier qu'un succès d'estime. Le cadre de la Monnaie est bien vaste pour la
malicieuse et piquante fantaisie néo-grecque de MM. Saint-Saëns et Auge
de Lassus; les finesses et les intentions spirituelles de l'orchestre sont bien
délicates, et l'interprétation, très soignée dans les détails, a manqué, dans
l'ensemble, de vivacité et de gaité. Les raffinés ont admiré les choses exquises
que le compositeur a semées dans sa pétillante instrumentation ; mais le
public est resté froid. On a trouvé que, pour une opérette, Phryné manquait
d'entrain, et que, pour un opéra-comique, elle manquait de nouveauté. Et
l'on n'a pas apprécié jusqu'à quel point M. Saint-Saëns a su mettre dans la
forme de son œuvre ce qui, en apparence, est absent dans le fond... Il n'y
a guère que les amusants couplets de Dicépbile au deuxième acte, et l'ado-
rable invocation à Aphrodite, qui aient « porté ». Le reste n'a pu ni dérider,
ni dégeler le public désillusionné. Il est vrai que ce qui fait le plus défaut à
Phryné, c'est Phryné elle-même: M"" Jane Harding est pleine de bonne
volonté et de grâce, et ce qu'elle montre n'a rien de désagréable; mais la
voix, du reste jolie, semble bien miuce sur la scène de la Monnaie, et ne
parvient pas à donner au rôle la couleur et le relief néc<issaires. En revanche,
M. Gilibert est un excellent Dicéphile,bon chanteur etbon comédien, comme
toujours, et ici mieux que jamais: M^'i^ Milcamps et M. Isouard sont satis-
faisants; la mise en scène est charmante, et l'orchestre a mis tous ses
soins à détailler la curieuse partition du regretté auteur d'Henri VIII. —
Comme lendemain, en attendant Javotte, la Monnaie a pu enfin continuer
les représentations de Don César de Bazan, interrompues dès après la pre-
mière par l'indisposition de M. Boyer. L'aimable artiste est maintenant
rétabli et a repris avec un très vif succès le rôle qu'il chante si bien dans
l'œuvre de jeunesse de M. Massenet.
Nous avons eu, ces jours derniers, toute une série de concerts intéres-
sants. Au concert populaire on a fait fête au jeune violoncelliste Jean
Gérardy, un tempérament d'artiste et de virtuose tout à fait hors ligne, et
vivement applaudi une Suite d'orchestre inédite, pleine de couleur et de
charme, de M. Arthur de Greef, qui est en train de doubler sa réputation
de pianiste d'une réputation non moins méritée de compositeur. Au pre-
mier concert Ysaye, grand succès pour M. Raoul Pugno dans le beau
concerto de Grieg, qu'ilajoué remarquablement, avec une fougue superbe;
C'a été, du reste, la semaine des pianistes, puisqn'en même temps que
M. Pugno nous avons eu, au Cercle artistique, M. Risler, puis M™ Roger-
Miclos, qui ont fait également plaisir, avec des qualités personnelles et
dilférentes. M""= Roger-Miclos n'a joué que du Chopin ; elle était accom-
pagnée du poète Armand Silvestre, qui, avant la séance, a donné sur l'au-
teur une conférence charmante, émaiUée de vers. Tout cela a été vive-
ment goûté. — Les concerts populaires donnent dimanche prochain une
matinée extraordinaire, consacrée eu majeure partie aux œuvres de
M. Richard Strauss, et sous sa direction. Le programme de la matinée
qui suivra, au mois de janvier, sera composée exclusivement d'œuvres de
musique belge; on y entendra le nouvel oratorio inédit de M. Edgar
Tinel, Godelive, et d'importants fragments, avec orchestre et chœurs, de
l'opéra llamand de M. JeanBlockx, Herbergprinses {Princesse d'auberge), que
l'un joue actuellement à Anvers avec le grand succès que vous savez. Du
même M. Blockx, l'École de musique de Saint-Josse-ten-Noode-Schaeerbeok
se prépare à exécuter prochainement, au concert de sa distribution des prix,
la savoureuse cantate Klokhe Roeland, qu'on n'a plus entendue depuis
plusieurs années, en même temps que de vieilles chansons françaises
harmonisées par M. Gevaert. — Enfin, je dois vous signaler une tentative
390
LE MENESTREL
curieuse, la création des Cliauleurs de Saint-Boniface, sur le modèle des
Chantears de Saint-Gervais : cette association, dirigée par M. Cavpay, se
propose de n'exécuter que des chants liturgiques et des œuvres de Pales-
trina; à sa première audition à l'église Saint-Bonil'ace, elle a fait entendre
la messe du pape Marcel, dans d'excellentes conditions, qui nous font
espérer que l'œuvre prospérera et donnera tous les résultats promis. L. S.
— C'est jeudi prochain, 10 décenrljre, que doit avoir lieu à Bruxelles le pre-
mier concert de la Société des instruments anciens (Diémer-Delsart-van
"Waelfelghem-Grillet), qui avait dû. être remis à cause d'une indisposition de
M. Louis Diémer.
— De notre correspondant de Londres (3 décembre) : Dans le double but
de célébrer le cent cinquante-huitième anniversaire de sa fondation et d'aug-
menter son fonds de secours, la Royal Society of musicians a donné jeudi
soir, à l'abbaye de Westminster, une audition du Messie avec le concours
d'artistes aimés du public, et sous la direction du professeur Bridge. Essen-
tiellement religieuse de caractère, l'œuvre maîtresse de Haendel se trouve
plus à sa place dans la nef d'une église que dans n'importe quel autre lieu.
On l'écoute avec plus de recueillement, et le recueillement est nécessaire pour
pénétrer la pensée du cœur qui est au fond des conceptions religieuses des
grands maîtres. La partie de contralto était chantée par miss Hilda Wilson,
qui est, de toutes les cantatrices anglaises, celle que je préfère pour la beauté
et la plénitude de l'organe, la pureté de l'émission et la correction du style.
Les autres soli étaient chantés par MM. Breretan, M'" Juckin, N. Salmond,
et M"^ Patterson. Les chœurs ont produit un excellent effet; j'ai surtout
remarqué la façon charmante dont a été rendu le fragment en répons: For
unto us a child is born.
M. Léon Delafosse vient de se faire entendre aux nouveaux Concerts popu-
laires du dimanche, àQueen'sHall. Il a joué, accompagné par l'orchestre
sous la direction de M. Randegger, le célèbre Concertstûck de Weber, et a
remporté un succès d'enthousiasme comme bien peu de pianistes eu ont eu
ici. H n'a pas été rappelé moins de six fois. A la suite de ce triomphe, plu-
sieurs engagements ont été offerts à notre jeune virtuose parisien. Il est
notamment question, pour lui, de paraître aux concerts du Crystal Palace.
LÉON BCHLESINGER.
— Au petit théâtre de Pétersbourg, après Manon, autre grand succès pour
la Navarraise avec le fameux ténor Masiui et M°"= de Nuovina. Là, cela a été
un « véritable délire », nous écrivent nos correspondants. La soirée a été
émaillée de bis, et, à la chute du rideau, on n'a pas compté moins de dix-neuf
rappels. Plus fort qu'en Italie! Et dire que les auteurs ne toucheront pas un
sol vaillant de ces belles soirées données à la Russie, faute d'une bonne con-
vention de protection artistique. Voyons, ô Tsar, petit père, est-ce juste?
— Les deux grandes entreprises d'opéras à New-York, celle de MM. Grau
et Schœffel et celle de M. de Walter Damrosch, qui s'étaient fait une concur-
rence terrible à New-York même et surtout dans les autres grandes villes des
États-Unis, ont conclu un traité de paix et se sont partagé les États de
l'Union. Les deux entreprises se prêteront l'une à l'autre les artistes dont elles
pourront avoir besoin, et dans les villes qui sont le domaine d'une entreprise
l'autre ne mettra pas les pieds. Le répertoire de MM. Grau et Schœffel à
l'Opéra métropolitain de New-York est international; chaque œuvre sera repré-
sentée dans sa langue originale. A cet effet les frères de Reszké, M°"'= Melba
(Brùnhilde) et M""" Eames (Sieglinde) ont travaillé en allemand les rôles
principaux de la tétralogie waguérienne. L'entreprise de M. Damrosch est
plutôt consacrée à l'opéra allemand et particulièroment aux œuvres de
Richard Wagner; mais MM. Grau et Schœffel lui prêteront M^'s Calvé,
Eames et Melba et plusieurs autres artistes pour que M. Damrosch puisse
faire jouer en italien et en français Faust, Carmen, les Huguenots, Hamlet, la
Juive, l'Africaine, le Nozze di Figaro, Aida et Don Giovanni. Les amateurs de
New-York sont enchantes de cet arrangement entre les deux entreprises
rivales, car ils verront pendant cette saison une constellation d'étoiles de
premier ordre dont aucune autre ville du monde ne pourra se vanter.
— Les dépêches annoncent un «succès colossal » pour l'opéra de Giordauo,
André Chénier, qu'on vient de représenter à New-York. Le succès s'est dessiné
dès le premier acte, où l'on a fait répéter le joli chœur des » Pastourelles ».
Au dernier, « c'était du fanatisme ». Deux duos ont été bissés au cours de la
soirée, ceux du deuxième et du troisième acte. A la chute du rideau tous les
artistes, y compris le chef d'orchestre, ont été rappelés plusieurs fois en scène.
— Aux représentations suivantes le succès n'a pas été moindre.
— Un nouvel opéra-comique, intitulé le Mandarin, dû à la collaboration
de MM.Koven et Smith, a été joué avec succès au Herald Square theaterde
New-York.
— De New- York on annonce que miss Liioiff, une petite-fille du célèbre
pianiste et compositeur, vient d'être reçue bachelière en musique au Conser-
vatoire de la Cité.
— D'après la déclaration officielle, la fortune laissée par le défunt impré-
sario Abbey ne dépasse pas deux cents dollars. Un pauvre billet de mille!
c'est tout ce que laisse cet homme qui a eu, le premier, l'audace d'offrir
à la Patti vingt-cinq mille francs par soirée pour une tournée dans les États-
Unis. Et combien de fois ce pauvre Abbey n'a-t-il pas, personnellement, dé-
pensé de ces billets de mille dans sa journée ! Vraiment, le vieux Solon avait
raison de dire qu'il faut attendre la mort d'un homme pour savoir au juste
s'il a été heureux.
— Ou annonce que la santé du fameux jdaniste Paderewski est dans un
tel état de délabrement, par suite de trop grandes fatigues, que l'artiste a dû
résilier tous les engagements contractés par lui pour cette saison.
— Au Théâtre-Lyrique de Milan, la Phryné de M. Saint-Saons vient d'ob-
tenir un franc succès. On sait que M"= Sibyl Sanderson représente là-bas
Phryné, comme elle Fa personnifiée à Paris. Elle a pour excellents parte-
naires le ténor Pandollini dans le rôle de Nicias et le baryton Pini-Corsi
dans celui de Dicéphile. La salle était superbe le jour de la première repi'é-
sentalioD, et l'on y remarquait, entre autres personnages importants, la
princesse Lœtitia, qui était venue tout exprès de Turin.
— Manon poursuit le cours ininterrompu de ses triomphes en Italie. Les
éjioux Bayo viennent de s'y faire applaudir au théâtre Victor-Emmanuel de
Turin, et à Ascoli-Piceno on y a fêté M"»Toresella, MM. Baldini (Des Grieux)
et Dorini (Lescaut).
— A Gênes, très beau succès pour l'André Chénier de Giordauo. Au premier
acte, bis d'acclamation pour « l'improvisation de Chénier » et le chœur des
« Pastourelles ». Au second, des acclamations encore pour le beau duo
d'amour, également bissé. Au troisième, ou applaudit à tout rompre l'épisode
de la mère aveugle, le duo entre Gérard et Madeleine, et enfin, au dernier
acte, les belles stances de Chénier sur la mort el sou duo fiual avec Made-
leine, qui fut le dernier bis de cette belle soirée. Voilà décidément un opéra
qui paraît devoir faire son chemin,
— L'administration du théâtre de San Carlo, de Naples, vient de publier
sou « manifeste » pour la prochaine saison de carnaval-cai'ême, qui com-
mence le 26 décembre. Voici le tableau de la troupe :sopram et viezso-soprani,
M.""^ Biaudelli, Adèle Cousin, Giacchetti-Botti, Adina Idoné, Berlondi, Vir-
. ginia Guerrini, Anna Corriguet, Garolina Romane et Amalia Kohrleitner ;
ténors, MM. Borgatti, De Lucia, Mauri, Francesco Pandolfiui, Querzé et
Giordani; barytons, Pinicorsi, Pessina et Ugo Ciabo; basses, Cromberg,
Narciso Serra et Nicola Scotti. Le chef d'orchestre est M. Arnoldo Conti, le
chef des chœurs, M. Cesare Bonafous. Au répertoire : Cristoforo Colombo et
il Signor di Pourceaugnac (celui-ci inédit), de M. Francbeiti, Manon Lescauti
de M. Puccini, Falstaff, de Verdi, Andréa Chénier, de M. Giordano, et (Y
Maestro di cappella, de Paër.
— Les journaux italiens disent grand bien du nouveau chef d'orchestre du
théâtre de Lodi, qui n'est autre... qu'une jeune femme, la signorina Palmira
Orso.
— On nous écrit de Vienne confidentiellement que la surintendance géné-
rale aurait l'intention de donner un adjoint au directeur actuel de l'Opéra
impérial, M. Jahn, dont la sauté laisse fort à désirer, et qu'elle serait entrée
en pourpalers avec M. Muck, deuxième chef d'orchestre de l'Opéra royal de
Berlin. M. Muck est Autrichien de naissance, il a fait son droit avant de se
consacrer à la musique et a été reçu docteur. Sa carj-ière a commencé à Prague
sous la direction de M. Neumann, et il s'y est tellement distingué qu'il a de
suite excité l'attention des grandes scènes lyriques de l'Allemagne. M. Muck,
qui a 38 ans environ, n'est à Berlin que depuis quelques années, mais il y jouit
d'une autorité considérable.
— Le théâtre An der Wien jouera prochainement une nouvelle opérette,
intitulée la Triple Alliance, musique de M. Eugène de Taund.
— Le théâtre Thalia, de Berlin, joue actuellement avec beaucoup de suc-
cès un opéra-comique en un acte intitulé l'Hygromètre, paroles anglaises de
M. Adrien Ross, musique de M. Bertram L. Selby. L'action se passe dans une
boite de jouets et la scène est encombrée d'arbres, de maisouuetles, de che-
vaux de bois et autres jouets. Au milieu est placé l'hygromètre bien connu:
une maisiinnetto avec les ligures d'un bonhomme et d'une bonne femme qui
sortent à tour de rôle pour annoncer soit la i)Uiie, soit le beau temps. Ils se
plaignent de uc pouvoir jamais se voir malgré leur vif amour, organisent
une grève et quittent finalement leur boite pour se livrer à un duo d'amour
comique et à des ébats chorégraphiques. Le dialogue est fort spirituel et la
musique très gaie. Somme toute, un persiflage agréable du genre Hœnsel
et Gretel.
— Ou vient de trouver, aux archives du Ihéàlreroyal de Berlin, une feuille
de comptabilité qui donne des renseignements curieux sur les frais de ce
théâtre en l'année 1796. Toutes les dépenses s'élèvent à 63.394 thalers et les
honoraires des artistes à 38.500 thalers. Le thaler prussien valait 3 fr. 75 c,
ce qui porte les dépenses totales à 200.000 francs environ. Il est vrai que la
prima donna assoluta, une madame Schick, ne touchait que 1.200 thalers par
an, et le premier ténor, un M. Lippert, 1 .196 thalers. Cette différence curieuse
de quatre thalers devait évidemment marquer la supériorité de l'ét'jile fémi-
nine. En outre, ces protagonistes jouissaient de (pielques soirées de bénéfice
qui leur rapportaient bon an mal an 800 thalers en viron,cc qui portait leurs
appointements annuels à 2.000 thalers, soit 7.500 francs au maximum. Les
économistes calculent que la puissance d'achat de l'argent à Berlin a été en
1796, trois fois aussi grande qu'eu 1896; les 7.500 francs du siècle dernier
équivaudraient doue aujourd'hui à 22.500 francs. Il est certain qu'à ce prix
l'Opéra de Berlin ne trouverait actuellement aucun premier sujet.
— Un journal étranger annonce que l'e.xoellent orohestro de la Société
philharmonique de Berlin ira, durant le mois d'août 1897, donner à Vienne
une série de six concerts que dirigeront MM. Weingartner, Arthur Nikisch,
Félix Mottl et Manustaedt. Il ajoute que ce même orchestre se rendra eusuiti
LE MENESTREL
391
:'i Paris, où il sa fera eulciidre sous la direclion de M. Arthur Nikisch. Nous
pensons que la seconde partie de la nouvelle ost sujette à caution.
— On nous télégraphie de Budapest qu'un nouvel opéra hongrois en deux
actes, intitulé Karén, paroles de MM. Kern etSomogyi, musique de M. Charles
Czohor a remporté un grand succès à l'Opéra royal.
— Ou a inauguré à Kiel, le 30 novembre, un monument au célèbre compo-
siteur Karl Lœwe pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance. Ce
monument est l'œuvre du sculpteur Fritz Schaper, de Berlin, et les nombreuses
personnes qui ont encore connu le compositeur, né le 30 novembre 1796 à
Lœbejûu, près Halle, mort à Kiel le 20 avril 1869, vantent la ressemblance
parfaite du buste. Une copie en bronze de ce buste, sans le reste du monu-
ment, sera placée sur une place publique de la petite ville natale de l'artiste
dont les mélodies, surtout les ballades, retentissent encore dans les salles de
concert allemandes.
— Le théâtre municipal de Leipzig vient de jouer avec succès un nouveau
drame lyrique en quatre actes intitulé Couscousca (le Coucou), paroles de
M. Félix Falari, musique de M. François Lehar. L'action se passe en Sibérie,
mais ost fort peu originale. Les deux auteurs sont absolument inconnus: le
librettiste est, dit-on, un officier de la marine autrichienne et le compositeur
habite Trieste. Ils ont envoyé leur œuvre au théâtre de Leipzig, qui. après
lecture, l'a reçue d'emblée. Voilà des jeunes qui ont de la chance '
— M'"= Adiui continue en Allemagne la tournée musico-dramatique qu'elle
a entreprise. A Kœnigsberg, elle a chanté pour ses deux dernières représenta-
lions Tristan et Iseull et la Trauiata, « deux chansons d'amour, nous écrit
joliment notre correspondant, mais combien différentes par la rime et par
l'air ! » Kœnigsberg possède, on le sait, une importante Université, dont les
étudiants se sont montrés particulièrenient enthousiastes pour M™ Adini.
— Faut-il croire qu'il y a, comme on dit. des sujets qui sont dans l'air ?
Juste au moment où notre collaborateur Arthur Pougin faisait ici. h Paris,
une conférence sur Mozart enfant, c'est aussi sous ce litre de « Mozarl
enfant a que M. H. Kling, professeur au Conservatoire de Genève, donnait
dans la salle de l'Université de cette ville une conférence-concert dont le
succès a été très brillant. Mozart, voyageant avec son père dès ses jeunes
années et triomphant partout, choyé par les cours d'Autriche, de France,
d'Angleterre, de Hollande, passa par la Suisse au cours de ces grandes tour-
nées et séjourna à Lausanne, à Zurich et à Genève. Tel était le prétexte de
la très intéressante conférence de M. H. Kling, qui, au fur et à mesure de
Min enlrelien. a eu l'heureuse idée de faire exécuter quelques morceaux de
Mozarl qui datent précisément de son enfance: une des trois sonates pour
piano et violon publiées par lui à Paris à l'âge de sept ans, des Variations
sur un allegretto écrites deux ans plus tard, un délicieux air pour soprano
avec accompagnement d'inslrumenls à cordes, enûn un Ktjrie eleison gran-
diose, de la même époque. Cette séance, d'un intérêt très vif, a olilenu, nous
l'avons dit, un plein succès.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
C'est M. Samuel Rousseau, chef du chant à la Société des concerts du
Conservatoire, qui est chargé d'écrire le prochain ouvrage en deux actes ré-
servé, par le cahier des charges de l'Opéra, aux. anciens prix de Rome. On
sait que M. Samuel Rousseau a obtenu, il y a quelques années, le prix du
grand concours de la ville de Paris, pour un drame lyrique intitulée Merowig,
dont M. Georges Montorgueil lui avait fourni le livret et qui fut exécuté au
Grand-Théâtre (l'Eden défunt), sous la direction de M. Porel. C'est précisé-
ment, dit-on, M. Montorgueil, qui. en société avec M. Gheusi, doit écrire le
livret dont M. Samuel Rousseau est chargé de composer la musique.
— Ou sait le beau succès littéraire qu'a obtenu au théâtre de la République
la Lucite Desmoulins de M. Jules Barbier. La brochure va paraître en librairie
avec une préface bien curieuse, dont nous croyons iulcressaut de reproduire
le début, d'une mélancolie et même d'une tristesse si inlense dans .sa rési-
gnation philosophique :
Que de remerdemcnts ne dois-jf pas — soit dit sans ombre d'ironie — à l'Opéra et à
rOpéra-Comique pour avoir résolument fermé leui-s portes, depuis une dizaine d'années,
à toutes mes tentatives d'œuvres nouvelles et m'a\oir ainsi ramené à mes conimenceinents
littéraires, dont je n'aurais jamais dû ni'éeartcr. Car il laut avoir le courage de le dire,
dût-OQ se l'aire acruser par les malveillants de sottise et d'infatuation, de tous les gein'es
de composition qui se ratliichent au théâtre, le genre lyrique est le plus complexe, le plus
difficile et le plus ingrat. 11 ne faut pas croire, avec Beaumarcliais, que ce qui n'est pas
bon à être dit est bon à éti'c- chanté, nuns l»icii iju'il n'y a de chantable que ce qui en est
digne.
Quand vous êlç? Mrri\é à vous pcnclicr il' i-r[[,- \erili-. rjuand vous vous êtes efforcé de
fondre en un inlinir ni.in.i^.' l:i l.iii^n.' itnir.. :nr,; l,-i l:iii^ii.. musicale, quand vous avez
animé du souille (ic \mIiv ,..-pni. du iiAr <\r \iiirr ['ciisrr, (j 1 1 j c t dc votre expression l'ins-
piration de vûlir r.plhOi.iiiilriir. .|iiiiii.l \..ii- ;n.v liil ili' \.iiri_. Iiibi^ur modeste un piédestiil
à son geiiir. Vi.ii- V'iii- .11 Ml. r,. / lin iii;iliii uni- \mii~ \ ;[\r/ -;i-ii.. ini \ci-ii;iblc brevet de
domeslir 1 .iiiMi, >.,u. 1,11-. >.,|nnii, ■,■-,, r. ml, .h;, ml. IV ; ,,,n-x ;nr/ perdu en revanclic
la premiri'c \i^'iirni' de miOc iviv.mii, Ic^ rnivirs |ic|.<,jrinrllrs que ïiins nuiriez écrites, i!l
les succès relativement faciles :in\i|u. N v.iii- iniricz pu prétendre. .le ne parle pas de la
question commerciale, qui n'a rien ;i \nii- ici 't qui ne suffirait pas, en tout état de cause,
à dédommager de ce suicide ninriil et inicllcctuel auquel vous vous êtes résigné avec le
sourire des satisfaits.
Le seul dédommagemeut réside dans les longues et inaltérables amitiés qui sont nées de
ces dévorantes collaborations. Elles consolent du dédain des directeurs, de l'hostilité des
lionUles, de la coinmisérationdesconfières, du silence des amis et des mépris du vulgaire.
Tel m'apparalt mon passé, illuminé par l'auréole qui couronne les fronts à jamais bénis,
pour ne parler que de ceux-là, do mes \ieujL camarades Victor Massé, Charles Gounod et
Ambroise Thomas.
— A l'occasion du cinquantenaire de la Damnation de Faust qu'on célèbre
aujourd'hui dimanche au Chàtelet, M. Edouard Colonne réserve une surprise
artistique à ses auditeurs. Un programme spécial leur sera offert, contenant
un portrait de Berlioz en 1845, le programme du 6 décembre 1846, la pre-
mière page du manuscrit original, curieux fac-similé reproduit par la mai-
son H. Raymond, et d'importantes notes bibliographique dues à la plume de
M. Charles Malherbe.
— M""> Blanche Marchesi, qui vient d'obtenir, aux concerts populaires de
Londres, un succès éclatant qu'a constaté toute la presse anglaise, a donné
hier samedi, à la Bodinière, une séance d'un caractère et d'un intérêt artis-
tiques tout particuliers, en interprétant les Contes mystiques de M. Sléphan
Bordèse mis en musique par douze de nos compositeurs les plus renommés.
Nous rendrons compte de cette séance curieuse, que précédait une confé-
rence de M. Henry Fouquier, et qui sera renouvelée samedi prochain,
12 décembre, à neuf heures du soir.
— Le jeune et déjà si distingué violoniste M. Boucherit Ta entreprendre
une tournée de concerts eu Bretagne. Le 10 décembre il sera à Morlaix, le
11 à Brest, le 12 à Quimper, et le 13 à Lorient. Bonne chance et bon
succès.
— Lundi dernier M""'Negropoute a réuni quelques intimes pour applaudir
encore une fois M™» Francès Saville avant son départ pour la Russie. La
charmante artiste, d'une voix merveilleuse et avec une diction parfaite, a
détaillé d'abord quatre mélodies du comte de Fontenaillss : le Temps des roses,
Fleur dans un livre, Chanson aux étoiles et les Deux Cœurs ; puis deux mélo-
dies de Reynaldo Halm : Si mes vers avaient des ailes et Rêverie.
— De Lyon : I^e premier des grands concerts symphoniques organisés au
(irand-TIu'àtre par M. Yizentfni a eu lieu avec un succès marqué et devant
une salle absolument comble. Le programme comportait la 8= symphonie de
Beethoven : la Nuit de Noël de Pierné, dirigée par l'auteur; les airs de ballet
d'Henry YIII de Saint-Saéns: 'un prélude à'Eloa de Ijefebvre ; le Divertissement
de Lalo ; le CarHauoi à Parts de Svendsen; qui ont été exécutés avec beau-
coup de charme et de précision par l'orchestre du Grand-Théâtre. M"» Janssen
dans la itforf fri'seuii de "Wagner, M. Dauphin dans le bel air à'Élie de
Mendelssohn, M. Rinuccini dans le concerto pour violon de Max Bruch et
M. Chalmin dans l'importante partie déclamée du Noël de Pierné ont eu leur
légitime part des applaudissements dont le public s'est montré justement
prodigue au cours de ce beau et artistique concert, le premier d'une série
qui promet d'être féconde. J. J.
— Les très intéressantes séances du Conservatoire de musique de Nancy ont
repris dimanche dernier sous l'active et 1res artistique direction de M. J. Guy
Ropartz. Au premier programme, d'irréprochable exécution, les noms de
Beethoven, S.-humann, Franck, Hœndel et de M. Massenet avec laPastorale et
la Chasse à'Esclarmonde. Ajoutons, puisque nous parlons du Conservatoire de
Nancy, que sur sept élèves qu'il a présentés au Conservatoire de Paris, tous
les sept ont été reçus.
— Il faut signaler encore à Nancy, à ces concerts si intéressants de
M. Guy Ropartz , une belle exécution de la Rapsodie cambodgienne de
M. Bourgault-Ducoudray, sous la direction de l'auteur. Ovations et applau-
dissements sans frein. — Cette même Rapsodie vient d'être exécutée aussi à
Pau, sous la direction de l'excellent chef d'orchestre M. Edouard Brunel, et
à Montreux, sous colle de M. Oscar Jultner, non moins remarquable cap-
pellmeister. Cette très belle pièce symphonique rencontre donc partout enfin
l'accueil chaleureux qu'elle mérile.
— On nous écrit de Nancy le grand succès remporté par M^i^ Tarquini
d'Or dans Mignon, succès tel qu'immédiatement la direction a réengagé
l'excellente artiste, pour une nouvelle série de représentations à donner en
janvier prochain; elle chantera ^^'ertller, la Navarraise, Mignon, etc.
NÉCROLOGIE
M. William Steinway, chef de la célèbre manufacture de pianos qui
porte son nom, est mort à New-York à l'âge de 60 ans, des suites d'une
fièvre typhoïde. Il était le fils d'Henry Steinvveg, qui fonda à New-York eu
1862 la maison Steinway après avoir anglicisé son nom allemand et qui fut
élu, en 1890, président de l'Association des facteurs de pianos et d'orgues
dans les États-Unis. "William Steinway possédait aussi une grande influence
politique dans l'Etat de New-York où ses compatriotes allemands sont si
nombreux. Il laisse une fortune évaluée à quinze millions de francs.
Henri Heogel, directeur-gérant.
OCCASION EXCEPTIONNELLE. A vendre orgue de salon à tuyaux de
13 jeux, 2 claviers à mains, pédalier, bulfet en noyer. Montre décorative.
Construit dans les ateliers de la manufacture de grand orgue, J. Mehklin et G'',,
22 rue Delambre, à Paris. Il peut être examiné dans ces ateliers, essayé et
livré immédiatement.
VIOLONCELLISTE, ancien élève du Ccuiseivaluire de Paris, irait s'établir
dans une ville de province où un hxe lui sérail assuré. — ■ S'adresser aux
bureaux du journal.
392
LE MÉNESTREL
Soixante-tr'oisièine anné© d© putoUcatlon
PRIMKS 1897 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1^^ DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en liuit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Conceris, des Notices biographiques et Éludes sui
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers prolesseurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanclie, un morceau de choix (inédit) pour le CBAIVT ou pour le PIAi^O, de moyenne diRiculié, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes CHA:*» et PIAIVO.
O xi A. JN T ([" MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
J. MASSENET
VINGT MÉLODIES
4- ET NOUVEAU VOLUME
Recueil in-S"
P. MÀSGÀGNI
CAVALLERIA RUSTICANA
DRAME LYniQUE
Partition française chant et piano
REYNÀLDO HÂHN
VINGT MÉLODIES
PREMIER VOLUME
Recueil in-S"
LOUIS VARNEY
LE PAPA DE FRANGINE
OPÉRETTE EN QUATRE ACTES
Partition in-8"
Ou à l'un de3 trois premiers Recueils de Mélodies de J. .
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n<"), un \oluine relié in-S", avec iUustraliona en couleur d'ADRIEN MARIE
JP JL A. PS O (2^ MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
P. MASCAGNI
CAVALLERIA RUSTICANA
DRAME LYRIQUE
Partition pour piano solo in-8"
n. GIORDANO
ANDRÉ CHÉNIER
DRAME HISTORIQUE
Partition pour piano solo in-8"
EDMOND mSSA
L'HOTE
PANTOMIME POUR PIANO SOLO
Livret de MM. Carré et Hugounet.
LOUIS DIÉMER
LES VIEUX MAITRES
12 TRANSCUII'TIONS POUIt l'IANO SEII,
Société des Instruments £
OU à l'un des volumes in-8» des GLASSIQUES-MARMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, GLEMENTI, CHOPIN , ou à l'un des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes - compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire de
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAULICH, de Vienne, ou STRAUSS, de Paris.
OFtANDES F»1=MI\/IES
! PIASO ET DE CHA^'T EUMES, POUR lES SEUIS ABOIES A L'ABONlMEJiT COMPLET (3= Mode)
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Drame historique en 3 actes
Traduction française de PAUL MILLIEï
GRAND SUCCÈS DE MILAN
PARTITION CHANT ET PIANO
W.-A. MOZART
DON JUAN
Opéra complet en 2 actes
de DA IPOIVTE!
Seule édition conforme à, la partition originale de l'auteur et
LA SEULE QU'ON NE JODE PAS
DOUBLE TEXTE FRANÇAIS I-Jf ITALll-^N
NOTA ItAPORTANT. — Ces primes ■9nt aélivrées !;ra.tultciiieiit daas noa liiire.xux, 3 bis, rue ViTieiine, à pai-tii-ilii 30 Décembre I89C, à tout aueieu
ou DOUTel abonné, sur la préseutatîon de la quittance d'abonnement au llÉAEKTBEIi pour l'année 1897. Joindre au prix d'abonnement un
supplément d'U;^ ou fie DEtJX francs pour l'envoi franco de la prime simple ou double dans les départements. (Pour ri^tran^er, l'enTol franco
des primes se rè^le selon les frais de Poste.) J
les abonnés ail Chanl peuveal prendre la prime Pianoel vice versa.- Ceui au Piano el au Chant réunis ont seuls droit à la grande Prime.- Les abonnés au leilescul o'onl droit 'a aucune primr..
CHANT CONDITIONS D'AB0NNE,11ENT AU « MÉNESTREL • PIANO
1" Uodid'abonnemenl : Journal-Texte, tousles dim,inches; 26 morceaux m: chvnt : | 2" Molsi'abonneinenl: Journal-Texte, tous les dimanches; 26 morceaux db piano
Scènes, Mélodies, Komances, paraissant di! quinzaine en qninzaine; i Recueil- fantaisies, l'ranscriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Reouell-
Priine, Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, l''rais de poste en sus. | Prima. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3' Mode d'abonnement contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime. - Un ;
et Province; Étranger: Poste en sus.
4" Mode, Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le l"" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment coUection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 1 iis, rue Vivienne<
30 Irancs, Paris"
IHPBUIERIE CENTRALE DES CBEHINS DE FBH. — lUPRlHERlE t
RUE BERGERE, 20,
à
3429. - 62- mm - iV° 50.
Dimanche 13 Décembre 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rae Vivienne)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGELé, Directeur
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur dii Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrils, Lettres et Bons-poste d'abonneraenL
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Teite et Musique de Piano, '20 fr„, Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étrrjiger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Étude sur Dcn Juan (1" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale ; pre-
mières représentations de l'Évasion à la Comédie- Française et de Ferdinand le
noceuT au Palais-Royal, Paul-Émile Cbevalieb..— III. .lournal d'un musicien
(10" article), A. Montaux. — IV. Le chœur ta CAariW, de Rossini,J.-B.WEcKEiii,iN.
— V. Revue des grands conceris. — VI. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CANTABILE DE MADELEINE
chanté dans l'opéra do Giordano, le grand succès du théâtre de la Scala à
Milan. — Suivra immédiatement: Fleur dans un livre, mélodie du comte de
l'^ONiENAiLLES, poésie de M. L. Le Lasseur de Ranzay.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
piano : la Gavotte pour les Heures et les Zéphyrs, extraite de l'opéra inédit de
Rameau, les Boréades, transcription pour piano de Louis Diémer, répertoire de
la Société des instruments anciens. — Suivra immédiatement la Passacaille de
Paul Puget, écrite pour les représenlalinus de Lorenzaccio au théâtre de la
Renaissance..
PRIMES POUR L'ANNÉE 1897
(Voir à la 8' page du Journal.)
ÉTUDE SUR DON JUAN
De MOZART
I
Les destinées du chef-d'œuvre de Mozart, ses succès inin-
terrompus depuis plus d'un siècle, l'admiration qu'il n'a pas
cessé de susciter et dont les plus grands génies ont donné
maintes fois des marques éclatantes, sont un des témoignages
les plus probants que l'on puisse invoquer contre celte idée
fausse, trop répandue parmi des gens prévenus ou insuffi-
samment informés, que la musique est un art périssable,
subordonné plus que les autres aux fluctuations du goût, et
dont les œuvres les plus réputées sont appelées fatalement à
disparaître dans le courant des idées nouvelles. Que souvent
le succès soit chose incertaine et éphémère, cela n'est que
trop évident; mais d'abord, cette vérité trouve son applica-
tion assez fréquente dans de tout autres domaines que celui
de la musique: les productions des arts plastiques, les
œuvres littéraires et les systèmes des philosophes ont été,
tout comme elle, soumis aux engouements, et souvent, après
d'éclatants débuts, sont tombés dans un définitif oubli. Bien
des œuvres musicales, proclamées chefs-d'œuvre à leur nais-
sance, ont éprouvé le même sort: c'est que, produits d'un
état d'esprit particulier, elles n'ont pu lui survivre; et, pour
celles-là, il y a peu d'apparence qu'elles renaissent jamais.
Mais lorsqu'après plus de cent années, malgré tant de chan-
gements survenus, tant de progrès accomplis, au moment
mime où, vainqueur d'une lutte fort vive, un art nouveau a
fait triompher des formes si dilïérentes, nous voyons le vieux
chef-d'œuvre reparaître plus radieux, plus vivant, plus pas-
sionné, d'ailleurs bien plus clairement compris par la géné-
ralité du public qu'il ne l'avait jamais été, qui donc oserait
dire encore que la musique est un art inconsistant et éphé-
mère, une simple affaire de mode?
Notre fin de siècle, dont on a tant médit, aura eu du moins
le mérite de rendre cette vérité évidente. Grâce au progrès
que l'étude un peu plus sérieuse de la musique a fait réali-
ser au goût public, l'on en est venu peu à peu, sinon à
concevoir clairement, du moins à pressentir que la beauté
des œuvres musicales ne réside pas simplement en des
formes d'une nouveauté plus ou moins attrayante, mais qu'il
y a une beauté intrinsèque et interne qui se manifeste tou-
jours, quelles que soient les apparences extérieures. Le
succès extraordinaire remporté, au cours de cette même
année qui s'achève avec Don Juan, par une œuvre plus an-
cienne encore, Orphée de Gluck, est un signe manifeste de
cette hetireuse disposition. En même temps, les chefs-
d'œuvre de Bach, considérés naguère avec un respect qui
n'avait d'égale que l'ignorance où l'on était de leurs véritables
mérites, ont obtenu une admiration plus éclairée en repre-
nant leur place légitime au soleil de l'art. Les beautés plus
anciennes encore de la musique palestrinienne nous ont
été révélées à nouveau, et ont répandu un charme auquel
aucune âme éprise d'idéal n'a su résister. Les chansons po-
pulaires, vestiges autrefois dédaignés de l'art primitif de la
race, ont donné lieu à des recherches patientes et à des re-
constitutions dont beaucoup d'esprits très modernes ont res-
senti le charme naïf. Cette curiosité du passé de notre art a
été jusqu'à permettre de représenter publiquement une œuvre
musicale et scénique vieille de plus de six siècles, te Jeu de
Hobin et Marion, où le trouvère Adam de la Halle a condensé
en quelques fins couplets la substance musicale de l'esprit
profane et populaire du moyen âge. Enfin, remontant plus
haut encore, des érudits se sont occupés de retrouver, au
milieu des ruines, le secret des primitifs chants de l'Église
chrétienne ou de la musique de l'antiquité, apportant ainsi
les plus vénérables témoignages que l'on puisse souhaiter de
l'éternité de l'art musical.
Eq même temps qu'elle prête ainsi l'oreille à la « vieille
394
LE MENESTREL
chanson », notre époque écoute avec i.ne sympathie non
moins sincère la voix puissante de l'art nouveau. Elle a
acclamé Wagner : jamais les représentations de Bayreuth
u'ont été suivies par une foule plus nombreuse et plus atten-
tive. Berlioz a obtenu sa réhabilitation définitive, et l'on vient
de célébrer triomphalement le cinquantenaire de son chef-
d'œuvre le plus populaire. Nul n'oserait toucher à la gloire
de Beethoven, dont les œuvres sublimes, si longtemps incom-
prises, — telle la Neuvième Symphonie — apparaissent
aujourd'hui comme des sommets resplendissants.
C'est ainsi que l'on en est arrivé à comprendre que l'ad-
miration du temps présent n'exclut pas le respect de l'œuvre
(lu passé, et réciproquement ; que l'on peut avoir le culte
des anciens maîtres sans mériter le reproche de vieux pédant,
et saluer en même temps le génie d'un "Wagner sans être un
esprit subversif; qu'enfin rien de tout cela n'est de nature
à nous empêcher d'aimer Mozart.
L'auteur de Don Giovanni tient en eiîet dignement son rang
dans le noble groupe des élus de l'art, dans lequel il semble
avoir sa place tout au milieu, entre les vieux maîtres, aux-
quels certains traits de son esprit classique le rattachent
encore, et les modernes, desquels, libre déjà de beaucoup
d'entraves, il se rapproche résolument, à tel point que l'on
pourrait presque l'en compter comme le premier. Son Don Juan,
œuvre- du dix-huitième siècle, compris et acclamé par le
public d'une petite ville allemande dès le soir de sa pre-
mière apparition, a été, depuis ce jour, l'objet d'hommages
rendus par les génies les plus divers, et tels que, sans
doute, aucune autre œuvre de l'esprit humain n'en provoqua
jamais d'aussi unanimes.
Voici un bouquet de ces pensées diverses, exprimées sur
le compte du chef-d'œuvre de Mozart pendant le siècle qui
vient de s'écouler.
La première, par la date comme par la renommée,
émane de Napoléon. En route pour Austerlitz, dans le temps
même qu'il dirigeait le mouvement mémorable qui, à quel-
ques jours de là, devait aboutir à la capitulation d'Ulm,
l'empereur trouvait le temps d'aller entendre de la musique
au théâtre de la petite ville allemande qui lui servait de
quartier général :
« J'ai entendu hier au théâtre de cette cour, écrivait-il de
Ludwigsbourg, le 12 vendémiaire an XIV (4 octobre 180S),
l'opéra de Don Juan; j'imagine que la musique de cet opéra
est la même que celle de l'opéra qu'on donne à Paris (1).
Elle m'a paru fort bonne (2). »
Cette condescendance à approuver l'œuvre, non encore
consacrée, du divin Mozart, est tout à l'honneur du goût mu-
sical de Napoléon, qui ne l'eut pas toujours si sur.
Un prince de la pensée, Gœthe, s'exprima, un peu plus
tard, en des termes moins cavaliers :
« Gomment, s'écrie-t-il dans un de ses entretiens avec
Eckermann, comment ose-t-on dire que Mozart a composé son
Diin Juan? Composition! Comme s'il s'agissait d'un gâteau ou
il'iin biscuit, que l'on prépare en mélangeant des œufs, de
la farine et du sucre!... »
Le caractère musical de Don Juan avait d'autant plus vive-
ment frappé le poète qu'il y avait trouvé, en quelque sorte,
une interprétation idéale de son propre chef-d'œuvre. Un
jour que son ami lui exprimait le vœu que Faust devint la
matière d'une œuvre musicale digne du poème, Gœthe émit
d'abord des doutes sur la réalisation d'un teldésir;puisil ajouta:
'< Cette musique devrait être dans le caractère de Don Juan.
Mozart aurait du composer le Faust ! (3) »
(A suivre.) Julien Tiersoi.
(11 Dun .tuan venait en effet d'être représenté àl'Opérade Paris, le 30 fructidor
an \11I (17 septembre 1805), avec un arrangement de Kallvbrenner, dont les beautés
furent longtemps célèbres, et dont la principale, qui donnera des autres une idée
suffisante, consista à faire chanter le trio des masques par des gendarmes...
(2; Notre confrère Adolphe .\derer a le premier signalé cette lettre à l'attention
des admirateurs de Mozart, voire à ceux de Napoléon, en la publiant récem-
ment dans le Temps.
(3) Entretiens de Goithe avec Eclcermann, 1829 et 1831.
SEMAINE THEATRALE
Comkdie-Française. — L'Evasion, pince en 3 :^c■te:^. de M. Bripux.
P.\L.iis-RoY.\L. — Ferdinand le iVoceur, comédie eu 4 actes, de M. Tj. Gandillot.
Pièce à thèse, mais aussi, et l'effort est de quelque mérite, pièce à
portée morale. M. Brieux, d'ailleurs, a accoutumé de ne point écrire
pour ne rien dire. Son théâtre, jusqu'à présent, avec Blanchelle. l'En-
grenage, les Bienfaiteurs, et plus encore avec !'Ecasion,le prouve am
plement. Si Icbut visé n'est point touché au bon endroit, l'essai est
loyal et non sans hardiesse ; si les forces trahissent l'écrivain en
chemin, on lui doit cependant savoir gré de la tentative.
L'Évasion voudrait prouver la fausseté des théories sur l'atavisme.
Jean Belmonl, dont le père s'est tué dans un accès d'hypocondrie
chronique, et Lucienne, dont la mère fut de mœurs légères, sont les
sujets élus par M. Brieux. Suivant les diagnostics péremploires et in-;
discutables du célèbre docteur Bertry, Jean, triste, morose, ennuyé
par l'inaction, et Lucienne, coquette et d'allures libres, doivent
être frappés du principe héréditaire; rien ne saurait les empêcher
d'être dégénérés comme ceux dont ils naquirent, et c'est au nom de
la science infaillible que le docteur se refuse à laisser unir ces deux
existences vouées au malheur.
Cependant Jean et Lucienne s'aiment assez pour, en s'appuyantl'un
sur l'autre, tenter 1' « évasion ». Ils se marient et se retirent à la cam.-
pagne. Et c'est ici que les arguments choisis par M. Brieux poiir dé-
fendre sa thèse le trahissent en n'aidant que trop imparfaitement à
démontrer ce qu'il entend prouver. Lucienne, habituée à la vie
bruyante et aux flirts, s'ennuie à la campagne, comme s'y ennuierait
légitimement toute autre mondaine subitement condamnée au régime
monotone des champs; il suffit du premier freluquet venu pour
qu'elle se laisse redire les fadaises qu'on lui débitait couramment
alors qu'elle était jeune fille, qu'elle y retrouve quelque charme,
regrette de plus en plus Paris et se mette en tète que décidément le
docteur Bertry avait raison, que jamais elle ne parviendra à être une
honnête femme. Une scène de jalousie de Jean, dont la triste mélan-
colie a été chassée par ses occupations de gros propriétaire, amène
une rupture. La science triomphera! Jean sera reconquis par le
spleen, Lucienne ne pourra que vivre comme vécut sa mère !
Or comme le théâtre de M. Brieux est moral, je l'ai dit, Jean
et Lucienne l'emporteront quand même. De nouveau, il suffit que le
docteur Bertry émette quelques doutes sur la science incapable de le
sauver d'une maladie de cœur dont il va mourir, il suffit qu'on assure
à la jeune femme que sa mère, malgré son existence, eut un excjl-
lent cœur et aima profondément sa fille et l'iiomme qui est sou père,
pour que les deux pauvres condamnés se ressaisissent et, définiti-
vement enfin, s'évadent de l'élau cruel dans lequel d'inflexibles
théories avaient essayé de les enserrer.
Si l'argumentation de M. Brieux pèche ou par banalité ou par
timidité, il n'en est pas moins vrai que son observation est souvent
subtile et juste, que son dialogue n'est pas sans agrément ni sans esprit,
et qu'en plus d'une scène l'homme de théâtre se fait pressentir. Le
succès est allé au premier acte d'adroite mise en œuvre et de viru-
lent plaidoyer contre la médecine et les médecins.
Eu suite du deuil si cruel de M""^' Barlet, c'est M"'' Lara qui a
a hérité le rôle de Lucienne et y a prouvé toutes ses qualités de sen-
timent, d'émotion etde chaleur communicative. Mais, encore une fois,
que M'"' Lara, dont la situation à la Comédie-Française est désormais
acquise, prenne grand soin de son articulation ; sa voix, qui n'est point
de parfaite qualité, l'oblige plus que tout autre à un travail assidu.
M. Duflos a heureusement joué Jean Belmont et M. Prudhon a donné
une fort belle allure au docteur Bertry. Dans les rôles épisodiques,
il faut féliciter MM. Paul Mounet, Joliet,Coquelin, Truffier, Delaunay
et M"'- Reichenberg.
Le Palais-Royal vient de joyeusement monter Ferdinand le Noceur,
qui durant plusieurs années fit les beaux soirs et soutint la destinée
du Théâtre-Déjazet. Le vaudeville de M. Gandillot est demeuré fort
drolatique et, même, de quelque originalité dans son idée première.
La troupe du Palais-Royal enlève de verve ces quatre actes, et de
l'amusante interprétation, qui comprend MM. Mangé, Francès, G-aby,
M"« Lender, Franck-Mell, Doriel,Narlay et Laborie, il faut mettre hors
pair l'étourdissant Raimond et le tout rond G-obin.
Paul-É.mile Chevalier.
LE MÉNESTREL
395
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAOMENTS
(Suite.)
Quand on étudie avec l'esprit d'analyse la classification des ac-
cords de septième adoptée par la grande majorité des théoriciens et
enseignée dans presque tous les Conservatoires du monds, cette clas-
sification paraît incomplète, et, en un certain sens, illogique.
La voici, telle, par exemple, que la donne Reber après Reicha et
bien d'autres :
^
¥=
¥
|Vv>^>^
7edelÇ espèce. 7'
ou7? dominante
7Çd8 3? espèce. TÇde 4» i
Ce qui frappe d'abord dans cet exemple, c'est que, bien que le
théoricien ait toujours adopté le ton type d'ut majeu?- pour la facilité de
ses démonstrations, ii a placé ici l'accord appelé par lui septième de
troisième espèce dans un autre ton, soit en la mineur.
Pourquoi ?
C'est que Reber, comme ses devanciers, a fait une place à part a
cette sorte d'accord de septième alors qu'elle est tout simplement l'accord
de septième de deuxième espèce légèrement modifié en sa quinte qui est
devenue mineure (1).
Cet accord se résout, en sa marche naturelle, sur l'accord de sep-
tième dominante, soit, une quarte au-dessus ou une quinte au-dessous du
degré sur lequel il est placé ; — ou encore sans changer de degré, en
se penchant, en quelque sorte, sur le second renversement de cette
même septième dominante.
(En La mineur)
3? espèce
Il suit donc exactement la même marche dans le modo mineur que
l'aecord de septième de deuxième espèce dans le mode majeur et en
a toutes les caractéi-isliques.
2? espèce
Lui aussi est la dominante de la dominante.
Sa situation est pareille à celle de l'accord de neuvième.
Il y a un accord de septième mineure (ou de deuxième espèce),
avec quinte majeure, et il y a un accord de septième mineure avec
quinte mineure, comme il y a un accord de neuvième majeure et un ac-
cord de neuvième mineure.
Dès lors, pourquoi en faire une espèce à parti Ces deux accords,
séparés aujourd'hui par la désignation de deuxième et de troisième
espèce, devraient être rapprochés au contraire par le même vocable,
et cités dans le même ton au cours des ouvrages didactiques, comme
les accords de neuvième majeure et mineure.
Autre chose :
L'agrégation de sons
1^ dénommée par Reber
septième de troisième espèce, comprend, — on le sait — sous la même
disposition de notes, deux accords homophones, mais absolument dis-
tincts, dont la signification varie suivant leur application.
Tels, dans le langage parlé, des mots ayant deux sens tout à
fait dissemblables, comme, par exemple, en français, le mot vol, qui
exprime à la fois l'action par un être ailé de s'élever, de circuler dans
l'air, et l'action par un filou de dérober un objet appartenant à autrui.
(1) Il semble C|u'il n'ait pas voulu accentuer ce rapprochement en le présen-
tant dans le même ton.
L'un ou l'autre de ces sens ne sont déterminés que par la phrase
dans laquelle le mot est encadré.
De même, la signification de l'accord qui nous occupe n'est déter-
minée que par celle des accords qui le précèdent et le suivent; et
cette signification varie tellement dans l'un et l'autre cas, que ces
de'ix accords — les mêmes pour l'œil et les mêmes pour- l'oreille,
— nous causent une sensation absolument différente, suivant la
manière dont ils sont présentés.
Tantôt cet accord a l'origine, la marche et la résolution rappelés
ci-dessus.
Tantôt il est sous-tonique et se résout nécessairement un degré
au-dessus de celui sur lequel il est placé, soit sur la tonique:
Il est alors l'accord très particulier que les théoriciens appellent
septième de sensible.
Ce dernier, je ne le vois pas dans la classification de Reber.
Je n'y vois pas davantage son congénère, que j'appellerais volon-
tiers, pour la clarté du raisonnement, sa femelle, — l'accord si connu
de septième diminuée:
.J'entends bien : Reber et les autres nous représentent, dans un
chapitre à part, que l'accord de septième de sensible est simplement
l'accord, de neuvième majeure dont on a retranché la base, comme
l'accord de septième diminuée est un accord de neuvième mineure dont
on a coupé la fondamentale.
Il n'en demeure pas moins que l'un et l'autre de ces accords sont
bel et bien des accords de septième, — que, comprenant une agré-
gation de trois tierces, ils donnent à l'oreille la sensation d'accords
complets, se suffisant à eux-mêmes, et en ont les caractères; — enfin
que l'un d'eux, l'accord de septième diminuée, — est d'un usage
constant, bien autrement fréquent que l'accord de neuvième mineure,
dont il est dérivé.
S'il en est bien ainsi, pourquoi n'en parler qu'en marge? pourquoi
ne pas les comprendre dans une classification complète d'accords de
la même famille?
Quand on a épuisé ces déductions, on se demande pourquoi la
numération des accords de septième ne serait pas changée, et leur
classification établie comme suit :
Accords de
( ' ) oo, pour étibf.run paraU^
(A suivre.}
A. MONTAUX.
LE CHŒUR « LA GEABITÉ » DE ROSSINI
Un est quelquefois très long à connaître toule l'iiistuire d'un chef-d'œuvre.
Donnons-en pour preuve nouvelle celle du fameux choeur de Rossini, la
Charité, pour trois voix de femmes avec soli.
Ces jours derniers, parmi des broutilles provenant de l'éditeur Troupenas,
mon ami Charles Malherl)e acheta à l'iiotel Urouot quelques feuillets auto-
graphes d'Auber, parmi lesquels se trouvail, (eu ropie) une pièce intitulée
Coro con solo, qu'il oflrait à la bibliothèque du Conservatoire. A la fin de ce
manuscrit on lil : Gioacchino Rossini à son ami Troupenas, Bologne, ce 22 juin
18/14. Ces deux
celui que nous
cent ainsi :
uni de la main de Rossini, et te chœur n'est autre que
^(in> siius le titre de la Charité, hes paroles commen-
Mnria dolcissima madré (Vamor
Fido refufjio dd umiin cor
0 Sfinia Vergine chi se non tu
Possède l'inthno de! mi'o Jesù.
l'ersoune n'ira s'imaginer que l'éditeur Troupenas, qui composait lui-
même dans ses moments perdus, ayant reçu ce chœur charmant et l'ayant
lait graver, pût avoir l'idée de se servir de ces mêmes paroles pour les mettre
.396
LE MÉNESTREL
en musique, non certes : c'est le contraire qui arriva. Troupenas avait mis
ces paroles italiennes en musique avant Rossini : j'ai acquis à la vente citée
plus haut des paperasses de Troupenas, parmi lesquelles ce chœur se trouve
à l'état d'embryon d'aljord, puis on le voit se développer et grandir, après
maintes versions différentes, qui toutes portent encore des corrections au
crayon.
Enfin, Troupenas, sans doute satisfait de son travail, le fit graver; j'en pos-
sède six épreuves, partition avec piano, plus dix-huit épreuves des parties
séparées). Il n'y avait plus qu'à faire tirer et mettre en vente. Mais alors
Troupenas se fit probablement ce raisonnement : il me paraît difficile de faire
mieux sur ces paroles, cependant je voudrais en être sûr. Et il envoya ces
paroles italiennes à Rossini, qui. en un tour de main, écrivit le ravissant
choeur à trois voix qu'on connait et le lit tenir à son éditeur.
Toupenas se connaissait assez bien en musique pour deviner tout aussitôt
une véritable inspiration dans cette petite œuvre de Rossini.
Il y fallait un texte français, qu'on demanda à M»"» Louise Colet. Celle-ci ne
s'occupa nullement de traduire la poésie italienne, mais elle s'inspira d'un
sujet de son choix et son adaptation est vraiment réussie.
Quand, après la mort de Troupenas, les œuvres de Rossini passèrent à la
maison Brandus, on y continua cette bonne vente du chœur de la Charité.
Pour n'en rien perdre, et surtout pour ne pas se laisser contrefaire en Italie,
on commanda un texte italien, qui fut tout simplement une traduction à peu
près textuelle des vers de M.'^^ Louise Colet.
Force de Tàme,
0 charité.
Ta voix enflamme
L'humanité !
Per te s^accende
Vumanità !
Il y a encore un mot à dire sur ce même sujet. Eu 1850, la société Sainte
Cécile, dirigée par Seghers et dont les chœurs m'étaient coniiés, devait exécu-
ter la Chanté avec les solos chantés par M""" Carvalho. Seghers m'engagea à
orchestrer ce petit chœur. J'allai montrer mon travail à Rossini qui n'avait
jamais écrit pour ce morceau qu'un accompagnement de piano. Le maître
me dit après ravoir lu : « C'est tout ce qu'il faut » ; je n'avais pas ajouté un
iota à la partition du maître.
La maison Brandus fit graver cette orchestration, et comme on n'en avait
pas d'autre, elle a toujours servi aux exécutions. Grande a été ma surprise
de trouver, dans cette vente de l'éditeur Troupenas, la Charité orchestrée par
Auber ! Rossini ignorait cela évidemment quand je lui ai fait voir mon tra-
vail, sans cela il me l'aurait dit. Cette orchestration n'a d'ailleurs jamais été
gravée, et n'a jamais été dans la possession de la maison Brandus.
■Voici comment on peut expliquer cette singularité : au moment du grand
succès de la Charité, Auber était le directeur des concerts de la Cour, sous
le roi Louis-Philippe : on y aura voulu entendre cette nouvelle composition
de Rossini (qui ne l'a écrite que pour chant et piano) : il est donc plus que
probable que cette orchestration a été faite pour cette circonstance. Auber ne
tenait que médiocrement à ce que Troupenas publiât son travail, ne désirant
pas, aux yeux du public, passer pour a l'orchestreur » de Rossini, qui était
vivant: et jusqu'à preuve du contraire, il est permis d'adopter cette expli-
cation.
J.-B. "Weckekun.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts du Chàtelel. — Petite solennité comméniorativo à l'nccasion du
cinquantenaire de la Damnation de Faust. Un joli programme nous rappelle
que l'entrée dans le monde musical de cette œuvre de génie fut pleine de
tristesse. C'était à la salle Favart, le 6 décembre 1846. Les assistants ne man-
quèrent pas de chaleur pour quelques parties de l'ouvrage, mais ils étaient si
peu nombreux ! M°"= Duflos-Maillart et MM. Roger et Hermann-Léon rem-
plissaient les principaux rôles. Roger a confessé plus tard que son amitié
pour Berlioz l'avait seule soutenu pendant l'exécution, car sa conviction dans
le mérite de l'ouvrage ne s'est faite, de son propre aveu, qu'en 1870, lorsque
l'enthousiasme instinctif de la foule affirma en un jour ce que sa culture ar-
tistique n'avait pu lui révéler après des semaines d'études. Hermann-Léon
possédait une voix de basse chantante remarquable par son timbre, son
étendue et sa solidité. Il était parfait comédien et fut un bon Mephistophélès.,
La 82^ audition a eu pour interprètes M'" Marcella Pregi, dont la voix pure
et l'excellente diction ne laissent pas une note du texte musical sans la mettre
en valeur avec un sentiment délicat des nuances : M. Cazeneuve, dont il faut
apprécier les qualités térieuses, mais auquel ou saurait gré de ne pas changer
la musique sur ces mots : « d'un éclat guerrier, les campagnes se parent », car
il remplace une noble phrase par une banalité qui entache tout le passage
comme une éclaboussure; enfin M. Auguez, toujours impeccable et sûr de
ses effets, mémo quand la tache qu'il doit remplir est peu conforme à la
nature peu humoristique de son talent. N'oublions pas M. Ghallet, qui a lancé
avec entrain les couplets du rat et sa partie dans la fugue de l'Amen.
M. Colonne a dirigé avec une conviction manifestement décuplée. Berlioz
aurait déclaré foudroyante l'exécution de la Marche hongroise et, certes, s'il
eut été présent, il aurait pu se prendre pour un dieu et jouir de son apo-
théose. Les bis d'usage et des acclamations sans fin ont récompensé le chef
d'orchestre de sa fidélité à la gloire du Maître; mais ce qui sera plus flatteui-
encore et aussi mérité, ce sera de lui dire qu'il a trouvé l'interprétation par-
faite des derniers grands récils du Pandœmonium et de leur jonction avec le
chœur final. Là est désormais le point culminani de l'œuvre, à cet endroit ox'i
l'angoisse halelanle. suivie de l'attendrissement le plus irrésistible, porte
l'émotion ;ni plus luuil degré de puissance. Jusqu'à la dernière noir,
M. ColiMHic a i.Miu s.ui auditoire entièrement sous le charme.
Amédée Boutarel.
— Concerts Lamoureux. — Si M. Lamoureux exagère la dose de AVagner
qu'il administre à ses auditeurs habituels, on peut lui rendre jusqu'à présent
cette jusiice qu'il n'abandonne pas tout à fait Beethoven, et que c'est encore
au Conservatoire et chez lui qu'on rencontre la meilleure exécution de ce
maître incomparable. Le concert de dimanche dernier était une excellente
« leçon de choses ». On pouvait comparer les deux manières d'écrire: celte
Symphonie héroïque, sur laquelle on a tant disserté, qui a été l'objet d'une
foule d'explications plus ou moins aventureuses, est et reste une .merveille:
tous les sentiments y sont dépeints avec une puissance sans égale. Mais ce
que je tiens à faire ressortir, c'est son admirable clarté, cette orchestration
transparente comme un pur cristal, ces délicatesses de touche, ces ornements
délicieux qui courent, sans l'obscurcir, autour d'une idée toujours noble, qu'elle
exprime la joie ou la douleur. Les cordes sont l'âme de cette musique,
les instruments à vent n'interviennent que pour varier les sensations: on
marche de surprise en surprise, les silences mêmes sont éloquents. Comparez
à tout cela la manière d'écrire de 'Wagner. J'en demande humblement pardon
aux wagnériens, mais, pour moi, c'est un recul au lieu d'être un progrès, Cet
orchestremugissant dans lequel tous les instruments jadis connus et beaucoup
d'autres qu'on a inventés depuis, prennent part à la fête et suppriment, le
plus souvent, le coloris musical par l'emploi simultané do toutes les couleurs :
cette prétendue mélodie continue qui jamais ne s'arrête et n'est que le ressas-
sement perpéluol dune formule qu'on étire, qu'on allonge par un système de
modulations qu'on eût jugées autrefois insupportables : cet effet de gros accor-
déon qui pousse des soupirs gigantesques, est-ce bien là un art nouveau, celui
qui devra détrôner celui des grands maîtres classiques? Certes, il y a dans
■Wagner des pages admirables : la marche du Crépuscule des dieux peut être
comparée à la marche funèbre de VHéroique. Ce que je déplore, c'est le sys-
tème. Quand, après le meilleur Wagner, j'entends une symphonie de Bee-
thoven, même d'Haydn, j'éprouve un plaisir sans mélange et une admiration
sans limites. Les fragments du l" acte de la Valkyrie soot loin, du reste,
de produire au concert l'effet qu'ils produisent au théâtre. La Chanson du
Printemps, le duo d'amour, renferment des passages pathétiques qui deman-
dent le prestige de la scène pour émotionner le public. — L'exécution a été
excellente. M. Engel et M"" Chrétien ont fait de louables efforts pour luttci-
contre un orchestre formidable et aussi, il faut bien le dire, contre la mau-
vaise sonorité du cirque, H. Barbedette.
— Les impressions neuves sont rares en matière d'art, et l'émotion qui s'en
dégage est d'autant plus puissante. C'est le résultat qu'a produit la très inté-
ressante audition des Contes mystiques de M. Stephan Bordèse, donnée cette
semaine à la Bodinière par M"' Blanche Marchés!, dont les récents succès à
Londres ont mis le talent en pleine lumière. Ces Contes mystiques forment un
cycle de tout petits poèmes, tendres et savoureux, racontant la naissance et
l'enfance du Christ, poèmes que l'auteur a eu la bonne fortune de voir mettre
en musique par douze de nos compositeurs, au nombre desquels se comptent
les plus célèbres de ce temps : M""^ Augusta Holmes et Pauline Viardol,
MM. Massenet, Théodore Dubois, Saint-Saëns, Paladilhe, Ch.-M. 'Widor,
Charles Lenepveu, Gabriel Fauré, Henri Maréchal, Charles Lecocq et Edmond
Diet. Après une conférence intéressante de M. Henry Fouquier, destinée à
faire connaître le sentiment d'où étaient nés ces Contes mystiques, le rideau
s'est levé sur un décor imprécis, de façon orientale, nous montrant M"'= Blan-
che Marches! en longue tunique blanche, un voile couvrant ses épaules, la
main gauche appuyée sur une sorte de fragment de mur en ruines. Puis, une
harpe et une flûte se font entendre au loin, bientôt soutenus par les accords
d'un piano, et la cantatrice, immobile et calme, déroule devant nous, de sa
belle voix et de son style si pur, sans qu'on perde un seul mol des vers du
poète, cette très curieuse série de contes lyriques, en commençant par Ce
que l'on entend da7is la nuit de Noël. Plus on avance et plus l'impression est in-
tense, plus les auditeurs sont saisis par le charme et le calme qui se déga-
gent de cette poésie et de cette musique ainsi interprétées. Car, s'il est une
chose singulière, c'est le sentiment d'unité sereine qui caractérise à un haut
degré l'inspiration de tant de musiciens divers. Ils ont si bien compris, cha
cnn de leur côté, les intentions du poète, qu'ils se sont complètement iden-
tifiés avec lui, et que de cette œuvre collective il est résulté un ensemble où
rien ne détonne, où tout est à sa place et qui donne l'impression d'une colla-
boration unique. Je ne m'aviserai pas do faire ici la part de chacun, ce qui
serait trop long d'ailleurs. Je dirai seulement que l'efi'et général est absolu-
ment exquis, et que le talent si pur, si élégant et si sobre de M"" Blanche
Marchesi, en faisant ressortir de la laçon la plus heureuse la valeur des
■vers et de la musique de ces Contes mystiques, nous a donné une sensation
d'art telle qu'on en éprouve rarement et dont l'émotion était délicioiiso.
Aussi n'est-il pas besoin de dire combien son succès a été grand, sincère et
mérité. A. P.
— M. Emile Engel, l'excellent chanteur dont chacun connaitlo renuu'{|iiulil(i
talent, a organisé sons ce titre, Une heure de musique moderne, une série de
douze séances exclusivement consacrées à l'audition d'œiivres de nos comjio-
siteurs contemporains. C'est une idée généreuse, et dont ou ne saurait t]o|i
le féliciter. La première de ces séances avait pour héros M. Widor, qui a
LE MÉNESTREL
397
(l'aboid exécuté, ea compagnie de MM. Rémy e; Delsart — ce qui indique
suffisamment que cette exécution était excellente — son intéressant trio en
si bémol, dont le scherzo surtout est pétillant et plein de grâce. Après quoi
M"" Jeanne Arbel, de l'Odéon (qui n'est autre que M"« Sltockvis, naguère
premier prix de piano au Conservatoire dans la classe de M™« Massart), est
venue, en s'asseyant au piano, déclamer un fragment de Conte d'avril, de
M. Dorcliain, tout en exécutant la musique de M. "Widor: malgré son talent.
l'elTot m'a paru plus curieux que réellement heureux. Enfin M. Engel, de sa
belle voix et de son articulation superbe, a chanté une série de huit mélo-
dies écrites par M. "Widor sur les vers de Soirs d'été, de M. Paul Bourget.
Ici, le double succès du chanteur et du compositeur a été très grand. On a
applaudi surtout Brise du soir, le Soir et la Douleur, et on a bissé Pourquoi'.'
dont le très grand sentiment dramatique a été merveilleusement rendu par
M. Engd. A. P.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire ; Symphonie en si bémol (Schumann) ; Chant élégiaque, chœur (Beetho-
ven); Concerto pour violon (Mendelssohn), par M. Sarazate ; Pufer nosfer (Verdi) ; Ouver-
ture de Benvemito Cellini (Berlioz).
ChUtelet, concert Colonne : lu Damnation de Faust (B-'rlioz) ; soli : M"" Pregi,
MM. Emile Cazeoeuve, Auguez et Challet.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux ; Ouverture du Carnaval romain
(Berlioz); Air A'Elena e Paridi (1769) (Gluck), chanté par M"' Jenny Passama ; Symplio-
aie en ré mineur (César Francis); le Chant de ta cloche, deuxième tableau : l'Amour
(Vincent d'Indy), Lénore par M"» Jenny Passama, Wilheim par M. Engel; Prélude de
Parsifal (Wagner) ; Ouverture du Vaisseau-Fantôme (Wagner).
— • Les concerts de l'Opéra seront, comme l'année dernière, divisés en deux
séries; la série A aux dates suivantes : 3 et 24 janvier, 14 février, 7 et
28 mars ; la série B, les 10 et 31 janvier, 21 février, Ib mars et 4 avril. Voici
le programme du premier concert :
1" Symphonie en îtt, première audition (Paul Dukas) ;
2° Paris et Hélène, première audition (Gluck), sélection interprétée par M"' Caron,
M"" .Vdams et Beauvais, et les cliœurs ;
3° Mépinstophétés, première audition (A. Boito), prologue. M. Delmas et les chœurs.
4" Danses de Bon ./«an (Mozarl). A. Introduction; B. Sicilienne variée; C. Menuet;
D. Marche turque (orchestrée par Auber). Dansées par M"" Hirsch, Désiré Lobstein,
Chabot, Sandrini, Piodi, Salle, Invernizzi, Torri, Robin; MM. Stille, Marius et Girodier.
~ MM. I. Philipp, Rémy, J. Loeb, G. Gillet, Turban, Hennebains, Reine,
Letellier et Balbreck donneront, avec le concours de MM. Delaborde, Widor,
Delsart, Mimart, Bas, Delgrange, Lafleurance, van "Waefi'elgbem, Tracol,
Franquin, etc., six séances extrêmement intéressantes. Elle auront lieu
chez Erard, et commencer .mt le 14 jauvier 1807. Aux programmes, une
série d'œuvres de Rameau, J.-S, Bach, Haendel, Mozart (concerlo à 3 pianos),
Beethoven (septuor), Mendelssohn ("ocfuorj, Schubert, Schumann. Chopin et de
Saint-Saëns, Lalo, "Widor, Dubois, Emile Bernard, G. Fauré. Gh. Lefebvre,
Duvernoy, Glazounow, etc.
NOU^^ELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (10 décembre) :
Le deuxième Concert populaire, dimanche dernier, a pris les proportions
d'un grand événement. On ne connaissait ici M. Richard Strauss que de répu-
tation ; on savait que le « chef de la jeune école allemande » était un compo-
siteur fécond et un chef d'orchestre autorisé ; mais ses œuvres, à part une
Symphonie italienne exécutée par M. Joseph Dupont il y a trois ou quatre ans,
et qui avait fait éprouver au public moins de plaisir que de désillusion,
n'étaient guère parvenues jusqu'à nous. L'intérêt était donc très vif, et le
succès a été considérable. On s'est même passionné au delà des habitudes. Il
y a eu des discussions violentes et des enthousiasmes sans réplique. En un
mot, personne n'est resté indifférent. C'est, pour celui qui en a été l'objet, le
meilleur signe du talent. M. Richard Strauss est un disciple de "Wagner —
est-il besoin de le dire ? (Jui ne l'est pas aujourd'hui? Mais peu à peu, dans
ses œuvres, on le sent qui se dégage des premières influences et apporte un
appoint nouveau à l'art dont il suit les règles en les ajoutant à sa propre per-
sonnalité! Cette personnalité s'affirme surtout, .ipremière vue, dans la forme,
qui est d'une rarj splendeur et d'une complication plus rare encore. M. Strauss
a réussi à « faire plus difficile » que "Wagner, et à enrichir son orchestre de
sonorités et de ressources imprévues. Quant au fond, il serait malaisé de se
prononcer après une ou deux seules auditions de celte musique extraordinai-
rement touffue. On n'y saisit pas tout d'abord le développement de la pensée,
qui parait décousue dans le rayonnement de l'orchestre, incomparable assu-
rément au point de vue de la splendeur harmonique. C'est de la musique « à
programme », procédant beaucoup de Liszt, — de la musique dramatique
pour concert. Telles nous sont apparues, notamment, les Équipées de Till
Eulenspiegel, inspirées du personnage légendaire allemand, d'un merveil-
leux coloris instrumental, et le poème symphonique Mort et Transfiguration,
où l'idée plane en des régions supérieures dans une superbe envolée lyrique,
qui semble dénoter chez le compositeur autre chose qu'un simple « fort en
thème ». On a dit assez justement que M. Strauss, à l'inverse de Wagner, de
ses grandes lignes et de ses fameuses progressions, procède par laches de
couleurs ; c'est moins un dessinateur qu'un impressionniste. L'avenir nous
dira si c'est un génie créateur ou simplement un homme de grand talent :
M. Strauss n'a que trente-deux ans. A côté de lui, acclamé, presque porté en
triomphe, le public des Concerts populaires a applaudi M'"= Vernina, la can-
tatrice de Bayreuth, qui a chanté, d'une voix superbe et avec un très bon
style, malheureuseiTent glacial, des « mélodies » (si j'ose m'exprimer ainsi)
de M. Strauss et deux fragments du Tannhduser.
Le premier concert du Conservatoire aura lieu le 20 de ce mois : on y
entendra la Passion de Bach, dont M. Gevaert prépare une exécution com-
plète avec ce souci d'art qu'il met dans ces admirables reconstitutions de
chefs-d'œuvre anciens. Ce sera aussi un événement, et les dispositions qui
sont prises à ce sujet ne sont certes point banales. Oyez plutôt. Le concert
durera une journée entière, coupée en deux. On commencera à dix heures et
demie du matin. Vers midi, après la première partie, il y aura interruption
jusqu'à deux heures et demie, et la salle devra être évacuée. Ensuite, reprise
du plaisir, qui durera jusqu'à quatre heures à peu près. Pendant ces deux
heures d'interruption, les élèves du Conservatoire qui prennent part à l'exé-
cution ne pourront sortir de l'établissement: on leur servira un déjeuner
préparé par un traiteur des environs: il sera composé, naturellament, de
nourritures qui n'altèrent pas la voix, et devra être consommé clans le silence
et le recueillement. Or, il parait que les frais de ce déjeuner, qui coûtera
quinze cents francs, seront supportés en grande partie par M. Léon Lam-
bert-Rothschild, qui montre en maintes occasions sa sollicitude pour les
choses de la musique. Celte générosité est assez piquante et ne manque pas
d'esprit, étant donné la religion du donateur et le caractère essentiellement
chrétien de l'œuvre exécutée. La Providence serait-elle pour quelque chose
dans ce juste retour des choses d'ici-bas, à dix-huit siècles de distance? Peut-
être bien.
A la Monnaie, on joue de malchance. A peine M. Boyer était-il remis de
l'indisposition qui l'avait atteint le soir de la reprise de Don César de Bazan,
qu'il est retombé malade, inopinément. Et voilà Don César une seconde fois
arrêté! La direction a dû accorder un congé à M. Boyer. D'autre part,
M. Imbart de la Tour paie, lui aussi, son tribut au climat bruxellois. Et la
marche du répertoire en est d'autant plus contrariée que, de son côté, Phryné
n'a pu réussir à y ajouter l'intérêt qu'on en attendait. En désespoir de cause,
on s'est mis tout aux études de Fervaal; on prépare une reprise de la Valkyrie
avec M.'"" Raunay-Sieglinde, M"" Kutscherra-Brunhilde, MM. Imbart, Seguin
et Dinard; enbn, on remet à la scène une ancienne et délicieuse piécette de
Poise, les Charmeurs. C'est tout ce qu'on pressent, comme nouveautés...
Quant à Messidor, qu'on nous promettait pour le lendemain de la première à
Paris, la direction semble y avoir déjà renoncé. L. S.
— Liste d'œuvres françaises jouées de l'autre coté du Rhin pendant ces
dernières semaines. A Vienne: Eamiel, la Juive, Manon, Faust, Sylvia, Werther,
Carmen, le Prophète, Mignon, le Chevalier d' Harmental, Monsieur et Madame Denis;
à Dresde : les Huguenots, Carmen, Coppélia, Mignon, les Dragons de Villars; à
Hambourg : Robert le Diable, les Dragons de Villars, Médée, la Juive, la Fille du
Régiment, Fra Diauolo, Jean de Paris: à Brème : Mignon, Carmen, la Dame
blanche, Bobert le Diable; à Francfort : Carmen, le Prophète; à Cologne : le
Prophète, Mignon, la Juive, les Huguenots: à Berlin : Carmen, les Huguenots,
l'Africaine, Faust, Benvenuto Cellini, le Prophète; à Hanovre : les Huguenots, la
Dame blanche; à Leipzig : les Deux Journées, le Maçon.
Le ministère de la guerre d'Autriche- Hongrie vient d'adresser aux
commandants de corps d'armée une circulaire qui mérite d'être signalée.
On sait qu'en Autriche, les musiques militaires, fort nombreuses et pour la
plupart excellentes, jouent dans les lieux d'amusement : restaurants, brasse-
ries, etc., au grand détriment des musiciens civils, et que les honoraires que
ces musiques reçoivent dans les villes importantes forment le plus clair des
revenus de leurs chefs et des musiciens. Pour corser leurs programmes, les
chefs y avaient, dans ces derniers temps, ajouté des morceaux où plusieurs
musiciens sifflaient avec accompagnement de l'orchestre, tout comme dans le
désopilanttrio de cambrioleurs du Papa de fî-ancine, ou chantaient des couplets.
Inutile de dire que les mélodies sifflées ou chantées par les soldats étaient
reprises en chœur par l'assistance, et que dans les restaurants d'un rang
inférieur, les morceaux de ce genre formaient ce que les étudiants allemands
appellent initium fidelitatis, c'est-à-dire le signal d'une liesse populaire tant
soit peu montmartroise. Or, le minisire do la guerre s'est ému de cet état de
choses, et la circulaire dont nous parlons interdit aux musiciens militaires
de siffler ou de chanter autrement que par incident, de sorte qu'ils ne doivent
plus chanter ni siffler des mélodies entières. Dans la valse fort populaire
Wiener Madel'n (les Filles viennoises), par exemple, la principale mélodie de
la valse doit être sifflée d'abord par la musique et à la fin reprise en chœur
par le public; celte valse est dorénavant mise à l'index musices prohibitœ, ot
les Viennois n'entendront plus leur valse favorite jouée par les musiques
militaires. Par contre, le lied extrêmement populaire : Den Weana 'set Schan'
(Le genre viennois), qui ne contient qu'un signal sifflé au commencement,
reste permis aux musiques militaires. On voit que la distinction entre les
mélodies permises et prohibées demandera quelquefois un casuiste musical
expérimenté, et, sans être pour cela le colonel Ramollot, maint colonel
autrichien n'osera pas appliquer le nouveau réglomont sans demander l'avis
des experts qui, naturellement, émettront des opinions contradictoires.
Était-il bien nécessaire de causer tant d'ennuis aux musiques militaires
d'Autriche-Hongrie, qui forment l'élément le plus populaire de l'armée? On
se le demande.
— Une nouvelle assez singulière fait en ce moment le tour des journaux
étrangers. Ces journaux assurent que la direction de l'Opi'ra de Berlin aurait
398
LE MIÎNESTREL
prié Verdi de l'aire i|uelciues raudilii-atimis ii su parliliuu do Luisd Mitler, i-e ù
quoi l'illustre compusileur aurait répondu par un refus net et ealéguriiiue,
en. alléguant, avec i(ueli|ue raison, que la longue et heureuse carrière de l'el
ouvrage lui démontrait l'inutilité de toute espèce de corrections.
— La saison des concerts sévit déjà à Berlin (infortunés Berlinois!). Il s'en
donne chaqne jour quatre ou cinq, et le jeudi de l'outre semaine on eu acompte
jusqu'à neuf II va sans dire que le public se montre un peu rétif envers les
concertistes, et que ceux-ci jouent la plupart du temps devant des salles».,
peu garnies: mais ils comptent sur les articles des journaux pour faire con-
naître leur nom et leurs exploits. Or voici qu'uu critique influent a proposé
à son journal de ne rendre compte que de ceux de ces concerts qui mérite-
raient véritablement d'être signalés au public, et que sa proposition a été
accueillie avec enthousiasme. « Et si tous mes confrères font comme moi,
dit-il, les artistes y regarderont à deux fois avant de dépensei' sottement leur
argent sans avoirmème l'espoir de voir leur nom imprimé dans les journaux. »
— Le gouvernement hongrois favorise l'établissement, à Budapest, d'une
grande manufacture de pianos qui disposera do capitaux imporlanls, alin de
pouvoir lutter contre la fabrication viennoise.
. — La ville de Bayreuth se propose d'ériger un monument grandiose à
l'auteur de Parsifal. Le projet consiste en un temple avec coupole et colon-
nades, qui abritera une statue du maitre. On espère pouvoir inaugurer ce
monument en 1901, vingt-cinq ans après l'inauguration du théâtre Riihard-
Wagner à Bayreuth.
— Un opéra intitulé Wulfrin, musique d'e M. R. Hermann, a remiiorlé un
succès marqué au Théâtre Municipal de Cologne.
— On vient de jouer avec succès au théâtre municipal de Nuremlrcrg un opéra
populaire en deux actes de M. Edouard Ringler, qui est intitulé : Le C/icca/ier
Eppetein de Gaiiingen. Le compLisileur est chef do chant à ce Ihédlre.
— -Le nombre de compositeurs princiers augmente continuellement. A Salz-
bourg vient de paraître une série de valses intitulées Mon Favori, dont l'auteur
est l'archiduc d'.^utridie Pierre-Ferdinand. KIs de l'ancien grund-duc de
Toscane.
— Le théâtre de Helsingfors vient de jouer avec succès le premier opéra dû
à un compositeur finlandais. Cet ouvrage a pour titre Tornissa olija impi (La
vierge dans la tourj, et le sujet est tiré d'une ancienne légende liulaudaise.
— La Soc été musicale de Christiania vient de célébrer le iS- anniversaire
de son existence par trois concerts de gala qui ont été dirigés par
Mil. Edouard Grieg, Svendson et Solmer.
— On. écrit de La Haye : « Le répertoire français continue à avoir un plein
succès au Théâtre Royal de La Haye. Pendant ces deux premiers mois on a
joué les Huguenots, Faust, le Songe, le Barbier, Mignon, Mireille, Roméo et Ju-
liette, etc. Les œuvres de nos musiciens français sont de plus en plus goûtées
du public hollandais. La troupe formée par M. Mertens est d'ailleurs excel-
lente : M"« d'Avray, MM. Jacquin, Duthoit, etc. Mignon a été un franc succès
pour M"= Peraldo, dont la belle voix a fait merveille, et poiu' M. Dastrez,
excellent ténor et liagédien lyrique. »
— André Chénier, l'opéra si int('rcs3ant du jeune compusitenr (liiirdanu,
commence son Unir d'Europe. Ou en iiiinouce à la l'ois des n'iiri-sciilalious,
pour l'Autriche et l'Allemague, à Budapest, à Prague, àHauibouri;, ,i l-'ranc-
l'ort, à Breslau: pour la Russie, à Pétersbourg et à Moscou: pour l'Italie,
à Rome, à Naples, ù Turin, à Parme, Mantoue, Padoue, Brescia, Crémone,
Trieste, Palerme, etc. N'oublions ]ias Lisbonne en Portugal. Pas mal pour
commencer, n'est-ce-pas '?
— Le succès de l'opéra de M. Giordauo, André Chénier. est tel on Italie (et
aussi à l'étranger, car ou vient de le représenter triomphalemeul à Phila-
delphie), qu'il provoque chez nos voisins une étude attentive et spi''ciale des
œuvres du pnrlo do la Jeune Captive. M. Teodoro Dupuy, professeur de litté-
rature fraiio;iise :i l'.Xc.iili'Qiie royale scientifique et littéraire do Milan, vient
il'inaugurer son iniiis pur nue première leçon sur « la poésie française durant
la période révolutionnaire », et s'est occupé spécialement d'André Chénier.
Ses auditeurs n'ont pas en à se plaindre s'il a pu leur faire saisir tout le
charme, toute la saveur exquise des vers du grand poète, s'il leur a inspiré
l'admiration quo mérite l'auteur délicieusement mélodieux du Mendiant. i\e la
Jeune Tarentinc et de V Hymne à la France.
— En Italie des représentations de Manon, celle de M. Massenet, sont
annoncées à Turin, à Ascoli, Maulmie, Crémone, Gatanzaro, Parme et Sau-
Remo. Werther sera donné en même temps à la Pergola de Floronoo el à
San-Remo.
— MM. Cosaii et Graziosi, les directeurs du théâtre Argentina, à Rome,
viennent de publier leur programme de la saison d'hiver. Le répertoire com-
|irend cinq opéras, dont quatre nouveaux pour Rome: Asrael, de M. Fran-
chetti: Andréa Chénier, de M. Giordaun: Caniurgo, de M. De Leva; Falstaff et
le Crépuscule des dieux. La troupe cnuipiejul les noms de M°"=* Carrera, Bal-
ducci, Localelli, Manfredini, del Fialo. Ricci, Pierantuni et Paganini, les
ténors Borgatti, Grani et Mariacher, les liarytons Scotli et Bensande et les
basses De Falco et Galli. L'orchestre aura pour clief M. Vitale.
— La direction de l'Institut musi:al de Gènes, qui était vacante, vient d'être
confiée au maestro Carlo Del Signore, que le conseil communal a nommé
par 3i voix sur 39 \otan(s. Onze aspirants s'étaient proseulés pour rouiplir
ce p.isto.
— On a exiTuto dans une église de Trieste, à l'occasion do la l'été de la
Madone du Sahil, une messo nouvelle de la composition do M. Giuseppe
Rota, dont les soli .taionl iliantés par MM. Lombardi et Arturo De Filippi.
Les journaux disent grand bien de cette œuvre imporlanto, dont (ui a surtout
remarqué Y Ave Maria et le Benedictus.
— Une dépêche de Cftsalmonferrat annonce, sans plus de détails, lo succès
d'un nouvel opéra, Armida e Rinaldo, dont la représentation a eu lieu le
4 décembre et qui est r'ù au maestro Aunibale Pallizone.
— Voici les musiciens d'orchestre qui se font directeurs de théâtre. On
écrit de Vérone que les artistes de l'orchestre du grand théâtre de cette ville
se sont constitués en société coopérative et ont sollicité de la présidence
une subvention de 9.000 francs pour l'exploitation de la prochaine saison,
oil'rant comme cautionnement la somme d'honoraires qui leur reviendrait
pour leur service ordinaire, soit environ 8.000 francs. En cas d'adhésion, ils
se chargeraient de donner une série de quarante représentations avec un ré-
pertoire qui comprendrait les cnivrages suivants ; Salvator Rasa, Linda di
Cliamounix, Tiilli in maschera. il Birraio di Preston, la Sonnambula, la Contessa
d'Amalft. Gela manquera peut-otre un peu de nouveautés, mais l'idée n'en
osl pas moins curieuse et intéressante.
— Une dépêche de Novi-Ligure annonce le très grand succès d'un opéra
nouveau représenté en cette ville, Innocente, du maestro D'Angoli. Exécution
excellente, nombreux rappels à l'auteur, trois morceaux bissés. luterprètes :
U'"" Carielli, MM. Mauri et Achilh.
— M. Ruperto Ghapi, l'un des sarzueleristes les plus populaires de l'Espagne,
\ient de terminer la partition d'un nouvel opéra qui a pour titre la Virgonde
Piedra.
— Les mélodies populaires grecques rapportées d'Orient jjarM. Bourgault-
Ducoudray viennent d'obtenir à Londres, dans un concert donné par le chan-
teur Aramis, un très beau succès constaté par toute la presse anglaise.
— On a donné au théâtre Cervantes, de Malaga, la première représenta-
tion d'une zarzuela en un acte, el Amigo de Quevedo, dont la musique, duc
au compositeur José Cabas, a été très goûtée.
— Voilà que c'en est fait déjà de la tournée d'opéra Mapleson aux Étals-
Unis. Elle avait mal commencé, et le succès d'André Chénier est venu trop
tard pour la sauver. Elle s'est arrêtée à Boston, où le fameux colonel a
déposé son liilan. Le nerf de la guerre lui faisait conjplètement défaut.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Donc, on a foté ol de la belle manière cette grande artiste qu'est
M"" Sarah Beruhardt. On lui a donné des banquets, et les poètes les plus
assermentés l'ont célébrée de leurs sonnets les plus ciselés : c'était comme
un tournoi dithyrambique. Et, maintenant que la fumée des encens est dissi-
pée, que reste-t-il de toutes ces ivresses, de toute cette exaltation, de toutes
ces exubérances? Il reste tout simplement les belles représentations de
Lorenzaccio à la Renaissance. C'esllà où l'art de M"" Sarah Beruhardt triomphe
noblement dans sa belle liorli''... et on anrail peut-éire (nul aussi bien fait
de s'en tenir là. Pourquoi'.' .Mais a cause do ce propos tiinibé de la bouche
complaisante d'un éminent baryton qui assistait à ces agapes délirantes: »
Voilà qui est bien, qui est parfait... et puis cola établit un i>récédent. » L'en-
trevoyez-vous, le danger? C'est une sorio qui i:nmmence, et où s'arrotera-
t-elle'? Nous vivons décidément dans un siècle où le comédien règne en
triom)dialeur, et les sages d'autrebds disaient que c'était un grand indice
de la décadence d'un pays.
— Dans sa dernière séance et sur l'inilialive du syndic, M. Bellan, le con-
seil municipal a renvoyé à sa 3" commission une proposition tendant à faire
donner à une rue de Paris le nom d'.\mbroise Thomas. Cette procédure fait
prévon- l'adoption certaine du projet.
— Voici M. Gailliard ilc rolour à Paris, ce qui donne une nouvelle impul-
sion aux élnih'> ili' Messidor, lo nouvel opéra de M. Bruneau. On espère arri-
ver à la ro[irisonlaliou vers la fin de janvier, ou, au plus tard, dans les pre-
miers jours de février.
— Le transatlantique la Champagne, qui portait la troupe de M. Grau el sa
fortune jusqu'à New-York, a ]iu enfin arriver à destination, après une tra-
versée des plus pénibles, par une mer démontée et tumultueuse. Bien des
artistes qui se trouvaient là ont dû, pendant la tourmente, maudire plus
d'une fois l'Amérique et ses dollars, et regretter la tant douce France, qui no
oimnait guère que les orages parlementaires.
— On sait qu'un musicien -singulièrement intéressant vient de naître à l.i
Belgique en la personne de M. Jan Blockx, l'auteur de cotte œnvio si
curieuse, si mouvomenlée el ilo si puissante polyphonie qu'on représente on
ce moment à l'Opi'Tii Ibimainl iV \ii\ns som~ lo lilir iV Herbergprinses (Prim-esse
d'auberge). Comme qnolipn's aniri'sdo Paiis, iiUii'('S là-bas par le bruit (jue
• couniM'nri' ;'i l'airo rcMo iicMiNollo ]iarlition dans les milieux d'artistes, le
peinlir-lilin'ili.sir Hcin'i ('..un >'ost trouvé absolument séduit et captivé par
celle nnisiipio ilo im sincoio i-l de couleur intense. De là à vouloir faire la
connaissance du compositeur ]jour lui exprimer toute son admiration, il n'y
avait qu'un pas. Il est fait, et si bien qu'une collaboration immédiate s'est
LE MENESTREL
399
noiKM-' ont
avail, jusd
les
osscnlioll.
Flaïuhv :
.l':ivis .lp
lï' les deux amis, i|iii ne se r(Miii;ii<s,iirr,l pas la veille. Henri Gain
incnl SOI- le iDi'lier, ,i\e-- nul iv ,(,l l;i liofaleur Lucien Snlvay, (lonl.
ponilaures ili' lielpii|ne -uni ici l;iul iipiu'.'cii'es, un poème ilesseuce
nienl ilaniainlr. fuii-iiuii sur le njuiaii si poinilaire en ces pays de
Thijl lilensi'irijrl {Tlnjl l'Espiègle). L'un et l'autre librettistes furent
e eenlicr sans plus lardera Jan Blockx, i|ui apparaît surtout comme
une Mii-le de ïéniers de la nnisii|ue. excellant dans la peinture harmonique
de- kerines>es, dans leur jiiii', dans le prouiUemeut des foules el maniant
f-. nia^^r. , ■II,, raies r\ ,,,rli,,>hM I,.. à ,lix ,-l ,l(,ii/,,' pai1i,'s av,)r une ,d.,art(' et
Mil,' ;,|.:in,,, siirpiviia ni -~, lOl \,,,là n!i,> ,■, ,1 i;i l„,ral n.n n,.n,','à l"ini|,roviste,
— Autre déplacement de lihreltisie, cette semaine encore. M. Michel Carre,
eu compagnie ,lu eoiuposileur Edmond Missa, s'est rendu cette semaine au
Grand-TIu'àIre ,1,, Ly,,n. p,,nr faire aux arlistes de M. Albert 'Vizentini la lec-
ture de son uoiiv,':in ,li',ii,ii': l'Hôte. M. Missa leur a l'ait entendre ensuite sa
miisiipie El l,'< ,len\ :iiii,nii-s ,iiil eu près de leurs futurs inlerprètes le plus
p.as paru moins l'inouvanl,', loul au ,.-onlraire. (in l'a ,IhI lilai,',- iinnhMJial,,-
ment à M°i« YalUuriez, Mary Girard et à MM. Mi,li;),dly. C.lialiniii, ,\riiis.
tous artistes fort appr,',.-ii"'S îles Lyonnais, et la premier,' r,'pr,'s,nilaiii,u lai
sera donnée dans la première quinzaine de janvier.
— Enrte déconvenue vendredi à l'Opéra-Comique, où M»» 'Van Zandt, très
M'-rii'iiMmanil i;i'ipp,>,'. ji'.i pu ,diaii(,n' L.tl.mr. Il n f.illu rendiv la plus grande
p.irii,' il'i ivi'.'iii' .-iip,nli,' ,pii -,d,Miiii ,1 simili iViiiicx. I',i,'li,nix contretemps
|ioiir mi iln'aire ,] ,, ,■, nnia iss:i 1 1 plu- \r.-. maii\,ais pairs et marchait à
pleines voiles viTS l:i lorlnn,' :n,',- 1,,^ ivpri'-enlalions alternées de Bon 71(0)1
et de Lakmé. If ■iMi-,Mii,nii, ,,ii , -p,n(' ,iii,' ,1,- ,,'iie siuuaine M''' Van Zandt
])aurra reprendr..' son s(a\i,','
— Le jeune ténor Rivière. ,dè\ e ,1e M""' Marie Rozo, a débuté cette semaine
à l'Ôpéra-Comique. dàn- Rirluml Cœur de Lion, et a fait très bonne impres-
sion. 11 conduit avec sûreté un or;;aiie sympathique.
— l'ne pelile as.;ocialion courraternelle de plus à Paris! Lis En soulein.
r.Minimi il'arlisles prov,m,;aii.v qui compte, ,lans sou eomilf' MM. .1. Aicard.
I'. .\l,>vi-. I',,ii,p]n'r. i; .Marlin, Mistral. Monlimard, Keyer, etc., M""=Mia-
ivlla. .\^iiss,>l, .luiii' llailini; soni déjà niscriles parmi les jolies sociétaires.
— De Lyon : la première reiu-i'senlation île Pmserpine et la eréation de
Javotte, le nouveau ballet de M. Saint-Saéns, ont eu lieu au Grand-Théâtre. On
fit naturellement le meilleur accueil au mailro compositeur, qui a consenti,
dérogeant à ses habitudes en matière iliéàtrale, :i diriger lui-même la pre-
mière exécution de son ballet. Proserpine est une parlilion connue, pleine de
eliarme et d,' ],a.ssi,,n. desservie lu.illiiMir, ii,.nn,'iii pai' un livret d'un intérêt
bien min,',' el peu ,'apliv:.inl . I,'iiil,>rpr,n.- i ,■!,' rxcell, 'nie avec M'"«» Dhasty,
Duperrel, MM. Jlik.edly. Clialiiiui. .\riii^. Mi-,' mi --■mi,'. iliv, us et costumes
parfaits. — Jarntir esl un,, iiaiiilinn n--e/, iinn,,ri:iiii,> : irm- t-ildeaux déve-
loppi'S. Nul ne reroiinaiirail i, i I,' L;r:ivi' et si'vmv aiUunr de lu symphonie en
iil mineur! Une orcln'-lralinn |,i-lillante, des rythmes francs et bien venus,
de lenlrain. s,int le- ,pi;iiii,'- |,rincipales de ce ballet qui nous révèle un
Saiiil-^aéns toui ;', fait Mi.iiknnlii. Le sujet de iai'o»e. dû à M. Groze, es: très
gracieux dans son exinnne simplicité. Il s'agit d'une jeune paysanne qui
aime ii ce poini la dans,' qu'elle s'enfuit de chez ses parents, et même par la
fenêtre, pour aller ligurer au bal du village. Il est vrai qu'elle y retrouve sou
amoureux, lequel à la lin l'épouse du consentement des parents de Javotte,
qui voient leur courroux s'évanouir loi-sq ne leur lille. au concours de danse
institué dans le pays en une sorle de tournoi, obtientla récompense suprême.
Ce ballet, très bien ri^glé par M. Loyer de Tonde'ur. qui mime et danse le
rôle de l'amoureux avec beaucoup de correction, a valu à M"' Damiani
(Javotte) un succès marqué: cette toute jeune et mignonne ballerine y a
montré de rares qualités de grâce et d'esprit. Les costumes sont charmants
et les décors frais et lumineux. J. jE.iuifi.
— Nous avons lu avec snrpiise dans un journal parisien, qui par contre
annonce de « grands triomphes » pour des œuvres notoirement tombées aplat,
que le succès de Thais au grand théâtre de Bordeaux était seulement ,. assez
vif ,). D'après toutes nos nouvelles, il n'eu est guère au contraire de ■.< plus vif ».
Voici déjà l'ouvrage arrivé, en moins de trnis sem:iin,>s, à sa onzième repré-
sentation, toujours devant des salles couild,- ,'i ,!,> a,'clainations pour ses
deux remarquahles interprètes, M°"= Georgelie i.eljlaue el M, Sentein, Que
\eni-,in donc de plus ,' Les directeurs du théâtre se di'clarent, eux, extrême-
ut satisfaits et n'ont qu'un i-egret, c'est de voir partir au milieu de janvier
cette artiste si curieuse et si originale, M'»» Georgette Leblanc, qui s'en
va donner à Nice des représentations de cette mémo et glorieuse Thàis.
— On a donné récemment, au (irand-ïhéàtre de Bordeaux, la première
représentation d'un ballet nouveau, le Réveil des fleurs, dont le scénario
est dii il M. Lamy et la musique à M. Charles Haring, l'un maître de ballet,
l'autre premier chef d'orchestre de ce théâtre.
— Le jeudi 24 décembre, au théâtre Pompadour, M. Grelinger donnera une
audition de ses œuvres musicales. Il fera entendre des fragments de son
opéra Sombreval, écrit sur un livret de M. Charles Grandmougin.
— CoNCiiHTS ET Soirées. — M"'" et M"" Lafaix-Gomié ont repris le coursde leurs mati-
nées musicales mensuelles, si profitables aux progrès de leurs élèves. Ont été très joli-
ment interprétées de nombreuses mélodies de Massenet, Théodore Dubois, Weckerlin.etr...
E\cessi\'cment goûté le charmant duo de Cbimène et de l'Infante, du Cid, ainsi que celui
de Bcnédict et Béatrice, de Berlioz. Très applaudi le gracieux Cliant d'avril, de Théodore
Lacii, et aussi un superbe adagio de Beethovea dont le joli talent de Jl"" Lafaix-Gontié
a rendu admirablement la large et evpressixc beauté! — Lexamen mensuel des élèves de
piano de M"» L. Aubry, a démontré, une fois de |,lus, l'exiellence d'un enseignement
sérieux et tout à fait supérieur. Une vingtaine de jeunes fdles qui prenaient part à
cette séance ont interprété, avec beaucoup de sûreté et une giande correction de style
des œuvres des maîtres classiques et modernes. Professeurs et élèves ont reçu les
félicitations de M. Charles René qui présidait la séance. — Très intéressante réunion
musicale chez M. et M"" 'Weingaertner. L'excellent violoniste a fait entendre, avec sa
fille, la sonate de Brahms op. 100; puis seul, une série de pièces, dont la Saltarelle de
Dubois, qui a été acclamée et bissée. Non moins applaudis (es Poèmes sylvestres de
Dubois, joués par Marie Weingaertnei' avec un brio et une verve extraordinaires.
M"' Storell, de la Monnaie de Bruxelles, a chanté excellemment des airs du Manon, de
-Massenct, et de Jean de Nivelle, de Delibes. — .Kn Jardin d'.4cclimatalion très grand suc-
cès pour Jl"" Julie Bressoles dans l'air de Marie-3l<igdeleine. — JI" H,;iiriellc ThuiUier
a donné sa première réunion d'élèves de la saison, La séani^e consacrée à l'audition
des œuvres de Raoul Pugno a été des plus brillantes, M"" Éléonorc Diane, accompagnée
par le maître lui-mèrne, a divinement chanté plusieurs de ses mélodies dont Chanson
d'dulomne, Slahin' mui. Citons panai les élèves les plus applaudies : M"° Made-
leine S. {Marlvaudagr]; Renée J. (Variations et Valse de la Danseuse de corde); AhceL.
.{iidaide do Viviane et Valse de Mnetle); Fanny V. (Polketta); Fernande V. [Valse de
Viviane); Germaine L. S. (Grande Valse de concert); Thérèse B. (Première Mazurlce);
M. T. de \V. (Libellules); Madeleine d'U iValse tente et Air à danser); Valenline M.
'Troisième Maziirke); Pauline U. (Soir ,è' ;,r(n/cm;,,^. ; M"'= M. (So/'r rf'rfc) ; Elisabeth P.
i Romance) ; Marie T. (Soir d automne) ; .In lia S. (Impromptu et Gulop de Viviane] ; etc.
— M"" Corlot ont donné une 1res bunii,' auiiilion des œuvres de M. f^aul Rou-
gnou ; Ballcrinr, .]Iasrarvfte, BagaleUe, Parmi le thym et la rosée. Astre des nuits,
Polichinelle ,,iii el,' siiri,„il a|ipliuidis. — M— Marie KuelT a inauguré la série de ses
séances luusii'ules a\e,' le concours du compositeur Guy d'Hardelot qui accompagnait ses
œuvres. Le duo Nuit au bois, sur uue jioèsie de Georges Boyer, a eu les honneurs de la
séance. — Chai-mante matinée chez M"" A. I)ucasse, dont les élèves ont interprété avec
beaucoup de goût un programme en partie c,,nsaçr,^ aux ,euvreç de Henri Maréchal.
Des fragments de /^eidaaiie, deCalcndal, del'Eh>ilr: ,!,s m, |,„ii, -, .l/,j/,f/, ,j, - , )i,,.urs, etc.,
ont été chaleureusement applaudis par l'élégaiil :iiii|ii,,ir. ,j,n -, [,,i'->.ni , I,, /. l'aimable
artiste. — Très brillante soii'èe musicale chez .M Makenzie de Dielz. Les su,-,;ès de la
soirée ont été pour les mélodies de Jlassenet : Pensées d'Automne, Noél paien. Je t'aime, etc. ,
interprétés avec talent par M"" Martin Mural et M. Jean Rondeau. Ces deux artistes
ont chanté également le duo d'Hamlet et celui de Don Juan. ■
— Cocas ET Leçoxs. — Les cours de musique de M""" E. "Vîment {école Marmontol,, 70
rue du Bac, sont réou\erts et comprenaeat le piano (cours mensuel par M. Aiitonia Jlar-
raontel, l'accompagnement (M. J. Debroux) et le chant (M"^ Duménil). Inscriptions les
jeudi, vendredi et samedi de 5 à 7 heures. — M"" Marthe Noël, 1'-^ prix du Conserva-
toire, a repris ses leçons de violoncelle et d'accompagnement, 7, rue Taylor. — M. Fran-
çois Dressen a repris ses leçons et son cours de violoncelle et d'accompagnement, 8, rue
Milton.
NÉCROLOGiE
A Stuttgart vient de mourir, à l'âge de 62 ans, Denis Pruckner, pia-
niste de la cour royale, qui avait été, de ISSi à l(So4, l'élève de Liszt à 'Wei-
mar. Pendant quarante ans environ, il avait été professeur de piano au Con-
servatoire de Stuttgart et avait exercé une influence salutaire sur la vie
musicale dans cette jolie petite capitale.
— A Berlin s'est éteint, à l'âge do Sa ans. un riche négociant nommé Otto
Wesendonek, grand amateur de l'art musical, qui avait compté parmi les
meilleurs amis de Richard "Wagner et avait fait des sacrihces considérables
pour le soutenir, alors que Wagner, exilé après la révolution de Dresde, en
1848, se trouvait à Zurich dans une situation fort précaire. Le nom de We-
sendonek est souvent cité dans la correspondance de Wagner.
— Un jeune artiste distingué, Eugène Frêne, ancien élève de M. Georges
Mathias au Conservatoire, vient de mourir à Paris, à peine âgé de 36 ans.
Il avait fait ses débuis de compositeur à 18 ans, avec une opérette inlitulée
Quandonaime, qui fut jouée sur un de nos petits théâtres. Il écrivit ensuite la
musique de plusieurs pantomimes de M. R.ioiil île Naja,- et celle d'un ballet
reiu'ésenlè aux Eolies-Bergère. F.iilln il ,i piildié pln.sienrs lrans,;riptions
pour piano d'ienvres de Berlioz. S,- imi ■fliènd,,!,' I )nh,,i-, ( '.harles "Wi-
dor et Emile Bernard, Il avail ,M,' peii,l;iiil nue piTiode direrteni' ,1e ki S,,,-i,'lé
chorale alsacienne de Pari- ,n p,,n,lanl plusieurs saisons il :)\,ui diii-e
l'orcheslre du théâtre d'Usieiide Henry brèna a été un des hiininienr- d,, la
Société d'art de Paris, qui poursuit avec succès, dciuiis plusieuis aniu'es, le
but de faire eonnaiire dans des conceris lu-ganisés à La salle Ple\,d, les jeunes
compositeurs.
— La ropr,''seiilalioii ilii cm-erl iln Caiillnn ,i êli', lr,,nlili',e, cell,, semaine,
vers cinq heures. I,,r:iprès-nm!i. par nu iimiihle incident. Le pianisle, M. Tro-
tebas, âgii lie rin,|n,ini -.-riini an-, ;i,'coiinia,Ljmi H l'un des arlistes de i.-ct éta-
blissemenl, quami. âpre.- une ni, ni, le, m, ' exiraïu-dinaire, il s'arrid.i tout à
coup. Le malheureux èlail tombé mort, le visage sur le clavier,
— De New-York on annonce la mort d'un artiste resté obscur, Nicolas
Barilli, ,|ni ,'l;iii le liviv uhnau ,1e M'"'' ,\,leliiia Patti, La mère de la eel,d,re
teuse kimen-e ,dle-nieiiie jailis. M""' liarilli. el elle en avait eu dmix lils, d,uit
l'ainé, Antonio, ((ni était devenu un rhef d'orchestre habile et s'Aiit fait
connaître aussi comme eomposileur, mourut ;i Naples le 15 juin 1S76.
Henri Heugel, directeur-gérant.
'.00
LE MENESTREL
Solxante-ti^oisième a^nnée d.© pixtolication.
PRIMES 1897 DU MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1" DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les dimanches en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études sur
les grands compositeurs et leurs œuvres, des séries d'articles spéciaux sur l'enseignement du Chant et du Piano par nos premiers professeurs,
des correspondances étrangères, des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque dimanche, un morceau de choix (inédit) pour le cnAî¥X ou pour le MAKIO, de moyenne difïicullé, et offrant
à ses abonnés, chaque année, de beaux recueils-primes COAli'k' et PIAMO.
C Jti A. JN T d" MODE U'ABOiNNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes:
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VINGT MÉLODIES
h- ET NOUVEAU VOLUME
Recueil in-8°
P. MASGÀ6NI
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Partition française chant et piano
RETNÀLDO HÂHN
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PREMIER VOLUME
Recueil in-8°
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LE PAPA DE FRÂNCINE
OPÉRETTE EN QUATRE ACTES
Partition in-S"
Ou à l'un des trois premiers Recueils de Mélodies de J. Massenet
ou à la Chanson des Joujoux, de C. Blanc et L. Dauphin (20 n"'), un volume relié iD-8% avec iUustralions en couleur d'ADRIEN lïlABIE
P I A. PS O (2^ MODE D'ABOiNNEMENT)
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à Tune des primes suivantes :
P. MÂSCÀ6NI
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Partition pour piano solo in-S"
U. &IORDÂNO
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DRAME HISTORIQUE
Partition pour piano solo in-S"
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L'HOTE
PANTOMIME POUR PL4N0 SOLO
Livret de MM. Carré et Hugounet.
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LES VIEUX MAITRES
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ou à l'un des volumes in-8' des CLASSIQUES-MARMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à l'un des
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danses de JOHANN STRAUSS, GUNG^L, FAHRBACH, STROBL et KAULIGH, de Vienne, ou STRAUSS, de Paris.
REPRÉSENTAIST CHACl'l lES PRIMES DE PU510 ET DE CHANT RÉIIES, POUR LES SEULS ABOIES A L'ABOIEMENT COMPLET {^ Mode) :
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ïi^aduction française de PAUL MILLIET
GRAND SUCCES DE MILAN
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DON JUAN
Opéra complet en 2 actes
de DA. POTVTB
Seule édition conforme à la partition originale de l'auteur et
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la 20 Décembre 1896, à tout ancien
u »>Fvu^.uE<... »« »-u..-^-' M Joindre au prix d'abonnement un
f Aluco'dè'ïa'primë'Bimpiê'ou'donble'dnnri le» ilépartementa. (Pour l'Etranser, l'cnTol franco
NOTA IMPORTANT. — Ces prime» »ont délivrées eratultemeut dans no» bureaux, 3 bis, rue ViTieune, à part,
ou nouvel abonné, sur la présentation de la quittance dabounement au MEiVeSTBEL. pour l'année !««
supplément d'UKI ou de DEUX francs pour l'envoi franco €
de» primes se règle selon le» frai» de Po»te.)
Les abonnés auChanl peuvent prendre la prime Piano el yice versa- Ceux au Piano el au Cbanl réunis onl seuls droit à la grande Prime.- Les abonnés au lesle seul n'ont droit à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU « MÉNESTREL » PIANO
1" Moded-abonnemenl ■ Journal-Texte, lous les dimanches ; 26 morceaux de cbami : I 2- Moied'abonnement : Journal-Texte, tous les dimanches ; 26 morceaux depmno
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; î Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Krais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3' Mode d'abonnemeni contenant le Texte complet, 52 morceaux de chant et de piano, les 2 ReoueUs-Primea ou une Grande Prime. - Un an: 30 francs, t>arif.
et Province; Etranger: Poste en sus.
i' Mode. Texte seoi,, sans droit aux primes, un an; 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
Fantaisies. Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Reouell-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Etranger : Frais de poste en sus.
; BEnGERE, 20, I
3430. — 62"» ATOE — I\° 5i.
Dimanche 20 Décembre 1896.
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
(Les niaiiuscrils doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Adresser rKANCO A H. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Tente et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an. Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Provnice. — Pour l'ÉtrûJiger, les frais de piste en sm.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Étude sur Bon Juan (2° article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale :
Audition des envois de Rome au Conservatoire, Fiona de M. Bachelet, Arthur
PouGiN ; première représentation du Sursis aux Nouveautés, P.\ul-Émile Che-
valier. — lit. Musique et prison (25° arlicle) : Crimes de droit commun,
Paul d'Estrée. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses
et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
GAVOTTE POUR LES HEURES ET LES ZÉPHYRS
extraite de l'opéra inédit de Rameau, les Boréades, transcription pour piano de
Louis DiÉMER, répertoire de la Société des imtruments anciens. — Suivra immé-
diatement la Passacaille de Paul Pugeï, écrite pour les représentalions de
Lorenzaccio au théâtre de la Renaissance.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de
CUANT : Fleur dans un livre, mélodie du comte de Fontenailles, poésie de
if. L. LeLasseur de Ranzay. — Suivra immédiatement: Chanson de Margyane,
mélodie d'AïieROisE Thomas, poésie de M""= Marie Barbier.
PRIMES POUR L'ANNÉE 1897
( Voir à la 8° page des précédents numéros.)
ÉTUDE SUR DON JUAN
De MOZART
I
(Suite)
Ea France, l'œuvre fut donnée d'abord dans des conditions
telles qu'il eût été impossible d'y rien comprendre; mais plus
tard, représentée sous sa forme originale au Théâtre-Italien (1),
interprétée tour à tour par des artistes tels que Garcia,
Lablache, Rubini, Tamburini, la Sontag, la Fodor, la Malibran,
etc., elle ne tarda pas à reprendre tout son prestige. Balzac
y conduisit les personnages de sa Comédie humaine; bien
qu'alors leurs faveurs presque exclusives allassent à Rossini,
ils donnèrent parfois un applaudissement à la musique du
maitre dont le nom était si bien synonyme de génie que pas
un dilettante ne se fût risqué à le discuter, — comme en
témoigne, d'autre part, le malicieux couplet de Béranger :
(1) Don Giovanni fut représenté pour la première fois au ThéAtre-Italien de
Paris le 2 septembre 1811.
Et vous, gens de l'art.
Pour que je jouisse,
Si c'est du Mozart,
Que l'on m'avertisse.
En des vers d'une poésie plus distinguée, Alfred de Musset
qui, lui aussi, a fait dialoguer Don Juan et Leporello (1)
un Don Juan désabusé, — et qui, dans un intéressant
morceau de critique musicale, a parlé dignement des pures
beautés du chef-d'œuvre, mentionnant le chant de Zerline :
Vcdrai carino, « l'air le plus simple et le plus naïf du monde...
pauvre petit air, que Mozart semble avoir écrit pour une
fauvette amoureuse (2) », Alfred de Musset, dis-je, a donné
(l'une des pages les plus célèbres de l'opéra, un commentaire
ingénieux, et dont l'idée a fait fortune :
Vous souvient-il, lecteur, de cette sérénade
Que Don Juan déguisé chante sous un balcon?
Une mélancolique et piteuse chanson
Respirant la douleur, l'amour et la tristesse.
Mais l'accompagnement parle d'un autre ton.
Gomme il est vif, joyeux! avec quelle prestesse
II sautille ! on dirait que la chanson caresse
Et couvre de langueur le perfide instrument,
Tandis que l'air moqueur de l'accompagnement
Tourne en dérision la chanson elle-même,
Et semble la railler d'aller si tristement.
Tout cela cependant fait un plaisir extrême.
C'est que tout en est vrai; c'est qu'on trompe et qu'on aime
C'est qu'on pleure en riant; c'est qu'on est innocent
Et coupable à la fois (3)
George Sand ne contredit point au sentiment général. Son
Maitre FaviUa exprime parfois sur le compte de Mozart une
admiration un peu bourgeoise : qu'il n'est « ni allemand, ni
italien, mais de tous les pays »; qu'il ne cherche pas à vous
« étonner », mais qu'il « charme sans cesse »; que « rien ne
sent le travail dans son œuvre; il est savant et vous n'aper-
cevez pas sa science ». Mais à la iîn le discoureur s'anime, et,
élevant ses idées à un niveau plus lyrique, il poursuit :
« Il est grand, il est beau, il est simple comme la nature!
Vous autres. Allemands, vous ne le trouvez pas assez mys-
térieux; vous aimez un peu ce que vous ne comprenez pas
tout de suite. Mais voyez le soleil : est-ce qu'il est jamais
plus beau que dans un ciel pur! Si vous demandez des
nuages entre lui et vous, c'est que vous avez les yeux faibles.
— Tiens! regarde ce bassin d'eau brillante et tiaoquille qui
reflèle les arbres immobiles et les oiseaux voyageurs, comme
un miroir de cristal ! Voilà Mozart ! (4) »
Un autre grand romancier, Stendhal, qui parfois fit des
(1) Une malinik di- Bon Juan (Tragmenl).
(2) Concert de M"' Garcia (Revue des Deux Mondes du 1" janvier 1839).
(3) Alfred de Musset, Namouna.
^4) George Sand, Maitre Favilla, acte I.
402
LE MENESTREL
incursions malheureuses dans le domaine de l'esthétique
musicale, fut mieux inspiré à l'égard de Mozart, dont il se
borna à traduire une des plus anciennes biographies ; ce
travail, presque subalterne, de l'auteur de la Chartreuse de
Parme nous reste encore utile aujourd'hui, et quelques-uns
des commentaires personnels qui l'accompagnent témoignent
d'une admiration éclairée. Telles, par exemple, les considé-
tions suivantes :
!< L'imagination toute romantique de Mozart dans Don
Juan, cette peinture si vraie d'un si grand nombre de situa-
tions intéressantes, depuis le meurtre du père de donna
Anna jusqu'à l'invitation faite à la statue , parlant à elle-
même, la réponse terrible de cette statue, tout cela est mer-
veilleusement dans le talent de Mozart.
» 11 triomphe dans l'accompagnement terrible de la réponse
de la statue, accompagnement absolument pur de toute fausse
grandeur, de toute enflure : c'est, pour l'oreille, de la terreur
à la Shakespeare (1) ».
Enfin un des plus grands poètes dont la France s'honore,
Lamartine, bien qu'il partageât encore un peu trop la pré-
vention coutumière des poètes contre la musique, n'a pas
craint de parler longuement, et avec les plus grands éloges,
de Mozart, auquel il a fait une large place dans ses Entretiens
sur la littérature. Sur Don Juan, par malheur, il s'en réfère
trop exclusivement à l'opinion de Scudo, car il nous serait
plus intéressant, aujourd'hui, de connaître la sienne propre.
Voici cependant en quels termes il formule la conclusion de
son étude :
« Lord Byron, le plus grand poète des temps modernes, a
voulu rendre en poésie ce caractère de Don Juan, que Mozart
a rendu en musique ; mais quelle différence entre la verve
moqueuse, ironique, impie ou cynique du poète anglais, et la
foi dans l'art sincère, convaincue, communicative et reli-
gieuse du musicien de Salzbourg 1 Le Don Juan du poète an-
glais n'est que la bouffonnerie du génie. Les notes du musi-
cien ont vaincu d'avance les vers, comme l'âme croyante de
Mozart a vaincu l'âme incrédule de Byron. Lisez Byron pour
le faux rire, allez entendre Mozart pour voir transfigurer en
mélodies diverses et délicieuses, en sourires ou en larmes,
toutes les passions du cœur humain, depuis les amours de
la terre jusqu'aux enthousiasmes du ciel (2) ».
Le sentiment des musiciens n'est pas moins vif, et
parfois il s'exprime avec plus de précision, étant plus éclairé.
Nous avons la bonne fortune de connaître une opinion émise
dès la première heure par un maître, le bon Haydn, digne
et fidèle admirateur de celui dont la gloire devait fatalement
contribuer à diminuer la sienne, — lui qui, un jour, déclara
avec une sorte de solennité, devant Léopold Mozart, que son
fils était le plus grand musicien qui eût jamais existé, et qui,
plus tard, entendant jouer un de ses quatuors, se mettait à
pleurer, disant: « Je ne puis songer à mon cher Mozart sans
que mon cœur se serre. » Un des jours qui suivirent la pre-
mière représentation de Don Giovanni à Vienne, il se trouvait,
chez un prince quelconque, dans une soirée à laquelle assis-
tait l'aristocratie dilettante de la ville : là, le « débinage »
allait son train, les femmes du monde et les « connaisseurs »
échangeant les idées coutumières. L'un disait que c'était trop
long; l'autre reprochait à l'œuvre d'être incohérente; un troi-
sième criait: « Pas de mélodie 1 », et un quatrième attestait
que la composition était trop disparate; formalités prélimi-
naires qui sont, parait-il, l'accompagnement indispensable
de toute nouvelle création du génie. Cumme de raison, Haydn
ne prenait aucune part à ce précieux échange d'idées; mais
quelqu'un ayant condescendu à lui demander son avis, il
répondit avec sa bonhomie naïve, mais avec une grande
vivacité : « Pour décider d'une pareille discussion, je ne
(1) Stendhal, Vies de Haydn, de Mozard (sic) et de Mélasinse, p. 366-369.
(2) Lamartine, Cours de Hltérature frimilière, A'.V/A'e cl XXX' Entretiens, lu Musique
de Mozart, p. ^04.
pourrais le faire: mais ce que je sais, c'est que Mozart est
le plus grand compositeur que le monde possède aujour-
d'hui » (1).
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Conservatoire. — Audition des «mois de Rome: 1*' et i' acte de Fiona,
légende irlandaise en 3 actes et 6 tableaux de M. Léon Durocher, musique
de M. Alfred Bachelet, grand prix de 1890.
Adolphe Adam, dans ses Mémoires, raconte une petite anecdole
dont il fut le héros et qui est assez caractéristique :
Quand j'eus le bonheur, dit-il, d'être admis dans la classe de Boieldieii,
j'étais un peu comme tous les jeunes gens qui commencent à s'occuper de
composition : la forme était tout pour moi, et le fond fort peu de chose.
J'avais une grande estime pour les modulations et les transitions baroques,
et un souverain mépris pour la mélodie, dont je ne concevais même pas qu'on
se servit. Un de mes amis m'avait mené une fois aux Italiens, où l'on jouait
le Barbier de Rossini, et je m'étais sauvé après le premier acte, furieux contre
le public qui accordait ses applaudissements à de telles misères. Voilà comme
je pensais quand j'entrai chez Boieldieu. Il me demanda un échantillon de
mon savoir-faire, et deux jours après je lui portai un morceau stupide, où il
n'y avait ni chant, ni rjthme, ni carrure, mais en revanche force dièses et
bémols, et pas deux mesures de suite dans le même ton. Je croyais avoir fait
un chef-d'œuvre.
— Mou bon ami, me dit M. Boieldieu quand il eut examiné mon papier de
musique, qu'est-que cela veut dire?
L'indignation me saisit. — Comment, monsieur, lui ri'pliquai-je, vous ne
voyez pas ces modulations, ces transitions harmoniques.... .'
— Si fait, vraiment, reprit-il, j'y vois bien tout cela ; mais les choses essen-
tielles, la tonalité et un motif? Allez-vous-en à votre piano, faites-moi une
leçon de solfège à deux ou trois parties, d'une vingtaine de mesures, et sans
moduler surtout, et vous m'apporterez cela dans huit jours.
— Mais je vais vous faire cela tout de suite, m'écriai-je.
— Non, me répondit-il ; il faut tâcher que cela ne soit pas trop plat, et
huit jours ne vous seront pas de trop.
Je retournai chez moi, et, riant d'une telle besogne, je voulus me mettre à
l'œuvre: mais, dans l'habitude que j'avais de tendre mon imagination vers
un tout autre but, je ne pouvais pas trouver une idée mélodique. Au bout
de huit jours j'apportai ma vocalise, qui élail bien faible.
— A la bonne heure, me dit Boieldieu: au moins, cela a forme humaine,
mais il y manque encore Ijien des choses : nous ferons encore ce travail pen-
dant quelque temps.
Il ne me fil faire autre chose pendant trois ans. Puis il me dit ; — Main-
tenant, vous avez peu de chose à apprendre; étudiez l'orchestration et les
etl'ots de scène, et vous irez.
Cette anecdote me revenait en tête l'autre soir, au Conserratoire,
en entendant l'envoi de Rome de M. Bachelet. Non que je trouve
l'œuvre sans intérêt, car elle est écrite en conscience, conçue avec
intelligence, révèle de bonnes qualités et est orchestrée d'une façon
ingénieuse et avec le plus grand soin. Je dois déclarer, en outre,
qu'on n'y rencontre pas les excès dont certains jeunes compositeurs
se rendent trop facilement coupables, que les voix n'y sont pas tor-
turées comme à plaisir, que l'oeuvre enfin est solide au point de la
vue de la forme et bien sur ses pieds.
Mais voilà I il faut toujours en revenir au mol de Brid'oison:
— La fo-orme ! la fo-o-orme !...
et malheureusement pas à celui de La Fontaine :
C'est le fond qui manque le moins.
Je le cherche, ce fond, je cherche le motif, comme disait Boieldieu,
et l'idée musicale, et c'est en vain. Je vois, dans celte partition de
Fiona — intéressante pourtant, je le répète, et non sans qualités —
un heureux sentiment dramatique, des intentions scéniques bien
(1| Rocni.iTZ, Anet<dolcn ans Mozaiis l.eben, dans la 1" année de VAllerjemeine
mmikalische Zeitung (24 octobre 1798). Rochlitz, qui fut le premier traducteur alle-
mand de Don Giovanni, avait été en relations personnelles avec Mozart, et son
recueil à' Anecdotes sur le compositeur est un des premiers ilocuments biogra-
phiques que nous possédions. — Le lecteur aurait tort de croire que nous avons
brodé son récit en quelque manière; si la conversation des amateurs pronon-
çant leur verdict sur le chef-d'œuvre semble avoir été tenue hier, avec une appli-
cation ditrérente, elle n'en est pas moins fidèlement traduite d'après le texte
original et contemporain. Les expressions allemandes sont: '/.a volt, zu diaolisch,
su unmeludiscli, su unrjleicli genrbeitel: et l^oehlitz, après avoir reproduit ces mots,
qui s'appliquent si comiquement à l'œuvre de Mozart, aggrave encore en disant
lui-même « qu'on ne peut pas contester qu'il y ait quelque chose de vrai dans
ces opinions!... » C'est une preuve de plus qu'il n'y a rien de nouveau sous le
soleil, — suitout en fait de banalités.
LE MENESTREL
403
rendues, une bonne déclamation (avec une prosodie parfois très
vicieuse), un orchestre riche, étoffé, souvent curieux, un ensemble
enfin digne d'estime et d'attention. Mais le charme, mais la nou-
veauté, mais la fraîcheur d'une idée musicale qui, rien qu'en se
présentant aux voix et à l'orchestre, fait courir dans toute une salle
comme un frisson de joie et un susurrement de plaisir, voilà ce que
je ne trouve pas et ce dont nos jeunes musiciens se montrent vrai-
ment par trop avares.
Qu'est-ce que cela me fait, une harmonie piquante ou un effet
d'orchestre ingénieux, quand ils se présentent seuls? C'est la sauce,
cela, et on ne dîne pas avec de la sauce, quelle que soit sa délica-
tesse. Mais le poisson I c'est-à-dire le motif, la mélodie ? Oui, la
mélodie, car nous n'avons pas à rougir d'appeler les choses par leur
nom, qu'en failes-vous, messieurs?
Or, j'en trouve trop peu dans l'œuvre de M.Bachelet. Et je le lui dis
avec d'autant plus de franchise que, je le répète, son œuvre m'inté-
resse, et qu'elle est écrite d'une plume solide et d'une main d'artiste.
Le sujet du drame n'esl pas absolument neuf, car, nous dit le pro-
gramme, il symbolise « la lutte entre l'amour pur et l'amour sensuel ».
Je signalerai, au second tableau du premier acte, la scène avec chœur
de Fiona (l'amoureuse poursuivie par une magicienne), qui est d'un
bon sentiment dramatique et traitée avec ampleur, puis l'air du nain
Turl : Je suis Titii, fils des bruyères, dont la forme est heureuse et l'or-
cheslre très ingénieux ; et au second acte la grande scène de Fiona
et de son amant Patrick : Si c'est un rêve..., qui est bien sentie, d'un
bon accent dramatique et bien soutenue par l'orchestre, les violons
en tête. Le finale de ce second acte a de la vigueur et produit une
heureuse impression.
M. Bachelet n'a pas à se plaindre de ses' interprètes, qui tous ont
fait de leur mieux, un mieux qui était souvent très bien. Il n'y a que
des éloges à adresser à M"'' Lafargue (Fiooa), à M""' Georges Marty
(Flathal), à MM. Noté (Patrick), Gauthier (Turl) et Delpouget (Trégor).
L'exécution d'ensemble, excellente, élait dirigée par M. Tafïanel.
Arthur Pougin.
NouvE.\UTÉs. Le Sursis, vaudeville en 3 actes de MM. Sylvaue et Gascogne.
Quelque chose comme Champignolle d'exhilarante mémoire, quel-
que chose qui ne saurait se raconter, mais qu'il faut aller voir si l'on
a envie de rire, et les occasions de se franchement amuser quelques
heures sont tellement rares par les temps que nous traversons, qu'il
serait presque criminel de ne point recommander à tous, jeunes ou
vieux, moroses ou joyeux vivants, de courir aux Nouveautés.
Faut-il dire qu'il s'agit d'un bon notaire de province qui, sous
couleur de 1.3 jours, pour lesquels il a obtenu un sursis, lâche son
étude et sa femme et va se tapir avec M"» Marinette en un petit
trou voisin ; que là. oîi il espérait trouver le calme, il tombe sur des
grandes manœuvres, qu'il est pris, grâce à la tenue militaire avec
laquelle il a quitté son chez lui, pour l'ordonnance d'ua comman-
dant? Faut-il ajouter que là, encore, il retrouve son principal clerc,
envoyé en mission délicate par M'™ la notairesse, et que c'est le bon
jeune homme qui écopera tout le temps à la place du patron ? Ceci,
à la rigueur, se pourrait expliquer ; mais où la plume la plus lucide
perdrait tous ses droits, c'est lorsqu'elle essaierait de retracer la folie
et l'incohérence très adroite qui fait du second acte du Sursis une
des choses les plus franchement bouffonnes que l'on puisse imaginer.
M. Germain, qui fat déjà Champignolle, est un étourdissant
notaire; sa fantaisie tapageuse et gesticulante, ses grimaces simies-
ques et invraisemblables se donnent libre carrière en ce rôle de
pioupiou malgré lui qui passa son temps à faire endosser sa tunique
et son pantalon garance à son clerc, très comiquement représenté
par le fin Guyon. M. Tarride excelle dans les caricatures discrètes
d'ofRciers, son commandant Lagrifïoul est pris sur le vif. M"" Gassive,
très en dehors, MM. Golombey, Jipay, et M"« Emma Georges emboî-
tent gaiement le pas à leurs trois étonnants chefs de file, et tous, de
compagnie, feront certainement durer ce Sursis de longs mois.
Paul-Émile Chevalier.
MUSIQUE ET PRISON
(Suite)
Les prisons militaires n'avaient pas attendu la visite ni les ré-
llesions des philanthropes, pour procéder aux mêmes cérémonies.
Vidal y assistait, en 18oo, au fort de Vanves et dans une autre mai-
son de correction militaire à Paris. Sa relation n'a pas la note atten-
drie à'Ignotus; elle a plutôt la sécheresse d'un procès-verbal, mais
sa valeur documentaire lui donne droit de cité dans une étude comme
la nôtre.
Il y a un petit orgue dans la chapelle. Un chœur composé de détenus y
chante les prières ordinaires et y exécute, en outre, avec l'accompagne-
ment de l'un d'eux, des motifs et morceaux de musique religieuse arrangés
dans ce but.
Ce chœur est extrêmement remarquable comme ensemble et comme
composition de voix distinguées, même très belles.
Des compositeurs et des artistes éminents ont plusieurs fois demandé
l'autorisation de les entendre, et ils n'ont pas dû être mécontents de cette
audition. Ce que j'ai entendu moi-même de l'exécution de ce chœur m'a
non seulement satisfait, mais étonné.
Il est certain qu'il devait manœuvrer avec une précision toute mi-
litaire. N'importe, la grandeur, la majesté môme de la musique reli-
gieuse peut opérer une réaction salutaire sur les âmes, presque
toutes flétries, des condamnés de droit commun. Outre que cette har-
monie, grave et forte, ébranle profondément les centres nerveux, elle
évoque d'abord, par l'autorité qu'elle donne aux paroles dont elle
est l'accompagnement, une sorte de terreur sacrée dans les esprits
toujours en face de leur faute; puis elle les calme, les rassure, les
adoucit, les charme et leur laisse l'espérance, cette fleur qui s'épa-
nouit, de préférence à toute autre, sur le' sol stérile des prisons.
Néanmoins, le règlement permet aujourd'hui que la musique pro-
fane vienne tempérer parfois l'austérité de la musique sacrée. Depuis
1869, les soldats incarcérés à la prison de la Santé peuvent étudier
en commun le chaut et les instruments d'orchestre qui leur sont fami-
liers. Longtemps avant eux, les détenus civils avaient obtenu cette
autorisation. Sers nous dit, dans son Intérieur des bagnes, (1842) qu'il
était permis aux forçats de travailler à la peinture et à la musique.
Celte assertion sera confirmée par une anecdote d'Appert, que nous
publierons dans un chapitre ultérieur.
Vers la même époque, les deux genres étaient également cultivés
à la Roquelte. Les Prisons de Paris de Pierre Joigneaux nous en
signalent ainsi la grandeur et la décadence :
Nous avions un maître de chapelle détenu, un homme du monde, musi-
cien amateur assez remarquable. Avec beaucoup de peine, il était par-
venu à trouver une douzaine de chanteurs parmi ses compagnons de cap-
tivité ; il les avait exercés, disciplinés, de sorte que, chaque dimanche, on
célébrait la messe avec accompagnement d'orgue, de violoncelle et quel-
queiois de piano. On entendait parfois de tort jolis morceaux assez bien
exécutés. /
Après une année environ, le maître de chapelle fut transféré à Poissy,
et le sceptre de l'orchestre tomba entre les maius d'un infidèle qui préfé-
rait la romance à la musique religieuse. Dès lors, il y eut décadence
rapide.
Cette influence heureuse du plus suggestif de nos arls s'explique
encore par l'impression irrésistible qu'il imprime aux masses péné-
trées de ses chauds eilluves. L'homme isolé, et surtout celui que
n'a pas dégrossi l'éducation, est peut-être moins accessible à des
sensations que certains psychologues considèrent comme les symp-
tômes de sa convalescence morale. En effet, les rigueurs de l'empri-
sonnement cellulaire absolu, qui suppriment cet entraînement eu
commun, sont, de ce fait même, peu favorables au développement
du sentiment musical. Rappelons-nous les constatations faites à
Mazas par Maxime -du Camp. Déjà, s'il faut en croire l'expérience
du docteur Piétra-Santa, qui étudia aussi de fort près le Régime cellu-
laire à Mazas, ce mode de claustration sévère détermine chez certains
sujets, même pourvus d'éducation, une aberration partielle des fa-
cultés mentales :
Les affections dépressives, nous dit-il, sont les plus ordinaires; mais à
côté des mélancolies les mieux caractérisées, j'ai vu l'exaltation la plus
complète : un ancien militaire, par exemple, s'excitant au combat, à la
mêlée, parlait de cliquetis d'armes et de bruits de clairons; un commis
détenu pour vol de cravate soupirait sans cesse des vers à sa maîtresse;
un choriste de l'Opéra se livrait à la danse la plus échevelée.
Il est cependant des exceptions à la règle que nous venons d'éta-
blir, exceptions qu'il importe de citer, puisque l'exception confirme la
règle.
Nous devons celle-là à l'observation d'un philanthrope américain,
eu tournée d'inspection dans les maisons pénitentiaires des Etats-
Unis.
Il avise dans une cellule un individu condamné à neuf ans de
détention pour recel d'objets volés. Il questionne cet homme, qui lui
répond posément, mais à voix basse et après un temps d'arrêt, suivant
l'habitude de tous les prisonniers. Celui-ci, bien qu'il n'ait appris
40'i
LE MENESTREL
aucun métier, eùl été capable de les faire Ions, grâce à son ingénio-
sité native et à son expérience professionnelle; le recéleurne doit-il
pas, pour garantir sa personne autant que son butin, s'entourer de
mille précautions, no rien laisser au hasard et pousser jusqu'à la
minutie l'étude du moindre détail? Donc, ce prisonnier était parvenu,
par son infatigable patience cl son observation de chaque jour, à
fabriquer toutes soites d'inslruinenls. Avec des rognures de bois, de
carton et de paille, il avait construit un coucou. La couleur qu'il
trouvait le moyen d'estraire de la laine qu'on lui donnait à tisser, il
l'employait à peindre des fresques. Mais l'appareil dont la fabrication
le préoccupait encore le plus était un instrument de musique qu'il
projetait d'établir avec « un marteau et du verre cassé ». Ce devait
être vraisemblablement quelque harmonica: et il n'est pas indifférent
de signaler ractiou toute spéciale que produit sur le système nerveux
des prisonniers la vibration du cristal. Je me rappelle avoir lu dans
une relation de voyage que l'audition prolongée du glass-cord, attribué
à Franklin, avait déterminé dans un couvent de religieuses des crises
d'hystérie.
En résumé, abstraction faite des États-Unis, l'iso'ement cellulaire
est moins propice que la vie en commun à l'imprégnation musicale;
ce qui n'empêche pas la lympanomanie, c'est-à-dire la conversation au
son, d'être en faveur dans les cellules des maisons centrales. Les déte-
nus, pour causer entre eux, malgré la règle qui les oblige au silence,
ont un langage de convention dont les murs de leur cellule sont en
quelque sorte les agents de transmission. Cet alphabet phonétique
est d'une extrême simplicité : un coup frappé sur la muraille signifie
A: deux coups B, et ainsi de suite jusqu'à Z.
(A suivre.) Paul d'Estbée.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
La symphonie en si bémol de Schumann, qui ouvrait la dernière séance de
la Société des concerts, est la première qu'ait écrite ce maitre intéressant et
incomplet. Il avait trente ans environ lorsqu'il la composa, et elle fut exécutée
pour la première fois au Gewandliaus de Leipzig, le 31 mars 1841, dans un
concert donné par sa femme. Cette exécution était dirigée par Mendelssohn,
alors chef d'orchestre du Gewandhaus et avec qui Schumann était déjà lié
d'une véritable affection, et l'auteur de Paulus, chef d'orchestre de premier
ordre, comme on sait, avait apporté tant de soin, tant de zèle aux études de
l'œuvre nouvelle que l'effet fut excellent et que Schumann fut profondément
touché du dévouement de son confrère. On raconte au sujet de cette sympho-
nie une anecdote assez singulière. Schubert, mort depuis quelques années
sans avoir pu achever sa dernière symphonie, inspirait à Schumann une si
vive sympathie et une si profonde admiration que celui-ci, se trouvant à
Vienne, voulut aller au cimetière de Wëhring faire un pèlerinage à sa
tombe, qui n'était séparée de celle de Beethoven que par quelques sépultures
Il s'arrêta aussi devant cette dernière, et il trouva, dit-on, sur la pierre tumu-
latre une plume de fer qu'il ramassa pieusement; et comme il aima toujours
Ir-s associations symboliques et les connexions mystiques, il se servit de
cette plume dans des circonftances foutes spéciales, et c'est avec elle, entre
autres, qu'il écrivit sa symphonie en si bémol, ainsi que la notice qu'il
consacra à la symphonie en ut de Schubert et qu'il publia en 18i0 dans la
Zeitschrift. Pour en revenir au Conservatoire, l'orchestre a excuté la symphonie
en si hémol avec un feu, une verve et un ensemble incomparables, dont le
publie l'a remercié par de vifs applaudissements. Mais ce succès n'était rien
auprès du triomphe que M. Sarasate a obtenu ensuite en venant jouer, avec
la grâce, le style et l'élégance qu'on lui connait, le joli concerto de Mendels-
sohn. Rien ne convient mieux à la nature du talent de ce merveilleux virtuose
que cette œuvre si ingénieuse, si délicate, si fine, et qui donne elle-même
une idée si exacte du génie aimable de Mendelssohn. L'ovation qu'on a faite
à M. Sarasate est de celles qui comptent dans la vie d'un artiste, et il semblait
qu'après trois rappels successifs le public ne fût pas encore las de l'applaudir
et de l'acclamer. Je n'ai rien de particulier à dire, sinon pour en louer l'exé-
cution, des morceaux qui complétaient le programme : ces morceaux étaient
le superbe Chant élégiaque de Beethoven et le Pater nosler de 'Verdi, que
les chœurs ont fort bien dits, et l'ouverture de Benuenuto Cellini, de Berlioz où
l'orchestre a déployé une fougue et un éclat superbes. A. P.
— Concert Colonne. — Les lecteurs du Ménestrel n'attendent pas de leur
chroniqueur habituel uneanalyse deto Damnation de Faust de Berlioz, et une
appréciation du talent des interprètes. Contentons-nous de dire que M. Colonne
a célélu'é avec éclat le cinquantenaire de l'œuvre maîtresse de Berlioz, par une
83' audition. Comme il manque encore dix-sept auditions pour arriver à cent,
etque M. Colonne tiendra également à célébrer ce centenaire, nous entendrons
encore Fat/s( dix-sept fois. — Pour aujourd'hui, je mécontenterai d'emprunter
à M. Paul Rameau, le distingué chroniqueur musical du Temps, les deux
réflexions suivantes, qui s'appliquent à M. Lamoureux et à M. Colonne.
« Je suis reconnaissant à M. Lamoureux lorsqu'il nous joue quelques pages
empruntées aux partitions de Wagner, que nos théâtres lyriques n'ont pas
encore accueillies. Mais je ne comprends pas bien pourquoi l'éminent chol
d'orchestre du Cirque d'Été nous régale d'un acte de la Valkyric: quelle
nécessité y a-t-il d'entendre dans un cirque, le dimanche, à trois heures
après midi, une œuvre que l'on pouvait entendre l'avanl-veille, ou qu'on
entendra le lendemain à l'Opéra? Pourquoi perdre du temps et des efforts
quand tant de chel's-d'œuvre passés, présents ou futurs nous sont fermés? »
— M. Paul Rameau ajoute, et ceci s'adresse aussi bien à M. Lamoureux
qu'à M. Colonne: « Je trouve que les organisateurs de concertsdes dimanches
ont tous une tendance à se répéter, est-ce que njus aimerions cela? est-co
que nous prendrions goiitaux redites? est-ce que nous aurions peur de l'etl'ort.
peur de l'inconnu, peur d'exhumer des trésors oubliés, peur de découvrii des
génies ignorés? Ce serait inquiétant... » On ne saurait mieux dire : résignons-
nous à entendre encore dix-sept fois la Damnation de Faust ».
II. B.VBBEDF.TTE.
— Concerts Lamoureux. — Un fait domine la séance do dimanche dernier:
le grand, rinconlpstable succès de la symiihonie en ré dp César Franck. Bien
que nos préféreuoos aillent i d'autres compositions du célèbre organiste, nous
associons volontiers nos a|iiilau(lissenients à ceux de la salle entière, sous
cette réserve qu'ils s'adresseiil l'i l'artisli' l)pnuiou|i plus qu'à la symphonie
exécutée. Les réserves s'imiinscnl ou olVi'l. l(u's(iu'(iii songe que des ouvrages
comme celui-ci, élevé au niveau des plus sublimes jiniductions musicales par
la reconnaissance attendrie dos disciples du maitre, constituent les bases es-
thétiques de cette école décevante que l'on pourrait nommer psevdo-wogné-
rienne. parce qu'elle s'incorpore ce qui est assimilable dans les procédés du
célèbre compositeur. Ne nous a-t-ellc pas donné, cotte école, un nombre res-
pectable de musiciens, tous aussi habiles dans l'art de disposer les notes en
contrepoint que généralement dépoui-vus de la seconde vue i|ui faitle véritable
artiste créateur. Tous sont assidus au travail, capables d'utiliser les ressources
dp leur art devenues pour eux familières, mais ils ont la main lourde et
l'écriture compacte. Ils parviennent rarement à éveiller la muse rebelle.
Franck réunissait à un degré éminent les qualités que l'on retrouve très
diniinuéps chez ses élèves. Sa symphonie en ré est d'une facture solide et
forte, très classique dans ses développements et ti-ès hpurpusp'dans le choix de-
tonalités subordonnées au ton principal, elle est, en mWrc. d'une orchestra-
tion nourrie et brillante, quoique parfois un peu crue : pu unisique, comme en
peinture, le claii'-obscur est le partage des privilégiés du génie. Mais cela nous
permet-il de conclure au chef-d'œuvre? Non, assui'ément. Remontons aux
sources originelles de la mélodie et demandons-nous si, dans ces quelques
thèmes adroitement choisis, il règne quelque abondance, quelque richesse
d'inspiration, un coloris chatoyant, une révei'ie poétique, en un mot, une
efflorescence. Les œuvres véritablement géniales entendues à ce concert : le
Carnaval romain, le prélude de Parsifal, l'ouverture du Vaisseau fantôme nous
ofl'rent les éléments de comparaisons dont il y a lieu de tenir compte quand il
s'agit de la conséci'ation d'un nouveau génie. Gardons notre admiration pour
les œuvres dans lesquelles Franck amis toute son àme et voyons surtout dans
cette symphonie ses qualités de facture que diminue un peu rado]itioii d'un
plan qui ne vaut pas celui des maîtres classiques. — Le 2"= tableau du Chant de la
Cloche de M. d'Indy a été intei-prété avec beaucoup de charme par M. Engel
et par M""« Passama. La musique de ce fragment interprète avec noblesse le
sentiment qu'expriment les paroles ; elle ne manque ni dp belles idées ni de
f(u-tes sonorités. Un air de Gluck, gracieusement dit par M"'-" Passama, r(nn-
plétait le programme. Amédée Boutarel.
— Mardi dernier, très brillante et très curieuse matinée au Théâtre mondain
avec des compositions de M. 'Weckerlin. Le conférencier, M. Eddy Lévis, a
parlé en poète en nous racontant certains cotés intéressants de la vie artis-
tique de M. Weckerlin. Le public lui a l'ait un grand succès. Les interprètes
du chant étaient M""" Simone d'Arnaud cl M. Paul Pecquery, qui sait faire
valoir sa belle voix de baryton, tout en disant avec beaucoup de goût. Les
deux bénéficiaires se sont fait bisser le duo de la Petite Lingère, composé poin-
eux et qu'ils rendent fort bien. M""' d'Arnaud a chanté avec une grande
élégance deux pièces qui datent du commencement de la carrière de
M. Weckerlin, la Mère Bontempi, puis le Médecin et le Dieu d'amour. Il paraît
qu'on chante encore des tyroliennes. M. Pecouery a eu un joli rai)iiel avec
la Meunière de Tréguier. Parmi les mélodies sérieuses et d'un plus grand
développement, il faut citer Quand Mignon passait, Contemplation et l'Abeille
ménagère. La deuxième partie a été consacrée au charmant vaudeville de
Michel Carré et L. Battu, Jobin et Nanette, avec de la musique nouvelle de
M. Weckerlin, musique pleine de sentiment vrai et de franche gaité. Cette
jolie partition, qu'on réentendra prochainement, fera assurément parlerdelle.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche :
Conservatoire : Symphonie en si bémol (Schumann); Chcmt (■te'^iajue.chœur (Beetho-
ven); Concerto pour violon (Mendelssolni), par M. Sarasate; Pater nos'er ( Verdi i ; Ouver-
ture de Benvenulo Celtini (Berlioz).
Châtelet, concert Colonne : Ouverture de Benvenulo Cellini (Bei'liozi; les Perses
(X. Leroux); Concerto pour piano (Saint-Saéns), par M. Louis Diémer; Bédemplion (César
Franck) : l'Archange, M"° Étéonore Blanc; le Récitant, M"" Renée Du Minil.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux: Symphonie en ré (Brahms); la
Procession (C. Franck), cliantée par )I. Engel; Concerto en ut mineur, pour piano
(Beethoven), par M"° de Markoff, le Chiinide la cloche, deuxième tableau (V.d'Indy) ;
Lénore par M"» Jenny Passama, Wilhetm par M. Engel; Prélude de Pursiliil (Wagner) ;
Ouverture du Vaisseau-Fantôme (AVagner).
LE MÉNESTREL
405
NOUVELLES DIVERSES
ETRANGER
De notre correspondant de Belgique (18 décembre) :
Kn attendant Javotle, la Monnaie a représenté ce soir les Charmeurs, de
Ferdinand Poise, un petit acte qui a paru délicieux dans sa grâce exquise,
cl qu'on a vivement applaudi. Mais l'intérêt musical et théâtral a été ail-
leurs celte semaine : il a été tout au Théâtre-Flamand, qui a donné la « pre-
mière » à sensation d'un ouvrage du à la collaboration de M. Jules Demees-
1er et de M. Peler Benoit, le célèbre compositem- anversois. Cet ouvrage,
intitulé Het Meilief (la Reine de mai), fut représenté pour la première lois, il
y a deux ans, dans un village des Flandres, à Iseghem : puis il fut donné à
Anvers avant d'arriver à Bruxelles. C'est un drame où, suivant le système
habituel au compositeur, la musique intervient simplement comme illustra-
tion scénique. C'est beaucoup moins qu'un opéra, et c'est plus qu'un mélo-
drame. Par malheur, la pièce est d'une absolue insignifiance, même en fla-
mand : une sorte de paysannerie rappelant l'hisloire des femmes-soldats du
[iremier Empire, avec la vertu récompensée et le crime puni, le tout arrosé
de larmes. Sur ce fond naïf et désarmant, M. Peter Benoit a accroché une
suite de pages colorées, seulimentales, d'une inspiration souvent pleine de
fraîcheur et d.^ mouvement : musique de scène, chœurs, chansons, cortèges,
qui jettent dans l'oeuvre une agréable variété d'impressions. Quel dommage
que tout cela soit pour ainsi dire perdu pour le grand public, et que tant de
talent ne se soit pas employé à embellir une œuvre plus digne ! C'est le sort
de la plupart des partitions dramatiques de l'auteur de l'Escaut, de n'avoir
pu faire leur trouée dans le monde parce qu'elles étaient enchaînées à des
pièces impossibles, qui n'avaient même pas l'excuse d'être de vrais drames
lyriques, oii ce qui n'est pas bon à dire peut du moins être chanté ! On n'en
a pas moins fait fête au maître, qui était présent à l'exécution. Exécution
est le mot : mais il ne faut pas trop en vouloir à des artistes de drame que
l'on force à chanter de ne pas chanter juste et de n'avoir pas la voix très
assouplie.
En fait de concerts, il n'y a guère à vous signaler que la belle soirée con-
sacrée, au Cercle artistique, aux œuvres de feu Auguste Dupont, et la séance
de musique ancienne avec instruments anciens donnée à la Grande Harmonie
par MM. Diémer, Van Waefelghem, Delsart et Grillet, et dont le succès a été
très vif. Pour les Bruxellois, ces sortes de séances sont depuis longtemps
familières. Bien avant même que ces messieurs les aient mises .i la mode à
Paris, les instruments anciens, grâce au musée du Conservatoire qui en a
d'admirables collections, étaient connus et joués à Bruxelles. Il fut un temps
où un petit groupe de professeurs, encore actuellement sur la brèche, donnait
des concerts nombreux avec ces mêmes instruments, prêtés par M. Gevaert.
M. De Greef tenait le clavecin, M. Edouard Jacobs jouait la viole de gambe,
M. Agniez la viole d'amour, feu Dumon la flûte traversière, M. Léon Jouret
l'orgue de régale, et les élèves flûtistes faisaient entendre cette fameuse
Marche des lamquenels, sur la famille complète des flûtes douces accompa-
gnées du grand tambour. Et justement, une séance de ce genre, avec le groupe
où manquera seul le regrelté Dumon, est annoncée pour demain au Cercle
artistique. L. S.
— La gloire théâtrale est de courte durée, et la postérité, parfois même
les contemporains, gardent fort peu de reconnaissance envers les amuseurs.
A la mort de sir Augustus Harris, qui avait tant contribué au développement
de l'art théâtral dans sou pays, le mouvement populaire à Londres fut grand
et un comité se forma pour ériger un monument à la mémoire du célèbre
manager. Ce comité ayant résolu la construction d'une fontaine publique
commémorative, s'adressa au conseil municipal de Londres pour lui demander
un emplacement prés de Trafalgar-Square. Mais à la demande un refus net
fut oppos('' et on n'offrit même pas, comme fiche de consolation, une autre
place moins distinguée, dans quelque quartier perdu de l'immense capitale.
Plusieurs orateurs municipaux ne se gênèrent pas pour exprimer leur parfait
mépris de l'art théâtral en général et spécialement de tout ce que sir Augus-
tus Harris avait fait pour cet art. Décidément, Londres ne se soucie guère de
gagner le record du cabotinage.
— Le n Tout-Vienne des premières i> et l'arrière-ban du monde des théâ-
tres, qui est fort nombreux dans la capitale autrichienne, ne parle que de
l'affaire Girardi. Nos lecteurs n'ignorent pas que Girardi, l'ancien acteur du
théâtre An der Wien actuellement au Carltbeater, est h la fois le Dupuis, le
Baron et le Brasseur de Vienne en sa seule personne, et que sa popularité est
immense. Or, une petite conspiration, dont les auteurs ne sont pas suffisam-
ment indiqués dans les journaux viennois, a été forgée en ces derniers jours
pour faire enfermer Girardi dans un Charenton viennois, et le propre méde-
cin de l'artiste n'a pas hésité à certifier que celui-ci était atteint d'une mala-
die mentale et qu'il était de son intérêt d; le confier à une maison de sauté.
Un professeur de l'université de Vienne, qui n'avait jamais visité Girardi, a
osé appuyer cett.T déclaration du médecin et exprimer sou opinion que la
maladie de l'artiste devait être attribuée à une intoxication chronique par la
cocaïne, dont Girardi s'était en effet servi quelquefois pour adoucir des dou-
leurs locales. Heureusement l'avocat de Girardi, qui est en même temps son
ami, est intervenu en temps utile, et les autorités ont ordonné une enquête
officielle sur l'état du prétendu malade. Les trois médecins délégués, par le
gouvernement ont causé avec Girardi pendant deux heures et ont déclaré que
l'artiste se trouvait bien dans un certain état d'excitation nerveuse, mais que
ses facultés mentales n'étaient nullement atteintes et qu'aucun motif n'exis-
tait pour l'enfermer dans un cabanon. L'excitation de Girardi doit être attri-
buée à des déboires intimes — cherchez la femme, et dans ce cas, la propre
femme de l'artiste — et aucune trace d'une intoxication par la cocaïne n'a
pu être constatée. Girardi s'est au contraire montré de belle humeur, et plu-
sieurs mots plaisants de l'artiste ont excité le rire des trois médecins officiels
pendant leur enquête. Le préfet de police a immédiatement pris des mesures
pour faire cesser les intrigues qui avaient entravé la liberté d'action de l'artiste,
qui, après quelques jours de repos, reprendra ses représentations au Garl-
theater. Mais il l'a échappée belle, et on se demande à Vienne quelle satisfac-
tion sera donnée à Girardi en ce qui concerne les deux médecins qui avaient
presque réussi à le faire séquestrer dans une maison de fous. Et à Vienne
comme à Paris, il est très difficile de sortir d'un endroit pareil, quand on y
est, à tort ou à raison, — surtout à tort.
— Jeudi dernier, Fidelio de Beethoven a été joué à l'Opéra impérial de
Vienne pour la centième fois. La première représentation de ce chef-d'œuvre
y avait eu lieu le 10 juin 1869. Cela fait à peu près une moyenne de trois
représentations par an, ce qui nous parait maigre. A l'ancien Opéra, démoli
en 1869, Fidelio avait été joué 322 fois depuis le 23 mai 1814, ce qui donnait
une moyenne de six représentations par an. On sait que ce chef-d'œuvre,
joué pour la première fois le 20 novembre 180S, au théâtre An der 'Wien,
n'obtint qu'un succès d'estime et ne fut pas plus heureux lors d'une reprise
qui en fut faite à ce théâtre sous le titre de Lconore, après un remaniement
auquel nous devons ce merveilleux morceau symphonique qu'on désigne
généralement en Allemagne comme la grande ouverture de Léonore. A l'Opéra
Impérial, en 1814, Beethoven restitua à son œuvre le titre primitif de Fidelio,
et la consécration définitive de l'œuvre ne date que de cette année. Le rôle
principal de cette œuvre grandiose compte encore de nos jours parmi les
plus difficiles du répertoire allemand, et aucune falcon allemande n'est défini-
tivement sacrée tragédienne lyrique si elle n'a pas su obtenir les suffrages
des connaisseurs sous le travesti lourd à porter de l'épouse fidèle deFlorestan.
En Allemagne, Fidelio est, comme on sait, joué en opéra-comique, avec un
dialogue que les régisseui's réduisent à son véritable minimum, car les
chanteurs allemands savent très rarement débiter de la prose. M. Gevaert
a fait une tentative très intéressante et très réussie en substituant des récitatifs
à la prose du livret original, et cet arrangement de Fidelio, mériterail bien
d'être joué sur les scènes lyriques d'outre-Rhin.
Bn.
— Les braves villageois de Laxenbourg, près Vienne, où se trouve un
château impérial habité par l'archiduchesse Stéphanie, veuve de l'infortuné
archiduc Rodolphe, ont eu la surprise d'entendre la princesse au chœur de
leur église pendant la grand'messe. Elle .chanta plusieurs morceaux, entre
autres un Agnus Dei, d'une belle et puissante voix de contralto qui émerveilla
le reporter d'un journal viennois que sa bonne fortune avait conduit à l'église
de Laxenbourg ce dimanche-là. On savait depuis longtemps à Vienne que
l'archiduchesse s'occupait sérieusement de l'art du chaut et prenait très régu-
lièrement des leçons chez une artiste qui avait une grande réputation comme
professeur, mais la mort tragique de sou mari avait interrompu ces études.
Inutile de dire que le curé de Laxenbourg ne s'opposa nullement à ce que la
princesse fît son apparition dans le chœur de l'église, malgré une bulle papale
récemment citée au Vatican qui exclut les femmes du chœur de toute église
catholique. Rossini s'en fût réjoui, lui qui avait adressé à Pie IX plus d'une
requête pour obtenir la révocation de la bulle en question et avait même,
dans une lettre fort curieuse, qu'on vient de publier en Allemagne, prié
Meyerbeer d'intervenir dans ce sens près de Pie IX, sans obtenir satisfaction.
— M. Koki Hourouya, chef suprême de toutes les musiques militaires du
Japon avec le grade de capitaine, se trouve actuellement à Dresde, pour y
étudier l'organisation des musiques allemandes. Il a fait ses études musicales
en France, où il a séjourné pendant sept ans.
— Nos lecteurs savent déjà que le compositeur Auguste Bungert, qu'on ne
connaissait jusqu'à présent que comme compositeur de mélodies, s'est pro-
posé d'écrire et de mettre en musique une tétralogie intitulée l'Odyssée. Or,
il vient de faire jouer la troisième partie de cette tétralogie, qui porte pour
tilre le Retour d'Ulysse, avant de présenter les deux qui doivent précéder. Le
Retour d'Ulysse comprend un prologue et trois actes : sa représentation au
théâtre royal de Dresde a duré quatre heures. Le directeur musical de ce
théâtre, M. de Schuch, en a magistralement dirigé en personne les études
difficiles ainsi que la première représentation, dont le succès a été retentissant.
Rappels nombreux pour le poète-compositeur et les artistes, surtout pour le
baryton Scheidemantel, qui jouait Ulysse. Les critiques de la capitale saxonne
disent que Bungert a réussi à s'abstenir presque complètement de cette ser-
vile imitation de Richard "Wagner, qu'on doit reprocher à la plupart des
compositeurs allemands actuels.
— Le théâtre royal de Hanovre a inauguré dernièrement un nouveau rideau
représentant Apollon et les Muses, qui estl'œuvre du célèbre peintre Alexandre
de Liezenmayer, de Munich. L'ancien rideau sera conservé à cause de son
intérêt historique. Il date de 1789 et est l'œuvre du peintre Ramberg.
Napoléon I" le goûta si fort qu'il le fit transporter à Par's. Mais en 181b,
le rideau a repris le chemin de l'Allemagne et y fonctionna jusqu'à nos jours
au théâtre royal de Hanovre.
— Il vient de se lormer à Cologne une société des instruments à vent, à
406
LE MEMESTREL
rimilation lie cequi sest fait à Paris, et ensuite à Bruxelles, pour donner
L'haque hiv€r une série de srauces spéciales. Cette société est composée de
ijuelques artistes de l'arclieslre du Giirzcnich.
— On nous écrit de Carlsruh^ qu'on vienl de reprendre avec beaucoup de
succès au tliéâtre grand-ducal Tun des plus jolis opéras de Lortziiig, les Deux
Militaires, dont le succès a été complel. L'ouvrage date de près de soixante
ans. car sa première rcprésculation veraoulo au 20 février 1837, la même
année où Lortzing donnait son plus liel ouvrage, Czar et Charpentier; mais la
musique est fraiche encore, pleine de vivacité et instrumentée de la façon la
plus brillante : d'autre part, le livret, emprunté à un ancien vaudeville français,
les Deux Grenadiers, e.=t très comique et extrêmement arausanl. Bref, le puljlic
a accueilli cette résurrection avec la plus grande faveur.
— On vient d'arrêter définitivement le programme du treizième festival
silésien, qui aura lieu à Gœrlitz en 1S97. Ce programme comprend Christus.
oratorio de Frédéric Kiel, le premier acte de Parsifal, le Triumph lied do
Brahms, et la symphonie eu ut mineur de Beethoven.
— On nous écrit de Saint-Pétersbourg: s Le 27 novembre (9 décembre) on
a donné à l'Opéra russe, pour le soixantième anniversaire de l'apparition de
la Vie pour le Tsar, la six cent soixianlième représentation du chef-d'œuvre de
Glinka. Six c.mt soixajite représentations, c'est un joli cliiffrc déjà pai- lui-
même, mais plus remarquable encore si l'on considère que le théàlrc où il
s'est produit ne joue que pendant sLx mois de l'année. Cela sullil à consacrer
la valeur de l'ouvrage qui obtient un tel résultat. Il était lort bien joué cette
fois par M. Sérébriakow (Soussanino). M. Yei-schow (Sabininc), M"'' Doliua
(Vania) et la toute belle M™° Mraviua (.Vuluuide), et l'effet a été excellent.
Un fait assurément rare est à signaler au sujet de cette représentation: c'est
la présence, dans la salle, de M. Youry Arnold, le doyen des musicographes
russes, aujourd'hui plus qu'octogénaire, qui avait assisté, il y a soixante ans,
non seulement à la première représeulalion. mais à toutes les répétitions de
la Vie pour le Tsar, et qui nous rappelait joyeusement les incidents qui avaient
marqué cette soirée mémorable. Nous allons avoir, dans la seconde quinzaine
de janvier, la présence du farueux ténor Van Dyck, qui viendra nous donner
quelques représentations de Tanuhàuscr, ie. Manon et de Werther. D'ici là nous
aurons eu peut-être la première représentation d'un nouveau ballet de M. Pelipa.
Barbe-Bleue, dont la musique est écrite par un jeune compositeur distingué,
M. Schenk. Notre saison de concerts est dans son plein. Hier, dans la salle
de l'Assemblée de la noblesse, nous eu avons eu un fort beau, dirigé par
M. Nikisch, de Leipzig, et consacré aux œuvres de Tschaïkowsky, qui com-
prenait la S° symphonie du maître, l'ouverture de Roméo et Juliette, les varia-
tions de la 3* suite et le premier concerto, fort bien exécuté par un jeune
artiste distingué, M. Sapellnikow. Leurs Majestés le tsar et l'impératrice,
ainsi que les grands-ducs et les grandes-duchesses ont assisté à la récente
. inauguration du nouveau Conservatoire. C'a été une véritable solennité. »
— Petites nouvelles de Russie. M. Ippolitow-Ivanow, professeur au Conser-
loire de Moscou, auleur de la cantate qui a élé exécutée à l'occasion des fêtes
du couronnement, vient de recevoir du tsar une gralilicaliuu de 500 roubles.
— On vient de construire à Toula un théâtre qui a coûté 100. 000 roubles: la
ville d'Etkatherinoslaw vient aussi de s'olîrir uue salle de spectacle somp-
tueuse, éclairée à la lumière électrique; enfin, à Kalisch, qui était privée de
représentations dramatitpies depuis l'incendie de son théâtre en 1854, ou
travaille en ce moment à la construction d'une salle nouvelle.
— La Société musicale deVarsovie vient de célébrer la vingt-cinquième année
de son existence. Elle compte actuellement 900 membres et les cotisations
montent à 75.000 roubles, soit 300.000 francs environ.
— La 0 soirée d'adieu >> de M"» Sybil Sanderson au Théâtre-Lyrique de
Milan a eu lieu avec Manon, qui a été pour elle l'occasion d'un nouveau
succès. « La saison, dit le Trovatore, ne pouvait se clore d'une façon plus
luillaute. Cette saison, commencée le 22 septembre, s'est poursuivie rcguliê-
rouieul, sans un accroc, et avec un crescendo de succès. Voici une statistique
des ouvrages représentés : le Maitre de cliapelle, [S ïina: Mignon, 12; te Son-
aambula. H; la Navarraise,^: CavalleriarusHcaria,9: Manon, S: la Vivandière, S:
Pldlémon et Baucis, 4; Phrijné, 4; le Donne curiose, 4; les Noces de Jeannette, 1 ».
— On lit dans le Trovatore : « On attend prochainement à Turin, venant
de Paris, une compagnie française d'opérette de tout premier ordre, qui
commencera au théâtre Carignan de cette ville son tour d'Italie. Qu'elle soit
la bienvenue, car peut-être de cette façon nos acteurs d'opérette apprendront
(|uelque chose et verront quel abîme les sépare de leurs camarades français ! »
— A l'occasion de la prochaine visite que le prince et la princesse de Naples
doivent faire à Naples, on exécutera au théâtre San Carlo, sur l'initiative du
syndic, une cantate scénique dont les vers seront dus au poète Gabrielo
d'Annunzio et la musique au maestro Pietro Platauia, directeur du Conser-
vatoire de San Pietro a Majella.
— A Florence le théâtre Allieri a célébré récemment, par uuegraude i-epré-
sentation do gala, le cent cinquantième anniversaire de son existence. A
l'époque de sa naissance, ce théâtre s'appelait théâtre Santa Maria.
— M. A. Colombani, avocat et rédacteur musical du Carrière délia Sera,
vient de remettre aux éditeurs Boeca, de Turin, le manuscrit d'un ouvrage
important, qui paraîtra prochainement sous ce titre : Le Nove Sinfonie di
Beethoven.
— Plusieurs feuilles artistirpies nouvelles viennent de voir le jour eu Italie.
A Rome c'est une Gazzella musicale e drammalica; à Milan, c'est un journal
théâtral qui s'appelle iV Falstalf melodratnmatico, ot un recueil très spécial intilub'
il Mandolinisto italiano. Ce dernier olVrira à ses abonnés des compositions ori-
ginales pour mandoline, ou des morceaux d'opéras transcLils poLir mandoline
et guitare, et c'est ainsi qu'il publiait, dans sou preuiii'i nunorn, le délicieux
duo : Lad darem lamano,àe DotiJuan.iene veux médire ni dp l'un ni de l'autre
instrument, mais La ci dareni la mano pour mandoline et guitare... Brrr!...
— La députation mai'chesane di sloria palria a chargé M. Mascagui de com-
poser pour les têtes du centenaire du grand poète Leopardi (né à Recanati,
dans la marche d'Ancone, eu 1798), im poème symphoniquo qui devra être
exécuté à Recanati le 29 juin 1898. M. Mascagni a promis, et dirigera lui-
même son œuvre, pour l'exécution de laquelle il aura le concours des prid'es-
seui's du Lycée musical Rossini de Pesaro, dont il est le directeur.
— Amore allegro est le titre d'un nouvel opéra-comique dont la première
représentation a été fort bien accueillie à Loreto. L'auteur de la musique est
le maestro Roberto Amadei.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
Cette semaine, les chefs du service des bâlimcnls civils ont l'ait, au nom
du ministre, remise à MM. Bertrand et Gailhard, directeurs de l'Opéra, des
nouveaux magasins de décors que l'Etat a l'ail construire près do la p(H'le
d'Asuières. C'est cet inuneuble qui remplace celui do la rue Richer, détruit il
y a quelques imnées : « A ce ]iropos. dit M, .lidcs llurel, du Fijaro, ilestintV'-
ressaut de rappeler ijue, contrairemcni à ri' i|iii n l'ié dit. Imil Ir nKi(i''rip| créé
par les directeurs de l'Opéra, et à 1ihii> Ir.ii-. ilrvicnl l;i iirnprii'ir' ili' l'fjlal à
la fin de leur exploitation. C'est ainsi qiir les \iiii;l-sopi ariiw iTnuisliloi's par
l'Opéra depuis l'incendie : Roméo et Juliette, la Favorite, Coppélia, Hanitet, Aida,
la Korrigane et Don Juan, ajoutés à ceux qui restent à rétablir, auront coiité à
MM. Bertrand ot Gailhard environ un million et demi ! Mais cette dépense a
été acceptée par les directeurs à de certaines conditions qu'il est curieux de
rappeler. Au moment de l'incendie de la rue Richer, les fermiers de l'Oi^éra
étaient tenus, d'après leur cahici- dis iliaiges, à donner aiiiiiK lloiiicnt vingt-
quatre représentations poiiulaiiv~ à prix réduits. Le niiiii>iiv nr pimvant
demander aux Chambres les cnMlii> riiii>idi'rables qu'aurait in'rossili's la i-rd'ec-
tion des décors, offrit aux directeurs — sur la proposition do la Commission
supériem-e des théâtres — de substituer à cette obUgatiou, très onéreuse pour
l'Opéra, celle de donner quatre représentations entièrement gratuites et de
reconstituer les décors brûlés, ce qui fut accp])té par MM. Bertrand et
Gailhard. »
— A l'Opéra, on machine tout le jour pour donner au Messidor de M. lini-
neau la mise en scène la plus réaliste qu'il soit ])onr plaire au ca-ur de
M. Emile Zola. Il y aura, parait-il, des moulins qui marchml |iiiiir de vi-ai
et par-dessus lesquels le compositeur pourra tout à son aisrjrlci' smi lioiinrl.
Il y aura des appareils d'usine rpii fonctionneront coninn' dans l.i vie n'cllr
des fabriques, avec des roues loiirnanlus el des |ioiilii's i;rHii;aiilrs, Kiiliii cp
sera là, tout au moins, le Irionipln' dr la niarluuiMii'. <)ii n'a ]ias iim' |iinir-
tant, dit-on. |iousser le fjoijl du réalisme jusqu'à exliihrr sur la scror de
l'Opi'ra lalilniiM' Idrurilrs Inivailli'ursetl'onaadopté ce compromis d'iialnller
les ouvriers du ilramc avi.'c la veste basque des Pyrénéens. Espérons i|ne la
veste, la lâcheuse veste, ne s'introduira que dans le costume dei biuos ilç.
masculin de l'Opéra.
I. en liii'uie temps que
nieiil ,1e M. Pluque.
VII |iln>ieiirsjiHirnaiix
— Changements dans le personnel chorégraphii
M. Adam vient d'être nommé second maître de li
M. Bussy devenait régisseur de la danse, en rempi
— Ce n'est pas sans quelque surprise que nous iiv
annoncer que la Damnation de Faust devait être e>
eerts de l'Opéra, et qu'elle l'tait comprise ilaii
concerts. On ne nous accusera pas iri. sans ilmiii'
queleiiuqno au merveilleux rlier-d'ienvre de lierlie
•I h
ni lins el ,|i
,1 penl
an Cln'
nliimn'
Iclel, 1
inius
Ilenilre
lez M.
le
',nli
pins ani|ile
do
ic
leuvre i|l,eeell,Mn aenlenilni
veau, quand- il lui plail, sinl
ou chez M. Lamoureux. Jusqi
considérer cette nouvelle connue euulnnivi'e.
— M"'\ an ZandI a pu reprendre hier le cours de ses belles représentations
de LaUmé à II ipina-Cinniqne, toujours avec le même vif succès ot les mêmes
grandes recette^. C'est en ceiuoment, entre Dore /ua» et Lakmé, une véritable
lutte aux écus. Imijunis dans les envinins de 9,000 l'rancs chaque soir, avec
avantage de qoelqUL's eeulaiiies ilnnili's, lanti'il d'un eùli'. lanlnt de l'autre.
Pour peu que cela dure encore quelque temps, les eullies-l'nrts du théâtre
ne seront plus sninsants pour recevoir cette mauue bienl'aisantc.
— M. Ernest Reyer est parti cette semaine pour prendre, comme d'habitude,
ses quartiers d'hiver dans le Midi. Il s'anéli ra d'abord à Marseille, pour s'attar-
der ensnile à loisir an lion siileil de la ('.nie il'.Vznr, eu linéique village ignoré
do la t'.oMiielie. Il ne sei'a dune |i;is là pinir assister au 2° concert de l'Opéra,
ijù l'on iliiil jiinei- nue leiure ,1e sa j, 'musse, IrSelaiii. sorte de poème sym-
phouiqne nriiniliil einiipiis,' sur ,1,'sMn's île TlnMi|iliile Gautier el qu'on n'apas
entendu depuis plus de quaranh' ans,
— C'est M. Jules Claretle qui avail été cluirgi' du ra|iporL sur le dernier
concours musical de la ville de Paris. Ce rapport nous apprend que vingt et un
concurrents avaient pris part à ce concours, et qu'à la suite d'un premier exa-
LE MENESTREL
407
l'aulour anonyme de la partition
ho à l'administration et qui n'csl,
Il uns Rossini. Conformément à l'ar-
■iilo par M. le préfet que M. Lam-
jit 10.000 francs. L'adminislration
mon, cinii inaaiiscrils sPiilonirnl avaienl i''ir' résrrvps, savoir: Sextus, parti-
tion d'un anonyme ; /owrs d'nmouj-, partition de M. Léo PongeL: la Belle au
Bois dormant, jiarlilirjn de M. Charles Silver: le Spalii. partition de M. Lucien
Lamhei't: et la Mort de Moïna. pnrlilinn d'un anonyme. Cette dernière
fut écartée, ])arce que le poème, sijiini ilu nom de M°"= Judith Gantier,
avait déjà été mis en musique sous Ir liiir ilps N'oces de Finyal. par M. Colo-
mer, ]irésenlé en 1889 au niurnurs [(ns^iiii ri .iviiil r;iil décerner le prix à ce
compositeur. Aussi, afin dVinlilir nin' jiiri~|iniili mi' .ili-ulin' dans le cas où
pareil incident se reproduu'ail. lai-lirle :! du pinj^iumuie a iMé ainsi moditie :
« Sont exclues du concours les œuvres dtVjà exécutées, celles présentant nu
caractère liturgique et celles qui, soit pour le livret, soit pour la musique, ne
seraient pas inédites, p Qunti'e partitions restaient donc en présence. Ce fut
fe Spa/u, ceuvre dranialiqui' de M. Lucien Lambert, qui fut couronné,
prime de trois mille francs l'ut diieerr
de Sextus. qui se lll ullérieuvemeiil !■■
autre que M. Colomer, déjà couninnii ,i
ticle 9 du programme, il a du resie é-
bert ne recevrait pas le montant du pi
en cumulera la valeur avec le reliquat disponible du crédit alloué, pour attri-
buer le total ainsi obtenu, jusqu'à concurrence d'un maximum de 30.000 francs,
au directeur de théâtre qui se chargera de faire représenter le Spahi dans les
conditions acceptées d'un commun accord par l'auteur et par la commission
de surveillance constituée à cet effet. Attendons-nous donc à voir exécuter, au
courant de cette saison ou de la saison suivante, la partition de M. Lucien
LaiTibert sur une de nos scènes parisiennes.
— C'est une très agréable leciure, et non sans utilité, que celle de la bro-
chure que M. Jules Cariez, direrleur de l'École nationale de musique
de Caen, vieiil de publier sons ce litre: la Société philharmonique du
Calvados, bisinriqu.'. ^nuveuirs (Caen, Delesques, in-S" do 6i pages). D'une
plume aimable el bieile. sans prétention mais non sans goût, l'auteur a
retracé l'histoire d'une compagnie à la fois artistique et mondaine ([ui. fondée
à Caen en 1827 el disparue en 1869, n'a pas été sans rendre do réels services,
puisque durant quarante années elle a provoqué et encouragé le goût des
études musicales dans la capitale de la basse Normandie et qu'on lui doit la
création de la première École de musique qui ait existé en cette ville, école
qu'elle siuileiiail gi'iii''reiisiMiiriil de ses propres ressources, et qui a certaine-
meiil .iniiMii' l:i Iniiilni imi ilr rrlle qui exisie aujourd'hui et que dirige si bien
l'auteur de lÏMTil que je signale en ces lignes. Cet écrit compte parmi les
publications modestes, mais très utiles, dont la province nous gratifie de
temps à antre et que l'on ne saurait trop encourager. A. P.
— M. Théodore Radonx, l'excellent directeur du Conservatoire de Liège,
vient <1,' puldier sous ce titre : la Musique et les écoles nationales, en une élé-
gante brochure, le remarquable discours prononcé récemment par lui à
Bruxelles dans la séance publique de l'Académie de Belgique. Notre corres-
pondant de Bruxelles nous a déjà dit, en rendant compte de cette séance,
tout le bien qu'il fallait penser des idées fort justes exprimées avec franchise
par M. Rndoiix dans une forme très élégante. Nous ne pouvons que répéter
ses éloges en félicilanl sincèrement l'auteur.
— On va représenter prochainement à Coblence un opéra inédit de Louis
Lacombe, le Tonnelier de Nuremberg, deux actes composés sur un livret de
M. Charles Nuitter. M""" Andrée Lacouilie, la veuve du regrellé compositeur,
est partie pour aller surveiller les études.
— De Bordeaux : Les concerts classiques de la société Saijite-Cécile ont
fait, une brillante réouverture. Le programme très indicatif de cette prem-
ière séance comprenait : la symphonie Pastorale de Beethoven, des .frag-
ments de la suite en si mineur de Bach, l'ouverture du Bot d'Ys de Lalo, la
Marche héroïque de Saint-Saêns et Antar, le curieux poème symphonique de
Rimsky-Korsakow. Le remarquable orchestre a obtenu son succès accou-
tumé, et M. Gabriel-Marie, qui le dirige, comme les années précédentes, avec
tant d'autorité, a été accueilli à son arrivée au pupitre, par une ovation
chaleureuse.
— Cours et Leçons. — M. Auguste M^rcadier a repris ses cours et leçons de solfège,
harmonie et accompagnement, 70, rue de Rivoli, — Réouverture des cours de musique
chez M"= Tribou, 33, avenue d'Antin. Piano: MM. Falcke, Niera; chant: M. Hetticb ;
solfège : M"° Robert; orgue : M. A. Guilmant; violon et accompagnement : M. Nadaud ;
mandoline et guitare : M. Talamo; diction: MM. de Féraudy et Laugier. — M. et
M"" Paul Hilîemaclier ont repris, 32, rue Wastiington, leur cours d'ensemble de mu-
sique vocale classique et moderne. — M"" Simonet, vient de reprendre ses cours de
piano, 35 rue de la Boétic.
Henrt Heugel, directeur-gérant.
En veille, AU MÉNESTREL, ï bis, rue Vivicuiic, UElGEl el C'*^, èdileurs-proprictaircs.
CONCERTS COLONNE
THÉÂTRE DU CIIATELET
DIMANCHE 20 DÉCEMBRE 1896
csÉss-A^rt 1^» i=t .A. p*a" G is.
Rédemption
Poème sjnnphdnie en 2 parties
D'EDOUARD BLAU
Partition piano et chant. Prix net : 10 francs.
Livret. Prix not : 0 fr. 50.
Pour la location de la grande partition, des parties d'orchestre et des chœurs,
s'adresser directement au Ménestrel.
Fragment symphonique
EXTRAIT
Partition d'orchestre, prix net : 10 fr. — Parties séparées d'orchestre, prix ael : 20 fr.
Chaque partie supplémentaire, prix net 1 fr. 50.
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AUDAN. Noël, à 2 voix, avec solo de baryton ou mezzo-soprano. . . .
A. BLANC et L. DAUPHIN. Petit Noël pour chœur d'enfants. . . . Net.
BOISSIER-DURAN. Le Saint Berceau, Noël pour ténor ou soprano avec
chœur ad libitum
l. BORDÊSE. Noël à 1, 2 ou 3 voix, en solos ou chœurs
E. BRYDAINE. Les Gaudes pour Noël à 1 voix, avec accompagn'^ d'orgue.
Gaston CARRAUD. Noël
l. DAUPHIN, Rose et blanc, petit Noël avec chœur, ad libitum
DESMOULINS. Trou Noëls :
1. Noël de Lope de Vega. - 2. Noël. - ,3. La Vierge à la crèche
A. GIGOUT. Chants du Graduel : Jésus redemptor, hymne pour le jour
de Noël, à 4 voix, avec accompagn' d'orgue ad libitum. Net.
ED. CRIEG. L'Arbre de Noël, chanson d'enfant
J,-B. WECRERLIN. Noëll Noëlt (l.^)
6 »
0 60
3 »
3 »
2 50
A. HOLMES. iVoa (i'Mande (1.2)
CHARLES LECOCQ. Le Noël des petils enfants, à 1, 2 ou 3 voix ad lib.:
l.Les Petits Rois Mages. 2. Les Petits Bergers. 3. La Bûche de
Noël. i. Prière
F. LISZT. La Nuit de Noël (d'après un ancien Noël), pour ténor solo et
chœur de femmes, avec accompagnement d'orgue. En parti-
tion et parties séparées
J. MASSENET. La Veillée du petit .Tésus {i .'2}
A. PÉRILHOU. La Vierge à la crèche
P. VIDAL. Chant de Noël, pour soprano solo avec chœurs
Chaque partie de chœur Net.
Le même, à une voix (1.2)
— Noël ou le Mijstère de la Nativité, i tableaux Net.
Ch.-M. WEBER. Noi'l pour mezzo-soprano -,
- J.-B. WECKERLIN. La Fête de Noël, avec acc^ de piano et orgue ad lib
S »
3 »
7 bO
0 30
5 >i
S »
2 50
2 50
NOËLS POUR ORGUE SEUL
ANCIENS NOËLS (2 Noëls de Saboly, 1 de LuUy et 1 Noël languedo-
cien anonyme) . . 3 7S
ANCIENS NOELS (3 Noêls de Saboly et 1 du roi René d'Anjou). ... 2 50
B. MINÉ. Op. 42 Reciuiil de Noéls (ZO numéros) 9 y -
F. LISZT.
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5 »
i 50
408
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étr-jiger, les trais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
l. Éiude sur Don Juan (3* article), Julien Tiersot. — II. Semaine Ihéitrale :
premières représentations d'Idylle tragique au Gymnase et du Truc de Svra-
phinsux Variétés, H.Moreko; premières représentations du Co/onc/ Itoquebrune,
à la Porte-Saint-Martin, des Vacances de Toto et de Paris pourle Tsar au théâtre
Déjazet ; reprise de Divorçons au Vaudeville, Paul-Émile Chevalier. — III. Jour-
nal d'un musicien (11* article), A. IMo.ntaux. — IV. Revue des grands concerts.
— V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
FLEUR DANS UN LIVRE
mélodie du comte de Fontenailles, poésie de M. L. Le Lasseur de RiNZAV.
— Suivra immédiatement : Chanson de Margyane, mélodie d'AîiBROiSE Tho-
mas, poésie de M""= Marie Barbier.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musicjue de
PIANO : la Passacaille écvite pour les représentations de Lorrensacczio par Paul
Pliget. — Suivra immédiatement : Eau dormante, impromptu pour piano de
.T. Massenet.
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No3 Abonnés recevront avec le numéro de ce jour la
TABLE DES MATIÈRES pour l'année 1896, en même
temps que la liste de nos PRIMES GRATUITES pour
l'année 1897 (63" année de publication).
ÉTUDE SUR DON JUAN
De MOZART
I
(Suite) ■
Avec Beethoven nous entendons une note différente, non
moins intéressante à connaîlre, car l'idéal élevé du grand
symphoniste en est mis en relief par un trait nouveau. Il
disait, au témoignage d'Ignace de Seyfried, que « le saint Ari,
ne devait jamais se dégrader jusqu'à la folie d'un aussi
scandaleux sujet! (1) ». Parole austère, d'une portée plus
morale que purement esthétique, mais qu'eu somme on ne
peut être étonné de voir formulée par celui dont la carrière
tient entre la symphonie héroïque et la neuvième, et qui,
ayant abordé une seule foi.s dans sa vie la composition
(1] Ii^NACE DE Seyi-ried, Bcd/ioDCTS Sludien, pag-i 22.
théâtrale, choisit un sujet, d'une sensiblerie assez banale
en soi, qu'il transfigura jusqu'à en faire tout un poème de
dévouement et d'héroïsme conjugal.
Aussi bien, la critique de Beethoven passe-t-elle par-dessus
la musique de Mozart et ne l'atteint pas.
Un autre, en effet, va répondre : ce n'est rien moins que
Richard Wagner. « La musique de Mozart, écrit-il, ennoblit
tous les caractères qu'on lui soumit esquissés selon les con-
ventions théâtrales... De la sorte, il eut le pouvoir d'élever les
caractères de son Don Juan à une telle richesse d'expression
qu'un Hoffmann put s'aviser de découvrir entre les person-
nages les plus profonds, les plus mystérieux rapports... »
L'auteur de Parsifal dit encore:
« Voyez son Bon Juan! Où la musique a-t-elle jamais atteint
à une plus infinie richesse d'individualité? Quand donc a-
t-elle jamais reçu le pouvoir de caractériser avec autant de
sûreté et de justesse, avec une aussi riche, une aussi débor-
dante plénitude? » (l)
En Italie, on n'a jamais beaucoup aimé ni compris Mozart.
Cependant, au grand moment des succès de la musique ita-
lienne, il était tellement bien convenu que Mozart et Rossini
étaient les deux seuls musiciens qui comptassent, qu'ils
constituaient à eux deux une sorte d'association qui était
l'art tout entier, leurs noms étaient si bien inséparables, ils
formaient si complètement « toute la lyre » qu'il fallut bien
que l'auteur du Barbier de Séville s'étudiât à parler comme il
convenait de son glorieux frère et prédécesseur. De là l'in-
finité de « mots )> qu'il répéta complaisamment à qui voulut
les entendre : « Quel est le premier des musiciens, lui
demandait-on ? — C'est Beethoven. — Et Mozart ? — Oh 1 celui-
là, c'est le seul. » Ou bien, si l'on s'informait quel était celui
de ses opéras qu'il aimait le mieux; il se recueillait un
moment, et prononçait : « Don Giovanni !_ » Et devant le
précieux coffret renfermant le manuscrit, il prenait un ton
pénétré, et disait: « Je vais m'agenouiller devant cette sainte
relique » ; et, feuilletant les pages, il continuait, pour la
galerie : « C'est le plus grand, c'est le maître de tous, c'est
le seul qui ait eu autant de science que de génie et autant
de génie que de science (2) ».
Toutes ces grandes paroles portent la marque d'une « in-
sincérité » qui n'a rien pour nous surprendre de la part de
i'arliste qui, ayant volontairement terminé sa carrière à
Irenle-sept ans, passa un nombre égal d'années sans autre
idéal que de faire des mots et se « payer la têle » de ses
contemporains.
(1) RiciiAuii Wagneii, Opéra et Drame, traduit par C.vmille Benoit (Musiciens, Poètes
et Philosophes), pages 111 et 119.
(2) .\rlicle de Lduis Viaiidot sur le manuscrit autographe de Don Giovanni, dans
l'Illustration, 18ôj.
410
LE MENESTREL
J'attache, en vérité, plus de prix à cette simple exclamation
échappée à un autre sceptique, Auber, qui, un soir, à l'Opéra,
pendant que don Juan se débattait sous l'étreinte de l'homme
de pierre, que les violons déroulaient leurs gammes gémis-
santes et que les trombones faisaient rage, ne put se retenir
de se pencher vers son voisin de loge en murmurant: « Il y
a du revenant dans cette musique (1)! » Simple phrase qui
en disait long sur la surprise qu'il éprouvait de se sentir
ému, ce qui était rare.
Écoutons maintenant une voix discordante : calle de Ber-
lioz. Bien que ce grand maître ait écrit sur certaines pages
de Mozart des remarques aussi admiratives que sagaces, il
est évident qu'il ne l'aimait point. Fils des temps roman-
tiques, il emboîtait le pas aux poètes chevelus qui s'en
allaient criant: « Ce polisson de Racine »; et l'on peut dire
que Racine est le Mozart de la poésie française. Il revint plus
tard à de meilleurs sentiments : il a fait là dessus, dans ses
Mémoires, sa confession franche et sincère. Il y parle «du
calme avec lequel il admirait Mozart » et de sa « tiédeur pour
l'auteur de Don Juan », alléguant pour son excuse son aver-
sion pour la musique italienne en général. Or, continue-t-il,
« ses deux opéras le plus souvent représentés à Paris étaient
Don Juan et Figaro; mais ils y étaient chantés en langue
italienne, par des Italiens et au Théâtre-Italien; et cela
suffisait pour que je ne pusse me défendre d'un certain éloi-
gnement pour ces chefs-d'œuvre... En outre, et ceci est plus
raisonnable, j'avais été choqué d'un passage du rôle de donna
Anna, dans lequel Mozart a eu le malheur d'écrire une
déplorable vocalise qui fait tache dans sa lumineuse parti-
tion... Il m'était difficile de pardonner à Mozart une telle
énormité. Aujourd'hui, je sens que je donnerais une partie
de mon sang pour effacer cette honteuse page... » Voilà
encore de bien grands mots. Nous verrons plus tard s'il
n'est pas possible d'invoquer au moins des circonstances
atténuantes contre un aussi violent réquisitoire. Observons
d'ailleurs qu'en intitulant ce chapitre : Préjugé contre les opéras
écrits sur un texte italien, Berlioz fait implicitement l'aveu qu'il
est revenu à de meilleurs sentiments, ce qu'il renouvelle
dans sa conclusion :
« L'œuvre dramatique de ce grand compositeur m'avait,
on le voit, été mal présentée dans son ensemble, et c'est plu-
sieurs années seulement après que, grâce à des circonstances
moins défavorables, je pus en goûter le charme et la suave
perfection (2) »
Avec Charles Gounod, c'est tout le contraire, car nous tom-
bons dans une admiration à jet continu. On sait que l'auteur
de Faust, qui s'est fait peindre tenant dévotement entre ses
bras la partition de Don Giovanni, a fait plus encore pour le
chef-d'œuvre de Mozart, car il lui a consacré tout un livre (3).
Les formules de l'enthousiasme le plus intense se pressent
et se multiplient dans cet ouvrage, au style duquel nous
ne reprocherons que l'abus vraiment immodéré de l'adjectif
exclamatif : « quel », employé vraiment un nombre incalcu-
lable de fois au cours de ces deux cents pages : « Quelle
grâce 1 quelle puissance I quelle jeunesse I quelle fougue !
quelle passion I quel homme I quel géniel... » Parfois on
remarque de ces aperçus hardis dont l'auteur émaillait volon-
tiers sa conversation, et, bien plus encore, ses écrits; c'est
ainsi qu'il nous parle de cinq mesures de violon qui lui font
voir distiuctement « avec quelle précaution cette petite Zer-
line marche sur la pointe des pieds » (p. 91); ou bien encore,
il décrit un épisode du duo de Leporello et don Juan devant
la statue : « Mesures 32, 33, Leporello se met en garde contre
le tour que pourraient lui jouer ses entrailles; il appelle à
son secours les premiers et seconds violons, qui se rap-
prochent prudemment. Mais voici que, mesures 34, 35, le
danger s'annonce déjà dans les flûtes et dans les bassons... »
(1) Blaze de Biiry, Musiàens contemporains, p. 161.
(2j Mémoires d'Hector Berlioz, p. 63-64 de la 1" édition.
(3j Charles Gounod, le Don Juan de Mozart.
(p. l-^lT-loS.) N'insistons pas sur ces horribles détails... A côté
de cela, plusieurs pages donnent, d'une façon aussi exacte et
aussi vivante que la parole en est capable, l'idée de la
musique de Mozart, par exemple dans cette description de
l'air du catalogue :
« A la seizième mesure apparaissent les cors dont la fan-
fare, mêlée au rire des flûtes et des bassons, souligne, avec
une sorte de vantardise de tréteau, cette énumération de iiUes
et de femmes séduites, pendant que la gamme descendante
des premiers violons en staccato se produit à chaque série des
prouesses de cet infatigable coureur : six cent quarante
par-ci, deux cent trente par-là, cent en France, quatre-vingt-
onze en Turquie; mais en Espague ! Oh I en Espagne, mille
et trois ! Et dans l'orchestre, c'est tout de suite un étalage de
gloriole, et une accumulation de nuances dans ce fabuleux
total... Et quel petit aboiement moqueur des instruments
à vent, pendant cette inépuisable revue ! quelle addition
goguenarde de toutes ces bonnes fortunes de palais ou de
carrefours! quelle face enluminée de joie triviale dans ce
serviteur bavard, et pourtant quelle distinction musicale
dans la peinture de celte trivialité !... (p. 37-38.) »
Dans un sentiment opposé, voici comment est commencée
la musique qui accompagne l'entrée de la statue, et qui
d'abord forme l'introduction de l'ouverture :
<c Tout y respire et inspire la terreur: le rythme monotone
et inexorable des instruments à cordes, le timbre sépulcral
des instruments à vent dont les intervalles d'octave, de
mesure en mesure, semblent les pas d'un géant de pierre,
ministre de la Mort;... ces gammes, ces effroyables gammes
montantes et descendantes qui s'ouvrent comme les flots de
la mer dans une tempête,... tout, dans cette page prodigieuse,
est de la plus haute inspiration tragique : l'effroi ne va pas
plus loin. » (P. 3 à S.)
Le livre de Gounod nous a valu lui-même une autre étude
qui, pour être moins développée n'en est pas moins intéres-
sante : celle-ci a pour auteur M. Camille Saint-Saëns (1).
Nous n'en détacherons qu'un souvenir, mais qui a son prix.
Agé de rnoins de six ans, le futur auteur de Samson et
Dalila reçut en présent, du père d'une belle cantatrice à
laquelle il avait dédié une romance — sa première œuvre!
— la partition d'orchestre de Don Juan, avec texte français
et italien, en deux beaux volumes rouges. « Quand j'y songe,
écrit-il, un tel présent à un enfant de cinq ans me semble
une chose singulièrement hardie, dont tout le monde ne
serait point capable. Jamais idée, cependant, ne fut plus heu-
reuse. Chaque jour, dans mon Don Juan, et sans y penser,
avec cette prodigieuse facilité d'assimilation qui est la faculté
maîtresse de l'enfance, je me nourrissais de la substance mu-
sicale, je me rompais à la lecture de la partition, j'apprenais
à connaître les voix et les instruments. »
C'est ainsi que, depuis le jour où l'œuvre du divin Mozart
a fait son apparition radieuse, les plus grands esprits l'ont
saluée de leurs hommages toujours fidèles. A côté d'eux, des
écrivains de moiodre importance l'ont commentée avec le
même respect et la même admiration, — car cet Homère n'a
pas trouvé de Zoïle. Sans parler de ceux qui, ayant écrit la
biographie de Mozart, ont été forcément amenés à insister sur
Don Juan, cette œuvre a donné lieu à plusieurs études qui
ont plus ou moins contribué à éclairer le public sur ses
beautés; parmi celles qui ont obtenu le plus de succès à
leurs époques respectives, il faut citer un long article de
Scudo, reproduit dans un de ses livres de critique musicale,
et qui a fait quelque temps autorité ; le demi-volume que
Castil-Blaze a consacré à Don Juan dans son livre si bizarre-
ment intitulé Molière musicien, ainsi que quelques anecdotes
amusantes dans son Opéra italien de loiS à 1856; enfin les
pages débordantes d'enthousiasme du Russe Oulibicheff, dont
Berlioz a dit plaisamment qu' « il a conservé toute sa vie un
doute cruel : il n'était pas bien sûr que Mozart fût le bon Dieu... »
(1) Camille Sai.nt-Saens, Charles Gounod el le Don Juan de Mozart.
LE MENESTREL
-Hl
Et, celte année même, tes écrits sur le chef-d'œuvre de
Mozart ont plus que jamais abondé. Les musiciens habitués à
tenir la plume du critique, les Reyer, les Saint-Saëns, les
Bruneau, etc., ont, plus que jamais, protesté de leur vénéra-
tion ; les chroniqueurs ont fouillé les gazettes et évoqué de
vieux souvenirs ; l'un des interprètes du rôle principal a étudie
en une brochure comment il convient de le comprendre ; le
directeur qui a eu le premier l'idée de représenter l'œuvre
avec fidélité (on appelle cela de nos jours « reconstituer » ) a,
lui aussi, développé son système ; on a comparé les éditions,
contemplé avec tout le respect nécessaire le coffret qui ren-
ferme le précieux manuscrit : on a essayé des instruments
nouveaux, c'est-à-dire très anciens, et disserté sur la manière
de les employer; bref. Don Juan a donné lieu à toute une
éclosion de littérature à l'abondance de laquelle on ne peut
comparer que celle qu'a produite l'étude des chefs-d'œuvre
de Wagner.
Nous serat-il possible de trouver encore quelque chose à
dire sur un sujet si rebattu? Essayons: n'est-ce pas un pri-
vilège des œuvres du génie d'être une source toujours fraîche
de nouvelles observations?
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
GvMNASE : Idylle tragique, pièce en quatre actes et six tableaux, d'après le
roman de M. Paul Bourget, par MM. Pierre Decourcelle et Armand
d'Artois. — Variétés : Le Truc de Séraphin, vaudeville en trois actes de
MM. Maurice Desv.illières et Antony Mars.
C'est toujours une bien délicate besogne que de vouloir tirer un
drame pour le Ihéàtre, d'un roman de psychologie, comme ceux
qu'écrit d'habitude M. Paul Bourget. On en laisse la fleur de senti-
ment au couraot du chemin, accrochée à toutes les ronces de l'action
qui doit dominer nécessairement à la scène. Ainsi du papillon aux
couleurs brillantes, qui laisse sa poussière de rêve aux mains impru-
dentes qui prétendent le fixer.
Quand on n'entre pas dans le cœur même d'une héroïne telle qu'Ely
de Garlsberg, d'une féminité si complexe, on risque de ne plus
comprendre les mobiles subtils qui la font agir; quand on n'analyse
pas par le menu les sensations intimes d'un Hautefeuille ou d'un
Olivier du Prat, ils peuvent se présenter à nous sous des apparences
peut-être vulgaires et banales. Voilà le danger.
Mais, pour ceux qui sont bien pénétrés déjà du roman de M. Paul
Bourget, il peut y avoir quand même de l'agrément à retrouver vivants
les personnages du livre, et rien n'empêche qu'on leur prête par
l'imagination tout le prestige qu'ils pouvaient avoir dans leur primi-
tive conception. C'est cela qui assurera sans doute le succès de
l'adaptation de MM. Pierre Decourcelle et Armand d'Artois, hommes
de théâtre expérimentés et qui Font bien fait voir.
De l'interprétation on doit tirer hors de pair M. Lérand, qui donne
au personnage de « l'archiduc rouge » une physionomie curieuse
et très fouillée. M""" Hading a toujours ce charme troublant qui en
fait une des artistes les plus intéressantes de Paris. M"<^ Yahne conti-
nue à chanter un peu le même air qui lui est familier, mais elle le
chante si gentiment qu'on n'en est pas encore lassé. La belle
M"« Sorel se met à avoir du talent. Il ne manquait plus que celai
M. Candé n'est pas à son avantage dans le rôle d'Olivier du Prat ;
mais M. Grand montre quelque valeur dans celui de Hautefeuille.
■Cela fait la juste balance, qui penche même en faveur du théâtre si
l'on ajoute dans l'un des plateaux l'appréciable ingénuité de
-M"' Leconti.
Aux Variétés, de la gaité, encore de la gaité, toujours de la gaîté.
Oli s'arrêteront dans cette voie de folie les amusants auteurs Maurice
Desvallières et Antony Mars î
Oh ! qtii pourra jamais vous raconter l'odyssée de Leperchois, que
sa tardive pétulance jette dans des aventures si extravagantes I Oh 1
cette belle-mère, ce modèle des belles-mères, qui feint d'être devenue
muette pendant des mois pour être supportée plus facilement par
son gendre, l'éminent statuaire Lacreusette, et qui finit par éclater,
n'en pouvant plus, en des torrents d'injures, quand elle soupçonne la
fidélité de ce même Lacreusette envers sa fille! Oh I ce Piganiol,
l'homme du Midi 1 Oh ! cette famille de gêneurs, les Capuron ! Oh ! ce
Baron avec son violoncelle !
Il est bien difficile de rester insensible à de pareilles exubérances
de joie, et c'est au milieu de rires inextinguibles que le rideau
retombe après chaque acte.
Toute la troupe donne à la fois dans la nouvelle pièce : et l'éton-
nant Baron et le curieux Brasseur, et Milher, et Guy, et Mathilde,
et la jolie M"° Demarsy, qui porte des toilettes à faire tourner toutes
vos têtes, oui, mesdames. Allez donc douter du succès après cela.
H. MORENO.
Porte-Saint-Mariin. Le Colonel Roquebrune, drame en 5 actes et 6 tableaux, de
M. Georges Ohact, — Vaudeville. Divorçons, comédie en 3 actes, de
M. V. Sardou et de E. de Najac. — Déjazet. Les Vacances de Toto, comédie
boufi'e en 3 actes, de MM. Marc Sonal et Laurey ; Paris pour le Tsar, revue
de MM. J. Oudot et de Gorsse.
Rentrée de M. Georges Ohnet au théâtre, et rentrée curieusement
attenlue, puisque, cette fois, l'auteur de Serge Panine, de la Comtesse
Sarah, de la Grande Marniére et du légendaire Maître de forges, réap-
paraissait avec un drame absolument inédit, ne devant rien aux
romans précédemment publiés par l'auteur.
Ce colonel de Roquebrune, inventé de toutes pièces, fut, parait-il,
le grand bras droit de Napoléon I" ; c'est lui qui, en 181-5, ayant
quitté l'île d'Elbe, vint préparer la rentrée en France et à Paris de
son empereur. Vous pensez bien que mission aussi délicate, à une
époque oîi les royalistes sont inquiets et traquent de toutes parts les
paitisans du régime précédent, ne va pas sans encombre. D'autant
que le colonel aime M"'^' Émilienne de Réval et que son amour
déçu l'amène a dévoiler un incognito qui seul pouvait lui conserver
la vie sauve. Duel, embûches, arrestation, condamnation à mort, dou-
leur presque mortelle de se savoir trompé et livré par celle qu'il
adore, Roquebrune subit tout, triomphe de tout et oublie tout à l'en-
trée de son héros dans la capitale.
M. Coquelin, qui s'adonne décidément aux rôles à panache tenant
plus du mélodrame que de la comédie, M. Coquelin est Roquebrune
lui-même, ou mieux si Roquebrune avait existé il n'aurait pu être
autre, tendre et brave, entraînant dans_ sa gaîté ou dans sa tristesse
ceux qui l'écoutent.
Le Colonel Roquebrune, en plus du maître de la maison, a trouvé
d'excellents interprètes surtout en la personne de MM. Saint-Germain,
Desjardins, Jean Coquelin, Volny et Gravier qui aideront au succès
du drame nouveau.
Le Vaudeville a pris au répertoire du Palais-Royal Divorçons, la
très fine comédie de MM. Sardou et de Najac, sur laquelle les années
ont passé légères, ne lui enlevant rien ni de son esprit, ni de son
amusante observation, ni de sa gaîté de bonne compagnie. Les créa-
teurs ftirent M'"" Chaumont, M. Raimond et Daubray, disparu celui-là
et n'ayant point encore trouvé son vrai remplaçant; les interprètes
actuels se nomment M"'= Réjane, MM. Noblet et Huguenet. M. Sardou
serait donc mal venu en se plaignant de ce qu'aujourd'hui lui donne,
et s'il doit, de toute justice, un souvenir reconnaissant aux premiers,
cela ne saurait l'empêcher d'applaudir des deux mains au talent des
seconds. Et, comme lui, nous ferons. A côté des trois personnages
principaux, dans des rôles épisodiques de très minime importance,
il faut cependant signaler MM. Galipaux, Lagrange, Torin, M"°* S.
Avril et G. Garon.
A Déjazet deux premières représentations. Un vaudeville de
MM. Marc Sonal et Pierre Laurey qui ne se recommande ni par la
nouveauté de l'idée, ni par l'originalité de la forme; mais comme il y
perce quelque bonne humeur et sufiSsammeut de laissez-aller, on ne
voit pas pourquoi il ne réussirait pas tout autant que nombre d'autres
qui apparurent pires. Ce Toto, dont les vacances défraient ces trois
actes, est un avoué qui se paie une petite fugue extra-conjugale, et,
bien entendu, est relancé par sa femme; les développements sont
connus et les fantoches qui servent de comparses, demi-mondaines,
hospodar hongrois, capitaine du Far-West, le sont également. Le
public de ce théâtre lointain y trouvera peut-être son compte. Les
Vacances de Toto sont jouées, tant bien que mal, par MM. Hurteaux,
Leitner jeune, Blanchet, Isidore, M""^* Virginie Roland, Lacombe et
Delcy.
La seconde des deux nouveautés est une petite revue en deux
actes, de MM. Jules Oudot et H. de Gorsse, deux jeunes habitués au
succès en ce genre spécial, deux tourneurs de couplets comme il y
en a peu, deux braves qui savent dire, sans subterfuge, leur fait aux
faux puissants du jour. On a ri beaucoup et souvent, on a bissé énor-
mément, notamment la parodie du populaire terzetto des cambrioleurs
du Papa de Francine, et on a applaudi, comme il convenait, à la grâce
de M"= Diéterle, prêtée par les Variétés. M"° Lacombe, plus haut
412
LE MENESTREL
nommée, MM. Kerny, Jorge, Raoul se font distinguer parmi les
nombreux interprètes de Paris pour le Tsar.
Paul-Émile Chevalier.
P.-S. — A l'occasioa des fêtes de la Noël, l'Ambigu a, donné, en matinées,
une série de représentations de l'Enfant Jésus, do M. Charles Grandmougin.
Les vers du poète ont ému et charmé, à leur habitude, comme aussi la
tendre musii|ue de M. Francis Thomé, qui dirigeait lui-même l'exécution.
M. Duquesne et M"'= Mellot se sont surtout fait rpmai't]uer. P.-É. C.
JOURNAL D'UN MUSICIEN
FRAOMENTS
(Suile.)
Au sujet des divers accords de septièmes, voici encore une obser-
vation qui, sauf erreur, me parait avoir échappé jusqu'à ce jour aux
théoriciens :
C'est que chacun de ces accords prend place exactement sur
un des degrés de l'accord de septième dominante.
Base
Il y a dans ce fait la trace de relations latentes, pourtant tiès
directes, entre l'accord de septième dominante et les divers accords
de septièmes, relations dont un jour quelque Ihéurieieu saisira clai-
rement et établira d'une façon détinitive la loi logique.
On peut aisément se rendre compte, par leur résolution, de cette
filiation des accords de septièmes avec l'accord d'où ils viennent et
auquel ils retournent : .
Ce sont des branches qui sortent du même tronc.
Quand on réfléchit à cet ensemble de faits, la genèse des accords
de septième s'explique aisément.
Toutes les fois que les musiciens ont été en possession d'un
accord nouveau leur fournissant un moyen d'expression et d'efTet
inconnu jusque-là, ils ont été incités à aller au delà. Par une ten-
dance qu'on retrouve chez tous les artistes dans l'histoire de tous
les arts, ils se sont efforcés d'élargir encore leur domaine en variant
le procédé nouveau, en le raffinant, et c'est ainsi que les musiciens ont
varié l'accord nouveau, tantôt par des altérations, tantôt en essayant
ces modifications de notes que Fétis a entrevues avec une rare pers-
picacité et qu'il a désignées, pour expliquer la genèse de l'accord de
neuvième, par le vocable significatif de substitution.
C'est ainsi que les musiciens ont donné une physionomie nouvelle
à l'accord parfait en haussant la quinte supérieure, ce qui a formé un
accord augmenté :
La première agrégation de trois tierces superposées a dû être l'ac-
cord do septième dominante, base de la musique moderne, aux expres-
sives dissonances, dont on a cherché de plus en plus à accentuer
l'accent passionné.
Cest sans doute l'accord de septième dominante nue les musiciens,
sous l'empire de cette préoccupation, ont varié d'abord en abaissant
la tierce majeure
puis modifiant cette mo-
dification même, et épuisant tous les moyens que pouvait régulière-
ment fournir la technique de leur art, en abaissant à son tour la
quinte;
et ces deux combinaisons ont
fourni les accords que Reicha et Reber appellent septième de dcii.riéme
et de troisième espèce.
Quant à l'accord de septième de quatrième espèce, il est venu sans
doute plus tard, et a dû son origine au second renversement de ce
mêm3 accord de deuxième espèce.
été occasionnellement substituée a la sixte,
la septième ayant
comme ia
neuvième majeure, puis mineure, avait été occasionnellement
substituée à i'oelave dans l'ac- „
-eS- S^
cord de septième dominante
fournissant ainsi ces accords de neuvième majeure et mineure, dont les
compositeurs contemporains, surtout Richard Wagner, ont tiré un
si heureux parti. La découverte de cette disposition de sons
a dû être encouragée et justifiée par les marches de
septièmes introduites peu à peu dans l'harmonie, et dont le mouve-
ment symétrique faisait plus aisément accepter à l'oreille l'accord de
septième de quatrième espèce.
(A suivre.) A. Mom.wx.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
lU.
Concerts Colonne. — L'ouverture de Benvenuto Cetlini venait do joter
véhéhcmentes 'périodes aux applaudissements de l'audilnii-e, l'i la r
M. Leroux pour tes Perses d'Eschyle se déroulait peu j |iru. D'une l'ailm'i'
sage et pondérée d'abord, elle obtenait tous les sull'iages lius(|u'uiie nuurlie
funèbre, échelonnant ses sonorités lugubres, a paru aux uns renouveler l'iior-
reur tragique du poète grec tandis que les autres blâmaient l'exagération du
coloris dans c ■ morceau à tapage qui, après en avoir l'ait ]ieaucou]i dans l'or-
chostre, en a produit, dans la salle, un vrainioni formidable. Après des aiiplau-
dissemcnts très nourris, et mérités à mon avis, des ciuips de silllel partoni
d'en haut, suivis d'un tumultueux vacarme. C'est un elians ili- cris, ili' huées
et d'invectives d'où émerge enfin, lumière au milieu des irmlurs, l'auapesle
classi([ue dos Lampions. M. Colonne caresse un instant lillnsinii de ralnier
les es]u'ils aux accords du concerto de Saint-Saëns, mais, moins lieiu'eux
iju'Uipliée, il n'a pas affaire à des lions et à des panthères, et M-. Di(''mer,
indigné, s'assied sous les yeux du public, lui tournant 1 ■ dos très confcu-table-
meut. Mais il faut eu finir. Le chef d'orchestre étend le bras avec une on-
doyante souplesse, comme s'il voulait apaiser (piaranto violons frémissants:
(|ue
el qui .
lé .
L'i
son quos ego a des notes d'iii
l'on réclame iiarce qu'une pei
.... priée de sortir (clameurs, di'iji'galinns).... a iMé expulsT'e. u (N(uiveaux
cris: expulsée violemment, bousculée, nuillraiir'e). L'uruj^e gnuide plus que
jamais. L'orateur a un mot d'une ironie vraiment suave : « .T'ai ilù employer
un euphémisme pour dire de quelle manière celle persnnne a quitté la salle,
parce que nous sommes ici très proches voisins de la Prél'eclure de police... »
Et l'attitude et le geste soulignent cette savoureuse boutade, qui met tout le
monde en joie. On applaudit, M. Diémer se retourne sous ce rayon de soleil
et commence le concerto n" 3 de Saint-Saëns, qu'il joue en merveilleux
pianiste ; il captive, dans une œuvre un peu fluette qui a besoin d'être sou-
tenue par le virliuise. gràre au perlé, à l'égalité de son mécanisme, et réalise
d'un bout à l'aulre l'inlerprélalinn idéale, adéquate à la musique. Une taqui-
nerie bien dans le goi'it de Saint-Saëns, c'est d'avoir écrit un glissando que
la main gauche précède en éclaireur. La forme de ce concerto est plus libre,
mais pas essentiellement différente de celle des quatre premiers de l'auteur,
mais la mélodie semble iid un peu moins consistante. — Rédemption, de César
Franck, a obtenu un beau succès. M"" Blanc dans le rôle do l'archange et
M"" du Minil, dans celui du récitant, ont été applaudies. L'ouvrage, d'allure
austère et d'une orchestration agrémentée d'une foule de jolis efl'cls, présente
des parties d'un charme mystique indéniable. Amédée Boutarel.
— Concerts Liimouroux. — La symphonie eu ré majeur de Brahms n'est pas
une de ses meilleures œuvres. C'est néanmoins une œuvre estimable, cons-
ciencieuse, et que l'on écoute avec le plus grand intérêt. Elle a été très conve-
nablement exécutée. La Procession de César Franck a été entendue plusieurs
fois dans les grands concerts. M. Engel a chanté avec un goût parfait et une
méthode excellente cette œuvré mystique du plus mystique des compositeurs.
Passons rapidement sur le deuxième tableau de la Cloche, de M. d'indy. Ce
tableau est inlitulé l'Amour. La scène .se passe dans une forêt. 'Wilbelm et
Léiinore s'y promènent lentement: « le grand calme de la nature au coucher
du siilcil les penèhe peu à peu... ils s'arrêtent et...» Cette fois, pas de basson,
ou du moins 1res peu. LaCloclie reslo encore ce que M. d'indy a t'ait de mieux
jusqu'à ce jour. Le prélude do Parsifal et l'iiuverture du Vaisseau fantôme ne
LE MÉNESTREL
413
sont des uimveaiilés poui' persouiio. Boelliovcu, lui, est toujours nouveau, et
c'était une véritalile joie que d'entendre son concerto en iti mineur pour piano,
interprété par une jeune artiste russe, M"« Alexandra de Markoff, qui est
pleine de talent. Elle était fort émue en affronlant le publii- wauiinTii'ii du
Cirque. Son succès a été fort grand. Son jeu est gracieux couinir -;i iirr^uinic:
elle a une délicatesse de doigté inlinie: peut-élre man(|uc-t-elic .l';nii|il(Mu- en
certains passages, mais elle rachète cette légère imperfection par tant de réelles
qualités qu'on ne peut qu'applaudir à son beau succès. îl. Barbedette.
— Programme des concerts d'aujourd'hui dimanche: -
Conservatoire : Relàohe.
Châtelet, concert Colonne : Ouverture de TannhUuser (Wagner) • /es Perses (Leroux) ;
Suite pasloriile (Chabrier); Rédemplion (César Franck); l'Archange, M"" Éléonore Blanc;
le Récitant, M"" Renée du llinil.
Cirque des Champs-Elysées, concert Lamoureux: Ouverture de Frithiof (Théodore
Dubois) ; Symphonie extraite de la Nuit de Noël, oratorio (J.-S. Bach) ; Fantaisie dialoguée
pour orgue et orchestre (L. Boellmann): l'orgue tenu par l'auteur; Air de la Fêle d'A-
lexandre, 1736 (Hœndcl), chanté par II. Constantin Mcolaou; les Djinns, poème sympho-
nique pour piano et orchestre, d'après Victor Hugo (C.Franck) :1e piano tenu par . M""" Henri
Jossic; les^Iurmuresde la forêt, deSiegfiied (Wagner); Deiixdnnses hongroises [Bvahm?).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (23 décembre) : La vérité cruelle
m'oblige à dire que le public de la Monnaie n'a pas fait à Javolle, le nouveau
ballet de M. Sainl-Sacns, un accueil plus chaleureux que celui qu'il avait fait
àPhryné... Bien au contraire! Pour celte dernière œuvre, l'interprétation
pouvait être rendue en partie responsable du peu d'enthousiasme; ce n'est pas
le cas pour /sDOite, que les interprélesde la danse et de l'orchestre ont défendue
du mieux qu'ils ont pu. Le public a donc paru désaijpoiuté, une fois de plus.
Peut-être se faisait-il illusion en attendant autre chose que ce que le compo-
siteur avait eu l'intention de lui donner, c'est-à-dire un agréable « divertisse-
ment K sans prétention, un gentil papotage musical, finement orchestré, avec
des dessins mélodiques ingt'uioux, revêtus d'une forme chatoyante. Plus
encore que Phryné, M. Saint-Saëns a composé, on le sait, cette œuvre légère
comme un délassement à de plus graves travaux. Ce ballet, en efl'et, n'était
pas destiné à une grande scène, mais aux Folies-Marigny, dont M. Groze, le
libreltisle, était aulrcfois secrétaire général. Javolte alors devait s'appeler
AUboron. En changeant de destinée, elle a changé de nom — et un peu aussi,
j'imagine, de caractère; mais elle a gardé sou allure champêtre, son cachet de
paysannerie qui ne cherche pas à se hausser au ton d'une partition importante,
riche d'invention, d'idées originales et d'intérêt dramatique. La division de
Javolte en trois tableaux, qui sont en réalité trois actes, a peut-être aussi
accentué le maleulendu et fait croire qu'il fallait attacher de l'importance à un
simple jeu, — aimable badinerie d'un grand esprit qui aime à rire et ne sait
vraiment dire avec grâce que des choses sérieuses.
Hier, la Monnaie nous a donné une très heureuse reprise de Mignon, avec
M"' Gianoli, qui a joué et chanté le rôle de l'héroïne avec nue intelligence,
un sentiment dramaliquc et un charme peu ordinaires. Voilà une jeune artiste
qui pourrait bien faire parler d'elle quelque jour.
Au Conservatoire, l'exécution 3S la Passion de J.-S. Bach, dimanche der-
nier, a tenu toutes ses promesses ; c'a été une solennité imposante et un très
grand succès. Il fallait ropiniàtreté et la science de M. Gevaert, le dévoue-
ment de son admirable orchestre, de ses chœurs excellents et de ses brillants
solistes pour mener à bien une pareille entreprise. Deux grands mois d'études
continuelles n'ont pas été de trop pour mettre sur pied celle œuvre colos-
sale, qu'on n'avait jamais entendue en Belgique et qui a pris toute ime jour-
née, l'audition étant partagée en deux séances, une le matin, l'autre l'après-
midi. L'impression produite par la géniale interprélation du texte de saint
Mathieu par le grand musicien — que l'on peut considérer sans conteste comme
le maitre de toute l'école moderne, car on y retrouve jusqu'à la substance
même de "Wagner — a été profonde ; et les pages capitales de la partition
ont élevé l'âme des auditeurs jusqu'aux sommets de l'admiration et de lémn-
tion. Ce n'est pas le moment d'en analyser les beautés et d'en découvrir les
sublimités. Bornons-nous à glorifier les remarquables résultats obtenus par
M. Gevaert, la solide et puissante homogénéité de ses chœurs et de son
orchestre, le style et l'enthousiasme mêlé de vénération dont il a su animer
cette exécution prestigieuse, peut-être un peu lente çà et là, mais si vigou-
reuse et si noble! Les soli étaient chantés par MM. Seguin, Warmbroodt,
Disy, Dufranne et plusieurs des meilleures cantatrices lauréates du Conser-
vatoire.
Avant de terminer, je ne veux pas oublier de noter le nouveau triomphe
remporté à Anvers, au Théâtre lyrique flamand, par M. Jan Blockx, à l'occa-
sion de la vingtième représentation de son beau drame lyrique Princesse d'au-
berge (Herbergprinses). Le compositeur, qui dirigeait lui-même l'orchestre, a été
l'objet d'ovations enthousiastes, fleuries de palmes et de discours, devant une
salle superbe composée de toutes les notabilités officielles et artistiques
d'Anvers. Beaucoup d'étrangers à la ville assistaient également à la représen-
tation, parmi lesquels un des directeurs de la Monnaie, M. Stoumon, qui ne
s'est pas montré le moins enthousiaste : voilà qui est de bon augure pour
l'apparition de ta Princesse d'auberge à la Monnaie, l'année prochaine. Le
prince Albert de Belgique devait y assister aussi ; mais, ayant été empêché,
il a promis de venir expressément pour l'une des représentations prochaines.
L. S.
— Les Italiens se lamentent avec raison du petit nombre de théâtres lyri-
ques qui seront ouverts cette année à la San Slefano pour la grande saison
de carnaval et carême, autrefois si brillante, et dont la splendeur semble dé-
croître d'année en année. Tandis que l'an dernier soixante-cinq théâtres ou-
vraient leurs portes pour cette saison, ce qui était déjà médiocre, on n'en
compte cette année que cinquante et un, ce qui est un véritable désastre. '
C'est ce qui arrache au Trovalore ce cri de détresse : « On va de mal en pire,
sinon de pire en impossible ! Abolissez, abolissez les doti, ô économistes,
qui rendez un beau service à l'art et à tant de gens qui vivent des revenus
du théâtre ! » On voit en effet des villes comme Rome, Venise, Turin, Gênes,
Bologne, n'avoir qu'un seul grand théâtre en exercice, et d'autres, aussi im-
portantes que Palerme, Pise, Vérone, Bergame, Livourne, Vicence, n'en
avoir pas même un, non plus que Lucques, Rimini,Sinigaglia, Pesaro, Syra-
cuse, Monza, Viareggio, Alexandrie, Ivrea, Lecco, Arezzo et tant d'autres,
qui seront sevrées cette fois de toute espèce de spectacle d'opéra. C'est une
véritable calamité, et ce que M. Brunetière pourrait appeler la banqueroute
de l'art. — Quoi qu'il eu soit, sur les cinquante et un théâtres ouverts, nous
voyons, comme d'habitude, figurer nombre d'ouvrages Us.acais: Faust, Mignon,
Manon, Carmen, Werther, la Juive, Lakmé, Samson et Dalila, le Songe d'une nuit
d'été, les Pêcheurs de perles, etc. La saison ne parait pas être fertile en ouvrages
inédits, et nous ne trouvons d'annoncés que ceux dont voici les titres : au
théâtre San Carlo de Naples il Signor di Pourceaugnac, de M. Alberto Fran-
chelti; au Dal Verme de Milan Tirga, de M. Marchese Lombardi, et la Nave,
de M. Arthur Vanibianchi ; à l'Argonlina de Rome Camargo, de M. Enrico
De Leva : au théâtre royal de Turin la Forza d'amore, de M. Buzzi-Peccia ;
à San Remo U Padrone, de M. Bolognesi ; et enfin, au théàlre Brunetli de
Bologne Yanko. de M. Primo Bandini.
— Nous venons de voir quelle sera la part des opéras français dans la sai-
son qui s'ouvre. Elle n'était pas moins brillante dans celle qui vient de finir.
Pour ne citer qu'un Ihé'.itre, le Victor-Emmanuel de Turin, pour 60 représen-
tations en a donné 17 de Cavalleria rusticana, 13 de Manon, 12 des PécJieurs
de perles, 12 d'iPagliacci et 6 de Martirc. C'est-à-dire que deux seuls ouvrages
français ont fourni près de la moitié du répertoire.
— Le succès du nouvel opéra de M. Umberto Giordano, Andréa Chénier,
s'affirme et s'accentue de plus en plus, ainsi que le constata en ces termes le
Trovalore : « Quatre sont les théâtres qui s'ouvriront, le soir de San Stefano,
avec Andréa Chénier : le Théâtre royal de Turin, le Théâtre royal de Parme,
le Communal de Manlouc et le Grand-Théâtre de Brescia. Plus tard, l'ouvrage
sera mis en scène à l'Argenlina de Rome, au San Carlo de Naples, à Cré-
mone, à Sassari, etc. Aux premiers jours de janvier, il sera reproduit à la
Scala de Milan. A l'étranger, les théâtres qui le donneront les premiers, c'est-
à-dire d'ici quelques semaines, sont ceux de Lyon, Hambourg, Buda-Pesth,
Breslau, Prague, Saint-Pétersbourg, et Alexandrie d'Egypte. » Ce qui veut
dire qu'Atidrca Chénier commence son tour du monde.
— Pour railler M. Boito, qui depuis vingt ans fait annoncer, urbi et orbi,
qu'il travaille à un Néron dont personne n'a jamais pu voir ni entendre une
note, un journal italien racontait plaisamment, il y a quelque temps, que le
commencement de la première scène du premier tableau du premier acte de
cet insaisissalde A'c'ron (•lait etunplèlemenl achevé, et qu'il n'y manquait plus que
l'orchestre. Voici qunn a|ipienil que dans une représentation donnée au théàlre
Victor-Emmanuel d'Ancouc au profit du fonds deslinéà la ciéalion d'une école
d'art en cette ville, le clou de la soirée était une parodie de ce fameux Néron.
« Gomment diable, s'écrie à ce sujet un journal, a-t-on pu parodier un opéra
dont personne ne peut affirmer l'existence? » — « C'est bien simple, lui
répond un confrère; on n'a eu qu'à lever le rideau à moitié, sur une appa-
rence de décor oualé par des nuages, et à le baisser au bout d'un inslanl au
milieu du silence; comme cela, les spectateurs ont pu se faire une idée de ce
qu'est le Néron de Boito. i>
— Le centenaire de Schubert sera célébré prochainement à Vienne non seu-
lement par l'exposition spéciale que nous avons déjà annoncée, mais aussi par
une exposition des beaux-arts qui réunira tous les tableaux, dessins et sculp-
tures que l'œuvre de Schubert a fait naître; à cette exposition le peintre
célèbre Maurice de Schwind, un ami de jeunesse de Schubert, sera toul par-
ticulièrement représenté.
— Le célèbre compositeur norvégien, Edvard Grieg, se trouve actuellement
à Vienne et y a donné une série do loneeris dans lesquels des œuvres de tout
genre étaient assez largement repn'sentr'cs pour que le public viennois ait pu
garder une impression complète et iind'onde du talent robuste et absolument
personnel de cet artiste oiiginal. Parmi les œuvres exécutées nous ne décou-
vrons aucun morceau inédit, mais nous avouons n'avoir jamais entendu le
monologue Bergliot, où l'orchestre ajoute des illuslralimis miisii-ales inili''|ieii-
dantes du monologue lui-même qui est récité sans ,iiicnii ;irr |i;i-ih'iiii'iiI.
Cette forme est alisoluiiieiit neuve, et il parait que le inmvejn :i pu lip.niniup
de succès. Grieg s'est missi fait admirer comme pianiste: il joue en composi-
teur, et non en mi- ^r. ni.iis même au point de vue puremenl mécanique, son
jeu esl tcllemeiil puiiaii ipii' peu de virtuoses peuvent entrer en lice avec ce
pianiste non i)rofessioiincl.
414
LE MENESTREL
— La Société Liszt, de Leipzig, a exécuté arec un vrai succès, à son Jeniier
concert, un poème symphoaique intitulé Romnersholm, dont fauteur,
M. Gustave Brecher, est un tout jeune homme à peine âgé de dix-sept ans,
qui poursuit encore ses études au gymnase. Il parait que l'œuvre est très
intéressante et indique un vrai sens artistique.
— Le nouvel opéra de M. Garl Goldmark, le Grillon du foyer, dont l'appa-
rition tn Allemagne avait semblé faire sensation, vient d'échouer complète-
ment à Munich, où son exécution d'ailleurs était très insuffisante, et où
l'ouvTage est très vivement discuté. Après le premier acte, les auteurs avaient
été rappelés très timidement; après le second et le troisième, des marques de
désapprobation assez vives se sont mêlées à quelques applaudissements, et il
en a été de même pour l'entracte sj-mphonique du second acte. Un critique
d'aillem's très vivement le livret, qui est puéril et ne reproduit en aucun
point l'intérêt du joli roman de Dickens.
— Voici que la ville de Dessau conçoit, à son tour, le projet d'élever à la
mémoire de Wagner un monument qui, parait-il, prendra des proportions
vastes et grandioses.
— Correspondance de Barcelone. — (20 décembre). — Pas liien brillante
jusqu'à présent, notre saison théâtrale d'hiver. Au Gran Theatro del Liceo,
le fait le plus intéressant a été le début, dans Hamtet, de M""! Adélaïde Bolska.
M"' Bolska est bien, physiquement, l'Ophélie rêvée: comme cantatrice, elle
joint à une l'on jolie vuix ile.s (jualilés de style et de diction. Et le tout est
produit avec une simplicité délicate et tout à fait charmante. A côté de
M"" Bolska, le baryton Blanchart s'est fait aussi remarquer: c'est un Hamlet
correct, secondé par un merveilleux organe et un très appréciable talent de
chanteur. Grâce à ces deux vrais artistes, le chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas
a pu retrouver son succès d'antan — mais c'est uniquement grâce à eux,
car le maestro Caxnpanini (Cléofonte!) a dirigé l'ouvrage avec une fantaisie
des plus étonnantes. Je crois que l'on nous a donné aussi une reprise de
Mefistofele, mais je n'en suis pas certain, n'ayant absolument rien pu recon-
naître dans l'exécution de la partition de Boito. Il devait évidemment s'agir
là d'une parodie. Comme telle, nous avouons que la chose fut réussie, et le
a célèbre » ténor Cardinali s'y est montré en Petit Faust d'une bouffonnerie
parfaite. Et maintenant on est tout aux répétitions de Sansone e Dalila, qui
passera dans quelques jours ; espérons que la présence de notre émi-
nent et cher maître Saint-Saëns arrivera à maintenir le fougueux Campanini
(Cléofonte!) dans les justes limites d'une interprétation exacte et vraie.
A. S. Bertal.
— Le cercle artistique et harmonique de Barcelone avait ouvert un concours,
avec un prix de 500 francs, pour la composition d'une œuvre destinée à célé-
brer le centenaire de sa fondation. C'est un artiste italien, M. Geremia Piaz-
zano, qui a emporté ce prix, pour une grande cantate à quatre voix avec
chœurs et orchestre.
— Le théâtre de l'Eldorado, de Barcelone, vient d'obtenu- un grand succès
avec une nouvelle saynète lyrique, intitulée las Mujeres, dont les auteurs sont
MM. Javier de Burgos pour les paroles et J. Jimenez pour la musique. L'ou-
vrage est fort bien joué par M. Pinedo, M'"'== Campas, Cubas et Cervantes, et
chaque soir le public fait répéter trois ou quatre morceaux.
— A l'Alhambra de Londres, la semaine dernière, première représenta-
tion et succès d'un nouveau ballet, le Tzigane, scénario de M. Coppi, musique
du chef d'orchestre, M. Georges Jacoby, qui en est, avec cet ouvrage, à sa
cent deuxième partition chorégraphique.
— Tous les journaux anglais constatent le grand succès obtenu par notre
jeune et célèbre pianiste française, M"« Glotilde Kleeberg, qui s'est fait en-
tendre plusieurs fois aux fameux concerts populaires des lundi et samedi, au
Cristal Palace, à Glasgow, Edimbourg, Birmingham, Liverpool, etc.
— Une correspondance d'Amérique nous apporte quelques détails relatifs
au fameux facteur de pianos Guillaume Stcin'vay, dont nous avons annoncé
récemment la mort. Lorsque les événements de 1848, si désastreux pour
l'AUemagne, obligèrent son père, Henri Steinway, qu'ils avaient ruiné, à
aller chercher fortune en Amérique, celui-ci emmenait avec lui quatre de ses
fils, Charles, Guillaume, Henri et Albert. Chacun d'eux se plaça chez un
facteur d'instruments, et au bout de peu d'années, en 1833, Henri Steinway
fonda avec ses fils la fabrique de pianos qui devait bientôt devenir si célèbre.
On sait en effet quel en fut le succès, succès tel que bientôt l'aîné des lils,
Théodore, qui était resté à Brunswick, alla rejoindre sa famille à New- York.
Celle-ci fut décimée d'ailleurs en peu d'années, car Charles Steinway mourut
en 1861, Henri en 1863, leur père en 1871 et Albert eu 1877 . Guillaume de-
meura le chef de l'entreprise, et celle-ci continua de prospérer de telle façon
entre ses mains, qu'en 1889 un syndicat anglais lui offrit quatre millions de
dollars, soit 20 millions de francs pour la cession de son établissement, en y
ajoutant un traitement annuel de 500.000 francs pour qu'il restât à sa tête,
comme directeur de la nouvelle société. Steinway refusa pourtant cette offre
séduisante. Guillaume Steinway avait fondé auprès de New-York, où se trouve
sa fabrique, un véritable village, où était concentré tout son personnel,
ouvriers, et employés, iiiii jimissaient là, grâce à une heureuse et intelli-
gente organisation, d'un liicu-iHie remarquable et de grandes facilités d'exis-
tence. C'est une atteinte de Uèvre typhoïde qui, en peu de jours, a enlevé
Steinway à l'âge de soixante ans.
— L'émotion est tiuijuurs grande au Brésil par suite Je la muri du luuipo-
siteur Carlos Gomes. A Rio Janeiro on a l'ormé le projet de représenter, au
Grand-Théâtre, la série complète des opéras de cet artiste distingué, y com-
pris Maria Tudor, son dernier ouvrage, et le directeur a demandé dans ce but,
au gouvernement, un subside qui lui permettra de faire les frais nécessaires.
D'autre part, à Pernambuco, on a décidé, sur l'initiative d'un admirateur de
Gomes, le docteur Bianor de Medeiros, d'élever au théâtre, une statue au
compositeur,
— La situation du Conservatoire de Mexico, dont on se plaint depuis long-
temps, paraît aujourd'hui tout à fait déplorable, non seulement par le fait
d'une mauvaise organisation, mais aussi par l'éclatante insuffisance des pro-
fesseurs. Les examens annuels, qui ont eu lieu récemment, ont été un véri-
table désastre et ont fait un fiasco colossal. On parle sérieusement de fermer
l'établissement pour lui faire subir une réorganisation complète et reformer
le personnel enseignant.
PARIS ET DÉPARTEBIENTS
D'un commun accord, le directeur de l'Opéra-Comique, M. Carvalho, et
les auteurs de Cendrillon, MM. J. Massenet et Henri Gain, ont décidé de
remettre la première représentation de cet ouvrage à l'ouverture de la salle
neuve, place Favart. Ils ont pensé avec raison que ce conte lyrique, qui
prête à un joli dcploicnionl de mise en scène, serait un excellent spectacle
d'inauguration, CV'i.iii la première idée des auteurs, et ils y sont revenus,
M. Carvalho ayanl bien voulu s'y prêter.
— M. Carvalho vient de s'engager à jouer à l'Opéra-Comique le Spahi,
l'ouvrage dont M. Lucien Lambert a écrit la musique sur un poème de
MM. Adenis frères, et qui a obtenu le prix au dernier concours de la ville
de Paris, u.
— L'Opéra prépare activement les travaux de ses prochains concerts domi-
nicaux. C'est au programme du second de ces concerts que figurera le Selam,
l'ode-symphonie de M. Ernest Reyer, dont la partie solo est confiée à M"= Lu-
cienne Bréval. On annonce, pour une des séances suivantes, un poème lyri-
que intitulé Vénus et Adonis, dont M. Xavier Leroux a écrit la musique sur
des vers de M. Louis Gallet, et qui aura pour interprètes M^^^ Région dans le
rôle de Vénus et M""^ Carrère dans celui d'Adonis. D'autre part, un journal
assure que ■> M. Camille Saint-Saëns, qui sera rendu dans quelques jours aux
iles Canaries, où il passera l'hiver, va se mettre à écrire la musique d'un
poème qui sera exécuté également aux concerts dominicaux. Les soli de cette
nouvelle œuvre seront chantés par M°" Héglon. » Nous reproduisons cette
nouvelle, comme disent nos grands confrères politiques, « sous toutes
réserves. »
— M. Charles Lamouréux donnera au mois de janvier, dans un concert
consacré entièrement aux œuvres et à la mémoire d'Emmanuel Chabrier, la
première audition de Briséis, l'opéra que le regretté compositeur a laissé in-
achevé et qu'il écrivait dans les derniers temps de sa vie sur un poème de
M. Catulle Mendès. L'exécution de cet acte ne nécessitera pas moins de deux
cent cinquante artistes, soli, chœurs et orchestre. Les rôles sont distribués
ain si : Briséis, M"« Eléonore Blanc ; Tanastô, M™ Chrétien-Vaguet ; Hylas,
M. Engel ; le cathéchiste, M. Ghasne ; Stratoklès, M. Nicolaou.
— M. Winogradsky, l'habile chef d'orchestre russe qu'on applaudissait
r écemment aux concerts du Chàtelet, vient, à peine de retour à Kiew, de con-
sacrer le premier concert d'abonnement de la Société impériale de musique à
un grand festival de musique française. Voici le programme de ce concert,
qui avait lieu au théâtre Solowzow : 2= symphonie de Saint-Saëns : marche
funèbre pour la dernière scène à'Hamlet, de Berlioz : ouverture de Phidre, de
Massenet : sérénade de Namouna, de Lalo ; scène et air d'Ophélie (Hamlet),
d'Ambroise Thomas, par M™^ Bobrowa; Jeux d'enfants, suite de Bizet; Escar-
polette, de Léo Delibes ; Danse des Bacchantes (Philémon et Baucis), de Gou-
nod. Notre correspondant nous écrit que ce festival a obtenu un succès écla-
tant, que l'ouverture de Phèdre, particulièrement, a reçu un accueil enthou-
siaste, et que le public, à la fin du concert, a demandé la Marseillaise, qui a
été bissée au milieu des acclamations générales, „ _,,_^j
— Une nouvelle assez singulière est mise en cours par la Gazette de Cologne,
à qui l'on télégraphie de Saint-Pétersbourg qu'il vient de partir de cette ville
pour l'Abyssinie, à l'adresse de Ménélîk, le « roi des rois » d'Ethiopie,
quatre wagons d'instruments de musique de divers genres — y compris des
pianos. Il parait qu'une troupe de musiciens, avec leur chef a aussi été
engagée par le Négus. Voilà un débouché nouveau, autant qu'inattendu,
pour nos artistes et nos facteurs. A quand la prochain o beuglant ? »
— Les dates des bals de l'Opéra primitivement données, U y a quelques
semaines, sont aujourd'hui changées. Voici celles qui sont fixées définitive-
ment: premier bal, samedi 30 janvier; deuxième, samedi 13 février; troi-
sième, samedi gras, 27 février; quatrième, jeudi de la mi-carême, 23 mars.
— M""= Ed. Colonne a donné jeudi soir la première audition de son école
de chant dans ses salons de la rue de BerUn. Cette séance était exclusivement
consacrée aux œuvres de M. Paladilhe. Le programme a été tout un succès
pour les brillants élèves de M"» Ed. Colonne: M""" Auguez de Montalaut,
Remacle, Planés, Mathieu, Bodelli, Jacquemin et de Jerlin. M"'! Pregi, très
s oullrante, manquait seule à l'appel. MM. Cazeneuve, Challet et Barelti ont aussi
LE MENESTREL
41b
été ton applaudis. Quant à M"» Ed. Colonne, elle a, de sa voix si expressive
et de sa remarquable diction, transporté l'auditoire. On lui a redemandé la
Psyché et la Havanaise. Le maitre Paladilhe. qui l'accompagnait, a été l'objet
d'une chaude et sympathique ovation.
— Un jeune -violoniste polonais, M. Robert Poselt, a donné à la salle
Pleyel, avec le concours de M"= Loda Palasaro et de M. Sigismond de Sey-
i'ried, un concert qui lui a valu un très vif succès. Il s'est fait particulièrement
remarquer dans un concerto de notre regretté Garcin, dans une fugue de
Bach qui a été bissée et dans une Mazurck de Kontski. M. Poselt et M. de
Seyfried ont fait applaudir ensemble une jolie suite pour piano et violon de
M. Mlynarski.
^ — De Marseille on nous signale les très belles représentations de Afanon qu'y
donne en ce moment M"" Bréjean-Gravière, devant des salles combles. Ce
sont tous les soirs, pour la charmante artiste, des ovations continues.
— De Toulouse on télégraphie le succès obtenu au théâtre du Capitule par
Guernica, l'opéra de MM. Gailhard, Gheusi et Paul Vidal. Succès surtout,
parait-il, pour deux actes qui avaient été supprimés à l'Opéra-Comique. A la
chute du rideau, tous les auteurs rappelés en scène. Grande ovation.
— La vie musicale bat son plein à Pau, et les séances symphoniques
données par l'exceUent orchestre de M. Ed. Brunel ont retrouvé tous leurs
fidèles. Aux derniers programmes, très artistiquement composés, figurent les
noms de BourgauU-Ducoudray avec la Rapsodie cambodgienne, de Paladilhe avec
l'ouverture de Suzanne, de Massenet avec le Crépuscule, la Marche de Ssabadi et
les Scènes hongroises, de Théodore Dubois avec ta Farandole, de Delibes avec
l'enlr'aclc de Jean de Nivelle et Coppélia, et aussi de Smetana, Lalo, Balakirew,
Wagner, I^eroux, Beethoven, Lazzari, Charpentier, S. t-Saëns, Chabrier,
Joncières, Bizet, Cb. Lefebvre, etc.
— Belle séance de musique religieuse donnée dans la cathédrale de Gham-
béry par le Cercle choral et le Cercle musical de cette ville. C'est dans l'œuvre
si tardivement admirée de César Franck que, pour la composition du pro-
gramme, on a puisé la messe en la. Les exécutants, chœurs et orchestre, une
centaine environ, l'ont interprétée avec talent sous la direction deM.Bonnel,
habile chef d'orchestre .
— CO-N'CERTS ET SoiRÉES. — Au 70" diner de « la Betterave », très joli succcs pour
M"" Yvonne Grailler dans la Mort de Thaïs, de Massenet Saint-Saëns, pour M. Nutté,
dans l'air d'Aben-Hamet, de Théodore Dubois, pour M"" Dalbray, dans le Péché,
d'Amélie Perronnet et aussi pour M"' Wyns, dans l'air d'Orphée et M'i" Golstein dans un
monologue, le Compliment de Su::on, d'Edouard Noël. — A la soirée donnée au profit de
la société «La Bretagne» on a bissé à la charmante violoniste M"° Juliette Dantin la Médi-
tation de Thais el une Idiille d'Adolphe Daiid. Très joU succès pour M"" Oswald dans la
gavotte de j1/((no/i. -- A rinstitution N -D. de Saint-Croix, à Neuilly, très intéressante
matinée musicale organisée par M. A. Trojelli. On a surtout applaudi le jeune fils du
composileur dans des pièces de Beethoven et de Grieg, M. Robichon dans la Chaconne de
Théodore Dubois elle petit orchestre de Pinstitution, avec solo de M. CoUongues, dans
Pendant la fêle de A. Trojehi. — La Société académique des enfants d'Apollon vient de
donner sa séance mensuelle sous la présidence de M. Paul Collin. M"' Th. Ganne, avec
Fleurs dans un livre et Sérénade, de H. de Fontenailles, et le Nil, de Xavier Leroux,
accompagnés par les auteurs, et 31. Ch. Le Brun, dont le violon a très bien nuancé le
Prélude d'Hérodiadeel la Méditation de Thais, accompagnée par la harpe de M"" Doris,
ont été les héros de la fête. — A l'Institut Rudy, première matinée donnée par
M. Georges Falkenberg ; cette séance a fait valoir à nouveau l'excellent et sérieux ensei-
gnement du professeur. JIM. Guilmant et Paul Seguy ont ravi l'auditoire, le premier
dans l'exécution, avec M. Falkenberg, de transcriptions pour piano et harmonium; le
second en interprétant magistralement Trois Soldats de Faure, ainsi qu'une mélodie de
G. Falkenberg. — A la fête de charité du Lycée Lamartine, très grand succès pour trois
chœurs de Blanc et Dauphin, extraits de la Chajison des Joujoux, les Cerfs-volants, les
Crécelles et les Petits Ménages. Ces petits chœurs, très bien exécutés sous l'habile direc-
tion de M"" Jaillon, ont absolument ravi l'auditoire qui a même voulu rOentendre les
Petits Ménages. — Chez M"" TouUiin, très jolie soirée consacrée à l'audition d'œuires
de Théodore Dubois qui a complimenté l'excellent professeur et ses ititerprètes. On a
surtout rematvpié M"" .liilietle Toutain dans Clair de lune. Réveil, Allegro de bravoure,
elles six numéros des Poèmes sylvestres. M"^ F. de Buffon dans Cavutine, M. Gandu-
bert dans Dormir et Rèmr, M'" Forest dans Chaconne et Scherzo et Choral, M"" S. Du-
bois-Nicolo dans la Légende de saint François d'Assise de Xavière et le Baiser, et enfin
cette dernière et M. Gandubert dans le duo de Xavière. — Également, chez M""" Ambre-
Bouichère, soirée musicale; en l'honneur de Théodore Dubois, qui a mis en pleine valeui-
M"°' Jeanne Aubecq, Dumont, Marhyva, ViUains, Sequel et M. Oberdœrffer. La soirée
s'est terminée par un chœur d'Aben-Hamet très joliment chanté par trente jeunes filles.
NÉCROLOGIE
La semaine dernière est mort à Paris, à l'âge de 8b ans, un dilettante
jadis bien connu, le baron Charles de Boigne, qui collabora naguère à divers
journaux, entre autre au Constitutionnel, et qui s'est fait surtout connaître par
un petit volume intitulé Petits Mémoires de l'Opéra, auquel on a fait une répu-
tation d'esprit peut-être e.xcessive, mais qui, en somme, est écrit d'une plume
alerte, et, à la condition de les contrôler, donne sur le personnel et les cou-
tumes de l'Opéra à cette époque (1857) des renseignements intéressants.
— Un des musicographes allemands les plus justement estimés, Joseph
Wasielevv'ski, vient de mourir à l'âge de 7i ans à Sondershauseu. Né à Gross-
Laesen, près deDantzig, le 17 juin 182J, il avait été, de 1843 à 184b, élève de
Ferdinand David et de Mendelssohn au Couservatoire de Leipzig. Devenu pre-
mier violon à l'orchestre du Gewanhaus de cette ville, il devint ensuite concert-
meister à Dussoldorf, où il avait été appelé par Robert Schumann, puis remplit
les fonctions de directeur de musique à Bonn, et enfin, en 1873, fut appelé en la
même qualité à Dresde. Dès 1838, deux ans après la mort de Schumann,
"Wasielewski publiait une biographie de ce maître dont il a été fait trois édi-
tions, et dont une traduction française, due à M. F. Herzog, a paru dans les
colonnes du Ménestrel. Il a donné aussi une biographie de Beethoven. Mais
ce qui lui assure surtout une place distinguée parmi les historiens modernes
de la musique, ce sont les deux ouvrages d'une érudition solide et sûre, qu'il
a publiés, le premier sous ce titre : le Violon au XYII' siècle {Bonn, iSli, in-S")
le second, plus important encore, intitulé Histoire de la musique instrumentale,
au XYP siècle (Berlin, 1878, in-8'> avec planches). Il avait déjà donné, en 1869,
un opuscule intitulé le Violon et ses maîtres. Wasielewski, qui, au cours de sa
longue existence, fut lié avec la plupart des grands artistes contemporains :
Schumann, Ferdinand Hiller, MM. Brahms, Garl Reiuecke, Joachim et autres,
a bien mérité de l'art par ces divers ouvrages. Quelques semaines avant sa
mort, il publiait encore une sorte d'autobiographie, dans laquelle il retraçait
le tableau du mouvement musical à Leipzig pendant la période particulière-
ment intéressante qui s'étend de 1840 à 1850. A. P.
— A Bade, près Carlsruhe, vient de s'éteindre, à l'âge de 70 ans, M. Richard
Pohl, l'écrivain musical bien connu. Pohl avait passé une partie de sa vie
à Weimar, où il s'était lié d'amitié avec Franz Liszt, et y a publié plusieurs
écrits sur ce musicien ainsi que sur Berlioz et Wagner. Plusieurs autres
de ses ouvrages sur l'art musical ont été aussi remarqués. C'est à lui qu'on
doit les livrets du Manfred de Schumann et du Prométliée de Liszt, ainsi qu'une
bonne traduction des publications de Berlioz.
— Un écrivain musical, M. J. van Santuen Kolff, vient de mourir à La Haye.
Il fut un des wagnériens de la première heure, et collabora à divers journaux
de la cohorte, entre autres à la Revue wagnérienne de Paris et aux Baijreutlier
Rlaetter. Il fut aussi, en Allemagne comme en Hollande, sa patrie, un très
ardent propagateur des œuvres de Berlioz et de la jeune école française.
— Les journaux étrangers annoncent, sans plus de détails, la mort violente
d'un chanteur, le baryton Lipowsky, assassiné à Littau, « par erreur ! »
— On annonce la mort d'un des rares musiciens grecs, Spiridon, qui se soient
livrés à la composition dramatique. Celui-ci s'appelait Xyndas, et il a écrit
trois opéras : les Deux Rivaux, le Comte Julien et le Candidat au Parlement. Ce
dernier fut représenté en grec, il y a huit ans, au Politeama Rossetti, de Trieste,
et obtint quelque succès. Cet artiste fut, dit-on, le premier maître de son
jeune compatriote M. Spiro Samara, qui, en ces dernières années, a fait
représenter ej Italie divers ouvrages, dont un surtout, Martire, a été bien
accueilli. Xyndas était âgé de 84 ans.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Eli vcQle, AU MÉNESTREL, 2 bis, tue Vivieune, IlEUGEl el C'", é(lilcitrs-pro|irictaires.
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Angleterre, un professeur de violon célibataire. Entrée janvier prochain.
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M. G. Bechstein, -iO, Wigmore street, Londres.
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de M. A. Arnault, pièces représentées à l'Odéon, viennent de paraître chez
l'éditeur Fasquelle.
— M. Charles Graudmougiu vient de publier, chez l'éditeur Rouam, un nou-
veau recueil de vers. De la terre aux étoiles, digne en tous points du poèta Qo
l'Enfant Jésus et du Christ.
— Quelques mois seulement après la vingt-sixième édition A' Acteurs et
Actrices de Paris, la vingt-septième édition vient de paraître; chaque nouvelle
édition met à jour un recueil qui fourmille de renseignements authentiques
et de détails curieux. De plus, Adrien Laroque (Emile Abraham), quand il
parle d'une étoile — ou même d'un comédien obscur encore, mais chez lequel
il croit découvrir une promesse de talent — ne se borne pas à une brève
notice biographique, il se livre à des commentaires et à des appréciations et
conte des anecdotes, il évoque des souvenirs... il intéresse, d'où le succès
du petit volume si en vogue.
— Vient de paraître : la Musique à Paris, 1S95-96, études sur les concerts,
programmes, bibliographie des ouvrages musicaux parus pendant l'année,
par Gustave Robert (Paris, Fischbacber, un volume iu-12).
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